Quand Le Musee S Expose
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Quand Le Musee S Expose
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Françoise Gaillard
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A
vec ses voiles, comme gonflées par qu’ils ont oubliés dans les fondations, un pa-
un vent arrière, cette arche de l’art quet froissé de Marlboro Light, une coupure de
récemment accessible au public, presse, une bouteille de plastique cabossée (A
est prête à s’élancer avec lui vers de Polite Fiction).
nouvelles aventures artistiques et culturelles. Ce que tout le monde venait donc voir, c’était
Paris l’a, enfin, son « Gehry ». Après Bilbao et le bâtiment. Curiosité d’autant plus compréhen-
avant Abou Dhabi. Je dis bien « enfin », car l’an- sible qu’elle avait été attisée par la médiatisation
cien American Center, également œuvre de l’ar- dont celui-ci avait fait l’objet durant des mois.
chitecte, et devenu la Cinémathèque française, Mais si la curiosité entrait pour une part non
n’entre pas en compte dans cette compétition négligeable dans cet empressement, une autre
architecturale que se livrent les grandes villes et raison poussait à venir voir ce musée (presque)
les capitales internationales autour de ce nou- vide : le sentiment que c’était lui, le musée, qui
vel objet de prestige et d’argument de vente aux était l’œuvre. La confirmation de cette inversion
touristes, que sont ces musées qui portent la des rôles entre musée et collection, était d’ail-
griffe des stars de l’architecture mondiale. leurs apportée par cette première programma-
Le 27 octobre dernier, jour de l’inauguration de tion, inhabituelle pour un musée même tout
la fondation qui lui était spécialement réservé, nouveau, une exposition de lui-même dans la
le Tout-Paris de la presse, de l’art, de la culture, plus grande salle du bas et, dans la galerie atte-
se précipita pour venir voir. nante, la projection en boucle du film réalisé par
Pour voir quoi ? Pour voir l’importante et pres- Sarah Morris sur le bâtiment de Franck Gehry
tigieuse collection du président de la fonda- durant sa phase de réalisation (Strange Magic).
tion, Bernard Arnault ? Bien évidemment non, Au chapitre du dossier de presse consacré à
puisque ce public averti savait que la mise en la présentation du programme artistique de
place et l’accrochage des œuvres qui la com- la fondation, Suzanne Pagé, son conservateur
posent n’auraient lieu que plus tard, et que ne en chef, justifiait en ces termes cette curieuse
seraient alors visibles que les quelques com- contravention aux habitudes qui veulent qu’un
mandes conçues spécialement pour dialoguer musée ouvre sur une exposition thématique
avec le bâtiment et pour le magnifier – comme ou monographique forte : « Pour l’Ouverture,
celles faites à Olafur Eliasson, le magicien de la conscients du caractère exceptionnel sur le plan
lumière, Cerith Wyn Evans, l’orfèvre des sons, patrimonial de l’œuvre de Frank Gehry, nous
Ellsworth Kelly, le sculpteur de la couleur –, ou avons mis en place une stratégie globale au ser-
pour en raconter l’histoire. Il faudrait mieux vice du bâtiment. Une exposition spécifique lui
dire, pour en construire la légende, car c’est est d’emblée consacrée, mettant en évidence,
bien ce à quoi s’emploie dans son travail d’ar- à côté de solutions techniques totalement iné-
chéologie par anticipation, l’artiste américaine dites, les principes d’élaboration de cette archi-
Taryn Simon qui, dans une très vaste salle, tecture. Celle-ci, après l’impulsion première et
expose les traces aujourd’hui effacées de tous déterminante du geste créateur formalisé par
ceux, maçons, ingénieurs, électriciens, et autres un dessin, se précise au fil de nombreuses étapes,
artisans qui ont participé à la construction du visualisées par autant de maquettes matéria-
musée, comme leurs gestes qui ont laissé une lisant le processus mental dans sa complexité
empreinte sur le plâtre humide ou les objets évolutive. »
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Fondation Louis Vuitton,
bâtiment conçu par
l’architecte Frank Gehry.
Pourquoi s’attarder ainsi sur la toute nouvelle même à la place de toute chose, c’est le bâti-
Fondation Louis Vuitton ? Parce qu’elle résume ment.
à elle seule les différentes questions que pose Tel est le cas du public parisien qui, depuis que
aujourd’hui l’architecture muséale, à commen- les barrières qui le dissimulaient au regard sont
cer par celle de son affirmation en tant qu’œuvre tombées, a profité de la promenade domini-
d’art, au détriment souvent de son souci de la cale et de la douceur de l’automne, pour venir
vocation et de la fonction d’un musée : la diffu- contempler cette nouvelle nef, sorte de clin
sion de la culture et du savoir et donc la mise de d’œil fait par Frank Gehry au bateau qui figure
ses espaces au service de ce qui y est exposé de sur les armes de Paris (qui, d’ailleurs, lui sug-
façon permanente ou temporaire. géra l’idée de la forme à donner à l’édifice).
Ces questions, qui ont d’ailleurs partie liée, Tel est le cas du public marseillais, tout comme
peuvent, pour aller vite, être ramenées à trois celui des vacanciers, qui se sont rendus l’été
principales : le primat du geste architectural, dernier en très grand nombre au Mucem
l’inflation muséale, les raisons économiques, (musée des Civilisations de l’Europe et de la
politiques et sociales d’une telle inflation. Méditerranée). Au point que le maire de la ville
s’est félicité de cette fréquentation qui dépassait
Aujourd’hui, l’œuvre d’art c’est bien souvent le les prévisions les plus optimistes. Ce qu’il avait
musée. Le public ne s’y trompe pas, et ce qu’il oublié de dire, c’est que les deux tiers de ceux
vient regarder, avant toute chose, et parfois qui s’étaient acquittés de leur droit d’entrée, ne
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l’avaient fait que pour découvrir, depuis l’inté- aussi bien elles sont là et qu’elles ont payé leur
rieur, la fameuse dentelle de béton traversée par ticket d’entrée pour contempler l’objet de l’inté-
la lumière, et n’étaient montés dans les étages rieur, un tour dans les salles.
que pour se rendre sur la terrasse dominant La seule chose véritablement significative serait
la mer et emprunter la passerelle qui relie le de connaître le nombre de ceux qui ont fait le
musée au quartier du Panier, sans un regard déplacement spécialement pour visiter telle ou
pour les expositions. telle exposition, et pour qui l’architecture du
Il est vrai que le magnifique édifice de Rudy musée n’est qu’une sorte de bonus. Il y a fort à
Riccioti, qui, à travers les entrelacs de la sombre parier que ce nombre serait fort restreint.
broderie qui l’habille, laisse pénétrer la clarté du Lorsque le contenant attire plus l’attention que
ciel et le miroitement du soleil sur la mer, vaut, ne le fait le contenu, lorsque l’objet architectu-
à soi seul, le déplacement ! Mais n’est-ce pas ral intéresse plus que ce qu’il abrite, on ne peut
là, précisément, ce qui fait problème dans les s’empêcher de se demander si quelque chose
réalisations contemporaines ? Imagine-t-on un n’a pas été perverti dans les fonctions patrimo-
touriste limitant sa visite au Louvre à la seule niales, éducatives, culturelles qui furent dévo-
façade, ou n’y pénétrant que pour jeter un coup lues au musée dès sa naissance.
d’œil à son monumental atrium ? C’était en tout Sans aller jusqu’à établir un rapport beaucoup
cas inimaginable jusqu’à la construction de la trop hasardeux de cause à effet entre l’actuel
pyramide de verre de Pei, qui constitue une at- transfert d’intérêt des œuvres vers l’ouvrage
traction en elle-même, tant par sa performance d’architecture et la désacralisation de l’art qui
technique, son audace esthétique eu égard au s’est opérée au cours du XXe siècle, on ne peut
lieu chargé d’histoire de son implantation que cependant s’empêcher de noter la concomi-
par les polémiques que, dans les premiers tance des deux phénomènes.
temps de son installation, elle a soulevées et Le stade ultime de cette évolution du musée
dont les médias se sont faits l’écho, et qui, pour vers son devenir œuvre d’art, serait le musée
ces raisons participe de la mode de la specta- qui n’aurait d’autre finalité que lui-même, qui ne
cularisation qui s’est emparée de l’architecture ferait figurer que lui-même sur les calendriers
muséale, en dépit de son classicisme formel. de la programmation, bref qui avouerait fran-
Il faudrait interroger les habitants de Bilbao qui chement n’avoir pour but que de s’exposer lui-
ont très vite adopté leur musée au point de l’in- même.
tégrer dans leurs usages de la ville en faisant de Un musée sans les œuvres.
sa monumentale esplanade un lieu de flânerie Les architectes, qui vivent parfois les contraintes
en famille, ou, pour les jeunes, un terre-plein imposées par les différentes fonctions d’un
pour leurs jeux de glisse, afin de savoir combien musée comme d’insupportables limites à leur
d’entre eux fréquentent les salles d’expositions génie créateur de formes, en ont peut-être rêvé,
et se sentent donc concernés par ce qui y est dans des moments d’humeur passagers, tout
montré. Un tel sondage ne saurait bien évidem- en sachant que les contraintes extérieures, loin
ment prendre en compte les foules de touristes de la brider, stimulaient leur créativité.
qui, si elles viennent à Bilbao dans le but pre- Que serait un musée sans œuvres, mis à part
mier de voir l’œuvre de Frank Gehry (et de le une contradiction dans les termes ? Une sculp-
faire savoir à leur retour), font aussi, puisque ture pénétrable hypertrophiée, que rien, mal-
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Le stade ultime de cette évolution
du musée vers son devenir œuvre
d’art serait le musée qui n’aurait
d’autre finalité que lui-même,
qui ne ferait figurer que lui-
même sur les calendriers de la
programmation, qui avouerait
franchement n’avoir pour but que
de s’exposer lui-même.
gré le manque évident de lien entre elles et lui, Le résultat de ce dialogue prouve qu’audace
n’empêcherait de dédier aux muses, mais cer- architecturale et respect de la fonction muséale
tainement pas un musée. peuvent aller de pair. Mais pour une réussite,
D’être une sculpture, c’est justement le re- combien de réalisations qui répondent plus au
proche qui a été adressé au musée de Bilbao ; désir des édiles qui souhaitent du spectaculaire
d’être une sculpture de pierre, de verre et de pour attirer l’attention sur leur ville, qu’aux at-
titane mal adaptée à sa fonction muséale. tentes des conservateurs. Le musée d’Art de la
Disons le tout net, tel n’est pas le cas de la Fon- ville de Milwaukee avait besoin d’une extension.
dation Louis Vuitton dont l’architecture écheve- C’est le projet de l’architecte espagnol Santiago
lée ne fait que coiffer une structure beaucoup Calatrava qui fut retenu. Désormais, une su-
plus traditionnelle. perbe aile blanche, semblable à celle d’une
De vastes salles sont destinées à accueillir les mouette géante prête à prendre son envol, si-
œuvres que la générosité de l’espace met en gnale de loin le musée au passant. C’est très
valeur. L’utilisation de la lumière, le traitement beau. L’esthétique n’est donc pas ici en cause.
des volumes, l’articulation des niveaux, l’intel- Ce qui l’est, en revanche, c’est le dysfonction-
ligence des découpes qui ouvrent des pers- nement de cette intervention qui, au lieu d’aug-
pectives inédites, tout est fait pour établir un menter les espaces dévolus à la monstration
rapport nouveau avec le travail des artistes. Un des œuvres, a monumentalisé par la taille et le
exemple suffira à le prouver. Qui a vu le film matériau (le marbre) ces lieux vides que sont
de Pierre Huygue sur l’Antarctique lors de la les halls et les rampes d’accès.
rétrospective qui était consacrée à l’artiste au
Centre Georges-Pompidou, le reconnaîtra à La question de l’architecture muséale a com-
peine sur ce gigantesque écran qui restitue mencé à se poser à la fin du XVIIIe siècle
aux paysages toute leur majesté et qu’accroît la lorsqu’il s’est agi d’ouvrir au public des collec-
force d’impact de l’œuvre sur le visiteur. tions jusque-là privées, notamment royales ou
La directrice artistique, qui a longtemps été princières, et de les rendre ainsi inaliénables.
celle du musée d’Art moderne de la ville de Cette décision, dans laquelle on reconnaît
Paris, l’a voulu ainsi. C’est elle qui a imposé ce l’esprit des Lumières, a été une première étape
cahier des charges à l’architecte : créer un lieu vers la notion de « bien public » dont le principe
au service des œuvres. a inspiré les premiers projets de musée et influé
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Étienne-Louis Boullée, « Projet d’un Musaeum au centre
duquel est un Temple à la Renommée. Destiné à contenir
les statues des grands hommes », 1783.
longtemps sur le choix stylistique de ceux qui sacrifice de tout ce qui détournerait le regard
ont été édifiés au cours du XIXe siècle et encore des œuvres, à commencer par la trop grande
assez avant dans le XXe siècle. Palais palladien présence visuelle de l’enveloppe.
ou temple classique, le musée est, dès sa nais- « Le musée n’a pas de façade », disait, avec la
sance, monumental. Un imposant perron per- radicalité qu’on lui connaît, Le Corbusier. Ou
met d’accéder à un immense hall d’où part un encore : « Le visiteur ne verra que l’intérieur du
escalier majestueux qui conduit à des salles musée. » Aujourd’hui, au contraire, on ne voit
disposées en enfilade. Cette monumentalité se (souvent) que l’extérieur.
voulait en accord avec le caractère presque reli- Le musée machine, boîte, entrepôt, se voulait
gieux de la fonction du musée et avec la sacra- flexible, modulable, adaptable aux exigences de
lité des œuvres et des objets qu’il était destiné la présentation des collections. Il pouvait aug-
à mettre en valeur. menter en surface au rythme où celles-ci s’ac-
Le musée, alors, était un temple. Un temple, croissaient comme le prévoit le projet utopique
certes, laïc, un temple dédié à la culture, mais de musée modulable de Le Corbusier, en forme
un temple. On se souvient avec quel respect et de spirale octogonale.
quelle émotion la noce de Gervaise 1, bruyante C’est ce modèle de musée « sans façade » qui,
et chahuteuse jusqu’au franchissement des avec des variantes, a été dominant jusque dans
grilles, entre dans le Louvre. les années soixante-dix. En France comme dans
Le musée temple est un sanctuaire. Le musée bien d’autres pays.
sculpture est une curiosité. Le musée temple Les années soixante-dix font en effet rup-
correspond à l’âge du recueillement devant des ture en ce qu’elles marquent, avec la prise de
œuvres qui n’ont pas encore perdu leur aura. Le conscience de l’intérêt économique et symbo-
musée sculpture à celui de la distraction, pour lique des nouveaux musées, le début de l’entrée
reprendre les deux modes de réception de l’art dans l’âge de l’inflation muséale.
1 Le passage se trouve
dans le roman d’Émile dont a parlé Walter Benjamin 2 . Pour répondre à ces nouvelles attentes le
Zola, L’assommoir. Entre ces deux conceptions antinomiques du musée change de fonction. Il doit avant tout
musée, il y a le musée moderne, le musée s’afficher. Le primat est donc accordé au geste
2 Walter Benjamin, L’œuvre « machine à exposer ». L’expression est de architectural.
d’art à l’époque de sa Le Corbusier. Le musée qui, refusant le style Désormais, le musée est sommé de faire image
reproductibilité technique,
Payot, coll. « Petite
grandiloquent ou emphatique du temple ou du et de communiquer sur cette image.
bibliothèque Payot », palais, se recentre sur sa fonction : l’exposition Fin du musée machine à exposer.
2013. des œuvres et qui, pour bien la remplir, fait le
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Le Centre Georges-Pompidou
au milieu des toits de Paris.
Si, quittant les futaies du bois de Boulogne et le d’usage comme dans le cas de la Tate Modern
vaisseau qui s’y est récemment amarré, on fait à Londres (Herzog et de Meuron).
voile vers le marais. Un autre édifice est là, qui, Le côté spectaculaire de l’édifice, après tant
à sa manière, joue, lui aussi, de la transparence. d’années de neutralité architecturale, suscita
N’exhibe-t-il pas tous ses organes aux passants bien des incompréhensions et souleva des
maintenant habitués : sa tuyauterie, ses gaines polémiques dont Renzo Piano, Richard Rogers,
électriques, ses passerelles métalliques, son Gianfranco Franchini, furent les cibles toutes
escalator ? Vous l’avez reconnu, cet édifice c’est désignées. Un musée, ça ? Cette « usine à gaz »
le musée consacré à l’art moderne et à la créa- ou « cette raffinerie de pétrole » ?
tion contemporaine, plus connu sous le nom de Les esprits ne s’échauffent plus autant au-
Centre Georges-Pompidou, et plus communé- jourd’hui, soit que le public, provoqué par les
ment appelé Beaubourg. propositions d’un art contemporain qui, à la
S’il fut inauguré en 1977, la prise de décision différence de l’architecture, n’a plus depuis
politique remonte, elle, à l’année 1970. longtemps le beau comme visée, trouve les
La création de ce musée à l’esthétique très extravagances des architectes somme toute
avant-gardiste à l’époque, est donc exemplaire esthétiques ; soit qu’il ait admis une fois pour
de l’intérêt que les pouvoirs publics com- toutes que l’architecture muséale était devenue
mencent alors à porter à l’architecture muséale, le laboratoire de l’avant-gardisme architectural,
qu’il s’agisse de constructions nouvelles ou de et qu’à ce titre elle faisait partie intégrante de
réhabilitations de lieux patrimoniaux souvent l’histoire de l’architecture contemporaine dont
liés à la mémoire ouvrière : usines désaffectées, elle était même l’un des fleurons.
entrepôts en déshérence, ateliers de méca- Le Centre Georges-Pompidou fait doublement
nique abandonnés, ou centrale électrique hors charnière. Charnière esthétique entre le musée
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moderne et le musée « spectacle 3 », parce que Pari gagné. Au-delà même des espérances.
si par sa façade il entre dans cette dernière caté- La ville s’est complètement métamorphosée.
gorie, par ses aménagements intérieurs – la C’est cet « effet Bilbao » que bien des cités eu-
distribution des espaces en salles et galeries, la ropéennes ont voulu, ou souhaité, reproduire.
fluidité de la circulation, la clarté des agence- « Bâtir un bel immeuble », « créer des emplois »,
ments de volumes, la lisibilité du découpage un mot manque dans cet exposé lapidaire et
des plateaux – il ressort de la première. très pragmatique des motifs, celui de : musée.
Charnière aussi idéologique et politique entre Cette compromission de la culture dans un
deux conceptions du musée : le musée au ser- projet aux visées clairement économiques, fut
vice de la culture et le musée comme mise de la fortement critiquée, notamment par les Fran-
culture au service de l’économie. çais, selon Juan Ignacio Vidarte qui s’est gaussé
Une région se trouve-t-elle économiquement de l’hypocrisie de ces vestales de la culture,
sinistrée suite à la fermeture de ses usines et effarouchées par ce réalisme sans fard. C’était,
de son activité industrielle ? Que faire pour lui disaient-ils avec du mépris dans la voix, faire en-
redonner du dynamisme ? Que faire pour réveil- trer les marchands dans le temple ! Et pourtant,
ler la triste endormie ? Implanter sur les berges à tout prendre, que valait-il mieux ? Bâtir « un
mal entretenues de la rivière qui la traverse, un bel immeuble » ou, comme ce fut fait dans une
musée. Un musée ? Non pas, mais un monu- Lorraine sinistrée après la fermeture des hauts
ment spectaculaire à destination muséale. fourneaux, construire un parc de Schtroumpfs ?
Les deux décisions sont contemporaines !
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Le musée des Confluences à Lyon conçu par le cabinet
d’architecture autrichien Coop Himmelb(l)au.
nement, redorage de leur blason, image plus à grand spectacle. Dans leur prolifération, et
dynamique, et à l’heure où les marques tiennent non dans leur genèse qu’il faut faire remon-
lieu d’identité, un logo chic et dans le coup qui ter au tournant postmoderne et à la libération
remise au grenier les armes défraîchies de leur des formes poussée jusqu’à l’extravagance que
cité. Autant de bénéfices symboliques qui se re- celui-ci a permise.
convertissent en autant de retombées d’espèces En effet, le premier geste de rupture avec une
sonnantes et trébuchantes. modernité héritée du Bauhaus et devenue à
Ces attentes dessinent et décident du nouveau bout de souffle a été de faire sauter le verrou de
cahier des charges. l’interdit de l’ornement. L’architecture postmo-
À cela vient s’ajouter la nécessité pour le monu- derne, muséale ou autre, a revendiqué haut et
ment d’attirer les foules par sa séduction, par fort le droit à faire image.
son aspect surprenant, par son originalité, par la À faire de leurs bâtiments des images mimé-
curiosité que le battage médiatique a fait naître tiques de la fonction du bâtiment comme dans
avant même que le musée n’ait lui-même vu le le cas de la Grande bibliothèque de France avec
jour, et qui est un moteur puissant pour attirer ses quatre livres ouverts aux quatre coins de son
le touriste. parvis de bois (Dominique Perrault), comme
Frank Gehry existait avant Bilbao. Son style dans celui du hall F du terminal de Roissy-
aussi. Mais, de même que ce que l’on appelle Charles-de-Gaulle avec sa longue voûte qui
« l’effet Bilbao » a indéniablement joué un rôle évoque un avion en train de décoller (Paul An-
dans le phénomène d’inflation exponentielle dreu), ou comme dans celui du musée juif de
de l’architecture muséale en Europe et dans Berlin en forme d’étoile de David brisée (Daniel
le monde, l’esthétique de cette étonnante Liebeskind). Ce ne sont là que quelques
construction porte une part de responsabilité exemples, parmi les plus intéressants au plan
dans la prolifération des architectures muséales esthétique de ce que, depuis les travaux de
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Le musée du Louvre Lens
conçu par l’agence
japonaise Sanaa. obert Venturi 4 , on appelle « l’architecture ca-
R d’atterrissage, qu’est le musée des Confluences
nard », en référence à une bâtisse en forme de (cabinet autrichien Coop Himmelb(l)au) de-
canard qui abrite un élevage et un lieu de vente vienne un jour le symbole de la ville de Lyon,
de ces palmipèdes. ou, pour rester dans l’esprit marchand de notre
Ou à en faire de pures images, des images arbi- époque, sa trade mark.
traires, gratuites, destinées tout simplement à Il n’en reste pas moins vrai que cet édifice, posé
ré-enchanter la ville comme dans le cas de la au confluent du Rhône et de la Saône, est une
paire de jumelles dont les oculaires font office magnifique réussite du courant déconstructi-
de puits de lumière et qui abrite deux petites viste de l’architecture postmoderne, autour de
salles de conférence (Frank Gehry avec la colla- laquelle un quartier jusque-là sans qualité, se
boration des artistes Claes Oldenburg et Coosje reconfigure.
Van Bruggen), comme dans celui de l’Hôtel L’identité (devrions-nous dire : l’âme ?) d’une
Unique à Sao Paulo, en forme de pastèque ville ne s’achète pas au prix (très élevé) d’un
(Ruy Ohtake), comme dans celui (en projet) de musée spectacle. Elle risque même de s’y perdre
l’hôpital de Tunis en forme de voilier démesuré lorsque ce musée spectacle est un musée fran-
(Vasily Klyukin), ou encore comme dans celui chisé, une pure marque internationale comme
du musée d’Art moderne de Kunsthaus à Graz, l’est la fondation Guggenheim. Les habitants de
sorte d’aéronef bleu sombre venu d’une autre Helsinki l’ont bien compris. Alors que des di-
planète ou rognon prélevé sur un Schtroumpf zaines de villes de par le monde prennent rang
géant dont la greffe sur le corps de la ville n’au- pour obtenir une franchise, ils ont refusé tout
rait pas pris (Peter Cook et Colin Fournier). net l’implantation d’une antenne de la fonda-
C’est à ces architectes imagiers, qui croulent tion et ont opté pour le principe d’une architec-
sous les commandes, que s’adressent les plus ture alternative qui soit tout à la fois singulière
nombreuses demandes de création de musée. et plus conforme à l’esprit de la ville.
La raison en est simple : ceux qui les font
veulent que l’image visuelle du bâtiment fasse À côté de ces produits d’appel, combien de
image symbolique pour leur ville. Ou, ce qui musées récemment construits, d’une élégance
serait plus juste puisque aussi bien il s’agit d’un discrète, comme le Louvre Lens à la moder-
retour sur investissement, qu’elle fasse affiche nité repensée par la sobriété nipponne (agence
et marque, au sens publicitaire et commercial Sanaa) ou comme le Mac Val respectueux de
4 Voir le livre de Robert
de ces termes. Paris a la tour Eiffel. Bilbao, le ses missions (Jacques Ripault). Les exemples
Venturi, Learning from Las Guggenheim. Il n’est pas sûr que cet étrange abondent…
Vegas. vaisseau spatial comme cabossé par un accident
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