18 Les Mots Du Plaisir Eric Cobast

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C O L L E C T I O N L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

CAHIERS MÉTHODOLOGIQUES POUR LES CLASSES PRÉPARATOIRES AUX GRANDES ÉCOLES DE COMMERCE

LES LEXIQUES
D E L’ I N S E E C
Les « Lexiques de l’INSEEC » viennent compléter le dispo-
sitif conçu au service des étudiants initié par « Les Mémen-
tos ». Ils ont été rédigés par une équipe de professeurs des
Classes Préparatoires et des Grandes Écoles, particulière-
Les mots…
du Plaisir
ment sensibles aux difficultés rencontrées par les candidats.
C O L L E C T I O N D I R I G É E PA R L’ambition de ces « Lexiques » n’est pas évidemment de se
ERIC COBAST substituer d’une manière ou d’une autre aux cours annuels
mais de proposer tout simplement des instruments effi-
caces pour réussir les concours.

Collection Les Lexiques de l’INSEEC 2012-2013


N° 15 : Lexique de Géopolitique par Eric Cobast
N° 16 : Lexique d’Anglais
N° 17 : Formulaire de Mathématique (voie S)
N° 18 : Les mots... du Plaisir

LE XIQ UE N° 1 8
COLLECTION DIRIGÉE PAR
ERIC COBAST

INSEEC
Secrétariat de la Collection Les Lexiques
H16 – quai de Bacalan – CS 9104
33 300 Bordeaux
Tél. : 05 56 01 77 26
Les mots…
du Plaisir

Par Eric Cobast


Professeur agrégé de l’Université
Professeur Associé à l’École Nationale de la Magistrature
et à l’École Nationale Supérieure des Officiers de Police
Conseiller Scientifique de la Division Prépas & Santé
du Groupe INSEEC

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L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

Sommaire
Du bon usage d’un lexique ....................................................... 3

Introduction : Le Plaisir… d’un mot ........................................ 4

Première Partie : Tout en nuances… ....................................... 6

Deuxième partie : Les Maux du Plaisir ................................. 14

Troisième Partie : Les noms propres du Plaisir .................... 23

Bibliographie .......................................................................... 29

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Du bon usage d’un lexique
« Définir », c’est toujours ce par quoi commence le Socrate que Platon met en
scène dans ses dialogues.
Sans délimiter avec précision le sens des mots, comment s’entendre ? Sans
débuter par cet accord contractuel sur le langage, comment parvenir à penser
ensemble ? À dialoguer enfin ?
Or rien n’est moins simple. Circonscrire la surface sémantique d’une notion
réclame souvent bien davantage qu’un simple dictionnaire. Il faut aller
certes à l’usage mais aussi à la source même de la formation du terme. Or si
l’étymologie ne dit pas nécessairement – et contrairement à ce qu’elle annonce
– la vérité d’un mot, elle en indique la pente, elle en découvre « l’arrière-goût »
souvent indispensable à l’appréciation connotative.
Bref, il est utile de maîtriser le sens des mots du champ notionnel dans lequel
on travaille, ne serait-ce que pour analyser correctement les énoncés des sujets
proposés, cerner avec justesse les enjeux des textes dont la lecture et l’étude
sont conseillées, pour argumenter enfin sans craindre l’imprécision. Cela passe
nécessairement par une étude lexicale et notionnelle à l’occasion de laquelle
on peut déjà suggérer une mise-en-problème, un début de questionnement, un
commencement de réflexion.
C’est dire que chacune des entrées proposées est conçue à la fois comme
une définition précise de la notion citée et comme un premier exercice de
problématisation. On trouvera souvent également en appui une citation qui
amorce une première argumentation.
L’ambition de ce petit lexique est donc de fournir des informations nécessaires
mais aussi d’inciter déjà à la réflexion, d’apporter les définitions attendues mais
également de surprendre parfois à l’occasion d’une entrée plus originale.

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Introduction :
Le Plaisir… d’un mot
Il y a quelques années déjà le programme du Concours portait sur « Le Bon-
heur » et le sujet proposé par HEC était formulé en ces termes : « Du Bonheur,
il n’y a rien à dire ». C’était mettre le doigt sur la difficulté à représenter ce
bonheur, à le traduire, voire le communiquer ou le transmettre. Kant, de fait, le
considérait comme un idéal, non de la raison mais de l’imagination. Il y voyait
un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être
heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que
véritablement il désire et il veut. Du plaisir en va-t-il de même ? Car si Bonheur
et Plaisir se laissent depuis l’Antiquité définir l’un par l’autre, se distinguant
évidemment l’un de l’autre pour mieux s’opposer l’un à l’autre. Ainsi L’Ency-
clopédie de Diderot et D’Alembert commence par définir le Bonheur pour finir
par le confronter au Plaisir : Le Bonheur est un état, une situation telle qu’on
en désirerait la durée sans changement ; et en cela le bonheur est différent du
plaisir qui n’est qu’un sentiment agréable, mais court et passager, et qui ne
peut jamais être un état. Le Bonheur aurait bien plutôt le privilège de pouvoir
en être un. Le Plaisir serait-il l’expérience dégradée, parce qu’éphémère, d’un
Bonheur par définition pérenne ? Une expérience tout aussi ineffable ?
Retour à la définition du mot… Comme souvent, il y a des saveurs inattendues.
Dans un premier temps, tout simplement et assez communément les diction-
naires relaient : « Mouvement agréable excité dans l’âme par une impression
physique ou morale. ». La terminologie désuète masque plus qu’elle ne dévoile
vraiment le sens du mot : qu’est-ce qu’un « mouvement » de l’âme ? « Excité »
qui plus est ? Ce que l’on peut néanmoins retenir de cette définition héritée du
Littré, c’est que le « plaisir » compte parmi les « affects ».
Ce dernier terme très précisément associe « l’âme et le corps ». C’est dire que
par « affect », il faut entendre un « effet » que produit dans l’esprit une sensa-
tion, une information captée par le corps. Si je suis affecté par la chaleur, la
sensation de chaleur agit sur ma volonté, mon « moral », ou plus vaguement
encore mon état d’esprit. Au nombre des « affects » les mieux cernés : les pas-
sions, les sentiments, les émotions. La peur est un « affect » : un objet extérieur
« affecte » l’imagination, la vie psychique du sujet. Voilà donc qui a de quoi
surprendre celui qui réduirait le plaisir à une simple sensation agréable (ou
alors il vaut mieux définir le sens du mot « agréable », voir à cet effet le mot
« agrément », la toute première entrée de notre lexique.). De fait, si le plaisir

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est bien un affect sans représentation, il ne suppose pas moins une véritable
approbation de l’esprit. La sensation de plaisir est non seulement une sensa-
tion identifiée par l’esprit mais aussi une sensation que l’esprit juge bénéfique.
Ainsi le plaisir apparaît-il comme un sentiment complexe : éprouver du plai-
sir, ce n’est pas seulement être satisfait, trouver comment combler le manque
révélé par le besoin. « Avec plaisir » dit-on pour souligner un assentiment,
« pour le plaisir » glisse-t-on à la faveur d’un divertissement, de l’exercice d’un
acte gratuit, « tu me feras le plaisir de bien vouloir accepter » marque une
volonté qui naguère s’exprimait avec le « bon plaisir » royal. Bref, toutes ces
expressions lexicalisées convergent. Le plaisir n’est pas la simple plénitude,
c’est aussi ce que Spinoza nomme une conscience approbative de la vie, c’est
davantage qu’une satiété : un appétit.
C’est aussi ce qui inspire Montesquieu, dans l’Essai sur le goût (1757) qui
associe « plaisir » et « goût ». Ce dernier mot est riche en effet de significations.
S’il désigne avant tout l’un des cinq sens, il exprime aussi une inclination, une
tendance, voire une préférence :
Dans notre manière d’être actuelle, notre âme goûte trois sortes de plaisirs : il
y en a qu’elle tire du fond de son existence même ; d’autres qui résultent de son
union avec le corps ; d’autres enfin qui sont fondés sur les plis et les préjugés
que de certaines institutions, de certains usages, de certaines habitudes, lui
ont fait prendre.
Ce sont ces différents plaisirs de notre âme qui forment les objets du goût,
comme le beau, le bon, l’agréable, le naïf, le délicat, le tendre, le gracieux, le je
ne sais quoi, le noble, le grand, le sublime, les majestueux, etc. Par exemple,
lorsque nous trouvons du plaisir à voir une chose avec une utilité pour nous,
nous disons qu’elle est bonne ; lorsque nous trouvons du plaisir à la voir, sans
que nous y démêlions une utilité présente, nous l’appelons belle [1].
Les sources du beau, du bon, de l’agréable, etc., sont donc dans nous-mêmes ;
et en chercher les raisons, c’est chercher les causes des plaisirs de notre âme.
Examinons donc notre âme, étudions-la dans ses actions et dans ses passions,
cherchons-la dans ses plaisirs ; c’est là où elle se manifeste davantage. La poé-
sie, la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, la danse, les différentes
sortes de jeux, enfin les ouvrages de la nature et de l’art peuvent lui donner du
plaisir : voyons pourquoi, comment et quand ils le lui donnent ; rendons raison
de nos sentiments : cela pourra contribuer à nous former le goût, qui n’est autre
chose que l’avantage de découvrir avec finesse et avec promptitude la mesure
du plaisir que chaque chose doit donner aux hommes.

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Première Partie :
Tout en nuances…
Notre vocabulaire est riche de mots qui expriment la satisfaction à des degrés
divers et selon des modalités très différentes. De quoi rendre finalement opti-
miste. Notre culture n’est pas si pessimiste que cela, moins « mélancolique »
que ne le suggère tel ou tel idéologue embusqué. Mais de quoi rendre égale-
ment prudent le lecteur d’un sujet de dissertation. Il y a des nuances à déga-
ger qui souvent donnent accès au problème soulevé par l’énoncé.

Agrément :
Le mot appartient à la famille de l’adjectif « agréable » et l’on pense sou-
vent alors aux « arts d’agrément » et à l’usage du verbe « agrémenter ». Mais
il ne faut pas oublier « agréer » qui enrichit considérablement l’analyse du
mot. En effet, « agréer » c’est recevoir, accepter. On connaît tous la formule
de politesse consacrée : « Veuillez agréer l’expression de mes sentiments les
meilleurs ». Recevoir un « agrément », c’est recevoir l’accord des autorités
compétentes pour entreprendre. Si le plaisir relève de l’agrément, c’est donc
qu’il n’est pas seulement l’identification de ce qui est agréable, il est aussi
disposition positive, aptitude à recevoir, assentiment, reconnaissance, dans
tous les sens de ce mot.

Apathie :
C’est littéralement l’absence de souffrance et ce qui constitue l’expression du
bonheur stoïcien. Le mot n’a donc à l’origine aucune des connotations péjora-
tives que nous lui connaissons à présent.

Aphasie :
C’est l’absence de parole, autre idéal, surprenant celui-ci, des sceptiques. Ce
qui fait souffrir, c’est la fausseté du jugement qui procède de l’inadéquation
des mots aux choses, aussi faut-il se taire pour être heureux. Le bonheur, c’est
de ne rien dire. On devine une question facétieuse : si le bonheur est silen-
cieux, le plaisir doit-il être bruyant ?

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Appas :
Ce sont les attraits, les charmes, souvent très concrets qui par métonymie
désignent dans la littérature galante les parties du corps qui fixent le désir. Le
terme s’emploie alors toujours au pluriel. Mais le singulier révèle qu’il vient
de « pâture » qui nous reconduit à l’expression d’un plaisir gastronomique.

Aponie :
Traduction phonétique du mot grec utilisé pour désigner l’absence de peine,
de souffrance. Le terme est en usage chez les épicuriens.

Ataraxie :
Absence de trouble. L’image utilisée est celle de la mer calme, sans vague en
surface. Une mer huileuse. On aura noté que le bonheur des stoïciens, des épi-
curiens et des sceptiques se dit de manière négative ou plus précisément sur
le mode de la privation, renvoyant ainsi à ce que n’est pas le bonheur, plutôt
qu’à ce qu’il est.

Béatitude :
Il s’agit de l’état de celui qui est « beatus », c’est-à-dire comblé de biens. C’est
un état de satisfaction totale qui se distingue du bonheur en ce qu’il n’est
jamais accidentel. De fait, on pourra évoquer un « bonheur passager », pas une
béatitude fugace. Il s’agit de la félicité parfaite dont jouissent les élus auprès
de Dieu. C’est le bonheur promis dans l’au-delà. Le sens est religieux.

Bonheur :
Étymologiquement : la bonne chance. Mais c’est surtout un état de satisfaction
complète, spécifiquement humain contrairement au plaisir qui semble être
partagé avec les animaux (voir « ronronnement » puis « grognement »).

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L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

Charme :
Chant magique, enchantement et par métaphore l’attrait qu’exerce une personne
sur son entourage. De ce point de vue, le compliment, lorsqu’il est formulé, ne laisse
pas d’être ambigu. Dire en effet de quelqu’un qu’il a du charme, c’est évidemment
reconnaître l’attirance qu’il exerce mais c’est aussi avouer que celle-ci n’est pas
« naturelle », que rien ne l’explique, qu’elle est « incompréhensible ». Dans le même
champ lexical, et révélant une même ambiguïté, le mot « envoûtement » est lourd
d’implicites. De fait, tout le vocabulaire de la Magie et de la Sorcellerie – « ensorce-
lant » – est fréquemment sollicité par ces métaphores qui expriment plus ou moins
consciemment que le plaisir est subi, qu’il n’est pas voulu et que l’attachement que
l’on avoue ne saurait être que le résultat d’une entreprise de « détournement ».
On n’est plus très loin des ambivalences de la « séduction ». Dans tous les cas, le
« charme » ou la « grâce » disent la difficulté même de les nommer :
Il y a quelquefois, dans les personnes ou dans les choses, un charme invisible,
une grâce naturelle, qu’on n’a pu définir, et qu’on a été forcé d’appeler le « je ne
sais quoi ». Il me semble que c’est un effet principalement fondé sur la surprise.
Nous sommes touchés de ce qu’une personne nous plaît plus qu’elle ne nous a
paru d’abord devoir nous plaire, et nous sommes agréablement surpris de ce
qu’elle a su vaincre des défauts que nos yeux nous montrent, et que le cœur ne
croit plus. Voilà pourquoi les femmes laides ont très souvent des grâces, et qu’il
est rare que les belles en aient. Montesquieu, Essai sur le goût.

Contentement :
Pleine satisfaction des biens dont on dispose.

Corps :
Le destin du Plaisir est lié à celui du Corps, ou plus exactement, l’importance
et l’attention accordées au Plaisir dans une culture déterminée dépend de la
valeur donnée au Corps. De fait, la condamnation de l’hédonisme, la dévalua-
tion des plaisirs sensibles sont évidemment corrélées au dénigrement dont
fait l’objet le corps, jugé honteux, défaillant, faible, dans le seul but d’assurer,
par contrepoint la promotion de « l’esprit ».
C’est sur cette imposture idéaliste qu’a prospéré, dit Nietzsche, notre culture
depuis l’Antiquité : Il y a plus de raison dans ton corps que dans l’essence
même de ta sagesse. Tout système philosophique où le corps de l’homme ne joue
pas un rôle fondamental, est inepte, inapte.

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Délectation :
Plaisir que l’on savoure. C’est ainsi le plaisir que l’on prend à faire quelque
chose, à envisager de faire quelque chose.
Se délecter, c’est donc aussi anticiper sur le plaisir.

Délicatesse :
Hume évoque la délicatesse du goût et il la définit comme une plus grande
sensibilité. La délicatesse est donc bien à rechercher du côté du raffinement,
de la subtilité, de l’élégance et de la finesse. Mais elle est aussi fragilité. Mon-
tesquieu, quant à lui, retient surtout la complexité que suppose la délicatesse :
Les gens délicats sont ceux qui à chaque idée ou à chaque goût joignent beaucoup
d’idées ou beaucoup de goûts accessoires. Les gens grossiers n’ont qu’une sensation.

Délice :
Plaisir vif et délicat.

Divertissement :
Certaines expressions lexicalisées révèlent des nuances parfois inattendues
qui nourrissent une véritable polysémie. Ainsi en est-il de l’expression « par
plaisir » : il a agi « par plaisir », cela signifie sans autre but que le plaisir, c’est-
à-dire une sensation fugitive et qui s’inscrit dans une certaine mesure dans
la contingence. « Par plaisir » devient synonyme de « gratuitement », « pour se
divertir » – et dans certains contextes « par vice ou perversité ».

Érotisme :
Goût affirmé et revendiqué pour le plaisir sexuel.

Eudémonisme :
Doctrine qui fait du bonheur la finalité de la vie. On évoque ainsi l’eudémo-
nisme des Anciens, recherchant « la vie heureuse » et particulièrement celui
qu’exprime la pensée d’Aristote.

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Euphorie :
Transport de bonheur, littéralement. Mais que signifie vraiment être « trans-
porté de bonheur » ? À l’usage, l’expression révèle une excitation artificielle,
« anormale », voire « suspecte ». Ce qui en dit long sur notre idée du bonheur !

Esthétique :
Tout ce qui appartient à l’ordre de la sensation. Par « plaisir esthétique », il
faut entendre, au-delà du soupçon de pléonasme, un plaisir « artistique », sus-
cité par la contemplation d’une œuvre d’art.

Extase :
État dans lequel le sujet est transporté hors du monde sensible comme hors
de lui-même, uni à ce qui est transcendant. Il faut noter que rien dans la for-
mation du mot, ni dans le sens qui lui est attribué n’implique l’idée de plaisir,
malgré l’usage actuel du terme, très largement métaphorique. On pourrait
même au contraire évoquer la mort qu’entraîne dans certains cas l’union avec
la divinité : Sémélé est foudroyée à la vue de Zeus, son amant olympien. Com-
ment le regard humain pourrait-il soutenir le spectacle du divin, de l’infini ?

Félicité :
Bonheur sans mélange, calme et durable.

Galanterie :
Le mot a perdu aujourd’hui sa puissance ancienne de subversion et il évoque
à présent une attitude un peu désuète faite d’égards particuliers que l’on
réserve spécialement aux femmes, d’attentions aimables et qui révèle un fond
misogyne qui ne veut pas s’avouer. Mais à l’origine, l’ancien verbe « galer »
signifie s’amuser et si le « galant » est d’abord un bandit qui se postait dans les
bois, le « vert galant » devient très vite ce prédateur redoutable pour la vertu
des femmes, surnom qu’assumait très bien Henri de Navarre. L’idée initiale
est bien celle de « hardiesse » associée au goût des plaisirs sensuels : le galant
« prend » le Plaisir, sitôt que l’occasion lui est donnée.

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Hédonisme :
Doctrine selon laquelle la recherche du plaisir est la véritable finalité de l’existence.

Indolent :
Qui évite de se donner de la peine. L’indolence est donc une attitude face à
l’existence qui est préméditée.

Jardin :
De celui planté en Eden à celui qu’il « faut » désormais cultiver avec Candide
et tous ses gentils compagnons, qu’il soit français, anglais, japonais, chinois,
le jardin – d’un vieux terme francique, « gard », « l’enclos » et qui donne en
anglais « garden » et « garten » en allemand – a pour exact synonyme le mot
grec « paradis ». C’est donc sa limite qui définit le jardin, espace circonscrit,
dédié aux sensations mais surtout à la culture de ces sensations. Le jardin
sera celui des délices ou, retourné par Mirbeau, des supplices, dans tous les
cas le principe y est de plaisir ou de déplaisir.
Epicure en fit le lieu de l’enseignement de sa sagesse et Voltaire une maxime :
« il faut cultiver son jardin ».

Joie :
Émotion agréable et profonde, état de satisfaction qui retentit dans toute la
conscience. Mais pour Spinoza la joie ne saurait être permanente, c’est une
passion primitive qui conditionne toutes les autres et s’oppose à la tristesse :
Par joie, j’entendrai donc (…) une passion par laquelle l’âme passe à une per-
fection plus grande. Par tristesse, une passion par laquelle elle passe à une
perfection moindre.

Jouissance :
Le mot appartient à la famille du mot « joie ». C’est un plaisir que l’on goûte
pleinement. Mais c’est aussi l’action de profiter de quelque chose : « jouir d’un
point de vue sur la mer », « avoir la jouissance de tel bien », etc. Ici le plaisir
est aussi dans la capacité à le prendre, dans son usage même. C’est le plaisir
de détenir, de « tenir » : une autre façon d’associer la Nature au Plaisir, se
« rendre comme maître et possesseur » de cette Nature…

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Jubilation :
C’est une joie exubérante.

Odorat :
Les lecteurs du Parfum de Patrick Süskind savent depuis longtemps que
parmi les cinq sens le goût et l’odorat sont des modes d’appropriation particu-
liers, au plus intime du sensible. Respirer une odeur ou un parfum, c’est faire
entrer en soi cette réalité extérieure par son « bouquet » ou sa fragrance, c’est
se « l’incorporer ». Voilà pourquoi Michel Onfray déclare à propos de l’odorat :
La haine du corps s’accompagne d’une haine tenace pour l’olfaction. Le nez
concentre les aversions et les passions comme un révélateur.

Orgasme :
D’un verbe grec qui signifie « bouillonner d’ardeur », orgè désigne étrange-
ment – ou très significativement – à la fois la colère et le point culminant du
plaisir sexuel.

Régal :
De l’ancien français « gale », réjouissance, dont on a déjà rappelé la significa-
tion à l’occasion du mot « galant ». Un « régal », ce sera plus particulièrement
une fête que l’on donne en l’honneur de quelqu’un. « Régaler », c’est ainsi faire
un cadeau, offrir un bon repas.

Ronronnement :
Petit grondement continu et régulier qu’émet le chat lorsqu’il est satisfait.
C’est donc un signe extérieur, relativement discret. Mais il est par ailleurs
clair que le plaisir se voit, qu’il s’entend, bref qu’il se manifeste, et notamment
chez l’animal.

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Satisfaction :
Plaisir qui résulte de l’accomplissement de ce que l’on attend. Le latin satis
facere signifie « en faire assez ». Le plaisir est ainsi dans la plénitude : les
creux ont été remplis. Mais être satisfait, ce n’est pas être comblé. Le verbe
« combler » signifie en effet « remplir jusqu’aux bords », « donner à profusion ».
Le « comble » est bien du côté de l’excès et du « trop ». La satisfaction résulte
de la « pleine mesure », le comble du débordement. Deux formes que peut revê-
tir le plaisir.

Sérénité :
Le substantif dérive de l’adjectif : « serein », se dit d’un ciel sans nuage. Rien ne
vient nous « offusquer », c’est-à-dire littéralement « obscurcir » notre horizon.

Stimuler :
Ce verbe signifie augmenter l’énergie, l’activité. La stimulation en effet « entre-
tient », « réactive » ce qui tendrait à diminuer avec le temps en intensité. Si
le plaisir et les sens « s’émoussent », les stimuler devient alors une nécessité.
Comment ? L’imagination qui anticipe, l’imagination qui invente sont deux
agents efficaces pour stimuler les sensations. Mais aussi la recherche de l’ex-
cès : Tout est bon quand il est excessif écrit Sade.

Volupté :
Ce vif plaisir des sens est l’expression la plus exacerbée de la sensualité. Mais
on ajoutera que l’emploi du mot puise dans un registre élevé, manière d’enno-
blir ce dont on parle en suggérant l’idée de raffinement. La jouissance s’en
trouve en quelque sorte spiritualisée.

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Deuxième partie :
Les Maux du Plaisir
Le plaisir se définit le plus souvent mieux par ce qu’il n’est pas ou même car-
rément son contraire. Les « maux » du Plaisir expriment ainsi négativement
avec plus d’efficacité ce que pourrait dire positivement les « mots » du plaisir.
Les registres de la douleur, du mal voire de la pathologie sont à manier avec
prudence et précision.

Boudoir :
Le plaisir a ses lieux, variables selon les époques, les conditions sociales ou
encore les modalités de sa pratique et de son usage. C’est d’ailleurs étrange-
ment quand il est tarifé qu’il est plus facile à situer. Au carrefour des pros-
tituées romaines, il est « trivial », entre quatre murs, il décline une identité
euphémisée « maison close », « maison de rendez-vous », « hôtel de passes »
etc. Mais où loge-t-il quand il est libre et gratuit ? Les villas de Pompéi ont
révélé qu’une chambre des plaisirs savamment décorée venait souvent agré-
menter le séjour des riches romains… Le Grand Siècle français, lui, invente
le « boudoir », ce petit salon très privé où à l’origine les dames peuvent se
retirer à leur aise pour « bouder ». En fait, le « boudoir » est une « évolution »
du « cabinet », cette pièce destinée à l’étude ou aux affaires particulières. Le
XVIIIe siècle en fera un lieu spécifiquement féminin et amoureux, expression
du goût du luxe et du secret à la fois, théâtre libertin où il n’est pas exclu,
entre deux « scènes », de philosopher !

Carpe diem :
Littéralement : « Cueille le jour ». La formule appartient au poète latin Horace.
Elle est un appel à jouir du présent et s’inscrit dans un art de vivre qui s’ins-
pire de l’épicurisme. Cette incitation à prendre le plaisir quand il s’offre ne
devrait pas figurer au nombre des « maux », si elle n’était au fond suscitée par
la prise de conscience de la fragilité des sensations qui ne sont que passagères.
Ce qui est sensible relève du temporel, c’est-à-dire de ce qui s’inscrit dans le
temps, ce qui n’est donc que temporaire !

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Concupiscence :
Désir vif et particulièrement vif désir sexuel. La concupiscence est nécessai-
rement liée à la lubricité. Le terme est évidemment entaché de connotations
péjoratives, ce qui évidemment ne va pas de soi ! Pourquoi le désir sexuel
serait-il en tant que tel condamnable ?

Consommation :
Il est fréquent de voir associés hédonisme et consumérisme : la société
de consommation étant comme le type même d’une société fondée sur la
recherche du Plaisir. Hédonisme et consumérisme se révélant être les deux
visages du matérialisme contemporain. Si la dimension matérialiste de l’un
et de l’autre tient du lieu commun, il est en revanche erroné d’identifier l’acte
de consommer à une forme de plaisir. Certes, les injonctions publicitaires à
« se faire plaisir », grâce à l’acquisition de tel ou tel bien de consommation
sont nombreuses ; certes, l’euphorie des soldes tend à laisser croire qu’il s’agit
d’un moment festif de célébration… mais la consommation n’en apparaît pas
moins comme un palliatif. On évoque alors une société de « consolation » dans
laquelle l’achat compulsif d’un bien dont on n’a jamais vraiment le besoin
tient lieu de remède à un mal de vivre qui ne parvient pas à se saisir.

Déplaisir :
Le préfixe désigne un éloignement, un amoindrissement. Par conséquent le
déplaisir n’est pas vraiment l’antonyme du plaisir qui serait une sorte de
« non-plaisir » mais pire, sa perte. Le « déplaisir » dit le plaisir perdu, il pré-
suppose ainsi une jouissance disparue, une absence qui fait violence. Décep-
tion, incompréhension, sentiment de frustration et d’injustice accompagnent
ainsi le plus souvent l’expérience du déplaisir.

Désir :
Par désir, on peut entendre la tension vers un objet. Lorsque cette tension
cesse, on éprouve alors ce que l’on peut nommer « plaisir » et qui correspond
au fond à une véritable « détente ». Le plaisir naît donc de la disparition de
cette tension. C’est une autre forme d’approche négative : il n’y a de plaisir que
par cessation d’une tension, Freud sera encore plus explicite en évoquant la
suppression d’une « excitation ». Quant au besoin, il s’oppose alors au plaisir

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en ce qu’il est une tension vers un objet que provoque un manque vital. La
satisfaction d’un désir en effet n’est pas vitale, elle peut être retardée ou rem-
placée par un substitut imaginaire.

Douleur :
Sensation désagréable. La douleur est manifeste, elle est sensible, physique.
On l’éprouve, au sens où c’est une épreuve.

Eréthisme :
Du mot grec qui signifie « irritation ». Le mot est d’usage rare. On l’emploie
dans un contexte médical et il désigne alors un état d’excitabilité accrue, ou
bien on le trouve dans un registre littéraire pour dire une tension d’esprit
violente, l’exaltation fiévreuse d’une passion.

Érotomanie :
Obsession sexuelle.

Excitation :
Action de « faire sortir », dit le latin, de « réveiller ». Il s’agit donc d’une provo-
cation. Mais dans le cadre de la psychopathologie, l’excitation est « désordre »,
suractivité des fonctions psychiques, perturbation du comportement « nor-
mal ».

Fétichisme :
Adoration d’objets matériels, lesquels se trouvent être les moyens permettant
au sujet fétichiste d’accéder au plaisir. Le fétichisme entre au nombre des
perversions sexuelles que recense Kraft - Ebing

Frigidité :
Le terme désigne, à sa formation au milieu du XVIIIe siècle, l’impuissance
et, partant, ne s’emploie que pour évoquer la situation d’un homme. Par un
renversement étonnant, au bout de quelques années, il se spécialise dans un

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usage strict pour dire l’anorgasmie féminine, ou plus largement l’anaphro-
disie, l’absence ou la diminution du désir sexuel. Le mot s’utilise alors très
rarement en parlant d’un homme.

Frustration :
Privation d’un bien ou d’un avantage escompté. Frustrer c’est bien priver
d’une satisfaction et provoquer la plus grande déception.

Gourmandise :
Avidité. Un gourmand, c’est un gros mangeur. Ce n’est d’ailleurs pas nécessai-
rement un « gourmet », un amateur de bonne cuisine.

Grognement (de plaisir) :


Voilà une expression qui figure volontiers au répertoire des clichés qui font
les beaux jours de la littérature de second tiroir. Elle dit la disparition dans
l’animalité et la manifestation bruyante de la satisfaction que suscite un tel
glissement hors humanité.

Laideur :
C’est, étymologiquement, ce qui produit une impression désagréable. La lai-
deur est alors disgrâce. Il ne s’agit pas d’en faire le contraire de la beauté
mais bien plutôt un mal subi par qui l’identifie. Ce qui est laid, c’est ce qui me
« blesse ».

Libertin :
Aujourd’hui, ceux qui se déclarent « libertins » annoncent qu’ils s’adonnent
aux plaisirs charnels sans retenue, qu’ils prétendent émanciper cette requête
de plaisir total de toute forme de contrainte ou de conformité à des valeurs,
que seul importe donc ce principe de plaisir. On est loin du libertinage philoso-
phique d’origine (le XVIIe siècle). Le « libertinus » y était bien un « affranchi »
mais libéré de ses croyances, identifiées alors à des superstitions. Il s’agit de
propager « la liberté de penser » et non l’échangisme.

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L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

Libido :
Énergie libérée par l’activité sexuelle.

Lubricité :
Penchant effréné pour la luxure. Le mot énonce un excès. Les connotations
sont évidemment très péjoratives !

Luxure :
Recherche et pratique des plaisirs sexuels jugés immoraux.

Nostalgie :
Le mal du pays mais aussi le plaisir d’être triste. Cette affection a le grand
mérite de rendre aisément sensible l’interaction du plaisir et de la douleur, ou
plus précisément, le passage parfois indiscernable de l’un à l’autre. L’état nos-
talgique est en effet un « entre-deux », entre la tristesse d’avoir perdu quelque
chose à quoi l’on tenait et le plaisir de s’en souvenir.

Nirvana :
« Anéantissement », en sanskrit. Il s’agit de l’extinction du désir qui corres-
pond pour le bouddhisme à l’état de sérénité suprême. Schopenhauer fut le
premier à lexicaliser ce terme très ancien et qui en réalité n’a rien à voir avec
le Plaisir ! Il en est même la négation. En effet, dans la mesure où le plaisir est
fugace, sa disparition entraîne un trouble préjudiciable. On peut même voir
avec la fin du Plaisir le début de la Tristesse. Dans un contexte très spécifique,
on connaît le mot de Spinoza : Post coïtum animal triste… « Après le plaisir
vient une immense tristesse… »

Nymphomanie :
Exagération du désir sexuel chez une femme.

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Orgie :
Fêtes solennelles en l’honneur de Dionysos. Mais le dieu est… particulier :
dieu de l’ivresse sous toutes ses formes, il appelle à la démesure, à l’exercice
débridé de la liberté la plus sauvage. Orgie signifie ainsi excès, débauche.
« Une orgie de… » : l’expression lexicalisée désigne la surabondance, l’excès.

Peine :
Châtiment infligé. Efforts fatigue.

Perversité :
Goût pour le mal. Tendance pathologique à accomplir des actes immoraux.
Ce qui est mal « tourné », ce qui « tourne de travers », pervers.

Pica :
Goût morbide pour les aliments qui ne sont plus comestibles. Pommes et
poires tavelées, viandes habitées et gibiers bien faisandés composent un
menu pour des malades du goût, fascinés par la saveur même de la décom-
position.

Pornographie :
À l’origine, il s’agit d’un écrit réglementant la prostitution, puis évoquant
simplement la prostitution. Enfin, au sens désormais le plus large : Texte
portant sur des choses obscènes destinées à être diffusées au public. Le mot
est un néologisme imaginé par l’écrivain français du XVIIIe siècle

Pulsion :
C’est ce qui pousse. Le mot qu’emploie Freud en allemand est trieb, « le com-
bustible » ! L’image est parlante. La pulsion « fait avancer », c’est elle qui fait
« tourner le moteur » !

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L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

Puritanisme :
Doctrine fondé sur l’austérité. À l’origine, les « puritains » sont des presbyté-
riens qui souhaitaient pratiquer un christianisme plus rigoriste. Ils émigrent
aux États-Unis à partir du XVIIe siècle. Le puritain condamne ainsi la
recherche du plaisir sensible et brandit un système de valeurs construit à
partir des principes religieux hérités du judéo-christianisme.

Refoulement :
Phénomène inconscient de défense par lequel le moi rejette une pulsion, une
idée opposée aux exigences du surmoi. Mais ce rejet n’est pas élimination.
La pulsion demeure, inassouvie, au plus profond de l’inconscient où travaille
sourdement la frustration suscitée par le refoulement. Cette condensation
d’énergie est à l’origine de nombreuses perturbations et de nombreuses souf-
frances.

Réplétion :
État de l’organisme humain quand l’estomac est saturé. Il ne s’agit pas d’un
état de bien-être, au contraire la réplétion entraîne des dysfonctionnements
et provoque des maux.

Satiété :
État d’indifférence plus ou moins proche du dégoût d’une personne quand elle
est amplement satisfaite. Sans curiosité nouvelle, ni désir, il est blasé, revenu
de toute chose, plus rien ne l’étonne. Ce n’est pas qu’il a renoncé aux plaisirs
mais les ayant tous connus il n’éprouve plus le goût d’en rechercher aucun.
Entre la fatigue et l’ennui, il semble perpétuellement balancer. Ce person-
nage, « gâté » par la vie, apparaît de temps à autre dans la littérature de façon
saisissante : c’est le noble vénitien, Pococurante, dans Candide ou encore Des
Esseintes, le héros du roman de Huysmans, À rebours.

Satyriasis :
Exagération morbide des désirs sexuels masculins. C’est l’équivalent mascu-
lin de la « nymphomanie ».

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Séduction :
La séduction est un détournement et partant un accident, un imprévu. Est-il
par conséquent plaisant d’être séduit ? Assurément, parce qu’elle entraîne là
où il n’était pas envisageable d’aller, elle est découverte, nouveauté, surprise.
Mais pour ces mêmes raisons, elle est aussi danger, risque, destruction.

Souffrance :
La douleur et la passivité. Les deux idées sont présentes dans le mot grec
pathos mais aussi dans le français « souffrir ». « Je ne peux pas souffrir cette
personne » pour « je ne peux pas la supporter ». La souffrance est endurance.
Mais ce qui distingue aussi la douleur de la souffrance, c’est que la première
ne laisse pas nécessairement de trace. Ramenée à une sensation désagréable,
déplaisant, plus ou moins intense, elle passe comme toutes les sensations. La
souffrance, en revanche, trouve dans l’âme, la conscience un écho à la douleur.
C’est une expérience qui affecte l’être en profondeur et qui l’altère, le rend
« autre ».

Supplice :
Sacrifice religieux célébré à l’occasion d’une exécution pour laver le sang versé.
Le mot vient précisément de supplicium : supplication.

Torture
Peine, tourment, souffrance physique ou morale intolérable, au sens propre
comme au sens figuré.

Transgression :
Action d’aller au-delà, au-delà des normes communément acceptées, au-delà
des us et des coutumes. Le plaisir n’est-il pas dans la transgression ? Ne pas
tenir compte des interdits. Expérimenter une liberté totale. S’affranchir des
conventions que les autres en majorité partagent.

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L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

Tristesse :
Le mot est strictement l’antonyme du mot « joie ». La réalité qu’il désigne
se décline et on peut ainsi énumérer les différentes manifestations de cette
atrophie du « vouloir vivre » : cafard, dépression, ennui, mélancolie, affliction,
morosité, hébétude, spleen. Chaque époque a son mot pour dire ce malaise
intérieur, énigmatique, souvent incompris mais que l’on devine, depuis la
théorie des humeurs des Grecs, lié à un dysfonctionnement du corps.

Variété :
On l’a vu, le plaisir ne dure pas. Mais ce n’est pas son pire « défaut ». Il doit
également trouver à se renouveler, sans quoi la répétition l’émousse. C’est ce
que rappelle Montesquieu dans l’Essai sur le Goût :
Mais s’il faut de l’ordre dans les choses, il faut aussi de la variété : sans cela
l’âme languit, car les choses semblables lui paraissent les mêmes ; et, si une par-
tie d’un tableau qu’on nous découvre ressemblait à un autre que nous aurions
vu, cet objet serait nouveau sans le paraître, et ne ferait aucun plaisir.

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Troisième Partie : Les
noms propres du Plaisir
Le Plaisir a aussi ses noms propres, c’est-à-dire ses « allégories » ou bien ses
légendes dont la portée symbolique est souvent une amorce intéressante pour
la réflexion et qui savent nourrir dans les dissertations les accroches les plus
efficaces.

Actéon :
La légende d’Actéon rapporte qu’il en coûte de céder au plaisir des yeux. Le
jeune chasseur ayant ainsi surpris la nudité de Diane au bain, celle-ci le
transforma illico en un magnifique cerf que sa propre meute se mit alors en
devoir de dévorer.

Aristippe de Cyrène :
Aristippe est un élève de Socrate. Il vécut au IVe siètcle avant Jésus-Christ à
Athènes, où il enseigna contre rémunération, ce qui le fit considérer comme
un sophiste. Il est le véritable fondateur de l’hédonisme, cette doctrine qui fait
des plaisirs du corps la finalité de la vie. Aristippe définit le plaisir comme un
mouvement doux, accompagné de sensations. Ce par quoi il s’oppose aux épi-
curiens qui associent au contraire le plaisir à l’absence de mouvement. Pour
Aristippe, l’ataraxie n’a rien à voir avec le plaisir, c’est une forme d’anesthésie
générale des sensations.

Bentham :
La carrière et l’œuvre de Jérémy Bentham sont très riches. Ce qui nous retient
ici, c’est ce qui au principe même de l’utilitarisme, la philosophie qu’il forge
à partir de 1781. Les individus, selon la doctrine utilitariste, n’agissent que
par intérêt et cet intérêt, ils l’évaluent en comparant les plaisirs et les peines
occasionnées. Sept critères permettent d’identifier un plaisir supérieur : durée,
intensité, certitude, proximité, étendue, fécondité et pureté.
Au XIXe siècle, John Stuart Mill formule explicitement les principes de l’uti-
litarisme :

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L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

La doctrine qui donne comme fondement à la morale l’utilité ou le principe


du plus grand bonheur, affirme que les actions sont bonnes ou sont mau-
vaises dans la mesure où elles tendent à accroître le bonheur ou à produire
le contraire du bonheur. Par « bonheur », on entend le plaisir ou l’absence de
douleur ; par malheur la douleur et la privation de plaisir.

Capoue (délices de) :


Quartiers d’hiver d’Hannibal après la victoire de Cannes et qui amoindrirent
son armée. Ce que l’on nomme aujourd’hui les « délices de Capoue », ce sont
des plaisirs qui viennent récompenser un effort mais qui sont si bons qu’ils
finissent par rendre impossible tout retour à une vie « normale ». C’est un
bienfait qui tourne au préjudice.

Casanova (Giacomo) :
Histoire de ma Vie raconte les aventures de ce vénitien, mort en 1798, et qui
parcourut l’Europe où il fut un véritable symbole de séduction. Casanova s’at-
tribue dans son autobiographie 142 conquêtes, ce qui à l’époque passe pour
considérable.

Crébillon :
Auteur de contes et romans licencieux comme Le Sopha en 1742 ou La Nuit
et le Moment en 1755. C’est le véritable romancier du libertinage amoureux.

Cythère :
L’île dont les eaux ont vu naître Vénus. On l’appelle aussi Cérigo.

Dom Juan :
Un des rares mythes modernes, Dom Juan est en effet une invention du
XVIIe siècle, siècle au cours duquel le personnage est très présent sur la scène
européenne. Créé par Tirso de Molina en 1625 (El Burlador de Sevilla y Convi-
dado de piedra), on le retrouve en Italie dans les pièces de Cicognini et de
Giliberto. Mais c’est en France qu’il trouve forme la plus saisissante : Molière,
en 1665, après Dorimond et Villiers, en fait l’allégorie du libertinage philoso-

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phique et amoureux. Mais Dom Juan, c’est surtout évidemment « l’homme de
l’instant », incapable de s’engager dans le temps, bloqué en quelque sorte au
stade esthétique, condamné au plaisir sensible, faute de pouvoir accéder au
bonheur.

Eden :
En hébreu « le jardin des délices ».

Épinçure :
L’épicurisme n’est pas vraiment un hédonisme. Il y est question du bonheur,
de la sagesse plutôt que véritablement du plaisir. Le but de cet enseignement,
c’est bien de permettre au disciple de vivre comme un Dieu parmi les hommes.

Freud :
Freud renouvelle et prolonge la réflexion sur le plaisir. Tout d’abord, il fait de
la recherche de la satisfaction sexuelle le moteur de l’activité psychique, mais
il propose dans le même temps une définition du plaisir qui intègre l’approche
négative pratiquée depuis l’Antiquité.
Dans Au-delà du Principe de Plaisir paru en 1920, il écrit :
Dans la théorie psychanalytique, nous admettons sans hésiter que le prin-
cipe de plaisir règle automatiquement l’écoulement des processus psychiques ;
autrement dit, nous croyons que celui-ci est chaque fois provoqué par une ten-
sion déplaisante et qu’il prend une direction telle que son résultat final coïncide
avec un abaissement de cette tension, c’est-à-dire avec un évitement de déplai-
sir ou une production de plaisir.

Krafft Ebing :
Psychiatre austro-hongrois, mort en 1902, qui est à l’origine de l’identification
puis de la classification des perversions sexuelles. Il forge des néologismes qui
deviendront rapidement des termes totalement lexicalisés comme « sadisme »,
« masochisme ». Il est l’auteur d’un « catalogue » de ces déviances intitulé Psy-
chopathologia Sexualis (1886) qui aura sur Freud mais aussi sur les grands
artistes de la fin du siècle une réelle influence.

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Lucullus :
Général romain qui vécut au 1er siècle avant JC. C’était un proche de Sylla et
il était réputé pour sa table et ses jardins. Il demeurait à Rome sur le site où
fut édifiée ensuite la villa Médicis.

Onan :
Dans l’Ancien Testament, Onan refuse de féconder la veuve de son frère,
comme l’exige la tradition des juifs et des égyptiens. Il préféra laisser sa
semence se perdre dans la terre. Dieu le punit de mort pour ce crime. La figure
d’Onan n’est donc pas celle de l’incarnation d’un plaisir solitaire mais plutôt
celle du refus de la loi et de la tradition. C’est au XVIIIe siècle et à l’occasion
de la construction du néologisme « onanisme » que le personnage biblique sera
associé à tort à la masturbation.

Origène :
Ce père de l’Église est aussi connu pour s’être lui-même castré afin de pouvoir
échapper à coup sûr aux tentations charnelles. Il fonda son acte sur la lecture
de deux formules prises aux Évangiles :
Il y a des eunuques qui se sont faits eux-mêmes eunuques pour le Royaume
des Cieux. Matthieu et Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la.
Marc
À ceux qui cherchèrent ensuite à l’imiter (il y eut ainsi une forme d’hérésie
appelée origénisme), il déclara qu’il avait donné des écritures une mauvaise
interprétation.

Philèbe :
Avant-dernier dialogue de Platon, le Philèbe met en scène « l’ami des jeunes
gens » qui défendait alors la thèse hédoniste. Mais dans le dialogue, Platon
donne la parole à Protarque qui va défendre le point de vue hédoniste et
affronter Socrate, le beau Philèbe ayant perdu courage. Est-ce à dire que le
tenant du parti du Plaisir ne peut guère penser ? C’est au fond ce que répond
Socrate à Protarque :
Si tu n’avais pas de mémoire, tu ne pourrais même pas te rappeler que tu aies
jamais eu du plaisir, ni garder le moindre souvenir du plaisir qui t’arrive dans

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le moment présent (…) Ta vie ne serait pas celle d’un homme, mais d’un pou-
mon marin ou de ces animaux de mer qui vivent dans des coquilles !
L’hédoniste est voué à vivre comme un mollusque !

Septième ciel :
Dans la représentation antique de la voûte céleste, la terre est prise dans une
série de sphères, chacune d’entre elles correspond à une planète. Le 3e ciel est
ainsi celui de Vénus, le septième et dernier, celui des étoiles et celui des dieux.
Atteindre au septième ciel, c’est donc rejoindre les dieux. Au sens propre, le
septième ciel est le lieu de l’extase !

Sirènes :
C’est au Chant XII de l’Odyssée, qu’Ulysse est confronté aux sirènes, ces trois
monstres à la voix pourtant si ensorcelante. Ces femmes-oiseaux sont les sym-
boles de la tentation et du danger d’y céder. Ulysse montre toutefois que l’on
peut jouer avec la tentation, ruser avec elle, à la condition de savoir s’attacher
à un point fixe.

Sybaris :
Ville du sud de l’Italie, cette ancienne colonie grecque était réputée pour sa
richesse mais aussi la mollesse de ses habitants, les sybarites. Aujourd’hui,
le mot est employé dans le sens d’hédonistes ou d’épicuriens. Il y a toutefois
des nuances : le sybarite s’abandonne au Plaisir quand il est l’effet du luxe et
cette pratique du plaisir n’est pas sans conséquence d’ordre psychologique, sa
volonté est amoindrie, son courage émoussé. Qualifier quelqu’un de « syba-
rite », c’est évidemment porter un jugement de valeur. « Hédoniste » et « épi-
curien » s’emploient dans un contexte directement philosophique.

Ulysse :
Qui pourrait faire renoncer Ulysse à un plaisir ? Certes, le personnage ne nous
apparaît pas immédiatement sous les traits d’un jouisseur impénitent, on lui
reconnaît plus volontiers ruse, endurance, piété filiale, voire – si on est distrait
– fidélité conjugale. Pourtant, l’épisode des sirènes en dit long sur l’individu…
Surtout ne pas se priver, ne pas manquer l’occasion d’une jouissance, au prix

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L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

d’en défendre l’usage et l’accès aux autres (les « compagnons » doivent remplir
leurs oreilles de cire pour ne pas entendre le « chant des sirènes »). Le Plaisir
d’Ulysse est solitaire et égoïste mais il est « sans risque ».

Valmont :
Personnage de fiction, le vicomte de Valmont, imaginé en 1782 par Choderlos
de Laclos pour Les liaisons dangereuses incarne le libertinage de mœurs du
XVIIIe siècle.

Watteau :
Ce peintre français, mort en 1721, est à jamais associé à la représentation
d’une légèreté de vivre, d’un plaisir d’exister et d’une volupté sereine qui
trouvent leur pleine expression dans le tableau – son plus célèbre – désormais
exposé au Louvre et intitulé « Le pèlerinage à l’île de Cythère » (1717). Son
influence est telle que l’Académie des Beaux- Arts invente, pour lui rendre
hommage, un genre de tableau particulier : La fête galante. De manière assez
générale, les peintres français du XVIIIe siècle rendent hommage au Plai-
sir, sous toutes ses formes : modeste et tranquille avec les natures mortes de
Chardin, ou bien libertin et sensuel chez Boucher et Fragonard.

28
Bibliographie :
Voici quelques titres ou bien quelques renvois précis à des textes que vous pou-
vez lire sans l’aide de quiconque. Il est en effet inutile de perdre un temps et
une énergie qui sont précieux à déchiffrer des textes sur lesquels des erreurs
de sens sont possibles. Voici donc une première sélection de base :
Alain, Propos sur le Bonheur, Gallimard « Folio-Essais »
Aristote, Éthique à Nicomaque, Livres VIII à X, GF-Flammarion
Bergson, Le Rire, PUF
Foucault, L’Usage des Plaisirs, Gallimard, « tel » Kant, Critique de la raison
pure « Analytique du Beau » trad. J. Barni, Hatier
Lucrèce, De la Nature, Garnier-Flammarion
Mill, L’Utilitarisme, Champs classiques
Montesquieu, Essai sur le Goût, Folioplus
Nietzsche, Humain, trop humain, Livre de Poche
Onfray L’art de jouir, Grasset
L’invention du Plaisir, « Folio Essais »
Platon, Philèbe, GF-Flammarion

Quels parascolaires ?
On est toujours réticent à conseiller la lecture de parascolaires, sauf que par-
fois le recours à un substitut est nécessaire. Le meilleur à mon avis sur le
marché est publié par Bréal :
Nicolle, Jean-Marie Le Plaisir Bréal, 2012

Un blog dédié :
Réussir sa prépa HEC avec Éric Cobast : un blog de « L’Etudiant » : http://blog.
letudiant.fr/reussir-sa-prepa-hec-avec-eric-cobast/wp-admin/ : Des analyses,
des commentaires de tableaux, des sujets possibles, des conseils de lecture et
toutes sortes d’infos qui touchent les prépas.

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L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

Les Conférences de l’INSEEC :


« Le Plaisir en images : Embarquons pour Cythère ! » La représentation du
Plaisir dans la peinture française du XVIIIe siècle. Ces conférences auront lieu
en novembre et décembre. Elles ont pour but d’aborder le thème par un biais
moins académique ou scolaire.

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Notes
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L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C

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C O L L E C T I O N L E S L E X I Q U E S D E L’ I N S E E C
CAHIERS MÉTHODOLOGIQUES POUR LES CLASSES PRÉPARATOIRES AUX GRANDES ÉCOLES DE COMMERCE

LES LEXIQUES
D E L’ I N S E E C
Les « Lexiques de l’INSEEC » viennent compléter le dispo-
sitif conçu au service des étudiants initié par « Les Mémen-
tos ». Ils ont été rédigés par une équipe de professeurs des
Classes Préparatoires et des Grandes Écoles, particulière-
Les mots…
du Plaisir
ment sensibles aux difficultés rencontrées par les candidats.
C O L L E C T I O N D I R I G É E PA R L’ambition de ces « Lexiques » n’est pas évidemment de se
ERIC COBAST substituer d’une manière ou d’une autre aux cours annuels
mais de proposer tout simplement des instruments effi-
caces pour réussir les concours.

Collection Les Lexiques de l’INSEEC 2012-2013


N° 15 : Lexique de Géopolitique par Eric Cobast
N° 16 : Lexique d’Anglais
N° 17 : Formulaire de Mathématique (voie S)
N° 18 : Les mots... du Plaisir

LE XIQ UE N° 1 8
COLLECTION DIRIGÉE PAR
ERIC COBAST

INSEEC
Secrétariat de la Collection Les Lexiques
H16 – quai de Bacalan – CS 9104
33 300 Bordeaux
Tél. : 05 56 01 77 26

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