Extrait Le Mal Du Dehors 9782759227006
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Le mal
du dehors
L’influence
de l’environnement
sur la santé
Le mal
du dehors
L’influence
de l’environnement
sur la santé
Rémy Slama
Éditions Quæ
RD 10
78026 Versailles Cedex
http://www.quae.com
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sans autorisation des éditeurs ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC),
20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
Sommaire
Introduction............................................................................................. 5
3
LE MAL DU DEHORS – L’INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT SUR LA SANTÉ
Conclusion............................................................................................... 341
Remerciements........................................................................................ 357
Références................................................................................................ 359
Index......................................................................................................... 371
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Introduction
Contaminations environnementales
La pollution est définie comme une altération de l’environnement
sous une forme ou une autre, ayant des effets néfastes. Elle est parfois
visible, comme lorsqu’un smog riche en dioxyde de soufre s’est abattu
sur la ville de Londres en décembre 1952, créant une obscurité que
l’éclairage public ne pouvait traverser, arrêtant le trafic routier, bloquant
toutes les activités, envoyant des dizaines de milliers d’habitants à l’hô-
pital, en tuant des milliers. Parfois on l’entend, comme l’explosion de
l’usine de Seveso près de Milan en 1976, qui a largué une dioxine ayant
des effets immédiats sur le bétail et la faune, décimés, mais dont les
conséquences sanitaires sur les humains n’ont commencé à être identi-
fiées que plusieurs dizaines d’années plus tard. On peut aussi la ressentir,
comme la canicule de Chicago de 1995, celle qui a touché Paris et le
reste de l’Europe en août 2003 ou celle de Moscou durant l’été 2010.
Mais bien souvent la pollution est invisible. C’était le cas aux débuts
du drame de Minamata, au Japon, alors qu’on ne savait pas si les troubles
neurologiques qui s’accumulaient étaient dus à une cause infectieuse,
à l’alcool ou, comme cela s’est avéré, à une contamination par des
dérivés du mercure d’origine industrielle des poissons et fruits de mer
consommés par la population.
Généralement, la pollution garderait ce caractère invisible sans des
outils élaborés. Il en va de même pour ses conséquences sanitaires, car les
pathologies ou décès attribuables aux polluants ne surviennent pas avec
une étiquette permettant de les identifier comme tels. Il y a des décès attri-
buables (collectivement) à la pollution mais pas ou peu de décès qui lui sont
clairement imputables (individuellement) – ce qui peut s’expliquer par le
fait que la pollution est une cause « distante » de la pathologie, alors que les
outils des médecins ne permettent que d’identifier la ou les causes les plus
proches, c’est-à-dire les mécanismes biologiques éventuellement induits par
la pollution. Identifier les causes des causes requiert une autre approche.
Les outils de caractérisation de la pollution sont nombreux. Les dosi-
mètres ont permis aux Suédois de détecter la catastrophe de Tchernobyl
par des mesures faites en Suède quelques jours après l’explosion du
réacteur nucléaire, alors que le régime vacillant de l’URSS refusait
d’avouer l’accident. Les techniques de dosages biochimiques aidèrent,
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LE MAL DU DEHORS – L’INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT SUR LA SANTÉ
dans les années 1950, à mettre en évidence une relation entre la quantité
de dérivés du mercure dans le cordon ombilical des enfants de Minamata
et la survenue de malformations et troubles neurodéveloppementaux,
ou, plus récemment, à caractériser l’exposition de la population géné-
rale aux pesticides organophosphorés, aux retardateurs de flamme poly-
bromés ou aux phénols. Quant aux capteurs gravimétriques, répartis
dans toutes les grandes villes des pays industrialisés, ils sont d’une
importance centrale pour mettre en évidence les effets à court terme des
polluants atmosphériques.
Pourquoi cette question de la contamination de l’environnement et de
ses effets sur la santé est-elle, aujourd’hui, primordiale ? Est-ce simple-
ment parce que nous savons mesurer des facteurs dont nous ignorions
hier l’existence ? Cette contamination est-elle un phénomène nouveau,
ou nos sociétés sont-elles simplement plus inquiètes, ou soucieuses de
leur santé, que celles du passé ? Quels sont les effets de la pollution
de l’eau, ceux des champs électromagnétiques ? Les pesticides sont-ils
nocifs pour notre système nerveux ? Ces pollutions constituent-elles
vraiment un risque1, et si oui ne pourrait-on pas hiérarchiser ces risques
associés à chacun de ces facteurs ? Pourquoi les seuils réglementaires
fixés pour les particules fines en suspension dans l’air sont-ils en Europe
le double de ceux en vigueur aux États-Unis ? Les craintes vis-à-vis de
l’environnement ne sont-elles pas le fruit d’une défiance de principe vis-
à-vis du progrès technique, craintes injustifiées car ce progrès saurait la
plupart du temps empêcher les modifications du mode de vie qu’il génère
d’altérer la santé des populations ? D’ailleurs, y a-t-il réellement motif à
s’inquiéter pour notre santé étant donné l’allongement spectaculaire de
l’espérance de vie au cours des siècles passés ?
Avant d’aborder ces questions, il est important de s’attarder sur deux
transformations majeures et liées entre elles qu’ont subies nos sociétés
des pays dits du Nord au cours des deux derniers siècles : la révolution
industrielle et la transition épidémiologique.
Jamais au cours de l’histoire de l’humanité l’environnement et la
santé des populations ne s’étaient modifiés avec une telle ampleur.
Jamais notre espèce n’avait eu une telle empreinte sur son milieu de
vie, altérant l’environnement, changeant la nature et la quantité des sub-
stances présentes atteignant l’organisme humain. C’est un peu comme
si, en une dizaine de générations, l’espèce humaine avait changé de
planète. Ce changement de planète est en fait un changement d’ère : c’est
l’entrée dans l’anthropocène. Autrement dit, l’entrée, depuis la première
révolution industrielle, dans un nouvel âge géologique, marqué par une
influence majeure de l’homme sur la biosphère, selon la terminologie
proposée en 1995 par le chimiste et météorologue Paul Crutzen.
1. Le terme de risque, et celui de danger, ont des significations spécifiques en santé environ-
nementale, qui seront précisées dans le chapitre 3. D’ici là, ils peuvent être compris dans leur
acception courante.
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Introduction
La révolution industrielle,
ou l’avènement de l’anthropocène
La pollution que nous connaissons aujourd’hui n’a pas toujours été
là. Ce n’est pas que le monde européen du Moyen Âge ou de l’Antiquité
n’était pas pollué. Il l’était, mais très différemment d’aujourd’hui. Disons
qu’il était avant tout sale, dans le sens où il manquait d’hygiène, entendue
ici comme la protection contre les microbes. Et que ce manque d’hygiène
masquait la pollution, autant que ses effets. La pollution n’était pas visible
en tant que telle, et d’ailleurs les bactéries (dont l’existence est soup-
çonnée au xviiie siècle par certains, mais acceptée uniquement à la fin du
xixe siècle avec Robert Koch et Louis Pasteur) et les virus n’existaient pas
aux yeux de la société. L’humanité (re)connaissait juste quelques poisons.
Les révolutions industrielles sont des révolutions de l’énergie. En 1800,
les deux tiers de l’énergie mécanique utilisée provenaient des muscles
humains ; cette part est aujourd’hui infime. Cette révolution industrielle,
en modifiant et augmentant considérablement la consommation d’énergie,
et d’abord celle provenant du pétrole et des autres énergies fossiles, a
eu d’importantes conséquences en termes de pollution de l’air, dont les
niveaux ont fortement varié.
La pollution de l’air n’est pas une invention de la révolution indus-
trielle : la biomasse est utilisée depuis des millénaires pour cuire les
aliments ou se chauffer. On retrouve des traces du mercure émis dans
l’air dans l’Antiquité dans des carottes glaciaires. Mais la quantité de
polluants atmosphériques émis (nous ne les distinguerons pas à ce stade)
a crû considérablement entre 1800 et le xxe siècle, bien plus qu’au cours
des siècles et millénaires précédents.
L’autre révolution technique et sociétale avec des conséquences majeures
pour la santé, positives et négatives, est la révolution chimique, elle aussi
liée au pétrole. C’est cette révolution, essentiellement à partir du milieu
du xxe siècle, qui a permis la synthèse de médicaments, comme les anti-
biotiques, la fabrication de matières plastiques, de pesticides. Cette produc-
tion chimique, quasi inexistante au début du xixe siècle, a atteint le million de
tonnes par an dans les années 1930. Elle est passée d’un million à un milliard
de tonnes entre 1930 et 1990, et continue d’augmenter. Une partie des
dizaines de milliers de substances chimiques commercialisées aujourd’hui,
et d’autres anciennement produites, se retrouvent dans notre organisme.
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LE MAL DU DEHORS – L’INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT SUR LA SANTÉ
La transition épidémiologique
Depuis les origines des hominidés et de l’espèce humaine il y a
plusieurs millions d’années, l’environnement a été tout à la fois la condi-
tion de la survie de l’humain – la source de l’oxygène, de l’eau, de la
nourriture essentiels à sa vie, le support et le cadre de ses activités – mais
aussi une menace pour sa santé. L’homme des cavernes vivait de cueil-
lette et de chasse, allant chercher ce que son environnement mettait à sa
portée. Il était aussi lui-même chassé, proie de bêtes féroces dont il avait
du mal à se protéger. Les maladies infectieuses ont très longtemps été
une menace considérable ; la peste noire qui a sévi autour de 1350 a fait
perdre à l’Europe d’un tiers à la moitié de sa population.
Avec le temps, l’Homme a appris à maîtriser certains de ces dangers,
tout en tirant toujours plus de ressources de cet environnement. L’espèce
humaine est progressivement parvenue à lutter, dans les pays les plus
riches au moins, contre les catastrophes visibles. Épidémies, séismes,
famines, incendies, guerres et, pour la période moderne, catastrophes
ferroviaires ou aériennes tuent, dans nos pays, beaucoup moins
aujourd’hui que par le passé. Il n’y a plus de famines en Europe.
La maîtrise de ces dangers a permis la diminution progressive de la
mortalité par maladie infectieuse et par cause accidentelle ou violente.
Au xxie siècle, les individus décèdent beaucoup plus vieux, et la structure
des causes de décès a été profondément modifiée : c’est maintenant de
maladies cardiovasculaires et de cancers qu’on décède le plus souvent.
Ce bouleversement des causes de décès est ce qu’on appelle la transition
épidémiologique (voir chapitre 1). C’est elle qui a permis, avec les progrès
de l’agriculture et de l’utilisation de l’énergie, un accroissement considé-
rable de la taille des populations humaines, constaté depuis les années 1800.
La transition épidémiologique s’est faite grâce à des modifications
profondes de notre façon de construire et assainir les villes, de nous
nourrir. Ces modifications sont nées de la compréhension progressive du
mode de transmission des maladies infectieuses (ce qu’on peut appeler
« les progrès de l’hygiène »), du développement de la vaccination et de
l’asepsie, de la médecine clinique, et, à partir du milieu du xxe siècle,
du développement des antibiotiques. Bref par l’action sur deux leviers
fondamentaux, la prévention et la thérapeutique.
2. Nous n’aborderons pas ici la question, vaste et fondamentale, de l’impact de l’espèce
humaine sur son environnement et la biosphère, qui est, comme indiqué en évoquant la notion
d’anthropocène, majeur, tant du point de vue de la faune que de la qualité des milieux. Pour
une synthèse de ces modifications de l’environnement induites par les activités humaines au
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Introduction
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LE MAL DU DEHORS – L’INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT SUR LA SANTÉ
r éabsorption de sel par les reins, qui procure un avantage certain dans un
environnement où l’alimentation est pauvre en sel, un élément essentiel à
la vie, devient un facteur de risque d’hypertension si les aliments qui nous
sont servis deviennent plus riches en sel. De même, l’aptitude à stocker
les sucres sous forme de graisse constituait un avantage à un temps où les
sucres simples étaient rares ; cela devient un facteur de risque d’obésité
et de diabète si des aliments riches en sucres simples sont surabondants.
Ces effets sur la santé peuvent aussi provenir de facteurs naturels,
dont l’impact est parfois profondément modifié par les changements du
comportement des sociétés. Ainsi la pratique croissante d’exposition au
soleil au cours du xxe siècle a contribué à l’augmentation de l’incidence
du cancer de la peau, qui a doublé depuis 19803.
L’objet de ce livre est de présenter ce qu’on sait de l’influence sur la
santé humaine de ces facteurs et contaminants présents dans notre envi-
ronnement, d’origine naturelle (rayons ultraviolets, métaux lourds…)
ou anthropique. Nous laisserons de côté les facteurs biologiques, virus,
bactéries, à l’origine des maladies infectieuses – dont l’impact reste
considérable même après la transition épidémiologique – et nous nous
centrerons sur la période contemporaine. Nous considérerons surtout les
pays industrialisés ayant réalisé leur transition épidémiologique. Ceux-ci
sont aussi un modèle informatif pour les pays moins industrialisés, qui
combinent la subsistance d’un important fardeau de maladie dû aux
agents infectieux typiques du début de la transition épidémiologique,
avec la présence des facteurs chimiques de l’ère récente.
Une thèse sous-jacente est que, pour les maladies chroniques consti-
tuant la majeure partie du fardeau de maladie pesant aujourd’hui sur nos
sociétés, leur survenue éventuelle n’est pas irrémédiablement programmée
dès la conception dans les gènes des individus ; elle n’est pas attendue à un
âge donné du fait des conséquences naturelles du vieillissement. Elle est
plutôt déterminée par une interaction complexe entre les caractéristiques
génétiques, les comportements individuels et l’environnement. Cette inter
action peut, à court et moyen terme, accélérer ou ralentir les processus du
vieillissement – faire défiler le temps biologique plus ou moins rapide-
ment – perturber le fonctionnement des grands systèmes et fonctions de
l’organisme (le système immunitaire, le système endocrinien, les systèmes
nerveux, cardiovasculaires et respiratoires…) et modifier les principaux
mécanismes de signalisation et de régulation de l’expression des gènes,
là encore à court et moyen terme, mais peut-être aussi à long terme, dans
la descendance des sujets exposés.
3. En sens inverse, il semble que nos sociétés aient appris à mieux faire face aux conséquences
des canicules, comme nous le verrons au chapitre 14.
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Introduction
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LE MAL DU DEHORS – L’INFLUENCE DE L’ENVIRONNEMENT SUR LA SANTÉ
14
Partie I
Un bouleversement
de la distribution
des maladies : la transition
épidémiologique
1
La transition épidémiologique
Le sort de madame de Merteuil paraît enfin rempli,
ma chère et digne amie, et il est tel que ses plus grands ennemis
sont partagés entre l’indignation qu’elle mérite,
et la pitié qu’elle inspire. J’avais bien raison de dire que ce serait
peut-être un bonheur pour elle de mourir de sa petite vérole.
Elle en est revenue, il est vrai, mais affreusement défigurée…
Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses (1782)
5. Ce succès survient durant la période où on prend conscience de l’existence d’une autre
maladie infectieuse, le Sida.
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I. Un bouleversement de la distribution des maladies
Ces pathologies ont entraîné des épidémies qui ont ponctué l’histoire de
l’humanité, touchant et parfois ravageant les populations : emblématique,
l’épidémie de peste noire de 1347-1351 a probablement emporté entre un
tiers et la moitié de la population européenne. Entre 1340 et 1720, près de
6. Le terme de parasite prend plusieurs sens. En biologie, on parle de relation hôte-parasite
dès qu’un agent vit aux dépens d’un autre et que l’association est durable. À ce titre, virus et
bactéries peuvent être vus comme des parasites. En médecine, les parasites désignent des
protozoaires (êtres unicellulaires eucaryotes, c’est-à-dire constitués d’une cellule ayant un
noyau) et métazoaires (ensemble des êtres pluricellulaires, autrement dit les animaux) patho-
gènes, voire commensaux, et excluent donc virus et bactéries (une bactérie étant une cellule
procaryote, c’est-à-dire sans noyau). Le terme de « microbe » est plus général et regroupe
l’ensemble des micro-organismes (virus, bactéries, protozoaires et « petits » métazoaires…).
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