Schlumberger-1964-Une Nouvelle Inscription Grecque D'açoka
Schlumberger-1964-Une Nouvelle Inscription Grecque D'açoka
Schlumberger-1964-Une Nouvelle Inscription Grecque D'açoka
Schlumberger Daniel. Une nouvelle inscription grecque d'Açoka. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 108ᵉ année, N. 1, 1964. pp. 126-140 ;
doi : https://doi.org/10.3406/crai.1964.11695
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1964_num_108_1_11695
COMMUNICATION
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE D'AÇOKA,
PAR M. DANIEL SCHLUMRERGER, MEMBRE DE L? ACADÉMIE.
« On aimerait savoir », écrivait en 1952 le R.P. Festugière,
« comment traduire en grec certains passages des édits d'Açoka »3.
Il pouvait paraître alors assez peu probable que ce vœu fût jamais
exaucé. Or il l'a été très rapidement. Beaucoup d'entre vous se
souviennent, je pense, de l'annonce mémorable que M. Louis Robert
vous fit ici, le 20 juin 1958 : près de Kandahar, en Afghanistan,
venait d'apparaître, sur une paroi de rocher, une version grecque,
claire et complète, et suivie d'une version araméenne, de l'une des
pieuses proclamations d'Açoka4.
Cette grande découverte se trouve aujourd'hui suivie d'une autre,
faite au même endroit. Le vœu du P. Festugière est exaucé pour la
seconde fois.
Rappelons ici ce que sont les inscriptions d'Açoka5, rappelons
leur importance hors de pair. D'un grand roi qui n'était connu que
par des textes plus récents et de valeur très incertaine, où il ne nous
apparaissait qu'à travers la brume de pieuses légendes, ces inscrip-
1. Cf. Hucher, L'art gaulois ou les Gaulois d'après leurs médailles, Paris, 1908, pi. 1, 2 ;
8, 2 ; 9, 1 ; 14, 1 et 2, etc.
2. Cf. Léopold Quintard, Le cimetière franc du Champ des Tombes à Pompey (Meurthe-
et-Moselle), in Mém. de la Soc. d'archéol. lorraine, 1878, pi. II, 9.
3. A. J. Festugière, Les inscriptions d'Asoka et l'idéal du roi hellénistique, dans
Recherches de Sciences Religieuses, XXXIX-XL, 1951-1952 (= Mélanges Jules Lebreton),
p. 33, n. 8.
4. CRAI, 1958, p. 189. Publication de l'inscription par D. Schlumberger, L. Robert,
A. Dupont-Sommer, E. Benveniste dans Journal Asiatique, 1958, p. 1-48.
5. Bornons-nous à renvoyer à Jules Bloch, Les inscriptions d'Asoka, traduites et
commentées (Collect. Emile Senart, Paris, Les Belles Lettres, 1950).
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE d'AÇORA 127
Dans l'Inde les textes d'Açoka sont rédigés dans des idiomes
moyen-indiens, tous proches parents les uns des autres, et qui sont
les langues locales des diverses régions où ces textes sont affichés.
Or ces textes, si clairs qu'ils soient dans leurs lignes générales et
dans leur intention, ne laissent pas de poser de très difficiles
problèmes d'interprétation ; et de cela même le non-indianiste peut se
rendre compte, à lire simplement les traductions divergentes qui
sont proposées de certains passages et les commentaires qui en sont
faits. C'est pourquoi l'apparition de textes d'Açoka en langues
non indiennes a vraiment introduit, me semble-t-il, une ère nouvelle
de l'exégèse4.
On le vit en 1958 lorsqu'on apprit que le mot dhamma des versions
indiennes, toujours traduit en langues européennes par loi, avait
pour équivalent araméen un mot que M. Dupont-Sommer traduit
par vérité, et pour équivalent grec le mot evoépeia, que l'on ne peut
traduire que par piété. La nouvelle inscription apporte, comme
vous allez le voir, des surprises du même ordre.
Comme l'inscription trouvée en 1958, comme la majorité des
inscriptions açokéennes en prakrit, l'inscription trouvée cette année
ne contient rien qui paraisse clairement et spécifiquement
bouddhique.
Cependant il y a entre l'inscription de 1958 et l'inscription de
1964 plusieurs différences.
Nous n'insisterons pas sur la première : l'inscription de 1958 était
une bilingue, celle de 1964 est en grec seulement. Car cette difîé-
1. Sur la pierre la fin du douzième édit est séparée du début du treizième par un
intervalle réservé par le graveur, et équivalent à l'espace de trois ou quatre lettres.
2. Shahbazgarhi, Mansehra, Kalsi et Gimar, J. Bloch, op. cit., p. 19-20.
3. A Dhauli et à Jagada, J. Bloch, op. cit., p. 21-22.
130 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
.ev]aépeia xai eyxodxeia xuxà Jtàaaç xàç Ôiaxoij3dç ' èyxoaxTiç ôè n&Xiaxd iaxw
ôç av yÀcôaTjç êyxoaxTiç fji. Kai-uVjxe éavTovç êîtai i ivwaiv, fiTjte xu>v TtÉAaç ipéycoaiv
Jteoi u/nÔEvoç • xevôy ydo èoxiv • xai jteioâoOai jmïaaov xoùç îtÉAaç éïtaiveiv xai
4 fiT) tyéyEtv xaxà Jidvxa xoon;ov. Taûxa ôè jroiowxeç éavxoùç ati|ovoi xai xoîiç .
néXaç àvaxxrôvxat * ïragafîaivovxeç Ôè xaûta, àx^ÀJeéoteçoi te yivovxai xai xotç
îtéaoç àjié^ôovTai. O"î ô'âv éauxoùç èjtaivtôaiv, toxjç ôè ^:éA,aç ipéytooiv qpi
ôuxîtQdTovtai, Povao^evoi Jtaçà xovç Àowtovç éyÀcifi^ai, reoAÙ ôè jiâÀAov
8 éavTovç . IlQéjtei ôè âk'kr\'kov<; Oavud^Eiv xai xà àÀAT|Ào)v ôiôdyftaTa n;aQaôéx8o6a[il.
Tavta ôè jtoioùvTeç KoXv\iaQéareçoi è'oovtai, îtaQaôiôôvteç cxàatjaoiç ooa
ëxaaroç avtrôv èrtioratai. Kai tolç tavca êitralcrxo'ûoi tairca \ir\ ôxveîv AÉyEiv ïva ôei-
ajxsîvcooiv ôià navxàç eïiaej3o'0vTeç. 'Oyôocoi ëtei PaoiÀeiiovToç Ilioôàaaou
12 xaté<TTQ(a)jtTai xr\v KaXiyyï\v. rHv ëÇ(ùyQr\\iéya xai è%t]y\iéva Èxei6ev a(o\uxxxov
lAVQiàôeç ôexaîiévxe xai àvaigéÔTioav âXÀai (iVQidôeç ôéxa xai a^eboy àXkoi xooov-
toi éxEÀevxTiaav. 'An' êxetvouxov xqovov ëkeoç xai otxxoç avxôv eAapev * xai (3açécoç îjveYxev
'
ôi'oî» xQÔnov èxÉAEuev dutéxeoBai xcôv êjiHnjxcov anovbr\v xe xai <ruvxa(<j)iv nenoir\xai
16 îtEpi evoEPeiaç. Kai xoûxo ëxi bva%eQécxeçov vnei\r)<pe 6 paoiAEvç* xai ôaot èxeI coïxow
PQajxevai f\ aga\ievai f) xai aAAoi xivèç oi neçi xî)v Evoépeiav ôiaxQi[3ovxeç, xoîjç éxeï oîxoû-
vxaç è'ôei xà xoù SaaiÀécoç <ru[Aq)éQovxa voeîv, xai ôiôdoxaÀov xai îtaxéça xai
èna.io%vv£oQai xai ôav^idÇeiv, cçiXovç xai êxaiçovg àya^âv xai \ù]
20 ôovaoiç xai ^laôcoxolç d>ç xouqpoxaxa XQàaOai, xovxcov exeï xcôv xotaîixa
(lévcov eî xiç xéôvtixev f[ e|fjxxai, xai xoûxo èji rtaQaôçofifji ol aoijioi Tjyeivxai, ô ôè
[P]aoiA8Ùç oqpoôça êjti xoûxoiç êôvaxÉQavEv. Kai ôxi év xalç Aowtolç ëOveoîv eloiv
Traduction.
« ... la piété et la maîtrise de soi dans toutes les écoles (de pensée).
Or est surtout maître de lui celui qui est maître de sa langue. Et
qu'ils ne se louent pas eux-mêmes ni ne dénigrent autrui sur aucun
sujet. Car cela est vain ; et il vaut mieux, de toutes manières,
s'efforcer de louer les autres et de ne pas les dénigrer. En agissant
ainsi ils se grandissent et se concilient les autres ; en transgressant
cela ils desservent leur réputation et s'attirent l'hostilité des autres.
Ceux qui se louent eux-mêmes et dénigrent les autres se conduisent
avec trop d'ardeur personnelle ; en voulant briller plus que les autres,
ils se nuisent bien plutôt à eux-mêmes. Il convient de se respecter
mutuellement, et d'accepter chacun les leçons des autres. En
agissant ainsi ils accroîtront leur savoir, en se transmettant
mutuellement ce que chacun d'eux sait. Et que l'on n'hésite pas à le dire à
ceux qui pratiquent cela, afin qu'ils persistent toujours dans la
piété ».
« Dans sa huitième année de règne Piodassès a conquis le Kalinga.
Cent cinquante mille personnes y ont été capturées et en ont été
déportées, et cent mille autres ont été tuées, et à peu près autant
sont mortes. Depuis ce temps-là la pitié et la compassion l'ont saisi ;
et cela lui a pesé. De la même manière qu'il ordonnait de s'abstenir
des êtres vivants il déploie zèle et effort pour la piété. Et ceci aussi
le roi l'a ressenti avec grand chagrin : les brahmanes et les sramanes
et les autres personnes se consacrant à la piété qui habitent là (au
Kalinga) (il fallait que ceux qui habitent là soient instruits des
intérêts du roi, et révèrent et respectent leur maître, leur père, leur mère,
et chérissent et ne trompent point leurs amis et compagnons, et
traitent avec le plus de douceur possible leurs esclaves et serviteurs)
si, parmi ceux qui, là, se comportaient de la sorte, certains
mouraient ou étaient déportés, cela même les autres le tenaient pour
secondaire ; mais le roi s'en afflige à l'extrême. Et comme chez les
autres peuples il y a... ».
des parois d'édifices, pour cette simple raison qu'on ne connaît pas
d'édifices d'Açoka en dehors des stupas dits d'Açoka1, lesquels sont
en brique, et dont le date açokéenne demanderait du reste à être
vérifiée dans chaque cas.
Açoka a fait édifier à Kandahar une construction en pierres de
taille, ou dont certaines parties tout au moins étaient en pierres de
taille : voilà ce que nous apprenons aujourd'hui. Quel genre de
construction ? Temple, stûpa, palais, rempart, ou simple
soutènement de quelque terrasse ou de quelque édifice utilitaire, nous ne
saurions le dire. Il serait d'un grand intérêt de le savoir.
Or on peut espérer que des restes de cette construction, et des
inscriptions qu'elle portait, subsistent encore sous les ruines de la
Vieille-Kandahar. Par une prospection attentive de ces ruines,
qu'elle se réserve d'entreprendre prochainement, la Délégation
Archéologique compte rechercher ces restes.
1. Sur les stupas dits d'Açoka, voir E. Lamotte, Histoire du bouddhisme indien (Lou-
vain, 1958), I, p. 344 s.
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE D'AÇOKA 135
encore dans la gravure des • Res Gestae Divi Saporis '. Ce nouveau
morceau des édits d'Açoka nous montre l'unité de la civilisation
grecque à l'époque hellénistique jusque dans les derniers confins ;
les inscriptions grecques de l'Arachosie ne sont touchées par aucun
phénomène de dégénérescence, d'isolement, de • barbarisation '.
L'orthographe offre quelques phénomènes que blâmerait un
professeur du grec classique : simplification de la géminée dans y^otiç
et ôtewtçobevtai, graphies <Jues à l'itaeisme dans Ô6*an«tv*»mv et f|yevv-
t(h. Ces graphies seront fréquentes dans le monde grec le plus
purement hellénique au 11e siècle ; elles apparaissent isolément, comme
dans notre texte, dès le me siècle ; ces prononciations remontent
fort haut dans le temps et l'action de l'école et du purisme ne peut
toujours empêcher qu'elles n'affleurent sporadiquement.
« Je suis frappé aussi par le caractère du texte au point de vue
du grec. J'avais insisté, pour le premier morceau, sur le fait que l'on
n'avait pas une traduction servile, un style de traduction, mais un
grec très normal, auquel correspondait une , présentation à la
grecque ' de la doctrine d'Açoka. Le vocabulaire tout entier est
emprunté à la tradition littéraire et spécialement celle des
philosophes et sophistes. J'avais souligné le caractère philosophique et,
notamment, pythagoricien d'une expression essentielle dans le
premier morceau, àno^i] t<ûv èntyti%<ov, dbté^eaôai tcôv ê}i/\|n5xa>v ; elle
reparaît ici. Je tiens le nouveau morceau, qui traduit ou qui résume
un texte indien, pour une rédaction dans le style philosophique grec.
M. D. Schlumberger a marqué l'intérêt du choix des mots ôiargi^aî,
• écoles philosophiques ', ô jtéXaç, oî jcékaç, là où le texte original
parle des ' sectes-'. Les brahmanes, dans toute la tradition grecque,
ont été des philosophes aux yeux des Grecs, des confrères pour les
philosophes.
« Toutes les notions, nombreuses, qui apparaissent dans le
nouveau morceau, sont exprimées par un terme technique du
vocabulaire philosophique et moral. L'étude approfondie du morceau
consistera, comme l'ont exprimé MM. D. Schlumberger et L. Renou,
à comparer minutieusement les phrases grecques aux originaux
indiens et, fait-on espérer, à éclairer même certains passages de
l'original par la nouvelle inscription. Mais il est une autre recherche
à pousser, et je la crois de première importance : mettre chaque
phrase et chaque expression dans l'ensemble du vocabulaire
philosophique grec, et d'abord platonicien, dans l'ensemble du
vocabulaire, si abondamment attesté, de ce ive siècle qui est le premier
siècle de la koinè pour la langue et le premier siècle du monde
hellénistique pour l'histoire. Déjà les souvenirs de lectures ou des
sondages dans l'admirable • Thésaurus ', toujours non remplacé,
fourniront un cadre aux comparaisons et aux réflexions.
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE D'AÇOKA 137
et dans les cités grecques en rapport avec les rois. De façon analogue,
le premier morceau avait fourni un autre mot très intéressant de
ce vocabulaire, evôï]veïv, l'abondance.
« Le style des morceaux grecs des édits d'Açoka n'est pas moins
intéressant et, à première vue, j'en distinguerais trois. J'avais
analysé celui du premier morceau ; c'était * le style xaî ', qui convenait
très bien à cette proclamation religieuse. Les lignes 1-11 de la
nouvelle inscription me paraissent être en bon style philosophique
courant, avec de nombreux ôè, un yàç et oî ô' ôv v.xk et toOto, jtoiowteç,
et nokv ôè nâUov et jtpéjtei ôè. Au contraire, je sens un autre rédacteur
dans les lignes 12 et suivantes, où d'ailleurs il ne s'agit plus
d'exhorter et de persuader, mais de raconter et de confesser. Tout est
abrupt et en asyndètes. Les premières phrases se succèdent sans
aucune copule ; aucun xal, aucun ôè ; il y en a quatre ainsi ; à la
ligne 16 seulement on tombe sur un xai toûto. L'allure générale de
cette partie aiderait d'ailleurs à accepter la coupe des phrases
suivantes, avec l'anacoluthe, et le tour : ôaoi èneî &movv..., tovccov
eï tiç Té8vT)xev, et, semble-t-il, avec une phrase en parenthèse à
l'intérieur de cette construction ; mais, je le répète, cela demande
examen.
« Ce morceau de littérature philosophique grecque, c'est au pied
de l'Hindoukouch que nous le lisons, et il traduit ou il transpose un
prêche du roi indien Açoka. Quelle rencontre de deux mondes !
Et chacun d'eux, je crois, s'y présentait, pour ainsi dire, en force.
C'était le monde indien. Qu'étaient donc ces Grecs de l'Arachosie
pour lesquels on jugeait nécessaire de rédiger une version grecque
de la doctrine consistant en ce qu'on appelait, pour ces Grecs, ' la
Piété ' ? Pour eux, on n'a plus gravé seulement une proclamation
générale de 14 lignes ; cette fois, on a gravé une série d'édits, ou
plutôt, comme l'a dit M. D. Schlumberger, la série des édits d'Açoka.
Cela confirme et renforce les considérations que j'avais déjà
développées sur la colonie grecque de l'Arachosie. Il ne faut peut-être
pas minimiser le nombre des colons. Il ne faut nullement exclure
que certains aient possédé des lots de colonisation, transmis de
père en fils, sans rupture sous les Maurya, ou de grands domaines
donnés autrefois à des officiers ; Doura-Europos et Suse sous les
Parthes nous peuvent fournir des parallèles. Même en supposant
cela, même en admettant une assez grande densité dans la ville
même, les Grecs formaient des noyaux dans un monde allogène.
Mais c'étaient des Grecs de qualité, de culture. Nous voyons l'œuvre
des secrétaires et des philosophes remueurs d'idées, placés dans
un monde différent. Ils sont en contact avec le monde grec, et non
un rameau détaché qui s'archaïse ou qui dégénère. La langue et
l'écriture le montrent, comme je l'avais dit. C'est eux qui ont ren-
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE D'AÇOKA 139
seigné Açoka sur le monde grec. « Jusqu'à 600 lieues, là où est le roi
Antiochos, et, plus loin qu'Antiochos, Ptolémée, Antigone, Magas
et Alexandre » ; là Açoka envoie ses missionnaires, d'après la fameuse
phrase de l'édit xm, peu après l'endroit où s'arrête notre fragment.
On le voit clairement maintenant, ces * philosophes ' grecs d'Ara-
chosie qui ont traduit la doctrine d'Açoka, ils ont été les
ambassadeurs tout trouvés du roi auprès des rois de l'Occident ; ils n'ont
pu manquer d'accompagner au moins et de guider, d'introduire et
de présenter les gens du pays qu'a pu envoyer Açoka ; ce sont eux
qui ont traduit et expliqué la doctrine du roi apôtre et missionnaire,
qui ont présenté les autres envoyés et discuté avec les ôiatQipcu de
leur pays d'origine, avec les écoles philosophiques de toutes tendances
de Séleucie du Tigre et d'Antioche, d'Alexandrie, de Cyrène et de
Pella. Les deux inscriptions grecques de Kandahar jettent de la
lumière sur ces fameuses ambassades d'Açoka ; ce n'est plus comme
un détail aberrant et comme une parade vaine et fantaisiste d'un
monarque exotique ; on saisit le lien entre l'Inde et les philosophes
des cours de Pella, Cyrène et ailleurs, les intermédiaires, les moyens
d'exposer, de discuter et de se comprendre.
« Les ' philosophes ' grecs d'Arachosie, les gens du pays à qui ils
ont enseigné le grec et leurs doctrines — car, dans toute colonie
grecque, il y eut attraction d'indigènes qui s'hellénisent — , n'ont
pas été les seuls ' intellectuels ' de la colonie. Il y avait
nécessairement la gamme des littérateurs, depuis le maître d'école qui enseigne
les rudiments et Homère. J'y compterais les lapicides, ces
personnages souvent regardés de haut par les éditeurs d'inscriptions,
ignorés des historiens, et qui ont été des agents indispensables de
la culture grecque, dont un des aspects est d'être une ' civilisation
des pierres écrites '. Il y avait des artistes, sculpteurs, peintres et
graveurs, des musiciens et des poètes, et des acteurs. Je ne dis point
que ces derniers aient eu nécessairement à Kandahar, comme dans
la Babylone hellénistique, un théâtre régulier, à imaginer sur le
modèle de ceux d'Athènes et d'Épidaure ; mais, si l'on pense à l'art
dramatique de l'époque hellénistique, il y eut des mimes, auxquels
suffît une scène bien modeste, avec un rideau. Ce ne fut peut-être
pas sans résonances sur le milieu indigène et pour les mimes et pour
les philosophes, de même que pour les graveurs et les sculpteurs.
Nous touchons, nous avons sous les yeux un lieu précis où s'opéra
le contact entre ' la Grèce et l'Inde ', exactement, ici, entre les
colons grecs de l'Arachosie et la civilisation de l'empire Maurya, et
nous voyons l'activité, les résultats, dans la présentation de la
doctrine d'Açoka pour les Grecs, — sur un mur couvert d'inscriptions
grecques, comme un portique de Grèce ou d'Asie Mineure (comme
plus tard le mur d'Oinoanda en Cibyratide avec la doctrine épi-
140 COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS
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LIVRES OFFERTS
M. Alfred Ernout fait hommage à l'Académie de sa traduction des Poésies
de Catulle, ainsi que d'un article dont il est l'auteur, intitulé Sur la Langue
étrusque, extrait du tome 38 de la Revue de Philologie.
M. Jérôme Carcopino a la parole pour un hommage :
« J'ai l'honneur d'offrir en hommage à l'Académie, de la part de la Fondation
Calouste Gulbenkian dont le siège est à Lisbonne, le livre posthume du
professeur Manandian intitulé Tigrane II et Rome (1 vol. in-8°, 225 p., Lisbonne,
1944).
Arménien, l'auteur connaît les pays sur le territoire desquels Tigrane II a
régné et guerroyé et sa reconstitution des campagnes de Lucullus et de Pompée,
ses tracés des itinéraires suivis par les armées en guerre, ses localisations de
certaines places sur lesquelles on hésitait bénéficient de son expérience.
Naturellement, en raison de son patriotisme, il a été amené à majorer les
mérites de Tigrane II et à saisir la dureté des proconsuls ; mais, dans l'ensemble,
ses opinions constamment étayées par les textes qu'il place loyalement sous nos
yeux, sont plausibles ; et son Tigrane II et Rome, qui, dans son esprit, devait
couronner toute une série d'études dont le détail nous échappe parce qu'elles
furent écrites en arménien, est certainement digne de figurer désormais dans les
bibliographies à côté du classique Mithridate de feu notre confrère Théodore
Reinach, un beau livre que celui-ci corrige moins qu'il ne le complète et précise ».