Note Lean
Note Lean
Note Lean
LES METHODES
D’ORGANISATION DU
TRAVAIL : LE LEAN EN
QUESTION
AVANT-PROPOS
Le réseau Anact-Aract travaille depuis plusieurs années sur les processus de changements
techniques et organisationnels au sein des entreprises.
Dans le cadre du projet PAPT (accompagnement des projets de transformation), des chargés de
mission de l’Anact (Départements Changements Technologiques et Organisationnels, Santé et
Travail, Veille et Management de l’Information) et de 7 Aract (Rhône-Alpes, Basse-Normandie,
Aquitaine, Poitou-Charentes, Bretagne, Lorraine et Bourgogne) se sont réunis régulièrement depuis
janvier 2012 pour capitaliser (rassembler des données, partager des retours d’expériences) et co-
produire un point de vue permettant de comprendre et d’agir sur la diffusion des pratiques de type
dans les entreprises.
Cette note de positionnement est le fruit de ce travail. Elle est organisée de la façon suivante :
2. LA POSTURE MÉTHODOLOGIQUE.................................................................................. 8
5. ANNNEXES ....................................................................................................................... 32
1.1 Notes ................................................................................................................ 33
1.1 Bibliographie . ................................................................................................... 34
1.1 Lexique du vocabulaire Lean ........................................................................... 36
01
Les enjeux de la diffusion
des pratiques de type lean
Le modèle du Lean sera présenté de façon synthétique afin d’exposer les enjeux qui sous-tendent sa
diffusion. Nous insisterons sur la diversité des formes qu’il prend lors de son application dans les organi-
sations, ce qui incite à un positionnement nuancé.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
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APPROCHE GLOBALE ET
de cellules de production autonomes et polyvalentes
s’appuyant sur des standards de travail.
Le niveau stratégique renvoie à une conception de L’ampleur de la diffusion s’explique notamment par le soutien
la performance centrée sur l’amélioration continue et d’une politique économique qui, depuis 2009, promeut cette
l’élimination des gaspillages. démarche. Rebaptisée « excellence opérationnelle », elle
est présentée comme le vecteur de développement qui
Cette recherche de gains de productivité est déclinée en favorisera la compétitivité des PME. Cette politique est
deux principes organisationnels structurants: relayée par de nombreux programmes d’accompagnement
.
engagés par des institutions diverses telles que l’Etat, les
Le juste-à-temps, caractérisé par des flux tirés2 et régions, les branches professionnelles, les organismes
continus et une optimisation des temps. consulaires, etc. Ces programmes supposent un soutien
financier conséquent3. La DGCIS4 a alloué 11 millions
d’euros pour accompagner près de 1500 entreprises.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
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Nous exposerons les fondements méthodologiques de notre propos. D’une part, il se penche d’abord
sur des configurations locales - c’est-à-dire sur des pratiques développées dans des contextes spé-
cifiques pour repérer, ensuite, les propriétés typiques d’un modèle. D’autre part, il s’appuie sur une
approche inductive14, ce qui signifie qu’il est élaboré à partir des expériences accumulées du réseau
Anact-Aract depuis plusieurs années.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
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Lean signifie « maigre », « agile », « affûté » selon Tous les modèles ne se valent pas, leurs propriétés
les «Notre parti-pris méthodologique consiste, d’abord, à intrinsèques ne déterminent pas mais définissent un champ
éviter le déterminisme organisationnel. Cela signifie que des possibles (Crozier, Friedberg, 1977). L’organisation est
les modèles organisationnels - quels qu’ils soient - ne sont un système de contraintes et d’opportunités qui encadre
pas incontournables et ne s’imposent pas aux entreprises les actions selon des principes d’autorité, des modes
au regard d’un contexte économique ou institutionnel. de gestion, de coordination, des obligations et moyens
Le recours à un modèle organisationnel résulte d’un spécifiques. Leurs caractéristiques orientent une division
choix contingent, en lien avec la définition d’une stratégie du travail, des formes de coopération et d’engagement
et l’influence de facteurs environnementaux et sociaux. dans le travail. En d’autres termes, certaines organisations
Il n’existe pas de rationalité pure et parfaite qui exigerait auront tendance à favoriser certains types de risques.
un cadre organisationnel plutôt qu’un autre. En d‘autres
termes, il n’est pas recevable d’entendre qu’« on n’a pas le En outre, les organisations ne sont pas complètement
choix » en matière d’organisation ou que « ça doit marcher ou perpétuellement redéfinies ou renégociées. Elles
parce que le modèle a fait ses preuves ailleurs.» constituent des espaces d’action relativement stabilisés
(Thoenig, 1998) car des compromis s’établissent et des
L’absence de déterminisme organisationnel signifie aussi formes de régulation informelle récurrentes s’érigent en
qu’un modèle organisationnel ne peut pas être qualifié ou norme. Finalement, des mécanismes de fonctionnement
jugé dans l’absolu. L’organisation est un processus d’actions s’institutionnalisent et deviennent structurants (Davis,
et de décisions qui la modifie et régule son fonctionnement Marquis, 2005).
(Maggi, 2003, Reynaud, 1997, Crozier et Friedberg, 1977).
La réalité du fonctionnement d’une entreprise s’écarte Dans un second temps, il est donc possible
de fait de l’organisation formelle. Un travail d’organisation de repérer les types d’organisations qui se stabilisent
(Terssac de., 2003) est même essentiel et constitue lorsqu’un modèle est pris en référence et d’identifier
une opportunité de rendre réel et commun un changement leurs enjeux pour le travail. De façon empirique, certaines
en produisant des solutions singulières, locales, adaptées organisations et modes de fonctionnement ont
à des situations de travail insérées dans des tendance à favoriser certains types d’effets sur les
contextes d’action. Il correspond à une activité conditions de travail.
quotidienne de mise en forme du travail, constituées
de normes collectives et de microdécisions. Cette approche
est indissociable d’une représentation du travail dont la Ces exigences méthodologiques permettront
valeur ajoutée réside principalement dans l’anticipation de produire des connaissances solides pour donner
et la gestion des événements quotidiens. Travailler, c’est aux intervenants du réseau Anact-Aract les moyens
précisément prendre en charge ce que l’organisation n’a de conseiller les politiques nationales et régionales
pas pu prévoir, résoudre des problèmes quotidiens, faire en amont des changements chaque fois que cela est
face à des aléas, contourner une procédure pour s’adapter possible et, dans les entreprises, de jouer un rôle
aux situations singulières (Daniellou et al., 2006, Davezies, actif dans les processus de décisions pour infléchir
2009, Zarifian, 1995). Par conséquent, l’important les arrangements organisationnels dans un sens
est, dans un premier temps, de tenir compte de la favorable à l’amélioration des conditions de travail.
trajectoire d’appropriation d’un modèle et de la configuration
qu’il prend dans un contexte spécifique (Ughetto, 2009). Il
n’y a donc pas a priori de bons ou de mauvais modèles.
Cela dépend des enjeux auxquels il répond, du construit
social qui l’accueille, du système qu’il forme avec d’autres
dispositifs et dimensions structurelles, des arrangements
dont il fait l’objet. En l’occurrence, le Lean n’existe pas en
tant que tel. Il s’intègre dans une histoire organisationnelle.
Dès lors, la mise en place d’un modèle est tributaire de
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
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APPROCHE INDUCTIVE
Pour s’intéresser aux formes concrètes du Lean,
le réseau Anact-Aract s’est astreint à un travail de
capitalisation des connaissances acquises au cours Clefs de lecture et
de diverses expériences accumulées depuis plusieurs
années. Celles-ci représentent une dizaine d’interventions perspectives :
pour lesquelles la demande portait :
. Majoritairement sur des questions de santé au travail, Notre approche repose sur deux piliers
en lien avec un développement de TMS. Le
méthodologiques :
contexte caractérisé par des pratiques de type Lean
invitait à réfléchir à l’organisation du travail comme levier . un premier qui prend le parti de tenir compte de la
d’une articulation entre des logiques de performance et diversité des configurations organisationnelles dans
d’amélioration des conditions de travail. laquelle se diffuse le Lean pour s’interroger sur le
. Plus récemment, sur l’accompagnement à la mise en modèle ;
place du Lean ou pour un diagnostic sur ses conséquences, . un second qui, sur la base de cette diversité, s’attache
notamment dans le cadre de programmes à repérer les caractéristiques et effets récurrents pour
soutenus par les pouvoirs publics (environ 1/4 avancer des propositions.
des interventions).
Entreprises, conseils régionaux ou encore consultants sollicitent le point de vue du réseau Anact-
Aract sur les propositions prometteuses du Lean en matière d’amélioration des conditions de travail.
Voici une sélection de 6 questions fréquemment rencontrées. Pour chacune, nous pointerons les
éléments du débat actuel en nous appuyant sur les acquis des travaux académiques et nos propres
observations.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
12
. 250 salariés
. Aract Aquitaine
. Industrie, fabrication de matériel médical»
L’entreprise, dont l’existence remonte à plus d’un siècle, est un site de production qui fabrique des dispositifs médicaux
pour l’urologie. Ce travail, principalement manuel, très précis et difficilement automatisable, est réalisé en salle blanche sur
des petites séries d’environs 200 pièces, mais sur plus de 3 000 références.
En 2006, cette entreprise de 250 personnes est rachetée par un groupe international qui lui impose de mettre en œuvre
une démarche Lean. Deux ans plus tard, suite à une restructuration, le service Lean du groupe est supprimé mais les
usines peuvent continuer à mettre en œuvre cette démarche. C’est ce que fait l’entreprise qui se tourne vers un acteur
local d’appui à la compétitivité des entreprises pour bénéficier de conseils et de lieux d’échanges sur ses pratiques. Afin de
favoriser l’adhésion du personnel à la démarche Lean, cet acteur propose à l’entreprise de travailler sur l’ergonomie des
postes de travail et de prendre contact avec l’Aract Aquitaine.
Malgré le peu de maladies professionnelles déclarées (4 maladies professionnelles déclarées dont 3 reconnues), l’état
des lieux révèle que 26 personnes souffrent de troubles musculosquelettiques (TMS). Les TMS touchent principalement
les « ouvriers » (92%) et les femmes (81%) dont la plupart travaillent dans les ateliers. La moitié des personnes ayant
des symptômes de TMS ont des restrictions d’aptitude et/ou la moitié ont subi une intervention chirurgicale. Par ailleurs,
l’évolution des symptômes montre que ce sont les salariés les plus âgés et les plus anciens qui sont concernés, ce qui pose
avec plus d’acuité la question du maintien dans l’emploi au regard de la pyramide des âges de l’entreprise et du bassin
d’emploi. La démarche Lean, mise en œuvre par l’entreprise, s’est concrètement traduite par la réduction des
déplacements ou par la diminution des temps alloués à la réalisation des tâches, sans attendre l’évaluation des gains réels
et sans intégrer les effets sur la santé. En ce qui concerne le risque d’intensification du travail, les ressentis divergent dans
l’entreprise, y compris parmi les opérateurs. Certains y voient effectivement une réduction de leurs marges de manœuvre.
Mais, d’autres y trouvent la possibilité de remonter les difficultés liées à la réalisation de leur travail et de trouver des
solutions pour les aider à atteindre plus facilement leurs objectifs. Par exemple, les déplacements peuvent à la fois être
compris comme des temps de récupération nécessaires pour éviter la survenue des TMS, mais également comme des
sources de stress, d’accélération gestuelle et de postures contraignantes lorsqu’ils sont liés à des dysfonctionnements.
En animant une formation-action sur la conduite des démarches de prévention, l’Aract a permis à l’entreprise de travailler
sur la question du « juste nécessaire », en les outillant pour co-élaborer un compromis entre le besoin de standardiser et
celui de laisser des marges de manœuvre aux opérateurs.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
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ww Services, coiffure,
ww 70 salariés
ww Anact
Une holding familiale, spécialisée dans la coiffure haut de gamme, possède 12 salons de coiffure de deux enseignes
nationales. C’est une entreprise en développement qui continue à investir dans le réaménagement des salons. La direction
souhaite être à la pointe des techniques en matière de coiffure et de service. Elle décide de mettre en place le Lean dans
six salons, comptant 70 salariés. Les objectifs portent sur la fiabilisation des processus d’accueil et la fidélisation des
clients. Dans la mesure où la direction s’engageait à mettre en place un « Lean à visage humain » en visant l’amélioration
des conditions de travail le projet a bénéficié d’une aide financière du Fonds pour l’Amélioration des Conditions de Travail
(FACT).
Le consultant, bien qu’habitué à des environnements de type industriel, constate rapidement qu’il n’y a pas de « gras »
dans cette organisation. Le niveau de rationalisation est déjà élevé. Il propose d’orienter son action sur le management et
la responsabilisation des acteurs.
Les résultats du travail sont mesurés par l’évolution du chiffre d’affaires rendant compte d’une sollicitation par une
clientèle plus nombreuse et fidèle. L’évolution professionnelle proposée est celle de managers de salon. Ce faisant,
elle récompense des experts et des artistes, peu sensibilisés aux questions d’encadrement. L’intervention a permis
d’encourager la délégation et de nouvelles formes de responsabilisation via l’objectif commun de l’amélioration continue.
Un travail important a été conduit avec les managers de salon : groupes de travail, formations, séminaire de partage.
Une dynamique semble avoir été enclenchée avec une prise de conscience des managers sur la nécessaire évolution de
leur rôle, provoquant une rupture forte pour un certain nombre d’entre eux. La démarche d’amélioration élève fortement
le niveau d’exigence vis-à-vis de l’encadrement intermédiaire. Les groupes de travail entre managers et collaborateurs
réalisés au sein même du salon (logique du gemba, au plus près des situations de travail) a permis aussi de révéler les
besoins d’aménagements des espaces pour les locaux réservés au personnel (vestiaire, coin repas et repos), sujets qui
n’étaient pas portés jusqu’à présent. D’autres effets concrets ont accompagné cette évolution dans un sens favorable
à l’amélioration des conditions de travail : une remise en question du régime des astreintes et horaires de travail, des
apports sur les risques professionnels qui se traduisent par la mise en place d’indicateurs de santé au travail aux côtés
des indicateurs de productivité, de nouveaux espaces de discussion comme les échanges sur les pratiques de travail d’un
salon de coiffure à l’autre.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
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Ces représentations rendent difficile une discussion constructive entre les tenants du Lean et les professionnels de la santé
du travail :
Certaines entreprises parlent de participatif dès qu’un Les démarches participatives visent à mettre en débat
opérateur participe à une réunion ou qu’un « organisateur le regard des salariés sur les enjeux (dont leurs propres
» (manager, concepteur, référent Lean…) vient visiter un enjeux) et à partager les phases d’analyse.
opérateur à son poste.
L’enjeu est de réunir les conditions permettant aux opérateurs
de réellement exprimer leurs points de vue, d’en approfondir
la complexité, l’éventuelle diversité…
Un objet de discussion orienté « solution » : Un objet de discussion orienté « travail » :
L’animateur est porteur d’un enjeu et d’un diagnostic L’enjeu est de permettre des échanges ouverts sur le travail,
préalable. susceptibles de faire émerger d’autres questions, des
différences de points de vue, des problèmes sans solutions
Les temps participatifs concernent des questions bien
simples…
délimitées et visent avant tout à définir de manière
pragmatique des solutions factuelles.
Un cadre contraint : Un cadre souple :
L’animation des temps participatifs est perturbée par des L’issue des temps participatifs reste ouverte quitte à ne pas
objectifs à atteindre prédéfinis par ailleurs. atteindre les gains escomptés ou à partir dans une direction
différente de celle envisagée par l’animateur.
Un objectif d’adhésion : Un objectif de co-élaboration :
L’objectif est de recueillir l’accord des salariés. Les orientations retenues peuvent être re-questionnées par
les salariés qui peuvent changer d’avis à l’usage ou à travers
A l’extrême, les pratiques participatives sont parfois une
des échanges entre collègues. Les pratiques participatives
forme subtile de communication visant à faire accepter aux
reposent véritablement sur une relation de confiance entre
salariés des changements décidés par ailleurs.
encadrants et salariés.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
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L’intervention a été réalisée sur un site de fabrication de véhicules d’un groupe industriel. 400 salariés y assemblent 50
véhicules par jour. Depuis l’origine de ce site industriel, plusieurs actions d’amélioration des conditions de travail ont été
conduites : choix des outillages, conception des postes, formations internes, etc. Pourtant, les représentants des salariés
au C.H.S.C.T estiment que malgré toutes les actions déjà conduites, les conditions de travail se dégradent. Sont pointés en
priorité l’organisation du travail, la charge et l’intérêt du travail. Compte tenu de la stabilité du personnel dans l’entreprise, la
direction concède que des actions de prévention pourraient être nécessaires pour maîtriser les conséquences potentielles
du vieillissement des effectifs. Fin 2003, l’Aract est sollicitée pour une intervention visant une meilleure prise en compte
des conditions de travail dans un contexte de pratiques de type Lean.
L’Aract met en évidence que le risque d’usure professionnelle qui peut se caractériser par l’apparition de pathologies telles
que les TMS n’est pas uniquement lié à la pénibilité physique du travail d’assemblage mais réside également dans la
difficulté pour certains à trouver leur place dans un cadre devenu plus précis (précision accrue des standards, exigences
en termes de charge de travail, etc.). Ce constat a été établi via une approche historique du travail en resituant son analyse
au carrefour de plusieurs histoires : celle de l’organisation et celles des salariés de manière à mieux saisir comment
s’est construit le rapport subjectif au travail au fil du temps. D’un côté, c’est l’histoire d’une entreprise caractérisée par
un développement très rapide (passage de 2 camions par jour à une production stabilisée de 44 camions par jour en 10
ans) et la mise en place d’une organisation de plus en plus structurée s’inspirant du Lean. De l’autre, c’est l’histoire d’une
population qui s’est peu à peu diversifiée au gré des vagues de recrutement et des parcours internes. Il était possible
de caractériser cette population suivant deux catégories. Les « pionniers » sont arrivés au démarrage du site. Leur
engagement était guidé par le sentiment de contribuer au développement de l’entreprise phare de la région. « Tout était à
construire » dans un contexte laissant de la place à l’initiative et à la créativité des salariés. Toutefois, ce qui était considéré
comme du développement s’est transformé en une rationalisation progressive des systèmes de travail laissant moins
d’autonomie aux salariés. Les « promoteurs » ont intégré l’entreprise dans une phase de stabilisation. Ils découvrent une
nouvelle forme d’organisation industrielle et contribuent activement à une logique d’amélioration continue. Dans les deux
cas, la mise en place du Lean agit comme une rupture se traduisant par une perte de sens pour les uns et par de nouvelles
perspectives professionnelles pour les autres. Cette différence d’appréciation a des conséquences sur le fonctionnement
des collectifs de travail et questionne la manière dont se recompose les identités professionnelles. En effet, les dissonances
se renforcent lorsque les salariés sont interrogés sur la notion de « travail bien fait » du monteur assembleur. Le travail bien
fait est alors pour certains fortement lié au respect de règles et pour d’autres à leur contournement.
« On est parfois amené à faire des contrôles rapides, à courir pour que ça passe. Certains ne veulent pas courir pour faire
face, mais si on fait un arrêt de ligne, il faut tellement se justifier... Au final, on a pris des risques mais s’il y avait eu un
problème qualité ou sécurité, qu’est ce qu’on nous aurait dit ? ».
L’absence de débat ne fait qu’alimenter l’opposition des points de vue, la stigmatisation des uns au bénéfice de la
reconnaissance des autres. Dans le cas présent, l’organisation d’une discussion sur l’application des standards a démontré
que la frontière n’est pas si claire. Ainsi, l’ensemble des membres du groupe de travail (opérateurs, méthode, encadrement)
ont partagé l’idée suivante. Une des compétences clé du monteur-assembleur pour agir de manière autonome consisterait
à discerner, en fonction des situations, le caractère obligatoire ou facultatif voire parfois nuisible (risque d’arrêt de ligne par
exemple) des règles et à en faire varier l’application en fonction du contexte. C’est une alternative qui ouvre la voie à la
définition de nouveaux repères collectifs pour une recomposition progressive des gestes professionnels. Pour l’entreprise,
l’intervention a permis d’éclairer le fait que pour construire sur le moyen terme un compromis productivité / conditions de
travail, il s’agit avant tout de rendre discutables les choix de conception, d’organisation, de gestion en intégrant davantage
la réalité du travail et la diversité des populations.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
21
Par conséquent, la performance est, avant tout, de nature productive et centrée sur la valeur apportée aux clients. A titre
d’exemple, le bilan tiré d’une action collective pilotée par l’AFNOR et la DIRECCTE engageant 27 PME et PMI industrielles
en région Centre met l’accent sur la maîtrise des délais de production, l’amélioration de la satisfaction client et la réduction
des coûts. Concrètement, l’une d’entre elles, évoluant dans le secteur de la métallurgie et employant 123 personnes,
fait état d’une réduction du recours à l’intérim, de la réduction de la superficie de fabrication, de l’augmentation de 50%
des volumes de production, de la création de 6 nouveaux produits crées et du passage de 4 à 1 livraison incomplète par
mois31.
A partir de nos expériences, cette vision de la performance peut néanmoins être questionnée au moins d’un double point
de vue :
Le site concerné, appartenant à un groupe mondial dont les activités sont centrées sur l’accompagnement des distributeurs
d’énergies et d’eau, accueille la production des compteurs électriques. Fort de son expérience chez Valeo, le directeur de
production, aujourd’hui devenu chef d’établissement initie une démarche Lean.
Après avoir, d’une part, convaincu le siège anglais que le site est en capacité de produire de grandes quantités et, d’autre
part, remporté les marchés des nouveaux compteurs électriques qui équiperont demain nos foyers, la direction a décidé
de mettre en place une ligne à « opérateurs tournants »32, couplés à un robot pour produire avec la flexibilité souhaitée.
Comme le site souhaite reproduire 6 fois ce type de ligne, la demande adressée à l’Aract est celle d’évaluer la capacité
de cette production à atteindre les résultats de production souhaités sans risquer des effets sur la santé des opérateurs. Il
s’agit ainsi d’explorer les liens entre le Lean, la performance et la santé des salariés.
La ligne a été conçue pour passer les produits en grande série mais, dans les faits, les besoins de production sont
plus aléatoires, entraînant des difficultés d’approvisionnement qui limitent les capacités d’anticipation des opérateurs et
bloquent la chaîne. De nombreuses régulations sont à l’initiative des opérateurs. Par exemple, au niveau des postes de
finition et d’emballage, le plus long est la mise en place des plombs, supposant beaucoup de dextérité pour passer le fil
d’autant qu’il est parfois nécessaire de repositionner les vis. Pour gagner du temps, les opératrices tirent souvent plusieurs
compteurs en même temps : elles ne prennent ainsi qu’une fois la pince à plomber et régulent le temps d’impression
des étiquettes. Cela permet de gagner du temps en prenant de l’avance sur la préparation des cartons car les temps
moyens de montage ne sont pas cohérents avec la réalité des activités de travail. C’est finalement les lignes adjacentes
traditionnelles qui permettent de réguler les dysfonctionnements sur la ligne à « opérateurs tournants ». Néanmoins, au
passage, les représentations du métier des opérateurs sont bouleversées. En outre, cette organisation rend difficile le
travail collectif car elle amplifie les effets de l’hétérogénéité des modes opératoires en les concentrant sur une même ligne.
Au final, les résultats ne sont pas atteints et le seraient encore moins si les opérateurs respectaient les modes opératoires.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
23
Les effets de la standardisation du travail peuvent également comporter des résultats contre-productifs. Celle-ci impose
des modes opératoires (liste et enchaînement des tâches, outils, moyens, temps alloués, etc.) et arrête des critères
de qualité, ce qui laisse peu de place à la diversité des pratiques et des représentations d’un travail bien fait. Cela est
particulièrement visible dans les activités de service car le principe de standardiser revient à sous-estimer les logiques
de coopération et l’importance des ressources immatérielles pour la bonne réalisation de l’activité (Du tertre, 2012). Par
exemple, dans quelle mesure la standardisation peut-elle prendre en compte les configurations toujours spécifiques dans
lesquelles les dimensions relationnelles et émotionnelles de l’activité de soin des infirmières ? Il peut y avoir des chances
réelles pour que le professionnel et le bénéficiaire se mettent d’accord sur un niveau de qualité des soins, mais sera-t-il
toujours compatible avec les critères du mode opératoire formalisé ? Or, d’une manière générale dans les activités de
service, « de la qualité de la coopération, de la qualité de la relation qui va s’instaurer entre ces deux types d’acteurs,
vont dépendre la qualité du service et l’importance des gains (ou des pertes) de productivité » (du Tertre, 2012). Enfin,
on peut aussi se demander si la valeur produite - et donc la qualité du travail - doit toujours être évaluée au prisme de la
représentation que l’on se fait des exigences des clients ou de ce qu’il est prêt à acheter, sans laisser aussi une place à
l’expérience et aux savoir-faire des professionnels.
Cela irait également dans le sens d’une gestion efficace du risque, point sur lequel les pratiques de types Lean semblent
limitées (Lot, Moreau, Magnin, Valot, 2011). Des travaux académiques (Weick, 2003)34 menés dans des « organisations
hautement fiables », notamment dans le secteur du nucléaire, ont montré que, premièrement, les incidents sont inéluctables
et que, deuxièmement, en cas d’incident, la capacité d’action des salariés, les « intelligences locales » (Daniellou, 2011)
et l’agilité de l’organisation sont déterminantes pour y faire face. Ces résultats sont en lien avec une conception du travail
dont la valeur ajoutée réside dans la prise en charge des situations spécifiques, la résolution de problèmes, l’anticipation
et la gestion des événements, la prise d’initiative, etc.
Pour gérer la complexité des environnements et processus de production, a-t-on intérêt à se concentrer sur la recherche
de leur maîtrise en perfectionnant et en actualisant sans cesse la standardisation ? Pour y répondre, on pourrait convoquer
les arguments du Lean : quel est le temps passé à cette formalisation et cette recherche de maîtrise ? Quel est le véritable
retour sur investissement ? Est-ce un temps productif réellement utile à la performance ? N’a-t-on pas plutôt intérêt à
compter sur les compétences individuelles et collectives pour prendre en charge et réguler cette complexité en favorisant
les multiples formes de l’apprentissage ? Cela suppose néanmoins de reconnaître qu’il existe différentes manières de
travailler et qu’elles constituent des ressources pour atteindre efficacement les résultats escomptés. Ces questions ne sont
pas anecdotiques dans la mesure où, dans de nombreuses interventions, nous avons observé une tendance à confondre
moyens et objectifs. Les propositions du Lean ne sont alors plus un moyen au service d’objectifs mais, dans les faits,
leur application devient une finalité. Dans des entreprises, nous avons pu observer des tableaux affichés, complexes,
composés de multiples graphiques, parfois en anglais, censés informer tous les salariés en temps réel. Dans les faits, ils
servent essentiellement à donner la preuve d’une conformité au Lean lors des visites de la direction ou des représentants
de la maison mère.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
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Dans le Système Productif Toyota, la rentabilité est une résultante. C’est la qualité qui est visée et prime sur la productivité.
Avec la diffusion du Lean dans un contexte économique dominé par les marchés financiers, la rentabilité devient
progressivement prioritaire35, donnant l’ascendant à la productivité et aux impératifs gestionnaires dans l’organisation de
la production et les arbitrages quotidiens. Il y aurait une inversion des effets produits par les pratiques de type Lean entre
les années 1980 et les années 1990 (Du Tertre, 2012). Or, la performance productive réside également sur la capacité à
développer des innovations, de produits, de services et d’organisation. Peut-on parler de performance durable alors que
les pratiques de type Lean ne sont pas de nature à intégrer l’innovation de grande envergure, impliquant des ruptures ?
Peut-on faire des essais-erreurs, condition d’une innovation, dans un contexte marqué par les pratiques de type Lean ?
Personne ne peut être contre l’élimination des gaspillages ou l’amélioration continue, mais il y a certainement de la place
pour un débat sur les façons d’y parvenir.
Enfin, cette représentation ne vise pas l’amélioration des conditions de travail. Pourtant, les tenants du Lean disent y
être attentifs. Dernièrement, le relais de l’institut Lean France en région Centre récompensait les meilleures démarches
dans tous types d’entreprises (privées, publiques, industrielles ou de service) selon les critères suivants : la satisfaction
complète du client, le respect des employés, l’accélération des flux et la suppression des gaspillages par la résolution
permanente des problèmes. Qu’entend-on par « respect des salariés » ? Car la confusion l’emporte souvent dans les
débats entre les tenants du Lean et les professionnels de la santé au travail. Les référentiels sont sensiblement différents.
Les mêmes mots renvoient à des réalités hétérogènes. Il est alors fréquemment possible de dire la même chose sans aller
dans le même sens.mêmes mots renvoient à des réalités hétérogènes. Il est alors fréquemment possible de dire la même
chose sans aller dans le même sens. même sens.
La demande initiale de l’entreprise en 2006 a été portée par le DRH qui s’inquiétait sur les effets à long terme de la mise
en place du Lean imposée par le groupe. La première proposition de l’Aract fut de former un groupe pluridisciplinaire (28
personnes) à la compréhension des effets du travail sur l’homme en s’appuyant sur l’ergonomie et l’analyse du travail, la
prévention des TMS et au recours au maquettage et à la simulation lors de la conception ou la modification de postes.
Cette formation a eu plusieurs répercussions dans l’entreprise. A court terme, cela a permis de parler du travail, de ses
conditions de réalisation et de ses effets dans des lieux où auparavant la dimension technique et économique prédominait.
La Direction s’est engagée à prévenir les TMS et, progressivement, à passer d’une culture sécurité à une culture prévention.
Ensuite, l’Aract a accompagné l’entreprise sur 3 ans dans le cadre d’une convention avec la DIRECCTE sur la
construction d’une prévention durable des TMS. Trois acteurs de l’entreprise (l’infirmière, l’adjoint du responsable sécurité,
un responsable du bureau industrialisation) ont également participé avec cinq autres entreprises au voyage d’étude à
Montréal organisé par le réseau Anact-Aract sur les effets du Lean et la prévention des TMS. Ce voyage a permis d’enrichir
encore la réflexion au sein de l’entreprise et aux trois acteurs d’être des ressources dans la démarche de prévention
développée. L’accompagnement a permis également d’aider le chef de projet TMS à se positionner, à développer des
outils, à construire de un argumentaire pour accompagner l’évolution du travail et son organisation.
Depuis, régulièrement dans les médias, l’entreprise, représentée de façon paritaire, témoigne de son histoire du Lean. Elle
raconte d’abord une première mauvaise expérience, très descendante, imposée par le groupe. Puis, en 2009, l’entreprise
évolue : le comité de direction du site devient le comité de direction de la division auquel il appartenait. Il est désormais
seul à décider avec les nouveaux actionnaires. La direction décide de s’approprier la méthode tout en renforçant les
démarches de prévention. Un plan est construit pour faire de la santé au travail un axe stratégique au même titre que
l’innovation et l’amélioration continue. Concrètement, la direction décide de mettre l’accent sur le dialogue sur le travail
avec les opérateurs et la préservation des marges de manœuvre face aux standards de travail, notamment en sollicitant
l’intervention des opérateurs dès la conception des postes de travail pour les nouveaux produits. Depuis 2011, l’Aract
continue de suivre l’entreprise de manière trimestrielle. Les indicateurs de l’entreprise tant en terme de performance que
de conditions de travail sont en amélioration très significative.
2.REPENSER
Le recours au Lean n’est pas uniquement le résultat d’un
choix spontané de la part d’entreprises à la recherche de LA
recettes pour chasser le gaspillage dans tous ses recoins
et optimiser intrinsèquement la productivité et la qualité.
Les récits d’entreprise rencontrés par le réseau Anact-Aract PERFORMANCE ET LA PLACE
confirment que les dynamiques internes d’appropriation du
Lean sont sous l’effet de contextes nationaux et locaux. DUTRAVAIL
La diffusion du Lean pointe le rôle décisif joué par les
réseaux d’entreprise, les relations entre fournisseurs et Les pratiques de type Lean mettent l’accent sur une
donneurs d’ordres, les espaces de concertation locaux performance tirée principalement par la satisfaction du client
et les dispositifs institutionnels de soutien. Les territoires et soutenue par des formes de rationalisation du travail.
productifs sont marqués par des histoires et des spécificités Les considérations juridiques, sociales, écologiques
locales qui constituent un terreau plus ou moins favorable à s’expriment sous forme de contraintes ou de moyens
la diffusion du Lean. mais ne constituent pas une finalité de l’entreprise. L’une
des pistes de progrès pourrait être celle d’une définition
« Parmi les facteurs qui concourent à la diversité des modes plus globale et durable de la performance. Elle permettrait,
d’application du modèle, on identifie aisément la santé d’une part, d’inclure une approche immatérielle de la
économique et le devenir à court et moyen terme du créneau valeur créée par le travail au lieu de se concentrer sur ce
d’activité de l’entreprise, les niveaux de dépendance à l’égard qui est mesurable et, d’autre part, d’engager une réflexion
d’un donneur d’ordres ou encore le potentiel d’évolution et un suivi des coûts indirects, cachés, notamment ceux
technologique de l’outil de production. Plus largement, sur la santé des salariés. Cela suppose une définition des
ces paramètres se conjuguent à d’autres caractéristiques conditions de travail qui ne se résume pas à un instrument
territoriales comme le marché local du travail, la densité au service d’une performance productive. Un des défis
démographique, la qualité des infrastructures, le potentiel pour le réseau Anact-Aract consiste à promouvoir des
d’attractivité, etc. Cet environnement pénètre donc les organisations du travail qui puissent faire référence en
entreprises particulièrement via l’articulation entre gestion soutenant l’activité et l’engagement des salariés dans leur
de la main-d’œuvre (recrutement, formation, parcours, travail. Il s’agirait de construire progressivement une vision
reconnaissance, santé...) et options organisationnelles (type partagée de la valeur ajoutée du travail et de la performance
de management, modes de coordination et de coopération, de l’entreprise, partant du principe que tous les employeurs
participation aux processus de décision, organisation des n’ont pas la même définition et que chaque salarié a une
temps de travail...). conception économique de la performance.
Néanmoins, s’ils ne sont jamais vierges, l’activité Dans cette perspective, il est nécessaire que le débat
entrepreneuriale contribue également à façonner les soit réellement porté au plus haut niveau de l’entreprise.
territoires. Cette porosité constitue donc une opportunité Les questions de la santé au travail et des conditions
pour les entrepreneurs de s’inscrire stratégiquement dans de travail doivent être portées politiquement et débattues
le développement local du territoire dans lequel leur site est en comité de direction. Il ne suffit pas de les définir comme
implanté. C’est ici que jouent des espaces de mobilisation stratégiques et de les déléguer à un service fonctionnel.
comme les réseaux (pôles de compétitivité, consulaires, Il s’agirait de discuter à la fois de la représentation de
circuits d’attribution d’aides publiques...) et les groupements la performance (entre les impératifs « financiers » et
locaux d’employeurs. Les jeux d’acteurs, les zones les principes de type « responsabilité sociétale » ou «
d’influences ou bien les propriétés socio-politiques d’un développement durable ») et les liens entre santé et travail
territoire sont à intégrer dans un diagnostic préalable à un en dépassant une vision qui renvoie la santé (physique et
changement organisationnel. Les entreprises, notamment psychique) à sa seule dimension individuelle. Il s’agirait de
les plus petites, amenés à se faire accompagner pour porter convenir qu’une part importante des problèmes de santé au
ce changement ont tout intérêt à ne pas sous-estimer ces travail est liée aux choix organisationnels et techniques de
dynamiques actives en dehors de leur enceinte. Au delà l’entreprise.
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
29
Des pratiques bien concrètes peuvent être reconsidérées Les usages variés du Lean renvoient à des pratiques très
: quelle place est donnée dans les outils de gestion différentes de ce point de vue : les entreprises ayant une
(indicateurs, tableau de bord…) aux questions sociales culture RH ou santé-sécurité très forte semblent le plus
(conditions de travail, conditions d’emploi, santé au souvent retrouver des équilibres permettant l’articulation
travail…) ? Est-ce que les indicateurs sont pertinents ? entre le Lean et cette culture antérieure. Dans d’autres
Les indicateurs économiques et sociaux sont-ils examinés cas, les fonctions santé-sécurité ou RH restant minimales
conjointement ou de manière indépendante ? Quelles ou isolées ne questionnent que très faiblement les
informations laissent-ils dans l’ombre ? Au delà des seuls changements, pourtant importants, suscités par la mise en
indicateurs, la question se pose aussi en termes d’acteurs place du Lean.
: Qui porte au sein du comité de direction l’enjeu propre
Dès que l’entreprise grossit en taille, les différentes
des conditions de travail et d’emploi ? Quelle légitimité
fonctions transversales sont de plus en plus différenciées,
est donnée à ces fonctions pour souligner d’éventuelles
portées par des personnes ou des services distincts.
tensions avec d’autres enjeux jugés prioritaires ? Quelles
D’ailleurs, la mise en place du Lean s’accompagne souvent
sont les marges d’action laissées aux différents acteurs
de la création d’une fonction nouvelle d’animation de la
leur permettant d’agir à leur propre niveau ? C’est une
démarche d’amélioration continue, tenue séparément
première étape indispensable pour replacer le travail et
ou partagée avec une autre fonction (souvent la qualité).
ses conditions d’exercice, en tant que coût et source
Une difficulté majeure devient alors l’articulation entre ces
de valeur, au centre des décisions organisationnelles et
différentes fonctions porteuses d’enjeux distincts. D’une
techniques.
manière générale, de nombreux dysfonctionnements
du projet à ses seuls aspects techniques, en minimisant et abondant, etc.) mais également parce que les CE ou
l’instruction parallèle et anticipée des risques associés sur CHSCT ne sont que très rarement le lieu de véritables
les aspects conditions de travail (dont santé- sécurité) et débats sur les aspects stratégiques ou organisationnels
conditions d’emploi (dont compétences ou mobilités)39. d’un changement dans l’entreprise, voire sur le travail lui-
Cette instruction anticipée des risques demande des même, sa valeur et ses conditions d’exercice.»
compétences spécifiques (connaissances sur les risques,
La culture et les pratiques de dialogue social au sein
simulation des situations de travail futures, gestion
des CE et CHSCT ou entre direction et syndicats seront
prévisionnelle des compétences…). Une conduite de projet
pourtant décisives pour confronter les enjeux portés par la
participative doit permettre d’intégrer dans les prises de
direction et ceux des salariés et permettre l’élaboration d’un
décisions les usages et pratiques différenciés de travail :
compromis acceptable. Cela reste un canal indispensable
. d’une part, en associant dès l’amont les salariés concernés d’expression libre des salariés. Des marges importantes de
pour mobiliser leurs connaissances sur leur travail et,» progrès sont possibles sur ces questions.
5.ADAPTER LES
. d’autre part, en s’appuyant sur des compétences d’analyse
des situations de travail qui dépassent le périmètre du poste
de travail»
L’objectif est de concevoir un cadre de travail qui puisse
soutenir les activités de travail des salariés en mettant
RESSOURCES
l’accent sur les dimensions qui favorisent l’engagement et
la recomposition du sens au travail. ORGANISATIONNELLES
D’une manière générale, il s’agit de s’appuyer sur la
plasticité de l’organisation en équipant les différentes
(ENCADREMENT, MOYENS,
parties prenantes afin qu’ils puissent aller au bout de
la controverse sur le sujet. C’est la confrontation organisée OUTILS) AUX SITUATIONS DE
entre les différents savoirs qui traversent l’entreprise qui
donnera au compromis élaboré toute sa pertinence et sa
force dans l’action.»
TRAVAIL
Nos observations montrent que beaucoup entreprises ayant
4.S’APPUYER SUR UN
eu recours au Lean peinent à favoriser un management au
plus près du terrain et à favoriser l’expression des salariés.
Des encadrants qui disposent de faibles marges de
DIALOGUE SOCIAL LÉGITIMÉ manœuvre, les réunions quotidiennes de cinq minutes,
les outils à disposition tels que le suivi et l’affichage
ET CONSTRUCTIF permanent des écarts au théorique, les exigences de «
reporting » ne jouent pas le rôle déterminant de soutien
Les principes du Lean ne parlent pas en tant que tel du et de valorisation des activités de travail41. La possibilité
dialogue social. De fait, son déploiement vient souvent de développer des pratiques participatives quotidiennes
buter sur celui-ci. Longtemps, la mise en place du Lean, proposée par le Lean est un levier intéressant à condition
orchestrée par des cabinets de consultants externes, qu’elles ne soient pas au seul service de la résolution de
n’était pas considérée comme un objet de dialogue social. problème. Au delà de la simple existence d’espaces de
Parfois, le recours au Lean s’inscrit même dans un projet discussion, c’est surtout la qualité des échanges qui est en
de direction visant à « se disputer le terrain » avec les jeu. De quoi discute-t-on ? Avec qui ? A quelles conditions
syndicats. Les dispositifs participatifs ont alors tendance à les personnes seront disposées à exprimer leurs points
contourner les instances représentatives en se légitimant de vue ? A quelles conditions les échanges permettront
sur une parole recueillie directement auprès des salariés. d’identifier et de mettre en place de nouveaux compromis ?
Pourtant, comme l’a rappelé une récente jurisprudence à Des démarches participatives pérennes et efficaces
propos des CHSCT40, la mise en place du Lean relève de doivent viser la rencontre d’enjeux différents en acceptant
l’organisation du travail et se situe dans leurs attributions leur hétérogénéité, sans chercher à lisser les divergences
réglementaires. Toutefois, lorsqu’elles sont sollicitées, les a priori. Surtout, le travail, ses critères de qualité et
différentes instances se sentent démunies sur ce sujet, non ses finalités, son organisation locale et ses conditions
seulement parce que le Lean est un modèle qui requiert d’exercice doivent être au cœur des échanges pour
un apprentissage et suppose un temps d’appropriation favoriser une véritable implication du personnel, des
pour pouvoir émettre un point de vue (langage nouveau collectifs de travail et pour, in fine, reconnaître et s’appuyer
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
31
1- Notes
2- Bibliographie
3- Lexique du vocabulaire Lean
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
33
3- Cf. rapport final d’évaluation des actions d’amélioration 17- cf. lexique en annexe.
de la performance initiées par la DGCIS de juillet 2012 Page 17
:http://www.dgcis.redressement- productif.gouv.fr/etudes-
et-statistiques/evaluation- des-ac tions- damelioration-la- 18- cf. lexique en annexe.
per for mance - dans- cadre-plan-qualite-e Page 18
4- Direction Générale de la Compétitivité des Industries et 19- Le Fonds pour l’Amélioration des Conditions de
Services. Travail (FACT ) est un dispositif qui a pour objet d’apporter
5- Direction Générale des Entreprises, de la Concurrence, une aide financière versée sous forme de subvention
de la Consommation, du Travail et de l’Emploi. publique, aux entreprises et branches professionnelles
concevant et mettant en œuvre des mesures d’amélioration
6- Après des travaux préparatoires conduits par des des conditions de travail et contribuant à une meilleure
représentants des constructeurs, des fournisseurs, des prévention des risques professionnels.
organisations professionnelles et des pouvoirs publics,
la Plateforme de la Filière Automobile (PFA) a été mise Page 18
en place en 2009. Il s’agit d’une plateforme permanente 20- cf. lexique en annexe.
de concertation et d’échanges entre donneurs d’ordre
et fournisseurs de la filière industrielle de la construction 21- cf. lexique en annexe.
automobile” pour préparer et réussir la mutation de cette Page 20
filière dans un contexte économique difficile.
22- cf. lexique en annexe.
Page 7
Page 22
7- www.institut-Lean-france.fr»
23- cf. lexique en annexe.
8- A titre d’exemple, cf. les travaux de la CARSAT
Rhône-Alpes : « 10 bonnes pratiques : santé au travail et 24- « Lean management : l’écran de fumée du participatif
performance globale des PME » (février 2012). », Miroir Social, 29/11/2011 : « Sous couverts de participatif
et d’observation des salariés en activités, il s’agit de traquer
9- FGMM –CFDT, Transformations du travail et dialogue les temps improductifs ».
social, améliorer la qualité de vie au travail avec les salariés,
livret, mai 2012. Page 24
10-http://www.fnte.cgt.fr/IMG/pdf/Dossier_LEAN_mis_en_ 25- cf. lexique en annexe.
page_pour_collectif_CHSCT_FD.pdf 26- cf.lexique en annexe.
11- M. Petit, « Les effets du Lean sur la santé », la revue de 27- Pardi, 2011.environnementaux pour retrouver les
la CFDT, n°103, 2011, pp. 28 à 32. trois piliers classiques du développement durable.
12- Sur ce point, cf. Philippe Rouzaud (Secafi), Le Lean Page 26
tisse sa toile et vous entoure, L’harmattan, 2011.
28- Euréval, Id-act, « Evaluation des actions d’amélioration
13- Référé du 06 janvier 2012, n° R.G. : 11/03192, de la performance initiées par la DGCIS dans le cadre du
LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
34
38- Différents projets du réseau Anact-Aract sur les CHASSAING (Karine), « Former pour faire de la qualité :
questions de santé au travail ont abordé ce type de quelle reconnaissance pour les gestes prof. ? un exemple
problématique. On peut notamment penser aux projets dans le secteur de l’industrie automobile », Actes du
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LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
35
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LES METHODES D’ORGANISATIONS DU TRAVAIL : LE LEAN EN QUESTION
36
3. LEXIQUE DE VOCABULAIRE
les ressources en fonction du takt time (un seul opérateur
polyvalent pouvant faire tourner la ligne complète), (INRS,
2013, p. 50).