Totté - Multi-Pluri-Intercuturel
Totté - Multi-Pluri-Intercuturel
Totté - Multi-Pluri-Intercuturel
1. Introduction
L’enjeu est surtout de discuter à travers ces notions du rapport à l’altérité. Cela nous amènera à
parler également de conception de la culture et du changement (bien que de manière très sommaire
ici). Il va de soi que ces questions mériteraient un voire plusieurs ouvrages. Cette note n’a donc pas
d’autres prétentions que de fournir un peu de matière pour inciter la curiosité du lecteur et lui
faciliter un travail d’investigation plus profond.
Dernière remarque importante : s’il faut savoir que ces concepts – multi-, pluri-, inter-, trans-,
dialogue interculturel, traduisent des choix politiques et des approches différentes, il apparait tout
aussi important de ne pas se laisser enfermer dans l’un ou l’autre concept, mais de les mobiliser de
manière à mieux questionner sa pratique. La prétention de cette note n’est certainement pas de
convaincre d’adopter une approche au détriment des autres. Par contre, elle va plutôt dans le sens
de montrer qu’il y a bien une hiérarchie dans les manières de prendre en compte l’altérité, de
positiver les différences, afin de construire un ou des « communs », un ciment, au-delà des
différences. Il n’est pas anodin à cet égard de constater que c’est du Canada que viennent la plupart
des références les plus précises sur ces questions, alors que chez nous (France, Belgique) les
concepts ont du mal à être investis, confirmant un certain « déni des cultures » cher à Hugues
Lagrange.
1
Voir
Jacques
Demorgon
sur
la
question
(points
15
à
17)
Les
premières
mentions
de
multi,
inter
et
transculturel
apparaissent
en
1989
dans
le
petite
Larousse
Grand
format
;
en
1993
dans
le
dictionnaire
hachette
illustré
et
en
1996
dans
le
Petit
Robert.
Il
apparait
(sous
une
forme
ou
une
autre)
fin
des
années
’90
dans
les
dictionnaires
spécialisés
de
sociologie,
de
psychologie
ou
de
pédagogie.
http://questionsdecommunication.revues.org/4538#tocto1n1
2
Lemaire
E.,
2012,
«
Approches
inter,
trans,
pluri,
multiculturelles
en
didactique
des
langues
et
des
cultures
».
International
Journal
of
Canadian
Studies
/
Revue
internationale
d’études
canadiennes,
n°
45-‐46,
p.
205-‐
218.
1
Document de réflexion Inter-Mondes Belgique
2. Multiculturel ou pluriculturel ?
Le Multi-culturel est sans doute la notion la mieux définie : elle relève du simple constat de la co-
existence de plusieurs cultures dans une société ( Kollwelter 2008 ; voir aussi Camilleri ; Demorgon
2003, Anderson 20053). Martucelli (1996, p. 684) par exemple considère que « le multiculturalisme,
à la suite du processus d’individualisation moderne, exprime l’exigence de la différence dans le
domaine public ». Vermès (2002, p.16) y voit « ... une représentation fixiste des différences
culturelles », qui « représente plus un danger qu’une réponse satisfaisante ». Le multiculturalisme
en d’autres termes est la simple reconnaissance des différences, mais sans tenter de trouver à les
faire se rencontrer de quelque manière que ce soit. Le modèle socio-politique bien souvent évoqué
pour l’illustrer est le modèle Nord-américain, qui fait coexister les cultures dans des ghettos et des
réserves, au demeurant en encensant les identités culturelles, mais sans faciliter leur rencontre
dialogique.
Une équipe fonctionnant sous une approche multidisciplinaire se caractérise par la présence de
disciplines, la juxtaposition de celles-ci de façon parallèle et sans rapport apparent entre elles. Quant
aux membres d'une équipe évoluant selon un mode pluridisciplinaire, seulement quelques disciplines
sont présentes et en interaction. Il s'agit davantage d'une coexistence de plusieurs disciplines, où l'on
retrouve peu d'interactions entre les différentes disciplines professionnelles.
(Source) Expérience de l'Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ)
La notion est utilisée en psychologie de l’individu, où elle est à l’origine d’une école qui conçoit
tout individu comme pluriculturel, forgé par différents registres de valeurs et de normes. Ici
également on peut comprendre que « pluriculturel » représente plus que la somme des parties, mais
3
Anderson, P., 2005, « Le Multiculturalisme ». Tisser le lien social. Ed. Alain Supiot. Paris : Maison des
sciences de l’homme,. 105-117.
4
MARTUCELLI D., 1996, L’ethnicisation dans les sciences sociales, Paris, PUF, Que sais-je ?
5
Il s'agit ainsi de faire coexister (que ce soit consciemment ou non) le travail de plusieurs disciplines à un
même objet / sujet d'étude. L'objectif de la pluridisciplinarité est ainsi d'utiliser la complémentarité intrinsèque
des disciplines pour la résolution d'un problème. http://fr.wikipedia.org/wiki/Pluridisciplinarit%C3%A9
2
Document de réflexion Inter-Mondes Belgique
que son intérêt est moins dans la recherche d’une interaction entre cultures que dans « l’inspiration
» de celles-ci à produire un sujet particulier. Il n’est donc pas nécessaire de savoir précisément de
quelles cultures il s’agit ni comment l’alchimie se produit entre elles. Le résultat est largement
inconscient, ou plus précisément, n’est pas travaillé de façon à savoir ce qui produit quoi et
pourquoi ? C’est le résultat qui est porté par la notion de « pluri- », moins le processus lui-même.
Cette caractéristique est encore plus manifeste dans la notion de Pluri-acteur. De plus en plus
utilisée dans le monde du développement, elle suppose la prise en compte de diverses catégories
d’acteurs en vue d’améliorer la définition, la mise en œuvre et l’appropriation collective d’un
programme, d’une politique. On lui prête ainsi la potentialité d’obtenir plus d’impact, plus de
pérennité6. La finalité ici, se trouve être le programme ou la politique de développement. Le Pluri-
acteur devient l’art de mettre différentes catégories autour d’un même enjeu, par exemple
l’Education. Ce n’est pas tant la confrontation entre différentes conceptions qui est recherchée ici
que l’orientation de chacune des conceptions autour d’objectifs communs.
On comprend bien que pour ces programmes, ce soit moins la diversité de pensées et de
représentations qui soit travaillée, que la diversité catégorielle. La logique est de favoriser une
participation large (avec ce que cela peut avoir de consensuel voire de purement quantitatif en
pratique) plutôt qu’une réelle comparaison (voire confrontation) de points de vue différents.
On peut donc retenir que le Multi- est essentiellement la reconnaissance de la diversité mais
sans recherche d’articulation, comme simple juxtaposition ; alors que le Pluri- concerne la
résultante de cette diversité, mais dans la perspective d’une orientation générale commune et
sans influence sur chacune de ces cultures.
3. Interculturel et transculturel
L’interculturel concerne unanimement les interactions, les contacts, le dialogue entre les cultures.
Contrairement aux deux notions précédentes, l’interculturel qualifie un processus, une dynamique,
plutôt que des « états ». Il n’est pas a priori associé à une finalité particulière sinon celle de mieux
faire dialoguer les cultures, sans autre objectif prédéfini que celui-là. L’enjeu n’est pas sans
difficulté :
6
F3E Inter-Mondes 2014. Agir en pluri-acteurs pour une Education de Qualité. 2 tomes. Paris F3E
3
Document de réflexion Inter-Mondes Belgique
la culture comme un processus adaptatif, entre ouverture, fermeture et recherche de stabilité, et non
comme des entités. Dans le Guide de l’interculturel en formation, qu’il codirige avec Lipiansky, on
peut ainsi lire que l’approche interculturelle a pour but de faire passer « de la culture dictée par le
groupe, imposée comme une transcendance à celle conçue comme un dialogue avec les autres, c’est-
à-dire de la culture-produit à la culture-procès » (Demorgon 2011). Elle vise également à faire
émerger les raisons des relations à l’altérité et à les expliquer. » (Lemaire 20127)
A la différence du pluriculturel qui lui aussi envisage le dialogue et l’interaction mais en creux
(presque par hasard), l’interculturel promeut la perspective que la rencontre dynamique des
différences aboutissent à des constructions, éventuellement fragmentaires et fragiles mais marquant
cependant une véritable différence avec les fractions culturelles de la rencontre desquels il est issu.
Les interactions sont donc productives en ce sens qu’elle créent de l’inédit, du moins à l’échelle de
chaque culture prise séparément.
Le transculturel suppose d’avoir dépassé la mise en dialogue et se situe dès lors au-delà. Comme
le suggère le préfixe trans-, l'approche transculturelle se situe au-delà des cultures : elle permet
d'accéder à un métaniveau, propice à une plus-value interculturelle. On retrouve l’idée de finalité,
de résultat, mais avec la perspective de transformation d’une partie de chacune des cultures, de
manière à disposer de valeurs et normes communes, mieux assumées par tous et chacun :
Selon Edgard Morin, il existe de multiples courants transculturels, qui irriguent les cultures tout en
les dépassant, et qui constituent une quasi-culture planétaire. Métissages, hybridations, personnalités
biculturelles (Rushdie, Arjun Appadura) ou cosmopolites enrichissent sans cesse cette vie
transculturelle. Au cours du XXe siècle, les médias ont produit, diffusé et brassé un folklore mondial
à partir de thèmes originaux issus de cultures différentes, tantôt ressourcés, tantôt syncrétisés.
Le transculturel va donc plus loin que le pluriculturel en ce sens précis qu’il envisage les effets de
l’interaction, au sein de chacune des cultures et non plus seulement à leur carrefour. La question
que pose ces deux termes est bien de savoir si ce métissage, cette hybridation est maitrisable ou en
tout cas peut être accompagnée. La transculturalité apparait, dans les définitions, plus subie que
l’interculturalité où il y a, comme le montre Demorgon, une volonté consciente, délibérée, même
si celle-ci peut être idéalisée. Entre ces deux termes se joue en fait une question importante, celle
de la conception de la culture et derrière elle, celle de la conception du changement : conception
comme produit ou comme procès ? Soit on considère le changement (et la culture) comme un
produit et donc c’est la transculturalité qui est mise à l’honneur, soit on le considère comme un
processus (le passage d’un état à un autre, éventuellement avec inversions et rétroactions) et alors
c’est plutôt l’interculturel qui sera à l’honneur. Avant de discuter de cette question importante, on
peut retenir quelques enseignements.
7
Lemaire E 2012 Approches inter, trans, pluri, multiculturelles en didactique des langues et des cultures »
http://id.erudit.org/iderudit/1009903ar
4
Document de réflexion Inter-Mondes Belgique
4. Synthèse et discussion
Synthèse
Multiculturel = chacun chez soi dans sa différence (les particularités pouvant être encensées) (USA)
Pluriculturel = la valorisation d’une pluralité vers une voie commune (France laïque et républicaine)
Interculturel = démarche, processus volontaire, de mise en dialogue des différences culturelles.
Transculturel = transcendance et transformation des particularismes.
Sur base de ces rapides analyses il est possible de proposer deux « modèles » de représentations
schématiques pour fixer les idées :
- l’autre représentation conçoit les rapports en termes plus « évolutionniste » ou en tout cas
historique, selon une flèche de temps, une histoire : chacune des cultures étant dans un premier
temps isolées l’une par rapport à l’autre (Multi), la coexistence débouchant sur une identité plurielle
différente de ce que chaque partie offre séparément (Pluri). Puis les inévitables interactions
deviennent l’objet d’une attention particulière (Inter), et permettront de construire une nouvelle
société articulant mieux les différences en les valorisant.
5
Document de réflexion Inter-Mondes Belgique
Discussion
L’intérêt de ces représentations est de prendre conscience que ces notions, différentes et non
interchangeables, sont bien plus en interaction qu’en opposition. Avec quelques nuances selon les
modèles.
On peut relier le premier modèle à une conception plus figée de la culture, surtout produite par une
histoire et à une conception du changement par les issues (voilà ce qu’il faut changer, voilà ce
qu’on veut atteindre). Le second modèle laisse plus de place à la possibilité qu’il existe des
dynamiques, au sein des sociétés, permettant des interactions culturelles, et du changement, des
transformations par l’activité en cours, sans orientations déterminées9.
8
Foyer des religions monothéistes, universalisantes ?
9
A l’image des langues-dialectes qui selon les époques se perdent dans une langue ou reprennent vigueur
6