Homélie Cardinal Ambongo 30 Juin 2020

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Homélie de Son Eminence Fridolin Cardinal AMBONGO BESUNGU,

Archevêque Métropolitain de Kinshasa, le 30 juin 2020 à l’occasion du


60ème anniversaire de l’Indépendance de la RD Congo

Liturgie de la Parole du mardi 30 juin 2020 (60 ans de l’Indépendance de la RDC)


1ère lecture : Exode 13, 3-10
Psaume 5, 6-8
Evangile : Matthieu 25, 14-30

Excellence Monseigneur le Vicaire Général,


Chers Frères et Sœurs dans le Seigneur,
Chers Compatriotes

1. La RD Congo, notre pays, célèbre aujourd’hui un jour


exceptionnel : le 60ème anniversaire de son accession à la
souveraineté internationale. Nous n’avons pas le droit
d’oublier ce jour qui a été l’aboutissement de tant de
sacrifices et du sang versé par les vaillants fils et filles du
Congo.
2. Comme nous l’avions entendu dans la première lecture, à la
sortie d’Egypte, Moïse avait dit aux Israélites : « Souvenez-
vous de ce jour » (Ex 13,3.8). Et nous peuple Congolais, nous
avons ce grave devoir de mémoire, de nous souvenir de ce
jour. Seulement, l’événement que nous célébrons aujourd’hui
est aussi, en partie, à la source de notre malheur
d’aujourd’hui. Contrairement aux pays voisins,
l’indépendance du Congo, obtenue le 30 juin 1960, a été une
indépendance plus rêvée que réfléchie : alors qu’ailleurs, on
réfléchissait sur le sens de l’indépendance, on préparait les
gens aux conséquences de l’indépendance ; nous, au Congo,
nous rêvions l’indépendance ; de telle sorte que notre
indépendance a été rêvée avec émotion, avec passion, avec
l’irrationalité, au point qu’à ce moment-là, nous ne savions
pas ce qui nous attendait le lendemain. La conséquence sur
le comportement des Congolais qui ont eu à accéder des
responsabilités continue encore à se vérifier aujourd’hui.
3. Rêver de l’indépendance signifiait pour les Congolais de
l’époque : accéder à l’indépendance pour occuper les postes
des Blancs, s’asseoir sur les sièges des Blancs, jouir des
avantages qui étaient réservés aux Blancs et pas aux
Indigènes à l’époque. Accéder à l’indépendance signifiait pour
beaucoup, la fin des travaux forcés, justement ; mais au-delà
des travaux forcés, l’indépendance était comprise comme la
fin de tous les travaux salissants. A l’indépendance, nous ne
ferons plus des travaux de terre, nous serons tous des chefs.
Nous allons occuper les postes des blancs. Le lendemain de
l’indépendance, et cela s’est vérifié avec la décision de la
zaïrianisation : les Congolais ont occupé les postes des
Blancs. Et étant donné qu’ils ne comprenaient rien de ce que
faisaient les Blancs quand ils occupaient tel ou tel poste,
l’exercice d’autorité, l’exercice des charges, que ce soit des
charges politiques ou dans le socio-économiques ou dans
l’administration a été compris comme l’occasion de jouir
comme les Blancs.
4. Ainsi, l’exercice d’autorité au Congo a été compris comme une
occasion de jouissance. On accède au pouvoir pour jouir, non
pas rendre service à ceux qui sont sous ma responsabilité
mais pour jouir comme le Blanc. Alors que ce dernier, quand
il était assis sur ce fauteuil, il ne faisait pas que jouir. Il
travaillait. Il comprenait le sens de son travail. Nous, par
contre, nous avons mis de côté le service à rendre aux autres
et nous avons mis l’accent sur la notion de la jouissance.
5. Un regard rapide sur les soixante ans qui viennent de se
passer montre que ce grand rêve des Congolais a été
progressivement brisé par une série des faits et événements.
Nous avons connu la succession des régimes autocratiques
qui arrivent au pouvoir comme les colons sans aucun souci
de la volonté du peuple et cela continue jusqu’aujourd’hui :
par la force, les guerres ou par la ruse, la fraude et en
installant un système égoïste dans la gestion de la chose
publique au lieu de promouvoir le bien-être commun du
peuple congolais à qui on estime qu’on a aucun compte à lui
rendre parce que ce n’est pas à grâce de lui qu’on est arrivé
au pouvoir. On ne se sent pas du tout redevable à ce peuple.
A cela s’ajoutent la culture de l’impunité pour les grands.
On sanctionne les petits qui volent une poule, qui vole une
chèvre, qui donne un coup à quelqu’un. Il peut se retrouver à
Makala. Les grands, c’est l’impunité total. Heureusement que
il y a quelque chose qui commence à bouger. Il y a
l’acharnement de la majorité parlementaire actuelle à
faire main basse sur la CENI et la Magistrature. Ce sont
des pratiques qu’on ne peut jamais tolérer. Parce que nous
savons que de ces deux Institutions, dépendent
l’indépendance du peuple. Et ses principes sont consacrés
dans l’Etat de droit. Quand on parle de l’Etat de droit, il y a
ces principes-là : l’indépendance de l’organe qui organise les
élections et l’indépendance de la Justice, de la Magistrature.
Si vous n’avez pas ces deux-là, oubliez l’importance qu’on
puisse accorder au peuple.
6. Comment comprendre que 60 ans après son accession à la
souveraineté internationale, le peuple congolais continue à
s’appauvrir au point d’être classé aujourd’hui parmi les
peuples les plus misérables de la terre. L’inviolabilité de
son territoire n’est vraiment pas garantie et le projet de
la balkanisation du Congo toujours à l’ordre du jour. Quand
nous regardons tout ce qui se passe à l’Est du pays, la
situation à Ituri, avec l’insécurité organisée,
malheureusement par certains responsables à partir de
Kinshasa ; la situation à Beni-Butembo, avec les ADF-NALU
qui sont toujours là. Comment expliquer que toute une armée
du pays comme le Congo ne soit pas capable de déloger ces
quelques individus qui sont dans la brousse à Beni. Et
pourtant, vous vous en souviendrez qu’au mois de janvier,
l’Armée avait solennellement annoncé ici la fin de ces
Mouvements ADF-NALU qu’elle avait pris le contrôle de tout
le territoire et qu’elle les avait mis hors d’état de nuire.
Pourtant, ils sont toujours là et toujours menaçants. Il ya la
situation au Sud-Kivu, dans le Diocèse d’Uvira, autour de
Minembwe, où les Armées des pays voisins viennent
s’affronter chez nous : Rwanda et le Burundi. Et que dire de
la situation au Tanganyika : même la Zambie qui, jusque , est
considérée comme un pays ami, se permet d’occuper notre
territoire. La vérité est que le Congo qui a 9 voisins, tous sont
présents chez nous : soit par leurs Armées, c’est la plus part
des cas ; soit par leurs immigrés. Nous savons que derrière
les immigrés se cache la politique d’occupation de notre pays.
C’est le cas de Grand Nord, avec les réfugiés venant de Centre-
Afrique et avec les éleveurs Mbororo. Quant à la spoliation de
ses ressources naturelles, elle se fait au grand jour, avec la
complicité des certains Congolais, sans que la population ne
puisse en profiter réellement.
7. Nous devons bien le reconnaître, chers frères et sœurs, après
60 ans d’indépendance, le constat est sans appel : nous avons
honteusement échoué. Nous n’avons pas été capables de faire
du Congo un pays plus beau qu’avant. Nous n’avons pas aidé
notre peuple à redresser son front plus que jamais courbé. En
tout, nous avons collectivement failli.
8. Que devons-nous faire ? L’évangile de ce jour nous invite à
la responsabilité. Car chacun de nous aura à rendre compte
devant Dieu de ce qu’il aura fait de ses talents, de ce beau
pays aux potentiels immenses : qu’avez-vous fait de votre
pays ? C’est la question qui nous sera posée lorsque nous
présenterons devant le Tribunal Suprême. Qu’avez-vous fait
de toutes ces richesses, de toutes ces potentialités que je vous
ai données gracieusement. A question, ce n’est pas la classe
politique qui va aider le pays à sortir de la détresse. Nous
devons sortir de cette mentalité comme on l’entend souvent à
la cité : que le Président ou le Gouvernement vienne faire ceci
ou cela. Ce sont des comportements irresponsables. C’est le
peuple lui-même.
9. Nous savons très bien que la coalition CACH-FCC qui est
au pouvoir depuis plus d’une année. Cette coalition sait très
bien comment elle avait foulé au pied la volonté du peuple
pour en arriver là. La coalition sait. Maintenant, ses membres
le disent. Malgré tout, le peuple avait fini par se résigner et
accepter le fait accompli. Un peu comme dans le récit de
Jacob qi avait volé la bénédiction destinée à son frère aîné
Esaü (cf. Gn 27), le peuple espérait que du mal originel
pouvait sortir un bien. Malheureusement, le constat est là.
10. Il n’y a de coalition au pouvoir que de nom. De part et
d’autre, c’est le désamour, le cœur n’est plus à l’ouvrage. Au
lieu de travailler ensemble autour d’un programme commun
de gouvernement, les Coalisés ne se font plus confiance. Ils
ont développé un rapport dangereux de rivalité qui risque
d’entrainer tout le pays dans le chaos définitif. Pendant ce
temps, l’action gouvernementale est complètement paralysée
et le service légitime à rendre à la population est sacrifiée. Le
peuple est abandonné. En définitive, la coalition au
pouvoir a perdu sa raison d’être. Elle devrait
normalement disparaître. C’est de la responsabilité de
ceux qui se sont coalisés, le Président et le Président
sortant, de faire éclater cette coalition qui conditionne le
développement de notre pays. Et aussi longtemps que
cette coalition sera là, il n’y a rien à espérer de nos
Gouvernants. C’est inacceptable.
11. Nous dénonçons les velléités actuelles, surtout de la
Majorité parlementaire actuelle, qui tendent à remettre en
question les espoirs de la population pour un pouvoir
judiciaire réellement indépendant et au service du pays, et
non des individus, et aussi pour une CENI au-dessus de tout
soupçon. Sur ces deux points : la position de l’Eglise
Catholique est claire.
1) Autour de la question de la CENI, nous notons de la part
de la Présidente de l’Assemblée Nationale une attitude
de mépris vis-à-vis de l’Eglise Catholique, de l’Eglise
Protestante et de la population congolaise. Ces deux
Eglises qui représentent plus de 80% de la population
congolaise ont dit non à la nomination d’un personnage
qui a déjà fait ses preuves dans les fraudes électorale.
Malgré le non de ces deux Eglises, Madame la Présidente
continue tranquillement à faire croire au peuple les
Confessions religieuses se sont réunies pour signer un
document pour la candidature de ce Monsieur qui était
le cerveau-moteur du système Naanga. Nous n’en
voulons pas.
2) La deuxième preuve du mépris que l’Assemblée
Nationale a pour le peuple, c’est par rapport à ces trois
lois Minaku-Sakata. Le peuple n’en veut pas. L’Eglise
Catholique, l’Eglise protestante, les Associations Civiles
se sont prononcées massivement contre ces lois qui ne
visent qu’à protéger ceux qui se sentent coupables. Et
là, nous notons aussi une attitude de mépris,
d’arrogance qui a caractérisé l’ancien système. Nous ne
l’acceptons pas. Dès lors, et à l’occasion de la célébration
de l’indépendance de notre pays, je lance cet appel à
l’ensemble de notre peuple, de notre population, à la
Société Civile, à l’Eglise Catholique qui est déjà à l’ordre
de marche, à l’Eglise Protestante à s’élever, à redresser
le front pour faire barrage à ces velléités qui n’ont
comme unique objectif que de protéger les intérêts
partisans de ceux qui ne veulent pas d’une justice juste.
Les jours à venir seront difficiles. Et je tiens ici à
demander au peuple de se tenir en ordre de marche.
Lorsque le moment viendra, lorsqu’ils s’obtiendront à
faire passer ces lois et ce personnage à la tête de la CENI,
il faudra qu’il nous trouve sur leur chemin. On ne peut
pas continuer, après 60 ans de l’indépendance du pays,
à gouverner par défi, par mépris du peuple, par mépris
de l’Eglise Catholique et de l’Eglise Protestante.
12. Que par l’intercession de nos Bienheureux Martyrs,
Isidore Bakanja et Marie-Clémentine Anuarite, Dieu libère le
Congo de tous ceux qui l’écrasent et le conduise à sa pleine
souveraineté.

+ Fridolin Cardinal AMBONGO BESUNGU, ofm cap

Archevêque Métropolitain de Kinshasa

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