Cours Ethique Et Déontologie - JCL
Cours Ethique Et Déontologie - JCL
Cours Ethique Et Déontologie - JCL
Formation des
formateurs
Cours
Ethique et
déontologie
des agents Jean-Christophe LAPOUBLE
Professeur
Université de Poitiers
Les Afriques dans le Monde (UMR 5115)
INTRODUCTION ........................................................................................................................ 4
CHAPITRE 1 : LES PRINCIPES .................................................................................................. 13
I. Un caractère spécial par rapport à d’autres professions ........................................... 13
II. La classification des principes .................................................................................... 15
CHAPITRE 2 : LES REGLES PROPRES AUX AGENTS PUBLICS ..................................................... 17
I. Les obligations dans l’exercice des fonctions ............................................................. 17
A. L’obligation d’assurer son service ........................................................................... 17
B. Les relations avec les autres fonctionnaires ............................................................ 18
1. Les relations avec les supérieurs .......................................................................... 19
2. Les relations avec les collègues............................................................................ 21
3. Les relations avec les subordonnés ...................................................................... 21
a. Le harcèlement sexuel ....................................................................................... 21
b. Le harcèlement moral ....................................................................................... 24
C. Les relations avec les administrés ........................................................................... 26
II. Les obligations s’imposant en toutes circonstances ................................................... 27
A. Le respect d’une certaine dignité administrative ..................................................... 27
B. L’obligation de réserve ............................................................................................ 28
C. L’obligation de discrétion professionnelle et/ou de respecter le secret ................... 29
D. L’obligation de neutralité ........................................................................................ 30
E. L’obligation de dignité publique ............................................................................. 30
F. L’obligation de loyalisme ........................................................................................ 31
G. L’obligation d’indépendance ................................................................................ 31
CHAPITRE 3 : LES CONFLITS D’INTERETS ............................................................................... 33
I. L’administration française et le conflit d’intérêts ...................................................... 34
A. Un cadre juridique qui s’est construit de manière ponctuelle ................................. 35
B. Des avancées législatives......................................................................................... 37
1. Le rapport Sauvé .................................................................................................. 37
2. Les lois du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique ..................... 37
1
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Introduction
1
CE, 14 décembre 2018, n°419443
2
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/06/10/31001-20150610ARTFIG00164-manuel-valls-agnes-saal-
mathieu-gallet-vous-avez-dit-abus-de-pouvoir.php?redirect_premium
4
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
seront prises.
Chose intéressante dans cette affaire, sa défense sous la forme d’une tribune dans le quotidien
Libération a été assurée par trois éminents hauts fonctionnaires3 qui s’étonnent du traitement
qu’elle a subi :
« Devant un tel lynchage, le devoir est de raison garder, le devoir est de protester. Agnès
Saal a commis des fautes. Il ne nous appartient pas d’en discuter : des enquêtes
administratives et judiciaires sont en cours pour en apprécier les contours. D’ores et
déjà, elle les a payées au prix fort. Elle a été révoquée du jour au lendemain de ses
fonctions de présidente de l’Institut national de l’audiovisuel sans avoir pu alors
esquisser la moindre défense. Sa réputation est détruite, sa carrière est brisée.
Le risque serait ravageur pour l’Etat d’accréditer l’idée que l’administration
distribuerait sans compter des privilèges au profit de ses cadres supérieurs. Que le
terme de «prébende» ait été utilisé sans vergogne à l’occasion de la réintégration
d’Agnès Saal au ministère de la Culture, pour y accomplir une tâche technique et
austère, devrait inquiéter tous ceux qui sont attachés au service public. »
La réaction de défense de corps que dénote une telle tribune, n’est pas sans accréditer l’idée
qu’il existerait deux catégories de citoyens, ceux auxquels les fautes doivent être pardonnés du
fait de l’éminence de la fonction et ceux pour lesquels il leur sera appliqué la loi commune dans
toute sa sévérité. Il sera d’abord appelé qu’en droit de la fonction publique un fonctionnaire qui
est soupçonné d’actes contraires au droit pénal (et le détournement de biens publics en fait
partie) peut faire l’objet d’une suspension d’une durée de quatre mois, suspension pendant
laquelle la rémunération est maintenue mais le fonctionnaire est écarté de toute fonction. En
l’espèce, Madame Saal n’a pas fait l’objet d’une telle mesure, même si par la suite elle a fait
l’objet d’une sanction de six mois d’exclusion. Par la suite elle a même fait l’objet d’un
avancement au grade supérieur (échelon spécial du grade d’administrateur général 4.
Afin de d’appuyer cette démonstration, il sera simplement rappelé qu’à la même époque pour
des vols de faible importance, voire le simple fait de récupérer une marchandise périmée des
employés du secteur privé se retrouvent mis à pied et parfois même licenciés. Ainsi dans une
affaire concernant le vol par des employés d’un supermarché de marchandises d’un montant de
30 € le directeur du supermarché a ainsi déclaré :
«Cela n'a rien de comparable avec l'affaire du Monoprix. Nous avons ici des employés
pris en flagrant délit de vol de biens qui ne sont pas alimentaires. La somme s'élève tout
de même à 30 euros et les employés n'ont que 5 ans d'ancienneté »5 (il s’agissait en
l’occurrence de chewing-gums et de trois stylos).
L’affaire du Monoprix dont il est fait état, concernaient la récupération par un employé de 59
ans de melons dans la poubelle du magasin. Ces faits avaient conduit la direction à enclencher
une procédure de licenciement qui face à la pression médiatique était converti en simple blâme6.
Décidément, la vision que nous avons en France de la chose publique, et des personnes qui sont
à son service est très particulière par rapport à d’autres démocraties. Ainsi, un ancien président
de l’Assemblée nationale (Claude Bartolone) en France pouvait-il employer à son cabinet son
épouse7. L’intéressé, a expliqué la situation en utilisant la formule suivante :
3
Jean-Noël Jeanneney ancien président de la BNF , Alain Seban ancien président du centre Pompidou et ancien
directeur du développement culturel au ministère de la Culture , Dominique Wallon ancien directeur général du
Centre national du cinéma (CNC) : http://www.liberation.fr/societe/2015/06/09/trop-c-est-trop-a-propos-d-
agnes-saal_1326105
4
Arrêté du 3 août 2018.
5
http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2011/07/11/2545620_renvoyes-pour-avoir-voler-des-chewing-
gums-et-3-stylos.html
6
http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2011/07/08/2543792_affaire-des-melons-l-employe-de-
monoprix-n-est-pas-lice
7
http://www.lefigaro.fr/politique/2012/09/25/01002-20120925ARTFIG00582-bartolone-embauche-sa-femme-a-
5
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Franchissons l’Atlantique, et voyons ce qui peut arriver un sénateur canadien qui serait
atteint du même syndrome. Dans un article du Devoir, journal de référence de Montréal, il est
fait état du titre suivant « le sénateur Boisvenu sanctionné par ses pairs» 9.
Le contenu de l’article révèle la nature des faits, le sénateur en question entretenait une relation
amoureuse avec une femme dont il avait renouvelé le contrat d’emploi. Alors même que la
conseillère sénatoriale de l’éthique avait conclu à ce que le code régissant les conflits d’intérêts
des sénateurs avaient bien été violé mais qu’une sanction n’était pas forcément nécessaire, le
comité des sénateurs a décidé de la sanction suivante : le sénateur devra donc présenter ses
excuses de son siège au Sénat le premier jour où la chambre siégera et il devra payer pour suivre
une formation pour je cite « comprendre les fondements d’une gestion contemporaine des
relations employeur-employé dans une institution publique ».
l-assemblee-nationale.php
8
https://www.mediapart.fr/journal/france/300914/emplois-familiaux-au-senat-le-mauvais-exemple-est-venu-d-
en-haut?page_article=1
9
Le Devoir, 26 août 2014.
10
Le Figaro, 2 novembre 2011, la déontologue de l'Assemblée nationale était payée par un laboratoire
pharmaceutique : http://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/11/02/24274-deontologue-lassemblee-nationale-etait-
payee-par-lindustrie-pharmaceutique
6
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
sein de la fonction publique, en interdisant l’emploi dans une même région de personnes
ayant des liens de parenté ou en développant la mobilité géographique des fonctionnaires
de manière très régulière »11.
Comme pour les salariés relevant de droit privé, les agents publics sont soumis à des règles qui
leur sont imposées par leur hiérarchie. Mais ces règles, du fait de la nature très particulière de
leur employeur et des fonctions qu’ils exercent sont plus complexes et souvent plus sévères que
ce qui est prévu par le droit commun12. Le fonctionnaire est tenu non seulement d’accomplir le
travail qui lui est demandé il doit aussi, aller au-delà c'est-à-dire faire ce qui correspond à la
finalité de sa mission. Le fonctionnaire doit se montrer exemplaire et assurer le service de
l’intérêt général. Non seulement le fonctionnaire doit accomplir les missions demandées mais
il doit aussi les faire en assurant auprès des citoyens le meilleur service possible. Il ne suffit pas
de délivrer le bon formulaire administratif, il faut aussi de manière polie et efficace. En clair le
fonctionnaire doit se responsabiliser13.
Pour J.M. Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’Etat français, « servir l'intérêt général
n'est pas un privilège mais une exigence »14.
En fait, le particularisme du statut est à rechercher dans la fonction même de l’Etat. Il existe
donc d’autres exemples que la France de dérogation au droit commun du fait même de la nature
des missions exercées par les fonctionnaires.
En Angleterre15, le Civil Service apparaît néanmoins comme une profession sans commune
mesure avec les autres et comme un groupe social aux traditions bien affirmées ; le droit
commun n’est applicable à ces agents que pour autant que la Couronne en a décidé ainsi.
Jusqu’à l’avènement d’Édouard VII, il fallait, à chaque changement de règne confirmer par un
acte exprès tous les fonctionnaires dans leur poste car ces derniers étaient réputés être au service
du seul souverain.
11
Laurent Mériade – Li Yi Qiang, Les valeurs publiques à la frontière publique/ privée : le cas des concours de
la fonction publique en Chine, Revue internationale de sciences administratives, vol. 81, n°2, juin 2015, p. 303.
12
Cf. P. Bandet, Les obligations des fonctionnaires des trois fonctions publiques, Berger-Levrault, 2004.
13
G. Koubi, Responsabilisation des fonctionnaires et modernisation, Revue administrative, n°284 mars-avril
1995.
14
J.M. Sauvé, AJDA 2012 p. 861
15
Voir le rapport, rédigé en 1853, dit Trevelyan du nom du secrétaire permanent de la Trésorerie qui en est l’auteur,
Sir Charles Trevelyan, qui est à l’origine de l’organisation moderne de la fonction publique anglaise : « Le fardeau
toujours plus lourd des affaires politiques... ne pouvait être porté sans un corps efficace de fonctionnaires
permanents, occupant comme il se droit une position subordonnée par rapport aux ministres, mais possédant
néanmoins assez d’indépendance, de caractère,de valeur et d’expérience pour être capables de conseiller,
d’assister et dans une certaine mesure d’influencer ceux qui sont placés successivement au-dessus d’eux. »
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
A l’inverse aux Etats-Unis, Le Four Year Tenure of Office Act de 1820 établissait la règle selon
laquelle un très grand nombre de fonctionnaires devaient, tous les quatre ans, obtenir
confirmation de leur investiture. Il fallut, malgré les objurgations du Président Lincoln
demandant, dès les années 1860, qu’il soit mis fin à ce système qualifié de système des
dépouilles, attendre l’assassinat d’un président et une loi du 19 janvier 1883 dite Pendleton Act,
pour que la loi de 1820 soit abrogée, mais l’esprit qui l’animait demeure vivace.
La spécificité de l’emploi public n’existerait que pour autant qu’il s’agisse d’accomplir des missions
régaliennes de l’Etat. La privatisation de certains emplois publics ne saurait avoir de prise sur ce qui
constitue le cœur des missions de l’Etat.
Il existe ainsi des statuts dérogatoires au droit commun du travail dans les pays même ceux qui ont
procédés à la privatisation de la fonction publique.
Le Conseil d’Etat en France se fonde sur la participation à des missions régaliennes pour
distinguer les agents publics des autres salariés.
Cette optique est partagée par la CJUE17 mais de manière restrictive. En effet, l’article 45
du Traité garantit la liberté de circulation des travailleurs et donc des fonctionnaires, il est toutefois
permis d’y déroger au titre du §4 de ce même article. ;
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans
l'administration publique.».
Pour la Cour, selon une jurisprudence constante, seuls peuvent faire l’objet d’une exception
« les emplois publics qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l’exercice de
la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux
de l’Etat ou des autres collectivités publiques »18.
16
EDCE 2003, p. 320.
17
Cour de justice de l’Union Européenne
18
CJCE, 17 décembre 1980, aff. C. 149/79, Commission c/ Belgique.
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
l’éthique telle qu’elle est généralement définie ou même à des dispositions pénales précises si
l’on fait référence à la corruption.
Le manquement aux règles communément admises, pose aussi la question de la responsabilité
des actes.
S’agit-il d’une responsabilité collective ou s’agit-il au contraire d’une responsabilité
individuelle ? Ainsi, l’analyse de l’évolution du droit de la responsabilité en matière
administrative tend à montrer que tout au long du XXe siècle le juge administratif a préféré
reconnaître dans certaines situations une responsabilité sans faute plutôt que d’aller chercher
les auteurs réels des fautes commises. L’explication qui est donnée, repose sur l’idée qu’il faille
indemniser le risque social. Toutefois derrière cette idée, se cache la préoccupation suivante : il
ne faut pas remettre en cause l’administration.
Indemniser sans reconnaître de fautes précises, présente l’avantage de calmer les ardeurs
vengeresses du citoyen lésé mais aussi et c’est certainement là le plus intéressant cela permet
d’éviter de se poser la question de la responsabilité individuelle du fonctionnaire ou
éventuellement des politiques qui auraient pris la décision contestée. Des auteurs ont ici pu
qualifier la question « de multiplicité de mains »19.
Il est aussi possible d’aborder la question de l’éthique sous l’angle de l’analyse coût bénéfice20.
Dans cette optique la principale question, n’est pas tellement l’opposition entre la fin et les
moyens ou entre les procédés utilisés et aurait obtenu mais plus précisément de savoir si le
résultat obtenu en en valait la peine.
Face à l’ensemble de ses interrogations, les critiques ont surgies quant à l’existence d’une
éthique dans la vie politique. Pour certains réalistes, il n’y aurait point d’éthique possible dans
la vie politique21, le plus célèbre de ces théoriciens étend bien évidemment Nicholas Machiavel,
mais il n’est certainement pas le seul avec notamment Balthasar Gracian22 pour qui « Il faut
« faire, et faire paraître », explique ainsi la cent trentième maxime de L'Homme de cour, parce
que « le bon extérieur est la meilleure garantie de la perfection intérieure »23.
Un autre type de critique, considère que ces interrogations sur les mœurs politiques ou sur
l’éthique politique plus exactement en viennent à gommer des problèmes plus importants
comme des injustices majeures, l’exclusion du débat politique de certaines minorités. Ceci dit,
le fait de s’intéresser à certaines minorités peut conduire à considérer que le poids de ces
dernières est trop important par rapport à la majorité. C’est le débat en cours à propos de la
discrimination positive.
Les citoyens ont une voix égale dans le choix des politiques mais dans les sociétés pluralistes,
ils ne sont pas persuadés que les politiques menées soient les bonnes. Il est vrai que doit être
posée la question des structures dont la lourdeur limite quelque peu la possibilité d’agir des
décisionnaires publics. Dans une telle optique, la responsabilité individuelle de ces derniers
serait amoindrie par l’appartenance à un système dans lequel leur capacité d’agir serait assez
faible.
Pour Yves Boisvert24, le lien entre la crise de confiance et l’éthique se fait autour de la
considération que les citoyens ne croient plus en la capacité que les élus politiques puissent
véritablement représenter leurs intérêts et travailler dans le sens du bien commun.
D’une manière générale les citoyens mettent en doute la capacité qu’ont les élus d’agir de
manière adéquate pour eux-mêmes en fonction du mandat de service aux citoyens qu’ils ont
19
Thomson, Dennis F. 2005, Restoring responsibility: Ethics in government, Business and Heathcare,
Cambridge: Cambridge University Press.
20
Gutman Amy and Dennis Thomson 2012, The Spirit on compromise, Princeton University Press.
21
Acheson Dean, 1965 “Ethics in international relations Today” Vital Speeches of the day, vol. 31 Pelham NY
City News Publishing, pp. 226-228.
22
B. Graciàn, L'Homme de cour (1647), Gallimard, « Folio Classique », 2011, 654 p.
23
Maxime CXXX Faire, et faire paraître.
24
Y. Boisvert, Leçons d’éthique publique, Santé publique, 2008, vol. 20. p. 321.
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
sollicités. L’idée est que les élus n’agissent que selon leurs propres intérêts s’ils ne sont pas
surveillés.
Il s’agit là climat de défiance, voire de cynisme généralisé qui entraîne la nécessité que les élus
et les autres agents publics soient placés sous surveillance mais aussi que le monopole du
pouvoir politique soit partagé lors des prises de décision. Rappelons pour mémoire qu’il existe
des formes de démocraties directes comme le recall en Californie, sans même aborder la
question des gilets jaune en France et de la mise en place d’un referendum d’initiative
citoyenne.
Yves Boisvert considère que l’éthique publique ne doit pas avoir la prétention de vouloir
instituer de nouveaux espaces décisionnaires en matière politique mais qu’elle doit se limiter à
occuper un espace précis dans l’infrastructure démocratique. Dans son optique, l’éthique se
présente sous la forme d’une perspective de transaction sociale qui permet de négocier des
compromis acceptables pour les différents intervenants25.
Au-delà même, des considérations éthiques et philosophiques, le droit positif donne des
indications sur ce que doit être le comportement des agents publics entendus au sens large c’est-
à-dire aussi bien les élus que les fonctionnaires. Dès la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 et dans les textes suivants, la question de la bonne utilisation des deniers publics
parce qu’il s’agissait précisément d’un impôt prélevé sur les citoyens était abordée.
L’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 est ainsi
rédigé :
« Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs
représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en
suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
L’article 15 de la même déclaration dispose :
« la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.»
L’article 6 de la constitution de 1793 ou Constitution de l’an Un est ainsi rédigé :
« l’exercice des droits de citoyens est suspendu–par l’État d’accusation , (…) ».
Ce qui signifie en clair qu’une personne mise en examen (ce qui correspond à l’équivalent d’état
d’accusation) se voient privés de ses droits. Cela doit être rapproché, des prises de position
concernant les hommes politiques qui font l’objet d’une mise en examen.
25
Y. Boisvert, Leçons d’éthique publique, Santé publique, 2008, vol. 20. p. 325.
10
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Dans certains Etats, il existe un code de valeurs et d’éthique qui définit une liste générale
d’obligations ou de comportement attendus. C’est le cas au Canada avec le code de valeurs et
d’éthique du service public qui en est entré en vigueur le 2 avril 201226.
1. Respect de la démocratie
Les fonctionnaires préservent le régime canadien de démocratie parlementaire et ses
institutions.
1.1 Ils respectent la primauté du droit et exercent leurs fonctions conformément aux
lois, aux politiques et aux directives de façon non partisane et impartiale.
1.2 Ils exécutent avec loyauté les décisions prises par leurs dirigeants conformément à
la loi et aident les ministres à rendre compte au Parlement et à la population
canadienne.
1.3 Ils communiquent aux décideurs l'information, les analyses et les conseils
nécessaires en s'efforçant d'être toujours ouverts, francs et impartiaux.
3. Intégrité
Les fonctionnaires servent l'intérêt public.
3.1 Ils se conduisent toujours avec intégrité et d'une manière qui puisse résister à
l'examen public le plus approfondi; cette obligation ne se limite pas à la simple
observation de la loi
3.2 Ils n'utilisent jamais leur rôle officiel en vue d'obtenir de façon inappropriée un
avantage pour eux-mêmes ou autrui ou en vue de nuire à quelqu'un.
3.3 Ils prennent toutes les mesures possibles pour prévenir et résoudre, dans l'intérêt
public, tout conflit d'intérêts réel, apparent ou potentiel entre leurs responsabilités
officielles et leurs affaires personnelles.
3.4 Ils agissent de manière à préserver la confiance de leur employeur.
4. L'intendance
Les fonctionnaires utilisent les ressources de façon responsable.
4.1 Ils veillent à l'utilisation efficace et efficiente des fonds, des biens et des ressources
publics dont ils ont la responsabilité.
4.2 Ils tiennent compte des répercussions à court et à long terme de leurs actions sur
les personnes et sur l'environnement.
4.3 Ils acquièrent, conservent et mettent en commun les connaissances et l'information
de la façon indiquée.
26
http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=25049§ion=HTML
11
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
5. Excellence
Les fonctionnaires font preuve d'excellence professionnelle dans l'exercice de leurs
fonctions.
5.1 Ils fournissent des services équitables, opportuns, efficients et efficaces dans le
respect des langues officielles du Canada.
5.2 Ils améliorent continuellement la qualité des politiques, des programmes et des
services qu'ils fournissent.
5.3 Ils privilégient un environnement de travail qui favorise l'esprit d'équipe,
l'acquisition du savoir et l'innovation.
12
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
TITRE I :
DES DISPOSITIONS GENERALES
Les principes que doivent respecter les fonctionnaires et les agents publics reposent que l’idée
que le fonctionnaire, parce qu’il défend l’intérêt général doit être exemplaire. C’est parce que
le fonctionnaire sera exemplaire que le citoyen le respectera et lui permettra de poursuivre ses
missions.
L’idée de l’exemplarité des fonctionnaires est ancienne, en 1254, Louis IX exigea de ses
officiers qu'ils réforment tout abus moral et politique et demanda aux baillis d'agir avec
désintérêt et indépendance ; afin d’éviter les maux affectant la vie publique de son temps :
corruption ; vénalité ; conflits d'intérêts.
Cette exemplarité doit aussi se voir, pour être perçu par les citoyens comme le signe d’un état
impartial.
« L'effet d'image est capital car il est en réalité, lié au fond : il faut montrer sa vertu
pour être crédible et il faut être crédible pour être accepté et obéi. Comme les
justiciables avec la « théorie des apparences », les administrés doivent non seulement
être convenablement traités au fond, mais encore avoir la conviction de l'avoir été et
les moyens de le vérifier. »27
Il est classique d’opposer les obligations qui pèsent sur les fonctionnaires et les agents publics
à celles qui pèsent sur les salariés de droit privé. Il n’est d’ailleurs pas certain que l’opposition
soit aussi importante.
Pour certains auteurs comme Claude Vigouroux28, la déontologie doit s’apprécier dans une
situation réelle et non pas ex cathedra : « la déontologie ne prend tout son sens que par rapport
à une pratique professionnelle donnée ».
27
Joël Moret-Bailly, Didier Truchet, Déontologie : Actualité et enjeux, AJDA 2012 p. 865
28
C. Vigouroux, Déontologie des fonctions publiques, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1995, p.
13
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
général.
Il semble qu’en fait que ce qui fait différer le statut des fonctionnaires repose sur l’imperium
propre à l’Etat. Pour Max Veber, l’Etat possède le monopole de la violence légitime. D’une
manière générale, c’est parce qu’il peut contraindre que le fonctionnaire est soumis à des règles
particulières. Toutefois, en Allemagne, la qualité de fonctionnaire n’est réservée qu’aux
personnes disposant effectivement d’un pouvoir régalien. Ce n’est pas le cas en France.
On parle souvent de déontologie des fonctionnaires. Il faut savoir qu’il n’existe pas de
code général de déontologie des fonctionnaires. Un tel code existe toutefois pour les policiers,
créé par le décret n°86-592 du 18 mars 1986. Il existe aussi un recueil des obligations
déontologiques pour les magistrats29
Il convient d’ailleurs de préciser la différence qui peut exister entre la déontologie qui
va régir les comportements de l’ensemble des membres d’une profession comme les avocats,
les médecins, etc…. et l’éthique. En effet, l’éthique est purement personnelle alors que la
déontologie est collective. Dans la fonction publique elle est aussi variable en fonction des
emplois occupés.
Un policier surprend en dehors de ses heures de service une mère de famille en difficulté
volant de la nourriture (même s’il existe une théorie de l’état de nécessité) alors même que son
éthique personnelle peut le faire considérer que l’infraction est minime et alors même que le
procureur de la République peut classer la plainte….La bonté relève de l’éthique personnelle
mais pas de la déontologie professionnelle.
Il apparaît aussi, que le fonctionnaire est aussi soumis à des obligations en dehors de ses
heures de travail.
Les obligations professionnelles sont donc variables selon les fonctions occupées mais
elles sont aussi variables dans le temps.
Outre, le fait que le fonctionnaire se doit de respecter les textes en vigueur et notamment
le code pénal (cf. chapitre suivant). Il doit aussi respecter les instructions qui lui sont donnée
ainsi qu’un certain savoir vivre. Il n’y plus dans les textes d’obligation de bonnes mœurs mais
le Conseil d’Etat impose des obligations similaires.
Un fonctionnaire se doit de conserver un comportement digne….
29
J.C. Lapouble, Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature vues par le Conseil d’Etat, Les cahiers de
la justice (II), n°1/2021, pp. 125-135- Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature vues par le Conseil
d’Etat, Les cahiers de la justice (I) , n°3/2020 pp. 507-517.
30
Jurisclasseur : Fonctions publiques, fasc. 300 Déontologie, n°6.
14
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
« Elle (la coutume) le met également à l’abri des aléas de la vie courante. C’est ainsi
que le corps ou le service protège les fous, les faibles ou les alcooliques. On les licencie
rarement et l’on se contente généralement de les mettre là où ils ne seront pas
dangereux, soit aux archives ou dans quelque place inoffensive ».
Si l’on se penche rapidement sur l’histoire du Mali, on s’aperçoit qu’avant même la période
coloniale il existait des personnels que l’on pouvait qualifier de fonctionnaire car il servait le
pouvoir et son administration. Comme le fait remarquer Zoumana Diarra
« Aussi, si on s’en tient au critère de la proximité avec le politique, qui constitue un
critère déterminant pour l’identification du « haut fonctionnaire » d’aujourd’hui, on
s’aperçoit que le chef des « Griots » par exemple, faisant partie de la caste inférieure,
est loin d’occuper un poste mineur ou de seconde classe auprès du Roi ou au sein même
de la société. Conseiller phare du Roi, médiateur et conciliateur redoutable dans la
société, il est aussi chargé de communication. A ce titre, on peut dire que les fonctions
qu’il exerçait ou qu’il continue à occuper de nos jours, ressembleraient bien à un poste
de haut fonctionnaire : porte-parole, Médiateur, conseiller, etc. Mais à la différence de
ces fonctions modernes, les fonctions traditionnelles étaient le plus souvent héréditaires.
Et il n’y avait presqu’aucune passerelle d’une fonction à une autre ».32
En fait, il n’est pas simple de donner une vision rapide des différentes obligations car
contrairement au droit pénal où les incriminations doivent être définies de manière préciser pour
donner lieu à sanction, tel n’est pas le cas en matière d’obligations auxquelles sont soumis les
fonctionnaires.
Des règles complémentaires peuvent figurer dans les statuts particuliers de chaque catégorie
de fonctionnaires.
31
F. Monnier, La coutume administrative, Revue administrative n°387, mai-juin 2012, p. 270.
32
Z. Diarra, Les mutations de la haute fonction publique au Mali : une contribution à l’étude de la réforme de
l’Etat, Thèse en droit, Université de Grenoble, 2014, p. 53.
33
Cf. P. Bandet, Les obligations des fonctionnaires des trois fonctions publiques, Berger-Levrault, 2004, p. 22 et
s.
15
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Une autre classification repose sur les obligations positives et les obligations négatives,
il faut donc distinguer ce qui doit être fait de ce qui ne doit pas être fait34.
Il peut aussi exister une classification liée à la nature des fonctions. Mais une telle
classification est forcément laborieuse et il existe des règles communes.
Plus pratique, peut être le classement reposant sur la gravité des sanctions encourues.
34
Cf. R. Grégoire, La Fonction publique, 1954, p. 296.
16
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Comme cela a déjà été dit, le fonctionnaire est soumis à des obligations on seulement quand il
est en fonction mais aussi en dehors de ses fonctions. Il est cependant évident que la nature des
obligations varie selon la situation dans laquelle il se trouve.
D’une manière générale, il convient de retenir que le fonctionnaire se trouve dans une
situation de subordination35 même si cette notion peut être entendue de différentes manières.
Il existe donc un système de retenue pour absence de service fait qui repose sur la règle du
trentième.
L’administration se trouve dans une situation de compétence pour suspendre le traitement en
cas de service non fait (CE 15 janvier 1997, INRIA, n°135693).
Toutefois, il appartient à l’administration d’apporter la preuve que le fonctionnaire n’a pas reçu
le courrier le demandant de se rendre à un poste de remplacement, si ce n’est pas le cas, il ne
peut être retenue une journée de traitement (TA Nancy, 9 mars 2010, n°0802586, AJFP
n°02/2010 p. 190).
35
C. Moniolle, La subordination dans la fonction publique, AJDA n°29/2010 , p.1629 et s.
36
CAA Versailles, 20 oct. 2011, Commune de Jouy-en-Josas, n°10VE01892, AJDA, n°25/2012, p. 1412.
17
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Dans une autre affaire, la Cour administrative de Paris a accordé le paiement de quatre mois de
salaire à un agent contractuel communal n'ayant pas repris ses fonctions à l'issue d'un congé
maladie en dépit d'un avis, émis dans le cadre d'un contrôle médical par un médecin agréé,
concluant à son aptitude à reprendre le travail, et d'une mise en demeure de rejoindre son poste
qui lui a été adressée par la commune car le courrier ne mentionnait le fait que l’intéressé
entourait une radiation des cadres (CAA Paris, 12 novembre 2009, AJFP n°2/2010 p. 108).
Parmi les autres obligations qui pèsent sur le fonctionnaire qui doit assurer son service, il y a
l’obligation de ;
- respecter les horaires de travail mais aussi les obligations en dehors des horaires
normaux (CE 29 mars 202, Département du Rhône, n°217195).
- répondre à des situations d’urgence comme rejoindre son poste de manière urgente :
cas d’un chirurgien (CE, 9 déc. 1966, Queinnec) ;
- De ne pas s’absenter de manière irrégulière (le fait d’aller suivre une cure thermale sans
autorisation (même si annonce verbale) justifie une sanction (CE 6 déc. 1978, Lefer, Tp
856).
- De justifier les absences pour raison de santé (sanction pour refus de contre visite : TA
Rennes, 17 juin 1998, Royan, AJFP n°6/1999) ;
- De justifier les absences pour activités syndicales (CAA Bordeaux, 26 fév. 2002,
Garrigenc, n°98BX01033)
- De résider à proximité de son domicile qui est en général imposée par le statut (CA, 10
janvier 1992, Malhouitre, rec. t. 846) ;
- D’exécuter ses fonctions (Professeur de médecine se déchargeant sur un étudiant, CE
18 déc. 1953, Fresnais, p. 32) ;
- De se conformer aux règles en vigueur (refus de stériliser un instrument pour une sage
femme : CE 26 juin 1957, Coadaou, rec. 941- magistrat qui a des retard excessif pour
rédiger ses jugements CE, 17 jan. 1996, Mme D. n°156-833)
- De ne pas abandonner son poste (CE, 10 oct. Mme Robin, n°139-896)
- De ne pas utiliser les moyens de service pour des fins personnelles (Utilisation de son
adresse mail professionnelle pour des courriels personnels (secte), CE 15 oct. MO,
n°244428, AJDA n°37/2003, p. 1959) ; a fortiori s’il s’agit d’un fichier de la police
(CAA Marseille, 15 novembre 2011, n°09MA03103, AJFP, 2012 n°2, p. 98, le
fonctionnaire en question a été révoqué….)
- De respecter le dépôt d’un préavis avant de faire grève (CE, avis, 2 avril 1985, n°337-
334).
Il existe non seulement des textes qui vont s’appliquer aux fonctionnaires pour régir leur
comportement mais aussi des us et coutumes donc certaines sont non écrits et sont propres
à chaque corps.
18
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
L’obligation qui pèse sur tout agent public est celle d’obéir aux ordres donnés par son
supérieur hiérarchique.
Cette obligation est doublée de l’obligation de conserver une attitude correcte à son
égard.
Ainsi, le devoir d’obéissance s’applique non seulement à l’égard de son supérieur direct mais
aussi à l’égard de toute personne régulièrement investi du pouvoir hiérarchique. Ce peut être
un autre chef de service en cas d’urgence ou le responsable d’un organisme dans lequel l’agent
est détaché.
Il appartient donc à la jurisprudence de donner corps à ces notions. Tout d’abord les deux
notions sont cumulatives.
L’ordre doit être manifestement illégal. Il s’agit d’un ordre manifestement insusceptible de se
rattacher à un pouvoir de l’administration ou donnée par une personne juridiquement
incompétente quant à son pouvoir sur l’agent en cause (CE, 8 nov. 1961, Coutarel, rec. 632).
L’idée de compromettre gravement le service public, recoupe en fait les agissements qui sont
susceptible de faire commettre à l’agent une infraction pénale.
19
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Il est donc difficile pour le fonctionnaire de s’y repérer….D’autant plus que les deux
conditions sont cumulatives c'est-à-dire que l’agent ne peut se prévaloir d’un acte qui serait
seulement irrégulier pour refuser d’obéir.
Ce type de désobéissance est fautive (CE, 10 avril 2002, Noble, CFP n°215/2002 p. 41).
Au-delà de l’aspect purement légal, ce qui est posé ici, c’est l’existence d’un devoir de
désobéissance supérieur à la règle de droit. En l’espèce, la loi a certes prévu des dispositions
mais comme nous venons de le voir la marge de manoeuvre est large.
Pour Paul Zawaski37 à propos de la résistance de certains fonctionnaires dans des situations
extrêmes, comme le refus d’obéir du consul général du Portugal à Bordeaux pendant la
seconde Guerre mondiale Aristide de Sousa Mendes, il y a là une énigme.
« L’énigme est là : pourquoi certains retrouvent dans ces situations cruciales une conviction
simple et droite qui les conduit au refus de collaborer, voire à la désobéissance ? Pourquoi
d’autres oublie leur liberté pour se penser comme des pantins mécaniques, …. »38.
Cette attitude héroïque d’un fonctionnaire portugais, est à rapprocher à la même époque d’un
certain Maurice Papon, alors secrétaire général de la préfecture de la Gironde….
Pour en référer à Kant, et ses trois maximes du sens commun, Papon n’est capable que de
pensée conséquente, s’exprimant par cliché sans connaître la pensée sans préjugé, c'est-à-dire
le fait de penser par soi-même. Et encore moins capable de pensée élargie c'est-à-dire la
capacité de juger en se mettant à la place de tout autre.
L'article 5-6 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 dispose que les agents de l'État à user d'un
droit de retrait (qui existe à l'article L. 4132-1 du Code du travail pour les salariés de droit
privé), d'un droit à la désobéissance, s'ils se trouvent dans une situation professionnelle
présentant un danger grave et imminent pour leur santé physique.
Les cas où de retrait du fonctionnaire sont rares. Ainsi dans une affaire concernant des
enseignants d’un lycée en zone sensible dans lequel s’était déroulée l’agression d’un lycéen,
37
P. Zawadski, « Un homme ça s’empêche » : Sentiment moral et dimensions de la désobéissance, in Esprits de
corps, Démocratie et espace public, dir. G.J. Guglielmi, C. Haroche, p. 119 et s.
38
Idem, p. 120.
20
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
le droit de retrait n’a pas été admis. Par contre, le juge a accepté d’indemniser le préjudice
d’anxiété à hauteur de 500 euros par enseignant39
Pour les fonctionnaires qui exercent des responsabilités syndicales, il existe une marge de
tolérance plus grande dans le comportement mais ils ne peuvent inciter les agents à la
désobéissance (CE, 29 juin, Savigny, rec. 185).
Au-delà des seuls ordres à exécuter, le fonctionnaire se doit d’être correct avec son supérieur.
Le refus de saluer un supérieur peut entrainer une sanction disciplinaire pour manque de
politesse caractérisée (CE, 1er oct. 1954, Barruel, tab. 827).
Il en est de même pour un comportement agressif à l’égard de ses supérieurs (CE, 5 jan. 1994,
Commune du Bouscat, n°110-673).
Le fonctionnaire doit aussi rendre compte à ses supérieurs (CE, 27 fév. 1985, Panarari, n°49-
760). Il doit de même informer ses supérieurs des erreurs qu’ils pourraient commettre comme
le fait de dissimuler une faute (CAA Nantes, 22 nov. 2002, Gallot, n°00NT00030).
Le fait de cacher une information constitue un acte de déloyauté (CE, 29 jan. 1988, Moine,
tab. 869).
Un bon fonctionnaire ne doit pas nuire à ses collègues. Il ne saurait les menacer avec un couteau
(CE, 27 avril, 1994, n°98-595) ou dénoncer à tort des agissements irréguliers (CE, 4 avril 1990,
n°87-225).
Il doit mettre ses subordonnés en mesure d’exécuter leurs fonctions et donc développer leur
motivation. Par contre, le supérieur ne saurait se servir de son autorité pour des fins contraires
à l’intérêt du service.
Il convient de s’intéresser à deux notions forts répandues mais pas forcément bien
définies, à savoir le harcèlement sexuel40 et le harcèlement moral.
a. Le harcèlement sexuel
A la suite de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles
et sexistes , un nouvel article 222-33 du Code pénal est entré en vigueur :
« I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée,
des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent
39
TA, 13 juillet 2012, Mme L. n°1004142, AJDA n°27/2012, p. 1479.
40
E. Marcovici, Les spécificités de la répression du harcèlement sexuel dans la fonction publique, AJFP 2011
n°4, p. 212 à 217.
21
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Ce texte garantit les agents contre les abus d'autorité en matière sexuelle dans les relations
de travail.
22
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Par exemple, un officier des sapeurs-pompiers a pu être sanctionné pour des faits de
harcèlement sexuel. En effet en
« nouant des relations personnelles avec une jeune recrue placée directement sous
ses ordres, dans des conditions qui ont conduit le sapeur dont il s'agit à porter plainte
pour des faits de harcèlement sexuel et ont entraîné au sein du service des
perturbations dues à la suspicion de favoritisme apparue auprès des autres recrues »,
l'officier a manqué à la retenue exigée d'un supérieur hiérarchique42.
Toutefois, il apparait pour certains auteurs, que la répression du harcèlement sexuel dans la
fonction publique est mal organisée en raison de la lourdeur et des limites des procédures
contentieuses notamment du coût des procédures43.
Ainsi le Conseil d’Etat n'a rendu qu'une seule décision employant cette notion, et encore,
seulement en référence à une plainte déposée en la matière par un agent en vue d'obtenir
qu'un autre fonctionnaire se voie infliger une sanction disciplinaire44.
Dans un arrêt du 14 février 2006, la cour administrative d'appel de Marseille a considéré
comme justifiée la révocation infligée à un fonctionnaire communal en raison de
42
CE, 20 mai 2009, n° 309961, C. JurisData n° 2009-075551
43
E. Marcovici, Les insuffisances de la répression du harcèlement sexuel dans la fonction publique, AJFP 2011
n°6, pp. 338-343.
44
CE 20 mai 2009, req. n° 309961, AJDA 2009. 1733
23
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Pour Muriel Komly-Nallier, et Lionel Crusoé : « Le constat est, qu'à ce jour, la notion de
harcèlement sexuel dans la fonction publique reste largement à construire46. »
b. Le harcèlement moral
L’autre forme connue de harcèlement est le harcèlement au travail ou harcèlement
moral. C’est la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale qui vise plus
généralement le harcèlement au travail ( C. pén., art. 222-33-2).
Il s’agit ici aussi d’un délit et la peine prévue est la suivante : un an d'emprisonnement et
15 000 € d'amende47. La loi du 17 janvier 2002 a introduit dans le titre I du statut général un
article 6 quinquies (C. trav., art. L. 1152-1 à L. 1152-3). qui prévoit qu’
« aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui
ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de
porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou
de compromettre son avenir professionnel ».
Il s’agit de la transposition de la directive communautaire 2000/78 du 27 novembre 2000
relative à l'égalité de traitement dans le travail. Dans leurs travaux, les spécialistes du droit
social ont tenté de dresser une typologie du harcèlement moral. Sont ainsi stigmatisés les
cinq types de comportement suivants :
empêcher la victime de s'exprimer (éviction des réunions de travail, privation du
téléphone) ;
isoler la victime (confiner l'agent dans un local bien à l'écart, CAA Marseille,
2 juin 1998, Cne Mandelieu-la-Napoule : AJFP mars 1999, p. 24) ;
déconsidérer la victime auprès de ses collègues ou de tiers ;
discréditer la victime dans son travail et notamment pousser l'intéressé à la faute
puis l'écarter de la structure pour cela ;
compromettre la santé physique ou psychique de la victime ce qui peut déboucher
sur un suicide.
L’analyse de la jurisprudence permet de se faire une idée des multiples cas de harcèlement. : Il
est possible de citer :
le retrait du téléphone portable à usage professionnel, l'obligation de se présenter
tous les matins à son supérieur hiérarchique et l'attribution de tâches sans rapport
avec les fonctions (Cass. soc., 27 oct. 2004, n° 04-41.008, Sté Mât de misaine c/ P. :
Bull. civ. 2004, V, n° 267 ; JCP A 2005, 1089, note D. Jean-Pierre) ;
45
CAA Marseille 14 févr. 2006, req. n° 02MA02364.
46
M. Komly-Nallier, et L. Crusoé La notion de harcèlement sexuel dans la fonction publique : Constat et
propositions, AJDA 2012 p. 1490 et s.
47
S. Salon et J.-C. Savignac, La loi de modernisation sociale et la fonction publique : AJDA 2002, p. 439
24
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Aussi du fait de ce type d’agissements, un agent public peut être révoqué du fait d’un abus
de pouvoir hiérarchique constitutif de harcèlement moral48
Pour le Conseil d’Etat, la victime d’un harcèlement moral ne peut pas en être jugée
responsable49.
48
CAA Nancy, 7 janvier 2010, n°09NC00301, AJFP n°4/2010 p. 211
49
CE, 11 juillet 2011, Mme Montaut, n°321225, AJDA 2011, concl. M. Guyomar, 2072
25
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
D’une manière générale, l’agent public est tenu à une certaine neutralité.
Comme cela a été mentionné, le respect de la neutralité sous-tend que pour l'accès à la fonction
publique, sont interdites les discriminations fondées sur les opinions religieuses des candidats
(CE, sect., 25 juill. 1939, Beis : Rec. CE 1939, p. 524, à propos d'une personne écartée de la
candidature à un emploi d'institutrice suppléante au motif qu'elle avait poursuivi ses études dans
un établissement confessionnel).
De même est illégale ; une mesure disciplinaire à l'encontre d'un agent motivé par son
appartenance au Parti communiste (CE, sect., 1er oct. 1954, Guille : Rec. CE 1954, p. 496).
La neutralité du service public doit donc être conciliée avec la liberté de conscience qui est un
principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const., 23 déc. 1997, déc.
n° 77-87 DC, liberté de l'enseignement). Ces principes sont rappelés dans les articles 6, 7 et 18
du titre I du statut général.
Cette neutralité s’applique aussi dans le domaine religieux. C’est l'obligation de respecter la
laïcité du service public.
Le « principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils disposent, dans le cadre du service public, du
droit de manifester leurs croyances religieuses » (CE, avis, 3 mai 2000, Marteaux : JurisData
n° 2000-060465 ; AJDA 2000, p. 673, chron. M. Guyomar et P. Colin)/
Pour le Conseil d'État il existe une « obligation de loyauté envers les autorités de la
République ». (CE, 12 déc. 1997, n° 134341 : Rev. adm. 1999, n° 310, p. 391, note F. La
feuille).
Il existe un devoir d’information mais trop en dire est aussi passible de sanctions disciplinaire.
L’administré doit être bien accueilli quand il vient porter plainte, et ne pas être expulsé avec
violence du commissariat (CAA Nantes, 10 jan. 2002, Llech, AJFP, n°5/2002, p. 47.)
Il va aussi de soi que le fonctionnaire ne peut accepter de cadeaux de la part des administrés51
même s’il n’existe aucune interdite écrite dans ce sens contrairement à d’autres fonctions
publiques comme par exemple au Québec, où il est précisé que
50
CAA Marseille, 27 septembre 2011, n°09MA02175, AJDA 2011 p. 2113, note M. Lopa Dufrénot
51
F. Colin, L'encadrement par le droit de la fonction publique des cadeaux faits aux agents, AJFP 2011 n°6, p.
351 à 357.
26
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
De par son comportement, y compris dans sa vie privée, le fonctionnaire se doit d’être digne de
sa fonction.
Ainsi, un commissaire de police stagiaire révoqué pour avoir utilisé l'ordinateur portable mis à
sa disposition par le service pour se connecter longtemps à des sites internet à connotation
sexuelle (CE, 10 avr. 2009, n° 312092, P. : JurisData n° 2009-075389).
De même un policier ne peut cohabiter avec une prostituée alors même qu’il a été relaxé du
délit de proxénétisme (CE, 14 mai 1986, ministre de l’intérieur, tab. 592).
Il est clair que le raisonnement vaut si le fonctionnaire a commis un délit et surtout s’il a perdu
ses droits civiques, ce qui constitue une des conditions de l’entrée en fonction.
Mais l’appréciation du juge est parfois empreinte de subtilités…
52
Article 6 du règlement sur l’éthique.
53
Réglementation finale publiée par le U.S. Office of Government Ethics et codifiée dans le 5 CFR, partie 2635
(édition du 1er janv. 2002), tel qu'amendé par 67 FR 61761-61762 (2 oct. 2002) ; source OCDE.
27
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Ainsi un gendarme, en tenue civile, qui vole divers objets pour un montant de 143,60 alors que
le magasin n’a pas plainte sera sanctionné mais non révoqué (CE, 25 mai 1990, K. tab. 560) car
le juge a estimé que cela relevait plutôt de trouble de comportement !
Par contre, un sous-brigadier qui vole des truites dans une pisciculture sera légalement révoqué
(CE 25 nov. 1994, Picault tab. 1014) alors même qu’aucune plainte n’avait été déposée….
De même le vol d’une paire de chaussures par un policier en dehors de ses heures de services
justifie une révocation (CE, 20 fév. 1981, Mankour, n°26-469).
Il en est de même d’une révocation justifiée pour une escroquerie d’un montant de 19,75 euros
commise par un policier (CAA Paris, 26 jan. 2010, n°08PA04902, AJFP n°4/2010 p. 206).. Ce
dernier avait changé l’étiquette d’un article de puériculture valant le double. Toutefois, en appel
la révocation justifiée par le juge n’a pas été appliquée car il avait fait l’objet d’une mutation
d’office (ce qui constituait une sanction déguisée) et donc il ne pouvait être sanctionné deux
fois pour les mêmes faits (application de la règle on bis in idem).
Par contre, en l’absence d’interdiction de droits civique lors d’une condamnation pénale (huit
ans de prison pour viol sur mineures de 15 ans par un ascendant), l’administration ne peut
considérer que la radiation est automatique, elle doit la prononcer de manière expresse (CAA
Lyon, 1er avril 2010, n°09LY00142, AJFP n°4/2010 p. 213).
L’obligation de dignité en dehors du service s’applique aussi aux fonctionnaires qui cumulent
leurs fonctions avec une autre activité rémunérée (cf. infra).
B. L’obligation de réserve
Il s’agit d’une limitation traditionnelle à la liberté d’expression qui résulte de la jurisprudence
du Conseil d’Etat (G. Braibant).
54
Avis n°11.A1883 du 14 décembre 2011
28
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
L’obligation de réserve ne doit pas pour autant donner lieu à des sanctions disproportionnées,
notamment quand il s’agit avant tout de faire taire une critique qui est loin d’être injustifiée.
Il existe aussi des situations dans lesquelles, le fonctionnaire est délié de son devoir de réserve,
comme lorsqu’il est appelé à dénoncer dans la presse des faits de harcèlement moral le
concernant56
Ainsi, commet une faute professionnelle, le fonctionnaire qui diffuse des documents internes à
l’administration (CE, 4 mai 1983 Skorski, rec. 174).
Il existe aussi une obligation relative au respect du secret professionnel qui constitue
une incrimination particulière. Toutefois, le délit visé par l’article 226-13 du code pénal n’est
constitué que dans la mesure où la divulgation ne fait pas partie des cas prévues par l’article
226-14 du code pénal qui prévoit des exemptions.
Le secret professionnel est une obligation pénalement sanctionnée qui protège l'administré et
non pas l'Administration.
A l’origine, il s’agissait de dispositions visant à protéger le secret médical qui a été étendu de
manière assez large.
55
CE 12 janvier 2011, M. Mattely, n°338461, AJDA n°1 2011, p. 5.
56
CAA Marseille, 27 septembre 2011, n°09MA02175, AJFP 2012 n°1, p. 39.
57
Circ. n° 97-119, 15 mai 1997, min. Éduc. nat., relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des
élèves.
29
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
D. L’obligation de neutralité
Il s’agit d’un principe à valeur constitutionnelle (DC n°86-217, du 18 septembre 1986).
Cette neutralité est appréciée de manière diverse selon la nature des fonctions occupées.
Ainsi dans l’enseignement primaire et secondaire (CE, 8 nov. 1985, Rudent, ADJA, 1985, p.
712).
Le fonctionnaire doit éviter de se livrer à des activités de propagande qu’elles soient politiques
ou religieuses. Par contre le syndicalisme est autorisé.
Le port d’un foulard comme signe d’appartenance religieuse est interdit (CE Avis 3 mai 2000 ;
Melle Marteaux, AJFP, n°5 5/2000, p. 39) et peut donner lieu à des sanctions disciplinaires
(CAA Lyon, Ben Abdallah, AJDA n°42/2003, p. 2228).
Cette interdiction ne méconnaît pas l’article 9 de la CEDH (CEDH, 15 janvier 2001, Dahab c/
Suisse, CFP n°203, p. 9033).
Cette obligation de neutralité se double d’une obligation d’impartialité qui doit être rapproché
de celle prévue par l’article 432-7 du code pénal.
Si l’on conçoit qu’un instituteur ne saurait être ivre en classe, il a été jugé qu’un instituteur alors
même qu’il était irréprochable ne saurait être vu ivre en dehors de l’école (CE, 22 dec. 1965,
Vialle, rec. 706).
Un professeur d’Université ne peut entretenir avec une de ses étudiantes une relation autre que
platonique (CE, 20 juin 1958, Louis).
Un fonctionnaire de police ivre dans un restaurant (en dehors de son service) ne peut pour
justifier son état brandir sa carte de police (CAA Nantes, 21 oct. 1999, Faechlin, CFP,
n°188/2000, p. 34).
L’obligation de dignité varie aussi selon les fonctions occupées et les époques.
Voici un extrait l’avis rendu le 19 mars 1965 par le Conseil supérieur de la magistrature relatif
à la révocation d’un procureur :
« Qu'il est devenu l'amant d'une femme mariée de mœurs légères, la dame Y..., et que
ces relations, connues de toute la ville, ont provoqué une scène de violences avec le
mari de cette femme ;
30
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Plus récemment, le juge administratif qu’un professeur d’anglais parce qu’il avait aidé une
prostituée et qu’il avait été condamné par le juge pénal pour aide à l’entrée et au séjour irrégulier
d’un étranger en France, ne pouvait être révoqué car en l’espèce le dossier montrait bien qu’il
était venue en aide à la prostituée étrangère en situation irrégulière58.
Il s’agit certainement d’une inflexion d’une jurisprudence assez classique. En effet, le Conseil
d’Etat avait en 1986, validé la révocation d’un fonctionnaire CRS de son état pour avoir
cohabité avec une prostituée59.
Il convient aussi de mentionner le cas du fonctionnaire internaute qui reste bien évidemment
soumis à ces obligations dans le cadre de ses échanges sur la toile60.
Un adjoint de sécurité ayant créé un blog dans lequel il apparaissait en tenue et il incitait à la
violence et à la haine raciale et faisait l’apologie de crime contre l’humanité a ainsi été licencié
(TA Lille, 8 avr. 2009, n°0750010, AJFP, 2010, p. 39)
F. L’obligation de loyalisme
Cette obligation ne figure pas dans le statut général mais dans certains textes comme le code de
déontologie de la police nationale.
Dans certains cas, pour les fonctionnaires nommées « à la discrétion du gouvernement » il s’agit
d’une loyauté totale à l’égard du gouvernement (CE 1er oct ; 1954, Guille, rec ; 496).
C’est le cas pour les préfets dont l’obligation de loyauté confine d’après certains à la docilité
voire à la servilité….. car chaque mercredi un nouveau conseil des ministres se tient….
Pour les autres agents, il ne saurait être question de dénigrer le drapeau tricolore et de vouloir
le remplacer par le drapeau rouge (CE, 8 juin 1962, Frischmann, rec. 382).
G. L’obligation d’indépendance
L’obligation d’indépendance vise à conforter la neutralité du fonctionnaire. Elle est aussi
58
CAA Marseille, 10 novembre 2009, n°07MA03132, AJFP, n°2 2010, p. 94.
59
CE, 14 mai 1986, n°71856, Journal des sociétés 1986 116 16.
60
A. Cavanol, Le fonctionnaire internaute est-il affranchi de ses obligations déontologiques ?, AJDA, 14 février
2011, n°5/2011, pp. 252-258.
31
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
garantie par les articles 432-12 et 432-13 du code pénal visent la prise illégale d’intérêts et la
prise de participation pour les fonctionnaires.
Même si le délit n’est pas forcément constitué, il peut y avoir une sanction disciplinaire.
32
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Alors que la notion de conflits d’intérêt est bien connue chez les juristes anglo-saxons, elle fait
difficilement son apparition en droit français. En effet, l’idée d’un conflit d’intérêt est qu’un
agent peut être au centre d’intérêts divergents et ne pas faire le bon choix. Pour les anglo-saxons,
il vaut mieux prévenir et donc éviter par des déclarations préalable la situation potentiellement
dangereuse.
A un avocat qui le consultait sur la possibilité de continuer à plaider alors qu'il venait d'être
nommé tribun de la plèbe, Pline le Jeune (61-114) répondait en se référant au choix qu'il avait
lui-même fait en semblable occurrence : pour sauvegarder l'indépendance et la dignité de sa
fonction publique, il avait « préféré se montrer le tribun de tous plutôt que l'avocat de quelques-
uns » (Epistulae, 1, 23, 1-5)61.
Souvent la différence entre corruption entre conflits d’intérêt n’est pas aisément appréhendée62,
ainsi Pierre Lascoumes estime qu’en France si l’on condamne la corruption, on s’accommode
fort bien des conflits d’intérêt63.
Pourtant diverses organisations internationales se sont penchées sur la question afin d’en donner
des définitions à usage pratique.
« Un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle un agent public a un intérêt
personnel de nature à influer ou paraître influer sur l'exercice impartial et objectif de
ses fonctions officielles. L'intérêt personnel de l'agent public englobe tout avantage pour
lui-même ou elle-même ou en faveur de sa famille, de parents, d'amis ou de personnes
proches, ou de personnes ou organisations avec lesquelles il ou elle a ou a eu des
relations d'affaires ou politiques. Il englobe également toute obligation financière ou
civile à laquelle l'agent public est assujetti»
(Conseil de l'Europe, Recommandation n° R (2000)10 du Comité des ministres sur les codes de
conduite pour les agents publics, 11 mai 2000).
Dans les Lignes directrices de l'OCDE pour la gestion des conflits d'intérêts dans le service
public publiées en 2003, l'Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) insistait sur le lien qui existe entre l'intégrité et le bon fonctionnement du
gouvernement et sur l'importance d'une gestion adéquate des conflits d'intérêts.
Les Lignes directrices de l'OCDE précisent qu'à défaut d'être gérés ou résolus correctement, les
conflits d'intérêts sont susceptibles de porter atteinte au bon fonctionnement des gouvernements
démocratiques :
61
Charles-Louis Vier, La notion de conflit d'intérêts, AJDA 2012. 869
62
J.B. Auby, E. Breen, T. Perroud, Corruption and conflict of interest : A comparative law approach, 2014
Edward Elgar, Cheltenham UK.
63
P. Lascoumes, Condemning corruption ans tolerating conflict of interest : French « arrangements » regarding
breach on integrity, in J.B. Auby, E. Breen, T. Perroud, Corruption and conflict of interest : Acomparative law
approach, 2014 Edward Elgar, Cheltenham UK., p. 67.
33
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
L’OCDE a émis des recommandations le 28 mai 2003, sur la gestion des conflits d’intérêts64
« Un « conflit d'intérêts » implique un conflit entre la mission publique et les intérêts
privés d'un agent public, dans lequel l'agent public possède à titre privé des intérêts
qui pourraient influencer indûment la façon dont il s'acquitte de ses obligations et de
ses responsabilités ».
De son côté, Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, considérait que « l'on peut
rapidement s'accorder à définir le conflit d'intérêts « comme une situation dans laquelle les
intérêts personnels d'une personne sont en opposition avec ses devoirs »66.
Ainsi en droit français, il est assez récent de s’intéresser à la notion de conflits d’intérêt. C’est
l’affaire Woerth en 2010 qui a déclenché une première réaction.
Certes nous venons de voir qu’il existe une obligation d’indépendance et de neutralité, qui
grosso modo recouvre ce genre de situation. Pour autant, l’administration n’agit qu’a postériori
c’est à dire quand il y a suspicion de faute, ce qui n’est guère satisfaisant.
Il est vrai que dans un pays où un ministre ne voit pas le conflit d’intérêt qu’il y aurait à décorer
de la Légion d’honneur le patron de son épouse. On peut difficilement blâmer le fonctionnaire
maladroit ou peu regardant….. Il est vrai qu’en France, la question des décorations est ancienne
puisque que le député et gendre du président Jules Grévy, Daniel Wilson, usait et abusait de sa
position pour faire attribuer des décorations et mener des interventions diverses. Malgré un
scandale important (1887–1888) qui déboucha sur deux procès et sur la création du délit de «
trafic d’influence », Daniel Wilson poursuit sa carrière d’élu (maire de Loches 1892 et réélu
député en 1893).
Comme on le voit, c’est l’affaire Wilson qui a abouti à un des premiers délits relatifs aux conflits
d’intérêt à savoir le trafic d’influence. Ceci dit, le cadre français a été jusqu’au vote de la loi
d’octobre 2013 assez démuni pour combattre ce type de pratiques. Pour autant, cela ne voulait
pas dire qu’il n’existait aucune disposition législative ou jurisprudentielle.
64
http://acts.oecd.org/Instruments/ShowInstrumentView.aspx?InstrumentID=130&Lang=fr&Book=False
65
Martin Hirsch, Pour en finir avec les conflits d'intérêts, Stock, 2010
66
Colloque organisé par l'association Droit et commerce, 2 avr. 2006, Le conflit d'intérêts, une question majeure
pour le droit des affaires du XXIe siècle, Propos introductifs, p. 2.
34
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
« On conçoit donc à quel point cette notion est vaste et combien les situations de conflit
d'intérêts peuvent être diverses et fréquentes [...]. La notion de conflit d'intérêts inclut
des situations très hétérogènes [...] et ne fait pas l'objet d'une définition précise dans la
doctrine [et encore moins en droit] »68.
Il est d’ailleurs symptomatique de remarquer que ce rapport sénatorial est un des rares à
reconnaître que la notion de conflit s'acclimate difficilement dans le contexte juridique et
philosophique français.
Pour le juriste français cartésien par essence, une telle notion met à mal la conception
classique de la norme, qu'exprime l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen selon lequel : « Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché »,
conception légaliste où la ligne est précisément tracée entre ce que la loi interdit et réprime, et
le reste, qui est permis.
Comme le fait remarquer le rapport sénatorial le problème des conflits d’intérêts est
qu’ils « se placent dans une "zone grise" entre le pénal et le non-pénal, imposent donc une
remise en cause de cette conception ».
Il y a là en résumé, l’essence de l’esprit cartésien cher aux juristes français qui consistent à
tracer une ligne qui définit de manière stricte ce qui est légal,de ce qui ne l’est pas même si
chacun ses qu’il appartiendra à la jurisprudence effectuer les ajustements nécessaires.
Comme l’écrivait Blaise Pascal : « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Montaigne
avait déjà formalisé une expression du même ordre : "Quelle vérité que ces montagnes bornent,
qui est mensonge au monde qui se tient au-delà".
Ainsi le juriste français aime bien les frontières claires et tracées au cordeau, même si c’est faire
fi de la réalité humaine. Tout ce qui n’est pas défini par la loi est supposé ne pas exister, ce qui
le conviendra constitue une fiction juridique bien pratique pour éviter de se plonger dans la
réalité et la complexité des comportements humains.
67
Sénat, Prévenir effectivement les conflits d'intérêts pour les parlementaires, n° 518, 12 mai 2011
68
Rapport d'information du Sénat, préc., p. 2
35
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Pour Charles-Louis Vier69, « Si le conflit est au coeur de l'être humain soumis aux
séductions antagonistes du Bien et du Mal, force est de constater que les juristes n'accèdent
pas à la notion de conflit d'intérêts par la voie de la philosophie ou de l'ontologie. ».
« Une dernière remarque de méthode nous semble s'imposer : pour caractériser une
situation de conflit d'intérêts, encore faut-il connaître les liens d'intérêts. En l'espèce,
la pesée fine des intérêts en présence, pour les deux membres évoqués ci-dessus, a été
rendue possible par l'examen de leurs déclarations publiques d'intérêts, remplies lors
de leur prise de fonction puis actualisées (CSP, art. L. 1451-1). Sans revenir sur le
fleurissement contemporain, dans tous les secteurs de la vie publique, de ces
déclarations, dont les origines remontent en matière sanitaire à la loi n° 2002-303 du 4
mars 2002 et dont le champ a été étendu par la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011,
il faut dire un mot de leur utilité pour le débat contentieux. Faisant la part des choses
entre le caractère impératif de ces formalités et le fond du problème, le Conseil d'Etat
a jugé que l'absence d'établissement ou de publication des déclarations ne révèle pas,
par elle-même, une violation du principe d'impartialité, mais qu'il appartient alors à
l'administration, à titre d'ersatz, de verser au contradictoire tous les éléments
permettant de connaître les intérêts en cause et de vérifier s'il y a ou non conflit (CE 17
févr. 2012, M me Arigon-Lali, préc.).
Le juge doit donc se livrer à une nouvelle casuistique (la deuxième, après celle qui vise
à détecter le conflit d'intérêts), pour mesurer l'influence que le membre présent a pu
exercer sur ses collègues, sur la base d'un faisceau comportant trois séries d'indices -
étant précisé que ce faisceau d'indices ne joue qu'en l'absence d'éléments tangibles
démontrant que l'intéressé a pesé, autrement que par sa simple présence, sur la
délibération. »
Dans une affaire assez récente, un chef de brigade de Gendarmerie a ainsi pu être muté
car il venait d’épouser la maire de la commune72.
De même, le Conseil d’Etat avait estimé (il est vrai juste après la publication du rapport
Sauvé, qu’il pouvait exister un conflit d’intérêts au sein de l’AFSSA car un des experts ayant
siégé entretenait des liens étroits avec une entreprise intéressée par les résultats de l’expertise73.
69
La notion de conflit d'intérêts – Charles-Louis Vier – AJDA 2012. 869
70
CE, avis, 22 juillet 2015, n° 361962, AJDA 2015 p.1626
71
Conflits d'intérêts : le déport implique-t-il le départ ? – Jean Lessi – Louis Dutheillet de Lamothe – AJDA
2015. 1626
72
TA Orléans, 3 déc. 2009, Chadelat, n°0602091, AJFP n°4/2010 p. 202
73
CE, 11 février, 2011, soc. Aquatrium, n°319828
36
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
1. Le rapport Sauvé
Le rapport Sauvé (du nom du VP du Conseil d’Etat) rendu le 26 janvier 2011 : Rapport
de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique,
prévoit un certain nombre pistes de réflexion qui ont donné lieu à un projet de loi (assez en
retrait avec le rapport).
Depuis la loi Sapin de 1993, il existait une commission de déontologie dans la fonction publique
afin de donner un avis quant à la possibilité pour des fonctionnaires de cumuler leur activité
74
Rapport de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, p. 18,
26 janvier 2011.
37
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
avec une activité privée mais aussi pour ceux qui quittent l’administration de vérifier que les
nouvelles fonctions ne constituent pas un conflit d’intérêts par rapport aux fonctions occupées
dans l’administration.
La Commission de déontologie de la fonction publique était aussi appelée à donner son avis
que la compatibilité entre l’appartenance à la fonction publique et la poursuite d’activités
privées. L’origine de cette loi remonte à l’article 72 de la loi du 11 janvier 1984 qui n’a pas été
appliqué jusqu’à ce qu’au début des années 90, un général de l’Armée de l’air se retrouve
devenir du jour au lendemain directeur des affaires internationales d’un avionneur (Dassault).
C’est alors que le président de la République demanda enfin l’application de la loi et donc la
commission a été mis en place par un décret du 17 janvier 1992 et maintenu par la loi du 29
janvier 1993 (Loi Sapin) qui a étendu aux autres fonctions publiques un tel dispositif.
Cette commission n’est pas sans reproche puisque en 2009 lors de la nomination de François
Pérol alors secrétaire général adjoint de l’Élysée à la tête du groupe et caisse d’épargne la
commission n’avait pas été consultée. Une crise sans suivi ce qui entraîna la démission de deux
membres de cette commission (les deux membres issus de la Cour des Comptes). À l’époque,
Jérôme Cahuzac interrogé par France Info a eu ce commentaire :
« Je m'étonne qu'il n'y ait eu que deux démissions car d'évidence la commission et son
président, Monsieur Fouquet, ont été ridiculisés par le pouvoir en place.76».
La réforme issue de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations
des fonctionnaires et du décret n°2017-105 du 27 janvier 2017 relatif à l’exercice d’activités
privées par des agents publics et certains agents contractuels de droit privé ayant cessé leurs
fonctions, aux cumuls d’activités et à la commission de déontologie de la fonction publique est
venu élargir l’intervention de cette commission.
Les administrations pouvaient également saisir la commission de déontologie de la fonction
publique afin qu’elle formule une recommandation sur l’application des dispositions
mentionnées ci-dessus à des situations individuelles.
En 2016, pour l’ensemble des trois fonctions publiques, la commission a été saisie de 3552
dossiers, dont un peu moins de 70 % correspondent à des demandes de cumul d’activités.
75
Article 2, I de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
76
https://www.mediapart.fr/journal/france/210509/affaire-perol-l-honneur-bafoue-de-la-commission-de-
deontologie
38
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Les avis de compatibilité simple, c’est-à-dire sans réserve – y compris les avis tacites
représentent environ 33 % des avis rendus pour la fonction publique de l’Etat, 55 % pour la
fonction publique hospitalière et 41 % pour la fonction publique territoriale.
Les avis de compatibilité sous réserves s’élèvent quant à eux à 52,43 % en 2016 pour la fonction
publique de l’Etat, à 35,75% pour la fonction publique hospitalière et à 44,11 % pour la fonction
publique territoriale la même année.
Quelques exemples permettent de se faire une idée du contrôle qui pouvait être effectué.
39
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
dispositions. Il y a donc matière à exercer le contrôle pénal dans le cas du directeur des
affaires juridiques et des marchés publics d’une commune qui souhaite rejoindre cette
société en qualité d’avocat collaborateur (avis n°TC/ 2014-31 du 17 juin 2014).
Les lois du 11 octobre 201377 relatives à la transparence de la vie publique, ont abouti à la
création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)78 qui est une
autorité administrative indépendante (AAI) chargée de promouvoir la probité des responsables
publics.
La Haute Autorité reçoit et contrôle les déclarations de patrimoine et d'intérêts des personnalités
suivantes :
membres du Gouvernement ;
députés et sénateurs ;
députés français au Parlement européen ;
présidents et vice-présidents de Conseil régional, de Conseil général, de l'Assemblée et
du conseil exécutif de Corse et de Martinique, de l'Assemblée de Guyane, de la
métropole de Lyon et d'assemblée territoriale d'outre-mer ;
maires de communes et présidents d'intercommunalités de plus de 20 000 habitants ;
adjoints au maire de communes et vice-présidents d'intercommunalités de plus de
100 000 habitants ;
membres des cabinets ministériels et collaborateurs du président de la République, du
président de l'Assemblée nationale et du président du Sénat ;
membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques
indépendantes ;
présidents et directeurs des établissements publics de l'État à caractère industriel et
commercial, des sociétés où la participation de l'État ou des collectivités est majoritaire;
toute autre personne exerçant un emploi ou une fonction à la décision du Gouvernement,
nommée en conseil des ministres.
Elle rend publique ces déclarations dans les conditions prévues par la loi :
publication des déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts des membres du
Gouvernement ;
consultation en préfecture par les électeurs inscrits sur les listes électorales des
déclarations de patrimoine des parlementaires ;
publication des déclarations d’intérêts des parlementaires et des grands élus locaux.
Elle peut se saisir des situations de conflit d'intérêts et éventuellement prononcer une injonction
d'y mettre fin. Elle se prononce sur la compatibilité de l'exercice d'une activité libérale ou d'une
activité rémunérée dans le secteur concurrentiel parallèlement ou dans les trois années suivant
l'exercice de fonctions gouvernementales ou de fonctions exécutives locales.
77
Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique
Loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique
Loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique
78
http://www.hatvp.fr/index.html
40
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
L’article 25 insère les articles 18-1 à 18-10 dans la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 modifiée
relative à la transparence de la vie publique afin de créer un répertoire numérique des
représentants d’intérêts qui sont définis de façon exhaustive. Il est à noter que, au sens de ladite
loi, les organisations syndicales de fonctionnaires ne sont pas des représentants d’intérêts. Le
rôle et l’activité de ces derniers seront désormais encadrés de manière stricte.
L’article 29 modifie l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 précitée afin d’élargir
la liste des personnes devant adresser à la Haute Autorité une déclaration de situation
patrimoniale et une déclaration d’intérêts dans les deux mois suivant leur entrée en fonctions.
Il s’agit des membres des collèges et, le cas échéant, des membres des commissions investies
de pouvoirs de sanctions ainsi que des directeurs généraux et secrétaires généraux et de leurs
adjoints de trente-deux organismes publics tels que l’Autorité de la concurrence, la Commission
nationale d’aménagement commercial, la Commission nationale de l’informatique et des
libertés, la Commission d’accès aux documents administratifs, la Haute autorité de santé…
L’article 27 modifie l’article 23 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 précitée afin d’étendre
les compétences de la HATVP. La Haute Autorité peut désormais se prononcer sur la
compatibilité de l’exercice, par certains agents publics, d’une activité libérale ou d’une activité
rémunérée non seulement au sein d’une entreprise mais aussi au sein d’un établissement public
ou d’un groupement d’intérêt public (GIP) dont l’activité a un caractère industriel et
commercial.
Voulue par la nouvelle majorité élue après l’élection présidentielle de 2017, ces deux textes,
une loi organique et une loi simple, dont la discussion s’engagea peu de temps après l’affaire
Fillon, visent à moraliser les pratiques des élus même si le terme moralisation ne serai
finalement pas retenu car il comportait une connotation trop négative pour certains. Moraliser
41
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
aurait signifié qu’il n’y avait aucune morale dans le comportement des élus…..
Les deux textes comportent des dispositions variées qui concernent aussi bien le président de
la République79 que les parlementaires et les membres du gouvernement80.
Les candidats à l’élection présidentielle doivent effectuer une déclaration de patrimoine à partir
de 6 mois avant la fin du mandat en cours et au moins 5 mois avant. De plus, la déclaration
auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) et qui est publiée
par elle, ne concerne pas seulement le patrimoine mais elle s’étend désormais à une déclaration
d’intérêts et d’activités.
Une question régulièrement soulevée lors des différents débats portait sur la nécessité de ne pas
avoir de casier judiciaire pour se présenter. Une telle disposition aurait contrevenu à des
principes constitutionnels (le droit à se réinsérer notamment). Aussi la nouvelle a prévu
l'insertion d'un nouvel article 131-26-2 du code pénal. Celui-ci prévoit d'abord (art. 131-26-2 I)
que
« le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité mentionnée au 2° de l'article
131-26 et à l'article 131-26-1 est obligatoire à l'encontre de toute personne coupable
d'un délit mentionné au II du présent article ou d'un crime. Cette condamnation est
mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire prévu à l'article 775 du code de
procédure pénale pendant toute la durée de l'inéligibilité ».
Il s'agit donc de rendre obligatoire la peine d'interdiction des droits civiques, qui ne peut excéder
une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et cinq ans en cas de condamnation
pour délit, mais peut être étendue à dix ans pour un délit à l'encontre d'une personne exerçant
une fonction de membre du gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits
délictueux. Cependant le caractère automatique de ce prononcé est nuancé par le principe selon
lequel
« la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas
prononcer la peine prévue par le présent article, en considération de l'infraction et de
la personnalité de son auteur » (art. 131-26-2 III).
La question des conflits d'intérêts est abordée de manière peu approfondie par de nouveaux
mécanismes de prévention, encadrant notamment la nomination des membres du
gouvernement, et par la création d'un registre des déports qui reste à définir.
La loi a ajouté à la liste des éléments devant figurer dans la déclaration d'intérêts et d'activités
des membres du Parlement leurs participations directes ou indirectes leur donnant le contrôle
d'une entité dont l'activité consiste principalement dans la fourniture de prestations de conseil.
Elle précise également que chaque assemblée détermine les conditions dans lesquelles les
députés et les sénateurs veillent
« à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflit d'intérêts dans
lesquelles ils se trouvent ou pourraient se trouver, après avoir consulté, le cas échéant,
l'organe chargé de la déontologie parlementaire à cette fin ».
Elle précise aussi le rôle du déontologue de l’Assemblée nationale car au Sénat ce rôle est joué
79
R. Rambaud, Confiance dans la vie publique ;la révolution attendra, AJDA 2017 n°39, pp. 2237-2245.
80
Jean-François Kerléo, Les dispositions relatives aux élus et aux membres du gouvernement, AJDA 2017 n°39,
pp. 2246-2255.
42
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Pour les membres du gouvernement, la loi instaure un contrôle avant la nomination afin d’éviter
certaines nominations comme celle d’un ministre atteint de phobie administrative voire
coupable de fraude fiscale. Mais cela ne concerne pas le comportement privé du ministre…
La loi prévoit aussi la création d’un registre de déports concernant aussi bien les parlementaires
que les membres du gouvernement.
Enfin, la loi prévoit la suppression de l’IRFM (indemnité représentative des frais de mandat).
Désormais, il appartient au bureau de chaque assemblée de définir le régime de prise en charge
des frais de mandat et d'arrêter la liste des frais éligibles. Ce pouvoir s'effectue en collaboration
avec l'organe chargé de la déontologie parlementaire qui est obligatoirement consulté au
préalable. Le nouveau dispositif laisse une liberté de choix aux assemblées. L’avancée n’est pas
aussi importante qu’annoncé car par exemple à l’assemblée nationale, les justificatifs ne seront
pas systématiquement contrôlés mais une fois tous les cinq ans. Imagine-t-on un chef
d’entreprise ne pas faire vérifier tous les frais engagés par ses collaborateurs pour leur
déplacements… ? Faut-il préciser que pour les parlementaires, il s’agit d’argent public ?
43
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Désormais ce sont, les autorités hiérarchiques de la grande majorité des agents publics qui
doivent opérer, au sein de chaque administration, les contrôles permettant d’assurer que les
règles déontologiques sont respectées. Elle transfère donc la décision afin qu’elle soit prise au
niveau même de l’administration, en principe mieux placée pour évaluer les risques encourus
par ses agents au regard des missions exercées. La Haute Autorité reste toutefois compétente
pour les fonctions considérées comme particulièrement sensibles, en raison de leur niveau
hiérarchique ou de leur nature, de certains responsables publics et, exceptionnellement, pour
donner son avis à l’autorité hiérarchique sur les emplois publics impliquant un certain niveau
hiérarchique ou des fonctions particulières81
Dans une affaire jugée le 5 novembre 202082, le Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur une
situation de conflits d’intérêt d’un ancien secrétaire général d’un ministère (Europe et affaire
étrangères) qui voulait aller travailler dans un secteur privé à savoir le salon « World Nuclear
Exhibition » (WNE), organisé par le Groupement des industries françaises de l'énergie nucléaire
(GIFEN).
« Toutefois, compte tenu des éléments qu'elle a relevés, la Haute Autorité n'a pas
commis d'erreur d'appréciation ni fait une inexacte application des dispositions du VI
de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 en estimant que la présidence du salon
WNE était susceptible de faire naître des doutes sur les conditions dans lesquelles M.
B. avait exercé les pouvoirs d'administrateur représentant les intérêts de l'Etat
actionnaire au sein des sociétés EDF et Orano et en se fondant sur ce motif pour estimer
que la présidence envisagée présentait un risque déontologique, sans qu'aucune réserve
n'apparaisse propre à le prévenir. »
81
Définis par l’article 2 du décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la
fonction publique.
82
CE, 25 novembre 2020, n°440963, AJDA 2021 p. 571, note A. Mangiavillano.
44
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
La loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, telle que modifiée par
la loi du 6 août 2019, pose un principe : l’autorité hiérarchique de l’agent public est compétente
pour apprécier, tout au long de sa carrière, les éventuels risques de nature déontologique ou
pénale. Le principe est posé par les articles 25 septies et octies de la loi du 13 juillet 1983, qu’il
s’agisse de la nomination sur un emploi particulier d’une personne ayant exercé des activités
dans le secteur privé, du cumul d’activités d’un agent public ou de la reconversion
professionnelle de ce dernier.
La désignation d’un référent déontologue est obligatoire depuis la loi du 20 avril 2016, qui a
créé un article 28 bis au sein de la loi du 13 juillet 1983. Le décret n° 2017-519 du 10 avril 2017
relatif au référent déontologue dans la fonction publique précise les conditions de sa
désignation.
Si l’autorité hiérarchique envisage de nommer un agent ayant travaillé dans le secteur privé /
l’agent ou le fonctionnaire doit saisir son autorité hiérarchique.
L’autorité hiérarchique doit apprécier la nomination ou le projet de l’agent ou du fonctionnaire,
selon les principes déontologiques qui s’imposent à la fonction publique;
Lorsque l’avis du référent déontologue ne permet pas de lever le doute sérieux, l’autorité
hiérarchique peut saisir, pour avis, la Haute Autorité. Il en découle que l’autorité hiérarchique
joue un rôle clé dans la mise en œuvre du respect des obligations déontologiques dans la
fonction publique, assistée, en cas de besoin, par le référent déontologue. Il en résulte également
que la saisine de la Haute Autorité est subordonnée à deux conditions de recevabilité :
- la démonstration d’un doute sérieux sur la compatibilité de la nomination ou du projet
de l’intéressé;
- la saisine préalable du référent déontologue pour avis, lequel n’a pas permis de lever le
doute sérieux.
45
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
83
Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique) [1985] 2 R.C.S. 455,
(Fraser), paragraphe 39.
84
Paragraphe 38
85
Paragraphe 42.
86
R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128.
87
Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41, paragraphe 15.
46
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Les comportements attendus de la part de ces fonctionnaires sont les suivants et il est rappelé
que
« Les fonctionnaires servent l'intérêt public » :
3.1 Ils se conduisent toujours avec intégrité et d'une manière qui puisse résister
à l'examen public le plus approfondi; cette obligation ne se limite pas à la simple
observation de la loi
3.2 Ils n'utilisent jamais leur rôle officiel en vue d'obtenir de façon inappropriée
un avantage pour eux-mêmes ou autrui ou en vue de nuire à quelqu'un.
3.3 Ils prennent toutes les mesures possibles pour prévenir et résoudre, dans
l'intérêt public, tout conflit d'intérêts réel, apparent ou potentiel entre leurs
responsabilités officielles et leurs affaires personnelles.
3.4 Ils agissent de manière à préserver la confiance de leur employeur. »
Nous sommes encore loin en France, de ce qui se pratique dans certains pays. Ainsi, le
vérificateur général du Canada dans son rapport de l’automne 201089 a-t-il donné le compte
rendu d’une enquête sur la gestion des conflits d’intérêts dont les objectifs visaient à déterminer
si :
- le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada fournit aux ministères les outils dont ils
ont besoin pour s’acquitter des responsabilités du gouvernement fédéral en matière de
conflit d’intérêts;
- les cinq ministères sélectionnés se sont assurés que des mécanismes et de l’aide sont en
place et que les cadres supérieurs désignés possèdent des connaissances suffisantes pour
s’acquitter de leurs responsabilités en matière de conflit d’intérêts.
47
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Il existe ainsi sur le site du gouvernement Canadien un site consacré à la divulgation proactive
qui rassemble l’ensemble des sites publics concernés par une divulgation92
91
http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=28108
92
http://www.tbs-sct.gc.ca/hgw-cgf/finances/rgs-erdg/pd-dp/index-fra.asp
48
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Dans un article intitulé « Ethique et gestion publique : apprendre des scandales »93 Yves
Boisvert montre comment à travers la gestion de plusieurs scandales l’administration
canadienne a pu réagir.
Certains éléments sont récurrents comme par exemple, les conflits intérêt le mauvais usage des
deniers publics voire le détournement de fonds. Même si la plupart du temps les dérapages ne
sont pas dus à un vide juridique mais au non-respect des textes et procédures existant, dans les
trois affaires présentées de se situer plutôt au niveau de l’éthique que de la violation de textes.
Trois valeurs fondamentales à la base du service public ont été atteints dans ces trois affaires ;
l’indépendance, l’intérêt public, et la confiance.
Il est aussi apparu que les dérapages se sont produits dans des situations à risque bien identifiés
comme la nomination politique de fonctionnaires ou d’agents publics ainsi que la nomination
d’acteurs privés dans l’administration. Dans cette la situation ; ces nouveaux gestionnaires ne
sont pas formés pour comprendre les exigences de la gestion publique et ont tendance à
reproduire le fonctionnement d’une entreprise privée. Il existe aussi des situations à risque plus
triviales comme la gestion des frais de voyage qui si elle ne fait pas l’objet d’une vérification
par des tiers peut entraîner assez facilement des abus.
Une autre interrogation porte sur la sortie de la fonction publique et l’utilisation abusive des
connaissances et informations stratégiques qu’un agent public a pu acquérir dans son ancien
poste.
93
Y. Boisvert, Ethique et gestion publique : apprendre des scandales, RAFP n°140, 2011, pp. 641-658.
94
Y. Boisvert, Ethique et gestion publique : apprendre des scandales, op. cit. n°54
95
Idem n°64.
49
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
D’une manière générale les scandales ont pour effet de conduire à l’adoption de nouveaux textes
à la mise en place du nouveau dispositif ou à la transformation des dispositifs inadéquats. Ce
qui aboutit généralement à l’adoption d’un texte législatif après la rédaction de rapports par des
observateurs externes.
L’un des effets de ces scandales est certainement qu’ils ont causé un retour en force de
l’approche de conformité administrative et aussi du processus de modernisation, en ce qu’il
faisait référence au secteur privé.
Dans son rapport sur le Sénat en date du 4 juin 2015, le vérificateur des comptes du Canada a
examiné les dépenses des sénateurs et a relevé96 :
« 117. Nous avons constaté que 30 sénateurs ou anciens sénateurs avaient :
engagé des dépenses que nous avons trouvées non conformes aux règles, aux
politiques ou aux lignes directrices du Sénat applicables à ces dépenses;
demandé le remboursement de dépenses qui n’étaient pas liées à des activités
parlementaires;
engagé des dépenses qui étaient étayées par des éléments probants tellement
minces ou contradictoires que nous n’avons pu exprimer une opinion d’audit.
118. Nous présentons un rapport individuel sur chacun de ces sénateurs et anciens
sénateurs dans les annexes A et B du présent rapport.
Annexe A — Dossiers recommandés pour renvoi à d’autres autorités
119. Nous avons trouvé neuf cas qui devraient être renvoyés immédiatement à d’autres
autorités, telles que la Gendarmerie royale du Canada, pour l’une des raisons
suivantes, ou les deux :
Le sénateur ou l’ancien sénateur a demandé le remboursement de frais
inadmissibles, en l’occurrence des frais de subsistance, alors qu’il se trouvait dans la
région de la capitale nationale et d’autres frais de déplacement alors que, selon nous,
il n’existait pas de preuve d’une présence importance du sénateur ou de l’ancien
sénateur à la résidence qu’il avait déclarée comme étant sa résidence principale. Dans
certains de ces cas, nous avons examiné les demandes de remboursement des frais de
subsistance et de déplacement d’années antérieures à la période visée par l’audit pour
déterminer si les habitudes de voyage du sénateur ou de l’ancien sénateur étayaient
ou réfutaient notre constatation.
L’absence généralisée d’éléments probants ou la présence d’éléments probants
contradictoires nous a empêchés d’exprimer une opinion d’audit, à savoir si les
dépenses avaient été engagées dans l’exercice d’activités parlementaires. »
96
Vérificateur général des comptes, Les dépenses des sénateurs, juin 2015,
http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_otp_201506_f_40494.html?wbdisable=true
50
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Avant le Stock Act de 2012, le code pénal fédéral (Criminal federal code) punissait déjà d'une
amende et/ou d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à quinze ans, ainsi que d'une
peine complémentaire de privation de la capacité à occuper un emploi fédéral, les membres du
Congrès ou les agents du Congrès qui,
« dans l'intention d'influencer, pour des raisons d'affiliation politique partisane, une
décision d'embauche, de rémunération ou de carrière dans une institution privée » :
- soit prennent ou retirent, proposent ou menacent de prendre ou de retirer une décision
publique (official act) de quelque nature ;
- soit influencent, offrent ou menacent d'influencer une décision publique de quelque
nature.
Le Stop Insider Trading on Congressional Knowledge Act (Stock Act) a été promulgué par le
président des Etats-Unis le 4 avril 2012, mais l'application de certaines de ses dispositions a été
bloquée par un juge fédéral en septembre 2012. Aussi le Congrès a-t-il entrepris de le modifier.
Par suite, une nouvelle loi adoptée définitivement le 12 avril 2013 exempte un certain nombre
de hauts responsables administratifs fédéraux de la publication en ligne de leur situation
patrimoniale et financière.
Formellement, le Stock Act modifie différents autres textes, notamment le Securities Exchange
Act de 1934, l'Ethics in Government Act de 1978, le Congressional Accountability Act de 1995,
l'Honest Leadership and Open Government Act de 2007.
Alors qu'il était supposé ne concerner que les membres du Congrès, les candidats au Congrès
et les fonctionnaires du Congrès, c'est à l'initiative du Sénat qu'il a été agrémenté de dispositions
intéressant par ailleurs les membres du pouvoir exécutif ainsi que des fonctionnaires travaillant
au sein de la branche exécutive, les juges fédéraux ainsi que des fonctionnaires travaillant
auprès des juridictions fédérales.
La règle cardinale du Stock Act consiste dans l'interdiction faite à de nombreux dépositaires de
l'autorité fédérale d'utiliser à des fins lucratives les informations non publiques connues à
l'occasion de leurs fonctions. Les obligations nouvelles de transparence financière édictées par
ce texte n'épuisent cependant pas cette interdiction puisque la loi s'en remet par ailleurs à des
mesures d'application propres à chaque chambre du Congrès, au pouvoir exécutif et au pouvoir
judiciaire fédéral.
En effet, le Stock Act enjoint aux comités d'éthique de chacune des deux chambres d'édicter des
circulaires interprétatives des règles applicables aux membres et aux fonctionnaires du Congrès
et relatives aux conflits d'intérêts, aux cadeaux dont ils peuvent être destinataires, ainsi qu'à
l'interdiction faite aux décideurs et autres agents publics d'utiliser à des fins lucratives des
informations non publiques dont ils peuvent avoir connaissance à l'occasion de leurs fonctions.
La même injonction est faite à l'Office of Government Ethics pour les personnels relevant du
pouvoir exécutif et à l'U.S. Judicial Conference pour les personnels judiciaires (juges fédéraux
et personnels des juridictions fédérales).
Conflits d'intérêts, lobbying et corruption des décideurs fédéraux depuis le Stock Act – Pascal Mbongo –
97
51
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
98
Ce chiffre doit être rapporté à celui des agents publics civils exerçant auprès du pouvoir exécutif (2 776 000 en
2010), à celui des agents publics militaires statutaires [Uniformed military personnel] (1 602 000 en 2010), à
celui des agents publics travaillant auprès du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire fédéral (64 000 personnes
en 2010). Soit au total 4 443 000 agents publics fédéraux recensés en 2010. Statistiques de l'Office of
Management and Budget.
52
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
« La démocratie réserve au peuple un pouvoir de regard et de jugement. Il n’en faut pas plus.
Tous les abus sont secrets99 »
99
Alain, Propos de politique, Ed. Rieder, Paris, 1934 p. 324
53
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Désormais le secret n’est plus acceptable il y a trop de vies qui ont été perdues ou détruites à
cause des secrets protégés par l’administration pour que la question ne soit plus posée100. Ainsi,
au niveau français, l’affaire concernant le Médiator et les laboratoires Servier a montré si besoin
était que l’administration savait fort bien protéger des secrets notamment quand ils étaient
susceptibles d’entraîner une réaction publique.
Il est désormais absolument nécessaire que les lanceurs d’alerte soient reconnus à leur juste
valeur non seulement pour eux-mêmes mais aussi dans le cadre plus général de la protection de
l’intégrité gouvernementale et de la bonne administration publique.
La liste des secrets révélés par les lanceurs d’alerte est très longue. On peut ainsi débuter cette
liste par la sphère dramatique des papiers du Pentagone (Pentagone papers) dévoilée en 1971
qui impliquaient les États-Unis dans la guerre du Vietnam101. Ceci donna lieu d’ailleurs à une
décision de la Cour suprême américaine le 30 juin 1971 qui autorisa la publication sans pour
autant laisser carte blanche aux journalistes102. Mais il est aussi possible toujours dans le même
pays, de faire état du scandale énorme ou des abus subis par les prisonniers dans la prison
d’Abou Grahib.
Si le constat est désormais général, il serait naïf de penser que maintenant les lanceurs d’alerte
se verront facilement reconnus comme des précurseurs de l’intérêt public.
Il y a des obstacles considérables pour les employés publics qui dévoilent des mauvaises
conduites pires que la corruption, à faire état de ces faits. Les individus qui ont eu le courage
(ou l’inconscience) de dévoiler ce type d’agissements en subissent toujours un coût
extrêmement élevé.
Ainsi dans l’affaire Cahuzac, Rémy Garnier inspecteur des finances publiques qui avaient eu à
connaître de l’affaire des 2003 a fait l’objet de sanctions disciplinaires de la part de son
administration et il lui a fallu aller devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux pour
obtenir gain de cause.
L'avertissement infligé en 2008 est ainsi annulé par la Cour administrative d'appel de Bordeaux,
le 31 mai 2013. La Cour souligne qu'
« en procédant de sa propre initiative, dans le cadre des fonctions de programmation
du contrôle fiscal pour lesquelles il avait reçu l’habilitation, à la consultation de
dossiers fiscaux de particuliers dans son ressort géographique afin de vérifier la
pertinence d’informations dont il avait pu avoir connaissance, M. Garnier ne peut être
regardé comme ayant commis un abus de fonction ». Mis au placard « Il n’avait été
chargé d’aucune mission spécifique, sa direction ne lui ayant défini aucun axe de
recherches auquel il aurait dû se tenir ».
La Cour souligne enfin que l'accusation de sa hiérarchie d'avoir manqué à son obligation de
neutralité ne tient pas : alors qu’aucun fait de divulgation de données à caractère confidentiel
n’est reproché au vérificateur, « rien n’établit qu’il a agi à des fins personnelles sans lien avec
100
Ines Dussuyer, Stephen Mumford, Glenn Sullivan, Reporting corrupt practices in the public interest :
innovative approaches to whistleblowing in Handbook of global research and practical in corruption ed. By
Adam Graycar and Russel G. Smith, Edward Elgar, 2011, pp. 429-462.
101
V. le film du même nom de Steven Spielberg ; sorti en 2017.
102
New York Times Co. c. États-Unis d’Amérique (403 US 713)
54
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Pour information non seulement il a fait l’objet d’une sanction administrative mais il a depuis
fait l’objet d’un contrôle fiscal.
Le coût personnel pour le lanceur d’alerte s’apprécie d’abord dans le cas du travail mais aussi
dans un cadre plus général concernant les pertes financières que cela peut entraîner et même les
répercussions en termes de santé. Ceci explique d’ailleurs des nombreux cas de silence de
personnes qui ayant eu à connaître les agissements répréhensibles ont estimé que le coût qu’ils
auraient à supporter ne leur permettaient pas de prendre des risques.
Bien évidemment le fait de conserver une organisation avec de tels dysfonctionnements comme
la corruption est aussi très élevée. Et il y a des effets à court et long terme quand les mauvaises
conduites et la corruption sont ignorées dans une organisation. Souvent, le dévoilement de faits
répréhensibles coïncide avec le moment où de tels faits paraissent devoir modifier durablement
l’organisation elle-même voire porter atteinte à sa survie.
Ainsi les effets sur la croyance du public et sa confiance au gouvernement devraient être pris
en compte alors que cela est rarement le cas. Pendant longtemps, les seuls révélateurs des
inconduites administratives ont été les organes de presse et encore uniquement certains au
moins en ce qui concerne le paysage français.
Ainsi, la France a été condamnée à plusieurs reprises pour la violation du secret professionnel
garanti par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme104 :
« …la Cour arrive à la conclusion que le Gouvernement n’a pas démontré que la
balance des intérêts en présence, à savoir, d’une part, la protection des sources, et, de
l’autre, la prévention et la répression d’infractions, a été préservée. A cet égard, elle
rappelle que « les considérations dont les institutions de la Convention doivent tenir
compte pour exercer leur contrôle sur le terrain du paragraphe 2 de l’article 10 font
pencher la balance des intérêts en présence en faveur de celui de la défense de la liberté
de la presse dans une société démocratique » (Goodwin, précité, § 45).
88. La Cour est ainsi d’avis que si les motifs invoqués par les juridictions nationales
peuvent certes passer pour « pertinents », ils ne peuvent être jugés « suffisants » pour
justifier la perquisition incriminée.
89. Elle conclut que la mesure litigieuse est à considérer comme disproportionnée et a
violé le droit des requérants à la liberté d’expression reconnu par l’article 10 de la
103
http://www.sudouest.fr/2013/06/02/affaire-cahuzac-columbo-avait-bien-le-droit-de-consulter-le-dossier-de-l-
elu-1071927-647.php
104
CEDH 12 avril 2012, Martin et autres, n°30002/08
55
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Convention. »
Depuis cette affaire, la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des
sources des journalistes est venue apporter certaines garanties aux journalistes. Ainsi, l’article
2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que :
« Le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission
d'information du public. ».
De plus, l’article 56-2 du code de procédure pénale a été créé et précise :
« Les perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse, d'une entreprise de
communication audiovisuelle, d'une entreprise de communication au public en ligne,
d'une agence de presse, dans les véhicules professionnels de ces entreprises ou agences
ou au domicile d'un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité
professionnelle ne peuvent être effectuées que par un magistrat.
Ces perquisitions sont réalisées sur décision écrite et motivée du magistrat qui indique
la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, ainsi
que les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Le contenu de cette
décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance de la personne
présente en application de l'article 57.
Le magistrat et la personne présente en application de l'article 57 ont seuls le droit de
prendre connaissance des documents ou des objets découverts lors de la perquisition
préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut concerner des documents
ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles mentionnées dans cette décision.
Ces dispositions sont édictées à peine de nullité.
Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites
respectent le libre exercice de la profession de journaliste, ne portent pas atteinte au
secret des sources en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de
la presse et ne constituent pas un obstacle ou n'entraînent pas un retard injustifié à la
diffusion de l'information.
La personne présente lors de la perquisition en application de l'article 57 du présent
code peut s'opposer à la saisie d'un document ou de tout objet si elle estime que cette
saisie serait irrégulière au regard de l'alinéa précédent. Le document ou l'objet doit
alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l'objet d'un procès-verbal
mentionnant les objections de la personne, qui n'est pas joint au dossier de la procédure.
Si d'autres documents ou objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever
de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l'article 57. Ce procès-
verbal ainsi que le document ou l'objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai
au juge des libertés et de la détention, avec l'original ou une copie du dossier de la
procédure.
Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention
statue sur la contestation par ordonnance motivée non susceptible de recours…. ».
Enfin, le secret des sources est protégé par le dernier alinéa de l’article 100-5 du code de
procédure pénale :
« A peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un journaliste
permettant d'identifier une source en violation de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la
liberté de la presse. »
56
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Dans une autre affaire, la CEDH a annulé des sanctions prises contre un fonctionnaire, car il
avait divulgué des informations internes relatives des infractions pénales. La Cour a estimé
constituait en l’espèce que le requérant « a agi de bonne foi et avec la conviction que
l'information était authentique, » la divulgation servait l'intérêt général et il ne disposait pas de
moyens plus discrets afin de dénoncer les agissements en question105.
Même si des progrès ont été faits, le lanceur d’alerte de bonne foi doit être reconnu pour ce
qu’il est non pas un fonctionnaire déloyal ou traître mais bien au contraire une personne qui
poursuit l’intérêt public. Contrairement à ce qui a pu être avancé, la loi du silence ne sert pas
l’administration, elle dessert l’intérêt général et ne sert, hélas, que les fonctionnaires corrompus.
Il est donc primordial que des dispositifs spécifiques soient mis en place afin de s’assurer de la
protection des lanceurs d’alerte à court et à long terme mais aussi éviter bien évidemment des
abus c’est-à-dire l’utilisation du droit d’alerte à des fins purement personnelles.
I. L’ordre illégal
Il convient de se poser la question de l’ordre illégal. L’article 28 de la loi du 13 juillet 1983
sur le statut général de la fonction publique dispose que le fonctionnaire « doit se conformer
aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est
manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ».
Il appartient donc à la jurisprudence de donner corps à ces notions. Tout d’abord les deux
notions sont cumulatives.
L’ordre doit être manifestement illégal. Il s’agit d’un ordre manifestement insusceptible de se
rattacher à un pouvoir de l’administration ou donnée par une personne juridiquement
incompétente quant à son pouvoir sur l’agent en cause106.
L’idée de compromettre gravement le service public, recoupe en fait les agissements qui sont
susceptible de faire commettre à l’agent une infraction pénale.
Il est donc difficile pour le fonctionnaire de s’y repérer….D’autant plus que les deux
conditions sont cumulatives c'est-à-dire que l’agent ne peut se prévaloir d’un acte qui serait
seulement irrégulier pour refuser d’obéir. Ce type de désobéissance est fautive107.
Au-delà de l’aspect purement légal, ce qui est posé ici, c’est l’existence d’un devoir de
désobéissance supérieur à la règle de droit. En l’espèce, la loi a certes prévu des dispositions
mais comme nous venons de le voir la marge de manoeuvre est large.
Pour Paul Zawaski108 à propos de la résistance de certains fonctionnaires dans des situations
extrêmes, comme le refus d’obéir du consul général du Portugal à Bordeaux pendant la
105
CEDH, gde ch., 12 févr. 2008, n° 14277/04, Guja c/ Moldavie , JCPA n° 52, 22 Décembre 2008, 2289,
obs. D. Szymczak
106
CE, 8 nov. 1961, Coutarel, rec. 632
107
CE, 10 avril 2002, Noble, CFP n°215/2002 p. 41
108
P. Zawadski, « Un homme ça s’empêche » : Sentiment moral et dimensions de la désobéissance, in Esprits de
corps, Démocratie et espace public, dir. G.J. Guglielmi, C. Haroche, p. 119 et s.
57
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Cette attitude héroïque d’un fonctionnaire portugais, est à rapprocher à la même époque d’un
certain Maurice Papon, alors secrétaire général de la préfecture de la Gironde qui a été
condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l'humanité. Ce personnage a été par la
suite plusieurs fois préfet, notamment en Algérie mais aussi préfet de police de Paris de 1958
à 1967, et ce avec la plus grande bienveillance du général de Gaulle. Il est à noter que pendant
cette période, le nom de Papon sera associé à deux évènements qui rappellent les heures noires
de la République.
Les événements du 17 octobre 1961 sont le fait de la répression meurtrière, par la police
française, d'une manifestation d'Algériens organisée à Paris par la Fédération de France du
FLN ( de 30 à 98 morts…)
L'affaire de la station de métro Charonne est une affaire de violence policière qui a eu lieu le
8 février 1962, dans la station de métro Charonne à Paris, à l'encontre de personnes
manifestant contre l'OAS et la guerre d'Algérie (9 morts dont un apprenti de 16 ans).
Par la suite, de 1978 à 1981, il sera ministre du Budget dans le troisième gouvernement de
Raymond Barre et fut nommé commandeur de la Légion d’honneur.
Dans sa décision du 12 avril 2002, rendu à la suite de la condamnation par la Cour d’assises
de la Gironde pour complicité de crime contre l’humanité le 3 avril 1998, le Conseil d’Etat
certes reconnu la responsabilité de Maurice Papon mais aussi celle de l’Etat pour moitié. Il
s’agissait pour Maurice Papon de faire assumer par l’Etat une partie des indemnités civiles
auxquelles, il avait été condamné. Pourtant malgré les éléments du dossier, une partie de la
magistrature ne concevait pas que Papon puisse être condamné comme l’a raconté Irène
Carbonnier111 une des juges assesseurs :
« Ce qui s’est passé à la cour d’appel de Bordeaux en 1997 est révélateur du
fonctionnement de la justice, sans être spécifique à ce dossier. C’est comme cela que,
trop souvent, se composent les juridictions ad hoc : en l’espèce, l’objectif étant
l’acquittement de Maurice Papon, ont été désignés deux magistrats pour qui « juger un
haut fonctionnaire était impossible » puisque, fonctionnaires ou magistrats, « nous
n’aurions sans doute pas fait mieux à la place de Maurice Papon sous l’Occupation »,
outre un troisième taxé de laxiste par sa hiérarchie ».
Il apparaît d’ailleurs que le souci de plaire au pouvoir n’était pas l’apanage du seul Maurice
Papon comme le montre Irène Carbonnier :
« A l’occasion d’un colloque en 2013, au Conseil d’Etat, j’ai fait des recherches pour
comprendre quelle avait été l’attitude des magistrats. Je me suis intéressée au tribunal
de Valence et me suis rendu compte que l’un des magistrats qui s’était fait passer pour
109
J.A Frachon, Le monde, 31 octobre 1997, https://www.lemonde.fr/shoah-les-derniers-temoins-
racontent/article/2005/08/18/le-consul-qui-sauva-trente-mille-personnes_679757_641295.html
110
Idem, p. 120.
111
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/03/le-proces-papon-raconte-par-irene-carbonnier-juge-
assesseur_5430776_3232.html?xtmc=carbonnier_papon&xtcr=1
58
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
résistant à la Libération et grâce à cela avait eu une carrière en belle progression, avait
en réalité présidé des cours spéciales à Grenoble. Il avait été un redoutable président
et pourtant avait bénéficié d’un avancement pour des faits de résistance. On le présente
comme un grand résistant mais cela est faux, comme pour Papon 112».
Ces éléments permettent de mieux comprendre la position du Conseil d’Etat dans cette
affaire :
« …Considérant que l'appréciation portée par la cour d'assises de la Gironde sur le
caractère personnel de la faute commise par M. PAPON, dans un litige opposant M.
PAPON aux parties civiles et portant sur une cause distincte, ne s'impose pas au juge
administratif statuant dans le cadre, rappelé ci-dessus, des rapports entre l'agent et le
service ;
Considérant qu'il ressort des faits constatés par le juge pénal, dont la décision est au
contraire revêtue sur ce point de l'autorité de la chose jugée, que M. PAPON, alors
qu'il était secrétaire général de la préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944, a prêté
son concours actif à l'arrestation et à l'internement de 76 personnes d'origine juive qui
ont été ensuite déportées à Auschwitz où elles ont trouvé la mort ; que si l'intéressé
soutient qu'il a obéi à des ordres reçus de ses supérieurs hiérarchiques ou agi sous la
contrainte des forces d'occupation allemandes, il résulte de l'instruction que M.
PAPON a accepté, en premier lieu, que soit placé sous son autorité directe le service
des questions juives de la préfecture de la Gironde alors que ce rattachement ne
découlait pas de la nature des fonctions occupées par le secrétaire général ; qu'il a
veillé, en deuxième lieu, de sa propre initiative et en devançant les instructions venues
de ses supérieurs, à mettre en oeuvre avec le maximum d'efficacité et de rapidité les
opérations nécessaires à la recherche, à l'arrestation et à l'internement des personnes
en cause ; qu'il s'est enfin attaché personnellement à donner l'ampleur la plus grande
possible aux quatre convois qui ont été retenus à sa charge par la cour d'assises de la
Gironde, sur les 11 qui sont partis de ce département entre juillet 1942 et juin 1944,
en faisant notamment en sorte que les enfants placés dans des familles d'accueil à la
suite de la déportation de leurs parents ne puissent en être exclus ; qu'un tel
comportement, qui ne peut s'expliquer par la seule pression exercée sur l'intéressé
par l'occupant allemand, revêt, eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de
leurs conséquences, un caractère inexcusable et constitue par là-même une faute
personnelle détachable de l'exercice des fonctions ;
que la circonstance, invoquée par M. PAPON, que les faits reprochés ont été commis
dans le cadre du service ou ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service est sans
influence sur leur caractère de faute personnelle pour l'application des dispositions
précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; Sur l'existence d'une faute de
service :
Considérant que si la déportation entre 1942 et 1944 des personnes d'origine juive
arrêtées puis internées en Gironde dans les conditions rappelées ci-dessus a été
organisée à la demande et sous l'autorité des forces d'occupation allemandes, la mise
en place du camp d'internement de Mérignac et le pouvoir donné au préfet, dès octobre
1940, d'y interner les ressortissants étrangers de race juive , l'existence même d'un
service des questions juives au sein de la préfecture, chargé notamment d'établir et de
tenir à jour un fichier recensant les personnes de race juive ou de confession israélite,
l'ordre donné aux forces de police de prêter leur concours aux opérations d'arrestation
et d'internement des personnes figurant dans ce fichier et aux responsables
administratifs d'apporter leur assistance à l'organisation des convois vers Drancy - tous
112
Idem.
59
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Dans la même ville, à la même époque, un autre fonctionnaire a agi différemment, Aristide de
Sousa Mendes, Consul du Portugal à Bordeaux113.
Le 16 juin 1940, il a accompli " la plus grande action de sauvetage menée par une seule
personne pendant l'Holocauste ", selon Yehuda Bauer. Trente mille personnes (mais le nombre
exact serait inférieur), dont dix mille juifs, purent, en effet, échapper à la barbarie nazie grâce à
Aristides de Sousa Mendes.
« Désormais, je donnerai des visas à tout le monde, il n'y a plus de nationalité, de race,
de religion. »
En mai 1940, fuyant les forces allemandes, des centaines de milliers de réfugiés se retrouvent
à Bordeaux. Beaucoup se massèrent devant le consulat du Portugal.
Pour que chaque visa soit valide, il devait être signé du consul lui-même. Aussi, il signait de
huit heures à trois heures du matin. Parmi les milliers d'anonymes, quelques personnes célèbres
113
José-Alain Fralon, Le Monde 18 août 2005.
60
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
comme Otto de Habsbourg, qui se souvient "des milliers de documents estampillés" ou Zita de
Habsbourg mais aussi des ministres belges en exil ainsi que le pianiste Norbert Gingold.
Salvador Dali, Julien Green….
A Lisbonne, les autorités prévinrent Aristides de Sousa Mendes que "toute autre erreur sera
considérée comme de la désobéissance et entraînera un procès disciplinaire".
Il existait en effet un ordre de Salazar aux consulats portugais de ne pas délivrer de visa aux
personnes arrivant des pays de l'Est envahis par les Allemands, aux "suspects d'activités
politiques contre le nazisme" et aux juifs.
Sousa Mendes, lui, se basait sur la Constitution de son pays, qui nie toute discrimination. "S'il
me faut désobéir, ajoute le consul, je préfère que ce soit à un ordre des hommes qu'à un ordre
de Dieu."
Quand le 22 juin, la France capitule, les réfugiés de Bordeaux savent qu'ils n'ont plus que
quelques jours, quelques heures, avant l'arrivée des Allemands.
De son côté, le gouvernement portugais envoie deux fonctionnaires à Bordeaux pour ramener
le fonctionnaire récalcitrant à Lisbonne, sous prétexte de protéger sa sécurité.
Devant cette situation, Mendes demande aux réfugiés de le suivre et ordonne à son chauffeur
de rouler tout doucement et de prendre une route de campagne. Un convoi se met alors en route,
le consul dans sa voiture, suivi de plusieurs centaines de réfugiés jusqu’à Bayonne puis la
frontière espagnole.
"Je suis le consul du Portugal, ces gens possèdent un visa conforme pour gagner le Portugal",
déclara Mendes au policier espagnol qui l’interrogea à la frontière.
Le 30 octobre 1940, Salazar Sousa Mendes est sanctionné d’un an d'inactivité, à la diminution
de moitié de ses appointements, avant sa mise à la retraite.
"déshonoré le Portugal devant les autorités espagnoles et devant les forces allemandes
d'occupation". "Mon seul objectif était de sauver des gens dont la souffrance était
imprescriptible",
"Je ne pouvais faire des distinctions entre les nationalités, les races ou les religions,
étant donné que j'obéissais à des raisons d'humanité qui, elles, ne font pas de distinction
entre les nationalités, les races ou les religions."
Mis à la retraite, Aristides de Sousa Mendes va demander sa réhabilitation sans succès jusqu’à
sa mort, le 3 avril 1954, à soixante-neuf ans,
En 1966, à Jérusalem, l'Institut Yad Vashem fait de Sousa Mendes un "juste parmi les nations"
61
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
En 1974, après la "révolution des oeillets", un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères
demanda bien la réhabilitation de Sousa Mendes, mais sa hiérarchie lui fit comprendre que le
consul avait commis la pire des fautes pour un fonctionnaire : la désobéissance. Le 4 juillet
1940, Oliveira Salazar avait en effet reproché à Sousa Mendes d'avoir osé "mettre ses impératifs
de conscience au-delà de ses obligations de fonctionnaire" .
En 1986, il est enfin décoré à titre posthume par le président de la République portugaise Mario
Soares avec "l'Ordre de la liberté" au grade d'Officier et sa famille reçoit des excuses publiques.
En 1994, le président Soares dévoile un buste du consul à Bordeaux, ainsi qu'une plaque au 14
quai Louis-XVIII, adresse du consulat du Portugal en 1940.
Enfin, en 2010, la ville de Bayonne nomme une rue "Aristides de Sousa Mendes" en son
honneur.
Un troisième cas mérite d’être abordé qui a trait à des faits remontant à l’Occupation à
Bordeaux, celui d’Henri Salmide de son vrai nom : Heinz Stahlschmidt114.
Il s’agit d’un artificier de la marine allemande affecté à Bordeaux depuis décembre 1941.
Il était aux commandes de plusieurs dépôts de munitions, ainsi que des hangars sur le port de
Bordeaux, dont le dépôt central du blockhaus de la rue Raze.
Il y avait tout le matériel pour faire sauter les ponts et les installations portuaires de Bordeaux
qui était prêt depuis la fin du mois de juillet 1944. Ce fait est rapproché, de l’ordre qui avait été
donné de faire sauter tous les ponts de Paris en août 1944115
Un ordre du 19 août 1944 règle tous les détails d’exécution et désigne l’ordre de mise à feu des
ponts de Bordeaux (nuit du 26 au 27 août), et de celui de Saint-André-de-Cubzac (nuit du 27
au 28 août).
Les installations portuaires bordelaises devaient être détruites le 24 août à 20 heures puis l’ordre
fut retardé au 25 août à 12h30.
Le 21 août, Henri Salmide prend seul la décision de faire sauter le blockhaus qui abrite la clef
du dispositif. Le 22 août, il pénètre dans l’ouvrage, procède à sa mise à feu.
114
Marjorie Michel, Sud-Ouest, 15 février 2014.
115
Cf. notamment le film de Réné Clément , Paris brule-t-il? 1966.
62
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
À la question : "Pourquoi avoir ainsi risqué votre vie ?", il répond très sobrement :
« Je n’ai pas agi pour me sauver, ni pour une contrepartie, que j’ai d’ailleurs refusée à
plusieurs reprises. Ce qui a tracé ma ligne de conduite, c’est d’abord ma haine pour le
régime nazi, et c’est ensuite mon affection pour la France ».
Détruire le port de Bordeaux, c’était faire 2 000 ou 3 000 morts pour un résultat nul du
point de vue stratégique : la guerre était déjà perdue pour l’Allemagne ».
Ce fait d’armes capital pour Bordeaux est resté longtemps dans l’ombre et c’est un journaliste
Christian Seguin qui révéla son existence aux lecteurs de « Sud Ouest Dimanche », le 31 janvier
1993.
Finalement, le 19 mai 1995 (la même année que pour Aristide de Sousa Mendes), Henri Salmide
reçoit la médaille de la Ville de Bordeaux par Jacques Chaban-Delmas, cinquante et un ans
après les faits, et la Légion d’honneur, le 7 décembre 2000, des mains du préfet Christian
Frémont, en l’absence des figures politiques locales. Devenu français en 1947, Heinz
Stahlschmidt fit un retour très émouvant sur les terres de son enfance, à Dortmund, en 2001,
pour s’expliquer.
À 82 ans, il était venu faire taire la rumeur qui le disait traître ou déserteur: "Sans ma Légion
d’honneur, je n’aurais pas pu venir parler."
Pour en référer à Kant, et ses trois maximes du sens commun, Papon n’était capable que de
pensée conséquente, s’exprimant par cliché sans connaître la pensée sans préjugé, c'est-à-dire
le fait de penser par soi-même. Et encore moins capable de pensée élargie c'est-à-dire la capacité
de juger en se mettant à la place de tout autre.
Le comportement de Papon est à rapprocher des explications fournis par Adolf Eichmann en
1961 à Jérusalem116.
Dans ce genre d’affaires, on a pu titrer que, entre l’éthique et la loi, la position de l’État était
ambiguë117. Et effectivement elle l’est. Ainsi, en temps de paix, l’expression d’opinions
dissidentes constitue un signe de la bonne santé de la démocratie. Par contre en temps de guerre,
une opinion dissidente est souvent considérée comme non patriotiques voir comme lâche. En
même temps, même si les suites des procès de Nuremberg ont pu donner lieu à l’établissement
d’une distinction du style noir et blanc entre les ordres légaux (ceux qui doivent être appliqués)
et ceux illégaux (ceux auxquels on doit désobéir), ce type de distinction est difficile à mettre en
œuvre lors des opérations de terrain.
Beaucoup de décisions ne s’inscrivent pas de manière aussi nette dans une telle dichotomie
c’est le cas de la décision concernant le capitaine Rockwood aux États-Unis, qui sans ordre lors
116
Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, 1963, traduit de l'anglais par Anne
Guérin, Paris, Gallimard, 1966 ; réédition Paris, Gallimard, 1991
117
Ted van Barda, Between Ethics ans Law : The Ambigous position of the State, Journal of military ethics, Vol.
14, n°2, July 2015, p. 113.
63
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
d’une mission à Haïti en 1994 a pénétré dans une prison de l’ancien régime où étaient détenus
dans des conditions épouvantables des prisonniers politiques118. L’arrestation de ce militaire
provoqua d’importants débats et entraîna le soutien ouvert du sergent Hugh Thomson (pilote
d’hélicoptère qui ne put sauver que quelques personnes) qui s’est rendu célèbre à la suite du
massacre de My Lay, survenu durant la guerre du Viêt Nam, a été perpétré le 16 mars 1968 par
des soldats américains contre plusieurs centaines de civils vietnamiens, dont beaucoup de
femmes et d'enfants, dans le hameau de Mỹ Lai. Le massacre a été caché par l'armée américaine
et dévoilé seulement un an et demi plus tard dans un reportage du magazine Harper's.
Afin de limiter les risques pour les agents publics qui révèleraient des malversations au sein de
l’administration et dans l’attente d’une loi plus globale qui prenne aussi en compte les situations
de conflits d’intérêts, la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude
fiscale et la grande délinquance économique et financière a intégré la question des lanceurs
d’alerte dans un titre II comportant 2 articles.
Un article a créé un nouvel article 6 ter A au sein de la loi du 13 juillet 1983 portant sur les
droits et obligations des fonctionnaires :
« Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation,
la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à
l'égard d'un fonctionnaire pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits
constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses
fonctions.
Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.
En cas de litige relatif à l'application des deux premiers alinéas, dès lors que la
personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou
témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie
défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des
éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge
forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures
d'instruction qu'il estime utiles.
Le présent article est applicable aux agents non titulaires de droit public. »
118
Ted van Barda, Between Ethics ans Law : The Ambigous position of the State, Journal of military ethics, Vol.
14, n°2, July 2015, p. 115.
64
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
- Une bonne protection ne peut être assurée que grâce à des procédures spécialisées.
119
https://www.oecd.org/corruption/ethics/Protection-efficace-lanceurs-d-alerte-resume.pdf
65
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
- Encourager les pays à concevoir des dispositifs d’examen pour dégager des données,
des repères et des indicateurs relatifs aux systèmes de protection des lanceurs d’alerte
et au cadre général d’intégrité, afin d’évaluer l’efficacité et de contrôler les résultats.
Dans la loi du 13 juillet 1983 relatif au statut des fonctionnaires a été glissé un article 3 consacré
à la protection des lanceurs d’alerte.
Ainsi, un lanceur d’alerte, c’est une personne qui veut mettre fin à une action illégale ou
irrégulière en interpelant les pouvoirs en place ou en suscitant une prise de conscience.
Jusqu’alors, la protection des lanceurs d’alerte dans la fonction publique ne concernait que la
dénonciation des crimes et délits, elle concerne aussi désormais les conflits d’intérêts. L’agent
public ne peut pas être sanctionné pour avoir dénoncé de bonne foi un conflit d’intérêts. De
plus, aucune mesure qui viendrait freiner sa carrière ne peut être prise contre lui.
Cet article vise à créer de toutes parts une protection pour les fonctionnaires «lanceurs d’alerte
» qui vont relater ou témoigner de « bonne foi » de faits susceptibles d’être qualifié de conflits
d’intérêts. Il s’agit en fait, de la reprise de la proposition n° 19 du rapport de la commission
Sauvé de 2011.
D’une manière concrète, cette disposition devrait interdire toute discrimination ou toute
sanction contre les fonctionnaires relatant témoignant de ce type de faits à leur autorité
hiérarchique puis le cas échéant à leurs référents déontologiques ou aux autorités judiciaires ou
administratives.
Il s’agit donc en fait, d’octroyer une garantie de protection en vue de faciliter l’identification
des conflits intérêts au sein de la fonction publique. Il convient de noter que contrairement aux
dispositifs déjà existants ces dispositions visent à prévenir les conflits intérêts et non pas à
dénoncer uniquement les violations des dispositions pénales.
120
Projet de loi relatif à la déontologie et au droit des obligations des fonctionnaires, numéro 1278 déposé le 17
juillet 2013 à l'Assemblée nationale. Cf. notamment Rapport de M. Alain Vasselle, Sénat, Sénat n°274, 16
décembre 2015.
121
JORF n°0094 du 21 avril 2016 :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032433852&fastPos=1&fastReqId=404
354560&categorieLien=id&oldAction=rechTexte
66
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Cette protection s’étend désormais aux militaires. Aucune forme de sanction ne peut être prise
contre un militaire qui, de bonne foi, a témoigné de faits constitutifs d’un délit, d’un crime ou
d’un possible conflit d’intérêts.
L’état actuel du droit antérieur permettait toutefois d’identifier néanmoins déjà six dispositifs
sectoriels concernant les lanceurs d’alerte. Ainsi, ces dispositifs se sont multipliés depuis 2013
et concerne les domaines de la lutte contre la corruption ou de la protection de l’environnement.
Il est bien évidemment aussi rappelé l’existence de l’article 40 du code de procédure pénale qui
dispose que tout fonctionnaire « qui dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance
d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République ».
Cette disposition existe depuis très longtemps mais est effectivement d’une efficacité fort
relative.
Depuis 2013, il existait aussi un dispositif global de protection des fonctionnaires relatant
témoignant d’un délit ou d’un crime qui figure désormais dans le statut général des
fonctionnaires. Le problème étant que dans les dispositifs existants il n’existe pas véritablement
de définition du canal d’alerte c’est-à-dire du référent auquel pourrait être confié le problème à
régler.
Dans le nouveau système, il est prévu que le fonctionnaire doit s’adresser « à l’une des autorités
hiérarchiques dont il relève ».
Dans le cas où les supérieurs hiérarchiques ne font rien, il est prévu alors que le fonctionnaire
puisse s’adresser soit aux autorités administratives (et notamment à la Haute autorité pour la
transparence de la vie publique) soit aux autorités judiciaires soit encore un référent
déontologique créé par la loi actuelle afin d’apporter « tous conseils utiles au respect des
obligations et des principes déontologiques ».
L’article 7 de la loi leur accorde une irresponsabilité pénale s’ils divulguent certains secrets
protégés par la loi.
L’article 8 précise que le signalement effectué par un lanceur d’alerte doit s’effectuer en trois
étapes successives :
- 1° Auprès de son supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de son employeur ou d’un référent
67
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Par ailleurs, l’article 8 impose également aux personnes morales de droit public, aux
administrations de l’État, aux communes de plus de 10 000 habitants ainsi qu'aux
établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont
membres, aux départements et aux régions d’établir des procédures appropriées de recueil des
signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et
occasionnels. Un décret en Conseil d’État en fixera les modalités de mise en œuvre.
Il est aussi prévu, une stricte confidentialité lors du recueil d’un signalement (article 9).
L’article 10, paragraphe II modifie l’article 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983
modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires afin d’interdire toute sanction ou
mesure discriminatoire, directe ou indirecte, à l’encontre d’un fonctionnaire ayant lancé une
alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la présente loi. Cependant, un fonctionnaire qui aurait
l’intention de nuire ou qui aurait une connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits
relatés rendus publics ou diffusés serait puni des peines prévues au premier alinéa de l’article
L. 226-10 du code pénal, soit cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Il est créé un article L. 911-1-1 dans le code de justice administrative. Ce nouvel article permet
au juge administratif d’ordonner la réintégration d’un agent public faisant l’objet d’un
licenciement, d’un non-renouvellement de contrat ou d’une révocation au motif d’avoir lancé
une alerte au sens des articles 6 à 8 de la présente loi.
Bien évidemment afin d’éviter les alertes abusives il est prévu que le lanceur d’alerte doive être
« de bonne foi » .
La question de la bonne foi, est bien évidemment difficile à définir. Toutefois lors des débats
parlementaires un député Monsieur Jean-Louis Roux Vegas, a défini cette bonne foi comme
étant « la conviction du lanceur d’alerte de se trouver dans une situation conforme au droit,
avec la conscience d’agir sans léser les droits d’autrui ».
Dans les situations où la bonne foi n’aurait pas été reconnue la loi prévoit déjà des dispositions
qui concernent celles relatives à la dénonciation calomnieuse qui sont prévues par l’article 226–
10 du code pénal et sont punis de cinq ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
Deux questions restent toutefois en suspens, c’est la question du devoir d’obéissance par rapport
à la aux supérieurs hiérarchiques dont nous avons vu qu’il ne pouvait être écartées qu’en cas
d’ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.
68
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Ce qui pose la question du lanceur d’alerte qui précisément souhaiterait dénoncer son supérieur
hiérarchique.
Il faut donc renvoyer cela à la juridiction administrative qui devra trancher entre ce qui relève
du manquement à la discrétion professionnelle et ce qui relève du manquement aux obligations
relatives aux conflits intérêts. La frontière est ténue c’est ainsi que dans le cas de l’affaire
Mattely, à savoir un gendarme qui a critiqué la presse le rattachement de son service au
ministère de l’intérieur, le Conseil d’État a estimé qu’il avait manqué à son devoir discrétion
professionnelle122.
À l’opposé, la directrice d’un office public municipal d’habitations à loyer modéré qui a
communiqué à son conseil d’administration des informations relatives à un manquement aux
règles de la commande publique n’a pas pu être sanctionnée sur ce motif123.
La question pourrait être posée, de savoir si une telle loi a une efficacité sur le bon
fonctionnement de l’administration.
Dans une étude de 2016, le Conseil d’Etat préconise différentes mesures au motif qu’il faut
améliorer la situation des lanceurs d’Alerte : Le droit d’alerte, signaler, traiter, protéger124
Une étude menée aux États-Unis125 sur le rôle des lanceurs d’alerte lors des infractions
financières a montré de manière éclairante l’utilité de telles dispositions.
Ainsi, il a été étudié le rôle des lanceurs d’alerte par rapport à des affaires concernant la Security
Exchange Commission et le département de la justice américain.
Et notamment ont été examinés, les effets du rôle lanceur d’alerte sur le montant des
pénalités financières aussi bien à l’égard des entreprises que des employés fautifs et enfin il a
aussi été examiné la question de la durée des peines de prison prononcée contre les
responsables.
Il s’avère que sur la totalité des affaires examinées le montant moyen des amendes prononcées
en cas de l’intervention de lanceur d’alerte était de 76,96 millions de dollars alors que dans les
affaires où aucun lanceur d’alerte n’était intervenu le montant des amendes prononcées n’était
que de 39,29 millions de dollars. De la même manière, quand il s’agit de peines de prison, il a
été remarqué que ces peines étaient plus longues de 21,57 mois quant à lanceurs d’alerte étaient
à l’origine.
Parallèlement, le fait qu’une affaire soit lancée par un lanceur d’alerte entraîne une durée
d’enquête plus longue d’environ 10 mois du fait précisément les efforts sur nations
122
Conseil d'État, 11 janvier 2011, Mattely, n° 338 461.
123
Conseil d'État, 10 octobre 2012, Office public de l'habitat de Châtillon c/ Hamet, n° 347 128.
124
Conseil d’Etat, Le droit d’alerte, signaler, traiter, protéger, 26 février 2016. La Documentation française.
125
Andrew Call, Gearald Martin, Nathan Sharp, Jaron Wildz, JEL classification: G38; K22; K42; M41; M48 The
impact of the whistleblowers on financial misrepresentation Enforcement Actions, December 2014,
69
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
supplémentaires qui sont à traiter. Il convient toutefois de préciser, que dans le dispositif
américain de lanceur d’alerte devant les autorités financières, il est prévu qu’une partie de
l’amende puisse revenir aux lanceurs d’alerte en général de l’ordre de 10 %.
Il n’en demeure pas moins, que de telles dispositions paraissent utiles car elles
permettent d’avoir un effet dissuasif et répressif certain.
70
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
C’est le titre V de la loi sur la fonction publique qui régit la procédure disciplinaire au Mali.
Les agissements fautifs des fonctionnaires défaillants peuvent non seulement faire
l’objet de sanctions pénales, comme cela vient d’être vue mais aussi de sanctions disciplinaires
internes à l’administration. Les deux types de procédures sont indépendantes l’une de l’autre
(art. 73).
Tout au long de la procédure disciplinaire, il n’y pas d’intervention de magistrats. Il s’agit bien
d’une procédure administrative qui pourra faire l’objet ultérieurement de l’intervention du juge
afin de contester la sanction prise
I. L’action disciplinaire
La procédure disciplinaire est interne à l’administration. Toutefois, l’administration ne dispose
d’un pouvoir de sanction que dans la mesure où l’agent est encore en fonction. Il existe
cependant des sanctions qui peuvent être prises alors même que le fonctionnaire a pris sa
retraite, comme le retrait de la qualité de l’honorariat. Il s’agit toutefois dans ce cas, d’une
sanction à valeur symbolique.
A. Premier degré:
- avertissement ;
- blâme.
Le blâme est inscrit au dossier du fonctionnaire et effacé automatiquement au bout de trois ans,
si aucune nouvelle sanction n’est prononcée. Ce groupe concerne en fait les sanctions les plus
légères.
71
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
B. Deuxième degré :
- l’abaissement d’échelon,
- l’exclusion temporaire,
- la rétrogradation,
- la révocation sans suppression des droits à pension,
- la révocation avec suppression des droits à pension.
Dans certains cas, le conseil de discipline n’est pas saisi soit pour les sanctions du premier
degré, soit en cas de détournement de fonds publics (deuxième alinéa, article 81 : « La
consultation du conseil n’est cependant pas requise en cas de poursuites disciplinaires pour
détournement de derniers publics »).
Le conseil de discipline émet un avis motivé sur la sanction que paraissent devoir entraîner les
faits reprochés. Il transmet cet avis à l’autorité investi du pouvoir disciplinaire. Toutefois, en
cas de poursuites devant une juridiction répressive, le conseil de discipline doit sursoir à émettre
son avis jusqu’au prononcé de la décision définitive (art. 83).
La procédure doit se dérouler dans un délai de 4 mois au maximum mais ce délai est porté à 6
ans en cas d’interruption de procédure (art. 84).
Le fonctionnaire peut d’abord exercer un recours hiérarchique pour les sanctions du premier
degré. Pour les sanctions du second degré, le recours s’effectue devant la Cour Suprême. Ces
recours doivent être effectués dans un délai de 15 jours (art. 85).
Il convient de noter que toute sanction doit être proportionnée à la gravité des actes irréguliers
qu’il aura accompli.
B. La suspension
Un fonctionnaire peut être suspendu pas son autorité de nomination pour une durée maximale
de quatre mois. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une sanction disciplinaire, il s’agit d’une mesure
qui s’inscrit généralement dans le processus disciplinaire. L’idée qui sous-tend ce type de
72
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
mesure est qu’un fonctionnaire ne saurait être maintenu en fonction si des accusations graves
pèsent sur lui et si la présence du fonctionnaire peut perturber le fonctionnement de
l’administration. Comme il ne s’agit pas d’une sanction disciplinaire, l’agent ne dispose pas de
la possibilité de se faire communiquer son dossier et l’administration n’a pas à motiver sa
décision.
La situation doit être définitivement réglée dans un délai de 4 mois. Si, à l’expiration de ce
délai, aucune décision n’a été prise par l’autorité, ayant pouvoir disciplinaire, l’intéressé, est
rétabli dans ses fonctions sauf s’il est l’objet de poursuites pénales (art. 60 et 61).
Une simple plainte ou une enquête préliminaire ne sont pas considérées comme des poursuites
pénales mais bien évidemment si l’agent est mis en détention il sera aussi suspendu. Durant la
suspension, le fonctionnaire ne perçoit que les prestations à caractère familial. S’il est suspendu
pour détournement de biens publics, il perd également ces prestations (art. 62).
La faute donnant lieu à sanction peut consister en un manquement aux obligations légales ou
réglementaires existantes (voir chapitre 2) ou en un agissement constituant en même temps une
faute pénale.
D’une manière générale, il y a faute disciplinaire chaque fois que le comportement d’un
fonctionnaire entrave le bon fonctionnement du service ou porte atteinte à la considération du
service dans le public.
Il peut s’agir d’une faute purement professionnelle, mais également d’une faute commise en
dehors de l’activité professionnelle (cas du comportement incompatible avec l’exercice des
fonctions, ou du comportement portant atteinte à la dignité de la fonction).
- l’insuffisance professionnelle ;
- les comportements répréhensibles imputables à un état pathologique, si l’agent n’était
pas responsable de ses actes lors de la commission des faits ;
- des faits couverts par l’amnistie.
Il a ainsi été jugé que la relégation d’un agent « mis au placard » (ce qui ne constitue pas une
73
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
sanction disciplinaire) pendant neuf ans n’était pas justifié par le fait que l’agent était retors est
absentéiste126.
Le droit disciplinaire est autonome par rapport au droit pénal. La répression disciplinaire et la
répression pénale s’exercent donc distinctement :
- un même fait peut justifier à l’encontre de la même personne une sanction pénale et
disciplinaire ;
- l’autorité investie du pouvoir disciplinaire n’est pas liée par la décision intervenue au
pénal, sauf en ce qui concerne la constatation matérielle des faits.
Ainsi, le principe de légalité qui veut qu’une sanction pénale ne puisse être prise sans texte
d’incrimination, ne s’applique pas en matière disciplinaire alors même qu’il s’agit d’un principe
fondateur du droit pénal. Ce que sanctionne le droit disciplinaire, ce n’est pas seulement la
violation d’un texte c’est aussi le fait d’avoir eu un comportement qui n’est pas compatible avec
le bon fonctionnement de l’administration.
L’autorité de nomination n’est pas liée par une décision d’acquittement ou de relaxe prononcée
par le juge pénal, ni par la décision qui considère qu’aucune infraction pénale n’a été commise
par l’agent127. Par contre, l’administration est tenue pas lar constatation des faits effectuée par
le juge pénal128. Parfois, l’administration en vue de s’affranchir du respect de la procédure a
tendance à déguiser les sanctions disciplinaires en mesures prises dans l’intérêt du service129.
Exemples :
Un policier ne peut être révoqué au seul motif qu’il a des dettes (CE, Ministre de
l’Intérieur, 19 mars 1982, Rec. T. 657) ;
La révocation d’un policier qui a tenté d’escroquer le vendeur d’une maison est
justifiée (CE 10 juillet, Ministre de l’Intérieur, Rec. T. 988) ;
Un magistrat évincé de manière irrégulière de ses fonctions se voit octroyé une
importante indemnité (CE 18 juillet 2008, Stilinovic, n°304962).
126
CAA Versailles, 19 novembre 2010, n°09VE00839, AJFP, 2011 n°4, p. 11.
127
CE, 24 octobre 1986 DA 1986 n°659
128
CE, ass. 8 janvier 1971, Ministre de l’intérieur, n°77800, rec. 19.
129
F. Mallol, La sanction disciplinaire déguisée en droit de la fonction publique, AJDA n°29/2011, pp. 1656-
1662.
130
V. F. Maillol, La sanction disciplinaire déguisée en droit de la function publique, AJDA n°29/2011 , pp.
1656- 1662.
131
CAA Nantes, 19 nov. 1998, Mme Leber, n°NT01770, AJFP 1999 36.
132
TA Marseille, 11 mars 2011, n°0901048.
74
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Les marchés publics constituent un instrument clé de l’action des pouvoirs publics. D’ordinaire,
ils représentent 16 % du PIB en moyenne dans les pays de l’OCDE. Il s’agit d’un mécanisme
polyvalent qui peut également servir à atteindre d’autres objectifs stratégiques, dans les
domaines de l’environnement, de l’innovation ou de la politique sociale par exemple.
La question des marchés publics, est d’autant plus essentielle qu’elle a un impact très important
sur les économies et notamment sur les économies en voie de développement. Ainsi l’Union
africaine considère qu’approximativement un quart du produit intérieur brut est perdu chaque
année en corruption. Cette corruption atteint notamment les marchés publics. L’association
Transparency International estime que chaque année un minimum de 400 milliards de dollars
est perdu en corruption de tous types dans les marchés publics et que cela accroît les coûts
d’acquisition de 20 à 25 %. Ainsi, il a pu être relevé que des pays ont pu payer de faire 100 %
plus cher, des marchandises ou des services par rapport au prix normal du marché.
La corruption des marchés publics est d’autant plus inquiétante qu’il s’agit de montants élevés
qui représentent entre 10 et 20 pour cent du produit intérieur brut. En comparaison avec d’autres
échanges, les marchés publics représentent un faible nombre d’opérations pour des valeurs de
transaction élevée. C’est ainsi que l’on peut opposer les fournitures dans le secteur privé où il
y a au contraire beaucoup de transactions de faible volume, ce qui réduit d’autant la tentative
de corruption.
La sensibilité à la corruption des marchés publics est d’autant plus exacerbée qu’il existe un
haut degré de discrétion à l’égard des administrateurs des zones politiques par rapport à d’autres
systèmes d’acquisition des biens et services. Il y a ainsi une forte incitation pour certains
75
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
hommes politiques notamment les parlementaires à promouvoir des projets inutiles dans leur
circonscription afin de stimuler l’économie mais surtout afin d’augmenter leurs chances de
réélection.
Dans un tel système, les fonctionnaires sont soumis à une pression constante de la part des
décideurs politiques qui leur est extrêmement difficile de refuser.
Le risque de corruption est d’autant plus élevé que les différents aspects de passation des
marchés publics sont souvent discrets. De plus, il existe toute une série d’entreprises qui sont
fortement dépendantes des marchés publics, il leur est donc extrêmement important de pouvoir
poursuivre leur activité en gagnant de tels marché, mêmes si c’est parfois au prix de pratiques
qui sont légalement douteuses pour ne pas dire totalement illégales.
D’une manière générale, les causes et les impacts de la corruption varient d’un pays à un autre
et sont affectés par les différents dispositifs visant à contrôler les procédures d’attribution des
marchés publics. De la même manière qu’un acquéreur peut s’introduire dans un ordinateur à
tout moment ; il est aussi possible pour des acteurs corrompus d’influer dans les procédures de
marchés publics à des points différents de la chaîne de décision.
Quel que soient les dispositifs existants visant à éviter la corruption dans les marchés publics,
il faut bien voir qu’aucun n’est sûr à 100 %.
C’est ainsi qu’aux États-Unis au fonctionnaire du département de la défense chargée des achats
a pu plaider coupable dans une affaire mettant en cause Boeing. Ce fonctionnaire a admis avoir
passé un accord secret pour obtenir un emploi avec Boeing en même temps qu’il négocie un
contrat de 23 milliards de dollars pour l’acquisition d’avions produits par Boeing par l’U.S. Air
Force. Cette affaire montre que le système le plus sophistiqué peut-être pris en défaut quand les
contrôles reposent sur des jugements humains.
Dans cette affaire la société Boeing qui acceptait sa responsabilité a dû payer une amende de
600 millions de dollars est licenciée son responsable financier qui avait validé l’accord.
Pour contrôler les irrégularités dans les marchés publics, il est donc absolument nécessaire de
comprendre comment fonctionnent les procédures de choix afin de réduire les différents
risques.
76
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
77
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
I. Le cadre général
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Les marchés publics sont l’une des activités des administrations, les plus exposées au
gaspillage, à la fraude et à la corruption en raison de leur complexité, de l’ampleur des flux
financiers qu’ils génèrent et de l’interaction étroite entre le secteur public et le secteur privé.
Comme on a pu l’écrire à propos d’autres pays africains,
« la passation des marchés nous a confronté à des formes de corruption de nature
quelque peu différentes (….) A travers le court-circuitage des normes de transparence,
de concurrence et d’impartialité censées réglementer les marchés publics et par le
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
paiement d’un prix supérieur à celui qui pourrait être accepté par le privé, les décideurs
créent une rente illicite qu’ils partagent avec l’entrepreneur ou le fournisseur par le biais
du versement par ce dernier d’une commission »133.
L’intégrité dans les marchés publics a suscité un intérêt particulier au cours de la crise
économique de 2008 : les milliards de dollars octroyés aux fonds de relance et les procédures
accélérées de passation des marchés publics engendrent des risques supplémentaires. Pour
garantir une reprise saine et solide, il est indispensable de promouvoir des règles du jeu
équitables et une concurrence loyale dans la passation des marchés publics.
La passation des marchés publics se doit d’être autant plus exemplaire qu’elle repose sur
l’utilisation des deniers publics pour des opérations qui doivent servir au plus grand nombre.
C’est certainement en matière de marchés publics que le risque de fraude est le plus grand et
pour des montants les plus élevés. C’est aussi dans ce domaine que l’on trouve les opérations
de fraude les plus complexes et les plus couteuses.
Il est difficile de mesurer le coût exact de la corruption en raison de sa nature cachée, toutefois
on estime qu'entre 10 et 30 % des investissements dans des projets de construction financés par
des fonds publics seraient perdus du fait d’une mauvaise gestion et de la corruption (CoST,
2012), et les estimations de perte de valeur des projets à hauteur de 20 à 30 % à cause de la
corruption sont très répandues (Wells, 2014, Stansbury, 2005)134.
L'Initiative de transparence dans le secteur de la construction (CoST, Construction Sector
Transparency Initiative) estime également que « les pertes annuelles dans le secteur mondial de
la construction causées par une mauvaise gestion, l'inefficacité et la corruption pourraient se
chiffrer à 2,5 milliards de dollars d'ici 2020 » (CoST, 2012).
Au sein de l'Union européenne, le coût de la corruption est plus généralement estimé à 120
milliards d'euros par an (Commission européenne, 2014a), ce qui représente environ 1 % du
PIB de l'UE, soit un peu moins que le budget annuel de l'UE en 2014, qui s’élevait à 143
milliards d'euros (Commission européenne, 2014b).
Dans une étude de 2016, « Prévention de la corruption dans les marchés publics » l’OCDE,
rappelle les Recommandations de l’OCDE et préconise de respecter les principes suivants :
- l’intégrité ;
- la transparence ;
- la participation des parties prenantes ;
- l’accessibilité ;
- la passation électronique des marchés publics ;
- la supervision et le contrôle.
A. L’intégrité
L'intégrité désigne le respect des normes éthiques et des valeurs morales d'honnêteté, de
professionnalisme et de droiture, et constitue une pierre angulaire pour garantir l'équité, la non-
133
G. Blondo in La corruption au quotidien en Afrique de l’Ouest et J.P Olivier de Sardan, (dir.) La corruption
au quotidien en Afrique de l’Ouest, Ecole des hautes études en sciences sociales, octobre 2011, p. 216.
134
OCDE, Prévention de la corruption dans les marchés publics, 2016, p. 7.
80
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
B. La transparence
81
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Plusieurs pays de l'OCDE disposent de pratiques anciennes qui impliquent un large groupe de
parties prenantes dans le processus de passation des marchés publics, notamment des bureaux
de lutte contre la corruption, des organisations du secteur privé, des utilisateurs finaux, la
société civile, les médias et le grand public. Plus récemment, certains pays ont introduit un
contrôle social direct en impliquant les citoyens aux étapes critiques du processus de passation
des marchés. Un dialogue ouvert et régulier avec les fournisseurs et les associations
professionnelles peut renforcer la compréhension mutuelle des facteurs qui façonnent les
marchés publics
Il convient d’encourager les entreprises potentielles de toutes tailles afin d’obtenir le meilleur
rapport qualité-prix grâce à une concurrence équitable. La participation des petites et moyennes
entreprises (PME) dans les passations de marchés publics peut être facilitée par la
rationalisation des procédures d’appels d’offres et la réduction de la lourdeur administrative, ce
qui permet de proposer des conditions de concurrence équitables entre les entreprises tout en
réduisant les possibilités de corruption.
F. La supervision et le contrôle
82
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Avant d’aborder les différentes situations pratiques concernant les dérapages possibles dans le
domaine des marchés publiques pour des situations déjà jugées en Europe, il est possible
d’essayer de repérer les situations à risques.
L’OCDE a mis à disposition des gouvernements, une boîte à outils afin de réduire les risques
en matière de marché publics. Il faut retenir, qu’il convient de surveiller certains points de
vigilances aux différentes phases de la passation du marché.
84
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
X : à appliquer
Les principaux facteurs de risque dans les marchés sont dus aux facteurs suivants :
135
www.oecd.org/governance/procurement/toolbox
85
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Il a été jugé que « la nature similaire et la régularité des prestations fournies témoignent
d'une unicité d'objet de sorte que le calcul du seuil déterminant les modalités du marché
[doit] s'effectue[r] annuellement pour chaque attributaire »137.
136
Cass. crim., 7 mai 2002 : JurisData n° 2002-015338
137
Cass. crim., 8 mars 2006 : JurisData n° 2006-033139
138
S. Mescheriakoff, Délit dit de favoritisme : LPA 15 févr. 1995, n° 20, p. 6 s., et spéc. p. 8
139
Cass. crim., 20 mai 2009 : JurisData n° 2009-049043
140
TGI Avranches, 16 mai 1995. – Circ. crim. 98.4/G3, 2 juill. 1998
141
CA Aix-en-Provence, 17 mars 1998 : JurisData n° 1998-042976
142
Cass. crim., 19 nov. 2003 : Dr. pén. 2004, comm. 32, obs. M. Véron
143
CA Montpellier, 31 mars 2005 : JurisData n° 2005-285653. – Cass. crim., 14 déc. 2005 : JurisData n° 2005-
031772
86
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
déclarer un appel d'offres infructueux et attribuer par la suite le marché à une entreprise qui
n'est pas forcément la moins-disante144, en l'espèce, l'appel d'offres a été déclaré infructueux,
"de manière artificielle et irrégulière".
De même, constitue également un procédé de nature à restreindre la concurrence, la publicité
réduite dans un journal local, alors que l'importance du marché aurait imposé une publicité
plus large, régionale ou nationale, la réduction des délais pour la réception des candidatures
ou la remise des offres en cas d'appel d'offres ouvert ou restreint145 ou bien encore la fixation
arbitraire du montant maximal du marché, pour pouvoir déclarer un appel d'offres
infructueux.
Enfin, l'absence de publicité, telle que requise par le Code des marchés publics, est souvent
considérée comme un procédé pouvant limiter le nombre des candidats.146
Parfois, c'est l'objet du marché qui est modifié après l'ouverture des plis, en violation du
cahier des charges. Une telle modification peut permettre à une entreprise privilégiée de
diminuer son offre afin de devenir moins-disante, les autres candidats n'étant pas consultés.
De tels procédés ne peuvent qu'être condamnés. Il en est de même, lorsqu'on omet d'écarter
une offre non conforme à l'objet du marché pour permettre à son bénéficiaire de concourir148
ou lorsqu'on rejette une offre anormalement basse, sans susciter les observations écrites de
son auteur149.
La jurisprudence n'hésite pas, d'ailleurs, à sanctionner la mise à l'écart arbitraire de certains
candidats, alors qu'ils étaient les moins-disant (maintenant, il s’agit de l’offre
économiquement la plus avantageuse) celle-ci n'étant motivée que par la volonté de favoriser
une entreprise déterminée150 (Condamnation prononcée à l'encontre d'un maire qui avait
imposé à la commission d'appel d'offres le choix de la société attributaire, par l'intermédiaire
des services techniques, qui n'ont procédé à aucune analyse des offres déposées, dont seules
quatre ont été ouvertes sur les sept).
144
CA Caen, 20 avr. 1998 : JurisData n° 1998-041752. – CA Limoges, 17 juin 1998. – Circ. crim. 98.4/G3,
2 juill. 1998, citée supra n° 5. – Cass. crim., 23 mai 2007 : JurisData n° 2007-039877
145
CA Rennes, 25 juill. 1996 : n° 1964/95, cité supra n° 18. – V. aussi Cass. crim., 19 nov. 2003 : Dr. pén. 2004,
comm. 32, obs. M. Véron
146
Cass. crim., 3 juin 2004 : JurisData n° 2004-024618
147
CA Orléans, 3 mars 1998. – Circ. crim. 98.4/G3, 2 juill. 1998
148
Cass. crim., 3 juin 2004 : JurisData n° 2004-024618
149
CMP, art. 55
150
CA Grenoble, 27 août 1997. – Circ. crim. 98.4/G3, 2 juill. 1998, en l'espèce, 16 candidats sur 22 ont été mis à
l'écart. – V. aussi, Cass. crim., 15 mai 2008 : JurisData n° 2008-044283
151
CA Caen, 20 avr. 1998 : JurisData n° 1998-041752
87
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
d'indiquer que le maire d'une commune a été condamné pour le délit de favoritisme, car il
avait laissé siéger les commissions d'appel d'offres à deux reprises avec la participation d'un
seul conseiller municipal ayant voix délibérative, en violation du principe de la collégialité
des organes délibérant, institué pour garantir la régularité et l'impartialité de l'attribution des
marchés152.
7. Recours à la sous-traitance
L'utilisation de la sous-traitance tend à confier une part du marché à une entreprise
n'apparaissant pas dans la consultation Dans cette hypothèse, certains auteurs parlent
d' « une dissimulation du véritable titulaire du marché », un tel procédé ne pouvant qu'être
condamné. Aussi bien, pourrait faire l'objet d'une condamnation pour complicité du délit de
favoritisme le sous-traitant d'une entreprise, bénéficiaire d'un marché attribué en violation
de la réglementation159.
152
Cass. crim., 15 sept. 1999 : JurisData n° 1999-003934
153
Cass. crim., 19 oct. 2005 : JurisData n° 2005-031097
154
Cass. crim., 20 mai 2009 : JurisData n° 2009-049043. – Cass. crim., 14 févr. 2007 : JurisData n° 2007-
037891. – Cass. crim., 19 oct. 2005 : JurisData n° 2005-031097
155
TGI Vannes, 4 déc. 1997
156
Cass. crim., 19 oct. 2005, préc
157
Cass. crim., 6 avr. 2005, n° 00-80.418- mais aussi CA Nancy, ch. corr., 19 janv. 2006. – Cass. crim., 27 sept.
2006, n° 06-81.300. – Cass. crim., 10 mai 2007 : JurisData n° 2007-039607
158
B.-A. Pireyre : Rép. pén. Dalloz, V° Marchés publics
159
Cass. crim., 20 avr. 2005 : JurisData n° 2005-028292
160
Cass. crim., 27 sept. 2006, n° 06-81.300. – Cass. crim., 2 avr. 1998 : JurisData n° 1998-002045 ; JCP E 1998,
n° 51, pan. rap. p. 2000. – CA Grenoble, 27 oct. 1997 : JurisData n° 1997-043079
88
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
À cet égard, la circulaire Crim. 98.4 /G3 du 2 juillet 1998 indiquait que la preuve de ces
pratiques peut être établie grâce à la découverte de factures relatives aux travaux définis dans
l'appel d'offres fictif, qui portent une date antérieure au lancement de la consultation161, ce
qui fait sans aucun doute apparaître l'exécution des travaux avant toute notification.
161
CA Grenoble, 27 sept. 1997. – Circ. crim. 98.4/G3, 2 juill. 1998, préc.
89
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Comme tous les citoyens, les agents publics sont bien évidemment tenus de respecter les
différentes obligations légales et peuvent faire l’objet de poursuites s’ils ne respectent pas les
prescriptions du code pénal. Mais comme, les fonctionnaires disposent parfois de prérogatives
importantes, le code pénal comporte aussi des infractions spécifiques à la qualité de
fonctionnaire (délit d'ingérence, concussion, faux en écriture publique, etc.), qui ne concerne
que les seuls agents publics ou même les anciens agents publics.
I. La corruption
90
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Art.120.- Sera puni de cinq à dix années de réclusion et d’une amende double de la valeur
des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende puisse
être inférieure à 100.000 FCFA, quiconque aura sollicité ou agréé des offres ou promesses,
sollicité ou reçu des dons ou présents pour :
-1° étant fonctionnaire public de l’ordre administratif ou judiciaire, étant militaire ou
assimilé, étant assesseur d’une juridiction de jugement, agent ou préposé d’une
administration publique ou d’une administration placée sous le contrôle de la puissance
publique, citoyen chargé d’un ministère de service public, étant investi d’un mandat électif,
faire ou s’abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, juste ou non mais non
sujet à salaire ;
-2° étant arbitre ou expert nommé soit par le tribunal, soit par les parties, rendre une décision
ou donner une opinion favorable ou défavorable à une partie ;
- 3° étant médecin, chirurgien, dentiste ou sage-femme, certifier faussement ou dissimuler
l’existence de maladies ou d’infirmités ou un état de grossesse ou fournir des indications
mensongères sur l’origine d’une maladie ou infirmité ou la cause d’un décès.
Art.121.- Sera puni des mêmes peines tout commis, employé, ou préposé, salarié ou rémunéré
sous une forme quelconque qui, soit directement, soit par une personne interposée, aura, à
l’insu et sans le consentement de son employeur, soit sollicité ou agréé des offres ou
promesses, soit sollicité ou reçu des dons, présents, commissions, escomptes ou primes pour
faire ou s’abstenir de faire un acte de son emploi.
Sera punie des mêmes peines toute personne qui aura sollicité ou agréé des offres ou
promesses, sollicité ou reçu des dons ou présents pour faire obtenir ou tenter de faire obtenir
des décorations, médailles, distinctions, récompenses, des places, fonctions ou emplois ou des
faveurs quelconques accordées par l’autorité publique, des marchés, entreprises ou autres
bénéfices résultant de contrats conclus avec l’autorité publique ou une administration placée
sous le contrôle de la puissance publique, ou, de façon générale, une décision favorable d’une
telle autorité ou administration ou aura ainsi abusé d’une influence réelle ou supposée.
Art.122.- Quiconque pour obtenir, soit l’accomplissement ou l’obtention d’un acte, soit un
des avantages ou faveurs prévus aux articles précédents, aura usé de voies de fait ou menaces,
des promesses, offres, dons ou présents, ou cédé à des sollicitations tendant à la corruption,
même s’il n’en a pas pris l’initiative sera, que la corruption ait ou non produit son effet, puni
91
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
des peines édictées par l’article 120 du présent Code contre la personne corrompue.
Art.123.- Dans le cas où la corruption ou le trafic d’influence aura pour objet un fait criminel
comportant une peine plus forte que celle édictée par l’article 120 ci-dessus, cette peine plus
forte sera appliquée au coupable.
Il ne sera jamais fait au corrupteur restitution des choses par lui délivrées, ni de leur valeur ;
celles-ci seront confisquées.
Le terme de corruption a plusieurs sens. Dans le langage courant, une fois n'est pas coutume, c'est
un sens étroit qui prévaut. La corruption est le fait de corrompre ; c'est donc l'action du corrupteur.
Dans le langage juridique, au contraire, c'est un sens large qui doit être retenu. La corruption n'est
pas à proprement parler une infraction. C'est une situation de fait à l'occasion de laquelle deux
comportements doivent être pris en compte : le comportement du corrupteur et le comportement du
corrompu. Ces deux personnages sont également fautifs : ils participent au même concert
frauduleux. Chacun commet une infraction ; le droit pénal les place au même niveau. Dans une telle
hypothèse, il n'y a pas un auteur principal et son complice mais deux auteurs principaux. La
"criminalité" de l'un n'est donc pas subordonnée à celle de l'autre. Les poursuites sont indépendantes.
Il peut même y avoir infraction d'un côté et pas de l'autre. Il en va ainsi lorsque l'un a refusé la
proposition de l'autre. Le "pacte de corruption" n'a pas été conclu mais ce n'est pas une condition de
la répression : l'auteur de la proposition peut être déclaré coupable de l'infraction qui lui est propre.
Ainsi, on parle de corruption passive lorsque l'on envisage l'infraction du côté du corrompu – celui
qui "rend service" en contrepartie d'un avantage – et de corruption active lorsque l'on envisage
l'infraction du côté du corrupteur, celui qui fournit la "contrepartie". Il importe peu de savoir qui a
pris l'initiative de l'acte délictueux. Les termes passifs et actifs peuvent donc se révéler trompeurs.
La corruption passive est toujours la corruption envisagée du côté du corrompu, même si c'est lui
qui est allé solliciter le corrupteur (provoquant la remise d'un avantage). On a écrit ainsi : “Peu
importe que l'un ou l'autre ait pris l'initiative du pacte, et ait le premier offert ou sollicité. Il en est
ici – et l'on nous pardonnera cette comparaison – comme de l'accouplement : la femelle y joue
toujours le rôle passif, quand même elle l'aurait provoqué” (P. Chambon, note au : JCP 1969, II,
16004). Inversement, la corruption active est toujours la corruption envisagée du côté du corrupteur,
même s'il a été démarché par le corrompu.
Pour le droit pénal français, par le biais de la corruption ou trafic d'influence, un agent public sollicite
ou accepte sans droit :
« des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques... pour
accomplir ou s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat
[ou pour] abuser de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou
d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre
décision favorable » (Article 432-11 du Code pénal).
Il y a en fait deux délits qui sont visés par cet article : la corruption stricto sensu et le trafic
d’influence. Dans les deux cas il faut une intention coupable. La sollicitation implique donc une
démarche, une initiative de l'intéressé, qui invite son interlocuteur, d'une façon directe ou par des
moyens détournés, à comprendre qu'il doit « payer » pour obtenir l'accomplissement ou le non-
accomplissement de l'acte de la fonction ou de l'acte facilité par elle, ou pour obtenir que soit mise
en œuvre l'influence dont le coupable est prêt à trafiquer.
Ce que l’on appelle, le pacte de corruption résulte de différents agissements. Il peut s'agir d'un acte
unilatéral de l'agent qui fait à autrui une proposition, même non suivie d'effet (il a "sollicité"). Il peut
92
Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
s'agir également d'un accord donné par lui à autrui (il a "agréé" la proposition qui lui était faite). Il
importe donc peu de savoir qui a pris l'initiative dès lors que l'agent a accepté de rendre service
moyennant une contrepartie. Le délit est constitué que l'agent se soit contenté d'accepter ce qu'on lui
offrait ou qu'il ait pris l'initiative de provoquer cette offre.
Pour que ce comportement soit punissable, il faut encore établir que le corrompu attendait un bénéfice
de l'engagement pris. La corruption passive suppose que l'on puisse reprocher à l'agent public d'avoir
sollicité ou agréé “sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses,
des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui”. L'agent a été
ou devait être récompensé pour son acte. Cette récompense peut être envisagée largement.
- La plupart du temps, la récompense prend la forme d'une somme d'argent (le "pot-de-vin"),
d'objets de valeur, d'appartements, de voiliers, de croisières ou de voyages d'agrément, de
droits de chasse, voire de prostituées, etc….
- La simple sollicitation d'avantages quelconques suffit à caractériser le délit de corruption
passive ou le trafic d'influence passif, qui est consommé dès l'émission de la sollicitation. Il
est donc sans importance que la sollicitation n'ait eu aucun effet sur la personne visée, ou
encore que l'avantage promis n'ait finalement pas été versé (Cass. crim., 9 nov. 1995) ;
- Un agent territorial, qui a exigé le versement de sommes d'argent pour délivrer une
autorisation d'abattage d’un troupeau d’ovins se rend coupable du délit de corruption (CA
Paris, Ch. 9 sect. A, 18 Janvier 2006).
Le Mali a signé la Convention des Nations Unies contre la corruption (la Convention) le 9 décembre
2003 et a déposé son instrument de ratification auprès du Secrétaire général le 18 avril 2008.
Au Mali, les principaux organes compétents dans la lutte contre la corruption et infractions
assimilées sont :
Le Bureau du vérificateur général créé par la loi n° 2012-009 du 8 février 2012 abrogeant et
remplaçant la loi n° 03-030 du 25 août 2003. Il s’agit d’un service administratif chargé de la
vérification générale, en particulier des recettes et dépenses effectuées par les institutions de
la République, les administrations d’État, les collectivités territoriales, les établissements
publics ou tout autre organisme bénéficiant du concours financier de l’État;
La Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) créée par la loi
n° 06-066 du 29 décembre 2006 et effectivement mise en place par le décret n° 07-297 du 10
avril 2007 sous la forme d’un service administratif placé sous la tutelle du ministre des
finances. Elle est chargée de recueillir et de traiter les informations relatives au blanchiment
des capitaux et au financement du terrorisme (réception et transmission aux autorités
compétentes des déclarations d’opérations suspectes);
L’Office Central de Lutte contre l’enrichissement illicite créé par la loi n° 2016-015 du 27
mai 2014 relative à l’enrichissement illicite. Il est chargé de mettre en oeuvre l’ensemble des
mesures de prévention, de contrôle et de lutte en matière d’enrichissement illicite. Le décret
fixant l’organisation de l’Office est toujours en cours d’adoption depuis septembre 2015;
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
Le Comité central de suivi et d’évaluation du Plan national créé par le décret n° 10-350/PRM
du 30 juin 2010. Il est chargé de mettre en oeuvre les recommandations émises par les États
généraux sur la lutte contre la corruption et la délinquance financière;
Cette incrimination s’inscrit dans un vieux principe du droit romain, repris dans deux ordonnances
de Saint-Louis et de Charles VI, puis dans le code pénal de 1810 où il figurait à l’article 175 comme
le délit d’ingérence.
La prise illégale d'intérêts dans des entreprises (art. 432-12 et 432-13 du Code pénal)
regroupe :
A. Le délit d'ingérence
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Cela consiste à :
Il convient de noter que le coupable doit avoir eu, sur l'affaire en question, un pouvoir de
surveillance, ou qu'il en ait assuré l'administration, ou qu'enfin il ait été chargé de faire la liquidation
ou d'ordonnancer le paiement.
Prendre ou recevoir un intérêt, ce sera par exemple percevoir le bénéfice pécuniaire d'une
opération à laquelle le prévenu s'est trouvé mêlé ; ce sera également accepter la remise de parts,
d'actions, ou de tous autres avantages matériels à l'occasion de l'acte d'ingérence.
Conserver un intérêt se présentera plus rarement : ce sera ordinairement le cas d'une
personne qui se trouvait initialement en relations d'affaires avec une collectivité publique et qui
poursuit ces relations, alors qu'elle vient d'accéder, au sein de cette collectivité, à une fonction lui
donnant la qualité de dépositaire de l'autorité publique ou de personne chargée d'une mission de
service public.
Cas d’un directeur d'un office départemental d'habitation à loyer modéré, qui a mis en œuvre
une politique de vente d'une partie des habitations aux locataires et, dans ce cadre, il a permis
à ses proches et à lui-même d'acquérir des logements à des prix dérisoires. Il a également fait
acquérir par l'office un pavillon appartenant à des amis afin de leur rendre service et leur
permettre de conserver leur habitation (CA Paris, ch. Corr. 9, 18 Septembre 2007);
Agent contractuel du Conseil général chargé de l'organisation des manifestations sportives
liées aux sports mécaniques, qui a créé de fait une société à responsabilité limitée, dont il est
le co-gérant, avec pour objectif premier la participation à l'organisation du prologue du Paris-
Dakar. Au cours de la même période, le prévenu, agissant en sa qualité d'agent public chargé
de l'organisation des manifestations sportives liées aux sports mécaniques, a présenté ladite
société, dans laquelle il avait des intérêts, aux personnes intéressées par cet événement,
comme prestataire de service ou comme client (CA Aix, ch. Corr. 5, 9 mai 2007);
Maire ayant signé un avenant à un marché public de dragage d’un port en vue de réaliser des
travaux supplémentaires, à la demande d’un autre élu, pour permettre au bateau d’un membre
de la famille de ce dernier d’accéder au port (Cass, crim. 29 juin 2011, n°10-87.498, AJDA
2011, p. 2015, note R. Mésa).
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
B. La prise de participation
(prise illégale d'intérêt après cessation des fonctions).
Art.110.- Tout fonctionnaire, aux termes du présent Code qui, soit ouvertement, soit par actes
simulés, soit par interposition de personnes, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce soit dans
les actes, adjudications, entreprises ou régies dont il a ou avait au temps de l’acte, en tout ou
en partie l’administration ou la surveillance, ou dans une affaire dont il était chargé
d’ordonner le paiement ou de faire la liquidation, sera puni d’un emprisonnement de six mois
au moins et de deux ans au plus et sera condamné à une amende qui ne pourra excéder le
quart des restitutions et des indemnités.
Les dirigeants d’une concession, entreprise, régie, considérés comme complices, seront
frappés des mêmes peines.
Les coupables pourront, en outre, être déclarés incapables d’exercer une fonction publique
pendant cinq ans au plus.
Elle consiste, pour un ancien fonctionnaire, à prendre une participation, sous forme de
« travail, conseil ou capitaux », dans une entreprise dont il était chargé d'assurer le contrôle ou avec
laquelle il avait conclu des contrats (article 432-13 du code pénal).
La peine encourue est de 2 années et de 30 000 euros d’amende. Cette interdiction s'applique
durant les trois ans au-delà de la cessation de la fonction. La commission de déontologie de la
fonction publique est appelée à se prononcer en amont.
Le Crédit Foncier de France étant une entreprise privée, un de ses actionnaires est fondé à soutenir
que le décret du Président de la République nommant sous-gouverneur du Crédit Foncier de France
un fonctionnaire qui, avant cette nomination, exerçait, en sa qualité de chef du service des affaires
monétaires et financières à la Direction du Trésor, un contrôle direct sur cet établissement, est
entaché d'excès de pouvoir (CE 6 déc. 1996, rec. 466).
Art.112.- Toute personne physique dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission
de service public, investie d’un mandat électif, exerçant des fonctions de représentant,
administrateur ou agent de l’État ou d’une collectivité publique, d’un établissement public ou
d’une société d’État, d’une société à participation financière publique majoritaire, d’une
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Ethique et déontologie J.L Lapouble AFICAM
personne morale de droit privé agissant pour le compte de l’État ou d’une personne morale
de droit public bénéficiant de son concours financier ou de sa garantie, ainsi que toute autre
personne agissant pour le compte d’une des personnes susmentionnées, ainsi que leurs
complices, qui aura procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte
contraire aux règles du Code des marchés publics, ayant pour objet de garantir la liberté
d’accès et d’égalité des candidats dans les marchés publics, sera punie d’un emprisonnement
de deux mois à dix huit mois et d’une amende de 5.000.000 à 100.000.000 FCFA ou de l’une
de ces deux peines seulement.
Sans préjudice de poursuites disciplinaires, l’auteur pourra en outre être interdit d’exercer
les fonctions qu’il occupait lors de la passation des marchés pendant une durée égale ou
inférieure à trois ans.
La juridiction saisie pourra ordonner la publication aux frais du condamné de l’intégralité
ou d’un extrait de sa décision dans un journal d’annonces légales.
Cela consiste à procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié « par un acte
contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté
d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et délégations de service public » passés
par la collectivité locale (article 432-14 du Code pénal).
Une circulaire ministérielle du 29 juillet 1992 citait, parmi les « avantages injustifiés », les
comportements suivants :
« avantager » une entreprise en la faisant bénéficier seule d'informations qui la favorise par
rapport à ses concurrents ;
prévoir des clauses techniques « sur mesure » qui ne peuvent être satisfaites, à l'évidence,
que par une seule entreprise spécifique déterminée ;
sous-estimer volontairement le coût des prestations pour pouvoir déclarer un appel d'offres
infructueux et choisir ensuite l'entreprise avec laquelle le marché sera négocié ;
recourir directement à la procédure négociée en dehors des cas prévus par le Code des
marchés publics.
Il peut arriver que l'avantage puisse consister dans le fait de disposer d'une information
particulière sur la consistance ou le coût d'une opération projetée. La connaissance d'un devis
estimatif établi par les services de l'administration peut permettre à un candidat de formuler une offre
à un prix relativement proche de celui fixé par ladite administration ou conduire à une diffusion des
prix (CA Paris, 23 mars 2000 : JurisData n° 2000-117773).
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principe d'égalité (CA Rennes, 21 nov. 1996, n° 1720/96, préc. supra n° 17). Par ailleurs, toute
indication sur le nombre et la qualité des concurrents peut faciliter l'établissement de devis détaillés
précis. Il en résulte donc clairement que l'avantage n'est pas nécessairement un profit matériel, ou le
simple bénéfice de l'attribution d'un marché ; il peut s'agir d'une information ou d'un renseignement
donné à certains et non à d'autres, qui fausse sans aucun doute l'égalité de tous face à un marché
offert par l'État ou une collectivité publique (Cass. crim., 23 mai 2007 : JurisData n° 2007-039877).
Il convient de mentionner une forme particulière de faux, le faux intellectuel. C’est une
altération de la vérité dans le contenu du document : toujours commis au moment même de
son élaboration, il consiste soit à y mentionner des faits ou des circonstances ne correspondant
pas à la réalité, soit à obtenir frauduleusement la signature d'une personne sur un document
qu'elle n'aurait pas signé en connaissance de cause, la fausseté de l'acte consistant alors dans le
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