8 Boissinot Article1
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Hélène Ménard
Coordonné par
« Mondes anciens »
Presses universitaires de la Méditerranée
www.PULM.fr
Presses universitaires de la Méditerranée
& Maison des Sciences
€ de l’Homme de Montpellier 21 € & Maison des Sciences de l’Homme de Montpellier
De quelle identité parlons-nous entre historiens et archéologues ?
Philippe Boissinot
École des Hautes Études en Sciences Sociales,
CRPPM/TRACES – U.M.R. 5608
L’identité est de nos jours devenu un mot valise (Brubac- véritablement répandus dans le champ de l’archéologie dite
ker 2001 ; Dubar 2004), où se mêlent diverses composantes continentale, laquelle fonctionne encore avec des outils et
que l’on peut regrouper en deux catégories : la première des objectifs quelque peu datés comme, par exemple, ceux
relève plutôt de la logique et de l’ontologie, et correspond de la théorie des systèmes. Il convient cependant d’être
à des débats philosophiques entamés depuis l’Antiquité plus prudents à notre tour et de distinguer les situations où
grecque ; la seconde appartient à un courant beaucoup l’on fait de l’archéologie avec d’autres informations (textes,
plus récent venu de la psychologie et de l’anthropologie, images), d’avec celles où l’on ne dispose que de traces maté-
et maintenant adopté par le journalisme et les peuples en rielles. Pour cela, il est nécessaire de se placer au plus près
souffrance. Ce mélange concourt à un certain flou où proli- des pratiques savantes et d’analyser les diverses interac-
fèrent les connotations, les projections et diverses humeurs tions qui ont lieu. On ne pourra donc faire l’économie d’une
qui ne s’embarrassent guère de contradictions. Pour ces rai- interrogation générale sur l’archéologie, car cette réflexion
sons, il pourrait être envisagé de supprimer ce concept des nous engage dans nos propositions sur l’identité.
analyses tant il nuit à la compréhension des phénomènes
à étudier. Mais il s’avère en même temps être un outil indis-
pensable pour nos actes de connaissance (et de reconnais- 1 Le domaine de l’archéologie
sance), si bien que nous ferons plutôt le choix de tenter de
le clarifier ici.
Dans un ouvrage à paraître, nous proposons de redé-
L’archéologie n’est pas restée en deçà de ce mouvement finir l’archéologie en nous intéressant précisément aux
qui affecte l’ensemble des sciences humaines et qui accom- pratiques qui s’en revendiquent. Plutôt que d’en vouloir
pagne généralement les points de vue relativistes, comme en faire une discipline autonome à tout prix — ce qui a pu se
témoignent les diverses positions du courant dit post-proces- comprendre un moment, face à l’hégémonie d’autres dis-
sual issu d’une critique de la New Archaeology. On peut lire çà ciplines vues comme arrogantes —, nous tenterons de bien
et là par exemple que l’absence d’un artefact s’explique par distinguer ce qui relève de l’historiographie, de la sociolo-
des positions identitaires qui sont venues limiter sa diffu- gie des sciences ou de l’épistémologie. Partir des mots d’un
sion. Voilà le type même d’interprétation que l’on voudrait sophiste (Hippias) ou de titres d’ouvrages ne traitant en fait
ici dénoncer, tant il procède d’un abus du lexique, d’une que d’histoire ancienne ou de mythologie (Denys d’Hali-
mauvaise compréhension des phénomènes culturels, et d’un carnasse, Flavius Josèphe, etc.) ne nous aide guère à com-
manque d’évaluation des possibilités mêmes de l’archéologie. prendre ce qui se passe de nos jours dans un chantier de
fouilles. Et les considérations sur une prétendue cohérence
Pour faciliter notre tâche, il faut signaler que cette ques- entre méthodes et théories, comme l’exigeait par exemple
tion a déjà été abordée et renouvelée à de multiples reprises la New Archaeology, nous semblent plus relever d’une vision
dans des ouvrages philosophiques, et pour certains, très prescriptive que d’une description au plus près des pra-
récemment (Lenclud 2008 ; Descombes 2011, 2013). Mais, tiques. Notre approche sera donc plutôt épistémologique, à
pour des raisons sociologiques que nous n’analyserons partir de la manière de construire des faits, et en énonçant
pas ici, il s’avère que ce genre de réflexions, pas plus que les engagements ontologiques qu’elle requiert, car, de ces
les travaux les plus récents en sciences sociales, ne se sont derniers, on ne saurait s’en passer (Nef 2009).
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Philippe Boissinot De quelle identité parlons-nous entre historiens et archéologues ?
Ce qui qualifie le mieux un site archéologique est le terme pour un examen à l’échelle inférieure, microscopique, ici à reconstruire, en supposant la rationalité d’agents indé- l’identité est rompue par cet événement. Pour des choses
d’« agrégat ». Plutôt que de définir une nouvelle entité, il est laquelle nécessite un tout autre outillage et le confinement terminés, qui se voient affublés d’un « on » particulièrement tels que des bateaux ou des fleuves, la question est un peu
de bonne méthode de partir d’une catégorie comme celle- du laboratoire. Cet agrégat doit être non truqué, sinon il indéfini, dans des propositions du type « on a fait ceci, puis plus complexe, suivant que l’on considère la structure ou la
là, déjà présente en métaphysique. Si l’on prend d’abord le aurait été pensé dans son ensemble, ce qui arrive dans le cas cela, etc. » — ce qui est tout de même considérable pour des constitution des entités en premier.
parti d’une ontologie des substances, plutôt que de celle des de la création de faux sites, comme on peut le voir dans le cas périodes et/ou des lieux pour lesquels on ne savait rien, avec
processus par exemple, la catégorie de l’agrégat semble bien emblématique de Glozel. Cette exigence de sincérité est donc une tradition littéraire lacunaire ou inexistante. Et, évidem- L’ontologie, dans son inventaire des êtres qui existent
correspondre à cette matière dans laquelle l’archéologue inutile, à moins que le truquage ne soit que partiel. L’agrégat ment, impossible de reconnaître celui qui se cache derrière en réalité, distingue, d’une part, les substances et les êtres
plonge non seulement les mains, mais également son corps est d’abord une configuration dans l’espace avant d’être traduit ce pronom, qui aurait pu agir ici et là, faute de critères d’iden- naturels, et d’autre part, les artefacts. Les premiers pos-
tout entier. C’est généralement un bazar, un fatras où cepen- en termes de portions temporelles. Cette configuration est à tité, comme nous allons le montrer maintenant. Voilà encore sèdent une microstructure, que celle-ci soit chimique ou
dant un ordre peut être détecté, qui n’a pas le caractère découvrir et nécessite un démontage, donc une destruction de une différence majeure avec la documentation textuelle où génétique — si l’on ne descend pas trop dans le microsco-
systématique et hiérarchisé des machines, des organismes sa structure pour être appréhendée, une irréversibilité qui la référence est en particulier assurée par des noms propres, pique —, qui est indépendante de ce que l’on peut penser
ou des architectures, si bien que le fouilleur qui se retrouve n’est pas sans incidences déontiques. autorisant un suivi des agents à travers diverses scènes. en tant qu’hommes, comme le soutient le réalisme auquel
souillé de terre a des attentes encore plus contrariées que nous souscrirons sans difficulté. La science a pour tâche
celles d’un mécano couvert de cambouis, d’un chirurgien, de Une des propriétés essentielles des agrégats est le fait d’élucider cette microstructure et d’en examiner les consé-
sang, et d’un maçon, de plâtre. qu’il n’y a aucun point de vue qui s’y manifeste — même si 2 L’identique quences causales. Voilà pourquoi les « archéosciences » sont
cet ensemble peut inclure des monuments, c’est-à-dire des si performantes. En revanche, les artefacts n’ont pas de
Pour définir l’agrégat, notre position est proche de celle artefacts mis en scène pour leurs contemporains, si ce n’est microstructures spécifiques qui permettraient de les éluci-
de C. Godin, qui le présente comme un « ensemble dont les pour l’éternité. Cette remarque est essentielle pour qui veut La première conception, longtemps la seule présente der : inutile de couper en tranches et d’observer au micros-
éléments constituants, simplement juxtaposés, ont conservé comprendre la singularité des faits archéologiques, qui ne dans les dictionnaires généralistes, et faisant également cope ce tournevis, ou encore de le mettre dans une éprou-
leur indépendance. À la différence de ceux du tout organique, peuvent pour cette raison se ramener à des documents partie du vocabulaire de la jurisprudence, relève de l’« iden- vette une fois écrasé, ces opérations ne nous apprendront
les éléments de l’agrégat ne sont pas intégrés. Un bloc de grès historiques classiques — même s’ils comportent des vestiges tique ». Appartenant à la logique, elle développe une pers- rien de plus sur ce qui fait la spécificité de cette chose. La
et un polymère sont des agrégats, mais pas les organismes portant des inscriptions ou des images, lesquelles se com- pective objective prise sur l’identité dont nous avons besoin nature d’un objet tel qu’un tournevis est en effet nominale,
vivants » (Godin 2004). L’auteur rapproche ce terme de celui prennent toujours individuellement à partir d’un point de dans nos activités les plus quotidiennes, comme dans nos c’est-à-dire rattachée au nom qui lui est associé. L’artefact
d’agglomérat dont les limites sont indéterminées, comme on vue à restituer. Une des conséquences majeures est qu’une enquêtes les plus sophistiquées. est ce qu’il est par la médiation des hommes qui lui attri-
peut le constater dans les phénomènes d’expansion urbaine. « bonne fouille ne saurait mentir » (Besson et al. 2011) et que buent une fonction. Celle-ci est indiscernable à l’œil nu, et
l’on y puise toujours des preuves tangibles — de quelque À propos d’un individu, elle correspond à la question pas davantage déterminable au microscope, en dehors de
Le terme d’agrégat nous parait approprié pour qualifier chose qu’il s’agit d’énoncer —, sans supposer un instant que triviale « Qui est-ce ? » ; on y répond en faisant une asser- quelques stigmates liés à son fonctionnement. Car, comme
les sites archéologiques dans la mesure où ces derniers l’on puisse être manipulé, comme cela arrive souvent dans tion du type « C’est Untel », où, derrière un nom, sont énu- l’a justement précisé F. Sigaut (1991), trois aspects doivent
constituent des accumulations de choses — comprenant for- un texte ou des images. mérés un certain nombre d’attributs, parmi lesquels on être distingués : tout artefact comporte une forme, un fonc-
cément des artefacts — qui ont pu déjà avoir leur unité pour compte des relations de parenté, de spatialité, etc. Plutôt tionnement et une fonction. « Un couteau ne sert pas à cou-
elles-mêmes — qui ont préexisté — et dont la totalité n’a pas Pour reprendre une erreur souvent commise dans qu’une description, ce questionnement vise la possibilité per, il sert en coupant » remarque-t-il, pour montrer que le
forcément été pensée comme telle. Il est fréquent en effet l’expression, la « mise au jour » précède toujours la « mise à de reconnaissance de l’individu, que l’on sait par ailleurs fonctionnement et la forme sont les aspects les plus faciles
que les occupations se superposent, sans avoir d’autre lien jour » (de nos connaissances), sachant que la première néces- pouvoir habiter ou se mouvoir dans des lieux très diffé- à saisir, alors que la fonction demeure souvent opaque, sur-
entre elles que d’occuper la même topographie — ou à peu site des méthodes spécifiques et des décisions qui jamais ne rents, ou encore perdre progressivement certaines de ses tout lorsque l’objet ne peut être observé dans son contexte
près —, éventuellement séparées par des hiatus que l’on ne se ramènent à la lecture d’un texte, si l’on veut bien se distan- qualités pour en capter d’autres (vieillissement) — dans d’utilisation. La fonction s’élucide lorsqu’on est capable de
repère qu’a posteriori. Le cas exceptionnel est celui de l’en- cier de cette métaphore fréquente. Et, la plupart du temps, les une enquête policière, ou lorsqu’il s’agit d’établir la respon- dire pourquoi cet objet-là a été utilisé à cette occasion pré-
semble pensé comme tel et auquel rien ne s’ajoute avec le sites archéologiques ne sont pas des bibliothèques dévastées, sabilité pénale des actes d’un individu, ces informations cise, lui et pas un autre. La nature des artefacts est en effet
temps : ainsi pourrait être par exemple un bâtiment isolé, comme Delphes pourrait y ressembler par certains côtés, sont évidemment cruciales. Le résultat, c’est qu’il s’agit de déterminée par l’usage que nous en faisons, et doit s’envisa-
telle une chapelle dans la campagne ; mais il existe quasi- si bien que l’on doit se passer de toute information directe- « Untel » et pas d’un autre ; la réponse doit être tranchée, ger en couplant l’intentionnalité des fabricants et celle des
ment toujours des périodes de réfections ou des traces ment traduisible. La fouille elle-même ne concerne que des ne présentant que l’alternative oui/non. Mais, pour cela, il utilisateurs. Leur identité est attribuée (Lenclud 2007) : les
d’usage, comme à l’occasion de cérémonies, qui créent un aspects matériels et spatiaux, et tente de répondre à la ques- est nécessaire d’avoir préalablement établi le sens qu’il faut artefacts doivent être crédités d’exister pour exister vérita-
complexe de faits (archéologiques) non voulus dès le départ, tion : « qu’y a-t-il ici ? » Elle explore des choses disposées dans donner à l’expression « le même individu », sinon nous ren- blement, sinon ils ne sont que des bouts de matière que l’on
et qui s’agglutinent autour du monument ; sans parler des l’espace selon un emboîtement jugé significatif, de manière à controns toutes les célèbres apories déjà dénoncées par les peut traiter comme des substances naturelles. Ils n’existent
occupations sporadiques qui n’ont pas de liens directs avec pouvoir embrayer vers une deuxième question : « que s’est-il philosophes grecs à propos des choses comme des bateaux donc en tant que tels que relativement à des observateurs
la fonction première de l’édifice (spoliations diverses, amé- passé ici ? » C’est à ce moment-là que l’on introduit le temps ou des fleuves : le bateau de Thésée, régulièrement réparé, et des utilisateurs. En l’absence de ces derniers, comme
nagements et dégradations liées au tourisme). Par souci de et que l’on tente d’ajouter aux choses dénombrées ces autres est-il le même bateau, ses planches constitutives au final lorsqu’on est contraint aux seules méthodes de l’archéo-
généralité, nous poserons donc que tout site archéologique entités que sont les événements et les processus. Ainsi, peut- n’ayant jamais servi au transport du héros ? Peut-on se logie, la fonction d’un artefact ne peut être entièrement
est un agrégat dont l’unité est éventuellement à démontrer. on constater que l’archéologie a accompli de grands progrès baigner deux fois dans le même fleuve, dont l’eau s’écoule élucidée ; elle peut cependant faire l’objet d’hypothèses
Une autre des propriétés de l’agrégat est une certaine cohé- à partir du moment où ces deux questions de l’embrayage ont en permanence, se demandait Héraclite ? Ces questions en s’appuyant sur quelques analogies ethnographiques. La
sion entre les éléments juxtaposés, qui correspond à l’une été soigneusement distinguées. L’enjeu de la deuxième inter- peuvent être en partie réglées lorsqu’on admet qu’identité nature en revanche ignore les fonctions et peut s’envisa-
des caractéristiques essentielles des sites archéologiques, rogation — que certains appelleront « interprétation » — est et changement sont compatibles (Ferret 1996). Cela va de soi ger uniquement en termes de relations causales. Lorsqu’on
autorisant une interrogation sur le lien entre les choses qui la « traduction » de l’agrégat dans les termes d’un récit qui pour les organismes, comme les êtres humains, lesquels, évoque la « fonction » d’un organe par exemple, c’est en rai-
s’y trouvent, qui ne se sont pas amalgamées entièrement au noue des individus, des collectifs, des objets et des actions, pour pouvoir survivre, doivent changer, passer de l’état de son de finalités et de valeurs que l’on projette sur un corps,
hasard et selon un dispositif instable. Sans cette cohésion, soit les rudiments d’une explication causale comme on en bébé à celui d’adulte, avant de finir en vieillards. Et, après la pour lequel on estime qu’il est bon qu’il puisse continuer de
impossible d’y mener des fouilles méthodiques où l’archéo- trouve dans toute intrigue (Veyne 1970 ; Ricœur 1983). Mal- mort, les individus deviennent des cadavres, c’est-à-dire des fonctionner. Et, s’il n’y a pas de fonction en soi, il ne saurait y
logue est amené à agir à son échelle, dite mésoscopique, ce heureusement, et contrairement à ce que procure un texte choses qui n’ont plus de loi de développement interne, soit avoir d’artefacts en dehors de l’homme. Ainsi, un nid d’oiseau
qui n’interdit en rien qu’il se livre à des échantillonnages écrit — qui peut certes mentir ou s’avérer inexact —, tout est un changement de nature — ce qui nous invite à dire que ne pourrait être considéré comme tel. Car, l’animal, à la
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Philippe Boissinot De quelle identité parlons-nous entre historiens et archéologues ?
différence de l’homme vis-à-vis de ses artefacts, n’est pas traduction, pour être comprises par des étrangers à C. C’est à leurs fonctions. Et, lorsque nous ne sommes pas assurés ploi du même mot d’« identité » pour ce qui relève du plus
en mesure d’y penser, c’est-à-dire de prédiquer, de quali- ainsi que les historiens ou les ethnologues peuvent recon- que deux objets possèdent la même fonction, sommes-nous propre — ce qui fait que l’on est soi et pas un autre — et,
fier ses productions ; de trouver par exemple que son nid naître l’existence passée ou présente de ces divers faits invités à nous pencher sur leur ressemblance. en même temps, pour ce qui rattache à une communauté,
est plus beau cette année que l’année dernière, même s’il institutionnels, un exercice pour lequel les pré- et proto- peut sembler être une source de confusion. Mais, — comme
le reconnaît comme entité. Il existe cependant des grades historiens rencontrent de plus grandes difficultés. On peut Les trois critères d’identité que nous venons de rappeler le rappelle V. Descombes — enquêtant sur la notion de « soi »
qu’il faut distinguer entre l’homme et l’animal (Schaeffer certes faire l’hypothèse que ces coquillages retrouvés sur permettent de découper le monde. Tout et n’importe quoi dans son Vocabulaire des institutions indo-européennes, E. Ben-
2007 ; Proust 2010). un site de ces périodes valent pour autre chose que pour peut faire l’objet d’une application de ce concept fondamen- veniste avait déjà montré combien était enraciné depuis
leur capacité nutritive ou leur aspect esthétique, mais on tal, que ce soient des choses, des êtres, des événements, des longtemps cette subjectivité qui s’énonce comme apparte-
Nous venons de le voir, un artefact n’est pas à lui tout aura du mal à en établir la preuve. processus, et même des théories. À l’instar du philosophe nance. Un renversement de la relation partie-tout au succès
seul ce qu’il est ; il a besoin d’agents pour qu’une fonc- américain W. V. O. Quine, pouvons–nous dire qu’il n’existe garanti !
tion lui soit attribuée. Mais alors, comment pouvons-nous D’un point de vue logique enfin, on distingue trois types pas d’entité sans identité, si bien qu’on l’utilise comme on
décider qu’une chose est et reste la même dans le temps et d’identité dans cette problématique de l’identique — qui respire. L’identité n’est pas une étiquette posée sur un objet, On peut donc penser pouvoir restituer un comportement
dans l’espace ? À partir d’un même support brut, que tout le restent également valables pour la version identitaire que comme notre état-civil pourrait nous le laisser croire. C’est « identitaire » à des individus ou des populations qui n’en
monde peut étudier et analyser selon des méthodes rigou- nous allons examiner par la suite (Ferret 1996, 1998 ; Lenclud une « relation » d’équivalence (réflexive, symétrique, tran- avaient pas le concept exact ; mais encore faudrait-il que
reuses, où chercher la preuve que sa fonction se conserve ? 2005 ; Boissinot 2011a). Il y a d’abord l’identité « numérique » sitive) qui permet de comparer les objets les uns aux autres. l’on dispose de quelques informations suggestives. Celles-
Sans doute dans les relations que l’objet entretient avec qui affirme que toute entité est nécessairement identique ci passent assurément par le médium linguistique, et plus
d’autres objets, s’il n’y a plus d’agents pour nous informer. à elle-même et à nulle autre qu’elle-même tout au long de particulièrement par le genre dialogique, mieux à même
Trouver un urinoir dans une habitation ou dans un musée son existence. Sans affirmer cela, qui semble quelque peu 3 L’identitaire de transmettre cette forme de volonté et un objet de cette
peut être un indice du changement de fonction dudit objet évident et inutile, il serait impossible de dénombrer les volonté. Ce qui ne veut pas dire que l’identité suivant la pre-
qui, après le geste de Duchamp, tout en restant constitutive- choses qui se trouvent dans le monde, qui se dissoudraient mière acception puisse dans tous les cas se passer de ce sup-
ment identique à lui-même, devient un ready made, un objet dans un vague indifférencié, comme lorsqu’on se situe au Pour cette seconde conception, l’accent est, cette fois, port. Il suffit de songer aux faits institutionnels déjà évo-
proposé à la réception esthétique d’un public, dans lequel sein d’une masse quelconque. Ce type d’identité fonctionne mis sur le point de vue subjectif. Bien que reprenant des thé- qués avec l’exemple emblématique du billet de banque pour
personne n’oserait venir se soulager. Pour rester dans la thé- au couperet du oui/non et n’admet pas de gradation — on matiques déjà présentes en littérature, en psychanalyse ou voir combien l’assignation d’une fonction à un objet — « son
matique de cette rencontre de Montpellier, on pourrait égale- n’est pas plus ou moins, progressivement la même chose. encore en philosophie politique et morale, elle n’est appa- identité », comme nous l’avons proposé supra – repose sur des
ment évoquer le cas des cratères grecs en céramique, que l’on Mais les choses n’ont une coïncidence persistante avec elles- rue que dans les années 1950, dans le sillage des travaux du formulations verbales, et donc sur des intersubjectivités. De
retrouve dans des contextes étrangers (dits indigènes), pour mêmes que sous un concept, une sorte, voilà pourquoi il est psychologue E. Erikson (1972), lequel travaillait en particu- même, dans une proposition du type « les Romains ont fait
lesquels nous sommes loin d’être certains qu’ils servaient au nécessaire d’introduire un deuxième type d’identité, dit lier sur la question de la crise de l’adolescence. Elle a depuis ceci ou cela », devons-nous laisser les intéressés eux-mêmes
mélange du vin et de l’eau à l’occasion de banquets. On peut « spécifique ». Il s’agit de dire quel est le « ceci » lorsqu’on les années 1970 quitté le domaine de la clinique pour enva- « décider » de l’usage qu’ils font du nom Romain, ce que l’on
en outre considérer des changements de fonctionnement pose la question « qu’est-ce que c’est ? » Pour l’exemple que hir tout le champ des sciences sociales (Kaufmann 2004), trouve éventuellement formulé dans les textes historiques.
sans que la fonction soit altérée, ce qui montre bien que l’on nous avons retenu précédemment, « c’est un tabouret » dont ainsi que les articles de nos quotidiens et magazines, jusqu’à Faute de données de cet ordre, et avec les seuls documents
ne peut se passer totalement des intentions du fabriquant. il s’agit, ce que la chose est ultimement et non relativement devenir un slogan politique et l’intitulé d’un ministère dans archéologiques, ces questions d’identité, et a fortiori iden-
Ainsi, ce tabouret peut-il pendant quelque temps servir de ou épisodiquement. Un telle question, on le voit, organise le courant d’une magistrature très récente. Cette notion titaires, ne sont qu’un habillage arbitraire et très contem-
table de chevet, mais il continuera à être présenté comme le tri en espèces et en sous-espèces, et fait donc référence relève de l’« identitaire » et appartient d’abord au domaine porain sur des données inappropriés. Pourtant, l’un des
tabouret par son utilisateur, qui reconnaîtra un usage inci- à notre ontologie et notre « bazar » culturel. L’identité spé- psychosocial. Elle correspond au glissement de la troisième objectifs que s’était initialement fixée l’archéologie — si l’on
dent pour son éclairage personnel. Ce détournement sera cifique est en outre une condition nécessaire de l’identité à la première personne, de la question objective « Qui est- me permet provisoirement cette formule « personnifiante »
présenté comme provisoire, et personne ne s’attendra à voir numérique : pour être ce vase-là, unique au monde, encore ce ?/Qui sont-ils ? », qui devient, de manière plus subjective : et rétrospective —, était bien celui d’une systématique des
figurer ce type d’objet dans une rubrique de catalogue qui faut-il que l’objet appartienne à l’espèce ou la sorte des « Qui suis-je ?/Qui sommes-nous ? » Le sujet porte désormais peuples ou civilisations, et de leurs productions matérielles.
soit proche des luminaires ou de la literie. vases, en général. Le troisième type d’identité, dite « qua- un jugement sur lui-même et ses affiliations, s’interrogeant Et, bien avant que le terme d’identitaire ne lui soit familier,
litative », est beaucoup plus faible que la précédente, dans à la fois sur son caractère et ses appartenances à diverses cette discipline usait déjà — mais sans le dire ostensible-
À la suite de J. Searle (1998), lorsqu’il y a imposition col- la mesure où elle n’est ni une condition nécessaire, ni suffi- communautés humaines — la plupart du temps, l’interroga- ment, et plutôt selon l’acception dite identique — d’un ques-
lective d’une fonction à des entités qui ne peuvent l’accom- sante de l’identité numérique, comme on le voit bien à pro- tion est d’ailleurs vite remplacée par une affirmation. Lors tionnement sur l’identité des artefacts, et de leurs produc-
plir en vertu de leur seule structure physique — ce qui n’est pos de individus qui vieillissent et qui ressemblent de moins de cette opération, un attribut jugé suffisamment significa- teurs. On admet maintenant que ces objets étaient pris dans
évidemment pas le cas du tabouret précédent —, on parle en moins à ceux qu’ils ont été. Elle indique donc la simila- tif peut dès lors prendre une valeur identitaire, à l’occasion des dynamiques culturelles qui nous échappent en grande
de « faits institutionnels ». L’exemple classique est celui du rité et se rapporte au langage courant, lequel évoque parfois de tactiques ou de stratégies. Ces questions d’amour-propre, partie, plutôt qu’ils ne relevaient de grandes entités stables
billet de banque (B) qui ne sert ni à la lecture, ni à allumer deux vases identiques, alors qu’on voit bien que l’un peut avec leurs plus ou moins grandes intensités et assurances, aux contours bien définis (les « cultures archéologiques » de
le feu la plupart du temps, mais vaut pour de l’argent (A). être distingué de l’autre, quitte à leur adjoindre un signe, ne sont pas neuves sous nos cieux, en tout cas bien anté- V. G. Childe ou de G. Kossina). C’est une vertu des concepts
On peut alors dire : B compte comme A dans le contexte C, un numéro par exemple, de manière à ce qu’ils ne soient pas rieures aux recherches des scientifiques des années 1970 ; ce anthropologiques que de nous permettre de reconsidérer la
celui-là même où l’on reconnaît cette équivalence, pour un confondus. Elle admet des degrés et constitue le critère prin- qui est nouveau est le fait de les poser en termes d’identité. manière de présenter notre documentation, même si leur
temps et un espace donnés. Il existe donc un genre d’inten- cipal de nos typologies, lorsque celles-ci sont construites à Aucun Grec, ni même un contemporain de J. Locke, n’aurait application à l’archéologie demeure problématique.
tionnalité collective par laquelle cette fonction est imposée partir des éléments constituants de choses que l’on désire évoqué quelque chose comme « son identité », même s’il
à un bout de papier imprimé (B). Et, dans cette affaire moné- classer statistiquement. Ainsi, sans surprise, retrouve-t-on avait une bonne idée de ce qu’était pour l’un, un hellène, et Pour répondre aux questions identitaires courantes —
taire, l’argent (A), est une abstraction qui n’a pas d’existence dans une même classe toutes les choses qui se ressemblent pour l’autre, un philosophe anglais du xviie s. Car, l’identité « que dit-on qu’il est ? » ; « que dit-il être ? » ; « quel effet
concrète en dehors de sa représentation. Ce changement de et qui peuvent donc être dénombrées. Le concept d’espèce telle qu’elle a d’abord été appréhendée, celle qui se réfère à cela fait-il sur eux ? » — les agents recourent générale-
statut que l’on fait subir à un objet pour qu’il soit équivalent est quelque peu différent, dans la mesure où il se réfère l’identique, fonctionne au couperet du oui et du non, alors ment à des identités collectives. Il n’y a pas vraiment de
à une représentation doit se faire par des mots ou d’autres à des entités naturelles identifiées par leurs microstruc- que celle-ci, dite identitaire, est graduelle. Elle repose en consensus à propos de ce concept relationnel, les avis se
moyens symboliques, c’est-à-dire des entités publiques et tures — avec, de surcroît, le critère d’interfécondité pour effet sur des degrés d’intensité qu’une personne physique partageant entre des positions nominalistes ou holistes
conventionnelles, lesquelles peuvent être susceptibles d’une les organismes — ou encore, à des artefacts que l’on renvoie ou morale (peuple) investit dans sa volonté d’être soi. L’em- (Descombes 1996). Pour les premières, il n’existe finalement
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Philippe Boissinot De quelle identité parlons-nous entre historiens et archéologues ?
que des individus qui peuvent être regroupés en classes, parce que des hommes pensent qu’elles existent et, en géné- mais nos possibilités cognitives diffèrent eu égard à la Descombes V., 1996 : Les institutions du sens, Paris.
en fonction de leur sorte, comme le décrit la théorie des ral, cela participe d’un certain amour-propre, et surtout, nature des entités à considérer, associées à des points de vue Descombes V., 2011 : « Réflexions sur les questions d’identité »,
ensembles ; tout groupe correspond à une fiction com- de représentations. Selon la théorie holiste, ces sociétés et des énoncés linguistiques dans un cas (histoire), et pas Bulletin de la Société Française de Philosophie 103(3).
mode, pour pallier notre méconnaissance du compor- ou cultures existent quand même, mais ce sont des entités dans l’autre (archéologie). Si bien que, parfois, les identités
Descombes V., 2013 : Les embarras de l’identité, Paris.
tement des humains particuliers. Pour les secondes en différentes de leur support matériel. Un tel constat ne peut paraissent-elles comme « emmêlées » (Boissinot 2005). Mais
revanche, les entités collectives existent de plein droit, à être qu’un défi lancé à l’interprétation archéologique. ce que nous perdons d’un côté, nous le gagnons de l’autre, Dubar C., 2004 : La crise des identités. L’interprétation d’une mutation,
côté des individus, et c’est pour cette raison que l’on peut la force probante de la fouille n’étant pas celle du témoi- Paris.
dire que « Rome a vaincu Carthage », sans que, distributive- gnage écrit ; une situation qui serait encore différente dans Erikson E., 1972 : Adolescence et crise. La quête de l’identité, Paris.
ment, tous les Romains aient vaincu tous les Carthaginois. 4 Que pouvons-nous faire ? le cas d’une enquête sociologique, toujours à partir des
Cette position holiste se conjugue avec la « méréologie », ou mêmes concepts. Ferret S., 1996 : Le bateau de Thésée. Le problème de l’identité à
travers le temps, Paris.
étude des relations tout-parties, les groupes en question
n’étant plus abstraits, comme dans la conception nomi- Lorsque nous disposons de textes qui, assurément véhi- Ferret S., 1998 : L’identité, Paris.
naliste, mais constituant des touts concrets, où comptent culent un point de vue et une objectivité toute relative,
Godin C., 2004 : Dictionnaire de philosophie, Paris.
non seulement les individus regroupés en raison de leurs nous les soumettons, lorsque cela est possible, à la double Bibliographie sélective
propriétés, mais également les relations que ces individus critique (interne et externe) que tout document historique Kaufmann J.-C., 2004 : L’invention de soi. Une théorie de l’identité,
entretiennent entre eux. L’exemple classique est celui de doit affronter. L’archéologie constitue parfois l’une de ces Boissinot Ph., 1998 : « Que faire de l’identité avec les seules Paris.
la bibliothèque, laquelle est non seulement constituée de épreuves externes, mais souvent peine-t-on à trouver un méthodes de l’archéologie ? », dans A. D’Anna, D. Binder, Lenclud G., 2005 : « Identité et changement sont-ils compa-
livres, mais également de relations spatiales entre ces dits référent commun entre les deux types de sources. Productions et identités culturelles, Antibes, p. 17-25. tibles ? », dans M. Blay (dir.), Grand dictionnaire de la philoso-
livres, rangés d’une certaine façon et selon une accessibilité Boissinot Ph., 2005 : « Sur la plage emmêlés : Celtes, Ligures, phie, Paris, p. 512-516.
particulière : c’est un exemple de tout concret, pour lequel Évidemment, les stéréotypes qui se trouvent dans les Grecs et Ibères dans la confrontation des textes et de l’ar- Lenclud G., 2007 : « Être un artefact », dans O. Debary, L. Turgeon
on peut prédiquer, dire par exemple que ladite bibliothèque représentations (textes, images) n’ont pas lieu d’être confron- chéologie », dans Ph. Boissinot, P. Rouillard (dir.), Lire les terri- (éd.), Objets et Mémoires, Paris-Québec, p. 59-90.
est agréable pour travailler, que les livres s’y trouvent faci- tés aux choses découvertes dans les agrégats, car ce sont toires des sociétés anciennes, MCV 35-2, Madrid, p. 13-43.
lement, et que le système de classement adopté est parti- avant tout des croyances partagées, des points de vue que l’on Lenclud G., 2008 : « Identité et identités », L’Homme 3-4, p. 447-462.
Boissinot Ph., 2011a : « Comment sommes-nous déficients ?
culièrement utile. Un tout abstrait équivalent serait de ne peut retrouver dans les realia. Ainsi, l’assemblage présent Une manière d’envisager la spécificité de l’archéologie », Nef F., 2009 : Traité d’ontologie pour les non-philosophes (et les
considérer les livres un à un, et d’admettre, finalement, au sein d’une tombe par exemple évoque très certainement dans Ph. Boissinot (dir.), L’archéologie comme discipline ?, philosophes), Paris.
qu’une fois les livres vendus et disséminés à travers les dif- des croyances, mais nous ne savons pas exactement quel en Paris, p. 265-308. Proust J., 2010 : Les animaux pensent-ils ?, Paris.
férents acheteurs, la « bibliothèque » existerait toujours, est leur contenu, si ce n’est, de manière hypothétique, en se
Boissinot Ph., 2011b : « L’ethnicité en mode régressif, de l’âge Ricœur P., 1983 : Temps et récit, tome 1, Paris.
au moins potentiellement ; mais, si un seul livre venait à livrant à d’heuristiques comparaisons anthropologiques. Si
du Fer à l’âge du Bronze. Quelques problèmes épistémolo-
disparaître, il ne s’agirait plus de la même bibliothèque. l’on reprend la définition générale, on peut dire que les sté- giques », dans D. Garcia (dir.), L’âge du Bronze en Méditerranée. Searle J., 1998 : La construction de la réalité sociale, Paris.
Si l’on veut comprendre les textes historiques, nous avons réotypes, en plus de s’énoncer verbalement, visent des traits Recherches récentes, Paris, p. 171-192.
assurément besoin d’une conception concrète des touts, et de personnalité, mais aussi des comportements propres à Schaeffer J.-M., 2007 : La fin de l’exception humaine, Paris.
donc d’une approche holiste, sinon nous risquons de faire des groupes de personnes (Bourhis, Leyens 1999, p. 129). Or, Besson C. et al., 2011 : « Bonne fouille ne saurait mentir »,
Sigaut F., 1991 : « Un couteau ne sert pas à couper, mais en cou-
Terrain 57, p. 48-65.
des inférences risquées chaque fois qu’il s’agira d’expliciter aussi bien le concept de « personne » que celui de « groupe » pant. Structure, fonctionnement et fonction dans l’analyse
ce que c’est que d’être romain ou carthaginois, et de com- sont problématiques lorsqu’on ne dispose que des seules res- Bourhis R. Y., Leyens J.-P. (éd.), 1999 : Stéréotypes, discrimination des objets », dans 25 ans d’études technologiques en préhistoire :
prendre leurs agissements. L’archéologie quant à elle s’est sources de l’archéologie (Boissinot 1998, 2011a). En effet, on et relations intergroupes, Sprimont. bilan et perspectives, Antibes, p. 21-34.
montrée très performante dans son traitement statistique n’est pas une personne à soi tout seul ; il est donc nécessaire Brubacker R., 2001 : « Au-delà de l’identité », Actes de la Recherche Veyne P., 1970 : Comment on écrit l’histoire ?, Paris.
des collections d’artefacts. Les « cultures archéologiques » pour la définir de savoir comment un particulier entre en en Sciences Sociales 139, p. 66-85.
que l’on tente de restituer en effet, ne sont rien d’autre que relation avec d’autres particuliers, et comment celui-ci négo-
des touts abstraits obtenus par la théorie des ensembles, cie sa position au sein de collectifs. Et ces derniers, nous l’avons
et ce n’est pas par simple convergence que ces entités sont vu, peuvent au mieux être saisis de manière abstraite, en trai-
restituées grâce à des « patates », les équivalents géogra- tant de collections de choses selon la théorie des ensembles,
phiques des diagrammes de Venn des mathématiques et non de manière concrète, grâce à la méréologie, laquelle,
(Boissinot 2011b). Mais, vouloir les utiliser comme des touts si elle pouvait s’appliquer à partir des traces matérielles, per-
concrets n’est pas sans poser de redoutables problèmes… mettrait un meilleure correspondance avec les données tex-
tuelles — dans le domaine des identités collectives il s’entend.
Tous les hommes sont mortels, nous le savons bien. Cependant, lorsque les recherches archéologiques sont suffi-
Cela veut dire que, distributivement, chaque homme va samment développées, et les textes, nombreux et explicites
connaître un jour la mort, une propriété essentielle à la (archéologie des périodes historiques), est-il possible de trou-
définition de l’homme. Être grec, romain ou celte ne consti- ver et de nommer le ou les meilleurs candidats pour les traces
tuent pas des propriétés équivalentes. On est grec, à plu- retrouvées dans les agrégats, et ainsi, d’un peu mieux cerner
sieurs, mais en interagissant ; c’est ainsi que l’on participe « ce qui s’est passé ici ». Cette assurance prise, on peut revenir
d’une identité collective. Alors que l’on reste mortel, sans aux textes et leur faire subir la critique externe dont nous
interagir, et quelle que soit la représentation de la mort que avons parlé, et éventuellement juger de la force des préjugés.
l’on peut avoir. Et l’on peut se revendiquer grec dans cer-
taines circonstances, ou selon d’autres appellations, dans Pour le dire en quelques mots, entre historiens et archéolo-
d’autres cas ; on restera cependant mortel, quelle que soient gues — quand nous ne sommes pas les deux conjointement —
les situations. Les sociétés ou les cultures n’existent que nous possédons assurément la même logique de l’identité,
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