Ce document discute des divergences entre la recherche sur l'acquisition des langues étrangères (RAL) et la didactique des langues étrangères (DLE). Il examine les différentes perspectives et objets d'étude de ces domaines et explore les possibilités de dialogue entre eux.
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Recherches sur l’apprentissage des langues étrangères : friches
et chantiers en didactique des langues étrangères
Daniel VERONIQUE, ELCA-SYLED, Paris III
Bien que les descriptions des tâches et des méthodes de la
didactique des langues étrangères (D.L.E) soient souvent divergentes, on s’accorde à leur reconnaître, en règle générale, une orientation actionnelle ou interventionniste, d’où le recours aux termes de ‘praxéologie’ ou de ‘technologie’ pour définir le caractère propre de ce domaine de recherche. L’enseignement- apprentissage dirigé des langues étrangères, en milieu institutionnel donc, est ce qui fonde la D.L.E. Il constitue le lieu, la finalité et le moteur de ses travaux. Héritiers d’un enseignement du latin solidement installés dans la tradition grammaticale et la pratique des colloques, (Auroux 1994, Reboullet 1996), les didacticiens du dix-septième ont amélioré l’organisation et la présentation du contenu à enseigner, et les modes de transmission des savoirs et savoir-faire au nom de principes éducatifs, d’une philosophie éducative, qui tenait lieu, entre autres, de psychologie de l’apprentissage, et qui s’est appliquée également à l’enseignement des langues modernes. L’avènement d’une psychologie scientifique et des sciences du langage à la fin du siècle dernier a modifié l’horizon de référence des pratiques pédagogiques prescrites. Ainsi le recours aux théories comportementalistes de l’apprentissage au début du vingtième siècle a fortement pesé sur les méthodologies d’enseignement des langues étrangères en usage à cette période et après. Les recherches sur l’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères constituent l’objet de la D.L.E. Depuis une trentaine d’années, en sciences du langage et en psycholinguistique, sont apparues des recherches sur les mécanismes et les processus de l’appropriation des langues étrangères (dorénavant R.A.L), à l’instar des recherches entreprises dans les mêmes disciplines sur l’acquisition de la première langue, du langage, par les enfants. L’hypothèse qui guide ces réflexions est que l’existence de la R.A.L doit permettre à la D.L.E de reprendre l’exploration du secteur de l’apprentissage qu’elle a laissé quelque peu en friche. On ne saurait affirmer que la didactique des langues n’a pas été informée par différentes visions de l’apprentissage et de l’enseignement depuis l’apparition du terme et de la discipline au dix-septième siècle. Henri Besse esquisse cette histoire des idées dans deux articles de 1996 et de 1998. Après 1880 et l’émergence du mouvement de réforme de l’enseignement des langues étrangères, la didactique des langues a été fortement marquée et par l’associationnisme et le behaviourisme, et par des approches plus rationalistes, dont le cognitivisme est la version contemporaine (Diller 1978). A nos yeux, la R.A.L représente une nouvelle donne susceptible de réactiver la question de l’apprentissage en D.L.E. La confrontation des disciplines ne saurait se faire cependant sans une discussion des propositions contraires ou contradictoires formulées par les deux secteurs quant à l’apprentissage dirigé des langues étrangères. Afin de pouvoir dégager les articulations potentielles ou réelles des recherches en didactique des langues étrangères – travaux qui indiquent un intérêt renouvelé pour l’apprenant et ses itinéraires dans la maîtrise de la langue cible, pour l’abord communicationnel et notionnel du contenu à transmettre, et pour la reconnaissance d’une diversité d’entrée dans la langue cible – avec celles conduites en R.A.L, il faut mener un examen de leurs convergences et de divergences. Cette confrontation d’ensembles de recherches, dont les statuts épistémologiques sont dissemblables, devrait permettre d’identifier de nouveaux chantiers de recherche en D.L.E. Dans ce dialogue potentiel avec la D.L.E, la R.A.L a tenté d’ores et déjà : - de répondre à des préoccupations concrètes en matière de conduites de classe, - de proposer une « modélisation » de l’activité d’enseignement- apprentissage guidé; - d’aborder la question de la "grammaire pédagogique" en L.E. - de proposer une amélioration des pratiques d'évaluation, - et, une compréhension accrue des 'discours naturels de la classe' (Coste 1984). Ces « apports » appellent examen, ce que nous envisagerons plus bas mais, avant cela, il est nécessaire de confronter les points de vue de la R.A.L et de la D.L.E à propos de l’appropriation linguistique.
1. Divergences d’objets et de regards en R.A.L et en D.L.E
D. Coste a montré, à diverses reprises (cf. par exemple Coste
1992), les chassés-croisés, dans l’histoire récente, entre les intentions de la didactique du français langue étrangère de se centrer sur l'apprenant, d'aborder ses besoins langagiers en termes pragmatiques, de remettre en question les progressions pédago-linguistiques trop rigides, et les préoccupations des travaux sur l'acquisition du FLE qui se proposent au contraire de dégager des parcours d'apprentissage en termes d'évolution de systèmes intermédiaires. Ces finalités et cette temporalité différentes des travaux en R.A.L et en D.L.E n’ont certainement pas favorisé une confrontation positive. Bouchard 1992 a & b, et ici même, suggère de redéfinir les rapports entre la D.L.E et les travaux acquisitionnistes de la façon suivante : relèverait de la didactique explicative et descriptive, l'ensemble des travaux portant sur l'appropriation des langues en classe. Il y aurait identité de méthodes entre la R.A.L et la D.L.E mais différenciation d'objets : l'apprentissage par contacts, en milieu social pour les acquisitionnistes et l'apprentissage en classe pour les didacticiens. Dès 1991, D. Bailly (Bailly 1991) posait que le montage de grammaires dans l'enseignement des langues et la constitution d'un savoir grammatical en immersion par l'apprenant sont des activités de nature radicalement différente. Ce constat est dû, au moins, à la différence de perspective à propos de l'objet grammaire entre l'acquisitionniste et le didacticien Pourtant Lightbown (1984), qui a comparé l'apport linguistique (input) en anglais L2 fourni par six enseignants - les prélèvements s'échelonnent sur plusieurs mois - et les performances de leurs élèves francophones, arrive aux conclusions suivantes: - les apprenants ne restituent les données ni dans l'ordre ni avec les régularités enseignées; en d'autres termes, une véritable appropriation intervient même dans les classes les moins "communicationnelles"; - l'exposition à des données "correctes" n'empêche pas la production de formes erronées; - l'enseignant ne peut contraindre son discours de telle sorte qu'il ne produise que les éléments linguistiques prévus dans la sélection et la progression didactiques. L'apprentissage linguistique n'est décidément pas vu de la même façon par le praticien dans sa classe, par le didacticien, et par l'acquisitionniste.. L'enseignant, tout comme le didacticien, est soucieux de transmission de connaissances, de création d'environnements linguistiques propices, de montage de fonctionnements grammaticaux, et d'évaluation. Il agit dans le cadre d'une institution qui détermine pour partie ses conduites pédagogiques alors que le linguiste souhaite d'abord caractériser des usages L'activité d'évaluation et celle d'explication des écarts et des anomalies en langue cible sont constitutives de l'intervention pédagogique; le linguiste ne se trouve que rarement confronté à de telles exigences. L’enseignant représente l'un des acteurs privilégiés de l'apprentissage. La perspective de l'acquisitionniste est à la fois plus globale et plus minutieuse. Il n'a quant à lui aucune obligation de résultat! A tout cela, s'ajoutent des positions divergentes à l'endroit du vécu de l’enseignement-apprentissage des L.E par les apprenants. Si l'on conçoit bien que le sujet épistémique du linguiste n'est pas l’individualité empirique è laquelle est confronté l'enseignant de L.E et que les activités de ces acteurs, le linguiste-chercheur et l’enseignant de langues, voire le chercheur en D.L.E, sont différemment orientées, cette altérité de fait ne constitue pas obligatoirement un obstacle à l'échange. La RAL envisage l'apprenant comme un locuteur pourvu de "stratégies" qui lui permettent d'alimenter ses connaissances et de résoudre ses difficultés de communication en langue étrangère. Que l'on emploie la distinction de Frauenfelder et Porquier (1979) entre les stratégies d'apprentissage (l'inférence, la mémorisation, la répétition mentale, l'association, l'analogie, etc.) et les stratégies de communication (la paraphrase, la circonlocution, la simplification, les mimes, etc.), ou celle de Bialystok et Sharwood Smith (1985) entre stratégies de mise en œuvre des connaissances ("Knowledge-based strategies") (les circonlocutions et les créations lexicales etc.) et stratégies de contrôle ("control-based strategies") - les stratégies de contrôle visent à faire face à un déficit dans le répertoire de l'apprenant ou à un échec de communication - l'apprenant est perçu comme engagé dans des activités linguistiques et cognitives complexes en L2. Cette vision de l'apprentissage et de l'apprenant rejoint la thèse didactique de la centration sur l'apprenant, thèse qui implique que l'on s'intéresse davantage au procès d'appropriation et que l'enseignant se considère comme un animateur qui favorise par tous les moyens l'acquisition. Bange (1992) vise cet objectif quand il pose que la classe de langue a pour but la maximisation de l'acquisition grâce à un apprentissage bien organisé ; l'apprentissage est alors défini comme: "les mécanismes et événements interactionnels, et singulièrement communicatifs, qui constituent la condition nécessaire au déclenchement des processus intra-psychiques de l'acquisition" (Bange 1992 : 54). La proposition acquisitionniste de Bange n’est pas très éloignée des vues didactiques développées par le CRAPEL, tout particulièrement la notion d’auto-didaxie (Holec 1979)
2. Penser l’appropriation linguistique dirigée des langues
étrangères
Assurément, la D.L.E dispose de nombreux outils pour
penser les activités de la classe de langues et ses discours, à commencer par les grilles d’observation issus des travaux des sciences de l’éducation, et les recherches initiées par les observations de Sinclair et Coulthard sur les échanges ternaires élèves-maître en situation scolaire. La rencontre entre les recherches interactionnistes et celles consacrées à l’étude de l’appropriation des L.E a également produit un ensemble de notions qui aident à penser les activités d’enseignement et d’apprentissage en classe de langues. Ainsi, la nature du lien unissant l'enseignant et ses élèves peut être saisie à l’aide de la notion de contrat didactique. Le rôle d'informateur privilégié qu'occupe l'enseignant et la transmission linguistique dont il a la charge découlent de la mise en œuvre dudit contrat. En effet, le praticien a, par contrat didactique, la responsabilité d'assurer des séquences potentiellement acquisitionnelles, des séquences ternaires à focalisation métalinguistique (De Pietro, Matthey, Py 1989). L'engagement est également de collaboration et de préservation de la face de l'élève, instaurant par là même les conditions d'un bon apprentissage. Sous le terme générique de communication exolingue, R. Porquier 1984 évoque un ensemble de situations de communication qu'il caractérise à l'aide de combinaisons des cinq paramètres suivants : les langues que maîtrisent et que partagent éventuellement les interlocuteurs engagés dans l'échange, le milieu linguistique de l'interaction, son cadre situationnel, le type d'interaction en cours et son contenu. R. Porquier souhaite à travers cette typologie mieux saisir la dimension linguistique de la communication interethnique ou interculturelle. L'interprétation qui en a été donnée ultérieurement réduit la notion aux situations d'interaction où la langue de communication est la langue première d'une des parties. Malgré les mises en garde formulées (cf. Arditty et Coste 1987, Arditty et Levaillant 1989), on a également eu tendance à opposer de façon dichotomique, les situations exolingues (natif- non-natif) et les situations endolingues (natif- natif). Les situations de communication exolingue se caractérisent par le fait que ce sont des situations asymétriques (Hérédia 1990). P. Bange 1987 observe que la communication exolingue est une communication à risques sur les deux plans de l'intercompréhension et de la relation. En ce qui concerne l'intercompréhension, l'interaction exolingue requiert davantage que l'on porte attention aux opérations linguistiques et conversationnelles. De là découle une bi-focalisation potentielle de ce type de communication entre l'orientation ordinaire vers un but de toute interaction et l'attention accordée à son propre déroulement. Pour Py 1986, les divergences entre les répertoires linguistiques respectifs des participants entraînent des stratégies de facilitation, de collaboration et de négociation. Ce que Müller 1991 glose en indiquant que la conversation exolingue est dominée, au niveau de son organisation locale, par une orientation rétrospective des séquences interactives, à cause des réparations et autres ajustements interactionnels. Vasseur 1991, tout comme Dausendschön-Gay et Krafft 1991, insiste sur la possibilité où se trouve le non-natif de collaborer ou non à la conversation et sur les activités de figuration liées au statut d'alloglotte dans une interaction asymétrique. Autre dimension, celle de l’exposition à la langue cible : la classe de langues est un lieu où l'on souhaite que la relation entre apport (input) et saisie (intake) soit la plus directe et la plus immédiate. Deux facteurs valorisent la classe de langue par rapport à une exposition à la langue cible non dirigée : les aléas de la communication exolingue naturelle, et le fait qu'au contraire, la classe garantit la possibilité d'un apprentissage et d'une acquisition suivant un coût horaire déterminé. La communication en classe de langue ne présente pourtant pas toujours la bifocalisation caractéristique de la communication exolingue - focalisation sur le contenu et explicitation de la forme au gré des échanges - mais plutôt une confusion du niveau communicationnel/ thématique et du niveau métalinguistique. Selon Bange (1992), cela constituerait un obstacle à l'épanouissement du procès intra-psychique d'acquisition, obstacle que l'on peut surmonter en favorisant certaines "stratégies" d'apprentissage. La forte prégnance métalinguistique des discours en classe de langue (Coste 1984, Cicurel 1985) ne saurait d'ailleurs être niée. Si l'on s'arrête un instant à la suite de Trévise (1992) sur la gestion cognitive du métalinguistique, on ne peut que souligner le type de rapport instauré par la classe entre savoirs déclaratifs et savoirs procéduraux. Lors de l'acquisition en milieu naturel, on a tout lieu de penser que les connaissances développées seront essentiellement procédurales, alors que l'apprentissage en classe de langues développe des compétences déclaratives et des verbalisations métalinguistiques.
3. Questions, propositions, et projets en D.L.E
3.1 La RAL peut-elle répondre à des interrogations et à des
besoins qui émanent de la pratique d’enseignement des L.E?
Si l’on recense les interrogations issues de l’enseignement
des L.E, on rencontre inévitablement des questions telles celles-ci : - L'accent doit-il être mis sur des points de grammaire ou sur la satisfaction des besoins communicatifs? L'enseignant doit-il orienter sa pratique vers l'inculcation de comportements linguistiques spontanés en L.E, ou doit-il plutôt fournir beaucoup d'informations métalinguistiques? (Gadalla 1981). - Les erreurs sont-elles prévisibles? Comment les prévenir? Quand et comment corriger? - Pourquoi l'appropriation d'une L2/LE est-elle plus difficile pour certains apprenants que pour d'autres? - Quelle est la progression idéale? - Les processus naturels d'acquisition peuvent ils être modifiés par un enseignement formel? (Pienemann 1984, 1985) Krashen et Terrell (1983) se sont risqués à formuler dix principes pédagogiques, fondés par les travaux en R.A.L, pour répondre à de telles interrogations. En voici quelques-uns : - multiplier l'exposition de l'élève aux échanges "naturels", - prévoir une phase silencieuse au début de la période d'enseignement, phase où l'apprenant peut écouter sans être sommé de parler, - faire en sorte que les erreurs commises par les élèves ne soient pas sources de gêne, - inclure dans le matériau d'enseignement des tours immédiatement utilisables dans les échanges quotidiens. Dès 1977, R. Porquier distingue entre une analyse d'erreurs psycholinguistique, précurseurs des travaux sur les interlangues, et une pratique didactique de l'analyse d'erreurs, ouvrant la voie à une circulation des résultats du pôle linguistique au pôle didactique au moins. L’enseignement des langues étrangères a repris assez tôt à son compte les propositions fondatrices de Corder (1967, 1971) sur la nature de l’erreur en L.E et sur son caractère systématique. Ainsi, les propositions suivantes semblent également partagées par les didacticiens et pédagogues de la D.L.E : - Les lapsus, les fautes et les erreurs des apprenants de langues étrangères témoignent d’un procès d’appropriation en cours. Les erreurs sont les traces de stratégies d'apprentissage mises en œuvre par l'apprenant. Leur régularité et leur systématicité témoignent de l'existence d'une grammaire et d'une compétence transitoires partiellement indépendantes de L1 et de L2. - Les erreurs manifestent une systématicité qui n'est pas due exclusivement à l'interférence des langues antérieurement connues ou au mécanisme de l’analogie induit par la langue cible. Les tâches communicatives et cognitives à accomplir, la motivation, voire la nature de l'exposition à la langue cible sont aussi déterminantes. Le terme d’interlangue est de même passé dans le vocabulaire de la didactique, même si les thèses psycholinguistiques qui fondent la théorie de Selinker (1971) n’ont pas nécessairement été reprises en tant que telles.
3.2. Les grammaires pédagogiques en L.E
L'apport de la description des grammaires d'interlangue à
l’élaboration d’une grammaire pédagogique est de deux ordres : un apport métathéorique et une information en vue de l'élaboration des grammaires pédagogiques. Sur le premier plan, les descriptions de variétés d’apprenants sont susceptibles d’alimenter les séances de conceptualisation en classe de langues. Un relevé de la structuration progressive des micro- systèmes grammaticaux du français en acquisition devrait aider les auteurs de grammaires pédagogiques à évaluer, sinon à prévoir, les passages obligés et les points obscurs d’un enseignement grammatical en vue de l'appropriation d'une langue étrangère. Les tentatives de Pendanx 1989, de Wilczinska 1987 et 1989, et de de Salins 1996 sont éclairantes bien que fondées sur des analyses d'erreurs. Décrire la grammaire de l'apprenant apparaît comme l'élément qui permet de faire le lien dans le travail didactique entre les grammaires descriptives des langues mises en présence lors de l'apprentissage, et la grammaire pédagogique. Véronique et Touchard 1998 esquissent une analyse de l’appropriation de la temporalité en français L1 et L2 et mettent leurs observations en rapport avec le projet pédagogique des manuels de français langue maternelle et de français langue étrangère. Cette confrontation des perspectives et des objets grammaticaux peut s’avérer utile à une mise en œuvre de séquences didactiques dans la classe.
3.3 Progression et évaluation en L.E
A la suite de la description d’une séquence d’acquisition de
la syntaxe de la phrase en allemand L.E, Pienemann, à l’instar d’autres chercheurs, s’est interrogé sur les rapport entre l’"enseignabilité" (teachability) et l’"apprenabilité" (learnability) des langues. Pour les chercheurs du groupe Z.I.S.A, l'acquisition de la syntaxe de la phrase allemande obéit immanquablement à la séquence suivante :
- ordre neutre des constituants (SVO),
- déplacement des adverbiaux en position initiale de phrase (ADV- PREP), - déplacement des particules (préfixes détachables etc.) en position finale (PART), - inversion du sujet quand les compléments précèdent le groupe sujet-verbe ou dans les interrogatives (INV), - les adverbiaux sont placés facultativement entre le verbe fléchi et l'objet (ADV-VP), - dans les propositions subordonnées, le verbe fléchi est placé en position finale de phrase (V END).
L'utilisation d'une règle de cette séquence présuppose la maîtrise
de la règle précédente. M. Pienemann (1984, 1985) a montré la fixité de cet ordre développemental qui ne peut être altéré par l'intervention didactique. Il a entrepris d'enseigner la règle de l'inversion du sujet et de l'élément verbal fléchi (règle X + 2) à des jeunes apprenants qui ne maîtrisaient que la règle de préposition de l'adverbe, règle facultative en allemand, ou qui possédaient également la règle de la séparation des verbes dans les complexes verbaux, règle dite particule (règle X + 1). L'ensemble des sujets parvinrent à apprendre la règle X + 2; seuls cependant, les sujets connaissant la règle X + 1 surent utiliser X + 2 dans leurs productions spontanées. Selon Pienemann, tout se passe comme si à chaque étape de l'appropriation, les prérequis pour le traitement de l'étape suivante sont mis en place. Ce résultat n'est pas sans rappeler la zone proximale de développement de Vygotsky (1934/1985), encore qu'ici aucune collaboration extérieure ne semble requis pour les progrès dans la connaissance. Les travaux de la R.A.L permettent d'envisager la création d’outils pour définir des séquences d’enseignement, à l’instar des séquences de développement, ou pour évaluer les progrès des apprenants ou leurs activités en classe de langues. Ainsi, à partir des travaux acquisitionnels sur le français, on pourrait certainement formuler quelques propositions pour la construction d’un outil d’évaluation grammaticale, tant en ce qui concerne les zones à observer qu’en matière d’appréciation des performances. La phase 1 du développement en français semble présenter les traits suivants (cf. Perdue 1993) : - une prédominance de bases nominales de la forme le/ la + N, et des pronoms toniques à fonction déictique, - des bases verbales non fléchies en fonction du temps ou de la personne, - le recours massif à jãna et c’est, - l’absence de prépositions ou l’emploi de prépositions tels que pour, avec, dans, - l’emploi de verbes modaux, et vraisemblablement d’indices paralinguistiques et prosodiques, à l’exclusion de toute autre moyen de modalisation, - des formes de subordination simples (temporelles, relatives déterminatives etc.) - l’expression de la référence temporelle par des moyens indirects, des adverbes, des moyens lexicaux et des relations d’ordre entre séquences. La deuxième phase du développement de l’acquisition du français se laisse caractériser ainsi: - un développement morphologique en matière d’expression temporelle sur le verbe, - l’élaboration d’un système de clitiques pronominaux anaphoriques dans sa diversité morphologique (pronom sujet- pronom objet + position), - le marquage de valeurs référentielles variées dans le syntagme nominale, - l’emploi de prépositions à valeur projective comme sur, sous etc. Une troisième phase enfin, est marquée par : - la constitution d’un véritable système d’expression de la temporalité, notamment de l’expression du futur et de l’irréel, - la diversification des types de subordonnées, - l’expresion de la modalité à l’aide d’adverbes en -ment, - la diversification des types de négation (négation descriptive vs négation polémique de Ducrot) et de l’emploi des unités porteuses de champ (focus particles) comme même, encore etc. A partir de telles indications, des outils d’évaluation peuvent être envisagées.
4. Chantiers en didactique des langues étrangères
Les préoccupations de la D.L.E la conduisent nécessairement
à envisager l'appropriation comme un processus inscrit dans un contexte historique et social : histoire des méthodologies d'enseignement, histoire et sociologie des institutions de formation, analyse politologique de la diffusion linguistique au sein des formations sociales etc. (Porcher 1977). C'est à l'aide d'un tel cadre qu'il faut analyser les recherches initiées dans les années 80 autour des besoins langagiers des apprenants. En dépit de la fragilité de cette notion (Besse et Galisson 1980, Faita et Véronique 1979), elle a cependant conduit à la construction de dispositifs pour mieux entendre les demandes et aspirations des sujets apprenants et pour les traduire en objectifs d'apprentissage. On comprend dès lors que la didactique des langues ne puisse envisager l'apprenant uniquement en tant qu'entité épistémique. Pour la D.L.E, l'apprenant est aussi un enseigné. A partir de ces considérants, l’on conçoit que l’étude des profils d’apprenants (cf. Pochard 1995) soit une recherche qui intéresse de prime abord la D.L.E. La perspective didactique requiert que soient "intégrées" à l'analyse de l'apprenant et de ses activités d'appropriation des éléments socio-affectifs (la personnalité de l’apprenant, ses attitudes et motivations) et d’autres facteurs dont la détermination ultime est tout autant socioculturelle que biologique, tels l’âge, le sexe, voire la présence corporelle. Ces éléments pèsent tout autant que la participation à la classe des apprenants ou que les variables plus étroitement communicatives et ethnolinguistiques qui relèvent de la communication exolingue (Porquier 1984). A la suite de Coste 1992, Coste et Moore 1994, Porquier et Vivès 1993 et Trévise 1993 formulent des questions qui relèvent de fait d'une thématique spécifique de recherche en didactique, dans le contexte de l'enseignement des L2 en France, sur l'appropriation linguistique et l'apprenant de L2 La tension entre une modélisation du sujet apprenant comme locus d’activités de production, de compréhension linguistique et de mémorisation de la langue 2, telle qu'elle est envisagée en R.A.L, et l'obligation de la prise en compte des vécus d’apprentissage et de l'hétérogénéité des enseignés et des situations didactiques, constitue certainement un point de divergence et l'un des facteurs déterminants du dialogue entre acquisitionnistes et didacticiens.
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