Histoire Des Rois D'alger
Histoire Des Rois D'alger
Histoire Des Rois D'alger
ROIS D'ALGER
PAR
PAS
H.-D. DE GRAMMONT
AL&EË
ADOLPHE JOURDAN, LIBRAIRE-EDITEUR
4, PLACE DU GOUVERNEMENT, 4
1881
HISTOIRE
DES
ROIS D'ALG ER
OUVRAGES DU MEME AUTEUR
CHAPITRE I<
g1.
Le premier qui porta le nom de Barberousse fut aussi
le premier des Turcs qui régnèrent
sur le pays et la ville
d'Alger, dont il s'était emparé par violence et
trahison,
ainsi que de plusieurs autres royaumes etpar seigneuries
en Barbarie; il se nommait de son vrai nom Aroudj, et
non Arox, ni Omicho, comme quelques-uns l'ont appelé
Il était Grec, natif de l'île de Mételin, la Lesbos
de l'anti-
quité, et d'un petit hameau nommé Mola, situé à la
pointe
septentrionale de cette île. Son père, qui était chrétien,
se nommait Jacob (1), nom fort répandu encore aujour-
(1) Les débuts d'Aroudj sont racontés tout autrement par Sinan
Chaouch. ~R'azaouât). Arrivé à l'âge d'homme, il arme un navire,
combat !es chrétiens, se fait prendre par les chevaliers de Rhodes
après deux campagnes heureuses KheÏr-ed-Din offre dix mtMe
~M&TM~'o~p.o.ur sa. rançon. Nous voili't loin de la boutique du
potier Mais le récit d'Haëdo nous inspire beaucoup plus de confiance.
un garçon de belle allure, intelligent et de ~ôim~ volonté;
le reçut-très volontiers à son bord; quelques jours après
il le fit circoncire et le nomma Aroudj; il avait alors
environ vingt ans. Pendant quelques années, il pirata
sur toutes les mers en compagnie de ce 'Rei's et de
plusieurs autres. Comme il était naturellement ner,
courageux et intrépide, il se signala en maintes occa-
sions de guerre et ne tarda pas à se faire un nom parmi
les corsaires; cette réputation fut cause que des mar-
chands Turcs, qui armaient à frais communs une galiote
destinée à la course (tel étai't alors, et tel est encore
aujourd'hui l'usage), lui offrirent le commandement de
ce navire, en lui promettant sa part des prises et du
butin. Aroudj accepta avec joie; mais il avait d'autres
projets que ceux des armateurs, comme l'avenir le'
prouva. Peu de jours après son départ de Constantinople,
il entra en pourparlers avec quelques-uns des Levantins
et soldats d'équipage, qu'il avait embauchés après 'les
avoir reconnus pour d'anciens compagnons de piraterie;
il leur persuada qu'il y avait avantage pour eux tous à
passer en Barbarie avec la galiote, et qu'ils feraient ainsi
de grosses prises sur les terres des Chrétiens~vôisins;
les ayant ainsi séduits par l'espoir d'un grand profit, il
se dirigea sans opposition sur Tunis.'En passant à Më-
telin, il apprit la mort de son père, et emmena avec lui
ses 'deux frères cadets, lesquels, très misérables, ne
demandèrent pas mieux que de partager le sort de leur
altië; ils se firent musulmans quelques jours après'; TuiT
d'eux reçut le nom de Kheïr-ed-Din et fut plus tard ?
célèbre Barberousse; l'autre fut nommé Isaac-be'n-Iacoë,
ce qui vent dire Isaac fils de Jacob.
y. '§2.2.
Fën'c~
Peu de temps après qu'Arau~j eut quitté Mëte.tm/en
epimenant.-seg. fipèrea~~
montée par des corsaires de ses amis, et leur dit qu'il
avait l'intention de passer en Barbarie et l'espoir de s'y
enrichir rapidement; il fit si bien, qu'il les décida à le
suivre, à le reconnaître comme leur chef, et à marcher
sous sa bannière. Ce fut ainsi, et à la tête de deux
galiotes, qu'Aroudj débarqua à La Goulette de Tunis ce
n'était alors qu'une petite tour, qui servait de poste de
douane, et où les marchands qui négociaient par mer
avec le pays déchargeaient leurs cargaisons. Aussitôt
après son arrivée, qui eut lieu au printemps de l'année
1504, il alla trouver le roi de Tunis qui lui accorda,
moyennant le payement déjà dîme, l'entrée des ports du
royaume et l'autorisation d'y acheter ce qui lui serait
nécessaire pour la course. Peu de jours après, il sortit
avec une seule des galiotes, munie d'une forte chiourme
et d'un bon nombre de soldats; il laissaitl'autre bâti-
ment, qui n'était pas en très bon état, à la Goulette, où
quelques-uns de leurs compagnons s'occupaient à le
réparer. A sa première sortie, Aroudj eut le bonheur de
s'emparer de deux des galères du Pape Jules II, de la
manière suivante elles venaient de Gênes, ne se mé-
fiant de rien, mal armées (comme de coutume), chargées
de marchandises pour Civita-Vecchia; Barberousse se
tenait dans les eaux de l'île d'Elbe, en face de Piom-
bino, pays toscan; il aperçut une des galères qui se
trouvait isolée, s'étant écartée de l'autre de plus de trente
milles, et ordonna aussitôt de s'apprêter à l'attaque. Les
Turcs, considérant la force de l'ennemi, et la faiblesse de
leur galiote qui n'était que de dix-huit bancs, et crai-
gnant en outre que l'autre bâtiment ne vint à la rescousse
pendant le combat, étaient d'un avis contraire et disaient
que non-seulement il ne fallait pas attaquer, mais qu'on
devait se hâter de s'enfuir. Mais Aroudj leur déclara très
vigoureusement qu'il ne commettrait jamais une pareille
lâcheté; bouillant de fureur, il ordonna à la chiourme de
jeter immédiatement à la mer toutes les rames, les pri-
vant ainsi du moyen de fuir, pour les forcer à combattre;
les rameurs, qui étaient presque ton tous Turcs et braves,
lui obéirent. Cependant la galère du Pape approchait
tranquillement, ne se doutant guère qu'elle était guettée
par les corsaires, parce que, à cette époque, les mers
n'étaient pas infestées comme elles l'ont été depuis et le
sont encore l'équipage ne pouvait donc pas penser que
ce petit bateau était un ennemi qui allait l'attaquer;
mais, quand ils furent arrivés tout près de la galiote, et
que du tillac ils reconnurent les Turcs à leurs vêtements,
ils prirent les armes en grand désordre, ce qui excita le
courage de l'ennemi au moment même ils furent
accostés. et assaillis très vivement par une décharge
d'arquebuses et de flèches qui tua plusieurs Chrétiens et
épouvanta le reste; et la galère envahie se rendit après
une courte résistance, en sorte que la prise ne coûta que
des pertes légères. Aroudj fit enfermer soigneusement
ses captifs et se décida à attaquer aussi l'autre galère; il
fit un bref discours à ses soldats, leur remontrant com-
bien les conquêtes coûtaient peu à des hommes de cou-
rage et d'audace; il leur représenta que ce bâtiment
arrivait sans défiance, et qu'ils n'avaient qu'à se montrer
hardis et audacieux pour s'en emparer presque sans
coup férir. Quelques-uns s'enrayèrent de cette témérité
mais la plupart promirent à leur chef de le suivre partout
où il irait; celui-ci leur commanda alors de se revêtir
des habits des captifs; en même temps il fit arborer le'
pavillon du Pape sur sa.galiote pour tromper les chré-
tiens de la deuxième galère et leur faire croire que leur
conserve avait été victorieuse; ce stratagème lui réussit.
Lorsqu'il vit le vaisseau assez rapproché de lui, il vira
de bord, l'aborda très impétueusement avec une
décharge d'arquebuses et de Sèches qui fit quelques
victimes, et le prit en peu d'instants. Sans perdre un
moment, il s'assura de la personne des Chrétiens,.et en
fit mettre la plus grande partie à la rame, où ils rempla-
cèrent un bon nombre de Mores et quelques Turcs qui w
composaient la' chit)urmé des =dëùx prises~~ iÏ~'ciTtgla''
ensuite vers Tunis, où il arriva quelques
quelqu jours après. Il
est impossible de décrire re l'étonnement
Pëtonnfimer que causa cet
exploit dans Tunis et dans la chrétienté, et quelle célé-
brité commença, dès lors, à s'attacher au nom d'Aroudj,
dont tout le monde parla comme d'un heureux et vaillant
chef d'aventures. Comme sa barbe était très rousse (1),
on commença dès ce moment a le nommer Barberousse,
surnom qui passa plus tard à son frère. Avec le butin
qu'il acquit dans cette expédition, la faveur et l'aide du
Roi et d'autres personnes désireuses de participer aux
prises, il put armer l'automne suivant ses deux galiotes
et une des galères. Il se mit alors à écumer les côtes de
Sicile et de Calabre, prit un grand nombre de vaisseaux
et de barques, fit beaucoup de captifs, et rentra à La
Goulette chargé de prisonniers et de butin.
§3.
Au commencement du printemps de l'année suivante,
1505, Barberousse sortit de La Goulette avec sa galère et
ses deux galiotes et rencontra près de Lipari, île voisine
de la Sicile et de la Calabre, un grand vaisseau chargé
d'infanterie espagnole que le Roi catholique envoyait
d'Espagneau Grand Capitaine GonzalveFernand, qui étaitt
alors à Naples. Il fut assez heureux pour capturer ce
bâtiment sans mettre la main à l'épée et sans verser une
goutte de sang; il le reçut à merci et y trouva cinq cents
soldats Espagnols,parmi lesquels il y avait beaucoup de
gens de noblesse et de condition, qui lui payèrent plus
§<4.
Barberousse, qui était décidé depuis longtemps à faire
§5.
Quoique Kheïr-ed-Din eût eu le temps d'emmener sa
chiourme et qu'il n'eût perdu par le fait que quelques
carcasses de navires et un peu de butin, il n'osait pas
(1)Il est presque inutile de dire qu'il n'est pas fait mention de cet
échec dans le R'azaouât, dont l'auteur supprime systématiquement
presque toutes les défaites qu'ont essuyées les Barberousaès.;
rentrer à Tunis ni paraître devant son irere, surtout
depuis qu'on lui avait dit qu'il était très indigné contre
lui à cause de cette défaite, qu'il attribuait à sa couardise
et à son manque d'énergie, Kheïr-ed-Din n'avait pourtant
rien à se reprocher, ayant fait tout ce qu'un homme peut
faire. Donc, excité par son dépit et par la crainte qu'il
avait de son frère, il partit pour les Gelves avec la galiote
dont il était le reïs; là, pour apaiser la colère de son
aîné, il fit construire en grande hâte trois galiotes
avec des matériaux, ferrures et agrès de toute sorte,
qu'Aroudj lui avait donné jadis la colère de celui-ci se
calma, et il fit savoir qu'il ne conservait plus aucun res-
sentiment. Pendant qu'il était retenu à Tunis par sa
blessure, il avait permis a quelques-uns de ses reïs
d'aller rejoindre Kheïr-ed-Din aux Gelves, et ils s'y occu-
pèrent activement de la construction des navires. En
1513, les nouvelles galiotes et les six anciennes qui
avaient échappé à l'attaque d'André Doria partirent en
course sous le commandement de Kheïr-ed-Din; Isaac-
ben-Jacob resta aux Gelves en qualité de Caïd pour faire
achever à la hâte d'autres bâtiments, suivant les ordres
envoyés par Aroudj, qui était encore convalescent à
Tunis, et disait que, tout estropié qu'il était, il voulait
avoir encore quelque éclatant succès car son esprit ne
se reposait jamais, et son inaction forcée le faisait souf-
frir de ne pouvoir rien entreprendre de remarquable. A
peine guéri, il partit pour les Gelves où il arriva au mois
de mai 1513; il y passa le reste de l'année et la moitié de
la suivante à achever la construction de ses vaisseaux,
et à amasser de la poudre et des munitions. Enfin, au
mois d'août 1514, il partit avec ses douze galiotes, mon-
tées de plus de onze cents Turcs et vint de nouveau
assiéger Bougie, sans attendre l'invitation du Roi, qui
s'était enfui dans les montagnes, comme nous l'avons
dit. Quand celui-ci apprit l'arrivée de Barberousse, il le
rejoignit avec beaucoup de Mores alliés, et le ravitailla
en provisions de toute espèce. A l'aide de ce secours,
Aroudj commença à battre
)&ttre la tour devant
dev laquelle il avait
perdu le bras, la rasa presque entièrement et força la
garnison de rentrer dans la ville; il ouvrit ensuite le feu
contre une autre tour que le comte Pedro Navarro (1)
avait nouvellementbâtie toutprès de la mer, à l'endroit où
il y a une belle plage. Après quelques jours de feu, les
Turcs donnèrent plusieurs assauts, et rencontrèrent plus
de résistance qu'ils n'en attendaient; dans la première
attaque seulement, ils perdirent cent Turcs et cent
Mores des principaux et des plus vaillants. Le temps
s'écoulait; la mi-septembre était passée; les
grosses
pluies commencèrent. De plus, cinq navires arrivèrent
du Pénon de Vêlez sous les ordres de Martin de Renteria,
brave capitaine Espagnol, qui avait été invité
par le Roi
Catholique à se porter immédiatement au
secours de
Bougie. Il y arriva avec bon vent, et força Barberousse à
se retirer sans coup férir et à lever le siège. Cependant
quelques vieux Turcs m'ont raconté que la véritable
cause de l'abandon de l'opération avait été le départ du
Roi de Bougie et des Mores ses alliés. D'après leur récit,
Aroudj aurait demandé à ceux-ci s'ils voulaient tenir
jusqu'au bout; eux, qui désiraient
ensemencer leurs
champs (car il venait de pleuvoir beaucoup et les semail-
les doivent se faire en Barbarie après les premières
pluies) répondirent qu'ils ne pouvaient rester plus long-
temps en campagne et s'en retournèrent chez eux les uns
après les autres. Barberousse s'embarqua donc avec
ses
Turcs, fort mécontent d'avoir échoué deux fois devant la
même place après avoir fait beaucoup de pertes. Sa
colère fut telle, qu'il se détermina à ne plus retourner à
Tunis ni aux Gelves il se dirigea avec tout son monde
vers une petite ville nommée Gigelli, qui se trouve sur
la côte, à 70 milles à l'est de Bougie;
comme c'est une
forte position, qui possède un port suffisant, quoique
§ 6.
§7.
En l'année suivante 1516, le 22 janvier, le Roi Catho-
lique Don Ferdinand mourut, âgé de soixante-deux ans.
La nouvelle de cette mort ranima le courage des ha-
bitants d'Alger qui se trouvaient opprimés par un fort
que le Roi avait fait construire quelques années aupa-
ravant (2) sur l'île qui est en face et à peu de distance de
la ville; cet établissement les maintenait sous la domi-
nation Espagnole, et les empêchaient de pirater comme
ils en avaient l'habitude, ainsi que nous l'avons dit ail-
leurs (3).Quelque temps auparavant, ils s'étaient soumis
(1) D'après le R'azaouât, Aroudj aurait conquis Gigelli sur les chré-
tiens, à l'aide des habitants du pays, et il n'est pas fait mention de la
guerre contre le Roi de Kouko.
(2) Après la prise de Bougie, les Algériens eSrayes avaient fait
leur soumission à l'Espagne; c'est à la suite de cela que le Penon
avait été construit et armé.
(3) Dans la Topographieet Histoiregénét'ale d'Alger, chap. nr.
volontairement à un Cheïk, prince
S e~" Arabe nommé Sélim.
qu'il les protégeât. Avec son consentement,
ils -envoyèrent supplier Barberousse,
saient les exploits, de venir les délivrer dont ils connais-
de l'oppresion
des Chrétiens en détruisant
cette forteresse. Celui-ci
écouta ces propositions
avec un vif plaisir,
cause des grandes récompenses offertes par moins la ville
à
d'Alger et par le prince,
que
rien ne pouvait lui arriver plusparce qu'il lui parut que
à propos pour se rendre
le maitre de la Barbarie (c'était depuis
longtemps l'objet
de ses désirs) et pour s'emparer
d'Alger,
tante, si riche, si populeuse et si commodeville si impor-
Toutefois, cachant ses desseins/ilcongédialesam~'pour pirater.
sadeurs avec maintes offres de service
qu'il allait se rendre immédiatement à et leur assura
leur secours avec
ses Turcs et le plus de monde possible.
l'avait dit, il le fit; Et, comme il
homme, fruit naturel de
car la qualité principale de cet
titude et la diligence qu'il sa grande âme, était la promp-
apportait dans toutes ses
actions. Il envoya d'abord
par mer seize galiotes, les
unes à lui, les autres à des corsaires de
étaient venus le rejoindre à Gigelli, ses amis, qui
où ils avaient trouvé
son aide, ses bons offices et son
prodigue pour tous. Sur ces galiotes argent, dont il était
cents Turcs, avec son artillerie,
il embarqua cinq
tions et son matériel de sa poudre, ses muni-
guerre. Quant à lui, il prit la
route de terre avec huit cents Turcs
quets, trois mille Mores des armés de mous-
montagnes de Gigelli, ses
vassaux, et plus de deux mille autres,
nouvelle de l'entreprise, s'étaient jointsqui, à la première
à lui pour mar-
1''E"
cher sur Alger, dans l'espoir
d'un butin assuré. En
apprenant qu'il s'approchait, le prince,
~v.nrent les notables et les
au-devant de lui à une grande journée
la ville, le remerciant de
avec effusion de l'aide qu'il venait
~1~
quAroudj allait entrer immédiatement
aM"d~~
ee).c. leur dit qu'il était nécessaire qu'il à Alger; mais
situé à vingt lieues à l'ouest d'Al-
Cherchel, port mer
de
cents habi-
ger et qui avait en ce temps-là environ cinq
ts il leur promit de revenir rapidement et,de
~dé~ra~ncore
faire ce
plus qu'eux-mêmes. La cause de
détermination était la suivante au temps où il
cette voisin
s'étaitemparé si facilement de Gigelli et du pays
anciens compagnons, corsaire Turc, nommé
un de ses
des années avait
Cara-Hassan, qui pendant bien était le proprié-
bonne galiote, dont il
avec lui sur une biens et de ses succès
taire, était devenu envieux de ses
semblable à il
désirant faire une fortune
de Turcs de ses
c~
l'avait quitté avec sa galiote et beaucoup
été bien reçu
et s'était rendu â Cherchel. Il y avait
les habitants, qui étaient (comme ils le sont encore
par Grenade, de
aujourd'hui) des Morisques fuyards de
Valence et d'Aragon, grands corsaires,
faisant beaucoup
de mal aux côtes d'Espagne,
qu'ils
être nés. Ces pirates acceptèrent volontaire-
ment pour y il devint seigneur de
ment Cara-Hassan pour leur chef et
il trouvait ainsi assuré de se constituer
tout ce pays; se avait là aucun Roi
une bonne principauté, car il n'y
lutter contre lui. De plus, Cher-
More ou
chel a un
Cheïk
~ort~
qui put
était facile de rendre grand sur
de travail; la campagne y est fertile, et les
avec un peu matériaux de construction
montagnes sont riches en
aller aux Baléares et en Espagne, la
navale; enfin, pour
guère que vingt
traversée est très courte et ne demande
éléments de succès faisaient donc espérer
heures. Ces bientôt aussi célèbre
à Cara-Hassan de se rendre
De son
qu'Aroudj par ses exploits sur terre et sur mer.
celui-ci, auquel toutes ces choses étaient connues,
côté, qu'un autre voulut
extrême déplaisir
voyait avec un
l'égaler (tel est le naturel des tyrans ambi icux ') il lui
de la terre ou du
semblait qu'en cherchant à. conquérir
dans .ces parages, on lui volait son propre bien,
pouvoir cette région.«
était son désir de dominer toute
si ardent
ugan~donc qu'il pourrait toujours aller à Alger quand
il le voudrait, il se résolut à attaquer son rival à l'impro-
viste et à le chasser avant qu'il ne fût devenu plus fort.
Dans cette intention, il marcha rapidement sur Cherchel
sans perdre une heure, et ordonna à ses galiotes qui
étaient à Alger de prendre la même route. En arrivant, il
lui eût été facile de' prendre sans résistance la ville qui
n'était pas fortifiée (aujourd'hui, elle l'est un peu), et qui
n'avait pas de défenseurs; toutefois, il ne fit pas mine
d'être venu pour combattre, mais seulement pour arran-
ger cette affaire entre amis. Il fit savoir à Cara-Hassan,
surpris de son arrivée, qu'il avait été mécontent de le
voir s'emparer de cette ville, de laquelle il avait lui-même
l'intention de faire le séjour de sa flotte; le, corsaire
effrayé prit le parti de se soumettre entièrement; se fiant
à l'ancienne amitié qui les liait ensemble, il vint souhaiter
la bienvenue à Barberousse, s'excusa le mieux qu'il put,
et lui livra la ville, sa galiote, ses Turcs et sa propre
personne. Aroudj se montra très cruel; il lui fit couper
immédiatement la tête, s'empara de tous ses biens, in-
corpora les Turcs dans son armée et se fit reconnaître
pour Roi par tous les habitants (1).
§ 8.
(1) H est presque inutile de dire qu'il n'est pas parlé dans le R'a-
zaouât du meurtre de Selim. S'il fallait en croire Sinan, Aroudj aurait
été reconnu dès le premier jour comme souverain maître et d'un
consentement générât. liais tous les récits contemporains démentent
cette assertion, et confirment la version d'Haëdo.
notables, et se fit reconnaître par eux, grâce à ses pro-
messes et à ses offres il obtint d'autant mieux leur
assentiment qu'ils n'étaient pas de force à le lui refuser.
Aussitôt il se mit à battre monnaie et à fortifier la Cas-
bah, qui était alors le seul fort d'Alger; il la munit d'un
peu d'artillerie et d'une garnison de Turcs. Peu de temps
après ces événements, ceux-ci, se voyant les maîtres
absolus d'Alger, se mirent à traiter les habitants comme
s'ils eussent été leurs esclaves, les pillant, les insultant.
et les maltraitant avec leur arrogance accoutumée, si
bien que ceux-ci eussent mieux aimé être soumis aux
Chrétiens, d'autant plus qu'ils savaient que le fils de
Selim-Eutemi avait été en Espagne, et qu'ils craignaient
de le voir venir avec une armée pour reconquérir le
royaume paternel ils pensaient que, dans ce cas, ils
seraient traités comme étant complices du meurtre, que
le poids de la guerre porterait sur eux comme sur les
Turcs, et qu'ils devaient s'attendre à une destruction
complète, châtiment dont les menaçait chaque jour la
garnison Espagnole du fort de l'île. En conséquence, les
Algériens et les principaux d'entre les Mores s'enten-
dirent entre eux et ouvrirent des pourparlers avec le
Commandant de la forteresse, auquel ils demandèrent de
les aider, le moment venu, à chasser les Turcs; Barbe-
rousse n'avait conservé que ceux-ci et avait renvoyé
chez eux les Mores de Gigelli. Les habitants ajoutaient
qu'ils aimaient mieux obéir aux Chrétiens, qui étaient
justes et raisonnables, qu'à une race méchante et inso-
lente comme les Turcs. En même temps, ils s'enten-
dirent très secrètement avec les Arabes de la Mitidja,
grande plaine voisine d'Alger. Ceux-ci gardaient un
extrême ressentiment du meurtre de Selim-Eutemi, qui
était de leur race et de leur sang, et leur seigneur légi-
time ils avaient le plus vif désir de le venger, aussitôt
que cela leur serait possible; d'autant plus que Barbe-
rousse, non content de la soumission d'Alger et de ses
habitants, les pressait vivement de se soumettre à lui et
de, lui payer le tribut; de plus, les Turcs sortaient sou-
vent en armes dans la campagne, par troupe de trois ou
quatre cents, armés de mousquets, et les forçaient de
payer l'impôt, leur prenant encore leurs vivres, leurs
biens, et jusqu'à leurs filles et leurs fils.
§ 9.'
Pour toutes ces raisons, l'accord fut bientôt conclu
entre les Algériens, les Arabes et les Chrétiens de la for-
teresse il fut convenu qu'à un jour donné un bon
nombre d'Arabes entreraient dans la ville avec des armes
cachées, sous prétexte d'y vendre quelques denrées,
comme ils en ont l'habitude, et mettraient le feu aux
vingt-deux galiotes de Barberousse. Quelques-uns de
ces navires appartenaient à des corsaires qui venaient
de jour en jour se joindre aux Turcs; ils étaient tous sur
la plage, à deux places différentes, les uns en dehors
du rempart, à l'endroit où il rejoint la mer, près de la
porte Bab-el-Oued (c'est là qu'est maintenant le bastion
de Rabadan Pacha) et les autres un peu plus loin, sur la
plage du Ruisseau qui descend des montagnes (i). Il était
convenu qu'au moment où Barberousse et ses Turcs sor-
tiraient par la porte Bab-el-Oued pour éteindre le feu, les
Algériens fermeraient la porte et les empêcheraient de
rentrer; au même moment, le Gouverneur de la forte-
resse et les Chrétiens devaient passer en barque dans la
ville, s'y réunir aux Mores, massacrer les Turcs qu'on y
trouverait et attaquer ceux qui seraient avec Barbe-
rousse occupés à éteindre l'incendie. Ce plan était très
bien combiné et rien de mieux ne pouvait être imaginé;
mais il advint, sans qu'on sache comment, qu'Aroudj
apprit ce qui se passait; il fit semblant de ne rien savoir
et se contenta de si bien faire garder ses vaisseaux que
(1) Le véritable nom est Diego de Vera, ainsi qu'on peut s'en
assurer par la lecture des pièces officielles publiées en appendice à la
Cronica de tes Barbarojas, de Gomara.
(2) D'après les pièces citées à la note précédente, cela n'est pas
bien certain, et le contraire paraît même plus probable. De plus,
l'expédition eut lieu à la fin de 1516 et non en 15t7.
(3) Ici, Haëdo, moins exact de coutume, n'est plus du tout d'accord
avec les documents officiels. La vérité est que l'Armada se composait
d'une trentaine de bâtiments, montés par trois mille hommes, et que
l'insuccès fut dû, non pas à la tempête, mais aux mauvaises disposi-
tions du général. Sinan-Chaouch, avec son exagération habituelle,
parle de trois cent vingt navires et de quinze milie hommes.
(4) Faisons remarquer, une fois pour toutes, que la lieue d'Haëdo
est le plus souvent de 8 à 10 kilomètres.
des Turcs, des maux et des vexations insupportables
qu'ils enduraient. Ce prince se nommait Amid-el-
Abdi (1), c'est-à-dire Amid le Nègre, parce qu'il était
très noir, étant fils d'un blanc et d'une négresse; il eut
pitié des Arabes qui l'imploraient et qui étaient du
même sang que lui; de plus, il craignit que le mauvais
voisinage de Barberousse ne lui valut à lui-même un
sort semblable à celui de Selim, et ces raisons le déter-
minèrent à entreprendre la guerre et à chercher à chas-
ser les Turcs d'Alger. Il réunit donc dix mille cavaliers
de ses vassaux ou alliés et partit avec eux de Ténès au
mois de juin 1517, peu de temps après la défaite de l'ar-
mée Chrétienne. Comme tous les Arabes de ces régions
détestaient les Turcs, et craignaient de tomber sous leur
joug, l'armée se renforça à chaque étape de cavaliers et
de fantassins qui accouraient pour défendre une cause
commune à tous. Aroudj se résolut à ne pas attendre
l'ennemi et à marcher sur lui en prenant l'offensive, se
fiant au courage de ses Turcs, qui étaient tous pourvus
de mousquets, armes que les Mores ne possédaient pas
encore. Il laissa Kheïr-ed-Din avec quelques soldats à la
garde d'Alger, et pour plus de sûreté, il emmena en
otage une vingtaine des principaux habitants, et se mit
en marche avec un millier de Turcs armés de mousquets
et cinq cents Morisques Andaleuces (2) de Grenade, d'A-
ragon et de Valence, qui amuaient de tous les points de
la Barbarie à Alger, où ils étaient bien reçus des Turcs,
qui les admettaient dans leurs rangs; ces Morisques
étaient presque tous armés d'arquebuses. Au bout de
deux jours de route, Aroudj rencontra l'ennemi à 12
lieues à l'ouest d'Alger, près du Chélif. La bataille s'en-
gagea les Turcs et les Morisques tuèrent tant de monde
§ 10.
§11.
Dans ce même mois de septembre où Barberousse s'é-
tait emparé du royaume de Tlemcen, Charles-Quint était
arrivé de Flandre en Espagne pour prendre la couronne
par suite de la mort de son aïeul le Roi Catholique Don
Fernando, décédé l'année précédente il avait débarqué
en Biscaye avec une nombreuse et puissante armée. En
recevant cette nouvelle, le marquis de Comarès, gouver-
neur général d'Oran, s'embarqua pour l'Espagne. Il avait
pour cela deux raisons il voulait rendre ses devoirs au
nouveau Roi, et surtout l'informer des succès d'Aroudj,
et lui remontrercombien il était important de ne pas lais-
ser s'accroître davantage la puissance de cet usurpateur.
Ce jugement était celui d'une personne bien avisée, qui
voyait bien que si l'on n'étouffait pas tout de suite ce feu,
il consumerait plus tard une partie de la Chrétienté, ce
dont nous faisons aujourd'hui la dure expérience. Pour
mieux réussir, le marquis emmenait avec lui Abuchen
Men, qui devait se jeter aux pieds du Roi Charles-Quint,
émouvoir sa compassion, et obtenir de lui un secours
pour le remettre sur le trône. Ces sollicitations enle-
vèrent le consentement de Sa Majesté, qui accorda une
(1) Haëdo ne nous dit pas qu'Aroudj défendit la ville pendant près
de six mois, et qu'il ne s'enferma dans le Mechouar qu'après que les
Espagnols se fûssent rendu maîtres des portes, en même temps que
les Tiemceniens se retournaient contre lui. (Voir la Revue africaine,
i878,p.390).
fuite. S'étant fait indiquer
uer le chemin
che que suivaient les
Turcs, il le prit lui-même avec une troupe de mousque-
taires bien montés, en se gardant bien à cause de la
nuit; il gagna Aroudj de vitesse et l'atteignit à huit lieues
de Tlemcen, au moment où il allait passer une grande
rivière (1) nommée Huexda. Il cherchait à la franchir
pour s'abriter, voyant que le Marquis le serrait de près
et que les Chrétiens étaient déjà si rapprochés qu'ils lui
tuaient du monde et lui coupaient des têtes. Pour arrêter
l'ennemi, il usa d'un stratagème de guerre (qui eût sans
doute réussi avec de moins bonnes troupes) et fit jeter
une grande quantité de vases d'or et d'argent, de bijoux,
de monnaies et de choses très précieuses dont ses Turcs
avaient une bonne charge, espérant avoir le temps de se
mettre à l'abri derrière la rivière, pendant que la cupi-
dité inciterait les Chrétiens à ramasser les trésors qu'il
faisait semer. Mais le courageux Marquis anima telle-
ment ses gens, qu'ils méprisèrent toutes ces riches-
ses (2), et n'en virent pas de plus grande que la gloire de
s'emparer d'Aroudj avant qu'il eût passé la rivière. Donc,
foulant aux pieds les trésors, ils coururent impétueuse-
ment sur les Turcs ceux-ci, se voyant serrés de près,
firent face et se conduisirent en hommes décidés à mou-
rir Aroudj, avec son seul bras, combattait comme
un
lion.
En peu de temps, la plupart des Turcs furent tués et
décapités les uns après les autres un bien petit nombre
d'entre eux put passer la rivière et se sauver. Telle fut la
mi de la vie et des grands projets du premier Barbe-
(1) Nous estimons qu'il faut bien se garder, quoiqu'on ait dit
M. Berbrugger, de confondre cette rivière
avec l'Oued Isly. (Voir
l'article cité à la note précédente).
(2) Cet éloge paraît immérité, puisqu'il résulte des lettres
de no-
blesse données à l'alferez Garcia de Tineo, qui tua Aroudj, qu'au
moment de l'attaque, l'enseigne Espagnol n'avait avec lui que
rante-cinq hommes. Les autres étaient donc restés qua-
arrière et s'at-
tardaient au pillage. (Gomara, ~pp~t'ce, p. 159.) en
3
rousse, qui avait amené les Turcs en -Barbarie, leuravait
appris la valeur des richesses du Ponent, et dont l'habi-
leté et le grand courage (1) avaient fondé le puissant em-
pire qui existe encore aujourd'hui à Alger. Le Marquis,
très-heureux d'une telle yictoire, ce qui était bien natu-
rel, fit distribuer à ses soldats, sans en réserver rien
pour lui, l'énorme butin qui fut fait; il.retourna à Tlem-
cen, faisant porter la tête d'Aroudj au bout d'une lance,
et remit sans difficulté Abuchen Men sur son trône.
Moins de quinze jours après cet événement, le Roi de
Fez arriva à quatre lieues de Mélilla, en un pays nommé
Abdedu, avec vingt mille fantassins et cavaliers mores.
Il venait au secours de Barberousse; mais, ayant appris
sa défaite et sa mort, il s'en retourna immédiatement,et
le marquis rentra a Oran avec son armée, laissant le Roi
de Tlemcen en paix parfaite. Suivant le dire de ceux qui
l'ont connu, Aroudj était âgé de quarante-quatre ans au
moment de sa mort; il n'était pas de grande taille, mais
très fort et très robuste, il avait la barbe rouge, les yeux
vifs et lançant des flammes, le nez aquilin et le teint ba-
sané il était énergique, très courageux et très intré-
pide, magnanime et d'une grande générosité; il ne se
montra jamais cruel, sinon à la guerre ou quand on lui
désobéissait; il fut à la fois très aimé, très craint et très
respecté de ses soldats, qui pleurèrent amèrement sa
mort. Il ne laissa pas de postérité. Il passa quatorze ans
en Barbarie, où il fit bien du mal aux Chrétiens il fut
quatre ans Roi de Gigelli et des pays voisins, deux ans
Roi d'Alger, et un an usurpateur de Tlemcen.
(t) Faisons remarquer que celui qui s'exprime ainsi est un ennemi,
un Espagnol, un prêtre ce sont là trois titres suffisants pour ne pas
flatter ceux qui avaient fait tant de mal à l'Espagne et à la chrétienté
aussi, en le voyant rendre justice aux grandes qualités des Barbe-
rousses, il nous est impossible de ne pas nous étonner, en voyant
des écrivains modernes traiter ces derniers de vulgaires ms~~eM?'~
et de bandits.
CHAPITRE II
§1-
Tunis.
a certainement voulu dire trois cents; it y a, en effet, trente myria-
mètres à vol d'oiseau entre Alger et Cotto.
(3) Faute d'impression, pour
Aroudj, tant par ses exploits que par le dommage qu'il
causa aux Chrétiens.
Il continuaainsi jusqu'à l'année 1529, accroissant cha-
que jour ses richesses, le nombre de ses captifs et celui
de ses bâtiments, de sorte qu'il avait à lui seul dix-huit
vaisseaux bien pourvus d'artillerie et de tout le matériel
nécessaire. Au mois de septembre 1529, il conclut un
traité avec les Rois de Kouko et de Labez (1), voisins du
territoire d'Alger; tous deux étaient dès souverains puis-
sants, que l'Espagne avait empêchés, jusque-là, par l'in-
termédiaire du commandant général de Bougie (qui rele-
vait alors de la couronne de Castille), de s'allier aux
Turcs, auxquels ils faisaient tout le mal possible. Plus
tard, il envoya en course quatorze de ses galiotes dans
les eaux des Baléares et de l'Espagne; il en donna le
commandement à un audacieux corsaire turc nommé
Cacciadiabolo; les principaux reïs de la flotte étaient:
Salah-Reïs, qui devint plus tard Roi d'Alger; Chaban-
Reïs Tabaka-Reïs; Haradin-Reïs; Jusuf-Reïs; après
avoir enlevé quelques vaisseaux et quelques personnes
près des îles et sur les côtés, ils se virent implorer par
certains Morisques du royaume de Valence, vassaux du
comte d'Oliva, qui désiraient, passer en Barbarie avec
leurs familles; pour y vivre sous la loi de Mahomet, et
qui offraient de bien payer leur passage. Cette proposi-
tion fut agréée par les corsaires; qui se rendirent près
d'Oliva, embarquèrent pendant la nuit plus de deux cents
de ces Morisques et mirent ensuite le cap sur l'île de
Formentera.
3.
En 1530 (2), Barberousse se résolut à détruire et à raser
le Penon, que son frère Aroudj avait essayé de prendre en
1516; il avait l'intention, qu'il exécuta depuis, d'y substi-
tuer un mole en réunissant l'îlot à la ville par une chaus-
sée, afin de donner de la sécurité aux navires car, dans
ce temps-là, les corsaires étaient forcés de tirer leurs
bâtiments sur le sable de la plage d'un petit ruisseau,
situé à environ un mille à l'ouest d'Alger il fallait exé-
cuter les manœuvres de halage à force de bras, avec un
immense travail des pauvres captifs. Les navires des
marchands Chrétiens, dont le commerce est pour les
Algériens d'un grand profit (sans compter les droits
qu'ils leur font payer) n'avaient pas d'autre abri que la
petite anse qui se trouve en dehors de la porte Bab-
Azoun, à l'endroit qu'on appelle aujourd'hui ~.Pa~M;
ils y étaient sans cesse en grand péril, manquant d'abri
et battus par tous les vents. Ces divers motifs avaient
donc déterminé Kheïr-ed-Dinà attaquer la forteresse; un
événement imprévu vint le décider à hâter l'exécution
de son projet. Il arriva que deux jeunes Mores s'en-
fuirent au Penon, et déclarèrent au gouverneur qu'ils
voulaient se faire chrétiens. Celui-ci se nommait Martin
de Vargas, brave chevalier Espagnol; il reçut très hu-
mainementles fugitifs et les logea chez lui pendant qu'on
les instruisait et qu'on les catéchisait avant de leur don-
ner le baptême. Peu de jours après, le dimanche même
(1) Dans le .Dt'o~Me des martyrs.
(2) Il y a erreur de date la prise du Pcnon eut lieu en 1529,
comme le prouvent les lettres de Charles V citées par M. Berbrugger,
(Le Pégnon d'Alger, Alger, 1860, brochure in-8", p. 99, etc.) et quel-
ques pièces des documents Espagnols, traduits par M. de La
Primaudaye (Revue africaine, année 1875), p. 163-166.
de Pâques, à l'heure oùù le capitaine et la garnison enten-
daient la messe, les jeunes Mores montèrent sur le
rempart, qui se trouvait désert; là, soit par légèreté, soit.
par méchanceté et trahison, ils élevèrent une bannière,
et firent des signaux à la ville du haut d'une grosse tour.
Une servante du capitaine, qui se trouvait dans le châ-
teau, vit ce manège, et se mit à appeler la garnison à
grands cris, en avertissant de ce qui se passait. Le Gou-
verneur quitta la messe avec ses soldats, accourut en
grande hâte, et, sans plus d'informations, fit pendre les
deux coupables à un créneau en vue de la ville. A ce
spectacle, les Algériens furent immédiatement trouver
Barberousse et se plaignirent de l'outrage qui leur éta~
fait, sans s'occuper autrement des causes du supplice.
Celui-ci, voyant là l'occasion de hâter l'exécution de ce
qui était décidé depuis longtemps dans son esprit, cher-
cha d'abord à parvenir à ses fins sans effusion de sang.
Il envoya en parlementaire un de ses renégats, l'alcade
Huali, avec ordre de faire savoir au Gouverneur que, s'il
lui rendait la place sans combat, il lui ferait un parti
honorable, et de nature à satisfaire toute la garnison,
sinon, il jurait de faire passer tout le monde au ni de
l'épée. Don Martin ne fit que rire de ses menaces et ré-.
pondit à Kheïr-ed-Din, qu'il s'étonnait qu'un brave capi-
taine comme lui conseillât à un autre de se déshonorer
il le pria de se souvenir qu'il avait affaire à des Espa-
gnols que ses vaines menaces ne pouvaient effrayer. Le
Roi s'attendait à une réponse semblable, et n'espérant
rien de la démarche de son parlementaire, il avait fait
élever et armer en hâte une batterie, en face du Penon.
Lorsque le renégat revint avec la réponse du gouverneur,
Barberousse furieux fit prendre un très grand et très
fort canon de bronze à bord d'un galion français qui se
trouvait dans le port d'Alger et qui appartenait à un che-
valier français de l'ordre de Malte, nommé Frajuanas (1);
§4.
En 1531, Kheïr-ed-Din, tout en construisant un môle
à Alger, en faisait édifier un autre à Cherchel; cette ville
possède un port naturel, qu'il voulait rendre vaste et
très sûr. Le Prince André Doria jugea bon de chercher à
l'en empêcher, sachant bien que Cherchel est le point de
Barbarie le plus rapproché des Baléares, et se trouve à
peu d'heures de l'Espagne. Il s'y dirigea donc avec ses
galères, espérant tout au moins délivrer plus de sept
cents captifs employés aux travaux. On a dit, et des pri-
sonniers de ce temps-là m'ont amrmé à moi-même, que
quelques-uns d'entre eux avaient écrit au Prince pour
lui apprendre combien il serait facile de leur rendre la
liberté, de prendre la ville et de détruire le môle com-
menèé. Le Prince partit donc de Gênes au mois de juillet
1531 avec ses vingt galères bien armées, sa marche fut
rapide et, arrivant avant le lever du soleil, il débarqua
quinze cents hommes tout près de Cherchel; il avait
donné l'ordre de se précipiter dans la ville, qui n'était
§6.
S 7.
(1) Sic.
(2) La plupart des historiens donnent pour cause de la fin tragique
du Grand- Vizir, la haine de la Sultane mère et de Roxelane, qui
persuadèrent au Sultan qu'Ibrahiml'avait trahi dans la guerre contre
la Perse. (Voti- De la Croix, Hammer, etc.]. Ajoutons que, s'il faut en
croire Sandoval, Ibrahim Pacha aurait été te protecteur de Eheir-pd-
Din, et l'aurait puissamment aide à devenir Capitan-Pacha.
tous ses soins à ces diverses opérations, auxquelles il
employait les Reïs qu'il avait amenés d'Alger. Tous ceux
qui les voyaient à l'oeuvre admiraient leur industrie et
leur activité, et reconnaissaient clairement la grande
différence qu'il y avait entre eux et les anciens capitaines
de galères.
Kheïr-ed-Din sortit pour la première fois à la tête de
la flotte Turque en 1537; le Sultan voulait rompre avec
Venise eflui faire la guerre, et désirait s'emparer aussi
du royaume de Naples, où l'appelaient quelques habi-
tants, qui avaient été dépossédés dé leurs terres; un des
principaux, méchant homme, Gouverneur de l'antique
cité de Brindes, avait promis au Sultan de lui livrer cette
ville aussitôt que sa flotte arriverait; c'était une position
très importante, qui ouvrait le chemin pour s'emparer
(le la Pouille et du royaume de Naples. Cette conquête
avait été jadis bien ambitionnée par Mahomet 11, le vain-
queur de Constantinople, qui avait pris Otrante, et avait
conservé cette ville jusqu'à sa mort, espérant s'en ser-
vir pour conquérir le reste de l'Italie, et Rome même.
Pour exécuter ses projets, Soliman quitta Constantino-
ple à la tête de deux cent mille hommes, vint à la
Velonne, port de mer rapproché de l'Italie, et ordonna en
même temps à Barberousse de le suivre avec la flotte et
de commencerpar s'emparer de Brindes. L'Amiral, arrivé
à la Velonne, y attendit un second avis du Gouverneur
de Brindes; ne voyant rien venir et ne voulant pas per-
dre son temps, il se dirigea vers Castia, ville de la pro-
vince d'Otrante, dans l'intention de ravager le pays, pour
jeter l'épouvante dans tout le royaume; cette ville,
canonnée vigoureusement, se rendit au bout de quelques
jours. Cependant, à la nouvelle de l'arrivée de la flotte
turque, le Prince André Doria était sorti de Gênes et de
Messine avec trente et une galères, seuls navires qu'il
eût eu le temps d'armer en entrant dans le golfe de
Venise, il captura près de Corfou, une galiote ennemie;
voulant connaître les desseins de Kheïr-ed-Din, il fit
mettre le Reïs à la torture, et celui-ci révéla que la trahi-
son du Gouverneur de Brindes était une des principales
causes de l'expédition. Le Prince fit aussitôt parvenir
cet avis au Vice-Roi de Naples, Don Pedro de Tolède,
Marquis de Villafranca. Celui-ci fit saisir et pendre le
traître, avant qu'il n'eût pu accomplir son dessein, et il
assura la garde de la ville en y envoyant le Seigneur
Alarçon(l) avec une bonnetroupe d'infanterie espagnole.
Barberousse, ayant reçu ces nouvelles, et n'espérant pas
s'emparer de Brindes, vint rejoindre le Sultan à la
Vélonne. Celui-ci, dévoilant alors sa haine contre les
Vénitiens, donna l'ordre de ravager à fond leurs posses-
sions, et principalement l'île de Gorfou. Cela fait, il
retourna à Constantinople par terre, et l'Amiral le suivit
avec la flotte.
§8.
En 1538, la guerre entre les Turcs et les Vénitiens
continua; Barberousse sortit de nouveau à la t~te de sa
flotte, très renforcée en hommes et. en vaisseaux, et
investit les provinces ennemies. Venise, ne pouvant
résister seule au Grand Seigneur, fit alliance avec le
Pape Paul III et avec l'Empereur-Charles-Quint. Les trois
alliés réunirent à frais communs une grosse flotte dont
le commandement fut donné au Prince Doria qui sortit
pour attaquer Barberousse. La rencontre eut~ieu à La
Prévéza; lorsque les deux armées navales furent en pré-
sence, le Prince, pour des raisons inconnues, refusa la
bataille et se retira; la gloire et la réputation de Barbe-
rousse s'accrurent beaucoup de l'honneur qui lui revint
d'avoir fait reculer un aussi vaillant lutteur.
§10.
En 1544, l'Empereur et le Roi de France firent la paix,
et Barberousse fut invité à retourner en Turquie avec sa
flotte. Il partit de Toulon au commencement du prin-
temps, après avoir été rejoint par Sala-Reïs, qui lui ame-
ordres. Arrivé
na les vingt-deux galères placées sous ses
à l'île d'Elbe, il envoya une frégate prier Appiano, sei-
gneur de Piombino, de lui rendre un jeune captif, fils
d'un de ses vieux amis, corsaire nommé Sinan-Reïs le
Juif, qui se trouvait en ce moment à Suez, par ordre du
Grand Seigneur, et y organisait une grosse flotte destinée
à chasser les Portugais de l'Inde. Appiano s'excusa en
disant que le jeune homme avait été baptisé mais Bar-
berousse ne se contenta pas de cette réponse, menaça
de mettre tout le pays à feu et à sang, et commença le
ravage par l'île d'Elbe, où il fit un grand nombre de cap-
tifs. Appiano, effrayé, rendit le jeune homme, que Barbe-
rousse renvoya à son père presque aussitôt après qu'il
fut de retour à Constantinople. Sinan-Reïs se trouvait
alors dans la Mer Rouge, et l'on dit qu'il mourut subite-
ment de joie en revoyant son fils. Kheïr-ed-Din délivra
aussi Dragut-Reïs, qu'il avait élevé, et qui-était alors pri-
sonnier à Gênes. Juanetin Doria l'avait capturé en Corse
avec deux galères et sept galiotes, l'ayant surpris sans
défense _au moment où il espalmait ses navires; il le
laissa libre moyennant une grosse rançon (1), qui coûta
depuis bien cher à la Chrétienté, à laquelle Dragut fit
tant de mal pendant de si longues années. La flotte Tur-
que s'empara ensuite des villes de Talamon et de Porto-
Hercule, dans l'État de Sienne, les saccagea et les brûla,
ainsi qu'une foule d'autres localités voisines, et y fit un
grand nombre de captifs de tout âge et de toute condi-
tion. Elle côtoya ensuite le Royaume de Naples et fit su-
bir le même traitement aux îles d'Ischia, de Procida et
deLipari.
§11.
Barberousse se reposa à Constantinople pendant les
années 1546,1547 et une partie de 1548 il y fit bâtir une
grande et superbe mosquée qu'il dota d'une grosse rente,
et éleva à côté d'elle une kouba ronde, très haute, riche-
ment ciselée, dans laquelle il plaça le tombeau où il de-
vait être enseveli plus tard. Ces édifices sont situés à
cinq milles plus loin que Galata, sur la rive du Bos-
phore (2), au milieu d'une foule de palais, de mosquées
et de beaux jardins qui ornent ce rivage sur une étendue
(1) Dragut était tombé entre les mains d'un LomeMini, qui ne con-
sentit à l'échanger que contre la principauté de Tabarque, où il éta-
blit des pécheries de corail et des comptoirs assez importants cet
établissement appartint à la famille Lomellinijusqu'en 1741.
(2) ABuyu):dere;Ct's constructions existent encore.
de plusieurs milles et le rendent semblableaux délicieux
environs de Gênes. Il fit aussi construire, dans Constan-
tinople même, un bain magnifique qui rapportait beau-
coup d'argent, et qui fut plus tard l'objet de la convoitise
de bien des Pachas, comme nous le raconterons plus
loin. Au mois de mai 1548,(1), il fut attaqué par une fièvre
très violente, et mourut au bout de quatorze jours, très
regretté des Turcs, qui le tenaient en haute estime pour
ses exploits. On raconte comme une chose certaine,
qu'après qu'il eût été enterré dans la kouba dont nous
avons parlé, on le retrouva, à cinq ou six reprises diffé-
rentes, sorti de son sépulcre et étendu à terre, à la stu-
péfaction générale; enfin, un magicien Grec dit que le
seul moyen de l'empêcher de quitter sa sépulture, était
d'enterrer avec lui un chien noir; cela fut fait, et le corps
ne sortit plus de sa tombe (2).
Aujourd'hui encore, la vénération des Turcs, et surtout
des corsaires et des marins pour le tombeau de Barbe-
rousse, est si grande, qu'il n'y en a pas un seul qui n'aille
y faire un pieux pèlerinage avant de s'embarquer, et qui
ne le salue, à son départ, par de nombreuses salves d'ar-
tillerie et de mousqueterie, pour lui rendre les honneurs
dus à un aussi grand saint. Kheïr-ed-Din mourut à soi-
xante-trois ans (3), âge généralement très dangereux il
était de grande taille, robuste; il avait une forte barbe,
châtaine et non rousse, comme celle d'Aroudj; il avait de
gros sourcils et de longs cils il fut très cruel pour les
(1) C'est une erreur de date. Ehcïr-ed-Din mourut en ~546, ainsi
que cela est prouvé par une lettre de l'ëvêque de Cambrai, ambassa-
deur à Constantinople, adressée à François I" à la date du 4 juillet
i546. (Ribier, Lettres et m<~M!rMd'etc. 1666, iu-fo. T. I. p. 584).
(2) C'est une superstition commune en Orient; on y raconte volon-
tiers quêtes morts ont quitté leur tombe; nous avons vu, en Algérie
même, plus d'un marabout sur le compte duquet s'est créée une sem-
blable légende.
(3) D'autres historiens ont dit soixante-dixet même soixante seize
mais on sait combien il est difficile de déterminer l'âge exact d'un
Oriental.
Chrétiens et très bon pour les Turcs, qui le craignaient
cependant beaucoup, parce que, une fois qu'il était en
colère, il n'y avait plus moyen de l'apaiser. Il ne laissa
qu'un fils, qu'il eut d'une Moresque d'Alger, et qui,
après avoir hérité de tous ses biens (1), fut plus tard Roi
d'Alger à trois reprises différentes, comme nous le ra-
conterons plus loin.
§1-
§2.
Ce fut en 1541 qu'arriva le désastre de l'Empereur
Charles-Quint, de glorieuse mémoire, auquel une tem-
/pête d'une violence inouie, fit perdre une flotte de cinq
cents voiles (1) sur la plage d'Alger, dans la journée du
28 octobre (2); c'est un événement si connu et qui a été
si souvent raconté que nous ne nous occuperons que de
ce qui concerne Hassan Aga. Jamais dans aucun cas, un
Roi-né montra plus de courage, d'expérience ni de pru-
dence qu'il ne le fit en cette occasion, se voyant assiégé
par un Prince aussi puissant et aussi heureux dans ses
entreprises que l'était l'Empereur Charles-Quint, avec
une flotte si redoutable, une armée si nombreuse et si
bravp, composée de soldats de toutes les nations Chrë-
tiennes, tandis qu'il n'avait sous ses ordres que trois
mille Turcs à peine, et encore très mélangés d'Andaleu-
ces et de Mores. Cependant non-seulement il ne s'effraya
pas, mais ce fut lui seul qui encouragea et rassura la
.foule, parcourant à cheval la ville démoralisée. Lorsque
l'Empereur lui envoya en parlementaire un des princi-
paux Chevaliers Espagnols, Don Lorenzo Manuel, qui
était chargé de lui offrir en échange de la ville de grandes
récompenses pour lui et pour ses Turcs, il répondit en
raillant que 'c'était une grande sottise que de prendre
conseil de son ennemi, et qu'il espérait, avec la protec-
tion de Dieu, que cette affaire lui vaudrait une grande
§3.
(i) Marmol dit neuf KM<~ /<M<aM!?M e< quatre ceM<~c/MM:M!B mais
il no
~1 ne parle pas précédents il
pas des faits précédents se contente.de
il se fa,ir.e:sayoir
nous,
contente de noua fair,e-sa.voir
étaitun affront personnel pour lui, qui se trouvait ainsi
mis en faute devant son souverain, auquel il avait en-
gagé sa parole pour Àhmed, et que, par conséquent,
c'était à ses frais et non à ceux de l'Empereur qu'il vou-
lait châtier cette déloyauté et en tirer vengeance, Il
marcha donc sur lui, le rencontra à quatre journées
d'Oran, près de Tlemcen, le battit en lui tuant beaucoup
de monde, le poursuivit l'épée dans les reins et entra
dans la ville, où il mit sur le trône un des frères du Roi
vaincu; celui-ci n'osa s'arrêter nulle part et s'enfuit à
Fez. Hassan Aga était tombé malade en revenant de Tlem-
cen à Alger son mal s'accrut de jour en jour; il fut
consumé peu à peu par la fièvre et par l'étisie, et mourut
à la fin de septembre 1543 (1), à minuit, regretté de tous
ceux qui l'avaient connu. Il était âgé de cinquante-six
ans, petit de taille et bien proportionné, il avait de beaux
yeux, une figure agréable et la peau très blanche; ce fut
un grand justicier; il fit quelquefois appliquer des
peines cruelles; aussi fut-il respecté de tout le monde.
Il était très généreux et aimait à faire l'aumône. Il fut
enterré à Alger, en dehors de la porte Bab-el-Oued, dans
une grande kouba que son majordome, qui était un de
ses Renégats, lui fit bâtir après sa mort.
que Muley Ahmed avait pris le parti des Turcs, tandis que son frère
Abdallah demandait des secours aux Espagnols pour le détrôner, ce
qui arriva, en effet, en 1544.
(1) M. Devoulx a déjà fait remarquer que cette date est erronée.
11 r<!$ulte de l'inscription de la tombe d'Hassan qu'il ne mourut qu'au
mois de novembre 1545. (Revue africaine 1864, p. 290). II est cepen-
dant très probable qu'Hassan quitta le pouvoir vers la fin de 1543.
soif pour cause de maladie, soit pour toute autre raison restée in-
comue.(Loc.cit.)
CHAPITRE IV
v Ha~jiP~ch8,,q:tta.trième~oi
~1-
(t) (Sic). Le mot Tabal, qui précède Médine dans le texte, a fait
commettre à M. Devouix une singulière méprise. Uner légère incor-
rection typographique lui a fait tire: ya~~(it eut pu s'épargner. cette
erreur en observant un peu plus loin le caractère des veritabtes Y) et
ii a conclu de cette lecture erronée que Tat~ signifiait Yatreb, parce
que, dit-il, tel est le ~t~Me/to~~e ? ville. (~uMca/~tMÎHe 1864,
p. 290.)
(2) Le récit du Mekhemé confirmetei celui de Haëdo. Hadj' Bêcher
(te! est le vrai nom d'Hadj'Pacha), y est cité comme a~ant fait des
prodiges de valeur le jour de l'envahissement de la ville. On trouve
les mêmes ailegatMnsdans le ~b&<'<:<F<yo~
§2.
cnSansdottteD&oud.
Ilits. par M. Devculx.quU
d'actes retrouvés et traduits
I)evoulx,
~11 r<;sul~
s'appetaii:EI-HadjBecher benAtaMja..
CHAPITRE V
§1~.
(1) Cela ne peut pas être vrai car Hassan Aga n'était pas Pacha
d'Alger, mais seulement Khalifat de Khcïr-ed-Din, qui conserva le
titre jusqu'à sa mort, ainsi qu'il est facii~ de le voir dans les Négo-
ciations de la France avec le Levant ~Documents inédits). Faisons
remarquerici que Haëdo ne tient aucun compte de ces différences, et
rimait'ement et pour quelques jours, sont des Rois..
que, pour lui, tous ceux qui ont exercé le pouvoir, ne fù.t-ce qu.'inte-
c
d'Hadji Pacha, qui venait de vaincre le CheikhButereque.
A cette époque, le Roi de Tlemcen était celui que le
Comte d'Alcaudete avait mis sur le trône, en contrai-
gnant son frère, MuleyAhmed, às'enfuiràFez(1).Comme
ce royaume était sans cesse livré aux dissensions,
un autre frère cadet de ces deux Rois (2), désireux de
régner, se rendit à Alger à la nouvelle de l'arrivée d'Has-
san, auquel il sut persuader de déclarer la guerre à son
frère. En conséquence, un an après son installation, au
commencement de juin 1545, Hassan Pacha partit d'Al-
ger et marcha sur Tlemcen avec trois mille Turcs et Re-
négats armés de mousquets, mille spahis à cheval et dix
canons. A son passage à Tenez, Hamid-el-Abdi, qui y ré-
gnait encore, lui donna deux mille cavaliers Arabes.
L'armée arriva rapidement à Tlemcen sans avoir rencon-
tré aucune résistance; car le Roi, averti de ce qui se pas-
sait, avait emporté à la hâte ses effets les plus précieux
et s'était enfui à Oran, accompagné de quelques amis.
Hassan mit son protégé sur le trône, et reçut de lui une
grosse somme, qui provenait en partie des dons de ses
partisans et en partie de contributions frappées sur les
autres; après un court séjour, l'armée s'en retourna à
Alger (3). Le nouveau Roi ne goûta pas longtemps les
délices du pouvoir; avant qu'un an ne se fût écoulé, le
Comte d'Alcaudete, à la tète de troupes qu'il fit venir d'Es-
§2.
En 1548 (1), les habitants de Tlemcen, qui
continuaient
à être toujours en discorde entre
eux et avec leur sou-
verain, s'adressèrentde nouveau à Hassan, lui offrant
de
le reconnaître pour Roi s'il voulait
accepter le trône,
s'il n'en voulait pas pour lui-même, de recevoir et,
celui
qu'il leur désignerait. Ces offres déterminèrent
à partir pour Tlemcen avec trois mille Turcs
Hassan
et Renégats
armés de mousquets, mille spahis à cheval et deux
mille
Mores que le Roi de Tenez lui fournit,
comme il l'avait
fait en 1545; il envova par mer à Ténez huit
bonne canons, avec
une provision de poudre et de munitions. Comme
il arrivait à la rivière de Siga, qui est à
quatre lieues
d'Oran, sur la route même de Tlemcen, il
rencontra le
Comte d'Alcaudete qui l'attendait là
avec six mille mous-
quetaires, accompagné du Roi de Tlemcen,
qui avait amené avec lui six mille cavaliers. Le son allié,
Pacha,
prévenu de la proximité de l'ennemi, qui lui barrait
la
route. fit faire halte pour laisser reposer
son monde; il
avait l'intention de livrer bataille le lendemain matin,
à en juger par la bravoure des deux armées et,
et par l'ani-
mation qui y régnait, l'affaire eût été rude et sanglante.
Mais, au milieu de la nuit, arriva grande hâte
en un gen-
tilhomme français, nommé Monsieur de Lanis (2),
que
(1) Tout ce qui est rapporté dans ce chapitre être
mis à la date
1547 c'est 1 expiation du récit de Marmoi qui
fait l'objet de la note
prudente. Nous n'insisterons pas sur la puérilité des raisons
guées pour justifier la retraite d'Hassan c'était allé-
dition restée chez les janissaires, sans doute une tra-
que Haëdo aura recueillie et trans-
crite telle quelle, qu'il
ce fait assez souvent.
(2) H esttrès certain
que, même avant cette époque, les Pachas
le Roi de France avait envoyé avec deuxgalèrespour ap-
prendre à Hassan la mort de son père et lui en faire des
compliments de condoléance. En recevant cet ambassa-
apportait, le
deur et les lettres du Roi de France qu'il
Pacha d'Alger fut saisi d'une extrême douleur, comme le
comportait la mort d'un tel père sa tristesse fut parta-
gée par toute l'armée, dont la plus grande partie,
et prin-
cipalement les officiers, avaient servi sous les ordres de
Barberousse. Le lendemain matin, Hassan entra en pour-
parlers avec le général Espagnol, et il fut convenu que le
Roi installé à Tlemcen par l'Espagne y
resterait; qu'il
pourrait se déclarer vassal de l'Empereur sans qu'il lui
fût fait de querelles à ce sujet, et ils se
quittèrent en
amis. Deux jours après la conclusion de ce
traité, Has-
amèrement la mort
san reprit la route d'Alger, pleurant cheval de
de Barberousse, vêtu de noir et monté sur un
même couleur. En passant à Tenez, il y laissa son ar-
à
tillerie et ses munitions, qui furent ramenées par mer
Alger.
§ 3.
E-t'
~~Y~~
avait vu
."r~
venir, à diverses reprises
rlu Roi de France Kheïr-ed-Din
auprès de lui le célèbre Paulin de
etc. En tous cas. il y a ici erreur
date car, Klie*ir-c,1-1)ia était mort en
t~n. nous croyons qu'il faut y
de
1~46. Le nom de Latiis uous est
substituer d'Albisse. Le cueva-
épolue, ph~eursnussions
Négociations de la
-royales auprès des Pachas d'Alger. (Voirles
dans le Levant, T. 11, p. 204, 261, etc.)
parce qu'il était ami des Chrétiens et oppresseur des
Musulmans, qu'il surchargeait d'impôts pour payer le
tribut au Roi d'Espagne. Le Chérif, moins désireux de
leur complaire que d'ajouter un Royaume à ceux de Fez,
Maroc et Tarudant qu'il possédait déjà, rassembla immé-
diatement une armée de douze mille cavaliers et de dix
mille fantassins; parmi ces derniers on remarquait un
corps de cinq mille Renégats armés de mousquets, de
ceux qu'on appelle A luches à Fez, et qu'on nomme par
corruption Elches en Espagne. Il donna le commande-
ment de ces troupes à son fils aîné, son héritier, lui
adjoignit un fils plus jeune nommé Muley-Abdallah, et
ce frère du Roi de Tlemcen que les habitants deman-
daient. Cette armée se mit en marche et s'empara de
Tlemcen, dont le Souverain, n'étant pas assez fort pour se
défendre, s'enfuit à Oran. Le Général Marocain donna le
commandementde la ville conquise à son frère Muley-
Abdallah, ne se souciant pas de remettre sur le trône le
frère de l'ancien Roi, auquel il persuada traîtreusement
de l'accompagner, en lui disant que son intention était
de conquérir le Royaume d'Alger, et, qu'au retour, il lui
rendrait son trône. Il laissa donc quelques troupes à son
frère et pénétra dans le pays des Beni-Amor, montagnes
voisines d'Oran ces tribus peuvent mettre douze mille
cavaliers sous les armes. Elles n'osèrent pas attendre
l'armée Marocaine, et se retirèrent avec leurs troupeaux,
leurs chameaux, et leurs biens jusque sous le canon de
Mostaganem, à douze lieues à l'est d'Oran. Le fils du Roi
de Fez (1), trouvant le pays abandonné, hésitait à pour-
(1) Marmol, qui n'a connu tous ces faits que très inexactement,
les reporte à une date plus éloignée, sous le pachalik de Sata-Reïs
laquelle le Roi d'Alger Arab-Ahmed fit 'reconstruire la
porte et le rempart, et disparaître ce trophée.
§ 4.
§5.
En l'année suivante, 1551, Hassan quitta le Royaume
d'Alger pour les raisons suivantes depuis la mort de
Kheïr-ed-Din, un des trois Pachas suprêmes du Grand
Divan, nommé Rostan, qui avait épousé une des filles
préférées du Sultan, désirait s'emparer du bain magni-
fique que Barberousse avait fait construire à Constanti-
nople, et dont le gros revenu excitait sa cupidité. Il avait
parlé de son dessein au majordome d'Hassan, nommé
Djafer, qui avait été envoyé d'Alger à Constantinople par
son maître, aussitôt que celui-ci avait eu connaissance
de la mort de son père. Djafer avait averti Hassan de ce
qui se passait, et celui-ci était peu satisfait de se voir
frustré à la fois d'une grosse rente et d'un édifice que
son père avait construit pour éterniser sa mémoire. Sur
ces entrefaites, le majordome lui écrivit de nouveau
pour le prévenir que Rostan-Pacha se montrait fort irrité
de ce qu'on ne lui eût pas encore offert l'objet de ses dé-
sir s que sa puissance et la faveur de son beau-père le
rendaient très dangereux, et qu'il le menaçait, non-seu-
lement de s'emparer du bain, mais encore de lui enlever
le gouvernement d'Alger. Cette nouvelle donna des in-
quiétudes à Hassan, qui partit tout de suite pour Cons-
tantinople(1) avec six galères, afin de chercher à apaiser
(1) H est bien possible que la cupidité de Rostan ait été pour quel-
que chose dans la disgrâce d'Hassan mais sa chute fut due en très
grande partie aux sollicitations de notre ambassadeur, qui s'était
aperçu de l'hostilité du Pacha d'Alger pour la France. Dans la lettre
que M. d'Aramon adresse au Roi, à la date du 20 janvier 155~, on
remarque le passage suivant « Suyvant le pronostic que j'ay faict
» par cy-devant du Roy d'Alger, ce
Grand Seigneur le congnoissant
la colère de Rostan. Son départ eut lieu le 22 septembre
1551; il avait gouverné le Royaume d'Alger pendant sept
ans de suite, en toute paix et toute justice. Il avait vingt-
huit ans à son arrivée et trente-cinq quand il partit. Je
raconterai en son temps et lieu ce qui advint pendant
deux autres règnes à Alger.
» tel que je l'ay autrefois deppainot, l'a demis dudit estât et remis à
» deux escus par jour pour son vivre, etc. » ~Vi~ocMMfMM <<:
France ~M ZMM!K<, t. II, p. i8i .)
CHAPITRE VI
S 1.
(1) Bab-el-Djezira.
(2) C'est le Caïd Daoud, dont il est parlé plus haut.
CHAPITRE VII
S 1.
§2.
Pendant tout l'hiver, Sala-Reïs s'occupa à armer le
plus de navires qu'il put; au commencement de juin
1553, il sortit d'Alger avec quarante galères, galiotes ou
brigantins, arriva à Mayorque en trois jours et y débar-
qua une partie de son monde pour piller l'ile et faire des
captifs dans la campagne mais des cavaliers et des ar-
quebusiers sortis de la ville de Mayorque, fondirent bra-
vement sur les Turcs, et, sans éprouver eux-mêmes de
grosses pertes, leur tuèrent cinq cents hommes parmi
les morts, se trouva Yusuf-Reïs, Renégat très chéri du
Grand-Amiral, qui était alors Acha-Auli (2); les Turcs
vaincus furent obligés de se rembarquer. Sala, voyant
qu'il était découvert et qu'il devenait inutile de chercher
à ravager Mayorque, navigua à l'Ouest et longea les côtes
d'Espagne sans pouvoir y faire grand mal, parce que
tous les riverains connaissaient sa sortie et la force de
sa flotte. A la fin de juillet, il rencontra dans sa croisière
cinq caravelles et un brigantin portugais; sur ces bâti-
ments, se trouvait Muley-Buazon le Borgne (3), Roi de Ve-
lez, qui, voulants'emparer de Fez, avait été demander du
secours à l'Espagne, et revenait avec cette flottille et trois
cents hommes que le Roi Jean III de Portugal lui avait
donnés pour l'escorter à Velez. Sala, ayant reconnu les
navires Chrétiens, les fit entourer par sa flotte, et,
§3.
La nouvelle de la défaite du Cliérif avait été connue
peu de jours après au Penon de Velez, dont le Caïd
redoutait la colère du nouveau Roi, auquel il avait tou-
jours été hostile; en conséquence, il s'enfuit, abandon-
nant cette position inexpugnable, qu'il eût pu facilement
défendre contre Muley-Buazon, et même contre d'autres
bien plus puissants que lui. Lorsque son départ eut été
connu de la flotte que Sala-Reïs avait envoyée au Port-
Neuf près de Mélilla, les Reïs ne perdirent pas une aussi
bonne occasion ils partirent pour le Penon avec la
flotte, le trouvèrent abandonné, et s'y installèrent. Sala
était encore à Fez quand il reçut d'eux cette nouvelle;
il fit partir en toute hâte un Caïd Turc nommé Khader
avec deux cents hommes, et lui donna l'ordre de se for-
tifier le mieux possible. Ces instructions furent exécu-
tées, et le Penon resta au pouvoir des Turcs jusqu'à
l'année 1564, où le Roi d'Espagne Philippe II s'en empara.
§4.
En 1555, Sala-Reîs s'empara de Bougie de la manière
suivante il partit d'Alger au mois de juin, par la route
de terre, emmenant avec lui trois mille Turcs ou René-
gats armés de mousquets, et envoya par mer deux galè-
res, une barque et une caravelle ou saëtie (1) française,
qui se trouvait alors à Alger ces bâtiments transpor-
taient douze canons de gros calibre, deux très gros pier-
riers, et beaucoup de munitions et de vivres. Il ne put
pas réunir une armée plus forte, parce que, à ce même
moment, le Prieur de Capoue, frère de Pierre Strozzi
venait d'arriver à Alger avec vingt-quatre galères fran-
çaises, et des lettres du Sultan (2) ce Souverain invitait
Sala-Reïs a fournir le plus de galiotes et de soldats qu'il
pourrait, pour venir en aide au Roi de France Henri, qui
soutenait à cette époque de grandes guerres contre lee
Roi Philippe II d'Espagne. En vertu de ces ordres, Sala-
Reïs avait donné au Prieur vingt-deux galères ou galiotes
bien munies d'hommes et d'artillerie. Dans sa marche
sur Bougie, il réunit plus de trente mille Mores, cava-
liers ou gens à pied, que lui envoyèrent le Roi de Kouko
et d'autres Cheiks.
A la tête de cette armée, il vint mettre le siège devant
Bougie. Un vendredi matin, il éleva deux batteries, l'une
§5.
(i) Ce n'est pas exact Peralta avait stipulé que la garnison serait
rapatriée avec armes et bagages, et que les habitants pou! raient
emporter avec eux leurs biens mobiliers Sala-Reïs viola le
traité. En fin de compte, le Gouverneur de Bougie fut victime de
l'incurie de son Gouvernement il n'avait ni vivres, ni munitions, et
depuis longtemps, il appelait en vain l'attention du Conseil Royal sur
le délabrement des remparts de la ville. Ajoutons qu'il ne se rendit
qu'à bout de munitions, et après avoir soutenu trois assauts sur brè-
che ouverte. (Loc. cit. p. 282.)
(2) Quarante-cinq ans, d'après les chiffres mêmes de l'auteur;
année, il envoya un riche présent au Sultan, avec le récit
de la prise de Bougie. Il lui demanda de lui accorder
pour l'année suivante une armée qu'il joindrait à ses
propres forces il promettait de s'emparer d'Oran et de
Mers-el-Kébir et de chasser les Chrétiens de cette partie
de la Barbarie. Il chargea de cette mission, pour être sûr
qu'elle serait accomplie avec zèle, son fils Mohammed,
qui devint plus tard Roi d'Alger. Les présenta et le projet
plurent beaucoup au Sultan, qui donna l'ordre d'armer
quarante galères montées de six mille, Turcs, et de se
tenir prêts à se rendre à Alger au commencement du
printemps prochain. Dans l'intervalle, Sala-Reïs s'occupa
activementet fort en secret d'amasser des munitions de
guerre et de mettre en état tous les vaisseaux qu'il pos-
sédait. Au mois de mai 1556, les quarante galères Tur-
ques partirent de Constantinople et arrivèrent à Bougie
au mois de juin (1). Sala-Reïs, qui était déjà averti de
leur départ, avait tellement bien fait ses préparatifs,
qu'au moment même où il fut avisé de leur arrivée, il
s'embarqua et partit d'Alger avec trente galères ou galio-
tes. Il avait pour cela deux raisons premièrement, il
régnait en ce moment dans la ville une peste très vio-
lente, qui aurait pu se communiquer à l'armée du Sul-
tan, si elle y était venue; deuxièmement, il désirait mar-
cher sur Oran, avant qu'on y eût appris l'arrivée de la
flotte Turque. En conséquence, après avoir fait embar-
quer à la hâte quatre mille Turcs sur ses trente vais-
seaux, il se dirigea sur Matifou, cap situé à douze milles
à l'est d'Alger; il s'y trouve un port, qui, quoique petit,
peut servir d'abri aux vaisseaux c'est là qu'il voulait
attendre la flotte Turque, et se rendre ensuite directe-
ment à Oran, sans s'arrêter à Alger. Il y était à peine
arrivé qu'il fut violemment attaqué de la peste, grâce à
il) Une lettre de M. deCo!igr)ac,dat~e de Constantinople, te3t
mai tu56, con6"me cette partie du récit, ctpM'te de l'envoi de la flotte
Turque à Sala-Reïs. (Négociations de la France dans le levant, t. n,
p. 378.).
la bonté divine, qui délivra ainsi la ville d'Oran de l'atta-
que d'un tyran aussi cruel il mourut au bout de vingt-
quatre heures, sans qu'aucun remède eût pu le sauver.
Cet événementjeta une grande tristesse dans toute son
armée, qui revint immédiatement à Alger. Sala-Reïs fut
enterré dans un tombeau situé en dehors de la porte
Bab-el-Oued, à l'emplacement des sépultures royales; ce
monument est celui quj est le plus rapproché de la mer;
il fut construit par son successeur, Hassan-Corso, qui
était son Renégat (1), plus tard, son fils Mohammed-
Pacha, devenu Roi d'Alger, constitua une rente pour y
entretenir une lampe, et attacha à son service un More
et un Chrétien, chargés de le tenir en bon état, et de l'or-
ner de fleurs et de plantes ce sépulcre fut entouré d'un
mur de trois tapias (2) de hauteur, qui se voit encore
aujourd'hui. Mohammed-Pacha y fit élever plus tard une
kouba très -ornementée. Sala-Reïs avait soixante-dix ans
au moment de sa mort, et avait la barbe entièrement
blanche. Il était de taille moyenne, gros et brun; il se
montra toujours courageux, diligent et aventureux dans
la guerre; il ne laissa qu'un seul fils, qui fut le Moham-
med dont nous avons parlé.
Hassan Corso
§1~.
§2.
Hassan Corso gouverna en paix jusqu'au commence-
(1) D'après Marmot (livre V, chap. XIX), les Turcs avaient déjà
pris la Tour des Saints, et serraient la garnison de très près, lorsque
le Sultan ordonna la levée du siège. Il avait besoin de ses galères
pour les opposer à André Doria, qui ravageait l'Archipel et menaçait
le Bosphore.
ment de septembre, au contentement et à la satisfaction
de tout le monde; car tous ceux qui l'ont connu, soit
Turcs, soit Renégats,soit Chrétiens, affirment que c'était
un homme très bon, doux, affable et libéral, nullement
ennemi des Chrétiens il avait au contraire de l'attache-
ment pour eux, tellement qu'il ne pouvait et ne savait le
dissimuler. Au bout de quelques jours, on apprit qu'il
était arrivé à Tripoli huit vaisseaux avec lesquels venait
un Turc nommé Thecheoli (1), que le Sultan envoyait
régner à Alger. Cette nouvelle mécontenta beaucoup toute
la population qui était très satisfaite du gouvernement
d'Hassan et de sa conduite. Les Janissaires et les princi-
paux des Turcs convinrent (ce qui s'est vu bien rare-
ment) de ne pas accepter le Roi nommé par le Sultan, de
conserver le pouvoir à Hassan, et de prévenir la Porte
de leur détermination. Cette résolution ayant obtenu
l'assentiment général, les Janissaires firent prévenir les
Caïds de Bougie et de Bône, que si le nouveau Roi entrait
dans leurs ports avec ses vaisseaux, ils l'engageassent à
s'en retourner en Turquie, attendu qu'ils ne voulaient
pas d'autre Roi qu'Hassan Corso, et qu'ils en avaient
avisé le Sultan et, que s'il ne voulait pas obéir, on
canonnât ses navires. A la réception de cet ordre des
Janissaires, au moment où le nouveau Roi arriva à Bône,
le Caïd de cette ville, qui était un Renégat Grec nommé
Mustapha, lui communiqua les instructions qu'il avait
reçues; et, comme Techeoli insistait, il lui fit tirer quel-
ques coups de canon; en sorte que celui-ci fut forcé de
partir. Continuant son chemin, il arriva à Bougie où un
autre Renégat Sarde, nommé Caïd Ali Sardo (c'est celui
que nous avons dit avoir été nommé par Sala Reïs, quand
il prit Bougie l'année d'auparavant), lui fit savoir qu'il ne
pouvait le recevoir ni dans la cité, ni dans le port, lui
intima l'ordre de se retirer, et l'y força en lui tirant quel-
(1) Chelouk.
Reis, Turc Mostafa-Reïs, Renégat Arnaute (i), et Yaya-
Reïs, Turc, qui fut depuis Caïd du Penon de Velez. Il
était déj.à nuit quand Xaloque arriva à Matifou; il entra
dans la galère de Thécheoli, qu'il prit à part, lui disant
le plus grand mal des janissaires, et lui faisant connaître
le grand désir qu'avaienttous les corsaires de le mettre,
en possession du Royaume d'Alger malgré la milice; il
lui raconta par le menu les moyens qu'il voulait em-
ployer et lui développa amplementtoutes les facilités qui
seraient données. Thécheoli, enchanté de ces nouvelles,
en fît part a quelques-uns des principaux Turcs qu'il
avait amenés avec lui, et se résolut à tenter l'aventure;
sans plus attendre, il s'embarqua dans la galiote de Xa-
loque avec environ vingt Turcs de ses amis bien armés.
Sur l'avis du capitaine, il ordonna à ses huit galères de
le suivre à un mille en arrière, d'entrer dans le port
derrière lui, et de, débarquer tous les équipages avec
leurs arquebuses et leurs autres armes. Cet ordre fut
exécuté la nuit était un peu obscure; en arrivant près
d'Alger, comme les janissaires avaient donné ordre à
Xaloque de les prévenir immédiatement de ce qui se se-
rait passé, et de tirer le canon dans le cas ou Thécheoli
persisterait à vouloir entrer à Alger, quand ils virent
qu'il revenait sans avoir fait feu, ils pensèrent que la né-
gociation avait réussi.
§3.
Ace moment Xaloque arriva au port, et, en y débar-
quant avec Thécheoli, il trouva le môle et la marine
occupés par les Levantins et les Corsaires armés, comme
(i) Ce Mostafa-Arnaut faillit devenir Pacha d'Alger. Il en remplit
l'office pendant quelques jours, après la mort de TMcheoli, ainsi que
le prouve une lettre que lui adressa Philippe Il qui. lui offrait son
appui dans le cas où la Porte se refuserait à le reconnaître. (Docu-
ments espagnols, Revue africaine 1877, p. 287). M. de la Frimaudaye
s'est trompé en disant ~oe. cit.) qu'il n'était pas question de ce Mos-
tafa-Arnaut dans la relation d'TIaëdo.
cela avait été convenu; s'avançant sans être inquiétés,
ils entrèrent dans la ville; car la porte de la Marine était
de même occupée par les Reïs de là, avec une troupe de
plus de trois cents hommes armés d'escopettes, ils se
dirigèrent vers une grande maison, située dans la rue
qui va directement de la ville à la porte de la Marine;
c'est celle où les Rois qui arrivent nouvellement de Tur-
quie ont l'habitude de loger au commencement de leur
séjour, en attendant que leur prédécesseur quitte le
palais destiné à l'habitation des Rois. Thécheoli, arrivé
là, y installa une bonne garde d'arquebusiers; à ce
moment, les huit galères Turques entrèrent dans le port
et commencèrent à débarquer les troupes ainsi qu'elles
en avaient reçu l'ordre en même temps, les Corsaires
qui étaient avec Thécheoli commencèrentleurs clameurs,
criant Vive le Sultan Vive Thécheoli A ces cris, les
Janissaires, voyant la rue de la Marine occupée par une
troupe armée, arquebuses mèches allumées, tombèrent
en une confusion qui fut encore augmentée quand ils
apprirent de source certaine que Thécheoli était entré
dans le palais dont nous avons parlé, que les galères
étaient dans le port et les troupes débarquées compre-
nant alors combien les Reïs les avaient trompés et sur-
pris, ils n'osèrent engager le combat avec eux, et chacun
se réfugia comme il put dans sa maison. Cela fait, Thé-
cheoli, assuré que la Milice ne bougeait pas, sur le con-
seil des mêmes Corsaires, se rendit nuitammentau palais,
accompagné de plus de deux mille Arquebusiers; Has-
san Corso vint le recevoir à la porte. Il se disculpa d'avoir
pris part à toute cette révolte, disant que c'était contre
sa volonté qu'il avait accepté le pouvoir,et qu'il ne l'avait
gardé que contraint et forcé. Thécheoli n'accepta pas ces
explications il les reçut de mauvaise grâce et fit empri-
sonner son rival. A ce moment le gouvernement d'Has-
san Corso n'avait encore que quatre mois de durée (1);
d'octobre ~556. Voir les articles relatifs à cet événement (Revue afri-
MMM i87i, p. 1, 81 et 335.)
CHAPITRE IX
§1~.
Après que Thécheoli eut été mis en possession de la
ville et du Royaume d'Alger par les Corsaires, comme
nous venons de le dire, et qu'il eut mis aux fers son pré-
décesseur Hassan Corso, la première chose qu'il fit fut
d'envoyer deux de ses galères à Bougie et à Bône pour
y arrêter les Caïds de ces deux villes, qui avaient été si
désobéissants. Pendant les premiers jours, il ne s'oc-
cupa qu'à prendre des informations sur les principaux
meneurs de la conjuration. Et, comme il était avare et
cupide, il dissimula avec tous ceux qui rachetèrent leur
faute à prix d'argent, excepté avec Hassan Corso et les
Caïds de Bougie et de Bône; quant à Hassan, dix jours
ne se passèrent pas avant qu'il ne le fit cruellement tuer,
en le faisant jeter sur une ganche (supplice excessive-
ment barbare, comme nous l'avons écrit ailleurs) (1), en
dehors de la porte Bab-Azoun, à l'extrémité du pont.
Hassan vécut trois jours entiers, suspendu aux ganches
par le côté droit (2), en proie à des souffrances cruelles;
et comme on était alors au commencement d'octobre,
et qu'il faisait froid, il dit à un Chrétien qui passait (ainsi
que me l'a raconté un témoin oculaire) « Chrétien,
(t) Le cap Caxine. D'après la lettre citée dans les Documents Es-
pagnols (Revue A fricaine, 1877, p. 284), Tekelerli avait été aux eaux
d'Hammam-R'hira, et Yusuf profita de son absence pour organiser
la conspiration. M. Devoulx a consacré un long article à la chute et
au meurtre de ce Pacha (Revue Africaine, ~871, p. 1, etc.).
§2.
Yusuf, Caïd de Tlemcen, ayant été avisé de ce change-
ment de résidence, pensa que c'était une bonne occasion
pour tuer Thécheoli, et partit de Tlemcen pour Alger avec
environ trois cents Turcs (d'autres disent six cents, et
ajoutent qu'ils ne partirent pas de Tlemcen, mais bien de
régions plus voisines d'Alger, où ils avaient été lever
l'impôt sur les tribus Arabes pour le Roi Hassan). Yusuf,
sachant donc que Thécheoli était campé aux Caxines, s'y
dirigea rapidement, et pour que celui-ci ne fut pas pré-
venu de son arrivée, il fit attacher à des arbres tous les
Mores qu'il rencontrait le long de son chemin. Enfin, il
arriva près des Caxines. Quand le Pacha apprit cette
nouvelle, il se douta de quelque embuche, monta rapi-
dement à cheval, et, accompagnéde trois ou quatre de ses
amis, commença à courir à toute vitesse vers Alger. Yu-
suf était déjà si près de lui qu'il le reconnut et le vit fuir;
il le poursuivit immédiatement l'épée dans les reins.
Thécheoli avait d'abord cherché à gagner les portes de
la ville et lés trouva fermées par les soins des Janissaires'
qui avaient veillé à ce qu'il ne put pas y rentrer. Arrivé à
la porte Bab-Azoun, il se sentit perdu et ne vit plus
d'autre parti à prendre que de gagner les hauteurs avec
son cheval; voyant que Yusuf se rapprochait de lui, il
précipita sa fuite à travers les coteaux, et arriva à une
montagne très élevée qui est à un mille et demi à l'Ouest
d'Alger; il descendit de cheval à la porte d'un Ermitage
où avait longtemps vécu et où était enterré un Renégat
de Cordoue, nommé Sidi-Yacoub (1) c'est là qu'il cher-
cha un asile. Il était à peine entré que Yusuf, qui l'avait
toujours suivi de près, y arriva, et sautant à bas de che-
val, entra la lance à la main dans la chapelle, se précipi-
(1) D'après M. Devoulx, cette Kouba aurait été située sur l'empla-
cement actuel du Fort-l'Empereur, ou tout au moins dans son voisi-
nage immédiat. (Loc. cit.)
tant sur Thécheoli à cette vue, celui-ci lui cria Yusuf,
ne me tue pas 1 considère que tu es dans la maison de
Mahomet 1 Yusuf répondit Oh traître, chien, et pour-
quoi as-tu tué mon patron innocent, qui n'avait commis
aucune faute 1 En disant ces mots il lui donna trois ou
quatre coups de lance et le laissa étendu sur le sol. Le
Pacha était déjà mort à l'arrivée des Janissaires et des
Turcs du parti de Yusuf; ils approuvèrent et louèrent
son action et se dirigèrent avec lui vers Alger. Le récit
de cet événement fut accueilli par tout le monde avec un
grand contentement. Telle fut la fin de Thécheoli-Pacha,
dont la conduite eût été excusable, s'il n'eût pas été tel-
lement avare, qu'il mécontenta la milice et qu'il ne se
trouva personne pour se mettre de son parti. Il régna
trois mois, depuis le commencement d'octobre 1556 jus-
qu'à la fin de décembre (1). Il était Turc, âgé de cinquante
ans, robuste et gros, de taille moyenne et de teint brun.
Il est enterré en dehors de la porte Bab-el-Oued, dans
une Kouba, qu'un Turc de ses amis lui éleva quelques
mois après, elle est à vingt pas en avant de la Kouba
d'Hassan-Gorso et de Yusuf-Pacha.
(1) C'est une erreur de date, Thécheoli ne fut tué que vers la fin
d'avril 1557, comme le démontre la lettre des Documents Espagnols,
déjà cités (Revue africaine 1877, p. 284). Une lettre de Philippe II
d'Espagne semble prouver qu'il eut pour successeur, pendant quel-
ques jours au moins, Mostafa-Arnaut, duquel nous avons déjà parlé.
(Même Revue, p. 287).
CHAPITRE X
§1-.
Après que Yusuf eut ainsi tué Thécheoli-Pacha, il en-
tra dans la ville accompagné des soldats qu'il avait ame-
nés et reçut la visite de l'Agha des Janissaires et des
principaux d'entre les Turcs et Renégats, qui, tant pour
l'amour qu'ils conservaient a .la mémoire de son maître
Hassan Corso dont il avait vaillamment vengé la mort,
.que pour l'affection qu'ils lui portèrent à cause de cette
action, le choisirent sans plus de délai et le proclamèrent
Roi d'Alger. Yusuf, qui était un homme très intelligent,
fit preuve, en cette occasion, de la plus grande libéralité
possible, il fit distribuer le jour même dix mille écus aux
troupes, et recommença les deuxième, troisième, qua-
trième, cinquième et sixième jours, de manière qu'en six
jours il leur donna soixante mille écus d'or, ce qui aug-
menta d'autant leur affection. Les Turcs étaient donc en-
chantés d'avoir un Roi aussi libéral, et Yusufne l'était pas
moins d'avoir changé l'état d'un pauvre Calabrais en une
position aussi brillante, lorsque la mort, qui abat et
brise tout, nos existences et notre bonheur, vint les plon-
ger tous dans la tristesse et dans les larmes. Il sévissait
alors une grande peste dans la ville elle frappa Yusuf
le sixième jour de son règne, avec une telle violence
qu'en moins de vingt-quatre heures, il perdit le trône et
la vie, au grand chagrin de tout le monde. Il était
âgé de vingt-six ans, mince, de stature moyenne, la
barbe châtaine, la peau blanche, se montrait gracieux et
affable pour tout le monde. Il est enterré à côté de son
patron Hassan Corso, dans la même Kouba que lui, en
dehors de la porte Bab-el-Oued; c'est celle qui est située
en avant de la Kouba de Sala-Reïs et au-delà de celle de
Thécheoli.
CHAPITRE XI
§1~.
Après la mort de Yusuf, les Janissaires fort tristes
choisirent pour Roi un Turc, nommé Yahya. Il avait été
longtemps Caïd de Miliana, ville située à douze lieues
d'Alger; et, comme c'était un homme brave et prudent,
Sala-Reïs, devenu Roi d'Alger, s'était servi de lui en di-
verses occasions. Il gouverna six mois, depuis le com-
mencement de janvier de l'année 1557, jusqu'au mois de
juin. Il n'arriva pendant son règne rien qui mérite d'être
raconté, sinon qu'il mourut en ce temps là beaucoup de
monde de la peste, tant à Alger que dans le reste du pays.
Au bout de six mois arriva un nouveau Roi, nommé par
le Sultan; c'était le fils de Barberousse, Hassan Pacha,
qui avait déjà régné, comme nous l'avons dit. Yahya
rentra dans la vie privée, vécut longtemps encore en
grand honneur et bonne réputation en 1562, après la
mort d'Ahmed Pacha, il fut choisi pour Khalifa, et gou-
verna Alger en cette qualité,jusqu'au moment où Hassan
Pacha, fils de Barberousse, revint encoreune fois comme
Roi d'Alger. Il mourut en 1570, âgé de soixante ans, de
la manière suivante ayant été avec Ochali au siège de
Tunis, en 1569, pendant que celui-ci était dans la.ville,
quelques navires de la Goulette vinrent pour canonner
les murailles; Yahya fit une sortie à la tête des Turcs
un projectile de l'un des navires lui passa tout près du
mollet de la jambe droite sans toucher la chair, ni la
botte; cependant sa jambe devint toute noire, et il ne
pouvait plus s'appuyer dessus. Il retourna par terre à
Alger avec Ochali, dans une litière qu'on lui avait fait
faire à Tunis, et mourut chez lui de cette blessure quel-
ques mois après. C'était un homme de haute taille,
charnu, brun, avec de grands yeux et une forte barbe
noire. Il ne laissa qu'une fille pour héritière de ses
grandes richesses; il l'avait eue d'Axa, fille d'Hadj Pa-
cha, avec laquelle il était marié; on l'avait surnommée
gorda, parce qu'elle était très grosse. Cette fille est en-
core vivante aujourd'hui, s'appelle Leila Axa et est ma-
riée au Caïd Daut, un des principaux d'Alger. Yahya est
enterré parmi les Rois, hors de la porte Bab-el-Oued,
dans une grande Kouba que sa fille lui fit bâtir depuis,
tout près de celle d'Ahmed Pacha, du côté de la ville.
CHAPITRE XII-
R~er~
(1) K'çaça.
se composait de trente mille cavaliers, de dix mille fan-
tassins Mores et de quatre mille Elches (c'est-à-dire Re-
négats ou Andalous et Mores d'Espagne), tous mous-
quetaires. La première partie de la journée fut employée
à laisser reposer l'armée; l'après-midi,la bataille s'enga-
gea de part et d'autre avec une égale fureur. Au bout de
quelques heures, il y avait déjà un grand nombre de
morts de chaque côté, les Turcs commençaient à plier,
parce que, d'une part, les contingents Arabes n'étaient
pas de force à résister à la cavalerie de Fez, qui était
nombreuse et bonne, et que, du reste, les Elches se
battaient si bien, qu'ils avaient fait subir de grosses
pertes aux Janissaires et les avaient acculés à une mon-
tagne voisine. La nuit fit cesser le combat, et les Turcs
profitèrent de l'obscurité pour se retrancher sur les hau-
teurs par des fossés et des parapets. Hassan Pacha tint
conseil avec les principaux chefs pour savoir si l'on re-
commencerait la bataille le lendemain matin il fut dé-
cidé qu'en raison des grosses pertes subies, il ne conve-
nait pas de combattre, mais de se retirer sur Tlemcen
dans le meilleur ordre possible. A minuit, Hassan donna
l'ordre de s'apprêter à partir, et pour que l'ennemi, qui
était tout près de lui, ne s'aperçut pas de sa marche, il
fit entretenir toute la nuit de grands feux au moyen de
gros bûchers qui purent brûler jusqu'au jour. Cet
ordre fut exécuté; l'armée Turque s'éloigna avec le
moins de bruit possible, au milieu de la nuit, et l'opéra-
tion fut faite si prudemment, que le Roi de Fez n'en eut
connaissance qu'au matin, quand il vit toute la monta-
gne abandonnée.Et comme il avait lui-mêmeperdubeau-
coup de monde, et qu'il avait de nombreux blessés,
principalement parmi les Elches, qui composaient sa
meilleure troupe, il ne chercha pas à atteindre les Turcs,
auxquels il aurait sans doute fait subir de grosses
pertes, s'il les avait poursuivis pendant quelques jours
l'épée aux reins. Hassan Pacha partit donc avec son
armée.. et arriva vers le milieu d'août au Port Neuf,
où se trouvait sa flotte; là, il licencia toute sa cavalerie,
les contingents Mores, une partie des Turcs, et s'embar-
qua avec le reste de l'armée et son artillerie. Et, comme
il lui vint l'idée de pousser une reconnaissance à Me-
lilla, il le fit avec la galiote de Mostafa-Arnaut, et de là
s'en retourna à Alger.
§ 2.
Ce fut l'année suivante, 1558, qu'arriva la triste défaite
de Mostaganem, dans laquelle périt le Comte d'Alcau-
dete Don Martin, général d'Oran, avec plusieurs milliers
de soldats Espagnols, tués ou pris. Le Comte s'était fait
donner par Sa Majesté le Roi d'Espagne, douze mille sol-
dats pour prendre la ville de Mostaganem, qui est à
douze lieues à l'est d'Oran, sur la route d'Alger. Cette
troupe, ayant été levée en Espagne, ne put se rendre en
une seule fois à Oran; la plus grosse partie traversa la
mer au milieu du mois de juillet, et le reste, qui se com-
posait de cinq mille hommes, qu'on appelait le régiment
de Malaga, sous les ordres de Don Martin, fils du Comte
du même nom (qui aujourd'hui est Marquis de Cortès et
Général d'Oran, comme le fut son père), ne put s'embar-
quer aussi vite que le Comte le désirait. Celui-ci, pour
exercer les hommes nouvellement venus d'Espagne, en
attendant l'arrivée du régiment de Malaga, fit quelques
sorties d'Oran, et quelques incursions sur les terres des
Mores ennemis. Ensuite, au commencement d'août, le
régiment de Malaga étant débarqué, le Comte sortit avec
toute l'armée (1) marchant à petites journées. Comme
Mostaganem n'est (ainsi que nous l'avons dit) qu'à
douze lieues d'Oran, s'il eût précipité le mouvement, les
§?.
En l'année suivante, 1559, il eut une autre guerre avec
le Roi de Labes, dont les états se trouvent dans les
montagnes du Sud de Bougie. Cela arriva parce que ni
lui, ni ses prédécesseurs n'avaient jamais voulu obéir
aux Rois d'Alger, ni leur payer aucun tribut, ainsi que
l'avaient fait le Roi de Kouko, son voisin, et quelques
autres chefs. Il se fiait à l'élévation et à l'apreté des mon-
tagnes dans lesquelles il vivait avec ses sujets. De plus,
il faisait souvent la guerre aux Arabes soumis aux Turcs,
descendant de ses montagnes, et leur enlevant tout ce
qu'ils possédaient. Comme il était généreux, quelques
Renégats d'Alger s'étaient mis à son service, parce qu'il
leur donnait bonne paye, étant très désireux d'avoir des
mousquetaires. En outre, beaucoup de Chrétiens captifs
s'enfuyaient d'Alger et se réfugiaient chez lui il les re-
cevait bien quand-ils consentaient à se faire Mahomé-
tans, il les mariait et les enrichissait et, quand ils vou-
laientrester Chrétiens, illeur &n laissait la liberté, pourvu
qu'ils le servissent à la guerre. De cette façon, ce Roi
êtaitparvenuà~fvoirtme bonne troupe de mousquetaires,
en partie Renégats et en partie Chrétiens. Avec cette
troupe réunie à ses sujets, il faisait beaucoup de mai
aux Mores soumis ainsi qu'aux Turcs eux-mêmes. On
avait envoyé deux armées d'Alger contre lui. Il les avait
défaites et massacrées, ne laissant en vie -qu'un Turc,
auquel il avait ensuite fait couper le membre par le
milieu; puis il l'avait renvoyé, les mains attachées der-
rière le dos, perdant son sang de telle façon, qu'il expira
le long du chemin. Hassan Pacha, se voyant victorieux
dans la mémorable bataillequ'il venait de gagner sur les
Chrétiens, se résolut donc à faire la guerre à ce Roi et à
venger toutes les offenses passées; puis, considérant
qu'il y avait dans Alger un grand nombre de captifs pris
à Mostaganem, il ordonna d'élever une bannière dans
son bagne, et de proclamer que tout Chrétien qui se fe-
rait Musulman aurait sa liberté à condition de le servir
dans cette campagne contre le Roi de Labès. Beaucoup
d'Espagnols se firent Mahométans à cette occasion, et
donnaient pour excuse d'un aussi grand péché qu'ils ne
l'avaient fait que pour combattre contre les Mores, et que,
lorsqu'ils avaient été d'Espagne en Barbarie, cela n'avait
pas été pour autre chose. Hassan forma une armée de
six mille arquebusiers, et de six cents spahis, avec ces
nouveaux convertis, d'autres Renégats et des Turcs; il
fut rejoint le long du chemin par quatre mille cavaliers
Arabes, et, avec tout ce monde et huit pièces de canon,
il partit pour Bougie et le pays de Labes. Au mois de
septembre de l'année suivante 1559, le Roi de Labes,
averti de son arrivée, descendit de la montagne avec
plus de six mille cavaliers, dix mille fantassins et plus
de mille arquebusiers, moitié Renégats, moitié Chrétiens,
de ceux qu'il avait recrutés et de quelques-uns de ses
sujets qu'il avait dressés à l'usage du mousquet dans les
escarmouches qu'il avait eues avec les Turcs. Son attaque
fut si vigoureuse qu'elle jeta un grand désordre dans
l'armée Algérienne (car c'était réellement un homme va-
leureux). Enfin il fut tué d'une arquebusade dans la poi-
trine, et les siens regagnèrent la montagne, où ils choi-
sirent pour Roi un de ses frères, et firent avec Hassan
Pacha un traité d'alliance offensive et défensive, sans
aucune-obligation de tribut. Cependant l'habitude fut
prise qu'à l'arrivée d'un nouveau Roi à Alger, le Roi de
Labès offrit un présent, en retour duquel le Roi d'Alger
lui donnait un riche sabre et un vêtement à la Turque
cet usage et cette alliance durent encore aujourd'hui. En
1580,1& 16 septembre, un fils du Roi de Labes vint rendre
visite et donner la bienvenue à Djafer Pacha arrivant de
Turquie, et lui apporta un présent qui valait plus de six
mille doubles (qui font deux mille quatre cents écus d'or),
quatre cents chameaux et mille moutons.
§4.
Après cet arrangement, Hassan Pacha revint à Alger,
et s'y reposa tout l'hiver et l'année suivante 1560. Il se
maria ensuite avec une fille du Roi de Kouko, qui était
très belle, et, comme il chérissait un des neveux du Caïd
Ochali (qu'on devrait prononcer Aluch Ali Scanderiza)
qui était son grand ami et son Beglierbey, il maria ce
jeune homme, qui s'appelait Caïd Hassan Griego, avec
une sœur aînée de sa femme, nièce de ce même Roi de
Kouko (1). Hassan envoya chercher ces princesses par
une nombreuse escorte de cavaliers Mores et Turcs et
les reçut à Alger avec pompe, célébrant les noces par de
grandes fêtes. Cette alliance avec le Roi de Kouko amena
Hassan à permettre aux Kabyles de se montrer à Alger
avec des armes offensives et défensives, ce qui n'avait
jamais été toléré jusque là. Et, comme ces Mores de
Kouko, qu'on appelle généralement Azuagues (comme
nous .l'avons dit ailleurs) (2) étaient très nombreux,
qu'ils ne faisaient qu'aller et venir, achetant des armes,
se promenant librement dans Alger, comme si la ville
eût été à eux, cela fit venir de grands soupçons aux
Turcs et Renégats, qui craignaient que le Roi de Kouko
et Ha.ssa.n Pacha ne se fussent entendus pour rendre
CHAPITRE XIII
CHAPITRE XV
§1~.
Ahmed Pacha étant mort, Yahia son Khalifa gouverna
jusqu'à l'arrivée d'Hassan Pacha, fils de Barberousse,
pendant plus de quatre mois, en grande paix et sans
qu'il arriva rien de remarquable pendant tout ce temps.
Il mourut, comme nous l'avons dit précédemment,
en.
1570, en revenant avec Ochali de la prise de Tunis.
CHAPITRE XVI
§1-.
Les services et mérites de Barberousse furent tou-
jours, même après sa mort, la grande raison qui fit fa-
voriser son fils Hassan Pacha par le Sultan, malgré le
nombre et la puissance de ses ennemis et de ses rivaux;
on en a une preuve éclatante par cette troisième nomi-
nation au gouvernement d'Alger. Car, non-seulement, il
reçut satisfaction par le supplice de ses accusateurs
dans une occasion où il y avait eu de graves soupçons
élevés contre lui, mais encore il se vit rendre la Royauté
que le Sultan avait donné quelques mois auparavant à
son favori. Quand il partit de Constantinople,Piali Pacha,
Général de la mer, lui donna pour l'accompagner à Alger
dix galères, de celles qu'il avait prises à la bataille des
Gelves en 1560, étant Amiral de la flotte Turque (1). En
arrivant à Alger, au commencement de septembre 1562,
sa venue inespérée causa un tel contentement à tout le
monde que les femmes elles-mêmes, qui, dans ce pays,
sont enfermées, montèrent sur les terrasses pour lui
souhaiter la bienvenuepar leurs cris joyeux. Et, quoique
la coutume veuille que le Roi nouveau venu loge quel-
ques jours dans un palais situé près de la Marine, d'où
on y va par un grand escalier de pierre (2), Yahya quitta
§2.
Dans cette année et dans l'année suivante 1564, Has-
san Pacha se reposa et il n'arriva rien de remarquable à
.§ S.
Après ces événements, Hassan Pacha se reposa jus-
qu'en 1567; au commencement de cette année, vers le
8 janvier (ce mois et celui de février sont habituellement
les plus froids à Alger), il arriva huit galères qui tirèrent
un coup de canon, comme nous avons déjà dit que le
font d'habitude les vaisseaux qui viennent de Constanti-
nople avec un nouvel ordre du Sultan; Hassan Pacha
envoya une frégate et apprit qu'il lui venait un succes-
seur. Il quitta le palais royal et s'en fut au logement où
les Rois font leur premier séjour, emportant avec lui
tous ses biens. A l'arrivée du nouveau Pacha, il lui remit
le gouvernement de la ville et du Royaume, et
se disposa
immédiatement à partir pour Constantinople. Et, cette
fois, n'espérant plus revenir à Alger, il légua le grand
bain qu'il y avait fait bâtir à tous les Rois ses succes-
seurs, qui en touchent encore aujourd'hui le revenu
(comme nous l'avons dit plus haut). Il donna au Beylik
une grande quantité d'officiers captifs et de maîtres-
ouvriers, pour les constructions maritimes; il en existe
encore aujourd'hui beaucoup qui ne sont employés
qu'au service de l'État et par les ordres de la milice (qui
gouverne l'intérieur, comme nous l'avons écrit ailleurs
plus au long) (2). Il n'emmena pas avec lui la fille du Roi
de Kouko, sa femme, avec laquelle il vivait depuis long-
temps, quoi qu'il en eut un fils, alors tout enfant. Il
partit d'Alger à la fin de ce même mois de janvier, et
vécut ensuite plusieurs années en Turquie et à Constan-
(1) VoirVertot, FM<oM'gdM C~uaKe~ St-Jean <~J<~MM~M(Pa-
ris, 1726, 4 vol. in-4"), T. III, p. 144 et suiv.
(2) Dans la Topo~-a/Mt, chap. XLI. Nous ferons remarquer que,
torsqu'Haëdo emploie le mot ~OM~'AM, il faut lire <~ 1578 <H58)
époque laquelle il se trouvait captif à Alger. i
tinople en grand honneur et réputation. Il mourut en
1570, et fut enterré dans la Kouba qui sert de sépulture
à son père Kheïr-ed-Din Barberousse, à cinq milles de
Constantinople. En outre du jeune fils qu'il avait eu de
la fille du Roi de Kouko, il en laissa un autre plus âgé,
nommé Mohammed Bey, qu'il avait eu jadis d'une femme
Turque à Constantinople; quelques-uns disent que cette
femme était une Renégate Corse, très belle. Ce Moham-
med, après la mort de Dragut Reïs, qui fut tué au siège
de Malte, se maria avec la fille unique et héritière de ce
même Dragut. En l'année du Seigneur 1571, lorsque le
seigneur Don Juan d'Autrichelivra la bataille de Navarin,
il se trouvait dans la flotte Turque avec une galère à lui
bien armée; le Marquis de Santa-Crux, Général des
galères de Naples, vint lui barrer le passage, et avant
qu'il n'eût pu s'échapper, l'aborda et l'attaqua; les
rameurs Chrétiens de la galère de Mohammed, qu'il avait
exaspérés par ses cruautés, se précipitèrent sur lui à la
poupe, avant que les troupes du Marquis
n'eussent pris
le bâtiment, le tuèrent et le mirent en morceaux avec les
étais (1). Quand Hassan Pacha termina son règne, qui
dura cinq an~.il avait cinquante-un ans; il mourut à
l'âge de cinquante-cinq. Il était petit, très gras, et resta
tel en dépit de beaucoup de remèdes et de soins; son
teint était très blanc; il avait de grands yeux et des
sourcils très épais, comme son père; il avait une forte
barbe noire, et zézayait très gracieusement; il parlait
plusieurs langues comme si chacune d'elles eût été sa
langue natale; particulièrement, lorsqu'il parlait espa-
gnol, tout le monde eût dit qu'il était né en Espagne. Il
fut très libéral et populaire, s'acquit une grande répu-
tation et était très aimé de ceux qui l'entouraient; la
majeure partie des Caïds et des Renégats qui sont
aujourd'hui à Alger ont fait partie de sa maison.
(1) Cervantesiqui fait le même récit, raconte que les rameurs le
déchirèrent avec leurs dents, enchaînas qu'ils étaient à leurs bancs et
n'ayant pas d'autres armes.
CHAPITRE XVII
§'
Le successeur d'Hassan fut Mohammed Pacha, fils de
Sala Reïs, jadis Roi d'Alger, comme nous l'avons dit. Il
arriva à Alger au commencement de janvier 1567, ac-
compagné de huit galères; il ne régna qu'un an et deux
mois, pendant lesquels il y eut à Alger une grande
famine; mais il y remédia par ses soins. Il fut très bon
justicier, et, comme avant lui, beaucoup de voleurs
Mores infestaient les routes, il les poursuivit si active-
ment, qu'en peu de temps il les eut tous pris et pendus.
Et comme peu de jours se passaient sans qu'il fût fait
justice de quelqu'un d'entre eux, un jour, regardant
de chez lui la muraille, aux créneaux de laquelle se
faisaient les exécutions, et voyant qu'elle était inoc-
cupée, il se tourna vers ses gens et leur dit « Comment,
la muraille n'a pas déjeuné aujourd'hui? » Et aussitôt,
sachant qu'il y avait un condamné à mort à la prison, il
ordonna qu'on le pendît à l'instant même. Il fut très
amateur de la chasse aux faucons, vautours et milans,
dont se soucient habituellement peu les Turcs; pour cet
exercice, il entretenait en sa maison beaucoup d'oiseaux
et de chiens, et allait chaque jour avec eux dans la cam-
pagne d'Alger et dans les montagnes, chassant et tuant
beaucoup de lièvres, perdrix, palombes, tourterelles,
cailles et sangliers qui abondaient dans le pays, n'étant
ni tracassés ni chassés. Il fut le premier Roi qui récon-
cilia la milice avec les Levantins et les marins, en
ordonnant que les Janissaires pussent,, comme ils le
désiraient tant, aller dans les navires de course comme
soldats; et que les Levantins, soit Turcs, soit Renégats,
pussent être Janissaires sur leur demande; de cette
façon, il mit un terme à la grande discorde qui régnait
depuis longtemps à Alger entre ces deux corps (1). Il
fut le premier des Rois qui apporta un esprit de suite à
fortifier la ville d'Alger, dont la position naturelle est
faible; à cet effet, dès les premiers mois de son règne,
il se servit d'un Renégat Sicilien, nommé Mustapha, qui
avait fortifié La Goulette; il lui fit faire les fondations
d'un ouvrage qui s'appelle aujourd'hui de son nom Bordj
Mohammed Pacha. Il est situé en dehors de la ville, à
l'entrée de la montagne, à cinq cents pas de la Casbah,
dans une situation très importante; nous en avons
donné une description très détaillée dans la Topographie
ou description de c:He <~4.~er_, à laquelle nous ren-
voyons le lecteur (2). Pendant toute l'année de son règne,
il n'y eut pas de guerre mais, au mois de mai 1567,
les habitants de la ville de Constantine se révoltèrent
contre la garnison et le Caïd Turc, et tuèrent quatre ou
cinq hommes; le bruit courut que les Mores avaient
justementagi en cette occasion, parce que le Caïd avait
voulu violer une très belle fille de leur nation. Mohammed
Pacha fut en personne à Constantine, et pour punir les
habitants de leur révolte et d'avoir chassé le Caïd, il les
fit tous vendre à l'encan, hommes, femmes et enfants,
et confisqua tous leurs biens. Mais quelques-uns des
Mores qui s'échappèrent gagnèrent Tripoli par terre et
§1-.
Un des hommes de notre temps sur lesquels le Destin
sembla, suivant l'expression du poète, prendre plaisir à
montrer la puissance de ses fantaisies, fut Aluch Ali,
que nous appelons par corruption Ochali Aluch signifie,
en langue Moresque, nouveau More, ou nouveau con-
verti, ou Renégat, et ce n'est donc pas un nom, mais un
surnom. Le nom propre est Ali; Aluch Ali se traduit
donc par le Renégat Ali. Aujourd'hui on l'appelle Ali
Pacha, en supprimant le mot Aluch; mais, imitant le
vulgaire, suivant le conseil d'Aristote, nous l'appellerons
Ochali (1). Il était né dans le Royaume de Naples, à Li-
casteli, petit bourg de la province de Calabre, près du
cap des Colonnes, de parents très pauvres et misérables.
Dès son enfance, il se fit pêcheur et batelier jusqu'au
moment où il fut pris par un célèbre corsaire, nommé
Ali Ahmed, Renégat Grec, qui fut longtemps amiral d'Al-
ger. Comme il était adulte et propre au service de la
mer, Ali Ahmed le mit à la chiourme de sa galiote, où il
rama plusieurs années il était teigneux et entièrement
chauve, et. cela lui valut mille affronts des autres Chré-
tiens, qui ne le laissaient ni manger avec eux, ni s'as-
seoir sur le même banc, et l'avaient surnommé ~œr~s~
mot qui signifie, en Turc, teigneux. A la fin, un soldat
(1) C'est le nom qui a été le plus défiguré de toute l'histoire de ce
temps. On le trouve écrit Ochali, Occiali, Luccioli, Luciali, Loucioly,
Luccioni, etc. L'usage a prévalu de se servir de la transcription
Euldj-Ali. Après la bataille de Lépante, il reçut le glorieux surnom
de Kilidj (l'Épée).
corsaire Levantin lui ayant donné un grand soufflet, il
se fit Turc et Renégat pour avoir la faculté de se venger,
ce qu'il ne pouvait faire en restant Chrétien. Le Turc, son
patron, ayant appris cela et sachant qu'il était bon ma-
rin, le nommapeu de temps après Comité dans ce poste,
il gagna rapidement une bonne somme, avec laquelle, et
en compagnie de quelques autres Corsaires, il arma à
Alger une frégate, sur laquelle il continua à pirater, et
parvint à posséder une galiote et à devenir un des prin-
cipaux Reïs d'Alger. Plus tard, il se joignit avec son na-
vire à Dragut Reïs, qui résidait aux Gelves, s'était fait
grand seigneur en Barbarie, et lui avait offert un bon
parti. Lorsque le Duc de Médina-Cœli, Vice-Roi de Si-
cile, entreprit, en 1560, d'enleverles Gelves à Dragut, ce-
lui-ci, averti de l'arrivée de la flotte Chrétienne, qui resta
tout un hiver et une partie du printemps à Syracuse et
à Malte, envoya en grande hâte Ochali à Constantinople,
pour demander le secours d'une flotte Turque. Il négocia
si bien, que le Sultan consentit à faire partir son Grand
-Amiral, Piali Pacha, avec cent galères et une grosse ar-
mée. En arrivant à vingt mille des Gelves, Piali craignait
d'attaquer la flotte Chrétienne ce fut Ochali qui le dé-
cida à le faire, et lui procura cette victoire, dans laquelle
la plus grande partie des galères Chrétiennes fut prise;
c'est à peine si le Duc de Médina et Jean-André Doria
parvinrent à s'échapper avec quelques galères, les Turcs
prirent ensuite le fort que les Chrétiens avaient bâti sur
les Gelves, et firent captifs le Général Don Alvaro de
Sande, Don Gaston, fils du Duc de la Cerda, Don Béran-
ger, Général des Galères de Sicile, et Don Sanche de
Leïva, Général de celles de Naples, avec plus de dix mille
Espagnols et autres vieux soldats de valeur, parmi les-
quels il y avait beaucoup de Capitaines, d'Alferez et d'Of-
ficiers, tous gens considérables (1). Depuis ce moment,
§2.
L'année suivante 1569, Ochali conquit pour le Sultan
la ville et le Royaume de Tunis de la manière suivante
Muley-Hassan, auquel l'Empereur Charles-Quint avait
rendu ce Royaume en 1535, après en avoir chassé Bar-
berousse, avait un fils nommé Hamida, qui se souleva
§3.
Un bon nombre de jours avant qu'Ochali ne retournât
à Alger, il avait envoyé en avant un More qui avait un
esclave Nègre, grand coureur,qui allait aussi vite que la
poste (1), nommé Peyq, pour prévenir tous les Reïs
de mettre en ordre leurs galères et leurs galiotes,
de façon à ce qu'elles fussent prêtes et toutes espalmées
à son arrivée; il avait fait dire à son majordome, Mami-
Corso, qu'il avait laissé à Alger en qualité de Khalifa
(ainsi que nous l'avons dit), d'armer une galère bâtarde
qu'il avait fait construire jadis. En sorte que, arrivé à
Alger, il fut prêt.en un mois et demi à peine, s'embar-
qua au mois de juin dans une galère bâtarde de vingt-six
bancs, et mit le cap à l'Est, avec vingt-trois autres gros
bâtiments bien approvisionnés et bien pourvus de monde.
Son intention était d'aller avec son escadre à Constan-
tinople, afin de demander au Sultan une flotté et une ar-
mée pour prendre la Goulette; car il jugeait que ni lui ni
les Turcs ne seraient vraiment maîtres de Tunis tant
qu'il y aurait des Chuétiens dans ce fort. Il était arrivé
devant le cap Passaro, en Sicile, quand il apprit d'un
jeune garçon capturé par ses galiotes que quatre galères
Maltaises se trouvaient à Licata, ville maritime de Si-
cile, pour passer de là à Malte. A cette nouvelle, Ochali
ordonna que tous ses vaisseaux prissent la mer, de ma-
nière qu'on ne pût pas les découvrir, pour attendre ces
(t) Sic.
galères dans le canal qui est entre Malte et la Sicile. Cela
fut fait, et les vingt-quatre vaisseaux, démontant leurs
mâts, naviguèrent à la rame en guettant les galères, et,
quand ils les aperçurent et furent aperçus d'elles, ils se
lancèrent dessus à toute vitesse. Les Chevaliers, qui se
virent attaqués par tant de vaisseaux, furent d'avis dine'
rents les uns voulaient en venir aux mains, disant que
Dieu les aiderait; les autres, au contraire, opinaient pour
qu'on cherchât à s'échapper. Le Général des galères fut
de ce dernier avis, et trois des navires s'enfuirent vers
la Sicile. Un seul d'entre eux, nommé .S'a~i~~ tint
tête aux Turcs et fut attaqué par huit de'leurs vaisseaux,
contre lesquels il combattit très rudement pendant plus
de deux heures, après lesquelles Û fut pris, tous les Che-
valiers ou soldats étant morts ou blessés. Des trois au-
tres, l'un s'échappa et, en retournant au cap Passaro,
prit sur sa route un brigantin Turc. Et, comme vint à
passer par hasard une galiote Chrétienne qui allait en
Corse, il s'y réunit et ces deux navires donnèrent en-
semble la chasse à deux autres brigantins Turcs, qu'ils
prirent. Des deux autres galères, l'une 's'échoua à terre
près de la Licata, et l'autre un peu plus loin, près d'une
tour qui était sur le rivage les Chevaliers, pour empê-
cher les Turcs de s'emparer des vaisseaux, convinrent
de les saborder, de les couler à fond et de débarquer la
chiourme. On aurait bien pu le faire; mais le Général (1)
s'y opposa, pensant qu'une fois à terre, il pourrait em-
pêcher les Turcs de s'emparer des bâtiments. Cependant
le contraire arriva, et ils prirent ces deux galères
avec une grosse et bonne chiourme de Turcs et Mores
qu'ils délivrèrent,beaucoup de matériel, .et un gros butin
dont elles étaient chargées. Beaucoup disent que cette
prise leur coûta cher; car Ochali changea de dessein à la
suite de cet événement, et, ne poussant pas plus avant,
4.
Ochali, revenu à Alger, fut en très mauvais accord
avec les Janissaires, toute cette année la et tout le temps
qu'il resta ensuite à Alger (2) la véritable cause fut son
inexactitude à leur délivrer leur paye, si bien qu'ils le
menacèrent plusieurs fois de le tuer, et qu'ils furent,
d'autres fois, sur le point de le faire. Au commencement
de l'année 1571, il fit apprêter en grande diligence autant
de navires que possible, et, le mois d'avril arrivé, il
quitta Alger presque comme un fuyard avec vingt galères
(1)En 1578-1581.
(2)Le mauvais accord datait de bien plus loin, et M. de Fourque-
vaux écrivait au Roi à la date du 7 avril 1569: « Il tient à l'ancre
» quatorze bons vaisseaux chargez de tout son bien et de ce qu'il a
»peu desrober et armez d'hommes à lui fidelles. Et, afin de ne pou-
»voir estre empesché de faire voille à sa vollonté, il a donné com-
» missionà toutz les coursaires de ladite ville d'aller en course à leur
x adventure, de sorte que seulement sesdits quatorze vaisseaux y
» sont demourez. o (Cor~. d'Espagne, Harlay).
11
et galiotes quoique la mer fut très mauvaise, il n'en
sortit pas moins du port, pour se délivrer de la milice
qui cherchait à l'empêcher de s'en aller, et se dirigea
vers Matifou; il avait mis sur sa galère des rameurs
Chrétiens en nombre suffisant. Les Janissaires, pensant
qu'il s'arrêterait à Matifou, y envoyèrent par terre vingt
de leurs principaux Boulouks-Bachis pour qu'ils le
fassent revenir, ou, en cas de refus, pour qu'ils fissent
mutiner les soldats et Janissaires qui étaient dans les
navires. Mais Ochali était parti malgré le temps contraire,
et, quand les Boulouks-Bachis arrivèrent, ils ne le
trouvèrent plus. Il avait délégué ses pouvoirs au Caïd
Mami Corso, le même qu'il avait eu pour Khalifa les an-
nées précédentes, et, malgré ce qui s'était passé, tout-le
monde lui obéissait. Ochali rencontra en route une ga-
liote qui lui apportait un commandement du Sultan
(d'autres disent qu'il l'avait déjà reçu depuis longtemps)
le prévenant qu'on assemblait à Constantinople un grand
armement contre la chrétienté et lui ordonnant de venir
s'y joindre avec le plus de navires possible; car les Vé-
nitiens, qui guerroyaient contre les Turcs à l'île de
Chypre, s'étaient alliés avec le Pape Pie V et avec Phi-
lippe, Roi d'Espagne, et avaient levé, à frais communs,
une puissante armada pour se défendre contre les agres-
sions du Grand Seigneur. En vertu de ces ordres, Ochali
se rendit immédiatement avec ses vingt navires (1) au
port de Coron, en Morée, qu'il quitta ensuite pour se
joindre à la flotte turque, dont l'Amiral fut fort content
de le voir arriver, étant très heureux de renforcer son
armée d'un aussi bon marin qu'Ochali, et des Reïs et
Turcs qu'il amenait avec lui. Pendant tout le printemps,
il fit, joint à la flotte Turque, de grands dégâts dans les
îles de Candie et de Cerigo qui sont aux Vénitiens; le
Ch'e~
Chrétiennes,étant toujours prêt à
était nécessaire. Plus tard, se dérober quand cela
quand il vit que les galères de
Malte, qui étaient devant lui, avaient
beaucoup souffert, il
Chevaliers, et les chargea de telle un grand nombre de
s'emparèrent de la capitane de Maltesorte que ses soldats
(1). Mais ensuite, ne
pouvant plus douter que la victoire
faveur des Chrétiens, il retira, ne se déclarât en
se traînant à la remorque
la capitane de Malte et emportant
l'étendard de la reli-
gion. Il n'osa pas ?~ Lépante
dé la défaite complète de la flotte certain
Turque, et fit route
vers Constantinople. Grâce à la faveur de son am ~al
qui vivait encore, et à la prise de l'étendard
qu'il présenta au Sultan, il put si bien de Malte
défendre sa cause
que, non-seulement le Grand Seigneur
contre lui, mais que, peu de mois après ne s'irrita pas
(il avait offert
très audacieusement, si
on lui donnait une flotte, non
seulement de défendre les côtes de
l'Empire, mais encore e
de combattre les armées Chrétiennes
1 année suivante),
si elles sortaient
il fut fait Grand Amiral (2)
sur l'avis de
S~ f et suiv. et 243) et
~R~t~~
de Lépante, et du rôle glorieux
joua Euldj-Ali, voir les Négociations de
datée du 23 mars
~son
informe
b~v:rd~r"r°"'
annonce qu'Eutdj-AIi est venu lui
La France dans le Levant
combat.
de De Thou. t
qu'y
(t. III,
pas que la flotte Turque restât dans
d(~ploiement qui eût évité le désastre;
de l'Amiral; les Algériens se
cit n n. De
le GJ'and
et armer
la faveur du nouveau Capitan-
juin de Constantinople,
Piali. En 1572, il sortit au mois de
flotte de deux cent trente galères (tel fut l'em-
avec une travailler tout l'hiver
pressement qu'on eut en Turquie de
r~alnerdefit face aux Chrétiens comme pour
nouveaux bâtiments)); il vint avec
elles en Morée et suivie
engager le combat; cette démonstration ne fut pas
qui eussent pu
d'effet, par la faute des chefs de l'armada,
entendu dire par
vaincre s'ils eussent osé attaquer. J'ai Chrétiens
des Turcs qui étaient alors avec Ochali, que les
mettre en fuite la
étaient assez forts pour détruire ou jugements de Dieu
flotte Ottomane; mais ce sont là des
ordonnées par sa Divine Providence et
et des choses avoir été ne pas
Sagesse infinie Cette fois, rien que pour
Ochali gagna l'honneur que lui aurait rapporté
vaincu, renommée s'en accrurent
unevictoire, et son crédit et sa
auprès du Sultan.
§5.
Juan d'Autriche vint à
1573, Don
En l'année suivante la couronne
Tunis et conquit la ville et le Royaume pour
cette victoire causa un
d'Espagne (1). La nouvelle de
-d:
cher à séduire réussirait pas, dit-il, cela n'en-
cherasedureEu~~ soupçons de
» serait pas moins utile: car on exciterait ainsi lescapable,
par sa
serait et Euldj-Ali est le seul homme qui soit (Histoire
»
valeur et son habileté, de soutenir les affaires de
la Porte. »
1~
MHM6?'MHe,t.'VI,P.~4).p,,i~,Ali-
Il se passa ce qui
u~n'ch~ les
il n'avait
les
~r~
cessé, depuis la reprise offrait à l'attaque un point
fort de La Goulette, qui
Chrétiens du Juan, au moment où la
d'appui naturel, doct profita habilement Don
désemparée par deux tempêtes successives, avait
flotte Ottomane, Sultan fut
dû rentrer pour se refaire. Quoiqu'il en soit, la fureur du
l'Amiral faillit y laisser sa tête, qu'il ne sauva qu'àà
grande, et centaines de milliers de duCats
grand chagrin à Ochali, qui demanda instamment au
Sultan de l'envoyer avec une flotte à Tunis, promettant
non-seulement de reprendre cette ville et le fort que les
Chrétiens avaient construit, mais encore La Goulette,
quoiqu'elle passe pour inexpugnable. Le Grand Seigneur
lui accorda sa demande et lui adjoignit, pour les opéra-
tions de terre ferme (afin qu'il ne se séparât pas de la
flotte), un Renégat Bosnien, nommé Hassan Pacha.
Ochali arriva à Tunis, au mois de juillet 1574 (1), avec
deux cent cinquante galères, dix mahonnaises et trente
caramuçaux transportant ses troupes, artillerie, muni-
tions et victuailles. Il fit sa jonction avec le Roi d'Alger,
Arab Ahmed, qui l'avait remplacé par ordre du Sul-
tan, quelques années auparavant, et avec le Roi de
Tripoli et le Caïd de Kairouan (2), chef des Turcs qui
s'étaient retirés de Tunis avec lui, à l'arrivée de Don
Juan et de son armée. Il réunit encore une grande quan-
tité de Mores et d'Arabes de l'intérieur du pays, qui
vinrent se mettre sous ses ordres, mus par leur amour
du changement. Avec tout ce monde, il éleva quatre
batteries, deux contre le nouveau fort que Gabriel Cer-
belloni avait construit par ordre du Roi d'Espagne le
Roi de Tripoli en commandait une, le Caïd de Kairouan
une autre, et tous deux obéissaient à Hassan Pacha; il
employa à battre La Goulette deux autres batteries très
fortes l'une, du côté de Arreïs, et l'autre, du côté de Car-
thage celle de Arreïs était sous les ordres d'Arab
qu'il donne au maistre, et si, je crois que le vin du vallet n'y est pas
oublié, » Lettre de M, de Noailles à Catherine de Médicis. (Négocia-
tions de la France dans le Levant, t. III, p. 452.)
(1) Le 13 juillet 1574, les Espagnols n'avaient pas terminé les tra-
vaux de défense le 23 août, La Goulette fut prise et presque toute
la garnison massacrée; le 13 septembre, le fort de Tunis succomba,
à la suite d'un terrible siège et d'une défense héroïque.
(2) Le Cheik Kaïder. Il parait prouvé que Don Juan n'avait pas
rencontré à Tunis de résistance sérieuse, Rabadan Pacha ayant
pris la fuite dès la nouvelle du débarquement des Espagnols. (De
Thou, Histoire universelle, t. VI, p. 561, etc.).
Ahmed; il prit lui-même le commandement de l'autre
en moins de quarante jours, par ses efforts et ses soins,
les deux forteresses furent prises, et il s'en retourna à
Constantinople, victorieux et très content, avec beaucoup
de gloire et nombre de captifs (1). En l'année suivante,
1575, il se reposa à Constantinople. En 1576, il en sortit
au mois de juillet, avec soixante galères, et, malgré un
temps très mauvais qui le rejeta deux fois de Calabre
en Morée, il atteignit le but fixé, et, débarquant du monde
près de Squillace, saccageant, ravageant plusieurs villa-
ges, s'avança jusqu'au Cap des Colonnes, lieu de sa
naissance, et, de là, s'en revint à Constantinople. Il y
passa toute l'année 1577; en 1578, la Milice qu'entretenait
le Sultan à l'île de Chypre, massacra Arab Ahmed, Roi
et Gouverneur de cette province, parce qu'il ne leur
payait pas régulièrement la solde (2) le Sultan, à cette
nouvelle, envoya Ochali avec cinquante galères pour
châtier les auteurs de la sédition et lui donna l'ordre de
couper la tête à une grande partie d'entre eux, d'en em-
paler quelques-uns et d'en jeter d'autres aux ganches;
enfin, de tirer de tous une justice terrible et éclatante, ce
qui fut exécuté.
§6.
En 1579, pendant les grandes guerres qui survinrent
§ 1-.
Au moment de la nomination d'Ochali au commande-
ment des flottes Turques, Arab Ahmed fut pourvu du
gouvernement d'Alger. Il était More ou Arabe, né à
Alexandrie, en Égypte; son nom propre était Ahmed, et
comme il était More ou Arabe, on le nomma Arab Ahmed,
pour le distinguer des autres Ahmed. Il fut élevé,
dans sa jeunesse avec les Turcs; étant ensuite passé
à Constantinople, il devint gardien des esclaves du
Sultan, charge très prééminente et de grand profit, parce
que celui qui l'occupe prend une grande partie de ce qui
est donné pour la subsistance des pauvres esclaves
Chrétiens. Comme il était intelligent et subtil, il sut se
faire de si bons amis que, lorsque Ochali, nommé Pacha
de la Mer, quitta le gouvernement d'Alger, il en fut
pourvu à sa place. Il y arriva au mois de mars 1572, avec
six galères qu'il renvoya tout de suite, à cause du besoin
qu'en avait son prédécesseur; car, cette année là, qui fut
celle de la bataille de Navarin, il combattait contre la
flotte Chrétienne (1). Et, comme à cette époque, on eut
bien peur que cette flotte ne vint attaquer Alger, Ahmed
s'occupa activement à rendre la ville aussi forte que
possible (2). Tout d'abord, il fit raser un grand et riche
Roi d'Alger avait envoyé à son allié des présents de chevaux, lions,
tigres et bubales (que M. de Menillon appelle vache fort estrange).
(Loc. cit., p. 552).
(1) Chap. IX.
(2) Id.
(3) Haëdo ne semble pas avoir eu connaissance des démarches qui
furent faites en 1572 pour mettre un prince Français sur le trône
d'Alger. 0<i peut lire toutes les lettres relatives à cette singulière
tentative dans le tome 111 des ~ocMMo?M (p. 233 et 291-348).
population. Il rendit une justice rigoureuse et fit pendre
une grande quantité de Mores pour des fautes très
légères. Il était naturellement cruel, et comme il avait
été longtemps gardien de captifs, il avait toujours le
bâton à la main, en frappait les esclaves, et si quelque
Chrétien cherchait à s'enfuir (comme cela arrivait chaque
jour) il remplissait lui-même l'office de bourreau, tout
Roi qu'il était, et les bâtonnait sans pitié de sa propre
main. Il eut un soin particulier de satisfaire la milice,
que son prédécesseur Ochali avait mécontentée et avec
laquelle il avait toujours vécu en dissention; cette con-
duite lui concilia l'affection des Turcs (1) qu'il put gou-
verner quoiqu'il fut More ou Arabe, chose qui se voit
rarement,- parce que les Turcs considèrent tous les
Mores comme de la vile canaille ou à peu de chose près.
s"'
en
En 1574, quand Ochali attaqua La Goulette et le fort de
Tunis, Arab Ahmed, aussitôt qu'il eut appris son arrivée,
partit d'Alger à la fin de mai, laissant à Alger son suc-
cesseur Rabadan Pacha. Il emmenait trois galères à lui,
et quatre autres appartenant à des Reïs ses amis; ils
s'arrêtèrent quelque temps à Bougie, jusqu'à ce qu'ils
surent l'arrivée d'Ochali à La Goulette et ils vinrent alors
se joindre à lui. L'Amiral lui donna le commandement
d'une des batteries dressées contre La Goulette, du côté
de Arraez; Arab Ahmed se montra diligent et valeureux,
(1) Tout cela n'est pas très exact. Les Turcs ne laissèrent pas
Ahmed gouverner aussi tranquillement que le dit Haëdo. Le parti
des Reïs, commandépar Mami Arnaute, se mit en révolte ouverte et
gagna sa cause. En même temps, Charles IX se plaignait à la Porte
des infractions non réprimées par Abmed, qui fut disgracié et destitué
sur les réctamations de l'évêque d'Acqs « Il y a plus de deux mois
o qu'il a esté faict ??tSH~
(c'est-à-dire prive de solde et de grade), et
» en sa place a esté destiné un autre
Turc appelé Caïd Ramdan, etc. »
(Lettre de M. t'evêque d'Acqs au Roi, Négociations,t. III, p. 553,554).
non-seulement comme chef, mais encore dans le combat
où il se portait en personne comme un simple soldat.
Après la prise de La Goulette et du fort, il revint à Cons-
tantinople avec Ochali. En 1577, le Sultan lui donna le
gouvernement de l'île de Chypre, qu'il exerça toute cette
année; en 1578, les Janissaires s'insurgèrent contre lui,
à Famagouste, parce qu'il ne-leur donnait pas leur paye
au temps voulu; ils envahirent son palais et lui cou-
pèrent la tête (1); il fut donc Roi à Alger deux ans et
deux mois, et dans l'île de Chypre un peu plus d'un an.
A son départ d'Alger, il commençait à grisonner et avait
cinquante ans; à sa mort, il en avait cinquante-quatre;
c'était un homme robuste, très charnu, très brun, très
velu et barbu; son poil était noir, sa stature moyenne,
son caractère très colère et cruel. Il y avait eu dans son
temps une grande peste à Alger; les Rois, comme nous
l'avons dit ailleurs, héritent de ceux qui meurent sans
enfants, et des Mores mêmes s'ils en ont, à moins qu'ils
ne soient majeurs; encore, dans ce cas là, prennent-ils
une part; cette épidémie lui procura ainsi de grandes
richesses, dont hérita son fils, qui fut capitaine à Fanal,
et possédait deux galères bien armées; ce fils s'appelait
Mohammed, et vécut à Constantinople.
§1~.
A la fin du mois de mai 1574, Rabadan Pacha, Renégat
Sarde (1), prit possession du Pachalik. Il avait été cap-
turé tout jeune en Sardaigne, un jour où il gardait un
petit troupeau de chèvres appartenant à son père son
patron, marchand Turc d'Alger, qui l'avait acheté,vit que
c'était un enfant bien doué et intelligent, et l'envoya à
l'école, où il apprit les langues Turque et Arabe, ainsi que
la lecture et l'écriture (2) de ces deux idiomes. Il vécut
longtemps avec son patron et, devenu grand, se maria
avec une Renégate Corse, s'occupant de commerce; plus
tard, il fut nommé Caïd dans divers pays. Pendant les
nombreuses années qu'il occupa ces charges, il acquit
de grandes richesses, du crédit et de la réputation, et se
fit connaître de tout le monde comme un homme juste,
droit, doux, bénin, ce qu'il était réellement; il avait un
jugement et une prudence remarquables pour un Turc.
Ce fut pour ces raisons qu'Ochali l'emmena avec lui, en
1569, quand il entreprit la conquête du Royaume de Tu-
nis. En 1570, en retournant à Alger, il le laissa comme
Gouverneur de la Tunisie, se disant qu'avec la prudence,
la justice, la douceur et le bon jugement qu'il avait plus
que tous autres, Rabadan contenterait et pacifierait les
Mores de ce Royaume nouvellement conquis. Les prévi-
sions d'Ochali furent justifiées, et Rabadan gouverna en
grande paix jusqu'au moment où Don Juan d'Autriche,
§2.
Au mois d'août suivant, et le 19 de ce mois, il partit
d'Alger pour Constantinople dans la galère Saint-Paul
de Malte, que les Corsaires d'Alger avaient prise, le 1<
avril de cette même année, à l'île Saint-Pierre, près de la
Sardaigne; elle lui appartenait, parce que les Rois d'Al-
ger retenaient pour leur part de prise toutes les coques
et les agrès des navires qui se capturaient; il partit
avec
cinq autres galères Turques qui avaient servi d'escorte
à son successeur, Hassan Pacha. Arrivé à Constantino-
ple, il fit si bien, que le Sultan, informé de ses services
et de sa très bonne manière de gouverner, lui confia tout
de suite le Pachalik de la ville et du Royaume de Tunis.
Il y arriva au milieu d'octobre, et tous les habitants, qui
connaissaient sa justice et sa bonté, l'y reçurent très
()) Au printemps de l'année 1576, Don Alvarez de Bazan,
debanta-Cruz.Ët une descente dans l'île de Kerkennah et lamarquis
à fond. (De Thou, Histoire universelle, t. VII, ravagea
p. 350).
(2) reposa, chap. IX.
joyeusement; il gouverna ce Royaume pendant deux
ans, en grande paix et tranquillité, très bien vu de tous
les Mores, Turcs et Arabes. En octobre 1579, le Sultan lui
jamais
envoya un successeur, et, pour qu'il conservât à
le gouvernement de Tlemcen, qui lui fut donné à cette
époque, il n'y fut pas simplement nommé Caïd, comme
l'avaient été tous les autres, ni soumis aux Pachas, mais
il reçut lui-même le titre de Pacha et fut exceptionnel-
lement soustrait à la juridiction d'Alger, En ce temps-là,
le Sultan fut informé que le Roi de Fez, frère et succes-
seur de Muley Maluch, cherchait à faire alliance et ami-
tié avec le Roi d'Espagne Philippe II, et ne voulait pas
reconnaître le Grand Seigneur comme suzerain, ainsi que
l'avait fait son frère depuis la bataille où moururent les
trois Rois Don Sébastien, Muley Maluch et Muley Mo-
hammed, et où il avait gagné de si grandes richesses, il
quoiqu'il
ne lui avait envoyé ni présent, ni ambassade,
eût reçu lui-même un envoyé de Constantinople, qui était
venu le féliciter de ses victoires et de son avènement, et
lui offrir un très riche sabre informé aussi qu'il avait
fait décapiter la plupart des Turcs qui étaient dans son
Royaume, il soupçonnait (comme ce fut en ce temps-là
le bruit public) que le Roi de Fez se disposait à déclarer
la guerre à Alger, allié pour cela au Roi d'Espagne (1). Il
envoya donc l'ordre à Rabadan de pénétrer les
desseins
du Roi de Fez, de lui déclarer la guerre et de le chasser
de son Royaume, si les informationsprises confirmaient
d'Alger
ses soupçons il ordonna en même temps au Roi
et à ceux de Tripoli et de Tunis, de fournir à cet effet toutes
les troupes, l'artillerie et les munitions nécessaires, et de
faire, chacun de leur côté, tout ce dont ils seraient re-
(1) I[ est certain qu'à cette époque, les souverains du Maroc cher-
chèrent à s'allier à l'Espagne Euldj-Ali surveillait avec soin leurs
menées, sur lesquelles il était renseigné par les ambassadeurs fran-
ré-
cais, et ne cessait d'exciter le Sultan à en finir avec ces vassaux
voltas et à faire de l'Afrique du Nord un Empire unique, dont Alger
241,266, 5t7, etc.)
eût été la capitale. (Négociations, dej. cit., t. IV, p.
quis par Rabadan. Celui-ci partit de Tunis dans l'inten-
tion d'exécuter ces ordres, et se rendit à Bizerte pour
s'embarquer dans sa galère, le ~Po'M~ qui s'y trou-
vait alors, et se diriger de là vers Alger et Tlemcen. A la
fin de novembre, comme il était encore à Bizerte, logé
sous la tente avec tout son monde, attendant que sa ga-
lère et les autres qui devaient l'accompagner fussent
prêtes, arriva une galère d'Alger, que la milice envoyait
au Sultan pour lui porter des plaintes et des accusations
contre Hassan Pacha, Renégat Vénitien, qui gouvernait
Alger; dans ce navire, se trouvaient les principaux Ja-
nissaires, les Boulouks Bachis, et des Mores des Pro-
vinces d'Alger, que la milice avait envoyés en personne
à Constantinople pour informer le Sultan des violences
et des vexations commises contre eux par Hassan Pacha.
Parmi eux, pour le même objet, et de la part de la ville
d'Alger, se trouvait le marabout Sidi Bou Taïb, Caciz (1)
de la principale mosquée d'Alger; tous avaient commis-
sion, de la part de tout le Royaume, de demander au
Sultan qu'il leur donnât pour roi Rabadan Pacha. En ap-
prenant ces nouvelles, celui-ci empêcha la galère de pas-
ser outre, et écrivit à la milice que, pour l'amour de lui,
elle calmât sa haine contre Hassan Pacha; il se condui-
sait ainsi pour deux raisons la première était l'obliga-
tion que lui aurait de cette démarche Ochali, maître et
patron d'Hassan, qui lui avait fait donner le Royaume
d'Alger, et la seconde la crainte qu'Ochali ne crût que
c'était lui qui avait excité la milice à le demander pour
Roi. Tel était le respect que tout le monde avait pour
Ochali, à cause de sa grande puissance et de son auto-
rité Mais la milice d'Alger ne voulut pas se rendre.aux
prières de Rabadan et envoya, au contraire, en grande
hâte et par la même route de terre, d'autres Boulouks Ba-
chis à Bizerte; ils devaient arrêter les premiers, qui n'a-
S~er
Hassan Pacha, Renégat Vénitien, succéda à Rabadan
Pacha. Étant tout jeune garçon, il naviguait sur un vais-
seau Esclavon ou Ragusain, où il servait de commis à
l'écrivain, ce vaisseau fut pris, dans un combat, par Dra-
gut-Reïs, Roi de Tripoli Hassan devint esclave des Turcs
et fut amené dans cette ville. Son nom chrétien était An-
dretta il tomba en partage à un Turc Levantin, qui le fit
renier et le garda longtemps avec lui puis, étant mort
sans enfants, tous ses biens et ce même Andretta ou
Hassan échurent à Dragut. Quand ce dernier eut été tué
à Malte, en 1556, et qu'Ochali lui eut succédé, en s'empa-
rant de tout son héritage, Hassan devint l'esclave du
nouveau Pacha, et, comme il fut toujours astucieux,
plein de savoir-faire, d'audace et de désinvolture, il ga-
gna, tant par ces qualités que par des fe~~Me~'es (1)
familières aux Turcs, la faveur d'Ochali quand celui-
ci fut nommé Roi et Gouverneur d'Alger, il le fit
son
Elami, c'est-à-dire Trésorier ou Intendant général. Il
continua à remplir les mêmes fonctions auprès de lui,
quand il fut Grand Amiral en Turquie, et, comme il était
d'une nature très ambitieuse et très active, il occupa
tous les offices chez son maître, même le commande-
ment des esclaves captifs, qui le craignaient comme un
diable, à cause de sa cruauté et des supplices qu'il leur
§2.
Il était à peine nommé, que quelques-uns des Renégats
d'Ochali, qui partaient avec lui et qui le détestaient à
cause de sa cruauté et de sa basse condition, firent le
complot de le tuer en route et de se sauver en terre
Chrétienne avec la galère. Mais, comme on était près
d'arriver à Malvasia, ville de Morée, trois de ces René-
gats s'étant disputés avec un jeune garçon Vénitien nom-
mé Xavan,qui était un des auteurs et un des chefs de la
conspiration, celui-ci découvrit le complot à Hassan en
lui nommant ses complices. Hassan, arrivé à Malvasia,
fit attacher par le bras gauche un de ces Renégats, nom-
mé Jusuf, de nation Grecque, à la pointe de l'antenne de
sa galère, et le fit percer cruellement de flèches; il fit
mettre un autre Renégat Grec, nommé Amuça, dans une
barque où on l'étendit, tout nu, sur une planche, atta-
ché, par les pieds et les mains, à quatre cordes sur cha-
cune desquelles tira une galère lancée à toutes rames,
et il le fit mettre ainsi en quatre quartiers plus tard, en
arrivant à Coron, ville de Morée située à cent milles plus
loin, il fit attacher, par le bras droit, à la pointe de l'an-
tenne de sa galère, un autre Renégat Calabrais, nommé
Reyeb, et lefit tuer à coups de nèches. Il fit mettre le reste
des conjurés à la chaîne, après s'être longtemps laissé
supplier de leur faire grâce de la vie pour cette fois.
§3.
Il arriva à Alger le 29 juin 1577, le jour même des
Apôtres saint Pierre et saint Paul, et commença d'abord
(contre toute justice) par s'emparer de tous les esclaves
aptes à payer une bonne rançon, qui appartenaient aux
Reïs, aux Turcs, aux Mores et à Rabadan Pacha lui-même,
ce qui était la meilleure manière possible de se procurer
de l'argent. Personne n'osa s'opposer à sa volonté, ex-
cepté le Caïd Mohammed le Juif, qui ne voulut jamais
consentir à se laisser prendre un Chevalier de Malte et
deux prêtres qui étaient ses esclaves, ce qui leur coûta
quatre ans et demi de la plus terrible captivité qu'on ait
jamais subie à Alger et dans la Barbarie. En outre, il força
les Reïs et lés Corsaires, qui ne payaient auparavant aux
Rois que le septième de leurs prises, à en donner le cin-
quième, et il ne laissa aucun d'eux armer un bâtiment
sans se faire comprendrepour une part personnelle dans
les chances de l'entreprise. De plus, il fit acheter beau-
coup de blé, duquel il y avait alors disette à Alger et dans
le Royaume, en fit faire du pain et le fit vendre il agit
de même pour le beurre, l'huile, le miel et les légumes, si
bien que les Janissaires lui disaient plus tard en face que
tout ce qui se vendait au marché était à lui, excepté les
choux et le cresson. Il augmenta beaucoup le tribut des
Mores et des Arabes, et, comme pendant les trois ans que
dura son gouvernement, il y eut une grande famine à
Alger, il les força de payer en blé et en orge, qu'il fit
vendre ensuite, dans toutes les villes et bourgades du
Royaume, à ces mêmes Mores et Arabes, en retirant le
double du prix pour lequel on le lui avait donné. Il fit
aussi le commerce de la viande, se procurant une grande
quantité de moutons qu'il vendit aux boucheries, par
l'intermédiaire de quelques Mores, ses affidés. Il ramassa
aussi presque toute la monnaie d'argent, c'est-à-dire les
aspres, qu'il y avait à Alger, et fit faire chez lui de la nou-
velle monnaie par des orfèvres Chrétiens, ses esclaves,
transformant l'ancienne en aspres de Turquie, qu'il en-
voyait à Constantinople, où l'argent était très recherché;
avec le reste, qu'il mélangea avec beaucoup d'alliage, il
fit faire des aspres d'Alger. De plus, il ne permit de ven-
dre des captifs, soit en public, soit de gré à gré, ni à au-
cun d'eux de se racheter, sans qu'auparavanton ne l'eût
amené devant lui et s'il lui semblait qu'on pût y gagner
seulement trente écus, il le payait à son patron et s'en
emparait (1); et ensuite le malheureux captif avait des
milliers d'écus à débourser pour se racheter. D'après
l'ancien usage, les Rois accordaient le courtage des cuirs
et des cires que les marchands Chrétiens achètent à Al-
ger à un Turc ou à un More, qui peut seul les acheter aux
Indigènes et les vendre aux Chrétiens désirant garder
ce gain pour lui, il s'empara de cette charge et fit faire
l'achat et la vente par ses Renégats ou ses serviteurs
Mores. L'usage était encore que les. marchands Chrétiens
pussent vendre librement après avoir payé les droits, et
que le Roi, s'il achetait quelque chose, le payât comme
les autres; mais il voulut qu'on lui présentât les mar-
chandises avant le payement des droits, et il choisissait
ce qu'il voulait et pour le prix qui lui plaisait; encore ne
§
L'hiver suivant (le Roi Don Sébastien de Portugal étant
(1) Voir les Négociations déjà cit., t. III, p. 756, 764, etc.
(2) Caput IX.
quantité infinie de Mores et d'Arabes pauvres d'Alger,
Hassan Pacha eut la charité de faire donner à tous les
morts un suaire d'étoupe ou de linge grossier pour les
enterrer. On compte que, depuis le 17 janvier 1580 (jour
de la Pâque des Mores, nommé par eux la fête du mouton)
jusqu'au 17 février, il mourut de faim, dans les rues
d'Alger, cinq mille six cent cinquante-six Mores ou
Arabes pauvres. Pendant cette année et la moitié de
l'autre, on reçut de plus en plus de nouvelles des grandes
forces que le Roi d'Espagne amassait à Cadix et à d'au-
tres endroits; malgré tous les avis que recevaient le Roi,
les Turcs et la Milice, ils ne pouvaient savoir contre qui
ces forces allaient être dirigées, et cela continuait à tenir
Alger dans une grande terreur; Hassan Pacha ne cessait
d'envoyer un grand nombre de galiotes et de frégates
prendre langue à la côte d'Espagne. Et quand on lui ame-
nait quelque Chrétien qui lui paraissaitde bon jugement,
il s'enfermait avec lui dans sa chambre et le fatiguait de
demandes, n'épargnant rien pour obtenir une certitude;
il ne put pourtant jamais l'avoir, jusqu'au moment où
l'armée Espagnole pénétra en Portugal. Pendant que
régna cette terreur, il fit plusieurs fois prévenir le Sultan
et son patron Ochali des craintes que lui inspirait l'Es-
pagne et demanda du secours (1). Et comme on disait
que le Roi de Fez s'alliait contre lui avec les Chrétiens,
il envoya un des principaux Marabouts d'Alger pour lui
persuader de ne pas le faire. Comme, d'autre part, son
avarice ne diminuait pas, que les vexations qu'il faisait
subir aux villages de l'intérieur étalent graves et con-
§ 5.
Cette galère partit, avec les députés et les plaintes
dirigées contre Hassan, le 16 novembre 1579, et resta
quelque temps à Bizerte, pour y attendre le départ de
Rabadan Pacha, qui cessait d'être Roi de Tunis. Elle
arriva à Constantinople à la fin de janvier 1580. Ochali
apprenant cette nouvelle, et connaissant les griefs qu'on
venait faire valoir contre son Renégat qu'il avait fait
nommer Roi d'Alger, chercha à dissuader les envoyés
Turcs ou Mores, de se plaindre au Sultan, mais ce fut en
vain, tellement ils étaient offensés des tyrannies d'Has-
san. L'ambassade parvint donc au Grand Seigneur, qui,
lorsqu'il eut connaissance des exactions du Pacha, leur
promit de le châtier exemplairement. Pour leur donner
un homme capable de punir Hassan, et de gouverner
Alger, il fit appeler Djafer Pacha, renégat Hongrois, eu-
nuque qui l'avait servi et porté sur ses bras dans son
enfance, et qui gouvernait une province en Hongrie avec
une renommée méritée de justice. Pendant ce temps là,
Hassan, ayant suborné à Alger quelques Caïds et d'autres
notables Turcs et Mores, fit un faux mémoire en riposte à
celui de la Milice et l'envoya à Ochali, avant que Djafer
Pacha ne fut arrivé à Constantinople. Le Capitan Pacha
alla avec ce mémoire trouver la mère du Sultan, le lui
montra, lui fit en même temps un présent de trente mille
écus, et obtint d'elle qu'elle parlât à son fils pour apaiser
sa colère. Cependant Djafer était arrivé et fut chargé par
le Sultan de faire une enquête à Alger sur les deux affir-
mations contradictoires dans le cas où Hassan serait
reconnu coupable, il devait lui faire couper la tête. Mais
Ochali s'arrangea si bien que la mère du Sultan ordonna
à Djafer d'être indulgent en tous cas pour Hassan, et en
même temps, Ochali donna à Djafer vingt mille écus
pour les frais de son voyage, afin de l'engager à la
douceur.
Au mois d'avril de cette année, Morat Reïs sortit d'Al-
ger avec un autre Corsaire, et, ayant mis le cap sur les
côtes Romaines, ils arrivèrent à un lieu nommé Januti
(port de Toscane); là, ils aperçurent deux galères du
Pape qui faisaient le long de cette côte un voyage de
plaisance avec leur Général, nouvellement promu par
Grégoire XIII; Morat, qui n'avait que deux galiotes,
n'osait pas attaquer les galères chrétiennes et était per-
plexe, lorsqu'il eut la chance de: voir arriver Amosa Reïs
et Ferru Reïs, corsaires qui pirataient avec deux autres
vaisseaux; il leur fit part de leur projet et tous quatre se
résolurent à attaquer les galères du Pape qui venaient
d'arriver et de s'arrêter au port de Saint-Étienne, se dou-
tant si peu de ce qui les attendait, que le Général et la plus
grande partie des soldats étaient descendus à terre pour
se livrer à la chasse et à d'autres amusements. Morat et
ses compagnons, ayant trouvé les galères abandonnées,
les prirent sans dimculté ni résistance, et les emme-
nèrent immédiatement avec la chiourme, parmi laquelle
il y avait beaucoup de clercs et de religieux condamnés
en punition de leurs délits; à la vérité, les Turcs firent
peu d'autres captifs; car presque tout le reste de l'équi-
page présent s'était sauvé à terre dans les barques pen-
dant les quelques instants où cela leur fut possible.
Morat Reïs revint à Alger avec cette prise; il y arriva au
mois de juin, partagea~lebut.inavp.
le butin avec ses compagnons
donnant sa part à chacun, et fut
reçu
joie par toute la ville; Hassan Pacha pritavec une grande
pitane du Pape et fit un ponton de l'autre pour lui la ca-
fermer une brèche du môle. Djafer Pacha navire pour
arriva à Alger
le 29 août 1580, ne s'occupa pas des affaires
d'Hassan et
le laissa en liberté. Celui-ci partit d'Alger le
suivant avec onze vaisseaux, quatre à lui et à septembre
19
§
moment,
Djafer Pacha, qui gouverne Alger en ce fut
Hongrois (1), et
(1581) est, comme nous l'avons dit, frère
pris, étant enfant, en même temps que sa mère, un les
incursion que
déjà grand et une sœur, dans une
étaient tous de belle
Turcs firent en Hongrie. Comme ils
ils furent offerts à la mère du Sultan qui
apparence, serviteurs dans son
règne aujourd'hui, et devinrent Djafer, qui
palais; pendant l'enfance du Grand Seigneur,
continuellement
était Renégat et eunuque, le portaitl'affection du Sou-
entre ses bras. Cela lui valut plus tard
verain de laquelle il ne démérita pas par ses actions;
ayant été chargé de plusieurs gouvernements, et,
car important en Hongrie, il
entre autres, d'un Pachalik très
montra toujours juste, droit, doux, affable et, en
s'y les brigands.
même temps grand justicier et terrible pour
Sultan reçut (comme
Il en résulta, qu'au moment où le
l'avons dit) les réclamations d'Alger, il l'y envoya
nous Vénitien, qui y exerçait
pour châtier Hassan Pacha,
très apte à faire
mille tyrannies; il le choisit comme
qui était presque
justice et à restaurer un Royaume
l'avons dit, le
perdu. Il arriva à Alger, comme nous fut immense.
24 août 1580, et le
contentement de tous en
les raisons que nous
Il ne fit pas justice d'Hassan pour
1586 L'on
'~Mde~aisse~rivaità Henri III, au mois de mars du «
lequel est s.bject roy, natif
doubte de la mort du Jaffer Bassa, ~o-
et est estimé entre eux très vaillantil homme.
»
» de Dieppe, nommé pacha
ciations, t. IV,
p. 373). Après son départ d'Alger, fut
la Perse.
à Tauris, pour commander l'armée contre
avons données plus haut;
tt il est vrai qu'il
qt fit emprison-
ner quelques Caïds Turcs, tels que le Caïd Daüt et le Caïd
Bendali, auxquels on reprochait d'être complices de
quelques-unes des fautes d'Hassan mais, peu de jours
après, il les fit relâcher, n'ayant rien découvert sur leur
compte. Il tranquillisa et ramena à l'obéissance tous les
Turcs et Mores d'Alger et du Royaume, promettant à
tous paix, équité et justice, disant à tous et tout haut
qu'il n'était pas venu à Alger pour s'enrichir, attendu
que ce qu'il possédait lui suffisait jusqu'à la fin de ses
jours et qu'il n'avait pas d'enfants-à qui laisser son héri-
tage. Il amena avec lui sa mère, qui, comme l'assurent
des gens de la maison du Roi, et comme c'est un fait
notoire à Alger, y vit plutôt en Chrétienne qu'en Turque
ou Renégate. Il amena aussi avec lui son frère cadet,
Renégat et eunuque comme lui. Jusqu'aujourd'hui, 8
mars 1581, qui font huit mois qu'il règne et gouverne, au
moment où j'écris ces lignes (1), on n'a remarqué en lui
ni vice ni méchanceté, et l'on n'a jamais appris qu'il ait
fait de mal à personne. Il est très compatissant pour les
Chrétiens; si on lui en amène un qui ait voulu s'enfuir
(c'est la coutume de les amener dans ce cas au Roi) ou
qui ait cherché à s'emparer d'une barque pour s'échap-
per, il en est quitte pour des réprimandes et pour dix,
douze ou quinze coups de bâton. Quant à ses esclaves,
il a ordonné depuis son arrivée qu'on ne leur mit pas la
chaîne et qu'on ne les bâtonnât pas sans son ordre ex-
près il leur fait donner de bons vêtements et une bonne
nourriture. Tout le vin qui lui vient des droits perçus
sur les navires Chrétiens qui viennent en vendre à Alger,
(1) II est bon de noter cette phrase, qui nous apprend clairement
qu'Haëdo écrivit son Epitome pendant sa captivité, bien que l'ouvrage
n'ait paru qu'en 1612. A partir de ce moment, il ne parlera plus que
par ouï-dire, et on devra beaucoup moins se fier à ses asser-
tions, souvent émises sur la foi de gens mal renseignés eux-mêmes.
C'est ce qui explique les erreurs fréquentes que nous rencontrerons
à dater de 1582.
il le fait distribuer à ses esclaves, au lieu d'exiger qu'on
le lui paie en argent, comme le faisaient ses prédéces-
seurs. Il a fait savoir à tous les marchands Chrétiens et
aux Pères de la Limosne qui se trouvaient à Alger,
d'écrire en Espagne et à toute la Chrétienté, qu'o.n pou-
vait librement venir pour le commerce ou pour effectuer
des rachats, et qu'il promettait de montrer par ses
actions qu'on n'avait plus affaire à Hassan Pacha, vu
qu'il n'était pas venu à Alger pour s'enrichir, mais pour
y faire bonne justice à tout le monde. Le Khalifa qu'il
avait amené de Constantinople ayant excité les plaintes
de sa maison par sa brutalité et ses intrigues, fut ren-
voyé et remplacé. Quelques Janissaires s'étant plaints de
ce que leur Agha (qui était cependant venu avec Djafer
de Constantinople) avait commis de mauvaises actions,
qu'il les privait arbitrairement de leur paie, et qu'il avait
extorqué à d'autres de l'argent et des présents, il le
cassa de son grade, après avoir obtenu le consentement
de la milice, sans lequel aucun Roi ne pourrait prendre
une pareille décision. Cela se passa au commencement
d'avril de cette année 1581:
§ 2.
Il résulta de ces mesures que les Agha et Khalifa, que
le Roi avait chassés, se concertèrent avec le Caïd Turc
Bendali, qui, comme nous l'avons dit, avait été empri-
sonné par le Roi, lors de son arrivée de Constantinople,
en même temps que le Caïd Daüt, pour avoir trempé
dans les fautes d'Hassan Pacha. Bendali était alors au
moment de quitter Alger, avec une mahalla de quatre
cents Turcs, à la tête de laquelle le Roi l'avait mis pour
aller châtier quelques Arabes révoltés. Les conjurés
obtinrent de lui (qui avait conservé un grand ressenti-
ment de son arrestation), qu'il subornât à prix d'or les
Janissaires et les soldats placés sous ses ordres. On dit
qu'un More d'Alger, très riche, nommé Gaxès, avait
donné cet argent; ils devaient se rendre à Alger et tuer
le Roi il était convenu entre eux que l'Agha prendrait
sa place; que le Khalifa recouvrerait son emploi, c'est-
à-dire la lieutenance de la Royauté, et que Bendali serait
Beglierbey, ou Capitaine Général de la milice ils avaient
promis à Caxès des Caïdats et une grosse récompense.
Pour faire réussir ce projet, l'Agha et le Khalifa, qui
avaient été longtemps Janissaires, et avaient conserve
dans la milice des amis nombreux et. très affectionnés,
surtout dans la mahalla que commandait alors Bendali,
communiquèrent leurs desseins à leurs partisans, les
séduisirent par leurs offres et leurs promesses, en sorte
que beaucoup d'entre eux s'associèrent au complot et
promirent d'y amener les autres pendant l'expédition.
Bendali se chargea de les décider il se trouvait alors à
six journées d'Alger, et, désireux d'en finir, il fit des
ouvertures à la plupart de ses soldats qui, alléchés par
ses promesses et par l'espoir de s'enrichir (c'est ce que
ces barbares désirent le plus), se rangèrent à son parti.
Mais comme il s'était ouvert de son dessein à quatre
vieux soldats, Boulouks Bachis, ceux-ci répondirent
que, même au péril de leur vie, ils ne consentiraient pas
à une telle méchanceté et trahison envers le Sultan. Cette
fidélité eut le pouvoir de ramener dans l'ordre ceux qui
étaient déjà pervertis; ils mirent le Caïd Bendali aux
fers, et informèrent le Roi de ce qui se passait. Cet avis
arriva à Alger le 30 avril, et le Roi l'ayant reçu fit arrêter
très vite et très secrètement l'Agha et le Khalifa, qu'il
enferma dans une prison bien sûre de son palais, les
faisant charger de lourdes chaînes aux bras et au cou,
séparés l'un de l'autre; il divulgua la cause de leur em-
prisonnement et rendit publiques les lettres que les
Janissaires lui avaient écrites à ce sujet; il dépêcha un
chaouch à ceux-ci avec une lettre qui leur donnait
l'ordre de tuer Bendali et de lui couper latête. La nuit
suivante, qui fut le l~mal, à minuit, le Roi fit sortir de
la prison le Khalifa et l'Agha,
'Agha, leur fit
fi1 couper la tête dans
PT1+P»non rln.r
un souterrain et les fit enterrer dans le jardin (1) qui est
contigu à son palais. Le' matin arrivé, il laissa courir le
bruit qu'ils s'étaient enfuis, et fit publier qu'il donnerait
cent doubles de paie mensuelle et mille doubles de
récompense à celui qui les lui amènerait ou qui lui dirait
où ils se trouvaient. Le 8 mai, arrivèrent quelques Janis-
saires envoyés par leurs camarades de la mahalla avec la
tête de Bendali, duquel le Roi fit confisquer tous les biens,
ce qu'il avait fait trois jours auparavant pour les trésors
et les esclaves de l'Agha et du Khalifa. Caxès se cacha
pendant quelque temps et trouva plus tard de si bons
médiateurs, qu'il obtint le pardon de son crime,
en don-
nant au Roi Djafer une grosse somme, qui, selon ce qu'on
m'a affirmé, se montait à trente mille ducats.
§3.
A la fin de mai, Ochali arriva à Alger avec soixante ga-
lères à fanal; il allait à la conquête du Royaume de Fez,
et voulait en chasser le Chérif pour le punir de la mau-
vaise volonté qu'il manifestait envers la Porte (comme
nous l'avons dit dans le chapitre XX). Ochali, qui haïs-
sait Djafer Pacha, parce qu'il n'avait pas traité aussi bien
qu'il le lui avait demandé son Renégat Hassan Vénitien,
prit occasion de la nécessité où il se trouvait de se pour-
voir des choses nécessaires à son entreprise, pour le dé-
posséder de beaucoup d'esclaves et d'agent; cela causa
un grand mécontentement au Roi, qui fut cependant for-
cé de se soumettre, Ochali étant supérieur à tous ceux
qui gouvernaient les Provinces de l'Empire, et maître ab-
solu pour tout ce qui concernait la guerre. Il voulut em-
mener avec lui la Milice d'Alger, tant à cause du besoin
qu'il en avait pour son expédition que pour se venger de
(l~Jemna.
l'injure qu'il en avait reçue du temps ou il gouvernait a
Alger, d'où il avait été forcé de s'enfuir devant leurs me-
naces de mort (comme nous l'avons raconté). Quand il
leur ordonna de s'embarquer, ceux-ci, craignant sa haine,
ordre
s'y refusèrent, déclarant qu'ils n'obéiraient qu'à un
exprès du Sultan ils ajoutaient qu'il n'était pas juste de
faire la guerre à un aussi bon Roi que le Chérif de Fez,
qui ne leur avait jamais fait de mal et ne leur inspirait
demandaient à Ochali
aucun soupçon pour l'avenir; ils
d'envoyer immédiatement cinq galiotes pour aviser le
Sultan de tout ce qui se passait, et celui-ci le fit, mettant
Renégat Mo-
ces navires sous le commandement de son envoyèrent
rat Agha. Dans ces galiotes, les Janissaires
nommé Sid Bou Tika,
un Marabout renommé parmi eux, lesquelles ils lui
avec des lettres pour le Sultan, dans
soumettaient les motifs de leur conduite et le suppliaient
de ne pas permettre à Ochali, si fin et si astucieux,
de
s'emparer de Fez, parce que s'il conquérait ce Royaume,
ayant une si puissante armée et déjà maître de Tripoli,
où commandait un de ses Renégats, il pourrait facile-
ment se soulever et se rendre Seigneur de toute la Bar-
barie (1). Les galiotes partirent d'Alger à la fin de mai et
arrivèrent rapidement à Constantinople, ne s'étant arrê-
tées qu'à Modon et Galipia.
Au commencement de ce même mois, Morat-Reïs
partit
d'Alger avec huit galères, et suivit toute la côte de Barba-
rie, du Ponentjusqu'au détroit; de là, ilgagnaLagos.oùil
rencontra deux vaisseaux Bretons qui retournaient chez
d'un million de
eux chargés de sel et ayant à bord plus
(1) Haëdo nous montre bien clairement ici l'opposition que fit tou-
de
jours la Milice au projet de la réunion de tous les royaumes
l'Afrique septentrionale. C'est en partageant ces défiances jalouses
prépondérance dans la Mé-
que la Porte perdit l'occasion d'assurer sa
diterranée, et laissa les Pachaliks des côtes Barbaresques en proie
aux discordes et à l'indiscipline des
Janissaires. Plus tard, lorsqu'elle
vit ces États se soustraire un à un à son obéissance, elle put regret-
ter le passe.
piecHb ae quatre et de nuit réaux; il entoura ces vais-
s.eaux avec ses galiotes, faisant un grand feu d'artillerie
et d'arquebuses, et malgré la valeureuse défense des
Bretons, qui répondirent aux Turcs par un tir bien nour-
ri (car ils étaient très bien armés), après un rude com-
bat des deux côtés, les Turcs coulèrent un des navires,
duquel il ne se sauva que quatorze personnes qui furent
prises; l'autre continua seul la lutte, mais finit par être
forcé de se rendre et tomba au pouvoir de Morat-Reïs,
qui, avec cette riche capture d'argent et de captifs. s'en re-
tourna à Alger, où il arriva le 24 août il y trouva Ochali et
fut forcé de lui donner la plus grande partie de l'argent
de la prise, pour subvenir aux frais de son armement.
En ce temps-là, Arnaute Mami, Capitan d'Alger, partit
en course avec quatorze galères, pendant les deux mois
que dura son expédition, il ne fit pas d'autre prise que
celle d'un Chrétien aveugle, dans l'île de Turçia, et revint
à Alger à la fin de juillet; il y trouva les cinq galiotes qui
avaient été à Constantinople avec le Marabout Sid Bou
Tika, envoyé de la Milice, ce voyage n'avait pas duré
plus d'un mois, et le Sultan Amurat avait envoyé l'ordre
à Ochali de renoncer à son entreprise, qu'ildéclarait con-
traire à sa volonté il le menaçait de lui faire couper la
tête, s'il contrevenait à ses ordres., Ochali partit donc
d'Alger, où il avait attendu les commandements du Grand
Seigneur. Il revint à Constantinople avec sa flotte, au
mois d'octobre (1), et s'occupa avec activité et par tous
les moyens possibles de faire nommer de nouveau au
gouvernement d'Alger son Renégat Hassan Vénitien (2)
§1~.
Hassan Pacha Vénitien fut nommé une deuxième fois
Roi d'Alger, sur les grandes instances qu'en fit au Sul-
tan son patron Ochali il partit de Constantinople avec
onze galiotes, dont sept à lui et quatre à son maître, au
mois d'avril 1582, et arriva à Alger au mois de mai (1).
Avant sa venue, en mars, Morat Reïs était sorti avec
neuf galères, côtoyant les côtes d'Espagne, sans avoir
fait de prises; après avoir doublé le cap Saint-Vincent,
il rencontra une galère Espagnole, nommée la ~e~on~-
mée, qui avait été séparée de ses neuf conserves par
une bourrasque qui l'avait surprise la veille, la galère
Chrétienne, en voyant les neuf Turques, les prit pour ses
compagnons, et tomba ainsi déplorablement entre les
mains de l'ennemi. Morat mit sur sa prise quelques Ja-
nissaires, et se rendit avec elle à Tenez, ville située à
cent vingt milles à l'ouest d'Alger il l'envoya de là à
destination, et se dirigea sur Alicante avec ses vais-
seaux. Pendant le voyage, un captif Chrétien lui offrit, en
échange de sa liberté, de lui procurer la prise d'un
bourg, situé entre Alicante et l'ile de Bendorni, à trente
§~-
Peu de jours avant ces événements, le Vice-Roi de Si-
cile Marc-Antoine Colonna était parti pour l'Espagne
avec douze galères, mandé par le Roi Philippe II en
passant au cap de Noli, il rencontra lesdites galères de
Gênes qui venaient d'Espagne, et ne voulut pas abaisser
le pavillon de la Capitane qu'il montait devant la Réale
de l'Amiral Jean-André, ainsi qu'il eût dû le faire, sui-
vant l'usage, bien qu'il fût un des plus grands et des
plus anciens Princes d'Italie mais son orgueil ne vou-
lut pas se soumettre à cette obligatioi
obligation; cela excita le
courroux de Doria, qui le poursuivit avec ses galères.
pendant plusieurs milles, et qui, ne pouvant atteindre la
Capitane, fit tirer un coup de canon. Immédiatement,Don
Pedro de Leïva,. Général de ces galères, monta dans sa
frégate, vint trouver le Prince avec les onze galères qu'il
commandait, et lui affirma qu'il avait été empêché de
donner le salut par la défense formelle du Vice-Roi;
cette explication ne satisfit pas beaucoup Jean André,
qui cependant laissa les onze galères suivre la Capitane
qu'elles rejoignirent à Villafranca de Nice, et s'en retour-
na directement à Gênes. Les vingt-deux galiotes d'Alger,
étant sur la côte de France (1), reçurent des informations
sur ces douze galères, qu'elles suivirent depuis Caborojo
jusqu'à Marseille sans pouvoir les découvrir; poursui-
vant leur route vers la côte de Barcelone, elles arrivèrent,
un matin, avant la pointe du jour, à Cadaques, et mi-
rent à terre un peu de monde et une pièce d'artillerie,
pour assiéger cette ville et la piller; les Turcs entrèrent
dans quelques fermes, où ils prirent cinq Chrétiens qui
donnèrent des nouvelles des douze galères et assurèrent
qu'elles étaient à Palamos, sans ménance, et qu'ils pour-
raient ainsi les prendre facilement; voyant, en outre, que
Cadaques résistait plus qu'ils ne l'auraient pensé, et
qu'ils couraient grand risque d'y être battus, ils se diri-
gèrent vers Palamos pour attaquer les galères Sicilien-
nes leur dessein ne réussit pas, parce qu'ils manquè-
rent leur atterrissage, à cause de l'obscurité de la nuit,
et qu'au lieu d'entrer à Palamos, ils allèrent plus loin à
l'Ouest, à une ville nommée Saint-Félix de Rijoles, située
§1-.
Mami Pacha était Albanais ou Arnaute, ce qui est la
même chose étant enfant, il fit partie de ceux qu'on
donne ordinairement en tribut au Sultan dans les pro-
vinces d'Epire, d'Albanie et de Grèce; il appartint en-
suite à Carax Ali, Corsaire et Capitan d'Alger, duquel il
fut Renégat avec Morat Reïs, dont nous avons raconté
les pirateries; avec le temps, il se distingua par ses bon-
nes qualités, ce qui,avec l'appui d'Ochali, engagea le Sul-
tan à lui donner le gouvernement d'Alger (1). Ce souve-
rain fit là un bon choix; car Mami (2) s'occupa toujours
du bien commun, gouvernant en paix et à la satisfaction
universelle de tout le Royaume, où chacun faisait l'éloge
de sa bonne administration et de sa justice.
Au mois de mai 1582, Morat Reïs sortit d'Alger avec
trois galiotes, vint à un port de la côte de Barbarie ap-
partenant au Roi de Fez, nommé Salé; il y fit mettre en
état trois brigantins de quatorze bancs, et, s'étant pro-
curé un pilote pratique de l'Océan, il partit, chaque ga-
liote remorquant son brigantin, et prit la-route des Cana-
ries comme il arrivait dans leur voisinage, le pilote lui
ditqu'ilcraignaitqu'on ne se fût trompé de route et qu'on
n'eût été trop avant Morat répondit que ce n'était pas
(1) C'est une erreur. Mami Arnaute ne fut jamais nommé Pacha
d'Alger; il n'y exerça qu'un pou voir usurpé et de peu de durée, à la
suite du refus que firent les Algériens de recevoir Ramadan.
(2) Voir chap. XIX. II était le chef de la TaïOe des Reïs,
et s'était déja mis à la tête de la révolte du temps d'Arab-Ahméd.
possible, et, continuant son chemin, découvrit l'Ile de
Lancelot; il fit amener les voiles et mettre en paiine jus-
qu'à la nuit, pour qu'on ne pût pas l'apercevoir du riva-
ge. Ce brigand profita si bien de la nuit qu'ildébarquatout
au matin avec deux cent cinquante Turcs mousquetai-
res qui saccagèrent l'Ile, y prenant plus de trois cents
personnes, parmi lesquelles se trouvaient la mère, la fem-
me et la fille du gouverneur, et un gros butin; il ne ren-
contra aucune résistance, se rembarqua avec ses prises
et se retira à une petite distance en arborant la bannière
de rachat. Le Comte, échappé aux mains des Turcs par
aventure, accourut pour racheter sa famille chérie et
d'autres personnes auxquelles il portait affection cela
fait, le Corsaire s'en retourna par où il était venu. Ayant
appris que Don Martin de Padilla, Grand Adelantado
de Castille et Général des Galères d'Espagne, l'attendait
avec dix-huit vaisseaux dans le détroit, décidé à ne pas
le laisser passer sans lui montrer en quel danger il s'était
mis, en allant jusqu'où jamais Corsaire d'Alger n'avait
osé aller, il se retira à Larache, où cette crainte le fit
rester un mois environ. Une nuit très obscure et tempé-
tueuse, il se résolut à pousser de l'avant, jugeant (et, c'é-
tait vrai) que, cette nuit là, l'Adelantado était rentré au
port pour ne pas s'exposer à la tempête; il franchit le dé-
troit, et fit ensuite tirer le canon pour annoncer 'qu'il
était passé, et que la croisière devenait inutile. De là, il
fut au cap de Gate et y rencontra Arnaute Mami avec
trois galiotes; celui-ci lui apprit qu'un de ses fils était
mort, ce qui fit qu'il ne continua pas sa campagne et qu'il
s'en retourna à Alger bien désolé de cette mort; il y ren-
tra au mois de septembre.
Pendant le reste du règne du Roi Mami, il n'arriva à
Alger rien de digne de l'histoire; il exerça le pouvoir
sans aucun trouble pendant un peu plus de trois ans, de-
puis le mois de mai 1583 jusqu'en juillet 1586 (1), oùil lui.
(1) Au mois d'août 1585, Doria fit subir un terrible désastre aux At-
fut envoyé un successeur, nommé Amat Pacha (1), qui,
mû par son envie et son mauvais naturel, exigea que
Mami lui donnât trente mille écus avant départir, celui-
ci, n'ayant pas cette somme à sa disposition, fut forcé de
se sauver avec une de ses galères au Cap Matifou où un
Reïs lui amena ses enfants; en voyant qu'on les avait
laissés aller librement, il se montra généreux et envoya
à son successeur une cédule de vingt-cinq mille écus., don-
nant pour caution que cette somme serait payée prochai-
nement Arnaute Mami (2) et Morat Reïs avec deux de
ses vaisseaux; il occupa ensuite le Pachalik de Tunis, où
il resta trois ans, et plus tard à deux reprises différentes
celui de Tripoli, donnant par sa bonté et son bon gou-
vernement la paix et la tranquillité à tous. Au moment où
impartit d'Alger, c'était un homme de quarante ans,'de
grande taille, avec la barbe noire, très affable pour tout
le monde et nullement cruel pour les chrétiens.
gérions il battit leur flotte, et leur prit dix-huit galères, dans le voi-
sinage de la Corse. (Négociations, t. IV, p. 395.)
(1) Une preuve convaincante de la fausseté de ces dates se trouve
dans le discours prononce par M. de Lancosme à l'audience de récep-
tion d'Amurat III (15 avril 1586); il s'y plaint des indignités et em-
prisonnements qui ont élé /NM<~ au VÏCe-Co?MM~BtOKKM!M par
~.Mtm-~M/M!. Hassan était donc Pacha d'Alger en 1586. (Négociations,
t. IV, p. 498.)
(2) Sic. S'il faut prendre ce récit au pied de la lettre, il y aurait en.un
autre Mami Arnaute cela est possible; mais j'ajoute peu de foi à
-tout ce chapitre, qui n'est confirme par rien de connu. La Chro-
nologie de Rousseau cite un Mami en 1585, et, la même année,
un ~o/MM'y~M, auquel succéda en 1585 .CaH.~AMMd!,Iemême qu'Haëdo
appelle Amat mais cette Chronologie est loin d'être exacte.
CHAPITRE XXV
§1-.
Amat Pacha était Turc de grande famille; il eut assez
d'influenceauprès du Divan du Sultan pour se faire don-
ner le gouvernement d'Alger, qu'il désirait beaucoup il
il y arriva au mois de juillet 1586, et défendit immédiate-
ment à tous les Corsaires de sortir du port (1), parce
qu'il désirait se mettre en personne à leur tête pour pil-
ler et faire du mal à la Chrétienté, comme l'avait fait
Hassan Vénitien; disant qu'il n'était pas moins que lui,
mais bien son supérieur et qu'il pouvait être son maître,
comme en effet il l'avait été. Il réunit onze galères et
galiotes bien armées avec lesquelles il partit d'Alger au
mois de juin de l'année suivante 1587, et s'en fut droit à
l'Ile de la Galite, située à trente milles de Tabarque, et
de là àBizerte; en mer, il prit un vaisseau de quinze cents
s<~nMs chargé de bois de construction il se dirigea en-
suite vers l'ile de Lustrica, en Sicile, où il fit espalmer
ses galères, les pourvut de tout le nécessaire et partit
un matin pour le golfe de Naples; il arriva sur la côte de
Melfi, à une ville nommé Praya, y saccagea et pilla quel-
ques magasins de marchandises, et s'empara des per-
sonnes qui les gardaient. De là il sén fut le plus secrète-
(1) Le motif de cette défense, qui fut faite, non par Ahmed, mais
par Euldj Ali, nous est révélé par une lettre de M. de Lancosme
L'on tient que ce subject luy a faict tenter ung desseing, qu'il avoit
) de longue main, qui est d'estre faict bassa
général de toute la
t Barbarie, charge qu'aucun aultre n'a eu et qui
sèroit de très grand
» poix
L'on ne scait encores si cela réussira, etc. o (Négocia-
tions,t. IV, p. 5t7.)
ment et le plus rapidement qu'il put sur les côtes Ro-
maines, où il débarqua quelques-uns de ses Mousque-
taires Turcs pour piller et faire tout le mal possible
mais il fut forcé de ,se rembarquer sans résultat, ayant
été découvert par l'Amiral Jean-André Doria qui condtii-
sait sa femme à Naples avec sept galères, et qui, ayant
aperçu les galiotes Turques,leur appuya la chasse depuis
midi jusqu'àla nuit. L'obscurité fut bien propice aux Al-
gériens car si leurs navires eussent été rejoints par les
galères du Prince (comme cela fût arrivé si le jour eût
duré plus longtemps) ils eussent couru grand danger
d'être pris par lui; il avait déjà mis la main sur une, ga-
liote de vingt bancs; elle fut sauvée par Arnaute Mami,
qui la remorqua avec sa galère dont la chiourme était
très forte; mais la nuit étant arrivée, Doria cessa la
chasse, et chacun poursuivitson voyage.
§2.
Après avoir couru cette aventure, le Pacha Amat prit le
chemin de Monte-Cristo sans s'arrêter nulle part; de là
il se rendit en Corse, au golfe de Saint-Florent, où il sac-
cagea un bourg nommé Faringola; il y prit deux cent
quarantepersonnes, avec lesquelles il'gagna l'île de Rosa,
et delà le pays de Gênes, où il débarqua pendant la nuit
quelques Mousquetaires Turcs qui brûlèrent un petit
nombre de maisons d'un bourg nommé Pra, situé à six
milles de Gênes; ils prirent un homme et une femme. Sans
faire plus de mal sur cette côte, il alla jusqu'aux îles
d'Hyères, en France, et s'y empara d'une frégate qui ve-
nait d'Espagne avec quatre mille écus; cette somme fut
répartie entre tous les Janissaires présents; de là, il se di-
rigea vers les côtes d'Espagne sans pouvoir faire aucun
mal, parceque les habitants étaient avertis de son ar-
rivée voyant cela, Amatse résolut à rentrer à Alger avec
sa flotte, et y. débarqua à la nn d'août, étant resté envi-
ron deux mois et demi en course. Ce fut le premier et
dernier voyage qu'il fit pendant son règne, qui dura un
peu, plus de trois ans, du mois de juin 1586 au mois d'août
1589 (1); il ne cessa pendant ce temps d'envoyer ses ga-
liotes en course, et elles revenaient toujours chargées
de butin et de captifs. Après trois ans de règne, il lui fut
envoyé un successeur, et il partit avec neuf vaisseaux
pour aller gouverner Tripoli, où il fut tué dans une es-
carmouche qu'eurent les Turcs avec les Mores de ce
Royaume, comme nous le raconterons en son lieu. Quand
il partit d'Alger, il avait soixante ans, était grand justi-
cier, et~ tout orgueilleux qu'il fût, il gouverna d'une ma-
nière satisfaisante.
(t) Ce fait est confirme par une lettre de M. de Maisse à Henri III,
du 8 juillet 1589 .< Le G.S. a faict sortir Assan-Aga, avec LX gal-
laires, et prenant les gardes de l'Archipelago, enfera cent ousix.
vingt. M va en Tripoly de Barbarie, où il doit estre maintenant, et
pécha deux galiotes bien armées, pour aviser MoratReïs
et les principauxCorsaires d'Algeret de Bizerte de venir se
joindre sous Tripoli à la flotte Turque, qui' arriva à la fin
de juillet. Peu de temps après, Morat Reïs la rejoignit
avec quatre galiotes sur lesquelles se trouvait une bonne
troupe de Janissaires, et tous les Corsaires de Bizerte se
conformèrent également à l'ordre de l'Amiral. Après
avoir réuni ces forces, Hassan jugea bon d'envoyer quel-
ques vaisseaux vers les côtes Chrétiennes pour s'infor-
mer de ce qui s'y passait, afin de pouvoir ensuite avec
plus de sécurité exécuter les ordres du Sultan à cet ef-
fet, il délégua quatre Corsaires très habiles Hàdji Bali,
auquel il donna le commandement, Amat Reïs, Suff Re-
molar et le Castellano d'Ali (1) avec cinq galiotes; ils ga-
gnèrent la Sicile, près de laquelle ils prirent un navire de
quinze cents salinas chargé de blé, qui venait de Pulla et
un caramuchal chargé de vins de Calabre, captu-
rant quatre-vingtspersonnes environ qui étaientdans les
deux vaisseaux. Après le départ des corsaires, l'Amiral
débarqua ses troupes,au nombre de douze mille hommes
à pied et à cheval, et livra plusieurs combats aux troupes
du Marabout; l'habileté militaire des Turcs l'emporta
toujours sur la mobilité de la cavalerie ennemie, quoi-
qu'elle fut supérieure en nombre, comme nous l'avons
dit. Ensuite, l'Amiral, voyant que le temps favorable
pour là navigation des galères se passait, parce que
l'hiver arrivait, se montrant très dur et dangereux, se
décida à se retirer avec ses vaisseaux, se fiant sur l'in-
constance des révoltés, et pensant qu'avec le temps, et
en laissant là un bon nombre de mousquetaires, la re-
bellion se calmerait, comme cela arriva en effet. Il partit
à la fin d'octobre, licenciant les galiotes d'Alger et de Bi-
zerte.etlaissantàTripolil'armée deTunis,qui était forte de
g 3:
§1-.
Chaban Pacha partit de Constantinoplepour aller gou-
verner Alger au mois de juin 1592 il y arriva dans les
premiers jours d'août, et, aussitôt installé, jugea assez
durement les agissements de son prédécesseur, à cau-
se des nombreuses plaintes que lui en fit la Milice, qui,
voyant venir un nouveau Roi, voulait se venger de l'an-
cien pour ce motif, elle fit assembler le Divan (c'est
ainsi qu'on appelle chez eux le Conseil) et on y décida
l'envoi de quelques Boulouks Bachis à Constantinople,
avec un beau présent pour le Sultan, et ordre de l'infor-
mer des grandes cruautés et tyrannies de Heder ils
choisirent comme Chef des Ambassadeurs Arnaute Ma-
mi, qui reritrait de la course celui-ci, auquel la fortune
était contraire depuis quelque temps, acceptavolontiers
cette mission qui l'éloignait d'Alger, désespéré qu'il était
de ses malheurs qui ne faisaient qu'augmenter; en effet,
après la perte de ses galiotes et de son neveu, 'il avait
vu mourir un Renégat Français qu'il aimait beaucoup,
et avait du emprisonner sa femme, qui se suicida quel-
ques jours plus tard. Arnaute Mami partit d'Alger à la
fin d'août 1592, avec quatre vaisseaux un à lui, deux
qui emmenaient Heder avec sa maison, et un autre ap-
partenant à MamiNapolitano,danslequel s'embarquèrent
les Boulouks Bachis; en arrivant au Cap Passaro, en
Sicile, il faillit être pris par les galères de Malte,
dont la Capitane avait déjà investi la poupe de sa ga-
liote il eut cependant l'habilité de s'échapper avec ses
vaisseaux, et arriva rapidement à Constantinople. Il n'y
fut pas tenu-compte des accusations de la milice contre
Heder Pacha, à cause de la mauvaise opinion qu'avait
l'entourage du Sultan des Janissaires et du Divan d'Al-
ger l'ambassade s'en retourna dans deux frégates, cour-
roucée et très mécontente du peu d'effet qu'avait eue sa
démarche; Heder resta en paix, attendant l'occasion qui
s'offrirait à lui de se venger. Chaban gouverna si bien
qu'il satisfit tout le monde et se fit aimer et chérir. Il y
eut de son temps une grande famine dans la ville et
dans le Royaume (1), qu'il soulagea avec beaucoup de
soin; dans l'hiver de l'année de son arrivée, il survint
une si grande tempête, .avec un vent si furieux, que le
môle d'Alger fut presque entièrement détruit; la galère
patronne de Morat Reïs, qui était la ~e/'M~ prise jadis
aux Chevaliers de Malte, se trouvait alors dans le .port
elle fut brisée ainsi que deux autres galères, chacune de
vingt-deux bancs, et deux autres navires, l'un de douze
cents sa~~s que les Corsaires avaient pris sur la côte
d'Espagne, chargé de sucre, et un autre de six cents .s<
mas d'huile, furent mis également en pièces une saëtie
française, qui se trouvait là, s'étant mise à l'ancre dans
la rade pour se garantir de la tourmente, il'survint une
vague qui la coula à pic et on ne la revit plus jamais.
En l'année suivante 1593, Chaban Pacha envoya en-
course une galère de dix-sept bancs, qui fut prise
la veille de la Noel à l'Ile de Lustica par Don Pedro de
Leïva, Général des galères de Sicile.
En 1594, Morat Reïs sortit d'Alger au mois de mars,
avec quatre galiotes, en compagnie de Jafer, Renégat
Génois, et de Mohammed Reïs y Fochali; il suivit la côte
de Barbarie, arriva aux Iles Gelves, et ensuite à la Lam-
padouse, où il espérait rencontrer des vaisseaux Chré-
tiens, et, ayant fait là ses sortilèges diaboliques, il vint
croiser devant les Sables de Barbarie, et découvrit un
(1) Il y eut aussi une grande peste, dite de 2'M~M. Elle dura trois
ans, et désola tout le pays.
matin deux bâtiments qu'il reconnut tout de suite pour
être des galères Chrétiennes il donna aussitôt l'ordre
que deux des quatre galiotes abattissent leurs mâts, et
que chacune de celles qui étaient démâtées se cachât
derrière une de celles qui étaientrestéesgrées,anndene
pas montrer ainsi plus de deux des galiotes et d'amener les
Chrétiens à venir attaquer les Turcs le plus tôt possible;
sa ruse réussit, et la vigie de nos galères, croyant qu'il
n'y avait que deux galiotes, ne voyant pas les deux au-
tres qui étaient dématées, donna ce faux avis à
son Capitaine, qui arriva avec la plus grande con-
fiance pour attaquer; quand il fut tout près, Morat
nt relever les mâts et s'élança sur l'ennemi ces navi-
res, la Gapitane du Due de Florence et le .S~<?~ qui
étaient partis en course vers la Barbarie, se voyant at-
taqués par quatre bâtiments, ne savaient plus s'il fallait
fuir ou coTYlbattre.etpassèrent quelque temps à discuter
sur ce qu'on devait faire cela donna le temps aux Turcs
d'attaquer la Capitane où s'était réuni le Conseil de guer-
re elle fut d'abord assaillie par une galiote de vingt
bancs, qui étant trop basse, ne put l'aborder Morat, ve-
nant ensuite attaqua à tribord avec son vaisseau, et
après avoir envoyé sa bordée, sauta dedans avec ses
Turcs, et y tua quelques Commandeurs de Saint-Ëtienne
et d'autres combattants; Jafer, Renégat Génois, et le frè-
re de Moratattaquèrent la galère Saint-Jean avec les deux
autres galiotes; elle se défendit le mieux qu'elle put,
tuant et blessant quelques Turcs; mais enfin, voyant sa
Capitane prise, elle perdit courage et se rendit. Morat re-
tourna'à Alger avec cette capture si glorieuse et ses pri-
sonniers, ayant de plus délivré beaucoup de Turcs et de
Mores de la chiourme de ces galères; il arriva triom-
phant au mois de juillet, et repartit immédiatement avec
autant de vaisseaux qu'il put en armer pour se réunir à
l'Amiral Cigala, qui venait de partir de 'Constantinople
avec cent vaisseaux Turcs, emmenant avec lui Arnaute
Mami, comme pilote général de la flotte, à cause de son
habileté. Cigala arriva dans les mers de Calabre au mois
de septembre,saccagea et brûla une ville nommée Rijo-
les~ profanant les temples, détruisant les jardins, et fai-
sant tous les dommagesqu'ont coutume de faire cesbar-
bares inndèles. Ils trouvèrent la ville inhabitée car tout
le monde s'était enfui dans les montagnes à leur arrivée,
en sorte qu'ils ne firent pas de prisonniers.
Notre flotte, c'est-à-dire les galères de Naples, Sicile et
Gênes,qui avait été prévenue de l'arrivée de la flotte Tur-
que, aurait pu arriver à temps pour éviter ces maux et
ceux qui suivirent; elle n'apparut qu'au moment où les
Turcs, voyant que le temps devenaitmauvais, et ne vou-
lant pas mettre leurs vaisseaux en péril, rentraient à
Constantinople. Au mois de mai de l'année suivante 1595,
Morat Reïs sortit d'Alger avec trois galiotes, côtoya la
Barbarie jusqu'à Monastir, ville située à douze milles de
Sus; il y prit trois brigantins de Trapani, ville de Sicile,
avec tout l'équipage, composé de quatre-vingt-dix ma-
rins, qui étaient partis en course. Continuant sa route
vers le cap Passaro, il y eut nouvelle dé cinq galères de
Malte qui étaient à Zaragoça, ville de ce Royaume; ces
galèresenvoyèrent une frégate reconnaître les vaisseaux
Turcs, qui étaient au nombre de trois, comme nous
l'avons dit; elle expédia immédiatement un cavalier à
l
toute vitesse donner avis à nos galères que les galiotes
étaient arrêtées au cap Passaro; sur cet avis. elles parti-
rent à la hâte pour y aller; arrivées à Vindicar, elles vi-
rent revenir leur frégate qui leur faisait signal de ferler
les voiles, parce que les galiofës étaient à sa poursuite,
et ne se doutaient pas de la présence des galères de la
Religion; il faisait déjà presque nuit noire quand ils se
découvrirent les uns les autres; les navires de Malte
tournèrent de suite la proue contre les Turcs, qui, se
voyant attaqués par cinq bâtiments, commencèrent à
fuir, poursuivis par la Capitane de ~~M~-J~~M~ qui ayant
une grosse avance sur ses compagnes, atteignit la ga-
liote de Morat Reïs qu'elle couvrit -de feu et qu'elle
mit en grand péril; celui-ci se tira du danger en plaçant
tous ses mousquetaires à la poupe, où ceux-ci se défen-
dirent vigoureusement (encore qu'il en coûta la vie à
beaucoup d'eux); ils tuèrent quelques-uns des Che-
valiers de la galère et les canonniers qui constituaient
sa principale force; il se retira le plus vite qu'il put, et
fut cependant encore attaqué par la Patrone de la Reli-
gion, à laquelle les Turcs résistèrent comme ils l'avaient
fait à la Capitane ils la forcèrent de se retirer, ainsi que
les autres, car elles vinrent chacune à leur tour attaquer
le vaisseau de Morat, qui courut ce jour là une rude
aventure. De cette manière, il s'échappa après avoir per-
du beaucoup de monde, et avoir été blessé cinq fois
(mais légèrement) par ces lions de l'Ordre de Saint-Jean,
qui ont une si bonne griffe que je ne doute pas qu'un de
ces jours ils ne s'emparent de lui, comme ils cherchent
à le faire. Delà, Morat se rendit avec sonfrèreàVelone;
l'autre Reïs, son compagnon, fut séparé de lui par une
bourrasque; enfin, ils rentrèrent tous à Alger au mois
de septembre, chargés de captifs et de butin Cependant,
Chaban était parti en juillet pour Constantinople, ayant
gouverné Alger un peu moins de trois ans. A son dé-
part, il était âgé de quarante-deux'ans, petit, d'une faible
constitution, affable et bienveillant pour tout le monde.
~CHÂPlTRË_X~n~:
.§~
3~stàfa, Pàchà, ving~neu~iëmè~~R~
§1~.
On peut dire qu'en tout temps, les dons et les présents
ont été préférés à la vertu, à la raison et au mérite, pour
la nomination au Gouvernement d'Alger et à tous les
Royaumes soumis à l'Empire Turc; maisjamaisce mau-
vais état de choses n'a été tel qu'aujourd'hui parmi les
Turcs et les Mores; c'en est un exemple bien frappant
que Heder Pacha ait été envoyé ici une deuxième fois,
quoiqu'il eut donné une si mauvaise opinion de lui et
tellement mécontenté tout le monde, et que son prédé-
cesseur Mostafa ne gouvernât que depuis si peu de
temps. De ce mal, il en résulta un autre (comme c'est
habituel) ce fut que Heder, aveuglé par sa haine con-
tre Chaban, qui lui avait succédé à Alger la première fois
qu'il y avait régné, à cause de sa mauvaise conduite et
des plaintes que .les Algériens avaient fait de sa tyran-
nie, chercha à se venger de son prédécesseur Mostafa,
parce qu'il était parent de son ennemi Chaban. La pre-
mière chose qu'il fit, en arrivant, fut de taxer Mostafa
à une somme de soixante mille doubles, qui font quinze
mille écus de notre monnaie; il ne lui épargna pas d'au-
tres mauvais traitements, ce qui est l'habitude'des gens
vils, haineux et rancuniers; il donna à entendre que cet
argent était destiné à reconstruire le môle, et à réparer
le dommage causé par la tempêtedont nous avons parlé,
disant que Mostafa était obligé de faire ces réparations.
La vérité est que telle n'était pas son intention, mais
qu'il voulait garder cette somme pour lui, ce qu'il ~t.
Mostafa fut forcé d'en passer par là, et ~partit immédiate-
ment pour Constantinople avec l'intention de chercher
à reprendre le gouvernement d'Alger, et de faire repentir
son ennemi du mal qu'il lui avait fait. Heder resta cette
dernière fois à Alger de septembre 1595 à septembre
1596 et il n'arriva pendant cette période rien de-
remar-
quable (1).
§1~.
Nous avons raconté avec quel chagrin et quelle haine,
contre son successeur Heder Mostafa Pacha était parti
d'Alger pour Constantinople; ainsi que les causes qui
l'excitaient à s'efforcer d'y retourner; il finitpar réussir,
grâce aux nombreuses sollicitations de ses amis et de
ses parents, qui supplièrent très activement le Sultan
Mohammet de lui rendre le Pachalik d'Alger, représen-
tant le peu de temps qu'il y avait passé, pendant lequel
il n'avait pas démérité d'y retourner; ils ajoutaient que
Heder Pacha s'y faisait détester de tous par sa cruelle
tyrannie et son mauvais gouvernement. Tout cela, avec
l'assaisonnement habituel d'une grande quantité de ca-
deaux et d'argent, qu'il donna à Cigala et aux Pachas du
Grand Divan, fut cause que le Sultan le nomma de nou-
veau Roi d'Alger; il y arriva au mois de septembre 1596,
au contentement général des habitants. Il commença
immédiatement à exécuter son dessein, qui était de se
venger de son ennemi et prédécesseur; pour cela, il
exigea de lui trente milleécus, somme double de celle
que celui-ci lui avait fait donner, annonçant que cette
somme serait affectée à la reconstruction du môle
d'Alger, que Heder n'avait pas fait réparer avec les quinze
mille éçus exigés sous ce prétexte; pour le vexer en-
core davantage, il fit publier, avec menace de peines
très graves, que personne ne s'avisât d'acheter ni es-
claves ni autres choses appartenant audit Heder; il fit
cela pour le priver de l'argent comptant qu'il avait, ce
qui fut excessivement sensible à celui-ci, qui partit d'Al-
ger pour Constantinople, furieux et désespéré, et Mos-
tafa resta très satisfait de la vengeance qu'il avait tiré de
son ennemi telle est l'habitude parmi ces infidèles (1).