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BOUCQ ET CHARYN :

LITTLE TULIP
SCHUITEN ET PEETERS : REVOIR PARIS
MAGASIN GÉNÉRAL : CLAP DE FIN
ZEP : HAPPY PARENTS

SIGNÉ
NUMÉRO 55 - OCT-NOV 2014 - GRATUIT

COLLECTION
20 ANS DE PASSION
m Édito m
L
a place est chère dans Zoo. Les nombreuses
bonnes sorties de fin dÊannée se bousculent
et nos rédacteurs tirent la langue. Les ins-
tances exécutives du magazine tranchent (au cime-
terre, car cÊest plus spectaculaire), ajoutent (au
chausse-pied), écartent (au spéculum dÊun revers
de main), raccourcissent (comme ils peuvent)... Un
crève-cflur bien souvent.

Capitaine Trèfle © Hausman et Dubois / LE LOMBARD


CÊest que les propositions dÊarticles ne manquent
pas, particulièrement dès que les mois en ÿ bre Ÿ
imposent leur litanie crépusculaire. Pas moins de
40 % de la production de BD annuelle se
concentre en effet en fin dÊannée. Tenez, quelques
refus (quÊon regrette) : lÊexpo sur La Grande Guerre
de Charlie au musée de la Grande Guerre de Meaux,
Un long silence T.1 dÊÉric Stalner, Les Gardiens du
Louvre de Taniguchi, Blue Note T.2 de Mariolle et
Bourgouin... Et on en passe bien sûr. Quelques
recalés – des articles acceptés, rédigés, puis exclus
faute de place, dont certains se retrouveront en
bonus, ou bien sauvés des eaux, reportés sur le
numéro suivant : Le Syndrome dÊAbel T.3 de Dorison
et Marazano, La Grande Histoire du Journal de Mickey
par Patrick Weber, Altaïr de Kotono Kato, Velvet
T.1 dÊEd Brubaker et Steve Epting... Oui, on est
durs. Durs, mais pas justes pour autant. On nÊa pas
le choix, cÊest tout – ou plutôt on doit en faire de
trop nombreux.
... Ne parlons même pas des dommages collaté-
raux. Hop, une page ciné qui saute, Gone Girl en
lÊoccurrence, pourtant honoré dÊun ÿ coup de
cflur Zoo Ÿ (vous savez, ce fameux logo en forme
de cflur). Mécontent le rédacteur ciné (et dieu sait
que les coups de tête, il les distribue volontiers).

Mais nous ne sommes pas des geignards, réjouis-


sons-nous plutôt de toutes ces parutions de qua-
lité. Et comme vous pourrez le constater, nous
sommes quand même parvenus à un résultat. Dont
nous vous laisserons juges.
OLIVIER PISELLA 06 - ÿ SIGNÉ Ÿ A 20 ANS
Zoo est édité par
m Zoommaire m

© Zep / GUY DELCOURT PRODUCTIONS 2014


Arcadia Media
45 rue Saint-Denis
75001 Paris
Envoyez vos contributions à : Zoo numéro 55 - oct-nov 2014
[email protected]
Directeur de la publication
& rédacteur en chef :
ACTU BD
Olivier Thierry 10 - UN OCÉAN DÊAMOUR : contre vents et marées
12 - LES VIEUX FOURNEAUX : comment bien veillir ?
Rédacteur en chef adjoint : 14 - EDWIN : welcome to the real world
Olivier Pisella, [email protected] 15 - JOE BAR TEAM : motos, bistro, poteaux
16 - LE CH˜TEAU DES ÉTOILES : de la Terre à lÊéther
Conseillers artistiques : 18 - MASCARADE : jeu de dupes
Kamil Plejwaltzsky, Howard LeDuc 20 - A˜MA a la baraka
Rédaction de ce numéro : 22 - HAPPY PARENTS : lÊhymne à la joie dÊêtre parent
Olivier Pisella, Julien Foussereau, Jérôme 24 - POULBOTS : chiens perdus sans collier
25 - PIRATES : un dé à la mer ! HAPPY PARENTS : PAGE 22
Briot, Kamil Plejwaltzsky, Olivier Thierry,
Thierry Lemaire, Jean-Philippe Renoux, 26 - HOMMES ¤ LA MER : ahoy, matey !
Michel Dartay, Boris Jeanne, Alix de Yelst, 28 - AAARGppy birthday
Jean-Laurent Truc, Gersende Bollut, Yaneck 30 - Clap de fin pour le MAGASIN GÉNÉRAL
32 - ANGEL WINGS : les anges ont un sexe Le logo ÿ coup de cflur Zoo Ÿ distingue les
Chareyre, Elsa Bordier, John Young, Cecil
McKinley, Hélène Beney, Julie Bee, Louisa 34 - REVOIR PARIS : après Les Cités Obscures, la ville lumière albums, films ou jeux vidéo que certains
Amara, Stéphane Urth, Vladimir Lecointre, 36 - LA COULEUR DE LÊAIR / CHAPUNGO de nos rédacteurs ont beaucoup appréciés.
Didier Pasamonik, Frank Tomair, Yannick 38 - FOX-BOY : un grand pouvoir implique... un grand pouvoir
Lejeune, Julie Bordenave Retrouvez quelques planches de certains
Publicité :
[email protected], 06.08.56.04.71 RUBRIQUES albums cités par Zoo à lÊadresse
• Marion Girard, 40 - COMICS : Building Stories, Animal Man, Nick Fury www.zoolemag.com/preview/
[email protected] 45 - MANGAS & ASIE : Kid I Luck!, La Tour Fantôme, Food Wars Le logo ci-contre indique ceux dont les
• Geneviève Mechali,
[email protected]
50 - JEUNESSE : intégrale Poussy planches figurent sur le site.
52 - ART & BD : Niki de Saint Phalle, le jardin des secrets
Couverture : 54 - LA RUBRIQUE EN TROP : Ercola
© François Boucq / Le Lombard 55 - SEXE & BD : District 69, In Bed
Zoo est partenaire de :

Collaborateurs : Yannick Bonnant et Audrey Retou


CINÉ & DVD
56 - LOU ! JOURNAL INFIME : Lou ! Journal stylé
Dépôt légal à parution.
Imprimé en Espagne par TIBER S.P.A.
Les documents reçus ne pourront être retournés.
Tous droits de reproduction réservés.
JEUX VIDÉO
58 - BAYONETTA 2 : ma sorcière bien armée

www.zoolemag.com * Prochain numéro de Zoo : le 24 novembre 2015


en bref A g e n d a N e w s

E
LÊactu de la BD
sur France Culture
Tous les vendredis
4 ÉDITION DU SOBD
O
au petit matin dans
ÿ Un autre jour est n ne change pas une la traditionnelle exposition rétros-
possible Ÿ (6h-6h30), recette qui a fait ses pective, lÊauteur de LÊAscension du
Tewfik Hakem
dévoile lÊactualité de preuves. Le Salon des Haut Mal participera à quelques-
la bande dessinée en Ouvrages sur la Bande Dessinée unes des tables rondes. Inno-
compagnie des auteurs de France et (SoBD), le seul en son genre, aura vation majeure de lÊédition 2014,
dÊailleurs.
Réécoutez et podcastez librement sur lieu fin novembre dans lÊEspace des un Prix SoBD – Papiers Nickelés
franceculture.fr les derniers entretiens : Blancs Manteaux, au cflur de Paris. du meilleur ouvrage sur la bande
Charles Burns pour Calaveras Inutile dÊaller chercher ailleurs, cÊest dessinée et le patrimoine dessiné
(Cornelius) ; Jean-Marc Rochette pour ici que vous trouverez le plus dÊes- sera remis au cours du week-end.
Requiem blanc (Casterman) ; Didier
Tronchet pour Les Vertiges de Quito sais / biographies / beaux livres / Une étape de plus dans la visibi-
(Futuropolis) ; François Olislaeger pour manuels / traités sur le 9e art. lité et la reconnaissance de la
Marcel Duchamp (Actes Sud) ; Gilles Dal recherche sur le 9e art.
et Johan De Moor pour Cflur glacé (Le
Lombard) ; Maadiar pour Mathurin Mais pas seulement. Une quinzaine THL
soldat, un crayon dans le canon (Les de tables rondes, des stands dÊédi-
éditions du Pélimantin)
Pour en savoir plus, suivez France
teurs indépendants, de libraires c Salon des Ouvrages sur la
Culture sur Twitter dÊancien et de fanzines attendent le Bande Dessinée, du 28 au 30
@franceculture et Facebook visiteur. Tout cela sous le regard et novembre, Espace des Blancs
la parole bienveillants de David B., Manteaux, 48 rue Vieille du
By Jove ! Quels breuvages ! invité dÊhonneur cette année. Outre temple, Paris IVe, www.sobd.fr
Certes, Blake et
Mortimer sont plutôt
adeptes du scotch,
mais si Nasir en avait
eu la possibilité, nul
doute quÊil aurait
préparé pour ses
employeurs lÊun des
Nérac accueille LE COMBAT ORDINAIRE :
30 drinks présentés dans ce livre. Les
recettes apéritives, classées par thèmes
en lien avec la série, donnent il est vrai
furieusement envie au lecteur dÊessayer. Charles Burns DÉBUT
M
DE TOURNAGE
anu Larcenet était passé à

© Larcenet / DARGAUD
Attention toutefois à ne pas sÊy prendre
une dimension supérieure
© Didier Pasamonik

à la dernière minute, un grand nombre


dÊingrédients étant assez difficiles à lorsque Le Combat ordinaire remporta
trouver. En tout cas, voilà une manière le Prix du meilleur album à lÊédi-
aussi originale quÊélégante de
commencer une soirée entre amis, tion 2004 du Festival dÊAngoulême.
même si ce nÊest pas au 99bis Park Le trait simple de Larcenet contras-
Lane. tait avec la complexité psycholo-
Les cocktails de Blake et gique dÊune fluvre mettant en scène
Mortimer, de Claire Dixsaut,
éd. La Maison, 128 p., 19,90 € Marco, photographe trentenaire
THIERRY LEMAIRE fragile et perpétuellement en fuite.
Entre les angoisses de Marco et les
Tonnerre de Bulles !, n°6 petits riens de la vie quotidienne, Larcenet abordait la peur
La revue sur la BD
que lÊon prend plaisir à de lÊengagement amoureux, les blessures du passé, retrou-
retrouver nous offre un ver le désir du travail bien fait quand lÊenvie manque. Le tout
sixième numéro encore avec finesse. CÊest donc un vaste programme à retranscrire
une fois plein à craquer.

C
Outre les classiques 'est à 20 kilomètres au-dessous d'Agen, à la lisière des sur grand écran. Nicolas Duvauchelle incarnera Marco.
entretiens, cette fois-ci Landes. S'y rendent tous les premiers week-ends du Laurent Tuel occupera les postes de scénariste et réalisateur.
avec Brüno et Turf, Concernant le passif de ce dernier, on sauvera le plutôt malin
on découvre un abécédaire du mois d'octobre depuis sept ans les aficionados de la Ligne
caricaturiste Jean Mulatier, ainsi quÊune Claire car sa figure tutélaire, Yves Chaland, était originaire Jean-Philippe où Fabrice Luchini se réveillait dans un monde
interview croisée de Jean-François de cette petite ville, Nérac, joyau niché dans la vallée alternatif où Johnny Halliday nÊaurait jamais existé⁄ avant
Miniac et Jacques Terpant.
d'Albret. dÊoublier le reste. Il ne reste plus quÊà souhaiter que Le
Pour tout renseignement, écrire à : Combat ordinaire de Larcenet transcende Laurent Tuel. Le
[email protected]
Les Petits Sapristains, 64 p., 6 € Au menu du festival cette année, six expositions et un jugement aura lieu probablement vers fin 2015.
invité majeur : après Ted Benoît, Zep, Joost Swarte et JULIEN FOUSSEREAU
On ne sait toujours Serge Clerc, c'est l'inquiétant Charles Burns, l'auteur de
pas tout sur le zizi
Sept ans après, ÿ Zizi
Black Hole (Delcourt), qui a présidé ÿ Les Rencontres
La BD envahit Kidexpo
© Zep / GLÉNAT

sexuel lÊexpo Ÿ est de Chaland Ÿ. Chaland et Burns, ça va ensemble ? Bien


entendu : biberonné à la lecture des dessinateurs de
D
retour à la Cité des
Sciences et de l'Underground comme à ceux de la Ligne Claire, Burns a u 23 au 27 octobre, Porte de Versailles, se
lÊIndustrie, Porte de la
été très tôt publié dans le Raw d'Art Spiegelman où il a tient Kidexpo, salon dédié aux enfants et
Villette à Paris. Inspirée à leurs parents créé en 2007. Lors de cette 8e édi-
du Guide du zizi sexuel croisé Ever Meulen et Swarte, puis dans Métal Hurlant au
de Zep et Hélène début des années 1980. Il adorait Yves Chaland et on le tion, la bande dessinée est particulièrement mise
Bruller paru en 2001 chez Glénat,
sent proche de cette famille de graphistes qui associent à lÊhonneur : Achdé, le dessinateur du prochain
cette exposition entend répondre aux album de Lucky Luke, est attendu pour des dédicaces ; des
question des pré-ados sur lÊamour et la dessin clair et ciselé à une étrangeté ambigüe. Aux côtés
sexualité. Les générations se succèdent, de Burns, Philippe Dupuy et ses praxinoscopes, le bestiaire ateliers et animations autour de Garfield, Boule et Bill et des
mais les interrogations sur la question
enchanté de Véronique Dorey, le rêve bruxellois des édi- Schtroumpfs sont également annoncés. Une bonne idée de
demeurent. sortie familiale pour les vacances de la Toussaint.
JusquÊau 2 août 2015 à la Cité des tions Magic Strip et... les Cauchemars d'Yves Chaland, his-
sciences et de lÊindustrie, Paris toire de rester dans le ton. c Kidexpo, du 23 au 27 octobre,
DIDIER PASAMONIK Porte de Versailles, www.kidexpo.fr

4
E n C o u v e r t u r e

© Hermann et Yves H. / LE LOMBARD


STATION 16

SIGNE DES TEMPS


La collection « Signé » au Lombard est depuis longtemps un gage de qualité. Quoi de plus normal puisque beaucoup de grands
auteurs y ont signé des œuvres mémorables et quelques autres s’y sont révélés. Vingt ans après le lancement de ce projet éditorial,
nous avons fait un bilan avec Gauthier Van Meerbeeck, directeur éditorial du Lombard, sur cette réussite.

O
n peut avoir le sentiment que ÿ Signé Ÿ a lui garantissant une différence par rapport à la pro- Même si nous ne fermons pas la porte aux jeunes
été pensé pour accueillir des albums dÊex- duction courante. Au fur et à mesure, on nous a pro- auteurs, nous souhaitons rester sélectifs.
ception : des albums en décalage par rap- posé des narrations qui avaient été pensées pour inté-
port au parcours de certains auteurs connus ou grer la collection ÿ Signé Ÿ ; cela a été le cas par Beaucoup dÊalbums du label ont permis de décou-
reconnus avec dÊautres narrations. Quel album a été exemple pour Western de Rosinski et Van Hamme. En vrir des dessinateurs sous un jour nouveau ou ont
à lÊorigine de cette aventure ? tout cas, nous nÊavons jamais envisagé de nourrir ou consacré des artistes que les instances du neuvième
Gauthier Van Meerbeeck : CÊest Yves Sente qui a été remplir coûte que coûte la collection. art avaient un peu mis de côté ; il y a même eu des
à lÊorigine de ce projet à une époque où le modèle cou- CÊest une grande fierté pour nous que dÊavoir servi de associations inattendues...
rant voulait que tous les albums soient formatés par laboratoire et que de ces expériences soient sortis de CÊest exactement le but que nous nous sommes fixés.
rapport à une collection. Une profusion de labels a vu grands albums. Avec le recul, nous sommes en mesure Olivier Grenson, qui est connu pour Niklos Koda, a pu
le jour chez les éditeurs pour délimiter des familles ou dÊaffirmer que ÿ Signé Ÿ est lÊune des seules collections se lancer ainsi dans une narration beaucoup plus per-
des thèmes et orienter ainsi le lecteur. Mais cÊest lÊes- à être devenue un label. Nous avons eu la chance de sonnelle. Il lÊa fait en outre sans filet, sans la caution
prit de la collection ÿ Aire libre Ÿ chez Dupuis qui a démarrer cette aventure avec des titres qui ont posé dÊun grand scénariste comme Jean Dufaux. Kas ou
servi en quelque sorte de modèle à Yves Sente : implicitement une exigence ou tout au moins un encore René Hausman ont retrouvé une nouvelle
comme son nom le laisse entendre, ce label accueille engagement de la part des auteurs. Grâce à cela, notre direction, presque un second souffle en intégrant le
des projets dÊauteurs avec un minimum de contraintes. label a pu jouer un rôle de garant. label. Le premier sÊest essayé à un style plus réaliste et
¤ une époque où tout devait absolument être balisé, le second est revenu vers une technique de dessin (le
ÿ Signé Ÿ et ÿ Aire Libre Ÿ ont pris le contre-pied de Vous avez aussi lancé par le passé quelques jeunes
DR
cette volonté. Au Lombard, lÊidée de sortir de la norme talents à travers le label... Allez-vous maintenir ce
est venue de nos échanges avec Cosey quand il a été cap ?
question dÊéditer Zélie Nord-Sud. Nous nous sommes dit Au départ, ÿ Signé Ÿ ne concernait que des auteurs
quÊil fallait trouver un écrin pour ce type de récit ainsi confirmés. Par la suite, le label a pu jouer un rôle de
que pour certaines rééditions auxquelles nous songions tremplin ou plus encore de révélateur, mais nous
déjà [Histoire sans héros, ¤ la recherche de Peter sommes revenus à notre première intention. Nous
Pan, NDLR]. Bref, nous avons imaginé un espace où avons pensé que si nous élargissions notre charte,
les auteurs pourraient expérimenter le temps dÊun nous risquerions de créer une confusion et de perdre
récit court – pas plus de deux albums. notre spécificité. Cela coïncide également à une
Au début, cÊest vrai, nous avions tendance à proposer volonté au Lombard de freiner le rythme des sorties
aux auteurs dÊéditer leur album sous ce label quand afin de mieux défendre nos titres et de tourner le dos
nous jugions que cela correspondait à quelque chose à la surproduction irrationnelle de ces dernières
dÊhors norme par rapport à leur parcours ou quand années. Nous considérons ÿ Signé Ÿ comme un écrin :
nous avions le sentiment que le contenu sortait suffi- cela nous a permis dÊengendrer des projets très forts
samment des canons commerciaux. Singulariser ces comme Terreur de René Follet, Irish Melody de Franz,
albums de cette manière permettait de balayer cer- Mezek de Juillard, etc. Dans cette logique, nous nÊavons,
taines idées reçues tout en informant le lecteur ou en ni ne voulons alimenter la collection à tout prix. GAUTHIER VAN MEERBEECK

6
E n C o u v e r t u r e

lavis) quÊil avait partiellement abandonnée. Dommage

© Boucq et Charyn / LE LOMBARD


que René nÊait toujours pas la reconnaissance du
public... même si beaucoup de dessinateurs lÊadmirent.
Il y a eu dÊautres rencontres, dÊautres retrouvailles
comme celles de Philippe Foerster et dÊAndreas avec
Styx, des événements forts comme LÊArbre des deux prin-
temps où des grands noms de la bande dessinée ont ter-
miné lÊalbum de Will après son décès. Mais ÿ Signé Ÿ
cÊest aussi un espace où des talents se sont confirmés.
Cela a été le cas avec Miss Endicott de Derrien et
Fourquemin ou encore Des lendemains sans nuages de
Meyer, Gazzotti et Vehlman...

Vous semblez ne pas vous être fixé de limites édi-


toriales. Comment êtes-vous parvenu à rester LITTLE TULIP
cohérents ?
On tient malgré tout à garder quelques contraintes. sur la volonté dÊun auteur dans son choix de travailler
Nous sommes de ceux qui estiment quÊil faut maintenir avec nous. Cela a été un peu le cas pour Mezek, mais
un minimum de limites : cela a pour intérêt de stimuler en général ce nÊest jamais véritablement décisif. Pour
la création et de garder une cohérence – une unité – cet album, je crois en toute modestie que le label a per-
à lÊensemble de la collection. Il nÊy a pas dÊexigences mis de resituer André Juillard après avoir travaillé sur
à proprement parler quant au contenu du récit – pas des albums plus ÿ grand public Ÿ.
de thèmes ou de genres que nous nous refusons. Nous
souhaitons en revanche que lÊécriture, le dessin et Pouvez-vous nous parler de vos prochaines sorties
lÊhistoire restent accessibles car nous voulons éviter de – celles qui accompagneront les 20 ans de la col-
tomber dans lÊintimisme ou lÊélitisme du roman gra- lection ?
phique à la française. En dehors de Little Tulip que nous avons déjà évoqué
Nous nous donnons aussi une fourchette de pages et Station 16 de Hermann déjà sorti au début de lÊannée,
minimum ou à ne pas excéder et nous tâchons à ce il y a pas moins de six albums de prévus. René
quÊil nÊy ait pas de trop grands écarts en termes de maî- Hausman, qui a déjà réalisé Le chat qui courait sur les toits
trise de dessin entre chaque projet. Les récits de dans notre collection, vient de terminer Capitaine Trèfle.
longue haleine peuvent parfois poser des problèmes Avec ce récit, nous reformons le tandem Pierre
parce que nous devons tenir compte bien sûr dÊaspects Dubois-René Haussman qui avait donné naissance à
plus terre à terre afin que les albums puissent rester Laïyna il y a de cela 25 ans. Comme on peut sÊy
abordables. Dans ces cas de figure, nous sommes attendre avec Pierre Dubois, il sÊagit dÊune fable autour
amenés à scinder lÊhistoire pour en faire des dip- du petit peuple.
tyques ; la difficulté étant de réfléchir avec lÊauteur à ¤ propos de duo recomposé pour lÊoccasion, il y a
la façon dont va sÊarticuler lÊintrigue. celui qui concerne Charyn et Boucq. CÊest une coïn-
La cohérence de notre catalogue, cÊest le fruit de cette cidence et un beau symbole que cet anniversaire
charte, mais ce sont aussi les auteurs, à travers leurs pro- puisse servir en quelque sorte de prétexte... DÊailleurs,
jets, qui ont contribué à ce que cela forme un tout. à propos de coïncidence, Xavier Dorison, Emmanuel
Herzet et Cédric Babouche ont réalisé un album, Le
François Boucq vient de terminer un récit pour la Chant du cygne, qui se déroule pendant la Première
collection. QuÊest-ce qui vous a décidé à ajouter Guerre mondiale à lÊheure où nous sommes en plein
deux de ses précédents albums (Bouche du diable dans les célébrations de ce conflit. Nous avons été
et La Femme du magicien) précédemment édités séduits par lÊoriginalité du scénario qui sort complè-
chez Casterman ? tement des sentiers battus par rapport à ce qui a été
Pour François Boucq, nous ne nous sommes pas posés fait jusquÊà maintenant sur la Grande Guerre. LÊhistoire
la question bien longtemps. Il nous a semblé évident ne se déroule quasiment jamais sur le front. On assiste
que Bouche du diable et La Femme du magicien collaient par- à la descente vers Paris de soldats qui ont choisi de
faitement avec lÊesprit du label. Nous ne pouvions pas déserter pour rapporter au parlement les choix straté-
écarter ces albums sous prétexte quÊil sÊagissait de réé- giques calamiteux de lÊétat-major sur le front.
ditions : personne nÊaurait compris que Little Tulip y soit LÊambiance presque bucolique de lÊalbum tranche
et pas les deux autres. Il y a une unité entre ces albums, avec les représentations habituelles de cette guerre ;
qui dépasse lÊassociation de Charyn et Boucq⁄ Ces elle est aussi paradoxale compte tenu du destin de ces
histoires, pourtant différentes, partagent des atmos- insurgés qui savent à peu près quel va être leur sort à
phères voisines⁄ Tout y est question de désenchan- partir du moment où ils sÊen vont vers la capitale.
tement et de cruauté. Comme dÊhabitude, serais-je Pour Le Soldat, nous nous retrouvons avec un tandem
tenté de dire, Charyn adopte un point de vue inha- qui, à mon sens, a un très fort potentiel. Olivier
bituel : celui dÊun prisonnier dans un goulag, qui sur- Jouvray nous avait ravi avec Nous ne serons jamais des héros,
vit grâce à ses talents de tatoueur. Cette noirceur qui et lÊalbum quÊil vient de réaliser avec Efa confirme tout
parcourt ces trois albums, et celui-ci tout particuliè- le bien que nous pensons de lui. Olivier a adapté
rement, détonne avec ce quÊa pu faire François Boucq. intelligemment un roman de Stephen Crane sur la
[¤ noter : Jérôme Charyn a sorti récemment un roman chez guerre de Sécession ou plutôt sur la tentation de lÊhé-
Mercure de France : Bronx Amer, NDLR] roïsme. Nous nÊétions pas certains que la douceur du
trait dÊEfa puisse être efficace par rapport au sujet
LÊexistence du label a-t-elle déjà incité des auteurs traité, mais en fin de compte cela exacerbe le propos.
à vous rejoindre ou a créer des récits spécifiquement JÊirais même jusquÊà dire que cela rajoute une sorte de
pour lui ? malaise qui est nécessaire à la narration...
Non, le cas ne sÊest jamais présenté. Il est déjà arrivé PROPOS RECUEILLIS PAR
cependant que le rayonnement de la collection pèse KAMIL PLEJWALTZSKY

7
zoom E n C o u v e r t u r e

Plus si entente,
de Dominique Goblet
et Kaï Pfeiffer
Déroutant ouvrage,
LA VIGUEUR
comme Fremok
en a le secret.
Prenant les sites
de rencontre –
et leur cortège
de violences
symboliques –
DES 20 ANS
Panorama de quelques sorties récentes
comme postulat, et futures de la collection « Signé ».
les deux auteurs se sont livrés à un
chassé-croisé, de Berlin à Bruxelles, LITTLE TULIP, DE BOUCQ ET CHARYN
tenant tant du cadavre exquis que Il suffit de quelques pages pour se
de lÊexercice oubapien. ¤ lÊarrivée, convaincre que Little Tulip est un grand
sÊagence un récit en mosaïques (au album. On est frappé dÊemblée par
sens strict : quatre vignettes par
pages), égrainant les thèmes comme lÊhabileté de François Boucq : il suf-
autant de persistances rétiniennes : fit de quelques cases pour se retrou-
la solitude criante qui pointe son ver transporté dans lÊhistoire et dans
nez derrière les annonces glacées, les tréfonds de lÊâme de Paul.
lÊabsurdité de lÊauto-promo à LÊimmersion, lÊempathie, est donc
outrance, les attentes bafouées, et totale. Le découpage de lÊhistoire
le drame intime qui se devine dans la force lui aussi lÊadmiration et parti-
banlieue pavillonnaire... Un exercice cipe grandement à cette plongée. Images et ambiances sont
de style qui se laisse grappiller avec pensées avec la même précision, la même science quÊun LE CHANT DU CYGNE,T.1, DE DORISON ET HERZET
curiosité et bonheur grandissants grand cinéaste de films noirs. Il y aurait comme de la rébellion dans l'air chez les
au fil des pages. Et en effet, Little Tulip est un grand récit noir. Un pan de lÊhis- Poilus, avec une pétition qui pourrait déstabiliser le
Actes Sud BD et Fremok, 180 p., 30 € toire est dédié à lÊenfance de Paul – tatoueur de son état gouvernement en pleine Grande Guerre.
JULIE BEE
– qui fut incarcéré jadis dans un goulag, à lÊépoque de la Elle est de toutes les fêtes la section du sergent
ÿ guerre patriotique Ÿ. La mise en scène de cette période Sabiane. Pas de repos pour les futurs cadavres. Larzac
Indépendance Béquille, fait frémir dÊhorreur et rappelle à quel point le régime se fait refiler un document qui sent la poudre, la péti-
tion de la côte 108 signée par 3000 hommes. On
de Doumet et Plottès soviétique inspire Jérôme Charyn. LÊautre époque montre
croyait au bobard mais il existe bien ce cri du cflur
Derrière cet le personnage principal dans les années 1970 à New York,
alors quÊun tueur sévit dans les ruelles de la ÿ grosse d'hommes qui tombent comme des mouches. Il nÊest
étrange titre, se pas pour, Sabiane. En haut lieu, on sait que la pétition
cache la destinée pomme Ÿ. Paul espère que ses talents de dessinateur
de la jeune et portraitiste permettront de confondre ce Bad Santa. a fait surface. Il va y avoir du rififi, des pressions pour que le commande-
mélancolique LÊintrigue séduit par son intensité. Des réflexions pro- ment ne soit pas agacé. Le colonel d'Anjou est chargé de rétablir l'ordre.
Tristam, qui a fondes sur le dessin, la représentation, le chamanisme, etc., Sauf qu'il va y avoir dérapage... Une histoire bien balancée même si, his-
sacrifié sa jambe ponctuent le récit jusquÊau maelström final. Comme beau- toriquement, l'existence de cette pétition est difficile à croire. Les mutineries
sur lÊautel de la coup de récits forts, Little Tulip traverse les genres et par- de 1917 ont, elles, bien existé. Sur fond de Grande Guerre, de massacres
Résistance. vient à mêler fiction et réalité. Rares sont les bandes des- et de ras-le-bol général, on part dans une aventure mouvementée avec des
Construit en flashback, dans la sinées qui parviennent à nous transporter si loin et à héros bien campés, un trait réaliste qui emprunte à lÊanimation japonaise.
griserie de sa nouvelle vie de
durer longtemps après que lÊalbum a été refermé. Du souffle comme d'habitude avec Dorison et Herzet, sur une mise en
caissière, le récit dévoile par bribes scène graphique efficace de Babouche.
son passé, lÊarrivée de la guerre dans KAMIL PLEJWALTZSKY JEAN-LAURENT TRUC
son pays dÊorigine, et son exil en
France, pour y subir les humiliations
quotidiennes dÊun petit chefaillon. ¤ STATION 16, DE HERMANN ET YVES. H LE SOLDAT, DE JOUVRAY ET EFA
travers sa nouvelle collection ÿ Zone Direction Station 16, une base perdue Les récits de guerre se ressemblent souvent. De
Rouge Ÿ, lÊéditeur met en avant des et glaciale de l'ex-Union Soviétique où JohnnyÊs got his gun à CÊétait la guerre des tranchées en
récits dÊanticipation faisant la part on testait des bombes atomiques. passant par les romans dÊAlphonse Boudard, tous évo-
belle aux héroïnes, sur fond de Quand on reçoit un message radio quent à un moment ou un autre la volonté dÊen
dérives totalitaires et nouvelles d'une base où il ne devrait plus y découdre et lÊivresse de lÊhéroïsme. Le Soldat de
technologies (deux autres titres : avoir personne et qu'on est, en prime, Jouvray et Efa, inspiré dÊun roman de Stephen Crane,
Luce, dÊO. Romenville et Étienne M. un bon petit soldat soviétique, on se focalise sur cette folie. La bande dessinée évoque
et Flocons de Coton de Patrick Lacan). envoie une patrouille vérifier. Quand aussi la question de la survie : comment survivre à
Objectif Mars, 120 p. couleurs, 20 € la poignée de soldats ne trouve per- lÊhorreur ? Comment sÊaccommoder de la mort ?
JULIE BEE sonne, que l'hélicoptère qui les a Comment ne pas basculer ? Pour aborder ces pro-
amenés disparaît, on sÊinterroge. Et quand les ruines se blématiques, les auteurs ont choisi le théâtre de la guerre de Sécession et
Merci, de Zidrou et Monin transforment et retrouvent l'éclat du neuf, alors on com- dÊincarner ces doutes à travers un héros... ou plutôt un antihéros. Henry
Merci Zylberajch⁄ mence à douter de sa raison. Les choses se compliquent est visiblement le prototype du jeune homme idéaliste, biberonné au lait
Avec un nom pareil, avec des cadavres sans yeux, une fusillade, des zombies sous de la propagande. LÊalbum raconte ni plus ni moins que son passage à lÊâge
on pourrait penser uniforme, un savant fou et l'explication du message radio adulte en lui faisant prendre conscience de ses propres limites : sa lâcheté,
que la jeune Merci qui a flanqué la panique. Il y a une faille dans l'espace spa- sa malhonnêteté et enfin sa folie. Le tout est mis en scène à travers des
est un cadeau du tio-temporel, comme aurait dit Valérian. Ce qui va laisser épisodes presque bucoliques où lÊennemi reste le plus souvent absent. Des
ciel mais voilà, ce des traces. visions cauchemardesques viennent hanter le jeune soldat, mais celles-ci
nÊest pas aussi Yves H. a volontairement ajouté à cette Station 16 une dose viennent du plus profond de sa conscience.
évident que ça ! de suspense parfois un peu téléphoné. On nÊen boude LÊoriginalité de lÊalbum vient de ces choix narratifs, mais aussi de la dou-
Cette gentille petite pas pour autant son plaisir. Les Hermann fonctionnent ceur du dessin. Figurer la mort ou la folie à travers des camaïeux et des
délinquante de bientôt 16 ans, un brin
gothique, sÊamuse avec la loi. Dernier sur la même longueur d'onde. Dessin parfait et histoire qui traits aussi idéalisés aurait pu affadir le propos, mais sans conteste, le
exploit ? Tags insultants sur le mur tient convenablement la route. résultat opère.
dÊun prof⁄ Pas de quoi fouetter un JEAN-LAURENT TRUC KAMIL PLEJWALTZSKY
chat mais cette multirécidiviste qui
nÊa pas dénoncé ses complices mérite APR˚S-GUERRE,T.2, DE WARNAUTS ET RAIVES
une sanction. La prison ? Non, car le ¤ la fin des années 40, en Belgique, les conséquences du second conflit mondial ne sont pas sans effets pour les
juge pour enfants de Bredenne est un héros de la série Les Temps Nouveaux de Warnauts et Raives. Dans Après-Guerre, suite de cette série à trame his-
homme avisé : Merci veut changer sa torique, fleuron de la collection Signé, on en retrouve avec plaisir les personnages principaux dont les destins se
ville ? QuÊà cela ne tienne, elle va
entrer au conseil municipal⁄ Haaa, mettent en place pour une issue finale....Thomas a tout fait pour qu'à Prague sa compagne Assunta soit libérée des
voilà ce quÊon appelle une excellente camps soviétiques. Elle trompe la surveillance de ses gardes du corps. Bénédicte part en Israël. De Berlin à
BD ÿ feel good Ÿ ! Dialogues ciselés, Bruxelles, et à Paris en 1949, les destins se remettent en place. Le blocus est levé en Allemagne désormais divisée.
ambiances parfaites, dessin enlevé : on Alice se remarie. L'occupation et la collaboration ont laissé des traces. La guerre froide est ouverte, celle d'Indochine
se souviendra longtemps de ce Merci. a commencé pour la France.Assunta n'a plus envie de vivre. La Belgique retrouve son roi.Wallons et Flamands s'af-
Un des one-shots incontournables de frontent.Thomas part chercher fortune au Congo belge qui deviendra bientôt indépendant.
lÊautomne. Warnauts et Raives braquent leur projecteur sur l'histoire contemporaine de la Belgique. Du début des Temps Nouveaux à Après-Guerre,
Grand Angle, 54 p. couleurs, 14,90 € on plonge dans les passions ou les haines, courage et lâcheté. Les personnages sont authentiques, divers et vrais, ce qui fait leur force
HÉL˚NE BENEY et donne sa crédibilité à la série. Scénario et dessin impeccables.
JEAN-LAURENT TRUC

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E n C o u v e r t u r e

© Dorison et Herzet / LE LOMBARD


LE CHANT DU CYGNE

SANS PARDON, DE HERMANN ET YVES. H


Buck Carter est un tueur. ¤ ses trousses, le Marshall Masterson ne
vaut pas mieux que sa proie dont la capture lÊobsède. En 1876, au
Wyoming, on ne fait pas dans la dentelle. La parole est aux Colt et
aux croque-morts. Carter est piégé par Masterson, dans sa ferme avec
son fils Jeb et sa femme Elisabeth. Carter les sacrifie pour fuir et sau-
ver sa peau. Pas dÊétats dÊâme le Buck Carter, une ordure sans scru-
pules. Jeb, le fiston, un brin demeuré, devient le souffre-douleur et la
victime dÊun taré, Grant, à qui il va rapidement ouvrir la gorge. Il a de
qui tenir le Jeb. On ne plaisante pas chez les Carter. Question dÊata-
visme peut-être. Jeb laisse derrière lui une traînée sanglante qui va
alerter son père. Poussé par un remords subit dÊavoir laissé tomber sa progéniture,
Carter suit Jeb à la trace pour tenter de le protéger. Le Marshall Masterson aussi pour-
suit Jeb et va sÊen servir comme appât pour faire dÊune pierre deux coups.
Impitoyable, une chevauchée sauvage, Sans Pardon sÊinscrit sans difficulté dans lÊépopée wes-
ternienne la plus classique.Tout en atteignant un paroxysme de violence, les Hermann ont
voulu rendre un hommage au genre, à leur façon, pas de gentil dans le casting contraire-
ment au Comanche dÊautrefois. Des brutes et des truands, à bout de souffle. Les lumières
apportées par Hermann à son superbe dessin sont éclatantes sur un cadrage toujours génial.
JEAN-LAURENT TRUC

CAPITAINE TR˚FLE, DE HAUSMAN ET DUBOIS


Haussman et Dubois réunis après de longues années, tout augurait
dÊune réussite. Sauf que cet album que lÊon suppose destiné davan-
tage au jeune public perd toute sa dimension et son pouvoir dÊévo-
cation publié de cette façon, en grand format. On imagine volontiers
des enfants sÊextasier sur les descriptions de gnomes, sur les trognes
des pirates ou se laisser embarquer dans le rythme effréné des
péripéties de Trèfle et de ses amis dans des pages plus adaptées à leur
âge. LÊalbum rend néanmoins justice à lÊimmense talent de René
Hausman en permettant dÊapprécier les finesses de son dessin et de
sa mise en couleur. Le style de la narration – qui relève presque de
lÊécriture automatique –, le ton et lÊenchaînement des événements en revanche ne pas-
sionneront vraisemblablement pas un lectorat adulte qui préfèrera des récits un peu plus
denses ou avec un peu plus de surprises. Car le vrai problème avec Capitaine Trèfle, cÊest
quÊon a le sentiment de relire une histoire déjà contée des dizaines de fois.
KAMIL PLEJWALTZSKY
© Kas et Galandon / LE LOMBARD

LA FILLE DE PANAME,T.2,
DE GALANDON ET KAS
Il existe deux bandes dessinées
dédiées à Casque dÊor, alias
Amélie Elie, qui fut à lÊorigine
dÊune guerre des gangs à Paris
en 1902. La première version
réalisée par Annie Goetzinger
en 1976 se veut âpre et même
sombre. Elle se termine par un
constat dÊéchec à travers la vision en quelques cases
dÊune femme devenue indigente qui rêve éveillée de
sa splendeur passée⁄ Celle de Galandon et Kas
rentre dans les détails et accorde beaucoup plus
dÊimportance au contexte. Le Paris du début du XXe
siècle est dépeint dans toute sa violence et sa cruauté
sans tomber dans le pathos. Le scénariste soigne les
dialogues et rajoute une dimension sociale très per-
tinente à cette histoire joliment mise en image. On
apprécie la distance des auteurs par rapport à leur LA FILLE DE PANAME
sujet même si, en faisant triompher leur héroïne, ils
trahissent quelque peu la réalité des faits. c Lire un zoom sur Cosey
KAMIL PLEJWALTZSKY sur : www.zoolemag.com

9
zoom A c t u B d

Un océan d’amour, de Lupano et Panaccione © Guy Delcourt Productions – 2014


Le Linge sale,

CONTRE VENTS
de Sébastien Gnaedig
et Pascal Rabaté
Pierre Martinot,
en prison pour
avoir tué un
couple quÊil
pensait être son

ET MARÉES
épouse infidèle et
son amant, purge
sa perpétuité en
façonnant des
couronnes de
deuil marquées
ÿ Regrets éternels Ÿ. Ironique ? Oui,
mais des regrets, il nÊen a pas ! SÊil
joue les prisonniers modèle, cÊest
pour sortir plus tôt et finir le boulot
quÊil avait commencé il y a 20 ans. Et
si, entretemps, Lucette a refait sa vie,
eu des enfants, tant pis pour eux, ils y
passeront aussi : ÿ Ça sera les intérêts
de mes vingt années de placard. Ÿ Après
Crève Saucisse (dessiné par Simon
Hureau), Rabaté remet le couvert de
la comédie satirique et criminelle,
avec un art de la situation et un sens
du dialogue tout à fait réjouissants.
Vents dÊOuest, 128 p. n&b, 19,50 €
JÉRłME BRIOT

Dr Watson,T.1, Le Grand
Hiatus, de Betdeder,
Perovic et Daviet
Après avoir
fait passer les
frontières du
réel au brillant
et cartésien
Sherlock Holmes,
c'est au tour de
son fidèle ami
Watson de se
retrouver plongé
dans un océan Le 13 novembre 2014, la collection Mirages de Delcourt nous envoie par la mer un bijou de
de mysticisme par les auteurs de la délicatesse signé Lupano et Panaccione. 200 pages pleines d’amour, d’eau salée et sans aucun
collection 1800. Terrassé par le décès
de son ami, le cher docteur inquiète mot prononcé... qui parlent directement au cœur.
ses proches qui le croient devenu

C
fou... Impression qui s'accroît lorsque et Océan dÊamour, cÊest lÊhis- une interview sÊy être repris à plusieurs ment dans lÊambiance de cet Océan
celui-ci recommence des recherches
effrénées contre le redoutable toire dÊun petit marin- fois pour écrire ce scénario, sûrement dÊamour.
Moriarty qui, même au-delà de la pêcheur et de sa bigoudène un peu hésitant face à cet exercice de Une histoire merveilleuse, certes
mort, semblerait vouloir continuer dÊépouse. Un jour, alors que le marin style très contraignant qui demande muette mais qui exprime pourtant tant
de nuire à son illustre ennemi,
pourtant lui aussi défunt. Une part en mer avec sa petite boîte de de se passer de phylactères pour don- dÊémotions et de doux sentiments...
croisade fantastique, dont les sardines sous le bras pour le déjeuner, ner vie à ses personnages. quÊon en ressort le cflur gonflé dÊop-
tournures inattendues seraient son petit bateau se retrouve embourbé LÊexpérience est aussi réjouissante pour timisme et quÊon se laisse croire à
assurément plaisantes à présenter dans les filets dÊun gigantesque chalu- le lecteur quÊelle semble lÊavoir été lÊamour – contre vents et marées.
à Sir Arthur Conan Doyle.
Soleil, coll. 1800, 48 p. couleurs, 24 € tier... et les ennuis commencent pour pour son talentueux auteur : ce petit ALIX DE YELST
ALIX DE YELST lui ; incapable de se dépêtrer du filet, récit au doux parfum iodé représente
il se retrouve ainsi emporté à lÊautre la parfaite allégorie dÊun amour à la
Je veux une Harley,T3, bout du monde. De son côté, nÊécou- fois tendre et irréductible, porté par
La Conquête de lÊOuest, tant pas les commères qui le pensent des personnages touchants et terri-
de Cuadrado et Margerin
Cuadrado a déjà mort, notre bigoudène attend son blement vrais.
imaginé la série amoureux en vain... JusquÊau jour où, Il part de la vie, dÊune scène banale, du
marrante des éclairée par la voyante qui lit lÊavenir quotidien, et arrive à transformer le
Parker et Badger
pour Spirou, et dans les crêpes, elle décide de partir à tout en histoire rocambolesque, extra-
Margerin le sa recherche à travers les océans. ordinaire où les coïncidences sÊen-
rocker sympa chaînent pour nous faire rire, nous
Lucien pour DES AUTEURS MULTIPLES couper le souffle et nous attendrir.
Métal Hurlant.
Les deux POUR UN SCÉNARIO UNIQUE CÊest là quÊentre en scène le surprenant
hommes ont Grégory Panaccione, quÊon aura pu
en commun la passion de la moto et Après avoir exploré les univers du voir passer notamment dans la revue
de la rigolade (et aussi, espérons-le,
beaucoup dÊautres, car la vie ne comique (Sarkozyx), de la légende Papier (Pet Killer) ou chez Shampooing
sÊarrête pas à cela !). Ils sont allés anecdotique (Le Singe de Hartlepool) ou (Match). Servant tout particulièrement
repérer les lieux dans un circuit encore du polar (Ma révérence), Wilfrid les intentions du scénariste avec une
organisé en Harley de Los Angeles à UN OCÉAN DÊAMOUR
Las Vegas, en passant par la mythique Lupano se lance dans la romance. expressivité folle, son trait bonhomme
Road 66 (des frais de documentation Mais une romance à la tournure à la et caricatural sÊharmonise en douceur de Lupano et Panaccione,
sympathiques !), et en ramènent un fois simple et tout à fait originale, et avec une colorisation tout à fait
album amusant et sympa à lire. Delcourt, coll. Mirages,
Dargaud, 48 p. couleurs, 11,99 € bien à lui, comme on peut sÊy attendre. habitée par le vent qui balaie les côtes 232 p. couleurs, 24,95 €
MICHEL DARTAY LÊauteur touche-à-tout confiait dans bretonnes, pour nous plonger joli-

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zoom A c t u B d

Agatha - La Vraie Vie


d'Agatha Christie,
de A. Franc, A. Martinetti
et G. Lebeau
La reine du light
BIEN VEILLIR :
LA MÉTHODE LUPANO
suspense, la
ÿ duchesse de la
mort Ÿ comme la
surnomme son
biographe
François Rivière,
méritait que l'on
raconte sa vie, Évoqué en chronique dans Zoo, le premier tome des Vieux Fourneaux a déjà obtenu le Prix Saint-
certes moins
fatale que la Michel et le Prix des libraires de BD 2014. Un succès critique et commercial inattendu pour ce
plupart de ses personnages, mais non premier volume, qui nous a donné l’envie d’y revenir pour la sortie du second tome !
moins romanesque. Aidé au scénario
par deux spécialistes de la littérature consistance et signification. Et nous
© Lupano et Cauuet / DARGAUD

criminelle, Alexandre Franc nous


balade dans la jeunesse de la vous laisserons ainsi le plaisir de
romancière. Infirmière pendant la découvrir le magnifique spectacle de
Première Guerre mondiale (elle y marionnettes à morale écologique qui
acquerra une compétence digne d'un
médecin légiste), elle disparaît un jour, conclut ce second ouvrage sur quatre
laissant peser des soupçons sur son pages. Après le passé dÊAntoine dans
mari, se remarie à un archéologue le premier, lÊaccent est mis sur celui de
avec lequel elle entreprend des
fouilles. Tous ces éléments serviront Pierrot et de Mimile.
de matière première à ses romans
qui se vendront à deux milliards Le dessin de Paul Cauuet met en scène
d'exemplaires. Alexandre Franc anime
cette romancière facétieuse et la fait avec vivacité et justesse ces chroniques
dialoguer avec ses créations : Hercule sociales où lÊhumour permanent désa-
Poirot, Miss Marple, Tommy & morce les grandes amertumes et le
Tuppence Beresford..., rendant cette
biographie aussi vivante que regret. Avec Lupano, ce dessinateur
charmante. avait déjà livré LÊHonneur des Tzarom
Marabulles, 128 p. couleurs, 17,90 € chez Delcourt ; particulièrement à
DIDIER PASAMONIK
lÊaise dans la représentation des per-
LÊEnfant inattendue, sonnes très âgées qui ont toutes des
de Van Cook et Romberger silhouettes et des maintiens différents,
Avant dÊavoir été il a lui-même suggéré ce thème pour
la chanteuse du ce nouveau projet.
groupe punk
The Innocents
et dÊêtre depuis Ne se contentant pas de distraire et
30 ans une dÊinformer, Les Vieux Fourneaux permet
plasticienne aussi dÊappréhender avec moins de
reconnue de la
frayeur lÊidée du vieillissement. Pour

L
scène new-
yorkaise, es personnes âgées sont par- leurs combats ; au fil des pages, le lec- quÊil précise lui-même son propos, nous
Marguerite Van fois les oubliées de la BD : dÊun teur va découvrir un immeuble qui nÊavons pu résister à lÊenvie de poser
Cook a eu la jeunesse classique dÊune
Anglaise née au début des années 50. tempérament peu aventurier, sert de refuge aux mal-logés, une quelques questions à son scénariste...
¤ travers cinq séquences, Marguerite leur constitution parfois fragile les octogénaire qui prend des cours de
raconte son enfance, les épreuves JEAN-PHILIPPE RENOUX
confine au rôle de support ou de récon- hacking, le combat contre les grands
traversées par sa mère et dresse en
creux un portrait de lÊAngleterre vu fort familial, quand ils ne servent pas minotiers qui vendent aux boulangers
des classes plutôt populaires. On est dÊobjet de chantage. Titulaires de la carte des assemblages de farine, et la finance c Lire lÊinterview de Lupano dans
loin du clinquant swinging London vu vermeil, les vieux fourneaux de Lupano carnassière, sans parler du sabotage les bonus de Zoo 55, à retrouver
et revu avec cet autobio-docu au goût gardent néanmoins une furieuse envie de nauséabond dÊune réunion politique sur www.zoolemag.com
de fish and chips.
çà & là, 176 p. couleurs, 25 € vivre, et les exploits de leur jeunesse de droite.
THIERRY LEMAIRE sont toujours présents dans leur Des flashbacks vont éclairer la person-
mémoire. Le premier tome nous donnait nalité de ces trois personnages, même
Bonne Journée, dÊO.Tallec un premier aperçu de ces trois messieurs sÊil faut parfois fouiller dans les tréfonds
Illustrateur
de presse peu tranquilles : Pierrot a été de tous les de la mémoire pour y arracher souve-
et prolifique combats revendicatifs, il sÊoccupe actuel- nirs et noms oubliés. Si la contestation
auteur lement dÊune association de malvoyants, et la lutte sociale sont fortement
jeunesse,
Olivier Tallec avec qui il organise des attentats géria- ancrées chez nos retraités actifs, ils ont
sait trouver triques. Vendeur dÊautomobiles dans sa également eu une vie sentimentale, ce
la bonne jeunesse, Mimile sÊest ensuite pris de qui ne leur épargne pas les affres
astuce pour rendre efficace le
rapport entre lÊimage et le texte. passion pour lÊécologie et les spectacles rétroactifs de la jalousie. Les libertaires
Il le prouve dans ce joyeux recueil de marionnettes, quant à Antoine, nÊont pas forcément envie de partager
dÊillustration pour adultes où tout employé syndicaliste dans lÊindustrie la femme de leur vie !
est prétexte à ironie. Entre tendresse,
cynisme et absurde, lÊhumour décalé pharmaceutique, sa jolie épouse a éveillé
de ce petit livre aux superbes lÊattention de son patron. SANS YEUX, NI MAÎTRE !
illustrations marchera avec tous les
publics, fans de BD ou non. CÊest
léger, très beau et drôle, sans L’ANARCHIE, Les révélations ne sont pas les seules LES VIEUX FOURNEAUX, T.2
prétention, et cela donne juste C’EST L’ORDRE MOINS LE POUVOIR ! à jaillir des pages où affluent réparties BONNY AND PIERROT
de quoi passer une bonne lecture. savoureuses et dialogues mémorables.
Et une bonne journée, bien sûr. de Lupano et Cauuet,
Rue de Sèvres, 56 p. couleurs, 14 €
Ces Pieds Nickelés du troisième Les coups de théâtre relancent lÊintérêt Dargaud, 56 p. coul., 11,99 €
HÉL˚NE BENEY âge nÊont rien perdu de la flamme de de lÊintrigue, et tout finit par prendre

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zoom A c t u B d

La Lune est blanche,


dÊEmmanuel
et François Lepage
Après les
WELCOME TO
THE REAL WORLD
Kerguelen, les
frères Lepage
sont invités à
rejoindre le Pôle
Sud. Non plus
seulement
comme
photographe
et bédéaste,
mais aussi
Edwin Wedge s’apprête à faire un drôle de voyage. Sa traque des origines de l’Homme lui promet une
comme acteurs d'une mission polaire. sacrée découverte sur lui-même. Un récit fantastique fringant signé Manon Textoris et Julien Lambert.
Bande dessinée et photographie se

A
mêlent dans ce petit bijou d'album, h quÊil est loin le temps béni

© Textoris et Lambert / LE LOMBARD


parfaitement à la hauteur des travaux
récents d'Emmanuel. Celui-ci devient des explorateurs. Quand les
réellement personnage de bande Terra Incognita encombraient
dessinée et nous donne le sentiment joyeusement les planisphères et les fiers
de lire une histoire inventée.
Et pourtant réelle. Comme un voyageurs se bousculaient pour des
accomplissement de ses dernières périples parfois sans retour. Le XIXe
années de travail. Touchant dans la siècle fut à cet égard riche en person-
relation des deux frères, passionnant
dans la course contre la glace, et nalités qui font aujourdÊhui le bonheur
impressionnant de maîtrise graphique. des encyclopédies. La découverte de la
Il n'y a aucune raison de passer à côté source du Nil blanc par John Speke et
de cet album.
Futuropolis, 256 p. couleurs, 29 € Richard Burton, la recherche fructueuse
YANECK CHAREYRE de David Livingston par Henry Stanley
en Afrique équatoriale, puis au tour-
Les Lucioles, nant du siècle les expéditions polaires
de Derry et Pago du triptyque de concurrents Robert
Il n'y a pas que la Peary – Robert Scott – Roald
première guerre,
il y a la deuxième Amundsen sont autant de pierres
aussi. Deux blanches marquées dans le grand livre
auteurs drômois des exploits humains. Peut-être faudra-
viennent
remettre en t-il désormais en ajouter une autre avec
lumière ce Edwin Wedge, sujet de sa gracieuse
conflit sous un Majesté et explorateur en devenir. Le
angle particulier,
celui d'un petit jeune homme est fasciné par les progrès
village de la Drôme des collines voisin technologiques de son temps, mais
du maquis du Vercors. Les deux préfère tourner son regard scientifique
auteurs se mettent en scène dans
leur processus de création, au milieu vers le passé et les origines de lÊHomme.
des événements, s'assumant comme Animé par les théories de Darwin, lui-
témoins et passeurs de mémoire. Ils même inspiré par celles de Buffon,
nous offrent des portraits de héros
ordinaires, de simples villageois qui Edwin rêve dÊun voyage en Afrique
osèrent s'engager contre l'intolérable. pour confirmer que lÊHomo sapiens des- rateur. Se révèle alors à lui un monde aux éditeurs pendant les Zooppor-
Le dessin est un peu frais, mais le cend bien du singe. Nous sommes en nouveau et ancien à la fois, dont le tunités, ce dont votre magazine nÊest
propos vraiment intéressant permet 1854 et lÊidée dÊune proximité entre dessin de Julien Lambert décrit avec pas peu fier.
de le dépasser très facilement.
Au fil du Rhône, 152 p. n&b, 14,50 € lÊêtre humain et le gorille fait scan- délicatesse lÊextravagance. Le scénario THIERRY LEMAIRE
YC dale. Raison de plus pour se rendre de Manon Textoris ne manque pas non
sur place. plus de finesse, swinguant entre la fausse
Solo,T.1, Les Survivants réalité et ce qui semble être la vraie.
du chaos, dÊOscar Martin PRIX RAYMOND LEBLANC DÊEdwin Wedge et de son chien Floch
Guarnido avait
créé lÊémotion émane une fragilité qui donne au récit
avec son Mais le voyage vers le continent afri- toute sa force. La sensibilité de la scé-
magnifique cain est loin dÊêtre une sinécure. nariste et du dessinateur, qui ont obtenu
Blacksad, un
autre Espagnol LÊaventure dÊEdwin se corse alors en 2013 le prestigieux Prix Raymond
reprendra-t-il considérablement, voire même con- Leblanc pour ce projet, rayonne à tra-
le flambeau ? naît un retournement de situation à vers les pages de cette réflexion sur la
Cette série
met en scène la manière du film Matrix. Les portes nature humaine. Un premier essai trans-
un rat affamé, de la perception semblent sÊouvrir formé par deux jeunes auteurs qui ont
abandonné par sa famille une fois quÊil devant les yeux incrédules de lÊexplo- fait leurs armes et se sont confrontés
a appris à se battre dans son monde
© Textoris et Lambert / LE LOMBARD

impitoyable, mélange de Mad Max


(armes à feu, engins motorisés et
ferrailles) et de Conan (combats de
gladiateurs au glaive). Le talent du EDWIN
dessinateur est assez évident pour
tout ce qui touche au mouvement LE VOYAGE AUX ORIGINES
et à lÊaction, et le scénario tient le
lecteur en haleine. Une heureuse de Manon Textoris et Julien
découverte ! Lambert, Le Lombard,
Delcourt, 120 p. couleurs, 16,95 €
JEAN-PHILIPPE RENOUX
72 p. couleurs, 14,45 €

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© ‘Fane / VENTS D’OUEST

MOTOS,
BISTRO, POTEAUX
Avec 5,5 millions d’albums vendus depuis 1990 et d’innombrables
produits dérivés, Joe Bar Team est une série culte. Mais surtout,
c’est une série rare : seulement sept albums au compteur. Préparez-
vous, le tome 8 débarque sur les chapeaux deux-roues.

C
réé par Christian Debarre leur passion des grosses cylindrées.
alias Bar2 en 1990, Joe Bar On regrettera que certains gags de ce
Team sÊest fait immédiate- tome 8 aient des chutes un peu faibles,
ment remarquer par les motards pour mais il y en a aussi dÊexcellents ; et
son humour déjanté, son jargon for- ÂFane a franchement réussi son coup en
midable et son dessin si bien inspiré créant Maurice dit ÿ le fût Ÿ, un
par le Gaston de Franquin⁄ Pourtant, motard originaire de la Sarthe qui ne
aussi virtuose soit-il, Debarre passe la quitte jamais son casque, pas même
main à ÂFane (Stéphane Deteindre) pour boire, et doté dÊun accent abo-
dès le deuxième tome. Lequel, avec un minable et sublime, à faire saigner des
dessin toujours franquinien quoiquÊun oreilles de ChÊti.
peu plus rond, apporte à la série une JÉRłME BRIOT
nouvelle génération de motards et des
engins plus récents, car Bar2 qui aime
dessiner de vieilles bécanes (Honda
CB 750, Ducati 900 SS⁄), avait ins-
crit sa série dans les années 70. Pour
le tome 7 en 2010, lÊunivers Joe Bar
Team est confié à un nouveau tandem,
Pat Perna au scénario et Henri
Jenfèvre au dessin. Mais les fans ne
sont pas totalement convaincus, à
cause notamment du dessin qui sÊaf-
franchit trop du style de Fane / Bar2⁄

Le tome 8, une des plus grosses sor-


ties de lÊautomne 2014, marque le
retour de ÂFane aux commandes. Paulo,
La Fouine et Jéjé lÊaspi reprennent du
service, et ils nÊont pas changé : ils JOE BAR TEAM, T.8
carburent toujours à lÊadrénaline, quels
que soient les risques. La vue dÊun pro- de ÂFane,
totype les rend dingue ; les filles aussi, Vents dÊOuest,
tant quÊelles ne sont pas un obstacle à 48 p. couleurs, 9,99 €

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LE CHÂTEAU DES ÉTOILES :


DE LA TERRE À L’ÉTHER
Avec Alex Alice, on en était resté à un somptueux Siegfried inspiré de Wagner. Dans Le Château des Étoiles, il nous invite à un
voyage dans l’espace au XIXe siècle. Alex Alice, accompagné de Jules Verne et de Louis II de Bavière, signe un feuilleton d’aventures

«
fantastiques, magique et grand public.
JÊavais deux envies bien distinctes Ÿ, commente

© Alex Alice / RUE DE SÈVRES


Alex Alice. LÊauteur du Troisième Testament
avec Dorison voulait ÿ inventer un récit consa-
cré à la conquête de lÊespace version Jules Verne. Et depuis une
visite, durant sa jeunesse, des châteaux construits par Louis II de
Bavière, [il avait] été envoûté par lÊunivers romantique alle-
mand de la fin du XIXe siècle, cette atmosphère de Belle au Bois
Dormant, dans des édifices où déjà il y avait toute le modernisme,
ascenseurs à vapeur, structures métalliques Ÿ. En associant
les deux thèmes, il a donné vie au professeur Dulac,
à son fils Séraphin, un dégourdi, et à Claire, sa femme,
grâce à qui lÊaventure commence. Claire veut monter
dans les cieux en ballon pour découvrir si lÊéther, qui
composerait lÊespace au-delà de lÊatmosphère, peut ser-
vir de carburant pour y voyager. Elle y perdra la vie
mais perce le mystère. Dans un dernier geste coura-
geux, elle jette par dessus bord son carnet de notes
avec le fol espoir quÊil arrive à son mari.
ÿ CÊest par ce moyen quÊapparaît le personnage de Ludwig, le roi
Louis II de Bavière. Il récupère le carnet et invite dans son châ-
teau le professeur et son fils à créer avec lui un vaisseau spatial
révolutionnaire Ÿ. Alex Alice a volontairement situé lÊac-
tion en 1868, peu de temps avant la guerre de 1870,
au moment où Bismarck veut unifier lÊAllemagne. ÿ Il
était important de placer ce merveilleux scientifique dans une réa-
lité précise. Les grandes découvertes sont des accélérateurs de
lÊHistoire Ÿ.
Alex Alice a prévu quÊà la fin du Château des Étoiles,
prévu en deux tomes, sa version de la conquête spa-
tiale ouvre un univers quÊil pourra explorer dans bien cadrée. Elle progresse dans une mise en page ins- à ceux qui ont vu le film de Visconti avec Helmut
dÊautres aventures, ÿ sans pour autant [lÊ]embarquer dans des pirée de celle des éditions Hetzel, éditeur de Jules Berger et Romy Schneider.
suites interminables Ÿ. Verne. ÿ Tardi avait déjà tenté cette figure de style avec Le Le Château des Étoiles permet aussi à lÊauteur de faire un
Une fluvre tout public que ce Château des Étoiles, Alex Démon des glaces Ÿ, rappelle Alex Alice. Il y a ajouté clin dÊflil à lÊanimation japonaise qui a marqué sa jeu-
Alice le revendique en souriant : ÿ Mes jeunes héros sa touche de magie personnelle appuyée sur la vision nesse. Un dessin plus stylisé pour certains person-
Séraphin, Hans et Sophie, sont des enfants malins qui réussissent au XIXe siècle des mystères de lÊunivers. ÿ Les pages nages, ÿ comme déjà le faisait Uderzo Ÿ. Les puristes cher-
parce quÊils sont curieux, passionnés. Je voulais quÊon puisse sont construites comme lÊarchitecture du château, avec des cheront une référence à un Spirou : QRN sur Bretzelburg.
rentrer facilement dans le récit, de 7 à 77 ans et plus, sans pour voûtes et des piliers Ÿ. Le Château des Étoiles a mis quatre ans à sÊélancer vers lÊé-
autant simplifier le propos Ÿ. Pari réussi. La narration est ther. ÿ Je travaille avec un assistant, mais dans le réel. Cela donne
TOUJOURS AUTANT DE PLAISIR À LIRE VERNE de la chaleur à lÊfluvre, de façon traditionnelle. Ÿ Les aquarelles
© Isabelle Franciosa

et le trait soyeux dÊAlex Alice apportent une chaleur


On y croit à cet éther merveilleux qui permettrait de authentique à ce récit bourré
franchir des distances incroyables. Comme Jules Verne dÊaction aux saveurs roman-
croyait à ce quÊil écrivait dans ses romans. ÿ JÊai toujours tiques. ÿ Le Château des Étoiles
autant de plaisir aujourdÊhui à lire Verne. Cela ne sÊest pas passé est un hymne à la vie, un feuilleton
exactement comme il lÊavait prévu. Le rêve demeure. On est dans dans la lignée de ceux du XIXe siècle.
le Nautilus de Nemo comme on est dans LÊEthernef de Ludwig Ÿ. JÊavais tellement de choses à y mettre.
Parlons-en de ce Ludwig. Il est lÊun des personnages JÊespère y être arrivé Ÿ.
principaux, financier de lÊaventure spatiale. Bismarck
veut le destituer et le faire passer pour fou. JEAN-LAURENT TRUC
Authentique. Comme il faut un méchant au regard
torve, son chambellan est un traître à la solde de c LE CH˜TEAU DES ÉTOILES,T.1,
Bismarck. Et puis, belle surprise, Sissi apparaît dans le dÊAlex Alice,
ALEX ALICE récit, un sacré caractère qui rappellera des souvenirs Rue de Sèvres, 64 p. couleurs, 13,50 €

16
A c t u B d

JEU DE DUPES
En osant une incursion dans les pulsions refoulées et terreurs archaïques pré-ado-
lescentes, Florence Magnin nous livre un magnifique conte initiatique, qui se pré-
sente comme un épais roman graphique de 240 pages. Résultat d’une relation de
confiance nouée avec l’éditeur Daniel Maghen, dont on espère qu’elle sera pérennisée...

G
aëlle est une petite fille bien tourmentée. Gepetto, la reine castratrice dÊAlice au pays des mer-
Un récent déménagement dans une cam- veilles... Comme dans les contes, on évoque le pas-
pagne dont les mflurs lui restent encore sage à lÊâge adulte, lÊabandon de lÊinsouciance, la
à apprivoiser, un beau-père honni et encombrant, prise dÊautonomie, et les nécessaires combats
une mère démissionnaire... LÊété de ses 11 ans est internes qui vont de pair. En filigrane, se devine aussi
truffé de vives émotions, entre contrariétés et lÊambigüité des adultes, les frontières parfois ténues
découvertes exaltantes. Alors quand elle rêve, cÊest entre amour platonique et prédation sexuelle. Jamais
pour sÊéchapper... au sens strict. Avec son jeune ami le lecteur nÊaura vraiment la clef de ce qui relève de
Titou, elle écume bois et forêts, comme tous les la névrose – qui pourrait confiner à la psychose – de
enfants du monde. Mais quand elle tombe sur un la jeune héroïne, qui navigue entre lÊéblouissante
effrayant masque en bois abandonné dans un buis- clarté dÊun premier amour, la persistance de
son, ce sont les démons internes dÊun village tout croyances primitives dans les campagnes, et la réa-
entier quÊelle va réveiller. Qui vont faire écho à ses lité plus crue dÊénigmes judiciaires qui se noient
propres pulsions de pré-adolescente, sous lÊégide dans des processus de catharsis collective. Toutes ces
du troublant Julien, de dix ans son aîné... Le pitch thématiques sont mises à égalité, le temps dÊune
ne serait pas sans rappeler Le Labyrinthe de Pan, dans parenthèse estivale hautement mélancolique.
lequel le héros sÊéchappait aussi dÊun quotidien avant dÊaboutir à sa forme actuelle. Après environ trois ans par-
toxique par lÊimagination. Ou encore Carrie au bal du NOUVELLE TECHNIQUE GRAPHIQUE tagés entre de belles avancées et de frustrantes périodes dÊarrêt,
diable, où la puberté conférait à la jeune fille des lÊhistoire a fini par aboutir à un synopsis présentable⁄ Et par
pouvoirs bien dévastateurs... Les références ne sont Dessinatrice discrète et pourtant prolifique, Florence être refusée par plusieurs éditeurs. Ÿ CÊest alors auprès de
pas des moindres, car cÊest un vrai récit initiatique, Magnin sÊest familiarisée avec lÊheroic fantasy tout au Daniel Maghen quÊelle trouvera les conditions pro-
de haute facture et de haute voltige, que nous pro- long de sa carrière. Son trait est bien connu des pices à lÊéclosion de son projet : ÿ JÊétais sur le point
pose Florence Magnin. De ceux qui peuvent nous rôlistes et des lecteurs de SF (couvertures de la col- dÊabandonner quand jÊai eu la chance dÊêtre encouragée par
embarquer toute une nuit, pris par le suspense hale- lection Présence du futur, aux éditions Denoël). Vincent Odin, maquettiste des éditions Maghen, avec qui
tant dÊun véritable voyage, sidérés par la beauté Entrée dans la bande dessinée depuis les années 90 jÊavais déjà réalisé un livre illustré – Contes aux quatre
onirique des illustrations pleine page. Quant aux (deux séries avec le scénariste Rodolphe, puis vents – quelques années auparavant. La possibilité de tester
évocations populaires, Florence Magnin les assume LÊHéritage dÊÉmilie chez Dargaud), elle semble donner une nouvelle technique graphique et dÊoffrir un aspect différent
pleinement, truffant son récit de personnages de ici toute la mesure de son talent : ÿ LÊidée de Mascarade à cet album a donné un second souffle au récit et permis dÊabou-
contes, vus à travers un miroir déformant : le grand sÊest développée sur les pages dÊune foule de cahiers, en passant tir à la version finale. Ÿ Délestée de détails fourmillants
méchant loup à lÊappétit aiguisé, le culpabilisant dÊune histoire franchement fantastique, à la SF et au thriller, au profit dÊune vivacité plus expressive dans le trait,
cette nouvelle technique graphique ose les ruptures
© Florence Magnin / DANIEL MAGHEN

de couleurs et dÊambiances, pour mieux servir la


narration de Mascarade : ÿ Ces dessins plus légers mÊont per-
mis de réaliser en 18 mois lÊéquivalent de cinq albums – dont
la réalisation peut prendre jusquÊà huit années –, de donner plus
de vie et de naturel aux personnages, dÊutiliser des techniques
différentes : noir et blanc, papier couleur, travail sur photoco-
pies... Et ainsi de rendre plus amusante la réalisation parfois fas-
tidieuse dÊune longue histoire. Mais cette évolution aurait été dif-
ficile (voire impossible⁄) sans le travail de Vincent Odin et
lÊaccord de Daniel Maghen, qui a accepté que ce projet atteigne
240 pages et prenne un aspect atypique, avec le risque édito-
rial que cela suppose ! Ÿ

ABOUTISSEMENT ET PERSPECTIVES
Cette confiance réciproque permet au propos de
Mascarade de se finaliser en délicatesse, et de faire
émerger ce que le récit contenait en sous-texte :
ÿ différents thèmes sont apparus, dont tous nÊétaient pas prévus
au départ : les relations enfants-adultes, le passage vers lÊado-
lescence, un amour impossible et la symbolique des contes qui place
lÊarchétype de lÊogre face à son double actuel. Une question
posée par Gaëlle aborde le sujet : y a-t-il de méchants bébés ? Un
nouveau-né peut-il déjà être un monstre ? Sinon comment un
adulte se transforme-t-il en ogre ? DÊautres réflexions peuvent être
suggérées par les rapports à la fois platoniques et amoureux qui
lient Julien à Gaëlle, mais il est aussi possible de découvrir cette

18
A c t u B d

© Florence Magnin / DANIEL MAGHEN


L’ÉVÉNEMENT
DE MATCHMAKING ET DE
NETWORKING DU 9e ART

En serez-vous ?
SIXIÈME ÉDITION DES
histoire sans autre envie que partager un été
particulier avec ses personnages et voyager de
rêve en rêve⁄ Ÿ Patiemment stratifié en
un complexe écheveau mêlant fiction
laquelle il se trouve de devenir adulte. Mais
aucune nÊest indispensable à la compréhension
et surtout lÊappréciation du texte. Ÿ Doit-on
lire Mascarade comme un one-shot
ZOOPPORTUNITÉS
et réalité, le récit déploie un charme
vénéneux et poétique. LÊattachante
Gaëlle peuple sa solitude de chimères,
relisant les classiques à lÊaune des
démons intérieurs qui se bousculent à
signant lÊaboutissement dÊune carrière,
ou comme une nouvelle étape vers une
production dÊauteur plus régulière ? ÿ Je
ne sais pas si cet album trouvera son public mais
je sais quÊil restera pour moi un motif de satis-
DE LA BD
lÊorée de lÊadolescence : les premiers faction ! JÊai trouvé avec cette histoire le style
Scénaristes, dessinateurs, coloristes, éditeurs :
émois sexuels, le conflit fldipien, la
résurgence de terreurs archaïques...
plus libre que je cherchais à obtenir depuis long-
temps et lÊenvie de bâtir dÊautres projets. Un
Rencontrez-vous lors d’un cocktail et d’un
Comme les mythes fondateurs, nouveau début dans la BD... Peut-être ! Ÿ speed-dating organisés par Zoo et le Festival
Mascarade propose plusieurs niveaux de
lecture, et vise un lectorat diversifié :
JULIE BORDENAVE
le 29 janvier 2015 à Angoulême,
ÿ Je dirais dÊune douzaine dÊannées à lÊâge
adulte. Des références précises ne me paraissent c Du 26 novembre au 6
décembre, exposition consacrée à
de 18h30 à 21h30
pas forcément nécessaires⁄ Il suffit de connaître Florence Magnin à la galerie Daniel
quelques contes, la Baba-Yaga, Pinocchio, et Maghen (vernissage le 28 •Rencontrez les éditeurs avec lesquels vous
dÊavoir conservé un certain esprit dÊenfance. novembre), 47 Quai des Grands
Bien sûr, quelques autres, liées au personnage de Augustins, Paris VIe. aimeriez travailler
Julien, peuvent venir à lÊesprit – Lewis Carroll,
Michaël Jackson – pour lÊimpossibilité dans •Recevez les conseils de pros
•Nouez des contacts avec d'autres artistes
© Florence Magnin / DANIEL MAGHEN

MASCARADE Sur sélection et invitation seulement.


Nombre de places limité.
de Florence Magnin, Pré-inscrivez-vous le 31/12/2014 au plus tard sur :
Daniel Maghen,
240 p. couleurs, 28 € www.zoopportunites.com
19
A c t u B d

Aâma a

© Frederik Peeters / GALLIMARD


la baraka Le tome 4 d’Aâma conclut une série de science-fiction subtile-
ment conduite par Frederik Peeters. Une remarquable saga qui
invoque autant l’infiniment grand que les circonvolutions de

«
l’esprit humain. Une réussite.
LÊâme recherche lÊharmonie, or la enquêter sur le comportement des der-
vie est remplie de dissonances : niers savants sur place. Les parallèles
cet écartèlement est le stimulant du avec la situation de départ dÊAâma sont
mouvement, la source à la fois de notre douleur assez clairs, sauf que lÊorganisme en
et de notre espérance. Ÿ Est-ce que lÊAâma question dans lÊalbum est le résultat
de Frederik Peeters, cette entité tech- dÊune expérience humaine, qui plus
nologique qui colonise aussi bien les est commanditée par une multinatio-
êtres que les planètes, recherche elle- nale (multiplanétaire ?). La critique –
aussi lÊharmonie ? Peut-être pas. ou parfois simplement la description –
Pourquoi cette citation alors ? Avant de la société contemporaine prend ici
tout parce que cette quête, contrariée une place importante. Cependant, à
par le chaos de la vie, est une des thé- côté des enjeux à grande échelle, lÊin-
matiques développées par le dessina- trospection est tout autant convoquée.
teur suisse. Mais aussi parce que cette La paternité, la vie de couple, le rap-
phrase est signée par lÊune des port entre frères rythment lÊintrigue et
influences de Peeters et accessoire- lui donnent cette couleur que lÊon
ment lÊun des plus grands cinéastes retrouve peu dans les bandes dessinées
russes : Andreï Tarkovski. Prenons son (voire les récits) de science-fiction.
film Solaris par exemple, adapté dÊun
roman de lÊécrivain polonais Stanislas ALTERNANCE
Lem (autre source dÊadmiration du DE FRÉNÉSIE ET DE SILENCES
dessinateur). Il décrit lÊétude par des spectateur. Frederik Peeters connaît Peeters distille, malaxe et transforme un
scientifiques de la seule entité extra- LÊfluvre dÊAndreï Tarkovski nÊest pas bien ces longs métrages et en a gardé certain nombre dÊéléments autobio-
terrestre découverte par lÊHomme étrangère non plus au ton général un certain penchant pour les plages de graphiques dans cette histoire, pour en
dans lÊUnivers : un océan de matière dÊAâma. Le goût pour la contemplation silence. Sans toutefois sÊy confiner. Le faire une vraie fluvre dÊauteur. Après
qui recouvre entièrement une planète. du metteur en scène russe se matéria- tome 4 est ainsi beaucoup plus haletant Lupus, le dessinateur pose un peu plus
Un psychologue est envoyé dans la lise dans ses films, dont la narration que les autres albums. Ce qui entraîne son empreinte sur la bande dessinée
station orbitale de recherche pour adopte une lenteur marquante pour le quelques recherches sur le découpage de science-fiction.
des planches, plus ou moins éclatées, THIERRY LEMAIRE
© Frederik Peeters / GALLIMARD

pour traduire graphiquement les sac-


cades dÊune course-poursuite ou la vio-
lence dÊun choc psychologique. DÊun
autre côté, lÊutilisation de cases sur une
pleine page, voire une double-page,
illustre les visions des personnages. Un
moment tenté par un cinquième tome
entièrement constitué de ces images
tirées des méandres du subconscient,
Peeters a finalement choisi de les inté-
grer au quatrième volume. Ce mélange
de scènes immédiatement compré-
hensibles avec dÊautres plus symbo-
liques, une construction narrative sou-
vent complexe, des non-dits abondants
font que cette série est aussi exigeante
à la lecture que riche à la relecture.
QuÊon ne sÊattende pas ici à un récit à A˜MA, T.4
la Star Wars, qui utilise les recettes des TU SERAS MERVEILLEUSE, MA FILLE
récits dÊaventure classiques. Pourtant,
Aâma nÊen est pas moins flamboyant, de Frederik Peeters,
Gallimard,
ambitieux et attachant. Le secret tient
104 p. couleurs, 18,50 €
peut-être dans le fait que Frederik

20 20
A c t u B d

L’HYMNE À LA JOIE
D’ÊTRE PARENT
Avec Happy Sex, Zep nous emmenait dans la sphère intime du couple. Dans Happy
Parents, Zep nous en détaille la sociologie ; non plus, comme dans Titeuf, au niveau
de l’enfant, mais du point de vue des géniteurs, pas toujours très responsables de
leurs actes. Les portraits sont justes, caustiques, loin de l’humour « bon enfant » des
standards de la bande dessinée « familiale »...

C
Êest un album qui se focalise sur les parents Vous allez cependant chercher de la ressource torité, etc. Souvent, on a un idéal de lÊéducation qui
et non lÊenfant, comme vous le faites dans ailleurs que dans votre propre couple : certains est très élevé avant dÊavoir des enfants puis, avec
Titeuf... Vous aviez envie de retranscrire personnages relèvent presque du portrait... chaque naissance, on recompose un peu son idéal
votre expérience de papa ? Autant pour Happy Sex, jÊai un peu récolté des anec- pour se retrouver de plus en plus cool avec ses
Zep : Oui, jÊavais noté pas mal dÊanecdotes, des petits dotes en suscitant des discussions avec dÊautres enfants, car on se rend compte quÊentre lÊidéal et la
bout de scénario autour de ma vie de papa. Je ne couples, autant dans Happy Parents, ce nÊétait pas réalité, il y a un monde, voire un univers entier.
comptais pas en faire un livre, en fait : ce sont des nécessaire parce quÊon a ces situations sous les yeux
choses que je fais sous la forme dÊun journal intime en tout le temps. Quand on est parents, on est forcé- Quels sont les gens qui, dans la bande dessinée,
bande dessinée, une sorte de ÿ cuisine personnelle Ÿ ment avec dÊautres parents : on va à lÊécole chercher continuent à vous inspirer dans la façon de racon-
qui me sert aussi de laboratoire, où je teste des trucs... les enfants, on entend les histoires des autres enfants ter un gag ?
Parfois, je les relis et je me dis : ÿ - Tiens, ça pourrait qui viennent à la maison et qui racontent comment Je ne sais pas si, dans la bande dessinée, il y a encore
faire un livre. Ÿ Et là, cÊétait le cas : mon épouse, en cela se passe chez eux. On est abreuvé dÊinforma- des gens qui continuent à mÊinspirer sur ce point. JÊai
lisant mon journal (oui, elle lit mon journal...), était tions. Je dirais que sur ce thème-là, jÊaurais pu faire lÊimpression que des influences fortes persistent jus-
écroulée de rire et mÊa dit que cela lui semblait être 50 tomes parce que cÊest relativement illimité. Après, quÊà un certain âge, mais quÊaprès, ce mélange sert
un bon thème pour un album. Je nÊy pensais pas : la difficulté, cÊest que jÊavais envie de couvrir une de base, on construit au-dessus, il nÊy a plus que la
comme ce sont des histoires liées à mes enfants, cela période qui allait de lÊintra-utérin jusquÊaux jeunes manière de faire qui domine. Évidemment, je suis
me semblait trop perso... Après, je me suis dit que, adultes avec, à chaque fois, un autre couple de très influencé par les gagmen américains, Bill
effectivement, cÊest un sujet qui est commun à presque parents et dÊautres enfants. Mais cela demandait un Watterson et dÊautres, et puis par la BD franco-
tout le monde. En le faisant, je me suis amusé : cela paquet de personnages, il fallait que je mÊy retrouve. belge : jÊai adoré Franquin, jÊétais fan dÊAchille Talon,
faisait 20 ans que je racontais les histoires dÊun petit Et puis les choses viennent : les mamans sont sou- etc. Mais cette bande dessinée-là, cette manière de
garçon et sa vision du monde des adultes. Ici, cÊest lÊin- vent plus vindicatives que les hommes, les papas faire, a grandi aussi : aujourdÊhui on développe peut-
verse, cÊest la vision des parents. sÊavèrent un petit peu plus lâches par rapport à lÊau- être plus les psychologies des personnages, ce qui
ne se faisait pas à cette époque-là. Je suis attaché à
© Alain Grosclaude

des personnages auxquels ont croit, à ce quÊà chaque


page il se passe quelque chose de plus quÊun gag
avec sa chute. Il y a des choses que jÊai adorées
lorsque jÊétais enfant, alors que tout était orienté
vers la chute. JÊaime bien, parfois, que la chute soit
accessoire...

Le format du gag en une page est cependant une


contrainte que vous vous êtes donnée. Vous auriez
pu les faire en deux ou trois pages.
Il y a quand même quelque chose dÊassez logique :
on continue à lire dans des livres, sur du papier. Le
format de la bande dessinée marche assez bien avec
le gag en une page. Sur une seule page, notre flil
perçoit lÊensemble de lÊhistoire et puis après, il se
promène dedans. On sait que cela finira dans la
dernière image, ce nÊest pas une surprise, comme
lorsque lÊon dévoile une chose après lÊautre. Or, ce
format-là mÊest assez naturel, je mÊen rends compte.
Je suis en train de bosser sur un blog où lÊon peut
faire ce quÊon veut, avec des pages qui se déroulent
sur un mètre de long. Et bien, je fais toujours du 3
ou 4 strips, car cÊest mon format ÿ naturel Ÿ, cÊest la
place dont jÊai besoin pour pouvoir raconter quelque
chose. Je suis formaté. Après, je peux raconter une
histoire longue mais, dans le gag, la rythmique nÊa
pas besoin de toute cette place, elle est nuisible
ZEP plus quÊautre chose.

22
A c t u B d

Happy Parents, de Zep © Guy Delcourt Productions – 2014


Le fait quÊil nÊy ait pas de bord de faire à manger aux enfants, résoudre
case dans vos BD leur donnent jus- des problèmes de la maison.. Ce qui
tement un petit côté blog... fait quÊen lÊoccurrence, pour Happy
Pourtant, je fais cela depuis longtemps, Parents, même en ne travaillant pas, je
bien avant les blogs. JÊai toujours été restais pas mal dans mon sujet...
fâché avec lÊaspect systématique des
cadres. Pour moi, cela a toujours été Vous avez trois enfants, âgés de 6 à
assez compliqué de faire des ÿ gau- 17 ans, se sont-ils reconnus dans lÊal-
friers Ÿ. Je me rappelle que sur les pre- bum ?
mières bandes dessinées longues que Ils lÊont tous lu, même la petite de six
jÊai faites, jÊavais un copain qui était ans. Les petits, la page quÊils préfèrent,
ÿ cadreur Ÿ, qui traçait des cadres pour cÊest celle où le papa lange sa fille en lui
moi. Je considérais que cÊétait la part faisant des bisous sur les fesses. Ça les
dÊactivité la plus horrible de la bande fait hurler de rire parce quÊils nÊont pas
dessinée. JÊai toujours fait les cadres à compris complètement le truc. Mais
main levée pour que ça bouge un petit ils se sont retrouvés et il mÊont retrouvé
peu, que tout ait lÊair de venir de la à plein dÊendroits. CÊest un bon
même main. Avec des cadres faits à la moment de lecture familiale. Je crois
règle, jÊai lÊimpression que cÊest quel- que cÊest la première fois que je sors un
quÊun dÊautre qui lÊa fait. Ce que jÊaime livre et que toute la famille le lit.
dans la bande dessinée, cÊest son côté
artisanal, le bel objet, tout ça. Les cré- Quel est votre prochain album ?
dits, les titres... jÊaime bien quÊils soient Je suis en train de faire un Titeuf et un
dessinés. Surtout parce que jÊaime les autre livre dans la lignée de Histoire
dessiner moi-même. dÊhommes sur le silence. Je ne sais pas
lequel sortira le premier mais pour
¤ quel rythme travaillez-vous ? Vous Titeuf, on nÊa pas le choix : ce sera fin
respectez des horaires ? août 2015.
JÊai un rythme de travail des plus régu- PROPOS RECUEILLIS PAR
liers. En même temps, il y a les enfants DIDIER PASAMONIK
– jÊen ai deux maintenant qui sont à
Paris – qui font que jÊai des semaines un
peu décousues. Je bosse beaucoup, huit
à dix heures par jour, sur mes albums,
plus quand je suis en bouclage et par-
fois la nuit pour compenser mes
retards. Quand je travaille sur un livre,
je suis concentré, je ne commence pas
à aller regarder des vidéos sur
YouTube. JÊaime ça, être immergé dans
un livre pendant plusieurs mois. Il mÊar-
rive de faire plusieurs livres en même
temps. Cela demande dÊêtre assez dis-
cipliné : il y a une table où je fais Une
Histoire dÊhommes et une autre où je fais
Happy Parents, et je passe dÊune table à
une autre, un jour sur une histoire, un
autre sur lÊautre. Difficile de faire autre- HAPPY PARENTS
ment parce que lÊon est constamment
de Zep, Delcourt,
sorti de notre livre, distrait de notre
64 p. couleurs,14,95 €
travail parce quÊil faut par exemple

23
zoom A c t u B d

CHIENS PERDUS
Otto, de Frodo de Decker
Comme un long
strip de 48 pages,
Otto raconte la
course dÊun
personnage qui,

SANS COLLIER
de case en case, va
rencontrer divers
obstacles pour
atteindre sa belle.
Ainsi, sirènes,
singes, extraterrestres et même Noé
sont de la partie pour faire rire le
lecteur et malmener le personnage.
Bande dessinée muette et virtuose, Popularisés par le Gavroche des Misérables, les gamins des rues sont au cœur de Poulbots, un
lÊalbum a ce je-ne-sais-quoi dÊhumour
néerlandais mêlant burlesque, album à la fois tendre et féroce, en forme de réhabilitation de ces enfants livrés à eux-mêmes
comédie et absurde avec talent. dans un Paris pas franchement rose. Victor Hugo, Patrick Prugne, même combat ?
Comme dans Jean-Norbert, autre
très belle trouvaille de la jeune dont le nom est à lÊorigine du néolo-
© Prugne / MARGOT

maison Kramiek, lÊauteur pose son gisme qui donne son titre à lÊalbum.
univers petit à petit, chaque nouvelle
invention pouvant servir de règle Outre lÊargot imagé et savoureux dont
pour lÊélaboration de gags suivants on saisit aisément la signification (cer-
au grand profit des gags à répétition. taines expressions perdurent encore
Poétique, frénétique et amusant,
cet Otto a de bien belles qualités. aujourdÊhui), le trait assuré et les teintes
Kramiek, 48 p. couleurs, 10 € joliment pastel nous happent littérale-
YANNICK LEJEUNE
ment, dÊautant que lÊauteur parvient à
Carmilla, de S. le Fanu, susciter, par petites touches, une véri-
illustré par I. Mazzanti table empathie à lÊendroit du héros, et
Après Benjamin au-delà de la bande de gamins, moins
Lacombe, cÊest au crapules quÊils nÊen ont lÊair. Une émo-
tour dÊIsabella
Mazzanti dÊillustrer tion sincère, juste, traverse les planches
un classique de grâce à la douce mélancolie exprimée
la littérature pour par le regard de ces enfants anarchistes
la collection
métamorphose livrés à eux-mêmes qui, quelle que soit
chez Soleil. leur condition sociale, se retrouvent
Carmilla est une sur un point : la vie ne les épargnera
fluvre majeure de la littérature
vampirique, et a été écrite par pas. Non content dÊoffrir un album gra-
Sheridan le Fanu. Elle raconte la phiquement splendide, Patrick Prugne
troublante histoire dÊamour entre a pris soin de soigner son récit, avec
Laura, jeune noble anglaise, et la
mystérieuse Carmilla. La dessinatrice une révélation à lÊissue du chapardage
apporte son regard plein de poésie qui ne manque pas de serrer la gorge,
sur ce roman, et distille des et une évolution appréciable du jeune
illustrations superbes, tout en
délicatesse, dans un noir et blanc héros, qui sÊaffirme au fil de lÊaventure.
subtil agrémenté de touches de Loin des albums au dessin sophistiqué
rouge. La mise en page est très dont le scénario nÊest quÊune coquille
réussie, et chaque détail participe vide, Poulbots sÊimpose donc comme
à lÊatmosphère étrange, angoissante
une fluvre soignée qui réussit à crédi-

C
et fascinante.
Soleil, 192 p. couleurs, 29,95 € es dernières années, Patrick cole de la vie, qui sÊamusent avec un biliser un univers qui nous parle dÊun
ELSA BORDIER
Prugne sÊest constitué une crapaud-mascotte nommé Bismarck. temps que les moins de cent ans ne
Max Winson,T.2, discrète mais solide réputa- De passage sur le chantier, le père de peuvent pas connaître.
LÊÉchange, de J. Moreau tion dans le landerneau de la bande Jean sÊisole dans des toilettes de fortune, GERSENDE BOLLUT
Dans le premier dessinée, grâce à des albums à lÊaqua- chute dans la fosse et repart furibond,
tome des aventures relle qui entraînent le lecteur dans des bien décidé à se venger dÊun tel affront.
de Max Winson,
nous avions contrées lointaines et époques variées Abandonné sur place, son fils est alors
découvert le jeune au dépaysement assuré : la Nouvelle- retenu en otage par les enfants, qui
prodige du tennis France du XVIIIe siècle dans Canoë Bay, comptent exiger une rançon contre sa
aux prises avec
les affres de la La Louisiane du XIXe dans Frenchman⁄ libération. Las, Jean leur explique que
réussite, de la AujourdÊhui, nouveau changement de sa peau ne vaut pas cher aux yeux de
célébrité et du registre puisque lÊauteur clermontois, son père, et il anticipe leur soif dÊoseille
succès. Totalement à la merci dÊun
père abusif, dÊune foule qui en avait lauréat en 1990 de lÊAlph-Art-Avenir au en proposant de se rendre à son domi-
fait une sorte de demi-Dieu et dÊun Festival dÊAngoulême pour une parodie cile pour dévaliser lÊargenterie. Sans se
nouvel entraîneur aux méthodes du Lièvre et de la Tortue, nous propose une douter que le butin quÊils ramèneront
bizarres, le jeune homme devait
reprendre sa vie en main. Sauf quÊà ne immersion dans le Montmartre du suscitera un grand embarras⁄
pas savoir perdre, le voici responsable début du siècle dernier. Là, un garçon
de la mise à mort de son adversaire répondant au doux nom de Jean, gran- LE FOND ET LA FORME
et obligé de fuir cette vie⁄ En
lÊespace de deux albums (Le Singe de dit rue de Clichy dans une famille de la
Hartlepool et Max Winson T.1), Jérémie petite bourgeoisie. Pas franchement Tout, dans lÊalbum, respire lÊauthenti-
Moreau a réussi à se hisser parmi les doué pour les études, caressant le rêve cité. Une poignée de cases suffit à sÊim-
grands de la BD. Dessin sublime, de devenir dessinateur, il fait le malheur merger dans le Paris dÊavant-guerre, POULBOTS
narration brillante, réflexion poétique
et sociétale, cette série qui mêle de son père, un puissant entrepreneur avec sa misère et ses classes sociales
codes de films rétros et dÊanimation qui projette de construire un métro- clairement établies. Les plus observa- de Patrick Prugne,
est une merveille. politain sur une vieille butte squattée teurs noteront même un clin dÊflil à
éditions Margot,
Delcourt, 168 p. n&b, 15,95 € 52 p. couleurs, 16,90 €
JOHN YOUNG par une bande de gavroches élevés à lÊé- Francisque Poulbot, lÊaffichiste parisien

24
A c t u B d

Un dé à la mer ! Les éditions Makaka persistent et signent dans leur sympathique


marotte des BD « dont on est le héros » avec ce troisième tome
de Pirates, qui enrichit encore l’intrigue et ses possibilités.
© Shuky et Gorobei / MAKAKA ÉDITIONS

G
entil pirate, nÊhésitez pas à une narration plus linéaire et typique de
voler et mentir pour obtenir la BD approfondirait le récit. En effet,
de précieux indices. Vilain Pirates, développé sur trois tomes,
pirate, de lÊobservation minutieuse de répète enquêtes et interrogatoires,
lÊenvironnement dépend votre survie ! déplacements aux multiples embran-
Doté de + 15 en agilité, vous crochè- chements, confinant le romanesque sur
terez cette serrure discrètement. Vous ? quelques vignettes. Manque de com-
Un frère de la côte équipé dÊune bats épiques ?
gomme et dÊun crayon. Empochez 10 Cependant, le système de jeu sÊenri-
pièces dÊor pour commencer et avancez chit dÊun volume à lÊautre (par ex. aller-
au paragraphe 2. retour entre les livres pour résoudre
une énigme avec un nouvel objet) et la
Rallumant le flambeau porté par les chasse au trésor pourrait vous emmener
hérauts Ian Livingstone ou Steve plus loin quÊattendu.
Jackson, de jeunes pousses de livres STÉPHANE URTH
dont on est le héros (formule longuette
toujours magique) initient de nouveaux
aventuriers aux arcanes du jeu de rôle.

Ici, nul dé à lancer. Les choix sont


déterminés par nos compétences de
personnage (évolutives), la réussite dÊé-
nigmes et un système de cheminement
judicieux. LÊidée est simple : des chiffres
dans lÊimage indiquent la prochaine
case où se rendre. Ces indications
lisibles ou insidieusement cachées sont
parfaitement intégrées au graphisme
rond et coloré et jouent elles aussi de
lÊambiance cool de la série, où le visuel
(proche de Wakfu ou Zelda WindWaker)
prédomine. Nombres de cases réus-
sissent à saisir le secret dÊune jungle, le
danger entourant une crique, de rudes PIRATES, T.3
gaillards au coin dÊune ruelle.
Ces BD-jeu convoquent plaisir de
de Shuky et Gorobei,
lÊaventure et contrôle du hasard. Mais
Makaka, 144 p. coul., 17 €

25
zoom A c t u B d

© Riff Reb’s / MC PRODUCTIONS


BD de kiosque
& Science-Fiction,
par Dominik Vallet
Animateur du site
réputé pimpf.org,
AHOY,
MATEY !
lÊauteur y partage
sa passion pour les
fascicules petits
formats noir et
blanc, genre
aujourdÊhui disparu
mais très Riff Reb’s consacre sa toni-
recherché par les
collectionneurs. Il a truante trilogie maritime avec
rédigé un ouvrage de 300 notules ses Hommes à la mer, à
réparties sur plus de 150 pages sur la
BD de kiosque et de science-fiction. paraître chez Noctambule le
Un financement participatif a permis 29 octobre sous la forme d’un
dÊimprimer ce recueil qui fera sans
doute référence dans le genre, peu recueil de nouvelles qui fleure
mis à lÊhonneur dans les pages du
BDM. Le livre a été nominé au Grand bon les embruns.

S
Prix 2012 de lÊImaginaire, cette
réédition augmentée propose un i les océans vous font pétiller
index des auteurs et des séries. les prunelles, ou que la simple
De Varly, 160 p. couleurs, 30 €
JEAN-PHILIPPE RENOUX vue dÊun bateau titille votre
imagination, préparez-vous maintenant
Soda,T.13, Résurrection, à suivre de vieux loups de mer et de
de Tome et Dan simples marins aguerris dans des galères
On n'y croyait tantôt dévastatrices, tantôt mystiques,
plus : après neuf
ans d'un religieux tantôt étranges...
silence, le pasteur On peut compter Joseph Conrad,
Soda revient tous Edgar Allan Poe, Homère ou encore
flingues dehors,
partageant son Robert Louis Stevenson parmi les
goût pour la plumes qui ont inspiré Riff RebÊs dans ce
justice avec les dernier hommage à lÊocéan.
plaisirs de la
chaire ! Ce n'est pas le premier Autant dire que le programme est riche !
retour de ce Born Again : il était déjà En résulte donc un recueil rendant hom-
passé sous le ministère graphique de mage à toute une flotte dÊauteurs
Luc Warnant qui le créa pour Spirou,
sur scénario de Tome, en 1985, puis admirés, avec une touche dÊoriginalité
sous celui de la plume angélique de dans la narration : on trouvera ainsi cer- vagues au demeurant hostiles ; une ment intimiste dans laquelle on plonge
Bruno Gazzotti qui assura l'office taines nouvelles adaptées librement sous ambiance assez sombre et même étouf- sans hésiter.
entre 1989 et 2005. Mais cette année-
là, interpellé par les attentats du 11 forme de bande dessinée, mais aussi fante règne sur lÊensemble des nouvelles LÊauteur explique simplement le format
septembre 2001, Tome s'enfonça dans des extraits de texte illustrés, moyen soigneusement choisies par lÊauteur. Une de ce dernier opus par ces mots : ÿ Je
une réclusion scénaristique. Soda aux yeux de lÊauteur de ÿ compléter et dÊen- noirceur qui se révèle étonnamment nÊai pas trouvé dans mes lectures sur ce thème
était-il mort ? Tout le monde le croit, richir ce volume en illustrant des textes dÊauteurs accueillante, à travers la poésie, les un récit complet, adaptable à mes yeux, qui
y compris les lecteurs car ses auteurs
ont pris soin de l'envoyer Ad Patres. incontournables quÊ[il] nÊadapterait certaine- touches dÊhumour (tout aussi noir, on puisse rivaliser avec les deux premiers. Pensant
Mais les héros de BD, comme les ment jamais en bande dessinée Ÿ. sÊen doute) et la magie parfois empreinte ne pouvoir faire aussi bien, jÊai donc choisi de
saints, ne meurent jamais. Tome le fait Une initiative fort bien pensée, car le de folie quÊelle dégage et qui nous faire différent. Ÿ Et ce fut un pari aussi
revenir, avec cette fois Dan aux
enluminures. Ce treizième album est rythme donné par ce mélange narratif emporte. On se sent tour à tour lÊâme réussi quÊadmirable.
ironiquement labélisé ÿ XIII Ÿ, clin donne à la lecture un effet de ressac dÊun marin, dÊun pirate ou dÊun fantôme
d'flil à un autre héros tiré de l'oubli. ALIX DE YELST
tout à fait bienvenu, vu les eaux dans hantant un vaisseau depuis longtemps
Dupuis, 56 p. couleurs, 12 €
DIDIER PASAMONIK lesquelles le lecteur navigue. naufragé, au gré des pages tournées.
Graphiquement, le trait varie légère-
Au coin dÊune ride, UNE NOIRCEUR ACCUEILLANTE ment, sÊadapte au récit conté, se fait
de Thibaut Lambert angoissant ou plus éthéré, mais reste
Pas facile de Comme avec les deux premiers tomes au toujours remarquable ; la colorisation,
placer celui quÊon
aime dans une récit plus linéaire de cette trilogie, le majoritairement monochrome, nimbe
maison de retraite lecteur se laisse donc ballotter au gré de les écrits dÊune ambiance particulière-
spécialisée dans la
© Riff Reb’s / MC PRODUCTIONS

maladie
dÊAlzheimer. Mais
pour Éric, cette
décision, qui acte
le début de la
future déchéance physique et mentale
de Georges, se double dÊune autre
difficulté : les deux hommes sont en
couple. Conseillé par les employés de
lÊétablissement, qui craignent la
réaction des autres pensionnaires,
Éric évite tout signe de tendresse
envers Georges. Rendant celui-ci HOMMES ¤ LA MER
dÊautant plus maussade, irrité et rétif
à son placement. Une chronique par Riff RebÊs,
douce-amère réussie. Soleil, coll. Noctambule,
Des ronds dans lÊO, 48 p. coul., 13 €
THIERRY LEMAIRE 110 p. couleurs, 17,95 €

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zoom A c t u B d

Jean-Corentin Carré,
l'enfant soldat,T.1, de
Bresson, Duval et Chouin
Le plus jeune
soldat de la grande
guerre était un
Breton. Engagé
AAARGPPY BIRTHDAY
Dans le bouquet des revues de bande dessinée écloses depuis quelques mois, Aaarg! se distingue
contre l'avis de par sa transversalité. Avec réussite, puisque le bimestriel fête ce mois-ci sa première année
tous, son d’existence. Soufflons donc la bougie avec Pierrick Starsky, père fondateur ou pierre fondatrice.
patriotisme

A
chevillé au corps le
mateurs de polars, de SF et

© Jean-Louis et Victor Marco / AAARG!


mena sur le front
de Champagne. de fantastique, de nouvelles
Voici son histoire, en tout genre et bien sûr de
comment la guerre le changea à
jamais. Les Bretons à la Grande bande dessinée, vous ne le savez peut-
Guerre, tel aurait pu être l'autre nom être pas, mais une revue existe pour
de cet album. Mais il est centré sur un vous régaler. Depuis un an, au rythme
personnage historique réel, qui fait un dÊun numéro tous les deux mois, Aaarg!
bien meilleur héros. Pascal Bresson
met en scène la descente morale du sÊemploie à mettre à lÊhonneur des
jeune garçon au milieu des genres que certains pédants évoquent
boucheries des tranchées. La fleur au en se pinçant le nez. Avec comme
fusil, Carré la portait, il déchanta
rapidement, et ne se priva pas de le sous-titre ÿ Bande dessinée & culture à la
faire savoir autour de lui dès que masse Ÿ, la revue balaye le spectre dÊun
l'occasion se présentait. Une art populaire qui a bien gagné ses
clairvoyance qui pourrait bien lui
nuire ? lettres de noblesse. Il convenait donc
Paquet, 48 p. couleurs, 13,50 € de faire le point au terme dÊune année
YANECK CHAREYRE
fructueuse.
Jan Karski, Après un an et six numéros, quel est
de Rizzo & Bonaccorso BIG G, DE JEAN-LOUIS ET VICTOR MARCO
De tous ceux qui le bilan ?
ont écrit sur la Pierrick Starsky : DÊabord, on est heu- On a lÊimpression que dans le n°5, Alors, justement, pour cet anniver-
Shoah, Jan Karski reux dÊêtre toujours là. Beaucoup nous lÊaspect ÿ critique sociale Ÿ est plus saire, quÊest-ce qui est prévu ?
nÊest
certainement pas donnaient deux numéros dÊespérance présent. CÊest voulu ? Le numéro 6 aura 100 pages de plus et
le plus médiatisé. de vie. Ensuite, on est très satisfaits de la Les histoires de genre, et notamment sera vendu avec un CD best-of des
Pourtant, ce cohérence de la revue. Ce quÊon voulait, la science-fiction, se prêtent bien à Diego Pallavas, un groupe quÊon aime,
Polonais cÊétait casser les clivages, et on continue une vision politique de la société. On quÊon connaît bien et qui fête ses 10
catholique a eu
un parcours à le faire. On est ouverts à tous les pos- a essayé de prendre cette direction ans. De plus, les lecteurs sont invités,
incroyable dans sibles dans le champ de la culture popu- dès le premier numéro. Je ne me rends en photo ou en vidéo, à se mettre en
la Résistance face aux Nazis. CÊest en laire, de Raymond Carver au roller pas bien compte si ça augmente avec scène avec la revue pour gagner des
effet lui qui, dès 1943, a témoigné
pour la première fois des horreurs derby pour citer deux articles parus en le temps. Plus les numéros avancent, abonnements à vie. Et depuis début
des camps dÊextermination pour les exemple. On est très fiers de ça. plus la revue affine sa personnalité, octobre à Marseille a lieu un festival
avoir vus. Churchill et Roosevelt, plus les auteurs lisent ce quÊont fait avec des événements tous les week-
précisément informés de la situation
juive en Pologne, écouteront les Comment sont choisis les artistes qui les autres et trouvent leur ton aussi. ends. Enfin pour lÊannée qui vient, on
terribles descriptions de Karski sans vont être publiés dans Aaarg! ? DÊailleurs, quand on reçoit des projets, réfléchit à des séries de goodies, à
rien décider. La raison dÊÉtat fut la On reçoit une centaine de propositions on sent que les auteurs savent à qui ils créer des ambassades Aaarg! chez les
plus forte. Le destin de ce ÿ Juste
parmi les nations Ÿ mérite dÊêtre par semaine. Il y a 99 % de refus, sÊadressent. libraires qui nous soutiennent parti-
aujourdÊhui mis en lumière. dÊabord parce quÊon a un staff dÊauteurs culièrement et aussi à lancer un hors-
Steinkis, 156 p. couleurs, 16 € réguliers, ensuite parce quÊil y a beau- Aaarg! se lance même dans lÊédition. série jeunesse, histoire de prendre la
THIERRY LEMAIRE
coup de choses qui ne sont pas au CÊétait prévu dès le départ ? température.
Les Petites Marées, de niveau ou qui ne rentrent pas dans le CÊétait évoqué, mais on ne peut être PROPOS RECUEILLIS PAR
THIERRY LEMAIRE
Mona de Vidal et Bertrand cadre éditorial. sûr de rien. Nous commençons effec-
tivement à éditer en albums certaines
© Beltran / AAARG!

Drôle de
petite histoire, histoires qui ont terminé leur publi-
tout en cation dans la revue. On essaye à
douceur, qui
commence par chaque fois dÊajouter pas mal de bonus
un enterre- dans ces recueils pour contenter les
ment pour se lecteurs réguliers.
conclure sur
un coming out.
Dans une ambiance bleutée qui Vous êtes basés à Marseille. Est-ce
appuie la mélancolie du récit, on suit que vous cherchez à créer une cer-
Mona, une adolescente marquée par
le décès de sa grand-mère. Lors de la taine synergie avec les auteurs ou
levée du corps, elle retrouve Gaël, les associations de la région ?
son ancien amour de jeunesse, pour Pas vraiment. On est restés à
qui elle garde une certaine attirance.
Chronique familiale, récit dÊamitié, Marseille parce quÊon aime la ville et
histoire dÊamour, cÊest un petit peu quÊon y vit. Mais on se rend compte
tout ça Les Petites Marées. Une quÊil y a une emprise un peu partout
narration tout en finesse, à lÊimage du
dessin, riche en détails sans pour en France. Il y a des gens qui nous sui-
autant être trop chargé. Un joli vent et qui forment un début de com- AAARG!, N°6
moment de lecture. munauté. Ces lecteurs attendent quÊil
Les enfants rouges, 60 p. coul., 14 €
se passe plus de choses autour de la collectif,
THL
COUVERTURE HOMMAGE - BELTRAN revue. On y réfléchit. 276 p. couleurs, 16,50 €

28
zoom A c t u B d

Les Aventures de Philip et


Francis,T.3, SOS météo,
de Veys et Barral
Hommage appuyé,
pastiche ou
parodie ? Les
CLAP DE FIN
POUR LE MAGASIN
Aventures de Philip et
Francis peuvent
plaire aux amateurs
de Blake et
Mortimer, mais
également à leurs
détracteurs, car elles nÊhésitent pas à
appuyer sur tout ce qui fait
aujourdÊhui un peu désuet chez ce Cette fois, c’est bien fini. Avec ce tome 9, la chronique de ce village québécois à la fin des années
tandem historique. Le brave Philip
Mortimer en a marre que lÊon abuse 20 s’achève. Retour sur Magasin général, un succès pas forcément prévisible, en compagnie de
de sa gentillesse, il concocte donc
une mixture qui va le rendre plus Régis Loisel, co-auteur avec Jean-Louis Tripp.
viril, un peu comme le Mister Hyde

© Tripp et Loisel / CASTERMAN


de Stevenson. Mais il se fait repérer
dans un club de striptease de Soho
par les hommes de main dÊOlrik qui
lÊembarquent. Barral est plus sérieux
quand il reprend le Burma de Tardi !
Dargaud, 56 p. couleurs, 13,99 €
JEAN-PHILIPPE RENOUX

Les Voleurs de Carthage,


T.2, La Nuit de Baal-
Moloch, dÊAppollo et
Tanquerelle
La fin dÊun péplum
moderne, sans
illusion ni
concession. Pas si
fous, les Romains
ont décidé de
détruire à jamais
leur rivale
Carthage.. Un
petit groupe de
Pieds-Nickelés de lÊAntiquité aurait
aimé profiter de la confusion générale
pour dérober le trésor des

P
Carthaginois, mais plus rapide que our Marie et Serge, les pro- verse lÊéquilibre de la bourgade, de lÊhistoire cÊest Marie, Serge, lÊémancipation
prévue, lÊattaque romaine ne leur
laissera dÊautre alternative que de tagonistes principaux, ainsi Réjean, le jeune curé à la vocation dÊune femme dans les années 20. Les gamins
choisir entre leur mort (le suicide ou que pour tous les habitants incertaine, des hommes du village, sont là pour faire du volume. On avait sou-
lÊassassinat) ou un long esclavage . du village québécois de Notre-Dame- absents tout lÊhiver pour la coupe du vent des différents avec Jean-Louis à ce sujet,
Cette rencontre entre deux auteurs
importants fonctionne bien, le des-lacs, lÊaventure de Magasin général bois, et des femmes, quÊon apprend à parce quÊil me disait en voyant mes esquisses
scénario dÊAppollo, tour à tour aura duré une grosse année. Mais pour connaître en détail pendant leurs mois ÿ cÊest qui ce gamin ? Ÿ. Et moi je lui
sérieux et moqueur, sÊaccommodant Régis Loisel et Jean-Louis Tripp (tous de solitude. Les enfants, pourtant bien répondais ÿ mais je mÊen fous. QuÊil
bien du dessin semi-réaliste de
Tanquerelle. deux français et habitant au Québec), présents dans le hameau, ne jouent appartienne à telle ou telle famille on
Dargaud, 56 p. couleurs, 13,99 € ce sont huit années de travail qui quÊun rôle de figurants. ÿ Le propos de sÊen tamponne ! Ÿ. Lui avait besoin de
JPR sÊachèvent sur le mot fin au bas de la

© Tripp et Loisel / CASTERMAN


dernière case du neuvième tome. Pas
Le Vieil Homme et la Mer,
de mélancolie pour les deux auteurs,
de Thierry Murat,
d'après E. Hemingway juste le sentiment de plénitude dÊêtre
Adapter arrivés à la conclusion dÊune histoire
Hemingway, qui devait à lÊorigine sÊétaler sur trois
Thierry Murat en tomes. ÿ Certains disent quÊon a tiré sur la
rêvait, il a pu le
faire. Conservant corde du succès, mais cÊest faux, proteste
le style qui a fait Loisel. La place grandissante des person-
son succès, l'artiste nages secondaires a fait quÊon a eu besoin de
prend de pleines
tranches de pages plus de place pour raconter cette histoire. On
pour nous offrir ne sÊest privé de rien, cÊest tout. Ÿ Il est vrai
des cases dans lesquelles on aime que le rythme langoureux de la narra-
s'immerger, dans lesquelles on aime tion et lÊabsence de véritables scènes
se perdre. Ce voyage prend vie et l'on
suit le vieil homme au même rythme dÊaction font de Magasin général une
que sa poursuite : sans nous arrêter. série atypique. Dont le charme tient
On court autant qu'il navigue, on veut justement dans ce récit fait de petits
savoir jusqu'où ira cette galère. Et
puis vient la conclusion, le repos. On riens, cette comédie de mflurs à la
se prend à sortir d'apnée, on se pose. Frank Capra, une influence revendi-
Et on y repense. Et on rouvre le livre, quée par le duo dÊauteurs. Ici lÊintrigue
machinalement. On s'imprègne des
couleurs, on reprend une bouffée de tient dans la vie des personnages.
mer. Et on referme le livre. Et on Celle de Marie, jeune veuve à la tête
repart en rêverie. Pouvait-on espérer du commerce dont il est question dans
une meilleur adaptation ?
Futuropolis, 128 p. couleurs, 19 € le titre, de Serge, qui débarque dans le
YANECK CHAREYRE village, ouvre un restaurant et boule-

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A c t u B d
© Tripp et Loisel / CASTERMAN

savoir pour faire lÊencrage. Il cherchait, il rant dans le village, ils comprennent quÊils ont
cherchait. Et puis au bout du cinquième ou eux aussi droit au plaisir. Et puis il y a Marie
sixième album, il a abandonné. Ÿ qui décide de vivre sa vie, qui envoie paître tout
le monde et part à Montréal, où elle découvre la
COULEUR LOCALE liberté. Ÿ Somme toute, des aspirations
universelles incarnées dans un coin
Un des autres plaisirs de la lecture de perdu du Québec. On ne sÊétonnera
la série est à trouver dans les dialogues, donc pas du succès phénoménal (toutes
dont les tournures et expressions du proportions gardées) de la série dans la
cru donnent toute sa saveur au récit. Belle Province. ÿ Au début, on était vus
ÿ Au début jÊétais très mitigé, plus que Jean- comme deux maudits Français qui sÊattaquaient
Louis. Je ne voulais pas écrire les dialogues en à lÊhistoire québécoise. Mais les lecteurs ont été
français, mais juste les teinter dÊexpressions agréablement surpris par la qualité de la docu-
québécoises. Alors on a fait les choses par mentation et le respect de la ÿ parlure québé-
étapes, en augmentant régulièrement la pro- coise Ÿ. ¤ part quelques érudits acariâtres, les
portion de ces expressions. JusquÊau dernier gens ici ont rapidement adhéré. Ÿ Tout autant
tome, qui est carrément en québécois. que le public français. ¤ tel point quÊil
Finalement, jÊai passé tout lÊété dernier à refaire ne serait pas surprenant quÊune adap-
les textes des premiers albums. Ce qui fait que tation cinématographique voie le jour.
les retirages auront la même palette de voca- ÿ Il y a un producteur français qui est intéressé,
bulaire que le dernier tome. Ÿ Un dernier qui essaye de convaincre un homologue québé-
tome qui referme une page de la chro- cois de rentrer là-dedans. Le problème, cÊest que
nique du village tout en laissant faire un film de 1h40 avec cette histoire, ça me
grande ouverte lÊimagination du lec- paraît difficile. JÊaimerais bien le faire comme
teur sur la suite de lÊexistence des diffé- Manon des sources, en deux volets, mais
rents protagonistes. Avec cette fois cÊest plus risqué. Ou alors en série télévisée.
une place particulière pour Réjean, le Une saison de huit épisodes sur laquelle on peut
curé de la paroisse, qui redore le bla- étaler le truc. Mais bon, on nÊen est quÊaux
son du clergé, après que celui-ci en a premières discussions. On verra. Je ne veux
pris un peu pour son grade tout au surtout pas me brûler les ailes à ce miroir aux
long des albums. ÿ Ici, les curés, cÊétait la alouettes quÊest le cinéma. Ÿ
plaie. Ils avaient la mainmise sur les villages. THIERRY LEMAIRE
Ils passaient de ferme en ferme pour savoir si
les femmes étaient enceintes. CÊest pour ça que
les familles ici tournaient autour de 10, 15
enfants. Ÿ Heureusement, le jeune
prêtre de Notre-Dame-des-lacs com-
pense la mauvaise image du clergé
dans la série. ÿ Oui, il y a Réjean, qui est
formidable et qui vire sa cuti. Parce quÊil nÊa
jamais vraiment voulu être curé. Vous savez,
dans ces familles nombreuses, il y avait tou-
jours un enfant qui était destiné à la prêtrise.
Réjean, lui, voulait être ingénieur. Ÿ

ÉMANCIPATION
Cette critique du clergé nÊest pas gra-
tuite. Elle sÊinscrit dans la thématique
de Magasin général : ÿ lÊaccès au plaisir, lÊé- MAGASIN GÉNÉRAL, T.9
mancipation. Dans une scène, une femme se NOTRE-DAME-DES-LACS
lamente quÊon lui a toujours dit quÊavoir du
plaisir est un péché mortel et quÊils étaient ÿ un de Jean-Louis Tripp
peuple né pour un pÊtit pain Ÿ. Voilà, les gens et Régis Loisel,
Casterman,
nÊétaient là que pour travailler et faire des gosses.
128 p. couleurs, 16,50 €
Et avec lÊarrivée de Serge, qui ouvre un restau-

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zoom A c t u B d

© Yann et Hugault / PAQUET


Ekhö,T.3, Hollywood Bd.,
dÊArleston et Barbucci
Cette fois dans le
monde-miroir,
Fourmille et Yuri
sont appelés à
faire un petit
tour à
Hollywood ! Ils
doivent y
rencontrer la
célèbre Norma
Jean, afin de
négocier un contrat en or pour
l'agence Gratule ; mais la diva leur fait
faux-bond au rendez-vous et,
bataillant pour enfin la rencontrer à
son domicile, nos deux agents
découvrent la star sans vie dans sa
piscine... avec son âme enfermée dans

LES ANGES ONT UN SEXE


Fourmille ! Embringués dans une
nouvelle aventure malgré eux,
Fourmille et Yuri devront donc
éclaircir le mystère de la mort de
Norma Jean, et libérer par la même
occasion l'esprit de notre héroïne.
Toujours bien dosée entre action et Des femmes pilotes pendant la Seconde Guerre mondiale ? Allons donc. C’est pourtant la réalité
humour, la formule Arleston /

«
Barbucci continue de porter ses que Yann et Romain Hugault décrivent dans Angel Wings, un récit de guerre accrocheur.
fruits.
Soleil, 48 p. couleurs, 13,95 € Si jÊavais les ailes dÊun ange, je nous aurait caché des choses ? Il y a gosse, as du manche à balai, part du
ALIX DE YELST
partirais pour Québec Ÿ, en effet certains épisodes de principe que toutes les femmes lui
Urban,T.3, chante Robert Charle- lÊHistoire qui ont une fâcheuse ten- sont acquises. Ce couple de circons-
Que la lumière soit..., bois. Yann, lui, préfère mettre le cap dance à être jetés dans les oubliettes tance que beaucoup de choses oppo-
de Brunschwig et Ricci sur la vallée de lÊAssam, au nord-est de la mémoire collective. Ainsi, il a sent a un petit air de déjà vu, mais la
Monplaisir a de lÊInde, mais pas pour boire une fallu plus de 50 ans pour que lÊadmi- mayonnaise prend, à la manière dÊun
explosé! C'est la tasse de thé. LÊaction du premier des nistration américaine reconnaisse le épisode des Têtes brûlées, ce qui est à
panique. Springy trois tomes dÊAngel Wings se déroule rôle de ces centaines de pilotes fémi- coup sûr un compliment. Outre une
Fool lui-même a
été légèrement en effet en 1943, sur une des bases nins dÊavions militaires de transport. documentation sans faille, Yann peut
blessé. Mais la vie aériennes alliées à partir desquelles la Yann en remet une couche en exal- compter sur le talent de Romain
va reprendre son reconquête de la Birmanie se prépa- tant le courage dÊune des leurs. Hugault pour mettre en musique son
train et tant pis
pour les re. Le combat contre lÊennemi japo- scénario. Le dessinateur sait à mer-
dommages nais impose aux Américains la créa- LA PLANTUREUSE PILOTE veille découper les combats aériens
collatéraux, Buzz
l'interceptor, Ishrat la prostituée, et
tion dÊun pont aérien pour que ET LE BEAU GOSSE et représenter nÊimporte quel type
bien d'autres encore, car le pire est lÊarmée chinoise résiste de son côté. dÊengin volant. Il sait également par-
encore à venir. Brunschwig nous Un des gros Dakota transporteurs de Comme à son habitude, le scénariste faitement poser des ambiances avec
claque par surprise. Il vient nous matériel est contraint de se poser sur nous propose une histoire dÊaventu- des couleurs léchées. Plans et dia-
rappeler qu'il sait mettre en scène la
cruauté, et que les atours de la piste indienne, troué par les balles re, disons, à lÊancienne, avec deux logues incisifs achèvent de contreba-
Monplaisir en recelaient une grosse dÊun chasseur nippon. Jusque-là, rien personnages principaux pour le lancer le relatif conformisme de lÊin-
dose. Il plonge ses personnages plus que de très classique pour un récit de moins archétypaux. Angel, une trigue dÊune série qui touchera bien
loin dans les ennuis. On pressent, on
imagine, et on fantasme déjà sur le guerre. Sauf que le pilote du biréac- brune à forte poitrine, un tantinet au-delà des seuls amoureux de lÊaéro-
tome suivant. Avec un excellent teur en question se nomme Angela garçon manqué, nÊhésite pas dans cet nautique. Les aventures de ce nouvel
dessin à son service, Urban est un Mc Cloud, membre du Women Air univers macho à se faire respecter ange du ciel ont tout pour décoller.
excellent moment de lecture. Service Pilots. Pardon ? Un groupe dÊune bonne gauche en pleine
Futuropolis, 56 p. couleurs, 13,50 € THIERRY LEMAIRE
YANECK CHAREYRE dÊaviatrices pendant la guerre ? On mâchoire masculine. Rob, beau
© Yann et Hugault / PAQUET

Ultime frontière,T.1,
de Leo et Icar
Leo nÊa de cesse
de décliner son
concept original
de science-
fiction à
tendance
écologique,
inaugurée par
Les Mondes
dÊAldebaran en
1993. Il prête
beaucoup dÊattention aux relations
humaines, mais ce sont surtout ses
créatures animales inédites qui
marquent les esprits. Cette nouvelle
série emprunte beaucoup aux codes
du western : Jane Jones et son frère
débarquent dans un patelin perdu ANGEL WINGS, T.1
pour y restaurer lÊordre (un
propriétaire terrien cherche à BURMA BANSHEES
imposer sa loi, épaulé par une solide
équipe), et certains habitants sont de Yann et Hugault,
plutôt rugueux. Paquet, coll. Cockpit,
Dargaud, 48 p. couleurs, 11,99 €
MICHEL DARTAY
48 p. couleurs, 13,50 €

32
A c t u B d

APRÈS LES CITÉS OBSCURES,


LA VILLE LUMIÈRE À quoi ressemblera Paris dans 100 ou 200 ans ? Telle est la question à l’origine de Revoir Paris de Schuiten et Peeters, récit
d’anticipation au titre ambigu : s’agit-il de raconter un « retour à Paris » comme dans la chanson de Charles Trenet, ou de plaider
pour une « révision de Paris » pour éviter que se réalise le cauchemar visionnaire des auteurs ?
© Schuiten et Peeters / CASTERMAN

UTOPIES DE PARIS
ÿ Revoir Paris Ÿ, cÊest aussi une expo-
sition à la Cité de lÊarchitecture et du
patrimoine, qui se tient du 20
novembre au 9 mars 2015, où les
auteurs ont mis en scène les visions de
Paris : celle encore présente à notre
époque du baron Haussmann qui avait
redessiné la ville, les projections futu-
ristes dÊauteurs comme Verne ou
Robida, les projets authentiques mais
pas toujours concrétisés dÊarchitectes
comme Le Corbusier ou Jean Nouvel,
et les visions utopiques que la capitale
française a inspirées depuis deux
siècles⁄ sans oublier leur propre tra-
vail dÊanticipation sur Paris, en amont
de la création de lÊalbum. Le sujet est
particulièrement maîtrisé par François
Schuiten, qui avait participé en 2010
à un laboratoire dÊidées (ou think tank)
autour du développement du Grand
Paris, à la demande du secrétaire dÊÉ-
tat chargé du développement de la
Région Capitale. Le projet avait
tourné court, mais les réflexions et
échanges de lÊépoque ont fini par por-
ter leurs fruits, et on peut considérer
Revoir Paris comme une conséquence
heureuse et indirecte de ce travail
prospectif.

F
évrier 2156. ¤ la tête dÊune figurent dans les rarissimes ouvrages et à la communication) dans sa trilogie JÉRłME BRIOT
mission spatiale dont les imprimés détenus sur lÊArche⁄ mais dÊanticipation sur le XXe siècle. Bien
autres membres dorment en elle consacre toute son énergie à entendu, le fossé sera immense entre ce
hibernation, Kârinh, une jolie jeune explorer ce Paris livresque, grâce à Paris futuriste imaginé par un auteur
femme brune, veille en t-shirt et des hallucinogènes qui lui permettent du XIXe siècle et fantasmé par Kârinh
culotte blanche⁄ Non, ce nÊest pas un dÊy projeter son esprit. lÊutopiomane, et celui bien réel du XXIIe
nouveau chapitre des Mondes siècle où elle va débarquer, qui tient
dÊAldébaran par Leo mais un récit dÊan- FUTUR ANTÉRIEUR plus de la contre-utopie : population
ticipation signé Benoît Peeters et agressive, espace hyper-urbain déna-
François Schuiten. Est-ce alors un nou- Et voilà comment un récit de science- turé, problèmes de circulation démul-
veau volume des Cités obscures ? fiction parvient à la fois à développer tipliés⁄ Le syndrome de Paris est pro-
Toujours pas ; il sÊagit dÊun voyage à une pensée sur le futur, tout en cultivant mis à un bel avenir !
destination de Paris la Ville lumière, et une ambiance rétro et steampunk. Comme toute leur fluvre, ce récit de
non pas de son alter ego Pâhry, la cité Nous plongeons avec cette héroïne du Schuiten et Peeters est très onirique,
obscure. Le Paris du XXIIe siècle est vingt-deuxième siècle dans un XXe mais donne lÊillusion du plausible grâce
une destination inconnue et redou- siècle parisien inspiré des travaux au trait méticuleux du dessinateur, à
table pour ces voyageurs nés sur dÊAlbert Robida (1848-1926), ce cette rigueur architecturale qui fait sa
ÿ lÊArche Ÿ, une colonie spatiale qui a romancier et dessinateur pas moins spécialité et qui parvient à tout rendre
presque totalement coupé les ponts visionnaire que son contemporain Jules crédible, de la salle des machines futu- REVOIR PARIS, T.1
avec son monde dÊorigine. Mais pas Verne, qui en 1890 imagina lÊomnibus- riste au jardin de plantes extra-ter-
pour Kârinh, qui rêve de Paris dÊune aéroflèche, lÊaérocab et surtout le ÿ télé- restres, sans oublier bien sûr lÊhyper- de François Schuiten
et Benoît Peeters,
façon quasi obsessionnelle. Elle nÊen phonoscope Ÿ (une sorte dÊécran plat cité Paris, tentaculaire jusquÊau port
Casterman, 64 p. coul., 15 €
connaît que les représentations qui mural servant à lÊéducation, aux loisirs du Havre⁄

34
A c t u B d

Malédictions !
Depuis 1997, les éditions Mosquito ont publié une quarantaine d’albums de Sergio Toppi, l’un des très grands maîtres de la bande
dessinée italienne, accomplissant là un acte éditorial courageux, lucide et décidemment nécessaire lorsqu’on voit les merveilles
visuelles que propose ce Chapungo récemment paru...
MAESTRIA ET INTELLIGENCE
© Toppi / MOSQUITO

Ces trois histoires sont parues en 1976, 1978 et


1985 dans les revues Linus, Alter Alter et Corto Maltese,
leur action se passant respectivement en 1521, 1850,
et au XXe siècle : la malédiction des dieux aztèques
et consorts est éternelle, pour qui vient déranger
lÊordre des choses ! En lisant cet album, on ne peut
quÊêtre une nouvelle fois émerveillé par la maestria
de Toppi, quÊelle soit narrative ou graphique. Sa
manière dÊaborder lÊespace de la planche pour en
tirer un cheminement à la fois visuel et narratif est
exceptionnelle, lÊintelligence
de son propos est redoutable,
et les ornements de son dessin
aussi complexe que révélateur
nous offrent des visions mer-

L
es fables de Toppi sont remplies dÊêtres peu niste cynique. Dans ce nouvel album thématique, veilleuses, inextinguibles.
recommandables qui – à force de jouer avec cÊest en Amérique du Sud que le maestro a mis en Toppi, artiste fascinant...
le feu – finissent par se confronter à des scène ses tragi-comédies, les actes et choix de ses anti-
entités fantastiques qui les anéantiront. DÊautres fois, héros menant au réveil – et au courroux ! – des CECIL MCKINLEY
ce ne sont que de pauvres hères qui rencontrent mal- anciens dieux amérindiens... Chapungo : trois contes
encontreusement ce qui les dépasse et finit par les où le réel bascule dans le surnaturel pour mieux dres- c CHAPUNGO
engloutir. CÊest le petit théâtre de Toppi, lÊhuma- ser le portrait de notre humanité chancelante. de Sergio Toppi, Mosquito, 60 p. n&b, 13 €

© Bilal / CASTERMAN
ULTIME SURRÉALISME
POSTAPOCALYPTIQUE
Animal’z et Julia & Roem, des one-shots ? Non point. Ces récits trouvent leur suite
et fin dans La Couleur de l’air. Où Enki Bilal, malgré le singulier du titre, se rabiboche
avec la polychromie.

L
e coup de sang : un cataclysme mondial forme dÊun triple road movie, dont les protago-
qui a totalement redistribué les cartes, au nistes suivent des voies maritimes (Kim et Bacon, les
sens propre (les continents sont devenus personnages dÊAnimalÊz), terrestres (Julia, Roem et
méconnaissables) comme au sens figuré, puisque Lawrence, sur la route encore) ou aériennes dans un
lÊhumanité a perdu la plupart de ses représentants. Zeppelin poubelle-nucléaire qui menace dÊajouter
Seuls ont survécu quelques individus, sélectionnés une nouvelle apocalypse à la précédente. Au final,
par la ÿ planète Ÿ sur des critères quelque peu abs- même si Bilal sÊexplique dans un livre dÊentretiens
traits. CÊest dans ce monde dÊaprès lÊapocalypse que (Ciels dÊorage, conversations avec Christophe Ono-dit-Biot,
se déroulaient AnimalÊz (paru en 2009) et Julia & Roem Flammarion), lÊhistoire reste globalement imbitable.
(2011), deux récits quÊon pouvait penser indépen- Mais agréable à regarder, et cÊest la grande force de
dants et achevés. Mais voilà que lÊauteur, poussant lÊartiste Bilal : même englué dans des scénarios
la logique crépusculaire toujours plus loin, se lance incompréhensibles, son dessin est toujours dÊune
dans le récit du jour dÊaprès. Il faut y voir le signe extraordinaire puissance évoca-
dÊun regain dÊoptimisme chez Bilal : tout nÊest pas trice, qui transcende ses propres
fichu, il reste encore et toujours un après à racon- récits. Lire Bilal, cÊest toujours
ter⁄ et surtout, à dessiner. une promesse dÊexotisme, cÊest
un voyage peut-être différent
EARTH, WIND AND WATER pour chaque lecteur, car cÊest
entre vos oreilles que tout se
La Couleur de lÊair, conclusion (provisoire ?) de la tri- passe. c LA COULEUR DE LÊAIR
logie du ÿ coup de sang Ÿ, est construit sous la JÉRłME BRIOT dÊEnki Bilal, Casterman, 96 p. couleurs, 18 €

36
A c t u B d

Un grand pouvoir
implique... un grand pouvoir
Pol Salsedo est un lycéen, du genre qui tape sur les nerfs, pas sym-

Fox-Boy, de Laurent Lefeuvre © Guy Delcourt Productions – 2014


pathique pour un sou. On est loin du mièvre et gentil Peter Parker.
Par un étrange concours de circonstances, un mage va le trans-
former en… Renard-Garou  ! Mais devenir un super-héros, lors-
qu’on est fan de comics, est ce bien un rêve ? Ou plutôt une malé-
diction ? Toujours est-il que notre Garçon-Renard va devoir s’adapter.

L
aurent Lefeuvre fut révélé par SUPER RENARD
un ouvrage de la collection
Signé du Lombard, en 2010, Fox-Boy a vu le jour en 2011 dans un
Tom et William. Preuve de la passion de magazine breton (il sÊappelait alors Paotr
son auteur pour les BD ÿ de gare Ÿ et Louarn) sous forme dÊhistoires à suivre.
lÊapproche populaire du 9e art, ce livre Il a eu droit à son premier comic-book
en appela un autre, complémentaire, au format souple en 2012 (éditions Black
sur les mythiques et fictives éditions and White, couverture encrée par Klaus
ROA (2012 éditions Mosquito). Janson) qui attira lÊattention dÊun grand
Restait à sauter le pas et créer son éditeur. Delcourt propose aujourdÊhui
propre super-héros. une histoire complètement inédite, avec des origines remaniées pour lÊoccasion. en co-créant les icones Marvel. Cela
Un récit personnel, dans un genre pour- nÊempêche pas un peu de noirceur par
© Laurent Lefeuvre

tant ultra codifié. endroits (Miller guette au détour de


récitatifs) ni la puissance dÊun graphisme
HORS RÉGIONALISME, mêlant les apports de grands auteurs
POINT DE SALUT ! comme Wrightson, Colan ou Eisner.
Quelques pages moins spectaculaires
Les ÿ french comics Ÿ sont à la mode. sont largement compensées par une
Ce qualificatif un peu fourre-tout cache mise en couleur qui unifie intelligem-
le plus souvent de pâles copies de leurs ment lÊensemble.
illustres modèles (nÊest pas Lee / Kirby Plus quÊun comic-book à la française,
/ Ditko qui veut). Fox-Boy sort claire- savourez une série qui réhabilite lÊima-
ment du lot, ne serait-ce que du fait de gination ainsi que quelques mots sou-
son niveau de réalisation, loin dÊun ama- vent dévoyés qui prennent ici tout leur
teurisme fort présent dans le domaine, sens : ÿ ¤ suivre⁄ Ÿ
et de son identification régionale reven- FRANK TOMAIR
diquée.
En effet, toute lÊaction se déroule à
Rennes, mais le but nÊest pas de parler
à une minorité, bien au contraire. Le lec-
teur non breton sent bien que le dessi-
nateur connaît son pays par cflur, mais
identifier les lieux est un bonus, pas une
fin en soi. Ancrer lÊintrigue dans un lieu
déterminé en fait paradoxalement res-
sortir lÊuniversalité. Le lecteur de Strange
devenait new-yorkais en suivant Spidey
ou Daredevil ; les fans de Fox-Boy seront
bretons le temps de ce premier album.

MILLAR, VOUS AVEZ DIT MILLAR ?


Quel ado ne sÊest pas demandé ce quÊil
ferait avec des super pouvoirs ? Celui
qui a poussé ce postulat à lÊextrême,
cÊest Mark Millar (Kick Ass, Nemesis, FOX-BOY, T.1
1985⁄). Mais là où ce dernier affiche LA NUIT DU RENARD
un cynisme prononcé, le papa de Fox-
Boy prend le contre pied avec une his- de Laurent Lefeuvre,
toire plus premier degré, et la distance Delcourt,
ILLUSTRATION RÉALISÉE POUR ZOO bon enfant que pouvait avoir Stan Lee 112 p. couleurs, 13,90 €

38
zoom C o m i c s

Photonik, Vol. 2, 1982-


1987, de Mitton et Tota
LA BOÎTE À LIVRES
DE CHRIS WARE
© Ciro Tota

Vous avez lu Strange, Spidey et Le dernier grand projet en date de Chris Ware sort chez Delcourt, et c’est à nouveau l’émer-
consorts dans les années 80 ? Alors veillement... Avec Building Stories, l’auteur nous propose une plongée dans la vie quotidienne
vous connaissez Photonik, fluvre culte
de lÊun des pères du ÿ french comics Ÿ, via une œuvre fragmentée en 14 publications réunies dans un beau et imposant coffret. Sublime.
Ciro Tota. Avant Les Conquérants de

O
Troy, avant Aquablue, Tota anima entre n le sait, Chris Ware ne fait

Building Stories, de Chris Ware © Delcourt éditions 2014


1980 et 87 les aventures de
Thaddeus, Doc Ziegel et Tom Pouce, jamais rien comme per-
qui restent aujourdÊhui un délice de sonne. Son univers obses-
lecture. Les éditions Black & White sionnel sÊexprime depuis ses débuts à
proposent une intégrale de cette
série dont certains épisodes furent travers des publications de formats très
produits par Jean-Yves Mitton. Le différents selon le sujet abordé. Building
volume 1 date de 2013. Le deuxième Stories est à la fois un merveilleux
sort ce mois ci et conclut, sur près de
600 pages, la réédition des plus de exemple de cette volonté créatrice
1000 planches de cette saga. Une éclairée et une sorte de synthèse du
version en noir et blanc, travaillée processus de Ware consistant à allier le
avec lÊauteur à partir des planches
originales, qui permet de redécouvrir fond (le sensible) à la forme (le narra-
le trait. tif). Building Stories, cÊest une boîte qui
Différents bonus, contient 14 publications (ÿ livres, livrets,
dont un dépliant magazines, journaux et pamphlets Ÿ, comme
signé,
accompagnent les il est mentionné au dos du coffret)
750 exemplaires. constituant autant de facettes de la vie
En fin dÊalbum, 54 dÊune femme, de son foyer, de ses amis
pages de croquis,
recherches⁄ et voisins, lorsquÊelle vivait dans un
illustrent un immeuble en ville puis dans une bour-
entretien exclusif gade en périphérie de Chicago...
avec Ciro Tota,
ainsi que des pages non retenues du Aucune indication nÊest donnée pour
dernier épisode. Cerise sur un gâteau savoir par où on doit commencer sa
déjà copieux : la preview dÊune lecture : chaque élément de Building
aventure inédite à venir. LÊan prochain
sortira en effet un troisième et Stories est une porte dÊentrée possible
dernier tome : lÊauteur a décidé de dans la vie de la protagoniste ; la com-
ressortir un demi-épisode fait en préhension viendra au fur et à mesure
1987, jamais publié, quÊil va terminer
pour cette édition ! CÊest une bonne que lÊon lira les différents fragments
époque pour les fans des vrais labyrinthiques de lÊfluvre. une fluvre de mise en abîme, certains découvre puis parcourt les 14 éléments
supÊhéros. éléments de la vie de la protagoniste de Building Stories, cela fait quelque
Souscription uniquement. Pour toute FRAGMENTS étant physiquement présents au sein chose... une émotion très réelle, très
demande dÊinfos ou commande :
[email protected] des 14 publications. Exercice vertigi- particulière... enfantine et pourtant très
Éd. Black & White, 65 € fdp inclus Chaque élément de cette fluvre est à neux au service de lÊhistoire la plus adulte.
FRANK TOMAIR
la fois gigogne et miroir des autres simple, la plus vraie, celle dÊune femme CECIL MCKINLEY
Northlanders,T.2, fragments, se complétant dans notre ordinaire dont on ne peut comprendre
Le Livre islandais, esprit au fil des cases. Nous com- le destin que par des fragments signi-
de Brian Wood et collectif prendrons petit à petit que non seu- ficatifs, et non par une linéarité de
Originaire de lement Building Stories est une fluvre faits... Encore une fois, Ware réinvente
Suède, le peuple atypique (sans début ni fin, pouvant se la manière de lire une bande dessinée
viking sÊest lire dans nÊimporte quel ordre afin dÊen avec talent, génie et acuité, oscillant
implanté en
Islande à la fin du tirer une vision parcellaire mais juste entre la tendresse et lÊhumour cynique...
IXe siècle. Il peut des choses), mais quÊen plus elle est Et, lorsquÊon ouvre le coffret, que lÊon
être utile de
rappeler que pour
cette publication
en épais volumes,
lÊéditeur de la
traduction ne sÊest pas contenté
dÊune simple reprise dans lÊordre de
© Delcourt éditions 2014

parution des comics aux États-Unis. Il


y a eu un effort de regroupement par
secteur géographique (ici, lÊIslande,
donc), puis ensuite de façon
chronologique au fil des siècles. Avec
en prime la collaboration du
romancier historique Patrick Weber. BUILDING STORIES
Moins romantique que Thorgal, mais
sans doute plus documenté et de Chris Ware, Delcourt,
réaliste !
Urban Comics, 312 p. couleurs, 28 € 260 p. couleurs, 69,95 €
MICHEL DARTAY

40
zoom
Transmetropolitan : année
deux, dÊEllis et Robertson
Pour la deuxième
année de son
retour dans la Ville,
le totalement
déjanté Spider
Jérusalem va devoir
affronter sa
Némésis : la
politique. Plus
drogué et no limit

TM & © DC comics. All rights reserved.


que jamais, c'est
dans une forme effroyable que le
reporter va plonger dans les
entrailles de la campagne d'élections
présidentielles et disséquer sans pitié
les organes du pouvoir, décidé à faire
éclater la vérité coûte que coûte... Et
bien entendu, nous entraîner avec lui
dans sa chute. Avec un scénario mené
de main de maître et servi à la
perfection par un dessin aussi cru que
dérangeant, Transmetropolitan et son
antihéros ont de quoi nous retourner
sérieusement la cervelle. Le pire ? On
en redemande... Une dose létale !
Urban Comics, 312 p. couleurs, 28 €
ALIX DE YELST

Justice League,T.5,
La Guerre des ligues,
collectif

ANIMAL, ÇA FAIT MAL


L'Outsider dirige la
Société Secrète, ce
groupe de vilains
dont lui seul
connaît les
objectifs. Et il est
temps que ses
plans aboutissent. Il
cherche à obtenir
la ÿ Boîte de
Parmi les « New 52 »1 de DC, le relaunch d’Animal Man est sans aucun doute l’un des plus réussis
Pandore Ÿ, un et passionnants, sachant réinventer ce personnage avec talent grâce à un angle de vue aussi cru
mystérieux artefact pour lequel il est
prêt à manipuler les héros des trois qu’humaniste, lorgnant vers l’horreur. Le troisième tome de cette série s’avère crucial,
ligues et les faire s'affronter. Ambiance bouleversant à jamais le destin de ce super-héros un peu à la marge...
sombre au programme, prélude à

C
Forever Evil. L'occasion de tout
comprendre des plans de Geoff Johns réé en 1965 par Dave Wood Animal Man sÊavère être lÊun des titres les de Steve Pugh sont loin de démériter et
depuis plusieurs années. Un bon et Carmine Infantino dans plus brillants de ce relaunch géant... prolongent joliment lÊambiance sombre
rédactionnel permet de saisir tous les Strange Adventures, apparaissant instaurée dès le départ. Une série à
enjeux. Les dessins sont un peu
inégaux, en raison des multiples séries çà et là dans divers titres sans réussir à LE SANG ET LA SÈVE suivre de près !
menées de front, mais Ivan Reis briller pour autant, bringuebalé ensuite CECIL MCKINLEY
assure avec brio le cflur du récit. entre divers scénaristes plus ou moins Jeff Lemire a reconsidéré la mythologie
Urban Comics, 296 p. coul., 22,50 € 1
En septembre 2011, DC a relancé 52 de
YANECK CHAREYRE inspirés, Animal Man nÊest pas ce quÊon fondamentale du personnage pour en ses séries depuis le numéro 1.
pourrait appeler un super-héros emblé- extirper une quintessence qui devient le
Black Widow,T.1, matique de DC Comics, plutôt un contexte central de la série, en lien avec
de Noto et Edmonson second rôle qui est resté dans lÊombre Swamp Thing : le Sang et la Sève, deux
Natacha durant des décennies (à part lorsque strates de notre monde où vies ani-
Romanova est
avant tout une Grant Morrison le reprit de manière males et végétales puisent leur source,
espionne. inspirée et expérimentale entre 1988 et leur sens, leur existence. Mais lÊéquilibre
Avenger, elle 1990). Il nÊétait donc pas un choix évi- de ces territoires vitaux est en danger,
reste une
ancienne création dent pour le casting du nouveau cata- et cela a de graves répercussions sur la
du KGB, ce logue 2012 de DC censé relancer la vie de Buddy Baker, lui qui avait prati-
qu'elle cherche à vénérable maison dÊédition. Et pour- quement quitté sa carrière de super-
expier en
traquant les pires tant, contre toute attente, Animal Man héros pour celles dÊacteur et de militant
crapules. Elle est de retour. Et quel retour ! En lien écologiste. Lemire a échafaudé pour
choisit ses contrats, et fait tout le étroit avec la série Swamp Thing (réalisée ce personnage mal-aimé un univers
nécessaire pour les remplir. Même ce par Scott Snyder et Yanick Paquette), digne de son potentiel, dÊune grande
que ses héroïques équipiers
n'envisageraient pas. Cette série est modernité et plein de sensibilité, per-
TM & © DC comics. All rights reserved.

ce qui se fait de mieux chez Marvel mettant dÊaborder des thèmes tels que
aujourd'hui. Phil Noto livre une le drame écologique ou les dérives du
prestation impressionnante, dans des
tons proches de la BD franco-belge. star-system. Le drame que va vivre
C'est du polar, pas du super-héros, et Buddy Baker dans ce nouvel opus va
le dessinateur nous le fait sentir. Un avoir des répercussions indélébiles sur ANIMAL MAN, T.3
régal pour les yeux. Sur le fond, on
appréciera de voir un personnage lui et sa famille, ce qui rend cette fluvre ESP˚CE DISSIDENTE
doté de failles, ce que sa présence encore plus attachante par la proximité
aux côtés des Avengers ne permettait de Jeff Lemire et Steve Pugh,
quÊinstaure le scénariste avec ses per- Urban Comics,
pas de montrer.
Panini Comics, 144 p. coul., 14,95 € sonnages. Après les superbes et puis- 192 p. couleurs, 17,50 €
YC sants dessins de Travel Foreman, ceux

42
C o m i c s

LA PETITE MERVEILLE
DES SERVICES SECRETS
Nick Fury est aujourd’hui un nom connu par delà des amateurs de comic-books. Il a un visage, celui de Samuel L. Jackson. Mais
ce n’est pas le vrai, l’original. Pour découvrir le vrai Nick Fury, une intégrale vous attend.

C
réé par Stan Lee et Jack Kirby,

© MARVEL
les pères des plus grands
héros Marvel, Nick Fury a
permis à la maison des idées de revenir
à un style qui avait fait ses preuves, le
récit dÊespionnage, ce qui apportait une
touche de diversité aux séries produites.
Stan Lee ne perd pas de vue ce qui a fait
le succès de ses autres créations. Si les
super-héros sont les grands absents de
cette aventure, ils ne sont jamais loin.
Tony Stark est un personnage récur-
rent en tant quÊarmurier du SHIELD,
même si son alter-ego doré se fait dis-
cret. Captain America est invoqué pour
insérer Fury au sein dÊune histoire plus
large. LÊicône américaine reconnaît Fury
comme un partenaire alors que le per-
sonnage est une pure création des
années 60. Si lÊespion a combattu aux
côtés de la légende vivante, alors cÊest
quÊil est forcément un des meilleurs
dans sa partie. alors. Jasper Sitwell, personnage secon- lÊépoque. Le lecteur prend plaisir à passer outre Jack Kirby. Cette vision de
daire qui aura son importance pendant découvrir les inventions les plus folles lÊavenir, cÊest aussi graphiquement la
DES APPORTS TOUJOURS VALABLES longtemps comme adversaire des imaginées par le duo dÊauteurs, tou- sienne, si particulière. Même secondé
AUJOURD’HUI super-héros, est né dans ces pages lui jours marqué par lÊidée dÊune science par différents artistes, sa patte reste
aussi. On pourrait même évoquer le pouvant tout résoudre, celle qui ne ces- marquante. Celle dÊun artiste qui nÊa
Cette intégrale est lÊoccasion de mesu- fameux salon de rasage secret que la sait dÊaméliorer la vie quotidienne dans de cesse de créer de nouveaux mondes.
rer tout les apports de cette série pour série télé Marvel Agents of SHIELD a su les années 60 et dÊimpressionner par Même par la simple mission dÊun direc-
le monde Marvel moderne. CÊest dans réutiliser pour le clin dÊflil. ses folles prouesses. Évidemment, ce teur dÊagence de renseignements.
les aventures du SHIELD que sont regard est aujourdÊhui daté, et la YANECK CHAREYRE
notamment créées les deux organisa- LE TEMOIN D’UNE ÉPOQUE science-fiction quotidienne nÊaura
tions terroristes majeures que sont jamais atteint celle proposée dans ces
lÊHydra et lÊAIM. Deux structures qui Stan Lee et Jack Kirby ont réalisé une pages, mais cÊest justement cette touche
sont toujours utilisées aujour- série dÊespionnage parsemée de de naïveté qui fait lÊintérêt des récits de
dÊhui sur les bases posées science-fiction, selon les codes de cette époque. Un intérêt qui ne peut
© MARVEL

NICK FURY, AGENT DU


SHIELD - LÊINTÉGRALE
de Jack Kirby et Stan Lee,
Panini Comics,
288 p. couleurs, 29,95 €

44
M a n g a s & A s i e
© Yuko Osada, Kazuya Machida / SQUARE ENIX CO., LTD.

Apprends-moi
à faire rire ! Yuko Osada place sa nouvelle série dans l’univers des humoristes
live. Un thème des plus originaux pour un résultat surprenant.

K
injiro Yaoi passe la majeure titre résolument touchant. En essayant
partie de son temps à se de guérir son amie à sa manière, il bous-
battre, au grand dam de sa cule au passage le quotidien de nom-
meilleure amie. Mais quand celle-ci breuses autres personnes, et sans même
se fait agresser, puis ne parvient plus en avoir conscience, provoque plus dÊun
à sortir de chez elle, enfermée dans un changement. La galerie de personnages
douloureux mutisme, il se jure de ne est vraiment réussie, et lÊauteur les déve-
plus lever la main sur qui que ce soit loppe tous avec subtilité.
et de consacrer tout son temps à
rendre le sourire à Kuriko. Et il pense Graphiquement, il ne faudra pas sÊarrê-
avoir trouvé la solution : devenir aussi ter aux premières pages dont la mise en
drôle que les humoristes que la jeune couleur manque un peu de finesse. Une
fille affectionnait tant, et ainsi parve- fois en noir et blanc, le dessin de Yuko
nir à la faire rire à nouveau. Le seul Osada est vraiment beau. La construc-
problème ? Kinjiro n’a absolument tion de ses planches est très réussie,
aucun sens de l’humour. appuyant à la fois le rythme et les émo-
tions sans jamais trop en faire. Dans la
ATYPIQUE ET RÉUSSI vraie vie, Kinjiro et sa dégaine de mau-
vais garçon occupent tout lÊespace. Il en
Dès sa décision prise, Kinjiro nÊa plus est de même dans les pages du manga, où
dÊautre idée en tête que dÊapprendre à sa présence explosive fait de lui un héros
être drôle, et va tout mettre en fluvre aussi attachant que charismatique.
pour y parvenir. Il va donc demander à Ce premier volume de Kid I luck! augure
des experts de lÊhumour de lui enseigner vraiment du meilleur, annonçant une
leurs secrets. Le jeune homme va de série joyeuse et
rencontre en rencontre, et de désillu- émouvante à la fois,
sion en désillusion. Pourtant, son éner- où lÊhumour est peut-
gie débordante et son but qui lui tient être la solution pour
plus que tout à cflur lÊaident à ne pas guérir les blessures les
perdre espoir et à aller de lÊavant. plus profondes.
Le résultat, cÊest un manga rythmé,
drôle, qui décrypte toute la difficulté ELSA BORDIER
dÊêtre réellement drôle, tout en abor-
dant une multitude de thématiques et c KID I LUCK! ,T.1
dÊémotions. Si Kid I luck! est un manga de Yuko Osada,
plein dÊhumour, cÊest aussi et surtout un Ki-oon, 216 p. n&b, 7,90 €

45
M a n g a s & A s i e

MÉCANIQUE DE PRÉCISION
ET CHEMINS DE TRAVERSE

YUREITO © 2011 Taro NOGIZAKA / SHOGAKUKAN


Dans La Tour fantôme, Tarô Nogizaka, l’auteur de Team Medical Dragon, déroule un
récit inclassable et mystérieux, qui allie horreur et légèreté, pour le plus grand plaisir
de ceux qui aiment sortir des sentiers battus.

T
aïchi Amano nÊest pas un NEET (Not avancée. Tout se complique lorsquÊon apprend que
in Education, Employment or Training), un le procureur Marube, un homme de Justice puissant
jeune homme célibataire sans emploi, car en connu pour sa dangerosité mais pas forcément pour
1954 cette dénomination nÊavait pas encore été sa rigueur morale, vient dÊacheter la Tour fantôme.
inventée. Cependant, comme beaucoup de person-
nages de manga, il en a beaucoup de caractéristiques. Après les 25 tomes haletants du huis-clos hospitalier
Il mène à Kobe une existence assez négligée, sans tra- Team Medical Dragon, un thriller psychologique sous-
vail, sans amis et apparemment sans famille, il semble estimé, son auteur surprend par un changement de
nÊavoir quÊune passion : la lecture de récits policiers cap assez radical mais qui a dû lui être très rafraî-
horrifiques emplis de crimes sexuels morbides. chissant. Alors que Team Medical Dragon se distinguait
par la rectitude de son cheminement, les enjeux et les
LÊaventure commence quand notre pitoyable héros est tensions montant inéluctablement vers son final et
tiré dÊun mauvais pas par un jeune homme élégant à lÊattente du résultat des élections, La Tour fantôme est
la beauté troublante et à lÊassurance princière : Tetsuo un récit transgenre aux thématiques fluctuantes :
Sawamura. Ce mystérieux personnage entraîne Taïchi horreur, policier, aventure, fantastique, romance⁄ Le
aux abords dÊune imposante bâtisse occidentale sur- tandem formé par Taïchi et Tetsuo promène sa dicho-
montée dÊune tour qui soutient une énorme horloge. tomie bonhomme dans les endroits les plus inatten-
Ces lieux ont été surnommés ÿ La Tour fantôme Ÿ car dus : une île reculée, un laboratoire secret et souter-
deux ans auparavant ils furent le théâtre dÊun meurtre rain, une vallée perdue dans les montagnes⁄ Ainsi
particulièrement atroce : une femme fut attachée sur lÊintrigue semble sÊéloigner de la Tour en une spirale
les aiguilles et écartelée par leur fatidique mouvement sinueuse sans pour autant que les mystères de lÊhor-
rotatif. loge quittent les esprits.

UN TRÉSOR CACHÉ UN RÉCIT TRANSGENRE


AUX THÉMATIQUES FLUCTUANTES Cette origine littéraire tortueuse nÊest peut-être pas
Taïchi manque de subir le même sort mais il est étrangère au caractère imprévisible du récit. Aucune
sauvé par Tetsuo. Ce dandy obsédé par la Tour en Ce manga est lÊadaptation de Yûreitô, un roman que des fluvres susmentionnées nÊétant disponibles en
sait manifestement bien plus quÊil ne veut en dire. Ruiko Kuroiwa publia en 1898. Or, Yûreitô est déjà français, il est difficile de déceler lÊampleur des
Quelles sont ses intentions vis-à-vis de notre héros lÊadaptation dÊun roman anglais publié lÊannée précé- modifications apportées par Tarô Nogisaka, mais on
déboussolé ? LÊexistence dÊun trésor caché est dente : A Woman in Grey de Alice Muriel Williamson. les pressent conséquentes.
YUREITO © 2011 Taro NOGIZAKA / SHOGAKUKAN

Le dessin élégant du mangaka conserve sa cohé-


rence, quÊil sÊagisse de saisir de fugaces expressions
ou de rendre tout lÊeffroi causé par le surgissement
dÊun faciès déformé dans la pénombre. Si les images
saisissantes abondent dans ces pages, la descrip-
tion de la relation entre Taïchi et Tetsuo reste la
grande réussite de cette série. Le petit puceau mal-
adroit à lunettes surprend régulièrement par sa viva-
cité dÊesprit et son empathie. Le dandy déterminé
révèle, lui, assez rapidement quelques blessures.
Son androgynie affirmée exerce
une séduction certaine sur les
membres des deux sexes et en
fait un inattendu cousin nippon
des éphèbes de Pierre Joubert et
Michel Gourlier. Un récit qui ne
cesse de surprendre.

VLADIMIR LECOINTRE

c LA TOUR FANTłME,T.4
de Tarô Nogisaka, Glénat, 224 p. n&b, 7,60 €

46
zoom M a n g a s & A s i e

Le Sermon du Tengu

L’ATTAQUE
sur les arts martiaux,
de Sean M. Wilson
et Michiru Morikawa
L'éditeur Budo,
spécialiste

1
pédagogique et
technique des arts

DU SANTOKU
martiaux japonais,
lance une série de
manga adaptés des
préceptes
séculaires de la
Voie. Dans un style
posé et adulte, les auteurs forgent au
vent et à l'acier des chroniques de Les mangas culinaires sont un genre à part, et qui revient fortement dans la tendance en même
l'éthique samouraï, où animaux et
tengus, les génies des montagnes, temps que les Top Chef, Master Chef et autres émissions de défis en cuisine inondent nos écrans
s'entretiennent sur les valeurs du Ki, de télévision. Food Wars! a le mérite de se poser dès le titre comme un manga d’affrontements,
où les combats au sabre donnent au
XVIIe siècle une aura universelle. qui n’est pas sans rappeler les meilleures heures du grand tournoi de Dragon Ball – sauf qu’on
L'aspect mortifère du Code, révéré
jusqu'à sa mort par Mishima, se voit remplace les techniques de combat par des astuces de cuisine…

D
porteur d'un éclaircissement
isons-le tout de suite : Food

© 2012 Shun Saeki / SHUEISHA


personnel. ¤ noter, le graphisme riche
et sensible de la mangaka Morikawa Wars!, qui paraît dans le
sur Le Sermon du Tengu, plus fantasque
que dans Hagakure, autre sortie chez Weekly Shônen Jump avec tous
Budo. les très gros succès du moment
Budo Éditions, 165 p. n&b, 13 € (Naruto, One Piece ou Bleach, mais aussi
STÉPHANE URTH
Toriko pour rester dans le domaine de
Ma gamine, la fac et moi, la gastronomie), a déjà été vendu à 4
T.1, de Riku Kurita millions dÊexemplaires rien que pour
Jun est un étudiant les sept premiers tomes de sa version
volage qui ne reliée, et concurrence sérieusement
compte plus le
nombre de ses en popularité les séries plus classi-
conquêtes quement bastonnantes. Peut-être
féminines. Un beau dÊabord parce que le héros est tout de
matin, un bébé est même un ado au sang bouillonnant
déposé devant sa
porte, ou plutôt comme Naruto, Luffy et Ichigo : Sôma
celle de sa mère Yukihira, un passionné de cuisine,
puisquÊil vit encore avec elle. Le mot vient de terminer le collège et rêve
accompagnant le colis précise quÊil
sÊagirait de sa propre fille. Jun va alors de surpasser son père qui tient le res-
devoir apprendre en accéléré lÊart taurant familial, mais ce dernier quitte
dÊêtre père, dÊabord empoté et agacé le Japon pour quelques temps en lais-
par les hurlements, puis de plus en
plus réceptif au lien qui sÊétablit sant son fils dans une école de cui-
inexorablement entre elle et lui... sine particulièrement réputée, mais
Premier constat : le récit est un peu dont seulement 10 % des élèves res-
moins gnan-gnan que ce quÊil pouvait
laisser craindre. Le volume se torche sortent diplômés. Il sÊagit donc aussi
facilement, davantage sans doute dÊun highschool manga, avec tout ce que
quÊun cul de bébé, malgré des cela suppose de relations et de petites
récitatifs parfois embrouillés qui
freinent la lecture. Pas désagréable histoires entre élèves – la plupart se
donc, mais de là à dévorer les cinq réglant ici par un duel de cuisine, un
tomes prévus... shokugeki. Évidemment, ça ressemble
Black Box, 208 p. n&b, 10,90 €
OLIVIER PISELLA aussi à Harry Potter, lÊacadémie Totsuki
ayant un fort côté Poudlard avec ses
Coffee Time, profs caractériels, ses traditions ances-
de Tetsuya Toyoda trales et une division des élèves avec
Après le les gosses de riches face aux fils de
remarqué prolos.
Goggles, Tetsuya
Toyoda revient
en France avec ce UN COLLÈGE FOU FOU FOU
recueil de
pastilles de vie.
Corsées, douces, Mais lÊautre mérite de Food Wars!, cÊest
robustes ou son trait particulièrement limpide, avec
sucrées, les 17 tantôt des ombres et tantôt des aplats,
nouvelles de ce
livre ont toutes comme décor initial et de beaux délires visuels lors de la
un café, point de rencontres de dégustation des plats exceptionnels de
toutes ces aventures. Mais le café chacun des personnages. Ainsi, une
nÊest quÊun prétexte pour nous
raconter des récits plus profonds. Il y jeune yakuza en tailleur sÊimagine prise le dessin de manga shônen cherche sur- mannequin Ÿ, autrement dit une
a de tout, du drôle, de lÊémouvant, du par un poulpe alors quÊelle goûte à du tout à draguer du jeune, et dans cette ancienne J-pop idol reconvertie dans la
drame, le tout servi par le graphisme calamar frit dans le beurre de caca- optique le bon goût nÊest pas toujours cuisine (genre Jennifer chez Top Chef)
magistral du mangaka japonais. Ce huète, alors quÊau contraire la concur- de mise : on verra donc des petites dont le nom sur la couverture aide aussi
one-shot est un roman graphique qui
ravira tous les fans de BD, même les rente de Sôma goûte un plat qui lui culottes et des décolletés juste après à vendre – effet beaucoup moins
plus hermétiques au genre manga. En plaît si peu quÊelle a lÊimpression de les tempuras et autres plats dÊexcep- garanti chez nous ! Mais au final, ça
bref et puisquÊil faut le dire : cÊest un prendre un bain avec un gorille⁄ La tion. DÊailleurs, le conseiller culinaire tourne et ça virevolte autant que dans
petit univers plein de douceur⁄
Casterman, 184 p. n&b, 7,95 € cuisine vise à lÊexcellence du goût, mais des auteurs est Yuki Morisaki, ÿ chef et des combats de magiciens, et le dessin
HÉL˚NE BENEY

48
M a n g a s & A s i e
© 2012 Shun Saeki / SHUEISHA

de Shun Saeki parvient presque à nous mieux visualiser les sensations des
faire sentir la texture des aliments, ce goûteurs des plats mis en concurrence.
qui nÊest pas le moindre des exploits sur Le tome 2 (sortie le 13 novembre)
du petit format noir et blanc – Le continuera dans cette voie de la super-
Gourmet solitaire de Taniguchi disposait rivalité entre apprentis-cuisiniers de
quant à lui de grandes planches. très haut-de-gamme, et lÊensemble se
Rappelons au passage quÊun des révèle dÊune lecture-dégustation par-
meilleurs films de Tsui Hark avec le ticulièrement plaisante car on y
regretté Leslie Cheung, Le Festin chinois, retrouve tous les bons ingrédients du
mélangeait allègrement cuisine et kung shônen dans un type de manga dÊordi-
fu pour faire sÊopposer les traditions naire plutôt réservé aux filles. Si on
culinaires du nord et du sud de la ajoute que toutes les recettes sont
Chine : parmi les traits communs des détaillées dans des petites fiches avec
cultures asiatiques, il y a cette centra- un glossaire à la fin, on se prépare à
lité de la nourriture dans les rapports une génération dÊotakus-gastronomes
sociaux. Le succès critique du Chef de qui ne se contentera plus de nouilles
Nobunaga (chez komikku) et le succès à réhydrater ou de Knacki Balls, et
commercial de Food Wars! (chez cÊest une bonne nouvelle au Japon
Tonkam) illustrent ce savoir-faire comme en France⁄
quÊont les mangakas pour sortir des BORIS JEANNE
histoires à partir de plats qui racon-
tent des histoires, comme les bouteilles 1
Couteau de cuisine japonais.
de vins des Gouttes de Dieu nous mon-
trent des paysages.

BONNE DÉGUSTATION !
Food Wars! réussit donc à jouer sur plu-
sieurs tableaux à la fois (et les méta-
phores sexuelles sont nombreuses,
comme souvent en cuisine) avec un
credo simple : il faut goûter. Le long
chemin de Sôma vers le niveau de son
père commence donc dans cette
académie où bien sûr il se retrouve
entre deux filles, la blonde expansive
Erina et la brune ultra-timide Megumi.
Le tome 1 nous laissait à la rentrée
de lÊacadémie et proposait en bonus
une sorte de chapitre zéro, qui avait
servi au vote des lecteurs du Jump pour
que la série soit éditée de manière FOOD WARS, T.1 ET 2
hebdomadaire : cette lecture permet
de voir à quel point les auteurs ont de Yûto Tsukuda
rectifié leur écriture dans le sens du et Shun Saeki, Tonkam,
punch des duels, tout en essayant de 224 p. n&b, 6,99 €

49
zoom J e u n e s s e

LÊAventure de la
naissance avec la PMA,
de Dolto, Szejer et Martin
¤ lÊheure où une
poignée dÊesprits
sÊéchauffent
autour de la
POUSSY
question, la PMA
(procréation
médicalement
assistée) dévoile
toute sa
complexité dans
ce livre pour enfants ! Conçu par
LE BOUCHON UN PEU LOIN
Ballotté des pages du Soir à celles de Spirou durant sa carrière longue de quatre décennies, le
Catherine Dolto (fille de⁄) et facétieux chat Poussy reste la création la plus confidentielle de Peyo, lui qui était attaché à ce
Myriam Szejer, on découvre tout le
cheminement de la PMA, de lÊenvie personnage délibérément naïf. Une intégrale Dupuis vient réparer cette petite injustice.
dÊavoir un enfant à la naissance en

A
passant par celui de la conception lors que le commun des mor-

© DUPUIS
grâce à lÊaide de la médecine. Très
didactique et précis, avec des tels associe dÊinstinct le nom
chapitres complets où rien nÊest de Peyo aux Schtroumpfs,
éludé, ce livre est une mine dÊinfos que lÊamateur de BD nÊomet jamais de
pour les têtes blondes en quête de
réponses (à partir de 9 ans). Alors, souligner la préexistence de Johan et
cÊest vrai que les illustrations donnent Pirlouit, cannibalisés par la popularité
un côté désuet à lÊensemble, mais ne phénoménale des petits êtres bleus, et
soyons pas réactionnaires et que suit de près lÊévocation de Benoît
attachons-nous au fond plutôt quÊà la
forme⁄ Brisefer (lui qui sÊinvitera sur grand
Gallimard Jeunesse, 88 p. coul., 14 € écran à Noël à travers une adaptation
HÉL˚NE BENEY
quÊon guette avec une pointe de scep-
Super-héros, ticisme), Poussy est rarement cité, alors
mode dÊemploi, même que son étonnante longévité
de Brière-Haquet et Allag (1949 à 1992) ferait bien des envieux.
Les super- Rabroué de Spirou puis de Tintin en rai-
héros sont
les grands son dÊun style jugé trop amateur, le
amis des jeune Pierre Culliford crée successive-
enfants. Mais ment, mais sans succès, lÊIndien Pied-
une question
demeure⁄ Tendre, le scout Puce, lÊinspecteur Pik
Comment sÊen occupe-t-on au et le pirate Coky. JusquÊau 22 janvier
quotidien ? Comment les garder en 1949 où, coincé entre une bio de
bonne santé ? Quels soins et quelle Pasteur et un feuilleton illustré, un pre-
alimentation nécessitent un
invincible ? Pour répondre à ces mier gag de Poussy parvient à se faufi-
questions existentielles et ler dans Le Soir.
essentielles, ce livre donne 10 astuces
incontournables pour bien sÊoccuper
dÊun super-héros domestique. Humour naïf, trait disneyen, lÊesprit
Costumes de rechange, couleur de du matou amateur de coups pendables
kryptonite, liste de méchants⁄ tout PEYO EN 1956
est déjà là, dans ces quatre cases relé-
est listé pour que chaque race de
super-héros garde ses cinq atouts guées dans un quart de page. Au terme les pages de lÊhebdo. Fidèle au quoti- Durant toute sa carrière, Peyo conser-
vitalité. Indispensable. Pour ceux et de 26 gags publiés dans les colonnes dien qui lui a donné sa chance, Peyo vera un attachement particulier pour
ceusses qui aiment le poisson, notez du quotidien, Peyo rejoint Spirou où il imagine alors les péripéties dÊun ce héros au charme désuet. Jadis réu-
quÊun mode dÊemploi Sirènes existe
aussi⁄ se concentre sur les aventures garçon doté dÊune force incroyable, nie dans trois albums aux titres-calem-
PÊtit Glénat, 32 p. couleurs, 11 € moyenâgeuses de Johan et Pirlouit. sauf lorsquÊil est enrhumé. Dupuis bours (Ça, cÊest Poussy, Faut pas Poussy et
HB Quelques années plus tard, le félin entend parler du projet et récupère Poussy Poussa), la série est ici enrichie
La Belle Vie, de FlocÊh revient dans Le Soir, à la grande joie lÊexclusivité de ce Benoît Brisefer ! Il de strips inédits en albums, en res-
Quand le dÊun auteur attaché à ce héros muet faudra attendre 1965 pour que Poussy pectant comme il se doit lÊordre chro-
narrateur dÊun mais expressif qui, à la manière du réapparaisse, cette fois définitivement nologique de création. LÊoccasion de
livre, un peu
magicien, invite cocker de Roba, sÊavère être habile dans Spirou⁄ avant dÊêtre repris quatre replonger dans le quotidien dÊun chat
une petite lectrice pour tromper son monde. Nouvelle ans plus tard par De Gieter, sous lÊé- prêt à tout pour parvenir à ses fins.
à sauter dans parenthèse en 1960, lorsque Charles troite surveillance de Peyo. Après tout, GERSENDE BOLLUT
lÊhistoire pour la
créer avec lui, cela Dupuis souhaite rapatrier Poussy dans ne dit-on pas quÊun chat a neuf vies ?
donne ce grand
© Peyo / DUPUIS

album poétique.
Les deux personnages nous
expliquent tour à tour ce qui rend la
vie belle, toutes ces petites choses
qui font une bonne journée et qui
donnent envie de pique-niquer⁄
dans un monde petit bourgeois du
début du XXe siècle ! Car entre le
trait ligne claire de FlocÊh, le costume
trois-pièces de son avatar dessiné, la
jupe plissée de sa fillette et les jeux et
jouets old school du livre, lÊouvrage POUSSY, LÊINTÉGRALE
dÊun autre temps va faire le bonheur 1965-1977
de tous les pieds de sapins des
Granny et Bonne-mamans françaises. de Peyo, Dupuis,
Seuil Jeunesse, 64 p. couleurs, 18 €
HB
416 p. couleurs, 32 €

50
zoom A r t & B d

Uderzo en majuscule
Deuxième
tome pour le
monumental
projet de
catalogue
raisonné de
NIKI, LA SUPER-NANA !
Sandrine Martin consacre une biographie dessinée à Niki de Saint Phalle, sculptrice,
lÊfluvre
dÊAlbert plasticienne, cinéaste et féministe qui a marqué la seconde moitié du XXe siècle de son
Uderzo, pour
détromper ceux qui penseraient que
imaginaire fécond et coloré.

S
la carrière du dessinateur se limite à
Astérix et Tanguy et Laverdure. Pour la es grandes sculptures colorées
période de 1951 à 53, apparaissent sont bien connues des pro-
Oumpah-Pah, Jehan Pistolet, Marco Polo meneurs : la ÿ fontaine
et quelques jolis travaux pour la
presse. On est frappé de constater Stravinsky Ÿ à côté du centre Pompidou
quÊUderzo maîtrise déjà aussi bien le à Paris, ÿ lÊarbre aux serpents Ÿ dans la
style comique que réaliste, avec ce cour du musée des beaux-arts dÊAnger,
trait élégant, tout en pleins et déliés,
emprunté à des artistes américains les ÿ Nanas Ÿ quasi emblématiques
comme Milton Caniff et Noel Sickles. dÊHambourg⁄ Et si à Paris, le Grand

© Sandrine Martin / CASTERMAN


Un ouvrage indispensable pour Palais organise du 17 septembre au 15
comprendre lÊévolution graphique
dÊun monstre sacré. février 2015 une grande rétrospective
LÊIntégrale Uderzo, 1951-53, Duchêne autour de lÊfluvre de Niki de Saint
& Cauvin, Hors collection, 420 p., 69 € Phalle (1930-2002), cÊest en Toscane
THIERRY LEMAIRE
quÊil faut se déplacer pour visiter le chef
Tintin et sa littérature dÊfluvre auquel elle a consacré plus de
Les livres publiés 20 ans de sa vie et lÊessentiel de ses
sur Tintin, Hergé revenus : le ÿ Jardin des Tarots Ÿ, un
et leurs galaxies
respectives se ensemble monumental de 22 sculptures
comptent par gigantesques (dont certaines habitables)
centaines. Le inspirées par les tarots divinatoires et
présent ouvrage
en dénombre décorées de cassons de miroirs et de
près de 400. Il céramiques, un peu à la manière du
convenait donc génial architecte catalan Antoni Gaudi ;
dÊen faire la liste avec peut-être encore plus de déme-
pour sÊy retrouver dans ce labyrinthe
de textes. Les deux auteurs classent sure dans la liberté créative.
ce corpus par thèmes, puis famille, ruinée par la crise de 1929, a sa fureur. LÊartiste sÊexprimera dès lors
chronologiquement, en ajoutant à DE TOUTES LES COULEURS élu domicile. Au lieu dÊy percevoir un sur un mode plus solaire, surtout après
chaque fois un commentaire. Du livre
grand public à lÊouvrage le plus appel au secours (la fillette a subi un sa rencontre avec Jean Tinguely, sculp-
pointu, la liste confirme – si on en En hommage à ce grand-fluvre de la inceste quand elle avait 11 ans), lÊins- teur de mécaniques à engrenages qui
doutait – que le petit reporter et le sculptrice, la dessinatrice Sandrine titution la renvoie ! Néanmoins, cÊest deviendra son mari et collaborateur.
dessinateur ont été analysés sous
toutes les coutures. Gros bémol Martin a découpé sa biographie des- bien par la création artistique que Niki Impeccablement documenté, ce bio-
toutefois à ce dictionnaire très sinée de Niki de Saint Phalle en 22 de Saint Phalle parviendra à guérir de pic à la première personne est dessiné
complet : aucun index nÊaide le chapitres, introduits chacun par un son traumatisme, en imaginant ÿ Les au crayon, avec çà et là des touches de
lecteur.
Tintin, bibliographie dÊun mythe, arcane des tarots divinatoires symbo- Tirs Ÿ, des statues ou bas-reliefs de couleur, dÊabord rares, puis de plus en
Roche & Cerbelaud, Les impressions lisant une période de la vie de lÊar- plâtre dissimulant des poches de pein- plus présentes, comme une métaphore
nouvelles, 320 p., 26 €
THL
tiste⁄ Dont le premier acte artistique, ture, sur lesquels lÊartiste tirait à la de lÊinspiration de lÊartiste, de sa capa-
lorsquÊelle a 14 ans, consiste à carabine, ce qui semblait faire saigner cité à noyer ses démons intérieurs dans
Les instants dÊavant repeindre en rouge vif toutes les les sculptures⁄ Ce happening et une symphonie chromatique, espiègle
Deux ans feuilles de vigne des statues du collège mode de peinture inédit enthousias- et drôle.
après un quÊelle fréquente à New York, où sa mera les milieux dÊart, tout en apaisant JÉRłME BRIOT
premier
volume
© Sandrine Martin / CASTERMAN

remarqué
et vendu à
25 000
exemplaires, voici une nouvelle
fournée des Histoires de lÊart délivrées
par Sylvain Coissard. Le principe : un
tableau célèbre est intégré dans un
strip de trois cases permettant
dÊexpliquer le pourquoi de la
situation. Saviez-vous par exemple
que la femme nue au premier plan du
Déjeuner sur lÊherbe de Manet venait
en fait de perdre au strip poker ? Ces
compléments humoristiques sont
plutôt astucieux, parfois
irrévérencieux et jouent
fréquemment dÊanachronismes –
même si certains tombent à plat. Un
exercice quoi quÊil en soit amusant,
qui peut constituer une bonne porte
dÊentrée à la ÿ grande peinture Ÿ NIKI DE SAINT PHALLE
pour les plus réfractaires. LE JARDIN DES SECRETS
Les (vraies !) histoires de lÊart, le
retour, de Coissard, Dupré, Guérin de Sandrine Martin,
et Robert, éd. Palette...,
48 p. couleurs, 12,95 € Casterman,
OLIVIER PISELLA 200 p. couleurs, 22 €

52
zoom L a R u b r i q u e e n T r o p

Strips Panique,
de Roland Topor

ERCOLA,
Dans la très
intéressante
postface de ce
recueil,
Christian
Rosset évoque
chez Topor

un courant oublié
ÿ une horreur de la virtuosité, de la vaine
"perfection", dans un travail que bien peu
sauraient imiter Ÿ. Ajoutons à ce portrait
un sain refus de toutes les chapelles, et
des obsessions morbides, absurdes,
outrancières, toujours empreintes
dÊélégance. Topor est un artiste à part
qui a frayé un temps avec la bande
dÊHara-Kiri et sÊest essayé à lÊart Dans l’histoire de la BD underground, les Flamands d’« Ercola » sont souvent négligés. Retour
séquentiel... à sa manière. Succession
dÊimages légendées façon Rodolphe sur ce méconnu mouvement artistique qui a expérimenté tous azimuts.

Q
Töpfer, histoires muettes, textes à la
typographie changeante ceints dans des ui se souvient dÊErcola ? Ce
cases de bande dessinée... Inimitable, collectif underground créé à
fougueuse et aux manières
circonstanciées, lÊfluvre de Topor Anvers en 1968 a produit
mérite le regain dÊintérêt dont elle fait quelques jalons de la BD flamande,
actuellement lÊobjet. Cet ouvrage sera entre la génération des ancêtres
décrit plus en détail dans notre (Vandersteen, Marc Sleen, Ryssack, De
prochaine Rubrique en trop. En
attendant, ne loupez pas lÊexposition Moor, etc.) et la nouvelle vague
Topor jusquÊau 30 novembre 2014 à la actuelle.
Galerie Anne Barrault, Paris IIIe. ERCOLA signifie Experimental
Wombat, 160 p. bichromie, 15 €
OLIVIER PISELLA Research Centre Of Liberal Arts. Lancé
par deux Jean-Claude : Block (1943),
Chlorophylle,T.1, élève de Saint-Luc puis dÊarchi à Anvers,
de Zidrou et Godi, et Buytaert (1945) qui signera souvent
dÊaprès René Macherot
CÊest la première des Den Rosse, tous fans de Marvel et des
séries animalières classiques US. Rejoints par un photo-
créées par le grand graphe, Piet Verbist, puis un jeune
René Macherot dans
les années 50, et elle cinéaste, Luk Carlens (1941-2007).
a fortement Ils utilisent BD, illustration, photos tra-
impressionné Godi et fiquées, et proposent leurs travaux à
Zidrou. Ils relancent Spirou, qui les repousse avec horreur.
donc les aventures de
Chlorophylle, sympathique lérot, Échec en Flandres, mais succès en
toujours accompagné du fidèle et Hollande où Aloha leur ouvre ses portes,
amusant Minimum, mais les temps ont puis lÊunderground néerlandais (Wipe
changé. SÊils reviennent dans une île
paradisiaque où le nudisme animal est out). Ils réalisent des affiches (Hair), des
interdit, cÊest pour se confronter à des décors et costumes pour le théâtre (Le
terroristes indépendantistes. Zidrou Diable et le Bon Dieu), fondent une des
pose aussi quelques questions sur la
sexualité de ses personnages. Le premières galerie consacrée à la BD, à
Lombard nous a aussi proposé Anvers. Ercola est donc tout autant une
récemment une intégrale de qualité des communauté, une ÿ école Ÿ graphique,
premières aventures.
Le Lombard, 48 p. couleurs, 10,60 € quÊun mouvement artistique.
MICHEL DARTAY

L'Effroyable Encyclopédie MAELSTRÖM ARTISTIQUE


des revenants, dÊÉlian Enfin ils se lancent dans le premier
Black'mor, Carine-M comix flamand, Spruit (1972-73), sorte
et Pierre Dubois de manifeste graphique échevelé et déli-
Les merveilleux rant, mêlant SF, fantastique, images psy-
Élian Black'mor et chédéliques et parodies. Tous les styles
Carine-M sÊy côtoient et des comparses les ont Ont(h)aarde Maagd (1972), Buytaert où le souci de cohérence est rare.
reviennent cet
automne, en tête rejoints, dont les scénaristes Jacques publie un rare album solo, Brief Dans leurs BD réalisées à plusieurs
d'un nouveau Bakker et Marcel Van Maele (1931- Encounter (1973). En 1978 suivra un mains, Buytaert se charge des décors,
cortège de l'autre 2009), futur poète, P. Teigeler (1936), autre collectif, Stripgids et cÊest à peu Block plutôt des personnages et de
monde dont les
aventures et les futur auteur de polar, Filip Francis près tout. Il arrive quÊon les déniche. lÊaction, Carlens est lÊencreur. On
mythes nous sont toujours contés par (1944), peintre, Isi Fiszman, futur gale- Il existe de nos jours des spectacles de regarde aujourdÊhui ces images
Pierre Dubois. Ce dernier nous riste dÊavant-garde. Mais surtout George théâtre, surtout autour du metteur en comme pionnières de la BD trash ou
explique : ÿ Les fantômes au grenier, les
revenants à la cave. Enfin presque. Car en Smits (†1997), peintre, cinéaste, ani- scène Jan Verbist (acteur vu dans des du graphisme marqué par la prise de
ces lieux de hantise et avec ceux qui les mateur de radio, DJ et musicien de Ferré films avec Smits et Carlens) dont les certains produits. Si ces années 1970
hantent, rien – hormis les têtes – n'est Grignard (dont Verbist fait photos et décors sont signés Ercola. En France, dÊimmense liberté sont redécouvertes,
jamais nettement tranché. Ÿ Ce sont
donc les revenants, ceux d'en bas, qui design des pochettes), ainsi que Werner Poco leur ouvre ses colonnes. Ils ont voire à la mode, la composante fla-
nous laisseront pénétrer dans leur Goelen (1949) qui deviendra Griffo, aussi réalisé des dessins animés. mande était complètement oubliée
univers cette fois ; brillamment décrites, seul fidèle à la BD. En un mot, la quin- Très influencés par lÊunderground US, et ne le mérite pas.
excellemment illustrées, ces histoires à tessence des trublions talentueux des Crumb en tête, mais aussi Kim
lire pendant l'orage réchaufferont vos YVES FRÉMION
soirées de novembre... Et n'oubliez pas : années 1970 en Flandres. Deitch, Shelton, Skip Williamson et
ÿ Les contes sont des peurs d'enfant qui autres, le groupe est très caractéris- c Frémion a longtemps été lÊun des plus
s'accomplissent Ÿ. Après un album collectif du même tique dÊune époque où le graphisme fidèles hussards de Fluide Glacial. CÊest aussi
Glénat, 224 p. couleurs, 39,50 € un historien de la BD, un romancier et un
ALIX DE YELST esprit scénarisé par Van Maele, De éclate dans toutes les directions, mais scénariste (parmi dÊautres activités).

54
S e x e & B d

LE CALIBRE DU FLIC
Quand on parle de gros calibre en

© Carjim / TABOU
évoquant la police, on ne pense pas
toujours aux flingues.

A
mateurs de sentiments et de tendresse,
passez votre chemin. Au fil de 15 his-
toires-prétexte invariablement situées
dans lÊunivers policier, Carjim, alias Carlos
Jimenez, a du mal à attendre plus dÊune planche
afin de désaper ses protagonistes pour des parties
de jambes en lÊair particulièrement explicites.
Membres disproportionnés, poitrines à faire fré-
mir Lolo Ferrari, inutile de chercher une quel-
conque vraisemblance dans les détails anato-
miques de flics obsédés par la chose. Entre la
filature qui sÊachève dans un motel, la corruption
de prostituée, lÊinterrogatoire poussé, lÊabus dÊau-
torité dÊun commissaire sur sa secrétaire, et la flic
prête à tout pour faire cracher le tiche (sans parler des sempiternels clichés sur les
morceau à un dealer, tout est bon attributs généreux des Noirs). Émoustillant ? ¤
pour enchaîner les positions, condition dÊavoir de la testostérone à revendre, ça
avec des fantasmes typiquement peut le faire.
masculins comme autant de GERSENDE BOLLUT
démonstrations de virilité.
Réaliste ? Pas franchement, tant c DISTRICT 69,
la surenchère verse dans le pas- de Carjim, Tabou, 128 p. couleurs, 13 €

CONFIDENCES
SUR L’OREILLER L’adultère, un sujet vieux comme le monde ? Oui, mais aux ravages souvent
insoupçonnés…
© Frost et Kalonji / DELCURT

L
oin des débordements pornographiques conséquences. Grâce à un noir et blanc clas-
dont nous abreuvent chaque mois les sieux, les auteurs signent un album qui détonne
éditeurs spécialisés, avec un dessin dans la production habituel-
presque systématiquement clinique qui ne laisse le, sans pour autant négliger
aucune place au mystère, In Bed opte pour une dÊinfuser, sous forme de
approche nettement plus distanciée du sexe, flashs, une dose dÊérotisme à
presque psychologisante. Alors quÊil a tout pour travers des cases coquines
être heureux (une femme ravissante, désireuse mais pas vulgaires, évoca-
dÊun enfant), Luka ne peut sÊempêcher de sÊé- tion dÊébats aussi sulfureux
clipser à la moindre occasion pour folâtrer avec quÊéphémères.
Rachel, brune torride également en couple. GB
Banale histoire dÊadultère, à ceci près que le
récit sÊintéresse peu à peu aux causes de la trom- c IN BED,
perie – pour lui, une fuite en avant ; pour elle, de Lydia Frost et Kalonji,
une envie de briser la routine – ainsi quÊaux Delcourt, coll. Mirages, 96 p. n&b, 16 €

55
zoom C i n é & D V D

Lou ! Journal stylé


Edge of Tomorrow
© Warner

Julien Neel porte lui-même à l’écran la série BD jeunesse qui lui a fait connaître une renommée
indiscutable au milieu des années 2000. Lou ! Journal infime s’en tire à bon compte par son
Dans une guerre futuriste opposant formalisme acidulé atténuant une écriture franchement hasardeuse.
Humains et Aliens, un soldat couard

© STUDIOCANAL
est condamné à revivre la même
journée au cours de laquelle il est
tué⁄Adaptation libre du light novel All
You Need is Kill, Edge of Tomorrow
mélange avec réussite le mécanisme
narratif dÊUn jour sans fin dans un
contexte guerrier digne du
débarquement du 6 juin 1944. Edge of
Tomorrow est quasi inattaquable tant
que Doug Liman parvient à insuffler
une énergie inattendue et un solide
humour macabre, aidé en cela par la
prestation impeccable de Tom Cruise,
jusqu'au dernier tiers retombant dans
les écueils convenus de grosse
machine hollywoodienne. On se
montrera toutefois indulgent devant
cette production nettement plus
maline que bien des blockbusters
actuels.
Un Blu-ray Warner Home Video
JULIEN FOUSSEREAU

Sidewalk Stories
Un portraitiste de
rue noir assiste au
meurtre dÊun
homme. Il recueille
sa jeune fille de

J
deux ans dans son
squat au cflur de ulien Neel doit beaucoup à puis la brouille avec sa meilleure amie dans son patchwork multiculturel que
lÊhiver new-yorkais. Tchô !, le magazine de prépu- Mina ou encore lÊatonie de sa mère Lou ! Journal infime parvient à emporter le
Réalisé par Charles
Lane en 1989, Sidewalk Stories est un blications BD de Zep. CÊest célibataire paumée et réglant ses frus- morceau de justesse, dans ce théâtre
hommage aux films muets dont il au sein de ses pages quÊest née Lou !. Au trations professionnelles et sentimen- acidulé et pop permettant à Ludivine
reprend lÊensemble des codes pour départ, il était question du quotidien tales à travers la rédaction dÊun roman Sagnier, Kyan Khojandi et Nathalie
les remettre au goût du jour. Pas un
hasard si son histoire renvoie urbain dÊune adolescente de 12 ans de science-fiction. Les connaisseurs Baye de sÊamuser gaillardement et dÊatté-
directement au Kid de Chaplin. Pas évoluant avec sa mère célibataire tren- reconnaitront lÊécrasante majorité des nuer une conclusion artificiellement
vraiment un The Artist avant lÊheure tenaire ; un ordinaire dans un appar- arcs présents dans le premier album étirée et un brin poseuse. Si une suite est
non plus puisque Charles Lane opte tement placé sous le signe du caphar- éponyme (plus quelques portions de mise en chantier en cas de succès en
pour un noir et blanc très soyeux et
une partition contemporaine afin de naüm dans lequel cette jeune fille Mortebouse, le deuxième tome) dans salles, Julien Neel pourra compter sur sa
porter un regard juste sur la misère. imaginait des jeux créatifs avec sa lequel une symétrie sÊopérait entre les signature formelle pour, on lÊespère,
Incompris à son époque, Sidewalk meilleure amie Mina quand elle nÊépiait premiers émois amoureux de Lou et mettre les bouchées doubles sur le
Stories mérite quÊon le redécouvre,
dÊautant quÊil a bénéficié dÊune pas avec sa paire de jumelles Tristan, le lÊattirance irrépressible de sa mère bétonnage de son scénario.
superbe restauration. garçon de lÊimmeuble dÊen face dont pour le voisin musicien tout droit JULIEN FOUSSEREAU
Un Blu-ray Carlotta elle est secrètement amoureuse depuis échappé du Larzac. Le passage dÊun
JF
la maternelle. Ces premières planches medium à lÊautre ne sÊest pas fait sans
Samba, ont été rassemblées en un premier heurts dans le sens où la conduite
dÊÉric Toledano tome intitulé Journal infime. Il connut générale du récit manque de souplesse
et Olivier Nakache immédiatement un succès public et et Lou ! Journal infime peine à faire émer-
Le trio gagnant une reconnaissance critique en rem- ger pleinement un fil narratif solide.
dÊIntouchables, les portant le Prix Jeunesse 9-12 ans
deux réalisateurs
et leur acteur dÊAngoulême en 2005. Cinq albums JOURNAL EN FORMES
fétiche, Omar Sy, supplémentaires et une série dÊanima-
revient, avec la tion plus tard, les aventures à hauteur Ce qui sauve cette adaptation réside
pression de faire
aussi bien, sur un dÊenfant de Lou renaissent sur grand dans lÊapproche formaliste de Julien
sujet sensible : les écran, avec des acteurs en chair et en Neel. En effet, si le cinéaste doit encore
sans-papiers. Comment faire rire et os, sous la direction de leur créateur. faire ses preuves en matière dÊécriture,
émouvoir sans en faire trop, éviter
lÊécueil du misérabilisme ? CÊest tout il a su dÊemblée modeler un univers sin-
le talent de ce duo, de lÊécriture au JOURNAL INFIRME ? gulier, une sorte de creuset esthétique à
casting, jusquÊà la musique, rien nÊest la croisée des chemins entre la nostal-
laissé au hasard. Omar Sy est
éblouissant, à fleur de peau. Ses Sur le fond, Lou ! Journal infime version gie rétro des intérieurs et lÊarchitecture
partenaires sont à sa hauteur : Izia cinéma joue la carte de la fidélité thé- extérieure empruntant à la fois aux LOU !
Higelin, future star, Tahar Rahim matique. La voix-off de lÊhéroïne pré- canons nord-américains et asiatiques. JOURNAL INFIME
confirme tout le bien quÊon pense de
lui, et même Charlotte ose le registre adolescente est un moteur narratif Julien Neel sait composer des cadres
essentiel quoique trop appuyé par pour mieux opposer opulence visuelle
de Julien Neel,
comique et nous étonne. Un très avec Ludivine Sagnier, Kyan
beau film, meilleur quÊIntouchables. endroits. Ainsi, Lou y évoque, pêle- et dépouillement afin de créer des Khojandi, Lola Lasseron...
Mais jusquÊoù iront-ils ? mêle, lÊabsence du père, cet inconnu, contrastes ou encore glisser çà et là
Sortie le 15 octobre 1h44 - En salles
LOUISA AMARA sa fascination pour Tristan, les jeux quelques trouvailles comiques. CÊest

56
zoom J e u x V i d é o

Super Smash Bros 3DS

MA SORCIÈRE
Nintendo
© Nintendo

Le géant japonais traite toujours ses


licences stars avec respect et Super
Smash Bros (SSB) n'échappe à la règle.
Reposant toujours sur les règles de
l'épisode fondateur sur Nintendo 64,
SSB est de la baston en multi avec les
BIEN ARMÉE
Cinq ans plus tôt, Bayonetta repoussait les limites du genre beat’em-all par son hystérie punk
sans rien concéder au challenge… et connut l’échec commercial. On est d’autant plus
stars de franchises mythiques du jeu reconnaissant envers Nintendo d’avoir porté à bout de bras le développement de cette suite fidèle,
vidéo où, sur un terrain comportant
ses propres spécificités, il est question mue par la beauté barbare et décadente.
d'affaiblir ses adversaires pour les

© Platinum Games / Sega


sortir du ring. Le résultat est un
mélange entre stratégie et bordel
ambiant jubilatoires, décuplés en
mode multijoueur. Pour sa première
incursion sur console portable, SSB
frappe un grand coup par la richesse
de son casting (Pacman et Megaman
sont de la partie), son fan-service
incroyable et une réalisation
technique à couper le souffle tant sur
le plan de l'irréprochable fluidité que
sur la beauté sidérante de ses
graphismes en cel-shading. On pourra
certes reprocher un stick analogique
pas franchement taillé pour l'intensité
des combats et un équilibrage pas
toujours réglo parmi la palanquée de
gladiateurs, cela ne sera pas suffisant
pour occulter cette info essentielle :
SSB dans la poche existe, et il n'a rien
à envier à ses prédécesseurs.
Indispensable.
Exclusivement sur Nintendo 3DS

D
JULIEN FOUSSEREAU
émarrer une partie de autant, les Bayonetta nécessitent une clins dÊflil aux plus grandes licences Sega
Disney Infinity 2.0 Bayonetta, le premier comme domestication de la belle dans la mesure en passant par Audrey Hepburn. En cela,
Disney Interactive le second1, produit toujours où la maîtrise de ses pouvoirs magiques Bayonetta 2 démontre à quel point la sor-
Toujours dans la cet effet désarçonnant de vieillissement sÊavère indispensable pour profiter plei- cière bombe sexuelle siège toujours sur
logique de
concurrencer supersonique : une mise en contexte nement de sa richesse et surtout pro- le trône du beatÊem all exigeant en bou-
Skylanders sur le apocalyptique et interactive prenant le gresser tout au long de lÊaventure. Car leversant peu une formule déjà exem-
terrain du ÿ jouet joueur de court, paniqué devant ce Platinum Games a une réputation à plaire, prompte au replay infini dans la
vidéo Ÿ (ces figurines
réelles à connecter déluge pyrotechnique désagrégeant un défendre côté challenge. Cador de lÊac- quête de lÊenchaînement parfait. On ne
dans un hub pour décorum dans lequel tout va très vite tion frénétique vidéoludique, le studio peut que remercier Nintendo dÊavoir res-
apparaître à l'écran), avec une intensité inouïe. Il y a bien une japonais a porté le combat à contre- suscité le Phénix de la baston ultra-
Disney lance la
deuxième offensive avec les super voix-off pompière appuyée par une temps au rang dÊart. Dans le cas qui nous vénère.
JULIEN FOUSSEREAU
héros Marvel. Si l'outil de création musique symphonique de bon aloi nar- concerne, le système de baston repose
ÿ bac à sable Ÿ Toy Box connaît rant la lutte ancestrale entre les sur le timing parfait de lÊesquive – cÊest à 1
Nintendo a la très bonne idée de porter
quelques améliorations salutaires, on Sorcières de lÊUmbra, maîtresses des dire sur le fil du rasoir assaillant. sur Wii U le premier épisode fondateur,
reste tout de même dubitatif devant fourni avec Bayonetta 2.
le côté ÿ jeu en kit Ÿ consistant à forces des ténèbres, et les sages de Bayonetta déclenche alors un ralentis-
acheter à répétition des packs de Lumen, pendants mystiques version sement temporel pour une utilité double :
héros pour profiter pleinement du lumineuse. En fait, tout ce background profiter de cet avantage afin de faire
ride.
Disponible sur PC nÊa guère dÊimportance au beau milieu pleuvoir les coups sur les hordes ennemis
et consoles de salon de ce déluge de collisions pugilistiques et remplir progressivement une jauge de
JF
et ce déchaînement de violence, happés furies dévastatrices.
Hyrule Warriors que nous sommes par Bayonetta, notre
Nintendo héroïne, sorcière mutine et féline, au L’ENFER EST À ELLE
Les esprits moqueurs sex-appeal innocent et pervers à la fois.
ne manqueront pas
de souligner que Une danseuse étoile de la mort aussi Et le diptyque Bayonetta en impose dans
Hyrule Warriors est un irréelle que ses mensurations. son game design brillant à la maniabilité
avatar de Dynasty irréprochable, ponctué de combats en
Warriors repeint avec
une patine Zelda. Et il SORTILÈGES À BALLES CREUSES arène classiques et de séquences sur rails
serait difficile de leur grisantes au possible avant de conclure
donner tort. On Car, en lieu et place des traditionnels sur des affrontements de boss dont le
remercie Nintendo d'avoir mis un baguette et balai, Bayonetta est une caractère imprévisible nÊa dÊégal que leur
peu de piquant avec le mode
Aventure grâce à des combats experte dans la pratique ÿ quadri- puissance de frappe dantesque. Bayonetta
nerveux de boss. Malgré cela, on membre Ÿ des pétoires : un à chaque creuse toujours plus loin la profondeur de
reste dans les mécanismes de Dynasty main, mais aussi un accroché à chaque jeu, tant dans sa gamme dÊaméliorations BAYONETTA 2
Warriors, à savoir moissonner sans
finesse des cohortes d'ennemis cons pointe de talons 12 cm. Ainsi, elle déve- (armes, combos) que dans la variété de
comme des chaises. Au risque de loppe un ballet mortel furibond entre son redoutable bestiaire ennemi, va au Platinum Games / Sega
piquer du nez. lÊart martial et la fusillade à travers la bout de sa folie pop et barbare en mélan-
BeatÊem all fantastique
Exclusivement sur Nintendo Wii U Exclusivement sur Wii U
JF variété de ses enchaînements. Pour geant allègrement hectolitres de sang,

58
En pages suivantes, les bonus de Zoo numéro 55
Il s’agit d’articles n’ayant pu trouver de place dans la version papier, en raison d’une pagination réduite.
Certaines pages peuvent cependant être incomplètes, car maquettées uniquement pour cette version numérique.
A c t u B d

BIEN VEILLIR :
LA MÉTHODE LUPANO Évoqué en chronique dans Zoo, le premier tome des Vieux Fourneaux a déjà obtenu le Prix Saint-Michel et le Prix des libraires de
BD 2014. Un succès critique et commercial inattendu pour ce premier volume, qui nous a donné l’envie d’y revenir pour la sortie
du second tome !
mentale, ce qui ne leur épargne pas les affres rétroac-
© Lupano et Cauuet / DARGAUD

tifs de la jalousie. Les libertaires nÊont pas forcément


envie de partager la femme de leur vie !

SANS YEUX, NI MAÎTRE !


Les révélations ne sont pas les seules à jaillir des
pages où affluent réparties savoureuses et dialogues
mémorables. Les coups de théâtre relancent lÊintérêt
de lÊintrigue, et tout finit par prendre consistance et
signification. Et nous vous laisserons ainsi le plaisir
de découvrir le magnifique spectacle de marion-
nettes à morale écologique qui conclut ce second
ouvrage sur quatre pages. Après le passé dÊAntoine
dans le premier, lÊaccent est mis sur celui de Pierrot
et de Mimile.
Le dessin de Paul Cauuet met en scène avec vivacité
et justesse ces chroniques sociales où lÊhumour per-
manent désamorce les grandes amertumes et le
regret. Avec Lupano, ce dessinateur avait déjà livré
LÊHonneur des Tzarom chez Delcourt ; particulière-
ment à lÊaise dans la représentation des personnes
très âgées qui ont toutes des silhouettes et des main-
tiens différents, il a lui-même suggéré ce thème
pour ce nouveau projet.
Ne se contentant pas de distraire et dÊinformer, Les
Vieux Fourneaux permettent aussi dÊappréhender avec
moins de frayeur lÊidée du vieillissement. Pour quÊil
précise lui-même son propos, nous nÊavons pu résis-

L
es personnes âgées sont parfois les oubliées qui vendent aux boulangers des assemblages de ter à lÊenvie de poser quelques questions à son scé-
de la BD : dÊun tempérament peu aventurier, farine, et la finance carnassière, sans parler du sabo- nariste.
leur constitution parfois fragile les confine au tage nauséabond dÊune réunion politique de droite.
rôle de support ou de réconfort familial, quand ils ne Des flashbacks vont éclairer la personnalité de ces ENTRETIEN AVEC LUPANO
servent pas dÊobjet de chantage. Titulaires de la carte trois personnages, même sÊil faut parfois fouiller
vermeil, les vieux fourneaux de Lupano gardent néan- dans les tréfonds de la mémoire pour y arracher Les ÿ vieux fourneaux Ÿ viennent bien dÊune chan-
moins une furieuse envie de vivre, et les exploits de souvenirs et noms oubliés. Si la contestation et la son de Brassens (dont on entend Gare au gorille
leur jeunesse sont toujours présents dans leur lutte sociale sont fortement ancrées chez nos dans le T.2) ?
mémoire. Le premier tome nous donnait un premier retraités actifs, ils ont également eu une vie senti- Willfrid Lupano : Absolument: Le temps ne fait rien à
aperçu de ces trois messieurs peu tranquilles : Pierrot
a été de tous les combats revendicatifs, il sÊoccupe
actuellement dÊune association de malvoyants, avec
qui il organise des attentats gériatriques. Vendeur
dÊautomobiles dans sa jeunesse, Mimile sÊest ensuite
pris de passion pour lÊécologie et les spectacles de
marionnettes, quant à Antoine, employé syndica-
liste dans lÊindustrie pharmaceutique, sa jolie épouse
a éveillé lÊattention de son patron.

L’ANARCHIE, C’EST L’ORDRE MOINS LE POUVOIR !


Ces pieds nickelés du troisième âge nÊont rien perdu
de la flamme de leurs combats ; au fil des pages, le
lecteur va découvrir un immeuble qui sert de refuge
aux mal-logés, une octogénaire qui prend des cours
de hacking, le combat contre les grands minotiers

62
A c t u B d

lÊaffaire (... ÿ quand on est con, on est con Ÿ)

© Rita Scaglia
Je vous encourage à en découvrir la
version jazz de lÊalbum Giants of Jazz
play Brassens, cÊest un bijou, et le solo
final à la trompette redonnerait la frite
à un fillonniste sous Tranxène.

Comme vous êtes un quadra, vous


nÊavez pas vraiment vécu les années
50 et 60. Vous êtes-vous documenté
sur la question, pour en retranscrire
les différents combats ?
Je me suis documenté, mais jÊai aussi
écouté les témoignages de mes aînés.
Par ailleurs, les sensibilités politiques
de mes personnages ne sont pas spé-
cialement ancrées dans ces époques, LUPANO
elles ont toujours cours, selon moi,
sous des formes légèrement diffé- le prix élevé, mais le goût est parfois
rentes. Pour moi, mes personnages ne bon !
sont pas tournés vers le passé, ils sont Si la seule chose importante est que le
actuels. Avec un peu dÊempathie, on goût soit bon, vous allez adorer le
arrive très bien à se projeter dans leur monde que nous prépare Monsanto.
esprit, même quand on nÊa que 43 Personnellement, je serai dans le camp
balais, comme moi. dÊen face. Et je vous informe que le
phénomène nÊest pas parisien, puisque
Antoine et Pierrot piquent facile- toutes ces enseignes sont des fran-
ment un coup de sang lorsquÊun chises nationales.
intrus sÊapproche un peu trop de
leur dulcinée ou épouse (Lucette ou Enfin, ce genre dÊanarchistes semble
Anita). La jalousie nÊest-elle pas une en voie de disparition. Ils sont rem-
valeur bourgeoise ? placés par les électeurs du NPA, les
Si, du moins en théorie. La difficulté, bobos et les frontistes de gauche.
cÊest la pratique. Il en va de même Le libéralisme et la mondialisation en
pour la lutte contre le capitalisme: viendraient-ils à bout ?
cÊest plus facile en théorie, cÊest à dire Je ne suis pas sûr quÊils soient en voie
quand on est pauvre. de disparition, je parlerais plutôt de
mutation. LÊactivisme moderne revêt
Selon vous, continuer des combats plein de nouvelles formes très inté-
difficiles (voire perdus dÊavance) per- ressantes, et bien peu médiatisées,
met il de garder la santé ? naturellement. Il faut chercher un peu.
Je ne suis pas sûr, ça consomme beau- Du reste, il y a toujours eu des
coup dÊénergie, ça peut nuire grande- ÿ bobos Ÿ dans les mouvements dÊex-
ment au moral, et donc à la santé. En trême gauche, même si on les appelait
revanche, je pense que chez certains autrement. LÊorigine sociale ne fait pas
individus, la question ne se pose pas. la valeur politique.
On nÊa pas tous les mêmes disposi-
PROPOS RECUEILLIS PAR
tions pour la subversion et le combat. JEAN-PHILIPPE RENOUX

Avez vous un ressenti personnel


contre le pain à forte valeur ajoutée,
fort présent dans les boulangeries
parisiennes ? Les noms sont bizarres,
© Lupano et Cauuet / DARGAUD

LES VIEUX FOURNEAUX, T.2


BONNY AND PIERROT

de Lupano et Cauuet,
Dargaud, 56 p. coul., 11,99 €

63
zoom A c t u B d

Abel déchante
Six ans après le premier tome, Xavier Dorison et Richard Marazano suivent la lumière blanche
au bout du tunnel pour conclure la trilogie Le Syndrome d’Abel. Un résultat bien décevant.

Q
uÊy a-t-il donc après la

© Dorison et Marazano / GLÉNAT


mort ? Voilà une question
qui hante lÊinconscient
humain depuis la nuit des temps, et à
laquelle ne peuvent répondre que les
religions. Mais les scientifiques, eux,
ne se suffisent pas de ces dogmes invé-
rifiables. Pour savoir, il faut expéri-
menter et trouver des preuves. Au
risque dÊaborder une thématique vue
et revue, Xavier Dorison donne avec
Le Syndrome dÊAbel sa version des expé-
riences de mort imminente. Une ver-
sion musclée, haletante, mâtinée de
polar, qui malheureusement se perd
dans une multitude de pistes non
exploitées. Pourtant, le premier tome
de la série avait bien planté le décor en
distillant au compte-goutte les détails
de lÊintrigue. LÊhistoire dÊAbel Weiss
qui découvre avec stupeur à son réveil
dans le coffre dÊune voiture prête à
être réduite en ferraille avoir passé
sept ans dans le coma après un acci-
dent de la route. Alors quÊil essaye de
reprendre vainement contact avec sa
famille et ses amis, il se rend compte
quÊil a été lÊune des victimes dÊune
expérience menée par un groupe de inquiétante à souhait. Mais la narra- demander si ce syndrome dÊAbel –
médecins : mener des cobayes à la tion se délite en survolant les diffé- décrit par le psychologue Ellenberg –
mort clinique puis les réanimer pour rentes briques de lÊhistoire qui se bor- convient vraiment au personnage prin-
quÊils puissent décrire ce quÊils ont vu. nent à être des éléments dÊambiance. Le cipal. Xavier Dorison nous habitue à
Les médecins ont cru avoir perdu cerveau hindou du complot, le rôle du tellement mieux quÊon ne peut pas
Abel. ¤ tort. tableau de Jérôme Bosch, lÊinspectrice considérer cette série autrement que
de police névrosée, le rapport entre comme un accident de parcours à
FIN EXPÉDIÉE ? Abel et sa fille décédée, tous ces points oublier, un petit accroc dans une
cruciaux du scénario ne sont pas bibliographie trois étoiles.
Alors que le premier tome augurait creusés. Même le fond du sujet, cÊest- THIERRY LEMAIRE
dÊune série au long cours patiemment à-dire ce quÊAbel a vu de lÊautre côté du
construite, sortent coup sur coup les miroir, est évacué rapidement par une
deux derniers tomes dÊune trilogie trop pirouette. Un comble. ¤ la fin de la lec-
vite troussée. Certes, le fil rouge du ture, cÊest donc lÊaspect policier du récit
récit, une course-poursuite entre Abel, qui domine, avec lÊimpression que la
les médecins et la police, est bien mené, thématique nÊa pas vraiment été
notamment grâce à une atmosphère traitée. On reste dubitatif, jusquÊà se
© Dorison et Marazano / GLÉNAT

LE SYNDROME DÊABEL, T.3


AU-DEL¤...

de Dorison et Marazano,
Glénat, coll. Caractère,
56 p. couleurs, 14,50 €

64
C i n é & D V D zoom

LE MYSTÈRE MARITAL
SELON DAVID FINCHER
En passant de Millenium à Gone Girl, on pouvait craindre que David Fincher utilise mollement
son talent unique de cinéaste pour devenir un mercenaire, adaptateur machinal des récents best-
sellers de la littérature policière. Or, le roman de Gillian Flynn se nourrit merveilleusement des
penchants dissimulateurs et misanthropes du cinéaste.

G
one Girl fut le raz-de-marée

© 20th Century Fox


commercial de la littérature
policière américaine dont
lÊadaptation cinématographique était
inévitable. David Fincher sÊest trouvé
rattaché au projet après son échec à
monter avec Disney sa version de
20000 lieues sous les mers. On pouvait
craindre un travail de mercenariat par
Fincher dans lequel sa virtuosité de
ÿ filmmaker Ÿrelevait la sauce de com-
mandes à la façon de Panic Room ou
Millenium. Cette question se pose dès
le générique dÊouverture : dÊordinaire
aussi chiadé que sophistiqué, celui de
Gone Girl, bien que sobre et classieux,
est expédié en deux coups de cuillère
à pot avant dÊentrer directement dans
le vif du sujet : Nick Dunne rentre
dans son pavillon de banlieue dans sa
bourgade du Missouri et constate, en
sus de traces de lutte et de sang, que
sa femme Amy a disparu le jour de
leur cinquième anniversaire de la lente dégradation de leur couple. Et impression dÊêtre absente, y compris
mariage. SÊensuit une enquête qui va le spectateur de sÊinterroger sur la part dans sa propre vie maritale. Il se dégage
faire porter les soupçons sur Nick et de vérité de chacun... ainsi de Gone Girl une satire sociale sou-
déchaîner une tempête médiatique. terraine où il incombe à chacun de
REPRÉSENTATIONS INTIMES savoir mettre en scène sa propre vie,
TOUT LE MONDE MENT ET MÉDIATIQUES quitte à la travestir. Vertiges de la vanité
2.0 en somme.
Pourtant, Fincher donne très vite des Inutile dÊaller plus loin sans prendre le JULIEN FOUSSEREAU
signes encourageants avec la première risque de déflorer les retournements de
séquence dans laquelle la caméra sÊat- situations qui parsèment Gone Girl. On
tarde sur la chevelure blond platine distingue néanmoins ce qui a séduit
dÊAmy, faisant écho au chignon de Fincher dans Gone Girl avec son jeu
Madeleine dans Sueurs froides de manipulateur de pistes en chausse-
Hitchcock, pendant que Nick confesse trappes. On remarque, in extenso, que
en voix-off quÊil aimerait lui ouvrir le tous les personnages clés du film passent
crâne pour voir quels secrets coule- leur temps à se faire passer pour ce quÊils
raient de son cerveau. Déclaration ne sont pas. Car il y a la couverture
dÊamour tordue pour lÊêtre aimé disparu médiatique que la disparition dÊAmy
depuis ou pensées inquiétantes dÊun mal entraîne et le rôle des médias, prêts à
insondable ? Fincher joue comme un jeter à la fosse aux lions un mari nÊaffi-
maestro la partition placée sous le signe chant pas avec suffisamment dÊinten-
de la superposition de deux registres sité son désespoir. Dans un sens, Gone
narratifs : le présent de Nick, et les Girl sÊenvisagerait presque comme une
entrées du journal intime dÊAmy relatant continuité criminelle et déformante de
sa rencontre idyllique avec son futur The Social Network dans laquelle une
mari à New York quand il était journa- photo sur Instagram ou un sourire
liste et elle, source dÊinspiration dÊune déplacé peut conduire à la vindicte GONE GIRL
série de livres pour enfants ayant fait la populaire. En cela, le choix de Ben
fortune de ses parents ; la récession de Affleck en antihéros déclassé par la crise de David Fincher,
2008 les conduisant au chômage puis à est une bonne pioche. Mais cÊest surtout avec Ben Affleck, Rosamund
Pike, Neil Patrick Harris...
lÊexil vers le Missouri de Nick qui sou- Rosamund Pike qui stupéfie par le vide
2h29 - En salles
haite être au chevet de sa mère malade ; intérieur quÊelle dégage, par cette

65

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