Deuxieme Article
Deuxieme Article
Deuxieme Article
Par
Robert MBALLA OWONA
Maître-assistant de droit public
Université de Douala (Cameroun)
1
Six arméniens reconnus coupables de participation à un coup d’Etat présumé en Guinée équatoriale ont
bénéficié de la grâce du Président Obiang Nguema en 2004 pour des raisons humanitaires.www.amnesty.org,
page du mardi 7 juin 2005 Site consulté le 5 septembre 2014. A l’occasion de la célébration du Cinquantenaire
de l’indépendance du Tchad, le Président Idriss Deby Itno a accordé la grâce aux chefs rebelles qui ont failli le
renverser en 2008, lesquels avaient été condamnés à mort ou à perpétuité la même année pour atteinte à l’ordre
constitutionnel, à l’intégrité du territoire et à la sûreté de l’Etat.www.jeuneafrique.com Site consulté le 5
septembre 2014. Condamné le 15 septembre 2011 à 20 ans de prison avec Kpatcha Gnassingbé et les
commandants Atti et Tomdena, pour complot contre la sûreté de l’Etat, le Général Assani Tidjani a aussitôt
bénéficié de la grâce présidentielle pour raison de santé. Il a été évacué en France le 2 octobre suivant, pour se
procurer des soins intensifs. www.icilome.com Site consulté le 5 septembre 2014. Par décret du 18 février 2014,
pris à l’occasion de la célébration du Cinquantenaire de la Réunification, le Président Paul Biya a gracié
plusieurs hautes personnalités condamnées pour détournement de deniers publics. Entre autres, Messieurs Titus
Edzoa, ex-Sécretaire général de la présidence de la République ; Seydou Mounchipou, ex- Ministre des postes et
télécommunications, Gérard Ondo Ndong ex-Directeur général du FEICOM. Par décret du 8 août 2011, le
Président Boni Yayi a gracié plusieurs détenus, y compris les personnes condamnées pour détournement des
deniers publics. La libération de ces dernières était toutefois assortie de la condition du remboursement intégral
des sommes détournées. Voir enfin http://levenementprecis.com.http://www.rfi.fr/afrique/20121206-arche-zoe-
controverse-grace-presidentielle-tchad-2008-idriss-deby Site consulté le 10 octobre 2014 pour le Tchad,
ethttp://www.rfi.fr/contenu/20100530-grace-presidentielle-couple-homosexuel/ Site consulté le 30 mai 2010
pour le Malawi.
2
J. DERRIDA, « Le siècle et le pardon », Entretien publié dans Le Monde des débats, décembre 1999.
3
A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 2006, p. 389.
4
S. FOURNIER, Notice sur « Amnistie et grâce », in D. ALLAND, S. RIALS, Dictionnaire de la culture
juridique, Paris, PUF, 2003, p. 45.
5
Notamment l’article 73 de la Constitution du Togo, article 8 de la Constitution du Cameroun, article 87 de la
Constitution de la République Démocratique du Congo, article 23 de la Constitution du Gabon, article 60 de la
Constitution du Benin, article 49 de la Constitution de Cote d’ivoire, article 47 de la Constitution du Sénégal.
6
Entre autres, article 87 de la Constitution italienne, article 17 de la Constitution française, article 89 de la
Constitution russe, article 139 de la Constitution polonaise, article II section 2 de la Constitution des Etats-Unis.
1
cette prérogative se décline en la « faculté de dispenser un condamné, en totalité ou en partie,
de l’exécution de sa peine ou de la commuer en une autre plus douce 7 ». La grâce peut aussi
être amnistiante. En effet, comme l’indiquait bien le doyen Hauriou, pour combattre les abus
scandaleux des lois impersonnelles d’amnistie libérant pêle-mêle des égarés inoffensifs et de
dangereux malfaiteurs, le législateur s’est avisé à ne prononcer l’amnistie que pour une
catégorie de délits ou pour une catégorie de délinquants, en restituant au Chef de l’Etat le
choix et la désignation des condamnés amnistiés par mesure individuelle. Cette mesure
individuelle est alors dite grâce amnistiante8.Profondément ancrée dans la tradition
républicaine de Rome, elle a souvent été exercée par le peuple, les magistrats et le Sénat.
Bien qu’attribué à certains parlements9, elle est surtout rattachée à l’impérium. Si la grâce est
inscrite dans une relation de bienfaisance et de reconnaissance depuis ses origines
théologiques, l’exercice du droit de grâce n’a pas toujours été synonyme de bonté10. Il n’a pas
pu se départir des soupçons de despotisme, d’arbitraire ou de détournement de pouvoir.
D’aucuns l’ont même jugé porteur de risques11 et proposé sa suppression12. Pour ne pas
arriver à cet extrême, l’institution a été entourée de précautions quant à sa nature et à sa mise
en œuvre.
Ainsi, dans sa nature, le droit de grâce apparaît comme un pouvoir conditionné,
personnel, discrétionnaire et régalien ou non, mais somme toute indisponible. Conditionné, le
droit de grâce l’est par la nécessité d’une condamnation préalable. Il est personnel car il ne se
délègue ni explicitement ni implicitement13, et discrétionnaire dans la mesure où le Chef de
l’Etat, se référant ou non à un avis, apprécie seul dans le secret de sa conscience et ne se
laisse guider que par le souci du bien commun14. Le droit de grâce est régalien lorsqu’il est
exercé par la volonté exclusive du Chef de l’Etat15, comme c’est le cas dans les pays
d’Afrique noire francophone. Il cesse de l’être lorsqu’il est assorti d’un contreseing
ministériel, ainsi qu’il peut être observé en France depuis la deuxième République et en Italie
avec la Constitution de 1947.
Le droit de grâce est exercé à titre individuel : c’est dire que la grâce est accordée à un
individu déterminé. Bien qu’étant un droit subjectif, le droit de grâce est encadré. Son titulaire
7
O. DUHAMEL, Y. MENY, Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 465.
8
Cf. VIDAL et MAGNOL, Droit criminel, p.745, cité par HAURIOU (M), Précis élémentaire de droit
constitutionnel, 1930, 333 p., spéc., p. 14.
9
En Grande Bretagne, le Bill of rights avait transféré la grâce de la Couronne au Parlement. C’est également
cette institution qui exerce la grâce en Suisse et en Roumanie.
10
A la Révolution française par exemple, l’institution suscita la défiance, au point que le Code de 1791 la
prohiba. Rétablie par le Sénatus-consulte du 16 Thermidor an X, elle est demeurée maintenue par toutes les
Constitutions françaises comme prolongement de la fonction du roi de rendre justice.
11
M. GUILLAUME, « Amnistie et grâce : ordre, contrordre et désordre », in Constitution et pouvoir, Mélanges
en l’honneur de Jean Gicquel, Paris, Montchrestien, 2008, p. 231.
12
M-H RENAULT, « Le droit de grâce doit-il disparaitre ? », Revue de science criminelle, 1996, p. 575.
13
Cette règle a été formulée par un arrêt du Parlement de Paris du 2 septembre 1567 et a été confirmée par le
Conseil d’Etat dans son avis du 15 octobre 1946.
14
Le Président François Mitterrand a ainsi déclaré le 9 décembre 1986 sur les ondes d’Europe 1 à propos de la
libération d’un Chef commando ayant tenté d’assassiner un ancien Premier ministre iranien : « J’userai du droit
de grâce si j’en ai la conviction intime, donc en conscience. ». Voir J. JEANJEAN, « Le droit de grâce »,
Pouvoirs n° 41, 1987, p.151.
15
O. DUHAMEL, Y. MENY, Dictionnaire constitutionnel, op. cit., p. 466. Il n’est donc pas justifié de parler du
droit en tant que droit régalien en France comme l’a fait Pauline TÛRK. Voir « Le droit de grâce présidentiel à
l’issue de la révision du 23 juillet 2008 », RFDC 2009/3, n° 79, p. 513-542.
2
doit l’exercer, non pas dans l’intérêt personnel, mais dans l’intérêt social ; en retour son
bénéficiaire ne saurait y renoncer16. Le droit de grâce doit être exercé de manière
exceptionnelle, c’est-à-dire sobre et ponctuelle. En règle générale, la grâce est dispensée avec
discernement, sans publicité au-delà de la notification17, et sous certaines conditions de
légalité et d’opportunité. Dans la plupart des systèmes juridiques, la légalité tient à
l’obligation de prendre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature dans les formes
requises. Le Gabon y ajoute l’obligation pour le procureur de la République d’assister à la
manifestation et de prononcer un discours moralisateur à l'intention des graciés pour les
interpeler sur la nécessité de ne plus commettre les actes répréhensibles les ayant conduits en
milieu carcéral18. Ce minimum de légalité est assorti d’un maximum d’opportunité dont le
président de la République est seul le dernier juge. Cette opportunité a trait aux considérations
humanistes, sociales et politiques qui en viennent à heurter la légalité.
Certaines législations nationales rendent même irrémissibles les infractions graves. Tel
est le cas de l’impeachment aux Etats-Unis19 et du terrorisme au Brésil. Ces
législationsdébordent, en cela, sur le droit international qui reconnaît et limite le droit de
grâce. Si l’exécution des peines sanctionnant les crimes internationaux ne peut donner lieu à
une grâce présidentielle, les faits graciés dans un Etat ne peuvent plus être connus devant les
juridictions internationales qui entendent seulement vérifier que l’octroi de la grâce est
conforme aux principes généraux du droit ainsi qu’à l’intérêt de la justice20.
La pratique des grâces collectives s’est répandue 21, assortie de fréquence, de
prévisibilité, de publicité et souvent décriée d’arbitraire. En dehors de ces irrégularités, c’est
le principe même de l’intervention du président de la République, accordant ou refusant la
grâce, qui ne fait pas l’unanimité dans la classe politique, encore moins au sein de l’opinion
publique, et de la doctrine occidentale. En France, le « Comité Balladur » a souligné sans
détours que ses modalités d’exercice donnent lieu à des dérives qui ont choqué la conscience
publique22.
Ces sirènes contestataires s’élèvent avec une tonalité originale en Afrique. En effet,
poussée à la transition politique par un concours de circonstances, l’Afrique s’est engagée
dans la voie de la démocratie libérale. Cependant, au lieu de relever la compétition politique,
le multipartisme semble avoir davantage affaibli l’opposition et exacerbé le tribalisme23.
L’élection ne parvient pas à éviter le recours aux armes, les rébellions et coups d’Etat, bref les
16
Telles sont les règles consacrées par le juge administratif français dans l’arrêt Gugel. Il s'agissait d'un soldat
contestant la commutation de sa peine capitale en travaux forcés du fait de la dégradation militaire attachée à
cette dernière mesure.
17
Du fait de cette coutume, les actes de grâce échappent à la loi du 17 juillet 1978 relative à la communication
des documents administratifs en France.
18
http://koaci.com/gabon-grace-presidentielle-bongo-libere-cent-detenus-libreville-85292.html?lang=1
Siteconsulté le 5 septembre 2014.
19
Article II section 2 de la Constitution de 1787.
20
H. RUIZ-FABRI (dir.), « Les institutions de clémence (amnistie, grâce, prescription) en droit international et
droit constitutionnel comparé », Archives de politique criminelle, 2006/1, n° 28, p. 248.
21
S. FOURNIER, Notice sur « Amnistie et grâce », op.cit., pp. 45- 47.
22
Voir « Une Ve République plus démocratique », Rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la
modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, p. 19.
23
Pour ce qui est du tribalisme, voir O. DUHAMEL, Y. MENY, Dictionnaire précité. Entrée « Afrique noire »;
aussi AHADZI –NONOU (K), « Réflexions sur un tabou du constitutionnalisme négro-africain : le tribalisme »,
in Les voyages du droit, Mélanges en l’honneur de Dominique Breillet, Paris, LGDJ, 2011, pp. 19-25.
3
tensions démocratiques sur le continent. Du fait des frustrations accumulées, l’unité
nationale exaltée par les Constitutions est fragilisée par l’expansion des mouvements
indépendantistes et du fanatisme religieux24. Il s’ensuit une insécurité galopante tant interne
que transfrontalière, dégénérant au terrorisme25. Toutes choses qui favorisent l’hyper
présidentialisme. Ainsi, l’on vit mal le fait que le Président de la République, doté de pouvoirs
importants26 retouche de manière discrétionnaire ce qu’une justice subissant déjà son emprise
a pu, malgré tout, décider. Tel un divin mortel planant au-dessus des lois humaines et des
terrestres juridictions, il peut suspendre par sa seule volonté, la volonté de la loi, la sentence
des jurys et même le verdict de l’opinion 27. Exercée en faveur des délinquants dangereux sus-
évoqués, la grâce n’a pas rencontré la moindre indulgence de l’opinion. De vives critiques
lui ont été adressées28 ; car la posture ultra dominante des Chefs d’Etat sur les institutions est
de moins en moins supportée, de même que les peuples sont soucieux de lutter contre le
relâchement des mœurs, l’impunité, le grand banditisme, les conflits armés, la corruption et le
terrorisme qui les exposent à la détresse.
L’indignation semble vaine si tant est que les Constitutions définissent la fonction
présidentielle par les trois critères de garant, de gardien et d’arbitre 29; qu’il est reconnu au
Président de la République, chef de l’Exécutif le pouvoir d’intervenir dans le fonctionnement
des pouvoirs législatif et judiciaire, en dépit du principe de la séparation des pouvoirs 30; que
24
S’agissant des mouvements indépendantistes, les plus notoires sont le Mouvement National pour la Libération
de l’Azawad (MNLA, créé en 2010 au nord du Mali suite à la fusion des rebellions salafiste et touarègue pour
revendiquer l’indépendance de l’Azawad), le Southern Cameroon National Congress (SCNC, créé en 1989 pour
revendiquer l’indépendance du Southern Cameroon), le Bakassi Movement for Self Determination (créé dans la
péninsule de Bakassi pour revendiquer l’autonomie aussi bien vis-à-vis du Cameroun que du Nigéria), le
Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance ( créé au Sénégal depuis 1947 et revendique
l’indépendance de cette région), le Somaly Patriotic Movement et le Front de Libération de la Somalie
Occidentale, le Front de Libération de l’Ogaden (Ethiopie), le Front de Libération de l’Enclave du Cabinda
(Angola), le Movement for Self Determination of Bioko Island (Guinée équatoriale). En ce sens, l’intégrisme
islamiste est très accentué : les salafistes et jihadistes du Tchad, du Soudan, du Mali, de la Mauritanie, les séléka
de la République Centrafricaine, les jihadistes nigérians de Boko haram. Ces groupes semblent vouloir se fédérer
autour du Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) à l’instar de mouvement Al-
Qaida au Magrheb (AQMI). En ce qui concerne l’intégrisme religieux, l’on observe la montée du radicalisme
chrétien, avec des prédicateurs professant une doctrine d’intolérance à l’égard de tous ceux qui sont étrangers à
la communauté, fussent-ils parents. Leurs ravages dans les familles ne sont pas à minorer, bien que leur action
n’ait pas encore atteint le seuil critique de violence des islamistes.
25
Ceci se manifeste par la piraterie sur les côtes de la corne d’Afrique, les attaques sporadiques contre des
localités et les prises d’otages.
26
Cette idée qui domine aujourd’hui la doctrine avait été mise en exergue avec un accent fort par le Professeur
Jean GICQUEL. Voir de cet auteur. « Le présidentialisme négro-africain : l’exemple camerounais », Mélanges
Georges BURDEAU, Paris, LGDJ, 1977, pp. 701-725.
27
J. BARTHELEMY, « Le droit de grâce », RDP, 1909, pp. 540, 550.
28
A cet égard, consulter utilement : http://www.journalducameroun.com/article.php?aid=17144 (page du 17 avril
2014); http://www.cameroon-info.net/stories/0,58992, (page du 24 février 2014);
http://www.rfi.fr/afrique/20121206-arche-zoe-controverse-grace-presidentielle-tchad-2008-idriss-deby-/ SITE
CONSULTE LE 10 OCTOBRE 2014 ;http://cameroon-info.net/stories/0,58621,@,cameroun-grace-
presidentielle-les-premiers-beneficiaires.html ( page du 19 fév 2014); http://www.rfi.fr/contenu/20100530-grace-
presidentielle-couple-homosexuel/ Site consulté le 30 mai 2010.
29
P. ARDANT, « L’article 5 et la fonction présidentielle », Pouvoirs n° 41, 1987, p. 38 sq.
30
A titre principal, il a l’initiative des lois, arbitre la procédure législative, adresse des messages au parlement,
assure l’organisation et le fonctionnement du service public de la justice, préside le conseil supérieur de la
magistrature où il nomme et sanctionne les magistrats ; exerce le droit de grâce après avis du conseil supérieur de
la magistrature, promulgue les lois.
4
surtout, c’est ici un invariant constitutionnel que « l’institution présidentielle doit demeurer
centrale, et qu’un Président de la République fort reste un impératif 31 » pour pouvoir
maîtriser une société politique tiraillée par les luttes d’hégémonie bureaucratique, politique,
ethnique et même militaire32. L’intervention présidentielle est alors fondée sur le plan de la
légitimité procédurale. Cependant, il convient de souligner que l’ordre juridico-politique est
aussi largement tributaire de la légitimité substantielle33. Celle-ci peut être ramenée à
l’adéquation du droit à la demande sociale, à la « relation de conformité entre l’idée que l’on
se fait de ce que le droit doit être et ce qu’il est réellement »34. Cette relation étant appréciée
« soit par des individus isolés quant à leur posture par rapport au droit, soit par l’opinion
publique, soit par la doctrine35.»
La récurrence des problèmes de légitimité en Afrique paraît s’expliquer par cette
raison tirée de l’exposé des motifs de la Constitution de la République Démocratique du
Congo de 2006 : « Depuis son indépendance, le 30 juin 1960, la République Démocratique du
Congo est confrontée à des crises politiques récurrentes dont l’une des causes fondamentales
est la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs. »
Si la contestation des animateurs est souvent liée aux mauvaises conditions de leur
investiture, celle des structures et des règles semble tirée de ce que leur capacité à répondre
aux aspirations fondamentales du peuple n’est pas certaine. A cet égard, l’on rappellera les
critiques autour du poste de premier ministre au Benin et en Côte d’Ivoire, du sénat au
Sénégal, de la suppression de la règle de limitation des mandats présidentiels dans presque
tous les pays où elle a eu lieu36 ou s’est dessiné comme au Burkina Faso, puis du processus
actuel de conclusion des accords de partenariat économique. Le droit de grâce du Président
de la République fait partie de ces institutions valablement consacrées mais en mal de
légitimité. Certaines voix s’élèvent dans la classe politique et l’opinion, d’autres murmurent
dans les milieux intellectuels pour le dénoncer, mais se heurtent à d’autres encore qui
affirment son bien fondé. La doctrine étant « l’inspiratrice privilégiée de la construction du
droit37 » en ce qu’elle se prononce sur toute préoccupation digne d’intérêt dans la cité, la
présente réflexion ambitionne d’insérer dans le débat scientifique les termes d’une discussion
demeurée souterraine. Il s’agit de se demander en particulier quels sont les problèmes
juridiques réels ou potentiels pouvant expliquer l’opposition de vues autour de l’exercice du
droit de grâce par le Président de la République dans ces pays, autrement dit, en quoi cet
exercice attenterait ou non aux aspirations fondamentales des Etats d’Afrique noire
francophone.
Le cadre choisi rend la question plus attachante et lui donne une consonance
singulière. En effet, n’ayant jamais fait l’objet d’une étude systématique, l’étude pourrait en
31
Ibidem, pp. 82-83.
32
Ibidem, p. 83.
33
Voir la distinction légitimité formelle/légitimité substantielle chez André Jean ARNAUD in Dictionnaire
encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1993, p. 344.
34
M. A. COHENDET, « Légitimité, effectivité et validité », Mélanges Pierre avril : la République, Paris,
Montchrestien, 2001 p. 212.
35
Idem.
36
Madagascar (1998), Guinée Conakry (2001), Togo (2002), Gabon (2003), Tchad (2005), Cameroun (2008).
Lire utilement à cet effet A. LOADA, « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique
francophone », Afrilex n°3, 2003, pp. 139-174.
37
P. DUBOUCHET, Sémiotique juridique, Paris, Puf, « Les voies du droit », 1990, p. 20.
5
outre révéler les usages de l’institution dans un contexte de présidentialisme fort. Le prisme
des usages du droit amène donc à se reporter à la justification de l’intervention présidentielle,
à la régularité de cette intervention et aux incidences qui s’y attachent dans ces Etats où la
séduisante architecture libérale est menacée de ruine38.
En accordant la grâce, en raison de sa prérogative constitutionnelle, le Président de la
République peut défendre ou sacrifier les exigences de l’Etat de droit, notamment la
responsabilité politique et les droits de l’homme. Par le biais de la grâce, le Président de la
République peut défendre les valeurs d’unité nationale, d’indivisibilité du territoire, de
démocratie, de laïcité et de socialité de l’Etat clairement affirmées 39. D’autres valeurs
apparaissent dans le préambule de la Constitution et se déduisent des symboles nationaux tels
que le drapeau, l’hymne, le sceau, la devise et les armoiries. Les plus constantes sont la paix
et la réconciliation, la tolérance, la solidarité, la fraternité, le patriotisme 40, la justice sociale et
le développement. Pour s’en tenir à la démocratie qui est davantage mise en exergue, l’on
pourrait, à partir du droit de grâce, mesurer les avancées41 de son processus d’apprentissage42,
la capacité à en maintenir les acquis43, à la revitaliser et à ne pas l’émasculer44.
Il est donc de bonne méthode de rechercher les termes de la remise en cause de
l’exercice du droit de grâce à partir des institutions45, des normes46 et des pratiques
constitutionnelles47, en distinguant la science juridique de l’art politique, donc les sources
positives du droit des conditions de la compétition (pour ne pas dire du combat) politique48,
38
AHADZI NONOU (K), « Constitution, démocratie et pouvoir en Afrique », in AïVO (F-J)(Coord.), La
Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice
Ahanhanzo-Glélé, Paris, l’Harmattan, pp. 63-73.
39
Article 2 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, article 30 de la Constitution ivoirienne du 23
juillet 2000, article 2 de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991, article 1er de la Constitution de la RDC de
février 2006, article 1er de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996, article 3 de la Constitution
nigérienne, préambule de la Constitution tchadienne, etc.
40
La réconciliation figure parmi les valeurs prônées par la Constitution togolaise. C’est ainsi qu’il a été crée
dans ce pays un Ministère des Droits de l’Homme, de la Démocratie et de la Réconciliation. Voir décret n° 2005-
070/PR du 5 août 2005 fixant les attributions de ce ministère. L’article 36 de la Constitution béninoise et le
préambule de la Charte de la transition centrafricaine du 18juillet 2013 prônent la tolérance. Le préambule des
Constitutions sénégalaise, ivoirienne, tchadienne et nigérienne vise expressément la solidarité, celui de la
Constitution du Tchad exalte la fraternité et celui des Constitutions sénégalaise et camerounaise appellent au
patriotisme.
41
K. AHADZI NONOU, « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : le cas des Etats d’Afrique
noire francophone », Afrique juridique et politique, juil.- déc., 2002, p. 35.
42
A.BADARA FALL, « La démocratie sénégalaise à l’épreuve de l’alternance », Afrilex, n° 5, p .5.
43
Idem ; B. GUEYE, « La démocratie en Afrique : succès et résistances », Pouvoirs 2009/2 n° 129, pp. 5-26.
44
Si l’on emprunte au professeur Théodore HOLO « Démocratie revitalisée ou démocratie émasculée ? Les
constitutions du renouveau démocratique dans les Etats de l’espace francophone africain : régime juridique et
systèmes politiques », Revue Béninoise des sciences juridiques et administratives (RBSJA) n° 16, 2006, p. 17-41.
45
L’institutionnalisme, défendu en France par Maurice HAURIOU et en Italie par Santi ROMANO, considère
que le droit est fondé sur l’institution et repose sur l’idée d’œuvre à réaliser. Voir respectivement de ces deux
auteurs « L’institution et le droit statutaire », Recueil de législation de Toulouse, 2e série, t. 2, 1906, pp.134-182;
L’ordre juridique, tr.fr. de la 2e édition de L’ordinamento giuridico (1946) par L. FRANÇOIS et P.GOTHOT,
Dalloz, 1975, respectivement p. 21 sq. et p. 25 sq.
46
Le normativisme de Hans KELSEN qui commande de procéder à l’analyse systématique des normes dans leur
agencement hiérarchisé au sein de l’ordre juridique. Voir Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, 495 p;
Théorie générale des normes, Paris, PUF, « Léviathan », 1996, 604 p.
47
K. DOSSO, « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone : cohérences et
incohérences », RFDC n° 90, 2012/2, pp. 57-85.
48
F. LUCHAIRE, « De la méthode en droit constitutionnel », RDP, 1981, pp. 275-329, p. 276.
6
pour une lecture africaine d’une controverse sans cesse renouvelée en Occident. Ce sont là
les présupposés de la démarche néo-institutionnaliste, conçue et élaborée par Neil
MacCormick et Ota Weinberger49. Cette approche permet de démontrer que dans l’espace
politique considéré, l’exercice du droit de grâce pose un problème de légitimité substantielle à
un double point de vue : d’une part, l’habilitation du Président de la République à l’exercer
est controversée (I), et d’autre part, les implications de son exercice sont contrastées dans
l’ordre constitutionnel (II).
Plusieurs raisons ont amené les auteurs à être négateurs ou partisans du droit de grâce
du Président de la République. Au courant initialement majoritaire, qui dénonce son
illégitimité (1), répond celui ayant actuellement renversé la tendance qui soutient sa légitimité
(2).
1- La thèse de l’illégitimité
L’hostilité envers le droit de grâce est une attitude ancienne dont la paternité
intellectuelle est reconnue à Jean Bodin dès 1583 dans Les six livres de la république. Elle a
rallié de grandes figures de la pensée juridique, qui ont porté deux principaux griefs à
l’habilitation présidentielle à faire grâce : l’atteinte au principe de séparation des pouvoirs et
le manque de rationalité quant à la démocratie et au pouvoir.
49
Pour ces auteurs, le droit fonde l’institution et aucune institution n’existe sans norme. Bien plus, un système de
normes n’est un système de droit en vigueur que si et seulement si, il forme le noyau d’informations pratiques
des institutions de l’Etat. Voir Pour une théorie institutionnelle du droit, Nouvelles approches du positivisme
juridique, tr.fr. O. NERHOT et P. COPPENS, Paris, LGDJ, « La pensée juridique moderne », 1992, p.7 sq.
50
Traité de droit constitutionnel, Paris, E. de Boccard, Successeur, 3 è éd., 1928, p. 314.
51
J. BARTHELEMY, « Le droit de grâce », op.cit., p. 537.
7
S’agissant du premier grief, Jean Jacques Rousseau formule le postulat du refus
catégorique de l’habilitation présidentielle. A l’égard du droit de faire grâce ou d’exempter un
coupable de la peine portée par la loi et prononcée par le juge, dit-il, il n’appartient qu’à celui
qui est au-dessus du juge et de la loi, c'est-à-dire le souverain. Ce souverain est le peuple, et
lui-même devrait en faire un usage très rare52. Léon Duguit partagera le mieux cette sentence
rousseauiste. Pour cet auteur, l’habilitation du Président de la République à faire grâce est une
dérogation aux principes généraux du droit public moderne qui trouvent leur unité dans la
séparation des pouvoirs. En vue de justifier son affirmation, le Doyen de Bordeaux estime
qu’il y a atteinte à la séparation des pouvoirs car, l’acte de grâce touche à la liberté qui,
d’après les principes les plus certains du droit public moderne, relève exclusivement de
l’autorité judiciaire ; les organes politiques n’ont pas plus de pouvoir à cet égard que l’organe
administratif53. On retrouve ce principe clairement énoncé dans l’article 17 de la Constitution
togolaise : « Le pouvoir judiciaire gardien de la liberté individuelle assure le respect de ce
principe dans les conditions prévues par la loi.» C’est en vertu de celui-ci que jadis les
atteintes les plus graves à ces droits et libertés telles que la voie de fait, l’emprise et d’autres,
lui ont été attribuées. Comment ne pas s’accorder avec Duguit pour dénoncer la remise du
sort de la liberté d’un condamné à la décision ultime d’un organe politique ? Même la
Constitution sociale de Maurice Hauriou, juxtaposée à la constitution politique, est un
système formé des structures privées d’exercice des libertés, des institutions publiques au
service de ces libertés et du pouvoir du juge comme garantie suprême 54. Il montre bien que le
juge est un pouvoir antérieur à la société politique, il est plus social que politique ; et même le
roi - juge est un personnage social55 qui, à lui seul, fait l’équilibre à l’ensemble des pouvoirs
politiques56. La compétence du juge judiciaire en matière de liberté constitue l’une des
grandes idées civilisatrices depuis les Lumières.
Par ailleurs, l’indépendance de la justice témoigne de l’affermissement de la
séparation des pouvoirs. Or, l’exercice de la grâce peut remettre en cause cette indépendance
en faisant naître chez les juges un sentiment de fragilité de leur autorité. En effet, convaincus
de la nécessité de réprimer énergiquement certains actes odieux, leur ardeur serait bien vite
refreinée par un décret de grâce qui les ferait passer pour les « bourreaux » et le Président de
la République pour le « sauveur ». C’est bien cette image que semble laisser l’institution dans
les pays d’Afrique noire où les populations sous alphabétisées n’ont pas le discernement
nécessaire. Fragilisés et rendus à l’évidence qu’ils sont dans un rapport de force défavorable
vis-à-vis du Père de la nation, les juges s’aviseraient désormais à lui être dociles, même s’il
n’exerce sur eux aucune pression effective. En Afrique noire, la grâce paraît donc empirer la
situation d’une justice réputée être placée aux ordres du chef de l’Etat 57.
En ce qui concerne le second grief du manque de rationalité de l’habilitation
présidentielle, il a été affirmé par Vedel en ces termes:
52
Voir Contrat social, Livre II, Chapitre V.
53
Traité de droit constitutionnel, op. cit., p. 314.
54
Précis élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 2e éd., 1930, p. 237-249.
55
Ibid., p. 238.
56
Ibid., p. 295.
57
F. HOURQUEBIE, « L’indépendance de la justice dans les pays francophones », Les cahiers de la justice,
2012/2, pp. 41-60.
8
« Rationnellement, la survivance du droit de grâce ne se justifie guère dans un
système constitutionnel démocratique. On ne comprend pas comment le chef de l’Etat peut
faire échec à la fois à la loi en vertu de laquelle la peine a été prononcée et au juge qui l’a
appliquée58. »
Pour cet auteur, il est malaisé de justifier le droit de grâce en démocratie. En faisant
grâce, le Président de la République atténue l’autorité de la loi élaborée par le législateur et
l’autorité de la décision de justice qui en garantit le respect. Or, la rationalité démocratique
commande que les lois, œuvre du peuple titulaire de la souveraineté, s’imposent à tous. Quand
le législateur a prévu que tel comportement antisocial doit être puni de telle peine, cette
volonté générale ne devrait pas être remise en cause par le chef de l’Etat au motif qu’elle est
sévère. Ce pourrait être un facteur supplémentaire du déséquilibre des rapports entre
l’Exécutif et le Législatif et de paralysie de certaines dispositions législatives comme celles
relatives à la peine de mort. Bien plus, le manque de rationalité démocratique s’explique par
le fait que la justice est rendue au nom du peuple souverain et le représentant du peuple remet
en cause ce qui est fait au nom de ce peuple. Il y a là matière à se demander si le représentant
du peuple souverain devient le représentant souverain du peuple, comme ce semble le cas en
Afrique noire francophone?
Par delà le problème de rationalité démocratique, Franck Lafaille soulève celui du
manque de rationalité du pouvoir. En effet, soutient-il, la détention de tout pouvoir en régime
parlementaire va de pair avec la responsabilité politique. Et l’exercice du droit de grâce est
assorti d’un contreseing parce qu’il peut donner lieu à l’engagement de la responsabilité
politique du gouvernement par le parlement. Il est alors impensable d’en faire, comme le
décide la Cour constitutionnelle italienne dans sa décision de juin 2006, un pouvoir autonome
du Président de la République, sans remettre en cause le parlementarisme classique et le
garantisme constitutionnel59. Si le défaut d’effet neutralisant du contreseing est autant
critiqué, que dirait-on de la situation des pays d’Afrique noire où le droit de grâce est
toujours exercé sans contreseing et ne donne lieu à aucune responsabilité, ni politique, ni
juridique. Les Chefs d’Etat africains s’attachent plutôt à limiter leur responsabilité du fait de
tous les actes accomplis pendant leurs fonctions. L’indignation de la doctrine occidentale est
alors bien comprise et s’avère valable pour les Etats africains. Cependant, elle ne ferait pas
éluder les aspects légitimes de l’exercice du droit de grâce par le Président de la République
qui paraissent dominants.
2- La thèse de la légitimité
58
Voir Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, réed. 2002, p. 561.
59
F. LAFAILLE, « Droit de grâce et pouvoir propre du chef de l’Etat en Italie. La forme de gouvernement
parlementaire et le garantisme constitutionnel à l’épreuve de l’irresponsabilité et de l’autonomie normative
présidentielle », Revue internationale de droit comparé n° 4, 2007, pp.762 – 802.
9
est le premier représentant du peuple, pour lui préférer le parlement, du simple fait que seul
l’auteur de la loi peut en suspendre l’exécution60. S’il faut penser au référendum, en dehors de
la lourdeur de sa mise en œuvre qui rendrait la grâce rare comme le souhaitait l’auteur, l’on
n’oubliera pas que le choix du peuple peut ne pas être éclairé. Attribuer l’habilitation à faire
grâce au pouvoir judiciaire serait aussi mettre la justice en porte à faux avec la loi qu’elle est
chargée d’appliquer et avec ses propres décisions prises dans ce cadre. L’on est donc amené à
déduire la légitimité de l’habilitation présidentielle du principe de l’effet utile61. Ce principe
inspiré de l’article 1157 du code civil voudrait en substance qu’on privilégie l’interprétation
qui donne quelque effet à une règle par rapport à celle qui n’en produit aucun. Une manière
conforme de l’étendre consiste à privilégier l’interprétation qui produit plus d’effets à celle
qui en produit moins. Sur cette base, on raisonnera ainsi : les négateurs du droit de grâce ont
reconnu son bien fondé alors qu’il est exercé par le Président de la République. Contester
l’habilitation de cette autorité suprême signifierait, compte tenu des inconvénients plus grands
que présente l’éventualité de le confier à d’autres mains, que le droit de grâce doit exister
mais que personne ne doit l’exercer. Il vaudrait donc mieux reconnaître la légitimité de
l’habilitation présidentielle comme une solution utile par rapport à sa négation qui débouche
sur une impasse.
Bien au-delà, il convient de faire valoir que d’autres auteurs ont expressément établi la
légitimité de cette habilitation. Deux arguments majeurs ont été avancés pour démontrer la
légitimité de l’habilitation du Président de la République à faire grâce : la collaboration des
pouvoirs en régime de séparation souple et la détention originaire du droit de punir par
l’Exécutif au sein de l’Etat.
Gaston Jèze affirme que dans un régime de séparation souple comme celui de la
France, la grâce présidentielle participe d’un mécanisme de collaboration des pouvoirs. L’on
comprend que dans sa pensée, un régime de séparation souple admet l’intervention des
pouvoirs scindés dans les domaines réservés aux uns et aux autres sans remettre en cause la
disposition des choses. Il est toutefois nécessaire de préciser que dans la logique de
Montesquieu, ce mode de séparation souple opérationnalisé dans les régimes parlementaires
n’a toujours concerné que les pouvoirs politiques, car, soutient-il, le pouvoir judiciaire est en
quelque sorte nul dans la scène politique62. Pour ingénieuse qu’elle soit, l’idée de Jèze semble
avoir dévié des arguments séant à sa démonstration. Ces arguments peuvent être les suivants.
Premièrement, quelle que soit la formule de séparation choisie, souple ou rigide, ce n’est pas
l’isolement des pouvoirs, mais, l’équilibre de ceux-ci que l’on recherche. Deuxièmement, si
chaque pouvoir s’enfermait dans ses compétences spécifiques, l’arbitraire subsisterait parce
qu’on aurait simplement réduit le degré de concentration du pouvoir ; chaque organe
continuant à agir librement dans son domaine. La véritable séparation voudrait que le
consentement de l’autre pouvoir soit nécessaire pour que l’un agisse, c’est ce qui réalise le
check and balances63. C’est dire que dans tout régime de séparation, il y a une collaboration
ne serait ce que minimale garantissant à tous les pouvoirs des moyens d’actions réciproques.
60
Selon Cesare Beccaria, la clémence est une vertu propre à celui qui fait les lois, non à celui qui les applique,
elle doit resplendir dans les codes, non dans les jugements particuliers.
61
F. LUCHAIRE, « De la méthode en droit constitutionnel », op. cit., pp. 293, 294.
62
De l’esprit des lois, Livre XI chap. 6.
63
C. EISENMANN, « L’esprit des lois et la séparation des pouvoirs », in Mélanges Carré de Malberg, 1933, pp.
165, 178.
10
Sans revenir sur le poids dont pèse le pouvoir judiciaire 64, mieux, le pouvoir juridictionnel65
dans la scène politique et que Montesquieu n’a pas pu prévoir, ce seul postulat de
l’irréductible collaboration permet de réhabiliter la thèse de Jèze. Il apparaît en effet
indéniable que selon les matières, pour que le Législatif agisse, il faut le consentement soit de
l’Exécutif, soit du Juridictionnel, soit des deux; la même condition étant valable pour l’action
de chacun des autres pouvoirs. Pour ce qui est particulièrement des rapports entre l’Exécutif et
le Judiciaire qui intéressent la présente étude, il faut rappeler que cette collaboration a
toujours existé et demeure permanente.
Loin de s’attarder sur le pouvoir revenant à l’Exécutif d’organiser le service public de
la justice, l’on relèvera utilement que le droit a reconnu aux autorités exécutives le pouvoir de
prendre des actes juridictionnels et aux autorités juridictionnelles le pouvoir de prendre des
actes administratifs. Sont ainsi considérés comme actes juridictionnels de l’Administration,
toutes les mesures relatives au fonctionnement de la justice qui ne sont pas détachables de la
décision juridictionnelle elle-même66. Gaston Jèze était donc fondé à conférer une nature
juridictionnelle aux actes de grâce. En retour, le juge pénal et en l’occurrence le juge de
l’application des peines auquel revient depuis 1959 en France la charge de déterminer, pour
chaque condamné, les principales modalités du traitement pénitentiaire67, prend les actes de
nature administrative dans ce cadre68. Elles concrétisent simplement le fonctionnement
administratif du service pénitentiaire69. Tel est le cas des décisions par lesquelles le juge de
l’application des peines autorise un détenu à exercer des activités en commun70 ou à sortir
sous escorte71. En France depuis 1947, à la faveur de l’arrêt Gombert, il est de doctrine et de
jurisprudence constantes que les décrets de grâce ou les refus de grâce sont des actes
juridictionnels de l’Administration72 ; ils se rattachent aux limites de la peine infligée par une
juridiction.
Certains auteurs pensent que les mesures de clémence constituent pour l’Etat une
façon de renoncer à son droit de punir les délinquants73, comme il peut renoncer à sa créance
d’impôt exigible. A cet égard, Fleiner estime que la grâce consiste à renoncer à un droit
appartenant à l’Administration74, tandis que Barthélémy soutient que le droit de punir est une
des attributions historiques et constitutionnelles de l’Exécutif. « Dans sa mission d’intérêt
64
La notion de gouvernement des juges en est fort évocatrice.
65
F. HOURQUEBIE, Le pouvoir juridictionnel en France, Paris, LGDJ, « Systèmes », 2010, 212 p.
66
La décision de l’Administration de saisir un tribunal, les mesures de police préalables au jugement répressif,
les actes postérieurs audit jugement et qui sont étroitement liés à son exécution rentrent dans cette catégorie;
pourvu que l’Administration n’ait pas un certain pouvoir discrétionnaire dans cette exécution. Voir P. L. FRIER,
J. PETIT, Précis de droit administratif, Paris, Montchrestien, 2008, 5e éd., p. 285 ; aussi R. CHAPUS, Droit
administratif général, Paris, Montchrestien, 2001, 15e éd., pp. 974 – 979.
67
Article 722 du Code de procédure pénale français.
68
Il s’agit de celles de ses décisions prises dans l’exécution des peines, qui n’affectent pas la nature ou les
limites de cette peine. Voir G. EVEILLARD, « Droit administratif et droit pénal » in P. GONOD, F.
MELLERAY, P. YOLKA (dir.), Traité de droit administratif, Paris, Dalloz, 2011, pp. 662, 663.
69
TC 22 février 1960, Dme Fargeaud d’Epied, CE, 5 février 1971, Veuve Picard.
70
Veuve Picard.
71
CHAPUS (R), Droit administrative général, op.cit. p. 982.
72
G. EVEILLARD, « Droit administratif et droit pénal », op.cit., p. 661 ; CE 30 juin 2003, observatoire
international des prisons, RFDA 2003, 839.
73
G. JELLINEK, System der subjektiven öffentliche Rechte, Mohr, Freiburg, 2e éd. Tübinguen, 1905, p. 333; E.
FORSTHOFF, Tratado de derecho administrativo, Madrid, 1958, p. 387.
74
Voir Les principes généraux du droit administratif allemand, Libraire Delagrave, Paris, 1933, p. 91.
11
général qu’il tient de son histoire et de sa nature, dit-il, le pouvoir exécutif trouve le droit de
frapper de certaines peines les actes qui troubleraient l’ordre public […] Dans le droit
commun des nations modernes, le gouvernement est armé du droit d’infliger les peines aux
fauteurs de troubles de l’ordre public […] Je dis que le gouvernement est armé. Et en effet,
c’est lui qui a l’initiative, c’est lui qui a l’exécution de la peine. Il peut demander ou ne pas
demander aux tribunaux la constatation officielle de son droit de punir ; une fois ce droit
constaté, il peut s’en servir ou ne pas s’en servir […] Le droit public a donné à cette
abstention un nom et une organisation juridique : c’est le droit de grâce75 . »
Il est donc légitime que le chef de l’Exécutif exerce le droit de grâce 76. En dehors des
opinions doctrinales issues de cette controverse, d’autres arguments font pencher pour la
légitimité de l’habilitation présidentielle en Afrique noire francophone.
75
J. BARTHELEMY, « Le droit de grâce », op.cit., p. 542, 543.
76
Bien que Léon Duguit s’y oppose en disant que le droit de punir appartient à l’Etat tout entier et indivisible, il
ne saurait revenir à l’un de ses démembrements, voir. Précis de droit constitutionnel, op.cit., p. 316.
77
G. CORNU, « La bonté du législateur », Revue Trimestrielle de Droit Civil n°90 (2), avril-juin 1991, p. 285.
12
Rendant obligatoire et automatique l’exercice du droit de grâce avant exécution, ils montrent
qu’une occasion ultime de pardon peut être donnée, même aux délinquants les plus
dangereux. Ces législateurs se sont donc approprié les fonctions morales du droit de grâce
valorisées par Benjamin Constant. Pour le voir prospérer, ils déterminent les modalités
d’exercice de ce droit. Dans la loi camerounaise n° 82-014 du 26 novembre 198278, le
chapitre II est consacré aux recours en grâce, de leur introduction à leur issue. Selon les Etats,
le recours est adressé au Président de la République par le truchement de l’organe consultatif
qui l’assiste à cet effet (Ministère de la justice ou Conseil supérieur de la magistrature). Celui-
ci centralise les recours et les instruit. Les renseignements utiles sont recueillis auprès des
autorités judiciaires (procureurs) afin d’éclairer le Chef de l’Etat sur l’opportunité de la grâce.
Saisi du rapport d’instruction du procureur, l’organe assistant le Chef de l’Etat formule un
avis motivé favorable ou défavorable. Il est doté d’un pouvoir de filtrage des recours qui lui
permet d’écarter proprio mutu ceux qui ne méritent pas de retenir l’attention du chef de
l’Etat79. Le droit de grâce ne saurait alors être sérieusement contesté aussi longtemps que la
peine de mort restera consacrée.
C’est le lieu de noter que le législateur offre au citoyen un moyen juridique de voir
rétablir ses droits qu’il a perdus par ses propres méfaits ou par l’incapacité de la justice
humaine à percer le mystère de la vérité, réelle et objective dans certains cas d’espèce. Ce
moyen de rédemption du coupable ou de réhabilitation de l’innocent ne cessera jamais d’être
sollicité ; tant du moins qu’il existera la délinquance et les imperfections de la justice
humaine. Surtout que sa mise en œuvre est soumise à des conditions très souples80.
Par voie de conséquence, chaque année, d’innombrables recours en grâce sont adressés
au Président de la République dans tous les Etats. Les crises et la délinquance multiformes
que connaissent les pays d’Afrique noire francophone ne font point douter du volume de ces
recours. Pour la même raison, les Chefs d’Etat africains ont pris l’habitude d’accorder des
grâces collectives à des catégories de détenus en dehors de tout recours, comme c’est le cas en
Allemagne et en Italie81, ou sur la base des recours de quelques-uns82.
Les données qui précèdent attestent de ce que l’habilitation constitutionnelle du
Président de la République à faire grâce est largement admise dans l’environnement
institutionnel des Etats d’Afrique noire francophone. Sa légitimité est logiquement déduite du
fait que le législateur aurait pu refuser d’adopter les mesures d’aménagement y relatives,
l’organe assistant le Président de la République aurait pu ne pas lui donner son avis, les
citoyens auraient pu s’abstenir de lui adresser les recours83 ; et s’il venait à décider tout seul
sur la base d’une décision de justice, comme l’ont laissé croire certains décrets de grâce des
78
Fixant l’organisation et le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature.
79
JEANJEAN (J), « Droit de grâce », op.cit., p. 153.
80
Le recours peut émaner du condamné ou de toute autre personne s’intéressant à sa situation ; il se présente
sous forme d’une simple lettre. Voir J. JEANJEAN, op.cit., p. 153.
81
H. RUIZ-FABRI, « Les institutions de clémence (amnistie, grâce, prescription) en droit international et droit
constitutionnel comparé »,op. cit., p. 245.
82
Décrets du 19 mai 2008, et du 14 avril 2014.
83
Un célèbre cas isolé est celui du nationaliste camerounais Ernest Ouandié qui, après avoir été condamné à
mort, a refusé de demander la grâce au Président Ahmadou Ahidjo.
13
années 1980 du Président togolais Gnassingbe Eyadema 84, les bénéficiaires de la grâce
auraient pu y renoncer, bien que n’en ayant pas la faculté. Ce qui est invraisemblable.
La légitimité de l’habilitation présidentielle à faire grâce est davantage consolidée par
ses pouvoirs d’arbitrage et d’exécution au sein de l’Etat.
84
Décret n° 84-142 du 3 aout 1984 accordant une grâce individuelle à M. Foum Koku Elom; décret n° 84-143 du
3 aout 1984 accordant une grâce individuelle à M. Parbey Dovi ; décret n°87-14 du 18 février 1987 accordant
une grâce individuelle à M. Kouevi Ayitegan; décret n°87-15 du 18 février 1987 accordant une grâce
individuelle à M. Bati Komlan.
85
C’est une idée qui revient chez plusieurs auteurs, voir par exemple M. de VILLIERS, T. de BERRANGER,
Droit public général, Institutions politiques administratives et européennes. Droit administratif, finances
publiques, Paris, LexisNexis, 2011, 5é éd., p. 125. Mais, à bien rechercher les contours de ce pouvoir, il serait
difficile de partager ce point de vue.
86
Voir Réflexions sur la distribution des pouvoirs, cité par M. de VILLIERS, T. de BERRANGER, Droit public
général, op.cit., p. 125.
87
O. DUHAMEL, Y. MENY, Dictionnaire précité, p. 40; Raymond JANOT cité par D. FRANCK, « Le
Président de la République, garant de la cohésion sociale », op.cit.
88
O. DUHAMEL, Y MENY, Dictionnaire précité, pp. 40, 41; P. ARDANT, op.cit. passim, et surtout les
déclarations des chefs d’Etat français depuis Gaston Doumergue en 1924 - « Nul plus que moi ne demeurera au-
dessus des partis pour être entre eux un arbitre impartial », - jusqu’à ce jour, en passant par le célèbre discours de
Bayeux de Gaulle le 16 juin 1946.
89
En témoigne cette question ironique de Georges VEDEL : « Où l’a-t-on rencontré, sinon dans le pays des
coquecigrues ? », Le monde, 16 septembre 2000.
90
Voir Entretiens et discours, t.1, p.116.
14
droit constitutionnel au regard de l’influence fréquente de la conjoncture sociale et politique
sur la justice.
Cette influence peut être objective dans les situations où le contexte politique ou social
est alarmant. Par exemple, chaque fois que des faits de grand banditisme se déclarent, même
le délinquant d’occasion est jugé sévèrement au nom de la lutte contre l’insécurité. En outre,
lorsque des troubles sociaux adviennent, comme ce fut le cas des émeutes de la faim dans
plusieurs pays africains au cours de l’année 2008, la justice est réactionnaire et exprime sa
mauvaise humeur face aux troubles sociaux. Et quand le trouble a une nature foncièrement
politique, la justice acquise à la cause du Président de la République devient simplement
vindicative. Les manifestations violentes à l’entame du combat pour la démocratie, les
revendications des victoires électorales, etc. en sont révélatrices.
Cette influence peut aussi être manifestement subjective, entre autres raisons, lorsque
certaines décisions de justice révèlent une connexité flagrante avec des échéances politiques.
Ainsi, en est-il des curieuses mises en accusation et condamnation des candidats à l’élection
présidentielle au Cameroun et en Guinée Conakry91. Tous les deux ont fini par bénéficier de
la grâce présidentielle.
L’habilitation à gracier fait donc du Président celui qui décide de manière souveraine
et absolue pour résoudre les cas les plus sensibles, y compris ceux qu’il aurait lui-même
orchestrés. Elle se rapporte alors au décisionnisme juridico-politique de Carl Schmitt. Le
décret de grâce paraissant hissé au-dessus de toute obligation normative n’est pas loin de
jaillir d’un néant normatif et d’un désordre concret92. Les actes de grâce semblent encore être
des actes de gouvernement par lesquels le Président de la République peut sauver la nation du
désastre. Cependant, l’institution judiciaire a intérêt la première à ce que le droit de grâce soit
reconnu au Président de la République. En effet, lorsque le doute persiste sur un jugement
rendu, quelle que soit sa qualité, ce modérateur des pouvoirs publics peut gracier pour ôter le
discrédit jeté sur elle93. Préservant l’image et le respect dus à la justice, la reconnaissance du
droit de grâce au Président de la République renforce plutôt la séparation des pouvoirs. En
dehors du pouvoir d’arbitrage, la légitimité de l’habilitation présidentielle peut être soutenue
sur la base du pouvoir d’exécution, propre à l’Exécutif dont il est le chef.
Les concepteurs de la séparation des pouvoirs ont attribué un rôle subalterne au
pouvoir exécutif. Cette conception traditionnelle a été repoussée par Hauriou qui parlait en
son temps de l’exécution des services et non des lois. L’Exécutif apparaît donc unanimement
dans ses différentes dimensions d’initiative, de conception, de prévision et enfin
d’exécution94. Il est le seul dépositaire de la contrainte étatique. Barthélémy résume cette
fonction en affirmant que c’est l’Exécutif qui saisit les biens, recouvre les amendes,
91
Il s’agit respectivement de Titus Edzoa et Alpha Condé.
92
C. MIGUEL, Notice sur « Décisionnisme », in D. ALLAND, S. RIALS, Dictionnaire de la culture juridique
précité, p. 348. Cet auteur indique bien que Carl Schmitt a fondé le décisionnisme comme théorie juridico-
politique autour de sa formule célèbre « est souverain celui qui décide sur l’état d’exception ». Et l’autorité ou la
souveraineté d’une telle décision ultime jaillissant d’un néant normatif et d’un désordre concret constitue la
source de tout droit.
93
Voir cette idée, que l’on partage, chez Pauline TÛRK, in « Le droit de grâce présidentiel à l’issue de la
révision du 23 juillet 2008 », op.cit., p. 521.
94
M. de VILLIERS, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Armand Colin, 5e éd. 2005, p. 179 ; O.
DUHAMEL, Y. MENY, Dictionnaire précité, p. 427 ; M. HAURIOU, Précis de droit administratif, 8e éd., pp.
9, 10.
15
emprisonne et tue95. La fonction exécutive emporte donc la mise en œuvre autant des lois que
des décisions de justice. L’article 44 de la Constitution ivoirienne du 23 juillet 2000 dispose à
juste titre que « le Président de la République assure l’exécution des lois et des décisions de
justice. » Au sein de l’Etat, l’Exécutif exécute les décisions de tous les pouvoirs et les siennes
propres.
Les négateurs de l’habilitation présidentielle ont soutenu que le droit de grâce ne
saurait être rattaché à l’exécution des lois parce qu’il empêche précisément la loi de
s’exécuter. Or, les mesures de grâce ressortissant à la police d’exécution des peines, au
regard des considérations d’ordre public qui y sont associées96. Pour autant, la grâce ne saurait
être regardée comme une révision de la décision de justice portant atteinte à la séparation des
pouvoirs, ainsi que Duguit et son courant l’ont prétendu. La décision prononcée par le juge
reste intacte, le Président ne revient ni sur ses visas, ni sur ses motifs, ni sur son dispositif ; il
ne confronte plus les parties et le décret de grâce n’obéit à aucune argumentation à caractère
syllogistique qui pèse sur le juge. L’habilitation présidentielle paraît clairement se rattacher à
son pouvoir suprême d’exécution des décisions de justice en matière répressive. Encore que
l’Exécutif n’a pas toujours été et n’est pas totalement étranger à la fonction de punir ; toutes
les matières contraventionnelles lui sont généralement attribuées.
Si la controverse autour de l’habilitation présidentielle à faire grâce peut se dénouer
par la justification de la légitimité de cette habilitation sur les plans théorique et pratique,
l’exercice de la grâce révèle des implications contrastées dans l’ordre constitutionnel.
Les incidences que peut avoir l’exercice de la grâce dans l’ordre constitutionnel d’un
Etat se résument dans la lecture que Montesquieu fait de la clémence. Au chapitre XXI du
Livre VI de son maitre ouvrage, il écrit:
Les monarques ont tant à gagner par la clémence ; elle est suivie de tant d’amour, ils
en tirent tant de gloire, que c’est presque toujours un bonheur pour eux d’avoir l’occasion de
l’exercer, et on le peut presque toujours en Afrique.On ne leur disputera peut-être que
quelques branches de l’autorité, presque jamais l’autorité entière, et si quelque fois ils
combattent, ils ne combattent point pour la vie.Quand la clémence a des dangers, ces dangers
sont très visibles. On la distingue aisément de cette faiblesse qui mène le prince au mépris, et
à l’impuissance même de punir97.Cette lecture correspond aux implications contrastées de
l’exercice de la grâce: altérer l’Etat de droit d’une part (A) et garantir la cohésion sociale de
l’autre (B).
95
J. BARTHELEMY, « Le droit de grâce », op. cit., p. 542.
96
J. JEANJEAN, « Le droit de grâce », op.cit., p. 153.
97
De l’esprit des lois, op. cit., pp. 222, 223.
16
Label du gouvernement moderne, l’Etat de droit s’appréhende sous un double angle :
formellement, il s’agit de l’Etat qui se fonde et se conforme en droit. Matériellement il s’agit
de l’Etat qui limite le pouvoir et garantit les droits de l’homme. A partir de 1765, dans son
maître ouvrage, Traité des délits et des peines98, Cesare Beccaria revendique l’abolition du
droit de grâce. Il estime que par son exercice, le prince sacrifie la sûreté publique à celle d’un
particulier et, en faisant preuve d’une bienveillance inconsidérée envers un individu, émettre
un décret général d’impunité99. Dans le même sens, Duguit avait estimé que l’exercice
fréquent du droit de grâce le prédispose et le soumet à l’arbitraire ; tandis que Constant
craignait le « hasard » ou le « caprice » avec lequel le pouvoir exécutif pouvait s’acquitter de
ce droit, risquant de devenir une « loterie de la mort »100. La grâce présidentielle est
aujourd’hui considérée comme une entorse à l’Etat de droit en ce qu’elle est insuffisamment
encadrée (1) et qu’elle attenue la règle de limitation du pouvoir (2).
Pour plusieurs raisons, le droit de grâce apparaît aujourd’hui comme une zone
d’ombre de l’Etat de droit. D’abord, son caractère personnel, signifiant qu’il ne peut être
délégué à une autre autorité étatique, n’est pas favorable à la dépersonnalisation du pouvoir
dans le contexte africain. Ici, l’institution présidentielle est affaiblie et personnalisée par des
hommes forts101. Ensuite, l’exercice discrétionnaire de ce droit et l’exclusion de tout recours
à cet effet altèrent le principe de juridicité. Le Président de la République exerce le droit de
grâce de manière discrétionnaire dans la mesure où étant obligé de prendre l’avis du Conseil
supérieur de la magistrature, il n’est pas tenu d’en suivre le sens. Il ne s’agit pas d’un avis
conforme mais d’un avis obligatoire qui a pour unique but d’éclairer dans sa décision 102 prise
en totale liberté de choix, sans avoir à rendre compte de ses motivations. La décision de
Jacques Chirac de gracier Guy Drut provoqua un tollé dans la classe politique française. On
l’accusait de mortifier la démocratie, de cultiver l’impunité et de décrédibiliser l’action
publique103. Reconnue juridiquement légale, cette mesure a été jugée politiquement
désastreuse et moralement injustifiée. Car il s’agissait d’un cadeau fait à un ami politique du
même bord104. Les Présidents français élus après Jacques Chirac se montrent alors défiants à
exercer leur droit de grâce105.
Si l’on crie encore à l’exercice arbitraire du droit de grâce en France, à plus forte
raison en Afrique noire francophone où les gouvernants s’inspirent et développent surtout
98
5e éd., 1765.
99
BECCARIA (C), Des délits et des peines, trad. fr. par M. Chevallier, GF Flammarion, Paris, 1991, XLVI,
p.177 et 178.
100
CONSTANT (B), Principes de politique applicables à tous les gouvernements, Paris, Hachette, 1997, pp.
169, 170.
101
Des hommes forts aux institutions faibles, telle est la seconde partie de la démonstration de Frédéric-Joël
AIVO dans son ouvrage Le président de la République en Afrique noire francophone, précité.
102
J. JEANJEAN, op. cit., p. 153.
103
http://www.lemonde.fr/societe/article/2006/05/25; http :www.lexpress.fr/ actualité/ politique/ grug.drut-
amnistie_458469html Sites consultés le 30/08/14.
104
http : //www.maître.colasfr/post/2006/05/26/352 Site consulté le 30/08/14.
105
C’est ce qu’atteste le refus du Président Nicolas Sarkozy de gracier le meurtrier Dany Leprince en 2012 et
celui du Président François Hollande de gracier l’homme politique Gaston Flosse en 2014.
17
des méthodes servant leurs intérêts au détriment tout ? L’on peut observer ici que certains
décrets de grâce au Togo, en dehors de la Constitution, ne se réfèrent à aucune loi, aucun avis
et se fondent uniquement sur la décision de condamnation106. Au Cameroun, si le décret de
grâce du 18 février 2014 vise la Constitution, la loi portant Code pénal et celle fixant
l’organisation et le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature, l’avis de cet
organe n’est nullement visé. Les chefs d’Etat d’Afrique noire francophone ne se sentent-ils
pas tenus de respecter ne serait-ce que les formes minimales qui entourent l’exercice de leur
pouvoir somme toute discrétionnaire ? Si tel est le cas des formes, le contenu n’est pas bien
meilleur, comme on le verra plus loin. Il est à craindre que la discrétion du pouvoir
présidentiel en matière de grâce et l’arbitraire dont il est teinté soient absolus. En effet, le
décret de grâce ou les décisions de refus de grâce ne sont encore susceptibles d’aucun recours
dans les Etats d’Afrique noire. Cette position qui jadis se fondait en France sur leur nature
d’acte de gouvernement ou d’acte de pure faveur est déjà abandonnée. Malgré une position
doctrinale différente107, les mesures de grâce sont en droit positif français des actes
juridictionnels de l’Administration, qui peuvent être contrôlés par le Juge judiciaire108.
Toujours à la différence de leur système juridique d’inspiration, les actes de grâce
demeurent régaliens et ne donnent lieu à aucune responsabilité politique, faute d’un
contreseing ministériel qui les soumettrait au contrôle politique du parlement 109. Ils sont
encore ici des mesures collectives alors que dans son essence, la grâce est une mesure
individuelle. Il y a longtemps qu’elle a été consacrée sous ce caractère en Espagne110. En
France, la réforme constitutionnelle de 2008 qui a pour objet la modernisation des
institutions a proscrit les grâces collectives afin de donner une vue plus transparente des
personnes qui ne bénéficient. Il s’en suit également une meilleure adéquation des mesures de
grâce à la situation particulière de chaque condamné.
Par ailleurs, il serait encore indiqué de mieux circonscrire le champ de la grâce en
déterminant les infractions éligibles ou exclues, comme l’impeachment aux Etats-Unis et le
terrorisme au Brésil. Les pays d’Afrique noire francophone excluent formellement certaines
infractions et catégories de délinquants. L’on note en général les évadés, les récidivistes, les
personnes condamnées pour corruption, concussion, favoritisme, torture, infraction à la
législation sur les armes, les stupéfiants, les devises, les forets, l’environnement, atteinte aux
mœurs, trafic d’enfants111. La particularité ici réside dans le fait que ces limitations sont
souvent discrétionnairement fixées par l’auteur de l’acte de grâce et figurent d’ailleurs sur
celui-ci, alors qu’elles auraient dû être légiférées ou même constitutionnalisées. Cette
autolimitation censée traduire l’attachement à l’Etat de droit des chefs d’Etat reste
d’efficacité douteuse. Au Cameroun par exemple, le décret du 18 février exclut du bénéfice
106
Décret n° 84-142 du 3 aout 1984 accordant une grâce individuelle à M. Foum Koku Elom; décret n° 84-143
du 3 aout 1984 accordant une grâce individuelle à M. Parbey Dovi ; décret n°87-14 du 18 février 1987 accordant
une grâce individuelle à M. Kouevi Ayitegan; décret n°87-15 du 18 février 1987 accordant une grâce
individuelle à M. Bati Komlan.
107
P. TURK, « La grâce présidentielle… », op.cit., p. 522.
108
CE, 2003, Observatoire international des prisons, RFDA 2003. 839.
109
Encore que pour Pauline Türk, tous les actes issus du pouvoir d’arbitrage n’étant pas soumis à contreseing, les
actes de grâce le sont contre toute logique. Voir P. TURK, « La grâce présidentielle… », op.cit., p. 524.
110
L’article 62 de la Constitution de 1978 dispose qu’ « il est interdit au roi d’accorder des grâces collectives »
111
Voir le décret du 18 février 2014 au Cameroun, le décret n°2011/531 du 8 août 2011 au Benin, le
Communiqué du Conseil des ministres extraordinaire du 20 septembre 2013 en Côte d’Ivoire.
18
de la grâce les personnes condamnées pour corruption et pour concussion mais son
application a conduit à la libération des auteurs de détournements de deniers publics. Or il est
difficile de dissocier ces deux infractions dans les faits112. Il se pose alors un problème de
cohérence dans la dispensation de la grâce au sein de l’Etat. Ce problème de cohérence se
pose aussi entre les Etats étudiés dont les législations et les pratiques juridiques sont censées
évoluer vers les mêmes principes modernes. Pendant que le Chef de l’Etat camerounais
exclut la corruption des infractions éligibles à la grâce, celui du Togo accorde la grâce à des
corrompus113 et détourneurs de deniers publics114. Là où les Chefs d’Etat tchadiens et équato-
guinéens accordent la grâce aux putschistes, celui du Bénin exclut formellement cette
possibilité115.
Cette institution devrait davantage être rationalisée ici et là, de manière à rendre son
utilisation judicieuse. En effet, la pratique des grâces fréquentes, collectives, prévisibles et
arbitraires amènerait à appréhender un désaveu permanent de la justice par le chef de l’Etat.
C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, la Cour suprême a été faite juge de la compétence et de la
validité de l’exercice du pouvoir présidentiel de grâce116. Même rigoureusement encadré et
mis en œuvre dans le respect des procédures, le droit de grâce reste potentiellement exposé
au détournement de pouvoir. Abusant de sa présomption d’autorité morale, le Chef de l’Etat
peut user de la grâce à des fins personnelles. Ce qui est de nature à atténuer la limitation du
pouvoir au sein de l’Etat.
112
Les actes de corruption et de concussion rentrant bien souvent dans les éléments matériels du détournement
des deniers publics.
113
Le décret n° 84-143 du 3 aout 1984 accorde une grâce individuelle à M. Parbey Dovi condamné « pour avoir
par promesses et dons, obtenu d’un représentant de l’administration publique des avantages et faveurs illicites ».
114
Le décret n°87-14 du 18 février 1987 accorde une grâce individuelle à M. Kouevi Ayitegan condamné « pour
avoir détourné 22.905.637 fcfa » alors directeur du Port autonome de Lomé; le décret n°87-15 du 18 février 1987
accorde une grâce individuelle à M. Bati Komlan, condamné « pour avoir sciemment recelé la somme de 75.000
fcfa provenant d’un détournement de deniers publics ».
115
Décret du 8 août 2011 précité.
116
E. ZOLLER, Droit constitutionnel, Paris, Puf, coll. « Droit fondamental », 1998, p. 442 ; aussi F. STONE,
Institutions fondamentales du droit des Etats-Unis, Paris, LGDJ, 1965, pp. 72, 73.
117
K. DODZI KOKOROKO, « L’idée de constitution en Afrique », Afrique contemporaine, 2012/2 n° 242, p.
117.
118
Il en est ainsi de la possibilité qu’un candidat revendiquant la victoire à l’élection présidentielle puisse prêter
serment par une lettre adressée à l’organe qui reçoit ce serment (ce fut le cas en Cote d’ivoire lors de la dernière
élection présidentielle); ou alors la faculté de l’adresser plus solennellement au peuple à partir d’une chaine de
télévision privée, en marge de la procédure en vigueur (ce fut le cas au Gabon lors de la dernière élection
présidentielle).
119
F. ROUVILLOIS, Droit constitutionnel, Paris, Flammarion, 3e éd. 2009, p. 186.
120
D. TURPIN, Droit constitutionnel, Paris, PUF, « Quadrige », 2e éd., 2007, pp. 388, 808.
19
françaises l’ont dénoncé, il ne manque pas de raisons de le faire en Afrique noire
francophone.
En exerçant son droit de grâce, le président de la République recherche et suscite
l’allégeance du peuple, des puissances étrangères et de la société internationale tout entière.
L’allégeance du peuple est recherchée quand on regarde les catégories de personnes souvent
graciées. En dehors des simples délinquants, l’on compte des hommes politiques, des
journalistes, des membres des groupes rebelles, etc. Le chef de l’Etat reçoit en retour la
fidélité, le soutien et la soumission des familles. Les journalistes auraient naturellement une
critique moins tranchante, les hommes politiques se montreraient plus pondérés et les groupes
rebelles baisseraient leurs armes pour aller à la négociation, ce qui peut avoir des retombées
électorales. La clémence peut aussi être motivée par l’image de libéral et non d’autoritaire que
le chef de l’Etat lui-même veut donner de sa personne soit à une puissance étrangère, soit
devant la société internationale, suite à des négociations ou à des pressions 121. Montesquieu
relevait donc à juste titre la grande côte d’amour que les monarques tirent de la clémence.
C’est précisément cela qui atténue l’exigence de limitation du pouvoir dans l’Etat de droit.
En effet, les manifestations de loyalisme à l’égard de la personne du prince 122 déjà
ancrées dans les mœurs des africains sont accentuées par les actes de grâce. La perception
paternaliste du chef de l’Etat123 se cristallise, favorisant une personnalisation du pouvoir124.
Barthélémy est ainsi fondé de dire que « ce pouvoir personnel est dangereux parce qu’il
oblige les proches du condamné à se prosterner devant le chef de l’Etat, devenant ses
nouveaux partisans ; de là peut naitre un péril pour l’ordre constitutionnel si ce chef nourrit
un dessein de dictature125. »
Cette situation est justement de nature à compliquer l’alternance souhaitable dans les
démocraties africaines; en l’occurrence là où la limitation des mandats a été levée 126.
En tant que transfert de rôles entre l’opposition qui accède au pouvoir et la majorité
qui entre dans l’opposition127, l’alternance révèle dans une certaine mesure128 la vitalité d’une
démocratie. Le Chef de l’Etat et ses partisans peuvent évoquer la grâce comme argument de
campagne et toucher la fibre émotionnelle des graciés, de leurs familles et de leurs proches,
moyen dont ne disposent pas les autres candidats. Autant les Chefs d’Etats africains ont
121
S’agissant des puissances étrangères en particulier, il a été rapporté qu’en marge du sommet de la
francophonie de Kinshasa en 2013, le président de la République française François Hollande a évoqué avec son
homologue Paul Biya du Cameroun, l’affaire du détenu Thierry-Michel Atangana, français d’origine
camerounaise ayant été condamné pour détournement de deniers publics. Quelques mois plus tard, il a été libéré
de sa peine par la grâce présidentielle du 18 février 2014.
122
F. J. AIVO, Le Président de la République en Afrique noire francophone, op.cit., p. 24.
123
G. CONAC, « Portrait du Chef d’Etat », Les pouvoirs africains, Pouvoirs n°25, avril 1983, p. 125.
124
G. TIXIER, " La personnalisation du pouvoir dans les Etats de l’Afrique de l’Ouest", RDP n° 6, 1965, pp
1129-1180.
125
J. BARTHELEMY, « Le droit de grâce », op.cit., p. 550.
126
A. LOADA, « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone », op.cit.,, pp. 139-
174.
127
M. de VILLIERS, Dictionnaire précité, p. 7 ; O. DUHAMEL, Y. MENY, Dictionnaire constitutionnel
précité, p. 26.
128
Les alternances systématiquement répétées traduisent un malaise du système démocratique. Les gouvernants
étant sanctionnés par le peuple à toutes les échéances électorales, il s’en suit une discontinuité politique. Voir en
ce sens, F. ROUVILLOIS, Droit constitutionnel, op.cit., p. 25.
20
souvent manipulé la justice pour écarter leurs adversaires de la compétition 129, autant il est à
craindre qu’ils accordent des grâces à la veille d’une élection ou entre les deux tours d’un
scrutin.
L’exercice de la grâce dans certains cas semble être une violation des devoirs d’un
Président de la République envers l’Etat. Par exemple, lorsqu’il gracie les auteurs d’atteintes
graves à la fortune publique, à l’autorité de l’Etat comme les rebelles jihadistes du Tchad et de
la Mauritanie, à la sûreté de l’Etat comme les putschistes de la Guinée Equatoriale, il parait
sacrifier la souveraineté de l’Etat qu’il incarne. Pour ce qui est tout particulièrement des
détourneurs de deniers publics, la grâce que les Chefs d’Etat leur accordent va à l’encontre du
patriotisme et du droit au développement affirmé par les Constitutions en référence à la
Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Et l’on perçoit ici les dangers visibles
de la clémence qui, selon Montesquieu, traduisent cette faiblesse qui mène le Prince au
mépris et à l’impuissance même de punir130. Pour François Ost, si le pardon est nécessaire, il
reste que sous peine de voir se déliter l’ordre social, on ne peut pousser la stratégie du pardon
au-delà d’un certain point131. Mais à la réalité, un œil renseigné y verrait moins un acte de
faiblesse du Chef de l’Etat que la recherche de soutien des puissances occidentales ; recherche
de soutien qui apparait comme une sagesse et une nécessité politique des chefs d’Etat
africains pour espérer gouverner sereinement et se maintenir éternellement.
Les incidences négatives de l’exercice du droit de grâce sur l’Etat de droit ne sauraient
cependant le réduire à une «obscure bonté tombée d’une étoile132.» Il s’affirme surtout en
Afrique noire francophone comme un moyen de restaurer la cohésion sociale.
21
grâce par le Président de la République participe assurément de la garantie de cette cohésion
sociale. Il contribue à la promotion de la tolérance républicaine (1) et à la consolidation de
l’unité nationale (2).
Norberto Bobbio s’étant appesanti sur l’utilité du droit relève l’émergence dans les
sociétés contemporaines de sa fonction promotionnelle à coté de celle répressive138. L’on
s’accorde alors avec cet auteur que le droit ne saurait se résumer à la prescription des
comportements et la sanction de leur irrespect. Par la promotion des valeurs qui le fondent et
des finalités qu’il poursuit, il s’épargnerait l’extremum de la punition et, à force de
sensibilisation et d’incitation, gagnerait tant en légitimité qu’en efficacité. L’exercice du droit
de grâce participe de cette démarche.
En Afrique noire francophone, plus qu’en occident, l’exercice du droit de grâce apparaît
comme un acte républicain du Chef de l’Etat, compte tenu de la situation particulière des
Etats. Ce sont des pays qui peinent à sortir des oripeaux de l’autoritarisme. Les régimes
politiques ont causé une fracture sociale criante entre une minorité opulente et une majorité
indigente, à telle enseigne que le modèle républicain se trouve menacé. Pourtant, la
République est un modèle de gouvernement et un symbole de l’Etat. Dans ce dernier aspect,
David Alcaud et Laurent Bouvet la perçoivent avant tout par ses composantes; ces êtres qui
choisissent de devenir citoyens c’est-à-dire, d’exploiter leur raison pour que leur action
individuelle, fondée sur l’intérêt commun, participe d’une société dans laquelle tous vivent
avec intensité le sentiment d’y appartenir en réaffirmant les valeurs communes face aux
identités particulières de plus en plus réactivée par les individus modernes139.
Les gouvernements arbitraires, la mauvaise insertion sociale et les exclusions remettent en
cause les valeurs républicaines. Les Chefs de l’Etat qui en ont une part de responsabilité, pour
ne pas dire de culpabilité, sont en quelque sorte poussés à la tolérance. L’acte de grâce vient
donc en réalité pardonner, en dehors des délinquants nés, ceux qui n’ont pas résisté à la
précarité du fait de leur absence ou de leur mauvaise insertion socio-professionnelle. Le
pardon étant apparu comme un vecteur de sécurité qui inclut la restauration de la confiance et
des relations au sein d’une société traversée par de dangereuses lignes de fracture140, ces actes
dégagent une forte charge du point de vue de la symbolique républicaine.
D’une part le Président paraît devoir privilégier l’intérêt commun qui est de parvenir à
une société dans laquelle tous vivent avec intensité le sentiment d’y appartenir. Il en infère
alors que la République a besoin de tous ses fils, sans exclusive, eussent-ils été plus ou moins
sujets à l’erreur. C’est au nom de la République, semble-t-il, que Barthélémy a considéré que
tous les assassins, les voleurs, les fraudeurs, les escrocs lui appartiennent, non pas pour qu’il
138
V. CHAMPEIL-DESPLATS, Notice sur « Norberto BOBBIO », in O. CAYLA, J. L. HALPERIN (dir.),
Dictionnaire des grandes œuvres juridiques, Paris, Dalloz, 2010, p. 66.
139
Dictionnaire de sciences politiques et sociales, Paris, Dalloz, 2004, pp. 313, 314.
140
W. BOLLE, D. CHRISTIANSEN, R. HENNEMEYER, Le pardon en politique internationale. Un autre
chemin vers la paix, Washington DC, United States Conference of Catholic Bishops, 2004, Paris, Nouveaux
horizons, 2007, p. 194 ; aussi K. AHADZI NONOU, « Réflexions sur les Commissions Vérité-Réconciliation »,
in Espaces du service public, Mélanges en l’honneur de Jean du Bois de Gaudusson, Pub, 2013, pp. 35, 39.
22
les juge, mais pour qu’il les sauve141. Le caractère social de la République préconise le
renforcement des liens sociaux là où ils se sont relâchés. En accordant la grâce, le Président
de la République épargne la souffrance à des personnes dont certaines avaient mal agi à cause
de la misère matérielle, intellectuelle ou morale, d’autres innocentes; il sauve des avenirs et
même des vies. D’autre part, il est possible que la grâce présidentielle soit plutôt une sorte de
mea culpa de l’Etat pour ses manquements vis-à-vis des citoyens et notamment ceux qui se
sont égarés. Le décret de grâce du Président de la République camerounaise du 19 mai 2008
en faveur de nombreux jeunes ayant participé aux émeutes de la faim au mois de février de la
même année correspond à cette lecture. Il en est de même pour celui de septembre 2013 qui
accorde la grâce à 3000 détenus en Côte d’Ivoire142.
Le Président de la République peut aussi user de son droit de grâce dans sa fonction
républicaine d’outil de politique criminelle. En tant que tel, la grâce permet d’éviter aux
délinquants primaires une incarcération de courte durée143, connaissant la capacité du milieu
carcéral à endurcir même les délinquants occasionnels. La grâce est aussi un moyen de
décongestion des prisons dans les pays africains. A la réalité, l’Etat ne parvient plus à assurer
l’exécution des peines dans les normes requises. La grâce arrive donc comme un expédient
pour voiler une défaillance du régime. La tolérance du Président de la République n’est pas
seulement fondée sur des considérations de socialité de la république, elle se réclame aussi de
son caractère démocratique.
Par son principe fondamental du pluralisme, la démocratie admet l’expression des
différences d’idées et de choix. Il y a donc un soubassement de la tolérance dans toute société
démocratique; elle en est une composante essentielle144. En accordant la grâce à un homme
politique145 qui peut lui faire concurrence, ou à un journaliste146 qui peut continuer à le
critiquer147, le Président de la République fait preuve de tolérance politique. Il montre qu’il
n’est pas totalement opposé à la confrontation des idées, et à la compétition démocratique,
qu’on peut oser le contrarier sans punition inexcusable148. Même du simple point de vue
symbolique de tels actes de grâce recèlent une valeur certaine. Par ceux-ci, le Président de la
République interpelle à un esprit nouveau de culture démocratique à même de renoncer aux
reflexes de consensus ou d’unanimisme politique qui aujourd’hui cachent mal la domination
141
J. BARTHELEMY, « Le droit de grâce », op.cit., p. 550.
142
Comme explique bien le Ministre de la Communication, « il s’agit d’une catégorie de condamnés…dont les
infractions ont été commises par exemple du fait de la précarité ou de la vulnérabilité de l’auteur ». Voir
Communiqué de presse précité.
143
S. FOURNIER, Notice sur « Armistice et grâce » in D. ALLAND, S. RIALIS, Dictionnaire précité p. 48.
144
X. BIOY, B. LAVERGNE, M. SZTULMAN, La tolérance et le droit, Paris, Lextenso, 2014, 176 p.
145
Malick Noël Seck, responsable du parti politique Convergence Socialiste avait été condamné le 20 octobre
2011 à 2 ans de prison ferme pour outrage et menaces de mort, pour avoir adressé une lettre au Conseil
constitutionnel demandant à ses juges de ne pas valider la candidature du Président Abdoulaye Wade à
l’élection présidentielle du 26 février 2012. Le 11 janvier 2012, il a bénéficié de la grâce de ce dernier. Cf.
www.jeuneafrique.com Site consulté le 7 septembre 2014.
146
Wakili Alafé, Directeur de publication du quotidien ivoirien l’Intelligent d’Abidjan condamné pour faux et
usage de faux, a été gracié en décembre 2008 par le Président Laurent Gbagbo. www.jeuneafrique.com Site
consulté le 7 septembre 2014.
147
Bien qu’il faille souligner ici que la Cour européenne des droits de l’homme avait jugé que le droit de grâce
ne présente pas la garantie d’un adoucissement des dispositions pénales trop sévères à l’égard de la liberté
d’expression des journalistes en Roumanie. Cf. CEDH, Mazarec/Roumanie, 2004.
148
On réduit ici la portée de l’affirmation du professeurAIVO selonlaquelle il est établi en Afrique noire
francophone qu’on ne contrarie pas impunément le Président de la République.
23
déguisée de quelques-uns qui s’accaparent la majeure partie des biens publics sur les
nombreux autres citoyens qui se trouvent exclus et s’auto excluent davantage de la vie
politique149. L’exercice du droit de grâce par le Président de la République garantit donc la
cohésion sociale en ce qu’il répond à un sentiment trivial, mais puissant de tolérance
républicaine. Et comme déclare le préambule de la Charte de la transition en
Centrafrique, « seuls la tolérance et le dialogue constituent le socle de la paix et de l’unité
nationale. »
De manière plus patente, l’exercice du droit de grâce est souvent pour le Président de
la République une ressource pour consolider l’unité nationale. Bien plus qu’une clause de
style, l’unité nationale est une nécessité politique impérieuse en Afrique 150. En effet, comme
note le professeur Hugues Portelli, les Etats aux frontières héritées des découpages
administratifs réalisés par les puissances coloniales ne s’enracinent souvent sur aucune réalité
nationale ou ethnique. Ces découpages arbitraires multiplient les problèmes de minorités qui
seront le prétexte de conflits et revendications151. Ceci explique, poursuit-il, que les détenteurs
du pouvoir aient souvent tenté de substituer à la nation défaillante l’unanimisme forcé des
régimes militaires ou du parti unique152. Les Etats africains ont été créés en sens inverse de la
logique nationale. Encore multiethniques, ils demeurent déchirés par des revendications
identitaires, minoritaires et politiques. Ces mouvements de déstabilisation ajoutés aux conflits
autour du pouvoir deviennent chroniques. Or, le temps présent n’est plus celui des régimes
militaires ou du parti unique. La marche vers l’Etat de droit est irréversible pour se frayer et
maintenir une place honorable parmi les sociétés politiques modernes. Et l’unité nationale est
un choix constitutionnel impératif. Toutes les constitutions d’Afrique noire francophone ont à
ce jour adopté la forme unitaire de l’Etat, et déclarent son indivisibilité.
Si, comme on l’a déploré, le Président de la République en vient souvent à gracier des
personnes portant atteinte à l’autorité de l’Etat, c’est dans le but de rechercher l’apaisement
politique qui est la pré-condition à la construction de l’unité nationale. Au lieu de laisser que
la justice s’accomplisse jusqu’au bout, le Président de la République fait preuve de réalisme
politique en privilégiant la valeur supérieure à préserver, à savoir bâtir une nation en
renforçant la symbiose de sa mosaïque d’ethnies dans la solidarité. L’acte de grâce a une
fonction de pardon qui, dans ce cas spécifique, prend la signification d’un appel à la
réconciliation. Le chef de l’Etat fait table rase, quel que soit la gravité des actes posés, afin de
convier tous ses compatriotes à repartir ensemble sur les pas de l’unité nationale. Le code de
procédure pénal camerounais prescrit d’ailleurs la garantie conjointe de la concorde
149
Voir notre étude intitulée « Réflexions sur la dérive d’un sacro-saint principe : la souveraineté du peuple à
l’épreuve des élections au cameroun », Juridis périodique n° 88, octobre-novembre 2011, pp. 91-109.
150
Voir en ce sens A. KONTCHOU KOUOMEGNI, « Le droit public camerounais, instrument de la
construction de l’unité nationale », RJPIC n°4, oct-nov-déc. 1979, pp. 415-441.
151
Voir Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 9e éd., 2011, p. 11. C’est d’ailleurs selon lui ce qui a été à l’origine
de la seconde guerre mondiale.
152
Idem.
24
nationale153 par les autorités exécutive et judiciaire154. C’est donc à juste titre que Ruiz Fabri
lui reconnaît la fonction instrumentale et symbolique que les mesures correctrices du droit
pénal n’ont pas, à savoir promouvoir l’unité nationale et l’apaisement politique de la
société155. La grâce complète accordée à son prédécesseur Nixon par le président américain
Gerald Ford, celle accordée aux généraux putschistes par le général De Gaulle au sortir de la
guerre d’Algérie ou celle du Président Georges Pompidou à Paul Touvier répondent à ces
considérations. L’Afrique noire francophone offre un exemple récent à cet égard. C’est le
pardon accordé le 14 mai 2014 par le Président béninois Boni Yayi à Patrice Talon, Olivier
Bocco et six autres détenus pour avoir tenté de l’empoisonner en octobre 2012 et attenté à la
sûreté de l’Etat en février 2013. Le Chef de l’Etat indique bien dans sa Déclaration télévisée
qu’il accorde ce pardon dans l’intérêt supérieur du pays, et invite tous les bénéficiaires à
travailler pour la construction de la patrie156.
Les grandes solennités nationales souvent choisies pour exercer la grâce sont autant
de moments de mémoire qui tissent la fibre nationale sur laquelle repose l’unité politique de
l’Etat. Unité qui permet de mobiliser toutes les forces vives sur les chantiers du
développement. Enfin, l’instabilité politique ayant toujours fourni une excuse à ces tares,
l’apaisement politique et social qui accompagne l’unité nationale rendrait inopérante les
excuses trouvées à la violation des droits de l’homme, puis au retard de la démocratie et de
l’Etat de droit.
CONCLUSION
Au demeurant, s’il est vrai que le Droit est principalement un ordre de contrainte, il
n’est pas mensonger qu’en toute civilisation juridiquement épanouie, il porte « le cachet de la
tendresse paternelle et […] les marques sensibles de la bienveillance qui l’a édicté 157.» La
grâce en est l’une158 des traductions majeures. L’analyse qui précède fait ressortir que
l’habilitation du Président de la République à faire grâce est mal perçue et les implications de
son exercice sont mal reçues. Une vérification de la pertinence théorique des griefs portés à
son encontre et la prise en compte de l’utilité pratique de l’institution, plus particulièrement en
Afrique noire francophone, appellent une conclusion optimiste. Le droit de grâce est un droit
subjectif, distingué de la compétence, en ce qu’il n’emporte pas la double obligation d’action
153
Expression employée dans l’exposé des motifs de la loi n° 2005/007 du 27 juillet portant Code de procédure
pénale.
154
Aux termes de son article 64 « le procureur général près une cour d’appel peut, sur autorisation écrite du
ministre chargé de la justice, requérir par écrit puis oralement, l’arrêt des poursuites pénales à tout stade de la
procédure avant l’intervention d’une décision au fond, lorsque ces poursuites sont de nature à compromettre
l’intérêt social ou la paix publique ».
155
Ruiz FABRI cité par K.NERI, « Le pardon et l’Etat. Etude de droit public », op.cit., p. 1309.
156
http://www.lanouvelletribune.info/index.php/actualite/une/19463-urgent-benin-boni-yayi-pardonne-patrice-
talon-et-consorts-dans-l-affaire-empoisonnement Site consulté le 19 décembre 2014.
157
J. BENTHAM, Traité de la législation civile et pénale, Paris, Dumont, 1820, t. 3, p. 397. L’on a substitué le
terme loi qu’emploie l’auteur à celui de Droit.
158
L’on peut citer d’autres excuses légales comme l’amnistie, la prescription, l’état de nécessité, les gains de
survie, le classement sans suite, les circonstances atténuantes, le sursis, etc.
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et de subordination normative159. S’abstenir de l’exercer n’entraîne ni sanction, ni
réclamation. La contrainte juridique n’est que faiblement prévue, privant d’efficacité tout
contrôle existant. Les systèmes juridiques se contentent alors de l’éventualité de ce contrôle,
comme en France, quand ils ne l’ignorent pas tout simplement, comme dans les pays
d’Afrique noire francophone. Cette situation soulève des dénonciations bien comprises, mais
avérées excessives. Ce déficit de subordination normative est caractéristique du décisionnisme
juridico-politique. Se préoccupant ici de l’intérêt individuel avant l’ordre social160, ce
décisionnisme apparaît comme une garantie suprême de la dignité humaine en l’absence de
tout droit161.
L’on tend à réduire l’exercice du droit de grâce à une équation politique personnelle
ou partisane du chef de l’Etat162. Les auteurs déplorent que les pardons juridiques ne soient
jamais désintéressés, dès lors que s’y glisse une certaine dose de calculs politiques 163 ;
politique où la ligne droite n’est pas toujours le chemin le plus court pour aller d’un point à un
autre164. Le Président de la République fait donc tomber dans les prisons une pluie de bonté,
au détriment de la chose jugée, pour affermir son pouvoir et l’étendre dans la durée. Il y a là
un détournement de pouvoir par lequel l’autorité de la justice est infléchie et l’impunité
promue. Ceci ferait même craindre une résurgence de la vengeance privée dont l’Etat serait
responsable.
Mais à y voir de plus près, par rapport aux assemblées, aux juridictions et aux
peuples, l’attribution du droit de grâce au Président de la République est le choix
constitutionnel le plus rationnel. Car il est le premier représentant de l’Etat et l’arbitre neutre
des institutions. Cette neutralité étant garantie par le caractère indisponible du droit de grâce.
A l’instar du droit de propriété administrative, il n’est principalement exercé que dans l’intérêt
de la société et nullement dans celui personnel de son titulaire. Les abus dénoncés restent
marginaux. Si l’Etat de droit se trouve toutefois entaché, c’est que la clémence ne doit jamais
être forcée ; elle n’existe pleinement que si elle est à la discrétion de celui qui l’accorde. Les
dangers que présente le droit de grâce pour la République ne sauraient l’emporter sur ses
atouts inestimables dans la garantie des valeurs républicaines. Il renforce à bien des égards la
séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice qu’on lui reproche de remettre en
cause.
Le décryptage du droit de grâce fait apparaître que le droit constitutionnel oscille
entre les deux pôles mis en lumière par les professeurs Louis Favoreu et Dimitri Georges
159
V. DUFAU, Les sujétions exorbitantes du droit commun en droit administratif. L’administration sous la
contrainte, Paris, L’Harmattan, 2000, pp. 337 sq. ; aussi J. RIVERO, « Existe-t-il un critère du droit
administratif ? », RDP, 1954, pp. 279 sq.
160
C’est la démarche inverse qui est reconnue, les nécessités de l’ordre public justifiant d’ailleurs des restrictions
aux droits et libertés.
161
A ce jour le droit d’être gracié n’est consacré par aucun texte, bien que la Cour Européenne des Droits de
l’Homme semble avoir implicitement reconnu en 2002 un droit à la grâce médicale aux personnes en mauvais
état de santé, estimant que leur détention est un traitement contraire à l’article 3 de la Convention Européenne
des Droits de l’Homme. Voir CEDH, Affaire Marisel c/ France.
162
F. OST, « Mémoire et pardon, promesse et remise en question. La déclinaison éthique des temps juridiques »,
www.leagaltheory.net, pp. 29, 30.
163
OST (F), « Mémoire et pardon, promesse et remise en question. La déclinaison éthique des temps
juridiques », www.leagaltheory.net, pp. 1-40, spéc. pp. 29 et 30.
164
BARTHELEMY (J), « Le droit de grâce », op. cit., p. 553.
26
Lavroff. En temps normal, la politique est saisie par le droit 165, et, lorsque les circonstances
l’exigent, le droit est saisi par la politique166. Si le droit de grâce s’inscrit dans la dernière
hypothèse, l’intention est non pas de remettre en cause les avancées du constitutionnalisme
mais plutôt de sauvegarder les aspirations fondamentales des Etats face à des menaces
avérées, ou d’accorder à certains citoyens la bienveillance et la bienfaisance qui fondent chez
Aristote cette forme de justice supérieure qu’est l’équité167. La suppression du droit de grâce
dans l’espace étudié pourrait acheminer aux gouvernements qui ne pardonnent pas et à qui on
ne pardonne jamais. Pour une paix durable, la justice doit être complétée par le pardon, dont
l’assise spirituelle et la vertu transcendante guérissent les blessures et rétablissent en
profondeur les relations humaines et sociales brisées168.
165
L. FAVOREU, La politique saisie par le droit : alternance, cohabitation et le Conseil constitutionnel, Paris,
Economica, 1988.
166
D. G. LAVROFF, « Le droit saisi par la politique : l’instabilité de la norme constitutionnelle sous la Ve
République », Politeia n° 25, 2014, pp. 23-46.
167
A.BRIMO, Les grands courants de la philosophie du droit et de l’Etat, Paris, Pedone, 1978, p. 35.
168
Voir le Message du Pape Jean Paul II à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la paix, 1 er
janvier 2002 ; aussi W. BOLLE, D. CHRISTIANSEN, R. HENNEMEYER, Le pardon en politique
internationale. Un autre chemin…,op. cit., passim.
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