Couderc Montel Dumont10
Couderc Montel Dumont10
Couderc Montel Dumont10
: le développement
des crédits subprime
Des subprimes à
la crise mondiale Les crédits subprime sont des crédits immobiliers
proposés à des ménages américains ne présentant
pas les garanties financières nécessaires pour accéder
aux emprunts « normaux », dits « prime ». Il s’agit
généralement de ménages qui ne peuvent apporter la
preuve de revenus réguliers et suffisants, ou qui sont déjà
Déclenchée par l’épisode des subprimes, endettés, ou encore qui ont des antécédents de défaut de
la crise économique mondiale qui paiement. Compte tenu du profil des emprunteurs, ces
sévit depuis l’automne 2008 est la crédits présentent plusieurs spécificités par rapport aux
plus longue et la plus sévère observée emprunts normaux :
depuis celle des années 1930. - les taux d’intérêt sont plus élevés : une clientèle
peu solvable présente un risque plus important qu’une
Nicolas Couderc et Olivia Montel-Dumont clientèle normale pour le prêteur, qui exige donc une
en rappellent les grandes étapes : le rémunération plus élevée ;
Les politiques
défaut de paiement d’emprunteurs - les remboursements s’échelonnent en moyenne sur une économiques
américains peu solvables, à la suite plus longue durée (vingt-cinq ou trente ans) ; à l’épreuve
- dans de nombreux cas, les remboursements sont de la crise
de l’éclatement de la bulle immobilière faibles les premières années puis s’alourdissent. Les
Cahiers français
n° 359
aux États-Unis, a tout d’abord conduit établissements de crédit utilisent en effet pour séduire une
à une crise de liquidité bancaire en clientèle fragile un système de taux d’intérêt promotionnel D’une crise
août 2007. Malgré l’intervention massive pendant quelques années (« teaser rate »), qui se à l’autre
des pouvoirs publics, les difficultés des transforme en un taux beaucoup plus élevé (et souvent
variable) à la fin de la période de grâce.
banques perdurent et la crise financière Ce type de crédit s’est abondamment développé aux
s’étend à l’économie réelle à l’automne États-Unis au cours de la dernière décennie : le montant
2008 ; les gouvernements réagissent des prêts subprime est ainsi passé de 35 milliards de
par de vastes plans de relance qui dollars en 1994 à 600 milliards en 2006, soit 23 % de
l’ensemble des émissions de prêts cette année-là et 10 %
favorisent, début 2010, la dérive des de la totalité de la dette hypothécaire américaine. Les
finances publiques dans plusieurs crédits subprime concernaient en 2006 près de six millions
pays. Les craintes liées au gonflement de ménages. Trois raisons principales ont rendu possible
des dettes souveraines provoquent leur multiplication :
- l’absence de règles protégeant les emprunteurs
alors un nouvel épisode de crise, vulnérables aux États-Unis : dans un contexte de forte
éloignant les perspectives de reprise. valorisation de l’accès à la propriété, de nombreux
ménages se sont laissé séduire par ces formules de prêt
attractives sans toujours avoir conscience des modalités
C. F. réelles de remboursement ;
- le boom de l’immobilier : les prêteurs pouvaient
compter sur la revente du bien immobilier en cas de défaut
de paiement. Comme le prix des logements progressait
fortement, ils pensaient pouvoir récupérer à coup sûr la
somme due ;
- le développement de la titrisation : les crédits subprime
ont été fractionnés et incorporés à différents titres (d’où
le terme de titrisation) et revendus sur les marchés
financiers. Cette opération permet de partager les risques :
si un ménage se retrouve dans l’incapacité de rembourser
L
a crise – financière puis économique – qui secoue son emprunt, comme sa dette a été « partagée » entre
la planète depuis août 2007 est partie d’un segment de nombreux créanciers aux portefeuilles diversifiés, le
très particulier du crédit immobilier aux États- défaut de paiement est presque indolore pour le créancier.
Unis : celui des crédits subprime. Comment des défauts En contrepartie, la titrisation dissémine le risque dans
de paiement de ménages américains sur leurs crédits l’ensemble du système financier. Cela ne pose pas
immobiliers ont-ils pu provoquer une crise d’une ampleur problème tant que les risques de défaut de paiement sont
inégalée depuis la Grande Dépression ? indépendants. Mais si ce n’est pas le cas, le scénario
où de nombreux défauts de paiement se produisent la crise déborde le simple cadre des crédits subprime pour
simultanément et mettent en difficulté plusieurs institutions se transformer en une grave crise de liquidité bancaire
financières devient vraisemblable ; c’est précisément mondiale.
ce qui s’est produit pour la crise des subprimes : les Un véritable cercle vicieux se met alors en place : la crise
capacités des ménages à rembourser leur emprunt étaient de confiance exerce une pression à la baisse sur la valeur
dépendantes les unes des autres car liées aux tendances d’un nombre croissant d’actifs détenus par les banques.
du marché de l’immobilier. Face à ces moins-values latentes, les banques sont forcées
de vendre des actifs pour obtenir des liquidités. Elles se
retrouvent devant l’alternative suivante : vendre des actifs
dépréciés, réalisant ainsi des moins-values en capital
Acte 1 : les et accentuant la chute des prix ou vendre des actifs qui
conséquences de n’ont pas encore été touchés par la crise. Logiquement,
l’explosion de la bulle elles choisissent massivement la seconde option. Mais
ce raisonnement, parfaitement valable au niveau d’une
immobilière banque, montre ses limites lorsqu’on le généralise : quand
les ventes d’un actif de « bonne » qualité sont massives,
Une hausse des défauts de paiement son prix se met également à chuter. En d’autres termes,
les comportements des investisseurs et des banques ont
des emprunteurs subprime…
permis la propagation de la crise de marché en marché et
Les politiques
économiques de produit en produit. Les banques font alors face à une
à l’épreuve Le marché immobilier américain se retourne au second double crise :
de la crise semestre 2006. Immédiatement, les conséquences de - une crise de liquidité, c’est-à-dire une incapacité
Cahiers français
n° 359 l’explosion de la bulle se font sentir sur les emprunteurs à trouver les financements de court et moyen termes
et les défauts de paiement augmentent dans le secteur des nécessaires à leurs activités quotidiennes ;
D’une crise subprimes : le taux moyen de défaut passe ainsi d’environ - une crise de capital, en raison de la dépréciation de leurs
à l’autre 11 % au début de 2006 à environ 14 % au début de 2007, actifs : plus aucun investisseur ne souhaite leur apporter
pour dépasser 20 % en 2008. de fonds propres.
désormais dans une situation préoccupante. États-Unis -2,4 2,5 2,0
Les difficultés des entreprises ont des répercussions sur Japon -5,2 2,2 1,6
l’emploi. Cependant, contrairement à l’intuition commune, Chine 8,7 10,0 9,0
ce ne sont pas les faillites qui constituent la principale Russie -7,9 3,9 4,6
explication de la hausse du chômage constatée durant les Zone euro -4,0 0,9 1,6
crises économiques. Certes, lorsqu’une entreprise ferme Union européenne -4,1 0,9 1,8
ses portes, elle licencie ses salariés. Mais ces faillites Économies avancées -3,4 1,7 1,8
existent également en période de croissance économique. Amérique latine -2,3 4,4 3,8
En fait, la majorité des emplois détruits se situent dans
Monde -1,0 3,6 3,7
des entreprises qui ne font pas faillite : licenciements
économiques, chômage technique, non-renouvellement Source : FMI, OCDE, sources nationales et prévision OFCE
des contrats à durée déterminée, des intérimaires, etc. Par avril 2010.
ailleurs, le taux de chômage d’une économie ne dépend
pas uniquement des emplois détruits : si un nombre Au total, ces différents plans ont soutenu l’activité
équivalent d’emplois sont créés, le chômage n’augmente et l’emploi ; la Commission européenne estime ainsi
pas ! Or, on constate lors des récessions que la diminution que les plans de relance européens ont permis à la zone
du nombre d’emplois créés est en général beaucoup de bénéficier de 0,75 point de PIB en plus en 2009 et
plus déterminante dans l’augmentation du chômage d’environ 0,4 point en 2010. De même, aux États-Unis,
que la hausse du nombre d’emplois détruits. Ainsi, aux environ 3 millions d’emplois ont été sauvés grâce au plan
États-Unis, plus de 8 millions d’emplois ont été détruits de soutien à l’activité.
depuis le début de 2008. Dans le même temps, le taux de
chômage est passé de 4,8 % à 9,5 %, avec un pic à 10,2 %
en novembre 2009. On retrouve une évolution comparable
bien que moins forte en France, avec une hausse du taux
Acte 5 : l’espoir d’une
de chômage de 7,6 % au premier trimestre 2008 à 9,9 % reprise rapide douché par
au début de l’année 2010. les craintes sur la dette
Les difficultés des entreprises et des ménages ont souveraine
tendance à se renforcer les unes les autres : les problèmes
des entreprises les poussent à licencier ou à créer moins
d’emplois, ce qui diminue les revenus des ménages. La sortie de la récession a été amorcée au deuxième
Parallèlement, la baisse de demande des ménages, due à trimestre 2009 pour l’économie mondiale et au troisième
trimestre pour les États-Unis et la zone euro. Si le plus tension (mars 2010), la Grèce a ainsi dû payer jusqu’à
gros de la crise est derrière nous, celle-ci n’est pourtant 9 points de plus que l’Allemagne pour emprunter des
pas terminée. Dans les pays industrialisés, la reprise capitaux ! Face à un nouvel acte de la crise financière qui
prévue pour 2010 et 2011 sera a priori insuffisante pour risquait de mettre en péril l’existence même de l’euro,
permettre un retour aux niveaux de production de 2008. les gouvernements ont une nouvelle fois été contraints
De plus, alors que le risque de déflation n’a pas disparu, d’intervenir pour éteindre l’incendie : en prêtant des
l’état des finances publiques s’est considérablement capitaux à la Grèce, en créant une facilité de paiement, en
dégradé dans plusieurs pays sous l’effet conjugué de la mettant en place un fonds européen de stabilité financière
récession, du sauvetage des institutions financières et des doté d’un budget de 440 milliards d’euros, et en faisant
plans de relance (1). La plupart des économies avancées acheter par la BCE des obligations privées et publiques
se trouvent donc face à un dilemme : poursuivre le soutien sur le marché secondaire.
à l’activité au risque de détériorer encore le solde public, Outre le « sauvetage du soldat grec » (pour autant que
ou entamer une cure d’austérité susceptible d’étouffer le cela suffise à lui éviter le défaut de paiement, qui paraît
début de la reprise. difficilement évitable à moyen terme…), cette nouvelle
phase de la crise financière a poussé les États à tenter
d’assainir leurs finances publiques pour rassurer le
Un contexte déflationniste persistant marché sur leur santé financière. Inversant la tendance,
les gouvernements se sont donc mis au printemps 2010 à
Le risque de déflation n’a pas disparu. Bien que annoncer des plans de rigueur pour réduire leurs déficits
Les politiques
l’inflation soit repartie à la hausse depuis la mi-2009, et stabiliser, voire faire baisser leurs dettes publiques économiques
cette tendance masque la persistance de tensions (tableau 2) : ainsi, l’Allemagne annonce un objectif de à l’épreuve
déflationnistes : le chômage se maintient à des niveaux retour à l’équilibre des finances publiques en 2016 associé de la crise
Cahiers français
élevés dans de nombreux pays, ce qui pèse sur la à un plan d’économies de plus de 80 milliards d’euros ; n° 359
consommation ; les capacités de production restent la France souhaite stabiliser en valeur ses dépenses
largement sous-utilisées, ce qui freine l’investissement. publiques et réduire les niches fiscales ; l’Espagne D’une crise
De plus, face à la contraction de l’offre de crédit et à son s’engage dans un effort budgétaire d’ampleur jusqu’en à l’autre
renchérissement, beaucoup de ménages et d’entreprises 2014, tandis que la Grèce tente l’impossible en annonçant
doivent réduire leur endettement, avec le risque de une réduction de son déficit public de près de 11 points
répercussions majeures sur la demande globale et de PIB à horizon 2013 ; au Royaume-Uni l’objectif est de
l’activité du secteur bancaire. réduire le déficit de 10,1% à 1,1 % du PIB en 2015.
Or, les périodes de déflation sont extrêmement Si l’assainissement des finances publiques était
dangereuses car il est très difficile d’en sortir. En effet, effectivement inéluctable à terme, la question cruciale
lorsque les prix baissent, les consommateurs sont poussés porte sur la pertinence des plans de rigueur dans le
à retarder le moment de leurs achats (pour profiter de prix contexte actuel : alors que la crise n’est pas terminée,
plus bas ultérieurement). L’incitation à emprunter des les gouvernements parviendront-ils à tenir leurs
entreprises et des ménages est réduite : plus les prix engagements de réduction des dépenses publiques ?
baissent, plus le remboursement d’un emprunt pèse lourd Les plans de rigueur annoncés par les États européens
(car le montant à rembourser, lui, n’aura pas baissé). n’arrivent-ils pas trop tôt et ne risquent-ils pas de casser
la reprise – pour l’instant fragile – qui commençait à
apparaître ? La réponse à ces questions est aujourd’hui
La détérioration de l’état des inconnue, et c’est la principale préoccupation des
finances publiques gouvernements et des économistes : d’elle dépendent la
date et la vigueur de la reprise ! (*)
La persistance du risque de déflation devrait inciter les
gouvernements à poursuivre dans la voie de la relance.
Or, cela est aujourd’hui difficilement possible, car les Nicolas Couderc,
finances publiques de nombreux pays sont dans une professeur affilié ESCP-Europe ;
situation désastreuse. Les déficits publics accumulés Olivia Montel-Dumont,
pour tenter de relancer l’économie mondiale et sauver Cahiers français
les systèmes bancaires sont venus s’ajouter à des dettes
publiques déjà élevées. Pour certains pays, la limite
est franchie et la perspective d’un défaut de paiement
s’approche : la Grèce, mais aussi le Portugal, l’Espagne,
voire l’Irlande, sont dans une telle situation. Une
nouvelle vague de panique financière a donc balayé
les marchés financiers au printemps et à l’été 2010, les
craintes concernant cette fois-ci la dette souveraine et les (*) Ce texte reprend certains passages de l’ouvrage suivant : Couderc N.,
Montel-Dumont O. (2009), Des subprimes à la récession : comprendre
conséquences du défaut d’un emprunteur souverain sur la crise, Paris, La Documentation française/France info.
les banques (80 % de la dette grecque est ainsi détenue (1) Pour les chiffres concernant les déficits et dettes publics, cf. graphiques
par les banques européennes). Au cours de la phase de pp. 17-18 dans l’article de Céline Antonin.
Tableau 2. Les principales mesures de rigueur annoncées en Europe