L'Œuvre Romanesque D'Ahmadou Kourouma - Et Sa Critique
L'Œuvre Romanesque D'Ahmadou Kourouma - Et Sa Critique
L'Œuvre Romanesque D'Ahmadou Kourouma - Et Sa Critique
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en études littéraires
pour l'obtention du grade de Maître es arts (M.A.)
2006
1
Laurence Boudreault, 2006
RÉSUMÉ
L'écriture d'un mémoire représente une vertigineuse plongée dans le monde des
idées, du moins l'ai-je conçu et vécu comme tel. Plusieurs, dans cette aventure, m'ont
assuré leur soutien et ont ainsi permis que je « bondisse de roche en roche », selon la
belle image de Saint-Denys Garneau.
Mes remerciements les plus sincères s'adressent également à Kara, mon mari,
pour mûrir avec moi mes projets d'étude et me faire quotidiennement profiter de son
sens incroyable de la dialectique et de l'humour. Nous nous sommes musclés ensemble
à l'école du vent adverse, et je garde un souvenir étincelant de nos persévérances.
Enfin, je remercie le CRSH et le FQRSC pour les bourses d'études qu'ils m'ont
décernées et qui ont contribué de manière décisive à la réalisation de ce mémoire.
Je dédie ce mémoire à mon père,
Robert Boudreault, qui, depuis déjà
bien plus longtemps que moi, poursuit
une patiente réflexion sur l'univers et
sur les principes architecturaux de la
pensée, y compris dans ce qu'ils ont
d'ineffable et de changeant.
Ses enseignements et sa confiance,
depuis vingt-cinq années, sont les
socles de toutes mes envolées.
C 'est seulement la théorie
qui décide de ce qui peut être observé.
Einstein
INTRODUCTION 9
CONCLUSION 96
BIBLIOGRAPHIE 108
INTRODUCTION
1
Locha Mateso, La littérature africaine et sa critique, Paris, A.C.C.T et Karthala, 1986.
2
Ibid., p. U.
3
Ibid., p. 12.
4
Id
5
Ibid., p. 11.
6
Ibid., p. 10.
7
Ibid., p. 366.
10
Mais aucune étude n'a encore été consacrée au discours critique sur l'œuvre
d'Ahmadou Kourouma.
Notre projet, en ce sens, naît d'un constat de manque : malgré le grand nombre
d'ouvrages et de réflexions sur l'œuvre de Kourouma, aucune publication ne présente
une revue synthétique qui dégage les grandes tendances de ce discours critique. La
critique des romans de Kourouma n'a donc pratiquement jamais, sinon de manière
extrêmement ponctuelle, réfléchi à elle-même de façon systématique avec l'idée de
penser et de repenser sa propre écriture comme discours. On a l'impression que les
auteurs se répètent les uns les autres, en dépit de l'annonce des titres. Ce triple exercice
de synthèse, d'auto-réflexion et de remise en question n'a donc, à notre connaissance,
jamais encore été entrepris. La non-existence d'un tel ouvrage synthétique répertoriant
les grandes tendances du discours critique sur l'œuvre kouroumienne, de même, disons-
le, que la disparition récente de l'auteur, nous ont encouragée à tenter un regard
transversal sur l'œuvre et sa critique.
8
Locha Mateso précise, en note de bas de page (p. 8) : « Terme utilisé par les participants au colloque
de Cérisy-la-Salle sur la nouvelle critique, et défini comme " une critique de la critique" ». Il renvoie
aux actes du colloque réunis par G. Poulet, Les Chemins actuels de la critique, Paris, U.G.E, 1968,
p. 438.
9
Présence francophone (2003), « La réception des littératures francophones », n° 61.
10
Notre Librairie (déc. 2005-fév. 2006), « La critique littéraire », n° 160.
Il
Les soleils des indépendances, premier roman de Kourouma, a d'abord été refusé
par les maisons d'éditions parisiennes. Il a été édité à Montréal, en 1968, avant d'être
repris par le Seuil, en 1970. Racontant la déchéance d'un prince devenu mendiant, le
roman narre le désenchantement des indépendances et la corruption des nouveaux
pouvoirs, dans ce que l'auteur appelle la « bâtardise » des soleils des indépendances.
L'histoire évoque le démantèlement définitif des pouvoirs et des structures sociales
traditionnelles africaines en décrivant un « monde renversé » dans lequel les honneurs et
les moyens ont fait place à la honte et à la damnation.
Écrit dans une langue française métissée, travaillée en profondeur par le malinké
dont la présence détrône et démasque l'unicité illusoire de la langue française, Les
soleils des indépendances concrétise une véritable rupture esthétique dans l'histoire des
littératures négro-afrtcaines. Le milieu littéraire a, dès le départ, réagi en soulignant
l'inusité de la langue, autant que l'audace du contenu, et il s'en est suivi un engouement
11
Jacques Chevrier, La littérature nègre, Paris, Armand Colin, 2003, p. 103.
u
Ibid.,p. 119.
12
qui marqua le commencement d'une longue et abondante tradition critique sur l'œuvre
romanesque de Kourouma. Cette appréciation se verra, en effet, reconduite lors la
parution de trois romans subséquents, Monnè, outrages et défis (1990), En attendant le
vote des bêtes sauvages (1998) et Allah n'est pas obligé (2000), lesquels seront
également couronnés : Grand Prix de l'Afrique noire, pour Monnè, outrages et défis,
Prix du Livre Inter 1999 et Prix Tropiques, pour En attendant le vote des bêtes
sauvages, Prix Renaudot 2000 et Goncourt des Lycéens, pour Allah n'est pas obligé.
Les soleils des indépendances avait, pour sa part, obtenu le Prix de la Francité en 1968.
Depuis sa mort, en 2002, des numéros spéciaux de revues lui sont consacrés,
telles Notre Librairie (2004), Présence francophone (2002), et bientôt Research in
African Literature, Études françaises. De nombreux articles critiques dans des revues
savantes (plus d'une centaine), et au moins autant d'entrevues ont été publiés, de même
que plusieurs monographies, dont les premières13 remontent à 1985. D'une certaine
manière, donc, comparativement à d'autres auteurs, le discours critique sur son œuvre
est abondant et continu. En fait, la trajectoire de Kourouma, son statut, de même que la
consécration littéraire de son œuvre, en particulier dans le champ littéraire francophone,
se révèle plutôt atypique. Cette rare configuration d'un succès d'estime doublé d'un
succès commercial donne à chercher, entre autres, du côté de l'horizon d'attente du
public francophone, afin de comprendre l'ampleur et la longévité de l'enthousiasme qui
auréole cette œuvre littéraire.
Il s'agit de Kourouma et le mythe, de Pius Ngandu Nkashama, et de Comprendre Les Soleils des
Indépendances d'Ahmadou Kourouma, de Jean-Claude Nicolas, tous deux parus en 1985.
13
Notre intérêt porte, toutefois, sur l'analyse de la critique, en tant que discours, et
non sur la réception critique14. Cette dernière s'attache à étudier la destinée historique
d'une œuvre, la manière dont elle a été reçue dans un espace-temps donné, tandis que la
première s'intéresse à l'analyse du discours suscité par l'œuvre chez les critiques.
Souvent utilisés de manière indistincte, « discours critique » et « réception critique »
n'en sont pas moins des objets distincts. Nous voudrions donc reprendre à notre compte,
dans cet esprit de discernement entre l'activité critique et la mythologie en acte, les
propos de Locha Mateso : « L'analyse des déterminations objectives d'une œuvre
critique va de pair avec celle de l'idéologie, des outils conceptuels, des thèmes, de la
logique interne, des alliés et supports scientifiques, voire des mythes qu'elle charrie15 ».
14
Nous nous référons ici à la distinction établie par Locha Mateso dans La littérature africaine et sa
critique, op. cit., p. 8.
15
Ibid., p. 14.
16
L'heureuse expression est de Cilas Kemedjio, dans son article « Traversées francophones : littérature
engagée, quête de l'oralité et création romanesque », Tangence (sous presse).
14
et aux interprétations que ce dernier propose de ses romans dans les nombreuses
entrevues qu'il accorde. Loin d'être exclusif à Kourouma, ce phénomène s'étend à
presque tous les écrivains africains, que le monde médiatico-culturel perçoit toujours
sous la catégorie « intellectuel total17 », devant se prononcer sur tout, de l'actualité
politique à la situation des femmes, en passant par la religion et l'économie. Les
romanciers jouent donc également un rôle de critique, commentant souvent leur propre
œuvre, et inférant, voire polissant par là constamment l'espace de la parole autour de
leur œuvre. Cette pratique recèle un effet normatif non-négligeable dans la mesure où
ces interprétations de lecture, fournies par l'auteur, sont le plus souvent relayées,
consciemment ou non, par les journalistes ou les critiques dans leurs propres discours.
Compte tenu de notre objet de recherche, notre corpus est à la fois double et
métis : romanesque et critique. Il est composé, d'une part, des quatre18 romans de
Kourouma, à savoir Les soleils des indépendances19, Monnè, outrages et défis20, En
attendant le vote des bêtes sauvages et Allah n'est pas obligé , et, d'autre part, de
monographies et d'articles scientifiques parus dans des revues universitaires (Notre
Librairie, Présence francophone, Études francophones, Études françaises). Nous
aurions aimé élargir le corpus de ces discours à la critique anglophone, mais des
contraintes institutionnelles (la Francophonie) imposent les limites du présent travail en
ce qui concerne la langue des textes du corpus.
Comme il s'agit d'un auteur connu et reconnu depuis plus de trente ans, le
corpus critique est extrêmement vaste. Un premier regard superficiel sur cet ensemble
de textes nous permet, cependant, ne serait-ce qu'à partir des titres, de considérer ce qui
s'esquisse déjà comme des « tendances obsessionnelles » du discours critique. Des
thèmes comme la dictature, la politique africaine, la violence, le proverbe, la figure du
griot ou de l'interprète, reviennent fréquemment. Si ce n'est que Les soleils conserve
une légère avance en termes d'articles dont il fait l'objet, aucun des quatre romans ne
semble réellement polariser l'attention de la critique. Plusieurs analyses convoquent
plus d'un roman dans leur démonstration.
18
I! existe, bien sûr, un cinquième roman, Quand on refuse on dit non, mais il n e sera p a s inclus dans la
présente recherche compte tenu du fait q u e nous avons dû clore notre corpus à u n e date antérieure à sa
parution.
19
A h m a d o u K o u r o u m a , Les soleils des indépendances, Paris, Seuil, 1970.
20
A h m a d o u K o u r o u m a , Monnè, outrages et défis, Paris, Seuil, 1990.
21
A h m a d o u Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil, 1998.
22
A h m a d o u Kourouma, Allah n 'estpas obligé, Paris, Seuil, 2002.
16
Nous nous sommes demandée, au niveau de l'analyse, quel serait ce facteur déterminant
qui nous ferait insister sur tel article et non pas sur tel autre. Il est donc possible que,
dans la sélection, notre propre subjectivité nous ait guidée et que la représentativité des
ouvrages ne le soit pas pour un autre lecteur. L'ordre d'analyse que nous allons suivre
n'est pas chronologique ; il se fonde sur la pertinence de l'évocation des textes dans
notre argumentation.
d'évaluer ce qui a été dit ou écrit sur l'œuvre et de replacer ce discours dans
l'orientation de lecture qui est la nôtre. Mais, il est hors de notre propos de croire ou de
faire croire que notre lecture ou notre orientation méthodologique sont les meilleures.
Est-il besoin d'ajouter ici que les lieux théoriques à partir desquels nous
travaillons, et que nous venons d'évoquer à l'instant, sont consciemment (et en partie
volontairement) différents de ceux à partir desquels se prononce la critique
kouroumienne. Cette différence de posture face au fait littéraire induira certainement
une autre lecture du texte, et cela constitue également une part de notre objectif de
recherche.
23
Roland Barthes, dans S/Z (Paris, Seuil, 1970), réalise une lecture par « lexie » du texte Sarrasine de
Balzac. Il propose ainsi le terme de « lexie » pour désigner ces « zones de lecture » (ou « unité de
lecture »), où s'effectue « la migration des sens », et commente le caractère toujours arbitraire de ce
découpage (p. 20-22).
18
Comme le fait remarquer W. Smekens (« Thématique », dans Maurice Delcroix et Fernand Hallyn
[dir.], Méthodes du texte, Paris, Duculot, 1987), le thème est une « variable » qui, au sein du « système
du texte », peut occuper plusieurs valeurs. Il est « une série de variations » (p. 96).
20
le fait que cette méthode soit devenue, en quelque sorte, presque naturelle pour le
critique. Son emploi, en conséquence, ne se présente pas toujours de façon systématique
ni argumentée, mais souvent spontanée et digressive. Il sert à renforcer l'illustration de
certaines remarques. Le caractère diffus de cet usage nous a amenée à nous concentrer
sur la critique qui fait de la thématique sa principale méthodologie.
À cet effet, Marsh examine d'abord la notion de héros épique en se fondant sur
la définition qu'en donne Amadou Koné dans son livre Des textes oraux au roman
moderne3. Elle montre comment Djigui se distingue de ce modèle par l'aspect
« dérisoire » de sa lutte, par le caractère risible de ses entreprises de résistance face aux
envahisseurs français, et par son incapacité à prédire l'histoire en saisissant les enjeux :
Le héros a une « mission précise » (Koné p. 132). La mission de Djigui s'avère être celle de
recevoir le train qu'ont promis les colonisateurs et non celle de renverser les colonisateurs.
Encore une fois il s'agit d'une parodie par laquelle Kourouma révèle la nature égoïste et
enfantine de Djigui, son manque de souci envers son peuple. Il faut absolument qu'il ait son
train, même si les travaux forcés doivent causer des centaines de morts [...]. (p. 50)
Janet Marsh, « La représentation des chefs traditionnels et contemporains dans Monnè, outrages et
défis », Études francophones (2002), vol. XVII, n° 1, p. 49-60. Les passages cités de cette source sont
référencés dans le texte.
Amadou Koné, Des textes oraux au roman moderne : étude sur les avatars de la tradition orale dans
le roman ouest-africain, Frankfurt, Verlag fiir Interkulturelle Kommunikation, 1993.
22
Marcel Amondji, Félix Houphouët-Boigny et la Côte d'Ivoire, l'envers d'une légende, Paris, Karthala,
1984.
« les deux ont des idées grandioses » (p. 57). À ce sujet, elle cite même un article paru
dans The Economist attestant de la vanité d'Houphouët-Boigny. Selon elle, un
équivalent romanesque de cet amour-propre démesuré serait l'acharnement de Djigui à
obtenir son train, en dépit du mécontentement populaire. Insistant sur la similitude entre
les deux figures, elle propose aussi la duplicité et l'opportunisme comme éléments de
comparaison.
A posteriori, la première partie de l'article de Marsh n'aura servi qu'à asseoir les
bases de sa comparaison future avec Houpouët-Boigny en démontrant la dimension
caricaturale du personnage de Djigui. Donnant un moment l'impression d'analyser la
figure du chef traditionnel dans les romans de Kourouma, le texte devient, par la suite,
une vaste spéculation dont le roman n'est plus que le prétexte.
Contrairement à Marsh qui fonde son étude thématique sur un seul livre {Monnè)
et un seul personnage (Djigui), Virginie Affoué Kouassi fait reposer sa démarche sur les
quatre romans de Kourouma. Comme d'autres5 avant elle, l'auteur s'intéresse, dans son
article Des femmes chez Ahmadou Kourouma6 (2004), à la présence et au rôle des
femmes dans l'œuvre de Kourouma. Elle voudrait montrer comment l'écrivain, à travers
ses différents personnages féminins, présente la femme « comme une grande victime,
mais aussi comme la source incontournable de salut » (p. 50).
5
Par exemple, Kandji Diouf, « Des calvaires de la femme africaine dans la création romanesque de
Ruchi Emecheta, Flora Nwapa, Nguigi Wa Thiongo et Ahmadou Kourouma », Revue africaine
d'études anglaises, vol. 4, 1992, p. 113-133, ou Alexis Hall, «La quête du "Centre" et quelques
archétypes féminoïdes dans Allah n'est pas obligé d'Ahmadou Kourouma», Australian Journal of
French Studies, vol. 41, n° 1, hiver 2004, p. 16-25.
6
Virginie Affoué Kouassi, « Des femmes chez Ahmadou Kourouma », Notre Librairie, n° 155-156,
2004, p. 50-54. Les passages cités de cette source sont référencés dans le texte.
26
la déconfiture de la société que l'angoisse de l'auteur » (p. 53) —, les mères attentives et
dévouées sont généralement saluées pour leur soutien indéfectible et leur action
bienfaisante. Moussokoro serait, à ce titre, le modèle par excellence.
Il aurait pourtant été intéressant d'analyser ces personnages non pas seulement
dans leur dimension superficielle (situation sociale et conjugale, nombre d'enfants,
occupation, stérilité, etc.), mais dans ce qu'elles charrient comme savoirs, comme
enseignements, et dans ce qu'elles engendrent sur le plan narratif. La convocation du
personnage de Salimata, par exemple, coïncide avec une digression importante du récit
et contribue au brouillage temporel en brisant la linéarité. Or, si l'approche thématique
féministe demeure au niveau du survol, c'est peut-être parce qu'elle n'est pas, ici, la plus
optimale des méthodes. Certes, elle met en relief les différentes formes sous lesquelles
apparaît la femme dans les romans, mais sans que cela n'explique la fonction, le
fonctionnement ou les apports de ces figures à la signifiance globale. En proposant, par
exemple, un examen des rapports entre femmes et narration (ou structure narrative),
nous pourrions renouveler l'économie des échanges entre les sexes, de même que les
enjeux liés à la focalisation. Peut-être aurait-on pu, dans la même optique, étendre
l'étude des personnages féminins au Féminin, c'est-à-dire examiner s'il existe, en dehors
des personnages eux-mêmes, des valeurs féminines ou des types de comportements
jugés féminins. Cela aurait, du même coup, approfondi la réflexion thématique (comme
28
Quant à savoir si ces femmes représentent une source de salut, peut-être faudrait-
il conserver une certaine réserve face à ce lieu commun du discours féministe. Certes,
Salimata nourrit son mari et se montre charitable envers les mendiants. Mais son
personnage illustre l'obsolescence de certaines valeurs (bonté, charité, politesse) comme
code social. Elle sera violée par son marabout et attaquée par les indigents qu'elle
aidait. Par ailleurs, l'absence de reconnaissance qu'elle expérimente est largement
similaire à celle contre laquelle bute Fama, son mari, lorsque le garde-frontière lui
demande ses papiers. Quelque chose s'est rompu dans l'ordre des rapports
intersubjectifs et la « bâtardise » des temps nouveaux s'avère, en soi, un langage
incompatible avec celui des « princes ». En ce sens, Salimata ne peut déjà plus incarner
une source de salut, puisque ses gestes n'ont plus aucune valeur dans l'économie des
échanges et elle est donc, aussi, victime de l'Histoire. Comme l'héroïsme n'est ni une fin
ni une modalité du discours de Kourouma, le salut (si salut il y a), se situerait davantage
dans l'acte d'écrire que dans l'incarnation singulière d'un personnage.
Pour cette même raison, la représentation des femmes gagnerait à être mise en
parallèle avec celle des hommes. Vu que peu de personnages bénéficient d'un rôle
glorieux, et la virilité n'étant elle-même, chez Kourouma, que très relative, une lecture
littérale et isolée risque, à cet égard, de donner l'impression d'une vision misérabiliste de
la femme (africaine en particulier). La stérilité de Salimata, par exemple, renvoie en
large partie à l'impuissance de Fama, puisqu'il est écrit que toutes les autres femmes
avec qui il alla restèrent « vides et sèches7 ». La description-représentation des femmes
s'inscrit, en effet, dans une pragmatique du texte (énonciation ironique, subversion des
discours sociaux, procédés stylistiques de l'écriture, économie générale du roman) non-
négligeable, dont l'analyse devrait tenir compte. Dans Allah, les portraits de femmes
sont souvent éloquents quant à la violence de l'environnement. Birahima, le narrateur,
décrit sa mère en ces termes :
7
Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, op. cit., p. 56. La « scène conjugale » qui suit
(p. 57), par une économie de paroles échangées entre Salimata et son mari, laisse entrevoir la nouvelle
dynamique qui régit leurs rapports. Jusqu'à ce moment, Salimata s'était cru coupable de ne pouvoir
enfanter, et elle comprend maintenant qu'elle n'en est peut-être pas l'unique responsable.
29
II y avait parmi les soldats-enfants une fille-soldat, ça s'appelait Sarah. Sarah était unique et
belle comme quatre et fumait du hasch et croquait de l'herbe comme dix. Elle était en
cachette la petite amie de Tête brûlée à Zorzor depuis longtemps. [...] Et elle fumait et
croquait sans discontinuer. (Sans discontinuer signifie sans s'arrêter d'après mon Larousse.)
Elle était devenue complètement dingue. Elle tripotait dans son gnoussou-gnoussou devant
tout le monde. Et demandait devant tout le monde à Tête brûlée de venir lui faire l'amour
publiquement9.
Sarah et quatre de ses camarades se prostituèrent avant d'entrer dans les soldats-enfants
pour ne pas crever de faim.
Voilà Sarah que nous avons laissée aux fourmis magnans et aux vautours. (Les magnans,
d'après Inventaire des particularités, sont des fourmis noires très, très voraces.) Elles
allaient en faire un festin somptueux. Gnamokodé (bâtardise) ! :o
L'horreur quotidienne de ces femmes est évidemment dévoilée par ces présentations :
maladie, drogue, exploitation sexuelle, abandon, pauvreté. Mais, ce qui consterne le
lecteur, c'est la façon dont Birahima perçoit (ou ne perçoit pas, précisément) cette
violence. Le mode énonciatif distancié (dont l'effet se trouve renforcé par l'insertion de
définitions et la référence aux dictionnaires) traduit une perturbation du rapport à l'autre
et une aliénation de la part du sujet énonciateur. La description du sort de ces femmes
est donc indissociable de la détresse du narrateur (masculin), mise en abyme par
renonciation des portraits.
Enfin, la conclusion de Kouassi ne va pas plus loin que son introduction : les
catégories n'ont été que recensées, sans aucune analyse par la suite. Peut-être cela
s'explique-t-il par la sorte de tautologie contenue dans la proposition de départ, laquelle
affirmait vouloir montrer, à travers les romans que, dans une Afrique en souffrance, la
femme souffre davantage. L'auteur avance seulement quelques propositions (en fin de
s
Ahmadou Kourouma, Allah n 'estpas obligé, op. cit., p. 14.
9
Ibid., p. 92.
i uitt., p.7£*.
10
10 lhirl r,
Ibid, Qfi
p. 96.
30
11
Justin Bisanswa, « Fortune et infortune de Sony Labou Tansi. Brève réflexion sur trois essais »,
Drocella Mwisha Rwanika et Nyunda ya Rubango [dir.], Francophonie littéraire africaine en procès.
Le destin unique de Sony Labou Tansi, Paris, Silex/Nouvelles du Sud, 1998, p. 245 .
12
Citée par Roland Barthes, Critique et vérité, Paris, Seuil, 1966, p. 38.
13
Kenneth Harrow, « Monnè, outrages et défis, Translating, Interpreting, Truth and Lies. Traveling
along the Môbius Strip », Research inAfrican Literatures, 22.2, 1991, p. 225-230.
14
Jean Ouédraogo, « Défis de traduction et délits d'interprète dans deux romans africains », Études
francophones, vol. XI, n°l, 1996, p. 53-69. Les passages cités de cette source sont référencés dans le
texte.
31
Ouédraogo ajoute que, par cette proximité avec les Blancs, Soumaré se trouve
investi de leur mission civilisatrice et participe en ce sens activement à la conquête de
Soba (p. 58). Par le dialogue et les négociations qu'il préside, il travaille, en effet, à ce
que l'occupation se déroule pacifiquement, quitte à tromper momentanément ses
interlocuteurs. En citant plusieurs extraits du roman, le critique « met en évidence les
tensions sous lesquelles le commis est appelé à travailler » (p. 59) et en revient à son
idée de départ selon laquelle l'interprète n'est utile qu'en temps de crise : plus le pouvoir
colonial est contesté, plus le rôle de l'interprète est prépondérant, car les enjeux liés au
discours s'avèrent cruciaux. Cela amène Ouédraogo à déduire que « la problématique du
discours et de sa transmission dépasse ici le cadre de thème secondaire pour revêtir une
importance de premier plan » (p. 61).
15
Nous n'évoquerons, pour la présente étude, que les segments consacrés à l'analyse du roman de
Kourouma.
32
Ouédraogo, par ailleurs, emprunte une démarche thématique similaire dans son
ouvrage Maryse Condé et Ahmadou Kourouma. Griots de l'indicible16, où, par
l'exploration de plusieurs thèmes communs aux deux écrivains (la colonisation, les
indépendances, la nausée, l'importance du nom, etc.), il jette une vue d'ensemble sur les
œuvres et continue, en dépit de certains angles d'approche convenus, de s'intéresser de
près au texte.
Nous pourrions également citer dans cette même tendance les deux
monographies de Madeleine Borgomano, Ahmadou Kourouma : Le guerrier griot17 et
Des hommes ou des bêtes : lecture de En attendant le vote des bêtes sauvages,
d'Ahmadou Kourouman, ainsi que ses nombreux articles parus dans diverses revues
spécialisées, dont Notre Librairie. Proposant une lecture « globale » des romans, les
publications de Borgomano ont largement contribué à la connaissance et à la diffusion
de l'œuvre de Kourouma. À titre illustratif de sa démarche, nous pourrions convoquer
brièvement l'article « La place des savoirs dans l'œuvre de Kourouma19 » (2001).
16
Jean Ouédraogo, Maryse Condé et Ahmadou Kourouma. Griots de l'indicible, New York, Peter Lang
Publishing, 2004.
17
Madeleine Borgomano, Ahmadou Kourouma : le « guerrier » griot, Paris, L'Harmattan, 1998.
18
Madeleine Borgomano, Des hommes ou des bêtes : lecture de En attendant le vote des bêtes sauvages,
d'Ahmadou Kourouma, Paris, L'Harmattan, 2000.
19
Madeleine Borgomano, « La place des savoirs dans l'œuvre d'Ahmadou Kourouma »,
http://www.adpf.asso.fr/librairie/derniers/pdf/02n/144.pdf (janvier 2005).
35
S'intéressant aux savoirs dans leur dimension culturelle et dans leur rencontre
parfois conflictuelle, l'auteur reprend implicitement, dans son analyse, l'opposition entre
modernité et tradition20. Elle souligne la perversion des savoirs, occidentaux comme
traditionnels, vidés de leur sens et manipulés par une force brute. L'article recense les
différents savoirs que véhiculent les romans de Kourouma : le « savoir catégorique »
des proverbes, le « savoir pragmatique » de l'expérience, le « savoir transcendant » des
féticheurs, le « savoir traditionnel », ou le « savoir occidental » des dictionnaires ou de
l'école. L'auteur fait bien voir le brouillage de tous ces savoirs et ses conséquences sur
le pouvoir et le langage. En fait, Borgomano s'est intéressée à la manière dont les
œuvres consignent (pour les sauver de l'oubli ou dénoncer leurs mauvais usages) les
différents savoirs et arrivent à en faire ce qu'elle appelle une « synthèse harmonieuse »
(p. 14).
20
Chez Borgomano, l'opposition entre tradition et modernité est à saisir en rapport avec la fracture
socioculturelle initiée par la colonisation.
36
doute la raison pour laquelle la critique passe souvent outre ces formes de savoir), tient
à leur énonciation implicite, à leur réticence à s'affirmer positivement comme savoirs.
Chez Kourouma, le savoir se veut avant tout l'envers de l'ignorance, c'est-à-dire, dans
l'économie politique des romans, du mensonge. Ainsi, le donsomana de En attendant
n'est pas seulement utilisé pour dire la vérité sur la vie du général Koyaga, mais pour
démontrer le pouvoir de la forme et de la formule, son rôle dans la croyance et dans le
tissu social.
21
C'est-à-dire leur mise en forme littéraire, leur passage à un niveau symbolique, la déconstruction qui,
justement, rend visible la structuration d'un discours. La relation entre les ruses du discours et le
savoir est particulièrement investiguée par l'écrivain, dans Monnè notamment.
22
Ahmadou Kourouma, Monnè, outrages et défis, op. cit., p. 53.
37
Quand on dit qu'il y a guerre tribale dans un pays, ça signifie que des bandits de grand
chemin se sont partagé le pays. Ils se sont partagé la richesse ; ils se sont partagé le
territoire ; ils se sont partagé les hommes. Ils se sont partagé tout et tout et le monde entier
les laisse faire. Tout le monde les laisse tuer librement les innocents, les enfants et les
femmes. Et ce n'est pas tout ! Le plus marrant, chacun défend avec l'énergie du désespoir
son gain et, en même temps, chacun veut agrandir son domaine. (L'énergie du désespoir
signifie d'après Larousse la force physique, la vitalité.)24
Le Nègre est un peuple sans écriture. Ce sont les colonisateurs, les curés et les marabouts
qui l'ont alphabétisé. Ses maîtres lui ont inculqué le respect de l'écrit ; le papier est un
fétiche, une croyance. Une croyance qui, comme les textes des livres sacrés ou les ordres du
colonisateur blanc, dépasse l'entendement du Nègre, ne se vérifie pas, ne se contredit pas. 25
3
Justin Bisanswa, « Jeux de miroirs : Kourouma l'interprète ? », Présence francophone, n° 59, 2002, p. 9.
24
Ahmadou Kourouma, Allah n 'estpas obligé, op. cit., p. 53.
5
Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, op. cit., p. 350-351.
affirmait alors que les colonisateurs les avaient rendus « plus nègres qu'[ils ne l'étaient]
avant et avec eux26 ».
D'étranges jeux de symétrie entre les énoncés et leur envers sont ainsi
enclenchés par la lecture et font miroiter une pluralité de sens, donnant le discours pour
insaisissable, démultiplié et diffus par ces diverses focalisations. C'est précisément,
d'ailleurs, à l'égard de cette dérobade ironique (et poétique) du discours que l'on pourrait
réévaluer l'efficacité d'une critique thématique telle que pratiquée par les auteurs sus-
étudiés. D'un point de vue méthodologique, celle-ci semble, en effet, procéder à un
prélèvement thématique d'occurrences (sémantiques ou scéniques) qu'elle fait ensuite
servir de preuve à une hypothèse de départ qui, elle, ne se veut ni un questionnement, ni
même une problématique, mais plutôt un constat. Partant, tout lui paraît évident, et l'on
comprend bien, en toute logique, qu'elle ne puisse faire autrement que de relever des
évidences, la prémisse qu'elle se donne ne pouvant la mener autre part qu'en son propre
principe.
26
Ahmadou Kourouma, Monnè, outrages et défis, op. cit., p. 278.
27
Roland Barthes, Critique et vérité, op. cit., p. 37-38.
28
Selon l'expression avancée par Lucien Goldmann dans Le Dieu caché, Paris, Gallimard, 1955, p. 24,
349.
29
Maurice Delcroix et Fernand Hallyn, Méthodes du texte, Paris, Duculot, 1987, p . 96.
39
Une critique est thématique quand elle cherche à dégager, à travers la variance des
occurrences dispersées, cet invariant sous-jacent, récurrent, voire, comme disait Barthes de
Michelet, " obsessionnel ", qu'on appelle dès lors un thème — mais qui peut être aussi bien
d'ordre formel que thématique au sens courant.31
Ainsi, tout un pan de l'œuvre reste à explorer. L'étude attentive des textes
critiques a montré que la critique thématique, même déclarée, n'en est pas une. Celle-ci
est souvent une lecture anthropologique, ethnologique ou culturaliste qui, sous couvert
de thématique, continue de situer la fiction dans son contexte culturel et interprète
systématiquement le signe romanesque et littéraire en fonction de son réfèrent géo-
socio-politique. À l'exception du texte de Ouédraogo, qui se contente des traces
fournies par le roman, nous sommes dans ce même mouvement de la critique qui
consiste à tirer le texte vers son contexte, imprimant sur le premier les reliefs
caractéristiques du second. Le biais sociologique, donc, continue, même informulé, de
30
id.
31
Gérard Genette, Figures V, Paris, Seuil, 2002, p. 28.
40
La critique sociologique, dès le début des années 1970, s'est efforcée de saisir
essentiellement l'œuvre de Kourouma en rapport avec son contexte sociopolitique et son
environnement historique. Prenant la « société du texte » pour une référence implicite à
la société réelle, elle a analysé la diégèse dans sa dimension réaliste en insistant sur les
ressemblances de l'œuvre avec le cadre social de ses conditions de production. Dans
cette démarche, l'œuvre est considérée comme le produit d'une époque et d'un espace
donnés, comme un bien symbolique en étroite relation (corrélation) avec le contexte
duquel il émerge. Aussi cette approche s'est-elle également intéressée, analysant les
romans, à la question de la représentation du réel et des structures sociales
traditionnelles africaines. Dans cette perspective, la recherche s'est concentrée sur
l'intertexte culturel spécifique, dont la notion de « tradition » a été instituée comme un
des socles fondamentaux du discours kouroumien.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons recensé plus d'une dizaine
d'articles critiques dont l'annonce méthodologique correspond à une approche
sociologique du texte : « Écritures de violence et contraintes de la réception : Allah n 'est
pas obligé dans les critiques française et québécoise », d'Isaac Bazié ; « Monnè,
outrages et défis : quelle histoire ! », de Jean-Claude Blachère ; « La profanation du
sacré : l'inscription du tragique dans deux romans d'Ahmadou Kourouma », de Margaret
Colvin ; « Allah, fétiches et dictionnaires : une équation politique au second degré », de
Xavier Garnier ; « L'effet de réel dans les romans de Kourouma », d'Amadou Koné ;
« Les soleils des indépendances, roman de la stérilité?», d'Emile Langlois ;
« Ahmadou Kourouma, de l'Afrique à la « totalité-monde » », de Patrick Michel ; ou
encore, « Les Soleils des indépendances : la magie du désenchantement », de Pierre
Soubias, etc2.
Quatre articles nous ont paru représenter cette tendance dans ses contradictions
et sa diversité. Nous tenterons, après une analyse des textes sélectionnés, d'en évaluer la
cohérence théorique, d'en dégager les principaux résultats, et d'en mesurer la pertinence
des hypothèses à l'aune de ce que nous pouvons considérer comme l'empreinte sociale
des romans.
Les références de tous les articles recensés se trouvent dans notre bibliographie.
3
Margaret Colvin, « La profanation du sacré : l'inscription du tragique dans deux romans d'Ahmadou
Kourouma », Études francophones, vol. XV, n° 2, 2000, p. 37-48. Les passages cités de cette source
sont référencés dans le texte.
42
Une fois résumé la diégèse des deux œuvres, Colvin commence son analyse par
une citation tirée de Monnè, laquelle décrit le monde traditionnel malinké où tout est
réglé par la croyance, fût-elle mensongère :
Depuis des siècles, les gens de Soba et leurs rois vivaient dans un monde clos à l'abri de
toute idée et croyance nouvelles. Protégés par les montagnes, ils avaient réussi, tant bien
que mal, à préserver leur indépendance. C'était une société arrêtée... C'était une société
castée et esclavagiste dans laquelle chacun avait, de la naissance à la mort, son rang, sa
place, son occupation, et tout le monde était content de son sort ; on se jalousait peu. La
religion était un syncrétisme du fétichisme malinké et de l'Islam. Elle donnait des
explications satisfaisantes à toutes les graves questions que les habitants pouvaient se poser
et les gens n'allaient pas au-delà de ce que les marabouts, les sorciers, les devins et les
féticheurs affirmaient; la communauté entière croyait à ses mensonges. Certes, ce n'était
pas le bonheur pour tout le monde, mais cela semblait transparent pour chacun, donc
logique ; chacun croyait comprendre, savait attribuer un nom à chaque chose, croyait donc
posséder le monde, le maîtriser. C'était beaucoup.4
L'auteur montre donc comment, dans Monnè, l'espace du royaume de Soba sera
violé par le colonisateur qui, en pénétrant celui-ci, viole, de ce fait, la « division
fondamentale entre le pur et l'impur » (p. 42). Selon elle, les travaux forcés se
présentent comme « une déchirure dans l'espace du sacré » (p. 42), car ils arrachent
l'homme pieux à sa terre et à son rythme, le laissant sans repère dans un monde profane.
La même dégradation des espaces se déroule dans Les soleils, affirme Colvin, où les
lieux reliés à la prière, au village natal et au cimetière sont présentés comme souillés.
Les coutumes anciennes ont donc du mal à survivre.
représente précisément le contraire » (p. 43), puisque le temps s'éprouve désormais sans
transcendance, depuis le contact avec les Européens. L'auteur situe le zénith de cette
déchirure spatio-temporelle dans la scène où les généraux annoncent à Djigui qu'il n'est
plus roi de Soba. Certains personnages tenteront de « désopérer » cette brisure
symbolique en organisant une résistance (le Boribana), mais « tous les efforts pour l[a]
rattraper sont soit des échecs décevants, soit des moqueries cyniques » (p. 44). À ce
titre, Colvin interprète l'incipit de Les soleils (les funérailles) comme « une moquerie du
sacré » (p. 44), et elle souligne également, dans Monnè, le cynisme des raisons des
coloniaux français au sujet des travaux forcés qu'ils justifient par la bêtise atavique du
Noir (p. 44).
Fondant sa lecture des textes sur la terminologie proposée par Mircea Eliade
(historien des religions), Colvin tire une interprétation socio-religieuse des textes. Elle
insiste sur la dichotomie entre le sacré et le profane qu'elle dit repérer dans les romans.
Souscrivant unilatéralement à l'idée d'un « phénomène de désacralisation
chronotopique » (p. 39), Colvin tente d'établir la rupture provoquée par l'arrivée des
Européens en convoquant des extraits du texte où il est question de la stabilité de la
société traditionnelle, menacée par le nouvel ordre du colonisateur.
Ce passage a été retranscrit, précédemment, dans la partie 2.2, à la page 42 du présent mémoire.
6
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 126, 138, passim.
45
Au cours de la réunion des Européens sur le partage de l'Afrique en 1884 à Berlin, le golfe
du Bénin et les Côtes des Esclaves sont dévolus aux Français et aux Allemands. Les
colonisateurs tentent une expérience originale de civilisation de Nègres dans la zone
appelée Golfe. Ils s'en vont racheter des esclaves en Amérique, les affranchissent et les
installent sur les terres. Ce fut peine perdue, un échec total. Ces affranchis ne connaissent
qu'une seule occupation rentable : le trafic des esclaves noirs. Ils recommencent la chasse
aux captifs et le négoce des Nègres.7
En effet, au regard de ces phrases, et de plusieurs autres qui ponctuent sans cesse
les romans de Kourouma, le lecteur est sans cesse forcé de reconsidérer l'ensemble de
ce qui vient d'être raconté par le narrateur qui, si besoin était de le prouver, n'est pas
une instance neutre, mais un discours en concurrence avec d'autres. La dérision et
l'humour, que Bakhtine10 identifie comme des principes actifs du romanesque, et de ce
qu'il appelle « la familiarisation du monde" », rendent perceptible la dimension
critique, satirique du texte, et plaident pour une lecture avisée, à la fois sceptique et
souple quant aux propositions (littérales) du texte.
7
Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, op. cit., p. 11.
8
Ibid., p. 12.
9
Id.
10
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 458. Bakhtine souligne, en effet, que
« même quand ces genres choisissent de représenter le passé et le mythe, la distance épique est abolie,
puisque c'est l'actualité qui fournit son point de vue. [...] C'est le rire, qui abolit la distance épique et,
en général toute distance hiérarchique, facteur d'éloignement ».
11
Id.
46
sation grossière alors que l'historicité même des énoncés se trouve mise en jeu (et en
cause) par le romanesque. Confondre, comme procède Colvin, le texte littéraire et le
témoignage socio-historique, c'est confirmer une vision culturaliste et ethnologique de
la littérature négro-africaine en lui déniant sa valeur d'oeuvre d'imagination et de
langage.
12
Sélom Gbanou, « L'incipit dans l'œuvre de Kourouma », Présence francophone, n° 59, 2002, p. 52-
67.
13
Oswald Ducrot, Le dire et le dit, Paris, Minuit, 1984. Ducrot distingue le dire du dit correspondant aux
niveaux de l'énonciation et de l'énoncé.
14
Ibid., p. 60-61.
15
Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1970 (cl957), p. 222.
47
16
Id.
17
Fissurer la forme pleine du cliché signifie également de re-faire voir la stratification socio-idéologique
du langage et des mots dont parle Bakhtine. L'écriture, en dialogue avec le discours social, ne
débarrasse ni ne nettoie les mots de leur histoire, mais les redétermine par un apport différentiel. Elle
est déterminante déterminée.
18
Selom Gbanou, « L'incipit dans l'œuvre de Kourouma », art. cit., p. 53.
19
Ahmadou Korouma, Les soleils, op. cit., p . 12.
20
Ibid.,p. 64.
4X
Cela conduit, en effet, à concevoir une subversion encore plus fondamentale que
celle identifiée par Colvin, car le tragique qu'elle situe dans la profanation historique
(passée) d'un espace-temps malinké, se trouve, en fait, chez Kourouma, inscrit dans la
narrativité (présente) du roman, dans cette impossibilité de se taire faisant face à
l'impossibilité de dire. Le roman kouroumien tire d'ailleurs de cette impasse un de ses
paradoxes fonctionnels qui, au niveau discursif, se traduit par une tendance à sabrer
périodiquement dans l'édifice narratif qui se construit. À propos de En attendant, par
exemple, Selom Gbanou écrit qu' « il s'agit de détruire le mythe du bon président à
partir du mythe21 ». Dans une sorte d'implosion du discours et des clichés qu'il charrie,
le roman procède à une réécriture critique et s'aide de l'humour pour déjouer toute
forme de pathos (lié à l'Histoire). L'instance narrative semble, en effet, toujours jeter un
regard oblique sur les violences qu'elle met en scène, comme si la gravité des
événements était telle que le sérieux même devenait dérisoire. Ainsi, Birahima peut
« conter [ses] salades » et son « blablabla22 ». Le détachement du sujet-narrateur et
l'apparente dépréciation de son discours se révèlent donc, surtout, être des procédés de
mise à distance, conditions de la parole. Dans une situation de guerre, où le langage se
trouve dépossédé de son sens, le « comique » se veut également le rictus d'une
impuissance, et illustre l'embarras de devoir dire ce qui précisément échappe au
domaine des mots.
21
Selom Gbanou, « L'incipit dans l'œuvre de Kourouma », art. cit., p. 55-56.
2
Ahmadou Kourouma, Allah n 'estpas obligé, op. cit., p. 9.
23
Selom Gbanou, « L'incipit dans l'œuvre de Kourouma », art. cit., p. 67.
49
[...] le romancier explore en fin de compte, et aussi, une définition peut-être fondamentale
de l'idéologie, son statut fondamentalement utopique et atopique, non localisable, de
« milieu » à la fois diffus et totalitaire, de discours à la fois sans source et sans propriétaire,
réajustable et récupérateur, « assujettissant » quoique supprimant le « sujet » de l'énoncé
(de quoi parle le texte polyphonique ?) et le sujet de renonciation (qui parle, dans le texte
polyphonique ?). La ruse suprême consistant sans doute, en présentant au lecteur un univers
normatif contradictoire, sans sujet, à mettre ce dernier en position de juge ultime, donc en
position même de « sujet », c'est-à-dire dans la position d'un juge au tribunal qui, après
avoir écouté les interventions contradictoires de la défense et de l'accusation, va
« trancher ». Par là, par cette mise en scène des univers de valeurs, le texte littéraire affiche
bien son hérédité rhétorique [...].26
24
L'expression réfère aux théories marxistes de la littérature concevant cette dernière c o m m e « miroir »,
ou comme « reflet » de la société.
25
Phillipe Hamon, Texte et idéologie, Paris, Quadrige/PUF, 1984, p. 203.
26
Ibid., p. 226-227.
50
persiste plus dans les romans que sous la forme d'un mythe dégradé, ce qui en dit long
sur la désillusion présidant à l'écriture. Mais, c'est peut-être là ce que nous enseigne la
lecture de l'article de Colvin : l'habileté de Kourouma à savoir jouer avec son lecteur,
parfois même à l'insu de ce dernier. Nous sommes déjà, quoi qu'il en soit, bien loin
d'une analyse de texte, puisque l'intérêt pour le religieux des romans s'est développé en
une hypertrophie du factuel, au détriment du situationnel, qui est tout l'art du roman. Se
privant ainsi des subtilités de renonciation et du métadiscours27 qu'elles génèrent,
l'article aboutit au sempiternel questionnement sur le devenir de l'Afrique.
27
Le métadiscours correspond à tous ces lieux de l'œuvre où le récit réfléchit à lui-même de façon
consciente. Les traces en sont, entre autres, l'ironie, l'humour, le pastiche, la mise en abyme ou
l'intertextualité.
28
Amadou Koné, « L'effet de réel dans les romans de Kourouma», Études françaises, 31, n° 1, été
1995, p. 13-22. Les passages cités de cette source sont référencés dans le texte.
51
Kourouma ne réside pas tant dans le choix de son objet, mais plutôt dans le moyen
choisi pour rendre la complexité du réel : la polyphonie narrative (p. 16).
Cette idée d'une focalisation plurielle est développée dans la deuxième sous-
partie à partir du roman Les soleils, où l'on distingue deux foyers de regard : celui de
Fama et celui du narrateur omniscient (p. 17). La dialectique de ces deux visions
antagonistes fait varier le point de vue sur l'objet du roman. D'une part, la perception de
Fama, celle d'un authentique prince traditionnel incarnant les valeurs de la tradition et,
d'autre part, la perception du narrateur, celle qui « dépasse la conscience de son héros »
(p. 17) et fait voir le caractère désuet de sa lutte, le présentant comme un héros
problématique.
Dans Monnè, écrit Koné, « la situation est plus complexe car elle est changeante
et le héros, Djigui, doit constamment ajuster sa vision de la réalité » (p. 18). Exemples à
l'appui, l'auteur montre comment la perception du héros se trouve modifiée par le
pouvoir du verbe, que ce soit celui du griot ou de l'interprète. La démonstration
concourt à asseoir la distinction entre réel et perception du réel, phénomène qui se
trouve mis en abyme dans les romans. L'auteur affirme donc, en se référant
maladroitement au concept de Bakhtine, que l'œuvre de Kourouma se veut dialogique,
car elle met en rapport « au moins deux visions de la réalité, deux visions irréductibles »
(p. 20), celle des voix attachées aux valeurs du passé, et celle des voix attachées aux
changements en cours.
En réalité, l'africanisation de la langue française n'est pas une simple technique rhétorique,
une recherche artificielle d'effets stylistiques. Elle obéit à une nécessité de traduire la
complexité de la réalité africaine qui est différente selon les perspectives sous lesquelles
elle est vue, selon la culture à laquelle appartient le personnage qui voit et qui parle. La
création de ces effets de réel subtils me semble être l'innovation la plus importante et le
plus grand apport de Kourouma au roman africain, (p. 22)
Pourtant, en dépit de ce que l'auteur annonce dans introduction (p. 14), ce qui est
appelé, « effet de réel » ne correspond pas à ce que Barthes entend par cette expression
dans son célèbre article30 du même nom. En effet, Koné se réfère bien à cette notion de
Barthes, mais il la réaménage largement et la définit plutôt (à travers sa démonstration)
comme étant synonyme de « perception du réel », de « point de vue ». Cette définition
effective, actualisée par l'argumentation et essentiellement relative aux questions
narratives, s'éloigne considérablement de celle de Barthes qui, elle, insistait plutôt sur
l'aptitude du langage à signifier le réel, émettant l'idée que « la carence même du
signifié au profit du seul réfèrent devient le signifiant même du réalisme31 ». Touchant
aux mécanismes fondamentaux de l'esthétique réaliste, cette dernière conception de
29
Littéralement, le mauvais entendement.
}
Roland Barthes, « L'effet de réel », Littérature et réalité, Paris, Seuil, 1982, p. 81-90.
31
Ibid.,p. 89.
Barthes pousse beaucoup plus loin l'interrogation sur la représentation littéraire en
considérant, justement, « l'illusion référentielle32 » qui la fonde. Koné, quant à lui, en ne
relevant que le jeu des voix et des perspectives, s'arrête au constat d'une polyphonie et
d'un réalisme efficace, à l'aune de ce qu'il estime être la complexité sociale africaine,
mais dont il ne dit rien. Cela revient à Va priori tautologique qu'il fournit en
introduction : « je considère que la volonté de rendre le réel en produisant « un effet de
réel » convaincant, eu égard au réfèrent, est à l'origine du réalisme romanesque »
(p. 14).
32
id.
33
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 110.
34
L'épithète convient particulièrement bien à la démarche littéraire de Kourouma, puisque ce mot,
dérivé du grec byzantin eikonoklastês signifie « briseur d'images ».
littéraire de la réalité, nous passons à une analyse narratologique, puis à une
interprétation socio-linguistique. Cette déviation théorique autorise, entre autres, Koné,
à prendre pour évidence ce qui se trouve précisément mis en cause par le roman Monnè,
en affirmant que Kourouma «adhère à l'évolution historique de l'Afrique» (p. 15).
Cette adhésion, en effet, n'est qu'apparente, car si l'évolution historique de l'Afrique est
l'objet (au sens de thème, de sujet, de topic) du roman, elle est, à ce même titre,
investiguée, déconstruite, mise en doute par ce même langage qui fait semblant de lui
donner une visibilité. L'Histoire paraît première, mais le romanesque signe sa reprise.
Ainsi, même si le texte fournit plusieurs éléments d'analyse intéressants (le rôle
de la focalisation dans le rendement littéraire d'une certaine réalité, ou la lutte entre les
différents discours coloniaux ou traditionnels), le processus d'analyse ne semble pas
tirer profit de ces observations. L'analyse tombe à plat au moment où l'on attend des
informations qu'elles distillent enfin leurs lumières. Koné dit de la polyphonie qu'elle
crée le réalisme des romans. Mais encore. Dans la perspective d'un « effet de réel » (au
sens où l'entend Barthes, cette fois), saisi en rapport avec le dispositif textuel des
romans, il aurait pu être intéressant de voir comment, justement, la « complexité
sociale » se trouve simulée, re-présentée par l'artifice rhétorique et la créativité
langagière, qui jouent avec la charge idéologique des mots en même temps qu'elle lui
attribue une connotation proprement romanesque, renouvelée. Dans cet extrait d'Allah,
par exemple, le narrateur tente d'expliquer la situation politique difficile de son pays.
Ici, point de polyphonie, mais un dialogisme qui égratigne « l'effet de réel » des
différents discours convoqués :
La Sierra Leone c'est le bordel, oui, le bordel au carré. On dit qu'un pays est le bordel au
simple quand des bandits de grand chemin se partagent le pays comme au Libéria ; mais
quand, en plus des bandits, des associations et des démocrates s'en mêlent, ça devient plus
qu'au simple. En Sierra Leone, étaient dans la danse l'association des chasseurs, le
Kamajor, et le démocrate Kabbah, en plus des bandits Foday Sankoh, Johnny Koroma, et
certains fretins de bandits. C'est pourquoi on dit qu'en Sierra Leone règne le bordel au
carré. En pidjin, on appelle Kamajor la respectable association des chasseurs traditionnels
et professionnels. Faforo (cul de mon père) !
Au nom d'Allah le clément et le miséricordieux (Walahé) ! Commençons par le
commencement.
La Sierra Leone est un petit état africain foutu et perdu entre la Guinée et le Libéria. Ce
pays a été un havre de paix, de stabilité, de sécurité pendant plus d'un siècle et demi, du
début de la colonisation anglaise en 1808 à l'indépendance, le 27 avril 1961. (Un havre de
paix signifie un refuge, un abri de paix.)35
5
Ahmadou Kourouma, Allah n 'est pas obligé, op. cit., p. 171.
55
36
Pierre Soubias, « Les soleils des indépendances : la magie du désenchantement », Notre Librairie,
n° 155-156, p. 11-16. Les passages cités de cette source sont référencés dans le texte.
37
Jean-Claude Blachère, « Monnè, outrages et défis : quelle histoire ! », Notre Librairie, n° 155-156, p.
17-21. Les passages cités de cette source sont référencés dans le texte.
II propose, ensuite, de voir comment cette déception se traduit à un niveau
encore plus profond, notamment à travers les parcours des personnages de Fama et de
Salimata, dont le récit sert à dévoiler « une autre chimère » (p. 14), à savoir que le
retour à la tradition ne résout en rien les défis posés par la modernité.
Soubias remarque que cette déstabilisation (provocation) s'opère aussi sur le plan
de la langue et de la focalisation narrative, lesquelles brouillent les pistes
d'interprétation et complexifient jusqu'au sens littéral, dont on arrive mal à systématiser
l'alternance entre le mode sérieux et le mode humoristique (p. 15). Ce brouillage
empêche l'émergence d'un discours trop clair, ou manichéen sur l'Histoire et le monde,
et permet de ne pas noyer la dimension imaginaire et magique dans un pessimisme
réaliste, mais de la faire réapparaître dans certains temps forts du récit comme la finale
(p. 16).
En s'employant à resituer le texte dans son contexte, mais sans pour autant l'y
dissoudre, l'auteur rappelle cette période de « désenchantement38 » qui a suivi les
indépendances et qui connote le texte de manière particulière. La lecture proposée par
Soubias comporte des observations fines sur le jeu en cours dans les romans entre
voilement et dévoilement du discours. L'auteur écrit, notamment, qu' « Ahmadou
Kourouma ne respecte aucun discours positif et convenu concernant l'Afrique », mais il
ajoute immédiatement :
Est-ce bien Ahmadou Kourouma qui se permet ces provocations, ou son personnage ? À
vrai dire, le roman se révèle assez retors sur ce point, car un usage subtil du discours
indirect libre vient périodiquement brouiller la «source des paroles. [...] cette langue
inouïe, nourrie d'archaïsmes autant que d'interférences, provoque un sentiment d'étrangeté,
à la lecture, qui entre en résonance avec le caractère dérangeant du propos. Que ce soit à
cause d'une structure syntaxique inédite, d'un mot employé hors de son usage habituel ou
d'un discours excessif dont on ne sait à quel degré le prendre, l'humour d'Ahmadou
Kourouma nous place en permanence en état d'alerte et d'incertitude. Nous ne saurons
jamais de façon certaine ce que ce texte, littéralement, veut dire. (p. 15)
38
L'expression est empruntée à Jacques Chevrier qui parlait des « romans du désenchantement » dans
Littérature nègre, op. cit., p. 115.
58
L'approche sociologique, ici, ne réduit donc pas le texte à ses savoirs socio-
historiques, mais éclaire plutôt son altérité en démontrant l'écart du roman par rapport à
la norme littéraire de l'époque40.
39
Ahmadou Kourouma, Monnè, outrages et défis, op. cit., p. 129.
40
Se référer, dans le présent travail, dans l'introduction, à la description de la première phase de
l'évolution du roman africain, p. 10-11.
41
Pierre Soubias, « Les soleils des indépendances : la magie du désenchantement », art. cit., p. 15.
59
42
Le social et le romanesque entretiennent, de fait, des rapports d'influence réciproque à travers lesquels
l'un tend à définir l'autre. Bakhtine écrivait, d'ailleurs, dans Esthétique et théorie du roman (op. cit.):
« Le roman est en contact avec les forces élémentaires du présent non achevé, ce qui empêche ce
genre de se figer » (p. 461).
60
Cet art de la composition qui renouvelé l'ensemble et réactualise, par un nouveau réseau
de liens, le cœur du signe, est ce que Genette, en d'autres termes, désigne le
« palimpseste45 » de l'écriture. L'avancée du discours littéraire se fait toujours en trait
d'union (et en écho) avec l'avoir-été-là des mots et des choses46, et, ce, même dans la
rupture, puisque la négation fait déjà exister le terme nié en le posant comme vis-à-vis.
Nous retrouvons là les enseignements fondamentaux des principaux penseurs d'une
phénoménologie du langage : Husserl, Hegel, Merleau-Ponty.
43
C'est aussi cela le sens du « détail inutile » de Barthes, dans son article précédemment évoqué
« L'effet de réel » {op. cit.); cette mention banale d'un objet qui ne peut trouver un sens que dans
l'entreprise réaliste du roman qui orchestre sa présence au sein de son système sémiologique.
44
Mikaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 120.
45
Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982.
46
Cela renvoie à la réflexion de Michel Foucault dans Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966.
61
chez Colvin, ou chez Koné, notamment : le texte est souvent analysé en fonction d'une
dichotomie tradition/modernité qui trouve difficilement sa justification dans la fiction
elle-même. Il suffit, à cet égard, de considérer le lot de syncrétismes47 religieux,
culturel, langagier, générique ou idéologique mis en scène par les romans pour
concevoir que cette apparence de chaos cristallise, en fait, une des interrogations
majeures de l'œuvre de Kourouma : comment actualiser, dans le langage et dans la
représentation, les différentes traversées (de l'Histoire, des signes, des langages, des
cultures, etc.) qui furent celles de l'Afrique et continuent de l'être aujourd'hui encore,
constituant son principal défi.
47
Mamadou Abib Kebe, dans « Plurilinguisme culturel et création romanesque : le c a s d'Ahmadou
Kourouma » (http://critaoi.org/bib [12 décembre 2004]), parle même, chez Kourouma, d'une
« écriture syncrétique » (p. 5).
48
Selon l'expression de Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997.
62
fondamental de ceux-ci. On tend ainsi vers une vision appauvrie du signifiant, desséché
par une méthode qui rend difficilement compte du fait que subsiste dans le conflit une
certaine forme de dialogue et d'échange, si violents soient ces derniers.
Son intérêt porte, en effet, sur le style, la langue (le langage) et l'écriture de
l'auteur. Reconduisant cette prétention à essayer de saisir le fonctionnement du texte,
les racines de la critique linguistique moderne remontent aux premiers travaux des
formalistes russes, dans les années 1920. Tzvetan Todorov, dans sa présentation de
Théorie de la littérature. Textes des Formalistes russes , rappelle, en effet, que « la
doctrine formaliste est à l'origine de la linguistique structurale4 ». Il fait ainsi valoir la
contribution des théoriciens Eikhenbaum, Chklovski, Vinogradov, Tynianov, Jakobson,
Tomachevski et Propp, dans la modification de la conception de l'objet littéraire.
1
Isaac Bazié, « Écritures de violence et contraintes de la réception : Allah n 'est pas obligé dans les
critiques française et québécoise », Présence francophone, n° 61, 2003, p. 89.
2
Maurice Delcroix et Fernand Hallyn, Méthodes du texte, Paris, Duculot, 1987, p. 85.
3
Théorie de la littérature. Textes des Formalistes russes, Paris, Seuil, 1965.
4
Ibid., p. 15.
65
Aussi l'écriture est-elle une réalité ambiguë : d'une part, elle naît incontestablement d'une
confrontation de l'écrivain et de sa société ; d'autre part, de cette finalité sociale, elle
renvoie l'écrivain, par une sorte de transfert tragique, aux sources instrumentales de sa
création. Faute de pouvoir lui fournir un langage librement consommé, l'Histoire propose
l'exigence d'un langage librement produit9.
Selon lui, l'écriture s'oppose à la parole en ceci qu'elle n'est pas un instrument de
communication, mais, plutôt, « une contre-communication1 », c'est-à-dire une activité
de langage qui ne développe pas une seule et même intention et existe par un certain
hermétisme de son sens. L'écriture, en ce sens, se dérobe à cet espace de la parole « où
le langage fonctionne avec évidence11 » pour s'ancrer dans un territoire beaucoup plus
opaque, caractérisé par la polysémie du signe.
' Louis Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Lausanne-Paris, Payot, 1916.
6
Charles Bally, Traité de stylistique française, Heidelberg-Paris, Cari Winters-Klincksieck, 1919-
1921,2 vol., (2e éd.; lre éd. 1909).
7
Michaël Riffaterre, Essais de stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1971.
8
Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, Paris, Gonthier, 1971 (cl953 et cl964), p. 16.
9
Ibid.,p. 18-19.
10
Ibid.,p.2l.
11
Id.
66
Nous avons retenu, pour notre étude, une monographie et deux articles. Leur
examen mettra en évidence les principaux énoncés du discours critique sur la langue de
Kourouma, le lien établi par les auteurs entre langage et ancrage culturel, ainsi que les
considérations esthétiques sur l'effet d'une telle pratique langagière.
12
Les références de tous les articles et ouvrages recensés se trouvent dans notre bibliographie.
67
En Afrique noire, le français est soumis à l'influence des infra-langues sur lesquelles il a
vocation de se superposer par son statut d'ancienne langue coloniale et sa vocation de
langue officielle; cependant, en retour, les langues nationales y laissent des marques
interférentielles. On peut y voir des manifestations d'une norme endogène, constamment en
œuvre même quand il s'agit de discours littéraire, trahissant ainsi des modes d'expression et
de pensée nègres; en somme, des phénomènes sémantaxiques. (p. 29)
13
Gérard Marie Noumssi et Rodolphine Sylvie Wamba, « Créativité esthétique et enrichissement du
français dans la prose romanesque d'Ahmadou Kourouma », Présence francophone, n° 59, 2002,
p. 28-51. Les passages cités de cette source sont référencés dans le texte.
68
« anti-blancs » (p. 31), « creuseurs de trous de rats » (p. 31), « courber la prière » (p.
32), « fatiguer la bouche » (p. 32), « Allah koubarou » (p. 33), etc.) et leurs effets
rhétoriques sont identifiés comme relevant de l'une ou l'autre des poétiques suivantes :
« poétique de l'orientalisme », « poétique de l'exotisme », et « poétique du pittoresque
négro-africain » (p. 33-34). Ces nombreuses traces qui marquent le texte et l'inscrivent
dans un contexte africain particulier font dire à Noumssi et Wamba qu'il existe, chez
Kourouma, une « stratégie textuelle d'exhibition d'une rhétorique originelle (nègre) »
(p. 35).
Dans une même perspective, mais cette fois à propos de la variation des
registres, les auteurs soulignent l'emploi d'africanismes, les modifications de
collocations et les jeux de mots, comme autant d'éléments dont le résultat serait une
« oralisation du style » (p. 36). Ils considèrent également la répétition, la caractérisation,
l'analogie et la composition comme figures de discours prépondérantes chez Kourouma.
Parmi les procédés analogiques, ils observent, notamment, la création singulière de
« métaphores syntagmatiques où [...] au lieu de constater explicitement une analogie, il
[Kourouma] la comprime dans une image qui a l'air d'une identification » (p. 39) :
« buffle-génie », « mariage-rapt », etc. Selon les auteurs, ces figures du discours
entretiennent un effet de réalisme africain, ou de néo-réalisme africain, « confèrent aux
récits une authenticité nègre » (p. 40) et expriment une manière de dire africaine.
[...] l'auteur a voulu imiter le donsomana, forme malinké du récit purificatoire dans les
veillées de chasseurs. Le texte est donc l'épopée d'un chasseur devenu dictateur et ayant
perdu ses talismans. Pour cela, il fait dire sa geste personnelle, à des fins cathartiques et
propiatoires. La mimésis du genre oral n'est plus ici un choix narratif implicite, mais la
structure même du texte, (p. 45)
En guise d'interprétation finale, les auteurs affirment que les procédés discursifs
des romans correspondent « au langage négro-africain authentique où prédomine la
poétique de l'analogie » (p. 48). Ils terminent même en précisant, à propos de
l'enracinement du texte dans ce qu'ils ont plus tôt appelé l'ontologie négro-africaine :
En fait, le Négro-Africain, de par son mode de vie (très proche de la nature), raisonne le
plus souvent par association d'idées. C'est donc à partir des faits empiriques qu'il s'enrichit
de signes symboliques utilisés dans son raisonnement. On parle de « raisonnement
analogique» que Claude Lévi-Strauss (Lévi-Strauss, 1968: 67) appelle aussi
« raisonnement symbolique ». En effet l'intuition dont se sert le raisonnement analogique
est fondée sur l'expérience culturelle du groupe, (p. 48)
savante, leur analyse place l'originalité des textes en relation avec leur milieu
linguistique d'origine. Une approche ethnostylistique aura, en ce sens, permis d'établir
l'ancrage géoculturel de l'auteur et d'enrichir considérablement la critique de plusieurs
éléments d'analyse concrets, notamment en ce qui concerne la fabrication de formes
néologiques. Ils ont montré les procédés à la source de l'expressivité du mot.
Pour ce qui est des néologismes, par exemple, il convient de considérer que leur
création n'est pas uniquement mue par la volonté de traduire une « vision du monde
nègre » (p. 42). Ne pourrait-on pas y voir également un moyen d'anticiper sur la
réception du lecteur occidental en simulant certaines images attendues (stéréotypées) de
l'Afrique, mais tout en donnant les signes d'une mise en abyme ironique ? Ce jeu subtil
avec le stéréotype suffit à introduire un soupçon dans le regard posé sur la
représentation. Le lecteur s'aperçoit, dès lors, que « l'exotisme » du texte se révèle
surtout être la satire d'un horizon d'attente et que la manipulation des composantes
71
linguistiques du texte (mots, grammaire, registre de langage, mode temporel, etc.) est ce
par quoi s'initie le renversement des codes, des images et des discours. Kourouma, dans
Monnè, s'amuse à décrire les conséquences tragi-comiques d'une mauvaise traduction
de l'interprète. Dans Allah, il exagère le phénomène de traduction-explication14 des
mots africains jusqu'à la parodie. Il apparaît clairement que cette pratique du jeu de
mots et de la transposition d'une langue à l'autre fait appel à un autre niveau de lecture,
moins littéral. Claude Caitucoli abonde dans le même sens en observant que, dans
Allah,
[...] les dés sont pipés car tous les néologismes ne seront pas forcément commentés et tous
les commentaires ne seront pas à prendre pour argent comptant (le Larousse ne donne pas
en rab comme synonyme d'en prime). C'est la mise en scène ironique d'une médiation à la
fois nécessaire et impossible.15
14
Ce phénomène, qui atteint son paroxysme à travers le personnage de Birahima, l'enfant-soldat, rejoint,
en effet, le registre caricatural, lorsque le lecteur se rend compte que, sous l'apparente sollicitude
didactique de l'enfant (qui veille à sa correction linguistique à l'aide de ses quatre dictionnaires), se
cache un auteur se moquant de ce sérieux révérenciel associé à la langue française. La « mise en
scène » met donc à l'épreuve volontairement, quoique subtilement, la relation de confiance et
d'identification entre le lecteur et le narrateur-personnage, alors que cette relation se trouve, par
ailleurs, savamment construite par une narration qui multiplie les adresses au lecteur.
15
Claude Caitucoli, « L'écrivain africain francophone agent glottopolitique : l'exemple d'Ahmadou
Kourouma », http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol ( 21 décembre 2004).
16
Ibid.,p. 22.
72
17
Mamadou Abib Kebe, « Plurilinguisme culturel et création romanesque : le cas d'Ahmadou
Kourouma », art. cit., p. 9.
18
Ahmadou Kourouma, Monnè, outrages et défis, op. cit., p. 102.
19
Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, op. cit., p. 153.
20
A h m a d o u Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, op. cit., p . 6 5 .
73
« L'incarcération de Yacouba était nécessaire, avait répondu Béma. C'est une chance que
les Blancs nous aient débarrassés d'un prieur avec des chapelets à onze grains. Si
l'opération engendre des transes chez le vieux [Djigui], c'est sa volonté, uniquement sa
volonté. Il n'y a là ni reconnaissance, ni bénédiction, ni pitié, et surtout pas d'humanisme ni
d'islam. » Moussokoro s'était effondrée en pleurs. Béma, sans manifester la moindre
émotion, sans la minime crainte du péché et de la colère des mânes des ancêtres, avait
conclu par : « Mon père délibérément s'est vêtu d'un embarrassant habit. Il saura se
dégager la tête : le margouillat ne se taille pas de pantalon sans prévoir la sortie de la
queue. ». Et il s'était retiré.
Donc le vieux pouvait agoniser, continuer à s'éteindre.21
21
Ahmadou Kourouma, Monnè, outrages et défis, op. cit., p. 177.
74
montrent que, dans l'économie apocalyptique des romans, les proverbes font office
d'artefacts du sens, et renforcent l'impression de fin du monde en pointant le
dérèglement des rapports humains sous un pouvoir illégitime. Du point de vue
pragmatique, les proverbes sonnent le glas du monde qu'ils chantent. « Tant que le mur
ne se fend pas, les cancrelats ne s'y mettent pas22 » et « la vérité [...] rougit les pupilles
mais ne les casse pas2 » est-il écrit dans Les soleils. Mais, le roman raconte déjà
comment le pays fonctionne sur l'arbitraire et sur le mensonge, et comment certains,
comme Bakary, ancien ami de Fama, ont préféré se « chauffe[r] avec ces nouveaux
soleils24 » plutôt que de risquer leur vie à défendre une certaine idée de la justice.
Cette incursion au cœur des textes nous permet donc d'exprimer une
réserve d'ordre littéraire à propos de l'article de Noumssi et Wamba. On ne peut appeler
« procédés d'expression authentiquement africains » (p. 28) des figures de style
communes à tous les écrivains (néologismes, analogie, répétition, métaphore, etc.) et
des procédés tels la polyphonie25, le dialogue ou le proverbe. Les habiles manœuvres
linguistiques de Kourouma répertoriées par les auteurs concourent plutôt à fournir la
preuve d'un véritable travail de recherche sur le langage, ce qui établit bien plus la
valeur littéraire des romans que leur « authenticité nègre ». Ce que les auteurs désignent
d'ailleurs, sous cette dernière expression, correspond plutôt à l'énoncé nu, au mot, c'est-
à-dire à la dimension littérale de la phrase, au décor qui sert les attentes d'un cadre
exotique. La créativité de Kourouma, nous semble-t-il, se joue davantage au niveau de
la « mise en intrigue26 », selon l'expression de Ricœur, par les anamorphoses qu'elle
fait subir aux matériaux bruts (langue française et social africain) et par l'audace avec
laquelle l'écrivain propose et déconstruit les formes. À petite échelle, par exemple, les
titres de chapitres dans Monnè, « Le ruisseau désert des lavandières et des éclats de rire
22
Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, op. cit., p. 137.
23
Ibid., p. 16.
24
Ibid., p . 182.
25
II est parfois stupéfiant de voir la critique situer « l'africanité » et « l'authenticité » du texte
kouroumien dans son caractère « dialogique » (terme que les auteurs utilisent de manière
interchangeable avec le terme « polyphonique »), oubliant que le terme même leur vient de Bakhtine
qui, lui, travaillait sur un corpus s'étendant du roman médiéval à Dostoïewski, en passant par les
romanciers humoristiques anglais : Fielding, Sterne, Dickens, etc.
26
Paul Ricœur, Temps et récit, Paris, Seuil, 1983.
75
des sous-bois sans lesquels il n'y a pas de villages proches », « Elle dormait quand les
esprits des enfants disparus l'ont appelée et réveillée pour lui demander de ne jamais
plus se coucher avant qu'elle n'ait congratulé le député », ou dans Les soleils, « Le
molosse et sa déhontée façon de s'asseoir », « Les soleils sonnant l'harmattan et Fama,
avec des nuits hérissées de punaises et de Mariam, furent tous pris au piège ; mais la
bâtardise ne gagna pas », introduisent à cette manière particulière de façonner le récit et
de faire se dérouler l'intrigue par et dans une langue elle-même intrigante. Selon toute
vraisemblance, cela relève autant de son « déracinement » que de son « enracinement »,
car l'écrivain donne à voir une Afrique telle que même l'Africain ne l'a encore jamais
connue sous ces termes. Le langage, dû à certaines images, peut lui paraître familier,
mais il n'est pas naturel : il est esthétique27.
27
Lise Gauvin développe, dans La surconscience linguistique de l'écrivain francophone (Revue de
l'Institut de Sociologie, Belgique, 1990/1991), dans L'écrivain et la langue au Québec (Montréal,
Boréal, 2000) et dans L'écrivain francophone à la croisée des langues (Paris, Karthala, 1997), la
notion de « surconscience linguistique », expression de sociolinguistique qui désigne le sentiment
d'étrangeté qu'ont les écrivains face à la langue d'écriture, a fortiori les écrivains francophones.
'•' Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, op. cit., p. 58.
29
Ahmadou Kourouma, Monnè, outrages et défis, op. cit., p. 13.
30
Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, op. cit., p. 71-72.
76
métissage, mixant les découvertes et les acquis. La pureté n'est pas à chercher du côté
de la littérature, qui se trouve au confluent des pensées et se fait par brassage.
31
Julie Emeto-Agbasière, « Le proverbe dans le roman africain », Présence francophone, n° 29, 1986, 27-
41. Les passages cités de cette source sont référencés dans le texte.
77
et assumant une fonction de repère et de guide pour la société. Elle entreprend, ensuite,
de démontrer la dimension métaphorique, et donc analogique du proverbe, qui procède
par parallélisme en vue de développer une certaine « image » de la situation et en
dévoiler la vérité sous-jacente. Par exemple, le proverbe « Le bubale ne bondit pas pour
que son rejeton rampe » (p. 28) fait appel à la métaphore animalière pour faire admettre
l'idée d'un dévouement. Le marabout Abdoulaye l'évoque afin d'assurer Salimata de sa
loyauté.
Or, l'auteur remarque que ces images, créées par la comparaison entre deux
termes (la situation du personnage et celle figurée par la sentence), comportent parfois
plusieurs sens, d'où il ressort que « le proverbe n'est pas toujours clair » (p. 30). Emeto-
Agbasière convoque, à cet égard, la réflexion de Ruth Finnegan qui insiste sur le
caractère déterminant du contexte d'énonciation du proverbe, car celui-ci en détermine
la signification et fournit les indications sur l'interprétation qui doit en être faite.
Le retour aux sources africaines permet au romancier non seulement de se servir des
procédés de la narration traditionnelle véhiculée par le griot, mais aussi d'exploiter des
aspects de la « belle parole » du peuple. Le romancier dévoile son désir de resserrer
davantage le lien qui l'unit à son peuple [...]. (p. 27)
79
32
Pierre Bourdieu, Les règles de l'art, Paris, Seuil, 1998 (cl992), p. 398.
33
Id.
80
Le réel est ici reconstruit à partir de faits et d'acteurs historiques, mais produit
néanmoins un contre-discours qui conteste l'effectivité de la décolonisation. L'œuvre
littéraire se forge ainsi par micro-ruptures dans la représentation convenue d'un objet,
en « défamiliarisant35 » le langage et en injectant une dose d'étrangeté à ce qui, par
habitude, ne suscitait plus que l'indifférence ou (ce qui revient au même) le
conformisme.
Il est donc étonnant de voir que ce discours critique, même lorsqu'il laisse
entendre que les proverbes évoluent et se transforment, ne cherche jamais à penser cette
modulation de l'énoncé sous le poids du cadre romanesque. En effet, Emeto-Agbasière
cite, à juste titre, la remarque de Ruth Finnegan sur la nécessité d'une connaissance
pragmatique (du contexte d'énonciation) comme préalable à l'interprétation des
proverbes. Pourtant, Emeto-Agbasière poursuit sa démarche en faisant abstraction de
cette mise en garde. Elle convient bien de l'importance du contexte, qui peut accentuer
tel ou tel élément du proverbe, mais n'aborde pas les cas où l'environnement narratif
donne à la sentence une connotation opposée à son sens littéral. Dans Les soleils, par
exemple, la scène du discours présidentiel fait entrevoir toute la complexité de
34
Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, op. cit., p. 81.
35
Pour paraphraser l'idée maîtresse des formalistes russes qui situaient la littérarité d'un texte dans sa
capacité à « défamiliariser », c'est-à-dire à briser la transparence du monde et du langage, de tout ce
qui, hors du texte, va de soi. Voir Théorie de la littérature. Textes des formalistes russes, op. cit.
l'occurrence romanesque des proverbes, ainsi que l'usage asymétrique qui peut en être
fait. Dans un discours qui nous est rapporté, le Président annonce gaiement leur
libération à des prisonniers qu'il a lui-même fait incarcérer, puis torturer, et leur
recommande, comme si de rien n'était, la réconciliation nationale. La composition de la
scène montre bien comment le personnage-Président prend appui sur des formes éculées
(mais jouissant d'une légitimité populaire) du discours pour susciter l'adhésion : « La
mère fait connaître la dureté de ses duretés lorsque les enfants versent par terre le plat
de riz que la maman a préparé pour son amant36 », « La plus belle harmonie, ce n'est ni
l'accord des tambours, ni l'accord des xylophones, ni l'accord des trompettes, c'est
l'accord des hommes37 », « Un seul pied ne trace pas un sentier ; et un seul doigt ne
on
peut ramasser un petit gravier par terre ». Il s'agit de l'une des scènes où les proverbes
et les métaphores fusent de toutes parts, mais ne font que signifier encore plus fortement
la vacuité de la parole en cours. Le recours abusif à des formules éculées signale, en
effet, à la fois la difficulté qu'a le discours à se soutenir lui-même et la précarité de ses
arguments qu'il dissimule en usant des proverbes comme porte-voix. Envers les
citoyens injustement traités, le discours se pare d'atours rhétoriques pour faire oublier
l'injustice.
36
Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, op. cit., p. 174.
37
Id.
38
Id.
82
« à plus sage et savant que soi, on offre ce qu'on a de mieux39 » que l'on annonce que
les plus femmes du pays seront données aux colonisateurs, et c'est pour mieux s'assurer
de la soumission de Djigui au nouveau pouvoir que l'interprète lui déclare que « la force
est la vérité qui est au-dessus des vérités40 ». Nous retrouvons là l'idée de Nimrod selon
laquelle « l'auteur joue et se joue d'un prêt-à-penser dont il connaît les ressorts et les
ressources41 ». Lévinas disait aussi du langage qu'il était déjà scepticisme42, comme
pour signifier que l'écriture consent en apparence (par nécessité) à la convention du
langage, mais ne cesse, en fait, de l'éperonner.
Nous ne gagnâmes jamais chez nous ; tous ceux qui moururent en mâles sexués furent
oubliés. Ce furent les autres, ceux qui se résignèrent et épousèrent les mensonges,
acceptèrent le mépris, toutes les sortes de monnew qui l'emportèrent, et c'est eux qui
parlent, c'est eux qui existent et gouvernent avec le parti unique. On appelle cela la paix, la
sagesse et la stabilité.
C'est là u n e des causes d e notre pauvreté et de nos colères qui ne tiédissent pas. Le sous-
développement, la corruption, l'impudence avec laquelle sont employés les mots
authenticité, socialisme, lutte et développement, cet ensemble de mensonges et de
39
A h m a d o u Kourouma, Monnè, outrages et défis, op. cit., p . 5 5 .
40
Ibid.,p.67.
41
Nimrod, « Du proverbe au verbe : la nouvelle philosophie des vocables chez Kourouma », Notre
Librairie, n° 155-156, 2004, p. 57.
42
Cité par Maurice Blanchot, L'écriture du désastre, Paris, Gallimard, 1980, p. 123.
83
ressentiments, qui révoltent, ont des causes profondes et nombreuses. Le jour qu'il nous
sera permis de dire et d'écrire autre chose que les louanges du parti unique et de son
président fondateur, nous les compterons et les conterons.43
Ce passage intervient dans les toutes dernières pages de Monnè, après la mort de Djigui,
à l'heure des bilans. Il dit la violence de la conquête, mais exprime surtout la honte
d'être désormais gouvernés par ceux qui se sont soumis aux conquérants, et qui
perpétuent depuis, à leur propre profit, la duperie d'un discours racoleur (et lucratif) sur
« l'authenticité » et le « développement ». Par une facture sobre et sombre, l'extrait fait
voir les « péripéties » de la diégèse, les collaborations forcées, les menaces déguisées et,
face à cela, les soubresauts insuffisants de la résistance, comme une vaste « comédie
humaine ». Une triste farce irréversible, mais dont une infime part de la violence
symbolique pourrait être atténuée par le dévoilement du récit des vaincus, en exposant
la mémoire de ceux qui n'ont pas eu voix au chapitre de l'historiographie coloniale. Le
discours révèle ici ses vraies ambitions et confirme, par le fait même, la mise en scène
ironique de l'Histoire à laquelle le roman s'est livré. Quelques pages plus loin, le
paragraphe final confirme ce refus des formules clinquantes et de ce langage qui tourne
à vide à l'intérieur des phrases préfabriquées. Par énumération, par accumulation, le
texte semble dire l'âpre fatigue d'une Afrique malmenée au gré des modes idéologiques
de l'Histoire.
La Négritie et la vie continuèrent après ce monde, ces hommes. Nous attendaient le long de
notre dur chemin les indépendances politiques, le parti unique, l'homme charismatique, le
père de la nation, les pronunciamentos dérisoires, la révolution ; puis les autres mythes : la
lutte pour l'unité nationale, pour le développement, le socialisme, la paix, l'autosuffisance
alimentaire et les indépendances économiques ; et aussi le combat contre la sécheresse et la
famine, la guerre à la corruption, au tribalisme, au népotisme, à la délinquance, à
l'exploitation de l'homme par l'homme, salmigondis de slogans qui à force d'être
galvaudés nous ont rendus sceptiques, pelés, demi-sourds, demi-aveugles, aphones, bref
plus nègres que nous ne l'étions avant et avec eux.44
L'énumération, ici, se veut une longue chaîne régressive dont les valeurs négatives
s'additionnent. Les virgules alternent avec les points-virgules, multipliant les
propositions qui, dans leur succession laborieuse, figurent le « dur chemin » dont il est
question. Exceptionnellement asymétriques, ces deux phrases constituent, pourtant, par
43
Ahmadou Kourouma, Monnè, outrages et défis, op. cit., p. 276.
44
Ibid.,p.2n.
leur conjonction, l'apogée d'une sourde révolte prenant le contre-pied d'un lyrisme dont
elles se méfient. L'histoire finit sans que ne finisse avec elle les monnew et la « saison
des amertumes45 ».
Tirés des dernières pages de Monnè, ces passages illustrent bien la diversité des
registres appréciable dans l'œuvre de Kourouma et contrastent avec tous les extraits du
texte où le proverbe entretient une forme d'emphase et d'éloquence. L'hétérogénéité
des modalités discursives rend également perceptible la conscience avec laquelle
l'écrivain « partitionne » son texte selon l'effet recherché. Ainsi, lorsqu'il tisse de
proverbes la trame narrative, ils n'y sont pas maîtres, mais sujets, et servent tour à tour
de discours qui s'opposent. L'auteur s'engage dans un corps à corps avec le discours
social sur l'Afrique, embrasse toutes les positions et les fait mur à mur furieusement
valser. Toute la difficulté, et le plaisir, du texte kouroumien provient de cette
ambivalence du sens, du fait que chaque « message » trouve, en quelque lieu de
l'œuvre, son alter ego troublant la transparence. La fable et ses proverbes sont ainsi
adossés, enlacés, mythes contre mythes dans un échange permanent. Même lorsque le
roman donne l'impression de prendre position en faveur d'une idée, la narration vient
toujours relancer l'interrogation en modifiant la perspective, et continue de dessiner
toute une géométrie des croyances.
45
Ibid, p . 202.
46
Roland Barthes, dans S/Z (Paris, Seuil, 1970), développe l'analogie entre l'écriture et la composition
musicale et utilise le terme de « partition » pour décrire l'espace textuel (p. 35-37).
47
Makhily Gassama, La langue d'Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d'Afrique, Paris,
Karthala-ACCT, 1995. Les passages cités de cette source sont référencés dans le texte.
linguistique ciblée et s'intéresse en profondeur aux virtuosités souvent audacieuses du
langage dans Les soleils. Sept courts chapitres composent une œuvre dense de 119
pages : « Langue et langage », « Une trahison fidèle », « Le temps francophone »,
« L'emballage perdu récupéré », « Un style fidèle à l'odeur du peuple », « Qui n'est pas
Malinké peut l'ignorer », « La langue française, langue cocufiée ».
En examinant le tableau des formes temporelles, nous remarquerons qu'une seule forme
traduit la notion du présent, mais à quel prix! ayebàkâ signifie littéralement — et l'image
est à retenir — : il-mourir-sur ! Le suffixe kâ, dans les langues mandé : malinké,
mandingue, diakhanké, bambara, etc., toutes juxtaposantes, signifie sur ; en fait, kâ
conserve sa valeur de préposition marquant la « position en haut » ou « en dehors », donc
introduit la notion de distance, d'éloignement dans l'espace aussi bien que dans le temps
[...] être sur, c'est en quelque sorte ne plus être là où l'on était [...] il y a, à travers ce mot,
la notion de simultanéité, de mouvements synchroniques. Le suffixe kâ, en malinké, grâce
à ses alliances dans le mot, est chargé d'une valeur bien supérieure à celle de la préposition
française sur, qui ne laisse transparaître aucune notion de temps. Nous noterons, en
passant, l'extraordinaire capacité d'abstraction, d'expression par image, de concision et de
richesse des langues africaines, parce que langues juxtaposantes, (p. 39)
Selon Gassama, le présent est ainsi abordé, dans certaines cultures, comme une
convention, une « vue de l'esprit » (p. 40). D'où sa rare utilisation dans le roman, et un
certain usage des temps de verbes considérés, a priori, comme inusités ou incorrects.
Dans le chapitre cinq, Gassama s'intéresse au milieu dans lequel évoluent les
personnages, et illustre les différents registres narratifs dont l'effet est une plus ou
moins grande proximité émotive avec le personnage. On passe, par exemple, d'une
chosification du personnage (Salimata), « la plus belle chose vivante de la brousse et
des villages du Horodougou » (p. 58), au dévoilement de sa vie intérieure,
« l'essoufflement et les vertiges qui l'assourdissaient, l'étreignaient, et les couleurs qui
se superposaient : le vert et le jaune dans des vapeurs rouges, le tout rouge ; la douleur
et les roulements de ventre » (p. 61). La « phrase de calepin », « Des oreilles de chauve-
souris, un nez épaté, des balafres descendant jusqu'au cou : Moussa Ouedrago » (p. 62),
côtoie ainsi, selon Gassama, la « phrase inorganique », « La colonisation, les
commandants, les réquisitions, les épidémies, les sécheresses, les Indépendances, le
parti unique et la révolution sont exactement des enfants de la même couche » (p. 62).
Le critique montre la gamme des focalisations et des styles dont use l'écrivain, en
alternance et sans systématisme, pour provoquer, choquer et dénoncer.
Parler de l'élaboration des images dans cette œuvre revient, à peu près, à parler de l'usage
que Kourouma fait de chaque mot, car la plupart, de par leurs alliances, leur glissement
hardi dans un contexte lexical qui leur est étranger, se détournent de leur dénotation
habituelle pour se charger de nouvelles valeurs tant sémantiques que grammaticales. En
fait, Kourouma n'a rien inventé ; sa seule invention, s'il doit en exister une — et elle est
alors d'importance - - est d'avoir tenu à présenter socialement et linguistiquement
l'univers malinké des « Indépendances » sans, pour autant, renoncer à l'usage du français.
Pari presque périlleux ! Pour atteindre les mêmes objectifs, certains écrivains africains ont
émaillé leurs œuvres de mots, d'expressions du terroir, maladroitement exploités dans la
conduite de l'action romanesque, (p. 67)
Désignant le « style malinké » (et non la langue malinké) comme un déterminant
esthétique majeur du langage littéraire de Kourouma, il en souligne l'expressivité
particulière. Celle-ci serait caractérisée par la formation d'images - qui prennent alors
valeur de symboles - et par sa valeur didactique traditionnelle. L'auteur amorce alors
une longue parenthèse sur les représentations de l'univers par le biais de laquelle il
établit un parallèle entre les propositions de l'ontologie négro-africaine, d'une part, et
celles de la récente physique quantique, d'autre part. L'idée d'une « Unité primordiale »
(p. 69) et celle d'un monde en perpétuel mouvement sont ainsi reliées aux réflexions des
astrophysiciens Igor et Grichka Bogdanov. Selon Gassama, les travaux scientifiques de
ces derniers viennent « renforcer les valeurs essentielles de l'ontologie négro-africaine »
(p. 71), car ils obligent à reconsidérer la représentation matérialiste du monde qui
prévaut en Occident depuis le XVIIIe siècle. L'auteur en revient ensuite à Kourouma
pour commenter, en ces termes, des extraits du roman qui tirent leur principe de
cohérence de ce « monde malinké » :
[...] aucun élément n'est, ne doit être gratuit ; tout se tient pour créer l'indispensable
équilibre de la Vie, nécessaire à toutes les existences. Aussi, si l'animal ne peut empêcher
le mal, le déséquilibre de se produire, tout au moins prévient-il l'homme par des signes
annonciateurs de la menace qui pèse sur le grand Equilibre. Ainsi s'annonce la «journée
maléfique » qui verra mourir accidentellement Fama, le dernier Prince des Doumbouya du
Horodougou : il doit rejoindre les ancêtres sans avoir laissé d'héritiers ! il va donc « finir »
et ce sera la triste fin d'une grande dynastie : « Ce furent les oiseaux sauvages qui, les
premiers comprirent la portée historique de l'événement » (p. 76)
Selon lui, cet ancrage dans l'ordre traditionnel, et sa reproduction partielle (et partiale)
est la condition même de la dénonciation opérée par Kourouma : il faut d'abord restituer
l'esprit des choses pour en montrer la dégradation et le renversement.
S'il nous est apparu pertinent d'évoquer ici le livre de Makhily Gassama, La
langue d'Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d'Afrique, ce n'est pas tant
pour son aspect représentatif de la critique linguistique sur l'œuvre de Kourouma, mais,
plutôt, pour l'incontournable valeur contributive de son analyse. Excepté les
monographies de Madeleine Borgomano évoquées dans le premier chapitre, le livre de
Gassama demeure le seul à s'intéresser spécifiquement au langage et constitue, pour
cette raison, un ouvrage de référence majeur. Si plusieurs critiques ont procédé à un
repérage sémantique dans les romans, peu, comme Gassama, se sont efforcés de faire
précéder leur interprétation (sociolinguistique ou ethnostylistique) d'une analyse
détaillée. La sienne, en effet, confronte texte et contexte, ralliant une attention sensible
envers l'usage des mots à une pragmatique plus large de la pensée malinké.
Si, du point de vue formel, le mot continue à appartenir à l'assiette morphologique du mot
français, du point de vue sémantique il déborde largement et nous le retrouvons dans
l'assiette du mot malinké abàna ( il a fini, il est fini, il est mort). L'auteur est parfaitement
conscient de cette ambivalence ou, plutôt, de cette duplicité du mot [...]. (p. 27)
II admet que l'emploi du verbe « finir » dans le sens de << mourir » est bien français (p.
26), mais que le choix de l'auxiliaire « avoir » (avoir fini), par rapport à l'usage courant
(être fini), augmente l'étrangeté de l'expression. De plus, fait remarquer Gassama, le
fait qu'il soit écrit que Fama finit « dans la capitale », et non à l'hôpital, par exemple,
ajoute à l'ambiguïté du sens de la phrase. Il faudra attendre le début du deuxième
paragraphe, où il est dit que « la vie s'échappa de ses restes » (p. 26), pour pouvoir
confirmer l'hypothèse de la mort de Koné Ibrahima. L'auteur démontre donc l'aspect
délibéré de cet usage peu commun du verbe « finir » qui, dès le départ, sert à créer un
univers linguistique marqué par l'étrangeté.
En outre, le fait que Gassama maîtrise la langue malinké se révèle fort utile,
lorsqu'il s'agit, par exemple, d'expliciter certaines connotations ou la substantivation de
participes passés précis. Il en est ainsi lorsqu'il commente l'emploi du mot « assis »
dans des phrases comme « Le gros des assis se serrèrent et tendirent les oreilles » ou
« Petit à petit des assis se répandirent dans la cour attenante jusqu'au cimetière »
(p. 48) :
[...] le terme employé par Kourouma n'est rien d'autre que le participe passé substantivé
de « asseoir ». Il s'agit, encore là, d'un transfert de sens sous la plume du romancier
africain [...]. Au vrai, en malinké, Vêtre couché n'est pas Vêtre assis ; l'être assis n'est pas
non plus Vêtre agenouillé et l'être agenouillé n'est pas encore Vêtre debout et l'être debout
n'est plus l'être couché : le même être, à travers ces différentes postures, reçoit un nom
précis d'une haute valeur descriptive... (p. 49)
91
En effet, dans la langue française, l'adjectivation du terme « assis » est fréquente, mais
sa substantivation ne l'est guère. Chez Kourouma, le contraire se produit et renvoie aux
usages de langue malinké. L'explication de Gassama vient, en ce sens, éclairer l'idée
d'une rencontre entre la langue française et le malinké, en même temps qu'elle permet
de confirmer l'hypothèse d'une influence du second sur la première. Il ne suffit pas, en
effet, de l'affirmer. Noumssi et Wamba avaient dit, eux, au sujet de cet exemple de
substantivation du terme « assis », qu'il permet « de créer la vivacité dans la narration
romanesque48 ». Ils attendaient du lecteur qu'il les croit sur parole.
Le lecteur est troublé et c'est pourquoi nous osons parler d'images kaléidoscopiques : le
même terme ou la même expression se charge de plusieurs images que nous voyons
s'agiter l'une après l'autre ; pour charger le mot ou l'expression, Ahmadou Kourouma
puise à la fois dans les ressources que lui offrent la langue et la culture française, la langue
et la culture africaines, et parvient ainsi à provoquer un effet de style qui ne pourrait être
provoqué autrement. Le mot, ainsi chargé à bloc, parfois surchargé, devient images et
exprime plus qu'il ne saurait le faire en français ou en malinké. (p. 97)
Suivant l'idée d'une rencontre des cultures, Gassama fait la démonstration d'une
langue française vivante et plurielle. On peut, parfois, avoir l'impression que certaines
de ses considérations (sur la physique quantique ou sur la récurrence thématique de
F « indécence » dans la littérature malinké) s'éloignent de sa problématique de départ,
mais elles sont souvent recadrées par l'argumentation qui en atteste la pertinence. On va
ainsi du texte à son contexte, toujours via les mots de Kourouma, explorant avec
curiosité la dynamique de cet univers langagier. L'intérêt de l'étude réalisée par
Gassama réside, certainement, dans la mise en perspective globalisante qu'elle réussit
48
Gérard Marie Noumssi et Rodolphine Sylvie Wamba, « Créativité esthétique et enrichissement du
français », art. cit., p. 31.
92
de l'œuvre. Elle donne par là la pleine mesure des innovations de Kourouma relatives à
la langue française et au style, et évite de souscrire à l'idée d'une esthétique exotique.
49
Ibid.,p.28.
50
Ibid.,p. 35.
51
Id
Makhily Gassama, La langue d'Ahmadou Kourouma ou \e français sous le soleil d'Afrique, op. cit., p.
68.
53
Gérard Marie Noumssi et Rodolphine Sylvie Wamba, « Créativité esthétique et enrichissement du
français dans la prose romanesque d'Ahmadou Kourouma », art. cit., p. 36.
54
Julie Emeto-Agbasière, dans « Le proverbe dans le roman africain » (art. cit.), considère, en effet, le
proverbe comme une marque de l'oralité du texte (p. 27).
93
55
Pierre Bourdieu, Les règles de l'art, op. cit., p. 384.
56
/&</., p . 3 8 5 .
57
Ibid.,p. 373.
58
Ibid., p. 425.
59
Ibid., p . 387.
94
60
Julie Emeto-Agbasière, « Le proverbe dans le roman africain », art. cit., p . 4 0 , et Gérard Marie
Noumssi et Rodolphine Sylvie Wamba, « Créativité esthétique et enrichissement du français dans la
prose romanesque d ' A h m a d o u Kourouma », art. cit., p . 4 8 .
61
Gérard Marie Noumssi et Rodolphine Sylvie Wamba, « Créativité esthétique et enrichissement du
français dans la prose romanesque d'Ahmadou Kourouma », art. cit., p. 33, 3 5 .
62
Ibid.,p. 48.
63
Isaac Bazié, « Écritures de violence et contraintes de la réception : Allah n'est pas obligé dans les
critiques française et québécoise », art. cit., p. 94.
95
[...] tout l'intérêt de l'œuvre de Kourouma [...] réside dans cette pratique de ce qu'on
pourrait appeler une esthétique de l'ambivalence, ambivalence prend ici une valeur
positive qui peut s'expliquer en renvoyant à l'usage que fait Bakhtine de ce terme lorsqu'il
étudie les principes du carnaval du moyen âge européen et leur transposition dans le champ
romanesque. Bakhtine nous rappelle que le monde du carnaval est un monde profondément
ambi-valent dans la mesure où il fait co-exister deux conceptions du monde, celle du
monde officiel, de l'ordre établi qui valorise la stabilité, la permanence du statu quo, et
celle du carnaval qui valorise, au contraire, le devenir et le renouveau. Ce qui se produit au
moment du carnaval, selon Bakhtine, c'est que la logique carnavalesque englobe en
quelque sorte la conception du monde officielle ; elle s'empare de ses symboles, les
inverse, les renverse, les transpose du sérieux dans le comique et aboutit ainsi à relativiser
tout ce qui relève de l'ordre établi.64
64
Christiane Ndiaye, « Sony Labou Tansi et Kourouma : le refus du silence », Présence francophone,
n°41, 1992, p. 34.
CONCLUSION
Nous avons visé deux objectifs en entreprenant cette recherche sur « L'œuvre
romanesque d'Ahmadou Kourouma et sa critique ». D'une part, nous avons voulu
montrer les plis argumentatifs du discours critique et les lieux communs de cette
parole prenant les productions littéraires de l'Afrique pour objet d'étude. D'autre part,
en attirant l'attention sur ce que Genette désigne « l'aspect singulier, artificiel et
problématique de l'acte narratif1 », nous avons souhaité proposer une autre lecture des
romans et insister sur la complexité du dire kouroumien. Dans cette aventure
dialectique, nous ne prétendons pas avoir nous-même échappé au piège du Même,
puisque s'insérer dans un lieu ou dans un autre du discours fait partie du «jeu de
l'exégèse2 ».
1
Gérard Genette, « Frontières du récit », Roland Barthes et al., Communications 8. L'analyse
structurale du récit, Paris, Seuil, 1981, p. 158.
2
L'expression est de Erich Auerbach, Mimesis, Paris, Gallimard, 1968, p. 552.
3
Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture, Paris, Gonthier, 1971 cl953 et 1964, p. 76.
97
4
Emmanuel Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future (traduction de Louis Guillermit), Paris,
Vrin, 1986, p. 73.
La première constante, dont est tributaire la critique kouroumienne, est la
prétendue homogénéité, ou uniformité, des textes. Le discours critique présuppose
l'existence de caractéristiques communes dans le rapport à la langue des écrivains
francophones et concourt ainsi à gommer la pluralité des parcours (et, partant, des
problématiques d'écriture) en en retenant que le plus petit commun dénominateur, soit
la situation géographique du continent africain. L'inscription de l'écrivain au sein de
ce lieu sur-déterminant donne à voir l'Afrique comme un espace de la fatalité dont
l'homogénéité des conditions sociales de production créerait une forme de discours-
type, d'inspiration commune et collective. Pourtant, le parcours5 de Kourouma est
atypique : absence de formation littéraire, carrière dans le domaine des assurances,
longs séjours à l'étranger, participation à la guerre d'Indochine, appartenance à
l'aristocratie malinké dont le pouvoir a été érodé par les indépendances. Tous ces
éléments sont à prendre en considération, si l'on veut analyser la démarche artistique
de l'écrivain, son rapport à la langue, à l'histoire de la colonisation. Retracer les
particularités de cette trajectoire c'est, en quelque sorte, concevoir les dispositions à
partir desquelles s'est créé le « réalisme » des romans. Or, précisément, le « réalisme »
de Kourouma n'est pas la réalité africaine, mais une mise en scène fantasmée d'une
perception du réel.
Kourouma, d'origine malinké, est né en 1927, dans le Nord de la Côte d'Ivoire, II y est élevé par un
oncle jusqu'à son départ pour Bamako, où il est inscrit à l'École technique Supérieure. Accusé de
mener des révoltes estudiantines, il est expulsé du pays et forcé de s'enrôler comme tirailleur
sénégalais. De 1950 à 1954, il servira l'armée française en Indochine, avant de rentrer en France, à
Lyon, pour reprendre ses études de mathématiques. En 1960, juste après l'indépendance de la Côte
d'Ivoire, Kourouma retourne dans son pays natal, mais se trouve impliqué dans un « faux complot >>
à l'endroit du régime d'Houpouët-Boigny. Il est emprisonné, ainsi que plusieurs de ses amis, et
échappe de justesse à la torture en raison de son mariage à une Française. L'exil marquera le reste de
sa vie, passant de l'Algérie au Cameroun, du Togo à la France. Il meurt en décembre 2003, à
l'hôpital cardiologique de Lyon.
99
6
Présence francophone (2004), « Chaos, absurdité, folie dans le roman africain et antillais
contemporain. Variations autour du réalisme et de l'engagement », n° 63 (numéro dirigé par Justin
Bisanswa et Isaac Bazié).
7
Emile Langlois, « Les soleils des indépendances, roman de la stérilité ? », Présence francophone
(printemps 1974), n° 8, p. 100.
8
Margaret Colvin, « La profanation du sacré : l'inscription du tragique dans deux romans d'Ahmadou
Kourouma », Études francophones (2000), vol. XV, n°2, p. 45.
9
Virginie Affoué Kouassi, « Des femmes chez Ahmadou Kourouma », Notre Librairie (2004),
n° 155-156, p. 51.
100
10
François Paré, Les littératures de l'exiguïté, Hearst (Ontario), Nordir, 1992.
" Lise Gauvin, L'écrivain francophone à la croisée des langues, Paris, Karthala, 1997.
12
Justin Bisanswa, dans «L'aventure du discours critique», Présence francophone (2003), n° 61,
p. 12-13, fait état de ce « culte exacerbé de la différence aidfant] à comprendre que, depuis le début,
et cela dans presque tous les domaines, l'Afrique a été perçue non pas comme continent, en tant
qu'unité de géographie physique, mais comme notion politique, culturelle, c'est-à-dire en tant
qu'unité historique fondée [...] sur les concepts du savoir occidental» et qu'en conséquence « la
littérature africaine [...] est d'abord liée à la notion de race ».
101
et, du coup, éludant les interrogations fondamentales soulevées par la création même
de cette nomenclature. Le risque encouru par la critique en ne retraçant pas toujours le
lieu archéologique13 de sa terminologie est de réutiliser et d'intérioriser les implicites,
souvent « franco-centristes » de ces formulations, sans prendre conscience ni de leur
connotation idéologique, ni de leur fonction qui, dans l'économie du champ littéraire,
ne se réduit pas à un classement objectif, mais assure ou engendre une certaine forme
de périphérisation et de minoration linguistique. La critique, à la suite de ses analyses
des textes de Kourouma, hésite à étendre ou à relier ses conclusions aux questions
générales de la littérature, préférant le plus souvent conclure en boucle sur la
problématique de l'identité africaine. Il existe donc un paradoxe, relatif à cette forme
de discours critique, qui consiste à prétendre nommer la spécificité de la littérature
francophone africaine à l'aide d'outils critiques issus de l'Occident tout en disant que
cela leur est spécifique. N'y aurait-il pas là une inversion des prémisses ?
13
Selon l'entendement proposé par Michel Foucault, L'archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.
102
14
Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 65.
103
représentation de la chose. Barthes abonde dans le même sens lorsqu'il parle, dans sa
Leçon, de la littérature comme d'une « tricherie salutaire » : « Cette tricherie salutaire,
cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d'entendre la langue hors-pouvoir,
dans la splendeur d'une révolution permanente du langage, je l'appelle pour ma part :
littérature15 ».
On remarque, en effet, que, sur un corpus critique balayant un peu plus d'une
trentaine d'années se dégagent des isotopies du discours. La prospérité de certaines
formules (« la sauvegarde de la tradition malinké », « l'oralisation de l'écriture »,
« l'authenticité nègre du récit ») peut s'expliquer, entre autres, par le fait qu'elles
trouvent souvent relais dans la parole de l'écrivain qui, lui aussi, insiste sur
15
Roland Barthes, Leçon, Seuil, 1978, p. 10.
104
l'importance du contexte de l'œuvre. Ces idées trouvent ainsi une légitimité implicite
dans la « figure charismatique de l'écrivain16 ».
16
Kourouma, en effet, a accordé de nombreuses entrevues à différents médias (journaux, revues
littéraires, magazines, radio, conférences dans les universités, etc.) dans lesquelles certaines
affirmations reviennent de façon systématique: écrire par nécessité, désir de « malinkiser » le
français, vérité des événements racontés dans les romans, etc. Voir, entre autres, les entretiens
suivants : Aliette Amiel, « Ahmadou Kourouma : Je suis toujours un opposant », Magazine littéraire
(septembre 2000), n° 390, p. 98-102, Catherine Argand, et Daniel Bermond, « Le métissage
renouvelle le roman français », Lire (septembre 2000), n° 288, p. 28-34 ou Yves Chemla, « Entretien
avec Ahmadou Kourouma», Notre librairie (1999), n° 136, p. 26-29 (autres références en
bibliographie).
17
II est particulièrement intéressant de constater l'évolution du langage à travers les quatre romans. Le
fait que l'on passe d'une exploration intensive des possibilités de la langue française, dans Les
soleils et dans Monnè (quoique déjà sur un mode mineur), à un langage beaucoup plus près de la
« norme », avec En attendant, puis à l'emploi d'un langage « dégradé » (littéralement sans grade)
mimant la dépravation des mœurs et qui ne souscrit plus positivement à l'idée d'une refonte
romanesque du langage, pose question. La modification du rapport à la langue laisse présumer une
réorientation du projet romanesque, et, partant, devrait encourager la critique à remettre en question
les a priori sur la langue et sur le matériau historique qu'elle applique souvent de manière
indifférenciée aux quatre romans.
18
Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982.
105
Il ne s'agit pas, inversement, de céder à une autre utopie qui est celle d'une
autonomie totale de l'œuvre littéraire et d'une référentialité strictement intratextuelle
(ou, à la limite, intertextuelle). L'objectif de ce mémoire était plutôt, à ce titre, de
parvenir à re-faire voir le caractère dialectique de l'œuvre littéraire, tel que l'entendait
Jauss, notamment :
19
Roland Barhtes, Critique et vérité, Paris, Seuil, 1966, p. 42.
106
L'œuvre littéraire n'est pas un objet existant en soi et qui présenterait en tout temps à tout
observateur la même apparence ; un monument qui révélerait à l'observateur passif son
essence intemporelle. Elle est bien plutôt faite, comme une partition, pour éveiller à
chaque lecture une résonance nouvelle qui arrache le texte à la matérialité des mots et
actualise son existence20.
20
Hans Robert Jauss, Esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, p . 4 7 .
21
Jean Bellemin-Noël, Le texte et l'avant-texte, op. cit., p . 16.
22
Milan Kundera, Le rideau, Paris, Gallimard, 2005, p. 66.
' Maurice Blanchot, L'écriture du désastre, op. cit., p. 72.
107
24
Justin Bisanswa, « L'aventure du discours critique », Présence francophone (2003), n° 61, p. 11-33.
25
La Rochefoucauld, Maximes, Paris, G F (texte établi par Jacques Truchet), 1977 (1665), p. 58.
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
1. CORPUS DE BASE
1.2.1 Monographies
1.2.2 Articles
1.2.3 Entretiens
2. AUTRES OUVRAGES
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