Schlumberger-1964-Une Nouvelle Inscription Grecque D'açoka

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 16

Comptes rendus des séances de

l'Académie des Inscriptions et


Belles-Lettres

Une nouvelle inscription grecque d'Açoka


Monsieur Daniel Schlumberger

Citer ce document / Cite this document :

Schlumberger Daniel. Une nouvelle inscription grecque d'Açoka. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 108ᵉ année, N. 1, 1964. pp. 126-140 ;

doi : https://doi.org/10.3406/crai.1964.11695

https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1964_num_108_1_11695

Fichier pdf généré le 04/10/2018


126 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

une importante série de monnaies de la Gaule indépendante1 ?


Cependant que, quelque sept siècles plus tard, il est devenu par
exemple sur le pendentif du Champ des Tombes à Pompey en
Meurthe-et-Moselle, un chrisme simplifié2.
C'est la première fois que je rencontre associés ces trois symboles :
la croix, le signe x, le dragon bicéphale, dont le premier est chrétien
sans discussion possible alors que le second est tantôt chrétien et
tantôt païen et que le troisième, manifestement païen à l'origine,
est, ici, christianisé, exactement comme les dragons enlacés en
forme d'entrelacs quadrilobé qui encadrent la croix chrétienne
sur le reliquaire de Goire alors qu'ils apparaissent déjà bien des
siècles avant notre ère sur une plaque de bitume trouvée à Suse ».
M. Daniel Schlumberger communique à l'Académie une nouvelle
inscription grecque d'Açoka.

COMMUNICATION
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE D'AÇOKA,
PAR M. DANIEL SCHLUMRERGER, MEMBRE DE L? ACADÉMIE.
« On aimerait savoir », écrivait en 1952 le R.P. Festugière,
« comment traduire en grec certains passages des édits d'Açoka »3.
Il pouvait paraître alors assez peu probable que ce vœu fût jamais
exaucé. Or il l'a été très rapidement. Beaucoup d'entre vous se
souviennent, je pense, de l'annonce mémorable que M. Louis Robert
vous fit ici, le 20 juin 1958 : près de Kandahar, en Afghanistan,
venait d'apparaître, sur une paroi de rocher, une version grecque,
claire et complète, et suivie d'une version araméenne, de l'une des
pieuses proclamations d'Açoka4.
Cette grande découverte se trouve aujourd'hui suivie d'une autre,
faite au même endroit. Le vœu du P. Festugière est exaucé pour la
seconde fois.
Rappelons ici ce que sont les inscriptions d'Açoka5, rappelons
leur importance hors de pair. D'un grand roi qui n'était connu que
par des textes plus récents et de valeur très incertaine, où il ne nous
apparaissait qu'à travers la brume de pieuses légendes, ces inscrip-
1. Cf. Hucher, L'art gaulois ou les Gaulois d'après leurs médailles, Paris, 1908, pi. 1, 2 ;
8, 2 ; 9, 1 ; 14, 1 et 2, etc.
2. Cf. Léopold Quintard, Le cimetière franc du Champ des Tombes à Pompey (Meurthe-
et-Moselle), in Mém. de la Soc. d'archéol. lorraine, 1878, pi. II, 9.
3. A. J. Festugière, Les inscriptions d'Asoka et l'idéal du roi hellénistique, dans
Recherches de Sciences Religieuses, XXXIX-XL, 1951-1952 (= Mélanges Jules Lebreton),
p. 33, n. 8.
4. CRAI, 1958, p. 189. Publication de l'inscription par D. Schlumberger, L. Robert,
A. Dupont-Sommer, E. Benveniste dans Journal Asiatique, 1958, p. 1-48.
5. Bornons-nous à renvoyer à Jules Bloch, Les inscriptions d'Asoka, traduites et
commentées (Collect. Emile Senart, Paris, Les Belles Lettres, 1950).
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE d'AÇORA 127

tions ont fait soudain, à partir de 1837, date du début de leur


déchiffrement, une figure historique tangible.
Sur l'Inde post- védique, dont nous n'étions informés que par
des textes sans âge, sur l'Inde maurya, dont nous n'étions informés
que par des textes étrangers ou par des textes tardifs, ces inscriptions
ont projeté soudain des lumières sûres et directes.
Car nous avons en elles des documents originaux, de ces documents
dont l'historien de l'Antiquité voudrait toujours disposer, dont il
ne dispose que très rarement, et qui, lorsqu'il en dispose, font
tressaillir son cœur. Documents originaux qui sont les plus anciens à la
fois de l'histoire de l'Inde, et de l'histoire du bouddhisme. Documents
magnifiques, qu'aucune transmission par des copistes, aucune
utilisation par des historiens n'est venue déformer, documents dont la
date, l'auteur, les destinataires sont connus, et dont la nature et
l'objet sont clairs.
La date, c'est la haute époque hellénistique, le deuxième quart
du me siècle av. J.-C, le temps où Antiochos n Théos règne sur
l'empire des Séleucides, et Ptolémée n Philadelphe sur l'empire des
Lagides : ces rois grecs, les inscriptions les mentionnent, et d'autres
avec eux1.
L'auteur, Açoka, est le plus grand souverain de la puissante
dynastie maurya, la première qui ait unifié l'Inde. Son empire, que
ses inscriptions jalonnent pour nous sur le terrain, s'étend à la
péninsule indienne presque entière : ne lui échappent que l'extrême sud
(la pointe de la péninsule) et l'extrême est (les régions au-delà du
delta du Gange : Bengale oriental, Assam). Mais en revanche, au
nord-ouest, cet empire déborde le cadre géographique de la
péninsule ; comme nous l'ont appris le fragment d'inscription araméenne
de Pul-i Daruntah2, trouvé en 1932, et maintenant les inscriptions
de Kandahar, il comprend l'Afghanistan oriental et méridional, ce
qui revient à dire qu'il avait pour limites l'Hindoukouch.
Les destinataires sont le plus souvent les sujets du roi dans leur
ensemble, mais parfois aussi de hauts fonctionnaires3, et même, dans
certains cas, des bouddhistes : l'une des inscriptions est une lettre
adressée à la Communauté bouddhique4, d'autres sont des proscy-
nèmes gravés5 en des endroits où les pèlerins devaient affluer déjà.
Par nature ces textes forment une prédication. Nous y entendons
la voix du roi lui-même. Il prêche une morale de la bienveillance,

1. J. Bloch, op. cit., p. 93-94 ; p. 130.


2. Voir A. Foucher, La vieille route de l'Inde de Bactres à Taxila (Mém. DAFA I), IL
1947, p. 390, note 1 ; et surtout W. B. Henning, The aramaic inscription ofAsoka found
in Lampâka, Bullet. School Orient. Afric. Studies, XIII, 1949, p. 80-88.
3. J. Bloch, op. cit., p. 136, 140, 145.
4. J. Bloch, op. cit., p. 154.
5. J. Bloch, op. cit., p. 157, 158.
128 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

de la compassion, de la tolérance, du service d'autrui, morale à


laquelle il s'est rallié par une sorte de conversion, à la suite d'une
guerre. Cette guerre de conquête dont il est l'auteur, et qui a annexé
à l'empire la province du Kalinga, dans l'Inde orientale, a coûté
beaucoup de sang et de larmes, et lui inspire maintenant de profonds
regrets1.
Enfin l'objet, le sublime et naïf objet de cette prédication est
tout simple : en convertissant les hommes à la Vérité qu'il a
reconnue, le roi fait en sorte que « tout prospère sur toute la terre »2, il
assure « le bien et le bonheur du monde »3.

Dans l'Inde les textes d'Açoka sont rédigés dans des idiomes
moyen-indiens, tous proches parents les uns des autres, et qui sont
les langues locales des diverses régions où ces textes sont affichés.
Or ces textes, si clairs qu'ils soient dans leurs lignes générales et
dans leur intention, ne laissent pas de poser de très difficiles
problèmes d'interprétation ; et de cela même le non-indianiste peut se
rendre compte, à lire simplement les traductions divergentes qui
sont proposées de certains passages et les commentaires qui en sont
faits. C'est pourquoi l'apparition de textes d'Açoka en langues
non indiennes a vraiment introduit, me semble-t-il, une ère nouvelle
de l'exégèse4.
On le vit en 1958 lorsqu'on apprit que le mot dhamma des versions
indiennes, toujours traduit en langues européennes par loi, avait
pour équivalent araméen un mot que M. Dupont-Sommer traduit
par vérité, et pour équivalent grec le mot evoépeia, que l'on ne peut
traduire que par piété. La nouvelle inscription apporte, comme
vous allez le voir, des surprises du même ordre.
Comme l'inscription trouvée en 1958, comme la majorité des
inscriptions açokéennes en prakrit, l'inscription trouvée cette année
ne contient rien qui paraisse clairement et spécifiquement
bouddhique.
Cependant il y a entre l'inscription de 1958 et l'inscription de
1964 plusieurs différences.
Nous n'insisterons pas sur la première : l'inscription de 1958 était
une bilingue, celle de 1964 est en grec seulement. Car cette difîé-

1. J. Bloch, op. cit., p. 125.


2. J.A., 1958, p. 3.
3. J. Bloch, op. cit., p. 167.
4. A strictement parler cette ère s'était ouverte dès 1913 par la découverte à Taxila
d'un fragment d'une inscription araméenne d'Açoka ; découverte suivie, en 1932, par
celle de Pul-i Daruntah (pour la bibliographie de ces deux textes, voir ci-dessus p. 2, n. 2).
Mais ces trouvailles ne donnèrent pas grand-chose. Mutilés, et très brefs l'un et l'autre,
ces fragments n'étaient guère intelligibles qu'à la lumière des versions parallèles en
prakrit.
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE d'AÇOKA 129

rence-là peut n'être qu'apparente. Il est parfaitement concevable


que la nouvelle inscription ait comporté, elle aussi, un texte ara-
méen, que l'on peut espérer voir reparaître demain. Mais d'autres
différences méritent d'être relevées.
Le texte de 1958 était une inscription rupestre ; celui de 1964
est gravé sur un bloc qui a sûrement appartenu à un édifice.
Le texte de 1958 était une brève proclamation : 14 courtes lignes
de grec ; et cette proclamation est complète dans ses deux versions.
Le texte de 1964 est sensiblement plus étendu : 22 longues lignes ;
et surtout il est incomplet, au début et à la fin. Ce qui revient à dire
qu'il n'est qu'un fragment d'un texte beaucoup plus vaste encore,
qui devait s'étendre sur des blocs voisins. Il n'y a guère de doutes
sur ce que pouvait être ce texte.
Le fragment conservé correspond à une grande partie du
douzième édit, et au début du treizième édit de la série dite des « édits
majeurs sur roc ». Il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une version
grecque de ces édits. Bien que certaines phrases soient très
fidèlement rendues (exemple : les deux premières phrases du treizième
édit), d'autres sont remaniées, certains passages sont omis (exemple :
le paragraphe final du douzième édit relatif aux surintendants de
la Loi), l'ordre des idées est modifié. Bref, le texte grec n'est pas une
traduction mais une adaptation libre et abrégée des rédactions
indiennes. Malgré cela il est tout à fait certain que nous sommes
bien en présence du contenu du douzième et du treizième des édits
majeurs, qui concernent respectivement « les sectes », et la guerre
faite au Kalinga1. Or les quatorze édits majeurs forment un tout.
C'est cet ensemble des quatorze édits qui a été gravé dans quatre
endroits2 de l'Inde du Nord et de l'Ouest. C'est cet ensemble, moins
trois édits, sans doute retranchés pour des raisons particulières
locales, qui a été gravé dans deux endroits3 de l'Inde orientale, au
Kalinga. On ne connaît pas d'exemple de l'un ou l'autre de ces édits
apparaissant seul. Il résulte de là que la nouvelle inscription de
Kandahar a de fortes chances de n'être qu'un morceau d'une
paraphrase grecque des quatorze édits.
On voit combien la trouvaille de 1964 diffère de celle de 1958.
Intacte et isolée sur son rocher, la bilingue mise au jour cette année-là
n'encourageait l'attente d'aucune nouvelle découverte. Tout au
contraire l'inscription de cette année, fragment incomplet d'un
texte vraisemblablement beaucoup plus long, fragment arraché
à un monument peut-être encore enfoui, autorise de vastes espoirs.

1. Sur la pierre la fin du douzième édit est séparée du début du treizième par un
intervalle réservé par le graveur, et équivalent à l'espace de trois ou quatre lettres.
2. Shahbazgarhi, Mansehra, Kalsi et Gimar, J. Bloch, op. cit., p. 19-20.
3. A Dhauli et à Jagada, J. Bloch, op. cit., p. 21-22.
130 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

La pierre est un bloc de calcaire poreux, haut de 45 centimètres,


large de 69 cm. 50, épais de 12 à 13 centimètres. Il est intact sauf aux
angles à gauche.
Cette pierre gisait dans les ruines de la Vieille-Kandahar devant
la porte d'une petite ziyârat, où un médecin allemand, le
Dr W. S. Seyring, la vit en novembre 1963, et l'acheta. En janvier
1964 le Dr Seyring en fit présent au musée de Caboul. La Délégation
Archéologique fut informée aussitôt par M. A. A. Motamedi,
directeur général du Service des Antiquités, conformément à l'accord
portant que les trouvailles fortuites venues à la connaissance du
gouvernement afghan sont remises par celui-ci à la Délégation pour
étude et publication1. M. A. A. Motamedi se rendit à Kandahar. Il
y fut rejoint le 23 février par mes collaborateurs Marc Le Berre,
architecte et directeur par intérim, et Gérard Fussman, archéologue,
qui prirent part à l'enquête sur le terrain.
Je suis heureux de rendre hommage ici aux autorités afghanes,
et particulièrement à S.E. le Dr Popal, Ministre de l'Instruction
Publique, et à M. Motamedi. L'action menée en commun par le
Service des Antiquités et la Délégation Archéologique n'est que
l'exemple le plus récent de l'excellente collaboration qui s'est établie
depuis des années entre les deux institutions, et que le Dr Popal
et M. Motamedi n'ont cessé de favoriser.
Sur le terrain MM. Motamedi, Le Berre et Fussman apprirent,
de la bouche du gardien de la ziyârat, que la pierre avait été
découverte dans les ruines mêmes de la vieille ville, par un paysan en
quête de terre d'amendement. Ce paysan n'a malheureusement pas
pu être retrouvé ; le lieu précis et la date de sa découverte n'ont pu
être déterminés.
La pierre, qui était par places recouverte de concrétions calcaires,
a été nettoyée, estampée, photographiée par M. Marc Le Berre ;
le texte a été établi et traduit par M. G. Fussman. En quatre
endroits des améliorations notables ont été apportées par M. Louis
Robert aux lectures de M. Fussman. La traduction a été modifiée
sur quelques points par M. Louis Robert et par moi-même. Je
remercie vivement ici M. Louis Robert de l'appui amical qu'il n'a cessé
de nous donner et des contributions précieuses qui lui sont dues.
(Voir le texte page suivante).

1. Cet accord, qui est appliqué en fait depuis la fondation de la Délégation


Archéologique (1922), a été confirmé à celle-ci en 1960 par une lettre de S.E. le Dr Popal, Ministre
de l'Instruction Publique.
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE Z>'aÇOKA 131?

.ev]aépeia xai eyxodxeia xuxà Jtàaaç xàç Ôiaxoij3dç ' èyxoaxTiç ôè n&Xiaxd iaxw
ôç av yÀcôaTjç êyxoaxTiç fji. Kai-uVjxe éavTovç êîtai i ivwaiv, fiTjte xu>v TtÉAaç ipéycoaiv
Jteoi u/nÔEvoç • xevôy ydo èoxiv • xai jteioâoOai jmïaaov xoùç îtÉAaç éïtaiveiv xai
4 fiT) tyéyEtv xaxà Jidvxa xoon;ov. Taûxa ôè jroiowxeç éavxoùç ati|ovoi xai xoîiç .
néXaç àvaxxrôvxat * ïragafîaivovxeç Ôè xaûta, àx^ÀJeéoteçoi te yivovxai xai xotç
îtéaoç àjié^ôovTai. O"î ô'âv éauxoùç èjtaivtôaiv, toxjç ôè ^:éA,aç ipéytooiv qpi
ôuxîtQdTovtai, Povao^evoi Jtaçà xovç Àowtovç éyÀcifi^ai, reoAÙ ôè jiâÀAov
8 éavTovç . IlQéjtei ôè âk'kr\'kov<; Oavud^Eiv xai xà àÀAT|Ào)v ôiôdyftaTa n;aQaôéx8o6a[il.
Tavta ôè jtoioùvTeç KoXv\iaQéareçoi è'oovtai, îtaQaôiôôvteç cxàatjaoiç ooa
ëxaaroç avtrôv èrtioratai. Kai tolç tavca êitralcrxo'ûoi tairca \ir\ ôxveîv AÉyEiv ïva ôei-
ajxsîvcooiv ôià navxàç eïiaej3o'0vTeç. 'Oyôocoi ëtei PaoiÀeiiovToç Ilioôàaaou
12 xaté<TTQ(a)jtTai xr\v KaXiyyï\v. rHv ëÇ(ùyQr\\iéya xai è%t]y\iéva Èxei6ev a(o\uxxxov
lAVQiàôeç ôexaîiévxe xai àvaigéÔTioav âXÀai (iVQidôeç ôéxa xai a^eboy àXkoi xooov-
toi éxEÀevxTiaav. 'An' êxetvouxov xqovov ëkeoç xai otxxoç avxôv eAapev * xai (3açécoç îjveYxev

'
ôi'oî» xQÔnov èxÉAEuev dutéxeoBai xcôv êjiHnjxcov anovbr\v xe xai <ruvxa(<j)iv nenoir\xai
16 îtEpi evoEPeiaç. Kai xoûxo ëxi bva%eQécxeçov vnei\r)<pe 6 paoiAEvç* xai ôaot èxeI coïxow
PQajxevai f\ aga\ievai f) xai aAAoi xivèç oi neçi xî)v Evoépeiav ôiaxQi[3ovxeç, xoîjç éxeï oîxoû-
vxaç è'ôei xà xoù SaaiÀécoç <ru[Aq)éQovxa voeîv, xai ôiôdoxaÀov xai îtaxéça xai
èna.io%vv£oQai xai ôav^idÇeiv, cçiXovç xai êxaiçovg àya^âv xai \ù]
20 ôovaoiç xai ^laôcoxolç d>ç xouqpoxaxa XQàaOai, xovxcov exeï xcôv xotaîixa
(lévcov eî xiç xéôvtixev f[ e|fjxxai, xai xoûxo èji rtaQaôçofifji ol aoijioi Tjyeivxai, ô ôè
[P]aoiA8Ùç oqpoôça êjti xoûxoiç êôvaxÉQavEv. Kai ôxi év xalç Aowtolç ëOveoîv eloiv

L. 5. 'A>t(X)e£<TTspoi, lecture Louis Robert. Sur la pierre : AKAEESTEPOL —


L. 12. Sur la pierre : KATESTPEIITAI. — KaXiyyTjv. THv, lecture Louis Robert.
— L. 15, crûvTa(o)iv, lecture Louis Robert. Sur la pierre : orivra^iv. — L. 21,
^yeivrai, lecture Louis Robert : forme itacisante de TjyvjvTai.
Ll. 16-22. Passage difficile. La coupe des phrases adoptée ici est celle à laquelle
M. Louis Robert avait pensé d'abord. J'ai songé aussi à couper autrement. En
ne ponctuant pas après PamXeûç (1. 16), mais après Siarpt^ovreç (1. 17), et en
ponctuant encore après /pâcrOai (1. 20), on obtient trois phrases, chacune de
construction et de sens clair, et que l'on peut traduire comme suit : « Et ceci
aussi le roi l'a ressenti avec grand chagrin, et (avec lui) les brahmanes et les
sramanes et les autres personnes se consacrant à la piété qui habitent là (au
Kalinga) : il fallait que ceux qui habitent là soient instruits des intérêts du roi,
etc., etc. Si, parmi ceux qui, là, se comportaient de la sorte, etc. ». L'inconvénient
est que, entre ces trois phrases, l'enchaînement des idées est abrupt, difficile
à saisir, et que le sens s'écarte tout à fait du sens généralement reçu pour les
versions indiennes.
132 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Traduction.
« ... la piété et la maîtrise de soi dans toutes les écoles (de pensée).
Or est surtout maître de lui celui qui est maître de sa langue. Et
qu'ils ne se louent pas eux-mêmes ni ne dénigrent autrui sur aucun
sujet. Car cela est vain ; et il vaut mieux, de toutes manières,
s'efforcer de louer les autres et de ne pas les dénigrer. En agissant
ainsi ils se grandissent et se concilient les autres ; en transgressant
cela ils desservent leur réputation et s'attirent l'hostilité des autres.
Ceux qui se louent eux-mêmes et dénigrent les autres se conduisent
avec trop d'ardeur personnelle ; en voulant briller plus que les autres,
ils se nuisent bien plutôt à eux-mêmes. Il convient de se respecter
mutuellement, et d'accepter chacun les leçons des autres. En
agissant ainsi ils accroîtront leur savoir, en se transmettant
mutuellement ce que chacun d'eux sait. Et que l'on n'hésite pas à le dire à
ceux qui pratiquent cela, afin qu'ils persistent toujours dans la
piété ».
« Dans sa huitième année de règne Piodassès a conquis le Kalinga.
Cent cinquante mille personnes y ont été capturées et en ont été
déportées, et cent mille autres ont été tuées, et à peu près autant
sont mortes. Depuis ce temps-là la pitié et la compassion l'ont saisi ;
et cela lui a pesé. De la même manière qu'il ordonnait de s'abstenir
des êtres vivants il déploie zèle et effort pour la piété. Et ceci aussi
le roi l'a ressenti avec grand chagrin : les brahmanes et les sramanes
et les autres personnes se consacrant à la piété qui habitent là (au
Kalinga) (il fallait que ceux qui habitent là soient instruits des
intérêts du roi, et révèrent et respectent leur maître, leur père, leur mère,
et chérissent et ne trompent point leurs amis et compagnons, et
traitent avec le plus de douceur possible leurs esclaves et serviteurs)
si, parmi ceux qui, là, se comportaient de la sorte, certains
mouraient ou étaient déportés, cela même les autres le tenaient pour
secondaire ; mais le roi s'en afflige à l'extrême. Et comme chez les
autres peuples il y a... ».

Vous n'attendrez pas de moi le commentaire approfondi qu'appelle


cette inscription. Un tel commentaire devrait consister
essentiellement en une comparaison minutieuse du texte grec avec les textes
indiens, lesquels échappent à ma compétence. En outre, même avec
le concours de collègues indianistes, que j'eusse pu solliciter, ce
commentaire eût exigé du temps. Or il m'a paru, comme en 1958,
qu'il convenait de placer rapidement le document à la disposition
du public savant.
Je me bornerai donc ici à deux très brèves remarques, qui, me
semble-t-il, peuvent être faites dès maintenant.
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE D'AÇOKA 133

Le douzième édit est, vous vous en souvenez, celui qui concerne


les sectes, et M. J. Filliozat, professeur au Collège de France, veut
bien m'assurer que le terme prakrit ainsi rendu en langues
européennes ne comporte aucune ambiguïté. De quelle façon cette
notion indienne a-t-elle été exprimée en grec ? On eût attendu que
ce terme, toujours le même, fût régulièrement traduit par un seul
et même mot grec. Or ce n'est pas le cas. A la première ligne, dans
une phrase dont nous n'avons que la fin, xatà itàoaç tàç ôiatQipdç
correspond évidemment à toutes les sectes des rédactions indiennes.
Amxtqijsii est le mot qui, dans le monde grec, désigne les écoles
philosophiques. Il est d'un extrême intérêt de le trouver ici.
Ce mot ne reparaîtra plus dans la suite du texte. Désormais,
jusqu'à la fin du douzième édit, en face des « sectes » du prakrit, nous
aurons des expressions telles que ot néXaç (cinq fois), oi Xoucoi. A la
ligne 7 l'expression jtaQà toùç tautoùç désigne les autres sectes ; le
mot lawoûç correspond à sa propre secte. A la 1. 8 c'est le mot àklr\l(ox
qui rend l'idée de la réciprocité du respect que se doivent les sectes.
01 jtétaxç, ol XoiKoi, àMT|taov : expressions que j'ai traduites de façon
neutre par autrui, les autres. Mais comment ne pas songer à traduire
par le prochain ? J'ai évité ce mot, par crainte d'introduire dans ces
textes indiens une nuance juive ou chrétienne. Peut-être ai-je eu
tort. Mais il est certain, — et c'est, me semble-t-il, la principale
surprise que nous apporte le nouveau texte, comparable à la surprise
qu'a constituée en 1958 la traduction de dhamma par eùoé^gia, —
il est certain, en tous cas, que la notion de secte, avec ce qu'elle
comporte de religieux, de confessionnel, est absente. A sa place nous
avons la notion de diverses écoles (ôuxTeipaî), ou plus simplement
encore celle de l'opposition entre soi-même et autrui.
Ma deuxième remarque n'est qu'une observation d'archéologue.
J'ai dit plus haut que la pierre est un bloc rectangulaire, un bloc
d'appareil, qui a certainement fait partie d'un édifice construit.
Sa faible épaisseur (12 à 13 centimètres) donne à penser que le mur
où ce bloc s'insérait formait revêtement ou parement ; mais ceci
est secondaire. L'important c'est l'existence du mur lui-même,
laquelle ne peut être mise en doute : car il est impossible de ne pas
restituer au moins un bloc inscrit au-dessus de celui que nous
possédons, et un autre au-dessous. Et si l'inscription offrait la matière
des Quatorze Édits, comme nous le croyons probable, alors il faut
restituer encore plusieurs autres blocs.
Or c'est une nouveauté qu'un mur inscrit de l'époque maurya.
Parmi les textes d'Açoka retrouvés jusqu'ici, la majorité est gravée
sur rocs ; et le reste sur « piliers », c'est-à-dire sur des colonnes
monolithes en grès rosé, toutes extraites de la même carrière proche
de Bénarès. On ne connaît pas d'inscriptions d'Açoka gravées sur
134 COMPTES RENDUS DE L'ACADEMIE DES INSCRIPTIONS

des parois d'édifices, pour cette simple raison qu'on ne connaît pas
d'édifices d'Açoka en dehors des stupas dits d'Açoka1, lesquels sont
en brique, et dont le date açokéenne demanderait du reste à être
vérifiée dans chaque cas.
Açoka a fait édifier à Kandahar une construction en pierres de
taille, ou dont certaines parties tout au moins étaient en pierres de
taille : voilà ce que nous apprenons aujourd'hui. Quel genre de
construction ? Temple, stûpa, palais, rempart, ou simple
soutènement de quelque terrasse ou de quelque édifice utilitaire, nous ne
saurions le dire. Il serait d'un grand intérêt de le savoir.
Or on peut espérer que des restes de cette construction, et des
inscriptions qu'elle portait, subsistent encore sous les ruines de la
Vieille-Kandahar. Par une prospection attentive de ces ruines,
qu'elle se réserve d'entreprendre prochainement, la Délégation
Archéologique compte rechercher ces restes.

M. Louis Renou souligne que la découverte annoncée par


M. Schlumberger intéresse à la fois l'hellénisme et l'indianisme.
Elle atteste l'extension de l'empire d'Açoka jusqu'en Arachosie et
l'importance de l'implantation hellénique en ce pays au milieu
du 111e siècle av. J.-C.
Le fait que la version grecque ne soit qu'une paraphrase assez
libre des versions indiennes s'explique principalement comme suit :
le traducteur a eu le souci de gréciser l'original indien, d'éliminer
ou d'atténuer les notions religieuses trop marquées, de chercher des
équivalents raffinés en regard des termes quelque peu populaires
du texte indien. On peut présumer que cette version grecque se
serait opérée, non pas directement sur le moyen-indien, mais sur
un original sanskrit émanant de la chancellerie asokéenne. Seul
le sanskrit, en effet, disposait d'un vocabulaire philosophique —
peu ou point imprégné de bouddhisme — qui pût appeler, comme
par une sorte d'émulation, la confection d'un texte grec puisant
(comme le montre M. Louis Robert) dans le fonds de la terminologie
philosophique de la haute période hellénistique. On ne comprendrait
pas ce souci d'élaboration du côté du grec si le traducteur n'avait
eu devant lui que les textes assez gauches et pauvres du moyen-
indien bouddhisé. Ceci, naturellement, demeure une hypothèse.

M. Louis Robert commente ainsi la découverte de la nouvelle


inscription d'Açoka.
« Voici encore une découverte sortie du sol fécond de l'Afghanistan
que nous apporte le directeur de la Délégation Française, notre

1. Sur les stupas dits d'Açoka, voir E. Lamotte, Histoire du bouddhisme indien (Lou-
vain, 1958), I, p. 344 s.
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE D'AÇOKA 135

confrère Daniel Schlumberger. Voici encore une nouveauté de la


plus grande importance. A la nouvelle toute récente de cette
trouvaille ne peuvent correspondre encore que de premières impressions.
Le nouveau texte pose certaines questions difficiles ; ainsi la
construction des dernières lignes de l'inscription, où nous ne prétendons
point apporter une solution assurée, mais une première
approximation, peut-être sujette à révision. Les détails et l'ensemble demandent
quelque loisir et quelque méditation. Il faudrait que les savants à
qui revient le droit et à qui échoit l'honneur de cette publication
puissent faire leur tâche dans la tranquillité, sans être harcelés par
le danger de convoitises scientifiques indélicates. Si j'ai pu
contribuer à établir le texte, je ne puis donner ici que les premières
impressions d'un helléniste, et je ne pourrai parler de ce texte comme il en
serait digne.
« D'abord, les premières impressions de ce qu'on appelle, je ne
sais trop pourquoi, un épigraphiste. J'avais souligné en 1958 pour
la première inscription d'Açoka à Kandahar comment la gravure
correspondait à ce qu'on pouvait trouver à la même époque dans les
autres parties du monde grec, et comment ainsi cette gravure
attestait elle aussi l'unité de la culture grecque au 111e siècle av. J.-C.
Il en est de même cette fois. Le style des lettres est bien celui de la
haute époque hellénistique, avec notamment ces petites lettres
suspendues au sommet de la ligne, Y omicron, Y oméga, le delta, ces lettres
larges comme le nu, le pi, le gamma. Il y a un rapport des plus étroits
avec l'inscription grecque d'Iran, en Hyrcanie, que j'ai publiée
dans Hellenica, xi-xii, et qui se date entre 281 et 261 ; c'est
exactement le même style. Un caractère commun est frappant lui aussi,
la hauteur des interlignes qui donne à l'ensemble un aspect très
aéré. Il y a aussi un rapport étroit avec les papyrus du me siècle.
Notre maître Adolf Wilhelm, à plusieurs occasions, a souligné un
aspect de certaines inscriptions, qui rappellent l'écriture des papyrus
et où même, par imitation des papyrus, on trouve dès cette époque
des formes rondes : on a voulu donner à l'inscription l'allure de la
copie d'un texte littéraire. Le même souci, a-t-il expliqué, amena
à présenter sur un mur une inscription en colonnes, comme une
série de rouleaux de papyrus. Peut-être bien est-ce aussi le cas
dans l'inscription de Kandahar, d'après ce qu'a exposé M. D.
Schlumberger. De là la différence de l'aspect d'ensemble de l'écriture, de
son style général, beaucoup plus que des formes de chaque lettre,
quand on compare ce morceau à la première inscription. C'est un
signe aussi de gravure très soignée que la coupe par mots, et pas
seulement par syllabes, qui a été adoptée en général dans la nouvelle
inscription (18 lignes contre 4) comme dans la précédente
inscription d'Açoka (exception pour une ligne) ; cette coupe persistera
136 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

encore dans la gravure des • Res Gestae Divi Saporis '. Ce nouveau
morceau des édits d'Açoka nous montre l'unité de la civilisation
grecque à l'époque hellénistique jusque dans les derniers confins ;
les inscriptions grecques de l'Arachosie ne sont touchées par aucun
phénomène de dégénérescence, d'isolement, de • barbarisation '.
L'orthographe offre quelques phénomènes que blâmerait un
professeur du grec classique : simplification de la géminée dans y^otiç
et ôtewtçobevtai, graphies <Jues à l'itaeisme dans Ô6*an«tv*»mv et f|yevv-
t(h. Ces graphies seront fréquentes dans le monde grec le plus
purement hellénique au 11e siècle ; elles apparaissent isolément, comme
dans notre texte, dès le me siècle ; ces prononciations remontent
fort haut dans le temps et l'action de l'école et du purisme ne peut
toujours empêcher qu'elles n'affleurent sporadiquement.
« Je suis frappé aussi par le caractère du texte au point de vue
du grec. J'avais insisté, pour le premier morceau, sur le fait que l'on
n'avait pas une traduction servile, un style de traduction, mais un
grec très normal, auquel correspondait une , présentation à la
grecque ' de la doctrine d'Açoka. Le vocabulaire tout entier est
emprunté à la tradition littéraire et spécialement celle des
philosophes et sophistes. J'avais souligné le caractère philosophique et,
notamment, pythagoricien d'une expression essentielle dans le
premier morceau, àno^i] t<ûv èntyti%<ov, dbté^eaôai tcôv ê}i/\|n5xa>v ; elle
reparaît ici. Je tiens le nouveau morceau, qui traduit ou qui résume
un texte indien, pour une rédaction dans le style philosophique grec.
M. D. Schlumberger a marqué l'intérêt du choix des mots ôiargi^aî,
• écoles philosophiques ', ô jtéXaç, oî jcékaç, là où le texte original
parle des ' sectes-'. Les brahmanes, dans toute la tradition grecque,
ont été des philosophes aux yeux des Grecs, des confrères pour les
philosophes.
« Toutes les notions, nombreuses, qui apparaissent dans le
nouveau morceau, sont exprimées par un terme technique du
vocabulaire philosophique et moral. L'étude approfondie du morceau
consistera, comme l'ont exprimé MM. D. Schlumberger et L. Renou,
à comparer minutieusement les phrases grecques aux originaux
indiens et, fait-on espérer, à éclairer même certains passages de
l'original par la nouvelle inscription. Mais il est une autre recherche
à pousser, et je la crois de première importance : mettre chaque
phrase et chaque expression dans l'ensemble du vocabulaire
philosophique grec, et d'abord platonicien, dans l'ensemble du
vocabulaire, si abondamment attesté, de ce ive siècle qui est le premier
siècle de la koinè pour la langue et le premier siècle du monde
hellénistique pour l'histoire. Déjà les souvenirs de lectures ou des
sondages dans l'admirable • Thésaurus ', toujours non remplacé,
fourniront un cadre aux comparaisons et aux réflexions.
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE D'AÇOKA 137

et râYKQaTeia yX(ôaar\ç, — le contraire de ràxQdrceia du premier


morceau — , voilà bien un terme technique, et qui fournit le titre
d'un traité de Xénocrate, second successeur de Platon à l'Académie.
Le verbe èîtaoxeiv, c'est cette notion philosophique qui donnera
le vocabulaire de l'ascèse chrétienne et monastique (Leippolt). Nous
sommes dans le vocabulaire exact de la paideia grecque avec les
notions de Ôiôdoxataç, jtaQaôé/eoOai, îtagaÔiôovai ; bibay\ia, un mot
en -fia, caractéristique à la fois de la philosophie et de la koinè, est
attesté dans Platon et dans Xénophon. La noXvnabia est un terme
de Platon, de Xénophon et d'Isocrate. La phrase xevôv yàg èoxi est
une condamnation de la , vanité ' de polémiques, comme le xevoXo-
yeîv d'Aristote, les xevod ô6£ai. Même les mots qui ne sont pas ,
philosophiques ' devront être étudiés en cherchant les parallèles dans
Platon, Aristote, Xénophon, Isocrate, qu'il s'agisse des tournures
èxXâpmiv (Platon), è[i jtciQaÔQonfj fiyelcôai, ôxvetv Xéyeiv (tournure
d'Isocrate, ou YQdcpeiv, Aristote). Le ôovXoiç d>ç xovcpoTata XçâcrOai
(cette dernière forme bien attestée dans les inscriptions) ne prend-il
pas sa vraie couleur de terme grec courant quand on sait que
Ménandre parle d'un xoûcpoç beojcôxr\ç ? La tournure ol neçi xiyv
eùoépeiav ôiaTçiPovTeç a ses parallèlles dans Isocrate avec
ou les A,6yoi ou la (pdoooqpia ; elle persistera dans Philon (ta
dans Plutarque (xi\v qpûooocpîav), dans Diodore (m, 61 : oî negi xàq
ttôv Beôiv OeQoraûxç xal xi\iàç ôiaTQiBovteç ; cf. Wilhelm dans Symbolae
Osloenses, 1949).
« Que le morceau ne soit pas écrit dans un style ' de traduction ',
c'est ce que montrent bien les liaisons de mots, les ' iuncturae
verborum '. La paire ê/ieoç xal olxtoç se retrouvera en tout cas chez
Diodore et plus tard encore ; on devra la dépister dès le 111e et le
ive siècle. Aussi me suis-je enhardi à laisser introduire dans le texte
une correction au lapicide, bien que je sois d'une extrême réserve
pour ce procédé. L'expression <tjiovôt]v îtoieiaâai est très fréquente
pour signifier ' avoir à cœur de, manifester son zèle pour ', etc.
2wTa£iç est ' l'organisation ' ; je ne sais si l'on disait aûvta|iv
ôai, ' organiser ' ; mais je ne crois pas que l'on ait pu joindre
et <Twta|iç comme compléments communs du verbe aoieioOai. Il
est certain que la pierre porte un xi. J'ose corriger ojtouôt)v xal aûvraoiv
noieioOai, parce que avvxaaiq désigne un effort intense, que le mot
est attesté dans l'usage platonicien et qu'un passage du Banquet
groupe les deux mots ojiiovôti xal oxrvxaoiç dans une définition de

« Le rédacteur du texte de Kandahar avait aussi sous le calame


le vocabulaire politique du me siècle dans le monde grec : xà xov
jîaadécoç oruntpÉQovTa, ' les intérêts du roi ', c'est une banalité
obligatoire du style des chancelleries hellénistiques, dans les cours royales
138 COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

et dans les cités grecques en rapport avec les rois. De façon analogue,
le premier morceau avait fourni un autre mot très intéressant de
ce vocabulaire, evôï]veïv, l'abondance.
« Le style des morceaux grecs des édits d'Açoka n'est pas moins
intéressant et, à première vue, j'en distinguerais trois. J'avais
analysé celui du premier morceau ; c'était * le style xaî ', qui convenait
très bien à cette proclamation religieuse. Les lignes 1-11 de la
nouvelle inscription me paraissent être en bon style philosophique
courant, avec de nombreux ôè, un yàç et oî ô' ôv v.xk et toOto, jtoiowteç,
et nokv ôè nâUov et jtpéjtei ôè. Au contraire, je sens un autre rédacteur
dans les lignes 12 et suivantes, où d'ailleurs il ne s'agit plus
d'exhorter et de persuader, mais de raconter et de confesser. Tout est
abrupt et en asyndètes. Les premières phrases se succèdent sans
aucune copule ; aucun xal, aucun ôè ; il y en a quatre ainsi ; à la
ligne 16 seulement on tombe sur un xai toûto. L'allure générale de
cette partie aiderait d'ailleurs à accepter la coupe des phrases
suivantes, avec l'anacoluthe, et le tour : ôaoi èneî &movv..., tovccov
eï tiç Té8vT)xev, et, semble-t-il, avec une phrase en parenthèse à
l'intérieur de cette construction ; mais, je le répète, cela demande
examen.
« Ce morceau de littérature philosophique grecque, c'est au pied
de l'Hindoukouch que nous le lisons, et il traduit ou il transpose un
prêche du roi indien Açoka. Quelle rencontre de deux mondes !
Et chacun d'eux, je crois, s'y présentait, pour ainsi dire, en force.
C'était le monde indien. Qu'étaient donc ces Grecs de l'Arachosie
pour lesquels on jugeait nécessaire de rédiger une version grecque
de la doctrine consistant en ce qu'on appelait, pour ces Grecs, ' la
Piété ' ? Pour eux, on n'a plus gravé seulement une proclamation
générale de 14 lignes ; cette fois, on a gravé une série d'édits, ou
plutôt, comme l'a dit M. D. Schlumberger, la série des édits d'Açoka.
Cela confirme et renforce les considérations que j'avais déjà
développées sur la colonie grecque de l'Arachosie. Il ne faut peut-être
pas minimiser le nombre des colons. Il ne faut nullement exclure
que certains aient possédé des lots de colonisation, transmis de
père en fils, sans rupture sous les Maurya, ou de grands domaines
donnés autrefois à des officiers ; Doura-Europos et Suse sous les
Parthes nous peuvent fournir des parallèles. Même en supposant
cela, même en admettant une assez grande densité dans la ville
même, les Grecs formaient des noyaux dans un monde allogène.
Mais c'étaient des Grecs de qualité, de culture. Nous voyons l'œuvre
des secrétaires et des philosophes remueurs d'idées, placés dans
un monde différent. Ils sont en contact avec le monde grec, et non
un rameau détaché qui s'archaïse ou qui dégénère. La langue et
l'écriture le montrent, comme je l'avais dit. C'est eux qui ont ren-
UNE NOUVELLE INSCRIPTION GRECQUE D'AÇOKA 139

seigné Açoka sur le monde grec. « Jusqu'à 600 lieues, là où est le roi
Antiochos, et, plus loin qu'Antiochos, Ptolémée, Antigone, Magas
et Alexandre » ; là Açoka envoie ses missionnaires, d'après la fameuse
phrase de l'édit xm, peu après l'endroit où s'arrête notre fragment.
On le voit clairement maintenant, ces * philosophes ' grecs d'Ara-
chosie qui ont traduit la doctrine d'Açoka, ils ont été les
ambassadeurs tout trouvés du roi auprès des rois de l'Occident ; ils n'ont
pu manquer d'accompagner au moins et de guider, d'introduire et
de présenter les gens du pays qu'a pu envoyer Açoka ; ce sont eux
qui ont traduit et expliqué la doctrine du roi apôtre et missionnaire,
qui ont présenté les autres envoyés et discuté avec les ôiatQipcu de
leur pays d'origine, avec les écoles philosophiques de toutes tendances
de Séleucie du Tigre et d'Antioche, d'Alexandrie, de Cyrène et de
Pella. Les deux inscriptions grecques de Kandahar jettent de la
lumière sur ces fameuses ambassades d'Açoka ; ce n'est plus comme
un détail aberrant et comme une parade vaine et fantaisiste d'un
monarque exotique ; on saisit le lien entre l'Inde et les philosophes
des cours de Pella, Cyrène et ailleurs, les intermédiaires, les moyens
d'exposer, de discuter et de se comprendre.
« Les ' philosophes ' grecs d'Arachosie, les gens du pays à qui ils
ont enseigné le grec et leurs doctrines — car, dans toute colonie
grecque, il y eut attraction d'indigènes qui s'hellénisent — , n'ont
pas été les seuls ' intellectuels ' de la colonie. Il y avait
nécessairement la gamme des littérateurs, depuis le maître d'école qui enseigne
les rudiments et Homère. J'y compterais les lapicides, ces
personnages souvent regardés de haut par les éditeurs d'inscriptions,
ignorés des historiens, et qui ont été des agents indispensables de
la culture grecque, dont un des aspects est d'être une ' civilisation
des pierres écrites '. Il y avait des artistes, sculpteurs, peintres et
graveurs, des musiciens et des poètes, et des acteurs. Je ne dis point
que ces derniers aient eu nécessairement à Kandahar, comme dans
la Babylone hellénistique, un théâtre régulier, à imaginer sur le
modèle de ceux d'Athènes et d'Épidaure ; mais, si l'on pense à l'art
dramatique de l'époque hellénistique, il y eut des mimes, auxquels
suffît une scène bien modeste, avec un rideau. Ce ne fut peut-être
pas sans résonances sur le milieu indigène et pour les mimes et pour
les philosophes, de même que pour les graveurs et les sculpteurs.
Nous touchons, nous avons sous les yeux un lieu précis où s'opéra
le contact entre ' la Grèce et l'Inde ', exactement, ici, entre les
colons grecs de l'Arachosie et la civilisation de l'empire Maurya, et
nous voyons l'activité, les résultats, dans la présentation de la
doctrine d'Açoka pour les Grecs, — sur un mur couvert d'inscriptions
grecques, comme un portique de Grèce ou d'Asie Mineure (comme
plus tard le mur d'Oinoanda en Cibyratide avec la doctrine épi-
140 COMPTES RENDUS DE L' ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

curienne), se déroulant comme des feuillets de papyrus, — doctrine


exposée ' à la grecque ', avec le stock des notions et des tournures
philosophiques grecques ».

•\

M. Pierre Chantraine souligne brièvement l'intérêt de la


découverte présentée par M. Daniel Schlumberger et du commentaire de
M. Louis Robert. Il indique que nous pouvons prendre dans ce texte
des leçons dans l'art de traduire. Le mot ÔuxTQipVi était en effet le
meilleur équivalent possible du mot « secte ». De même dans d'autres
textes contemporains, oo^iottjç et yv\ivoao(çiaxr\<; « philosophes »
correspondent aux termes brahmanes, etc.
Le Président remercie Son Excellence, M. le Général Asa-
doullah de nous avoir fait l'honneur de sa présence et le prie de
remercier son gouvernement de l'accueil réservé à notre mission
dirigée par notre confrère, M. Daniel Schlumberger.

LIVRES OFFERTS
M. Alfred Ernout fait hommage à l'Académie de sa traduction des Poésies
de Catulle, ainsi que d'un article dont il est l'auteur, intitulé Sur la Langue
étrusque, extrait du tome 38 de la Revue de Philologie.
M. Jérôme Carcopino a la parole pour un hommage :
« J'ai l'honneur d'offrir en hommage à l'Académie, de la part de la Fondation
Calouste Gulbenkian dont le siège est à Lisbonne, le livre posthume du
professeur Manandian intitulé Tigrane II et Rome (1 vol. in-8°, 225 p., Lisbonne,
1944).
Arménien, l'auteur connaît les pays sur le territoire desquels Tigrane II a
régné et guerroyé et sa reconstitution des campagnes de Lucullus et de Pompée,
ses tracés des itinéraires suivis par les armées en guerre, ses localisations de
certaines places sur lesquelles on hésitait bénéficient de son expérience.
Naturellement, en raison de son patriotisme, il a été amené à majorer les
mérites de Tigrane II et à saisir la dureté des proconsuls ; mais, dans l'ensemble,
ses opinions constamment étayées par les textes qu'il place loyalement sous nos
yeux, sont plausibles ; et son Tigrane II et Rome, qui, dans son esprit, devait
couronner toute une série d'études dont le détail nous échappe parce qu'elles
furent écrites en arménien, est certainement digne de figurer désormais dans les
bibliographies à côté du classique Mithridate de feu notre confrère Théodore
Reinach, un beau livre que celui-ci corrige moins qu'il ne le complète et précise ».

Vous aimerez peut-être aussi