La Religion

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Quelques problématiques :

⇒ La foi s’oppose-t-elle à la raison ?


⇒ Comment justifier la croyance en Dieu ?
⇒ Le monde est-il absurde ?
⇒ La physique peut-elle prouver l’existence de Dieu ?

«Il n’existe entre les religions et la science véritable ni parenté, ni amitié, ni même inimitié : elles vivent sur
des planètes différentes.» (Nietzsche)

Comment expliquer l’universalité du fait religieux et la variété de ses formes ? Si toute société conçoit une
ou des religions, n’est-ce pas que celles-ci ont à voir avec celle-là ?
On est bien loin d’une réflexion qui fait de la religion un phénomène individuel, personnel, «qui ne regarde
que moi » : quelle que soit la nature des réponses apportées par chacun à l’interrogation religieuse, il faut
reconnaître que la religion est une dimension de l’homme avant d’être individuelle.

I – Notion

 Définir la religion par la foi en Dieu ou en des dieux paraît bien restrictif, certaines religions comme
le bouddhisme par exemple, se désintéressant de toute théologie. Selon une étymologie, « religion » provient
du verbe latin « relegere » qui signifie rassembler de nouveau. Le substantif « religio » signifie l’attention
scrupuleuse, le sentiment de respect, la vénération.
Plus anciennement, l’étymologie renvoie à l’idée de lien matériel, de nœuds exigés pour l’accomplissement
d’un rite.

 Quoiqu’il en soit de son étymologie contestée, la religion traduirait une attitude de révérence
craintive devant les mystères de l’existence, variante du sentiment du sacré.
Peut-être faut-il s’en tenir à la définition très générale qu’en donne Durkheim : «Une religion est un système
solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées.»

II – L’absence de religion est-elle concevable ?

A – La tradition matérialiste
 Depuis Lucrèce, la tradition matérialiste démontre que toutes les religions relèvent de
comportements irrationnels et aberrants. Elles ont pour seule source l’ignorance des causes et la peur de la
mort. «La religion est le soupir de la créature accablée, le cœur d’un monde sans cœur comme elle est
l’esprit d’un monde sans esprit. Elle est l’opium du peuple.» (Marx)

 En l’absence d’une explication rigoureuse et rationnelle du monde, l’homme exprime par la religion
son incapacité totale à maîtriser la nature. Aujourd’hui, la science et la technique sont en mesure d’assurer à
l’homme cette maîtrise du monde. La religion est donc devenue inutile puisque la science explique ce que la
religion rattachait au surnaturel.

 Les doctrines religieuses ne sont pas produites par l’expérience ni par la réflexion, mais constituent
des formes de satisfaction de désirs inconscients. La religion, selon Freud, satisfait bien en nous le désir
archaïque d’être protégé et aimé. Mais, d’un point de vue psychanalytique, il apparaît qu’elle nous enferme
dans l’illusion et l’infantilisme. On doit travailler à prendre conscience de la réalité, si dure qu’elle soit, pour
l’affronter lucidement, en adulte.

B - Le fait religieux est une composante de toutes les sociétés humaines

 L’attitude religieuse est un trait commun à tous les hommes parce qu’il est impossible de donner un
sens à sa vie sans se référer à un absolu. La religion est soif d’absolu.
Comme le fait remarquer Mircea Eliade, le mot « religion » n’implique pas obligatoirement une croyance en
Dieu ou en des esprits.

 La religion se réfère à l’expérience du sacré, elle est donc « liée aux idées d’être, de signification et
de vérité ». Et personne ne peut vivre sans une valeur référence quel que soit le nom qu’on lui donne.
«II y a des choses qu’il faut bien accepter sans les comprendre ; en ce sens nul ne vit sans religion.» (Alain)

 Le fait religieux semble donc bien être une composante des sociétés humaines : toutes les
civilisations présentent un faisceau de conduites et de croyances dans lesquelles nous reconnaissons ce fait.
Toutes les sociétés, même celles qui n’ont laissé aucun texte, ont laissé des traces de rites : «Il n’y a jamais
eu de société sans religion», dit Bergson.

 C’est la religion qui lie les hommes les uns aux autres. Pour cette raison, Auguste Comte, athée
convaincu, prônait une religion de l’humanité afin que les hommes soient reliés à travers les siècles et que
l’individu soit intégré à la société.
En effet, l’homme a besoin de rites pour humaniser sa vie. C’est ce qui fait écrire à Michel Serres : «Qui n’a
point de religion ne doit pas se dire athée ou mécréant, mais négligent.»

C – La religiosité

 La religion traduit une attitude de révérence devant les mystères de l’existence. Un monde devenu
entièrement profane, dans lequel tous les liens seraient équivalents, serait un monde irréligieux. Mais
l’existence d’un tel monde est peu probable.
Même dans les sociétés contemporaines les plus fortement laïcisées, on peut remarquer des résidus de
conscience religieuse : la religiosité qui naît du sentiment qu’a l’homme de sa finitude et de sa dépendance à
l’égard de réalités qui le dépassent.

Une religion consolatrice est nécessaire parce que la réalité, sans cette protection, est source de
souffrances intolérables. C’est pourquoi Bergson, comme Hume avant lui, estime que la religion a une
fonction sociale et pratique, celle de protéger la vie contre «le pouvoir dissolvant de l’intelligence» en
constituant une assurance contre la dépression morale devant la mort et l’imprévisibilité du monde. La
religion rassure.

D – La diversité religieuse

 Mais si l’attitude religieuse est bien un trait commun à tous les hommes, les religions sont diverses.
Chaque civilisation a vu le divin à sa manière, selon les connaissances, les aspirations, les conditions de vie...
Ainsi, les religions de l’Inde et de l’Extrême-Orient, pour leur part, ne sont pas fondées sur le divin, mais sur
le sacré. Dans la religion chinoise, rien ne correspond à ce que nous appelons un Dieu.

 Dans la religion bouddhique non plus. Bouddha n’est pas adoré ; il n’a jamais affirmé qu’il fût dieu,
son nom signifie le Sage. Le bouddhisme affirme que la souffrance est le fond de toute existence. Pour le
Bouddha, cette souffrance résulte du désir, de la «soif d'exister», qui dérive elle-même de l'ignorance. Parce
qu'on ne sait pas, on s'attache (aux autres, aux choses), et l'on finit toujours par souffrir. Tel est le lot de
l'homme, tant qu'il demeure prisonnier de ses propres illusions.

 Le bouddhisme se propose d'affranchir l’homme de tous les liens (désirs, passions, haines) qui
l'enchaînent à la vie terrestre et qui ne lui apportent que douleurs et tourments. La prédication du Bouddha
n'est donc pas tellement éloignée de l'enseignement moral d'un Epictète ou d'un Marc-Aurèle, qui conçoivent
la liberté comme la maîtrise des passions et l’assentiment à l'ordre universel.
Quant au brahmanisme, son dogme fondamental est la métempsycose, et c’est la croyance religieuse qui a le
mieux réussi à exorciser la mort.

 Pour subsister ainsi malgré leur diversité, malgré tant de changements subis au cours des âges, les
religions ne correspondraient-elles pas, si l’on peut dire, à un besoin naturel de surnaturel ?

III - La foi

«La religion en tant que consolation est un obstacle à la véritable foi.» (Simone Weil)
La méditation sur la foi tend à purifier le contenu de la croyance, à en mesurer les insuffisances, à former de
Dieu une idée plus profonde. Il ne s’agit plus de chercher à démontrer, car on ne le peut pas, il faut seulement
chercher à montrer.

A – L’absence de Dieu

 L’être humain qui a soif d’absolu ne peut que se désespérer, car il ne trouve ici-bas que souffrance,
déception, erreur. Il ne lui reste plus qu’à adopter une attitude stoïque faite d’impassibilité et de détachement
face à une destinée qui lui échappe, qu’à fortifier son « moi » pour ne plus souffrir.
L’optimisme de Leibniz n’est pas de mise, mais plutôt le pessimisme désabusé de Schopenhauer. Dieu est
absent du monde, où règne le mal. Il est inaccessible.

 Les existentialistes trouvent dans l’engagement politique une compensation à l’absence de Dieu.
Après Nietzsche, qui annonçait la «mort de Dieu», ils prônent le «renversement des valeurs» : suppression
des valeurs métaphysiques inatteignables – Dieu, le bien en soi, l’être (ce que Platon appelait le «monde des
Idées») – et leur remplacement par des valeurs humaines, concrètes, politiques ou sociales – l’existence, la
liberté, la révolte ou la révolution.
B - L’attachement à un Sujet

 L’essentiel de la foi du fidèle, ce à quoi il s’attache, ce n’est pas à un objet dont il disposerait pour
l’avoir formé à partir de ses désirs, c’est à un Sujet, un être doué de vie, mystérieux, inaccessible aux prises
habituelles de notre pensée, de notre action, qui ne se livre que par grâce dans le témoignage qu’il rend de
lui-même, par la Révélation ou la prescription des dogmes et des pratiques.

 D’où l’idée essentiellement religieuse d’une tradition qui transmet la Révélation : l’homme est créé
«à l’image de Dieu, et comme à sa ressemblance» ; l’homme est une créature animée et spirituelle, dont la
destinée est tout autre que celle des animaux.

 Ce rapport à Dieu définit ce qui est fondamental dans la nature humaine ; mais il ne permet pas de
pénétrer dans l’Etre divin. Ce que Dieu révèle de lui-même dans notre histoire, aucun effort de la nature
humaine ne peut l’atteindre.
 Les explications philosophiques, métaphysiques, psychologiques ou sociologiques ne sauraient en
rendre compte. Dieu est la source de tout ce qui est bon sur terre. Pour en avoir conscience, il faut se
dépouiller de tout orgueil, accéder au divin dans l’illumination de l’expérience mystique.

C - L’expérience religieuse

 L’expérience religieuse est personnelle et inviolable, impénétrable aux incroyants et aux autres
croyants. En effet, si la science, d’emblée, fait face à la réalité que personne ne met en doute, la foi doit
montrer, manifester qu’elle réfère à autre chose que la seule subjectivité croyante : l’objet de la foi ne
s’inscrit pas dans le champ de l’expérience habituelle ni scientifique et il semble qu’il n’y ait rien pour le
justifier.

 Dieu, s’il est, ne saurait constituer un élément de la réalité, celle qui s’impose à nous. Il faut donc
que la foi rende compte elle-même de sa légitimité dans un discours. La foi peut se vérifier en montrant ce
que concrètement elle change à la vie, mais ces changements ne sont observables et significatifs qu’à la
lumière de la foi elle-même.
La foi ne peut donc jamais se vérifier totalement ni se stabiliser en certitude à la manière de la science.

D - Le mysticisme et la grâce

 Il faut renoncer à l’orgueil par un processus de « décréation », affirme Simone Weil. Ce qu’il faut
alors, c’est s’anéantir, renoncer au « moi », en s’isolant, en s’adonnant à des travaux humbles, en acceptant
de souffrir, comme le Christ sur la croix.

C’est par ce processus de «décréation», proche de l’esprit des Evangiles ou de certaines religions orientales,
que l’on peut faire le vide et se rendre disponible pour recevoir la grâce.
«La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour le recevoir.» (S. Weil)
 En se libérant de la « pesanteur » du monde matériel, l’homme, épris d’absolu, peut accéder au
monde surnaturel de la « grâce ». Il doit pour cela rabaisser son orgueil.

Cet ascétisme intransigeant vise à rejeter non seulement l’amour-propre, mais tout ce qui pourrait nous
rattacher au monde des hommes : espérance, souvenir, désirs, idéaux politiques... Seul le vide intérieur
permet à l’âme d’être touchée par la grâce. Simone Weil n’a pas trouvé dans l’action politique – elle fut
communiste – une réponse à sa soif d’absolu.

C’est pourquoi elle s’est tournée vers la religion, tout en rejetant les Eglises en tant qu’institutions car celles-
ci servent souvent à distiller une conception édulcorée de la foi, quand ce n’est pas à justifier un ordre
social injuste et oppressif. Elles ne peuvent donc pas satisfaire notre besoin d’absolu en nous
rapprochant de Dieu.

IV – Foi et raison

A - La foi véritable suppose l’abandon de la raison

 Pour Pascal, la foi ne peut résulter que d’un renoncement aux prétentions de la raison. «Le cœur a
ses raisons que la raison ne connaît pas… La foi est un don de Dieu. Ne croyez pas que nous disions que
c’est un don du raisonnement... C’est le cœur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi,
Dieu sensible au cœur, non à la raison.»
Même si Pascal fut mathématicien et philosophe, il considère que la raison est seulement capable de faire
comprendre à l’homme la misère de sa condition.
 Au XVII et au XVIII èmes siècles, les philosophes, de Spinoza à Voltaire en passant par Hume, vont
critiquer la religion révélée parce qu’elle est contraire à la raison. Les dogmes de la religion chrétienne sont
considérés comme des «superstitions» qui ne résistent pas à un examen critique.

 Hume, dans son Histoire naturelle de la religion, montre que l’homme a recours à la religion parce
qu’il est incapable de trouver des causes naturelles aux phénomènes qu’il observe. La croyance en
l’existence d’une divinité remédie à cet échec. Il est par conséquent illusoire de prétendre, comme le fait la
religion, que les devoirs moraux découlent d’une volonté divine.

 Voltaire a combattu les croyances et les dogmes, car ils imposent des actes qui échappent à la raison
et conduisent au fanatisme.
«Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui, en
conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?» (Voltaire, Dictionnaire philosophique)

 Le conflit entre religion et raison se fait d’autant plus sentir dans le domaine de la science. Ainsi, au
XIX è siècle, les sciences naturelles ont-elles pu entrer en conflit avec la version biblique de l’histoire du
monde. La philosophie donc, en tant que quête rationnelle du vrai et de la vertu, en tant que réflexion se
nourrissant des lumières de la science, doit se démarquer radicalement de tout esprit religieux.

 Les philosophes matérialistes n’admettent pas d’autre réalité que la matière et professent
généralement leur total athéisme. Marx dit de la religion qu’elle est l’«opium du peuple», une illusion qui
empêche les masses de réfléchir et de prendre conscience de leur servitude.

 Au XX è siècle, les philosophes de l’absurde constatent l’impuissance de la raison à donner un sens


à la vie tout en refusant d’accomplir le saut dans la foi. Pour croire, il faut renoncer à soumettre la foi à
l’examen critique de la raison.

B - La réconciliation de la foi et de la raison

 A partir de saint Augustin, les docteurs de l’Eglise se sont employés à réconcilier la foi et la raison.
Saint Augustin disait déjà que la raison confirme ce que la foi nous révèle.

Enfin, l’«argument ontologique» énoncé par saint Anselme sera repris par Descartes : bien qu’étant un être
fini, je puis concevoir l’idée d’un Dieu parfait et infini. Comme le fini ne peut pas contenir l’infini, c’est que
cette idée m’a été donnée par Dieu ; donc Dieu existe.

 Les philosophes de l’âge classique admettent l’idée d’un Dieu créateur. Hume et la plupart des
philosophes des Lumières pensent qu’il existe une «religion naturelle» qui est conforme à la raison. Le
déisme pose comme certain qu’un dessein divin, une intelligence supérieure se manifestent dans l’ordre et la
beauté de la nature.

 Kant va plus loin dans l’affirmation d’un lien entre la religion et la raison. L’existence de Dieu est
pour lui un postulat de la raison pratique, celle qui se préoccupe de la loi morale. Dieu n’est pas seulement
un créateur : il est une condition sans laquelle les exigences morales perdent leur sens.

C – Une tradition séparatrice

 Héritiers d’une tradition théologico-philosophique médiévale, saint Augustin, saint Anselme, saint
Thomas d’Aquin, cherchent à concilier la foi et l’héritage philosophique grec.
Les philosophes des Lumières, dont Voltaire disions-nous est l’une des grandes figures, plus de deux siècles
plus tard, vont au contraire vouloir la séparation radicale de la religion et de la philosophie.

 Témoins des cruelles persécutions dont furent victimes les protestants, témoins également du progrès
des sciences et des techniques, ils défendirent la raison philosophique contre l’obscurantisme et le
dogmatisme de la religion.
Aujourd’hui, la séparation entre religion et philosophie semble être consommée ; ce qui ne signifie pas que
pour être un philosophe digne de ce nom, il faut être athée.

 La raison et la religion ne sont pas incompatibles parce qu’elles ne sont pas du même ordre. La
raison ne nous permet pas, en effet, de saisir les fins ultimes de l’existence. Ainsi, beaucoup de scientifiques
ne sont pas pour autant des matérialistes et croient en l’existence d’un Dieu créateur. Cela ne les empêche
pas de chercher à percer les secrets de la matière.

La foi qui s’oppose à la raison est celle qui, contre la science, contre les preuves qu’elle avance, continue à
préférer des dogmes qui relèvent de la pure superstition. Même la religion révélée peut être conciliée avec
l’usage de la raison et avec la science, si l’on considère qu’elle donne à l’univers une interprétation
symbolique.

V - La liberté religieuse

A - L’intolérance religieuse mène à la guerre

 La foi est du domaine de la vie privée et spirituelle. Le pouvoir politique ne doit donc pas s’en mêler,
sauf si les pratiques religieuses menacent la bonne marche de la société ou les libertés individuelles. Il est
inadmissible qu’au nom de la foi des intégristes catholiques s’opposent à ce que la loi permet (l’avortement)
ou des fanatiques musulmans posent des bombes. «L’intolérance est aussi absurde qu’horrible.» (Voltaire)

 Les persécutions et la guerre surviennent lorsqu’un Etat ne tolère qu’une seule religion. L’empire
romain a persécuté les chrétiens, les chrétiens ont persécuté les juifs, les musulmans et les non-croyants.
Les guerres de religion sont les plus sanglantes. Les gouvernements théocratiques – ceux qui se disent
inspirés de Dieu – aboutissent souvent à la tyrannie.
 Les Eglises, de quelque confession qu’elles se réclament, sont généralement un obstacle à la liberté.
Elles tendent à vouloir imposer une seule croyance religieuse à la société. Il importe donc que l’Etat reste
neutre dans les questions religieuses.

B – Voltaire et les discriminations religieuses

 A l’époque de Voltaire, et presque deux siècles après l’Edit de Nantes (1598), qui mettait
provisoirement fin aux guerres de religion, les protestants faisaient toujours l’objet de mesures
discriminatoires. Contraints de se convertir au catholicisme, ils n’étaient jamais que des «nouveaux
catholiques» c’est-à-dire d’«anciens protestants ».

 Le 13 octobre 1761 au soir, l’un des fils de Jean Calas est retrouvé assassiné. Sans preuve, Jean
Calas est accusé d’avoir tué son fils pour l’empêcher de se convertir. Quelques mois plus tard, il est mis à
mort en subissant le supplice de la roue. Sous la torture, il continuera de crier son innocence.

 Voltaire s’en prend à l’Eglise catholique romaine qui persécute les protestants. Mais aussi à toutes
les formes de croyances, de convictions s’imposant par l’injustice, la violence, la terreur, le meurtre. Il
défend l’harmonie entre les hommes, l’harmonie entre les peuples.
Il montre que le droit naturel, qui «est celui que la nature impose à tous les hommes», se fonde sur le respect
et peut se résumer ainsi : «Ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît.» En vertu de ce principe,
vouloir imposer à autrui sa propre croyance, c’est ne plus le respecter et, par conséquent, c’est lui faire
violence. «Le droit de l’intolérance est (…) absurde et barbare : c’est le droit des tigres.» (Voltaire)
C - On ne peut tolérer l’intolérance

 Voltaire montre que l’intolérance n’est pas le propre de la religion. Elle est une exception et non une
règle générale. Voltaire, se référant tout autant aux cultures grecque, latine, chinoise qu’au judaïsme, à
l’histoire du christianisme, aux Evangiles, montre, à l’aide de nombreux exemples, que l’esprit qui anime la
morale, la religion, les mœurs de chaque peuple est toujours un esprit de tolérance.
La raison en est simple : le droit naturel indique aux hommes qu’ils se doivent un respect mutuel.

 Dès lors que ce respect est nié, que le fanatisme l’emporte sur le libre échange des idées, sur la
compréhension réciproque des coutumes et des croyances des uns et des autres, apparaît la violence et, avec
elle, la souffrance, la douleur, l’injustice, la haine. «II est ( ) de l’intérêt du genre humain d’examiner si la
religion doit être charitable ou barbare.» (Voltaire)

 Voltaire déclare : «Il faut (...) que les hommes commencent par n’être pas fanatiques pour mériter la
tolérance.» Autrement dit, on ne peut pas tolérer l’intolérance. C’est à cette seule condition que l’intolérance
peut relever du droit humain, lequel n’est jamais que la reconnaissance du droit naturel.

C’est donc au nom du respect de l’homme pour l’homme que je dois, moralement, faire preuve
d’intolérance dès lors qu’une religion, une pensée, un code moral, un système politique s’imposent non par la
raison, mais par la violence, qu’elle soit physique ou psychologique.
«Moins de dogmes, moins de disputes ; et moins de disputes, moins de malheurs : si cela n'est pas vrai, j'ai
tort.» (Voltaire)

D - Toute religion a ses fanatiques

 Chaque religion croit être la seule véritable et considère ceux qui croient autrement comme des
infidèles. Il est vain de vouloir les faire coexister harmonieusement, car le sentiment religieux est plus fort
que le sentiment d’appartenance à un Etat. Comme nous l’a montré la guerre en ex-Yougoslavie, l’Etat laïque
yougoslave n’a pas pu éliminer le conflit entre les Bosniaques musulmans et les Serbes chrétiens orthodoxes.

 Les fanatiques veulent imposer un pouvoir religieux sur toute la société, fonder une théocratie. C’est
le cas en Iran, en Afghanistan et dans les pays musulmans où les fondamentalistes rejettent le pouvoir laïc.
Pour ces régimes, l’obéissance à des principes religieux très stricts prime sur les libertés individuelles.

La religion n’est pas seulement une affaire privée. Elle fait partie de l’identité d’une société. L’affaire du
port du foulard islamique à l’école en France a illustré le conflit qui peut surgir entre les valeurs culturelles
de l’Occident et celles d’une religion « étrangère » plus ou moins intégrée.
L’Etat peut-il considérer toutes les religions sur un pied d’égalité, et ne pas privilégier celle qui s’accorde à
la culture et aux traditions de la majorité des citoyens ?

E – La séparation de l’Eglise et de l’Etat

 Pour Locke, le pouvoir politique et la religion doivent être séparés. La foi religieuse est du domaine
de la vie intérieure de chacun. Le pouvoir politique, de son côté, se borne aux affaires civiles et temporelles.
«L'autre chose qui possède un droit légitime à une tolérance sans limite, c'est le lieu, le temps et les
modalités du culte divin, car il s'agit là d'une affaire qui a lieu exclusivement entre Dieu et moi ; elle (... ) est
au-delà de l'atteinte et de la compétence de la politique et du gouvernement, qui ne sont destinés qu’à
procurer mon bien-être dans ce monde.»

 La « Déclaration des droits de l'homme » de 1789 dit que la « libre communication des pensées et
des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ». Voilà qui implique la liberté de culte. L’Etat
doit être laïc, neutre. La liberté de culte fait partie des libertés individuelles ; l’Etat doit donc la garantir.

 Dans la pratique, la véritable liberté religieuse n'est possible que si les religions elles-mêmes sont
tolérantes et renoncent à imposer des règles à la société.
VI - Position indirecte du problème de Dieu

Dieu existe-t-il ? Le problème est rarement posé de cette façon. Souvent, une méthode indirecte est utilisée,
établissant à la source de l’affirmation à critiquer, la présence de motifs biologiques, psychologiques, sociaux
: c’est l’attitude dite du psychologisme.
«Autrefois on cherchait à démontrer qu’il n’y a pas de Dieu ; aujourd’hui on montre comment cette foi en
l’existence de Dieu a pu se former.» (Nietzsche)

A - L’argumentation de Nietzsche

 Nietzsche propose une critique célèbre de christianisme : ce sont les esclaves, les vaincus de la vie
qui ont inventé l’au-delà pour compenser leur misère.

Ils ont imaginé de fausses valeurs pour se consoler de ne pouvoir participer aux valeurs authentiques, aux
valeurs des maîtres et des forts. Ils ont forgé le mythe du salut de l’âme parce qu’ils n’avaient pas la santé du
corps. Ils ont «inventé un autre monde pour pouvoir calomnier celui-ci et le salir ». Ils ont forgé la fiction du
«péché» parce qu’ils ne pouvaient participer aux joies terrestres de la pleine satisfaction des instincts.

B - L’argumentation marxiste

 La critique psychosociologique avait été inaugurée par Feuerbach : l’homme se projette dans le ciel
en le séparant, en l’aliénant de lui-même, le rêve de justice qu’il ne peut réaliser sur la terre : « Les dieux
sont les vœux de l’homme réalisé.»
Dieu n’est qu’une projection imaginaire de l’homme qui se trouve «dépossédé de quelque chose qui lui
appartient en propre au profit d’une réalité illusoire».

 Marx adopte les thèmes de Feuerbach, en les précisant : les valeurs humaines sont bafouées sur la
terre par l’exploitation de l’homme par l’homme. On projette alors ces valeurs dans le ciel sous forme de
mythes religieux, la religion étant, pour Marx, «l’opium du peuple, le cœur d’un monde sans cœur».

Marx veut dire par là que la religion endort les consciences et conduit le peuple à se soumettre à l’ordre
économique dominant. Les exploiteurs promettent dans le ciel des biens dont ils privent les exploités sur la
terre.

C - L’argumentation de Freud

 Freud montre dans la croyance en Dieu un transfert du sentiment filial, un retour nostalgique à
l’enfance sous la protection d’un Père juste, bon et tout-puissant : «La mort du père est la naissance de
Dieu.» Les croyances religieuses seraient simplement une réaction défensive de l’instinct contre ce que
pourrait avoir de déprimant la lucidité de l’intelligence.

D – Critique de ces suspicions

 Ces méthodes critiques sont certes fécondes si nous les appliquons à nous-mêmes afin de purifier
nos options métaphysiques de tous les mobiles sentimentaux ou sociologiques qui pourraient effectivement
s’y mêler. Mais cette démarche laisse la question métaphysique irrésolue.
La pensée rationaliste a manifesté une grande incompréhension de la religion et répandu à son sujet des
erreurs et des préjugés fortement ancrés.

 Ces idéologies réductrices - Voltaire qualifie la religion de « supercherie » inventée par les malins
pour duper les autres ; Marx la qualifie d’ « opium du peuple » ; Freud considère que la racine du sentiment
religieux se situe dans les conflits jalonnant l’évolution du psychisme individuel et la considère comme la
« névrose obsessionnelle de l’humanité » - ces idéologies, même si elles contiennent une part de vérité, ne
peuvent rien nous apprendre sur l’essence du phénomène religieux.
Si, en effet, on réduit la religion à une institution sociale ou à un système individuel de sentiments, de
croyances, de titres, on en méconnaît l’élément spécifique, original.

E. L'irréductibilité du besoin religieux

 Nietzsche, Marx et Freud ont en commun de développer une conception réductionniste de la


religion. Il est possible de retourner contre Marx, Nietzsche et Freud la critique qu'ils développent à l'égard
de la religion.
 Ne sont-ils pas tous trois animés par le besoin de justifier leur propre abandon de la religion de leur
enfance, le judaïsme (Marx et Freud) et le protestantisme (Nietzsche) ?
Hommes de la fin de la modernité, qui se veut émancipatrice à l'égard des structures d'autorité, ils pensent
pouvoir congédier la religion en la mettant au compte de besoins psychologiques et sociaux et en donnant à
penser qu'elle ne parvient à les satisfaire que de façon illusoire.

Ce faisant, ils partagent l’idéologie progressiste et rationaliste du XIX e siècle en croyant que la philosophie
(Nietzsche) ou la science (Marx et Freud) est en mesure d'apporter aux hommes la sérénité à laquelle ils
aspirent. L'histoire de la culture occidentale ultérieure montre qu'en cela ils se sont grandement trompés !

 Si la religion a perdu culturellement beaucoup de terrain sous l'effet de la sécularisation, elle a aussi
inspiré les mouvements d'émancipation les plus forts de notre temps, ainsi que le montrent l'effondrement
des régimes communistes et le succès des théologies de la libération en Amérique latine.

 Il faut donc bien reconnaître que la religion, du moins celle dont Bergson disait qu'elle est
dynamique et ouverte, prend sa source dans un besoin irréductible aux seuls besoins psychologiques et
sociaux. Contre "les maîtres du soupçon" il semble bien qu'il faille reconnaître l'existence d'une aspiration
religieuse spécifique.

VII - La raison peut-elle remplacer la religion ?

A - La religion est une illusion

 Freud, disions-nous ci-dessus, considère que la source du sentiment religieux est infantile. L’enfant,
fragile et démuni, a besoin de protection. Il la trouve généralement en la personne du père. Devenu adulte, il
ne parvient pas à se débarrasser tout à fait de cette impression initiale de détresse. Les représentations
religieuses, la croyance en un Dieu tout-puissant vont remplacer la protection paternelle. «Nous appelons
(…) une croyance illusion lorsque est prévalente dans sa motivation la réalisation de désir.» (Sigmund
Freud, L’Avenir d’une illusion)

 L’illusion est une croyance qui ne tient pas compte de la réalité et par laquelle le « croyant » espère
réaliser un désir. C’est le cas de la personne qui prie Dieu pour obtenir une augmentation de salaire ou pour
gagner à la loterie. Si elle n’obtient pas ce qu’elle veut, elle ne renoncera pas pour autant à croire en Dieu.
Car l’espérance, même illusoire, est plus forte que la réalité.

 Kant avait déjà fait remarquer que la religion promet le bonheur et la fraternité, alors que les
hommes sont toujours aussi égoïstes et méchants. La raison, plus modeste, promet moins, mais du moins
tient-elle ses promesses. La connaissance rationnelle du réel permet à l’homme de mieux le maîtriser et de ne
pas « prendre ses désirs pour des réalités ».
B - Il faut espérer pour vivre

 On ne peut pas demander à l’ensemble de l’humanité de préférer la raison aux espérances que la
religion est capable de donner. Premièrement, il est loin d’être prouvé qu’une société dont tous les membres
seraient des philosophes ou des hommes de science cultivés serait une société sage.

 Deuxièmement, et à supposer que cela soit vrai, une société vouée uniquement à la raison nierait les
besoins spirituels de beaucoup de ses membres. Bon nombre de gens, en effet, ne trouvent pas leur compte
dans la raison.
«La religion, au milieu des grandes et nombreuses souffrances de la vie, ménage une source inépuisable de
consolation et de réconfort.» (Schopenhauer, Sur la religion)

 Mais on peut dire aussi contre Marx que la religion, en tant qu’«opium» justement, aide à supporter
le quotidien, à appréhender la réalité d’une manière plus sereine.
La raison, quant à elle, permet peut-être de comprendre le réel, mais elle ne console pas. Même le philosophe
et le scientifique espèrent. Freud, quoique pessimiste, attend le jour où la raison gouvernera le monde. A
chacun sa manière d’espérer.
La religion offre à bon nombre de personnes l’espoir d’une vie meilleure. Beaucoup ont besoin d’elle pour
vivre.

C – Un avenir prometteur

 L’avenir de cette illusion qu'est la religion est prometteur. Freud lui-même en convient. En effet, ce
n'est pas demain la veille que les hommes s'en remettront à la raison plutôt qu'à des croyances qui, même si
elles ne réalisent pas leurs désirs, leur permettent de continuer à désirer et à espérer.

Sur un plan individuel, il faut être déjà très éclairé pour surmonter sa propre enfance, les désirs, les détresses
des premiers âges de la vie. Sur un plan collectif, il en va de même. L'enfance de l'humanité, malgré les
progrès de la civilisation, reste toujours présente dans l'esprit des peuples.
L'homme moderne, malgré l'évolution des sciences et des techniques, a toujours besoin de la religion pour se
protéger de cette détresse que connaissait déjà l'humanité originelle.

VIII - Position directe du problème : Dieu existe-t-il ?

A - Dieu : cause du monde

 Ou bien Dieu est posé comme cause ultime des phénomènes : chaque phénomène a une cause, cette
cause en a une autre, celle-là une autre encore ; mais il faut bien s’arrêter quelque part et poser une cause
première du phénomène qui est Dieu.

 Ou bien Dieu est posé comme le «premier moteur de l’univers» (Saint Thomas). Il faut bien, à
l’origine, poser une source de mouvement (à noter que Saint Thomas ignorait le principe d’inertie): «Il faut
bien arriver à un premier moteur qui ne soit mû par nul autre et tout le monde comprend que c’est Dieu ».
On peut dire, d’une façon générale, que l’univers est contingent, qu’il n’a pas en lui-même sa raison d’être et
que Dieu est l’Etre nécessaire dans lequel le monde trouve sa justification et sa raison d’être.

 (Kant critique l’argument par la causalité. En effet, quand la raison avance que Dieu est cause du
monde, un seul terme de cette relation - le monde - est une donnée de l’expérience et l’autre, Dieu, est
supposé de toutes pièces : «On a le droit de chercher de la causalité dans le monde, on n’a pas le droit
d’inventer une causalité du monde.»)

B - Dieu, source de l’ordre du monde

 Le monde ne paraît-il pas, en effet, être l’œuvre d’une souveraine intelligence ? La beauté d’une
fleur, le génie du prof de philo, la magnificence d’un paysage résultent-elles réellement d’un assemblage
fortuit ? «L’univers m’embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait point d’horloger.»
(Voltaire)
L’ordre du monde exigerait une cause première intelligente qui grouperait en direction d’un but les
conditions d’existence de tous les phénomènes. C’est l’argument téléologique (par la finalité).

 L’argument suppose non seulement que le monde est organisé selon un plan, mais que cette
organisation est parfaite, que cet ordre est juste et bon.

C – Le meilleur des mondes possible

Pour Leibniz, l’existence de Dieu peut être prouvée de deux manières.

• La première, c’est l’« argument ontologique », formulé par saint Anselme et repris par
Descartes. L’idée de Dieu, être parfait, ne peut avoir été découverte par l’homme seul, car celui-ci est une
créature imparfaite. Il faut donc que Dieu lui-même l’ait mise dans son esprit.

• La seconde, c’est le principe de « raison suffisante », selon lequel rien ne peut exister sans
cause. Si le monde existe, il faut nécessairement qu’il ait une cause ; cette cause ne peut être que Dieu.
« Il faut bien qu’il y ait (…) une justice souveraine en Dieu. » (Leibniz)

 Une fois l’existence de Dieu démontrée de manière logique, on peut tout aussi logiquement déduire
que ce monde est le meilleur des mondes qui auraient pu être créés. En effet, l’entendement de Dieu étant par
essence infini, il a pu concevoir tous les mondes possibles avant d’en créer un. Si Dieu a finalement choisi
celui dans lequel nous vivons, c’est nécessairement parce qu’il était, aux yeux du créateur, le meilleur
possible.

 L’optimisme leibnizien débouche sur la croyance en une « harmonie préétablie », qui règle le
mouvement de tous les éléments de l’univers. Si l’on applique le principe aux hommes, cela veut dire qu’en
agissant librement, chaque homme agit en accord avec les autres et conformément à un dessein divin
supérieur (la Providence).

Leibniz s’est employé à montrer que le mal est relatif, qu’il n’a de sens qu’en fonction du bien, dont il fait
ressortir l’éclat. L’apparence du mal s’explique par notre ignorance.

D - L’optimisme est désavoué par la méchanceté des hommes

 Voltaire, dans Candide, nous montre les tribulations d’un jeune héros qui croit naïvement à la
doctrine de Leibniz et qui, comme lui, a foi dans la providence divine. Il va de malheur en malheur avant de
se convaincre que ce monde n’est pas forcément le meilleur des mondes possibles, mais qu’il faut s’en
contenter parce qu’il n’y en a pas d’autre.
«La Providence nous met quelquefois à la torture.» (Voltaire)

 Pour Voltaire, Dieu ne se mêle pas des affaires des hommes. S’il existe, ce ne peut être que comme
un Dieu créateur, un « Dieu horloger » qui a réglé le mécanisme de l’univers comme celui d’une montre
(c’est ce que démontre à l’époque de Voltaire l’astronomie de Newton), pour l’abandonner ensuite à son
propre mouvement. Il ne saurait donc être question d’une intervention divine dans le cours des événements
ici-bas.

 L’existence du mal est un autre argument de poids contre la doctrine idéaliste de Leibniz. Comment
expliquer en effet que, dans le meilleur des mondes possibles, des catastrophes naturelles ou des accidents
(comme le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 qui affecta beaucoup Voltaire) puissent tuer des
innocents, sans raison, par hasard ?
N’y a-t-il pas dans la nature souffrance et désordre ? Comment justifier que les bons soient parfois punis et
les méchants récompensés ? Une telle injustice est la preuve que nous ne vivons pas dans le meilleur des
mondes.

E – Il faut cultiver notre jardin

 «Le monde est une fête où le meurtre fourmille. Et la création se dévore en famille.» (V. Hugo) Le
meilleur des mondes possibles serait le paradis. Or il est évident que notre monde n'est pas le paradis. Non
seulement les hommes font le mal, mais le mal existe dans la nature, indépendamment des actions humaines,
comme le prouvent les épidémies, les catastrophes naturelles ou tout simplement la mort.

 Pour Voltaire, qui rejetait la religion, un monde en proie au mal ne peut pas être le meilleur des
mondes. Mais cela ne veut pas dire que le bonheur n'y existe pas. Malgré le mal, et même en excluant l'idée
d'une vie meilleure après la mort, on peut trouver un idéal limité, personnel, de bonheur sur terre.
C'est ce qu'exprime la morale de Candide : «Il faut cultiver notre jardin.»

F - Le mystère du mal

Le dilemme est le suivant :

• 0u bien Dieu est tout-puissant, auquel cas, il aurait pu, s’il l’avait voulu, éliminer le mal. Il ne l’a pas
voulu, c’est donc qu’il n’a pas pu.

• 0u bien Dieu, dans sa bonté parfaite, aurait voulu éliminer tout le mal ; il ne l’a pas fait, c’est donc qu’il
ne l’a pas voulu. Le mal existant, comment Dieu peut-il être à la fois tout-puissant et tout bon ?

 L’homme est-il responsable du mal ?

 Pour laver Dieu de tout soupçon, le plus simple n’est-il pas d’admettre que le mal vient par
la faute de l’homme, soit directement (lorsqu’il est responsable du mal qu’il fait aux autres hommes), soit
indirectement (Dieu punit l’homme pour ses péchés) ?

 Pascal invoque le péché originel, le péché d’Adam qui a troublé l’harmonie primitive de la
création: «Il faut que nous naissions coupables - ou Dieu serait injuste». Nous, fils d’Adam, nous supportons
le poids de cette faute originelle.

 Le mal est-il l’illusion d’un esprit fini ?

 Saint Thomas considérait que le mal n’existait pas, car le mal est négation : la surdité est un mal,
mais c’est l’absence d’audition. Tout ce qui est, en tant que tel, est bon et le mal est toujours absence d’être :
«Le mal est la lèpre de l’absence», dit Jacques Maritain.
Après tout, le monde n’est pas Dieu ; il est créé, ce qui implique des limites ; le mal s’expliquerait donc en
définitive parce que le monde n’est pas Dieu.
 N’eût-il pas été possible à Dieu que - tout en demeurant des créatures humaines - nous éprouvions
moins de misère ?
La plupart des incroyants refusent comme scandaleuse l’idée même d’un Dieu tout-puissant qui aurait créé,
ou du moins permis, les souffrances inutiles des enfants : «Ce que je reproche au christianisme, c’est qu’il
est une doctrine de l’injustice... 0n ne peut être médecin sans être l’ennemi de Dieu. » (Camus)
 Le croyant reconnaîtra simplement que le mal est un douloureux mystère que sa foi l’aide à
supporter, mais dont il n’a pas la clef.
Quant à l’athée, il serait inconséquent s’il reprochait les misères du monde à un Dieu auquel il ne croit pas :
«La seule excuse de Dieu, c’est qu’il n’existe pas» dit Stendhal.

La foi chrétienne affirme que le monde de l’existence est un monde réel, où il nous est donné de faire régner
la justice, quoi qu’il en coûte.

IX - La religion et la crainte de la mort

A - La religion peut être conçue comme une consolation

 Epicure et Lucrèce, philosophes matérialistes de l'Antiquité gréco-latine, voient dans la peur de


l'homme devant la nature l'origine de l'idée de Dieu. Les religions païennes divinisent les éléments naturels
pour tenter de les maîtriser (cf. « la loi des trois états » de Comte).

Si les religions polythéistes attribuent chaque phénomène naturel à l'intervention d'un dieu, les religions
monothéistes avec leur idée d'un Dieu tout-puissant suivent le même principe.

 Cette idée de la crainte comme ressort des croyances religieuses est reprise par les philosophes
empiristes au XVII è et au XVIII è siècles.
Pour Hobbes comme pour Hume, la croyance religieuse est motivée par des raisons psychologiques. Elle
découle d'un sentiment de crainte et d'impuissance devant la fragilité de la destinée humaine.

La superstition populaire institue ainsi toute une série de pratiques religieuses proches de la magie pour
conjurer le malheur. Par leurs prières, les hommes espèrent gagner la faveur du Ciel et dominer ce que la soi-
disant Providence divine a d'incompréhensible pour eux.

 La religion peut être aussi conçue comme une consolation morale devant la souffrance et la mort.
En croyant à la vie éternelle, l'homme rend le malheur et la mort plus supportables.

B - La religion est fondée sur la sagesse

 La croyance religieuse peut résulter d'une adhésion sereine à l'ordre des choses ou être conforme aux
exigences de la raison. « La religion (...) est la connaissance de tous nos devoirs comme commandements
divins.» (Kant)

Pour les stoïciens, la mort est un fait naturel conforme à la nature et à la volonté des dieux. Par conséquent,
le sage ne doit pas la craindre, mais l'accepter comme faisant partie de l'ordre des choses. Marc Aurèle pense
ainsi que tout ce qui nous arrive nous est envoyé par les dieux, qui sont bons (idée que les apologistes de la
religion chrétienne reprendront).

 La religion peut également être le fruit de l'amour mystique ou d'un sentiment intérieur. Pour Plotin,
la religion est une évidence à laquelle l'âme parvient par la contemplation. Elle est fondée non sur la crainte
de la mort mais sur l’amour de Dieu. La mort n'affecte que le corps, c'est pourquoi elle ne doit pas être un
motif de crainte.
Pour la mystique chrétienne, la foi est donc un produit de l'amour, d'une révélation.

Bergson opposera cette religion « dynamique », mystique et positive, à une religion « statique », visant à se
prémunir contre l'angoisse de la mort. Rousseau, quant à lui, fait appel au « sentiment intérieur» de la
divinité qui est en chacun de nous.
C – La croyance religieuse est une aspiration fondamentale

 Attribuer le sentiment religieux à la seule peur de la mort, c'est se faire une idée peu flatteuse de
l'homme, c'est croire qu'il n'obéit qu'à l'instinct et aux exigences de la matière. Si l'on admet que les hommes
ont une âme et qu'ils ont une composante spirituelle distincte du corps, alors on peut considérer que la
croyance religieuse est pour eux une aspiration fondamentale, qui ne peut être limitée à un sentiment de
crainte devant la mort.

 Ainsi, beaucoup voient dans l’affirmation de l’existence de Dieu une exigence morale bien plus
qu’une exigence logique. La croyance en Dieu, disent-ils, donne seule un sens à notre vie et satisfait
pleinement notre conscience morale.
Ainsi, Kant postule qu’un dieu justicier corrigera ce désordre dans l’au-delà et rétablira l’harmonie
souhaitable entre le bonheur et la moralité, en punissant les «méchants» et en récompensant les «bons».

 Beaucoup estiment que la méditation philosophique ne peut être qu’une préface à la reconnaissance
de Dieu. Celle-ci exigerait une attitude différente, d’un autre ordre, dirait Pascal, qu’on nomme la foi.
D’après Kierkegaard, la foi se situe sur un tout autre plan que la raison : «La foi n’a pas besoin de preuves,
qu’elle doit regarder comme son ennemie.»

Cependant, la foi ne se donne jamais comme une croyance vague, mais comme la croyance en une religion
révélée ; ce qui fait appel au « savoir », sur le plan historique, par exemple.

 Certains penseront, en définitive, que croyance et incroyance ne peuvent être que l’objet d’une libre
option, d’un pari à la manière de Pascal.
Il reste que l’acte de parier et la position même par l’homme de ce problème de Dieu témoignent sans
conteste d’une exigence et d’un appel : «Tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais pas déjà trouvé », dit le
Dieu de Pascal.

X - La science peut-elle remplacer la religion ?

A - La science explique le monde

 A l'aube de l'humanité, les hommes ont d'abord subi la nature. Ensuite, avec la naissance de la
culture, ils ont cherché à expliquer les phénomènes qui les effrayaient par l'action des dieux. La mythologie
fut la première tentative pour comprendre la réalité. A partir du moment où la science se développe et
explique de plus en plus rationnellement le monde, elle peut se substituer à la religion.

 La science permet de dissiper l’illusion religieuse. Freud affirmait ci-dessus que la religion est une
illusion. Elle permet à l'angoisse humaine de s'apaiser face aux difficultés de la vie. Lorsque nous étions
enfants, nos parents calmaient nos craintes, et la religion nous maintient dans cette dépendance infantile.
Grâce aux réponses apportées par la science à nos questions, nous pouvons espérer sortir de l'infantilisme.

«Nous croyons qu’il est au pouvoir du travail scientifique de nous apprendre quelque chose sur la
réalisation de l’univers et que nous augmentons par là notre puissance et pouvons mieux organiser notre
vie.» (Freud, L'Avenir d'une illusion)

 L’évolution spirituelle manifeste la primauté des sciences. Il est dans l'évolution normale de
l'humanité de se détacher progressivement de l'irrationnel. Au XIX è siècle, en fondant le positivisme,
Auguste Comte développa la théorie des trois états : le développement spirituel de l'humanité est d'abord
théologique ou fictif (on explique les phénomènes naturels par l'intervention des dieux), puis métaphysique,
et enfin scientifique et positif.

 La connaissance scientifique permet une compréhension croissante des mystères du monde.


L’homme se rend compte qu’il n’a plus besoin de chercher dans la religion l’explication ultime des choses.
La science se substituera donc à la religion.

B - La science explique le comment et non le pourquoi

 En se donnant pour but de connaître les lois de l'univers, la science explique le comment des choses.
Par exemple, la théorie du big-bang nous permet de comprendre les premières minutes de l'univers.
Cependant, la question de la métaphysique reste entière : aucune théorie physique ne nous explique
pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien.
La religion, elle, répond à la question demeurée en suspens.

 L’homme n'a pas simplement besoin de connaître les lois qui expliquent le monde qui l'entoure. Il a
surtout besoin de donner du sens à son existence. Or, la science ne se propose pas de donner du sens aux
phénomènes : en cela, elle ne se place pas au même niveau que la religion. La science ne propose pas non
plus de règles de vie, mais s'attache à l'extension de tout ce qu'il est possible de développer.

 Le besoin de croire est fondamental. Malgré le développement extraordinaire des sciences et des
techniques, le monde contemporain n'a pas assisté à la disparition du phénomène religieux. Jamais, au
contraire, la spiritualité n'a été aussi intense, prenant des formes très variées et très contrastées. Sectes, retour
des traditionalismes, fanatisme et attrait pour l'irrationnel sont d'ailleurs les aspects les plus surprenants de ce
retour du religieux.

C – Le besoin de croire

 Au XIX è siècle, l'essor des sciences et des sciences humaines va de pair avec un rejet de la croyance
religieuse. Le marxisme, et particulièrement la psychanalyse vont développer l'idée que la religion n'est
qu'une illusion, qui doit disparaître en fonction du développement des connaissances.
Il est vrai qu'on a observé un recul de la croyance et de la pratique religieuse dans les sociétés occidentales.

 Il est également vrai que la science est, d'une certaine façon, devenue une nouvelle religion, dans la
mesure où l'on a cru qu'elle apporterait la solution à tous les problèmes humains.

 Aujourd'hui, force est de constater un grand retour du religieux, sous des formes très diverses et
parfois inquiétantes.
Ce phénomène traduit, d'une part, une certaine désillusion vis-à-vis d'un monde scientifique et technique qui
n'est pas parvenu à résoudre les problèmes de l'humanité. D'autre part, il reflète l'exigence de la conscience
humaine, confrontée à la temporalité et à la mort, de donner du sens à son existence et au monde qui
l'entoure.

«Il y a des choses qu’il faut bien accepter sans comprendre ; en ce sens, nul ne vit sans religion : il faut ici
que la raison s’incline ; il faut ici qu'elle se résigne à dormir avant d'avoir compté les étoiles.» (Alain :
Propos sur la religion)

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