Alpha Alibi U9 21109 EP2 DER

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MALADIE D’ALZHEIMER,
IMMIGRATION ET BILINGUISME
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Melissa Barkat-Defradas et Frédérique Gayraud

Maladie d’Alzheimer,
Immigration
et Bilinguisme

CNRS ÉDITIONS
15, rue Malebranche – 75005 Paris
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’ CNRS ÉDITIONS, Paris, 2021


ISBN : 978-2-271-
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Sommaire

Contributeurs ................................................................................................................. 9

Préface ................................................................................................................................. 13
Laëtitia Ngatcha-Ribert

Introduction. Inscrire le soin gérontologique dans une


perspective transculturelle .............................................................................. 19
Frédérique Gayraud et Melissa Barkat-Defradas

Chapitre 1. Régression linguistique chez les patients Alzheimer


bilingues .................................................................................................................... 31
Frédérique Gayraud et Melissa Barkat-Defradas

Chapitre 2. Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins


susceptibles d’être atteints de la maladie d’Alzheimer,
1999-2035 ............................................................................................................... 51
Maks Banens

Chapitre 3. Troubles neurodégénératifs et immigration :


du diagnostic à l’accompagnement des familles.............................. 71
Omar Samaoli et Abigail Lefèbvre

Chapitre 4. Performances langagières chez des populations âgées


bilingues précoces arabes-françaises en Algérie ................................ 83
Sara Sahraoui et Laurent Lefebvre

Chapitre 5. La validation d’outils d’évaluation pour des patients


bilingues : exemple du Screening BAT ................................................... 101
Barbara Köpke
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8 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Chapitre 6. Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues


arabe-français.......................................................................................................... 123
Melissa Barkat-Defradas, Frédérique Gayraud, Farida Benmouffok,
Suzon Le Doledec, Laura Midroit et Souad Oukhabbou

Chapitre 7. Le défi d’un diagnostic de qualité des troubles


neurocognitifs dans les populations issues de l’immigration .. 153
Pierre Krolak-Salmon, Elodie Pongan, Claire Gentil et Zaza Makaroff

Chapitre 8. Quels outils pour évaluer la cognition des sujets âgés


illettrés ou peu scolarisés ? ............................................................................. 167
Catherine Belin

Table des matières....................................................................................................... 179


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Contributeurs

Maks Banens est chercheur au Centre Max Weber rattaché au


CNRS et à l’université de Lyon ; sociodémographe de la famille,
des sexualités, du handicap et de la dépendance. Plutôt que d’une
accumulation de domaines de recherche, il s’agit de leurs intersections.
Ainsi, ses recherches récentes concernent le vieillissement des
personnes vivant avec le VIH, la prise en charge familiale de la
dépendance ou du handicap, ou encore la façon dont les couples de
même sexe fondent une famille.
Melissa Barkat-Defradas est chargée de recherches au CNRS à
l’Institut des Sciences de l’Évolution de Montpellier. Ses travaux, situés
au carrefour de la linguistique clinique et de la biologie évolutive
humaine, s’inscrivent dans le cadre de la théorie évolutionniste de la
sénescence. Elle s’intéresse en particulier à l’étude du déficit linguistique
observé chez les patients bilingues souffrant de la maladie d’Alzheimer.
Elle travaille actuellement à la détermination de facteurs de risques envi-
ronnementaux (i.e. consommation de sucres et maladie d’Alzheimer)
potentiellement liés à l’apparition de troubles neurocognitifs majeurs.
Catherine Belin est neurologue, praticien hospitalier dans le ser-
vice de Neurologie de l’hôpital Saint-Louis AP-HP-Université de
Paris. Parallèlement à sa formation en Neurologie, elle a obtenu un
Master ès Arts (MA) en Linguistique à l’université de Montréal
(Canada). Ses activités de recherche sont centrées sur la Neuro-
psychologie et particulièrement sur l’évaluation cognitive des sujets
illettrés et d’origine multiculturelle. Elle est actuellement présidente
du GRECO (Groupe de Réflexion sur les Évaluations Cognitives).
Farida Benmouffok est orthophoniste en libéral et chargée de
cours à la Faculté de Médecine de Montpellier. Parallèlement à sa
formation en orthophonie, elle a obtenu un Master en Sciences de
l’Éducation (université Toulouse-le-Mirail). Ses sujets de réflexion
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10 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

novateurs croisent l’approche transculturelle et les outils du déve-


loppement personnel, afin d’améliorer l’alliance thérapeutique entre
thérapeutes et patients.
Frédérique Gayraud est professeure de psycholinguistique à l’uni-
versité Lyon 2 rattachée au Laboratoire Dynamique du Langage. Ses
recherches portent à la fois sur l’acquisition précoce du langage chez
l’enfant et sur la perte du langage dans la maladie d’Alzheimer, avec
pour objectif de comparer ces processus d’acquisition/désacquisition
du langage. Ses travaux s’intéressent également aux modifications
induites par le vieillissement normal et pathologique chez le sujet
bilingue et à leurs implications, ainsi qu’aux conséquences du trouble
de stress post-traumatique sur la sphère langagière.
Barbara Köpke est professeur de neuropsycholinguistique à l’uni-
versité de Toulouse 2 et directrice de l’unité de recherche interdis-
ciplinaire Octogone-Lordat. Ses recherches portent sur la gestion des
langues chez le locuteur bilingue et la dynamique de leurs interactions,
y compris chez les sujets pathologiques. Elle s’investit également dans
la conception d’outils d’évaluation et de moyens pour améliorer la
rééducation de patients aphasiques bi- et multilingues.
Pierre Krolak-Salmon est professeur des universités et praticien
hospitalier, neurologue et gériatre, professeur à la faculté de médecine
Lyon Est. Spécialisé dans les maladies neurodégénératives conduisant
vers une altération des fonctions supérieures, il devient responsable du
Centre Mémoire, Ressources, Recherche du CHU de Lyon en 2010
et président de la Fédération des Centres Mémoire depuis 2017.
Abigail Lefèbvre est chargée de projets au Comité Départemental
d’Éducation pour la Santé du Gard (CODES 30) ; elle est notamment
chargée du développement des départements Formation et Santé des
Aînés.
Laurent Lefebvre est Professeur Ordinaire au sein de la Faculté de
Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’université de Mons, au
sein du service de Psychologie cognitive et Neuropsychologie. Il est
spécialiste dans l’évaluation des troubles du langage dans les pathologies
neurodégénératives et leurs prises en charges neuropsychologiques et
orthophoniques.
Suzon Le Doledec est orthophoniste en libéral et en SSR (Soins
de Suite et de Réadaptation) gériatrique à Annecy. En 2016, elle
participe au projet ALIBI dans le cadre de son mémoire « L’impact
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Contributeurs 11

de la Démence de Type Alzheimer sur les performances verbales de


bilingues arabo-francophones ». En parallèle du diplôme d’ortho-
phonie, elle a obtenu une Licence Plasticité cérébrale et Réadaptation
(université Claude-Bernard Lyon 1).
Laura Midroit est orthophoniste en libéral à Marseille. Diplômée
en 2016 de l’Institut des Sciences et Techniques de la Réadaptation
– université Claude-Bernard, elle nourrit durant ses études un intérêt
particulier pour l’évaluation et la prise en charge orthophonique du
sujet bilingue et réalise son mémoire sur « L’impact de la Démence
de Type Alzheimer sur les performances verbales de bilingues arabo-
francophones », au sein du projet ALIBI (Laboratoire Dynamique du
Langage – Lyon 2).
Laëtitia Ngatcha-Ribert est responsable d’études sociologiques à
l’Observatoire de la Fondation Médéric Alzheimer et chercheure asso-
ciée au laboratoire IDEES (Identité et Différenciation des Espaces, de
l’Environnement et des Sociétés) à l’université Le Havre Normandie.
Ses travaux portent sur la maladie d’Alzheimer et les troubles cognitifs
chez les personnes âgées comme enjeux de dynamiques sociales et
politiques, à travers différents thèmes (notamment politiques publiques,
société inclusive, représentations sociales, diversités). Ouvrages parus :
Alzheimer : la construction sociale d’une maladie, Dunod (2012), et
Alzheimer, vers une société dementia-friendly?, éditions du Bord de
l’eau (2018).
Sara Sahraoui est titulaire d’une Licence en Psychologie clinique
et d’un Master en Psychologie, option orthophonie, actuellement
doctorante en Sciences Psychologiques et de l’Éducation à l’université
de Mons, dans le service de Psychologie cognitive et Neuropsycho-
logie, et Maître-Assistante à l’université Mouloud Mammeri à Tizi
Ouzou en Algérie. Ses recherches portent principalement sur le bilin-
guisme et le fonctionnement cognitif, notamment langagier, des per-
sonnes atteintes de la maladie d’Alzheimer
Omar Samaoli est docteur en anthropologie médicale de l’UFR
Biomédicales des Saints Pères de l’université René-Descartes (Paris-V).
Chargé d’enseignement en sociologie de l’immigration et en géronto-
logie transculturelle (université Pierre et Marie-Curie (Paris-VI) et
université Lille 1). Il est aussi le directeur de l’Observatoire Géronto-
logique des Migrations en France.
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Préface

Laëtitia Ngatcha-Ribert

Alzheimer est une maladie de la communication par excellence,


cette dernière étant au cœur de l’expérience de la maladie d’Alzheimer
et des personnes qui en sont atteintes. La communication peut parfois
être non verbale, mais elle passe aussi – souvent même – par le langage.
Or, la société française, comme d’autres, s’enrichit au fil du temps
des personnes issues d’autres cultures ayant choisi de vivre, puis de
rester vieillir au moment de la retraite, dans leur pays d’accueil.
Certaines d’entre elles, en vieillissant, sont confrontées à des maladies
chroniques, dont les troubles cognitifs et les maladies neurodégénéra-
tives. Mais comment diagnostiquer de tels troubles et tester les com-
pétences cognitives chez des populations multilingues, et notamment
les personnes immigrées âgées ?
L’ouvrage dirigé par Melissa Barkat-Defradas et Frédérique Gayraud
nous donne à voir et à mieux comprendre les enjeux, ô combien
sensibles, car héritages de l’histoire coloniale française, de la langue
chez les Algériens, Marocains, Tunisiens, personnes immigrées d’origine
maghrébine, qui développent des troubles cognitifs, et vivent en France.
Ce sont plusieurs milliers de personnes qui sont concernées et, malgré
les marges d’incertitude, une forte augmentation de leur nombre est
à prévoir à l’avenir. Les auteurs nous invitent à décaler notre regard et
à sortir de la norme occidentalo-centrée. Leur constat est clair : les tests
neuropsychologiques actuels, élaborés aux États-Unis ou en Europe,
sont inadaptés en l’état à évaluer la mémoire épisodique du sujet âgé au
sein d’une population ayant généralement un faible niveau de scola-
risation ou de maîtrise de la deuxième langue apprise. Autrement dit,
comme ils l’écrivent, les échelles psychométriques ont souvent été
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14 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

créées par des Occidentaux pour des Occidentaux. Au cœur du propos


des différents auteurs donc : repenser l’évaluation neuropsychologique
et développer des tests cognitifs adaptés à des contextes culturellement
et linguistiquement différents, mais qui peuvent parfois s’avérer être à
portée universelle (avec le développement d’outils de dénomination
d’images).
On apprend beaucoup à la lecture de cet ouvrage riche en ensei-
gnements. Tout d’abord, comment ne pas souligner à l’heure actuelle
la complexité du diagnostic ? Ce livre apporte un éclairage nécessaire
sur cette complexité, renforcée pour la population immigrée, et rap-
pelle que ces tests et le diagnostic représentent toujours un « défi »,
voire une gageure, pour les professionnels de santé. On perçoit com-
bien les données sont nombreuses à devoir être prises en considération
dans un bilan de consultation mémoire. Le risque est de conclure à un
vieillissement pathologique, avec les conséquences qu’un « faux
positif » implique, alors qu’il n’est question que de différences en
termes de niveau d’éducation ou de compétences dans la deuxième
langue apprise. En partie en raison de cette complexité, les personnes
sont diagnostiquées parfois tard, quand des troubles du comportement
sont déjà présents, ce qui réduit leur chance d’avoir un accompagne-
ment adapté et de qualité.
À la lecture, il ne peut échapper à personne qu’un certain nombre
de professionnels sont au cœur de l’action et de la démarche diag-
nostique. L’ouvrage en appelle ainsi à un travail en complémentarité,
en pluridisciplinarité, des métiers qui participent au diagnostic des
troubles cognitifs et à l’accompagnement des personnes âgées. Il invite
à établir des ponts entre les différentes disciplines que sont notamment
la psychologie, dont la neuropsychologie, les sciences du langage,
l’orthophonie, le travail social ou bien encore la sociologie. Cette
démarche d’évaluation dite écologique se situe clairement dans l’air
du temps, avec les soins et l’accompagnement centrés sur le patient,
appréhendé dans sa globalité. Il apparaît aussi, à la lecture, qu’une
des pistes du futur sera d’améliorer la formation des professionnels
de santé et/ou de revoir leur mode de recrutement : le manque de
professionnels bilingues, et notamment les médecins généralistes,
constitue des obstacles à une prise en soin et un accompagnement
adapté et de qualité. Mais même les professionnels ayant à cœur de
connaître ne serait-ce que quelques mots pour échanger au quotidien
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Préface 15

avec les personnes malades d’origine maghrébine et créer un début de


dialogue devraient être plus valorisés. La transposition est d’ailleurs
tout à fait possible et souhaitable, nous semble-t-il, pour les personnes
âgées ayant pour langue maternelle une langue régionale comme le
breton, l’alsacien, le gascon, le corse, le créole, etc. La langue mater-
nelle résonne en elles, y compris lorsque ces personnes sont atteintes
de pathologies démentielles. Et sans doute que d’autres populations
pourraient bénéficier des avancées à cet égard, notamment celles ayant
une déficience sensorielle comme les personnes sourdes ou non
voyantes ? Avec la mise à disposition des moyens et des outils adéquats
et accessibles, qui prennent en considération les diversités sociales
et/ou culturelles, les auteurs pointent du doigt ce que l’on nomme
la « bientraitance culturelle », et la capacité du système médicosocial
à laisser la place à l’individualité des personnes et à personnaliser ses
services. Les services universels, classiques, pourraient s’adapter, être
plus souples en proposant une formation et de l’information aux
personnels, notamment sur l’ouverture à la diversité culturelle et le
respect de l’altérité, mais aussi en offrant de l’aide et des soins adaptés
à la culture des personnes. On peut souhaiter voir se développer les
compétences culturelles et plus largement une sensibilité culturelle des
services sanitaires, sociaux et médico-sociaux et des professionnels, qui
passerait notamment par des temps d’analyse des pratiques, des suivis
et des accompagnements au long cours des équipes.
Ensuite, les auteurs en appellent à changer le regard porté sur les
personnes malades, à sensibiliser et déstigmatiser la maladie ainsi qu’à
rompre l’isolement. On le sait bien, les représentations sociales jouent
un rôle majeur : Alzheimer n’est ni un concept universel ni atemporel.
En la matière, dépasser ses propres représentations projetées sur l’autre
est crucial. Par exemple, l’entourage est souvent très présent puisque
seulement 10 % des immigrés sont des femmes et des hommes isolés.
Un chiffre à retenir en effet, tant l’image du vieil immigré seul, isolé
semble encore prégnante. Prenons ainsi acte que la plupart des immi-
grés vieillissent avec leur famille, qui les accompagne, bien souvent
sans faire appel à des professionnels. Et cela implique qu’il faudrait
mieux connaître leurs interactions intrafamiliales ainsi que leurs inter-
actions avec leur environnement, mais aussi les besoins de ces familles,
même si l’on en connaît a priori quelques-uns : difficultés d’orienta-
tion dans le système d’aide et de soins, manque de soutien émotionnel
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16 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

et culturel, manque d’information sur les troubles cognitifs, représen-


tations et peur du qu’en-dira-t-on à l’égard des normes d’aide…
Formation, sensibilisation, information, soutien sont importants ;
mais avant cela un travail préliminaire de création de liens de confiance,
d’une relation positive est tout aussi précieux et sera fondamental pour
la suite du parcours de ces personnes. Les auteurs rappellent un fait
marquant : l’itinéraire des personnes malades d’origine maghrébine
s’arrête souvent à la consultation du médecin généraliste. C’est-
à-dire qu’elles se rendent rarement dans les consultations plus spécia-
lisées ou réalisent rarement des examens complémentaires. Les causes
de non-recours sont multiples et très variables, mais il est vrai qu’il
suffit parfois d’une mauvaise expérience pour qu’un parcours s’arrête
brutalement. D’où l’intérêt de tisser un réseau de proximité avec les
acteurs de terrain et de renforcer les liens entre ces derniers, les
personnes concernées et leur entourage. On saisit alors ici combien
le travail sur les territoires (départements notamment) et avec les
acteurs locaux (associations…) est fondamental, comme en témoigne
notamment le projet mené dans le Gard. Et combien chaque acteur
local peut jouer un rôle en la matière : les médiateurs, les associations
de quartier, les professionnels du social… afin notamment d’établir un
lien de confiance avec les publics, renforcer les liens entre ces acteurs de
proximité et les professionnels du soin et de l’accompagnement, les
relier aux réseaux et aux dispositifs locaux pour bénéficier de l’accès à
l’aide et aux soins.
Ce sont ces liens qu’établit cet ouvrage, ambitieux et essentiel, à la
lecture duquel on perçoit l’urgence de permettre l’accès aux droits et
services aux populations maghrébines atteintes de troubles cognitifs,
à développer un soin gérontologique interculturel et à réduire les
inégalités sociales. Les auteurs nous rappellent que les difficultés de
ces personnes immigrées sont accrues par des facteurs de fragilité et
de vulnérabilité. La vieillesse immigrée rencontre les mêmes défis que
les vieux de leur pays d’accueil, mais cumule aussi plusieurs facteurs
de vulnérabilité avec des problématiques spécifiques liées à l’immi-
gration et à la distance avec son pays d’origine : barrière de la langue,
perte des repères culturels, précarité, isolement, conditions de travail
et de vie difficiles… On saura gré aux auteurs de ne pas s’en tenir au
simple constat de l’existence d’inégalités sociales. Ne pas laisser à la
traîne une partie de la population, et notamment les moins nantis,
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Préface 17

économiquement passe – si l’on veut vraiment les réduire, et c’est un


des mérites de cet ouvrage – par le fait de proposer des pistes de
solutions et de se risquer aussi bien à être prescriptifs qu’à lier science
et action. Ainsi, de l’adaptation des tests à la formation des profes-
sionnels en passant par la sensibilisation et le travail en réseau sur les
territoires, les actions potentielles sont multiples. En ce sens, la réduc-
tion des inégalités d’accès aux soins et à un accompagnement adapté
est aussi un des aboutissements pragmatiques visés, qui comportent
des enjeux non seulement de santé publique mais aussi, en somme,
éthiques.
Cet ouvrage appelle en outre de ses vœux des recherches, à diffé-
rents stades de la maladie, auprès de ces populations et de leurs proches
(personnes immigrées des première, deuxième et troisième généra-
tions), notamment grâce aux différentes sciences humaines et sociales.
On peut en effet penser que c’est par l’interaction entre les différentes
approches d’un même problème (sociologique, psychologique, biolo-
gique, épidémiologique, démographique…) et les convergences et
collaborations entre recherches et actions multidisciplinaires que
l’on pourra avoir une meilleure connaissance des mécanismes de
non-recours et de vulnérabilisation. La diversité des disciplines des
différents auteurs des chapitres qui vont suivre en est un témoignage
éclatant.
Le présent ouvrage, dirigé par Melissa Barkat-Defradas et Frédé-
rique Gayraud, est également porteur d’espoir pour l’avenir. Souhai-
tons qu’il puisse ainsi constituer une pierre à l’édifice et un appel à une
prise en compte plus politique des besoins spécifiques des populations
immigrées bilingues atteintes de troubles cognitifs et à la réduction des
inégalités sociales. Ainsi, que chacun, chercheurs, acteurs de terrain,
décideurs et personnes concernées (malades et proches aidants) puisse
co-construire l’avenir, au moment où l’association Alzheimer Europe
vient de publier un rapport sur les relations interculturelles dans lequel
est mis en valeur ce que les sociétés commencent à faire pour leurs
anciens immigrés. In fine, on ne peut qu’être reconnaissant aux auteurs
pour leur volonté de rendre plus intelligibles et plus visibles ces
questions complexes qui sont devenues « bonnes à penser » (Didier
et Éric Fassin, 2009). Les différents auteurs font œuvre de pédagogie
quant à la nécessité d’inscrire le soin et l’accompagnement géronto-
logique dans une perspective interculturelle. À l’heure de l’avènement
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18 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

de ce que l’on nomme la « société inclusive », il s’agit à présent d’agir au


niveau de l’ensemble des pistes suggérées par les contributeurs. Puisse
ainsi leur message être entendu et participer à la prise de conscience
de tous de la nécessité d’agir, parce que la diversité ethnoculturelle
ou les diversités au sens large sont aujourd’hui une réalité devenue
incontournable de la société française, donc des institutions notam-
ment médicales, médico-sociales et sociales qui la composent.
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Introduction
Inscrire le soin gérontologique
dans une perspective transculturelle

Frédérique Gayraud et Melissa Barkat-Defradas

Nécessité d’un soin gérontologique transculturel

Si les pays anglo-saxons – traditionnellement terres d’immigrations –


mènent depuis plusieurs décennies une réflexion approfondie sur la
nécessité de penser le soin dans une perspective transculturelle (Ardila,
1995 ; Leininger, 1985 ; Rosselli & Ardila, 2003), « il n’y a rien, ou
presque sur les vieux immigrés en France » (Temime et al., 2001, 51). La
question de la prise en charge des migrants âgés est en effet relativement
récente (Moukouta, 2010 ; Samaoli, 1999/2000 ; Sifaoui, 2010) et
« (…) leur présence n’a pas véritablement fait l’objet d’une prise en
compte dans la réalité gérontologique » (Samaoli, 2000), contribuant
ainsi au renforcement d’importantes inégalités sociales en santé. En
effet, comme le souligne Samaoli dans le même ouvrage, « les systèmes
de santé des états membres de l’Union européenne sont inadaptés aux
besoins des migrants (…) ils sont fondamentalement monoculturels et,
par là-même, mal équipés pour faire face aux besoins émanant de la
société dont la composition linguistique et culturelle est de plus en plus
hétéroclite ». Parmi les risques auxquels est exposée cette population
vieillissante, la maladie d’Alzheimer tient une place non négligeable.
Toutes les sociétés occidentales connaissent un accroissement du
multiculturalisme lié aux mouvements migratoires des populations
humaines. De ce fait, les cas de plurilinguisme et d’acculturation
sont de plus en plus fréquents et la question de la prise en charge
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20 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

des patients ne partageant pas la même langue/culture que le théra-


peute constitue une difficulté nouvelle en contexte clinique. En effet,
les praticiens (orthophonistes et neuropsychologues en particulier)
sont en forte demande d’outils spécifiques prenant en compte les
spécificités culturelles et/ou linguistiques de leurs patients (Köpke,
2013 ; Belin et al., 2016 ; Ngatcha-Ribert, 2015). Par ailleurs, le
vieillissement de la population est une réalité inéluctable en Europe
et celui des premières vagues d’immigration n’échappe pas à cette règle
soulevant un questionnement d’ordre éthique et sanitaire. En effet,
la vieillesse immigrée, qui rencontre les mêmes défis que la vieillesse
autochtone, cumule avec les déficiences spécifiques au grand âge plu-
sieurs handicaps propres à leur situation d’expatriés. À la vulnérabilité
inhérente au vieillissement lui-même, s’ajoutent des problématiques
spécifiques liées à l’immigration et relatives à l’isolement, à la précarité,
à la barrière de la langue, à la perte des repères culturels, etc. Enfin, les
populations défavorisées s’avèrent être plus particulièrement exposées
au risque démentiel et au cinquième des risques qui viennent d’être
listés en raison de conditions de vie souvent très difficiles.

Vieillissement normal
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le vieillissement
normal correspond à l’ensemble des processus physiologiques et psy-
chologiques qui modifient la structure et les fonctions de l’organisme à
partir de l’âge mûr. Il est la résultante des effets intriqués de facteurs
génétiques et de facteurs environnementaux auxquels l’organisme est
soumis tout au long de la vie. Il s’agit donc d’un processus lent et
progressif qui doit être distingué des effets liés aux maladies (vieillis-
sement pathologique). Néanmoins, si la sénescence est un processus
universel dont la trace la plus évidente est la transformation du corps,
on peut également concevoir le vieillissement comme une construc-
tion socioculturelle. Une définition sociale utiliserait par exemple
comme critère d’inclusion l’âge de la retraite (60 ans) ou le taux
d’équipements et de services destinés aux personnes concernées
(75 ans) ou encore l’âge moyen constaté dans les institutions géria-
triques (85 ans). La vieillesse peut donc être également appréhendée
comme une donnée variable et personnelle déterminée par le contexte
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Introduction 21

social. Dans le vieillissement, il faut donc tenir compte de deux


variables : l’une interindividuelle (les individus ne vieillissent pas
tous au même rythme), l’autre intra-individuelle (les individus
vieillissent différemment sur les plans biologique, psychologique et
social). Jovelin et Mezzouj (2010) soulignent d’ailleurs que les organes
s’usent plus ou moins vite non seulement en fonction de l’hérédité
mais aussi en fonction des conditions de vie.

Vieillissement pathologique : la maladie d’Alzheimer


La maladie d’Alzheimer représente entre 60 et 75 % des démences.
Elle se caractérise par un début insidieux et la progression graduelle
d’un trouble dans un ou plusieurs domaines cognitifs, la présence d’un
déclin mnésique et des capacités d’apprentissage en plus d’un autre
trouble cognitif pouvant par exemple concerner le langage ou les
praxies. Outre ces critères cliniques, le diagnostic peut aussi se baser
sur la mise en évidence d’une mutation génétique à partir de l’histoire
familiale ou de tests génétiques, sur la présence d’une atrophie du lobe
temporal médian, ainsi que sur la présence de biomarqueurs dans le
liquide céphalo-rachidien.
Selon le DSM-5 (2013), la démence ou « trouble neurocognitif
majeur » (désormais TNCM) est caractérisée par un déclin cognitif qui
compromet l’autonomie de la personne. Parmi les TNCM, la maladie
d’Alzheimer est la cause la plus fréquente de démence.
Les critères du TNCM sont les suivants (DSM-5) :
A – Évidence d’un déclin cognitif significatif par rapport au niveau
de performance antérieur dans un domaine cognitif ou plus (attention
complexe, fonctions exécutives, apprentissage et mémoire, langage,
perception-motricité ou cognition sociale) sur la base :
a. d’une préoccupation de l’individu, d’un informateur bien
informé, ou du clinicien quant à un déclin significatif de la fonction
cognitive ;
b. et d’un déficit de la performance cognitive, de préférence
documenté par des tests neuropsychologiques standardisés ou, en
leur absence, une autre évaluation clinique quantifiée
B – Les déficits cognitifs interfèrent avec l’indépendance dans les
activités quotidiennes (c.-à-d., au minimum, un besoin d’aide pour les
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22 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

activités instrumentales complexes de la vie quotidienne telles que le


paiement des factures ou la gestion des médicaments).
C – Les déficits cognitifs ne se produisent pas exclusivement dans
le cadre d’un délirium.
D – Les déficits cognitifs ne sont pas mieux expliqués par un autre
trouble mental (par exemple, le trouble dépressif majeur, la schizo-
phrénie).
Comme le critère A.b. en témoigne, l’examen neuropsychologique
visant à évaluer les fonctions cognitives joue un rôle central dans le
diagnostic des démences. L’un des outils les plus fréquemment utilisés
est le MMSE (Mini-Mental State Examination) (Folstein, Folstein
& McHugh, 1975) qui est conçu comme un outil de dépistage rapide
des déficits cognitifs, notamment en gériatrie (Hugonot-Diener et al.,
2008). La version GRECO consensuelle (Hugonot-Diener, 2008)
comporte 30 questions évaluant différents domaines : l’orientation
spatio-temporelle, le rappel immédiat de trois mots, l’attention et le
calcul, le rappel différé des trois mots précédemment mentionnés, le
langage, et les praxies constructives évaluées par la copie d’une figure.
Le score maximal est de 30 points ; cependant, le test est sensible au
niveau d’éducation, si bien que le seuil pathologique varie selon ce
facteur : de 22 pour les personnes n’ayant pas le niveau Certificat
d’études, il passe à 26 pour les personnes ayant obtenu le niveau
Baccalauréat ou plus (Kalafat et al., 2003). L’évaluation du langage
est assez sommaire : il s’agit de dénommer un crayon et une montre, de
répéter une phrase dépourvue de sens (« pas de mais, de si, ni de et »),
de répondre à une instruction verbale (« prenez cette feuille de papier
de la main droite, pliez-la en deux et jetez-la par terre »), de com-
prendre la phrase écrite « fermez les yeux », et enfin d’écrire une phrase.
Le score MMSE dépend de plusieurs facteurs dont l’âge (9), le
niveau d’étude (10), la sévérité du déficit cognitif (11) et les critères
de référence adoptés (12). Malgré ses qualités métrologiques, le recours
des cliniciens à la version originale ou traduite du MMSE n’est pas
approprié dans des sociétés non occidentales. La nature de la tâche
exigée par certains items est inadéquate pour des sujets peu ou pas
scolarisés essentiellement dans les items relatifs à l’orientation, au
comptage à rebours, à l’épellation d’un mot à l’envers, à la lecture, à
l’écriture et à la tâche de praxie grapho-constructive.
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Introduction 23

Inadéquation des tests pour les populations bilingues


et/ou peu scolarisées

Les tests neuropsychologiques existants ont majoritairement été


élaborés et standardisés pour des populations occidentales scolarisées
et monolingues, ce qui pose de nombreux problèmes quand il s’agit de
les proposer à une population culturellement distincte, linguistique-
ment distincte ou bilingue, et peu scolarisée.
Sur le plan culturel, les capacités cognitives évaluées par les tests
neuropsychologiques sont des capacités culturellement apprises,
et sont par conséquent affectées par différents contextes culturels
(Ardila, 1995 ; Ardila & Ramos, 2008 ; Puente & Ardila, 2000), ce
qui conduit à la nécessité de développer théories et méthodes dans le
domaine de la neuropsychologie (Lezak, 2004 ; Whyte et al., 2005).
En effet, les normes établies sur les bases de la culture occidentale
s’avèrent non valides lorsqu’elles sont appliquées à d’autres cultures
(Ferraro & McDonald, 2005). Un biais culturel a par exemple été
démontré dans le Boston Naming Test (Barker-Collo, 2001) qui
aboutissait à des erreurs plus nombreuses avec une population néo-
zélandaise qu’aux États-Unis. Une dernière limite relative à
l’utilisation de tests occultant la variable ethnoculturelle réside dans
le fait que lorsque des minorités ethniques sont incluses dans la
standardisation, elles sont rarement identifiées.
Sur le plan linguistique, l’élaboration de tests adaptés est donc
indispensable dans la mesure où de nombreux mots ne sont pas
traduisibles littéralement, ou bien ne sont pas utilisés avec la même
fréquence d’une langue à l’autre. La question linguistique se pose de
façon encore plus aiguë chez la personne bilingue qui se comporte
différemment d’un monolingue dans certaines tâches langagières. Bien
que le bilinguisme paraisse constituer un avantage en ce qu’il exercerait
un effet protecteur contre la maladie d’Alzheimer (Bialystok et al.,
2007), certains auteurs ont souligné qu’il constituait un désavantage
dans certaines tâches dans lesquelles les bilingues, même jeunes, ont
des temps de latence plus longs que les monolingues dans les tâches
mnésiques (Mägiste, 1979), de décision lexicale (Ransdell & Fischler,
1987) ou de dénomination (Roberts, Garcia, Desrochers & Hernandez,
2002). Il a également été montré que les bilingues obtiennent des scores
moindres en fluence sémantique (Gollan & Kroll, 2001 ; Michael
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24 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

& Gollan, 2005 ; Portocarrero, Burright, & Donovick, 2007), et sont


plus souvent sujets que les monolingues au mot sur le bout de la langue
(Gollan & Acenas, 2004). Dans le cas des démences, le déficit cognitif
est plus sévère lorsque le patient est testé en L2 qu’en L1 (Ardila
& Ramos, 2008).

L’évaluation neuropsychologique en contexte interculturel


psychologique et social
L’évaluation cognitive telle qu’elle est conçue dans la pratique
clinique française est fondée sur l’utilisation de tests élaborés en
Europe ou aux États-Unis, lesquels sont proposés à des patients
généralement éduqués. Cependant, dès lors que le praticien est
confronté à des populations ne présentant pas les mêmes caractéristi-
ques socioculturelles et éducatives, il ne peut les utiliser tels quels.
L’adaptation des tests neuropsychologiques à la population migrante
apparaît donc comme indispensable, car les processus cognitifs ne sont
pas seulement sensibles aux affections cérébrales mais aussi aux carac-
téristiques du sujet telles que l’âge, le niveau d’études, le niveau
intellectuel prémorbide, la langue et la culture. Malgré leurs qualités
psychométriques reconnues, les tests communément utilisés pour
l’évaluation des capacités cognitives et/ou langagières des patients
souffrant de maladies neurodégénératives sont des produits construits
dans un contexte historique et culturel donné (début du XX e siècle),
pour des objectifs précis (diagnostic) par et pour des populations
données (sociétés occidentales, patients éduqués). Leur utilisation
auprès de personnes provenant ou vivant dans des contextes culturels
différents ne garantit pas des inférences neuropsychologiques valides
et soulève des questions épistémologiques et éthiques au niveau de
l’interprétation des résultats. Sur le plan théorique, la question de
l’adaptation des tests de dépistage et de prise en charge soulève des
questions intéressantes quant aux notions d’universalité et de relativité
des construits psychologiques et aux notions de biais d’évaluation et
d’équivalence des mesures. En effet, les outils d’évaluation utilisés
en neuropsychologie clinique ont généralement fait l’objet d’une
normalisation au sein de la population occidentale. L’utilisation de
ces épreuves auprès de patients migrants est sujette à des biais, notam-
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Introduction 25

ment lorsque les tests sont basés sur un matériel verbal et que la langue
maternelle du patient n’est pas le français ; plusieurs études ont montré
que, dans ce cas, les sujets non occidentaux obtenaient des perfor-
mances inférieures à celles des Occidentaux pour l’apprentissage à
long terme d’un matériel verbal (Fyffe et al., 2011 ; F. Ostrosky-
Solis, Ramirez & Ardila, 2004).
En bref, les cliniciens ont de plus en plus besoin d’instruments
valides dans des situations d’évaluation interculturelles/multilingues et
d’une formation destinée à accroître leurs compétences interculturelles.

L’adaptation des tests neuropsychologiques :


pierre angulaire de la réduction des inégalités en santé ?
À la suite des travaux initiaux de Luria et Vygostsky (Luria, 1932 et
1933), en Asie centrale dans les années 30, s’est développée la notion
de Neuropsychologie transculturelle. Le cahier des charges de cette
Neuropsychologie transculturelle pourrait reposer sur les trois points
suivants : 1 – modification des tests existants (traduction et adaptation
en fonction de la langue et de la culture) ; 2 – construction de nou-
veaux tests (sélection items, normalisation, études de validité et de
reproductibilité) ; 3 – développement de normes pour différentes
populations (culture, âge, éducation, littératie, scolarisation…).
Il n’existe pas d’Homme culture free. La cognition, comme n’im-
porte quel aspect du fonctionnement cognitif, n’est pas acontextuelle.
Un sujet âgé qui n’a jamais dessiné peut être désavantagé du fait qu’il
n’est pas familiarisé avec ce type de tâche. Autrement dit, même un
matériel non verbal n’est pas nécessairement culture free. Quand il
s’agit d’un test verbal, le problème est encore plus complexe. En effet,
l’adaptation des tests neuropsychologiques ne peut être une simple
traduction des items d’une langue à l’autre. Les différences entre les
langues ne sont pas seulement lexicales et syntaxiques. Ce sont aussi
des différences perceptuelles et conceptuelles, dans le sens où la langue
que nous utilisons reflète notre conception de l’univers. Ainsi, un test
développé en Irlande ne peut être utilisé sans adaptation en Nouvelle-
Zélande ou au Kenya, même si ces trois pays sont anglophones. Il en
est de même pour les pays francophones (France, Canada, Antilles,
Cameroun…) ou arabophones (Tunisie, Égypte, Yémen…).
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26 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

L’objectif général poursuivi par cet ouvrage est d’interroger la


question des cultures, des diversités et des identités dans le domaine
du vieillissement normal et pathologique, en nous penchant plus
particulièrement sur la situation des populations bilingues qui consti-
tuent aujourd’hui une population vieillissante d’importance.
Le chapitre 1 fait la synthèse des recherches récentes portant sur les
spécificités liées au bilinguisme chez les patients Alzheimer, notam-
ment la vulnérabilité des langues acquises à différentes périodes de la
vie et les changements dans les compétences cognitives liées au choix
de la langue chez les patients bilingues atteints de démence.
Le chapitre 2 a pour objectif d’évaluer le nombre de Maghrébins
atteints de la maladie d’Alzheimer en distinguant les locuteurs franco-
phones des locuteurs non-francophones, ainsi qu’à projeter leur
nombre à l’horizon 2023 et 2035. À partir de données démogra-
phiques provenant de l’INSEE ainsi que de l’étude PAQUID sur la
prévalence de la maladie d’Alzheimer, l’étude prévoit une augmenta-
tion importante du nombre de Maghrébins atteints de la maladie
d’Alzheimer, et ce d’autant plus qu’ils sont non-francophones.
Le chapitre 3 fait état de la population immigrée vieillissante en
France, qui se caractérise par un état de santé précaire, une faible
consommation de soins en partie liée à des raisons culturelles, et
une perte d’autonomie précipitée par rapport aux personnes non
immigrées. Cette situation, ajoutée aux difficultés de diagnostic,
aboutit à des situations d’abandon pour les patients et leur entourage.
Le chapitre aborde ensuite les actions concrètes entreprises par le
CODES 30, afin de sensibiliser les professionnels du champ géron-
tologique à cette question, et d’améliorer l’accompagnement et la
qualité de vie des personnes âgées immigrées atteintes de la maladie
d’Alzheimer et maladies apparentées.
Le chapitre 4 aborde la question du bilinguisme chez la personne
âgée dans le contexte algérien, pays dans lequel les locuteurs parlent
à la fois l’arabe dialectal et le français, cette dernière langue étant
maîtrisée dans des proportions variables selon les locuteurs. Les
locuteurs algériens bilingues âgés, qui ont été exposés à un milieu
très francophone, montrent une bonne résistance des systèmes
grammaticaux à la fois français et arabe au vieillissement.
Le chapitre 5 s’intéresse à l’élaboration, à la validation et à la
normalisation d’outils d’évaluation langagière pour les patients
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Introduction 27

bi- ou multilingues, sachant que le bilinguisme peut être affecté par


une multitude de variables. Aujourd’hui, le BAT est le test d’aphasie
le mieux adapté pour permettre une évaluation comparable des diffé-
rentes langues d’un patient bilingue aphasique. Il comporte néanmoins
des faiblesses, parmi lesquelles la durée très longue de sa passation, qui
ont conduit Guilhem, Gomez, Prod’homme et Köpke (2013) à en
proposer une version abrégée, le Screening BAT. Le chapitre détaille
ensuite les étapes de la validation de ce test auprès de sujets bilingues
sains, et souligne la nécessité d’une validation comparable auprès d’une
population d’aphasiques bilingues.
Le chapitre 6 compare les scores obtenus dans des versions standard
vs adaptées de tests par la population immigrée d’origine maghrébine de
France, et démontre que ces scores, notamment le MMSE, diffèrent
significativement selon que le test est administré dans sa version consen-
suelle en français (Folstein, Folstein & McHugh, 1975) ou dans une
version adaptée en arabe dialectal maghrébin (Belhadj et al., 2008). Le
chapitre insiste sur la nécessité d’inscrire le soin gérontologique dans une
perspective interculturelle, afin d’éviter d’imputer à la pathologie seule
un effet délétère sur les performances cognitives.
Le chapitre 7 aborde la complexité diagnostique dans l’évaluation
des troubles cognitifs chez la personne âgée, laquelle est majorée pour
les personnes issues de l’immigration, avec pour conséquence un
diagnostic porté tardivement, une fois l’autonomie perdue et que les
troubles comportementaux sont survenus. Pourtant, il est non seule-
ment nécessaire mais aussi possible de repérer la maladie à des stades
plus précoces, en pratiquant un examen neuropsychologique et ortho-
phonique à l’aide de traducteurs et de spécialistes maîtrisant l’impact
de la barrière linguistique, afin d’adapter un parcours de soin centré sur
la personne. Dans le cas des personnes âgées immigrées, la démarche
d’évaluation orthophonique en Centre mémoire doit notamment faire
face à la question du bilinguisme pour lequel il existe des outils
d’évaluation pour les personnes aphasiques, et qu’il serait intéressant
d’adapter aux pathologies neurodégénératives.
Le chapitre 8 traite du problème posé par l’évaluation neuropsy-
chologique des personnes illettrées ou analphabètes, quand les tests
classiquement utilisés nécessitent la maîtrise de la langue écrite ou
l’utilisation de connaissances scolairement apprises. Actuellement, peu
de tests ont été conçus pour les personnes illettrées ou de faible niveau
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28 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

d’études. Le chapitre présente ensuite deux tests qui visent à combler


ce manque : le TMA-93 dont l’objectif est de repérer des troubles de
mémoire chez des personnes de plus de 60 ans de tous niveaux
d’éducation et pouvant également être administré à des sujets multi-
culturels, illettrés ou de faible niveau d’études, et le TNI-93 qui
cherche à repérer des troubles de la mémoire épisodique chez des
patients d’origine multiculturelle et/ou de faible niveau de scolarité
ou en situation d’illettrisme fonctionnel.

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Chapitre 1

Régression linguistique chez les patients


Alzheimer bilingues

Frédérique Gayraud et Melissa Barkat-Defradas

Introduction

Bien que l’attrition langagière soit souvent définie comme la perte


non pathologique d’une langue, une régression linguistique patho-
logique peut être observée chez les individus atteints de troubles du
langage acquis ou dégénératifs, en particulier la maladie d’Alzheimer
(MA).
En ce qui concerne l’aphasie chez les bilingues, Obler et Mahecha
(1991) ont cherché à établir des liens entre les profils bilingues et les
schémas de récupération des patients aphasiques, afin de voir si ceux-ci
reflétaient l’ordre dans lequel les langues ont été acquises. Ils ont
conclu que l’ordre de récupération des langues chez ces patients
dépendait davantage d’une organisation cérébrale spécifique que de
facteurs extralinguistiques. Cependant, l’aphasie consécutive à un
accident vasculaire cérébral peut ne pas être le meilleur modèle pour
étudier les schémas de régression, car elle survient généralement de
manière brutale et peut n’affecter que des aspects spécifiques du
comportement verbal.
Dans la recherche sur l’attrition non pathologique, la régression a
été mentionnée pour la première fois dans l’hypothèse de la réversion
linguistique avancée par De Bot et Clyne (1989), selon laquelle les
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32 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

migrants âgés sont « de plus en plus susceptibles de retourner dans leur


L1, tout en perdant une partie de leur L2 » (Keijzer, 2011, 221). Cette
hypothèse n’a cependant pas été confirmée par des études ultérieures.
D’autres auteurs ont étudié le principe du « premier entré, dernier
sorti », mais les résultats ont été mitigés (Köpke et Schmid, 2004). Les
résultats suggèrent que la régression pourrait être plus probable dans le
contexte de l’attrition de L2 et n’affecterait que des domaines linguis-
tiques spécifiques. En ce qui concerne l’attrition en L1, les résultats de
Keijzer (2010) indiquent que les modèles de régression ne concernent
que des aspects très spécifiques de la morphologie et de la syntaxe des
verbes et des noms, d’autres domaines linguistiques semblant résilients
à l’attrition, ou suivant des modèles différents.
Les études explorant les schémas de régression des troubles du
langage et établissant des parallèles entre différents types de perte de
la langue sont encore remarquablement absentes. Dès 1983, Obler a
suggéré que la dissolution du langage dans le contexte de la démence
pourrait constituer un modèle intéressant pour l’étude de la régression.
C’est la voie que nous avons choisie de poursuivre ici. Le sujet est
également d’actualité, compte tenu de l’incidence croissante de la
maladie d’Alzheimer et du nombre croissant de personnes qui parlent
régulièrement deux langues ou plus (Commission européenne, 2012).
Malgré cela, on sait peu de choses sur la progression de la maladie chez
les personnes bilingues/multilingues atteintes de la MA, et en parti-
culier sur la manière dont la maladie affecte les différentes langues
parlées.

Maladie d’Alzheimer, langage et bilinguisme


La maladie d’Alzheimer, syndrome neurodégénératif le plus
répandu, était auparavant classée dans la catégorie plus générale des
démences. En 2011, le groupe de travail de l’Institut national
sur le vieillissement et la maladie d’Alzheimer a proposé des recom-
mandations actualisées pour son diagnostic (McKhann, Knopman,
Chertkow, Hyman, Jack, Kawash et Phelps, 2011). Plus récemment,
dans la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux (DSM-5 ; American Psychiatric Association, 2013),
une nomenclature standard utilisée par les cliniciens et les chercheurs
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Chapitre 1 33

pour la classification des troubles mentaux a remplacé le terme de


« démence » par deux nouveaux termes : « trouble neurocognitif
majeur » et « trouble neurocognitif léger ». Les nouveaux critères de
diagnostic de ces troubles sont moins axés sur les troubles de la
mémoire, ce qui permet de prendre en compte des affections com-
mençant par exemple parfois par un déclin de la parole ou du langage.
Selon les critères du DSM-5, la principale différence entre les troubles
neurocognitifs majeurs et les troubles neurocognitifs légers réside
dans le fait que les individus souffrant d’un tel trouble présentent
des déficits des fonctions cognitives (attention complexe, fonction
exécutive, apprentissage et mémoire, langage, moteur cognitif, per-
ceptuel ou social) qui interfèrent entre eux et ont un retentissement
sur l’autonomie de la personne.
Un certain nombre de pathologies différentes répondent à cette
définition, notamment la dégénérescence lobaire frontotemporale,
la maladie à corps de Lewy, la maladie vasculaire et la maladie de
Parkinson. Le DSM-5 stipule que la MA doit être diagnostiquée
chez les patients si les conditions suivantes sont remplies : 1 – critères
remplis pour le trouble neurocognitif majeur ; 2 – début insidieux
et progression progressive de la déficience dans un ou plusieurs
domaines cognitifs ; 3 – preuve d’une mutation génétique causative
provenant d’antécédents familiaux ou de tests génétiques ; et (iv) des
preuves évidentes d’un déclin de la mémoire et de l’apprentissage et
d’au moins un autre domaine cognitif.

Altération du langage chez les patients monolingues


atteints de MA
Il est maintenant généralement admis que les capacités langagières
sont altérées de manière sélective à différents stades de la MA. En
considérant la détérioration du langage comme une réduction de ses
compétences, Lefebvre et Rinaldi (2015) l’ont corrélée à la progression
de la maladie. Par exemple, l’anomie dans la dénomination d’images
est caractéristique des patients dans la phase précoce de la maladie,
tandis que la mémoire sémantique reste relativement épargnée. La
production linguistique des patients dans la phase modérée de la
MA est caractérisée par des paraphasies sémantiques, en lien avec
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 34

34 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

une détérioration de la mémoire sémantique. Enfin, les patients dans


la phase sévère de la MA deviennent mutiques, ou ne peuvent plus
produire que des automatismes verbaux. Les difficultés de langage se
rencontrent initialement aux niveaux lexico-sémantique et discursif, la
syntaxe et la phonologie étant relativement épargnées jusqu’à la phase
modérée/sévère. En résumé, en ce qui concerne les compétences en
langage oral, les difficultés de production et de compréhension sont
positivement corrélées à la gravité de la maladie. La situation est
légèrement différente pour les compétences en langue écrite : l’écriture
est altérée dès le début de la maladie, mais la capacité à reconnaître des
lettres et des mots, et de les produire oralement, est parfois préservée
jusqu’à la phase la plus sévère, bien que leur sens ne soit plus compris.

Bilinguisme et maladie d’Alzheimer :


un sujet d’intérêt croissant
La question de la régression linguistique chez les personnes bilin-
gues atteintes de MA a récemment suscité un intérêt considérable
de la part des chercheurs. Pour évaluer l’attention croissante portée
à ce sujet au cours de la dernière décennie, nous avons effectué une
recherche documentaire sur le Web of Science couvrant les années 2000
à 2019. La chaîne de recherche suivante a été utilisée comme mot
clé pour la recherche d’études : “Alzheimer” OU “Dément*” ET
“Bilingu*”. Cette enquête a permis de recenser 113 références diffé-
rentes et a révélé que l’attention portée aux changements langagiers
chez les patients bilingues atteints de MA était apparue à la suite de la
publication de Bialystok, Craik & Freedman (2007) sur le bilinguisme
tout au long de la vie comme facteur protecteur contre la MA
(figure 1.1). Depuis lors, le nombre d’études traitant de la question
de la MA dans des contextes multilingues/multiculturels n’a cessé
d’augmenter.
Bien que le nombre d’études sur les avantages cognitifs du bilin-
guisme en relation avec la réserve cognitive dans la démence ait
augmenté de façon exponentielle (voir également infra 1.3.1), la
question concernant la façon dont le vieillissement affecte les compé-
tences linguistiques des populations bilingues n’a pas encore été
explorée de manière appropriée. C’est peut-être à cause de l’idée
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Chapitre 1 35

Figure 1 : Nombre de publications (de janvier 2000 à avril 2019) répon-


dant à la requête “Alzheimer” OU “Dément*” ET “Bilingu*” référencées
sur WoS (n=113)

répandue que les compétences linguistiques sont peu affectées par le


vieillissement (Hupet et Nef, 1994). Cependant le cas des sujets
bilingues constitue un défi majeur, car les outils d’évaluation cognitive
et de réadaptation existants ne sont pas adaptés à cette population. Il
est donc essentiel d’examiner l’impact de la maladie sur les compé-
tences linguistiques des bilingues, afin de mettre au point des inter-
ventions adaptées et, plus fondamentalement, de comprendre le
processus d’involution dans un cadre unique reliant le fonctionnement
cognitif sous-jacent au bilinguisme.
La question de la vulnérabilité des langues acquises à différentes
époques de la vie (L1 vs L2, L3, etc.) est celle qui a retenu le plus
d’attention. Une autre question concerne les changements dans les
compétences cognitives liées au contrôle du langage chez les patients
atteints de démence.

L’avantage babylonien : une question controversée


L’étude pionnière de Bialystok, Craik et Freedman (2007) suggère
que le bilinguisme contribue à retarder l’apparition de la MA, et que le
fait d’avoir utilisé deux langues tout au long de la vie crée une réserve
cognitive (issue des processus inhibiteurs associés au bilinguisme, voir
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36 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

ci-dessous) qui compense les symptômes de la MA. Depuis lors, de


plus en plus de travaux ont traité de cette question, mais des résultats
divergents ont déclenché une vive controverse. Lorsque Bialystok,
Craik et Freedman (2007) ont examiné un groupe de personnes
monolingues et bilingues anglais-français, dont les deux tiers avaient
reçu un diagnostic de MA, ils ont constaté que les symptômes de la
MA se sont manifestés 4,1 ans plus tard chez les bilingues que chez les
monolingues. Bien que leur conclusion ait été confirmée par la suite
par quelques études mettant en évidence un délai de quatre à cinq ans
chez des individus bilingues (Alladi, Bak, Duggirala, Surampudi,
Shailaja, Shukla, Chaudhuri et Kaul, 2013 ; Craik, Bialystok et
Freedman, 2010 ; Woumans, Santens, Sieben, Versijpt, Stevens et
Duyck, 2015), plusieurs autres études ont échoué à répliquer ces
résultats (Crane, Gruhl, Erosheva, Gibbons, McCurry, Rhoads et
White, 2010 ; Lawton, Gasquoine et Weimer, 2015 ; Sanders, Hall,
Katz et Lipton, 2012 ; Zahodne, Schofield, Farrell, Stern et Manly,
2014), tandis que d’autres ne les reproduisaient que partiellement,
remettant ainsi en question la relation entre bilinguisme et réserve
cognitive. Chertkow, Whitehead, Phillips, Wolfson, Atherton et
Bergman (2010), par exemple, ont mis en évidence un effet bénéfique
faible mais significatif chez les locuteurs de plus de deux langues
(multilingues), mais pas chez les bilingues. De même, Hack (2011)
a constaté que seules les personnes parlant quatre langues ou plus
présentaient un risque beaucoup plus faible de développer une MA
que les monolingues.
Il y a de nombreuses explications possibles à ces résultats contra-
dictoires, car le bilinguisme est associé à de nombreuses variables de
confusion potentielles, telles que l’immigration et le statut socio-
économique ou le niveau d’éducation (Bak, 2016). Par exemple,
Gollan, Salmon, Montoya et Galasko (2011) n’ont constaté une
MA retardée que chez les bilingues peu scolarisés, alors que l’étude
menée par Alladi et al. (2013) en Inde a suggéré que les avantages
cognitifs ne sont pas liés au niveau d’éducation. En outre, plusieurs
études dans lesquelles le statut migratoire ne se confondait pas au
bilinguisme signalaient encore un effet bénéfique du bilinguisme
sur des populations vieillissantes, qu’elles soient en bonne santé ou
pathologiques (Alladi et al., 2013 ; Bak, Nissan, Allerhand et Deary,
2014 ; Perquin, Vaillant, Schuller, Pastore, Dartigues et Lair, 2013 ;
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Chapitre 1 37

Woumans et al., 2015). Les biais méthodologiques (manque d’évalua-


tion objective de la maîtrise de la langue ou de monolingualisme,
différences dans la taille de l’échantillon, variabilité des instruments
utilisés pour évaluer les compétences cognitives et diagnostiquer la
maladie d’Alzheimer) sont néanmoins susceptibles de rendre compte
de ces résultats divergents (Ghazi-Saidi et Ansaldo, 2015 ; Calvo,
García, Manoiloff et Ibáñez, 2016 ; Lawton et al., 2015). De plus,
certaines de ces études n’incluaient que des patients atteints de MA,
alors que d’autres incluaient également ceux présentant une déficience
de type trouble neurocognitif léger (MCI par exemple, Kowoll,
Degen, Gladis et Schroder, 2015) ou d’autres types de démence
(par exemple, Alladi et al., 2013). Enfin, l’examen d’autres variables
connues pour affecter la réserve cognitive, telles que le réseau social ou
une stimulation intellectuelle soutenue tout au long de la vie, n’a pas
toujours été contrôlé. Alors que Calvo et al. (2016) soulignent que ces
lacunes ne signifient pas que le bilinguisme ne joue pas de rôle dans la
réserve cognitive ; ils insistent sur la nécessité de modèles expérimen-
taux mieux contrôlés, afin de mieux comprendre la relation entre
bilinguisme et réserve cognitive.

Régression de la langue seconde dans la maladie d’Alzheimer


Les monolingues atteints de MA sont affectés de manière dispro-
portionnée par rapport aux contrôles dans les tâches de dénomination
d’images avec des mots basse fréquence, peu familiers, peu imageables
et acquis tardivement (par exemple Ivanova, Salmon et Gollan, 2013).
Ainsi, les mots faiblement représentés en parole peuvent décliner plus
rapidement que des mots plus robustes au stade précoce de la maladie.
Des allégations similaires ont été formulées concernant l’attrition des
langues (Datta, 2010). Bien qu’ils reposent sur des données probantes
provenant de patients monolingues, ces résultats nous permettent d’en
déduire des hypothèses sur les performances de dénomination chez
les bilingues atteints de la MA. Si leurs deux langues sont également
robustes (dans le cas des bilingues équilibrés), elles déclinent proba-
blement au même rythme et au cours de la même période. Les preuves
existantes concordent avec cette prédiction. Inversement, chez les
bilingues non équilibrés, on s’attendrait à ce que la langue la plus
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38 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

faible diminue plus rapidement que la langue dominante, en partant


de l’hypothèse que la production de mots dans la langue non domi-
nante nécessite un contrôle exécutif plus strict pour surmonter la
concurrence des équivalents de traduction dans la langue dominante
(Bialystok, 2009 ; Green, 1986, 1998). Étant donné que les fonctions
exécutives déclinent chez les patients MA (Bäckman, Jones, Berger,
Laukka et Small, 2004 ; Perry et Hodges, 1999 ; voir aussi Köpke et
Keijzer, ce volume), la production en L2 est probablement plus altérée
au cours de l’évolution de la maladie comparée à la production en L1.
Il existe des preuves cohérentes selon lesquelles la capacité à bien
maîtriser la L2 tend à diminuer avec le vieillissement (Hyltenstam et
Obler, 1989), même chez les personnes vieillissantes et en bonne santé
qui ont été bilingues toute leur vie. Ce déclin est plus important chez
les personnes bilingues atteintes de la maladie d’Alzheimer, qui pré-
sentent une régression plus importante dans leur L2, tandis que la L1
est conservée plus longtemps. Dans l’étude de Mendez, Perymann,
Ponton et Cummings (1999), les patients atteints de MA ayant été
exposés à l’anglais en tant que L2 à partir de l’âge de 13 ans ont
manifesté une nette préférence pour leur L1, indépendamment de
l’âge d’acquisition de la L2 et de sa fréquence d’utilisation. Dans une
étude sur des patients atteints de MA nés en Finlande mais ayant
émigré en Suède, la communication en suédois (L2) s’est avérée plus
difficile que la communication avec les soignants parlant la L1 des
patients (Ekman, 1996 ; Ekman, Wahlin, Norberg et Winblad,
1993). Dronkers, Koss, Friedland et Wertz (1986) ont rapporté le
cas d’un patient qui connaissait initialement bien le néerlandais (L1)
et l’anglais (L2 acquise à l’âge adulte), mais qui manifestait une
préférence croissante pour la L1. L’hypothèse de régression de L2
est également corroborée par Ivanova, Salmon et Gollan (2014), qui
ont étudié un groupe de 31 personnes bilingues avec MA probable
dont la L2 (l’anglais appris après 13 ans) a présenté un déclin plus
important que leur L1. Ceci a été établi en interrogeant les soignants
des patients, qui ont indiqué que les patients utilisaient à nouveau leur
langue première au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, avec de
plus en plus d’intrusions de la L1 lors de la communication en L2.
Ainsi, pour ces bilingues, la langue acquise tardivement semble être
particulièrement vulnérable aux effets de la MA. En revanche, la
tendance rapportée par Gollan, Salmon, Montoya et Da Pena
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Chapitre 1 39

(2010) pour leurs participants bilingues atteints de MA n’était pas


conforme au cadre théorique de la régression de L2 présenté ci-dessus.
Ces auteurs ont comparé les performances en désignation d’images de
bilingues anglais/espagnol avec celles de sujets contrôles bilingues
maîtrisant les mêmes langues. Les résultats montrent que les bilingues
MA chez qui l’anglais était la langue dominante avaient des scores de
dénomination plus élevés lorsqu’ils étaient interrogés pour des images
nommées dans la L2 qu’ils ne pouvaient pas produire dans leur L1 – le
schéma opposé à celui trouvé par Ivanova et al. (2014). La même
tendance a été observée pour des bilingues MA qui avaient pour langue
dominante l’espagnol, bien que l’analyse statistique ait révélé un déclin
équivalent dans les deux langues par rapport aux témoins. Salvatierra,
Rosselli, Acevedo et Duara (2007) ont constaté une baisse équivalente,
car ils administraient une tâche de fluence verbale à des bilingues
MA anglais/espagnol et des contrôles. Ainsi, aucun groupe bilingue
dans les études de Gollan et al. (2010) et Salvatierra et al. (2007) n’a
présenté le principe du « premier entré-dernier sorti », selon lequel la
L1 devrait être moins vulnérable aux effets de la maladie. Au lieu de
cela, dans ces études, la L1 était soit plus touchée que la L2, soit les
deux langues étaient également affectées. De leur côté, Gomez-Ruiz,
Aguilar-Alonso et Espasa (2012) ont examiné des patients bilingues
précoces atteints de MA et un groupe témoin bilingue originaire de
Catalogne. La moitié des participants étaient bilingues simultanés
précoces, tandis que l’autre moitié avait acquis le catalan avant l’espa-
gnol. Les compétences linguistiques ont été évaluées à l’aide des
versions espagnole et catalane du BAT (Paradis, Elias et Gomez,
2008), et les résultats ont montré des profils de déficit linguistique
similaires dans les deux langues pour les deux groupes de bilingues. De
même, lorsque Costa et Sebastián-Gallés (2012) ont enquêté sur les
bilingues espagnol/catalan atteints de MA, ils ont constaté que ces
deux langues étaient touchées de manière analogue par la maladie par
rapport à celles d’un groupe témoin composé de 24 bilingues avec
trouble neurocognitif mineur.
Un certain nombre de différences méthodologiques pourraient
expliquer ces résultats discordants. Premièrement, les compétences
linguistiques ont été évaluées à travers différentes tâches : Mendez,
Perymann, Ponton et Cummings (1999) se sont appuyés sur les décla-
rations des soignants, Gollan et al. (2010) ont évalué la dénomination
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40 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

d’images dans les deux langues, tandis que Salvatierra et al. (2007)
ont mesuré la fluence sémantique et phonologique. Pour surmonter
cette divergence apparente et élucider davantage le schéma de déclin
des deux langues des bilingues, Ivanova et al. (2014) ont étudié
les schémas longitudinaux et transversaux de déclin linguistique des
bilingues non équilibrés atteints de MA, en administrant, sur une
période de trois ans, le test de dénomination de Boston dans les
deux langues (Kaplan, Goodglass et Weintraub, 1983). Leurs princi-
pales conclusions ont été que le déclin de la L1 et de la L2 suivait
différentes tendances transversalement et longitudinalement. Plus
précisément, les analyses longitudinales des scores de dénomination
des patients (aucune comparaison avec les témoins) ont montré que
les performances en L2 diminuaient plus fortement que celles en L1.
En revanche, les comparaisons transversales ont révélé des différences
plus importantes entre les patients et les contrôles pour les tâches en L1
par rapport aux tâches en L2. Pris ensemble, ces résultats suggèrent
que les deux langues sont touchées par la MA, mais peuvent suivre des
trajectoires de déclin différentes au cours de l’évolution de la maladie.
Pour déterminer si la L1 diminue plus que la L2, Kowoll et al. (2015)
ont comparé des patients avec trouble neurocognitif mineur et patients
atteints de MA (n = 47) et des contrôles sains bilingues précoces dans
différentes tâches neuropsychologiques. Bien que seules des diffé-
rences mineures non significatives dans les profils neuropsycholo-
giques soient apparues entre les participants mono- et bilingues lors
de la comparaison des groupes de diagnostic, les patients bilingues
avec trouble neurocognitif mineur ont obtenu des résultats significa-
tivement plus faibles en termes de fluence verbale et de dénomination
d’image dans leur L1 comparés aux témoins. Quant aux patients
atteints de MA, ils ont moins bien réussi en L2 que les patients
avec trouble neurocognitif mineur et que les témoins bilingues. Ces
résultats suggèrent que la première langue acquise est d’abord compro-
mise chez les patients bilingues avec trouble neurocognitif mineur,
avec de graves déficits en L2 survenant après l’apparition de la MA. En
résumé, la tendance générale qui se dégage de la littérature est
conforme à l’hypothèse d’une régression de la L2 et d’une meilleure
préservation de la L1, en particulier dans le cas du bilinguisme tardif.
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Chapitre 1 41

Mélange de langues chez les bilingues atteints de MA

La manière dont les personnes bilingues sélectionnent la langue


appropriée pour communiquer constitue l’un des principaux pro-
blèmes de la recherche sur le bilinguisme. Les patients bilingues
atteints de MA présentent régulièrement des difficultés spécifiques
liées au mélange de langues (ou de codes). Ces difficultés incluent :
1 – le choix de la langue ; 2 – la séparation des langues ; 3 – le chan-
gement de code et 4 – l’emprunt – toutes les compétences que les
jeunes bilingues en bonne santé gèrent sans difficulté (Grosjean,
2001). Même à un stade très précoce, la MA semble affecter la capacité
des patients bilingues à faire ces choix de manière appropriée, en
fonction de la situation de la communication (Friedland, 1998). Par
exemple, Dronkers et al. (1986) ont décrit le cas d’une patiente
polyglotte parlant le néerlandais (L1), le français (L2 appris à l’ado-
lescence) et l’anglais (L3, appris à l’âge adulte) et dont les performances
étaient meilleures en néerlandais et en anglais (c’est-à-dire les langues
dominantes dans son environnement) qu’en français, mais qui préfé-
rait utiliser sa L1 dans la conversation quotidienne. Cette patiente
présentait une tendance marquée à mélanger le néerlandais et l’anglais
et utilisait même parfois le néerlandais lorsque ses interlocuteurs
ne maîtrisaient pas cette langue. De Vreese, Motta et Toschi (1988)
ont mené une étude similaire avec un patient trilingue atteint de MA à
un stade sévère. Outre l’italien (L1), il maîtrisait également le français
(acquis à l’école à l’âge de 13 ans) et l’anglais (appris à l’âge de 28 ans).
Les résultats ont révélé qu’en conversation les performances du
patient suivaient l’ordre chronologique d’acquisition des langues
(c’est-à-dire italien > français > anglais). En ce qui concerne le
mélange des codes, le patient répondait presque toujours dans une
langue différente de celle de l’examinateur. De même, dans leur étude
du comportement linguistique de deux personnes bilingues tardives
(suédois/allemand et finnois/suédois) atteintes de MA, Hyltenstam et
Stroud (1989) ont rapporté que les deux patients manifestaient une
tendance à utiliser une langue non partagée par leurs interlocuteurs
suédophones. De plus, les productions des patients ont montré de
nombreuses intrusions entre les deux langues, ce qui témoigne de la
difficulté des patients à séparer leurs langues. Enfin, la nature de la
tâche semblait avoir un effet sur le choix de langue des patients. Par
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42 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

exemple, ils préféraient s’exprimer dans leur L1 pour raconter des


souvenirs lointains. Bien que les difficultés pragmatiques rencontrées
par les patients aient été particulièrement marquées au stade sévère de
la maladie, elles dépendaient de divers facteurs, notamment l’âge
d’acquisition des langues concernées, le degré de compétence atteint
préalablement pour chacune d’elles, et/ou la (les) langue(s) parlée(s)
dans l’environnement. Des observations similaires ont été signalées par
De Santi, Obler, Sabo-Abrahamson et Goldberger (1990) et par
Obler, De Santi et Goldberger (1995). Les résultats de cette dernière
étude, qui comprenait quatre patients bilingues anglais-yiddish, dont
un seul était un bilingue précoce, ont indiqué qu’à l’exception de ce
dernier tous les patients avaient des difficultés à s’adresser à leur
interlocuteur dans la langue appropriée. Cette difficulté augmentait
avec la gravité de la maladie, les deux langues étant affectées de la
même manière chez le patient le plus gravement atteint. Parfois, les
deux langues étaient tellement mélangées qu’il était impossible de dire
quelle langue était effectivement utilisée au cours de la conversation
(De Santi, Obler, Sabo-Abramson et Goldberger, 1990). Lorsque
Hyltenstam et Stroud (1993) et Hyltenstam (1995) ont étudié deux
patients atteints de MA au stade léger, deux au stade modéré et deux
au stade sévère – tous bilingues tardifs connaissant le finnois L1 et le
suédois L2 – ils ont constaté que la majorité des participants (soit
4 sur 6) mélangeaient souvent les langues, malgré le caractère stricte-
ment monolingue des conditions expérimentales. Les patients avaient
clairement tendance à utiliser leur L1 dans les situations où la L2 était
attendue. Dans une étude longitudinale menée auprès de trois patients
bilingues tardifs (allemand-néerlandais) atteints de MA, Luderus
(1995) a étudié la directionnalité des intrusions (L1 dans L2 vs L2
dans L1) dans le cadre d’une conversation définie expérimentalement
comme strictement monolingue. Dans l’ensemble, leurs résultats ont
mis en évidence une variabilité considérable des profils conversation-
nels des patients et, par conséquent, de la nature et de l’ampleur du
phénomène de mélange des langues. L’analyse de l’équilibre du bilin-
guisme au cours de la période prémorbide a montré que les problèmes
de choix et de séparation des langues étaient fortement prédictifs.
L’approche longitudinale a permis de démontrer que, lorsque le bilin-
guisme était équilibré, les problèmes de sélection/séparation linguis-
tique se sont manifestés plus tard au cours de l’évolution de la maladie.
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Chapitre 1 43

Pour les patients avec un bilinguisme dominant, ces problèmes sont


apparus plus tôt et avaient également une directionnalité prédéter-
minée, en fonction de la dominance prémorbide de L1 ou L2. De
même, Mendez, Perryman, Ponton et Cummings (1999) ont montré
que les patients bilingues atteints de MA produisaient beaucoup plus
d’intrusions de L1 dans une L2 apprise plus tard. Le choix de la langue
appropriée et la séparation des codes reposent sur la capacité à prendre
en compte la spécificité de la situation de communication, afin d’in-
hiber la langue non pertinente. Les causes des problèmes de séparation
et de mélange de codes doivent donc être recherchées principalement
dans les déficits des fonctions exécutives. De plus, les processus impli-
qués dans la production du langage bilingue reposent sur un réseau de
connexions entre le cortex préfrontal, le cortex cingulaire antérieur, la
région pariétale inférieure et les noyaux gris centraux (Abutalebi et
Green, 2007). La résolution des conflits dans la sélection de la langue
nécessite normalement l’intervention de structures spécialisées, à
savoir le cortex préfrontal dorsolatéral et le gyrus cingulaire antérieur.
Un conflit survient dans le cortex pariétal inférieur mais s’étend aux
zones linguistiques du cortex frontal inférieur. Toutes ces structures
corticales sont reliées par des structures sous-corticales aux ganglions
de la base, en particulier le noyau caudé, responsable de la résolution
des conflits. Étant donné que la MA affecte progressivement (entre
autres) les régions frontales et cingulaires ainsi que les noyaux sous-
corticaux, on peut supposer que les patients bilingues rencontrent de
plus en plus de difficultés dans la résolution des conflits, c’est-à-dire
pour l’inhibition de la langue non ciblée.
Le terme « inhibition » est utilisé pour décrire un mécanisme de
contrôle cognitif qui bloque la langue qui n’est pas pertinente pour
le contexte de communication (Abutalebi et Green, 2007 ; Costa et
Sebastián-Gallés, 2014). Dans les conversations bilingues, cela
empêche le locuteur de s’exprimer dans la langue non désirée en
maintenant la langue non pertinente en dessous du seuil de sélection.
Le processus de monitoring, qui détermine si des mécanismes de
contrôle cognitif doivent être appliqués pour continuer à parler
dans une langue (à savoir, l’activation) ou à basculer dans une autre
langue (à savoir, l’inhibition), est pris en charge par le système de
contrôle exécutif. Des études de neuro-imagerie ont montré que le
bilinguisme affecte les structures cérébrales impliquées dans le système
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44 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

de contrôle exécutif (par exemple, une plus grande densité de matière


grise dans le cortex cingulaire antérieur des bilingues). Le résultat
logique d’une déficience corticale affectant la base neurale du contrôle
exécutif (c’est-à-dire les régions frontale et cingulaire) entraîne donc
une difficulté de choix de la langue. L’étude des effets du bilinguisme
sur la base neuronale des processus de contrôle exécutif n’a commencé
que récemment, et la recherche sur les modifications du langage chez
les patients atteints de MA constitue un moyen prometteur d’étendre
la compréhension actuelle du contrôle de la langue chez les locuteurs
bilingues. Il n’est pas clair si les comportements de changement de
code/mélange de code chez les patients bilingues atteints de MA sont
dus à un déficit du contrôle inhibiteur ou à une perte de la langue (à
savoir une attrition/régression de la langue). Pour le moment, la variété
des paradigmes expérimentaux, l’hétérogénéité des profils médicaux et
linguistiques des patients, le nombre limité d’observations et la varia-
bilité interindividuelle font qu’il est encore difficile d’évaluer l’impact
de la MA en tant que tel.

Conclusion
Comme souligné dans l’étude récente de Stilwell, Dow, Lamers et
Woods (2015), les études sur le changement de langue chez des
patients bilingues atteints de MA ne sont pas assez concluantes en
ce qui concerne les effets différentiels de la MA sur les deux langues.
Bien qu’elles ne renseignent pas beaucoup sur l’ordre de détérioration
de la L1 par rapport à la L2 au cours de l’évolution de la maladie, ces
études soulèvent néanmoins d’importantes questions théoriques et
méthodologiques sur la manière de tester la nature polymorphe du
bilinguisme. Par exemple, des recherches supplémentaires sont néces-
saires pour vérifier si des liens plus riches entre les concepts et les mots
– caractéristiques de la langue dominante – doivent être considérés
comme une force ou une faiblesse dans le contexte des maladies
neurodégénératives. De même, la question de la détermination de la
langue dominante des participants, qui n’a jamais fait l’objet d’une
évaluation expérimentale dans les études précédemment mentionnées,
devrait être soigneusement prise en compte lors de l’évaluation de
patients bilingues atteints de MA, car c’est une dimension cruciale
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Chapitre 1 45

pour comprendre le sens du déclin langagier. Les résultats antérieurs


divergents peuvent provenir du fait que la langue première acquise par
les patients n’était pas nécessairement leur langue dominante, ce qui
est souvent le cas dans le contexte de la migration par exemple.

Références

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Chapitre 2

Croissance et stabilisation des immigrés


maghrébins susceptibles d’être atteints
de la maladie d’Alzheimer, 1999-2035

Maks Banens

« Les migrants âgés originaires du Maghreb atteints de


troubles cognitifs ne sont pas aussi présents dans les
dispositifs de l’offre gérontologique que la démographie
devrait le faire penser. » (Duguet et al., 2012 : 472).

Ce chapitre ne cherche pas à comprendre les raisons de la sous-


représentation des seniors maghrébins soulevée par Anne-Marie
Duguet et ses collègues, ni à estimer la part due au sous-diagnostic,
au renoncement aux soins ou à une moindre prévalence des troubles
cognitifs parmi les seniors maghrébins ; il cherche seulement à estimer
le nombre des Maghrébins atteints de la maladie d’Alzheimer en 2011
tel que « la démographie le fait penser », puis d’estimer leur nombre à
l’horizon de 2023 et de 2035. Et parmi les seniors maghrébins, nous
distinguerons particulièrement ceux qui furent non-francophones lors
de l’enfance1. Avant de décrire les sources et méthodes employées, il

1. Comme cela est l’usage dans les statistiques françaises, nous appelons
« immigrés maghrébins », ou plus simplement « Maghrébins », les personnes rési-
dant en France, nées « étrangères », c’est-à-dire avec une nationalité autre que
française, au Maroc, en Algérie ou en Tunisie. Nous appelons « non-Francophone »
la personne qui, à la question « En quelle langue vous ont parlé habituellement vos
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52 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

faudra, toutefois, s’arrêter un instant aux difficultés particulières que


rencontrera cet exercice.
La première difficulté est celle de la disponibilité des données
fiables concernant la présence des seniors maghrébins en France. La
dernière grande enquête consacrée aux migrants, l’enquête Trajectoires
et Origines (Ined, 2008), n’a pas interrogé les immigrés de plus de
50 ans. Devant cette lacune, nous avons dû avoir recours aux deux
grandes enquêtes dites « Famille » : l’Enquête Histoire Familiales (Insee,
1999) et l’Enquête Famille Logements (Insee, 2011). Mais une étude
détaillée des deux enquêtes constate des évolutions difficilement
compatibles avec les comportements démographiques des immigrés
maghrébins tels que décrits dans la littérature (voir infra). Nous
proposerons alors un scénario alternatif.
La deuxième difficulté concerne la prévalence de la maladie
d’Alzheimer. Nous nous basons sur les estimations faites par l’étude
PAQUID, étude longitudinale, menée en population générale sous
l’égide de l’Inserm (Dartigues et al., 2012). La richesse des données
PAQUID et la rigueur des procédures mises en œuvre ont fait de
PAQUID la référence incontestable pour la population française.
Toutefois, ceci ne fait pas oublier les grands écarts entre certaines
estimations internationales (Berr, 2010). Deux exemples : l’étude
comparative EURODEM (Ankri et al., 2009) est arrivée à des estima-
tions globalement deux fois inférieures à celles de PAQUID, la publi-
cation Facts et Figures 2017 de l’Alzheimer’s Association (États-Unis)
propose des estimations environ deux fois supérieures.
Cette variation entre estimations a plusieurs sources. En premier
lieu, le sous-diagnostic. S’il y a consensus sur l’existence du sous-
diagnostic, il n’y a pas consensus sur son ampleur. Ensuite, la maladie
d’Alzheimer est multifactorielle, ce qui implique que sa prévalence
varie selon le mode de vie, de consommation, d’alimentation, bref,
selon la culture de la population donnée. Les seniors maghrébins
vivant en France, n’ayant pas le même mode de vie que la population
générale, pourraient alors ne pas avoir les mêmes risques devant la
maladie d’Alzheimer que la population générale. Notre étude prendra

parents quand vous aviez environ 5 ans ? » ont répondu une autre langue que le
français. La non-Francophonie réfère donc seulement à la langue dite maternelle et
non pas à la maîtrise du français grâce à un apprentissage plus tardif.
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Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins 53

en compte l’une des différences culturelles, le niveau d’études. Elle


ne pourra en prendre en compte d’autres, notamment celles liées aux
modes de vie.
La troisième difficulté concerne l’estimation de la non-Franco-
phonie parmi les Maghrébins vivant en France. Nous disposons
d’une seule mesure de la langue apprise lors de l’enfance, réalisée
lors de l’Enquête Histoire Familiales (Insee, 1999). Nous supposons
alors que les cohortes ayant 53 ans ou plus en 1999 maintiennent le
taux de non-Francophonie mesurée en 1999 jusqu’à leur extinction.
En clair, cela signifie que nous tenons trois conditions pour satisfaites :
-a- les nouveaux arrivants d’une cohorte donnée contiennent la
même part de non-Francophones que ceux déjà présents ;
-b- les immigré(e)s qui quittent le territoire français ont la même
part de non-Francophones que ceux et celles qui restent ;
-c- les immigrés Francophones ont la même espérance de vie que
les non-francophones ; cette troisième condition a peu de chance d’être
satisfaite.
La condition (a-) peut être considérée comme satisfaite par le
simple fait qu’après l’âge de 53 ans les nouveaux arrivants sont
extrêmement peu fréquents. La condition (b-) est plus difficile à
vérifier. En effet, si l’on considère généralement que le retour au
pays, à l’âge de la retraite, est davantage désiré que pratiqué (Attias-
Donfut et al., 2007), les données des enquêtes et du recensement
suggèrent un flux de retour de l’ordre de 10 % (voir infra). Cependant,
même à ce niveau, il ne saurait perturber qu’à la marge la part de
Francophonie de ceux qui restent. La condition (c-) a sans doute le
moins de chances d’être respectée. En effet, il est probable que l’usage
du français lors de l’enfance soit lié à des conditions sociales favorables
qui, elles, risquent d’être associées à une mortalité plus faible. Le biais
ainsi introduit pourrait alors s’ouvrir avec l’âge et fragiliser les estima-
tions, notamment aux grands âges.

Sources et méthode
Nous suivons les immigrés maghrébins vivant sur le territoire
français de l’Enquête Histoires Familiales (désormais « EHF ») (Insee,
1999) à l’Enquête Famille et Logements (Désormais « EFL » (Insee,
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54 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

2011). Les deux enquêtes sont de grande taille – respectivement


380 000 et 360 000 individus – et permettent de distinguer des
cohortes par sexe, année de naissance, et langue apprise lors de l’en-
fance (EHF seulement). Les enquêtes étant espacées de douze années,
nous avons choisi de projeter la population maghrébine non franco-
phone de 2011 à 2023, puis de 2023 à 2035.
Les étapes de la projection sont les suivantes : 1 – étude des taux
d’évolution sur douze ans, observés en 1999-2011, par sexe et par âge
au-delà de 52 ans ; 2 – estimation de la part de langue maternelle non-
francophone et français occasionnel parmi les immigrés maghrébins ;
3 – application des taux d’évolution aux cohortes observées en 2011,
puis une nouvelle fois à celles prévues en 2023 ; 4 – estimation du
nombre de personnes susceptibles d’être atteintes de la maladie d’Alz-
heimer aux quatre dates, avec l’aide des taux de prévalence PAQUID ;
5 – correction des nombres prévus pour tenir compte du niveau
d’études de la population maghrébine. À chaque étape, nous discute-
rons les marges d’erreur liées aux données et aux méthodes employées.

1/ Les taux d’évolution observés


Les deux enquêtes EHF et EFL contiennent un nombre relative-
ment important d’individus nés étrangers dans l’un des trois pays du
Maghreb, permettant de suivre les cohortes par sexe et par année de
naissance d’une enquête à l’autre. Chaque cohorte peut augmenter
entre les deux enquêtes sous l’effet d’un solde migratoire positif (nou-
veaux arrivants entre 1999 et 2011), ou diminuer sous le double effet
d’un solde migratoire négatif (retour au pays) et de la mortalité. En
définissant un taux d’évolution :

e = effectif_en_2011/effectif_en_1999

Nous aurons e > 1 en cas d’augmentation de la cohorte, e < 1 en


cas de diminution.
Comme le montre le graphique 1, e n’est jamais supérieur à 1 aux
âges qui nous concernent. La raison est simple : à ces âges, le flux de
nouveaux arrivants est très faible. Les effectifs évoluent donc sous les
seuls effets de la mortalité et du retour au pays. On constate que la
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Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins 55

Graphique 1 : Évolution cohortale (lissée) des immigré(e)s maghrébin(e)s


de 1999 à 2011, selon les enquêtes EHF et EFL et selon le recensement de
la population, et survie à 12 ans selon la mortalité ouvrière française.
Source : EHF (Insee, 1999), EFL (Insee, 2011), Recensement de la popu-
lation (Insee, 2006 et 2012).
Lecture : Pour 100 hommes maghrébins, dénombrés en 1999 à l’âge de
53 ans, nous en comptons 83 en 2011 à l’âge de 65 ans selon les enquêtes
EHF et EFL, 82 selon le recensement de la population ; dans la population
générale, 89 % des hommes ouvriers de 53 ans survivent jusqu’à l’âge de
65 ans.

diminution est importante à tous les âges, pour les hommes comme
pour les femmes. Elle est nettement plus importante que celle issue de
la seule mortalité ouvrière que nous avons mise en comparaison. Cela
signifie que les Maghrébins « disparaissent » davantage que s’ils étaient
seulement soumis à une mortalité équivalente à celle de la classe
ouvrière française, qui est non seulement la plus élevée de toutes les
classes socioprofessionnelles mais aussi celle de la majorité des immi-
grés maghrébins. Nous avons alors eu recours aux données du recen-
sement. L’étude des immigrés maghrébins aux recensements de 2006
et 2012 a permis d’estimer les taux d’évolution sur douze ans, par
sexe et par âge. Ils figurent sur le graphique 1, sous forme de courbe
pointillée. Ils se caractérisent par des valeurs d’environ dix points
inférieurs à la survie ouvrière jusqu’à l’âge de 70-75 ans. Ensuite, ils
rejoignent la courbe ouvrière et passent légèrement au-dessus.
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56 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Si nous considérons que le retour au pays, s’il existe, se concentre


aux âges avant 75 ans, nous aurons à choisir la mortalité très élevée de
l’observation entre enquêtes, et celle légèrement inférieure à la morta-
lité ouvrière de l’observation entre recensements. La littérature penche
en faveur de la seconde. En effet, malgré les conditions de travail et de
vie souvent défavorables, la santé des immigrés a été rapportée comme
au moins aussi bonne que celle de la population générale, donc
meilleure que celle de la classe ouvrière (Jusot et al., 2009 ; Attias-
Donfut et al., 2005), grâce à ce que Chen a identifié comme un effet de
sélection des immigrés en bonne santé (Chen et al., 1996). Avant l’âge
de 70 ans, l’écart entre la « disparition » des cohortes et celle, hypo-
thétique, causée par la mortalité doit donc être attribué au retour au
pays (Attias-Donfut et al., 2005). Pour la suite de notre projection,
nous prendrons donc les taux d’évolution mesurés par le recensement.

2/ Projection
Nous appliquons les taux d’évolution à la population maghrébine,
recensée en 2011, âgée de 53 et plus, pour obtenir une estimation de
cette même population en 2023, à l’âge de 65 ans et plus. Cependant,
nous « vieillissons » de façon séparée les parties francophones, Français
occasionnels et non francophones des cohortes recensées. Selon le sexe
et la cohorte, la partie non francophone et Français occasionnels
représente environ quatre seniors maghrébins sur cinq (graphiques 3
et 4).
Nous répétons ensuite la projection pour obtenir une deuxième
estimation pour l’année 2035. Cette deuxième projection s’applique
sur les populations estimées pour l’année 2023, mais il y a une légère
complication. L’estimation pour 2023 n’a pas produit de nombres
pour les 53-64 ans. Il fallait donc estimer ces « jeunes » cohortes par
une procédure en tout point égal à la première.
Rappelons les présupposés de ces projections. L’évolution de 1999
à 2011, pour les cohortes qui nous concernent, n’est guère perturbée
par de nouveaux arrivants. Elle est entièrement le fait de la disparition
(retour et mortalité) et celle-ci semble surtout due à la mortalité. Or,
notre projection suppose que, pour chaque âge (au-delà de 53 ans) et
sexe donné, la « disparition » en 2011-2023, puis en 2023-2035,
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Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins 57

répète celle constatée en 1999-2011 et que celle-ci est indépendante


de la langue maternelle. Mais les Maghrébins de langue maternelle
française pourraient appartenir à des couches plus favorisées de la
population et leur niveau de mortalité pourrait être plus faible.
Dans ce cas, notre projection surestimerait les nombres de survivants
non francophones en 2023 et en 2035. Cependant, ce biais ne saurait
qu’être marginal puisque les non-Francophones constituent une
grande majorité de ceux et celles sur qui la mortalité a été estimée.
D’autre part, nous savons que le niveau de mortalité continue de

Graphique 2 : Hommes immigrés maghrébins de 1999 à 2035 (projection)


selon l’âge. Source : EHF (Insee, 1999), EFL (Insee, 2011), Recensement de
la population (Insee, 2006 et 2012).
Lecture : Des 70 386 hommes maghrébins dénombrés en 1999, près de la
moitié (33 043) ont de 65 à 69 ans.
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58 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

baisser jusqu’en 2035, ce qui aboutit à une sous-estimation du nombre


de survivants. L’un dans l’autre, notre estimation peut être considérée
comme un compromis acceptable.
Finalement, le nombre d’hommes seniors maghrébins est suscep-
tible de tripler presque entre 1999 et 2035 : + 185 %. Toutefois, le
rythme de croissance est plus fort en début de période qu’à la fin. Entre
1999 et 2011, la croissance est de 81 %, tandis qu’au cours des deux
périodes suivantes, de même durée, elle n’est plus que de 36 % et 16 %
respectivement. Ce ralentissement de la croissance concerne d’abord
les âges jeunes. Les moins de 75 ans augmentent respectivement de
53 %, 11 % et 19 %, tandis que les plus de 75 ans connaissent des
croissances de 186 %, 89 % et 12 %. À tous les âges, cependant, la plus
forte croissance est derrière nous et la stabilisation s’annonce pour
après 2035.

Graphique 3 : Hommes immigrés maghrébins de 1999 à 2035 (projection)


selon la langue durant l’enfance. Source : EHF (Insee, 1999), EFL (Insee,
2011), Recensement de la population (Insee, 2006 et 2012).
Lecture : Des 70 386 hommes maghrébins dénombrés en 1999, 42 052
n’ont pas été éduqués en français par leurs parents.
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 59

Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins 59

Graphique 4 : Femmes immigrées maghrébines de 1999 à 2035 (projec-


tion) selon l’âge. Source : EHF (Insee, 1999), EFL (Insee, 2011), Recense-
ment de la population (Insee, 2006 et 2012).
Lecture : Des 43 823 femmes maghrébines dénombrées en 1999, 17 700
ont de 65 à 69 ans.

Pour les seuls hommes non francophones, la stabilisation démo-


graphique sera plus rapide encore : après une augmentation de 99 %
entre 1999 et 2011, la croissance tombe à 31 % en 2011-2023, puis à
–1 % en 2023-2035.
Les femmes maghrébines ne sont pas au même stade d’évolution.
La croissance est forte (+ 99 %) entre 1999 et 2011, et elle augmente
encore (+ 115 %) entre 2011 et 2023, pour ne ralentir qu’après :
+ 47 % entre 2023 et 2035. Les moins de 75 ans continuent leur
croissance jusqu’en 2035 (+ 75 % en 1999-2011, + 129 % en 2011-
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 60

60 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

2023), avant de se stabiliser brusquement (+ 14 % en 2023-2035) ;


les plus âgées continuent une forte croissance jusqu’en 2035 (+ 191 %
en 1999-2011, + 65 % en 2011-2023, + 105 % en 2023-2035) sans
encore montrer de signes de ralentissement.
Seule l’évolution des femmes non francophones montre déjà un
ralentissement important (graphique 5). De + 169 % en 1999-2011 et
+ 154 % en 2011-2023, la croissance passe brusquement à + 27 % en
2023-2035, annonçant une stabilisation peu après 2035.
Rappelons les présupposés de ces projections. La première est la
reproduction des taux d’évolution observés en 1999-2011 sur les
périodes suivantes. À ces âges, l’immigration étant négligeable, il est
peu probable que celle-ci change significativement lors des années à
venir. Le retour au pays, que nos taux d’évolution estiment à environ
10 % avant l’âge de 75 ans et à zéro après, peut certes changer à
l’avenir en fonction de la situation dans les pays d’origine (on connaît

Graphique 5 : Femmes immigrées maghrébines de 1999 à 2035 (projec-


tion) selon la langue durant l’enfance. Source : EHF (Insee, 1999), EFL
(Insee, 2011), Recensement de la population (Insee, 2006 et 2012).
Lecture : Des 43 823 femmes maghrébines dénombrées en 1999, 17 157
n’ont pas été éduquées en français par leurs parents.
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 61

Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins 61

le retour fréquent des Portugais et des Italiens) et en fonction des


configurations familiales transnationales à venir. Nos prévisions
en seraient affectées, mais il est impossible dans l’état actuel des
connaissances de prévoir une croissance ou décroissance du retour
au pays.
Le présupposé concernant la mortalité est là aussi celui de la
reproduction des taux observés en 1999-2011. Ce présupposé ne
semble pas raisonnable, puisqu’on connaît l’allongement de l’espé-
rance de vie. Pourquoi ne pas intégrer alors cet allongement dans
le modèle de projection ? Plusieurs raisons nous ont amenés à ne
pas le faire. D’une part, l’allongement de l’espérance de vie est si
lent que les projections à l’horizon de 2023 et de 2035 n’en
seraient guère modifiées. D’autre part, on ne connaît pas la mor-
talité spécifique des immigrés maghrébins et on a du mal à la
distinguer de l’autre cause de disparition : le retour au pays. Nous
rappelons que nous avons privilégié les taux d’évolution observés
au recensement sur ceux observés entre les deux enquêtes EHF
et EFL qui suggéraient une mortalité nettement plus élevée. Nous
avons explicité ci-dessus les raisons de ce choix. Ici, nous pouvons
préciser que si nous avions maintenu les taux d’évolution entre
enquêtes, impliquant des « disparitions » beaucoup plus fréquentes,
le nombre total des hommes maghrébins en 2035 en serait réduit
de 9 %, celui des femmes de 6 %. Ce faible impact s’explique
par le fait que l’essentiel de l’évolution est donné par la structure
par âge de la population maghrébine actuellement présente sur le
territoire français.

3/ Maghrébins atteints de la maladie d’Alzheimer


Aux populations maghrébines dénombrées en 1999 et 2011 et
estimées pour 2023 et 2035, nous appliquons les taux de prévalence
de PAQUID. On obtient alors les nombres suivants.
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 62

62 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Graphique 6 : Hommes et femmes immigré(e)s maghrébin(e)s susceptibles


d’être atteint(e)s de la maladie d’Alzheimer selon les taux de prévalence de
PAQUID. Source : EHF (Insee, 1999), EFL (Insee, 2011), Recensement de
la population (Insee, 2006 et 2012), PAQUID (Dartigues et al., 2012).
Lecture : Le nombre d’hommes maghrébins non francophones susceptibles
d’être atteints de la maladie d’Alzheimer, selon l’estimation de PAQUID,
passe de 795 en 1999 à 6 297 en 2035.

En 1999, malgré le fait que les hommes maghrébins étaient deux


fois plus nombreux que les femmes, le nombre susceptible d’être
atteint de la MA était déjà plus élevé pour les femmes (2 161) que
pour les hommes (1 470). Cependant, pour les seuls non-Franco-
phones, le nombre des hommes (795) était un peu plus élevé que
celui des femmes (690). Douze ans plus tard, en 2011, les nombres ont
beaucoup augmenté, mais le rapport entre les hommes et les femmes
est resté le même : les femmes sont plus nombreuses, mais parmi les
seuls non-Francophones, les hommes sont majoritaires (2 430 contre
2 180). En 2023, les femmes susceptibles d’être atteintes de MA sont
devenues plus nombreuses dans toutes les catégories et, en 2035, elles
sont plus de deux fois plus nombreuses dans toutes les catégories.
La stabilisation du nombre de personnes susceptibles d’être
atteintes de MA ne sera pas atteinte avant 2035. À cette date, leur
nombre aura été multiplié par 7 pour les hommes, par 10 pour les
femmes, par rapport à celui estimé en 1999.
Notre étude est particulièrement intéressée par les non-Franco-
phones qui, dans le parcours de la maladie, seront susceptibles de
perdre prématurément l’usage du français. En 1999, les hommes
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Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins 63

Français Français
Pas de français Ensemble
1re langue occasionnel
H F H F H F H F
PAQUID
1999-2011 78 % 72 % 161 % 169 % 206 % 216 % 162 % 136 %
2011-2023 82 % 89 % 103 % 111 % 117 % 201 % 108 % 142 %
2023-2035 38 % 22 % 46 % 88 % 19 % 111 % 27 % 82 %
EURODEM
1999-2011 66 % 66 % 156 % 147 % 177 % 210 % 143 % 130 %
2011-2023 85 % 77 % 105 % 101 % 116 % 186 % 108 % 131 %
2023-2035 39 % 24 % 54 % 99 % 23 % 98 % 31 % 79 %

Tableau 1 : Croissance des hommes et femmes immigré(e)s maghrébin(e)s


susceptibles d’être atteint(e)s de la maladie d’Alzheimer, par période et selon
la langue dans l’enfance. Source : EHF (Insee, 1999), EFL (Insee, 2011),
Recensement de la population (Insee, 2006 et 2012), PAQUID (Dartigues
et al., 2012).
Lecture : Le nombre d’hommes maghrébins non francophones susceptibles
d’être atteints de la maladie d’Alzheimer a augmenté de 206 % entre 1999
et 2011.

étaient 795 dans ce cas, en 2035 ils seront 6 297. Toutefois, leur
nombre semble ensuite se stabiliser rapidement. Les femmes étaient
690 en 1999 et seront 13 871 en 2035. Pour elles, même si la
croissance a alors dépassé sa valeur maximale, le nombre augmentera
encore significativement après 2035.
Ici aussi, il faut rappeler les incertitudes liées à la projection. Nous
avons appliqué les taux de prévalence de PAQUID. Or, si PAQUID
fait référence dans la mesure de MA dans la population générale
française, il n’est pas à exclure que les taux soient différents pour les
immigrés maghrébins. Le graphique 7 montre les écarts après appli-
cation des taux de prévalence issus de l’étude comparative européenne
(Ankri et al., 2011). Les différences sont considérables. Le nombre
total des personnes maghrébines susceptibles d’être atteintes de MA
passe alors de 32 600 à 21 100.
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64 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Toutefois, comme montré dans le tableau 1, la croissance n’est


guère affectée par ce changement de taux de prévalence. En effet, le
changement de taux réestime le nombre de personnes susceptibles
d’être atteintes de MA dès 1999 et la projection jusqu’en 2035 montre
alors les mêmes croissances pour ce nombre, certes plus faible au
départ. On se trouve donc dans la situation paradoxale que nous
avons beaucoup d’incertitude sur le nombre actuel d’immigrés
maghrébins atteints de MA, tout en ayant une connaissance assez
précise de leur croissance dans les décennies à venir. En effet, celle-
ci dépend uniquement de l’évolution démographique de la population
des seniors immigrés maghrébins, qui, elle, est correctement prévisible.

4/ Correction pour tenir compte de la réserve cérébrale


Nous avons déjà signalé la sensibilité de la maladie d’Alzheimer aux
modes de vie. Parmi les facteurs dont l’influence est confirmée, il y a la
« réserve cérébrale ». L’activité intellectuelle régulière constituerait une
« réserve » qui retarderait l’apparition de la maladie. L’un des proxys

Graphique 7 : Hommes et femmes immigré(e)s maghrébin(e)s susceptibles


d’être atteint(e)s de la maladie d’Alzheimer selon les taux de prévalence
d’EURODEM. Source : EHF (Insee, 1999), EFL (Insee, 2011), Recensement
de la population (Insee, 2006 et 2012), EURODEM (Ankri et al., 2011).
Lecture : Le nombre d’hommes maghrébins non francophones susceptibles
d’être atteints de la maladie d’Alzheimer estimé avec les taux de prévalence de
l’enquête EURODEM passe de 573 (1999) à 4 230 (2035).
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 65

Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins 65

pour mesurer cette réserve est le niveau d’éducation. Un faible niveau


d’éducation a partout été trouvé corrélé à la prévalence de la MA,
multipliant celle-ci par un facteur d’environ 2, selon le pays (Ankri
et al., 2009). L’étude PAQUID l’évalue à 1,8 pour la population
générale française.
Il n’est pas sûr que le multiplicateur soit aussi important dans
le cas des immigrés maghrébins. Les conditions éducatives dans les
pays d’origine, lors de l’enfance et la jeunesse, furent différentes, ne
permettant peut-être pas un lien aussi direct entre niveau d’études
et activités intellectuelles à l’âge adulte. Quoi qu’il en soit, on ne peut
pas ne pas en tenir compte, car, comme le montre le tableau 2, le
pourcentage n’ayant pas poursuivi les études au-delà de l’enseigne-
ment est deux à trois fois plus élevé que dans la population générale.

% Éducation primaire
Hommes Femmes
Population générale 22 27
Immigrés maghrébins Francophones 40 43
Français occasionnel 62 62
Pas de français 71 77

Tableau 2 : Part des hommes et femmes immigré(e)s maghrébin(e)s de


53 ans et plus n’ayant pas poursuivi les études au-delà de l’enseignement
primaire. Source : EHF (Insee, 1999).
> Lecture : 71 % des hommes immigrés maghrébins de 53 ans et plus, non
francophones de langue maternelle, n’ont pas poursuivi l’éducation au-delà
de l’enseignement primaire.

Pour tenir compte de la prévalence supérieure de la part n’ayant pas


poursuivi après le primaire, nous multiplions les nombres estimés du
graphique 6 (estimation PAQUID) par le multiplicateur suivant :
m = (1 + 0,8p’) / (1 + 0,8p)
où p est la part n’ayant pas poursuivi après le primaire dans la
population générale et p’ celle dans la population immigrée selon la
catégorie de langue. Le multiplicateur – se situant entre 1,11 et 1,33 –
augmente alors significativement l’estimation finale (tableau 3).
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 66

66 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

NOMBRE ESTIMÉ DE MALADES HOMMES


Français Français Pas de français Total
1re langue occasionnel
1999 461 337 1 060 3 857
2011 822 880 3 242 6 956
2023 1 497 1 789 7 044 12 353
2035 2 061 2 613 8 401 15 109
NOMBRE ESTIMÉ DE MALADES FEMMES
Français Français Pas de français Total
1re langue occasionnel
1999 1 177 504 916 4 596
2011 2 018 1 359 2 896 8 284
2023 3 821 2 874 8 712 17 430
2035 4 653 5 404 18 423 30 515
CROISSANCE HOMMES
Français Français Pas de français Total
1re langue occasionnel
1999-2011 78 % 161 % 206 % 80 %
2011-2023 82 % 103 % 117 % 78 %
2023-2035 38 % 46 % 19 % 22 %
CROISSANCE FEMMES
Français Français Pas de français Total
1re langue occasionnel
1999-2011 71 % 169 % 216 % 80 %
2011-2023 89 % 111 % 201 % 110 %
2023-2035 22 % 88 % 111 % 75 %

Tableau 3 : Hommes et femmes immigré(e)s maghrébin(e)s de 65 ans et


plus susceptibles d’être atteint(e)s de la maladie d’Alzheimer aux dates
indiquées.
Lecture : 8 401 hommes et 18 423 femmes immigré(e)s maghrébin(e)s
de 65 ans et plus, non francophones de langue maternelle, sont susceptibles
d’être atteints de la maladie d’Alzheimer en 2035.
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Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins 67

Discussion
Nous prévoyons une croissance importante du nombre d’immigrés
maghrébins susceptibles d’être atteints de la maladie d’Alzheimer,
jusqu’après 2035, et plus encore pour les non-Francophones. Les
hommes non francophones susceptibles d’être atteints de la maladie
d’Alzheimer seront multipliés par 8 entre 1999 et 2035, les femmes
non francophones par 20 ! Nous prévoyons également que les nombres
se stabiliseront peu après, d’abord pour les hommes, ensuite pour les
femmes.
La prévision contient une importante marge d’incertitude. Celle-ci
a les sources suivantes : 1 – incertitude sur l’évolution du retour au
pays et des nouveaux arrivants après l’âge de 50 ans ; 2 – sur le niveau
de la mortalité des immigrés et son différentiel selon la langue mater-
nelle ; 3 – sur la validité des taux de prévalence PAQUID ; 4 – sur le
multiplicateur appliqué pour tenir compte de la réserve cérébrale.
Parmi toutes ces incertitudes, les deux premières ne dépassent pas
10 % de l’estimation finale. En revanche, les deux dernières incerti-
tudes peuvent jusqu’à doubler l’estimation finale ou la diviser par
deux. Cette différence entre les incertitudes est liée à la nature des
étapes de projection. Les deux premières sont d’ordre démographique,
permettant une prévision robuste sur les deux décennies à venir. Les
deux dernières étapes sont d’ordre épidémiologique, leurs incertitudes
majeures reflètent les grands écarts présents dans la littérature épidé-
miologique. Mais, paradoxalement, ces incertitudes n’ont pas d’effet
sur la prévision à strictement parler. En effet, elles sont là dès 1999 et
2011. Ainsi, les résultats sont certes incertains à chacune des quatre
dates, mais l’évolution d’une date à l’autre, autrement dit la croissance
du nombre de malades et sa stagnation à plus long terme, sont des
résultats robustes.
Si les pouvoirs publics voulaient tirer profit de nos prévisions, ils
seraient bien inspirés de tenir compte des taux de croissance à partir de
la situation actuelle plutôt que de se focaliser sur les nombres absolus.
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68 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

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Chapitre 3

Troubles neurodégénératifs
et immigration : du diagnostic
à l’accompagnement des familles

Omar Samaoli et Abigail Lefèbvre

La vieillesse immigrée est une réalité multiple


Les immigrés ont vieilli et, en toute logique, les contours de cette
vieillesse auraient dû s’inscrire dans des préoccupations liées à l’avancée
en âge, dans la prise en compte des besoins de personnes devenues
vulnérables ou fragiles, dans la mise en place de dispositifs préventifs
sociaux et sanitaires et dans des actions publiques capables de prémunir
des individus contre tout risque d’exclusion sociale. C’est compter sans
les difficultés et les imperfections qui affaiblissent encore les initiatives
comme l’optimisation d’accès aux soins ou l’amélioration dans l’accueil
de ce public. Partant de cela et de tout ce qui a été accompli, même avec
les imperfections ou les réajustements nécessaires qu’il faudrait y
apporter, il est nécessaire de resituer le cadre global de cette probléma-
tique et de l’examiner sous ses multiples aspects.

Une insertion urbaine ordinaire ?


Il est assez surprenant que la perception de cette question, celle du
vieillissement des immigrés, se polarise encore et démesurément sur la
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 72

72 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

seule situation d’hommes vieillissants, reproduisant le lien entre une


immigration de travail et la présence sélective des hommes immigrés.
L’accès facile à ce public et même l’empathie qui s’est développée à
juste titre sur la situation souvent dramatique de ces hommes seuls
n’ont jamais laissé assez de place pour poser la question du vieillisse-
ment des immigrés en France, non comme un épiphénomène mar-
ginal ne concernant que quelques vieux messieurs perdus dans le
labyrinthe d’une mauvaise insertion urbaine, mais de plus en plus
comme des situations sociales et familiales qui englobent des hommes
et des femmes ordinaires, ne relevant d’aucune exception sociale ou
urbaine. Prenons acte, donc, que la plupart des immigrés vieillissent en
ménage ordinaire et que la part des individus qui vivent seuls, hommes
et femmes d’ailleurs, ne dépasse pas 10 % de l’ensemble des personnes
âgées immigrées qui vieillissent en France.
C’est d’ailleurs grâce à la présence familiale que le nombre des
personnes âgées immigrées dans les établissements socio-sanitaires
est encore faible et ne concerne que des personnes franchement isolées
ou des personnes en grande perte d’autonomie, qui nécessitent une
prise en charge appropriée devenue difficile à mettre en œuvre à
domicile.

Les enjeux gérontologiques

La perte d’autonomie
Les rares études épidémiologiques qui ont été menées sur l’état
de santé des immigrés s’accordent toutes sur le délabrement de leur
état de santé et leur faible consommation de soins. Ceci est lié à des
conditions de vie et surtout de travail dont on pouvait deviner et même
redouter les effets irréversibles sur la santé, plus importants que chez les
personnes âgées non immigrées. Aujourd’hui, deux problématiques
liées à l’état de santé doivent retenir notre attention. Il s’agit de la
survenue d’une perte d’autonomie flagrante et précipitée et des diag-
nostics précoces des troubles neurodégénératifs de type Alzheimer ou
apparentés.
Sur ces deux registres, nous connaissons l’importance des mesures à
déployer en amont pour prévenir les risques d’un mauvais vieillisse-
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Troubles neurodégénératifs et immigration 73

ment, les souffrances occasionnées par ces troubles autant aux malades
eux-mêmes qu’à leur famille et surtout les difficultés d’accompagne-
ment au quotidien, tant des aidants que des malades eux-mêmes.
Nous savons aujourd’hui, par quelques sources sanitaires concer-
nant la distribution de la perte d’autonomie dans la population, que
l’âge de survenue de celle-ci se situe à 82 ans pour les personnes nées en
France, à 79,5 ans pour les personnes nées à l’étranger et à 75,3 ans
pour les personnes nées au Maghreb.
Cette donnée justifie la prise en compte des besoins spécifiques de
ces personnes âgées dans l’élaboration des politiques de la vieillesse et
dans les actions mises en œuvre, en leur accordant leur place dans les
schémas gérontologiques, en adaptant les offres de service pour l’aide
et le maintien à domicile, en assouplissant les règles d’accès aux aides
financières destinées à accompagner une perte d’autonomie et en
assurant la formation et la sensibilisation des intervenants auprès de
ce public spécifique.

La maladie d’Alzheimer et les troubles apparentés


chez les vieux immigrés
Nous savons qu’il existe une corrélation entre le vieillissement et
divers troubles neurodégénératifs type Alzheimer ou apparentés. Or, il
est surprenant que l’on ne s’attarde jamais sur l’impact de ces troubles
sévères chez les vieux immigrés, et notamment ceux originaires du
Maghreb.
Les moyens de diagnostic courants disponibles aujourd’hui, qui
consistent en des tests neuropsychologiques, se révèlent inadaptés à ces
patients, que ce soit dans leur contenu, dans leur élaboration (étalon-
nage et validation) ou dans les modalités de leur utilisation (langue).
Ceci prive le public immigré, souvent illettré, analphabète ou non
bilingue, ou encore toutes les personnes qui ne parlent ni le français ni
l’arabe, des bénéfices des diagnostics précoces et des repérages mis en
place pour venir en aide aux personnes concernées et à leur entourage.
Dès lors, ce sont tout autant ces personnes que leurs familles qui
se retrouvent livrées à elles-mêmes, abandonnées et exclues de fait de
tout l’intérêt aujourd’hui accordé à ces questions. La gestion des états
sévères dans ce type de troubles s’avère des plus épuisantes, des plus
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74 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

dramatiques et nécessite impérativement la prise en compte de ce


déficit en matière de dépistage et de diagnostic.
Cette entreprise ne saurait être menée à bien sans une lecture
préalable d’un ensemble de facteurs qui traversent la perception de
la santé, de la maladie, le rapport aux soins ou encore les itinéraires de
prise en charge ou d’accompagnement.
Il est indéniable que le modèle biomédical du soin, tel que nous le
vivons dans nos sociétés (et dont on retrouve aussi les traces dans les
pays du Maghreb), ne constitue pas la seule référence dans le recours
thérapeutique. On perçoit encore dans les comportements des usagers
l’impact d’invariants culturels qui les place dans une ambiguïté entre
modernité et tradition. L’immixtion de ces lectures socio-anthropo-
logiques de la maladie repose, plus généralement, sur deux postulats :
en premier lieu, on constate que l’absence d’atteinte organique percep-
tible favorise le recours à des appréciations/autodiagnostics de pure
facture socio-culturelle ; en second lieu, on peut considérer que les
personnes se mettent en quête d’une efficience thérapeutique en
diversifiant les recours. Ainsi il n’est pas rare que des familles infligent
à des malades des retours ponctuels au pays d’origine, convaincues
que leur état de santé pourrait s’améliorer au moyen de recours à des
soins traditionnels divers sur lesquels ils restent silencieux. Dans le
même sens, nous sommes surpris par le faible nombre de familles
immigrées pratiquant des consultations neurologiques lorsqu’elles
sont concernées. L’itinéraire des malades et de leurs familles s’arrête
le plus souvent à la consultation du médecin généraliste, sans qu’elle se
prolonge par ce que nous avons mis en place et dédié aux malades : la
consultation neurologique, les examens médicaux complémentaires ou
les consultations mémoire.
Loin de nous l’idée d’une ethnicisation de cette problématique,
mais le fait qu’elle comporte et sous-tende des enjeux culturels que
nous ne pouvons ignorer sous peine de laisser à l’abandon aussi bien
des malades mal ou non diagnostiqués que des entourages en grand
désarroi, dont les attitudes mènent soit aux parcours que nous avons
cités et dont on peut douter de l’efficacité, soit à un repli sur soi et une
soustraction des malades de toute vie sociale.
Attentifs à ces enjeux, nous avons souhaité, dès les premières
initiatives prises en ce sens, porter un plus grand intérêt aux environ-
nements sociaux et aux familles des malades, afin de les encourager et
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Troubles neurodégénératifs et immigration 75

de les aider à sortir de leur isolement. En lien avec cela, il était


nécessaire d’initier des actions de sensibilisation et de formation en
direction des professionnels, pour mieux accompagner les demandes
d’aide et leur permettre une perception plus adaptée de ces publics.
Le CODES 30 a proposé en 2016 aux structures de l’accompa-
gnement à domicile et de l’hébergement des personnes âgées immi-
grées intervenant sur le territoire du Gard un appui à la mise en œuvre
de pratiques culturellement adaptées. Différentes modalités ont été
développées : des modules de formation pour mieux comprendre le
rapport à la maladie ; des temps d’analyse des pratiques ; et des
accompagnements sur site, au plus près des équipes.
Le Comité d’éducation pour la santé est une association loi 1901
qui a pour mission d’aider la population à choisir des modes de vie et
des comportements qui préservent et améliorent la santé. Il œuvre
dans le domaine de l’éducation pour la santé, dans le but que chaque
citoyen acquière tout au long de sa vie les compétences et les moyens
qui lui permettront de gérer sa santé et sa qualité de vie, ainsi que celle
de la collectivité.
Pour cela, le Comité s’appuie sur les valeurs de la promotion de la
santé. En centrant ses actions sur les déterminants de santé individuels,
collectifs et environnementaux, il développe une approche positive
et globale de la santé, en complément des approches thématiques et
au-delà de la prévention des maladies. Développée de manière parti-
cipative, notre action tend à la responsabilisation et l’éclairage des
choix de la personne, dans un souci de respect de la liberté de chacun
et des équilibres individuels et sociaux.
Il porte sur le département quatre grandes missions au service de la
population et des professionnels : Contribuer aux politiques de santé
publique ; Documenter et communiquer ; Former ; Agir et coordonner.
LE CODES 30 est, de plus, mobilisé depuis une quinzaine
d’années dans des actions de promotion de la santé des seniors, et
notamment pour le bien-être et la santé des personnes atteintes de
maladies neuro-évolutives et de leur entourage.
Il a mené de 2012 à 2014 un projet nommé « Agir en Intercultu-
ralité », qui avait pour objectif d’améliorer l’accompagnement des
personnes âgées immigrées. C’est dans ce cadre qu’ont été mobilisés
les professionnels du champ gérontologique du département, autour
d’un comité de pilotage, de 30 journées de formation et d’analyse des
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76 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

pratiques, et de deux colloques. L’association a tout au long de ces


années porté une réflexion de fond sur les personnes âgées immigrées,
les difficultés qui les touchent et les dispositifs qui les accompagnent.
Ancrant une véritable dynamique locale autour de ces questions, elle
a construit une plateforme ressource à destination des professionnels
du département, dématérialisée sous la forme d’un site Internet.
La deuxième année, a été développée une étroite collaboration avec
Omar Samaoli, directeur de l’Observatoire des Migrations en France
(OGMF) et membre du Groupe Consultatif sur la prévention des
risques de vulnérabilité des migrants âgés pour le Conseil de l’Europe,
qui est intervenu à plusieurs occasions. C’est notamment lors de ces
temps partagés que la maladie d’Alzheimer a été maintes fois évoquée,
et a fait l’objet de nombreuses demandes en termes de suites à donner à
ce projet, dénotant l’émergence d’une problématique majeure et à ce
jour sans réponse locale.
Les populations issues de l’immigration demeurent bien souvent
invisibles et ne se retrouvent pas dans les systèmes d’accompagnement,
d’aide et de soin. Or, l’Occitanie est une région dont les flux migra-
toires sont au-dessus des moyennes nationales. Il y a dans le Gard, en
2009, 23 400 immigrés de plus de 55 ans, soit 39 % des personnes
immigrées. Principalement d’origine espagnole, marocaine et algé-
rienne, ils ont exercé dans l’industrie ou l’agriculture.
Il a été également observé que le diagnostic, s’il est fait, est souvent
plus tardif pour ces publics. Il faut préciser qu’ayant souvent subi l’exil
et des conditions socioprofessionnelles précaires, elles sont davantage
touchées par les facteurs de fragilité que le reste de la population (santé,
logement, isolement, etc.). Selon le document de travail produit par
l’IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la
santé) (Allonier et al., 2010) sur l’état de santé des populations immi-
grées en France en juillet 2008, il existe des inégalités sociales de santé
significatives liées au pays de naissance et au phénomène de migration.
La préoccupation de cette population émerge aux niveaux national et
local, ainsi que la nécessité de la prendre en compte dans les différents
champs et dispositifs de la vieillesse.
On sait que de nombreuses dimensions culturelles, et notamment
les représentations de la maladie, influencent le rapport de la personne
au soin et à l’aide. La question de la « bientraitance culturelle » est
donc fondamentale dans l’accompagnement de la personne âgée
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Troubles neurodégénératifs et immigration 77

atteinte de la maladie d’Alzheimer et de sa famille. Et ce pour des


raisons éthiques, de respect de la personne et de sa dignité, et de
préservation de son identité. Mais elle représente également un enjeu
de santé publique, en termes de lutte contre les inégalités d’accès aux
soins et à l’accompagnement.
Ces constats sont partagés par les professionnels du département,
chez qui nous avons pu observer un certain désœuvrement face à la
situation de ces personnes âgées immigrées, et à la difficulté d’inter-
venir auprès d’elles.
Selon un responsable de CLIC (Centre local d’information et de
coordination), « On a des cas de refus de soin et d’aide, où la personne
refuse d’ouvrir sa porte à l’intervenant, souvent c’est la famille qui fait
frein. Comment réagir ? »
Un responsable d’association à caractère social gérant un EHPAD
et une structure de service d’aide à domicile ajoute : « À l’EHPAD on
n’en a pas, ils sont invisibles. Pour l’aide à domicile, on intervient que
lorsqu’il y a des cas d’urgence, lorsque la situation est dégradée. »
Une responsable d’une association de quartier œuvrant pour la
solidarité explique qu’« il est très difficile de faire sortir les personnes
âgées de leur quartier, de la sphère de leur entourage proche ».
Lors du colloque du projet « Agir en Interculturalité » 2014, une
psychologue a fait le constat des difficultés éprouvées dans l’utilisation
des outils d’évaluation avec des personnes issues de l’immigration lors
d’une consultation mémoire.
Les professionnels ont donc des besoins en termes d’outils, de
solutions pratiques, mais aussi en termes de travail sur les représenta-
tions pour pouvoir créer une relation positive avec les personnes et
ainsi les rapprocher de l’offre de service.
Plusieurs thématiques fortes sont ressorties lors des échanges :
– habitudes de vie, culture et accompagnement ;
– la relation à l’aidant, aux familles, et l’accompagnement au
domicile ;
– la toilette et l’intime, en lien avec le sexe de l’intervenant ;
– la mort et ses rituels ;
– le lien entre le statut de la personne âgée dans sa culture et son
comportement dans le cadre de son accompagnement ;
– la problématique de la langue et de la traduction (Gayraud et al.,
2017), qui se complexifie encore davantage avec la maladie.
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78 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

La spécificité de la démarche est d’adopter un point de vue systé-


mique, prenant en compte l’individu dans sa complexité et sa globa-
lité, préférant une approche interculturelle pour éviter toute dérive
culturaliste.
Sur plus d’un an, l’ensemble des acteurs de l’accompagnement
et du soin de la personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer et
de maladies apparentées, et de son entourage, du domicile et de
l’hébergement, se sont mobilisés, des responsables aux intervenants
de terrain.
Son objectif principal était d’améliorer l’accompagnement et la
qualité de vie des personnes âgées immigrées atteintes de la maladie
d’Alzheimer et de maladies apparentées et de leurs aidants naturels. En
agissant sur les compétences des professionnels, l’idée est de renforcer
l’accès à la prévention et à l’information, de promouvoir l’accès aux
dispositifs du diagnostic à la prise en charge ainsi qu’à la fin de vie, en
évitant les ruptures dans les parcours. Pour cela, il s’agissait de déve-
lopper une dynamique locale de réflexion et d’action des profession-
nels du champ gérontologique, notamment en créant un comité de
pilotage de l’action réunissant les acteurs institutionnels de l’accompa-
gnement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer (caisses de
retraites du régime de base et complémentaire, Conseil général du
Gard, Pôle gérontologique de l’Hôpital de Nîmes, Association France
Alzheimer Gard, etc.).
Plusieurs modalités ont été développées pour sensibiliser, former et
soutenir les professionnels dans leur démarche de réflexion.
Un module de formation centrale et commun à tous, permettant
de développer une culture commune aux professionnels du territoire,
a été proposé. D’une durée de trois jours, celui-ci explore les liens entre
maladie et interculturalité. Une journée spécifique a été consacrée à la
relation interculturelle, où des précisions autour de la question du
langage ont été apportées.
Des modules complémentaires d’une journée chacun ont été pro-
posés, afin d’aborder des questions plus spécifiques : fin de vie, rap-
ports familiaux, rapport aux institutions (hôpital et EHPAD). C’est à
cette occasion que des aidants issus de cultures différentes ont été
invités à témoigner.
À l’issue des formations, des temps d’analyse des pratiques ont été
organisés. Ceux-ci ont permis de travailler ensemble sur des cas parti-
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Troubles neurodégénératifs et immigration 79

culiers : la compétence interculturelle dans le lien avec les populations


d’origine asiatique, l’entrée en institution, les dynamiques familiales…
Un soutien méthodologique a ensuite été proposé aux structures
qui le souhaitent, afin de soutenir les démarches locales. Dans ce cadre,
ont été accompagnés un accueil de jour souhaitant mettre en place des
ateliers de sensibilisation sur la maladie pour le public des quartiers
prioritaires, ainsi que France Alzheimer Gard, pour adapter leurs
interventions à un public interculturel. Un groupe de travail constitué
de la MSA et du Pôle Promotion Santé de la ville de Nîmes a été réuni
pour envisager l’adaptation de leurs ateliers mémoire (au niveau
culturel et linguistique) à un public n’écrivant pas le français. Une
expérimentation est en cours sur le département voisin (Hérault) avec
des outils d’animation qui sont à ce jour en phase de test.
Enfin, une journée départementale d’échange a été organisée pour
dresser un bilan commun de l’expérience et de la dynamique, et
continuer à travailler ensemble les pistes d’action et de réflexion.
Des axes de travail ont en effet émergé tout au long du projet. Ils
concernaient notamment la compréhension de la situation psycho-
sociale des malades en situation d’interculturalité et de leur famille,
en lien avec le vécu de l’immigration et l’identité, les dynamiques
familiales et le rôle social des aidants du diagnostic à la fin de vie, et
la complexité des situations (accès aux droits, niveau socioculturel
insuffisant, précarité…).
Le projet a permis de développer les compétences interculturelles
des professionnels qui se sont engagés dans une démarche approfondie
de réflexion autour de leurs représentations et de la prise en compte de
la diversité culturelle dans leurs pratiques, et dans la construction de
leur posture.
Des freins et leviers à cette prise en compte ont été identifiés. En
effet, la rigidité ou la souplesse du cadre d’intervention du profes-
sionnel, l’anticipation et l’accompagnement sur le long terme influent
sur la possibilité d’établir un lien avec les personnes accompagnées,
donc de les amener à exprimer leur demande et à entrer dans les
dispositifs.
La question du positionnement du professionnel, de son respect du
libre arbitre et des représentations culturelles de la personne accompa-
gnée, et le dépassement de ses propres représentations projetées sur
l’autre jouent également un rôle majeur.
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80 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

L’enjeu est donc de « se saisir de la résonance des facteurs socio-


culturels » pour adapter la transmission de l’information.
Si l’on considère que les non-recours aux dispositifs sont également
liés à un manque d’information de confiance, il devient nécessaire de
renforcer les liens entre les professionnels de l’accompagnement de la
maladie et les acteurs qui sont en proximité avec ces populations en
situation d’interculturalité, c’est-à-dire les associations de quartier,
les médiateurs et les professionnels du social. La complexité des situa-
tions implique une coordination plus importante entre les différents
secteurs.
Les outils qui sont à la disposition de l’intervenant et la possibilité
de recourir à la traduction restent insuffisants (voir chapitres 5, 6 et 7
de ce volume). Les outils de diagnostic ne sont pas adaptés, sur le plan
culturel et linguistique, et le recours à un tiers familial reste limité et
limitant. Des brochures multilingues et multiculturelles de sensibi-
lisation et de prévention destinées aux aidants commencent à voir le
jour, mais elles montrent aussi leurs limites (support écrit pour une
population souvent analphabète, choix du dialecte…).
La question transversale concernant l’adaptation des dispositifs
d’accompagnement, d’hébergement et de répit est la suivante : faut-
il adapter les dispositifs existants, ce qui implique de remettre en cause
de façon profonde leur fonctionnement ; ou faut-il inventer des solu-
tions nouvelles (consultations spécifiques, unité Alzheimer dédiée à
une population en particulier), au risque d’assigner les malades et leur
famille à une identité culturelle ? De nombreuses expérimentations
(notamment l’entrée en institution « en grappes » de personnes d’un
même quartier) ont montré les limites de ce type de mesure. Cette
question pointe du doigt la capacité du système médico-social à laisser
la place à l’individualité des personnes et à personnaliser ses services.
L’intérêt des professionnels et leur mobilisation ont démontré
l’existence de réels besoins en réflexion et en action. L’ouverture de
ces espaces d’échange interprofessionnels a permis de réelles avancées
en termes de réflexion collective. Il serait nécessaire que la présence de
la question de l’interculturalité soit renforcée dans l’ensemble des
secteurs et tout au long du parcours des professionnels.
Si les tendances démographiques montrent clairement qu’une
proportion très importante des anciens travailleurs immigrés et leur
famille se maintiennent en France (voir chapitre 1 de ce volume), il va
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Troubles neurodégénératifs et immigration 81

donc de soi qu’ils seront concernés par tous les problèmes sanitaires
et sociaux que connaissent toutes les personnes âgées. Ce constat, qui
n’est pas récent du reste, ne semble se traduire dans les faits que par de
multiples dysfonctionnements que nous observons chacun dans nos
pratiques respectives et auxquels nous tentons d’apporter des éléments
de réponses loin d’être suffisants.

Bibliographie

Allonier C., Dourgnon P., Rochereau T. (2010). Enquête sur la santé et la


protection sociale 2008, Rapport IRDES, 547.
Berchet C., Jusot F. (2013). L’état de santé des migrants de première et de
seconde génération en France : Une analyse selon le genre et l’origine, Revue
économique, 61, 1075-1098.
Gayraud F., Barkat-Defradas M. (2017). Quels standards pour évaluer les
performances cognitives atypiques des personnes âgées bilingues ?
In C. Bogliotti, A. Lacheret, F. Isel (éd.). Diagnostiquer les troubles du
langage, De Boeck Supérieur, 193-214.
Jacquat D., Bachelay A. (2013). Rapport d’information, mission d’information
sur les immigrés âgés, France, Assemblée nationale, 2 juillet 2013.
Samaoli O. (2011). Vieillesse des immigrés : Quelques interrogations d’actua-
lité, Gérontologie et Société, 139, 67-75.
Samaoli O., (2018). Accompagner les malades d’Alzheimer : Manuel bilingue
arabo-français pour l’aidant, Paris, L’Harmattan.
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Chapitre 4

Performances langagières
chez des populations âgées bilingues
précoces arabes-françaises en Algérie

Sara Sahraoui et Laurent Lefebvre

Qu’est-ce que le bilinguisme ?


Le bilinguisme est un phénomène largement présent dans nos
sociétés, conséquence de l’accroissement du contact de communautés
linguistiques différentes. Selon Abalain (2007), plus de 50 % de la
population mondiale est bilingue ou multilingue. Le bilinguisme, dans
sa conception très large, désigne les usages variables de deux langues
par un individu, un groupe ou une population (Morechta, 2013).
Il existe toutefois de nombreuses définitions du concept de bilin-
guisme qui peuvent se référer à une compétence tant native dans une
seconde langue qu’à une compétence minimale dans celle-ci. Ainsi,
Bloomfield (cité par Cardey,1994) donne une définition du bilin-
guisme qui ne prend pas en considération le niveau de maîtrise de
deux langues, même dans le cas du bilinguisme simultané. Cette idée a
ensuite été reprise par Marouzeau (cité par Lachapelle, 1990), lorsqu’il
évoque le bilinguisme comme la qualité d’un sujet ou d’une popula-
tion qui se sert couramment de deux langues sans aptitude marquée
pour l’une plutôt que pour l’autre.
Contrairement à la conception de Bloomfield, MacNamara (1966)
(cité par Babault, 2006) considère bilingue quelqu’un qui possède une
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84 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

compétence minimale dans une des quatre habiletés linguistiques


(i.e. comprendre, parler, lire et écrire) dans une langue autre que sa
langue maternelle. Cette définition rejoint celle de Haugen (cité par
Chin et Wigglesworth, 2008), qui souligne que « le bilinguisme est
l’aptitude à produire dans l’autre langue des énoncés bien formés,
porteurs de signification », « the point where a speaker can first produce
complete meaningful utterances in the other language ». Weinreich (cité
par Chinet Wigglesworth, 2008) partage cette conception large du
bilinguisme parlant de « the practice of alternately using two languages ».
Pour Mackey (cité par Hamers et Blanc, 1999), le bilinguisme est
l’usage alterné de deux ou plusieurs langues par le même individu.
De multiples facteurs propres à l’histoire du sujet, à la place et aux
fonctions des langues dans son environnement, contribuent à cette
inégalité de compétences dans les deux langues. Le bilinguisme est en
ce sens un phénomène relatif. Siguan et Mackey (cité par Mazar,
2011) soulignent d’ailleurs que « le bilinguisme ne peut pas se définir
dans l’absolu, mais plutôt en lien avec les situations concrètes mettant
en évidence certaines de ses variables ».

Typologies du bilinguisme
Selon les combinaisons d’un ensemble de paramètres (l’âge de
l’acquisition, le style cognitif, le statut socioculturel des deux langues,
le degré de maîtrise de deux codes), les chercheurs distinguent diffé-
rents types de bilinguisme :
– le bilinguisme simultané ou successif : un enfant peut acquérir
deux langues de manière simultanée ou consécutive ;
– le bilinguisme coordonné ou composé : pour le bilinguisme
coordonné, le sujet dispose de deux systèmes linguistiques parallèles
c’est-à-dire que pour chaque mot il y a deux signifiants et deux
signifiés ; quant au bilinguisme composé, le sujet n’a qu’un seul
signifié pour deux signifiants (Widła, 2007) ;
– le bilinguisme additif ou soustractif : le bilinguisme additif se
retrouve surtout lorsque les deux langues sont valorisées dans l’entou-
rage socioculturel, alors que le bilinguisme soustractif se retrouve
lorsque la langue maternelle des sujets est dévalorisée par rapport à
une langue dominante ;
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Performances langagières 85

– le bilinguisme équilibré ou dominant : cette distinction se réfère


au fait que les compétences dans les deux langues sont équivalentes ou
que la compétence est supérieure dans une des deux langues ;
– le bilinguisme biculturel ou monoculturel : cette distinction se
réfère au fait que le bilingue s’identifie positivement avec l’un et l’autre
groupe culturel, ou que l’individu soit bilingue tout en restant mono-
culturel ;
– le bilinguisme individuel et social : cette distinction se réfère à
l’usage actif de deux langues, soit par un individu, soit par un groupe
d’individus dans une zone géographique déterminée (Hummel,
2009).

Le paysage linguistique de l’Algérie


L’Algérie est un pays qui connaît une situation linguistique inté-
ressante, les Algériens employant, en général, simultanément l’arabe
dialectal et le français. L’arabe standard (ou classique) est rarement
employé comme langue de communication quotidienne au sein de
la société. Les locuteurs algériens sont donc à tout le moins bilingues
et même quelquefois trilingues : c’est le cas par exemple des locuteurs
amazighophones, qui parlent, outre l’arabe dialectal et le français,
l’amazighe (berbère). Nous proposons dans ce chapitre une réflexion
portant sur les performances langagières de la population algérienne
âgée bilingue.

L’histoire de l’Algérie et la taille de son territoire expliquent la


coexistence de nombreuses variétés langagières et dialectales (Mazar,
2011), variétés influencées tant par les langues et cultures orientales
qu’occidentales. L’Algérie était officiellement monolingue, avec l’arabe
classique comme langue officielle. Cela n’a toutefois pas empêché la
langue française de rester présente dans le patrimoine comme
deuxième langue malgré l’arabisation. L’Algérie est d’ailleurs consi-
dérée comme le premier pays francophone du monde, où le français
vient en deuxième position après l’arabe. Cette situation de bilin-
guisme (arabe/français) est un héritage de la colonisation française
qui a duré plus d’un siècle (Rezgui, 2011). Pendant la colonisation
(1830-1962), une partie de la population s’est approprié le français par
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86 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

le biais de l’éducation scolaire et universitaire et est devenue bilingue


arabe-français, ou s’est quasiment francisée. Des traditions linguisti-
ques familiales bilingues se sont installées et se sont ensuite perpétuées
dans l’Algérie indépendante. Le français, dans un pays qui affirme son
arabité, a donc une position très ambivalente. La question des langues,
par les enjeux identitaires, culturels, politiques et sociaux qu’elle com-
porte, est particulièrement sensible et encore aujourd’hui continue
de diviser la société algérienne (Grandguillaume, 2002). En Algérie,
on trouve le phénomène du bilinguisme en tant que phénomène tant
individuel que de groupe (bilinguisme social).
Lors de la colonisation française, le français était la seule langue
officielle en Algérie (département français d’Algérie). L’Algérie de
1962 était donc largement francisée dans son enseignement, son
administration, son environnement et son secteur économique. La
plupart des Algériens s’exprimaient en langue française, surtout dans le
nord du pays (Rezgui, 2011). Le français ayant influencé les usages,
bouleversé l’espace linguistique et culturel algérien, cela lui a conféré
un statut particulier dans la société algérienne coloniale et postcolo-
niale (Ibrahimi, 2006). La langue française tenait donc une grande
place en Algérie, même si sa place a été réduite par la suite. En effet, le
gouvernement algérien a voulu réaliser la « phase culturelle de l’indé-
pendance » en mettant à la place de la langue française, la langue arabe
classique. Cette opération fut menée à son terme dans les années 1980,
jusqu’à la production des premiers bacheliers arabophones. Malgré
cette politique d’arabisation, le français demeure très présent dans le
système scolaire, surtout universitaire ; actuellement, hormis les
sciences humaines qui sont arabisées, l’enseignement universitaire
reste toujours francisé, comme les sciences médicales, les sciences de
l’ingénieur, ou le troisième cycle (master et doctorat). Précisons que
la langue française a continué à être enseignée comme langue étrangère
à partir de la quatrième année de l’enseignement primaire, puis à partir
de la troisième année primaire.

Les catégories de locuteurs bilingues en Algérie


Selon l’Observatoire de la Francophonie, l’Algérie est le troisième
pays francophone dans le monde avec près 13 millions de locuteurs.
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Performances langagières 87

L’appropriation de la langue française en Algérie passe par des niveaux


de connaissances variés du français ; cette variation diffère d’un locu-
teur à l’autre, en fonction de facteurs comme l’âge, le sexe, le milieu
socioculturel et familial ou la fonction exercée (Bensefa, 2015). Selon
Queffelec (cité par Bensefa, 2015), il existe trois variétés de français en
Algérie : 1 – la variété acrolectale, dans laquelle se regroupent les
locuteurs intellectuels, cadres supérieurs, écrivains, et universitaires
et dont la maîtrise de la langue française est excellente ; 2 – la variété
mésolectale qui correspond à un niveau moyen de connaissances de la
langue française ; 3 – la variété basilectale qui réfère aux locuteurs qui
ont des connaissances minimales. Bedia (2015) précise que l’usage
régulier du français n’est pas un signe d’intellectualisme. Nombre
d’Algériens instruits aujourd’hui ne maîtrisent pas parfaitement le
français.
Selon Egueh (2014), les locuteurs basilectaux n’ont pas été suffi-
samment scolarisés et ont quitté l’école très tôt, vers la fin du cycle
primaire, ou encore, ce sont des lettrés qui ont suivi leur cursus scolaire
en langue arabe. Ces sujets adultes ont appris la langue française en
rentrant en contact avec des Francophones ; ils se distinguent par un
vocabulaire très pauvre, et un accent plus arabe que français.
Les locuteurs acrolectaux sont le plus souvent formés dans les
universités françaises ou dans des écoles à régime français. Ils maîtri-
sent parfaitement la langue française et gardent un contact très régulier
avec elle. Ils exercent des fonctions où généralement le français sert de
langue de communication.
Enfin, les locuteurs mésolectaux se caractérisent par le fait qu’ils
ont fait leurs études dans des établissements algériens et ont eu une
scolarité relativement moins longue. Ces locuteurs ont malgré tout
une maîtrise moyenne de la langue française.
Rahal (2001) propose une catégorisation différente, évoquant trois
catégories de locuteurs francophones (bilingues) : les Francophones
réels, qui parlent le français dans leur vie quotidienne ; les Franco-
phones occasionnels, qui utilisent la langue française dans des situa-
tions bien déterminées (formelles ou informelles) ; et les Francophones
passifs, qui sont ceux qui peuvent comprendre la langue française sans
la parler. Pour l’auteure, les locuteurs francophones réels et occa-
sionnels utilisent le français en alternance codique (l’usage simultané
des deux codes que sont le français et l’arabe dialectal).
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88 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Les phénomènes linguistiques naturels propres


à une société plurilingue et qui sont générés
par la situation sociolinguistique algérienne
L’utilisation de plus d’une langue chez les Algériens a mené à un
degré d’intégration bidirectionnel dans les dimensions syntaxique,
phonémique et sémantique de la langue. La proximité et le contact
quasi permanent entre l’arabe algérien, le français et les autres variétés
locales ont donné au langage algérien d’aujourd’hui une dimension
qui repose sur des référents culturels et identitaires propre à la réalité
quotidienne du locuteur algérien. Selon Rezgui (2011), l’analyse de la
langue d’un Algérien dans sa vie quotidienne montre qu’il opère un
mélange d’arabe (l’arabe dialectal ou l’arabe officiel), de français, et de
berbère (tamazight) (i.e. le cas des gens de la Kabylie (région du centre-
est de l’Algérie), des Chaoui (habitants des Aurès) et ses régions ou des
Mozabites (un groupe berbère vivant principalement dans la région
du Mzab… etc.)). Il y a des mots et des expressions en français
qui apparaissent de manière plus ou moins régulière dans la réalité
sociolinguistique algérienne. Morechta (2013) ajoute que la situation
linguistique en Algérie est loin d’être une simple réunion de langues
à un niveau individuel ou collectif. Pour lui, plusieurs facteurs
– comme la durée et l’intensité des contacts, les relations de pouvoir
entre les langues, les types de relations sociales, économiques et
politiques entre locuteurs de langues différentes, les fonctions de
la communication, le degré de similarité des langues en contact –
produisent autant de phénomènes d’emprunt, de code-mixing, d’alter-
nance codique propres aux situations de diglossie.
Hoeml et Hosni (2014) ont d’ailleurs constaté que l’utilisation
de plus d’une langue chez certains Algériens a conduit à un degré
d’intégration de la conjugaison, de la disposition syntaxique, ou encore
de l’emprunt phonémique et sémantique d’une langue à l’autre.
À cet égard, Nouriatte (cité par Refas, 2014) ajoute : « Si vous voyez
un discours arabe avec une formulation française, vous devez savoir
que son propriétaire est un Algérien et surtout un Algérien urbain. »
Au niveau phonémique, le phénomène d’intégration se manifeste
dans le parler des Algériens par la compensation progressive de certains
sons par des séquences phonémiques (sons successifs) qui n’existent
pas dans leur langue maternelle. L’étude de Khelladi (2012) montre
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Performances langagières 89

d’ailleurs que l’intégration phonétique affecte souvent la pronon-


ciation de certains locuteurs algériens qui se retrouvent confrontés à
un champ d’intégration phonétique varié résultant de la cohabitation
des deux langues avec deux systèmes phonétiques complexes : un
système phonétique arabe riche en consonnes et pauvre en voyelles
(trois voyelles longues et brèves), et un système phonétique français
au vocalisme beaucoup plus riche (16 voyelles). Selon cette étude,
l’Algérien remplace dans son dialecte quotidien quelques phonèmes
par des phonèmes plus proches : par exemple le phonème/u/ se pro-
nonce/i/ (p. ex. /kɔstim/ au lieu de /kɔstym/ : costume). Le /y/ a été
remplacé par /i/ parce que le système phonétique arabe ne dispose pas
de la voyelle /y/et le son articulatoirement le plus proche (i.e. voyelle
haute) dans le système phonétique arabe est donc le /i/.
Ce phénomène d’intégration apparaît aussi au niveau syntaxique
à l’exemple de la notice (‫ )ﻣﻤﻨﻮﻉ ﺍﻟﺘﺪﺧﻴﻦ‬/memnuʕ atadxin/ signifiant
« interdiction de fumer », cette expression très fréquente en Algérie,
transposée directement du français, est une formulation grammaticale
française avec des mots arabes. Il convient de dire /atadxin memnuʔ/ au
lieu de dire /memnuʕ atadxin/ car suivant les règles grammaticales de la
langue arabe cette phrase nominale arabe commence normalement par
la partie introductive /atadxin/ (fumer) et se termine par la partie
complément /memnu ʕ / (interdiction) qui complète le sens de
la partie introductive. Le locuteur algérien inverse l’ordre des mots
composant la phrase en se basant sur l’ordre des mots dans la formu-
lation grammaticale française (interdiction de fumer). À cet égard,
Khelladi (2012) ajoute que « l’arabe algérien se base sur des règles
syntaxiques spécifiques qui relèvent à moitié de l’arabe littéral et à
moitié de la langue française ».
Dans le but non intentionnel du locuteur algérien de former une
phrase à l’aide des mots empruntés à la langue française, il leur associe
des éléments propres à l’arabe, de sorte que ces unités empruntées à la
langue française connaissent un « déguisement morphologique » qui
rend ainsi ces mots distincts de leur origine (forme, prononciation et
sens). Citons pour exemple le remplacement des déterminants « la » et
« le » par (‫ )ﺍﻝ‬/el/ devant les noms en arabe dialecte algérien : par
exemple /el posta / au lieu de /la pɔst/.
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90 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

 L’emprunt
Parmi les phénomènes naturels propres à une société plurilingue
et générés par la situation sociolinguistique algérienne, se trouve celui
de l’emprunt. Pour Hamers (1997), « l’emprunt peut être un mot, un
morphème, une expression qu’un locuteur ou une communauté
emprunte à une autre langue, sans le traduire… Ce terme est généra-
lement limité au lexique… et lorsque l’emprunt est inconscient, il se
confond avec l’interférence ». À cet égard, Morechta (2013) note que
ce phénomène peut permettre un enrichissement des langues. Deux
catégories d’emprunts sont à distinguer : les emprunts non intégrés
et les emprunts intégrés. Les mots qui ont subi une modification
phonologique, morphologique ou sémantique imposée par les règles
de la langue d’accueil sont des emprunts intégrés (Napon, 2000),
comme les mots : taxi /taksi/ télé /tɛlɛ/ou frigidaire /fʁiʒidɛr/ qui ont
subi une transformation phonologique dans le dialecte algérien (taxi /
ṭāksi/, télé /tili/, frigidaire /friʒidɛn/ ou encore /friʒidir/). Les emprunts
non intégrés sont des mots n’ayant subi aucune transformation pho-
nologique, morphologique et sémantique dans la langue d’accueil, tel
que le mot oxygène /oksiʒɛn/.
L’étude de Bedia (2015) montre que l’usage alternatif du français
avec l’arabe dialectal dans les conversations au sein des familles
bilingues est dû en général à l’ignorance et la méconnaissance des
termes en arabe dialectal, car parfois le locuteur éprouve une difficulté
à trouver le mot exact.

 Le code-mixing ou mélange de codes


Dans la même perspective, le phénomène de code mixing ou mélange
de codes découle de la situation sociolinguistique algérienne. Il s’agit
d’une stratégie du bilingue caractérisée par l’usage des éléments d’une
langue parlée (phonétique, syntaxique, lexical) lors de la production de
l’autre langue parlée. Mazraani (cité par Bassiouney, 2009) précise que le
« code mixing affects most linguistic levels, syntaxic, morpohlogical and
lexical ». Ainsi, dans l’exemple donné par Morechta (2013) : /hat le
papje rahum f la vwatyʁ/ : ramène les papiers, ils sont dans la voiture.
Le locuteur algérien utilise des mots français lors de la production
d’une phrase en langue arabe (mélange de codes) et vice-versa. Il
conviendrait de dire /hat elwaθajek rahum fi elsijara /
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Performances langagières 91

 L’alternance codique
Morechta (2013) a étudié le phénomène d’usage de l’alternance
codique (arabe dialectal et français) dans les interactions verbales dans
le cadre sociolinguistique algérien en étudiant comment ce phéno-
mène constitue une stratégie de communication et en s’appuyant sur
l’analyse d’un ensemble d’extraits d’enregistrements pris des pratiques
langagières des adultes algériens (milieu universitaire).
En partant du principe que l’alternance codique (code-switching)
est l’emploi concurrent ou alterné de deux codes linguistiques dans un
même énoncé en prenant en compte le maintien des règles structu-
relles des langues utilisées, Morechta (2013) a montré que l’alternance
codique est principalement la résultante d’une interaction dynamique
constante entre les deux langues concernées. Les personnes adoptent
l’alternance codique comme stratégie de communication en l’impli-
quant plus ou moins largement dans leurs conversations quotidiennes,
d’autant plus qu’ils sont en relation constante avec ces langues, quasi-
ment au même degré. Le parler des locuteurs algériens tire son origi-
nalité d’une longue période de décolonisation où plusieurs facteurs
spécifiques à chaque sujet (l’origine géographique et sociale, le niveau
culturel, le degré d’ouverture sur la culture française, les parents et
la langue de communication pratiquée dans le milieu familial, le degré
d’accommodation du français) interviennent pour motiver la détermi-
nation et l’usage de la langue.
Pour Morechta (2013), l’alternance codique est un véritable outil,
une vraie stratégie, efficace pour assurer la communication. C’est un
comportement naturel, aussi habituel que spontané. Il peut parfois
constituer une stratégie de communication adoptée par les Algériens
pour atteindre certains objectifs, comme pour montrer l’appartenance
culturelle ou transmettre et passer un message suivant la situation de la
communication. En outre, elle permet de compenser le manque lexical
de l’arabe dialectal.

 La diglossie
Selon Ferguson (1959), la diglossie se définit comme une situation
linguistique relativement stable dans une société dans laquelle, en plus
de la langue dialectale (basse) utilisée dans les conversations ordinaires
et réservée à l’oral de la vie quotidienne, il existe une deuxième variété
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92 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

de la même langue en usage. Cette seconde variété (dite haute) est


investie de prestige par la communauté : elle est essentiellement
utilisée dans l’enseignement, et à l’écrit ou dans des situations d’oralité
formelle.
Pour Hoeml et Hosni (2014), l’Algérie présente une situation de
diglossie (l’arabe dialectal et l’arabe classique) et en même temps
un bilinguisme social (arabe/français). Cette situation diglossique est
marquée par la coexistence d’une forme codifiée (variété haute) et
d’une variété basse à usage informel et limitée aux échanges quoti-
diens. La situation de diglossie en Algérie se retrouve du fait de la
coexistence de deux variétés de la même langue : l’arabe dialectal et
l’arabe classique. Ces deux variétés sont en usage dans la société
algérienne : l’une de ces variétés (l’arabe classique) est considérée
comme « haute » (high) donc valorisée, investie de prestige par la
communauté ; elle est essentiellement utilisée à l’écrit (dans la littéra-
ture en particulier) ou dans des situations d’oralité formelle (discours
officiels et enseignement). L’arabe dialectal, qui constitue la base de la
communication orale et la langue maternelle de la quasi-totalité des
Algériens, est considéré quant à lui comme une variété dite « basse »
(low), celle de la communication ordinaire de la vie quotidienne
(réservée à l’oral). La langue arabe se présente donc sous deux formes :
l’arabe littéraire ou classique (apprise en contexte formel) qui bénéficie
d’un statut prestigieux et qui présente la langue à tradition religieuse
mais qui reste essentiellement formelle et ne constitue pas la langue à
usage quotidien et spontané ; l’arabe dialectal ou l’arabe algérien.
On trouve le phénomène de diglossie dans une autre communauté
importante de la population algérienne, qui parle la langue berbère ou
amazighe (parlers chaoui, kabyle, mozabite, touareg et chleuh, etc.). La
majorité des locuteurs amazighs intellectuels parlent l’amazighe,
l’arabe avec ses deux variétés haute et basse, et le français. Depuis
que la langue amazighe a été reconnue comme langue nationale en
2002, on peut parler du plurilinguisme chez ces populations.
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Performances langagières 93

La diversité de la composition sociale en Algérie


et l’usage du français à la maison
L’Algérie actuelle vit un changement démographique et une modi-
fication de la structure de la pyramide des âges de sa population avec
une augmentation des effectifs des adultes et des personnes âgées
(Haffad, 2004). Selon Refas (2014), la société algérienne reste toute-
fois encore aujourd’hui caractérisée par la diversité de sa composition
sociale. Une frange de la population est analphabète et l’autre est plus
intellectuelle : certains de cette dernière connaissent une seule langue
(arabe ou français) et d’autres sont bilingues ou multilingues.
Concernant l’usage du français à la maison, une étude de Bencherif
(2009) portant sur les conversations bilingues des locuteurs algériens
immigrés/non immigrés, a été effectuée sur un échantillon composé de
235 enquêtés âgés de moins de 37 ans. Les résultats montrent que
11,48 % des non-immigrés, qui représentent 64,68 % de l’échantillon
global, ont appris le français à l’école et à la maison. Pour Bencherif
(2009), ce résultat ne s’explique pas par le développement d’un bilin-
guisme familial où le français est une langue maternelle, mais provient
d’un usage lié au statut socio-économique et socioculturel des mem-
bres de la famille. Cela veut dire que le français reste la deuxième
langue bien maîtrisée par les membres de cette famille mais n’est pas
leur langue maternelle.
Toutes ces données amènent à un état de bilinguisme qui présente
un des traits des sociétés postcoloniales dont l’Algérie constitue peut-
être un des exemples les plus emblématiques (Ibrahimi, 2006).

Les locuteurs algériens bilingues de l’ancienne génération


La langue maternelle des algériens est le dialecte arabe ou un parler
berbère dans certaines régions telles que la Kabylie (Grandguillaume,
2010). Selon le rapport de l’OIF (2006-2007, cité par Boubakour,
2008), un Algérien sur deux parle également le français. Les 132 années
de la colonisation ont laissé leur empreinte sur des générations entières
d’Algériens, notamment sur le plan linguistique. L’instauration de
l’école obligatoire pour tous en 1962 a tenu un rôle capital dans l’ensei-
gnement des langues y compris le français. Comme dit précédemment,
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94 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

à cette époque l’Algérie fonctionnait en français : enseignement, admi-


nistration, environnement et secteur économique. La langue française
était donc particulièrement présente sur la scène linguistique algé-
rienne. Tout cela montre que l’ancienne génération algérienne était
bien exposée à un milieu très francophone. Déjà à l’époque, une
grande partie des médias était en langue française (radio, quotidiens,
hebdomadaires, etc.) : la moitié de la presse algérienne paraissait en
français et connaissait même un tirage bien plus important que la
presse arabophone, et dans un foyer sur deux, par le biais de la
parabole, les Algériens regardaient des chaînes françaises, ce qui favo-
risait la présence d’un bain linguistique au sein des domiciles (Bou-
bakour, 2008).
La description de la bilingualité de Hames et Blan (cité par
Verdeau, 2016) nous apparaît donc adéquate pour définir deux
variétés de bilinguisme chez l’ancienne génération bilingue algérienne :
des locuteurs bilingues précoces consécutifs et des locuteurs bilingues
tardifs. Ces chercheurs ont proposé une classification des sujets
bilingues fondée sur l’âge d’acquisition et les contextes d’acquisition
des langues. Ils distinguent plusieurs types de bilinguisme : la bilin-
gualité d’enfance et la bilingualité d’adolescence ou la bilingualité de
l’âge adulte. Dans la bilingualité d’enfance (le bilinguisme précoce),
l’expérience bilingue a lieu en même temps que le développement
général de l’enfant. L’expérience a lieu alors que l’enfant n’a pas encore
atteint une maturité dans les diverses composantes de son développe-
ment et peut donc intervenir dans ce développement. Le bilinguisme
précoce peut se subdiviser en deux sous-groupes (Verdeau, 2016) :
– le bilinguisme précoce simultané (0-3 ans) (cas des couples
mixtes). Ce bilinguisme est celui de l’enfant ayant appris à parler
deux langues simultanément : c’est le cas où l’enfant développe deux
langues maternelles dès le début de l’acquisition du langage, ce qui
n’est pas le cas de la majorité des bilingues algériens ;
– le bilinguisme précoce consécutif ou séquentiel (3-6/7 ans). Ce
bilinguisme est celui de l’enfant ayant appris à parler une seconde
langue tôt dans son enfance après avoir déjà acquis une première
langue (enfants qui acquièrent une seconde langue après le seuil de
3 ans, le plus souvent, par exemple sous l’effet de la scolarisation).
On distingue enfin le bilinguisme tardif (6/7-10/11 ans), le bilin-
guisme d’adolescence, relatif à l’apprentissage ou l’acquisition d’une
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Performances langagières 95

langue entre l’âge de 10/11 ans et de 16/17 ans, et le bilinguisme


adulte, chez les plus de16/17 ans.
Selon Refas (2014), les locuteurs algériens bilingues âgés, caracté-
risés comme bilingues précoces consécutifs ou bilingues tardifs, possé-
deraient une éloquence et une prononciation parfaite, produiraient un
langage non hybride, sans structures dissonantes ou incompatibles et
seraient capables de respecter la grammaire et la conjugaison respec-
tives, et ce dans les deux langues.

L’effet de l’avancée en âge sur le bilinguisme


chez les Algériens
Comme déjà évoqué, la population algérienne présente un terrain
de recherche propice à l’étude du bilinguisme. La particularité du
bilingue algérien, notamment celle de la population âgée qui a vécu
la période post-indépendance avec son école bilingue, favorise les
recherches dans ce domaine cognitif. Sahraoui et Lefebvre (2016)
ont comparé les résultats d’analyse du discours spontané de deux
groupes composés de 30 sujets algériens âgés, bilingues et sains dont
15 sont bilingues précoces et 15 bilingues tardifs. Les résultats de
cette étude ont montré une absence de différences entre les discours
des sujets aux niveaux syntaxique et lexico-sémantique en ce qui
concerne la deuxième langue (L2) (le français). Toutefois, au niveau
de la première langue (L1) (l’arabe), si les résultats montrent aussi une
absence de différences au niveau syntaxique, au niveau de la séman-
tique du discours, les chercheurs ont trouvé des différences significa-
tives en faveur des bilingues tardifs. Ils constatent une richesse de
discours, notamment au niveau de la présence de termes ayant des
sens opposés (par exemple : toi, pars, moi je reste). Ceci pourrait être
expliqué par le fait que les bilingues tardifs ont un vocabulaire plus
riche en L1 que les bilingues précoces. Ils trouvent également des
différences au niveau de la procédure fondée sur les implications
lexicales des termes, mais cette fois en faveur des bilingues précoces
(p. ex. quand je suis à la campagne, je me promène… moi, j’aime bien
la mer – la reprise campagne/mer). Ces résultats confirment que les
aspects du niveau syntaxique des deux langues L1 et L2 sont résistants
à l’âge chez les deux types de bilingues contrairement au système lexico-
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96 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

sémantique où le déclin ne concerne que certains aspects lexico-


sémantiques – la succession des termes opposés (S.T.O.) et la pro-
cédure fondée sur les implications lexicales des termes (P.F.I.L.T). En
revanche, d’autres sous-systèmes sémantiques paraissent résistants à
l’avancée en âge comme la présence de deux messages successifs qui
partagent un sens commun (D.M.S.P.S.C.).
Les résultats de cette étude s’expliquent par l’association des
perspectives de Paradis (2004,2009) et d’Ullman (2001) (modèle
procédural/déclaratif), et celles du modèle de Squire et Zola-Morgan
(1988). Le modèle procédural/déclaratif suggère que le lexique des
deux langues (L1 et L2) est stocké dans la mémoire déclarative chez
tous les bilingues, alors que la grammaire dépend de la mémoire
procédurale pour des deux langues (L1 et L2) chez les bilingues
précoces et dépend de la L1 pour les bilingues tardifs, tandis qu’elle
dépend de la mémoire déclarative pour la L2 chez les bilingues tardifs
(voir figure 1). Or, il s’ajoute à cela les perspectives de Zola-Morgan
(1988) sur les troubles de mémoire dans le vieillissement normal qui
suggèrent que la mémoire non déclarative serait peu modifiée par l’âge,

Figure Sahraoui et Lefebvre (2016) : illustration expliquant la résistance


de certains aspects langagiers à l’âge lorsque d’autres aspects sont affectés par
l’âge
Une association entre les perspectives des deux modèles : le modèle de
paradis (2004, 2009) et d’Ullman (2001), et le modèle de Squire et
Zola-Morgan (1988).
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Performances langagières 97

alors que la mémoire déclarative serait altérée au cours du vieillisse-


ment. L’association des perspectives des deux modèles pourra expli-
quer la résistance de certains aspects langagiers au vieillissement, alors
que d’autres aspects sont affectés par l’âge (voir figure 1).
La résistance des aspects syntaxiques de la langue française (L2)
étudiés dans notre recherche (les connecteurs, les anaphores, les
déictiques) chez les bilingues tardifs algériens, bien qu’ils puissent
être stockés en mémoire déclarative, peut être due à l’effet positif de
la pratique de la structure grammaticale dans la vie quotidienne des
bilingues tardifs (Köpke, 2013).

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Chapitre 5

La validation d’outils d’évaluation


pour des patients bilingues :
exemple du Screening BAT

Barbara Köpke

Introduction

Depuis le célèbre constat de Grosjean (1989), que le bilingue


ne constitue pas la somme de deux monolingues, les recherches sur
le bilinguisme ont considérablement progressé. Face à la prise de
conscience de la proportion importante de la population mondiale
qui utilise au moins deux et souvent une multitude de langues dans sa
vie de tous les jours, le concept du bilinguisme lui-même a évolué en
passant de celui d’un bilinguisme d’élite, inspiré du polyglotte savant
du XIX e siècle, qui apparaît aussi dans les premières études de cas
d’aphasiques polyglottes (comme on disait à l’époque), aux bi- et
multilinguismes fort hétérogènes qui caractérise notamment les popu-
lations migrantes.
Le bilinguisme est ainsi défini actuellement soit en référence à un
usage fréquent ou régulier de deux langues (Grosjean, 1989), soit tout
simplement à partir du besoin de deux langues (Kohnert, 2013). Ces
définitions évoquent donc à la fois les expériences linguistiques du
sujet et les exigences environnementales, et permettent plusieurs
constats :
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102 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

– les compétences linguistiques dépendent directement de l’usage


et des besoins et ne sont que rarement équilibrées en accord avec le
principe de complémentarité des langues (Grosjean, 2008) ;
– le bilinguisme n’est le plus souvent pas choisi, mais nécessaire
parce qu’il est lié aux besoins linguistiques de la personne ;
– le bilinguisme est fortement soumis aux fluctuations des besoins
et de l’usage au cours de la vie et se développe continuellement.
En plus de ces variations naturelles chez le bilingue sain, il a été
établi que les pathologies du langage acquises peuvent affecter diffé-
rentiellement chaque langue d’un bilingue ou d’un multilingue. Ainsi,
chez l’aphasique, environ 40 % des cas présentent des récupérations
non parallèles des langues (Paradis, 2001) qui demeurent pour l’instant
complètement imprévisibles (Hameau, 2013, pour plus de détails).
Chez les patients souffrant de pathologies neurodégénératives, un
certain nombre de données semblent indiquer que la langue seconde
(L2) est affectée avant la première langue (L1) (Barkat-Defradas &
Gayraud, 2013, pour un résumé). Cependant, il y a également des
études qui ne confirment pas cette analyse (Nanchen et al., 2017) et le
débat reste ouvert. Étant donné ces incertitudes concernant les réper-
cussions de la pathologie sur les différentes langues du bilingue ou
multilingue, le consensus est qu’une évaluation dans toutes les langues
du patient est indispensable pour effectuer un bilan valable (e.g.,
Fabbro, 2001 ; Hameau, 2013 ; Köpke, 2013). L’enjeu pour la société
est important. Déjà Baker (2001) faisait remarquer pour le contexte
australien qu’une évaluation en langue majoritaire, l’anglais, lèse les
patients qui viennent d’un contexte multilingue et entraîne des erreurs
de diagnostic. Par ailleurs, elle met en garde contre les biais entraînés
par la présupposition fréquente que le patient aura forcément de
meilleures performances dans l’autre langue.
Il se pose donc la question des outils d’évaluation à disposition pour
les patients bi- ou multilingues. Alors que la conception complexe
de tels outils a déjà été traitée ailleurs (e.g., Bastiaanse, Raaijmakers,
Satoer & Visch-Brink, 2016 ; Guilhem, Gomez, Prod’homme &
Köpke, 2013 ; Paradis & Libben, 1987), nous allons, dans le présent
chapitre nous intéresser tout particulièrement à la validation d’outils
conçus pour des patients bi- ou multilingues. En nous appuyant sur
l’exemple du Screening BAT, une version abrégée du Bilingual Aphasia
Test (Paradis & Libben, 1987) utilisé également avec des patients
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La validation d’outils d’évaluation pour des patients bilingues 103

souffrant de maladies neurodégénératives, nous allons exposer la com-


plexité de la validation avec de telles populations puis présenter quel-
ques données qui constituent un premier pas dans cette direction.

La validation psychométrique d’un test


L’intuition clinique possède une validité certaine (voir par exemple
la discussion dans Swindell, Holland & Fromm, 1984), et certains
orthophonistes préfèrent se concocter un assemblage personnel
d’épreuves diverses. Il a pourtant été souligné que des épreuves
extraites de leur protocole d’origine perdent leur validité psycho-
métrique (Mazaux et al., 2007). Mais la plupart des cliniciens utilisent
maintenant des tests standardisés et étalonnés, et dans certains pays
la référence à de tels tests est obligatoire pour la prise en charge de la
rééducation.
Pour rappel, un test peut se définir ainsi : « situation expérimentale
complexe, qui, pour pouvoir se réclamer de l’appellation de test,
doit faire l’objet d’une standardisation, voire une normalisation »
(Vrignaud et al., 2003, 13). On entend par standardisation la mise
en place de conditions de passation identiques et reproductibles
(en termes d’ordre et de temps de passation, par l’établissement de
consignes précises et strictes, etc.) et l’application de critères de cor-
rection et/ou de cotation strictement identiques. La normalisation
(ou l’étalonnage), quant à elle, implique de « calibrer une épreuve
en l’appliquant à des échantillons de sujets tirés de la population
cible de façon à disposer ensuite de normes d’âge, de sexe, ou d’autres
classements (variables indépendantes) des individus, pour pouvoir
comparer au point de vue considéré les performances individuelles
à celles de groupes correspondants » (Rondal, 2003, 40). Le travail de
normalisation est un travail de grande ampleur et prend souvent des
années, même lorsque seulement trois variables indépendantes (le plus
souvent âge, niveau d’études et sexe) sont impliquées. À titre
d’exemple, le GREMOTS, protocole d’évaluation du langage dans
les pathologies neurodégénératives (Bezy et al., 2016), a été normalisé
sur 445 sujets francophones (en France, Belgique et Suisse) répartis
en trois niveaux socioculturels et cinq groupes d’âge. Étant donné la
lourdeur que représente le travail de normalisation, elle n’est pas
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104 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

systématiquement réalisée. Le manque de normalisations valides est


d’autant plus criant lorsque des adaptations d’un test étalonné sont
faites, soit pour le rendre plus opérationnel dans le quotidien clinique
en créant une version courte ou « screening », soit en adaptant un test
à une langue pour laquelle aucun outil d’évaluation n’est disponible
(Garcia, 2015 ; Ivanova & Hallowell, 2013 pour plus de détails). Or,
les normes obtenues ne sont valables que pour les conditions de
passation dans lesquelles elles ont été collectées, et ne sont donc pas
directement transposables d’une version longue à une version courte
et a fortiori à un test dans une autre langue. Ainsi, dans les pays du
Maghreb notamment, tout travail clinique est basé sur des adaptations
courtes ou longues en arabe dialectal, mais aucune de ces versions
n’a été normalisée auprès de la population de référence. Ivanova
& Hallowell (2013) remarquent que, pour certaines langues, des
données normatives semblent exister mais ne sont pas publiées. Il
faut cependant dire que la publication de données normatives n’est
possible que si la validité psychométrique est assurée de tout point de
vue. On doit peut-être se demander si, à force de vouloir très bien faire,
finalement on n’encourage pas souvent à ne rien faire du tout…
Les choses se compliquent encore considérablement lorsqu’il s’agit
de valider un test s’adressant à des sujets bilingues. On sait aujourd’hui
que le bilinguisme est un phénomène multidimensionnel dépendant
d’une grande variété de facteurs (Köpke, 2013, pour plus de détails)
parmi lesquelles :
– des facteurs liés aux conditions d’appropriation des langues (âge
d’acquisition, contexte, méthode…) ;
– des facteurs sociolinguistiques conditionnant les représentations
sociales de chacune des langues ;
– des facteurs typologiques déterminant le recouvrement structurel
possible entre les langues ;
– les caractéristiques de l’usage : fréquence d’utilisation de chacune
des langues (déterminant la dominance linguistique du sujet), type
d’usage (déterminant la complémentarité fonctionnelle entre les lan-
gues) ;
– les caractéristiques de l’alternance des langues tant au niveau de la
fréquence (quotidienne, espacée…) que de sa nature, et notamment
l’utilisation plus ou moins fréquente du code-switching (ou alternance
codique).
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La validation d’outils d’évaluation pour des patients bilingues 105

Il est ainsi évident qu’une normalisation avec des sujets bilingues


ne se réduit pas à ajouter une seule variable indépendante – d’autant
plus qu’il n’existe aucune échelle qui permettrait de déterminer
rapidement si quelqu’un est bilingue ou non, par exemple le test
d’Oldfield permet d’établir la latéralité ! Il faut donc généralement
composer avec une multitude de variables. Les choses sont un peu
plus simples lorsque le test est destiné à une population vivant dans un
contexte de bilinguisme généralisé, comme le bilinguisme catalan/
espagnol en Catalogne, espagnol/anglais aux États-Unis, anglais/fran-
çais au Canada, et, peut-être, arabe algérien/français en France. Mais
même dans ces contextes-là, on aura affaire à des bilingues précoces et
à des bilingues tardifs, à ceux qui sont lettrés dans les deux langues et
ceux qui ne le sont que dans l’une, des bilingues qui préfèrent la L1 et
ceux qui préfèrent la L2, ceux qui ne sont que bilingues et ceux qui
parlent en plus une, deux voire trois autres langues, ceux qui « code
switchent » abondamment et ceux qui ne le font jamais… – autant de
variables connues pour influencer la cognition langagière sous-jacente.
Comment contrôler autant de facteurs et constituer un échantillon
représentatif de la population ? Les choses se compliquent encore
lorsque le test ne s’adresse pas à une population bien spécifique.
Que faire lorsqu’on a affaire à un test comme le Bilingual Aphasia
Test (BAT, Paradis & Libben, 1987) qui existe en plus de 65 langues et
dont la version en français, par exemple, doit pouvoir être combinée
avec n’importe quelle langue pour pouvoir être utilisée chez les
bilingues français/anglais, français/malgache, français/basque, fran-
çais/espagnol, français/arabe, etc. ?
Les solutions choisies pour les quelques tests d’aphasie destinés à
des patients bilingues ne nous apportent que peu de réponses. Ainsi la
Multilingual Aphasia Examination (MAE) a dans un premier temps,
pour la version anglaise, été normalisée avec 360 locuteurs sains natifs
de l’anglais sans aucune prise en compte de leurs autres connaissances
de langues (Benton & Hamsher et al., 1989). Le test a ensuite été adapté
à l’espagnol et normalisé avec 234 locuteurs sains, dont la langue
première était l’espagnol (MAE-S, Rey et al., 1991). Aucune autre
indication sur leurs connaissances de langues n’est donnée, alors que
cette version a été explicitement développée pour une utilisation avec
les locuteurs hispanophones aux États-Unis, tous bilingues à différents
degrés. Le BAT, quant à lui, est un test à référence critériée, c’est-à-dire
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106 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

que chaque épreuve du BAT a été construite de façon à être suffisam-


ment simple pour que tout locuteur natif puisse la passer avec succès
sans aucune difficulté. Afin de vérifier que cela est effectivement le cas,
chaque test doit être soumis à 60 locuteurs natifs de la langue contrôlés
pour différents critères (voir infra). Le critère retenu est donc encore
une fois « le locuteur natif » sans prise en compte des spécificités du
bilinguisme. Ce choix semble témoigner d’une conception du bilingue
comme la somme de deux (monolingues) natifs, ce n’est cependant pas
du tout la définition adoptée par les auteurs (Paradis & Libben, 1987,
33), qui avancent même que le BAT peut être réalisé par des locuteurs
n’ayant eu que 400 heures d’enseignement dans la langue en question.
On retrouve néanmoins dans la référence au locuteur natif l’image du
locuteur natif idéalisé, dominant dans la linguistique générative de
l’époque. Mais même dans des tests plus récents, comme le Multi-
lingual Token Test (Bastiaanse, Raaijmakers, Satoer & Visch-Brink,
2016) la même logique semble parfois appliquée.

BAT et Screening BAT


À l’heure actuelle, le BAT reste le test qui prend le mieux en compte
des questionnements liés au bilinguisme ou plurilinguisme de bon
nombre de patients aphasiques, et c’est également le test qui est
disponible dans des versions équivalentes pour le plus grand nombre
de langues : actuellement 74 langues et variantes dialectales sont
couvertes, dont bon nombre ne disposent d’aucun autre test d’aphasie.
Ces dernières années, des efforts particuliers ont été faits pour réaliser
des adaptations dans les différents dialectes arabes et on trouve ainsi
en plus du BAT en arabe standard moderne des versions en arabe
jordanien, arabe maghrébin (tunisien en fait) et palestinien (Khamis-
Dakwar, Ahmar, Farah & Froud, 2018). Une version courte en
libanais a également été créée (Ezzeddine, 2017, 2018) et sa norma-
lisation est en cours. Afin de répondre à son objectif principal – une
évaluation comparable dans les différentes langues du patient –, le
BAT suit le principe d’équivalence qui met l’accent sur l’utilisation de
structures linguistiques de complexité comparable dans les différentes
langues malgré les différences structurelles importantes qui existent
entre les langues couvertes par le BAT représentant une très grande
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La validation d’outils d’évaluation pour des patients bilingues 107

diversité typologique. Par ailleurs, afin de faciliter la mise en œuvre


d’une évaluation dans des langues qui ne sont pas forcément connues
des orthophonistes, le BAT suit également le principe d’objectivité
qui implique que pour la quasi-totalité des épreuves (à l’exception de
la cotation du discours spontané) aucun jugement n’est requis, ce qui
permet la passation du test par un membre de la famille ou autre
personne sans formation. En effet, lors de la passation, il suffit de
cocher la réponse donnée. Le fait que la réponse soit correcte ou non
est déterminé post hoc par le clinicien qui n’a pour cela pas besoin de
connaître la langue.
Bien que le BAT soit au départ conçu plutôt pour des aphasies
vasculaires, il a été utilisé pour la détection de troubles du langage chez
des patients atteints de troubles divers, y compris chez des patients
souffrant de démence de type Alzheimer (Gómez-Ruiz & Aguilar-
Alonso, 2011) et d’aphasie progressive primaire (Kambanaros &
Grohmann, 2012 ; Zanini, Angeli & Tavano, 2011) ainsi qu'avec
des sujets sains dans des études expérimentales (Paradis, 2011, pour
un résumé).
Comme tout test (surtout lorsqu’il s’agit d’un projet d’une telle
envergure qui se poursuit depuis les années 1980), le BAT a aussi des
points faibles. Ainsi, il a été critiqué par exemple pour le manque
de prise en compte de variables psycholinguistiques (fréquence,
complexité phonologique et/ou orthographique, etc.) dans le choix
des items. Cependant, ce type de données n’existe que pour un petit
nombre de langues dans lesquelles le BAT a été adapté et d’autres
critères (phonologiques pour les paires minimales, imaginabilité, ou
équivalence dans la complexité syntaxique pour les phrases) ont été
prioritaires. Le BAT est également critiqué pour l’absence d’une nor-
malisation (Ivanova & Hallowell, 2013). L’argumentaire de Paradis &
Libben repose sur le fait que le BAT est un test critérié et non pas
normé, basé sur l’idée que la performance prémorbide du patient à
évaluer correspondait à une réussite à 100 % du test comme pour tout
locuteur natif. Afin d’assurer que les stimuli sélectionnés pour les
adaptations dans les différentes langues correspondent à ce critère,
Paradis & Libben (1987, 39) préconisent de soumettre chaque test
à 60 locuteurs natifs recrutés dans un pays où les deux langues sont
parlées (sans plus de précisions) et de les contrôler en ce qui concerne le
sexe et l’âge (trois groupes d’âge : 50-59 ans, 60-69 ans, et 70 ans et
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108 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

plus). Les stimuli pour lesquels l’effet plafond n’est pas atteint sont
revus et modifiés et de nouveau soumis à 60 locuteurs natifs, et cela
jusqu’à ce que l’objectif d’une réussite de 100 % soit atteint. Cepen-
dant, les auteurs concèdent qu’il est difficile d’atteindre des taux de
100 % de réussite pour tous les sous-tests, notamment pour les plus
discriminants. Ainsi, une liste du nombre d’erreurs dans les limites de
la normale par sous-test est fournie (210) – la limite entre test critérié
et normalisé devient alors floue. On peut y ajouter un autre principe
que le BAT cherche à mettre en œuvre : conscient de la variabilité des
usages linguistiques même à l’intérieur d’une même langue ou d’un
même dialecte, Paradis préconise d’adapter le test aux spécificités des
usages des patients en modifiant les stimuli si nécessaire. Stricto sensu,
de telles adaptations devraient de nouveau être soumises à 60 locuteurs
contrôles, mais il n’existe quasiment pas de publications sur de telles
données et rien ne permet d’affirmer que ce principe soit toujours
respecté.
En dépit de ses avantages incontestables, notamment le fait d’être
la seule batterie complète d’évaluation de l’aphasie pour plusieurs
dizaines de langues, et de la volonté de garder une dimension raison-
nable (Paradis & Libben, 1987 : 23), le BAT est assez long : sa
passation demande environ 1 h 30 chez un sujet sain, temps pouvant
facilement doubler chez un patient aphasique (p. ex. Kambanaros &
Grohmann, 2011 ; McCann, Lee, Purdy & Paulin, 2012). La version
courte préconisée par Paradis & Libben (1987) prend encore
45 minutes. Cet inconvénient pèse d’autant plus lourd que les patients
bi- ou multilingues doivent être évalués dans toutes leurs langues,
ce qui décuple le temps de bilan. C’est afin de proposer un bilan
avec un temps de passation plus raisonnable que nous avons créé le
Screening BAT qui existe actuellement en 12 langues1. Le Screening
BAT a une durée de passation de 18 minutes en moyenne chez le sujet
sain pour chacune des langues (Guilhem, Gomez, Prod’homme &

1. Allemand, anglais, arabe, catalan, coréen, espagnol, français, italien, néer-


landais, portugais, russe, turc. Tests, livres de stimuli et feuilles de cotation sont
librement accessibles sur http://octogone.univ-tlse2.fr/accueil/valorisation/bat-
screening-test-test-de-depistage-pour-aphasiques-bilingues–175336.kjsp?RH=
1295597890408. Pour la cotation, se référer à Paradis & Libben (1987) et à
Guilhem et al. (2013).
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La validation d’outils d’évaluation pour des patients bilingues 109

Köpke, 2013). Il peut ainsi être utilisé chez le patient aphasique en


phase aiguë, ainsi que chez tout autre patient pour faire une première
évaluation pouvant ensuite être approfondie par un examen plus
complet dans les domaines qui montrent des déficits.

Validation du Screening BAT


Les différentes versions du Screening BAT ont été créées en sélec-
tionnant certains sous-tests et un nombre limité de stimuli parmi ceux
utilisés dans le BAT (Guilhem et al., 2013 pour plus de détails).
Étant donné que le BAT est un test à référence critériée, on pourrait
avancer qu’une validation supplémentaire est inutile. Cependant,
étant donné que le bilinguisme n’a pas été pris en compte dans la
validation des critères, nous avons entrepris une série d’études visant
autant à collecter des données de référence en vue d’une normalisation
du Screening BAT avec des sujets bilingues sains qu’à l’établissement
de la validité empirique du test via la comparaison avec des tests déjà
approuvés.

Données de référence
Dans un premier temps, nous nous sommes inspirés des recom-
mandations de Paradis & Libben (1987) en soumettant le Screening
BAT à une soixantaine de sujets sains. Cependant, nous avons revu les
critères d’inclusion préconisés par ces auteurs. Notamment, vu ce que
l’on sait actuellement de l’influence du niveau d’études sur les perfor-
mances linguistiques, nous avons préféré retenir ce critère au détri-
ment de celui du sexe (Chomel-Guillaume et al., 2010). Les sujets ont
ainsi été répartis en deux niveaux d’études : < à 10 ans de scolarité et
≥ à 10 ans de scolarité. Nous avons également revu les classes d’âge,
afin de rendre compte du fait qu’il y a aujourd’hui un nombre
croissant de patients aphasiques jeunes. Nous avons donc retenu les
classes suivantes : 25-44 ans, 45-64 ans, et à partir de 65 ans (Guihem,
Gomes, Prod’homme et Köpke, 2013). Cependant le critère le plus
important est le bilinguisme du groupe témoin. En suivant les recom-
mandations de Grosjean (1989), Guilhem, Gomes, Prod’homme &
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110 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Köpke (2013) ont opté pour une passation auprès de sujets bilingues
en incluant délibérément des types de bilingues variables avec des
langues différentes. Le dernier critère qui a été modifié est celui de
l’hospitalisation : en effet, Paradis & Libben préconisent une passation
auprès de sujets hospitalisés (sans troubles neurologiques ni psychia-
triques), il est cependant compliqué de maintenir ce critère pour un
recrutement de sujets bilingues en France.
Les premières données de référence pour la version française du
Screening BAT ont ainsi été relevées auprès de 65 sujets âgés de 25 à
85 ans, 30 hommes et 35 femmes. Tous parlent le français et une autre
langue régulièrement. Pour 22 participants, le français est la L1 ; pour
43, c’est la L2. Les autres langues des participants sont (par nombre
décroissant de locuteurs) : l’anglais, le portugais, l’espagnol, l’alle-
mand, l’italien, l’arabe et le russe (Guilhem, Gomes, Prod’homme
& Köpke, 2013, pour plus de détails). Parmi les participants, 29 tota-
lisent moins de dix ans d’études et 36 ont été scolarisés pendant
dix ans ou plus. Ils se répartissent de façon équilibrée dans les trois
groupes d’âges, mais le groupe le plus âgé comporte un plus grand
nombre de participants avec un faible niveau d’études (tableau 1).
Tous les participants ont été testés dans leurs deux langues, mais nous
ne présentons ici que les résultats pour le français.

Niveau d’études < 10 ans Niveau d’études ≥ 10 ans


(N=29) (N=36)
Score moyen Score moyen plus-value
(ET) Nombre (ET) Nombre (test de Mann-
% de réussite % de réussite Whitney)
25-44 ans 114 (1.5) 7 113.4 (2.8) 15 0.97 (ns)
(N=22) 99,1 % 98,6 %
45-64 ans 112.6 (2.8) 8 113.8 (1.9) 13 0.11 (ns)
(N=21) 97,91 % 98,9 %
> 65 ans 111.5 (2.2) 14 111.9 (2.4) 8 0.63 (ns)
(N=22) 96,96 % 97,3 %

Tableau 1 : Score global moyen (sur un total de 115) au Screening BAT


français, écart-type et pourcentage de réussite (en gras) en fonction de l’âge
et du niveau d’études.
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La validation d’outils d’évaluation pour des patients bilingues 111

Les résultats montrent des taux de réussite très élevés, s’échelon-


nant de 96,96 % à 99,1 %, en fonction du niveau d’études et de l’âge.
C’est probablement cette proximité de l’effet plafond qui fait que le
niveau d’études, d’après le test de Mann-Whitney, n’engendre pas de
différences significatives. En ce qui concerne l’âge, seul le groupe le
plus âgé se distingue significativement des deux autres (p < 0,005).
Guilhem et al. (2013) établissent par ailleurs que 95 % des participants
de l’échantillon obtiennent un score d’au moins 95 % de réussite et
retiennent ce seuil comme référence. Cependant, les données sont
obtenues avec un groupe de locuteurs relativement restreint, présen-
tant une forte variabilité quant au type de bilinguisme, des langues
parlées, etc. De plus, le niveau dans chacune des langues n’avait pas été
contrôlé dans cette première étude.
C’est pourquoi nous avons commencé par la suite à soumettre le
Screening BAT à des sous-groupes de participants plus homogènes.
Ainsi Köpke, Marsili & Prod’homme-Labrunée (2015) présentent les
résultats aux versions française et allemande du Screening BAT obtenus
avec 20 bilingues allemand-français sains de niveau d’études élevé,
voire très élevé (18-25 ans en moyenne, dispersion 15-22 ans). Les
participants inclus dans cette étude ont un âge moyen de 49 ans
(de 27-69 ans) et l’âge d’acquisition de la L2 s’échelonne de 3 à
36 ans (moyenne 15,75, ET-9,09). Pour 16 des participants, l’alle-
mand est la L1, pour 4 le français est la L1. Le niveau dans chacune des
langues a été évalué, cette fois à l’aide de la grille d’auto-évaluation du
Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL,
Conseil d’Europe, 2001). Seuls les participants qui estiment avoir un

Langue orale Langue écrite Total


(score sur 90) (score sur 25) (score sur 115)
Allemand Français Allemand Français Allemand Français
88,35 88,05 24,85 24,5 113,2 112,55
(1,95) (1,76) (0,36) (0,68) (2,32) (2,45)
98,17 % 97,83 % 99,4 % 98 % 98,43 % 97,87 %

Tableau 2 : Résultats de l’étude de Köpke, Marsili & Prod’homme (2015)


pour 20 bilingues allemand-français avec niveau d’études élevé : score
moyen (et écart type) pour les parties langue orale et langue écrite du
Screening BAT, score total en allemand et en français.
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112 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

niveau C1 ou C2 (« utilisateur expérimenté ») dans au moins 3 des


5 habiletés évaluées (dont les compétences orales) sont inclus dans
l’étude. La plupart des participants se situent aux niveaux C1 et C2
pour les deux langues.
Les résultats (tableau 2) montrent des taux de réussite très élevés de
97,87 % pour le français et de 98,43 % pour l’allemand. Le léger
avantage de l’allemand pourrait être dû au fait que pour la majorité
des participants l’allemand est la L1. Une différence entre la L1 et la L2
de bilingues tardifs a déjà été observée par Gomes & Guilhem (2011).
Dans l’ensemble, ces premiers résultats obtenus avec le Screening
BAT ne sont pas très éloignés des données obtenues avec le BAT auprès
de sujets sains bilingues. Munoz & Marquard (2008), par exemple,
ont analysé les performances de 22 bilingues sains parlant anglais
américain, et espagnol et reportent un taux de réussite global de
95 % au BAT. Les taux de réussite sont influencés par l’expérience
académique des participants en espagnol et montrent l’influence de
l’anglais sur l’espagnol chez ces sujets. Gomez Ruiz (2008) obtient des
résultats similaires auprès de 76 locuteurs sains pour l’espagnol et le
catalan, avec des taux de réussite supérieurs à 94 %. Si dans les études
avec le Screening BAT les scores sont légèrement supérieurs, cela peut
être dû d’une part au niveau d’études exceptionnellement élevé des
participants dans l’étude de Köpke, Marsili & Prodhomme-Labrunée
(2015), et à la durée limitée du Screening BAT d’autre part. En effet,
des erreurs dues à des baisses d’attention sont plus probables dans
des tests comportant un plus grand nombre de stimuli, souvent simi-
laires, comme le BAT dans sa version intégrale, et même dans la
version courte. Ce que toutes ces études montrent, néanmoins,
est que les performances des locuteurs bilingues sains n’atteignent
jamais le critère de 100 % et montrent nettement plus de variabilité
que n’ont dû montrer les locuteurs monolingues avec lesquels les tests
ont été validés au départ. Davantage de données collectées auprès de
locuteurs bilingues sains et de patients sont indispensables pour mieux
comprendre cette variabilité.
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La validation d’outils d’évaluation pour des patients bilingues 113

Validité empirique du Screening BAT

La validité d’un nouveau test peut également être établie par la


comparaison avec un test dont la validité est reconnue. Il s’agit dans
ce cas d’établir la validité de critère concomitant en établissant des
corrélations entre les mesures des deux tests. C’est ce qu’a entrepris
Garcia (2015) en comparant le Screening BAT, en tant que test à
valider, au MT-86 (Nespoulous et al., 1992) dans ses versions longue
(M1 bêta) et courte (M1 alpha) qui ont fait office de tests critères.
L’idée sous-jacente à une telle analyse est que plus les corrélations entre
les deux tests sont fortes, plus on est en droit de conclure que les deux
mesurent la même chose (Ivanova & Halloway, 2013). C’est une
démarche fréquemment utilisée pour la validation de tests d’aphasie
(voir par exemple Flamand-Roze et al., 2011 ; Peristeri et Tspakini,
2011 ; Ozaeta et Kong, 2012). Le choix du MT-86 s’est imposé parce
qu’il s’agit d’un test reconnu et approuvé (Béland & Lecours, 1990 ;
Béland et al., 1993 ; Dordain, Nespoulous, Bourdeau & Lecours,
1983) et très largement utilisé par les orthophonistes dans les pays

Sous-tests Screening BAT MT86 M1 alpha MT86 M1 bêta


Compréhension Mot-objet (N=5) Mot-objet (N =5) Mot-objet (N=9)
orale (matching) Phrase-image (N=10) Phrase-image (N=6) Phrase-image (N=38)
Dénomination 6 objets 16 images 31 images
d’images ou d’objets
Compréhension 4 mots 5 mots 5 mots
écrite 4 phrases 6 phrases 8 phrases
Lecture 5 mots 10 mots 25 mots
4 phrases 3 phrases 5 pseudo-mots
3 phrases
Dictée 2 mots 3 mots 10 mots
1 phrase 1 phrase 3 phrases
Copie 2 mots 1 phrase 3 mots
1 phrase
Répétition 7 mots 10 mots 25 mots
5 pseudo-mots 3 phrases 5 pseudo-mots
3 phrases 3 phrases

Tableau 3 : Comparaison des sous-tests et du nombre d’items pour les trois


tests (Screening BAT, MT 86 versions M1 alpha et M1 bêta)
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 114

114 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

francophones, parce qu’il existe dans une version longue et courte, et


parce que sa structure globale et les différentes sous-épreuves sont assez
comparables au BAT et au Screening BAT (voir tableau 3 pour une vue
d’ensemble de la structure des trois tests).
Les trois tests (Screening BAT en français, MT-86 alpha et MT-86
bêta) ont été soumis à des patients aphasiques francophones mono-
lingues en phase chronique (> 6 mois post-AVC) à la suite d’un AVC

Compréhension orale Expression orale


(r = 0,80) (r = 0,97)

Compréhension écrite Transposition/transcodage


(r = 0,88) (r = 0,98)

Figure 1 : Corrélations de Pearson entre le M1-alpha et le Screening BAT


pour quatre modalités : compréhension orale, expression orale, compréhen-
sion écrite et transposition/transcodage.
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 115

La validation d’outils d’évaluation pour des patients bilingues 115

gauche. Afin d’éviter tout effet d’apprentissage ou de répétition, tout


bilan antérieur avec le MT-86, le cas échéant, devait dater de plus de
trois mois. Ainsi, 30 patients avec aphasie chronique, 17 hommes et
13 femmes, ont été recrutés (voir aussi Garcia, Derieux, Busigny &
Köpke, 2015). Le délai post-AVC s’échelonnait entre huit mois et
vingt-cinq ans avec une moyenne de huit ans et sept mois. Les patients
étaient âgés de 48 à 88 ans avec une moyenne de 66,4 ans (ET 12,89)

Compréhension orale Expression orale


(r = 0,89) (r = 0,96)

Compréhension écrite Transposition/transcodage


(r = 0,67) (r = 0,97)

Figure 2 : Corrélations de Pearson entre le M1 bêta et le Screening BAT


pour quatre modalités : compréhension orale, expression orale, compréhen-
sion écrite et transposition/transcodage.
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116 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

et tous les patients sauf quatre (13 %) avaient fait au moins


neuf années d’études. Parmi ces patients, 22 (73 %) ont été diagnos-
tiqués avec une aphasie non fluente et huit patients (27 %) avec une
aphasie fluente. Tous les patients ont été testés en deux sessions chez
eux. L’ordre de présentation des différents tests a été contrebalancé
avec un design cross-over : les patients ont passé soit d’abord le M1 bêta
(version longue), soit les deux versions courtes (M1 alpha et Screening
BAT en alternance). Les résultats aux différents tests ont été comparés
par paires avec des corrélations de Pearson, en regroupant les sous-tests
en fonction de la modalité mise à l’épreuve.
Les résultats montrent de très fortes corrélations, non seulement
entre les versions longue (M1 bêta) et courte (M1 alpha) du MT-86
(compréhension orale r = 0,80 ; expression orale r = 0,97 ; compré-
hension écrite r = 0,88 ; transposition/transcodage r = 0,98) mais aussi
entre le M1 alpha et le Screening BAT (figure 1) et le M1 bêta et le
Screening BAT (figure 2). Les corrélations sont un peu moins fortes en
ce qui concerne la compréhension écrite, ce qui peut être lié au fait que
cette modalité n’est mise à l’épreuve que par un nombre d’items très
restreint.
Ces résultats confirment ainsi la validité du Screening BAT dans
l’évaluation de l’aphasie – du moins chez l’aphasique monolingue. En
même temps, ils semblent valider aussi l’utilisation de tests courts dans
le bilan de l’aphasie, dans la mesure où les deux tests courts sont
fortement corrélés à la version longue du MT-86. En ce qui concerne
le Screening BAT, il serait cependant souhaitable d’obtenir une telle
validation avec des aphasiques bilingues. Cependant, cela ne peut être
réalisé que langue par langue dans la mesure où aucun test pour
aphasiques bilingues n’a été validé auprès de sujets bilingues jusque-là.

Conclusion
La validation de tests destinés à des populations bilingues souffrant
de pathologies du langage et l’obtention de normes avec des sujets
bilingues, voire multilingues, s’avère très complexe à cause de la multi-
tude de facteurs à contrôler. La validation d’un test en référence à
une population pathologique reste également compliquée parce que
dans la plupart des contextes il n’est pas possible de trouver autant de
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La validation d’outils d’évaluation pour des patients bilingues 117

patients bilingues (du même bilinguisme), et on va donc, comme


dans l’étude de Garcia (2015), se référer à une population mono-
lingue. Les données que nous avons rassemblées ici pour le Screening
BAT fournissent un premier aperçu des performances langagières de
sujets bilingues sains avec de tels outils et apportent quelques éléments
sur les facteurs de variabilité en jeu dans cette population. Même si
la portée de telles données reste forcément limitée, nous voudrions
encourager la publication de données, même limitées, obtenues auprès
de populations bilingues et multilingues, afin de permettre une
meilleure compréhension des spécificités de ces populations et une
meilleure prise en charge des patients.

Remerciements
Je tiens à remercier chaleureusement les nombreuses personnes
qui ont participé à la mise en place du Screening BAT, et tout parti-
culièrement les orthophonistes qui se sont investies dans sa validation :
Louise Derieux, Aurélie Garcia, Sabrina Gomes, Vanessa Guilhem,
Héloïse Marsili et Katia Prod’homme-Labrunée.

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Chapitre 6

Évaluation cognitive des immigrés âgés


bilingues arabe-français

Melissa Barkat-Defradas, Frédérique Gayraud, Farida Benmouffok,


Suzon Le Doledec, Laura Midroit et Souad Oukhabbou

Introduction

Les seniors immigrés d’origine maghrébine vieillissant en France


entrent actuellement dans les tranches d’âge à risque de développer
des troubles neurocognitifs majeurs (TNCM), et la plupart du temps
aucun diagnostic précis ne peut être réalisé en raison de ce que les
praticiens nomment « la barrière linguistique ». Selon Samaoli (2012,
2013), l’inadaptation des moyens de diagnostic disponibles
aujourd’hui tant dans leur contenu et leur élaboration (étalonnage
et validation) que dans les conditions et modalités d’utilisation (langue
d’administration) privent ce public immigré, illettré – voire analpha-
bète – et ne maîtrisant pas toujours la langue française (bilingues
tardifs et déséquilibrés, Grosjean 2015), des bénéfices des repérages
précoces mis en place pour venir en aide aux personnes concernées
et/ou à leur entourage. L’inadéquation des instruments de diagnostic
pour ces populations linguistiquement et culturellement différentes de
celles du pays d’accueil explique, au moins en partie, que la démence
soit souvent diagnostiquée tardivement chez les migrants.
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 124

124 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Selon les dernières estimations de l’INSEE (recensement de 2012),


le nombre d’immigrés âgés de 60 ans et plus, résidant en France
métropolitaine, est d’environ 1 300 000 personnes. Parmi ces seniors
immigrés, 40 % sont originaires d’un des pays de la rive nord de la
Méditerranée, 32 % sont d’origine maghrébine, les autres ayant des
origines diverses. Par ailleurs, les seniors immigrés sont sensiblement
plus jeunes que la moyenne des seniors résidant en France : près de
60 % d’entre eux ont moins de 70 ans (estimation de l’enquête HSM,
INSEE 2009) et, logiquement, la prévalence des TNCM telle que la
maladie d’Alzheimer parmi les seniors immigrés est également plus
faible. En effet, 14 000 seniors immigrés, vivant à domicile, déclarent
être atteints de la maladie d’Alzheimer (ou d’un syndrome apparenté),
ce qui représente 1,4 % de la population (estimations à partir de
l’enquête HSM, INSEE 2009). En outre, dans quelques années, la
population de jeunes seniors immigrés, particulièrement nombreuse,
arrivera aux âges où le risque d’être concerné par ce type de pathologie
s’accroît (voir chapitre 2 de cet ouvrage). La prévalence augmentera
alors en conséquence, d’autant que les facteurs de protection connus
à ce jour, comme le travail intellectuel (Wilson et al., 2004) et/ou
certains facteurs de risque environnementaux (Grant et al., 2002 ;
Feart et al., 2009 ; Orr et al., 2014 ; Yegambaram et al., 2015 ; Pase
et al., 2017) ne joueront guère en sa faveur. On comprend dès lors
l’urgence de penser le soin gérontologique dans une perspective trans-
culturelle.

Immigration maghrébine en France


La population immigrée est aujourd’hui surreprésentée en France
parmi les classes d’âge de 60 ans et plus (Barou, 2010). En France, la
première vague d’immigration a eu lieu au cours de la première moitié
du XX e siècle et a d’abord concerné des pays d’Europe du Sud (Italie,
Espagne, Portugal). Dans la seconde moitié du XX e siècle, les migra-
tions provenant des anciennes colonies concernent plus particulière-
ment des personnes originaires du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie)
et d’Afrique subsaharienne (Sénégal, Mali, Mauritanie). Si, du point
de vue du migrant, les raisons qui poussent à quitter le pays d’origine
sont généralement liées à des situations de conflits et/ou à des impé-
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 125

ratifs pécuniaires, du point de vue du pays d’accueil, la principale


raison motivant l’ouverture des frontières est essentiellement d’ordre
économique (Gaspard et Servan-Schreiber, 1984). En effet, en période
de forte croissance, les pays industrialisés font activement appel à
une main-d’œuvre étrangère bon marché et peu regardante sur les
conditions de travail (Gallou, 2005). Ce fut le cas en France à l’époque
des Trente Glorieuses (1946-1975), période qui a vu l’arrivée massive
de jeunes hommes peu qualifiés et d’origine maghrébine cherchant du
travail en tant qu’ouvriers (Boutaleb, 2000). À cette première immi-
gration de main-d’œuvre, majoritairement masculine, a succédé une
immigration de regroupement familial essentiellement composée de
femmes et d’enfants, laquelle a transformé l’immigration de travail
en immigration de peuplement (Sayad, 1991). Néanmoins, qu’elles
soient issues de la première vague d’immigration ou de celles qui ont
suivi, ces populations partageaient la même intention : amasser suffi-
samment d’argent pour retourner au pays une fois l’âge de la retraite
venu (Beggag, 2002). D’ailleurs, une enquête conduite en 2003 par
l’Association Migrations Santé a montré que 78 % des résidents de
foyers Adoma âgés de 55 ans et plus souhaitaient rentrer dans leur pays
d’origine (Bouchaud, 2010). Cependant, la réalité actuelle dément
cette représentation et la plupart des immigrés d’origine maghrébine
arrivés en France entre 1950 et 1970 s’y sont installés de façon
définitive. Preuve en est que sur les 422 000 bénéficiaires de l’Allo-
cation de Solidarité aux Personnes Âgées (ASPA) relevant du régime
général, près de 40 %, sont nés à l’étranger ; et parmi ces derniers, plus
de 60 % sont originaires de l’un des trois pays du Maghreb (Mayeur,
2013).

Vieillissement et santé des personnes immigrées


Les travailleurs immigrés sont souvent soumis à un vieillissement
physiologique plus précoce du fait de postes de travail très exposés
(Bouchaud, 2004 ; Sifaoui, 2010 ; Samaoli, 2011, 2013). Sur ce point,
Ragi (1997) explique que des pathologies généralement observées chez
les 70/75 ans apparaissent chez les migrants dès l’âge de 55/60 ans. De
même, Samaoli (2011), explique que les rares études épidémiologiques
consacrées à la santé des immigrés observent toutes une détérioration
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126 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

prématurée de l’état de santé de ces personnes. En outre, selon Dunn


et Dyck (2000), les niveaux d’éducation et de salaire, qui sont en
moyenne inferieurs à ceux de la population générale, ont également
des répercussions négatives sur leur santé. On sait, en effet, que les
conditions socio-économiques – revenu et niveau d’études notam-
ment – figurent parmi les principaux déterminants de l’état de santé
(Cavelaars et al., 1998 ; Dunn et Dyck, 2000 ; Turell et al., 1999 ;
Tubiana, 2002). Par ailleurs, toute une population féminine installée
en France dans le cadre du regroupement familial précédemment
évoqué arrive à un âge avancé. Ces femmes qui, pour la plupart,
n’ont que peu ou pas travaillé, sont aujourd’hui dans une très grande
précarité et sont particulièrement concernées par les inégalités de santé
(Attias-Donfut & Tessier, 2005 ; Khlat et al., 1998 ; Ronellenfitsch et
Razum, 2004). À cet égard, et selon une étude de Migration Santé
(2003), les difficultés de langage, la méconnaissance des codes cultu-
rels, le manque d’information et les comportements discriminatoires
qui leur sont réservés sont autant de facteurs susceptibles d’affecter
plus encore l’état de santé de ces populations défavorisées.
Par ailleurs, le vieillissement de la population implique une hausse
des maladies neurodégénératives en général et de la maladie d’Alzheimer
en particulier ; le vieillissement de la population immigrée induit donc
une augmentation du nombre de patients bilingues pour qui le français
constitue la langue du pays d’accueil, c’est-à-dire la langue seconde (L2)
et non la langue maternelle (L1). Or, on sait que les pathologies
neurodégénératives peuvent affecter les compétences langagières, chez
le patient monolingue comme bilingue.

Bilinguisme et déclin langagier


En cas de pathologie cérébrale chez le bilingue, les troubles peuvent
affecter soit la L1, soit la L2, mais le plus souvent de façon parallèle
surtout si les deux langues ont été acquises simultanément et préco-
cement dans l’existence. Cependant en cas de bilinguisme tardif, c’est
plus souvent la L2 qui est affectée (Ardila & Ramos, 2008). Alors que
les migrants sains montrent le plus souvent une facilité de communi-
cation dans la L2, accompagnée parfois d’une attrition de la L1 (Köpke
& Schmid, 2004), le rapport de dominance entre la L1 et la L2 semble
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 127

renversé en cas de pathologie dégénérative. Chez les bilingues souffrant


de la maladie d’Alzheimer, la plupart des travaux rapportent une attri-
tion de la L2 (voir chapitre 1 de cet ouvrage pour une revue détaillée).
En outre, nous savons également que le niveau d’éducation est connu
pour influencer dans une large mesure les résultats aux tests neuropsy-
chologiques, notamment pour ce qui concerne les tâches langagières
(Acevedo et al., 2000 ; Ardila, Ostrosky-Solis, Rosselli & Gómez, 2000 ;
Kempler, Teng, Dick, Taussig & Davis, 1998 ; Ostrosky-Solís,
Ramírez, Lozano, Picasso & Velez, 2004 ; Rosselli, Ardila & Rosas,
1990 ; Rosselli & Ardila, 2003). Au cours du vieillissement, la variable
éducation exerce même plus d’influence que l’âge sur les performances
neuropsychologiques (Ardila, Rosselli, & Rosas, 1989).
La population immigrée à laquelle nous nous intéressons dans
cette étude est caractérisée par l’ensemble des facteurs problématiques
que nous venons de présenter : elle est culturellement et linguistique-
ment différente et peu ou pas scolarisée. En conséquence, il importe
de considérer également ces variables au risque de conclure à un
vieillissement pathologique, alors que de simples différences de niveau
éducatif ou de compétence en langue sont en cause (Souza-Talarico,
Caramelli, Nitrini, & Chaves, 2007).

Outils d’évaluation disponibles


La plupart des outils utilisés pour évaluer les fonctions cognitives des
patients souffrant de la maladie d’Alzheimer ont été conçus pour des
populations occidentales monolingues ayant été scolarisées, et les outils
existants pour tester les compétences cognitives de ces populations
spécifiques sont rares, voire inexistants (voir chapitre 8 du présent
ouvrage). En effet, à notre connaissance, le développement et la stan-
dardisation d’une version du MMSE en arabe en sont au stade préli-
minaire et pour des populations arabophones (i.e. Saoudiens,
Tunisiens) qui vivent dans un contexte différent de la population
immigrée vieillissante en France (Al-Rajeh, Ogunniyi, Awada, Daif &
Zaidan, 1999 ; Wrobel & Farrag, 2008, Bellaj et al., 2008). Des outils
d’évaluation de patients aphasiques bilingues existent, notamment la
BAT (Bilingual Aphasia Test) (Paradis, 1987, Köpke, ce volume), dont il
existe, entre autres, une version bilingue français-arabe (Paradis &
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 128

128 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Zimouni, 1991), laquelle tient compte de la structure particulière de


chaque langue et des contraintes culturelles sous-jacentes à chacune des
deux langues en présence. Toutefois, cette batterie a initialement été
conçue pour tester des patients bilingues aphasiques. Il n’est donc,
d’une part, pas certain que son utilisation soit pertinente dans le
contexte des TNCM, car le pattern de détérioration linguistique associé
à ces pathologies ne recouvre pas forcément celui qui est fréquemment
observé dans la maladie d’Alzheimer (Barkat-Defradas & Gayraud,
2013) et, d’autre part, il n’existe aucune norme validée pour cette
population. Cette étude entend ainsi contribuer à cette problématique.

Hypothèses
Chez les monolingues, les performances langagières décroissent lors
du vieillissement, qu’il soit normal ou pathologique. Les bilingues
doivent faire face à des difficultés supplémentaires, notamment liées
à la gestion des langues, et on note une meilleure préservation de la L1.
Ces aspects sont accentués en cas de démence, et compte tenu des
difficultés d’inhibition, on observera une augmentation du taux de
code-switching au sein de la population pathologique. Le groupe
contrôle devrait donc être plus performant que le groupe pathologique
et les performances en arabe (L1) devraient être supérieures aux per-
formances en français (L2), et ce de façon plus importante chez les
participants déments. Nous testerons cette hypothèse en comparant les
performances de bilingues arabo-francophones considérés comme souf-
frant d’une potentielle maladie d’Alzheimer aux performances d’un
groupe contrôle (bilingues arabo-francophones sains), et ce en français
et en arabe. Par le biais d’une analyse comparative entre participants
sains vs pathologiques et d’une comparaison translinguistique, nous
entendons vérifier la véracité des trois hypothèses suivantes :
– hypothèse 1 : les scores obtenus par le groupe expérimental à
l’ensemble des épreuves sont significativement moindres que ceux
obtenus par le groupe contrôle ;
– hypothèse 2 : les scores obtenus à l’ensemble des épreuves sont
significativement supérieurs en arabe (L1) qu’en français (L2) ;
– hypothèse 3 : l’écart de performances observé entre les deux
langues est majoré au sein de la population pathologique.
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 129

Méthode
 Participants
Ont participé à cette étude, 28 personnes. Le groupe de contrôle
était constitué de 18 participants et le groupe expérimental de
10 patients répondant à l’ensemble des critères d’inclusion retenus
dans cette étude. Ces deux groupes de sujets ont été appariés en âge,
niveau socio-éducatif et temps de résidence en France (voir Tableau 1).

Temps de
Nombre
résidence en
Groupes Sexe Âge d’années
France
d’études
(en années)
% Moyenne (ET) Moyenne (ET) Moyenne (ET)
Groupe contrôle 61 % H
74,17 (4,82) 48,50 (6,56) 1,01 (2,05)
(n=18) 39 % F
Groupe expérimental 60 % H
75,20 (6,11) 48,00 (9,45) 1,10 (2,60)
(n=10) 40 % F
ns ns ns ns
Effet de groupe
p = 0,96 p = 0,65 p = 0,88 p = 0,92

Tableau 1 : Caractéristiques sociologiques des participants

Les sujets du groupe contrôle (n=18) ont été recrutés au sein de


l’EPHAD Hector Berlioz à Bobigny (93), dans des centres et/ou
des cafés sociaux et des foyers d’hébergement ARALIS dans les régions
de Lyon (69) et de Saint-Étienne (42). Concernant le groupe expéri-
mental (n=10), les participants ont été recrutés à l’EHPAD Hector
Berlioz à Bobigny (93), et lors de consultations mémoire à l’Hôpital
gériatrique des Charpennes (69) ainsi qu’à l’Hôpital gériatrique
Dugoujon (69). Après consultation du Comité de protection des
personnes de Lyon, il ressort que notre étude – strictement observa-
tionnelle – ne relève pas de cette instance. Néanmoins, elle a fait l’objet
d’une déclaration à la CNIL (dossier n° Z3g0908953n). Les consen-
tements libres et éclairés de l’ensemble des participants ont été obtenus
par la signature d’un formulaire. Les accords des représentants légaux
ont également été obtenus pour les patients sous tutelle.
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 130

130 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

 Critères d’inclusion et d’exclusion


Afin de pouvoir participer à notre étude, les participants devaient
être bilingues arabo-francophones et âgés de 65 ans et plus (immigrés
de première génération).
Leurs capacités visuelles, auditives et d’expression orale devaient
être suffisantes pour la réalisation des évaluations cliniques et neuro-
psychologiques.
Pour le groupe expérimental, nous avons choisi d’inclure dans
notre étude tous les participants pour lesquels était « suspectée » une
démence de type Alzheimer, sans pour autant bénéficier d’un diag-
nostic formel. En effet, la barrière de la langue est souvent telle que les
médecins et centres ressources se trouvent dans l’incapacité d’identifier
clairement les atteintes mnésiques et langagières caractéristiques de
la maladie d’Alzheimer (voir chapitre 7 de cet ouvrage). Ainsi, le
diagnostic formellement posé par un médecin ne pouvait constituer
un critère d’inclusion.
Les pathologies suivantes étaient exclues de l’étude : TNCM d’étio-
logie différente de celle de la maladie d’Alzheimer (dégénérescence
lobaire fronto temporale (démence fronto temporale), maladie avec
corps de Lewy (démence à corps de Lewy), maladie vasculaire
(démence vasculaire, etc.), troubles sensoriels pouvant compromettre
l’évaluation des fonctions cognitives (surdité ou cécité), pathologies
psychiatriques évolutives et/ou mal contrôlées (les patients présentant
une dépression stabilisée pouvaient être inclus dans l’étude) et
séquelles d’AVC.
De plus, les participants en état de deuil récent et/ou en état
confusionnel aigu ainsi que ceux opposant un refus de participer à
l’étude n’ont pas été inclus.
Enfin, était exclue de l’étude toute personne ayant un niveau socio-
éducatif supérieur à l’échelon 1 d’après le questionnaire de Kalafat
et al. (1998).

 Matériel
Les épreuves constitutives du test administré aux sujets sont, d’une
part, extraites de batteries ou de tests préexistants, et, d’autre part,
créées spécifiquement dans le cadre du projet Alzheimer, Immigration
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 131

et Bilinguisme (ALIBI 2013-15). Dans le premier cas, elles ont pu être


adaptées aux spécificités de notre population sous certains aspects,
notamment en cas d’analphabétisme. Ces différentes tâches sont
détaillées ci-dessous.

 Évaluation du bilinguisme et du niveau socio-éducatif


Afin de pouvoir établir le profil linguistique de notre échantillon de
population, nous avons recueilli des informations grâce à trois ques-
tionnaires. Ils prennent la forme d’entretiens semi-dirigés et sont
administrés dans une des deux langues seulement (arabe ou français),
au choix du participant.

1. Histoire du bilinguisme
Le premier questionnaire, issu du Screening BAT (Gomes &
Guilhem, 2011), comprend 19 questions ouvertes ou fermées s’inté-
ressant à l’histoire linguistique du participant. Il permet d’interroger
l’environnement linguistique de son enfance et de son cadre de vie
actuel.

2. Contexte d’apprentissage et d’utilisation du français


Le second questionnaire est également issu du Screening BAT
(Gomes & Guilhem, 2011). Il comprend 17 questions ouvertes ou
fermées et porte sur le contexte d’apprentissage et d’utilisation du
français. Il permet d’obtenir des informations sur les compétences
orales et écrites en L2 (ici, le français).

3. Évaluation du niveau socio-éducatif


Le troisième questionnaire proposé est celui de Poitrenaud
(Kalafat, Hugonot-Diener, & Poitrenaud, 1998) évaluant le niveau
socio-éducatif du participant. Ces informations nous ont permis
d’apparier les deux populations étudiées en incluant uniquement les
participants ayant un NSE ≤ 1 (le participant n’a pas de diplôme ou au
maximum un CAP), afin de contrôler les éventuels effets dus au niveau
socio-éducatif.
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132 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

 Évaluation de la démence : le MMS


Le Mini Mental State ou MMS de Folstein et al. (1975) est un
instrument clonique, standardisé, d’évaluation des fonctions cognitives
conçu pour un dépistage rapide des déficits cognitifs, notamment en
gériatrie. Il est couramment utilisé en clinique car très rapide à admi-
nistrer (dix minutes) et disponible dans de nombreuses langues (N=76,
dont le français et l’arabe). Le MMS bénéficie également d’une bonne
fiabilité et d’une bonne validité scientifique (Huguenot-Diener, 2010).
Typiquement, il s’agit d’un test composite de 30 questions regroupées
en 7 catégories. Les questions portent sur l’orientation dans le temps
(5 points), l’orientation dans l’espace (5 points), le rappel immédiat de
trois mots (3 points), l’attention (5 points), le rappel différé des trois
mots (3 points), le langage (8 points) et les praxies constructives
(1 point). Pour les besoins de cette étude, certains subtests ont été
adaptés aux spécificités de notre population, à savoir un faible niveau de
scolarisation. Ces adaptations sont inspirées des travaux de Bellaj
(2008) et Mokri (2013) et concernent les items suivants.
L’épreuve d’attention repose sur une tâche complexe de calcul
mental, à savoir compter à partir de 100 en soustrayant 7, et cela
5 fois de suite. Cet exercice s’étant révélé trop difficile pour notre
population de faible niveau d’éducation, une tâche plus concrète
s’appuyant sur un échange de monnaie a été proposée. En effet,
selon Rosselli, Ardila et Rosas (1990), il semblerait que le calcul mental
soit une faculté cognitive liée à des compétences développées lors de la
scolarisation, et les auteurs suggèrent l’utilisation de tâches de calcul
plus concrètes auprès des personnes analphabètes. Ainsi, au lieu de
proposer un décompte de 7 en 7 à partir de 100, nous avons proposé
un décompte de 3 en 3 à partir de 20, et ce dans un contexte plus
concret : les nombres étant présentés comme des sommes d’argent, les
sujets avaient pour consigne de répondre à la question suivante « Vous
avez 20 euros, vous en donnez 3, combien vous reste-t-il d’argent ?
Vous m’en donnez encore 3 combien vous reste-t-il d’argent ? » et ainsi
de suite 5 fois d’affilée. L’épreuve d’exécution d’un texte écrit « Fermez
les yeux » (item 28) a été remplacée par une consigne iconographique :
le dessin d’une personne (voir figure 1) fermant les yeux était présenté
aux sujets avec la consigne orale suivante : « Regardez cette photo et
faites comme la femme dessinée dessus ».
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 133

Figure 1 : Adaptation visuelle de la tâche de compréhension écrite (item 28)

L’épreuve de production écrite (item 29) consistant à écrire une


phrase complète a été remplacée par la consigne orale suivante : « Si
vous deviez vous présenter rapidement à quelqu’un que vous ne
connaissez pas, que lui diriez-vous ? » Un point était accordé si la
phrase produite était syntaxiquement correcte et comportait un
sujet et un verbe.
Enfin, l’épreuve des praxies constructives a été simplifiée par la
reproduction d’une figure géométrique moins complexe que la figure
originale proposée dans le MMS standard (voir figure 2), les penta-
gones étant en effet plus difficiles à reproduire que les carrés (Hébert &
Hugonot-Diener, 2010).

Figure 2 : à gauche, figure originale (MMS consensuel) pour l’évaluation


des praxies constructives, à droite, figure adaptée (ALIBI).
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 134

134 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Outre les tâches issues et/ou inspirées du MMS standard, nous


avons également introduit des tâches spécifiques dont l’objectif était
d’évaluer la compétence/performance en L1 vs L2 des sujets. Celles-ci
sont décrites ci-après.

 Compréhension des structures syntaxiques


Cette épreuve d’appariement phrase-image est issue du Screening
BAT (Guilhem et al., 2013). Elle vise à tester la compréhension orale
de diverses structures syntaxiques de complexité variable grâce à la
désignation d’une image parmi quatre proposées, ou d’un référent
précis au sein d’une même image. Elle est constituée de 15 phrases :
1 affirmative simple (sujet-verbe-objet), 2 pronominales, 2 passives,
2 relatives objet, 1 relative sujet, 2 négatives simples, 2 négatives
passives et 3 phrases nominales. Chacune d’entre elles rapporte un
point par réponse correcte.

 Fluence verbale
Une tâche de fluence verbale catégorielle, lors de laquelle les parti-
cipants doivent produire un maximum de noms de fruits en une
minute, est proposée. Elle permet de tester la mémoire sémantique,
l’accès au lexique ainsi que les fonctions exécutives.

 Dénomination d’images
Cette épreuve est composée de 21 images. La dénomination permet
d’évaluer la mémoire sémantique et l’accès lexical, dont l’atteinte est
caractérisée par un phénomène de manque du mot. Les 21 items sont
extraits de la base d’images de Rossion et Pourtois (2004), version
raccourcie et colorisée des 260 dessins de Snodgrass et Vanderwart
(1980). Les images présentant un faible accord sur le nom en arabe
dialectal ainsi que les cognats ont été écartés. Un dernier critère de
sélection basé sur la fréquence des mots a été appliqué à l’aide de la
base de données lexicales Lexique (New, Brysbaert, & Ferrand, 2004).
Ces données psychométriques n’étant malheureusement pas disponi-
bles pour l’arabe dialectal, nous nous sommes appuyés sur les fré-
quences observées en français.
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 135

 Déroulement
Notre étude étant de nature translinguistique, deux passations
distinctes ont été proposées aux participants par des expérimentatrices
natives : une en français et une en arabe dialectal maghrébin. L’ordre
des langues de passations a été contrebalancé. Un intervalle minimum
d’une semaine était requis, afin de neutraliser tout éventuel effet
d’apprentissage. La durée des passations variait de 20 à 60 minutes
en fonction des participants des groupes contrôle et pathologique.

 Analyses statistiques
Les résultats statistiques ont été obtenus par le biais d’une ANOVA
impliquant le facteur inter-sujet « Groupe » (contrôle vs expérimental)
ainsi que le facteur intra-sujet « Langue » (français vs arabe). Un seuil
de significativité inférieur à .05 a été retenu.

Résultats
 MMSE
La figure 3 présente les scores moyens obtenus par chaque groupe
de participants au MMS en fonction de la langue d’administration.

30

25

20

15

10

0
Groupe contrôle Groupe pathologique

Français Arabe

Figure 3 : Scores moyens au MMSE en fonction de la langue et du groupe


Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 136

136 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

L’ANOVA indique un effet significatif du facteur groupe (F (1,26)


= 41,17 ; p < 0,001). Les participants du groupe contrôle (m = 22,33 ;
σ = 4,23) obtiennent un score significativement supérieur à celui des
participants du groupe Alzheimer (m = 11,90 ; σ = 5,70). Le facteur
langue a également un effet significatif sur les performances des parti-
cipants (F (1,26) = 21,98 ; p < 0,001). Les sujets obtiennent un score
significativement plus élevé lorsque le test est administré en arabe (m =
20,21 ; σ = 5,78), par comparaison au français (m = 17 ; σ = 7,68). Un
effet significatif de l’interaction groupe x langue est également observé
(F (1,26) = 6,73 ; p < 0,05). Les scores sont donc d’autant moins bons
en français que le groupe est Alzheimer. On observe également un effet
significatif de la langue au sein du groupe expérimental, qui s’avère
plus performant en arabe (m = 14,70 ; σ = 4,76) qu’en français (m =
9,10 ; σ = 5,34). Cet effet n’est pas retrouvé au sein du groupe contrôle
(t(32) = 1,36 ; p < 0,5) : les participants du groupe contrôle ne sont
pas plus performants en arabe (m = 23,28 ; σ = 3,66) qu’en français
(m = 21,39 ; σ = 4,64). Un effet significatif de la pathologie est observé
en français (t(16) = 6,11 ; p < 0,001) : lorsque la passation est effectuée
en français, le groupe expérimental (m = 9,10 ; σ = 5,34) est signifi-
cativement moins performant que le groupe contrôle (m = 21,39 ;
σ = 4,64). Un effet significatif de la pathologie est également retrouvé
en arabe (t(15) = 4,94 ; p < 0,0005) : lors de la passation en arabe, le
groupe expérimental (m = 14,70 ; σ = 4,76) est moins performant que
le groupe contrôle (m = 23,28 ; σ = 3,66).

 Compréhension syntaxique
Les résultats moyens obtenus à l’épreuve de compréhension
syntaxique sont présentés dans la figure 4 ci-après.
Le facteur groupe a un effet significatif sur les performances des
participants (F (1,26) = 6,51 ; p < 0,05). Le groupe contrôle
(m = 9,06 ; σ = 2,60) obtient de meilleurs scores en compréhension
que le groupe expérimental (m = 6,55 ; σ = 3,65). L’effet du facteur
langue apparaît également significatif (F (1,26) = 24,71 ; p < 0,001) :
les performances des participants sont plus élevées en arabe (m = 9,35 ;
σ = 3,41) qu’en français (m = 6,96 ; σ = 2,55). En revanche, nous
n’observons pas d’effet d’interaction groupe*langue à l’épreuve de
compréhension syntaxique (F (1,26) = 0,62 ; p < 0,5).
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 137

14

12

10

0
Groupe contrôle Groupe pathologique

Français Arabe

Figure 4 : Scores moyens en compréhension syntaxique en fonction de la


langue et du groupe

 Fluences sémantiques
Les scores moyens obtenus à l’épreuve des fluences sémantiques
sont présentés dans la figure 5.

14

12

10

0
Groupe contrôle Groupe pathologique

Français Arabe

Figure 5 : Scores moyens en fluence sémantique en fonction de la langue et


du groupe
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 138

138 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

L’ANOVA indique un effet significatif du facteur groupe sur les


performances des participants (F (1,26) = 57,22 ; p < 0,001). Le
groupe contrôle (m = 8,72 ; σ = 2,86) produit un nombre de mots
supérieur à celui du groupe expérimental (m = 2,90 ; σ = 2,40). L’effet
du facteur langue n’apparaît pas significatif (F (1,26) = 3,95 ; p < 0,1).
Les performances des participants ne sont pas plus élevées en arabe
(m = 7,32 ; σ = 3,85) qu’en français (m = 5,96 ; σ = 3,88). Il n’existe
pas d’effet d’interaction groupe*langue pour cette épreuve (F (1,26) =
0,49 ; p < 0,5).

 Dénomination
La figure 6 ci-après illustre les scores obtenus en moyenne au sein
de chaque groupe.
Nous retrouvons un effet significatif du facteur groupe sur les
performances des participants (F (1,26) = 31,04 ; p < 0,001). Le
groupe contrôle (m = 17,25 ; σ = 2,33) dénomme plus d’images
que le groupe expérimental (m = 9,63 ; σ = 5,65). L’effet du facteur
langue apparaît également significatif (F (1,26) = 37,90 ; p < 0,001).
Les performances des participants sont plus élevées en arabe
(m = 16,31 ; σ = 4,55) qu’en français (m = 13,50 ; σ = 5,09). Il n’existe

25

20

15

10

0
Groupe contrôle Groupe pathologique

Français Arabe

Figure 6 : Scores moyens en dénomination en fonction de la langue et du


groupe
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 139

Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 139

pas d’effet d’interaction groupe*langue à cette épreuve (F (1,26) =


1,90 ; p < 0,5).

 Types d’erreurs
Une analyse sur le taux de chaque type d’erreur en dénomination a
été réalisée, uniquement sur les données recueillies en français. Les
taux moyens sont présentés dans la figure 7 pour chaque groupe de
participants.

100,00%
90,00%
80,00%
70,00%
60,00%
50,00%
40,00%
30,00%
20,00%
10,00%
0,00%
g
h in
i tc
-sw
de
Co

Groupe contrôle Groupe expérimental

Figure 7 : Taux des différents types d’erreurs en dénomination en L2 en


fonction du groupe

Nous observons un effet significatif de la pathologie sur le nombre


de réponses correctes (t(8)= 4,63 ; p < 0,002) : le groupe expérimental
(m = 39,40 % ; σ = 23,87) fournit significativement moins de réponses
correctes que le groupe contrôle (m = 79,63 % ; σ = 8,92). Un effet
significatif est également trouvé concernant le taux de code-switching,
c’est-à-dire le taux de réponses en arabe lors de la passation en français
(t(7)= 2,48 ; p < 0,05). En effet, le groupe expérimental (m = 15,33 % ;
σ = 16,17) répond davantage en arabe que le groupe contrôle
(m = 1,05 % ; σ = 2,61). Enfin, le taux de réponses « je ne sais pas »
est significativement plus élevé au sein du groupe contrôle
(m = 9,25 % ; σ = 5,53) que du groupe expérimental (m = 4,61 % ;
σ = 4,24) (t(17)= 2,34 ; p < 0,05). En revanche, il n’y pas d’effet
significatif de la pathologie pour les catégories suivantes :
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 140

140 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

– le taux de manque du mot, les différences entre le groupe contrôle


(m = 1,85 % ; σ = 4,36) et le groupe expérimental (m = 22,5 % ;
σ = 26,61) n’apparaissent pas significatives (t(7)= 2,18 ; p < 0,1) ;
– les paraphasies sémantiques ne sont pas statistiquement plus
nombreuses au sein du groupe expérimental (m = 8,63 % ;
σ = 6,96) que du groupe contrôle (m = 5,55 % ; σ = 5,48) (t(11)=
1,11 ; p < 0,5) ;
– pour le taux de paraphasies visuelles, les différences observées
entre le groupe contrôle (m = 2,11 % ; σ = 3,36) et le groupe expé-
rimental (m = 4,76 % ; σ = 8,04) ne sont pas significatives (t(8)= 0,89 ;
p < 0,5) ;
– enfin, on n’observe pas de différence significative dans les para-
phasies verbales sans lien sémantique entre le groupe contrôle (m = 0 % ;
σ = 0) et le groupe expérimental (m = 4,76 % ; σ = 11,66) (t(7)= 1,15 ;
p < 0,5).

Discussion

 Hypothèse 1 : effet de la pathologie


Le MMSE ayant pour but d’évaluer les troubles cognitifs et mné-
siques en vue d’un dépistage des troubles démentiels (Kalafat et al.,
2003), nous nous attendions à observer un important effet de groupe.
En effet, l’écart retrouvé entre les deux échantillons en faveur du
groupe contrôle se révèle très significatif. Ces résultats confirment la
sensibilité du MMS et sa capacité à détecter un syndrome démentiel.
L’effet de la pathologie est également visible à travers l’épreuve de
compréhension des structures syntaxiques : celle-ci s’avère être affectée
par la démence. Ces résultats concordent en partie avec les travaux
antérieurs. En effet, plusieurs auteurs décrivent un amoindrissement
des capacités de compréhension du langage avec l’apparition de la
maladie d’Alzheimer, et ce de façon précoce (Gathercole & Baddeley,
1993 ; Van der Linden & Poncelet, 1998). Cependant, d’autres études
tendent à démontrer que le versant réceptif du langage serait préservé
dans les débuts de la maladie (Lefebvre, 2007). Toutefois, les patients
constituant notre groupe expérimental semblaient être à un stade
relativement avancé de la démence lors duquel la compréhension est
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 141

connue pour être affectée. Les résultats obtenus dans l’épreuve de


fluences sémantiques démontrent qu’il existe également un effet signi-
ficatif de la pathologie. En effet, le groupe contrôle est significative-
ment plus performant que le groupe expérimental. Nos résultats
concordent avec ceux obtenus par Salvatierra et al. (2007). Ces auteurs
ont comparé les performances en fluences sémantiques de patients
bilingues atteints de la maladie d’Alzheimer à celles de sujets âgés
bilingues sains. Leurs résultats concluent également à un effet de
la pathologie, avec des productions significativement moins nom-
breuses au sein du groupe expérimental. Il est aisé de mettre en lien
ces résultats avec les troubles d’accès lexical inhérents à la démence
(Cardebat et al., 1995). L’effet de la pathologie que nous observons
à l’épreuve de dénomination était attendu puisque les troubles
d’accès lexical constituent l’un des symptômes majeurs de la maladie
d’Alzheimer (Cardebat et al., 1995). Il est donc cohérent que les
participants déments n’aient pas été en mesure de dénommer autant
d’items que les participants sains. Concernant le type d’erreurs, les
principaux résultats démontrent un effet de la pathologie sur le taux de
code-switching : les participants atteints de maladie d’Alzheimer pro-
duisent plus de mots en arabe que les participants sains lorsque
l’épreuve est administrée en français. Ces résultats sont en accord
avec les conclusions de De Santi et al. (1990), Filley et al. (2006) et
Hyltenstam & Stroud (1989) selon lesquelles les bilingues atteints de
maladie d’Alzheimer ont de plus en plus de difficultés à sélectionner
la langue adéquate du fait de troubles de l’inhibition. De ces difficultés
de séparation et de sélection des langues résulte l’augmentation du
taux de code-switching, notamment au cours du discours spontané. Il
est alors possible d’imaginer que ce défaut d’inhibition de la L1 soit
également présent au cours des épreuves de dénomination.
En revanche, les résultats concernant le taux des phénomènes de
manque du mot n’étaient pas attendus. En effet, l’un des signes
d’entrée dans la maladie d’Alzheimer est typiquement l’anomie
(Cardebat et al., 1995). Nous nous attendions donc à en relever un
taux significativement supérieur au sein du groupe pathologique.
Cette différence n’étant pas observée, nous pouvons émettre l’hypo-
thèse selon laquelle les troubles d’accès au lexique chez le bilingue
démentiel s’expriment préférentiellement par des phénomènes de
code-switching que par un véritable phénomène de mot sur le bout
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142 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

de la langue. Rappelons que l’une des fonctions du code-switching peut


être la compensation de lacunes lexicales d’une langue par l’utilisation
de l’autre (Skiba, 1997). Et, comme nous l’avons déjà évoqué précé-
demment, les bilingues démentiels ayant une propension plus élevée à
avoir recours au code-switching, le taux observé sur ce type d’erreurs est
significativement supérieur au sein du groupe expérimental. On peut
également penser que chez le bilingue – comme cela a déjà été observé
chez le monolingue – ces difficultés se manifestent dans le discours par
la présence de pauses situées à l’extérieur des frontières syntaxiques
naturelles (Gayraud et al., 2010).

 Hypothèse 2 : effet de la langue


L’ANOVA montre un effet de la langue à l’épreuve du MMS, avec
un score plus élevé en arabe (L1) qu’en français (L2), mais ce de façon
significative uniquement au sein du groupe de patients souffrant de la
maladie d’Alzheimer. La passation du test en langue française serait
donc plus complexe pour les participants déments que pour les sujets
âgés sains. Ce résultat est en accord avec l’étude de cas menée par Brice
et al. (2014). Ces auteurs ont en effet pu observer des scores différents
au MMS selon la langue de passation auprès de patients bilingues
déments, et ce toujours en faveur de la L1. Plus récemment, Ní
Chaoimh et al. (2015), ont obtenu des résultats similaires au cours
d’une étude menée auprès de patients irlandais évalués en langue
anglaise et en irlandais. À l’instar de nos résultats, un écart significatif
en faveur de la langue maternelle (i.e. l’irlandais) a été observé. Les
auteurs de cette étude soulignent alors le manque de sensibilité du
MMS lorsque celui-ci est administré en L2. En effet, les résultats
semblent aller en faveur d’une détection plus fine de la démence
lorsque le patient est testé dans sa langue maternelle. Cela confirme
alors la nécessité d’administrer les instruments d’évaluation cognitive
dans la langue maternelle des patients, afin d’éviter tout risque de
« faux positif » dus à une passation en langue seconde.
En revanche, l’étude de Manchon et al. (2015) ne retrouve pas
cet effet de langue pour la totalité des épreuves administrées. Nous
pouvons tenter d’expliquer cette divergence par la constitution de nos
échantillons. De façon générale, l’échantillon étudié par ces auteurs
diffère du nôtre, qu’il s’agisse du nombre d’années passées en France,
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 143

du nombre d’années de scolarisation et/ou du niveau socio-culturel.


En effet, ces trois paramètres sont nettement plus élevés dans leur
étude, suggérant un meilleur niveau de maîtrise de la L2 chez les
participants. Or il a été démontré que ces facteurs influencent de
manière cruciale les scores (Ardila, 2000 ; Ardila et al., 1989 ; Cabeza,
2002 ; Kalafat et al., 2003).
Concernant la compréhension des structures syntaxiques, un effet
de langue est également présent au sein de cette épreuve : les parti-
cipants sont globalement plus performants en arabe qu’en français.
Néanmoins, contrairement à ce que nous observons, l’effet de langue
ne s’avère pas significatif dans l’étude de Manchon et al. (2015).
Pourtant, ces auteurs ont, comme nous, utilisé l’épreuve de compré-
hension des structures syntaxiques issue du Screening BAT. Pour
l’expliquer, nous envisageons les mêmes hypothèses que décrites
précédemment, à savoir des différences au niveau de la constitution
des échantillons et de la distance typologique entre les langues testées.
Dans la tâche de fluence sémantique, nous n’observons pas d’effet
de langue : les scores en fluences sémantiques ne sont pas plus élevés
en arabe qu’en français. À ce sujet, la littérature semble partagée. En
effet, Salvatierra et al. (2007) ont mis en évidence des performances
significativement plus élevées en L1 qu’en L2 dans une tâche similaire.
Néanmoins, dans de nombreuses études (De Picciotto & Friedland,
2001 ; Roberts & Le Dorze, 1997 ; Rosselli et al., 2000), les perfor-
mances des sujets bilingues en fluences sémantiques n’apparaissaient
pas significativement plus élevées en L1 qu’en L2, menant les auteurs
à constater l’absence d’un effet de langue sur les scores obtenus dans
les tâches de fluence. Dans ces études, les participants étaient caracté-
risés par un bilinguisme relativement équilibré (avec un âge moyen
d’acquisition de la L2 inférieur à douze ans). L’absence d’effet de
langue semble donc, pour ces auteurs, être expliqué par le relatif
équilibre du bilinguisme. En revanche, dans notre étude, un effet de
langue était attendu pour cette épreuve puisque la population que
nous avons étudiée est précisément caractérisée par un bilinguisme
imparfait, en lien avec l’acquisition tardive du français (i.e. langue du
pays d’accueil) qui caractérise notre population d’étude, donc un
lexique probablement plus riche en arabe, langue maternelle. Les
fluences sémantiques étant directement corrélées aux connaissances
lexicales (Salvatierra et al., 2007), nous pouvions nous attendre à ce
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 144

144 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

que le faible niveau des participants en français engendre des diffé-


rences significatives entre les deux langues. Nos résultats ne confir-
ment pas cette hypothèse. Comparé aux normes de fluence
sémantique (catégorie Fruits) de Cardebat et al. (1990) qui indiquent
une moyenne de 15,42 ± 3,85 pour une population masculine fran-
cophone de faible niveau socio-culturel, les scores que nous obtenons
sont très inférieurs y compris en L1 pour les sujets sains que nous
avons testés. En l’absence de normes de fluences disponibles pour
l’arabe dialectal, ces résultats restent néanmoins relativement difficiles
à interpréter dans une perspective interlangue.
En revanche, l’effet de langue observé lors de l’épreuve de déno-
mination est probablement à mettre en lien avec le caractère imparfait
du bilinguisme de notre population d’étude. En effet, les participants
ne maîtrisant que partiellement le français, il est plausible que leurs
connaissances lexicales en L2 n’égalent pas celles de la L1. Ces obser-
vations diffèrent de celles de Manchon et al. (2015) qui n’ont pas
observé d’effet de langue lors de la passation de la Dénomination Orale
de 80 images (DO 80). De nouveau, nous pouvons faire l’hypothèse
que cette divergence est à imputer à un bilinguisme équilibré vs
déséquilibré.

 Hypothèse 3 : effet d’interaction


Les effets d’interaction observés au niveau des résultats au MMS
montrent que les participants atteints de maladie d’Alzheimer sont
d’autant moins performants que l’épreuve est en français. Ces résultats
posent alors la question du dépistage de la maladie d’Alzheimer chez
les patients bilingues arabo-francophones, question largement traitée
par Mokri (2013). En effet, notre étude confirme que les résultats sont
globalement moindres lorsque la passation a lieu en français, par
rapport à une passation en arabe. En revanche, aucun effet d’inter-
action n’a été retrouvé au sein de l’épreuve de compréhension des
structures syntaxiques. Nous ne nous attendions pas à un tel résultat
puisque McMurtray et al. (2009) défendent l’idée selon laquelle il
existe une atteinte préférentielle de la L2 chez les bilingues démentiels.
Cette hypothèse laissait présager un effet d’interaction significatif
entre la langue et la pathologie. Néanmoins, l’étude de Manchon
et al. (2015), comparable à la nôtre et qui a également utilisé l’épreuve
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 145

de compréhension syntaxique du Screening BAT, a conduit à des


résultats similaires. Une explication possible réside dans la conception
de la version arabe du Screening BAT. En effet, certaines des construc-
tions investiguées s’avèrent être extrêmement rares dans cette langue,
voire à la limite du jugement d’acceptabilité. Une seconde hypothèse
serait celle d’une régression identique dans les deux langues. Cette
hypothèse est soutenue par Salvatierra et al. (2007).
De même, aucun effet d’interaction n’est mis en évidence au sein
de l’épreuve de fluence. Ainsi, les participants atteints de maladie
d’Alzheimer ne semblent pas significativement moins performants
lorsque l’épreuve leur est proposée en L2. Ces résultats vont à l’en-
contre de notre hypothèse puisque nous pensions a priori – à l’instar de
McMurtray et al. (2009) – mettre en évidence une atteinte préféren-
tielle de la L2 au sein du groupe pathologique. Pourtant, Salvatierra
et al. (2007) n’ont pas non plus mis en évidence un éventuel effet
d’interaction. Ainsi, les patients atteints de la maladie d’Alzheimer
n’ont pas plus de difficultés à retrouver des mots en L2 qu’en L1. De
façon similaire, en dénomination, les patients bilingues atteints de la
maladie d’Alzheimer ne sont pas significativement moins performants
lorsqu’ils sont soumis à des épreuves de dénomination en français.
Comme nous l’évoquions plus haut, ces conclusions ont amené les
auteurs à penser que, contrairement à ce qu’avancent McMurtray et al.
(2009), les patterns de déclin linguistique sont identiques dans les
deux langues, c’est-à-dire que la L1 et la L2 se dégraderaient dans les
mêmes proportions au cours de la démence.

Conclusion
À la lumière de nos résultats, il est possible de différencier des tâches
plus ou moins adéquates pour identifier les troubles démentiels chez le
patient bilingue âgé et de faible niveau de scolarité.
Tout d’abord, le bilan du bilingue devra être constitué d’épreuves
où l’on observe un effet de groupe. En effet, il est nécessaire de pouvoir
observer l’expression de la pathologie à travers les épreuves proposées
au patient. Au sein de notre protocole, la grande majorité des épreuves
sont sensibles à la pathologie : MMSE, compréhension des structures
syntaxiques, fluences et dénomination. En outre, un effet de langue est
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 146

146 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

également observé au sein de ces épreuves (excepté pour l’épreuve de


fluences sémantiques). Ainsi, il est primordial de garder en tête que les
scores obtenus peuvent être le reflet de la pathologie, mais également le
reflet d’un faible niveau en langue seconde. Il importe par conséquent
de ne pas se baser sur les normes établies auprès des sujets monolingues
natifs.
En effet, le MMS étalonné sur une population dont la langue
maternelle est le français (Kalafat et al., 2003) semble être peu appro-
prié dans le contexte de l’évaluation d’une population âgée bilingue
peu scolarisée comme en témoignent les écarts de scores que nous
avons obtenus en L1 vs L2. D’ailleurs, selon les normes du MMS-
français établies par l’équipe du GRECO (Groupe de Réflexion sur les
Évaluations COgnitives). Il importe de pondérer les scores en fonction
du niveau socio-culturel des sujets. Typiquement, pour les personnes
de NSE 1, le seuil pathologique se situe à 22/30 (centile 5). Or, la
moyenne des scores obtenus par notre groupe contrôle à la passation
du test en français est de 21,39/30 (σ = 4,64), soit sensiblement
inférieure au seuil pathologique de 22, alors que nos participants ne
présentaient aucune pathologie démentielle.
Outre le niveau de maîtrise de la langue du pays d’accueil, il faut
souligner que notre population d’étude était analphabète, ce qui nous
a conduites à proposer une version modifiée – dans le sens de la
simplification – du MMS prenant en compte ces facteurs socio-
éducatifs. Ces adaptations, censées neutraliser les effets de l’analpha-
bétisme, ont eu pour principale conséquence de majorer les scores
obtenus par rapport à une passation du test dans sa version consen-
suelle. Une interprétation du score obtenu au MMS qui ne prendrait
pas en considération l’effet de la langue et de l’analphabétisme mène-
rait donc à de nombreux diagnostics erronés (i.e. faux positifs). Nous
comprenons donc ici les difficultés rencontrées par les cliniciens pour
diagnostiquer les patients non francophones en l’absence d’outils
spécifiques (voir Krolak-Salmon et al., ce volume). Dans le contexte
multiculturel des sociétés occidentales actuelles, la question du déve-
loppement d’outils permettant l’évaluation cognitive des populations
multilingues s’avère cruciale comme le souligne Belin (ce volume).
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Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues arabe-français 147

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Chapitre 7

Le défi d’un diagnostic de qualité


des troubles neurocognitifs dans
les populations issues de l’immigration

Pierre Krolak-Salmon, Elodie Pongan, Claire Gentil et Zaza Makaroff

Le diagnostic d’un trouble cognitif ou d’une démence est néces-


saire. Il permet de comprendre les changements cognitifs, fonctionnels
et comportementaux du malade, d’apaiser parfois les tensions avec les
proches, de repérer les causes requérant un traitement spécifique,
d’anticiper l’avenir et de mettre en place des mesures de prévention
des complications et des crises. La France, et plus globalement
l’Europe, s’avance vers une proposition de parcours diagnostique
d’un trouble neurocognitif (DSM 5), individualisé et centré sur la
personne. Cette stratégie diagnostique doit considérer le profil du
patient, son stade évolutif, sa volonté et celle de ses proches, ainsi
que les bénéfices potentiels attendus. Les moyens diagnostiques
doivent être ainsi gradués selon la complexité et les attentes. La
première étape est celle du diagnostic positif d’un trouble cognitif,
en écartant les plaintes d’origine anxieuse ou dépressive, puis vient
celle du diagnostic étiologique. L’étendue des moyens diagnostiques
doit comporter un examen clinique et cognitif minimum, une évalua-
tion de l’autonomie, les examens de biologie et d’imagerie recom-
mandés par la Haute Autorité de Santé. Pour certains cas légers,
complexes et/ou souhaitant une information précise en vue d’un
accès à des directives anticipées et à la recherche, des examens plus
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154 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

sophistiqués comme une psychométrie, un dosage de biomarqueurs


dans le liquide céphalo-rachidien ou une imagerie cérébrale métabo-
lique sont proposés (Krolak-Salmon et al., 2018).
Cette complexité diagnostique est renforcée chez la personne issue
de l’immigration, du fait des différences culturelles, de difficultés
pour évaluer la cognition, du langage, d’une tolérance à la dépendance
et résilience familiale parfois accrue, d’un niveau d’information sur les
moyens de repérage d’une maladie débutante également différent, et
bien sûr du fait de la barrière de langue parfois observée avec le
médecin traitant. Le diagnostic est donc souvent porté plus tardive-
ment, une fois que l’autonomie est altérée, et souvent lorsque les
troubles du comportement surviennent. Il faut parfois attendre une
crise comportementale pour initier une démarche diagnostique bien
fragile au service des urgences.
Or il est possible de repérer la maladie chez ces patients dès les
stades légers. Si l’on prend le temps d’examiner un changement dans
les performances mnésiques ou cognitives, une rupture dans les capa-
cités de mémorisation rapportée par la famille, une modification du
langage, d’abord par la langue apprise secondairement, le français, les
capacités d’orientation, le médecin est en mesure de détecter une
plainte suspecte de maladie neurodégénérative. L’examen cognitif,
fonctionnel et comportemental doit être réalisé avec l’aide de l’entou-
rage qui maîtrise le français. Par la communication non verbale, le
médecin peut rassurer le patient, et par exemple repérer un trouble
dysthymique bien fréquent dans cette population.
Il est souvent très utile, voire indispensable, de pratiquer un
examen neuropsychologique plus approfondi, la traduction et la vali-
dation de tests étant attendues. L’examen orthophonique avec un ou
une spécialiste des pathologies neurocognitives maîtrisant l’impact de
la barrière de la langue est également très précieux. La prise en soins
doit tenir compte par la suite de la teinte culturelle du patient et de
ses proches, et tenter d’adapter un parcours de soins centré sur la
personne.
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Le défi d’un diagnostic de qualité des troubles neurocognitifs 155

Exemple d’une population de sept patients consécutifs


vus en Centre Mémoire

Ces patients d’origine maghrébine, nés à l’étranger et première


génération d’immigrés, sont pour la majorité des hommes (n=6/7),
âgés de 60 à 78 ans. Ils sont, pour la plupart, mariés, entourés d’une
famille avec des enfants nés sur le territoire français. Ils connaissent
tous le français, mais leur langue maternelle est l’arabe ; 6 patients sur 7
étaient non scolarisés, même dans leur pays d’origine, un patient
seulement avait un niveau CEP, mais en Algérie, donc aucun d’entre
eux n’écrivait ni ne lisait le français.
Leur altération cognitive était déjà relativement avancée au
moment de la première consultation, puisque leur score de MMSE
(Folstein & Folestein, 1975) était difficilement évalué entre 10 et
20 sur 30, avec de nombreux items non renseignés.
Leurs comorbidités étaient centrées sur les facteurs de risque
cardio-vasculaires et les pathologies cardio- et cérébro-vasculaires.
Ainsi 3 patients sur 7 présentaient une hypertension artérielle, un
patient avait été victime d’un Accident Vasculaire Cérébral avec
séquelles motrices, et un patient développait une néphropathie vascu-
laire sur hypertension artérielle au stade de la prédialyse. Et 5 patients
sur 7 présentaient une pathologie cérébrale mixte, associant à la fois
une leuco-encéphalopathie vasculaire et une neurodégénérescence
avec atrophie cortico-sous-corticale globale. La mesure de l’échelle
« Instrumental Activities of Daily Living » de Lawton, évaluant le niveau
de dépendance, montrait qu’aucun besoin d’aide pour réaliser les
8 activités instrumentales de la vie quotidienne n’était observé chez
les 7 patients. Ils étaient également jugés comme autonomes par leur
entourage.
Cet échantillon illustre le fait que la population maghrébine
immigrée :
– est difficilement évaluable par les échelles cognitives classiques
comme le MMSE,
– présente souvent de lourds facteurs de risques cardiovasculaires,
– présente volontiers des comorbidités cardio- ou cérébro-
vasculaires,
– que l’entourage est très présent et peut pallier ou sous-évaluer une
dépendance fonctionnelle.
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156 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

L’évaluation neuropsychologique

Elle fait partie intégrante du diagnostic en consultation mémoire.


Elle permet d’objectiver les conséquences cognitives et comportemen-
tales de potentielles lésions cérébrales. Elle est réalisée à partir d’une
méthodologie stricte et rigoureuse et conduite en tenant compte de
connaissances acquises au préalable sur les tests, leur construction
théorique et statistique ainsi que sur leur mode d’administration.
L’approche est complexe car le neuropsychologue va toujours se ques-
tionner sur le contexte même de l’évaluation proposée. Il interprète
son bilan en fonction de différentes hypothèses qu’il a pu émettre, et
notamment sur le passé scolaire et professionnel du patient. Cette
complexité est renforcée lorsque l’examen cognitif est proposé à des
patients issus de l’immigration. Les épreuves psychométriques ont
souvent été créées par des Occidentaux et pour des Occidentaux.
En effet, les tests ont majoritairement été conçus dans un contexte
théorique issu de travaux européens ou nord-américains (Henrich et
al. 2010). La méthode même de passation d’épreuves est également
très empreinte culturellement. Au Maghreb par exemple, la culture du
test est récente et les premières évaluations psychométriques ont une
vingtaine d’années (Bellaj et Le Gall, 2016). Enfin, les normes utilisées
dans notre pays ont été obtenues à partir de groupes d’individus de
langue et de culture française et ayant reçu un minimum d’éducation
scolaire. Une évaluation qui ne tiendrait pas compte de ces aspects
peut amener le clinicien à des conclusions erronées, et évoquer par
exemple des troubles cognitifs chez une personne qui n’en présente
pas.
Lorsqu’un patient issu de l’immigration est rencontré, il est néces-
saire au préalable de s’interroger sur son niveau de langue française
parlée mais aussi lue et écrite. Il est aussi important d’estimer les
années de scolarisation, l’équivalence des diplômes obtenus et de
connaître la langue dans laquelle l’enseignement a été dispensé. Des
études montrent en effet que les capacités de lecture et d’écriture ou
de littératie, indépendamment du niveau d’éducation, ont une
influence sur les performances cognitives du fait des modifications
dans l’organisation cérébrale qu’elles engendrent (Mokri et al., 2012 ;
Dehaene et al., 2010). Le niveau de lecture pourrait même atténuer les
différences dans les performances entre deux groupes issus de cultures
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Le défi d’un diagnostic de qualité des troubles neurocognitifs 157

différentes (Manly et al., 2002). Dans une cohorte multiculturelle,


le niveau d’alphabétisation était montré comme étant un meilleur
prédicteur de troubles cognitifs que le niveau d’éducation. La popu-
lation immigrée, y compris lorsqu’elle partage initialement une même
langue et une même culture, est hétérogène et ces différents aspects
doivent être recueillis.
Si la langue française est insuffisamment maîtrisée pour la réalisa-
tion du bilan, se pose la question de l’intervention d’un traducteur.
En pratique, il est fréquent qu’une personne de l’entourage familial
remplisse ce rôle. Les échanges avec les proches sont essentiels, car ils
vont apporter des informations précieuses sur l’apparition des diffi-
cultés ou sur les changements et aider à apprécier plus finement le
fonctionnement cognitif observé dans la vie quotidienne. Il est montré
que les patients avec des petits niveaux socio-culturels peuvent échouer
aux tests mais démontrer de bonnes capacités en situations écologi-
ques. Toutefois, lorsque ces proches occupent la position de traduc-
teur, le clinicien est confronté à différents problèmes. L’évaluation en
présence d’un tiers pose en effet des problèmes éthiques et déontolo-
giques, notamment sur la neutralité et la confidentialité. La réalisation
des épreuves devant une personne connue de son entourage peut
majorer l’anxiété du patient. Le proche peut également apporter
trop d’aide dans la manière dont il énoncera les consignes, sans
même parfois en avoir conscience. L’intervention d’un traducteur
extérieur permet de résoudre certains de ces problèmes mais pas
l’intégralité. En effet, le psychologue n’a aucun contrôle sur ce qui
est dit précisément au patient et ce qui est rapporté par le traducteur.
Idéalement, il serait pertinent de faire appel à une personne qui ne
connaît pas le patient et qui possède des connaissances suffisantes en
neuropsychologie pour limiter ces biais. Malheureusement, cela est
rarement faisable en pratique clinique. Il est donc important, en amont
de l’examen, de bien préciser le cadre de l’évaluation afin que le
traducteur en saisisse les enjeux.
À notre connaissance, il n’existe, pour le moment, pas de consensus
sur les épreuves à utiliser lors des évaluations neuropsychologiques
transculturelles. Tout l’enjeu va résider dans l’adaptation du bilan
en fonction de l’hétérogénéité de cette population. Comme dans
toute évaluation neuropsychologique, l’étape de l’entretien anamnes-
tique est indispensable. Elle permet, à partir du recueil d’informations
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158 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

et de l’observation du patient, de générer des hypothèses et d’adapter


l’évaluation psychométrique. Chez le patient immigré, une attention
toute particulière doit être apportée à cette étape. Les informations
obtenues lors de cet entretien seront parfois plus riches et fiables que
les résultats aux épreuves. Avant de débuter les épreuves, il est impor-
tant de s’assurer que le patient a bien compris le contexte et le but de
l’évaluation, dont il est souvent peu familier. Le choix des tests sera
ensuite guidé et limité par l’ensemble des contraintes et questionne-
ments déjà évoqués.
Des tests classiquement utilisés en consultation mémoire sont
parfois proposés lorsque les patients ont une bonne maîtrise de la
langue française ou qu’un traducteur est présent. Toutefois, dans
les épreuves utilisant la modalité verbale, certains éléments, comme
la fréquence des mots employés, peuvent gêner l’interprétation des
résultats. De plus, la simple traduction d’une épreuve n’est pas une
adaptation suffisante : l’apprentissage de l’alphabet, par exemple, est
moins automatisé en langue arabe. S’il semble évident que les tests
avec composante langagière introduisent un biais culturel, c’est égale-
ment le cas d’autres épreuves que l’on pourrait croire davantage
indépendantes de la culture. Les praxies visuo-constructives ou l’ap-
pariement de figures identiques sont des épreuves qui sont très corré-
lées au contexte socio-culturel (Ostrosky-Sollis et al., 1998). Un effet
plancher avait été observé en ce sens pour l’item évaluant les praxies
visuo-constructives dans la version en langue arabe du MMS (Bellaj
et al., 2008). Le traitement visuo-spatial diffère également d’une
culture à l’autre et les stratégies dépendent de l’exposition à l’appren-
tissage de la lecture (Brucki et Nitrini, 2008). Or, en langue arabe, la
lecture se fait de droite à gauche ce qui induit une exploration spatiale
différente de notre société occidentale. Dans un tel cadre, les normes
des tests ne seront pas adaptées puisque celles-ci n’ont pas été créées
dans le but d’évaluer ce type de population et dans ces conditions
particulières d’administration. La difficulté liée aux normes de réfé-
rence va également être rencontrée lors de l’utilisation d’épreuves
conçues pour être transculturelles mais issues de travaux étrangers
comme c’est le cas du TMT-Color (D’Elia et al., 1996). Le test est
intéressant car il offre la possibilité d’évaluer les mêmes fonctions que
le Trail Making Test (Reitan, 1979) sans l’utilisation du langage.
Toutefois, celui-ci n’a pas été validé auprès d’une population immigrée
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Le défi d’un diagnostic de qualité des troubles neurocognitifs 159

française. Le manque d’outils en neuropsychologie transculturelle est


indéniable.
En France, le groupe de réflexion sur les évaluations cognitives
(GRECO) possède une commission illettrisme (GREC-ILL) qui a
pour but la construction et la normalisation d’épreuves permettant
d’évaluer la cognition de sujets illettrés, de bas niveau éducatif et/ou
d’origine culturelle non francophone. Le GREC-ILL a permis la
validation de deux tests de repérage de troubles de la mémoire : le
TMA-93 et le TNI-93 (Dessi et al., 2009, Maillet et al., 2016 et
chapitre 8 de cet ouvrage). De futurs travaux vont porter sur l’élabo-
ration de tests exécutifs, praxiques ou de langage et un test d’efficience
cognitive globale est en cours de mise au point et de normalisation. Par
ailleurs, une équipe belge francophone a déployé un test de mémoire à
long terme incidente, spécifiquement destiné à une population non
francophone, essentiellement originaire du Maroc et peu scolarisée :
the Brumory test (Vanderaspoilden et al., 2015).
Quels que soient les outils utilisés, il est souvent plus aisé dans
ce contexte d’écarter l’hypothèse de troubles cognitifs que de
confirmer leur présence. La réalisation d’une évaluation comparative,
à distance, est souhaitable, car elle permet d’estimer l’évolutivité des
capacités cognitives chez un même patient, prenant ainsi en compte
sa singularité.

L’orthophonie en Centre Mémoire


Au sein d’une consultation mémoire, l’évaluation orthophonique
complète fréquemment le bilan neuropsychologique. Il se veut comme
« une démarche d’évaluation qui permet de décrire non seulement les
troubles du langage et de la communication verbale mais aussi les
difficultés dans d’autres capacités cognitives comme les fonctions
exécutives (la mémoire de travail qui joue un rôle prépondérant
dans le domaine de la compréhension, les capacités d’initiation,
d’inhibition, de planification, de flexibilité mentale) nécessaires à la
bonne maîtrise du langage ».
Cette démarche d’évaluation se veut la plus écologique qui soit, la
modalité verbale étant la plus utilisée au quotidien dans la rétention
des informations et dans la communication (bilan de langage au sein
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160 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

d’une consultation mémoire, A. Delemasure, C. Gentil, E. Cham-


peaux, 2013, document interne).
Le bilinguisme lors du bilan orthophonique est souvent source
importante de questionnement : en effet, le niveau de langue est le
plus souvent corrélé au niveau socio-culturel du patient, dépendant
lui-même de ses origines familiales, de son éducation, de son instruc-
tion, de sa vie professionnelle et personnelle. L’âge d’apprentissage
de la seconde langue est important, de même que son utilisation
au quotidien. Le bilinguisme peut ainsi être « précoce », c’est-à-dire
maîtrisé avant l’âge de 6 ans dans une pratique fréquente, ou « tardif »,
c’est-à-dire appris à l’adolescence ou à l’âge adulte (Abdelilah-Bauer,
2008).
D’après Hagège (1996, p. 243), le bilinguisme demande « une
égale dextérité à bondir d’un code à l’autre », ce qui n’est évidemment
pas le cas chez tous les bilingues. Est considérée comme bilingue une
personne capable de communiquer, d’échanger des informations
même sommaires dans plus d’une langue (Asselah Rahal, 2004). Le
bilinguisme comprend plusieurs aspects : psychologique, sociolinguis-
tique, sociopsychologique, anthropologique, politique, pédagogique,
pédolinguistique, psycholinguistique, linguistique et enfin neuro-
linguistique (Paradis, 2004).
Mais dans le quotidien, les personnes bilingues ont à surmonter
deux obstacles primordiaux : la difficulté à trouver ses mots et la diffi-
culté à les prononcer de manière intelligible. Viendront ensuite les
difficultés de conjugaison, d’ordre des mots dans la phrase, les
accords… (Alario, 2012).
Lors d’une tâche de production orale de mot, une des difficultés
résiderait dans le fait de sélectionner le bon mot dans la langue parlée et
en même temps d’inhiber le même mot dans la langue non parlée, ce
qui rendrait cette tâche plus compliquée pour les personnes bilingues
que pour les non-bilingues (Runnqvist et al., 2012).
Une fois le mot retrouvé, il convient alors de le prononcer avec
l’accent approprié. L’intensité de l’accent est en relation avec l’âge
d’apprentissage de la langue. L’effort à fournir pour prononcer correc-
tement les sons de la langue seconde requiert une attention soutenue
qui pénalise encore la personne bilingue. En français, tous les pho-
nèmes /k/ sont reconnus comme un même son, alors qu’en arabe ils
seront différenciés selon qu’ils précèdent un /i/ ou un /ou/.
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Le défi d’un diagnostic de qualité des troubles neurocognitifs 161

Plusieurs études ont analysé les zones cérébrales impliquées dans la


compréhension et la production d’une ou plusieurs langues. L’étude
de Roux et al. (2014) montre que les langues parlées par les sujets
activent majoritairement les aires de Broca et Wernicke sur de toutes
petites zones corticales (<1cm2). Cependant, certaines zones impli-
quées dans des tâches de dénomination ou de lecture pouvaient être
spécifiques : 1 – à une langue donnée pour une tâche du langage ;
2 – à une tâche donnée pour deux langues ; 3 – à une langue pour
deux tâches.
D’autres études ont cherché à savoir quelle était la langue qui était
récupérée le plus rapidement lors d’atteintes cérébrales. La récupéra-
tion dépendrait de la période d’apprentissage de la seconde langue
(Paradis, 2000), donc de son ancrage dans le système sémantique et du
rôle de la mémoire procédurale et de la mémoire épisodique : la langue
maternelle serait stockée dans la mémoire procédurale, contrôlée de
manière automatique et inconsciente par les structures sous-corticales,
alors que la seconde langue serait, elle, contrôlée par la mémoire
déclarative, ou explicite, dirigée par les structures corticales (Moretti
et al., 2001).
Il est donc important de pouvoir juger les capacités langagières dans
les deux langues utilisées par le patient. L’entourage et/ou la présence
d’un interprète sont indispensables pour évaluer le niveau de langue
actuel du patient. Des éléments de connaissance de la langue mater-
nelle du patient permettent de comprendre la nature des « erreurs »
commises. Par exemple, dans certaines langues comme le thaï ou le
chinois, il n’existe pas de déterminant ou article défini, ce qui peut
expliquer des erreurs de genre (p. ex. « le table », « je conduis voiture »).
Le bilan de langage au sein d’une évaluation de troubles neuro-
cognitifs a pour objectif de mettre en évidence des difficultés linguis-
tiques et/ou communicationnelles en vue d’un diagnostic différentiel
et d’une prise en charge de ces troubles le plus rapidement possible.
Ces difficultés peuvent être en lien avec une altération des fonctions
exécutives et/ou mnésiques, ou à une atteinte linguistique pure.
Ce bilan va donc être déterminé par deux types d’observations :
 l’efficacité de la communication orale et écrite du patient, au
cours du bilan et à travers les témoignages de ses proches ;
 l’évolution du langage du patient au cours du temps.
Un deuxième bilan sera donc nécessaire à distance du premier.
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162 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Il n’existe pas de consensus sur les tests à utiliser lors de ce bilan.


Néanmoins, les compétences langagières seront observées lors de
plusieurs tâches :
 le discours spontané, qui permet de voir le niveau de compré-
hension, le manque du mot, la cohérence du discours, la fluence,
le respect des tours de parole, la qualité de l’articulation, de la voix,
la prosodie… dans un échange plus écologique ;
 la compréhension orale et écrite, sémantique et syntaxique
plus ou moins complexe (mots isolés, phrases, textes, situations
implicites…) ;
 l’expression orale et écrite, contrainte et spontanée ;
 les transpositions orale et écrite qui permettent d’observer les
compétences visuelles, auditives et mnésiques (mémoire à court terme) ;
 le traitement sémantique du mot, à l’oral et/ou à l’écrit ;
 les éléments indispensables à l’utilisation du langage : la mémoire
de récit, la mémoire de travail, les fonctions exécutives nécessaires
aux habiletés langagières, et plus encore dans le cas du bilinguisme
où la flexibilité cognitive, l’inhibition et la mémoire de travail sont
particulièrement sollicitées (Stirn, 2015).
Ce bilan est complété par la prise de renseignements auprès de la
famille sur la qualité et l’informativité du discours des patients.
Un biais non négligeable est que la grande majorité de ces tests est
étalonnée pour une population francophone, ou même française. Le
lexique, la syntaxe peuvent varier d’une langue francophone à une
autre. Par exemple, le terme « clenche » désigne une poignée de porte
en français de Belgique. Dans le test de désignation « Lexis », l’item est
compté comme faux s’il n’est pas dénommé « clenche », ce qui pénalise
les Francophones non belges.
Certains objets sont également très spécifiques à un pays ou à une
culture et ne seront pas dénommés de la manière voulue dans un autre
pays. Au Togo, dont la langue officielle est le français, il y a deux
langues nationales : l’éwé et le kabiyé, et plusieurs dizaines de langues
parlées régionales. Des travaux sont en cours pour adapter certains
tests au français du Togo et aux langues nationales, afin de pouvoir
mener des évaluations précises et pertinentes auprès des patients.
Il existe cependant un test adapté aux situations de bilan de lan-
gage : « Le test d’aphasie chez les bilingues (Bilingual Aphasia Test ou
BAT, Paradis & Libben, 1987) a été développé afin d’évaluer de façon
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Le défi d’un diagnostic de qualité des troubles neurocognitifs 163

équivalente chacune des langues d’une personne – bilingue ou multi-


lingue – avec aphasie. » Il en existe également une version abrégée
depuis 2012 (voir Köpke, chapitre 5, ce volume). Les différentes
versions du BAT ne sont pas de simples traductions l’une de l’autre
mais des tests équivalents des points de vue linguistique et un inter-
prète est nécessaire pour donner les consignes et s’assurer de la qualité
des réponses. Il serait intéressant d’adapter ces travaux aux pathologies
neurodégénératives pour pouvoir apporter une aide la plus adaptée
possible aux patients venus d’ailleurs et en souffrance.
En conclusion, la production du langage est une activité très
complexe, qui demande la mise en œuvre de processus mentaux,
décrits par Levelt en 1989, puis par Rondal en 2000. Ces processus
s’organisent en étapes successives et simultanées : le niveau phono-
logique (phonèmes), le niveau morpho-lexicologique (lexique), le
niveau morphosyntaxique (organisation sémantique de la phrase),
le niveau pragmatique (interactions sociales, objectifs de communi-
cation) et le niveau discursif (organisation du discours). Le langage
est l’une des fonctions cognitives les mieux préservées au cours
du vieillissement normal. Néanmoins il évolue, avec, en particulier,
l’augmentation de dysfluences (Clark-Cotton M. R., Wiliams R. K.,
Goral M. & Obler L. K. (2007), l’altération de la performance
lexicale (Connor et al., 2004), en raison de difficultés d’accès au
lexique plutôt que d’altération de la sphère sémantique (Clark-
Cotton et al., 2007).
Les personnes âgées semblent être davantage confrontées au phéno-
mène du « mot sur le bout de la langue » (MBL) que les sujets jeunes.
Cette altération concernerait d’abord les noms propres, puis les noms
communs, les adjectifs puis les verbes (Mathey et al., 2008). En
revanche, l’aspect syntaxique du langage serait préservé dans le vieil-
lissement normal, même si la complexité syntaxique tendrait à dimi-
nuer avec l’âge, en raison de la baisse d’efficacité de la mémoire de
travail (Kemper et al., 2001).
Dans le cadre de troubles neurocognitifs, les troubles du langage
sont présents, à des degrés différents, et évoluent avec la progression
de la maladie. L’atteinte lexico-sémantique est la première à être
observée, avec, semble-t-il, la disparition précoce des mots peu fré-
quents (Gayraud, 2018). L’atteinte du discours, les troubles de la
compréhension orale et écrite vont s’aggraver avec l’évolution, jusqu’à
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164 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

la production de jargon, d’écholalie, qui rendent difficile l’expression


des besoins quotidiens (Barkat-Defradas et al., 2008).
Dans ce contexte, il est impératif de réaliser des évaluations régu-
lières mesurant l’impact de la pathologie neurodégénérative sur la
communication du patient, celle-ci étant indispensable au bien-être
du sujet et de son entourage. La création de tests plurilingues et
adaptés aux compétences exécutives spécifiques du sujet bilingue est
indispensable pour pouvoir évaluer la personne en souffrance. Ces
outils d’évaluation seront une première étape vers une prise en soins
compliquée par la rareté des professionnels bilingues.
De nombreux travaux existent sur la récupération langagière dans
les cas d’aphasie et permettent de comprendre comment une langue va
être privilégiée ou non.
D’après Paradis, la récupération peut se faire de plusieurs manières :
– récupération parallèle : toutes les langues reviennent en même
temps et au même degré ;
– récupération différentielle : une langue est récupérée mieux que
l’autre (ou que les autres) ;
– récupération successive : une langue n’est récupérée que lorsque
les autres ont atteint un niveau maximal ;
– récupération sélective : une langue n’est pas récupérée du tout ;
– récupération régressive ou antagoniste : la langue qui est
retrouvée en premier est finalement remplacée par une autre et rede-
vient inaccessible. On a également observé des cas de récupération
antagoniste alternée où les langues disponibles alternent à un rythme
allant de 24 heure à plusieurs semaines ou mois ;
– récupération mixte ou mélangée : les langues sont systématique-
ment mélangées à tous les niveaux linguistiques.

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Chapitre 8

Quels outils pour évaluer la cognition


des sujets âgés illettrés ou peu scolarisés ?

Catherine Belin

L’étude des fonctions cognitives repose classiquement sur la passa-


tion de tests neuropsychologiques qui, dans la très grande majorité
des cas, nécessitent la maîtrise de la langue écrite et/ou l’utilisation de
connaissances didactiques acquises lors de la scolarité. L’évaluation de la
cognition des sujets âgés illettrés ou peu scolarisés apparaît donc comme
un défi expliquant en partie le manque d’intérêt souvent rencontré pour
la prise en charge diagnostique et le suivi de ces sujets/patients.

Définitions de l’illettrisme et de l’analphabétisme

Selon l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (ANLCI,


http://www.anlci.gouv.fr/), l’illettrisme qualifie la situation de per-
sonnes qui ont été scolarisées en France (donc en langue française)
mais qui ne maîtrisent pas la lecture, l’écriture, le calcul, soit les
compétences de base pour être autonomes dans des situations simples
de la vie quotidienne. L’illettrisme fonctionnel correspond aux sujets
issus de l’immigration, n’ayant pas appris la lecture et l’écriture en
français, et qui sont dans l’incapacité de lire ou écrire un exposé simple
et bref de faits en rapport avec la vie quotidienne (UNESCO, 1958).
L’analphabétisme définit les cas de personnes qui n’ont jamais été
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168 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

scolarisées et qui n’ont jamais appris à lire et à écrire, quelle que soit
la langue. Dans la littérature anglo-saxonne, le vocable « illiteracy »
correspond à la fois à l’analphabétisme et à l’illettrisme. Les individus
qui peuvent remplir un papier d’identité, signer un document, saisir la
signalisation ou un programme à la télévision, mais qui ne sont pas à
même de remplir eux-mêmes un chèque, un formulaire d’inscription
ou lire la notice d’un médicament sont alors appelés « semiliterates »
dans la littérature anglo-saxonne.
Les données de l’Institut de statistique de l’UNESCO révèlent qu’il
reste encore 750 millions d’adultes analphabètes dans le monde, dont
deux tiers de femmes (UNESCO, 2017). En France, la population
illettrée (c’est-à-dire incapable de lire un message simple selon la
définition de l’ONU) représente 7 % des 18-60 ans (ANCLI, 2013)
et peut atteindre jusqu’à 22 % parmi les sujets de plus de 60 ans
(Micheaux & Murat, 2006). Parmi les personnes nées hors de France
et de langue maternelle autre que le français, près de 60 % sont en
difficulté pour le langage écrit (Murat, 2004). Selon l’INSEE (INSEE,
2002), les troubles de l’accès à la langue écrite sont associés à des
troubles de la compréhension orale et à des troubles de type dysexé-
cutifs type résolution de problèmes.
Dans ce chapitre et pour plus de facilités, nous utiliserons le mot
« illettré » pour regrouper l’ensemble des sujets/patients explorés en
consultation mémoire et qui constituent un ensemble hétérogène
regroupant des sujets analphabètes, d’autres ayant quelques mois ou
années de scolarisation dans leur pays d’origine ou ayant assisté à des
cours du soir en France, et enfin des sujets illettrés fonctionnels en
français mais maniant le langage écrit dans leur langue maternelle.
À cette variabilité, il faut ajouter une plus ou moins bonne maîtrise de
la langue française qu’il faudra également prendre en considération.

Illettrisme, facteur de risque des démences


Il est maintenant bien établi que l’éducation a un effet protecteur
sur la diminution des performances cognitives des sujets âgés sains lors
du vieillissement et particulièrement en ce qui concerne la mémoire,
l’attention, les fonctions exécutives et la vitesse de traitement des
informations. Une étude de cohorte (Lyketsos et al., 1999) compor-
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Quels outils pour évaluer la cognition des sujets âgés ? 169

tant près de 1 500 adultes suivis pendant un peu plus de onze ans
montre que la diminution des performances à un test d’évaluation
cognitive globale comme le MMSE est en moyenne de 2,5 points pour
les personnes ayant au plus de huit ans de scolarité contre un seul point
pour les sujets ayant complété douze ans et plus de scolarité. De la
même façon, les données de la cohorte bordelaise PAQUID (Leche-
vallier-Michel et al., 2004) mettent en évidence, également pour le
MMSE, des différences de scores allant jusqu’à six points au 10e per-
centile de la répartition de la population entre les sujets n’ayant pas
validé un CEP et ceux possédant un Brevet et plus.
À l’inverse, de nombreuses études ont démontré que l’illettrisme
et un faible niveau d’éducation scolaire sont des facteurs de risque
de démence, comme cela a été montré initialement dans la cohorte de
Shanghai (Zhang et al., 1990). Plusieurs facteurs ont été corrélés avec
le risque plus important de démence au cours de l’illettrisme : de
faibles capacités de réserve cognitive, un manque de contrôle des
facteurs de risque vasculaire, des difficultés d’évaluation neuropsycho-
logique ou encore le manque d’adaptation ou de création d’outils
d’évaluation spécifique à cette population (Belin, 2016). Dans la
plupart des études, l’effet de la scolarité est supérieur aux effets de
l’âge sur les performances cognitives.

Illettrisme et tests neuropsychologiques


La très grande majorité des tests neuropsychologiques existants
sont validés avec des sujets ayant au moins le certificat d’études et
maîtrisant parfaitement la langue de l’examinateur. De fait, les per-
sonnes scolarisées ont un niveau de performances beaucoup plus élevé
et surtout plus homogène aux tests neuropsychologiques que les per-
sonnes peu scolarisées, dont le profil cognitif s’exprime par une très
grande variabilité interindividuelle. Les performances cognitives des
sujets de faible niveau d’éducation, telles que recueillies dans un bilan
neuropsychologique classique, apparaissent donc biaisées, et ce d’au-
tant que la variable « éducation » est plus importante que la variable
« âge » (Ardila et al., 2010).
Différentes études en neuropsychologie ont montré l’impact de
l’illettrisme sur les résultats aux tests évaluant le niveau cognitif global,
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170 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

comme le MMS qui a une valeur prédictive faible dans les populations
multiculturelles, de bas niveau de scolarisation (Kalafat et al., 2003) et
aux tests évaluant spécifiquement une fonction cognitive (Ardila et al.,
1989 ; Ardila et al., 2010 ; Brucki et Nitrini, 2008 ; Ostrosky-Solis
et al., 1998 ; Rosselli et al., 1990) comme les tests de langage (compré-
hension, dénomination, répétition de mots, discrimination phonolo-
gique), les tests de mémoire (rappel de séries de chiffres, rappel de
figures complexes, test de mémoire épisodique RL / RI 16), les tests
visuo-spatiaux (copies de figures géométriques, figure de Rey, dessin
du cube, lectures de plans, test de l’horloge), les tests des fonctions
exécutives (rappel envers de séries de chiffres, épreuves de barrage) et
les tests de reconnaissance visuelle et aussi d’identification d’images.
L’étude de Reis et al. (2001) a en effet comparé la reconnaissance de
dessins, de photos couleurs et d’objets réels chez des sujets lettrés et
illettrés, et a montré que les sujets illettrés avaient plus de difficultés
pour dénommer les dessins que les photos couleurs, et que ces der-
nières étaient moins bien identifiées que les objets réels ; par rapport
aux sujets normaux, le nombre de bonnes réponses était significati-
vement plus bas et le temps de réaction moyen était significativement
plus long. Cette dernière étude incite donc à nuancer le recours
systématique aux images dans l’exploration cognitive des patients
illettrés ou du moins à contrôler préalablement la reconnaissance et
la dénomination du matériel utilisé dans des groupes contrôles.
D’autres facteurs vont également impacter l’évaluation cognitive
de ces sujets-patients, et en particulier les éléments d’ordre culturel.
Ainsi peut-on citer des items comme la familiarité avec les stimuli
et le matériel utilisés (par exemple, utiliser l’image d’un pingouin n’est
sûrement pas judicieux pour tester la mémoire d’un sujet venant
d’Afrique), la position « d’autorité » du testeur qui utilise souvent un
langage codifié (« Pouvez-vous me donner le plus grand nombre de
noms d’animaux ? ») pour des tests dont la finalité n’est pas évidente
pour le patient, l’environnement isolé avec un étranger (les évaluations
se font la plupart du temps dans un bureau fermé), la compétitivité
induite par les tests (« aussi vite que possible ! » de nouveau sans raison
identifiée par le patient), ou encore des questions qui peuvent être
considérées dans certaines cultures d’ordre privé (« Comment va
votre mémoire ? ») (Belin & Thomas, 2016 ; Bellaj & Le Gall,
2016 ; Maillet, 2016a, 2016b) pour plus de détails).
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Quels outils pour évaluer la cognition des sujets âgés ? 171

Comment tester les sujets-patients illettrés


ou peu scolarisés ?
Peu de tests spécialement conçus pour les patients illettrés et/ou de
bas niveau d’éducation, existent actuellement. Le Kica (2006) a spé-
cifiquement été créé pour les populations indigènes australiennes. Le
Test du Sénégal (Touré et al., 2008) est une version sénégalaise du
MMS adaptée pour des patients illettrés ou peu lettrés. En Inde,
l’équipe de Suvarna Alladi a développé une version de l’Addenbrooke’s
Cognitive Examination Revised (ACE-R), initialement créée en anglais
pour des patients lettrés, en langue Telligu et spécialement adaptée
pour les populations illettrées (Shailaja et al., 2008).
Pour notre part, travaillant dans un contexte où 40 % de la popu-
lation est de langue maternelle autre que le français et où 35 % des
sujets ont un niveau scolaire inférieur au certificat d’études (16 %
n’ayant jamais été scolarisés) (Dessi et al., 2009), nous avons souhaité
mettre au point des tests adaptés à cette population et utilisables dans
notre pratique quotidienne. Ce travail a commencé autour d’une
réflexion commune de la consultation mémoire du CHU Avicenne
(Catherine Belin, Didier Maillet), du Centre d’Examen de Santé de
Bobigny (Hervé le Cléziau, Frédéric Dessi) et de l’université Paris-
Descartes (Anne-Marie Ergis).
Dans un premier temps nous avons mis au point deux tests spé-
cifiques de mémoire épisodique, le TMA-93 et le TNI-93 (Maillet et
al., 2016 et Maillet et al., 2017), ne nécessitant pas de recours à la
langue écrite et pouvant être administrés dans d’autres langues que le
français. Après le travail de validation chez les sujets normaux, un
groupe de travail, le GREC-ILL, sous-groupe du Groupe de Réflexion
sur les Évaluations Cognitives (GRECO, http://www.site-greco.net/)
a été créé pour faciliter la validation en pathologie.
Plus généralement, l’objectif du GREC-ILL1 est de créer, norma-
liser et valider des tests permettant d’évaluer la cognition de sujets
illettrés et/ou de bas niveau éducatif et/ou d’origine culturelle
non francophone. Cette commission regroupe des cliniciens et

1. http://www.site-greco.net/?pageID=00780f4c050d3714f6f074316f191165
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 172

172 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

chercheurs de France métropolitaine, de Suisse, de Martinique et de


Guyane.
Le GREC-ILL a permis la validation du TMA-93 et du TNI-93
(disponibles sur le site du GRECO). Les travaux actuels portent sur la
validation de versions parallèles du TMA-93 et du TNI-93, la valida-
tion d’une phase de rappel différé du TNI-93, et sur l’élaboration de
tests exécutifs, praxiques ou de langage.

TMA-93 - Test de Mémoire Associative


L’objectif initial du Test de Mémoire Associative du 93 (TMA-93)
était d’élaborer un test de repérage des troubles de la mémoire pour des
sujets de plus de 60 ans de tous niveaux d’éducation et pouvant
également être administrés à des sujets multiculturels, illettrés ou de
faible niveau d’éducation.
Le TMA-93 s’inspire du principe de l’épreuve des mots associés de
l’échelle clinique de mémoire de Wechsler Révisée (Weschler, 1991).
Le TMA-93 consiste dans un premier temps à encoder dix paires
d’images liées sémantiquement et dans un second temps à rappeler,
pour chaque couple d’images, celle qui manque pour reformer la paire
initiale. Cette opération est répétée trois fois de suite pour contrôler les
aptitudes d’apprentissage des sujets (pour plus de détails, voir Maillet
& Belin, 2015a)
Cette épreuve a été normalisée avec une population multiculturelle
et de relativement faible niveau d’études de consultants, indemnes de
troubles cognitifs et neurologiques, du Centre d’Examen de Santé de
Bobigny (Dessi et al., 2009). Le TMA-93 ne montre pas de différence
significative entre les groupes d’âges, mais il existe en revanche des
différences statistiquement très significatives dans la population selon
le niveau scolaire des participants.
Le TMA-93 a ultérieurement fait l’objet d’une validation auprès
de 493 participants (117 sujets déments dont près 80 % avaient une
Maladie d’Alzheimer (MA) ; 376 sujets non déments) âgés de 60 ans et
plus et résidant pour la plupart dans le département de la Seine-Saint-
Denis. Nous avons retenu comme seuil pathologique un score
< 24/30 au rappel total (indice de Youden à 0.77 pour une sensibilité
de 80 % et une spécificité de 97 %). Le score total du TMA-93 a une
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 173

Quels outils pour évaluer la cognition des sujets âgés ? 173

très bonne corrélation avec le rappel libre et le rappel total du RL-RI-


16 items, ce qui valide sa pertinence pour mettre en évidence des
troubles de la mémoire épisodique, sauf chez les sujets de hauts
niveaux d’études (Maillet et al., 2017).
La passation du TMA-93 est rapide, simple et peu anxiogène,
l’encodage étant facilité par la présentation visuelle.

TNI-93 - Test des Neuf Images


Comme pour le TMA-93, l’objectif était de créer un test permet-
tant le repérage des troubles de la mémoire épisodique chez des
patients d’origine multiculturelle et/ou de faible niveau de scolarité
ou en situation d’illettrisme fonctionnel, c’est-à-dire ne pouvant pas
lire un message simple dans la langue de l’examinateur.
Le TNI-93 se base sur le principe de spécificité de l’encodage
(Tulving & Thomson, 1973) et est inspiré du Memory Impairment
Screen (MIS) (Buschke et al., 1999). Ce test utilise des images repré-
sentant des objets de la vie quotidienne plutôt que des mots à lire.
Comme pour le TMA-93, les images ont été choisies après une phase
pilote où l’on s’est assuré de leur identification correcte dans cette
même population. La passation commence par une phase d’encodage
simultanée des neuf images puis, après une courte tâche interférente,
une phase de rappel libre et de rappel indicé sont proposées aux
sujets (voir Maillet & Belin, 2015b, pour une description plus
détaillée).
Cette épreuve a été normalisée avec une population de consultants,
sans atteinte cognitive ni neurologique, du Centre d’Examen de Santé
de Bobigny (Dessi et al., 2009). Fait intéressant, et contrairement au
TMA-93, les résultats chez les sujets âgés sains n’ont montré aucune
influence significative du niveau d’études sur les scores obtenus au
TNI-93.
Le TNI-93 a ultérieurement fait l’objet d’une validation auprès de
369 participants (87 sujets déments dont 70 % présentait une MA ;
282 sujets non déments) âgés de 60 ans et plus et résidant pour la
plupart dans le département de la Seine-Saint-Denis (Maillet et al.,
2016), qui nous a permis d’établir un seuil pathologique défini par un
score de rappel libre < 6 OU un score de rappel total < 9 (indice de
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 174

174 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Youden à 0.83 pour avec une sensibilité de 87 % et une spécificité de


96 % pour cette combinaison).
Le TNI-93 présente de très bons seuils de détection de la démence
pour des sujets multiculturels et majoritairement de faible niveau
d’études. Au-delà de ces spécificités psychométriques, sa passation
est rapide, simple et peu anxiogène, l’encodage étant facilité par la
présentation visuelle.
Ce test n’a pas été validé pour les hauts niveaux d’études, ni pour le
repérage des troubles cognitifs légers.

TFA-93 - Test des Fluences Alternées


Le TFA-93 a été mis au point afin de pouvoir évaluer les capacités
de flexibilité mentale chez des sujets multiculturels, illettrés ou de
faible niveau d’études. Inspiré de la méthodologie d’une étude brési-
lienne de Paula et al. (2015), le TFA-93 se déroule en trois phases :
deux épreuves de fluence verbale catégorielle en une minute (« ani-
maux » puis « fruits »), et une épreuve de flexibilité mentale demandant
d’évoquer alternativement un item de chaque catégorie « animaux » et
« fruits ». Le nombre de réponses correctes est noté ainsi que le nombre
de persévérations. Un indice de « flexibilité mentale » est calculé à
l’issue de l’épreuve (plus l’indice est faible, plus le coût lié à l’alternance
est élevé).
Le TFA-93 a été normalisé et validé (Narme et al., 2019) auprès
de 148 participants de plus 50 ans : 70 sujets contrôles, 78 patients
déments (73 % Alzheimer, 27 % démences frontales), toutes langues
maternelles confondues (37 % français), appariés en termes de sexe,
d’âge et de niveau scolaire. Les sujets sains produisent plus d’items que
les patients dans les trois phases (tous les p < 0,001). L’indice de
« flexibilité mentale » est plus faible chez les patients que chez les
contrôles (p < 0,001), et le nombre de persévérations est supérieur
chez les patients (p < 0,05). Ce test paraît donc adéquat pour étudier
les capacités de flexibilité mentale dans les populations ne pouvant
être testée par les tests classiques de la neuropsychologie reposant sur
les acquis de l’éducation.
Alpha_Alibi_U9_21109 - 19.7.2021 - 16:38 - page 175

Quels outils pour évaluer la cognition des sujets âgés ? 175

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Table des matières

Sommaire .......................................................................................................................... 7

Contributeurs ................................................................................................................. 9

Préface ................................................................................................................................. 13
Laëtitia Ngatcha-Ribert

Introduction. Inscrire le soin gérontologique


dans une perspective transculturelle ....................................................... 19
Frédérique Gayraud et Melissa Barkat-Defradas
Nécessité d’un soin gérontologique transculturel....................................... 19
Vieillissement normal ............................................................................................ 20
Vieillissement pathologique : la maladie d’Alzheimer .............................. 21
Inadéquation des tests pour les populations bilingues
et/ou peu scolarisées ......................................................................................... 23
L’évaluation neuropsychologique en contexte interculturel
psychologique et social .................................................................................... 24
L’adaptation des tests neuropsychologiques : pierre angulaire
de la réduction des inégalités en santé ? ................................................... 25
Références ................................................................................................................... 28

Chapitre 1. Régression linguistique chez les patients Alzheimer


bilingues .................................................................................................................... 31
Frédérique Gayraud et Melissa Barkat-Defradas
Introduction............................................................................................................... 31
Maladie d’Alzheimer, langage et bilinguisme .............................................. 32
Altération du langage chez les patients monolingues atteints de MA 33
Bilinguisme et maladie d’Alzheimer : un sujet d’intérêt croissant....... 34
L’avantage babylonien : une question controversée................................... 35
Régression de la langue seconde dans la maladie d’Alzheimer ............. 37
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180 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

Mélange de langues chez les bilingues atteints de MA ............................ 41


Conclusion ................................................................................................................. 44
Références ................................................................................................................... 45

Chapitre 2. Croissance et stabilisation des immigrés maghrébins


susceptibles d’être atteints de la maladie d’Alzheimer,
1999-2035 ............................................................................................................... 51
Maks Banens
Sources et méthode ................................................................................................. 53
1/ Les taux d’évolution observés ....................................................................... 54
2/ Projection .............................................................................................................. 56
3/ Maghrébins atteints de la maladie d’Alzheimer .................................... 61
4/ Correction pour tenir compte de la réserve cérébrale ........................ 64
Discussion ................................................................................................................... 67
Bibliographie ............................................................................................................. 68

Chapitre 3. Troubles neurodégénératifs et immigration :


du diagnostic à l’accompagnement des familles.............................. 71
Omar Samaoli et Abigail Lefèbvre
La vieillesse immigrée est une réalité multiple ............................................ 71
Une insertion urbaine ordinaire ? ..................................................................... 71
Les enjeux gérontologiques.................................................................................. 72
La perte d’autonomie.......................................................................................... 72
La maladie d’Alzheimer et les troubles apparentés
chez les vieux immigrés ................................................................................ 73
Bibliographie ............................................................................................................. 81

Chapitre 4. Performances langagières chez des populations âgées


bilingues précoces arabes-françaises en Algérie ................................ 83
Sara Sahraoui et Laurent Lefebvre
Qu’est-ce que le bilinguisme ? ............................................................................ 83
Typologies du bilinguisme .................................................................................. 84
Le paysage linguistique de l’Algérie ................................................................. 85
Les catégories de locuteurs bilingues en Algérie ......................................... 86
Les phénomènes linguistiques naturels propres
à une société plurilingue et qui sont générés
par la situation sociolinguistique algérienne ........................................... 88
 L’emprunt .......................................................................................................... 90
 Le code-mixing ou mélange de codes ....................................................... 90
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Table des matières 181

 L’alternance codique ....................................................................................... 91


 La diglossie ......................................................................................................... 91
La diversité de la composition sociale en Algérie et l’usage du français
à la maison ............................................................................................................ 93
Les locuteurs algériens bilingues de l’ancienne génération..................... 93
L’effet de l’avancée en âge sur le bilinguisme chez les Algériens ......... 95
Bibliographie ............................................................................................................. 97
Références en arabe................................................................................................. 99

Chapitre 5. La validation d’outils d’évaluation pour des patients


bilingues : exemple du Screening BAT ................................................... 101
Barbara Köpke
Introduction............................................................................................................... 101
La validation psychométrique d’un test ......................................................... 103
BAT et Screening BAT ........................................................................................... 106
Validation du Screening BAT .............................................................................. 109
Données de référence ........................................................................................... 109
Validité empirique du Screening BAT ............................................................. 113
Conclusion ................................................................................................................. 116
Remerciements ......................................................................................................... 117
Références ................................................................................................................... 117

Chapitre 6. Évaluation cognitive des immigrés âgés bilingues


arabe-français.......................................................................................................... 123
Melissa Barkat-Defradas, Frédérique Gayraud, Farida Benmouffok,
Suzon Le Doledec, Laura Midroit et Souad Oukhabbou
Introduction............................................................................................................... 123
Immigration maghrébine en France ............................................................... 124
Vieillissement et santé des personnes immigrées ...................................... 125
Bilinguisme et déclin langagier ......................................................................... 126
Outils d’évaluation disponibles ........................................................................ 127
Hypothèses ................................................................................................................. 128
Méthode ...................................................................................................................... 129
 Participants........................................................................................................ 129
 Critères d’inclusion et d’exclusion ............................................................... 130
 Matériel .............................................................................................................. 130
 Évaluation du bilinguisme et du niveau socio-éducatif ...................... 131
1. Histoire du bilinguisme ........................................................................ 131
2. Contexte d’apprentissage et d’utilisation du français .................. 131
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182 Maladie d’Alzheimer, Immigration et Bilinguisme

3. Évaluation du niveau socio-éducatif ................................................. 131



Évaluation de la démence : le MMS ........................................................ 132

Compréhension des structures syntaxiques ............................................... 134

Fluence verbale ................................................................................................. 134

Dénomination d’images ................................................................................. 134

Déroulement ...................................................................................................... 135

Analyses statistiques ......................................................................................... 135
Résultats ...................................................................................................................... 135
 MMSE ................................................................................................................ 135
 Compréhension syntaxique ........................................................................... 136
 Fluences sémantiques ...................................................................................... 137
 Dénomination ................................................................................................... 138
 Types d’erreurs .................................................................................................. 139
Discussion ................................................................................................................... 140
 Hypothèse 1 : effet de la pathologie ............................................................ 140
 Hypothèse 2 : effet de la langue................................................................... 142
 Hypothèse 3 : effet d’interaction .................................................................. 144
Conclusion ................................................................................................................. 145
Bibliographie ............................................................................................................. 147
Chapitre 7. Le défi d’un diagnostic de qualité des troubles
neurocognitifs dans les populations issues de l’immigration .. 153
Pierre Krolak-Salmon, Elodie Pongan, Claire Gentil et Zaza Makaroff
Exemple d’une population de sept patients consécutifs vus en Centre
Mémoire ................................................................................................................ 155
L’évaluation neuropsychologique .................................................................... 156
L’orthophonie en Centre Mémoire ................................................................. 159
Bibliographie ............................................................................................................. 164
Chapitre 8. Quels outils pour évaluer la cognition des sujets âgés
illettrés ou peu scolarisés ? ............................................................................. 167
Catherine Belin
Définitions de l’illettrisme et de l’analphabétisme ..................................... 167
Illettrisme, facteur de risque des démences .................................................. 168
Illettrisme et tests neuropsychologiques ......................................................... 169
Comment tester les sujets-patients illettrés ou peu scolarisés ?............. 171
TMA-93 - Test de Mémoire Associative....................................................... 172
TNI-93 - Test des Neuf Images ....................................................................... 173
TFA-93 - Test des Fluences Alternées ........................................................... 174
Références ................................................................................................................... 175

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