5) Concentration 1

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Droit de la concurrence Kaouthar JOUINI

Titre 2ème. Le contrôle des opérations de concentration économique

Convaincu que « trop de concentration peut tuer la concurrence», notre


législateur est intervenu depuis 19951 pour modifier la loi de 1991 relative à la
concurrence et aux prix afin d’y inclure le contrôle des opérations de
concentration économique, un contrôle maintenu par la loi de 2015.

Le législateur se montre, en effet, méfiant face aux opérations de


concentration économique auxquelles les entreprises peuvent procéder et qui
risquent d’aboutir au cloisonnement du marché et sa monopolisation.

L’opération de concentration économique a été définie par la loi de 2015


dans son article 7. L’alinéa 1er de cet article dispose , en effet, qu’ « Au sens de
la présente loi, est considéré concentration économique tout acte, quelle qu’en
soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance de tout ou
partie de biens, droits ou obligations d’une entreprise ayant pour effet de
permettre à une entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer directement ou
indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence
déterminante.»

Il s’agit, donc, de toute opération de regroupement structurel ou


fonctionnel d’entreprises jusque là autonomes2 permettant la réunion, sous
une même influence, de moyens d’action sur le marché qui étaient jusque là
indépendants.

Les procédés juridiques permettant de réaliser une concentration sont


multiples et englobent tout acte par lequel une ou plusieurs entreprises renoncent
partiellement ou totalement à leur autonomie juridique et économique.

Une opération de concentration économique peut perturber le


fonctionnement du marché.
En effet, une telle opération peut modifier la structure du marché et est,
parfois, susceptible de faire acquérir aux entreprises concernées une position
dominante qui risque d’être exploitée abusivement, au détriment des concurrents
et de l’intérêt général.

Jouant pleinement son rôle de régulateur du marché et dans le but de


protéger l’ordre public économique, notre législateur a choisi non pas d’interdire
catégoriquement toute opération de concentration, interdiction qui reviendrait à
sanctionner l’un des instruments de l’efficience économique3, mais plutôt
1
Loi n°95-42 du 24-04-1995, JORT n°35 du 02-05-1995, p.976.
2
D. et D. FERRIER, Droit du contrôle national des concentrations, Dalloz 2002, p45.
3
L’efficience économique s’entend comme « La plus grande satisfaction du consommateur par les producteurs
compte tenu de la rareté des ressources globales de la collectivité.», A. JACQUEMIN, « L’économique,
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d’instaurer un contrôle préalable des concentrations où la décision des autorités


de la concurrence interviendra suite au bilan économique et social de l’opération
pour mesurer les avantages escomptés et les effets nocifs probables sur la
concurrence et sur le fonctionnement du marché.

A travers la lecture des dispositions de la loi de 2015 qui règlementent


cette question4, il s’avère que le contrôle des concentrations obéit à un régime
juridique particulier qui, loin d’être parfait ne répondant pas à toutes les
interrogations que suscitent ces opérations, essaie de règlementer les différents
aspects du contrôle.

En effet, la loi a précisé le champ d’application du contrôle d’où il ressort


qu’on ne vise pas toutes les concentrations, seules sont soumises au contrôle les
concentrations qui réunissent les conditions prévues par la loi (Chapitre 1er).

Par ailleurs, le législateur a mis en place toute une procédure de contrôle


qui essaie d’assurer aux entreprises une certaine sécurité, en prenant en
considération leurs intérêts, mais qui cherche, principalement, à parvenir à un
contrôle efficace des opérations concernées pour préserver l’ordre public
économique (Chapitre 2ème).

Chapitre 1er.

Le champ d’application du contrôle des concentrations

Le législateur a donné une définition assez large des opérations


concernées par le contrôle pour permettre d’englober tous les cas de figure qui
peuvent se présenter dans la vie des affaires (Section 1ère).

Par ailleurs, il ne s’agit pas de contrôler toutes les opérations de


concentration. En effet, seules les concentrations économiquement importantes
et susceptibles d’altérer le fonctionnement du marché sont concernées par le
contrôle (Section 2ème).

Section 1ère. Les opérations concernées par le contrôle

serviteur de l’économie.», R.T.D.Com. 1972, p.283.


4
Principalement les articles 7, 8, 9 et10 de la loi.
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Conscient qu’il y va de la sécurité du monde des affaires et des différents


intérêts en jeu, le législateur a essayé de préciser le champ d’application du
contrôle en commençant par définir l’opération de concentration (§ 1er).

Le législateur a choisi, en fait, de définir la concentration non pas en elle-


même mais plutôt à travers les modalités juridiques permettant sa réalisation qui
couvrent une multitude d’hypothèses
(§ 2ème).
§ 1er. La définition légale de la concentration

L’article 7 al 1er de la loi dispose : «Au sens de la présente loi, est


considéré concentration économique tout acte, quelle qu’en soit la forme, qui
emporte transfert de propriété ou de jouissance de tout ou partie de biens, droits
ou obligations d’une entreprise ayant pour effet de permettre à une entreprise ou
à un groupe d’entreprises d’exercer directement ou indirectement, sur une ou
plusieurs autres entreprises une influence déterminante.»

Il s’agit d’une définition très large permettant d’englober des hypothèses


variées de concentration surtout que les procédés commerciaux, industriels et
financiers qui permettent de réaliser une concentration sont nombreux.

La définition légale des concentrations adopte deux critères cumulatifs : le


critère des moyens et celui du résultat5.

*Les moyens : Il s’agit des différents procédés juridiques par lesquels une
concentration est mise en œuvre. Le législateur vise « tout acte, quelle qu’en soit
la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance de tout ou partie de
biens, droits ou obligations d’une entreprise.» Le texte donne, donc, une liste de
procédés variés permettant d’englober plusieurs hypothèses et de rendre compte
de l’évolution de la pratique.

Certaines remarques peuvent être dégagées à la lecture de l’article 7.

D’abord, on constate, à travers la définition que donne le législateur de


l’opération de concentration que la croissance interne des entreprises n’est pas
concernée par le contrôle6. La constitution par une entreprise d’une filiale ne
constitue pas une concentration à partir du moment où une opération de
concentration suppose l’existence préalable d’au moins deux entreprises avant
de procéder à l’opération. Par ailleurs, la filiale, même si elle est juridiquement
5
Certains systèmes juridiques adoptent une approche alternative en définissant la concentration soit par son
mode de réalisation soit par son résultat, à savoir l’acquisition d’un contrôle, comme c’était le cas du droit
français dans le cadre de l’ordonnance de 1986.
6
Conseil de la concurrence, avis n°62155 du 04-01-2007, Rapport 2007, p.11, spéc. p.17 ; Avis n°72196 du 29-
11-2007, Rapport 2007, p.544.
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autonome7, ne constitue pas une entité économique indépendante dotée d’une


autonomie d’action et pouvant concurrencer la société mère. Or, l’impact sur la
concurrence reste toujours le critère d’analyse de toute opération.

Par ailleurs, il est clair que le législateur ne prend pas en considération les
objectifs visés par la concentration.
En fait, les objectifs recherchés à travers une opération de concentration
sont multiples et dépendent de plusieurs facteurs principalement propres aux
entreprises impliquées mais qui peuvent également être liés à la conjoncture
économique générale ou du secteur concerné8.

Par ailleurs, on constate que la loi adopte le principe de la neutralité des


formes. Le transfert de propriété ou de jouissance est suffisant indépendamment
de la forme à travers laquelle la concentration se matérialise.

Peu importe également que le transfert soit total (ce que l’on appelle en
droit anglo-saxon un « trust »), ou partiel (connu également sous le nom de
« cartel »).

*Le résultat : il s’agit de ce que le législateur appelle « influence


déterminante » à savoir l’acquisition par l’entreprise d’un pouvoir de contrôle ou
une influence déterminante sur une autre au point qu’elle perd partiellement ou
totalement son autonomie d’action sur le marché et devient en situation de
dépendance.

Toutefois, il faut signaler que cette notion reste imprécise. En effet, la


question se pose de savoir à partir de quel seuil une influence devient
déterminante ?
La réponse à cette question ne peut être obtenue qu’à partir de
l’appréciation de plusieurs éléments notamment l’importance de l’opération,
l’étude du marché, de sa structure…

A cet égard, le conseil de la concurrence a tenu à maintes reprises à


préciser que dans l’appréciation de l’influence déterminante, il ne faut pas se
limiter aux liens formels entre les entreprises, dans le sens où il ne suffit pas que
les entreprises soient liées organiquement9. L’essentiel est de constater une
concentration des sources de prises des décisions, dans le sens de la réduction du
nombre des intervenants dans la décision.

7
Art 461 du CSC.
8
L’article 409 du CSC nous donne une idée sur les principaux objectifs que l’on peut chercher à atteindre à
travers une concentration.
9
Avis n°62155 du 04-01-2007, Rapport 2007, p.11, spéc. p.17.
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Par ailleurs, le conseil a précisé que le contrôle résultant de la


concentration peut être soit direct soit indirect10.

Il y a contrôle direct lorsqu’une entreprise acquiert une majorité décisive


dans la direction d’une autre ou qu’elle a la possibilité de désigner les dirigeants,
de décider des orientations fondamentales de la société...
Il y a contrôle indirect lorsqu’une entreprise bénéficie de relations privilégiées
avec une autre en tant que fournisseur ou client à tel point qu’elle peut
influencer ses décisions (surtout si elle a la qualité de partenaire obligatoire).

§ 2ème. Les procédés juridiques permettant la réalisation d’une concentration

On ne peut pas donner une liste exhaustive des opérations de


concentration tant les procédés juridiques utilisés par les entreprises sont à la
fois nombreux et diversifiés impliquant souvent le droit des sociétés 11. L’on se
contentera, donc, d’analyser seulement certaines hypothèses de concentration
qui se trouvent être les plus importantes et les plus fréquentes à savoir les
fusions (I) et les prises de participation (II). Le problème de qualification des
filiales communes reste encore posé (III).

I- Les fusions d’entreprises

L’article 411 du CSC définit la fusion comme étant « la réunion de deux


ou plusieurs sociétés pour former une seule société. La fusion peut résulter soit
de l’absorption par une ou plusieurs sociétés des autres sociétés, soit de la
création d’une société nouvelle à partir de celles-ci.»

Juridiquement, on distingue, donc, entre deux types de fusion : la fusion-


création et la fusion-absorption.

La fusion-création consiste en la mise en commun des apports des sociétés


fusionnées, qui étaient préalablement autonomes l’une de l’autre, pour aboutir à
la création d’une nouvelle société.
La fusion-absorption consiste en une transmission universelle du
patrimoine d’une ou de plusieurs sociétés à une société déjà existante qui les
absorbe. La société absorbante demeure, la ou les sociétés absorbées
disparaissent.

10
Avis n°62155 du 04-01-2007, Rapport 2007, p.11, spéc. p.17 ; n°72196 du 29-11-2007, Rapport 2007, p. 554.
11
L’article 9 de la loi, relatif à la procédure de contrôle, donne comme exemple de concentration les fusions, les
prises de participation, l’achat ou l’échange des droits et d’obligations…
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Dans les deux cas de figure, les sociétés préalablement existantes seront
dissoutes. Il s’agira, cependant, d’une dissolution sans liquidation et ce, pour
permettre la continuité de l’activité.

En pratique, la fusion-absorption est le type le plus utilisé. Cela tient,


notamment, au fait que l’opération est généralement réalisée par des sociétés
d’importances inégales. La société la plus puissante, économiquement, absorbe
les autres.
Cela peut, également, s’expliquer par les difficultés juridiques liées à la
fusion-création12.

Sur le plan économique, la distinction se fait généralement entre trois


types de fusions : les fusions horizontales, les fusions verticales et les fusions à
caractère congloméral.

* Il y a fusion horizontale lorsque les entreprises en cause fournissent le même


produit ou service, elles se trouvent sur le même marché ce qui implique que
leur concentration donnerait lieu à une cumulation de leurs parts de marchés.

* Il y a fusion verticale lorsque les entreprises n’opèrent pas sur le même marché
mais elles entretiennent des relations « fournisseur-client ». Dans ce cas de
figure la concentration ne donnera pas lieu à la cumulation des parts de marché
des entreprises concernées mais cela peut aboutir à ce que l’on appelle le
verrouillage du marché à travers la création de barrières à l’entrée13.

* Lorsqu’il n’existe ni un rapport horizontal ni un rapport vertical, la fusion est


dite conglomérale.
Un conglomérat peut être défini comme « une fusion entre des sociétés qui ne
fabriquent pas des produits analogues et dont aucune n’est un fournisseur actuel
ou éventuel de l’autre ».
C’est une fusion qui permet aux entreprises de diversifier leur production.

Les fusions entre les sociétés entrent dans le champ d’application de


la loi puisqu’elles répondent à la définition donnée par l’article 7 de la loi étant
donné qu’il s’agit d’un acte qui emporte un transfert total de propriété des biens,
12
La société nouvellement créée n’aura la personnalité morale qu’à partir de son immatriculation au registre du
commerce. La situation de la société, en formation, pose d’énormes problèmes juridiques en attendant
l’achèvement des procédures permettant cette immatriculation. Par ailleurs, certaines opérations de fusion
nécessitent, du fait de leurs cadres spécifiques ou de la complexité des procédures, des périodes importantes pour
être concrétisées. Ainsi, certaines opérations deviennent momentanément irréalisables par la novelle société étant
encore non existante.
13
Une barrière à l’entrée est tout obstacle limitant l’accès au marché à de nouveaux intervenants soit du fait
d’une règlementation soit en raison de la structure du marché et de la position dominante de certaines
entreprises.
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droits ou obligations d’une entreprise ayant pour effet de permettre à une autre
entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer directement ou indirectement,
sur elle une influence déterminante.

D’ailleurs, la consultation des rapports du conseil de la concurrence


montre que les fusions constituent le procédé juridique le plus fréquemment
utilisée par les entreprises tunisiennes par rapport aux autres procédés
permettant une concentration. Le conseil de la concurrence a eu, en effet, à
traiter plusieurs opérations de fusions dans le cadre de sa mission consultative14.

II- Les prises de participation15

C’est le fait d’avoir une participation au capital d’une société.


Cela peut se faire de différentes manières :
- L’acquisition de parts ou d’actions d’une société lors d’une cession de
droits sociaux faites par un ou plusieurs associés.
- La participation à l’augmentation du capital de la société.

Les prises de participations peuvent être simples ou « croisées » c’est-à-dire


des participations réciproques entre deux ou plusieurs sociétés permettant à une
société de posséder tout ou partie du capital d’une autre société, laquelle, à son
tour, détient, directement ou indirectement, une part du capital de la première.

Les prises de participation dans le capital donnent à l’entreprise en cause la


possibilité d’acquérir un pouvoir de contrôle lui permettant d’exercer une
influence sur la politique de l’entreprise objet de l’opération. Cette participation
au capital va se traduire concrètement par l’acquisition de droits de vote au sein
des AG de l’entreprise, la possibilité de nommer des représentants dans les
organes de direction…
Seulement, il faut préciser que l’appréciation de l’existence et de l’importance
de ce contrôle dépend de la structure du capital de la société concernée et de
l’importance de la participation.
Exp : dans les grandes sociétés anonymes dont les actions sont largement
répandues dans le public, la possession de 5% du capital permet d’exercer une
influence déterminante.

Quelle soit simple ou réciproque, la prise de participation correspond à la


définition de la concentration donnée par l’article 7 de la loi.

III- La filiale commune


14
Avis n°82229 du 23-04-2009, Rapport 2009, p.219 ; n°62155 du 04-01-2007, Rapport 2007, p.11, spéc. p.17 ;
n°72196 du 29-11-2007, Rapport 2007, p. 544 ;
15
Voir avis n°172645.
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C’est un procédé juridique qui connaît un développement remarquable en


Tunisie surtout dans le secteur bancaire.
Il s’agit de l’hypothèse où le contrôle est détenu par deux ou plusieurs
entreprises.

La qualification de la création de filiales communes pose certains


problèmes.
En effet, les économistes hésitent quant à la qualification des filiales
communes entre concentration et entente puisque les entreprises en cause
gardent leur autonomie.

Le montage juridique aboutissant à la création d’une structure commune


importe peu :
Il peut s’agir d’une entreprise commune nouvellement créée par les
entreprises fondatrices, ou créée à partir d’une entreprise existante et pour
laquelle l’entreprise mère cède une partie de ses actions à une ou plusieurs
autres entreprises.
Il peut également s’agir d’une entreprise commune préexistante à laquelle
les sociétés mères confient la gestion d’une entité nouvellement créée.

En droit de la concurrence tunisien, et tant que le conseil de la


concurrence considère comme critère fondamental de la concentration le
transfert d’un droit réel16, la qualification de concentration pourrait être
valablement retenue pour les filiales communes qui répondent à ce critère.

Les procédés permettant de réaliser une opération de concentration ne se


limitent pas à ceux que l’on vient de traiter 17. Il en existe d’autres et la pratique
des affaires peut en inventer de nouvelles techniques répondant aux besoins des
intervenants.

Il ne suffit pas que l’opération puisse être qualifiée de concentration,


encore faut-il que l’opération réunisse les conditions légales du contrôle.

16
Avis n°72196 du 29-11-2007, Rapport 2007, p. 554. 
17
Le conseil de la concurrence a considéré que la location du matériel et des moyens d’exploitation d’une autre
entreprise constitue une opération de concentration. Ce procédé correspond à la définition donnée par l’article 7
de la loi étant donné qu’il y a là transfert de la jouissance des biens appartenant à une entreprise. Avis n°2266 du
24-09-2002. Rapport 2002, p. 170.

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