Ce document décrit une allégorie de la caverne moderne où des êtres humains vivent dans une caverne et ne voient que des ombres projetées sur un écran. Il présente les différentes doctrines philosophiques développées par les habitants de la caverne à propos de la nature des ombres et des lumières.
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Ce document décrit une allégorie de la caverne moderne où des êtres humains vivent dans une caverne et ne voient que des ombres projetées sur un écran. Il présente les différentes doctrines philosophiques développées par les habitants de la caverne à propos de la nature des ombres et des lumières.
Ce document décrit une allégorie de la caverne moderne où des êtres humains vivent dans une caverne et ne voient que des ombres projetées sur un écran. Il présente les différentes doctrines philosophiques développées par les habitants de la caverne à propos de la nature des ombres et des lumières.
Ce document décrit une allégorie de la caverne moderne où des êtres humains vivent dans une caverne et ne voient que des ombres projetées sur un écran. Il présente les différentes doctrines philosophiques développées par les habitants de la caverne à propos de la nature des ombres et des lumières.
UNE AUTRE ALLEGORIE DE LA CAVERNE, ENTRE y a se réduit aux ombres. Leurs arguments sont OMBRES ET LUMIERES puissants, et ils les tiennent pour décisifs. Presque toutes les ombres sont gouvernées par un cadre Michel BITBOL légal indépendant des goûts ou des désirs des expérimentateurs. Cela prouve, soulignent-ils, Directeur de qu’elles
sont
des
réalités
autonomes existant en soi Recherches CNRS dans la nature. En vertu de ce lien profond qui Archives Husserl, existe entre leur doctrine et la science nouvelle, les CNRS/ENS, 45, rue monistes ombristes se renomment de plus en plus d’Ulm,
75005
Paris. souvent des monistes skiacinétistes (ou simplement skiacinétistes).
L’un
des
principaux
avantages
qu’ils
voient à leur affirmation doctrinale résulte de ce Figurez-vous à nouveau des êtres humains dans lien : contrairement au vieux et stérile une demeure souterraine creusée comme une manichéisme, le monisme skiacinétiste est porté caverne. Ils sont là depuis leur petite enfance, le par le progrès, sans doute illimité, de la science corps
pris
dans
des
chaînes,
en
sorte
qu’ils
peuvent
d’où
dérive
son
nom.
Fiers
de
défendre
une thèse à peine bouger et sont contraints de ne voir que épousant
la
modernité,
n’hésitant
plus
à
convertir
devant eux 2 . Figurez-vous également un écran un fait de connaissance en principe ontologique, ils blanc dépoli en face de leurs yeux, leur laissant déclarent que tout est skiacinétique (ce qui a quand seulement voir des formes projetées : celles de même une autre allure que de dire que tout est leurs
corps
et
celles
d’autres
corps
qu’on
peut
ombre). Par ailleurs, surenchérissent les ombristes situer
indifféremment
soit
de
l’autre
côté
de
l’écran
les
plus
proches
de
l’expérience
quotidienne,
soit
à
l’arrière
de
la
caverne.
D’eux-mêmes et de lorsque la lumière baisse et disparaît durant les leurs
compagnons
d’infortune,
ils
ne
voient
que
nuits,
il
ne
reste
rien
d’autre
que
de
l’ombre.
leurs propres ombres, ce qui leur laisse croire que L’ombre
est
donc
la
substance
authentique
de
les voix comme les bruits sont émis par ces toutes choses, et les ombres, seuls étants du ombres. Ils entretiennent une tradition monde, sont faites de cette étoffe. À côté de cela, les métaphysique immémoriale en accord avec ce qui lumières ne sauraient être que des propriétés leur
est
donné
à
voir,
et
elle
a
l’allure
d’une
dérivées cycliquement des choses ombrées (durant doctrine manichéenne expurgée de sa connotation des périodes qualifiées de « diurnes »), leur morale. Selon cette ancienne sagesse,
il
n’existe
que
permettant de se rendre manifestes par effet de deux choses au monde, les ombres et les lumières contraste. La science skiacinétique, concluent-ils qui les entourent. avec assurance, découvrira certainement un jour Mais les habitants de la caverne ont récemment comment les lumières sont produites par les ombres. élaboré une science (la skiacinétique3), en forgeant Ne met-elle pas déjà en évidence une corrélation des hypothèses à propos du déplacement des étonnante, aussi étroite que celle du creux et du ombres et en les testant sur
l’écran
où
elles
se
plein, du concave et du convexe, entre les plages manifestent. Le mouvement de la plupart des d’ombres
et
les
plages
de
lumière
sur
l’écran ? Et la ombres visibles obéit à des lois permanentes. corrélation
n’est-elle pas un signe indirect de la Seules certaines ombres semblent échapper en dépendance
ontologique
de
la
classe
d’entités
partie à ces lois ; ce sont celles (appelées « nos « lumières » vis-à-vis
de
la
classe
d’entités
corps » par les hommes de la caverne) dont les « ombres » ?
Il
est
vrai
qu’on
constate une immense changements sont associés à des actes volontaires. disparité
d’apparence
entre
les
ombres
et
les
Se prévalant de cette science, un groupe de lumières, et que cela rend à première vue peu philosophes de la caverne a répandu une nouvelle crédible
que
la
lumière
ne
soit
qu’une
figure
de
doctrine : le monisme ombriste, ou simplement l’ombre.
Mais
la
solution
à
cette
énigme
est
à
portée de la main. Les mouvements inattendus de certaines
grandes
ombres
n’émergent-ils pas de 2 Ces premières phrases sont une paraphrase l’interaction
skiacinétique
de
réseaux
d’ombres
étroite
de
l’allégorie
platonicienne
de
la
caverne.
élémentaires ? Par simple extrapolation, il est très Voir G. Droz, Les mythes platoniciens, Seuil, 1992, p. vraisemblable que la lumière (plus inattendue 88. Platon, La République, VII, 514a. Voir également encore, au regard de la qualité ombrée) soit une R. Casati, La
découverte
de
l’ombre,
Livre de poche, propriété émergente des systèmes complexes 2003 3 Néologisme forgé à partir des mots grecs d’ombres.
Il
n’est
pas
jusqu’au
comportement
non- standard, téléologique plutôt que causal, des signifiant respectivement « ombre » et ombres singulières dénommées « nos corps », qui « mouvement » ________________ 6 Chroniques phénoménologiques, janvier 2016, n° 1 ne pourra être réduit dans le futur à des processus les formes obscures appelées les ombres, ils évitent purement skiacinétiques. tout autant de se laisser fasciner par les zones Mais le débat philosophique de la société lumineuses qui entourent ces ombres. Or, ayant cavernicole ne se borne pas à un bras de fer entre mené à son terme cette opération de mise en manichéens et monistes ombristes. Une autre suspens des crispations ou des rétrécissements thèse, presque aussi vénérable que celle des attentionnels, ayant élargi leur regard pour le manichéens,
resurgit
parfois,
quoiqu’elle
reste
rendre
englobant,
ce
qu’ils
voient
n’est
autre
que
…
largement honnie :
il
s’agit
de
l’illuminisme, ou lumière.
À
l’examen soigneux et universel, délivré anombrisme,
suivant
lequel
tout
ce
qu’il y a est la des
concentrations
exclusives
sur
l’un
ou
l’autre
lumière.
L’argument
principal
des
rares
membres
des termes de la dualité manichéenne, ils de la secte illuministe est que, sans les lumières, il s’aperçoivent
que
si
les
régions
claires
sont
n’y
aurait
rien,
pas
même
des ombres ; car après évidemment lumineuses, les zones sombres le sont tout,
on
ne
doit
pas
confondre
l’ombre
absolue qui aussi,
quoiqu’à
un
degré
bien
moindre. La lumière s’étend
la
nuit,
simple
éclipse
provisoire
de
l’être,
est partout ; par le biais de ses modulations de et les ombres qui sont des formes découpées par brillance, de son oscillation entre présence et l’action
des
vastes
plages
de
lumière
qui
les
absence, elle est la condition de possibilité de toute entourent.
Ce
qui
rend
l’illuminisme
peu
populaire
vision
et
de
tout
contraste.
Il
n’en
faut
pas
plus
est que, tant
qu’on
a
seulement
accès
à
ce
qui se pour conforter les monistes ombristes (devenus manifeste
sur
l’écran, on ne voit pas comment ombrageux)
dans
leur
suspicion
initiale.
C’est
expliquer la genèse des ombres à partir des incontestablement
là
une
variété
d’illuminisme ! lumières, et encore moins des lois rigoureuses de Les photologues ont leur réplique toute prête, mais leur mouvement à partir de la simple qualité celle-ci reste quasiment inaudible dans un univers lumineuse. Il est vrai que les manichéens sont pour de pensée pré-fabriqué par le manichéisme. Nous leur part confrontés à un autre défi au moins aussi avons
vu
que
jamais
les
photologues
n’ont
sérieux : celui de rendre raison de la prétendu comme les illuministes que tout ce qui communication entre leurs deux substances, et existe, ce sont les plages claires en tant d’expliquer
ainsi
le
surprenant
emboîtement,
la
qu’opposées
aux
plages
sombres.
Pas
plus
n’ont-ils coïncidence constante entre les contours des été tentés de rejoindre les monistes ombristes dans plages
de
lumière
et
des
plages
d’ombre.
Mais au leur proclamation
d’existence
des
seules
plages
moins ont-ils
pour
eux
l’évidence
rassurante
de
ce
sombres
en
tant
qu’opposées
aux
plages
claires.
qui
se
voit,
le
bon
sens
de
qui
sait
s’en
contenter,
et
Lorsqu’ils
parlent
de
la
lumière,
les
photologues
la
proposition
exaltante
de
l’harmonie
préétablie.
Il
n’entendent
pas
l’un
des
deux
versants
de
la
est vrai aussi que les monistes ombristes sont grande opposition qui sous-tend
l’antique
tradition
embarrassés pour imaginer à quoi pourrait bien philosophique de la caverne. La lumière, pour eux, ressembler une explication des lumières à partir n’est
pas
seulement
l’éclat
des
zones
claires ; elle des ombres. Mais au moins ont-ils
pour
eux
l’avenir est la précondition universelle du sombre comme de la skiacinétique, gros de solutions à présent du clair dans leur disparité ; elle est ce qui nimbe inconcevables,
et
l’assurance
tranquille
de
ceux
qui
l’apparaître
entier
et
en
définit
les
tracés
par
ses
sont
portés
par
le
vent
de
l’histoire,
le
prestige de variations de puissance. la
nouveauté,
et
le
gage
de
l’efficacité. Si certains penseurs, sans doute ombristes, La controverse se serait arrêtée là, elle en serait persistaient dans leurs réticences à cause du restée
à
l’impasse
d’un
triple
déficit
d’explication,
penchant verbal des
photologues
pour
l’un
des
si
d’autres
penseurs
assez
singuliers
du
peuple
de
deux versants de la grande bifurcation de la la caverne ne venaient en troubler les lignes de caverne, ces derniers seraient en droit de souligner partage et suggérer une issue. Ces philosophes qu’à
ce
degré
d’authentique non-dualité, le mot non-standard
s’appellent
eux-mêmes les choisi
n’a
plus
d’importance.
Ce
qui
compte
est
photologues. Leur dénomination seule aurait de seulement de supposer un champ indivisible quoi les rendre suspects aux yeux des ombristes. d’intensité
variable,
dont
la
dénomination
comme
N’est-elle pas dérivée du mot grec qui désigne la ombre
ou
lumière
est
indifférente,
puisqu’il
y
a
lumière ?
N’évoque-t-elle pas dangereusement la complète réversibilité entre la plus grande doctrine
stérile
et
marginale
qu’est
intensité lumineuse et la moindre intensité l’« illuminisme » ? Regardons-y de plus près. Les d’ombre.
Et
si
d’autres
penseurs
agitaient
le
photologues
évitent
d’affirmer
ouvertement
que
spectre
de
régressions
à
l’infini,
en
demandant
l’être
se
confond
avec
les
lumières,
que
les
lumières
qu’est-ce qui éclaire la lumière pour la rendre sont
l’être,
contrairement
à
leurs
collègues visible,
autrement
dit
qu’est-ce qui préconditionne illuministes. Ils se bornent à regarder partout la précondition du manifeste, les photologues ne attentivement
et
à
décrire
ce
qu’ils
perçoivent.
S’ils
seraient pas en peine de réplique. Ils seraient en suspendent
la
focalisation
étroite
de
l’attention
sur
droit
de
dénoncer
une
confusion
(la
lumière
n’est
________________ 7 Chroniques phénoménologiques, janvier 2016, n° 1 pas une chose à éclairer, mais claire de soi-même), invisibles dont la danse visible qui se voit sur ou
d’en
appeler
plus
formellement
à
leur
clause
l’écran
n’est
peut-être
que
l’efflorescence.
d’arrêt : « Là prennent fin les questions et Notons que le métaphysicien est parvenu à sa réponses,
car
c’est
de
cette
précondition
qu’il
faut conclusion novatrice sans jamais avoir eu accès à de toutes façons partir pour toute enquête, y ce
qui
se
déroule
de
l’autre
côté
de
l’écran
dépoli,
compris sur elle-même »4. ou
à
l’arrière
de
la
caverne,
contrairement
aux
L’enchevêtrement
des
problèmes
qui
déchirent
le
personnages
de
l’allégorie
de
Platon.
On
pourrait
milieu philosophique cavernicole se trouve à partir ne supposer aucun
revers
d’écran,
aucun
arrière- de là subtilement
dissout.
Les
photologues
n’ont
monde. On pourrait en particulier éviter pas à expliquer la parfaite coïncidence des (contrairement à ce que nous avons commencé par contours clairs et sombres par quelque faire)
de
s’identifier
à
un
démiurge
occupant
« communication des (deux) substances », car ces quelque position de survol réputée le rendre plus contours ne sont que les lignes de transition entre clairvoyant que les habitants de la caverne. Et cela régions de forte et de faible luminosité.
Ils
n’ont
n’aurait
pas
d’importance,
car,
mieux
que
l’arrière- pas
davantage
à
expliquer
l’origine
des
ombres
monde
et
ses
survols,
il
y
a
l’ici-monde et son vécu dans les lumières, ou des lumières dans les ombres, qui tracent une voie de transcendance plus puisque ni les plages lumineuses ni les plages vertigineuse
que
toute
entreprise
spéculative.
C’est
d’ombre
n’ont
d’existence
intrinsèque
pouvant
ce
qu’on
pourrait
appeler
la
transcendance intime, justifier
qu’on
leur
prête
un
statut
d’« origine ». La qui excède la surface de la représentation et ses lumière (ou la nappe unique du champ indivisible) contours visibles par la richesse latente de son se
contente
d’être
présente
à
divers
degrés
déploiement là plutôt que par un élan vers des d’intensité,
et
les
clartés
et
les
ombres
sont
le
nom
trésors là-bas. que donnent les hommes de la caverne à ses zones de plus ou moins grand éclat. Les ressemblances (partielles) avec le débat Mais
ce
n’est
pas
tout
à
fait
la
fin
de
l’histoire.
En
métaphysique
sur
la
conscience
n’ont
rien
d’une
pure
élargissant leur champ attentionnel, les coïncidence. photologues
ne
se
sont
pas
rendus
réceptifs
qu’à
la
pure
lumière.
Relaxant
l’exclusive
focalisation
visuelle
sur
l’écran,
qu’encouragent
leur
culture
et
leur système éducatif, ils ont découvert un champ neuf
d’impressions
qu’ils
appellent
l’« auto- sensibilité », ou la « vie ». Des sensations viscérales, kinesthésiques, parfois corrélées au mouvement de l’ombre
désignée
comme
« leur corps », virevoltent au
centre
invisible
d’eux-mêmes
lorsqu’ils
se
mettent dans cette disposition. Certaines composantes
d’auto-sensibilité se manifestent spécifiquement lors des délibérations destinées à prendre une décision difficile. Les photologues devinent à partir de là que le monde apparaissant est plus profond et radical que celui qui se laisse voir
sur
l’écran,
plus
indompté
que
celui
que
gouvernent les lois de la skiacinétique. Un métaphysicien inspiré par la photologie, mais souhaitant
l’étendre
sur
un
mode
spéculatif,
souligne la connexion de cette réalité élargie avec les
processus
de
délibération.
Il
l’appelle
pour
cette
raison « la Volonté », et la situe en-deçà de la représentation des ombres et des clartés sur l’écran.
Il
rédige
en
ce
moment
un
fort
volume
intitulé « La grotte comme volonté et comme représentation », où il signale que la caverne- monde
est
un
lieu
qui
s’habite
plutôt
qu’il
ne
se
contemple, une demeure qui recèle des entrailles
4 Il
s’agit
là
d’une
quasi-paraphrase de Kant,
Prolégomènes à toute métaphysique future, Vrin, 1968, p. 94 ________________ 8 Chroniques phénoménologiques, janvier 2016, n° 1