Actes Ias 2006 Dakar
Actes Ias 2006 Dakar
Actes Ias 2006 Dakar
Dakar, Sénégal
25, 26 & 27 mai 2006
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Introduction ......................................................................................................................................................................... p. 9
Sommaire
1 La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel Abord de Chatillon - Olivier Bachelard .......................................................................................... p. 15
3
14 Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors
à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves Duyck - Serge Guérin ........................................................................................................................... p. 143
5
27 De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité
sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane Parez-Cloarec - Michel Le Berre ..................................................................................................... p. 271
7
Pratiques d’audit social
& de RSE dans la diversité
de leurs environnements
L
a huitième université de printemps de l’audit social co-organisée les 25, 26 et 27 mai
2006 à DAKAR par l'IAS (Institut International de l’Audit Social) en partenariat avec
le CESAG Dakar, l’ANDCP Sénégal, les IAS nationaux, les associations
professionnelles ressources humaines d'Afrique et d’Europe ainsi qu'avec l'AGRH
(Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines) a comme thème « Pratiques
d’audit social & de RSE dans la diversité de leurs environnements ».
Le thème retenu s'inscrit dans la dynamique des précédentes universités de printemps et d'été
qui se sont déroulées dans des contextes nationaux divers. Depuis 2000, nos Universités ont
eu pour cadre l’Algérie, le Liban, le Luxembourg, le Maroc, la Tunisie et plusieurs régions de
France, de Corte à Bordeaux, de Lille à Toulouse. Ces déplacements du lieu des échanges ont
permis de mesurer l’importance des contextes nationaux et locaux sur les pratiques de l’audit
social comme sur le domaine de la Responsabilité sociale de l’entreprise. La contingence des
concepts d’audit social et de RSE a été soulignée par de nombreux intervenants venus de
divers horizons. Il était nécessaire de faire le point et la réalisation à Dakar, dans un nouveau
contexte national, de notre 8e université de printemps, la 31e de nos universités, imposait ce
thème. Le succès des universités précédentes a conduit à retenir pour l'université de
printemps 2006 un thème qui prolonge et amplifie les débats initiés à Corte, à Bordeaux,
Tunis, Luxembourg, Marrakech et Lille sur les spécificités de l’audit social et de la
responsabilité sociale de l'entreprise.
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Nombreuses sont les contributions qui abordent le thème de la diversité des contextes en
particulier culturels, des domaines à auditer, des pratiques mises en œuvre. La « diversité »
est L’UN des fils conducteurs des travaux de DAKAR. À travers un programme riche de
16 ateliers, de 6 symposiums, de conférences plénières et de 6 tables rondes et débats, avec
plus de 100 intervenants, enseignants chercheurs, DRH, dirigeants, experts, auditeurs,
responsables politiques et professionnels venus de 16 pays, cette 8e Université de Printemps
a pour ambition de développer les réflexions et de permettre de fructueux échanges. Que ceux
qui ont participé activement au comité d'organisation de cette université, soient tout
particulièrement remerciés pour avoir mené à bien ce projet ambitieux. Nos collègues et amis
Alain AKANNI et Réal MBIDA, organisateurs au Sénégal de cette manifestation et les
responsables de l’IAS ont accompli un travail remarquable.
Ces textes ont pu être réunis grâce au partenariat actif avec les principales associations
professionnelles et académiques concernées par le thème de l’audit social et de la
Responsabilité Sociale de l’entreprise. Que soient tout particulièrement remercié l’AGRH et
son Président, le Professeur Pierre Louart, (LAGRH est très présente à travers de très
nombreuses communications d’enseignants-chercheurs francophones), l’ISEOR et le
professeur Henri Savall, Président du Comité Scientifique de l’IAS, l’ADERSE, les IAS
nationaux et les organisations RH des pays méditerranéens l’ANDCP, l’ALGRH, l’AGEF et
l’ARFORGHE.
L’ensemble des contributions rassemblées traduit la richesse des travaux qui se sont
développés ces dernières années autour du thème de l’audit social et de la RSE. Elles
abordent de nombreux aspects complémentaires et témoignent d’un effort de recherche et
d’expérimentation sans cesse renouvelé. Elles ne reflètent cependant qu’imparfaitement la
richesse attendue des échanges dans le cadre de l'Université de Printemps, avec de plus de
100 intervenants dans les ateliers, les symposiums, les tables rondes, les débats, les
conférences et bien sûr les irremplaçables apports, témoignages, et interpellations des 300 à
400 participants dont la qualité et l’implication contribuent depuis l’origine au succès de ces
journées d’université de Printemps.
Crée en 1982 sous l’impulsion de Raymond VATIER, par un groupe de praticiens de l’audit
social et d’enseignants-chercheurs désireux de mettre en commun leurs expériences pour
approfondir le concept d’audit social, en définir le cadre de référence, et veiller à une mise
en œuvre cohérente de ces pratiques dans le respect d’une éthique professionnelle, l’IAS
démontre en 2006 sa vitalité et sa capacité à poursuivre et à amplifier le projet de ses
fondateurs. L’audit social sort de sa marginalité. Les entreprises sont plus nombreuses à
s’engager dans des audits non plus de conformité mais d’efficacité, des audits explicatifs des
problèmes rencontrés. L’audit social est essentiel pour que la fonction RH contribue à créer
de la valeur et associer performance économique et performance sociale.
11
Cette Université est la trente et unième organisée par l'IAS. Pendant quinze ans, les travaux
des chercheurs et des auditeurs ont nourri les échanges d'une université annuelle se
déroulant fin août. Pour la huitième année, le pari de réussir deux universités par an avec
des actes de grande qualité a été relevé. Le volume d'actes du printemps 2006 est dense et
riche. Cinquante co-auteurs ont participé à ce travail en abordant toutes les facettes du
thème. La lecture de la table des matières souligne la grande diversité des approches ainsi
que leur caractère souvent innovant. Les problématiques sont au cœur des préoccupations de
tous les responsables concernés par l’adaptation de l’audit social à son contexte et la prise
en compte de la responsabilité sociale de l'entreprise.
L’audit social connaît depuis vingt cinq ans un développement continu, au service d'un projet
collectif de développement humain, économique et social durable. Le Sénégal accueille pour
la première fois les échanges autour de l'audit social. Nous sommes convaincus qu'ils seront
particulièrement riches et fructueux.
Jean-Marie PERETTI,
professeur au Groupe ESSEC
et à l’IAE de Corse,
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La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
La santé Sécurité L
a problématique de la gestion de la santé sécuri-
té au travail se pose différemment dans les PME
et dans les grands groupes. Nous ne reviendrons
au travail
ici ni sur l’importance économique des PME en France,
(plus de 99 % des entreprises et 67,9 % des emplois du
secteur privé), ni sur la définition de la PME, notam-
ment liée aux critères de taille de l’entreprise. L’effectif
environnements
non sur le coût direct des accidents du travail et des
maladies professionnelles.
R.Tait et D. Walker1 mettent en avant que contrairement
et des pratiques
à certaines croyances, le coût des accidents du travail
n’est pas un bon levier. Ceci pour plusieurs raisons. La
principale est que dans le cas des PME, la fréquence des
accidents du travail est trop faible pour que les coûts
apparaissent gérables en tant que tels. De plus les PME
perdent souvent des sommes plus importantes en rai-
sons d’incidents sans conséquences humaines et qui ne
rentrent donc pas dans le champ de la gestion de la SST.
Emmanuel Abord de Chatillon
Maître de Conférences En effet, les coûts directs ne sont pas lisibles et les coûts
Institut de Recherche en Gestion et en Economie indirects le sont encore moins. En revanche, les dépen-
ses de prévention, sont elles bien palpables et souvent
IUT Annecy, Université de Savoie
vécues comme une contrainte supplémentaire, d’ordre
[email protected] réglementaire. Ainsi Py Geoffard2 nous rappelle : « la
gestion des risques santé repose sur des investissements
Olivier Bachelard dont le coût est payé ex ante, et les bénéfices sont
Professeur perçus es post ». Si la PME commence à faire l’objet de
Groupe ESC Saint-Étienne travaux de recherche, de débats, de controverses, la pré-
[email protected] vention des risques et la santé au travail ne commencent
à apparaître comme problématique de gestion que
récemment3.
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La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
prévention, a eu deux conséquences importantes pour tardent à s’emparer de cette question, c’est en partie
les PME. La première, positive, a contraint les diri- parce que les coûts de la « non santé et sécurité » au tra-
geants à s’intéresser à cette problématique, (même si ce vail ne sont pas vraiment mis sur la place publique,
fut la plupart des cas pour se mettre en conformité avec mais surtout parce qu’ils ont l’impression de ne pas les
la loi). La seconde plus négative à nos yeux remet en payer. De plus comme le rappelle AP. Koningsveld6
cause la tradition orale de ces entreprises et focalise « les indicateurs économiques sont de plus en plus
l’homme au travail sur une bipolarité : performance importants pour l’élaboration des stratégies politiques
versus réalisation personnelle. Or comme le montre tout autant que pour la politique des entreprises.
P. Davezies4, « S’il doit gérer seul les aléas et contraintes Pendant longtemps, on a fait la promotion de la sécurité
de l’activité, le salarié risque de s’épuiser. Il doit pou- et de la santé au travail d’un point de vue moral : main-
voir s’appuyer sur des savoir faire partagés, bénéficier tenant, des considérations économiques ont pris leur
du soutien des collègues en cas de difficultés… Un place en première ligne ».
cadre collectif qui lui permettra de se préserver, de faire
reconnaître sa propre contribution. Or l’organisation du Du strict point de vue de la rationalité économique, le
travail tend aujourd’hui comme hier à briser ce cadre, gestionnaire aurait donc tout intérêt à agir sur la pré-
en individualisant les problèmes, en isolant les salariés, vention des accidents et des maladies professionnelles,
avec des conséquences en terme de santé ». Ce fut une cette prévention engendrant apparemment mécanique-
prise de conscience brutale, sous cette forme, alors que ment des bénéfices financiers. Cependant la réalité est
l’évolution des risques était obligatoire depuis 1991 (art toute autre. Cette articulation est manifestement loin
L.230-2) et que bien évidement un certain nombre de d’être évidente aux yeux des décideurs gestionnaires
dirigeants intégrait cette dimension de façon très diver- d’entreprise ou d’organisation étant donné les faibles
sifiée. investissements observés en matière de prévention. Il
semble même que l’on se satisfasse d’une situation où
entreprises, salariés et collectivités payent les dégâts
occasionnés par ces dysfonctionnements organisation-
1. Problématique nels, comme si chacun avait l’impression de réussir à
faire payer aux autres le prix de ses errements.
Le développement des pathologies du travail est une
évidence que personne ne songe plus à contester. Si le Lors de son analyse des données relatives à la sécurité
nombre d’accidents du travail augmente faiblement (les aux accidents du travail entre 1979 et 1991, J. Allouche
données de l’année 2003 mettent en évidence une dimi- (1994) identifiait trois causes à l’amélioration des résul-
nution des accidents avec arrêt (- 5,1 %), mais une aug- tats sécurité dans un panel de bilans sociaux :
mentation de ceux qui conduisent à une incapacité tem- - un volontarisme social des différents acteurs de la pré-
poraire (+ 3,8 %), du taux de gravité (+ 15,4 %) et du vention (patronat, syndicats et pouvoirs publics) ;
taux de fréquence (+ 5,9 %)) ; il n’en est pas de même - une modernisation de l’appareil de production ;
pour les maladies professionnelles qui, elles, progres- - et l’exacerbation de la compétition inter entreprise qui
sent à un rythme soutenu (+ 23,3 % de journées perdues devait pousser à la réduction des coûts.
par incapacité temporaire5). De plus, de nombreux pro-
blèmes de santé au travail connaissent un développe- Aujourd’hui, ces différentes causes semblent encore
ment important, notamment dans les PME, sans pour présentes de la même manière, cependant inversement,
autant que les statistiques nationales ne les prennent en les pathologies du travail ne cessent de se développer.
compte. Chaque jour qui passe se fait l’écho d’un déve- Allouche observait également dans son analyse d’inté-
loppement du stress professionnel, mais aussi d’une ressants parallèles fournissant autant de pistes de pré-
montée des violences au travail (physiques, mais aussi vention :
morales ; internes mais aussi externes). Ces différentes - une augmentation des dépenses de sécurité et d’amé-
pathologies trouvent leur origine aussi bien dans la lioration des conditions de travail de 58 % faisait face
dégradation régulière des conditions de travail que dans à une baisse de 62 % du nombre des accidents du tra-
la montée des contraintes pesant sur les salariés. vail ;
Comme nous l’avons évoqué brièvement, la gestion de 4 Davezies P, (2005), La santé au travail, une construction collective,
la SST dans les PME repose sur la conviction du diri- in Santé & Travail, n°52, juillet 2005, pp 24-27.
geant et sa vision du monde de l’homme au travail. Le 5 Cette explosion du nombre de maladies professionnelles est due
dispositif de couverture des risques professionnels ne d’une part à une plus grande reconnaissance de ses pathologies, mais
permet pas d’établir de lien direct, annuel, entre la per- également à une plus ample reconnaissance de ces souffrances dans
les organisations.
formance en matière de gestion de la SST, de qualité de 6 Koningsveld AP, (2005), le coût des mauvaises conditions de tra-
prévention et le coût ou le gain en matière de cotisation vail : une charge pour la société, des perspectives pour les entrepri-
pour l’employeur. Selon nous, si les gestionnaires ses, colloque DARES-ANACT, 2 décembre 2005, Paris.
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La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
- une augmentation de 10 % de la part des salariés maladie au titre des accidents et des maladies profes-
participant à un programme de formation faisait face à sionnelles des salariés de l’entreprise au cours de l’année
une réduction de 7 % du taux de fréquence des acci- (source CRAM). À partir de ce compte employeur, est
dents du travail. établi le taux d’accident du travail qui est construit en
Ces parallèles ne manquent pas d’alimenter l’hypothèse faisant le rapport entre les dépenses affectées au compte
d’un lien fort entre investissements et résultats sécurité. employeur entre les années N-4 et N-2 et la masse sala-
riale de cette période. Ce taux est appliqué intégrale-
La simple mise en conformité avec la loi, c’est-à-dire la ment aux entreprises de plus de 200 personnes. Les plus
rédaction d’un document unique, reflète selon nous le petites (moins de 10 salariés), se voient imputer le taux
niveau minimum de gestion de la SST. Certes il est pré- de leur activité, alors que les structures de 10 à 199
férable à une absence de prise en compte de la SST, salariés vont bénéficier d’un taux mixte comprenant en
mais il ne doit pas agir comme une parade. Nous pen- proportion le taux de l’activité et celui résultant des
sons que la mise en place d’un véritable management de calculs du compte employeur.
la SST doit être l’idéal type vers lequel chaque entre- Même si l’on comprend le souci de la sécurité sociale
prise doit tendre. de ne pas mettre en péril la survie d’une entreprise dans
le cas d’accident mortel d’un salarié, l’absence de lien
direct entre l’effort de prévention et les bénéfices en
matière de cotisation pour les entreprises les plus peti-
2. Le cadre économique tes, n’incite pas les dirigeants à investir dans ce champ.
Taux de
Rappelons que depuis la loi du 30 octobre 1946, le sys- cotisation
tème de couverture des risques professionnels est assuré
par la sécurité sociale (créée en 1945), parallèlement Taux réel a
(supérieur au
aux branches maladie, retraite et allocations familiales. tx de la
branche)
Ainsi la branche risques professionnels a en charge la Taux de la
Taux appliqué
Les coûts financiers s’établissent sur la base d’une éva- 7 À titre d’exemple, pour un taux collectif de 1 %, on ajoutera 0,3,
luation du compte employeur : celui-ci intègre l’ensem- puis 43 % de 1,3 % soit 0,56 %, puis 0,47, soit un total de 2,33 %
ble des sommes déboursées par la caisse d’assurance qui sera appliqué à la masse salariale.
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La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
À la différence du système français, au Québec, le sys- et de leurs conséquences en matière de SST, ne sem-
tème de la mutualisation ne joue pas seulement dans le blent pas adaptées à la situation de ce type d’organisa-
sens d’un taux commun pour l’ensemble d’un secteur tions.
qui pénalise les plus performants et récompense les autres.
Il permet des regroupements d’organisations actives au Le dirigeant est maître d’ouvrage de son diagnostic et
sein de mutuelles de prévention qui composent de nou- de son plan d’action car il est seul légitime pour expri-
velles unités « vertueuses » qui supportent alors des mer les situations de travail. Il pilote, avec l’aide de son
taux de cotisation plus faibles. Trente états américains chef de projet E.R.P. (s’il existe), des groupes de travail
proposent également la possibilité de s’inscrire dans au plus près des situations avec les acteurs concernés et
cette logique en contrepartie de réduction de leurs coûts se fait aider du réseau d’experts extérieurs.
d’assurance. Le système québécois permet de plus des
rattrapages de cotisation si les résultats sont meilleurs La grande difficulté consiste à articuler des compétences
que prévus, raccourcissant nettement ainsi le taux de diversifiées (CRAM, médecine du travail, ingénieurs,
retour sur investissement sécurité. ergonomes, rétrofiteurs, constructeurs de machines…)
afin d’éviter une démarche de culpabilisation des
acteurs, (comme c’est souvent le cas lors d’un accident
quel qu’il soit, de la route ou du travail), conforté par le
3. En PME une absence fait que « l’erreur est humaine ». L’analyse est globale
de fonctionnels pour et le débat non exclusivement centré sur l’homme et ses
coordonner les différents experts fautes.
Ceci afin d’éviter ce que Dejours9 à montré depuis plus
de dix ans :
En l’absence de fonctionnels, (responsable Ressources « L’homme est il le maillon faible du système ? La tech-
humaines, responsable sécurité…), il revient au diri- nique est elle trop forte ? On invoque les tares et les fai-
geant de s’impliquer fortement dans le management de blesses des hommes… Elles relèvent d’une psychologie
la SST pour peser sur les membres de l’encadrement sommaire des individus, en prenant en compte une par-
afin de pouvoir développer un projet cohérent, intégré tie des données comme représentant l’ensemble du pro-
et de longue haleine de management de la SST. blème posé, d’où trois stratégies ingénieuriales simplis-
tes :
Or, comme le montre nos différents travaux dans des - campagnes d’information et de sensibilisation ;
PME8, renforcés par la récente étude de du groupe - répressions, menaces ;
OSEO (issu du rapprochement de l’Anvar et de - aides à la décision, panoplie technique, automatisa-
BDPME), le dirigeant de PME manque de temps. Nous tion, prothèses cognitives ».
retenons la définition européenne de la PME qui repose
sur trois critères : un effectif inférieur à 250 salariés, un Le comportement est selon nous une résultante visible
CA inférieur à 50 M d’euros ou total bilan inférieur à du fonctionnement de la situation dans laquelle le salarié
43 M d’euros et n’étant pas détenue à plus de 25 % par évolue, ce que Cantin10 appelle « la cage des contraintes
une société ou un groupe de sociétés ne répondant pas à individuelles de l’homme au travail ». Elle est consti-
ces critères. Cet investissement sera d’autant plus faible tuée selon lui de six dimensions : les structures, l’organi-
que l’importance de l’enjeu, est faible, à ses yeux. Nous sation (méthodes de travail et aménagement des postes),
ne voulons pas dire que les dirigeants de PME se désin- formation-information (consignes, procédures), cadences,
téressent de cette question, bien au contraire. Nous données relationnelles et enfin salaires et primes.
avons souvent rencontré des dirigeants de ce type d’en-
treprise très sensibilisés au problème des conditions de
travail et du risque de santé au travail, car pour eux
chaque salarié est un homme clé dans le processus de
production de bien ou du service. Un restaurateur qui
perd temporairement son cuisinier parce qu’il s’est
blessé en cuisine, subit une perte indirecte forte. Par
contre comme nous l’avons évoqué, le coût de la non 8 Abord de Chatillon E. et Bachelard O. (Cds), (2005), Management
SST n’est pas formalisé, il n’est qu’intuitif. de la santé et de la sécurité au travail, un champ de recherche à
Une autre difficulté, liée à l’absence de fonctionnel est défricher, L’HARMATTAN, collection Conception et Dynamique
des Organisations, 481 p.
la pauvreté de l’expertise en matière de SST du diri-
geant. Il est en effet compliqué pour un non spécialiste
9 Dejours C, (1991), colloque sur les facteurs humains de la fiabilité
et de la sécurité des systèmes complexes, INRS, Nancy.
d’identifier les champs d’expertise des différents inter- 10 Cantin R., (1992), pour une écologie industrielle : risques majeurs
venants, et les conséquences de leurs interventions. industriels internes, enjeux sociaux et enjeux économiques, Thèse
Ainsi, les méthodes d’analyse des conditions de travail de doctorat en sciences économiques, Université Lumière Lyon II.
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La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
Nous faisons ainsi le constat que la prise en compte des 4. Mise en œuvre
coûts indirects de la SST pour le collectif de travail, d’une démarche de SST
(productivité), pour le salarié, (voir différence d’espé-
rance de vie)11, les intérimaires, voir les sous traitants M. Favaro12 rappelle « c’est presque un lieu commun de
peut être un levier puissant, s’ils sont bien identifiés. En rappeler que, dans la plupart des petites entreprises, la
effet, contrairement au coût direct, les coûts indirects se prévention n’est guère et parfois pas du tout organisée,
paient comptant, sans pour autant être facilement per- planifiée, orientée. Au pire, il s’agit d’absence pure et
çus. (Absentéisme, baisse de productivité,…), dans le simple d’une quelconque forme de reconnaissance de
futur, (non création de potentiel) et même souvent par l’objet “hygiène sécurité” ».
anticipation, (coûts de dysfonctionnement). Or le cadre réglementaire de référence s’appuie sur la
directive européenne du 12 juin 1989, transposé en
Il n’y a pas souvent, hélas de comptabilisation sociale France par la loi du 31 décembre 1991 et déclinée dans
dans l’organisation. Nous considérons que cela est du le code du travail ; « le chef d’entreprise prend les
principalement au fait de l’inadaptation des logiques de mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger
spécialistes au modèle de la petite et moyenne organi- la santé des travailleurs de l’établissement ». Pour cela
sation, car elles sont adaptées à un degré de spécialisa- le dirigeant doit mettre en œuvre huit grandes mesures :
tion pertinent dans la grande organisation. Nonobstant ! Éviter les risques.
le dirigeant doit intégrer ces éléments, à son niveau ! Évaluer les risques qui ne peuvent être évités.
dans sa stratégie. Pour cette taille d’organisation, les ! Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas
l’importance de cette logique intégrative, sa formation ! Adapter ces mesures selon les changements.
de base, le plus souvent technique, ajoutée aux outils ! Améliorer de façon continue les situations existantes.
sentent des caractéristiques quelquefois inadaptées à risques auxquels peuvent être exposés les salariés.
l’organisation petite et moyenne, c’est le cas principale- ! Classer les risques, ce qui revient à estimer leur
ment pour le calcul des coûts. Plus généralement, l’ap- importance afin de préparer un plan d’action.
parente désaffection pour les outils classiques du ! Proposer des actions de prévention, même si le décret
contrôle de gestion semble provenir en grande partie ne prévoit pas que le document unique précise le
d’un décalage entre les préoccupations managériales en choix et les moyens des mesures de prévention.
matière de prise de décision et les hypothèses fonda- ! Identifier les sources de renseignements pour réaliser
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La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
situation de travail. L’inspection du travail doit Ensuite une interface est assurée avec les systèmes qua-
d’ailleurs vérifier que le personnel a été associé à cette lités. Il s’agit d’apporter des connaissances et de parta-
démarche. La mise en place d’une démarche de SST en ger les expériences. Un accompagnement personnalisé
PME, conduite par les lignes hiérarchiques, sous la par un ingénieur ou un technicien de prévention est
direction du dirigeant, passe donc obligatoirement par assuré sur une période de 3 à 6 mois, à raison d’une
une implication de l’ensemble des salariés. Ceci est journée par quinzaine.
facilité, il est vrai, par la faible taille de ce type d’entre- Enfin un traitement des dysfonctionnements et la ges-
prise. Nous constatons trop souvent, en l’absence tion des entreprises extérieures peuvent être réalisés
d’implication des salariés, les même travers que dans avant d’effectuer un bilan. À leur tour, ces chefs d’en-
l’implication d’une démarche qualité : treprises peuvent alors sensibiliser leurs confrères et
! Non compréhension des choix des managers. partager leur expérience.
! Omission de problèmes connus du personnel.
! Non modification des habitudes de travail. Une telle démarche, a par exemple réuni huit entre-
prises au sein du Club des Entrepreneurs de
Il s’agira donc d’associer tous les salariés à la définition l’Ondaine, (Cléo). Nous illustrerons notre propos en
des objectifs et des moyens, d’impliquer le personnel présentant l’expérience de ce club avec qui nous tra-
sur la mise en œuvre du dispositif qui intégrera les vaillons depuis plus d’un an.
taches du quotidien (y compris celles qui ne sont pré-
vues dans les process), de favoriser les remontés d’in- D’un point de vue méthodologique, dans le cas de
formation sur les dysfonctionnements, études de Cléo, nous avons procédé par entretiens semi direc-
risques, plan de progrès… tifs avec l’ensemble des acteurs concerné (chefs
En conséquence, le choix des indicateurs de contrôle, d’entreprises, animateurs du club, ingénieurs
réglementaire, de réduction des risques, de baisse des CRAM…). De plus nous avons analysé les différents
coûts indirects ainsi que ceux qui correspondent à des documents relatifs à l’expérience relatée.
enjeux internes, ne pourra se faire que dans le cadre
d’une coordination, concertation communication efficace Crée en 1992, à l’initiative de plusieurs chefs d’entre-
(concept développé par H. Savall)13. prises, ce club d’une centaine d’adhérents pluri activité
à dominante industrielle, affiche pour objectif de favo-
riser les rencontres entre chefs d’entreprises du même
territoire, d’échanger sur les expériences et les bonnes
5. Le rôle des clubs d’entreprises pratiques, de mutualiser les coûts. Depuis seize ans, le
et des actions collectives club développe et met en œuvre des actions collectives
qui permettent les rencontres, la connaissance mutuelle
Face à la solitude du dirigeant à l’absence d’expertise et et les économies d’échelle. Le club s’appui sur un
de temps disponible, un certain nombre de clubs d’en- président et sur un conseil d’administration composé de
treprises ont décidé de structurer des démarches collec- 12 membres, (chefs d’entreprises ou cadres dirigeants)
tives de mise en place de politique de management de la et sur deux salariés.
SST. Le club est structuré autour de huit commissions thé-
Comme le montre P. Davezies14, l’action collective pro- matiques. Chacune d’elle est dirigée par un chef d’en-
tége l’individu. « Elle procure le sentiment d’une orien- treprise bénévole qui fixe les objectifs et supervise la
tation commune et constitue le ciment de la solidarité. mise en œuvre des actions. Ces dernières se concréti-
Le collectif est donc lié à l’existence de règles parta- sent grâce à la participation financière des collectivités
gées, qui orientent les arbitrages face aux dilemmes de publiques.
l’activité, qui protégent contre l’échec et permettent de
ne pas porter seul le poids du travail. Le sentiment de La commission communication a en charge la commu-
communauté ainsi créé constitue une défense très effi- nication vers l’extérieur du réseau afin de faire connaî-
cace vis-à-vis des attaques extérieures ». tre les entreprises et leurs compétences, le club et ses
Ces dispositifs collectifs reposent la plupart du temps actions ;
sur le partage et l’échange. En général, un pré diagnostic La commission salons et export a pour vocation le
individuel (destiné à valider les prés requis et les moti- développement commercial des entreprises au niveau
vations du dirigeant) est réalisé en une demi journée. national et international, (participation collective à des
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La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
salons professionnels comme Alliance, Midest, offre (50 % des honoraires du consultant), par la Direction
globale, projets d’exportations …). Régionale du Travail de l’Emploi, de la Formation
La commission visites et conférences cherche à appor- Professionnel, (DRTEFP), car il s’agit d’un projet inno-
ter une information variée et complémentaire aux thè- vant en matière de sécurité, qui va au-delà des contraintes
mes diversifiés, et une ouverture sur l’extérieur. réglementaires. Des rencontres successives ont été
La commission environnement sensibilise et accompa- organisées par CLEO entre les représentants de la
gne les entreprises pour la prise en compte de l’envi- DRTEFP, la CRAM et les chefs d’entreprises pour fina-
ronnement pour le respect de la réglementation et la liser le programme en tenant compte des contraintes
préservation de l’environnement, (visites, formations principalement du financeur, (nécessité d’avoir un pro-
collectives, traitement des déchets …). jet innovant avec diffusion du résultat) et des chefs
La commission qualité a accompagné plus de 40 entre- d’entreprises (projet compatible avec l’activité des
prises à la certification ISO 9000 et fait vivre les dispo- entreprises, la charge de travail, et l’organisation de
sitifs qualités mis en place, (audits croisés, échanges phases individuelles et collectives). Finalement un pro-
d’expériences, homme qualité en temps partagé …). gramme d’accompagnement de huit entreprises est mis
La commission plate forme de services inter-entrepri- en place pour structurer une démarche de prévention,
ses gère les besoins communs de service externalisables d’évaluation des risques et de rédaction d’un plan d’ac-
(entretien des locaux, maintenance informatique…). tion.
Des négociations collectives permettent d’obtenir des Le projet s’est structuré en huit phases qui se sont
économies d’échelle auprès des prestataires. déroulées de mars à décembre 2004.
La commission Ressources Humaines a pour objet
l’ensemble des questions portant sur le recrutement, la ! La phase 0 a consisté en un pré diagnostic sécurité
formation, le vieillissement des salariés. L’insertion et d’une demi-journée dans chaque entreprise partici-
la gestion des compétences sont au centre des préoccu- pante à l’opération.
pations de cette commission. ! La phase 1 a pris la forme d’une journée de sensibili-
La commission sécurité vise l’amélioration de la sécu- sation des chefs d’entreprises et des relais sécurité des
rité des personnels dans l’entreprise. Des actions autour huit sociétés concernées.
du document unique d’évaluation des risques ont été ! La phase 2, d’une durée d’une journée était un appro-
mises en œuvre, (relation avec la CRAM, l’inspection fondissement du diagnostic, au sein de chaque entre-
du travail, formation collective…). prise.
! La phase 3, était une journée collective d’échange, de
posséder en interne un document unique d’évaluation personnalisé de 3 jours dans chacune des 8 entrepri-
des risques. ses partenaires de l’opération.
Face à la montée des interrogations et des appréhen- ! La phase 5, était une journée collective de partage
sions des adhérents, le club organise une réunion d’in- d’expérience du traitement des dysfonctionnements,
formation le 26 mars 2003. Les 49 chefs d’entreprises des incidents et des « presque-accidents ».
présents ont pu poser toutes leurs questions au repré- ! La phase 6, consistait en un bilan de la démarche avec
21
La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
compagnement. Le deuxième facteur clé réside dans après ? » organisé par ARAVIS, la CRAM et la
l’homogénéité des entreprises en matières d’effectif, DRTEFP, qui a réuni plus de 300 participants.
(de 8 à 37 salariés) d’une part, et leur proximité géo-
graphique d’autre part. Le troisième facteur de succès Il reste maintenant à mesurer l’impact sur les coûts
passe par l’expertise et l’appartenance institutionnelle directs, (taux de fréquences, de gravité…), et les coûts
des membres du comité de pilotage, (un ingénieur de indirects des accidents du travail et des maladies pro-
prévention CRAM, l’inspecteur du travail de la zone, fessionnelles dans ces entreprises, sur l’exercice passé
la DRTEFP) qui a permis de structurer la confiance (action en cours) et futur pour pouvoir quantifier les
des chefs d’entreprises. Le quatrième facteur réside conséquences de la démarche.
dans l’équilibre très favorable entre l’investissement
en temps limité (8 jours), bien étalé sur la durée du
projet (1 an) et le gain pour l’entreprise (la transfor-
mation d’une contrainte réglementaire en opportunité Conclusion
de développement d’un projet de management de la
SST). Le cinquième facteur clé de succès est l’articu-
lation entre la politique qualité de chacune des entre- Au delà du document unique, de la mise en place d’une
prises et la mise en place de la démarche sécurité. politique de prévention, le développement d’une vérita-
Enfin la subvention du dispositif par la DRTEFP et la ble gestion de la SST au travail dans les PME est un
région Rhône-Alpes pour la prise en charge de l’ac- véritable atout pour la pérennité de l’entreprise. Sa réus-
compagnement est un atout non négligeable. site économique passe par une performance socio éco-
nomique impliquant une prise en compte centrale de la
! La principale difficulté, consiste à maintenir la SST dans l’équilibre contribution rétribution. Toutefois,
dynamique du projet sur une année, car les dirigeants pour développer des politiques de prévention dans les
de PME, en l’absence de fonctionnels, ont tendance à PME au sein desquelles les questions de sécurité, d’hy-
se laisser envahir par le poids du quotidien. Il est giène, de santé au travail ne sont que rarement prioritai-
important d’intégrer cet aspect des choses, notam- res, nous pensons que les démarches collectives se révè-
ment pour éviter les reports de date, principalement lent pertinentes et efficientes. Au delà des démarches
en matière de suivi individuel. institutionnelles (CRAM) ou paritaires (AGEFOS
PME, ANACT) de sensibilisation et d’information, et
! Les principaux résultats directs ont consisté en la des initiatives individuelles de chefs d’entreprises, les
mise en place dans chaque entreprise d’outils permet- dispositifs collectifs, comme celui que nous avons mon-
tant de gérer la sécurité en lien avec le médecin du tré, permettent d’intégrer les spécificités des PME15 en
travail, dans une logique d’évolution des pratiques matière de management de la SST et plus largement de
avec les salariés. Par ailleurs, la dynamique de grou- GRH. Favaro16 nous montre bien les points communs
pe a permis de nombreux échanges d’expériences, de aux PME en matière de représentation du risque ». En
documents, de bonnes pratiques. Enfin, suite au cons- revanche, du point de vue de la représentation des
tat de la non réalisation de formations obligatoires, risques, de la sécurité, les petites entreprises présentent
(permis caristes, nacelles, habilitation électrique…), de nombreux traits communs et ceci assez indépendam-
ces entreprises se sont mises en conformité et ont ment des niveaux de pratiques observables. Cet état de
effectivement investi dans les formations sécurité, dissociation assez marquée entre registres de l’action et
dans une logique d’investissement et non de contrainte. de la pensée portent notamment sur les points suivants :
! Faible consistance des relations représentations-
! Le principal résultat indirect, est une valorisation actions entre types de risques et moyens de préven-
du personnel, qui au travers de ce projet se sentait tion associés, entre types d’accidents et leurs causes
écouté par la direction et la ligne d’encadrement. attribuées, entre nuisances indiquées et surveillées.
! Tendance à minimiser la dangerosité des équipements
! La diffusion des résultats, comme il était prévu dans en invoquant les normes et réglementations.
le cahier des charges, a pris différentes formes. Une ! Inversement inférences d’une dangerosité à partir de
plaquette a été réalisée et diffusée aux adhérents du l’expérience d’accidents d’une certaine gravité.
club. Une conférence intitulée « le document unique,
allez plus loin ! l’opportunité d’intégrer la sécurité au
quotidien » a été organisée en mars 2005 pour les 15 Bachelard O., Cantin R., (2003), GRH et analyse des risques pro-
chefs d’entreprises du bassin d’emploi. L’expérience fessionnels : apports méthodologiques et expériences industrielles,
a été intégrée sur le site internet crée par la CRAM, le Colloque Société d’ergonomie de langue française, Paris, 24-26
septembre 2003, pp 647-656.
DRTEFP et ARAVIS, www.risques-pme.fr. Enfin, le 16 Favaro M., (1999), La prise en charge de la sécurité dans les PME,
club a témoigné au forum régional du 22 novembre cahiers de notes documentaires : hygiène et sécurité du travail-
2005 « l’évaluation des risques professionnels… et n° 174, 1er trimestre 1999.
22
La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
De plus, ce type de démarche permet d’intégrer le fait AUBERT N. (2003) : Le culte de l’urgence : la société
que le dirigeant de PME dispose de peu de ressources malade du temps, Flammarion, 384 p.
(temporelles, budgétaire et d’expertise) comme le mon-
tre bien B. Ducheneault17. La démarche se doit d’être BACHELARD O., CANTIN R., (2003), Evaluation
pragmatique de manière à pouvoir rechercher des points des risques professionnels, importance des démarches
d’accroche avec les autres préoccupations de l’entrepri- managériales et écologiques, in Performance, N°12,
se (par exemple le développement de la qualité). Une septembre-octobre 2003.
démarche conduite par des auditeurs sociaux de
cette façon là, nous parait être le meilleur moyen de BACHELARD O., CANTIN R., (2003), GRH et ana-
capitaliser sur le décalage (culturel, de rôle, de moti- lyse des risques professionnels : apports méthodolo-
vation), entre le dirigeant de PME et l’expertise des giques et expériences industrielles, Colloque Société
spécialiste de la gestion de la SST (institutionnels, d’ergonomie de langue française, Paris, 24-26 septem-
techniciens de prévention, et chercheurs en GRH). bre 2003.
23
La santé Sécurité au travail en PME : une diversité des environnements et des pratiques
Emmanuel ABORD DE CHATILLON - Olivier BACHELARD
dans les PME, cahiers de notes documentaires : hygiè- KONINGSVELD AP. (2005), le coût des mauvaises
ne et sécurité du travail - N° 174, 1er trimestre 1999. conditions de travail : une charge pour la société, des
perspectives pour les entreprises, colloque DARES-
GEOFFARD PY. (2005), Théorie économique et pré- ANACT, 2 décembre 2005, Paris.
vention des risques professionnels, actes du colloque
DARES-ANACT du 2 décembre 2005, Paris. LAWRENCE P. AND LORSCH J. (1967), « Diffe-
rentiation and Integration in Complex Organizations »
GOLLAC M. ET VOLKOFF S. (2003) : « L’analyse Administrative Science Quarterly 12, 1-30.
des conditions de travail », in Allouche J. (dir)
Encyclopédie des Ressources Humaines, Vuibert. TAIT R., WALKER D. (2000), Marketing health and
safety management expertise to small enterprises,
GROSJEAN V., SIMONIN A. ET TRONTIN C. Safety science, 36, 2, pp. 95-110.
(2005) : « Convergences entre santé au travail et préoc-
cupations managériales de l’entreprise : entre idées
fausses et pistes prometteuses ? ». Actes des premières
journées de recherche francophone AGRH sur le mana-
gement de la santé et de la sécurité au travail, Institut
de Recherche En Gestion et en Economie, Université de
Savoie, 7 et 8 avril, pp. 141-145.
24
De la conformité sociale à la « GRH optimale » : des perspectives d’évolution de la gestion des ressources humaines
dans la PME de l’habillement au Maroc
Mohamed BAAYOUD
De la conformité L
’industrie de l’habillement occupe une place
importante dans l’économie marocaine. Un
millier d’entreprises y emploient environ
sociale à la
160 000 salariés, soit 32 % de l’emploi industriel. C’est
une activité fortement orientée vers le marché extérieur.
Environ 80 % de la production est destinée à l’exporta-
tion.
des perspectives
domination de plus en plus fortes des pays asiatiques.
C’est une industrie qui est donc appelée à se restructurer
et à opérer les adaptations nécessaires en fonction de
ces nouvelles contingences.
de la gestion
sociétés de vente par catalogue. Les volumes étaient
importants, rythmés par deux saisons dans l’année, peu
exigeants en savoirs techniques, en innovation et en
créativité. Les professionnels du textile pouvaient
des ressources
compter sur une bonne visibilité et un planning de com-
mandes assurées sur l’année. Avec une forte concentra-
tion sur les marchés français et allemand2 ».
dans la PME
chaînes spécialisés et les marques. Actuellement, 70 %
des clients du Maroc sont des chaînes et des marques.3
de l’habillement
(contre 70 %, il y’a une vingtaine d’années). Les espa-
gnols et les anglais sont devenus des clients importants
avec respectivement, 25 et 19 %.4
au Maroc (1)
Mohamed Baayoud 1 Les réflexions développées dans cette communication sont le fruit d
Consultant ressources humaines et organisation une enquête réalisée par nos soins auprès d’une vingtaine d’entre-
prises, dans le cadre du Programme de Formation Professionnelle en
Conseiller pédagogique DESS GRH Milieu du Travail (Casablanca, juillet 2005). L’enquête avait pour
Ecole Hassania des Travaux Publics (Maroc) finalité de clarifier les pratiques de GRH dans l’industrie du textile
Secrétaire Général de l’ IAS Maroc et de l’habillement. Par ailleurs, ces réflexions s’inscrivent dans la
continuité d’un travail plus global sur les pratiques de GRH au
[email protected] Maroc. Nous renvoyons le lecteur au chapitre que nous avons rédi-
gé, dans l’ouvrage collectif, « Perspectives sur la GRH au
Maghreb », AGRH, Vuibert, 2005).
2 Entretien de Salaheddine Mezouar, Ministre du commerce et de l’in-
dustrie, La Vie Economique du 14 janvier 2005.
3 Chiffres cités par Salaheddine Mezouar, Ministre du commerce et de
l’industrie, dans le même entretien.
4 Rapport économique 2004, présenté à l’occasion de l’assemblée
générale de l’AMITH, juillet 2005
25
De la conformité sociale à la « GRH optimale » : des perspectives d’évolution de la gestion des ressources humaines
dans la PME de l’habillement au Maroc
Mohamed BAAYOUD
La jeunesse de la population du textile est l’une des par- 5 François MICHAULT et Jean NIZET, « Les pratiques de gestion des
ticularités du secteur. La jeune fille célibataire est un ressources humaines », Editions Seuil, 2000 ; H MAHE DE BOIS-
profil particulièrement recherché pour des raisons de LANDELLE, « Gestion des ressources humaines dans les PME,
Editions Economica, 1998 ; Mohamed BAYAD et Jean-Marc CHA-
flexibilité.
NAL, « Application d’un modèle de GRH à l’étude d’une PME en
forte croissance :le cas de l’entreprise METALEX », 4e Congrès
La féminité de la main d’œuvre est une autre singularité international francophone de la PME.
26
De la conformité sociale à la « GRH optimale » : des perspectives d’évolution de la gestion des ressources humaines
dans la PME de l’habillement au Maroc
Mohamed BAAYOUD
La baisse du pouvoir d’achat du SMIG ne peut donc que ment, l’aide médicale, l’aide alimentaire. Malgré son
renforcer cette instabilité du personnel et aggraver ses côté quelque peu archaïque et paternaliste, cette
effets que sont la faiblesse du rendement et les difficultés forme de rétribution continue à être apprécié par les
de l’entreprise à répondre dans les délais que lui exigent couches populaires.
ses clients. Elle pourrait même contribuer à la dégrada-
tion de la compétitivité de l’entreprise marocaine. La structure RH de la PME de l’habillement est coiffée
par un chef du personnel rarement un DRH. La mission
Il ne s’agit pas de nier l’importance des coûts salariaux de celui-ci découle des préoccupations de l’entreprise
pour la compétitivité des entreprises de l’habillement, en matière de ressources humaines qui sont essentielle-
mais d’affirmer qu’en dessous d’un certain seuil, le ment de deux ordres : la discipline et l’administration
marché de l’emploi ne répond plus. Recruter chez les du personnel.
couches les plus défavorisées permet de maintenir ce
seuil à un niveau bas, mais ne résout pas pour autant le Le chef de personnel est généralement un homme d’au-
problème. torité, chargé de faire respecter l’ordre, veille sur le
respect des consignes. Son champ de contrôle est
La problématique du SMIG ne peut-être traitée sans se l’ensemble de l’entreprise (alors que celui du chef de
référer au niveau de vie de la population ouvrière au chaîne se limite au poste de travail) et connaît indivi-
Maroc. Il y a un coté incompressible en matière de duellement tous les salariés. Du fait de la sensibilité de
rémunération qui fait qu’en deçà d’un certain niveau de la fonction dont il a la charge, il est l’homme de
salaire, les travailleurs préfèrent recourir à d’autres acti- confiance du chef d’entreprise. Contrairement à certaines
vités que le salariat (le petit commerce, l’emploi infor- idées reçues, c’est une fonction stratégique.
mel…).
Le champ d’action de la gestion du personnel se limite,
En ce qui concerne les autres formes de rémunérations, en plus de la composante disciplinaire et de contrôle, au
c’est-à-dire tout ce qui est octroyé en plus du salaire recrutement (une responsabilité importante dans un
direct, nous distinguerons deux types d’entreprises : contexte de turnover important), à la tenue des dossiers
administratifs, à la paie et aux activités à caractère
! Les entreprises qui se limitent au strict minimum social.
légal, c’est-à-dire les différentes prestations que
permettent l’affiliation des salariés à la CNSS La GRH au sein de la PME (et aussi dans des entreprises
(allocations familiales, indemnités journalières de de taille importante dont le management est de type
maladie, de maternité, paiement des congés de familiale) est souvent qualifiée de traditionnelle, voire
naissance, pension d’invalidité, de vieillesse et de d’archaïque. Ce jugement de valeur ne doit pas cacher
survivants, allocations de décès). Depuis 2003, la le fond du problème qui est celui de la perception que
couverture des accidents du travail est devenue les dirigeants ont du rôle et de la place de la ressource
obligatoire et depuis Janvier 2005, les pouvoirs humaine. Dans une vision qui considère celle-ci comme
publics ont instauré une assurance maladie obligatoire. une main d’œuvre substituable, regardée surtout en
Les pratiques de non affiliation des salariés à la CNSS fonction des coûts directs qu’elle génère, il n’est pas
qui était un phénomène assez courant sont en train étonnant que la discipline et l’administration du personnel
reculer et peut, à terme disparaître en raison du contrô- constituent l’essentiel des activités de la GRH. Il n’y a
le très stricte des donneurs d’ordre (cette affirmation pas une nécessité absolue pour faire plus.
n’est bien évidemment valable que pour les entreprises
opérant avec des partenaires internationaux). Des analyses mettent l’accent, à juste titre, sur le fait
que la conception de la GRH au sein de la PME est
! Une seconde catégorie d’entreprises de culture pater- déterminée par la vision du dirigent, qui exerce un
naliste et qui pratiquent un « social de proximité », contrôle directe sur les actes stratégiques en matière de
mais très sélectif. Le choix des bénéficiaires des gestion du personnel.6 C’est vrai aussi pour le Maroc.
avantages sociaux n’est pas forcément conditionné Nous formulons deux remarques complémentaires :
par des impératifs de rendement, mais par des principes d’une part, la prépondérance du rôle du chef d’entreprise
de loyauté et de fidélité. « C’est du cas par cas ». n’est pas un phénomène exclusif à la PME, mais
C’est un social de proximité, c’est-à-dire destiné concerne la plus part des entreprises patrimoniales (qui
directement à des personnes sans autre forme d’inter-
médiation. Ce n’est pas de l’acquis, mais de
l’octroyé. Une forme de générosité de l’entreprise à
6 Mohammed BAAYOUD, « La redéfinition des modes d’articulation
l’égard de son personnel. Les formes que prend cette entre l’économique et le social dans le contexte d’ouverture du
aide sociale sont de plusieurs natures. Les plus répan- Maroc à l’économie internationale », actes de la 7e Université de
dues sont : l’aide pour l’accès à la propriété de loge- printemps de l’audit social, Marrakech, 2005.
27
De la conformité sociale à la « GRH optimale » : des perspectives d’évolution de la gestion des ressources humaines
dans la PME de l’habillement au Maroc
Mohamed BAAYOUD
sont parfois de grands groupes)7. Par conséquent, champ des échanges avec les grands donneurs d’ordre,
l’explication ne réside pas uniquement dans la taille et les entreprises pratiquant le contournement de la légali-
donc la fragilité économique qui en découle. Elle est té ou recourant à des « modes informels » d’acquisition
aussi à rechercher en prenant en considération d’autres et d’utilisation de la main d’œuvre. Ensuite, en obli-
contingences de nature historiques et sociologiques. geant les entreprises à intégrer de nouvelles préoccupa-
D’autres part, il nous semble qu’il y a une fracture qui tions jusque là négligées, élargissant ainsi les champs
est entrain de se produire entre des entreprises en situa- d’action de la GRH. C’est le cas par exemple de l’hy-
tion d’ouverture, qui du fait de leur positionnement sur giène et de la sécurité des salariés, de la représentation
le marché mondial se trouve dans de renouveler leur du personnel, de la formation… Enfin, en les incitant à
pratique de GRH et des entreprises en situation de repli mettre de l’ordre et à moderniser leurs méthodes de ges-
et qui continu à fonctionner selon le modèle classique tion (formalisation des supports de gestion, informatisa-
(place prépondérante de l’administration du personnel, tion, responsabilisation...).
pratique de l’informel sur une large échelle, pouvoir
décisionnel en tant que domaine réservé du chef de Il va de soi que la conformité sociale a un coût et se tra-
l’entreprise…)8. duira inévitablement par une tendance à l’enchérisse-
ment du prix direct de la main d’œuvre. Ce qui n’est pas
La conformité sociale est une préoccupation majeure du sans mettre en difficulté la PME de l’habillement qui
secteur. En 2003, L’AMITH a engagé une opération doit en même temps faire face à une forte pression à la
pilote d’accompagnement d’entreprises dans « le pro- baisse des prix. Une pression qui s’est considérable-
cessus de mise à niveau sociale ». L’objectif d’une telle ment renforcée consécutivement à la libéralisation des
action est d’apporter la preuve que « la mise en confor- échanges internationaux qui ont fait perdre au Maroc
mité sociale est un outil de différenciation compé des privilèges d’accès au marché européen.
titive…» et « n’implique pas de coûts supplémentaires,
et n’est donc pas antinomique avec la compétitivité
économique de l’entreprise »9.
2. Les exigences d’évolution de la
La conformité sociale est une notion qui reste floue et à gestion des ressources humaines :
géométrie variable. Elle renvoie au respect d’un « mini- de la conformité socialeà la « GRH
mum social » qui est différemment appréciée selon les
donneurs d’ordre. Il semble que le niveau d’exigence optimale »
est plus élevé pour les chaînes spécialisées et les
marques par rapport aux grandes surfaces de distribu- Dans ce nouveau contexte concurrentiel, les entreprises
tion et les centrales d’achats. Cela tiendrait probable- de l’habillement sont encouragées par différents acteurs
ment à l’impact négatif que pourrait avoir sur la marque nationaux (pouvoirs publics, AMITH…) et internatio-
ou l’enseigne spécialisée, le non respect de la légalité naux (Commission Européenne, OMC…) à modifier
ou des conventions internationales du travail par les leur stratégie d’affaires et à se positionner sur des
sous traitants. Celles-ci sont plus exposées et, par opportunités où elles pourraient développer des
conséquent, plus attentifs à ce qui pourrait entacher leur avantages concurrentiels vis-à-vis des sous-traitants
image de marque. asiatiques. Les principales tendances en matières de
stratégie industrielle qui se dessinent sont10 :
Des donneurs d’ordre disposent d’une charte éthique
qu’ils vont imposer à leurs fournisseurs. Certains vont ! Le passage de la sous-traitance à la co-traitance et au
jusqu’à déployer des actions d’accompagnement de produit fini :dépasser la vente de la minute de confec-
mise en conformité alors que d’autres se contentent
d’exiger des preuves quant au respect de la législation
du travail locale. Et même sur ce dernier point, les exi- 7 Dans un ouvrage collectif à paraître, sous la direction de Jacques
gences sont flexibles selon les domaines de la législa- Igalens et Mustapha Bensalem, sur la gestion des ressources humai-
nes au Maroc, nous analysons la reconfiguration des pratiques de
tion du travail. Elles sont plus fortes lorsqu’il s’agit de GRH qui est entrain de s’opérer sous l’effet de la mondialisation et
critères jugés trop sensibles (SMIG, affiliation des sala- de l’ouverture de l’économie marocaine au marché mondial.
riés au régime de sécurité sociale, respect des principes 8 AMITH ; document de synthèse du séminaire « Fibre citoyenne
édictés par des conventions internationales…) et plus pour un tissu social sain ; Casablanca, 3 juin 2004.
« compréhensibles » en matière de représentation des 9 Séminaire sur l’avenir du secteur textile-habillement ; Tunis, 5 juin
salariés. 2004.
10 Mohammed BAAYOUD ; Etude pour la mise en place des concepts
de « GRH optimale » et de « Centres de Formation Intégrés » dans
Il est incontestable que ces contraintes de conformité
les PME du secteur du textile et de l’habillement. Etude réalisée
sociale vont restructurer la GRH dans l’industrie de dans le cadre du Programme de Formation Professionnelle en
l’habillement. Tout d’abord, en excluant à terme, du Milieu du Travail. Casablanca, juillet 2005.
28
De la conformité sociale à la « GRH optimale » : des perspectives d’évolution de la gestion des ressources humaines
dans la PME de l’habillement au Maroc
Mohamed BAAYOUD
tion par l’élargissement du champ d’intervention du mer à des normes de qualité déterminée et à faire preuve
fabricant. Le donneur d’ordre se contentant de fournir d’adaptabilité et de réactivité.
le modèle déléguant ainsi les fonctions d’approvi-
sionnement et de logistique au fournisseur. Il est La particularité de ces paramètres, c’est qu’ils sont par-
même recommandé aux industriels marocains d’être ticulièrement dépendant de la qualité de l’intervention
plus entreprenants en matière de création de modèles de la ressource humaine. Et de ce fait, exige une autre
et de s’associer avec des partenaires méditerranéens approche de la GRH.
dans des activités de promotion de collections.
Le concept de « GRH Optimale » se veut une réponse
! La montée en gamme des produits :s’adosser à des contingente au nouveau contexte de l’industrie de
marques et développer des partenariats durables avec l’habillement. L’amélioration de l’efficacité de
de grandes enseignes en substitution à l’offre basique l’apport du facteur humain passe nécessairement
où les asiatiques sont plus compétitifs en raison leur par une élévation du niveau des qualifications, le
productions de masse et leur coûts moins élevés, développement de la flexibilité interne et l’implica-
tion des salariés.
! Le développement d’une offre flexible: être en mesure
de fabriquer dans des délais courts pour satisfaire une Pour atteindre ces objectifs, la démarche de « GRH
demande de petites séries et aux changements de plus optimale » propose de s’appuyer sur sept leviers de base
en plus fréquents de collections, ce que permet à savoir :
l’avantage de proximité de l’Europe.
L’engagement de la direction : la concrétisation des
Si ces grandes tendances se confirment, et il semble être principes de la GRH optimale passe par l’adhésion et le
le cas, le rapport à la ressource humaine changerait soutien du chef de l’entreprise. Il lui revient d’impulser
inévitablement. C’est tout un mode de GRH qui a dominé le changement de mode de gestion des ressources
jusqu’à présent qui risquerait de se retrouver anachro- humaines et de garantir les moyens adéquats pour sa
nique par rapport aux exigences de la nouvelle configu- mise en œuvre.
ration du marché international de l’habillement.
La première action est de convaincre les acteurs concer-
En effet, ce mode de GRH reposait sur la possibilité de nés de la nécessité et de l’opportunité de « faire autre-
puiser dans une réserve de main d’œuvre à faible niveau ment », en particulier les chefs d’entreprise (sans
d’exigence et substituable (flexibilité externe). Une oublier l’encadrement). Une mission des plus difficiles
possibilité rendue envisageable en raison de la spéciali- dans la mesure où elle appelle à un changement de para-
sation dans un segment du processus de fabrication du digme, c’est-à-dire à l’abandon d’une culture managé-
vêtement qui est la confection et des modes opératoires riale autour de laquelle se sont structurées les pratiques
« standardisés » et banalisés. de gestion du personnel durant les décennies écoulées.
L’exigence de conformité sociale est apparue pour fixer Le recrutement : disposer d’un référentiel de compé-
des règles de jeux minimales, c’est-à-dire socialement tences pour l’exercice des métiers de l’habillement qui
acceptables et par les donneurs d’ordre et par le corps servira de document de base pour les embauches. C’est
social (les donneurs d’ordre adopte comme référentiel, au niveau du recrutement qu’il faut régler la question de
entre autres, le dispositif légal du pays d’origine de l’acquisition des savoirs de base parce que par la suite,
l’entreprise sous traitante). Elle est donc contingente à les opérateurs n’auront plus la disponibilité suffisante
un mode de production déterminée qui est lui-même le pour s’y consacrer. Dépasser les recrutements à « carac-
résultat d’une forme spécifique de division internatio- tère informel » pour faire de l’apprentissage un passage
nale du travail. obligé et un outil pour la constitution d’une pépinière en
formation à partir de laquelle s’opèrent les recrute-
Dans ce nouveau contexte en construction, les exigen- ments.
ces sur les paramètres classiques de compétitivité que
sont le prix et la productivité resteront déterminantes. La formation : mettre en place l’organisation nécessaire
La libéralisation des échanges à l’échelle internationale, pour mobiliser et tirer profit de l’ensemble des ressources
en particulier, la suppression des accords multifibres a formatives. Ne pas s’enfermer dans une logique de
accentué la pression pour la baisse des prix. Les entre- contradiction entre travail et formation. La formule de
prises sont de plus en plus sollicitées à « mettre de centre intégré de formation est un des outils pertinents
l’ordre » et à rationaliser leurs méthodes de production. pour atteindre cet objectif.
Mais en même temps, d’autres paramètres vont requérir Domicilié dans l’enceinte de l’entreprise, à proximité
une importance sans précédant en raison des caractéris- de l’espace de production, sa mission est à la fois de
tiques de la clientèle. Il s’agit de la capacité à se confor- former des apprentis (formation initiale) et les salariés
29
De la conformité sociale à la « GRH optimale » : des perspectives d’évolution de la gestion des ressources humaines
dans la PME de l’habillement au Maroc
Mohamed BAAYOUD
en activité (formation continue). Avec un peu plus Les relations sociales et la communication : la mise
d’ambition et de volonté, on pourrait l’ériger en plate- en place des instances de représentation du personnel
forme de changement, un lieu d’échange et d’appro- est une exigence légale et une opportunité pour avoir
priation par les salariés des défis de la compétitivité et des interlocuteurs identifiés et légitimes auprès des
aussi un instrument d’amélioration de la qualité de vie salariés et permet de traiter « à froid » les questions
au travail, un outil qui permettrait effectivement à sensibles. C’est une problématique très complexe parce
l’entreprise de devenir une organisation apprenante7. qu’elle suppose un changement de la nature des rap-
ports sociaux. Elle exige la formation des représentants
La rémunération : une politique salariale qui ne du personnel pour en faire des acteurs responsables et
s’intéresse qu’aux coûts salariaux, qui a pour seule contributifs aux performances de l’entreprise.
logique le paiement au SMIG ne construit pas les condi-
tions nécessaires pour une performance durable. Il y a La modernisation des relations sociales dans la PME de
donc un grand intérêt à promouvoir une composante l’habillement, qui n’a pas une tradition en matière de
salariale qui met en rapport la contribution et la rétribu- dialogue social, ne doit pas être traitée uniquement sous
tion, qui incite à la performance et qui explicite les l’angle d’impératif réglementaire. Il faut l’inscrire dans
retombées pécuniaires des résultats de cette performance une perspective de dépassement du risque de conflic-
pour l’ouvrier. La contribution renvoie bien évidem- tualité pour créer les conditions favorables à l’émergence
ment au rendement, mais aussi à d’autres variables d’un contexte de communication, de responsabilisation
devenues importantes : la qualité et la polyvalence. et d’implication des salariés dans les projets de déve-
loppement de leur entreprise.
Une vigilance particulière est à observer en matière de
conformité aux exigences légales de couverture sociale La structure chargée de la GRH : la concrétisation
des salariés. C’est un mécanisme important de stabilisa- des propositions d’une « GRH optimale » nécessite le
tion de la main d’œuvre. renforcement et la valorisation de l’entité en charge de
la gestion du personnel. Trois actions prioritaires sont à
Les conditions de travail : réputées pour être difficile engager : le renforcement des compétences du respon-
dans le secteur du textile et de l’habillement, l’état des sable de la GRH pour lui permettre d’en assurer les nou-
conditions de travail est d’une importance capitale pour velles dimensions, la formalisation des processus de
attester de la capacité de l’entreprise à s’inscrire dans gestion pour pouvoir leur appliquer les principes de
une logique de conformité sociale. Les actions à entre- rigueur et de rationalité et enfin la mise en place d’un
prendre concernent le respect de normes relatives à système de gestion informatisé de traitement des dos-
l’environnement physiques du travail, à l’hygiène et la siers et des informations relatives à la GRH (SIRH).
sécurité et l’instauration d’un climat social serein
notamment par l’amélioration des rapports entre la Ce qui est proposé dans le cadre d’une « GRH optima-
hiérarchie et la base ouvrière de manière à les rendre le », est une évolution souhaitable des pratiques de
moins tendus. gestion des ressources humaines rendue nécessaire du
Cadre de référence pour la définition d’une « GRH optimale » des ressources humaines
Leviers d’action
Paramètres de GRH
compétitivité Objectifs RH
• Engagement de la
• Prix • Élévation du niveau de direction
de la direction
qualification
de qualification
• Productivité • Recrutement
• Flexibilité interne • Formation
• Qualité
(polycompétence)
• Rémunération
• Réactivité/
• Implication et • Conditions de travail
adaptabilité
engagement
et engagement
du personnel
• Conformité du personnel • Relations sociales et
sociale communication
et communication
• Renforcement de la
structure de GRH
30
De la conformité sociale à la « GRH optimale » : des perspectives d’évolution de la gestion des ressources humaines
dans la PME de l’habillement au Maroc
Mohamed BAAYOUD
31
L’entreprise familiale et la responsabilité sociale du dirigeant
Jean-Pierre BOISSIN - Jean-Claude CASTAGNOS
L’entreprise D
ans un contexte de mondialisation des marchés
financiers, la maximisation de la richesse de
l’actionnaire s’affirme comme le critère d’effi-
familiale
cacité de la grande entreprise managériale. Cet utilita-
risme régule la relation d’agence entre l’actionnaire (le
principal ou le mandant) et le dirigeant (l’agent ou le
mandataire).
sociale
des organisations. Deux grands arguments en attestent.
! Différents travaux montrent que l’entreprise n’a pas
du dirigeant
variable sur la gestion de l’entreprise au gré des
systèmes nationaux (Boissin, 2000). Les objectifs de
l’entreprise doivent compter avec ceux de ses parte-
naires (actionnaires, fournisseurs (banques), clients,
mais aussi salariés, etc ; voir le rapport Viénot,
1995). Dès lors, les critères d’efficience réfléchissent
des processus de création et de répartition de valeur
partenariale. Comme le souligne Albouy (1999) dans
Jean-Pierre Boissin ses travaux sur l’actionnaire, les liens entre les
Professeur Chercheur membres et l’environnement de l’organisation sont
CERAG UMR CNRS, essentiels à son bon fonctionnement.
Université Pierre Mendès France, ! Les relations dirigeant-actionnaires sont à resituer
Grenoble dans le cadre des différentes formes d’entreprises
[email protected] (entreprises managériales, entrepreneuriales, familia-
les, etc). Par exemple, Allouche et Amann (1998)
insistent sur le fonctionnement spécifique de l’entre-
Jean-Claude Castagnos prise familiale, expression désignant « … une organi-
sation où deux ou plusieurs membres de la famille
Directeur Recherche étendue influencent la marche (la direction) de l’en-
CERAG UMR CNRS, treprise à travers l’exercice des liens de parenté, des
Université Pierre Mendès France, postes de management ou des droits de propriété sur
Grenoble le capital » (Davis, Tagiuri, 1982).
[email protected]
Bien que relevant fréquemment du sous-ensemble des
PME, l’entreprise familiale non cotée diffère aussi de
l’entreprise entrepreneuriale. La distinction tient à la
présence de plus d’un acteur (familial) influençant, par
le management et/ou par les droits de propriété, la
marche de l’organisation. En revanche, comme dans
l’entreprise entrepreneuriale, chaque acteur (familial)
peut cumuler les fonctions de dirigeant et d’actionnaire.
Cette communication tente de mettre en exergue les
buts et objectifs complexes des dirigeants d’entreprise
familiale. Dans un premier temps, l’étude d’un holding
familial non coté réalisée sur la base d’entretiens avec
ses cinq dirigeants, est présentée. L’évolution straté-
gique de cette entreprise familiale sur les quarante
dernières années aboutit, dans un second temps, à la
présentation des caractéristiques de l’entreprise familiale
et de leurs effets sur le personnel, valorisés dans ce texte
par l’usage de l’italique. L’interpénétration et la simul-
tanéité des rôles invitent enfin à analyser les mécanis-
mes de gouvernement d’entreprise.
33
L’entreprise familiale et la responsabilité sociale du dirigeant
Jean-Pierre BOISSIN - Jean-Claude CASTAGNOS
À partir d’un champ peu prospecté1, cette communica- 2.1 - La stratégie de croissance émergente
tion s’avère de type exploratoire. La seule compréhen- du « Dirigeant »
sion du fonctionnement de l’entreprise familiale
(Charreaux, 1997) limite les prétentions face, par exem- Sur la période 1952-1990, le management est essentiel-
ple, à une optique de validation de modèles organisa- lement assuré par le père, actuel Président du Conseil de
tionnels en matière d’efficience. Partant, il est attribué surveillance. La stratégie de croissance est décrite
un rôle majeur au terrain pour recenser quelques régu- comme une succession de bourgeonnements d’activités
larités afin de construire une représentation spécifique, (voir schéma 1). Ces derniers résultent d’opportunités
ou non, de l’entreprise familiale au regard des modèles liées à des segments de croissance sur le marché,
généraux présents dans la littérature récente. renforcées par des acquisitions, des « coups à réaliser ».
La difficulté de pénétrer dans l’entreprise familiale, et Une perception purement externe conclurait vraisem-
plus généralement d’obtenir des données confidentiel- blablement à une expansion horizontale du groupe dans
les, limite nécessairement le nombre d’objets étudiés. le secteur d’activité (le BTP). Or, cette stratégie de
L’opportunité d’accès à un véritable archétype renforce croissance émergeant d’opportunités se traduit en fait
le choix de centrer cette recherche sur le cas unique par un processus de diversification induit, incrémental
d’une entreprise familiale. du portefeuille d’activités en matière de technologies et
de services, de clients. À partir de l’activité originelle
1.2 - L’entreprise Rampa des travaux publics (canalisation eau), le premier bour-
geonnement est issu d’un processus de croissance interne
Dans le contexte de l’anticipation d’une succession, le vers le bâtiment (ouvrage d’art) et est renforcé par une
holding étudié a été organisé en six PME regroupées en acquisition. Le développement du bâtiment au cours de
trois activités stratégiques (Réseaux Humides, Réseaux cette période pousse à s’orienter vers la réalisation de
Secs et Promotion Immobilière). Le groupe Rampa HLM et à intégrer une activité de préfabriqué. Toujours
Entreprises, appartient au secteur du Bâtiment et sur la base des compétences techniques des travaux
Travaux Publics, réalise un chiffre d’affaires de publics, un quatrième bourgeonnement est né du déve-
39 Millions d’euros, avec 350 salariés et 5 millions loppement des réseaux secs (télécommunications, puis
d’euros de capitaux propres. Le père occupe le poste de électricité), soit une croissance interne renforcée par
Président du Conseil de Surveillance. Trois des fils une acquisition. L’activité « Pompage » sera ensuite
dirigent, chacun, une des trois activités stratégiques et le intégrée pour compléter les prestations en matière de
quatrième a en charge un GIE centralisant différentes travaux publics (réseaux humides). Enfin, le dernier
fonctions transversales dont le contrôle de gestion et la bourgeonnement, la Promotion Immobilière, suit l’arri-
gestion financière (financements et relations avec les vée du quatrième fils dans le groupe : création d’une
banques, par exemple). Le holding est détenu par une activité liée à ses compétences et à celles du groupe en
société dont le capital est partagé entre les quatre fils, à matière relationnelle.
l’issue d’une donation entre vifs. La répartition des
actions est égalitaire pour trois d’entre eux, le quatrième Les nouvelles activités (les bourgeonnements) se sont
détient une action de plus et a le titre de Président du d’abord développées sur le marché local (un ou deux
Directoire du holding. Cette répartition du capital social départements) grâce à une maîtrise commerciale des
permet, si nécessaire, d’éviter les situations de blocages marchés. Leur gestion s’opère sur une base horizontale
possibles dans le cas d’un vote à égalité. avec d’importants flux d’interactivités. En quelque
Ce cas constitue un archétype au regard de la définition sorte, les différentes activités permet à l’entreprise
de l’entreprise familiale mentionnée en introduction. Rampa de proposer une offre globale sur le marché.
Les cinq associés ont une délégation de décision mana-
gériale (fonction de direction d’une activité) alors qu’ils
sont aussi actionnaires (droits de propriété) de l’ensem-
ble du groupe (le holding). Interpénétration et simulta- 1 Faible nombre d’études françaises sur les entreprises familiales,
néité des rôles devraient être saillants dans le manage- spécificités des systèmes nationaux de gouvernement d’entreprise,
ment de l’entreprise. absence de modèles préétablis, etc.
34
L’entreprise familiale et la responsabilité sociale du dirigeant
Jean-Pierre BOISSIN - Jean-Claude CASTAGNOS
5e bourgeonnement
(1986) 2e bourgeonnement
Pompage, (1965)
Acquisition conception HLM
6e bourgeonnement 3e bourgeonnement
Activité
(1986) (1966)
originelle
Promotion Préfabrication,
(1952)
Travaux acquisition
Publics
pris la responsabilité de l’activité originelle (les créée à son arrivée dans le groupe. Elle ne demande
réseaux humides). Avec le titre de Président du pas la gestion d’un processus industriel comme pour
Directoire et une action de plus que ses frères, il a les autres activités. Cette originalité est renforcée par
vocation à permettre d’éviter une situation de bloca- le montant substantiel des capitaux engagés et réclame
ge sous-jacente à un conflit, au fil du désengagement l’accord des quatre autres acteurs.
du père. Ce dernier fait référence à la nécessité d’un ! Enfin, le fils D gère le GIE de gestion. Son rôle
Primus Interpares. Toutefois, cette position de numéro (Secrétaire Général du groupe) est actuellement perçu
2, futur numéro 1, ne donne pas lieu à l’exercice de comme une fonction de contrôle de la gestion des
cette fonction en l’absence de conflits. activités et de la gestion financière du groupe (en par-
! Le fils B se veut relativement indépendant. Il a joué ticulier le financement auprès des banques). Ce
un rôle majeur dans le développement de l’activité de contrôle est exercé d’abord de façon bilatérale avec
diversification dans les réseaux secs. Il supervise chacun des trois frères.
(PDG) également l’activité autonome de la préfabri- Par rapport à la stratégie de croissance et de diversifica-
cation dont la gestion est déléguée à un dirigeant sala- tion par bourgeonnements liés, un recentrage a été
rié externe à la famille. On fait volontiers référence au opéré :
35
L’entreprise familiale et la responsabilité sociale du dirigeant
Jean-Pierre BOISSIN - Jean-Claude CASTAGNOS
! mise en sommeil de l’activité de conception de HLM Les fils sont actionnaires de l’ensemble du holding
(chute du marché à partir des années 1980) ; Rampa et ont en charge la direction d’une activité. Le
! autonomie de l’activité de préfabrication (arrêt de père reste actionnaire (nu propriétaire) et occupe la
l’intégration verticale) et maintien dans le groupe en fonction de Président du holding. L’application restric-
raison de ses performances économiques ; tive de la théorie de l’agence hiérarchique avec le prin-
Ce mouvement a été renforcé par la cession de l’activité cipal et l’agent conduit à une représentation paradoxale.
Bâtiment (échec de la délégation de gestion à un Chacun est le principal (actionnaire, fonction de pro-
dirigeant salarié, extérieur à la famille). Le statut de priétaire) des quatre autres agents (dirigeant, délégation
« notable local » acquise par le père, oblige ce dernier de la fonction de décision). Autrement dit, la relation est
à céder cette activité avant de subir les conséquences réciproque. Cette symétrie se retrouve dans le cas de
du fléchissement de ce secteur d’activité débouchant l’analyse de la valeur partenariale (Charreaux et
inéluctablement sur une réduction des effectifs. En effet, Desbrières, 1998) avec, par exemple, un salarié agent
l’image de marque du père, sur un territoire sous mais aussi principal (valorisation de son capital
influence de cette famille, l’interdit. humain non diversifiable). Cette représentation princi-
En matière de coordination, une fois par mois, les qua- pal-agent donne finalement une vision restrictive.
tre frères avec ou sans le père se réunissent. Dès lors, L’identité diluée de l’agent et du principal contribue à la
la stratégie du groupe procède de décisions délibérées vulnérabilité du modèle théorique.
collectives, familiales, plus raisonnables (Martinet,
1997) que rationnelles au sens premier du calcul opti- 3.2 - Les mécanismes intentionnels
mal. La stratégie du groupe (gestion de portefeuille, de contrôle du dirigeant
allocation des ressources) intègre peu les stratégies
concurrentielles des activités (autonomie, décentralisa- La complexité apparente de la seule relation actionnai-
tion). La gestion des activités s’inscrit aujourd’hui dans res/dirigeants conduit à intégrer l’approche du gouver-
un processus plus vertical qu’horizontal, processus nement d’entreprise proposée par Charreaux (1997) :
managérial renforcé par un marché parcellisant les « le système de gouvernement d’entreprise recouvre
appels d’offre. Les flux intra-groupe représentent seule- l’ensemble des mécanismes organisationnels qui
ment 10 % des transactions. Les synergies interactivités gouvernent la conduite des dirigeants et délimitent leur
sont données comme secondaires. latitude discrétionnaire ».
L’objet de la recherche étant centré sur l’induction des
singularités de l’entreprise familiale, les mécanismes
spécifiques semblent plus discriminants. Qu’en est-il du
3. La confiance, norme de gouvernance groupe Rampa ?
de l’entreprise familiale Les mécanismes spécifiques intentionnels d’ordre juri-
dique (fonctionnement du conseil de surveillance,
En retenant, la double fonction de dirigeants et comité d’entreprise) relèvent plus d’obligations légales
d’actionnaires des cinq acteurs familiaux de Rampa, que de mécanismes organisationnels propres. Dans le
une confrontation théorique est réalisée avec le modèle groupe Rampa, le système de rémunération des diri-
du principal et de l’agent. La réalité des mécanismes du geants ne repose pas sur une discrimination liée aux
gouvernement de l’entreprise familiale souligne la vul- performances économiques et financières. Elles sont
nérabilité de la relation d’agence normative. La relation transparentes et pratiquement identiques pour les quatre
d’agence est ancrée sur la coopération autour des fils.
valeurs familiales. Les mécanismes spécifiques et spontanés s’avèrent
déterminants dans cette entreprise familiale. Ceux-ci
3.1 - La représentation découlent de la culture d’entreprise ou plutôt familiale,
« agent versus principal » des réseaux familiaux informels fondés sur la confiance
et la réputation (exemplarité) auprès des salariés (la
La spécificité de l’entreprise familiale par rapport à logique économique est au second plan face à de néces-
l’entreprise entrepreneuriale tient à l’existence de deux saires licenciements) ou plus largement de la valeur
ou plusieurs acteurs familiaux (management et/ou donnée aux engagements, à la parole donnée (Rampa
actionnaires) qui président à la marche de l’organisation est le nom du groupe mais aussi de la famille).
et réclament des délégations de pouvoir importantes.
Dans le cas de Rampa, sur les cinquante dernières 3.3 - Le concept de coopération
années, différents acteurs familiaux ont ou auraient pu de l’entreprise familiale
occuper soit le statut d’actionnaires, soit celui de salarié
avec ou sans des fonctions de direction. Ils ne sont plus L’organisation de Rampa a davantage pour origine une
aujourd’hui dans le holding Rampa. Seuls des diri- congruence d’intérêt pour la survie d’un patrimoine
geants-actionnaires sont présents. industriel dans le cadre de valeurs familiales, qu’un
36
L’entreprise familiale et la responsabilité sociale du dirigeant
Jean-Pierre BOISSIN - Jean-Claude CASTAGNOS
conflit d’intérêt entre individus, entre actionnaires et cette dimension dans l’entreprise familiale (Allouche et
dirigeants. Les limites de la vision hiérarchique orien- Amann, 1998) et tout particulièrement sur le niveau de
tent la représentation de l’entreprise familiale vers les la logique institutionnelle familiale (personal trust).
valeurs sous-jacentes à la coopération (Aoki, 1984). Dépassant le calcul des intérêts réciproques (l’alterna-
Le concept de coopération rend compte des relations de tive à la présence dans le groupe est limitée, donc
réciprocité entre les cinq acteurs actionnaires-dirigeants l’opportunisme aussi), le schéma mental partagé des
de Rampa. Les coûts de coopération résultent alors cinq acteurs se traduit dans la pérennité du groupe,
d’acteurs en relation symétrique. Ces coûts apparaissent patrimoine financier mais aussi culturel et familial. Les
réduits dans l’entreprise familiale étudiée : faibles formalisations et les codifications du manage-
! perte résiduelle faible dans la mesure où les acteurs ne ment du groupe et de ses activités illustrent valeurs et
disposent pas du capital préalablement à la coopéra- croyances partagées. La confiance constitue un substi-
tion, tut aux contrats explicites. Dès lors, le caractère endo-
! capital peu liquide (sortie à court terme difficile), gène de la confiance comme mécanisme de gouverne-
! rémunération égalitaire. ment d’entreprise (Charreaux, 1998) ne peut qu’être
Les gains de coopération sont élevés puisqu’ils permet- renforcé dans l’entreprise familiale. Confiance et
tent, à terme, une transformation du patrimoine familial valeurs familiales dans le cadre de relations de coopéra-
en un capital individuel (dividendes, cession) et four- tion priment sur les mécanismes managériaux tradition-
nissent un emploi (salaires mais aussi statut social) aux nels.
intéressés. On retrouve alors l’idée du besoin de mutua- Enfin, le groupe s’efforce de créer des richesses, condi-
liser des ressources (le holding, le groupe) pour entre- tion de la pérennité. Dans l’entreprise familiale, la
prendre un projet profitable (chaque activité stratégique performance semble moins passer par l’efficience que
déléguée à un frère, pérennité) pour les parties par l’effectivité (Marchesnay, 1991) c’est-à-dire la
(Charreaux, 1999). Ainsi, dans le contexte d’une satisfaction des membres de l’organisation, y compris
gestion verticale des activités stratégiques du groupe, le celle du personnel. La satisfaction des cinq acteurs dans
portefeuille de sociétés du holding est apprécié, par le contexte des valeurs familiales conditionne en partie
chacun des quatre fils et par le père, comme une diver- la pérennité du groupe. Les acteurs sont placés ici dans
sification (mutualisation) du risque financier : finance- une situation d’interdépendance stratégique (voir plus
ment et régulation de l’activité. Visiblement, les diri- largement l’approche organisationnelle de Friedberg et
geants d’entreprise familiale sont plus préoccupés par la la métaphore du prisonnier, 1993). Cette nuance dans
diversification du risque de la société d’un point de vue les objectifs en termes d’efficience et d’effectivité four-
industriel que par l’optimisation de la diversification du nit une source d’explication sur la difficulté d’obtenir
risque de leur portefeuille d’actionnaires. des performances économiques significativement diffé-
Cette coopération n’élimine pas cependant les relations rentes entre l’entreprise managériale et l’entreprise
de pouvoir intrinsèque entre les cinq acteurs de l’orga- familiale.
nisation. La nation (la famille dans le cas de l’entreprise
familiale) joue le rôle d’institution, c’est-à-dire un
ensemble de règles du jeu (Wirtz, 1999). Dans cet envi-
ronnement, le schéma mental partagé (Denzau et North,
1993 cités par Wirtz, 1999) est une théorie de la réalité
présente dans un groupe plus large que le seul individu,
en l’occurrence la famille dans le cas de Rampa. Ces
règles du jeu apparaissent dans la structuration familiale.
En reprenant succinctement la démarche anthropolo-
gique de Todd (1998), cette famille peut être qualifiée
de communautaire, à la fois autoritaire et égalitaire. Les
fils restent sous l’autorité du père, ils s’associent. La
position symétrique des frères dans l’organisation fami-
liale est révélatrice du principe d’égalité. L’origine du
capital, la place de Président, son rôle majeur dans la
décision de cession éventuelle d’une activité et la spon-
tanéité de sa référence dans le discours managérial des
quatre fils, soulignent l’autorité du père alors qu’il
s’efforce de se retirer. Les valeurs familiales traduisent
le schéma mental partagé. La confiance ressort comme
valeur majeure.
Cette confiance joue alors un rôle majeur dans l’émer-
gence de la coopération. On retrouve l’accent mis sur
37
L’entreprise familiale et la responsabilité sociale du dirigeant
Jean-Pierre BOISSIN - Jean-Claude CASTAGNOS
Conclusion Bibliographie
En phase de transition, le management du groupe ALBOUY M. (1999), La valeur est-elle autre chose
Rampa évoluera sensiblement. Un management inté- qu’un discours à la mode ? Revue Française de Gestion,
grant mieux le point de vue de l’actionnaire est invoqué n° 122, janvier-février, p. 78-80.
(distribution de dividendes, optimisation des ressour-
ces, choix de portefeuille d’activités, réaction non néga- ALLOUCHE J., AMANN B. (1998), La confiance :
tive à l’idée de membres extérieurs à la famille dans le une explication des performances des entreprises fami-
conseil de surveillance). Mais, ce changement apparaît liales, Sciences de Gestion - Economies et Sociétés,
comme un outil de gestion, un moyen plutôt qu’une numéro spécial 20e anniversaire, n° 8-9, p. 129-154.
finalité, dans la perspective du retrait du père, de l’arbi-
tre en dernier ressort, à l’origine du capital. La structure ALLOUCHE J., AMANN B. (2000), L’entreprise
organisationnelle de demain sera un arbitrage dans la familiale : un état de l’art, Revue Finance/Contrôle/
délégation de décision entre décentralisation (fédération Stratégie, V. 3, n° 1, mars.
de PME) et centralisation (logique de groupe).
Par l’unicité de l’acteur (propriétaire et dirigeant), l’en- AMANN B., ALLOUCHE J. (2002), Entreprises
treprise entrepreneuriale ne souffre pas des maux issus familiales : une explication de la performance par les
de la séparation entre pouvoir de propriété et pouvoir de réseaux sociaux, in Sciences de Gestion, institutionna-
décision. Les valeurs de l’entrepreneur donnent une lisme et sociologie, Sous la direction d’I. Huault.
représentation du management de l’entreprise. En
revanche, dans l’entreprise managériale, la séparation AOKI M. (1984), The Cooperative Game Theory of the
des pouvoirs réclamerait une relation d’agence hiérar- Firm, Oxford University Press.
chique, de type légale (principal - agent) afin de contrô-
ler le pouvoir discrétionnaire du dirigeant. La création BOISSIN J-P. (1994), Construction d’un cadre d’ana-
de valeur optimale pour l’actionnaire offrirait une nou- lyse des déterminants de la performance dans les opé-
velle représentation de la gestion de l’entreprise. rations de diversification par acquisition, Thèse de
La réalité de fonctionnement de l’entreprise familiale Doctorat, CERAG-ESA Grenoble, Université Pierre
non cotée apparaît alors comme un nouvel hybride (voir Mendès France, 421 p.
schéma 3) face à ces deux modèles normatifs. Le carac-
tère multiple des acteurs, dirigeants et actionnaires, BOISSIN J-P., CASTAGNOS J-C., GUIEU G.
pose à nouveau des problèmes de délégation, de limites (1999). PME et Entrepreneuriat dans la littérature fran-
aux droits de propriété, comme dans l’entreprise mana- cophone stratégique, Papier de recherche, CERAG,
gériale. Mais, le chercheur aboutit à un système de Ecole supérieure des Affaires, Grenoble, 24 p.
valeurs des acteurs issu de leur institution, des schémas
mentaux familiaux partagés. Comme dans l’entreprise CASTAGNOS J-C., BOISSIN J-P., GUIEU G.
entrepreneuriale, les valeurs de la famille permettent de (1997), Revues francophones et recherche en stratégie,
comprendre les spécificités managériales (gouverne- Economies et Sociétés, série Sciences de Gestion,
ment d’entreprise basé sur la coopération, la confiance, n° 23, p. 37-73.
la pérennité, l’effectivité).
38
L’entreprise familiale et la responsabilité sociale du dirigeant
Jean-Pierre BOISSIN - Jean-Claude CASTAGNOS
FAMA E.F, JENSEN M.C. (1983), Separation of TODD E. (1998), L’illusion économique - essai sur la
Ownership and Control, The Journal of Law and stagnation des sociétés développées -, Gallimard, Paris,
Economics, V. 26, June, p. 301-325. 321p.
HIRIGOYEN G. (2002), Droit et Finance : de l’igno- WIRTZ P. (1999), Evolution Institutionnelle, schémas
rance à la gouvernance, Revue du Financier, janvier. mentaux et gouvernement des entreprises : le cas
Krupp-Thyssen, Finance Contrôle Stratégie, vol. 2,
HIRIGOYEN G. (2002), Le gouvernement des entre- n° 1, p. 117-143.
prises familiales, in La gestion des entreprises familia-
les, sous la direction de J Caby et G Hirigoyen,
Economica, 304 p.
39
Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de la santé au travail : le cas des TMS
Marc BONNET, Emmanuel BECK
entreprises
l’épineux problème des dysfonctionnements liés au
Conditions de Travail et à l’Organisation du Travail.
vis-à-vis de la santé
culosquelettiques), ont fait l’objet depuis longtemps
d’études ergonomiques et médicales (voir bibliographie
succincte) et plus récemment, les entreprises s’intéres-
au travail :
sent à la prévention de ces risques, car ils représentent
un enjeu important à caractère multifactoriel pour la
santé des salariés et pour la performance des organisa-
tions.
le cas des TMS Les pathologies concernant toutes les parties du corps et
particulièrement les membres supérieurs (doigts, poi-
gnets, coude, épaule et cou), mais aussi les membres
inférieurs (genoux, chevilles, hanches), ainsi que le dos.
Les TMS sont devenus des maladies professionnelles
répandues et en croissance rapide en France et dans les
pays développés. Il s’agit de lésions liées au travail
répétitif sous fortes contraintes spatio-temporelles.
Marc Bonnet Une approche globale des risques de TMS invite les
Professeur de Sciences de Gestion entreprises à prévenir ces risques et à bien identifier les
Université Jean-Moulin Lyon 3 IAE contraintes qui pèsent sur les hommes et les femmes en
Directeur Adjoint ISEOR situation de travail en transformant les postes de travail,
[email protected] en examinant les dimensions biomécaniques des gestes,
en examinant les déterminants organisationnels de la
situation de travail. En cela, la responsabilité sociale de
l’entreprise est clairement engagée et implique la
Emmanuel Beck coopération méthodologique et opérationnelle de diffé-
Maître de Conférences en Sciences de Gestion rents réseaux de prévention tels que la médecine du tra-
Université Jean-Moulin Lyon 3 IAE vail, l’inspection du travail, l’INRS, la CRAM,
Chercheur associé ISEOR l’ANACT, les ARACT, tous les acteurs de l’entreprise,
[email protected] les directions, les instances représentatives du personnel
(CHSCT).
41
Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-a-vis de la santé au travail : le cas des TMS
Marc BONNET, Emmanuel BECK
Dans une première partie, nous présenterons le posi- La réduction des facteurs de risque et l’efficacité de la
tionnement de la méthode socio-économique de prévention des TMS seront d’autant plus assurées que
l’ISEOR par rapport à d’autres approches de la santé au les diverses solutions seront considérées comme com-
travail. Dans une deuxième partie, nous présenterons un plémentaires et synchronisées dans le cadre d’une
cas d’application de l’analyse socio-économique dans action globale soutenue par la Direction Générale.
une entreprise de matériel électrique, ce qui nous
permettra, en conclusion de préciser les hypothèses Chaque action d’amélioration sur un poste de travail
pour des recherches ultérieures. donné peut cependant engendrer un déplacement des
risques de TMS. L’introduction d’une nouvelle machine,
42
Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de la santé au travail : le cas des TMS
Marc BONNET, Emmanuel BECK
par exemple, va supprimer des opérations ou des tâches - conception des produits : les bureaux des méthodes,
pénibles, mais de nouvelles contraintes susceptibles chargés de la mise en fabrication des produits sur des
d’imposer de nouveaux TMS. lignes d’assemblage, par exemple, ont généralement
de larges marges de manœuvre pour définir les opéra-
Les TMS : un cas de maladie professionnelle tions pour chaque poste, ainsi que la durée des cycles
eu pris en compte jusqu’à notre époque de travail. Dans ce cas également, les simulations
Jusqu’à nos jours les TMS ont été assez peu pris en permettent de concevoir de façon plus rationnelle des
compte par les entreprises. produits dont la fabrication prend en compte la santé
Les différents registres de solutions qui s’esquissent des travailleurs ;
aujourd’hui s’appuient sur quelques pistes facilement
compréhensibles, mais parfois difficiles à appliquer - contraintes psycho-sociales : tout ne peut pas être
pour ceux qui veulent se pencher sur ces problèmes. parfaitement défini dans la définition des postes de
Nous en avons repérées quelques unes : travail. Cependant l’écoute des opérateurs peut
aisément être prise en compte tout en favorisant leur
- actions sur les procédés de production : en suppri- autonomie dans la manière d’organiser leur travail et
mant des opérations jugées nocives, qui parfois s’avè- éviter les contraintes temporelles en faisant varier les
rent inutiles , rythmes de travail.
La formation intégrée des opérateurs peut contribuer à
- organisation de la production : des techniques orga- éviter que ces derniers prennent de mauvaises habitu-
nisationnelles, telles que le JAT (Juste A Temps), ont des dans leurs gestes quotidiens ou occasionnels. Il est
provoqué des affections périarticulaire. Sans vouloir parfois fructueux d’éviter de rappeler comment le tra-
remettre en cause de telles modalités organisationnel- vail doit être fait, mais d’essayer de comprendre pour-
les, il est possible d’éviter de les mettre en œuvre de quoi il n’est pas fait comme cela.
manière radicale. En acceptant de moduler les condi-
tions d’application du « zéro stock » et en acceptant un Approche juridique et rôle des CHSCT
mini stock par exemple, on peut éviter le « stress » et En matière de TMS, le rôle institutionnel des CHSCT
faciliter le travail des opérations , (Comités d’Hygiène et de Sécurité-Conditions de
Travail) est un rôle de vigilance tourné vers des actions
- organisation du travail : elle peut contribuer à rédui- correctrices. Dans de nombreux projets menés à bien,
re les risques de TMS. La polyvalence qui a été sou- les actions ont été élaborées et conduites avec la colla-
vent mise en avant pour donner la solution organisa- boration des médecins du travail, des services infirmiers
tionnelle. Les conditions de rotation entre les postes et l’inspection du travail.
s’élaborent en tenant compte, par exemple : Le CHSCT est composé du chef d’établissement ou de
- de la fréquence de rotation pour obtenir une réduc- son représentant et d’élus salariés. Le médecin du tra-
tion significative de la durée d’adaptation, vail et le responsable de la sécurité participent au comité
- des contraintes provenant du « réapprentissage » à à titre consultatif.
chaque changement de poste, Dans les établissements de moins de 50 salariés, les
- de la gestuelle pour s’assurer qu’elle est significati- délégués du personnel sont porteurs des missions du
vement différente sur les postes, CHSCT.
- des conditions de formation « initiale », la forma- Pour résumer le rôle du CHSCT en matière de TMS,
tion n’étant pas seulement de fait de la connaissance nous pouvons retenir les missions suivantes :
des postes, mais aussi des possibilités effectives de - contribuer à la protection de la santé et de la sécurité
réaliser la production avec les critères de qualité et des salariés et à l’amélioration des conditions de
de quantité ; travail,
- analyser les risques professionnels auxquels sont
- conception d’équipement : elle peut prendre en exposés les salariés,
compte les gestes des opérateurs, à partir des installa- - effectuer des enquêtes en matière d’accident de travail
tions existantes, ou de cibles à atteindre, dans des ou de maladies professionnelles,
cahiers des charges destinés aux concepteurs. - prévenir les risques professionnels et susciter des
initiatives à cette fin.
L’avis des opérateurs qui auront à utiliser ces équipe-
ments permettra de trouver les meilleurs compromis Le CHSCT est consulté avant les décisions d’aménage-
possibles dans la définition des recommandations. ment des conditions d’Hygiène et de sécurité ou les
Lors des mises au point de ces équipements, des simu- conditions de travail et, le cas échéant, sur les mesures
lations mettant les personnes en situation permettent de prises en vue de la remise ou le maintien au travail des
tester l’utilisation gestuelle des équipements concernés victimes accidentées du travail.
selon des protocoles bien établis. Les syndicats ont également un rôle évident pour protéger
43
Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de la santé au travail : le cas des TMS
Marc BONNET, Emmanuel BECK
la santé des salariés et alerter les directions en cas de 1.2 - Historique des travaux de l’ISEOR
problème. sur la santé au travail
Il est intéressant également de noter que les institutions
telles que les réseaux de l’ANACT, l’INRS, les La méthode socio-économique a été créée par Henri
DRTEFP de région où les CRAM sont parties prenantes Savall en 19734. Il formulait l’hypothèse que l’on peut
pour promouvoir des actions de prévention des TMS ou rendre compatibles les objectifs sociaux et les objectifs
de lutte contre les conditions de travail difficiles d’une économiques au sein des organisations. En effet, les
manière générale. dysfonctionnements générés par les acteurs dont les
Cette sensibilisation permet de désigner dans les entre- objectifs sociaux sont insuffisamment pris en compte
prises, les experts (médecins et techniciens ergonomes) génèrent des coûts cachés élevés qui affectent la perfor-
qui auront à mener des actions concrètes sur le terrain. mance économique. Il est donc nécessaire de mettre en
L’approche socio-économique préconise une synchroni- œuvre un système de management permettant de mieux
sation des actions menées entre des différents acteurs et prévenir les dysfonctionnements et de négocier avec les
experts. acteurs une situation préférée qui prenne mieux en
compte leur attentes et où l’on réalloue la réduction des
En guise de conclusion : Le cas du stress coûts cachés en faveur de la création de valeur ajoutée.
Les TMS renvoient essentiellement aux troubles biomé- Henri Savall a ensuite créé le laboratoire de l’ISEOR
caniques dans l’acception commune. pour mettre au point la méthode de management socio-
Nous ne voudrions pas conclure cette première partie économique au travers de recherches-interventions
sans souligner que beaucoup d’opérateurs subissent menées au sein des organisations. Cette méthode a
leurs conditions de vie au travail sans mot dire, malgré notamment permis d’expérimenter des « bilans finan-
le caractère apparemment traumatisant de leurs mouve- ciers rénovés » (ou balances économiques) d’actions
ments. Ils n’expriment aucune plainte. Mais si on leur d’amélioration des conditions de travail et de former
pose la question de leur ressenti, alors ils prennent des experts à cette méthode, par exemple à l’ANACT
conscience de leur situation psychosociologique et entre 1975 et 1980. Ces recherches constituent à notre
expriment des symptômes de « stress » qui servent à connaissance les premiers travaux sur le lien entre santé
évoquer un ressenti commun concernant l’existence au travail et performance économique de l’entreprise
d’une pression supportée individuellement au niveau
des tâches à réaliser.
Les médecins du travail ou généralistes connaissent
bien les conséquences de ces situations de travail sur les 2. Coût et performance des actions
personnels, du cadre avec ses maladies cardio-vasculaires de préventions des TMS
ou gastro-intestinales, à l’ouvrier pour les TMS.
Le « stress » est une notion assez vague qui exprime la Nous proposons de présenter et d’illustrer l’application
sollicitation de l’organisme quand un individu est en de la méthode socio-économique qu cas des TMS à partir
situation d’alerte. de l’exemple d’une entreprise de matériel électrique
Le lien entre les mécanismes biologiques et les TMS ayant mené des actions de prévention. Ce cas est extrait
reste encore incertain, mais il est encore plus difficile à d’une recherche réalisée en 2002 par l’ISEOR pour
cerner entre ces mécanismes biologiques et l’état de l’ANACT5. Il s’agit d’une entreprise de 1 800 person-
stress. nes qui conçoit et réalise des matériels électriques.
Des études3 ont montré que l’état de stress semble L’étude a été centrée sur une des unités de production de
modifier le mécanisme de sécrétion des glandes endo- l’entreprise ayant un effectif de 445 personnes, dont
crines et le système immunitaire. Certaines substances 93 sont atteintes de TMS (déclarées et reconnues par la
supposées accroître le tonus musculaire ou provoquer sécurité sociale). Les symptômes concernent principale-
un déséquilibre hydrominéral agissent sur les patholo- ment les membres supérieurs (épaules, poignets…),
gies canalaires du poignet. Elles peuvent aussi réduire compte tenu de la répétitivité des gestes sur les postes
la vitesse de réparation des microlésions par les gestes de travail. La recherche a nécessité des recueils de
répétitifs et provoquer indirectement des inflammations
des tendons.
Nous avons souvent constaté que la dégradation des 3 CNOCKAERT J. C. Influence du stress sur les TMS, Journée de
relations de travail détériore la satisfaction au travail, l’INRS « Prévenir les troubles musculosquelettiques du membre
supérieur », 22 juin 1999, Paris.
lorsqu’elle est issue d’une mutation technologique, un
4 SAVALL H. (1974, 1975a), Enrichir le travail humain : l’évaluation
changement organisationnel ou une recomposition des
économique, opus cité p. 1
pyramides des âges. Les conséquences de ces crises
5 SAVALL H. ZARDET V. et BONNET M., Etude : prévention des
apparaissent dans la fragilisation des moyens indivi- troubles musculosquelettiques, Rapport ISEOR à l’ANACT, décem-
duels pour se protéger des contraintes de travail et les bre 2002, 101 p. (avec la participation des chercheurs : B. SRAJEK,
symptômes en sont bien souvent les TMS. H. LAFARGE, L. LOOKI et A. CAILLE).
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Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de la santé au travail : le cas des TMS
Marc BONNET, Emmanuel BECK
documents, des observations directes ainsi que des fiches de calcul de dysfonctionnements dont un exemple
entretiens semi-directifs auprès de 30 personnes de est présenté en figure 1 (page 6). La liste de ces fiches
l’entreprise, certaines ayant été rencontrées à deux est présentée en figure 2 (page 7 et 8) sous forme d’une
reprises étaient les suivantes : nomenclature. Cette liste d’indicateurs a également été
- le directeur industriel de l’entreprise, évaluée dans le cas de deux autres entreprises, ce qui
- le directeur d’usine, apporte une première présomption de la fiabilité du
- 5 responsables de lignes de production, corps de connaissance, conformément au principe de
- 7 opérateurs, contingence générique développé par H. Savall et
- 3 responsables de la Direction des Ressources V. Zardet Au total, les coûts cachés liés aux TMS
Humaines, s’élevaient à 1,044 million d’Euros par an sur la base de
- 4 membres du service médical de l’entreprise calculs réalisés à minima. Ces coûts pouvaient être
dont 2 infirmières et 2 médecins, regroupés sous les rubriques suivantes :
- 1 ergonome,
- 4 spécialistes de l’organisation du travail du service Gestion médicale 51 000 e/an
des méthodes, du personnel souffrant de TMS
- 4 membres du Comité Hygiène-Sécurité
et Conditions de Travail. Coût de l’absentéisme 83 000 e/an
lié aux TMS
À l’issu de la phase de recueil de données, une présen-
tation des résultats a été faite en réunion aux personnes Perturbations de la gestion 55 000 e/an
interviewées, suivi par une présentation d’un « avis de production en raison des TMS
d’expert » de l’ISEOR centré sur les causes-racines des
dysfonctionnements relatifs à la santé au travail et aux Pertes de productivité liées
TMS. aux restrictions médicales 821 000 e/an
en raison des TMS
2.1 - Dysfonctionnement
recensés liés aux TMS Surcroît de refacturation de
cotisations d’accidents du 32 000 e/an
Les entretiens ont mis en évidence la complexité du travail et maladies professionnelles
problème de la santé au travail ainsi que l’importance en raison des TMS
des coûts cachés induits par les TMS.
En moyenne, les coûts cachés liés aux TMS s’élevaient
2.1.1 - Résultats des entretiens à 11 200 e par an pour chaque personne atteinte de
Les entretiens ont été traités à l’aide du logiciel SEGE- TMS. Cela représentait un enjeu important et la présen-
SE6 en vue de la présentation de l’effet miroir. Les prin- tation des résultats a accru la sensibilité des responsa-
cipales idées clés étaient les suivantes : bles de l’entreprise vis-à-vis de ce problème de santé au
travail même si l’entreprise menait déjà un certain nom-
- Certains « TMS » ne sont pas déclarés et sont déguisés bre d’actions préventives.
sous forme d’absentéisme.
- Il existe un sentiment d’iniquité entre les personnes 2.2 - Investissement dans des actions
touchées par les TMS et bénéficiant de cadences de prévention des TMS
réduites et les autres (exemple de phrase-témoin : « Il
y a une jalousie de la part des personnes qui n’ont pas L’entreprise a mis en œuvre des actions préventives très
de contre indications médicales »). importantes pour prévenir les TMS. À titre d’exemple,
- La rotation des postes destinée à prévenir les TMS est l’une des actions consistait à mieux analyser les
difficile à mettre en œuvre par manque de polyvalence. douleurs perçues par les opérateurs sur les postes de
- Le stress lié notamment à l’organisation en flux tendus travail afin de mener des actions correctives ou préven-
est un facteur aggravant des TMS. tives pour éviter que ces douleurs évoluent en TMS.
- Les techniciens qui conçoivent les méthodes de pro- Cette action représente un coût d’investissement pour
duction ne prennent pas le temps de former les opéra- l’entreprise et il comprend les éléments suivants :
teurs sur les postures et les gestes préventifs des TMS.
- L’organisation est rendue difficile par les absences ou
les contre indications médicales des personnes souf-
frant de TMS.
Les conséquences de ces dysfonctionnements ont été
évaluées au travers de la méthode de calcul des coûts- 6 SEGESE : Système Expert Gestion socio-économique, utilisé par
performances cachés. Cela a nécessité le calcul de l’ISEOR pour le dépouillement des entretiens.
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Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de la santé au travail : le cas des TMS
Marc BONNET, Emmanuel BECK
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Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de la santé au travail : le cas des TMS
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Dysfonctionnements
Absentéisme
Accidents du travail /
maladies
professionnelles
Temps passé à traiter les plaintes par le service médical, le SRH, le CHSCT
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Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de la santé au travail : le cas des TMS
Marc BONNET, Emmanuel BECK
Défauts de qualité
Ecarts de productivité
directe
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Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de la santé au travail : le cas des TMS
Marc BONNET, Emmanuel BECK
Dans ces cas, l’investissement en actions préventives a Compte tenu du temps imparti à l’étude, il n’a pas été
évité que les douleurs ne se transforment en TMS, dont possible de mesurer l’année suivante quel était l’impact
le coût moyen était au minimum de 11 200 e par an, soit de ce plan d’action sur les TMS et sur les coûts induits.
un coût évité potentiel de 112 000 e/an compte tenu Toutefois, l’avis d’expert de l’ISEOR a consisté à sou-
d’une dizaine de TMS supplémentaires qui seraient ligner que ces actions préventives allaient dans le bons
probablement advenues si l’on n’avait rien fait. Dans sens, mais qu’elles ne prenaient pas suffisamment en
certains cas, on aurait aussi pu calculer ce coût potentiel compte deux causes-racines de dysfonctionnement :
(ou « non création de potentiel »), sous la forme d’une
espérance mathématique, en supposant par exemple, - une répétitivité excessive des gestes liée à une organi-
qu’une alerte de douleur sur deux se transformerait en sation du travail taylorisé à l’excès ;
TMS déclarée. - un manque de coordination entre service, se traduisant
par exemple, par l’achat de composants difficiles à
Dans le contexte de cette entreprise où un plan d’action monter par les opérateurs des services de production,
très ambitieux de lutte contre les TMS a été décidé pour engendrant ainsi des TMS.
une année, le coût total d’investissement en actions pré-
ventives s’est élevé à 970 000 e, soit presque l’équiva- Lors de la discussion entre l’entreprise et l’ISEOR sur
lent d’une année de coûts de dysfonctionnements. cet avis d’expert, il est aussi apparu la nécessité de
Ce montant se décomposait de la manière suivante : concevoir une stratégie globale de progrès du manage-
ment de l’entreprise, incorporant un chapitre sur la
- Aménagements ergonomiques prévention des TMS, plutôt qu’une juxtaposition
des postes de travail 171 000 e d’actions d’amélioration risquant de rentrer en concur-
- Actions de communications rence entre elles.
sur la prévention des TMS 77 000 e
- Groupes de travail
sur la prévention des TMS 185 000 e
- Investissements d’amélioration
ergonomique des postes de travail 172 000 e
- Actions de formation aux gestes
et postures et à la polyvalence,
afin de prévenir les TMS 365 000 e
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Audit social et responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis de la santé au travail : le cas des TMS
Marc BONNET, Emmanuel BECK
Conclusion Bibliographie
L’exemple des TMS est caractéristique de la probléma- ANACT, Le coût des conditions de travail, Document
tique plus générale de la santé au travail. Une approche ANACT, 1979.
traditionnelle de la Responsabilité Sociale de l’entreprise
consisterait à rendre l’entreprise coupable à titre princi- ANACT, Agir sur les maladies professionnelles,
pal des problèmes de santé des salariés. Ce type d’ap- l’exemple des troubles musculosquelettiques (TMS),
proche peut mettre l’entreprise en position défensive, sous la direction de FRANCHI P., Liaisons Sociales,
alourdir ses coûts et conduire progressivement à délo- 1997, 61 p.
caliser certaines activités vers des pays « moins
disants » au plan7 social. ANACT, F.BOURNOIS, C. LEMARCHAND, F.
HUBAUT, C. BRUN, A. POLIN, J. M. FAUCHEUX,
L’approche socio-économique propose une alternative Troubles musculosquelettiques et travail. Quand la
qui prend en compte à la fois les exigences de la santé santé interroge l’organisation, Collection Outils et
au travail et celles de la compétitivité dans le cadre de méthodes, 2000, 252 p.
la mondialisation.
BECK E. Enjeux de l’équilibration formation-emploi
En effet, cette méthode montre à l’entreprise que les dans la firme industrielle, Revue Française de gestion,
coûts cachés liés à la santé ne sont pas seulement exter- 1982, n° 37, 8p.
nés sur la société, mais qu’ils sont aussi internés et que
des actions préventives sont des investissements efficaces, BERTOLOTTI C., Les troubles musculosquelettiques :
à condition qu’elles s’inscrivent dans un plan d’action mise en place d’une étude ergonomique dans une entre-
stratégique à la fois interne et externe (PASINTEX). Il prise de câblage électrique : problématique de cette
convient de montrer dans des recherches ultérieures que mise en place et résultats, sous la direction de
cette approche s’applique à une conception élargie de la GALAND M., Université Montpellier 1, Faculté de
santé au travail qui incorpore les dysfonctionnements médecine, 2004, 86 f.
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CELLI E. A., Connaissances, attitudes, pratiques et
attentes des médecins du travail sur les troubles muscu-
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enquête menée auprès d’un échantillon représentatif
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50
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51
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52
La responsabilité sociale dans une transmission/reprise d’entreprise : une prise de conscience nécessaire
Sonia BOUSSAGUET - Jean-Marie ESTÈVE
La responsabilité Introduction
une transmission/ physique. Les enjeux sont importants pour l’un comme
pour l’autre car c’est un pari pour l’avenir de l’entreprise,
si l’on tient compte des enjeux socio-économiques
reprise
qui s’y rattachent. On sait en effet qu’un échec de
transmission/reprise peut entrainer dans son sillage tous
les salariés de l’entreprise, et au-delà de la disparition
de l’entreprise elle-même, déjà très préjudiciable, sa
d’entreprise : une
défaillance peut affecter en chaine les partenaires de
l’entreprise (fournisseurs, sous-traitants, clients)…
Cette opération peut ainsi provoquer de graves sinist-
prise de conscience
res : appauvrissement du tissu industriel, disparition
d’unités de production, privation d’emplois, augmenta-
tion du chômage en cas de dépôt de bilan…
Dans un tel contexte, on comprend bien que l’échec est
nécessaire
stigmatisé. Or, cela ne donne pas toujours lieu à une
responsabilité que devraient pourtant engager les prin-
cipaux protagonistes de la reprise. En effet, la transmis-
sion/reprise est une période délicate durant laquelle il
convient de rappeler la responsabilité sociale de l’entre-
prise (RSE) ou plutôt de l’entrepreneur dans la mesure
où la RSE dans une PME se confond avec celle de
l’entrepreneur. Pour ce dernier, la responsabilité sociale
« La responsabilité du fondateur ne se limite représente un principe d’action, d’anticipation, de dili-
qu’à assurer que le processus de succession gence et de précaution. C’est incontestablement dans ce
commence et la responsabilité du successeur sens que nous considérons que les acteurs de la trans-
consiste à le rendre à terme » mission/reprise doivent remplir leur obligation en la
(Jonovic, 1982)1 matière. Notre expérience2 nous a convaincu de cette
nécessité. Cependant, l’écart existant entre la réalité de
la responsabilité des dirigeants et la conscience qu’ils
en ont semble toujours (et encore) trop creusé lors d’un
Sonia Boussaguet tel événement.
Chercheur au GESEM - Université Montpellier 1
Assistante de recherche au CEROM L’objectif de cette communication est donc d’aider les
Groupe Sup de Co Montpellier dirigeants, qu’ils soient cédants ou repreneurs, à prend-
[email protected] re conscience de leurs responsabilités sociales et à ne
plus faire l’économie d’une réflexion sur le sujet. Pour
[email protected]
cela, nous allons nous interroger sur les conditions de
l’exercice de cette responsabilité « à double direction »,
et inviter les protagonistes à devenir responsables,
Jean-Marie Estève c’est-à-dire :
Docteur en Sciences de Gestion ! Pour le cédant, à penser à sa transmission et à rompre
53
La responsabilité sociale dans une transmission/reprise d’entreprise : une prise de conscience nécessaire
Sonia BOUSSAGUET - Jean-Marie ESTÈVE
En quelque sorte, les deux dirigeants ont en commun le transfert de leur entreprise. Pour eux, transmettre leur
d’assumer une responsabilité sociale car les risques entreprise est un acte psychologiquement déchirant. Ils
encourus sont importants. Ils impliquent l’ancien et le ont du mal à envisager de se séparer de leur affaire dans
nouvel entrepreneur à titre personnel et professionnel laquelle ils ont investi beaucoup de temps et d’efforts.
(Observatoire des PME, 2005). Lors d’une transmis- De plus, comme l’explique Vatteville (1994), « l’aban-
sion/reprise, le cédant et le repreneur portent ensemble don du pouvoir n’est pas chose aisée. Quand on a assuré
une responsabilité vis-à-vis des salariés qu’il emploie la direction d’une entreprise pendant plusieurs décen-
mais aussi vis-à-vis des partenaires externes. C’est nies, bien plus encore quand on l’a fondée, il n’est pas
pourquoi ils se doivent d’agir de façon proactive par facile de se persuader qu’elle pourrait vivre sans vous ».
rapport à eux et ils n’ont pas le droit d’oublier leur Autrement dit, ces entrepreneurs sont prêts à céder la
responsabilité sociale auquel cas l’environnement « responsabilité », considérée comme un lourd fardeau,
immédiat le leur rappellera. mais pas le pouvoir managérial (Estève, 1997) qu’il
cherche même à consolider et à rendre indispensable
dans la survie de l’entreprise.
Pour certains d’entre eux, au-delà d’une perte « évidente »
1. La responsabilité du cédant : en termes de pouvoir, la transmission peut être vécue
penser à sa transmission d’une manière plus profonde et peut s’apparenter à une
et rompre un double silence véritable crise : crise extrêmement douloureuse dans la
mesure où elle représente une rupture dans la vie des
cédants. C’est pourquoi ils ne peuvent considérer avec
Dans la plupart des cas, la transmission n’est pas ou peu détachement leur propre succession. Ils la vivent
préparée, réalisée le plus souvent dans l’improvisation comme « le dénouement d’une histoire de vie » (Pailot,
et la précipitation. Peu de chefs d’entreprises anticipent 1999). C’est donc pour eux l’heure des bilans tant sur le
leur succession, et même si c’est le cas, la discrétion plan professionnel que familial et personnel, et la prise
doit être assurée durant cette période transitoire. Dans de conscience du rapprochement de sa fin. De ce fait,
les faits, le dirigeant se trouve le plus souvent très seul cette situation est naturellement marquée par une attitude
lorsqu’il décide de céder son entreprise. Il hésite « ambivalente ». Rationnellement, ils veulent vendre
souvent à en parler autour de lui, en particulier à ses mais restent, affectivement, souvent partagés car c’est
salariés. Ces contraintes de confidentialité retardent un peu d’eux-mêmes qu’ils laissent lorsqu’ils décident
souvent sa démarche. Pourtant, ce dernier sait perti- de céder leur entreprise ; dans cet abandon, ils perdent
nemment que la réussite de la transmission/reprise va en effet tous les repères de leur vie quotidienne. En
dépendre de la manière dont il va préparer cette opéra- revanche, ceux qui n’ont pas créé l’entreprise se trou-
tion. Aussi, que penser du sens de la responsabilité d’un vent dans une logique purement financière et commer-
dirigeant qui ne prépare pas sa succession ? ciale où la psychologie n’est pas prédominante. Ainsi,
N’oublierait-il pas sa responsabilité sociale ? N’y pour les fondateurs, leurs attitudes contradictoires sont
aurait-il plus de vie après son départ ? sources de conflits psychiques et d’actions opposées
aux intentions (discours). Face à cette incohérence, le
1.1 - L’impréparation du cédant (tant sur risque est de se trouver sans cesse des excuses pour ne
le plan psychologique que technique) pas vendre. Ce qui peut aussi parfois masquer une
crainte de s’interroger sur ce que sera son activité (donc
Pris dans la pression permanente du quotidien, les sa vie), une fois l’entreprise vendue. Surtout que peu
cédants potentiels n’envisagent habituellement leur d’entre eux veillent à s’investir dans un projet de recon-
succession que lorsqu’elle devient inévitable. Cette version, qu’il soit professionnel ou non.
impréparation s’explique généralement par une première
difficulté qui tient à la réticence psychologique du Pour Pailot (1999), l’attachement excessif à l’entreprise,
dirigeant à poser clairement le problème de sa dispari- la volonté d’enracinement du dirigeant et le refus de
tion et à accepter de se séparer de « l’œuvre de sa vie ». passer la main peuvent donc constituer des pièges aux
Puis, vient une deuxième difficulté liée au choix de son conséquences fatales pour l’entreprise. Comment
successeur. pourrait-elle continuer à vivre sans son dirigeant ? Un
dirigeant serait-il irremplaçable ? C’est du moins ce que
1.1.1 - Accepter de se séparer de son entreprise : semble ressentir les chefs d’entreprise. C’est pourquoi
un acte dont l’entrepreneur retarde l’auteur suggère la nécessité pour tout vendeur
au maximum l’échéance d’apprendre à faire le » deuil »3 de son entreprise pour
En dépit des avantages offerts par la cession de son
activité (survie de l’entreprise, maintien des emplois, 3 Le deuil renvoie à un processus de renonciation, au passage d’une
réalisation d’une plus-value), les chefs d’entreprises perte subie à une perte acceptée qui s’accompagne d’émotions
peuvent montrer une certaine résistance à mener à bien variées, mais généralement intenses.
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La responsabilité sociale dans une transmission/reprise d’entreprise : une prise de conscience nécessaire
Sonia BOUSSAGUET - Jean-Marie ESTÈVE
pouvoir se détacher plus facilement de celle-ci. Dans salarié à leur place, et par voie de conséquence, ils
cette vision des choses, transmettre une entreprise n’adoptent pas nécessairement une démarche proactive.
devient une véritable démarche de séparation et de Pour certains praticiens, ce sont pourtant les salariés qui
deuil, à la fois vis-à-vis d’une entité matérielle et phy- devraient être consultés en priorité. Mais, pour ce faire,
sique (son entreprise, « son enfant »), mais également il appartient au cédant de détecter le potentiel de ses
d’une partie de sa personnalité (perte de son statut, de salariés (souvent insoupçonné), puis de leur donner des
son image sociale). Il importe d’être conscient de la responsabilités pour à terme être capable de le remplacer
nécessité d’un tel travail de deuil pour le dirigeant (Estève, 1997). Autrement dit, un tel traitement antici-
partant car celui-ci exige de l’énergie à déployer et du patif dans la recherche d’un successeur à l’intérieur de
temps à y consacrer avant d’obtenir des résultats. l’entreprise implique la mise en place d’un management
Cependant, malgré cette prise de conscience, il semble spécifique : ce que Estève nomme la gestion des
impossible d’éliminer cette période « trouble » en ressources intrapreneuriales (GRI). D’après l’auteur, la
termes d’intentions, d’émotions, de sentiments… Aussi, GRI à l’initiative du chef d’entreprise et concernant les
est-il crucial d’apprendre à vivre avec et à la gérer. Sans intrapreneurs devrait être automatiquement mise en
cela, il lui sera difficile de passer le cap psychologique place pour faciliter la transmission des entreprises. Or,
du « lâcher prise » ; autrement dit, d’arriver à vivre son dans les PME, trop souvent encore les dirigeants
passage de chef d’entreprise à celui de futur retraité. « infantilisent » leurs salariés. Le problème qui se pose
dans ce type d’entreprise est que la délégation de la part
Mais, dans les faits, même s’il se résout à penser du dirigeant n’est pas tâche courante. Le dirigeant
psychologiquement à sa transmission, le manque de éprouve encore trop souvent des difficultés à vendre son
temps pour chercher des repreneurs ou la difficulté à entreprise à des cadres, souvent peu nombreux, qui
choisir entre eux accentue encore ce manque de prépa- n’ont pas toujours eu l’occasion de participer aux déci-
ration. sions stratégiques. Pourtant, certains jeunes cadres en
interne s’investissent dans l’organisation et peuvent
1.1.2 - La difficulté de l’entrepreneu facilement être sollicités pour devenir associés et par la
à choisir son remplaçant suite dirigeants de l’entreprise. Or, si l’entreprise n’a
On sait que le patron qui va transmettre le fait d’autant pas pressenti ces « graines » d’entrepreneurs, elle prend
plus facilement qu’il a la certitude que son successeur a le risque de perdre un intrapreneur lequel ira chez un
la capacité nécessaire pour réussir. Sur ce point, il sem- concurrent ou le deviendra lui-même.
blerait que lorsqu’un doute subsiste sur sa capacité, le
dirigeant a tendance à retarder son départ. Le choix du Dans ces conditions, on ne sera pas surpris de voir
successeur constitue donc une réelle difficulté. Cette l’entreprise proposée à des acquéreurs externes potentiels.
difficulté est liée au fait que la décision concernant ce Spécifions cependant que la génération d’entrepreneurs
choix est non seulement difficile, mais souvent trauma- d’après-guerre se méfie de l’acheteur industriel
tisante pour ceux qui la prennent. (personne morale), pour elle synonyme de délocalisation
ou de démantèlement de l’entreprise, et préfèrent un
Généralement, un dirigeant en partance est soumis à repreneur personne physique car même si cette dernière
une « hiérarchisation des choix successoraux » (Torrés,
2003) : il peut envisager de transmettre son entreprise
soit à un membre de sa famille, à ses salariés ou à une
tierce personne. Si la solution héréditaire garde la 4 Les raisons invoquées de ce désintérêt pour assumer la relève sont
faveur des dirigeants de PME, les enfants ne souhaitent multidimensionnelles :
- d’ordre sociologique : d’une part, l’élévation du niveau d’instruction
plus reprendre l’entreprise paternelle4. Très souvent, ils
fait que les fils des chefs d’entreprises préfèrent envisager d’autres
ont « tué le père » et veulent voler de leurs propres ailes, professions après leurs études plutôt que de reprendre une entreprise
cherchant à construire leur vie matérielle et sociale dont ils ont vu les difficultés qu’elle causait à leur père ; et d’autre
« tout seul » (Lecointre, 2002), à l’exception de ceux part, le vieillissement des chefs d’entreprises fait que lorsque celui-
ci décide de se retirer, ses enfants ont déjà un métier et n’envisagent
qui y voient un gage de sécurité et une opportunité.
pas d’en changer. C’est ainsi que les héritiers ne désirent pas repro-
Dans ce dernier cas, le chef d’entreprise transfère de duire le schéma social de leurs parents ;
façon graduelle l’autorité et le pouvoir à son successeur ; - d’ordre moral : qui dit entreprise, dit responsabilité et risque ;
celui-ci devant faire ses preuves auprès de son père. Il - à cela s’ajoute bien sûr, des causes d’ordre juridique et fiscal : le
coût des droits de succession joue un rôle important et, quand il existe
est alors conseillé d’exposer l’héritier à l’environne-
plusieurs successeurs, se pose le problème du désintéressement des
ment de l’entreprise souvent, dès le plus jeune âge, à cohéritiers (Gattaz, 2002). Toutefois, un amendement à la loi de
travers l’exécution de tâches simples ou des emplois qui finances 2001 a été adopté et vise à faciliter la transmission d’entre-
l’amèneront progressivement à assurer la relève. prise par succession ;
- enfin, d'ordre économique : de nombreuses entreprises ont peu de
Rares sont en revanche les chefs d’entreprises qui
perspectives d'avenir ou sont d'un rapport insuffisant. L’âge du
songent d’emblée à confier les rênes de leur entreprise départ à la retraite du chef d’entreprise ne coïncide pas toujours avec
à l’un de leurs salariés. Ils ont du mal à imaginer un une période de développement ou de bonne santé de son entreprise.
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La responsabilité sociale dans une transmission/reprise d’entreprise : une prise de conscience nécessaire
Sonia BOUSSAGUET - Jean-Marie ESTÈVE
est moins rémunératrice, ils considèrent que la réussite nent alors le plus souvent des observateurs inquiets d’un
de la transmission passe avant tout par la pérennité de processus sur lequel ils n’ont que peu ou pas de prise.
leur entreprise. Or, pour peu que l’entrepreneur n’ait Or, d’après Boussaguet (2005), il y a apparemment de
pas anticipé sa transmission, il est fort possible que leur part une demande de ne pas être traités comme les
personne ne puisse reprendre son affaire. Ce dernier « machines » de l’entreprise : la sensation d’être « ven-
n’ayant pas pris assez de temps pour améliorer la dus » est pour eux inacceptable. Ainsi, si le cédant se
présentation de son entreprise et la rendre la plus réfugie dans son silence, cela peut entraîner des
attrayante et attractive possible pour la proposer à la réactions négatives, voire conduire au développement
vente. d’attitudes hostiles à son égard alors que l’annonce de
la cession pourrait se révéler être une perspective
Prendre sa responsabilité, c’est donc penser à préparer « stimulante » pour le personnel qui voit son dirigeant
suffisamment tôt sa transmission, au moins cinq ans vieillir passer la main à un autre.
avant l’âge de la retraite, bien qu’une durée proche des
dix ans soit préférable. Cette période apparaît nécessaire En révélant sa décision, le cédant sécurisera d’une
pour se préparer psychologiquement et techniquement, certaine manière les employés ; il n’y aura plus de
c’est-à-dire pour détecter, choisir et former de manière « réaction de surprise ». Cela atténuera visiblement les
volontaire et délibérée les successeurs (qu’ils viennent rumeurs mais aussi les inquiétudes, appréhensions,
de l’intérieur ou de l’extérieur). Mais, se donner le voire incompréhensions que génère un tel changement.
temps de transmettre, c’est aussi préparer l’entreprise De plus, il est évident que dans de telles conditions, la
en interne, en ce qui concerne notamment la sensibili- communication constitue une forme de respect à laquelle
sation et l’information de l’équipe déjà en place. Or, les salariés seront particulièrement sensibles. D’autant
cette communication est très souvent occultée par les que ces derniers sont des ressources importantes de
chefs d’entreprise en partance. Pourtant, elle est une l’entreprise que l’on doit garder mobilisées pour son
preuve de leur responsabilité sociale. bon fonctionnement, leur coopération en phase
post-reprise étant fondamentale. En d’autres termes, la
1.2 - Le manque de sensibilisation sensibilisation et l’information des salariés permet-
et d’information des salariés traient d’assurer une séparation en douceur mais
surtout de les préparer à la venue de leur nouveau
de l’entreprise
dirigeant et, par conséquent d’améliorer l’accueil que
Peu de vendeurs font vraiment preuve de transparence ces derniers lui réservent. Les salariés comprendraient
lors du transfert de leur entreprise. Ils ne parviennent alors mieux que leur dirigeant ne puisse plus continuer
pas toujours à annoncer leur départ, notamment en à faire partie de l’entreprise, et que cette dernière doit se
interne. Cependant, d’un point de vue légal, le chef passer de lui, lui survivre et s’habituer à un nouveau
d’entreprise a l’obligation de notifier le changement dirigeant.
aux instances représentatives, si elles existent, préala-
blement au transfert de l’entreprise. D’après Monassier On comprend alors pourquoi la vente doit être annon-
(2003), le comité d’entreprise, le cas échéant les délé- cée, et qu’il serait une erreur de tenir à l’écart les
gués du personnel, doit être obligatoirement informé et salariés de cette décision en les mettant devant le fait
consulté sur l’opération envisagée. En l’absence de accompli, une fois que le repreneur est physiquement
représentants du personnel, aucune disposition légale dans les murs. Préparer sa transmission en interne
n’impose d’informer individuellement les salariés apparaît absolument indispensable ; les cédants
concernés par le changement. Le chef d’entreprise n’a devraient admettre le principe de la transparence, c’est-
pas l’obligation de leur faire connaître qu’ils passent au à-dire de passer d’une communication très souvent
service d’un nouveau dirigeant. Il n’existe pas de recette altérée à une communication authentique. Pourtant,
universelle en la matière. nous ne pouvons nier que cette attitude ne semble guère
naturelle. L’opération continue d’être encore trop
Mais ce qui est sûr c’est que les chefs d’entreprises ne souvent effectuée à la hâte, discrètement, comme s’il
souhaitent aucunement éveiller les soupçons et inquiéter était honteux d’arriver à l’âge de la retraite ou de
les employés avec lesquels ils ont souvent bâti leur vouloir vendre son entreprise (Bauer, 1993).
entreprise. Cette crainte de leur part peut paraître
fondée ; elle doit cependant être relativisée car il semble Ainsi, il semblerait qu’il faille aller jusqu’à changer les
que ce soit cette situation qui peut engendrer paradoxa- mentalités des chefs d’entreprise pour mettre en appli-
lement de l’inquiétude et de l’insécurité. D’ailleurs, cation cette recommandation. Ce que nous venons de
sous la pression des événements, les cadres et proposer pourrait finalement avoir pour principal objec-
employés de l’entreprise éprouvent eux aussi une tif de leur faire accepter de manière plus sereine la vente
certaine difficulté à aborder ce sujet avec leur dirigeant de leur affaire et surtout d’« encaisser » le choc de leur
et ont tendance à se replier sur eux-mêmes. Ils devien- récente décision en rompant le silence dans lequel
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La responsabilité sociale dans une transmission/reprise d’entreprise : une prise de conscience nécessaire
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beaucoup trop d’entres eux s’enferment lors du transfert 2.1 - Le problème de l’accompagnement
de leur entreprise…
Il apparait donc primordial de considérer la transmis- Selon le type de repreneur, la problématique de
sion comme un acte naturel de gestion. Les chefs d’en- l’accompagnement se posera ou ne se posera que dans
treprises en partance doivent le prendre comme tel et le une moindre mesure. En effet, un membre de la famille
gérer comme une preuve de leur responsabilité sociale. ou un salarié a déjà une certaine familiarité avec
Malheureusement, l’existence d’un plan-transmission l’entreprise reprise. Or, la situation est différente
reste encore trop souvent l’exception et non la règle, lorsque l’entreprise est cédée à un « étranger », c’est-à-
avec les conséquences que l’on connait dont la plus dire à un repreneur venant de l’extérieur. Ne faisant pas
dramatique est le dépôt de bilan suite à une transmission partie de la « maison », aucun avantage ne lui est conféré
non préparée. Néanmoins, si les échecs sont imputables par rapport à des repreneurs issus du giron familial ou
à la responsabilité du cédant, il n’en reste pas moins révélés par l’entreprise. Il semble que ce dernier cas
qu’une part non négligeable de l’échec trouve aussi sa représente la forme la plus risquée des trois. En effet,
source dans la personne même du repreneur : incompé- avoir été cadre dans une grande entreprise ne prédispose
tence du futur chef d’entreprise (manque d’expérience, pas nécessairement à réussir comme dirigeant de PME.
difficulté à maintenir les relations avec les fournisseurs Même s’ils possèdent des qualités professionnelles
ou clients...), problèmes de gestion de l’entreprise après indiscutables, ils manquent de connaissances sur les
reprise (erreur de gestion, problèmes d’organisation spécificités de la PME et de la vie de patron de PME
interne, départ d’un collaborateur-clé...) ; autant d’élé- (Bloy et Deruy, 2004). A son arrivée, il doit donc être
ments qui sont des entraves à la pérennité de formé au métier de dirigeant. C’est pourquoi il est
l’organisation. Alors, comment faciliter le relais pour essentiel de s’attacher à mettre en œuvre un travail
que l’entreprise puisse entrer dans une phase de stabilité d’accompagnement, durant une période de transition.
(après le processus de changement mis en œuvre) ?
C’est ce que nous allons voir en nous plaçant doréna- La transition5 se traduit par le maintien du cédant dans
vant du côté du repreneur en ce qui concerne sa respon- l’entreprise afin d’assurer un passage de relais en
sabilité sociale. douceur car le poids du cédant dans l’activité peut
s’avérer très important : par les revenus qu’il génère par
son propre travail direct, par son relationnel qui permet
de conserver les clients importants ou d’obtenir des
2. La responsabilité du repreneur : conditions avantageuses des fournisseurs, par son
penser à la « prise en mains » savoir-faire qui peut dans certaines activités constituer
de l’entreprise et à réussir l’essentiel du résultat de l’entreprise. La finalité est
donc de pérenniser le « savoir-faire organisationnel »
son intégration (Estève, 1997) en facilitant les contacts du repreneur
auprès des partenaires clés de l’entreprise. Le vendeur
En règle générale, le repreneur consacre essentiellement peut ainsi introduire l’acheteur auprès du personnel et le
ses efforts sur la phase préparatoire au rachat : choix de légitimer auprès de celui-ci. Dans le même ordre d’idée,
l’entreprise, montages juridico-technico-financiers, il peut inciter les clients à rester fidèle à l’entreprise, et
négociations. Une fois l’entreprise acquise, il a souvent présenter son remplaçant aux fournisseurs stratégiques.
la « satisfaction du devoir accompli ». La dépense De plus, même si le repreneur arrive, comme c’est sou-
d’énergie fournie lors des négociations le conduit vent le cas, avec ses propres banquiers, une certaine
fréquemment à un comportement de relâchement et continuité de la relation bancaire peut également être
d’apathie. Pourtant, le « droit d’entrée » ne peut lui avantageuse. Durant cette période de cohabitation,
laisser croire que les choses les plus sérieuses sont l’ancien dirigeant peut donc aider le nouveau dans sa
terminées ; il doit au contraire commencer tout de suite démarche de reprise, et l’encadrer dans sa prise de fonc-
à penser à l’ « après ». Le problème est que même si le tion opérationnelle en jouant un rôle de « mentor »6.
repreneur a été choisi, rien ne peut prédire son compor-
tement, ni sa réussite dans sa nouvelle fonction de chef 5 Pour l’entrepreneur qui cède son entreprise, trois possibilités sont
d’entreprise. Surtout que sans repère, ni certitude, il doit envisageables : soit quitter l’entreprise aussitôt la cession effectuée
(le cédant s’en va immédiatement, se contentant de remettre les clés
affronter provisoirement le cédant lors de la phase de au repreneur) ; soit rester pour une période contractuelle (ce dernier
transition et durablement l’entreprise et ses partenaires. offre une assistance ponctuelle et limitée sous forme de CDD) ou
C’est pour cela qu’il ne doit pas manquer « son entrée démarrer une nouvelle vie avec l’acquéreur (il est intégré dans la
en scène » car c’est par là qu’il obtiendra une véritable structure rachetée) (Lambert, Landic & Lheure, 2003).
reconnaissance. Quel est donc pour lui le sens de sa 6 D’ailleurs, les mesures prises par le Ministre des PME (Loi du 2 août
2005) tentent à renforcer l’accompagnement du repreneur en créant
responsabilité sachant qu’il est sur la « corde raide » du tutorat en entreprise (pour les TPE en particulier) et en instituant
lors de la prise en mains, avec le risque de compromet- une prime à la transmission d’entreprise lorsque le cédant accompa-
tre le succès du rachat ? gne le repreneur.
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La responsabilité sociale dans une transmission/reprise d’entreprise : une prise de conscience nécessaire
Sonia BOUSSAGUET - Jean-Marie ESTÈVE
C’est un bon moyen pour le repreneur de s’arroger des ci afin d’éviter tout faux pas. Il ne peut s’en priver sous
compétences du cédant afin de gagner en crédibilité et peine de mettre en péril les acquis de l’organisation
légitimité. alors qu’il a besoin de bases solides pour lancer son
projet…
Malheureusement, force est de constater que cette situa-
tion est rarement idéale. Même si le chef d’entreprise D’un point de vue technique, afin de favoriser une totale
est disposé à accompagner son remplaçant, il ne joue clarté sur le plan du pouvoir dans l’entreprise et ainsi
pas toujours le jeu de la continuité. D’après Boussaguet s’éviter toutes difficultés relationnelles au moment de la
(2005), plusieurs raisons peuvent être avancées pour passation des pouvoirs, il apparaît nécessaire de régir
comprendre pourquoi la collaboration entre l’ancien et les modalités de fonctionnement du quotidien (Chabert,
le nouveau propriétaire s’est révélée difficile, voire 2005) et de réduire la durée de transition dans l’intérêt
conflictuelle : la difficulté du cédant à se détacher de de l’entreprise. D’après nous, ce n’est qu’à cette condi-
son entreprise, la forte personnalité affichée par l’ancien tion que la coopération entre les deux hommes pourra
dirigeant pouvant écraser la crédibilité du nouveau, des pleinement s’exercer et que la période de transition
stratégies ou « visions » parfois divergentes ou des offrira ses avantages : réalisation du transfert des
styles de management opposés, ou bien le risque de connaissances et du savoir-faire, stabilité de l’entreprise,
découvrir des « cadavres dans les placards ». Pour ces légitimation du repreneur. La situation sera alors totale-
raisons, l’accompagnement après la vente peut se révé- ment claire pour le personnel de l’entreprise…
ler explosif, et la suite difficile à vivre, surtout dans le
cas de litiges. Si ces derniers se terminent devant les 2.2 - L’impatience
tribunaux, cela peut être véritablement destructeur pour et l’isolement du repreneur
l’entreprise reprise dans la mesure où le nouveau
dirigeant sera amené à s’en « éloigner » pour gérer ses Lorsque le repreneur prend les rênes de l’entreprise, il
différends avec le cédant. Or, il n’est pas aisé de semble souvent aveuglé par son nouveau statut de
s’opposer de fait à un dirigeant devant les salariés. dirigeant, parfois « pris dans le fantasme de la toute
puissance narcissique (« j’ai le pouvoir ») » (Amado &
C’est pourquoi, bien que la présence du cédant appa- Elsner, 2004). Or, à ses débuts dans l’organisation, il
raisse fondamentale, la période de transition se présente apparaît impossible d’arriver dans l’entreprise en vou-
comme une période délicate qu’il convient de gérer en lant aussitôt tout révolutionner sous prétexte d’être le
douceur, en prenant soin d’éviter toutes maladresses. nouveau dirigeant.
Pour que cet accompagnement soit bénéfique, il importe
que le repreneur mesure la volonté de transparence du Bien qu’il ne puisse échapper à sa responsabilité de
cédant et son degré de coopération. Mais surtout, le prendre des décisions immédiates et sentir le besoin
repreneur doit comprendre qu’il est difficile pour des d’imposer certains éléments clés de l’organisation (but,
cédants, notamment pour ceux qui doivent passer le cap valeurs, mission…), le repreneur ne doit pas se montrer
de la retraite, de mettre fin à des années de travail alors trop pressé, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord,
qu’ils ont centré leur vie sur leur activité professionnelle. le cédant appréciera rarement qu’on lui fasse compren-
Le dirigeant qui doit volontairement partir et léguer sa dre que « son enfant a vieilli » (Lecointre, 2002), et
place s’accommodera souvent très mal de cette situa- qu’il est urgent de le faire évoluer dans une nouvelle
tion, se trouvant face à un repreneur qui respectera ou direction. Ensuite, les salariés risquent d’être davantage
non ce qu’il a mis tant de temps et d’énergie à construire. inquiets s’ils comprennent que le repreneur n’a aucune
C’est pourquoi nous suggérons que le repreneur fasse « bonne » intention envers l’entreprise, la considérant
preuve durant cette phase transitoire de beaucoup de uniquement comme un moyen de spéculation pour s’en-
« psychologie » sans pour autant se laisser entraîner par richir, sans se préoccuper du reste7. Une telle attitude de
l’affectif ; c’est-à-dire qu’il doit cultiver l’empathie à la part du repreneur créera inévitablement un blocage
l’égard du cédant tout en conservant une certaine luci- qu’il s’agit d’éviter. Autrement dit, il semble plus
dité. Les praticiens (Duplat, 2003 ; Roullois, 2005…) prudent de ne pas se lancer trop rapidement dans une
préconisent de n’avoir aucune « dispute », aucun « mot course au développement, surtout lorsqu’il s’agit d’un
dur », aucune « remarque désobligeante » devant le repreneur qui ne vient pas du métier. Cela pourrait être
personnel. La règle d’or est de ne pas froisser l’ancien
dirigeant. D’après nous, il semble souhaitable que le
repreneur tienne à son tour un rôle d’ « accompagna-
teur » du processus de deuil du cédant. Le cédant, se 7 Actuellement, le ministre de la Justice prépare une loi visant à pré-
sentant « compris », se trouvera alors dans une situation venir les faillites et à assainir les pratiques dans les tribunaux de
où il lui sera difficile de « refuser » de passer la main… commerce. Cette loi mettrait un terme aux agissements de certains
repreneurs professionnels qui rachètent pour un franc symbolique
surtout que l’apprenti dirigeant doit profiter pleinement une entreprise pour s’en débarrasser ensuite. Ces « serial repre-
de l’expérience et du soutien que peut lui octroyer celui- neurs » agacent de plus en plus les tribunaux.
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La responsabilité sociale dans une transmission/reprise d’entreprise : une prise de conscience nécessaire
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perçu par les salariés comme une forme d’arrogance de Prendre sa responsabilité, c’est penser à la « prise en
la part du repreneur, désireux d’acter son contrôle. Cette mains » de l’entreprise, trop souvent encore mise à
impatience, voire arrogance, pourrait ébranler leur l’écart dans l’esprit des repreneurs. Mais surtout, durant
confiance, leur motivation. Procéder de la sorte serait cette étape, nous ne saurions trop leur recommander de
donc une grave erreur. Il ne peut se permettre de penser à se garantir d’une intégration de qualité ; faute
« débarquer » dans l’entreprise, avec ses bagages de quoi ils s’exposeront à de sérieux revers : méconten-
(Rollin, 2006) sans la découvrir au préalable et s’en tement des salariés, perte des clients, refus des fournis-
imprégner. Sinon, il est évident que si ce dernier prend seurs, banquiers moins compréhensifs… De manière
des décisions importantes (telles que la diversification plus générale, ils doivent être sensible au fait qu’ils ont
produit, la conquête de nouveaux clients, un déménage- leur part de responsabilités pour mener à bien leur
ment…) avant de mieux connaître l’organisation et nouvelle « mission » et garder en tête qu’une reprise a
recevoir l’adhésion de ses membres, il s’expose à pour objectif d’assurer la croissance de l’entreprise et le
prendre un certain nombre de mauvaises décisions qui maintien (ou le développement) de l’emploi, y compris
peuvent mettre en péril sa crédibilité, et constituer une les leurs.
source d’instabilité à moyen terme, des erreurs dont les
plus graves peuvent conduire à la défaillance de l’entre-
prise…
Conclusion
Ainsi, le repreneur doit montrer avant tout qu’il est
l’« homme de la situation » ; mais il se peut aussi qu’il
ne parvienne pas à rallier les salariés derrière lui, parce Tout événement au sein d’une PME ne peut faire perdre
qu’il n’y accorde, à tort, pas vraiment d’importance. de vue la RSE faute d’isoler la PME de son contexte et
Pourtant, il faut qu’il prenne conscience qu’il n’agit pas de s’attirer la foudre des acteurs… Cette RSE, qui est
seul dans l’entreprise. Cette prise de conscience est finalement du ressort des dirigeants sortants et entrants,
d’autant plus indispensable que le repreneur n’a pas gagnerait à être plus connue d’autant que nous sommes
l’assurance que son projet de reprise va aboutir. C’est en situation d’urgence au vu de la démographie entre-
pourquoi il ne peut se permettre d’ériger ses principes preneuriale annoncée. La responsabilité bi-directionnelle
du haut de sa « tour d’ivoire ». Il a besoin des salariés de ces acteurs se doit d’être engagée dans de telles
pour concrétiser sa vision future et pour atteindre les situations ; faute de quoi beaucoup d’entreprises dispa-
buts de l’entreprise. Dès son arrivée, celui-ci doit être raîtront, avec le gâchis que cela peut occasionner, ou
sûr de pouvoir les garder pour s’en faire des alliés qui seront rachetées par d’autres entreprises, voire des
vont le soutenir dans sa reprise, notamment les collabo- intérêts étrangers…
rateurs clés qui représentent la mémoire de l’organisa- La question qui reste en suspens est alors de savoir si
tion mais aussi parce que ce sont les « seuls » promo- dans le contexte africain, les acteurs se préoccupent de
teurs de l’entreprise, ceux qui vont parvenir à la faire la transmission/reprise des entreprises existantes, et
vivre au quotidien, le fondateur n’étant plus des surtout si ces derniers prennent ou non conscience de la
« leurs ». Mais, le repreneur peut parfois développer un responsabilité sociale qui leur incombe ? Ce qui est sûr,
clivage du type « moi-eux » alors qu’il devrait susciter c’est que l’industrialisation du Magreb posera tôt ou
de l’adhésion et de la motivation à l’endroit de ses tard cette problématique avec acuité. Par anticipation,
idées. Ce faisant, il peut se retrouver face à des salariés nous suggérons donc aux entrepreneurs africains
qui refusent d’obéir ou ne respectent pas ses règles et d’apprendre des erreurs des autres afin d’éviter les
ordres. Ce qui peut créer un climat pesant et nuisible à écueils que connaissent actuellement les pays industria-
la reprise. Dans le cas d’un enlisement de la situation, lisés.
les salariés peuvent même aller jusqu’à décider de
quitter l’entreprise. Ceux qui ont une « valeur de mar-
ché » auront tendance à rechercher des opportunités à
l’extérieur de l’entreprise. Or, on sait bien qu’avec le
départ de salariés, des connaissances stratégiques et un
savoir-faire exemplaire peuvent être littéralement
perdus pour l’organisation. Cette fuite de compétences
(notamment, en cas d’absence de clauses de non-
concurrence dans les contrats de travail) peut se réper-
cuter de façon désastreuse sur l’entreprise. Le danger
est que cela conduise le repreneur à se retrouver isolé et
à souffrir de la « solitude » du leader (Gumpert et Boyd,
1984)… cause majeure de difficulté, voire d’échec lors
de la prise en mains.
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La responsabilité sociale dans une transmission/reprise d’entreprise : une prise de conscience nécessaire
Sonia BOUSSAGUET - Jean-Marie ESTÈVE
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Grenoble.
60
Le rôle des stéréotypes dans le management de la diversité culturelle : le cas de l’Afrique
Martine BRASSEUR
Le rôle F
ace à la diversité culturelle dans un contexte d’in-
ternationalisation, deux réponses antagonistes
semblent envisageables : la convergence et la
des stéréotypes
divergence (Peretti & Cazal, 1993). La première postule
l’existence de modèles universels de gestion qui trans-
cenderaient les frontières et procèderaient par assimila-
tion. La seconde considère les décalages culturels
management
Daniel Bollinger et Geert Hoftstede (1987) ou de
Philippe d’Iribarne (1989), il semble difficile d’occulter
que les manières de gérer les entreprises varient en
fonction des particularités nationales. Le rejet de l’uni-
de la diversité
versalité ressort même comme déterminant pour favori-
ser les ajustements réciproques dans le jeu multiculturel
qui s’instaure au sein des organisations (d’Iribarne &
culturelle : le cas
al., 1998). Cette approche par la divergence laisse entre-
voir une nouvelle modélisation des pratiques de gestion,
intégrant la variété des cultures comme l’une des carac-
téristiques des situations professionnelles et réintrodui-
de l’Afrique1
sant la notion d’universalité à un autre niveau. Il s’agi-
rait pour le manager d’identifier les processus à l’œuvre
dans un management de la diversité culturelle qui puisse
conjointement être considéré comme socialement
responsable. L’exercice est d’autant plus périlleux que
comme le précisait Hofstede (1994, p. 269), les contacts
interculturels entre groupes « ne débouchent pas auto-
matiquement sur une compréhension mutuelle ». L’une
Martine Brasseur des raisons nous semble en être le rôle joué par les
Maître de Conférences stéréotypes dans nos relations aux autres. Systèmes de
Université Paul Cézanne, IAE d’Aix-en-Provence défense identitaire et d’orientation, ils se présentent
[email protected] comme inévitables. Vecteurs d’ethnocentrisme ou de
discrimination, ils restent à débusquer et à abandonner.
Que faire des stéréotypes lors de l’élaboration des
pratiques de gestion dans un contexte multiculturel ?
En nous appuyant sur une revue de la littérature, nous
nous proposons d’apporter quelques éléments de répon-
ses à cette question tout en requestionnant l’opposition
entre universalisme et contingence.
61
Le rôle des stéréotypes dans le management de la diversité culturelle : le cas de l’Afrique
Martine BRASSEUR
62
Le rôle des stéréotypes dans le management de la diversité culturelle : le cas de l’Afrique
Martine BRASSEUR
résultats d’une recherche menée au Sénégal et portant chaque culture un style de management approprié peut
sur 39 entreprises, dont 24 purement sénégalaises et être identifié. Il décrit ainsi comment une méthode déri-
15 filiales d’entreprises occidentales pour affirmer que vée de l’Ecole des Relations Humaines et s’appuyant
« les grandes entreprises et les filiales des groupes occi- sur le débat fut très bien accueillie par des Mauritaniens
dentaux ont tendance à produire et à utiliser plus les d’une société minière, pour lesquels la parole est au
données comptables que les entreprises purement afri- cœur du lien communautaire. Il ressort de ces recher-
caines » (p. 24). En finalité, ces constats, malgré ches l’affirmation à la fois d’un fort potentiel d’ajuste-
l’objectif plus ou moins explicite de leurs auteurs de ment des pratiques de gestion à la culture africaine et du
favoriser le développement économique de l’Afrique, caractère hasardeux de la prédiction qu’ancrages cultu-
s’avèrent doublement paradoxaux. Tout d’abord, bien rels africains et modernité gestionnaire sont antagonistes
malgré eux, ils se trouvent en forte résonance avec de façon irrémédiable et irréductible. Sous cet angle
l’idéologie coloniale, « à savoir la légitimation du sys- postulant la convergence entre besoins organisationnels
tème par référence aux niveaux différentiels de déve- et culture africaine, le manager a le choix entre une
loppement et par l’attribution d’un stéréotype d’incom- démarche volontariste de traducteur des dispositifs de
pétences au colonisé » (Licata & Klein, 2005, p. 274). gestion, et une approche optimiste pariant sur l’émer-
En second lieu, cantonnant la gestion à un modèle gence de dynamiques contingentes d’appropriation des
unique et universel en divergence avec la culture afri- modèles de management occidentaux (voir schéma 1).
caine ramenée à une donnée contraignante, il place le
manager dans une situation de double contrainte : ou Traiter des cultures nationales et en préciser les spécifi-
bien suivant une démarche volontariste, il prend un rôle cités est déjà une façon de requestionner la notion
d’éducateur avec une mission d’acculturation des afri- globale de culture continentale africaine et d’abandonner
cains afin de leur permettre de développer les compor- le stéréotype de « l’Africain ». Face au constat du carac-
tements professionnels exigés par les entreprises, tère pluriculturel de l’Afrique et de la multiplicité des
auquel cas il impose sa propre vision ; ou bien il renonce groupes communautaires au sein des organisations, des
avec fatalisme aux principes organisateurs et de gestion. travaux ont été menés en s’appuyant sur la notion d’eth-
Dans un cas il est un gestionnaire ethnocentriste, dans nie dans l’objectif d’approcher au plus près le sentiment
l’autre il prend en compte la culture mais ne gère plus identitaire et d’affiner les différenciations culturelles.
(voir schéma 1). Au Cameroun, l’existence de plus de 240 ethnies a ainsi
été recensée. Pour le manager, le principal enseigne-
Comme le remarquait d’Iribarne (1993), cette approche ment est que l’organisation reproduit en interne les
de la gestion « ne veut ainsi connaître qu’une vision dynamiques de son environnement culturel. Fouda
rationnelle des organisations, à laquelle tout devrait se Ongodo (2004) a ainsi mis en évidence les différences
plier. Or il existe dans les sociétés africaines, comme de conceptions de l’entrepreneur en Afrique Centrale
dans les autres sociétés, des mécanismes traditionnels entre un groupe Pahouin et un groupe Bamiléké et mon-
qui, dîment réinterprétés, sont utilisables dans les entre- tré qu’elles induisent des pratiques différentes de ges-
prises modernes » (p. 59). Il cite ainsi la place de la tion. Ahiauzu (1983), cité par Delalande en 1987, avait
recherche du consensus dans les sociétés africaines et déjà souligné au préalable sur la base d’une étude com-
l’importance accordée aux intentions et non aux actes, parative entre quatre entreprises textiles du Niger, deux
qui peuvent être considérées au regard des pratiques implantées en pays Haoussa et deux en pays Ibo, la
occidentales comme génératrices de difficultés dans corrélation entre le mode d’exercice du pouvoir dans les
l’exercice des responsabilités ou pour l’appréciation entreprises et le mode d’exercice du pouvoir dans les
professionnelle. Une autre approche de ces caractéris- ethnies. La conclusion pour le manager dépendra du
tiques est de préconiser un style de management évitant mode d’adaptation des modèles de gestion préconisé.
les affrontements ouverts et les relations de méfiance ou Face au constat du style paternaliste en pays Haoussa,
d’hostilité et de mettre en place un dispositif évaluant ce associé à une allégeance à l’autorité tandis que le pays
que les personnes ont accepté de faire plutôt que ce Ibo privilégie l’initiative individuelle et les rapports de
qu’elles ont réussi à faire. Etudiant en 1998 le succès de collaboration, une conception volontariste considèrera
l’instauration d’une démarche « Total Quality que le rôle du manager est de développer sa virtuosité
Management » jugée initialement par les experts dans l’utilisation de toute la panoplie des styles de
comme antinomique avec la mentalité marocaine, management, pour se transformer en chef d’orchestre
d’Iribarne (d’Iribarne & al., 1998) montre ainsi que les dans les organisations pluriethniques. Si l’émergence
valeurs communes que cette démarche a permis de faire des pratiques est considérée comme contingente, le
émerger dans une usine marocaine de Thomson, pré- manager sera alors chargé de les accompagner et pren-
sentent une forte proximité avec les préceptes de dra une position d’expert sélectionné pour sa connais-
l’Islam. Cette identification au sacré a incité les maro- sance approfondie des spécificités locales, ou une posi-
cains à vivre le TQM comme normal. De la même tion d’ethnologue avec pour mission de les identifier
façon, Henry (d’Iribarne & al., 1998) souligne que pour (voir schéma 1 - page suivante).
63
Le rôle des stéréotypes dans le management de la diversité culturelle : le cas de l’Afrique
Martine BRASSEUR
Schéma 1 : Les conceptions du rôle du manager en Afrique dans la gestion de la différence culturelle
Manager Manager
Virtuose Expert culturel
Ou Chef d‛orchestre Ou Ethnologue
Local
Mode de Stéréotypage de la Culture
Or, à l’image des générations futures d’africains nés en nomène pourrait apparaître comme incontournable. Les
pays Haoussa qui risquent de rester associées à un style psychosociologues ont mis ainsi en évidence que les
dont le qualificatif de paternaliste est connoté négative- stéréotypes développés par les individus influencent
ment en occident, ces approches, qu’elles soient globales inconsciemment leur comportement et leurs performan-
ou locales, figent chaque culture dans le temps et dans ces (Guimond & Roussel, 2002). Or, d’autres travaux
l’espace. Ainsi Gosselin (1986), remettra t-il en ques- ont démontré que cet effet se trouvait neutralisé lorsque
tion l’usage de la notion d’ethnie, qui « hésite entre le les sujets étaient alertés de l’impact potentiel de leur
registre de la culture et celui de la nature » (p. 71) pour stéréotype sur leur manière d’agir (Dijksterhuis, Bargh
s’interroger sur la démarche d’étude des sociétés & Miedema, 2000). Si les stéréotypes ressortent comme
africaines : l’ethnologue « ne les réifie t-il pas dans leur inévitables et même nécessaires car ils fournissent les
tradition ? » (p. 72). Au final stéréotypées, les cultures repères cognitifs pour orienter l’action (Dodier, 1993),
africaines en ressortent comme cantonnées dans une considérer le mode d’affirmation identitaire unique-
différence que le manager, porteur des modèles ment comme culturel et figer la catégorisation des cul-
occidentaux est en charge de gérer. tures dans le temps et dans l’espace ne représentent
qu’un des modes de stéréotypage possibles, à la fois le
plus fréquent et le plus porteur d’effets négatifs. En
Vers un nouveau mode effet, « les fonctions constructives du stéréotype ne peu-
vent être perçues qu’à partir du moment où on renonce
de stéréotypage à le considérer de façon statique dans ses contenus et
ses formes figés. Ce qui doit retenir l’attention, c’est la
pour un management façon dont un individu et un groupe se l’approprient et
le font jouer dans une dynamique des relations à l’Autre
de la diversité et à Soi » (Villain-Gandossi, 2001, p.38). Par ailleurs,
les sujets peuvent être considérés comme traversés
d’identités multiples sans cesse brassées, les différences
Le cas des femmes s’en trouvant en partie maintenues et reproduites, et en
entrepreneures en Afrique partie abandonnées et construites (Wieviorka, 2001).
Les pratiques de gestion peuvent alors être distinguées
Percevoir les différences culturelles comme irréducti- en fonction du mode de stéréotypage qu’elles adoptent
bles et non évolutives, n’est ce pas au final retomber et qui découlent du croisement de deux dimensions. La
dans un universalisme ethnocentriste ? Que les pra- première oppose les modes de catégorisation fermés qui
tiques soient considérées comme contingentes ou non, figent les stéréotypes aux modes de catégorisations
si elles émanent d’une catégorisation préalable des ouverts qui s’inscrivent dans une dynamique de redéfi-
cultures, elles ne peuvent que véhiculer les stéréotypes nition permanente. La seconde dimension concerne les
induits par la théorie implicite à l’origine de leur diffé- modes d’affirmation identitaires, prenant en compte soit
renciation (Wagner & Yamori, 1999) et, suivant un uniquement le facteur culturel soit une pluralité de
processus souligné en sociologie par Bourdieu (1980), facteurs (voir schéma 2). Cette distinction oppose en
contribuer à reproduire ce qu’elles désignent. Le phé- finalité la gestion de la différence culturelle postulant
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Le rôle des stéréotypes dans le management de la diversité culturelle : le cas de l’Afrique
Martine BRASSEUR
Ouvert (dynamique)
Management Management
interculturel de la diversité
Contingence de la Contingence des
Convergence et de la Divergences/Convergences*
Complémentarité culturelle*
Fermé (figé)
* Théorie implicite
Mode de catégorisation
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Le rôle des stéréotypes dans le management de la diversité culturelle : le cas de l’Afrique
Martine BRASSEUR
Le management de la diversité ressort par construction sociétés » (Traore, 1990, p.9). Le deuxième stéréotype
de notre typologie comme le plus prometteur. Sa mise porte sur la catégorisation par le genre, qui est perçue
en œuvre reste toutefois entravée par la persistance des comme problématique d’un point de vue éthique et
stéréotypages cantonnant la culture à une donnée figée conduit à rejeter cette forme de différenciation identi-
et unique. Le cas des africaines entrepreneures illustrent taire dans les organisations. Ryckmans (2001) présente
les blocages dans la mise en œuvre d’une approche ainsi une typologie des stratégies d’évitement de la
ouverte et plurielle. La place de la femme dans les prise en compte du genre par les ONG en Afrique, qui
sociétés africaines a fait l’objet de nombreuses études amène la plupart d’entre elles à assimiler la question de
essentiellement depuis les années 1980, indissociables l’activité féminine à celle de l’activité masculine et à se
du thème de son émancipation individuelle. Il en détourner des phénomènes d’exclusion, car elles ne
ressort que pour accéder aux emplois rémunérés comme savent pas comment l’aborder. Cette conception du
pour migrer vers les villes, les femmes ont dû « rompre genre comme porteur de dérapage dans le domaine pro-
avec la coutume » (Coquery-Vidrovitch, 2001, p. 6). fessionnel peut être reliée à l’absence de cadre éthique
À l’époque coloniale, elles ont été cantonnées à des permettant d’orienter les pratiques sans risque de s’éloi-
activités dites informelles, c’est-à-dire non enregistrées gner des principes de la responsabilité sociale des entre-
ou non contrôlées par le colonisateur (Van Onselen, prises. Selon Jaggar & Mc Bride (1985), la pensée
1982). Si le rôle doublement oppressant de la conjugai- éthique traditionnelle a contribué à faire jouer à la
son des règles coutumières et du message colonial femme le rôle d’éternelle subordonnée, tandis que pour
concernant la sujétion des femmes est aujourd’hui bien Kujala et Pietläinen (2004), cette situation est due au
établi (Jeater, 1993), plusieurs auteurs ont mis en évi- fait que la pensée contemporaine en matière d’éthique a
dence que cette situation les a contraint à innover et à été développée par les philosophes du genre masculin
inventer (Comhaire-Sylvain, 1982 ;Cordonnier, 1987), qui n’ont pas perçu la nécessité d’intégrer la dimension
pour se lancer comme stratégie de survie dans une acti- du genre. La première n’est plus acceptable ;la seconde
vité de « marketwomen ». Il est aujourd’hui avéré que n’est d’aucune aide.
cet esprit d’entreprise féminin a joué un rôle important
dans le développement économique de l’Afrique dès En effet, comment manager la diversité en refusant
l’époque précoloniale et se trouve enraciné dans la cul- d’intégrer la dimension identitaire du genre ? Face à la
ture des femmes africaines. Robertson (1997) distingue création d’entreprises par les femmes, le cantonnement
ainsi le commerce de survie des Kényanes mis en œuvre à un mode de stéréotypage uniquement culturel et fermé
à défaut d’autres moyens de subsistance, de celui prati- ressort même comme l’un des principaux freins à la
qué non pas par défaut mais de façon positive par les modélisation des pratiques efficientes. Seul le dévelop-
côtières d’Afrique de l’ouest. Or ce trait culturel afri- pement des hautes technologies de l’information et de la
cain n’est pas pris en compte dans les études sur l’esprit communication semble pouvoir jouer un rôle émanci-
d’entreprise, de même que cette activité des femmes est pateur. Ainsi une étude menée en avril 1998 (Chéneau-
occultée dans les recensements. Au mieux, dans les étu- Loquay, 2000) a montré d’une part que les sénégalaises,
des sur le sujet, les africaines sont représentées dans les comme les sénégalais, commençaient à s’approprier les
échantillons d’enquête mais sans analyse de leurs attitu- téléphones portables dans leurs activités de « market-
des professionnelles spécifiques, le genre n’étant traité women », qui s’en trouvaient facilitées. D’autre part,
que pour signaler par exemple en 1991 au Sénégal que l’un des premiers sites internet au Sénégal a été créé par
38 % des étudiantes interrogées étaient favorables à la l’Association pour la Promotion de la Femme
polygamie (Lecointre, 1993, p. 73). Deux stéréotypes Sénégalaise, l’APROFES, point d’appui du programme
semblent être à l’origine de cette situation. Le premier « entrepreneuriat féminin » supporté par le centre de
concerne la création d’entreprise, conçue sur le modèle recherche canadien, le CRDI. Il permet aujourd’hui de
du secteur industriel et ne pouvant résulter que d’une mettre en lien les différents groupements de
démarche procédurale (Delalande, 1987). Ne l’APROFES, et vise essentiellement à permettre une
correspondant pas aux critères d’une « économie meilleure diffusion des informations dans le domaine
moderne » réduit essentiellement aux « industries commercial mais aussi des services d’urgence. Il est
industrialisantes », le secteur informel a même été pour- également moteur dans la création d’un réseau interna-
chassé par les forces de l’ordre de l’administration dans tional des femmes entrepreneures et laissent entrevoir
les premières décennies de l’indépendance (Albagli & par delà les échanges d’expériences, l’émergence d’une
Hénault, 1996) et continue à ne pas être pris en consi- nouvelle forme de stéréotypage ne se cantonnant pas au
dération. Ce stéréotype conduit les analystes à poser un critère de culture nationale ou d’appartenance ethnique
diagnostic de carence d’entrepreneurs en Afrique, et à le et procédant par catégorisation contingente, ici en fonc-
présenter comme le principal facteur à l’origine d’une tion du genre et de la profession. Ce réaménagement du
carence de créations d’entreprise : « C’est ce manque stéréotype de l’africaine nous semble potentiellement
potentiel d’entrepreneurs de qualité qui est le facteur en voie de bousculer les modes d’interaction entre
explicatif primordial du retard économique de ces culture et d’interpeler les stéréotypes occidentaux de la
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Le rôle des stéréotypes dans le management de la diversité culturelle : le cas de l’Afrique
Martine BRASSEUR
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Le rôle des stéréotypes dans le management de la diversité culturelle : le cas de l’Afrique
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69
Contribution à l’audit et au contrôle de la responsabilité sociale de l’entreprise
Laurent CAPPELLETTI
Contribution Introduction
à l’audit
La Responsabilité Sociale d’Entreprise (RSE, ou en
anglais CSR, Corporate Social Responsability) signifie
qu’une entreprise doit non seulement se soucier de sa
rentabilité et de sa croissance, mais aussi de ses impacts
la responsabilité
lement responsable vise une performance qui bénéficie
à l’ensemble des parties prenantes (stakeholders) de
l’entreprise et non pas simplement aux actionnaires
(shareholders). La RSE s’inscrit ainsi dans un courant
sociale
ayant une vision élargie de la gouvernance d’entreprise
(Wirtz, 2005). Plus précisément la Commission
Européenne a publié le 18 juillet 2001 un livre vert pour
de l’entreprise
promouvoir le cadre européen pour la responsabilité
sociale des entreprises et donne la définition
suivante de la RSE : l’intégration volontaire des préoc-
cupations sociales et écologiques des entreprises à leurs
activités commerciales et leurs relations avec leurs
parties prenantes (Combemale et Igalens, 2005). On
peut donc distinguer deux RSE : la RSE interne qui tou-
che les salariés de l’entreprise et qui intègre les concepts
de performance économique et de performance sociale.
Et la RSE externe qui touche les autres parties prenantes
Laurent Cappelletti de l’entreprise et qui intègre les concepts de performance
Maître de Conférences économique et de performance sociétale. Notre hypo-
IAE de Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3 thèse de recherche est que la qualité de la RSE interne
est un puissant levier d’amélioration de la RSE externe.
[email protected]
Autrement dit qu’une entreprise qui ne serait pas socia-
lement responsable avec ses salariés a peu de chances
de l’être avec son environnement externe. Dans ce
cadre, il nous a semblé pertinent de poser la probléma-
tique de l’audit et du contrôle de la RSE interne qui peut
s’énoncer en ces termes : quel contrôle de gestion bâtir
et mettre en œuvre pour mieux piloter la RSE interne ?
Afin de répondre à cette problématique, l’article étudie
dans une première partie le concept de RSE et les modè-
les de contrôle de gestion existants, puis propose dans
une deuxième partie un modèle de contrôle de gestion
socio-économique permettant de mieux auditer et
contrôler la RSE interne.
71
Contribution à l’audit et au contrôle de la responsabilité sociale de l’entreprise
Laurent CAPPELLETTI
72
Contribution à l’audit et au contrôle de la responsabilité sociale de l’entreprise
Laurent CAPPELLETTI
de capital intangible, d’actif intangible, de capital de la RSE interne en ne faisant pas également le lien entre
connaissances (knowledge capital), de capital intellec- performance sociale et performance économique. Ainsi
tuel interpellent les actionnaires (Cappelletti et de nombreux travaux étudient le concept de capital
Khouatra, 2004). Le terme de capital intellectuel recou- immatériel et les indicateurs clés de la performance
vre toutes les formes de ressources intangibles ainsi que sociale. Sveiby (1997), Edvinson et Malone (1997)
leur interaction et dépend donc fortement de la perfor- proposent des indicateurs extra-comptables de pilotage
mance sociale (Edvinsson et Malone, 1997). de la performance sociale, pour rendre celui-ci plus
vivant et stimulant. Par exemple, le modèle
1.2 - Les limites des modèles traditionnels d’Edvinsson et Malone (1997), mis en œuvre dans l’en-
de contrôle de gestion pour auditer treprise Skandia, décompose le capital immatériel en
deux branches : le capital humain et le capital structurel.
et contrôler la RSE interne
Edvisson et Malone proposent un outil appelé le navi-
Naro (2004) montre que les modèles de contrôle de ges- gateur de Skandia (Skandia Navigator) divisé en cinq
tion développés depuis environ deux décennies sont domaines qui modélisent la valeur du capital immatériel
fondés sur la maîtrise de la performance économique et de l’entreprise : les finances, les clients, les process, le
ses critères de compétitivité, rentabilité et productivité. renouvellement et le développement, et les ressources
Ils sont inopérants pour mesurer et contrôler la RSE humaines. Ces dernières sont placées au centre du sché-
interne en ne faisant pas le lien entre performance socia- ma de création de valeur car elles irriguent les quatre
le et performance économique. C’est le cas du contrôle autres domaines. Martory (2001) propose quant à lui de
de gestion à dominante financière, centré sur la maîtrise positionner le contrôle de gestion sociale comme com-
de la rentabilité, qui s’est développé en particulier au posante du contrôle de gestion. Son objectif est d’aider
niveau des groupes. Le critère dominant est ici la renta- au pilotage de la performance socio-économique de
bilité des capitaux investis et la création de valeur pour l’entreprise. Le contrôle de gestion nécessite alors la
l’actionnaire. Le contrôle de gestion financier produit mise en place d’indicateurs financiers, pour surveiller la
ses propres représentations de la performance, en parti- survie de l’entreprise, et d’indicateurs sociaux portant
culier il associe étroitement rentabilité et productivité sur la motivation des personnes, pour veiller au déve-
apparente du travail. Dans un tel modèle, la main d’œu- loppement de l’entreprise. C’est un système d’aide au
vre est donc davantage représentée comme un coût que pilotage social ayant pour objectif de contribuer à la
comme une ressource stratégique. Les modèles de gestion des ressources humaines dans leurs performances
contrôle de gestion fondés sur les approches en termes et leurs coûts. Martory (2001) montre que la perfor-
de chaîne de valeur et d’avantage concurrentiel déve- mance sociale s’apprécie à court terme selon des indi-
loppés par Porter (1986), restent également centrés sur cateurs d’efficacité (atteinte des résultats) et d’efficience
la maîtrise de la performance économique, même s’ils (résultats/moyens), et à long terme selon la qualité des
s’accompagnent de représentation forte en matière investissements sociaux réalisés (coût historique du
d’organisation du travail et de gestion des ressources recrutement, coût de remplacement pour l’effet
humaines. Il s’agit par exemple des approches en d’apprentissage). Il propose d’évaluer les indicateurs de
termes de comptabilité et de management par activité, la performance sociale, par les cinq composants du
de la méthode des coûts cibles, de la gestion stratégique personnel-mix : la politique salariale et sociale, la valo-
des coûts de Shank et Govindarajan (1995), du contrôle risation sociale des salariés, le climat et le comporte-
de gestion fondé sur l’empowerment proposé par ment social, les relations paritaires, l’image sociale
Johnson (1992) et en France par Lorino (1995, 1998). Il interne-externe. Ces composants sont des facteurs de la
s’agit là d’un contrôle de gestion essentiellement orienté politique des ressources humaines, mesurables par des
vers la recherche de la compétitivité à partir de la maî- clignotants (par exemple l’absentéisme et le turn-over
trise de la relation valeur-coût. L’une des caractéris- pour le composant climat et comportements social).
tiques de ce nouveau contrôle de gestion tient dans la
place accordée aux acteurs dans le management des per-
formances. Pour Johnson (1992) les acteurs sont à la
source de la compétitivité, par leurs activités créatrices 2. La contribution du modèle
de valeur et génératrices de coûts. Mevellec (1990) de contrôle de gestion
montre que ce nouveau contrôle de gestion déplace socio-économique à l’audit
l’attention du pilotage physico-financier (pilotage par
les chiffres) vers la gestion des ressources humaines et au contrôle de la RSE interne
(pilotage des hommes), mais la performance sociale
n’est pas au cœur de ce modèle. Le modèle de contrôle de gestion socio-économique est
une réponse possible à la problématique du pilotage de
Les modèles de contrôle de gestion sociale développés la RSE interne, conciliant satisfactions sociales et impé-
depuis dix ans restent également imparfaits pour piloter ratifs économiques. Le contrôle de gestion socio-écono-
73
Contribution à l’audit et au contrôle de la responsabilité sociale de l’entreprise
Laurent CAPPELLETTI
mique fondé sur les principes de la théorie socio-écono- De même, il permet de mesurer l’impact qualitatif,
mique des organisations est présenté dans cette partie, quantitatif et financier d’une décision touchant la per-
ainsi que la méthodologie de recherche-intervention1 formance sociale. Le contrôle de gestion socio-écono-
utilisée pour étudier les conditions de son implantation mique est donc centré sur la maîtrise de la performance
dans quatre entreprises entre 1999 et 2003. sociale et son impact sur la performance économique.
Notre hypothèse est qu’il offre à l’entreprise une solu-
2.1 - La conception du contrôle tion pour auditer et contrôler sa RSE interne, en éclai-
de gestion socio-économique rant de façon qualimétrique les liens entre satisfaction
sociale et création de valeur économique.
Le modèle de contrôle de gestion socio-économique se
fonde sur la notion de fonctionnement attendu ou ortho- 2.2 - Méthodologie
fonctionnement qui fait office de norme de référence de la recherche-intervention
dans le calcul. L’entreprise peut être analysée par rap-
port à cette norme de fonctionnement qui permet de Pour étudier les conditions d’implantation du contrôle
réaliser les objectifs de l’organisation en tenant compte de gestion socio-économique et son utilité dans le pilo-
des contraintes sociales. Les indicateurs de dysfonc- tage de la RSE interne, nous avons observé la mise en
tionnements en tant qu’écarts constatés et révélés par place des cinq indicateurs de la performance sociale,
les acteurs d’entreprise par rapport au fonctionnement selon le modèle socio-économique, dans les tableaux de
attendu sont des variables de synthèse qui révèlent un bord de pilotage des managers de quatre entreprises.
état de l’efficience sociale de l’organisation. Les coûts Pour illustrer la démonstration, l’article présente de
cachés, ou pertes de valeur ajoutée, sont la traduction façon détaillée les résultats observés sur deux indica-
monétaire des activités de régulation des dysfonction- teurs, l’absentéisme et la rotation du personnel. En
nements. Les dysfonctionnements révélés par les effet, ces deux indicateurs font partie des indicateurs
acteurs s’inscrivent dans six domaines, qui modélisent sociaux qui connotent très fortement la satisfaction des
la performance sociale d’une entreprise : organisation salariés au travail (Kaplan et Norton, 1996) et dont le
du travail, conditions de travail, gestion du temps, lien avec la performance sociale est bien établi
Communication-Coordination-Concertation (3C), (Candau, 1989). Les résultats présentés s’appuient sur
formation intégrée, mise en œuvre stratégique. Afin de des recherches-interventions menées auprès d’une
les apprécier, dans un premier temps qualitativement, entreprise de transport en commun de 600 personnes
les dysfonctionnements élémentaires sont regroupés en (entreprise A, durée 1 an, 1999), d’un cabinet d’audit et
cinq indicateurs : absentéisme, accidents du travail, de conseil de 55 personnes (entreprise B, durée 1 an,
rotation du personnel, défauts de qualité, écarts de 2000), d’une entreprise d’étude et de conseils en méca-
productivité directe. Pour remédier aux dysfonctionne- nique de 700 personnes (entreprise C, durée 1 an,
ments, l’entreprise met en place des activités de régula- 2001), d’une entreprise de conseil en surveillance et
tion coûteuses en temps et matière ou en produits et sécurité de 800 personnes (entreprise D, durée 1 an,
services non rendus (non-production). Le coût de 2002-2003). Dans les quatre entreprises étudiées, la
l’ensemble des dysfonctionnements est égal à la somme performance sociale ne faisait pas l’objet d’un pilotage
du coût historique des surconsommations de temps et spécifique de la part du contrôleur de gestion et des
matière et des coûts d’opportunité (manque à gagner dû managers. Seules les informations sociales devant figu-
aux non-productions). L’ensemble constitue un potentiel rer dans le bilan social, telles que l’absentéisme, les
d’amélioration de la performance économique globale entrées et sorties de personnel…, faisaient l’objet d’une
en partie caché dans le système d’information comptable collecte et d’un traitement de la part du département des
classique, c’est-à-dire non dénommé, non mesuré et ressources humaines. Consciente néanmoins des coûts
non surveillé. engendrés par les dysfonctionnements sociaux, la
Direction de ces quatre entreprises a souhaité lancer une
En résumé, le modèle de contrôle de gestion socio-éco- recherche-intervention sur l’évaluation et le pilotage de
nomique est centré sur la mesure qualitative, quantitative la performance sociale.
et financière des dégradations de performance sociale.
Il permet à partir de cette mesure initiale, de mesurer les Le protocole de recherche a permis de tester la mise en
gains de valeur ajoutée, ou réduction des coûts cachés, place d’indicateurs de pilotage de la performance sociale
engendrés par les réductions de dysfonctionnements, (en particulier absentéisme et rotation du personnel)
qui correspondent à des gains de satisfaction sociale. auprès de l’encadrement de micro-espaces spécifiques,
leur évaluation qualitative et financière, leur utilisation
dans des tableaux de bord de pilotage, et le rôle du
1 Pour une présentation détaillée de la théorie socio-économique des
contrôleur de gestion dans l’implantation d’un contrôle
entreprises et de la méthodologie de recherche-intervention, nous
renvoyons le lecteur à Savall (1974, 1975) et Savall et Zardet (1987, de gestion socio-économique. Une évaluation qualitative,
2004). quantitative et financière des indicateurs d’absentéisme
74
Contribution à l’audit et au contrôle de la responsabilité sociale de l’entreprise
Laurent CAPPELLETTI
et de rotation du personnel a eu lieu avec l’encadrement L’évaluation réalisée sur le micro-espace C fait, en par-
d’un département technique de l’entreprise A de 114 ticulier, ressortir des pertes de valeur ajoutée significa-
personnes (micro-espace A), du cabinet d’audit et de tives liées à la rotation du personnel de 226 000 e par
conseil (micro-espace B), d’un département étude et an, soit 5 000 e par personne et par an. Les évaluations
calcul de l’entreprise C de 41 personnes (micro-espace réalisées sur les micro-espaces B et D sont de niveau
C), d’une région commerciale de l’entreprise D de 63 similaire. Au total, les pertes de valeur ajoutée engen-
personnes (micro-espace D). L’ensemble représente un drées par les dysfonctionnements sociaux sur les cinq
échantillon de 40 cadres sur un champ d’investigation indicateurs du modèle socio-économique ont été éva-
total de 273 personnes. luées à 30 000 e environ par personne et par an dans
Le mode opératoire de la recherche s’est déroulé selon chacun des quatre micro-espaces étudiés. Ces résultats
les étapes suivantes : permettent de chiffrer les pertes de valeur ajoutée liées
- Les dysfonctionnements, en particulier ceux liés à à des dégradations sociales et éclairent le lien entre
l’absentéisme et à la rotation du personnel, ont été performance sociale et performance économique. Les
identifiés lors d’entretiens avec l’encadrement et le résultats indiquent également que l’évaluation qualitati-
personnel des micro-espaces. ve, quantitative et financière des indicateurs sociaux
- Puis des entretiens individuels de deux fois une heure stimule auprès des managers l’implantation d’un
ont été menés auprès des cadres des micro-espaces contrôle de gestion socio-économique, en montrant les
pour évaluer qualitativement (quelles régulations ?), enjeux économiques d’un pilotage de la performance
quantitativement (quelle fréquence d’occurrence sur sociale. En effet, un indicateur quantitativement faible
un an ?) et économiquement (quelle perte de valeur peut cacher des pertes de valeur ajoutée importantes.
ajoutée sur un an ?) l’impact des dysfonctionnements. Dans le micro-espace C, la rotation du personnel n’est
- Les régulations ont été regroupées selon deux types quantitativement que de 4,8 % par an (tableau 2), mais
d’activité : les activités humaines et les consomma- la perte de valeur ajoutée exprimée en euros est plus
tions de produits (biens ou services). Les quantités de significative (226 000 e par an soit environ 5 000 e par
consommations de produits ou services sont évaluées personne et par an). Les managers du micro-espace A
à partir des coûts effectivement supportés par l’entre- étaient conscients du fort absentéisme touchant leur
prise. Les temps humains sont valorisés à la contribu- équipe (17,3 % par an, voir tableau 1), mais absolument
tion horaire à la marge sur coût variable (CHMCV) ou pas de son impact économique (960 000 e de perte de
contribution horaire à la valeur ajoutée variable. valeur ajoutée par an). Le chiffrage financier a poussé le
- Cette classification des régulations a ensuite été valo- groupe de projet du micro-espace A à proposer et mettre
risée économiquement à l’aide de six composants : les en œuvre des solutions de réduction de l’absentéisme
surconsommations, les surtemps, les non-productions, compressible, bref à traiter le problème.
les sursalaires, la non-création de potentiel, les
risques. En second lieu, les résultats montrent que l’implanta-
- Des groupes de projet ont été constitués par micro- tion d’un contrôle de gestion socio-économique est for-
espace pour proposer des solutions de réduction des tement liée à l’implication politique de la direction de
dysfonctionnements et les mettre en œuvre, après vali- l’entreprise. Dans le cas des micro-espaces B et D, la
dation de la direction de l’entreprise. direction de l’entreprise a décidé d’intégrer un axe
- L’outil tableau de bord de pilotage a été mis en place « mise en place d’un contrôle de gestion socio-écono-
auprès des cadres de chaque micro-espace étudié lors mique » dans le plan d’action stratégique de l’entreprise.
d’une séance de formation-concertation, dans l’objec- Pour décliner ce plan, les managers ont intégré dans
tif d’y intégrer les indicateurs permettant de mieux leur tableau de bord les indicateurs d’absentéisme et de
piloter l’activité. Le tableau de bord de pilotage rotation du personnel. Dans le cas du micro-espace D,
regroupe les indicateurs qualitatifs, quantitatifs et un système simple de reporting socio-économique a été
financiers utiles à la prise de décision et à l’action implanté dans les équipes : les managers inscrivent
d’un manager sur son unité. chaque semaine sur une fiche d’activité, les heures
d’absence des membres de leur équipe avec les motifs,
2.3 - Résultats de la recherche-intervention ainsi que les entrées et les sorties de personnel. Cette
fiche d’activité est adressée par intranet au responsable
En premier lieu, les résultats sur les quatre micro-espa- hiérarchique du micro-espace, qui peut demander l’aide
ces montrent que les dégradations de performance du contrôleur de gestion pour évaluer l’impact écono-
sociale liées à l’absentéisme et à la rotation du person- mique de ces indicateurs. Le responsable hiérarchique
nel entraînent des pertes très significatives de valeur compare l’évolution de ces indicateurs avec les évolu-
ajoutée. Par exemple l’évaluation réalisée sur le micro- tions prévues, et réagit très rapidement en cas de dérive
espace A indique, en particulier, des pertes de valeur de ces indicateurs, pour se concerter avec les managers
ajoutée importantes liées à l’absentéisme de 960 000 e qui connaissent un fort absentéisme ou un turn-over
par an, soit environ 8 000 e par personne et par an. important. La consolidation des reportings socio-écono-
75
Contribution à l’audit et au contrôle de la responsabilité sociale de l’entreprise
Laurent CAPPELLETTI
miques est réalisée mensuellement par le contrôleur de acte réflexe. Sur les 40 cadres de l’échantillon, envi-
gestion et présenté en comité de direction. La direction ron 75 % se sont montrés a priori réticents à mesurer,
de l’entreprise D, pour pérenniser durablement ce traiter et diffuser les indicateurs sociaux de leur équi-
système, a décidé d’intégrer dans les objectifs person- pe. L’étude révèle que ces difficultés ont pour cause
nalisés des managers un objectif de suivi et mise à jour des résistances aux changements. Pour une majorité
des indicateurs sociaux, dont l’atteinte est sanctionnée de managers de l’échantillon, la gestion de l’absen-
par une rétribution économique. Dans le cas du micro- téisme et de la rotation du personnel relève de la
espace B, la direction de l’entreprise n’a pas souhaité responsabilité du service du personnel. L’étude mont-
sanctionner positivement ou négativement le suivi régu- re que la tenue de synchronisations régulières entre les
lier des indicateurs sociaux par les managers, ce qui managers et le contrôleur de gestion, investi politique-
s’est traduit chez certains managers par une program- ment par la direction de l’entreprise, contribue à dimi-
mation peu régulière du suivi de ces indicateurs. Dans nuer cette résistance.
les micro-espaces A et C, en l’absence d’implication
politique de la direction de l’entreprise, l’intégration - Ils sont nécessaires pour des prises de décisions socia-
des indicateurs sociaux dans les tableaux de bord des les critiques, qui dépassent la délégation des mana-
managers n’a pas eu lieu. Ces indicateurs restent gers. Par exemple, dans le micro-espace D, le taux
centralisés au service du personnel, et les managers excessif de rotation du personnel s’expliquait par une
n’agissent pas pour contribuer à réguler l’absentéisme faible attractivité du métier de vendeur proposé dans
et la rotation du personnel dans leur équipe. l’entreprise D (salaire peu motivant, absence de plan
de carrière…). Les actions locales du responsable du
En troisième lieu, les résultats de l’étude montrent que micro-espace D ne pouvaient suffire à diminuer ce
l’implantation durable d’un contrôle de gestion socio- taux, et les actions correctrices (révision des condi-
économique est facilitée par une décentralisation vers tions salariales, création d’une filière commerciale…)
les managers, qui sont au contact direct de l’activité. ont été décidées dans le cadre plus large d’un disposi-
Les observations de terrain rejoignent sur ce point les tif impliquant le contrôle de gestion, la DRH et la
travaux sur la décentralisation du contrôle de gestion et direction générale de l’entreprise.
du pilotage social tels ceux de Martory (2001) et Plane
(2003). En revanche, les observations de terrain mont-
rent que cette décentralisation doit être synchronisée
avec les parties prenantes de la fonction contrôle de ges- Conclusion
tion, ce qui est moins souligné dans ces travaux. Dans
les entreprises B et D, où les indicateurs sociaux ont été
intégrés dans les tableaux de bord de pilotage, des L’article a proposé la conception d’un contrôle de ges-
dispositifs réguliers de synchronisation entre le contrô- tion socio-économique fondé sur la théorie et l’analyse
leur de gestion, la direction de l’entreprise, les mana- socio-économique de l’entreprise, et l’étude de son
gers et la direction des ressources humaines ont été mis implantation durable dans l’entreprise en s’appuyant
en place. Ces dispositifs de synchronisation ont trois sur une recherche de terrain. L’hypothèse centrale déve-
effets principaux : loppée est que ce modèle offre une réponse possible à la
problématique de l’audit et du contrôle de la RSE inter-
- Ils permettent au contrôleur de gestion de jouer un rôle ne. Les résultats de la recherche de terrain ont montré
d’aide et de conseil vers les managers, pour auditer que l’intégration d’indicateurs sociaux qualitatifs, quan-
régulièrement les tableaux de bord de pilotage, et titatifs et financiers dans les tableaux de bord des mana-
s’assurer que les indicateurs sociaux sont évalués avec gers, l’implication politique de la direction de l’entre-
fiabilité. L’étude confirme que la constitution de prise, et la décentralisation synchronisée du contrôle de
tableaux de bord de pilotage simples, dotés d’indica- gestion socio-économique, favorisaient l’implantation
teurs qualitatifs, quantitatifs et financiers, et articulés durable de ce modèle.
aux autres tableaux de bord de l’entreprise, nécessite
un temps d’apprentissage. Par exemple, sur l’ensem-
ble de l’échantillon testé, il est apparu qu’à peine 10%
des cadres interrogés maîtrisaient spontanément une
méthode de chiffrage qualitatif, quantitatif et financier
des indicateurs sociaux.
76
Contribution à l’audit et au contrôle de la responsabilité sociale de l’entreprise
Laurent CAPPELLETTI
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77
Contribution à l’audit et au contrôle de la responsabilité sociale de l’entreprise
Laurent CAPPELLETTI
78
La responsabilité sociale comme forme de démocratisation de la gouvernance d’entreprise
Fabrice CAUDRON - Yannick SCHWAMBERGER
La responsabilité Introduction
sociale comme
Au travers de la terminologie de responsabilité sociale
de l’entreprise (RSE), on retrouve de nombreuses
acceptions, mais aussi, une variété impressionnante
d’appellations et de confusions (Allouche J. et al.,
démocratisation
Corporate social responsibility, public responsibility,
corporate social responsibilities, corporate societal
responsibility, corporate social responsiveness, corpo-
rate social performance, corporate citizenship, busi-
de la gouvernance
ness citizenship, stakeholding company, business ethics,
sustainable company, et enfin a triple bottom-line
approach.
79
La responsabilité sociale comme forme de démocratisation de la gouvernance d’entreprise
Fabrice CAUDRON - Yannick SCHWAMBERGER
Qui est acteur De quoi le Envers qui le Sur quel Jusqu’à quand -
du management management système de est-on tenu
management est-il est-il valeur la pour
responsable ? responsable ? responsable ? responsabilité responsable ? Co
est-elle
Complexité
m
établie ?
Le dirigeant Des moyens Les Social Dans le présent ple
actionnaires /
xit
la hiérarchie
Des managers Des objectifs Les parties Légal A la génération é
intermédiaires prenantes prochaine
L’entreprise Des fins, du Autrui Moral A toutes les +
sens générations
honnêteté etc,
La nature de la responsabilité est donc différente en ! la responsabilité discrétionnaire : adopter un compor-
fonction du niveau auquel on se place. Toutefois, les tement de « bon citoyen », capable d’initiatives chari-
différents types de responsabilité peuvent aisément tables.
interagir. Tout dirigeant doit légalement répondre de ses
actes : « tout fait quelconque de l’homme qui cause à La Commission Européenne, par exemple, à travers sa
autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est Direction Générale de l’emploi et des affaires sociales2,
arrivé à la réparer » (Article 1382 du Code Civil de fait de la RSE un axe stratégique. L’argument tient au
1804). La RSE ne s’arrête donc pas uniquement au fait que l’adoption d’une démarche de RSE par les
niveau moral. Les choix d’un dirigeant par exemple, en entreprises européennes est susceptible d’améliorer
tant que décideur, n’engagent-ils pas également la l’impact des mutations macroéconomiques.
responsabilité de l’entreprise dont il a la charge ? L’entreprise tient compte des « externalités négatives »
D’aucuns considèrent que sa responsabilité morale peut en matière sociale ou d’écologie. En ce sens, la RSE
être engagée lorsqu’il procède à un plan de restructura- contribuerait à la réalisation de l’objectif stratégique
tion mettant en jeu les conditions de vie des salariés fixé lors du sommet européen de Lisbonne en mars
dont il a la charge. Pourtant, « la RSE est [aussi] un 2000, c’est-à-dire, devenir d’ici en l’an 2010 « l’écono-
espoir de promouvoir à nouveau par voie contractuelle mie de la connaissance la plus compétitive et la plus
de nouveaux chefs de responsabilité sans sombrer dans dynamique du monde, capable d’une croissance écono-
la surenchère » (Cadet I., 2004, p 28). Doit-on réduire la mique durable accompagnée d’une amélioration quanti-
RSE à la seule voie contractuelle ? Le risque est alors de tative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande
délégitimer le rôle de l’Etat. Le cas de Métaleurop, dans cohésion sociale »3.
le Pas-de-Calais relativise ces points de vue lorsqu’on
analyse le comportement de groupes financiers tels que
le Suisse Glencore1. 1 Pour plus de détails sur cet exemple, Fabrice Caudron (2005).
2 Notamment pour faire suite au livre vert intitulé « Promouvoir un
Toujours est-il que la notion connaît un succès incontes- cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises »
(juillet 2001)
table « auprès des dirigeants d’entreprise [et] traduit la 3 Ainsi l’Union Européenne promeut la RSE à travers quatre axes
volonté de mieux maîtriser les contraintes sociétales et politiques :
de favoriser un développement commercial et une per- - Faciliter l’échange des bonnes pratiques,
formance économique durable » (Attarça M., Jacquot - Promouvoir la convergence et la transparence des pratiques et des
T., 2005, p 1). Selon ces mêmes auteurs, il existerait instruments de RSE,
- Créer au niveau de l’UE un forum plurilatéral sur la RSE,
quatre types de responsabilités, valables aux niveaux - Intégrer la RSE à toutes les politiques de l’Union Européenne (sur
institutionnel, organisationnel et individuel : l’entreprise, l’environnement, les consommateurs, les marchés
! la responsabilité économique : c’est la logique publics, les relations extérieures et les administrations publiques).
80
La responsabilité sociale comme forme de démocratisation de la gouvernance d’entreprise
Fabrice CAUDRON - Yannick SCHWAMBERGER
La notion de RSE recouvre une réalité multiforme, Pour Friedman, le problème est que les « supporters »
variée et complexe qu’il apparaît difficile (bien que de la RSE se contentent de « prêcher un socialisme
nécessaire) de cerner avec précision tant elle renvoie à immature ». Il reprend cette thèse dans son ouvrage :
des enjeux multiples (politiques, économiques, sociaux, Capitalism and Freedom. L’auteur soutient également
juridiques…). Impulsé par une pression environnemen- qu’incorporer la notion de responsabilité dans le « busi-
tale forte (pression exprimée dans les débats de société ness » revient à étendre les mécanismes politiques à
autour du développement durable), le développement toutes les activités humaines et, selon lui,
de la responsabilité sociale s’incarne néanmoins et « ça ne diffère pas, sur le plan philosophique, de la
concrètement dans une transformation manifeste des doctrine la plus explicitement collectiviste ». Il conclut
pratiques à tous et à différents niveaux. Mais c’est enfin sur ceci : « il n’y a qu’une et seulement une
essentiellement au travers de l’instauration d’un processus responsabilité sociale dans les affaires - celle d’em-
de rationalisation démocratique de la gouvernance que ployer ses ressources et de s’engager dans les activités
nous pouvons apprécier cette évolution pour les entre- conçues pour augmenter ses bénéfices à condition
prises. qu’elle reste dans les règles du jeu, qui sont de s’engager
dans une concurrence ouverte et libre sans défection ou
fraude ».
2. Les démarches de RSE C’est, à notre sens, cette dernière phrase qui pose pro-
comme volonté de démocratisation blème. Jusqu’à cet instant, la démonstration de
de la gouvernance de l’entreprise Friedman restait largement convaincante dans le cadre
d’une économie libérale. Seulement l’économiste sur-
détermine l’activité économique, le « business », par
Venue d’outre atlantique, l’idée d’une responsabilité des valeurs morales : respecter les règles du jeu (dont on
sociale de l’entreprise se développe autour de deux thè- peut se demander qui les édicte) et ne pas commettre de
ses traditionnelles et antagonistes (Warhurst A., 2005). fraude… Dans ce cas, le système capitaliste ne répond
pas uniquement à une logique de marché qui vise à
2.1 - L’approche économique classique maximiser son intérêt personnel mais il répond aussi, à
des valeurs morales ou éthiques qui lui permettent de
La première thèse considère qu’il n’est pas du ressort de fonctionner correctement. Qu’est-ce donc si ce n’est
l’entreprise (du business) de se préoccuper du « volet conditionner l’exercice de la liberté individuelle à une
social ». C’est le célèbre point de vue développé par forme particulière de responsabilité ? Le problème n’est
Milton Friedman en 1970 dans un article de presse au donc pas, en soi, la responsabilité sociale mais que cette
titre, on ne peut plus explicite : « The social responsibi- responsabilité soit définie collectivement plutôt qu’in-
lity of business is to increase profits ». Du point de vue dividuellement. Nous proposons le schéma suivant pour
des right-libertariens4, la responsabilité sociale est liée à synthétiser le point de vue de Friedman.
la rationalité économique, celle-ci n’étant l’expression
que de l’individualisme qui anime chaque être humain. Schéma : La responsabilité sociale selon Friedman
La responsabilité de l’individu, c’est la maximisation de
son intérêt personnel ; poser la responsabilité au niveau Responsabilité individuelle de
Morale / éthique
de l’organisation est un non-sens. L’entreprise est Sur-détermine l’ homo oeconomicus qui est,
individuelle
responsable par nature puisque que sa mission est de intrinsèquement, de maximiser son
faire du profit, mais elle n’est responsable que parce intérêt personnel.
que ce sont des individus libres qui la composent5.
Pour les « supporters » de la RSE, selon Friedman :
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La responsabilité sociale comme forme de démocratisation de la gouvernance d’entreprise
Fabrice CAUDRON - Yannick SCHWAMBERGER
2.2 - Tenir compte de la dimension (Bowen H., p 6, cité par Acquier A. et Gond J.-P.,
sociale d’une activité économique 2005, p 8).
La seconde thèse, critiquée par Friedman, est très dispa- La responsabilité sociale devient alors une opportunité
rate. Elle est particulièrement marquée par des appro- permettant d’améliorer l’articulation entre l’économie
ches moralistes. Dans cette perspective, les entreprises et la société. L’initiative est individuelle mais doit aussi
ont à jouer un rôle de plus en plus important dans les s’incarner dans des institutions qui favorisent la coopé-
questions sociales surtout face à une désimplication ration entre les acteurs concernés. C’est à la fois un
progressive de l’Etat providence. Ce second courant enjeu individuel (le comportement du dirigeant) et
semble connaître un réel essor et l’idée suivante est de social (l’impact de l’entreprise sur son environnement).
plus en plus répandue : « le rôle des affaires écono- Le « bien public » fait directement partie des critères de
miques dans la société du 21e siècle a évolué pour ne décision des dirigeants. Et tout ceci est lié à des posi-
plus être seulement un sujet philanthropique, il se tions religieuses empruntes de protestantisme voire,
rapporte aujourd’hui à la façon dont une entreprise dans une certaine mesure, de catholicisme social
construit et trouve sa place dans la société », (Warhurst (Acquier A. et Gond J.-P., 2005).
A., 2005). Le problème des partisans de cette position
est que les conclusions qu’ils tirent de leurs observa- Paradoxalement, on reste bien proche du point de vue
tions débouchent sur un discours normatif sur ce qu’il de Friedman : la morale détermine le comportement des
bon de faire ou non en matière de RSE. Et, au-delà des acteurs, la responsabilité sociale est « naturelle ». Mais
injonctions, les solutions paraissent bien théoriques, dans le cas de Bowen, l’enjeu est également de mettre
pour ne pas dire utopiques. On sait ce qu’il faut faire en place des institutions qui améliorent la traduction
mais rien n’est dit sur comment le faire. Il n’est plus économique d’une morale sociale. Si Friedman accorde
alors très surprenant de lire que développer la RSE sur sa confiance à l’individu, Bowen quant à lui considère
le plan interne répond à un impératif de « social que des institutions doivent garantir l’expression
justice » alors que sur le plan externe, la RSE doit per- concrète de la responsabilité. À la fin de leur lecture de
mettre de proposer des solutions aux grandes crises Bowen, Acquier et Gond notent que le livre
humanitaires et « aux problèmes endémiques de ce « a toutes les chances de laisser le lecteur contemporain
monde » (Warhurst A., 2005)… dans un état […] de double perplexité » : d’une part,
depuis 1953, les débats n’ont pas beaucoup avancé,
Plus ancien est le point de vue de Bowen mais il est d’autre part, les analyses de Bowen restent d’actualité et
éclairant sur l’approche « moraliste ». Nous nous réfé- largement inexploitées (p 14). Il reste notamment une
rerons notamment à une lecture d’Acquier et Gond idée importante délaissée par les recherches contempo-
(dans la mesure où l’ouvrage original est introuvable) raines : la description de la naissance d’un « espace
du livre d’Howard Bowen, Social responsabilities of a d’action collectif ». Il s’agit de la rencontre entre les
business man (1953). Si l’on en croit leur lecture de différents acteurs donc les mentalités, les discours, les
l’auteur, ce livre fondateur s’inscrit dans un ensemble pratiques, les institutions et les savoirs entrent en inter-
de réflexions de cet économiste keynésien sur l’ action. Autrement dit, c’est son approche systémique
« éthique chrétienne et la vie économique ». L’éthique qui mériterait d’être réappropriée selon les auteurs.
protestante est au cœur de l’ouvrage ; sur cette question
l’analyse de Weber se révèlerait aussi pertinente. Fondamentalement, la réflexion sur la RSE tente de
Bowen définit la responsabilité sociale ainsi : mettre en évidence les contradictions et les conséquences
« 1. Le terme de responsabilités sociales des hommes négatives (internes ou externes) d’une vision de l’éco-
d’affaires sera utilisé fréquemment. Il renvoie aux nomie strictement inspirée de la théorie néo-classique :
obligations des hommes d’affaires de suivre les poli- « Society is put in jeopardy of powerful self-interest
tiques, de prendre les décisions, ou de suivre les orien- which has no contraint beyond its own interest » (Reilly
tations qui sont désirables en termes d’objectifs et de B.-J., Kyj M.-J., 1994, p 37).
valeurs pour notre société. […] Des synonymes de la
responsabilité sociale sont la “responsabilité L’enjeu est alors de ne plus considérer l’entreprise
publique”, les “obligations sociales”, ou la “morale comme indépendante par rapport à son environnement
d’entreprise”. mais bien de la concevoir comme une institution
2. le terme doctrine de la responsabilité sociale « encastrée » dans un système. L’entreprise n’est plus
renvoie à l’idée, désormais largement exprimée, selon seulement un sous-système mais devient un élément
laquelle la prise en compte volontaire d’une responsa- constitutif de la société entrant en interaction avec ce
bilité sociale de l’homme d’affaires est, ou pourrait qui l’entoure. La révolution est de taille dans la mesure
être, un moyen opérationnel pour résoudre des où, comme le fait remarquer Sen (Sen A., 1987), l’en-
problèmes économiques et atteindre plus globalement semble des institutions sociales s’est en grande partie
les objectifs économiques que nous poursuivons » démocratisé. La famille a changé pour plus de partici-
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La responsabilité sociale comme forme de démocratisation de la gouvernance d’entreprise
Fabrice CAUDRON - Yannick SCHWAMBERGER
pation et d’échange (transformation de la famille tradi- Le comportement des entreprises ne relève peut-être
tionnelle), la religion tend à développer un discours plus que de l’isomorphisme (DiMaggio P.-J., Powell W.-W.,
tolérant vis-à-vis de ce qui l’entoure, le droit tente de 1983) ou d’un mythe rationnel (Meyer J., Rowan B.,
codifier les pratiques socialement acceptables etc. seul 1977). Cela dit, « le rôle moteur de la RSE pour stimu-
reste alors le système économique (basé sur la théorie ler les acteurs à s’engager dans une meilleure compré-
néo-classique) qui ne dépasse jamais l’horizon de l’in- hension de l’interaction entre la société et l’organisa-
térêt individuel. La RSE ne peut donc exister dans un tion » devient de plus en plus difficilement contestable
système construit sur un modèle d’inspiration stricte- (Béji-Bécheur A., Bensebaa F., 2005, p 25).
ment libérale, répondant aux impératifs individualistes
de la théorie néo-classique. Une logique de responsabi- À travers cette émergence de la RSE, on découvre, de
lité sociale ne peut émerger que dans un contexte favo- notre point de vue, une évolution de la gestion des
rable à un questionnement du postulat utilitariste. Il entreprises : celle-ci évolue d’une approche substantia-
s’agit, selon nous, d’une forme de démocratisation de la liste (elle n’a de fin que pour elle-même et selon une
gouvernance des entreprises. logique interne propre) à une approche plus « ouverte »,
Pour en comprendre la logique, il convient de ne pas c’est-à-dire tenant compte de ce avec quoi elle interagit.
s’arrêter aux promoteurs moralistes de la RSE. D’autres Nous soutenons donc l’idée qu’il ne s’agit pas seule-
réflexions, indépendamment des deux courants ment d’un effet de mode mais d’une transformation de
traditionnels nord-américains se développent. La RSE la gestion des entreprises vers plus de démocratie. En
permettrait-elle de construire un modèle d’entreprise effet, promouvoir une démarche de RSE, c’est adopter
citoyenne pertinent ? Cet argument corroborerait l’idée des modes de fonctionnement qui laissent une place
selon laquelle l’émergence de la RSE traduirait l’entrée plus grande à la démocratie. L’émergence récente de la
dans l’entreprise d’exigences démocratiques, au-delà RSE, au moins au niveau du grand public, peut s’expli-
d’une interaction accrue entre l’entreprise et la société. quer par une prise de conscience de ce que pouvait
impliquer le respect strict des mécanismes induits par
l’économie libérale : « le business sans obligation morale
à l’égard de son environnement doit être inspecté,
Conclusion observé, policé, régulé et dirigé, dans la mesure où,
suivant la théorie économique, il n’a pas d’autres inté-
rêts que les siens. Il peut choisir de devenir un ennemi
« Quand la RSE dépasse les discours » de la société, il peut commettre des fraudes, être mal-
honnête envers le gouvernement, détruire le bien-être
Une analyse des discours sur la RSE montre que les économique de communautés, de régions ou de la
problèmes qu’elle aborde dépassent de loin les injonc- nation elle-même » (Reilly B.-J., Kyj M.-J., 1994, p 37).
tions moralistes qui les sous-tendent. Les résultats de Ce faisant, on légitime à la fois une intervention de
l’étude de Attarça et Jacquot (2005)6 font apparaître des l’entreprise dans la sphère sociale et, en retour, une
prises de conscience et des préoccupations qui précisent intervention de la société sur la façon dont est gérée
considérablement les larges impératifs moraux énoncés l’entreprise.
par les premiers écrits sur la RSE. Confrontés aux réali-
tés, les impératifs moraux s’adaptent et transforment
fondamentalement le rapport de l’entreprise à son envi-
ronnement, et à la question sociale plus particulière-
ment. 6 Les motivations du discours sociétal (adapté de Attarça M., Jacquot
T., 2005, p 15) :
L’expression de la responsabilité économique :
Les pratiques des RSE promues aujourd’hui correspon- - La contribution au développement économique de la zone
dent-elles à une réalité ? Peut-être ne s’agit-il que d’une d’implantation,
rhétorique. Assiste-t-on alors à une nouvelle rhétorique - La contribution au développement économique des parties
prenantes et le respect des principes de saine concurrence, de
de l’ordre et du conformisme ou à une évolution réelle gouvernance et de transparence.
du capitalisme libéral ? Nous pouvons faire l’hypothèse L’expression de la responsabilité sociale :
qu’il s’agit, pour le moment, d’un discours normalisant - La préoccupation de la politique sociale interne,
dont le but est de normer les comportements tant des - La qualité des relations avec les partenaires commerciaux et les
acteurs de la société.
entreprises, que des salariés ou des institutions. L’expression de la responsabilité environnementale :
Cependant, les recherches actuelles laissent penser que - Le souci de préserver l’environnement naturel,
le phénomène, bien qu’il trouve son expression dans - La préoccupation des conséquences humaines de l’activité en
des formes de rhétorique, correspond aussi à une évolu- terme de santé.
L’expression d’une responsabilité politique ou symbolique :
tion concrète des pratiques. Il est en effet probable que - L’appropriation et la diffusion de valeurs humanistes,
ces nouvelles règles questionnent, en retour, les fonde- - La diffusion d’opinions sur la situation politique nationale ou
ments normatifs de l’économie libérale. internationale.
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La responsabilité sociale comme forme de démocratisation de la gouvernance d’entreprise
Fabrice CAUDRON - Yannick SCHWAMBERGER
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84
RSE et parties prenantes : une entreprise contractuelle et universelle ?
Didier CAZAL
RSE et parties L
a RSE constitue une notion d’une plasticité éton-
nante : elle peut se greffer sur des discours très
hétérogènes : utilitaristes (avantage concurrentiel
prenantes :
sur le marché), opportunistes (mimétisme), humanistes,
environnementalistes, volontaristes, sans parler bien sûr
des positions politiques (ou politiciennes) néo-libérales,
social-démocrates, écologistes des discoureurs…
contractuelle
l’emploi, élément d’un prêt-à-penser, aussi hautement
suggestifs que foncièrement creux ? Pour le dire autre-
ment, la RSE revient-elle à une forme de « politique-
ment correct », avec un soupçon de communautarisme,
et universelle ?
invitant à respecter et prendre en compte différentes
communautés socio-économiques avec qui l’entreprise
entre en relation ? Si la RSE invite à repenser l’entre-
prise, quelle conception alternative émerge alors et inci-
demment quelle conception de la société sous-tend-
elle ?
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RSE et parties prenantes : une entreprise contractuelle et universelle ?
Didier CAZAL
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RSE et parties prenantes : une entreprise contractuelle et universelle ?
Didier CAZAL
du marché libre avec l’essor d’agences de notation pri- velle-t-elle les conceptions de l’entreprise ou ne fait-
vées mais indépendantes, jusqu’à la marchandisation de elle que travestir des conceptions bien traditionnelles ?
la RSE et de labels qui l’affichent et s’affichent sur le
marché ; de la multiplication (plus ou moins contrôlée) Apporter des éléments de réponse à cette question ne va
des normes, codes, chartes et règles (plus ou moins légi- pas sans difficultés. L’une d’entre elles, et non des
times) de tous niveaux (d’entreprise, de secteurs, de moindres, déjà évoquée plus haut, tient à la multiplicité
groupes multinationaux, d’Etat, d’organismes supra- des usages civils et savants de la notion de RSE, avec
nationaux et d’ONG…) à la création d’instances de des enjeux passablement hétérogènes : sauf à en prédé-
régulation supra-gouvernementales… terminer une acception particulière, comment traiter
cette diversité ? Même en se limitant au champ de la
Si ce que la RSE apporte à la société est encore discuté, recherche, la littérature est marquée par un certain
il est certain qu’elle… rapporte. De manière moins éparpillement, dont il serait difficile ou artificiel de
cynique, se pose la question de l’organisation de la RSE faire ressortir des tendances lourdes.
comme activité économique entre autres : comment
réguler ce marché, la qualité de ses produits et services Nous avons pris le parti d’examiner cette question à tra-
et celle de ses acteurs ? De même, se pose de manière vers la théorie des parties prenantes (stakeholder theory).
plus générale la question de l’intervention d’organisa- Celle-ci soulève en effet nombre de questions impor-
tions autres que les entreprises dans la régulation du tantes pour notre propos qui se limitera à l’examen de
marché : s’il s’agit bien, en matière de RSE, d’interac- ses dimensions politiques (pour une présentation
tions entre entreprises et société, qui doit représenter la détaillée, nous pouvons renvoyer à Cazal, 2005 ; pour
société face aux entreprises ? Au-delà du jeu de mots, la un examen critique, à Cazal, Dietrich, 2005).
question de la représentation est doublement politique :
quels porte-parole dans les débats, quelles conceptions 1.2 - La théorie des parties prenantes
de l’entreprise et de la société ? S’il y a débat, comme comme révélateur politique
on peut le souhaiter dans une société démocratique,
comment l’organiser, comment et par qui l’arbitrer ? On pourrait sommairement résumer la RSE par deux
questions centrales : de quoi et devant qui l’entreprise
1.1.5 - Enjeux politiques de société et d’entreprise est-elle responsable ? C’est de la seconde que traite,
Si la dimension sociale ou sociétale est explicitement dans le champ académique la théorie des parties
mise en exergue, il est clair que la RSE comporte prenantes. Celle-ci consiste en un ensemble d’élabora-
d’importants enjeux politiques pour la société civile, tions théoriques et conceptuelles assez homogène, qui
également posés par le développement durable. Ceux-ci alimente un corpus de littérature conséquent dans le
ressortent de manière éclairante dans certaines problé- monde anglophone au moins : en 1995, après une dizaine
matiques associées : citoyenneté de l’entreprise et dans d’années de développement de ce courant, Donaldson et
l’entreprise, démocratie dans l’entreprise et participa- Preston (p. 65) évaluaient déjà le volume de publica-
tion de l’entreprise à la démocratie dans la société. Ces tions à environ une douzaine d’ouvrages et plus d’une
questions ne sont pas nouvelles : elles hantent les socié- centaine d’articles ; ces nombres ont au moins doublé
tés industrielles, au moins depuis les années cinquante, depuis (ce que confirme la consultation de bases de
sous des formes variables (management participatif, données bibliographiques).
démocratie industrielle, autogestion, expression des
salariés…). Ce qui est sans doute nouveau, c’est la Deux remarques incidentes s’imposent :
médiatisation dont elles font l’objet comme la diversité - comme l’indique son nom même, la recherche
des acteurs impliqués ou s’y impliquant. Les questions empirique est à peu près inexistante en ce domaine, ce
relatives à la mise en œuvre de la RSE mettent ainsi qui ne semble pas avoir nui à son développement ;
bien en avant cette dimension politique : entre laisser- - cette origine massivement nord-américaine offre
faire et volontarisme, (auto-) régulations sectorielle, également l’opportunité de s’interroger sur
professionnelle ou d’entreprise, interventionnisme gou- l’universalisme des conceptions véhiculées.
vernemental ou supra-gouvernemental, on retrouve les
débats anciens sur la régulation du système écono- Un consensus assez large règne pour considérer la théo-
mique, le libéralisme, l’encadrement du marché et la rie des parties prenantes comme un fondement relative-
fonction économique de l’Etat. ment solide pour la recherche sur la RSE et les relations
entreprise-société (Business and society) comme pour
Ces différentes remarques conduisent à se demander si l’éthique des affaires, champs d’enseignement, de
la RSE est une réponse au néo-libéralisme ou un nouvel recherche et d’activité professionnelle (en entreprises
avatar. N’est-elle ni plus ni moins que le nouvel habit ou cabinets de conseil) fortement institutionnalisés en
du capitalisme classique ou le signe d’une mutation Amérique du Nord. Elle est également invoquée dans
profonde de ce système économique ? En quoi renou- les débats sur la gouvernance d’entreprise (en particu-
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RSE et parties prenantes : une entreprise contractuelle et universelle ?
Didier CAZAL
lier à l’encontre de la perspective purement actionnariale) l’adhésion aux présupposés qui ressortent des
et à propos des relations entre stratégie d’entreprise et élaborations savantes. Il nous paraît néanmoins utile de
développement durable. nous poser la question : à quoi conduit l’usage, même
naïf et innocent, d’une notion lourdement investie de
Comme tout domaine de recherche émergent, la théorie sens dans les cercles académiques ?
des parties prenantes a connu et connaît encore des
controverses. Ces controverses ont néanmoins des allu-
res de querelles intestines car elles s’inscrivent sur un
fond de consensus autour d’un ensemble de questions et 2. Parties prenantes : de la justice
de manières de les traiter. En attestent notamment : sociale a l’entreprise contractuelle
- sur un plan institutionnel, l’avènement d’auteurs
canoniques, de références incontournables, de cercles Dans cette seconde partie, nous examinons tout d’abord
académiques et de numéros spéciaux de revues et l’es- la construction de Freeman. Celui-ci articule pour sa
sor continu de publications, manuels compris ; théorisation des parties prenantes la vision contractuel-
- sur un plan cognitif, la définition et la hiérarchisation le de l’entreprise de Williamson et certains éléments
des parties prenantes et la caractérisation de leurs rela- tirés de la théorie de la justice de Rawls (1987, 1988,
tions à l’entreprise, la partition du champ en trois 1991). Dans un second point, nous analysons les limites
volets (descriptif : état des relations réelles des entre- de cette conception contractuelle pour la conceptualisa-
prises avec leurs parties prenantes ; instrumental : tion de la RSE. Il apparaît alors que loin de renouveler
effets des modes de prise en compte des parties la théorie classique de l’entreprise, elle ne fait que l’é-
prenantes sur la performance de l’entreprise ; norma- largir et lui adjoindre des connotations éthiques, dans
tif : prescription de modèles de management)… une perspective fondamentalement libérale. Pour nom-
bre d’autres auteurs, la théorie des parties prenantes
On peut ainsi considérer que s’est progressivement mis revient surtout à une théorie de l’agence élargie (p. ex.
en place une sorte de noyau dur. On pourrait d’ailleurs Hill, Jones, 1992, ou en français et avec d’autres argu-
songer à caractériser la théorie des parties prenantes ments théoriques, Charreaux, 2003).
comme un programme de recherche, au sens où
l’entend Lakatos (1994). Néanmoins, la constitution de 2.1 - De la justice sociale
ce noyau dur ne peut s’expliquer de manière strictement à l’équité des contrats
rationnelle et l’on doit considérer avec Kuhn (1983) la
dimension sociale de la construction d’un paradigme, À défaut d’être l’inventeur de la notion de parties
qui se traduit notamment par un certain conformisme. prenantes, Freeman est au moins l’auteur qui aura le
Les voix discordantes sont ainsi relativement rares ou plus et le premier contribué à la fois à sa diffusion et à
restées sans échos. Ce n’est que récemment que des sa popularisation académiques ainsi qu’à sa systémati-
perspectives alternatives ont réellement commencé à sation. Plutôt que par la voie empirique, il choisira
s’esquisser, souvent chez des chercheurs européens ou d’approfondir cette notion de manière théorique,
australiens, avec des cadres théoriques empruntant au puisant dans des corpus notamment économiques et
néo-institutionnalisme en économie ou en théorie des philosophiques.
organisations, à la théorie critique ou au postmodernis-
me. Une première justification du concept réside dans l’op-
position à la conception actionnariale, selon laquelle
La théorie des parties prenantes ne constitue certes pas l’entreprise doit être gérée au seul profit des actionnaires.
le seul cadre théorique possible mais en tout cas, large- Le terme de stakeholder (partie prenante) aurait ainsi
ment prédominante, elle est le seul à avoir fait l’objet de selon Freeman (1999, p. 234) été forgé par dérivation de
développements conséquents, en quantité du moins, et shareholder (actionnaire) : « an obvious literary device
cohérents voire concertés. Par ailleurs, au-delà des seuls meant to call into question the emphasis on ‘stockhol-
débats académiques, la notion de parties prenantes ders’ ». Le terme ainsi construit, « the concept of stake-
suscite une vaste résonance publique comme en atteste holder is a generalization of the notion of stockholders »
l’usage de plus en plus étendu de la notion. (Evan et Freeman, 1993, p. 259).
Cet usage implique une conception plus ou moins expli- Freeman s’appuie essentiellement sur la conception de
cite de l’entreprise et de sa place dans la vie de la société. la firme chez Williamson, définie comme nœud de
Les théoriciens des parties prenantes ont ainsi cherché à contrats. Cette conception est très largement reprise par
développer la notion et ses implications théoriques et la plupart des auteurs et peut être considérée comme un
pratiques, produisant de manière plus ou moins directe élément du noyau dur de la théorie des parties prenan-
une telle conception. Nous ne prétendons pas que l’usage tes. Néanmoins, comme le signalent Child et Marcoux
notamment civil de la notion entraîne nécessairement (1999, p. 208), Williamson envisage essentiellement
88
RSE et parties prenantes : une entreprise contractuelle et universelle ?
Didier CAZAL
des contrats bilatéraux volontaires : ainsi une entreprise - Le dispositif du voile d’ignorance a une ambition bien
peut-elle décider d’intégrer un représentant des plus limitée chez Freeman, mais il nécessite de la part
consommateurs à son conseil d’administration, tout des parties prenantes un niveau de connaissance beau-
comme ce dernier peut décider d’y siéger ou non. Ce coup plus important, aussi bien relatif à l’organisation
caractère volontariste des contrats est embarrassant et au fonctionnement de l’entreprise qu’à son environ-
pour la théorie des parties prenantes qui considère la nement, sans parler de la nature des contrats. Les par-
participation au conseil d’administration de parties pre- ties prenantes (stakeholders) doivent simplement
nantes variées, hormis les actionnaires, comme relevant ignorer leurs enjeux et intérêts (stakes) dans l’entre-
d’obligations morales. prise (cela ramène en définitive à la possibilité de
définir la notion de partie prenante dans l’absolu ; sur
La difficulté est alors la suivante : comment justifier le ce problème, voir Cazal, Dietrich, 2005). Le voile
caractère obligatoire, impératif des contrats multi-laté- devient alors bien translucide… Autant les individus
raux entre l’entreprise et ses parties prenantes ? Pour chez Rawls sont relativement interchangeables et
cela, il utilise la théorie de la justice de Rawls (1987, mutuellement indifférents les uns aux autres
1988, 1991) : ce dernier prolonge et modernise la théorie (Arnsperger C., Van Parijs, 2000, p. 65 : Chauvier,
classique du contrat social (Locke, Rousseau, Kant, 2004, p. 123-124), autant les parties prenantes comme
Hobbes), qu’il utilise afin d’établir les principes fonda- les entreprises sont marquées par des spécificités cen-
teurs d’une société juste, sans présumer des valeurs trales et une inévitable interdépendance : Child et
morales des individus la constituant. Une telle concep- Marcoux (1999, p. 216) soulignent qu’ignorer ces
tion de la justice préserve la diversité des valeurs mora- « contingences arbitraires » risque de vider les
les. On considère que Rawls a profondément renouvelé contrats de tout contenu (en quoi pourraient-ils être
la philosophie politique du vingtième siècle, en s’oppo- adaptés ?) tandis que les connaître reviendrait à
sant à l’utilitarisme prédominant dans les questions de supprimer le voile d’ignorance. Dans le premier cas,
justice sociale et de traitement des inégalités. Il a ainsi l’obligation disparaît puisque les contrats équitables
fondé un égalitarisme libéral, respectueux des valeurs ne sont préférables que dans certaines circonstances,
individuelles. Invoquer Rawls confère de fait une dans le second cas, c’est l’équité qui disparaît puisque
certaine légitimité à la construction de Freeman, dans la les parties prenantes doivent en savoir trop pour faire
mesure toutefois où cette invocation ne se réduit pas à abstraction de leurs propres intérêts et enjeux.
un argument d’autorité mais permet une transposition - La transposition du contrat social de base aux contrats
pertinente aux problèmes traités par Freeman. équitables dans l’entreprise se révèle également pro-
blématique à un autre niveau : l’acception du contrat
Or précisément on peut tout d’abord questionner la légi- chez Freeman est clairement économique (puisque
timité de cette transposition : dérivée de Williamson) et il prend bien soin de préci-
- L’approche de Rawls se situe au niveau de la société ser qu’il entend par là des contrats implicites destinés
dans son entier, la transposer telle quelle à l’entreprise à des transactions multiples et nécessitant certains
qui n’en est qu’une composante bien particulière est mécanismes de gouvernance (Freeman, Evan, 1990,
un peu tendancieux ; peut-on dire de l’entreprise ce p. 351). L’articulation entre contrat social (conception
qu’on peut dire de la société, l’entreprise a-t-elle le philosophique) à l’échelle d’une société et contrat
même niveau de généralité et est-elle dotée des mêmes implicite (acception économiste) à l’échelle d’une
institutions ? Rawls considère de plus des sociétés entreprise soulève de nombreux problèmes que
fermées ce qui exclut toute défection. quelques tentatives d’intégration (notamment
- Chez Rawls, le « voile d’ignorance » permet aux indi- Donaldson, Dunfee, 1994) ne résolvent ni n’évitent de
vidus délibérant sur les institutions fondatrices de la manière convaincante.
société de faire un choix équitable mais en ignorant - Enfin la finalité du travail de Rawls est fondamentale-
quelle position leur sera dévolue dans la société. Ne ment philosophique, on peut ainsi difficilement
connaissant rien de leur position dans la société et l’invalider pour absence de réalisme ou démarche
seulement un minimum d’éléments fondamentaux de spéculative. La théorie des parties prenantes utilise
la société, ils peuvent débattre de manière impartiale une démarche très proche mais avec des finalités pres-
et rationnelle. Chez Freeman, il s’agit de justifier les criptives puisqu’il s’agit de prôner la représentation
contrats équitables multilatéraux avec les parties pre- des parties prenantes dans les conseils d’administra-
nantes, qui deviennent alors des obligations morales tion de l’entreprise et la participation de celles-ci aux
rationnelles et non plus de simples possibilités offertes décisions stratégiques. Il nous semble que justifier une
au volontariat. L’écart est grand entre la fondation recommandation pratique par un dispositif spéculatif
d’une société juste et la justification d’une obligation pose un problème d’ordre logique.
morale portant sur un dispositif de management : la
recherche de critères permettant d’établir des contrats Si la transposition de la théorie de la justice de Rawls à
équitables avec les parties prenantes. celle des parties prenantes est abusive par certains
89
RSE et parties prenantes : une entreprise contractuelle et universelle ?
Didier CAZAL
aspects, l’adoption justifiée d’arguments rawlsiens de participer à une société envisagée comme un systè-
entraîne également des conséquences lourdes et problé- me de coopération équitable en vue d’un avantage
matiques pour la théorisation des parties prenantes par mutuel » (ibid. p. 211). Ainsi comprise, la société est
Freeman. fondamentalement dépourvue de conflits et de ten-
sions. Un tel consensualisme est éminemment réduc-
- La conception de la société chez Rawls est largement teur pour l’entreprise.
atomistique et les institutions de la société n’ont chez
lui guère d’épaisseur sociale. Sur ce point au moins, la Freeman a clairement apporté des éléments originaux
compatibilité des approches de Rawls et de d’approfondissement conceptuel à la théorie des parties
Williamson est assurée. La théorie de Rawls a soulevé prenantes. Néanmoins ceux-ci n’emportent pas la
des objections, notamment de la part des communau- conviction : soit les emprunts à Rawls sont partielle-
tariens (Sandel, Walzer), contestant que des individus ment abusifs, soit les emprunts pertinents aboutissent
anhistoriques (du fait du voile d’ignorance) puissent finalement à aménager des conceptions économiques
décider par leur pacte, également anhistorique, de traditionnelles plutôt qu’à les renouveler.
l’organisation d’une société nécessairement inscrite
dans l’histoire (voir par exemple Ricœur, 1995, p 100 ; L’approche contractualiste ancre fermement la théorie
Arnsperger, Van Parijs, 2000 ; Kymlicka, 1999). des parties prenantes dans une vision libérale : en quoi
L’argument s’applique également à la construction de cela est-il problématique pour la conception de la RSE ?
Freeman : comment concevoir des contrats, destinés à
organiser des transactions concrètes, sur une base 2.2 - L’entreprise contractuelle :
aussi abstraite et détachée ? une impasse pour la RSE
- Ce caractère anhistorique peut aussi être dénoncé
comme relevant d’une forme d’universalisme et plus Rappelons d’emblée que la vision libérale évoquée
particulièrement d’ethnocentrisme : la conception des couvre un spectre large : à l’origine, Rawls précisait à
institutions et des principes fondamentaux d’une propos de sa théorie de la justice : « aux Etats-Unis,
société peut-elle être universelle, sans considération cette conception serait appelée libérale, ou peut-être
des particularités, historiques et sociales, de la société libérale de gauche ; en Grande-Bretagne, plus probable-
considérée. Rawls intégrera cette objection après son ment social-démocrate ou peut-être travailliste » (1987,
ouvrage princeps en limitant la portée de ses principes p. 9-10). La distance à cet égard est grande avec ce
aux démocraties constitutionnelles ou libérales. En ce qu’on qualifie de néo-libéralisme ou de libéralisme
qui concerne Freeman, que doit l’idée de parties pre- sauvage. À l’autre extrémité du spectre, on trouve les
nantes à la société qui l’a développée la première ? positions libertariennes (Etat minimal et priorité
Dans quelle mesure une telle notion est-elle transpo- absolue à la liberté), en faveur desquelles Freeman a
sable dans des sociétés où la place de l’Etat ou des récemment plaidé (Freeman, Phillips, 2002). Il est
gouvernements locaux est historiquement plus pré- néanmoins clair que les emprunts de Freeman à Rawls
gnante et plus encore dans celles dont les fonctionne- sont assez ponctuels et davantage argumentatifs que
ments politiques et les modes d’organisation sociale et théoriques : le voile d’ignorance vise à justifier un
économique sont très éloignés du système américain ? élément de la théorie des parties prenantes, mais il ne
- La conception de l’individu chez Rawls constitue éga- s’agit pas de transposer la théorie de la justice aux rela-
lement un point de convergence avec les conceptions tions entre l’entreprise et ses parties prenantes. En ce
économiques comme celle de Williamson. Habermas sens, le ralliement libertarien de Freeman n’est pas
(Habermas, Rawls, 2005, p. 13) note ainsi chez Rawls incohérent avec ses positions antérieures.
l’intention « de présenter la théorie de la justice
comme une partie de la théorie générale du choix Freeman rappelle abondamment l’opposition fondatrice
rationnel » : l’individu est foncièrement animé par un de la théorie des parties prenantes : c’est contre la
« intérêt égoïste éclairé » (ibid.) ou par un « égoïsme conception actionnariale (shareholder theory) qu’il
rationnel ». On peut s’interroger également sur la s’élève. Les débats avec les partisans d’une théorie de
conception sous-jacente de la rationalité, limitée l’agence stricte (actionnariale) sont assez vifs depuis
certes chez Williamson mais fondamentalement quinze ans. Néanmoins, Freeman et les théoriciens des
utilitaire et calculatrice. parties prenantes ne prônent pas des positions diamétra-
- Enfin l’idée de contrat comme institution de base sup- lement opposées : d’une part, ils partagent avec les
pose celle de consensus fondateur. Il s’agit clairement premiers une vision contractuelle de l’entreprise ;
d’une conséquence de la conception des individus d’autre part, Evan et Freeman (1993, p. 259) reconnais-
« comme personnes libres et rationnelles soucieuses sent eux-mêmes que le concept de partie prenante est
de promouvoir leur propre intérêt » (cité par Ricœur, une généralisation de la notion d’actionnaire. Le désac-
1995, p. 89), des personnes libres et égales « c’est-à- cord porte davantage sur le fondement du contrat (la
dire douées d’une personnalité morale qui leur permet responsabilité de l’entreprise se limite-t-elle au seul
90
RSE et parties prenantes : une entreprise contractuelle et universelle ?
Didier CAZAL
profit ?) et sur la diversité des contractants (limitée aux Comme le rappelle Supiot (2005, p. 167), « le contrat
seuls actionnaires ou étendue à d’autres partenaires). sous sa forme canonique lie des personnes égales qui
ont librement souscrit des obligations généralement
La théorie de l’agence n’interdit pas formellement réciproques ». Ces caractéristiques (égalité, liberté,
qu’on l’élargisse aux autres parties prenantes, comme le réciprocité des contractants), les retrouve-t-on bien chez
fait Charreaux (2003). L’on aboutit alors une théorie de les parties prenantes ? N’oublions pas à cet égard que le
l’agence généralisée, non à une théorie alternative : on contrat de travail (liant justement l’une des parties pre-
passe simplement d’une création de valeur actionnariale nantes à l’entreprise) se définit justement par l’instaura-
à une création de valeur partenariale. Le désaccord qui tion d’un lien de subordination ; celui-ci justifie l’exis-
peut se manifester entre conceptions strictes et concep- tence même du droit du travail. Supiot (2005, p. 169)
tions souples (Langtry, 1999) porte davantage sur les souligne également l’émergence des contrats d’allé-
conséquences que l’on tire que sur les fondements de la geance, contrats d’un nouveau type dont « (l’) objet
théorie elle-même : la théorie de l’agence étendue peut premier n’est pas d’échanger des biens déterminés ni de
aussi intégrer des considérations morales. sceller une alliance entre égaux mais de légitimer
l’exercice d’un pouvoir ». Ces contrats comprennent les
En quoi la conception contractuelle de l’entreprise est- contrats de dépendance « dont le propre est d’assujettir
elle susceptible d’infléchir de manière dommageable la l’activité d’une personne aux intérêts d’une autre »
conception de la RSE ? Certaines de ses caractéristiques (ibid., p. 170) et les contrats dirigés (accords-cadres,
centrales risquent de vider la RSE de tout contenu contrats de plan, conventions médicales). Les premiers
original, la réduisant à du « politiquement correct d’en- sont largement représentés avec les activités de distri-
treprise ». bution ou de sous-traitance, qui lient des entreprises à
d’autres (donc parties prenantes), sans que les contrats
On peut rapidement présenter les caractéristiques cen- en question présentent les caractères canoniques du
trales de la conception contractuelle de l’entreprise contrat. Dans tous les cas, les canons de liberté, égalité
comme : et réciprocité sont malmenés. Caillé (2005, p. 145) cite
- anhistorique et a-contextuelle, or le développement de dans le même sens Battifol, spécialiste des contrats, « si
la RSE nécessite justement de prendre en compte l’en- l’on tient qu’il n’y a plus de liberté dans la mesure où
semble des contextes spécifiques au sein desquels elle l’objet du contrat est de plus en plus étroitement déter-
a émergé. L’analyse de ces contextes doit permettre de miné par la loi, ou par l’une des parties qui impose sa
faire la part entre les facteurs purement conjoncturels volonté à l’autre, on conclura que le contrat ainsi établi
(effets de mode) qui la condamnent à une obsolescence existe de moins en moins ». Le contrat équitable avec
rapide et des facteurs plus profondément enracinés qui les parties prenantes devient bien plus formel que sub-
en feraient une dimension durable des relations entre stantiel. Evan et Freeman évoquent la fiction que cons-
entreprise et société ; on ne peut guère concevoir les titue la grande entreprise moderne ; son but n’est de
parties prenantes de manière abstraite en dehors d’un coordonner les intérêts des parties prenantes (1993,
contexte et d’une histoire spécifiques, comme le recon- p. 261-262) grâce à des contrats équitables, qui sont
naissent Phillips, Freeman et Wicks (2003, p. 498). eux-mêmes des fictions.
- individualiste et sous-socialisée ; on voit difficilement Pour nombre de philosophes (Chauvier, 2004), la notion
ce que pourrait régler la voie contractuelle, d’autant même de contrat social est problématique : il s’agit
plus que celle-ci suppose une égalité des partenaires d’une analogie puisée dans le droit afin de désigner le
bien souvent problématique. Rapports en enjeux de pacte social fondateur mais jusqu’où peut-on pousser
pouvoir sont exclusivement réduits à leurs dimensions l’analogie ? Ce contrat, hypothétique, comment peut-il
économiques de relations entre individus intéressés. engager et qui, d’autant que personne n’en est le signa-
L’individu chez Rawls, comme « la partie prenante » taire ? La notion de contrat implicite chez les écono-
chez Freeman ne font que reproduire la figure clas- mistes nous semble poser le même type de problèmes.
sique de l’homo economicus animé par une logique Même si pour éviter de filer l’analogie, on reconnaît
maximisatrice standard (Caillé, 2005, p.138-139) ; dans le contrat social une « stratégie argumentative
formelle » (Boyer, p. 405), l’accord ou le pacte social
- a-conflictuelle et consensualiste : « la métaphore qu’il désigne n’est qu’hypothétique ; or les théoriciens
contractuelle induit normalement l’idée de consente- des parties prenantes postulent la réalité de cet accord,
ment rationnel des parties » (Boyer, 1996, p. 402). qui plus est sur des bases normatives, avec pour les
Chez Rawls en particulier, comme chez nombre de individus au moins les caractéristiques de liberté,
contractualistes, contrat et consensus sont quasiment d’égalité et de responsabilité.
consubstantiels. La rationalité individuelle et la
recherche de l’intérêt rendent les conflits aisément Enfin, les contractualistes manifestent une foi considé-
solubles dans le contrat. rable dans le contrat puisqu’ils y voient le moyen exclu-
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RSE et parties prenantes : une entreprise contractuelle et universelle ?
Didier CAZAL
92
RSE et parties prenantes : une entreprise contractuelle et universelle ?
Didier CAZAL
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93
La RSE : vers une approche « constructiviste » pour les filiales de firmes multinationales (FMN) dans les PVD
Guillaume DELALIEUX - Birahim GUEYE
une approche
(RSE) semble avoir peu à peu envahi les débats à la fois
académiques et grand public sur la régulation des
normes sociales et environnementales dans une économie
de marché. Les discours profusent tandis que des pra-
de firmes
Dans le cadre de cet article il nous a semblé pertinent de
nous intéresser à la manière dont les FMN adaptent
leurs pratiques en terme de régulation sociale et envi-
multinationales
ronnementale pour leurs filiales qui évoluent dans les
pays en voie de développement (PVD). Le débat sur la
responsabilité sociale des entreprises (RSE) s’est
pendant longtemps focalisé sur les enjeux à l’intérieur
(FMN)
d’un cadre local, régional, national voire continental
dans les économies de marché des pays développés. Il
apparaît cependant nécessaire d’étendre ce débat au
niveau mondial.
95
La RSE : vers une approche « constructiviste » pour les filiales de firmes multinationales (FMN) dans les PVD
Guillaume DELALIEUX - Birahim GUEYE
contextes socioculturels de façon différente et parfois - La responsabilité économique : c’est de produire des
opposée. D’où la question : « comment les filiales de biens et services pour la satisfaction des besoins de la
ces entreprises définissent des pratiques qui apparaî- société. L’auteur précise que c’est la première et la
tront socialement responsables aussi bien au niveau du principale responsabilité sociale de l’entreprise qui, en
pays d’accueil que vis-à-vis du pays d’origine ? » tant que institution économique de base doit répondre
C’est une telle question que nous nous sommes proposés d’abord à cette dernière. Dans le schéma illustratif
d’analyser dans le cadre de ce travail. En adoptant une des différentes catégories de responsabilités sociales
démarche pragmatique, nous avons choisi de ne pas de l’entreprise, la responsabilité économique occupe
nous attarder sur les débats théoriques sur les concepts un volume plus important, un peu plus que la respon-
de RSE voire sur les sujets connexes telle la théorie des sabilité légale.
parties prenantes. Au contraire nous avons choisi de
nous référer à des travaux que nous pensons adéquats - La responsabilité légale : c’est le fait de satisfaire
pour étudier la question que nous nous sommes posées. aux besoins de la société en biens et services tout en
Parmi ces travaux nous retenons Caroll (1979) qui a respectant les lois et règlements qui gouvernent la
identifié les différentes catégories de responsabilités qui zone géographique dans laquelle l’entreprise évolue.
incombent à l’entreprise sur le plan social. De même Cette responsabilité est d’une importance capitale et
que Wood (1991), qui a précisé les principes qui doivent est assujettie de contrôle car codifiée dans des textes
guider la prise de responsabilité sociale des entreprises. réglementaires et juridiques, ce qui n’est pas le cas de
Et aussi quelques aspects de la théorie des parties la responsabilité éthique.
prenantes (Freeman, 1984 ; Donaldson & Preston,
1995 ; Clarkson, 1995) qui a identifié les entités envers - La responsabilité éthique ou morale : elle comprend
lesquelles les entreprises sont responsables. Ce sera les attentes de la société en termes de respect des
l’objet de la première partie de cette étude. Nous ver- valeurs morales ou éthiques. Donc c’est un aspect qui
rons ensuite, l’importance de dépasser la dialectique n’est pas codifié par la loi mais il fait de plus en plus
réductrice universaliste/relativiste sur l’éthique, voir sur sujet de formalisation dans le cadre des syndicats
la RSE, pour développer une approche constructiviste professionnels avec les codes de déontologie et les
sur les questions de l’éthique et de la RSE (Evanoff, codes de conduites. Cette responsabilité occupe un
2004). Et enfin, nous verrons dans une troisième partie volume inférieur aux deux précédentes dans le schéma
comment créer à l’état actuel des choses une approche de Caroll (1979). Mais elle est toutefois supérieure à
constructiviste de la RSE dans les pays sous développés ce niveau à la responsabilité discrétionnaire.
avec une illustration à partir de la situation d’une filiale
d’une FMN installée en Afrique du nord. - La responsabilité discrétionnaire : ce sont des atten-
tes de la société pour que l’entreprise assume un rôle
social. Ces attentes « sociétales » ne sont contraintes
ni par la loi, ni par la morale ou l’éthique, ce qui
1. Les fondements théoriques contribue à ne pas les imposer automatiquement. La
de la RSE décision d’assumer ces responsabilités « sociétales »
est donc laissée au jugement individuel de l’entreprise,
L’objet de recherche RSE reste pourtant assez difficile i.e. de ses dirigeants. Les différents types de compor-
à atteindre pour le chercheur en sciences de gestion. tements ou réponses stratégiques que l’entreprise est
Circonscrire le périmètre des discours et pratiques issus susceptible d’adopter face à ces normes implicites
de la notion de RSE s’apparente à une gageure ou bien résultant de pressions institutionnelles ont déjà étéétu-
encore une nouvelle version du test de Rorschach : diés (Oliver, 1991) : adoption, compromis, refus, évi-
chaque acteur prête à la notion de RSE des contenus en tement, manipulation. Cette catégorie de responsabili-
lien avec ses propres représentations sociales et son té prend de plus en plus d’importance surtout dans les
système de valeur. La juxtaposition de termes aussi sociétés occidentales où les trois premières catégories
vastes et mouvants que « responsabilité », « social » et ont tendance à être respectées sous la menace des
« entreprise » a donné lieu à la coexistence d’une multi- pressions de différentes forces parmi lesquels la forte
plicité de définitions (plus de 286 définitions de la concurrence pour la responsabilité économique, la
notion ont été relevées à travers la littérature). Les force de la loi et la diversité de celle-ci pour la respon-
qualificatifs rattachés à la notion de RSE ne manquent sabilité légale, et la force de la société civile avec les
pas : vaste, protéiforme, ondoyante, chatoyante, ONG, les syndicats de salariés, etc. pour la responsa-
concept ombrelle, la RSE s’apparente donc à un objet bilité éthique. Donc l’importance de celle-ci réside
difficilement saisissable. dans le fait qu’elle est laissée à la volonté des entre-
Caroll (1979) définit quatre catégories de responsabili- prises de faire des actions sociales qui incombent le
tés qui incombent à l’entreprise sur le plan social. Il plus souvent à l’autorité publique.
s’agit de :
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La RSE : vers une approche « constructiviste » pour les filiales de firmes multinationales (FMN) dans les PVD
Guillaume DELALIEUX - Birahim GUEYE
Cette classification est importante à plus d’un titre. Bensebaa, 2004) qui interagit avec les autres aspects de
D’une part elle permet d’être pragmatique sur ce qui est celle-ci. Il faut que ces interactions se réalisent suivant
de la responsabilité des entreprises sur le plan social. des principes clarifiés. C’est donc une extension du
D’autre part elle permet de voir que le respect de l’une travail de Caroll (1979), de la même manière que la
ou l’autre dépend de plusieurs facteurs tels que la situa- théorie des parties prenantes.
tion économique de la zone d’application, les contraintes La théorie des parties prenantes a permis d’identifier et
réglementaires ou juridiques ainsi que de l’implication de préciser les entités envers lesquelles l’entreprise est
de forces autres que les institutions publiques. Cette socialement responsable. Freeman (1984) définit les
classification montre aussi que les pratiques de la RSE parties prenantes comme « les entités qui peuvent affecter
doivent être assujetties à l’ensemble de ces facteurs et être affectées par les actions de l’entreprise ». Cette
c’est-à-dire qu’il est difficile de juger de la même définition, à première vue large, a le mérite d’ouvrir le
manière toutes les entreprises suivant les mêmes principes champ des possibilités d’actions dans la mesure où dès
et les mêmes normes. lors qu’on peut démontrer sa capacité à affecter ou à
Parlant de principes, Wood (1991) en a identifié trois être affecté par les activités d’une entreprise on peut se
qu’il faut respecter dans une démarche de RSE. Ce réclamer parties prenantes vis à vis de l’entreprise. La
sont : largeur d’une telle définition n’est pas d’ailleurs sans
poser de problème quant à l’étendue de ces parties
- Le principe de légitimité : c’est le principe selon prenantes potentiellement incluses. C’est ainsi que les
lequel c’est la société qui accorde à l’entreprise une organisations de la société civile ont pu peser dans le
légitimité et un pouvoir qu’elle doit utiliser pour satis- développement des pratiques de RSE. Malgré son
faire les besoins de cette société. Davis (1973) précise importance relative, la théorie des parties prenantes a
que si cette légitimité et ce pouvoir ne sont pas utilisés été sujets à plusieurs critiques (Mitchell et al., 1997 ;
dans le sens des intérêts de la société, celle-ci les récu- Philips & Reichart, 2000 ; etc.) dans son caractère
pérera et ce là va entraîner au terme la mort de opératoire principalement mais aussi dans un contexte
l’entreprise. Le niveau d’application de ce principe est plus politique : le cadre de la négociation collective fixé
le cadre institutionnel qui définit les obligations et les par l’Etat avec des partenaires sociaux clairement iden-
sanctions qui accompagnent la délégation de la légiti- tifiés par l’Etat existe déjà en France notamment. Le
mité et du pouvoir. développement de la RSE avec l’émergence de parties
prenantes sélectionnées par l’entreprise instaure la
- Le principe de responsabilité publique : c’est le centralité de l’entreprise dans la négociation et contri-
principe qui consiste à dire que l’entreprise est respon- bue à délégitimer le rôle de l’Etat dans celle-ci. Mais ce
sable des problèmes sociaux qu’elle a contribué à débat n’est pas celui qui nous intéresse ici en particulier.
créer (Preston & Post, 1975). L’entreprise doit donc Sinon elle nous permet de dire que les sociétés dans
aider à la résolution de tels problèmes publics de ce lesquelles s’installent les filiales de FMN constituent
point de vue, par le simple fait qu’un lien de causalité suivant la définition de Freeman des parties prenantes
entre actions de l’entreprise et problèmes sociaux a été de la FMN à un certain niveau. Donc il faut prendre en
établi. Ce n’est pas un principe qui oblige l’entreprise considérations leurs préoccupations et ceci de façon
à agir sur tous les problèmes sociaux, mais pour prioritaire pour plusieurs raisons. Parmi lesquelles les
qu’elle se sente concerner par des problèmes besoins de survie de ces unités (ou filiales) qui y tirent
classiques liés aux externalités tels que la dégradation leurs ressources (sinon une partie) et/ou qui y trouvent
de l’environnement, l’usage de ressources non renou- des débouchés pour leurs produits (sinon une partie
velables, les licenciements multiples, etc. Le niveau aussi).
d’application de ce principe est l’organisation au sein La notion de RSE ici développée correspond plus préci-
de laquelle doivent se prendre les décisions qui visent sément à la notion de CSR (Corporate Social
à participer à la résolution de problèmes publics. Responsibility) d’inspiration anglo-saxonne. Le contexte
institutionnel national semble décisif dans la façon de
- Le principe de la discrétion managériale : c’est au réguler les normes sociales et environnementales. Des
niveau individuel ou même personnel que s’applique différences significatives existent telles celles souli-
ce principe c’est-à-dire au niveau du manager gestion- gnées par Lépineux (2003) entre CSR anglo-saxonne de
naire en sa qualité de personne morale dans l’entreprise. tradition plus libérale et plus décentralisée et RSE à la
Les valeurs et les croyances de celui-ci peuvent française de tradition plus interventionniste et plus cen-
influencer les actions de son organisation. Donc tralisée. L’intérêt de l’approche anglo-saxonne de la
celles-ci doivent être mises au service de la responsa- CSR réside dans son potentiel opératoire dans les PVD,
bilité sociale des entreprises (Caroll, 1979). où le stade de développement de l’Etat ne permet pas
d’appliquer le modèle français par exemple. Dans cette
L’apport de Wood (1991) est de montrer que l’entreprise optique plus politique, il serait légitime de se demander
est une partie intégrante de la société (Bécheur & dans quelle mesure le cadre de la négociation entre
97
La RSE : vers une approche « constructiviste » pour les filiales de firmes multinationales (FMN) dans les PVD
Guillaume DELALIEUX - Birahim GUEYE
parties prenantes n’empêche pas l’émergence d’un Etat (1989) avait ainsi tempéré le recours inévitable au rela-
fort au sein de ces PVD à même ensuite de prendre à sa tivisme culturel en identifiant une série de droits inter-
charge le déroulement des négociations. Ce type de nationaux fondamentaux universels, quelle que soit la
questionnement ne relève pas a priori des sciences de culture, comme notamment le droit de subsistance et
gestion au sens strict, même si il est difficile en tant que celui de participation politique. En revanche lorsque ces
chercheur de ne pas avoir d’intuitions plus ou moins droits fondamentaux de l’individu ne sont pas en jeu,
fortes sur la question. des différences culturelles peuvent en revanche influer sur
La RSE peut ainsi se décliner de façon pragmatique en la définition des normes sociales et environnementales.
quatre catégories suivant des principes bien définis et L’approche universaliste est l’héritière des traditions
envers des entités identifiables : économique, légale, philosophiques universalistes tels les travaux de Platon,
éthique et discrétionnaire. d’Aristote ou de Kant avec comme idée communément
Même s’il est de plus en plus reconnu l’importance de partagée : « l’éthique peut être fondée sur une série de
dépasser les études sur la RSE suivant des contextes principes et de normes universelles qui restent vraies
locaux, nationaux ou régionaux, il est nécessaire de pour toute personne, en tout lieu et en tout temps, et en
dépasser le débat universaliste/relativiste. C’est pour- dépit de toutes les différences qui peuvent exister entre
quoi nous postulons l’intérêt de développer une appro- les individus, entre les cultures et entre les périodes
che constructiviste sur la RSE. historiques ». Cette conception signifie que la vérité est
partout unique et qu’il faut s’y soumettre devant
n’importe quelle situation.
Evanoff trouve qu’une telle approche va se heurter à
2. Le développement d’une approche une première difficulté qui est de savoir « comment ces
constructiviste dans le dialogue principes et ces normes sont apparues pour la première
interculturel sur la RSE fois, et dépassée ce cap comment réussir à les faire
accepter de façon universelle ».
Devant cette difficulté les partisans de l’approche
Plusieurs approches théoriques de l’éthique et du mana- universaliste trouvent une seconde stratégie pour faire
gement existent, notamment les approches de type utili- passer leurs conceptions en stipulant que « l’éthique
tariste, celles basée sur la justice, ou sur les droits, ou universelle peut prospérer dans la mesure où en adop-
sur le relativisme culturel (Cavanagh, et al., 1981). tant une démarche inductive et empirique, il est possible
Nous ne développerons pas ici ces différentes appro- de découvrir un certain nombres de valeurs communes
ches, mais mentionnerons simplement la pluralité en à toutes les cultures ». Cependant une telle argumenta-
terme d’approches théoriques. tion trouve un frein logique selon Evanoff. En effet il
Le contexte institutionnel, le niveau de développement suffit d’une seule exception pour que la règle préétablie
économique et toute une série de facteurs diffèrent entre s’écroule, et si on considère le fait que nul ne peut étu-
pays d’accueil des filiales et pays d’origine des FMN. dier à la fois toutes les cultures à travers toutes les
Différentes études semblent montrer la contingence de périodes de l’histoire, il devient possible d’envisager
ces facteurs, en particulier le niveau de développement l’existence d’exceptions à la règle selon laquelle il existe
économique (Fritzsche & Becker, 1984) et le comporte- des valeurs communes à toutes les cultures et à tout
ment en terme de RSE. Tandis que Kohlberg (1981) a temps.
proposé un modèle des stades de développement moral
individuel progressifs, allant du sujet centré sur lui- Une troisième stratégie sera développée par les tenants
même à celui centré sur les autres, et assez indépendant de cette approche et elle consiste au principe de ratio-
de facteurs contingents en terme de prise de décision. nalité universelle. Un tel principe veut que, même si les
En terme de prise de décision, les dilemmes apparais- contenus de la connaissance, des valeurs et du reste des
sent lorsque les pratiques des filiales rentrent en conflit pratiques éthiques peuvent être différents entre les cul-
avec des principes individuels universels tels que la tures, il est possible malgré tout de supposer que les
sécurité du consommateur ou d’autres valeurs centrales procédures rationnelles par lesquelles sont conduites les
en vigueur dans le pays d’origine. débats sont les même entre les cultures. Et les partisans
de cette approche d’argumenter en affirmant que c’est
Pour dépasser le caractère réducteur d’un débat oppo- cette rationalité universelle qui constituerai les relais ou
sant de façon manichéenne approche universaliste et passerelles entre les cultures. Et que sans ce « socle
approche relativiste sur l’éthique, Evanoff (2004) commun » il ne peut pas y avoir de communication
propose une alternative avec une approche dite « cons- entre les cultures (Luckes, 1979, 1973, 1982 ; Hollis,
tructiviste ». Ainsi il s’est proposé de montrer les limites 1979a, 1979b, 1982 ; Wiredu, 1996 ; ces auteurs sont
de ces deux approches avant de proposer les solutions cités par Evanoff, 2004). Mais d’après les chercheurs en
de l’approche constructiviste. Cette tentative n’est pas communications interculturelles (Applegate & Sypher,
la première à proposer une alternative : Donaldson 1988 ; Condon & Yousef, 1975 ; selon Evanoff, 2004
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La RSE : vers une approche « constructiviste » pour les filiales de firmes multinationales (FMN) dans les PVD
Guillaume DELALIEUX - Birahim GUEYE
toujours), il existe des différences culturelles non pas En ce qui concerne la seconde stratégie, Evanoff trouve
seulement sur les schémas cognitifs qui sont employés qu’elle se heurte à une difficulté majeure. C’est que
pour la communication mais aussi sur leurs formes de cette vision « oublie le fait que les construits sociaux
logiques. Donc pour Evanoff « il n’est pas clair que sont des outils utilisables pour créer une vie constructive
toutes les cultures partagent les mêmes standards de pour les gens ». Ainsi sans le contact des autres cultures
rationalité autant que pour les valeurs ». il devient impossible de porter un regard critique sur les
Ainsi l’approche universaliste ne serait pas adaptée à aspects de sa propre culture. Et que pour construire des
l’émergence d’un dialogue interculturel sur l’éthique et normes éthiques applicables partout il faut que survienne
en prolongement sur la responsabilité sociale des entre- une rencontre de ces cultures ce qui pourra permettre
prises. De la même manière l’approche relativiste serait aux gens même de faire la critique de leur propre culture.
réductrice pour soutenir un tel dialogue. Seulement, il est important de noter que les arguments
L’approche relativiste est basée sur l’idée selon de l’approche relativiste ont l’intérêt de montrer que
laquelle « chaque culture dispose de ses propres valeurs tous les construits sociaux ne sont pas forcément
et normes qui lui sont particulières. Ces valeurs et nor- « vrais » mais il ne faut pas tomber sur un « cynisme
mes sont incommensurables avec d’autres de cultures mélancolique » ou à une révolution peu ou pas réflé-
différentes. » Ainsi suivant cette approche la diversité chie. Et c’est à ce niveau que l’approche dite « cons-
culturelle doit être acceptée sans discussion dans la tructiviste » va permettre de dépasser ces limites et évi-
mesure où toutes les cultures évoluent suivant des ter les risques qui s’y rattachent.
principes, des valeurs et des normes, des formes de L’approche constructiviste part de l’observation selon
rationalité qui sont tous différents. Chercher à imposer laquelle les normes et principes contenus dans une cul-
des normes prévalant au sein d’un contexte culturel ture permettent aux gens de cette culture d’échanger
donné serait interprété comme une tentative d’hégémonie entre eux mais pas avec d’autres de cultures différentes.
ou une stratégie de domination. Ainsi il faut construire de nouvelles normes et principes
Pour défendre une telle position les tenants de cette capables de résorber ce problème surtout devant l’ur-
approche s’arment de deux stratégies. D’une part, ils gence que constitue la mondialisation à tous les
suggèrent que si le principe, selon lequel les différentes niveaux. Mais une telle approche ne peut pas se
revendications de toutes les cultures sont considérées de permettre non plus de tomber sur les travers de l’approche
façon égale, est respecté, il sera possible d’espérer une universaliste.
éthique qui respecte les différences culturelles. D’autre Ici l’éthique est vue comme un moyen de coordination
part, ils disent que si les différentes revendications de des relations entre gens de culture donné à une époque
toutes les cultures ne sont pas considérées de façon donnée autrement dit une certaine forme de style de vie.
égale, il ne sera pas possible de construire des normes Alors si de nouvelles formes de style de vie émergent il
éthiques valables partout. faut que les normes et les principes éthiques évoluent.
La position défendue dans cette approche signifie que Et à plus fortes raisons si l’évolution des styles de vie
pour édicter des règles, des principes ou des normes est partagée entre des cultures différentes à la base, il
pour des gens de cultures différentes il faut intégrer à la devient nécessaire de créer des normes et des valeurs
fois tous les aspects de ces cultures pour montrer qu’on qui peuvent valoir partout dans ces dites cultures. Mais
respecte tout le monde. Une telle situation ne créerait la construction de ces normes et principes éthiques ne
t-elle pas plus de difficultés surtout en phase d’opéra- saura se faire sans la participation de toutes les cultures
tionnalisation ? La réponse est très certainement affir- concernées sans pour autant vouloir dire que ces normes
mative. Ainsi Evanoff va démontrer les insuffisances se et principes devront obligatoirement intégrer toutes les
rattachant à l’argumentaire des tenants de cette appro- composantes de toutes ces cultures. Ainsi les bases
che. d’une approche constructiviste seraient le dialogue
Au premier point il répond que les attentes sont sociale- entre les cultures. la construction doit suivre un certain
ment construites et par conséquent elles peuvent être processus pour aboutir à des normes et principes
contestées. Au-delà de cet argument il précise qu’une éthiques acceptées de tous à des périodes de temps
telle attitude sera synonyme de retour à une vision données. Parmi les étapes essentielles de ce processus
essentialiste de la culture c’est-à-dire que les normes, on peut citer :
les valeurs et les principes d’une culture donnée sont - La précision que les normes et les principes éthiques à
fixes dans le temps et suivant les contextes. Ce qui se construire n’auront comme fondement ni la théologie,
rapprocherait quelque part selon nous des visions de ni les aspects métaphysiques ;
l’approche universaliste dans des proportions locales. - Il faudra une certaine interaction entre les cultures
Et Evanoff de postuler qu’il ne saurait avoir de normes avec une communication interculturelle ;
et/ou de valeurs fixes dans n’importe quelle culture. - Un apprentissage des autres cultures pour favoriser
Mais que les normes et/ou valeurs de toute culture don- une connaissance mutuelle ;
née ne doivent pas être vues comme valides d’une - Une autocritique de la part des membres de chaque
manière définitive. culture c’est-à-dire que ce sont les membres de chaque
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La RSE : vers une approche « constructiviste » pour les filiales de firmes multinationales (FMN) dans les PVD
Guillaume DELALIEUX - Birahim GUEYE
culture qui vont identifier d’abord les points positifs même s’ils sont vus par les membres de ces cultures
ainsi que les points négatifs de leur culture respecti- comme étant en décalage avec l’évolution des contextes
ve1; sociaux, environnementaux, et économiques.
Une synthèse pourra se réaliser ainsi de façon démocra- Le développement d’une telle approche constructiviste
tique pour favoriser l’acceptation par tous les normes et est d’autant plus important pour la RSE. Surtout au
les valeurs qui sortiront de ce dialogue interculturel. moment où se développent des codes de conduites, des
Ainsi l’approche constructiviste peut être considérée normes et des principes internationaux. Mais aussi avec
comme pragmatique car elle se base sur une observation la mondialisation des affaires que nous avons déjà
concrète par les acteurs de la réalité c’est-à-dire des mentionné. C’est pourquoi nous illustrons l’importance
problèmes au niveau global et propose des solutions sur de construire ces normes, ces principes et ces codes de
la base des expériences positives identifiées de part et conduites suivant un dialogue international, et notre
d’autre. C’est aussi une approche qui permet d’anticiper objet d’étude est une filiale d’une FMN qui évolue en
en commun sur les questions futures grâce au dialogue Afrique du nord.
et aux échanges d’idées.
Donc « la fonction de l’éthique pour l’approche cons-
tructiviste, est d’aider les gens à interagir avec succès
entre eux et avec le reste du monde. Et puisque les pra- 3. Cas pratique : étude du processus
tiques sociales et les conditions environnementales de construction des pratiques
changent, les anciennes normes et principes perdent de RSE et de son contenu dans
leur validité et de nouvelles normes et principes doivent
être construits. Ainsi les formulations éthiques doivent une filiale d’une FMN du secteur
être considérées comme des réponses au changement de la chimie/parachimie implantée
des circonstances sociales et environnementales. »
L’approche constructiviste n’est pas différente des deux en Afrique du Nord
approches de façon radicale mais refuse les positions
extrêmes défendues dans l’une ou l’autre des approches La construction des pratiques de RSE peut s’appréhender
universaliste ou relativiste. Ainsi elle ne partage pas de manière procédurale à travers un processus de cons-
avec l’approche universaliste son argumentaire basé sur truction suivant des étapes, un déroulement plus ou
les approches déductives ou inductives, de même que moins planifié, et des acteurs plus ou moins identifiés.
sur la rationalité universelle mais reste persuadée à la Les filiales de FMN peuvent bien évidemment tirer
possibilité et à la nécessité de construire des principes parti de l’expérience accumulée par la maison mère en
universelles à partir d’un dialogue interculturel. Par utilisant les ressources existantes en terme normes,
ailleurs, un tel dialogue ne peut se réaliser sans une codes, et tout autre forme de connaissances accumulées
identification des différences. C’est cette position qui sur le développement et la mise en place de diverses
peut être partagée avec l’approche relativiste, de même pratiques et instruments de gestion. L’analyse de la
que leur argument selon lequel tout construit social construction des pratiques de RSE partage de nombreux
n’est pas forcément vrai mais diffère avec cette dernière aspects avec la construction classique d’autres instru-
approche en ce qui concerne ses positions sur la néces- ments de gestion tels que ceux des Ressources
sité de ne pas toucher les valeurs et les principes de Humaines, de la Finance, du Marketing, etc.
toute culture au risque de heurter leurs fondements La manière dont les pratiques vont se construire peut
ainsi se décomposer en plusieurs étapes qui varient
selon les cas. Le plus souvent dans les filiales de multi-
1 Chaque culture identifie un certain nombre de pratiques au sein de
nationales on recourt à des guides normés servant de
la communauté comme bonnes et d’autres comme moins bonnes. référence à l’élaboration des pratiques à l’ensemble du
Sans mobiliser ici les thèses nietzschéennes des notions de Bien et groupe auquel il appartient.
de Mal dans la « Généalogie de la Morale », il est ici fait référence à Cependant dans un contexte interculturel, le mode
l’idée de confrontation des pratiques entre deux cultures différentes,
qui favorise généralement les dispositions à regarder de manière
d’élaboration des pratiques tient le plus souvent compte
plus critique sa propre culture. Un bon exemple est celui d’intellec- d’un certain nombre d’ajustements afférents aux spéci-
tuels africains s’opposant à des pratiques telle que l’excision des ficités du pays d’accueil. Les facteurs susceptibles
femmes, de façon pragmatique sur la base d’arguments scientifiques d’influencer et de provoquer les ajustements sont le plus
jugés recevables par leurs interlocuteurs (danger pour les femmes au
moment de l’accouchement) dans le but de faire cesser ces pratiques
souvent liés au niveau de développement économique,
qu’un contexte culturel occidental rejetterait pour de toutes autres à la réglementation en vigueur, à la culture et aux
raisons (Caractère inaliénable du corps d’un individu par exemple). coutumes locales. Les recherches sur le sujet évoquent
Cependant il n’est pas de notre intention ici de dire telles pratiques de plus en plus l’importance d’une telle démarche,
sont bonnes et d’autres le sont moins. Pour la simple raison que ce
serait contradictoire avec notre suggestion de construire par un dia-
surtout sur le plan culturel depuis les travaux
logue interculturel les normes qui régissent les pratiques en matière d’Hofstede (1980) tandis que les questions relatives à
de RSE et généralement d’éthique. l’éthique et/ou la RSE ne font le plus souvent pas
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La RSE : vers une approche « constructiviste » pour les filiales de firmes multinationales (FMN) dans les PVD
Guillaume DELALIEUX - Birahim GUEYE
exception (Cohen & al., 1992 ; White & Rhodeback, (périmètre, champ d’application de la notion) et le DD
1992 ; Broadhurst, 2000 ; Moody-Stuart, 2003 ; etc). ainsi que la conception d’outils et instruments de
Comme nous l’avons précédemment mentionné, il reste gestion correspondant a été faite au niveau du groupe.
alors à arbitrer entre un universalisme et relativisme Un certain nombre de normes préexistantes ont été
radicaux. C’est dans une telle perspective que se place citées lors de l’entretien et ont vraisemblablement servi
cette étude. à ce processus de construction. Ce sont les normes :
Le cas présent concerne le processus de construction - OHSAS 18000 (sécurité au travail).
des pratiques de RSE développée par la filiale d’une - SA 8000 (responsabilité à l’égard des conditions de
FMN européenne du secteur de la chimie implantée en travail dans les filiales étrangères) ;
Afrique du Nord. L’enquête se limite temporairement et - ISO 14001 (qualité environnementale) ;
dans l’attente de recherches plus poussée à un entretien - SD 21000 (norme ISO sur le management du déve-
en profondeur de type semi directif d’une durée de deux loppement durable).
heures avec le Directeur « RSE » de la filiale, qui est Le contenu en terme de procédures, de méthodologie et
aussi président de la fédération nationale de l’industrie d’instruments divers de ces processus normatifs a ainsi
chimique et para chimique. À cet entretien s’est ajouté permis de constituer en « patchwork » : les principes, le
un échange de questions-réponses par mail et téléphone. champ d’application de la RSE au sein de la maison
Pour être validé notre propos nécessiterait donc d’autres mère et d’élaborer des outils.
étapes de vérification empirique, de confrontation des Une fois ces outils constitués et remis à niveau, la mise
propos avec d’autres acteurs, d’une lecture approfondie en place au niveau des filiales s’est faite en collaboration
des divers rapports (Inspection du travail, articles de avec le responsable Développement Durable du pays
journaux) etc… Notre intention n’est pas ici de généra- concerné et ses homologues fonctionnels du siège.
liser à partir d’une ébauche d’étude de cas partielle et Les pratiques au niveau du groupe sont du type de celles
singulière, mais d’ouvrir des pistes de réflexion pour un décrites par Donaldson (1989) identifiant un certain
travail de recherche éventuellement plus poussé ensuite. nombre de valeurs sur lesquelles il n’y a pas possibilité
La FMN ici concernée a réalisé pour l’exercice 2005 un de déroger notamment les droits de l’homme, la sécurité
chiffre d’affaires d’environ 10 milliards d’euros et un au travail etc. En revanche le contexte local a rendu
résultat net après impôts de 900 millions d’euros. Le nécessaire un certain nombre d’adaptions jugées néces-
groupe est présent dans plus de 80 pays. La structure de saires.
l’actionnariat est répartie entre 40 % d’investisseurs Le développement de l’actionnariat salarial n’est pas
individuels et 60 % d’investisseurs institutionnels. aussi développé dans les filiales étrangères qu’au
L’intérêt de la filiale est son secteur d’activité qui est niveau du pays d’origine. La politique d’intéressement
particulièrement sensible en matière de risque environ- et de participation concerne les cadres des filiales mais
nemental (chimie et parachimie). pas l’ensemble du personnel. Le niveau de développe-
D’après le contenu de l’entretien les pratiques de RSE ment économique du pays fait que cette problématique
de la filiale semblent avoir été ici construites selon un n’apparaît pas comme la plus préoccupante. Le souci
processus nettement formalisé. L’approche « RSE » du d’éviter le risque d’une dilution du titre en cas d’exten-
groupe se décline en plusieurs axes au sein de la poli- sion du plan d’actionnariat salarial à l’ensemble des
tique de développement durable du groupe suivant filiales du groupe n’est bien évidemment pas étranger à
deux cadres majeurs : cette volonté. Néanmoins la réflexion reste ouverte et
- L’environnement avec deux axes concernés : éco- des aménagements sont à l’étude pour faire de cet
nomie des ressources en matière de consommation aspect une norme universelle au niveau du groupe.
d’énergie via la création de nouvelles technologies Ainsi la répartition est d’environ de 80 % de normes
brevetables ou le développement de techniques alter- universelles pour 20 % de normes ajustées contextuel-
natives elles aussi brevetables, et la diminution des lement. Nous n’avons pas eu accès à une énumération
rejets polluants. détaillée des pratiques relevant des normes universelles
- En matière de RSE il s’agit de veiller à des ques- et de celles ajustables au pays local.
tions telles que : la sécurité, la formation, le dévelop-
pement de l’actionnariat salarial, l’innovation, et la Nous avons pu apprécier l’apport de la FMN au pays
responsabilité vis-à-vis des actionnaires. d’accueil. Le niveau de développement de la FMN,
Trois étapes sont à distinguer au niveau de la construc- l’avancée technologique, la maîtrise de multiples
tion et de l’élaboration des pratiques de RSE : la défini- brevets, sont autant de facteurs qui participent à rehausser
tion de la notion et des activités concernées, l’élabora- les capacités productives ainsi qu’à créer des phénomènes
tion d’outils de gestion destinés à mettre en œuvre un d’externalités positives pour les autres entreprises du
processus de type démarche qualité sur les thématiques secteur. Cependant d’autres sujets mériteraient d’être
retenues et la mise en place des outils. approfondis. Notamment la répartition des bénéfices
En considérant ces 3 étapes, il apparaît alors que la réalisés sur place, l’influence que la FMN peut avoir
définition des problématiques concernées par la RSE dans le secteur de la chimie et parachimie et les
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La RSE : vers une approche « constructiviste » pour les filiales de firmes multinationales (FMN) dans les PVD
Guillaume DELALIEUX - Birahim GUEYE
doivent pas être manipulé pour satisfaire les opinions financière des actionnaires ;
publiques des pays d’origine. Ceci est en concordance ! satisfaire aux besoins en biens et services des clients ;
avec le principe de légitimité de Wood (1991) car dans ! répondre à des exigences de différents niveaux (local,
le cas de ces filiales de FMN, ce sont les sociétés des national, international) et types de contraintes (lois,
pays d’accueil qui doivent être privilégier car c’est à règlements, chartes etc.) auxquels la filiale de la FMN
l’intérieur de celles-ci que ces organisations exploitent est assujettie ;
ou tirent une partie de leurs ressources. Comme exem- ! réagir face aux normes « éthiques » morales, déonto-
ple, il serait catastrophique d’importer brutalement la logiques véhiculées par le contexte institutionnel ;
réglementation du temps de travail française dans les ! ne pas négliger le sens de l’intérêt public autant que
filiales. Les besoins de travail peuvent être plus impor- faire se peut.
tants dans les pays d’accueil d’où la nécessité de coor- Ainsi, il est de plus en plus difficile de s’opposer dans
donner les pratiques avec les réalités de ces pays, pour le contexte d’une économie de marché moderne à domi-
le souligner à nouveau. nante financière à l’assertion qui veut que la première
De la même manière, le fait de privilégier certaines responsabilité d’une entreprise est de faire des profits
catégories de responsabilités n’est pas contradictoire pour ses actionnaires. D’ailleurs, même si des ajuste-
avec les principes de Wood. Au contraire, cela les ments en terme de pratiques volontaires des entreprises
renforce surtout en ce qui concerne les deux dernières en matière environnementale et sociale (RSE) restent
principes, que sont la responsabilité publique et la possibles, ces pratiques semblent découler d’un raison-
discrétion du manager. Cela ne signifie pas adopter une nement de type utilitariste. Le refus des projets jugés
approche relativiste mais c’est de dire que les disposi- dangereux par la filiale étudiée sur le plan environne-
tions applicables dans le cas de ces filiales sont à mental résulte d’un calcul de risque entre des pertes
construire en accord avec les pays d’accueil tout en (image et cours de bourse) en cas de scandale environ-
respectant les préoccupations des parties prenantes qui nemental et la diminution immédiate de la rentabilité
sont dans les pays d’origine. Cela est possible par financière.
l’instauration d’une communication efficiente auprès de La filiale ici étudiée déclare faire un arbitrage entre les
ces acteurs pour leur faire comprendre que les situations demandes de la société dans laquelle elle évolue et les
ne sont les mêmes et qu’il faut se réajuster par rapport principes et les normes émanant des contextes institu-
aux réalités des pays d’accueil pour rentabiliser les tionnels des pays d’origine. Cet arbitrage ne concerne
actions développées dans ces pays. C’est le principe de pas tous les domaines évoqués dans l’étude : ce qui se
dialogue interculturel définit dans le cadre de l’appro- traduit par les pourcentages de normes universalistes
che constructiviste qui s’impose donc à ce niveau. (80 %) et relativistes (20 %) déjà évoquées. Ainsi il
serait intéressant de vérifier si une place est laissée au
dialogue interculturel dans le processus qui mènent au
choix des normes applicables.
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La RSE : vers une approche « constructiviste » pour les filiales de firmes multinationales (FMN) dans les PVD
Guillaume DELALIEUX - Birahim GUEYE
Le but de cette étude était d’étudier comment les filia- DONALDSON T. & PRESTON L.E., (1995), « The
les de FMN gèrent à la fois les exigences de la maison stakeholder theory of the corporation: concepts, evidence
mère ainsi que celles des pays d’accueil en matière de and implications », The Academy of Management
pratiques qui apparaîtront socialement responsables. Il Review, vol. 20, n° 1, pp 65-91.
ressort de notre étude que même si des efforts sont faits
il reste que la plupart des exigences émanent de la mai- EVANOFF R.J. (2004), « Universalist, relativist, and
son mère. constructivist approaches to intercultural ethics »,
Cependant la validité externe de ce papier nécessiterait International Journal of Intercultural Relations, 28,
une étude plus approfondie. Ainsi il serait nécessaire de pp 439-458.
renouveler des travaux du genre dans d’autres contextes
comme ceux des associations professionnelles interna- FREEMAN E.R. (1984), « Strategic management: A
tionales ou des organisations internationales en suivant stakeholder approach », Boston: Pitman/Ballinger.
d’autres paramètres tels que le secteur d’activité, le
positionnement sur le marché, la structure et le type FRITZSCHE D.J., AND H. BECKER (1984), «
d’actionnariat, la culture du pays d’origine et d’accueil. Linking management behaviour to ethical philosophy:
an empirical investigation » Academy of management
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European Review, vol. 9, n° 2. vol. 22, n° 4, pp 853-886.
103
Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
Au-delà Introduction
des labels :
Chaque jour, des entreprises sont pointées du doigt pour
leurs pratiques managériales irrespectueuses de l’envi-
ronnement, de leurs travailleurs, ou encore de leurs
fournisseurs et sous-traitants. C’est dans ce contexte
de la RSE
celle-ci est responsable vis-à-vis de toutes les parties
susceptibles d’être touchées par son activité. Outre ses
préoccupations classiques en matière économique et
managériale, l’entreprise doit désormais prendre en
au management
compte les aspects humains et environnementaux. Pour
ce faire, une multitude d’outils dits de RSE (chartes
d’entreprises, codes de conduite, labels, normes, etc)
par la RSE
ont proliféré.
1 De Gaulejac, V. (2005), p. 99
105
Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
communication désire aller au-delà des discours, codes de conduite, etc. Sous des dénominations iden-
« au-delà des labels ». Elle s’inscrit en complémentarité tiques, ces différents instruments recouvrent des réalités
par rapport aux travaux existant en matière de RSE en parfois très différentes, notamment en termes de
développant des axes de recherches sur les processus de processus d’élaboration et de contenu. À ce stade du
changement liés à la responsabilité sociale et aux impli- processus de RSE, les entreprises peuvent également
cations d’une gestion « par » la RSE. tenter d’obtenir un label social. Ces labels présentent la
particularité d’être conçus par des acteurs sociaux
L’objectif du présent article n’est pas de développer une externes à l’entreprise. Toutefois, qu’il s’agisse de
nouvelle perspective normative en matière de RSE mais labels, de codes de conduite ou autres, l’objectif visé
bien de susciter une prise de conscience, parmi les par ces différents outils reste identique : donner à
acteurs de la RSE, au sujet des enjeux soulevés par la l’entreprise un cadre de référence en matière sociale,
problématique de la RSE et des alternatives possibles. Il auquel elle devra se conformer pour pouvoir se dire
vise aussi à préciser le domaine de recherche dans socialement responsable.
lequel s’engage le Pôle ReSponsE de l’Université de
Liège (Belgique)2, autour du projet de développement Quant à l’« aval » du processus de RSE, il concerne
d’une approche critique et opérationnelle de la RSE. selon nous les activités de contrôle du respect des prin-
cipes déclarés en amont. Bien que certaines entreprises
Concrètement, après avoir précisé notre positionnement aient mis sur pied leurs propres bureaux de contrôle,
par rapport à la gestion socialement responsable d’une cette étape est principalement investie par des organisa-
entreprise, nous proposerons une réflexion critique cen- tions externes aux entreprises évaluées, ce qui constitue
trée sur les enjeux contextuels, politiques et processuels une garantie élémentaire d’objectivité et de validité des
de toute démarche de RSE. L’adoption de ce cadre contrôles. Agences de notation sociale, firmes d’audit
d’analyse nous permettra, dans un second temps, de classiques et spécialisées, ONG, mouvements de
mettre en lumière les aspects opérationnels liés à travailleurs, etc sont présents sur ce marché, et la proli-
l’adoption d’un label social, le SA8000, par une PME fération des indicateurs et des méthodologies ne contri-
belge. Sur base de ces éléments théoriques et empi- bue pas à la lisibilité et à la transparence des contrôles
riques, nous proposerons des pistes de réflexion pour réalisés.
construire les outils et méthodologies qui permettront
d’accompagner les entreprises voulant s’inscrire dans Ce bref survol des instruments existants dans le champ
un nouveau paradigme de gestion : celui de la gestion de la RSE nous apparaît mettre en lumière le fait que le
par la RSE. travail d’opérationnalisation du concept s’est surtout
concentré sur les phases amont et aval du processus.
Cette « débauche de moyens » cache cependant le fait
que les entreprises sont très peu aidées sur la façon
1. Problématisation d’opérationnaliser les principes éthiques déclarés4. Si
l’on veut que ces derniers ne restent pas lettre morte,
Les principes éthiques qui fondent l’approche de la nous croyons qu’il est nécessaire d’impulser un chan-
responsabilité sociale suscitent, à juste titre, l’engoue- gement aux différents niveaux de l’organisation. Or,
ment de nombreux acteurs. En référence à ces principes, cette transformation fondamentale de l’organisation
et sous la pression de multiples mouvements de vers un nouveau paradigme gestionnaire n’est pas une
travailleurs, de consommateurs, d’environnementalistes, sinécure. Tous les processus doivent être revus à l’aune
mais aussi d’organisations publiques régionales, natio- du référentiel de normes conçu ou adopté. Cette évolu-
nales ou internationales, etc, les entreprises ont multi- tion n’est-elle pas une nécessité pour toute organisation
plié les outils devant leur permettre de fonctionner de souhaitant réellement aller au-delà des aspects de légiti-
manière socialement responsable. D’autres organisa- mation et de marketing social ?
tions, parfois créées à cette fin, ont également mis au
point différents dispositifs destinés à encadrer les
pratiques des entreprises se voulant responsables. Il
2 Le Pôle ReSponsE réunit des compétences complémentaires (dia-
gnostic et changement organisationnel, approches sociologique, éco-
existe désormais de multiples instruments de RSE qui nomique et gestionnaire de la RSE, économie sociale) autour de la
se positionnent essentiellement en amont ou en aval des problématique de la RSE.
processus de responsabilité sociale3. 3 Quelques exemples, dans une liste non exhaustive : Global
Reporting Initiative, Social Accountability 8000, United Nation
Par « amont » du processus, nous désignons le travail de Global Compact, Guidelines de l’OCDE pour les entreprises multi-
nationales, ISO 14000, Déclaration de l’OIT sur les principes fon-
formalisation des principes de responsabilité sociale damentaux et droits au travail, etc.
auxquels les entreprises choisissent d’adhérer. Ce 4 Ceci ne veut pas dire que rien n’a été créé dans cette optique : ainsi,
travail donne lieu à la production de référentiels de le AA1000, qui se situe au cœur du processus pour accompagner les
normes, déclarations de principes, chartes d’entreprises, organisations dans leur gestion par la RSE (Pasquero, 2005)
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Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
Sur la façon de mettre en cohérence discours et nécessité d’appréhender les spécificités du contexte
pratiques et sur la conduite du changement induit par interne et externe des organisations, comme pour tout
l’introduction de la RSE dans les préoccupations straté- projet de changement organisationnel. La RSE vise des
giques, les organisations ne disposent que de peu de organisations de tous types, à la culture, aux modes de
ressources. La littérature sur la RSE, et les colloques qui fonctionnement et aux enjeux variés. Elle peut dès lors
abondent sur le thème, passent trop souvent sous silence difficilement être traduite en pratique à l’aide d’outils
les implications managériales des pratiques discutées. standardisés. En terme de processus, nous l’avons dit,
Les actions prônées en matière de RSE sont présentées celui-ci doit être considéré dans son intégralité, tel un
de manière assez « déconnectée » par rapport au reste processus de changement organisationnel affectant
du fonctionnement de l’entreprise. Les solutions tech- l’ensemble des dimensions de l’organisation.
niques mises en avant sont les arbres qui cachent la
forêt des problèmes politiques et organisationnels Dans notre approche, la dimension contenu se réfère au
auxquels sont quotidiennement confrontées les organi- management par la RSE. Au sein de la trilogie tradi-
sations en quête de responsabilité sociale. L’expérience tionnelle du développement durable « people, planet
du pôle ReSponsE montre que lorsqu’elles sont and profit », nous nous concentrons sur l’aspect people
amenées à en débattre lors de colloques ou tables management. Notons toutefois qu’il est indispensable
rondes sur ce thème, nombreuses sont les entreprises de l’appréhender dans sa globalité. En effet, les consi-
qui expriment ces difficultés. dérations à ce sujet sont souvent restreintes aux problé-
matiques de travail forcé et de travail des enfants. Sans
Dans cette perspective, notre souhait n’est pas d’ajouter occulter ces problèmes, la gestion par la RSE nous
à la littérature existante sur l’amont et l’aval du proces- semble aller au-delà en prenant en compte toutes les
sus de RSE. Comme annoncé d’emblée, notre objectif personnes qui travaillent pour l’entreprise (dans sa
est de dépasser les discours et de faire de la RSE un structure ou au sein de structures externes, comme chez
véritable mode de management. Dans ce but, nous nous les sous-traitants ou les fournisseurs) et concerne les
proposons d’(entre-)ouvrir la boîte noire que constitue diverses dimensions de la qualité de l’emploi. Ce point
l’opérationnalisation de la RSE, du stade de la ne fera pas l’objet d’une section spécifique, mais sera
construction des normes à celui du contrôle de leur abordé d’une façon transversale.
application, comme le montrera l’étude de cas.
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Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
comportement et de ses conséquences sur l’environne- elles un dialogue dans une perspective de long terme.
ment et sur la société (PME, ONG, fondations, Le « management des stakeholders (parties prenantes) »
Universités, écoles, services publics, associations, etc.). est présenté comme une dimension centrale de toute
La façon de poser la problématique de la RSE, de même stratégie de RSE (Carroll et Buchholtz, 1999 ;
que les instruments existants, ne rencontrent cependant Donaldson, 2002 ; Freeman, 1984 ; Hill et Jones, 1992).
pas toujours les préoccupations et attentes de ces diver- Différents travaux s’attachent à l’identification des
ses organisations. parties prenantes pertinentes (Donaldson et Preston,
1995 ; Mitchell, Agle et Wood, 1997 ; Kochan et
De même, dans le contexte économique contemporain, Rubinstein, 2000). Les distinctions théoriques mobili-
la notion d’entreprise ne rend plus bien compte des sées à cette fin ne manquent pas : primaires ou secon-
unités économiques et organisationnelles pertinentes daires, propriétaires ou non propriétaires, détenteurs de
quand il s’agit de définir les responsabilités en matière capitaux ou d’avantages tangibles, acteurs ou résultat de
sociétale. Peut-on réellement attacher des responsabili- l’entreprise, en relation volontaire ou involontaire, etc.
tés à une entreprise lorsque celle-ci ne constitue qu’un Mais au-delà de ce travail d’identification, peu d’atten-
élément d’un groupe, ou qu’un maillon d’un vaste tion est portée à la manière de composer avec ces diffé-
réseau ? Une entreprise peut-elle exercer librement sa rents acteurs. Or, comme le fait remarquer De Gaulejac
responsabilité, lorsqu’elle est prise dans un champ (2005, p. 73), à chaque « partie prenante » de l’organi-
d’interrelations qui la prive d’une réelle marge de sation correspondent des points de vue qui apparaissent
manœuvre ? comme convergents sur certains points, divergents voire
Nous noterons encore que les restructurations conti- antagonistes sur d’autres. Alors que l’orientation don-
nuelles de l’activité économique conduisent à une née au courant de la RSE se veut normative et
disparition graduelle des repères traditionnels des orga- guidant les managers dans l’identification des parties
nisations. Celles-ci sont de plus en plus poreuses. Elles prenantes les plus susceptibles d’influencer le cours de
sont aussi de plus en plus sujettes aux influences exté- l’entreprise, il n’existe guère de recommandations dans
rieures, et ce qu’elles soient issues du secteur marchand la littérature visant à aider ceux-ci - ou des intervenants
ou du non-marchand. Les coalitions d’intérêts sur externes - à identifier l’état des relations en présence,
lesquelles reposaient les entreprises se recomposent les rationalités défendues par les acteurs, ainsi que les
progressivement, ce qui les contraint continuellement à ressources et rapports de force qu’ils entretiennent. Une
se repositionner vis-à-vis de leurs différentes parties part importante des travaux sur la RSE passe sous silence
prenantes. Cette stratégie de repositionnement constitue ces enjeux politiques et postule une coopération natu-
pour les entreprises un véritable enjeu de survie à long relle et volontaire entre l’organisation et ses parties
terme, qui ne peut être opérée qu’à l’aide d’outils prenantes : dans cette perspective, le rôle du manage-
performants d’analyse du contexte. Elle doit idéalement ment consisterait à prendre en considération l’ensemble
s’insérer dans une politique intégrée de RSE. Or, dans des points de vue exprimés par les multiples parties
un tel contexte de brouillage des repères, définir une prenantes pour arriver, au travers d’accords concrétisés
stratégie de réponse aux intérêts des parties prenantes notamment sous la forme de codes de conduite ou de
est loin d’être simple. chartes (sociales, environnementales, etc), à élaborer les
Par ailleurs, dans la mesure où le contexte externe bases d’un partenariat multipartite orienté vers la réali-
influence également les modalités de gestion, il influe- sation d’un objectif commun. Mais rien n’est moins sûr.
ra sur la gestion par la RSE. Ainsi, le contexte socio-
économique sera un facteur significatif : on peut raison- La théorie de la dépendance des ressources, élaborée
nablement penser que la régulation par la RSE se déve- par Pfeffer et Salancik en 1978, mettait déjà en lumière
loppera différemment dans un secteur en croissance et le pouvoir des parties prenantes sur l’organisation. Ces
dans un secteur en crise. De même, le contexte politico- auteurs affirment que la pérennité de l’organisation
juridique, notamment les lois et les sensibilités dépend de son aptitude à gérer les demandes de groupes
politiques, joueront un rôle non négligeable sur le déve- différents, en particulier ceux dont les ressources et le
loppement de la RSE. soutien sont déterminants pour sa survie. L’étude du cas
Trilogi proposée par Xhauflair et Zune (2006) apporte
2.2 - Les acteurs de l’eau au moulin de la thèse de Pfeffer et Salancik.
Les éléments empiriques qu’ils relèvent mettent en
Mettre en place une politique de responsabilité sociale doute la viabilité des arrangements basés sur la coopé-
signifie, pour toute organisation, un élargissement de ration autour d’un objectif commun, dans une perspec-
son périmètre d’action, car elle reconnaît désormais que tive temporelle soutenue. La diversité des intérêts en
sa responsabilité est engagée vis-à-vis de toutes les présence, ainsi que les temporalités propres des diverses
parties potentiellement affectées par son activité. Elle parties prenantes, mettent en doute la viabilité d’un
s’engage dès lors à prendre en compte dans sa gestion arrangement de type « code de conduite » dans les envi-
les intérêts de ses parties prenantes, et à poursuivre avec ronnements instables et, plus largement, dans le cas
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Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
d’entreprises soumises à de fortes exigences de flexibi- devra élaborer une stratégie d’action envers ses diffé-
lité. Ce serait en effet nier le pragmatisme qui doit être rentes parties prenantes. Certaines exigences seront très
celui de l’entreprise dans son travail de légitimation probablement plus difficilement intégrables que
sociale et de réduction de l’incertitude, dans la mesure d’autres. D’un point de vue pragmatique, il faudra donc
où celle-ci devra ajuster constamment sa politique et ses évaluer les risques encourus vis-à-vis de chaque partie
actions en fonction de l’évolution des ressources de ses prenante et en prioriser certaines. Il faudra aussi régu-
parties prenantes, mais aussi de l’émergence de nou- lièrement réévaluer ces risques et les priorités établies.
veaux contre-pouvoirs. L’environnement de l’organisation évoluant constam-
ment, l’organisation se voulant socialement responsable
Par ailleurs, des différences objectives caractérisent les devra continuellement revoir sa stratégie et reconfigurer
parties prenantes d’une même organisation. Les stake- les relations qu’elle entretient avec les différents grou-
holders bénéficient d’une légitimité et de moyens pes d’intérêt.
d’action différents, qu’ils mobilisent en vue de l’atteinte
d’objectifs parfois fondamentalement opposés. C’est le 2.3 - Le processus
cas des actionnaires, que l’on considère souvent comme
une partie prenante comme les autres, alors qu’elle n’est Nous l’avons dit, nous défendons l’idée qu’il est impor-
pas du tout sur le même pied d’égalité que les autres. On tant de documenter la RSE en tant que processus de
voit bien l’énorme pouvoir -qui d’ailleurs va croissant- changement organisationnel, dans la mesure où le chan-
que les actionnaires détiennent sur les entreprises. Bien gement organisationnel nécessaire à une gestion inté-
souvent, ils ne se soucient ni du personnel, ni du respect grée de la RSE affecte en profondeur le fonctionnement
des normes environnementales, etc. On rencontre alors de l’organisation. Toutefois, la question de la mise en
parfois des situations presque schizophréniques, où des oeuvre d’une politique de responsabilité sociale par une
entreprises communiquent incessamment sur leurs organisation passe trop souvent sous silence les nom-
initiatives en matière de RSE, alors que les exigences de breuses implications de cette stratégie sur tous les
retour sur investissement exprimées par les actionnaires processus organisationnels, du moins lorsque les
les placent dans l’impossibilité d’être socialement actions en la matière dépassent le stade du discours
responsables. marketing. Or, nous proposons que pour dépasser les
labels, les prescrits légaux, bref, pour gérer par la RSE,
Il importe aussi d’être conscient que participer à un la RSE doit être intégrée dans le core business de
dialogue avec les entreprises n’est pas totalement dénué l’entreprise.
de risques pour certaines parties prenantes. Des ONG
peuvent perdre leur indépendance si elles nouent des Dès lors, la mise en œuvre d’un véritable mainstrea-
partenariats avec des sociétés multinationales ; des ming en RSE -c’est-à-dire une politique de RSE trans-
travailleurs peuvent perdre certains droits lorsque le versale (non cantonnée dans l’un ou l’autre département
dialogue sort des balises du dialogue social ; des clients de l’entreprise), longitudinale (construite sur la durée)
peuvent voir leur vie privée envahie par l’entreprise ; et apportant une plus-value pour l’organisation et ses
des fournisseurs peuvent se voir imposer certaines nor- parties prenantes- nécessite une réflexion approfondie
mes inaccessibles, etc. Ces exemples constituent une sur les changements organisationnels qui doivent en
autre preuve de la complexité qui sous-tend la gestion découler.
des parties prenantes.
Notre objectif, en se centrant sur le processus organisa-
Au vu de ce contexte, on comprend que la gestion des tionnel, est de relever le défi d’accompagner les entre-
parties prenantes est loin d’être chose aisée. Il apparaît prises dans leur mise en place d’un comportement
clairement que le dialogue ne suffit pas. Il est nécessaire socialement responsable, sans pour autant les
que les entreprises et autres organisations en soient « coincer » par l’application d’outils (ex : les chartes,
conscientes. Il importe également de les soutenir dans les codes de conduite, les labels) qui ont fréquemment
cette démarche, en mettant à leur disposition des pour corollaire de produire de la prescription, de la
experts et des outils qui pourront les aider à analyser normalisation, de l’objectivation, de l’instrumentalisa-
leur environnement dans toute sa complexité et sa tion et de la dépendance. Autrement dit, les outils ont
versatilité, et à planifier des actions en conséquence. souvent tendance à susciter des effet qui vont à contre-
D’un point de vue méthodologique, il serait utile courant de ce qui est traditionnellement mis en avant
d’aider les organisations à s’inscrire dans une perspec- par les entreprises, à savoir l’autonomie, l’innovation,
tive sociologique critique, afin d’identifier les parties la créativité et l’épanouissement au travail (cf. De
concernées par l’activité de l’organisation, de repérer Gaulejac, 2005, p. 75, qui développe ce thème à propos
leurs enjeux et les raisons qui les poussent à agir, de l’EFQM). C’est précisément la prise en compte des
d’identifier les moyens dont elles disposent pour exercer acteurs, du processus et du contexte qui devrait permettre
leur pouvoir (Pichault, 1993). L’organisation concernée d’éviter ces écueils au travers de l’adaptation de nos
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Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
outils et méthodologies de gestion du changement à une liste non exhaustive- illustrent les enjeux d’une ges-
cette démarche. tion par la RSE aux différents niveaux du management.
Notre analyse du processus de changement organisa- ! L’entreprise se contente-t-elle de débusquer les phé-
tionnel se décline en trois étapes : les éléments déclen- nomènes de discriminations vis-à-vis des personnes
cheurs de la RSE, le processus de gestion proprement « différentes » (handicapée, d’une autre origine eth-
dit et les impacts de la RSE sur l’entreprise. nique, etc) ? Ou va-t-elle de l’avant en s’efforçant de
prévenir les discriminations (par exemple, par une
2.3.1 - Les éléments déclencheurs politique de formation continue appropriée aux tra-
S’intéresser aux rationalités qui sous-tendent la mise en vailleurs âgés) ? Elle peut également aller au-delà, par
œuvre de stratégies de RSE permet de comprendre la exemple en considérant son personnel d’une façon
logique dans laquelle l’entreprise souhaite s’engager autre, en lui permettant d’exprimer ses ressources et
(Cornet et Delhaye, 2005) : s’agit-il d’une logique ses compétences souvent non utilisées, et même non
d’image, ou d’une réelle volonté d’adopter un compor- répertoriées dans l’organisation.
tement socialement responsable ? À ce stade, il importe
toutefois de ne pas porter de jugement prématuré sur les ! L’entreprise se contente-t-elle d’appliquer les règles
effets déclencheurs d’une politique dite de RSE, car, de base relatives aux conditions d’hygiène et de sécu-
comme nous le verrons, le résultat atteint au final peut rité, de travail des enfants et de travail forcé, dans sa
différer de manière très significative de l’approche gestion des sous-traitants situés dans des pays en voie
privilégiée en amont. de développement ? Ou va-t-elle au-delà en assurant
également un salaire décent, en se préoccupant de la
Chaque entreprise étant confrontée à des réalités qui lui santé de ses travailleurs, ou encore en offrant des pos-
sont propres, l’analyse des éléments déclencheurs sibilités de formation ?
permet de cerner le type de changement organisationnel
nécessaire. Ainsi, une entreprise qui a été confrontée à ! L’entreprise se contente-t-elle de nommer une
un procès pour non respect de la réglementation sociale personne de contact pour tout cas de harcèlement
pourra être motivée -outre le fait de se conformer doré- moral ou d’abus de pouvoir, ou fait-elle un diagnostic
navant à la loi- par un changement organisationnel qui organisationnel pour comprendre ce qui pousse à
lui permettra de dépasser les aspects légaux enfreints l’émergence de tels phénomènes en son sein, de façon
afin de redorer son image. Par contre, une entreprise qui à prendre les mesures nécessaires en matière d’orga-
part du constat qu’une proportion importante de son nisation du travail, de répartition des tâches et du pou-
personnel a plus de 45 ans, ce qui engendre des problèmes voir, de description des fonctions, etc. pour réduire les
spécifiques de gestion qu’elle souhaiterait traiter autre- risques d’apparition de nouveaux cas ?
ment que par des licenciements ou des pré-pensions,
prendra des mesures d’un autre type tout en s’inscrivant Ces éléments relèvent certainement davantage de la
dans une logique de RSE. Il n’y a en effet pas « une dimension « contenu » que de la dimension
RSE », mais des façons multiples d’être socialement « processus ». Cela montre à quel point les interactions
responsable, qui diffèrent en fonction du contexte, des entre les différentes dimensions prises en compte
objectifs, des acteurs et des processus mis en œuvre. -contexte, acteurs, processus, contenu- sont dynamiques
et systémiques ; elles ne peuvent dès lors être considé-
2.3.2 - Le processus proprement dit rées isolément, même si, pour la clarté de l’exposé,
L’analyse des outils de RSE sélectionnés par l’entreprise, nous avons dû nous y résoudre.
de même que celle du processus qui a mené à ce choix Face à ces nombreux défis, notre objectif n’est pas de
et du type de méthodologie de gestion du changement préciser davantage le type de changement organisationnel
mis en œuvre, est un préalable essentiel, qui peut servir nécessaire pour gérer par la RSE. En effet, le lecteur
de révélateur des intentions (cachées) qui sous-tendent l’aura sans doute compris au travers de ces illustrations,
la démarche. un processus de changement ne peut se construire qu’à
Ensuite, il est intéressant de voir selon quelles modalités partir de la réalité concrète de l’organisation, et non au
la RSE se traduit dans l’organisation. Cette étape est départ d’un modèle idéal. Les spécificités de l’organi-
centrale dans la démarche, mais elle est pourtant sation - les défis auxquels elle est confrontée, les
rarement abordée dans la littérature. Un passage à une problèmes particuliers qu’elle connaît, sa culture
gestion par la RSE va nécessairement impliquer -au- d’entreprise, son mode de gestion, etc - sont autant
delà de la conformation éventuelle aux principes des d’éléments qui jouent un rôle important dans le passage
outils choisis et d’actions de reportings- de véritables une gestion par la RSE.
changements organisationnels touchant entre autres la Il en va de même pour ce qui concerne la prise en comp-
GRH, l’organisation du travail, l’approche clientèle/ te des intérêts, des représentations, des comportements
usagers. Les divers questionnements ci-dessous -dans et des attentes des autres parties prenantes. Comme
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Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
Mispelbom (1999) le notait déjà à propos de la gestion tique au travers du cas d’une PME belge mettant en
de la qualité totale, croire en la convergence des intérêts place le label social « Social Accountability 8000 ».
des parties prenantes est erroné puisqu’une telle affir-
mation véhicule l’idée selon laquelle on fait « comme si Le choix de cette étude de cas est motivé par notre sou-
les antagonismes sociaux s’effaçaient devant l’idéal de hait d’illustrer les postulats avancés dans la première
qualité », dans notre cas, devant l’idéal « RSE ». C’est partie de cet article quant aux enjeux de la phase d’opé-
évidemment faux, comme nous l’avons montré plus rationnalisation d’une démarche RSE, et cette fois-ci en
haut, les enjeux de chaque partie prenante étant diffé- prenant en compte les spécificités des PMEs, souvent
rents et indépendants. Par contre, une gestion par la marginalisées au détriment des grandes organisations.
RSE consiste non pas à faire croire en la convergence Loin de vouloir de se positionner comme un modèle de
des intérêts des différentes parties prenantes ou encore « bonnes pratiques », cette étude de cas vise en premier
à les mettre en concurrence pour un « plus grand bien » lieu une ouverture sur une zone de débat qui mettrait en
de l’entreprise, mais bien à prendre le temps de lumière la réalité souvent cachée d’un passage du
comprendre les intérêts de chacun et à installer des lieux discours à la pratique de la RSE dans une PME.
de dialogue et de médiation. Dans cette démarche, il est
également important de veiller aux intermédiaires vis-à- Notre présence au sein de cette PME remonte à une date
vis des parties prenantes. En effet, de nombreuses ques- antérieure à la mise en place du processus de labellisa-
tions peuvent se poser quant à leur légitimité ou leur tion. De ce fait, la présente analyse a démarré avant le
place dans les processus actuel de prise en compte de déclenchement du processus de certification, ce qui
certaines parties prenantes (ex : les auditeurs sociaux, nous permet de proposer une vue globale sur
les déontologues d’entreprise peuvent-ils légitimement l’historique du projet, ses éléments déclencheurs et les
remplacer les délégués syndicaux, par exemple ? différentes étapes de son opérationnalisation.
Le reporting peut-il réellement constituer un outil de
dialogue ?). 3.1 - Présentation du cas
2.3.3 - Les impacts au niveau de l’entreprise Le présent cas concerne une PME belge de télémarke-
Il est également utile de s’intéresser aux effets d’une ting que nous nommerons ici « Call Center ». Son acti-
gestion par la RSE sur l’entreprise. Même si cette vité principale est de jouer l’intermédiaire entre ses
gestion se met en place de manière progressive, les propres clients et les clients ou prospects de ses clients,
premières études de cas ont montré que les entreprises dans des opérations d’émission et/ou de réception
qui souhaitent effectivement aller au-delà des labels d’appels téléphoniques. Le siège social, situé en région
sont prises dans un « effet boule de neige », qui les wallonne, occupe environ une dizaine de personnes en
pousse au-delà de leurs ambitions initiales (souvent permanence et une vingtaine de saisonniers. « Call-
plus restreintes). C’est pour cela que nous avons insisté Center » dispose également d’une unité de production
sur l’importance des prémisses de cette politique. En en région flamande qui emploie environ 15 personnes,
effet, au départ d’un objectif très ciblé, une organisation presque toutes intérimaires. Une partie de la production
peut enclencher des transformations beaucoup plus est sous-traitée à un centre d’appel localisé au Maroc et
profondes, ou encore s’inscrire dans un processus un projet d’extension en sous-traitance sur un pays de
d’apprentissage organisationnel de la RSE. In fine, les l’Europe de l’Est est en préparation. Créée en 2001,
entreprises qui prennent la peine d’aller au-delà de « Call-Center » a pu conserver un turnover relativement
l’application d’un label, pourront, outre un effet d’ima- stable par rapport à la moyenne du secteur, et a assuré
ge, bénéficier d’une meilleure GRH (notamment en ter- une croissance positive de son chiffre d’affaire depuis
mes de satisfaction et de productivité), d’une meilleure sa création.
adéquation du fonctionnement de l’organisation par
rapport à leurs missions, etc. 3.2 - Contexte
Le secteur du télémarketing dans lequel opère « Call-
Center » est soumis à une forte concurrence qui a connu
3. Les enjeux de la mise en œuvre une croissance importante au cours des 10 dernières
de la RSE : cas d’une PME années. Cette concurrence et cette recherche de clients
mettant en place le SA8000 à tout prix ont entraîné des dérives dans la gestion des
ressources humaines. Les pratiques de ce secteur sont
souvent montrées du doigt (conditions de travail défa-
Après ces diverses considérations au sujet des enjeux vorables pour les agents opérateurs, faibles rémunéra-
d’un management par la RSE, déclinées sur les dimen- tions, stress causé par la nature même du travail : temps
sions contexte, acteurs, contenu et processus, cette de pause insuffisants et chronométrés, objectifs irréali-
section est consacrée à l’illustration de notre probléma- sables, horaires de travail bâclés et peu prévisibles, etc)
111
Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
Face à cette image négative des centres d’appels, « Call- intéresser ses clients. De même, les syndicats ne consti-
Center » a souhaité s’affirmer par une politique diffé- tuaient pas une partie prenante à part entière, car
rente de celle de ses concurrents et s’acquitter de ses l’effectif de « Call-center » est inférieur au seuil de
obligations d’entreprise citoyenne aussi bien sur le plan constitution d’une délégation syndicale dans l’entreprise
régional qu’international. C’est dans cet objectif que (bien que plusieurs employés soient affiliés à titre
l’entreprise a décidé de s’engager dans une certification privé). Par conséquent, l’entreprise n’a pas cherché à
SA8000 avec la volonté d’attester la capacité du secteur dépasser les éléments normatifs du label et s’est contentée
des centres d’appels à être une source de création de de communiquer à ses clients et aux syndicats son plan
richesses aussi bien économiques (profits) que sociales d’action en matière de RSE. Aucune tentative d’élabo-
(épanouissement des employés, fidélisation et senti- ration de coopération spécifique en matière de RSE n’a
ment d’appartenance). vu le jour avec ces dits partenaires.
Par ailleurs, il importe de signaler que « Call-Center » Par contre, les employés de la société ont été parmi les
est une entreprise quasiment « mono-client » (avec dans premiers à intégrer les nouvelles pratiques introduites
le meilleur des cas, trois à quatre clients supplémentaires dans le cadre du management par la RSE. Ceci a permis
par an) et dont l’activité reste très saisonnière. Cette de rompre avec certaines pratiques du passé, essentiel-
dépendance est marquée par la présence et l’intervention lement en matière de GRH et d’organisation du travail
du client dans le processus de production du service, avec de production interne (ex : gestion des demandes de
des exigences de contrôles très strictes des scripts congés). En outre, cette mobilisation a débouché sur
utilisés par les téléopérateurs, des techniques de l’instauration d’une procédure d’élection d’un délégué
télévente et des processus de gestion de la qualité. Les personnel.
marges de manœuvres de « Call-Center » en ces matières
se trouvent donc assez réduites, contrairement à la 3.4 - Processus
gestion des ressources humaines qui reste à la libre
conduite de « Call-Center ». « Call-Center » prône le respect des droits de ses
employés ainsi que de ceux de ses sous-traitants installés
Ces conditions d’organisation et de contexte ont été pla- dans des pays en voie de développement. Ceci constitue
cées au centre de la pensée du management de la RSE vraisemblablement un point d’entrée vers une réforme
au sein de « Call-Center ». L’ensemble des initiatives de la gestion de ses ressources humaines. Cependant, il
mises en place a pris en compte les particularités du convient de questionner la volonté de déclencher un
contexte de l’entreprise, particulièrement ses marges de changement organisationnel plus profond, au-delà de la
manœuvres assez limitées par rapport à son client prin- simple obtention du label social SA8000. Pour ce faire,
cipal en matière de gestion de la production et de la qua- nous présentons notre analyse du processus de change-
lité. ment en fonction des enjeux relevés dans la première
partie de notre communication. Nous mettons ensuite
3.3 - Acteurs en lumière les logiques d’entrée vers une politique RSE,
le processus proprement dit, les difficultés rencontrées
Les enjeux relevés précédemment en matière d’iden- et les impacts sur l’entreprise.
tification et de gestion des intérêts et rationalités des
parties prenantes n’ont pas été centraux dans le cas de 3.4.1 - Eléments déclencheurs d’une politique RSE
« Call-Center ». En effet, vu la petite taille de l’entre- et la logique d’entrée choisie
prise, les acteurs primordiaux ont d’abord été les Outre les particularités du contexte organisationnel
employés de l’entreprise, avec lesquels un ensemble interne et externe décrites plus haut, le souhait d’obten-
de mesures ont été initiées pour les impliquer dans la tion d’une certification sociale trouve son origine dans
démarche RSE de l’entreprise. Sont venus ensuite les les convictions personnelles du gérant fondateur de
fournisseurs et sous-traitants avec lesquels l’entrepri- « Call-Center », qui a souhaité affirmer la potentialité
se a entamé un processus questionnant leur respect d’exister en tant qu’entreprise citoyenne, et prouver la
des prescrits légaux basiques en matières de droits de possibilité d’un réel passage du discours à l’action tout
travail étaient peu nombreux. En outre, il importe de en étant une PME dont les ressources financières sont
souligner que la petite taille de l’entreprise « Call- limitées, les connaissances des démarches formelles
Center » l’enferme dans des rapports de pouvoir d’une RSE faibles et les impératifs de survie de plus en
dominés par ses fournisseurs et sous-traitants de taille plus prégnants.
plus importante (ex : l’opérateur de télécommunica-
tions, la banque et assurance), ce qui réduit la démar- La rencontre fortuite avec un centre de recherche uni-
che de RSE à un cercle assez restreint de parties versitaire spécialisé en gestion des ressources humaines
prenantes externes. a permis de transformer les discours en plan d’action
La politique de RSE de « Call-Center » ne semblait pas afin de relever le défi d’exister en tant qu’entreprise
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Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
responsable socialement et soucieuse de son implica- belge », dont la reconnaissance est limitée au territoire
tion dans la société civile régionale et internationale. La belge. L’universalisme du SA8000 correspondait
collaboration avec l’université a ainsi permis aux deux donc à la vision stratégique de « Call-Center » en
unités concernées de découvrir les enjeux de la mise en matière d’expansion internationale.
place du processus de certification SA8000 dans une
PME et de relever le défi de sa réussite malgré les ! Le SA8000 certifie l’ensemble des processus internes
différentes embûches qui semblent l’empêcher. Le de l’organisation en matière de RSE. Contrairement
soutien de l’Université a pris la forme d’un accompa- au Label Social belge qui, de son coté, ne certifie que
gnement en vue d’une meilleure compréhension des la chaîne de production d’un produit ou service parti-
éléments normatifs du SA8000, une analyse approfondie culier.
des processus organisationnels existants et la capacité à
amener un changement organisationnel et structurel de Le reste du processus a été guidé par la mise en place
« Call-Center » qui répondrait à la fois aux exigences de des ajustements des procédures présentes en matière de
la norme SA8000 et aux besoins internes de l’entreprise gestion des ressources humaines, pour un alignement
en termes d’organisation, de procédures et de structures. adéquat avec les exigences normatives du label
SA8000. Ceci a pris la forme d’une analyse des procé-
Enfin, hormis les incitants à l’action exprimés volontai- dures internes, leur remise en cause et leur remodelage
rement et clairement par l’entreprise, d’autres facteurs sous une forme respectant mieux les exigences de la
implicites pourraient être à l’origine du projet de la norme et les spécificités de l’entreprise.
certification sociale, notamment la recherche d’une
valeur commerciale qui ne serait pas sans effet sur les En termes de gestion des ressources humaines, « Call-
opérations futures de prospection. Quoi que sous- Center » a bénéficié de l’expertise de son partenaire
jacent, un tel objectif dans le chef de « Call-Center » universitaire pour revoir ses procédures internes en
serait tout à fait légitime, dans la mesure où l’entreprise matière de recrutement, formation interne, promotion,
n’a bénéficié d’aucun soutien financier pour mener à évaluation périodique, rémunération, mais aussi de
bien son projet et pourrait rechercher un retour sur son choix des fournisseurs et sous-traitants et des aspects de
investissement initial. sécurité et d’hygiène au sein de l’entreprise.
3.4.2 - Le processus proprement dit Par ailleurs, la vision de « Call-Center » telle que décrite
« Call-Center » ne dispose d’aucune certification au par son directeur est la suivante : « […] garantir sur
préalable. Sa direction, ainsi que l’ensemble de son toutes nos unités de production et, partout dans le
staff, ont toujours veillé à assurer une meilleure effica- monde, les mêmes conditions de travail et le même sen-
cité de l’organisation et, in fine, une fidélisation des timent d’appartenance […]» (Charte Ethique Call-
clients. Le manque d’expertise en matière d’instaura- Center, 2005). Cette vision de l’entreprise citoyenne
tion de processus de changement organisationnel n’a s’est traduite dans une recherche de proximité géogra-
pas été un élément facilitateur. phique avec les employés stables et temporaires. D’où
l’idée de créer une unité de production dans la région
Parmi les multiples points de départ éventuels que flamande de la Belgique pour les prestations assurées
pouvait choisir l’entreprise, « Call-Center » a initié son par des employés néerlandophones habitant cette
projet par la mise en place d’un outil de RSE rarement région. Cette proximité géographique vise à fidéliser les
utilisé en Belgique : le Label International SA8000 employés opérateurs.
(Social Accountability 8000). En effet, les statistiques
de septembre 2005 de la SAI (Social Accountability 3.4.3 - Difficultés rencontrées lors de
International, l’organisme fondateur du SA8000) ont l’opérationnalisation de la norme SA8000
montré que seules trois entreprises en Belgique sont La phase d’opérationnalisation n’a pas été sans difficultés
certifiées SA8000. D’où l’intérêt de s’interroger sur les pour « Call-Center » aux niveaux managérial, macro-
raisons de ce choix particulier ! économique et normatif.
La certification de «Call Center» au label SA8000 a eu
En fait, la panoplie des référentiels en matière sociale, le grand avantage de profiter du soutien et de la convic-
sociétale et environnementale ne manque pas de diver- tion de la direction générale de l’entreprise, mais ceci
sité. « Call-Center » a choisi le SA8000 particulière- n’a pas suffi à faciliter le montage du projet. Le chemin
ment pour deux raisons majeures : de l’opérationnalisation était semé d’embûches diver-
ses.
! L’universalisme prétendu de ses fondements norma- Les exigences normatives du SA8000 ont mis « Call-
tifs, présumés adaptés à tout type d’organisation et Center » face à des obligations qui dépassent ses capa-
reconnus mondialement : cet argument de taille a joué cités et qui l’impliquent indirectement dans des jeux de
contre le choix du « Label Social du gouvernement pouvoir avec certaines de ses parties prenantes. En
113
Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
effet, « Call-Center » se voit incapable d’opérer des formellement et communiquée à l’ensemble des
contrôles permanents de certains de ses fournisseurs et employés par les divers canaux de communication exis-
sous-traitants pour garantir la bonne application des tants. Un tel mouvement semblait inutile et anodin
huit conventions de base de l’Organisation auparavant, aussi bien pour les employés que pour la
Internationale de Travail (comme stipulé par la direction. Sa concrétisation a contribué au renforcement
SA8000). Sa petite taille, qui implique une faible contri- du sentiment d’appartenance à l’entreprise timidement
bution au chiffre d’affaire de ses fournisseurs et/ou exprimé dans le passé, et de la volonté d’un engagement
sous-traitants, la rend incapable de répondre à l’exigence collectif dans le projet de développement de l’entreprise.
de la norme en cette matière5.
Le plus grand apport de la préparation au SA8000 a tou-
Au niveau de l’opérationnalisation du projet, la plus ché essentiellement la GRH, et plus particulièrement
grande difficulté rencontrée par « Call-Center » est le l’attention accordée aux employés et aux procédures
passage forcé d’un management intuitif et informel, au internes mises en place depuis la création de l’entreprise
jour le jour, vers un management stratégique plus for- en matière de recrutement, formation, évaluation et
malisé qui suit des procédures internes selon le canevas promotion. L’attention a été tournée en partie vers une
proposé par la norme SA8000 (par exemple en ce qui meilleure compréhension des motivations profondes
concerne les règles de promotion et les évaluations des employés en matière de conditions de travail, rému-
internes). Etant donné la formation managériale très nération, organisation interne, communication et
basique des employés et la forte tendance à ne s’occuper relations hiérarchiques par le biais de réunions men-
que des opérations courantes relatives à la production, suelles et de rencontres individuelles d’évaluation
leur capacité à suivre et à accompagner le changement chaque semestre. Le résultat escompté, non encore
formel imposé s’est trouvée très limitée. Le coût de confirmé au stade actuel, est d’arriver à une meilleure
mise en œuvre du changement s’y ajoutant, l’entreprise efficience de la GRH nouvellement mise en place : un
n’a pu consacrer que peu de temps à son projet. Une turnover de plus en plus faible, une capitalisation sur les
seule personne a dû prendre en charge toute la prépara- expériences acquises et un climat social agréable pour
tion de l’entreprise à la certification, tout en restant l’ensemble des employés.
épaulée par le centre de recherche universitaire.
En outre, le SA8000 n’a pas été sans conséquences sur
Par ailleurs, la faible qualification du personnel et le l’organisation interne de « Call-Center ». Les nouvelles
peu de personnes que compte l’organisation a rendu procédures mise en place en matière de GRH, centrées
complexe l’exécution d’un audit interne avant certifica- sur des éléments de base, mais aussi des besoins de
tion. C’est la raison pour laquelle un pré-audit qui doit, l’entreprise, ont engendré jusqu’à présent des change-
selon la norme, être réalisé par un membre interne à ments organisationnels qui restent mineurs. Il existe un
l’organisation, a dû être effectué par un organisme potentiel non négligeable pour des initiatives plus signi-
externe. Ce coût supplémentaire est venu alourdir ficatives telles que revoir la structure de l’organisation,
l’investissement lié au SA8000. travailler sur la description des fonctions et des rôles,
articuler la GRH autour du « cycle de vie » d’un opéra-
Depuis son lancement en janvier 2005, le projet de cer- teur. De telles actions ne figurent toutefois pas, à l’heure
tification est toujours en cours. Il sera évalué par un actuelle, dans un plan d’action formel. Par ailleurs, la
organisme privé en mars 2006. Entre-temps, des apports mise en œuvre de nouvelles tactiques de recrutement,
ont déjà marqué l’organisation du travail interne de d’accompagnement des nouvelles recrues, d’évaluation,
« Call-Center », essentiellement en matière de GRH. de formation continue et de promotion, a permis de
débusquer certaines pratiques informelles susceptibles
3.4.4 - Apports actuels et escomptés du SA8000 de provoquer des dérives en matière de gestion des
Au-delà des difficultés rencontrées lors de la mise en ressources humaines (notamment en ce qui concerne la
place du SA8000, il convient de relater les apports de ce discrimination à l’embauche).
mouvement stratégique, unique en son genre au sein de
« Call-Center » et ce, en termes d’efficacité organisa- Enfin, la rédaction des manuels de procédures imposées
tionnelle à moyen et long terme. par le SA8000, et la standardisation qui en est le corol-
114
Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
laire pour tous les sites de production actuels et futurs et ne soient pas seulement l’apanage des départements
de « Call-Center », mènent indirectement à une logique « développement durable », « gestion de la diversité »,
d’efficacité, avec un faible retour sur investissement à « communication externe », etc. Une telle approche
court terme, mais certainement un meilleur usage des devrait également permettre de susciter l’intérêt de tous
ressources à moyen et long terme. types d’organisations pour la RSE et contribuer, dès
lors, à attirer des organisations peu ou pas touchées
actuellement par ce mouvement : les PME et les entre-
prises d’économie sociale par exemple, dans la mesure
Conclusion où une telle approche serait davantage centrée sur des
pratiques concrètes. Enfin, elle est susceptible de faciliter
l’apprentissage mutuel entre organisations issues de
divers horizons (par exemple, entre entreprises à but
L’approche de la RSE que nous venons de proposer se lucratif et entreprises d’économie sociale) et de les aider
distingue très clairement des approches traditionnelles, à mettre en commun les expertises développées par
centrées sur l’amont (les outils comme les labels, codes celles-ci dans leurs champs respectifs.
de conduite, chartes d’entreprise) et l’aval (outils
d’évaluation) du processus. Ainsi, elle initie un mouve-
ment de documentation du paradigme de gestion par la
RSE, afin d’aider à terme d’autres entreprises à bénéficier
de cet acquis. Toutefois, au vu des caractéristiques de Bibliographie
chaque organisation, il n’est pas possible de proposer
un modèle idéal qui serait généralement applicable. Il
est nécessaire de concevoir une démarche et des outils BERTHOIN ANTAL A. ET SOBCZAK A. (2004),
d’accompagnement des organisations qui soient spécifi- « Au-delà de la RSE : la responsabilité globale »,
quement dédiés à cette problématique. Il est inutile de Semaine sociale Lamy, supplément n° 1186 « La
vouloir « plaquer » sur une approche aussi novatrice des responsabilité globale », 18 octobre 2004.
modèles et outils préexistants, et non conçus à cette fin.
Nous espérons que cette communication pourra consti- CARROLL A.B. ET BUCHHOLTZ A.K. (1999),
tuer une petite pierre à l’édifice en construction d’une Business and society : ethics and stakeholder manage-
véritable gestion par la RSE (et non de la RSE), ment, 4th edition, Cincinnati, South-Western College
nouveau paradigme de management socialement Publishing.
responsable qui, grâce à la mise en œuvre d’un véritable
changement organisationnel, devrait permettre la cohé- CORNET A. ET DELHAYE C. (2005), Gestion de la
rence entre les déclarations d’intention et les pratiques diversité : la recherche de la conciliation des logiques
concrètes et processus de gestion. économiques et sociale. Actes du colloque de l’AGRH
septembre 2005.
Nous souhaitons également revenir sur la nécessité de
faire en sorte que les outils de la RSE ne soient pas DE GAULEJAC V. (2005), La société malade de la
promus pour eux-mêmes, mais comme des éléments, gestion : idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et
des étapes, d’un processus de changement plus com- harcèlement social, Paris, Seuil, coll. « Economie
plexe et de longue durée qui influence l’organisation humaine ».
dans son ensemble. Si l’on veut que les engagements
sociétaux d’une entreprise ne restent pas lettre morte, il DONALDSON T. (2002), « The stakeholder revolution
importe de faire prendre conscience aux managers et à and the Clarkson Principles », Business Ethics
leurs parties prenantes, que la RSE n’est pas un nou- Quarterly, vol. 12, n° 2, pp. 107-111.
veau gadget managérial à la mode, mais qu’il s’agit
d’un nouveau modèle de gestion (la gestion par la FREEMAN R.E. (1984), Strategic Management: A
RSE), d’une véritable stratégie, qui doit sous-tendre Stakeholder Approach, Boston, Pitman.
tous leurs actes.
HILL C.W. ET JONES T.M. (1992), « Stakeholder
Ce positionnement des recherches en RSE dans une per- Agency Theory », Journal of Management Studies, vol.
spective contextuelle, politique et dynamique nous 29, n° 2, pp. 131-154.
paraît présenter plusieurs attraits. Il permet de travailler
à outiller progressivement les organisations de tous KOCHAN T.A. ET RUBINSTEIN S.A. (2000),
types, afin qu’elles puissent faire de la RSE un véritable « Toward a Stakeholder Theory of the Firm: the Saturn
mode de management, afin que les pratiques sociale- Partnership », Organization Science, vol.11, n°4,
ment responsables percolent dans toute l’organisation, pp. 367-386.
115
Au-delà des labels : du management de la RSE au management par la RSE
Christine DELHAYE, Manal EL ABBOUBI, Virginie XHAUFLAIR
116
L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
L’employabilité L
a notion d’employabilité s’impose progressive-
ment au cours des années 1990 pour traiter des
problèmes d’emploi et de formation, aussi bien
à l’épreuve
du côté des pouvoirs publics où elle sert à l’activation
des dépenses en faveur de l’emploi que du côté des
entreprises, confrontées à la volatilité des marchés, des
qualifications et des emplois. Nous faisons l’hypothèse
ou la RSE
la durée et propose de les aborder dans une perspective
dynamique. Celle-ci associe mesures en faveur de
l’apprentissage et de la qualification tout au long de la
vie (loi de 2004 sur la formation), politiques d’adaptation
à l’épreuve
et de développement des compétences au sein des entre-
prises, responsabilisation croissante des salariés. Elle
promeut ensuite ce qu’on appellera une « idéologie du
de l’emploi ?
transitoire ». Celle-ci est justifiée par l’instabilité de
l’environnement qui contraint les entreprises à accroître
sans cesse leur flexibilité. Organisations en réseau,
gestion par projet, travailleurs autonomes concrétisent
les formes les plus avancées de cette idéologie du trans-
itoire.
117
L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
118
L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
tion de la concurrence ? L’employabilité de la main- Pélosse et al. (1995) relèvent deux grands types de
d’œuvre constitue un problème de société et à ce titre, facteurs. Le premier a trait à l’organisation du travail et
elle est moins « considérée comme un concept précis et pointe les organisations déqualifiantes (bureaucratie,
spécifique » que « comme un « agenda », un vaste taylorisme). Dans quelle mesure l’emploi tel qu’il est
dessein politique » (Gazier, 1999, p. 39). Elle implique configuré par l’entreprise, tel qu’il est occupé par le
une pluralité d’acteurs, parties prenantes des politiques salarié conformément aux normes de gestion et d’orga-
économiques et sociales : pouvoirs publics, institutions nisation en vigueur dans l’entreprise produit-il de
politiques et juridiques, partenaires sociaux, entreprises, l’employabilité ou de « l’inemployabilité » ? En d’autres
travailleurs, économistes, sociologues. La notion se termes, le temps passé au travail dans une même entre-
politise et prend place dans un débat sociétal et scienti- prise sur un même poste, peu évolutif, trop spécialisé,
fique qui s’élargit à l’Europe et dont témoigne l’ouvrage destiné à disparaître, devient indéniablement un vecteur
de Gazier (2005) « vers un nouveau modèle social ». de déqualification au regard des exigences du marché
du travail. Dans une perspective voisine, on constate
C’est au titre de ces dimensions sociales et écono- que les entreprises qui ferment ont renoncé depuis
miques dans un contexte d’instabilité croissante que longtemps à investir et à renouveler leurs modes de
l’employabilité émarge au champ de la RSE. Quand les fabrication. La notion d’employabilité interroge donc la
restructurations dites de compétitivité succèdent aux qualité des emplois dans l’entreprise.
restructurations de crise, quand les fusions-acquisitions
et les délocalisations se banalisent, la perte d’emploi et Le second type de facteurs renvoie aux modes de
conséquemment le chômage menacent l’ensemble des gestion et de management des hommes. Parmi les causes
salariés, même qualifiés et compétents. Dans le même d’inemployabilité engendrées par l’entreprise, les
temps, l’accélération des évolutions technologiques, les auteurs citent « l’absence de mobilité professionnelle,
transformations du travail exigent une maintenance l’insuffisance de formation ». Ils y ajoutent, mettant en
permanente des savoirs et des compétences, et ce à tous cause le management de l’entreprise,
les niveaux de qualification. L’incertitude pesant sur - la production de résistances au changement, faute
l’emploi (en général, à un niveau macro-économique) et d’une politique de communication et d’information
la malléabilité des situations de travail (en particulier, sur l’entreprise, d’une implication des salariés dans
dans l’entreprise) contraignent les salariés à s’adapter à ses résultats ;
des situations mouvantes, à répondre à des exigences - le développement de peurs et de stress chez les sala-
nouvelles, à endosser de nouvelles responsabilités, mais riés en raison de pratiques de mobilité mal conduites,
aussi à prendre en charge leur adaptation, sous peine perçues comme menaçant l’emploi.
d’exclusion. Ces facteurs d’inemployabilité sont en outre amplifiés
par un usage inapproprié de concepts et d’outils de
C’est le partage des responsabilités dans le développe- gestion (bilan de compétences, évaluation) qui accroissent
ment de l’adaptabilité des salariés qu’interroge la ces peurs irraisonnées alors même qu’ils sont essentiels
notion d’employabilité. Celle-ci réintroduit l’entreprise à une politique d’employabilité. La notion d’employa-
comme acteur majeur du marché du travail : dans bilité interroge donc la qualité de la gestion des
quelle mesure l’emploi et les pratiques de gestion de ressources humaines et son appropriation par les mana-
l’entreprise favorisent-ils l’employabilité ? gers.
119
L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
tabilité, son adaptitude dira Clot (1998). En favorisant pétence à l’emploi », c’est-à-dire une « capacité d’auto-
la mobilité fonctionnelle, l’entreprise lui permet de évaluation et d’auto-positionnement sur le marché du
développer ses capacités d’apprentissage, de raisonne- travail » (Benarrosh, 2005, p. 65). L’entreprise renvoie
ment. Il peut alors résoudre en toute autonomie les la balle dans le camp de l’individu.
problèmes rencontrés. L’employabilité s’inscrit donc
dans une dynamique de développement et de formation. 1.3 - Quand être responsable consiste
Mais comme elle n’est jamais acquise, elle suppose une à responsabiliser le salarié
projection dans l’avenir. Pour cette raison, elle s’antici-
pe, supposant de la part de l’entreprise une veille tech- L’enjeu majeur d’une politique d’employabilité est de
nologique et sociale et de la part du salarié un projet préparer les salariés aux changements d’emploi, de
professionnel lui permettant de tirer profit des situations métier et d’entreprise auxquels ils seront inévitablement
et de rebondir. confrontés et de les prémunir contre le risque potentiel
de perte d’emploi (Thierry, 1995). En témoignent ces
En tant qu’objectif politique et social, l’employabilité propos : « il s’agit que (les salariés) ne soient pas
réactive et met en perspective divers slogans et pra- tétanisés par la perspective de la perte de leur emploi
tiques managériales éprouvées pour les inscrire sous le mais simplement conscients de leur responsabilité dans
signe de la responsabilité. En tant que capacité à se leur propre devenir ; conscients aussi du caractère de
maintenir dans un emploi, l’employabilité met l’accent monnaie d’échange que revêtent les compétences et
sur la nécessaire maintenance des connaissances et des soucieux de leur valeur marchande » (Thierry, 1995,
compétences, interrogeant leur « durabilité », voire leur p. 788). Dédramatiser la perte d’emploi, préparer les
transférabilité vers un autre emploi. Les démarches salariés à la mobilité, les maintenir en état d’alerte et les
compétence constituent sans aucun doute le terreau par mettre en mouvement2, deviennent des missions de
excellence d’un maintien de l’employabilité des sala- l’entreprise responsable. Leur objectif : inciter le salarié
riés. Elles sont à la fois l’instrument de la conduite du à « orienter son comportement vers le marché du
changement organisationnel, du développement profes- travail » (Gazier, 1999, p. 38) de manière à ce qu’il soit
sionnel des salariés, de la connaissance des exigences en « état de trouver un autre emploi que le sien, dans ou
du travail et de la formalisation des emplois. hors métier exercé actuellement » (Thierry, 1995, p. 783).
Le terme d’employabilité n’y est pourtant pas prépon- Une responsabilité de l’entreprise en matière d’em-
dérant, pour deux raisons. ployabilité consiste donc à convaincre le salarié que la
- L’une tient à la contingence des compétences : celles- nature du risque a changé : le risque ne réside plus dans
ci sont plus ou moins étroitement liées au contexte de la perte d’emploi mais dans la perte d’employabilité
leur mise en œuvre et leur transférabilité d’un emploi dans la mesure où l’entreprise ne peut plus garantir la
à un autre, d’une entreprise à une autre est loin d’être sécurité de l’emploi (Gazier, 2003). Le rôle de l’entre-
acquise. prise est alors avant tout éducatif, voire prosélyte. Il
- L’autre renvoie aux enjeux stratégiques de la démarche s’agit de « changer les mentalités » (Thierry, 1995),
compétence. Celle-ci fonde l’essentiel de son argu- c’est-à-dire convaincre les salariés que l’emploi à vie
mentaire sur l’articulation de l’économique et du est révolu, la carrière n’est plus acquise, l’ancienneté
social et l’implication conjointe employeur/employé : n’est plus une garantie de protection, les changements
contribuer à la compétitivité et à la performance de d’emplois et d’entreprises constitueront désormais le
l’entreprise doit favoriser sa pérennité, le maintien des parcours normal de tout individu. Orienter le comporte-
emplois, celui des salariés dans l’emploi. En d’autres ment du salarié vers le marché du travail, c’est donc
termes, si les entreprises investissent dans les compé- l’inviter à ne plus compter sur l’entreprise pour assurer
tences des salariés, ce n’est pas pour les voir partir et son avenir professionnel.
fournir de la main-d’œuvre de qualité aux concurrents.
Elles en attendent un retour sur investissement. Dans cette perspective, maintenir un marché interne
protégé (savoir-faire étroitement liés à l’activité de
Or le propos d’une politique d’employabilité ne se limite l’entreprise fidélisation des salariés, rémunérations
pas au développement des compétences. Il se situe à un attractives, progression à l’ancienneté, carrière assurée)
autre niveau qui consiste à « favoriser la mobilité sur le devient contre-productif et conduit les salariés à se
marché du travail » (Van Eeckhout, 1997). Si l’em- replier sur les avantages acquis. Selon Développement
ployabilité mobilise à juste titre les instrumentations de et Emploi, syndicats et représentants du personnel
GRH existantes, son objectif est différent : « d’une opti- doivent participer à cette mission éducative en levant
misation des compétences internes, pour les besoins de « les barrières de sécurité derrière lesquelles l’individu
l’entreprise, l’accent se déplace vers l’optimisation des
conditions pour conserver ou retrouver un emploi » 2 Toutes ces expressions sont empruntées à Van Eeckhout, 1997,
(Pélosse et al., 1995). Il s’agit de développer une « com- Développements, Le dossier, n° 11.
120
L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
s’abrite », en revenant sur leurs pratiques de « fausses de compétences, le salarié reçoit une employabilité qui
sécurités » : avancement à l’ancienneté, paiement des lui permet de faire face au risque de perte d’emploi ou
nuisances de conditions de travail en salaires (Derhi- de trouver une situation meilleure. On retrouve ici un
Couque, Pelosse, 1997, p. 18 et 15). De là à remettre en thème cher au Médef (1998) au cœur de sa reformula-
cause ces avantages acquis, il n’y a qu’un pas, déjà fran- tion de la relation d’emploi. L’entreprise aide le salarié
chi dans de nombreuses entreprises. Il convient donc de à se construire un capital de compétences. Mais, pour se
promouvoir de nouvelles normes « qui prennent à constituer en capital, l’individu doit d’abord être capable
rebours les valeurs traditionnelles du monde du travail de se projeter dans l’avenir, d’élaborer un projet profes-
et les régulations sociales qui s’y déroulent. Ainsi en sionnel et personnel, et pour « se mettre en orbite4 »,
est-il de l’ancienneté qui, en matière d’emploi, joue d’en planifier les étapes puis de saisir les opportunités
désormais en défaveur des salariés » (Maruani, qui lui serviront de jalons. Autrement dit, il doit faire
Reynaud, 2004, p. 16). preuve d’une compétence de chercheur d’emploi qui, la
première, prouve son employabilité (Henni, 2005 ;
Cette vision du marché interne protégé comme vecteur Benarrosh, 2005). L’entreprise favorise la construction
d’exclusion et d’inemployabilité, est entérinée par les d’une telle compétence en aidant « le salarié à mieux se
professionnels de l’intermédiation, comme le confirme connaître et à se positionner sur le marché, aussi objec-
l’analyse que fait Henni (2005, p. 61) des pratiques de tivement que possible, de manière à pouvoir à partir de
l’APEC. Avant d’orienter les cadres vers un emploi, les là, construire un argumentaire le rendant attractif dans
conseillers estiment leur employabilité. La carrière un contexte demandeur, qu’il est à même d’analyser et
mono-entreprise du cadre de 50 ans ayant gravi de comprendre » (Van Eeckhout, 1997). Le suivi indivi-
progressivement les échelons, liant son identité profes- duel traduit l’engagement de l’entreprise dans ce
sionnelle à un métier ou à l’entreprise suscite un domaine, au même titre que l’accompagnement person-
jugement « d’inemployable définitif » car ce type de nalisé des agences pour l’emploi.
personne peinerait à changer et à se déprendre des avan-
tages acquis. Soumis à une logique de résultats, les
conseillers privilégient alors les personnes répondant
aux critères du marché. Ils renforcent ainsi leur 2. Enjeux et partis pris
prégnance, au détriment de la mission qui est la leur, de l’employabilité
favoriser l’employabilité.
L’employabilité augure-t-elle d’un nouveau paradigme
Si les normes de gestion de l’emploi changent, les de l’emploi ? On peut le penser même si les chiffres
modes de management aussi. Il s’agit d’ouvrir l’entre- prouvent que le CDI reste la norme d’emploi et l’emploi
prise sur l’extérieur, de faire entrer les contraintes de précaire limité (Gazier, 2005, p. 31). Cela nous incite à
marché dans le quotidien des salariés afin qu’ils appré- revenir sur les enjeux et les partis pris de l’employabilité.
hendent les spécificités de leur environnement et Nous montrons comment elle sublime la figure du
prennent leur part de responsabilité dans la situation travailleur autonome pour promouvoir une relation
économique et sociale de l’entreprise. « Le rôle de d’emploi renouvelée (2.1.), comment les appariements
l’entreprise consiste en fait principalement3 à fournir entre formes d’emploi et catégories de travailleurs
aux salariés de la visibilité, c’est-à-dire les moyens conditionnent l’employabilité (2.2), comment la
pour chacun d’eux de comprendre l’environnement promesse d’employabilité prend le pas sur la garantie
organisationnel et économique dans lequel il se trouve, d’emploi (2.3.).
et ses évolutions, pour pouvoir se positionner en fonc-
tion de ce qu’il est et de ce dont il dispose » (Van 2.1 - Le parti pris de l’acteur : plaidoyer
Eeckhout, 1997, p. 8). Ces propos glissent de la pour un travailleur autonome ou pour
compréhension du marché à un positionnement sur le
des formes d’emploi transitoires ?
marché du travail. Responsabiliser le salarié, c’est en
faire un Janus à deux visages : qui soit à la fois « dans En intégrant l’entreprise et devenant objet de gestion,
et hors de » l’entreprise ; l’employabilité revêt une connotation positive. Elle
dans l’entreprise, en tant qu’acteur de sa performance, confère au travailleur une capacité stratégique qui
par sa contribution aux résultats, hors de l’entreprise, en « dessine une conception entrepreneuriale de l’autono-
tant qu’acteur responsable de son développement mie » (Henni, 2005, p. 62). L’employabilité est sous-
professionnel par une mobilité sans frontières. tendue par une représentation de l’individu et de l’orga-
121
L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
nisation du travail dont la « cité par projet » (Boltanski, est celle de travailleurs autonomes mais dépendants
Chiapello, 1999) offre une vision épurée. Les auteurs économiquement d’une entreprise (Supiot, 1999,
soulignent ainsi que l’employabilité est la notion clé de p. 295).
cette conception de la vie au travail (p. 144). Plus
l’entreprise affirme sa responsabilité, plus elle magnifie À supposer que cette figure et cette forme d’emploi
la responsabilité individuelle pour « sublimer » le soient généralisables à d’autres catégories de tra-
travailleur5. L’employabilité trouve en effet sa figure vailleurs aux niveaux de qualification nettement moin-
emblématique chez les travailleurs hautement qualifiés dres, qu’en est-il de ce statut d’emploi là où il est
de la gestion par projets, « ne restant dans l’entreprise promu ? Quelles leçons peut-on en tirer ? Baron souli-
que le temps d’un projet et la délaissant aussitôt celui- gne que « les structures par projet sont en général un
ci réalisé » (Gazier, 2003, p. 424). milieu anxiogène et conflictuel » (1999, p. 627), engen-
drant des tensions fortes entre les acteurs, mais aussi
Ingénieurs et cadres sont les cibles privilégiées de cette entre autonomie et contrôle, entre identité de métier et
forme d’emploi. « Tournée(s) vers la recherche de pro- appartenance au projet, ou encore, entre engagement
ductivité des emplois de haute qualification, adaptée(s) dans un projet et recherche d’un nouveau projet. Forme
aux activités immatérielles et mettant en œuvre des transitoire, le projet est ajusté à une organisation en
compétences non substituables » (Baron, 1999), les réseau ; mais il suppose du même coup une exploration
structures par projet se retrouvent dans tous les secteurs sans relâche des réseaux sous peine d’exclusion rapide
des hautes technologies. Plates, flexibles, peu prescrip- (Boltanski, Chiapello, 1999, p. 168). La mobilité se
tives, ces structures requièrent une forte autonomie révèle bien souvent déstabilisante et pour être maîtrisé,
mais dans le même temps renforcent étroitement les le stress généré par ce type de structure suppose une
procédures de contrôle et exercent une pression accrue cohérence forte entre le projet professionnel personnel
sur les résultats. et le passage sur un projet (Baron, 1999). Pour l’auteur,
c’est précisément cette cohérence qui permet de prédire
Ces acteurs de la logique projet incarnent bien souvent la réussite en logique de projet, davantage que des
la figure du « salarié-entrepreneur ». Soucieux d’accroî- critères de profils ou de compétences. Ces dernières
tre en permanence leur capital de compétences et leur sont donc loin de garantir la valeur de placement des
réseau social, ces travailleurs autonomes choisissent expériences vécues, notamment au regard de l’impor-
missions et entreprises en fonction de ce qu’elles tance du réseau social et relationnel.
peuvent apporter à leur projet d’ascension profession-
nelle dont ils ont une vision assez précise. Ils incarnent Au-delà de la survalorisation de l’individu à travers
à eux seuls la montée de l’individualisme, la résurgence quelques figures d’élite, la cité par projet n’offre pas un
de la notion d’acteur et la diffusion dans la vie sociale modèle d’emploi extensible à l’ensemble du marché du
des « théories de l’acteur ». Cette nouvelle figure de la travail même si le travail indépendant et l’incitation à la
relation d’emploi reste certes minoritaire mais elle création d’entreprise se développent. Elle montre
promeut une forme d’emploi fondée sur la mobilité et la l’importance de garde-fous favorisant la sécurité des
responsabilité individuelle dans les résultats de l’entre- travailleurs et repose avec force la question des équilibres
prise. Elle présuppose « un acteur social conscient, doté à trouver entre individu et collectivité.
d’intentions et responsable de ses faits » (Lallement,
1994, p. 215). 2.2 - Les partis pris de l’emploi :
une employabilité conditionnelle
Cette conception du salarié-acteur renoue avec une
conception économique néoclassique de l’individu Si la gestion par projet valorise les formes d’emploi
comme acteur rationnel, libre de ses choix, capable de transitoires, il en est d’autres qui accroissent la précarité
« maximiser sa propre utilité en incorporant en lui- et l’exclusion, celles qu’on appelle les formes d’emploi
même une valeur productive » (Cadin et al., 2002, atypiques par référence à l’emploi à temps plein. Il y a
p. 414). Ces auteurs soulignent les liens entre cette sans doute plusieurs explications à cela, tributaires des
conception de l’employabilité, les théories du capital conceptions du marché du travail et de l’économie.
humain (Mincer, Becker, 1964). L’individu face au mar- Nous rappelons ici l’incidence des formes d’emplois
ché : cette vision entrepreneuriale du salarié, pour para- sur l’employabilité des individus.
doxale qu’elle soit, remet en cause un modèle de droit
du travail « fondé sur le binaire travail subordonné/tra-
vail indépendant » (Supiot, 1999, p. 292) et invite à
considérer une nouvelle figure intermédiaire « entre 5 Ce terme renvoie à l’appellation de « Sublimes » que s’étaient
donnée ces ouvriers émancipés de la fin du Second Empire, auxquels
travail dépendant et indépendant », brouillant là encore
Gazier (2005, p. 12) se réfère pour évoquer les travailleurs par projet
les frontières entre les catégories dans lesquelles ont été de l’économie « high tech », ainsi qu’à l’idéalisation dont ils font
appréhendées les phénomènes du travail. Cette figure l’objet.
122
L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
Pour Pélosse et al. (1995) développer l’employabilité sociales. En effet, si le travail désigne l’activité produc-
traduit l’engagement de l’entreprise à l’égard de la col- tive de biens et de services et les conditions dans
lectivité. Cela permet tout d’abord de réduire les temps lesquelles elle s’exerce, c’est l’emploi qui détermine
de chômage, allégeant ainsi les dépenses publiques pour l’accès au « marché du travail » : ses formes, ses moda-
l’emploi. Cela favorise ensuite la désegmentation du lités et ses résultats (précarité/stabilité, chômage)
marché du travail, servant l’intérêt des travailleurs. (Maruani, 1994). L’emploi précaire frappe prioritaire-
Enfin, en augmentant le turn-over de la population au ment les jeunes, les femmes, les travailleurs immigrés.
chômage, l’employabilité favorise une certaine égalité C’est également l’emploi qui traduit l’activité de travail
des chances : « l’amélioration de l’employabilité des en statuts professionnels et sociaux. Le travail à temps
catégories de main-d’œuvre a priori les plus handica- partiel subi, le CDD imposé n’ont pas la même valeur
pées permet à celles-ci de rejoindre les catégories au que le travail en temps choisi. Ainsi « les politiques
départ les plus favorisées » ; cela homogénéise l’accès d’emploi, qu’elles soient publiques ou d’entreprises,
à l’emploi et, à volume d’emploi identique, confronte s’appuient sur des clivages sociaux préexistants, qu’elles
au chômage « ceux qui jusqu’alors en étaient à l’abri » contribuent à pérenniser, renforcer ou définir »
(Pélosse, Sauret, Thierry, 1995, p. 23). (Maruani, Reynaud, 2004, p. 87).
Davantage de mouvements sur le marché du travail aug- Les critères liés à la situation sociale ont une influence
menterait-il l’égalité des chances ? Les catégories les déterminante sur les conditions d’employabilité des
plus handicapées peuvent-elle « rejoindre » les plus individus. On sait que l’âge, le sexe, la situation de
favorisées ? On peut en douter. Certes, « ceux qui peu- famille, la nationalité jouent un rôle majeur dans les
vent devenir chômeurs sont nombreux, mais tous ne le processus de sélection et d’exclusion des entreprises.
sont pas » (Maruani, Reynaud, 2004, p. 38). Cette argu- Leur caractère discriminatoire est si largement dénoncé
mentation de Pélosse (et al.) repose sur une conception qu’insérer des jeunes, réemployer des seniors devient
essentiellement économique de l’homme et du marché en soi le signe d’un comportement socialement respon-
du travail. Elle postule une concurrence libre entre les sable de la part de l’entreprise, à bon compte il est vrai.
individus et entre les groupes sociaux pour obtenir un Les formes d’emploi jouent donc un rôle essentiel dans
emploi, elle les réduit à leur valeur marchande sur un la construction sociale de l’offre et de la demande, et
marché du travail régulé par des mécanismes écono- influencent de manière déterminante le jugement d’em-
miques. Dans ce cadre, l’employabilité repose sur la ployabilité. L’emprise de ces segmentations des
qualification détenue, l’expérience acquise et le travailleurs ne résulte pas seulement d’usages coutu-
parcours antérieur ; les employeurs confrontant offre et miers qu’il suffirait d’inverser. Les acteurs sociaux eux-
demande, sélectionnent ceux qui répondent le mieux mêmes intègrent spontanément ces critères dans leurs
aux exigences du travail. pratiques et comportements, contribuant à leur tour à
leur renforcement. Et pour cause, « les politiques d’em-
Un tel raisonnement ignore le poids des normes sociales ploi mises en œuvre procèdent d’arbitrages entre des
sur les « modes d’emploi » (Maruani, 1994). Il occulte groupes sociaux » (Maruani, Reynaud, 2004, p. 3), qui
les modes d’appariement entre certaines formes d’em- adoptent les mêmes critères depuis plus de trois décen-
ploi et certaines catégories de travailleurs : femmes et nies pour définir les modalités de la répartition du
temps partiel, jeunes et insertion professionnelle par le travail et les cibles de ce rationnement de l’emploi.
travail intérimaire par exemple. Si les femmes
travaillent davantage à temps partiel, ce n’est pas forcé- L’âge aux deux extrêmes de la vie active est ainsi deve-
ment parce qu’elles en font le choix mais parce que « le nu un critère de la segmentation des modes d’emploi,
temps partiel est une forme d’emploi socialement cons- excluant les plus âgés et différant l’insertion des jeunes
truite comme féminine. (…) Car en fait le temps partiel de moins 25 ans sur le marché du travail. La pré-retraite
s’est développé là où il y a beaucoup de femmes, dans comme instrument de la sortie anticipée du monde du
les secteurs qui constituent les places fortes de l’emploi travail est devenu le mode de gestion essentiel des res-
féminin. Aucune autre forme d’emploi (aucune autre tructurations d’entreprises et du chômage. Maruani et
forme de chômage) n’est à ce point sexuée » (Maruani, Reynaud (2004, p. 14) soulignent la contingence de ces
Reynaud, 2004, p. 64). choix spécifiquement français ; d’autres pays ont main-
tenu l’activité de ces deux catégories de populations,
Les auteurs rappellent la nécessité d’appréhender les malgré un raccourcissement de l’âge de l’activité dans
processus sociaux qui structurent le marché du travail l’ensemble des payx industrialisés.
pour comprendre les mouvements de recomposition de
la population active et la production du chômage. Les politiques d’emploi résultent donc de compromis
Plaidant en faveur d’une sociologie de l’emploi, sociaux sur lesquels les partenaires privés et publics ont
Maruani (1994) montre qu’il est impératif de distinguer trouvé à s’accorder et leur responsabilité dans l’exclu-
le travail et l’emploi pour appréhender ces logiques sion de certaines catégories de travailleurs doit être
123
L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
rappelée. C’est sans doute sur la base de ce constat que Pour le CJD, il importe d’interroger lucidement et de
l’employabilité peut réunir ces parties prenantes autour négocier collectivement « les conditions dans lesquelles
de problématiques et de valeurs renouvelées. (l’employabilité) est réalisable ». l’employabilité ne
doit pas occulter l’emploi, ni exonérer l’entreprise de
2.3 - L’employabilité à la place de l’emploi ? ses responsabilités en matière d’emplois. Le développe-
ment de l’emploi doit rester une priorité de l’entreprise
Les analyses précédentes sur la construction sociale du responsable. Il s’agit d’un parti-pris qui n’a rien
marché du travail montrent que les conditions de l’em- d’utopique si l’entreprise
ployabilité ne sont pas les mêmes pour tout le monde et - pratique une politique d’innovation soutenue et systé-
qu’elles sont socialement construites. Le Centre des matique qui seule permettra la création d’emplois nou-
Jeunes Dirigeants rappelle que l’employabilité veaux et pérennes,
« dépend souvent du niveau d’éducation » et qu’« il est - participe à la promotion de groupements d’em-
plus facile à un cadre diplômé de faire preuve de son ployeurs, du multisalariat ou de portage salarial qui
employabilité qu’à un ouvrier peu qualifié (même si offrent de nouvelles formes d’emploi favorisant la
dans le principe, l’un et l’autre sont autant employa- flexibilité nécessaire à l’entreprise mais préservant les
bles) » (CJD, 2004, p. 152). Si nul ne conteste aujour- salariés de la précarité,
d’hui la nécessité pour chacun de maintenir ses compé- - développe des synergies nouvelles avec les institu-
tences et ses connaissances, on sait aussi que la tions régionales, en vue d’une meilleure connaissance
formation profite aux plus formés. Ce constat est à des bassins d’emploi, de leurs besoins, de leurs
l’origine de la loi de 2004 sur la formation, reconnais- ressources et de leurs opportunités.
sant aux salariés un droit à la qualification tout au long
de la vie, un droit à l’employabilité. Il est néanmoins difficile de ne pas considérer que l’em-
ployabilité sert aussi à pallier un déficit d’emploi. En ce
L’employabilité est également au cœur de la stratégie sens, nous souscrivons aux propos de Gazier : « la ligne
européenne pour l’emploi qui incite les états membres à de force d’une démarche d’employabilité est facile à
développer toutes les mesures de prise en charge et identifier : les pays d’Europe ne sont plus en mesure
d’accompagnement susceptibles de prémunir les tra- d’assurer directement l’emploi de leur population active.
vailleurs contre la précarité et le chômage de longue Face aux défis qu’entraîne l’impératif d’adaptation
durée. En son nom sont distribuées les responsabilités : permanente du travail, des conditions de travail et des
activation des dépenses pour l’emploi du côté des insti- compétences, l’objectif à poursuivre est d’assurer l’em-
tutions, anticipation des métiers et des emplois du côté ployabilité » (Gazier, 1999, p. 38). L’employabilité
de l’entreprise et des branches professionnelles (cf. en objective un problème d’emploi :
France la loi de 2004 sur la formation), incitation à un - elle révèle la contingence d’un modèle de l’emploi,
engagement plus actif du côté des individus par un celui qui est lié à l’extension du travail salarié et se
resserrement des allocations de chômage. construit durant la période de croissance des trente
glorieuses,
Il faut néanmoins reconnaître que c’est surtout lors des - elle souligne l’inadaptation de ses normes dans un
ruptures professionnelles que les travailleurs mobilisent contexte d’instabilité et invite à construire de nouvelles
ces divers dispositifs. Il s’agit donc de transformer ces normes d’emploi, plus flexibles,
ruptures en transitions, et ce de manière permanente. - elle tend à substituer une promesse d’employabilité à
Dans ce cadre l’employabilité revêt de multiples signi- la sécurité de l’emploi.
fications et repose la question de ses liens avec l’em-
ploi. Si développer l’employabilité améliore l’état des Toutes les organisations patronales réclament, au nom
ressources et accroît la compétitivité sur le marché du de l’emploi, un assouplissement du droit du travail,
travail, cela ne crée pas l’emploi (Pélosse et al. 1995 ; jugé trop contraignant. à contrario, l’émergence de la
Gazier, 1999) et l’employabilité reste « une simple pro- RSE plaide en faveur d’un devoir d’employabilité de
messe et l’infime satisfaction d’être un bon candidat, la part de l’entreprise envers ses salariés. Comme le
parmi d’autres, sur un marché limité » (Gazier, 1999, note Supiot (1993, p. 723), « de même qu’en matière
p. 39) si elle ne trouve pas à s’employer sur le marché d’environnement s’est imposé le principe selon lequel
du travail. Pour Chassard et Bosco (1998, p. 904) « une c’est le pollueur qui doit être le payeur (et non pas la
bonne partie de la “dispute” autour du terme employa- collectivité), de même l’idée s’affirme de faire payer
bilité provient du fait que l’impact sur l’emploi d’une davantage les entreprises qui renvoient à la collectivi-
amélioration de l’employabilité de la main-d’œuvre n’a té la plus grande part possible du coût de la
jamais été véritablement explicité ». On comprend dès « ressource humaine », et d’alléger au contraire les
lors la méfiance des salariés et des syndicats à l’égard charges de celles qui internalisent ce coût ». Supiot
de la notion : elle devient rapidement synonyme de considère comme un cas analogue l’externalisation de
reclassement, de sortie anticipée de l’entreprise. cette charge sur les sous-traitants. Construire un
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L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
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L’employabilité à l’epreuve de la RSE ou la RSE à l’epreuve de l’emploi ?
Anne DIETRICH
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126
Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
Lucas DUFOUR - Adel GOLLI
convergence
Malgré un niveau de développement de la fonction RH
très disparate d’un pays à un autre, une certaine conver-
gence des pratiques ressources humaines semble en
marche en Méditerranée, poussée dans des proportions
des pratiques RH
En effet, la culture du pays d’origine influence et rend
contingente la manière d’appréhender la fonction RH.
On assiste donc à une hybridation des pratiques et à une
« contextualisation » de la convergence de la fonction
dans l’espace
RH. Cependant, nous verrons que, malgré des différences
de cultures, certaines tendances générales communes à
l’ensemble des pays étudiés peuvent être identifiées.
Euroméditerranée
Cet article s’intéresse donc aux pressions et aux influen-
ces auxquelles est soumise la diffusion des pratiques de
Ressources Humaines dans le bassin Méditerranéen.
Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux
apports conceptuels sur les problématiques de conver-
gence et de divergence des modes de management entre
différents pays. Puis dans un second temps, nous
étudierons les évolutions de la fonction Ressources
Lucas Dufour Humaines dans le bassin oriental de la Méditerranée de
AER Euromed-Marseille son émergence à nos jours. Pour cette partie nous nous
AM IMP Aix-en-Provence appuierons notamment sur les documents et les infor-
mations collectés dans le cadre du projet européen
[email protected]
Agora RH. Ce projet regroupe 11 associations de
Ressources Humaines originaires de 8 pays du bassin
Adel Golli occidental de la Méditerranée (Algérie, Espagne, Italie,
AER Euromed-Marseille France, Maroc, Portugal, Slovénie et Tunisie).
[email protected]
127
Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
Lucas DUFOUR - Adel GOLLI
(1986) mentionnent cependant que si les entreprises ont été élaborées sous l’influence d’évènements histo-
sont devenues plus similaires à l’échelle macro-écono- riques spécifiques à chaque pays. Deuxièmement,
mique, c’est à dire en termes de structures et de techno- chaque nation a également développé en fonction de
logies, le comportement des gens au sein des entreprises, son histoire des valeurs symboliques qui constituent sa
donc à l’échelle micro-économique continue à manifes- propre identité nationale et dans lesquelles se retrouve
ter une base culturelle différente. l’ensemble des citoyens d’un pays. Enfin, selon
Hofstede, « la culture est par essence une programmation
Ainsi l’adhésion au précepte du « one best way » qui mentale collective ; c’est cette partie de notre condition-
postule, en matière de gestion, que les mêmes outils et nement que nous partageons avec les autres membres
modèles sont applicables quel que soit le contexte et le de notre nation, mais aussi de notre région, de notre
pays, s’estompe de plus en plus. Selon Hofstede groupe, et non avec ceux d’autres nations, d’autres
« L’échec des tentatives d’importation de méthodes de régions ou d’autres groupes » (Hofstede, 1987). Par
management tient la plupart du temps à leur inadapta- conséquent, la manière de penser et donc d’appréhender
tion culturelle, notamment dans les pays du tiers les ressources humaines est donc largement conditionnée
monde. » (Hofstede, 1987). En effet, la théorie du « one par des facteurs culturels nationaux spécifiques. Pour
best way » constitue une vision restrictive du manage- Mendez (2001), la diversité nationale se perçoit de
ment qui a essuyé de nombreux échecs en particulier plusieurs façons « elle peut être marchande (diversité
dans les pays en voie de développement (les travaux de dans les niveaux de vie, les modes de consommation, de
Valax et Palmero (2004) consacrés aux résistances distribution), culturelle, institutionnelle. » (Mendez,
culturelles des informaticiens marocains vis à vis de 2001, p.102). Dans le domaine managérial, la diversité
l’implémentation d’un ERP, en sont d’ailleurs une très culturelle se manifeste à travers notamment l’attitude à
bonne illustration) ce qui a ouvert la voie à une nouvelle l’égard de la hiérarchie, l’approche du travail et la
approche celle de la théorie de la contingente. À l’in- manière d’exprimer ses opinions (Hofstede, 1983).
verse de l’hypothèse de convergence, la théorie de la L’équité peut également être appréhendée de manière
contingence postule que les entreprises s’adaptent et se différente d’un pays à un autre comme l’ont montré les
développent en fonction de plusieurs facteurs tels que la travaux comparatifs entre le Maroc et la France
culture et le contexte institutionnel (McGaughey et De (Benraïss, Peretti, 2002). Chaque pays constitue donc
Cieri 1999 ; Amblard et alii, 1996). Ainsi des auteurs pour l’entreprise un nouveau contexte managérial, et si
comme Lawrence et Lorsch (1967) affirment que l’organisation souhaite éviter les conflits et tirer profit
vouloir exporter des pratiques dites universelles sans de la diversité, elle a tout intérêt à s’adapter à la culture
tenir comptes des spécificités culturelles est source nationale et à adopter une stratégie adéquate à son envi-
d’échec. En effet, selon Petit, l’entreprise évolue dans ronnement (Gao, 2002 ; Zghal, 2003b). En effet, les
un champ de contraintes qu’elle doit analyser (fonction cultures nationales influencent les comportements et les
de vigilance) et traduire dans ses structures (impératif modes de pensée des individus. Il est donc primordial
de recherche d’adéquation, donc de changement), en d’en tenir compte dans le management d’une firme et
exploitant toutes les marges que lui offre son expérience, d’adopter ainsi des modes de gestion adéquats. « Quand
laquelle est liée à son âge, à sa taille, aux fondements de pour gérer, il faut savoir susciter l’enthousiasme de
sa culture… (Petit, 2000). ceux que l’on dirige et éviter de les scandaliser, on a
besoin de comprendre ce qui enthousiasme et scandali-
Deux approches majeures, l’approche culturaliste et se » (D’Iribarne, 1989, p.266). Ainsi, les styles managé-
l’approche institutionnaliste, tentent d’étudier l’influence riaux imposés et les procédures standardisées sont de
du pays sur la manière de gérer l’humain. moins en moins appliqués, les managers qui s’implan-
tent dans un nouveau pays cherchent dorénavant une
1.1 - L’approche culturaliste meilleure adéquation entre la culture du groupe et la
culture nationale, mais aussi entre le respect de la diver-
Le courant culturaliste affirme que les pratiques de sité et la cohésion de l’ensemble, d’où le développe-
GRH sont construites sur des valeurs et qu’il existe une ment de solutions impliquant un « glocal/local mix »
relativité culturelle des théories et des pratiques mana- (Tregaskis et alii (2001).
gériales (Hofstede (1983)). Pour les culturalistes, les
pratiques de management sont issues d’une logique 1.2 - L’approche institutionnelle
nationale (D’Iribarne (1998)) et ainsi une même
pratique ou un même outil de GRH peut avoir plusieurs L’approche culturaliste, considère les valeurs et la
interprétations et plusieurs sens pour des groupes cultu- culture comme étant les éléments majeurs que l’organi-
rellement différents (Laurent 1986). Selon Hofstede sation doit prioritairement analyser afin de trouver le
(1983), chaque pays engendre à sa façon son propre mode de gestion le mieux adapté. À l’inverse, l’approche
système de gestion et ce pour trois raisons : première- institutionnelle, quant à elle, considère que la manière
ment, chaque pays possède des institutions propres qui de manager les hommes au sein d’une organisation est
128
Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
Lucas DUFOUR - Adel GOLLI
principalement influencée par les pressions institution- cadres normatifs structurent le choix des organisations
nelles, comprenant l’Etat, les structures régulatrices, les et des acteurs. Les cadres normatifs qui exercent ce type
intérêts de groupes, l’opinion publique et les normes de pression sur les organisations et les acteurs peuvent
(Powell et DiMaggio 1983, Meyer et Rowan 1983, être les syndicats, les associations, les professions…
Oliver 1991). Selon l’approche institutionnelle, ce sont (Baret et Livian 2002). La légitimité est ici gouvernée
les institutions qui façonnent les préférences individuel- par la morale. En effet, les acteurs se conforment aux
les, la personnalité, l’Etat et la citoyenneté. En effet, pressions normatives non pas par intérêts individuels
l’institutionnalisme décrit l’organisation comme étant mais parce qu’une telle adaptation est attendue de leur
partie prenante de la collectivité locale. Le néo-institu- part afin de paraître plus légitime (Scott 1995).
tionnalisme, quant à lui, considère que l’influence exer- Les organisations contraintes par leur environnement
cée sur l’organisation dépasse le simple cadre de la col- sont souvent obligées d’évoluer et d’adapter leur struc-
lectivité. Selon cette approche, le secteur ou le champ ture organisationnelle ainsi que leur mode de manage-
organisationnel jouent également une influence consi- ment aux exigences culturelles et institutionnelles du
dérable sur le choix organisationnel (Scott et Meyer pays d’accueil. Ainsi, si d’un côté, les forces d’isomor-
ch5, de Powell et DiMaggio 1991). Dans un contexte phisme (pressions cœrcitives, mimétiques et normatives)
institutionnel étranger, les organisations ont tendance à auxquelles les entreprises sont soumises mènent à
adopter certaines structures, politiques et procédures en l’uniformisation des structures organisationnelles, d’un
fonction des pressions d’isomorphisme (pressions coer- autre côté, il semble que l’emprise de la culture dans
citives mimétiques et normatives) auxquelles elles sont l’inconscient des individus fait qu’une même pratique
soumises (Powell et DiMaggio (1983), Meyer et Rowan RH sera adaptée et interprétée différemment selon les
(1977), Scott (1987)). groupes culturels. Ainsi, la diffusion accélérée des
pratiques de management qui a eu lieu au cours des
1.2.1 - Les pressions cœrcitives trente dernières années semble donc tiraillée entre
Les pressions cœrcitives peuvent être exercées par la pressions divergentes et convergentes.
maison mère vis-à-vis de ses filiales pour adopter un
mode particulier de management dans le but d’avoir un
avantage compétitif. La cœrcition peut également
provenir des lois du pays d’implantation. Le processus 2. Évolution de la fonction RH
de cœrcition implique la capacité d’établir des règles, en Méditerranée de son émergence
d’inspecter la conformité des organisations à ces règles, à nos jours
et en cas de nécessité de manipuler les sanctions
- récompense ou punition - afin de tenter d’influencer
des comportements futurs (Scott 1995). La fonction RH s’est développée de manière disparate
dans les différents pays du bassin occidental de la
1.2.2 - Les pressions mimétiques Méditerranée en fonction principalement du développe-
Meyer et Rowan (1977) ainsi que Powell et DiMaggio ment économique du pays et de l’ouverture de son
(1983) soulignent que les organisations ou les individus économie. De manière schématique, trois groupes peu-
dans un contexte étranger méconnu, imitent des vent être identifiés. Le premier groupe constitué de
pratiques organisationnelles de concurrents ou d’autres l’Italie et de la France est en quelque sorte la locomotive
filiales jugées plus efficaces ou plus légitimes dans un de l’évolution de la fonction RH en Méditerranée. Ces
contexte culturel donné. Le contexte culturel est struc- pays ont été les premiers à mettre en place des services
turé par les croyances nationales et les lois propres à RH dignes de ce nom et continuent à se montrer
chaque nation et que les acteurs des organisations innovants en matière de pratique RH même si l’écart
doivent respecter, mais aussi par les idées ou les valeurs avec les autres pays tend à diminuer. Le Portugal,
qui sont présentes « dans les têtes des acteurs de l’orga- l’Espagne et la Slovénie constituent le second groupe de
nisation » (Scott 1995). Cependant, il convient de préci- pays qui effectuent un rattrapage rapide avec une
ser que les idées ou valeurs qui constituent le jugement modernisation à marche forcée de leur fonction RH
des employés a été façonné par les croyances véhiculées suite à la chute de la dictature et l’ouverture de leur
par l’environnement institutionnel externe (Kostova et économie aux investisseurs privés (domestiques et
Roth 2002). Ainsi l’insertion des caractéristiques insti- étrangers pour le Portugal et l’Espagne, très majoritai-
tutionnelles dans les organisations se fait à travers les rement domestiques pour la Slovénie). Enfin le troisiè-
employés qui y travaillent (Scott 1995, Westney 1993, me groupe de pays constitué des trois pays du Maghreb
Zucker 1977). est en cours de rattrapage, poussé par l’intervention de
l’Etat et par l’ouverture de l’économie (principalement
1.2.3 - Les pressions normatives pour le Maroc et la Tunisie).
Selon Scott (1995), l’approche normative des institu-
tions met l’accent sur la façon dont les valeurs et les
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Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
Lucas DUFOUR - Adel GOLLI
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Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
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Au Portugal, durant les années 60, les entreprises mul- travailler était auparavant constitutionnellement garanti,
tinationales qui se sont implantées l’ont fait afin de avec comme pendants le plein emploi et une économie
bénéficier d’une main-d’œuvre à bas coût. Celles-ci fondée sur l’égalité et la solidarité. La politique salariale
jouent un rôle majeur sur l’amélioration de la producti- (salaires, avantages sociaux) était décidée au niveau de
vité, de la formation et des salaires. Cependant, la fonc- l’Etat. Le système économique s’appuyait également
tion RH commence vraiment son envol dans les années sur le concept de propriété sociale qui empêchait les
60. Elle est encore alors surtout administrative et s’oc- entreprises de faire faillite ce qui provoquait également
cupe principalement de la discipline et de l’application une grande improductivité. Le coût de la main d’œuvre,
des règles contractuelles, le poste de directeur du était donc extrêmement élevé car la sécurité de l’emploi
personnel étant souvent exercé par le patron ou par un empêchait toute réduction importante d’effectifs même
militaire. Le mode de gestion est à l’époque paternaliste. si l’entreprise était confrontée à des difficultés écono-
La prédominance des PME dans la société portugaise miques ou à des évolutions technologiques. Au milieu
fait que cette orientation reste dominante jusqu’à nos des années 70, la fonction RH était alors encore très
jours, les multinationales et les « grands groupes » administrative, la formation des gestionnaires RH faible
économiques portugais étant les seuls à avoir des acti- et leurs responsabilités au sein de l’entreprise encore
vités non-bureaucratiques dans les Départements RH très limitées. La fonction RH était généralement organi-
(Marques, 2005). Au Portugal la période entre 1974 et sée au sein d’un département dirigé par un juriste à
1985 est fortement influencée par les crises pétrolières cause d’une législation du travail extrêmement com-
de 73 et de 85, lesquelles nécessitent deux interventions plexe ( Kohont, 2005). Dans les années 80, en Slovénie,
du FMI, et par la Révolution de 1974 qui réintroduit au les difficultés économiques et les tensions politiques
Portugal la démocratie politique. La Révolution de s’amplifient. Les entreprises tentent alors de réduire
1974 est à l’origine de la nationalisation des principaux leurs dépenses et l’Etat décide de limiter l’accès au
secteurs de l’économie et les syndicats jouent un rôle travail notamment aux étudiants. (Kohont, 2005).
important dans la société de l’époque. Les critères La période entre 1985 et 1990 marque l’adhésion du
majeurs de gestion du Personnel à cette époque sont Portugal à la Communauté Européenne. Ces années
alors la sécurité et l’ancienneté au travail, les encoura- sont marquées par une période de stabilité politique, de
gements à la productivité étant à l’époque inexistants croissance économique importante ( 4 % en moyenne),
(Marques, 2005). et de taux de chômage modéré (environ 6 %). L’écart du
Du début des années 70 à la fin des années 80, se niveau de vie se réduit par rapport à la moyenne euro-
produit également une transition politique majeure en péenne. Pourtant, ceci ne suffit pas pour dépasser le
Espagne avec l’instauration de la démocratie et l’adhé- modèle de basse productivité et d’une économie centrée
sion du pays à la Communauté Économique européen- sur les PME avec de bas salaires et de faibles qualifica-
ne. En outre la légalisation des syndicats évolue passant tions. Avec l’adhésion à l’union européenne, l’ouverture
d’un seul syndicat, le Syndicat Vertical, à la légalisation de l’économie devient une réalité et la privatisation des
d’autres mouvements syndicaux, UGT, CCOO, CNT, entreprises s’accélère dans une volonté de les rendre
etc. Ces changements politiques et socio-économiques compétitives et profitables. Le modèle de gestion évo-
favorisent la négociation et la résolution de conflits lue vers une gestion par objectifs et la GRH privilégie
collectifs. Durant cette période, les multinationales alors la méritocratie (Marques, 2005).
implantent des politiques salariales liées à l’implication Durant les années 90, les départements espagnols qui
des travailleurs et à l’évaluation de leurs postes. Celles- exercent la fonction de gestion du personnel commen-
ci généralisent également les processus de recrutement cent à être appelés départements de Ressources
du personnel au moyen de l’utilisation de techniques Humaines. Les personnes qui intègrent une organisation
scientifiques d’évaluation et l’implantation de poli- ne sont plus considérées comme une source de dépense
tiques qui promeuvent la motivation et la satisfaction au mais commencent à être vues comme une ressource
travail. Cet intérêt de plus en plus marqué pour les importante à l’intérieur de l’entreprise. García et du Val
thèses de l’école des relations humaines entraîne (1995) indiquent que l’évolution qui se produit par
l’embauche de licenciés en Psychologie Industrielle l’intermédiaire des ressources humaines vise à la fois
pour occuper des postes de la fonction de personnel, une meilleure motivation et une flexibilité du personnel.
mais aussi des assistantes sociales (travailleurs Durant cette période, les responsables de Ressources
sociaux), des sociologues et des pédagogues. Humaines commencent à être intégrés dans les organes
Cependant, la direction du département du personnel de décision des entreprises et participent à la stratégie
reste majoritairement prise en charge par des experts en de l’entreprise. À la fin des années 90, le directeur des
production principalement ingénieurs ou économistes ressources Humaines commence à faire partie du
(Cagigas et alii, 2005). Comité de Direction ( Cagigas et alii, 2005).
En Slovénie, la nouvelle constitution de 1974 et la nou- À la fin des années 80, la crise économique et politique
velle législation sur le droit du travail de 1976 forment atteint son paroxysme en Slovénie. De nouveaux partis
la base des règles du droit du travail. Le droit de politiques accélèrent la démocratisation du pays et le
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Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
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mécontentement vis-à-vis du gouvernement yougoslave apporté avec eux une partie du savoir-faire en matière
incapable de se réformer entraîne l’indépendance de la de gestion des ressources humaines (Meziane, 2005 ;
Slovénie le 25 juin 1991. L’indépendance de la Slovénie Chebbi, 2005). Après leur indépendance, les efforts des
entraîne une perte importante de marchés de l’ex- populations des 3 pays du Maghreb sont donc essentiel-
Yougoslavie pour les entreprises slovènes. Les entrepri- lement consacrées à la construction de l’Etat et de ses
ses slovènes doivent donc se restructurer afin de institutions de base. Durant cette première période post
s’adapter à la concurrence internationale et de trouver coloniale, une stratégie de salut public se met en place
ainsi de nouveaux débouchés. Durant cette période, les en Algérie et en Tunisie afin d’assurer les services
entreprises cherchent dans un premier temps à réduire le publics vitaux (électricité, chemin de fer, eau…) et de
nombre de leurs salariés afin de réduire leurs coûts et de stimuler la croissance économique nationale (création
gagner petit à petit en productivité du fait de l’ouvertu- d’emploi, distribution des salaires…). L’objectif consis-
re progressive du marché slovène. Après une période tait alors principalement à combler les cases vides des
difficile de restructuration et de réduction des coûts, une organigrammes, sans trop s’appesantir sur la qualité
plus grande attention est donnée aux compétences des afin d’assurer au mieux la fonction d’administration
salariés. L’ouverture à l’économie de marché s’est faite (Chebbi, 2005). Suite à l’indépendance, les décrets de
progressivement en Slovénie, à l’inverse de pays mars 1963 déclarent, en Algérie, l’autogestion des usines
comme la Pologne. L’Etat est resté un acteur prépondé- « L’usine à ceux qui y travaillent ». Malgré des moyens
rant dans la transition vers l’économie de marché. La réduits , une main d’œuvre insuffisamment formée et un
privatisation de l’économie s’est faite graduellement, et analphabétisme qui atteint près de 95 %, le défi de la
la majorité des entreprises slovènes privatisées appar- remise en marche du pays après l’indépendance est relevé
tiennent à leurs employés ou à des investisseurs locaux. grâce à une main d’oeuvre pleinement motivée, vu les
La présence de l’Etat est encore cependant très forte enjeux et les défis de l’indépendance (Dali, 1996). A
dans le secteur des télécommunications, poste, banques, cette époque, le chômage en Algérie est important, le
assurances, industries, transport. La présence d’inves- tissu industriel est réduit et souvent à l’état d’abandon.
tisseurs étrangers privés est de plus en plus importante Le secteur privé reste très réduit, limité à quelques
mais la présence des entreprises multinationales est villes principalement côtières et culpabilisé aux yeux de
encore relativement faible et le secteur privé slovène l’opinion publique. Ce contexte économique peu favo-
reste encore très majoritairement dans les mains rable entraîne des départs massifs vers l’ancien pays
d’investisseurs locaux. colonisateur qui, durant le boom des trente glorieuses,
manque de main d’œuvre (Meziane, 2005).
2.3 - Les pays en cours de modernisation de Au lendemain de l’indépendance du Maroc, la constitu-
la fonction RH (Algérie, Maroc, Tunisie) tion marocaine ainsi que la législation du travail recon-
naît le droit syndical. Pourtant, dans la réalité, l’action
De l’autre côté de la Méditerranée, dans les années 50, syndicale est appréciée différemment selon les contextes
la France occupe encore les trois pays du Maghreb dans lesquels elle va s’exercer. Le mode de gestion des
(Algérie, Maroc, Tunisie). Durant cette période coloniale, ressources humains ressemble à celui qui prévalait
les chefs d’entreprise pouvaient embaucher et débau- durant la phase coloniale : turn over important, maintien
cher pour certaines activités journalières sans aucune de la main d’œuvre dans une situation de précarité, rejet
contrainte une main d’œuvre abondante et à faible coût. systématique de tout contre pouvoir syndical. Les
Pour optimiser les possibilités que pouvait offrir cette aspects stratégiques de la gestion de cette main d’œuvre
flexibilité, les chefs d’entreprise recourraient aux services (recrutement, promotion, politique salariale…) relèvent
du caporal, chef autochtone qui assumait une double des prérogatives du chef d’entreprise qui en décide de
fonction : d’une part, recruter la main d’œuvre le manière personnelle. La pratique du « contournement »
moment et le temps qu’il fallait et d’autre part la disci- des contraintes légales (salaire minimum, contrat de
pliner en exerçant sur elle un contrôle de proximité. Les travail, cotisation sociales, sécurité et hygiène…) est
syndicats français des travailleurs, en particulier la une donnée structurelle du mode de fonctionnement et
CGT, très active à cette époque au Maroc, exerçaient de gestion de ces entreprises (Baayoub, Zouanat 2005).
une forte pression sur les autorités coloniales pour la En Algérie, les années 70 sont marquées par la mise en
reconnaissance d’un certain nombre de droits aux tra- œuvre d’une volonté étatique de construction de l’éco-
vailleurs marocains. Malgré cette pression, le patronat nomie, centrée sur le développement d’une industrie
français n’appliquait pas toujours les dispositions de la lourde. Cette période est marquée par des investisse-
législation légales en particulier celles votées par le ments massifs et la création de grandes sociétés natio-
Front Populaire (Baayoub, Zouanat 2005). nales puissantes qui produisent, recrutent, distribuent
Dans les années 50-60, les pays du Maghreb acquièrent des revenus, transportent, soignent et construisent des
leur indépendance (Maroc 1956, Tunisie 1956, Algérie crèches et des logements. Ainsi en matière de gestion
1962). Ces indépendances entraînent un départ massif des Ressources Humaines, en Algérie et au Maroc, la
des gestionnaires et techniciens français qui avaient fonction est vue comme ayant une fonction sociale
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Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
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complète, comprenant aussi bien des aspects profes- d’une fonction personnel normative et disciplinaire
sionnels (recrutement, paie, promotion, participation) (étape 1) à une fonction RH moderne (étape 3).
que sociaux (logement, transport, médecine, vacances,
etc) (Meziane, 2005 ; Baayoub, Zouanat 2005). Les
années 70 sont également caractérisées en Algérie par
l’exacerbation des rapports conflictuels entre le personnel 3. Les mutations actuelles de la fonction
d’encadrement et les travailleurs. Les relations de tra- RH en Méditerranée (Années 2000)
vail vont alors se caractériser par la distanciation, le
retrait et la résistance des ouvriers par rapport à l’orga- 3.1 - Les vecteurs d’évolution
nisation du travail et la discipline (fort taux d’absentéis- de la fonction RH
me et de turn-over) (Dali, 1996). L’Algérie, durant la
période de 1980 à 1988, prend le contre-pied du mou- Concurrence internationale accrue, intervention de
vement d’individualisation de la fonction RH. En effet, l’Etat et renouvellement des directeurs des ressources
la loi du SGT promulguée en 1980 applique à la lettre humaines constituent dans différentes proportions selon
le précepte « à travail égal, salaire égal ». Par son biais, les pays, les trois vecteurs majeurs d’évolution de la
l’Etat propriétaire des entreprises publiques algériennes fonction RH dans le bassin occidental de la
et premier employeur du pays, entend uniformiser à Méditerranée.
l’échelle du pays les relations qui l’unissent à ses
employés. La fonction RH se dote pour la période 3.1.1 - Libéralisation des échanges
concernée, d’un certain nombre d’instruments, d’outils et privatisation de l’économie
et de méthodes de gestion à même de moderniser la La libéralisation des échanges et la privatisation de
GRH et de relever le niveau qualitatif du Management l’économie joue un rôle primordial dans la modernisa-
(Meziane, 2005). À la fin des années 80, l’Algérie tra- tion de la fonction RH, et ce, des deux côtés de la
verse une crise économique avec la baisse des recettes Méditerranée. En effet, la création de la ZLE (Zone de
pétrolières, le développement du chômage et le ralentis- libre échange) entre l’UE et le Mahgreb a contraint les
sement des investissements mais aussi une crise identi- entreprises locales à renouveler leurs politiques et
taire avec l’effondrement de la référence socialiste. pratiques RH afin de répondre aux exigences en matière
Ceci provoque l’explosion sociale d’octobre 1988 qui de qualité et de prix pour affronter la concurrence. Les
aboutira à la remise en cause du système politique dans deux enquêtes réalisées par Bellal et Djenane (DIORH)
son ensemble avec l’abolition du Statut Général du en 2002 et 2004 sur la fonction RH dans plus de 100
Travailleur qui redonne une autonomie et une liberté la entreprises font ressortir les évolutions rapides des poli-
plus grande aux entreprises et interdit à l’Etat toute tiques et pratiques et l’adoption de grappes de pratiques
ingérence dans leurs affaires (Dali, 1996). proches de celles des entreprises européennes. Ce mou-
Malgré des évolutions de la fonction RH disparates, vement a également été accéléré par l’arrivée importante
trois phases peuvent être identifiées dans chacun des de capitaux privés dans l’économie marocaine. De 1993
pays du bassin occidental de la Méditerranée. En effet, à 2004, au Maroc, pas moins de 65 sociétés sont passées
tous les pays ont tous connus : dans le secteur privé dont 24 à des capitaux étrangers.
- une conception normative et disciplinaire de la fonc- Le Maroc met d’ailleurs en place un dispositif d’encou-
tion personnel associée à un mode de gestion paterna- ragement de l’investissement étranger afin de faire du
liste (Etape 1) ; pays une plateforme attrayante pour les projets de délo-
- une meilleure prise en compte du facteur humain avec calisation (Baayoub, Zouanat, 2005). De même, deux
un passage de la fonction personnel à la fonction RH enquêtes menées en Tunisie montrent que les entreprises
(Etape 2) ; confrontées à une forte concurrence internationale ont
- une professionnalisation de la fonction RH avec l’ap- connu un processus de changement relativement accéléré
plication des dernières avancées en terme de manage- mais surtout continu aussi bien au niveau des concepts
ment et l’information de la fonction (Etape 3). qu’au niveau des pratiques de ressources humaines
(Chebbi, 2005).
Tous les pays ont connu ou connaissent des évolutions En Slovénie, l’évolution de la fonction RH a été rapide,
comparables cependant ces différentes phases ne se sont elle a connue en particulier une modernisation impor-
pas déroulées à la même vitesse selon les pays. En effet, tante suite à la chute de l’économie socialiste. En
la deuxième étape a commencé en Italie et en France au Espagne et au Portugal, la fin de la dictature a marqué
début des années 70 et en Espagne, au Portugal et en la privatisation de nombreuses entreprises. L’adhésion
Slovénie à la fin des années 70 et la professionnalisation de ces deux pays à l’Union Européenne a considérable-
de la fonction RH (étape 3) s’est déroulée de manière ment accéléré le flux des échanges. Ces deux mouve-
quasi simultanée dans tous ces pays au cours des années ments conjoints ont donc contraint la fonction ressources
80. Les pays magrébins, quant à eux semblent être qua- humaines en l’espace d’une vingtaine d’années à se
siment passés sans transition au début des années 90 moderniser considérablement. Pour des pays comme la
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Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
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France ou l’Italie, ouverts depuis plus longtemps à son de la pression exercée par la concurrence interna-
l’économie internationale, l’évolution s’est faite de tionale.
manière plus progressive. L’Algérie en revanche, com-
mence tout juste à s’ouvrir à l’économie internationale 3.1.3 - Les nouvelles générations
en particulier avec le secteur des hydrocarbures, ce qui comme acteurs du changement
peut expliquer en partie le retard qu’accuse la fonction Le troisième vecteur d’évolution qui concerne l’ensemble
Ressources Humaines dans le pays. L’Etat en Algérie a des pays du bassin occidental de la Méditerranée est le
initié une restructuration des entreprises organisées en renouvellement de la génération de dirigeants avec
portefeuilles relevant d’une organisation de type l’émergence de chefs d’entreprises issus des universités
Holding et a procédé à différents assainissements finan- et des grandes écoles ayant une vision qui se démarque
ciers des entreprises les plus déstructurées. (relativement) par rapport aux méthodes de « gestion
familiale ». Ces nouveaux dirigeants formés dans un
3.1.2 - Le rôle de l’Etat dans la modernisation contexte d’ouverture économique et de concurrence
de la fonction RH internationale sont plus réceptifs à ce qu’impliquent, sur
En Algérie, la privatisation de l’économie se fait à petits le plan humain, les exigences du nouvel environnement.
pas et la modernisation de la fonction RH est avant tout Ce facteur a une importance considérable dans les pays
initiée par l’Etat. Cette modernisation de la fonction RH du Maghreb où nouvelles et anciennes générations ne
voulue par l’Etat est initiée par les entreprises partagent pas la même vision de la fonction, et possè-
publiques. Par ailleurs,il faut ajouter que l’Etat a lancé dent des différences de niveau d’études et de compétences
un programme de mise à niveau ouvert à une centaine très marquées. L’apparition dans l’environnement de
d’entreprises publiques et privées ( Meziane, 2005). Les l’entreprise d’associations professionnelles dans la ges-
auteurs tunisiens et marocains (Chebbi, 2005 ; tion des ressources humaines comme ALGRH en
Baayoub, Zouanat, 2005) soulignent également le rôle Algérie, AGEF au Maroc et l’ARFORGHE en Tunisie,
crucial joué par l’Etat dans le développement de la avec pour vocation le partage des expériences, la diffu-
fonction RH. En effet, en Tunisie, le processus de chan- sion des bonnes pratiques locales ou internationales,
gement de la fonction RH s’est produit sous l’effet l’organisation de rencontres d’études et de réflexion
d’une impulsion de l’Etat, lui-même soutenu financiè- entre professionnels et universitaires, la construction de
rement par l’Union Européenne. Ces programmes de liens avec des associations similaires dans le monde, a
« mise à niveau » financés dans le cadre du programme constitué un facteur de progrès important pour la fonc-
MEDA de l’Union Européenne constituent de véritables tion GRH au Maghreb et a contribué à donner de la visi-
opportunités de développement des entreprises au plan bilité à cette fonction et aux hommes et femmes qui en
technologique et managérial. Ce processus de change- ont la charge dans les entreprises.
ment entraîne l’introduction d’une gestion stratégique Cependant, l’évolution de la fonction RH en particulier
des ressources humaines, une recherche de rigueur en dans les pays du Maghreb, est à relativiser. Selon de
matière de gestion en général et de certaines activités de nombreux auteurs tunisiens, les analyses ont révélé
GRH, de même qu’une tendance, mais timide, à l’existence de paradoxes entre une conscience de l’im-
l’exploitation des NTIC pour la GRH (Chebbi, 2005). portance de la GRH et la pratique d’une gestion basique
De même au Maroc, les pouvoirs publics ont engagé un proche de l’administration du quotidien (Ben Hamouda,
véritable processus de « refondation sociale » pour inciter 1992 ; Ben Ferjani, 1998 ; Ben Ferjani et alii 2001). En
les entreprises à reconsidérer leurs pratiques de GRH et fait, la gestion corrective, correspondant à la quête
les syndicats à adopter une attitude plus participative et permanente d’opportunité sans véritable stratégie,
moins conflictuelle. L’adoption consensuelle de la nou- domine et le poids des inerties reste cependant impor-
velle législation du travail est de ce point de vue tant malgré les changements intervenus. (Chebbi, 2005).
significative quant à la volonté des pouvoirs publics de
tourner une nouvelle page de l’histoire sociale du 3.2 - Les tendances lourdes de la fonction RH
Maroc (Baayoub, Zouanat, 2005). À partir du milieu en Méditerranée
des années quatre vingt, un dispositif d’incitation des
entreprises à s’engager dans la formation de leur Dans l’ensemble des pays du bassin occidental de la
personnel avec des possibilités de financement des Méditerranée les mêmes évolutions sont observées,
dépenses de formation pouvant atteindre 80 % a été mis celles-ci étant plus avancées néanmoins dans les pays
en place par l’Etat afin d’amener les entreprises à recon- de la rive Nord de la Méditerranée en particulier en
sidérer leurs pratiques de GRH (Ameziane, Benraïss et France, en Espagne et en Italie.
alii, 1999).
Dans les pays de la rive Nord de la Méditerranée Gestion stratégique
(Espagne, Italie, France, Portugal et Slovénie) l’Etat Globalement, les dirigeants souhaitent que la fonction
continue de jouer un rôle dans le développement de la RH se concentre sur la conduite du changement et non
fonction RH mais celui-ci est négligeable en comparai- sur des questions administratives. La fonction RH doit
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d’une prise en compte insuffisante du facteur humain et La stabilité de l’emploi est la règle dans ces entreprises.
leur impact sur la compétitivité. Dans cette optique, il y On y rentre pour faire carrière toute la vie. Les entre-
a lieu de distinguer deux cas de figure : prises duales se trouvent actuellement dans l’obligation
Certaines entreprises ont fait ce choix par anticipation d’opérer des ajustements structurels de leurs effectifs et
de l’évolution de la concurrence sur leur marché et en de leurs compétences pour prendre en considération
pariant sur la valorisation et la mobilisation du facteur l’évolution des métiers, les exigences de rationalisation,
humain en tant qu’atout de compétitivité. de performance… Les départs à la retraite pour limite
En revanche, d’autres entreprises, principalement des d’âge ou négociés et les quelques opérations d’externa-
PME sous-traitantes, modifient leur approche de la lisation d’activités ne sauraient désormais plus suffire
GRH (notamment en terme de critères de qualité) sous pour résorber les surplus d’effectifs. Cela nécessite des
les contraintes de donneurs d’ordres, ce qui constitue plans d’ajustement de grande envergure que les direc-
bien souvent pour elles, un investissement financier tions générales hésitent à engager par crainte d’une
considérable (Baayoub, Zouanat, 2005). forte opposition syndicale. Les relations sociales sont
relativement stabilisées et les mécanismes de régulation
3.3.3 - Les entreprises en situation de repli (PME, TPE) sociale établis par accords d’entreprise fonctionnement
Parler de situation de repli renvoie à l’attitude de résis- avec efficacité pour contenir et régler les situations de
tance adoptée par des chefs d’entreprises qui se refusent tension sociale. Cette « efficacité sociale » a un coût,
à prendre des engagements à risque, à relever le défi de elle se fait au détriment de l’efficacité économique dans
l’ouverture. Ces entreprises sont habituées à des années la mesure où certaines réformes économiquement
de protectionnisme, aux pratiques de contournement et indispensables ont du mal à se mettre en place en raison
au laxisme des services de contrôle lorsqu’il s’agit de de leur sensibilité sociale. La GRH au sein de cette caté-
faire respecter la légalité en matière sociale. Ce mode gorie d’entreprises a connu des progrès importants
de gestion de type familial et paternaliste se distingue durant les deux dernières décennies. Cependant, la
par les principaux éléments suivants : dynamique de transformation de la GRH bute sur deux
- Le maintien du personnel dans une situation de préca- limites majeures.
rité et de dépendance (instabilité de l’emploi, avan- D’une part, la difficulté à mobiliser l’ensemble des
tages salariaux et promotions arbitraires, pratiques acteurs concernés autour de la problématique RH, au
paternalistes…) (Laval et alii, 2000) delà de la sphère des professionnels de la gestion des
- L’encadrement est réduit au minimum et les fonctions ressources humaines. La configuration organisationnelle
clefs sont assumées par le patron lui-même ou de ces entreprises est de type fayolien. À chacun son
confiées à des personnes ayant avec lui des liens de territoire et le traitement des problèmes humains est du
proximité, voire de parenté. ressort de la DRH.
- La gestion des ressources humaines est assurée par un D’autre part, le pouvoir de la DRH, sa capacité à peser
chef du personnel, parfois par un DRH avec des pou- sur les décisions à caractère stratégique, est limitée. Elle
voirs limités et en tout cas sans influence stratégique. se cantonne dans un rôle de mise en œuvre d’une
Ce qui est exigé de lui, c’est surtout la connaissance et certaine politique RH et par conséquent, elle est loin
la maîtrise technique des actes de gestion concernant d’être un acteur stratégique au sens d’Ulrich. Cela
l’administration du personnel, en particulier les s’explique par les enjeux de la GRH au sein de ces
aspects réglementaires et légaux. entreprises, qui sont moins d’opérer un changement que
- Le personnel est généralement soumis et la représen- de gérer un statut quo et de veiller au maintien de
tation syndicale n’est pas bien acceptée. Quand elle l’équilibre des forces entre les acteurs internes les plus
existe, elle est marginalisée, voire combattue. On lui influents au sein de ces entreprises (Baayoub, Zouanat,
préfère « une représentation maison », des délégués 2005).
cooptés (Baayoub, Zouanat, 2005).
3.3.5 - Les services et établissements publics
3.3.4 - Les entreprises entre statu quo et modernisa- Les entreprises publiques présentent des spécificités en
tion (entreprises para-publiques en Europe/ matière de GRH qui sont le résultat de l’environnement
grands groupes au Maghreb) dans lequel elles évoluent. Trois facteurs nous semblent
Deux logiques stratégiques cohabitent et s’affrontent exercer une influence déterminante :
dans ces entreprises. Elles se sont installées (provisoire- 1 - La situation de monopole ou de « concurrence atté-
ment) dans une situation de compromis entre deux nuée » font que les exigences en terme de producti-
forces : le mouvement de modernisation par l’ouverture vité, de qualité de service, de réactivité sont moins
à la concurrence internationale et la tendance à vouloir fortes et n’imposent pas une forte rigueur en matière
tempérer les changements, à prendre en considération de GRH.
les risques de déstabilisation économiques et sociales 2 - La politique exerce une influence importante sur le
que ce processus de restructuration pourrait entraîner fonctionnement de l’entreprise et ce de plusieurs
(Baayoub, Zouanat, 2005). manières. Il y a tout d’abord ce double contrôle
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financier et procédural que les pouvoirs publics tissu industriel italien s’appuie presque exclusivement
exercent au sein des établissements publics et qui sur les petites et moyennes entreprises, la lacune de la
oblige les établissements publics à intégrer des fonction est évidente. De manière générale, il convient
contingences macro-économiques et macro sociales. de noter que la manière d’appréhender les ressources
D’autres part, ces établissements sont aussi sollicités humaines dans les entreprises dépend en grande partie
pour contribuer à des actions de « service public » en particulier dans les PME de la personnalité du diri-
qui ne s’inscrivent pas forcément dans leur stratégie geant. En effet en étudiant la GRH en Italie, Carlo
d’affaires et ne s’inscrivent pas dans une logique de Sirianni (1995) constate que dans les petites et moyennes
gestion rationnelle et efficiente. entreprises, les processus de gestion sont fortement
3 - Le syndicalisme est souvent fortement implanté et dépendants des caractéristiques personnelles de l’entre-
les appareils syndicaux sont partie prenante dans la preneur (sa culture, son éducation, ses compétences).
gestion des services sociaux et sont un interlocuteur Le type de développement de l’entreprise est stricte-
incontournable lorsqu’il s’agit de « faire passer » ment dépendant de la capacité de l’entrepreneur à
des projets de réforme socialement sensibles. s’adapter aux changements de l’environnement. Ceci
par opposition au professionnalisme des managers des
La plupart des établissements publics disposent d’une ressources humaines qui peut être observé dans les
direction des ressources humaines qui mobilise des grandes entreprises (Zghal, 1995).
moyens humains et matériels importants du fait du L’écart est en train de se réduire entre les différents pays
poids des prestations sociales que ces entreprises offrent Méditerranéens. Depuis 1996, La Tunisie, par exemple,
à leurs salariés, de la nécessité de se conformer à certain bénéficie d’un programme de financement important
légalisme procédural (du fait de leur appartenance au soutenu par l’Union Européenne qui vise à favoriser la
secteur public) et la disponibilité qu’exige la gestion des mise à niveau des entreprises tunisiennes en particulier
relations sociales. La marge de manœuvre pour mettre en matière de GRH. La Slovénie, après l’ouverture du
en œuvre une politique des ressources humaines dyna- pays à l’économie de marché a rapidement comblé son
mique se trouve de ce fait limitée. Le peu d’autonomie retard en matière de GRH. En revanche, l’Algérie,
dont ils disposent, en matière salariale par exemple, les malgré une marge de manœuvre plus importante laissée
empêche de faire de la politique de rémunération un aux entreprises depuis 1988, accuse un certain retard
levier de motivation du personnel ou pour attirer des par rapport aux pays de la rive nord de la Méditerranée.
cadres à haut potentiel (Baayoub, Zouanat, 2005). Dans tous les pays, on note une évolution rapide de la
fonction Ressources Humaines ces dernières années qui
a été accélérée par l’utilisation grandissante des nouvelles
Conclusion technologies des deux côtés de la Méditerranée. Ces
évolutions technologiques ont permis aux managers de
gagner du temps sur les tâches administratives et de se
recentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée. Un
Depuis les années 90, une certaine convergence des pra- mouvement de professionnalisation de la fonction est
tiques de ressources humaines dans les différents pays également en marche dans tous les pays du bassin
Méditerranéens est donc à l’œuvre. En effet, les mêmes Méditerranéen avec des professionnels de ressources
outils sont utilisés des deux côtés de la Méditerranée et humaines de plus en plus spécialisés en ressources
l’ensemble des pays de la Méditerranée est influencé humaines et de plus en plus diplômés. Les DRH
par les dernières innovations en matière de management Méditerranéens occupent dans tous les pays une place
avec un petit bémol pour l’Algérie où la faible ouverture grandissante au sein de l’entreprise et sont de plus en
de l’économie freine le développement de la fonction plus nombreux à siéger dans les conseils d’administration.
RH. Cependant, quels que soient les pays concernés, il Tous les pays Méditerranéens ont évolué ou évoluent
existe un écart très important entre les multinationales d’une gestion des ressources humaines purement admi-
et les PME en matière de GRH. En effet, dans un pays nistrative vers une gestion des ressources humaines plus
comme le Maroc, les multinationales sont au niveau des stratégique.
meilleures entreprises américaines et européennes. Par
contre, le fossé est immense entre la PME marocaine et
la multinationale marocaine. Le constat est quasiment
similaire en France, en Espagne et en Italie. En effet, Discussion
d’après le cabinet de conseil Ernst & Young
Entrepreneurs lors d’une enquête menée début 2003, De manière générale, la fonction RH est donc passée
seule la moitié des PME françaises possèdent un service d’une période à basse complexité gestionnaire où les
RH digne de ce nom. Encore aujourd’hui, en Italie, modèles d’organisation étaient peu nombreux et très
seules les entreprises de plus de 300 employés possè- structurés (taylorisme, fordisme...), à une période, à
dent une véritable fonction RH. Si l’on considère que le partir des années 90, où l’on trouve une multiplicité de
137
Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
Lucas DUFOUR - Adel GOLLI
modèles et de manières d’appréhender l’organisation. Méditerranée. Celui-ci largement influencé par les
Ainsi, avec l’émergence de la mondialisation des mar- facteurs néo-institutionnels de chaque pays, peut aider
chés, la fonction RH doit dorénavant jongler avec diffé- les entreprises à relever le défi de la compétition mana-
rents modèles d’organisation et surtout avec des variables gériale au niveau de la fonction RH en contribuant à
méconnues dans le passé, comme les consommateurs, l’enrichissement mutuel des entreprises évoluant dans
les actionnaires, les fournisseurs, les concurrents, mais, des milieux différents (Yahiaoui, 2005). Cet avantage
surtout, le nouvel « œil social » qui surveille les entre- compétitif permettra non seulement à l’entreprise
prises et qui souvent se fait appeler Responsabilité d’avoir un potentiel unique difficile à imiter par les
Sociale des Entreprises. Les mêmes attentes et les concurrents (Flood P.C et al 2003) mais également de
mêmes contraintes dans tous les pays font que le mana- continuer à offrir une cohérence globale de ses
gement des ressources humaines s’impose dorénavant pratiques vis-à-vis de la culture locale. La prise en
dans tous les pays du bassin Méditerranéen avec les compte du caractère contingent de chaque culture est un
mêmes techniques et outils utilisés partout. Mais bien élément essentiel dans le contexte de mondialisation et
souvent ceux-ci sont adaptés au contexte local pour être de convergence des économies et des modèles de mana-
pertinents. La théorie du « one-best way » semble donc gement. Ainsi, pour parvenir à résister aux pressions
avoir fait son temps. convergentes de leur environnement, les entreprises
La culture locale est donc devenue une variable cruciale doivent donc se différencier toujours plus, notamment
qu’il convient d’intégrer à toute politique de ressources en développant des politiques de ressources toujours
humaines. En effet, les différences entre les pays de la plus contingentes vis-à-vis du contexte dans lequel elles
rive Nord et la rive Sud de la Méditerranée sont assez évoluent.
marquées. De nombreuses études ont montré l’impor-
tance dans les pays du Maghreb de l’appartenance
sociale, de la croyance au « maktoub » (le destin), de la
communication orale, du paternalisme, de la recherche
de l’égalité- dignité, du pardon et de la « clémence divi-
ne », de la recherche du flou et de la déréglementation,
mais aussi un fort sens du collectivisme, l’importance Bibliographie
du prestige social et la dominance du sentiment de fierté
(Zghal, 2003a). Ces valeurs se distinguent en partie de
la culture plus individualiste et « laïque » des pays de la ADLER N.J., DOKTOR R. AND REDDING S.G.
rive Nord. Cependant, on peut affirmer que les pays (1986), From the Atlantic to the Pacific Century :
Méditerranéens partagent des valeurs communes et une Cross-cultural Management Reviewed, Journal of
culture proche. En effet, si l’on reprend l’étude Management, 12(2):295-318.
d’Hofstede (1983) menée auprès de 53 pays. On se rend
bien compte des similitudes des pays du bassin AMBLARD H., BERNOUX P., HERREROS G.
Méditerranéen : tolérance de l’incertitude et de l’ambi- LIVIAN Y.F. (1996) « les nouvelles approches sociolo-
guïté, acceptation que le pouvoir soit inéquitablement giques des organisations », Editions des Seuil, Paris.
réparti, en particulier dans les pays arabes, importance
accordée à la qualité de la vie dans le travail (l’Italie se AMEZIANE H. ET ALII. (1999), L’intégration de la
démarque des autres pays par une tendance à un certain gestion des Ressources Humaines dans les relations de
matérialisme, à l’affirmation de soi, au goût de l’exerci- partenariat industriel France-Maroc, Université Cadi
ce du pouvoir, et à la valorisation du travail par rapport Ayyad, séminaires et colloque n° 12.
aux autres activités). La seule différence culturelle
majeure entre les pays Méditerranéens concerne la AMEZIANE H., BENRAISS A., BENTALEB C.
notion d’individualisme-collectif. En effet, la France et (2000), « Pratiques de GRH dans les entreprises maro-
l’Italie se caractérisent par un individualisme fort, alors caines partenaires d’entreprises françaises », in : Audit
que le Portugal et les pays arabes possèdent des cultures Social et progrès du management, 2e Université de prin-
plus collectivistes, l’Espagne se situant à mi-chemin temps de l’IAS, Marrakech.
entre les deux. En s’appuyant sur ces similarités mais
aussi sur la richesse de leurs différences, les pays BEN FERJANI M. (1998), « La Gestion des
Méditerranéens ont donc tout intérêt à faire émerger des Ressources Humaines dans quelques entreprises perfor-
pratiques hybrides en matière de ressources humaines. mantes », in : Zghal, R., La gestion des entreprises,
Le mécanisme d’hybridation qui peut être défini contexte et performance, Centre de Publication
comme l’émergence d’un nouveau modèle de manage- Universitaire, Tunis.
ment suite à la rencontre de deux systèmes ou de deux
forces (d’imposition et d’adaptation) se présente donc BEN FERJANI M., EZZERELLI F. (2001), « Les
comme un outil unificateur du modèle RH dans l’Euro- pratiques de GRH dans les entreprises tunisiennes per-
138
Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
Lucas DUFOUR - Adel GOLLI
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140
Vers une convergence « contextualisée » des pratiques RH dans l’espace Euroméditerranéen
Lucas DUFOUR - Adel GOLLI
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141
Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves DUYCK - Serge GUÉRIN
de la réinsertion :
« Il y a encore six mois, je n’aurais pas imaginé l’inté-
rêt de mener des missions courtes et encore moins
d’accepter de négocier autant à la baisse mes revenus »,
a constitué un leitmotiv tout au long des entretiens.
le cas des seniors L’objet de cet article est double : a) s’intéresser à ceux
qui n’auraient jamais dû connaître une situation
d’exclusion : les seniors à haut potentiel, qui, eux aussi,
à hauts potentiels
subissent les effets du regard déprécié sur la prise d’âge,
se retrouvent évincés après avoir occupé des fonctions
visibles et souvent enviables ; b) proposer quelques
pistes pour un audit de réinsertion alors qu’ils sont
face à l’intérim
parfois amenés à s’interroger sur des reprises d’activité
dans des situations précaires qu’ils n’auraient jamais
imaginé avoir à assumer.
Le questionnement général est moins un regard vers le
passé (comment ces seniors ont pu se retrouver dans
une telle situation ?) que d’apprécier dans quelle mesure
ils envisagent leur avenir professionnel et accessoire-
ment personnel dès lors qu’une opportunité réelle mais
Jean-Yves Duyck atypique : l’intérim, leur est proposée. Il est clair que
Professeur l’intérim peut constituer aussi bien un sas qu’une
Université de La Rochelle impasse. La formulation de la question de recherche
[email protected] peut être faite comme suit : est-il possible de procéder à
un audit du potentiel de réinsertion de ces cadres dans
Serge Guérin un contexte de précarité ? En d’autres termes, peut-on
Professeur réaliser quelques typologies servant à auditer les attitu-
des des SHP face à la prise d’âge et à la situation de
ESG et au CNAM
dépossession du cadre professionnel habituel ?
[email protected] La notion de cadre et de senior à haut potentiel tient,
dans ce document, une place particulière. Nous lui
consacrerons la première partie de cet article. La
deuxième partie propose les résultats du travail de ter-
rain.
1. Au sujet de l’audit
des hauts potentiels
1.1 - Un audit délicat
143
Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves DUYCK - Serge GUÉRIN
potentiel » se caractérise par le secret et par la réversi- Dans ces conditions, l’audit ex ante de la probabilité de
bilité dans la mesure où l’on cherche à éviter le « syn- réussite d’un SHP dans un poste précaire relève d’un
drome du Prince de la Couronne ». L’audit doit pourtant pari particulièrement risqué. Avant de retracer cette
être précoce (ibid. : 23) sachant que l’on doit être capa- tentative dans la partie empirique infra, il est nécessai-
ble de préparer ces personnels à exercer leur rôle de re de présenter le design de cette recherche
futur dirigeants de l’entreprise. Cinq critères de détec-
tion sont couramment utilisés : la performance ; la 1.2 - Le design général de la recherche
personnalité ; le repérage par la hiérarchie ; la mobilité ;
la motivation (ibid. : 24). 1.2.1 - Sur la posture générale et la notion d’audit
L’insistance sur les variables de personnalité est cons- Dans l’ensemble, la posture générale est de nature com-
tante. Le CHP doit posséder (Bournois et Roussillon, préhensive, car si le champ théorique est bien analysé,
1998 : 61) : « l’esprit d’entreprise, l’influence person- la particularité de la population étudiée : des seniors
nelle, […], la capacité à prendre des risques, […], la « haut de gamme » face à l’intérim constitue un domaine
construction d’une vision de l’avenir et la capacité à la d’investigation encore inexploré. Il conviendra donc de
faire partager, […], la capacité à déléguer, à négocier, à rester prudent sur la question de la généralisation des
animer les réseaux, à être créatif, à gérer la complexité, résultats.
etc », bref une solidité mentale particulière et même Ce travail évolue à mi-chemin entre recherche acadé-
« l’aptitude à une mobilisation amoureuse globale » mique et recherche appliquée (voire prescriptive) dans
(ibid. : 63) envers son entreprise. la mesure où le cabinet qui l’a initiée attendait des
Pour les femmes, qui ne représentant guère que 10 % de auteurs un certain nombre de recommandations dont
ces cadres, s’ajoute l’aptitude à mobiliser les réseaux l’essentiel est retranscrit. Ce faisant, il se situe aussi
(Laufer, 2005 : 31) pour accéder au groupe des cadres à dans une logique d’audit.
haut potentiel. Concernant le concept d’audit, l’auditeur « tradi-
C’est dire le nombre de défis que doivent relever les tionnel » aura certainement du mal à s’y retrouver car il
hauts potentiels et le caractère quasi-héroïque du label. ne répond pas aux critères courants de l’audit (confor-
C’est dire aussi la complexité de la situation pour ceux mité, pertinence, d’efficacité). Le travail proposé s’ins-
qui se retrouvent exclus du cursus honorum. crit cependant dans un processus général de diagnostic
de la politique de gestion des compétences de la firme
1.1.2 - De l’exclusion du cursus honorum et de suggestion d’orientations. Il s’agit en effet de
Ces défis, bon nombre de hauts potentiels les ont rele- dégager des indicateurs permettant de détecter, parmi
vés, mais, du fait de leur séniorité, se sont retrouvés les seniors CHP, ceux susceptibles de se réinsérer
évincés de ce cursus. En effet, tous ceux qui font convenablement dans d’autres structures et éventuelle-
l’objet de ce travail, ont fait partie des Comités de ment de bénéficier d’effets d’aubaine via l’intérim. On
Direction éventuellement élargis, ont été investis d’une peut, à ce propos, rappeler les idées de R. Vatier, selon
responsabilité dans le développement stratégique de lesquels « l’audit est à la fois un instrument de sécurité
leur organisation et ont pu jouir d’un haut degré d’auto- dans le pilotage d’une politique RH et une voie de pro-
nomie (Bournois, 1998 : 12-13). Le qualificatif de haut grès pour tous » (Personnel, n° 332, mai 1992, 6-12).
potentiel dans ce cas repose non plus sur un raisonne-
ment probabiliste, mais sur le cursus réel de ces cadres 1.2.2 - La méthode proprement dite
(cf. infra : méthodologie). Malgré leur expérience et la Dans un contexte (l’intérim) et face à une population
force probante de leur parcours et de leurs réalisations, (SHP) aussi particuliers, cette recherche a été menée
ils n’ont pu échapper aux processus de dévalorisation et dans le cadre du protocole de l’analyse empirique déve-
d’apartheid qui touchent les seniors. loppée par Mucchielli (2004). Il s’est agit de mener une
De manière générale, l’enquête menée par QuinCadres démarche de type monographique à travers une série
(Personnel, n° 464, nov. 2005) sur les classes d’âge d’entretiens semi-directifs.
situées entre 40 et 60 ans conforte le sentiment général
de pessimisme face à l’emploi, malgré la pénurie de 1.2.2.1 - Le cadre général de l’enquête
cadres liée aux départs en retraite. Un faible pourcen- Les personnes rencontrées l’ont été dans le cadre et au
tage (9 %) estime que leur vie professionnelle va se sein du cabinet Boyden Intérim Exécutive qui a sollicité
poursuivre sous forme de CDI et si 88 % des cadres ce travail. Boyden Intérim s’est installé sur le créneau
d’entreprise sont prêts à accepter des missions tempo- dit du « management de transition » pour des dirigeants
raires, la plupart sont conscients des difficultés inhérentes de haut niveau. On peut lire sur le site de la société la
à ces missions et du risque de perte de statut qui les présentation suivante : « Boyden dispose d’un vivier de
accompagne. Si les avantages sont envisagés (variété managers opérationnels de premier plan dont bien sou-
des missions, savoir-faire nouveaux, etc.) 55 % consi- vent les compétences et les références professionnelles
dèrent qu’il s’agit avant tout d’une étape dans la quête sont très supérieures au niveau de la mission demandée.
d’un CDI, surtout dès lors que l’on a plus de 50 ans. Une telle surqualification assure le succès de l’Intérim
144
Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves DUYCK - Serge GUÉRIN
Management ». Ce cabinet a manifesté un intérêt cipalement d’Ecoles de Commerce (50 %), ou d’écoles
professionnel probablement soutenu par une histoire d’ingénieurs (28 %) et, pour un certain nombre (22 %)
personnelle. À titre professionnel, le Directeur Général proviennent de l’enseignement universitaire.
de Boyden Intérim Exécutive jugeait nécessaire de L’ensemble de ces seniors occupe ou a occupé des
mieux saisir les motivations et les attitudes des person- postes de direction et 70 % participent ou ont participé
nes qu’il cherchait à proposer aux entreprises. Un tel au Comité exécutif de l’entreprise. Ils ont pu effectuer
intérêt procède d’une dimension stratégique, dans la des carrières brillantes et, pour plus des trois quarts des
mesure où elle permet à l’entreprise de se distinguer des salariés rencontrés, ont évolué dans plusieurs entrepri-
cabinets concurrents en montrant une expertise supplé- ses et sont passés par plusieurs types de fonctions et de
mentaire. Sur le plan personnel, le Directeur Général a responsabilités. Ils ont connu une progression sensible
subi lui même des difficultés de cette nature puisque dans la hiérarchie même si pour la moitié, ils ont eu le
qu’il fût licencié de la vice-présidence de la filiale fran- sentiment d’atteindre un plafond (Falcoz, 2005) et pour
çaise d’un groupe international à 58 ans. Faisant le 80 % d’entre eux, n’auraient jamais pensé connaître des
constat de la très grande difficulté à retrouver un poste difficultés de recherche d’emploi. L’âge moyen des
équivalent vu son âge, il a rapidement créé sa société en cadres rencontrés (52,61 ans) se situe dans le mode du
association avec le cabinet international de recherche de « portefeuille » Boyden. L’échantillon complet est
dirigeants Boyden Global Executive Search. décrit dans l’annexe 1
On s’en rend compte, le corpus choisi, induit un posi-
1.2.2.2 - La spécificité de la population tionnement élevé et permet de comprendre, ex post, au
Les personnes s’adressant à Boyden Interim Executive vu des cursus, qu’il correspond bien au concept de
répondent à un type de profils assez homogène au senior à haut potentiel.
regard de quatre critères :
! Le sexe, puisque l’on ne trouve pour ainsi dire que 1.2.2.3 - Déroulement des entretiens, nature
des hommes. du matériau recueilli et l’exploitation
des données
! L’âge : il se situe entre 45 et 57 ans, et le mode dans Les entretiens individuels avaient pour objet de faire
la tranche 53-54 ans ; c’est au sein de cette tranche ressortir les parcours de vie professionnelle et les prin-
que le sentiment de plafonnement de carrière (Falcoz, cipales représentations des seniors. Les personnes
2005) apparaît le plus sensible et que le perception étaient volontaires, après avoir été approchées par le
d’exclusion par l’âge est la plus fortement ressentie et directeur général de Boyden Interim Executive.
réalisée (Guillemard, 2003, Quintreau, 2001 et 2005).
C’est aussi la période où les salariés concernés font Il s’agit d’entretiens faiblement directifs où l’échange et
un point sur leur vie personnelle et professionnelle. la discussion s’est voulu libre, laissant aux personnes
concernées la possibilité d’aborder des sujets dépassant
! La formation : l’essentiel des cadres figurant dans le le cadre professionnel. Il est apparu en effet que souvent
« portefeuille » Boyden (6 000 cadres environ) est derrière la problématique de l’emploi se trouvaient
issue d’écoles d’ingénieur ou de management. aussi des questionnements plus intimes sur le sens que
l’on souhaite donner à sa vie et à la suite de son
! L’expérience, la carrière et un certain haut potentiel : parcours personnel. Les entretiens se sont déroulés en
ils sont pour la plupart issus de grands groupes, ont deux temps : un récit de vie professionnelle (Bertaux,
fait leur carrière dans des filiales de firmes multina- 1997) était complété par une projection sur l’avenir, tant
tionales et tous exercent ou ont exercé des responsa- professionnel que personnel. Ce dernier point s’est
bilités de direction. appuyé sur l’apport méthodologique d’Aznar (2005)
relatif aux des techniques projectives approfondies. Les
Dix-huit entretiens individuels en face-à-face ont été entretiens comportaient différents compléments sur le
réalisés à Paris dans les locaux de la société Boyden, la ressenti des personnes rencontrées vis-à-vis du regard et
durée des entretiens s’étalant entre 1h et 2h30. Au bout de la considération accordée aux salariés dits « seniors »
de ces entretiens un effet de saturation est apparu, le par l’entreprise et les services de ressources humaines.
chercheur ayant la certitude de ne rien apprendre de Les matériaux obtenus sont composés de notes prises
nouveau. Une table ronde, organisée aussi par l’inter- durant les entretiens de synthèse et, chaque fois que
médiaire de Boyden Interim Executive, avec quatre possible, de verbatim. A la demande de Boyden Intérim
DRH de grandes entreprises a confirmé ce constat et les Exécutive il a été indiqué dès le départ que les entretiens
pistes proposées par les entretiens. étaient anonymes et non enregistrés, dans la mesure où
Les cadres interviewés possèdent, à une exception près, certains cadres possèdent une réelle notoriété relayée
un niveau bac + 5. En outre, plus de 80 % d’entre eux par la presse professionnelle. L’exploitation a été réali-
ont bénéficié de formations diplômantes, généralement sée par une analyse de contenu en procédant par caté-
de langue mais aussi de management. Ils viennent prin- gorisation des thèmes (Bardin, 2001).
145
Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves DUYCK - Serge GUÉRIN
Compétence +
Aire des réponses « opportunistes »
Démotivés
Intériorisation idéologie
de dévalorisation des
seniors
Passivité Volontarisme
Energiques
Toniques
Opérationnalité hors
structure salariée
Déphasés
En décalage face à la
nouvelle organisation
de l’entre rise
Compétence -
Cartographie n°1 : les représentations des seniors à haut potentiel en recherche de travail
146
Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves DUYCK - Serge GUÉRIN
« déphasés » se sentent aussi mal à l’aise face aux évo- 2.2.2.1 - Les « énergiques »
lutions techniques. « J’ai envoyé beaucoup de gens en Les « énergiques » se caractérisent par une grande toni-
formation, mais je n’ai jamais postulé pour mon propre cité et la volonté de poursuivre leur parcours profes-
compte, cela d’ailleurs n’aurait pas été bien vu ». Ils sionnel de façon proactive. Ils demeurent ouverts à
espèrent retravailler à plein temps et recherchent un toute forme d’activité et ne sont pas arc-boutés sur la
CDI qui représente pour eux le seul contrat garant de la nécessité de retrouver un contrat de travail identique à
reconnaissance de leurs compétences. Ils attendent, celui qu’ils ont connu. Beaucoup comprennent qu’ils
d’un statut de salarié à part entière, de retrouver une restent avant tout des managers de terrain (site ou usine
respectabilité sociale. Toutefois, ils restent assez passifs par exemple), et se tournent alors spontanément vers les
comme s’ils espéraient que la solution vienne de l’exté- missions de transition. « Je fonctionne en fonction des
rieur, de l’Etat par exemple « J’ai plus de 32 ans challenges que je me fixe et obtenir des résultats sur
d’expérience professionnelle, on me doit de me retro- une mission opérationnelle de six mois me correspond
uver un poste », ou encore : « Je n’ai pas fait tout ce parfaitement ». Ces seniors sont stimulés par les objec-
chemin pour finir en intérim ». Boyden ou un autre tifs à atteindre et mesurent à cette aune leur réussite et
prestataire ne constitue à leurs yeux qu’une étape dans leur positionnement social. Ils désirent souvent
la reconquête d’un emploi. Certains vont l’exprimer s’affranchir des lourdeurs des grands groupes. « Je vou-
sans ambiguïté : « Je dois gagner du temps ». drais me tester sur un projet dont je serai responsable
de A à Z ». « À l’âge que j’ai, je n’ai plus rien à prou-
2.2.1.2 - Les « démotivés » ver mais j’ai envie de connaître d’autres situations
Les « démotivés » considèrent l’intérim comme une professionnelles même si elles me mettent en danger ».
solution transitoire préalable à la retraite. Ils ont entre Certains souhaitent reprendre une entreprise. « J’ai
55 et 58 ans et, avec les assouplissements possibles de envie d’être mon propre patron » revient régulièrement
la loi Fillon, ils conservent l’espoir d’être « sauvés » par chez ces SHP. Il ressort des entretiens qu’ils savent
le régime Assedic jusqu’à l’obtention des quarante toutefois qu’ayant jusqu’ici toujours pratiqué au sein de
années de cotisations. « Pour retrouver un CDI, il vaut structures hiérarchiques, ils peuvent rencontrer des
mieux être en poste ou en mission, mais j’espère surtout difficultés pour convaincre de leur capacité à tenir des
pouvoir faire valoir mes droits à la retraite ; des collè- missions ponctuelles demandant une forte capacité
gues à peine plus âgés y ont eu droit, pourquoi pas d’entraînement.
moi ? ». Ils ont, d’une certaine manière, abdiqué face à
l’emploi et ne possèdent plus, pour ainsi dire, aucune 2.2.2.2 - Les « experts »
ambition professionnelle. « Je cherche une solution en Les « experts » se distinguent des énergiques au sens où
attendant d’être mis à la retraite, je l’ai mérité » ou ils n’aspirent pas à prendre des responsabilités opéra-
encore : « j’en ai assez d’être traité comme un pion ». tionnelles, mais, comme eux, recherchent de nouvelles
L’analyse des entretiens montre que, contrairement aux conditions d’exercice de leur métier. Les missions de
« déphasés », les « démotivés » restent confiants dans transition de type conseil sont une façon de pouvoir se
leur niveau de compétence, mais qu’ils sont avant tout prouver leur capacité à « voler de leurs propres ailes ».
aux prises avec une certaine fatigue morale et ont, ipso Ils sont à la recherche d’un statut de consultant. Les
facto, perdu une bonne part de l’agressivité nécessaire « experts » se perçoivent comme des accompagnants ou
pour exercer la plénitude de leurs fonctions. des développeurs relativement indépendants des struc-
Dans l’ensemble, ces deux catégories ont accepté l’idée tures hiérarchiques traditionnelles. « Vu mes antécé-
qu’il serait difficile pour eux de retrouver du travail dents, je suis capable d’aller très vite pourvu que l’on
autrement que par la voie de l’intérim, et cherchent ne passe pas sa vie à me demander des reporting inuti-
d’abord à réduire leur situation d’inconfort social, ce les ». Sûrs de leurs compétences, les experts cherchent
qui n’est pas le cas des « opportunistes ». à gérer au mieux de leurs intérêts propres la suite de leur
parcours professionnel.
2.2.2 - Les « opportunistes »
Ils constituent le tiers complémentaire de la population Disposant d’un savoir-faire reconnu qui les situe dans le
figurant dans les listings de Boyden. Ils sont « opportu- haut de l’axe de compétence, les « experts » possèdent
nistes » en ce sens qu’ils considèrent l’intérim manage- aussi un regard critique vis à vis des projets d’entreprises
ment comme une réelle opportunité et, pour certains, et de ses lourdeurs. Ces seniors se vivent en rupture
comme un nouveau tremplin. Ils s’inscrivent dans une avec le salariat, les structures considérées comme com-
perspective de carrière ascendante et font de la recherche plexes et usantes de l’entreprise : « maintenant je n’ai
de missions de management de transition un mode de plus envie de supporter les contraintes des grosses
vie leur permettant de réaliser leurs projets personnels structures, j’ai un savoir-faire monnayable qui peut me
tout en conservant une vie professionnelle valorisante et permettre de gérer mon temps comme je le veux ». Ils se
motivante. Là encore, on peut noter deux grandes voient en consultant pour pouvoir poursuivre une
catégories de représentation de l’avenir. activité professionnelle qui leur apporte de nombreuses
147
Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves DUYCK - Serge GUÉRIN
satisfactions tant sur les plans financiers que symbo- ces, ayant déjà du mal à se démarquer de la logique de
liques dans le but de combiner estime de soi, revenus et poste, devient on ne peut plus volatile dès lors qu’il
souplesse dans l’organisation. « Pouvoir me mettre à s’agit des seniors. Ceux-ci subissent de plein fouet, quel
mon compte et gérer à ma guise mon temps ou que soit leur niveau ou leur potentiel les représentations
m’investir à fond sur des missions du genre six mois et liées à l’âge. Le potentiel prend alors une simple dimen-
ensuite reprendre le bateau pour un tour du monde, sion rhétorique ou idéologique (ibid. : 25), utilisée
c’est ce dont j’ai envie aujourd’hui ». Ils peuvent et précisément pour stigmatiser ceux qui atteignent la cin-
veulent poursuivre une activité professionnelle au-delà quantaine, quels que soient leurs mérites et leurs par-
de 60 ans et même après 65 ans. « Je ne veux pas jouer cours. Ce qui est en jeu, c’est bien le défaut de prise en
les SOS Papy », « J’ai 61 ans et je me sens en meilleure compte du vieillissement démographique, le repli vers
forme qu’il y a dix ans ». les solutions d’exclusion, la déficience des stratégies
d’inter-génération remettent en cause, nolens volens,
Cette typologie des diverses attitudes des seniors à haut l’opérationnalité de la GPEC et des théories d’appren-
potentiel a pour objectif essentiel de faire ressortir les tissage organisationnel.
principales postures face à un travail précaire, et en
induire les possibilités de réinsertion pour des cadres On notera aussi combien le cadre théorique proposé par
exerçant ou ayant exercé d’importantes responsabilités. le Modèle des Ressources et des Compétences
(Tywoniak, 1998) qui postule que « l’avantage concur-
2.2 - Discussion rentiel ne réside pas nécessairement dans l’exploitation
d’une position dominante [...] mais dans la valorisation
La discussion des résultats peut-être menée à la fois supérieure de ses ressources » (ibid: 173) est oublié dès
sous l’angle de l’intérêt pour la recherche et de celui du lors qu’il s’agit des seniors. On rappellera, pour mémoire,
praticien. que a) les seniors peuvent être détenteurs de compétences
rares, non substituables, non imitables par les concur-
2.2.1 - Intérêt pour la recherche rents, permettant d’obtenir des performances très sou-
Du point de vue de la réinsertion via une situation pré- vent supérieures, et que b) leur disparition constitue un
caire, il est possible de réaliser un audit certes atypique, facteur de fragilisation de la firme.
à partir des représentations de l’avenir personnel et
professionnel des seniors ayant exercé des fonctions de 2.2.2 - L’intérêt pour le praticien
niveau élevé. Seules deux catégories (énergiques et Il a été précisé en introduction que ce travail, répondant
experts) apparaissent suffisamment ambitieuses pour à une demande de conseil, possédait une vocation pres-
être réinsérables et l’audit devrait permettre de diagnos- criptive. Le premier apport de cette typologie concerne
tiquer la posture des cadres face à l’intérim. Deux gran- l’appréhension de la diversité des attitudes et des repré-
des catégories sont envisageables : logique proactive et sentations des publics seniors. Ce constat doit inciter les
l’intérim se situe dans une logique de « parachute services RH à éviter une approche trop globalisée de ces
ascensionnel » ; passive ou attentiste et la logique est salariés, mais à adopter une démarche circonstanciée et
celle de « parachute ventral ». adaptée. Elle peut s’articuler, classiquement, autour de
trois axes majeurs : information, formation, communi-
La qualification de haut potentiel se perd vite, et s’il cation - motivation.
n’existe pas de « bas potentiel » (Bournois et
Roussillon, 1998) ce qui est en jeu est l’anticipation par 2.2.2.1 - Information
les firmes de leurs besoins et des capacités de réinser- Une large partie du public des salariés senior, a d’abord
tion de ces seniors. In fine, ce qui est en cause est la besoin d’un bilan de compétence complet, afin de
détection, par les firme, des potentiels réellement dispo- mesurer l’éventuelle obsolescence des compétences. Il
nibles via la GPEC. s’agit tout d’abord de donner à la personne les informa-
Ce qui est en cause est aussi le champ de la GPEC : la tions nécessaires, pour établir de façon la plus ration-
détection et la reconnaissance des compétences avec ce nelle possible les scenarii d’actions à mettre en œuvre.
qui l’accompagne : la gestion des potentiels. Ces der- Il est apparu que même face à des SHP, les services de
niers semblent disparaître sous le double effet de la DRH sont confrontés à des publics, qui, pour les deux
séniorité (ce qui n’était pas évident), et de son pendant : tiers d’entre eux et du fait de leur catalogage en «
l’éviction (ce qui l’était plus), qui créent ainsi une posi- senior », ont été petit à petit évincés et ont ainsi perdu la
tion de vacuité. Ces situations d’exclusion étaient pro- visibilité sur leur avenir. Se manifeste alors un besoin
bablement évitables. La GPEC, qu’elle soit prévision- de formation et de remise à niveau.
nelle ou préventive, concernant des cadres au cursus
exemplaire sous bien des aspects aurait dû être au cœur 2.2.2.2 - Formation
de l’évaluation des potentiels. Concept en état de crise Dans un deuxième temps, des formations liées à
selon Gilbert (2003 : 21 ; 24), la gestion des compéten- l’acquisition de savoir-faire techniques pourront, selon
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Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves DUYCK - Serge GUÉRIN
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Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves DUYCK - Serge GUÉRIN
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pp. 11-31.
150
Pour un audit de la réinsertion : le cas des seniors à hauts potentiels face à l’intérim
Jean-Yves DUYCK - Serge GUÉRIN
Annexe 1
Annexe 1
Légende : ESC : Ecole de commerce recrutant sur concours après les classes préparatoires ; ENI,
Ecoles d’ingénieurs recrutant sur concours après les classes préparatoires ; U : formations
universitaires type anciennes Maîtrise (bac + 4) ou DESS et DEA (bac +5). A : situation d’activité ;
R : situation de recherche d’emploi.1
1 Rémi Barroux, « le CDD senior se heurte à la jurisprudence européenne », Le Monde, 17/12/2005, p.13, non repris en bibliographie
151
La mobilisation des personnels et les dispositifs de participation des ressources humaines dans les SCOP de taille moyenne
Stéphane FAUVY
La mobilisation Introduction
des personnels
Dans la diversité des modalités d’organisation, les
sociétés coopératives de production [SCOP] occupent
une place particulière. D’une part leur statut juridique
est la résultante d’une évolution historique originale
de participation
latifs dont l’application se traduit par un certain nombre
de principes. Il s’agit notamment des principes d’asso-
ciation volontaire, de double qualité [selon lequel les
sociétaires doivent être salariés], de la répartition des
des ressources
résultats, de l’impartageabilité des réserves et du principe
de gestion démocratique. Au-delà du cadre juridique
dans lequel sont inscrits les principes coopératifs fon-
humaines
damentaux des SCOP, la responsabilité sociale des
sociétés coopératives de production se traduit par une
volonté clairement exprimée de ne pas considérer
l’emploi comme une variable principale d’ajustement
153
La mobilisation des personnels et les dispositifs de participation des ressources humaines dans les SCOP de taille moyenne
Stéphane FAUVY
moyenne [Bataille-Chedotel, Huntzinger, 2002], à l’im- Le phénomène des SCOP est donc marginal dans le
plication et la mobilité professionnelle des cadres vers tissu économique français. Néanmoins, on assiste
l’économie sociale [Mayaux, 2001]. Cependant les étu- depuis quelques années à un retour des entreprises
des sur la gestion des ressources humaines des SCOP coopératives. D’une part la Confédération Générale des
sont peu représentées dans la littérature en gestion, et SCOP fait état de résultats économiques non négligea-
notre travail s’inscrit autant dans la volonté d’améliorer bles en ces temps de crise de l’emploi, d’autre part le
notre connaissance du fonctionnement interne de ces fonctionnement interne de ces entreprises mérite une
organisations que de proposer un cadre d’analyse en attention particulière dans le sens où elles expérimen-
vue de recherches futures. Plus précisément, cet article tent une participation des salariés qui va généralement
traite de la problématique de la mobilisation des au-delà de la pratique des entreprises traditionnelles
personnels et des dispositifs de participation des [Defourny, 1990, p. 55]. Après avoir caractérisé les prin-
ressources humaines dans les sociétés coopératives cipaux traits de cette forme d’organisation et dépeint les
ouvrières de production. Force est de constater que la dispositifs de gestion des ressources humaines associés,
mobilisation du personnel, entendue comme une action nous interrogerons la spécificité des SCOP à l’heure où
orientée vers les objectifs [Louart, 1992, p. 96], est émerge un débat quant à la banalisation ou la capacité
régulièrement présentée comme une réponse indispen- de renouvellement de la gestion de ces entreprises.
sable à la survie et au développement des organisations
depuis les années 19802. Pourtant la question des moda-
lités de conduite et d’orientation de l’action collective 1.1 - Une forme de la distinction
est loin d’être sibylline [Defélix, 1998]. Face à cette coopérative : les SCOP
problématique, la notion d’entrepreneuriat collectif
apparaît comme une source potentiellement pertinente Entre 1994 et 2004, les SCOP sont passées de 1292 à
pour apprécier la manière dont la stratégie, la structure 1600 entreprises, et les effectifs employés de 29 000 à
et les dispositifs de gestion émergent de l’action collec- 36 0003. La Confédération Générale des SCOP qualifie
tive. En d’autres termes il s’agit de questionner la décli- cette croissance régulière de « croissance durable », et
naison de l’entrepreneuriat collectif du point de vue de souligne que cette progression de l’ordre de 20 % des
la gestion des ressources humaines, et plus particulière- structures et du nombre de salariés résulte autant de la
ment des dispositifs de participation des salariés création d’entreprises que du développement d’entre-
traditionnellement retenus dans la littérature. Deux prises existantes. D’une part le statut SCOP est particu-
questions vont guider notre démarche. D’une part dans lièrement adapté au développement des activités de
quelle mesure rencontre-t-on des difficultés de mobili- services peu capitalistiques et dont la valeur ajoutée
sation des personnels alors même que l’entreprise pour- repose majoritairement sur le facteur humain. D’autre
suit une politique affichée et efficace de préservation de part on assiste à une progression notable du nombre de
l’emploi ? D’autre part quels sont les outils de gestion transmission d’entreprises dont les dirigeants arrivent à
disponibles pour stimuler les ressources humaines et l’âge de la retraite et dont les parties prenantes trouvent
comment les faire évoluer ? Dans l’optique d’apporter le statut SCOP adapté à la pérennité de l’outil de travail.
des éléments de réponse à ce questionnement, cette Ce rapide panorama esquissé, force est de constater que
communication s’articulera en deux temps. Après avoir les résultats économiques des SCOP se révèlent large-
précisé et interrogé la spécificité du fonctionnement ment comparables - et dans certains cas supérieurs - à
interne des SCOP, notamment du point de vue de la ges- ceux des entreprises classiques, bien que cette photo-
tion des ressources humaines et des dispositifs de parti- graphie occulte des disparités importantes selon la taille
cipation, nous présenterons les résultats d’une étude des entreprises et les secteurs d’activité considérés
exploratoire menée à partir d’entretiens semi-directifs [Defourny, 1990, p. 64].
effectués auprès de dirigeants de SCOP.
À la question de savoir si les SCOP sont effectivement
une forme d’organisation spécifique, les recherches
tendent à démontrer qu’il est difficile d’ignorer les
1. La specificite du fonctionnement principes coopératifs qui encadrent le fonctionnement
des scop et gestion de ces organisations. La logique duale entre une approche
des ressources humaines déontologique, fondée sur les valeurs et les principes
coopératifs, et une approche utilitariste basée sur la
Les SCOP sont peu nombreuses comparativement à 2 À titre d’illustration, se référer aux travaux sur la culture d’entreprise
l’ensemble des entreprises du secteur privé (moins de (Peters et Waterman, 1983), la modernisation du service public fran-
une pour mille). De même, l’effectif salarié employé çais (Barouch et Chavas, 1993) ou encore la performance et la
dans les SCOP, de l’ordre de 30 000, est faible par rap- pérennité des grandes entreprises (Collins et Porras, 1996).
port aux 14 millions de salariés des entreprises privées. 3 Source : [email protected]
154
La mobilisation des personnels et les dispositifs de participation des ressources humaines dans les SCOP de taille moyenne
Stéphane FAUVY
compétitivité de l’entreprise a été maintes fois évoquée l’entreprise repose sur l’attente que le salarié sera
[Desmoutier, 2003]. Vienney [1994] spécifie les modes d’autant plus amené à contribuer à l’organisation qu’il
de raisonnement dans le fonctionnement coopératif par y percevra personnellement un intérêt pécuniaire
la double place des membres en rapport de sociétariat [Rojot, 1992, p. 89].
(propriété mais aussi adhésion) et en rapport d’activités
(fournisseurs, employés ou clients) avec l’entreprise. Quant aux dispositifs de gestion liés à la participation
L’auteur explique notamment l’émergence de la forme au capital, l’hypothèse sous-jacente repose sur l’idée
coopérative en faisant ressortir un rôle d’agent d’adap- que le salarié sera susceptible de fournir un effort
tation des activités des membres aux règles de l’écono- d’autant plus marqué qu’il aura le sentiment d’investir
mie de marché, et un rôle d’agent de transformation des dans l’entreprise qu’il possède [Rojot, 1992, p. 91]. Il
membres en les faisant accéder collectivement au pou- est nécessaire de souligner que l’accession à l’actionna-
voir de l’entrepreneur. S’inscrivant dans une perspective riat est largement utilisé par les SCOP puisque tout
systémique et dialectique, Vienney [1994] définit le salarié a vocation à devenir associé dans les modalités
fonctionnement coopératif comme la combinaison d’un définies par les associés existants et avec leur accord. Il
groupement de personnes et d’une entreprise, liée réci- faut par ailleurs noter que le remboursement du capital
proquement par un rapport d’activités et un rapport de s’effectue au moment du départ de l’associé à la valeur
sociétariat. Le tableau suivant récapitule les spécificités nominale, que les actions ne sont pas valorisées par le
du fonctionnement des SCOP. marché financier et qu’elles ne sont cessibles qu’à
d’autres organisations du secteur de l’économie sociale.
1.2 - Participation et dispositifs Enfin les modalités de la participation aux décisions de
de gestion des ressources humaines gestion représentent un thème particulièrement fécond
au regard de la littérature abondante et contradictoire
Sans avoir la prétention de passer en revue l’ensemble qu’il a suscité. La participation aux décisions est sou-
des aspects de GRH, il semble pertinent de prendre vent avancée comme une source importante de motiva-
comme point de départ les différentes formes de parti- tion et de coopération entre les membres. L’idée princi-
cipation à l’œuvre dans ces organisations. Ainsi que le pale est que les salariés s’investiront d’autant plus dans
souligne Defourny [1990, p. 185] : « la participation des leur travail qu’ils se sentiront en mesure de peser sur les
travailleurs aux résultats, à la propriété et à la gestion décisions qui les concernent et concernent leur entreprise.
constituent l’essence même du fonctionnement des Dans cette perspective une meilleure circulation de
SCOP, il serait étonnant qu’elle ne soit pas à l’origine l’information permet une meilleure résolution des
d’une partie des différentiels de performance conflits. Un contexte moins conflictuel réduit la rotation
constatés ». et assure une stabilité accrue de la main d’œuvre. Elle
confère également une grande souplesse et procure à
Dans la pratique, les mécanismes de participation aux ces organisations une marge de manœuvre appréciable
résultats des SCOP font l’objet d’une répartition statu- pour négocier des aménagements du temps, des condi-
taire tripartite : 15 % minimum est affecté aux réserves tions de travail et des politiques de rémunération4.
[41 % en 2004], 25 % minimum aux salariés dans le March et Simon [1991] rappellent que la participation
cadre d’accord de participation [48 % en 2004], et le aux décisions de gestion constitue également une
reste aux associés pour un montant inférieur à la part dimension du contrôle. Selon eux, une participation au
travail - la part capital - [11 % en 2004]. Rappelons de moins formelle dans les décisions est une condition de
manière lapidaire que la participation aux résultats de leur acceptation : plus on a le sentiment de prendre part
Groupement de personnes Un homme égal une voix Une action égal une voix
155
La mobilisation des personnels et les dispositifs de participation des ressources humaines dans les SCOP de taille moyenne
Stéphane FAUVY
aux décisions, moins apparaissent latentes les différences en économie de marché, il arrive un point de retourne-
de pouvoir, et plus forte est la tendance à s’identifier à ment où elles sont choisies selon les critères du marché.
l’organisation. En outre la perception d’une participa- De fait le souci de pérennité des entreprises a atténué le
tion individuelle à la prise de décision est équivalente à projet politique et cette transformation s’est poursuivie
une participation réelle et, de ce point de vue, la partici- au point que « ce sont de véritables groupes financiers
pation à la gestion n’implique pas forcément une perte qui apparaissent progressivement comme institution
du pouvoir des dirigeants [Romelaer, 1996]. coopérative typique des économies capitalistes
développées » [Vienney, 1982, p.108]. De plus il a été
montré que l’augmentation de la taille des SCOP peut
conduire à un affaiblissement de la capacité des membres
2. Une apparente spécificite à s’identifier à leur entreprise et à une moindre capacité
2.1 - La mobilisation des personnels : des SCOP d’être perçues par les associés en tant que
telles [Bataille-Chedotel, Huntzinger, 2002, p. 12].
deus ex machina ? De fait, Laville [1992] rappelle que si l’organisation est
Pour certains auteurs, les SCOP apparaissent comme un effectivement productrice de lien social, elle n’en est
terrain d’étude particulier au regard de leurs spécificités pas l’unique niveau. C’est la raison pour laquelle
structurelles et fonctionnelles, et notamment « en tant l’auteur prend en considération l’émergence « d’appar-
que système d’action organisée permettant l’exercice de tenances productives, nées du rapport socio-historique
la démocratie dans l’entreprise » [Caudron, 2003, p.11]. des salariés à leur entreprise, conciliant interconnais-
Pour autant il ne faut pas assimiler trop rapidement sance et engagement sur la prestation qui permet de
démocratie et action collective efficace. Dans l’entre- vivre dans la sphère économique des implications
prise, la démocratie a des vertus mais elle n’a ni les personnalisées tout en donnant droit aux différences ».
mêmes principes que les mêmes moyens qu’en poli- De ce point de vue, les modèles prônant une apparte-
tique : il n’y a pas de détenteur unique de souveraineté nance fusionnelle à l’entreprise et les appels incantatoires
et l’on ne peut pas penser séparément les droits, les inté- à la mobilisation sont voués à l’impasse, à l’instar des
rêts et les responsabilités de chacun. Au demeurant le approches de la culture d’entreprise qui se sont notam-
principe d’égalité formelle des SCOP peut facilement ment heurtées aux acquis théoriques et méthodolo-
être assimilé à un fonctionnement démocratique alors giques de l’individualisme [Castro, Guérin et Lauriol,
qu’un certain nombre de recherches dans les unités 1998, p. 82]. Aussi l’étude de l’entrepreneuriat collectif
d’économie sociale montre que le statut ne saurait cons- requiert une posture théorique particulière et il est utile
tituer une condition suffisante en la matière, voire le de faire référence au cadre d’analyse de la gestion des
postulat de statuts assurant à eux seuls une démocratie contradictions développé par Brabet et al. [1995]. Ce
interne peut gêner la reconnaissance de la divergence de modèle d’analyse de gestion des ressources humaines
logiques, la représentation des divers intérêts, l’implan- rompt avec une conception uniquement instrumentale
tation de contre-pouvoirs, la recherche d’organisation de la gestion des ressources humaines et questionne la
du travail et de conditions d’emploi plus favorables aux nécessaire convergence des intérêts des individus et de
salariés [Calvez, 1998 ; Desmoutier, 2003 ; Laville, l’organisation. Si la GRH est finalisée, elle n’en demeure
2001]. pas moins un ensemble complexe de principes, d’outils
et d’attitudes non forcément maîtrisés par les gestion-
Plusieurs observateurs des structures d’économie sociale naires, d’où la pertinence de prendre en compte
et solidaire ont déjà mis en évidence des formes possi- l’existence des intérêts divergents, des tensions et des
bles de distanciation du lien coopératif. Vienney [1982, incertitudes dans les organisations.
1994] remarque qu’à l’origine de la création, c’est le
groupement de personnes qui a le contrôle sur les 2.2 - L’existence
orientations de l’entreprise. Pourtant, en fonctionnant de processus contraignants
En tant que sociétés commerciales (SA ou SARL), les
SCOP subissent les pressions de l’environnement. De
4 À titre d’illustration, Vienney (op.cit., p. 87) met en évidence une nombreuses approches théoriques ont cherché à carac-
logique complémentaire qui s’applique relativement à la dynamique tériser les relations que peuvent entretenir l’entreprise
conjoncturelle de l’entreprise :« En temps de croissance, la hausse
concomitante des deux types de rémunération - celle du travail et
et son environnement [Rojot, 2003]. Parmi ces appro-
celle de la propriété du capital social - dans la valeur ajoutée démon- ches, le courant néo-institutionnalisme a reçu un écho
tre financièrement que la pratique de l’entrepreneuriat collectif est particulier quant à l’analyse de la dynamique des struc-
une association cohérente du capital et de travail ; en temps de crise, tures d’économie sociale et solidaire [Powell, Friedkin,
le salaire est conservé et c’est la rémunération du capital qui est
annulée pour faire perdurer la structure ; en temps de fragilité, la
1987 ; Laville, 2000]. Dans cette perspective théorique,
rémunération fixe est réduite et la rémunération variable permet les relations entre l’environnement et l’entreprise se
d’accuser les soubresauts des ventes ». traduisent par des phénomènes d’isomorphisme institu-
156
La mobilisation des personnels et les dispositifs de participation des ressources humaines dans les SCOP de taille moyenne
Stéphane FAUVY
tionnel, c’est-à-dire qu’il existe des processus contrai- bilité d’un mécanisme d’apprentissage permettant à cer-
gnants qui forcent les unités d’une population à ressem- taines structures de concilier développement du projet
bler aux autres unités qui affrontent les mêmes et développement économique [Rousseau, 2004 ;
contraintes, sans pour être plus efficientes [Di Maggio, Bourgeois et Gouil, 2002, p. 51].
Powell,1983 p. 150]. Ces processus de structuration
peuvent être regroupées en trois formes génériques :
une plus grande interaction des flux d’information entre
les structures opérant sur un même marché, le dévelop- 3. Présentation de la recherche
pement de structures de prestige et de contrôle, la créa- 3.1 - Méthodologie
tion d’entités prodiguant des conseils et des formations
quant la manière de se comporter et d’agir dans certaines Cet article présente les résultats d’une étude exploratoire
circonstances. Cet isomorphisme fait que ces organisa- réalisée à partir d’entretiens avec une base de question-
tions sont touchées par la banalisation de leur compor- nement centrée sur les représentations des dirigeants de
tement économique. À titre d’illustration, l’étude SCOP. Nous avons choisi d’utiliser dans le cadre de
d’Herman et Renz [1998] tend à soutenir l’idée selon cette étude un guide d’entretien dont les questions se
laquelle l’adoption de certaines pratiques managériales focalisaient sur cinq thèmes : décrire l’origine de
dans les structures de l’économie sociale (dispositifs de l’organisation et la stratégie de développement de
planification des ressources, tableaux de bords, indica- l’entreprise, décrire un changement d’organisation en
teurs de la satisfaction de la clientèle) de même que cours, expliciter les éventuelles difficultés rencontrées
l’adoption de certaines stratégies génériques clairement en termes de ressources humaines lors de la mise en
identifiées (réduction des coûts, développement de place de ce changement, décrire l’importance des dispo-
nouvelles sources de financements, renforcement de la sitifs de participation sur la motivation des personnels.
légitimité) sont susceptibles de renforcer l’efficacité Les entretiens ont été réalisés dans le bureau des répon-
organisationnelle perçue par les différentes parties dants suite à une visite du site. Les entretiens étaient
prenantes. d’une durée moyenne de deux heures et l’anonymat des
répondants leur a été assuré.
Ces travaux trouvent un écho dans certaines études
empiriques françaises qui interrogent la spécificité de la La stratégie de recherche adoptée vise à mettre à jour
gestion des SCOP. En effet il semble que l’adhésion des hypothèses et non pas à mesurer des phénomènes en
obligatoire et la mise en place de nombreux réseaux s’appuyant sur un échantillon statistiquement représen-
propres au mouvement SCOP tels que les réseaux insti- tatif. Ce choix méthodologique nous positionne dans
tutionnels (Confédération, fédération…), le réseau une perspective constructiviste dont nous rappelons
financier (SOCODEN, SOFISCOP…), les réseaux de qu’il s’agit d’une théorie de la connaissance dans
conseil et de formation (ARSCSOP, CEIF…) et les laquelle la connaissance ne reflète pas une réalité onto-
réseaux sociaux (Union Sociale des SCOP), s’ils parti- logique objective mais concerne la mise en forme d’un
cipent largement au processus de structuration, de monde constitué par notre expérience. La méthode
reconnaissance et à la survie du mouvement, peuvent d’analyse des données trouve un écho dans les prescrip-
également susciter une forme de conformisme [Mathé tions développées par Bardin [1993] de tri par codes
et Rivet, 2003, p. 71]. Aussi les auteurs remarquent thématiques des retranscriptions d’entretiens. Il s’est
qu’à l’exception des pratiques de formation où un effort notamment agi de repérer les différents thèmes
relativement plus important est réalisé par rapport aux évoqués, qu’ils aient été prévus par le guide d’entretien
autres structures, les SCOP privilégient les incitations ou soient apparus spontanément, et d’enrichir l’analyse
financières (primes, intéressement…) aux incitations par l’apport de la littérature. Cette posture comporte des
managériales (autonomie, pouvoir de décision), et de ce intérêts et des limites à l’instar d’autres approches
point de vue les outils de gestion de ressources humaines méthodologiques [Wacheux, 1996]. La faiblesse de
ne sont pas fondamentalement différents de ceux de l’échantillon de même que la méthode d’analyse des
l’entreprise classique. données ne permet pas une généralisation des résultats.
En outre il est utile de prendre en considération les limites
En conséquence l’économie sociale apparaît pour d’une étude fondée sur le discours des dirigeants dans le
certains au milieu du gué, les tendances étant d’accepter champ de la GRH [Brabet et al, 1995]. Tsoukas [1994]
de s’éloigner des principes fondateurs en reformulant rappelle à cet égard que la connaissance des dirigeants
les règles, ce qui se traduit dans certains cas par un est une connaissance contextuelle, à savoir qu’elle pri-
appauvrissement du processus solidaire, ou réaffirmer vilégie les événements historiques et les processus
le respect de l’actualité des principes identitaires, ce qui dynamiques, qu’elle est synthétique (elle considère
affaiblirait le poids politico-économique du secteur l’objet d’étude dans sa globalité) mais qu’elle est
dans son ensemble [Bidet, 2000]. Face à ce choix dispersée (elle manque de structure générale).
cornélien d’autres auteurs mettent en exergue la possi-
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Stéphane FAUVY
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La mobilisation des personnels et les dispositifs de participation des ressources humaines dans les SCOP de taille moyenne
Stéphane FAUVY
enthousiaste. Il faut dire que pour éviter l’emballement, « Sans avoir de discours catastrophistes, il faut maintenir
c’est aux porteurs initiaux du projet de parfois savoir une certaine pression. Il y en a qui ont tendance à se
dire stop ». laisser porter, surtout quand les affaires marchent pas
Toujours en référence aux configurations organisation- trop mal ».
nelles de Mintzberg [1982], ces structures privilégient « Sans parler de démobilisation, il est vrai que le mar-
les processus d’ajustement mutuels, à savoir des pro- ché est calme depuis un moment, et que certains ont des
cessus de coordination individuels et informels. Au-delà comportements d’attente et ne se bougent pas beau-
des idéaux-types, il semble que c’est l’articulation entre coup ».
les multiples formes de coordination (formelle et/ou
informelle ; par ajustement et/ou par la règle) et le 3.3.3 - Mobilisation individuelle
temps nécessaire qui posent des difficultés. Plus parti- L’adaptation au marché est un élément essentiel des
culièrement, l’enjeu réside dans l’intégration des diffé- stratégies, et les évolutions techniques et technologiques
rentes représentations en vue d’aboutir à une représen- nécessitent des fortes modifications des postes de travail.
tation commune qui se concrétise par une action Il est donc fait appel à une volonté de faire progresser le
collective. Les dirigeants rendent notamment compte de niveau des salariés (formations diplômante, qualifiante,
l’effort pédagogique qui leur incombent pour expliquer accompagnement, tutorat) ainsi qu’à une participation
les enjeux stratégiques qui caractérisent le futur de active des membres en matière de restructuration du
l’environnement et de l’entreprise. Cette compétence contenu des emplois et d’anticipation des besoins.
pédagogique nécessite une présence forte sur le terrain, « La formation est indispensable, mais il faut que les
une capacité à initier le dialogue, à préserver la qualité gens s’investissent. On ne peut pas avoir les résultats
de la relation, à ouvrir des espaces de négociation, ce sans les difficultés ».
qui n’est pas toujours aisé : « Si quelqu’un me proposait un jour de vouloir faire de
« Ça été long. On a mis plus d’un an avant de se lancer la veille d’évolution de compétences, je prendrais tout
dans le projet : il a fallu penser aux débouchés, au de suite ».
financement, à l’organisation du travail, être sûr que L’accélération de la demande d’adaptation de la part des
tout le monde trouve sa place. On a envoyé une équipe entreprises peut néanmoins déstabiliser certaines caté-
voir comment cela se passait ailleurs. C’est normal que gories de personnels, alors que la réalisation de soi, le
cela prenne du temps. C’était quelque chose de nouveau fait que les salariés puissent exprimer leurs capacités
mais il n’y a pas eu de sentiment de rupture ». dans l’exécution des tâches apparaît comme une attente.
« Quand nous avons entrepris de modifier l’organisa- « Certains l’auraient volontiers payé à regarder les
tion de la commercialisation, certains ont bien évidem- mouches. Lui-même n’était pas très motivé, et on savait
ment tiqués, chacun voit à son niveau et par rapport à tous qu’il avait des problèmes familiaux. Il a fallu le
ses besoins. Mais on avait toujours réussi à se mettre pousser à faire un bilan de compétences pour voir les
d’accord, alors on a pris le temps de discuter pour possibilités qui s’offraient à lui. Lui a pensé au début à
expliquer pourquoi et savoir comment on allait faire ». un poste de commercial mais on était nombreux à pen-
ser que cela ne lui correspondait pas. Et puis on voulait
3.3.2 - Mobilisation collective créer un poste de formateur interne. Au bout du comp-
Si l’on admet la présence de représentations divergentes, te c’est mieux pour tout le monde, et surtout pour lui ».
l’entrepreneuriat collectif ne signifie pas de facto une
homogénéité des membres. Il demeure une attente 3.3.4 - La complémentarité des dispositifs
explicite vis-à-vis des membres et des salariés d’une de participation
appartenance à un collectif, qui s’exprime notamment à La seconde phase du protocole de recherche se focalisait
travers le principe de solidarité entre les membres et les sur la perception des dirigeants quant aux dispositifs de
générations, et le souci de laisser des projets permettant participation des salariés et leur avis sur l’influence
d’augurer l’avenir sous de bons auspices. réelle ou perçue sur la motivation des personnels. Si
« L’entreprise ne peut pas fonctionner s’il n’y a pas un l’on admet que la rémunération représente la source
minimum de solidarité avec ceux qui ont le plus de dif- principale de performance interne des SCOP [Defourny,
ficulté ». 1990, p. 64], la majorité des répondants soulignent
« On pense toujours un peu à ce qu’on va laisser der- avant tout la complémentarité des formes de participa-
rière nous, et le fait de laisser des projets qui offrent des tion des salariés. Cependant l’articulation de ces dispo-
opportunités, d’assurer la transmission et préserver la sitifs prend des formes contrastées.
culture, c’est important ». « Je placerai la participation aux résultats en premier.
Cela dit, il apparaît dans certains cas la mise en Les gens savent compter, et cela j’en suis certain.
perspective d’une difficulté de mobilisation collective Heureusement cela ne fait pas tout ».
qu’il est délicat d’apprécier hors d’une prise en compte Mais la situation la plus répandue met en évidence une
plus approfondie du contexte organisationnelle de l’en- relation entre participation aux résultats et participation
treprise : aux décisions de gestion. Cette relation a déjà été mise
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La mobilisation des personnels et les dispositifs de participation des ressources humaines dans les SCOP de taille moyenne
Stéphane FAUVY
en évidence. Ainsi Cable et Fitzroy [1980] estiment que des parcours des dirigeants rencontrés ne rend que
plus la participation aux décisions de gestion est active, partiellement compte des différences de représentations
plus le lien entre effort individuel et participation aux quant aux enjeux de la participation. De ce point de vue
résultats devient évident, ce qui en corollaire a pour l’exercice de l’entrepreneuriat collectif ne se réduit ni à
effet de renforcer le sentiment d’adhésion aux objectifs la participation aux décisions, au capital ou aux résul-
de l’entreprise et de rallonger l’horizon temporel du tats mais exige des dispositifs individuels et collectifs
salarié. Toujours selon les auteurs, la participation aux multiples. Aussi faut-il souligner l’intérêt des recher-
résultats et aux décisions de gestion se traduit par la ches qui se propose d’étudier de manière systématique
capacité des salariés à appliquer efficacement les déci- les déclinaisons de l’entrepreneuriat collectif dans les
sions des dirigeants et une plus grande capacité d’adop- SCOP [Bataille-Chedotel, Huntzinger, 2002].
tion des innovations technologiques.
« Le partage des résultats, on peut en être sûr, mais il y Les difficultés de mobilisation du personnel, entendue
a des hauts et des bas. Davantage que de participation comme une action orientée vers les objectifs, tient à la
au capital et de participations aux décisions, je parle- prise en considération du contexte organisationnel de
rai d’un partage et d’un échange sur le projet ». l’entreprise, des trajectoires individuelles et collectives.
« La participation aux résultats et aux décisions de ges- C’est la raison pour laquelle, aux formes classiques de
tion sont liées, on ne peut pas envisager l’un sans l’au- la participation retenue dans la littérature, à savoir la
tre. Par contre je pense que la participation au capital participation aux résultats, aux décisions et au capital, il
est avant tout symbolique ». pertinent d’associer deux autres formes de participation
« La participation au capital permet de sceller un telles qui émergent de la typologie présentée par Rojot
contrat, au sens juridique et moral. Cette étape me sem- [1992]. Cet auteur distingue une forme de participation
ble déterminante puisque c’est à travers elle que se tra- fondée sur l’appartenance à un collectif, qui suppose
duit la solidarité entre les générations, notamment entre l’établissement d’un lien moral et émotionnel entre le
la constitution des réserves non distribuables et la salarié-sociétaire et l’entreprise. Cette forme de partici-
répartition du résultat. La participation aux décisions, pation suppose que le salarié se sentira d’autant plus
je ne suis pas convaincu que cela intéresse tout le intégré qu’il appartient à une communauté dont il par-
monde ». tage les valeurs et les objectifs. De plus il semble perti-
Certains auteurs mettent en exergue le rôle crucial de la nent de préciser les modalités de la participation aux
participation au capital dans la motivation des salariés décisions en distinguant une forme basée sur l‘amélio-
dans le sens où elle accroît l’implication en favorisant le ration des conditions de travail et la restructuration du
sentiment de responsabilité. Pourtant certains travaux contenu des emplois. Cette forme se distingue de la
tendent à démontrer que le fait de devenir actionnaire participation aux décisions par une double attente. Celle
n’induit pas forcément l’exercice d’un moyen de qui suppose que le salarié sera d’autant plus motivé que
contrôle. Aussi la volonté de participer aux décisions de son travail est intéressant, qu’il en comprend la signifi-
l’entreprise s’exerce dans certaines conditions, à savoir cation et l’utilité, et celle qui encourage la réalisation de
que les salariés accepteront le schéma traditionnel de soi, à savoir que le salarié puisse exprimer des capaci-
prise de décision aussi longtemps qu’ils jugeront satis- tés dans l’exécution des tâches.
faisants les rendements de leur participation et de leur
investissement [French, 1987]. Les recherches empiriques tendent à montrer que la
rémunération dans les SCOP de taille moyenne se main-
3.4 - Discussion des résultats tient constamment au dessus des moyennes sectorielles,
quelque soit la branche considérée [Defourny, 1990].
Dans le cadre institutionnel des SCOP, il apparaît que la Les pratiques des SCOP semblent trouver un écho dans
pratique de l’entrepreneuriat collectif est un défi perma- la théorie du salaire d’efficience. Cette théorie suppose
nent. Davantage qu’un état donné, cette construction que la productivité du travail est une fonction croissante
procède d’un mécanisme d’enactment selon Weick de la rémunération. Une approche sociologique du
[1979], processus de nature cognitive par lequel les diri- salaire d’efficience, fondée sur l’échange de dons ou de
geants « mettent en forme » la réalité. En effet de nom- gratifications, a été proposée par Ackerlof [1984] :
breux travaux ont mis en exergue le rôle de l’équipe l’efficacité productive d’un salarié dépend en grande
dirigeante dans la création et la diffusion de sens à attri- partie de son sentiment d’être bien traité par l’em-
buer aux événements [Mintzberg, 1996]. De la capacité ployeur [Perrot, 1995]. Dès lors attribuer au salarié un
à gérer le caractère équivoque et ambigu des signaux salaire supérieur à celui établi par le marché du travail
qu’ils perçoivent dépend en partie leur pouvoir de faire est susceptible de l’inciter à fournir un niveau d’effort
accepter le changement, ce qui ne signifie pas que les important. Ce constat doit être relativisé dans la mesure
représentations et les motivations soient les mêmes où les dirigeants et cadres supérieurs sont moins bien
chez les différents dirigeants d’une même structure payés, un différentiel de 15 à 25 % ressort des principa-
[Romelaer, 1996]. À cet égard la relative homogénéité les études en la matière [Mayaux, 2001, p. 180]. Ceci
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Le commerce équitable comme générateur de responsabilité sociale au sein des échanges commerciaux Nord-Sud
Benjamin HUYBRECHTS
Le commerce Introduction
équitable
Depuis plusieurs décennies, le commerce équitable
constitue un phénomène économique et social dont la
notoriété et le succès commercial sont croissants, bien
que le poids économique de cette filière reste encore
de responsabilité
merce international plus éthique, le commerce équitable
s’est progressivement ouvert à des entreprises à but de
profit, qui y voient une opportunité unique pour afficher
leur responsabilité sociale tout en tirant bénéfice d’une
sociale au sein
niche de consommation en pleine expansion (Renard,
2003 ; Gendron, 2004).
des échanges
Le développement de la notion de responsabilité sociale
des entreprises (RSE) constitue assurément une cause
majeure de la participation des entreprises classiques au
commerce équitable, accroissant la diversité organisa-
commerciaux
tionnelle au sein de la filière et donc également l’hété-
rogénéité dans les pratiques des acteurs. Ce faisant, le
commerce équitable apparaît comme un générateur de
responsabilité sociale, non seulement à travers le cadre
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Le commerce équitable comme générateur de responsabilité sociale au sein des échanges commerciaux Nord-Sud
Benjamin HUYBRECHTS
1. Responsabilité sociale inhérente ligner que les partenariats sont extrêmement variés et
au concept de commerce équitable que les impacts sur les producteurs dépendent non
seulement du degré d’investissement des importateurs,
Tout d’abord, nous interrogeons le concept du commerce mais également du projet de l’organisation de produc-
équitable quant à ses apports en termes de responsabilité teurs même (Ronchi, 2000). Le degré de responsabilité
sociale. Si cet apport est parfois considéré comme évi- sociale générée dépend donc de l’ensemble des acteurs
dent par les acteurs de terrain, il nous semble qu’il n’est de la filière.
pas inutile d’en étudier les contours, la teneur ainsi que
les limites. Etant donné que le concept de RSE recouv- En résumé, on peut considérer que le commerce équita-
re une grande hétérogénéité de notions et de pratiques ble induit une responsabilité sociale dont le degré peut
(Pailot, 2005), il est nécessaire de le clarifier : nous fortement varier d’un cas à l’autre. Au minimum,
envisagerons la RSE comme l’ensemble des démarches l’importateur consent à une relation commerciale dotée
volontaires dans lesquelles des entreprises s’engagent d’outils potentiellement bénéfiques pour les produc-
afin de respecter, au-delà de leur objectif de rentabilité teurs, mais sans que le suivi de ce bénéfice soit assuré,
économique, des exigences sociales et environnementa- si ce n’est par les instances de certification. Au mieux,
les, et d’améliorer les relations avec toutes les parties l’organisation de commerce équitable s’investit pleine-
concernées par leurs activités (Bender et Pigeyre, ment dans le partenariat avec les producteurs et étend
2003). Parmi les différentes approches théoriques de la cette démarche de responsabilité sociale, initialement
RSE, nous nous centrerons donc sur les pratiques réservée à une catégorie déterminée d’acteurs, à
concrètes des acteurs par rapport à leurs différentes par- l’ensemble des parties prenantes.
ties prenantes internes et externes, conformément aux
principes de la Stakeholder Theory (Carroll et
Buchholtz, 2000 ; Donaldson, 2002).
2. Responsabilité sociale
Deux éléments caractérisent la démarche de RSE des différents acteurs
proposée dans le cadre du commerce équitable.
Premièrement, la participation au commerce équitable 2.1 - Explications de la diversité
ne constitue pas une démarche auto-proclamée de organisationnelle
responsabilité sociale, dans le sens où les entreprises
qui s’y intéressent acceptent de se soumettre à un cahier L’attitude de l’organisation active dans le commerce
des charges émis et contrôlé par une instance extérieure. équitable en termes de responsabilité sociale dépend
Pour la production alimentaire, cette soumission prend tout d’abord de sa configuration organisationnelle. Au
la forme d’une labellisation par un organisme membre départ, le commerce équitable a été initié par des entre-
de la coupole internationale FLO. En ce qui concerne prises « de l’économie sociale », c’est-à-dire des asso-
les produits artisanaux, s’il n’y a pas de système de ciations, des fondations et des coopératives dont
labellisation obligatoire, on peut considérer que la l’objectif premier n’est pas la recherche du profit
revendication de commerce équitable est implicitement (Defourny et Develtere, 1999). Le commerce équitable
conditionnée par l’affiliation à des réseaux internatio- a donc longtemps été un projet spécifique à l’économie
naux tels que l’IFAT. sociale, dont il partage la mission : la poursuite de
l’activité économique comme moyen pour réaliser des
Ensuite, si l’on analyse la responsabilité sociale au objectifs sociaux (Lévesque, 2004).
regard des relations avec les différentes parties prenantes,
on observe que le commerce équitable ne formule un C’est sans conteste le développement de la labellisation
cadre normatif que pour le lien avec les producteurs. qui a transformé ce mouvement en profondeur. En effet,
S’il y a dans les critères toute une série d’exigences la labellisation a permis à toute entreprise de proposer
organisationnelles concernant les organisations de pro- des produits issus du commerce équitable, dans la
ducteurs au Sud, ce n’est effectivement pas le cas pour mesure où c’est le produit qui est certifié et non l’orga-
les organisations d’importation, de transformation et/ou nisation. En permettant d’externaliser la garantie de
de distribution au Nord. confiance au sein du produit en lui-même, la labellisa-
tion a permis d’ouvrir la filière à des entreprises
Au niveau du contenu et des outils spécifiques du com- commerciales « classiques », dont la structure organisa-
merce équitable, on peut considérer que les techniques tionnelle ne comporte pas a priori de capital de confian-
comme le prix juste et stable, le préfinancement, la rela- ce. Outre la labellisation qui a rendu possible la partici-
tion à long terme et certains critères de partenariat sont pation d’entreprises classiques, d’autres facteurs
porteurs de responsabilité sociale non seulement entre permettent d’expliquer l’intérêt de celles-ci. Il paraît
les organisations du Nord et du Sud, mais également à évident que le développement de la notion de RSE a
l’intérieur de ces dernières. Il convient toutefois de sou- poussé certaines entreprises à s’intéresser au commerce
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Le commerce équitable comme générateur de responsabilité sociale au sein des échanges commerciaux Nord-Sud
Benjamin HUYBRECHTS
équitable. Parmi d’autres facteurs, nous postulons que différences fondamentales par rapport aux entreprises
la force d’interpellation des acteurs de l’économie classiques : les organisations d’économie sociale peu-
sociale par rapport aux injustices du commerce interna- vent mettre en œuvre des campagnes de marketing rela-
tional traditionnel constitue un facteur exogène ayant tivement similaires à celles des FPO.
contribué à placer les préoccupations éthiques au sein
des considérations de certaines entreprises (Rorive, Enfin, au niveau de la gouvernance, les relations avec
2003 ; Marsden, 2003 ; Huybrechts, Mertens et les différentes parties prenantes sont souvent prises en
Xhauflair, forthcoming). considération à travers une représentation de celles-ci
dans les instances mêmes de décision de l’organisation
2.2 - Modalités de responsabilité sociale (Ben-Ner et Van Hoomissen, 1991), malgré les difficul-
tés que cela peut engendrer (Cornforth, 2004). Enfin, il
Quelles sont, dès lors, les implications de cette diffé- n’est pas rare d’observer des initiatives très innovantes
renciation organisationnelle sur les pratiques de RSE ? par rapport au respect de l’environnement (emballages
Sans prétendre appréhender l’ensemble des cas de figure, réduits au minimum, bâtiments écologiques, papier
nous proposons ici quelques pistes de réflexion à partir recyclé…). En conclusion, de nombreuses organisa-
des spécificités théoriques de chaque type d’organisa- tions d’économie sociale actives dans le commerce
tion. équitable essayent d’étendre les critères de qualité
prévalant dans les rapports avec les producteurs à
! Acteurs de l’économie sociale l’ensemble des parties prenantes.
À l’origine du concept, les acteurs associatifs et coopé- Toutefois, il s’agit à nouveau là de la théorie, et il serait
ratifs semblent être les garants de la qualité et de la incorrect de dire que les spécificités organisationnelles
crédibilité du commerce équitable en termes de respon- des structures d’économie sociale sont automatique-
sabilité sociale, dans le sens où leurs structures mêmes ment génératrices de responsabilité sociale. Nous
sont contraignantes à cet égard. En effet, les associa- voyons néanmoins que ces structures sont naturelle-
tions sont soumises à la contrainte de non distribution ment orientées vers le service de l’intérêt général, ce qui
des profits, ce qui les oblige à réinvestir leur éventuel facilite l’adoption de comportements socialement
excédent dans la poursuite de la finalité sociale. Pour ce responsables.
qui est des coopératives, si elles peuvent redistribuer le
profit aux membres, cette redistribution est limitée et ! Entreprises commerciales classiques
rentre dans l’objet social, globalement lié à l’améliora-
tion des conditions de vie des membres. Par conséquent, En ce qui concerne les entreprises « classiques », elles
les organisations d’économie sociale poursuivent théo- n’ont pas a fortiori de contraintes en termes de respon-
riquement un objectif de service aux membres et à la sabilité sociale, si l’on considère la contribution à
collectivité et non de profit. l’intérêt général et la prise en compte des catégories
Au niveau des pratiques de gestion, s’il est difficile d’acteurs autres que les actionnaires (Marsden, 2003).
d’émettre des généralités, on peut néanmoins pointer Toutefois, la marge de manœuvre est grande et on
quelques spécificités. En ce qui concerne la gestion des observe des pratiques extrêmement hétérogènes d’une
ressources humaines, les organisations d’économie entreprise à l’autre.
sociale actives dans le commerce équitable peuvent
mettre en œuvre des pratiques cohérentes avec leur fina- Dans le cas du commerce équitable, outre les partena-
lité sociale (minimisation des écarts de salaire, dialogue riats avec les producteurs dont nous avons déjà étudié
avec les syndicats, investissement dans la formation, les modalités, les pratiques de responsabilité sociale
insertion de personnes peu qualifiées ou régulièrement peuvent également intégrer d’autres parties prenantes,
discriminées…). Que ce soit pour les coopératives comme les employés, les consommateurs en tant que
(Davis, 2004) ou pour les NPO pures (Pynes, 1997), la citoyens ou encore l’environnement. S’il faudrait analy-
littérature montre que si les incitants qu’ont ces organi- ser les entreprises au cas par cas par rapport à ces diver-
sations à motiver leur personnel par rapport à la mission ses dimensions, nous pouvons en tout cas conclure que
sociale sont nombreux, la concurrence peut également la participation au commerce équitable n’induit pas de
menacer ces pratiques spécifiques de gestion des contraintes particulières pour les relations avec les aut-
ressources humaines. res stakeholders. Dans ce contexte, il est intéressant de
voir dans quelle mesure la coexistence de ces entrepri-
En termes de marketing, les associations et les coopéra- ses avec des organisations d’économie sociale au sein
tives de commerce équitable veillent généralement à du commerce équitable leur permet ou non d’adopter
privilégier la sensibilisation de manière générale à la des pratiques socialement (plus) responsables.
promotion agressive de tel ou tel produit. Outre cette
considération, il est toutefois difficile de déceler des
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Benjamin HUYBRECHTS
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169
Les enjeux du management responsable dans le secteur agroalimentaire au Maroc : cas de la région Sous Massa ?
Fatima EL KANDOUSSI - Manal EL ABBOUBI
du management
La Responsabilité Sociale des Entreprises est une
notion qui a pris de l’ampleur ces dernières décennies
que ce soit au niveau des recherches académiques ou au
niveau des recommandations des instances internatio-
dans le secteur
pays en voie de développement. Elle se résume dans le
principe que les entreprises sont amenées à jouer un rôle
qui dépasse le cadre de leur activité économique2. Ainsi,
elles doivent contribuer à réduire la pauvreté, à
agroalimentaire
promouvoir le développement durable, et à agir sous la
gouverne d’une éthique et d’une philosophie conformes
aux droits humains.
au Maroc :
Parmi les approches qui définissent la responsabilité
sociale de l’entreprise, il y a celle du développement
durable ; transposée à l’entreprise, la notion de déve-
loppement durable se traduit notamment par l’idée de
cas de la région
« Triple Bottom Line » (triple résultat), qui conduit à
évaluer la performance de l’entreprise sous trois
angles : environnemental, économique et social.
Ce dernier traite les conséquences sociales de l’activité
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Les enjeux du management responsable dans le secteur agroalimentaire au Maroc : cas de la région Sous Massa ?
Fatima EL KANDOUSSI - Manal EL ABBOUBI
C’est le premier secteur de l’industrie nationale et un dimensions sociales et sociétales aux dimensions
des meilleurs atouts de développement du pays (30 % éthiques, morales et déontologiques. Il existe justement
de la valeur ajoutée et 12 % de l’emploi permanent hors des points de bifurcations et d’autres d’intersection
conserve de poisson). entre ces derniers et les objectifs escomptés par une
Partant de ces constats, l’objectif de notre étude consiste politique RSE, ce qui rend son champ de définition plus
à appréhender la manière avec laquelle les dirigeants complexe.
des entreprises agroalimentaires de cette région sont Pour être bref à ce sujet, car notre propos n’est pas
prédisposés à assumer un rôle responsable. d’étudier la terminologie de ce concept, nous nous arrê-
Les interrogations fondamentales que nous nous som- terons à la définition donnée par Amadieu (1999) qui
mes posées à ce sujet, sont les suivantes : considère la RSE comme « une notion qui recouvre
- Y’a-t-il une prise de conscience de la part des respon- l’ensemble des conséquences humaines et sociales de
sables des entreprises agroalimentaires de l’importance son fonctionnement et de son activité ».
particulière de leur responsabilité sociale à l’égard
des différentes parties prenantes ? 1.2 - Les typologies de RSE
- Comment intègrent-ils la démarche RS dans leur
management ? Pour plusieurs entreprises, la prise en compte d’une
stratégie RSE se présente comme une volonté straté-
Pour répondre à ces interrogations, nous allons structu- gique spontanée d’agir positivement vis-à-vis de la
rer notre communication en deux axes : communauté sociale et sociétale, sans pour autant se
Dans le premier axe, nous allons présenter le cadre sentir forcée d’y adhérer. L’attitude de ces entreprises
conceptuel de la responsabilité sociale des entreprises. choisissant l’anticipation et l’identification des axes les
Dans le deuxième axe, nous allons présenter les résul- plus porteurs dans le développement durable se veut
tats de notre étude. volontariste pour créer de la valeur et dégager des axes
d’opportunités stratégiques.
Par ailleurs, une autre forme d’action opposée au volon-
tarisme existe. Ce sont les entreprises qui subissent
1. Approche conceptuelle de la respon- une pression de leurs parties prenantes : ONG, clients,
sabilité sociale des entreprises syndicats, l’opinion public… et qui se trouvent dans
l’obligation de s’aligner aux exigences normatives de
1.1 - RSE : fondements théoriques certains outils de la RSE (Labels, codes de conduites,
charte éthique…). Selon une étude de Novethic4 (2004),
Le concept de responsabilité sociale ou sociétale des ce sont plutôt les industries lourdes qui sont plus sous la
entreprises (RSE) ne manque pas de regain d’intérêt de pression de leurs parties prenantes que les services.
la part des académiciens, des entreprises et des diffé- La même étude a apporté un éclairage sur les différentes
rents acteurs sociaux et politiques ces dernières décen- stratégies que peuvent adopter les entreprises pour
nies. L’identification des fondements théoriques de la appréhender la question de la RSE. En résumé, elles
RSE est loin d’être une mission aisée. Un de ses pro- sont de six types5 :
moteurs (Caroll, 1999) la considère « en cours de défi-
nition ». Le concept reste de ce fait assez élastique et est - Les stratèges : soumises à une pression forte, ces
établi sur des frontières pas toujours claires pour les entreprises font du développement durable une oppor-
différentes parties prenantes concernées. tunité intégrée dans la stratégie globale de l’entreprise.
En effet, la notion de RSE est spécialement caractérisée - Les engagées : face à une pression externe modérée,
par ses limites très ambiguës, vagues et surtout confu- l’adéquation du développement durable avec leurs
ses. Une clarification des origines et interprétations de valeurs leur permet de construire une politique globale
chaque terme se voit donc élémentaire pour mieux de responsabilité sociale, inscrite dans leur stratégie.
cerner les fondements théoriques du concept. - Les concernées : en réaction aux pressions de l’envi-
« Responsabilité sociale » est la traduction française du ronnement, le développement durable est vu d’abord à
terme « Corporate social responsibility ». Paradoxale- travers les opportunités de marché qu’il offre, autour
ment, le terme anglo-saxon englobe dans son sens à la de grandes priorités.
fois les responsabilités sociales d’une organisation
(vis-à-vis de ses employés), mais aussi ses engagements
sociétaux (vis-à-vis de la société dans son ensemble), ce
qui ne facilite pas un consentement autour d’une termi- 4 Un centre français de ressources et d’expertise sur la responsabilité
sociétale des entreprises et l’investissement socialement responsa-
nologie globale et universelle. ble.
Une autre piste féconde de débat que soulève la 5 Novethic et ORSE : Développement durable et stratégie d’entreprise,
question des fondements théoriques de la RSE est la 3e Forum Européen pour le développement durable et une Entreprise
définition des limites qui éloignent (ou rapprochent) les Responsable, 2004.
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Les enjeux du management responsable dans le secteur agroalimentaire au Maroc : cas de la région Sous Massa ?
Fatima EL KANDOUSSI - Manal EL ABBOUBI
- Les pro actives : l’anticipation des attentes des clients éthique des hommes et des femmes qui forment l’orga-
oriente une partie de l’activité autour d’un positionne- nisation. Ce qui constitue un chantier de travail fécond
ment développement durable. dans lequel peu de travaux empiriques existent.
- Les cibles idéales : une pression très forte les conduits Cependant, nous pouvons avancer que la formation des
à réagir par des programmes d’actions cherchant à évi- managers, plus particulièrement les managers des
ter les risques de mise en cause. ressources humaines est un des piliers d’un manage-
- Les entrants : face à une pression encore limitée, ces ment éthique. Autres que les formations traditionnelles
entreprises ont mis en œuvre des démarches d’adapta- (de type MBA) jugées obsolètes et parfois même inutiles
tion aux nouvelles normes implicites de responsabilité pour l’organisation (Belet et Yanat 2005), des forma-
sociale et environnementale. tions plus spécifiques en philosophies ou en sciences
Cette étude situe bien le degré d’implication des parties humaines semblent prendre de l’importance pour bien
prenantes et la manière avec laquelle les dirigeants maîtriser les nouvelles compétences relationnelles et
appréhendent leurs stratégies RSE. Par ailleurs, il nous sociales et les intégrer de façon transversale dans
semble que la prise en compte des modèles de manage- l’ensemble des départements de l’organisation.
ment éthique, orientés essentiellement vers le manage-
ment des hommes serait complémentaire aux différents
types de RSE présentés ci-dessous. Ils apportent un
éclairage sur l’importance de l’implication des employés 2. Étude empirique de la pratique
(des hommes et des femmes de l’entreprise) en tant que de la responsabilité sociale dans
partie prenante à part entière. Les entreprises agroalimentaires
1.3 - La RSE par le management éthique de la région Souss Massa
Un des facteurs essentiels d’une meilleure performance 2.1 - Méthodologie de l’étude
managériale est un management éthique possédant les 2.1.1 - Objectifs de l’étude
moyens pour évaluer, à leurs propres valeurs, les riches- L’objectif de notre étude consiste à appréhender la pra-
ses potentielles d’une gestion efficaces des ressources tique de la responsabilité sociale des entreprises agroa-
humaines dans sa globalité. Le piège d’une certaine limentaires de la région Souss Massa ainsi que les outils
« myopie managériale » (Belet et Yanat 2005) défendant mis en place par les dirigeants pour assumer pleinement
la performance financière à court terme se verra rapide- leur rôle vis-à-vis de leurs parties prenantes notamment
ment fermées sur les adeptes de ces modes de manage- les employés, les fournisseurs, les clients et la commu-
ment cyniques et brutaux. nauté.
Il a été en effet remarqué que les pratiques courantes en
matière de management très fortement inspirés des 2.1.2 - Méthode de collecte des informations
impératifs financiers à court terme sont souvent les L’outil que nous avons utilisé pour le recueil des infor-
causes indirectes de résultas contre productifs, ayant mations est le questionnaire. Pour répondre à notre
leur répercutions directes sur les ressources humaines : objectif, nous l’avons structuré autour des axes sui-
montée du stresse, de plus en plus de problèmes de vants :
santé physiques ou psychologiques, absentéisme, - les caractéristiques de l’entreprise et de son effectif ;
manque de communication interne et remontée des - la responsabilité sociale à l’égard des employés ;
conflits. Par conséquent, l’importance d’une formation - la responsabilité sociale vis-à-vis des autres parties
vertueuse des responsables ressources humaines se voit prenantes
focale, en plaçant l’éthique et la morale en son centre. Différents types de questions ont été utilisés : fermées
Un tel point de départ semble le meilleur pour un uniques, fermées multiples et ouvertes.
mainstreaming du management éthique, dans lequel
toutes les parties prenantes internes feraient parties inté- 2.1.3 - Caractéristiques de l’échantillon
grantes et la diffusion de l’information et de la culture ! Intérêt du choix du secteur agroalimentaire
de l’organisation serait certainement plus fluide. Le tissu industriel marocain est composé de nombreuses
Par ailleurs, avec la montée des études empiriques et petites filières dominées par deux principales, l’agroali-
académiques fortement médiatisées autour du dévelop- mentaire et le textile. Celles-ci représentent, à elles seu-
pement durable et de la responsabilité sociale, beaucoup les, plus de 50 % du PIB industriel, plus de 70 % des
d’entreprises s’alignent à ses nouvelles exigences du emplois formels et plus de 75 % des exportations.
marché en cherchant la performance globale, à la fois Le secteur agroalimentaire constitue donc l’un des
financière mais aussi sociale, sociétale et environne- piliers de l’économie marocaine (avec un chiffre d’af-
mentale. Celles-ci ne peuvent sortir au-delà des faires de plus de 60 milliards de dirhams). C’est le pre-
discours (chartes éthiques, codes de conduites, voire mier secteur de l’industrie nationale et un des meilleurs
mêmes labels sociaux) qu’à travers un management atouts de développement du pays (30 % de la valeur
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Les enjeux du management responsable dans le secteur agroalimentaire au Maroc : cas de la région Sous Massa ?
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ajoutée et 12 % de l’emploi permanent hors conserve de Il convient de noter qu’en raison de la saisonnalité de
poisson)6. l’activité, l’effectif occasionnel représente plus de 75 %
Avec 12 % de la production nationale, la région du dans la majorité des entreprises étudiées. Il peut atteindre,
Souss Massa occupe la seconde place derrière la région même, jusqu’à 94 % de l’effectif total ( à titre d’exemple,
du grand Casablanca (36 %) ; ce qui lui confère une une entreprise emploie 1 375 dont 1 284 occasionnels).
place importante dans l’industrie agroalimentaire au Le personnel est composé de cadres, des employés
Maroc. qualifiés et des employés non qualifiés. Leur niveau
Le choix de ce secteur est d’autant plus important, que d’études varie du secondaire au supérieur. Toutefois,
le défi à relever est d’envergure. En effet, à l’horizon en raison de la nature de l’activité qui nécessite plus
2010, les entreprises de ce secteur doivent se mettre à d’habilité manuelle qu’intellectuelle, une part importante
niveau pour faire face à la concurrence internationale. des employés est illettrée, surtout au niveau des occa-
Une mise à niveau non pas seulement de la qualité des sionnels. Cependant, il convient de noter que pour
produits, mais aussi de la qualité du management et son remédier à ce problème, d’importants efforts ont été
adaptation aux nouvelles exigences économiques, déployés par les entreprises en partenariat avec le gou-
sociales et environnementales en phase avec la respon- vernement. Ainsi, des actions d’alphabétisation ont été
sabilité sociale des entreprises vis-à-vis de leurs parte- menées pour réduire le taux d’analphabétisme dans ces
naires socioéconomiques et politiques nationaux et entreprises.
internationaux. Quant aux employés permanents, ils sont en majorité
des diplômés des instituts (les techniciens spécialisés),
! Structure de l’échantillon et dans une moindre mesure des diplômés de l’université
Le critère principal du choix de la population cible ou d’autres écoles supérieures (les cadres).
consiste dans l’effectif de l’entreprise. Nous avons opté
pour les établissements ayant plus de 50 employés pour 2.2 - Résultats de l’étude
deux raisons : d’une part, pour vérifier le respect de la
loi en matière de comité d’entreprise et de comité d’hy- Responsabilité sociale vis-à-vis des employés
giène exigés par le nouveau code de travail pour les La responsabilité à l’égard des employés est examinée
entreprises ayant plus de 50 salariés, et d’autre part, à travers certaines pratiques de management des res-
pour avoir un échantillon représentatif en terme de la loi sources humaines notamment celles ayant trait à leur
de Pareto (20 % des établissements qui emploient acquisition et à leur évolution ainsi que les politiques de
80 % des employés dans le secteur agroalimentaire). développement social adoptées par les entreprises pour
Notre plan d’échantillonnage a été constitué sur la base répondre aux besoins de leurs salariés. Mais avant
de l’annuaire de la chambre de commerce, d’industrie et d’aborder ces différents points, nous avons mis l’accent
de service de la ville d’Agadir. sur le rôle du responsable des ressources humaines vu
L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de son importance à ce niveau.
30 entreprises de la région Souss Massa, 16 parmi elles
ont répondu au questionnaire. Nous avons utilisé trois Le rôle du responsable des ressources humaines en
modes d’administration : le face à face, l’e-mail et le matière de responsabilité sociale
fax. Les raisons des non réponses sont principalement le 62,5 % des entreprises affirment disposer d’une structure
manque de disponibilité à cause de la quantité de travail dédiée à la fonction RH dont la dénomination varie d’un
à accomplir.7 simple service personnel à un département des ressour-
En raison de la diversité des activités du secteur agro- ces humaines.
alimentaire, nous en avons choisi les plus importantes Dans les entreprises qui n’en disposent pas, la fonction
au niveau de la région Souss Massa, notamment : la ressources humaines est assurée par le responsable
transformation des produits de la mer, les conserveries administratif et financier, l’adjoint du directeur ou
de légumes et de fruits, les stations de conditionnement, même le directeur général lui-même.
les huileries, les boissons gazeuses, les coopératives de Tous les responsables considèrent que le DRH est un
lait et dérivés et les minoteries. acteur central dans la responsabilité sociale de l’entre-
prise, et que son rôle est essentiel (37,5 %) ou important
- L’effectif des entreprises se situe dans les fourchettes (62,5 %).
suivantes : 81,3 % confirment qu’il a les compétences nécessaires
![50-150] dans 12.5 % des cas, pour remplir ce rôle vis-à-vis des différentes parties
![150-350] dans 18.75 % des cas, prenantes de l’entreprise. Cependant, il ne dispose pas
[350-450] dans 12.5 % des cas,
!
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Les enjeux du management responsable dans le secteur agroalimentaire au Maroc : cas de la région Sous Massa ?
Fatima EL KANDOUSSI - Manal EL ABBOUBI
du pouvoir suffisant pour assumer pleinement ce rôle (18,8 %), ou en s’alignant sur les concurrents (6,2 %).
(56,3 %). Car ses marges de manœuvre dépendent de sa En matière de formation, la quasi-totalité des entreprises
position hiérarchique, de la fonction qu’il assure et du (91 %) accordent le droit à la formation à leur person-
degré de délégation du pouvoir par la direction générale. nel, et 75 % d’entre elles disposent d’un plan de forma-
Son rôle vis-à-vis de celle-ci varie d’une simple appli- tion qu’elles réalisent en partenariat avec l’office de
cation des directives concernant la paie, le recrutement, formation professionnelle (OFPPT) et d’autres organis-
la formation, ainsi que les différents aspects statutaires, mes de formation publics et privés. La formation a pour
au conseil et à la participation à la prise de décisions. objectif d’améliorer la qualité du produit et de répondre
Mais, ils s’accordent tous sur le rôle d’interface, qu’il aux besoins des clients ou du personnel notamment
est amené à jouer, entre la direction et le personnel de dans les domaines d’hygiène et de sécurité.
l’entreprise. Les dispositions prises par les entreprises, notamment
Ainsi, son rôle vis-à-vis des employés, se manifeste par l’aménagement du temps de travail (81,3 %) et la prise
ses activités courantes d’administration pure et simple en charge des frais de formation en totalité (81,3 %) ou
du personnel (gestion des dossiers) et par l’animation et en partie (6,3 %) témoigne de l’importance accordée
le coaching grâce au soutien, à la motivation, à l’écoute par les entreprises à la formation du personnel malgré
et à l’encadrement qu’il leur assure. Ainsi, nous pou- l’absence, dans certains cas, d’un plan structuré et for-
vons constater une nette évolution de la perception du malisé. Ceci, s’explique par le fait que la majorité des
rôle du responsable des ressources humaines qui n’est entreprises enquêtées est orienté vers l’export. Une acti-
plus considéré comme un simple chef du service vité qui exige de leur part une rigueur et un haut niveau
personnel mais comme un animateur et un manager au de qualité de leurs produits. Un objectif qui ne peut être
« service » du personnel. atteint que via l’amélioration de la qualification du
personnel par la formation.
Les pratiques de gestion ressources humaines En matière de gestion des carrières, nous avons constaté
L’acquisition et l’évolution des RH l’absence des plans de carrière (dans 68,8 % des cas).
La gestion prévisionnelle des emplois et des compéten- À ce niveau, nous pouvons déduire qu’une certaine
ces (GPEC) entant que telle n’existe pas dans les entre- démotivation des employés permanents peut apparaître
prises étudiées. Seule une prévision quantitative des suite à l’incertitude qui pèse sur l’évolution de leur car-
besoins en effectif qui se pratique avec une vision à rière. Un niveau d’aspiration qui ne constitue pas une
court terme. Cette pratique s’explique par la nature préoccupation des occasionnels dont le premier souci
même de l’activité, qui fait que les responsables des RH est d’accéder au statut du permanent ; et en se référant à
sont amenés à gérer plus d’occasionnels que de perma- la pyramide de Maslow, nous pouvons considérer que la
nents comme nous l’avons signalé. Or, cela ne doit pas majorité des employés sont encore au stade d’assouvis-
empêcher ces entreprises d’adopter une vision straté- sement des besoins physiologiques et des besoins de
gique de l’évolution de leur RH, intégrée dans la straté- sécurité.
gie globale de l’entreprise.
Concernant le recrutement, 81,3 % des responsables La politique de développement social
affirment disposer d’une démarche de recrutement, L’organisation du temps de travail diffère selon les
cependant ils n’ont pas de démarche d’intégration des postes occupés, en général, les salariés opérationnels
jeunes ni des handicapés. En outre, on a constaté une travaillent en horaire continu, alors que le personnel
certaine préférence pour le recrutement des femmes administratif travaille en journée coupée.
ouvrières dans la chaîne de fabrication notamment dans En raison de la nature d’activité des entreprises agroali-
les conserveries de poisson et les stations de condition- mentaires, la sécurité et l’hygiène acquièrent un intérêt
nement. La raison en est notamment leur sérieux, leur particulier ; à ce niveau, la quasi totalité des responsa-
qualité de travail et leur capacité d’endurance. bles affirme disposer de normes de sécurité et d’hygiène
Par ailleurs, dans 75 % des cas, une séparation des postes formalisées (93,8 %). L’importance de ce pourcentage
destinés aux femmes (secrétaire, femme de ménage) ou peut s’expliquer par le fait que ces établissements sont
aux hommes (chauffeur, manutentionnaire, jardinier, obligés de se conformer à la législation nationale et aux
sécurité…). Selon notre point de vue, cette distinction normes internationales notamment Hasard Analyses
ne peut être considérée comme une politique de ségré- Critical Control Point ( HACCP) pour mieux répondre
gation à l’égard de l’un ou l’autre des deux sexes, mais aux exigences de leurs clients internationaux. Ceci, se
plutôt, c’est une pratique qui traduit l’esprit managérial répercute de manière positive sur les conditions de tra-
des marocains imprégné par la culture marocaine qui vail qui s’améliorent de plus en plus. Une amélioration
considère que la femme doit être orientée vers les qui est renforcée par le dispositif de contrôle mis en
travaux « soft » et non pas « hard ». place par la majorité des entreprises (93,8 %) notam-
Les salaires sont fixés principalement sur la base de ment des comités d’hygiène et de sécurité ou des com-
l’équité interne dans la plupart des cas (75 %) et dans missions de contrôle.
une moindre mesure en se référant à la masse salariale Cependant il convient de signaler qu’en principe toutes
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Les enjeux du management responsable dans le secteur agroalimentaire au Maroc : cas de la région Sous Massa ?
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ces entreprises devaient se doter de comité d’hygiène et (81,3 %), sur la qualification des employés (68,8 %),
de sécurité conformément au nouveau code de travail, sur les structures de l’entreprise (56,3 %) le mode de
qui prévoit dans son article 336 l’obligation de consti- management (50 %) et les relations internes (37,5 %).
tution de comité d’hygiène et de sécurité dans les entre- L’impact important sur la qualité des produits et la qua-
prises qui emploient plus de 50 salariés. C’est une lification des employés découle de la nécessité de satis-
remarque que nous avons soulevé aussi pour les comi- faire une clientèle de plus en plus exigeante, notamment
tés d’entreprises qui n’existent que dans 43,8 % d’entre dans un secteur caractérisé par un haut niveau de
elles ; alors que l’article 430 prévoit la nécessité de la rigueur en terme de normes d’hygiène et de sécurité.
mise en place de ces comités pour les entreprises qui Ceci, se répercute de manière positive sur les conditions
emploient plus de 50 salariés. de travail des employés, mais n’élimine pas pour autant
C’est une insuffisance que nous avons constatée encore la précarité due au caractère saisonnier de l’activité
au niveau des pratiques de représentation des salariés. agroalimentaire.
Ainsi, les délégués du personnel existent dans 68,8 %
des cas. Alors que la loi prévoit des délégués pour les Relations avec les fournisseurs
entreprises qui emploient plus de 10 salariés. Les fournisseurs sont régionaux (43,8 % des cas) natio-
Enfin, ces défaillances constituent un héritage d’une naux (68,8 % des cas) et internationaux (dans 75 % des
assez longue époque caractérisée par un vide et une cas). Les fournisseurs internationaux sont d’origine
ambiguïté de la législation de travail. Et ce n’est que espagnole (56,3 %), française 37,5 %, américaine
récemment que le nouveau code de travail a pu voir le 18,8 % et russe 12 %. D’autres nationalités ont été
jour (Janvier 2004). citées, notamment, l’Allemagne, le Canada, l’Argentine
Ainsi, il est tout à fait compréhensible que les entreprises et le Chili.
ne puissent se libérer totalement, pendant une période Le choix des fournisseurs se fait principalement sur la
courte, d’un ensemble de pratiques qui ont existé depuis base de la qualité et le prix (81,3 %) et dans une moin-
des décennies. dre mesure sur la base des services offerts.
Par ailleurs, nous ne pouvons négliger les efforts Les responsables considèrent qu’ils entretiennent des
déployés par ces entreprises pour répondre aux besoins relations avec leurs fournisseurs jugées très bonnes
de leur personnel grâce aux avantages sociaux offerts. (43,8 %) ou excellentes (25 %) ; alors que seulement
À ce titre, nous avons constaté que 75 % octroient des 6 % les ont qualifiées comme assez bonnes ou bonnes.
primes et des avantages en nature et 68,8 % contractent Ces relations ont eu un impact positif jugé important sur
des assurances maladies au profit des salariés et de leurs la qualité des produits (62,5 %), la qualification des
familles (conjoint(e) et enfants). employés (56,3 %), le mode de management (31,8 %),
En outre une évolution positive est constatée au niveau les structures organisationnelles (25 %) et en dernier
des interactions entre les employés considérées entant lieu les relations entre les employés (18,8 %).
que relations de coopération (87,5 %) ; avec un style de Globalement l’ouverture du marché marocain est jugée
management des responsables orienté de plus en plus positive dans 81,3 % des cas et l’impact de cet échange
vers le consultatif et le participatif. sur la responsabilité sociale de l’entreprise est considéré
comme positif par 81,3 % des responsables.
Relations avec les autres parties prenantes
Relations avec les clients Relation avec la communauté
81,3 % des entreprises étudiées s’orientent vers l’export Une certaine carence a été constatée à ce niveau. En
qui constitue plus 80 % de l’activité de 77 % d’entre effet, parmi les entreprises qui ont répondu, seulement
elles. Sachant que 46,8 % d’entre elles exportent la tota- 62,5 % conduisent des actions sociales au profit de la
lité de leur production. La clientèle est assez variée. On communauté. Ces actions prennent la forme d’aides aux
y trouve en première place la France (56 %), suivie de associations et aux plus démunis, des participations à
l’Espagne (50 %), les USA (37 %) en plus du Canada, des manifestations culturelles, et dans une moindre
de certains pays de l’Est et certains pays arabes. Afin de mesure des collaborations dans les recherches scienti-
pouvoir répondre au besoin de cette clientèle, 68,8 % fiques.
disposent d’un service marketing (ou commercial). Il convient de noter qu’en générale cet esprit de solida-
Mais, seulement 31,3 % mettent à sa disposition un ser- rité ne s’inscrit pas dans une démarche volontaire de
vice client. Ce qui ne rime pas avec l’intérêt qu’elles lui responsabilité sociale de l’entreprise mais plutôt trouve
accordent, qui est considéré comme vital pour 43,7 % sa raison d’être dans les convictions personnelles des
des cas ou très important pour 56,3 % des cas ; et elles dirigeants désireux de bien faire pour le monde qui les
lui offrent un service excellent (50 %) ou très bon entoure.
(43,8 %). Cependant, nous avons pu observer une certaine mobi-
Cependant, les responsables s’accordent en majorité sur lisation de certaines entreprises dans la perspective
l’impact positif de leur échange avec cette catégorie de d’intégrer, dans leur stratégie, l’Initiative Nationale de
clientèle principalement sur la qualité des produits Développement Humain (INDH), ce qui va donner un
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Limites et portée des pratiques de l’audit de la RSE en Tunisie : cas des entreprises du secteur textile habillement
Fériel LAALAI - Saloua LANGAR
en Tunisie : cas
grant des objectifs de développement durable, de mana-
gement des entreprises, de stratégie de conformité,
l’enjeu du rôle des auditeurs sociaux RSE doit se formu-
ler en terme d’intervention plus rapide et plus efficace.
des entreprises
Quand l’entreprise s’engage dans une pratique de la
RSE, le respect d’un ensemble de principes s’impose à
elle allant au-delà des dispositions légales, et reposant
du secteur textile
sur des instruments internationaux reconnus comme les
conventions de l’Organisation internationale du travail
(OIT), la Déclaration de Rio sur le développement dura-
ble...
habillement
Dans ce sens, la Tunisie qui s’est engagée, depuis 1986,
dans le programme d’intégration progressive dans
l’économie mondiale, avec son adhésion à l’organisa-
tion mondiale du commerce et plus récemment avec
l’accord du libre-échange conclu avec l’Union
Européenne doit se mettre au niveau des exigences de
cet engagement.
Ces réformes s’inscrivent dans une perspective d’adap-
tation aux exigences multiples de la concurrence
Fériel Laalai nationale et internationale au risque de transformer un
Inspectrice centrale du travail système d’intervention sociale relativement développé.
Trésorière adjointe de l’IAST Compte tenu de l’émergence de ces nouveaux concepts
[email protected] de management, l’implication des pratiques de l’audit
de la RSE en Tunisie, dans l’amélioration de l’environ-
nement social de l’entreprise est-elle réelle pour relever
Saloua Langar les défis de la mondialisation ?
L’introduction de nouveaux outils de gestion, de codes
Auditeur social certifié de conduite, des normes et des certifications sociales et
Trésorière de l’IAST environnementales, des rapports sociétaux, de la nota-
[email protected] tion sociale est-elle profitable aux entreprises tunisien-
nes ? Dans quelle mesure ces instruments sont-ils réel-
lement appliqués ? Autrement dit, pouvons-nous parler
de « qualité » des pratiques de l’audit de la RSE dans un
pays caractérisé par une culture spécifique et de son
contenu surtout si nous admettons que la nouvelle
économie repose sur l’émergence de nouveaux modes
de pilotage et d’évaluation qui s’imposent à un contexte
composé d’entreprises adoptant pour la plupart un
mode de travail taylorien ou à la tâche.
Les facteurs contextuels favorisent-ils l’imprégnation
des pratiques de l’audit de la RSE surtout dans le
secteur textile habillement caractérisé par un système
organisationnel taylorien.
Il apparaît de plus en plus que la RSE, permet l’émer-
gence d’un nouveau projet dans les entreprises lié à une
éthique globale de développement durable, intégrant de
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Limites et portée des pratiques de l’audit de la RSE en Tunisie : cas des entreprises du secteur textile habillement
Fériel LAALAI - Saloua LANGAR
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Limites et portée des pratiques de l’audit de la RSE en Tunisie : cas des entreprises du secteur textile habillement
Fériel LAALAI - Saloua LANGAR
économique intégré conduisant à un nouveau concept la entretien semi directif, analyse et restitution des résul-
responsabilité sociale durablement supportable16. tats.
Dans cette optique, il est intéressant de relever que le La préparation de l’audit se déroule par deux auditeurs
Conseil européen s’est donné pour mission de favoriser en un temps record qui est de l’ordre de 2 jours. Cette
le développement de la responsabilité sociétale des phase doit permettre d’auditer si l’entreprise respecte
entreprises, définie comme « l’intégration volontaire dans ces pratiques la législation sociale en vigueur,
par les entreprises, de préoccupations sociales et envi- d’une part, et permet de vérifier si les normes mises en
ronnementales, à leurs activités commerciales et leurs place sont en harmonie avec les règles des multinatio-
relations avec leurs parties prenantes17. nales d’autre part.
Ainsi, le concept de la RSE a donné lieu à la proliféra- C’est une étape qui va déboucher sur la collecte d’un
tion pendant ces dernières années d’indices, de déclara- matériel diversifié à travers les entretiens semi-directifs
tions, de chartes, de livres, de normes, de pactes… basés sur une méthode inductive où l’interviewé doit
Divers principes, lignes directrices et codes ont été formuler son vécu au travail, le type du rapport profes-
institués à l’intention des entreprises par les gouverne- sionnel et relationnel…
ments, les institutions intergouvernementales visant la La collecte des documents, la vérification et la valida-
transformation des conditions de la concurrence pour tion des informations ainsi que la liste du personnel
retrouver le contrôle du marché. concernée par l’entretien doit être fixée le jour même.
La pression sera forte également de la part des mouve- Durant les deux jours de la mission d’audit de la RSE,
ments anti-mondialisation qui se penchent sur les graves les informations ont été recueillies sur place à travers
excès de quelques grandes firmes multinationales, des notamment :
ONG qui sollicitent la mobilisation des entreprises - La réunion avec le premier responsable de l’entreprise
autour des problèmes sociétaux, des consommateurs et - L’entretien avec le directeur de la chaîne de production.
des investisseurs qui intègrent davantage de critères - L’entretien avec les monitrices et quelques salariées.
sociaux dans leur choix de portefeuille en prenant en - L’entretien avec les représentants du personnel s’ils
compte systématiquement le climat social de l’entreprise. existent.
Les individus veulent désormais « consommer » d’une
manière responsable. Les auditeurs ont pour rôle d’inspecter les lieux du
L’effet direct de la globalisation c’est l’apparition des travail en compagnie de l’employeur.
pratiques entrepreneuriales qui se sont accompagnées Pendant les deux jours de l’audit, les auditeurs RSE ont
par un essai de normalisation, de standardisation et de également pour mission d’assister à l’entrée et à la
labellisation de la RSE au niveau mondial (par des orga- sortie des salariés pour vérifier leur comportement en
nisations internationales, intergouvernementales et matière de sécurité.
privées), afin de créer des principes universels (Livre Au cours de la même période, les entretiens sont menés
vert, 2001)18. Mais cette recherche de normalisation, de auprès des salariés.
standardisation et de labellisation de la RSE n’est-elle L’échantillon a été relevé de la population des deux
pas un facteur d’iniquité et une pratique d’ingérence19. entreprises auditées. Le personnel des ces deux entre-
Qu’en est-il pour les entreprises tunisiennes opérant prises varie entre 40 et 200 personnes. Outre les inter-
dans un secteur aussi fragilisé ? views, plusieurs documents ont été analysés avant,
pendant et après l’enquête menée auprès des ouvrières
choisies comme échantillon. L’annexe 1 nous donne
une idée sur le questionnaire de l’auditeur.
2. Pratiques de l’audit social Les documents pris et ceux consultés sur place concer-
nent les documents ci-après désignés :
Les principales fonctions de l’audit RSE se trouvent La liste du personnel contractuel et titulaire, les fiches
être à la croisée d’un système socio-économique qui de paie, les fiches de recrutement vierges, la liste des
valorise les relations partenariales, maximise la satis- apprentis, le tableau des cœfficients majoritaires, la liste
faction des parties prenantes et réduit la frustration des de la répartition du personnel, la fiche du suivi journa-
travailleurs et leurs soucis. Comment se présente les lier. Les entretiens sont menés soit en langue française
pratiques de l’audit social en Tunisie dans le secteur soit en langue arabe.
textile habillement ?
16 SAVALL H et ZARDET V. Contribution de la théorie socio-écono-
2.1 - Démarche de l’Audit RSE mique des organisations à l’audit social.
à travers le prisme du « cross cheking » 17 Livre vert (2001). Promouvoir un cadre européen pour la responsa-
bilité sociale des entreprises », Bruxelles.
La conduite d’une mission d’audit de la RSE au sein de 18 Livre vert (2001), op. Cit., p.8.
deux entreprises auditées, à travers le prisme du cross 19 SAVALL H et ZARDET V (2005). Tétra normalisation. Défis et
cheking repose sur les étapes suivantes : préparation, dynamiques.
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Limites et portée des pratiques de l’audit de la RSE en Tunisie : cas des entreprises du secteur textile habillement
Fériel LAALAI - Saloua LANGAR
Une fois les documents analysés et les premiers entre- tés industrielles et emploie plus de 250 000 personnes
tiens entamés et après inspection des lieux du travail de l’ensemble des emplois des industries manufacturiè-
(affichage, pointage, vestiaires, issues de secours, port res en Tunisie. Il réalise, à lui seul plus de la moitié des
des vêtements de sécurité, sécurité des machines, toilette, exportations et contribue à concurrence de 5,4 % du
réfectoire…), l’auditeur peut identifier les principaux PIB.23
risques liés essentiellement à la RSE. C’est au vu de ces performances dans le tissu écono-
Dans ce « cross cheking », l’auditeur doit relever après mique et social que la branche de la confection a été
les deux jours éclairs passés au sein de l’entreprise, retenue pour cette étude. Une région a été concernée à
les points considérés comme concernant le travail des la ville de Radés, l’avantage de ce choix tient à une
enfants, comme il ne doit pas trouver des indices indi- question de proximité géographique (coût et temps), de
quant l’existence du travail forcé, l’harcélement sexuel connaissances et d’implantation importante d’entrepri-
et la liberté d’association qui sont parmi les points forts ses. La taille de ces entreprises varie entre 40 à 200
que le cross checking doit relever auprès des ouvrières salariés. La nationalité des dirigeants se répartit entre
enquêtées pendant les deux jours de l’audit de la RSE. tunisiens et étrangers.
Les points faibles pour le cross checking sont les discri- Les entreprises de ce secteur sont régies par la loi 72, ce
minations que peut subir le personnel pendant son que nous appellons communément en Tunisie entreprise
travail, le système inéquitable des sanctions, les abus sous douane.
de pouvoir exercés par les employeurs et les systèmes Le lieu du travail se présente pour la plupart comme un
d’encouragement à travers les primes. seul atelier qui regroupe l’ensemble des ouvrières, le
Les points afférents aux conditions de travail sont les travail est de type taylorien, caractérisé par un travail à
issues de secours, l’hygiène et la sécurité. la chaîne.
Après l’analyse de l’enquête de l’audit, les auditeurs La majeure partie des employés objet de l’enquête est
émettent des propositions d’amélioration. jeune, leur âge varie entre 20 ans et 45 ans. La quasi
Dans ce sens, comment se présente le contexte des totalité des entreprises étudiées dans cette région fonc-
entreprises tunisiennes appartenant au secteur textile tionne avec un personnel contractuel pour éviter de titu-
habillement, objet de l’enquête réalisée durant la pério- lariser les salariés.
de juin 2005 - octobre 2005 et dont les deux entreprises Les détails des données concernant ces entreprises sont
auditées reproduisent les caractéristiques d’un échan- données en annexe 2. Se reporter à la page suivante
tillon composé de 21 entreprises choisies pour démontrer pour les tableaux 1,2, et 3.
les limites des pratiques de l’audit de la RSE ? Ce sont des agents d’exécution dont le niveau d’ins-
truction ne dépasse pas le cycle primaire.
2.2 - Le contexte Il est à remarquer que le taux d’encadrement de ces
des entreprises enquêtées entreprises enquêtées est très faible, il existe au plus
4 cadres dans l’usine. Ce sont ceux qui sont appelés à
La Tunisie a depuis longtemps fait du développement gérer des unités de production et qui sont pour la plupart
du secteur des industries manufacturières l’un des axes des ingénieurs.
prépondérants de sa politique économique. La quasi-totalité des dirigeants des entreprises sont de
En effet, dans un premier temps, le développement du nationalité étrangère ignorant la langue arabe, seul
secteur manufacturier était orienté vers le marché local, moyen de communication avec un personnel essentiel-
puis à partir de l’année 1970, l’accent est mis sur l’acti- lement analphabéte.
vité exportatrice de celui-ci.20 Le sexe féminin est prépondérant ; ce sont dans la majo-
Le secteur du textile habillement est l’un des secteurs rité des femmes ouvrières. Désiquilibre flagrant de la
moteurs de l’économie tunisienne. C’est le premier parité selon le graphique suivant voir tableau 4, page
secteur employeur et exportateur de l’économie tuni- suivante :
sienne. Il demeure à ce jour le 6e fournisseur de
l’Europe. C’est aussi un secteur compétitif continuant à
attirer des investissements étrangers. En l’espace de
deux décennies, les exportations de ce secteur sont
passées de 5 millions de dinars à 2500 MD enregistrant 20 La part de la Chine dans ces produits est passée de 25 % en 2001 à
un taux d’accroissement annuel moyen de 14 %. 21 38 % au terme du 1er semestre 2003 et passerait d’ici 2010 à 40 %
Ainsi, 93% des exportations textile habillement en voire 50 % pour l’ensemble des produits d’habillement importés de
ce pays par l’UE ; cité in : Revue Le Manager, le mensuel de l’en-
Tunisie sont le fait de l’habillement occupant 87 % des treprise n° 103, Février 2005.
emplois. De ce fait, occupant une place très importante, 21 OMAR M (2005). Nos entreprises ont-elles besoin d’un audit
70 % des entreprises du secteur textile sont des entre- éthique ; article publié sur le site www.webmanager.center.
prises de confection et assurent presque 80 % des 22 GHERZI (1999). Etude stratégique du secteur textile-habillement
exportations avec 70 % des effectifs du secteur.22 tunisien.
Le secteur objet de l’enquête compte plus de 2 100 uni- 23 GHERZI, idem.
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- Analyse des priorités et des préférences accordées Le tableau n° 6 en annexe nous donne une sur le nombre
à l’application effective de la législation sociale. de sanction infligée aux employées.
À travers l’étude des deux audits basés sur le « cross-
Pour analyser le degré de réceptivité de ces entreprises cheking » une question semble s’imposer est de savoir
et leur volonté de respecter la législation en vigueur quel serait l’impact des audits RS sur ces entreprises ?
impose un regard sur ce qui s’applique réellement. Ces audits ne prennent pas en considération la culture
Ainsi, les défaillances des entreprises relevées lors de de l’entreprise ; pratiqués dans des délais très courts
l’enquête sont notamment : généralement une journée et demie, ces audits considé-
Le non-respect de la réglementation en matière de rés comme des « audits éclairs » effectués principale-
la représentation du personnel, sur l’ensemble des ment par des auditeurs étrangers ignorant le contexte
21 entreprises enquêtées 16 entreprise n’ont pas insti- réel de l’entreprise à auditer semblent être beaucoup
tuées une représentation du personnel ou une structure plus des audits coercitifs que des audits d’implication
de dialogue, ce qui démontre que les dirigeants ne du personnel au sein l’entreprise. L’analyse des résultats
croient pas aux nouvelles règles de gestion qui a pour révèle que les missions d’audit effectuées auprès de
base la concertation. deux entreprises ne donnent pas des effets positifs.
En effet, ces entreprises semblent accorder peu d’intérêt En d’autre termes, gérer la diversité consiste à surmon-
à des principes promouvant le dialogue sociale. Elles ter, dans un environnement multiculturel, les chocs
demeurent focalisées sur la performance et le rende- culturels afin de mettre en place une organisation et un
ment qui se font généralement par une pression cons- système de management efficace (rationalisation et
tante sur le personnel. maximisation des ressources afin d’atteindre les objec-
De même, compte tenu de la spécificité de ce secteur tifs fixés) Gao B., 2002.24 L’objectif est bien évidem-
exportateur, ces entreprises travaillent sous contraintes, ment de dépasser l’archaïsme des modes de gestion
adoptant un système de fonctionnement générateur de pour que puissent émerger un nouveau paradigme de
stress caractérisé par une certaine rigidité disciplinaire ; gestion de l’entreprise tunisienne. Compte tenu de
en effet, nous avons relevé un système de sanction l’émergence de ces nouveaux concepts de management,
inéquitable, les punitions sont prises sans questionnaire l’implication des auditeurs RSE, dans l’amélioration de
et sans conseil de discipline les sanctions sont variables l’environnement social de l’entreprise doit être réelle à
et pour la plupart sont de premier degré, elles varient de l’heure de la mondialisation. L’entreprise n’est pas
1 à 3 jours de mise à pied privatives de toutes rémuné- qu’une entité économique relativement isolée au sein
ration. d’un marché plus ou moins indifférencié. D’ailleurs, les
Nos constats empiriques ont relevés qu’avant chaque différences culturelles, les conflits de valeurs, sont les
export, les sanctions prises ne sont pas exécutées,
l’application effective de ses sanctions concerne les
périodes creuses, c’est-à-dire les périodes où l’entreprise 24 GAO,B. (2002). Le management face au défis de la mondialisa-
ne reçoit pas de commande où il n’y a pas beaucoup de tion : la chine, exemple d’application du management interculturel,
travail. Vuibert.
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Bibliographie
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L’entreprise à la carte : un nouveau paradigme de ges- nomique et engagement social de l’entreprise : jusqu’où
tion pour le XXIe siècle. Revue Internationale de est-ce compatible ? in : Revue Stratégies Ressources
Gestion. constatent l’émergence d’un nouveau paradig- Humaines.
me de gestion : l’entreprise à la carte. Selon ce paradig-
me, les employeurs devront personnaliser le milieu de SAVALL H. et ZARDET V. Contribution de la théorie
travail en permettant une flexibilité tournée vers les socio-économique des organisations à l’audit social.
employés.
SAVALL H. et ZARDET V. (2005). Tétra normalisa-
BALLET J ET DEBRY F. (2001). L’entreprise et tion. Défis et dynamiques.
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prenantes et partis pris, in: actes de la VIIe université de the Future of Capitalism, Transaction Publishers, New
printemps de l’IAS. Brunswick & London. E, 2002.
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Limites et portée des pratiques de l’audit de la RSE en Tunisie : cas des entreprises du secteur textile habillement
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.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Principaux sous-traitants
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.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Pourcentage des effectifs pouvant être considéré comme stable (3 ans d’ancienneté ou plus).
Taux de rotation annuel moyen du personnel
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
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La société a-t-elle déjà été auditée ? Quand ? Par quelle société d’audit ? Suivant quel système ?
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
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Annexe 1 : questionnaire
(24) Informations de base
(25)
Quelles informations sur le Code l’entreprise membre de l’ONG a-t-elle données à l’entreprise ?
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
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(29)
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(31)
Que pense la direction des syndicats et quelle expérience en a-t-elle, dans l’usine et dans la société en générale ?
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................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
S’il n’y a aucune représentation officielle, qui la direction contacte-t-elle si elle souhaite consulter les travailleurs
de l’atelier ou négocier avec eux (porte-parole informel) ?
................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
(33) Paiement d’un « salaire minimum vital ». La direction doit expliquer la politique salariale de l’entreprise.
Demandez à la direction d’expliquer la politique salariale. Les travailleurs sont-ils payés à la pièce ou à l’heure ? ....
....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
L’entreprise verse-t-elle des cotisations sociales pour tous ses collaborateurs ? Lesquels ? De quel montant ?
Quels sont les travailleurs exclus de ce système ?
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....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
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Quels sont les types de prime en vigueur ? (primes de performance, primes de départ, congés).
Sont-elles négociées
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.............................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Que se passe-t-il si, temporairement, l’entreprise n’a pas assez de travail pour tous les travailleurs ?
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Si les salaires sont calculés à la pièce, le système doit être expliqué en détail.
(34)
Quels sont les horaires de travail normaux, une semaine de travail normale, les congés ?
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................................
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................................
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....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Y a-t-il des régimes d’apprentissage ? Si oui, quelles sont les règles applicables ?
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Annexe 2 :
Caractéristiques générales des entreprises* textile habillement objet de notre étude au niveau de la région de Rades
Gouvernorat de Ben Rous Tunis
Existence de Structures
Entreprise Effectif total Effectif permanent Effectif contractuel
de dialogues CCE-DP
1 40 10 30 Non
2 52 46 6 CCE
3 40 22 18 DP
6 28 28 0 DP
7 70 70 0 Non
11 14 14 0 Non
13 211 22 189 DP
15 22 0 22 Non
16 42 0 42 Non
17 60 20 40 Non
18 40 10 30 Non
19 47 17 30 Non
20 25 8 17 Non
21 66 0 66 Non
* Pour des raisons de confidentialité, ces entreprises n’ont pas été citées.
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Tableau 2 : Part des effectifs titulaires et contractuels par rapport à l’effectif total
1 40 10 30 0,25 0,75
2 52 46 6 0,89 0,11
3 40 22 18 0,55 0,45
6 28 28 0 1 0
7 70 70 0 1 0
11 14 14 0 1 0
15 22 0 22 0 1
16 42 0 42 0 1
17 60 20 40 0,33 0,67
18 40 10 30 0,25 0,75
19 47 17 30 0,36 0,64
20 25 8 17 0,32 0,68
21 66 0 66 0 1
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1 36
2 38
3 32
4 42
5 43
6 39
7 38
8 37
9 34
10 36
11 37
12 37
13 39
14 40
15 40
16 35
17 33
18 32
19 31
20 33
21 34
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Niveau d’instruction
Entreprises Entreprises Effectif
Primaire Secondaire Supérieur
1 1 40 23 15 2
2 2 52 27 23 2
3 3 40 20 19 1
4 4 140 83 54 3
5 5 202 160 39 3
6 6 28 15 12 1
7 7 70 50 18 2
8 8 138 120 15 3
9 9 120 109 9 2
10 10 178 158 17 3
11 11 14 10 3 1
12 12 217 179 34 4
13 13 211 186 22 3
14 14 209 159 48 2
15 15 22 17 4 1
16 16 42 35 6 1
17 17 60 39 20 1
18 18 40 24 14 2
19 19 47 26 20 1
20 20 25 16 8 1
21 21 66 43 20 3
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1 40 34 6
2 52 46 6
3 40 32 8
4 140 123 7
5 202 189 3
6 28 23 5
7 70 63 7
8 138 124 14
9 120 113 7
10 178 167 11
11 14 10 4
12 217 201 16
13 211 199 2
14 209 178 31
15 22 0 22
16 42 40 2
17 60 44 16
18 40 34 6
19 47 34 13
20 25 18 7
21 66 50 16
197
La responsabilité sociale de l’entreprise ; au-delà des outils de gestion.
Alain LAPOINTE
La responsabilité E
ncore marginale en Amérique du Nord il y a
quelques décennies, la responsabilité sociale
corporative est aujourd’hui omniprésente, tant
sociale
dans les discours du milieu des affaires que dans ceux
des couloirs académiques. Les firmes se munissent de
chartes éthiques ou de codes de conduite, adoptent des
programmes volontaires de responsabilité sociale ou de
de gestion
lité sociale beaucoup plus large. L’enracinement de ce
concept dans les milieux d’affaires irait donc bien
au-delà de simples outils de gestion et traduirait une
rupture fondamentale avec le paradigme smithien selon
lequel l’intérêt général est assuré par la seule conjonction
de la poursuite des intérêts particuliers.
199
La responsabilité sociale de l’entreprise ; au-delà des outils de gestion.
Alain LAPOINTE
sont l’objet de visions parfois carrément contradictoires jeu garantissant des conditions sociales plus satisfai-
entre les entreprises et la société civile. Ce qui se réper- santes.
cute évidemment sur les pratiques préconisées par les
différents agents sociaux ; ainsi, alors que les représen- Les Trente Glorieuses ont effectivement donné lieu à
tants des entreprises favorisent l’adoption d’une approche une meilleure articulation de l’économie et du social.
volontaire et non contraignante, les acteurs de la société Mais le compromis fordiste devait cependant lui aussi
civile sont pour leur part davantage promoteurs d’une se révéler instable. Les crises économiques des années
approche institutionnalisée, avec contrôle indépendant 70 et 80, apparemment ingérables sur la base des prin-
et éventuellement sanction. cipes du « libéralisme encastré », ont en effet mené à la
délégitimation et éventuellement au démantèlement des
La réarticulation potentielle de l’économique et du institutions et des pratiques sur lesquelles reposait le
social à travers la RSE n’en est donc encore qu’à ses compromis fordiste (dont l’État-Providence). Cette
débuts et les éventuels résultats de cette dynamique sont dynamique de délégitimation a même donné lieu à une
pour les moins hypothétiques. Occasion historique de action efficace sinon concertée des milieux d’affaires
néo-libéral tempéré par la bonne volonté des entreprises ? pour discréditer les gouvernements en tant qu’acteurs
(ATTAC, 2003 ; p. 18) » ; la partie est à jouer. principaux de gouvernance de l’activité économique.
Cependant, même si l’on est encore loin d’un quel-
conque consensus, il n’en reste pas moins que le débat Les acteurs politiques et sociaux avaient réagi à la crise
sur la RSE a déjà pour effet d’ouvrir un espace de des années trente en réencastrant l’économique dans le
dialogue et de négociation inédit entre l’entreprise et les social ; comme le suggère Blyth (2002), les acteurs
différents acteurs sociaux. économiques dominants des dernières décennies ont
cherché à retourner le pendule en « re-désencastrant »
l’économique. La scène contemporaine nous montre
qu’ils y sont d’ailleurs largement parvenus. Le nouvel
1. Un nouveau désencastrement ordre économique néo-libéral qui caractérise la plupart
de l’économique des États capitalistes actuels présente en effet de très
fortes similarités avec la situation qui prévalait dans les
La dynamique d’autonomisation de la sphère écono- régimes pourtant discrédités dans les années trente : le
mique par rapport au socio-politique, dont on tient laisser-faire et l’autorégulation ont de nouveau la cote.
largement pour acquis qu’elle constitue un phénomène Mais ils sont aussi de nouveau contestés.
complémentaire sinon indissociable de la mondialisation
néo-libérale contemporaine, n’en est pourtant pas à son
premier « tour de piste ». C’était précisément le même
type de désencastrement que Polanyi (1944) mettait à 2. L’affaiblissement
jour et dénonçait déjà il y a plus d’un demi siècle, du pouvoir étatique
croyant, à tort, que le double mouvement arrivait à
terme et que le réencastrement de l’économique dans le Si le néolibéralisme paraît largement triomphant en ce
socio-politique auquel il assistait constituait un équilibre début de XXIe siècle, il est tout à la fois paradoxalement
pérenne. et conséquemment (c’est-à-dire en raison même de son
hégémonie) en pleine crise de légitimité. Plus l’entre-
Alors que les institutions économiques et régulatoires prise, acteur central de la suprématie de l’économique,
des États capitalistes libéraux étaient mises à mal pen- affirme sa domination sur les sphères politique et sociale,
dant la difficile traversée de la Grande Dépression, la plus les acteurs sociaux s’attendent, et bientôt revendi-
majorité des gouvernements de ces États rejetaient les quent, que ce pouvoir soit assumé de façon responsable.
principes du libéralisme classique en tant que pierre
d’assise de la gestion macro-économique. Largement Ce qui implique, en première ligne, que l’entreprise
sous influence keynésienne, la nouvelle orthodoxie reconnaisse et gère efficacement les retombées négatives
devint bientôt que le gouvernement était responsable de de ses activités. L’existence d’externalités négatives,
mettre en place des politiques actives de gestion de aussi bien sociales qu’environnementales, n’est
l’économie puisque le marché était désormais perçu évidemment pas un phénomène nouveau dans le paysage
comme intrinsèquement instable et incapable d’engendrer de la production industrielle. Mais là où on pouvait
des résultats socialement acceptables. Les seuls méca- s’attendre, il n’y a pas si longtemps encore, à la présence et
nismes de marché paraissaient en particulier incapables à l’efficacité de pouvoirs compensateurs capables notam-
d’enrayer le phénomène du chômage massif et prolongé ment de relayer les attentes sociales à travers le mécanis-
(caractéristique des années trente), si bien que le gou- me régulatoire de la réglementation gouvernementale, on
vernement avait non seulement le droit mais le devoir constate aujourd’hui que l’État a largement perdu, ou a
d’intervenir pour imposer des politiques et des règles du renoncé, à son pouvoir de régulation (Strange, 1996).
200
La responsabilité sociale de l’entreprise ; au-delà des outils de gestion.
Alain LAPOINTE
La poussée de la mondialisation économique n’est évi- diffusion du pouvoir étatique, mobilisation de la société
demment pas étrangère à cette émasculation des États civile inquiète des effets de la mondialisation néo-libé-
nationaux. Il devient en effet de plus en plus difficile rale et recherche de légitimité par les grandes entrepri-
pour les pouvoirs publics de contrôler efficacement à ses devenues acteurs dominants dans cette société où
partir du droit ou de la réglementation des comporte- l’économique impose ses règles et ses objectifs à
ments et des stratégies corporatives qui ne se laissent l’ensemble du corps social.
plus enfermer dans des frontières nationales. De plus,
non seulement le pouvoir coercitif de l’État est-il affai- C’est dans ce contexte que s’inscrit la responsabilité
bli de fait par l’éclatement des frontières économiques, sociale d’entreprise comme candidate à une nouvelle
mais l’intérêt même des gouvernements à contraindre forme de régulation mondiale. La RSE se pose en effet
les entreprises est remis en cause par la nouvelle donne comme un voie possible de réconciliation de la perfor-
mondiale. Comme en témoigne Petrella (1989), les gou- mance économique avec les performances sociale et
vernements ont de plus en plus tendance à considérer environnementale de l’entreprise et, donc d’harmonisa-
les entreprises qui œuvrent sur le territoire domestique tion des intérêts individuels de l’entreprise avec l’intérêt
comme des partenaires dans la lutte concurrentielle qui général de la société. Dans l’« aura » d’un tel potentiel
se livrent les États entre eux pour assurer la performance annoncé, le principe de la RSE est donc accueilli favo-
économique nationale. Or, le rapport de force qui rablement et de façon largement consensuelle par les
s’établit dans ces partenariats n’est pas forcément à divers acteurs sociaux et économiques.
l’avantage des gouvernements, si bien qu’on a parfois
l’impression que si les entreprises ont déjà été des Les données canadiennes sont particulièrement
instruments privilégiés de politique publique, le rapport éloquentes à cet égard, tout en restant représentatives
est maintenant inversé : ce sont dorénavant les grandes d’une tendance généralisée. Ainsi, le récent rapport de
entreprises qui ont instrumentalisé les gouvernements. la Commission sur la démocratie canadienne et la
responsabilisation des entreprises (2002) rapporte que
La formule de Beck (1986) à l’égard de l’affaiblisse- 72 % de la population canadienne se dit favorable à une
ment de l’État est très évocatrice ; pour lui, ce n’est pas révision du rôle de l’entreprise, qui ne se limiterait plus
l’État qui renonce à son pouvoir de régulation, mais au seul objectif de performance financière, mais qui
c’est le pouvoir qui se retire de l’État pour se diffuser inclurait des fonctions et responsabilités sociales plus
dans d’autres sphères de la société. L’étiolement du larges, notamment envers ses employés et les collecti-
pouvoir étatique s’accompagne donc d’un transfert de vités locales. On pourrait penser que les actionnaires ne
pouvoir à d’autres acteurs, en particulier aux firmes sont pas de cet avis ; pourtant, le même rapport fait
transnationales, reconfigurant ipso facto le rapport de valoir que 74 % des détenteurs d’actions partagent plei-
force entre le politique et l’économique. Cette reconfi- nement ce point de vue. Les dirigeants d’entreprises se
guration ne passe d’ailleurs pas inaperçue aux yeux de rangent également de ce côté : selon les données du
la société civile ; elle engendre en effet une décrédibili- Conference Board du Canada (2000), 78 % des diri-
sation de l’autorité publique auprès des citoyens qui geants d’entreprises canadiennes soutiennent que le
croient de moins en moins dans l’existence d’une marge succès d’une entreprise n’est pas uniquement synonyme
de manœuvre réelle des gouvernements. L’État ne serait de profits élevés mais aussi d’engagement social.
donc pas seulement en perte de capacité de régulation,
mais également en perte de légitimité. Plus le gouver- En apparence, la RSE paraît donc avoir le potentiel de
nement se fait l’allié des entreprises, moins les citoyens devenir le pivot d’un nouveau compromis susceptible
le perçoivent comme leur représentant légitime. De de réconcilier les partenaires sociaux. Mais cet apparent
sorte que si l’on peut toujours croire en la possibilité consensus ne résiste cependant pas longtemps à
d’un nouveau compromis social, il est cependant dou- l’analyse ; l’accord de principe s’effrite rapidement dès
teux que l’État puisse en être l’acteur principal. qu’on met à jour les représentations divergentes de la
RSE que s’en font les différents acteurs.
3. Le potentiel réconciliateur
de la RSE 4. Essence et limites
de la RSE volontaire
Sans prétendre que la conjoncture socio-politico-écono-
mique contemporaine se résume à ces quelques traits, Ainsi, dans les milieux corporatifs, la RSE renvoie
on peut néanmoins la caractériser par les dynamiques essentiellement à des initiatives purement volontaires
suivantes : montée en puissance des acteurs écono- de la part des entreprises pour adopter des politiques et
miques et particulièrement des firmes multinationales, des comportements qui vont au-delà de la loi ou de la
vide régulatoire découlant de l’effritement et de la réglementation. Pareilles initiatives ne sauraient donc
201
La responsabilité sociale de l’entreprise ; au-delà des outils de gestion.
Alain LAPOINTE
être imposées par un quelconque agent externe, fut-il des entreprises qui avaient adopté un code formel avec
gouvernemental, puisqu’elles sont librement consenties des dispositions portant sur le respect des droits
et initiées par l’entreprise. Ces mesures s’inscrivent humains, avaient recours à un quelconque mécanisme de
dans une perspective fondamentalement utilitariste, contrôle.
dans le cadre de laquelle la RSE est présumée bénéficier
simultanément à tous les acteurs, incluant évidemment On pourrait croire que les codes et certifications
l’entreprise elle-même. surveillés par des acteurs externes ne soulèveraient pas
de tels problèmes de crédibilité. Cependant l’évidence
C’est d’ailleurs là la « bonne nouvelle » que s’efforcent empirique disponible (Hepple, 1999 ; O’Rourke, 2000)
de répandre les apôtres corporatifs de la RSE (dont fait état de faiblesses nombreuses et importantes dans
l’influente association d’affaires Business for Social les processus d’audit de certifications qui sont pourtant
Responsability) qui font la promotion active des retom- parmi les plus respectées, comme le SA8000 (LARIC,
bées bénéfiques des pratiques de RSE, allant de l’amé- 1999) : flexibilité des normes, incompétence des
lioration de l’image corporative à l’augmentation de la évaluateurs, manque d’information factuelle, confiden-
fidélité des consommateurs (et donc des ventes), en tialité des rapports ne sont que quelques-unes des défi-
passant par l’accroissement de la loyauté et de la ciences les plus gênantes du système d’évaluation. Et
productivité des employés, jusqu’à l’allègement de la l’expansion rapide d’une « industrie de la certifica-
pression et des risques de réglementation gouverne- tion », qui implique que l’évaluation sociale est large-
mentale (BSR, 2003). Dans la perspective corporative, ment en voie de devenir l’affaire de compagnies privées
la RSE est en effet conçue comme une alternative à la payées par leurs propres clients pour évaluer leur
réglementation publique ; l’autorégulation privée performance sociale et environnementale, n’améliorera
permettrait de se soustraire aux contraintes de la pas beaucoup la crédibilité du processus.
réglementation gouvernementale en répondant volon-
tairement aux préoccupations et attentes sociales qui Il n’est donc pas surprenant que certains détracteurs de
alimentent le processus réglementaire. la RSE aillent jusqu’à soutenir que « l’industrie de la
surveillance des codes est à la remorque de la logique
Laissée au volontarisme, il n’est pas étonnant que la des règles du jeu globales des corporations »1 (LARIC,
RSE se traduise par des pratiques très diversifiées et le 1999) ; si bien qu’ultimement les codes et certifications
plus souvent peu contraignantes. En l’absence d’un seraient non seulement inefficaces, mais qu’ils nuiraient
référentiel reconnu, les codes de conduite qui concréti- à l’émergence de comportements corporatifs vraiment
sent l’adhésion à la RSE reposent souvent sur des normes plus responsables. Car non seulement l’efficacité de la
et standards vagues, faibles et non-opérationnels. Ces RSE volontaire est-elle questionnable (les beaux princi-
codes ont souvent tendance à se limiter à ce que pes ne se traduisent pas nécessairement en action, ni les
l’entreprise réussit déjà bien et à ignorer les enjeux comportements en résultats), mais ses objectifs-mêmes
problématiques. Ce laxisme s’explique en partie par le sont objet de scepticisme de la part des acteurs sociaux.
fait que la plupart des codes sont conçus par les entre- Considérant les avantages annoncés de la RSE dont il a
prises elles-mêmes (48 % selon une enquête de l’OCDE déjà été fait état, il n’est pas surprenant que certains
(2001), ou par des associations corporatives (38 %), ce considèrent la RSE essentiellement comme un outil de
qui laisse peu de place aux codes proposés par des marketing supplémentaire pour les entreprises, qui vise
acteurs à but non-lucratif, gouvernements ou ONGs. bien d’avantage à augmenter les profits qu’à améliorer
le sort de ses divers interlocuteurs (Jones, 1996).
En conséquence, les codes sont souvent de type procé- Certains vont même jusqu’à voir dans la RSE une stra-
dural (comme la certification ISO) plutôt que substantifs tégie de légitimation de l’entreprise auprès des acteurs
(comme le référentiel GRI), ce qui signifie que l’enga- sociaux, destinée à mieux faire accepter le pouvoir dont
gement corporatif se limite à l’adoption de systèmes de dispose l’entreprise (Champion et Gendron, 2003).
management pour gérer des enjeux sociaux ou environ- Compte tenu de ces multiples caveat, peut-on toujours
nementaux déterminés, mais sans pour autant fixer considérer la RSE comme une voie potentielle de
d’objectifs de performance spécifiques. Ainsi, une réconciliation de l’économique et du social ?
mauvaise performance peut être parfaitement compati-
ble avec le respect du code de conduite ou des normes
de certification. D’autre part, le faible impact des codes
peut être également dû à l’absence de mécanismes
formels de contrôle. L’enquête de l’OCDE (2001)
rapportait qu’à peine 32 % des codes échantillonnés
traitaient de mécanismes de contrôle. D’autres études
ont aussi constaté le laxisme des mesures de vérifica- 1 Notre traduction ; « service industry for monitoring codes is driven
tion; ainsi, Kolk (1999) observait que seulement 44 % by the logic of global corporate rule »
202
La responsabilité sociale de l’entreprise ; au-delà des outils de gestion.
Alain LAPOINTE
5. À la recherche d’un nouveau nouveau compromis stabilisé par les lois » (Salmon,
compromis 2003 ; p. 34). La RSE n’est pas seulement un problème
de gestion responsable, mais un nouveau compromis
Manifestement, pour espérer réconcilier l’économique social potentiel qui questionne le rôle de l’entreprise en
et le social, il faudrait d’abord que la RSE soit elle- tant qu’institution sociale privée (Touraine, 1969).
même comprise et définie comme une articulation entre
acteurs et pouvoirs économiques et acteurs et pouvoirs
socio-politiques. Limiter la RSE à l’initiative privée et
à l’autorégulation (et à ses outils fonctionnels) va plutôt Bibliographie
dans le sens opposé, vers une privatisation du droit qui
confie le respect de l’intérêt public à la bonne volonté
d’acteurs économiques à but lucratif. L’impasse est à la ATTAC (2003), « Responsabilité sociale des entrepri-
fois évidente et incontournable. ses, ou contrôle démocratique des décisions écono-
miques ? », L’Économie politique, n° 18, pp. 7-25.
La responsabilité sociale ne peut donc pas se jouer en
marge de la loi ou comme substitut à la réglementation BECK U. (1986), « Pas de limite à la politique: gestion
publique ; elle doit au contraire être conçue en complé- politique et technico-économique dans la société du
mentarité de la réglementation gouvernementale et risque », dans La société du risque. Sur la voie d’une
implique donc nécessairement la participation des auto- autre modernité, Alto Aubier (2001), Paris, pp. 399-493.
rités publiques. Ce qui n’exclue pas que les entreprises,
directement ou par l’entremise d’associations indus- BLYTH M. (2002), Great Transformations: The Rise
trielles ou corporatives, participent à l’élaboration de and Decline of Embedded Liberalism, Cambridge
référentiels de normes de RSE. Cependant, une fois University Press, Cambridge ; pp. 281.
dégagé un relatif consensus à cet égard, l’obligation de
conformité ne pourrait plus être sur une base simple- BUSINESS FOR SOCIAL RESPONSABILITY
ment volontaire ; les normes fixées consensuellement (2003), www.bsr.org.
deviendraient les nouvelles règles du jeu, applicables à
tous. À la limite, on pourrait concevoir un régime où les CANADIAN DEMOCRACY AND CORPORATE
abstentionnistes seraient tolérés, à la condition cepen- ACCOUNTABILITY COMMISSION (2001),
dant d’être clairement identifiés comme tels, ce qui « An Overview of the Issues », www.corporate-accoun-
permettrait de réconcilier volontarisme et coercition, un tability.ca.
peu à la façon du nouveau label social belge (Maurais,
2003). Bien sûr, tout système reposant sur l’établisse- CANADIAN DEMOCRACY AND CORPORATE
ment de normes généralisées supposerait également la ACCOUNTABILITY COMMISSION (2002), « The
mise en place de mécanismes d’évaluation et de contrôle New Balance Sheet: Corporate Profits and Responsibility
efficaces, transparents et indépendants ; l’implication in the 21th Century », www.corporate-accountability.ca.
des gouvernements et de la société civile sont donc
indispensables pour conférer crédibilité et légitimité au CHAMPION E. & C. GENDRON (2003), « Le déve-
processus. loppement durable selon Monsanto », Oeconomia
Humana : Bulletin de la Chaire Économie et Humanisme,
D’ailleurs, le rôle des acteurs sociaux ne devrait pas se Vol. 1, n° 6, www.ceh.uqam.ca/pdf/oeconomiahuma-
limiter à une participation étroite à la définition des nor- naavril2003.pdf.
mes et la mise en place d’un système de monitoring
adéquat de RSE mais s’inscrire, de façon beaucoup plus GENDRON C., A. LAPOINTE & M-.F. TURCOTTE
large, dans la recherche et la construction d’un meilleur (2004), « Responsabilité sociale et régulation de l’en-
équilibre global entre pouvoir économique et pouvoir treprise mondialisée », Relations Industrielles, vol. 59,
social. C’est donc dire que parallèlement à l’institution- n° 1, pp. 73-100.
nalisation de la RSE, les acteurs sociaux doivent égale-
ment travailler au renforcement des divers contre-pou- JONES M.T. (1996), « Missing the Forest for the
voirs susceptibles de limiter le pouvoir de l’entreprise, Trees. A Critique of the Social Responsibility Concept
autant à travers une action syndicale redynamisée que and Discourse », Business and Society, Vol 35, n° 1,
par l’activisme d’ONGs et groupes de pression de tous pp 7-41.
ordres. En somme, la RSE doit aller au-delà d’un méca-
nisme pour « contenir les risques et défaillances du KOLK A. AND AL. (1999), « International Codes of
marché en appelant à la modération des acteurs guidés Conduct and Corporate Responsibility: Can Transnational
par des codes de conduite et de gouvernance (pour parti- Corporations Regulate Themselves? », Transnational
ciper) à bâtir l’espace économique international sur un Corporations, n° 8, pp.143-180.
203
La responsabilité sociale de l’entreprise ; au-delà des outils de gestion.
Alain LAPOINTE
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204
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
Externalisation Introduction
de la coopération
résulte d’une enquête sur les relations entre prestataires
de vente externalisée et entreprises externalisatrices de
force de vente. Pour cet article, elle est centrée sur la
partie relative à la RSE et l’audit de la coopération dans
le cadre de la prestation de vente. Nous avons cherché à
vérifier l’hypothèse selon laquelle plus le prestataire de
vente transmet des éléments de communication à
l’entreprise externalisatrice, plus il incite celle-ci à
participer à leur relation.
Erick Leroux
Maîtres de conférences en Sciences de Gestion Les arguments théoriques et méthodologiques sur
Université de Paris XIII lesquels repose ce travail sont exposés dans les paragra-
[email protected] phes suivants. Dans un premier temps nous abordons la
force de vente externalisée pour voir sur quoi peut reposer
l’audit de la coopération et la RSE. La deuxième partie
de l’article est consacrée au terrain de l’étude, c’est-à-
Jean-Marie Peretti dire aux résultats d’une enquête relative en définitive à
Professeur l’engagement des deux acteurs.
ESSEC et IAE de Corte
[email protected]
205
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
206
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
Il en découle que la communication est un point impor- A. La constitution et le recueil des données
tant dans la coopération entre les acteurs, qu’il convient On dénombre en France une centaine de prestataires
d’aborder maintenant. dont une trentaine exercent uniquement cette fonction
de « loueur de forces de vente ». À partir des données
C. L’importance fournies par les syndicats professionnels de prestation
de la communication entre les acteurs de vente et une parfaite du terrain de l’externalisation, il
Selon Rey et Tirole (1986), dans le cadre d’une appro- a été possible de constituer une base de données assez
che interorganisationnelle, la communication reste un complète. Ces entreprises sont aptes à proposer une
élément incontournable en matière d’efficacité pour les FVE dans de nombreux secteurs : papeterie, agro-ali-
interactions et les rapports entre les partenaires. Si l’en- mentaire, textile, énergie, informatique, nouvelles tech-
treprise externalisatrice communique avec le prestataire nologies, jeux vidéo, chimie, médical, paramédical,
de vente, c’est surtout ce dernier qui doit réaliser des etc… Après une phase de test, 56 questionnaires ont été
efforts de communication. Pour le prestataire de vente, envoyés par courrier auprès de prestataires de vente et
développer des efforts de communication dans le cadre 34 (44 %) ont été retournés, ce qui correspond à un
de la relation d’agence présente un atout dès lors que excellent taux de retour. Trois questionnaires ont été
ces mêmes efforts lui préservent ses intérêts vis-à-vis de écartés en raison de données manquantes. Concrètement
l’entreprise externalisatrice. Dans le modèle principal- la base de données a été constituée de 31 questionnaires.
agent, la communication sert à atténuer les incertitudes,
externes et internes, auxquelles sont confrontés les B. L’exploitation des données
acteurs. En réponse à l’instabilité de l’environnement, En raison de la nature du matériau initial de cette
l’entreprise (le futur principal) glane les renseignements recherche, un questionnaire de 60 items, l’exploitation
indispensables à son évaluation de l’opportunité de des données a été réalisée par le logiciel de statistique
l’externalisation et à la recherche d’un prestataire de SPSS. De ce questionnaire couvrant un large champ des
vente (le futur agent). Dans le cadre de l’externalisation relations possibles entre FVS et prestataire, seules les
de la force de vente, la dimension de la communication questions relatives à la communication du prestataire de
est donc considérable et son impact sur la performance vente et à l’engagement du commanditaire de force de
est incontestable. Elle se trouve au centre des deux vente font l’objet d’une présentation dans le cadre de
types de relations : entreprise externalisatrice-prestatai- cet article. Comme il a été précisé au préalable les élé-
re et vendeur externalisé-client final. C’est aussi un ments extraits du questionnaire et relatifs aux éléments
élément important dés lors que l’entreprise externalisa- étudiés figurent en annexe n° 1. Des tests de Kendall et
trice gère simultanément sa force de vente intégrée et la des analyses en composantes principales ont été réalisés
force de vente externalisée qu’elle emploie ponctuelle- pour tenter de valider l’hypothèse selon laquelle plus
ment ou en permanence (Plane, 2003). selon laquelle plus le prestataire de vente transmet des
éléments de communication à l’entreprise externalisa-
trice, plus il incite l’entreprise externalisatrice à partici-
per à leur relation.
2. Le rôle de la communication
du prestataire de vente Il convient maintenant de voir dans quelle mesure le
sur l’engagement de l’entreprise prestataire de vente transmet des éléments de communi-
cation à l’entreprise externalisatrice et incite l’entreprise
externalisatrice de force de vente externalisatrice à s’engager dans leur relation.
dans le cadre de la RSE
2.2 - Les résultats et la discussion
Dans un premier temps, l’exposé porte sur les aspects de la recherche
méthodologiques de cette recherche ; puis dans un
second temps, analyse les résultats qui permettent de Ces résultats sont proposés en trois étapes : les résultas
mieux comprendre l’impact de la communication sur bruts suivis du commentaire général et enfin pour
l’engagement de l’entreprise externalisatrice dans leur terminer la discussion.
relation. Ensuite une discussion de ces résultats relatifs
à la communication du prestataire et à la participation A. les résultats bruts
du commanditaire est proposée. Les tableaux n° 1, 2 et n° 3 donnent les résultats
synthétiques relatifs à la relation, à savoir les éléments
2.1 - La méthode de communication du prestataire de vente destinés au
commanditaire de force de vente et la participation de
Auparavant il convient de préciser les modalités de ce dernier à la relation.
constitution et de recueil des données puis la manière
dont elles ont été exploitées.
207
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
Component Matrix(a)
Component
1 2 3 4
RANK of INDICTPS ,734 -3,570E-02 -5,473E-02 ,123
RANK of INDICVEN ,508 -,317 ,593 ,166
RANK of INFACTVE ,665 ,314 -,301 -,340
RANK of QUANCO ,549 -,216 -3,821E-03 ,657
RANK of QUALICO ,146 ,597 -,156 -,403
RANK of Q47.1 ,336 ,484 -,474 ,446
RANK of Q47.2 ,263 ,834 ,182 ,135
RANK of Q47.3 8,137E-02 ,266 ,768 -,237
RANK of Q47.4 ,802 6,026E-02 ,336 -,130
RANK of INFOSTOC -,391 ,709 ,201 ,271
RANK of INFOTCLI ,593 -,279 -,300 -,347
D’après le tableau de la variance et la matrice des com- leurs déplacements (qualico), les indicateurs liés la pré-
posantes, nous pouvons retenir trois dimensions. paration de leurs démarches (q47.2), à leurs déplace-
ments et à leurs attentes (q47.1), et à leur gestion des
Le plan obtenu avec l’axe 1 et 2 explique 26,33 % de stocks (infostoc) (cf. figure n°1).
l’inertie du nuage de points. La première dimension que
l’on nommera DIFINFO1 est constituée par les indica- Le troisième axe explique 14,18 % de l’inertie du nuage
teurs de type quantitatif (quanco), les indicateurs de de points. La troisième dimension que l’on nommera
moyens mis en œuvre (indictps), de fréquence de trans- DIFINFO3 correspond à la transmission des informa-
mission d’informations par les vendeurs (infactve et tions sur les ventes (indicven), au temps consacré pour
infocli) et les renseignements concernant la concurren- le merchandising et pour l’enregistrement des comman-
ce (q47.4) (cf. figure n° 1). des (q47.3) (cf. figure n° 1).
La deuxième dimension que l’on nommera DIFINFO2 La carte factorielle n° 1 détaille ces éléments.
comprend les indicateurs qualitatifs permettant d’éva-
luer le temps consacré par les commerciaux supplétifs à La matrice suivante présente deux axes.
,8
rank of qualico Tableau n° 2 : La matrice des corrélations
,6
rankrank of q47.2
of q47.1 entre les variables du second bloc
rank of infactve et les axes dégagés par l’ACP
,4
,2
Component Matrix(a)
,0 rank of q47.3 Component
rank of indictps
rank of q47.5
-,2
1 2
-,4 rank of quanco RANK of Q50 ,856 ,284
-,6 RANK of Q51.1 ,552 ,294
Component 2
rank of indicven
RANK of Q51.2 ,579 ,421
-,8
RANK of Q51.3 -,434 ,784
-1,0
-1,0 -,8 -,6 -,4 -,2 ,0 ,2 ,4 ,6 ,8 1,0
RANK of Q51.4 -,399 ,771
Component 1
208
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
Le premier axe explique 34,40 % de l’inertie du nuage Concernant la deuxième dimension COMCOB2, on
de points. La première dimension que l’on nommera rejette le test de l’hypothèse d’indépendance au profit
COMCOB1 comprend les efforts du prestataire en de l’hypothèse de concordance entre la fréquence d’uti-
matière de communication globale (q50) et la fréquen- lisation du mailing et du phoning (q51.3) et celle de la
ce d’utilisation des supports de communication institu- démarche commerciale (q51.4) avec un risque d’erreur
tionnelle (q51.1 et q51.2) (cf. figure n° 2). inférieur à 5% (la valeur estimée du taux de Kendall est
τ(q51.3, q51.4) = 0,495 avec un niveau de signification
Le deuxième axe explique 31,07 % de l’inertie du de 0,5%).
nuage de points. La deuxième dimension que l’on nom-
mera COMCOB2 représente la fréquence d’utilisation Tableau n° 3 : La matrice des corrélations entre les
des moyens utilisés par le prestataire de vente pour variables de la participation du commanditaire à la relation
atteindre ses cibles : les mailing et le phoning (q51.3) et les axes dégagés par l’ACP
ainsi que la démarche commerciale (q51.4) (cf. figure
n° 2).
Component Matrix
La carte factorielle n° 2 détaille ces éléments. Component
1 2
Pour la première dimension COMCOB1, en utilisant
sur la population, le test d’indépendance avec le test de RANK of Q20 ,843 -7,077E-02
Kendall, on rejette l’hypothèse d’indépendance entre le RANK of Q39 -,318 ,654
niveau d’effort global de la communication du presta- RANK of Q40 ,373 ,700
taire (q50) et la fréquence d’utilisation de la presse RANK of Q41 1,570E-03 ,725
professionnelle (q51.1) au profit de l’hypothèse de
RANK of Q42 ,871 5,721E-03
concordance avec un risque d’erreur inférieur à 5 % (la
valeur estimée du taux de Kendall est τ(q50, q51.1)
= 0,335 avec un niveau de signification de 1,45 %). De Le premier axe explique 34,19 % de l’inertie du nuage
même, on rejette l’hypothèse d’indépendance avec le de points. La première dimension que l’on nommera
test de Kendall au profit de l’hypothèse de concordance, FAC1CLI, est représentée par la culture morale du com-
entre le niveau d’effort global de la communication du manditaire de force de vente (q42) et par l’effet de la loi
prestataire (q50) et la fréquence d’utilisation des salons des 35 heures sur les tarifs (q20) (cf. figure n° 3). Il res-
professionnels (51.2) avec un risque d’erreur inférieur à sort que la prise en compte de la loi des 35 heures sur
5 % (la valeur estimée du taux de Kendall est τ(q50, les tarifs est associée à une forte culture éthique du
q51.2) = 0,453 avec un niveau de signification de commanditaire de force de vente.
2,5 %).
C o m p o n e n t P lo t
1 ,0
r ar na kn ko fo fq 5q 15 .3
1 .4
,5 r a n k o f q 5 1 .2
r a n k o f q 5 1 .1r a n k o f q 5 0
0 ,0
C o mp o n e n t 2
- ,5
- 1 ,0
- 1 ,0 - ,5 0 ,0 ,5 1 ,0
Component 1
209
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
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Le deuxième axe explique 28,96 % de l’inertie du Avec le test de Kendall, on rejette l’hypothèse d’indé-
nuage de points. La deuxième dimension que l’on nom- pendance au profit de l’hypothèse de concordance entre
mera FAC2CLI, réunit les items 39,40,41 qui font réfé- la transmission des indicateurs de temps de l’activité
rence à la mise en place en permanence et à la disponi- des commerciaux supplétifs (indictps) et l’effet de la loi
bilité d’interlocuteur par le commanditaire de force de des 35 heures sur les tarifs (q20), avec un risque
vente ainsi qu’à la transmission d’information par lui au d’erreur inférieur à 10 % : la valeur estimée du taux de
prestataire de vente et à force de vente supplétive (cf. Kendall est t(indictps, q20) = 0,235, ce qui correspond
figure n° 3). à un niveau de signification de 7,15 %. On peut égale-
ment rejeter l’hypothèse d’indépendance entre la
La carte factorielle suivante présente ces deux dimen- transmission des indicateurs relatifs à l’évaluation des
sions. commerciaux supplétifs (quanco) et l’effet de la loi des
35 heures sur les tarifs (q20) : la valeur estimée du taux
Après avoir utilisé le test de Kendall sur les différentes de Kendall est τ(quanco, q20) = 0,278 ; ce qui cor-
dimensions des deux composantes définies précédem- respond à un niveau de signification de 4,20 %. De
ment, plusieurs résultats apparaissent. même, avec le test de l’hypothèse d’indépendance entre
l’indicateur de temps consacré par les commerciaux
Nous allons donc étudier l’effet des différentes dimen- supplétifs à la veille stratégique (q47.4) et l’effet de la
sions de la communication du prestataire de vente sur loi des 35 heures sur les tarifs (q20), on peut rejeter avec
les différentes dimensions de la participation du com- le test de Kendall, l’hypothèse d’indépendance au
manditaire de force de vente à la relation d’agence et à profit de l’hypothèse de concordance avec un risque
sa qualité en commençant par la première dimension de d’erreur inférieur à 10 % (la valeur estimée du taux de
la communication du prestataire de vente DIFINFO1 Kendall est τ(q47.4, q20) = 0,237 ; ce qui correspond à
sur les différentes dimensions de la participation du un niveau de signification de 7,45 %). Utilisant la même
commanditaire de force de vente à la relation d’agence procédure, on rejette avec le test de Kendall, l’hypothèse
et à sa qualité. d’indépendance, entre la transmission des indicateurs
relatifs à l’évaluation des commerciaux supplétifs
Effet de la dimension DIFINFO1 sur les dimensions (quanco) et la disponibilité de l’interlocuteur direct mis
de la participation du commanditaire à la relation et en place par le commanditaire (q40), au profit de
à sa qualité l’hypothèse de concordance avec un risque d’erreur
inférieur à 5 % (la valeur estimée du taux de Kendall est
τ(quanco, q40) = 0,285 ; ce qui correspond à un niveau
1,0
,5
rank of q42
0,0 rank of q20
-,5
Component 2
-1,0
-1,0 -,5 0,0 ,5 1,0
Component 1
210
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
de signification de 4,6 % ; il y a donc 4,6 chances sur concordance avec un risque d’erreur inférieur à 5 % (la
100 de commettre une erreur si l’on décide de rejeter valeur estimée du taux de Kendall est t(q50, q20)
l’hypothèse d’indépendance). On rejette, également par = 0,265 ; ce qui correspond à un niveau de signification
exemple, les hypothèses d’indépendance entre d’une de 4,6 %). On rejette également l’hypothèse d’indépen-
part, la fréquence de transmission des informations par dance, avec le test de Kendall, au profit de l’hypothèse
les vendeurs (infocli), d’autre part, la transmission des de concordance, entre la fréquence d’utilisation de la
indicateurs de temps (indictps) et la transmission des presse professionnelle (q51.1) et le degré de disponibi-
documents par le commanditaire (41), au profit des lité de l’interlocuteur mis en place par le commanditaire
hypothèses de concordance avec un risque d’erreur (q40) avec un risque d’erreur inférieur à 10 % (la valeur
inférieur à 10 % (la valeur estimée du taux de Kendall estimée du taux de Kendall est τ(q51.1, q40) = 0,207; ce
est τ(infocli, q41) = 0,263 et le niveau de signification qui correspond à un niveau de signification de 9,65 %).
observé est 6,25 % ; la valeur estimée du taux de
Kendall est τ(indictps, q41) = 0,276 et le niveau de Effet de la dimension COMCOB2 sur la participa-
signification observé est 5,85 %). tion du commanditaire de force de vente à la relation
et à sa qualité.
Effet de la dimension DIFINFO2 sur la participa-
tion du commanditaire de force de vente à la relation
et à sa qualité. Le test de l’hypothèse d’indépendance entre la fréquence
d’utilisation des démarches commerciales par le presta-
taire (q51.4) et le degré de disponibilité de l’interlocu-
Testant l’hypothèse d’indépendance entre la transmis- teur mis en place par le commanditaire (q40), avec le
sion des indicateurs liés aux stocks (infostoc) et la test de Kendall, permet de rejeter l’hypothèse d’indé-
culture morale du commanditaire de force de vente pendance au profit de l’hypothèse de concordance avec
(q42), on rejette avec le test de Kendall, l’hypothèse un risque d’erreur inférieur à 5 % (la valeur estimée du
d’indépendance au profit de l’hypothèse de concordance taux de Kendall est τ(q51.4, q40) = 0,346 ; ce qui cor-
avec un risque d’erreur inférieur à 5 % (la valeur esti- respond à un niveau de signification de 1,75 %). On
mée du taux de Kendall est t(infostoc, q42) = 0,294 ; ce rejette également l’hypothèse d’indépendance, avec le
qui correspond à un niveau de signification de 3,70 %). test de Kendall, au profit de l’hypothèse de concordance,
On rejette également l’hypothèse d’indépendance, avec entre la fréquence des démarches commerciales par le
le test de Kendall, entre la transmission des indicateurs prestataire (q51.4) et la transmission des documents par
liés aux déplacements et aux attentes des commerciaux le commanditaire (q41) avec un risque d’erreur infé-
externalisés (q47.1), et la culture morale du commandi- rieur à 10 % (la valeur estimée du taux de Kendall est
taire de force de vente (q42), au profit de l’hypothèse de τ(q51.1, q40) = 0,253 ; ce qui correspond à un niveau de
concordance avec un risque d’erreur inférieur à 10 % signification de 6,75 %).
(la valeur estimée du taux de Kendall est τ(q47.1, q42)
= 0,209 ; ce qui correspond à un niveau de signification B. Le commentaire général des résultats
de 7,95 %). Utilisant la même procédure, on rejette avec 1) La communication du prestataire est perçue comme
le test de Kendall, l’hypothèse d’indépendance, entre la un signe fort d’engagement par le commanditaire dans
transmission des indicateurs liés à la préparation des leur relation avant le démarrage de la relation. Par le
démarches et les traitements des résultats des commer- biais de la presse professionnelle et sa présence à des
ciaux supplétifs (q47.2) et la culture morale du com- salons professionnels, le prestataire de vente démontre
manditaire de force de vente (q42), au profit de l’hypo- qu’il est établi professionnellement, et stable sur le
thèse de concordance avec un risque d’erreur inférieur à marché de l’externalisation de vente. En agissant de la
5 % (la valeur estimée du taux de Kendall est τ(q47.2, sorte, il crée une certaine confiance auprès des
q42) = 0,358; ce qui correspond à un niveau de signifi- prospects et de ses clients et prouve en quelque sorte au
cation de 1 %). commanditaire de force de vente qu’il a eu raison de
louer ses services. Son action de communication dans
Effet de la dimension COMCOB1 sur la participa- ce genre de manifestation lui sert à évoquer publique-
tion du commanditaire de force de vente à la relation ment les facteurs de réussite d’une mission de vente,
et à sa qualité. dont la mise à disposition d’interlocuteurs par les entre-
prises externalisatrices de force de vente (Leroux,
2004).
Testant l’hypothèse d’indépendance entre le niveau
d’effort de communication global du prestataire de 2) La transmission de nombreuses informations par les
vente (q50) et l’effet de la loi des 35 heures sur les tarifs vendeurs supplétifs au commanditaire de force de
(q20), on peut rejeter avec le test de Kendall, l’hypo- vente, incite le commanditaire de force de vente à
thèse d’indépendance au profit de l’hypothèse de davantage communiquer avec la force de vente supplé-
211
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
212
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
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213
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
Annexe 1 : le questionnaire
Taux : 100%
Très peu Peu d’impact Impact moyen Fort impact Très fort impact
d’impact
6% 17% 32% 33% 12%
Moyennes en %
Q 39 - Votre client a-t-il mis en place un ou des interlocuteurs directs et disponibles en permanence pour vous ?
Oui non
Q 40 - quelle est votre appréciation sur le degré de disponibilité de (ou des) l’interlocuteur (s) direct(s) mis en
place par votre client ?
Q 41 - Votre client vous transmet-il à l’avance les renseignements commerciaux (tarifs, liste des clients ou des
prospects, habitude de la clientèle, etc...) nécessaires à vos commerciaux ?
oui non
Q 42 - Quelle est votre appréciation sur le degré d’existence chez le client d’une culture morale et sociale (1)
limitant les comportements opportunistes ?
214
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
Q 44 – Quels sont les indicateurs transmis par les commerciaux supplétifs à votre client ?
Moyennes en %
Plan de tournées 58,06 %
Importance du démarchage 48,38 %
Moyennes en %
Ventes en unités et volume 70,96 %
Activités de promotion de vente 58,06 %
Q 45 - Les informations relatives aux activités des commerciaux supplétifs suite à des réunions, sont transmises
à quel rythme à votre client ?
Moyennes en %
Tous les mois au moins 6%
Toutes les 2 semaines 9%
Toutes les semaines 70%
2 ou 3 fois par semaine 9%
Une fois par jour au moins 6%
Q 46 – Quels sont les indicateurs relatifs à l’évaluation des commerciaux supplétifs pour la mission de votre
client ?
Moyennes en %
Importance du démarchage 48,38 %
Merchandising 38,70 %
Performance (ex: volume de vente, réalisation des objectifs, nombre de commandes) 80,64 %
Aspects qualitatifs de la vente (ex : satisfaction de la clientèle) 54,82 %
Moyennes en %
Aspects qualitatifs de la vente (ex : satisfaction de la clientèle) 54,82 %
215
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
Q 48 - Quels sont les indicateurs relatifs aux stocks et aux expéditions (si vente en laisser sur place) transmis à
votre client ?
Taux de réponse : 29 %
Moyennes en %
Etat des stocks 12,90 %
Quantités de produits expédiés 9,67 %
Quantités de produits perdus 0%
Cause des litiges 0%
Q 49 -Les informations relatives aux activités de la concurrence et récupérées par la force de vente supplétive,
sont transmises à quel rythme à votre client ?
Taux de réponse : 100 %
Moyennes en %
Tous les mois au moins 6%
Toutes les 2 semaines 6%
Toutes les semaines 56%
2 ou 3 fois par semaine 19%
Une fois par jour au moins 13%
Q 47- Quels sont les indicateurs de l’utilisation du temps de travail des commerciaux supplétifs pour la mission
de votre client ?
Moyennes en %
Déplacements et attente 27 %
Préparation des démarches et traitement des résultats 11 %
Merchandising, services et enregistrement des commandes 14 %
Veille technologique 6%
Démarchage 41 %
Q 50 -Quel est votre niveau d’effort global de communication (publicité, relations publiques et force de vente)
par rapport à la concurrence ?
Très peu d’effort Peu d’effort Effort moyen Effort important Effort très
important
Moyennes en % 6% 13% 44% 31% 6%
216
Externalisation des forces de vente et RSE : audit de la coopération
Erick LEROUX - Jean-Marie PERETTI
Q 51- Quelle est votre appréciation sur les fréquences avec lesquelles sont utilisées les supports de
communication suivants pour toucher vos principaux clients potentiels ? (cochez une case par ligne)
217
La réussite de la transmission d’entreprise : une responsabilité sociale partagée entre le cédant et le repreneur
Henri MAHÉ DE BOISLANDELLE - Thierno BAH
La réussite Introduction
de la transmission
De par l’importance du phénomène et des risques
économiques et sociaux afférents, la transmission des
petites et moyennes entreprises (PME) est présentée
comme un enjeu national1 et européen2 (Conseil Écono-
une responsabilité
OSEO/BDPME (2005)3 recense environ 60 000 entre-
prises, dont environ 5 000 de plus de 9 salariés, qui
changent de mains, chaque année en France. Malgré
l’importance du phénomène, de nombreuses études
sociale partagée
montrent que ces transactions n’ont pas toujours la fina-
lité recherchée : 10 % des défaillances d’entreprises ont
pour origine une transmission mal préparée (Bizaguet,
entre le cédant
1991 ; Baumert, 1992 ; Novelli, 1994). Les causes sont
diverses, de nature financière, mais aussi non financiè-
re. Il ressort également, que, chaque année, ce sont
2 000 PME qui disparaissent faute d’avoir trouvé un
et le repreneur
repreneur, et 2 000 autres déposent leur bilan en
raison d’un problème né d’une transmission délicate
(Lehmann, 1993). Ce qui pose le délicat problème de
l’impact de ces transmissions sur l’économie, sur la
pérennité des entreprises et sur leurs employés. Ces
disparitions représentent un coût considérable pour
l’économie française : ce sont 80 000 à 100 000 person-
Henri Mahé de Boislandelle nes qui sont privées chaque année de leur emploi pour
Professeur des Universités, cause de transmission avortée (Vernier, 1998 ; Défis,
GESEM, octobre 2000), soit la deuxième cause de disparition
Faculté d’Administration et de Gestion, d’entreprises derrière la baisse de la demande
(Fédération régionale du BTP Languedoc-Roussillon,
Université Montpellier I 1998).
[email protected]
Thierno Bah 1 En France, plus d’une entreprise sur deux est dirigée par un chef
Enseignant/Chercheur, d’entreprise de plus de 50 ans et 120 000 ont plus de 60 ans. C’est
donc un tiers des dirigeants de PME vont partir en retraite et qui
GESEM, auront à résoudre un problème de continuité de leur entreprise dans
les dix prochaines années, c’est-à-dire quelque 700 000 chefs d’en-
Faculté d’Administration et de Gestion, treprise sur les 2,7 millions d’entreprises que compte la France
Université Montpellier I (Conseil Economique et Sociale, 2004).
[email protected] 2 Selon la Commission Européenne, plus de 5 millions d’entreprises
européennes, soit entre 25 et 40 % de l’ensemble, seront confrontées
au problème de transmission au cours des dix prochaines années. Ce
chiffre signifie qu’en moyenne 610 000 petites et moyennes entre-
prises (PME) changeront de mains chaque année (dont 300 000
PME employant des salariés et 310 000 PME n’employant pas de
salariés), avec une incidence potentielle sur 2,4 millions d’emplois.
Selon les prévisions des experts, environ 30 % de ces entreprises,
soit 1.5 million, devrait disparaître en raison de l’insuffisance de
préparation de leur transmission entraînant la disparition d’environ
6.5 millions d’emplois (Commission Européenne, 2003).
3 Cette étude s’inscrit dans le prolongement de celles réalisées en
1993 et 1997, qui portaient sur 3 200 opérations relatives aux sec-
teurs de l’industrie, du BTP, du négoce de gros et des services aux
entreprises. Elle porte sur 27 000 opérations sur la période
1997/2004
219
La réussite de la transmission d’entreprise : une responsabilité sociale partagée entre le cédant et le repreneur
Henri MAHÉ DE BOISLANDELLE - Thierno BAH
L’enjeu de ces transmissions d’entreprises est donc que du repreneur. Pour cela, nous avons choisi de nous
considérable pour l’économie française aussi bien en situer dans une vaste perspective qui prend davantage
terme d’emploi que d’activité. De plus, ces disparitions en considération les besoins de toutes les parties
d’entreprises coûtent d’autant plus cher à la collectivité prenantes (stakeholders) en présence, aux logiques
que se manifeste un « effet dominos » : non seulement différentes, impliquées dans un même processus. Ainsi,
l’État récupère difficilement les dettes fiscales et socia- nous aborderons dans une première partie le contexte et
les engagées par ces entreprises (URSSAF, TVA, l’état de la recherche de la transmission d’entreprise (I)
Sécurité Sociale…) mais les entreprises, en amont et en et nous verrons dans une seconde partie la période
aval que sont les fournisseurs et les clients entraînées transitoire de la cession (II).
dans le sillage de l’entreprise défaillante devront à leur
tour envisager des licenciements, et éventuellement des
dépôts de bilan (Vernier, 1998 ; Matray, 1999). Cette
situation débouche donc sur un affaiblissement du tissu I. Contexte de la recherche
industriel par disparition d’unités productives, une
augmentation des licenciements et une aggravation du A - État de la recherche sur la transmission
chômage. En outre, sur un plan régional, la disparition des entreprises
d’une entreprise s’accompagne d’une diminution des La recherche sur la transmission en France est relative-
recettes fiscales locales, d’un déséquilibre démogra- ment récente et s’est surtout attachée aux successions
phique et d’un risque de désertification ou de fragilisa- familiales (Langlois, 1987 ; Pailot, 1996 ; Mouline,
tion des territoires au profit des grandes agglomérations. 1999) ou au rachat d’entreprise par les salariés (Estève,
1997). Cependant, compte tenu du recul de la relève
Ainsi, l’objectif de cette communication est-il de faire familiale, les cessions externes à des personnes phy-
un état de la recherche dans le domaine de la transmis- siques, hier encore marginales, sont de plus en plus nom-
sion d’entreprise en nous situant dans le cadre de la breuses, incontournables, pour le devenir du tissu écono-
responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Ce mique national et européen, et surtout mal connues.
concept, bien que pouvant faire l’objet de différentes
définitions, s’entend très généralement comme « l’inté- Compte tenu de ces évolutions et des enjeux socio-
gration volontaire des préoccupations sociales et éco- économiques des transmissions d’entreprises, il devient
logiques des entreprises à leurs activités commerciales nécessaire pour la recherche académique de lever
et leurs relations avec leurs parties prenantes » urgemment le voile sur certains dangers issus de la
(Commission des Communautés Européennes, 2001)4. transmission entre personnes non apparentées afin de
Les dimensions économique, environnementale et déterminer les facteurs de succès et de blocages de ce
sociale se conjuguent pour entretenir la notion de type d’opération. Pourtant, rares sont les études qui se
responsabilité sociale. « La responsabilité sociale ren- sont intéressées à ce type de transmission. Une seule
voie à la nature des interactions entre l’entreprise et la recherche doctorale française a tenté d’étudier la reprise
société, et formalise l’idée selon laquelle l’entreprise, par une personne physique dans son ensemble : celle de
du fait qu’elle agisse dans un environnement qui est à B. Deschamps (2001). Une autre recherche a été menée
la fois social, politique et écologique, doit assumer un sur cette problématique il y a maintenant plus de 15 ans
ensemble de responsabilités au-delà de ses obligations par Siegel (1989)6. Plus récemment, nous pouvons men-
purement légales et économiques ». (Igalens & Gond, tionner la thèse de S. Boussaguet (2005)7 sur le proces-
2003). Il s’agit donc d’élargir le champ naturel des sus de socialisation du repreneur.
performances de l’entreprise afin de proposer, dans une
perspective de développement durable, une vision tridi- 4 Commission des Communautés Européennes (2001), Promouvoir
mensionnelle de la responsabilité des organisations un cadre pour la responsabilité sociale des entreprises, Bruxelles,
(Gélinier, 2004) : économique, environnementale et 35 pages.
sociale. Ce thème de la responsabilité sociale de 5 Acquier A., J-P. Gond et Igalens J. (2005), Des fondements religieux
l’entreprise constitue une préoccupation grandissante de la responsabilité sociale de l’entreprise comme religion, Cahiers
dans le monde académique et managérial francophone de recherche n° 2005 - 166, Centre de Recherche en Gestion,
Toulouse, mai, 32 pages.
(Acquier, Gond et Igalens, 2005)5. Nous estimons 6 Siegel D. (1989), Contribution en vue d’une démarche stratégique
qu’une telle évolution offre une perspective intéressante de la reprise d’entreprise par les particuliers : le cas alsacien et franc-
lorsque nous nous penchons sur le thème épineux de la comtois, Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Université des
transmission des PME. Cette question de la responsabi- Sciences Sociales de Grenoble, Ecole Supérieure des Affaires.
lité sociale de l’entreprise, bien que peu traitée au 7 Boussaguet S. (1995), L’entrée dans l’entreprise du repreneur : un pro-
niveau de la transmission, est primordiale. En mettant cessus de socialisation repreneuriale, Thèse de Doctorat en Sciences de
Gestion, Université Montpellier I5 Acquier A., J-P. Gond et Igalens J.
l’accent sur la perception de la responsabilité sociale de (2005), Des fondements religieux de la responsabilité sociale de l’en-
l’entreprise à la fois sur le plan interne et externe, nous treprise comme religion, Cahiers de recherche n° 2005 - 166, Centre de
nous intéresserons aussi bien au point de vue du cédant Recherche en Gestion, Toulouse, mai, 32 p.
220
La réussite de la transmission d’entreprise : une responsabilité sociale partagée entre le cédant et le repreneur
Henri MAHÉ DE BOISLANDELLE - Thierno BAH
Ces recherches se sont principalement centrées sur les Cependant, même s’ils représentent les acteurs majeurs
points de vue des repreneurs et parfois des salariés. En de l’opération, les cédants et les repreneurs ne sont pas
revanche, les études interrogeant les cédants, les parte- les seules parties prenantes du processus de transmission.
naires de l’entreprise, voire les conseils intervenants en
matière de transmission/reprise sont rares. Pourtant, la ! Il semble logique et évident de penser que le person-
prise en compte du point de vue des différents acteurs nel de l’entreprise cédée manifestera un intérêt très
du processus successoral, permet surtout de ne pas pri- marqué et légitime au type de propriétaire qui reprendra
vilégier un regard unique de la transmission. Ceci est l’affaire et aux conséquences finales de la cession.
important, car en croisant plusieurs visions du proces- Leurs réactions peuvent influencer positivement ou
sus, il est possible de rendre plus riche l’analyse des négativement la cession de l’entreprise.
opérations de transmission et finalement de combler la
faiblesse des recherches existantes. Dans le cadre de la A ces trois parties prenantes internes à l’entreprise,
transmission d’entreprise, la prise en compte de la viennent s’ajouter d’autres parties prenantes externes
perspective de chacun des acteurs organisationnels (stakeholders).
ouvre de réels modes explicatifs aux jeux organisation-
nels (Haddadj, 1998), et aux résistances inéluctables ! Les acteurs de l’environnement tels que les clients,
dans ce type de processus (Lansberg, 1988). Ceci est les fournisseurs et les partenaires financiers de l’en-
d’autant plus vrai que négliger certains acteurs organi- treprise sont sensibles au changement de propriétaire-
sationnels peut conduire à bloquer le processus tout dirigeant de la PME. Comme les salariés, ils peuvent
entier (Harvey et Evans, 1994). freiner ou faciliter la réussite de la cession. C’est la rai-
son pour laquelle nous considérons qu’il convient de
B- La logique des acteurs du processus de cession prendre en compte les attentes de ces différentes parties
Dans le cadre de la cession à une relève non apparen- concernées par la transmission.
tée, nous pouvons distinguer plusieurs parties prenantes
au processus de transmission : le cédant, le repreneur, ! La communauté locale constitue également un
les salariés, les partenaires extérieurs et la communauté important stakeholder. Elle est intéressée par les trans-
locale. missions d’entreprises qui se préparent, en particulier
du point de vue du marché local de l’emploi et de l’ani-
! Si nous nous plaçons dans la perspective du proprié- mation économique induite, et espère que la cession de
taire vendant son affaire, l’objectif d’une cession d’en- l’entreprise permettra de maintenir, voire d’améliorer,
treprise peut être de maximiser un patrimoine afin de le la situation de l’emploi.
céder au plus offrant ou bien de trouver une solution
perçue comme satisfaisante pour l’avenir des salariés et Comme nous l’avons montré, les enjeux de chacune des
de la communauté locale. Le cédant, bien que souhai- parties prenantes peuvent être à la fois différents et
tant son retrait du monde professionnel, accorde une convergents. Pour cette raison, la transmission est un
dimension sociale et affective à la transmission de son sujet délicat et complexe de quel que soit le côté où
entreprise. Le cédant, notamment lorsqu’il est le fonda- nous nous placions. Au terme de la revue des différents
teur de l’entreprise, s’inquiète surtout au sujet de ques- acteurs influents du processus de transmission, il est
tions relatives à la pérennité de l’entreprise et au main- possible de proposer un schéma récapitulatif (figure 1)
tien des emplois. Souvent, il espère trouver une solution qui illustre et synthétise les interrelations entre ces cinq
impliquant que le personnel aura encore sa place dans parties prenantes.
l’entreprise, et que les partenaires de l’entreprise, voire
Figure 1 : Les parties prenantes d’une cession d’entreprise
la communauté locale pourra continuer à l’avenir à
bénéficier de l’existence de l’entreprise. Associés /Actionnaires /
Propriétaires
?
! Les enjeux du repreneur sont d’une autre nature : si Salariés ?
la reprise d’entreprise, au même titre que la création, est
un acte qui relève de l’esprit d’entreprendre appartenant Cédant
? Repreneur
au champ de l’entrepreneuriat, elle requiert une prépa-
ration différente de la création ex nihilo (Deschamps,
2000)8. Ainsi, hormis la connaissance préalable du ?
Partenaires extérieurs
?
monde économique que suppose toute reprise, le repre- (Clients, fournisseurs, banques,
neur aura à faire face à tout un ensemble de réalités Etat / Collectivités locales)
221
La réussite de la transmission d’entreprise : une responsabilité sociale partagée entre le cédant et le repreneur
Henri MAHÉ DE BOISLANDELLE - Thierno BAH
Certains rapports entre parties prenantes sont cruciaux constitue une étape essentielle de la transmission des
dans le processus de transmission. Bien sûr, dans le entreprises est peu étudiée par la littérature académique
cadre d’une cession d’entreprise, les deux acteurs (Fiegener, Brown, Prince et File, 1996) sauf en ce qui
majeurs sont le cédant et le repreneur, le premier pré- concerne la transmission du pouvoir dans les entrepri-
voyant son retrait de l’entreprise, voire du monde des ses familiales (Harvey et Evans, 1995).
affaires et le second se préparant à lui succéder.
Toutefois, les interrogations dans la figure 1 mettent en A- Les bénéfices attendus et les écueils
lumière les domaines où il pourrait y avoir d’autres pro- de la période de transition
blèmes majeurs devant être traités dès qu’une cession L’interrogation sur le fait de collaborer quelque temps
d’entreprise est engagée. Il peut y avoir des résultats avec le cédant se pose à tout repreneur, quelle que soit
incertains dans ces domaines. Quant aux autres interre- son expérience de direction, à l’exception toutefois de
lations indiquées sur le même schéma, elles signalent ceux qui reprennent une PME dont le dirigeant a dispa-
que le cédant doit prendre les dispositions nécessaires ru subitement. L’ensemble des guides et ouvrages rela-
en vue de son retrait de l’entreprise et des affaires alors tifs aux opérations de transmission/reprise s’accorde
que le repreneur doit préparer son intégration future pour considérer la transition entre acheteur et vendeur
dans cette même entreprise. Bien que ces aspects soient comme une solution pour transmettre en douceur le
d’une réelle importance, la question la plus déterminante pouvoir de l’un à l’autre. Les principales raisons pour
à résoudre concerne la relation entre le cédant et le lesquelles il est recommandé d’opérer un passage de
repreneur. La flèche centrale montre que c’est le couple témoin se situent à deux niveaux : d’abord, à celui de la
cédant/repreneur qui influence le plus l’issue du prise en main de la cible par le repreneur en lui permet-
processus. Comme le souligne H. Mahé de tant de bénéficier d’une assistance ponctuelle et limitée
Boislandelle (2003)9, « Cette relation est une des plus du cédant ; et ensuite, à celui du vécu de la transmission
riches, des plus complexe et des plus nécessaire à com- avec le moins de souffrance et d’arrachement. C’est la
prendre, car elle constitue le cœur du processus de raison pour laquelle les cessions accompagnées d’une
transmission ». Au-delà des obstacles d’ordre écono- période de transition sont en nette augmentation ces
mique pour assurer une cession réussie, se dégage l’im- dernières années11. Une cession abrupte placerait le
portance des aspects relationnels dans l’ensemble du cédant et le repreneur dans une situation inconfortable ;
processus de transmission pour les personnes impli- le passage de relais qui permet au premier de se déta-
quées dans une telle démarche. Au cas où ces rapports cher progressivement et le second de s’habituer à son
seraient difficiles pendant les phases de préparations et nouveau rôle ne pouvant s’effectuer. Un passage de
de mise en œuvre de la transmission d’entreprise, on relais offre, en effet, l’avantage de limiter l’effet de
peut supposer que les autres aspects donneront égale- choc de l’opération sur l’entreprise. Une transmission
ment lieu à des difficultés en cours de réalisation. brutale peut entraîner le départ des employés clés de
l’entreprise, la perte de clients et le risque social lié à
l’inquiétude des salariés restants. D’ailleurs, selon
OSEO / BDPME (2005), le taux d’insuccès est une fois
et demie supérieur lorsque l’entreprise est reprise suite
II. La période transitoire au décès ou à la maladie grave du précédent dirigeant.
entre cédant/repreneur De ce fait, la majeure partie des pays de l’Europe
encourage une transition douce et progressive des pou-
Les travaux de B. Deschamps (2000), de C. Picard et voirs de gestion du propriétaire cédant vers le repreneur
C. Thévenard-Puthod (2002) mettent en exergue que le (Commission européenne, 2003).
processus de transmission compte quatre phases : la
préparation, l’accord, la phase de transition et le mana-
gement de la reprise. Si ce processus doit être géré dans
son ensemble avec précaution, nous estimons qu’il
convient d’accorder une attention toute particulière à la
dimension relationnelle entre les deux acteurs clés de
la transmission, le cédant et le repreneur, durant la 9 Mahé de Boislandelle H. (2003), “Transmission d’entreprise et atti-
période de transition10. En effet, nous ne pouvons tudes des parties prenantes”, Colloque AGRH, Symposium,
envisager une étude sur la transition du pouvoir dans les Grenoble.
PME sans nous pencher sur les les relations qu’entre- 10 Par période de transition, nous désignons l’accompagnement ou
tiennent les cédants et les repreneurs dans le processus l’assistance apporté au repreneur par le cédant dans la prise de pos-
session de la cible durant la phase charnière du processus qui se
de transmission d’entreprise lui-même. Il nous manque- situe entre l’entrée du repreneur et le retrait du cédant de l’entreprise.
rait certainement un pan majeur et essentiel de la réalité 11 Dans l’étude de la BDPME de 1998, 51 % des transmissions sont
de la transmission d’entreprise. Paradoxalement, cette accompagnées du maintien du cédant. Cette proportion est en nette
phase de transition entre le cédant et le repreneur qui augmentation par rapport à 1993, où elle était de 35 % ;
222
La réussite de la transmission d’entreprise : une responsabilité sociale partagée entre le cédant et le repreneur
Henri MAHÉ DE BOISLANDELLE - Thierno BAH
étape de la transmission s’accompagne d’un lot de Sur la base de la recherche réalisée par T. Bah, des
problèmes qu’il faut régler avec précaution avant de travaux de P. Pailot (2002) et de J. P. Mouline (1999), il
passer à l’étape suivante, il semble cependant que la apparaît qu’une transition réussie implique que le
phase cruciale du processus demeure la transition. cédant ait achevé le deuil de son entreprise. Dans ce
C’est en tout cas lors de cette étape que se matérialisent cas, le cédant ayant déjà pris du recul par rapport à la
la plupart des difficultés susceptibles de compromettre gestion de l’entreprise, par une disponibilité régulière,
la pérennité de l’entreprise. C’est pendant qu’un repre- par des conseils donnés au nouveau dirigeant concer-
neur tente de s’intégrer dans les activités de l’entreprise nant les contacts avec les partenaires de l’entreprise et
et qu’un cédant doit lui faire une place, que de nomb- probablement par tout un travail de fond au sein de l’en-
reux écueils se présentent. Il faut en effet, tout à la fois vironnement, favorisera l’intégration du repreneur.
rassurer le personnel, négocier avec les fournisseurs, Ainsi, la qualité du lien noué entre le repreneur et le
fidéliser les clients et déjouer les mauvaises surprises cédant sera un point crucial dans la transmission et
éventuelles. A. Fayolle (2004) parle d’« épreuve du l’instauration des relations avec les salariés, les clients,
feu » pour le repreneur. En effet, il n’existe pas, dans les fournisseurs et les partenaires. Durant cette période
une organisation, d’évènement non récurrent plus cri- le comportement du cédant sera important pour légiti-
tique que le transfert du pouvoir et de l’autorité d’un mer le repreneur autour de lui. Il aura pris soin de
dirigeant à un autre (Fiegener, Brown, Prince et File, préparer les employés à ce changement, comme à une
1996). Barnes et Hershon (1994) utilisent même le action programmée conduite dans l’intérêt de l’entre-
terme d’« expérience agonisante » pour désigner le prise, avec le souci permanent de l’adhésion des parte-
changement de dirigeant dans une entreprise. Ciampa et naires à son projet. Bien que les partenaires ne connais-
Watkins (1999)13 ont observé que derrière l’insuccès sent pas le repreneur avant la transmission, c’est dans la
des transitions dans plus d’une centaine d’entreprises plupart des cas le cédant qui va faire valoir ses capacités.
américaines, se cache le plus souvent une dynamique
relationnelle problématique entre le prédécesseur et son En revanche, lorsque le travail de deuil n’est pas
successeur. Le « dilemme du successeur » serait la achevé (deuil refusé ou deuil difficile), le cédant
principale cause de l’échec des changements de direc- devient le principal obstacle au processus de trans-
tion. Ce dilemme se traduit par une lutte de pouvoir à mission. Sa présence dans l’entreprise s’avère gênante
forte charge émotionnelle entre le prédécesseur et son et risque de faire avorter la transition. Dans ce cas il n’y
successeur. Cette dynamique psychologique complexe a pas rupture. Tout le pouvoir demeurant dans les mains
peut conduire les relations entre les deux protagonistes du cédant, il ôte toute possibilité de manœuvre au repre-
dans une impasse, voire à l’échec du processus de neur. La période de transition ainsi que sa formation
succession. Finalement, leur recherche démontre que sont exagérément prolongées, le repreneur restant
les relations conflictuelles entre les deux acteurs clés du dépendant. Le cédant cherchant à faire de la cohabita-
processus constituent la principale cause d’insuccès des tion « un moyen de surveillance » du repreneur et une
passations de pouvoir. occasion de rétention de pouvoir dans l’entreprise. Le
repreneur et les salariés restent soumis à l’autorité du
Les résultats d’une recherche doctorale en cours sur ce cédant. Cette soumission à l’autorité inhibe les volontés
sujet14, réalisée auprès de cédants et de repreneurs, d’action du repreneur. Cela débouchera inéluctablement
permettent d’éclairer la dynamique relationnelle entre sur des rapports tendus, voire explosifs entre les deux
les deux principaux acteurs de la transition successorale. acteurs.
223
La réussite de la transmission d’entreprise : une responsabilité sociale partagée entre le cédant et le repreneur
Henri MAHÉ DE BOISLANDELLE - Thierno BAH
un ensemble de facteurs caractérisant les situations de A la lumière de ce récapitulatif, nous saisissons que la
succès des transitions successorales. Parmi les facteurs qualité de la passation des pouvoirs dépend beaucoup
susceptibles de faciliter le détachement du cédant de de l’attitude du cédant, même si dans la pratique la
son entreprise, nous proposons : démarche est peu aisée. Cela relève en effet pour lui de
« la gestion de sa propre mort ». Le patron sortant doit
- l’anticipation et la préparation de la transmission ; s’effacer et laisser sa place au repreneur. Le plus
- le réinvestissement des qualités entrepreneuriales difficile à admettre est que cette démarche doit être
dans d’autres sphères du champ social ; volontaire : « Il faut lâcher prise de soi-même ». Si
- la pérennisation de l’entreprise et la conservation l’attitude du cédant est déterminante dans la réussite de
des emplois ; la période de transition, il ne faut pas sous-estimer le
- la sécurité financière du cédant face à l’avenir. rôle du repreneur. Ainsi, comme le souligne en substance
D. Jonovic (1982)15, le fondateur initie le processus de
Par ailleurs, nous avons identifié un certain nombre de succession, mais le nouveau dirigeant a la responsabilité
facteurs d’insuccès dont les plus importants sont : la de le mener à terme.
non clarification des conditions de cohabitation, la
divergence de vision entre le cédant et le repreneur, la Après avoir vu les attitudes et aptitudes souhaitables
méfiance mutuelle conséquence d’une mauvaise com- chez le cédant, voyons ce qu’il en est des attitudes
munication. souhaitables chez le repreneur.
Tableau 1
Synthèse des facteurs facilitateurs et de blocage
224
La réussite de la transmission d’entreprise : une responsabilité sociale partagée entre le cédant et le repreneur
Henri MAHÉ DE BOISLANDELLE - Thierno BAH
! La responsabilité du repreneur Faute de cette démarche, les salariés, les clients, les
Pour que la greffe prenne dans le cadre de cette transi- fournisseurs et autres tiers, habitués aux rapports qu’ils
tion, il est opportun, en tout cas durant les premières avaient avec le cédant, peuvent modifier leurs attitudes
semaines, les premiers mois, que le repreneur gagne la et leurs relations et les rendre préjudiciables, comme le
confiance du cédant, celle des salariés et de tous les montre le schéma ci-dessous (Figure 2).
partenaires externes de l’entreprise.
Comme l’a montré le tableau ci-dessous, la transmis-
Il importe, en effet, de : sion peut générer des difficultés susceptibles de déclen-
cher une dynamique de crise et entraînant la défiance
- Rassurer le cédant quant à la pérennité de l’entrepri- des partenaires.
se et du maintien des emplois pour lui permettre de
vivre sereinement son retrait de l’entreprise. Pour réduire ces risques, il importe de suggérer l’adop-
tion d’attitudes et de comportements du côté repreneur.
- Apaiser les inquiétudes des salariés sur le maintien Parmi les attitudes requises, citons l’écoute, l’humilité,
des activités et des emplois car l’entreprise a souvent le respect du personnel, l’implication dans l’entreprise,
traversé une période de flottement durant la période de l’empathie et les stratégies d’évitement des conflits.
transaction. L’incertitude liée au changement, les visi- Bien que l’attitude de l’ancien propriétaire (cédant) soit
tes parfois de plusieurs repreneurs successifs ont ali- une source d’appui très importante favorisant l’intégra-
menté toutes sortes de rumeurs et le personnel peut tion, l’acclimatation et l’apprentissage durant la transi-
craindre à juste titre une restructuration, des licencie- tion, la réussite de la transmission dépend pour l’essen-
ments, et pour le moins des changements de méthodes tiel du repreneur. Car c’est lui qui s’approprie
de travail. l’information en validant ou rejetant certaines parties.
Ainsi, il ne faut pas considérer savoir, savoir-faire et
- Manager les susceptibilités et détecter les hommes savoir-être comme inculqués, voire imposés par le
clés chez le personnel afin d’éviter leurs départs cédant, et assimilés automatiquement par le repreneur,
susceptibles d’ébranler l’entreprise. car ce dernier, loin d’être une cire malléable possède
une personnalité exigeant d’être convaincue.
- Rassurer les partenaires économiques extérieurs, car
certains peuvent saisir cette période d’instabilité pour
démarcher la concurrence. Dans le cas contraire, ceux-
ci peuvent colporter des rumeurs sur le devenir de la
cible. Figure 2
225
La réussite de la transmission d’entreprise : une responsabilité sociale partagée entre le cédant et le repreneur
Henri MAHÉ DE BOISLANDELLE - Thierno BAH
Conclusion Bibliographie
Les préoccupations relevant de la RSE apparaissent BAUMERT H. (1992), Succession dans la PME fami-
pertinentes à l’analyse du processus de transmission, liale ; prévoir pour réussir, Les éditions d’Organisation.
(externe ou familiale) au plan de l’emploi, du maintien
de l’activité locale et du ménagement des parties pre- BDPME-SOFARIS, (1998), La transmission de PME-
nantes. Nous avons, en effet montré que cette responsa- PMI. Édition BDPME-SOFARIS.
bilité dépendait pour une large part d’une coopération
constructive entre cédant et repreneur, même si celle-ci BIZAGUET A. (1991), Les petites et moyennes entre-
étant parfois difficile. Il nous est apparu, en effet, que le prises, PUF, Que sais-je ? n° 2664.
succès ou l’insuccès, par delà le projet économique et
stratégique, dépendait dans une large mesure de l’attitu- BONNET M. (2004), Les dysfonctionnements socio-
de respective des deux protagonistes qui sont le cédant économiques de la transmission d’entreprise, Colloque
et le repreneur, à savoir le renoncement à l’entreprise, AGRH, Symposium, Montréal.
coté cédant, l’empathie à l’égard du cédant des salariés
et des parties prenantes, coté repreneur. Par delà les COMMISSION EUROPÉENNE, (2003), Aider les
multiples causes d’insuccès à caractère technique (juri- entreprises en phase de transmission - un guide des
dique, fiscal, financier), celles découlant de leurs accro- bonnes pratiques des mesures de soutien à la transmis-
ches interpersonnelles ou de leurs rejets humains et sion de la propriété des entreprises, Communautés
sociaux nous semblent cruciales. Européennes.
226
La réussite de la transmission d’entreprise : une responsabilité sociale partagée entre le cédant et le repreneur
Henri MAHÉ DE BOISLANDELLE - Thierno BAH
MAHE DE BOISLANDELLE H. (1998), Diction- PERETTI J-M. (1994), Gestion des ressources humai-
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riat, Édition Management et Société, 187-198.
227
L’entreprise citoyenne, militante du développement durable
Alioune DIT MAWA FAYE
L’entreprise L
’environnement, l’éthique, la responsabilité
sociale sont devenus des questions majeures de
la relation entre l’entreprise et l’opinion,
citoyenne,
« depuis que la guerre entre le marxisme et le capitalis-
me s’est éteinte »1. La chute du modèle soviétique
aurait-elle marqué la fin de l’existence d’un modèle
alternatif de régulation de l’économie ?
du développement
sociale et environnementale » dorénavant reconnue à
l’entreprise ; questions fondamentales, certes, mais qui
dans la réalité, ne se traduisent que très lentement dans
les comportements, puisqu’il s’agit de réconcilier trois
durable
mondes qui se sont longtemps ignorés : l’économie, le
social et l’environnement ; trois mondes qui constituent
les 3 piliers de ce qu’il est dorénavant convenu d’appeler
le « développement durable ».
229
L’entreprise citoyenne, militante du développement durable
Alioune DIT MAWA FAYE
À l’exigence de faire converger deux objectifs appa- anticipant les ajustements nécessaires ? ou retarderont-
remment contradictoires (objectifs économiques et fina- elles le mouvement, poussant encore un peu plus la
lité humaine), à l’impérieuse nécessité d’assumer à la société vers la catastrophe » (Brown, 1992). Il reviendra
fois responsabilité économique et responsabilité sociale, alors à la puissance publique d’actionner le levier des
s’ajoute une troisième qui vient peser de tout son poids incitations fiscales ou des subventions si ses lois et
sur ses objectifs externes ; une nouvelle responsabilité réglementations s’avéraient peu puissantes à rendre les
sociale externe ou responsabilité sociétale à laquelle entreprises sinon proactives, tout au moins réactives.
l’entreprise ne peut aujourd’hui se soustraire en se
contentant de payer par exemple ses impôts. B - Les nombreuses dérives de la course au profit
Les dirigeants d’entreprise africains en sont toujours à
Ainsi, au niveau des objectifs externes, il faut désormais la poursuite du seul objectif de la maximisation du pro-
faire la distinction entre : fit. À juste raison sans doute ; mais une course au profit
- Orientation shareholders, les actionnaires, (augmenta- émaillée de plusieurs « faits divers » dramatiques, dans
tion de la valeur de la firme pérennité de la firme, des pays plus avancés qui, à certains égards, ne consti-
distribution régulière de dividende maximum). tuent plus des références :
- Et orientation stakeholders, ceux-ci regroupant les - « sang contaminé » avec ses longs procès impliquant
parties prenantes à la vie de l’entreprise, mais qui ne de hautes personnalités politiques ;
sont pas directement impliqués dans sa gestion. - naufrage du vétuste pétrolier, l’Erika qui pollue la côte
- Lutte contre la pollution, développement de l’emploi, atlantique ;
devenir une entreprise citoyenne - (Helfer, Kalika, - restructurations sociales douloureuses : alors que leurs
Orsoni, 2000). taux de profit augmentaient, Michelin annonce un
L’entreprise citoyenne ou sociétale est celle qui met plan de licenciement à grande échelle (8 000 person-
l’intérêt de la société et de l’humanité au même niveau nes) en 2000 ; il sera suivi en 2001 de Danone ;
que son propre intérêt. Il lui est seulement demandé de - multiplication de scandales financiers, d’affaires de
supporter, d’une part, les conséquences de ses actes et, corruption (les fabricants d’armes ou les firmes pétro-
d’autre part, d’avoir le souci de l’intérêt général en lières tentent d’attirer la grâce d’importants hommes
particulier aujourd’hui, le souci de l’emploi et de la politiques pour enlever les marchés) montrant ainsi les
défense de l’environnement. limites d’une approche en termes de contrôle juri-
dique ;
- nouvelles formes d’esclavage avec le développement
du travail des enfants dans les pays de délocalisation
1. Pourquoi prendre en compte de la production des entreprises des pays avancés ;
les exigences de l’environnement - le développement des OGM et la « mal bouffe » avec
leurs risques de nuire à la santé des consommateurs ;
A - Nécessité et anticipation du changement - etc.
Les chefs d’entreprise sont de plus en plus tributaires autant de catastrophes concomitants à la course effrénée
des mouvements d’opinion concernant les firmes qu’ils au profit qui ont amené le problème de l’entreprise
dirigent. Les associations de consommateurs, les ligues citoyenne au centre des débats politiques.
des droits de l’homme, les syndicats constituent des
contrepoids puissants, capables, sous la menace de boy- Eu égard à leur contexte spécifique, les entreprises des
cott, d’infléchir une stratégie dangereuse sur le plan pays africains émergents ne peuvent se payer le luxe de
social ou environnemental. se référer à certains modèles ou comportements occi-
Sous l’effet de leurs pressions et de multiples autres, les dentaux, au risque de laisser en l’état des questions
gouvernements réagissent en édictant diverses lois et environnementales prioritaires pour l’Afrique : préser-
règlements pour inciter ces managers à se montrer plus vation de l’eau, traitement des déchets, combat contre la
responsables envers la société. désertification, le sida.
Or, la réglementation en matière d’environnement est Les problèmes environnementaux qui ne concernaient
particulièrement mouvante ; ce qui met souvent les autrefois que les secteurs à haut risque comme les
entreprises dans des situations particulièrement industries chimiques et pétrolières se révèlent être un
inconfortables. nouveau type de défi pour toute entreprise aujourd’hui.
Elles vont devoir donc faire face, de manière perma- (Tyteca & Postiaux,1995).
nente, à un énorme besoin de changement. « L’essentiel
sera assuré par les gouvernements qui traduiront les C - L’Entreprise citoyenne : au-delà du mécénat
problèmes d’environnement en taxes, règlements et En réalité, l’entreprise a toujours pris conscience que
politiques d’équipement. D’autres changements seront payer ses impôts n’est pas suffisant pour qu’elle s’ac-
provoqués par les consommateurs. Les entreprises quitte de ses responsabilités vis à vis de la société.
changeront. Mais le feront-elles avec prévoyance et en Il lui est souvent arrivé d’avoir à financer des activités
230
L’entreprise citoyenne, militante du développement durable
Alioune DIT MAWA FAYE
ou des institutions à but non lucratif de caractère uni- économiques entre les pays du Sud et du Nord, et
versitaire, médical, scientifique, charitable, culturel, crier très haut : IL FAUT ANNULER LA DETTE !)
sportif ou religieux ; ces financements qui n’ont aucun
rapport avec la poursuite de sa mission économique D - L’Entreprise citoyenne et la question du rôle
aboutissent plutôt à distraire une partie des sommes fondamental de l’entreprise
qu’elle pourrait utiliser pour le financement de son La question du rôle de l’entreprise est importante. La
développement. résolution des problèmes de société est-elle le fait des
Cependant, il s’est chaque fois agi d’investissements pouvoirs publics seulement ou les entreprises privées
réels pour prendre en charge des besoins non solvables peuvent (ou doivent) - elles aider à résoudre ces problè-
au travers du sponsoring (ou sponsorisation), mécénat, mes par des décisions volontaristes de leur part ?
parrainage, patronage etc, surtout dans les domaines
sportifs, culturels, en vue de retombées éventuelles plus Les économistes classiques sont par principe opposés à
ou moins directes en terme de communication ou ce type d’intervention de l’entreprise privée dans la
d’image ; une démarche qui, ainsi, continue à limiter le résolution des problèmes de société, domaines qui,
champ d’action des dirigeants d’entreprise au marke- presque par définition, font sortir celle ci de sa vocation
ting et partant à l’économique. économique première : créer de la richesse (Friedman,
1971).
C’est d’ailleurs la seule vision que la grande majorité
des chefs d’entreprise en Afrique ont de leur responsa- Aux Etats-Unis et plus récemment en Europe, des voix
bilité sociale externe. Il est temps que la critique qui se sont élevés pour justifier ce type d’intervention. Ces
leur est habituellement servie, d’utiliser la citoyenneté prises de position se sont appuyés sur quatre arguments
de leur entreprise et le concept de développement durable essentiels :
uniquement pour des raisons de marketing, soit com-
plètement dépassée. - « les régulations gouvernementales, quoique fonda-
mentales pour établir les limites du jeu concurrentiel
Outre ses responsabilités économiques et sociales tradi- et réprimer les comportements malhonnêteté, ne cons-
tionnelles, ses responsabilités culturelles, et celles vis à tituent pas pour autant le seul instrument capable de
vis des consommateurs, une entreprise dans un pays concilier l’intérêt public avec les intérêts particuliers,
émergent, est aujourd’hui appelée à participer aux char- ni ne sont un substitut pour un comportement respon-
ges et actions d’intérêt général, celles au delà des inté- sable ;
rêts personnels de ses associés, salariés et clients ; c’est - dans une société industrielle complexe, la puissance
à dire qu’elle se reconnaîtra dorénavant : des entreprises privées doit pouvoir être utilisée pour
- un rôle écologique qui l’oblige à respecter le milieu remédier à certains problèmes de société si l’on veut
naturel ; les résoudre, à l’intérieur des règles clairement éta-
- et un rôle sociétal qui, lui, consiste à prendre en compte blies ;
les conséquences de son activité sur la société. - les qualités et les compétences requises par les mana-
gers d’aujourd’hui sont telles que ceux-ci ne peuvent
Une entreprise dans un pays émergent a plus de sujé- rester confinés dans la recherche de solutions écono-
tions que toute autre, eu égard aux spécificités de l’en- miques internes à leurs entreprises sans s’intéresser à
vironnement des pays émergents, en l’occurrence les leurs conséquences sociales et externes ;
pays africains soudano-sahéliens dont les économies - les problèmes et les risques inhérents à la participation
sont perpétuellement menacées par : des entreprises privées dans la résolution de problèmes
- les vicissitudes climatiques avec ses calamités et aut- de société peuvent être limités grâce à la recherche, à
res conséquences désastreuses : sécheresse et déserti- l’éducation, au contrôle gouvernemental et à la
fication, bétails décimés… ; responsabilisation » (Andrews,1971).
- la précarité de la santé des populations, celle-là minée
par le VIH Sida et autres maladies endémiques ; En tout état de cause, les préoccupations d’environne-
- la pauvreté et la famine ; ment ne sont plus perçues comme une contrainte admi-
- l’analphabétisme ; nistrative et budgétaire, mais plutôt comme une compo-
- et, … last, but not least, un endettement excessif qui sante essentielle de la politique d’investissement des
freine ces pays dans leurs échanges commerciaux et entreprises et même un gage de progrès pour l’avenir.
les empêche de consacrer l’énergie et les moyens « réduction des risques, amélioration des parts de mar-
suffisants à l’éducation, la santé et la protection de ché, création d’emplois, renforcement de la qualité du
l’environnement. (L’on me permettra, du haut de management, mobilisation accrue du personnel, les
cette tribune de pour joindre ma voix et les vôtres avantages indirects que permet la prise en compte de
à celles de nombreux autres militants d’un néo- l’environnement par les entreprises font que ce dernier
développement à partir du rééquilibrage des forces est en passe de devenir un critère de plus en plus en
231
L’entreprise citoyenne, militante du développement durable
Alioune DIT MAWA FAYE
déterminant pour leur compétitivité. Et c’est ainsi qu’une Il faut se réjouir et louer les efforts que ce département
bonne anticipation des questions d’environnement déploie pour instaurer une nouvelle pratique des déci-
devrait contribuer à assurer la pérennité des sions et actions gouvernementales ; c’est à dire des
entreprises » (De Teyssier, 1993). Par ailleurs, et décisions et actions politiques qui ne sont plus calculées
contrairement à une idée répandue, la plupart des entre- à court terme ; un souci d’éviter dorénavant de répondre
prises compétitives au niveau mondial sont « éco-effi- à des intérêts économiques particuliers sans tenir
cientes », c’est à dire qu’elles intègrent des investisse- compte de l’impact à long terme pour l’ensemble de la
ments « écologiques » coûteux en un premier temps population.
mais rentable sur la durée2.
Toutefois, il faut reconnaître que ces gouvernements
africains et leurs ministères spécialisés :
- n’ont guère de moyens ;
2. Quelles stratégies de développement - manquent de relais sur le terrain : les administrations
durable ? ne sont pas formées aux questions de développement
durable ;
Toute stratégie permettant de prendre en compte les exi- - doivent régler, et de manière presque simultanée, des
gences de l’environnement est vouée à l’échec si elle problèmes qui se caractérisent par leur nombre et leur
n’est pas sous-tendue par un préalable : une réelle diversité : les problèmes urbains, l’eau, l’assainisse-
volonté politique d’introduire et de développer une ment, les déchets, trouver des solutions pour l’énergie,
démarche de développement durable dans le quotidien la déforestation, la protection des richesses halieu-
opérationnel de l’entreprise : volonté politique de la tiques, les pollutions diverses… etc.
puissance publique, d’une part ; volonté politique de
l’entreprise, d’autre part. 2.2 - La réglementation
comme moyen stratégique
A - Volonté politique de la puissance publique :
l’Etat est le garant de l’intérêt général Faute de moyens pour agir les gouvernements des pays
L’action ou le refus d’action des entreprises peut être en émergents se contentent d’assurer l’essentiel en tradui-
conflit avec les objectifs de l’Etat qui est le garant de sant les problèmes d’environnement en
l’intérêt général. - normes assorties de sanctions administratives ou judi-
ciaires pouvant s’appliquer en cas de non respect ;
Le problème posé est alors celui des incitations ou des - fiscalité répressive ;
moyens de contrainte à employer par celui-ci, sachant - fiscalité incitative : allègements fiscaux… ;
que dans le cadre d’une économie aujourd’hui mondia- - autres instruments économiques : redevances (admi-
lisée nos entreprises sont plus que fragiles et peuvent nistratives), aides financières (subventions) ;
difficilement ignorer leur équilibre d’exploitation. - etc.
mettant l’accent d’avantage sur le principe tout simple
En vérité cette volonté politique existe ; elle s’exprime du « pollueur - payeur », qui stipule que le pollueur doit
et se manifeste sous plusieurs formes d’incitations ou de supporter le coût de la pollution qu’il occasionne.
moyens pour contraindre l’entreprise à être en osmose
avec la société dans laquelle elle s’insère, dans le sens À cela s’ajoutent des campagnes d’information, des
où elle ne peut être véritablement prospère que dans un politiques d’équipement et d’assistance technique et une
cadre économique, social et écologique convenable. demande de participation accrue des autorités locales.
2.1 - Une volonté politique manifeste Voilà une démarche traditionnelle de lutte contre la
pollution qui a montré ses limites. Il faut dorénavant
La plupart des gouvernements africains ont créé des substituer à ce concept de « lutte contre la pollution »,
ministères spécialisés ; comme par exemple, au celui de « gestion de l’environnement » qui comprend
Sénégal, bien avant le sommet de Rio, un ou des dépar- évidemment la prévention de la pollution et surtout la
tements ministériels ayant pour vocation de prendre en communication.
charge les différentes dimensions des problèmes envi-
ronnementaux. Aujourd’hui, il n’existe qu’une seule L’exemple de la Tunisie
structure à compétence pleine, le Ministère de À cet égard, il faut se référer à l’exemple de la Tunisie
l’Environnement, qui a une vision globale donnant du qui depuis 1992 déploie et met en route progressive-
sens, de la cohérence et de la consistance à la politique ment une stratégie adéquate de gestion de l’environne-
gouvernementale du Sénégal en matière d’environne- ment qui a consisté à :
ment.
2 Jean Louis Buchet, Jeune Afrique N° 1904 du 2 au 8 Juillet 1997.
232
L’entreprise citoyenne, militante du développement durable
Alioune DIT MAWA FAYE
- sensibiliser le public à l’impact négatif de certaines Sur le plan social, c’est un facteur de motivation des
industries sur les ressources naturelles du pays et la salariés. À un moment où le capital humain va devenir
santé des habitants ; une des principales richesses, c’est aussi un moyen
- parler directement aux industriels et leur expliquer les d’attirer de bons collaborateurs à la recherche de plus en
bénéfices qu’ils pouvaient tirer d’un meilleur contrôle plus de valeurs4 ».
de leurs équipements et de leurs rejets ;
- réaliser un « cadastre du rejet industriel » dressant B - Mais l’Etat n’est pas le seul responsable du déve-
l’état de l’environnement dans le pays : identification loppement durable : volonté politique de l’entreprise
des industries les plus polluantes, des matières pre- La réalisation effective des objectifs du développement
mières utilisées, de la nature des rejets liquides et soli- durable, ne peut aboutir que si l’ensemble des acteurs
des, de leur degré de nuisance, avec indication des de la société agit en commun. Il faut une implication de
quantités et des débits, des maxima et des minima ; tous les groupes socio-économiques : à coté des asso-
- créer une Agence Nationale de Protection de ciations, des ONG, des syndicats et des citoyens (l’im-
l’Environnement (ANPE) ; plication de ces groupes est essentielle pour prendre
- etc. véritablement le développement en main ), les entreprises,
Au total, une politique volontariste qui a permis à ce qu’elles soient privées ou publiques, ont un rôle émi-
pays émergent d’importants résultats en matière de ges- nent et primordiale à jouer.
tion de l’environnement avec un accent tout particulier
sur la prévention et la réduction de l’impact des régle- Ce rôle est d’autant plus aisé que le développement
mentations anti-pollution. durable n’est pas une préoccupation vraiment nouvelle
aux chefs d’entreprise qui seraient-ils des « M. Jourdain
C’est d’ailleurs le sens des engagements pris par nos du développement durable, qui en font sans le savoir »5.
Etats à la Conférence de Rio dite « Sommet de la Il suffit donc de les amener à prendre conscience
Terre », en 1992 : élaborer une stratégie nationale de qu’une entreprise fait du développement durable lors-
développement durable. qu’elle fait des efforts, par exemple, pour :
- intégrer des handicapés, pour s’installer dans les quar-
À cet égard, il faut s’étonner que ce n’est qu’ en début tiers ;
2003 que la France a lancé son Conseil national du - mettre en place des programmes pour fournir des tri-
développement durable et adopté (le 3 juin 2003) sa thérapies à ses salariés touchés par le sida, dans un
stratégie nationale de développement durable qui cons- pays où elle s’est implantée ;
titue son cadre d’action ! Quid alors des autres Etats - prendre en compte les difficultés liées aux OGM dans
africains ? les produits alimentaires
- etc.
Le modèle de la France
Toute fois il y a une bonne démarche que ces Etats afri- Une politique de développement durable fait appel à un
cains (qui en sont toujours, pour la plupart, aux profes- peu de créativité permettant d’initier et de mettre en
sions de foi et actes vertueux de contrition) pourraient œuvre des programmes adéquats ; elle fait appel aussi,
« copier » de la France3. tout de même, à l’implication des ressources humaines.
En effet, même si ce n’est que sur le tard que la France 2.3 - Des initiatives et des programmes
a adopté sa stratégie nationale de développement dura- à mettre en œuvre
ble, elle avait cependant, mis en place, depuis 2001, une
loi sur les Nouvelles Régulations Economiques (loi du Nous nous contenterons de rendre compte ici de deux
15 mai 2001). Cette loi a pour but d’« informer les expériences concluantes menées au Canada et aux
investisseurs de la manière dont l’entreprise prend en Etats-Unis.
compte les risques environnementaux et s’organise
pour y faire face », compte tenu du mouvement dans le
monde économique et de la mobilisation - si faible soit-
elle - des entreprises autour du concept de développe- 3 La France va abriter dans quelques jours, le 27 novembre, le premier
ment durable. forum mondial du développement durable, sous le patronage du
En fait, il s’agit pour les entreprises de publier des Président J. Chirac, ardent défenseur de la thématique de la triple
informations sur les conséquences sociales et environ- responsabilité économique, sociale et environnementale qui consti-
tue le pilier du développement durable.
nementales de leur activité. Mme Bachelot-Narquin 4 Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de l’écologie et du
Ministre français de l’écologie et du Développement Développement durable (France - Gouvernement Raffarin 2002) -
durable expliquera qu’ « une entreprise connaissant Voir Le Figaro Entreprises N°18419 du 27 Octobre 2003.
mieux la société qui l’entoure ou maîtrisant mieux ses 5 Passage d’interview in Le Figaro Entreprises n° 18419 du 27 octobre
dépenses et ses risques est gagnante sur le long terme. 2003.
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L’entreprise citoyenne, militante du développement durable
Alioune DIT MAWA FAYE
Un programme commun : le « responsible care » durable. Le programme 3P se fonde sur l’idée que le
Lancée au Canada en 1983, le « responsible care » est meilleur moyen de lutter contre la pollution est d’abord
une initiative de l’industrie chimique, visant à manifester de ne pas la créer.
et faire connaître l’engagement des entreprises affiliées
signataires d’améliorer tous les aspects de leurs opéra- Les dirigeants de 3M ont tôt compris que :
tions en rapport avec la protection de la santé, la sécurité - Les problèmes d’écologie auraient une influence
et l’environnement. croissante sur la compétitivité de leur firme.
Adopter un programme « responsible care », c’est - Compte-tenu de la complexité grandissante des régle-
reconnaître intégralement ses responsabilités et ses mis- mentations concernant l’environnement, il serait diffi-
sions en matière d’environnement et de sécurité, tout en cile de s’adapter rapidement aux possibilités du marché.
répondant aux préoccupations légitimes du gouverne-
ment, de la société civile et du public en ces domaines. L’objectif du programme était, dans un premier temps,
La philosophie du « responsible care » est véhiculée par de parvenir à :
des principes directeurs déclinés en directives et codes - réduire de 90% les rejets atmosphérique de 3M ;
de bonne pratique pour faciliter sa mise en application. - introduire la lutte anti-pollution dans le plan écono-
Exemple de principes directeurs : mique ;
- veiller à ce que la politique à mener en matière de - introduire la lutte anti-pollution dans les critères
santé, sécurité et environnement soit connue et appli- d’évaluation du personnel (cadre et non cadres) ;
quée par tous les collaborateurs de l’entreprise ; - utiliser l’esprit créatif du personnel, et élaborer une
- veiller à disposer de données nécessaires permettant approche plus systématique de la prévention avec des
d’évaluer l’impact de ses procédés, produits et activités objectifs plus quantifiables.
sur l’environnement, ainsi que sur la santé et la sécu-
rité de la population en vue d’en maîtrise les effets Le programme comporte aussi d’autres éléments :
éventuels ; - récupération des ressources ;
- fournir aux populations les informations nécessaires - nouvelles économies d’énergie ;
pour se former une opinion sur les effets des activités - abandon des produits qui attaquent la couche d’ozone
de l’entreprise sur la sécurité, la protection de la santé - amélioration des conditions de stockage souterrain ;
et l’environnement… - etc.
- promouvoir la recherche dans les domaines de la sécu-
rité, de la santé et de l’environnement ; Mais le point de succès du programme est assurément
- etc. cette démarche d’encouragement du personnel en
contact direct avec les produits et les procédés de fabri-
Un tel programme implique le développement d’indica- cation de 3M à découvrir les remèdes à apporter. Ainsi,
teurs permettant de mesurer le progrès réalisé et donc sur une période de 10 ans, plus de 3 000 projets 3P - des
une communication adéquate vers le personnel et l’opi- initiatives du personnel - ont évité plus de 500 000 ton-
nion publique, tant sur l’engagement des dirigeants nes de rejets polluants et économisé plus de 500
d’entreprise, que sur les résultats obtenus. millions de dollars de frais.
234
L’entreprise citoyenne, militante du développement durable
Alioune DIT MAWA FAYE
Quant aux cadres, leur adhésion est essentielle, car ce TYTECA D., ET POSTIAUX J.M., « Environnement
sont eux qui décident des priorités, allouent les ressources, et compétitivité », in Marc Ingham (sous la direction
motivent et encouragent le personnel. de) Management stratégique et compétitivité, De Boeck
Nous conclurons par quelques recommandations, qui au Université, 1995.
demeurant ont été déjà évoquées ci-dessus.
235
Le contrat psychologique peut-il aider à mieux apprénhender le stress en entreprise ?
Virginie MOISSON - Jean-Marie PERETTI
Le contrat Introduction
psychologique
Gérer n’est pas chose évidente et aujourd’hui plusieurs
ont le sentiment que quelque chose s’est brisé dans nos
milieux de travail et que le lien qui existe entre un
employé et son employeur n’est plus comme avant.
à mieux
psychologique ; qui à son tour pourra générer du stress
pour les salariés.
apprénhender
gique, défini comme la croyance d’un individu en
l’existence d’obligations mutuelles entre lui-même et
une autre partie ; employé et employeur, (Rousseau et
le stress
Tijoriwala, 1998), peuvent aider à mieux appréhender le
phénomène du stress professionnel et ainsi conduire à
adopter des stratégies d’ajustement visant à réduire les
conséquences négatives au plan des attitudes et des
en entreprise ?
comportements d’un sentiment de bris et de violation du
contrat psychologique.
237
Le contrat psychologique peut-il aider à mieux apprénhender le stress en entreprise ?
Virginie MOISSON - Jean-Marie PERETTI
1. Le contrat psychologique collaboration limitée dans le temps, dont les termes sont
bien spécifiés et d’ordre plutôt économique, tandis que
1.1 - Définitions dans le cas du contrat relationnel, il n’y a pas de durée
Le contrat psychologique qui est un contrat informel, limitée, les termes ne sont pas spécifiés de façon précise
non écrit, se fonde sur les théories de l’échange (Vroom, et les obligations sont aussi bien affectives qu’écono-
1964 ; Blau, 1964), des attentes (Lewin, 1936) et de l’é- miques. Le type de contrat psychologique n’est pas fixé
quité (Adams, 1965) cité par Saba et Lemire en 2002. Il de façon définitive et statique (Campoy et Neveu,
repose sur des croyances individuelles explicites et 2005). Ces dernières années, le contrat psychologique a
implicites sur les obligations mutuelles qui existent considérablement évolué. Dans l’ancien contrat psycho-
entre employeurs et employés et l’effet de leur trans- logique, en échange de sa pleine et entière participation
gression sur le comportement des employés. On attribue au meilleur fonctionnement de l’organisation, cette
sa paternité à Argyris (1960) qui avait créé le terme dernière offrait à l’individu la possibilité d’évolution de
pour décrire la relation qu’entretenaient des ouvriers carrière, le travail satisfaisant ou supérieur entraînant
avec leur contremaître dans une usine (Guerrero, 2005). ponctuellement des promotions auxquelles se conju-
Le terme a été repris par Levinson (1962) et Schein guent de nouveaux défis et de nouvelles responsabilités
(1965) qui ont développé et précisé le concept. (Lemire et al ; 2003, Sims, 1994). Aujourd’hui les condi-
Ainsi selon Schein (1985), le contrat psychologique est tions de travail ont évolué et les organisations ne
défini comme une série d’attentes réciproques non écri- peuvent plus offrir les mêmes conditions : la charge de
tes entre un salarié et une organisation ; autrement dit, il travail augmente, on exige le développement de compé-
s’inscrit au sein d’un processus d’échange de contribu- tences multiples… ainsi, nous assistons à un processus
tions et de rétributions : le salarié met sa force de de transformation en profondeur de la relation d’emploi
travail au service de l’organisation, laquelle le récom- qui conduit à une violation ou rupture du contrat
pense de ce fait (Mullenbah, 2002). psychologique. C’est ce point que nous développons
Dans ce schéma (ci dessous), il est clairement mis en dans la section suivante.
évidence que l’organisation a une véritable responsabi-
lité vis-à-vis des salariés et qu’elle se doit de prendre en 1.3 - La violation du contrat psychologique
considération l’évolution de leurs besoins.
Il y a rupture ou violation du contrat psychologique
1.2 - Le contenu du contrat psychologique lorsque les salariés considèrent que l’organisation n’a
pas respecté un (ou plusieurs) de ses engagements,
Même s’il n’existe pas de consensus sur les éléments qu’ils soient explicites ou implicites (Turnley et
que devrait contenir un contrat psychologique, que la Feldman, 1998). La complexité de la violation du
compréhension du contrat psychologique diffère selon contrat psychologique tient à ce qu’elle est d’abord
les cultures et la perception des salariés (Thomas, Au et avant tout perceptuelle, c’est-à-dire qu’elle peut se
Ravlin, 2003, cités par Lemire et Saba, 2005), on retrouve développer non seulement lorsque l’organisation n’a
deux grands types de contrats, l’un relationnel et l’autre pas respecté un de ses engagements, d’une manière
transactionnel. Le contrat transactionnel renvoie à une délibérée ou à la suite de circonstances indépendantes
Source : Mercier, 1999 adapté de Hunt et al, 1988, cité par Mullenbach, 2002.
Contributions
(servant les besoins de l’organisation)
- effort - compétence
- loyauté - créativité
- savoir - temps, etc…
Individu Organisation
Rétributions
(servant les besoins de l’individu)
- salaire - statut social
- sécurité - carrière
- bienfaits - éloge
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Le contrat psychologique peut-il aider à mieux apprénhender le stress en entreprise ?
Virginie MOISSON - Jean-Marie PERETTI
de sa volonté, mais encore lorsqu’il y a des interpréta- risque plus élevé de maladies cardio-vasculaires. De
tions conflictuelles touchant un ou plusieurs éléments plus, le stress perçu sera différent selon le type de
du contrat psychologique. Dans un tel cas, l’organisa- contrat conclu. Un contrat de type relationnel - reposant
tion prétend avoir respecté l’ensemble de ses engage- sur une légitimité morale, renvoyant à des obligations
ments envers les salariés alors que ces derniers socio-émotionelles de longue durée en vertu d’un enga-
concluent, au contraire, à la violation du contrat psycho- gement réciproque de chaque partie- devrait conduire à
logique (Morrisson et Robinson, 1997, Rousseau, davantage de stress, en cas de violation ou rupture,
1995). Lorsqu’ ils sont violés, ils peuvent générer chez qu’un contrat de type transactionnel - dont les obliga-
les salariés de la méfiance, de l’insatisfaction, voire tions spécifiques sont de courte durée et ne demande
peut-être une dissolution de la relation (Argyris, 1960 ; qu’un faible engagement réciproque.
Rousseau, 1989).
3.1 - Une évolution du métier de base
Nombreux sont les salariés qui ont le sentiment que le
2. Les effets de la violation du CP pacte conclu avec l’employeur a évolué. Ainsi, les
sur les comportements des salariés personnels de santé déplorent aujourd’hui un travail
éloigné de leur cœur de métier, à savoir soigner. Il
2.1 - La perte de confiance semble qu’à l’heure actuelle la majorité de leur activité
soit consacrée à ce qu’ils nomment « la bobologie » ;
Le sentiment de violation du contrat psychologique c’est-à-dire des maux bénins qui pourraient être traités
ébranle la confiance que le salarié place dans l’organi- par les médecins de famille. Or, de plus en plus d’indi-
sation (et ses représentants) quant à sa capacité à vidus se tournent vers l’hôpital et plus particulièrement
respecter les termes du contrat. En effet, puisque la vers le service des urgences pour une rage de dents ou
confiance est un des éléments essentiels à la base de un mal de tête. Ce phénomène a pour conséquence
l’élaboration de ce type de contrat, lorsque le salarié a directe et évidente un surcroît d’activité, des gestes de
le sentiment que son contrat a été violé, la perception de moins en moins techniques opérés par les profession-
confiance vis-à-vis de « l’autre partie » est elle aussi nels de la santé et des situations de travail où la tension
ébranlée. Konovsky (2000), cité par Campoy et Neveu ne cesse d’augmenter face à une population de plus en
(2005), précise que la confiance est nécessaire pour plus exigeante et impatiente. Aussi, cette évolution du
maintenir un échange social notamment dans le court métier conduit à un stress de plus en plus élevé et à une
terme, quand des asymétries temporaires peuvent exister augmentation de l’intention de quitter l’organisation.
entre les contributions et les rétributions ou récompen- Ce sentiment n’est pas unique au réseau de la santé mais
ses liées à la participation de l’individu à la relation. il semble particulièrement partagé dans ce milieu. Les
À la suite de la violation du contrat, le salarié ne croit symptômes de ce malaise sont apparents notamment
plus que ses propres contributions d’aujourd’hui seront dans le cynisme ambiant, une perte de confiance envers
récompensées, comme promis par l’employeur demain les dirigeants, un épuisement généralisé, le roulement
(Robinson, 1996) ; sa confiance s’effondre. La viola- de personnel ou le refus de promotion par du personnel
tion : parce qu’elle est fondée sur la confiance, peut compétent. Cette évolution est donc vécue comme anor-
conduire à des réactions émotionnelles très fortes et à male et injuste par les salariés qui ont le sentiment que
un sentiment de trahison (Guerrero, 2005). les promesses ne sont pas tenues, ce qui conduit à des
sentiments de non reconnaissance et de déception.
2.2 - Le stress perçu
3.2 - Vers un nouveau contrat psychologique
Une conséquence possible de la rupture du contrat
psychologique est le stress ressenti par les salariés. En Le contenu du contrat tend à évoluer, ainsi nous som-
effet, le non-respect des promesses explicites faites mes passés au cours des vingt dernières années, d’un
entre les deux parties peut conduire à une réaction contrat stable, structuré et sécurisant à un contrat plus
affective forte et extrêmement désagréable. D’ailleurs, flexible, plus ouvert sur la renégociation des engage-
les salariés se perçoivent rarement comme une source ments de chaque partie, mais aussi plus centré sur
de rupture du contrat psychologique. En revanche, ils l’échange et l’employabilité (Guerrero, 2004). Ainsi,
sont très sensibles au non-respect des promesses de la dans la population étudiée nous retrouvons des profes-
part de l’employeur (Guerrero, 2005). Bien entendu, le sionnels de santé qui occupent leur poste depuis plus de
niveau de stress diffèrera selon le type de personnalité, vingt ans confier avoir une vision très différente de leur
ainsi comme l’ont montré deux cardiologues, Friedman métier, notamment par rapport à leur embauche. Une
et Rosenman (1974) qui ont divisé les individus selon soignante déclarait « Une infirmière est une technicienne
deux types de personnalité : le type A et le type B. Le et finalement sur le terrain des urgences elle va plus
type A est plus stressé que le type B et il présente un souvent faire de la « bobologie » plutôt que des gestes
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Le contrat psychologique peut-il aider à mieux apprénhender le stress en entreprise ?
Virginie MOISSON - Jean-Marie PERETTI
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Le contrat psychologique peut-il aider à mieux apprénhender le stress en entreprise ?
Virginie MOISSON - Jean-Marie PERETTI
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241
Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
Evalde MUTABAZI - Philippe PIERRE
Management D
ans le contexte actuel de globalisation des
économies, la compréhension fine des
situations multiculturelles de travail et de
et stratégies
management constitue un défi pour les managers mais
également un champ très important et novateur pour
l’Audit social, la recherche en gestion et en sociologie
de l’entreprise. Face aux problèmes et aux difficultés
des cadres
ou méconnues du management, apportant ainsi des
outils de réflexion et de travail pour les auditeurs,
lesdirigeants et les cadres des entreprises confrontées
aujourd’hui, plus que par le passé, aux problématiques
en contextes
liées aux « chocs des cultures » et des modèles
différents.
multiculturels :
Si les difficultés ou les échecs observés dans plus de la
moitié des entreprises qui se rapprochent depuis 1990
mobilisent les chercheurs occidentaux, il n’en est pas de
même pour l’Afrique à laquelle très peu de travaux sont
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Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
Evalde MUTABAZI - Philippe PIERRE
Dans le cadre de ce colloque, nous proposons une lation de 86 dirigeants et cadres expatriés ou locaux au
réflexion autour d’une partie de plusieurs séries de siège de cette multinationale d’origine française et dans
recherches approfondies menées en Afrique et en ses filiales implantées dans plusieurs pays en Afrique
Europe ; dans le cadre d’un programme de recherche (Congo, RDC, Gabon, Nigéria et Cameroun). Au total,
lancé depuis plus de 10 ans. Celui-ci a pour objectif 120 entretiens semi-directifs, d’une durée comprise
central de contribuer à la mise au point des outils et entre 1h45 et 3 heures, ont été menées avec des cadres
méthodes visant à rendre compte des phénomènes internationaux. Sur les 86 cadres interviewés (non-fran-
humains et organisationnels liés aux chocs des cultures çais dont 30 africains), 70 avaient une longue expérien-
et des modèles au sein des entreprises multiculturelles. ce internationale en France et 16 en dehors de leur pays
La visée de cette communication est de montrer qu’en et filiales d’origine.
ayant une meilleure compréhension de ces phénomènes
et des stratégies identitaires qui en découlent en contex- Egalement publié dans une thèse de doctorat de socio-
tes multiculturels, l’Afrique pourrait sortir de l’impasse logie (Pierre Ph., 2000), ce travail centré sur la cons-
créée par la dualité de leurs modèles de références au truction des stratégies identitaires des cadres internatio-
sein des entreprises locales et mieux valoriser ses res- naux s’est poursuivi au travers d’une seconde série de
sources en tirant partie à la fois du modèle circulatoire 500 interviews semi-directifs menées ensuite chez
et de l’apport des autres continents et cultures. Gamma (1996-2005) dont près de 60 cadres africains.
Afin de compléter l’apport de ces entretiens, nous avons
Pour ce faire, la première partie de notre réflexion s’ap- profité de notre position de salarié permanent chez
puie sur le résultat de plusieurs campagnes d’étude Gamma pour faire de l’observation participante notam-
menées dans 56 entreprises ayant des partenaires et des ment lors de nombreuses restitutions de résultats et des
salariés de cultures différentes en Afrique (Côte échanges avec ces cadres. Cette étape complémentaire
d’Ivoire, Congo, République Démocratique du Congo, de recueil d’informations nous a donné véritablement
Niger, Rwanda, Sénégal) et/ou en Europe (Belgique, accès aux stratégies identitaires au travers des attitudes,
Danemark, France, Pays-Bas, Portugal, Suisse). Au des comportements et des pratiques sociales observées
total, nous avons administré 309 questionnaires au sein par ailleurs en dehors de l’entreprise, dans la vie quoti-
des entreprises (8 filiales et 8 sièges de multinationales, dienne de ces cadres (rapports aux conjoints ou aux
15 entreprises publiques et 15 entreprises privées afri- enfants, langues parlées à la maison, fréquentations et
caines) et complété le résultat de son traitement statis- vie associative, formes de loisirs pratiqués…)
tique par celui de l’analyse de contenu de 1126 inter-
views individuels et de groupes (d’une durée comprise Toutes ces campagnes de recherche confondues, la
entre 2 et 6 heures), réalisées ensuite au sein des mêmes réflexion proposée ici s’appuie uniquement sur la partie
entreprises mais également à l’extérieur du travail afin qualitative de notre recherche (entretiens, interprétation
de prendre en compte à la fois des cultures d’entrepri- thématique...). Conscients des questions épistémolo-
ses, nationales ou claniques locales. La synthèse des giques que soulève cette approche en sciences sociales
résultats de cette recherche a été présentée dans plu- (Alasuutari P., 1995), nous avons décidé de nous y
sieurs conférences-débats ou dans des réunions d’ex- appuyer parce que cette approche nous paraît pertinen-
perts (Responsables des RH, Historiens, Sociologues, te pour rendre compte des problèmes de management
Anthropologues, spécialistes en gestion et en sciences observés en Afrique.
politiques, auditeurs...) organisées en Afrique ou en
Europe avant d’être publiée dans une thèse de doctorat
de sociologie de l’entreprise (Mutabazi, 1999). Ce tra- 1. Le modèle circulatoire
vail, mettant en évidence un modèle circulatoire de de management en Afrique
management, est régulièrement complété par des obser-
vations réalisées lors des interventions dans les entre- Face à la similitude des pratiques sociales et à l’analo-
prises multiculturelles en Afrique et en Europe avec une gie des dysfonctionnements organisationnels, mais
production régulière de cas. aussi à celle de nombreuses attitudes et comportements
observés dans les entreprises étudiées dans plusieurs
Dans un second temps, nous développons une réflexion régions d’ Afrique observés dans les entreprises étu-
autour des stratégies identitaires développées par les diées dans plusieurs pays et régions d’Afrique (Est,
managers et cadres en situations multiculturelles, en Ouest, Centre et Nord) ; face au fait que ces entreprises
nous appuyant cette fois-ci sur le résultat d’une secon- sont généralement perçues comme des « affaires de
de série de campagnes d’études menées dans deux mul- Blancs » ou de l’Etat, nos recherches montrent qu’il
tinationales européennes ayant de nombreuses filiales existe un fond culturel et managérial commun en
en Afrique, que nous désignons par Alpha (pétrolier) et Afrique sur lequel leurs managers pourraient davantage
Gamma (cosmétique) pour des raisons de confidentia- s’appuyer pour les rendre plus performantes.
lité. L’enquête menée chez Alpha a porté sur une popu- Par ailleurs, ce fonds culturel et managérial commun
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Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
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africain apparaît également au travers d’un autre passage et un exercice incontournables, car il en va de
ensemble d’attitudes et comportements, à l’opposé de sa vie, voire de sa survie. Vis à vis du modèle occiden-
ces phénomènes contre-productifs évoqués plus haut, tal et de la place de chaque individu, les Africains n’ont
que nous avons observés dans tous les pays africains : le guerre pas de choix ; car ils n’ont globalement pas de
fort engagement et la prise d’initiatives, l’implication quoi subvenir seul à leurs besoins. La voiture person-
personnelle et la créativité... qui fleurissent de façon nelle, l’appartement individuel, le salaire régulier, la
étonnante dans le secteur dit « informel » alors qu’ils sécurité sociale, l’assurance, les facilités de crédit…
sont plutôt rares dans le cadre des entreprises privées ou sont inaccessibles pour la grande majorité des africains.
publiques dont le management est fortement adossé aux Chacun dépend des autres, de leur entraide et de
modèles importés. Comme en témoignent les micro- l’échange de biens et de services avec eux pour vivre,
business (faire payer un sou à ceux qui viennent regar- traiter la plupart de ses problèmes, répondre à ses pré-
der sa télévision, gérer très rigoureusement les fonds occupations quotidiennes (labourer son champ, faire
d’une tontine financière, orchestrer l’organisation de des semis ou des récoltes, développer ses compétences,
fêtes communautaires), les très petites entreprises et les apprendre de nouveaux savoir-faire, avoir des nouvel-
tontines de diverses natures, l’esprit d’entreprise, la les...).
capacité à prendre des risques et la rigueur dans la ges-
tion des affaires ne manquent ni au Congo, ni au Maroc, ! La circulation de l’énergie humaine :
Au travers des dons et contre-dons (Mauss M., 1983, Pour la plupart des observateurs extérieurs, les sociétés
Alter N., 2002), et des visites aux autres pour bien les africaines donnent l’impression d’être toutes trop hié-
connaître et s’en faire connaître. Très tôt, tout sujet afri- rarchiques et gérontocratiques. S’il existe, en effet,
cain apprend à développer son réseau relationnel dans généralement une certaine verticalité du pouvoir,
sa famille, son clan et à l’extérieur de ceux-ci. C’est un notamment en faveur des « vieux », les rapports entre
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Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
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les supérieurs et les subordonnés sont régulés différem- part, l’incompréhension mutuelle entre les Africains et
ment de ce qui se passe concrètement dans la plupart les Occidentaux et d’autre part, l’essentiel des dysfonc-
des pays européens. En Afrique, en effet, les « vieux » tionnements similaires ou identiques observés dans les
ont généralement du pouvoir sur les plus jeunes, et dans entreprises africaines. En effet, dans la totalité des pays
ce contexte, la vieillesse n’est pas péjorative ; bien au étudiés, le « placage » des modèles importés sur le
contraire. Le vieux est respecté car il a l’expérience de modèle circulatoire s’est réalisé comme si celui-ci
la vie et des relations sociales ; mais il n’est respecté n’existait pas, comme si l’Afrique était une table rase
que lorsqu’il le mérite. Autrement dit, cette verticalité sur laquelle les modèles occidentaux pouvaient être
est contrebalancée par des critères très rigoureux de transposés tels quels. Dans cette perspective, les
légitimité que les « vieux » doivent réunir et exprimer Africains - et particulièrement certains de leurs diri-
au travers de leurs décisions et comportements vis-à-vis geants- sont devenus à la fois acteurs et victimes
de la communauté. Par exemple, le vieux doit être (Bayart J.F., 1989) ou « frères » et « sujets » de leur
exemplaire sur plusieurs plans : faire passer l’intérêt de domination par les pays colonisateurs (Dozon J.P.,
la communauté avant celui de l’individu, rechercher la 2003) au travers d’un système de représentations néga-
cohésion et la paix sociale, accepter de partager le pou- tives qu’ils ont contribué à fabriquer. Les bénéfices
voir avec les autres sages... qu’ils en ont tiré à titre individuel ayant été souvent
accumulés en faveur de leurs seuls clans ou régions
! La circulation des informations : d’origine ; et cela contrairement aux principes et aux
Par ailleurs, la verticalité des pouvoirs est équilibrée sur règles du modèle circulatoire, les rivalités ainsi engen-
un plan horizontal par la circulation des information drées se traduisent encore aujourd’hui par des hostilités
entre clans via les personnes de la même tranche d’âge quelquefois trop violentes et entre clans ou communautés
(groupes de pairs). Sur ce plan, le vieux a le devoir de locales.
donner ou de transmettre aux plus jeunes les savoir-
faire et les enseignements acquis tout au long de son Au fil du temps et de la succession au pouvoir des admi-
histoire. Par ailleurs, l’horizontalité se réalise via les nistrateurs coloniaux par les Rois ou les Présidents des
groupes de pairs dont le fonctionnement ressemble un premières républiques ; de ces derniers par les militaires
peu à celui des conscrits observables dans le Beaujolais jusqu’aux bouleversements politiques actuels (Côte
en France. Leurs membres se retrouvent régulièrement d’Ivoire, Région des Grands Lacs...), plusieurs diri-
pour s’informer mutuellement et apprendre les uns des geants Africains se retrouvent aujourd’hui prisonniers
autres à partir de ce qui se passe dans leurs familles et du système des représentations (l’image qu’ils ont
clans d’origine. Cette circulation des informations entre d’eux-mêmes et de leurs partenaires occidentaux, celle
clans et leur analyse critique collective au sein de ces que ceux-ci ont de l’Afrique, celles des peuples et des
groupes de pairs débouche généralement sur la remise entreprises qu’ils dirigent) forgés par leurs successeurs
en cause du pouvoir vertical des vieux notamment au pouvoir mais aussi de la fascination par les modèles
lorsque leurs comportements ne sont plus conformes des grandes puissances militaires et économiques
aux règles au cœur des principes précédant du modèle actuelles. Alors que les méfaits de cette fascination
circulatoire. Dans ce cas, il s’opère la tontine du pou- entretenue par certains partenaires extérieurs était déjà
voir se met en route, les autres sages (représentants des stigmatisée dans l’ « Afrique ambiguë » vers la fin des
autres clans) décidant de le détrôner en faveur d’un années 50 (Balandier G., 1957), aucun enseignement ne
autre. semble avoir été tiré de cette longue expérience africaine
de la dualité des modèles de référence. S’agissant des
À l’heure actuelle, l’essentiel de ces principes du modè- pays côtiers tels que le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, le
le circulatoire est aujourd’hui comme « enfoui » sous Kenya ou le Maroc..., cette expérience de l’ambiguïté
les modèles importés sur place ; qui mettent davantage existe aujourd’hui depuis plus de trois siècles, avec des
en avant l’individu et sa réussite personnelle par rapport conséquences quelquefois désastreuses sur fonctionne-
à celle du groupe ou de la communauté, la compétition ment des entreprises publiques et la vie des communau-
voire la rivalité interindividuelle par rapport à la solida- tés locales.
rité communautaire, l’accumulation des richesses finan-
cières ou matérielles par rapport au capital social et au Compte tenu de la vivacité du modèle circulatoire, héri-
profit social réalisé notamment au travers du réseau des té de leurs ancêtres et toujours à l’œuvre dans la vie des
relations d’interconnaissance et d’inter-assistance, Africains, la méconnaissance ou la négligence de ce
privilégiés dans la grande majorité des communautés hiatus culturel qui existe entre les valeurs ou les règles
africaines. de sociabilité au cœur de celui-ci ne peut que renforcer
Le modèle circulatoire ayant été dénié voire combattu cette dualité et, par voie de conséquence, la dysfonction
tout au long de l’histoire des rapports entre l’Afrique et des entreprises locales. De fait, les managers et cadres
l’Occident depuis l’époque de l’esclavage, cette diffé- africains sont en permanence amenés à évoluer dans des
rence des principes et valeurs explique largement d’une situations managériales paradoxales et à faire face aux
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Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
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injonctions contradictoires de la vie au travail et dans compter sur lui-même. Au fond, la différence la plus
leurs communautés villageoises. profonde sur ce plan apparaît essentiellement au niveau
des croyances, si les réseaux de solidarité ont tant d’im-
! La rationalité / relationalité : portance en Afrique, c’est parce que les membres des
Dans la plupart des modèles occidentaux importés sur communautés africaines ont davantage besoin les uns
place, l’action est segmentée, spécialisée, séquencée des autres pour vivre en Afrique qu’en Occident, mais
afin de mieux atteindre des résultats souvent chiffrés. surtout que tout Africain croie en l’existence d’une
Dans le modèle circulatoire, les principes évoqués plus énergie supérieure qui relie en permanence les vivants
haut se situent dans une approche plus intégrative. Par et les morts, les hommes aux autres éléments de l’uni-
son action, l’homme doit s’intégrer dans la nature et vers. Dans cette optique, l’univers qui nous entoure
veiller en permanence à la qualité de ses relations avec - qu’il s’agisse des autres hommes, des animaux ou des
les autres membres de sa communauté, ses voisins et plantes, des phénomènes naturels ou surnaturels - n’est
leurs alliés. L’action collective et ses résultats priment pas généralement perçu par les Africains comme une
sur l’action individuelle. Le spécialiste n’est apprécié menace à maitriser ou juguler par des lois ou des tech-
que lorsque son expertise contribue au succès et à la vie niques, par des plans ou des procédures à l’instar des
de sa communauté. cultures industrielles occidentales. Il apparaît plutôt,
dans la cosmogonie africaine, comme un ensemble d’é-
! Le profit matériel / profit social : léments reliés avec et au sein desquels il s’agit naturel-
Même si le relationnel y existe et a une importance lement pour l’homme de vivre en harmonie pour survi-
capitale notamment dans la vie politique, le temps se vre. Compte tenu de l’importance des réseaux sociaux,
gagne ou se perd comme de l’argent. Chaque individu l’échange verbal direct est préféré à l’échange médiati-
doit bien le gérer pour en tirer le maximum de profit sé par l’écrit ou par une machine, même si internet et le
matériel, être reconnu dans l’entreprise (médailles, téléphone portable y bénéficient aujourd’hui d’un très
photos du meilleur…) voire dans sa vie personnelle. Il bon accueil.
n’est pas bien vu de mélanger les affaires et les senti-
ments, la vie professionnelle et professionnelle. En Face à ces quelques éléments, notre ambition n’est évi-
Afrique, en forçant le trait, le profit social prime sur tout demment ni de comparer l’Afrique à l’Occident, ni les
le reste, mais il ne l’exclut pas. Bien au contraire, déve- cultures africaines et occidentales1. Il est de mettre en
lopper son réseau relationnel, gagner la confiance des évidence l’essentiel des différences souvent méconnues
autres, est le moyen idéal pour accéder à la réussite et et pourtant depuis longtemps à l’origine de l’incompré-
au profit matériel. Autrement dit, les deux types de pro- hension mutuelle et de nombreuses difficultés de coopé-
fit existent bel et bien en Afrique comme en Occident, ration entre les Africains et les Occidentaux. Qui plus
la différence entre les deux modèles réside dans l’ordre est, ces éléments ne sont connus ni par la majorité des
de priorités. Ainsi, le temps se vit et se partage avec les Africains ni par les Occidentaux. Un certain nombre
autres, il ne se perd jamais en Afrique. Le groupe prime d’entre eux - les cadres internationaux en particulier-
sur l’individu qui en est membre et bénéficiaire à la fois étant amenés à travailler ensemble, à conduire des pro-
(réciprocité des droits et des devoirs). C’est une des rai- jets au sein des entreprises multiculturelles en Afrique,
sons pour lesquelles, les primes individuelles de perfor- voire en Europe, quelles stratégies développent-ils face
mances qui fonctionnent sur la base de la compétition aux phénomènes liés au chocs de leurs cultures et
interpersonnelle sont mal acceptées en Afrique. Cette modèles de management différents ?
pratique managériale risque de mettre en danger la soli-
darité et cohésion sociale. Il vaut mieux miser sur la
compétition entre équipes pratiquée depuis la nuit des
temps dans la vie des communautés africaines.
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Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
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L’approche interculturelle étant encore balbutiante en entreprise, un statut minoritaire et peu différencié dans
Occident comme ailleurs, nous souhaitons contribuer à la société d’accueil. Et lorsqu’il évoque le « Nous » les
son développement en proposant une lecture nouvelle anglo-saxons de la Tour Alpha à la Défense », il insiste
des phénomènes de la « construction identitaire brico- cette fois-ci sur la solidarité micro-locale lié à l’usage
lée » par ces cadres au sein des entreprises multicultu- d’une même langue ; et utilise enfin le « Nous » les
relles internationales qu’elles soient dans leurs pays Noirs en entreprise », correspondant à son assignation
d’origine ou à l’étranger (Pierre Ph. 2003). identitaire en tant que membre d’une communauté
raciale dont il entend défendre les droits.
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Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
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me de consistance entre les intériorisations originales et fiés comme différents. Alors que la figure « apatride »
nouvelles (Berger P.&. Luckmann T., 1996). du cadre international a un effet repoussoir pour les
Défensifs , nombre d’entre eux n’hésitent ni à se
Contraints d’adopter les goûts et les habitudes d’un nou- montrer ou se donner à voir comme « Africain » ni à
vel univers culturel, certains cadres aménageront de défendre cette identité. En fin de carrière et au bout de
façon partielle, localisée ou tactique une partie de leur plusieurs années de mobilité professionnelle intense,
vie, selon une temporalité professionnelle ; et cela afin de parfois d’expatriation hors d’Afrique, les Défensifs
préserver un lien intime avec ce qu’ils considèrent préfèrent retourner « au pays » pour conjurer symboli-
comme la part la plus intime ou « authentique » de leur quement la fluidité du temps passé hors de chez eux.
identité profonde. Lorsque les conduites héritées du passé Pour ces cadres, les racines sont plus importantes que la
et de la socialisation primaire ne suffisent plus pour réussite professionnelle à l’étranger. Aussitôt de retour
influer en leur faveur sur les transactions sociales et pro- dans leurs pays, ils deviennent souvent des entrepre-
fessionnelles, les cadres internationaux développent des neurs locaux. Il s’agit pour eux de mettre à profit « les
capacités à manier différents codes culturels et ainsi une compétences interculturelles » que leur mobilité inter-
variété de stratégies de mobilisation de leur ethnicité nationale leur permis de développer. Leur accès à des
(Lipiansky E.M., Taboada-Leonetti & Vasquez A. 1997) responsabilités associatives ou pédagogiques, ou encore
dont voici les cinq observés en Afrique et en France : dans la vie politique constituent le moyen souvent utili-
sé par ces cadres pour concilier ou harmoniser leurs vies
Les Conservateurs : cette première stratégie identitaire professionnelles (avantages matériels, niveau de rému-
se caractérise d’abord par le fait que l’expérience du nération) avec la vie familiale et le respect des valeurs
travail en dehors de sa culture est vécue comme une et les règles au cœur du modèle culturel partagé avec les
contrainte ; les conservateurs ayant comme préoccupa- autres membres de leurs communautés d’origine.
tion majeure d’entretenir le maximum de liens avec leur
communauté d’origine, et de continuer à respecter les Les Opportunistes : cette stratégie est majoritairement
obligations envers les parents et les autres membres de développé par les jeunes cadres dont les attitudes mon-
la communauté restés au pays. Aussi, cette stratégie se trent la labilité des adaptations utilitaires ou des tac-
traduit par une grande densité de relations sociales et un tiques d’identification passagère en contextes multicul-
certain retranchement protecteur dans l’identité cultu- turels. Autrement dit, cette stratégie identitaire se
relles d’origine. Les Conservateurs paraissent diviser traduit par leurs comportements « synchrones » et leurs
l’univers social en deux hémisphères : ils fantasment un capacités à se saisir d’une conduite-type approuvée par
« dedans » (le foyer familial le plus souvent) dans leurs interlocuteurs de culture différente. L’effort des
lequel ils cherchent à garder intact les modes de pensé Opportunistes consiste à résorber les dissonances, gérer
hérités de leur culture d’origine et un « dehors » (le pays les entrées-sorties de rôles. S’en suit une réflexivité
d’accueil ou le monde de l’entreprise à l’occidentale grandissante liée précisément à cette distance aux rôles
dans laquelle ils travaillent), dans lequel ils adoptent à différents qu’ils sont capables de jouer en fonction des
minima les règles et les comportement exigés par la vie circonstances ou des interlocuteurs. Ainsi par exemple,
des affaires. L’importance des mécanismes de défense ils sont très habiles dans l’usage alterné du tutoiement
portés par les Conservateurs met ainsi en lumière le fait et du vouvoiement, même lorsque ce mode de commu-
qu’un individu ne s’insère pas véritablement dans une nication n’existe pas dans leur langue maternelle. Ils
société d’accueil tant qu’il n’y trouve pas une garantie savent également bien choisir le thème de discussion
de sécurité équivalente à celle que lui fournit sa culture particulièrement associé à une culture, utiliser le registre
d’origine. Ils recherchent un niveau de garantie qui de gestes et des mimiques « anglo-saxons » lors d’un
vienne au moins contrebalancer la perte - plus ou moins exposé en public et revenir aux habitudes gestuelles de
longue ou temporelle - de la chaleur des relations per- leur propre pays d’origine au moment opportun,
sonnelles et le secret d’une histoire signifiante de leurs notamment dans leurs échanges avec leurs compatrio-
communautés d’origine. tes. Les opportunistes développent ainsi de grandes
capacités à jouer le jeu de la « bonne distance sociale »
Les Défensifs : les cadres qui développent cette secon- en fonction des contextes et des interlocuteurs.
de stratégie, la confrontation avec leurs homologues Toutefois, on ne sort véritablement jamais d’un cadre de
occidentaux rend plus sensible la conscience de leur référence que parce que l’on entre dans un autre ; et il
appartenance à une culture différente. Le brassage mul- serait vain de considérer les « Opportunistes » comme
ticulturel aiguise leur sens de la revendication identitai- des sujets culturels « vides ». Toute identité de façade
re. Même parfaitement bien intégrés dans l’activité de appelle la connaissance maîtrisée des comportements
l’entreprise internationale où ils travaillent, les défensifs allant avec, la migration d’un mode de paraître à un
se perçoivent surtout comme des hommes originaires autre, et suppose l’apprentissage minimal ou limité d’un
d’Afrique, et mettent en place les moyens nécessaires certain capital culturel et d’un registre d’identités
pour se distinguer socialement des autres et être identi- « disponibles ».
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Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
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Les Transnationaux : à l’instar des différences de pres- pas à un état mais à un processus de construction
tige entre les écoles de commerce ou d’ingénieurs, les sociale.
filières nobles de l’internationalisation se distinguent de
celles qui le sont moins. Parce que l’univers familial Face à ces cinq stratégies identitaires, l’expérience du
leur a transmis très jeune, des codes de conduite et des travail en contextes multiculturels fait apparaître l’uto-
valeurs cosmopolites, les Transnationaux font figure pie de la figure jadis idéalisée -notamment dans les
d’héritiers en qui les pratiques de gestion de firmes multinationales- du cadre africain affranchi de
carrières rencontrent des dispositions acquises dès son identité, du cadre qui serait parfaitement « malléa-
l’enfance, y compris en ce qui concerne les stratégies ble», et qui ne serait, en somme, qu’une sorte de
d’adaptation en contextes multiculturels. Ils croient en « précipité stable » des différentes cultures qu’il a
un usage partagé de la raison et présent en chaque être traversé au fil de temps et des différents postes qu’il a
humain, en une possibilité de construire des formes de occupés au sein des entreprises.
management réellement universels et militent, le plus Dans cette perspective, quelques enseignements ressor-
souvent par exemple, pour l’usage généralisé dans la tent de la réflexion précédente autour des managers et
grande entreprise des mêmes méthodes de recrutement cadres africains amenés depuis fort longtemps à déve-
ou d’évaluation. lopper des stratégies leur permettant de vivre et de
Cadres mobiles de « la seconde génération », ils se travailler en contextes multiculturels, de produire un
différencient de leurs homologues cadres locaux qui variété de réponses et de comportements face aux
vivent leur mobilité en terre étrangère comme la récom- questions et aux situations souvent paradoxales dans
pense de leur effort, « de la fin d’une course » ou d’une lesquelles ils évoluent notamment au sein des entrepri-
étape importante sur leur chemin de vie et de carrière. ses multiculturelles.
Eux accéderont généralement aux positions de pouvoir
les plus enviés. les Transnationaux suivent souvent les À l’heure actuelle, le problème le plus grave pour
pas de leurs aînés, amenant souvent avec eux les souve- l’Afrique - face à la mondialisation et au chocs quel-
nirs de leur enfance notamment lorsqu’ils ont été quefois trop violents des modèles que celle-ci accentue
éduqués en ville ou dans des régions transfrontalières. - est de trouver la bonne voie de sortie des impasses du
multiculturalisme (Mutabazi E., 2002) et de l’ambiguïté
Les Convertis : les Convertis s’efforcent d’entretenir des modèles contradictoires avec lesquels la grande
la plus grande similitude possible avec ceux qu’ils majorité de ses dirigeants et cadres sont obligés d’opé-
considèrent comme les détenteurs du pouvoir dans rer des bricolages identitaires, afin de pouvoir répondre
l’organisation. Le choix de la naturalisation, la quotidiennement aux exigences de la vie sociale au sein
recherche d’une carrière entièrement faite dans un pays de leurs communautés d’appartenance, et à celles sou-
occidental, le fait de donner des prénoms occidentaux à vent opposées du travail au sein des entreprises locales
leurs enfants marquent un processus partiellement managées à l’occidentale. Compte tenu des problèmes
conscient et toujours imparfait de déculturation des organisationnels et humains qui en découlent, l’Afrique
cadres africains en Occident. Cherchant avant tout à gagnerait à davantage s’appuyer sur le fonds culturel et
être appréciés pour eux-mêmes, les Convertis souffrent le modèle circulatoire largement partagés par ses habi-
souvent de leur position entre la population immigrée tants dans plusieurs pays ; un potentiel de ressources, de
souvent rejetée de même origine, une population qui qualités et de compétences développées tout au long de
sert à les désigner comme membres d’une catégorie l’histoire de ce continent par ses communautés suite aux
générale (la nation, la couleur de la peau…) alors qu’ils migrations et aux fuites de guerres, aux échanges et
ne s’identifient plus à elle ; et un milieu d’appartenan- coopérations entre les peuples africains. Ce potentiel de
ce professionnel dans lequel - avec leurs caractéris- compétences partagées s’est également développé au
tiques culturelles spécifiques- ils ont du mal à se faire travers de leur expérience, sommes toutes également
accepter totalement. Ainsi se retrouvent-ils en lutte commune, de la domination par les pays occidentaux.
permanente avec eux-mêmes, constatant de façon Réalisé au travers de nombreuses étapes de l’histoire de
cruelle que l’appartenance qui leur est reconnue par les ce continent (esclavagisme, colonisation, indépendance,
autres ne tient compte ni de leur capacité réflexive mise en place des Républiques, coopération avec
aiguë, ni de leur art de la distanciation consommé, ni de l’Occident, coup d’états militaires, conflits ethniques,
leur travail inlassable sur eux-mêmes. Derrière la figu- coopérations dans le cadre de grands projets financés et
re stéréotypée qu’ils tentent d’épouser en tous lieux, ils coordonnés par les experts de bailleurs de fonds inter-
risquent constamment d’être « trahis » par la présence nationaux...), l’enrichissement culturel mutuel des com-
de cet autre rejeté en eux dont ils ne parviennent jamais munautés africaines se poursuit aujourd’hui au
à maîtriser pleinement l’authentique expression. Par travers de la mobilité de leurs membres au sein des
leurs attitudes et comportements, les Convertis mont- entreprises multinationales, des échanges et des visites
rent que l’assimilation culturelle n’est jamais pleine- régulières entre familles de clans ou communautés
ment atteinte mais aussi que l’ethnicité correspond non séparées quelquefois depuis plus d’un siècle. Cette
250
Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
Evalde MUTABAZI - Philippe PIERRE
251
Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
Evalde MUTABAZI - Philippe PIERRE
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252
Management et Stratégies Identitaires des Cadres en contextes multiculturels : cas des managers et cadres africains
Evalde MUTABAZI - Philippe PIERRE
253
Audit social et responsabilité sociale d’entreprise : cas d’une PME
Florence NOGUERA
Audit social L
a Responsabilité Sociale d’Entreprise a été
inscrite par le Conseil de Lisbonne en mars 2000,
au premier rang des priorités publiques. La
et responsabilité
Commission Européenne définie le 18 juillet 2001 dans
le Livre Vert, intitulé « Promouvoir un cadre européen
pour la responsabilité sociale des entreprises », la
responsabilité sociale d’entreprise comme l’intégration
d’entreprise :
liée à l’application du concept de développement dura-
ble, qui signifie qu’une entreprise doit non seulement se
soucier de sa croissance et de sa rentabilité, mais aussi
de ses impacts environnementaux et sociaux. Elle doit
255
Audit social et responsabilité sociale d’entreprise : cas d’une PME
Florence NOGUERA
prise pour limiter les atteintes à l’équilibre biologique, D’ailleurs, les pouvoirs publics, des réseaux d’entrepri-
aux milieux naturels, aux espèces animales et végétales ses, des ONG ont, depuis quelques années, ouvert la
protégées… réflexion et produit les premiers outils spécifiquement
A l’inverse les PME rencontrent de nombreux obsta- dédiés à la RSE dans les PME. Une campagne de sensi-
cles : Quelles motivations ? Quels moyens ? Quels bilisation a été lancée par la Commission européenne
outils et dispositifs ? De quels indicateurs de RSE et de (guide, répertoire de bonnes pratiques, colloques) et on
développement de la performance durable une PME recense déjà un certain nombre d’outils de diagnostic ou
pourrait-elle se doter ? Quels indicateurs de performan- de management dans plusieurs pays européens.
ce économiques, environnementaux et sociétaux peut-
on mobiliser ? Peut-on traduire la responsabilité sociale
d’entreprise dans le système de contrôle interne de l’en-
treprise ? Quelle peut-être l’intégration de l’ensemble 2. Présentation de l’étude exploratoire
des différents systèmes de contrôle et d’indicateurs de conduite auprès d’une PME du
performance économiques, environnementaux et secteur de l’agroalimentaire
sociaux, dans le cadre d’une démarche stratégique ?
Pour répondre à ce questionnement, cette recherche
s’appuie sur l’étude du cas d’une PME de 55 personnes, Pour étudier les indicateurs explicatifs de développe-
appartenant au secteur agro-alimentaire. ment durable, nous présentons les résultats d’une étude
La proposition avancée est que les indicateurs de sur le repérage des indicateurs réalisée au sein d’une
management des activités et des performances PME et nous nous attacherons à proposer une nomen-
peuvent permettre de réaliser un audit du système clature par familles d’indicateurs et un tableau de bord
d’informations de l’entreprise et peuvent être utili- socio-économique pour le pilotage des indicateurs de
sés comme référentiels d’évaluation pour définir les développement durable au sein d’une PME. Cette étude
objectifs économiques, sociaux et environnementaux approfondie conduite de 2000 à 2001 avait pour objec-
de leurs activités, produits et services à atteindre tif de faire un audit et de mesurer le développement
dans le cadre de la responsabilité sociale d’entreprise durable suite à la mise en place d’une nouvelle organi-
et le management durable d’une PME. sation du travail. Après avoir présenté les propositions
de recherche, nous proposons d’utiliser le modèle
d’intervention socio-économique comme approche
possible pour mesurer l’engagement d’une PME dans
1. Mener une politique socialement une démarche de RSE.
responsable : un enjeu fort de
modernisation et de développement Les propositions de recherche
1. Au sein de l’Union Européenne, 99,8% des permettre de traduire la responsabilité sociale d’en-
20 millions d’entreprises recensées emploient moins treprise dans le système de gestion interne de l’entre-
de 250 personnes et 93% sont des micro entreprises prise.
(moins de 10 personnes).
2. Le développement, la crédibilité et la réussite de la ! Proposition 2 : il est possible de faire un audit de l’en-
Responsabilité Sociale des Entreprises dépend donc, gagement dans la RSE dans les tableaux de bord
en bonne partie, de sa prise en compte par les PME. socio-économique opérationnels des managers.
3. Plus encore, l’application au management d’entreprise
des principes du développement durable (responsabi- ! Proposition 3 : le tableau de bord socio-économique
lité, logique projet, approche sur le long terme, intégrant à la fois des indicateurs qualitatifs, quanti-
prévention, transparence, concertation, etc.) doit for- tatifs et financiers doit permettre d’être plus proactif.
tement contribuer à la « modernisation » du manage-
ment des PME-TPE et par conséquent leur dévelop- ! Proposition 4 : le tableau de bord socio-économique
pement. est un outil de pilotage et de management de la per-
Les PME-TPE souvent fournisseuses de produits et de formance au service de la RSE et du développement
services pour les grandes entreprises sont confrontées durable de l’entreprise.
de manière croissante à la nécessité de répondre à cer-
taines questions, sinon à prouver qu’elles opèrent selon ! Proposition 5 : le tableau de bord socio-économique
certains critères de responsabilité. donne une vision stratégique de l’organisation et de
256
Audit social et responsabilité sociale d’entreprise : cas d’une PME
Florence NOGUERA
257
Audit social et responsabilité sociale d’entreprise : cas d’une PME
Florence NOGUERA
périodicité du pilotage : hebdomadaire, mensuel, Il sensibilise les managers à l’importance des indica-
trimestriel, semestriel, annuel. teurs portant sur la performance sociale et non exclusi-
vement sur la performance économique. Par exemple,
Le recueil des données a été complété par l’analyse de pilotage du plan de formation, des compétences opéra-
documents tels que le bilan annuel, rapports spéci- tionnelles, pilotage sur la législation sur le temps de
fiques, compte-rendu de groupe de projet, etc.). Les travail.
données recueillies ont permis d’établir une nomencla- Il sensibilise également les managers à l’importance des
ture par famille d’indicateurs et de repérer les indica- indicateurs qualitatifs et de long terme sur la perfor-
teurs de développement durable. mance durable.
Nous présentons ci-dessous la nomenclature par famille
d’indicateurs qualitatifs, quantitatifs et financiers de la Doter d’un tel tableau de bord, les managers sont sensi-
RSE et du développement durable, telle qu’elle a été bilisés à la fois aux résultats immédiats qui se traduisent
conçue dans le cadre de cette recherche-intervention, par une augmentation des gains de productivité, de
ainsi qu’une extrait du tableau de bord socio-écono- l’efficacité, de la compétitivité, de la rentabilité, mais
mique mis en place auprès des managers de cette entre- également à la création de potentiel (résultats futurs), ce
prise. qui est le propre de la RSE et du développement dura-
Ce tableau de bord (page de droite) socio-économique ble.
présente l’ensemble des indicateurs qualitatifs, quanti-
tatifs et financiers de pilotage de la RSE et du dévelop-
pement durable définis par les managers de cette entre-
prise. Ce tableau de bord socio-économique permet de
servir la mise en place de la RSE et du développement
durable dans les PME sous deux angles :
258
Audit social et responsabilité sociale d’entreprise : cas d’une PME
Florence NOGUERA
Degré
Nature (1) Pilotage (3)
d'utili
sation
Libellé de l'indicateur -
q Q f 1 2 3 4 5
(2)
259
Audit social et responsabilité sociale d’entreprise : cas d’une PME
Florence NOGUERA
Conclusion Bibliographie
Cette communication s’est efforcée d’apporter des ARGYRIS C. & SCHÖN D. (1978), « Organizational
éléments de réponses à la question de l’intégration de Learning : a theory of Action Perspective », Addison-
l’ensemble des différents systèmes de contrôle et Wesley, 450 p.
d’indicateurs de RSE et de performance durable dans le
cadre d’une démarche stratégique au sein d’une PME ? CAPRON M. (2003), L’économie éthique privée : la
Pour répondre à ce questionnement, cette recherche responsabilité des entreprises à l’épreuve de l’humani-
s’est appuyée sur l’étude du cas d’une PME de 55 sation de la mondialisation, Organisation des Nations
personnes, appartenant au secteur agro-alimentaire. Unies pour l’éducation, la science et la culture,
Afin d’étudier la problématique de l’intégration du UNESCO.
développement durable dans le pilotage interne de l’en-
treprise, nous avons mobilisé une démarche de recher- CAPRON M., QUAIREL F. (2003), Reporting
che-intervention, portant sur la mise en place de Sociétal : limites et enjeux de la proposition de norma-
l’approche socio-économique dans l’entreprise étudiée. lisatin internationale, « Global Reporting Initiative »,
Cette étude approfondie, conduite de 2000 à 2001 avait Actes du 24e Congrès de l’AFC, Louvain-La-Neuve,
pour objectif de faire un audit et de mesurer le dévelop- mai 2003.
pement durable suite à la mise en place d’une nouvelle
organisation du travail. Elle montre que les managers et CAPRON M., QUAIREL F. (2004), Mythes et réalités
plus généralement les salariés peuvent contribuer acti- de l’entreprise responsable, Editions La Découverte,
vement à une démarche de reporting de la RSE au tra- Paris.
vers des tableaux de bord socio-économique. La RSE
constitue alors un enjeu fort de renforcement du dialo- CAPRON M., QUAIREL F. (2005), Evaluer les stra-
gue social dans les PME. tégies de développement durable des entreprises : l’uto-
pie mobilisatrice de la performance durable, Journée
développement durable, AIMS, IAE d’Aix-en-
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260
Audit social et responsabilité sociale d’entreprise : cas d’une PME
Florence NOGUERA
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261
La contagion « RSE » dans la distribution : le rôle du partenariat ONG/entreprises
Valérie PAONE - Diana MANGALAGIU
La contagion Introduction
« RSE » dans
La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) postule
que performance financière et performance sociale sont
compatibles, voire synergiques. Elle prend selon les
contraintes du secteur d’activités, des formes et des
le rôle
sociale, soulèvent critiques et scepticisme. Mais celles
qui souhaitent conserver leurs distances sont jugées
encore plus négativement. La RSE qui repose sur une
adhésion volontaire, est devenue en quelques années le
du partenariat
modèle de gestion sur lequel s’étalonne toute entreprise
adhérant ou non à ses principes. Elle émerge aussi
comme le modèle sociétal auquel se réfèrent les parties
ONG/entreprises
prenantes considérées comme l’un des facteurs majeurs
à ces adhésions. Le concept des parties prenantes qui
fait l’objet de nombreuses théories (normatives, pres-
criptives, descriptives) s’est élargi à l’ensemble des
acteurs pouvant avoir une influence sur la vie de
l’entreprise. Les Organisations Non Gouvernementales
(ONG) sont un de ces acteurs.
Les ONG, après avoir été un élément de contre-pouvoir
Valérie Paone1 de la société civile envers les entreprises, jouent aujour-
CNAM, Paris d’hui un rôle prépondérant et interne dans les méthodes
Négocia, Paris et la performance sociale des entreprises. Si ces rela-
tions sont souvent analysées comme antagonistes voire
Planet-Finance
conflictuelles3, elles se sont pourtant multipliées.
[email protected] / [email protected] Entreprises et ONG, dont nous définirons le statut dans
cet article, cherchent à trouver des voies de collabora-
Diana Mangalagiu2 tion. Les ONG sont aujourd’hui impliquées dans les
Economie et Marchés Internationaux démarches RSE de nombreuses multinationales (Total,
Reims Management School Lafarge, Accor, Auchan, Carrefour…). Nous nous
Institute for Scientific Interchange intéressons aux relations des entreprises du secteur de la
Turin, Italie distribution avec les ONG. Ce secteur fortement exposé
aux risques humains, sociaux et écologiques est aujour-
[email protected] / [email protected]
d’hui particulièrement actif dans ses relations avec les
ONG à travers différents types de partenariats. Présent
sur tous les continents sources et cibles, la distribution
est, selon une étude d’Insight Investment (fonds
d’investissement responsable anglo-saxon), depuis
2003, le secteur le plus engagé et le plus efficace dans
ses démarches RSE.
263
La contagion « RSE » dans la distribution : le rôle du partenariat ONG/entreprises
Valérie PAONE - Diana MANGALAGIU
Dans cet article, notre point de départ reconstitue les - l’élargissement du concept de parties prenantes et des
objectifs respectifs des entreprises et des ONG pour se groupes concernés ;
lancer dans des partenariats. Nous montrons que, dû à la - le poids et l’influence globalisée (économique, finan-
tension créée par la divergence des attentes et des objec- cière et sociale) que les entreprises ont acquis par des
tifs respectifs des deux types d’acteurs, le système s’est fusions-acquisitions généralisées dans les années 90 ;
émancipé et propagé dans tout le secteur de la distribu- - la recherche du mode de régulation globale des entre-
tion, dans les pays développés mais aussi sur les conti- prises le plus adapté (législatif vs. autorégulation).
nents émergents à travers les réseaux en front et en
back-office des firmes. Nous mettons en avant, à travers Cette approche connaîtra deux étapes fondatrices. Le
l’étude de cas de Carrefour, premier acteur français concept de parties prenantes finira par s’étendre au-delà
engagé dans une collaboration avec une ONG, la des seuls actionnaires, à l’ensemble des groupes
FIDH4, les mécanismes structurels propres de la distri- pouvant avoir une influence sur la vie de l’entreprise.
bution et les effets recherchés et aussi les effets invo- Le concept d’une responsabilité sociale, fondée sur une
lontaires de la mise en place de ce partenariat. Nous triple dimension (économique, sociale et environne-
avançons que, par un phénomène de contagion, la mentale) sera édicté par le Global Compact de l’ONU
distribution a provoqué la mise en place des partenariats en 2000 et par la Commission Européenne (CE) en 2001.
entre firmes et ONG dans d’autres secteurs. Nous
dressons une cartographie des réseaux de partenariats L’émergence de transnationales fait aussi basculer la
internationaux entre distributeurs et ONG dans les pays responsabilité individuelle de l’entrepreneur vers celle
émergents. Nous identifions chronologiquement autres de l’entreprise. Selon les théories économiques clas-
acteurs ayant suivi cette démarche et analysons la nature siques, la seule responsabilité d’une firme est de faire
et les effets de leurs partenariats avec les ONG. Notre du profit (Friedman, 1963). Selon Hallis (1930),
travail s’appuie sur une recherche terrain ainsi que sur l’entreprise est créée selon des actes légaux et a des
de rapports et documents officiels liés à nos activités de objectifs précis qui limitent sa responsabilité. De ce fait,
recherche et professionnelles. seule la responsabilité juridique lui est applicable.
Demander aux entreprises de sortir de leur nature
Cet article est structuré comme suit. Nous présentons économique, en leur donnant une responsabilité hors de
brièvement l’évolution de la RSE et le cadre théorique leur compétence, serait un danger à court et long terme
dans laquelle elle s’inscrit, puis nous nous intéressons (Hayek, 1962). Pour Rawls (1971) et French (1979),
aux partenariats entre l’économie sociale et les entreprises. c’est l’intention qui crée la responsabilité. Ces inten-
Nous développons ensuite l’étude du cas Carrefour et tions se traduisent dans les discours et la qualité des
de son partenariat avec la FIDH, en décrivant l’histo- réponses des entreprises concernant leur responsabilité.
rique de la démarche RSE de Carrefour et de son parte- Les enjeux et les parties prenantes ne sont pas définis à
nariat avec l’ONG. Nous analysons les mécanismes de priori, mais varient selon le secteur et la stratégie de
contagion en termes de RSE vers les réseaux de l’entreprise. Ainsi les arrangements contractuels laissés
Carrefour impactant tout le secteur de la distribution à la firme et à ses co-contractants « offrent une structure
française et internationale ainsi que l’émancipation et à l’intérieur de laquelle les membres coopèrent ou
l’inversement du système. Enfin, nous nous intéressons déterminent un mécanisme (qui peut conduire) à un
aux réseaux de partenariats internationaux entre distri- changement de loi. » (Davis et North, 1970).
buteurs et ONG dans les pays émergents.
C’est précisément parce que la RSE laisse insatisfait un
certain nombre d’interrogations et d’acteurs en termes
de choix des responsabilités et de répartition des coûts
1. RSE et performance sociale et des bénéfices, qu’un glissement s’est effectué vers la
nature et la qualité de la réponse de responsabilité sociale
Si les années 80 et 90 ont été dominées par les fusions- et vers la « performance sociale » comme indicateurs
acquisitions, la création d’oligopoles et par le paradig- des intentions initiales.
me de la valeur actionnariale (Bauchet, 2003), les
dernières années ont relancé la réflexion sur le rôle et la Les contours et objectifs de la RSE suscitent une
responsabilité de l’entreprise. L’entreprise devenue controverse qui s’exerce sur deux aspects majeurs. Le
transnationale consomme des ressources de toute natu- premier est lié aux motivations de la firme perçues
re, en quantité de plus en plus importante. En atteignant comme opportunistes ou comme « une mode managé-
des tailles et des poids économiques jusqu’ici inégalés, riale vouée à disparaître » (Midler, 1986). Le second est
les entreprises sont en mesure de profiter à leur envi- lié aux actions et aux conséquences observables, jugées
ronnement direct et indirect mais aussi de lui nuire.
L’approche RSE enracine cette responsabilité à travers
trois éléments : 4 Fédération Internationale des Droits de l’Homme.
264
La contagion « RSE » dans la distribution : le rôle du partenariat ONG/entreprises
Valérie PAONE - Diana MANGALAGIU
peu efficaces. Mais in fine, les intentions des firmes en accédant à de nouvelles ressources financières (ENA
sont des éléments constitutifs de la divergence et de la 2004).
propagation actuelle de la RSE.
L’adhésion des firmes à la RSE, puis les partenariats
bilatéraux avec les ONG, rendent finalement ces deux
acteurs « captifs » de leur démarche respective et com-
2. Rapprochement ONG - entreprises mune et ce pour des raisons identiques : le risque de
réputation lié à l’obligation de moyens et de résultat. Le
Les ONG internationales ou locales dénoncent réguliè- statut de l’ONG joue un rôle déterminant dans le parte-
rement les agissements des multinationales. Ce phéno- nariat et la volonté de sa pérennité entre les deux
mène de dénonciation s’accentue en raison de la acteurs. Car si l’entreprise doit faire face aux marchés
fréquente diversité des opinions au sein d’une même financiers pour sa pérennité, l’ONG doit faire face aux
ONG, rendant peu prévisibles les conflits et les campa- bailleurs de fonds publics et privés et de plus en plus au
gnes au niveau local ou national. Les entreprises se grand public. Si les ONG et les firmes ont des objectifs
trouvent donc dans une position délicate car elles initiaux différents, dans la RSE elles doivent gérer cette
courent le risque de se voir confrontées à une menace divergence qui semble échapper aux deux types
permanente de boycott de la part des ONG si leurs d’acteurs et créer son propre système.
pratiques sont jugées préjudiciables pour l’environne-
ment ou la société. Pour Frederick (1994), l’adhésion volontaire à des
principes de responsabilité est plus avantageuse pour
Après Seveso et Bhopal, le débat public porte sur les l’entreprise qu’une intervention des pouvoirs ou instances
responsabilités environnementales. Mais les scandales juridiques. En allant dans le sens des parties prenantes
financiers, humains et sociaux qui suivent ainsi que et en optimisant les aspects normatifs, prescriptifs et
leurs répercussions élargissent le champ de responsabi- descriptifs (Donaldson et Preston, 1995) qu’impose la
lité envisagé. Ils favoriseront l’approche élargie des RSE, la firme bénéficierait d’une croissance et d’une
« parties prenantes » (Clarkson, 1991) et leur influence profitabilité dynamisées. Cette démarche permettrait en
sur le risque de réputation et les risques financiers qui outre de baisser le seuil de critique sociale envers
lui sont liés. l’entreprise et de réduire le risque de réputation. Nous
pensons justement que c’est l’effet inverse qui s’est
C’est rapidement que les firmes se sont tournées vers produit.
les ONG internationales. Les objectifs initiaux des
firmes dans la mise en place de ces collaborations
étaient de témoigner de leur engagement concret dans
des pratiques responsables mais aussi d’en valider 3. RSE et distribution :
l’action et la mise en œuvre par un acteur indépendant de l’épiphénomène à la référence
et légitimé dans un domaine de compétence identifié.
Immédiatement, les critiques envers les firmes mais La RSE oblige (adhésion) ou incite (prévention) à
aussi envers les ONG comme « label » humanitaire, ont repenser les modes opératoires entre les différents
porté sur l’amélioration d’image et l’affranchissement acteurs, parfois en les contrariant. Elle peut rendre les
pour un coût global faible vis-à-vis des contre-pouvoirs mécanismes de la transaction bilatéralement dépen-
traditionnels. Les ONG, en réponse aux critiques, afin dants, solidaires voire responsables. Elle peut nécessiter
de préserver leur statut d’indépendance et d’intégrité, des investissements spécifiques et durables, la com-
ont accru le degré d’exigence envers les firmes dans plexité et l’incertitude liée à une défaillance d’un sous-
leurs méthodes et leur engagement RSE. traitant nécessitent une adaptation permanente. La fré-
quence et la nature de la transaction sont déterminantes
Le mouvement qui rapproche ces deux acteurs aux dans la coopération et sa pérennité.
préoccupations a priori éloignées n’est d’ailleurs pas
univoque : les ONG manifestent un intérêt grandissant En essayant de comprendre pourquoi et comment la
pour les entreprises, qu’elles considèrent à juste titre RSE a pu devenir si rapidement la référence tacite ou
comme des acteurs essentiels du développement durable. explicite des firmes, en dehors des contingences identi-
Selon l’enquête réalisée en 2002 par Man-Com fiées, nous avons étudié les entreprises et les secteurs
Consulting5, 57 % des contacts entreprises/ONG qui avaient entrepris une démarche RSE pionnière.
seraient noués à l’initiative des associations, 40 % Nous avons constaté que des entreprises comme
résulteraient d’initiatives conjointes et 3 % seulement
d’une initiative propre à l’entreprise. Les ONG voient 5 Cf. Man-Com Consulting, L’état des rapports ONG et entreprises,
dans ces partenariats un moyen de faire avancer leur rapport 2002. Cette étude, réalisée auprès de 400 ONG, est la plus
cause et de faire montre d’une attitude coopérative, tout importante menée à ce jour.
265
La contagion « RSE » dans la distribution : le rôle du partenariat ONG/entreprises
Valérie PAONE - Diana MANGALAGIU
Lafarge et Siemens, très en avance dans leur démarche ration de la responsabilité du donneur d’ordre. La FIDH
RSE (en 19756 respectivement en 1984), interagissaient travaille en collaboration avec les fournisseurs qu’elle
avec un nombre très limité d’acteurs en back et front- assiste pour la mise à niveau des exigences. Mais la
office. Contrairement à elles, les entreprises du secteur FIDH joue aussi un rôle de juge et partie en modérant
de la distribution sont contraintes à la fois en back-office Carrefour et en incluant dans la Charte, une période
par les spécificités de la production et la taille du réseau d’engagement de six mois minimum et d’obligations de
dont elles dépendent et en front-office par l’instabilité Carrefour envers ses fournisseurs dans cet apprentissage.
du consommateur et de la capitalisation boursière ainsi
que par des taux d’exposition journalier et annuel sans Rapidement, les premiers effets se font ressentir (voir
comparaison7 avec les autres secteurs. En back-office, fig. 1). L’introduction des impératifs RSE à ce niveau
la dynamique propagée par les réseaux de sous-traitance de la chaîne de production crée un second type d’effet,
via les concurrents, modifie le rapport de force entre car il existe des zones de chevauchement entre les
donneurs d’ordres et fournisseurs et trouve de nouveaux différents distributeurs. Travaillant avec les mêmes
relais de croissance à l’international. groupes d’industriels, parfois dans les mêmes usines et
avec les mêmes agents commerciaux, la confidentialité
Nous avançons que ce sont les caractéristiques particu- ne peut être que partielle. La démarche RSE de
lières de la distribution qui rendent cette dynamique Carrefour commence à être connue par le bouche-à-
contagieuse et qu’elle contraint les acteurs directs et oreille des systèmes de production mais aussi par les
indirects à améliorer le niveau de qualité des réponses. différences de position entre les ONG. Les ONG
s’engageant dans un partenariat avec les entreprises
attendent une réelle intégration du projet dans la stratégie
RSE de l’entreprise. Au fur et à mesure de leurs expé-
4. De la démarche RSE contrôlée riences, les ONG précisent leurs conditions pour la mise
à la contagion en place des partenariats. La FIDH attend de Carrefour
un engagement global dans la lutte contre le travail des
Ces dernières années, plusieurs études ont analysé les enfants, dans la lutte pour l’ensemble des droits fonda-
interactions entre l’économie sociale et la RSE en mentaux du travail, le respect des normes internationales
s’appuyant sur le cas du partenariat entre Carrefour et la de l’OIT et de l’ONU, la non-récupération commerciale
FIDH (Bécheur et Bensebaa 2004, ENA 2004, Verger et du partenariat, de se soumettre à un mécanisme
White 2004). Dans l’analyse de ce partenariat, nous de contrôle indépendant, de se soumettre in fine à la
nous intéressons aux effets pervers auxquels les deux sanction de la publicité et de fournir une aide dans le
acteurs sont soumis et nous mettons en perspective renforcement de la capacité d’action des acteurs locaux.
l’émancipation partielle du phénomène et l’écart entre Plusieurs syndicats français soulignent que les engage-
les objectifs initiaux de Carrefour et de la FIDH et les ments de Carrefour vis-à-vis de la FIDH concernant le
résultats. travail des enfants sont moins protecteurs que les
Conventions de l’OIT10.
Carrefour lance la dynamique
En 1995, Carrefour demande l’aide de la FIDH en vue Figure 1 : Interactions en back-office
de tenir ses engagements en matière de respect des de l’entreprise Carrefour
droits de l’Homme. En 1996, le dialogue entre l’entre-
prise et l’ONG débouche sur un accord et en 1997 une
Charte d’engagement, faisant référence aux conven- IMPERATIFS ONG
RSE Carrefour C
tions de l’OIT,8 destinée à ses sous-traitants est mise en
place. Cette Charte, portant sur le travail des enfants9 et
sur de nouvelles conditions d’acceptabilité et de main-
tien des contrats, est distribuée à tous les fournisseurs FOURNISSEURS C
de Carrefour. Elle est la référence qui sert et pose les
conditions du contrat entre le sous-traitant et le Groupe.
Afin de mettre en œuvre ces engagements, Carrefour et
la FIDH créent Infans, une association de droit français 6 Lafarge, première entreprise mondiale de ciment (15Md d’e de CA
en 2003, 75 000 employés dans le monde, 800 carrières et 2 000
ayant pour vocation l’évaluation des risques sociaux, la sites de production), s’est engagée dans la RSE en 1975.
réalisation de contrôles inopinés et l’identification des 7 Carrefour : 3 milliards de transactions par an en front-office.
ONG locales capables de superviser l’exécution de 8 Office International du Travail.
l’initiative Carrefour sur le terrain. Très rapidement, il 9 Demande du respect de la loi locale (par exemple, 14 ans et maxi-
devient évident que la Charte ne peut pas être pas un mum 48 heures travaillées par semaine).
outil de contraintes unilatérales, permettant un « déréfé- 10 « ONG et entreprises, des mariages durables et dangereux », La
rencement » abusif des fournisseurs ainsi qu’une exoné- Décroissance, avril 2005.
266
La contagion « RSE » dans la distribution : le rôle du partenariat ONG/entreprises
Valérie PAONE - Diana MANGALAGIU
Figure 2 : back-office, étape 2 (voir Paone et Mangalagiu 2006 pour l’ensemble des étapes)
IMPERATIFS ONG
RSE Carrefour
FOURNISSEURS
ONG
FOURNISSEURS FCD X
A,B,C, D, E
C
ONG
Y
D1 D2 D3 D4 D5
DX
FOURNISSEURS X,Y ,Z DY
D& F ONG
A, B,C
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La contagion « RSE » dans la distribution : le rôle du partenariat ONG/entreprises
Valérie PAONE - Diana MANGALAGIU
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La contagion « RSE » dans la distribution : le rôle du partenariat ONG/entreprises
Valérie PAONE - Diana MANGALAGIU
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269
De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane PAREZ-CLOAREC - Michel LE BERRE
De la responsabilité Introduction
à la responsabilité
Kant, « Fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fas-
sent », place la réflexion éthique entre les deux pôles
opposés de l’idéalisme et de l’utilitarisme. D’un côté,
l’idéal éthique de justice est recherché. De l’autre,
sociale de
l’utilitarisme tire la visée éthique vers le bas et la dévoie
dans des considérations matérielles.
l’employé (RSe) :
La liberté suppose la conscience et donc la responsabi-
lité. Cette dernière implique un engagement. En droit
romain, la responsabilité (respondere : répondre à une
sollicitation) signifie répondre de la créance d’autrui et
d’emploi
bilité devient un élément constitutif de l’engagement
professionnel des dirigeants et des managers. Dans le
domaine de la gestion des ressources humaines des
enjeux de responsabilité sociale apparaissent. Un grou-
pe profitable (ex : ST Micro ou Hewlett Packard) peut-
il se permettre de mener des opérations de restructura-
tion conduisant à la fermeture de certains de ses sites,
de licencier des centaines de salariés ? Oui, selon la
Christiane Parez-Cloarec, nouvelle jurisprudence française de la Cour de
DRH et Doctorante Cassation (14 janvier 2006).
Université Pierre Mendès France, Grenoble
[email protected] Dans la doctrine libérale, l’entreprise se voit confier
l’objectif de la réalisation d’un profit maximum. « La
main invisible du marché » assure l’optimum de
Michel Le Berre, prospérité économique. Le libéralisme individualiste
Professeur des Universités fait partie, selon qu’il est présenté d’une manière opti-
(avec la collaboration de) miste (Adam Smith), inquiétante (Tocqueville), incom-
Université Pierre Mendès France, Grenoble patible avec le déterminisme (Durkheim), des modes de
[email protected] coordination refusés par les organisations notamment
tayloriennes. L’affirmation de Durkheim, selon laquelle
le changement social ne saurait être le fruit d’innova-
tions individuelles, est certes discutable. En effet, que
viennent à changer, soit le marché et la demande des
clients, soit la technologie disponible, alors le paradig-
me « dominant-dominé » établi, notamment celui des
organisations industrielles, se déplace vers l’autonomie
individuelle à laquelle notre époque attache de nouvelles
vertus. Si la globalisation (Torres, 2000) traduit
« simultanément une dilatation spatiale et une contrac-
271
De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane PAREZ-CLOAREC - Michel LE BERRE
tion temporelle », alors une multiplicité de réseaux indi- l’industrialisation, une main d’œuvre qualifiée rare.
viduels stimule une nouvelle dynamique intrapreneuriale. Créé pour assurer une certaine harmonie sociale, ce sys-
Cette dernière pousse à l’externalisation des expertises tème donnait aussi les moyens de contrôler l’espace
valorisées par les nouveaux marchés émergents. En social et le temps hors travail des hommes : vie sociale
effet, ces experts, volontaires ou contraints, choisissent comportant l’usage des piscine, bibliothèque, jardin
de proposer leurs compétences sur le marché des services. d’enfants, école mixte, centre d’apprentissage, théâtre,
Tel est le cas des indépendants, des free lance, du por- protections sociales, etc. L’entreprise communautaire
tage salarial. De l’intrapreneuriat à l’entrepreneuriat, les répondait aux besoins d’une communauté.
propositions de création d’emplois indépendants se
multiplient (Beaucourt et Louart, 2003). D’une manière générale, en droit du travail français, le
travail n’est pas une marchandise. Le droit social s’est
L’observation du contexte de travail (1) contribue à développé pour répondre à un double objectif : confier
retracer l’évolution des notions de subordination indus- à l’entreprise la direction d’une force de travail et
trielle et de responsabilité sociale (1.1) et à illustrer protéger le salarié. Le contrat de travail ne rentre donc
cette évolution contemporaine de la RSE vers la RSe pas dans la typologie des contrats commerciaux, ce
(1.2) au travers de l’intrapreneuriat (1.3). Une zone de n’est pas non plus un contrat d’entreprise. On n’échan-
congruence (2) est discernable à partir de la multiplica- ge pas du travail contre de l’argent, mais on définit des
tion des formes de relation d’emploi (2.1). Elle est droits et des obligations dans le cadre d’une relation
confirmée par l’exemple du portage (2.2). Et elle reva- purement personnelle (intuitu personnae) marquée par
lorise le concept d’entrepreneuriat (2.3). La déforma- la confiance et qui définit un mode de relation entre une
tion des contours des entreprises et des activités accen- personne dirigeante et une autre dirigée dans le cadre du
tue donc la distinction entre les salariés et les cadres travail demandé. Le contrat de travail se définit alors
« autonomes » dans ou hors de l’entreprise. Ainsi, nous comme un engagement synallagmatique d’une personne
pouvons constater que la responsabilité sociale de l’en- à travailler pour le compte et sous la subordination
treprise (RSE) glisse vers les individus qui assument d’une autre personne, moyennant un salaire. Ce contrat
leur propre responsabilité sociale des employés (RSe). permet, au seul employeur, de contrôler la compétence,
la performance et le potentiel du salarié. L’organisation
de cette relation personnelle de travail repose sur une
notion précise : le lien de subordination.
1. La relation d’emploi :
de la subordination industrielle Cette situation, où la subordination est apparue comme
à l’intrapreneuriat substitut de la dépossession, a connu des évolutions
liées à des raisons économiques et sociologiques. Elle
1.1 - La subordination industrielle permet au salarié d’être protégé du risque d’entreprise
(Supiot, 1998). Le pouvoir de direction est une ressource
Rappelons que le contrat de louage, prévu par le code et une contrainte, invisible, intégrée, légitime et se
Civil au XIXe siècle, n’assurait aucune garantie légale. transforme en une convention (Rojot, 2003). Dès que la
Il conduisait le salarié à changer souvent de place en se perception des caractéristiques du pouvoir change, la
louant, provoquant ainsi des interruptions d’activité convention autorise la modification des frontières de
(Cornu, 2005). Le travail revêt une forme plutôt indivi- l’emploi.
dualiste. Une comparaison entre les sociétés tradition-
nelles et les sociétés modernes avancées aide à
comprendre comment cette représentation a évolué à 1.2 - Les éléments de l’évolution
travers le temps (Braudel, 1985). de la relation d’emploi
Le développement du salariat et le mythe de l’entrepri- Ces changements prennent réalité sur le terrain et inter-
se-providence conduit, dans les activités industrielles à rogent les critères juridiques de la subordination. On
une recherche de sécurité professionnelle. L’intérêt peut en particulier citer trois domaines de la métamor-
individuel est transcendé au profit d’une performance phose du pouvoir : l’augmentation des acteurs du
collective et d’un destin commun, qui s’appellera plus contrôle, l’autonomie du salarié et le recul de la centra-
tard la culture d’entreprise. Dans cette logique, on peut lisation.
comprendre la RSE comme une promesse de l’entreprise
- « mère protectrice » - faite aux salariés de ne pas L’entreprise où le jeu social se jouait entre employeurs
choisir l’efficacité économique au détriment de la et employés, où les compromis internes s’imposaient à
garantie d’emploi. tous, a dû s’ouvrir et les exigences de la société l’ont
Les entrepreneurs trouvaient dans ces pratiques, le pénétrée (Galambaud, 2005). Le jeu social se pratique
moyen d’attirer et de stabiliser dans le contexte de aujourd’hui à plusieurs : actionnaires, clients, fournis-
272
De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane PAREZ-CLOAREC - Michel LE BERRE
seurs, etc. Les collectivités locales s’invitent aussi C’est pour cette raison, que l’une des conceptions de la
directement à la table des débats (conflit HP, 2005). productivité passe par la valorisation de l’autonomie
L’accélération des changements concurrentiels sur les des salariés, assortie de façons. En effet, l’autonomie
marchés, l’imprévisibilité de la conjoncture, les évolu- renvoie à la liberté de l’acteur dans un cadre bien déli-
tions rapides de la technologie nécessitent que le lien mité, dans des règles qu’il a assimilées, sans pour autant
entre l’entreprise et ses salariés soit toujours plus souple préciser qui a défini les dites règles.
et puisse être redéfini, sinon remis en cause, à tout
moment. Ce modèle d’emploi conduit à un découplage Les nouvelles figures de l’autonomie présentent de nou-
de plus en plus fort entre le noyau dur des organisations velles caractéristiques collectives, qu’analyse Zarifian
(cadres dirigeants et core business) et les personnels qui (1999). L’autonomie prescrite est dans une large mesu-
n’en font pas partie. re une affaire d’équipe. Elle ne passe pas par l’isole-
ment, l’autarcie, mais au contraire par la mise en réseau
En matière de contrôle des activités, les entreprises, par et la coopération. Le salarié ne peut faire ce qu’il veut
opportunisme, adoptent un pilotage à court terme axé non pas parce que nul ne le voit ou n’interfère avec son
sur la compétitivité de développement de la performan- action, mais parce qu’il fait prévaloir son point de vue
ce, de l’employabilité et du co-investissement. L’accord dans une concertation. Il gagne à la coopération ceux
sur la formation professionnelle (5 mai 2004) revalori- dont il dépend (hétéro-autonomie). On ne revient donc
se la responsabilité du salarié à l’égard de ses compé- nullement à l’artisan « seul maître à bord » dans son
tences : « L’accord a pour objectif de permettre à chaque atelier, mais à une autonomie doublement négociée, à la
salarié d’être acteur de son évolution professionnelle fois à l’intérieur des équipes et entre équipes. Cette
(…). Les moyens mis à disposition par l’accord doivent autonomie négociée constitue l’un des maillons du nou-
permettre à chaque salarié d’être en mesure d’élaborer et veau professionnalisme.
de mettre en œuvre un projet professionnel qui tienne
compte non seulement des besoins en qualification de Décentralisant les lieux de décision, l’écart observé
son entreprise, ou plus généralement de ceux du monde entre le travail prescrit et le travail réel manifeste la
économique, mais aussi de sa propre ambition de déve- « présence humaine », la part d’individualité et de créa-
lopper ses connaissances, ses compétences et ses aptitu- tivité de la personne, son caractère irréductible aux
des professionnelles ». Elles rencontrent des obstacles procédures et aux machines, ses compétences, son
objectifs à la mise en œuvre de ce nouvel accord « intelligence au travail » (Clot, 1995). A l’inverse, la
(Source AFNOR Décembre 2005) : remplacement des « souffrance au travail » (Dejours, 1998) s’accroît
salariés qui partent en formation, entretien de profes- lorsque la reconnaissance et l’autonomie d’un
sionnalisation délégué aux managers souvent en travailleur s’amenuisent. L’autonomie assignée au cœur
surcharge de travail, gestion par les compétences qui se de l’organisation du travail est devenue un credo dans
traduit par un éclatement des certitudes et des défini- les discours (Chatzis, 1999). L’autonomie comme écart
tions. Si la compétence, dépendante du comportement au travail prescrit n’a de consistance que si le travail est
des acteurs, est bien attachée à la personne, ce n’est effectivement l’objet de prescriptions. Elle est imposée,
donc pas l’entreprise qui en est propriétaire. Or, les assignée par l’organisation du travail. Bernard Ibal,
formations dans l’entreprise restent décidées selon les ancien vice-président de la CFTC, écrit : « La dépen-
besoins de l’entreprise. dance ancienne de l’exécutant tend ainsi vers une auto-
nomie de responsabilité ; la gestion par projet casse les
À partir d’un certain niveau de formation, les profes- organigrammes fixes et les équipes pérennes. (…) si ce
sionnels n’acceptent pas la dépendance et portent leurs n’était la subordination du salarié à l’employeur, qui se
compétences ailleurs s’ils se sentent étroitement contrô- fait douloureusement ressentir (…), le salarié devien-
lés. Il leur faut être reconnus, jugés utiles, compétents, drait peu à peu un travailleur indépendant. ».
créatifs. La reconnaissance au travail (Jobert, 2000) Le travailleur autonome s’engage aussi envers une autre
exige une certaine autonomie. Ainsi Decy et Rian personne, son client, à effectuer un travail matériel ou à
(1985), considèrent, dans la théorie de l’auto-détermi- lui fournir un service moyennant un prix que le client
nation que les individus ont trois besoins innés : la rela- promet de défrayer. Il opte pour un positionnement
tion, la compétence et l’autonomie. « tourné vers le client ». Pour cet acteur, le service
rendu et la responsabilité du professionnel sont au
Recherchant l’autonomie, le salarié n’ignore pas, au centre du lien juridique.
fond de lui, qu’en acceptant un contrat il a délibérément
aliéné une partie de sa liberté. Quant à l’employeur, il L’introduction de la logique marchande dans l’organi-
voudrait contrôler les procédures et les gestes profes- sation (Bouchez, 2003) dénature et affaiblit la nature
sionnels, mais il n’ignore pas que la production dépend même du lien salarial c’est-à-dire celle de la subordina-
aussi des initiatives et des bricolages autonomes des tion. On est face à un travailleur ni subordonné ni indé-
travailleurs, source de perfectionnement et d’inventivité. pendant. L’interrogation de P. Auvergnon (2003) prend
273
De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane PAREZ-CLOAREC - Michel LE BERRE
tout son sens : « on est passé du XIXe au XXe siècle, du Dans l’intrapreneuriat se combinent donc la logique
contrat à la loi, du contrat au statut. Irait-on au début du d’exploitation du métier de base (activité du gestion-
XXIe siècle, en sens inverse ? » Autrement dit, irait-on naire) et celle de l’exploration de nouveaux territoires
de la RSE à la RSe ? (l’entrepreneur). L’intrapreneur agit au sein d’une entité
Au total, une obligation de résultats en qualité et quan- déjà existante, alors qu’au contraire, l’entrepreneur crée
tité se substitue à l’obligation de moyens de la relation sa propre organisation. La différence tient au lien de
« subordonnée » et protectrice. subordination juridique et hiérarchique : « C’est le pou-
voir de commandement de l’employeur (ordres, directi-
ves) sur l’intrapreneur ». Il reste salarié, rendant des
comptes et pouvant être sanctionné pour manquement à
1.3 L’intrapreneuriat ses obligations. La direction et le contrôle effectif du
travail sont les éléments décisifs du lien de subordina-
L’intrapreneuriat comprend un apprentissage et une tion.
appropriation d’un état d’esprit entrepreneurial et d’une
dynamique d’action (Basso, 2004). La notion d’intra- Cependant, même dans un contexte d’autonomie totale
preneuriat apparaît au milieu des années 70 en Suède. et d’absence de sanctions en cas d’échec, ce ne sont pas
Elle est proposée par les fondateurs du groupe de tous les employés qui « intraprennent ». Certains d’entre
consultants Foresight qui ont crée en 1974 l’École des eux sont en effet disposés à le faire même en absence
Intrapreneurs. Pinchot (1985) a introduit le mot « intra- d’autonomie alors que d’autres préféreraient la quiétude
preneurship » dans la littérature de sciences de gestion d’un emploi strictement encadré. L’intrapreneur est un
(traduit en français par « intrapreneuriat »). salarié ayant le profil de l’entrepreneur (attributs
personnels et caractéristiques psychologiques) et une
L’intrapreneuriat se définit tant à partir du processus (la conduite entrepreneuriale (Beaucourt et Louart, 2000).
mise en œuvre d’une innovation) qu’à partir de son Pour Pinchot (1985) l’intrapreneur « exécute[r] n’im-
résultat tangible (l’innovation) (Basso, 2004 ; Carrier, porte quelle tâche nécessaire au succès… [du] projet,
2000). Il est « la mise en œuvre d’une innovation par un sans tenir compte de… [la] description de poste ». Les
employé, un groupe d’employés ou tout individu tra- intrapreneurs mènent des missions complexes et ont la
vaillant sous le contrôle de l’entreprise ». Les princi- possibilité de se comporter comme s’ils créaient leur
paux objectifs ici sont la dynamisation des ressources propre affaire à l’intérieur de l’entreprise. Leurs unités
humaines, faisant du management un acteur de change- d’action sont du même ordre que des équipes de projet,
ment et d’encouragement à l’innovation pour identifier mais avec un degré de liberté encore plus grand. Ils sont
de nouvelles sources de croissance et valoriser les associés avec l’initiative locale. Ils sont encouragés à
prises de risques auprès de salariés. L’intrapreneuriat l’essaimage. Les questions relatives au niveau de délé-
rend l’organisation souple, adaptable et réactive et gation, de responsabilisation et d’autonomie deviennent
constitue une façon d’introduire une nouvelle culture alors fondamentales et discriminantes.
d’entreprise axée sur l’autonomie et la responsabilité. Le discours managérial des entreprises fait de plus en
Basso et Legrain (La Tribune du 24 février 2005) plus souvent la part belle au développement de l’auto-
distinguent et illustrent cinq modèles intrapreneuriaux nomie. La référence explicite à la discipline et à
français, basés sur des pratiques spécifiques de déléga- l’obéissance du salarié, référence juridique traduite par
tion et de responsabilisation des acteurs : le lien de subordination du contrat de travail, s’estompe.
Le droit s’efface devant une conception plus souple,
- le « modèle de l’enclave », entité dédiée (par exemple celle d’une référence auto proclamée à l’autonomie du
la cellule « business innovation » d’EDF), collaborateur adhérant aux stratégies de l’entreprise.
- le « modèle de l’acquisition apprenante »,
- le fonds de capital risque-interne qui permet de capter
les innovations, développée par Air Liquide,
- le « modèle du bouturage ou essaimage » qui permet 2. Une congruence de l’intrapreneuriat
de valoriser vers l’extérieur certaines activités tout en et de l’entrepreneuriat
conservant un lien : le CEA est un exemple du genre
avec comme figure de proue l’entreprise Soitec, Dans cette dissociation de l’économique et du social,
- le « modèle de la dissémination » où une équipe est c’est le contrat social entre l’entreprise et la société qui
chargée de promouvoir les valeurs entrepreneuriales est remis en cause. Ceci est confirmé par les enquêtes
au sein de l’entreprise : c’est ce que propose Gaz de publiées sur la marchandisation du travail et l’implica-
France, tion au travail (cf : Le Monde du 3 janvier 2006). D’un
- le « modèle de l’imprégnation » où est revendiquée côté, les entreprises multiplient les discours fédérateurs.
une forte culture entrepreneuriale : chez l’Oréal aucune Elles attendent des employés qu’ils fassent de l’entre-
structure spéciale n’en est chargée. prise et de leur emploi une composante de leur identité.
274
De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane PAREZ-CLOAREC - Michel LE BERRE
Fortement motivés, porteurs d’ambitions et de projets dépendance au prix parfois d’une reconstruction très
personnels, les salariés doivent être prêts à adhérer aux subjective de ce qui est légitime
principes et valeurs proposés unilatéralement par
l’entreprise. De l’autre côté, les faits montrent l’affai- Le contrat psychologique complète la théorie des
blissement des engagements de l’entreprise envers ces contrats implicites en insistant sur les aspects qualitatifs
mêmes salariés. du contrat de travail (Rousseau, 1989 ; Guest, 2002 ;
Guerrero, 2004 ; Coyle-Shapiro 2004). Il se définit
« comme les attentes en matière d’obligations réci-
2.1 - Une diversité des formes d’engagement proques de l’employé et de l’organisation ». Contrat
contractuel non écrit, il n’a aucun caractère juridique, il résulte
seulement de promesses perçues individuellement
La classification des contrats en vigueur dans le monde comme telles par les deux parties.
du travail, décrite par Le Berre et Castagnos (2003)
décrit l’ampleur mais aussi la variabilité des engage- Dans cette situation, la relation d’emploi et l’implica-
ments contractuels pour faire face aux variations tion psychologique, fondées sur la théorie des ressour-
d’activité (quantitatives et qualitatives) en jouant sur ces et des compétences, se compliquent pour passer
l’affectation des salariés en place : d’un univers du prescrit collectivement à un univers du
- un noyau stable de l’entreprise composé de Contrats à négociable individuellement. L’individu est amené à
Durée Indéterminée, réaliser un travail d’actualisation du risque compéten-
- un premier périphérique composé des CDD, stages et ces pour rester compétitif sur le marché du travail et des
temps partiels, services.
- un deuxième périphérique réservé à l’intérim, la sous-
traitance, le travail indépendant. Ceci renvoie à la notion d’employabilité, concept né à
la fin des années 1980. Il s’agit d’un double rapport
Les salariés, dont la présence interne n’est donc plus entre l’individu doté de compétences et son employeur,
indispensable au fonctionnement de l’organisation, sont et entre ce couple et l’état du marché sur un territoire à
confrontés au phénomène d’externalisation par lequel un moment donné. A des repères fournis sur les
les entreprises délèguent leurs fonctions périphériques à cinquante dernières années par le contrat de travail
des prestataires extérieurs. Les entreprises, globale- à durée indéterminée, tentent de se substituer de
ment, abandonnent les parcours de carrière, les systè- nouveaux repères qui ne sont pas assurés par le lien de
mes de promotion, les garanties de progression salariale. subordination. Nous ne sommes pas confrontés à une
L’entreprise est devenue elle-même un marché pour ses crise de la valeur travail, mais du lien entre le salarié et
propres salariés. Chacun est invité à prendre en main son employeur qui garantissait une sécurité en contre-
son devenir en saisissant les opportunités du marché partie d’un abandon de certains pans de sa liberté
interne ou externe. La transformation des structures de (Gazier, 2003). Le nouveau contrat prévoit quant à lui
la population active (tertiairisation), l’organisation du plus de liberté contre une responsabilité accrue de sa
travail, la façon dont l’entreprise exige l’employabilité propre employabilité.
de ses employés, la déliquescence du lien de subordina-
tion et le développement de l’individualisme participent Ainsi, ces capacités de pro activité adaptative et d’auto-
et contribuent à la structuration mentale des salariés et nomie d’action répondent aux besoins des organisations
aux attentes implicites et explicites de leur vie profes- modernes. L’étude européenne de Lab’Ho, (2004) insiste
sionnelle. sur les conséquences auxquelles les personnes doivent
faire face : c’est l’individu qui est le responsable de sa
Ainsi, les relations de travail évoluent avec les nou- propre orientation et de l’utilisation des moyens mis à
veaux contextes économiques des entreprises. Cette disposition dans l’entreprise. « Les individus adhèrent
évolution est accompagnée de modifications de la rela- d’ailleurs assez à cette idée, qui accompagne une sorte
tion d’emploi, « étendue à l’ensemble des aspects du d’émancipation générale de la « soumission librement
travail… négociations explicites et… régulations impli- consentie… Et pourtant… être acteur ne va pas de soi ».
cites ; elle comporte trois dimensions essentielles, Les entreprises et les collaborateurs sont contraints à
l’échange entre temps de travail et de non travail, les des efforts permanents d’ajustement et d’adaptation au
qualifications exigées (et obtenues), la relation entre marché et la recherche de la rentabilité à court terme. Ils
salaire et performance ». C. Argyris incite à l’analyse s’inscrivent dans une logique de réversibilité des choix
des aspects implicites de la relation (concept né aux où le détachement, l’absence d’ancrage fabriquent un
États-Unis dans les années 60) et inscrit au premier plan individu à la recherche perpétuelle de lui-même offrant
les conséquences du contrat psychologique mettant en dès lors un terreau très propice au travail flexible.
scène d’un côté l’individu, de l’autre l’organisation. L’entreprise elle-même devient contingente dès lors que
Le salarié a constamment envie d’oublier sa situation de le salarié acquiert une autonomie d’action et une capa-
275
De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane PAREZ-CLOAREC - Michel LE BERRE
cité à s’épanouir hors de l’organisation. 2002, l’industrie française (source : Banque de France),
Les règles sociales nationales, européennes ou interna- a perdu plus de 1,5 millions d’emplois. Dans le même
tionales, ne permettent pas de maîtriser ces transforma- temps, l’évolution du recours aux prestataires extérieurs
tions. Le contexte de globalisation et d’internalisation des entreprises (Insee, avril 2004) n’a cessé de croître
déplace les lieux de pouvoir et légitime le passage au et varie de 20 à 65 % selon les fonctions. Parallèlement,
travailleur indépendant. en 2004 (Insee, janvier 2005) les créations d’entreprises
ont augmenté de 12,5 % par rapport à 2003. Il se crée
désormais plus de 220 000 entreprises par an (source :
2.2 - L’exemple du portage salarial La Tribune du 28/11/2005). Parmi les entreprises
nouvelles, 83 % se créent sans autre emploi que celui de
Plusieurs éléments caractérisent le statut du travailleur son créateur. Elles sont créées en partie par d’anciens
indépendant. Il est propriétaire de ses instruments de salariés de grandes entreprises, avec des modalités
travail. Il est à son compte et supporte seul les risques juridiques spécifiques reliant ces créateurs à leur base
de son activité et de son employabilité. Il ne travaille d’origine (essaimage, start-up externe) ou avec des
pas dans le cadre d’un service organisé et sous le modalités de départ permettant de devenir « profession-
contrôle d’une autorité hiérarchique. Les raisons écono- nels autonomes » avant une éventuelle création d’entre-
miques, notamment le développement de réseaux de prise. Cette activité de « professionnels autonomes » via
travailleurs indépendants dans la sous-traitance et la le portage salarial augmente de 50 % tous les ans et
distribution (concession, franchise) créent cependant concerne plus de 30 000 cadres (le terme de « cadre »
des situations de dépendance et le développement du est employé ici de manière générique recouvrant toute
salariat dans des professions traditionnellement indé- personne possédant des compétences professionnelles
pendantes fait évoluer le statut. reconnues de ce niveau par les conventions collectives),
Le portage et l’intrapreneuriat sont des modalités contrats à durée indéterminée (CDI) ou déterminée
d’entrepreneuriat. Les deux termes se recoupent à bien (CDD) confondus, (source : Entreprises et Carrières
des égards et la relation d’emploi présente de nombreu- n° 747, 2005). Selon la Fédération Nationale du Portage
ses similitudes. Salarial (FNEPS), 15 000 cadres sont « portés » en CDI,
L’expression de portage salarial renvoie au terme « por- une formule qui permet de tester la viabilité du marché
ter » ; une personne (société ou association) porte une avant de se lancer en solo (63 % de ces cadres ont
autre (une personne physique) pour lui permettre d’agir l’intention de créer leur entreprise). Ces créations
et de travailler. Par exemple, un indépendant, non correspondent aux besoins des entreprises, soucieuses
immatriculé au régime des travailleurs indépendants, de bénéficier des compétences d’expert à temps partiel
trouve une mission de conseil à accomplir. Il va négo- et de manière flexible et sans avoir besoin de les embau-
cier seul le prix de son travail avec l’entreprise cliente cher. Cette réalité, encore minoritaire, est mise en exer-
qui offre la mission. Comme légalement il ne peut pas gue aujourd’hui par les médias, les politiques, les cher-
présenter une facture, la société de portage le fera pour cheurs et les praticiens, comme étant une évolution de
lui : elle facturera la prestation au client, reversera les la société post-industrielle ou post fordiste.
honoraires au consultant qu’on appelle « porté », sous
forme de salaires après avoir déduit les charges sociales, Le tableau I (page suivante) dresse une liste des quali-
patronales et salariales correspondantes et le montant de tés, bâtie à partir de la revue de littérature, de l’entre-
sa commission. Le « porté » s’assure ainsi une rémuné- preneur « porté » et de l’intrapreneur : la zone de
ration proportionnelle aux affaires gagnées et s’exonère congruence apparaît en caractère italique.
de la marge d’une société de conseil. Les professionnels
disposant d’expertise (communication, ressources Le portage salarial peut s’envisager comme une nouvelle
humaines, informatique, ingénierie financière…) utili- forme de salariat ou un modèle d’indépendance proté-
sent de plus en plus ces formules qui allient autonomie, gée, une troisième voie entre le salarié traditionnel et le
hétéronomie (ou hétéro autonomie), sécurité adminis- statut d’indépendant. Il s’engage à être compétitif,
trative et les avantages du statut salarié. professionnel et autonome.
Une étude de la Fondation Européenne pour l’améliora- Le portage salarial, élément d’une nouvelle organisa-
tion des conditions de vie et de travail révèle que 25 % tion productive, facteur de modification des relations de
des jeunes qui entrent dans la vie active préfèreraient travail, favorise la création d’entreprise ou permet de
être à leur compte. C’est le cas également pour 20 % des dépasser les rigidités perçues comme telles du salariat et
salariés en général avec des motivations spécifiques du code du travail. Dès lors, la capacité d’entrepreneur
chez les cadres. En ce sens, l’incertitude peut être soit à l’intérieur de l’entreprise est aussi celle du salarié
subie, soit assumée. autonome ou « porté » qui « vend » ses compétences.
Concrètement, les données chiffrées suivantes sont Dans un environnement d’autonomie, les employés sont
susceptibles d’illustrer l’importance de ce phénomène à supposés prendre des initiatives et, partant, des risques.
la fois en marge et en croissante constante. De 1980 à Carrier (1997, 2000) a montré que le degré d’autonomie
276
De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane PAREZ-CLOAREC - Michel LE BERRE
reste cependant un facteur de différenciation entre l’entrepreneur dans les rôles et fonction qu’il occupe
l’entrepreneur et l’intrapreneur. dans des contextes spécifiques. Fayolle (2003, 2004) et
Coster (2002) s’appuient sur les caractéristiques identi-
fiées par Cunningham et Lischeron (1991). Enrichie des
2.3 - L’entrepreneuriat principaux travaux complémentaires à l’occasion d’un
mémoire de DEA, cette structure, est une base de des-
L’entrepreneuriat, thème central aux Sciences de cription du profil de l’entrepreneur présentée comme
Gestion (Boissin, Castagnos, Guieu, 2005), représente un être extraordinaire, découvreur de « terra incognita »,
la capacité pour un individu ou une organisation opportuniste génial (Steve Jobs : Apple ; Bill Gates :
« d’identifier, d’évaluer et de capturer des opportunités Microsoft ; Serge Kampf : Cap Gemini), identificateur
de développement sans tenir compte, pour ce faire, de d’innovations dans un contexte par combinaisons de
l’état présent des ressources disponibles » (Stevenson, facteurs de production (Schumpeter, 1935), créateur
1990). d’innovations (Drucker, 1984 ; Stevenson et Jarillo,
L’encouragement à l’entrepreneuriat devient un credo, 1990 ; Stevenson et Gumpert, 1985 ; Bygrave et Hofer,
un esprit d’entreprise au cœur de l’économie que 1991 ; Bygrave, 1994 ; Burgelman, Sayles, 1987),
Schumpeter (1935) décrit comme « la capacité d’aller concrétisateur et gestionnaire (Casson, 1982 ; Bird,
seul de l’avant… celle de ne pas sentir la sécurité et la 1988 ; Stevenson, Jarillo, Gumpert, 1985 ; Bygrave,
résistance comme des arguments contraires » - le goût Hofer 1991) et ayant préférence pour des tâches présen-
du risque, le capitalisme reposant sur une mutation tant un risque, qui requièrent une « certaine force men-
constante « en détruisant continuellement ses éléments tale », animé par des valeurs clé (volonté de s’exprimer
vieillis et en créant continuellement des éléments et de se réaliser, besoin d’indépendance et de liberté,
neufs ». Selon cette idée, toute recherche d’un avantage goût d’entreprendre et de diriger, visionnaire, peu moti-
compétitif suppose de déployer des « stratégies entre- vé par la seule récompense financière) et tourné vers le
preneuriales ». Cette assertion est rejointe par Drucker besoin d’accomplissement (Mc Clelland 1961).
(1984) qui affirme que les entreprises, notamment les
grandes, ne peuvent survivre « si elles n’acquièrent pas L’entrepreneur crée un avantage concurrentiel grâce
une véritable compétence d’entrepreneur ». aux capacités d’apprentissage individuel et collectif
induits de son comportement d’ouverture et de leader. Il
Par profil entrepreneurial, nous entendons les attributs agit au sein d’une organisation ou sur les collectifs avec
personnels et les caractéristiques psychologiques de des comportements entrepreneuriaux individuels. La
Tableau 1
Comparaison de deux figures d’entrepreneur : l’intrapreneur et le « porté ».
L’intrapreneur Le « porté »
Subordination, autorité hiérarchique Autonomie et avantages du statut de salarié
Soumission à l’autorité des clients
Absence de risques financiers personnels, Risque financiers personnels
licenciement
Autonomie prescrite Autonomie choisie et indépendance
Une responsabilité dans la recherche et Une responsabilité dans la recherche et
l’aboutissement des projets l’aboutissement des contrats commerciaux
- Création, innovation et gestion - Création, innovation et gestion
- Lieux de travail pluriels et temps de travail - Lieux de travail pluriels et temps de travail
variables variables
- Adaptation et interaction avec son milieu - Adaptation et interaction avec son milieu
- Travail en équipe ou non - Travail en équipe ou non
277
De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane PAREZ-CLOAREC - Michel LE BERRE
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De la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) à la responsabilité sociale de l’employé (RSe) : une gestion risquée de la relation d’emploi
Christiane PAREZ-CLOAREC - Michel LE BERRE
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279
RSE et entreprises du secteur social
Dominique PATUREL
RSE L
a modernisation des entreprises a bouleversé le
paysage socio-écomonique depuis 20 ans : déve-
loppement durable, responsabilité sociale de
et entreprise
l’entreprise, éthique des affaires, autant de notions
issues de cette évolution.
281
RSE et entreprises du secteur social
Dominique PATUREL
confrontation entre l’économique et le social. Mettre en réorganiser des modes d’organisation du travail et de la
œuvre une démarche éthique dans les entreprises de ce production tendant à valoriser la subjectivité des sala-
secteur social est une garantie pour les salariés et les riés. Ce processus s’inscrit dans des nouvelles formes
clients. En effet, l’entreprise est guidée par autre chose de stratégies d’intervention sur les rapports sociaux.
que le simple sens du devoir ou un idéalisme humanis- Les spécificités du travail social font que la question du
te ; ses objectifs s’inscrivent dans la performance et la sens, des valeurs, de l’éthique est fondamentale. Coincé
rentabilité, même si la production est un service entre un débat post soixante-huitard idéologique sur la
« social ». Cependant, le personnel de ce type d’entre- liberté, la prise de pouvoir par un juridisme étroit qui
prise est un partenaire vital pour que celle-ci fonctionne. cherche à tout réglementer et les tentations technicistes
des managers, le travail social ne peut qu’être bousculé
et un peu (beaucoup) dans l’obligation d’une pratique
réflexive.
Un peu de vocabulaire
Ressortir les codes de déontologies comme bouclier ou
Dans ce monde du travail social, il existe un « vieux produire des incantations sur les valeurs du travail
débat » sur morale et éthique. Ces deux définitions per- social sans confrontation aux enjeux politiques et
mettent aussi de comprendre l’enjeu d’adapter l’éthique économique du contexte actuel ne font qu’activer le fait
au contexte organisationnel et culturel de ce secteur. que le travail social serait en dehors du marché et donc
Ethique et morale renvoient jusqu’au début du XIX à la innocent dans ce débat sur l’éthique.
même définition ;
L’éthymologie d’éthique vient du grec ethos qui veut Le travail social est d’abord une expérience humaine et
dire moralis en latin c’est-à-dire morale. un travail de relation. Les outils du travailleur social
La définition du Grand Larousse : sont la parole, la relation et son implication. Son objet
- éthique : « qui concerne la morale; ensemble des prin- d’intervention est l’être humain qui lui aussi parle, crée
cipes moraux qui sont à la base de la conduite de quel- de la relation et s’implique dans l’échange. Tout cela est
qu’un » incarné pour l’un comme pour l’autre. Il ne peut être
- morale : « qui concerne les règles de conduite prati- réduit à un agir technique orienté vers des fins purement
quées dans une société, en particulier, par rapport aux rationnelles. Il ne peut non plus se réduire à l’applica-
concept de bien et de mal. » tion de techniques découlant d’un code de déontologie.
La tradition catholique a plutôt l’usage de la « morale » En s’appuyant sur les conceptions d’H. Arendt sur
et la tradition protestante celle de « l’éthique » l’action et le social, le travail social ne relève pas de la
L’opposition qui se fait aujourd’hui entre éthique et fabrication; c’est un agir créatif qui laisse place à la
morale joue un rôle de valorisation d’un terme (éthique) nouveauté. Il n’y a pas de travail social s’il n’y a pas
au détriment de la dévalorisation de l’autre (morale). concrètement manifestation et formalisation du souci de
Cette opposition sert à moderniser ces entreprises, en l’autre par l’énonciation de valeurs. Les professionnels
les faisant rentrer dans des adaptations, des change- de ce secteur s’investissent personnellement (comme
ments organisationnels plus en rapport avec des objec- sujet) et ont à porter une mission avec des impératifs
tifs de performance économique. professionnels. Si ce cadre est d’évidence pour les
travailleurs sociaux, c’est pourtant bien au cœur de ces
deux dimensions (celle du sujet et celle de l’acteur) que
se fabriquent les savoir faire, les compétences, les expé-
riences de référence et la culture porteuse de ces
Objectif du renouveau « fameuses valeurs » donneuses de sens.
du discours sur l’éthique
Le code de déontologie français des assistants de service
Aujourd’hui ce renouveau dans le discours sur éthique social ou le code international sont rédigés en termes
et valeurs du travail social a une fonction identitaire très généraux et permettent de fédérer une vision commune.
importante. Il s’agit bien de positionner ce secteur Certes, ils sont peu contraignants et toujours sujets à
de l’intervention sociale dans un vaste marché des interprétations diverses et variées. Cependant c’est un
valeurs humanitaires. Ce ne sont pas les travailleurs ensemble de valeurs qui s’expriment sous forme de
sociaux qui sont à l’origine de cette recomposition. principes d’action que la volonté autonome met en
La vague « éthique » portée par moulte charte d’entre- œuvre. Le préambule du code international de déonto-
prises ou la RSE (responsabilité sociale des entreprises) logie de travail social, adopté en 1976 est le suivant :
construit bien de nouveaux attributs à certains produits « Le service social né d’idéaux humanitaires religieux
qui seraient plus ou moins humanitaire. Pour le coup, le et philosophiques, s’inspire de la philosophie démocra-
travail social se trouve « embarqué » dans ce débat et il tique. Il s’applique universellement à travailler au bien-
prend son importance quand on sait qu’il s’agit bien de être des êtres humains, à mettre en valeur les ressources
282
RSE et entreprises du secteur social
Dominique PATUREL
qui dans chaque société, sont susceptibles de répondre un énoncé de principe. L’action échappe à la seule
aux aspirations et aux besoins nationaux et internatio- volonté de l’individu et est traversée par de nombreuses
naux de l’individu ou du groupe, à promouvoir la justice contraintes (économiques, politiques, psycho-sociales).
sociale. » L’éthique, dans cette approche, se situe non pas du côté
Un tel énoncé ne peut qu’emporter l’adhésion des de réponses formulées comme des principes d’action
travailleurs sociaux. Il dicte bien des principes d’action mais dans une co-construction (démarche collective,
dont chacun est juge dans son action. Il renvoie à un être pluridisciplinaire ou duelle) des questions, des problè-
humain idéal, bon, altruiste, doté d’une raison autonome mes que cela soulève et des solutions qu’ils réclament.
et surtout capable de rendre ses actions conformes à sa C’est reconnaître la place de la subjectivité et du coup,
pensée. de pouvoir l’énoncé comme telle. Elle introduit du
Si cette forme d’éthique a pu correspondre au travail doute et pose l’éthique du côté « de la construction du
social jusqu’aux années 1990, il n’en ait plus de même problème et non de la réponse normative »6. Cette
et un certain inconfort transparaît face aux probléma- démarche passe par l’échange, le partage avec les pairs
tiques d’exclusion de franges entières de la société : et la confrontation à d’autres pratiques et à d’autre
« les travailleurs sociaux vont-ils devenir les gestion- logiques (dont la logique marchande).
naires de cette exclusion ou seront-ils des agents actifs Le rôle du management est d’encadrer, de « garder »
de lutte contre l’exclusion ? »1 transparent la démarche et chercher à la faire évoluer.
283
RSE et entreprises du secteur social
Dominique PATUREL
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284
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
Émergence Introduction
et pérennisation
Depuis la fin des années 80, de plus en plus d’entreprises
adoptent des démarches dites de « Développement
Durable ». Dix ans plus tard, a commencé à se généra-
liser la notion de Responsabilité Sociétale des
sociétalement
s’engage sur la voie de la RSE est donc celle qui va
prendre en compte l’impact de son activité sur les sphères
économiques, sociales et environnementales. Pour
celles qui sont dotées d’un système de gouvernance,
responsable dans
elles ne se focaliseront plus uniquement sur l’intérêt de
leurs actionnaires, mais intégreront aussi celui de l’en-
semble de leurs autres parties prenantes. Beaucoup de
les entreprises
travaux théoriques idéalisent la RSE en la définissant
comme une démarche purement volontaire. En pra-
tique, les motivations des organisations sont multiples :
contraintes réglementaires, amélioration de l’image de
marque, réponse aux attentes des clients et des mar-
chés… rarement uniquement pour des raisons éthiques
ou idéologiques. Cette évolution affecte progressive-
ment tous les domaines d’activités. Bien évidement le
François Petit secteur de l’eau, particulièrement sensible à la problé-
Professeur matique environnementale, est touché au premier chef.
Groupe Sup de Co La Rochelle
Ainsi, au-delà des effets d’annonce, il est intéressant
[email protected]
d’étudier la réalité de l’engagement des organisations
vers une responsabilité globale : superficiel, limité à de
Pierre Baret la communication, ou profond, avec une réelle appro-
Professeur priation des enjeux de la RSE par chacun des collabora-
Groupe Sup de Co La Rochelle teurs allant jusqu’à faire évoluer les valeurs qui sous
[email protected] tendent l’organisation et son comportement envers ses
parties prenantes, tant au niveau du management que
des stratégies.
Daniel Belet
Professeur Nous nous proposons d’examiner la réalité de cet enga-
Groupe Sup de Co La Rochelle gement sous l’angle de l’apprentissage organisationnel.
[email protected] De là découle notre problématique : comment et dans
quelles limites les organisations apprennent et s’appro-
prient la RSE ? Pour ce faire, nous nous appuierons sur
une enquête réalisée au sein de 19 organisations du
secteur de l’eau qui mettent en œuvre une démarche
QHSEDD1 (Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement,
Développement Durable). Cette enquête analyse le
degré d’utilisation d’outils permettant aux organisations
et à leurs personnels d’intégrer ce type de démarche et
ses valeurs. In Fine, il s’agit bien de comprendre et ana-
lyser l’apprentissage organisationnel de la RSE.
285
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
Pour ce faire, nous procéderons en quatre temps : concepts et modèles. Une des conditions essentielles
1°) Tout d’abord, nous mobiliserons les recherches pour intégrer activement les nouveaux concepts est la
menées sur l’apprentissage organisationnel (processus motivation de l’individu.
d’appropriation individuel et collectif, apprentissage en
simple et double boucle) pour les adapter au champ de Par ailleurs, selon les apports de la psychologie cognitive,
la RSE et, plus précisément des démarches QHSEDD. il est possible de distinguer trois niveaux dans la RSE :
2°) Sur cette base, nous expliciterons la manière dont les « valeurs », les « raisonnements » et les « condui-
nous avons construit la méthodologie de l’étude dont tes ». Les « valeurs » fondent les critères mis en œuvre
l’enjeu est de caractériser les pratiques d’apprentissage par les individus ou les organisations pour déterminer si
de la RSE par des modèles de simple ou double boucle les comportements, les produits (sorties des processus)
et, au-delà, identifier d’éventuelles « organisations et les projets sont conformes à une démarche RSE. Les
apprenantes » dans ce domaine. « raisonnements » sont des processus cognitifs mis en
3°) Ensuite, nous synthétiserons les résultats de œuvre par les individus pour prendre une décision rele-
l’enquête pour faire état des différentes avancées au vant de la RSE. Les « conduites » RSE font références à
sein des organisations rencontrées, où le déploiement l’activité concrète. On notera qu’il existe un écart
des démarches QHSEDD est bâti sur des évolutions et important entre les trois niveaux qui expliquent la diffi-
des adaptations minimisant les coûts lié à une politique culté à sauter le pas des raisonnements aux actions,
de « petits pas », entamée à partir des fonctions donc aux résultats et performances.
« Qualité » et « Sécurité » « Environnement » et
« Gestion des risques ». Kohlberg (1969) qui a développé les travaux de Piaget,
4°) Enfin, nous interpréterons les résultats qui démont- considère que, dans le « Développement Moral
rent un apprentissage généralement réactif et superfi- Cognitif », on peut retenir les trois niveaux relatifs à la
ciel, de premier ordre, de la RSE et les difficultés à prise de décision, pour un individu :
évoluer vers une démarche pro-active caractérisée par - un 1er niveau, pré-conventionnel, réactif en fonction
un changement de second ordre, pourtant nécessaire à de la récompense ou de la punition ;
un apprentissage profond et pérenne de ce nouveau - un 2e niveau, conventionnel en conformité avec les
mode de gestion des organisations. attentes et les « autres » ;
- un 3e niveau, post-conventionnel (de respect) proactif
qui correspond à une conscience et à une volonté dans
la liberté de choix des valeurs.
1. Évolution des concepts Cette approche normative peut-elle être transposée à
d’apprentissage et démarche l’échelle de l’organisation ? Correspond-t-elle à des
de développement durable degrés de prise en compte des préoccupations dans la
gestion de l’entreprise ? Si l’on se réfère au modèle de
1.1 - L’apprentissage : un processus Logon et Yuans (1997) les entreprises du 1er niveau ne
d’appropriation individuel et collectif réagissent qu’à leurs intérêts immédiats, les entreprises
du 2e niveau sont suiveuses et s’alignent sur les référen-
Dans le Banquet, Socrate souligne déjà les difficultés de tiels et modèles en vigueur (ou la législation). Enfin, les
la transmission du savoir : « Ce serait une aubaine si le entreprises du 3e niveau intègrent les intérêts des parties
savoir était de nature à couler du plus plein vers le plus prenantes dans leurs décisions et actions. Mais d’après
vide, pour peu que nous nous touchions les uns les autres, Gond (2003), cette transposition sur le plan organisa-
comme c’est le cas de l’eau, qui par l’intermédiaire tionnel n’envisage pas l’apprentissage mais aboutit
d’un brin de laine, coule de la coupe la plus pleine vers seulement à une classification des organisations. Elle ne
la plus vide ». Mais c’est une définition de l’apprentis- dit rien des processus d’apprentissage et de décisions
sage beaucoup plus récente que nous adopterons. Il collectives.
s’agit de celle de De Munck (1999) selon qui l’appren-
tissage est un « processus de familiarisation avec un Selon Zadek 2004 le niveau de maturité de l’apprentis-
domaine d’action par lequel un sujet incorpore pro- sage vis-à-vis de la RSE peut être évalué sur une courbe
gressivement des pratiques tout d’abord étrangères et qui serait le « chemin de la maturité ». Ce modèle
qui se transforment peu à peu en une compétence incar- permet de positionner l’entreprise sur ce parcours. Cinq
née ». Plus précis, Ausubel (1978) distingue : étapes sont retenues dans la connaissance et l’expérience
- l’apprentissage réceptif, fondé sur une transmission de de l’entreprise. Chacune correspond à une attitude
savoirs et concepts ; dominante :
- l’apprentissage heuristique, fondé sur la découverte. Étape 1, de « défense » : l’entreprise refuse la démarche ;
Étape 2, de « conformité » : l’entreprise respecte de la
L’apprentissage heuristique est dit « signifiant » car il législation, notamment par peur d’atteinte à la réputa-
correspond à une réelle appropriation et intégration des tion ;
286
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
Étape 3, d’« intégration » : les processus et dispositifs L’apprentissage est alors un processus de construction
tiennent compte des enjeux de la RSE ; de « routines » qui évolue par un jeu d’essais-erreurs et
Étape 4, de « stratégie » : les principes et critères de la qui résulte de l’interaction entre l’organisation et son
RSE sont pris en compte ; environnement.
Étape 5, de « promotion » : l’entreprise est « citoyenne » 2°) L’approche cognitive (Simon, 1972), ou l’apprentis-
et agit auprès de ses parties prenantes. sage se focalise sur l’étude des connaissances au sein de
l’organisation et s’appréhende comme un changement
Zadek croise ce type de management avec le niveau de cognitif. Huber (1991) analyse l’apprentissage dans
prise de conscience des enjeux par les stakeholders. La l’organisation comme un processus de traitement indi-
matrice qu’il en tire met en évidence des points viduel et collectif de l’information. Il distingue quatre
d’inflexion représentant les risques et opportunités pour niveaux d’acquisition :
l’entreprise. Cette stratégie d’adéquations successives 1 - Acquisition des savoirs et savoir-faire (information,
(initiatives et positions de l’entreprise par rapport à la et sensibilisation).
conscience des parties prenantes concernant des 2 - Diffusion de l’information (partage et distribution).
impacts sociaux et environnementaux) correspond 3 - Maîtrise de l’utilisation des savoirs et savoir-faire
davantage à un apprentissage en simple boucle ou (efficacité).
changement de premier ordre qu’en double boucle ou 4 - Capitalisation du savoir et savoir-faire (mémoire
changement de second ordre (Cf. supra). Cette approche organisationnelle).
se fonde sur la théorie de la contingence de l’entreprise
selon laquelle celle-ci cherche à s’adapter à ses parties Dans l’approche cognitive, l’apprentissage est conçu
prenantes et à l’environnement dans une optique essen- comme une modification et une évolution du système
tiellement réactive, comme l’ont montré par exemple de croyance, d’actions et de représentations. De ce fait,
Lawrence et Lorsch. il a un caractère beaucoup plus profond que dans
l’approche comportementale qui correspond à un modèle
1.2 - Processus d’apprentissage, organisation d’adaptation en « simple boucle » (Wood, 1991) ou
apprenante et démarche RSE changement de premier ordre. Cet apprentissage en
simple boucle n’est qu’une adaptation au contexte, à la
Tous les professionnels reconnaissent l’importance des pression des parties prenantes. Il consacre l’importance
processus d’apprentissage dans les organisations qui primordiale de l’environnement. Les indicateurs de
s’engagent dans les démarches RSE car celles-ci indui- résultats sont susceptibles de déclencher une rétroaction
sent en réalité un changement profond. Un des aspects sur les processus de gestion de l’organisation, mais les
de ces processus est bien entendu l’acquisition de com- améliorations s’effectuent dans un cadre stratégique
pétences individuelles et collectives. Selon Gond donné. La hiérarchisation des principes et des valeurs
(2004), les modèles actuels de RSE se contentent sou- ne change pas (schéma page suivante).
vent de proposer des éléments ordonnés, sans préciser
leur logique d’interaction. En conséquence, ces modèles Dans la double boucle, le schéma théorique de change-
ne sont pas « conceptuellement opérationnels ». ment de premier ordre est dépassé. Nous entrons alors
dans la construction d’un modèle d’apprentissage de la
Or, pour les entreprises et les organisations, les pra- RSE qui s’inscrit davantage dans la logique de la
tiques RSE impliquent une adaptation opérationnelle de séquence : « principes - processus - résultats » qui fait
leurs processus pour prendre en compte les parties pre- davantage référence à un schéma ou la pensée et la
nantes. En particulier pour les identifier, analyser leurs conception précèdent l’action. Ainsi, le processus
attentes, les hiérarchiser, dialoguer et finalement d’apprentissage en double boucle décrit par Wood
apprendre à s’approprier une démarche RSE (Roome, implique la remise en question critique des valeurs
2005). La notion même d’apprentissage repose sur un sous-jacentes à l’action.
axiome : l’existence d’une « cognition collective » posé Ce processus en double boucle invite à questionner les
par Simon (1972). Cyert et March (1963) puis Argyris dimensions éthique, sociale et environnementale et
et Schön (1978) avaient précisé le phénomène rendre explicite les objectifs qui sous-tendent les
d’apprentissage au niveau organisationnel en cherchant actions. Cet apprentissage profond est conditionné par
à distinguer les interactions entre apprentissages indivi- la capacité à remettre en cause les théories réellement
duels et collectifs. utilisées -in used- plutôt que les théories professées
-espoused-. Il est important de souligner l’intérêt de ces
Dans le cadre des apprentissages collectifs, deux grandes modèles d’apprentissage pour caractériser le déploie-
approches peuvent être mobilisées : ment de la RSE :
1°) Les approches comportementales, qui envisagent - une référence à un nouveau système de valeurs
l’apprentissage organisationnel comme une capacité (responsabilités économique, environnementale et
d’adaptation de l’organisation à son environnement. sociale) ;
287
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
PRINCIPES ET
VALEURS
Principes RSE
APPRENTISSAGE
Feed-back Feed-back Double boucle
INDIRECT DIRECT
PROCESSUS PERFORMANCES
- des actions et processus d’entreprise s’appuyant, ou plus polarisés et contradictoires. Le projet reste, dans
intégrant ces principes sociétaux ; ce cas, l’apanage d’un petit nombre. Dans cette confi-
- des performances environnementales, sociales, écono- guration, la croissance est freinée. Pour maintenir la
miques à partir desquels l’entreprise est évaluée. boucle amplificatrice et bénéficier de l’effet de levier,
il est nécessaire de comprendre les facteurs limitants.
Dans une perspective de rétroaction dynamique, le Ceci suppose, en premier lieu de s’intéresser à chacun
déploiement de la RSE semble particulièrement proche et faire évoluer l’ensemble, et ensemble, les aspira-
de l’analyse systémique en entreprise et du modèle tions des individus et des équipes qui composent
« d’organisation apprenante » développés par Senge l’organisation.
(1990). Il définit le concept d’organisation apprenante
de la façon suivante : « Les organisations apprenantes - Ce peut être le trop grand écart entre la réalité et
sont des organisations ou les gens développent de façon l’avenir espéré. Il provoque incertitude, découragement,
continue leurs capacités à créer les résultats qu’ils sou- voire cynisme. Cette source d’amoindrissement de la
haitent, où de nouveaux modèles de pensée émergent, vision est particulièrement susceptible de s’appliquer
ou les aspirations collectives sont libérées et où les gens à la RSE.
apprennent en permanence à apprendre ensemble ».
- Ce peut être une incapacité à maintenir la tension créa-
Senge explique qu’une « vision » se répand dans trice entre la situation réelle et la situation souhaitée,
l’entreprise grâce à un phénomène amplificateur qui ce « ressort » de l’organisation apprenante.
repose sur l’enthousiasme et l’engagement. Un effet
« boule de neige » se produit alors : les succès initiaux, Ce peut être « l’anorexie » : les individus n’ont plus le
liés à la « vision », viennent renforcer le processus. Si temps et l’énergie pour se concentrer sur une nouvelle
rien ne vient ralentir cette boucle d’amplification, les vision car celle-ci n’est pas un objectif jugé suffisam-
personnes et l’organisation finissent par adhérer au pro- ment prioritaire pour être intégrée correctement et de
jet. Dans notre cas, cela concerne la mise en œuvre opé- façon cohérente dans le mode de management des hom-
rationnelle de la RSE. mes…
Par contre, plusieurs obstacles sont susceptibles de Le modèle en simple boucle et double boucle s’adapte
compromettre le mouvement : bien à l’analyse du niveau de développement d’une
politique de RSE. En effet, l’apprentissage en double
- Ce peuvent être les images et les objectifs du projet, boucle implique non seulement la remise en cause des
devenus tellement variés qu’ils conduisent à des processus, mais aussi des stratégies et des valeurs qui
conflits ingérables. La boucle amplificatrice est alors sous tendent tout le fonctionnement de l’organisation.
stoppée ou freinée par des points de vue de plus en Celle-ci est amenée à modifier ses processus de déci-
288
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
sions et d’évaluation en fonction de critères sociaux ou dynamique actuelle de l’apprentissage de la RSE dans
environnementaux (exemple : évaluation des perfor- diverses organisations. Il s’agit non seulement de
mances des personnes). Elle implique un apprentissage comprendre les modalités d’apprentissage liées à la
permanent où les individus et les équipes « apprennent mise en œuvre d’une politique de RSE, d’interpréter les
à apprendre ». Ce processus d’apprentissage en double informations et les réponses aux questions relatives à
boucle ou changement de second ordre (l’organisation ces démarches. Le concept d’organisation apprenante
apprend à apprendre) parait décisif pour réellement apparaît particulièrement pertinent pour analyser ces
s’engager dans une telle démarche, et cela pour les processus, mais aussi pour en comprendre et orienter de
raisons suivantes : façon opérationnelle le développement.
- l’évolution normative est impressionnante (ISO 9000
en 1987, ISO 14001 en 96, OHSAS en 97 ; ISO C’est pourquoi dans un premier temps nous avons voulu
26 000 prévue en 2008) ; restituer la situation et les réponses de l’entreprise
- le panorama des parties prenantes évolue constam- concernant cet apprentissage. Dans un deuxième temps
ment (exemple : avènement des ONG…) ; nous proposons une analyse et une interprétation des
- la nécessité de démultiplier la démarche et les actions, modalités et dispositifs d’apprentissage de ces organisa-
pour toucher tous les membres de l’organisation, dans tions.
un contexte de manque de compétences ;
- les coopérations transversales indispensables et le Cette étude a porté sur 19 entreprises et organisations de
projet fédérateur qu’elle doit traduire. tailles et natures diverses du secteur de l’eau en France,
compte tenu de sa sensibilité aux préoccupations de
La démarche de l’entreprise s’inscrit alors dans une RSE. Au plan méthodologique, cette étude a comporté :
politique basée sur la rapidité et l’efficacité de la création - une analyse des documents de l’entreprise ;
et du transfert des connaissances. Ce qui compte n’est - l’élaboration d’un questionnaire (avec questions
pas tant le résultat de l’appropriation que la création et ouvertes et fermées) ;
le déploiement de cette démarche d’apprentissage à - des interviews semi-directives des différents responsa-
tous les niveaux. Le but devient alors de mieux « appre- bles QHSEDD dans les 19 organisations concernées.
ndre à apprendre » et de l’intégrer dans le fonctionne-
ment quotidien de l’entreprise. D’une manière générale, La méthodologie suivie présente l’avantage de l’homo-
les études, comme l’expérience professionnelle, mont- généité (un seul secteur : l’eau) avec une exposition
rent que les apprentissages en boucle simple de la RSE similaire de ces organisations à leurs responsabilités
(éteindre les lumières, réduction de l’utilisation du vis-à-vis des parties prenantes. Le fait de s’adresser à la
papier, recyclage..) sont les plus faciles dans un premier fois à des entreprises privées (dont quatre concession-
temps. Les difficultés d’apprentissage apparaissent lors naires) et à des entreprises publiques ou semi-publiques
du dialogue avec les différentes parties prenantes et a enrichi les résultats mais en même temps limite les
l’intégration de leurs points de vue dans un processus de comparaisons. D’autre part, cette méthodologie de
changement profond. L’approche par « petits pas » travail comporte des limites évidentes dues au recueil
(Gond, 2004) affronte alors ses limites… du seul déclaratif des acteurs.
Pour gérer les projets et le déploiement de la RSE au L’objectif principal est de caractériser les pratiques
sein d’une organisation, il semble nécessaire d’aborder d’apprentissage de la RSE par les modèles simple et
progressivement mais aussi de façon suffisamment double boucle ou changements de premier et de second
pédagogique la nature et la complexité de l’apprentissage ordre. Il est également d’examiner dans quelle mesure
en double boucle. Cette nouvelle logique favorise ces pratiques sont de nature réactive ou pro-active.
l’apprentissage de l’apprentissage par l’ensemble des Dans ce dernier cas, cela révélerait l’amorce d’une véri-
parties concernées, qui est la clé du changement table démarche d’organisation apprenante.
comportemental profond qu’implique la RSE.
Grille d’analyse utilisée
Les questionnaires et interviews se sont appuyés sur une
grille d’analyse issue des travaux de Belet (2002). Les
2. Objectifs et méthodologie de l’étude critères retenus sont adaptés des principes et modalités
de développement opérationnel d’une organisation
Le but de l’étude est d’analyser la pratique de l’appren- apprenante. En analysant les démarches on observera -
tissage de la RSE mis en œuvre par les organisations. ou non- que les entreprises s’engagent -ou pas- dans des
Elle cherche à comprendre comment les entreprises logiques d’organisations apprenantes. Pour cela, on
apprennent et s’approprient la RSE. Cette étude a été examinera la façon dont elles opérationnalisent leur
fondée sur la recherche d’informations, d’observations démarche de RSE : l’apprentissage de la RSE se réali-
et d’analyses qui permettent de jeter un regard sur la se-t-il avec le développement de nouvelles valeurs, de
289
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
290
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
Formalisation
Catégories Formation Gestion des Valorisation Culture Dispositifs et
de la
d'organisation : spécifique connaissances d'initiatives d'entreprise moyens RH
démarche
Moyenne des
organisations 4,6 4,2 3,4 3,2 3,2 2
“performantes”
Moyenne des
organisations 3,8 3,3 2,3 1,6 0,9 0,3
“intermédiares”
Moyenne des
organisations 3 2,2 1,7 0,2 0,2 0,2
“suiveuses”
Moyenne
3,7 3,2 2,4 1,6 1,3 0,7
générale
291
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
Formalisation
Catégories Formation Gestion des Valorisation Culture Dispositifs et
de la
d'organisation : spécifique connaissances d'initiatives d'entreprise moyens RH
démarche
Moyenne des
organisations Exemplaire Optimisé et Appliqué, voire Embryonnaire,
“performantes” et innovant efficient optimisé Appliqué Appliqué en démarrage
Moyenne des Optimisé et Appliqué, Démarrage Embryonnaire, Réflexions Quasi-
organisations efficient voire amorcé en démarrage préliminaires inexistant
“intermédiares” optimisé
Moyenne des
Démarrage Embryonnaire, Quasi- Quasi- Quasi-
organisations
Appliqué amorcé en démarrage inexistant inexistant inexistant
“suiveuses”
292
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
Néanmoins, l’étude ne permet pas de conclure à l’exis- le système de fonctionnement existant de l’organisa-
tence d’un chemin « générique » de l’apprentissage qui tion.
élèverait de manière concomitante le « niveau » sur
l’ensemble des critères utilisés. En effet, les disparités L’utilisation des référentiels (qui implique manuels,
de niveau par critère dans une grappe donnée restent guides…) est sensée assurer l’amélioration continue et
significatives. permettre de structurer une démarche QHSE en direc-
tion de la RSE.
293
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
Dans la pratique, le moteur de la mise en place est C. Une grande distorsion entre vision et réalité de
davantage lié à l’image, la communication, la concur- l’organisation.
rence…bref à une obligation (ou une adaptation) que Les organisations, en tant que lieu privilégié d’appren-
l’entreprise se donne et qu’elle traite d’abord « en inter- tissage de la RSE, ne se satisfont pas d’un modèle
ne ». Mais la remise en cause des valeurs et des com- « théorique » à suivre. Les individus considèrent leur
portements de l’entreprise n’est pas fondamentalement entreprise comme un lieu d’exigence partagée. Du point
assurée dans la grande majorité des cas de notre étude. de vue de l’apprentissage individuel et collectif, l’orga-
Néanmoins, certaines entreprises de la « grappe supé- nisation est un nœud de construction de liens humains
rieure » perçoivent bien que l’enjeu actuel de ces réfé- et sociaux.
rentiels se déplace vers la définition et la nécessité de On constate dans l’échantillon étudié que les organisa-
prise en compte effective des besoins et attentes de leurs tions des grappes « moyenne » et « inférieure » souff-
différentes parties prenantes (autres que les clients ou rent majoritairement d’une crise de « croissance profes-
les actionnaires). sionnelle » due à une vision « lointaine » et formalisée
au regard de moyens « réels » (information, formation,
Notre étude à montré que les approches successives reconnaissance…) parfois insignifiants ou « mal
Qualité, Hygiène, Sécurité, Santé, Environnement, etc vécus ».
menées par les organisations permettent au minimum Cette crise sape les fondements et l’apprentissage de la
d’identifier des parties prenantes (clients, salariés, RSE. La réduction de cette distorsion est manifestement
actionnaires, pouvoirs publics, etc). Cet apprentissage un point-clé (et une condition indispensable) pour un
progressif est susceptible de mener à une prise en compte passage vers l’apprentissage en « double boucle » et le
des attentes de certaines parties prenantes et à une amé- changement de second ordre que requiert l’intégration
lioration réelle des relations. complète de la logique de la RSE.
Mais, comme le confirme également plusieurs études La grande illusion, liée à cette distorsion, engendre des
antérieures (Chauvel, 2005), la qualité de l’apprentissage « manques », le repli sur soi, et parfois l’incapacité à
organisationnel à partir des référentiels de la RSE garder (et encore moins à générer) une vision cohérente
dépend surtout de la qualité du management des hom- d’entreprise dans ce domaine.
mes et de son caractère pro-actif (leadership/motiva-
tion.) dans le cadre d’une stratégie d’apprentissage en 4.2 - Difficultés pour passer à un apprentissage
profondeur relevant nécessairement d’un changement en double boucle ( changement de
de second ordre.
second ordre) qu’implique la RSE
Aussi l’approche et la formulation par les référentiels
apparaissent comme une condition nécessaire mais non A. Les compétences de DD et l’apprentissage de ces
suffisante des processus d’apprentissage de la RSE dans compétences sont ignorées des évaluations et des
ces organisations. rémunérations du personnel.
Les compétences sont un aboutissement logique des
B. Intégration et différentiation de la fonction processus d’apprentissage. Elles permettent aux orga-
QHSEDD : des positions seulement réactives nismes la réalisation de performances notamment en
pour la prise de décision. établissant des standards d’activités et de savoirs,
Même à travers une volonté effective de conception savoirs faire et comportements associés. L’expérience
cohérente des démarches de RSE (observées dans la et l’échange constituent des formes privilégiés d’acqui-
plupart des organisations), les entreprises étudiées sition de compétences (Zarifian, 2004)
n’échappent pas - en ce qui concerne les décisions liées L’acquisition de compétences est donc un processus
à la RSE - à des tendances contradictoires et complé- d’apprentissage qui intègre et accumule à la fois des
mentaires. Entre intégration et différentiation, entre la aspects objectifs comme la formation mais aussi des
décision « globale » de l’entreprise et l’émergence de la aspects plus « contextuels » comme l’intégration des
décision « locale », les logiques sont différentes. savoirs en situation professionnelle.
Au niveau local le manager prend des décisions de ges- Dans notre enquête, il ressort que cet apprentissage des
294
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
compétences est largement ignoré des évaluations et des ces conditions, il n’y a pas de cohérence dans la démarche
systèmes de rémunérations. C’est pratiquement le cas qui suppose, entre autre, un encouragement et une moti-
de toutes entreprises appartenant aux « grappes moyenne vation des employés. L’appropriation reste pour le
et inférieure ». moins hypothétique dans un tel contexte et reflète
Cette situation est en contradiction flagrante avec une d’importantes carences managériales.
véritable appropriation du concept de RSE par l’entre-
prise et explique largement sa difficile diffusion au sein E. Un facteur limitant de l’apprentissage :
des organisations. le management des hommes.
La prise en compte et le management des hommes dans
B. L’ancrage et « l’intériorisation » du modèle par les la démarche RSE (recrutement, évaluation…) est fon-
collaborateurs est improbable par la seule formali- damentale. Or on observe qu’elle est très déficitaire
sation des démarches (procédures, référentiels...) dans les organisations analysées (pour les trois grappes)
Nos interlocuteurs mentionnent massivement la fameuse au profit de dispositifs relatifs aux « activités » et à la
« résistance au changement », le manque de temps… formalisation (procédures, documents…)
pour les cadres et le personnel pour expliquer les diffi- Hors, aucun nouveau concept de management organisa-
cultés pratiques de cette démarche au sein des organisa- tionnel (y compris de la RSE) qui implique un profond
tions. Pour certains d’entre eux c’est « l’anorexie » du changement, ne peut être vraiment opérationnel sans la
temps et des ressources qui mènent à cette distorsion création adéquate de contextes propices à la motivation
entre la vision RSE et la réalité de la démarche. de l’ensemble des hommes concernés et surtout sans
La question devient alors : comment concilier atteinte « l’exemplarité » de leurs responsables !
d’objectifs financiers et économiques toujours urgents, C’est là une difficulté majeure et sans doute le principal
prioritaires et à court terme pour les dirigeants avec une obstacle à un véritable apprentissage en double boucle
promotion des valeurs et principes d’action de la RSE et qui conduirait à une vraie dynamique « d’organisation
surtout leur mise en pratique effective dans le fonction- apprenante » en matière de la RSE.
nement quotidien de l’organisation avec une perspecti-
ve à moyen/long terme ? 4.3 - Les facteurs clés de réussited’un appren-
tissage en double boucle (changement
C. L’accès, la diffusion et le partage de l’information
de second ordre) qu’implique
ne sont pas réalisés de manière efficiente
Des leviers essentiels qui doivent débuter par l’engage- le déploiement de la RSE
ment des dirigeants - mais qui posent aussi le problème A. La maîtrise des risques : un point décisif pour
de l’accès à l’information - notamment pour les acteurs initier la démarche RSE
de petites organisations - comme celles de nos grappes Une évolution du management des entreprises aujour-
« moyenne et inférieure ». En effet ces responsables d’hui conduit à refuser toute exposition aux risques.
cumulent souvent beaucoup de responsabilités Cette évidence, comme résultat de l’étude, se retrouve
(Gondran et Brodhag, 2000). aussi dans la littérature :
Bonhomme (2005) a montré que les risques Environ-
Il s’agit alors de faciliter l’intégration de l’information nement/Santé /Sécurité fondaient largement les démar-
sous toutes ses formes (informatique, documents, ches d’apprentissage des entreprises, notamment parce
échanges…). Cette « bonne » gestion des connaissances que parmi les acteurs « inducteurs », on trouvait les
relative aux pratiques de la RSE au sein des organisa- managers.
tions n’est encore correctement organisée… La maîtrise des risques, au sens de la connaissance,
l’évaluation et le traitement des risques est une condi-
D. L’importance de la reconnaissance des individus tion sans doute nécessaire, mais non suffisante, de
et des équipes pour apprendre et s’engager dans l’engagement d’une vraie démarche de RSE. Elle ne
un changement important est capitale. permet pas de répondre à la question : pourquoi et com-
Il ressort de l’enquête que pour « apprendre la RSE », ment s’approprier les valeurs de la RSE et les intégrer
les valeurs privilégiées sont la confiance, un « accom- au management quotidien de l’organisation ?
pagnement » dans la responsabilisation et l’engagement
d’initiatives personnelles vis à vis des parties prenantes, Pour les entreprises de la « grappe supérieure »
et surtout une reconnaissance systématique des per- L’application des référentiels QHSEDD utilisés a pour
formances individuelles et collectives. objectif corollaire la maîtrise des risques. C’est souvent
Hors notre étude n’a pas mis en évidence (hors deux une première étape pour un engagement par rapport aux
entreprises de la grappe « supérieure ») un processus de différentes parties prenantes. Dans la pratique, cette
reconnaissance à la hauteur des enjeux et des attentes association référentiels/maîtrise des risques ouvre une
des personnes. première voie intéressante et opérationnelle à l’appren-
Il s’agit là d’une grande difficulté à surpasser, car dans tissage organisationnel de la RSE.
295
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
B. L’apprentissage organisationnel de la RSE met en C’est de l’analyse des valeurs, puis à « l’analyse de la
évidence le rôle clé du « maître d’ouvrage » et valeur » de prendre pour référence les attentes et
celui du « maître d’œuvre » de la démarche. besoins de la RSE définis par les différentes parties pre-
Ce sont deux leaders, l’un assure l’animation et le suivi nantes.
des actions et projets (donc la mise en œuvre) l’autre Cette position cohérente avec l’approche pragmatique
prend la responsabilité de « commander l’œuvre » et de de l’entreprise débouche sur un véritable potentiel de
légitimer la démarche au plus haut niveau de l’entreprise. création de valeur sous réserve que celle-ci soit moné-
Il apparaît dans l’étude qu’un tel partage des rôles (et tarisée, et pas uniquement dans ses coûts, mais égale-
leur existence) est une condition nécessaire de la réussite ment dans ses « bénéfices » (De Backer, 2005)
de l’apprentissage de la RSE et de sa transcription Seules les entreprises capables d’évaluer les facteurs de
effective dans les valeurs, principes d’action et modali- gains (et de pertes) dans le déploiement de la RSE sau-
tés pratiques effectives du fonctionnement quotidien de ront « structurer l’apprentissage organisationnel » en se
l’organisation. servant de processus d’expérimentation qui mènent à de
« bonnes pratiques » qui pourront réellement être éva-
C. La formation/action en groupe ou en équipe est un luées et appropriées par les personnes…
levier déterminant pour enclencher une dyna-
mique d’organisation apprenante en double boucle E. Un point essentiel et jusqu’ici trop négligé :
conduisant à mise en œuvre effective de la RSE la motivation des individus
L’apprentissage par « projets » et la résolution de pro- Les motivations poussant les entreprises à apprendre,
blèmes en équipe ou en groupe favorisent la démarche. manager et pérenniser les démarches QSE et de RSE
Il permet de développer les compétences des équipes ont été abordées récemment dans la littérature de façon
qui « apprennent à apprendre » ensemble selon la termi- fort intéressante notamment par Chauvel (2005).
nologie et la pensée de Senge. Il favorise l’apprentissage Selon cet auteur, les modèles d’organisation dits « tech-
en équipe qui est une caractéristique essentielle d’une nobureaucratiques » (dont les caractéristiques sont :
vraie dynamique d’organisation apprenante. omniprésence de la procédure, fortes centralisation et
Tous les échelons hiérarchiques doivent être concernés. hiérarchisation), basés notamment sur « l’isocratisme »
Le rôle des équipes « transversales » et « verticales » se situent dans une zone de stress élevé qui ne s’évacue
dans l’apprentissage des méthodes et comportements pas de façon naturelle. Il faut donc explorer la motiva-
est déterminant. Cette dynamique systémique d’appren- tion comme une continuité de notre vie de tous les jours
tissage collectif en double boucle favorise les processus et non comme si chacun avait plusieurs vies parallèles
de prise de décision commune qui mènent réellement à (l’une comme employé, l’autre pour participer à la vie
une appropriation collective du changement et de la sociale ou jouir comme consommateur par exemple).
nouvelle démarche en y associant l’ensemble des Que peut-on en déduire : afin de mobiliser le personnel
acteurs. et donner du tonus à des démarches RSE il est indispen-
Un changement de modèle tel que celui que représente sable de comprendre en profondeur les mécanismes
la RSE implique une telle dynamique pour pouvoir véri- psychologiques de la motivation et les intégrer complè-
tablement se concrétiser dans l’organisation et dépasser tement dans les processus d’apprentissage, si on ne veut
les changements superficiels et souvent de nature seule- pas aller à l’échec à coup sûr.
ment « cosmétique » qu’on observe encore aujourd’hui
dans ce domaine de la RSE au sein de la plupart des
organisations.
296
L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
Deuxième élément central : majoritairement l’engage- BELET D. ( 2002), Devenir une vraie entreprise appre-
ment socialement responsable des organisations nante : les meilleures pratiques, Paris, Editions
rencontrées reste superficiel. En effet, à quelques d’Organisation.
exceptions près, l’apprentissage se fait selon un schéma
de « boucle simple ». La valorisation des initiatives, la BONHOMME C. (2005), Maîtrise des risques et nor-
culture d’entreprise et les dispositifs RH n’y sont pas mes RSE : Evaluation des pratiques dans sept entreprises
encore suffisamment matures pour permettre une évolu- françaises, in 3e Congrès de l’ ADERSE, IAE de Lyon.
tion significative de la culture managériale, des valeurs,
principes d’action et modes de fonctionnement de CHAUVEL A. ( 2005), Au delà de la certification . De
l’organisation. la conformité à la performance, Paris, Editions
d’Organisation.
Seulement 5 % des organisations rencontrées démont-
rent un mode d’apprentissage de la RSE en double boucle CYERT R, MARCH J. (1963), A behavorial theory of
selon une logique d’organisation apprenante. Cet enga- firm, Englewoodcliffs, N.J., Prentice hall.
gement en profondeur apparaît pourtant nécessaire pour
réussir l’appropriation de la RSE par l’ensemble des DE BACKER P. (2005), Les indicateurs financiers du
acteurs et son succès sur le terrain, à savoir une réelle développement durable : coûts, tableau de bord, renta-
prise en compte des attentes de toutes les parties bilité, Paris, Editions d’organisation.
prenantes. Seule cette approche pro-active permet
d’engager l’organisation dans un cycle d’amélioration DE MUNCK ( 1999), L’institution sociale de l’esprit,
continue. Le contrôle de l’impact des pratiques de Paris, PUF.
l’entreprise sur ses stakeholders se trouve alors systé-
matisé et l’engagement sociétale pérennisé. GOND J.P. (2003), « Performance sociétale de l’entre-
prise et apprentissage organisationnel », 12e Confé-
Notre étude confirme que les organisations intègrent la rence de l’AIMS, Les Cotes de Carthage, juin.
RSE que si leurs membres apprennent et apprennent
ensemble. Ce sont les connaissances et convictions des GOND J.P. (2004), «Apprendre à devenir tous respon-
« employés-citoyens » qui doivent être mobilisées dans sables Apprentissage organisationnel et performance
ce projet commun. Cela permet d’interroger continuel- sociétale de l’entreprise » in : Igalens. J. (ed), Tous
lement les processus et actions de l’entreprise, susciter responsables, Paris, Editions d’organisation.
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L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
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L’apprentissage organisationnel de la RSE : le cas d’une démarche QHSE dans le secteur de l’eau
François PETIT-Pierre BARET-Daniel BELET
Annexe
Tableau : moyens et dispositifs mis en œuvre pour un apprentissage
organisationnel de la RSE (resultats des interviews)
Moyens et 0 1 2 3 4 5
Dispositifs
1/ Formalisation
de la démarche
11/ Procédures
et instructions
12/Référentiel
13/ Intégration
2/ Formation
et Compétences
21/Sensibilisation
et Formation en interne
3/ Gestion
des connaissances
et Système
d’information
31/ Acquisition
32/ Diffusion
33/ Capitalisation
4/ Dispositif RH
41/ Recrutement
opérationnelles
42/ Evaluation
43/ rémunération
5/ Valorisation
d’initiatives
51/ Individuelles
52/ Collectives
53/ Récompense
significative
6/ « Culture »
d’entreprise
61/Benchmarking
proactif
62/Interet pour les PP
63/ Valeurs « in used »
dans l’entreprise
299
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
Responsabilité O
n peut s’en étonner : la question de la responsa-
bilité sociale est principalement abordée, dans
la littérature contemporaine en gestion, en
sociale
termes statiques. Il s’agit, la plupart du temps, de passer
au crible une série d’indicateurs pour livrer un diagnos-
tic de la manière dont l’organisation, dans son fonction-
nement habituel, prend en compte, hic et nunc, ses
de changement :
alors à une « prise de pouls » réalisée à un moment
donné, et idéalement répétée dans le temps.
Nous entendons approfondir la question de la RSE dans
une perspective plus dynamique. De nombreuses orga-
un modèle
nisations se trouvant confrontées à des processus de
changement quasi permanents, la question centrale
devient dès lors : comment évaluer si elles conduisent
multidimensionnel
ces processus de manière « socialement responsable » ?
Nous proposons ici une réflexion méthodologique
destinée à aborder cette question.
d’évaluation
La première section de l’article offre une réflexion de
nature descriptive sur les différentes modalités de chan-
gement que l’on peut observer dans les organisations
contemporaines : objet, niveaux et limites temporelles
du projet concerné.
301
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
Il peut être utile de recourir à cet égard à une démarche 1.2 - L’ampleur du changement
idéal-typique, qui permet en quelque sorte de donner un
contour au projet de changement escompté. Rappelons Toujours dans une visée descriptive, il est également
que cette démarche consiste à élaborer des tableaux utile de préciser les niveaux auxquels se situe le projet
imaginaires, à partir d’éléments du réel poussés jusqu’à de changement ; en d’autres termes, de cerner son
l’extrême limite de leur cohérence, qui servent ensuite ampleur potentielle. Divers critères peuvent être retenus
d’étalon pour l’exploration de celui-ci. en la matière : l’ampleur des conséquences du change-
ment sur l’organisation, les niveaux hiérarchiques à
Si le projet de changement vise essentiellement à modi- l’origine du changement et la durée de celui-ci. Sur
fier le fonctionnement organisationnel (la façon dont les cette base, le projet de changement peut être situé à trois
gens travaillent, le découpage entre unités, le niveau de niveaux différents :
prise de décision, la structure hiérarchique, etc), on peut
ainsi recourir à la distinction classique entre structures
mécaniques et organiques, ou encore, de manière plus
élaborée, aux différentes configurations définies par 1 Voir à ce sujet les travaux de PORTER, M. E. (1986).
Mintzberg (1982). Si le projet de changement concerne 2 Voir à ce sujet les travaux de CASTELLS, M. (1999).
302
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
! le niveau stratégique, où se définissent les orienta- temps, l’analyste ou l’évaluateur conviendra d’arrêter la
tions majeures qui marquent fondamentalement la vie période d’observation à une date donnée, après l’écou-
de l’organisation (la nature de ses activités, les objec- lement d’une certaine période, tout en reconnaissant
tifs qu’elle poursuit, le public qu’elle vise, son mode que le processus poursuit inexorablement son cours à
de structuration interne, etc) ; différents niveaux.
! le niveau managérial (ou de coordination), où de Cette question nous amène d’ailleurs au problème de la
nouvelles orientations peuvent se prendre en termes multi-temporalité d’un processus de changement. Alors
d’affectation des ressources, de gestion du personnel, que le processus initialement considéré continue à se
de procédures à suivre, de moyens de contrôle sur le dérouler, d’autres événements interfèrent inévitable-
travail réalisé, etc ; ment avec celui-ci. Le changement proprement dit se
forge donc à l’articulation sans cesse redéfinie de ces
! le niveau opératoire, où des évolutions peuvent affecter multiples temporalités.
les modes de fonctionnement concrets qui marquent
la vie quotidienne de l’organisation.
303
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
être décomposées, analysées et, dans la mesure du pos- Les pratiques d’audit social appliquées à la RSE
sible, quantifiées. Le décideur dispose, préalablement à risquent bien souvent de se réfugier dans ce type d’ap-
toute prise de décision, d’une information complète sur proche. Des objectifs précis sont fixés par une équipe
l’ensemble des solutions susceptibles d’être appliquées projet sur un certain nombre de dimensions (climat
au problème qui se pose à lui et sur les conséquences social, sécurité, absentéisme, satisfaction de la clientèle,
possibles de leur application - principe d’exhaustivité - etc) et une batterie d’indicateurs permet de s’assurer - et
et il est capable de choisir la meilleure solution - principe de se rassurer sur le fait - qu’ils sont effectivement
d’optimisation. atteints. Des actions de communication peuvent alors
être lancées vers l’extérieur pour renforcer l’image
En outre, le décideur dispose d’outils d’évaluation effi- d’une entreprise qui remplit correctement son rôle
caces qui l’aident à surveiller le bon accomplissement citoyen. Nous avons montré par ailleurs que ce type de
du processus - principe de contrôle - et à réviser en pratique contribuait à une évolution du rôle de la DRH
conséquence ses objectifs, les ressources affectées à la vers un positionnement que nous avons qualifié de
solution du problème ou la décision elle-même - princi- « médiatique » (Pichault, 2004).
pe de rétroaction.
2.2 - L’approche contingente
Enfin, la planification stratégique ne s’accommode
guère d’une diversité de points de vue. Elle suppose au L’un des fondements de l’approche contingente consiste
contraire que l’ensemble des intervenants (gestionnai- à montrer que les organisations conçoivent et dévelop-
res, ligne hiérarchique, analystes et concepteurs de pro- pent des modes de structuration spécifiques en fonction
grammes, etc.) partagent fondamentalement les mêmes de l’environnement dans lequel elles opèrent. Il n’y a
valeurs et les mêmes objectifs. Ces derniers, une fois donc pas, en la matière, de solution optimale et univer-
inscrits dans le cadre de la planification, ne sont plus selle. Les dirigeants ne sont plus vus ici comme des
rediscutés et restent inchangés de la formulation à l’im- personnages omniscients, parvenant à optimiser leurs
plémentation et au contrôle (principe d’invariabilité des décisions quelles que soient les circonstances : ils cher-
objectifs). chent avant tout arriver à ajuster leur organisation aux
caractéristiques du contexte dans lequel elle opère. S’ils
Avec l’approche de la planification, le changement est ne le font pas, ils se voient condamnés à des perfor-
conçu comme un processus séquentiel : si des problè- mances moindres.
mes se posent au stade de l’implémentation (résistances
au changement, par exemple), c’est qu’ils n’ont pas été La diversité des formes organisationnelles résulte donc
correctement appréhendés a priori ou que l’analyse pré- de processus d’adaptation plus ou moins réussis à la
alable des solutions possibles n’a pas été menée diversité des conditions (contraintes et opportunités) du
adéquatement. En principe, tous les membres de l’orga- contexte. Ces conditions sont aussi bien externes (tel
nisation sont censés adhérer aux objectifs du décideur. type de marché, de culture nationale, de technologie,
Cette vision séquentielle repose sur l’utilisation de tech- etc.) qu’internes (l’âge, la taille de l’organisation, sa
niques et méthodes codifiées qui s’inscrivent générale- stratégie, etc).
ment dans le cadre de la gestion de projets : définition
du projet (objectifs, résultats attendus, durée, échéan- Ainsi Lawrence et Lorsch (1989) montrent-ils que le pas-
cier, etc) ; analyse de l’existant (processus, opérations, sage à une configuration de type organique constitue une
etc) ; conception détaillée et validation des solutions (en réponse adéquate à un marché devenu dynamique, com-
ce compris les indicateurs) ; mise en œuvre et suivi des plexe et hétérogène tandis que la mutation vers une confi-
résultats ; actions de remédiation éventuelles. Garel guration mécanique s’avère davantage justifiée pour faire
(2003) montre ainsi, dans son analyse de l’évolution de face à un marché qui se stabilise et se simplifie.
la gestion de projet, combien cette approche s’est for-
malisée et standardisée à partir de la fin des années 70 Les travaux d’Hofstede (1991) mettent en avant l’in-
pour former un corps de techniques et méthodes quasi- fluence des caractéristiques culturelles nationales sur
ment homogène. De tels outils structurés de gestion de les variables organisationnelles. Si, par exemple, une
projet, mis généralement au point par les consultants, organisation souhaite s’implanter dans un pays où le
sont très valorisés par les équipes dirigeantes, qui se niveau d’individualisme est élevé (comme les Etats-
voient confortées dans leur vision planificatrice du Unis), elle devra plutôt adopter des modes de travail
changement4. basés sur l’atteinte de résultats et sur la décentralisation
de la prise de décision. Par contre, si elle s’insère dans
une culture où la distance à l’autorité est élevée (comme
4 D’une firme de consultants à l’autre, ils présentent de très grandes
en France), une forte différenciation verticale de la
similitudes, comme le notent WERR, A., STJERNBERG, T. & structure s’avèrera plus judicieuse, ainsi qu’une centra-
DOCHERTY P. (1997). lisation de la prise de décision.
304
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
Selon Woodward (1965), plus le système technique est Les enjeux de la confrontation représentent, pour
articulé sur la production de masse, plus il y a tendance chaque groupe d’acteurs, la manière dont il perçoit le
à la formalisation et à la bureaucratisation de la structu- changement en cours et les risques ou opportunités qu’il
re ; en revanche, plus il est sophistiqué (technologie en recèle. Le postulat est ici que le groupe est conscient de
continu), plus le personnel devient qualifié et la structure ses intérêts et que la majorité de ses membres adoptent
a tendance à devenir flexible. des comportements en connaissance de cause.
L’approche contingente souligne l’influence du contexte, Les atouts dont disposent les groupes d’acteurs consti-
aussi bien interne qu’externe, sur la vie de l’organisa- tuent, en quelque sorte, leurs sources de pouvoir. En
tion. Dans cette approche, le changement est une varia- s’inspirant notamment des travaux de Crozier et
ble exogène, sur laquelle les dirigeants ont peu de prise : Friedberg (1977) et de Pfeffer (1981), on se montrera
le marché, la technologie, la culture nationale, la taille, ainsi attentifs à :
l’âge de l’organisation sont vus essentiellement comme
des facteurs contraignants dont il s’agit de gérer les - la maîtrise d’un savoir-faire particulier, d’autant plus
conséquences en adaptant d’une manière appropriée crucial qu’il représente pour l’organisation une com-
l’organisation du travail, la GRH, la stratégie, les systè- pétence importante et difficilement substituable ;
mes d’information, etc, à leurs évolutions. - la maîtrise des relations avec l’environnement (« mar-
Dans cette perspective, la RSE devient le signe d’une ginal-sécant ») qui constituent l’une des zones d’in-
capacité à s’adapter aux changements de l’environne- certitude majeures pour l’organisation ;
ment dans lequel l’entreprise opère. La question se pose - la maîtrise de l’un ou l’autre circuit de communication
de manière particulièrement aiguë dans les situations et de certains flux d’information formels ou informels ;
interculturelles, où le même projet de changement peut - la maîtrise de l’élaboration et/ou des conditions
se décliner de façon très différente selon le contexte d’application des règles ; celles-ci sont, en principe,
local dans lequel il est appelé à s’incarner. On s’éloigne destinées à réduire l’imprévisibilité des comporte-
déjà ici des pratiques habituelles de l’audit social, dans ments, mais peuvent également constituer une
la mesure où ce n’est plus une seule batterie standardi- contrainte pour les supérieurs hiérarchiques dans la
sée d’indicateurs qui peut servir de référence dans les mesure où elles soumettent leur propre autorité à des
différents contextes : il s’agit d’apprécier, dans chaque limites étroitement définies ;
cas, les éléments spécifiques du contexte à prendre en - la maîtrise des ressources financières qui entretient
considération : ici, des traits du marché, là des spécifi- une dépendance cruciale dans la vie des organisations
cités culturelles, là encore des particularités de l’envi- dans la mesure où elle conditionne souvent la possibi-
ronnement institutionnel. lité d’accès aux autres sources de pouvoir.
2.3 - L’approche politique Les moyens d’action sont les stratégies déployées par
les groupes d’acteurs en présence une fois que le coût
L’approche politique met l’accent sur la diversité des d’une action éventuelle est compensé, à leurs yeux, par
intérêts à l’œuvre lorsque s’enclenche un processus de l’importance de l’enjeu. Par définition, les stratégies
changement. Elle conduit inévitablement à poser les sont imprévisibles et multiples : elles se forgent de
questions suivantes : manière spécifique dans chaque contexte organisation-
nel. Elles peuvent aller du « freinage » au boycott pur et
- quels sont les groupes d’acteurs impliqués simple, en passant par la multiplication des pratiques
(stakeholders) ? clandestines, le surinvestissement, etc.
- quels sont les enjeux de leur confrontation ?
- quels sont les atouts dont ils disposent ? Enfin, les alliances sont les bases sociales sur lesquelles
- quels moyens d’action déploient-ils en conséquence ? les stratégies se construisent : il s’agit, la plupart de
- quelles sont les alliances qui se nouent entre eux ? temps, d’alliances temporaires entre des groupes dont
les intérêts de base diffèrent mais qui choisissent de
Il s’agit en effet de repérer les groupes d’acteurs qui s’unir pour mener un combat commun.
tentent explicitement de peser sur le processus en cours
pour l’orienter conformément à leurs objectifs. On y L’explication avancée par les théoriciens de l’approche
trouvera aussi bien des acteurs internes, qui font partie politique s’exprime en termes de rapports de force, de
intégrante de l’organisation étudiée (direction, ligne défense d’intérêts, de contrôle de zones d’incertitude.
hiérarchique, analystes, commerciaux, opérateurs, etc), Elle fait apparaître, à côté de l’organigramme et de la
que des acteurs externes qui tentent de défendre certains structure officielle de l’organisation, une structure
intérêts stratégiques en utilisant notamment leur informelle, faite de jeux, de marchandages, de négocia-
pouvoir de mobilisation (syndicats) ou d’allocation des tions. Il faut noter qu’elle risque d’aboutir à une
ressources financières (propriétaires). conception quelque peu fataliste du changement. Selon
305
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
elle, la plupart des projets de changement prennent en gement. La vie de nombreuses organisations se caracté-
effet la forme d’une réduction des zones d’incertitude et rise en effet par des alternances de courtes périodes de
d’une rationalisation de la vie de l’organisation, ce qui changements radicaux - où le coût d’une inadaptation
les expose aux réactions défensives ou offensives des aux variations de l’environnement devient trop élevé
différents groupes potentiellement menacés et les par rapport au coût d’une restructuration interne - et de
conduit fréquemment à la dissolution ou à l’échec pur et longues périodes de changements incrémentaux - où le
simple. Dans cette perspective, le véritable changement coût de l’inadaptation externe ne paraît pas assez impor-
- c’est-à-dire l’apprentissage de nouveaux jeux - ne peut tant pour précipiter l’ensemble de l’organisation dans
se réaliser que dans un contexte de crise, de rupture par une restructuration en profondeur.
rapport aux anciens mécanismes de régulation, provo-
quée par des facteurs externes au système d’action en L’approche incrémentale cherche à (dé)montrer que ce
vigueur, où les différents protagonistes sont amenés à se ne sont pas les méthodes formelles de planification qui
redéfinir en révisant leurs enjeux, leurs moyens d’action dominent un processus de changement mais qu’il s’agit
et leurs alliances. au contraire d’un développement continu, largement
morcelé, à caractère itératif et incrémental dans lequel
La notion de parties prenantes, qui joue un rôle central la formulation et la mise en œuvre apparaissent comme
en matière de RSE, est en sans doute celle qui semble se des moments non pas séparés dans le temps mais le plus
référer le plus directement à l’approche politique. souvent indissociables. Cette approche considère que
Toutefois, il faut bien reconnaître que la notion est les décideurs sont largement dépendants, dans leurs
fréquemment utilisée dans un objectif d’optimisation de actions, de choix antérieurement élaborés; la marge de
la valeur partenariale de l’entreprise (Freeman, 1984). Il manœuvre dont ils disposent pour se démarquer radica-
s’agit pour cette dernière de valoriser la contribution du lement du passé se trouve donc étroitement circonscrite.
capital humain constitué par ses parties prenantes en À l’opposé d’une vision planificatrice, les objectifs
dégageant un objectif commun à l’ensemble des stake- effectivement poursuivis émergent en cours de route, si
holders, et de faire en sorte que tous sortent gagnants de bien que la stratégie ne peut être formulée qu’a poste-
l’interaction. L’existence d’intérêts divergents est certes riori, sur la base d’orientations prises antérieurement.
reconnue, mais le postulat est que l’intérêt collectif
pourrait prévaloir sur les comportements opportunistes. Loin de penser qu’un tel état de fait soit contraire à
La conception partenariale de l’entreprise s’appuie sur l’exercice de la raison, les théoriciens de l’incrémenta-
une vision non contractuelle des relations où la volonté lisme le considèrent généralement comme non dénué de
de coopération, la confiance, l’emporte sur le calcul valeur et n’hésitent pas à adopter à son égard une atti-
immédiat (Handy, 1995). Toutefois, par sa non prise en tude normative (Lindblom, 1959). En somme, si le
compte du rapport de force entre parties prenantes, ce décideur « réel » ne se comporte pas comme le suggè-
courant contribue à transformer les fondements explica- rent les partisans de l’approche de la planification, cela
tifs de l’analyse stratégique : ce n’est plus de luttes est non seulement « normal » mais apparaît, dans bien
d’influence et de stratégies politiques qu’il s’agit, mais des circonstances, comme souhaitable. Que l’on pense,
de convergence, de bien commun, de coopération. Nous par exemple, au processus d’allocation budgétaire, qui
plaidons ici, au contraire, pour une réelle prise en comp- s’effectue rarement par une mise à plat de tous les
te, dans les pratiques de RSE, des intérêts concernés par postes chaque année, mais bien davantage par une adap-
le projet de changement : en particulier les « gagnants » tation a posteriori d’un nombre limité de postes pour
et « perdants » potentiels. Dans cette perspective, c’est lesquels on entend imprimer une évolution.
l’expression des conflits - qu’ils soient latents ou expli-
cites - qui intéressera davantage l’analyse que la recher- En matière de RSE, cela implique qu’un projet de chan-
che d’un hypothétique consensus. Il ne s’agira pas non gement se construit toujours sur un substrat culturel et
plus de réduire l’expression des conflits à la simple organisationnel hérité du passé. On est donc loin d’une
comptabilisation de journées de grève, par exemple, batterie d’indicateurs prédéterminés, qu’il s’agirait
comme dans certaines pratiques traditionnelles de l’au- d’optimiser en tout temps et en tout lieu. Avec l’appro-
dit social, mais plutôt d’être attentif aux oppositions che incrémentale, les indicateurs eux-mêmes sont cons-
d’intérêts « objectives » - même non déclarées - et aux truits au fur et à mesure du déploiement du projet. Ce
compromis auxquelles elles aboutissent. seront davantage les essais et erreurs qui marquent la
vie du projet qu’il s’agira de repérer et d’indicer
2.4 - L’approche incrémentale comme autant d’étapes significatives, rythmant les
interactions entre parties prenantes. La fidélisation et la
Selon cette approche, le poids du passé, de la culture, stabilisation progressives d’un réseau de sous-traitants
des routines comportementales, des structures en en situation précaire peuvent ainsi apparaître sous un
vigueur, des décisions antérieures intervient souvent de jour favorable alors même qu’elles ne répondent guère
façon cruciale dans la conduite d’un processus de chan- aux canons d’une RSE « médiatique » (respect des
306
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
normes OIT, etc). Dans tous les cas de figure, la portée La théorie des conventions constitue une autre concep-
socialement responsable de la gestion du changement tualisation développée dans la même perspective. Cette
ne sera éventuellement appréciée qu’a posteriori et ne théorie cherche à comprendre comment les individus
pourra guère correspondre à une quelconque expression confrontés à des situations marquées par l’incertitude
de la « volonté » managériale. décident du comportement qu’ils vont adopter et com-
ment, de ces multiples décisions individuelles, se dégage
2.5 - L’approche interprétative une certaine convergence, un certain ajustement des
comportements des uns et des autres.
A l’inverse de la littérature qui examine l’impact des
contraintes de l’environnement sur la vie de l’organisa- Dans ce contexte d’incertitude et face à la difficulté de
tion, c’est ici l’organisation, définie comme un système poser un choix rationnel, les individus ont forcément
socialement construit de significations communes, qui besoin de repères pour fonder leurs décisions. Certains
construit de façon active l’environnement. L’un des de ces repères sont des énoncés explicites mais la plu-
schémas conceptuels les plus intéressants de cette part revêtent des formes plus implicites, que l’on
perspective est sans nul doute celui élaboré par le nomme « conventions ». Une situation de changement
psychologue Weick (1979). est quant à elle marquée par l’interaction de plusieurs
conventions. Celles-ci se différencient tout d’abord sur
Selon Weick, les individus sont confrontés à un ensemble le plan de la forme, par exemple selon leur niveau de
de problèmes difficiles, imprévisibles et équivoques, complexité. Mais elles se distinguent également sur le
impossibles à résoudre et à interpréter individuellement. plan du contenu : on peut se référer à cet égard à la célè-
Ces incertitudes sont résolues de façon organisationnelle bre typologie proposée par Boltanski et Thévenot
à partir du traitement collectif de l’information. Une (1991).
signification unique ne peut donc être attribuée au
monde extérieur. L’activité d’enactment (ou « mise en Dans un premier temps, il s’agit de repérer la conven-
acte ») est un processus par lequel les individus établis- tion qui caractérise principalement le fonctionnement
sent une ségrégation entre les environnements auxquels de l’organisation : la convention peut se référer à un
l’organisation essaie d’attribuer une signification et seul principe, mais plus fréquemment, elle en intègre
ceux qu’elle ignore. plusieurs ; autrement dit, elle prend la forme d’un com-
promis. Dans un deuxième temps, apparaît une nouvelle
Weick insiste sur le fait que la phase d’enactment convention qui introduit de la suspicion et de la critique
n’opère pas nécessairement en toute circonstance. Les dans la convention originelle. Dans un troisième temps,
acteurs sont en réalité davantage tentés d’opérer une la convention initiale réagit, soit en « résistant » à la
sélection, c’est-à-dire de confirmer les significations suspicion, soit en « composant » avec la nouvelle
qu’ils attribuent aux situations plutôt que de les mettre convention et en élaborant un nouveau compromis ;
en cause. Ce qui revient à dire que les membres de dans des cas limités, la convention originelle peut aussi
l’organisation ont tendance à choisir les significations disparaître et laisser entièrement la place à la conven-
qui permettent aux nouveaux enactments de s’intégrer tion nouvelle. On s’intéressera donc particulièrement
aux anciens enacted environments, issus du processus aux diverses activités de légitimation et de communica-
de rétention. Il y a donc un processus de renforcement tion menées pour « créer de la convergence » entre
mutuel au cours duquel les décisions actuelles sont pri- conventions autour du projet de changement.
ses sur la base de l’expérience passée et, inversement,
où l’expérience passée se voit confirmée par l’action L’articulation opérée entre différents univers de référence,
présente. permettant au projet de changement de s’incarner dans
un ensemble social donné, constitue une autre manière
Dans un tel contexte, le rôle des gestionnaires du chan- d’enrichir la vision traditionnelle de la RSE. C’est le
gement prend une importance particulière : ils ont à sens donné au projet de changement, et surtout son
privilégier certains signaux en provenance de l’environ- appropriation par les différentes parties prenantes, qui
nement et à en négocier une interprétation collective en s’avèreront à cet égard critiques. La manière dont le
fonction du « stock » d’expériences accumulées dans nouveau projet est intégré dans les pratiques quotidien-
l’organisation ; de leur habileté à mener l’enactement nes (enactment), en cessant d’être un champ à part du
dépendra le fait que l’interprétation proposée soit plus « business as usual », est sans doute ici l’un des indica-
ou moins acceptable par les membres. Ils jouent donc à teurs les plus pertinents à prendre à compte. Une fois
la fois un rôle de « facilitation », de traduction et encore, on peut se trouver très loin d’une optimisation
d’intégration qui, le plus souvent, consiste à confirmer des variables clés de la RSE, en se contentant d’obser-
des théories préexistantes, mais qui peut déboucher, lors ver une « greffe qui a pris » dans un corps social parti-
de périodes de crise organisationnelle, sur l’introduc- culier. L’approche interprétative de la RSE s’avère tout
tion de nouveaux schémas de référence. à fait intéressante à utiliser dans des situations intercul-
307
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
turelles où l’enjeu majeur consiste précisément à articu- 3.1 - Le cadre d’analyse contextualiste
ler des univers de signification différents.
Le contextualisme ne constitue pas, à proprement une
approche explicative : il propose plutôt une grille
d’analyse générale, dans laquelle peuvent venir s’en-
3. Une vision alternative : châsser différentes approches. Il met l’accent sur trois
le cadre d’analyse contextualiste concepts clé et leurs interrelations : respectivement, le
contenu, le contexte et le processus.
La littérature empirique sur le changement a depuis
longtemps contribué à montrer les limites de l’approche Les contenus ne désignent rien d’autre que le domaine
de la planification. On ne peut manquer d’évoquer ici le concerné ou la cible visée par le projet de changement.
célèbre schéma présenté par Mintzberg et Waters (1982, Ces contenus et leur évolution peuvent être décrits à
p. 466), introduisant le principe fondamental selon l’aide des concepts que nous avons présentés plus haut
lequel une large part du projet initial de changement ne (voir partie I).
se trouve jamais réalisée telle quelle alors que le chan-
gement effectif apparaît, dans une proportion plus ou Les contextes désignent les facteurs susceptibles d’in-
moins importante, comme le résultat de processus fluencer les contenus et leur évolution. Pettigrew distin-
émergents, qu’il convient par conséquent d’intégrer gue ici, de manière assez classique, les facteurs propres
dans l’analyse. Chacune des approches envisagées plus à l’organisation elle-même et ceux qui ont trait à son
haut à la suite de l’approche de planification permet environnement, autrement dit, les contextes internes
précisément d’en cerner certaines facettes. (modes de travail, taille, âge de l’organisation) et exter-
nes (marché, réglementation sociale, etc).
Figure 1 : changement délibéré/émergent Quant aux processus, ils ont trait aux initiatives des
acteurs (les uns cherchant à faire évoluer la situation
Stratégies Stratégies dans telle ou telle direction, les autres plutôt à la stabi-
délibérées réalisées liser…) et aux rapports de pouvoir qui se développent
entre eux.
Dans un premier temps, nous allons rappeler les princi- contexte processus
pes fondateurs de ce cadre d’analyse. Nous allons
ensuite montrer, dans un deuxième temps, combien les
cinq approches présentées jusqu’ici mettent tour à tour
l’accent sur certaines composantes du cadre d’analyse
contextualiste. Dans un troisième temps, nous présente-
rons le modèle des cinq forces et nous montrerons ses
conséquences en termes d’évaluation du changement.
308
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
3.2 - Des explications complémentaires L’approche politique associe de son côté le contenu au
processus. Le contenu initialement formulé par les
Au terme de notre survol des différentes approches du promoteurs d’un projet de changement va en effet
changement, nous sommes en mesure de souligner entrer dans un jeu de rapports de pouvoir entre acteurs
combien chacune d’elles aboutit à des explications spé- qui lui fera subir de sévères distorsions, et parfois
cifiques. L’intérêt du contextualisme est précisément échouer purement et simplement. L’accent est donc mis
d’offrir un cadre global d’analyse, dans lequel ces sur le caractère inéluctablement conflictuel d’un projet
différentes approches peuvent venir s’intégrer en enri- de changement, qui oblige à prendre en compte la
chissant la compréhension de l’ensemble. pluralité des acteurs concernés, les atouts dont ils dispo-
sent et l’évolution des équilibres de pouvoir s’établis-
L’approche à laquelle on recourt le plus immédiatement sant entre eux (système d’influence). Nous pouvons
et aussi le plus aisément est sans nul doute celle de la ainsi comprendre les altérations que subit le projet en
planification. Son insistance sur le contenu sert en cours de route, à la suite de compromis, de coups de
quelque sorte de point de départ à l’analyse, pour défi- force, d’attitudes variées de radicalisation, de résistance
nir le projet de changement que l’on soumet à l’obser- ou de surinvestissement.
vation. S’agit-il d’un repositionnement stratégique,
d’un processus de reengineering, de l’introduction d’un L’approche incrémentale parvient à fonder les relations
nouveau système informatique ?Au-delà des discours entre contexte et processus. Ce faisant, elle permet de
officiels, qui peuvent faire écran lorsqu’on cherche à préciser combien l’adaptation à des contraintes internes
déterminer avec précision l’objet même du changement, ou externes est l’expression d’un jeu politique, large-
il s’agit en effet de cerner ce qui est effectivement sou- ment conditionné par le système d’action en vigueur. Il
mis à planification, à travers l’examen des étapes-clés, n’est en aucun cas réductible à un quelconque mécanis-
des résultats attendus et des procédures de contrôle me abstrait d’ajustement et prend au contraire la forme
mises en place pour évaluer la bonne exécution des d’une série de va-et-vient entre contraintes existantes et
choix opérés. actions menées pour les modifier : ces actions sont en
effet condamnées à opérer à la marge de contraintes
Mais l’analyse ne peut en rester à ce niveau purement antérieures et deviennent à leur tour des contraintes
intentionnel - dont l’apparente rationalité pourrait don- ultérieures pour l’action. Le modèle incrémental rend
ner à penser que tout changement se déroule de façon compte également de la multiplicité des dimensions du
totalement maîtrisée - sous peine de graves lacunes dans contexte - en particulier du contexte interne - cristalli-
la compréhension des évolutions effectives. D’où l’in- sées dans l’histoire de l’organisation (valeurs, culture,
térêt de recourir aux autres approches, qui établissent routines de comportement, orientations antérieures,
les liens indispensables entre le contenu et les deux etc). Chacune de ces dimensions pouvant évoluer à son
autres pôles du cadre d’analyse contextualiste : le propre rythme, en fonction des stratégies des acteurs qui
contexte et le processus. s’en emparent, le lien contexte-processus prend alors la
forme de multiples interactions entre les niveaux perti-
L’approche contingente invite à mettre en relation le nents du contexte, qui se modifient chaque fois selon
contenu d’un projet de changement avec son contexte des temporalités spécifiques.
d’apparition. L’explication ainsi livrée permet de
mieux découvrir les fonctions différentes que peut Quant à l’approche interprétative, elle souligne l’impor-
remplir un contenu apparemment identique. Prenons le tance de donner du sens au projet de changement en
cas du passage de la fonction RH du type « adminis- sélectionnant certains éléments significatifs parmi les
tration du personnel » au stade « développement des évolutions du contexte, en en proposant des interpréta-
ressources humaines » : un tel passage ne répond évi- tions collectivement acceptables en fonction du stock
demment pas aux mêmes exigences dans une situation de connaissances et d’expériences accumulées dans
de croissance ou de déclin, dans un marché dont les l’organisation, et en veillant à maintenir une convergen-
évolutions sont prévisibles ou, au contraire, incertai- ce de représentations et une mobilisation permanentes
nes, dans le cadre d’une automatisation avancée du des acteurs autour de cette vision. En d’autres termes,
processus de production ou d’une technologie de elle explore les relations entre, d’une part, le contenu du
masse conventionnelle, etc. Le recours au downsizing projet de changement et, d’autre part, l’interaction
peut très bien, quant à lui, être lié à une situation de contexte-processus.
crise que traverse l’organisation, à un renouvellement
technologique ou à la volonté de consolider une posi- 3.3 - L’enjeu de l’explication plurielle :
tion compétitive. Le même contenu apparent porte en le modèle des cinq forces
quelque sorte la marque du contexte auquel il cherche
à s’adapter, en y remplissant des fonctions à chaque Nous proposons ci-dessous un modèle général qui intè-
fois spécifiques. gre ces différentes approches.
309
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
Le changement, c’est d’abord un contenu, c’est-à-dire L’approche classique de la planification repose sur
un objet qui va être soumis à modification, reflétant les l’énoncé clair d’objectifs formalisés à atteindre (gains
intentions d’une équipe dirigeante en matière de cible, de productivité, délais d’approvisionnement, nombre de
de rythme, de résultats attendus. Ce changement ne peut rebuts et de pannes, statistiques de plaintes en prove-
être appréhendé correctement sans être mis en relation nance de la clientèle, etc), que les décideurs cherchent à
avec le contexte dans lequel il est destiné à s’implanter optimiser dans un environnement nécessairement prévi-
(approche contingente), qui représente à cet égard sible : l’évaluation consiste donc, dans ce cadre, à rap-
autant de contraintes que d’opportunités. Son processus porter les résultats obtenus aux objectifs initiaux.
d’introduction s’avère crucial : comment les acteurs se L’approche contingente apprécie quant à elle la
positionnent par rapport au contenu (approche poli- performance non plus en termes d’optimisation mais
tique), comment ils se jouent des structures et des déci- d’adéquation aux contraintes du contexte. L’approche
sions héritées du passé, chacune ayant une temporalité incrémentale abandonne elle aussi le principe d’optimi-
spécifique (approche incrémentale), comment ils « met- sation en suggérant de définir la stratégie au fur et à
tent en action » certains éléments du contexte pour les mesure, par un jeu permanent d’essais et erreurs, ce qui
intégrer de manière signifiante dans le contenu (appro- l’amène à incorporer les résultats émergeant en cours de
che interprétative). processus et à introduire de facto, dans l’évaluation, la
notion de temporalité. L’approche politique, basée sur
On se montrera donc aussi bien attentif à la réalisation une reconnaissance de la pluralité des enjeux en présen-
d’un projet de réforme qu’au contexte dans lequel il ce, recourt davantage au principe de la satisfaction
prend cours, aux multiples conflits qui vont marquer sa conjointe d’intérêts divergents. L’approche interprétati-
mise en place, au poids des initiatives précédentes de ve insiste enfin sur l’importance de la négociation d’un
changement, à la suspicion introduite par la nouvelle sens acceptable autour du processus de changement et
convention à l’égard de l’ancienne en vigueur jusque-là. conduit à une évaluation de la capacité d’intégrer la
convention nouvelle au stock de connaissances et
Le modèle des cinq forces débouche inévitablement sur d’expériences accumulées au sein de l’organisation.
une conception renouvelée de la réussite ou de l’échec C’est donc en combinant les indicateurs issus de ces
d’un projet de changement : à une explication plurielle différentes approches que l’on peut proposer une
correspond désormais une évaluation plurielle. évaluation équilibrée du processus de changement.
310
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
Chacune de ces approches, prise isolément, n’offre travail concrets) et social (intérêts en présence, jeux de
qu’une vue partielle des processus de changement et pouvoir, etc.) dans lequel prend place le projet et qui
l’évaluation qu’elle propose est forcément réductrice. permet d’en anticiper les impacts potentiels ;
Ainsi, des objectifs peuvent très bien avoir été réalisés - le souci constant de susciter l’enrôlement et la mobi-
sans qu’il y ait meilleure adaptation au contexte, ou lisation : plus qu’une simple désignation, il s’agit ici
satisfaction simultanée des divers protagonistes ; les d’attribuer un rôle précis aux acteurs-clés qui émer-
intérêts des uns et des autres peuvent très bien avoir été gent de l’analyse situationnelle, de s’assurer qu’ils
pris en considération sans qu’il en résulte une meilleure acceptent et pourront s’approprier ce rôle au sein d’un
adéquation au contexte ni une incorporation de phéno- comité de pilotage ou dans des groupes de travail liés
mènes émergents. Il est donc indispensable d’élargir le à celui-ci, de soutenir leur implication, etc ;
cadre de référence afin de pouvoir intégrer les différents - la nécessité de formaliser un objectif commun et de
éléments respectivement pris en compte par chaque créer de la convergence via diverses actions de com-
approche : les plans et objectifs des promoteurs du munication relatives aux choix opérés ; c’est ici que
changement, la convergence des représentations autour les outils classiques de la gestion de projet (plans d’ac-
du changement engagé, les contraintes du contexte, le tion, tableaux de bord) peuvent prendre tout leur sens,
poids des structures et des décisions antérieures dont les pour autant que leur utilisation fasse l’objet d’une
évolutions spécifiques interfèrent avec le processus en communication adaptée aux publics-cibles, en explici-
cours et, par-dessus tout, le jeu des acteurs, qui négo- tant les progrès accomplis et les étapes franchies et en
cient entre eux de façon permanente, dans le cadre de marquant ainsi des « seuils d’irréversibilité » dans le
rapports de force, la défense de leurs intérêts. processus ;
- le principe d’évaluation continue qui consiste à veiller
3.4 - La gestion d’un projet de changement en permanence aux menaces et faiblesses qui risquent
de peser sur le projet, mais aussi aux opportunités et
Le modèle des cinq forces a d’importantes implications aux forces qui peuvent le faire progresser.
en termes de conduite socialement responsable d’un
projet de changement. Chacune de ses forces constituti- En prolongeant les travaux d’Alter (2000), on peut ainsi
ves suggère en effet, en dehors des prescrits tradition- observer que l’adoption d’un mode de gestion appro-
nels de la gestion de projet (désignation d’un chef de prié, capable de « traduire » en permanence les intérêts
projet, spécification d’un cahier des charges et d’un en présence, de donner au projet un sens partagé et d’ar-
échéancier, définition des résultats attendus, délimita- ticuler les diverses temporalités (processus), peut condi-
tion d’une enveloppe budgétaire, etc.), des orientations tionner l’engagement du changement dans une voie
d’action spécifiques : régressive (rejet de l’innovation, constitution de terri-
toires autonomes) ou progressive (ajustements réci-
- l’exigence d’être attentif, de façon permanente, à proques entre parties prenantes, évolutions nouvelles et
l’état existant et aux évolutions du contexte tant interne imprévues), échappant ainsi, dans une certaine mesure,
qu’externe (actions de veille) ; aux déterminations du contexte6.
- la nécessité de veiller au poids et aux temporalités
spécifiques qui caractérisent les structures et décisions
héritées du passé (actions de mise en concordance
temporelle) ; En conclusion
- l’intérêt d’identifier les principaux acteurs, leurs capa-
cités de mobilisation et leurs moyens d’action poten-
tiels (actions de mobilisation) ; Cet article a proposé une méthodologie opérationnelle
- l’importance de définir au fur et à mesure une signifi- d’évaluation du mode de gestion d’un projet de change-
cation collectivement acceptable du projet, en veillant ment, en tenant compte à la fois de la diversité des
à opérer les compromis nécessaires entre conventions contextes dans lesquels il peut s’inscrire et des jeux
anciennes et nouvelles (actions de légitimation). d’acteurs qui le marquent inexorablement. Il constitue
donc une tentative d’évaluer la mesure dans laquelle les
Le mode de conduite des projets de changement issu du organisations engagées dans un projet de changement le
modèle des cinq forces n’est pas sans rappeler la gèrent de manière « socialement responsable ».
conceptualisation des processus d’innovation proposée
par les tenants de la théorie de la traduction5. On peut en
préciser les principales étapes méthodologiques comme
suit : 5 On se réfère ici notamment aux analyses présentées par AKRICH,
- une phase d’analyse « situationnelle », qui vise à obte- M., CALLON, M. & LATOUR, B. (1988).
nir le portrait le plus complet possible du contexte 6 Nous avons développé à cet égard un modèle d’analyse exposé dans
organisationnel (fonctions, métiers, processus de PICHAULT, F. (1996).
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Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
312
Responsabilité sociale et processus de changement : un modèle multidimensionnel d’évaluation
François PICHAULT
MINTZBERG H. (1982), Structure et dynamique des PICHAULT F. & NIZET J. (2000), Les pratiques de
organisations, (1re édition américaine en 1979, New gestion des ressources humaines. Approches contingen-
York, The Free Press), Paris/Montréal, Editions te et politique, Paris, Seuil, col. « Points/Essais Sciences
d’Organisation/Agence d’Arc. Humaines ».
313
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
Audit social L
e succès éditorial d’un ouvrage comme
« Bonjour paresse » amène inévitablement le
chercheur en gestion des ressources humaines à
et gestion
se poser un certain nombre de questions. Pourquoi un
tel succès ? Comment expliquer l’engouement du grand
public pour un ouvrage faisant l’apologie du « bonheur
est dans le pré ». Le travail est-il un lieu d’épanouisse-
humaines dans
mettre en scène les contradictions du monde du travail
ainsi que la diversité et les ambiguïtés des langages qui
circulent et s’affrontent dans l’entreprise. En effet, le
terme ressources humaines est porteur et producteur
les organisations :
d’ambiguïté. S’agit-il de gérer des ressources humaines
ou les ressources des humains ? S’agit-il de chercher à
transformer le travail en performance collective ou
pour une
d’optimiser les charges de personnel en vue d’améliorer
la rentabilité à court terme de l’entreprise ?
L’observation des entreprises et des organisations révèle
combien les notions utilisées en gestion des ressources
implication
humaines peuvent avoir des acceptions différentes et
recouvrir des réalités aux finalités contradictoires. C’est
ainsi que le rôle du directeur des ressources humaines
peut s’avérer dans certaines circonstances paradoxal,
des hommes
Ce papier, à partir d’un panorama global de la gestion
des ressources humaines, souhaite montrer dans quelle
mesure cette approche peut permettre de trouver des
zones de compatibilité suffisantes entre le management
au travail
de la compétitivité et une gestion qualitative de
l’emploi, fondée sur les connaissances et les compétences
humaines. Mais une telle stratégie ne va pas de soi. Elle
implique la mise en œuvre d’une politique ambitieuse et
une approche renouvelée du management des hommes.
Depuis près de deux décennies, la gestion des ressources
humaines suscite un engouement croissant dans les
entreprises et les organisations. En France, les années
Jean-Michel Plane 80 ont été celles du renouveau de l’entreprise, de son
Professeur management et du triomphe des ressources humaines.
Université Paul Valéry - Montpellier III Le développement des compétences et des connaissances,
[email protected] la gestion prévisionnelle des emplois, les plans de for-
mation deviennent des axes majeurs pour les entreprises
en délicatesse avec les principes fordistes d’organisa-
tion du travail. Pourtant, le début des années 90 estfrap-
pé par ce qu’un retentissant article du Monde a appelé
« le blues des directeurs des ressources humaines ».
Que s’est-il donc passé ? Des phénomènes de restructu-
ration, de reengineering affectent désormais la vie des
grandes entreprises et des groupes industriels. Les plans
sociaux succèdent à une gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences, et les discours très opti-
mistes laissent la place au désarroi. Bien heureusement,
ce sentiment ne durera pas et aura eu un vrai mérite : en
perdant une partie de leur légitimité, les responsables de
315
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
la fonction auront acquis quelque prudence. Une fois la voir et la gestion des conflits sont-elles des questions
croissance économique retrouvée, les objectifs de essentielles pour les gestionnaires des ressources
qualité, de délais, de maîtrise des coûts et d’innovation humaines, de même que la gestion des relations profes-
supposent la mise en œuvre de nouveaux modes sionnelles et la négociation collective. Dans un contexte
d’organisation et la revalorisation de l’implication des souvent conflictuel, la gestion des ressources humaines
hommes. On cherche à développer l’autonomie, constitue un nouveau langage de gestion (à côté de la
l’initiative et la prise de responsabilité dans une logique production, de la finance et du marketing), un langage
de compétitivité et de performance accrues par la mon- opératif qui doit faciliter le passage de l’idée - souvent
dialisation des économies. C’est alors la nature même séduisante - à la pratique professionnelle. Ainsi l’appli-
de la fonction ressources humaines qu’on interroge. cation de la loi sur les 35 heures et ses nombreux amen-
Que produit cette fonction puisqu’il s’agit d’une dements. Les techniques et les méthodes ne manquent
production immatérielle ? De la confiance ? De l’auto- pas : tableaux de bord de pilotage et indicateurs, outils
nomie ? De la coopération ? Pour quels acteurs ? Quelle de gestion de la masse salariale, méthodologies d’ana-
est sa contribution à la création de valeur ? L’objectif de lyse des qualifications et de gestion de l’emploi, métho-
cet article est d’exposer d’abord les fondements de la des d’évaluation, techniques de communication. Si
GRH en ce début de millénaire (1) pour en expliciter ses l’observation des entreprises témoigne de la lenteur de
grandes politiques et la manière dont celles-ci s’opéra- l’évolution, il est indéniable que le développement de
tionnalisent aujourd’hui (2). savoirs et de savoir-faire dans ces domaines a des réper-
cussions sur la compétitivité des firmes. En d’autres
termes, tout responsable des ressources humaines peut
participer à la performance économique et sociale de
1. Les fondements de la gestion l’entreprise. Il s’agit donc bien d’apprécier comment
des ressources humaines cette fonction peut contribuer à la création de valeur,
d’autant qu’elle doit faire face à de nouveaux problè-
La fonction ressources humaines, autrefois dénommée mes : flexibilité de l’emploi, gestion des compétences,
fonction personnel, s’est affirmée à partir des années 30 aménagement et réduction du temps de travail, système
sous la pression de plusieurs facteurs complémentaires. de rémunération des stock-options. C’est d’ailleurs bien
D’une part, la législation du travail, qui s’est dévelop- la prise en compte de ces nouveaux enjeux qui lui
pée et renforcée avec le front populaire en France, puis offrira une voie féconde de développement.
les acquis de l’après-guerre (horaires de travail, congés Les pratiques de gestion du personnel ont profondément
payés, conventions collectives, lutte contre les maladies évolué ces dernières années. La fonction personnel a
professionnelles, etc). D’autre part, les travaux en une histoire, une culture professionnelle qui lui est
sciences sociales et de gestion qui ont progressivement propre ainsi que ses propres outils. Les évolutions des
montré l’importance du facteur humain et des condi- modes de gestion du personnel s’expliquent en grande
tions psychosociologiques sur la motivation, l’implica- partie par l’évolution du contexte socio-économique
tion et la productivité au travail. Enfin, la conception dans lequel se sont trouvées les entreprises et les orga-
même de l’homme dans la société a évolué. La percep- nisations. Toute organisation développe une politique
tion purement économique et rationnelle de l’homme en de gestion des ressources humaines qui met l’accent sur
situation de travail a été supplantée par une vision plus des dimensions indispensables pour relever les défis
sociale, venue répondre à un certain nombre de reven- qu’elle s’est fixée. En ce sens, l’examen de ses
dications ouvrières. Avant de reconnaître des individus politiques d’emploi, de rémunération, de valorisation et
qui aspirent à davantage d’autonomie et de responsabi- de participation est indispensable. Depuis la loi de 1977
lité. Aujourd’hui, la gestion des ressources humaines est instaurant le bilan social, les démarches d’audit social
une fonction à part entière, avec des outils reconnus, se sont multipliées en vue de chercher à mesurer le
intégrée aux côtés de la direction générale. Elle assure à niveau de qualité de la production immatérielle de la
la fois une fonction d’intégration pour le personnel fonction ressources humaines et sa contribution au
(dialogue social, communication de la stratégie) et une développement de l’entreprise. Dernière-née des grandes
fonction de différenciation (recrutement et pilotage des fonctions d’entreprise, après la production, la finance et
carrières, rémunérations individualisées, etc). Cette le marketing, la fonction ressources humaines (RH) est
activité vise à gérer les effectifs, les qualifications et les aussi celle qui connaît depuis 1960 l’évolution la plus
compétences à court, moyen et long termes. Sa forte, avec une accélération dans les années 80 qui met-
mission : contribuer à la modernisation et au dévelop- tent l’accent sur le management des hommes.
pement de l’organisation à travers la mise en œuvre Historiquement, les diverses dénominations en vigueur
d’un processus d’implication des salariés. Ce processus dans les entreprises ont correspondu à des périodes et à
s’inscrit dans une recherche de compatibilité entre des des réalités économiques et sociales différentes. En
intérêts souvent divergents : actionnaires de l’entreprise, réalité, ce glissement terminologique et sémantique
managers et employés. Aussi la problématique du pou- correspond à quatre stades d’évolution de la fonction :
316
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
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Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
tion, d’information… Dans cette optique, les spécialistes ment des hommes tant le niveau individuel que collec-
de stratégies d’entreprises ont montré que les ressources tif, les conditions de travail que la productivité. La ges-
humaines sont très importantes car elles déterminent, tion des ressources humaines devient alors une analyse
avec les compétences techniques, la capacité d’une critique de la valeur de l’organisation.
entreprise à créer de la valeur. Les véritables sources
d’avantages concurrentiels comprennent donc les 1.3 - Le management de la compétitivité
connaissances, les compétences et les qualifications des et de l’emploi
personnes.
Ce dernier courant, marqué par une conception ouverte Des recherches actuelles explorent les possibilités de
de l’entreprise sur son environnement et prenant en compatibilité entre les impératifs de compétitivité
considération la dimension humaine au travail, redé- (capacité à soutenir durablement la concurrence) et les
couvre le fait qu’on ne peut pas gérer les hommes de politiques d’emploi des entreprises. En ce sens, Roland
manière tout à fait rationnelle : d’autres forces sont en Pérez a animé un collectif de recherche sur le manage-
jeu, d’autres tensions qui échappent aux règles et aux ment de la compétitivité et de l’emploi qui a donné lieu
procédures. En effet, il ne suffit plus pour réussir d’être à un ouvrage consacré à la question6. Ces travaux
bien géré, encore faut-il mobiliser les énergies et déve- étudient le management des entreprises à partir de leur
lopper l’implication du personnel. Alors même que stratégie et de leur mode de fonctionnement. Ils visent à
l’intitulé GRH connaît un certain succès, on lui adjoint apporter une contribution au plan des instruments de
d’autres notions telles que la culture, les valeurs, le gestion et des indicateurs de performance. Il s’agit de
projet ou la vision. La GRH se voit donc dotée d’un proposer une redéfinition de la notion de performance à
nouvel axe : le développement social et la logique de partir d’un élargissement des critères pris en compte,
projet. On y met tout aussi bien la formation au mana- comme le potentiel humain ou les compétences, et
gement, le projet d’entreprise, le développement des l’horizon temporel. Cette nouvelle approche du mana-
pratiques participatives, les méthodes d’ingénierie gement des hommes et des organisations met en ques-
concourante ou d’organisations qualifiantes et la nou- tion les modes de gouvernement des entreprises, les
velle logique de compétences dans les organisations. Le choix stratégiques, les modes d’organisation et les
thème de la transformation devient prioritaire, central, investissements socialement responsables dans une
ce qui montre à quel point la conception de l’organisa- perspective de développement durable7. Ces travaux de
tion comme système ouvert est inscrite dans les esprits. recherche s’inscrivent aussi dans une conception repen-
Au total, il semble que l’on peut retrouver actuellement sée de la gestion des ressources humaines prenant ainsi
au sein des entreprises et des organisations l’un de ces en compte les contradictions à gérer telles qu’elles ont
quatre modes de gestion en fonction du stade de déve- été discutées par Frank Bournois et Julienne Brabet
loppement de la fonction ressources humaines. En (1997). Ces chercheurs considèrent que la vision clas-
outre, on peut aussi considérer qu’il y a coexistence de sique et instrumentale de la gestion des ressources
pratiques administratives (il faut bien faire des contrats humaines ne permet pas d’intégrer les évolutions
de travail et des bulletins de salaires) à côté de tendances économique, sociologique et éthique et remet en cause
plus modernes (coaching, gestion prévisionnelle des le postulat suivant lequel il existe une convergence
compétences...), mais plus profondément parce qu’il fondamentale des intérêts, des enjeux et des finalités
existe au sein des pratiques dites modernes de véritables des différents acteurs (société, entreprise, individus)
politiques de gestion des ressources humaines qui aboutissant à l’égalité : efficacité économique = effica-
s’enchevêtrent. Les travaux récents de Dave Ulrich cité sociale8. Ils critiquent l’idée selon laquelle une
montrent bien que la gestion administrative désigne le approche rationnelle de planification et de stimulation
fonctionnement quotidien de l’entreprise et le manage- des ressources humaines peut s’appliquer de façon
ment de la logistique5. La phase de gestion des relations instrumentale à des acteurs utilitaristes en quête d’un
humaines implique des compétences plus larges, dans la développement personnel bénéficiant à l’entreprise. De
mesure où il s’agit de prendre en considération les rela- manière à intégrer les problèmes posés par la mondiali-
tions sociales, la formation à moyen terme. Cela concer-
ne, pour l’essentiel, le management de l’implication. La
phase du management stratégique des RH se caractérise 5 Voir D. Ulrich, Human Resource Champion, Cambridge, Harvard
par une logique de planification des effectifs, des Business School Publishing, 1997.
emplois ou des compétences. La phase de développe- 6 Voir R. Pérez, J. Brabet, S. Yami, Management de la compétitivité et
ment du potentiel humain vise à articuler les problèmes emploi, Paris, L’Harmattan, 2004.
humains (emploi, qualification, évolution) aux autres 7 Voir R. Pérez, « Management de crise ou crise du management ?
problèmes de l’entreprise (notamment les problèmes de L’affaire Perrier-Nestlé », 14e journées des IAE, avril, in tome 1 :
Valeur, Marché et Organisation, Nantes, 1998, pp. 557-576.
compétitivité). On est bien dans la perspective d’un 8 Voir F. Bournois., Brabet J., « Qu’est-ce que la gestion des ressour-
management de la transformation et du changement. ces humaines ? », in Encyclopédie de Gestion, deuxième édition,
Ceci conduit à considérer du point de vue du manage- Économica, 1997, pp. 2732-2752.
318
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
sation de l’économie, la financiarisation des entreprises sent de classer la diversité des principes d’actions et des
et les mutations du travail, ils suggèrent une conception pratiques professionnelles dans une vision globale
de la gestion des ressources humaines prenant en compte qu’ils dénomment respectivement personnel-mix10 ou
les contradictions, les clivages et les conflits. Cette mix-social. Le mix-social est donc une proposition
approche de la gestion des ressources humaines préco- d’architecture globale du système de gestion des
nise la négociation et l’élaboration de modes d’organi- ressources humaines qui permet d’en saisir la cohérence
sation du travail visant à faciliter l’appropriation et la et les enjeux. Cette architecture globale constitue une
production de connaissances par les acteurs. Cela grille d’analyse possible d’une politique de gestion des
revient à préconiser de laisser aux salariés la possibilité ressources humaines et s’articule autour de quatre poli-
de réaliser des ajustements souples et évolutifs permet- tiques complémentaires : la politique d’emploi, la poli-
tant de mieux gérer les conflits, les incertitudes et le tique de rémunération, la politique de valorisation et la
changement. Cette conception repose sur une certaine politique de participation. Ces quatre axes forment un
marge de manœuvre laissée aux acteurs devant ainsi mix-social, c’est-à-dire une panoplie de variables
faire preuve d’autonomie et de capacités de négocia- d’actions à considérer systématiquement pour parvenir
tion. Enfin, le modèle de la gestion des contradictions à une analyse exhaustive d’une politique de ressources
considère les outils et les instruments de gestion comme humaines11. En ce sens, cette approche de la gestion des
porteurs de problématiques implicites, ce qui leur donne ressources humaines présente l’avantage d’être globali-
un caractère provisoire et évolutif. Loïc Cadin, Francis sante (prise en compte des aspects juridiques, psycho-
Guérin et Frédérique Pigeyre s’inscrivent pleinement sociologiques, économiques, etc) et systémique (inter-
dans cette perspective et prennent l’exemple de la société dépendance des différents facteurs).
Avanson9. Cette société a une politique de mobilité des Les politiques d’emploi, de rémunération, de valorisa-
cadres affichée et prétend que celle-ci est un moyen pri- tion et de participation sont ainsi prises en considération
vilégié de dynamisation des personnes et des structures. dans leur interdépendance pour analyser les problèmes
Pour autant, l’observation des faits indique que la mobi- concrets mais complexes posés par les pratiques de ges-
lité professionnelle dans cette entreprise reste très faible tion de ressources humaines. Par exemple, le recrute-
malgré les objectifs annoncés. Que se passe-t-il ? Si ment d’un salarié concerne principalement la politique
l’on analyse en profondeur les facteurs explicatifs de la d’emploi mais affecte également la masse salariale et
progression des personnes dans la société, on observe donc la politique de rémunération. Ce recrutement peut
que c’est la connaissance approfondie des clients qui, aussi soulever des questions en matière de formation et
pour l’essentiel, explique l’ascension professionnelle doit également être effectué en tenant compte du mode
des cadres. Au total, l’absence de mobilité est bien une de management spécifique de l’entreprise. Cet exemple
cause profonde de progression professionnelle dans montre bien que le domaine des ressources humaines se
l’entreprise, ce qui est totalement contradictoire avec le prête assez bien à cette grille d’analyse, le mix-social,
discours dominant de la direction des ressources humai- qui présente comme avantage d’être multidimensionnel
nes. L’intérêt principal de cette approche critique de la et pédagogique.
gestion des ressources humaines réside dans le fait
qu’elle encourage, semble-t-il, les expérimentations 2.1 - La politique d’emploi
sociales, la mise en place de nouveaux systèmes de for- des ressources humaines
mation, de gestion du temps de travail et d’organisation
de l’activité. De plus, elle conduit à relativiser la portée La gestion de l’emploi a pour objet de procurer à
d’un savoir en matière de management des hommes, l’entreprise l’effectif, les qualifications et les compétences
comme l’indique l’exemple précédent, longtemps dont elle a besoin. Elle comporte tout d’abord la déter-
présenté comme universel. mination des besoins en personnel, qui débouche sur
des politiques de recrutement. Cette approche conduit à
une démarche prévisionnelle qui consiste à chercher à
avoir la meilleure connaissance possible du personnel
2. Les politiques de gestion employé et de ses mouvements, préalable à la mise en
des ressources humaines œuvre d’une politique du personnel. Elle permet ainsi à
l’entreprise de connaître l’état actuel et l’état probable,
La fonction ressources humaines s’est progressivement
constituée à partir d’une architecture d’ensemble qui
regroupe quatre grandes politiques en matière de
9 Voir L. Cadin., F. Guérin., F. Pigeyre, Gestion des ressources humai-
nes. Pratiques et éléments de théorie, deuxième édition, Dunod,
gestion du personnel. Plusieurs spécialistes de la 2002.
fonction ont suggéré le regroupement de ces politiques 10 Voir B. Martory B, D. Crozet, Gestion des ressources humaines.
sous l’appellation de personnel-mix ou de mix-social. Pilotage social et performance, nouvelle édition, Dunod, 2001.
Par analogie au concept de marketing-mix, Bernard 11 Voir H. Mahé de Boislandelle, Gestion des ressources humaines
Martory ou encore Henri Mahé de Boislandelle propo- dans les PME, deuxième édition, Économica, 1998.
319
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
pour un horizon proche, de ses ressources humaines. La emplois. Il est essentiel de souligner que la GPEC n’a
mise en œuvre d’une gestion prévisionnelle du person- pas pour vocation de résoudre directement le problème
nel a pour objectif de révéler les ajustements indispen- de l’emploi en France, mais elle constitue une contribu-
sables à la bonne marche de l’entreprise. Deux types tion méthodologique qui permet une meilleure maîtrise
d’actions s’offrent à elle. D’une part, les régulations de l’adéquation des besoins et des ressources. Il s’agit
internes qui reposent sur les seules forces de l’organisa- d’éviter les situations de sureffectifs liées à une insuffi-
tion et qui consistent à adapter les ressources disponi- sance de gestion et surtout de développer les compéten-
bles aux besoins prévus, par des politiques d’ajustement ces de l’entreprise dans une perspective de modernisation
de la durée du travail en cas d’écarts quantitatifs, ou par et d’amélioration de sa compétitivité. Cette approche
des politiques de formation et de réaffectation des constitue bien un axe de professionnalisme et de déve-
ressources humaines en cas d’écarts qualitatifs. Il s’agit loppement du potentiel humain de l’entreprise dans une
alors que les qualifications, les compétences et les perspective stratégique, transversale et prospective12.
niveaux hiérarchiques actuels coïncident avec les
exigences des nouvelles productions, des nouvelles Étape importante dans la gestion du personnel, le recru-
technologies. D’autre part, la politique d’emploi peut tement est une décision toujours délicate à prendre :
conduire à des régulations externes. Elles se traduisent d’une part, la législation sociale limite les possibilités
par le recrutement de nouveaux salariés ou la réduction ultérieures de séparation ; d’autre part, l’introduction
des effectifs actuels, par des licenciements, des mises à d’une ou de plusieurs personnes dans l’entreprise modi-
la retraite anticipée ou des incitations au départ volon- fie l’équilibre humain atteint par le service, l’atelier, la
taire, le plus souvent dans le cadre de plans sociaux. direction. Toute erreur peut être fortement préjudiciable
Depuis le début des années 90, une démarche appelée la au climat du travail et peut entraîner des manifestations
gestion prévisionnelle des emplois et des compétences de rejet. Enfin, les coûts d’un recrutement sont aujour-
(GPEC), fondée sur le concept d’emploi-type, s’est d’hui très élevés. Il est donc essentiel d’insister sur
fortement développée au sein des entreprises. La notion l’idée que le recrutement doit être traité dans la mesure
d’emploi-type constitue la base du répertoire français du possible au même titre qu’un investissement. Au
des emplois élaboré par le centre d’étude et de recher- fond, l’objectif majeur d’un recrutement est de trouver
che sur l’emploi et les qualifications (CEREQ) ainsi que la personne qu’il faut pour occuper un emploi vacant ou
du répertoire des métiers et des emplois (ROME) à créer. Le problème posé est d’assurer une adéquation
élaboré en 1990 par l’ANPE. Développée par le entre les besoins de l’emploi et les aptitudes individuelles
CEREQ, la GPEC est une méthodologie plus ambitieuse des candidats. Le personnel étant recruté, la mission de
dans ses objectifs que la gestion prévisionnelle du la fonction ressources humaines est de gérer les rému-
personnel. En effet, cette démarche vise à détecter au nérations en s’efforçant de maîtriser sa masse salariale.
sein de l’entreprise des emplois-types, c’est-à-dire un
ensemble de situations de travail présentant des conte- 2.2 - La politique de rémunération
nus d’activité identiques, suffisamment homogènes
pour faire l’objet d’une gestion des compétences adaptée. Les contraintes concurrentielles ont fait table rase de la
En ce sens, un emploi-type regroupe plusieurs postes conception traditionnelle de l’administration du person-
différents dans leur intitulé, les catégories de salariés, nel où l’évolution de la carrière et de la rémunération
les statuts concernés présents dans des établissements et d’un salarié était prédéterminée à long terme en fonc-
des entreprises différentes au sein d’un groupe tion du niveau d’embauche, du diplôme, de l’ancienneté.
industriel ou d’une branche professionnelle. L’intérêt L’exigence de compétitivité impose aux entreprises de
principal de cette méthodologie est la recherche d’une retirer de leur potentiel humain toutes les richesses
mobilité professionnelle et géographique ainsi que d’innovation, d’intelligence, mais aussi d’adaptation et
d’une transversalité. Cette approche repose sur la de flexibilité. On parle ainsi d’un management des
conception d’un salarié-acteur ayant une stratégie de savoirs. La gestion des rémunérations doit y contribuer
carrière et faisant preuve de rationalité, c’est-à-dire de en concevant des politiques de rémunération et des
volonté et d’intelligence pour arriver à des résultats plans de carrières ou de formation qui mettent l’accent
significatifs. La GPEC place le concept de compétence sur la motivation et l’implication du personnel. La poli-
au cœur de la démarche. En effet, les compétences sont tique de rémunération est complexe, car elle se situe au
envisagées comme un ensemble stabilisé de connais- carrefour de plusieurs intérêts et contraintes13. En
sances, de savoir-faire, de conduites-types, de procédures premier lieu, la rémunération constitue un coût pour
et de raisonnements standards que le salarié peut mobi- l’entreprise, généralement le plus important, dont le
liser dans l’action. Les emplois, les effectifs et les
compétences sont ainsi appréhendés dans une vision
prospective qui fournit un cadre général dans lequel 12 Voir l’article de P. Mirallès dans ce dossier.
s’articulent plusieurs types de décisions relatives au 13 Voir B. Sire, Gestion stratégique des rémunérations, Liaisons,
recrutement, à la formation ou à la définition des 1993.
320
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
montant et l’évolution doivent être suivis avec attention à des plan d’épargne retraite collectif (PERCO) permet-
pour des raisons de compétitivité. En second lieu, la tant de constituer un portefeuille de titres à gérer. Ces
rémunération est un instrument de motivation et plans d’épargne sont bloqués généralement pour une
d’implication du personnel. Elle est donc source de durée de cinq, de dix ans ou jusqu’à la retraite, les sala-
dynamisme et de compétitivité lorsqu’elle est gérée en riés bénéficiant d’un taux de rémunération souvent inté-
ce sens. Enfin, la rémunération est le revenu des appor- ressant. À terme, ces placements peuvent être transfor-
teurs du facteur travail. Elle représente le prix de més en actions du groupe, ce qui donne la possibilité à
l’effort fourni, et doit donc correspondre à la valeur de tout salarié d’entrer dans le capital de l’entreprise.
cet effort dans une perspective d’équité sociale. Sur ces D’autre part, une technique anglo-saxonne que l’on
conflits d’intérêts, qui s’expriment dans la lutte pour le appelle les stocks-options, ou plans sur actions, fait son
partage de la valeur ajoutée créée par l’entreprise, vien- apparition en France. Cette technique offre la possibilité
nent se greffer des contraintes d’ordre économique, aux salariés de prendre une option sur des actions de
social et juridique. Les contraintes économiques sont l’entreprise pendant plusieurs années à un cours fixe.
principalement liées à la concurrence rencontrée par En cas de hausse de la valeur de l’action, les détenteurs
l’entreprise. Les contraintes sociales concernent pour de stocks-options ont la possibilité de réaliser une plus-
l’essentiel la politique salariale qui est souvent l’objet value pouvant être substantielle. Enfin, de nombreuses
de conflits sociaux et de rapports de forces. Les entreprises proposent aussi à leurs salariés de contribuer
contraintes juridiques sont liées à la législation du à des augmentations de capital par l’actionnariat. Cette
travail, laquelle enserre la politique salariale dans un technique constitue un moyen d’associer davantage le
carcan de lois et de réglementations qui limitent la liberté personnel aux performances de l’entreprise et de ren-
de l’entreprise. Ces dernières années, la flexibilité et forcer son implication.
l’individualisation des salaires affectent les politiques
de rémunération. Ces objectifs d’entreprises tendent à 2.3 - La politique de valorisation
remettre en question les principes de détermination des des ressources humaines
salaires lesquels ont dirigé toute politique salariale.
L’individualisation des salaires marque une rupture La notion de valorisation des ressources humaines
radicale avec la période précédente. La décision du recouvre l’ensemble des actions, voulues ou acceptées
niveau de rémunération revient à l’entreprise, qui retro- par l’entreprise, se traduisant par un enrichissement de
uve ainsi une marge de liberté. Le maintien du pouvoir chaque salarié au plan du savoir, des savoir-faire, du
d’achat n’a plus de rang de principe indépassable : il confort matériel au travail, du statut ou de la reconnais-
n’est plus question d’augmenter tous les salaires au sance sociale. Elle constitue le troisième axe du mix-
même rythme que les prix. L’individualisation des salai- social, même si son poids reste inégal dans les organi-
res vise, au contraire, à augmenter les rémunérations sations. En effet, la perception de son importance est
des seuls salariés qui ont fait preuve d’un investisse- très disparate. La valorisation recouvre principalement
ment personnel ; les révisions collectives de salaires ont la politique de formation de l’entreprise, l’évaluation du
laissé place aux augmentations personnalisées. En personnel et l’amélioration des conditions de travail.
outre, les formules d’intéressement aux résultats de La formation représente, a priori, le principal facteur de
l’entreprise ou de participation à ces mêmes résultats se valorisation des ressources humaines. Considérée avec
développent. Le fait d’associer le niveau de la rémuné- beaucoup d’intérêt par certains dirigeants qui la traite
ration aux performances d’un salarié et aux résultats de comme un investissement indispensable, elle peut être
l’entreprise présente un double avantage pour la firme, parfois négligée par certains qui ne voient en elle qu’un
puisqu’il permet à la fois de motiver le personnel et de coût et un supplément de charges. Néanmoins, aucun
lier les coûts salariaux à la santé financière de l’entre- dirigeant d’entreprise, aucun responsable économique
prise. En période de difficultés, il est ainsi possible de et social ne refuse l’idée que la formation des hommes
diminuer les charges salariales et de contribuer au et leur adaptation aux nouvelles technologies sont deve-
redressement de la compétitivité de la firme. Les avan- nues des nécessités de survie pour les entreprises
tages sociaux liés à l’emploi ou au salarié peuvent être confrontées à une révolution technologique, scienti-
multiples. fique, sociale, et à une compétition internationale. La
L’émergence et le développement de nouvelles formes formation apparaît donc dès les années 80 comme une
de rétribution des salariés caractérisent le fait que les nécessité pour plusieurs raisons. En premier lieu, la for-
politiques de rémunération des entreprises se sont com- mation est indissociable de toute stratégie d’entreprise.
plexifiées ces dernières années. Cette complexité est Il n’est pas concevable de mettre sur pied une stratégie
liée en France au développement de ce que l’on appelle d’entreprise sans avoir prévu une formation du person-
les périphériques de rémunération. Ils peuvent prendre, nel aux nouvelles technologies, responsabilités ou
pour l’essentiel, trois formes. D’une part, les groupes missions qu’il devra utiliser ou exploiter. En second
industriels proposent aux salariés la possibilité de sous- lieu, la formation constitue un élément du dialogue
crire à des plans d’épargne entreprise (PEE) ou encore social. Elle permet de rendre compatible les projets
321
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
personnels d’évolution professionnelle aux impératifs d’évaluation n’a de sens que s’il existe des plans de
de la compétitivité. En outre, la politique de formation carrières et des politiques de promotion, de formation et
permet à l’entreprise de se préparer aux mutations de rémunération adaptées. On retrouve bien ici le carac-
technologiques tout en évitant les chocs sociaux que tère systémique de la fonction RH. Au total, l’évalua-
sont les licenciements collectifs. Enfin, elle constitue un tion du personnel peut également favoriser l’expression
complément indispensable à la formation initiale reçue individuelle des salariés et servir d’éléments de com-
au cours de la scolarité. En effet, l’évolution des tech- munication au sein de l’entreprise. Cette démarche est
niques et des connaissances ne s’arrête pas au moment centrée sur les actes et les comportements productifs
précis de l’arrivée sur le marché du travail d’un des salariés et peut permettre d’ajuster des rémunéra-
employé. Il est donc important de réactualiser réguliè- tions en fonction des résultats obtenus. D’une manière
rement le savoir du personnel d’une entreprise. « Il générale, on trouve dans toute grille d’évaluation les
n’est de richesses que d’hommes », écrivait Jean Bodin éléments suivants : la situation présente dans le poste
au XVIe siècle. Le contexte économique du troisième occupé (efficacité, connaissance du travail, méthodes de
millénaire lui donne raison, rendant au facteur travail travail et personnalité), le potentiel individuel probable
une importance que la révolution industrielle avait pu (les capacités et les aptitudes sous-utilisées et à déve-
faire oublier. Les cerveaux ont remplacé les bras, et lopper), les améliorations à envisager sur le poste actuel
c’est par les qualités proprement humaines de leur (les progrès à réaliser par l’intéressé avec l’aide de
personnel (maîtrise des nouvelles connaissances, adap- l’entreprise) ainsi que le changement auquel le salarié
tabilité aux technologies en perpétuelle mutation) que devra être préparé pour l’accession à de nouvelles
les entreprises modernes se différencieront. C’est la fonctions mieux adaptées à ses possibilités.
raison pour laquelle certaines entreprises conçoivent la
formation professionnelle continue comme une forma- La politique de valorisation des ressources humaines
tion-investissement, véritable variable stratégique insé- dans l’entreprise recouvre également l’analyse et l’amé-
rée dans le management général de l’entreprise. La lioration des conditions de travail au sens large. Cela
formation est alors élevée au rang de fonction à part concerne d’abord l’aménagement et la réduction du
entière dans l’entreprise. Elle n’est plus confinée à la temps de travail dans l’entreprise14. Le temps de travail
seule résolution des problèmes d’emploi ; elle n’est plus constitue un axe essentiel de la gestion des ressources
engagée pour résoudre seulement les problèmes de humaines. On peut l’appréhender de façon annuelle
chômage. La formation professionnelle est perçue par notamment car il sert de base de calcul à l’établissement
l’entreprise comme un investissement enrichissant son de congés de diverses natures auxquels peut prétendre
potentiel humain et est intégrée, à ce titre, dans sa un salarié : congés payés, jours fériés, etc. Enfin, les
stratégie, au même niveau que la conquête d’un marché, améliorations en matière d’amélioration des conditions
le renouveau d’un produit, l’investissement dans la de travail se développent essentiellement à partir
recherche et le développement. d’approches ergonomiques. L’ergonomie peut être
sommairement définie comme l’étude pluridisciplinaire
L’évaluation du personnel s’inscrit dans la gestion des du travail humain visant à garantir la santé physique et
carrières au sein d’une entreprise. En France, un salarié mentale des salariés, la réduction de la fatigue profes-
recruté en contrat à durée indéterminée entre générale- sionnelle ainsi que celle des problèmes liés à l’inadap-
ment dans l’entreprise pour une durée relativement lon- tation industrielle. Il existe de nombreuses grilles
gue. En effet, les études sur les pyramides d’ancienneté d’analyse qui portent, pour l’essentiel, sur les charges
révèlent une stabilité remarquable des salariés français, physiques et mentales au travail. Par ailleurs, ces
ce qui pose parfois des problèmes d’inertie liée au actions de valorisation visent directement l’améliora-
manque de mobilité. Face à cette absence de mobilité tion de la sécurité des salariés notamment par la recher-
des salariés, les services du personnel ont dû mettre en che de la réduction des accidents du travail. Ces actions
place une véritable gestion des carrières au sein des de lutte pour la sécurité au travail impliquent des
entreprises ; une carrière étant une succession d’affecta- investissements en matière de formation ainsi qu’en
tions à des postes de travail différents qu’il s’agit de équipement et en matériel. La finalité de ces actions
gérer de façon cohérente au sein des structures d’entre- d’amélioration des conditions de travail s’inscrit dans
prises. En ce sens, toute gestion des carrières résulte une perspective de gestion des risques humains et
d’un compromis permanent entre les besoins de l’entre- économiques. De tels enjeux justifient pleinement cette
prise et les souhaits exprimés par les salariés. La gestion préoccupation.
des carrières est ainsi un acte de gestion prévisionnelle
car il s’agit d’anticiper, de préparer et de suivre l’évolu-
tion de chaque salarié dans l’entreprise. C’est dans cette
problématique que se situent les systèmes d’évaluation
censés orienter la gestion prévisionnelle de l’emploi.
Enfin, il est important de souligner qu’un système 14 Voir l’article de F. Noguera dans ce dossier.
322
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
geants et le personnel. Dans un sens plus restreint, la La participation organisationnelle renvoie à des situa-
participation implique la recherche de comportements tions de gestion où les salariés en tant qu’acteurs de
plus coopératifs et une certaine implication des salariés. l’entreprise ont la possibilité d’influencer le fonctionne-
Quelle qu’en soit l’étendue effective, la politique de ment de l’organisation. La question de la participation
participation représente la forme la plus ambitieuse de organisationnelle repose fondamentalement sur trois
mise en valeur des personnes dans une organisation. principes complémentaires. En premier lieu, on peut
Elle dépasse les aspects psychosociologiques et concerne identifier un principe productiviste qui est un héritage
les processus d’implication dans le travail et d’intégra- de l’école des relations humaines. Ce principe repose
tion dans l’entreprise à travers des modes d’organisa- sur l’idée que l’information et la consultation des sala-
tion innovants et des outils de gestion décentralisés riés, visant à accroître leur influence sur les décisions,
visant une plus grande autonomie. contribuent à l’amélioration de la productivité. La prise
en considération des idées et des points de vue des sala-
! La participation financière riés est donc envisagée comme un moyen efficient
À la fin de la seconde guerre mondiale, le général De d’amélioration de la performance de l’entreprise. En
Gaulle plaide pour l’association du capital et du travail, deuxième lieu, on peut identifier le principe de la satis-
notamment dans le cadre du discours de Bayeux pro- faction : les théories de Frederick Herzberg ou de
noncé en 1946. Dans cette perspective, de nombreuses Douglas Mc Gregor l’ont montré, la recherche de la
propositions de lois sont déposées au Parlement et satisfaction au travail est un facteur de motivation et
certaines initiatives sont prises dans les entreprises en d’implication dans l’entreprise15. Ce principe implique
vue de développer les systèmes d’intéressement des le développement de l’autonomie et de la responsabilité
salariés. La participation financière est une spécificité au sein des équipes de travail. Le principe irénique
française. Elle correspond essentiellement aux ordon- constitue le troisième principe d’action. Il s’agit de
nances gaullistes consacrées à l’intéressement, créé en chercher par la participation organisationnelle à dimi-
1959, et à la participation financière, créée en 1967. nuer les tensions et les conflits latents dans une per-
L’intéressement est facultatif et peut être mis en place spective de paix sociale. Ce principe vise à réduire les
par accord d’entreprise pour un minimum de trois ans. énergies conflictuelles par l’expression directe des sala-
Salariés et employeurs fixent les indicateurs sur les- riés et l’amélioration des conditions de travail.
quels vont se calculer les versements. Ces indicateurs Cependant, force est de reconnaître qu’il faut que cha-
peuvent correspondre à des résultats comptables, à des cun puisse avoir la possibilité de critiquer les moyens de
performances collectives en termes d’augmentation du fonctionnement proposés pour qu’il y ait une participa-
chiffre d’affaires ou à l’amélioration de la productivité tion effective. Enfin, il convient de souligner que toute
et de la qualité. Les versements sont effectués au moins situation de travail est une relation d’échange en termes
une fois par an sous forme de primes et ne sont pas de contribution/rétribution et que la participation ne
assujettis aux cotisations sociales. Leur total ne doit pas peut échapper à cet échange. Dans ce cadre, la politique
dépasser un certain pourcentage de la masse salariale de participation des salariés doit contribuer à l’amélio-
brute. Dans certains cas, les sommes peuvent être ration de l’échange, notamment en termes de pouvoir
placées sur un plan d’épargne entreprise et sont alors d’achat et d’évolution de carrière.
exemptes de fiscalité. La participation financière est
obligatoire pour les entreprises de cinquante salariés et ! Le management de l’implication
plus. L’accord d’entreprise qui en fixe les règles doit Depuis plusieurs années, la problématique de l’implica-
respecter un cadre légal contraignant. Le versement ne tion intéresse particulièrement les praticiens mais aussi
peut avoir lieu que si le bénéfice est supérieur à 5 % des
capitaux propres. Les sommes versées au titre de la
participation sont en général indisponibles pendant cinq 15 Voir M. Thévenet, Le plaisir de travailler. Favoriser l’implication
ans, placées sur un compte spécial et converties soit en des personnes dans l’entreprise, Les Éditions d’Organisation, 2000.
323
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
les chercheurs en psychologie sociale16 et en gestion des analyse de la littérature sur le sujet quatre grands items
ressources humaines17. La centralité de la valeur travail pour repérer l’implication20. En premier lieu, il suggère
dans notre société, le temps et les énergies humaines de chercher à appréhender « les intérêts de vie », c’est-
consacrés au travail mais aussi le fait qu’il reste l’un des à-dire le niveau de considération accordée par une per-
principaux lieux d’investissement des personnes expli- sonne à son travail du point de vue de son importance
quent l’intérêt croissant portée à la thématique de par rapport à la famille, à son niveau global de satisfac-
l’implication des personnes dans les organisations. De tion, à ses réalisations et à ce que son statut représente
manière générale, les chercheurs définissent l’implica- dans la société. En deuxième lieu, il convient d’analyse
tion (traduction française du concept anglo-saxon com- « l’importance de la performance pour l’évaluation de
mitment) comme la relation entre une personne et son soi ». Il s’agit de chercher à mesurer la manière dont
organisation. Les travaux issus de la recherche en scien- une personne évalue l’importance de ses performances
ces sociales indiquent qu’il existe de très nombreuses perçues par rapport à son niveau de satisfaction globale
acceptions données au concept d’implication. En et, plus généralement, à son bien-être. En troisième lieu,
France, Maurice Thévenet est probablement aujourd’hui Louche suggère d’intégrer dans l’analyse « la consis-
l’un des chercheurs les plus productifs sur le domaine. tance avec le soi ». Cela revient à s’interroger sur la
Il analyse l’implication sous l’angle du management cohérence entre le potentiel de l’individu et ses réalisa-
des organisations et prend en compte dans ses travaux tions concrètes ainsi que sa capacité à développer au
la personne « dans son individualité et sa liberté » ainsi mieux ses capacités dans le cadre de son travail. Enfin,
que l’entreprise avec sa culture. L’auteur insiste sur il convient d’appréhender « la participation active » à la
l’idée que l’implication peut donner aux personnes le prise de décision tant sur le plan du contenu du travail
sentiment de réaliser quelque chose tout en se réalisant de la personne que sur les décisions prises par le supé-
individuellement. L’implication renvoie donc à la réali- rieur hiérarchique de celle-ci la concernant directement
sation de soi, à l’estime de soi et à la fierté. Dans le ou indirectement. Au total, C. Louche montre que la
cadre d’un essai de synthèse, Henri Mahé de recherche en psychologie sociale s’intéresse davantage
Boislandelle distingue deux grands courants de recher- à des variables personnelles (estime de soi, éthique)
che sur l’implication en situation de travail18. D’une qu’à des variables situationnelles telles que la participa-
part, l’implication organisationnelle qui constitue la tion active ainsi que le contenu et l’intérêt du travail.
traduction concrète du niveau d’adhésion d’un salarié à Sur le plan du management, Thévenet insiste sur la
son organisation. Celle-ci caractérise « la disposition nécessité d’une adéquation entre les objectifs et les
d’un individu par rapport à son organisation et peut valeurs de l’organisation et de la personne21. Dans cette
donc orienter ses comportements à son égard ». optique, la personne va adhérer aux valeurs et au projet
L’implication organisationnelle peut être appréhendée à de l’organisation ce qui peut se traduire par son inves-
partir de trois grandes dimensions identifiées dans des tissement dans le travail traduisant ainsi une volonté
travaux de recherche : la dimension affective (l’attache- d’agir. Enfin, l’implication peut inclure aussi un atta-
ment de la personne à son organisation), la dimension chement affectif (l’amour de son organisation) qui
calculée (qui fait référence au calcul rationnel d’un sala- conduit à une loyauté professionnelle source de fidéli-
rié anticipant les coûts éventuels de son départ de sation de la personne à moyen et long terme. Dans sa
l’organisation) et la dimension normative (qui désigne théorie de l’implication, M. Thévenet identifie cinq
les obligations ressenties par une personne vis-à-vis de grandes causes de l’implication des personnes en
son organisation). D’autre part, l’implication au travail situation professionnelle : l’environnement du travail
qui exprime le degré d’identification d’une personne à (relations interpersonnelles dans l’équipe, relations
son travail, en particulier « l’importance que revêt le avec l’encadrement, lieu géographique d’exercice du
travail dans l’opinion globale que l’individu se fait de travail), les produits de l’organisation (activité de
lui-même ».
En management des ressources humaines, Dave
Ulrich19 analyse les transformations de rôle récentes des 16 Voir C. Louche, Psychologie sociale des organisations, Armand
Directeurs des Ressources Humaines (DRH). Dans Colin, 2001.
cette optique, il montre clairement une nouvelle 17 Voir M. Thévenet, J.P. Neveu (éd.), L’implication au travail,
orientation prise ces dernières années par les DRH : le Vuibert, 2002. Voir aussi M. Thévenet, Le plaisir de travailler, op.
management de l’implication des personnes et le mana- cit. et C. Fabre, Les conséquences humaines des restructurations.
Audit de l’implication des rescapés après un plan social,
gement de la transformation par la nécessité de piloter L’Harmattan, 1997.
des projets organisationnels devenus plus complexes 18 Voir H. Mahé de Boislandelle, Dictionnaire de Gestion.
dans le contexte de la globalisation des activités. Vocabulaire, Concepts et outils, Économica, 1998.
Finalement, le concept d’implication est multidimen- 19 Voir D. Ulrich, Human Resource Champion, Cambridge, Harvard
sionnel et peut être discuté sous différents angles. Business School Publishing, op. cit..
À travers son analyse des composantes de l’implication 20 Voir C. Louche, Psychologie sociale des organisations, op. cit.
organisationnelle, C. Louche identifie dans une méta- 21 Voir M. Thévenet, Le plaisir de travailler, op. cit.
324
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
l’entreprise, portefeuille de produits), l’entreprise ou conditions de travail, les rémunérations et lutter contre
l’organisation au sens large (politique générale, culture les politiques de licenciements économiques.
et projet, valeurs dominantes), le métier (attachement à Finalement, malgré la diversité des approches de
sa profession, sentiment d’appartenance à un milieu l’implication et la complexité du concept, la distinction
professionnel) et la valeur travail (centralité du travail, entre implication au travail et implication organisation-
respect du travail, éthique personnelle par rapport à nelle est peut-être la plus opérationnelle pour le mana-
l’activité). En résumé, l’implication en situation de tra- gement des ressources humaines.
vail représente la manière dont une personne place son
travail compte tenu de ses autres centres intérêts de vie,
s’identifie au travail, s’engage psychologiquement et
physiquement, appréhende son niveau de performance Conclusion
comme essentielle pour s’auto évaluer et participe
intensément aux relations et aux réalisations dans les
situations de travail. Peut-on tendre vers un management de l’implication ?
Dans son ouvrage consacré aux restructurations indus- Peut-on manager l’implication des personnes au tra-
trielles et à leurs effets sur le comportement des salariés vail ? Les recherches en GRH apportent des éclairages
restants, C. Fabre reprend la méta-analyse de Morrow22 sans doute provisoires à ces questions qui se posent sur
élaborée en 1983 sur les cinq types d’implication obser- le plan théorique et au niveau opérationnel. La thèse de
vée. En première analyse, l’implication dans les valeurs M. Thévenet consiste à dire que c’est « un rêve que de
au travail dont les fondements sont à puiser dans la pouvoir créer l’implication ». En ce sens, il développe
célèbre analyse de M. Weber consacrée à l’éthique l’idée qu’il est impossible d’impliquer des personnes.
protestante et à l’esprit du capitalisme. Dans une telle Finalement, l’implication est une décision personnelle,
perspective théorique, la performance au travail démon- même si les recherchent indiquent que les organisations
tre la valeur personnelle des personnes. En deuxième peuvent s’efforcer de réunir les conditions favorables à
analyse, l’implication dans l’emploi occupé désigne l’implication des personnes. Celle-ci aura alors des
l’attachement d’une personne à son poste de travail ou effets sur la performance organisationnelle. Néanmoins,
à son emploi au sein d’une organisation. Il se manifeste ce point fait l’objet de discussions, voire de controverses,
à la fois par une volonté de valorisation des activités de chez les chercheurs. Pour autant, quels sont les effets
travail réalisées dans l’emploi et par un fort sentiment tangibles de l’implication des salariés ? Dans l’ouvrage
d’appartenance à une profession. En troisième analyse, consacré au « plaisir de travailler », Thévenet (2000)
l’implication dans la carrière que l’on peut rapprocher suggère aux organisations et aux directions des ressour-
de la théorie de la motivation par la réalisation ces humaines de mobiliser trois grandes conditions pour
d’objectifs de D. Mc Clelland23. Suivant cette logique favoriser l’implication des salariés. En premier lieu, la
d’action, la personne a besoin de mesurer une progres- cohérence de la politique générale de l’entreprise et de
sion personnelle dans l’organisation par la progression son projet organisationnel avec les actions stratégiques
dans sa carrière ainsi que, finalement, un retour sur et opérationnelles mises en œuvre. En deuxième lieu, la
investissement. L’activité professionnelle est alors envi- réciprocité, c’est-à-dire l’échange social qui s’opère
sagée comme un moyen privilégié de développement entre l’entreprise et ses salariés. En d’autres termes, les
personnel et d’accomplissement de soi. En quatrième salariés doivent avoir un sentiment d’équité résultant de
analyse, l’implication dans l’organisation qui est proba- leur contribution, à savoir de leurs efforts, confronté
blement la forme d’implication la plus large. Elle dési- aux rétributions (rémunérations, reconnaissance sociale,
gne le degré d’adhésion aux valeurs, aux objectifs et au statut et qualification) qu’ils perçoivent en échange.
projet de l’organisation, compte tenu de sa culture, et se Enfin, la troisième condition est constituée par l’appro-
concrétise par une prédisposition personnelle à démul- priation qui désigne le niveau de reconnaissance de soi
tiplier des efforts pour contribuer à la performance des salariés dans les valeurs et les objectifs de leur orga-
organisationnelle. Enfin, on peut souligner, en dernière nisation. Ces dernières années, le développement des
analyse, l’existence d’une implication dans le syndicat. politiques de ressources humaines visant l’essor d’une
En tant qu’institution représentative du personnel qui épargne salariale va dans le sens d’une plus grande
vise la défense de ses intérêts, le syndicat peut être appropriation et d’un sentiment d’appartenance accru.
perçu par une personne comme un moyen tangible En résumé, c’est probablement par le développement de
d’agir dans l’organisation pour préserver l’emploi, les la cohérence, de la réciprocité et de l’appropriation que
les organisations susciteront davantage d’implication
dans les années à venir. Cependant, la théorie de
22 Voir Morrow P.C., “Concept Redundancy in Organization l’engagement actuellement émergente semble
Research : The Case of Work Commitment”, Academy of
Management Review, Vol. 8, n° 3, 1983, pp. 486-500. constituer une alternative potentiellement intéressante à
23 Voir J.M. Plane, Management des organisations, Dunod, coll. l’implication des personnes.
Gestion Sup., 2003.
325
Audit social et Gestion des Ressources Humaines dans les organisations : pour une implication raisonnable des hommes au travail
Jean-Michel PLANE
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326
Considérations inactuelles sur le concept de « responsabilité »
Baptiste RAPPIN
Considérations Introduction
« responsabilité »
cette communication portant sur la responsabilité sociale.
La responsabilité sociale traduit un engagement de
l’entreprise qui s’accomplit au-delà de ses obligations
légales et économiques : elle honore des obligations à
l’égard des parties prenantes et répond aux demandes
sociales émises par l’environnement (Allouche, Huault
et Schmidt, 2004).
Baptiste Rappin Des efforts ont été fournis afin de rattacher la responsa-
Allocataire, Moniteur bilité sociale à des paradigmes théoriques : courant
Université de Nice-Sophia Antipolis éthico-religieux (aux Etats-Unis), courant écologique,
Groupe de recherche Droit Économie et Gestion courant libertarien, courant régulationniste, sont tour à
UNSA/GREDEG tour convoqués pour rendre compte de la RSE. Par
ailleurs, des études comparatives s’attachent à mettre en
[email protected]
évidence les différences culturelles à l’origine de dispa-
rités dans la conception et l’application de la RSE.
Toutefois, la plupart de ces comparaisons s’exercent
entre pays occidentaux (Maignan et Ralston, 2002 ;
Maignan et Ferrell, 2003), ou alors, quand elles font le
pari d’intégrer un pays « non-occidental » dans l’analyse
(Quazi et O’Brien, 2000), oublient de mentionner
« l’occidentalisation du monde » (Latouche, 1989).
À partir d’une démarche philosophique voulant mettre
en évidence les fondements du concept de « responsabi-
lité », nous souhaitons aborder un ensemble de problé-
matiques liées à la pratique de la responsabilité sociale :
Existe-t-il réellement une dimension collective de la
responsabilité de telle manière que l’expression
« responsabilité sociale » soit justifiée ? Cette pratique
est-elle purement occidentale ? N’est-elle pas plutôt
universelle et porteuse du projet de « paix perpétuelle »
que Kant (1991a) appelait déjà de ses vœux il y a plus
de deux siècles ? Quelles sont les différentes attitudes
que l’on peut adopter vis-à-vis de cette revendication
d’universalisme ?
327
Considérations inactuelles sur le concept de « responsabilité »
Baptiste RAPPIN
328
Considérations inactuelles sur le concept de « responsabilité »
Baptiste RAPPIN
mise en évidence des causes si ce n’est à l’établissement - par la manière selon laquelle à chaque fois l’homme
d’une responsabilité ? prend la « mesure » et le donne pour la vérité de
« l’étant » (Heidegger, 1971b, p. 111).
329
Considérations inactuelles sur le concept de « responsabilité »
Baptiste RAPPIN
ce n’est qu’à partir de ce moment précis qu’ont pu appa- L’homme réellement responsable est celui qui parvient
raître des catégories ontologiques telles que celles de à rendre sa subjectivité autonome grâce à l’usage
liberté, de volonté, de futur, de projet. Et c’est bel et raisonnable et rationnel de son entendement. La respon-
bien la problématique de la création du nouveau qui est sabilité existe car elle est le fruit d’une volonté qui
ici en jeu : une subjectivité qui parvient à s’assigner ses raisonne.
propres fins devient un organe du futur (on sent ici le
lien entre l’émergence de la liberté de la volonté et les B- La dimension collective de la responsabilité
théories progressistes de l’histoire), confondu avec le Le thème de la responsabilité sociale invite à interroger
pouvoir de commencer quelque chose de nouveau : « Le la dimension collective de la responsabilité. Tirons donc
liberium arbitrium opte pour des choses également les conséquences de la mise en évidence des fonde-
possibles et qui nous sont données, si l’on veut, in statu ments philosophiques à laquelle nous avons procédé
nascendi sous forme de potentialités, alors que le pou- plus haut. Nous observons alors que la responsabilité
voir de commencer à zéro ne pourrait être guère précé- sociale appartient au paradigme utilitariste (Caillé,
der d’un potentiel, qui ferait alors figure de cause de 1989).
l’acte accompli » (Arendt, 1983, tome 2, p. 44). Comme Que doit-on retenir plus particulièrement du courant
le résume Heidegger (1971b, p.119) : « Pour le fonde- utilitariste ? Deux points essentiels : le premier tient à la
ment de la métaphysique des Temps Modernes, la méta- définition de l’utilité. Celle-ci, devant mener initiale-
physique de Descartes est le début décisif. Ce fut là sa ment au bonheur, a été par la suite assimilé à lui. Ces
tâche que de donner son fondement métaphysique à la notions sont devenues inséparables et même interchan-
libération de l’homme pour la nouvelle liberté en tant geables : le principe d’utilité tient lieu de principe de
que son autonome législation, sûre d’elle même ». bonheur. L’utilité d’une action correspond à ses consé-
L’homme se donne sa propre législation grâce à une quences sur la « quantité » de bonheur d’un individu ou
capacité de décision désormais libérée. Mais la volonté d’une collectivité. Par ailleurs, il faut signaler que le
ainsi présentée n’est possible que si elle se repose sur un bonheur n’est rien d’autre que le sentiment de bonheur,
fondement, un support : la subjectivité. c’est-à-dire qu’il est renvoyé à une évaluation totale-
ment subjective, celle du plaisir et la peine procurés.
La subjectivité moderne apparaît comme le pilier de la Les utilitaristes ont donc inventé une équation terrible :
responsabilité moderne : elle apparaît comme l’origine utilité = bonheur = plaisir, qui ne prend son sens que si
de toutes nos actions, par l’intermédiaire de la faculté l’on pose deux hypothèses : les individus cherchent à
de volonté. Si je veux agir de la sorte et que je le fais maximiser leur jouissance et à minimiser leur souffran-
effectivement, alors je suis responsable de mon action ce ; ils peuvent calculer la quantité de plaisir et de peine
et de ses conséquences. La responsabilité occidentale issue d’un acte. Ce qui nous amène au second point à
repose donc sur des postulats forts : celui de l’existence retenir : le conséquentialisme de l’utilitarisme. En effet,
de causes, celui de l’existence d’une subjectivité libre et « l’utilitarisme de l’acte est la vue selon laquelle la jus-
autonome (condition requise, par exemple, lors de la tesse ou la fausseté doit être jugée à la lumière des
signature d’un contrat). Cette responsabilité est donc conséquences, bonnes ou mauvaises, de l’acte lui-
empreinte d’individualisme et d’anthropocentrisme : même » (Smart et Williams, 1994, p. 14). Cette prise en
ce n’est que par décision que l’homme, considéré en compte exclusive de la conséquence pour juger de la
lui-même comme un tout, décide de prêter attention aux valeur d’un acte explique que l’utilitarisme fasse de
autres (responsabilité sociale) et à la nature (responsa- l’individu un calculateur.
bilité environnementale).
L’omniprésence du paradigme utilitariste montre bien
Ces fondements civilisationnels trouvent une synthèse combien il est difficile d’approcher le caractère collec-
dans la philosophie des Lumières qui combine rationa- tif de la responsabilité, et que le passage de la respon-
lisme et subjectivisme dans le concept de responsabilité. sabilité individuelle à la responsabilité sociale n’est pas
Précisons. Les Lumières ont fait du rationalisme le aussi évident qu’il n’y paraît. La responsabilité collecti-
pilier de leur vision du monde et de l’homme. Ainsi ve peut-elle se résumer à une juxtaposition d’intérêts
Kant (1991b, p. 43), en 1784, a-t-il pu écrire : « Les individuels ? Elle prendrait alors le risque de se définir
Lumières se définissent comme la sortie de l’homme au gré de l’évolution des désirs de chaque subjectivité
hors de l’état de minorité, où il se maintient par sa qui tente de maximiser son utilité. Pire encore, elle
propre faute. La minorité est l’incapacité de se servir de prendrait le risque de renoncer à elle-même dans le cas
son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est où les responsabilités individuelles seraient trop contra-
due à notre propre faute quand elle résulte non pas d’un dictoires pour former un consensus. Nous ressentons là
manque d’entendement, mais d’un manque de résolu- toute l’ambiguïté de la responsabilité moderne : alors
tion et de courage pour s’en servir sans être dirigé par même qu’elle se construit sur une subjectivité libérée de
un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton toute transcendance (Dieu, nature, autres), elle cherche
propre entendement ! Voilà la devise des Lumières ». précisément à retrouver un accord l’harmonie perdue
330
Considérations inactuelles sur le concept de « responsabilité »
Baptiste RAPPIN
avec l’Autre (responsabilité sociale) et la nature nomie et d’intention. L’acte juste dans le cadre de la
(responsabilité environnementale). pensée chinoise sera celui qui, ayant perçu le processus
du monde, s’ajustera à lui. La responsabilité (si l’on
peut encore s’exprimer ainsi) consiste à ne pas déranger
le processus cosmique et aller à l’encontre du cours des
3. Postures théoriques choses.
A- L’hétérotopie
L’hétérotopie manifeste la volonté du penseur de se Achevons notre regard d’« exote » par les sociétés dites
transporter en un « lieu différent » afin de mieux saisir, « primitives ». Les anthropologues et ethnologues qui
par un jeu de contraste, les enjeux de son « propre lieu » étudient ces sociétés traditionnelles nous rapportent
(ce que l’on pourrait appeler « homotopie » ?). Ainsi, la l’absence de tout type d’anthropomorphisme ; au
pensée chinoise et la culture primitive révélée par contraire, ces sociétés vivent dans l’intime conviction
l’anthropologie nous permettent de comprendre plus de « l’homogénéité essentielle de tous les êtres » :
justement les conditions de pensée requises à l’élabora- « Il n’est guère probable que des primitifs aient jamais
tion du concept de « responsabilité ». donné une forme tant soit peu définie à la représenta-
tion, plus ou moins implicite, qu’ils peuvent avoir de
La confrontation de la rationalité occidentale à la pen- leur propre individualité » (Lévy-Bruhl, 1927, p. 8). Le
sée chinoise révèle des divergences radicales dans le « primitif » voit bien ce qui le sépare d’une pierre ou
développement de ces deux civilisations et la difficulté d’un animal : mais cette différence cède le pas à l’unité
d’universaliser le concept de responsabilité. des êtres, tous composés de la même « âme », mana,
La philologie et la linguistique nous offrent une entrée imunu, hau…
en matière toute faite : alors que le développement de la Ainsi, tout comme dans la pensée chinoise, le naturalis-
rationalité occidentale s’appuie sur l’existence du verbe me des sociétés traditionnelles interdit toute distinction
« être » et sur la fusion de ses différents sens en un seul entre être et devoir-être, d’où l’impossibilité du ques-
terme, il paraît logique qu’une civilisation qui ne tionnement moral et le non-sens de la question de la
connaît pas le verbe « être », comme c’est le cas en responsabilité. L’homme ne s’interroge pas à propos de
Chine, développe un système de pensée tout autre. Que son action sur la nature, puisqu’il est lui-même nature.
ce soit à travers l’analyse de l’art, de la littérature ou C’est seulement l’harmonie avec les lois « magiques »
encore de la stratégie, nul autre que François Jullien de la nature qui peut servir de critère de jugement.
n’ a su mettre aussi bien en évidence les trajectoires si
divergentes de l’Occident et de la Chine : « Dans les B- Face à la responsabilité sociale
sciences comme en histoire, l’idéalisme aura été le Cette mise en perspective théorique a pour corollaire
moteur et l’honneur de notre civilisation (qui apporta au l’interrogation sur la pratique, et on peut penser plus
monde toutes ces idées neuves appelées maîtrise de la particulièrement à la démarche de l’audit social qui
nature, droits de l’homme, sujet, autonomie, volon- place en son cœur la notion de responsabilité. Nous
té…). En régime d’immanence, en revanche, le sujet nous rendons compte par là-même que les pratiques
n’a pas les coudées aussi franches. Il n’arraisonne pas gestionnaires ne sont jamais neutres, mais toujours por-
d’en haut une nature ni une société perçues sub spacie teuses d’un projet voire d’une vision du monde. Ainsi
geometrico comme un parc à la française ; sans consi- retrouvons-nous ici le débat qui parcourt toute l’histoire
dération pour la stérile ligne droite, il se faufile dans la de la philosophie (sur les plans ontologique, épistémo-
diversité par des chemins obliques, comme on parcourt logique, esthétique, éthique, politique…) avec, d’un
les sinuosités concertées du jardin qui change à chaque côté, les partisans de l’universalisme, et de l’autre, les
tournant, et au gré des saisons » (Bougnoux, dans : défenseurs du nominalisme. Précisons.
Chartier et Marchaisse, 2005, p. 18). François Jullien
(2004, p.87) montre que la Chine ne possède pas les Les partisans de l’universalisme pensent que les
trois traits fondamentaux qui ont permis à l’Occident de concepts hérités de la Grèce classique et revisités par le
construire la rationalité : l’instauration d’une norme du siècle des Lumières ont une portée universelle, autant
Vrai, la coupure entre le sensible et l’intelligible, l’ana- dans le temps que dans l’espace. C’est au nom du
lyse psychologique des facultés de l’âme. « Bien » qu’ils agissent et se posent en sauveurs voire
La pensée chinoise conçoit le réel en terme de proces- en messies en inculquant aux autres civilisations les
sus, processus inlassablement en cours à partir de l’in- concepts et pratiques clés qui leur permettraient de
teraction continue de deux instances, le Yin et le Yang. « sortir de la minorité » pour reprendre l’expression
Tout va par pair dès l’origine, d’où l’impossibilité de kantienne. La raison, la subjectivité, l’autonomie de la
rechercher LA cause génératrice, ou LE fondement pre- volonté, la responsabilité, s’il ne le sont pas encore,
mier. Ceci comporte d’importantes conséquences quant doivent devenir universels car seuls garants du projet
à la problématique de la responsabilité : l’acte ne peut d’un cosmopolitisme pacifique. Cette posture universa-
être jugé à partir d’un « sujet source », capable d’auto- liste comporte deux familles méthodologiques : la pre-
331
Considérations inactuelles sur le concept de « responsabilité »
Baptiste RAPPIN
332
Considérations inactuelles sur le concept de « responsabilité »
Baptiste RAPPIN
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333
La VAE comme outil de gestion au service des entreprises et du secteur académique : analyse de l’utilisation
de l’approche compétence dans l’enseignement supérieur
Pierre-Yves SANSÉAU
des entreprises
cette contribution, nous présentons et illustrons cet
aspect à travers l’exemple d’une institution d’enseigne-
ment supérieur qui a choisi de s’engager sur la VAE en
arrimant son processus de validation de l’expérience sur
et du secteur
les compétences plutôt que sur l’approche plus usitée
des connaissances. Dans un premier temps, nous analy-
sons la place et la pertinence d’une approche « compé-
académique :
tences » dans la VAE avec comme trame de fond
l’enseignement supérieur. Notre seconde partie traite, à
partir d’un cas d’institution d’enseignement supérieur,
de la pertinence, du développement et de l’utilité d’une
analyse de
approche VAE centrée sur les compétences et concrétisée
par la création de référentiels de compétences. Puis,
nous présentons dans une troisième partie l’utilisation
concrète qui peut être faite de ce type de référentiel à
de l’approche
l’utilisation d’une démarche compétence, concrétisée
très pratiquement par l’usage de référentiels de compé-
tences, a sa place dans le domaine de l’enseignement
supérieur. La VAE permet d’ouvrir des perspectives
compétence dans
nouvelles en la matière et doit nous permettre d’avoir
enfin les moyens de reconnaître l’expérience en tant que
telle sans la détourner de son sens initial plus proche de
l’enseignement
la notion de compétence que de connaissance.
supérieur
Pierre-Yves Sanséau
Professeur
Grenoble Ecole de Management
METIS
[email protected]
335
La VAE comme outil de gestion au service des entreprises et du secteur académique : analyse de l’utilisation
de l’approche compétence dans l’enseignement supérieur
Pierre-Yves SANSÉAU
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La VAE comme outil de gestion au service des entreprises et du secteur académique : analyse de l’utilisation
de l’approche compétence dans l’enseignement supérieur
Pierre-Yves SANSÉAU
et parfois controversées (Brochier, 2002 ; Robichon et candidats dans un cadre qui garantisse une certaine lisi-
Josenhans, 2004 ; Le Boterf, 1998 & 2003 ; Reynaud, bilité pour le jury et pour les candidats (Clot et al., 2000,
2001 ; Zarifian, 2001) et suscitent des débats qui ne sont 2002). Mais d’un autre côté, il ne peut s’agir d’un rap-
pas notre propos ici, nous voulons pourtant repérer ce prochement direct car les connaissances dans leur
glissement. Il apparaît important de bien différencier la dimension « action » et académique ne sont pas compa-
« connaissance » de la « compétence ». Si d’un côté la rables ni même rapprochables. Dans l’enseignement
maîtrise d’une compétence sous-tend la possession de supérieur et dans le cadre de la VAP, l’évaluation du
la connaissance afférente, d’un autre côté posséder une dossier du candidat et de sa démonstration lors du jury
connaissance n’implique pas nécessaire la maîtrise de la se serait le souvent faite à partir de référentiels de diplô-
compétence qui peut y être reliée ou en découler. En mes reposant sur les connaissances afférentes au niveau
effet, une compétence peut se définir comme une com- visé. Nos observations personnelles effectuées dans le
binaison de ressources individuelles (connaissances, cadre de la VAE auraient tendance à confirmer cette
aptitudes, qualités, savoirs faire, valeurs et autres carac- orientation. Ceci est corroboré par Feutrie (2004) qui
téristiques individuelles), elle implique toujours plus nous indique que les référentiels de certification sont
que des connaissances, est contextuelle et est ancrée rares dans l’enseignement supérieur. Nous pouvons à
dans l’action. Pour plus de précision, nous pouvons cet effet souligner que la direction de l’Enseignement
nous référer aux travaux du Céreq (Centre d’études et supérieur du ministère propose, à travers ses dossiers
de recherches sur les qualifications) qui nous indique, d’habilitation, de présenter des règlements d’examen
dans le même esprit, que la compétence est « un savoir fondés sur les modalités classiques de contrôle faisant
en action ». références à des programmes de formation.
1.3 - La VAE dans l’enseignement supérieur La VAE nous faisant cheminer vers une démarche axée
sur les compétences beaucoup plus que sur les connais-
La question de l’évaluation des acquis bâtis et issus de sances, la question de l’établissement de référentiels
l’expérience constitue à nos yeux un enjeu central qui apparaît alors comme déterminante. Si les décrets d’ap-
ne fait que se renforcer avec le dispositif VAE et dans le plication de la loi laissent entrevoir certains vides quant
cadre de l’enseignement supérieur. En effet, la référence aux modalités concrètes d’application notamment dans
de base est un diplôme ou un titre conçu à finalité de l’enseignement supérieur, il nous apparaît clairement
formation initiale ou continue qui a pour objectif de que c’est aussi parce que la problématique est large et
valider des connaissances ou de construction de capaci- lourde d’enjeux. Si certains établissements du supérieur
tés en aval de l’exercice d’une activité (Feutrie, 2004). se sont lancés dans la construction de référentiels afin
Dès lors, comment se positionner et quels supports ou d’asseoir les modalités d’évaluation, il n’y a pas appa-
instruments utiliser afin d’évaluer des acquis d’expé- remment de voie commune. Certains référentiels sem-
rience, sachant par avance que ces expériences sont par blent très proches des contenus des programmes dispen-
nature différentes, individualisées et se situant dans des sés dans les formules « initiales » ou « continues » et
contextes variables et temporels. s’éloignent de l’esprit de la validation d’expériences
issues de métiers ou de postes. D’autres référentiels, à
Les travaux d’Aubret (1999) mettent en avant cette pro- l’opposé, apparaîtraient comme trop détaillés et trop
blématique et cette nouvelle donne générée par ce que descriptifs, ne permettant pas, lors de leur utilisation, de
renforce la VAE et qui avait été initié par la VAP. Cet refléter les amplitudes contenues dans les compétences
auteur souligne que dans le cadre des évaluations tradi- des métiers des fonctions supérieures. Il s’agirait donc
tionnelles, l’acquis est reconnu, mesuré en fonction du de trouver un équilibre palliant aux limites des référen-
programme au sein duquel il se situe et a du sens. Le tiels en travaillant « à partir de mailles assez larges
formateur, l’enseignant, maîtrisent toute une chaîne qui permettant de rendre compte des situations dans leur
va de la définition des connaissances à acquérir aux diversité, dans leur complexité, et surtout dans leur
règles de l’évaluation. Au final, le résultat du formé ou globalité » Feutrie (2004).
de l’étudiant est un indicateur de prédiction des capaci-
tés du candidat à exercer tel activité ou emploi. Dans
une évaluation basée sur l’expérience, la logique est
foncièrement différente. Il s’agit là en effet d’apprécier 2. Cas d’étude : Ecolus
le sujet et son « activité cognitive et organisatrice » dans dans une démarche de construction
un cadre non pré-défini, dans le « non-attendu ». de référentiels de compétences
Dès lors, se pose la question de l’utilisation de descrip- 2.1 - Des choix VAE spécifiques
tifs des formations et diplômes rentrant dans le cadre de
la validation des acquis issus de l’expérience. La VAP Dans le cadre de cette contribution, nous rapportons les
avait montré la nécessité de repères afin d’évaluer les résultats d’un processus de recherche action mené dans
337
La VAE comme outil de gestion au service des entreprises et du secteur académique : analyse de l’utilisation
de l’approche compétence dans l’enseignement supérieur
Pierre-Yves SANSÉAU
un établissement d’enseignement supérieur français de certaine mesure de la formation continue. La volonté est
gestion (que nous appellerons pour des raisons de confi- de pouvoir proposer aux candidats différentes possibili-
dentialité Ecolus) qui constitue, entre autre, un des tés de parcours et d’accession aux diplômes : formation
champs d’observation et de recueil de données. Il appa- continue avec suivi de l’ensemble des cours du parcours
raît dans le cadre de la VAE, comme dans le cadre des choisi, VAE « partielle » (dossier de preuves de compé-
formations initiales ou continues, que chaque établisse- tences, soutenance devant un jury et adjonction de cours
ment développe une stratégie spécifique. issus des formations de l’institution) ou VAE « totale »
(dossier de preuves de compétences, soutenance devant
un jury). Le développement de la VAE était aussi
l’occasion de se positionner sur un nouveau marché à
Précisions méthodologiques partir d’une stratégie de défricheur et de leader dans un
univers académique ou la concurrence déjà présente est
encore amenée à se développer.
Notre propos et notre réflexion se situent dans le
cadre d’un processus de recherche action3 entamé En terme d’écueils, Ecolus a envisagé ceux qui se
en 2004 et se poursuivant au moment de la présentent à l’ensemble des institutions d’enseignement
rédaction de cette contribution. Nous avons choisi supérieur dans le cadre de la VAE. Premièrement, le
de retenir comme unités d’analyse des institutions risque de devoir faire face au mécontentement d’une
d’enseignement supérieur de gestion et de génie population, très majoritaire, qui a obtenu ou qui obtien-
délivrant des diplômes et titres de niveau bac +3 à dra le ou les mêmes diplômes selon un parcours clas-
bac + 8. Nous rapportons ici les résultats issus du sique après une période de trois à cinq ans. Dans la
processus VAE d’un de ces établissements. formule VAE, ce délai ne serait que de trois à six mois.
D’autre part, se pose la question du coût. Quels frais de
Le recueil des données s’est effectué dans un souci scolarité appliquer à un candidat à la VAE pour un
de triangulation (Denzin, 1994) à partir de sources diplôme au final équivalent à une formation initiale ou
multiples : documentation, entretiens, observation continue ?
directe et observation participante (Yin, 2003 ;
Huberman & Miles, 1994). Nous avons vécu, dans Par rapport à ces éléments, Ecolus a voulu développer une
l’esprit de la recherche action, le processus de stratégie de solidité et de pérennité à travers trois choix.
mise en œuvre de la VAE comme démarche
pédagogique nouvelle et alternative par rapport Premier choix, celui de la sélectivité et de l’excellence.
aux processus traditionnels de délivrance de Puisque la VAE le permet, il a été décidé de s’orienter
diplôme. Nos sources de données ont été en priorité vers la voie de la VAE totale. Ceci signifie
documentaires (à l’externe et à l’interne de que les diplômes délivrés le seront sans suivi de cours
l’institution servant de terrain à la recherche), complémentaires avec un succès du candidat dès son
l’observation directe du processus d’initiation et premier passage devant le jury d’évaluation. Ceci signi-
de mise en œuvre de la VAE et l’observation fie donc que la sélection des candidats à l’entrée du par-
participante à travers des comités scientifiques et cours VAE est obligatoire afin de garantir leurs chances
de succès. Ceci signifie aussi que le processus d’ac-
décisionnels du processus. Des entretiens directifs
compagnement durant le parcours VAE jusqu’au jury
et semi-directifs ont complété nos données.
final sera élaboré et efficace.
338
La VAE comme outil de gestion au service des entreprises et du secteur académique : analyse de l’utilisation
de l’approche compétence dans l’enseignement supérieur
Pierre-Yves SANSÉAU
semble caractériser le choix stratégique d’Ecolus. Ces référentiel, mais le problème du rapport entre les com-
choix ont aussi pour objectifs de pallier aux écueils de pétences utiles pour exercer une activité et celles requi-
la VAE évoqués précédemment. Pour mettre en œuvre ses pour obtenir le diplôme lui-même exigé pour l’exer-
cette stratégie et tenter d’atteindre ses objectifs, Ecolus cice de cette activité reste entier » (Cherqui Houot,
a mis en place un dispositif VAE relativement complet. 2001, p. 74). Ces propos résument d’une certaine façon
Une cellule VAE a été constituée avec une branche assez bien tous les questionnements et toutes les zones
commerciale et marketing, une branche scientifique et d’incertitude qui se posent autour de la nature des réfé-
une branche opérationnelle. rentiels dans l’enseignement supérieur.
La branche scientifique a eu pour mission de définir le Après réflexion et débats au sein de la cellule VAE
processus VAE en terme de parcours pour le candidat de d’Ecolus, il a été décidé d’ancrer la VAE dans une
l’admission jusqu’à la délivrance du diplôme, de définir approche compétence avec un solide ancrage sur les
la VAE en terme de contenu et de positionnement et de métiers à partir de référentiels de compétences. Ce
fixer les critères et les niveaux d’exigence. choix n’a pas été des plus faciles. Ce choix de cap sur
les compétences suppose donc l’existence de supports
Après une étude de la VAP, de la loi de modernisation ou référentiels axés sur les métiers qui permettent au
sociale et de ses décrets d’application et une fine obser- candidat de se situer et au jury évaluateur d’avoir des
vation de ce qui se développait dans les autres institu- repères précis afin de mener au mieux son devoir
tions d’enseignement supérieur, une question centrale et d’évaluation.
déterminant s’est posée pour Ecolus : comment posi-
tionner la VAE entre connaissances et compétences ? 2.2 - Principes pour le développement
Il en effet très tentant, et notamment dans l’enseigne- de référentiels de compétences
ment supérieur, de se référer davantage aux connaissances
et ainsi d’opérer à partir de référentiels de connaissan- A partir du moment où l’option des référentiels de
ces. C’est en effet ce qui est principalement délivré dans connaissances était écartée, la voie des référentiels de
la majorité des programmes du supérieur. Les question- compétences constituait une alternative possible, avec
nements qui orientent les réflexions des auteurs qui ana- ses choix, sa valeur ajoutée mais aussi ses exigences. En
lysent la problématique des acquis de l’expérience sont effet, Ecolus ayant décidé de se positionner sur l’idée de
tout à coup devenus centraux et nous les rappelons référentiels compétences afin des valider des acquis de
ci-dessous : l’expérience, la nécessité de se positionner sur des
« métiers » ou des « fonctions » s’est vite révélée néces-
! Dès lors que l’on se base sur un référentiel de savoirs saire. Les diplômes délivrés par Ecolus se situant dans
ou de connaissances, comme on semble y recourir le domaine de la vente, de la gestion et du management,
dans l’enseignement supérieur, est-on en mesure de des profils de champs d’activité des candidats à la VAE
valider des compétences ou des connaissances ? devenant récurrents (marketing, logistique, finance,
! Qu’en est-il du rapport entre les « compétences » commercial, ressources humaines, etc), une orientation
(il semble plus adapté de parler ici de connaissances) s’est alors dessinée ; celle de construire des référentiels
issues d’un référentiel de savoirs et les compétences à de compétences par types d’activités. Un même réfé-
maîtriser pour l’exercice du métier ? rentiel pourrait être alors utilisé, pour la délivrance de
! Quelle est la capacité d’enseignants, habitués à valider diplômes de différents niveaux, après arbitrage des
des connaissances, à valider des compétences ou compétences clés par un comité scientifique.
même d’être en mesure d’attester que les compétences
issues de l’expérience sont semblables à celles Le travail de rédaction de référentiels de compétence est
exigées par un diplôme ? long, demande des ressources et surtout doit déboucher
sur de l’opérationnel en terme de VAE. Pour Ecolus, le
En se situant plus précisément dans le domaine des for- contexte de la mise en place de la VAE, dans une appro-
mations universitaires professionnalisées, il apparaît che fortement ancrée autour de la notion de compétence
que les modules correspondent aux « capacités » ou aux était le suivant : (1) une absence d’historique et de réfé-
« compétences » et constitueraient ainsi la trame du rences internes sur l’approche compétence et la cons-
référentiel d’évaluation. Dans le cas des formations uni- truction de référentiels ; (2) l’absence de limites parti-
versitaires à parcours « classiques », les référentiels ne culières sur le nombre de domaines de compétences
seraient que très peu formalisées car exprimés avant pour chaque domaine d’activité (marketing, logistique,
tout sous forme de savoirs académiques (Cherqui finance, commercial, ressources humaines, etc.) suscep-
Houot, 2001). Selon ce dernier auteur, « les indicateurs tible d’être concernée par la VAE ; (3) la nécessité
des acquis réalisés restent le plus souvent à établir et d’opter pour une graduation des niveaux de compétences
sont malaisément généralisables… c’est l’opération de suffisamment large afin que chaque référentiel puisse
validation elle-même qui conduit à l’élaboration du être utilisé selon différents niveaux en fonction de
339
La VAE comme outil de gestion au service des entreprises et du secteur académique : analyse de l’utilisation
de l’approche compétence dans l’enseignement supérieur
Pierre-Yves SANSÉAU
Afin de bâtir les référentiels, la branche scientifique de La démarche d’ingénierie pédagogique choisie par
la cellule VAE d’Ecolus a mis en œuvre un plan de Ecolus a permis la création de référentiels de compé-
travail structuré. L’élaboration et la rédaction des réfé- tences complets et collant de très près à la réalité des
rentiels ont été effectuées par une personne ressource métiers. Ces référentiels semblent constituer des repères
familière de la démarche compétence tutorée par deux fondamentaux par domaines d’activités : marketing,
professeurs de GRH. C’est cette personne ressource qui logistique, GRH, finance, commercial, etc. La volonté
effectué le travail de fond (recueil de documentation, de l’institution a été de constituer ces référentiels afin
lecture, synthèses, interviews, rencontres, participation qu’il puissent être utilisés pour différents niveaux de
aux périodes de réflexion en commun avec des ensei- diplômes proposés via la VAE (niveaux I à III). Mais
gnants et des professionnels de la fonction et bien sur quelle utilisation peut-on faire de référentiels aux
l’important et essentiel travail de rédaction du référentiel) mailles très fines pour le candidat dans la constitution
pour l’élaboration de la première puis de la seconde du dossier de preuve et la rédaction de son mémoire
version du référentiel. mais aussi pour le jury dans son exercice d’évaluation ?
Cette personne « clé » était en contact quasi quotidien C’est par un processus d’extraction de « compétences
avec deux enseignants membres de la cellule scienti- clés » que le passage d’un maillage fin à un maillage
fique VAE d’Ecolus. Des échanges fréquents et des plus large s’effectue. La cellule VAE d’Ecolus organise
débats parfois animés semblent avoir été une des clés de pour chaque niveau de diplôme et pour chaque « fonc-
l’aboutissement du processus. D’autre part, des inter- tion » la tenue d’un comité scientifique. Ce dernier,
views et des rencontres avec des spécialistes acadé- composé de 8 à 10 personnes, comprend un tiers de pro-
miques et professionnels de la fonction ont généré une fesseurs de la fonction et deux tiers de professionnels à
importante quantité d’information et ont suscité des différents niveaux de responsabilité dans cette fonction.
échanges riches et des controverses, nouvelles sources Par exemple, l’extraction des compétences clés pour un
d’interrogations. diplôme de niveau II profil « Responsable Marketing »
rassemble des directeurs marketing, des consultants en
Ces étapes débouchent sur la validation finale du réfé- marketing, des responsables marketing et des profes-
rentiel. Pour la fonction marketing par exemple, seurs-consultants et professeurs-chercheurs en marke-
8 domaines de compétences ont été gradués sur ting. Les personnes réunies ayant pris auparavant
7 niveaux d’expertise avec pour chaque niveau 4 connaissance du référentiel concerné, il s’agit en sous-
unités d’expertise. 224 « textes » illustrent les 224 groupes puis en groupes de procéder à la sélection de
cases du référentiel organisée sous forme de tableau. 12 à 15 compétences clés en fonction du niveau de
On possède alors là une définition et une image très diplôme et au profil concerné. C’est donc directement
précise des compétences de la fonction marketing à un par rapport à la réalité et au contexte du métier de
moment T. L’activité marketing est illustrée dans sa Responsable Marketing, pour reprendre l’exemple
totalité avec beaucoup de précision et de pertinence. traité ici, qui se situe en niveau II, que se fait ce choix
Le maillage est serré et ceci de façon volontaire. Il est de compétences clés. On se place donc clairement dans
à souligner que ce n’est pas cette version du référen- le champ de compétences réellement détenues ou à
tiel que sera utilisée par le candidat VAE ou même par détenir pour un métier et un niveau.
le jury d’évaluation. Nous verrons ci-après qu’ils se
référeront seulement à un certain nombre de compé- Le processus d’extraction des compétences clés dure
tences clés issues de ce référentiel. La volonté véhiculée environ quatre heures. Le comité scientifique mixte
à travers ce référentiel détaillé semble triple : avoir semble proposer à chaque fois une assez bonne validité
une presque parfaite représentation du champ d’acti- dans ses choix. Les débats sont parfois animés mais il
vité considéré, décliner le référentiel à différents apparaît que si le référentiel d’où sont extraites les com-
niveaux de diplômes VAE (diplômes de niveaux I, II pétences clés est solide et représentatif du métier, leur
et III), pouvoir réellement délivrer des diplômes par la émergence ne pose pas d’importantes difficultés. Il
VAE sur la base de la validation de compétences, apparaîtrait que la phase finale durant laquelle il s’agit
compétences contextuelles au cœur de la réalité des de passer des 20/25 compétences jugées comme clés
métiers. aux 10/15 compétences qui seront finalement retenues
340
La VAE comme outil de gestion au service des entreprises et du secteur académique : analyse de l’utilisation
de l’approche compétence dans l’enseignement supérieur
Pierre-Yves SANSÉAU
est la plus difficile. Ce choix de ne retenir que 10 à 15 d’un jury toujours surpris devant l’apport de quantité de
compétences clés est essentiel pour la démarche VAE « preuves » ne supposant en rien la détention, même
en elle-même comme nous le verrons ci-après. Pour la partielle, de la compétence concernée.
fonction « Responsable Marketing », les compétences
clés sélectionnées pour le processus VAE 2003-2004 à Mais la preuve en tant que telle n’est pas tout. Il s’agit
Ecolus sont présentées de façon détaillée en annexe 2. par la suite d’opérer une démonstration écrite nécessi-
tant analyse et introspection afin de démontrer au jury
Les référentiels de compétences établis ne sont donc pas son degré de maîtrise de la dite compétence, les condi-
à usage unique. Dès lors qu’un autre niveau de diplôme tions, étapes et moyens qui ont permis de maîtriser cette
avec un profil assorti sera proposé dans le cadre de la compétence, ses forces et/ou ses lacunes par rapport à
VAE dans le même champ (exemple : marketing), on cette compétence précise. Le jury pourra alors, pendant
réunira un comité scientifique afin d’extraire les com- la période de questions, mesurer l’auto-analyse du can-
pétences clés nécessaires au processus de diplôme par la didat. Il semblerait que le jury parvienne relativement
VAE. De plus, il est nécessaire de souligner que les facilement à discerner les affirmations de détention de
référentiels doivent être mis à jour chaque année par compétences trop optimistes. Des questions bien ciblées
l’institution en concordance avec l’avis de professeurs font parfois mouche et révèlent rapidement au jury le
et de professionnels des champs concernés. niveau de maîtrise du candidat par rapport aux compé-
tences clés.
3.2 - Preuve de compétence
et acquis de l’expérience Pour en finir avec ces aspects relatifs à la mise en rela-
tion des acquis d’expériences et des compétences clés,
Dans la démarche qui va l’amener à se confronter à un l’expérience d’Ecolus montre que les candidats ont une
jury, le candidat va devoir s’attarder à une étape essen- certaine difficulté à se situer dans l’échelle de 1 à 7 de
tielle, celle de l’appropriation et de la compréhension maîtrise ces compétences. L’exercice qui leur est
des compétences clés qui lui sont demandées de prou- proposé à Ecolus lors du jury d’admissibilité le montre
ver. Comme les compétences clés sont directement issues assez clairement. Ils se situent généralement très au des-
d’un référentiel représentant son secteur d’activité et sus de leur maîtrise réelle des compétences. Lors de la
qu’elles sont relatives au niveau de diplôme auquel il préparation de leur dossier, on observe la même
prétend, il va devoir décoder ce qu’on attend de lui et le propension à se « surestimer » par rapport à la maîtrise
contenu des compétences qu’il est supposé maîtriser. de ce qui est annoncé dans le « texte » décrivant chacune
Les « textes » illustrant chacune des 10/15 compétences des compétences clés. Dès lors qu’ils apportent des
clés sont suffisamment clairs et précis pour un comité preuves, les candidats pensent que celles-ci sont large-
scientifique. Mais qu’en est-il pour le candidat qui peut ment suffisantes et représentatives des compétences.
les interpréter selon sa culture métier, la spécialisation C’est lors de l’exercice d’analyse et d’introspection
de son champ ou sous-champ d’activité, sa formation, seulement qu’ils prennent conscience de la solidité et du
etc ? Le rôle du professeur référent accompagnateur est niveau de compétence demandé et du décalage entre le
alors essentiel pour aider le candidat à se resituer autour proposé et l’attendu. L’accompagnement est alors
des compétences clés, les replacer sur la notion de com- essentiel afin que le candidat ne s’égare pas et ne fasse
pétence, le sens des acquis de l’expérience et l’utilisa- pas fausse route. Sa présentation devant le jury VAE
tion qu’il peut en faire pour démontrer la possession de serait alors vouée à l’échec et à une faible prestation. De
ces compétences. plus, les candidats disent trouver d’une part l’exercice
La constitution du dossier VAE n’est pas un exercice et le cheminement VAE long, exigeant et fastidieux et
simple pour les candidats. Leur premier réflexe est de d’autre part manifestent après coup un contentement
lister les compétences demandées et de mettre en face par rapport à la valeur ajoutée de l’exercice pour eux-
une liste d’expériences avec des preuves diverses et mêmes et pour leur carrière. Ceci corrobore les obser-
variées, preuves qui ne sont souvent, dans un premier vations faites par Cuvillier (2004).
temps, que de simples affirmations de détention des
supposées compétences.
341
La VAE comme outil de gestion au service des entreprises et du secteur académique : analyse de l’utilisation
de l’approche compétence dans l’enseignement supérieur
Pierre-Yves SANSÉAU
Conclusion Bibliographie
Le processus de recherche présenté ici a pour objet de AUBRET J. 1999. « Orientation et validation des
mesurer la contribution d’une approche ancrée sur les acquis dans l’enseignement supérieur ». L’orientation
compétences et reposant sur des référentiels de compé- scolaire et professionnelle. 28. n° 4, pp 627-641.
tences dans un processus de validation des acquis de
l’expérience. Au questionnement général initial qui était BROCHIER D. 2002. La gestion des compétences –
de savoir si l’établissement des référentiels de compé- Acteurs et pratiques. Paris : Economica
tences dédiés et leur utilisation dans le processus de
VAE faciliterait et induirait une validation des acquis de CHERQUI HOUOT I. 2001. Validation des acquis de
l’expérience plus complète et au plus proche des com- l’expérience et universités - Quel avenir ? Paris :
pétences des individus, nous pensons pouvoir répondre L’Harmattan.
par l’affirmative d’après les résultats issus de la recher-
che menée sur l’institution d’enseignement supérieur CNPF, 1998 « Evaluer, valider et certifier les compé-
Ecolus. La démarche qui consiste à partir d’un maillage tences professionnelles », Journée internationales de la
très fin, pour parvenir par la suite à des mailles plus lar- Formation, tome 6, CNPF, Paris.
ges, permet à nos yeux d’éviter un écueil, celui de pro-
poser la validation de compétences qui seraient trop CLOT Y ET AL. 2000. La validation des acquis pro-
spécifiques à un sous-secteur d’activité ou à un sous- fessionnels. Rapport pour le ministère de l’Education
type d’activité. Les situations professionnelles des can- nationale. Paris : CNAM.
didats à la VAE sont diverses et éparses comme les
entreprises auxquelles ils appartiennent. Le risque serait CLOT Y ET AL. 2002. « La validation des acquis pro-
de proposer un référentiel qui soit utilisable par seule- fessionnels au milieu du gué ». CPC Documents. n° 4.
ment un candidat sur dix dans sa démarche VAE.
CUVILLIER B. 2004. « La validation des acquis d’ex-
Les institutions d’enseignement supérieur devraient périence, un nouveau tremplin pour la formation ?
éviter un autre écueil, différent, mais au combien ris- Education Pemanente, n° 158, pp. 127-140.
qué, celui de proposer aux candidats des référentiels de
connaissances ou de savoirs comme support à la démar- DAROUX G. 2004. « La validation des acquis de l’ex-
che VAE. On peut penser que si le choix initial de l’ins- périence dans une formation d’Ingénieur en
titution est de valider des connaissances, cela comporte Partenariat », 7e Biennale de l’Education et de la for-
une logique interne mais cela correspond t-il à l’esprit mation APRIAF-INRP 14-17 avril, http://www.inrp.fr/
de la loi de modernisation sociale de 2002 ? Dans tous acces/biennale/7biennale/ contrib/longue/7109.pdf
les cas, cela reste plus proche de la mission initiale de
ce type d’institution mais la question de fond reste DENZIN N. 1994. « The Art and Politics of
posée. Interpretation ». Handbook of Qualitatif Research, in
Denzin, N & Lincoln, Y. Sage.
Les choix d’Ecolus en terme de VAE peuvent être lar-
gement sujet à discussion : longueur et coût du proces- FEUTRIE M. 2004. « Une autre evaluation, une autre
sus qui mène à l’émergence des compétences clés, uti- validation pour l’expérience ». Education Permanente,
lité de tels moyens pour une formule de délivrance de n° 158, pp. 99-114.
diplômes qui se veut simple et rapide à l’opposé de la
formation initiale, continue ou par l’apprentissage. Le HATCHUEL A. 1992. « L’intervention des chercheurs
processus initié à Ecolus est encore relativement jeune en entreprise ». Education permanente, n° 133,
pour en évaluer toutes ses forces et faiblesses. Il nous pp. 73-88.
permet néanmoins de porter un regard sur la probléma-
tique centrale du rôle et de l’utilisation des référentiels HUBERMAN A. ET MILES, M.1994. Analyse de
de compétences. Il permet aussi de mieux comprendre données qualitatives - recueil de nouvelles méthodes.
comment une institution d’enseignement supérieur dont Bruxelles : De Boeck Université.
le fondement est avant tout celui des connaissances peut
cheminer vers une approche compétence et quels outils IGALENS J., SCOUARNEC, A. 2001. « La gestion
pratiques elle met en place pour y parvenir. par les compétences : construction d’une échelle de
mesure ». Revue Gestion des Ressources Humaines,
n° 40, avril-juin.
342
La VAE comme outil de gestion au service des entreprises et du secteur académique : analyse de l’utilisation
de l’approche compétence dans l’enseignement supérieur
Pierre-Yves SANSÉAU
LE BOTERF G. 2003. Construire les compétences YIN R. 2003. Case study research. California: Thousand
individuelles et collectives. Paris : Editions d’Orga- Oaks.
nisation.
ZARIFIAN PH. 2001. Le modèle de la compétence.
LIVIAN Y.-F. 1989. « Grandeur et servitudes de la Paris : Editions Liaisons.
recherche clinique en gestion ». Cahiers Lyonnais de
Recherche en gestion.
343
La RSE : richesse du concept et diversité des pratiques sociales en france
Jean-Yves SAULQUIN
du concept
L’objectif de cet article est de mieux cerner le concept
de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et les
enjeux managériaux dont il est porteur pour montrer la
richesse de son contenu et la diversité de son opération-
des pratiques
diversement appréhendé. Ainsi allons-nous essayer de
répondre à plusieurs questions :
sociales en france
- comment les entreprises s’approprient-elles
ce concept ?
- quelles sont les implications du concept sur son volet
social ?
1 Traduction libre.
345
La RSE : richesse du concept et diversité des pratiques sociales en france
Jean-Yves SAULQUIN
trois dimensions caractérisant la RSE : les principes de Au niveau de l’interprétation et des discours courants
responsabilité sociale, la manière dont l’entreprise met des médias et des praticiens, la lecture des communica-
ses principes en pratique (sa sensibilité sociale), et les tions sur la RSE montre que le vocabulaire utilisé est
valeurs sociétales qu’elle porte. Wartick et Cochran souvent flou. L’observateur y trouve de nombreuses
(1985) complètent cette approche en spécifiant que la expressions qui recouvrent de nombreuses réalités :
RSE est une résultante de l’interaction de trois dimen- tantôt il est question d’éthique, tantôt d’entreprise
sions : principes/processus/politiques. Ils soulignent par citoyenne, tantôt de développement durable, tantôt de
ailleurs que la RSE est une approche microéconomique comportement sociétal, tantôt de civisme.
de la relation entre l’entreprise et son environnement. Malgré tout, un consensus émerge pour définir quatre
Dans la continuité de ces travaux, Wood (1991) propose champs à la RSE : environnemental, social, économique
un modèle intégrant 1/ les principes de responsabilité et et civique ou sociétal.
les motivations sous-jacentes aux actions et aux choix, Aujourd’hui, les grandes entreprises semblent avoir
2/ les processus et les pratiques organisationnelles et 3/ intégré les enjeux de la RSE. Ainsi, pour B. Collomb,
les résultats occasionnés par les actions et choix réalisés PDG de Lafarge : « seule une réussite sur ces trois
de l’entreprise. dimensions (économique, sociale et environnementale)
Les cadres conceptuels proposés par les chercheurs peut permettre d’assurer la pérennité de l’entreprise et
restent larges, laissant le champ libre à de nombreuses celle du monde dans lequel elle se développe » (rapport
interprétations et applications. Certains auteurs expli- RSE, 2001).
quent l’absence d’accord sur la signification de la RSE Cette représentation de la RSE semble traduire le souci
par l’affrontement entre deux paradigmes : le paradig- de répondre aux attentes des nombreux partenaires de
me dominant libéral et le paradigme émergent du déve- l’entreprise et signifie implicitement que la performance
loppement durable (Combes, 2005). de l’entreprise doit être analysée sous plusieurs angles
Pour synthèse, Allouche et Alii (2004) nous disent qu’a- (voit tableau 1) :
dopter un comportement de responsabilité sociale - environnemental (quels sont les impacts de l’entreprise
« c’est répondre à la nécessité de maximiser les objec- et de ses produits sur son environnement ?),
tifs de l’entreprises par l’entremise de sa rentabilité, au - économique (quelle est la performance financière de
profit toujours de l’actionnaire, mais aussi de ses autres l’entreprise, mais encore sa capacité à contribuer au
partenaires ». développement de la zone d’implantation et à celui
des parties prenantes),
Pour illustrer l’approche institutionnelle, rappelons la - social et sociétal (quelles sont les conséquences de
définition proposée par le livre vert de la Commission l’activité pour les partenaires internes et externes ?).
des Communautés Européennes (2001). La RSE est
« l’intégration volontaire par les entreprises de préoccu- De manière plus concrète, sur le volet environnemental,
pations sociales et environnementales à leurs activités on cherchera à identifier l’existence de programmes de
commerciales et leurs relations avec leurs parties recyclage et de réutilisation des déchets, de program-
prenantes. La principale fonction d’une entreprise est de mes de protection de l’environnement, de programmes
créer de la valeur, en produisant les biens et services de réduction de la consommation d’énergie, de
demandés par la société, dégageant ainsi des bénéfices programmes de limitation du bruit, de programmes
pour ses propriétaires et actionnaires, tout en contri- d’intégration des sites dans le paysage, de programme-
buant au bien-être de la société, en particulier au travers de gestion des risques d’accidents et de gestion des
d’un processus continu de création d’emplois ». risques environnementaux.
346
La RSE : richesse du concept et diversité des pratiques sociales en france
Jean-Yves SAULQUIN
Sur le volet social, on observera les pratiques en matière - 2004 - Charte de Développement Durable adossée au
de gestion des carrières, de formation, de politique de préambule de la Constitution française.
rémunération, de conditions de travail, de santé et sécu- Mais c’est avec la loi sur les Nouvelles Régulations
rité du personnel, de politiques de recrutement et de Economiques de 2001 que les comportements ont évo-
promotion, de respect de la vie privée, de promotion du lué. Le législateur contraint les sociétés cotées à ajouter
travail en équipe. On s’interrogera encore sur le respect à leur rapport annuel des informations pertinentes sur la
des droits de l’homme. manière dont elles prennent en compte les conséquences
environnementales et sociales de leur activité.
Sur le volet sociétal, on évaluera l’intensité de la lutte Par ailleurs, le nouveau code des marchés publics de
contre l’exclusion et la discrimination, du mécénat mars 2001 autorise l’introduction de considérations
culturel et sportif, du soutien à l’économie locale, du sociales ou environnementales dans les appels d’offres.
respect des lois, des partenariats avec des ONG.
La pression juridique n’est pas la seule variable expli-
La synthèse des approches académiques, institutionnelles cative de l’intégration de la RSE dans les politiques
et praticiennes fait de la RSE un construit multidimen- générales. Il faut aussi tenir compte du poids croissant
sionnel. Il se présente comme un ensemble de paramètres de l’opinion et des ONG.
complémentaires qui imposent cependant des arbitrages Ainsi, une enquête de la SOFRES en 2000 montrait que
et amène le manager à définir des priorités en fonction la principale menace perçue par les dirigeants d’entre-
de contraintes ou de choix politiques. prises est relative aux mouvements d’opinion (34 %).
Soulignons encore la sensibilité RSE croissante des
acteurs financiers et l’évolution de leurs méthodes de
notation avec l’introduction de critères RSE dans les
2. Du cadre juridique scoring.
au cadre managérial Le développement des portefeuilles éthiques (avec des
critères d’exclusion) et les appels à boycott (arme ultime
Les grands principes du développement durable ont été contre ESSO, Danone, Coca Cola, Nike …) illustrent
posés au sommet de Rio en 1992 et reconnaissent bien les risques encourus par les entreprises pour leur
notamment : image.
- le droit au développement (équité inter générationnelle Si beaucoup de grandes entreprises ont un actif net qui
et intra générationnelle), représente moins que leur valeur en bourse, c’est que
- le devoir de solidarité internationale les investisseurs y voient plus que la valeur liquide des
! au plan environnemental (précaution et préven- biens de l’entreprise et qu’ils intègrent la valeur supplé-
tion des risques) mentaire de leur réputation ainsi que la valeur de leur
! au plan économique (développement écono- capital intellectuel.
mique, transferts de technologies…)
! au plan social (reconnaissance des minorités, Face aux défis RSE, les entreprises adoptent différentes
information et participation des citoyens au pro- attitudes et proposent une grande diversité d’actions
cessus de décisions…) concrètes. Les réactions de l’entreprise dépendent
! au plan sociétal (associer les citoyens aux projets notamment de la pression des parties prenantes
de proximité, démocratie participative…). (consommateurs, salariés, collectivités locales, médias,
Le cadre règlementaire a évolué avec la conférence de ONG…), de ses valeurs, de la manière dont elle perçoit
Kyoto en 1997, le livre vert de la Communauté la RSE (logique d’investissement ou logique de coût).
Européenne en 2001, et la conférence de Johannesburg Elles dépendent aussi de facteurs de sensibilité de
en 1992 qui a scellé la récupération du concept de RSE l’entreprise qui viennent :
par les entreprises et les ONG. - du secteur d’activité (industrie pétrolière, chimie et
confection sont plus exposées),
De son côté, la France s’est dotée d’un cadre institu- - de son degré d’internationalisation,
tionnel lui permettant d’appuyer sa politique de déve- - de la nature de son actionnariat (grandes entreprises
loppement durable sur des fondements législatifs et non cotées ou non, PME…)
plus sur de simples déclarations d’intentions. Les dates À cet égard, on pourrait penser que les PME françaises
qui suivent rappellent la mutation juridique française : ne sont pas concernées et/ou ne font rien.
- 1993 - incitation financière pour encourager les collecti- C’est inexact, car des PME non cotées ont entamé des
vités locales à élaborer des chartes environnementales ; démarches RSE, sous la conviction du dirigeant qui est
- 2001 - création d’un ministère de l’écologie ; souvent membre d’un réseau professionnel, et cela,
- 2003 - stratégie nationale de développement durable même si il y a manque de moyens et absence de normes,
(création du Conseil National du Développement comme le montre une enquête d’Entreprise & Carrières
Durable) ; (2005).
347
La RSE : richesse du concept et diversité des pratiques sociales en france
Jean-Yves SAULQUIN
En France, pour les PME, nous recensons 4 guides prévenir des risques financiers et médiatiques notam-
construits à partir d’expérimentations en entreprises : ment.
Une telle démarche accroît la dynamique interne : elle
- le bilan sociétal du Centre des Jeunes Dirigeants et des permet par exemple d’associer les salariés à la stratégie
acteurs de l’Economie Sociale (CJDES) qui couvre 9 RSE, de lancer des chantiers (certification, mécé-
domaines de RSE avec une batterie de 450 questions, nat…). Elle améliore aussi la dynamique externe : elle
- le diagnostic de la performance globale du Centre des permet d’identifier les demandes spécifiques de chaque
Jeunes Dirigeants (CJD) comportant 300 items, partie prenante et d’apporter des réponses à leurs attentes.
- le guide de l’Association du Nord-Pas-de-Calais C’est un outil de dialogue et d’engagement permettant
« Alliances », de mieux apprécier les facteurs critiques de l’activité et
- le guide SD 21000 de l’AFNOR qui permet aux entre- de mieux se situer par rapport à ses principaux concur-
prises d’intégrer les enjeux de la RSE à leur stratégie rents.
et de préparer la mise en place d’indicateurs (démarche
accompagnée par les DRIRE). Une synthèse des approches types est résumée dans le
tableau 2. Elles s’articulent autour de deux axes : la
Il y a, selon Saulquin et Schier (2005b), deux attitudes vision (fermée ou ouverte) de la firme, et la conception
types extrêmes pour les dirigeants selon qu’ils envisa- (statique ou dynamique) de la performance.
gent la RSE comme une obligation ou une comme Dans une approche mécanique, la RSE est centrée sur
opportunité. des objectifs technico-économiques.
La RSE abordée comme une contrainte pousse à une Dans une approche opportuniste, la RSE devient un
vision procédurale et mécanique de la performance où levier d’ouverture et de communication de l’entreprise.
les managers vont mettre en place, de façon parfois peu La RSE vecteur de performance opportuniste passe par
cohérente, des processus qui rentrent dans le cadre des des stratégies de communication et par une modifica-
attentes des principaux partenaires (qualité des produits, tion des rapports aux parties prenantes.
protection de l’environnement…). Même si cela n’est Dans une approche procédurale, la RSE est utilisée
pas pleinement satisfaisant, gageons toutefois que la comme un levier de dynamique, elle se rapproche des
pression des partenaires peut influencer le management principes de la gestion par les processus tout en mettant
et conduire à hiérarchiser et pondérer les actions mises l’accent sur quelques processus clés.
en œuvre. Dans une approche globale, la seule qui reflète réelle-
ment selon nous la spécificité de la RSE, la RSE est un
La RSE abordée comme une opportunité répond à une processus de redéfinition de la vocation et de la finalité
véritable représentation fédératrice et sociétale de de l’entreprise, plus en accord avec les nouvelles
l’entreprise. Elle devient un objectif de gestion, une contraintes environnementales et les nouvelles attentes
réponse légitime aux attentes des partenaires. de ses parties prenantes : la performance est alors le
L’approche globale permet de définir des objectifs en fruit d’une co-construction sociale entre l’entreprise et
termes d’amélioration, de repérer des opportunités et de ses parties prenantes.
La RSE permet la réduction des risques et La RSE est un levier d’ouverture de l’entreprise
des coûts . Communication sociétale
. Mise en conformité règlementaire . Concertation avec les parties prenantes
. Réduction des risques environnementaux . Activités caritatives
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La RSE : richesse du concept et diversité des pratiques sociales en france
Jean-Yves SAULQUIN
Ce cadre d’analyse visualise la grande diversité des per- Bien que le concept soit multidimensionnel, l’étude
ceptions de la RSE et des postures managériales dans montre que les actions menées pour l’environnement et
lesquelles elle va pouvoir s’exercer. Ce cadre est-il uni- vers la société semblent prépondérantes. Elles se tradui-
versel ? Sur quelles actions conduit-il sur le terrain ? sent par des programmes de prévention des pollutions
Nous tenterons d’apporter une réponse à ces interroga- (91 %), des programmes de gestion de l’environnement
tions dans la partie suivante à partir des études faites sur (88 %), le bénévolat des employés (77 %), l’implication
les pratiques des grandes entreprises et sur les analyses de l’entreprise dans la communauté (74 %), des actions
du reporting social des entreprises françaises en appli- philanthropiques (74 %). Les différents volets de la
cation de la loi NRE. RSE sont diversement traités par les entreprises, et le
volet social semble moins développé que les autres
volets.
3. Comment les entreprises saisissent- Ces résultats sont concordants avec ceux d’une étude
elles le concept de RSE ? comparative de Maignan et Ralston (2002) visant à
identifier les fondements, les parties prenantes et les
3.1 - Il est difficile de parler d’universalité pratiques de RSE (aux Etats-Unis, en France, au
des fondements et des pratiques Royaume Uni et aux Pays-Bas). Les auteurs ont montré
la très grande hétérogénéité des motivations et des pra-
Une étude de Price WaterHouse Coopers (2002), menée tiques. En France, les motivations de la RSE renvoient
auprès de 140 grandes entreprises internationales, s’est à la notion de performance (contrairement aux Etats-
intéressée aux raisons qui poussent les managers à Unis où les valeurs fondent les démarches de RSE).
initier une démarche de développement durable. Malgré Ensuite, les programmes aux Etats-Unis concernent le
la difficulté que ressentent les dirigeants à faire le lien plus souvent la communauté (qualité de vie, éduca-
entre la durabilité et leurs activités, 70 % d’entre eux tion…) alors que les actions menées par les entreprises
mènent des actions en matière de RSE. Pour les tenants françaises concernent davantage les parties prenantes
de la démarche, la principale motivation est effective- liées aux processus de production (qualité des produits
ment la recherche d’une amélioration de l’image de ou conditions de travail) et c’est l’Etat qui se charge du
l’entreprise (90 %), puis viennent : la recherche d’avan- « bien être » social. Tout ceci montre une conception
tages concurrentiels (75 %), la réduction des coûts assez étroite de la RSE en France.
(73 %), l’alignement sur la tendance générale (62 %), Par ailleurs, les pays européens insistent, plus que les
l’engagement de la direction (58 %), la demande des Etats-Unis, sur les problèmes d’environnement.
clients (57 %). En conséquence, on trouve plutôt des programmes
Pour les entreprises qui n’ont pas initiées de démarche, « qualité », des actions de santé et de sécurité en France.
les 5 premières raisons invoquées sont : l’absence d’in- L’examen des communications des entreprises doit
térêt évident (82 %), le manque d’intérêt des actionnaires nous permettre de confirmer ce constat et de vérifier son
(62 %), le manque d’intérêt de la direction (53 %), la actualité.
difficulté à en mesurer les effets (47 %), l’absence de
contraintes légales (41 %).
Trois fondements ou Cinq types de questions liées aux Sept types de processus
principes directeurs parties prenantes RSE
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La RSE : richesse du concept et diversité des pratiques sociales en france
Jean-Yves SAULQUIN
3.2 - La disparité des pratiques RSE travail, la sous-traitance, le respect des droits fonda-
en France et la timidité mentaux, l’intérim, les restructurations et leurs impacts.
L’étude montre des efforts inégaux en matière de
es innovations sociales transparence sociale, et révèle que de nombreuses entre-
prises sont encore très en deçà de ce que l’on attend en
Une enquête de Liaisons sociales (Lévi, 2003) montre matière d’informations sociales. Ce reporting est un
que l’intérêt des DRH pour le développement durable enjeu pour la qualité du dialogue social, mais il y a
réside à 72 % dans l’amélioration de l’image de l’entre- encore, selon les auteurs, beaucoup d’entreprises
prise. Certaines entreprises ont bien compris l’avantage classées dans la catégorie des « rien à cirer ».
qu’elles pouvaient tirer de la diffusion d’informations
sociales, notamment au niveau de leur notoriété et de Face aux défis sur le volet social, nous avions déjà
l’attrait pour des candidats potentiels. Sur ce point, les observé les entreprises apportaient principalement une
entreprises françaises ne se différencient pas des autres. réponse « formation » (Saulquin, 2004). Les actions de
Il faut améliorer son image ou, à tout le moins, ne pas formation sont largement en tête des pratiques RSE
l’affaiblir. choisies par les entreprises. Elles y voient des retom-
Une recherche menée sur les communications des bées directes, avec la possibilité de développer un
entreprises (Saulquin, 2004) nous a permis de vérifier la sentiment d’appartenance, une culture « maison ». En
disparité des pratiques de RSE et notamment que le développant des compétences spécifiques chez leurs
volet social semblait le plus délaissé. salariés, elles visent plus d’implication, plus de qualité,
plus de fidélité des salariés, plus de satisfaction des
Paradoxalement, c’est pourtant sur ce volet social que consommateurs. Dans ce domaine, des initiatives origi-
les observateurs semblent manifester le plus d’attente nales ont vu le jour (rappelons l’exemple d’ACCOR qui
vis-à-vis des entreprises. Pour grand public, la respon- a fait figure de pionnier avec une université interne :
sabilité d’une entreprise s’applique avant tout au l’Académie ACCOR).
domaine social. Pour les salariés français plus précisé- Face aux conséquences à la mondialisation, il apparaît à
ment, cela signifie : une entreprise qui fait profiter ses Chauveau et Rosé (2003) que l’employabilité et la for-
salariés des bénéfices (intéressement, actionnariat sala- mation sont certainement une réponse à ces mutations
rié), une entreprise qui assure une sécurité de l’emploi économiques, mais qu’elles survalorisent le critère de
et qui ne licencie pas si elle est bénéficiaire. Rappelons compétence. Pour les auteurs, le marché de l’emploi est
ici que les Français ont été fortement marqués par les de plus en plus fermé aux travailleurs non qualifiés. La
licenciements « boursiers » auxquels ont procédés les mondialisation et le progrès technique accroissent les
grands groupes comme Marks & Spencer, Danone, inégalités sociales et accélèrent le rythme du changement.
Michelin, André notamment.
Une enquête de la SOFRES de 2001 prouve l’importance Une étude de terra-nova (6 novembre 2003) a aussi
du social dans la perception de la RSE. Selon les résul- démontré que les indicateurs de performance sociale
tats de ce sondage, la RSE c’est d’abord le refus de faire restent les plus mal couverts. La performance sociale
travailler les enfants du tiers-monde (79 % des person- serait la véritable « lanterne rouge » avec un taux de
nes interrogées), puis ensuite pour 65 % c’est le fait de couverture moyen de 10 % seulement par rapport aux
bien traiter les salariés. C’est encore informer le indicateurs prescrits.
consommateur quand un produit présente des risques De plus, l’étude constate une grande disparité sectorielle.
(51 %), c’est l’interdiction des discriminations raciales Parmi les secteurs les plus engagés, on retrouve les ser-
(41 %), c’est aussi le devoir pour les entreprises de vices aux collectivités (Suez et Véolia), la distribution
développer l’employabilité de ses salariés pour qu’ils (Carrefour) et les produits pharmaceutiques, l’automo-
aient de la valeur sur le marché du travail (40 %). bile (Renault puis PSA) et enfin l’agroalimentaire
(Danone). Les secteurs des transports, des loisirs, des
Une étude du cabinet Alpha (2005) menée sur 80 entre- télécommunications et de l’hygiène, cosmétiques et
prises du CAC 40 constate que les thématiques sociales produits ménagers sont moyennement engagés. Enfin,
sont inégalement investies dans les rapports. La com- les secteurs les moins mobilisés sont ceux de l’immobi-
munication semble refléter la diversité des pratiques et lier et des services informatiques.
la timidité des innovations en matière sociale.
Les thèmes dont les entreprises parlent le plus (avec des Au terme de cette présentation, il nous faut nous inter-
indicateurs chiffrés, des développements qualitatifs, des roger sur la pertinence des informations que nous avons
mesures de suivi régulier) sont : la formation, la utilisées. Nos observations reposent sur des déclara-
gestion de l’emploi, l’hygiène et sécurité, le dialogue tions, ce qui pose des limites de fiabilité et de compara-
social, l’égalité professionnelle. bilité des discours. En matière de données sur la RSE,
Les sujets dont les entreprises parlent le moins (avec un le chercheur ne sait pas toujours s’il mesure une réputa-
discours et des données vagues) sont : l’organisation du tion sociale ou une performance sociale.
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La RSE : richesse du concept et diversité des pratiques sociales en france
Jean-Yves SAULQUIN
Conclusion
Il ressort de toutes ces recherches et études une très La RSE peut ainsi devenir une opportunité. En antici-
grande hétérogénéité des pratiques en matière de RSE. pant des contraintes ou en prévenant des risques
Toutefois, si on se fonde sur leur reporting, les entrepri- (sociaux, écologiques, juridiques), en réduisant les
ses affichent une caractéristique commune : la timidité coûts liés à la consommation de certaines ressources, en
des actions en matière sociale. augmentant son niveau de qualité de service, en diffé-
La richesse du concept de RSE permet des interpréta- renciant son offre sur le marché et en améliorant sa
tions multiples et par conséquent une grande diversité notoriété, les entreprises ne prennent qu’un risque :
d’actions. Tous les managers n’ont pas la même percep- celui d’augmenter globalement leur performance éco-
tion de ce que recouvre la RSE, ce qui explique les nomique et financière.
débats et les conflits d’intérêts autour du concept. Il est
par ailleurs difficile d’être en bonne position sur toutes
les dimensions à la fois. Mais quand elle se limite à la
stricte application des textes règlementaires, la RSE est
déséquilibrée et le concept s’appauvrit.
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La RSE : richesse du concept et diversité des pratiques sociales en france
Jean-Yves SAULQUIN
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352
Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
Le « métier » Introduction
d’auditeur social :
« Aujourd’hui encore, tout un chacun peut se prévaloir
du titre d’auditeur social dans la mesure où la profes-
sion n’est pas réglementée et où, pour l’instant, il
n’existe pas d’enregistrement de cette profession auprès
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Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
partie prenante est une généralisation de celui d’action- fournisseurs et partenaires, collectivités humaines…) et
naire, qui a été indûment privilégié par les théories exis- ce afin de satisfaire pleinement aux obligations juri-
tantes. Pour lui, les parties prenantes comprennent les diques applicables et investir dans le capital humain et
groupes « qui sont vitaux pour la survie et la réussite de l’environnement ». Ce cadre théorique étant ainsi posée,
l’entreprise ». La plupart des théoriciens des parties on comprend l’importance grandissante des activités
prenantes procèdent à la même distinction et représentent d’audit social et en conséquences, des évolutions à
ainsi les parties prenantes dans une grande entreprise. venir en termes d’activités, de formation et de
Selon Mitchell et al. (1997), il n’existe pas de désaccord compétences pour l’auditeur social.
majeur sur la nature des entités concernées : personnes,
groupes, riverains, organisations, institutions, sociétés, 1.1.2 - Les travaux sur le devenir des métiers
environnement naturel. Certains auteurs les considèrent Ayant posé le cadre théorique relatif aux parties
comme des participants ou des composantes de l’entre- prenantes et à la responsabilité sociale, nous présentons
prise. maintenant les fondements des approches dites de
prospective métier. Comme le souligne Boyer (2002), la
Dans leur travail de synthèse, Mitchell, Angle et Wood prospective métier ou plus généralement la réflexion
(1997) présentent et analysent vingt-sept définitions des sur le devenir des métiers « est un thème qui intéresse
parties prenantes, étalées sur une période allant de 1963 par définition de nombreux acteurs :
à 1995. Dans la littérature anglo-saxonne en particulier,
on distingue les shareholders (actionnaires) et les autres - les salariés qui exercent leurs talents dans un ou plu-
stakeholders. Freeman (1984) les définit comme « tout sieurs métiers et qui souhaitent connaître les compé-
groupe ou individu qui peut affecter ou être affecté par tences qui leur seront demandés à l’avenir.
la réalisation des objectifs de l’entreprise ». Mercier - les responsables hiérarchiques de ces mêmes salariés
(1999), quant à lui, définit les stakeholders comme soucieux de s’assurer que les compétences requises
l’ensemble des agents pour lesquels le développement par les activités futures de l’entreprise seront bien
et la bonne santé de l’entreprise constituent des enjeux détenues par leurs collaborateurs.
importants. La théorie des parties prenantes propose - les directions des ressources humaines qui ont en charge
d’appréhender l’organisation comme une constellation la régulation du personnel de l’entreprise et notam-
d’intérêts coopératifs et concurrents (Donaldson et ment l’évolution des salariés.
Preston, 1995). Elle donne ainsi aux valeurs et à - les organismes de formation interne ou externe aux
l’éthique une place centrale. Ainsi pour Pesqueux et entreprises soucieux de proposer des programmes
Biefnot (2002), « c’est alors qu’apparaît la responsabi- pédagogiques visant à faire évoluer dans le sens
lité sociale de l’organisation et que le modèle de l’orga- attendu par le marché de l’emploi les compétences des
nisation en parties prenantes, qui lui sert de support, participants, qu’ils soient en formation initiale ou
vient constituer un renouvellement de la représentation continue.
du rapport qui s’instaure entre l’organisation et ses - les autorités politiques très sensibles à l’évolution de la
partenaires. La question de la responsabilité sociale se compétitivité du pays dont ils ont la responsabilité. »
concrétise alors autour « du concept de « triple bottom
line » : prospérité économique, respect de l’environne- De plus en plus, les réflexions de prospective métier et
ment, respect et amélioration de la cohésion sociale. Le en particulier les activités liées à l’observation des
débat est ainsi ouvert entre stakeholder (partie prenan- métiers constituent un véritable savoir actionnable au
te), shareholder (actionnaire) et entre stakeholders entre sens d’Argyris (2003) pour les équipes RH (Boyer,
eux » (Pesqueux et Biefnot, 2002). Scouarnec, 2005). En effet, les trois principes suivants
semblent être respectés :
Comme le précisent Igalens et Joras (2002), « la plupart
des définitions de la responsabilité sociale des entrepri- 1. Il y a correspondance entre les intentions des acteurs
ses la décrivent comme l’intégration volontaire des pré- et les résultats effectifs : ceci semble possible car la
occupations sociales et écologiques à leurs activités mission d’analyse et d’anticipation a comme objectif
industrielles et commerciales. Pour cette raison, on de réduire les asymétries d’information et donc l’in-
évoque parfois la notion de triple résultat : une bonne certitude entre les différents acteurs intéressés par les
performance devient alors économique, sociale et envi- problématiques métiers.
ronnementale ». Dans le livre vert de la Commission
des Communautés européennes, la RSE (Responsabilité 2. D’une manière telle que les effets perdurent : la mis-
Sociale des Entreprises) a été définie comme l’intégra- sion de veille et de communication remplit cet objec-
tion volontaire des préoccupations sociales et écolo- tif. L’observation des métiers ne peut se concevoir
giques des entreprises à leurs activités commerciales et que dans une vision dynamique du temps. En partant
leurs relations avec toutes leurs parties prenantes des travaux de Méric (2001), nous posons les quatre
internes et externes (actionnaires, personnels, clients, attitudes possibles à l’égard du temps :
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Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
- la rétrospection : c’est la prise en compte du passé ; l’effort de formation, la certitude de l’abandon est
- la prospective : c’est la prise en compte du futur ou acquise ?
plus exactement des futurs possibles ; - D’un métier en survie positive pour lequel les com-
- la réaction qui consiste à réagir après un événement pétences nécessaires à son exercice doivent évoluer
- la proaction qui consiste à anticiper, à agir avant. avec les formations correspondantes ?
Nous considérons à ce niveau qu’elle permet de - D’un métier naissant, au contenu pas toujours facile
réconcilier le temps de la réflexion et le temps de l’action. à cerner ?
3. Sans dégradation du niveau existant d’efficacité dans L’évolution des diverses composantes d’un métier n’est
la résolution des problèmes. Le « terrain » ne se pas homogène : de nombreux facteurs devront être pris
conçoit donc pas comme un espace de simple obser- en compte :
vation mais comme un espace de co-conception de - les variables contextuelles d’organisation, de filières,
l’action collective. C’est dans ce cadre que se conçoit de métier d’entreprise ;
l’observation des métiers. Un observatoire des - les mutations technologiques, tel l’impact considéra-
métiers est une instance technique d’aide à la décision. ble des TIC ;
Il est chargé de fournir toute information utile - les changements économiques comme la mondialisa-
concernant la gestion de l’emploi et des compétences. tion, les vagues de concentration et fusions ;
Cette mise à disposition de l’information suppose - les évolutions juridiques et institutionnelles, comme
une dimension de veille sociale. En effet, un obser- celles relevant de l’écologie, des conditions de
vatoire des métiers doit se concevoir comme un lieu travail ;
d’échange, de confrontation d’idées et de construc- - les mutations sociologiques comme les changements
tion des « possibles ». Dans ce cadre, l’observatoire de comportement du consommateur, des acteurs.
est donc chargé de mener des travaux d’analyse ou de
coordonner des études relatives aux métiers concernés Il convient, en permanence, de placer toute réflexion sur
et de les projeter dans l’avenir. le contenu des métiers individuels dans une dimension
rétrospective et prospective. En effet, un historique des
Dans un contexte où avoir un métier, ce n’est plus être métiers permet une meilleure compréhension de la
libre au sens où l’entendait Proudhon (j’ai un état, je construction du métier individuel. Il conduit à relativiser
peux aller partout, je n’ai besoin de personne), mais parfois l’importance du présent dans la détermination
c’est être détenteur d’un patrimoine dont on pense, à du futur, ce que Michel Godet (Godet, 1997) appelle
tort ou à raison, qu’il a une valeur sur un marché du « l’illusion des nouveaux métiers ». La capacité d’un
travail qui transcende celui de l’entreprise (Piotet, métier individuel à supporter plusieurs périodes de
2002), on comprend alors l’enjeu tant individuel que mutation doit nous inciter à être plus circonspects quant
social, voire sociétal que représente le devenir des à l’impact de mutations répétées ou anticipées.
métiers. L’observation des métiers se trouve ainsi
légitimée en ce qu’elle se pourvoit comme réductrice 1.2 - La méthodologie mise en œuvre
d’incertitude, d’asymétries d’information et qu’elle
permet une meilleure appréhension de l’espace-temps. Pour cette étude sur le devenir de l’auditeur social, nous
La problématique d’une prospective des métiers peut avons utilisé la méthode nommée P.M pour Prospective
prendre diverses orientations : Métier, qui comprend plusieurs étapes que nous
détaillons dans le tableau ci-après.
- Il s’agira pour l’organisation et l’individu de s’intéres- Nous allons faire une rapide présentation de la façon
ser à l’évolution des compétences nécessaires à l’exer- dont se déroule cette étude.
cice d’une activité, d’un métier.
- Il y aura lieu de prendre en compte les relations entre L’analyse documentaire
le devenir d’un métier individuel et le métier de l’en- Dans un premier temps, nous avons réalisé un état de
treprise auquel il se rattache. Les articulations entre l’art sur le sujet. Pour ce faire, nous avons constitué une
l’un et l’autre sont souvent plus complexes qu’il n’y base documentaire à partir de données provenant de
paraît : par exemple, ce n’est pas parce qu’un métier journaux académiques français ou anglo-saxons, de
d’entreprise est stagnant ou décroît même sensible- revues de presse ou d’études réalisées sur l’audit social
ment qu’il ne peut procurer des débouchés intéressants en général. Nous avons ensuite sélectionné un ensemble
compte tenu parfois du taux de renouvellement des d’acteurs-experts (20 au total) de par leurs expériences
effectifs, qui peut être plus important que celui de la et parcours.
décroissance elle-même.
- Pour chaque métier, on pourra au moins se poser trois Les entretiens d’acteurs-experts
types de questions. S’agit-il : Nous avons en effet réalisé 20 entretiens en profondeur
- D’un métier perdu » pour lequel, quel que soit auprès de ces acteurs-experts. Ces entretiens ont tous
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Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
Encadré 1 : La méthode PM
été réalisés de la même manière autour de trois thèmes mencent à impacter l’activité de l’auditeur social, puis
essentiels : nous terminerons par la présentation de quelques
! Quelles sont les principales mutations externes premières pistes de réflexion quant au devenir de
(liées à l’environnement externe de votre entreprise) l’auditeur social.
que vous êtes en train de vivre et qui ont ou auront un
impact sur votre organisation et sur vos métiers ? (ces 2.1 - Définitions
mutations peuvent être d’origine économique, juri-
dique, technologique, sociologique ou politique) L’IAS (Institut de l’Audit Social) propose une défini-
! Quelles sont les principales mutations internes que tion de l’audit social : « forme d’observation qui tend à
vous êtes en train de vivre et qui ont ou auront un vérifier qu’une organisation a effectivement réalisé ce
impact sur votre organisation et sur vos métiers ? (ces qu’elle dit avoir fait, qu’elle utilise au mieux ses
mutations peuvent être d’origine économique, moyens, qu’elle conserve son autonomie et son patri-
juridique, technologique, sociologique, politique ou moine, qu’elle est capable de réaliser ce qu’elle dit vou-
organisationnelle) loir faire, qu’elle respecte les règles de l’art et sait éva-
! et enfin, quels sont vos souhaits de changements luer les risques qu’elle court ». L’Audit Social sert à
prioritaires quant aux compétences ou métiers liés à repérer et quantifier les risques liés au personnel dans le
l’environnement. but de les réduire. Pour mener un audit social complet,
Ces entretiens, d’une durée de deux heures environ, ont il faut s’intéresser au cadre juridique (audit minimum =
tous été retranscrits intégralement. audit de conformité), aux ressources humaines (poli-
tique managériale et application de celle-ci) et pour
L’analyse de contenu et la rédaction d’un questionnaire aller au bout, audit de la RSE (la question est de savoir
Nous avons ensuite procédé à une analyse de contenu. jusqu’où va cette responsabilité sociale de l’entreprise,
Cette analyse de contenu a été réalisée par codage fournisseurs et sous-traitants directs et indirects ?).
thématique. Ce travail nous permet actuellement de L’audit social porte sur :
construire un questionnaire qui sera envoyé d’ici l’été - la structure : droit des salariés, condition de travail,
aux acteurs-experts. Après l’analyse de ce questionnaire, qualité du management (formation, pression sur les
une journée de travail sera organisée afin de faire équipes de travail…), organisation…
travailler ensemble des acteurs-experts et de pouvoir - l’environnement de l’entreprise : fournisseurs, les
ainsi déployer la méthode PM dans sa globalité. Les sous-traitants, (distribution ?), la qualité de vie des
résultats présentés ci-après sont donc à considérer employés de l’entreprise…
comme des résultats intermédiaires ou des premières
pistes de réflexions. Le tableau ci-après présente les acteurs de l’audit social
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Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
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Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
suivie avec la chambre des employés privés de 2.3 - Les premiers résultats :
Luxembourg, l’institut de l’Audit Interne (IFACI),
l’association Portugaise des ressources humaines Il convient désormais, à l’issue de la présentation du
(APG) ainsi que des organisations d’auditeurs sociaux contexte général, de présenter les premiers résultats.
au Maghreb. Le CCIAS délivre actuellement des certi- Quelques pistes peuvent dorénavant être posées :
ficats d’auditeur social dans deux spécialités : l’audit
GRH et l’audit RSE, en conformité avec les normes Piste de réflexion : l’Auditeur Social « Judiciarisé »
internationales. Le CCIAS délivre depuis plusieurs Aujourd’hui, les entreprises sont soumises à des
années des certificats d’auditeur social et d’auditeur pressions émanant de toutes les parties prenantes du jeu
social chef de mission en référence : économique. Aux côtés des comités de direction des
actionnaires, des employés et de leurs organes repré-
- A la norme internationale ISO 19011 pour ce qui sentatifs, des clients, agissent des groupes de pression
concerne les principes généraux d’audit, la qualifica- comme des ONG, des associations de consommateurs,
tion générale et les qualités personnelles des auditeurs. des associations de riverains, la presse, les Pouvoirs
Publics. Chacune de ces parties possède son propre
- Aux référentiels spécifiques de l’audit social établis intérêt au développement de l’entreprise et se pose
par l’IAS, fondateur de la discipline, au sein d’un comme contre-pouvoir dès lors que l’entreprise néglige
groupe représentatif de personnalités issues des diffé- le bien général. Face à ses différentes pressions externes
rentes parties prenantes de la RSE. et internes, les entreprises ressentent un besoin accru de
protection et de justification. C’est un besoin d’autant
Les certificats délivrés par le comité de direction du plus important que les organisations évoluent dans un
CCIAS attestent de la capacité de leurs titulaires à contexte juridique de plus en plus strict et sévère. La
pratiquer des missions d’audit social conformément aux prolifération des lois en terme de responsabilité des
règles professionnelles et à la déontologie de la spécialité. entreprises (loi NRE, Sarbanes-Oxley, GRI…) est à
Le certificat obtenu est valable dans « tout pays » du fait l’origine de la confusion qui règne autour d’elles. La
de la reconnaissance réciproque des accréditations capacité à raisonner en terme de risques juridiques va
délivrées par les organismes internationaux compétents. amener les entreprises à faire appel à des experts exté-
Sa validité est de trois ans à compter de la date de sa rieurs en droit social afin de leur garantir une conformité
délivrance. Il est renouvelable, après examen, pour des et ainsi réduire les risques pénaux et les coûts inhérents
périodes successives de 3 ans. L’accréditation des à toute action en justice. Dans cette optique, on imagine
organismes de certification permet d’assurer aux un auditeur social avocat capable d’avertir l’entreprise
milieux économiques et sociaux que les organismes sur les risques qu’elle court en matière de droit social,
détenteurs d’une accréditation opèrent au niveau de la sociétal et environnemental. Une analogie peut être
qualité fixée internationalement. En France, l’accrédita- faite avec les cabinets anglo-saxons qui réalisent des
tion est délivrée par le COFRAC. Pour un organisme audits de conformité pure. Nous pourrions donc envisager
certificateur, une telle accréditation n’est pas obligatoire. que pour les entreprises soumises à la loi NRE, le com-
Elle présente cependant des avantages importants pour missaire aux comptes soit lui-même habilité à faire cet
les auditeurs et pour leurs clients. Elle incite l’organisme audit de vérification du rapport annuel, tant sur les
certificateur à des efforts permanents de maîtrise et parties comptables et financières que sur les parties
d’amélioration de son dispositif. Elle assure donc les sociale, sociétale et environnementale. En effet, il s’agit
auditeurs certifiés et leurs clients de la valeur du certifi- simplement de vérifier l’existence de documents.
cat délivré et du maintien de cette valeur dans le temps.
Elle permet aux auditeurs certifiés de faire valoir leur Piste de réflexion : l’Auditeur Social « Certificateur »
professionnalisme hors des frontières nationales. La complexification et la judiciarisation du système
entraîne, comme nous avons pu le mentionner, un
2.2 - L’évolution du contexte besoin de sécurité accru face au risque pénal. Aussi, un
des moyens les plus sûrs actuellement de se protéger,
Les entreprises et organismes sont de plus en plus d’un point de vue national et international, est la certifi-
soucieux de l’éthique et des valeurs morales dans leur cation. En effet, il semble important pour les entreprises
fonctionnement et leurs relations avec les parties de pouvoir communiquer leur fiabilité sur des domaines
intéressées (stakeholder). La prise en compte des tels que la qualité, le management, l’environnement. Le
problématiques liées au développement durable et au domaine social est déjà évoqué dans certaines certifica-
respect des travailleurs et des fournisseurs devient un tions, toutefois, il n’en existe pas de spécifique. Au
facteur de différentiation auprès des actionnaires et de niveau international, après les normes ISO 9000 et
l’opinion publique. Les critères d’évaluation de nota- 14 000, la norme dont on entendra parler dans les entre-
tion, de loi et de normes sont multiples et variables, prises pourrait bien être la norme SA 8000. La SA
comme le précise les tableaux pages 7 et 8 : (Social Accountability) 8 000 a été élaborée en 1997 par
358
Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
Loi/Normes Caractéristiques
La loi NRE :un décret d'application de la loi sur les Nouvelles Régulations Économiques -NRE- rendant obligatoire pour
les sociétés cotées sur un marché réglementé la fourniture, dans leur rapport annuel, d'informations sur les
conséquences sociales, territoriales et environnementales de leurs activités, vient d'être publié au Journal
Officiel du 21 février 2002. L'information environnementale fournie par les sociétés cotées est rendue plus
accessible, plus cohérente et plus complète. Devront ainsi figurer dans le rapport annuel les consommations
de ressources en eau, en matières premières, en énergie, les rejets affectant gravement l'environnement,
notamment les gaz à effet de serre, objets d'un arrêté complémentaire qui sera publié dans les prochaines
semaines. En outre, dans une perspective dynamique de responsabilisation des acteurs et d'amélioration
progressive des conditions de production pour l'environnement, les sociétés devront indiquer : mesures
prises pour limiter les atteintes à l'équilibre biologique, aux milieux naturels, aux espèces, les démarches
internes pour mieux former et informer les salariés sur l'environnement, pour réduire les risques ou
promouvoir le recours aux énergies renouvelables.
Les entreprises devront également faire figurer au rapport annuel des informations sur la manière dont elles
prennent en compte l'impact territorial de leurs activités. Les relations avec les populations riveraines et les
associations devront être traitées, conséquence légitime de l'importance acquise par les questions de
localisation de sites, de risque industriel et de débat public. Le rapport indiquera également l'importance de
la sous-traitance et la manière dont la société promeut auprès de ses sous-traitants et s'assure du respect par
ses filiales des conventions fondamentales de l'Organisations Internationale du Travail (OIT), ainsi que des
informations quant à l'impact sur le développement régional et les populations.
Normes Les normes des familles ISO 9000 et ISO 14000 comptent parmi les normes les plus connues que l'ISO ait
ISO 9000 et jamais publiées. Elles sont mises en œuvre par quelque 760 900 organisations dans 154 pays. ISO 9000 est
ISO 14000 : devenue une référence internationale pour les exigences de management de la qualité dans les relations
interentreprises et ISO 14000 devrait réussir aussi bien, sinon mieux, en permettant aux entreprises de
relever leurs défis en matière d'environnement.
La famille ISO 9000 traite principalement du "management de la qualité". Ce terme recouvre ce qu'un
organisme réalise pour répondre:
- aux exigences qualité du client et - aux exigences réglementaires applicables, tout en visant,
- à améliorer la satisfaction du client, et
- à réaliser une amélioration continue de ses performances dans la recherche de ces objectifs.
La famille ISO 14000 traite principalement du "management environnemental". Ce terme recouvre ce que
l'organisme réalise pour:
- réduire au minimum les effets dommageables de ses activités sur l'environnement, et
- réaliser une amélioration continue de ses performances environnementales.
Norme ISO C’est une norme d'audit commune pour les systèmes de management de la qualité et environnemental qui
19011 vient de paraître. A l‘heure où l’entreprise concentre ses efforts en matière de qualité et d’environnement, les
chefs d’entreprise doivent être informés sur les démarches qui la conduiront vers la réussite des audits menés
dans ces domaines. La norme ISO 19011 "Lignes directrices pour l'audit des systèmes de management de la
qualité et/ou de management environnemental", permet d’atteindre cet objectif. Elle signe ainsi de façon
officielle l’entrée dans l’ère du Management Intégré en introduisant les notions d’audit conjoint et d’audit
combiné. Elle donne des conseils sur le management de programmes d’audit, la réalisation d’audits internes
ou externes de systèmes de management de la qualité et/ou de management environnemental, ainsi que sur la
compétence et l’évaluation des auditeurs.
La norme SA La norme SA 8000 est le guide de référence pour construire un système de management permettant d'assurer
8000 le respect des exigences liées à la responsabilité sociale. Ce système peut s'intégrer aux systèmes de
management existants dans l'entreprise (qualité, environnement…).
Quelques critères de la norme SA 8000 :
Travail des enfants : travailler en deçà d'un âge minimum / Travail forcé : punir physiquement ou confisquer
des biens personnels / Santé et sécurité : prévention des risques / Discrimination / Discipline / Heures de
travail / Rémunération...
- Quels bénéfices attendre de la SA 8000 ?
Bénéfices pour l'entreprise : Transformation des valeurs sociales de l'entreprise en actions concrètes,
Valorisation de l'image sociale de l'entreprise, Motivation et fidélité du personnel, Relations mutuellement
bénéfiques avec les fournisseurs. Bénéfices pour le personnel : Volonté d'organiser l'expression collective
dans l'entreprise (syndicats et partenaires sociaux), Sensibilisation des collaborateurs à leurs droits
fondamentaux. Bénéfices pour les consommateurs : Assurance d'acheter des produits et services à une
entreprise « éthique ».
359
Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
un organisme américain le CEPAA (Council on audit des causes. Il reste purement descriptif et non
Economic Priorities Accreditation Agency), aujourd’- explicatif. On peut voir une amélioration dans le passage
hui appelé SAI (Social Accountability International), de la loi à la norme, c’est qu’une entreprise est obligée
afin de répondre à la demande des associations de de respecter la loi alors qu’elle choisit - l’environne-
consommateurs. Elle s’appuie sur des grands textes de ment concurrentiel l’oblige presque autant que la
référence en matière des droits de l’homme dont la Justice - d’adhérer à une norme. C’est un pas en avant
déclaration universelle des droits de l’homme de qui laisse présager un contrôle de l’auditeur facilité
l’ONU, les conventions du Bureau International du puisque plus volontaire de la part de l’entreprise. En
Travail et la convention de l’ONU sur les droits de l’en- plus, si les lois sont différentes selon les pays, les
fant. La certification SA 8 000 garantit des conditions normes n’ont pas de frontières. Il y aura aussi une
de travail sûres et décentes. En France, peu d’entreprises communication de cette accréditation qu’obtiennent les
ont souhaité se faire certifier SA 8 000 (3 recensées à ce entreprises, aussi l’auditeur certificateur devra
jour). Le plus grand nombre de certifiés se trouvent en lui-même être certifié (ce peut être là le rôle d’organis-
Asie. En Europe, c’est l’Italie qui en compte le plus. mes comme le CCIAS), pour évaluer l’éligibilité d’une
Toutefois, si la SA 8 000 a le mérite de donner un cadre entreprise à la norme. Ces auditeurs ne pourraient être
dans des pays où les lois sociales sont inexistantes, peu qu’externes par souci de crédibilité des entreprises. Le
contraignantes ou faciles à détourner, elle n’est peut- besoin en normes des entreprises fait pressentir l’indus-
être pas adapté aux exigences des clients qui évoluent trialisation de l’audit. En effet, les audits deviennent des
dans des états où ces principes sont un minimum déjà démarches normalisées. Les entreprises préfèrent une
dépassé par le plus grand nombre. Il est à noter démarche basée sur les outils, le diagnostic que des
qu’actuellement, l’ISO examine la possibilité d’élaborer audits sur-mesure, souvent considérés comme un inves-
des normes internationales touchant à la responsabilité tissement trop lourd. Si les process ne sont pas indus-
sociale des entreprises et qu’il ne serait pas étonnant de trialisés, l’auditeur ne sera pas rentable, malgré le retour
voir un certain nombre de normes en matière sociale se sur investissement possible. En effet, un audit social
créer. C’est un marché qui va prendre forme avec permet souvent des zones d’économies plutôt que des
l’apparition de certificateurs professionnels, activité zones de coûts en faisant ressortir des gaspillages. Et les
envisageable dans le portefeuille de l’auditeur social. PME dépensent souvent plus d’argent que ce qu’elles
C’est un niveau d’audit plus avancé que l’audit de ne devraient par une mauvaise maîtrise des sources de
conformité dont nous parlions dans le scénario précé- coûts. Toutefois, il n’y a pas de métier au monde qui ne
dent, toutefois il s’agit simplement d’attester d’une subisse pas la loi de la productivité, et l’audit social
conformité par rapport à une norme, et ce n’est pas un comme n’importe quelle activité va certainement passer
360
Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
par une phase de standardisation des outils. Dans le prise par les employés, à la définition des métiers, aux
cadre d’un audit d’efficacité ou d’amélioration, cette relations internes avec la hiérarchie, à la gestion de
standardisation se fera naturellement par la multiplica- l’information en interne, à la pertinence des systèmes de
tion des audits sociaux. rémunération, à la formation professionnelle, à la mobi-
lité et la vision de l’avenir de l’entreprise. Sur ce marché,
Piste de réflexion : l’Auditeur Social il existe une place évidente pour des auditeurs sociaux
« Communicateur » externes dont la principale qualité est la neutralité ; qua-
Le concept de Responsabilité Sociale de l’Entreprise lité nécessaire si l’entreprise veut communiquer légiti-
repose sur « l’intégration volontaire par les entreprises mement ses résultats. Pour faire valoir son image
de préoccupations sociales et environnementales à leurs d’organisation socialement responsable, l’entreprise
activités commerciales et leurs relations avec les parties cliente d’un audit social recherche des auditeurs recon-
prenantes ». Toutefois, cette définition n’a pas la même nus en la matière. Toutefois, si le souci de l’efficacité
dimension dans une PME et dans une multinationale. est prépondérant, plus que la reconnaissance, ce sont
Dans un contexte de mondialisation, en demandant à des critères d’expertise qui seront recherchés, des
leurs fournisseurs et à leurs sites de production d’être experts du social plus que des experts de l’audit. Dans
certifiés SA 8 000, les sociétés internationales soucieuses les grandes entreprises, on peut envisager la création de
de leur image veulent ainsi éviter d’avoir leur nom asso- cellules internes spécialement dédiées au contrôle du
cié à des pratiques inadmissibles. L’intérêt fondamental respect des engagements de l’entreprise, comme c’est le
de l’audit social tiendrait au souci de l’image externe de cas par exemple au sein de Décathlon. Les PME qui
l’entreprise. L’audit trouve alors sa légitimité dans la n’ont pas les moyens ou les compétences nécessaires à
question du contrôle des engagements, et notamment ce type de démarche n’auront pas d’autres choix que de
chez les fournisseurs ou au sein des filiales dans des faire appel à des auditeurs externes, ceux-ci ayant tout
pays où le droit social local ou l’Etat est défaillant. On de même pour mission finale d’impulser un dialogue
peut effectivement parler de marketing social. Sur social et une prise en comte des enjeux par la mise en
certains points tels que l’hygiène et la santé, les audits place d’outils de quantification. Ces outils sont un
se sont montrés efficaces. Les limites de ces audits tien- moyen de placer l’audit social dans un continuum et
nent à l’inexistence d’un système unique mis en place non comme une action « one shot ».
pour respecter les codes de conduite. Les groupes
internationaux créent et signent des chartes avec les Piste de réflexion : l’Auditeur Social « Explicatif »
représentants des salariés et leurs partenaires commer- La norme est un passage obligatoire pour donner un
ciaux, mais la signature de tels accords globaux doit être cadre à ce que l’on traite. L’audit social en général traite
contrôlée et surtout ces bonnes intentions ne doivent pas de nombreux domaines particuliers. Toutefois on a du
être annihilées par des pratiques d’achat irresponsables mal à envisager un audit totalement normalisé. À tel
de la part des donneurs d’ordre. Si la plupart de ces point que l’auditeur n’aurait plus besoin de compétences
audits de RSE sont essentiellement des audits de dans le domaine social mais se contenterait de remplir
conformité aux référentiels issus de chartes ou de les grilles d’un référentiel. Et on a encore plus de mal à
normes, toutes les entreprises ne veulent pas que du l’imaginer dans le domaine du social. Il s’agit plus de
contrôle et sont demandeuses d’actions correctives à penser la situation en considérant les parties prenantes
mettre en place, de préconisations. Une qualité essen- dans leur globalité avec leurs valeurs, leurs enjeux, leur
tielle de l’auditeur sera donc l’empathie, il lui sera affect, en travaillant avec les intéressés à l’identification
demandé d’être capable de prendre en compte les réalités de zones de convergence d’intérêt pouvant servir de
d’un pays, sa culture, son économie, sa religion, sa poli- base à des contrats gagnant-gagnant. Un postulat de
tique pour accompagner des entreprises dans le domaine départ est que la responsabilité sociale d’une entreprise
des RH et de l’organisation. Concernant les plus petites n’est pas la même suivant le type d’entreprise (sa taille,
entreprises, l’audit social est plutôt un outil de commu- son secteur d’activité, sa localisation, sa culture…). Il
nication interne, parce qu’il est plus utilisé comme outil paraîtrait donc légitime de construire un référentiel
de pilotage de la politique RH. L’audit permet de passer d’obligations minimales délimitant un cadre, un garde-
de la déclaration aux pratiques. En effet, dans une fou, qui pourra être renforcé par les obligations issues
logique d’anticipation de mutations de l’environne- du droit du pays si celui-ci est plus fort, dans lequel les
ment, les dirigeants se doivent de connaître le climat acteurs pourront effectuer un travail de personnalisa-
social afin de prendre en compte les attentes de leurs tion, notamment au niveau des indicateurs. Il faut leur
employés en matière de ressources humaines. La laisser une certaine marge de manœuvre dans la cons-
consultation du personnel permet de le sensibiliser à truction de ces indicateurs si on veut qu’ils se les appro-
tout changement social et d’adapter ces changements à prient. Ils ne seront peut-être pas ceux que chaque
ses attentes. Un audit du climat social s’attache à des partie aurait individuellement choisis mais une réponse
points de préoccupations clés de la gestion sociale des de groupe. Dans cette logique du référentiel contractuel,
organisations comme la perception générale de l’entre- le métier d’auditeur social prend tout son sens. En effet,
361
Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
dans ce type d’audit, la dimension humaine et sociale se performance d’une entreprise dans un domaine particulier
retrouve à la fois à l’ordre des ressources, et de l’ordre et notamment en cas de fortes mutations des contraintes
des finalités. Il faut donc des auditeurs expérimentés liées à l’environnement direct de l’entreprise. Pour de
dans le domaine social, formés à la culture d’un secteur nombreuses entreprises, l’audit social est un outil de
d’activité, d’une entreprise et avec de l’expérience. Ce pilotage de la politique RH. En fonction de l’évolution
niveau d’audit qu’on appelle explicatif, par opposition à de la demande, l’audit social va être amené à se déve-
déclaratif, répond à une volonté d’efficacité des lopper dans des disciplines existantes ou dans de
pratiques managériales et pas seulement à du marketing nouvelles disciplines. Au cours de nos entretiens avec
social. On s’intéresse au résultat en terme d’efficacité les acteurs-experts nous avons noté l’émergence de
plus qu’en terme de conformité à des règles. Ce volet de nouveaux types d’audit. Premièrement un audit
la conformité n’est pas négligé, mais cette première d’aptitude plus qu’un audit de compétence, cet audit
étape de contrôle, si elle est nécessaire, n’est pas suffi- consisterait à évaluer les aptitudes du personnel afin de
sante. Il s’agit de soulever où sont les problèmes mais l’employer à un poste qui correspond pleinement à ses
surtout de comprendre pourquoi ils existent. C’est le capacités de manière à optimiser sa performance au sein
rôle de l’auditeur social que de rechercher les causes de l’entreprise. L’auditeur social devra posséder des
des problèmes, faire un diagnostic social afin que la compétences RH et également des compétences en
direction puisse prendre les bonnes décisions. Cet audit psychologie. Ces deux qualités permettront à l’auditeur
n’est réalisable qu’en recueillant les informations de de positionner les collaborateurs dans des postes qui
toutes les parties prenantes. Et il est parfois difficile de correspondront à leurs aptitudes. Deuxièmement, un
convaincre une entreprise du bénéfice qu’elle peut réel- audit de vérification du rapport annuel, depuis l’apparition
lement tirer d’un audit social. La peur du jugement des en 2001 de la loi NRE, les entreprises cotées en bourse
pratiques des dirigeants, le devoir de remise en question sont tenues de présenter chaque année un rapport annuel
et la peur du changement après l’audit restreint la qui reprend les données économiques mais qui dressent
demande. L’audit social n’est pas forcément impulsé également un bilan sur son comportement social.
par la prolifération des lois mais surtout par la réalité Aujourd’hui les informations concernant le social,
complexe d’un marché en complexification constante. contenues dans ce document sont purement déclaratives,
Les entreprises vont devoir prendre nécessairement le il n’y a aucune obligation de vérifier ce qu’il contient.
social en compte car il participe de la bonne santé de L’émergence de fonds de placement, se basant sur ces
son économie. Dans ce cadre, l’audit social est envisagé fameux rapports pour investir dans les sociétés concer-
comme un dispositif visant à maîtriser les modalités de nées, crée une nouvelle demande. En effet les personnes
pilotage de la dimension humaine et sociale afin d’amé- en charge de chercher les entreprises qui répondent à
liorer la compétitivité de l’entreprise et par-là même sa une certaine éthique sociale souhaitent savoir si ces
performance. Il est certain que la dimension externe de informations sont pertinentes, d’où l’apparition d’audi-
l’audit social ne peut être remise en cause. D’une part teurs sociaux qui auraient pour mission de vérifier si les
parce que la conformité appelle la neutralité de celui qui informations avancées sur ces documents sont bien
la certifie et d’autre part, parce que les entreprises n’ont réelles et appliquées au sein de la société. Les cabinets
pas toujours les moyens et/ou les compétences en interne de notation sociale type VIGEO se sont notamment
et préfèrent faire appel à un expert pour réaliser une positionnés sur cette demande. Leur travail consiste en
telle démarche. Toutefois comme nous l’avons vu, il y a l’analyse de la documentation que l’entreprise donne,
un travail après l’audit ; d’ailleurs, du point de vue des croisée avec des informations des parties prenantes.
associations, « le vrai travail commence après l’audit » L’émergence d’un audit de la formation ne saurait plus
et les DRH insistent sur le fait que l’auditeur doit faire tarder. En effet, depuis la réforme sur la formation
des préconisations. Se pose alors la question, de professionnelle tout au long de la vie, toutes les entre-
jusqu’où ? Jusqu’où doivent aller les préconisations ? prises sont dans l’obligation de financer des formations
La frontière entre audit et conseil est très mince et méri- à leurs collaborateurs afin que ceux-ci puissent maintenir
te d’être débattue dans la prospective du métier d’audi- leur employabilité et leurs compétences en adéquation
teur social. avec les besoins du marché de l’emploi. Les masses
d’argent engagées sont très conséquentes et une prise de
Piste de réflexion : l’Auditeur Social « Spécialiste » conscience peut amener de nombreuses entreprises à
Si l’avenir de l’audit social se situe dans une démarche faire appel à des auditeurs sociaux pour savoir si les
globale, il peut aussi être envisagé, la spécialisation sommes engagées dans le DIF et la formation en géné-
d’auditeurs sur certaines grandes questions du social, rale ont une répercussion positive au sein de l’entrepri-
telles que les compétences, la formation, l’environne- se et si elles permettent d’améliorer soit la productivité
ment, le recrutement, la discrimination, l’absentéisme soit la qualité du travail. L’audit de spécialités ne se
ou la rémunération, et cette liste n’est pas exhaustive. réduit à ces trois citées. Il concerne tous les points de
Nous avons pu noter qu’il existait aussi une demande de préoccupations de la politique RH de l’entreprise. Peut-
ce genre. A savoir une évaluation du risque et de la être que ces besoins d’audit de spécialités sont un pre-
362
Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
mier pas vers une démarche plus globale, les auditeurs Si l’on considère qu’un métier se définit par son utilité
sociaux auraient alors un moyen de justifier leurs com- sociale reconnue, par une technicité spécifique et par
pétences avant d’entrer dans l’audit social au sens large. une déontologie, le métier d’auditeur social a toutes les
chances de s’imposer car :
- L’audit social a une utilité sociale et sociétale recon-
Conclusion/Discussion : nue (audit d’efficacité et de conformité dont nous
avons parcouru la diversité).
vers une professionnalisation - Sa déontologie doit être renforcée comme tous les
métiers d’auditeurs en créant et en professionnalisant
de l’Auditeur Social ? le métier d’auditeur social (développer les formations
d’auditeurs sociaux, développer le principe d’audi-
teurs agréés, certifiés, garantir l’indépendance et de
neutralité des auditeurs).
Aujourd’hui l’audit social explicatif qui permet de trouver - Sa technicité doit être elle aussi renforcée par la
les causes de dysfonctionnement d’ordre social dans les création de concepts et de méthodologies spécifiques2.
entreprises et de proposer des pistes de réflexions est L’auditeur social c’est quelqu’un qui doit disposer
encore peu développé et cela pour de diverses raisons. d’une méthodologie et d’une expertise dans le domaine
La première de ces raisons est le manque de visibilité social, un savoir-faire d’évaluation qui est pratique-
des auditeurs sociaux sur le marché. Ce manque de visi- ment normalisé via ISO 19000. L’audit social devient
bilité engendre des réticences des entreprises à faire dès lors une discipline qui s’appuie sur des faits et qui
appel à l’audit social. Il fait peur ; d’une part, il traite de vérifie quels sont les dangers et les opportunités qui
sujets sensibles avec des partenaires sensibles, d’autre sont les conséquences des actions et des décisions de
part, il n’existe pas de métier d’auditeur social. Les l’entreprise.
auditeurs avouent souvent se faire leur clientèle « audit
social » grâce aux relations qu’ils ont construites. Il n’y Pour ce faire, un besoin de valorisation et de communi-
a pas d’appel d’offre en la matière. cation sur les résultats des audits semble nécessaire.
L’avenir sera très largement lié à la capacité des profes-
L’IAS à un rôle à jouer en ce sens qu’il doit être un sionnels à valoriser leurs activités à communiquer sur
vecteur de communication de l’audit social. Il doit non les résultats et sur la création de valeur de l’audit social.
seulement assurer la promotion de l’audit social en Des institutions comme l’IAS ou d’autres doivent jouer
sensibilisant les entreprises sur ces vertus en terme le rôle de promoteur de l’image de l’audit social comme
d’évaluation mais de surtout de maîtrise du risque social un instrument fondamental créateur de valeur qui doit
dans un environnement en constante mutation. Cela convaincre les clients potentiels que cela vaut la peine
peut éventuellement passer par exemple par une com- d’investir dans un audit car cela va leur permettre de
munication portant sur le travail effectué et les résultats progresser fortement. L’objet de cet article était de dresser
obtenus par les auditeurs mandatés. Il faudra aussi les premières pistes issus du travail de recherche de
clarifier le positionnement de l’audit social par apport à nature prospective sur le devenir de l’auditeur social.
tous les audits existant, notamment pour anticiper le Nous attendons des prochaines étapes de la démarche
développement des normes spécifiques de l’audit social PM (Prospective Métier) un enrichissement de ces pre-
(ISO travaille actuellement sur le sujet). L’IAS, en mières pistes afin de pouvoir réellement dresser les
partenariat avec le CCIAS, a un rôle à jouer dans la « possibles » du métier d’auditeur social.
standardisation des outils des auditeurs. Les entreprises
ont une vraie demande en terme d’efficacité même dans
le domaine social. Et c’est effectivement en terme
d’efficacité que doit être envisagée cette standardisation,
elle permettra notamment de diminuer le temps d’audi-
tion des entreprises. Et c’est là un moyen de faciliter la
diffusion des audits aux PME qui n’ont pas les moyens
financiers de réaliser des études longues et par consé-
quent coûteuses.
363
Le « métier » d’auditeur social : réalité et devenir ?
Aline SCOUARNEC - Antoine VENIARD
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364
Le coaching : une pratique universelle ?
Dominique STEILER - Raffi DUYMEDJIAN
Le coaching : Introduction
une pratique
Après avoir connu un démarrage confidentiel puis une
explosion tant dans les volumes d’activités que dans les
diversités de pratiques, le coaching semble aujourd’hui
vouloir s’exporter vers des pays où il n’a pas encore
365
Le coaching : une pratique universelle ?
Dominique STEILER - Raffi DUYMEDJIAN
Histoire d’une pratique comprendre la situation dans laquelle vous vivez, savoir
entrer petit à petit dans une attitude d’apprendre,
« Une connaissance commune m’a parlé de vos inter- d’ouverture qui enrichisse vos perceptions, vos ressentis,
ventions. Je suis intéressé et je voudrais voir avec vous vos comportements et la vision de votre environnement
si nous pouvons envisager une action de coaching » - afin, alors, d’utiliser l’outil approprié. De plus, il ne
c’est ainsi que démarre le premier contact avec le PDG s’agit pas d’entrer dans une approche directe d’utilisa-
d’une société de 400 personnes du secteur industriel tion de tel outil pour telle fin. Dans ma façon d’aborder
(Marc M.). À l’issue d’un court entretien téléphonique, le coaching, les outils sont distillés, ingérés, digérés
nous convenons d’une première rencontre dont l’objet puis oubliés, en ce sens où ils font alors partie du coach
est une présentation mutuelle destinée à partager notre ou de la personne, ils sont devenus des automatismes
vision respective d’une démarche de coaching. hors du champ immédiat de la conscience, installés
dans une connaissance en action qu’on laisse parler
En début de rencontre, après une courte présentation de avec le souci de vivre mieux le moment de la situation.
son activité professionnelle et de son environnement, M - Je reste pourtant très intéressé par le fait de connaî-
Marc aborde sa demande principale qui porte sur un tre différentes techniques pour mieux gérer mon stress
problème de gestion du stress qu’il veut régler pour professionnel et c’est aussi cela que j’attends de vous.
améliorer sa performance. D - Je pense qu’une trop grande focalisation sur la maî-
Le texte qui va suivre présente des extraits de cette pre- trise d’un outil fait courir le risque d’une croyance d’un
mière rencontre. pouvoir sur les choses. La personne croit alors qu’il
Dominique (D) - Votre demande entre bien dans le existe quelque part un outil efficace à 100 % qui lui
cadre d’une démarche de coaching, située entre un permettra de résoudre son problème. Il me semble plus
développement personnel et un développement mana- intéressant dans un premier temps d’expérimenter, de
gérial. Peut-être que le premier point sur lequel je tiens comprendre qu’il existe différents points de vues et
à échanger avec vous est celui de cette notion de différentes approches et que chacune possède sa part de
performance que vous incluez dans votre demande. réussite et d’échec. Ce vécu au sens large, intellectuel,
Dans cette démarche de coaching, la performance ne émotionnel, physique et comportemental se fait dans
sera pas considérée comme un objectif à atteindre. Elle une relation de coaching moins pour l’autre qu’auprès
conservera sa place, celle d’un but, plutôt lointain, que de l’autre et dans l’échange avec lui. Une certaine
l’on désire atteindre sans complètement connaître sa vision du coaching parle d’une démarche en pouvoir
forme finale. Ce qui nous intéressera plus, ce sera donc pour1, qui déjà ne place plus le rapport au même endroit
les objectifs que nous dessinerons au fur et à mesure de que le pouvoir sur. Pour mon cas, le bon terme serait plus
nos rencontres, qui seront eux les éléments à maîtriser un pouvoir avec, une attitude côte à côte, de partage à
pour atteindre cette performance. Autrement dit, nous travers lequel chacun apporte et chacun est ouvert à
distinguerons deux temps dans la vie professionnelle : l’expérience de l’autre. Le coach est en pouvoir avec le
le temps de l’apprendre et le temps de l’efficacité. manager exactement comme le manager est en pouvoir
Avancer dans l’apprendre, comprendre la situation et lui avec le coach. Il n’y a pas là de relation de force, ni à
donner une voix nous permettra de construire les condi- l’autre, ni à l’outil, ni au problème. Il n’y a pas non plus
tions à partir desquelles la performance découlera. de relation d’autorité, le coach ou l’outil n’ont pas plus
M - Est-ce que cela veut dire que notre contrat ne défi- autorité que le manager sur le thème qui sera abordé
nira pas d’objectifs, ni de plan précis ? dans la séance. Chacun possède une partie de pouvoir
D - Si, mais d’une manière spécifique ! Il définira ce faire ensemble quelque chose.
que vous ciblez aujourd’hui comme étant votre demande M - Bien, je comprends cela. Ferons-nous tout de même
pour s’en servir de point de repère. Il précisera ensuite, un diagnostic ?
mais sans les pré-planifier de façon rigide, les étapes, D - Oui. L’objet de ce diagnostic sera surtout de démar-
les méthodes et outils et l’objet final de l’intervention. rer une connaissance commune du contexte dans lequel
Ce qui importera, c’est bien plus nous adapter en continu s’inscrit cette intervention ainsi que de mieux vous
aux contextes et aux situations, pour en construire une connaître. Il facilitera ainsi la création de liens entre
compréhension commune à partir de nos échanges. vous, moi, le contexte et la situation. À l’opposé, il ne
C’est à partir de cette compréhension que nous cons- sera pas un audit dont le but serait de pré-planifier notre
truirons la démarche à suivre. démarche. En effet, il s’agit dans une telle intervention
M - Je pensais que nous utiliserions assez rapidement de ne surtout pas bloquer dès son départ, qui plus est de
des outils ou concepts courants en coaching ? façon contractuelle, l’évolution possible d’une demande
D - La plupart des outils et concepts présentés comme qui peut d’ailleurs ne pas être totalement exprimée lors
des fondamentaux ou des spécificités du coaching sont des premières rencontres.
de bons outils et sont très utiles lorsqu’ils s’appliquent
bien aux contextes pour lesquels ils ont été élaborés. 1 Délivré, F. (2002), Le métier de coach, Paris Editions
Mais il me semble qu’il faut, en premier lieu, bien plus d’Organisation.
366
Le coaching : une pratique universelle ?
Dominique STEILER - Raffi DUYMEDJIAN
M - Comment saurons-nous que l’intervention avance che, recherche d’outils optimaux - est proche de l’offre
et qu’elle est bien menée à son terme ? type que l’on peut trouver dans la littérature ou dans les
D - C’est un point clé de cette démarche dans laquelle il propositions des cabinets spécialisés. Puisque l’un des
s’agit bien plus de transformer que d’agir et qui sera par objets de cet article est de porter un regard sur une autre
là plus indirecte et moins visible, à petits pas. Je vais approche du coaching, sans la juger meilleure ou moins
vous tracer les grandes étapes qui conduiront à la fin de efficace, il nous semble important ici de mettre à jour
l’intervention. les différences qui peuvent exister entre la pratique
Dans un premier temps, c’est parce que certaines condi- présentée en première partie et certains fondamentaux
tions favorables à l’objectif seront maîtrisées que l’effet standards de ce type d’intervention.
pourra en découler. Nous chercherons moins les Nous observerons ces différences à travers plusieurs
moyens qui permettraient d’agir, dans un lien direct, sur axes : le principe d’efficacité, la relation au client et à
le but recherché, que d’infléchir les conditions néces- l’intervention, les modalités d’action, l’intégration des
saires à l’effet visé. outils et enfin le processus de fin d’intervention.
Prenons l’exemple d’un manager qui veut gérer sa dif- Considérons en premier lieu la différence des schémas
ficulté à communiquer en comité de direction. Nous ne d’intervention proposés en vue de l’efficacité. Nous
travaillerons pas sur le ton, le volume, le débit de sa pouvons observer que les écrits sur le coaching préco-
voix, en considérant a priori leur influence sur la com- nisent une certaine forme de modélisation, qui par un
munication. Nous chercherons par contre, étape par diagnostic conduira à l’élaboration d’une démarche
étape, une compréhension de la situation réelle et ses structurée et planifiée, intégrant des moyens orientés
composantes dont font partie le contenu de l’exposé, vers le but initialement visé. Ainsi le présentent Winum
lui-même, les autres participants et la représentation (2005) ou encore Kampa-Kokesh et Anderson (2001,
qu’il s’en fait, pour en saisir les potentiels et mener le p. 208) qui stipulent que la démarche est planifiée « en
manager à s’inscrire dans leur courant naturel. Il pourra six étapes : construction de la relation, audit, feed-back,
s’agir ainsi moins d’apprendre une nouvelle méthode planification, mise en œuvre et évaluation finale ». Dans
que de systématiser une habileté déjà présente en lui. la présentation du cas de Marc, l’évaluation initiale n’est
C’est ensuite parce que l’action est facile, petit pas à pas abordée comme un diagnostic qui permettrait de
petits pas, naturellement inscrite dans le contexte et définir les moyens et de planifier les actions. Son objet
choisie ensemble, en priorité dans ce que sait déjà faire est bien plus une évaluation initiale des forces en
le manager, que se posera bientôt la question de la présence afin d’identifier le potentiel de situation et de
présence du coach. Une fois que le manager se sera comprendre comment le manager pourra s’y inscrire au
approprié l’outil, il finira par ne plus voir le coach mieux. Elle évite ainsi, à terme, de bloquer l’évolution
comme un référent, mais plus une personne avec laquelle d’une demande souvent non aboutie dans les premiers
il peut échanger. La fin de l’intervention ne sera alors temps de la démarche. Elle facilitera par ailleurs l’inté-
pas tant décidée que vécue. gration des circonstances contextuelles à venir, non
Au regard des pratiques actuelles de coaching, relative- prévues et jugées parasites dans une planification,
ment structurées du diagnostic au but en passant par considérées ici comme des variables incontournables de
l’acquisition d’outils, nous pourrions conclure de ce l’efficacité pragmatique de la démarche.
cas, que la démarche présentée apparaît pour le moins La relation au client considère souvent que le rôle
décalée, voir même si nous poussions la critique plus alloué au consultant est « d’aider la personne à attein-
avant, proche d’un bricolage au sens courant du terme. dre ses objectifs » (Kilburg, 2000, p. 67) et que « le
Après une courte présentation des fondamentaux coaching est proposé au bénéfice du client… »
actuels du coaching, qui nous permettra de préciser (Conference, 2000). Cette relation consistant à « aider
simplement les différences avec l’approche présentée, la personne » (Délivré, 2002, p. 30) peut être interpré-
c’est justement un passage par l’analogie du bricolage tée comme un lien d’autorité de fait du coach sur le
managérial qui nous mènera ensuite à considérer les manager. Il semble seul détenir les moyens nécessaires
spécificités d’une telle pratique. à l’évolution de son client dans la situation évoquée. Le
poids reposera sur ses seules épaules de bien se placer
en pouvoir pour et pas en pouvoir sur. Il sera le seul
Les fondamentaux du coaching : garant de cette attitude. Le cas présenté en partie une,
quelles différences ? parle d’un pouvoir avec et d’une relation d’accompa-
gnement et de partage dans laquelle chacun détient une
part d’autorité face à la situation. Donc, une partie des
Dans la première partie, nous avons pu voir la distance moyens qui seront nécessaires pour avancer dans le
existante entre la demande de Marc et la présentation processus. Et qu’en est-il alors du bénéfice de l’inter-
d’un autre mode d’intervention. Cette demande type de vention ? Le coach mène-t-il une action désintéressée ?
coaching - identification d’un écart entre une situation Ce n’est pas notre avis. Il semble important dans une
actuelle et un idéal souhaité, planification d’une démar- action partagée de coaching d’afficher, dès le démarrage,
367
Le coaching : une pratique universelle ?
Dominique STEILER - Raffi DUYMEDJIAN
les bénéfices mutuels envisagés. Si le manager progresse provoquer la sensation de leur expérience et déclencher
dans son objectif, le coach quant à lui, au-delà de sa la motivation de leur apprentissage.
rémunération, par son attitude d’apprendre, poursuit Pour conclure, si le client souhaite une date de fin
son évolution et renforce son expérience. Échanger d’intervention planifiée, sera distinguée la date de fin
avec le manager les raisons pour lesquelles l’action lui contractuelle, de la terminaison du processus d’accom-
apparaît intéressante peut permettre au coach de clari- pagnement - fin de processus. Cette vision, proche de
fier son engagement, de clarifier la relation, mais aussi celle de Hévin et Turner (2002, p. 242) qui différencient
renforcer la confiance en la co-laboration (travailler une fin organisationnelle et une fin psychologique, s’en
ensemble), facteur clé de succès. distingue de trois manières. Tout d’abord, le contrat
prévoira la négociation d’une date d’évaluation, plus
Le coaching est très souvent présenté comme un moyen que de fin, à laquelle se posera la question de la pour-
d’action qui doit conduire à l’émergence des potentiels suite ou non du processus, ce qui nous semble être prio-
de la personne en vue d’une amélioration de sa perfor- ritaire. Ensuite, sera considérée la notion de fin de
mance (Gautier & Vervisch, 2005 ; SFCoach, 2005 ; processus plutôt que de fin psychologique. Ce dernier
Whitmore, 2003). Cette affirmation sous-tend plusieurs terme procède plus d’une vision très individuelle et
idées ; premièrement, que par le développement de ses mentale, alors que l’idée de processus procède d’une
potentiels, le manager pourra agir sur la performance ; vision globale, tant en ce qui concerne le manager que
deuxièmement, que c’est son action (voir sa pro-action) la situation. Enfin, il nous semble que la fin du processus
qui sera la base principale de sa performance ; enfin, sera plus vécue que décidée. Ce n’est pas une date fixée
que la démarche de coaching a comme objet de donner a priori ou la fin d’apprentissage d’une méthode qui
les moyens d’agir directement sur cette performance. clôturera l’action de coaching. Cette dernière surviendra
Une approche différente est de considérer que le contenu à travers la prise de conscience partagée de la dispari-
de la demande du manager est issu plus probablement tion du rôle de référant du coach, face au problème et
d’une interaction entre lui et son environnement, une dans ce processus d’accompagnement, suite à un certain
situation ou un contexte. Dans le cas de Marc, il est degré d’intégration (le manager a expérimenté et sait
proposé d’appréhender la situation dans son ensemble, utiliser une démarche), d’autonomie (il sait faire seul) et
d’en percevoir les aspects multidimensionnels dont il d’originalité (il sait faire à sa façon).
fait lui-même partie. Par cette approche, il pourra alors
en comprendre les dynamiques, en détecter les aspects L’observation des fondamentaux du coaching, tels
porteurs pour s’y intégrer et identifier comment qu’ils sont présentés dans la littérature managériale, fait
infléchir les conditions nécessaires à l’effet visé - le but. ressortir certains archétypes de l’action issus de la
Cela ne sera donc plus nécessairement son action direc- philosophie occidentale et qui se sont prolongés dans
te qui améliorera une performance sur laquelle il n’a pas notre culture, nos croyances tout comme dans les
entièrement le contrôle, mais plus l’effet combiné de pratiques économiques et organisationnelles au point de
différents facteurs, personnels et situationnels qu’il aura nous apparaître comme une vérité universelle. Ainsi en
appris à identifier et à influencer. Dans la démarche est-il du principe central de modélisation qui nous
standard de coaching, les outils sont présentés comme conduit, à partir du diagnostic d’un problème, à envisa-
les moyens maîtrisés par le coach pour aider le manager ger une solution idéale et ensuite, à travers un plan, à
à atteindre le but fixé à l’issue de l’audit initial. Ainsi, mettre en œuvre des moyens pour qu’existe au final le
pour Kilburg le coach « utilise une large variété de but défini.
méthodes et de techniques… pour aider la personne à Il conviendra maintenant d’envisager comment la pra-
atteindre ses objectifs » (2000, p.67). Nous retrouvons tique différente présentée en première partie peut se
là l’idée d’une action volontaire par le moyen d’un concevoir ou se généraliser à travers une autre repré-
outil, jugé optimal, qui transmet des pouvoirs pour agir sentation de l’agir : le concept de bricolage. Avant cette
sur le problème. Cette approche, associée à la croyance lecture, nous nous attacherons à montrer d’où vient ce
de l’identification d’un problème clair et indépendant - « concept » et ce qu’il représente.
par exemple : « c’est un simple problème de conflit » -
s’accompagne de la conviction en une solution unique
et de la relégation au rebut de toutes les autres options. La métaphore du bricolage :
À l’opposé, croire en l’interrelation entre les choses, de l’ambiguïté à l’intelligence pratique
détecter et comprendre les facteurs porteurs de la situa-
tion, permettra de considérer toutes les facettes d’une
solution et de cumuler leur efficacité mutuelle en Le langage courant francophone attache au mot bricola-
s’appuyant avant tout sur les habilités déjà présentes ge une définition double, tantôt positive et tantôt néga-
chez le client avant de penser à l’acquisition d’une nou- tive. Le bricolage est accepté dans l’espace privé - le
velle méthode. Alors seulement, si une méthode ou un voisin ou le mari qui sait tout faire - ou encore dans
outil sont appréhendés, ils seront d’abord pratiqués pour l’espace de la création – création artistique des collages
368
Le coaching : une pratique universelle ?
Dominique STEILER - Raffi DUYMEDJIAN
cubistes (Picasso, Braque) ou dadaïstes (Schwitters, esprits autochtones (Mary, 1993). On la retrouve égale-
Haussman) jusqu’au Pop Art ou la création d’effets ment, pour aller vite, en science politique avec la notion
spéciaux (Duymedjian & Rüling, 2003). Ce sont dès de bricolage institutionnel (Campbell, 2004), en socio-
lors l’ingéniosité et l’adresse du bricoleur qui transpa- logie de l’éducation où l’enseignant est qualifié de
raissent. En revanche, il n’est que très peu, voire pas du bricoleur dans l’usage qu’il fait des technologies de
tout pris en considération dans l’espace professionnel l’information et de la communication (Audran, 2001),
en tant que pratique acceptable. Il y représente plutôt le ainsi qu’en science cognitive pour désigner notre mode
travail (peu efficace) d’une personne sans réelles de penser associatif habituel (Turkle & Papert, 1991).
connaissances ni structure. Le bricolage est alors consi- Ce succès semble n’avoir pas atteint le domaine des
déré comme un travail d’amateur, une menue besogne, sciences de gestion en langue française, hormis certains
aboutissant à un résultat temporaire, fragile, approxi- écrits qui décrivent le bricolage des managers (Thoenig
matif et peu soigné. L’entreprise ne peut dès lors pas & Michaud, 2001). Certes, des ouvrages existent qui
accepter des solutions techniques développées en interne valorisent, par exemple, cette forme d’intelligence
dont le bricolage interdit toute maîtrise ou gestion bud- pratique rusée, celle que la Grèce pré-socratique
gétaire, ou encore qu’un « commercial bricole sa solu- désignait par le vocable de Métis, et qui peuvent faire
tion plus ou moins bancale » (E-Dirco.com, 2003). Et si penser au bricolage. Le terme n’est cependant jamais
bricolage admissible il peut y avoir, c’est seulement employé en tant que concept compréhensif. La faute en
dans des conditions très particulières de crise (panne de revient-elle au poids que le langage courant fait peser
machine) ou de pénurie de ressources : « on a dû faire sur ce terme, lui interdisant toute légitimité tant dans les
avec les moyens du bord ». discours entrepreneuriaux que dans ceux qui prétendent
« penser » le fonctionnement des entreprises ? Un élar-
Il existe cependant un usage du mot « bricolage » qui gissement des recherches vers des travaux en langue
relève non du sens familier qu’on lui connaît, mais anglaise peut nous le laisser croire.
d’une signification « scientifique ». Son initiateur en fut
l’anthropologue Claude Lévi-Strauss (1962) dans des En effet, pourquoi, alors même que nous ne repérons si
extraits aujourd’hui célèbres du premier chapitre de son peu, voire aucun usage académique du bricolage en
ouvrage « la pensée sauvage » intitulé « la science du science de gestion de langue française, retrouve-t-on ce
concret ». Il y développe l’idée que la pensée de certaines terme dans une multitude d’utilisations en littérature
ethnies a été trop vite qualifiée de pensée pré-logique, managériale de langue anglaise. Citons pêle-mêle : le
inférieure, donc, à nos modes de penser et de raisonner bricolage comme mode d’appropriation des systèmes
occidentaux. Cette pensée serait, selon lui, dotée d’une d’information dans les organisations, leur usage prenant
cohérence certes différente des principes hérités la forme d’un détournement (drifting) et d’un assemblage
d’Aristote (identité, négation, tiers exclus), mais apte à de quelques fonctions « proposées » à l’utilisateur
produire des connaissances à travers une intelligence (Ciborra, 2004) ; le bricolage consistant, pour l’entre-
pratique empreinte d’une grande efficacité pragma- preneur, à s’appuyer sur ses propres ressources plutôt
tique. que sur celles dont il aurait idéalement besoin et qu’il
devrait se procurer à l’extérieur (Baker & Aldrich,
Lévi-Strauss, dans l’utilisation métaphorique qu’il fait 2000), jouant par exemple sur son réseau de contacts
du bricolage, en dessine une représentation qui ne lui personnels en faisant du « network bricolage » (Baker,
donne pas entièrement la forme d’un concept, mais Miner, & Eesley, 2003) ; le bricolage comme ingéniosi-
déborde largement le sens général qu’on peut lui donner té ritualisée (Coutu, 2002), renforçant la résilience des
familièrement, et ce doublement : dans la richesse des individus en situation de crise (Weick, 1993).
gestes du bricolage et des traits du bricoleur, mais Ces multiples références nous ont donné confiance dans
également par l’absence de jugement de valeur préétabli l’intérêt d’approfondir et d’utiliser cette notion de
qui le désignerait comme une forme de production bricolage qui ne peut finalement pas être réduite à un
dégradée. Il éclaire bien au contraire le bricoleur par mode de faire économiquement inefficace. Nous
l’image de l’ingénieur des Lumières auquel il « s’oppo- pensons que les nombreuses publications en langue
se », mais selon une opposition qui ne donne aucun anglaise, qui lui confèrent une légitimité managériale,
avantage a priori à l’un ou à l’autre. La « revalorisa- comme l’approfondissement du concept que nous avons
tion » de la pensée mythique semble ainsi passer par entamé (Duymedjian & Rüling, 2004) nous permettent
celle de l’agir qui lui est métaphoriquement associée. de transiter par lui pour lire autrement certaines
Cette métaphore célèbre va, étonnamment peut-être, pratiques professionnelles. De même que la pensée
connaître une diffusion à des domaines initialement première n’est pas une sous-pensée, le bricolage n’est
connexes aux disciplines de provenance des réflexions pas un sous-agir. Bien au contraire, il contient une
de Claude Lévi-Strauss. La sociologie des religions richesse qui risque d’être perdu si, une fois de plus, la
l’associe à la notion de syncrétisme comme bricolage pensée et l’agir occidentaux s’imposent comme modèle
religieux où les saints importés côtoient sans conflit les universel, donc seul pertinent.
369
Le coaching : une pratique universelle ?
Dominique STEILER - Raffi DUYMEDJIAN
Lecture d’une pratique à travers bricoleur est impliqué de façon importante tant dans
la métaphore du bricolage l’élaboration de son œuvre que dans son utilisation et sa
maintenance. L’intimité qu’il entretient avec son brico-
C’est donc maintenant à l’opposé de son sens courant, lage est telle que, finalement, maître d’œuvre, maître
dans son sens plus académique, que nous allons utiliser d’ouvrage et utilisateur deviennent indissociables. Son
la métaphore du bricolage comme prisme pour apporter identité est pour partie co-construite par sa réalisation.
une autre vision de la pratique de coaching énoncée. De plus, le bricoleur semble être doté d’un fort senti-
Pour éviter d’avoir à reconstruire un parallèle trop ment d’efficacité personnelle qui l’autorise à s’engager
systématique avec la vision plus conventionnelle du dans tout un ensemble d’actions pourtant inconnues de
coaching, nous nous bornerons à ne présenter, en lui, mais qui lui semble « faisable » (Bandura, 1997).
rapport avec la démarche de coaching évoquée dans la
narration initiale, que les cinq dimensions clés présen-
tées dans les travaux d’approfondissement du concept Mise en perspective
de bricolage (Duymedjian & Rüling, 2004).
La première dimension décrit la vision du monde du bri- Comme nous le précisions en introduction, notre but
coleur, en y précisant sa place ainsi que le rapport aux dans ce travail n’était ni de justifier une nouvelle
êtres et aux choses qu’il peut ou doit avoir. Il n’est pratique, ni de critiquer les méthodes actuelles, mais
nullement question ici de concevoir un monde décom- plutôt de comprendre une approche différente à travers
posable, mais bien plus de l’appréhender dans sa une grille de lecture différente. Arrivés maintenant à la
complexité et ses interconnexions. L’homme considérera dernière partie, nous constatons que si c’est notre
plutôt son action dans un système où tout vaut, mais où pratique qui nous a entraînés dans le travail de rédac-
tout ne se vaut pas. En effet si tous les éléments du tion, l’analyse des différences et les lectures qu’en a
système ont un intérêt, y compris les circonstances, ils permis la notion de bricolage nous mènent à réfléchir
seront pourtant ordonnés. Cette hiérarchie sera cepen- aux enseignements et aux questions que ces détours
dant le résultat d’une construction immanente élaborée peuvent amener dans une conception du coaching.
à partir de son propre rapport au monde. L’enseignement général de ce travail, mais qui pourrait
La seconde traite de la connaissance du monde. Dans la être tout autant philosophique et éthique, est certaine-
connaissance qu’il a de son monde, le bricoleur cherche ment celui du « regard décalé » : prendre un point de
les connexions entre les choses et les façons par vue différent, pour mieux comprendre un problème.
lesquelles elles peuvent agir ou se lier entre elles. Il ne Que nous dit cet « outil » central des pratiques de
cherche pas une modélisation générale du monde pour coaching ? Que nos convictions, nos préjugés, nos
le prévoir et l’orienter. Son approche des éléments, donc certitudes ou encore nos pratiques quotidiennes peuvent
de la situation ou des outils, sera intime, ouverte et faite nous conduire à créer un cadre de référence rigide au
d’expériences à l’origine de connaissances. Il ne cher- point de bloquer notre aptitude à penser « hors-cadre »
che pas un savoir approfondi, mais plus une expérience pour trouver une solution. En appliquant ceci à notre
incorporée qui tôt ou tard trouvera son utilisation. réflexion, nous comprenons alors dans un premier
Dans l’action sur le monde, la personne n’identifie que temps, qu’une pratique qui peut être jugée de « bricola-
partiellement le but en considérant que les circonstances ge » à l’aune de la rationalité et du modèle cartésien, et
à venir demanderont nécessairement des ajustements. c’était parfois notre jugement autocritique, peut non
Plutôt que de créer un lien indissociable entre une fin seulement être comprise par un regard décalé, mais
déterminée et des moyens optimaux, elle engage un dia- devenir à son tour un référentiel d’analyse. Ainsi, com-
logue avec les éléments de son stock, qu’elle détourne ment une pratique qui se donne pour objet principal le
éventuellement, afin d’élaborer un assemblage « qui changement, le développement des potentiels, peut-elle
marche ». Son action ne sera pas tant guidée par des proposer une démarche fondamentalement basée uni-
règles à respecter que par des ajustements continuels quement sur les mêmes schémas de fonctionnement que
pour poursuivre sur la pente engagée. ses clients, les mêmes archétypes, sous-tendus par le
Le produit de son action, sa réalisation, sera plus de principe de modélisation : diagnostique, définition d’un
l’ordre d’un dispositif - par nature assemblé - que d’un but idéal, planification, utilisation d’outils adaptés ?
résultat techniquement intégré. Il ressemblera moins
aux spécifications d’un plan qu’à un outil ajusté à la Qu’en serait-il alors du coaching dans un contexte afri-
demande. Ce dispositif ne ressemblera à aucun autre, cain dans lequel les archétypes sont tout autres ? Doit-
sera spécifique à son office et restera modulable pour il se faire « à l’occidental » pour créer du décalage ?
une évolution future. Bien entendu, totalement issu de Doit-il s’efforcer au contraire de devenir africain ? Le
la transformation, il sera dépendant de la personne dont décalage doit-il venir des méthodes ou bien des aptitudes
l’investissement aura été important. de l’intervenant à comprendre les enjeux et représenta-
Enfin, l’identité du bricoleur détient également certaines tions d’une situation ? Les questions resteront posées à
spécificités. Parmi celles-ci se trouve le fait que le ce stade. Néanmoins, si notre faible connaissance de
370
Le coaching : une pratique universelle ?
Dominique STEILER - Raffi DUYMEDJIAN
371
Le coaching : une pratique universelle ?
Dominique STEILER - Raffi DUYMEDJIAN
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372
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
Pertinence Introduction
et limites
Les entreprises des pays en développement se caractéri-
sent par leurs spécificités, leur complexité, aussi bien
dans leur émergence, leur fonctionnement et les
politiques poursuivies, leurs objectifs sont souvent
d’évaluation
précisément, comment choisir les indicateurs pertinents
pour leur évaluation ?
Ces questions peuvent paraître provocatrices au regard
des méthodologies proposées pour évaluer les organisa-
des entreprises
tions. De manière générale, la finalité première d’une
opération d’évaluation est de formuler un jugement
aussi univoque que possible. Le recours à une approche
en développement
Cauvin et al, 1989, Mba, 1990). Elles sont assez surpre-
nantes et un auteur traitant de ce sujet a affirmé qu’il est
excessivement difficile d’établir une méthodologie tota-
lement rigoureuse et fiable (El Alami, 1987). Penouil,
1992 parle à ce propos, « d’entreprises imparfaites ».
Les auteurs relèvent combien les droits de propriété
sont flous, mal définis et les conditions de développe-
ment encore absentes (Koulibaly, 1992). Les chercheurs
Jean-Paul Tchankam traitant de l’information en Afrique insistent sur les
Professeur pesanteurs sociologiques locales et sur les obstacles
École de Management, Bordeaux qu’elles constituent à une recherche scientifique efficace
[email protected] (Ouattara, 1987. Nidam, 2003).
Cet article analyse le cadre sociétal dans lequel s’insè-
rent les entreprises des pays en développement. Il
Zahir Yanat procéde à une revue de la littérature des travaux
Professeur existants et propose pour remédier aux problèmes
École de Management, Bordeaux soulevés, une panoplie d’indicateurs pertinents.
[email protected]
373
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
de l’information. Les capacités de gestion interne et l’exercice d’une activité pour des raisons d’ordre
externe des flux informationnels sont limitées car ces public, économique ou de protection des industries
pays ont des difficultés d’articulation avec leur environ- locales. Le contenu de ces restrictions n’étant pas tou-
nement. Un peu partout sur ce continent, les chercheurs jours précis, on peut assister à des blocages arbitraires
surmontent des obstacles inespérés pour obtenir des et au rétablissement des monopoles, sources de favori-
données existantes ou pour collecter les données man- tisme et de corruption (Rapport CCCC, 1994).
quantes. Il paraît donc essentiel de s’interroger sur les Le comportement de méfiance à l’égard des deman-
causes de cette situation. Trois dimensions sont très deurs d’information peut trouver des explications dans
souvent évoquées : politique, sociale et technique. l’application abusive de ces mesures. L’instauration
d’un climat favorable aux affaires est donc indispensable
- La dimension politique à une bonne circulation de l’information. C’est la mis-
Selon les auteurs du livre blanc 1990 sur la Cameroun, sion confiée à l’Organisation pour l’Harmonisation des
si la pratique religieuse peut constituer une subversion Droits des Affaires (OHADA) qui regroupe les pays de
et mener en prison dans ces pays, la simple expression la zone franc. Sans vouloir susciter de polémique, si
peut même y mener plus sûrement encore. Dans la plu- l’on se refère à la déclaration du conseil Régional de
part des pays en développement, les garde-fous ont été l’Epargne Publique et des Marchés Financiers Ouest
dressés pour empêcher toute liberté de jugement. S’il Africain (CREPMF, 2002) « le comportement des
est vrai que le vent de la démocratisation de ces derniè- émetteurs du marché régional en matière de respect des
res années a légèrement modifié la tendance des obligations d’informations démontre que la culture de
choses ; il est tout aussi incontestable que beaucoup la transparence n’est pas encore ancrée dans les esprits
reste encore à faire dans ce domaine. des dirigeants de la sous-région ». De toute évidence le
Dans ces pays, les pouvoirs publics ne s’intéressent que chemin vers un processus de libéralisation de l’infor-
très peu au développement de la production de l’infor- mation est encore long à parcourir dans ces pays. Le
mation. Les opérations de collecte des données ne sont recours auprès des institutions étatiques ne facilite pas
organisées très souvent que pour répondre à la demande le problème. Les données recherchées sont introuva-
des bailleurs de fonds internationaux. Les recensements bles, ou dans les meilleurs des cas imprécises, non
de la population se font au bon vouloir des Nations structurées ou périmées.
Unies. Les enquêtes sur la consommation et le budget Dans une étude sur les performances comparées des
des ménages sont irrégulières et dépendent en général entreprises publiques et privées dans un pays en déve-
des fonds extérieurs. Les enquêtes agricoles sont ordon- loppement, l’auteur indique que les textes de loi qui
nées par la FAO qui fournit la quasi-totalité des res- obligent les entreprises à déposer un exemplaire de leur
sources. Il n’existe pas à proprement parler d’organisme liasse fiscale dans les directions de la Statistique ne
de l’Etat avec un programme bien élaboré et un budget prévoient que des sanctions théoriques à l’égard des
adapté. C’est d’ailleurs ce qui explique que les collectes chefs d’entreprises. Ces documents n’arrivent dans ces
demeurent subites, instantanées et irrégulières. Les directions qu’au compte-gouttes ; pire encore, certaines
conséquences immédiates de cette situation sont de sociétés ont même le droit de refus sous justification du
multiples coupures informationnelles qui posent secret d’Etat. En outre, il est interdit à ces services de
d’énormes problèmes aux chercheurs. fournir des informations non-agrégées. Tout ceci contri-
En outre, les sources d’information alternatives sont bue à multiplier les obstacles déjà très nombreux dans
rares. La mise en place des institutions et des mécanis- ces pays (Tchankam, 2000).
mes juridiques pour la diffusion des informations À propos du Benin, par exemple, qui connaît actuelle-
échappant au contrôle de l’Etat est sinon impossible, du ment un épisode de multipartisme avec alternance à la
moins assez complexe. L’absence d’une cour des comptes tête de l’Etat, Vlttin (1993) fait remarquer qu’« en dépit
dans la plupart des pays ne facilite pas la transparence de l’existence d’un organe ad hoc (le Conseil National
des informations comptables et financières et encore de l’Audivisuel et de la Communication), le pouvoir
moins les informations sociales. Les différents textes en politique ne semble pas vouloir renoncer à ses préroga-
vigueur régissant la vie des affaires dans ces pays révè- tives en matière de l’information et se montre rétif à une
lent de nombreuses incohérences. On peut ainsi consta- autonomie complète des médias ».
ter qu’au Cameroun la loi du 10 août 1990 qui retrace le Le système politique du Zimbabwé complètement
cadre général d’exercice des activités commerciales et verrouillé par le haut, a une main mise sur l’ensemble
industrielles pose deux grands principes à savoir : la des sources d’information. La situation n’est guère
libéralisation des activités économiques d’une part et meilleure en Côte d’Ivoire et semble même inquiétante,
celle des prix de la concurrence d’autre part. En voulant la loi sur la communication de 1991 prévoit des peines
mieux les préciser, le décret d’application du 22 novem- de prison pour toutes personnes diffusant des informa-
bre 1993 les vide de leur portée. C’est ainsi que les tions pouvant nuire à la stabilité de l’Etat. Une situation
articles 62 et 63 de ce décret prévoient de nombreuses semblable est dénoncée au Togo. Au Niger, le gouver-
possibilités pour l’Etat d’intervenir et de restreindre nement a imposé une interdiction de traiter du nouveau
374
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
code de famille sur les ondes, ne serait-ce que pour - La dimension sociale
informer les auditeurs des ramifications légales, socia- Les études réalisées dans les pays en développement
les et politiques de cette nouvelle législation. La situa- révèlent bien souvent combien les mentalités restent en
tion décrite se retrouve dans de nombreux pays. retard par rapport à l’évolution du temps (Hernandez,
Nidam, 2003 fait remarquer que « l’économie de la plu- 1997). Il est par exemple fréquent de constater que sans
part des pays en développement est organisée selon un stimulant externe ou motivation particulière fournie par
schéma collectiviste marqué par une forte présence le demandeur tout devient particulièrement compliqué
étatique. Cette caractéristique est à la base de la thèse de dans un univers où le seul support d’information reste le
Vedrine, 1984 selon laquelle l’utilisation d’une tech- papier.
nique de marché ne semble trouver de place dans les Très souvent, le personnel chargé du service est absent
pays où la majeure partie de l’appareil de production ou et lorsqu’il est présent il n’a pas toujours la formation
de distribution est contrôlée par l’Etat ». Les usagers adéquate. Pour reprendre Essomba et Turgeon 1993, la
dans ces pays n’ont que difficilement accès à des don- pénurie des collaborateurs qualifiés constitue un obstacle
nées sur la situation politique, économique et sociale. majeur au bon déroulement des opérations de collectes
L’information critique envers l’Etat et ses politiques des données dans les PVD. À ces obstacles pas toujours
n’est que très peu acceptée. faciles à lever, s’ajoutent les facteurs de résistance ou de
pénalisation découlant des connotations tribales.
Dans toutes ces régions, la frontière entre la recherche Le tribalisme a bousculé les relations formelles existantes.
scientifique et le contrôle administratif n’est pas tou- C’est ainsi qu’on trouve dans ces pays des chefs de
jours clairement élucidée. Les dirigeants ne parviennent service qui détiennent tout le pouvoir et des directeurs
pas à établir la différence entre les acteurs de l’Etat et qui ne jouent qu’un rôle d’« assistant ». Leur présence
les acteurs privés. Les objectifs de la recherche scienti- vise uniquement à respecter un certain équilibre
fique restent encore très flous et les limites du contrôle ethnique. Cette situation crée au sein de l’entreprise,
étatique sont inexistantes. Si pour les entreprises les une absence de confiance, voire de la méfiance entre les
informations recherchées par l’Etat conduisent très sou- personnes originaires de régions différentes. Ce qui
vent à des sanctions, celles des chercheurs demeurent pose d’énormes problèmes aux chercheurs. Il s’agit là
encore incertaines, ce qui explique sans aucun doute les d’un comportement inquiétant qui a probablement des
réticences observées. Au-delà de toute explication, il conséquences. énormes. Lorsqu’on sait que les maté-
faut reconnaître que la formation des individus trouve riels technologiques nécessaires à leur stockage dans
ici tout son intérêt et devient un impératif. une société sont peu présents et que leur obtention
Déjà, dans une étude réalisée pour le compte des dépend plus du contact direct, on imagine la lourdeur de
Nations Unies, les auteurs font remarquer qu’il est cette mission.
urgent pour les entreprises des pays en développement De plus, la présence régulière des agents du fisc dans
de resserrer les liens entre le lieu de travail d’une part, les entreprises et aussi ceux des autres agents adminis-
et les institutions d’enseignement et de formation tratifs (ministère des finances, ministère du commerce,
d’autre part. Ces liens sont nécessaires pour améliorer ministère du plan, direction des statistiques etc) crée au
la formation de personnel technique et de cadres mieux sein de ces organisations un climat de peur et de
adaptés au travail pratique, ainsi que pour favoriser la méfiance, tout demandeur d’information apparaît
formation des types voulus d’activités de recherche et comme une personne à risque et doit nécessairement
de développement et l’application de leurs résultats faire des efforts pour éviter tout malentendu sur son
(Nations Unies, 1986). identité.
La formation permettrait de mieux comprendre l’intérêt Dans les zones les plus reculées, la collecte des données
de la recherche scientifique, en quoi elle peut être est encore plus difficile. Le niveau d’instruction limité
importante pour l’entreprise et pour le développement des individus augmente les risques de réalisation de
économique d’un pays. Elle permettrait aussi de fami- l’étude. Leur comportement étrange face à un enquêteur
liariser les acteurs concernés avec le monde de la exprime l’inquiétude d’un peuple privé pendant de
recherche. Plus encore, elle clarifierait le rôle assigné à nombreuses années de la liberté d’expression. L’attitude
chaque secteur. Il convient de multiplier les initiatives ici est défensive. On se défend en permanence. La
dans ce sens dans le but de décrisper l’environnement tentation est souvent grande de fournir des réponses
économique et social. erronées pour se débarrasser d’un enquêteur qui laisserait
apparaître des signes de lassitude. L’irrégularité pour ce
Lorsqu’un pays privilégie les voies directes à l’infor- genre d’opération explique sans aucun doute ce com-
mation en les multipliant, en augmentant leur capacité, portement défensif. Selon Ouattara 1987, l’accueil
en étendant leur portée, il favorise la recherche dans réservé aux enquêteurs correspond le plus souvent à un
tous ses aspects. « refus de coopération ». Il explique cela par une certaine
À cette dimension politique, il faut associer une dimen- forme de méfiance à l’égard des enquêtes considérées
sion sociale beaucoup plus contraignante. comme une violation de l’intimité et de la vie privée.
375
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
À n’en pas douter cette situation n’est pas propre à de fruits et de tomate n’a presque jamais fonctionné, et
l’Afrique. Nidam, 2003 reprenant les travaux de qui « ne dispose que de trois kilomètres de routes bitu-
Douglas et Craig 1983, et de Marchetti et Usinier 1990, mées, que d’un aéroport classe C quasi désaffecté, que
signale que « les chinois sont très réservés en ce qui de 600 KW d’énergie installée, que de quelques lignes
concerne leur activité professionnelle et leur vie téléphoniques, d’aucun télex et d’aucune liaison rapide
personnelle ; le facteur familial en Inde rend difficile avec la capitale, Cotonou, distance de 539 km ».
tout essai de différenciation entre les objectifs de El Alami 1998, dresse un tableau de toutes les insuffi-
l’entreprise et ceux de son dirigeant. N’étant pas les sances (page de droite) dans les pays en développe-
mêmes dans tous les pays, ces points culturellement ment : faiblesse des liaisons maritimes ou aériennes
sensibles posent des problèmes d’ordre méthodologique avec l’étranger ; réseau téléphonique insuffisamment
aux spécialistes de l’étude quelle que soit leur nature. développé ; système d’information économique trop
Au Maroc Lyns et Cavusgil 1986, ont constaté une ten- global ne permettant pas de procéder à des études affi-
dance à préserver le secret du métier à tous les niveaux. nées en vue d’une prise de décision rationnelle basée sur
Au Moyen Orient par exemple, les gens n’aiment pas une information précise, détaillée et fiable.
discuter de ce qui se passe chez eux. Les entrepreneurs Contrairement aux pays industrialisés où la quantité
se montrent particulièrement réservés sur les aspects de d’information disponible dépasse de loin les capacités
leur activité professionnelle » les enquêteurs doivent d’absorption d’une organisation, les responsables
commencer par se familiariser avec le cadre local, s’ils d’études dans ces pays n’ont à leur disposition que peu
tiennent à éviter toute surprise désagréable relative à un d’informations vraiment utiles (Keegan et De
refus de coopération des personnes interrogées. Qu’en Leerstyder, 1994).
est-il de la dimension technique ?
- La dimension technique
La situation des infrastructures dans les économies en 2. Revue des travaux antérieurs
développement est plus préoccupante que celle des pays et proposition d’indicateurs
développés. Les handicaps les plus manifestes sont la d’évaluation
rareté des technologies modernes de communication.
Par exemple, l’Afrique est sous-équipé en matériels
informatiques et de télécommunications. On évalue à De manière générale un indicateur est une représenta-
1,7 lignes pour 100 habitants en moyenne la faible télé- tion approximative et partielle d’un phénomène dont la
densité. L’Afrique abrite seulement 2 % du réseau télé- variation dépend d’abord de la méthode de construction
phonique mondial et ne représente guère que 1,3 % du (Fraise, Bonetti et Gaulejac, 1987). Il possède de ce fait
chiffre d’affaires global généré par les services de télé- de nombreuses caractéristiques. Par exemple l’impéra-
communication (Loquay, 2000). L’infrastructure de tif de fidélité, d’objectivité et de réalisme ; et aussi de
base ne facilite guère la tâche des chargés d’études dans nombreux défauts tels que l’accumulation des chiffres
les pays en développement. À propos du Maroc, Nidam bruts qui ont en eux-mêmes une signification parfois
2003, affirme que « le recours au téléphone par exem- douteuse ; la compilation des chiffres selon des méthodes
ple, comme média de recueil à la fois rapide et précis, très sophistiquées qui rendent les indicateurs ésoté-
ne peut être envisagé vu le nombre faible des abonnés riques. Ces problèmes exigent une grande vigilance
et/ou de l’absence d’annuaire actualisé ». Cet outil de (Depoers, Reynaud, et Maunoury, 2003) et justifie le
communication est considéré comme une ressource rare choix fait par l’auteur de procéder à une analyse des
(Olivier de Maricourt, 1990). Les organismes qui struc- travaux existants afin de mettre en évidence leur
turent les informations sont le plus souvent mal équipés complexité.
et mal contrôlés. Activités formelles et informelles
s’imbriquent avec des systèmes d’enregistrement des - Les travaux antérieurs
personnes et des biens défectueux. Des fraudes sont Les avis sont très partagés et mêmes très opposés sur le
facilitées et l’Etat éprouve des difficultés pour assurer choix des indicateurs d’évaluation dans les économies
ses fonctions de contrôle et de gestion du territoire. en développement. En effet, il semble que les imbrica-
L’hétérogénéité spatiale entre des zones urbanisées tions entreprise - entrepreneur et entreprise - Etat sont si
raccordées aux réseaux modernes, routes bitumées, et fortes sur ce continent qu’elles rendent complexe toute
d’autres à l’écart où l’on circule sur de mauvaises pistes étude basée sur une approche objective. C’est du reste
élève les coûts de collecte des données et rend difficile ce qui ressort des travaux de Mba,1990. Selon ce der-
une organisation régulière des opérations (Loquay, nier, l’importance trop grande accordée aux facteurs
2000). Bernard et Toumi 1988, donnent, eux, l’exemple sociologiques d’intérêt collectif ou d’implication rend
de la province de l’Atacora située au nord-ouest du complexe toute analyse objective et peut introduire un
Benin, disposant de grandes potentialités agricoles, biais préjudiciable dans l’évaluation des résultats à
agro-alimentaires et touristiques, où une usine à pulpe cause de la trop grande ouverture laissée à la subjectivité.
376
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
- Hétérogenéité spaciale
Pour contourner ces difficultés, Devauges 1977, Mba Desaunay, Marie et Metsch), ces auteurs font remarquer
1990, dans leur étude réalisée respectivement sur les que parmi les critères de réussite proposés par les diri-
entreprises congolaises et gabonaises ont adopté chacun geants africains apparaît en priorité la croissance, ensuite
une démarche originale s’écartant largement des appro- vient avec un fort nombre de citations le climat social,
ches conventionnelles relatives à l’évaluation des per- puis la compétitivité et l’infléchissement de la politique,
formances. Devauges 1977, en étudiant les caractéris- et enfin les résultats financiers. De manière générale, le
tiques de l’entrepreneur congolais, a essayé de définir système de pensée des dirigeants interrogés se caracté-
les indices de mesure de la réussite professionnelle des rise par une triple approche :
entrepreneurs. Les deux paramètres retenus dans cette - Premièrement, il existe une réalité incontournable de
étude sont la taille de l’entreprise mesurée à son capital la gestion et le développement ainsi que la performance
investi et son niveau de « réussite » défini à parti de son des entreprises africaines ne peuvent se faire contre les
taux d’évolution. valeurs sociales acceptées et reconnues.
L’étude de Mba 1990, analyse les causes de l’insuccès - Deuxièmement, les critères de réussite occidentale
des PME et cherche à déterminer les facteurs capables sont une référence certaine.
d’améliorer les résultats et le développement de ces - Troisièmement, les facteurs quantitatifs et qualitatifs
entreprises. L’auteur met en évidence le background des sont incontournables dans l’appréciation des résultats.
dirigeants, les normes du groupe ainsi que les profils et La polémique est encore plus accentuée dans les orga-
logiques du management au Gabon. nisations publiques. Selon les experts de l’Organisation
Les travaux du Fonds Européen de Développement des Nations Unies pour le développement industriel, «le
(FED) sont. réalisés conjointement avec le centre afri- problème de la mesure de la performance des entreprises
cain et mauritanien de perfectionnement des cadres publiques industrielles (...) préoccupe un nombre crois-
d’Abidjan et le Groupe HEC-ISA de Paris (Cauvin, sant de pays en développement. De toute évidence, une
377
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
telle mesure reflète avant tout les choix opérés au référence à l’autre.
niveau des indicateurs, et ces choix sont eux-mêmes Cette étude a fait l’objet de vives critiques au sein
conditionnés par les objectifs qui ont été assignés à ces même de la Banque Mondiale (Anantassopoulos et
entreprises ». Nioche, 1983).
Les Nations Unis ont rappelé de leur côté, que « le Il apparaît de manière claire que les difficultés ne sont
dilemme auquel sont confrontés les pays en développe- pas minces pour définir les indicateurs dans les PVD.
ment dans le cadre du choix des indicateurs de perfor- En plus des variables de l’environnement précedem-
mance adéquats pour les entreprises publiques indus- ment identifées, les caractéristiques des organisations
trielles réside dans le besoin de réconcilier les seraient la cause principale de cette situation (voir
considérations sociales avec les objectifs commer- tableau 2).
ciaux ». En effet, étant donné que l’entreprise publique
est très souvent utilisée dans ces pays comme un moyen - Les indicateurs proposés
d’action sociale et de gestion des externalités écono- Il ressort de nombreuses études réalisées dans les PVD
miques, Anastassopoulos et Nioche, 1983 notent que le que l’utilisation des techniques qualitatives est néces-
critère de la rentabilité financière pure ne peut, au saire pour faire face aux problèmes engendrés par
contraire des entreprises privées, lui être appliqué l’environnement. L’étude de Ouattara 1987, sur les
comme indicateur unique de performance. problèmes et pratiques de la collecte des données en
Pour Choksi 1979, la mesure de la rentabilité des entre- Côte d’Ivoire donne la même crédibilité à l’utilisation
prises publiques exige l’élaboration préalable d’indica- de cette approche. Concernant les méthodes quantita-
teurs pondérant à la fois le court terme et le long terme, tive, leur utilisation reste très mitigée. Généralement
les objectifs micro-économiques et les objectifs macro- coûteuse, leur application ne peut se faire sans l’exis-
économiques, impact économique et impact social, etc, tence d’un minimum d’information fiables. Or, ni les
la complexité de ce problème est telle qu’« il est sou- moyens financiers, ni les ressources documentaires des
vent commode de se rapporter, en première approxima- entreprises ne sont favorables à l’accomplissement de
tion, à la stricte notion de rentabilité financière ». En ce ce type d’exercice (Nidam, 2003). Ces observations
domaine, et comme le montre également Choksi 1979, sous-tendent les indicateurs économiques et financières
selon le secteur et la zone géographique auxquels l’on retenus. Ce sont : le degré de réalisation des objectifs, la
s’intéresse, il n’est pas évident que les entreprises progression des fonds propres, l’évolution du niveau
publiques des pays en voie de développement soient d’endettement, la proportion des dettes à court, l’évolu-
moins performantes que celles des pays industrialisés, tion des investissements, le niveau d’autonomie finan-
quoique les résultats varient fortement d’un cadre de cière.
378
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
Pour les indicateurs sociaux, l’étude s’appui sur les tra- suffisamment souple pour s’adapter aux contraintes
vaux de Sainsaulieu.R, 1988. L’auteur met en évidence externes ou internes (approvisionnement, contraintes
les points clés pour une évaluation les variables socia- sociales etc...)
les : la nature des relations sociales qui interagit sur la Etant entendu que l’obsolescence rapide des produits
qualité des prises de décision collectives, l’importance est un des caractères dominants de l’économie actuelle ;
des conflits et crises sociales (nombre, gravité, dureté...), le succès des entreprises dépend :
le turn over indicateur de la fidélisation des salariés de - de leur capacité à innover, c’est-à-dire à introduire sur
l’entreprise, l’absentéisme et les retards au travail le marché des produits nouveaux ou dans l’entreprise
(signes de démotivation ou de travail ennuyeux ou des techniques nouvelles ;
difficile), les accidents de travail (nombre d’accidents/ - de l’existence d’une fonction recherche et développe-
nombre d’heures), le climat social de travail (apprécia- ment forte. Cette fonction a au plan technique plu-
tion toute subjective de l’ambiance au sein de l’entre- sieurs rôles : améliorer la qualité des produits1, mettre
prise et des groupes qui la composent), le fonctionne- au point de nouveaux produits, incorporer de nouvel-
ment des institutions représentatives du personnel les solutions techniques aux processus employés,
(comité d’entreprise ou d’établissement), le fonctionne- s’informer en permanence des solutions techniques
ment, le nombre et les résultats d’actions des cercles de existantes dans les entreprises mondialement perfor-
qualité et la participation aux décisions. Tout évaluateur mantes.
se doit de porter une attention particulière sur ces fac- Ces éléments ont servi d’orientation aux choix des
teurs sociaux qui conditionnent le bon fonctionnement variables techniques. Celles-ci sont : les coûts, le niveau
de l’organisation. Les indicateurs retenus ici s’inspirent de production, la capacité de production inutilisée, la
de cette approche. Ce sont : le taux formation, le taux capacité d’adaptation, la qualité du produit (tableau 3,
d’accidents de travail, le taux de mobilité du personnel, page suivante).
licenciements, départs volontaires, nouvelles recrues,
taux d’absentéisme, le niveau de conflits, la rémunéra-
tion comparée.
Quant à la dimension commerciale, la contribution 3. Méthodologie et résultats
orignale des pionniers de cette dimension réside dans
l’introduction et la promotion réussies de résultats inti- - Méthodologie
mement liés à l’activité commerciale. Les indicateurs Le champ d’investigation est le Cameroun. La ville de
utile à retenir sont : le chiffre d’affaires, les parts de Douala et accessoirement celle de Yaoundé concentrent
marché, les prix comparés, la rotation des stocks, les l’essentiel des entreprises de l’échantillon. Ceci parce
ruptures de stocks, la qualité de service. qu’elles regorgent 85 % des entreprises Camerounaises.
Selon les auteurs du rapport préparatoire du 41e congrès Les entreprises de l’échantillon ont été obtenues à
national sur « les prévisions, performance et préven- partir de l’annuaire de la chambre de commerce, de
tion » les variables techniques se sont profondément l’industrie et des mines du Cameroun (aucune restric-
modifiés avec l’introduction de l’idée que ce sont les tion n’a été imposée en ce qui concerne la taille, le
besoins du consommateur qui induisent le produit et secteur d’activité et la forme juridique). Au total 325
non l’inverse. On peut signaler aussi l’arrivée des nou- entreprises (135 publiques et 190 privées) ont été
velles technologies et leur obsolescence rapide. Les contactées et en retour, nous avons obtenu 300 réponses
principaux éléments essentiellement qualitatives de la exploitables (125 pour le public et 175 pour le privé)
capacité de performance technique sont : le niveau tech- soit un taux réponse de 0,970 pour le public et 0,973
nique de l’outil de production et le degré d’introduction pour le privé et un taux de réponse exploitable de 0,925
des technologies nouvelles. Avec l’arrivée de l’élec- pour le public et 0,921 pour le privé. Ces taux sont de
tronique, de l’informatique et de la robotique, les entre- niveaux appréciables. Ils sont sensiblement plus élevés
prises actuellement performantes sont celles qui ont su que celui obtenu par Jabes J., & Zussman D., 1989 qui
réaliser cette mutation en : est de 72 %. Leur niveau élevé s’explique d’une part,
- pratiquant les investissements technologiques néces- par les multiples avantages que nous avons eu du
saires au moment opportun ; contact direct sur le terrain malgré la difficulté majeure
- assurant la formation de leur personnel à ces nouvel- qui est celle du repèrage de la localisation exacte
les technologies ; des entreprises, et d’autre part, par le nombre élevé
- garatissant la flexibilité des moyens de production. Il d’enquêteurs. Les personnes interrogées appartiennent à
s’agit de la capacité dont dispose l’organisation de des niveaux hierarchies différentes mais ont toutes des
modifier, voire de changer dans un bref délai les responsabilités importantes au sein de leur entreprise.
éléments et/ou les quantités produites. La démarche suivie est de type hypothético-déductive.
Compte tenu de nombreuses modifications souvent
imprévisibles qui peuvent survenir dans le comporte- 1 La qualité des produits peut aussi être utilisée comme un critère de
ment des consommateurs, l’outil de production doit être performance commerciale.
379
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
Dimensions indicateurs
économiques et financières - le degré de réalisation des objectifs
- la progression des fonds propres
- l'évolution du niveau d'endettement
- la proportion des dettes à court
- l'évolution des investissements
- le niveau d'autonomie financière
sociales - le taux formation,
- le taux d'accidents de travail,
- le taux de mobilité du personnel
- licenciements,
- départs volontaires,
- nouvelles recrues,
- taux d'absentéisme,
- le niveau de conflits,
- la rémunération comparée.
commerciales - le chiffre d'affaires,
- les parts de marché,
- les prix comparés,
- la rotation des stocks,
- les ruptures de stocks,
- la qualité de service
techniques
- les coûts,
- le niveau de production,
- la capacité de production inutilisée,
- la capacité d'adaptation,
- la qualité du produit.
Le recueil des données s’est effectué à l’aide d’un ques- les pouvoirs publics aux entreprises de ce secteur.
tionnaire, aussi et surtout grâce à de nombreuses inter- Une similitude a été constatée dans la proportion des
views. La définition des sujets à observer s’est faite à dettes à court terme dans le total des dettes. Les tests
partir de la méthode empirique d’échantillonnage. Les statistiques montrent qu’ils sont très élevés dans les
traitements effectués se sont réalisés essentiellement sur deux secteurs.
un logiciel SAS. Deux tests statistiques ont été utilisés : Les résultats sur les liaisons groupe d’entreprises
le test de khi-deux et certains tests d’association (Phi, V publiques et privées -réalisation des objectifs et évolu-
de cramer, Coefficient de contingence), le test de com- tion des investissements ne laissent apparaître aucune
paraison des moyennnes. différence significative. Le degré de réalisation des
objectifs ne diffère pas dans les deux types d’entreprise.
- Évolution des indicateurs choisis En outre les investissements dans les deux secteurs
au sein des entreprises suivent des tendances parallèles. Il faut sans doute voir
Après une analyse des données sont apparues de nom- dans ce rapprochement des tendances le résultat de
breuses tendances dans l’évolution des indicateurs au l’établissement des relations contractuelles entre l’Etat
Cameroun. Pour les indicateurs relatives à la dimension et les entreprises publiques avec notamment la mise en
économique et financière, deux se sont distinguées par place de contrats-plans.
leur croissance plus rapide dans le secteur privé. Il En matière de variables sociales, l’étude révèle des
s’agit des fonds propres et la variable niveau d’autofi- différences non-significatives pour les accidents de
nancement. À l’inverse le niveau d’endettement travail et les conflits. Le lien entre groupe d’entreprises
augmente plus vite dans le secteur public. Cette situa- publiques et privées et licenciement se trouve infirmé.
tion trouve son explication dans la facilité octroyée par Par contre les tests statistiques confirment un taux élevé
380
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
de départs volontaires et d’absentéisme dans le secteur ments est socialement construite, il est préférable de
public. Le rôle social tant alloué à ces dernières est de chercher les causes de leur succès ou d’échecs dans les
plus en plus remis en cause. D’ailleurs il ressort de nos expressions et les gestes des participants. La solution
analyses que seules les entreprises privées ont recruté proposée dans cette étude consiste à introduire - addi-
ces dernières années au Cameroun. tionnellement aux techniques de questionnaires, les
Les primes et les honnoraires supplémentaires sont plus interviews directs parmi les dix-sept modèles étudiés
élevées dans le secteur public. Les conclusions déga- par Steers, treize sont de type prescriptif. Par ailleurs,
gées se rapprochent de celles faites par Leenders, tous les modèles (dix) dont les auteurs ont opté pour une
Fearon et Nollet mais s’opposent aux observations de démarche déductive sont de type prescriptif. Enfin, les
Lachaud (J.P 1994). quatre modèles descriptifs sont le résultat d’une démar-
L’examen des résultats concernant les variables che inductive.
commerciales montre une évolution rapide du chiffre
d’affaires et du taux de rotation des stocks dans le
secteur privé. Parallèlement les ventes croissent à un
rythme plus accéléré. La discrimination faible des prix
dans le secteur public n’a donc pas une influence sur
leur évolution. Cette politique de bas prix contribue
dans bien des cas, à la dégradation des marges
d’exploitation et à la dégradation des structures finan-
cières. On comprend dès lors que certaines entreprises
publiques, faute de ressources à long terme suffisantes,
assurent le financement de leurs biens d’équipement par
des ressources bancaires à court terme ou encore en
accumulant des arriérés fournisseurs.
La liaison groupe d’entreprises publiques et privées et
qualité de service laisse apparaître une différence non
significative quant aux litiges clients, mais confirme
cependant une différence significative en ce qui concerne
les retards de livraison et les services après ventes.
Pour les variables techniques, le secteur public se
distingue par des coûts élevés de matières premières et
de transport. Une similitude a été constatée dans les
coûts de fabrication. L’idée selon laquelle les capacités
de production inutilisées sont plus élevées dans le
secteur public a été validée. La sophistication de l’outil
de production apparaît donc comme un élément de
différenciation. Ce gaspillage du potentiel technique de
l’entreprise a bien évidemment une influence défavora-
ble sur sa performance.
L’absence d’une différence significative dans la flexibi-
lité de l’outil de production montre une similitude dans
l’évolution de cette variable dans les deux groupes
d’entreprise.
Toutefois, ces résultats peuvent paraître surprenants au
regard des travaux réalisés dans ce domaine. Citons
entre autres ceux de Crain (W.M.) et Zardkoohi (A.),
Meyer (.R.A.), et aussi ceux de Hirsch (W.). Mais ils
témoignent sans doute des spécificités de l’environne-
ment dont ils en découlent.
381
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
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382
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
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383
Pertinence et limites des indicateurs d’évaluation des entreprises dans les économies en développement
Jean-Paul TCHANKAM - Zahir YANAT
Annexe
Tableau IV : Critère d’évaluation dans les modèles multivariés de la performance organisationnelle
384
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
Une lacune U
n nombre croissant de grandes entreprises
promeut leurs stratégies de Responsabilité
Sociale en réponse à une série de pressions
de la recherche
sociales, environnementales, économiques et à une
prise de conscience de la société civile. En affirmant
leur responsabilité sociale et en contractant, de leur
propre initiative, des engagements qui vont au-delà des
de la RSE
les différences culturelles des clients, la diversité cultu-
relle nationale de management semble ignorée par les
entreprises multinationales.
Pourtant, différents auteurs sur le management adapté à
et de ses outils :
la culture nationale s’accordent pour dire que la diversité
culturelle est bénéfique pour l’efficacité de l’entreprise
parce qu’elle favorise la créativité et la performance de
le management
groupe (Saji, 2004; Watson et al. 1993). Bénéfique, cer-
tes, lorsqu’elle est gérée. Selmer et al (2003) ont étudié
l’ajustement et adaptation de managers de Hong Kong
mutés dans les localités rurales moins développées et de
des Ressources
managers des zones rurales de Chine mutés à Hong
Kong. Leurs résultats indiquent que la difficulté
d’adaptation n’est pas simplement liée à un changement
de pays, mais bel et bien à l’existence de distances
en fonction de la
Hong Kongais, concernant l’exécution de la tâche. De
plus, l’étude indique que ces managers déclarent avoir
perdu beaucoup de temps dans les relations humaines,
à enseigner leur mode de fonctionnement. L’analyse
culture nationale
suggère que les subordonnés ne devaient pas comprendre
les demandes du manager. Et, afin, de ne pas poser des
questions pouvant paraître stupides, les subordonnés
ont agi, selon leur méthode de fonctionnement, ne
produisant pas automatiquement le résultat escompté
par le manager. Agissant de cette façon, les subordonnés
se trouvaient contraints à présenter leurs excuses pour
se protéger et ne pas faire perdre la face au manager,
Delphine van Hoorebeke responsable de leur bonne performance. À l’opposé, le
Professeur adjoint manager provincial muté à Hong Kong obtint les résul-
Université de Montréal, Canada tats attendus, mais aussi un rejet de la part des autres
CIRANO managers. Selon l’analyse, la bonne exécution des
CEROG tâches n’avaient pas été synonyme de suivi de ses
[email protected] pratiques de travail, remettant en cause son autorité. Cet
exemple indique, combien la diversité culturelle peut
être problématique pour l’ensemble des parties prenantes.
Or, aux regards des différents codes de conduites,
guidelines, présentés par les organisations, le BIT, la
commission européenne, l’ONU ou les entreprises mul-
tinationales, la tendance est d’occulter un aspect de la
Responsabilité Sociale de l’entreprise, le management
organisationnel adapté en fonction de la culture du
pays. Il est vrai qu’il est nécessaire de protéger les
enfants au travail, les ouvriers des accidents du travail
et des maltraitances diverses, néanmoins les managers
385
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
occidentaux montrent une tendance à imposer leur - les normalisations nationales (AFNOR, guidelines on
mode de fonctionnement managérial dans quelques sustainable development, France.
pays que ce soit, semble-t-il, sans réelle considération Ces différents codes portent sur des sujets divers
pour le mode de fonctionnement organisationnel des concernant les droits de l’homme au travail, la liberté et
individus locaux. la corruption, la santé… Leur objectif est de limiter la
Cet état de fait serait-il lié à des documents trop géné- corruption, de protéger les droits de l’homme, du travail
riques ? À une volonté de ne pas s’engager trop formel- et de l’environnement. Les développements récents
lement ? À une volonté de seulement surfer sur la vague concernent l’agriculture et la protection du marché
éthique ? Ou simplement, à une volonté de privilégier local.
les actes aux discours ? Quoi qu’il en soit, cet écrit fait,
dans un premier temps, le point sur les considérations Les standards du management
de la responsabilité sociale de l’entreprise selon la La qualité, la santé-sécurité, les conditions de travail,
Commission Européenne. Dans un deuxième temps, il l’environnement sont des outils, procédures et processus
s’interroge sur l’un des oublis de la RSE, lié à une de management qui assurent l’intégration de valeurs
volonté d’universalité et attenant à la diversité culturelle. dans les pratiques des entreprises. Ces standards sont
Les derniers temps détaillent par un exemple précis cet utilisés de façon volontaire par l’entreprise. Selon la
oubli et proposent une solution managériale face à la commission européenne, ces derniers favorisent sa per-
problématique de la diversité. formance et augmentent l’efficacité de l’entreprise à
travers une meilleure coordination entre les différents
services, une identification et un management des
risques environnementaux et sociaux. Ne modifiant pas
1. Les considérations de la les responsabilités de l’entreprise, ces outils peuvent
responsabilité sociale de l’entreprise s’avérer utiles pour conforter la législation.
selon les organismes inter-nationaux
Le reporting
et gouvernementaux Le reporting s’appuie sur davantage de transparence et
de responsabilité des entreprises. Il se décompose en
La Commission Européenne a mis en place un ABC des plusieurs étapes. La première étape est un processus de
principaux instruments de la Responsabilité Sociale des mesure de la performance sociale et environnementale
Entreprises. Dans ce document, sont détaillés, parmi le par rapport à des indicateurs, souvent d’ordre qualitatif.
management socialement responsable, les codes de La seconde est la phase d’audit du processus, soit la
conduites, les standards du management et le « repor- vérification du suivi du report.
ting ».
386
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
occidentaux, seuls créateurs de ce concept, de vouloir En termes de management, la RSE et ses outils ont une
relancer une politique colonialiste afin de créer un tendance à faire la même erreur. Pour Miroshnik (2002),
monde « à leur image ». Mohamed Arkoun, lors d’un le facteur dominant des faiblesses des entreprises multi-
entretien au journal Le Monde (le 15 mars 1989), nationales est la culture. Les entreprises multinationales
soutient que l’Occident fait preuve d’ethnocentrisme et ont, en effet, amené des managers modernes dans les
refuse d’entendre la spécificité de l’Islam : différentes cultures de plusieurs nations où elles se sont
installées. Les pratiques de management fondées sur la
« Vous ne pouvez pas demander à toutes les cultures de culture du pays d’origine de l’entreprise, utilisées dans
suivre la trajectoire tracée depuis deux siècles par la une autre culture, peuvent induire des conséquences
France et l’Europe ! S’en tenir à ce discours, ce serait indésirables. Par exemple, en Afrique, Adegbidi (1998)
exiger des autres cultures qu’elles s’enferment dans le écrit :
seul modèle occidental de développement historique, de
réalisation intellectuelle et artistique. Ce serait répéter « La fameuse “paresse des Noirs” ne s’expliquerait-elle
le discours colonial, qui légitimait la domination sur les pas par la résistance au travail forcé, longtemps utilisé
autres peuples et cultures par l’exportation de la civili- par la colonisation pour ses grands travaux, ainsi que
sation élaborée en Europe (...). La pensée occidentale par l’inaccoutumance au travail industriel. » (Adegbidi,
se montre incapable d’évoluer en dehors des modèles 1998, p.128).
historiques mis en place en Europe, renforcés par
l’Occident technologique ».
387
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
« Respecter la culture et les traditions des commu- nationales (Bouygues, Accor…, Procter et Gamble,
nautés locales Shell), citent les termes les plus présents dans au moins
Tous les expatriés travaillant sur le chantier du gazoduc trois codes :
de Yadana - et ils étaient nombreux (350 personnes sur Les termes répertoriés, dans les codes, de ces entreprises
un effectif total de 2 500 environ) - se sont vus remettre multinationales, ne signalent aucunement un manage-
à leur arrivée une brochure (Do, don’t do) décrivant la ment fonction de la culture nationale, mais plutôt un
réalité socio-économique et culturelle du Myanmar et management de l’employé de façon universelle.
de la région du Tenasserim, les us, coutumes et maniè-
res de vivre des habitants, et prescrivant un certain L’exemple détaillé dans le chapitre suivant, tend à
nombre de règles de comportement et de bon voisinage étayer l’effet de cet oubli de l’adaptation du manage-
à suivre dans les rapports avec ceux-ci. » ment selon la culture du pays lors d’une implantation
Malheureusement, ces écrits ne concernent pas le mana- internationale. La nécessité de combler cet oubli est,
gement des individus du Myanmar au travail, mais dans dans ce cas, très perceptible.
leur vie quotidienne. De la même façon, les Principes
directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises mul-
tinationales qui constituent un ensemble de recomman-
dations aux grandes entreprises internationales dans 4. Un exemple précis : l’engagement
tous les grands domaines de l’éthique ne considèrent des employés au Bénin versus un
pas davantage le management en fonction de la culture code de conduite d’une entreprise
nationale, mais :
française au Bénin, Bouygues
- l’emploi et les relations avec les partenaires sociaux, construction
- les droits de l’homme, l’environnement ; Le livre d’Adegbidi, publiée en 1998, issu de ses tra-
vaux de recherches effectués en 1993, dévoile plusieurs
- la divulgation d’informations ; facteurs culturels propres au fonctionnement des
employés Africains. L’auteur y décrit les facteurs culturels
- la lutte contre la corruption ; agissant dans l’art de susciter l’engagement au travail
en Afrique. Les facteurs révélés sont liés à une culture
- les intérêts des consommateurs ; fraternaliste, où le rapport au travail, à l’autorité, au
groupe et au temps sont autant de facteurs culturels
- la science et la technologie, la concurrence, ainsi que propres au Bénin et à la culture Africaine.
la fiscalité. Ainsi, les discours recueillis par son étude qualitative
indiquent que, culturellement, le travail y est perçu
D’une manière générale, si les codes gouvernementaux comme un « devoir sacré », une « activité noble », qui
ne prennent pas en compte cette notion de management mérite le culte de l’abnégation, non seulement comme
adapté en fonction de la diversité culturelle des une activité de production, mais aussi et surtout comme
employés, mais davantage la notion de culture locale une « activité de distraction et de loisir ». Or, le travail
quotidienne (respect du consommateur local, des salarié, le travail industriel, en raison de son organisa-
familles…), les codes de conduite d’entreprises, tion, des conditions de son exécution pose des problè-
premières concernées, n’en font nullement état. Isaac et mes au travailleur africain qui le qualifie, alors, de
Mercier (2000), dans leur analyse comparative de 30 « travail de blancs qui n’en finit jamais » (p. 130).
codes d’éthique et de déontologie d’entreprises multi- Issue d’une éducation familiale très paternaliste et
388
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
consensuelle, la relation au pouvoir dans l’entreprise est relle des employés. Pourtant, Bouygues est partenaire
fondée sur la consultation, le partage et les échanges de l’organisation internationale. Cette dernière a lancé
(marqués par des réunions parfois interminables). un partenariat avec les multinationales pour un code de
« Le chef politique traditionnel est tenu d’établir un bonne conduite sociale dans les pays en voie de déve-
dialogue permanent avec son peuple » (p. 131). En ce loppement. Or, cette coalition de groupes de défense
sens, dans l’entreprise, l’Africain n’apprécie pas une des droits de l’homme et de l’environnement, est vive-
situation de soumission, de simple exécution dénuée de ment critiquée par Greenpeace International, parce
tout échange oral. « Si on n’a pas pris la peine de nous qu’elle permet aux multinationales de se « blanchir » à
consulter pour prendre cette décision, c’est parce qu’on peu de frais « sous le drapeau des Nations unies ». De
ne veut plus nous sentir. C’est parce que nous ne repré- plus, Pierre Sané, secrétaire général d’Amnesty
sentons rien pour le chef » (p. 134). International, tout en saluant ce premier pas, soulignant
Selon l’auteur, il y existe une prééminence du groupe et l’absence d’un contrôle indépendant pour s’assurer que
de la solidarité, même si elle peut s’avérer contradictoire ces bonnes intentions ne restent pas lettre morte.
et emplie de jalousies et de haines. L’affectif et le rela-
tionnel y tiennent une importance primordiale. Dans un L’exemple du Bénin montre, ainsi, une explication à la
système taylorien, l’employé africain se sent dans un difficulté d’obtenir un engagement de l’employé afri-
environnement appauvri et « traumatisant » sur le plan cain au travail. La distance culturelle (Hofstede, 1980)
des relations interpersonnelles. reste marquée, parce qu’elle n’a pas été managée, l’en-
Le rapport à l’espace et au temps diffère grandement de treprise Bouygues n’ayant pas considéré, à la vue de sa
nos perceptions occidentales. Le temps est perçu charte des Ressources Humaines, la diversité culturelle
comme un cycle faisant référence à des saisons et pério- au travail et ayant, semble-t-il, imposé ses pratiques de
des (réveil, coucher). L’auteur indique que le rythme y management occidentales. Adegbidi (1998) dit sur ce
est commandé par la nature de chaque activité. Malgré point qu’universellement pour se sentir engagé, l’em-
cette façon moins quantifiable de fonctionner, le ployé doit pouvoir assouvir une quête de sens, se sentir
Béninois a un grand respect pour la ponctualité et valorisé, considéré.
l’assiduité. « Face à l’invasion du modèle occidental de développe-
ment et donc de sa culture, le problème fondamental qui
Face à cette culture spécifique, analysons, à présent, le se pose [à l’Afrique] est la redéfinition d’une voie pro-
code de conduite, d’une entreprise multinationale fran- pre qui lui permette de trouver son équilibre entre l’u-
çaise, implantée en Afrique, Bouygues construction. Le niversel et le particulier » (p.165).
groupe Bouygues semble faire montre d’une grande
Responsabilité Sociale par ses actes et ses écrits. Finalement, existe-t-il une solution palliative au man-
Bouygues, le troisième grand des marchés publics, quement d’un management « localisé »? Est-il possible
paraît le plus imperturbable face aux «affaires». Pour pour des entreprises multinationales d’envergure de se
sensibiliser les cadres à l’éthique, le groupe organise un préoccuper de la diversité culturelle dans les pays où
séminaire depuis 1990 sur les «responsabilités des diri- elles s’implantent ? Serait-ce voué à rester un vœu
geants d’entreprise», où sont débattues les infractions pieu ?
dans des domaines aussi divers que la concurrence, le
droit social et l’information financière. Bouygues s’est
engagé à travers leur Instance de Dialogue Européen à
respecter une charte.
La charte des Ressources Humaines du Groupe 5. Une solution, la transnationalité ?
Bouygues (cf. annexe 1) présente une forte considéra-
tion pour l’homme au travail : Comment une entreprise peut-elle se préoccuper à la
« Les hommes constituent notre principale richesse, en fois de sa performance globale et de sa performance
tant qu’individus et par leur capacité à travailler locale ?
ensemble. Ils sont au centre des valeurs du Groupe. Le À partir d’une classification des entreprises multinatio-
respect de soi et le respect mutuel entre les collabora- nales en fonction de leurs pratiques de management
teurs sont indispensables au développement de nos interculturel et du respect des cultures nationales,
entreprises ». Pour appuyer leur vision, 6 actes clés sont Miroshnik (2002) permet de répondre à ce questionne-
présentés : anticiper, accueillir, reconnaître, développer, ment.
partager, respecter.
Cependant, malgré une position non négligeable dans La figure 1 (page 6) synthétise les différents types
les pays étrangers et surtout en Afrique -23 042 d’organisations multinationales en fonction de leur
employés en 2004 - (cf. annexe 1), la charte des degré auquel leurs activités internationales sont sépa-
Ressources Humaines du groupe ne fait aucunement rées pour répondre au marché local et intégrées pour
référence au respect des valeurs et de la diversité cultu- répondre à une efficience globale. (1) L’entreprise inter-
389
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
Efficience globale
Globale Transnationale
Élevée Vision du monde en tant que marché Réponses locales, mécanismes complexes
unique, les opérations sont contrôlées de coordination permettant une intégration
de façon centralisée globale
Internationale Multinationale
Faible Utilise les capacités existantes pour Plusieurs opérations subsidiaires, telles que
développer les marchés étrangers les unités d’affaires possédant une marge
de manœuvre dans plusieurs pays
Faible Élevée
nationale est une entreprise dite « domestique » qui préoccupations actuelles des consommateurs occiden-
étend ses ventes à des pays étrangers. (2) L’entreprise taux exercent une réelle pression. Néanmoins, l’occi-
multinationale, plus complexe, possède des unités auto- dentalisation de la responsabilité sociale de l’entreprise
nomes dans chaque pays d’implantation. Cette autono- ne doit pas signifier une occidentalisation des outils de
mie des unités favorise une adaptation au marché local, management à toute organisation dans le monde, à
préférences des consommateurs, pressions politiques… l’encontre de la sauvegarde de la diversité des cultures.
(3) L’entreprise globale maintient des contrôles centra- Le système d’acculturation et d’apprentissage de la
lisés sur ses unités. Leur vision du monde, contraire- culture et du fonctionnement occidental ne doit pouvoir
ment à l’entreprise internationale est de percevoir le satisfaire à sa volonté, consciente ou non d’empirisme.
marché mondial comme un tout unique. Enfin, (4) Cet article suggère, donc, que les outils de mangement
l’entreprise transnationale additionne le type multina- de la responsabilité sociale peuvent être aménagés en
tional avec une recherche de responsabilisation sur le faveur du pluriculturalisme, dont l’entreprise multina-
marché local et l’efficience d’une entreprise de type tionale a beaucoup à tirer parti. La première étape
global. Afin d’équilibrer le paradoxe global/local, l’en- consiste en une reconnaissance, dans le cadre des consi-
treprise transnationale pratique la structure en réseau. dérations sociales de la RSE. Du respect du manage-
Cette flexibilité favorise les compétences locales. ment en fonction de la culture du pays. Selon l’échelle
Chaque unité est autonome dans ses opérations locales, proposée par Phatak (1986), il serait question que le
mais appartient à un ensemble global. Ce type d’entre- Management et les Ressources Humaines au travail
prise peut être associé au type cellulaire où chaque prennent en compte l’individualisme/collectivisme
cellule est indépendante mais où l’ensemble de toutes (attitude d’indépendance de l’employé), l’informalité
les cellules forment l’entreprise globale. Dans ce type (dans les négociations diverses), le matérialisme, le
cellulaire, issu de la biologie, les cellules sont en changement (dans certains pays le changement est
connexions permanentes les unes avec les autres. Ford accepté mais passivement car issu du cours naturel des
Motor Co, British Petroleum en sont de bons exemples. choses), le temps (le temps est perçu dans certains pays
comme illimité). Le rôle de la culture d’une entreprise
internationale et son code de conduite doivent, à
Conclusion présent, refléter son ouverture managériale à, non
seulement, respecter, considérer, reconnaître tout
homme au travail, mais surtout selon sa propre percep-
tion culturelle, selon sa propre culture.
Les outils de management utilisés dans le cadre de la
Responsabilité Sociale de l’entreprise répondent à un
besoin fondamental d’avancer vers une responsabilisa-
tion des organisations. Si, certaines d’entre elles utili-
sent ce nouveau concept comme un outil marketing, les
390
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
Annexe 1
Extrait charte
des Ressources Humaines
Groupe Bouygues
391
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
Annexe 1
Extrait charte des Ressources Humaines Groupe Bouygues
392
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
Annexe 2 Annexe 3
393
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
Un entretien d'appréciation est mené chaque année par - Le séminaire Développement des valeurs Bouygues
les hiérarchies avec leurs collaborateurs. Cet entretien rassemble, tous les mois, 18 cadres dirigeants. Il les
permet de faire un point sur l'activité et les souhaits informe des orientations du Groupe sur l'éthique et les
d'évolution du collaborateur et permet également de aide à élaborer leur stratégie d'action dans ce domaine.
fixer les objectifs qui serviront de référence à la rému- C'est également l'occasion pour Martin Bouygues de
nération variable de l'exercice en cours. répondre directement aux questions des collaborateurs
sur ce thème.
La détermination de l'évolution salariale de l'année à
venir est un élément important de la politique de rému- - Le séminaire Respect et performance, lancé en
nération. Une attention particulière est portée aux 2005, sensibilise les collaborateurs ayant des missions
jeunes et aux collaborateurs à fort potentiel. d'encadrement aux exigences quotidiennes qu'impose
Entre juin 2004 et juin 2005, la rémunération globale le respect des hommes, valeur fondamentale de
(fixe + variable) des collaborateurs du Groupe a aug- Bouygues. Il s'agit de développer un management pro-
menté, en moyenne, de 5 %. pice aux échanges et au travail en commun.
394
Une lacune de la recherche d’universalité de la RSE et de ses outils : le management des Ressources Humaines
en fonction de la culture nationale
Delphine van HOOREBEKE
Information
Les filières fonctionnelles (Ressources Humaines,
Gestion, Finance, Informatique, Communication…)
jouent depuis l'origine du Groupe un rôle essentiel dans
le partage des valeurs communes. Des réunions d'infor-
mation et de formation sont fréquemment organisées.
De même, chaque métier organise ses réunions pour
informer, animer et motiver ses collaborateurs. Depuis
février 2003, Bouygues a mis en place un nouveau
portail intranet "e.by" qui permet à tous les collaborateurs
du Groupe d'établir entre eux des liens et des échanges.
Chacune des grandes filières (Ressources Humaines,
Informatique, Communication, Europe…) a développé
et anime son propre portail.
395
Liste des auteurs
Emmanuel ABORD DE CHATILLON, Maître de conférences HDR à l’IUT d’Annecy, responsable équipe IREGE Management,
université de Savoie. Ancien élève de l’école Normale Supérieure de Cachan. Coordinateur du groupe santé et sécurité
au travail de l’association francophone de Gestion des Ressources Humaines. Publications : « Management de la santé
et de la sécurité au travail : un champ de recherche à défricher », L’Harmattan (avec O. Bachelard (Coords)), « Mobiliser
les ressources humaines » (avec C. Desmarais et M. Meunier, Foucher, 2003), « DRH : les nouveaux managers de la santé
et la sécurité au travail ? » (Revue Management et Avenir, 2005), « L’audit de stress au travail : un audit de santé de
l’organisation ? » (Revue Performances, 2003).
Mohammed BAAYOUD, Consultant en ressources humaines et organisation ; conseiller pédagogique pour le Master
Gestion des ressources humaines à l’école Hassania des Travaux Publics (Maroc) ; secrétaire général de l’IAS Maroc ;
past-président de l’AGEF et past-président de la Fédération Méditerranéenne des Ressources Humaines. Doctorat en
économie des ressources humaines. Il a collaboré à l’ouvrage « Perspectives de la GRH au Maghreb » (Ed. Vuibert,
2005).
Thierry BAH, Enseignant/chercheur au GESEM, faculté d’Administration & de Gestion. Auteur d’une recherche
doctorale sur « L’accompagnement du repreneur par le cédant dans la transmission des PME : une approche par la
théorie du deuil » sous la direction de Henri Mahé de Boislandelle.
Pierre BARET, Docteur en économie, professeur et directeur des programmes “Master” au groupe Sup de Co La Rochelle,
chercheur au CERGE (IAE Poitiers). Ses recherches portent sur les conditions d’émergence et de pérennisation de la RSE
ainsi que sur son évaluation économique.
Emmanuel BECK, Maître de conférences en Sciences de Gestion, IAE-université Jean-Moulin Lyon III, chercheur associé
à l’ISEOR. Docteur en sciences de gestion, Ingénieur CESI. Il dirige le programme « Audit Social » du Master
Management Socio-économique de l’université Lyon III.
Daniel BELET, Professeur de management au sein du groupe Sup de Co La Rochelle et chercheur - associé au laboratoire
« Humanisme et Gestion » de Bordeaux école de Management.
Il exerce également des activités de consultant en développement managérial et organisationnel. Il s’est notamment
spécialisé dans les processus d’apprentissage managériaux et organisationnels.
Il est notamment l’auteur d’un ouvrage et d’articles sur les « organisations apprenantes ». Il a participé à plusieurs
programmes de recherches européens sur ces thématiques.
Il intervient également comme animateur de séminaires, consultant et conférencier tant en France qu’à l’étranger. Il
est membre actif de ECLO (European Consortium for the Learning Organization) et SoL-France.
Jean Pierre BOISSIN, Professeur agrégé de sciences de gestion, chercheur au CERAG (UMR CNRS, université Pierre
Mendès France, Grenoble), responsable de la spécialité Entrepreneuriat (Master MSGO - IAE Grenoble - UPMF-INPG). Il
est par ailleurs directeur de la maison de l’entrepreneuriat de Grenoble-universités. Membre des conseils
397
d’administration de l’AIREPME et de l’académie de l’entrepreneuriat. Ses dernières publications portent sur la
structuration de la recherche en Management Stratégique « Histoire et mémoire et influence de l’œuvre de James
March », in la revue des Sciences de Gestion et Management International en 2005, « le gouvernement d’entreprise des
jeunes entreprises à forte croissance », RIPME, 2003 ; Research Policy, 2002.
Marc BONNET, Professeur de sciences de gestion à l’université Jean Moulin Lyon III et directeur adjoint de l’ISEOR. Son
domaine de spécialité est le management socio-économique des entreprises et organisations. Il a publié avec Henri
Savail et Véronique Zadait de nombreux articles et ouvrages, en particulier sur les problématiques liées au
développement du potentiel humain. Il est également secrétaire général de l’AGRH.
Sonia BOUSSAGUET, Docteur en Sciences de Gestion, appartient au laboratoire du GESEM (groupe d’études en sciences
de l’entreprise et des marchés) de l’université Montpellier I. Elle est également membre associée au CEROM (centre
d’études et de recherche sur les organisations) au sein du groupe Sup de Co Montpellier. Sa spécialisation scientifique
s’inscrit dans le domaine du management des RH et de l’entrepreneuriat (reprise de PME).
Martine BRASSEUR, Maître de conférences à l’IAE d’Aix-en-Provence de université Paul Cézanne, HDR en Sciences de
Gestion. Elle appartient au CEROG. Ses travaux portent sur le comportement dans les organisations, le management de
la diversité.
Laurent CAPPELLETI, Maître de conférences à l’université Jean Moulin Lyon III, IAE de Lyon. Chef de département à
l’ISEOR, centre de recherches associées à l’université Lyon III et à l’EM Lyon. Responsable du Master 2 de Consultant en
Ingénierie du Management de l’université Lyon III. Best paper award de l’Academy Of Management 2005, Management
Consulting Division, pour l’article « Designing and processing a socio-economic management control » (in Academy Of
Management Best Paper Proceedings, edited by K. Mark Weaver, 65 edition, 2005).
Jean Claude CASTAGNOS, Directeur de recherche au CNRS, est affecté à l’université Pierre Mendès France de Grenoble.
Il est l’auteur de nombreuses publications aussi bien dans le domaine de la GRH que dans celui du management
stratégique. Il est directeur de l’école doctorale de Sciences de Gestion de Grenoble et directeur adjoint du centre
d’études et de recherches appliquées à la Gestion (CERAG), à savoir l’UMR-CNRS n° 5820.
Fabrice CAUDRON, ATER à l’IAE de Lille, docteur en sciences de gestion, membre du LEM (Lille Economie Management,
UMR CNRS 8179). Ses recherches portent sur les organisations d’économie sociale et, plus spécifiquement, sur les
sociétés coopératives.
Didier CAZAL, Professeur des universités à l’IAE de Lille. Il enseigne principalement la gestion des ressources
humaines, la GRH internationale et l’épistémologie de la recherche en gestion. Ses travaux et publications portent sur
les comparaisons internationales, la GRH internationales, les questionnements épistémologiques et les approches
critiques en gestion et plus récemment sur la RSE et la théorie des parties prenantes. Il a publié notamment deux
ouvrages sur la GRH internationale et sur la GRH en Europe avec Jean-Marie Peretti.
Catherine DAVISTER, Sociologue de formation (Master, université de Liège). Chargée de recherches au centre
d’économie sociale de l’université de Liège (Belgique) et associée à la chaire Cera en « Entrepreneuriat et Management
de l’Économie Sociale ». Ses travaux portent sur les pratiques de management (principalement la gestion des
ressources humaines) dans les organisations du tiers secteur (associations, coopératives, mutuelles). D’autres thèmes
l’intéressent particulièrement : l’économie sociale d’insertion, les systèmes de santé intégrés et non lucratifs (comme
les maisons médicales belges) ainsi que le bénévolat dans le monde associatif.
Guillaume DELALIEUX, Doctorant à l’IAE de Lille. Membre du LEM (Lille Economie et Management), UMR CNRS 8179.
Christine DELAHAYE, Chargée de recherches au centre EGID (Etudes sur le Genre et la Diversité en gestion) à la HEC-
Ecole de Gestion de l’université de Liège (Belgique). Ce centre a pour objectif de mener des recherches sur la diversité
de la main-d’œuvre dans les entreprises et les organisations et les défis que cela pose pour la gestion des ressources
humaines (GRH). Le centre aborde entre autres : l’intégration des femmes, de la main-d’œuvre étrangère, des
personnes handicapées ; la gestion des âges ; l’acceptation des orientations sexuelles ; la prise en compte de la
diversité des formes familiales. Le centre EGID s’inscrit dans le pôle de recherches et d’intervention ReSponsE qui
regroupe d’autres compétences de l’ULg (LENTIC et CES) pour traiter plus spécifiquement de la problématique du
management par la Responsabilité Sociale des Entreprises.
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Anne DIETRICH, Maître de conférences habilitée à diriger des recherches en sciences de gestion, à l’IAE de Lille
(université des Sciences et Technologies de Lille), responsable du Master 2 métiers de la GRH. Auteur de « La gestion
des ressources humaines » (avec F. Pigeyre) La Découverte, 2005 ; « Management par les compétences, le cas
Manpower » (avec C. Dejoux), Pearson Education, 2005.
Jean-Yves DUYCK, Professeur à l’université de La Rochelle, laboratoire CEREGE de l’IAE de Poitiers ; responsable du
groupe Gestion des Ages et des Temps de l’AGRH ; « reconnaître le travail au quotidien », avec A. Nervet in Tous
Reconnus (Peretti, dir.), EO, 2005 ; Pilotage et coordination Cahier Spécial « Management des Seniors » dans
Management et Avenir n° 7, février, 2006, 117-217, Rajeunir le regard sur les seniors ? Un essai de typologie des
représentations des seniors avec Serge Guérin – le cas de la CNCE, Management et Avenir, n° 7, février 2006, 181-197.
D’où viennent les DRH ? Management et Avenir, n° 4, 2005, avril, 201-220.
Manal EL ABBOUBI, Chercheuse doctorante au centre EGiD : étude sur le genre et la diversité en gestion de HEC l’école
de gestion de l’université de Liège (Belgique). Ancienne consultante formatrice à Dale Carnegie Training Maroc. 2003 :
DEA en Sciences de gestion. 2002 : DESS en « International marketing and e-business ».
Fatima EL KANDOUSSI, Professeur de Gestion à l’école nationale de Commerce et de Gestion, Université IBN Zohr.
Jean-Marie ESTEVE, PDG entreprise SOLATRAG Agde Hérault ; ingénieur ; docteur en sciences de gestion ; chercheur au
GESEM Montpellier I ; ses recherches sont orientées sur la transmission des PME et notamment sur les problématiques
humaines et managériales : la transmission des PME à ses salariés.
Stéphane FAUVY, Doctorant en sciences de gestion au LARGO, université d’Angers. Professeur-assistant au sein du pôle
Management du groupe ESSCA, responsable des enseignements de gestion des ressources humaines.
Alioune Dit Mawa FAYE, Consultant - Formateur en Management et GRH, Secrétaire Général de l’ANDCP-Sénégal.
Serge GUERIN, Docteur en sciences de la communication (Paris III). Professeur à l’ESG. Professeur associé à l’université de
Lyon II. Enseigne au CNAM et à l’université de Cergy-Pontoise. Auteur de différents ouvrages dont « Le boom des seniors »,
Economica, 2000,« Le grand retour des seniors », Eyrolles 2002, et « Manager les quinquas », Ed d’organisation 2004.
Birahim GUEYE, Doctorant à l’IAE de Lille. Membre du LEM (Lille Economie et Management), UMR CNRS 8179. Membre
du GREMCO (groupe de recherche en management et coordination des organisations). Thèmes de recherche : confiance,
réseaux de franchise, analyse de réseaux, relations interentreprises.
Benjamin HUYBRECHTS, Assistant et doctorant au centre d’économie sociale de l’université de Liège (Prof. Jacques
Defourny). Doctorat en cours (Sciences de Gestion) sur le thème de l’analyse institutionnelle des acteurs du commerce
équitable. Thèmes de recherche : commerce équitable, RSE, mouvement coopératif, interactions entre l’économie
sociale et le secteur privé à but lucratif…
Feriel LAALAI, Inspectrice centrale du travail, chargée des structures de dialogues et de la conciliation. Consultante,
trésorière adjointe de l’IAST. Travaux scientifiques : étude sur la nouvelle économie et contrôle de l’emploi :
l’inspection du travail face à la conciliation, sujet de thèse pour l’obtention du doctorat en science du travail à Bruxelles
dirigé par Monsieur Allaluf professeur agrégé à L’ULB. Communication du 25, 26 et 27 août 2004 au Luxembourg publié
à l’Internet et qui porte sur l’enjeu de l’inspection du travail dans la responsabilité sociale de l’entreprise.
Communication du 4, 5, 6 mai à Marrakech et qui porte sur la performance économique et RSE : l’inspection du travail
face à la performance sociale en Tunisie ». Cas des entreprises textile - habillement.
Saloua LANGAR, Auditeur social, cadre supérieur à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale de Tunisie et enseignante
vacataire à l'Institut Supérieur de Comptabilité et d'Administration des Entreprises et à l'Institut National du Travail
et des Etudes Sociales de Tunis.
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Alain LAPOINTE, Professeur à l’École des sciences de la gestion, est titulaire adjoint de la chaire de responsabilité
sociale et de développement durable à l’université du Québec à Montréal, un lieu privilégié d’échanges et de réflexion
sur les question d’éthique et de responsabilité sociale. Ses travaux portent principalement sur les nouvelles
régulations sociales dans le contexte de la mondialisation et sur les innovations socio-économiques portées par les
acteurs.
Michel LE BERRE, Professeur des universités (Sciences de Gestion) à l’université Pierre Mendès-France de Grenoble. Ses
centres d’intérêt sont le droit des affaires, le droit du travail, la rétribution et la négociation collective et
interpersonnelle.
Parmi ses publications on peut noter Le précis de GRH, Pug, 1995, La gestion des hommes dans l’entreprise : défis
stratégiques et outils de gestion, (avec JC Castagnos), Pug, 2003, Moderniser la gestion des hommes dans
l’entreprise : de l’effet des technologies à l’usage de méthodes innovantes, (coordonnateur avec M.Matmati), éd.
Liaisons, 2005, 295p. Ses travaux de recherche sont consultables sur le site du laboratoire CERAG.
Henri MAHE DE BOISLANDELLE, Professeur des universités, responsable du GESEM et doyen de la faculté
d’administration & de gestion de l’université Montpellier I. Auteur de « Gestion des ressources humaines dans les
PME », Economica, 1988, 1998 ; « Dictionnaire de Gestion », Economica, 1998, « Gérer les hommes de la jeune
entreprise », Chotard Editeur, 1991 ; « Marché de l’art et gestion de patrimoine », Economica, 2005.
Diana MANGALAGIU, Professeur de Management et Stratégie à Reims Management School, chercheur au Lagrange
Interdisciplinary Laboratory for Excellence in Complexity, Institute for Scientific Interchange, Turin, Italie et
chercheur associé au laboratoire LEM (CNRS UMR 8179), university de Lille I. Doctorat en Intelligence Artificielle,
école Polytechnique, Paris (1999). Responsable du comité d’évaluation de l’action de coordination européenne
« General Integration of the Applications of Complexity in Science ».
Auteur d’« An Economy of Improvisation Rooted in the Innovation Process: The Case of the Evolution of the
Pharmaceutics Industry », EGOS, 2005 (avec X. Deroy), « How the non-conformism becomes reference: the case of the
Corporate Social Responsibility », CEROS, 2006 (avec V. Paone), « Emergence of Hierarchies as Governance Structures:
A Contract Theory Perspective », AKSOE, 2006 (avec R. Ben-Av).
Virginie MOISSON, Doctorante en sciences de gestion, allocataire de recherche, rattachée au CEROG-IAE d’Aix-en-
Provence, université d’Aix-Marseille III.
Elvalde MUTABAZI, Professeur à l’EM Lyon (école de management de Lyon). Membre du comité scientifique de
« Business Digest », du comité de rédaction de « Gestion 2000 ». Activités de recherche, de conseil et de formation des
cadres dans les entreprises confrontées aux problématiques du changement et du management des Ressources
Humaines en contexte multiculturel en Afrique et en Europe. Nombreux articles dont « The Management of
Multicultural Teams: the Experience of Afro-Occidental Teams » (Cahiers de Recherche, n°2003/13, EM Lyon, déc.
2003). Il a coordonné « Management international des ressources humaines : fusions, acquisitions, filiales, alliances
et coopérations internationales, (Eyrolles, 1994).
Valérie PAONE, Professeur associé en part-time à la CCIP (NEGOSUP) et termine une thèse sur la diffusion de la
responsabilité sociale des entreprises (RSE) en économie et marchés internationaux. Elle est conseiller senior en
développement à Planet–Finance.
Elle intervient aux Arts et Métiers, Sorbonne, Reims Management School, et HEC. Ses domaines de recherche sont la
RSE, les multinationales émergentes et industrialisées, la diffusion de la RSE entre firmes et Etats, la micro-finance.
Elle est chercheur associé au centre Thucydide de Panthéon-Assas (relations et droit international public).
Christiane PAREZ CLOAREC, Doctorante en Sciences de Sciences de Gestion option Management Stratégique,
Consultante en Ressources Humaines.
Dominique PATUREL, Doctorante en sciences de gestion. Assistante de service social du travail. Participante au groupe
santé et sécurité au travail de l’association francophone de Gestion des Ressources Humaines.
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Jean Marie PERETTI, Professeur des universités, Professeur à l’ESSEC et à l’IAE de Corte. Consultant en GRH et en audit
social. Président de l’IAS, Institut International de l’Audit Social. Past Président de l’AGRH (association francophone
de gestion des ressources humaines). Auteur de : « Gestion des Ressources Humaines », Vuibert, 13e édition, 2005.
« dictionnaire des ressources humaines », Vuibert, 4e édition, 2005. « Ressources Humaines », Vuibert, 9e édition,
2006. « Ressources humaines et gestion des personnes », Vuibert, 4e édition, 2005. « Tous Reconnus » Editions
d’organisation, édition, 2005. « Les Clés de l’Equité », Les Editions d’Organisation, 2004.
François PETIT, Docteur en sciences de gestion et DEA de mathématiques, directeur de programmes au sein du groupe
Sup de Co la Rochelle, Professeur à l’ESSEC, chercheur au CEREGE et consultant. Il a travaillé vingt cinq ans à
l’international dans la formation/action (dans un premier temps) puis, comme cadre et dirigeant de filiales d’une
grande société de certification et prévention des risques. Ses travaux et communications actuelles concernent
l’apprentissage organisationnel et les compétences dans le domaine de l’environnement et du développement durable.
François PICHAULT, Docteur en sociologie, est professeur à HEC-école de gestion de l’université de Liège, où il assume
également le rôle de directeur de la recherche. Il est par ailleurs professeur affilié à l’ESCP-EAP, Paris. Il anime dans
diverses universités, belges et françaises, des enseignements liés à la gestion des ressources humaines et à la théorie
des organisations. Il préside le LENTIC, un centre de recherche de l’université de Liège spécialisé dans l’étude des
aspects humains et organisationnels des processus d’innovation. Il est l’auteur ou le coauteur d’une dizaine d’ouvrages
et de nombreux articles en théorie des organisations et en gestion des ressources humaines.
Philippe PIERRE, Directeur de l’éducation permanente de la division coiffure du groupe L’ORÉAL et chercheur au sein
du laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE/CNRS). Docteur de l’institut d’Études Politiques
de Paris, il a notamment publié « Mobilité internationale et identités des cadres » aux Editions Sides, et avec
Dominique MARTIN et Jean Luc METZGER, « Les métamorphoses du monde. Sociologie de la mondialisation » aux
éditions du Seuil en 2003. Il est l’auteur d’une quarantaine d’articles en gestion des ressources humaines,
management interculturel et sociologie de l’entreprise. Il est membre du comité de rédaction de la revue Sociologies
Pratiques publiée aux PUF.
Jean-Michel PLANE, Professeur à l’université Paul Valéry à Montpellier III, il est également chercheur au LAGOR
(laboratoire de recherche en gestion des organisations). Ses recherches portent sur le management des ressources
humaines et la théorie des organisations. Il est l’auteur de « Management des organisations », (Dunod, 2003) et de
nombreuses publications dans le champ de la théorie des organisations, du comportement organisationnel et du
management des ressources humaines.
Pierre-Yves SANSEAU, Professeur chercheur en gestion des ressources humaines et en management à Grenoble école
de Management (AMBA, AACSB, EQUIS). Docteur en sciences de gestion, il détient également un MBA (UQAM) et un
master en sciences politiques. Il était auparavant professeur à l’université du Québec à Montréal. Auteur de plusieurs
articles et conférences et contributions dans des ouvrages de recherche, ses champs d’intérêt dans le domaine de la
recherche touchent à la gestion des compétences, à l’individualisation de la gestion des ressources humaines et au
temps de travail. Il effectue régulièrement des missions de conseil et de formation en Europe et au Canada. Ses thèmes
d’intervention en entreprise se situent autour de trois axes : le management, la gestion des équipes ainsi que la
gestion du changement.
Jean-Yves SAULQUIN, Professeur de finance au groupe ESCEM. Doctorat en sciences de gestion, HDR. Directeur du
centre de recherche de l’ESCEM. Il est membre de l’IAS et de l’AGRH et a coécrit plusieurs ouvrages en finance
d’entreprise et sur la responsabilité sociale des entreprises.
Yannick SCHWANBERGER, Maître de conférences à l’IAE de Lille, docteur en sciences de gestion, membre du LEM (Lille
Economie Management, UMR CNRS 8179). Ses recherches portent sur les problématiques de management des hommes
et de gestion des ressources humaines dans le domaine de l’économie sociale, en particulier dans le champ des
organisations liées à l’intervention sociale.
Aline SCOUARNEC, après une formation universitaire et un troisième cycle à l’ESCP-EAP, Aline Scouarnec a exercé des
fonctions RH au sein du conseil régional de Basse-Normandie. Depuis 2000, elle est Docteur es Sciences de Gestion et
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maître de conférences en Sciences de Gestion à l’université de Caen, spécialisée en Management des Ressources
Humaines. En 2004, elle a été habilitée à diriger des recherches, ce qui lui permet d’exercer des fonctions de directeur
de recherches à l’IAE de Caen Basse-Normandie. Elle est également chercheurs au sein du groupe Vision Prospective et
Gestion, IAE de Caen, et pilote l’atelier « Devenir des compétences et des métiers » ainsi qu’à DMSP (université Paris-
Dauphine), au sein de l’atelier Prospective des Métiers. Depuis 2004, elle est coresponsable de la recherche du groupe
INSEEC et a crée avec Luc Boyer la revue Management et Avenir, et en est le Rédacteur en Chef. Auteur d’une
quarantaine de communications, articles, chapitres d’ouvrage, elle a publié en 1999 avec Luc Boyer aux Editions EMS,
Les nouveaux marchands et en 2005, elle a dirigé en deux ouvrages collectifs : « Algérie, Maroc Tunisie : perspectives
de la GRH » aux éditions Vuibert-AGRH en collaboration avec Zahir Yanat, et L’observation des Métiers aux Editions
EMS-INSEEC en collaboration avec Luc Boyer. Un ouvrage commun avec Luc Boyer sur La prospective métier est
également prévu pour début 2006 aux éditions d’Organisation.
Jean-Paul TCHANKAM, Professeur, Bordeaux école de Management. Membre du CREFF (centre de recherche sur
l’entreprise familiale et financière-Université Montesquieu-Bordeaux IV). Administrateur à l’Institut International de
l’Audit Social (IAS), administrateur à l’académie de l’Entrepreneuriat (France). Membre du conseil canadien des Petites
Entreprises et de l'Entrepreneuriat (CCPME). Membre de l’association pour le développement de l’enseignement de la
responsabilité sociale (ADERSE) et membre du CEDIMES, Nogent, France.
Delphine van HOOREBEKE, Professeur adjoint à l’université de Montréal et membre des centres de recherche CIRANO,
(centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations) de Montréal et CEROG (centre de recherche sur
les organisations et la gestion) de l’IAE d’Aix-en-Provence. Auteur de plusieurs conférences et articles scientifiques sur
le comportement humain au travail, l’auteur souhaite, entre autres, mettre en exergue les effets des normes
organisationnelles et codes de conduites sur l’individu, le groupe et l’organisation.
Zahir YANAT, Auditeur agréé, président d'honneur de l'IAS, vice président de l'association pour le développement de
l'enseignement et de la recherche sur la responsabilité sociale de l'entreprise (ADERSE). Diplômé de Sciences Po
Bordeaux, titulaire d'un MBA de l'INPED Alger/HEC Montréal, il est docteur en sciences de gestion, habilité à diriger
des recherches. Il mène sa carrière d'auditeur et d'enseignant chercheur après avoir été DRH en Algérie, pendant
25 ans. À partir de 1990, il enseigne la GRH, la théorie des organisations, l'audit social et la responsabilité sociale au
sein de plusieurs universités en France et au Maghreb. Actuellement maître de conférences à l'université Bordeaux IV,
professeur de management à Bordeaux école de Management où il a créé le centre « Humanisme et gestion ».
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