Employabilité Et Capabilités

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L’employabilité durable, une question de mise en capacité(s) ?

Observatoire Paritaire des Mutations Industrielles

Florent NOEL , Professeur, IAE de Paris, Chaire MAI


Géraldine SCHMIDT, Professeur, IAE de Paris, Chaire MAI

Qu’on le fasse remonter aux conquêtes sociales du Front Populaire, au programme issu du Conseil
National de la résistance ou aux accords de Grenelle de 1968, le modèle français de relation d’emploi
se caractérise historiquement par un fort niveau de sécurité de l’emploi et par la constitution de marchés
internes au sein desquels l’emploi est administré par l’employeur dans le cadre de conventions
négociées avec les partenaires sociaux (Piore, 1978). Pour le dire de façon très caricaturale, en matière
de relation d’emploi, l’imaginaire français a longtemps renvoyé à la figure d’un travailleur recruté pour
longtemps par une grande entreprise au sein de laquelle une carrière l’attend. Une façon de traiter la
question de l’incertitude à laquelle les Français seraient culturellement particulièrement sensibles
(Hostede, 2001) a pu consister plus qu’ailleurs en l’invention de statuts socio-professionnels
protecteurs, favorisant l’identification des salariés à leur entreprise (d’Iribarne, 1990) et à imaginer des
stratégies d’adaptation aux aléas jouant davantage sur les stocks ou les délais que sur l’emploi ou les
salaires. Il est à ce titre révélateur que les contrats de travail courts et plus précaires tels que les CDD,
l’intérim, le travail indépendant ou encore la sous-traitance soient encore souvent qualifiés, en France,
d’« atypiques ».

De façon évidente, cette forme de relation d’emploi est bousculée par les diverses mutations touchant
le travail en général et le travail industriel en particulier. Le ralentissement de la croissance économique,
tout d’abord, a rendu plus problématique le traitement « en interne » des conséquences des revers
conjoncturels comme des gains de productivité. Les nouvelles formes d’organisations, plus flexibles et
reposant sur des technologies renouvelées, ont ensuite questionné la capacité des entreprises à
prendre en charge les ajustements d’effectifs et de compétences. Enfin, cette tendance à la
flexibilisation s’inscrit désormais dans le cadre de stratégies d’entreprises reposant sur la saisie
d’opportunités nécessitant une reconfiguration permanente des organisations et qui font appel à la
subjectivité des salariés à mesure que le travail devient de moins en moins prescriptible et que l’on s’en
remet à la responsabilisation des salariés pour faire le meilleur usage pour eux, comme pour
l’organisation, de la liberté qui leur est donnée ou concédée.

Tout au long de cette histoire du tissu productif français et de la relation d’emploi qui l’accompagne, le
développement de l’employabilité s’est imposé comme un impératif pour les pouvoirs publics, puis pour
les employeurs et enfin pour les salariés eux-mêmes. Pour autant, on ne parle pas toujours de la même
employabilité qui prend des définitions et porte des enjeux différents. Elle se développe également dans
des champs différents – entre marchés externe et interne du travail – à partir de pratiques qui relèvent
à la fois des politiques publiques de l’emploi et des initiatives managériales, quand elle ne découle pas
de positionnements individuels.

L’objet de cette note de synthèse est de poser les contours de ce concept et de baliser un
programme de recherche pour l’OPMI. En s’appuyant sur une revue de la littérature et sur les
recherches déjà menées par la Chaire MAI, il s’agira de réfléchir à des principes directeurs de politiques
visant à renforcer l’employabilité des salariés de façon à leur permettre de traverser au mieux les
mutations de leurs organisations. Il s’agit à la fois de prévenir le risque de chômage et d’entretenir la
capacité des salariés à se faire acteur de leurs trajectoires pour éviter qu’elles ne soient ni contraintes,
ni marquées par le déclassement professionnel.
Inspirée par les travaux d’Amartya Sen et sa prise de position normative qui entend viser la liberté de
chacun à opérer les choix qu’il valorise (au-delà d’un objectif de réduction des inégalités matérielles ou
juridiques), cette note commencera par dresser un panorama des enjeux liés au développement de
l’employabilité (1. L’employabilité, pour quoi faire ?) et par identifier une série de pièges que les
pratiques de gestion devraient éviter. Elle se focalisera ensuite sur un repérage des pratiques qui, à
l’échelle de l’individu ou de l’organisation — puisque c’est désormais à ce niveau que l’employabilité est
gérée – la soutiennent et la développent (2. L’employabilité, comment faire ?).

Nous conclurons en dégageant trois catégories de leviers susceptibles de favoriser une meilleure
employabilité : la qualité des trajectoires individuelles, les politiques de GRH et enfin, l’organisation du
travail. Ces trois leviers s’articulent à des dispositifs institutionnels (politiques publiques) et ils dessinent
autant d’axes de réflexion et de recherches pour renforcer la capacité des salariés à vivre les mutations
de façon sécurisée, et peut-être même à en faire une opportunité de développement personnel et
professionnel.

L’employabilité, pour quoi faire ?


Si le concept d’employabilité peut être manié de différentes manière selon les contextes, elle se définit
toujours au carrefour de caractéristiques individuelles, d’un contexte lié au marché du travail ou aux
mutations du travail et des organisations, et de dispositifs publics ou managériaux de gestion visant le
développement des personnes ou l’amélioration du fonctionnement des marchés (encadré 1).

Encadré 1 : Une définition intégrative de l’employabilité

Les conceptions du terme employabilité sont variées. Forrier et Sels (2003) notent que l’employabilité peut répondre
à trois types d’usages : être un indicateur de probabilité de plein-emploi (point de vue de la société et des pouvoirs
publics) ; être un indicateur de la possibilité de rencontre entre l’offre et la demande de travail (point de vue de
l’organisation, de l’employeur) ; ou être un indicateur de la probabilité d’avoir un emploi ou une carrière (point de
vue de l’individu). Gazier (2003) offre quant à lui une perspective historique fort utile pour comprendre les évolutions
du concept d’employabilité. Il distingue sept version opérationnelles du concept, que l’on peut regrouper en deux
grandes familles : la première qui renvoie à une logique de traitement du chômage ; la seconde qui renvoie à une
logique d’adaptation aux mutations permanentes.

La définition de De Grip et al. (2004) présente l’avantage d’intégrer les éléments principaux mis en avant par les
uns et les autres : « L’employabilité implique la capacité et la volonté des salariés pour rester attractifs sur le marché
du travail [facteurs de l’offre], en réagissant et en anticipant les changements dans les tâches et l’environnement
de travail [facteurs de la demande], ce qui est facilité par les instruments de développement des ressources
humaines qui lui sont offerts [rôle des institutions et des organisations] ».En d’autres termes, la notion
d’employabilité, telle qu’on l’entendra dans ce document, se situe au carrefour de caractéristiques individuelles (des
compétences et une volonté), des spécificités contextuelles liées à l’état du marché du travail et des institutions
régulatrices de ce marché, ainsi que des politiques de développement mises en place dans les organisations. Les
différentes dimensions de l’employabilité sont ici appréhendées de manière équilibrée, rejoignant ainsi ce que
Gazier appelle l’« employabilité interactive », tandis qu’une majorité des études consacrées à l’employabilité se
concentrent sur les facteurs ou déterminants individuels, laissant en second plan les éléments liés au contexte et
notamment les leviers dont disposent les organisations pour améliorer cette employabilité chez leurs salariés.

Caractéristiques individuelles
(Compétences, capacité et volonté)

Evolution des besoins sur les Dispositifs publics et


marchés internes ou externes managériaux
du travail (GRH, organisation du travail,
politiques de formation et d'emploi

Figure 1 : les trois dimensions de l’employabilité


Il s’agit ici de dresser un panorama des enjeux liés au développement de l’employabilité. Le recours à
la notion d’employabilité n’a d’intérêt qu’en lien avec des trajectoires professionnelles qu’il s’agit de vivre
(mobilité, interne ou externe) ou d’éviter (se maintenir dans la situation présente). L’enjeu est finalement
de « ne pas rester sur la touche », ne pas « rester en plan » dans un monde en perpétuel mouvement :
être capable de saisir des opportunités pour les entreprises, ou ne pas se retrouver dans une situation
d’impasse professionnelle, contraint à rester dans (ou à changer pour) une situation non satisfaisante.

Comme on le verra, ce concept a progressivement migré : partant d’une préoccupation de traitement


du chômage propre aux pouvoirs publics, il a finalement pénétré les organisations et leurs
préoccupations gestionnaires. S’il s’agissait initialement pour elles d’en faire un levier de renforcement
de la mobilité externe ou interne des salariés dont l’emploi était supprimé, répondant en cela aux
injonctions du législateur, l’employabilité s’est peu à peu inscrite dans les processus de gestion ordinaire
des compétences afin de favoriser l’adaptation permanente à ces contextes fortement évolutifs, voire
d’en faire un outil permettant aux salariés de contribuer à définir leur poste de façon à faire coïncider
leurs domaines de compétences avec leurs aspirations et les besoins de l’organisation.

Les migrations d’un concept entre objectifs de politique publique,


enjeux managériaux et développement personnel
Un rapide retour sur les différentes migrations du concept d’employabilité semble utile pour situer de
manière plus précise ses enjeux actuels, compte-tenu de l’évolution des politiques publiques de gestion
de l’emploi mais aussi de l’évolution des caractéristiques du marché du travail et des leviers actionnés
par les entreprises pour s’adapter à, voire anticiper, les mutations permanentes qui caractérisent leur
environnement. Comme Périlleux le souligne, le concept d’employabilité migre au cours du temps du
domaine des politiques sociales au domaine du management, et revient en force dans les discours de
politique sociale (Périlleux, 2005).

L’employabilité, une affaire de politiques publiques


Dans cette première conception, la notion d’employabilité est associée aux enjeux de lutte contre le
chômage. Elle est d’abord une affaire des pouvoirs publics ; elle devient ensuite plus orientée vers les
individus eux-mêmes et vers les entreprises. Se joue ici l’un des débats centraux autour de cette notion
d’employabilité, celui du partage des responsabilités entre les pouvoirs publics, les employeurs, et les
individus eux-mêmes.

Dans les premières versions de l’employabilité, les questions sous-jacentes portent sur 1. La distinction
des « employables » et des « inemployables » pour adapter le traitement d’urgence des chômeurs
(« employabilité dichotomique », des années 1900 aux années 1940) ; 2. puis, dans les années 1960,
sur la volonté d’évaluer et de dépasser les obstacles à un emploi régulier pour des individus handicapés
(« employabilité socio-médicale ») ; 3. Les efforts pour aider les personnes et groupes désavantagés à
obtenir un emploi (« employabilité politique de main d’œuvre ») ; 4. L’analyse des flux de sortie du
chômage pour des groupes spécifiques (qui doit vivre de son travail, qui peut accéder à l’assistance
sociale ?) (« employabilité-flux »).

Dans cette perspective, l’employabilité reste une question d’accès à l’emploi. L’enjeu est de favoriser la
participation du plus grand nombre au marché du travail ou de gérer, avec parcimonie, les dispositifs
d’éviction. Les personnes les moins employables peuvent certes faire l’objet de dispositifs de dispense
de recherche d’emploi (salariés âgés ou handicapés, notamment) et bénéficier de mécanismes de
redistribution, mais l’idée postée par des institutions telles que l’OCDE ou la Commission Européenne
est bien de favoriser le taux d’emploi. L’employabilité est alors souvent définie de façon assez froide
comme une probabilité statistique d’accès ou de retour à l’emploi après un licenciement notamment
(Forrier, De Cuyper, & Akkermans, 2018; Forrier & Sels, 2003; Gazier, 1990; Lefresne, 1999). Ce sont
finalement les conséquences de l’ « accident de parcours » qui sont envisagées afin de calibrer les
efforts à accomplir en matière d’accompagnement social ou de reclassement.
L’employabilité, comme responsabilité de l’employeur dans la gestion des
restructurations
Progressivement, et tout spécifiquement dans le cas français, l’employabilité s’est imposée comme un
impératif dans le cadre d’une gestion responsable – et efficace – des restructurations. Dès lors que la
sécurité de l’emploi ne peut plus être garantie par l’employeur, le développement de l’employabilité
s’impose comme un impératif gestionnaire. Cet impératif repose sur des fondements instrumentaux
d’abord : il est probablement moins coûteux socialement et financièrement de se séparer de salariés
employables (Garaudel, Beaujolin, Noël, & Schmidt, 2016). Il s’agit également d’un impératif moral : le
rapport de subordination rend l’employeur responsable de l’évolution de la valeur professionnelle des
salariés (Dietrich, 2010; Noël, 2005). Il s’agit enfin d’un impératif juridique porté par les textes qui ont
successivement encadré les Plans sociaux, les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) et plus
largement la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Sur ce dernier point, on
notera un renvoi progressif par les pouvoirs publics des problèmes liés au traitement du chômage en
amont des licenciements et une responsabilisation des employeurs à l’égard des externalités négatives
induites par une gestion défaillante des compétences et des carrières. Les employeurs sont ainsi invités
à alléger le coût des restructurations pour la collectivité par l’anticipation et la préparation des salariés
à l’éventualité d’une mobilité professionnelle.

Cette évolution a une double conséquence pour la réflexion sur l’employabilité. D’une part, elle devient
un enjeu de gestion des ressources humaines et se rapproche ainsi du paradigme de la gestion des
compétences (Loufrani-Fedida, Oiry, & Saint-Germes, 2015; Loufrani-Fedida & Saint-Germes, 2013).
D’autre part, l’attention est désormais élargie à la problématique du maintien dans l’emploi et de
l’orchestration des mobilités internes qui ne se pose plus dans les mêmes termes dès lors que ces
mobilités ne sont plus systématiquement ascendantes (Forrier & Sels, 2003).

La traduction opérationnelle de cette migration du concept d’employabilité vers l’organisation consiste


en la mise en place de dispositifs d’entretien régulier des compétences, non plus seulement en lien
avec le poste occupé, mais aussi avec une trajectoire projetée. Cela conduit également à renforcer le
partage d’information sur les perspectives de l’emploi en interne et en externe et le dialogue au sujet
des aspirations individuelles, des besoins de l’organisation et plus largement des opportunités à saisir.
Désormais, l’employabilité s’inscrit dans la relation d’emploi « en continuité » et n’est plus un enjeu
relatif aux seules discontinuités, ce qui invite progressivement à impliquer et responsabiliser les salariés

L’employabilité comme responsabilité individuelle


Cette responsabilisation des employeurs a pour corollaire une responsabilisation des individus. Les
trajectoires de carrières intègrent de plus en plus l’hypothèse de mobilités dont la caractéristique est
d’être négociées, ce qui estompe les frontières classiquement établies entre mobilités choisies et
mobilités contraintes, à l’image de la rupture conventionnelle qui est devenue la modalité principale de
rupture des CDI. Par ailleurs, les politiques publiques visant à traiter le problème du chômage évoluent.
La sauvegarde de l’emploi devient secondaire et c’est la compétitivité gage de croissance et d’emploi
qui devient la cible. Il s’agit alors de renforcer la capacité des organisations à réussir les mutations et,
pour faire, il convient de renforcer la mobilité des individus.

Les dispositifs de développement des compétences tendent à se concevoir de plus en plus en externe
au service de carrières de plus en plus nomades (Arthur & Rousseau, 2001; Cadin, Bender, & de Saint-
Giniez, 2003). L’accent mis sur la formation tout au long de la vie, le renforcement de modes de
financement extérieurs à l’entreprise, ou encore la flexibilisation des modalités de rupture du contrat de
travail participent de cette tendance à la responsabilisation de l’individu à l’égard de sa propre
trajectoire.

L’employabilité ne s’évalue alors plus tant en termes d’accès à (ou de maintien dans) un emploi stable,
mais plutôt au regard du dynamisme et de la qualité de la trajectoire professionnelle qui doit rester
satisfaisante du point de vue du salarié même si elle est davantage marquée par la précarité. Gazier
(2003) parle alors d’ « employabilité-performance » pour désigner la capacité d’un individu à extraire un
revenu suffisant du marché du travail tout au long de sa vie professionnelle ou encore d’ « employabilité-
initiative » pour désigner la capacité d’un individu à accumuler toutes sortes de capitaux utiles à la
réussite professionnelle (capital humain, capital social, capital symbolique…).
Dans cette perspective, l’employabilité reste certes pensée en lien avec une trajectoire professionnelle,
mais cette dernière est moins un enjeu pour les pouvoirs publics ou les employeurs que pour les
salariés. La littérature la plus récente, insiste sur les caractéristiques individuelles des salariés qui
doivent « savoir évoluer » (Loufrani-Fedida & Saint-Germes, 2013), être mobiles par eux-mêmes
(Hillage & Pollard, 1998), développer une adaptabilité active (Fugate, Kinicki, & Ashforth, 2004), une
volonté d’utilisation optimale de leurs compétences (Van Der Heijde & Van Der Heijden, 2006).

Quand l’employabilité rime avec entreprise libérée


Jusqu’à présent, l’employabilité restait marquée par la capacité des individus à obtenir ou garder un
emploi. Cette logique suppose que l’emploi (et ses compétences requises) existe indépendamment du
travailleur (et de ses compétences détenues). Or, les écrits sur l’avenir du travail (Attali, 2007; Enlart &
Charbonnier, 2013) prédisent un recul du travail prescrit. Les séries de production seront probablement
amenées à se raccourcir pour tendre vers la production unitaire. L’organisation en mode projet
deviendrait la norme, les tâches de conception prendraient le pas sur les tâches d’exécution… Ces
évolutions combinées conduisent à imaginer un travail de plus en plus intellectuel et de plus en plus
relationnel. Dans ces conditions, l’engagement subjectif des salariés deviendra un enjeu de
performance pour les organisations. Ces derniers seront en effet conduits à engager leur personne dans
la production, mais aussi, à définir « chemin faisant » les contours de leur activité de travail.

Etre employable, dans un tel contexte, ne relève plus de la capacité à réussir des trajectoires de poste
en poste, mais à évoluer avec son poste ou à faire évoluer son poste en fonction des contraintes
contextuelles. Si l’adaptation devient une situation de travail récurrente, alors l’employabilité, entendue
comme compétences à s’adapter, deviendra une compétence clé.

Dans ce basculement, d’une organisation du travail structurante à un travail d’organisation permanent


(Véro & Zimmermann, 2018), le développement de l’employabilité rejoint la capacité des salariés à
contribuer à l’organisation de façon à équilibrer leurs aspirations personnelles et le besoin de
l’organisation de répondre aux exigences de la production et du client. L’employabilité permet ainsi tout
autant de se créer un emploi à soi que d’en acquérir un préexistant (De Grip et al., 2004) . La rhétorique
de l’employabilité se confond alors avec celle de l’entreprise libérée ou du travail émancipateur.

Le tableau suivant tente une synthèse de ces quatre conceptions de l’employabilité


Usage de la Employabilité Employabilité Employabilité Employabilité
notion pour inclure pour faciliter les pour flexibiliser pour développer
mobilités
Responsabilité Pouvoirs publics Employeur Salarié Employeur et salarié
Problème à Rapprocher les Faciliter les mobilités Organiser des Développement
travailleurs pour faciliter les carrières nomades. personnel pour le
résoudre « inemployables » de restructurations. Autonomiser les salarié et bien-être.
l’emploi. salariés dans la Faire appel aux
Allégement du coût des gestion de leur compétences des
prestations sociales carrière. salariés pour
construire
l’organisation
« chemin faisant »
Types de Prévention des GPEC / PSE Compte personnel de Management
discriminations Cellules de formation participatif
dispositifs Formation mise à reclassement Conseiller en Construction
niveau Dispositifs de mobilité évolution d’environnements
Dispense de recherche internes professionnelle capacitants
d’emploi VAE Ruptures
conventionnelles
Nature des Mutations macro- Plan de restructuration gestion continue des Développement des
économique (chômage effectifs compétences
mutations de masse) individuelles et
collectives
Nature de la Aucune, l’employabilité Subordination, Marchande, Partenariale,
est une question l’employeur Le salarié se loue à organisation et
relation extérieure à responsable du salarié l’employeur salariés se
d’emploi l’organisation développement
conjointement
Déjouer les pièges
Comme cela vient d’être montré, l’employabilité peut renvoyer à des préoccupations liées au traitement
du chômage dans une perspective visant à rapprocher des publics vulnérables de l’emploi ou, de façon
anticipée, en responsabilisant les employeurs à l’égard des trajectoires des salariés dans des contextes
de restructuration. Mais développer l’employabilité contribue également à faire sortir les salariés de la
relation de dépendance et permet de redéfinir les contours de la subordination. En cela, l’employabilité
comporte une dimension émancipatrice. Mais, pour qu’elle advienne, encore faut-il déjouer certains
pièges.

L’employabilité, un projet émancipateur


De façon presque tautologique, l’employabilité permet aux salariés de reprendre la main sur leur carrière
en dehors des trajectoires prescrites par un seul et unique employeur (Forrier et al., 2018). Saisir des
opportunités, trouver à mobiliser au mieux ses compétences, décider de son orientation professionnelle
et de son projet en lien avec ses aspirations personnelles sont autant de perspectives qui se dessinent
pour les travailleurs les plus employables. L’injonction à l’employabilité rejoint l’injonction à la réalisation
de soi, à la satisfaction de ses désirs qui caractérise l’époque (Fugate & Kinicki, 2008; Harvey, 2005;
Hillage & Pollard, 1998). En cela, viser l’employabilité revient à disqualifier les trajectoires dictées par
les seuls besoins de l’employeur.

L’employabilité bénéficie également aux travailleurs qui ne nourrissent pas de projets de mobilité.
Bernston, par exemple, souligne l’existence d’un lien entre sentiment d’employabilité et sentiment
d’efficacité qui se traduirait par une réduction du stress, un plus haut niveau de bien-être, de santé et
de satisfaction au travail (Berntson, 2008; De Cuyper, Van der Heijden, & De Witte, 2011; Gamboa,
Gracia, Ripoll, & Peiró, 2009). Plusieurs pistes peuvent être suivies pour expliquer cette relation :

 L’employabilité entretiendrait une attitude plus sereine à l’égard des changements et des
mutations (Fugate & Kinicki, 2008; Fugate et al., 2004).
 Dans les organisations marquées par des fortes exigences d’adaptation, les salariés les plus
employables sont probablement également ceux qui sont désignés comme les plus
performants, ce qui ne peut que renforcer la reconnaissance et l’estime de soi (Forrier et al.,
2018).
 Les salariés les plus employables peuvent probablement plus facilement prendre le risque de
suggérer des améliorations, voire de porter des revendications, susceptibles de conduire à une
amélioration de leurs résultats ou de leurs conditions de travail (Bourguignon, Noël, & Schmidt,
2015).

Le développement de l’employabilité nourrit un idéal de liberté et d’émancipation, à condition que soient


contournés trois pièges : celui de la surenchère incantatoire, celui de la perception d’un investissement
à perte pour les employeurs, et enfin celui de la polarisation du marché du travail.

Eviter le piège de la surenchère incantatoire : inscrire le développement de


l’employabilité dans des pratiques de gestion concrète
La préoccupation pour le développement de l’employabilité peut nourrir une responsabilisation
excessive des individus à l’égard de leur parcours professionnel et de leurs performances. En mettant
en avant la figure héroïsée d’un travailleur libre, compétent, et attractif, le premier risque est de mettre
les travailleurs en face d’injonctions tout simplement irréalistes (Périlleux, 2005) et entretenir le
découragement. Dans la même veine, Hallier (2009) montre que les discours sur l’employabilité
s’adressent souvent au travailleur de façon générique mais s’incarnent très peu dans l’expérience du
travail réel qu’il peut vivre dans l’organisation qui l’emploie. Ce découplage entre injonction à
l’employabilité « en général » et faible mobilisation effective de la capacité d’adaptation des salariés
« en pratique » peut conduire à des injonctions paradoxales (« libère-toi mais obéis-moi » !) aux effets
délétères.
Pour s’engager dans la voie d’un développement réel de l’employabilité, il convient d’incarner le
nouveau contrat psychologique évoqué précédemment. Cela suppose que soit donnée à voir l’existence
de contreparties concrètes et mesurables et que la démarche s’inscrive dans des démarches
gestionnaires (Dietrich, 2010). Si ce n’est pas le cas, le risque est que l’employabilité reste au stade de
discours. Tout d’abord La capacité réelle à opérer des trajectoires n’en serait pas améliorée. De surcroît,
de tels discours pourraient occasionner une pression inutile. Ils pourraient enfin contribuer au délitement
du lien social et à la déresponsabilisation de tous à l’égard des mutations.

Eviter le piège de l’investissement à perte : clarifier le contrat psychologique


Un deuxième écueil probable évoqué à maintes reprises dans la littérature repose sur un calcul
économique rationnel froid inspiré par la théorie du capital humain (Schultz, 1971). Sauf à vouloir
favoriser le turn-over, à quoi bon, pour un DRH, investir dans la mobilité externe d’un salarié, voire pour
un manager opérationnel, dans sa mobilité interne ? Inversement, le salarié peut se demander s’il est
bien raisonnable de s’investir dans le développement de sa propre employabilité s’il doute de l’existence
de perspectives de progression professionnelle.

Un débat anime la recherche sur ce thème : pour les uns, développer l’employabilité revient à modifier
le jeu de promesses réciproques, le contrat psychologique, qui relie employeur et salarié. Une approche
traditionnelle de ce contrat renvoie à un échange assez statique entre acceptation de la relation de
subordination par le salarié contre reconnaissance d’un devoir de sécurisation par l’employeur.
L’employabilité permet aux parties de construire un échange plus dynamique caractérisé par
l’engagement subjectif d’un côté contre l’ouverture de perspectives et la création d’opportunités de
l’autre. Une telle relation permet de réduire le risque d’enfermement et ouvre les perspectives de
développements évoquées précédemment. Paradoxalement, le développement de l’employabilité ne
conduit pas nécessairement à un délitement de la relation d’emploi et peut contribuer à la fidélisation
des salariés qui y verraient la preuve d’un engagement de l’employeur à leur égard (Philippaers, De
Cuyper, & Forrier, 2017)

D’autres formulent des mises en garde autour de la dimension potentiellement paradoxale de


l’employabilité : les pratiques de développement RH améliorent les perceptions que se font les
employés des opportunités sur le marché du travail, ce qui peut augmenter leur intention de départ et,
par conséquent, le risque d’un départ effectif. Nelisssen et al. (2017) ont testé empiriquement ce
paradoxe, et leur étude conduit à la fois à le confirmer et à le nuancer sur deux points : tout d’abord,
ces pratiques de développement RH, en améliorant aussi le sentiment d’employabilité interne, peuvent
conduire à retenir les salariés ; par ailleurs, cela dépend du type de pratiques de développement RH
(seules celles qui ont un fort pouvoir de signalement envers de potentiels employeurs extérieurs — par
exemple une formation diplômante — peut augmenter le risque de départ).

Ce débat doit conduire à réfléchir aux formes de mobilités et d’adaptation que l’on souhaite encourager
et à clarifier la substance du contrat psychologique que l’on cherche à entretenir. Plus largement, cela
invite à réfléchir aux actions qui doivent être prises en charge par l’employeur, par le salarié ou par la
collectivité.

Eviter le piège de la polarisation du marché du travail : construire des politiques


inclusives
On doit à Forrier et al. (2018) une très belle mise en perspective des effets de polarisation du marché
du travail que les pratiques de développement de l’employabilité pourraient occasionner. Les décisions
managériales et individuelles fondées sur l’employabilité peuvent en effet contribuer à renforcer les
inégalités en la matière comme autant de prophéties auto-réalisatrices.

L’employabilité se renforce notamment par l’expérience de la mobilité et de l’adaptation qui constitue


toujours pour le salarié une prise de risque. Or, les salariés les moins employables ont probablement
tendance à percevoir l’adaptation comme étant plus coûteuse pour eux pour des perspectives de
réussite plus incertaines. Ce calcul peut les conduire à préférer se tenir en retrait des occasions
d‘apprentissage et de développement des compétences. De façon inverse, les salariés les mieux dotés
en ressources favorisant la mobilité seront plus enclins à prendre les risques nécessaires et à
développer cette capacité.
Si, comme cela a été fait plus haut, une relation peut être établie entre l’employabilité et le niveau de
contribution des salariés, il est probable que les employeurs focalisent leurs efforts sur les salariés dont
ils sont le plus dépendants, en leur offrant plus d’opportunités de développement de leurs compétences
et de mobilité, renforçant ainsi encore leur employabilité. De façon inverse, les salariés les moins
employables et les moins à l’aise dans les contextes de mutation permanente risquent de passer à côté
des opportunités et de ne pas faire l’objet de politiques de développement ciblées, ce qui pourrait
accélérer leur décrochage.

Dès lors que l’ambition est de construire des politiques inclusives permettant au plus grand nombre de
traverser les mutations, ces considérations doivent conduire à faire le choix de favoriser l’employabilité
des individus les plus vulnérables. Cette idée rejoint une conception étendue de l’employabilité, i.e. une
employabilité « soutenable » ou « durable », initialement développée à l’attention des salariés âgés, et
plus récemment étendue à l’ensemble des individus (Van der Klink et al., 2016; Ybema, van Vuuren, &
van Dam, 2017).

C’est en poursuivant et en dépassant cette même idée que nous reprenons ici la terminologie issue des
travaux d’Amartya Sen : en renforçant les capabilités des individus que l’employabilité pourrait être le
vecteur d’une redistribution des opportunités et de l’exercice de choix professionnels valorisés par les
individus et utiles aux organisations.

Nous proposons alors de comprendre l’employabilité et les leviers de développement de cette


employabilité au travers de cette approche par les capabilités. Cette proposition est développée et
discutée dans la partie qui suit.

L’employabilité, comment faire ?


Il s’agit maintenant de voir dans quelle mesure les organisations, au travers de dispositifs de gestion,
de modes d’organisation du travail ou plus généralement d’un environnement favorable, peuvent
actionner un certain nombre de leviers permettant d’améliorer cette employabilité. Partant d’un principe
éthique assumé selon lequel l’employabilité peut et doit conduire à renforcer la capacité des individus à
déterminer librement leur parcours professionnel dans le cadre d’une négociation équilibrée, nous
proposons une approche de l’employabilité enrichie par l’approche par les « capabilités » portée par
Amartya Sen.

Caractériser l’employabilité : un ensemble de « capabilités »


Nous retenons de l’analyse de la littérature discutée précédemment le principe d’une « employabilité
interactive » telle que définie par Gazier : au plan théorique, cela conduit à combiner dimensions
agentielles (le rôle des individus) et dimensions structurelles (le rôle des organisations et institutions),
dans la lignée de Tholen (2015) ou encore Forrier et al. (2018) ; sur un plan plus opérationnel, cela
signifie que l’employabilité résulte ou se construit à la fois sur des éléments relevant de l’individu et sur
des éléments relevant du contexte dans lequel il évolue (marché(s), environnement socio-culturel,
organisation). Sur cette base, nous considérons que l’employabilité est un ensemble de ressources et
de compétences qui s’inscrivent et se construisent dans un contexte (de travail, d’organisation,
d’institutions,...) « capacitant » ou « facilitant ». Nous nous appuyons à cette fin sur le concept de
« capabilité » développé par l’économiste et philosophe Amartya Sen, et repris dans plusieurs travaux
s’intéressant aux politiques publiques d’emploi (Gazier, 2016; Salais, 2009)

Si les travaux de Sen s’appuient sur une pensée complexe et visent plus largement à élaborer une
théorie de la justice sociale, on peut néanmoins se hasarder à en synthétiser quelques concepts-clés
sui paraissent pertinents et utiles pour nos propres réflexions (Bonvin & Farvaque, 2007; Sen, 2008):
• les ressources : elles désignent ce dont disposent les individus à un moment donné et dans un
contexte donné. Ce peut être des biens ou des services, qu’ils soient produits ou dispensés sur le
marché ou dans l’organisation, mais aussi des ressources individuelles comme des connaissances
acquises par exemple.
• les facteurs de conversion : ils constituent ce qui permet aux individus d’utiliser effectivement
les ressources dont ils disposent pour saisir des opportunités qui se présenteraient à lui. Ces
facteurs sont de trois ordres : individuels, sociaux et environnementaux. Les inégalités entre les
individus proviennent souvent de la disparité des facteurs de conversion. En d’autres termes, en
fonctions des facteurs de conversion, deux individus disposant des mêmes ressources n’ont pas
nécessairement les mêmes « capabilités » d’utiliser ces ressources.
• les capabilités : elles désignent les opportunités possibles, les libertés réelles dont jouit l’individu
de se comporter de telle ou telle sorte, et les actes qu’il peut accomplir ou les choix qu’il peut prendre
(justement parce qu’il bénéficie de facteurs de conversion adéquats).
• les fonctionnements réels : les fonctionnements (ou accomplissements), désignent alors ce que
l’individu fait effectivement, les actes qu’il accomplit ou les choix qu’il pose, et qui ont de la « valeur »
pour lui, c’est-à-dire qui répondent à ses aspirations et le satisfont.

Ce cadre conceptuel souligne une dimension importante de l’approche par les capabilités, sa dimension
processuelle : Bonvin et Farvaque (Bonvin & Farvaque, 2007), au sujet des politiques d’emploi,
expliquent clairement l’articulation ressources/ facteurs de conversion/ capabilités : « La redistribution
de ressources matérielles ou financières ne suffit pas à garantir l’amélioration des capabilités des
bénéficiaires de telles prestations. [...] Encore faut-il assurer la présence de facteurs de conversion
adéquats dans chacun des trois domaines indiqués. […] Agir sur la compétence des personnes ne suffit
pas dans la mesure où les facteurs sociaux et environnementaux ne sont pas pris en compte. Ainsi, une
politique publique centrée sur les capabilités doit agir conjointement sur les ressources (biens, services,
revenus, libertés et droits formels) et sur les trois catégories de facteurs de conversion (individuels,
sociaux et environnementaux) »

Van der Klink et al. (2016) est l’un des rares papiers adoptant cette approche par les capabilités pour
explorer le concept d’employabilité du point de vue des individus et de leur employeur. Ces auteurs
livrent leur argument en faveur de cette approche dans les lignes et le modèle ci-dessous : « Les
capabilités désignent les opportunités et la capacité à atteindre des résultats de valeur dont une
personne dispose et qui dépendent de caractéristiques personnelles et de facteurs externes : avoir les
capacités et être mis en capacité. Dans le cas du travail, les capabilités garantissent des retombées
satisfaisantes liées à l’activité professionnelle, ce qui, dans notre esprit, est un aspect important de
l’employabilité (…). Le cœur du concept de capabilité réside dans la combinaison de plusieurs
acceptions possibles du verbe « pouvoir » : être capable de, avoir l’opportunité de, être autorisé à. De
fait, « être capable de » renvoie à un ensemble d’aptitudes, « avoir l’opportunité de » et « être autorisé
à » renvoient aux interactions avec le contexte qui donne la possibilité d’utiliser ses ressources et
aptitudes et de saisir les opportunités ». (p. 74 ; notre traduction)

Ressources Capabilités Opportunités saisies


(Moyens (Marges de (Usage des marges de
financiers, manœuvre manœuvre pour viser une
connaissances, ensemble valeur « pour soi »)
savoir–faire) d’opportunités
accessibles) Bien-être
Engagement
Performance

Choix
Facteurs de
conversion
(Individuels, sociaux et
environnementaux)

Figure 2 : Le modèle de Van der Klink (2016)


Dans la lignée de cette recherche, nous proposons d’adopter cette approche par les « capabilités » et
de l’adapter au niveau d’analyse de l’organisation/entreprise, de ses politiques et pratiques (de GRH,
de management, d’organisation du travail). Nous posons que :

1. L’individu dispose d’un certain nombre de ressources : personnelles (ses connaissances, sa


capacité d’apprentissage, etc.) et professionnelles (liées à son activité, son travail) ;

2. Pour pouvoir saisir les opportunités qui se présenteraient à lui, il a besoin de « facteurs de
conversion »: individuels (caractéristiques, capacités ou compétences individuelles), sociaux
(facteurs socio-politiques et culturels : des relations, un soutien familial,…) et environnementaux
(dont font partie les politiques / pratiques de GRH) ;

3. Grâce à ces facteurs de conversion, il a un certain nombre de « capabilités», d’opportunités


possibles, qui constituent son employabilité ;

4. Ces capabilités – son employabilité – lui permettent de faire des choix pour atteindre certains
objectifs, prendre certaines décisions, réaliser certaines actions, qui ont de la valeur à ses yeux,
les choix étant plus ou moins contraints par le contexte.

La notion de capacités diffère sensiblement de celle de compétences, au sens où elle appréhende


l’individu dans son identité sociale globale (et pas seulement professionnelle), qu’elle s’inscrit dans une
logique plus dynamique, de développement dans le temps, et qu’elle repose sur l’idée d’un possible
« un cercle vertueux entre justice sociale, développement des capacités et efficacité économique »
(Salais, 2009). Par ailleurs, la logique compétences et son outillage ne correspondent plus correctement
aux caractéristiques et aux exigences actuelles et futures du travail dans les organisations (Fernagu-
Oudet & Batal, 2016) : les organisations ont davantage besoin de recourir à diverses formes de
« bricolage organique », et les rythmes soutenus de changements requièrent du management des
capacités d’improvisation et d’adaptation. Dans ce contexte, l’environnement de travail doit être
« capacitant ». En d’autres termes, il doit offrir aux individus des marges de manœuvre et des capacités
de choix, idée centrale de l’approche de Sen.

Dans cette perspective, l’employabilité est profondément contextuelle et individuelle, et elle résulte d’un
processus qui se construit tout au long de la vie, au gré des trajectoires de chacun. Elle relève d’une
responsabilité conjointe entre l’individu et son environnement de travail. Comment alors, du point de
vue de l’individu et du point de vue de l’organisation employeuse, « gérer » cette employabilité ? Dans
quelle mesure l’individu, d’une part, l’organisation, d’autre part, disposent-ils de leviers pour développer
cette employabilité ?

Evaluer l’employabilité : employabilité perçue ou effective,


et capabilités
L’opérationnalisation du concept d’employabilité passe d’abord par une réflexion sur sa mesure et son
évaluation. Plusieurs chercheurs se sont efforcés de proposer des modalités ou outils de mesure de
l’employabilité. La méthode la plus fréquemment retenue, pour des raisons pragmatiques évidentes,
consiste à appréhender l’employabilité par l’intermédiaire des perceptions que s’en font les individus,
d’où la notion de « sentiment d’employabilité » ou d’employabilité perçue. Peut-on néanmoins envisager
des modalités de mesure de l’employabilité réelle et, pour reprendre notre proposition, de l’employabilité
vue comme un ensemble de capabilités ?
Mesurer l’employabilité par les perceptions individuelles
Au-delà de la diversité des échelles de mesure existantes (voir encadré 2), l’approximation de
l’employabilité par le sentiment d’employabilité pose un certain nombre de questions. Quelle est la
validité de cette approche ? Pour l’individu, ce qui est important est-il se de sentir employable ou de
l’être effectivement et d’être en mesure de poursuivre sa trajectoire de manière positive (par le maintien
dans l’emploi ou par une mobilité qu’il considère satisfaisante) ? Pour l’organisation, faut-il se satisfaire
d’un fort sentiment d’employabilité parmi les salariés ou bien se donner pour objectif de leur assurer
effectivement des transitions professionnelles « réussies » ? A l’inverse, ne peut-on pas considérer que
ce sont nos perceptions et nos représentations qui sont le moteur de nos comportements, attitudes,
actions et qu’à ce titre, le fait de se sentir employable revient / suffit à ce qu’on le soit effectivement ?
Forrier et al. (2018) défendent cette position et montrent que c’est finalement l’employabilité perçue qui
explique les comportements de mobilité plus que l’employabilité réelle. Les mécanismes d’estime de
soi, de confiance en soi, de comportement face au risque… expliqueraient ce constat. Ou bien peut-on
avancer l’idée que si l’on se perçoit comme étant employable, cela est sans doute, malgré tout, le signe
que l’on est effectivement employable ?

Encadré 2 : Les échelles de mesure de l’employabilité perçue

Plusieurs échelles de mesure de l’employabilité perçue ont été proposées par des chercheurs. Parmi celles qui sont les plus
couramment utilisées, citons celle d’Arnold et Rothwell (2007) qui inclut employabilité interne et employabilité externe.
Définissant l’employabilité comme « the ability to keep the job one has or to get the job one wants”, ils proposent de mesurer
l’employabilité perçue au travers de 16 items :

1. I have good prospects in this organisation because my employer values my personal contribution
2. Even if there was downsizing in this organisation I am confident that I would be retained
3. My personal networks in this organisation help me in my career
4. I am aware of the opportunities arising in this organisation even if they are different to what I do now
5. The skills I have gained in my present job are transferable to other occupations outside this organisation
6. I could easily retrain to make myself more employable elsewhere
7. I can use my professional networks and business contacts to develop my career
8. I have a good knowledge of opportunities for me outside of this organisation even if they are different to what I do now
9. Among the people who do the same job as me, I am well respected in this organisation
10. People who do the same job as me who work in this organisation are valued highly
11. If I needed to, I could easily get another job like mine in a similar organisation
12. People who do a job like mine in organisations similar to the one I work in are really in demand by other organisations
13. I could easily get a similar job to mine in almost any organisation
14. Anyone with my level of skills and knowledge, and similar job and organisational experience, will be highly sought after by
employers
15. I could get any job, anywhere, so long as my skills and experience were reasonably relevant
16. People with my kind of job-related experience are very highly valued in their organisation and outside whatever sort of
organisation they have previously worked in

Berntson (2008) propose une liste plus resserrée, autour de sept items, qui renvoient à la fois à des facteurs de situation (les
opportunités du marché du travail), des dispositions personnelles et des facteurs individuels (capital humain) :

1. How easy would it be for you to acquire new and comparable employment without moving ?
2. I could without problem get an equivalent job in another company/organisation ;
3. My competence is sought-after in the labour market ;
4. I have a contact network that I can use to get a new (or equivalent or better) job ;
5. I know other organisations companies where I could get work ;
6. My persona qualities make it easy to gey a new (equivalent or better) job in a different company/organization ; 7. My
experience is in demand in the labour market.

Dans une conception de l‘employabilité basée sur la compétence, Van den Heijden et al. (2018) développent une échelle de
mesure de 22 items, répartis en cinq dimensions :
Occupational Expertise
2. During the past year, I was, in general, competent to perform my work accurately and with few mistakes.
3. During the past year, I was, in general, competent to take prompt decisions with respect to my approach to work.
6. In general, I am competent to distinguish main issues from side issues and to set priorities.
9. I consider myself competent to weigh up and reason out the “pros” and “cons” of particular decisions on working methods,
materials, and techniques in my job domain.
12. How would you rate the quality of your skills overall?
Anticipation and Optimization
1. How much time do you spend improving the knowledge and skills that will be of benefit to your work?
5. I consciously devote attention to applying my newly acquired knowledge and skills.
7. During the past year, I was actively engaged in investigating adjacent job areas to see where success could be achieved.
8. During the past year, I associated myself with the latest developments in my job domain.
Personal Flexibility
1. How easily would you say you can adapt to changes in your workplace?
3. I adapt to developments within my organization.
4. How quickly do you generally anticipate and take advantage of changes in your working environment?
6. How much variation is there in the range of duties you aim to achieve in your work?
7. I have a … (very negative-very positive) attitude to changes in my function.
Corporate Sense
3. I support the operational processes within my organization.
4. In my work, I take the initiative in sharing responsibilities with colleagues.
5. In my organization, I take part in forming a common vision of values and goals.
6. I share my experience and knowledge with others.
Balance
2. My work and private life are evenly balanced.
4. My work efforts are in proportion to what I get back in return (e.g., through primary and secondary conditions of
employment,pleasure in work).
5. The time I spend on my work and career development on the one hand and my personal development and relaxation on the
other are evenly balanced.
8. I achieve a balance in alternating between reaching my own work goals and supporting my colleagues.

Mesurer l’employabilité « réelle » par l’analyse des trajectoires individuelles


Comment mesurer ce que serait une employabilité « réelle », effective, objective ? Il existe peu de
propositions opérationnelles sur ce point et l’idée soulève plus d’interrogations qu’elle n’apporte de
réponses. Il serait tentant de le faire en évaluant le retour effectif à l’emploi en cas de perte d’emploi,
mais cela nécessiterait également de distinguer les retours en emploi jugés satisfaisants par l’individu
concerné des situations où l’emploi est dégradé ou contraint, ne correspondant pas aux aspirations de
la personne, ce qui est fréquent, notamment dans le cas de restructurations (Mazade, 2010; Trotzier,
2006). Pourrait-on plutôt évaluer une probabilité de retour à l’emploi ? Dans ce cas, il faudrait affiner en
regardant quelle dimension de l’employabilité en est à l’origine (la personne, le contexte, le dispositif ?).
Il serait intéressant d’analyser plus avant la manière dont les cabinets de reclassement où les acteurs
de Pôle Emploi pensent cette question et mettent en place des dispositifs. On pourrait aussi, au risque
d’être réducteurs, proposer un proxy de l’employabilité en considérant les ressources identifiées comme
étant à l’origine de l’employabilité.

Quoiqu’il en soit, il paraît important de considérer que l’on ne peut valablement appréhender
l’employabilité effective sans mise en situation : en d’autres termes, seule une analyse des trajectoires
individuelles est susceptible de fournir des éléments objectifs et précis sur l’employabilité des individus.
En effet, de même que l’on ne peut évaluer la compétence sans recourir à une situation concrète, on
ne peut évaluer l’employabilité sans créer (à une échelle réelle ou de façon simulée) une situation de
mobilité/transition/adaptation. Au travers d’une démarche qui serait de nature qualitative et
longitudinale, l’analyse des trajectoires conduirait à s’intéresser aux situations d’adaptation, à
s’interroger sur le ressenti des individus, à comprendre les stratégies qu’ils développent, à identifier les
éléments de contexte qui facilitent ou entravent leurs mouvements et, in fine à saisir leur employabilité
dans toute sa complexité.

Mesurer l’employabilité-capabilités par des approches mixtes


Les difficultés d’opérationnalisation de l’approche par les capabilités ont été soulignées par plusieurs
chercheurs. Ces difficultés viennent tout d’abord de la complexité des concepts qu’elle mobilise et d’une
certaine ambiguïté qui demeure lorsque l’on s’efforce de clarifier les relations entre ces concepts
appliqués au monde du travail. Ensuite, appliquer cette approche au champ de l’organisation, du travail
ou de l’emploi revient à changer de niveau d’analyse, les propositions d’Amartya Sen s’entendant
initialement à un niveau plus macro, philosophique et politique, et s’appliquant aux pays en voie de
développement. Bonvin et Favarque (2007) estiment par exemple qu’il est impossible d’évaluer de
manière exhaustive et objective l’ensemble des libertés et des options de choix qu’ont les individus en
matière d’emploi, mais que l’on peut soit en appréhender une mesure subjective (quelle marge de
manœuvre les individus estiment-ils avoir ?), soit l’aborder en creux au travers des « incapabilités »
(ensemble de contraintes ou privations rencontrées par les individus dans l’accès à l’emploi). Les
mêmes auteurs suggèrent également de s’appuyer sur des démarches consistant à identifier des
trajectoires-types qui permettent de souligner les différences individuelles dans les processus et
modalités d’insertion professionnelle et, ce faisant, de comprendre les différentes opportunités qui
s’offrent aux individus.
D’autres chercheurs estiment que l’approche par les capacités « laisse la question de la méthode
ouverte » (Corteel & Zimmermann, 2007), même s’ils constatent que les économistes ont privilégié les
approches quantitatives : ils proposent alors de mettre en œuvre une méthode qualitative fondée sur
une analyse approfondie de parcours biographiques et des contextes institutionnels, organisationnels
dans lesquelles ils s’inscrivent. La notion de parcours biographiques permet, toujours selon Corteel et
Zimmermann (2007), d’éviter le caractère parfois trop déterministe de la notion de trajectoire dans les
travaux sociologiques, ce qui est contradictoire avec l’idée-même de « liberté » au cœur de l’approche
par les capabilités. Leur enquête, menée sur un échantillon de dix entreprises, les conduit à distinguer
quatre types de situations, selon que les individus disposent d’une latitude de choix plus ou moins
grande (opportunités de développement) et selon qu’ils évoluent dans un contexte de plus ou moins
forte sécurité de l’emploi.

C’est en revanche une méthode d’enquête par questionnaire que prône une équipe de chercheurs
néerlandais (Abma et al., 2016). Ils rappellent que, dans l’approche par les capabilités, les individus,
soutenus par un contexte favorable, peuvent réaliser des actions qui sont estimables à leurs yeux : en
d’autres termes, dans un contexte de travail, si les salariés ont une série d’options possibles (un
ensemble de capabilités), alors ils seront moins vulnérables face aux changements et leur employabilité
soutenable sera renforcée. Ces chercheurs développent et testent alors une série d’items visant à
mesurer cet ensemble de capabilités, c’est-à-dire les dimensions du travail qui sont valorisées par les
salariés, qui sont permises par le contexte, et qui peuvent être réalisées. Le questionnaire explore un
ensemble de sept valeurs au travail et mesure l’importance que leur donne le salarié, la manière dont
le contexte de travail les favorise et la probabilité pour qu’elles soient effectivement atteintes. Une valeur
au travail est alors considérée comme une composante de la capabilité du salarié quand celui-ci la juge
importante, quand le contexte de travail offre la possibilité de la réaliser et quand le salarié est
effectivement capable de l’atteindre. Et, plus l’éventail des capabilités est étendu, plus les
fonctionnements ou réalisations au travail sont importants. Les sept valeurs renvoient à 1.l’utilisation
des connaissances et compétences, 2. le développement des connaissances et compétences, 3.
l’implication dans des décisions importantes, 4. l’existence de contacts importants au travail, 5. le fait
de définir ses propres objectifs, 6. une bonne rémunération et 7. la contribution à quelque chose de
valorisant (Abma et al., 2016).

Il ressort de ces différentes expériences de recherche qu’une combinaison de méthodes quantitatives


et qualitatives, inscrites dans une démarche longitudinale, constituerait un design de recherche idéal
pour appréhender le processus de développement de l’employabilité conçue comme un ensemble de
capabilités.

Au-delà de leur mesure, comment ces capabilités peuvent-elles être renforcées ? En particulier, quels
sont les leviers que peuvent actionner les organisations ?

Développer l’employabilité : agir sur les ressources, les


leviers d’activation et le désir de projet

Parmi les trois angles morts que Forrier (2018) repère dans la littérature sur l’employabilité, deux
renvoient au caractère contextuel et relationnel de l’employabilité, et conduisent à (re)penser les
politiques et pratiques organisationnelles visant à améliorer cette employabilité. Si l’on considère que
l’employabilité est un ensemble de capabilités qui sont rendues possibles par les ressources dont
peuvent disposer les individus, combinées à des leviers d’activation (ou facteurs de conversion), et
mises au service d’un projet, alors les organisations peuvent, pour renforcer l’employabilité des salariés,
s’efforcer de leur fournir des ressources adéquates, de mettre en place un environnement favorable
(« capacitant »), des pratiques et des dispositifs qui leur permettent d’activer ces ressources et d’aider
à l’émergence, à la construction et à l’accompagnement d’un projet que ces salariés estiment de valeur.
Des ressources pour l’employabilité
Les ressources nécessaires aux individus peuvent être d’ordres très variés. Elles peuvent être fournies
par les individus eux-mêmes au travers de leur parcours de vie, par l’environnement institutionnel dans
lequel ils évoluent, par leur contexte de travail ou par les politiques RH déployées au sein de
l’organisation.

La connaissance d’un réseau constitue typiquement une ressource importante, et elle peut s’obtenir
aussi bien via l’expérience personnelle et professionnelle suivies que par le contexte de l’activité ou le
management qui met régulièrement les salariés en relation avec d’autres personnes ou qui lui permet
de le faire par lui-même. Et l’on sait combien l’accès à un ou plusieurs réseaux, et plus généralement
l’accès à l’information, sont des facteurs centraux de la sécurisation des transitions professionnelles,
non seulement par la connaissance des possibilités d’orientations, mais aussi par la capacité de
présentation de soi (Hillage & Pollard, 1998) ou encore par le signal positif et rassurant envoyé à de
potentiels employeurs (Grannovetter Mark, 1973).

Plus généralement, les ressources peuvent être également l’ensemble des compétences accumulées
au cours d’un parcours de vie (et qui se traduisent en capital humain, en capital social ou en capital
symbolique), les droits et les dispositifs publics à disposition, le temps, toutes les connaissances
informelles que produit le contexte professionnel (connaissance des métiers, des tendances, etc.), les
informations formelles véhiculées par les supports RH ou managériaux (sur les carrières, les métiers,
l’environnement, etc.), les connaissances et compétences acquises par le biais de la formation, ou
encore les ressources financières tirées de la rémunération.

Des leviers d’activation des ressources (facteurs de conversion)


Un salarié peut très bien disposer de ressources mais être dans un environnement tel qu’il n’a pas les
moyens d’activer ses ressources pour les convertir en « capabilité », i.e. en opportunité possible. Il lui
faut également bénéficier de leviers d’activation ou facteurs de conversion. A nouveau, ceux-ci peuvent
être trouvés dans un environnement personnel, institutionnel ou organisationnel. Or, comme le
soulignent plusieurs chercheurs, la plupart des études se concentrent sur l’identification des ressources
et tendent à négliger ces leviers d’activation. Van der Klink et al. (2016) estiment par exemple que les
interventions en matière de santé au travail portent bien plus sur la structure des tâches et sur les
conditions de travail que sur les pratiques RH, la culture de l’organisation, les attitudes personnelles ou
encore les mécanismes de « coping » des individus.

Au plan individuel, un salarié peut avoir accès à une formation mais ne pas être en capacité d’en tirer
pleinement parti (ni même d’y accéder effectivement) s’il manque de confiance en lui par exemple. Par
ailleurs, au plan de l’organisation, tous les dispositifs que l’on peut qualifier d’ « apprenants » ainsi que
les modalités de gestion des mobilités et de sécurisation des parcours professionnels peuvent agir
comme facteurs de conversion des ressources, indispensables à la constitutions de capabilités :
apprentissages informels en situation de travail, formation continue adaptée à l’activité, soutien du
management et des collègues, etc.

Des capabilités au service d’un projet


Sans doute la notion de « projet » ou de « réalisation de valeur » est-elle la plus difficile à appréhender
dans l’approche par les capabilités. Elle désigne les aspirations réelles et profondes des individus, les
valeurs auxquelles il tient et les réalisations qu’il souhaite accomplir parce qu’elles correspondent à ces
valeurs et s’inscrivent dans ce projet. Elle fait écho à une idée, largement reprise dans les études sur
l’employabilité, selon laquelle les individus employables sont aussi ceux qui sont des « êtres en projet »
(Raoult & Pelosse, 2011), qui expriment d’une manière ou d’une autre un désir de progression (Fugate
& Kinicki, 2008), qui s’inscrivent dans un parcours de vie,…

Mais la capacité des individus à user des marges de manœuvre dont ils disposent et à bénéficier de
leurs ressources pour réaliser ce projet dépend fortement de leur degré de liberté. Sen distingue à cet
égard deux dimensions de la liberté ou de l’autonomie des individus : la « liberté opportunité », qui
désigne le nombre et la qualité des opportunités à disposition des personnes et, d’autre part, la « liberté
processus » qui repose sur la possibilité de participer aux processus décisionnels les concernant
(Bilfulco et al., 2015; Véro & Sigot, 2017; Véro & Zimmermann, 2018). C’est la liberté-processus qui
permet aux individus d’identifier ce qui est pour eux une « réalisation de valeur », mais aussi d’exprimer
ce qui est de valeur dans une situation donnée (Bonvin, 2008; Véro & Sigot, 2017).

Ainsi, la formation des projets, désirs et aspirations n’est pas du seul ressort des individus : elle résulte
et se construit également au travers de discussions et négociations collectives. Une situation d’entretien
professionnel par exemple contribue potentiellement au développement de ces projets et désirs, mais
elle n’est constructive qu’en présence d’une bonne liberté d’expression (Véro & Sigot, 2017).

Le tableau ci-après donne une vision synthétique des dimensions et des possibilités de développement
de l’employabilité-capabilités.

Niveau Niveau
Niveau organisationnel
individuel institutionnel

Parcours de vie, Environnement Contexte de travail Politique,


expérience institutionnel dispositifs RH
professionnelle

Ressources Compétences Droits et Temps Informations


accumulées dispositifs Connaissance formelles
(toutes formes de publics informelle (des métiers, (carrières,
capitaux – humain, des tendances, etc.) métiers,…)
social, Formation
symbolique,…) Revenus

Leviers Réseau Marchés Modes d’organisation Dispositifs de


d’activation Connaissance de transitionnels apprenants gestion des
différents contextes Réseau mobilités
Confiance en soi Soutien du (Sécurisation des
management parcours,
Solidarité collective information,
Apprentissage des orientation,…)
codes et règles
informelles de mobilité

Projet Identité Identité liée à la Mimétisme, Dispositifs de


professionnelle et CSP conformation sociale coaching sur un
sociale Apprentissage des projet
normes Incitations (en
termes de carrière
par ex.)

Conclusion : vers une organisation « capacitante »

Les caractéristiques du travail aujourd’hui et, plus encore, celles que les spécialistes lui prédisent dans
les années à venir, viennent finalement faire bouger les problématiques d’employabilité : le recul du
travail prescrit, la production en plus petites séries, l’organisation en mode projet, l’importance accrue
de la dimension relationnelle du travail, etc. exigent des salariés des capacités d’adaptation et
d’évolution de plus en plus fortes. Elles requièrent également une capacité et un désir de construire son
activité pour soi tout en contribuant aux objectifs de l’organisation. La dimension émancipatrice du travail
rencontre alors un mode de management (dé)libéré.
Dans ce contexte, et en s’efforçant d’éviter quelques pièges tels que mentionnés plus haut, il s’agit de
penser un contexte de travail, un environnement et des dispositifs qui rendent l’organisation
« capacitante ». Cette notion est défendue par un certain nombre de chercheurs pour compléter celle,
assez proche sur le fond, d’organisation « apprenante ». L’organisation apprenante, présentée par
Valeyre et Lonrenz (2005) comme une modalité alternative à la « lean production », procurent une plus
grande autonomie à ses membres et leur octroie une grande part d’initiative dans leur travail
(Hofaidhllaoui & Roger, 2014), impose moins de pressions temporelles, assure une meilleure régulation
du travail et offre des conditions de travail plus satisfaisantes.

L’organisation capacitante (Falzon, 2013) déploie quant à elle des dispositifs et des règles qui, en
organisant le travail, la production ou son environnement, permettent aux salariés de développer leurs
capabilités. Ceci repose sur la possibilité de modifier les règles, sur l’existence d’échanges et de
dialogue sur le travail réel et sur l’émergence d’un collectif de travail (Arnoud, 2013). Ces
caractéristiques sont favorables à la sécurisation des parcours professionnels au sens où elles
fournissent aux individus les moyens de se saisir des dispositifs auxquels ils ont accès : on revient ici
sur l’idée de leviers d’activation et de facteurs de conversion qui permettent de convertir un droit formel
ou une ressource en une réelle option possible. Pour Bonvin, Moachon et Vero (2011) « la question est
de comprendre si les conditions sont effectivement réunies pour que les salariés disposent d’une liberté
réelle de travailler et de se développer professionnellement, ce qui constitue une condition préalable
pour prendre une part active dans la transition externe d’un emploi à l’autre ou dans la transition interne
à une entreprise visant un changement de poste, de service ou de métier ».

Caillaud et Zimmermann (2011) montrent que le management et l’organisation du travail sont des
éléments déterminants de l’organisation capacitante. Notamment, la possibilité, pour les salariés, de
s’exprimer et de participer aux décisions permet aux individus d’exercer leurs choix et de se faire
entendre, ce qui contribue in fine à la qualité du travail fourni et du salarié lui-même. De bons processus
d’apprentissage et de développement conduisent à une meilleure reconnaissance des salariés qui
bénéficient eux-mêmes d’une « présomption de qualité » (Méda, 2011).

Vero et Zimmermann (2018) proposent une caractérisation plus fine de ce que pourrait être
l’organisation « capacitante » idéale autour de cinq points : une organisation capacitante est une
organisation pluraliste, participative, développante, juste et responsable.
 L’organisation « pluraliste » prend en compte la diversité des réalisation ou projets que chaque
individu considère comme ayant de la valeur, et reconnaît une pluralité de finalités du travail et
une variété de moyens possibles pour les atteindre.
 L’organisation « participative » autorise des temps et des espaces d’expression et de
discussion de ces finalités et moyens : elle poursuit une fonction intrinsèque, une fonction
instrumentale et une fonction constructive.
 L’organisation « développante » est une organisation où existent de multiples opportunités mais
aussi des moyens de les convertir en projets ou réalisations de valeur et ce, pour l’organisation
et pour les individus.
 L’organisation « juste » s’efforce d’assurer un accès aux ressources et opportunités égal pour
tous.
 L’organisation « responsable » a une responsabilité sociale et non seulement économique ou
juridique, au sens où elle est responsable du développement de la capacité d’agir des salariés.

Dans le champ de l’ergonomie du travail ou des sciences de l’éducation, cette notion d‘organisation
capacitante a été largement développée et étendue par certains à celle « d’environnement capacitant ».
Pour Falzon (2013), un environnement capacitant (permet aux individus de « développer de nouvelles
compétences et connaissances, d’élargir leurs possibilités d’action, leur degré de contrôle sur leur tâche
et sur la manière dont ils la réalisent, c’est-à-dire leur autonomie. Pour Fernagu-Oudet (2012), c’est un
environnement « favorable au développement du pouvoir d’agir des individus » : pour cet auteur,
« l’exercice effectif d’un pouvoir d’action dépend à la fois des possibilités (les ressources) offertes par
l’environnement et des capacités des personnes à exercer ce pouvoir (bagage expérientiel,
compétences, désir d’agir, perception des possibilités d’action, capacité de projection, etc.). Suivant
cette logique, dynamiser les environnements de travail pour les rendre capacitants, consiste à aider les
individus à mobiliser et utiliser les ressources qui sont à leur disposition et pas seulement les mettre à
disposition ».
Plusieurs leviers d’action sont alors envisageables pour les organisations : des leviers d’action sur les
contenus du travail (diversité des tâches et des activités, confrontation à des situations inédites,
discussion sur les situations rencontrées, les événements, les aléas, les imprévus, etc.) ; des leviers
d’action sur les modes d’organisation du travail (travail en binôme, des rotations sur poste ou d’équipe,
visite d’entreprises clientes ou fournisseurs, etc.) ; et leviers d’action sur la gestion des ressources
humaines (accès aux savoirs et aux connaissances via la formation, accès au marché interne du travail,
etc.) (Fernagu-Oudet, 2012).

—————————

L’approche développée ici autour du concept d’employabilité vu comme un ensemble de capabilités


permet de dépasser les démarches classiques centrées sur les compétences, de compléter l’abondante
littérature sur l’employabilité vue avant tout comme une initiative et une responsabilité individuelle, et
d’intégrer plusieurs enjeux-clés du management. Elle permet également de mettre l’accent non pas sur
les politiques publiques de l’emploi, mais sur les marges de manœuvre et leviers d’action dont peuvent
disposer les organisations soucieuses de renforcer l’employabilité de leurs salariés. Ces réflexions
constituent les fondements du programme de recherche de l’Observatoire Paritaire sur les Mutations
Industrielles.

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