Georges BARBARIN - GB52 - Réhabilitation de Dieu PDF

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GEORGES BARBARIN

RÉHABiliTATION
DE DIEU

association:
Les Amis de Georges •••••••••

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les ouches ROMENEr
www.georgesbarbarincom

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OUVRAGES SPECIAUX DU MEME AUTEUR

1" Partie : Myaticisme expÜimental


LA CLE (Astra). 40' mille.
L'INVISIBLE ET MOI (Astra). IS· mille.
LE REGNE
L'AMI DE L'AGNEAU
DES HEURES (Oliven).(Niclaus).
DIFFICILES S· mille. 14· mille.
LES CLES DE L'ABONDANCE (Niclaus). 11· mille.
LES CLES DU BONHEUR (Astra). 10· mille.
JE ET MOI ou le Dédoublement spirituel. (Astra).
LA PEUR, MALADIE N° 1 (Ed. de l'Ermite). 6· mille.
IL y A UN TRESOR EN TOI (Omnium Littéraire).
DEl\IANDE ET TU HECEVRAS (Omnium Littéraire).
LE JEU PASSIONNANT DE LA VIE (Astra).
VIVRE DIVINEMENT (Astra).
AFFIRMEZ ET VOUS OBTIENDREZ, ou Comment le Verbe crée (Ni-
claus).
COMMENT ON SOULEVE I.ES MONTAGNES (Niclaus).
LA REFORME DU CARACTERE (Niclaus).
PETIT CATECHISME DU SUCCES (Astra),
2· Partie : Recherclle Esotérique
LE SECRET DE LA GRANDE PYRAMIDE (Adyar). 50· mille.
LE LIVI\E DE LA MORT DOUCE (Adynr), 11· mille, traduit en nlle-
mand, eRpernnto, italien, IInnoiR et hongrois.
QU'EST-GE
LA DANSE QUE
SUR LA
LE RADIESTHESIE '/ (Astra).
VOLCAN, ou Continents il16·venir
mille.et continents
LES perclus.
CLES DE(Adynr). 10· mille.
LA SANTE (Astra). 10· mille.-
DIEU EST-IL MATHEMATICIEN? (Astra). 12· mille.
RECHERCHE DE LA Nième DIMENSION. (Adyar).
L'ENIGME DU GRAND SPHINX (Suite du Secret de ln Grande Pyrn-
mide) (Adyar). 10· mille.
LES DESTINS OCCULTES DE L'HUMANITE (Astra).
L'INITIATION SENTIMENTALE, ou Ce que les jeunes gens doivent
savoir de l'Amour (Niclaus). 9" mille.
L'ANTECHRIST ET LE JUGEMENT DERNIER (Dervy). S· mille.
QUI SERA LE MAITRE DU MONDE ? (Ed. de l'Ermite). S· mille.
L'APRES-MORT ou Le Grand Problème de l'Au-delà (Astrn).
3· ParUe : Divers.
LA vm AGITEE DES EAUX DORMANTES (Stock). 19' mille.
LA SORCIERE, roman (Astrn). S· mille.
A 'l'RA VERS LES ALPES FRANÇAISES, ou Onze jours chez les Grands
Guides (Ed. de l'Ermite).
APPRENEZ A DIEN PARLER, ou La Gymnnstique du langage (Niclaus).
LA VIE
J'AI COMMENCE
REUSSI A CINQUANTE
PAR L'OPTIMfSME ANS (Aubnnel).
CREATEUR (Aubanel).
SOIS TON PROPRE MEDECIN (Ed. Amour et Vie).
GUIDE SPIRITUEL DE L'HOMME MODERNE (Nizet),
LE SCANDALE DU PAIN (Nizet).
En préparatio1l :
LE PJ10IlLEM I~ lm LA r.1IA!H.
GLOmF'CATION nE L'A ilS 111\DE.
QU'EST-r.E QUE LA GHIHOPHACTIG '!

Droits de traduction, d'adnptntion et de reproduction


réservés pour tous pays
GEORGES BARBARIN

REHABILITATION
DE DIEU
association:

Les Amis de Georges aa"alia

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18150 GERMIGNY l'EXEMPT
les ouches ROMENEr
Mel: amisgb@NanaooOfr
WWW.georgesbarbarincom

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.•
- RfI_-
CHAPITRE 1

/' Réhabilitation d"e l'Homme

Il peut sembler téméraire et peut-être blasphématoire


de tenter une réhabilitation de Dieu, comme si Dieu était
justiciable des mesures humaines. Mais ceux qui connais-
sent mon amour et mon besoin de la Divinité savent
déjà que je me propose seulement de dévêtir celle-ci
d'un faux visage et de la présenter sous l'angle véritable
où elle est accessible à la compréhension des humains.
J'aurais pu employer le mot Esprit au lieu du m(,lt
Dieu parce que le premier de ces .vocables n'est pas en-
taché d'erreur ou d'imperfection comme celui dont usent
les religions ordinaires. Toutefois, puisque c'est sous
l'étiquette c Dieu"~ que l'Esprit a été abaissé c'est aussi
sous cette étiquette qu'il doit être relevé.
Si Dieu n'avait jamais été commenté, s'il n'avait été
le point de mire de toutes les théologies, s'il n'avait servi
de bannière à t~nt de causes, même opposées, et de pré-
texte à tant d'égoïsmes individuels et collectifs, l'Homme
éprouverait à son endroit une confiance innée et un res-
pect instinctif. Au lieu de cela les hommes modernes
ignorent Dieu ou bien le nient. Ceux qui en acceptent
l'idée le font dans un esprit de doute ou de crainte et les
plus fervents eux-mêmes n'osent concilier sa justice et sa
bonté.
A la base de tout cela existe un malentendu, né de
l'égocentrisme de la créature humaine, laquelle ne peut
se résoudre à concevoir la Providence invisible que sous
-8-
une fonne personnelle, comme une sorte de super-hom-
me doté de pouvoirs supérieurs. Cet anthropomorphisme
ou besoin de doter le Divin d'attributs humains a été for-
tifié et accru par l'imagerie religieuse et la figuration
poétique de tous les temps. De là cette tendance à doter
l'Invisible des facultés et des passions de l'Homme vi-
sible, laquelle nous a valu, après les dieux chaldéens,
égyptiens et les divinités de l'Olympe, un Eternel de la
Genèse, irascible et revendicateur.

LE LOURD HERITAGE HEBRAIQUE

Il a fallu.J ésus et l'admirable enseignement dont Saint


'Jean s'est fait l'écho pour détruire cette légende amoin-
drissante de dieux tonnants et guerriers. Bien que Juif
de naissance et de formation, le Galiléen jetait bas tout
l'appareil rébarbatif du Dieu des Armées et subsliluait
à une autorité vindicative la suave .notion du Père
Céleste, infiniment bon. Par là il se trouvait en opposi-
tion avec toute la hiérarchie religieuse et politique de
son temps et c'est pour cette raison que les docteurs de
la Loi et les princes des prêtres le crucifièrent car SOIl
enseignement comportait leur propre condamnation.
Malgré Jésus le christianisme ne put se dégager de ses
origines. Un judaïsme persistant l'imprégna, dans les
premiers siècles, et le fausse encore aujourd'hui. La
théologie chrétienne est toujours imbue de ce <}u'ona
appelé l'Ancien Testament, vestige périmé de l'histoire
d'un peuple alors difficile, borné et brutal. A part la Ge-
nèse dont Moïse semble avoir emprunté les éléments
déformés à une initiation plus ancienne, aucun des livres
du Pentateuque ne semble fait pour l'homme d'aujour-'
d'huÏ. Le livre de Job est une longue et pénible lamenta-
tion. L'Ecclésiaste lui-même est d'inspiration matérielle
et d'expression pessimiste. Les Psaumes; à côté de gran- _
des beautés
nations. verbales,
Et les renferment
prophètes, au nom de constantes
d'un récrimi-
Dieu colère, ont f:' -
la bouche emplie de menaces. Comment, dans ces condi-
-9-
tions, la méditation de la Bible ancienne engendrerait-
elle chez l'Homme de notre époque la paix et le récon-
fort?
Le catholicisme l'a instinctivement compris car si son
orthodoxie admet l'Ancien Testament comme le Nou-
veau, le premier est pratiquement ignoré de la plupart
des fidèles--et c'est fort heureux ainsi. Par réaction sans
doute et pour justifier leur libre-examen les protestants
continuent, comme les juifs, à accorder une grande im-
portance au texte des Ecritures primitives et cela n'a pas
peu contribué à doter le Dieu huguenot d'un caractère
âpre et exigeant. Bien des réformés seraient surpris d'ap-
prendre que la Divinité de leur temple est plus judaïque
que christique et qu'il n'y a, au fond, guère de différence
entre l'Exterminateur hébraïque et le Dieu sévère de
Calvin.
Ce que je viens d'avancer n'a guère besoin de preuves.
S'il en fallait une cependant je la trouverais dans une
émission récente de la radio d'Etat. Au cours d'un ser-
vice protestant et après le chant d'un psaume, le prêche
évoqua la Divinité sous ces vocables, peut-être emprun-
tés au Psalmiste, mais qu'en les citant il faisait siens :
c Mon Dieu, ma fierté, ma terreur 1 ~ Je ne cache pas
que cette adjuration barbare me plongea dans une in-
finie tristesse. Eh 1 Quoi ! me disais-je, "est-ilpossible
que Dieu soit ravalé au point qu'on en fasse un monstre
et que l'Homme soit avili au point de devenir esclave
rampant?
Peut-on, dès lors, demander aux hommes moins de
cruauté qu'à un Dieu méchant ? Et ne justifie-t-on pas
ainsi l'abdication des religions devant les sociétés de
violence?

LA NOTION ABUSIVE DE DECHEANCE

Ainsi, dès l'origine, la religion organisée pose en prin-


cipe l'indignité de la créature sans voir qu'elle entraîne
automatiquement l'indignité du Créateur .. Le catholi-
-10-
cisme, lui non plus, n'échappe pas à cette tendance
d'abaisser l'Homme, comme si cet abaissement accrois-
sait la différence d'altitude entre Dieu' et nous. En réali-
té c'est le contraire qui se produit et dire, comme le font
les prédicateurs, que Dieu nous sauve en dépit de notre
bassesse et de notre méchanceté, « par pure miséri-
corde ~, c'est faire le procès direct du Démiurge, unique
responsable de ce qu'il a lui-même créé.
Qu'on ouvre n'importe quel missel ou qu'on entende
réciter l'ordinaire de la messe on n'y trouve rien qui in-
cite l'Homme à prendre confiance en lui-même sous le
regard d'un Dieu compréhensif. Celui-ci est, tour à tour,
indiqué comme souverainement bon et souverainement
terrible, sen~iments qui sont exclusifs l'un de l'autre et
dont la juxtaposition vicie la perfection du Divin.
L'Homme est sans cesse rappelé à l'ignominie de sa
condition, à son indignité, à son impureté, à sa méchan-
ceté. Il en résulte, depuis des siècles et des siècles, une
attitude humaine humiliée, favorable à toutes les abdi-
cations.
On a si soigneusement et si persévéramment, avec
tant de diabolique habileté et tant d'hypocrite contrition,
entretenu en l'Homme le sentiment de sa déchéance
qu'on a éteint la foi naturelle de l'Homme en lui-même
et brisé ses ressorts d'élévation. Les éducateurs d'aujour-
d'hui sont tous d'accord pour déplorer le complexe
d'infériorité engendré chez les enfants par les anciennes
disciplines, qui refusaient à ceux-ci le bénéfice et la lou-
ange de leurs mérites pour n'appuyer que sur leurs torts. '
Rien n'est plus propre à décourager l'être en cours d'évo-
lution que le refoulement impitoyable et obstiné de ses
désirs, lesquels sont la -manifestation nécessaire de sa
nature instinctive et doivent être utilisés sagement pour
de nobles fins. Or tous les hommes sont des enfants,
également fils de Dieu et, comme tels, ayant besoin de
l'affection du Père, plus encore 'que d'eau et de pain.
Le catholicisme le sent bien et, sans cesse, mélange
dans ses canons les appellations de douceur avec les ap-
pellations de violence, à cause de l'impossibilité où il est
-11-
de concilier la dureté biblique avec la bonté évangélique,
l'idée de vengeance avec l'idée de pardon. Il faut cepen-
dant choisir :le Dieu courroucé de la Bible 'est à l'op-
posé de l'enseignement des Béatitudes. Celui qui admet
l'un répudie l'autre. On ne peut tabler à la fois sur la
haine et sur l'amour.
L'Homme, comme tous les êtres de la Création et en
dépit des contingences physiologiques, a tendance, dès
le plus jeune âge, à faire confiance à la Vie et à jouir
de sa part de bonheur. Même l'enfant né dans le ruis-
seau trouve/ à celui-ci des attraits qui en masquent l'ori-
gine. Il faut peu de chose pour amuser et pour réjouir
le petit d'homme et le petit d'animal. Ce dernier, s'il est
né hors de la civilisation, conserve jusqu'au bout son
espérance vitale. Le premier, au contraire, voit saper
ses rêves dès qu'il a atteint ce que l'on considère comme
l'âge de raison. A-t-on songé à ce qu'une cervelle d'en-
fant de sept ans contient encore de possibilités irration-
nelles ? L'évasion est le procédé le plus ordinaire de
l'âme enfantine pour échapper à la logique du monde
formel. Arracher de force les esprits puérils au monde
enchanté dont ils ont le naturel besoin et dans lequel il
se complaisent constitue une intrusion dangereuse de
l'adulte logicien.
On vient d'en avoir l'illustration par le geste de cer-
tuins évêques, qui proscrivent les légendes naïves du
Père Noël, du Petit Noël et de l'Enfant Jésus, distribu-
teurs de jouets. Cette condamnation d'une des plus tou-
. chantes fictions de l'enfance ne pouvait venir que d'au-
torités séniles en qui tout symbolisme est mort. Car, au
fond, que signifie l'assertion des parents, lorsqu'ils en-
gagent leurs petits à attendre d'en-haut les dons de la
cheminée, sinon qu'eux-mêmes ne sont que les intermé-
diaires du bienfait divin ? Sans doute le père ou la
mère achète de ses deniers le joujou ou la friandise,
mais les moyens de le faire n'est-ce pas de la Providence
qu'il les tient ? Répudier cette allégorisation c'est rayer
le symbole lui-même sur lequel l'Eglise est construite et
sans quoi elle n'est plus rien.
-12-
La théologie, comme la philosophie, sont des exercices
de vieillards qui tournent le dos à la Vie alors que le
Christ, qui n'était pas philosophe ou théologien le moins
du monde, discourait en paraboles, c'est-à-dire unique-
ment en images et exaltait la simplicité des petits.

CONSCIENCE : ARME A DEUX TRANCHANTS

L'Homme n'est donc pas une créature naturellement


perverse et que détermine uniquement sa malice. C'est
un être physiologiquement faible, arrivé tard dans une
complexe Création. Avant lui tous les fluides étaient là,
tous les gaz étaient là, tous les minéraux, tous les végé-
taux, presque tous les animaux étaient là. Pour la plu-
part plus grands, plus forts, sinon mieux armés que lui
en vue de la lutte vitale.
Ce qu'on a appelé son égoïsme n'est que l'obligation
où il a été de se tirer d'affaire et de survivre au milieu
d'un univers déjà en place et où rien n'était prévu pour
lui.
Il lui a fallu d'éminentes qualités et un esprit de con-
servation poussé jusqu'aux plus extrêmes limites pour
grandir et proliférer. Il a dû déployer un rare talent
d'observation et une grande ingéniosité pour se distin-
guer des anthopoides et découvrir ce dont aucun grand
singe ne s'avisa jamais, c'est-à-dire, par excmpll" Il'
moyen de faire jaillir le Feu.
Tout le monde (théologiens, philosophes, préhistoriens,
anthropologistes) est d'accord pour admettre la situation
précaire de l'homme primitif. Nul ne conteste son éton-
nante ascension parmi les êtres organisés et les phéno-
mènes de la Nature. C'est devenu une lapalissade que
de dire la lulte démesurée entre l'Homme et les élé-
ments. Même de notre temps, après toutes les décou-
vertes scientifiques et industrielles, quand le faible or-
ganisme physique de l'être humain s'est agrandi et pro-
longé par des moyens mécaniques monstrueux, il suf-
fit d'une trop grande pluviosité ou d'une sécherec;se
-13 -
excessive, d'un frisson de l'écorce terrestre ou d'un
ébranlement de l'air pour disloquer ce que l'Homme a
fait et anéantir les hommes eux-mêmes, sans que ceux-ci
soient arrêtés dans leur course à la vie et dans le per-
fectionnement de leur civilisation.
N'est-ce point, aU-J'egard des dieux, un mince mérite
que cclui d'une créature vagissante et désarmée, sou-
dain promise au gouvernement de la Terre et s'y éver-
tuant avcc des moyens réduits ? Sans doute l'Homme a
été marqué spécialement par le Divin comme une créa-
ture choisie entre les autres pour aider le Démiurge dans
sa tàche évolutrice et il a bénéficié de l'aide invisible
sans laquelle son intellect serait demeuré au niveau de
celui du bœuf ou de l'éléphant. Car on ne soulignera
jamais assez le cas unique de l'animal-homme devenu
de plus en -plus conscient depuis des .millénaires alors
que toutes les espèces (du squale à l'anthropoïde et de
l'oiseuu-mouche au caïman) sont restées à l'état d'indi-
gence mentale qui les caractérisait au début.
Mais on n'a pas assez songé non plus au fait que
l'acquis~tion colossale de la conscience par l'Homme,
après l'avoir servi dans sa lutte contre les cataclysmes
et les autres espèces, s'est retournée contre lui. C'est par-
ce qu'il est doué de conscience que l'Homme mesure les
difficultés d'entreprendre, qu'il suppute les actions et
les réactions, qu'il appréhende les périls. Et néammoins,
sachant, il va. Connaissant la faiblesse de ses ressources,
il persévère. Sujet aux maladies, il organise. Promis à la
mort, il vit.
Je ne puis celer mon admiration pour ce médiocre
édifice de chair, celte poignée de matière grise dont la
précarité et la friabilité se heurtent sans cesse à la durée
et à la dureté, mais qui, par le jeu incessant d'Une intel-
ligence évidemment surhumaine, parviennent à s'im-
poser à ce qui les domine et les investit.
Il était inévitable qu'ayant conscience de son humilité
première et de la condition misérable d'où son ancêtre
était sorti, l'Homme conçût de l'orgueil des choses qu'il
avait faites. Ayant, lui aussi, agi en démiurge, il eut la
-14-
fierté du créateur. Qu'il soit allé trop loin dans cette voie
et qu'il ait abusé de ses dons, qui le nie ? Mais si le
rhinocéros ou la colombe avaient été élus à sa place
croit-on que le gouvernement du monde en serait meil-
leur?
Dès lors que, la conscience étant venue à l'Homme,
celui-ci agrandissait de plus en plus cette conscience, il
était inévitable qu'elle l'armât de plus en plus pour criti-
quer et pour vouloir. Le sentiment de son instabilité le
portait à rechercher le stable. Et, si surprenant que cela
paraisse, c'est la quête du stable qui engendre l'insé-
curité. De même, lorsque l'équilibre des volumes tend à
se réaliser dans l'atmosphère, ce ne sont pas les parti-
cules agitées de l'air qui font la tempête mais les masses
calmes sollicitées par un mouvement ascensionnel.
Ce qu'on nomme les défauts et les vices de l'Homme
n'est autre chose que l'élan de ses forces instinctives
pour l'aider à tenir son rôle et à s'imposer. Comme tous
les instruments et tous les moyens, ceux-ci peuvent être
utilisés à la réalisation des meilleures et des pires choses,
mais de ce qu'une hache destinée à fendre le bois est
employée pour tuer un autre homme on ne peut conclure
qu'elle est un mauvais instrument.
Du jour où l'Homme s'est éveillé à la conscience quand
tous les êtres continuaient à sommeiller dans leur psy-
chisme élémentaire, la face de la Terre était changée
et l'évolution spirituelle du monde commençait.

LE SENTIMENT DE JUSTICE

Parvenu à ce faîte de la connaissance que représente


l'introspection et la descente en soi-même, l'Homme fut
naturellement amené à rechercher le pourquoi de son
existence et de sa condition. Ne pouvant comprendre la
raison de sa nudité et de sa chétivité au moyen d'une
explication intérieure, il dut supposer une autre cause
qui fût en dehors de lui. L'idée de la responsabilitl' di-
vine s'introduisit dans sa cervelle et le développement
-15-
de l'idée religieuse ne fit que confirmer l'apparente in-
justice des rapports entre l'Homme et Dieu.
Les prêtres"qui n'en savaient pas plus long à ce sujet
que le plus fruste de leurs fidèles, imaginèrent alors,
pour décharger la Divinité dont ils se disaient les re-
présentants, de faire retomber la faute sur l'Homme
seul. Ainsi naquit la thèse du péché originel, qui dispen-
sait de toutes démonstrations supplémentaires. Dieu
étant un être parfait, disaient-ils, n'avait pu créer l'Hom-
me que parfait lui aussi. C'est donc uniquement par im-
bécillité et méchanceté que celui-ci avait transgressé
les commandements divins et abusé de la confiance qui
lui était manifestée. Totalement heureux dans un jardin
de délices, il n'avait à s'en prendre qu'à lui-même d'en
avoir été chassé. Dès lors tout s'ensuivait naturellement:
le travail à la sueur du front, l'enfantement dans la chair,
la maladie et la mort. Et non seulement l'Homme du dé-
but était puni dans sa propre personnalité mais eI}core
dans celle de tous ses descendants, génération après gé-
nération, en vertu de la malédiction première, sans "es-
poir de réduction de peine, de libération conditionnelle
ou de réhabilitation.
Qui ne voit, qui ne sent la faiblesse de cette tradition,
son iniquité fondSlmentale et la faible estime où elle
tient un Créateur supposé tout-puissant et infiniment
juste et bon ? Plus Dieu est déclaré puissant, moins
l'imperfection de l'Homme primitif est justifiable. L'in-
génieur qui trouve une paille dans l'acier d'une poutrelle
ne s'en prend jamais à l'ouvrier qui la manipule, encore
moins à la pièce elle-même, mais uniquement au fon-
deur.

RESPONSABILITES DU LAMPISTE

La mise en accusation du c lampiste ., c'est-à-dire de


l'homme le plus irresponsable en matière de catastrophe
ferroviaire, ne date pas d'hier et les puissants de ce
monde ont toujours imaginé la même fable pour se
soustraire à leur propre responsabilité.
-16 -
Déjà La Fontaine n'avait pas dit· autre chose dons
c Les Animaux malades de la Peste ~, où l'âne innocent
paie pour tout le monde et reçoit le châtiment appro-
prié. C'est de tout temps et depuis le début de l'inégalité
des conditions humaines que le responsable met sa faute
sur l'irresponsable, lequel étant plus faible se soumet.
Mais un temps vient, dans les sociétés, où l'âne et le lam-
piste, prenant conscience de l'injustice, se rebellent et
exigent des conducteurs de plus amples explications.
Depuis qu'il y a des philosophes pour philosopher et
des théologiens pour dogmatiser on a tôut tenté, en ma-
tière de raisonnement humain, pour justifier l'injusti-
fiable. On est arrivé ainsi à colmater les fuites secon-
daires de la logique et de la raison. Mais aucune philoso-
phie et aucune théologie n'ont pu résoudre le problème
du Mal et faire cadrer l'existence de celui-ci avec l'hypo-
thèse d'une Divinité omnipotente, d'une Justice parfaite
et d'une infinie Bonté.
Dès que l'Homme s'avise de confronter ces diverses no-
tions sa foi en Dieu diminue et, chez beaucoup, s'abolit.
C'est pourquoi d'autres hypothèses de Dieu sont urgentes
et nécessaires. Nous les avons exposées et réunies, pour
la plupart, dans notre ouvrage c DIEU EST-IL TOUT-
PUISSANT ? ~. (1)
Mais le but poursuivi par les religions était atteint.
L'Homme était convaincu d'erreur initiale et, comme
tel, chargé définitivement de la notion du péché.

LA NOTION DE PECHE ORIGINEL

Disons-le tout de suite, l'Homme ne s'en est jamais re-


levé. Au long des siècles, il a traîné une existence de
plus en plus confortable matériellement et, spirituelle-
ment, de plus en plus misérable. Les clergés, les institu-
tions lui ont répété, avec une opiniâtreté inlassable, qu'il
était déchu, dégradé, promis à toutes les hontes et in-

(1) Astra.
· ..
-17-
capable de 's'amender seul. D'où la':notion indispensable '
de salut laqu,elle entraînait inéluctablement la notion d,e .
Sauveur, sans lequel toutes les créatures sont condam-
nées. Judaïsme et christianisme devaient porter cette
condamnation à son comble et imposer aux foules reli-
gieuses l'obligation du rachat.
Ainsi il ne suffisait pas à l'Homme d'être généré ani-
malement dans la chair, livré aux bêtes et aux éléments,
dévoré par les microbes et les maladies, contraint de
rechercher abri et nourriture, déterminé par les circons-
tances et les événements, il lui fallait encore se recon-
naître pécheur, non dès l'âge de raison mais dès le sein
de sa mère, monstruosité théologique dont le prêtre se
fait l'écho au baptême lorsqu'il somme le diable de
sortir du corps des innocents.
Ce qui importait c'était une reconnaissance de culpa-
bilité signée du sang même de l'Homme. Et ainsi l'Hom-·
me plaida coupable dès son apparition dans la Vie et
avant même d'avoir vécu.
Or tout cela est faux, inique, dangereux. L'individu
n'est responsable en rien de ce qui l'a précédé ni des er-
reurs de fabrication du Démiurge. Son inconscience pri- .
mitive l'acquitte de sa primitive barbarie et de sa pri-
mitive animalité. C'est seulement à mesure que sa cons-
cience s'est développée et dans la mesure de son affine-'
ment au cours des siècles qu'apparaît le sens de la res-
ponsabilité individuelle parce qu'alors l'individu com-
prend ce qu'il fait. Mais, à cet instant même, le libre-
arbitre n'est pas absolu et il ne le sera véritablemE.'nt
qu'au terme d'une évolution spirituelle complète. Toute-
fois ce qu'il lui en reste est suffisant pour l'orienter.

SOMMES-NOUS PECHEURS ?

Une fois la notion de péché solidement mise en place,


le gouvernement spirituel des hommes devenait un jeu.
Disposant de la rédemption et du salut, les pasteurs
utilisèrent une arme souveraine et dispensèrent au trou- .'
2
-18-
peau de provisoires absolutions. De la sorte le pécheur
était sauvé c à la petite semaine •. L'hypothèque n'était
jamais complètement levée et le condamné demeurait
en sursis.
Rien n'a été imaginé d'aussi ingénieux pour murer
l'Homme dans l'abjection et la bassesse car son éléva-
tion ne dépend plus ainsi de lui-même mais d'un con-
cours extérieur. Des hommes, sans mandat divin, se sont
arrogé le droit de condamner ou d'absoudre d'autres
hommes. Et ceux-ci ont pris l'habitude de se fmpper la
poitrine en s'accusant d'avoir péché. Sans doute Il' con-
fesseur ne se considère que comme l'instrument dc Dieu
et c'est au nom de celui-ci qu'il délivre l'exeat des peines,
c'es.t-à-dire se .croit en mesure de remettre les pé-
chés en vertu de celui qui a créé l'Homme pécheur.
Il faut n'avoir aucun sentiment de la grandeur de
Dieu, de la bonté de Dieu, de l'intelligence de Dieu pour
le faire complice d'une manœuvre aussi attentatoire à
son intelligence, à sa bonté et à sa grandeur. Le blas-
phème est là, non ailleurs, car tout ce qui tend il dimi-
nuer en nous le Divin, supposé capable des plus vils sen-
timents de l'Homme: colère, ressentiment, vengeance,
est essentiellement sacrilège et ne peut susciter dans les
cœurs épris de justice que l'indignation et l'horreur ..
Dieu est bien trop haut, trop vaste et surtout trop
impcrsonnel pour s'abaisscr il penser et il agir cummc
un homme. A-t-il même la possibilité de le faire ? Il
e.qt évident que non. Cependnnt l'idée du prch(~ CRtsi
bicn uncl'éc dans l'ûmc des hommcs qu'il n'cst IH'CS-
qu'aucun d'entre eux qui puisse s'y soustraire même
parmi les rationalistes les plus équilibrés. La crainte du
châtiment consécutive à la conscience du péché git héré-
ditairement au fond de tout homme qui pense, de même
que chez tout oiseau qui vole existe congénitalement lu
crainte des rets de l'oiseleur.
A maintes reprises, dans des ouvrages précédents, j'ai
tenté de délivrer l'être humain de ses peurs instinctives
et, spécialement, de celle du péché, qui le courbe de gé-
nération en génération. J'ai déjà exprimé qU'illl'Y avait
-19 -
pas de péché et, pal' conséquent, pas de pécheur. Nous
sommes des créatures imparfaites dans un monde où
rien n'est parfait parce que tout est en cours d'évolu-
tiOIl.Si l'univers était parfait nous serions parfaits mais
ce serait le signe que l'évolution est terminée. Or qui
oserait soutenir que nous ne sommes pas en plein cou-
raIlt évolutif?
Si le péché n'existe pas, dira-t-on, d'où vient donc le
mal que nous commettons ou que les autres commet-
tent ? Car nous voyons bien, pour en éprouver les ef-
fets, que le comportement des hommes n'est pas exempt
d'erreur. Voici le grand mol lâché : nous sommes sujets
, à l'erreur et ce que nous appelons nos fautes n'est que
la manifestation répétée de notre congénitale erreur.
L'Homme ne péche pas, au sens théologique du mot,
mais il se trompe~ Et Jésus supplicié le confirma par
son admirable adjuration au Père : c Pardonne-leur car
ils ne savent ce qu'ils font :t. Que l'Homme créé impar-
fait et né faillible, commette l'erreur et se trompe, quoi
de plus normal, de plus probable, de plus inévitable en
un mot ? Ce qui serait déconcertant, miraculeux, in-
admissible c'est qu'il ne fît jamais d'erreur et ne se
trompât point. On ne peut pas attendre de la glace qu'elle
chauffe et du feu qu'il refroidisse. L'erreur découle obli-
gatoirement de la condition d'homme comme l'eau coule
des hauteurs. Ceci doit être solidement établi, car c'est
la base indispensable de ce qui va suivre, non pour justi-
fier l'erreur ou ln faute mais pour l'expliquer et la préve-
nir.
L'Homme n'est donc pas responsable de son imperfec-
tion première. Quel que soit l'auteur de cette dernière
l'Homme doit être déchargé des responsabilités d'une
création où il n'est pour rien. Initialement- tiré de la
bouc, ce qui est conforme aux enseignements de la
science et de la Genèse, il en gardait l'empreinte et le
caractère et ne pouvait prétendre d'emblée au rôle de
pur esprit. Ultérieurement, la répartition. des êtres hu-
mains à la surface de la Terre et la distribution empi-
rique de leurs conditions devait nécessairement conduire
-20-
à une inégalité du sort des hommes, placer ceux-ci dans
des milieux favorables et ceux-là dans des milieux défa-
vorisés. On ne peut exiger du fils d'une prostituée né
dans un bouge et abandonné par sa mère qu'il ait la
même inclination pour une vie droite que le fils unique
d'un juge ou d'un pasteur. Et pourtant il arrive que ce
soit le misérable qui s'améliore et l'enfant comhlé qui se
pervertisse. C'est alors qu'intervient l'action divine sous
hi forme d'une aide el non d'un commandement.

LA VIE EST UN EQUILIBHE AUTOMATIQUE

On dira encore : Si l'Homme ne péche point et se


trompe seulement, s'il est déchargé de toute responsabi-
lité pénale, pourquoi chercherait-il à éviter l'erreur ?
Parce que, répondrai-je, même égoïstement l'Homme
a intérêt à ne pas errer. La Vie est un équilibre auto-
matique. Toute action comporta sa réaction et toute er-
reur se paie, tôt ou tard. En général la sanction a lieu
sur le champ dans l'univers physique. Celui qui va dans
le fossé au lieu de marcher sur la route, celui qui se
heurte contre un mur au lieu de contourner l'obstacle,
celui qui prend les fruits de la belladonne pour des ce-
rises, celui qui tombe et s'écorche les genoux connaissent
aussitÔt qu'ils se sont trompés et, à l'occasion, évitent
de renouveler la même faule. Dira-t-on qu'ils ont péché?
Non. Ils ont commis une erreur.
L'ouvriel· qui, au lieu de fl·apper sur le clou, laisse
choir le marteau sur son doigt n'a pas besoin d'absolu-
tion mais d'un peu plus d'adresse. La douleur physique
porte ainsi naturellement ses fruits.
Il n'en est pas autrement des peines morales. Elles
constituent la leçon d'erreurs renouvelées et l'Homme
attentif en évite la répétition. Seulement l'habitude qu'il
a de ne juger des effets et des causes que dans le do-
maine restreint de ses sens physiques le cantonne dans
un district également restreint de la Vie" alors que celle-
ci est un tout. Si l'Homme appliquait à son existence
-21-
morale et spirituelle l'attention qu'il accorde aux circons-
tances matérielles son éducation serait très vite faite et
il commettrait moins d'erreurs.
Celui qui fait erreur n'a pas de remords car il ne se
sent pas coupable. Tout au plus éprouve-t-il la honte
d'avoir été maladroit. De même il n'a pas à se repentir
puisqu'il ne se reconnaît pas de culpabilité pour sa mal-
adresse, mais il a le ferme dessein de réformer l'attitude
qui lui a nui. S'il s.uffisait à l'ivrogne que ses libations
ont doté d'une cirrhose du foie d'aller trouver un méde-
cin qui lui donnerait l'absolution sous forme d'un foie
neuf, personne ne se gênerait plus et il y aurait beau-
coup plus d'ivrognes, lesquels pourvus d'un nouveau
viscère s'alcooliseraient plus que jamais. Tandis qu'en
l'absence du docteur idéal capable d'absoudre les lésions
corporelles l'intempérant doit subir les conséquences de
ses actes et payer jusqu'au bout la note, dans Son âme
et dans son corps.
Les religions de salut, en créant le péché, ont créé
l'homme de péché et celui-ci s'est habitué peu à peu à
porter cette chemise sale, quitte à la faire blanchir de
temps à autre mais avec la certitude qu'il la salira de
nouveau. C'est cette habitude du péché, cette recon-
naissance du péché, cette identification du. péché qui
ont le plus contribué à l'avilissement de l'Homme parce
que, une fois pourvu de ce complexe, il est incapable
d'assurer lui-même sa libération.
Le pécheur théologique ne peut plus s'évader de sa
condition. Il en demeure le prisonnier toute sa vie. Le
pire est qu'il s'y habitue et même que, dans bien des
cas, il s'y complaît. Je citerai, pour illustrer ce qui vient
d'être dit, le cas de la femme dévote et scrupuleuse, qui
trouve un évident plaisir à étaler ses misères au confes-
sionnal. Peut-on dire qu'elle souffre de son péché? Peut-
être mais elle en jouit aussi. Et son attitude est conforme
à celle de romanciers catholiques qui trouvent, dans la
.description du péché, la volupté spéciale qu'un chris-
tianisme dévié met en eux.
Dans le compte-rendu de c Galigaï ~, roman de Fran-
-22-
çois Mauriac, le critique André Rousseaux dit des prota-
gonistes de ce livre :
c Les corps sentent mauvais et les âmes croupissent. ..
Je n'ai pas parlé des personnages secondaires. On tombe
avec eux dans le sordide ~. Et plus loin : « M. Mauriac
déclare lui-même que sa vocation est d'attester la culpa-
bilité de l'homme devant l'innocence infinie de Dieu.
Autrement dit Dieu est la consolation unique à notre
indignité totale ». (1) ,
On sc demande si ces écrivains sont des fous ou des
sadiques. Pour justifier l'étalage des bassesscs et la
description de l'ignominie ils affectent de se croire mis-
sionnés pour débrider l'abcès humain. Rousseaux ne
craint même pas de dire, en propres termes :
c Le héros mauriacien, pour rejoindre Dieu, a besoin
de fouler aux pieds l'ordre de la nature humaine ... Ou
plutôt il ne voit s'ouvrir la voie du salut que si la par-
faite abjection de la nature le convainc de l'inaptitude
de celle-ci à engendrer' aucun ordre. C'est en quoi les
pires créatures sont d'une haute nécessité dans ce monde
affreux. Et voilà pourquoi elles ne sont jamais si sata-
niques qu'elles ne suggèrent une sorte de sainteté à re-
bours ».
Ce qui signifie, en langage clair : on ne se lavera qu'en
se plongeant dans la pourriture. On nous permettra de
décliner cc mode de purification. Non seulement il est
inopérant, sauf peut-être pour des malades de la pensée,
mais encore il fait bOIl mal·ché de toules les vics d'in-
nocence et de tous les sentiments de sacrifice et d'amour.
De ce que M. Mauriac a l'âme et:Hplie de démons et que
sa prédilection pour le morbide ou le hideux s'exprime
dans ses livres on ne saurait déduire que tous les hom-
mes sont à l'image de ce chrétien spécialisé dans la pein-
ture du péché.
Dans un autre domaine, Freud et ses disciples psy-
chanalystes ont eu le même tort de généraliser leurs

(1) C'est moi qui souligne.


-23-
propres perversions èt de doter congénitalement chaque
homme de leurs penchants incestueux.
Quelque raison qu'on brandiss~ pour justifier l'étude
et l'exploration du péché, rien ne peut faire que celui-ci
ne crée une atmosphère empoisonnée où nul esprit sain
ne peut respirer. Pourtant un innombrable troupeau vit,
ou du moins croit vivre, dans celte demi-asphyxie et
rares sont les ouailles qui ont le courage de s'y soustraire
pour aller aspirer l'air pur.
Or pour échapper à la pesante notion du péché il
suffit de quitter la nef des temples où la prière, comme
l'encens, s'arrête si souvent ù la voûte sans pouvoir mon-
ter jusqu'à Dieu. Et là, dès le parvis, 'sous le ciel aux
profondeurs sans limites, l'âme bondira vers des hau-
teurs ignorées des théologiens.
Il est un pays sans péché, qui est la patrie éternelle
du Père, dont les portes sont grandes ouvertes et où le
Père attend tous ses fils.

NECESSITE DE L'ATHEE

On commence à comprendre mon dessein qui est d'en-


tamer la réhabilitation de Dieu par une réhabilitation de
l'Homme. L'une ne va pas Sans l'autre. Réhabiliter la
créature c'est réhabiliter le Créateur. Tous deux 'en ont
grand besoin et, à celle époque plus qu'à aucun temps du
monde car le culte matérialiste de la logique a si bien
dressé les hommes à peser le pour et le contre que l'ini-
quité des relations entre eux et la Divinité, telles qu'elles
nous sont présentées, éclate à tous les yeux.
Il ne faut pas chercher ailleurs une explication de la
multiplication croissante des tièdes et des sceptiques qui
forment l'immense majorité des fidèles de la plupart
des confessions. Tiédeur et scepticisme des parents en-
gendrent chez les enfants l'athéisme ou négation délibé-
rée du Divin. Comment s'étonner de telles moissons
quand de telles semailles ont été faites? Le temps n'est
plus où les rois tremblaient Sous la crosse et où les fi-
-24-
.dèles pliaient sous la menace d'excommunication. Les
vieux canons rituels ont fait long feu. L'anathème n'est
plus de mode. On ne brûle plus les corps pour sauver les
âmes. On n'est p~us infaillible que ,de temps en temps.
Il arrive aux églises ce qui arrive aux divers règnes de
la Nature. Tout se répète dans le végétal et l'animal.
Quand une espèce croît démesurément et menace la
vie des autres espèces, on voit, par je ne sais quelle in-
tervention cachée, surgir l'ange exterminateur. Les
guêpes se multiplient-elles avec cxagération ? Dès l'an-
née suivante, la population des guêpes diminue, alors
que rationncllcmcnt elle aurait dû croître cncore puis-
qu'il y avait davantage de géniteurs. Les chenilles sont-
elles, une année, en voie de disparition ? L'an d'après,
elles pullulènt, alors que logiquement on aurait dû as-
sister à leur disparition définitive faute de reproduc-
teurs. De même les guerres humaines, grandes consom-
matrices de mâles, sont suivies d'une recrudescence de
naissances masculines en vertu d'un équilibre stabilisa-
teur.
L'athéisme suit la marche des épidémies et des épi-
zooties. Quand il y a pullulement des athées c'est qu'il
existe une raison d'ordre supérieur. Je n'ai pas la pré-
tention de la démêler dans son intégralité ; il Yfaudrait
une intelligence plus qu'humaine. Mais on peut éclairer
au moins une face du problème à l'aide des compa-
raison's qui précèdent.
Le rôle essentiel de l'athée est d'empêcher les religions
de se scléroser et de les contraindre à suivre les progrès
. de l'évolution humaine.
Là est la justification du nombre croissant des athées
à notre époque, leur multiplication étant précisément
l'indice du besoin qu'ont les religions d'évoluer avec
l'Homme et de se transformer.
Il en est exactement de même des hérésies qui sont,
comme je l'ai dit ailleurs, des orthodoxies qui n'ont pas
réussi à s'imposer, de même que les orthodoxies sont des
hérésies qui ont fini par avoir le dessus. Un schisme ne
-25- .
se produit pas sans besoin ni sans nécessité supérieure.
On. peut le comparer à l'essaimage de la ruche où, poUr
des raisons encore mystérieuses, une partie de l'essaim
part, avec une des reines, vers l'incertitude de la liberté.
On peut aussi dire des athée~ qu'ils sont aussi néces-
saires dans un monde confessionnel que les brochets
dans un étang. On sait, dans les milieux de pisciculture,
que les cyprins évoluant dans une eau dépourvue de car-
nassiers s'étiolent et s'abâtardissent. L'absence de lutte
et de danger les rend mous et hésitants. Leur faim, donc
leur croissance, est limitée. Mais que plusieurs brochets
et quelques perches soient immergés dans l'cau tiède,
nussitôL Lout change en vedu de la notion de péril. Une
vie nouvelle s'empare des cyprinidés, contraints à chaque
instant de lutter pour leur vie et de mobiliser leurs ré-
serves d'énergie pour échapper à la capture et à la mort.
L'athéisme oblige le déisme à bouger et à se défendre.
Il l'excite, l'importu~e et l'empêche de sommeiller.

LA PLUS FORMIDABLE ERREUR JUDICIAIRE

Nous voici donc parvénus au point où nous compre-


nons la formidable erreur judi~iaire dont l'Homme a
été victime au cours des âges, par adultération du senti-
ment de la justice et par déviation des responsabilités.
Si l'Homme n'est pas d'abord réhabilité ç'en est fait
de la réhabilitation de Dieu car la déchéance du pre-
mier entraîne nécessairement celle du second et si Créa-
teur il y a celui-ci est responsable de sa propre création
et de toutes les imperfections qu'elle renferme sans que
jamais la créature ait à répondre de ce qu'elle n'a pas
créé. '
L'Homme n'a de responsabilité que dans la mesure où
il crée lui-même. Là encore il serait inique que cette
responsabilité ne fût pas au moins partagée et qu'elle
ne demeurât pas proportionnelle aux possibilités de cha-
cun. On sent bien que, même créant, l'Homme ne le fait
que par délégation divine et dans la limite des moyens
-26-
dont il a été pourvu par le Créateur initial. Il est donc
injuste et absurde de nous présenter une image de
l'Homme abaissé, méprisé, maudit, toujours condamné
et sans cesse puni car cette représentation nous main-
tient dans un état permanent de crainte, comme s'il n'y
avait d'autre expression de gouvernement divin que la
Peur.
C'est, en effet, la Peur que les prêtres de toutes les re-
ligions, depuis l'origine, ont cherché à inoculer dans
l'âme humaine pour la subjuguer à travers son corps. Et
les mythes infernaux sont nés de là, aussi bien le Tar-
tare que le gouffre coranique, l'enfer glacé des Scandi-
naves que l'enfer brûlant des chrétiens.
Il s'est trouvé des théologiens pour doser et comparti-
menter les supplices et même des saintes pour nous dé-
peindre la délectation de Dieu en face de la torture que
subissent les méchants. Il ne leur suffisait pas de nous
offrir une image étriquée de Dieu, anthropomorphisë
selon les besoins de la propagande confessionnelle, il
fallait encore ridiculiser le Démiurge sous la forme du
Croquemitaine et le rendre odieux sous la forme du
bourreau.
Quel honnête homme, quel homme intelligent, quel
homme épris de justice ne répugnerait à accepter une
idée aussi dérisoire du Divin ? Et comment faire grief
aux esprits sincères de l'indifférence ou même de l'aver-
sion qu'ils éprouvent pour une notion de Dieu si éloignée
du sens même de la Divinité? N'en doutons pas: innom-
brables sont ceux qui aimeraient un Dieu d'Amour si
ceux qui prétendent le servir ne le dérobaient sous un
masque de haine. Mais voilà : il y a dans tout homme,
à cause de sa nature instinctive et animale, un penchant
involontaire à la cruauté. La grandeur de l'Homme est
de trouver en soi assez de compréhension et d'amour
pour réprimer les sursauts de la Bête et transmuer les
appétits de violence en manifestations de bonté. S'il
n'y réussit pas, son interprétation méchante des êtres et
des choses le conduit à doter le Créateur de la même
méchanceté que lui. Il parvient ainsi à construire de
-27 -
toutes pièces un Dieu des Armées, comme s'il était flat-
teur, même pour l'Eternel de la Bible, d'être promu gé-
néral. .

DIEU N'EST NI IMBECILE NI INCOMPREHENSIF

Si Dieu se mêlait sans cesse de redresser nos juge-


ments faux, nos gestes vils, nos paroles incongrues au
lieu de laisser, comme il le fait la plupart du temps, nos
actes nous juger eux-mêmes, et ce avec une rigueur im-
pitoyable et un automatisme permanent, il intervien-
drait en premier contre ses faux représentants, contre
les déformations de sa personne. Mais il rit de ces pau-
vretés humaines, de ces classifications ecclésiastiques et
de ce monnayage des châtiments.
Qu'on cesse donc de nous parler de la longanimité de
Dieu, de la miséricorde de Dieu, du pardon de Dieu 1
Que les mots de perdition, d'expiation disparaissent du
vocabulaire spirituel où les ont introduits l'ignorance et
la malice ! Dieu n'a pas à nous pardonner ce qu'il sait
que nous ne pouvions éviter de faire dans l'état d'imper-
fection oil il nous a mis et qu'il connaît. Dieu n'a pas
à être miséricordieux, c'est-à-dire à nous épargner mal-
gré nos erreurs, qui sont le fruit de notre faiblesse natu-
relle ou alors il faudrait que sa miséricorde et son par-
don commençassent par lui-même, puisqu'il est la cause
première de notre état présent.
Comme je le disais plus haut en d'autres termes l'ou-
vrier malhabile peut se mettre en colère contre son outil,
le molester, le briser au besoin ; cela ne rendra pas sa
tâche plus aisée et surtout cela ne fera pas que l'outil
se reconnaisse coupable car, à la vérité, il n'y est pour
rien.
Or Dieu n'est ni l'imbécile, ni l'incompréhensif, ni le
méchant que nous dépeignent les théologies. Il connaît
fort bien les possibilités et les impossibilités de l'instru-
ment qu'il a lui-même forgé Tout au plus essaie-t-il, de
temps en temps, de remettre l'outil défectueux à la forge
et sous l'enclume pour le rendre d'abord plus souple "et
-28-
ensuite plus efficace dans ses mains. Il ne maudit pas,
ne s'irrite pas. Il ne s'émeut ni ne s'impatiente. Préoc-
cupé de l'évolution universelle, il utilise au mieux tout ce
qu'il peut. Et l'image d'une Divinité intelligente, bien-
veillante, infiniment grande et noble qu'il nous offre n'a
rien de commun avec la caricature divine des docteurs.

L'EPOUVANTAIL DIABOLIQUE

Dans leur souci d'opposer l'Homme imparfait à Dieu


parfait, donc de creuser l'abîme qui les sépare l'un de
l'autre, les religions, impuissantes il expliquer le pro-
blème du Mal par la seule mésentente de la créature et
du Créateur, ont eu recours à une tierce personnalité,
de pure invention hébraïque et qui ne serait autre que
Satan ou le Diable, le Démon ou le Serpent. Lui seul
serait en premier lieu responsable de la chute de l'Hom-
me et des vains efforts que fait celui-ci pour se relever.
Il y a Hl un symbolisme évident. Le démon chrétien
n'est autre que notre nature instinctive, laquelle tend
sans cesse il nous abaisser dans la matière par le tru-
chement de notre corps. Ces instincts sont constamment
éveillés, sans cesse aiguisés et notre esprit s'efforce égale-
ment sans trêve de les canaliser et de s'en servir. Nos dé-
sirs, bien loin de devoir être abolis brutalement (ce qui
serait le meilleur moyen d'en accroître la fièvre et la
puissance) doivenl faire l'objet d'une sage administra-
tion. Ce n'est pas en vertu d'un châtiment que nous en
sommes dotés mais en vue d'une évolution spirituelle qui
doit être réalisée dans la matière. ce qui a permis à cer-
tains de dire que la condition de l'Homme était supé-
rieure à celle de l'Ange, à cause de sa nature double
et de son perpétuel conflit. Les esprits purs n'ont pas à
subir la contrainte brûlante de la chair. Ils ne sont pas
astreints aux durs labeurs, aux rudes tentations, aux be-
soins renaissants de la créature organique. Ils ne se-
raient exposés, somme toute, qu'aux rebellions spirituel-
les mais l'Homme n'est pas exempt non plus de celles-ci.
-29-
Nous avons donc un rôle immense et ingrat à remplir
dans un univers où, loin d'être seuls, nous. sommes aux
prises avec des forces de toute nature, les unes bienveil-
lantes, les autres malfaisantes, mais la plupart indiffé-
rentes et qui, celles-là, poursuivent leur évolution
obscure sans se préoccuper de notre destin.
Il Ôtait inévitable que l'Homme s'avisât d'assigner une '
personnalité identique à la sienne aux forces antago-
nistes, principalement dans la mesure où cet antago-
nisme s'opposait à lui. Ainsi naquit du symbole primitif
la personnification du Démon lui-même, considéré com-
me un être extérieur à l'Homme alors qu'il est la partie
la moins évoluée de cet Homme et ne peut être combattu
qu'au-dedans de lui.
Si l'on prenait à la lettre la parole du Psalmiste, selon
laquelle Satan tourne sans cesse autour des pécheurs à
la façon d'un lion affamé et cherchant à dévorer celui
d'entre eux qui est le moins sur ses gardes, il serait fa-
cile de décharger l'homme-victime de sa plus grande
part de responsabilité. Suppose-t-on, en effet, le Créateur
assez odieux pour chasser de l'Eden une créature dé-
pourvue de force comme de clairvoyance et pour la li-
vrer aux entreprises du plus intelligent des esprits de
lumière, à la malice incessante de Satan, l'ange déchu?
Renversons les rôles et imaginons les Elohim de la Ge-
nèse soudain dépouillés de leur puissance, de leur intel-
ligence et transformés en simples Adams. Croit-on qu'ils
auraient mieux agi et plus sagement ? N'eussent-ils pas
cédé à Eve, qui est la Vie ? N'eussent-ils pas, de même,
suivi les conseils subtils du Serpent ? Etant ce qu'ils
étaient, les premiers hommes ne pouvaient être autre-
ment qu'ils furent. S'ils firent erreur c'est qu'en eux la
nature instinctive était alors touté-puissante et 'que leur
esprit n'était pas évolué.
Au surplus, la tentation ne doit pas être considérée
comme un mal en soi, pas plus que la douleur, mais
comme un moyen d'accès à une forme de vie plus haute,
par prise de conscience d'une lutte à engager 'et d'une
victoire à obtenir.
-30-
Le véritable, l'unique démon de la Création est celui
que tout homme porte dans les régions inférieures de
lui-même, comme un appel constant de la nature ins-
tinctive préoccupée seulement de matérielles fins. Mais
l'Homme contient aussi un dieu dans les régions supé-
rieures de lui-même, comme un aimant céleste qui l'at-
tire vers les hauteurs. De cette opposition, mieux : de
cet équilibre naît le libre-arbitre de l'Homme, qui est son
apanage le plus précieux. Chez les uns le démon tient
toute la place, chez les autres la balance est égale eutre
les deux forces, chez d'autres enfin c'est la divinit.é qui
est tout. Il n'est pas d'autre explication à la co-existence
des criminels, des êtres moyens, des héros, des saints. De
même s'explique le génie, état de double surexcitation
du dieu et du démon.
Chacun est libre de son choix, d'abord dans une pelite
mesure, puis dans une proportion croissante il mesure
que grandit la conscience de l'esprit.
OÜ est Dieu ? En nous. Où est le Diable ? En nous.
Nous sommes des modèles réduits de l'un et de l'autre,
au sein du Dieu plus grand et du plus grand Diable que
représente l'Humanité. Augmentons en nous la somme
de Dieu, réduisons en nous la somme du Diable et nous
modifierons, dans la même mesure, la grande âme et le
grand corps de l'Univers.
CHAPITRE Il

Procès de la Vertu

Laissons un instant la question de responsabilité et


tentons de juger l'Homme en lui-même.
Est-il ausi laid, méchand, corrompu, indigne, inique,
vicieux, égoiste que les moralistes religieux et laiques
se plaisent à le dépeindre? N'y a-t-il vraiment rien de
bOil à attendre de sa seule initiative ? Dit-on ie déclarer
non amendable et incorrigible ? Est-il définitivement
mauvais?
Avant de répondre à ces diverses' interrogations qui,
à la vérité, n'en font qu'une jetons un regard sur l'épo-
que présente et nous verrons que tout co~court à abuser
l'Homme sur sa destinée véritable et à l'engager dans les
voies du désespoir. La société moderne traverse une
crise dont on ne peut dire qu'elle est sans précédent,
car l'Humanité a été moralement secouée bien des fois
au cours des siècles, mais qui revêt une gravité particu-
lière à cause de son extension (et c'est la première fois
que le phénomène se constate) à tout le genre humain.
Malgré son caractère tragique et universel le trouble
actuel de l'Homme est, comme ceux qui l'ont précédé,
une démonstration de croissance, mais celle-ci le secoue
davantage parce qu'il accède enfin de la puberté à la
virilité.
Crise de croissance, ai-je dit. Surtout prise de cons-
cience. Après la grande plongée matérialiste qui s'est
produite à la charnière des 1ge et 2Û"siècles et après les
-30-
Le véritable, l'unique démon dc ln Création est celui
que tout homme porte dans les régions inférieures de
lui-même, comme un appel constant de la nature ins-
tinctive préoccupée seulement de matérielles fins. Mais
l'Homme contient aussi un dieu dans les régions supé-
rieures de lui-même, comme un aimant céleste qui l'at-
tire vers lcs hauteurs. De cette opposition, micux : de
cet équilibre naît le libre-arbitre de l'Homme, qui est son
apanage le plus précieux. Chez les uns le démon tient
toute la place, chez les autres la balance cst égale eutre
les deux forces, chez d'autres enfin c'est la divinit.é qui
est tout. Il n'est pas d'autre explication à la co-existence
des criminels, des êtres moyens, des héros, des saints. De
même s'cxpliquc le génie, état de double surexcitation
du dieu et du démon.
Chacun cst libre de son choix, d'abord dans unc pctite
mesure, puis dans une proportion croissante il mesure
quc grandit la conscience de l'esprit.
Oil est Dieu ? En nous. Où est le Diable ? En nous.
Nous sommes des modèles réduits de l'un et de l'autre,
au sein du Dieu plus grand et du plus grand Diable que
représente l'Humanité. Augmentons en nous la somme
de Dieu, réduisons en nous la somme du Diable et nous
modifierons, dans la même mesure, la grande âme et le
grand corps de l'Univers.
CHAPITRE II

Procès de la Vertu

Laissons un instant la question de responsabilité et


tentons de juger l'Homme en lui-même.
Est-il ausi laid, méchand, corrompu, indigne, inique,
vicieux, égoiste que les moralistes religieux et laiques
se plaisent à le dépeindre ? N'y a-t-il vraiment rien de
bOil à attendre de sa seule initiative ? Dit-on ie déclarer
non amendable et incorrigible ? Est-il définitivement
mauvais?
Avant de répondre à ces diverses' interrogations qui,
à la vérité, n'en font qu'une jetons un regard sur l'épo-
que présente et nous verrons que tout co~court à abuser
l'Homme sur sa destinée véritable et à l'engager dans les
voies du désespoir. La société moderne traverse une
crise dont on ne peut dire qu'elle est sans précédent,
car l'Humanité a été moralement secouée bien des fois
au cours des siècles, mais qui revêt une gravité particu-
lière à cause de son extension (et c'est la première fois
que le phénomène se constate) à tout le genre humain.
Malgré son caractère tragique et universel le trouble
actuel de l'Homme est, comme ceux qui l'ont précédé,
une démonstration de croissance, mais celle-ci le secoue
davantage parce qu'il accède enfin de la puberté à la
virilité ..
Crise de croissance, ai-je dit. Surtout prise de cons-
cience. Après la grande plongée matérialiste qui s'est
produite à la charnière des 1ge et 2Û"siècles et après les
- 32-
deux terribles fièvres de 1914-1918et 1939-1945,on peut
dire que l'Humanité a changé en même temps de corps
et d'âme. Elle est en plein travail de métamorphose avec
une âme accrue et un corps agrandi. Nous ne sommes
pas très bien remis des secousses morales de la guerre,
notre anémie est intense, notre désarroi troublant. A la
recherche d'un équilibre nouveau l'Humanité fait figure
de convalescente ct s'appuie encore sur ce qui l'entoure
faute de trouver en elle unc énergie qui fatalement re-
naîtra ..

LES FABRICANTS DE DESESPOIR

Cette chutc du tonus humain se révèle par maints in-


dices dont lcs philosophies modemes sont la traduction
la plus évidente. La vieillesse cst naturellement pes-
simiste ct c'cst pour cela qu'clIc cst vieillcsse. L'âge mûr
n'est guèrc plus dynamique ct ne croit pas en ce qu'il en-
treprend. La jeunesse elle-même manque de foi et c'est
pour ccla qu'elle n'est plus la jcuncsse mais un troupeau
désordonné qu'on peut mencr indifféremment au plaisir
ou à l'abattoir.
Terrains propices pour les aventuriers de la pensée,
inaptes il relever et à construire mais habiles à ruiner et
à faire choir. Toutes sortes de fleurs vénéneuses ont
poussé sur le fumier social. Le champignon existentia-
liste u cru SUl' l'U!'hre malade. Les mieux inlentionnés
des dramaturges pincent la corde du désespoir. En sorte
que les hommes d'aujourd'hui sont persuadés qu'ils sont
les créatures les plus malheureuses de toute l'histoire
alors que, par faveur spéciale, ils sont admis à jouer un
rôle dans l'une des phases maîtresses du monde et à
changer le sens spirituel de leur temps.
Une· curieuse perversion de l'esprit incite les jeunes
de ce temps il des expériences de ténèbres : littérature
noire, philosophie noire, théâtre noir, humour noir. On
fuit résolument la lumière et les hauteurs ; les c intel-
lectuels ~ descendent dans les caves. Et la religion, qui
-33-
devrait chanter, toutes flammes allumées, pleurniche
dans les Psaumes et s'entoure de De Profundis.
Où l'Humanité irait-elle chercher de l'espérance et de
la joie quand ses conducteurs charrient la désespérance
ou orchestrent la terreur ? '
Pourtant le tableau que je viens de brosser est faux.
C'est une pellicule, une apparence. Ni la presse, ni le
verbe public, ni les religions, ni les rassemblements de
foule ne font l'opinion du cœur. Ce n'est pas dans Notre-
Dame de Paris ou dans le sous-sol de Saint-Germain-des-
Prés qu'il faut tâter le pouls d'une société dolente. Celui-
ci bat ailleurs, généreusement, rythmiquement dans les
veines de millions et de millions de braves gens. Ceux-ci
n'onl pas nécessairement entendu prêcher le Carême du
Père Riquct ; ils ignorent jusqu'aux noms de Breton, de
Camus, d'Anouilh, de Sartre ; ils ne coupent pas leur
conscience en quatre, leur âme ne danse pas sur des
œufs.
On voudrait nous faire croire que la pensée du mon-
de est enclose dans la cage élriquée où se balancent les
serins de la littérature parisienne. Durant que ceux-ci
cabriolent devant leur abreuvoir nickelé et leur man-
geoire dorée, tout le reste de l'Humanité chemine à tra-
vers la Vie et cherche des solutions dans l'espoir.

LES FABRICANTS D'ESPOIR

J'ai parlé des innombrables braves gens qui sont ré-


pandus à la surface de la l'erre sans distinction de race
ou de couleur. Alors que les malades, les fous, les tarés,
les ambitieux, les intrigants ont leurs représentants
attitrés s,ur les tréteaux de la foire publique, où sont les
mandataires et les interprètes des pacifiques, des al-
truistes, des sages, des raisonnables, des braves gens ?
L'honnête homme, au sens du 17· comme au sens du
20· siècle, n'aime pas battre, la grosse caisse 'et fuit le
voisinage des bateleurs. L'homme moyen n'a pas que des
vertus mais il n'a guère de vices. Il mène, la plupart du
3
-34-
temps, une vie sans joie dont il trouve cependant le
moyen de se réjouir. Il se plaint, pour imiter le compor-
tement d'autrui mais n'en jouit pas moins des plaisirs
physiques et mentaux de la condition humaine. Il est
accessible à l'intérêt, à l'émotion, à l'art. Si une poignée
d'esprits déviés ne l'incitait au doute et à la mélancolie
il considérerait son existence comme elle est, c'est-à-dire
porteuse du bon et du mauvais. Nul n'est tenu de manger
les fruits véreux ou avortés qui poussent sur son arbre.
Leur nombre est généralement inférieur à celui des
fruits sains et excellents.
C'est de ceLLesorte de gens abusés par les idées fausses
d'Une époque qu'est faite la plus grande partie de l'Hu-
manité de ce temps. Elle est prête à changer d'esprit et
d'attitude si elle rencontre seulement des conducteurs
intelligents. Mais ceux-ci n'existent ni en religion, ni en
philosophie, ni en politique, ni en littérature, ni en art.
Car toutes ces régions de l'expression humaine sont em-
..poisonnées par le doute et paralysées par le manque de
foi. Si les prêtres avaient foi en Dieu, comme ils le pro-
clament et le prêchent, ils trouveraient belles et bonnes
toutes les choses qu'il a créées, y compris l'Homme, ob-
jet de sa prédilection.
Si les philosophes avaient foi dans la raison et la lo-
gique supérieures de ce monde, ils ne se mureraient pas
dans l'étroitesse de systèmes désespérants.
Si les politiciens avaient foi dans l'Humanité, ils ne
tourneraient pas le dos à la Vie en imposant à celle-ci
des barrières sociales el économiques qui tendent il
l'asphyxie et à la mort.
Si les écrivains avaient foi dans le cœur humain et
dans l'âme humaine ils n'en feraient pas un tableau si
noir et si désespérant.
Si enfin les artistes avaient foi dans l'Harmonie, pou-
tre du monde, ils cesseraient de cultiver la désharmonie
par le déséquilibre des volumes, des couleurs et des sons.
- 35"':'"

LES BRAVES,GENS

Cependant et malgré cela il existe des hommes et des


femmes qui vivent leur vie quotidienne sans se préoc-
cuper outre mesure de la religion, de la philosophie, de
la politique, de la littérature et des arts. Ils ne sont pas
absolument indifférents à ces expressions de la ,sensi-
bilité et de la pensée mais ne leur attribuent que l'im-
portance vitale qu'elles ont réellement.
Ils existent et s'en trouvent bien, ce qui est la meilleure
façon d'être existentialiste. Ils n'ont pas de génie, ne
font pas de miracle et ne cherchent pas à faire croire
qu'ils en ont le caractère et le pouvoir. Ils agissent sans
parler, parlent sans chercher à étonner le monde, aiment
sans prendre l'univers à témoin. Ils sont semblables à
nombre de leurs pareils qui, des pôles à l'équateur et
sous toutes les longitudes, ne se donnent pas en spec-
tacle et continuent à vivre cependant.
C'est parmi eux qu'il m'a été donné de rencontrer
les exemplaires les plus touchants de l'Humanité" ceux
dont on se plait à dire que s'ils n'existaient pas la société
humaine serait dégradée parce qu'ils en sont non pas le
cerveau mais le cœur.
Eux seuls comptent véritablement dans la balance des
responsabilités divines. Leur simplicité, même irreli-
gieuse, est le plus bel hommage au Créateur. La plupart
néanmoins sont spiritualisés, fût-ce obscurément,' car
leur vie, par le seul fait qu'elle est, constitue une prière.
Et c'est de leur odeur cachée de violettes qu'est fait le
grand parfum de l'univers.
Je le répè'te, la Terre est pleine de braves gens qui
font, comme Dieu, ce qu'ils peuvent, c'est-à-dire le
moindre mal. En un âge où sont coalisées tant d'ambi-
tions, de cupidités, de rapines, d'hypocrisies, ils repré-
sentent la zone d'air respirable, la terre de refuge, l'oa-
sis. Ils ne font pas de prosélytisme, ne se donnent pas
des airs d'apostolat, ne brandissant pas les tables de la
loi, ne s'entourent pas du tonnerre des interdictions et
- 36-
des anathèmes. Ils prêchent l'exemple naturellement et
sans le vouloir.
En citerai-je quelques-un parmi les innombrables de
ce monde ? C'est ce meunier de Vendée, rencontré au
ha'sard de mes pérégrinations. A l'ombre de son moulin,
un des derniers à vent de la côte atlantique, il m'offrit
une généreuse hospitalité, lui et sa blonde meunière,
alors qu'il ignorait mon existence une heure auparavant.
Son âme était pleine de sentiments humains et prête
à s'imprégner de nobles choses. Il trouvait tout beau et
harmonieux autour de lui. A la fois plein d'intelligence
et de naïveté, il interposait un prisme brillant entre lui,
les êtres et les choses. J'eus l'impression d'avoir rencon-
tré dans cet homme obscur un des rois du monde, je
veux dire 'un de ceux qui orientent instinctivement leur
aile au bonheur.
C'est aussi cette pauvre îlienne, ma voisine de campe-
ment, que je connus au bord de la mer dans sa maison
secouée par l'équinoxe. En ces régions dénuées de bois,
elle ratissait inlassablement la dune pour alimenter son
feu d'aiguilles de pin. Ou bien elle pétrissait de ses pieds
nus la bouse de vache, combustible rare, qui séchait en-
suite au soleil. Ou encore elle s'enrôlait, à la pointe du
cap, pour la saison de la conserve, dans une de ces sar-
dineries où les femmes vivent et dorment côte à côte
ainsi que dans un internat. Elle était toute douceur, toute
compréhension, toute sagesse. On la trouvait sans cesse
c en service ~, c'est-à-dire prête à aider. Parce qu'elle
boitait légèrement tout le monde l'appelait « la Cane ~
et il y avait dans le ton de cette appellation dérisoire
une sorte d'affectueux respect.
C'est encore la vieille de Champforent, au plus sinistre
endroit de la route de Saint-Christoph~ à la Bérarde,
entre le Vénéon d'une part, et, de l'autre, les cimes aus-
tères de l'Oisans. Ayant faim, je heurtai l'huis d'une
maison sans couleur ni âge. j'y fus reçu comme l'hôte
de la Providence, comme l'envoyé de Dieu. Cette femme,
qui n'avait rien, mit tout pour moi sur la table : du lait,
du beurre, du pain noir. Durant que je mangeais, ses
-37 -
vieilles rides tremblaient d'allégresse. D'où lui venait le
sens de l'hospitalité dans ce pays où il ne passe per-
sonne ? Et de qui tenait-elle cette libéralité pour l'incon-
nu ?
C'est enfin ce contre-maître d'une usine deconstruc-
tion dans l'Isère, ce marchand d'arbres végétarien de
Normandie, ce couple de vieux épiciers de l'Indre, ce
professeur de Touraine, ces mécènes sans argent de Pro-
vence, de Gascogne, du Massif Central. Car ils sont lé-
gion, les braves gens de France et légion aussi ceux des
pays d'Europe et ceux des quatre autres continents.
Tout le monde en connaît ou en a connu dans son
milieu, dans son entourage. Il en a toujours existé, il
en existe encore et il en existera toujours. Et ceux qui
nient leur existence sont comme les aveugles qui re-
fusent de croire à la lumière ou comme les sourds qui
refusent de croire à la musique. La Bonté, l'Amour sont
apparents pour tout le monde mais non pour eux.
Seulement il faut se donner la peine de les découvrir,
les braves gens. Ce n'est pas qu'ils se cachent mais ils ne
font rien pour qu'on les distingue, tandis que les mé-
chantes gens font tout pour attirer l'attention. Et puis,
il faut le dire, le spectacle de la vertu n'est pas excitant
comme le spectacle du vice et c'est la preuve que la
vertu est courante et le vice inhabituel.
Si la vertu était rare et à ce point limitée qu'on n'en
pl·oposât l'exemple que de loin en loin, elle constituerait
une acrobatie du sentiment, un exploit de qualité anor-
male et la curiosité humaine s'en emparerait. De même
si le vice était courant et à ce point répandu qu'on le
rencontrât à toutes les portes, il n'exciterait la curiosité
de personne et serait dénué d'intérêt .
C'est donc parce que la vertu est monnaie banale et
le vice monnaie exceptionnelle qu'on prête attention à
celui-ci et qu'on est indifférent à celle-là. Ne cherchons
pas ailleurs les tendances de la littérature et du théâtre
qui, à la recherche des cas exorbitants, préfèrent le
crime, la perversion, la douleur et la folie à l'honnêteté,
la droiture, l'équilibre et la raison. Cela ne date pas
-38-
de ce temps et les dramaturges de l'Antiquité ressas-
sèrent les malheurs des Atrides, grouillement abject de
tous les vices sans même l'apparence d'une vertu. Cepen-
dant les furoncles de la paix armée et les anthrax 'géné-
ralisés des guerres ont favorisé dans l'Humanité de ce
demi-siècle la dissémination de leur pus. Etat transi-
toire sans doute car une nouvelle phase de santé sui-
vra la présente septicémie, mais qui exige le drainage
profond de l'organisme social.

LE VISAGE SOURIANT DU VICE

Ceci m'amène nécessairement à faire le procès public


de la Vertu plutôt que celui du Vice.
En effet, celui-ci joue normalement son rôle lorsqu'il
tâche d'être séduisant. Presque toujours le vice a un ac-
cès riant et ses abords sont souvent fleuris de roses. Ce
qu'on appelle volontiers l'antre du vice est un palais lu-
mineux et parfumé. On y est accueilli à bras oUverts ;
de joyeux compagnons vous y attendent. Le Vice est au
bas de la pente et tous les chemins descendent vers lui.
On n'a qu'à se laisser glisser et c'est à lui qu'on arrive.
L'homme le plus dénué de volonté ou d'intelligence re-
çoit du Vice le même sourire que l'homme le plus volon-
taire et le plus génial.
Dans n'importe quelle condition et avec n'importe
quels moyens toutes facilités sont données pour atteindre
le Vice. Son adresse est connue de tout le monde. Et
même il a des succursales un peu partout. Il faut vrai- '
ment le faire exprès pour ne pas rencontrer le visage
du Vice tant il met de complaisance à se hisser sur le
pinacle et à se mettre en valeur. N'y eût-il qu'un soupçon
de vice quelque part aussitôt il accapare.la renommée,
s'efforce vers l'évidence et les alentours savent qu'il est
là.
Le Vice a un incomparable pouvoir de séduction. Son
,charme opère de lui-même, tant il se raccorde à notre
nature instinctive et à nos penchants naturels. Il a congé-
-39-
nitalement en chacun de nous un auxiliaire, un complice
qui ne demandent qu'à pactiser avec lui. Il nous pénè.tre
par la pensée,- par la parole, par l'acte. Il nous ma-
nœuvre par mille fils.
Il n'y a pour ainsi dire besoin d'aucune initiative pour
le joindre. Avant que nous ayons le temps de la mettre
en état de siège il est déjà dans notre citadelle inté-
rieure. Avant de combattre nous sommes trahis.
Tandis que la Vertu est centrifuge, le Vice est centri-
pète, c'est-à-dire que tout ce qui passe dans son rayon
d'action est attiré vers lui. Ainsi l'épeire, au centre de
la toile, surveille son piège circulaire et ramène ses
proies au centre du décor. Ou encore le Vice est gravita-
tionnel, autrement dit notre nature dense tend sans ces-
se vers lui en vertu des lois de la pesanteur.
Il faut beaucoup d'effort, beaucoup de courage, beau-
coup de volonté, beaucoup de lutte contre les lois natu-
relles pour s'éloigner du Vice et réaliser la montée en
dépit de l'attraction qui nous tire vers le bas. La plu-
part en sont capables partiellement, accidentellement,
provisoirement. D'autres, moins nombreux, y parvien-
nent durant des semaines ou des années entières. D'au-
tres enfin, plus rares, se libèrent du Vice presque tota-
lement.
On voit par là combien l'Homme normal est une vic-
time aisée. Parfois le Vice la trouve rétive mais le plus
souvent elle est consentante et sans force pour résister
aux sourires du Mal.

LE VISAGE REBARBATIF DE LA VERTU

Combien différent est le visage de la Vertu! Et com-


me son aspect rébarbatif est de nature à en éloigner les
hommes ! Tout ce qui vient d'être dit à propos du Vice
peut, en le retournant, être appliqué à la Vertu. Con-
tentons-nous de faire observer que celle-ci est en haut,
c'est-à-dire à l'opposé de notre inclination naturelle ;
qu'il faut se dépenser pour l'atteindre ; qu'elle ne dis-
, -40-
pense sa grâce qu'à certains ; qu'elle n'est pas ordinai-
rement sur le pavois ni, le plus souvent, en évidence ;
qu'elle se dissimule et qu'il faut la chercher; qu'elle a
instinctivement en chacun de nous un adversaire plutôt
qu'un sympathisant ; qu'elle est en opposition avec nos
désirs, par conséquent en contradiction avec les lois na-
turellcs et exige, pnr suite, une violence contrc nous-
mêmes, ce qui n'cst pas il la portée dc tous.
Mais cela ne serait rien si la pratique de la Vertu était
encouragée par des moyens riants et une apparence ai-
mablc. Bicn loin de là elle s'cntoure d'un décor austère
et réfrigérant. La Vertu ressemble à une femme laide
alors que le Vice resscmble à une jolie femme. Pis en-
core: la Vertu est pareille à une épouse acariâtre tan-
dis que le Vice est pareil à une épouse de bonne humeur.
Cette opposition dangereuse est-elle due à la Vertu
elle-même ? Non pas, mais à l'image que les moralistes
en font. Que ceux-ci soient religieux ou non, leur ensei-
gnement de la Vertu est peu aimable et de nature à en
écarter les hommes plus qu'à les y retenir. C'est cet as-
pect chagrin et parfois odieux de la Vertu qui a suscité
les ascétismes ou besoin de brutaliser la nature instinc-
tive au lieu de la persuader. Hien de bon ni de durable
ne peut être obtenu par la force et la contrainte. La
Vertu nc doit pas naîtrc d'une ohligation imposl;e par
des tiers, si sainls qu'ils paraisscnt, mais d'une adhésion
intimc de la conscience et dn cex.'lIl". Ne nous fions pas
d'aillelll's aux saillll'Il's cie ('l'II(~ sorl('. (~1Il' eh~ rois les
habits austèrcs de la Vcr tu ont dissimulé le Vice hideux!
Quc l'on sc tournc vers les religions ou les philoso-
phies, on ne rencontre comme procédés d'incitation à
la Vertu que rigorisme, pénitence, malédiction, menace
et autres pancartes du péché. Le rire est excommunié, le
sourire est anathème. Etre vertueux c'est avoir la bou-
che amère et le regard glacé. La conception occidentale
de la Vertu est froide et démoralisante. On la dirait con-
çue par des hépatiques en contradiction avec leur foi et,
par suite, avec la bonté. Le Devoir a l'obligation d'être
laid, exigeant, difficile, comme s'il y avait jamais de
-41-
JOIe à faire son devoir. Tout doit être obligation, res-
triction, contention et sanction, de manière que la Vertu
soit pleinement-haïssable, ce qu'elle arrive à être d'ail-
leurs, à cause du masque posé sur ses traits.
C'est ce qui a fait dire à tels impies, incapables d'aimer
selon les canons et les rites, que l'enfer hilare devait
être bien plus réjouissant qu'un paradis renfrogné.
Mais où est la vérité dans tout cela ? Et qu'y a-t-il
d'exact dans ces apparences ? Comme toujours la cari-
cature se substitue à l'original. Si la Vertu était ce qu'on
nous dit qu'elle est et telle que la dépeignent religion
et morale personne ne la pratiquerait hors les maso-
chistes et les fous. Heureusement la Vertu est toute autre
chose que cela. C'est le plus beau visage du monde 'et
pour le contempler il suffit d'écarter le voile dont l'hypo-
crisie l'a revêtu. Ce pour quoi la Vertu gagne à être
déshabillée, comme la Vérité, et contrairement au Vice
dont l'attrait n'est qu'un mirage et qui suscite l'horreur
quand il est nu.
Calvin et ses disciples ont si bien corseté et ligoté la
Vertu qu'elle apparaît, à travers eux, comme une allégo-
rie affligeante, Il faut qu'en elle rien ne séduise, qu'elle
semble une éducatrice redoutable, qu'on la goûte comme
un fruit amer. La Vertu huguenote est semblable à une
purgation dont la vue provoque la nausée et qu'il faut
boire comme un remède en vue d'etl'ets bienfaisants.
Mais le même l'(~sullnt pput Nre obtenu à hien meilleur
compte el avec une efl'icacilé heaucoup plus durable par
les fruits naturels des arbres de la Vie, à la fois tentants
et délicieux.
Le Créateur n'a pas plus créé la Vertu sectaire que
l'huile de ricin ou l'eau de Janos, Ces dernières sont de
repoussantes inventions d'hommes incapables de se ser-
vir harmonieusement de leur réflexes naturels.
Ce tableau n'est nullement poussé au noir. Il esquisse à
peine la laideur de la Vertu, telle que l'ont conçue les
sociétés anciennes et modernes, à l'exception peut-être
des Epicuriens dont on a d'ailleurs travesti l'enseigne-
ment. Les stoïciens eux-mêmes n'ont pas réussi à doter
-42-
la Vertu d'un visage aimable. Ce n'cst pas d'impassibilité
que la Vertu a besoin mais de joie car la Vertu est un
secret contentement.
J'ai dit plus haut quelle part les églises avaient pris à
l'enlaidissement de la Vertu, présentée par elles comme
une matrone ingrate. Il semblait que, par opposition aux
églises, le matérialisme de ce sièclc dût libérer la Vertu
de ses faux-semblants. Il n'en a rien été et même celte
expression superlative du matérialisme· qu'est le com-
munisme a dépassé de loin les conceptions les plus sec-
taires du fanatisme religieux. L'image de la Vertu
marxiste est une des plus réfrigérantes qui puissent être
offertes aux hommes et il faut pour que ceux-ci l'ac-
ceptent une vocation réelle d'ascétisme ou de cécité.
Jamais aucun Moloch ne fut plus avide de larmes et de
sang. Jamais aucune déesse hindoue ne montra le même
fourmillemcnt de bras et de sabres. La vertu bolchevique
est un Himalaya abrupt et gelé.

FAUSSE VERTU ET VERTU VERITABLE

Parodiant l'exclamation célèbre de Mme Roland en


un temps où la Terreur n'avait pas, comme aujourd'hui,
le concours de la psychanalyse, on peut dire : c 0 Vertu,
que de viccs on abrite sous lon nom ! ~ C'est qu'en effet
la vertu est maintes fois le paravent du Vice. C'est der-
rière clIc alors qu'il s'cmbusque, car il est protéiforme
et sait prendre, au besoin, tous les aspects. Cependant.
il est dénoncé par sa ruse elle-même puisqu'alors il est
incapable de doter d'un air aimable la fausse vertu.
Il existe, en efret, une phraséologie spéciale de cette
fausse vertu. Déjà Sénèque l'employait lorsqu'il écri-
vait sur un pupitre de bois précieux ses préceptes sur la
dignité de l'infortune. Marc-Aurèle a laissé de nobles
maximes mais après avoir porté le fer chez tous les peu-
ples de son temps. Et que dire de Titus, son héritier mo-
ral, imbu des plus nobles pensées, et qui écrasa Jéru-
salem dans le feu et dans le sang ?
--43 -
Il Y eut un vocabulaire ampoulé de l'Inquisition, une.
terminologie emphatique de la persécution. Bossuet fai-
sait des effets de manches sur les Dragonnades. Mais
si pharisaique que puisse sembler la fausse vertu reli-
gieuse celle-ci n'est rien extérieurement à côté de celle
de la Révolution de 89. Avec le recul du temps, nous
sentons le ridicule odieux de la littérature de Marat et
de Hobespierre. Il est impossible de relire un discours
ou un article des « grands ancêtres ~ sans éprouver la
nausée ou, ce qui est pire, un incurable ennui. Saint-Just·
lui-même, qui était probablement de bonne foi, assénait
sur ses adversaires les coups d'une prédestination laique.
Sa conception de la grâce était aussi impitoyable que
celle d'Ignace de Loyola. Et déjà elle préfigurait, dans
sa sécheresse glaciale, le langage redondant de la vertu
marxiste, divinité sans yeux et sans oreilles qui dévore
ses ennemis comme ses fidèles, ses impies comme ses
desservants.
La fausse vertu est tellement différente de la Vertu
véritable qu'il faut être aveugle pour ne pas voir l'abîme
qui existe entre les deux. Non seulement elles n'ont rien
de semblable quant au fond mais encore elles diffèrent
complètement quant à la forme. Car la Vertu authen-
tique ne resemble pas à un garde-chiourme ou à un
geôlier. Elle n'emploie pas de grands mots destinés à
abriter de petites idées.'Elle ne parade pas, ne s'entoure
pas d'un cérémonial. Elle ne pleurniche pas, ne récri-
mine pas, ne s'irrite pas. Elle n'accuse pas, ne condamne
pas. Elle n'est ni dogmatique ·ni intransigeante.
La Vertu réelle ne s'appuie point sur la force. Elle
n'a pas recours à la ruse. Elle ne fait couler les larmes
ni le sang.
La Vertu sans qualificatif est le plus beau et le plus
doux visage du monde. Il sourit et il rit aux hommes et
les éclaire jusqu'au tréfonds. La Vertu est le soleil mo-
ral qui réchauffe notre Humanité refroidie. Loin de ren-
dre la vie quotidienne plus pesante elle en allège le far-
deau.
La Vertu est un parfum discret mais pénétrant et du-
'-44-
rable. Les vertueux ont une odeur spirituelle qui les pré-
cède et les suit.
La Vertu sans tache ne connaît ni rigueur, ni sévérité,
ni haine. Elle est, exclusivement et totalement, l'Amour.
CHAPITRE III

Réhabilitation de Dieu

Aucune réhabilitation du Créateur, ai-je dit plus haut,


ne peut être tentée sans qu'il y ait préalablement réhabi-
litation de sa créature, la condamnation de la créature
entraînant infailliblement la condamnation du Créateur.
Mais aucune réhabilitation du Créateur ne peut non
plus être amorcée si celui-ci est présenté sous la forme
du Dieu théologique et, plus particulièrement, du Dieu
Chrétien. Le e Tout-Puissant ~ du Credo, comme je l'ai
démontré ailleurs, n'est pas plus conciliable avec le sen-
timent qu'avec la logique, avec la justice qu'avec
l'Amour.
LA NON-OMNIPOTENCE

Le problème du Mal est la grande pierre d'achoppe-


ment du christianisme. A l'occasion de la prédication du
Carême de 1950, à Notre-Dame de Paris, il en a été fait,
implicitement et involontairement, la démonstration.
Voici en quels termes le journal e Le Monde ~ du 4 avril
de la même année rendait compte de l'ultime causerie
catholique :
e Le Révérend Père Riquet a fermé le cycle de ses con-
e férences dominicales en abordant un problème dif-
e ficHe... sur lequel les croyants de tout temps ont
e achoppé, comme en témoignent les angoisses de Job,
e et auquel la doctrine catholique, malgré sa cohérence
e interne, ne peut apporter de réponse satisfaisante :
-46-
e le problème du mal. Vh philosophe l'a ainsi posé
e Ou nous ne sommes pas libres, et Dieu, tout-puissant,'
e est responsable du mal ; ou nous sommes libres et
e responsables, mais Dieu n'est pas tout-puissant ~.
, e Il n'est pas commode d'échapper à ce dilemme. En-
e core le prédicateur a-t-il esquivé le point le plus obs-
e cur, celui de la coexistence d'un Dieu bon et d'un en-
e fer éternel.
e L'essentiel de l'argumentation du P. Riquet se ra-
e mène à refuser à notre faible intelligence le pouvoir
e de comprendre les desseins de Dieu et à voir dans le
e mal non seulement, comme on le fait d'habitude, une
c conséquence du péché et de la solidarité humaine,
e mais aussi un mllstère d'amour sur lequel se projettent
e la lumière' de l'incarnation du fils de Dieu et la va-
e leur de rachat de la souffl"nJ1ce chrétiennement ac-
c ceptée:t.
On ne peut manquer d'être frappé par l'indigence em-
barrassée d'une explication du mal qui se borne à pré-
senter celui-ci comme un e tragique mystère de l'amour
de Dieu :t. D'autre part, comment l'aptitude de notre
intelligence à comprendre les desseins de Dieu serait-
elle contestée par ces mêmes théologiens qui, étymolo-
giquement et pratiquement, s'attribuent le rôle d'expli-
quer Dieu et de le comprendre ?
Pathétique aveu d'impuissance de toute une dialec-
tique religieuse, acharnée à soutenir contre l'évidence
l'omnipotence et l'infaillihilité du Créateur.
Cependant bien des constatations auraient dû éveiller
l'attention des théologiens, ne fût-ce que dans la Bible
elle-même, où l'on voit, spécialement dans la Genèse,
que le Démiurge, créant le monde, agit comme un être
puissant mais non tout-puissant. Il ne crée pas d'un seul
coup, ainsi que l'Omnipotent aurait pu le faire, mais suc-
cessivement, par étapes, en vérifiant, à chaque fois, si
cela était c bon ~. Il commet des imperfections (l'Homme
et la Femme par exemple) ; il donne la vie au serpent et
ne peut empêcher ce dernier de tenter le premier cou-
pIe; Adam engendre un meurtrier: Cain et une postéri-
-47-
té si dissolue que le Créateur se résoud à exterminer
l'Humanité née de ses soins ; la précaution de l'arche
n'empêche pas les-créatures de recommencer et les des-
cendants de Noé doivent être détruits par le feu (So-
dome et Gomorrhe) ou dispersés (Babel). Autant de
marques d'imperfection dans une création voulue idéale
et qu'une toute-puissance divine eût pu réaliser sans dé-
faut.
Peut-on dire aujourd'hui que l'Humanité est plus rai-
sonnable, à l'âge des guerres mondiales, du napalm et de
la bombe atomique ?
Et que penser de la Nature, où tant de maux se
réunissent, où le fort dévore le faible, où les forts se
mangent entre eux? Un drame continuel et affreux se
cache sous les apparences les plus heureuses du monde.
La forêt odorante et silencieuse recouvre un vaste as-
sassinat. La Terre est le réceptacle de mille fléaux et
pI:ésente le spectacle de continuels cataclysmes. Chaque
chose a sa plaie : les arbres leurs parasites, les métaux
leur oxyde, les étoffes leur teigne, les fruits leur vers,
les blés leur charançon. Tout ce qui est bon a sa contre-
partie dans le mal. Tout ce qui est heureux est compensé
par de la souffrance.
Dans ces conditions que faut-il admettre : l'existence
d'un Dieu totalement puissant ? L'existence d'un Dieu
infiniment juste ? L'existence d'un Dieu parfaitement
bon ? Il faut. choisir. Ce ne peut être en même temps
l'un et l'autre. Ou bien juste et bon mais non tout-puis-
sant, ou bien tout-puissant mais non juste et bon. De
toutes façons on doit renoncer à la conception d'un Dieu
parfait et on est nécessairement amené à une idée de
Dieu plus conforme à la Vie, qui est d'abord et avant
tout évolution.

CROISSANCEDE DIEU

Voilà le grand mot lâché. Dieu est l'Etre qui évolue.


Et bien loin que cela le rapetisse à nos yeux, cela le
grandit. Dieu est une perpétuelle évolution, un continuel
-48 -
devenir. La toute-puissance et la toute-perfection sup-
posent une arrivée il destination, un immobilisme, c'est-
à-dire exactement le contraire de ce qu'est la Divinité,
laquelle est force, croissance, énergie, mouvement.
La Création n'est pas faite, comme on le croit vulgai-
rement, mais en train de se faire. Rien n'est accompli
dans l'univers et j'ajoute que rien, jamais, ne sera dé-
finitivement accompli. Tout concourra sans cesse il plus
de perfection sans arriver il la perfection absolue, qui
serait le signe de l'arrêt de l'évolution. Or l'évolution n'a
pas, n'aura pas d'arrêt. Elle 'est sans limite. Rien ne peut
être absolument achevé ; il Y aura toujours place pour
le mieux. A mesure que l'évolution s'accomplit, les pos-
sibilités évolutrices deviennent plus grandes. Et ainsi,
d'ère en ère, d'âge 'en âge, se poursuivra la course à
l'Infini.
C'est ce que mon grand correspondant spirituel
M.F.C.H. appelait la Grande Aventure dont Dieu fait
partie en même temps que nous. C'est aussi également
ce qu'il entendait suggérer lorsqu'il me disait, dès 1937 :
c Si vous méditez sur le Père songez qu'il est aussi votre,
Enfant ~. Et il ajoutait: c Dormez là-dessus et dévelop-
pez ultérieurement cette idée. Vous verrez de quelles
conséquences elle est grosse et tout ce qui en découle né-
cessairement ~.
De fait elle est la base de tout le système évolutif et
confère à l'Homme la destination pour laquelle l'a ex-
pressément prévu le Démiurge et qui est de le réfléchir
et de l'augmenter.
Cette croissance de Dieu est, si j'ose employer deux
mots qui se contredisent, le plus éblouissant mystère du
monde. Il surpasse en grandeur tous les autres et les
contient en lui. Il explique tout, éclaire tout et, bien
loin de diminuer Dieu, l'exalte et l'amplifie, en sortant
son Amour et sa Puissance de l'impasse où les clercs les
avaient mis.
Je ne suis plus seul il formuler cette hypothèse d'ap-
parence blasphématoire alors que le blasphème réside
précisément dans la conception étriquée de l'Incom-
-49-
mellsurable et dans la limitation stagnante du Mouve-
ment Illimité. L'idée est dans l'air, même dans les mi-
lieux les plus évolués du catholicisme, où se fait sentir .
l'urgence de sortir d'une foi statique pour s'unir au dy-
namisme supérieur. C'est après avoir commenté les ou-
vrages récents du Père Jésuite Teilhart de Chardin.
(Comment je crois, Introduction à la vie chrétienne, Es-
quisse d'un univers personnel, La Messe sur le Monde,
Sauvons l'Humanité, etc...) que M. François Albert Vial-
let, il la recherche d'une nouvelle optique religieuse, en-
visage, dans L'Avenir de Dieu (1) des possibilités analo-
gues à celles que j'ai laissé entrevoir dans l'Invisible et
Moi (2) en 1938. Sa conclusion l'amène au voisinage du
Père-Enfant quand il dit :
c Par notre force d'Amour uniquement nous opérons
une dilatation ultra-cosmique de nous-mêmes, analogue
il la dilatation physique des galaxies de l'univers. Mu par
l'Amour et par la Joie universelle, l'Homme' devient
ainsi co-créateur de Dieu :t.
Quant à ce qui touche au problème du Mal, précédem-
ment évoqué, bien d'autres se sont avisés de la faiblesse
des données confessionnelles, par exemple H. Lefebvre
dans son c: Descartes • : c Impossible pour les théolo-
giens et les métaphysiciens d'expliquer l'erreur, d'expli-
quer le mal par un recours à un Dieu vrai et bon :t.
C'était déjà le propos de Berdiaeff quand il disait :
« L'importance du problème du mal et l'inquiétude qu'il
éveille dévoilent l'indigence de toutes les doctrines tra-
ditionnelles, théologiques et métaphysiques sur la Pro-
vidence divin~ en ce monde, doctrines qui sont aussi le
principal obstacle à la foi en Dieu ~.

L'ABSOLU FUYANT

Et puisque nous en sommes il Berdiaeff, ce mys-


tique chrétien dont la c conception de la liberté:t a
(1) Cahiers d'art et d'amitié (Paul l\fouroussy),1950.
(2) Astra.
-50-
Cait l'objet d'ullc soutcnance r(~celltc dc thèse en Sor-
bonne par le R. P. Jérome Gaith, je rappelerai que cet
intuitif génial, qui avait horreur de l'abstraction et mé-
prisait la pensée discursive, est demeuré toute sa vic
l'apôtre d'un absolu fUlJant et poursuivit sans cesse le
mouvement qui se dérobait dcvant lui. Ce Slave illumi-
né était, lui aussi, conscient d'être plongé dans la Gran-
de Avcnture universelle mais, comme plusicurs ault·cs ct
comme moi-même, il en était lucidement conscient. C'cst
ce degré de conscience qu'il convient de développer dans
l'Homme d'aujourd'hui pour qu'il coopère délib(~r('ment
et en pleine responsabilité à l'Evolution qui se préci-
pite, car il sied d'observer que c'est seulement de notre
temps que se fait sentir, et ce avec une force toujours
grandissante, l'accélération évolutive de l'Univers, y
compris l'Humanité. Sans ce démarrage soudain et pres-
que inattendu l'Homme serait encore oit il était aux
premiers âges de notre ère et c'est tout au plus du milieu
du siècle dernier que date son ébranlement nouveau.
Une fois mise en route, la poussée évolutive devait croî-
tre rapidement en puissance au point de devenir « in-
confortable ~, selon le mot de Samuel Butler. Cet incon-
fort s'est traduit par les deux guerres mondiales et des
secousses économiques sans précédent. Il provient seule-
ment de l'inadaptation de l'Homme à une évolution ac-
célérée et au décalage qui existe entre son développe-
ment spirituel et le développement matériel de son
temps ..
Nécessairement sa plongée dans l'objectif et le con-
cret devait détourner l'Homme des vieilles conceptions
déistes, bonnes pour des époques révolues mais large-
ment dépassées par le fait actuel.

LE CHRISTIANISME DE DEMAIN

L'ancienne Divinité monolithique, même articulée en


trois personnes ne répondait en rien aux exigences d'une
multitude avide de justice et de clarté. L'élévation du
- 51-
plafond spirituel oblige à repenser toute la théologie et
même à en faire complètement abstraction. C'est une
transformation totale des religions qui s'avère, dès à pré-
sent, inéluctable et, d'abord, une métamorphose radi-'
cale du christianisme dont, en dépit des assurances of-
ficielles, l'appareil craque de toutes parts. Les tentatives
de modernisation du siècle dernier n'étaient que jeux
d'enfants à côté des poussées ardentes qui se préparent
et dont une manifestation spectaculaire est celle du pro-
gressisme chrétien. La vieille Bastille catholique romai-
ne résiste éperdument à l'assaut conjugué des nouvelles
forces vitales. Elle semble encore momentanément im-
prenable mais la hauteur de ses murailles fait illusion.
Comme l'autre, elle cèdera d'un seul coup, faute d'avoir
compris l'urgence de concessions opportunes et la néces-
sité pressante d'une adaptation aux temps nouveaux.
Le christianisme n'en mourra pas, bien au contraire.
Il renaîtra sous une nouvelle forme ainsi 'que Joseph de
Maistre l'avait prédit il y a plus de cent ans. (1) Cette
rénovation fera table race des broussailles liturgiques
et de tout un dogme exténué. L'Evangile d'Amour sera
prêché par l'exemple. L'enseignement du Christ n'est pas
à commenter mais à vivre dans la vie de tous les jours.
La révolution chrétienne entraînera dans son flot tout
l'arsenal de dulie et de lâtrie et même toute la christolo-
gie avec ses interprétations de Jésus.
Par suite disparaîtront les notions de Dieu omnipotent,
colèrc ct vcngeur. A lu Déité autoritaire succédera la
Déité libérale que la limitation de sa puissance rend ap-
te à tout comprendre et donc à tout excuser.
Les pères rigides d'autrefois élevaient leurs enfants
dans l'hypocrisie alors que les pères compréhensifs de ce

(1) Ceciécrit
lorsqu'il est àdans
rapprocher du propos
c Sauvons du P. Teilhart
l'Humanité. : c Sur de Chardin
la nouvelle
c âme humaine qui naît, nous le croyons, parmi les convul-
c sions actuelles, le Christianisme peut et doit venir se poser
c pour la marquer et la sublimer. Mais il n'opérera ce salut
c qu'à la condition, suivant sa propre formule, de se ré-incar-
cc ner, c'est-à-dire
ce que nous avonsde appelé
s'alignerle franchement
Front Humainet •.résolument avec
-52-
siècle se 'gardent de provoquer les refoulements nocifs.
De même le Père justicier sera remplacé par le Père de
bienveillance qui « n'arrachera plus l'ivraie ~ mais se
contentera « d'arroser le bon grain ~.
Recouvrant le libre-arbitre qu'on lui avait contesté
en fait, la créature humaine renaîtra à la responsabilité
et disposera de sa conscience. Vis-à-vis de Dieu elle ne se-
ra plus dans une attitude de honte et de servilité.
« Crois-tu, fait dire un peu trivialement Abellio à l'un
de ses personnages dans « Heureux les Pacifiques ! ~ (1),
crois-tu qu'on puisse se contenter d'être un bon domesti-
que de Dieu ? Il Y a des jours où je me demande si
Dieu tient tant que ça à ce que nous soyons ses domes-
tiques, s'il n'en a pas sa claque de dévots même évo-
lués ... ~ '
Si la Divinité pouvait nous parler directement en lan-
gage humain, nous entendrions la réponse il ce qui pré-
cède, tellement conforme à la bonté évangélique qui
accueillait la pécheresse, les publicains et les petits.

DIEU EST « ENGAGE '>

J'en ai Pl'écédemment assez dit pour que tout esprit


clairvoyant saisisse l'importance capitale du rôle actuel
de l'Evolution.
Sans contester l'évidence de celle-ci, on avait jusqu'à
présent considéré le torrent évolutif comme presqu'uni-
quement physique et ceux qui admettaient l'évolution
spirituelle la considéraient comme étant sous la con-
duite de Dieu mais en dehors de lui. En somme, nous
n'étions pour eux, avec la Nature et l'Univers visible,
qu'une création limitée, un monde il part que Dieu admi-
nistrait de haut. Là réside la monstrueuse' erreur qui
nous désolidarise de Dieu et crée entre lui et nous un
abîme. Dieu est au cœur de l'Evolution, comme le reste,
et il s'efforce au mieux de la diriger.

(1) Gallimard.
- 53-
Ceci apparaît aux hommes les plus intelligents et per-
mel il F. A. Viallet, en son livre précité, d'écrire : c Dans
un cosmos indécomposable et de mouvement irréversi-
ble nous observons une conscience toujours grandissan-
te. Par une évolution qui est réellement un Progrès, se
manifeste le travail dans l'Univers qui tend à devenir
esprit. En raison de l'unité du monde, la croissance de
l'esprit ne peut se faire qu'en fonction de la matière ~.
Et le R. P. Teilhart de Chardin, sortant du confession-
nel immobilisme, est amené à dire dans son c Introduc-
tion à la vie chrétienne : c Dieu ne peut agir qu'évolu-
tivement, ce principe, dis-je, me paraît nécessaire et suf-
fisant pour moderniser et faire repartir le Christianisme
tout entier :..
On voit l'immense portée de ces déclarations qui subs-
tituent au Dieu traditionnel parfait un c Dieu engagé ~
qui, en tant que créateur, n'est plus libre et qui se trouve,
au contraire, « intimement et inextricablement lié aux
Phénomènes ~. (L'avenir de Dieu) ..
Et ceci nous ramène à notre point de départ. Le pro-
blème du Mal, jusque là incompréhensible et insoluble,
ne l'est plus dès lors qu'on le pose d'une manière diffé-
n'nte.
e Dans un monde créé tout fait ..., déclare le Père de
Chardin dans CHRISTOLOGIE ET EVOLUTION, un dé-
sordre primitif n'est pas justifiable : il faut chercher un
coupable. Mais dans un monde qui émerge peu à peu de
la matière, plus n'est besoin d'imaginer un accident pri-
mordial... car sans rien perdre de son acuité ni de son
horreur, le mal cesse, dans ce nouveau cadre, d'être un
élément incompréhensible, pour devenir un trait naturel
de la structure du monde ~.
Je n'ai pas dit autre chose dans les chapitres précé-
dents. Ceux qui voudront connaître plus intimement ma
pensée pourront se reporter à mon précédent ouvrage,
où ma position n'est pas équivoque : c DIEU EST-IL
TOUT-PUISSANT ?
-54-
A CHACUN SON ANGLE DE DIEU

Quelle va donc être la fonction de Dieu, la nécessité


de Dieu, l'urgence de Dieu, par rapport à nous les hom-
mes, car Dieu ne peut avoir de signification, comnw tout
le reste, qu'en relation avec chacun de nous. Dieu, en
effet, n'est le même pour aucun parce que nul homme ne
peut avoir de lui la même conception qu'un autre hom-
me. Chaque créature animée possède en propre son an-
gle de Dieu. C'est même ce qui fait que jamais un hom-
me, fût-il doué de superconscience, n'arrivera ù envisa-
ger Dieu sous tous les angles, c'est-à-dire à comprendre
la totalité de l'apparence de Dieu.
J'ai dit apparence en raison du fait que même si l'ex-
tatique, au cœur d'une vision surhumaine, entrevoyait
cette expression tout entière il n'aurait encore que la sur-
face de Dieu. Ce qui reste à jamais caché, j'entends la
profondeur de Dieu, est l'Infini inscrutable en même
temps que l'Impersonnel. Aucune définition théologique,
philosophique ou autre ne permettra, non pas même de
sonder, mais d'effleurer l'Absolu.
Ce qui nous est laissé en vue d'approcher la partie ac-
cessible de la Grande Conscience c'est d'être une cons-
cience nous-mêmes et de savoir que nous l'utilisons. La
conscience cst le plus grand trésor spirituel, avons-nous
dit, qui ait été consenti à l'Homme. C'est elle, n'en dou-
tons pus, qui )'u fuil ce (IU'H <.~stdalls LIlimOllde plus ou
moins inconscient. Sa conscience cOllslilue son vrai cou-
sinage avec la Divinité mais c'est un don redoutable
puisqu'il engage sa responsabilité.
La conscience est la clé de tout l'univers spirituel et
la voie d'accès au monde invisible. Elle échappe aux me-
sures humaines et, à elle seule, défie le rationalisme le
plus précis. Elle n'est pas survenue dans l'Homme d'un
seul coup mais s'est éveillée successivement au cours des
âges. D'abord rudimentaire et obtuse, puis investigatri-
ce et raffinée, elle a acquis des prolongements extraor-
dinaires chez quelques-uns. Un temps viendra où le gé-
-55-
nie (du moins ce que nous considérons comme tel à cette
heure) ne sera plus l'exception et ne constituera plus
une instabilité ou une intermittence comme à présent.
Mais alors, quand la plupart des consciences se trouve-
ront alignées sur ce terrain spirituel, quelques.conscien-
ces privilrgiées seront de nouveau en avance sur leur
époque el auront encore cheminé plus profondément en
direction du Divin.
Car tout est là. Une Conscience Divine, sans cesse en
marche vers l'Absolu, entraîne les consciences humaines
et les fait évoluer en évoluant.

LA CONSCIENCE EST LA CLE DU PROBLEME

J'ai maintes fois souligné l'indigence des vocabulaires


humains, non pour définir, mais seulement pour évo-
quer cet aspect de la Divinité proposé à l'intelligence et
que, faute de mieux, et en dépit d'abus de toutes sortes,
on a appelé Dieu.
Au fond, peu nous importe cette dénomination. Il n'y
a pas de nom pour l'Innommable et les penseurs les plus
subtils ont bien senti leur impuissance à l'approcher.
Aussi, naturellement, l'Homme en est-il venu à conce-
voir un étage de la Divinité plus accessible à sa misère
et à invoquer, sous le titre de Créateur, de Providence
ou de Père, ce que l'Esprit peut avoir avec lui de parenté.
El c'cst là qu'cn dépit des résistances théologiques il
faut bien faire une distinction entre l'Absolu non phi-
losophable et la région divine la plus immédiatement
solidaire de nous. Le Créateur apparaît ainsi indissolu-
blement lié à la création et évoluant avec elle aussi bien
dans la matière que dans l'Esprit. Il n'est donc pas té-
méraire de penser que le Créateur, s'il a fait l'Homme à
son image, est lui-même à l'image de l'Homme, par con-
séquent fait d'e corps et d'esprit. L'univers visible serait
le corps du Créateur dont notre propre corps fait pàr-
tie, de même que notre esprit fait partie de l'Esprit de
Dieu.
-56-
Nous sommes donc congénitalement une part de Dieu-
le-Tout, aussi nécessaire à' Tout puisque sans nous il ne
serait lui-même que partie et ceci explique la haute fonc-
tion dévolue à l'Homme dans la croissance de l'Univers.
C'est ce Dieu-en-nous qui, finalement, régit nos contacts
avec le Divin que nous portons en nous-mêmes, hélas !
la plupart du temps sans le savoir.
En être conscient est donc la clé du problème et le de-
gré de cette conscience est ce qui conditionne notre ac-
cès en Dieu et l'accès de Dieu en nous,
La principale caractéristique de la présente époque,
en apparence si révolulionnaire, n'est pas le jeu puéril
des bouleversements politiques et économiques, mais
cette entrée de la Personne humaine majeure dans la
connaissance intime de Dieu. De là vont découler, à brè-
ve échéance des conséquences incalculables dont la"moin-
dre ne sera pas le retour de la foi en Dieu. Non pas foi
ignorante et servile mais foi lucide et triomphante par
quoi la créature consciente se trouvera alliée au Créa-
teur.
LE NOUVEAU VISAGE DE DIEU

Ce nouveau visage de Dieu en nous comme il est ra-


dieux et pur ! Que sa douceur est infinie ! Pour ma part,
je ne puis le voir que sous l'apparence que je lui ai main-
tes fois prêtée, celle de l'Ami. Comment, sans me répé-
, ter, pourrais-je Je décrire auh'('Incnt que je IH' J'ni fnit
duns ln préface d'u11 autre livre :
c L'Ami ne vous demandera pas votre étut-civil, ne
c s'enquerra pas de votre condition, ne s'occupera pas
c de vos mérites. Vous avez besoin de Lui, Il est là, prêt
c à vous entendre et il vous accueillir.
c Que vous soyez le plus grand saint ou le pire cdmi-
c nel, Il vous écoutera de la même oreille attentive et
c proportionnera son aide non il votre mérite mais au
c besoin que vous en avez.
c Il n'exige le prix d'aucune consultation, le dépôt
c d'aucun cautionnement, le versement d'aucune garun-
,-57-
e tie. Vous souffrez, vous êtes malheureux, c'est assez
e pour Lui.
e Vous n'avez même pas à frapp'er pour qu'on vous
e ouvre. La maison de l'Ami n'a pas de clé et pas de
e serrure. Chacun entre chez Lui par la porte de son
e propre cœur.
c C'est la raison pour laquelle vous n'éprouvez pas de
e honte à le solliciter puisque personne n'est témoin de
e votre faiblesse et que vous pouvez être humble avec
c Lui sans être humilié.
e L'Ami est à la fois votre parent, votre médecin, vo-
e tre prêtre. Il est aussi votre maître, votre égal, votre
c serviteur. Vous pouvez causer avec Lui comme avec
e un enfant, comme avec un frère, comme avec un père.
c Jamais il ne s'irrite, ne se formalise, ne s'impatien-
c te, ne se décourage, ne s'absente, ne s'endort.
e Il est impossible de toucher le fond de sa longani-
c mité et de sa bienveillance. Eussiez-vous besoin de Lui
c vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pas une minute
e l'Ami ne vous fer.a défaut. Il est aussi patient et aussi
e désireux de vous épauler à la dernière seconde qu'à
.e la première. Loin d'être lassé par la fréquence et l'in-
e tensité de vos demandes, Il s'intéresse d'autant plus
e à vous que vous exigez davantage de Lui.
e Le seul reproche qu'il vous ferait, s'il était capable
c d'un reproche, serait d'agir, de penser, d'être heureux
e ou de souffrir sans Lui.
c Les grnllds de lu Terre ne sont accessibles qu'aux
e puissants, mais Lui sollicite les plus misérables. Il n'y
c a pas de tache ni de souillure qui puisse le rebuter.
c Car là où Il est tout est pur, là où Il est tout est Vie
c et son visage est Amour ~.
LE BIENVEILLANT, LE BIENFAISANT,
LE BIENAIMANT

Qu'ajouter de plus sinon que Dieu a été condamné


sous de fausses apparences, qu'on a proposé aux hommes
une image de Dieu contraire à la vérité ?
Ii
- 58-
On a fait de Dieu un juge inflexible, sévère pour ses
créatures impuissantes, indulgent ù lui-même puissant.
On l'a déclaré omnipotent en le revêtant de toutes les
faiblesses humaines : impatience, colère, instabilité, ma-
lice, cruauté, orgueil. .
Quel homme conscient eût pu envisager cette caricatu-
re de Dieu sans indignation et sans tristesse? Cependant,
de nombreuses générations se sont résignées à admettre
ce honteux ersatz de Dieu. Il y avait cependant de grands
esprits parmi elles mais la tradition avait une telle force
et les bûchers flambaient avec tant de violence qu'on
voyait se taire les plus clairvoyants.
Aujourd'hui, en ce cycle d'Humanité où toutes les au-
daces sont permises, il n'était plus possible de soutenir
devant l'Homme la figure d'un Dieu agressif.
Ou Dieu est Amour et seulement Amour ou bien il est
la déification de la Haine, avec cette aggravation par
rapport aux hommes qu'il est totalement conscient. On
ne pourrait retourner la prière du Christ pour ses bour-
reaux, parce que, ù supposer (ce qui n'est pas), que le
Dieu méchant existe, celui-ci -serait pleinement respon-
sable, car lui du moins sait ce qu'il fait.
Mais pourquoi continuer plus avant cet odieux paral-
lèle dont s'offensent à la fois notre respect et notre
amour?
Concluons donc sans insister et réparons cette colos-
sale erreur judiciaire du Créateur avili par ses créatures
et de Dieu bafoué par ses croyants.
Dieu, l'Unique, est puissance, mais non toute puissance ..
Il n'est pas non plus toute perfection mais s'y achemine
et achemine en même temps vers elle le monde qu'~l a
créé.
Dieu n'est pas au-dessus de l'Evolution ni d'ailleurs en
elle. Il est l'Evolution elle-même qui ne finira jamais.
Il se transforme sans cesse, s'améliore et se spiritualise
sans cesse.
Il s'accroît merveilleusement et s'accomplit.
Tout lui est indispensable dans ce but, mais l'Homme
en particulier, objet de sa dilection millénaire. C'est pour
-59-
l'instant, sur Terre, le seul être matériel qu'il ait réussi
à dégager partiellement de l'animalité. Comment brime-
rait-il son instrument préféré, le calomnierait-il, le con-
damnerait-il quand son but essentiel est de l'améliorer,
de l'exalter, d'en faire le miroir de sa puissance ?
Mais Dieu est Intelligence en même temps qu'Amour et
Vie. Le seul Dieu qui mérite d'être proposé à la bonne
volonté, à l'action et à l'affection des hommes est et ne
peut être que Bienveillant, Bienfaisant et 'Bienaimant.
CHAPITRE IV

Réhabilitation de l'Homme et de Dieu

Un dessinateur connu m'a rapporté que, durant le sé-


jour qu'il fit, comme politique, en maison centrale, son
co-détenu Rebattet écrivait fébrilement un livre de six
cents pages, d'ailleurs paru depuis, et s'écriait en frap-
pant de la main l'épais manuscrit : c Cette fois, j'ai tué
Dieu définitivement ~. Autrement dit, le Divin ne devait
pas se relever de son offensive minuscule.

. LE DUEL ENTRE LA PUCE ET L'HIMALAYA


,
On ne peut que sourire à l'idée de l'infusoire culbu-
tant le mont Everest. Et pourtant il y a entre l'Homme
et Dieu une différence de grandeur infiniment plus con-
sidérable qu'entre unè simple bactérie et le plûs haut
sommet du Gaurisankar. Ce qui prouve qu'on peut être
un polémiste impétueux ou passer pour tel parmi les
hommes et n'avoir qu'un cerveau d'insecte au regard du
problème de Dieu.
Ce contre quoi le Don Quichotte d'Action Française
rompait des lances n'était évidemment pas Dieu lui-mê-
me mais le faux semblant que lui et ses semblables
avaient imaginé·. De sorte que, tout compte fait, ce ne
serait déjà pas si mal que d'avoir ruiné la conception
erronée que tant de gens, à la remorque du dogme, s'é-
taient faite de Dieu. Il n'y a que des avantages à tuer
- 62-
le Dieu de Rebattet parce que celui-ci l'avait fait à sa
mesure. Et l'on peut de-même tuer les dieux de tous les
Rebattet du monde sans effleurer d'une chiquenaude
l'idée véritable de Ditm.
Il est des dieux qui ne demandent qu'à mourir et qui
passent, comme des modes dc l'âme, ne laissant derrière
eux que la glose morte des philosophes, la fiction lyrique
dcs poètcs et les colonnes des temples défunts. Mais il cst
une idée de Dieu qui èst sans représentation parce qu'elle
est au delil de toutes les représentations des hommes,
qu'elle débonle la raison, dépasse la logique et défic mê-
me l'imagination.
Celtc idée de Dieu n'est pas dans le champ dc tir des
armes humaines ; celles-ci sont aussi inopérantes contre
elle que des chevrotincs sur un fantômc. Dieu ct l'Hom-
me se trouvent sur des plans différents.
Déjà l'on raconte de Julien l'Apostat quc, durant l'o-
rage, il apostrophait le Maître du Tonnerre et faisait
lancer par ses balistes de grosses pierres contre le ciel.
c Ecrase-moi ou je t'écrase 1 » hurlait l'autocrate. Geste
plus insensé et puéril que celui de Xerxès faisant fouet-
ter la mer.
De tout temps les hommes eurent la prétention de tuer
Dieu au moyen de procédés d'hommes. Leur dernière
trouvaille a été de l'exterminer par le raisonnement.
Foudroyer logiquement un Dieu qui est, par essence, il-
logique, constitue une entreprise infiniment digne de pi-
tié. Cela équivaut à dire ceci : c J'abolis Dieu en moi,
donc Dieu n'existe plus pour personne». Autrement dit:
« Si jc soume ma chandclle, il n'y a plus dc lumièl"c dans
l'Univers» .
Ce qui précède ne serait que facétic si l'on n'en devait
tirer une conclusion d'importance. Quc prétend donc
réaliser l'Hommc quand il bande les ressorts de sa cata-
pulte rationnelle en direction de Dieu ?
Pas autre chose que le refus de Dieu qui est en lui con-
tre lui-même et dont il ne peut se défaire et se délivrer.
S'il n'était déiste profondément, c'est-à-dire obsédé par
le Divin jusqu'aux moelles, il ne tenterait pas d'échap-
-63-
pel' à cette obsession par des bonds désespérés. Ce n'est
donc pas tellement un Dieu extérieur à lui que le néga-
teur répudie, mais le Dieu intérieur qui l'habite et qu'on
ne peut brûler sans se consumer aussi. Car il est la chair
de la chair, l'âme de l'âme, et tuer Dieu, c'est tuer l'Hom-
me, car, en vérité, les deux ne font qu'un.

c TU NE ME NIERAIS PAS SI TU NE SAVAIS QUE


JE SUIS ~

Tandis que je méditais sur ce thème vivifiant, j'ouvris


naguère la radio et tombai ù l'improviste sur la scène
capitale de « DIEU ET LE DIABLE ~, où le Goez de
Sartre fait, lui aussi, le procès de Dieu.
Je suis trop beau joueur pour contester la vigueur des
horions que le philosophe existentialiste assène à la Di-
vinité traditionnelle qui, nous le savions déjà, est très
vulnérable et prête le flanc aux coups. La Trinité des Pè-
res de l'Eglise passe là un mauvais quart d'heure et Sar-
tre, comme Rebattet, croit avoir tué l'Etre en assassinant
le Dieu de St Thomas. En réalité, qu'atteint-il au cœur?
L'image tronquée de Dieu que se sont forgée les hommes
par adultéra\ion et sophistication du Dieu non imagina-
ble qui est la peau même de leur cœur.
En ce cas, le dramaturge joue le rôle de nettoyeur pu-
blic et sa besogne est salubre comme celle des nécropho-
res. Ce dont il nous débarrasse, c'est du cadavre des faux
dieux..
Mais, une fois de plus, pourquoi cette rage de démo-
lition, cet acharnement des mêmes individus contre l'oII;l-
bre divine dans laquelle leurs coups frappent en vain ?
D'où vient ce défi" brûlant, cette hostilité jalouse "de
l'Homme contre une Présence qu'il nie justement parce
qu'il y croit ?
Jamais les négateurs n'ont si bien montré et avec plus
de talent que Dieu les possède corps et âme, qu'ils en
sont imprégnés, pétris, au point de ne pouvoir s'en dis-
socier. Tuer Dieu, c'est reconnaître qu'il est vivant. Nier
-64-
Dieu, c'est confesser son existence. Le blasphème est
l'hommage suprême de la créature en insurrection.
c Tu ne me chercherais pas, a dit Pascal, si tu ne m'a-
vais déjà trouvé:.. c Si tu ne m'aimais pas, ajouterai-je,
tu n'aurais pas pour moi tant de haine :..
Lutter contre Dieu, c'est encore une manière de res-
ter en contact avec lui. Dès lors, Goetz pourra· bien jouer
aux dés l'alternative du bien et du mal. Qu'il gagne ou
perde, c'est toujours Dieu qui remporte la partie, car
l'évolution intérieure est la seule qui compte et, par rap-
port au Réel, les événements extérieurs ne sont rien.
Le besoin, donc la présence, de Dieu se mesure au
nombre des athées. Plus l'agressivité de ceux-ci cst gran-
de, plus aussi grandit la présence dc Dieu.

L'ILLOGISME DE DIEU

Tant que l'Homme s'acharnera ù saisir Dieu avec les


pincettes de sa logique, tant qu'il essaiera de le considé-
rer avec la loupe déformante de sa déduction, il se heur-
tera au mur le plus infranchissable qui puisse être op-
posé à la raison humaine, celui de l'Illogique et de l'Ir-
rationnel.
Tout concourt à nous démontrer que nous ne pouvons
à peu près rien expliquer des phénomènes de la Vie,
dans laquelle cependant nous sommes immergés. La bio-
logie, SUl' le t{~m()ignnge des scns, elix-mêmes prolongés
par le microscope électronique, est totalement impuis-
sante à définir la Vie. Un des plus illustres savants de
notre époque n'a pu qu'imaginer cetle lapalissade énor-
me : c La vie est l'ensemble des phénomènes qui s'op-
posent ù la mort :). Le jour où un savant non moins il-
lustre ~tablira que la mort est l'ensemble des phénomè-
nes qui s'opposent à la vie, le problème vital en sera-t-il
plus éclairé ? De même, les technicicns les plus experts
de l'électricité ignorent absolument la nature de celle-ci,
que personne n'a vue ni sentie, et dont, par des moyens
empiriques, on se borne à enregistrer les effets. Des gran-
-65-
des énigmes de l'Homme aucune n'a jamais été résolue
par la Science qui borne son étude à l'exploration super-
ficielle du monde manifesté. Aucune physique, aucune
chimie n'a tenté de pénétrer l'envers des choses. Quant
à la philosophie et à la métapsychique, qui eussent pu
effectuer une incursion dans le domaine des causes, nulle
d'entre elles ne l'a tenté que par les voies banales du
raisonnement. Les religions ont dépassé ce stade mineur
mais pour sombrer dans l'affirmation dogmatique. Com-
ment l'idée de Dieu n'eût-elle pas été diminuée par au,.
tant d'insuffisance ét d'incompréhension ?
Mais les progrès même de la civilisation industrielle et
le perfectionnement des moyens de l'analyse ont abouti,
durant les dernières décades, à la dissection de la ma-
tière, traquée jusque dans ses plus intimes réduits. L'a-
tome, prétendu insécable, a livré une partie de ses se-
crets et se révèle aux savants de laboratoire comme un
petit univers pratiquement aussi vide de matière que le
grand. De découverte en découverte et parvenu à l'ex-
trême limite des conceptions phénoménales, l'Homme du
vingtième siècle sent littéralement la matière dense lui
échapper et se volatiliser sous ses doigts. Ce qui apparaît
à la place n'est plus sujet aux lois normales de,la pesan-
teur et échappe aux règles traditionnelles. Il faut rem-
placer la divinité matérielle dispar1,1epar une autre et
l'on nomme celle-ci énergie et mouvement. Déjà, pour
le physicien de ce temps" un nouvel infini commence où
s'effrite la discipline rationnelle et le mythe logicien. On
se retrouve, une fois encore, devant le mystère insaisis-
sable de la Vie, c'est-à-dire devant un nouvel ordre im-
mense et entièrement différent de celui qu'on avait ado-
ré. Qui ne voit qu'énergie et mouvement sont seulement
des mots, forgés par le vocabulaire humain dans son
impuissance à exprimer l'inexprimable et qu'ils tien-
nent seulement la place de l'impossible et impensable ex-
plication ?
Si l'Univers était logique, dans le sens que les hommes
attribuent à cette expression, on le comprendrait par la
logique. Or, précisément la logique ordinaire, appliquée
-66 -
à l'expérimentation de l'Univers, le démontre incohérent.
Il fau~ donc ou bien que l'incohérence soit dans l'Uni-
vers et celui-ci échappe à notre logique ou que notre lo-
gique soit incohérente et celle-ci est cn contradiction avec
l'Univers. Mais le fait seul de l'organisation des choses
et des êtres prouve que leur ordre existe et que leur har-
monie peut avoir lieu sans nous. C'cst donc à nous d'être
en résonance avec l'Univers et non à cet Univers de se
rallier à nos vues factices. A plus forte raison sommes-
nous sans action sur le monde invisible si nous le conce-
vdns rationnellement organisé.
On mesure par là l'impossibilité pour le raisonnement
de s'emparer du problème de Dieu, qui constitue à la
fois tout le visible et tout l'invisible, sans qu'une forme
ou une définition puisse lui être appliquée et qui, si in-
génieux que soit l'esprit de l'Homme, échappe au con-
cept humain.
Dès lors, on est peut-être amené à penser que toute
méditation sur Dieu est superflue et qu'il est aussi vain
de le prier que de le nier. Cela est exact dans la mesure
où l'on se sert d'une divinité asservie aux conceptions
traditionnelles, donc absente de la Vie véritable et en
opposition avec l'universel.

DIEU NE SE PENSE PAS, IL SE VIT

Mais cette attitude, pour avoir étl~ la seule employée


par la quasi unanimité des hommes depuis qu'ils ont ac-
cédé à la conscience, n'est pas la seule possible ct même
c'est en partie à elle qu'on doit le présent divorce entre
l'Homme et le Divin.
n existe une méthode pour rejoindre Dieu directement
et sans intermédiaire. Elle consiste à le vivre dans la
vie visible et à l'expérimenter dans la partie sensible de
son univers. Cela est à la portée de n'importe qui, du
plus fruste comme du plus complexe des hommes, avec
cette différence cependant qu'on atteint Dieu plus aisé-
ment par l'humilité et la simplicité.
-67 -
Vivrc Dieu ce n'est pas légiférer ni dogmatiser ni ana-
thémiser. Ce n'est pas non plus discuter, comparer, dé-
duire. C'est encore moins contraindre et forcer.
Vivre Dieu, c'est d'abord et avant tout le reconnaître
et l'admettre. C'est aussi s'en emplir et se fondre en lui.
Cette fusion s'accomplit comme celle de la méduse im-
mcrgée dans l'immensité de l'Océan. Quand l'organisme
transparent baigne dans l'eau on ne sait plus très bien
où la mer finit et où la méduse commence. A ce stade
d'épousailles totales et de totale pénétration le zoophyte
est au faîte de sa compréhension de l'Océan, non par
explication de celui-ci, mais par abolition des frontiè-
res communes, le petit organisme faisant partie du grand
et semblant ne pouvoir en être séparé. De fait et une fois
hors de l'eau, que reste-t-il d'une méduse ? Or, dans la
plénitude de l'absorption (et l'on se demande lequel, de
l'Océan et de la méduse est le plus absorbé) le végétal-
animal ne cherche pas à définir s'il est dans les eaux
du Pacifique ou de l'Atlantique, ni si la mer a des bor-
nes, ni si sa teneur est normale en seL Il vit et il s'em-
plit ; et sa palpitation infime est accordée à la palpita-
tion géante du milieu dans lequel il est. La Vie entre
continuellement en lui à mesure qu'il se confond conti-
nuellement dans la Vie.
Ainsi en est-il de l'Homme qui s'abandonne à la Vie
divine et se fond en Dieu. Toutefois, un abîme existe
entre les deux états car la fonction de la méduse est pu-
rement végétative alors que celle de l'Homme est cons-
ciente s'il la délibère ainsi. La méduse ne peut pas se
comporter autrement qu'elle ne le fait. C'est pour elle
une nécessité inéluctable. L'Homme est libre d'adopter
des attitudes opposées et il ne s'en prive point. Il peut se
fermer à Dieu, refuser l'immersion et même se dessé-
cher dans l'indifférence. Cela n'empêche pas l'Eau di-
vine d'exister et d'irriguer d'autres organismes spirituels.
Vivre Dieu n'est donc pàs seulement une passivité ni
même seulement une activité, mais encore et surtout une
chose délibérée. Plus que la mort dont Gœthe a dit
- 68-
qu'elle était un consentement, la Vie doit être consentie
pour qu'on en tire tous les effets. C'est par totale et joyeu-
se adhésion que nous pouvons nous fondre en Dieu-Ia-
Vie par chacune de nos pensées, chacune de nos paroles
et chacune de nos actions.
J'en atteste tous ceux qui, se soustrayant "Uudétermi-
nisme général, ont élevé lem' exislcnce jusqu'uu niveau
supérieur des êtres et des choses et qui, parvenus à l'u-
nion universelle, ont fait, même corporellement, de leur
vie un acte d'Amour.
Qu'est-ce, en effet, qu'une carrière d'homme sans
amour, sinon une terre aride, un désert de sable, un lit
desséché? L'Amour est Dieu comme Dieu est Amour. Le
souffle de çet Amour réchauffe tout ce qui existe. Et il
n'est pas d'équilibre sans cette attraction constante sur
la Terre comme dans le Ciel.
Le Père Teilhart dc Chardin ct son commentateur F.
A. Viallcl l'ont fort bicn vu quand ils onl spécifil' que
ceLLefi Ilraction, d'abord physi(IUl'. de\'Ïcnl « l'ail rad ion
« consciente qui s'inlensilic de plus l'n plus ... ; ceLLeal-
e lraction universelle devient Amour dans lc couple, ...
e sur l'l'chelle sociale, dIe s'l'li'vc h ia sympathie, au
« scns dl' justicc el dc fratcl'l1itl' el peul aboutir, il l'é-
c chclle ('osmÎ<Iuc, h l'amour dl'laché ct univcrsel ».
Unc telle pl'isc de contact, puis unc lclle union huma-
no-divine ne peut êlre le faiL d'une collcclivill'. Toutc
réunion d'hommes suppose un ahandon, au moins par-
tiel, du lil.H'e-Ul'hilre de ceux qui la composcnt et cette
amputation conscienLielle est forcémenl inégale puis-
qu'elle s'applique à des individus différents, Au sein de
la communaulé religieuse la plus unie et apparemment
pliée sous la même règle, chaque tempérament réagit à
sa manière et l.es tièdes ne marchent point au pas des
ardents, C'est donc de l'individu seul que peut naître
l'élan vers la rencontre et ce parfait hyménée de l'esprit
de l'Homme et de l'esprit de Dieu.
Cela suppose une haute tension, ainsi que je l'expli-
quais dans mon « PETIT TRAITE DE MYSTICISME
- 69-
EXPERIMENTAL ~ (1), un continuel survoltage, qui peut
griller certaines lampes défectueuses mais porte la lu-
mière de certaines autres à un haut degré d'intensité. A
ce stade de dépassement, l'Homme échappe à l'infério-
rité de sa nature instinctive et se transcende au delà de
ses ordinaires possibilités. Mais cela s'avère de plus en
plus individuel, car, dit encore le P. Teilhart de Chardin
dans « Le Milieu Divin ~, « nous ne pouvons nous per-
« dre en Dieu qu'en prolongeant au delà d'elles-mêmes
« lcs déterminations les plus individuelles des êtres :
« voilà la règle fondamentale à laquelle on distingue
« toujours le vrai mystique de ses contrefaçons :t.

REHABILITATION DE L'HOMME ET DE DIEU

Faut-il cependant considérer cette accession à Dieu


comme le lot de rares privilégiés alors qu'elle serait in-
terdiLe il la plus gmnde part des hommes ?
Non, car avant d'être entendu par les individualités
les plus évoluées, l'appel de Dieu est ressenti confusé-
ment par tout homme pensant. Mais celui-ci est victime
des faux aspects de Dieu qu'on lui présente et il se dé-
tourne de l'image tronquée ou rébarbative de dieux préa-
lablement fabriqués. Le refus de Dieu qui naît ainsi n'est
ni vrai ni définitif. Il ne vient que des conditions faus-
sées de l'expérience. Il n'entame en rien l'essence de
l'Etre infiniment intelligent, infiniment juste et bon.
Cela justifie le cri tragique de Berdiaeff dans son e Es-
sai de métaphysique eschatologique) : e L'athéisme de
« grand style, non l'athéisme vulgaire, pouvait être une
e rectification dialectique de l'idée. humaine de Dieu.
e En se révoltant contre Dieu, à cause du mal et de l'in-
e justice du monde, on présumait ainsi l'existence d'une
e justice plus haute, c'est-à-dire, en fin de compte, de
e Dieu. Au nom de Dieu, on se soulève contre Dieu, on
e s'insurge contre une compréhension de Dieu souillée

(1) Niclaus.
-70-
e: par ce monde. Mais sur cette voie, dans cette lutte
« douloureuse, l'homme peut vivre d.esminutes non seu-
e: lement de complet abandon de Dieu, mais aussi de
e: mort de Dieu ~.

, On le voit, notre réhabilitation paradoxale de Dieu


s'imposait dans une humanité qui le dénature et où ceux
qui prétendent le servir le desservent alors que ceux qui
prétendent le nier le confessent sans s'en apercevoir.
Il est un visage rayonnant de Dieu, un aspect ineffable
de Dieu, jamais le même .pour chaque homme et cepen-
dant si idéalement adapté à lui qu'il est plus près de lui
que sa propre chair. C'est cette offrande de Dieu et cette
offrande de l'Homme qui se juxtaposeront puis s'imbri-
queront de plus en plus à mesure que la conscience hu-
maine évoluera. Puis ces notions géométriques dérisoires
elles-mêmes disparaîtront pour faire place· à une mu-
tuelle et intégrale possession, si totale et absolue qu'il
n'y aura plus de différence, matérielle ou spirituelle, en-
tre l'Homme et Dieu réunis.

FIN

\
·'
TABLE DES MATIERES
,:\,
( . ,

;,;:,':.
""ri' Pages
CHAPITRE 1. - Réhabilitation de l'Homme '1
Le lourd héritage hébraïque. - La notion abusive de
déchéance. - Conscience: arme à double tranchant.-
Le sentiment de justice. - Irresponsabiiité du lam-
piste. - La notion de péché orif{inel. -.:;.Sommes-nous
pécheurs ? - La Vie est un éqUIlibre automatique. -
Nécessité de l'athée. - La plus formidable erreur judi-
ciaire. - Dieu n'est ni imbécile ni incompréhensif. -
L'épouvantail diabolique.
CHAPITRE II. - Procès de la vertu . 31
Les fabricants de désespoir. - Les fabricants d'espoir.
! - Les braves gens. - Le visage souriant du Vice. -
Vertu
Le visage
véritable.
rébarbatif de la Vertu. - Fausse vertu et
CHAPITRE III. - Réhabilitation de Dieu 45
La non-omnipotence. - Croissance de Dieu. - L'absolu
fuyant. - Le christianisme de demain. - Dieu est en-
, gagé. - A chacun son angle de Dieu. - La conscience
-est Le
la Bienveillant,
clé du problème.- - Le nouveau
le Bienfaisant, visage de Dieu.
le Bienaimant.
CHAPITRE IV. - Réhabilitation de l'Homme et de Dieu ... 61
Le duel entre la puce et l'Himalaya. - Tu ne me nie-
rais pas si tu ne savais que je suis. - Illogisme de
'Dieu. - Dieu ne se pense pas, il se vit. - Réhabilita-
'lion de l'Homme et de Dieu.

'"

Imp. Laballery; Clamecy (Nièvre). - le' Trimestre 1957

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