Séance 1, RACINE, Phedre ANALYSE LINEAIRE
Séance 1, RACINE, Phedre ANALYSE LINEAIRE
Séance 1, RACINE, Phedre ANALYSE LINEAIRE
SEQUENCE 6
1
-v. 34- fin : désir de punition et de mort
Au début de la scène 5, Hippolyte vient accuser Phèdre de l’amour incestueux qu’il a deviné,
il se présente en accusateur ; mais croyant d’être trompé, il se rétracte immédiatement et se
sent coupable d’avoir pu penser une telle chose. Il se confond en formules d’excuses des vers
1 à 3 : « madame, pardonnez. J’avoue en rougissant » « j’accusais à tort » « innocent » « ma
honte » « ne peut plus soutenir votre vue ».
De façon ironique et proleptique (=programmatique), Racine le fait employer le mot « j’avoue »
au v.1, alors que c’est Phèdre qui va se lancer dans des aveux.
De la même façon, il lui fait employer le mot « honte » au v.3 or c’est bien Phèdre qui sera
frappée d’une « honte certaine » après sa tirade (v.49).
Hippolyte se sent coupable (« honte ») or l’aveu de Phèdre va faire basculer les rapports entre
les deux personnages. C’est Phèdre qui désormais se placera en coupable et implorera le
châtiment qu’elle estime mérité de la part d’Hippolyte à la fin de la tirade (« punis moi » « c’est
là que ta main doit frapper », « frappe »). A la honte d’Hippolyte « ma honte ne peut plus
soutenir votre vue » (v.3) succèdera la honte de Phèdre soulignée par Oenone à la fin de
l’extrait « fuyez une honte certaine » (v.49), construction cyclique qui montre le basculement
opéré dans les rapports de force entre les personnages suite à cet aveu.
Au v.5 Phèdre interrompt Hippolyte qui était en train de parler « Et je vais… », ce qui montre
sa précipitation à vouloir avouer cet amour. L’aveu sonne pour elle comme une libération. Cela
montre son impatience et son caractère impétueux, exalté.
S’ensuit une tirade d’une quarantaine de vers que prononcera Phèdre sans être interrompue ni
par Hippolyte ni par Oenone, ce qui montre leur stupéfaction et l’isolement de Phèdre, rejetée
par cet aveu. Le mutisme des autres personnages fait ressortir la honte de son aveu.
Sur le plan énonciatif, elle se met à employer les marques de la 2e personne du singulier pour
s’adresser à son beau-fils alors qu’elle l’avait toujours vouvoyé jusque là. Elle le tutoies : « tu »
v.5, « t’en », « te », v.6, + elle emploie l’impératif « connais ».
Elle fait des phrases simples sur le plan syntaxique, et courtes. Les interjections sont
nombreuses « ah » (v.5) « eh » (v.7). La ponctuation est très expressive avec trois points
d’exclamation (v.5 et 7). →Tout cela montre que son discours est animé et qu’elle est en proie
à une vive émotion.
L’adverbe d’intensité « trop » au v.5 connote la démesure, pire défaut pour les Grecs, appelé
« hybris » [ NB : se prononce « ubris » à l’oral ], ce qui montre que Phèdre a conscience de
ne pas être à la place qui lui revient par cet amour contre-nature et de faire preuve de
monstruosité par cet amour.
De façon inattendue elle tient un discours accusateur envers Hippolyte qu’elle nomme
« cruel ». Elle multiplie l’emploi du pronom personnel de la 2e personne « tu » « t’ » « te » de
façon accusatoire. Elle emploie également l’impératif « connais » au v.7. Ainsi, elle se place
en ayant l’ascendant sur lui et le rend responsable de son amour.
Elle-même se dédouane de mal faire et indique au contraire vouloir le bien de son beau-fils
puisqu’elle s’apprête à faire ce discours « pour [l]e tirer d’erreur » (v.6), le complément
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circonstanciel de but la replace un instant dans son rôle de belle-mère qui se soucie de l’intérêt
de son beau-fils.
La mise à la rime des mots « erreur » et « fureur » montre la conscience qu’elle a de son
égarement. La « fureur », en latin le « furor » (nom masc.) qualifie l’état de la folie suprême,
c’est le fait d’être hors de soi, dépossédé, sans contrôle. Cette place expressive à la rime des
deux termes indique également la vision extrêmement négative de la passion amoureuse qu’a
le Classicisme et, a fortiori un auteur janséniste comme Racine : la passion est cause de
désordre, il faut la réprimer.
v.7 : « connais donc Phèdre et toute sa fureur » Phèdre parle d’elle à la 3e personne, elle se
distancie d’elle-même, elle est comme détachée d’elle-même, déjà en proie au « furor » qui
l’égare et la dépossède d’elle-même, l’ « aliène » au sens étymologique du terme.
On remarque que les vers 5, 6 et 7 sont de plus en plus longs les uns par rapport aux autres
de façon croissante, comme si Phèdre montait de plus en plus en tension, dans une sorte de
crescendo d’exaltation irrépressible jusqu’à l’aveu qui viendra y mettre un terme au début du
vers 8 : « j’aime ». Les vers 5,6,7 ne servaient que d’introduction à l’annonce du vers 8, l’aveu :
« j’aime ».
Cet aveu est mis en valeur par le rejet en début de vers. Il est bref, il tient en deux mots, il est
incisif et brutal, à l’image de la violence qui s’est emparée de Phèdre.
II. Introspection de Phèdre qui se considère à la fois comme coupable et victime (mi v.8-
v.17)
Les phrases de Phèdre sont plus longues dans ce 2e mouvement, ce sont des phrases
complexes grammaticalement, ce qui montre qu’elle rassemble ses esprits de façon plus
rationnelle afin de se livrer à une introspection. Elle entre dans une phase d’analyse.
Sur le plan énonciatif, on observe la disparition du pronom personnel de la 2e personne qui
était omniprésent dans le 1er mouvement. Cela confirme l’entrée dans une phase
d’introspection, de retour sur elle-même.
La démarche introspective est visible à l’observation qu’elle fait d’elle-même « je m’approuve
moi-même » (v.9), « je m’abhorre » (v.13) ; ainsi qu’aux questions qu’elle se pose : « de quoi
m’ont profité mes inutiles soins ? » v.22, « que dis-je ? » v.28, et qu’elle pose « cet aveu si
honteux, le crois-tu volontaire ? » (v.29)
Elle reconnaît d’abord et endosse pleinement sa responsabilité par l’aveu de culpabilité du
v.8 (« j’aime », repris en fin de vers par la formule redondante et complétée d’un COD « je
t’aime ») avant de la rejeter en se présentant comme victime.
Son discours apparaît en effet tantôt comme un plaidoyer pour sa défense, tantôt comme un
réquisitoire (elle s’accuse). En effet elle se désigne tour à tour comme coupable d’un amour
interdit et victime des dieux. Phèdre a avoué par deux fois vers 8, néanmoins elle va se
dépeindre ensuite comme une victime.
Le v.9 montre toute cette ambivalence en elle : « Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-
même ». L’emploi des pronoms personnels de la 1ère personne à la fois comme sujet et COD
« je m’approuve moi-même » et des déterminants possessifs de la 1ère personne dans le
complément d’attribution « à mes yeux » montrent que Phèdre est comme coupée en deux
personnalités, elle se juge elle-même. Ce vers indique la dualité qui est à l’intérieur du
personnage de Phèdre, Phèdre est un personnage clivé à l’intérieur d’elle-même.
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Le « fol amour » présent au v.10 qui « trouble » la « raison » est la dénonciation par l’idéal
classique des dérèglements délétères des passions et des méfaits qu’elles commettent sur la
« raison » : le Classicisme fait en effet de la raison son idéal. Phèdre a conscience de
l’abomination de cet amour qu’elle décrit comme « fol » (=fou).
La mise à la rime qui s’ensuit de « raison » avec « poison » (v.10-11) revient une nouvelle fois
sur la pensée classique qui rejette les passions comme délétères. La raison est propre au
Classicisme. Métaphore mortifère du « poison » : les passions sont un poison nocif à la raison
des Classiques.
A partir du vers 12, elle rejette la faute sur les dieux dont elle est l’« objet ». Dans la tragédie
antique, les dieux se jouaient des hommes dont ils dirigeaient les vies comme bon leur
semblait. Les hommes étaient les marionnettes des dieux, impuissants à agir, en proie à la
fatalité, au fatum.
Phèdre rappelle qu’elle est l’ « objet infortuné des vengeances célestes » (v.12) « feu fatal à
tout mon sang » (v.15) : Phèdre rappelle par ces vers que les dieux agissent par
« vengeances » à travers cet amour coupable. Elle ne peut lutter contre ce sentiment et se
sent victime des dieux. Elle est un personnage tragique. Phèdre appartient à une famille qui a
fauté contre les dieux, à une famille « maudite ». Elle est victime de la malédiction d’Aphrodite
lancée contre la descendance d’Hélios.
Elle essaye de se disculper. Rappelle que c’est la faute des dieux, la reprise anaphorique de
« dieux » est là pour insister sur leur faute à eux et non la sienne : « Ces dieux qui dans mon
flanc/ Ont allumé le feu fatal » (v. 14-15) // « Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle/ De
séduire le cœur d’une faible mortelle » (v.16-17)
L’accusation des dieux apparaît dans l’emploi du déictique « ces » qui rappelle le déictique
latin utilisé pour dénommer l’adversaire de façon péjorative lors des procès (« ille ») [NB : se
prononce à l’oral « illé »]
Les dieux sont les seuls responsables, d’ailleurs ce sont eux les sujets de verbes d’action
(« ont allumé », « se sont fait ») de ces phrases quand Phèdre n’est elle qu’ « objet » comme
elle se dénomme au v. 12. Elle ne fait que subir, sans agir. Elle accentue encore sa position
de victime en se dépeignant ensuite comme « faible mortelle » (v.17)
Déresponsabilisation, Phèdre ne fait qu’accomplir le fatum qui pèse sur elle. Elle rappelle cette
fatalité au v.15 par l’emploi de l’adjectif « fatal ».
v.15 métaphore du feu pour qualifier cet amour qui la ronge, à l’image du feu, dévorant : « feu
fatal » (v.15), « feux » (v.25). Des vers 14 à 17, les allitérations en « f » et « s » dans la tirade
miment l’embrasement du feu : « sont » « flancs »/ « feu fatal » « sang »/ « ces » « se sont
fait »/ « séduire » « faible »
Vision pessimiste de la passion amoureuse et des passions en général (=Jansénisme de
Racine). Passion excessive aux conséquences nécessairement funestes. L’amour délétère de
la passion est étroitement lié à la haine : « je m’abhorre encore plus que tu ne me détestes »
(v.13) (alliance que l’on retrouvera au v.23 « tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins »)
La passion amoureuse est représentée de façon très négative comme source de douleur
physique et morale intense. Le champ lexical du corps « mon flanc » « mon sang », « le
cœur » et allié à celui de la souffrance « feu », « fatal » (+ v.25 on retrouvera : « languir »
« larmes » + v. 30 « tremblante »)
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Lexique en lien avec la mort « cruelle », « fatal », « sang » annonciateur de la fin tragique de
la pièce (mort de Phèdre)
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horribles commis par le personnage contre-modèle) et « la pitié » (nous devons nous sentir
proches des personnages, sans quoi l’identification nécessaire à la purgation ne peut s’opérer)
Ici la souffrance de Phèdre fait appel au registre pathétique. Notre pitié est suscitée par la
description de ses tourments.
v.28 -33 : après cette description au passé, elle revient au présent d’énonciation avec elle et
Hippolyte maintenant.
v.29 « cet aveu si honteux le crois-tu volontaire ? » Phèdre souligne le caractère incontrôlable
de cet aveu. C’est la fatalité qui la guide (Fatum tragique).
v.30 à 34, elle rappelle que le premier objet de sa venue était de parler de la succession de
Thésée décédé, avec son jeune fils « pour un fils » (v.30) « je te venais prier de ne le point
haïr », mais son obsession pour Hippolyte « un cœur trop plein de ce qu’il aime » l’a conduite
à ne pouvoir parler d’autre chose que de sa passion « je ne t’ai pu parler que de toi-même ! »
Phèdre était en proie à un dilemme irrésoluble qui excluait de façon tragique toute issue
heureuse à la pièce : garder son secret aurait été synonyme de souffrance, or l’avouer
entraînera la mort.
TR : Ce constat d’échec quoi qu’elle fasse, débouche sur son envie de mourir.
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Phèdre ici inspire la terreur par l’horreur que suscite sa passion incestueuse, elle se reconnaît
comme inhumaine en se qualifiant de monstre : « monstre » « ose aimer » « ce monstre
affreux ». Elle actionne ainsi le second levier cher à Aristote nécessaire à la purgation des
passions (catharsis), qui est la « terreur ». Elle sème l’effroi.
Mais elle suscite toujours notre pitié par son impuissance à lutter malgré tous les efforts vains
qu’elle fit « ces inutiles soins », la description de ses tourments qui faisait appel à notre
commisération, mais également par sa détermination à vouloir mourir ici dans ce 4e
mouvement.
Sans échappatoire à la passion, seule la mort permettra à Phèdre de mettre fin à son état,
d’« expier son offense » (v.40).
Désir de punition, elle va au-devant de l’action d’Hippolyte en lui présentant son cœur à
frapper : v.39 déictique « voilà mon cœur » Elle l’invite de façon plus directe à frapper.
Elle exhorte Hippolyte à la tuer « frappe » « prête-moi ton épée » puis « donne », trois
injonctions à l’impératif pour souligner son désir de mourir.
A la fin elle veut prendre en mains elle-même l’action avec « donne ». On se heurte aux limites
de la règle de bienséance du XVIIe siècle qui interdisait la représentation de la violence sur
scène. C’est pourquoi Phèdre est vite interrompue dans son geste par sa servante Oenone.
« Que faites-vous madame ? Justes dieux ! »
Dans une gradation triple des impératifs, Oenone souligne l’état de honte auquel est
condamnée sa maîtresse : qui doit la suivre, se cacher de tous en rentrant, et fuir la honte
inévitable. Gradation dans les impératifs « venez, rentrez, fuyez »
Eléments de CCL :
-Cette scène est le moment fort de la violence tragique sur scène, elle se heurte aux limites
de la bienséance classique. L’érotisme et la violence, tous deux contraires à la bienséance,
sont exprimés par la parole dans cette scène, mais jamais représentés.
-A la honte initiale d’Hippolyte « ma honte ne peut plus soutenir votre vue » (v.3) succèdera la
honte de Phèdre soulignée par Oenone à la fin de l’extrait « fuyez une honte certaine » (v.49),
construction cyclique de cet extrait qui montre le basculement opéré dans les rapports de
force entre les personnages suite à cet aveu.
-L’impossibilité pour Phèdre d’échapper à la honte « certaine » fait d’elle une héroïne
tragique.
Qu’elle ait avoué ou pas à Hippolyte, elle aurait souffert en tous les cas. Son sort était sans
issue, ce qui est le propre de la fatalité tragique.
Cet aveu n’aboutit ni à l’amour d’Hippolyte, ni à la mort souhaitée…Elle n’a aucune
échappatoire à la passion qui la détruit.
Cette scène est une scène charnière dans la pièce : par cet aveu elle déclenche un
mécanisme tragique inéluctable. Son aveu annonce la fin funeste de la pièce : sa mort et la
catharsis qui s’ensuivra pour le spectateur.
-Influence du classicisme et du jansénisme : la passion irrésistible est délétère, elle ne peut
mener qu’à la destruction et à la mort sans échappatoire possible