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LIENS
Marie-Jeanne MUENDE-MAMPUYA
Octobre 2008
Jury :
Remerciements
Je remercie d’une façon toute particulière le professeur Philippe MARTIN qui, dépassant son
emploi du temps si chargé au service de l’Université et de la Région Lorraine, a accepté de diriger
ce travail. Sa disponibilité et ses conseils avisés m’ont permis d’avancer rapidement dans la
rédaction de cette étude et de lui garantir le niveau qui est le sien à ce jour ; volontiers je lui attribue
les quelques mérites de ce travail tout en en assumant les insuffisances. Infinie gratitude.
Dédicace
-A mes petits enfants, Maëva, Lou-Anne, Florine et Lilian, vous êtes dans le cœur de mon cœur ;
-A Christian-Yves, Jean-Michel et Jean-Hubert, mes enfants que j’aime tant ;
-A mon cher époux, ton amour ne m’a fait à aucun moment défaut pour tenir face aux exigences de
cette aventure, tandis que ton aide m’a été indispensable pour la toilette de ce travail qui est aussi
tien.
-A Mukenge Paul et Kanku Pauline mes parents qui sont auprès du Seigneur; à toi aussi, Antoinette
Kamuanga-Mukole, toi qui m'as bercée et tant chérie.
-A mes belles-filles Aurélia et Elodie, qui, par amour pour moi, avez manifesté beaucoup d’intérêt à
ce travail.
iii
Avant-propos
A chacun de mes grades universitaires, mes travaux de recherches ont toujours porté sur un aspect
des activités ou de la vie de l'Eglise congolaise, tout au long de son africanisation. J'ai donc, tout
naturellement, couronné ce cursus par un sujet plus vaste dans lequel s'imbrique parfaitement mon
traditionnel souci pour l'Eglise du Congo.
INTRODUCTION GENERALE
2
1
LE GALL (Dom), Robert, Dictionnaire de liturgie, Ed. C.L.D., 1987.
3
Liturgie
Le terme provient « de l’adjectif grec lèitos, « public », dérivé de léôs (en ionien laos)
et du nom commun ergon (« service », « œuvre », « travail ») », dérivant du verbe ergein
(faire, accomplir. « La liturgie est donc, étymologiquement, une œuvre, un « service public »
fait au bénéfice du peuple. Dans les démocraties grecques, leitourgia désigne tout service
rendu au bien commun par les citoyens, mais particulièrement la fonction publique dont le
titulaire supportait les dépenses et qui consistait à organiser les chœurs, les jeux, à équiper les
galères, etc. ». A Athènes, la leitourgia était, à cause de sa charge financière, souvent imposée
par la « Cité » aux citoyens riches et, comme on le voit, elle n’a encore aucune connotation
religieuse, sens qu’elle acquerra plus tard. En effet, quand, « au IIIe siècle avant Jésus-Christ,
la traduction grecque des Septante rend le terme hébreu ‘abodah (« service cultuel » par
leitourgia ; il ne s’agit donc plus d’une œuvre dont le peuple est le bénéficiaire, mais dont il
est le sujet ; la liturgie devient le « service » religieux et rituel rendu à Dieu par la
communauté rassemblée en son nom. »2 Les recherches modernes sur ce thème faisant
apparaître une double relation descendante (sanctification de l’homme par Dieu)-ascendante
(glorification de Dieu par l’homme) ont été ramassées dans la définition que la Constitution
du Concile Vatican II sur la liturgie donne de celle-ci : « La liturgie est l’exercice de la
fonction sacerdotale de Jésus-Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est
signifiée par des signes sensibles et est réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, dans
lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus- Christ ,c’est-à-dire
par le Chef et par les membres. Par suite, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre (opus)
du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée (actio sacra) par
excellence dont nulle autre action (actio) de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même
titre et au même degré »3.
2
LE GALL (Dom), Robert, Ibidem., p. 153.
3
La Constitution Sacrosanctum Concilium, § 7, V. infra, Concile Vatican II
4
rites nouveaux pour la liturgie sacramentelle, nous nous intéresserons uniquement aux
nouveaux rites de messe.
Culte
« Du latin cultus, mot qui vient de colere « cultiver », « soigner » et, par dérivation,
« honorer », « entretenir ». Le culte est l’ensemble des actes par lesquels une communauté
humaine honore ses dieux et entretient ses relations avec eux. On cultive la relation avec Dieu
comme on cultive une amitié ; on y « soigne » la divinité pour elle-même et en vue de ses
bienfaits. »
Rite(s) et Rituel(s)
Le rite, qui s’écrit parfois « rit » et avec un sens quasi identique, vient « du sanscrit riti
« allure », « disposition », « usage », issu du verbe ri : « aller ». « Dans l’acception courante,
le rit est un acte cultuel plus ou moins stéréotypé, un geste religieux plus ou moins
mécanique, répétitif. Originairement, le mot signifie les usages reçus grâce auxquels se
maintient l’ordre du monde. Loin d’être machinal, le rite est une action humaine
communautaire, déterminée par la divinité et, donc, reçue, qui mime ou reproduit l’action
divine. Pratiquer un rite, dans la plupart des religions, c’est agir comme Dieu et avec
Dieu….Dans la religion chrétienne les rites essentiels que sont le sacrifice eucharistique et les
sacrements [ne] sont[-ils pas] des actes de Dieu auxquels est associée l’Eglise [ ?]. »
On appelle Rituel « un livre liturgique contenant les rites de telle ou telle célébration».
Ainsi, le Rituel romain est le « recueil de la plupart des rites qu’un prêtre peut être amené à
célébrer » ; il en est ainsi de la messe, de la plupart des sacrements et des « sacramentaux »
(actes sacrés ou réalités sacrées qui, sans être des sacrements, appartiennent à l’ordre
sacramentel, comme les bénédictions d’objets, dédicace d’églises, … ou les consécrations de
personnes, par exemple celle des vierges, profession religieuse, etc.
Il ne peut y avoir de religion sans rites, car, comme écrivent Louis-Vincent Thomas et René
Luneau, « la religion, pour être vivante et active, doit s’exprimer dans des comportements
liturgiques socialement codifiés, le plus souvent visibles à tous (sauf dans quelques séquences
particulières réservées aux seuls initiés) »4 ; ainsi, liturgie et rites sont intimement liés et,
4
THOMAS, Louis-Vincent. et LUNEAU, René, La terre africaine et ses religions. Traditions et changements,
Paris, L’Harmattan, 1975.
5
souvent, employés l’un pour l’autre (par exemple dans les expressions « liturgie tridentine » et
« rite tridentin »).
Eucharistie
« Dans toutes les religions, le repas est sacralisé ; il est l’acte central où la
communauté humaine reconnaît formellement devoir sa subsistance la divinité et où, en
échange, elle pourvoit à la « nourriture » divine en offrant aux dieux une part de leurs
dons… » 0n verra que cette vision à la fois étymologique et anthropologique de l’eucharistie a
une influence sur la nature et le sens de la célébration eucharistique chrétienne, et fait, à ce
titre, débat.
Messe
Missel
Ordo missae
Pris isolément, un ordo est le calendrier liturgique annuel précisant pour un diocèse ou
une congrégation religieuse l’eucharistie et la « liturgie des heures », mais l’ensemble de
l’expression présentée ici se traduit littéralement par « l’ordre (ordo) de la messe (missae)».
« Un ordo missae, promulgué par un document authentique du Saint-Siège, prescrit la façon
dont on doit célébrer la messe : il précise comment il convient de donner à chaque rite sa
place véritable » L’histoire de la célébration eucharistique (messe) montre que les ordines
évoluent, changent selon les orientations du moment, de la même manière qu’évolue la
liturgie elle-même, tout cela dépendant des décisions des autorités habilitées de l’Eglise,
papes et curie pontificale, conciles ou synodes, etc.
Sacramentaire
qui, d’une part, décrivent le comportement des ministres… et, d’autre part, reproduisent … les
paroles revenant à ceux-ci. »5
Canon
« Du mot grec kanôn : « règle ». Les canons d’un concile sont les règles dogmatiques
ou disciplinaires qu’il édite », ils constituent alors un corpus de nature juridique. « Dans la
liturgie romaine, le Canon est le terme le plus souvent employé pour désigner la prière
eucharistique, c’est–à-dire la partie centrale de la messe, celle qui va de la Préface au Per
ipsum. Le Canon est « la règle » de célébration qui doit être observée pour l’eucharistie : il ne
s’agit pas seulement d’une règle de structure, mais d’un formulaire imposé. En Orient, ces
formulaires eucharistiques sont appelés anaphores. »
Dans ce sens, le Canon peut être considéré, également, comme le contenant d’un
ensemble de ces prières « eucharistiques », dites, ainsi que les gestes qui en accompagnent
quelques-unes, au cours de cette partie où se réalise l’essence même de la messe et qui sont
structurées, comme nous le verrons, sur le modèle des grandes prières juives d’action de
grâces ; on peut d’ores et déjà dire que, dans les prières eucharistiques actuelles, on reconnaît
assez facilement l’héritage juif, aussi bien quant à leur structure que quant à leur objet ou
contenu.
5
METZGER, Marcel, Les Sacramentaires, Turhnout (Belgique), Brepols, 1994, pp. 33-34.
8
C’est sans aucun doute dans le christianisme que le terme connaît son rayonnement en
désignant l’ensemble des rites constituant la trame de toute cérémonie religieuse organisée en
Eglise en relation avec le culte ou avec différents aspects de la vie et de la spiritualité
chrétiennes. Chez les catholiques, c’est la « messe » qui est le point culminant de la liturgie où
est célébrée « l’eucharistie ». En fait, dans l’Eglise antique, « le terme « liturgie » désignait la
célébration de la messe au sens large, et comprenait donc aussi la partie préparatoire qui ne
comporte que des prières et des lectures – et « eucharistie désignait la messe au sens strict,
particulièrement le canon de la messe, c’est-à-dire la prière de consécration proprement dite »
depuis la préface jusqu’à la conclusion, Amen, de la doxologie6 . En grec ancien, eukharistía
signifie plus précisément « action de grâces » pour désigner, chez les chrétiens, la célébration
du sacrifice du Christ ou, selon certaines évolutions, la commémoration (plus techniquement
« le mémorial ») de la mort et de la résurrection de Jésus. Elle s’accomplit autour de la
proclamation de la Bible et d’une action de grâce dont le moment fort est constitué par les
paroles de l’institution faite par Jésus lui-même, suivies du partage des « éléments
eucharistiques », le pain et le vin, considérés par les chrétiens ainsi que le corps et le sang du
Christ qui s’est offert en sacrifice sur la croix, mais, surtout, qui est, pour les chrétiens,
ressuscité. Dans les premiers temps du christianisme, ce rite liturgique était appelé par
l’expression qui désignait le repas qu’y mangeaient les participants en mémoire de la dernière
Cena que Jésus prit avec ses disciples avant d’être arrêté : l’eucharistie fut ainsi désignée par
« la fraction du pain », expression même qu’utilisaient les disciples de Jésus et les premiers
chrétiens [terme employé trois fois dans le Nouveau Testament, sens représenté plusieurs fois
par la locution verbale « rompre le pain » ], « le repas du Seigneur », repas sacré, etc.
6
CASEL, Odon, Le Mémorial du Seigneur dans la liturgie de l’antiquité chrétienne – Les pensées
fondamentales du canon de la messe, 1945, p.23.
7
Lc 22, 14-20 et I Cor. 11, 23-25
9
origine dans le Christ et, l’évangile n’ayant rien dit, sans que l’on sache bien si Jésus avait
conçu et ordonné un rituel pour cette « Nouvelle Alliance », cette « Nouvelle Pâque », ou s’il
avait simplement appliqué le rite de la Pâque juive, le seul point commun incontestable étant
que les deux « pâques » ont lieu au cours de repas ou à travers un repas.
Problématique
Lorsque, par la suite, les apôtres, les disciples et d’autres témoins, chrétiens ou païens,
parlent de ces « fractions du pain » organisées au sein des communautés chrétiennes, ils n’en
décrivent pas le rituel, sauf la précision que les assemblées se tenaient « le jour du Seigneur »
ou le premier de la semaine ou « le jour du soleil » ; la tradition naquit donc de célébrer
chaque « dimanche ». On peut ainsi penser que l’usage s’est progressivement établi également
sur le rituel, lorsque les disciples s’assemblaient pour louer le Seigneur et « rompre le pain »,
sans doute en se limitant au récit que les évangiles font de l’institution de la dernière Cène.
Ceci s’est transmis de communauté en communauté selon un mode dans lequel la tradition
orale a joué un grand rôle. De fait, dans une période où les écrits sont peu nombreux, rares et
chers, la culture dans laquelle se sont formés le christianisme et ses différentes institutions
était essentiellement orale, les apôtres et les autres disciples n’ayant pu transmettre la tradition
établie par le Christ que par la mémoire. Les écrits n’arriveront que plus tard, au fur et à
mesure que les témoins directs des événements du Jeudi saint disparaissaient et que des
communautés et églises locales se trouvaient de plus en plus éloignées du siège apostolique
historique du christianisme, Jérusalem. Alors, se faisait sentir le besoin de conserver par écrit
une instruction, établir des sortes d’aide-mémoire pour demeurer aussi fidèles que possible à
la tradition ou par crainte de la trahir, l’oral et l’écrit s’épauleront ainsi jusqu’au IIe siècle8,
tandis que longtemps encore l’oralité jouera dans la propagation de certains usages, gestes et
paroles intervenant dans les rites ou tout simplement dans la vie des chrétiens et qui
s’intègrent ainsi dans une tradition qui remonte, de proche en proche, jusqu’à l’époque des
apôtres par l’intermédiaire de ceux qui ont côtoyé les disciples du Christ ou qui ont rencontré
les disciples des disciples du Christ, sans oublier ce que chaque période crée ou invente sans
pour autant s’écarter du mystère chrétien tel qu’enseigné par le Christ ou par ses apôtres9 .
8
Dans ce sens, GRELOT, Pierre, in Pierre GRELOT, Gérard ROCHAIS, Edouard COTHENET et Maurice
CARREZ, La liturgie dans le Nouveau Testament, Paris, Ed. Desclée, 1991, p. 34
9
Marcel METZGER rend compte de cette réflexion de Basile de Césarée, citant certaines pratiques comme le
signe de croix, la bénédiction de l’huile de l’onction ou de l’eau de baptême, etc., op.cit., pp. 19-20.
10
De telle sorte que l’on peut affirmer que l’organisation de la célébration elle-même, ce
que plus tard on appellera ordo, va ainsi relever de chaque communauté, de chaque église
locale12 et non de codes écrits imposés par une hiérarchie non encore structurée ; dans ce sens,
la diversité et, même, le pluralisme liturgiques, sont sans doute observés dès les origines de la
liturgie chrétienne. Il en est ainsi né ce qui est reconnu comme des « familles liturgiques », la
liturgie « occidentale » ou latine et la liturgie « orientale », au sein desquelles se scindent
plusieurs sous-familles. Dans la première, ont existé et subsistent encore la liturgie milanaise
ou « ambrosienne », la liturgie lyonnaise, certains rites propres à des ordres religieux comme
le rite dominicain, etc. ; la même famille latine connut un schisme considéré comme
« hérétique », donnant naissance aux diverses Eglises « protestantes » ainsi que leurs propres
liturgies ou rites (luthéranisme d’où ont émané plusieurs branches se rattachant à cette Eglise
« réformée », anglicanisme, etc. Tandis que la seconde est diversifiée en plusieurs liturgies,
10
I Cor. 11, 17-22.
11
I Cor. 11, 23.
12
METZGER, Marcel, op.cit., p. 18.
11
De fait, comme elle le reconnaît elle-même, comme dans l’encyclique Mediator Dei,
du 20 novembre 1947, où Pie XII écrit : « L’Église, sans doute, est un organisme vivant,
donc, même en ce qui regarde la liturgie sacrée elle croît, se développe, évolue, et
s’accommode aux formes que requièrent les nécessités et les circonstances au cours des
temps, pourvu que soit sauvegardée l’intégrité de la doctrine. », tandis que « Le culte
s’organise et se développe selon les circonstances et les besoins des chrétiens, il s’enrichit de
nouveaux rites, de nouvelles cérémonies et de nouvelles formules, toujours dans le but « que
nous tirions enseignement de ces signes extérieurs, que nous prenions conscience de nos
progrès et que nous nous stimulions fortement à les poursuivre car la valeur du résultat
dépendra de la ferveur qui l’aura précédé »13
13
Encyclique Mediator Dei, de pie XII, le 20 novembre 1947.
12
Cette longue citation de l’encyclique Mediator Dei explique déjà pourquoi la liturgie
est intimement liée à la culture. Celle-ci s’exprimant par les gestes, les arts, des croyances et
un culte « traditionnels » de chaque peuple, l’architecture, la musique, alors que par cette
dernière on « prie deux fois » selon le proverbe bien connu, car par le chant « l’Église
militante, c’est-à-dire le clergé et les fidèles assemblés, unit-elle sa voix aux cantiques de
l’Église triomphante et aux chœurs angéliques, pour élever à l’unisson un hymne splendide et
sans fin en l’honneur de la très sainte Trinité, selon ces mots (de la Préface) : « En compagnie
desquels nous te prions de faire admettre nos voix » (Mediator Dei).
Par ailleurs, la religion, les croyances et pratiques religieuses vécues par un peuple et,
ainsi, la liturgie, participent de la culture, de la civilisation de ce peuple, tout comme il en est
dit de la « civilisation judéo-chrétienne ». Notre propos n’étant pas d’entrer dans les
considérations propres aux mysteria chrétiens, nous devons donc observer le contexte
historique, en même temps que culturel, d’apparition, de développement et d’expansion du
christianisme, ainsi que de ses formes cultuelles, des expressions et des formes de sa liturgie.
13
Cet énoncé de facteurs d’évolution explique, à lui seul, que la liturgie n’est jamais
restée figée ; autant dès les premiers siècles, ayant émigré de Palestine pour d’autres contrées,
elle a dû réussir la conciliation de ses origines judaïques avec les cultures, y compris des rites,
de ces régions d’expansion. Par ailleurs, différents pasteurs, évêques d’églises particulières et
sièges épiscopaux, ont établi des prescriptions liturgiques qui ont divergé entre elles à une
époque où le débat doctrinal et théologique faisait rage, et pas seulement vis-à-vis des
« hérétiques », chacun suivant sa sensibilité, son inclinaison spirituelle ou la culture propre de
chaque région. Lorsque l’empire se disloque, l’Eglise va se trouver tiraillée entre les deux
mouvances politico-socio-culturelles, révélant deux manières de percevoir les fondamentaux
du christianisme, y compris sur les différentes facettes de la foi chrétienne, ainsi que
l’attestent les débats houleux des premiers conciles (Nicée, Constantinople, par exemple). La
liturgie va, globalement, suivre ces deux mouvances, orientale ou « grecque », autour de
Byzance, occidentale et « romaine » ou latine, autour de Rome ; une bifurcation qu’entre
autres traduit l’adage très chrétien « lex orandi, lex credendi »14. A ce propos, il n’est pas
indifférent, au contraire cela est avec assurance confirmé par tous les historiens, que
l’empereur se fût converti au christianisme, parce que la religion de l’empereur allait devenir
celle de son peuple ; comme nous le verrons, ce sera pratiquement une tradition s’imposant
comme principe (cuius regio eius religio) pendant tout le Moyen Age, ainsi qu’au moment de
la Réforme et lors de la formation des Etats centralisés de la Renaissance, avec l’apparition de
véritables « églises nationales ». Sans oublier que dans certains pays, l’Eglise locale pouvait
adopter une liturgie particulière pour se singulariser, marquer son indépendance vis-à-vis de
Rome, par exemple (cas du rite gallican) ou la séparation d’avec Rome (rite luthérien ou
anglican, etc.). Mais, aussi, son histoire nous enseigne que, y compris dans une même ère géo-
culturelle, la liturgie a été amenée à s’adapter à diverses évolutions, parfois pour des raisons
fortuites et, même, futiles, ou pour des différences de sensibilités ou sous l’influence d’une
vieille coutume locale, etc.
14
La formule lex orandi, lex credendi est devenue une formule, axiome, adage, maxime ou principe, articulant
la liturgie et la foi de l'Eglise. Elle se réfère à la relation entre le culte et la croyance, la liturgie étant une
expression essentielle de la foi de l’Eglise ; elle signifierait alors (sans nous engager dans les débats sémantiques
de théologiens) : la loi de la liturgie est celle de la foi ; notre prière exprime notre foi, telle prière, telle croyance,
ou encore, on croit de la même manière que l'on prie.
14
Enfin, il ne faut pas minimiser l’influence sur la liturgie, ses formes et expressions,
que chaque période historique, avec sa culture dominante, ses arts, son architecture, sa
musique, etc., exerce sur les formes non seulement des lieux de culte mais aussi sur celle de la
liturgie elle-même, comme la simplicité ou le faste et le luxe des lieux de culte (des simples
maisons privées aux grandes basiliques antiques ainsi qu’aux imposantes cathédrales et
églises médiévales, etc.), tout comme sur les célébrations ainsi que les signes de vénération au
cours de ces dernières (honneurs, génuflexions, prosternations, …). Il n’y a qu’à penser à
l’influence du baroque, architecture, arts (peinture, sculpture, etc.), mais aussi du luxe et de la
pompe de l’étiquette des cours royales, sur les édifices religieux et sur la liturgie elle-même.
Tel est le sens de la liturgie chrétienne qui fait l’objet de cette recherche, dont nous
retirerons délibérément l’ordonnancement et l’administration des sacrements et d’autres rites
lors de différents aspects de la vie spirituelle catholique, pour consacrer l’essentiel de nos
développements à l’eucharistie ou plus précisément à la messe, de sa forme originelle aux
récentes adaptations des rites africains.
Plusieurs réformes liturgiques se sont ainsi succédé tout au long de l’histoire, jusqu’à
nos jours ; certaines décidées pour mettre fin à trop de dispersion et uniformiser, autant que
possible, les rites qui du reste relèvent d’une même foi catholique, d’autres en vue de
répondre à des critiques acerbes mettant en péril l’unité de l’Eglise, comme celles du XVIe
siècle pour contrer la Réforme protestante, d’autres enfin pour accompagner un mouvement
de renouveau de l’Eglise dans son ensemble.
C’est de cette dernière catégorie que relèvent les réformes du milieu de ce XXe siècle,
notamment celle décidée par le Concile Vatican II convoqué par le pape Jean XXIII avec le
16
Par ailleurs, aux fins de ce renouveau ecclésial, à la suite de Vatican II qui avait pris
des options et donné des orientations à cet effet, s’est développée la théologie d’inculturation.
Adoptée particulièrement par les Eglises d’Afrique, l’inculturation a le projet d’intégrer le
christianisme et sa religion dans les cultures locales, c’est-à-dire dans la manière de chaque
groupe humain de percevoir, de comprendre, d’exprimer, de vivre sa réalité, laquelle
comprend le monde de la nature et de l’univers, les êtres humains et le monde du transcendant
ou le domaine de la religion. Cette œuvre d’intégration, d’incorporation, ou, pour rejoindre les
théologiens, d’incarnation , du christianisme a été réalisée dans la liturgie également, où,,
fortes des orientations conciliaires de Sacrosanctum Concilium et des rituels types ainsi que
des différents ordines édictés en application de cette constitution, les Eglises d’Afrique ont
tenté de rénover les différents rites liturgiques, en premier lieu celui de la messe Ainsi,
plusieurs conférences épiscopales ont élaboré des rites intégrant dans le culte des valeurs
africaines plus adaptées au tempérament de leurs peuples et qui, par un tel culte, feraient que
l’Eglise catholique africaine, ainsi mieux intégrée dans le « paysage culturel », soit perçue
comme de moins en moins « européenne ». Dans le cadre de cette évolution des églises
d’Afrique, et à cause de son antériorité pour avoir été le premier rite « inculturé » approuvé
par Rome, on peut affirmer que le rite zaïrois de la messe s’est imposé comme la base de la
liturgie africaine ; véritable « atelier de la liturgie africaine », il a servi de modèle à beaucoup
d’autres églises locales en Afrique et peut sans doute inspirer une liturgie africaine ou,
pourquoi pas, un rite liturgique africain dans un mouvement de régionalisation pour la
visibilité d’une « Eglise africaine ».
16
La constitution sur la liturgie adoptée par le Concile Vatican II, qui sera examinée plus loin.
17
En cela, aussi, notre thèse fondamentale vient de trouver dans ces développements son
axe principal, le leitmotiv constant étant que, de tous les facteurs qui déterminent les
évolutions de la liturgie et des rites, leur « immersion » dans les cultures rencontrées, comme
leur manière de réagir ou de s’adapter aux milieux et contextes culturels et sociaux
« étrangers » à leur origine spatio-culturelle, est sans doute l’un des plus marquants. Mais,
l’exemple de la langue liturgique démontrera que cette adéquation entre christianisme en
général, liturgie en particulier, et culture, s’est avérée comme la circonstance qui, plus que
tout autre, détermine l’intériorisation du christianisme et de sa liturgie par les peuples néo-
christianisés ainsi que la participation active des fidèles. C’est ce qu’on appelle,
« inculturation ».
Dans ce sens, notre thèse c’est, également, que ce phénomène s’est avéré tout au long
de l’histoire du christianisme, l’étude de l’histoire de la liturgie nous le fera vérifier, au point
où il n’est pas exagéré d’oser dire que l’histoire de l’expansion du christianisme et de
l’accueil de l’évangile a été celle de leur inculturation dans les peuples. Dans l’encyclique
Missio redemptoris, Jean-Paul II proclame cette vérité dont nous avons fait le cœur de notre
travail, en affirmant que l’inculturation « C'est une exigence qui a marqué tout son parcours
au long de l'histoire et qui se fait aujourd'hui particulièrement sensible et urgente. »17
Mais, depuis le Concile Vatican II, les principes et l’option sont dans une nouvelle
optique. L’Eglise est considérée comme la nouvelle incarnation, là où elle est implantée, du
Christ et de son message dans chaque peuple, dans sa culture et dans sa mentalité. L’action
liturgique, source et sommet de l’activité de l’Eglise, doit donc, dans cette logique et selon le
17
Encyclique Missio Redemptoris, du 7 décembre 1990, § 52.
18
désir du Concile, emprunter les formes appropriées à chaque culture, ses rites et ses
expressions cultuelles, pourvu que, dans leur sens profond et dans leur mode d’expression
En effet, une Eglise locale doit avoir une liturgie qui soit pleinement signifiante pour
les peuples concernés, c’est-à-dire, qui emprunte ses signes à la culture locale, aux traditions
religieuses du pays, en sorte qu’elle soit l’expression et la célébration concrètes de la vie et du
monde. Comme on va le voir, il ne s’agit pas seulement de couleurs, vêtements et ornements,
mais, conformément au décret conciliaire Ad gentes qui recommande que la foi soit
« enseignée au moyen d’une catéchèse adaptée et célébrée dans une liturgie conforme au
génie du peuple » et qu’elle « passe dans les coutumes locales »18, il s’agira des gestes,
d’attitudes corporelles, de rites, de célébrations funéraires, de vigiles solennelles et de
processions et, même, de célébrations sacrificielles et cultuelles. Par une telle vision, le
Concile souligne l’importance d’un mouvement de rénovation liturgique, notamment dans les
jeunes Eglises hors l’espace culturel occidental, lançant un appel à des compétences et des
charismes particuliers pour aider à constituer une liturgie adaptée, autochtone, et pour
élaborer des directives et des manuels appropriés de pastorale liturgique.
L’intérêt attaché à ce sujet, de même que l’intérêt qu’il peut présenter pour la
connaissance de l’histoire de la liturgie catholique, réside justement dans cet aspect
particulier, guère exploré suffisamment, de l’inculturation comme vecteur des évolutions
liturgiques mais aussi de la permanence historique de ce phénomène, réussi dans l’expansion
géographique du christianisme dès ses premiers temps, et qui, après avoir été ignoré par les
missionnaires européens dans d’autres continents, revient à l’honneur pour légitimer les
récentes expériences liturgiques menées dans le monde extérieur à son berceau historique.
18
Décret conciliaire Ad gentes, § 19.
19
Nous avons travaillé sur cette problématique tout en connaissant les nombreuses
controverses théologiques qui déchirent aujourd’hui l’Eglise romaine sur cette question. A
propos de ces controverses, on a pu parler de « crise du missel » ou de la liturgie et, même, de
« guerre des missels ». Cette « crise » a eu comme ingrédients le « schisme » et
l’excommunication de Mgr Lefebvre et de sa « Fraternité Saint Pie X » révoltés contre les
réformes de Vatican II, avec, à sa suite, l’éclosion de tout un courant « traditionaliste ». Mais,
on peut trouver dans l’apparition de nombreux rites « inculturés » dont, à travers le « rite
zaïrois », les rites africains, ainsi que dans les réactions qui s’en sont suivies, une autre
manifestation de cette « crise » liturgique, ainsi que dans la volonté de réforme exprimée de
longue date, alors qu’il était encore cardinal, par le pape Benoît XVI qui, voulant dénoncer
des abus, parlait de « liturgies fabriquées » ou de « show », et à qui l’on avait prêté l’intention
d’effacer Vatican II ; tandis que son Motu proprio19 semble, à cet égard, très équilibré même
si certains y ont vu une prétendue revanche des « intégristes ». A chacun de ces moments ou à
chacune de ces occasions, il y a eu, globalement, une véritable « querelle des anciens et des
modernes ».
19
Motu proprio Summorum Pontificum, du 7 juillet 2007.
20
Par ailleurs, nous n’ignorons pas que les expériences du genre « rite zaïrois » sont
particulièrement visées, au moins dans quelques-uns de leurs aspects : il leur est adressé les
mêmes critiques que celles réservées à la théologie « africaine » et à l’inculturation qui sont
leurs sources et leurs fondements ; parfois, ce qui est visé c’est cette sorte d’étrangeté qu’ils
présentent par rapport à la liturgie romaine séculaire, ordonnancée, rigoureusement séquencée
et chronométrée, tandis que leur « exubérance » et leur expressivité ont été vues ainsi que des
caractéristiques d’un spectacle ou, encore, d’un show. Enfin, au sein de l’Eglise catholique
congolaise même, des débats se sont faits chauds, non pas seulement de la part de ceux qui
lient trop cette réforme, comme certaines autres, à la personne des prélats (Malula,
Monsengwo, Tshibangu, Ngindu, entre autres) qui, en leur temps, et avec d’autres théologiens
congolais, en avaient été les promoteurs zélés, mais aussi de la part de ceux qui, au Congo
même, prônent la théologie de la libération ou de ceux qui, paradoxalement, se font les
chantres du retour à la romanité pure et dure et qui aiguisent la critique la plus acerbe et la
plus avilissante du « rite zaïrois ». Cette dimension globale de la problématique donne au
débat un caractère « idéologique », dans ces oppositions entre l’ancien et le « moderne »,
entre la romanité universelle et le local, entre, finalement, le Nord et le Sud. Ce dernier aspect
se manifeste à travers l’intention prêtée, à tort ou à raison, aux peuples du Nord de maintenir,
par une liturgie imposant dans certains de ses aspects les cultures occidentales, leur
domination sur les peuples du Sud, d’aliéner les capacités de ces peuples du Sud de créer et de
s’approprier ou d’approprier à leurs cultures une foi dont il n’a jamais été question pour eux
de contester l’universalité.
Notre travail, une recherche en histoire, se situera bien évidemment en dehors de ces
querelles de spécialistes, théologiens et liturgistes. Nous ne nous intéressons qu’à cette
perspective historique qui a vu le canon romain évoluer, de l’intérieur en quelque sorte, par
diverses adaptations, même bien avant Vatican II, jusqu’aux bouleversements que sont, pour
l’Européen parfois scandalisé, en tout cas surpris, les rites africains. Les seuls aspects propres
au langage et à la recherche théologiques se situeront exclusivement dans le cadre de la
recherche des fondements et justifications de certaines réformes et de certaines adaptations,
notamment concernant les rites zaïrois, à travers la « théologie africaine » et l’inculturation.
Ces deux notions sont en effet, dans la perspective de ce travail, des « moments », dans le
sens de l’histoire, et participent d’un processus d’évolution de l’Eglise. Il s’agira donc de
vérifier dans ce domaine de la liturgie l’adaptation de l’Eglise aux réalités historiques et
culturelles africaines et l’impact de l’inculturation sur la liturgie dans ses expressions
extérieures, grâce à des adaptations inspirées des valeurs africaines et qui éclairent, d’une
21
lumière nouvelle pour les peuples africains, le sens et la signifiance de la liturgie catholique
dont certains aspects leur apparaissent, pas seulement à eux du reste, comme ésotériques.
Enfin, il est utile de préciser que ce projet a été utilement et favorablement « infléchi »
par les entretiens avec des spécialistes africains des « rites africains », faisant état de
préoccupations pastorales et « missionnaires » de leurs jeunes Eglises. Leur désir est de voir
ces préoccupations prendre place dans cette étude historique et analytique afin de découvrir, à
travers notamment les circonstances de la genèse et de l’évolution de la liturgie, davantage
d’arguments pour une nécessaire « contextualisation »-africanisation de la liturgie, qu’ils
jugent légitime, en demeurant néanmoins fidèles à l’Eglise dont serait ainsi assurée la
véritable « universalité » et de laquelle, en tout état de cause, ils n’ont nul besoin de
s’éloigner.
Méthodologie
Les exigences académiques font que notre travail porte sur les données de l’histoire de
cette activité importante de l’Eglise catholique ; par ailleurs, si la problématique choisie se
prête, certes pour cela, à un exposé historique, elle commande en même temps une démarche
analytique. Les développements seront donc inscrits dans une logique à la fois historique,
c’est-à-dire chronologique, et substantielle, c’est-à-dire, faisant appel à des explications de
fond ou de contenu qui, au-delà de l’événementiel, relient les événements et les faits les uns
aux autres, souvent dans une relation de cause à effet. Dans ce sens, certaines des analyses
font appel à des aspects liturgiques matériels et doctrinaux, mais dans la seule mesure
nécessaire pour présenter la logique de la trame des réformes, expliquer aussi bien les
changements introduits par ces réformes que les différences que représentent les liturgies
« inculturées », celles qui ont dérivé du tronc commun de la liturgie « officielle » romaine,
soit dans des temps écoulés de l’histoire missionnaire de l’Eglise soit dans le cas le plus
récent des rites africains.
pour faire connaître et faire comprendre le bien fondé et les spécificités de l’effort de
renouvellement et d’« auto-appropriation » des rites aujourd’hui tentés dans une grande partie
des pays dits de mission désireux d’enraciner en eux l’évangile.
A partir de cette problématique, et par rapport à elle, il semble que se dessinent trois
moments de l’histoire de l’Eglise et de sa liturgie. Le premier s’est réalisé entre la terre
« natale » du christianisme et les cultures et civilisations occidentales, dans des conditions où
le christianisme a fini par épouser, en interaction, les cultures des peuples rencontrés et de
faire un avec elles. Cette sorte de première inculturation qui a fait admettre sans contestation
que le christianisme était la religion occidentale et que la chrétienté s’identifiait à l’Occident,
s’impose ainsi, comme, historiquement et dans la logique de notre problématique, la matière
de la première partie de ce travail. Le second moment se présente historiquement lié à
l’expansion missionnaire, aussi bien « mission » comme concept et vocation de l’évangile que
« mission » comme œuvre d’évangélisation entreprise dans des contrées étrangères au
christianisme historique, en particulier en Afrique. Il s’y est avéré que les conditions mêmes
de cette évangélisation devaient être analysées et exploitées pour voir si elles étaient
susceptibles de permettre un certain degré d’inculturation ou, du moins, d’adaptation du
christianisme et de la liturgie aux réalités socio-culturelles locales. Il se trouve que cette
période s’est caractérisée, à la différence de la première, par une totale méconnaissance d’une
nécessaire inculturation, n’accouchant finalement que d’une évangélisation superficielle
(deuxième partie) Le troisième moment, à partir du concile Vatican II, tirant les conséquences
des effets pervers des méthodes suivies pendant l’évangélisation missionnaire, s’est inspiré
d’une conscience aiguë de la nécessité de tenir compte des spécificités des peuples pour
intégrer le christianisme et sa liturgie dans leurs cultures, afin que, là où le christianisme
apparaissait à une multitude de peuples comme étant étranger à leur vraie vie, il s’incarne au
contraire dans celle-ci, devenant l’élément chrétien de leurs cultures (troisième partie). De
telle sorte que l’inculturation est l’axe central, le fil conducteur, de ce travail, soit en ce
qu’elle a été réalisée soit en ce qu’elle a, au contraire, été refusée ou ignorée ; l’étude des
facteurs historiques et autres extra-liturgiques ne s’est imposée que parce qu’elle conduisait,
en les éclairant, à ces conclusions.
et originaux, que complètent, pour leur compréhension, des études d’analyse exécutées sur
eux par des spécialistes. Il faut la modestie de reconnaître que, outre le temps et les moyens
qui ont fait défaut, notre projet n’a jamais été de réaliser une œuvre d’érudition en liturgie.
Aussi, faute d’avoir accédé à ces originaux, nous nous sommes contentés de les aborder à
partir des éditions commentées qui en ont été publiées et dont la fidélité est attestée, en
particulier grâce à des auteurs qui font universellement autorité dans les domaines de
préhistoire, d’archéologie, de linguistique et de diplomatique. En effet, certains de ces
documents ayant fait l’objet de plusieurs reproductions, la concordance de la littérature sur
ces points nous autorise à nous y référer tels qu’ils sont reproduits et tels qu’ils nous sont
transmis. Toutefois, le sens historique nous contraint d’en citer quelques-uns pour justifier de
manière plausible nos analyses sur l’histoire de la liturgie de la messe à travers son évolution
depuis sa période de formation jusqu’à sa dispersion dans une chrétienté de plus en plus vaste
et dont la pratique s’est diversifiée avec l’apparition des Etats-nations modernes à la faveur de
la Renaissance qui ont entraîné dans leurs mouvances les églises locales ou nationales. Par
ailleurs, les nouvelles technologies de l’information, lorsqu’elles sont choisies comme
vecteurs et moyens de diffusion par des institutions officielles, notamment les institutions
religieuses ou spécialisées dans le domaine religieux, nous ont paru des sources, indirectes
certes, mais suffisamment crédibles.
Une autre source est constituée par les documents officiels de l’Eglise, actes des
conciles, des papes, des dicastères de la curie, des synodes ou, encore, des conférences
épiscopales ; les plus anciens d’entre eux présentent, pour les mêmes raisons, des difficultés
d’accès analogues, sauf à recourir aux traductions et publications officielles ou autorisées qui
en sont faites, telles qu’on peut les trouver dans l’édition ou dans les nouvelles technologies
de l’information. Le premier groupe est celui des documents conciliaires, des encycliques et
d’autres textes pontificaux, pour lesquels notre source principale a été le site officiel du
Vatican20. En ce qui concerne les sources zaïroises relatives au rite zaïrois, nous n’avons pas
trouvé un système d’archivage semblable aux techniques habituelles en la matière, notamment
en ce qui concernent les minutes des documents ou les « manuscrits » originaux ; elles sont
essentiellement des documents officiels de la Conférence episcopale, entreposés et non
catalogués, qui ne sont disponibles que dans leur forme imprimée et publiée par le secrétariat
général de la conférence. Certaines sont dans le domaine public, consultables et, même,
pouvant être achetées, par les particuliers, nous en avons ainsi consulté ou acheté auprès du
service de documentation du secrétariat général de la Conférence Episcopale Nationale du
20
http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/index_fr.htm
24
Congo. D’autres, toujours en forme imprimée et éditées, ne sont pas publiées et sont d’un
accès réservé, moyennant une autorisation du secrétariat qui nous permit généreusement d’en
consulter et d’en détenir ceux qui nous semblaient utiles pour notre travail. Nous avons par
ailleurs exploité à fond l’ordo missae zaïrois lui-même ainsi que le document qui présente à
l’intention de la Congrégation du Culte Divin le rite zaïrois ; là aussi, il s’agit de publications
officielles. La liste de ces documents utilisés se trouve à la fin du travail dans la partie
réservée à la bibliographie. Nous avons enfin, mais sans que ce soit dans les normes
techniques requises en ce qui concerne l’échantillonnage et la technique d’interview, interrogé
certains acteurs, prêtres ou laïcs ; leurs réponses nous éclairent sur certaines questions que
l’on peut se poser sur le rite zaïrois.
21
La seule qui nous soit connue et parvenue est Le rite zaïrois, d’Edouard Flory. KABONGO, Bruxelles. Bern,
Berlin. Frankfurt am Main. New-York, Oxford, Wien, Ed. Pie Peter Lang, 2008, dans une perspective
théologique, essentiellement ecclésiologique, qui ne nous a pas été d’un grand secours.
25
derniers. Un examen minutieux et aussi poussé que possible de ces sources, complété par
l’observation directe des phénomènes religieux et liturgiques auxquels nous assistons ou
participons nous-mêmes, avec une vérification réalisée grâce à des enquêtes et entretiens
conduits auprès des acteurs comme des « bénéficiaires » de l’action liturgique, nous ont
permis, à notre humble avis, d’une manière à la fois suffisante et satisfaisante, de circonscrire
les contours et de cerner d’assez près le projet que nous avions assigné à notre travail.
26
27
PREMIERE PARTIE
SOURCES ET EVOLUTIONS DE LA
LITURGIE CATHOLIQUE
« MODERNE »
28
Quelles que soient les formes qu’a prises à différentes époques ou sous différentes
latitudes, la liturgie eucharistique a les mêmes origines, dans les gestes que fit et les paroles
que dit Jésus au cours du dernier repas qu’il prenait avec eux en début de la soirée où il sera
arrêté pour aller souffrir sa passion, donc dans la « dernière Cène » et, également, dans l’ordre
qu’il donne aux siens.
Il convient de rappeler exactement ce qui s’est alors passé en cette soirée : lors, ou au
cours (pendant), de ce repas, Jésus prit le pain, rendit grâce, le rompit et le donna à ses
disciples et leur dit « Prenez et mangez-en tous. Ceci est mon corps [livré pour vous] » ; de la
même manière, à la fin du repas il prit une coupe de vin, rendit grâce et la donna à ses
disciples leur disant « Prenez et buvez-en tous. C’est la coupe de mon sang, le sang de
l’Alliance nouvelle versé pour la multitude… ». Luc et Paul ajoutent cet élément inexistant
chez Marc et Matthieu : Jésus dit alors « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Ce rite est
appelé « l’institution », grâce à quoi Jésus « institue » l’eucharistie. Certes, même la bible ne
donne pas toujours un récit identique de l’institution, elle contient quatre récits relatifs à cet
événement22 ; tandis que, dans diverses liturgies, on a relevé jusqu’à quatre-vingt-cinq
rédactions de ce récit 23. Mais, de ces éléments, ce qui fait l’actualité de la messe, c’est sans
doute l’ordre fait par Jésus à ses disciples : « Vous ferez cela en mémoire de moi », c’est par
cet ordre que s’est répété et que se perpétue de jour en jour, d’âge en âge, la célébration de
l’eucharistie ou la messe. Ces formules ayant d’abord été « pratiquées » dans les différents
usages liturgiques des premières communautés, soit juives (chez Marc-Matthieu) soit
grecques et helléniques (chez Luc et Paul), et n’ont été que postérieurement incorporées dans
les évangiles24.
Les répétitions de « l’institution », faites en mémoire de Jésus, vont avoir lieu au cours
des assemblées des croyants où il va toujours y avoir une place de choix pour la « fraction du
pain » ou la commémoration du « repas du Seigneur ». Il est logique d’imaginer qu’autour de
ce noyau dur, chaque communauté a organisé ses assemblées selon les réalités locales ou la
sensibilité du responsable ou dirigeant de la communauté ; si bien que l’organisation du
« peuple rassemblé pour le repas du Seigneur », non décrite avec précision par les écritures, a
pu varier et même diverger dès les origines, donnant naissance à une pluralité de liturgies
22
La bible rend compte de plusieurs récits de l’institution : Mt 26, 26-28 et Mc 14, 22-24, qui donnent un récit
sensiblement le même, ensuite Lc 22, 15-20 et 1 Cor. 11, 23-25, eux aussi très proches ; on remarque quelques
différences entre ces récits, notamment dans le déroulement des faits, tandis que l’essentiel de l’institution
demeure globalement identique.
23
LORET, Pierre, citant Henri Leclercq, La messe du Christ à Jean-Paul II- Brève histoire de la liturgie
eucharistique, Paris, Ed. Salvator, 1980, p.19.
24
L’eucharistie de Jésus aux chrétiens d’aujourd’hui, Collectif, Limoges, Droguetet, Ardant 1981, p. 182.
29
eucharistiques : une même eucharistie mais plusieurs liturgies. Dans l’introduction, nous
avons vu quelques-uns des facteurs de cette diversification originelle mais aussi ceux des
évolutions que va continuellement subir la liturgie chrétienne. Il s’agit, dans cette partie,
d’une part, de vérifier cette situation sur le terrain lors de la fixation progressive des éléments
de la liturgie chrétienne et, d’autre part, de mettre en lumière la substance et les conséquences
des évolutions qu’elle a connues.
En examinant cette évolution, on constatera, ainsi que cela est fait dans l’introduction,
que non seulement une même foi et une même eucharistie n’ont pas empêché la multiplicité
de rites liturgiques et de liturgies, mais aussi que, tout en évitant de condamner et de
supprimer systématiquement ce pluralisme et loin de figer une liturgie monolithique, l’Eglise,
sur la même base de l’unité de la foi, a néanmoins toujours cherché à endiguer et à canaliser la
floraison des rites, en fait de véritables désordres liturgiques dans lesquels était tombée la
liturgie, notamment en dehors de Rome25. C’est pourquoi après les origines de l’eucharistie et
la diversification des rites (I), nous verrons les tentatives de l’Eglise pour mettre de l’ordre
dans le mouvement en fixant une liturgie « typique », c’est-à-dire officielle, pour toute
l’Eglise latine, tout en tolérant à certaines conditions quelques particularismes (II).
25
CHALUFOUR, Jean-Denis, La sainte messe hier, aujourd’hui et demain (avec préface du Père Mansour
Labaky), Association Petrus a Stella – Abbaye Notre-Dame de Fontgombault, 2000, p.13.
30
On peut dire que l’essentiel de la structure de la messe, ce qui a donné naissance à son
ordonnance actuelle, est certain et s’est fixé dès le IIe siècle autour de l’eucharistie, ainsi que
l’attestent les documents et manuscrits cités par tous les spécialistes.
C’est patiemment que des rites sont apparus et établis à chacun des moments
importants de la célébration eucharistique dont les éléments constitutifs seront déterminés à
partir de certaines interprétations des écritures qui ne se limitent pas à la seule « institution »
proprement dite mais sollicitent des épisodes où l’on voit Jésus, en dehors de la dernière
Cène, manger avec des disciples et faire les mêmes gestes (sans les paroles) qu’à la Cène, et
qui préfigurent ou pré-fixent ce que feront plus tard les communautés. C’est le cas de la
rencontre de Jésus avec deux de ses disciples sur le chemin d’Emmaüs. Par ailleurs, nous
avons indiqué assez clairement que la sainte Cène a eu lieu au temps de la Pâque juive, peut-
être même elle eut lieu selon le cérémonial de cette dernière ; l’essentiel pour nous est de
constater que ce climat général de coexistence entre les pratiques, nouvelles, des chrétiens, et
celles des juifs, a pu donner à celles-là un modèle dans celles-ci.
Le récit de la rencontre d’Emmaüs (Lc 24, 13-32) peut être résumé de la manière
suivante : le soir même de sa résurrection, Jésus rencontre deux disciples éplorés, découragés
par les événements qu’ils venaient de vivre en dépit du fait que la nouvelle de la résurrection
de Jésus venait de parvenir à leur assemblée à Jérusalem ; devant leur découragement, il se
mit à leur expliquer les écritures à propos de ce qui concernait le messie, annonçant sa
passion, sa mort et sa résurrection. Quand, à la demande des disciples, ils se furent installés
pour prendre le repas, alors, il prit le pain, prononça la bénédiction ou le bénit, rompit le pain
et le leur donna ; à ce geste en quatre verbes (ceux de la dernière Cène : prit, bénit, rompit et
donna), les yeux des disciples s’ouvrirent, ils virent clair et reconnurent leur Seigneur. Cet
épisode a, selon les spécialistes, inspiré la structure de la messe actuelle, la liturgie de la
parole et la liturgie eucharistique, celle du repas, même si à cette occasion, à la différence de
la Cène du Jeudi saint, Jésus ne prononça plus les paroles dites de l’institution.
Mêmement, la célébration juive est présentée comme ayant inspiré les chrétiens : le
Juif Jésus a très vraisemblablement célébré la Pâque comme tous ses compatriotes, avec le
rôle du chef de famille et la fonction quasi sacerdotale que joue ce dernier en présidant le
repas et avec la bénédiction par laquelle les Juifs rendaient grâce pour le pain et pour le vin.
Par ailleurs, les assemblées synagogales inspirèrent les chrétiens, au moins au début tant que
le christianisme était encore limité à la Palestine avant de définitivement se détacher du
judaïsme ; les chrétiens ont alors définitivement cessé de célébrer parallèlement la Pâque
32
juive, qu’ils avaient continuée même après leur conversion au christianisme et après leur
baptême.
De tous les cultes et de toutes les assemblées cultuelles orientaux de l’époque, les
spécialistes affirment sans hésitation que c’est du judaïsme qu’il faut partir pour comprendre
l’organisation et le fonctionnement des formes du culte et des assemblées des premières
communautés chrétiennes26. Cette « filiation » juive se rencontre aussi bien pour le fait même
de rassembler le peuple que pour le déroulement du rassemblement ainsi que dans le rite
même de la « fraction du pain ». De fait, on peut le vérifier aussi bien pour la nature même de
l’assemblée et pour la place des saintes Ecritures, que pour la liturgie eucharistique avec le
rite de la « fraction du pain » que nous examinerons plus loin.
C’est dans la tradition juive, depuis le Sinaï et l’alliance du buisson ardent lorsque
Dieu prescrit à Moïse d’organiser le rassemblement du peuple « sur cette montagne » pour le
servir27, que l’on trouve cette coutume acquise de l’assemblée du peuple, le qahal (à laquelle
même les Actes font référence, Ac 7, 38) pour « la prière et le service de Dieu ». Pour utiliser
le terme grec employé plus tard par Paul, l’origine de l’ecclesia chrétienne (en latin, ou
ekklesia en grec) est dans le qahal (ou Qehal ?) juif. Sans qualité, et ce n’est pas le lieu, pour
une description détaillée et plus complète du qahal, nous nous limitons à trouver les
confirmations de ce lien, presque génétique, en tout cas d’inspiration entre l’assemblée
cultuelle juive et l’assemblée liturgique chrétienne.
A la lumière des découvertes faites et des connaissances acquises au XXe siècle, Louis
Bouyer affirme que les chercheurs sont unanimes à considérer que « l’Eglise (ecclesia) du
Nouveau Testament doit être comprise comme la perfection ultime de ce que, dès le début, la
Bible hébraïque avait appelé Qehal Yahweh, ‘’Assemblée de Yahvé’’ ». Depuis la première
« assemblée » de ce genre sur le Mont Sinaï, cette dernière expression et ce sens qui
26
Par exemple, CASEL, Odon, JUNGMANN, BOUYER, Louis, La vie de la liturgie, Paris , Ed. du Cerf, 1956,
pp. 39-50 et 149-163 ; NOCENT, Adrien, L’avenir de la liturgie, Paris, Ed. Universitaires – Chrétienté
Nouvelle, 1961, pp. 57 et 58 ; LORET, Pierre, La Messe du Christ à Jean-Paul II - Brève histoire de la liturgie
eucharistique, Paris, Ed. Salvator, 1980, spécialement pp. 30 et 33 ; CABIE, Robert, Histoire de la messe des
origines à nos jours, Paris, Ed. Desclée, 1990, p. 9 ; GRELOT, Pierre et alii, La liturgie dans le Nouveau
Testament, Paris, Desclée, 1991, spécialement pp. 21-41 et 93.
27
Ex 3, 12.
33
Dans les assemblées juives, la première assemblée de ce type étant celle du Sinaï,
telles qu’elles avaient lieu dans le Temple, le peuple est convoqué pour, d’abord, écouter la
lecture solennelle des Ecritures, notamment des livres de Moïse, que le peuple « accepte »
avec louange et cris de joie, enfin, il participe au renouvellement de l’alliance du buisson
ardent par la célébration du sacrifice qu’est la Pâque. Mais, des spécialistes discernent une
forme dérivée, du temps de l’exil mais aussi présente en Israël avant la reconstruction du
temple, où le sacrifice est remplacé par une grande et solennelle prière d’action de grâce
« eucharistia » dont l’initiative est attribuée à Esdras ; ce rite va se généraliser dans les
synagogues29. Cela peut être schématisé ainsi : rassemblement, écoute de la Parole de Dieu,
louange et action de grâce30, le tout dans la simplicité et sans quelque pompe que ce soit31.
D’après ces explications, qui reviendront tout au long de cette section, c’est donc dans
la tradition liturgique juive que se trouve l’inspiration pour l’organisation des réunions ou
assemblées liturgiques chrétiennes ; ceci, y compris la coutume d’y proclamer les Ecritures,
qui, phénomène très général à l’époque au niveau de plusieurs communautés ou sectes, ne
relève pas, affirment certains spécialistes32, du cadre liturgique chrétien. Certes, dans
l’évangile de Matthieu, nous voyons Jésus utiliser le terme « église »33, le mot existait et avait
un équivalent sémitique traduit dans la Septante par le mot grec par lequel a été traduit le
concept juif qahal, ekklesia34, assemblée, non pas une organisation mais la réunion ou le
rassemblement du peuple, à Athènes pour exercer les fonctions politiques civiques, chez les
Juifs pour organiser le service de Dieu et l’écoute des écritures. On peut en conclure que notre
traduction « église » désigne avant tout cette assemblée des croyants, avant de se voir
assimiler au local ou lieu de rassemblement pour la prière ou le culte et même l’organisation
28
Par exemple à Dt 23, 2, 3, 4 et 9.
29
BOUYER, Louis, op.cit., p. 42.
30
NOCENT, Adrien, op.cit., p.58.
31
V. en annexe, la description que saint Justin fait à l’empereur, 1ère Apologie, 66. 3 et 67. »-6 (vers 150 après J-
C.).
32
GRELOT, Pierre, op.cit., p.22.
33
Mt 16, 18, Jésus dit à Simon-Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon « Eglise »
34
Dans ce sens, v. BOUYER, Louis, qui trouve même que le terme grec ekklesia a la même racine que l’hébreu
qâhal, op.cit,, p. 39. une indication technique précise nous est donnée dans la Bible de Jérusalem, Paris, Ed.
Desclée de Brouwer, nouvelle édition revue, corrigée, augmentée, 2000, note sous Mt 16 : 18.
34
ou le regroupement de toutes les communautés chrétiennes que Paul définit comme le Corps
du Christ.
C’est donc en relais, pourrions-nous dire, de ces assemblées synagogales juives que
s’assemblaient les fidèles de la nouvelle foi, sortis ou chassés des synagogues où ils
continuaient d’aller. Le livre des Actes des Apôtres décrit « la première communauté
chrétienne, dont les membres « se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à
la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières »35. L’assemblée se faisait donc
avant tout autour de la Parole de Dieu ; celle-ci n’est pas seulement écoutée, mais elle est
expliquée et, enfin, acceptée par le peuple qui la fait suivre d’une action de grâce, il y a là
connexion nécessaire entre la Parole, élément capital de l’assemblée cultuelle, et l’adhésion et
l’action de grâce du peuple. Louis Bouyer peut ainsi définir la liturgie comme « la réunion du
peuple de Dieu rassemblé par le ministère apostolique pour que ce peuple, prenant conscience
de son rassemblement, puisse entendre la Parole de Dieu […] puisse adhérer à cette parole au
moyen de la prière et de la louange […] et, ainsi sceller par le sacrifice eucharistique
l’alliance accomplie par cette même Parole »36. Ainsi que la réunion juive commençant par la
proclamation de la parole à travers les Prophètes, ainsi aussi l’assemblée des chrétiens en
Eglise commence-t-elle par la « liturgie de la Parole », première partie de la messe.
La liturgie de la Parole dans la liturgie chrétienne, elle-même, suit le modèle juif. Elle
est, sans doute, la première activité des communautés chrétiennes ; on rassemblait le peuple
pour écouter la parole, comme on le voyait faire chez les Juifs qui lisaient la Loi et les
Prophètes, dont la lecture était suivie d’un commentaire d’exhortation. C’est exactement ce
que faisait Jésus, notamment dans l’épisode où il est montré, entrant, « selon sa coutume »,
dans une assemblée synagogale un jour de sabbat, s’emparant d’un rouleau et, y choisissant
un extrait d’Isaïe (« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par
l’onction… »), fit son fameux commentaire, « aujourd’hui, s’accomplit à vos oreilles ce
passage de l’Ecriture », qui lui valut l’hostilité des Juifs37.
Les auteurs cités plus haut38 relèvent unanimement qu’avant d’organiser leur
assemblée spécifiquement entre chrétiens, les apôtres se sont, dans un premier temps, servi
des synagogues où ils entraient et proclamaient la Bonne Nouvelle aux Juifs, intervenant au
cours du service synagogal ; de cette façon ils ne prêchaient qu’aux Juifs fréquentant la
35
Ac 2, 42.
36
BOUYER, Louis, op.cit., p. 46.
37
Lc 4, 16-28.
38
Voir supra, note 26.
35
39
Ac 3 et 4.
40
Ac 9, 20.
41
Ac 1, 14 et ss.
36
Cette pratique s’estompa, dans un premier temps, se développa alors une sorte de
double liturgie, dans la mesure où, après avoir été au Temple comme tous les Juifs42, les
chrétiens se retrouvaient en privé en cercles restreints où commençait la réunion pour
« rompre le pain dans leurs maisons » ; c’est vrai qu’ils devaient en tout état de cause aller
ailleurs parce que si les Juifs fréquentaient le Temple, nous avons vu qu’ils n’y sacrifiaient
plus43. Par ailleurs, il faut dire que, de plus en plus conscients de la spécificité de leur foi, les
chrétiens sentaient bien le besoin de disposer de locaux qui leur fussent propres pour la
pratique de leur culte. D’autant plus qu’avec l’intervention de Paul, la nouvelle foi s’adressait
de plus en plus à des païens, à des non-Juifs, qui n’avaient pas accès au Temple ou à la
synagogue. Aussi bien en Palestine que dans la diaspora juive et parmi ces païens convertis,
on note l’influence de la culture et de la civilisation grecques qui, même si le judaïsme
religieux y résiste, vont imprégner ces premières communautés chrétiennes partout où le
christianisme va se propager, lançant, au-delà de l’église originelle judéo-chrétienne de
Palestine, les bases d’une puissante « église hellénistique » ou « helléno-chrétienne » dont le
travail de Paul et les Actes des Apôtres rendent compte du dynamisme. L’hellénisme qui se
manifeste de nombre des communautés chrétiennes primitives aura une influence durable
dans certains aspects de l’Eglise durant tous les premiers siècles, le grec va, dans ces
communautés, devenir la langue cultuelle, la langue de la liturgie, jusque vers le IVe siècle où
en Occident, le latin va progressivement s’imposer, ainsi que nous le verrons. C’est dans ces
communautés hellénisées, même en Palestine, que vont se manifester les premières difficultés
quant à la spécificité du christianisme par rapport au judaïsme44, spécificité dont les chrétiens
prennent progressivement conscience et qui va les pousser à s’éloigner de la synagogue.
Néanmoins, pour expliquer la sortie des chrétiens de la synagogue, bien que cette
rupture puisse ainsi sembler comme inscrite dans la logique et dans la nature des choses, il ne
faut pas sous-estimer le fait que les relations entre les Juifs et ceux qui embrassaient la
nouvelle foi s’étaient fortement détériorées. Sur le plan purement historique, on peut constater
l’hostilité ouverte de l’opinion juive contre les chrétiens, désignés comme nezorim, terme
qu’on traduit usuellement par « nazaréens », originaires de Nazareth, d’où venaient aussi bien
Jésus que ses premiers disciples. En effet, on sait qu’à partir de la dernière décennie du Ier
siècle, se récitait, intégrée comme la douzième demande de la prière liturgique dite « des dix-
42
Ac 2, 46.
43
V. aussi, LORET, Pierre, op.cit., p.27.
44
BAUMGARTNER, Mireille, L’Eglise en Occident – des origines au XVIe siècle, Paris, PUF, 1999, p. 11.
37
huit bénédictions », une prière contre les hérétiques, au premier rang les nazaréens, considérés
avec d’autres sectaires comme des apostats : « … Que les nazaréens (noserim) et les sectaires
(minim) périssent en un instant. Efface-les du livre de vie et qu’ils ne soient pas inscrits avec
les justes. Loué sois-tu Seigneur, qui soumets les arrogants ». C’est un climat que confirme
saint Justin qui rapporte que « dans les synagogues les croyants en Christ et même le Crucifié
sont l’objet de malédictions »45. Rien que ces malédictions suffisaient à pousser les chrétiens à
déserter de la synagogue pour ne pas participer ou assister à leur malédiction. Par ailleurs
excédés par cette doctrine différente, les Juifs ont chassé les prédicateurs chrétiens des
synagogues, une mésaventure que connut Paul de la part des responsables des synagogues
locales ; d’ailleurs, certains auteurs privilégient cette dernière explication, ainsi Pierre Loret
qui estime que « la décision de rompre [avec la liturgie juive] ne semble pas être venue d’eux
[des chrétiens]. Elle leur est comme imposée par les responsables juifs, qui arrêtent les
apôtres, les maltraitent et lapident Etienne »46.
En tout état de cause, sans doute facilitée par ce faisceau de raisons, la pratique devint
dorénavant systématique, de se réunir dans des maisons particulières ; comme à Corinthe où
Paul, obligé de quitter les synagogues devant l’hostilité et l’opposition des Juifs, organisera
dorénavant l’assemblée « chez un certain Justus, homme adorant Dieu, dont la maison était
contiguë à la synagogue »47. Comme à Troas où l’assemblée pour rompre le pain avait eu lieu
dans une maison particulière, « dans la chambre haute » où « il y avait bon nombre de
lampes », c’est l’épisode de cette assemblée qui se prolongea tard dans la nuit et où un jeune
homme endormi tomba de l’étage et fut ranimé par l’apôtre48. Ou, encore, le cas qu’indique le
récit d’une « assemblée assez nombreuse [qui] s’était réunie et priait » « chez Marie, mère de
Jean, surnommé Marc »49 ; cette Marie devait être de ces quelques frères et sœurs « les plus
fortunés [qui] mettaient à la disposition de l’Eglise une pièce de leur habitation qui tendait,
selon les possibilités, à être réservée à cet usage »50. Le cas de cette Marie est à rapprocher de
celui de Philémon, destinataire d’une épître de Paul, que ce dernier désigne comme un
propriétaire et à qui il adresse des salutations pour « l’Eglise qui s’assemble dans ta maison »,
voulant parler de l’Eglise de Colosse51. Par ailleurs, Marie ne semble pas avoir été la seule
femme à avoir abrité une « maison-église » ; on peut citer, en plus d’elle, Lydie, de Philippes
45
MARGUERAT, Daniel, « Juifs et Chrétiens : la séparation », in J-M MAYEUR, Ch. Et L. PIETRI, A.
VAUCHEZ et M. VENARD (Dir.), Histoire du Christianisme, 1, Le Nouveau Peuple, pp. 215-217.
46
LORET, Pierre, op. cit., p.24.
47
Ac 18, 6-8.
48
Ac 20, 7 et 8.
49
Ac 12, 12.
50
CABIE, Robert, op. cit., p.21, et dans ce sens, LORET, Pierre, op.cit., p.27.
51
Plm, 1 et 2.
38
en Macédoine qui, baptisée avec sa famille par Paul, l’accueillit avec les frères chez-elle et
c’est chez-elle qu’après leur libération, Paul et Silas allèrent et « revirent les frères et les
exhortèrent »52 ; on peut également citer Prisca qui, avec son mari Aquillas, réunissait une
communauté à Ephèse, ou encore Nympha, de Laodicée, que nous trouvons dans les Actes
des Apôtres lorsque Paul dit « Saluez les frères de Laodicée, avec Nympha et l’Eglise qui
s’assemble dans sa maison »53. Un cas assez significatif et autrement plaisant est celui que
rapporte Pline-le-Jeune, signalant à Trajan « l’existence en Bithynie, vers 110, d’une
communauté chrétienne, dirigée par deux esclaves-femmes. » et lui disant « qu’il a, selon son
ordre, soumis à la torture ces deux femmes, ‘ministres’’ (diakonoi) de cette ‘’secte’’ pour
s’enquérir sur elle »54.
Daniel-Rops, sur la foi des résultats de recherches archéologiques, cite, dans son
monumental Histoire de l’Eglise du Christ, tome I consacré à « L’Eglise des Apôtres et des
Martyrs », les cas de « ces fidèles riches » qui mettent leur demeure « à la disposition de la
communauté », citant les familles révélées par les fouilles sous maintes églises de Rome, les
Prisca, Cécile, Pudens, Clément, etc. ou les vestiges de ce genre d’habitations découverts sous
les fondations des basiliques55. C’est que les premières communautés, indépendamment
même des circonstances de la persécution, étaient peu regardantes quant au lieu du culte et ne
disposaient pas de lieu spécifique ; Clément d’Alexandrie expliquait, en justifiant cet état de
choses, qu’ « Il n’est pas bon et juste que nous limitions l’Insaisissable à un lieu et que nous
voulions renfermer Celui qui contient tous les êtres en des sanctuaires faits de main
d’homme »56. Plus tard, certaines communautés avaient les moyens d’acheter des maisons
qu’elles aménageaient pour y tenir régulièrement leur assemblée liturgique. L’exégète
Hyppolite, que des spécialistes distinguent du prêtre romain de la Tradition apostolique, parle
des maisons de culte qui sont l’objet d’attaques haineuses de la part des juifs et des païens
pendant que les fidèles y sont réunis57.
On commença par appeler ces maisons « domus Dei » ou, encore, « domus ecclesiae »,
cette dernière expression pouvant désigner la maison de l’assemblée. En réalité, le terme
52
Ac 16, 13-15 et 38-40.
53
Col 4, 15.
54
TUNC, Suzanne, Des femmes aussi suivaient Jésus, Essai d’interprétation de quelques versets des évangiles,
Paris, Desclée de Brouwer, 1998, pp. 110.
55
DANIEL-ROPS, Histoire de l’Eglise du Christ, tome I L’Eglise des Apôtres et des Martyrs, Paris, Ed. Fayard,
1951, p. 251.
56
Cité par SAXER, Victor, « Culte et liturgie », in J-M. MAYEUR, Ch. Et L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M.
VENARD, Histoire du christianisme, T 2, Le Nouveau peuple, Paris, Desclée, p. 439.
57
SAXER, Victor, op.cit., p. 40.
39
« ekklesia », « église », sera utilisé pour désigner, par assimilation, tout lieu où se tenait une
telle assemblée, y compris les « maisons-églises », ce n’est qu’à partir de la fin du IIIe siècle
que des édifices construits spécialement pour abriter l’ « église » et le culte vont se
généraliser58, d’abord en forme de « basiliques » à l’instar des basiliques impériales où les
magistrats ou même, à l’occasion, l’empereur, tenaient audience. Ce rapprochement avec les
édifices du service public impérial que sont les basiliques explique peut-être pourquoi, devant
s’adapter aux vastes dimensions des basiliques, le culte chrétien empruntera quelques-uns des
aspects de son expression au protocole de cour ou de la magistrature59, en particulier après la
conversion de Constantin, abandonnant la simplicité au profit d’une plus grande solennité60
(on en reparlera plus loin).
Sur cette question du lieu de culte, certains auteurs confirment ce qui s’est souvent
raconté sur les catacombes comme lieu de célébration des chrétiens. Daniel-Rops, décrit, dans
tout un chapitre, « la vie chrétienne aux catacombes », où il affirme que « à maintes reprises
les Catacombes servirent d’asiles momentanés à l’Eglise » et, « de façon plus permanente,
elles assurèrent au culte chrétien un abri ». Une affirmation qu’atténuent à peine quelques
précautions de style de l’auteur quand, prudemment, il ajoute qu’il « serait absurde d’en faire
le seul cadre de l’existence des chrétiens des premiers siècles » ou que « c’est de façon
exceptionnelle, lorsqu’il s’agit de commémorer un martyr ou, en temps de persécution, quand
il est indispensable de se cacher »62. D’autres estiment qu’il s’agit là d’une pure légende,
expliquant que les Catacombes, ces cimetières publics, n’étaient certainement pas l’endroit le
58
On signale cependant que déjà au IIe siècle, quelques églises existaient à Rome, Alexandrie, Antioche, aussi
bien qu’en Syrie et en Palestine bien avant Constantin.
59
CABIE, Robert, op.cit., p. 23.
60
NOCENT, Adrien, op.cit., p.59.
61
CABIE, Robert, op.cit., pp. 26-28.
62
DANIEL-ROPS, op.cit., pp. 226-287, spécialement pp. 228 et 251.
40
mieux indiqué pour se cacher des persécuteurs, tout en reconnaissant qu’on y a célébré
l’eucharistie uniquement pour l’anniversaire de la mort des défunts sur les tombes desquels on
priait 63. Peut-être sont-ce ces célébrations dont on voit les détails sur les murs des Catacombes
et dont Daniel-Rops donne une description très détaillée.
Les chrétiens vont se démarquer des Juifs sur un autre point, celui concernant le jour
de rassemblement, abandonnant le samedi qui correspond au sabbat juif au profit du
dimanche, le « jour du Seigneur ». le dictionnaire de la théologie catholique indique que « La
date exacte de cette substitution ne peut être précisée. Toutefois, il est indiscutable qu’au
temps où fut écrite la première Epître aux Corinthiens et au temps de la rédaction des Actes
des apôtres, les réunions liturgiques chrétiennes se tenaient le premier jour de la semaine ou
le dimanche »64. On en trouve un témoignage dans les Actes des Apôtres où le narrateur
précise : « Le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain » (Ac 20, 7).
Ce « dimanche » (jour du Seigneur) tombait le premier jour de la semaine juive, c’est-à-dire
après le sabbat, correspondant au jour où, selon tous les quatre évangiles65, Jésus apparut aux
siens après sa résurrection. Pour des commentateurs, ce premier jour que les chrétiens fêtaient
comme « jour du Seigneur » commençait le soir après le sabbat ; on voit ainsi les chrétiens se
démarquer du judaïsme en organisant leur liturgie non en même temps que le sabbat mais le
« jour » d’après, notamment en ce qui concerne l’eucharistie66. Certains reprennent, pour
confirmer ce choix du « jour du Seigneur » et même la périodicité hebdomadaire des
célébrations, d’abord le « jour qui rappelle la résurrection du Seigneur », ce qui met la
célébration eucharistique au centre de l’assemblée chrétienne67, mais aussi les récits bibliques
du premier repas que Jésus le soir de ce premier jour après sa résurrection avec ses disciples
au Cénacle (sans Thomas), tandis qu’il en prit un autre huit jours plus tard (avec Thomas cette
fois)68. En tout cas, l’usage en était devenu et est resté certain. D’une part, on peut croire qu’à
la suite des apôtres qui avaient inauguré cette pratique, les successeurs organisèrent les
assemblées liturgiques le dimanche ; c’est ce que confirment, certains documents du IIe siècle
que nous allons ici citer. D’abord, la Didachè, La doctrine du Seigneur enseignée aux nations
63
Dans ce sens, Robert CABIE, op.cit., p.21.
64
Dictionnaire de théologie catholique, article « Dimanche », par Emile, DUBLANCHY.
65
Mt 28,1 ; Mc 16, 2 ; Lc 24, 1 ; Jn 20, 1.
66
GRELOT, Pierre, op.cit., p.27.
67
GRELOT, Pierre, ibid.
68
LORET, Pierre, op.cit., pp. 28-29.
41
69
Nous reproduisons plus-bas un extrait de la Didachè, selon la traduction et les notes d’A.-G. Hamman, Ichtus
I, 1957, pp. 117-119 et 121, et http://www.migne.fr/didache.htm
70
Saint JUSTIN, La Première Apologie adressée à l’empereur Antonin, § 67.
71
GY, Pierre-Marie, « L’inculturation dans la liturgie romaine ancienne », Médiations africaines du sacré –
Célébrations créatrices et langage religieux, Actes du IIIe Colloque internationale du CERA, Kinshasa 16-22
février 1986, N° spécial Cahiers des Religions Africaines, Vol. XX-XXI, n. 39-42, 1986-1987, Faculté de
Théologie Catholique de Kinshasa, 1987, p.475.
72
CABIE, Robert, op.cit., pp. 27 et 28.
42
Les témoignages oraux s’imposaient et avaient une grande importance à cette époque
où nombre des apôtres et de disciples et autres témoins oculaires vivaient encore ou lorsque
vivaient encore ceux qui les avaient côtoyés ou rencontrés. Nous avons une évocation de ces
témoignages oraux dans l’épisode de Paul entouré par les chrétiens de Troas : « Le premier
jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain ; Paul, qui devait partir le
lendemain, s’entretenait avec eux. Il prolongea son discours jusqu’au milieu de la nuit »
(souligné par moi)74, confirmant l’énoncé initial par lequel l’auteur des Actes des Apôtres
résume la vie des communautés chrétiennes primitives « Ils se montraient assidus à
l’enseignement des Apôtres »75. Venait ensuite, comme dans le judaïsme, le discours fait par
le « président » de l’assemblée, par l’explication de la Parole lue et l’exhortation qui
recommande aux fidèles de mettre en pratique la parole entendue ; c’est l’homélie ou le
sermon actuels. Comme pour la fixation des différents rites eux-mêmes, dans la proclamation
de la Parole, la tradition orale allait s’amenuiser avec la nécessité de consigner par écrit à
mesure que les témoins directs disparaissaient et que la foi chrétienne pénétrait des
communautés juives de la diaspora dispersées loin de Palestine. L’écrit ne sera en réalité
73
BAUMGARTNER, Mireille, L’Eglise en Occident – Des origines au XVIe siècle, Paris, PUF, 1999, p. 12.
74
Ac 20, 7.
75
Ac 2, 42.
43
qu’un « auxiliaire de la mémoire vive », aux prédicateurs comme « aide-mémoire pour assurer
leur fidélité globale de leur prédication »76, alors apparurent des petits livrets qui se sont
transmis de communauté en communauté et les « Mémoires des apôtres » commencèrent ainsi
à être lus et non pas seulement dits ou racontés, complétés par les lettres que des apôtres
envoient soit à des personnes bien déterminées soit à des églises locales, des communautés se
passeront d’ailleurs certaines de ces lettres apostoliques (épîtres). Ces lectures, comme celles
des assemblées juives et des différentes fraternités pieuses de la période de Jésus (par exemple
les Esséniens) qui rappelaient tout ce que l’Eternel avait fait pour la rédemption de son
peuple, remémoraient le plan du salut, reprenant tout ce qui était dit dans les Prophètes sur
Jésus, jusqu’à sa Passion, sa mort et sa résurrection. D’ailleurs, lors de la Cène ou encore avec
les « disciples d’Emmaüs », Jésus lui-même n’avait-il pas fait de même, expliquant qu’allait
se réaliser tout ce qui était écrit de lui, avant de rompre le pain avec les disciples ?
Ainsi, de la même manière que chez les Juifs, la liturgie de la Parole, placée en
première partie de l’assemblée liturgique chrétienne, se présentait comme une préface
nécessaire au partage du pain et du vin77. On peut confirmer que, après avoir été expulsés de
la synagogue, les apôtres ont naturellement, à l’évidence, tout naturellement repris la liturgie
de la Parole qu’ils pratiquaient dans le cadre du service synagogal78 et, comme l’écrit A.
Nocent, « L’assemblée chrétienne primitive transpose le schème [de la liturgie sabbatique du
matin] à son usage »79.
C’est sans doute le lieu de juste signaler, sans plus pour le moment, que si au cours des
assemblées les apôtres continuèrent d’utiliser, à la suite de Jésus, la langue araméenne, qu’ils
parlaient d’ailleurs eux-mêmes, les chrétiens non juifs utilisèrent leur propre langue, en
particulier le grec pour les Grecs ; Pierre Loret signale que cette substitution ne souleva ni
étonnement ni objection pour personne, parce qu’elle « allait de soi »80. Cet usage participe de
la nécessaire intelligibilité du rite ou de la liturgie pour le plus grand nombre ; une question
qui reviendra dans la suite de ce travail.
76
GRELOT, Pierre, op.cit., pp. 33-34.
77
Cette coïncidence entre les pratiques juive et chrétienne plaçant les lectures au début de la réunion existait
encore du temps des Apôtres, Pierre Loret indique que c’est plus tard que les lectures juives seront reportées vers
la fin de la liturgie ; op.cit., p. 33.
78
BOUYER, Louis, Eucharistie, Paris, Desclée, 1966, pp. 52-93.
79
NOCENT, Adrien, op.cit., p. 58.
80
LORET, Pierre, op.cit., p.29.
44
Selon un certain nombre de liturgistes, les mêmes qui ont découvert la filiation juive
des assemblées liturgiques chrétiennes81, l’eucharistie dériverait en droite ligne de la berakah
juive (bénédiction, exprimée par le « Béni sois-tu » qui est souvent en tête des grandes prières
juives), tandis que la prière eucharistique serait l’équivalent de la Birkat ha-Mazon juive, cette
grande prière d’action de grâces que les Juifs adressent à Dieu en particulier lors des repas de
communauté dirigés par le chef de famille.
81
Citons, entre autres francophones, Jean-Paul Audet qui a publié une «Esquisse historique du genre littéraire de
la bénédiction juive et de l’eucharistie chrétienne », Revue Biblique 65, 1958, pp. 371-399, Bernard Botte, Louis
Bouyer, Adrien Nocent, Robert Cabié, et le théologien et liturgiste François Kabasele Lumbala, cités par ailleurs,
mais aussi le germanique Odon Casel.
82
BOUYER, Louis, La vie de la liturgie, op.cit., pp. 152 et 153.
83
Ex 12, 1 à 14.
45
d’Egypte et au cours de laquelle Moïse transmit au peuple la Parole de Dieu avant que ce
dernier ne se manifeste à travers ce que la Bible de Jérusalem appelle « Théophanie »84.
Quelle que soit la valeur historique ou le degré d’historicité que l’on veuille accorder à
ce récit, il suffit de constater que c’est là-dessus que tout un peuple a fondé toute sa croyance
et organisé sa vie et son histoire, ciment de sa nation ; en tout cas, c’est de là que nous vient
cette forme d’assemblée prise par les liturgistes unanimes pour le modèle de l’ekklesia et son
contenu pour le modèle de l’eucharistie chrétienne. De fait, d’après Jean-Paul Audet suivi en
cela par beaucoup d’autres, la Birkat ha-Mazon se compose 1°) d’une berakah (bénédiction
proprement dite, plus ou moins stéréotypée et appel enthousiaste à la louange divine), 2°) de
l’annonce de ce pourquoi on dit la bénédiction, les merveilles de Dieu, et 3°) d’un retour à la
bénédiction exprimée sous forme de doxologie. C’est cette « bénédiction proprement dite »
qui, dans cette acception, se traduit par eucharistie, bénédiction étant synonyme d’eucharistie.
Sans le suivre dans le débat exégétique sur le sens sacrificiel de l’eucharistie, il y a lieu de
citer Charles Perrot qui distingue les différents repas juifs, le repas de famille, certains se
prenant même à la synagogue dans une salle à manger spéciale, le repas sabbatique pris avec
le poisson et le repas festifs (avec viandes et vins). Tous ces repas étaient accompagnés de
prières, une bénédiction sur le pain au début du repas lors de la fraction du pain, et chaque
repas se terminait par une autre bénédiction mais avec action de grâce et rappel des bienfaits
divins. Il estime que le récit des repas du Seigneur dans les Actes des apôtres montre bien que
c’est celui-ci qui « a visiblement constitué l’Eglise », ce qui « explique la désignation de ce
repas comme le repas sacrificiel, repas de la Nouvelle Pâque et comme repas du salut en
substitution des anciens sacrifices »85. Odon Casel, quant à lui, il affirme que « le
christianisme voulait non pas détruire l’ancien ordre de choses mais l’accomplir », et qu’ainsi
il prit, notamment pour ses prières, les leçons des liturgies existantes », juives et autres, et que
Jésus lui-même avait, « en ce qui concerne le culte, le premier donné l’exemple » en ce que sa
prière, après avoir donné rendu grâces, après avoir ‘’eucharistié’’ et donne « aux apôtres son
corps et son sang, c’est qu’alors sa prière se rattachait à l’action de grâce usitée dans tous les
repas juifs, particulièrement au festin de la Pâque »86.
Cependant, dans une étude plus récente que les publications des auteurs cités ci-
dessus, Thomas-Julian Talley met en doute cette thèse. En effet, tout en acquiesçant que « le
Bikat ha-Mazon fut la source d’inspiration qui donna le modèle de la prière eucharistique
84
Ex 19.
85
PERROT, Charles, Le repas du Seigneur, La Maison-Dieu, n° 123, 1975, pp. 33-36.
86
CASEL, Odon, Le Mémorial du Seigneur dans la liturgie de l’antiquité chrétienne, op.cit., p. 18.
46
primitive, « louange-action de grâce- supplication », cet auteur estime à propos des liturgies
juive et chrétienne, que « évaluer l’influence de l’une sur l’autre exige un genre de précision »
nécessaire qu’on n’a pas encore, pour lui, les ressemblances théologiques et thématiques
seules ne sauraient suffire ». Il ajoute, plus fermement, que « Non, berakah n’est pas
synonyme d’eucharistie ; nous pouvons espérer que des études ultérieures nous aideront à
comprendre le sens et les conséquences de ce fait… »87. Par rapport à cette opinion de
Thomas-Jullian Talley, si P-M Gy accepte que la berakah est une « bénédiction » tandis
qu’étymologiquement l’eucharistie est une « action de grâces », il établit sans hésitation un
lien entre les deux, l’eucharistie dérivant de la berakah. Il précise cependant que l’eucharistie
est une sorte d’antithèse chrétienne ou, plus exactement, de réinterprétation radicale
chrétienne, là où les Juifs, connaissant déjà Dieu, le bénissaient en le louant, les chrétiens,
reconnaissant le Fils, rendent grâces à Dieu pour le don du Fils qu’il a fait au monde ; là
réside la grande différence entre la berakah juivie et l’eucharistia chrétienne, dont on trouve
les fondements scripturaires, selon la Tradition apostolique d’Hippolithe, en Rom. 1, 2188
Qu’à cela ne tienne. Mais, dans l’exposé des témoignages et affirmations rapprochant
les liturgies juive et chrétienne, nous avons déjà vu que c’est uniquement dans le Temple
qu’au cours de la liturgie sacrificielle, les Juifs sacrifiaient les holocaustes dont une partie
était consumée sur l’autel de Dieu, l’autre restituée à celui qui avait offert pour qu’il en mange
avec les siens ; le sacrifice était ainsi en même temps un repas, un repas sacrificiel89 ; de telle
sorte que, lors de la Pâque juive ou chaque fois qu’était organisé le repas sacré, celui-ci avait
toujours un aspect de sacrifice. Répondant sans doute à certaines thèses qui, concernant
l’eucharistie, sont opposées au rapprochement entre eucharistie et repas, Philippe Béguérie
précise que « La liturgie du Deutéronome pourrait aider les chrétiens d’aujourd’hui à
retrouver une notion de sacrifice plus large… Cela résoudrait les fausses oppositions… On
oppose, par exemple, repas et sacrifice. On entend dire : «Si nous redonnons trop à
l’Eucharistie son sens de repas nous risquons d’oblitérer celui de sacrifice». C’est une fausse
opposition. Dans la Bible, certains repas sont des sacrifices. La prière eucharistique n’est pas
87
TALLEY, Thomas-Julian, « De la “Berakah” à l’Eucharistie, une question à réexaminer », La Maison-Dieu,
125, 1976, pp. 11-37.
88
GY, Pierre-Marie, « L’inculturation dans la liturgie romaine ancienne », in Médiations africaines du sacré,
Célébrations créatrices et langage religieux, Actes du IIIe Colloque international du CERA, Kinshasa 16-22
février 1986, N° spécial Cahiers des Religions Africaines Vol. XX-XXI 1986-1987, Faculté de théologie de
Kinshasa, 1987, p. 475.
89
LORET, Pierre, op. cit., pp. 35-36.
47
une simple bénédiction qui accompagne un repas, elle est un vrai sacrifice, elle fait du repas
un sacrifice, elle nous vient de la todah juive »90.
Avant le repas, c’est-à-dire la fraction du pain, des prières de bénédictions étaient dites
sur les aliments, qui étaient ainsi sanctifiés, le repas était suivi de grandes prières d’action de
grâces ou prière eucharistique, qui, en plus du banal merci à Dieu non seulement pour la sortie
d’Egypte, qui est au centre des promesses et des alliances successives de l’Eternel avec son
peuple, consistaient aussi en une commémoration de tous les biens dont il lui a fait don en
l’installant sur la terre promise, réalisation des promesses faites et gage d’autres bienfaits à
venir91. Il a déjà été dit que dans le service synagogal tel qu’il était réorganisé à partir de
l’exil, c’est-à-dire sans le sacrifice, le peuple rendait, dans une vibrante louange, une action de
grâces rappelant les hauts faits de Dieu. Plus généralement, le rituel des repas religieux ou
repas sacrés, ceux organisés et présidés à la Pâque ou lors de toute fête religieuse par les chefs
des familles pieuses, non seulement fondait l’unité d’une famille biologique mais aussi
consacrait une famille spirituelle92.
Déjà, cet exposé de la liturgie « eucharistique » juive a fait penser à ce à quoi les
chrétiens assistent quotidiennement dans leur propre célébration eucharistique ; déjà nous
90
BERGUERIE, Philippe, « Pédagogie de la prière chrétienne, in La prière eucharistique initiation à la prière
chrétienne », La Maison-Dieu, n° 125, 1976, p. 44.
91
BOUYER, Louis, op.cit., p. 43.
92
Ibid., pp. 155-156.
93
BOUYER, Louis, op.cit., pp. 156-157.
48
avons pu repérer les différents moments où, dans la dernière Cène, pourraient être situés les
instants importants de l’eucharistie et de « l’institution ». Il y a, d’abord, le déroulement de la
dernière Cène, conformément au rituel juif que, naturellement, Jésus a scrupuleusement suivi,
tout en inaugurant une nouvelle Pâque et une nouvelle alliance. C’est ce qu’affirme Jean-
Denis Chalufour : « c’est dans le cadre des cérémonies de la Pâque juive qu’il [Jésus) institua
ce sacrifice de la nouvelle et éternelle Alliance »94. Quant à Louis Bouyer, il confirme, à cet
effet, que « La célébration par Jésus de la Cène du Jeudi saint avec ses disciples semble avoir
été conforme à la pratique générale des autres rabbis avec leurs disciples »95.
Il faut préciser à cet effet que selon Luc, Jésus prit une (première) coupe avec les mots
« Prenez ceci et partagez entre vous ; car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit
de la vigne jusqu’à ce que le Royaume de Dieu soit venu ». Au cours du repas, il prit le pain
94
CHALUFOUR (Dom), Jean-Denis, La Sainte Messe hier, aujourd’hui et demain, Association Perus a Stella-
Abbaye Notre-Dame de Fontgombault, 2000, p. 11.
95
BOUYER, Louis, op.cit., p.156.
96
CASEL, Odon, op.cit, p. 24.
97
Ainsi le jugent les traducteurs de la Bible de Jérusalem, édition déjà citée, sous introduction à l’évangile de
Luc.
49
pour le donner aux disciples en leur disant « Ceci est mon corps, livré pour vous. Vous ferez
cela en mémoire de moi. ». C’est lors d’une autre coupe, la dernière, « après le repas », dans
laquelle le vin est « mêlé d’eau » selon le rituel juif, que Jésus présentant ce vin à ses disciples
leur dit « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous »98, ou, selon
Marc, « Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’alliance, répandu pour la multitude »
(Marc 14, 24-25).
A la fin du repas, clôturé par la dernière coupe de vin, l’officiant invitait les convives à
louer, par les mots « Rendons grâces », échangeant un dialogue laudatif avec eux ; ceci
introduisait la grande et solennelle prière « eucharistique »100 chantée par l’officiant, mêlant
louange et rappel du plan de Dieu, ses promesses, alliances et exploits, pour son peuple.
Par ailleurs, dans le service synagogal, tel qu’il se réorganisa pendant l’exil et la
« restauration » d’Esdras, on ne sacrifiait plus, à la place, on offrait une action de grâces forte
dans laquelle, dans la louange, était récité le mémorial de toute l’histoire de Dieu avec son
peuple, de nouveau consacré à Dieu, et exprimée l’espérance d’une intervention définitive de
Dieu parachevant son œuvre. Le modèle de cette action de grâces dans la louange nous est
donné par le récit d’un service rendu toute la journée sous Néhémie101, commençant tôt le
matin par le Sch’ma Israël (le célèbre « Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul
Seigneur, etc. ») prescrit par le Livre du Deutéronome102, suivi d’un dialogue introductif de la
98
Reproduit selon la traduction de Lc 22, 17-20 par la Bible de Jérusalem, Nouvelle édition revue, corrigée,
augmentée, Paris, Desclée de Brouwer, 2000.
99
LORET, Pierre, op.cit., p.30.
100
Ainsi qu’on l’a vu, en grec, eucharistia signifie justement action de grâce.
101
Ne 9, 5-37.
102
Dt 6, 4-13.
50
louange avant la grande action de grâces dite par le président de l’assemblée. Cette action de
grâces adressée à Dieu qui se révèle dans la nature et dans l’histoire du peuple choisi », est
clôturée par « la formule sainte » du Kedushah, le « trisagion » ou « les trois Saint »103. Casel
précise que « pour son action de grâce, le Christ utilisa donc… la bénédiction de la table »,
sans se refermer « strictement dans les limites du rituel juif ; mais pour répondre à la
nouveauté de son institution, il ajouta des paroles, des gestes et des actes nouveaux. Avant
tout, ce furent les paroles de l’institution eucharistique qui s’adjoignirent, comme quelque
chose d’entièrement nouveau, à la prière imitée du rituel juif »104.
• Loué soit notre Dieu qui nous nourrit, de qui la bonté nous fait subsister.
Le président :-Nous voulons sanctifier dans ce monde comme il est sanctifié dans les
hauteurs du ciel, ainsi qu’il est écrit par ton prophète : « Et ils se crient l’un à l’autre, disant :
Le président et l’assemblée :-Saint, Saint, Saint est Yahweh Sabaoth. Toute la terre est pleine
de sa magnificence.
103
LORET, Pierre, op.cit., p. 34.
104
CASEL, Odon, op.cit., p. 19.
105
D’après CASEL, Odon, Le mémorial du Seigneur, pp. 25-26.
106
CASEL, Odon, ibid., p. 39.
51
Ses serviteurs se tiennent tous en ces régions supérieures et proclament bien haut avec
révérence les ordres du Dieu vivant qui régit le monde, tous aimés, tous élus, tous puissants.
Tous exécutent parfaitement dans un profond respect le commandement de leur Créateur et
tous dans la sainteté, ouvrant leur bouche consacrée pour le chant et les hymnes, louent et
exaltent, célèbrent et honorent, sanctifient et glorifient le nom du Tout-Puissant, du grand Roi
redoutable et qui a tout pouvoir – il est saint. Tous à leur rang particulier s’acquittent des
obligations du céleste royaume et s’excitent mutuellement à célébrer la sainteté de leur
Créateur avec une joie pleine de délices. Tous, unanimement, prononcent la formule sainte et
disent avec respect :
Les Ophannim et les saints Haiioth s’élèvent avec un grand tumulte vis-à-vis des séraphins
leur répondant pour dire à leur tour :
« Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, Roi éternel, Toi qui nourris le monde entier de Ta bonté,
de ta grâce, de Ta miséricorde et de Ta tendre compassion. Tu donnes à toute chair sa
nourriture, car Ta miséricorde dure à jamais. Par Ta grande bonté, l’aliment ne nous a jamais
fait défaut ; puisse-t-il ne jamais nous manquer, pour l’amour de Ton grand Nom, puisque Tu
entretiens et soutiens tous les êtres vivants, que Tu leur fais du bien à tous et que Tu procures
la nourriture à tout ce que Tu as créé. Béni sois-tu, Seigneur, qui donnes à tous leur
nourriture.
Nous Te rendons grâces, Seigneur, parce que Tu as donné en héritage, à nos pères une terre
vaste, bonne et désirable, et parce que Tu nous as tirés, Seigneur notre Dieu, du pays
d’Egypte, délivrés de la maison de servitude, aussi bien que pour Ton Alliance que Tu as
scellée dans notre chair, pour Ta loi que Tu nous as enseignée, Tes statuts que tu as fait
connaître, la vie, la grâce et la miséricorde que Tu as répandues sur nous, et pour l’aliment
par lequel Tu nous nourris et nous soutiens constamment, tous les jours, en tout temps et à
toute heure. Pour tout cela, Seigneur notre Dieu, nous Te rendons grâces et nous Te
bénissons, Béni soit Ton Nom par la bouche de tous les vivants, continuellement et à jamais,
selon qu’il est écrit : Tu mangeras et tu seras rassasié et tu béniras ton Dieu pour le bon pays
qu’Il t’a donné. Béni sois-tu, Seigneur, pour cette nourriture et pour ce pays.
Aie pitié Seigneur notre Dieu d’Israël Ton peuple, de Jérusalem Ta cité, de Sion la demeure
de Ta gloire, du royaume de la Maison de David Ton oint, et de la grande et sainte maison
52
qui a été appelée par Ton Nom. O Dieu, notre Père, nourris-nous, entretiens-nous, soutiens-
nous, supporte-nous, relève-nous et accorde-nous bientôt, Seigneur notre Dieu, un secours
dans tous nos malheurs. Nous T’en supplions, Seigneur notre Dieu, que nous n’ayons pas
besoin des dons des hommes ou de leurs aumônes, mais seulement de Ta main secourable,
laquelle est remplie, ouverte, sainte et généreuse, de sorte que nous ne soyons point honteux
ni confondus à jamais […] »
Prière juive du service sans sacrifice Source, Louis BOUYER, pp. 159-160
Ses ministres se tiennent tous dans les lieux très hauts et proclament à pleine voix, dans
l‘adoration, les ordres du Dieu vivant qui règne sur le monde. Tous aimés, tous élus, tous
puissants, tous exécutent parfaitement, dans un respect souverain, le commandement de leur
créateur, et tous, dans la sainteté, ouvrant leurs bouches consacrées pour le chant et les
hymnes, louent et exaltent, célèbrent et honorent, sanctifient et glorifient le Nom du tout
Puissant, du grand roi redoutable et qui peut tout :il est Saint ! Tous, chacun à son rang,
s’acquittent du service du royaume céleste et s’excitent mutuellement à célébrer la sainteté
de leur créateur dans une joie surabondante. Tous, unanimement, prononcent la formule
sainte et disent avec respect : Saint, Saint, Saint, le Seigneur Sabaoth ! Toute la terre est
pleine de sa gloire.
107
Nous avons voulu donner cette vision, partageant sur le plan historique, la réponse théologique que Louis
Bouyer donne à des exégètes « rationalistes » doutant que Jésus ait créé un nouveau rite pour l’avenir ; op.cit., p.
157.
53
louange et d’action de grâce que les Grecs appelaient eucharistia (justement, action de
grâces), en les adaptant à leur esprit chrétien et à la nouvelle liturgie108.
A l’instar de la liturgie juive, la liturgie chrétienne fait encadrer les paroles dites au
cours du « repas » par des prières de louange, de bénédictions et d’action de grâces : la
Préface qui, tout en précédant l’institution et la consécration, est partie intégrante de
l’eucharistie, tandis que l’institution est suivie par des sortes de « litanies » qui sont, elles
aussi, partie intégrante de l’eucharistie. Ce sont ces prières post consécration qui conduisent à
la « fraction du pain » proprement dite et à la communion, participation de chacun aux
aliments et à la boisson sacrés. Ces aliments et cette boisson sont, dans ce contexte spécifique,
les saintes « espèces » préalablement « eucharistiées », c’est-à-dire consacrées par la prière
eucharistique.
jus par exemple), même si Jésus, comme tout le monde au cours des repas, avait dû utiliser du
vin de vigne et que, ailleurs, il dit à ses disciples qu’il ne boira plus avec eux de la vigne. En
tout état de cause, sans encore soulever ici le débat provoqué par les pratiques ou par les
simples propositions d’adaptation faites plus tard par des jeunes églises (v. plus loin deuxième
partie, chapitre), on voit bien qu’il n’existe aucune objection de principe, sauf des
prescriptions canoniques, que le pain, par exemple, puisse être remplacé par d’autres aliments
locaux.
Mais, sur ce point, un élément important sépare le judaïsme du christianisme. Les Juifs
fêtaient la Pâque en mangeant, outre ce pain sans levain et le vin, de l’agneau et des herbes
amères, qui rappelaient la servitude en Egypte, P-M Gy rappelle que, selon la Tradition
Apostolique d’Hippolithe, la nuit de leur baptême, les néophytes recevaient, entre la
communion au pain et la communion au vin, du lait et du miel, « l’exacte antithèse des herbes
amères », car « pour les Juifs la Pâque rappelait la sortie d’Egypte, pour les chrétiens elle est
sacramentellement l’entrée dans la terre promise », l’agneau pascal remplacé par le pain et le
vin sacramentels, chair et sang du Christ112.
***
112
GY, Pierre-Marie, « L’inculturation dans la liturgie romaine ancienne », loc.cit., pp. 474-475.
113
Nature de la Messe, http://cybercure.cef.fr
55
temps du christianisme, ne suivaient pas des livres ou des prières fixes ; on peut comprendre
dès lors qu’avant que n’apparaissent les premiers écrits, on connut une période de
tâtonnements et d’improvisations qui, çà et là, ont fixé des formules dans une diversité
régionale et culturelle dont, selon dom Bernard Botte, les « pères apostoliques » se réjouirent
parce qu’ « elle ne souligne que mieux la force de l’unanimité des Eglises dans la
conservation du dépôt »114.
114
BOTTE (Dom), Bernard, L’Eglise en prière, ouvrage collectif, Paris, Desclée, 1961, p. 35.
115
CASEL, Odon, Le Mémorial du Seigneur dans la liturgie de l’antiquité chrétienne-Les pensées
fondamentales du canon de la messe, 1945, p. 12.
116
Dans ce sens, v. Pierre GRELOT, op. cit ., pp. 103-107.
56
conformité avec les exigences d’un service divin ; c’est ce qui donna naissance à une liturgie
proprement chrétienne117.
La liturgie catholique qui est restée la base des célébrations jusqu’aux réformes du
XXe siècle s’est formée sur une longue période, depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du Moyen
Age. Pour traiter de cette évolution, il est possible de suivre la distinction classique des
périodes historiques couvrant le temps de formation et de fixation de la forme générale de la
liturgie de la messe, entre l’Antiquité et le Moyen Age ; ceci aurait l’avantage de l’exposé
chronologique, dans la mesure où chacune de ces périodes a laissé sa marque sur la liturgie
catholique. Mais, il est impossible de fixer une limite hermétique entre les réalisations de
l’Antiquité et celles du Moyen Age, étant donné que des formes apparues dans l’Antiquité,
souvent dans des conditions et circonstances peu connues ainsi que dans l’improvisation,
n’ont véritablement atteint leur maturation pour être fixées de manière incontestable qu’après
un temps plus ou moins long d’incertitudes, de tâtonnements ou avec lenteur, faute
d’informations sur les pratiques ayant cours dans les régions voisines ou, pour Rome et les
églises occidentales, à cause de l’ignorance de ce qui se pratiquait dans la partie orientale de
la chrétienté.
Pour plus de clarté, nous suivrons chaque moment important de la messe, dans son
apparition et dans ses évolutions ultérieures tout au long de l’Antiquité et du Moyen Age
chrétiens ; cela évitera des allers-retours dans l’histoire d’une même prière ou d’un même rite.
Par ailleurs, une telle description est susceptible d’entraîner beaucoup de détails ; ces détails
semblent inévitables, au contraire, parce qu’ils nous font connaître la totalité du rite et,
souvent, les circonstances historiques ou culturelles de son apparition et de ses évolutions.
C’est, de plus, une démarche qui permettra, en découvrant les circonstances et facteurs
d’évolution ou de modification, aussi bien d’apprécier les développements de la liturgie à
travers le temps que d’évaluer plus loin la portée des réformes liturgiques tout comme celle
des initiatives d’adaptation, d’acculturation ou d’inculturation au sein des jeunes églises
particulières. Il faut, toutefois, signaler la difficulté de donner des précisions historiques
incontestables sur certains points, face à l’incertitude et aux ombres recouvrant encore la
genèse et les développements de moments liturgiques à une époque où, l’écrit étant rare, il
manque de documents et de témoignages incontestables, à travers des pratiques fragmentaires
et parfois contradictoires. Dans le même ordre d’idées, les liturgies naissantes ne pouvaient,
dans ces conditions, qu’être marquées par des diversités locales, par exemple, des
117
CASEL, Odon, op. cit., p. 16.
57
emplacements différents pour telle prière ou tel rite, créant ainsi des confusions ou des
difficultés de compréhension pour le chercheur d’aujourd’hui. Néanmoins, ce rappel est
nécessaire pour notre sujet, dans la mesure où l’étude du processus de formation rend compte
des facteurs réllement contingents qui, au-delà des mystères chrétiens eux-mêmes,
déterminent la liturgie, où l’on découvre la réalité du lien avec la culture du milieu, fondant
ainsi l’utilité et, même, la nécessité de l’incarnation, de l’inculturation de celle-là dans celle-ci
au point d’en devenir l’une des composantes. De même, ainsi se trouvent légitimés les efforts,
parfois les revendications, des jeunes églises, notamment des églises d’Afrique, pour adapter,
chez-elles, la liturgie à la culture et au génie de leurs peuples.
I.II.I.1 Le contexte
Ce constat se vérifie en particulier pour la messe dont les différentes pièces vont
s’accoler au noyau central de « l’institution », tel un puzzle, dans un processus qui s’étale
dans le temps, à coup d’adaptations locales, souvent adoptées par les évêques d’églises
locales, à coup d’emprunts réciproques entre différentes églises, etc.
Mais les liturgies ont également été en partie l’œuvre ou le choix imposé par des
souverains, tant il est vrai que l’évolution de la liturgie n’est pas une histoire autonome et
qu’elle s’inscrit dans l’histoire générale et dans les circonstances de temps et de lieu. Dans ce
sens, on a pu parler de la liturgie des temps des persécutions et des catacombes, influencées
par la survenance de ces fléaux sur les chrétiens et sur l’Eglise ; c’est à juste raison, dès lors,
118
BOUYER, Louis, Théologie et spiritualité de la prière eucharistique, Paris, Desclée, 1968, p. 437.
58
que par exemple, dans son monumental « Histoire de l’Eglise du Christ », Daniel-Robs
consacre tout le premier tome à cette Eglise des Apôtres et des Martyrs, relatant la vie de
l’Eglise, la vie chrétienne et la liturgie de ces temps difficiles. De même, ainsi que nous
l’avons constaté au cours de nos recherches, ces circonstances n’ont pas permis que soient
élaborés et distribués de nombreux ouvrages ou, même, des formulaires sûrs décrivant
l’ordonnance des rites.
De fait, au cours de cette période, alors que l’empereur Dioclétien avant ordonné de
brûler les livres chrétiens (303), l’installation des persécutions ne pouvait favoriser la
119
production littéraire chrétienne ; ceci ayant une conséquence plus importante que la simple
rareté des sources, le fait qu’alors nombre de rites, prières et autres gestes de la liturgie
primitive, dont certains sont passés à la postérité, sont le fruit de l’improvisation. On peut
affirmer, à l’inverse, que la conversion de Constantin, qui de plus prendra l’édit de tolérance
en 313, va ouvrir l’âge d’or de la liturgie. L’empereur cèdera les premières basiliques
impériales pour la liturgie chrétienne, ce qui aura des implications sur l’organisation même du
culte en vu, notamment, de l’adapter aux nouveaux espaces ; il organisera, comme d’autres
rois après lui, des conciles importants dans la vie de l’Eglise, interviendra dans la
détermination par l’Eglise de certains points importants de la foi (par exemple, sur le contenu
du symbole de la foi chrétienne, le Symbole de Nicée-Constantinople), déterminera, par son
intervention directe, le sort de certaines hérésies etc.
Au Moyen Age, des rois joueront un rôle capital dans l’extension du christianisme car,
comme Constantin, lorsqu’ils se convertissent, ils font du christianisme la religion de leur
peuple sinon la religion d’Etat. Mais aussi, comme en Gaule et en Espagne, ils imposeront ou
introduiront de nouvelles formes liturgiques ou des rites et contribueront à la primauté de la
liturgie romaine, comme l’illustrent les réformes liturgiques en quelque sorte imposées par les
rois francs et carolingiens, essentiellement Charlemagne qui réalisera une œuvre liturgique
historique.
Ce sont ces contextes et facteurs qui ont permis une diversification des rites et des
liturgies constatée dès les origines, mais dans la fidélité à la même foi et à la même
eucharistie. De telle sorte que, jusqu’au milieu du XVIe siècle, il n’avait jamais existé une
liturgie unique ou unifiée, plusieurs rites coexistent, certes autour de la même eucharistie,
119
ROUET, Albert, La messe dans l’histoire, Paris, Cerf (Dossiers libres), 1979, p. 63.
59
mais dans des conditions où l’on pouvait craindre des initiatives particulières ou personnelles
et un certain désordre120, ce à quoi réagira le concile de Trente.
Pour plus de facilité, on suivra les diverses innovations ayant affecté les différents
moments de la messe, les différentes prières nées autour de la prière eucharistique et les
prières et rites inventés pour l’ordonnance « technique » de la célébration, qui s’est formée
progressivement, comme la diversité des prières eucharistiques, les rites d’entrée et de
conclusion, l’intégration de certaines formes d’une dévotion populaire spontanée et des
réponses à des réclamations des fidèles ou, encore, l’introduction de certains chants.
L’essentiel de l’eucharistie ayant été fourni par la dernière Cène tandis que les
expériences vécues par les premières communautés chrétiennes ont suggéré la structure de la
messe, on peut dire qu’une pratique d’un siècle et demi (tout le premier siècle et la première
moitié du second) a pu fixer l’essentiel de l’ordonnance de la messe telle qu’elle a continué
jusqu’à nous. Parmi les rares et tout premiers documents qui en attestent et datant précisément
de cette période, citons la Didachè, au milieu du IIe siècle, la 1ère Apologie de saint Justin et
la Tradition Apostolique d’Hippolithe de Rome. La Didachè ou « La doctrine du Seigneur
transmise aux nations par les douez apôtres », paraît au cours du premier siècle de notre ère,
probablement au moment où des apôtres vivaient encore, elle est citée par des Pères comme
Irénée de Lyon, Alexandre d’Alexandrie et Origène, mais aussi par Eusèbe. L’Eglise ne la
120
C’est ainsi que s’étaient multipliés des rites, chaque région européenne, Germanie, Pays francs, Gaule,
Espagne, etc., avait une liturgie eucharistique propre très différente des autres (liturgies « romaine »,
« gallicane », « germano-franque », « romano-germanique », « hispanique », etc.), tandis que se développaient
des rites conventuels, chaque ordre religieux et pratiquement chaque couvent ayant développé son rite
particulier, le plus célèbre à ce titre étant sans doute le rite des dominicains.
60
reconnaît pas comme livre canonique mais la recommande comme écrit des Pères et parfois
s’y réfère explicitement, comme Pie XII dans son enccyclique Summi Pontificatus du 20
octobre 1939 : « Souviens-toi, Seigneur, de ton Église, pour la délivrer de tout mal et la
perfectionner dans la charité ; rassemble-la des quatre vents, toute sanctifiée, dans le royaume
que tu lui as préparé ; car à toi est la puissance et la gloire dans tous les siècles. " (Doctrine
des Douze Apôtres, c. X.) ». La Première Apologie, quant à elle, est l’œuvre de Justin de
Naplouse, qui a vécu vers 105-165, philosophe païen par la suite théologien chrétien, et qui
l’a écrite sous l’empereur Antonin le Pieux pour défendre devant lui et devant le Sénat, en
prenant en témoin le peuple romain, les chrétiens, « pour ces hommes de toute race,
injustement haïs et persécutés ». Il y présente la doctrine, les mystères et le culte chrétiens
pour démontrer qu’il n’y a là rien de repréhensible ; il meurt martyr sous Hadrien, Rusticus
étant préfet. Enfin, la Tradition Apostolique, présentée comme un Règlement de l’Église du
IIIe siècle121, mais non un livre officiel. Ce recueil contient des prescriptions et des prières
liturgiques, exposant en particulier le modèle de l’oblation lors d’une messe d’ordination d’un
évêque122 L’auteur généralement reconnu de la Tradition c’est Hyppolite de Rome, dont on
ne saurait affirmer la véritable identité et la véritable personnalité123. L’existence de ces
documents témoigne du fait qu’au IIe siècle la vie liturgique avait pris ses formes canoniques,
estime Casel qui ajoute que, dans cette période de recherche, la prière chrétienne, il en est
ainsi de la prière eucharistique, avait encore pu « fort bien prendre en considération des
liturgies existantes » et que « Ainsi des formes de prières juives, parfois même païennes,
purent servir de modèle au culte chrétien »124 En dépit de l’élaboration, à la fin du IVe siècle,
du canon romain de la messe dont témoigne l’ouvrage De sacramentis, de saint Ambroise, et
qui va fortement influencer l’évolution de la liturgie catholique, chaque siècle et pratiquement
chaque église, on le verra, ajoutera sa pièce à l’ensemble ou gardera sa spécificité sur tel ou
tel aspect.
121
BOTTE, Bernard, Hyppolite de Rome La Tradition Apostolique d’après les anciennes versions, Paris, Ed. du
Cerf, 1968, p.25 ;
122
BOTTE, Bernard, L’Eglise en prière, op.cit., p. 27.
123
Il semble exister des incertitudes entre ce prêtre romain qui aurait vécu vers 170-235, l’évêque savant
commentateur des Ecritures ou le laïc presque schismatique qui a tant écrit sur les hérésies.
124
CASEl, Odon, op .cit., p. 17.
61
Par ailleurs, cette période est pourtant capitale dans l’établissement de la liturgie,
suivant immédiatement la période apostolique et venant juste avant le formidable
épanouissement de la liturgie qui va marquer l’Eglise du IVe au VIe siècles, que les
liturgistes, unanimes, appellent l’âge d’or de la liturgie125, que Dom Prosper Guéranger place
à saint Grégoire le Grand (pape de 590 à 604), sans doute en écho à cet autre « âge d’or »
avec lequel il coïncide, celui des Pères de l’Eglise126. La liturgie chrétienne est, selon cette
conception, sortie des catacombes et libérée de la persécution, à une époque où elle s’adapte
aux immenses basiliques qui abritent l’office liturgique au lieu des anciennes « maisons-
églises », pour faire face à une assistance de plus en plus importante127. De fait, jusqu’au Ve
siècle, les églises sont surtout urbaines et épiscopales, avec une église par diocèse, les églises
et paroisses rurales apparaissent donc vers le début du haut Moyen Age, sous la pression des
fidèles qui ne peuvent pas toujours se rendre en ville, alors que, par contre, les responsables
n’aimeraient pas multiplier ces églises de campagne afin de mieux centraliser et contrôler les
fidèles128.
Si, logiquement, cette période des persécutions des chrétiens se caractérise par la
rareté des documents relatifs à la liturgie, elle est pourtant celle qui a préparé cet âge d’or, ce
printemps merveilleux de la liturgie, tandis que les fastes des messes pontificales reproduisent
ceux des cours impériales et que le chant grégorien et la polyphonie viennent bientôt
rehausser la majesté de la liturgie (VIe siècle). C’est une période tellement riche que, comme
125
Par exemple Pierre LORET, op.cit., p.40.
126
La Revue Connaissance des Pères de l’Eglise, dont le tome 3 est intitulé L’âge d’or des Pères
127
DANIEL-ROPS, op .cit. p. 251.
128
http://www.univ-tlse2.fr/multimedia/medievale/UE5/ue5_med_cours/ue5_med_2p.htm
62
En réalité, dans ces régions orientales à civilisations et cultures de tradition orale, c’est
dans cette dernière que les pratiques liturgiques naissent, se développent et prennent leurs
formes ; elles s’y transmettent en s’appuyant sur des emprunts entre églises locales, sur des
improvisations des célébrants et sur des considérations pratiques de bon sens ou de nécessité.
Rarement, on trouve dans certaines églises des lignes conçues et imposées par des pasteurs et
des orientations inspirées de la pensée ou de l’exégèse de penseurs et de maîtres spirituels
chrétiens (les « pères », comme Basile, Clément, Augustin, etc.). Ce n’est qu’à partir du VIIe
siècle que commencent à apparaître les premiers formulaires écrits dans lesquels sont
consignées ces traditions (notamment l’Ordo romanus dont il a été question dans
l’introduction) ; le besoin en sera plus pressant encore lorsque, à l’issue de guerres, il s’avère
utile de transcrire les usages anciens et quand, fuyant la persécution organisée en Orient par
les iconoclastes, de nombreux clercs orientaux viennent dans l’Eglise de Rome sans en
connaître les pratiques129. Mais, on peut affirmer avec plus ou moins de certitude que la
structure fondamentale de la liturgie de la messe est fixée, sur la base de l’ossature que nous
font découvrir l’Apologie, la Didachè et la Tradition apostolique, au IVe siècle, tandis que sa
transcription dans des formulaires se déroule jusqu’au VIe siècle sous Grégoire le Grand,
période où est daté l’Ordo romanus I. Ce dernier est le sacramentaire utilisé par l’Eglise
locale de Rome, au siège apostolique ; c’est celui qu’Hadrien Ier enverra à Charlemagne, dans
les circonstances que nous indiquerons plus loin. A la différence des formulaires en usage en
Espagne et en Gaule, où les prières sont changeantes et mouvantes tandis que les paroles de
l’Institution sont le seul élément fixe et immuable, le rite romain se caractérise par le canon, la
règle unique et fixe, dans un style sobre qui contraste avec le style gallican ou wisigoth fleuri
et abondant ; dès cette époque, l’ordo comprenait déjà les éléments essentiels de la liturgie,
autour de l’Institution, avec les grandes prières que sont le Communicantes et le Hanc
igitur130. L’arrivée du rite romain sur les terres de Charlemagne (Gaule et Germanie) va être
suivie par des apports locaux étrangers à partir d’usages locaux anciens ou de nouvelles
inventions liturgiques. A vrai dire, la liturgie qui va s’imposer au cours du bas Moyen Age
sera la résultante de cette rencontre entre le rite romain et les apports francs et germaniques,
129
METZGER, Marcel, Les Sacramentaires, op.cit., pp. 32-33.
130
BOTTE, Bernard, Rites et familles liturgiques, in MARTIMORT, L’Eglise en prière, Paris, Desclée & Cie,
1961, p. 28.
63
rassemblés dès le XIe siècle en Germanie en des sortes de missel qui vont revenir à Rome où,
pour les raisons que nous verrons plus loin, ils s’imposeront comme rites officiels.
Depuis les premiers temps du christianisme, les chrétiens commémorent les mystères
du sacrifice du Christ, en répétant les gestes et les Paroles de ce dernier lors de la dernière
Cène, intégrant l’enseignement de la Parole sainte de la même manière que Jésus avait fait
précéder l’institution par le rappel des Ecritures, édifiant les apôtres et leur dévoilant le sens
de ce qu’il allait faire pour la première fois en leur présence.
Mais, les écrits des apôtres ne donnent aucune indication en relation avec la façon dont
débutait ou se préparait l’assemblée du « repas du Seigneur ». Le document que nous avons
cité de S. Justin commence directement, dès le rassemblement fait, par les lectures. Or, la
dynamique et la massification des assemblées allaient faire sentir le besoin d’une certaine
organisation du commencement de la cérémonie, avant cette partie didactique que l’on appelle
aujourd’hui liturgie de la Parole, par un ensemble de prières de préparation constituant ce
qu’on appelle le rite d’entrée.
I.II.II.1 L’entrée
Bien qu’aujourd’hui l’entrée figure dans l’ordo de la messe comme une étape à part
entière, pas injustifié d’en parler sous la rubrique Liturgie de la Parole dans la mesure où,
d’une part, ce rite est apparu comme une excroissance inexistante dans la liturgie originelle et
où, d’autre part, il est apparu comme une préparation aux lectures.
Par les premiers documents à notre disposition nous savons que le début des
assemblées chrétiennes était quelque peu abrupt, directement par les lectures de la Parole de
Dieu ; rien n’existait de ce qui constitue aujourd’hui le rite d’entrée, ni les prières de bas de
l’autel d’application avant la réforme de Vatican II, ni chant et acte pénitentiels avec la
confession (le confiteor) ou l’acte simplifié d’aujourd’hui avec les seuls Kyrie eleison131.
Tout ceci n’apparaîtra que plus tard. Pour ne pas en parler dans le rite d’entrée, signalons ces
autres prières privées du prêtre et des ministres qui l’accompagnent, pour se préparer à la
messe ; ces prières qui ne figuraient pas dans la liturgie proprement dite, seront introduites
dans des sacramentaires dès le XIe siècle et amplifiées au XIIIe, il y eut même depuis
l’époque carolingienne des prières à dire au moment de la vêture132. Ce sont, là, avec d’autres,
131
DANIEL-ROPS, op .cit., pp. 252-253.
132
CABIE, Robert, op.cit., pp. 58-59.
65
de ces fioritures qui, comme nous le verrons, s’accommoderont bien avec la contre-réforme
du concile de Trente et du Missel de Pie V.
Dans son Apologie, saint Justin parle dans des termes qui peuvent nous aider à
comprendre pourquoi on a, rapidement, cessé de commencer la célébration directement par
les lectures ; il écrit en effet : « Le jour qu’on appelle jour du soleil, a lieu le rassemblement
en un endroit de tous ceux qui habitent la ville ou la campagne » (souligné par moi). On a pu
donc concevoir qu’avant même que la cérémonie commence, que quelque chose soit organisé
pour, non seulement en quelque sorte occuper les arrivants, mais aussi maintenir un certain
ordre et créer un climat propice à la grande prière qui allait commencer, préparer les esprits.
Ce fut le besoin d’une sorte d’introduction à l’eucharistie proprement dite, afin de
véritablement unir les cœurs et attirer l’attention des fidèles qui, à l’époque, entraient et
s’installaient en désordre et bruyamment, afin de véritablement les constituer en peuple
d’orants133, grâce à un chant d’entrée en grec ou plus tard en latin, suivi par l’installation de
l’officiant qui, pour commencer la cérémonie, fait une prière d’ouverture. C’est l’apparition,
au IVe siècle, du chant de l’introït, généralement un psaume dont un verset peut servir de
refrain. Cela s’avèrera une nécessité dans les messes, dites habituellement, à cette époque où,
on l’a vu, les églises sont urbaines et épiscopales, par l’évêque et, à Rome, par le pape,
s’avançant en procession au milieu des fidèles vers l’autel134 ; on peut alors affirmer que ce
rite, tout en répondant à un besoin pastoral de réunir le peuple dans une prière et un esprit
communs, participe d’une certaine solennité de la cérémonie.
Dans le même souci, il semble que le Gloria in excelsis Deo, une hymne triomphale,
une de ces hymnes de l’Eglise primitive, déjà chantée en Orient, fût introduit dans la liturgie
romaine de Noël et de Pâques à cette époque (Ve-VIe siècles), d’abord chanté solennellement
par le pape ou l’évêque et, bientôt notamment en pays franc, les dimanches et aux fêtes de
martyrs par tous les célébrants135. Un détail dont nous dirons l’importance plus loin
concernant les prières de supplications dans les nouvelles liturgies, en entonnant le Gloria, le
prêtre a les bras élevés vers le ciel136 en expression de la louange rendue à Dieu. Mais, déjà au
VIIe siècle, la majorité des prêtres ne chantaient plus le Gloria « qu’à la messe de la vigile
133
NOCENT, Adrien, op.cit., p. 59 ; CABIE, Robert, op.cit., pp. 31-33.
134
CABIE, Robert, op.cit., p. 31 et DANIEL-ROPS, op.cit., p.252.
135
CABIE, Robert, op.cit., p. 46. ; CHALUFOUR, Jean-Denis. op .cit. p. 59.
136
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 61.
66
pascale »137, sans que cela empêche la survivance de ce chant, qui, par sa simplicité et sa
structure, se prête à une exécution par la foule et pût ainsi malgré tout imposer une popularité
qui est encore actuelle.
D’abord introduit pour la solennité des messes dites « pontificales », ce petit rite
d’entrée va intégrer la structure de la messe et se généraliser vers le Ve siècle. Concernant ce
qui existe aujourd’hui et qu’on appelle, selon les missels ou, même, selon les officiants,
confession ou « préparation pénitentielle » ou encore « le rite pénitentiel », on peut en trouver
l’origine dans la Didachè, lorsqu’on y lit « XIV. 1. Réunissez-vous le jour dominical du
Seigneur, rompez le pain et rendez grâces après avoir, d’abord, confessé vos péchés, afin que
votre sacrifice soit pur. » et, surtout : « IV. 14. Dans l’assemblée, tu confesseras tes
manquements, et tu n’iras pas à ta prière avec une conscience mauvaise. Telle est la voie de la
vie. ».
137
NOCENT, Adrien, op.cit., pp. 59 et 60.
138
NOCENT, Adrien, op.cit., pp.60 et 61.
67
clôturée par l’oraison de l’officiant. On affirme qu’en Orient, la prière des fidèles avait pris la
forme de litanie récitée par le diacre, tandis qu’après chaque intention le peuple répondait,
sans doute par cette expression grecque « Kyrie eleison », à traduire par « Seigneur, exauce-
nous »139. Cette pratique, empruntée de l’Orient où une pèlerine espagnole du nom d’Ethérie
l’aurait entendue vers 390140, se trouve consignée dans un formulaire du Ve siècle, attribué au
Pape Saint Gélase, qui recommandait aux fidèles de répondre par « Seigneur, écoute et prends
pitié » (Domine, exaudi et miserere) que l’on chante encore aujourd’hui. En tout cas, à cette
période le Kyrie n’est pas une prière pénitentielle, mais la réponse des fidèles aux demandes
au Seigneur exprimées par le diacre et il se situait, avec celles-ci, entre la liturgie de la Parole
et l’offertoire141, emplacement retrouvé par la prière des fidèles (ou la prière universelle)
après Vatican II.
Une instruction de Grégoire Ier (pape 590-604) prescrit qu’aux messes quotidiennes,
on passe « sous silence toutes ces choses qu’on a coutume de dire » et qu’il soit dit
« seulement Kyrie eleison, Christe eleison » (ce dernier élément n’existait pas
antérieurement), réservant, pour des besoins pastoraux, le système litanique, c’est-à-dire
l’énumération des intentions, aux messes dominicales et aux messes où il y a affluence. La
même décision reportait les invocations du Kyrie ainsi assoupli, et sans plus les intentions, au
début de la messe dans le rite d’entrée. C’est l’explication du fait que, depuis, le Kyrie eleison
soit placé au début de la messe, détaché de la prière universelle, prenant ainsi les allures du
rite pénitentiel qui lui colle encore, même si dans les prières universelles contemporaines les
fidèles répondent parfois par Kyrie eleison aux intentions proposées.
Albert Rouet décrit une entrée de messe gallicane au VIe siècle plus élaborée, avec
une procession d’entrée, avec un chant qui va être clôturé par la « petite doxologie »142, celle
du Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto (Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit …) qui
venait d’être introduit par le concile de Vaison de 529 afin de souligner la divinité de Jésus143.
Après ce chant, il y a le salut par le prêtre (Le Seigneur soit avec vous…) suivi directement
par le Trois fois Saint (l’Aïus), chanté en grec et en latin avec la réponse du public Amen ».
Ce rite se poursuit avec trois Kyrie eleison chantés par trois enfants, le Cantique de Zacharie
alterné par deux chœurs précèdant la monition et l’oraison du prêtre, la collecte, qui clôture le
139
Traduction que donne, par exemple, DANIEL-ROPS, op.cit., p.253.
140
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 55.
141
Ibid.
142
De fait, est présentée comme « grande doxologie » celle prononcée à la fin du canon par le Per Ipsum, ainsi
que nous le verrons plus bas.
143
Comme nous le disons par ailleurs, ce concile avait, entre autres missions, de combattre l’hérésie arianiste.
68
rite d’entrée ; alors commencent les lectures144. Des sources consultées dans ce travail, cet
auteur est le seul à placer ci-haut le « Trois Saint » et, de façon générale, cette entrée est
différente de celles présentées par d’autres auteurs.
En tout état de cause, on se rend compte que, depuis la description faite par l’Apologie
de Justin et la Tradition apostolique d’Hyppolite, des choses se sont intercalées entre l’arrivée
du célébrant et la liturgie de la Parole, introduisant un rite nouveau, celui d’entrée qui fera
dorénavant définitivement partie de la célébration liturgique.
Dites par le prêtre au début de la messe avant de monter à l’autel, y compris les prières
pénitentielles du confiteor, ces prières sont introduites également à la même période, devenant
d’un usage courant dès le VIIe siècle dans la liturgie de Grégoire le Grand où, décrivant une
messe pontificale, on voit le pape, après avoir salué l’autel, prier tout seul au bas de l’autel.
Ces prières occuperont l’officiant pendant que l’on chante l’introït, comme si celui-ci ne le
concernait pas et que ses prières ne concernaient pas les fidèles, et avant que, montant à
l’autel, il ouvre la célébration proprement dite.
Mais, certaines de ces excroissances ont une grande importance au sein de ce rite du bas de
l’autel ; il en est ainsi du confiteor qui, selon la foi chrétienne, s’explique et se justifie par le
fait que le seul prêtre qui n’a pas besoin de se reconnaître pêcheur et de s’en purifier avant le
sacrifice c’est Jésus, tandis que tous les autres, ceux qui officient après lui in persona Christi,
ont besoin de se purifier et de se sanctifier avant le saint sacrifice. Ce n’est qu’au VIIIe siècle
qu’il est explicitement prescrit que le prêtre « prie pour lui et pour les péchés du peuple », le
confiteor se formant au XIe siècle145. Cette prière pénitentielle est dite par le prêtre
profondément incliné (pratiquement à angle droit), se frappant la poitrine aux mots mea culpa,
mea culpa, mea maxima culpa ; elle peut être répétée par les ministres qui sont avec lui
(diacres et sous-diacres). Mais, son placement au début de la célébration contribue
certainement à la confusion, installée depuis, consistant à, sans nuance, assimiler à une prière
pénitentielle le Kyrie placé depuis Grégoire le Grand dans le rite d’entrée et dont nous avons
vu les véritables histoires et portée. De plus, ces prières dites à voix basses vont, sans raison
explicite connue, faire naître l’habitude de faire lire à voix basse par le prêtre, même au cours
144
ROUET, Albert, op.cit., pp. 96 et 97.
145
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 41.
69
de la célébration, certains chants, prières et lectures qui étaient jusque là faits par les
fidèles146, pratique qui disparaîtra dans les réformes consécutives à Vatican II.
A partir du IVe, quand il monte à l’autel, comme avant de le quitter à la fin de la messe, le
prêtre baise l’autel, ainsi que chaque fois qu’il se retourne pour s’adresser aux fidèles par le
Dominus vobiscum ; plus tard (XIe), le geste sera accompagné d’une prière dite à voix basse.
Le baiser de l’autel peut facilement s’expliquer comme hommage rendu à l’autel, mais il faut
dire que, depuis notamment les persécutions, on avait pris l’habitude d’honorer les martyrs
par le culte des reliques des saints, jadis sur leurs tombes dans les catacombes et plus tard en
installant une « pierre d’autel » contenant ou recouvrant une relique147 ; le baiser est appliqué
à cet endroit ou, ailleurs, sur l’autel qui est, de toutes façons, consacré.
Le Confiteor des ministres :
Je confesse à Dieu tout-puissant, à la bienheureuse Marie toujours vierge, à saint Michel
Archange, à saint Jean-Baptiste, aux saints Apôtres Pierre et Paul, à tous les saints et à vous
mon père que j’ai beaucoup péché, par pensées, par paroles et par actions. C’est ma faute,
c’est ma faute, c’est ma très grande faute. C’est pourquoi je supplie la bienheureuse Marie
toujours vierge, saint Michel Archange, saint Jean-Baptiste les saints Apôtres Pierre et Paul,
tous les saints et vous mon père de prier pour moi le Seigneur notre Dieu. Traduction
Chalufour, p. 42.
Les ministres prient ainsi profondément inclinés, se frappant la poitrine à mea culpa, mea
culpa, mea maxima culpa, et se tournant vers le prêtre aux mots « et à vous mon père » et
« vous mon père ». Le prêtre dit le même confiteor mais, à la place de « vous mon père », dit
« vous mes frères ».
146
NOCENT, Adrien, op.cit., p. 62.
147
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 51
148
C’est ce qu’exprime p. ex. LORET, Pierre, op.cit., pp. 62-65.
70
La liturgie de la Parole est héritée des plus anciennes pratiques chrétiennes qui
n’avaient, ainsi que nous l’avons vu, fait que transposer un rite de la liturgie juive au sein de
laquelle elle était déjà la première partie de l’assemblée synagogale, sans doute tel que Jésus
lui-même l’avait respecté lors de la dernière Cène notamment à travers le discours qu’il tenait
à ses apôtres juste avant l’institution de l’eucharistie.
Au début, on l’a vu, les lectures avaient lieu dès le rassemblement fait, avec, à la suite
des communautés chrétiennes primitives, généralement une lecture des « Mémoires des
Apôtres », parfois des « écrits des Prophètes » (l’Ancien Testament), suivie de l’exhortation
ou l’homélie du président.
149
CONGAR, Yves M-J., Mon Journal du Concile, I, Paris, Ed. du Cerf, 2002, pp. 110-111.
150
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 69.
151
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 79.
71
remonter l’usage consistant à chanter l’alleluia entre deux lectures à la pratique juive qui,
entre les lectures, intercalait les chants dits de l’Hallel, groupe de psaumes entrecoupés
d’Alleluia, les communautés chrétiennes primitives auraient gardé cet usage lors des agapes et
de la messe, ce qui fait que ce chant est même antérieur au rite d’entrée (avec l’introït et les
prières du bas de l’autel) dans la liturgie romaine où, d’abord chanté aux messes du temps
pascal et à celles du dimanche, il s’est généralisé au Ve siècle152. L’usage des trois lectures est
général et encore connu au VIe siècle, mais avec, dans la liturgie gallicane comme nous
l’avons vu, le chant du Cantique des trois enfants de la fournaise du Livre de Daniel et du
« Trois Saint », après la deuxième lecture, juste avant la procession de l’évangile153.
A l’époque de Grégoire le Grand, la psalmodie qui séparait les deux lectures est
supprimée, de même que la deuxième lecture avant l’évangile. La solennité de la lecture de
l’évangile est accentuée, le diacre désigné pour lire étant accompagné, en le précédant, de
deux acolytes avec chandeliers à sept branches, la chorale chantant encore l’Aïus et le livre
est, dans la messe gallicane, recouvert d’un voile157, trois sous-diacres avec une cassolette où
152
Ibid., p. 75.
153
ROUET, Albert, op.cit., p. 97.
154
NOCENT, Adrien, op.cit., p. 66.
155
ROUET, Albert, op.cit., p. 98.
156
CABIE, Robert, op.cit., p. 46.
157
ROUET, Albert, op.cit., p. 97 ; Rouet étant également le seul à mentionner ce chant de l’Aïus à la lecture de
l’évangile.
72
brûle l’encens ; il s’agit là d’une véritable procession. Certains estiment, prosaïquement, que
cette solennité renvoie à l’histoire antique lorsque « les magistrats romains étaient précédés de
flambeaux, honneur qui passa aux évêques, à l’évangéliaire … » ou, plus liturgiquement, que
l’auteur de la parole qui va être lue c’est le Christ lui-même, Lumière du monde158, ceci
explique en particulier la présence des chandeliers, ce symbolisme est sans doute, selon nous,
plus louable que les réminiscences impériales.
Les lectures avaient encore à cette époque où s’est formé le premier Ordo romain qu’à
Rome les noms des personnes désignées pour s’acquitter de cette tâche étaient communiqués
à l’avance au pape (dans les autres églises, à l’évêque), il en était de même de ceux qui
exécutaient un chant, et que le maître de la schola était responsable de la bonne qualité des
chants et des lectures et, pour cela, encourait l’excommunication si l’exécution était faite par
des personnes non approuvées159.
A cette époque, il n’y a pas encore de Credo dit à la messe ; il est en effet récité par les
catéchumènes lors de leur baptême, c’est pourquoi il est récité, comme profession de foi
individuelle, à la première personne du singulier160. Ainsi, l’homélie est suivie directement
par la prière des fidèles dont nous avons parlé plus haut et que le célébrant sollicite en disant,
tourné vers le public : Le Seigneur soit avec vous. Prions (Dominus vobiscum. Oremus).
Alors, l’assistance répond en une prière-méditation, silencieuse, tous debout les bras levés
vers le ciel, rapporte Daniel-Robs qui, faisant état d’une compilation du IVe siècle, évoque, à
l’appui, la posture des orants peints sur les murs des catacombes161, tandis que l’on exposait
les demandes importantes de l’Eglise à Dieu162. C’est cette prière qui a été évoquée plus haut
en parlant des origines du Kyrie eleison qui lui était attaché et qui s’est introduit en Occident
un peu avant que le concile de Vaison de 529 l’adopte. C’est au Ve siècle que se situe l’une
de ces prières des fidèles composée par le pape Gélase Ier (pape : 492-496), en proposant
comme réponse, non plus Kyrie eleison, mais « Seigneur, écoute et prend pitié » (Domine,
exaudi et miserere). Au VIe siècle, cette prière prend dans le rite gallican la forme d’une
158
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 81.
159
ANDRIEU (Mgr), Michel, Les Ordines romani du haut Moyen Age II , Louvain (Spcilegim Sacrum
Lovaniense), 1949, p. 80 (Ordo romanus I, 39).
160
D’après LORET, Pierre, La messe, du Christ à Jean-Paul II – Brève histoire de la liturgie eucharistique,
op.cit., p. 106.
161
DANIEL-ROPS, op.cit., pp. 253 et 254.
162
CASEL, Odon, op.cit ., p. 24.
73
longue litanie d’intercession intervenant ainsi juste après les lectures et l’homélie163, tandis
que, dans la messe romaine, à partir de la fin du VIe siècle on constate que la prière des
fidèles disparaît de sa place habituelle ; cette initiative sera fatale pour la prière des fidèles
bientôt abandonnée même aux messes dominicales ou solennelles, elle resurgira avec Vatican
II.
La prière des fidèles est conclue par une « collecte » du prêtre à la fin de laquelle
l’assistance manifeste son approbation par « Amen » ; nous reproduisons également le texte
de cette « prière de l’appel de tous à l’Un » : « Dieu tout-Puissant et éternel, consolation de
ceux qui sont tristes, force des travailleurs, que l’imploration de tous ceux qui souffrent vous
parvienne et qu’à travers leurs peines, tous se réjouissent de votre miséricorde »164
Il a été signalé ci-haut que le credo n’était pas encore dit au cours de la messe
romaine, tandis qu’il était professé en Orient dès le début du VIe siècle, le patriarche de
Constantinople, Timothée (patriarche : 511-517), suivi dans tout l’Orient, l’ayant imposé à
chaque messe165. En Occident, il était apparu en Espagne dès la fin du VIe siècle, introduit
avant la prière de Notre Père par le Concile de Tolède (589) pour « toutes les églises
d’Espagne, Gaule et Galice », en retenant, « à la manière orientale, le symbole de foi du
Concile de Constantinople », de préférence au symbole dit des Apôtres, qui commence par
« Je crois en Dieu, … » et qui est le plus courant dans l’Eglise latine romaine. C’est que, en
effet, il existe un autre symbole, celui adopté par le Concile de Nicée (325) et complété par le
Concile de Constantinople qui affirma la divinité du Saint-Esprit166 (381), il est plus long que
l’autre et commence par « Je crois en un seul Dieu, … » ; c’est l’unique texte de confession
de foi utilisé dans Eglise orientale et il faut remarquer que c’est ce credo (Nicée-
Constantinople) qui est chanté en latin. Que le Concile de Tolède ait choisi le symbole de
Nicée témoigne de sa préférence pour les décisions prises dans ce domaine par le Concile de
Nicée, qu’il considère le fait que ce symbole est l’œuvre de « cent cinquante évêques », tandis
que le symbole attribué aux Apôtres n’a pas une origine aussi sûre et s’est formé à Rome sans
que l’on sache de quelle autorité ni dans quelles circonstances historiques précises. De plus,
Nicée avait été convoqué par Constantin pour conforter la foi catholique et réfuter, avec le
soutien de l’empereur, une hérésie montante et coriace de l’époque, l’arianisme, relative à la
163
ROUET, Albert, op.cit., p.98.
164
DANIEL-ROPS, op.cit., p. 253.
165
LORET, Pierre, op.cit., p. 106.
166
Ibid., p. 91. C’est la raison pour laquelle, il est également appelé « Symbole de Nicée-Constantinople ».
74
nature divine de Jésus, que niait Arius (un prêtre alexandrin) soutenu par un certain nombre
d’évêques et de théologiens. Le Concile de Nicée retint l’identité de Jésus avec Dieu
(homoousios), de même substance, consubstantiel, monogène, et non seulement « semblable »
(homoiousios)167 ; en choisissant ce symbole, le Concile de Tolède, convoqué par les rois
wisigoths, consacrait l’abandon de l’arianisme qu’ils avaient jusque là adopté. Par ailleurs, si
l’Espagne fut le premier lieu d’Occident où fut récité le Credo à la messe, c’est également
l’influence de l’Orient subie directement par la présence sur la côte d’une communauté
byzantine qui avait importé ses coutumes liturgiques168 ; c’est par la suite que le Credo
atteindra d’autres régions (Irlande, Angleterre, etc.). Pour les pays carolingiens, Jungmann
précise169 que Charlemagne se le vit proposer par Alcuin (Albinus Flaccus…), le maître qu’il
avait fait venir en 782 à l’école de son palais d’Aix-la-Chappelle170. C’est Charlemagne qui
eut l’idée de le placer juste après l’évangile « pour ratifier la foi qu’on vient de proclamer »
(par les lectures), idée que, après des réticences soulevées partout, le pape Léon III acceptera
mais en limitant la proclamation du Credo au dimanche et aux jours des grandes fêtes. C’est
peut-être le lieu de signaler, comme manifestation de facteurs pas du tout liturgiques ou même
bibliques dans la formation de la liturgie : c’est également Charlemagne qui modifiera,
proprio motu, le Credo dans la liturgie d’obédience romaine en y introduisant le
problématique Filioque pour préciser spécifiquement que le Saint-Esprit ne procède pas que
du Père mais du Père et du Fils, ce qui, du reste, était déjà réalisé en Espagne et dans les
Gaules par le concile de Tolède171. L’objectif poursuivi par Charlemagne en généralisant la
récitation du Credo était de combattre l’arianisme renaissant dans son empire172. Tandis que
Rome restait le dernier bastion à ne pas avoir introduit le Credo dans la messe, l’empereur
Henri II qui lui aussi combattait l’arianisme, en visite à Rome en 1014 et scandalisé de ne pas
entendre le Credo lors de la messe à laquelle il assistait, exigea et obtint du pape Benoît VIII
qu’à la messe fût chanté le Credo, ce n’est donc qu’au XIe siècle que le Credo fut entendu
pour la première fois dans une messe romaine173.
En tout cas, l’essentiel de la profession de foi, indépendamment de sa formalisation
par les conciles (de Nicée et de Constantinople), était déjà affirmé au IIe siècle, comme on le
voit dans la déposition de saint Justin devant le préfet Rusticus qui l’intérrogeait :
« - Le préfet Rusticus dit : «Et quelle est cette doctrine ?»
167
Pour cette querelle et ses enjeux, voir DANIEL-ROPS, op.cit., pp. 537-546
168
LORET, Pierre, op.cit., p. 107.
169
JUNGMANN, Joseph-Andreas, MS II, p. 242.
170
Encyclopedia Universalis
171
LORET, Pierre, op.cit., p. 107.
172
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 95.
173
CABIE, Robert, op.cit., p.46. JUNGMANN, MS II, p. 242, LORET, Pierre, op.cit., p. 108.
75
- Justin répond : « C'est notre conception pieuse du Dieu des chrétiens. Ce Dieu, nous
croyons qu'il est unique, que dès l'origine il a été le créateur et le démiurge de toutes les
créatures visibles ou invisibles. Nous croyons que le Seigneur Jésus-Christ est le Fils de
Dieu, le Messie annoncé par les Prophètes comme devant assister la race des hommes »174
C’est la deuxième partie de la messe, qui comprend toutes les prières et tous les rites
autour du « repas eucharistique» commémorant la dernière Cène. C’est le moment le plus
solennel et le plus grave, intrinsèquement, de la messe où, par la foi, les chrétiens croient que
le Christ va se rendre présent dans les espèces, une fois celles-ci « eucharistiées », et s’offrir
en sacrifice, avant que les chrétiens puissent « rompre le pain », « manger le corps » et « boire
le sang » du Christ, par la communion. Ce cœur de la foi et du culte chrétiens est resté, à
cause de cela, depuis les temps apostoliques jusqu’à Vatican II réservé aux baptisés ; c’est
pourquoi les catéchumènes, les pénitents et les païens, qui assistaient à la messe jusque là
doivent sortir175. De longue date, la liturgie s’est ainsi conformée à cette exigence donnée par
la Didachè qui dit « IV. 5. Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie, si ce n’est les
baptisés au nom du Seigneur; car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas ce qui est
saint aux chiens » (Mt 7,6). ». Cette exigence est confirmée par S.Justin dans son Apologie (à
l’empereur Antoine), qui dit que « Cette nourriture, nous l’appelons eucharistie et personne ne peut y
prendre part s’il ne croit à la vérité de ce qu’on enseigne chez-nous, s’il n’a reçu le bain pour la
rémission des péchés et la nouvelle naissance et s’il ne vit selon les préceptes du Christ ». Aussi, dans
plusieurs écrits, appelle-t-on cette partie « la messe des fidèles », tandis que la précédente est
dite « la messe des catéchumènes ».
C’est la messe au sens strict176 ; son caractère auguste est tel que, dans les premiers
temps, c’est l’évêque lui-même qui va directement officier cette partie où intervient le Christ
lui-même, l’évêque n’agissant en effet que, nous l’avons vu, in persona Christi. A cause de
cela, pendant longtemps la messe valide était uniquement celle dite ou présidée par l’évêque ;
la présidence par un prêtre ne s’imposera qu’avec la croissance démographique et avec
l’accroissement du nombre des lieux de célébration jusque dans les campagnes.
174
Extrait de «La vraie Légende dorée», relations de martyre traduites avec introduction et notices, par Paul
Monceaux, de l'Institut, professeur au Collège de France. Editions Payot, Paris, 1928. Une autre variante dit,
« nous reconnaissons un Dieu unique, auteur et créateur de toutes choses, tant les visibles, que celles qui ne se
voient pas des yeux du corps ; et nous confessons le Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu, annoncé autrefois par les
prophètes, et qui doit venir comme juge du genre humain".
175
DANIEL-ROPS, op .cit., pp. 254-255.
176
CASEL, Odon, op.cit., p. 23.
76
Au départ, ainsi que nous le montre l’Apologie de S. Justin, c’est immédiatement après
les prières qui suivent les lectures que tout commence, lorsque « on apporte à celui qui préside
du pain, du vin et de l’eau » et « pareillement celui qui préside fait monter au ciel prières et
actions de grâce, tant qu’il peut. Et le peuple pousse l’acclamation : Amen. Puis a lieu la
distribution et le partage des choses eucharistiées… ». C’est en cela seul que consiste cette
étape de la liturgie, en quelque sorte un ensemble de gestes et actes matériels qui conduisent
au mémorial.
Si l’on peut croire qu’alors les choses se passaient aussi simplement que nous l’avons
vu dans les développements relatifs aux origines de la liturgie chrétienne de la messe, dans la
suite, des rites se sont étoffés, ajoutant, comme pour l’entrée, prières et gestes plus ou moins
significatifs. Cette étape a connu des amplifications nécessitées pour des raisons utilitaires ou
pratiques, comme cela se dégage de la sobre description qu’en fait Justin. En effet, les dons
des fidèles étaient apportés et collectés avant la messe ; mais dès le Ve siècle, de premières
amplifications interviennent, d’abord en Afrique avant de passer à Milan puis à Rome où
l’apport des offrandes est inclus dans la célébration juste avant la prière eucharistique. C’est
ainsi que, là où le diacre apportait, tout simplement, le pain et le vin, ce sont les fidèles qui,
prenant de leur table, offrent à l’Eglise la matière, exprimant ainsi leur participation au
sacrifice, en même temps qu’ils en donnent pour les pauvres, veuves et indigents177. Saint
Augustin précise qu’en Afrique, notamment dans son siège (Hippone), l’apport des offrandes
est fait par les fidèles venant en procession jusqu’au sanctuaire, la pratique s’étendra à Milan
puis à Rome. Adrien Nocent estime que ce geste exprime la volonté de l’humanité et de
l’Eglise entière de s’unir à la tête qu’est le Christ, se disposant à être offerte avec le Christ
dans son sacrifice178. Mais les pratiques sont très variées, ailleurs, ce sont les diacres qui
continuent d’aller à la sacristie où les matières sont déposées et les apportent à l’autel.
177
La matière à « eucharistier » est mise à part pour être apportée sur l’autel, le reste, destiné aux pauvres, etc.,
est, comme nous ‘avons dit plus haut, à l’origine de la quête que déposent les fidèles à la messe.
178
NOCENT, Adrien., op.cit., pp. 67 et 68.
77
reconnaît pêcheur et indigne, dans la lignée du confiteor et des autres prières du bas de l’autel
dont nous avons parlé, soit accompagnant chaque geste, dévoilement du calice, bénédiction de
l’eau, encensement, ablutions (la prière de lavabo) ou encore le Suscipe Sancta Trinitas179 que
le prêtre récite lorsqu’il reçoit chacune des deux matières à offrir (pain, vin et autres offrandes
des fidèles) qui lui sont remises. Des gonflements inutiles et sans fondement vont remplacer
les gestes, y compris la procession des offrandes, jusque là simples, créant, comme le constate
Pierre Loret, de regrettables confusions au point de pratiquement faire oublier que c’est seul le
Christ qui offre. Mais, partout, pendant que le diacre apporte le pain et le vin ou au cours de la
procession, on chante un psaume (celui de l’offertoire), le célébrant, qui jusque là n’a rien dit,
conclut le psaume par une oraison qui n’est qu’une prière sur les offrandes dite à haute voix,
tandis qu’en Gaule et en Espagne on lit ensuite les noms de ceux qui ont apporté les dons180.
La goutte d’eau
179
V. l’explication de cette prière dans CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 120.
180
CABIE, Robert, op.cit., pp. 35-37.
181
V. CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p.107. Cet auteur dit comment le Concile de Trente constate que les
Arméniens monophysites, parce qu’ils ne reconnaissent pas la nature humaine de Jésus, ne mêlent pas l’eau au
vin.
78
182
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., pp. 118-119.
183
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., pp. 122 et 123.
184
DANIEL-ROPS, op .cit. p. 255.
185
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p.124.
79
haut, elles aussi dites à voix basse, d’où le nom générique de « secrètes » qu’elles prendront,
subsistant sous cette forme jusqu’à Vatican II. Noëlle-Maurice Denis-Boulet donne une
explication peu convaincante, selon laquelle, si la prière sur les offrandes se disait à voix
basse c’est parce qu’elle « s’adressait non pas au peuple, mais aux offrandes »186.
Elle comprend une action de grâce, le récit de l’Institution suivie d’une anamnèse,
un appel des fruits et bénédictions sur les participants ou épiclèse et, dans la fin de cette
prière, une doxologie, avec la réponse des fidèles disant Amen.
« Quand il a été fait évêque, que tous lui offrent le baiser de paix, le saluant
parce qu’il est devenu digne.
Que les diacres lui présentent l’oblation et que, en imposant les mains sur elle
avec tout le presbyterium, dise en rendant grâces :
Le Seigneur soit avec vous.
186
DENIS-BOULET, Noëlle-Maurice, Sacramentaire d’Amiens, p. 379.
187
HYPPOLITE DE ROME, La Tradition Apostolique d’après les anciennes versions, Introduction, traduction
et Notes par Bernard BOTTE, 2e Edition, Paris, Ed. du Cerf, 1968,pp. 47-51.
80
Comme cela sera constaté dans la dernière partie de cette étude, cette prière indiquée
par la Tradition Apostolique inspire directement la prière eucharistique n° II adoptée par le
Concile Vatican II qui a, comme nous le verrons, entendu puiser aux sources liturgiques de la
Tradition chrétienne, et pas seulement dans prières eucharistiques.
Ce schéma unique, bénédiction de Dieu pour ce qu’il fait, récit de l’Institution, rappel
des événements qui déterminent le salut, passion mort et résurrection du Christ (anamnèse) et
prière pour la communauté, est resté immuable, sauf, du temps d’Hyppolite, possibilité
81
d’improvisation par l’évêque qui officie188. C’est ce schéma qui fera le fond de toutes les
anaphores des siècles suivants, de telle sorte qu’on peut affirmer que, sur ce fond, la prière
eucharistique prend à cette époque la forme fixe et définitive autour de la partie centrale que
nous allons découvrir dans les développements qui suivent et dont les éléments sont déjà en
substance ce qu’ils sont aujourd’hui189.
Mais, si cette structure suggérée par la Tradition Apostolique est suivie par le canon
romain, ailleurs il y eut plusieurs variantes, seul le récit de l’institution restant inchangé. Je
recours à ce vocable de canon, sans prendre part aux controverses des liturgistes sur ce qu’est
le canon véritable, la question de savoir quand, dans tous ces rites, il commence et il s’arrête ;
en particulier, s’il comprend ou non la Préface, etc. En effet, il est soutenu que « la prière
d’action de grâces apparaît dans la préface comme un élément isolé, pur préambule qui
introduit au canon », les choses n’étant d’ailleurs pas si simples, car par moments la préface
est présentée comme faisant partie du canon190.
Il semble que, malgré tout, une scission se soit produite entre la préface et le canon
proprement dit, influence des rites gallicans qui sectionnaient cette grande prière en plusieurs
oraisons (orationes) : la fin du Sanctus terminant la partie qui comprend la praefatio, avant
que ne commence la partie consécratoire jusqu’au Pater Noster191. Cependant, en remarquant
qu’après le Sanctus s’installe le silence, le prêtre se mettant à parler à voix basse, mezzo voce
ou même de manière inaudible, on peut reconnaître que l’on passe à autre chose. Dans cet
ordre d’idées, Jungmann cite le premier et le deuxième Ordines romani (les « ordinaires »
romains) qui expliquent ce silence en prescrivant qu’après le Sanctus, le prêtre « entre seul et
‘’tacitement’’ dans le canon », de la même manière que les prêtres de l’ancienne Alliance
étaient les seuls autorisés à entrer dans le sanctuaire. Les textes les plus anciens reprenaient la
forme de la bénédiction juive (la berakah) : avec une exclamation admirative : « Béni sois-tu,
Seigneur », avec mention de l’objet de l’exclamation, les œuvres accomplies par Dieu et
l’expression de l’espoir d’autres réalisations favorables, pour se conclure par une brève
louange (doxologie).
188
Cette improvisation de la prière eucharistique est attestée par DANIEL-ROBS qui précise que « Les mots de
l’Evangile lui viennent aux lèvres [du pontife], dans une improvisation mystique », Histoire de l’Eglise du Christ
t. I, op.cit., p. 255.
189
NOCENT, Adrien, L’avenir de la liturgie, op.cit., p.150.
190
JUNGMANN, Joseph-Andreas, Missarum Solemnia – Explication génétique de la Messe romaine III, Paris,
Ed. Montaigne, 1954, p. 5.
191
JUNGMANN, MS III, pp. 8-9.
82
Le canon romain fut constitué essentiellement du IIIe au IVe siècles. Dès le début du
Ve siècle, sous le pontificat d’Innocent Ier, il n’existe plus, pour qui veut célébrer une « messe
romaine », qu’un seul canon, une seule prière eucharistique dont les pièces sont fixes,
immuable et obligatoire, dans laquelle Innocent Ier avait inclu des prières d’intercession pour
les vivants. A la différence de ce qui se passait chez les Gallicans, tout est ordonné, clair et
net, préparé d’avance, les rôles distribués, sans aucune possibilité d’improvisation192. Il est
cependant attesté que le travail se poursuivit jusqu’au début du VIe siècle, plusieurs « Pères »
contribuèrent à son élaboration au cours des siècles, notamment les papes Ambroise, Léon,
Gélase, Grégoire le Grand ; on estime que c’est ce dernier qui en a fixé le premier véritable
formulaire qui nous est connu à travers les gallicans tentés de s’en inspirer193. Ce fut à
l’origine un ensemble simple et cohérent, mais il semble, selon Jungmann, qu’à Rome même
le peuple ne répond et ne participe plus aux chants194
I.II.III.2.2 La Préface
Elle commence par le dialogue introductif des actions de grâce juives, que nous avons
retrouvé dans la Tradition apostolique, sans doute pour attirer l’attention de tous et unir les
esprits : c’est le début de la préface, introduit, après le traditionnel Dominus vobiscum et sa
réponse habituelle (Et cum spiritu tuo), ensuite le Sursum corda, « Hauts les cœurs », avec la
réponse du public « Nous les avons dans le Seigneur » (Habemus ad Dominum) ou, dans la
traduction d’aujourd’hui, « Nous les tournons vers le Seigneur », le dialogue se terminant par
l’invitation à rendre grâces « Gratias agamus Domino Deo nostro », avec la réponse « Il est
digne et juste » (Dignum et justum est). Suit alors toute la préface dont les premiers mots,
192
LORET, Pierre, op.cit., p.91.
193
CABIE, Robert, op.cit., p. 49.
194
JUNGMANN, MS I, p. 105.
195
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., pp. 135-165.
83
reprenant les derniers du dialogue, sont « Vraiment il est digne et juste, équitable et salutaire
de Te rendre grâces en tout temps et en tout lieu, Seigneur saint, Père tout puissant, Dieu
éternel… »196, presqu’en écho à la prière faite à l’office matinal juif après la Sch’ma Israel
ainsi que nous l’avons vu plus haut.
Les chérubins et les séraphins aux six ailes se couvrent les pieds de deux ailes,
196
CASEL, Odon, op.cit., p. 28.
197
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 129.
198
J. Jungmann, cité par CHALUFOUR, op.cit., pp. 128-129.
199
Selon le témoignage d’un apologiste cité par Casel, p. 29.
200
CASEL, Odon., op.cit., p. 39. Le chant de Sanctus, tiré de la vision d’Isaïe (Is 6, 3), était chanté lors du culte
synagogal sans faire partie des rites du repas ; c’est sans doute parce que non rattaché aux rites du repas qui
inspira la liturgie eucharistique chrétienne, qu’il ne sera que tardivement introduit dans la partie eucharistique
chrétienne.
201
ROUET, Albert, La messe dans l’histoire, Paris, Ed. Cerf, 1979, p. 76.
84
Quant à saint Clément de Rome, il le cite dans sa Lettre aux Corinthiens où, constatant
ce que disent les Ecritures sur les myriades de myriades qui se tiennent devant Dieu, clamant
« Saint, Saint, Saint est le Seigneur Sabaoth, toute la création est pleine de sa gloire », en
conclusion il adresse une invitation : « Nous donc aussi, réunis dans la concorde et
l’unanimité, crions vers lui constamment d’une seule et même voix (d’une seule bouche et
sans nous lasser) pour avoir part à ses sublimes et magnifiques promesses (afin de devenir
participants de ses grandes et glorieuses promesses) »202. Un détail intéressant est à préciser,
par cette invitation absente dans le texte juif et dans les préfaces antérieures à Vatican II où le
chant Sanctus avait une fonction narrative comme pour informer sur ce que disaient les
« myriades », la prière des Constitutions apostoliques et de Clément, au Ier siècle, ont donné
le modèle des préfaces actuelles où les fidèles sont invités, à l’instar des « myriades », à
chanter ou dire le Trisagion. On peut penser que le ton et le contenu de la prière de Clément
de Rome qui se termine par le trisagion, se rapportait, notamment par l’invitation faite aux
chrétiens de dire Saint, …, à la célébration eucharistique, et que les prières de Clément et des
Constitutions apostoliques confirment avec un degré élevé de certitude que le trisagion était
connu et récité dans les célébrations des communautés chrétiennes primitives qui étaient
directement héritières de la liturgie juive où ce Keduscha était prononcé dans le Sch’ma
Israël, dans la « Prière des dix-huit demandes » et dans le Keduscha de Sidra qui ont été
présentés plus haut.
Tandis que Le Benedictus (Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, Hosanna au
plus haut des cieux) qui accompagne dorénavant le Sanctus apparaît dans la liturgie au VIe
siècle. D’après Jungmann, dont Chalufour partage l’avis, il semble que c’est « dans les Gaules
que le Benedictus ait été joint pour la première fois au Sanctus ». Cette exclamation tirée de la
Bible et reprise plus tard à Rome et en Orient hors la liturgie alexandrine, était alors chantée
en Gaule après la consécration et garda cet emplacement jusqu’aux réformes du XXe siècle
202
Epître de Clément de Rome aux Corinthiens, XXXIV, 6-7, http://www.eglise-aarmenienne.com
85
qui l’ont intégrée depuis au Sanctus tel qu’il est encore dit ou chanté aujourd’hui, avant la
consécration.
Le canon proprement dit, qui est la règle officielle de la « grande prière » (c’est-à-dire
de la prière eucharistique ou sacrificielle), commence ici avec une série de prières qui
conduisent à la consécration203. L’évocation de ces prières rétablit, comme on l’a vu plus haut,
leur genèse ainsi que leur évolution jusqu’à parachèvement, c’est-à-dire, en gros, jusqu’à la
publication du premier Missel plénier de 1474, tout en rappelant que la partie centrale du
canon : Quam oblationem, suivi de Qui pridie et du récit de l’Institution, Unde et memores et
l’anamnèse, ainsi que le Supra quae et le Supplices, s’est installée très tôt et n’a plus guère
changé. De fait, le canon est resté globalement dans la forme et le contenu fixés entre le Ve et
le VIIe siècle, ne subissant qu’un ajout, en 1958, dans le Communicantes, lorsque Jean XXIII
a associé saint Joseph à la liste des saints invoqués, au côté de la Vierge Marie. Il est de
tradition que le canon se dit à voix basse, à peine audible pour certaines prières, le prêtre, tel
le sacrificateur de l’Ancien Testament, entrant seul dans le saint des saints et s’adressant, seul
pour tous, à Dieu. Aux VIe-VIIe siècles, le clergé et les fidèles restent inclinés pendant tout le
canon, tandis qu’à la fin du Moyen Age, les fidèles s’agenouillaient, le clergé restant
debout204.
1°) Le Te Igitur qui est une prière qui relie directement l’action de grâces à l’offrande car elle
demande à Dieu, par Jésus-Christ, d’agréer et de bénir les « oblats » que sont le pain et le vin
du sacrifice, « ces dons, ces présents, ces offrandes saintes et sans tâche ». Il n’est cependant
pas faux d’affirmer qu’alors que la première partie de la prière fait déjà tourner les esprits
exclusivement vers les oblats et l’événement de la transsubstantiation, survient une coupure et
à l’offrande la prière mêle l’intercession. En effet, le prêtre se met à présenter à Dieu ceux
pour qui il offre le sacrifice, généralement l’Eglise, le pape régnant, les évêques des lieux et
tous ceux qui « ont la garde de la foi catholique et apostolique » ; la prière pour le pape, titre
203
La succession de ces prières est reprise de Jungmann et de Chalufour, qui en ont fait une présentation
systématique ; la traduction des prières est surtout empruntée à ce dernier et se complète de quelques
approximations de notre part ; les autres auteurs sont également cités pour l’analyse et les explications.
204
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 135.
86
qui, notamment en pays francs, a longtemps désigné l’évêque, est instituée depuis le début du
VIe siècle, le Concile de Vaison (529) l’avait imposée en même temps qu’il introduisait le
credo, elle est pratiquée également la même période à Rome, à Milan, en Toscane, etc.205.
Il faut également signaler la prière pour le souverain, il est avéré que prier pour
l’empereur était devenu pratique courante déjà dès le Ve siècle, faisant partie du canon
notamment dans le rite ambrosien de Milan où l’on prie « pour notre empereur et nos rois » et,
lorsque les territoires se sont singularisés pour appartenir à des princes et rois souverains, on
faisait mention du roi du pays, jusque bien plus tard un peu partout en Europe. En fait, cette
coutume reculait et parfois se perdait dans les périodes de luttes ou de crises politiques, en
particulier avec le Saint-Siège ou en cas de conflits de dévolution206. La mention des
souverains séculiers dans la prière n’est pas pour surprendre : l’Apôtre Paul recommande en
effet aux chrétiens « qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de
grâces pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous
puissions mener une vie calme et paisible … » (I Tim 2, 2).
2°) Le Memento (des vivants), Memento Domine, famulorum famularumque tuarum N. et N.,
quorum… Les demandes continuent par cette prière d’intercession générale, par laquelle,
après la prière pour l’Eglise, les prêtres célébrant des messes dans des églises locales, de
village ou de quartier prient pour des particuliers, notamment ceux qui ont contribué
matériellement en donnant des « honoraires » de messe ou par tout autre secours, et dont les
noms, inscrits sur des tablettes (diptyques), sont cités ; l’intercession va s’étendre aux
chrétiens qui assistent à l’office en cours. La pratique, déjà suivie en Orient depuis le IVe
siècle, est signalée d’abord en Espagne et en Gaule où une grande oraison du président
concluait l’énumération de la liste des offrants (oraison post nomina)207. C’est pourquoi cette
prière est également ainsi appelée Memento des vivants. L’intercession pour les vivants était
déjà apparemment une coutume courante depuis le IVe siècle lorsqu’intervient la décision du
pape Innocent Ier (pape de 401 à 417) d’introduire ces demandes dans le canon208 afin que,
notamment ceux qui avaient apporté l’offrande, sans doute insigne (au moins les gros
donateurs), soient cités au milieu des Mystères sacrés (on devait certainement croire la prière
plus efficace à cet endroit). Il y a là, encore, comme ailleurs, incohérence illogique et un de
ces hasards par lesquels apparaissent certains rites ou gestes liturgiques, qui ne s’explique pas
205
JUNGMANN, MS III, op. cit., pp 64-67..
206
JUNGMANN, MS III, pp. 69-71.
207
CABIE, Robert, op.cit ., p. 37.
208
Dans son épître à Decentius de Gubbio,
87
logiquement sauf par l’influence des rites orientaux qui avaient déjà intercalé les demandes
d’intercession tout au début du même siècle209. L’Apologie de Justin nous montre ces prières à
la suite immédiate des lectures, lorsqu’elle indique qu’après qu’on ait apporté du pain, du vin
et de l’eau à celui qui préside, celui-ci « fait monter au ciel prières et actions de grâce tant
qu’il peut », donc, précédant l’eucharistie mais assez près d’elle ; parmi ces prières,
certainement celles d’intercessions diverses.
3°) Le Communicantes (En communion avec …), prière par laquelle l’officiant unit au
sacrifice de l’Eglise ceux que celle-ci honorent comme étant déjà dans la gloire du ciel (la
Vierge Marie, les Apôtres et les martyrs, les cinq premiers saints papes, etc.). Il n’est pas
anachronique d’indiquer, d’ores et déjà, que c’est en 1958 seulement que Jean XXIII
retoucha, pour la première fois dans l’histoire, les communicantes pour y ajouter, après la
Vierge Marie, la citation de « saint Joseph son époux ».
1°) Le Hanc Igitur oblationem servitutis nostrae…, afin que Dieu agrée les offrandes pour
qu’elles apportent grâces, bénédictions et paix (« Voici donc l’offrande que nous vous
présentons, nous vos serviteurs et avec nous votre famille entière… »). Les spécialistes en
attribuent la rédaction définitive à Grégoire le Grand qui ajouta les derniers mots au texte
primitif210.
2°) L’épiclèse Quam oblationem… : une supplication à Dieu pour qu’il bénisse et sanctifie
l’offrande de son église ; le célébrant, les mains tendues sur les espèces, dit : « Cette offrande,
daigne, toi, notre Dieu, la bénir, l’agréer et l’approuver pleinement, la rendre parfaite et digne
de te plaire, et qu’elle devienne ainsi pour nous le corps et le sang de ton Fils bien-aimé ».
Comme toute épiclèse, la prière Quam oblationem sollicite l’intervention de la puissance
divine, Dieu lui-même entrant en action, ici, pour l’opération centrale de la liturgie
eucharistique qu’est la transsubstantiation. C’est, ainsi, la dernière prière avant l’institution et
la consécration. Alors qu’ici on ne fait pas mention du Saint-Esprit, on trouve dans la
Tradition Apostolique, à la fin de l’anaphore, une épiclèse demandant à l’Esprit-Saint de venir
sur les dons pour que ceux qui les partageront en reçoivent des grâces ; à partir de là en
209
JUNGMANN, M S III, op.cit., p.63.
210
JUNGMANN, MS III, p 94.
88
En fait, indique Casel, au début, la plupart de ces prières, y compris l’épiclèse, avaient
lieu après le récit de l’institution, même si, en maints endroits, ce dernier était précédé de
brèves prières213. C’est ce que semble indiquer l’Apologie de Justin, lorsque, certes sans parler
du récit de l’institution comme nous le verrons, il est parlé des prières qui viennent après
qu’on ait apporté du pain, du vin et de l’eau, jusqu’à la distribution de la communion : « celui
qui préside fait les prières et les actions de grâces avec la plus grande ferveur. Le peuple
répond : Amen, et la distribution et la communion générale des choses consacrées se fait à
toute l’assistance »214.
I.II.III.3.2 La consécration
Même si elle ne figure pas dans les descriptions de l’Apologie de saint Justin dont
l’objet était particulier et non pas de présenter ou de décrire en détail la liturgie eucharistique,
c’est certainement, avec la communion, la partie la plus ancienne de la liturgie chrétienne et
de la messe ; ensemble ces deux rites constituent le noyau originel, initial et immuable de la
liturgie et dont, à coup sûr, l’auteur est le Christ lui-même, on les trouve décrits dans la
Didachè (la Doctrine du Seigneur transmise aux nations par les douze Apôtres).
211
CABIE, Robert, op.cit., p.38.
212
LE GALL (Dom), Robert, Dictionnaire liturgique, CLD, 1987, sous épiclèse, pp.101-102.
213
CASEL, Odon, op.cit ., pp. 41-42.
214
Apologie, n. 67.
89
Vous, Dieu, son père tout-puissant, vous rendit grâce, le bénit, le rompit et le donna à ses
disciples en disant : PRENEZ ET MANGEZ-EN TOUS, CAR CECI EST MON CORPS ».
Après une génuflexion, il prononce les paroles de l’institution sur le calice : Simili modo
postquam cenatum est, … (De même après le repas, il prit ce précieux calice dans ses mains
saintes et adorables. Vous rendit grâce de nouveau, le bénit, et le donna à ses disciples en
disant : Prenez et buvez-en tous, CECI EST LE CALICE DE MON SANG, LE SANG DE
L’ALLIACE NOUVELLE ET ETERNELLE –LE MYSTERE DE LA FOI—QUI SERA
VERSE POUR VOUS ET POUR LA MULTITUDE DES HOMMES EN REMISSION DES
PECHES. Toutes les fois que vous ferez cela, faites-le en mémoire de moi. » Les paroles de
l’institution doivent être dites en surélevant la voix, un peu plus que pour le reste du canon.
Les descriptions faites autour du pain et du vin, « pris dans ses mains saintes et adorables
et les yeux levés… », ne sont qu’une glose retenue par les Orientaux mais aussi plus tard par
les Occidentaux, comme de ces gloses courantes autour d’un même rite ou d’une même
prière, avec des variantes selon les civilisations, les sensibilités ou les préoccupations
circonstancielles. C’est, à ce dernier titre, par exemple, que, pour combattre la doctrine de la
prédestination qui était répandue aux Ve et VIe siècles, on sentit le besoin d’ajouter au début
de l’introduction -Qui pridie… Qui, le jour même de sa passion-, un élément insistant sur le
215
I Co 11, 23.
216
HIPPOLITE DE ROME, La Tradition apostolique, par B. BOTTE, op.cit., p. 51-53.
217
CASEL, Odon, op.cit., p. 42.
90
fait que Jésus souffrit sa Passion pour « notre salut et pour celui de tous les hommes » (pro
nostra omniumque salute pateretur), marquant l’universalité de la rédemption218, élément qui
n’a pas subsisté plus tard.
218
Voir sur cet élément, BOTTE, Bernard, Le Canon, pp. 61 et ss, et JUNGMANN, MS III, p. 114.
219
Mt 26, 26-28, Mc 14, 22-25 et Lc 22, 19-20 ; I Co 11, 23-26.
220
CHALUFOUR, Jean-Denis, La sainte Messe hier, aujourd’hui et demain, op.cit., p. 149.
221
JUNGMANN, MS III, p.113.
91
et l’évangile de Jean) ou qui ne situent pas toujours les mêmes faits au même endroit et au
même moment ou rapportent différemment les propos et les événements, de même dans la
formation de la liturgie, la sensibilité personnelle ou les choix de celui qui rapporte l’histoire
ou qui décrit le déroulement d’un rite peuvent interférer. Il y a comme un relativisme de
certaines parties liturgiques selon les époques et les régions, par rapport à leurs coutumes
particulières et, parfois, apparemment sans raisons logiques ni convaincantes.
Enfin, une autre observation peut concerner le fameux « Le Mystères de la foi » (Mysterium
fidei), faisant une brutale et incompréhensible irruption au milieu des paroles de l’institution
dans cette formule de la fin de l’antiquité chrétienne déjà répandue dès le VIIe siècle dans
presque tous les rites de l’époque, partant de la liturgie romaine d’où elle est passée dans la
gallicane et ailleurs. En tout cas, on n’a pas l’explication de la présence ici de cette expression
qui ne figure que dans l’épître de Paul à Timothée à propos des diacres « Qu’ils gardent le
Mystère de la foi dans une conscience pure »222 ; encore une énigme qui ajoute
aux…mystères. C’est sans doute à cause de ce flou et de ces difficultés de compréhension,
semble-t-il, qu’on a fait ressortir dans les liturgies actuelles cette expression pour en faire un
élément introductif de l’anamnèse, laquelle commence par « Il est grand le mystère de la foi »
avec la réponse des fidèles proclamant la mort de Jésus, célébrant sa résurrection et attendant
sa venue (en application de l’exhortation de saint Paul « Vous annoncez la mort du Seigneur
jusqu’à ce qu’il vienne » I Co 11, 26 ). La Didachè renseigne que les anciens chrétiens
priaient alors ainsi juste après avoir reçu la communion : « Vienne la grâce et que ce monde
passe. Marana tha, Seigneur, viens », c’est sans doute ce qui a inspiré une autre des formules
actuelles de cette introduction de l’anamnèse qui se termine par « Viens, Seigneur Jésus ».
1°) D’abord, l’anamnèse (du grec anamnèsis), ce mémorial ou rappel du mystère pascal
(commençant en latin par Unde et memores… (C’est pourquoi, Seigneur, …célébrant le
222
I Tim 3, 9.
92
2°) Ensuite, le Supra quae propitio… demandant que Dieu accepte les offrandes comme
celles d’Abel le juste, de son serviteur Abraham et du souverain prêtre Melchisédech. On se
dirige vers la fraction du pain et la communion avec le Supplices te rogamus,.
3°) Le Supplices te rogamus, une supplication pour que Dieu fasse porter les offrandes vers
l’autel céleste par son saint ange (le Christ ou les anges que, traditionnellement, on associait
au culte rendu à Dieu par les hommes ?)… et les reçoive afin que les communiants puissent
« tous être comblés des grâces et des bénédictions ». Noëlle-Maurice Denis-Boulet indique
qu’il fut un temps où, notamment dans l’anaphore de saint Ambroise, cette prière marquait la
fin du canon223.
3°) Le Memento etiam, Domine, famulorum famularumque tuarum qui nos praecesserunt…
C’est ici, après le Memento des vivants qu’on a vu avant la consécration qui commence par
les mêmes mots (Memento Domine famulorum famularumque tui…), le Memento des morts.
Avant de conclure le canon par la « grande doxologie », l’Eglise fait mémoire des défunts
« qui nous ont précédés marqués du signe de la foi ». Les formulaires du canon romain tel que
fixé au temps du pape Grégoire ne mentionnent pas cette intercession pour les morts, peut-être
à cette époque réservée aux messes des défunts224.
4°) Le Nobis quoque peccatoribus…(« Et sur nous, pécheurs, … », tandis que la version
actuelle la plus courante donne : Sur nous tous enfin, nous implorons ta bonté ; qu’avec la
Vierge Marie, la Bienheureuse mère de Dieu, avec…). Cette prière directement rattachée au
Memento, est une nouvelle invocation de la communion des saints, demandant à Dieu que les
membres de l’Eglise encore ici bas puissent rejoindre les saints du ciel dont une longue liste
peut suivre.
223
DENIS-BOULET, Noëlle-Maurice, Analyse des rites et des prières de la messe, in MARTIMORT, L’Eglise
en prière, op.cit., p. 406.
224
CABIE, Robert, op.cit., p.49.
93
5°) La « grande doxologie » ; c’est le Per Ipsum. C’est alors qu’intervient cette prière de
louange qu’est la « grande doxologie », qui clôture le canon et qui est directement rattachée
aux derniers mots du Nobis quoque peccatoribus : le prêtre, le calice un peu levé avec l’hostie
au-dessus, dit ou chante : Per Ipsum, cum Ipso et in Ipso …, proclamation solennelle de la
gloire de Dieu dans sa sainte Trinité (« Par Lui, avec Lui et en Lui, sont rendus, à vous Dieu
le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire. Pour tous les
siècles des siècles. » Le peuple répondant par Amen). Le Per ipsum apparaît déjà dans l’Ordo
romanus I qui précise que « l’archidiacre élève le calice, le tenant par les anses avec
l’offertorium [un linge spécial] et le tient élevé, à côté du pontife. Le pontife touche le calice
sur le côté avec les pains en disant Per ipsum et cum ipso jusqu’à Per omnia saecula
saeculorum. Puis il pose les pains à leur place et l’archidiacre pose le calice à côté d’eux,
après avoir retiré l’offertorium de ses anses. »225 Cette prière est introduite par un élément qui
se réfère à quelque chose non nommé ici mais qui est justement ce pourquoi on élève cette
prière de gloire : se rattachant au dernier « Par le Christ notre Seigneur » du Nobis quoque
peccatoribus, le Per Ipsum commence par une introduction « Per quem… Par qui (ou par lui),
Seigneur, Vous ne cessez de créer toutes ces bonnes choses, de les sanctifier, de les bénir et
de nous en faire don », avant de se poursuivre Per Ipsum, cum Ipso et in Ipso… Quand on lit
la Tradition apostolique, on se rend compte que le récit est interrompu par une série de
bénédictions : sur les récoltes, fruits, huiles, fromages, etc., il est possible que la doxologie ait
été introduite pour toutes ces belles et bonnes choses ; cela expliquerait l’évocation, dans
l’introduction, de ces choses bonnes que ne cesse de créer le Seigneur. De fait, autrefois le
prêtre bénissait, ici, les prémices des fruits de la terre (le vin à la Saint-Jean l’Evangéliste, les
semences à la Saint-Blaise et le pain à la Sainte-Agathe, etc.), depuis le premier missel
romain, il se contentait de tracer trois signes de croix sur les saintes espèces226. Encore une
fois, l’influence des circonstances spécifiques, de temps, tout au moins, sur la formation de la
liturgie.
***
Cette longue succession de prières semble tout à fait conforme à la Tradition, ainsi
qu’on le constate dans l’œuvre d’Hyppolite. A part les prières consécratoires rattachées
directement à l’institution, on y trouve : des prières d’intercession (comme celles introduites
225
CABIE, Robert, op.cit., p.50. Noëlle-Maurice DENIS-BOULET explique que c’est parce qu’il s’agissait de
calices massifs et très lourds que, pour les porter, il fallait les tenir par les anses, « Analyse des rites et des
prières de la messe », in MARTIMORT, L’Eglise en prière, 1961, p. 412.
226
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 165.
94
par Innocent Ier, v. supra), recommandant l’Eglise, ceux qui ont participé à l’offrande, etc.,
des apologies, qui sont des prières d’autocritique et de reconnaissance de ses faiblesses,
péchés et indignités, afin d’en demander le pardon de Dieu et de recevoir son secours, soit
avant d’offrir soit avant de rompre le pain et de manger. Mais, beaucoup de ces prières sont
assez tardives et ont pu être placées un peu vaille que vaille, à des endroits différents selon les
rites, orientaux ou occidentaux, tandis que dans le canon romain elles sont réparties, ainsi
qu’on l’a vu, une partie après le Sanctus (donc avant la consécration) et une autre à la fin de
la prière eucharistique (après la consécration) : toutefois, dans les coutumes d’Espagne et de
Gaule, elles sont absentes parce que la lecture des diptyques est déjà intervenue avant la prière
eucharistique227.
Dans la messe gallicane au VIe siècle qu’il décrit, Albert Rouet présente un rite très
dépouillé du canon, avec une prière eucharistique réduite à la plus simple expression : 1°)
préface suivie du Sanctus et du Benedictus (« la seconde partie ‘’Béni soit celui qui vient au
nom du Seigneur’’ ») ; 2°) tandis que « l’officiant amplifie alors le Saint, Saint, Saint par une
prière qui varie à chaque messe et dans laquelle il commence par célébrer Dieu qui est
‘’vraiment saint » », « vraiment béni ». … et qui se termine par « Jésus-Christ qui, la veille de
sa passion… » introduisant ainsi le récit de l’institution eucharistique ; 3°) après « une
formule d’offrande au Père avec, parfois, une intercession à l’Esprit Saint », avant le Notre
Père, par quoi se termine la prière eucharistique, « l’officiant procède à la fraction ». Rouet
ajoute des détails croustillants qui soulignent la part de fantaisie qui a pu déterminer certains
rites : « les parcelles d’hostie sont disposées en forme de croix et, pour des raisons qui nous
échappent et qui relèvent peut-être de vieux rites païens, elles sont disposées en forme de
silhouette humaine », on pouvait y trouver des hosties en forme d’oreilles, de mains, d’yeux,
…dont s’étonna le pape Gélase Ier vers la fin du VIe siècle, en 585228. Le fait que l’oraison
qui précède l’institution varie à chaque messe et surtout, que, comme le dit encore A. Rouet,
l’introduction et la fin du Pater Noster récité par tout le peuple changent à chaque messe, est
en effet caractéristique de la liturgie telle qu’à cette époque elle était vécue en Espagne et en
Gaule où, nous l’avons vu, seul le récit de l’institution demeurait invariable, « toutes les
prières qui le précèdent et celles qui le suivent sont différentes à chaque célébration »229.
227
CABIE, Robert, op.cit., p. 38.
228
ROUET, Albert, op.cit., pp. 98-100.
229
CABIE, Robert, op.cit., p.23.
95
Afin de mettre en exergue le parallèle et les influences entre des pratiques très
anciennes et les diverses formules en vigueur ou en expérimentation aujourd’hui, sont
exposées ici, empruntées à Casel, deux formes de prières post-consécration (pages 46-48) :
C’est pourquoi nous faisons mémoire, Seigneur, nous tes serviteurs et ton peuple saint,
de la passion bénie, de la résurrection du séjour des morts et de la glorieuse ascension
du Christ, ton fils, Notre-Seigneur et nous offrons à ta souveraine majesté de tes
largesses et de tes dons
Une victime pure,
Une victime sainte,
Une victime sans tâche
Le pain sacré de la vie éternelle et le calice du salut éternel,
Regarde cette offrande d’un visage propice et favorable, et accepte-la comme tu as
agréé les dons de ton serviteur le juste Abel, le sacrifice de notre père Abraham, et
celui que t’offrait ton grand prêtre Melchisédech,
Le sacrifice saint, le don immaculé.
Nous t’en supplions avec ferveur, Dieu Tout-puissant, fais-le porter par la main de ton
saint ange sur ton autel sublime devant les yeux de ta divine Majesté afin que nous tous
qui, de cet autel, recevons le saint corps et le sang de ton fils, nous soyons remplis
d’une bénédiction et d’une grâce célestes.
96
Cette terminaison introduit ainsi à l’intercession où, alors qu’on est convaincu que ce
moment du sacrifice « confère à ses demandes une puissance particulière, le prêtre fait monter
vers Dieu des prières ardentes pour l’ensemble de l’Eglise, pour les évêques et le clergé, pour
le roi et le peuple, pour tous les affligés, … », faisant également mention des saints et des
défunts. C’est pratiquement une autre forme pour le prêtre de réitérer les intercessions de la
prière des fidèles230. La grande doxologie, après cette sorte de parenthèse, vient clore
l’eucharistie, avec l’approbation « Amen » poussée par le peuple, avant de passer à la
communion, dernier acte de la célébration, préparée par la fraction du pain.
La première communion est instituée et a lieu lors de la sainte Cène, au même moment
que l’institution de l’eucharistie par Jésus ; la communion connaît donc une pratique à la fois
sûre et ancienne. A la différence de l’institution, célébrée à la consécration, alors même que
son sens théologique et liturgique est demeuré immuable, les formes de la communion ont fort
évolué à travers les âges, sous des influences et dans des circonstances diverses dont certaines
ne tenaient qu’au bon sens.
A la place des gestes muets du début, cette partie de la messe s’est enrichie d’un
certain nombre de rites précédant ou suivant la distribution de la communion : la fraction du
pain, commémorant celle opérée par Jésus au cours de la dernière Cène ; les apologies, ces
prières, qu’on a vues au moment des offrandes et de la consécration, exprimant l’humilité du
prêtre et des fidèles ainsi que la reconnaissance de leurs faiblesses en vue de la purification
avant de manger le corps et de boire le sang du Christ ; la distribution de la communion par le
partage des espèces eucharistiées et devenues le corps et le sang du Christ, rappelant le
partage que Jésus lui-même fit aux apôtres du pain et du vin qu’il avait sanctifiés ; la post-
communion, où s’exprime l’action de grâce des chrétiens pour la vie et les bénédictions
reçues de l’eucharistie.
On va reprendre ces différents moments, dans leur histoire, à travers leur évolution et
les transformations éventuelles qu’ils ont ainsi subies.
230
CASEL, Odon, op.cit., p. 48.
97
Au début, c’est immédiatement après l’Amen qui conclut la doxologie du Per Ipsum
que l’évêque et les prêtres, ainsi que jadis le père de famille dans le repas juif, rompent le pain
pour le partager, avec cette précision que la liturgie byzantine place le Pater Noster ici, avant
le geste même de la fraction du pain231. Daniel-Rops, rendant compte d’une messe au temps
des persécutions et des catacombes, donc aux IIIe-IVe siècles, raconte, sans même signaler le
Pater, ce rite très simple : « Comme le Christ rompt le pain, le prêtre le rompt…232 [ce qui
suivait faisait partie de la communion : « C’est l’instant où tous les présents vont participer au
repas sacré. … tous ceux qui sont saints et purs ; les autres doivent sortir…Les communiants
se donnent le baiser de paix. Chacun s’approche du pontife, qui vient de communier lui-
même, suivi des prêtres et des diacres. Dans la main droite de chacun, l’évêque place un peu
de pain en disant : Corpus Christi. Puis le diacre tend le calice contenant le vin en disant :
Sanguis Christi calix vitae, le communiant dit : Amen. Et « La messe maintenant s’achève. »]
A cette époque, donc, et jusqu’au VIIe siècle sous le pape Serge Ier, la fraction du pain se fait
en silence ; le célébrant, ici l’évêque, dépose un morceau dans la coupe, une partie de cette
eucharistie est envoyée par l’évêque aux prêtres qui célèbrent ailleurs pour marquer l’unité de
l’Eglise et du corps du Christ C’est ainsi que fut imaginée et, de là, s’est étendue de la part des
autres évêques, la pratique du fermentum, une petite fraction du pain eucharistié transmise à
chaque basilique ou église où il y avait assemblée des chrétiens, pour que, d’une certaine
manière, mêlé au pain de célébration apporté dans cette église, le fermentum,consacré par
l’évêque en personne, « eucharistie » ce pain, étant entendu que, ainsi que nous l’a vu plus
haut, l’eucharistie n’était présidée que par l’évêque. Ensuite, on récite l’oraison dominicale, le
Pater Noster, considérée, par certains de ses éléments (p. ex., la demande du pain quotidien,
la demande du pardon), comme une préparation à la communion233.
Jusque là inactifs, les fidèles vont, dans la liturgie romaine et africaine, se donner le
baiser de paix. Ce geste rituel est signalé dans l’Apologie de Justin, qui le situe assez tôt,
avant les offrandes et après les grandes prières d’intercession, signalant les prières pour le
nouveau baptisé conduit au lieu de l’assemblée, « les prières que nous faisons pour
l’illuminé » mais aussi, « pour nous-mêmes et pour tous les autres », il ajoute « Quand la
prière est terminée, nous nous saluons tous d’un baiser de paix ; ensuite on apporte à celui qui
231
CABIE, Robert, op.cit., p. 39.
232
DANIEL-ROPS, op.cit., p.256.
233
CABIE, Robert, op.cit., pp. 39-41.
98
est le chef des frères du pain, de l’eau et du vin. »234. C’est plus tard que le baiser de paix
prendra place au moment de la prière eucharistique, généralement avant l’offrande ; sans
mentionner le Pater, Daniel-Robs cite une pratique antérieure situant le baiser de paix après
la fraction quand les communiants s’apprêtaient à aller communier235. Ce détail est sans doute
significatif, les deux pratiques étant légitimes et pouvant se justifier : placé au moment de la
fraction du pain, juste avant ou juste après, le rite de paix peut représenter un peuple qui vient
de demander pardon et s’engager à pardonner et, donc près à partager le Corps du Christ ;
lorsqu’il a lieu avant l’offrande, on peut y voir l’application du précepte de l’évangile selon
lequel il est dit : : « Lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si là tu te souviens que
ton frère a quelque chose contre toi, Laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te
réconcilier avec ton frère ; puis reviens et alors présente ton offrande »236. Il apparaîtra plus
loin que les rites africains ont, privilégiant le retour à la tradition, placé ce rite avant
l’offrande, en même temps que le rite pénitentiel, avec une explication qui justifie cet
emplacement d’une manière assez spécifique.
C’est le pape Grégoire-le-Grand qui, fin VIe-début VIIe siècles, va intervertir le Pater
et la fraction du pain, plaçant le Pater avant la fraction, rejoignant ainsi Byzance, mais
décidant, à la différence des usages orientaux grecs, que le Pater soit récité ou chanté par le
célébrant seul237. Certes, on pouvait expliquer qu’ainsi dit juste à la fin du Canon et avant la
fraction, le Pater le serait sur les offrandes, les espèces déjà « eucharistiées ». C’est,
d’ailleurs, l’explication que donne Grégoire Ier lui-même : « J’ai appris, par quelqu’un venu
de Sicile, que certains de ses amis, je ne sais si ce sont des Latins ou des Grecs, murmurent
contre mes décisions… ‘comment résister à l’influence de l’Eglise de Constantinople si l’on
imite ses usages en toutes choses ?’… ‘‘dire la prière du Seigneur immédiatement après le
Canon’’… ? Voici pourquoi nous disons la Prière du Seigneur aussitôt après la prière
eucharistique : l’usage des apôtres était de consacrer le sacrifice uniquement par la prière
d’oblation. Il m’a semblé qu’il ne convenait pas du tout de dire sur l’oblation une prière
composée par un écrivain quelconque et de ne pas dire sur le corps et le sang du Rédempteur
celle qu’il a lui-même composée et que nous livre la Tradition. Mais alors que, chez les Grecs,
cette prière est dite par tout le peuple, chez-nous, c’est le prêtre seul qui la dit. »238. En tout
état de cause, le Pater a occupé des emplacements variables selon les âges et les églises, ce
234
Apologie., § 65.
235
DANIEL-ROPS, op.cit., p. 256.
236
Mt 5, 23-24.
237
NOCENT, Adrien, op.cit., p.75.
238
GREGOIRE Ier, Lettre 12 à Jean de Syracuse (598), rendue par CABIE, Robert, op.cit., p.50.
99
qui montre que le lien qui en était fait avec la communion (aussi bien par l’allusion à « notre
pain quotidien » que par cette explication de Grégoire Ier) n’était pas un impératif ; nous
verrons d’ailleurs que certaines liturgies africaines le place à la fin de la célébration, le
réintégrant dans son rôle évangélique lorsque le Seigneur la donne à ses disciples qui lui
demandaient de leur apprendre à prier, comme modèle et ce en quoi se résume toute bonne
prière239. Dans le schéma romain, placé juste avant la fraction, le Pater est terminé par le
peuple disant « Mais délivre-nous du mal » (Sed libera nos a malo), l’Amen disparaissant
dans la pratique générale qui se conformait ainsi au texte original grec qui ne comporte pas
d’Amen. Celui-ci est alors dit à voix basse ou murmuré par le célébrant qui enchaîne par des
développements liturgiques, absents donc de l’oraison telle qu’enseignée par Jésus mais que,
pour une raison que nous ignorons, on ne trouve que dans la traduction œcuménique de la
bible (TOB) ; c’est ce qui a permis l’enchaînement avec la prière du Libera nos quaesumus
(Libère-nous de tous les maux passés, présents et à venir, et par l’intercession de la
bienheureuse Marie, etc., daigne donner la paix à notre temps, …). La terminaison de cet
embolisme dit à haute voix mais sur le ton récitatif propre au canon permettait d’introduire le
rite de paix par le « la paix du Seigneur soit toujours avec vous ». Mais, ce rite ne venait pas
immédiatement ici, parce qu’était dite une autre supplication qui accompagnait alors la
fraction et la commixtion, par laquelle le prêtre, brisant en deux l’hostie, au-dessus du calice,
et fractionnant de nouveau l’un des deux fragments (la partie gauche), en détache une petite
parcelle qu’il met dans le calice.
Il n’est pas nécessaire de décrire tout le rituel qui accompagne la fraction, en de
multiples gestes répétés, certains à l’autel, d’autres au trône du pape ou au siège de l’évêque,
de multiples signes de croix faits sur ou avec l’hostie ou ses fragments, la patène baisée par le
diacre et le prêtre avant de se signer avec, etc., autant de gestes que les liturgistes essaient
d’expliquer ou de justifier mais qui demeurent obscurs240, et pas seulement pour les profanes,
et qui ne disparaîtront que plusieurs siècles plus tard. Par contre, il est bon d’observer de plus
près l’un de ces rites, parce que basé sur les circonstances pratiques. En effet, une autre
commixtion consistait à, du calice de consécration où a eu lieu une première commixtion,
reverser le reste du vin eucharistié, après la communion des prêtres et des ministres, dans un
calice de distribution pour permettre la communion des nombreux fidèles au sang du Christ
après avoir pris le corps, au besoin on reversera du vin supplémentaire tenant compte du
nombre des communiants, en prenant soin d’y garder la fraction qui avait servi à la
239
KABASELE LUMBALA, François, Les liturgies africaines : l’enjeu culturel, ecclésial et théologique,
Recherches Africaines de Théologie – n. 14-, Faculté de Théologie de Kinshasa, 1996, p. 47.
240
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., pp. 174 et 175 ; JUNGMANN, op.cit., pp.237-248.
100
commixtion, celle-ci passera ainsi de calice à calice, au moyen d’une cuillère si nécessaire, le
nombre de fois nécessaire pour la communion de tous ; l’idée est que, par cette immixtion,
comme une sorte de consécration spécifique du vin, on conservait la nature de sang du Christ
qu’on transmettait ainsi à ce nouveau vin versé dans le calice et qui n’avait pas été
directement consacré.
Quant à la fraction du pain en elle-même, elle est une simple opération matérielle
utilitaire, minutieusement réglée lors des messes papales. Dans ces cas, en effet, le pape fait
venir les pains consacrés et, après en avoir détaché une petite parcelle qu’il laisse sur l’autel,
va à son trône et fait poser les pains sur d’énormes patènes en or ou en argent, héritées des
basiliques impériales et, souvent donations de l’empereur au pape ; ensuite, après un geste du
pape, les acolytes apportent les sacs de pain consacré aux évêques et aux prêtres qui, au signal
du pape, vont les rompre241 en un nombre suffisant de petits morceaux à remettre à chaque
communiant. Dans les messes pontificales présidées par l’évêque, c’est ce dernier qui donne
ces ordres. Lorsqu’on introduisit le pain azyme avec fabrication d’une énorme hostie,
l’opération de la fraction dut changer ; simplement posée sur la patène, l’hostie est bénie par
l’évêque, la fraction opérée, les morceaux d’hostie restent sur cette patène pour être distribués
lors de la communion242.
C’est pendant la fraction que, à la fin du VIIe siècle, le pape Serge Ier (pape de 687 à
701) introduisit l’Agnus Dei243, emprunté à l’Orient, Serge Ier lui-même étant originaire de
Syrie. Ce chant litanique, tout en ayant suggéré une sorte de demande de pardon, contient le
symbolisme du corps « rompu » de l’Agneau pascal immolé244, ce qui rehaussait l’importance
de la fraction qui, sans cela, aurait pu passer pour un geste anodin. Pourquoi l’Agnus Dei était-
il répété trois fois ? Simple question de pratique et de bon sens, alors que l’Agnus Dei se
chantait tout le temps que durait l’opération de fraction, lorsque, au XIIe siècle, cette dernière
se simplifia par l’avènement de l’hostie, on en limita le nombre à trois en se frappant trois fois
la poitrine.
A l’origine, dans les premières communautés, comme nous l’avons vu, et en dehors de
Rome et de l’Afrique245, le rite de paix proprement dit, signalé à la messe au IIe siècle246,
241
JUNGMANN, MS III, p. 229.
242
JUNGMANN, op.cit., p. 231.
243
DUCHESNE, Louis, Le Liber pontificalis, texte, introduction et commentaire, C. Vogel de Boccard, 2e éd.,
1956-1957, T. I, p.376 ; CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 177 ; JUNGMANN, MS III, p.261.
244
CABIE, Robert, op.cit., p. 49.
245
JUNGMANN, op.cit., p.249.
246
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 181 ; c’est ce qui, du reste, ressort de l’Apologie.
101
avait lieu au début de la partie « sacrifice » ou messe des fidèles, immédiatement après les
lectures247. Plus tard, ce rite intervient, dans le canon romain et dans l’église d’Afrique, à la
fin de la prière eucharistique ; elle est déjà signalée à ce même endroit dans la liturgie des
IIIe-IVe siècles que décrit Daniel-Rops248. Le baiser de paix est précédé par une autre prière
« Seigneur Jésus-Christ qui as dit à tes Apôtres, je vous laisse la paix, etc. (Domine Jesu
Chsrite, qui dixisti Apostolis tuis, Pacem relinquo vobis, etc.). Cette oraison de paix qui
précède le baiser de paix est une apologie, marque de piété personnelle du prêtre qui la disait
à la première personne (« Ne regarde pas mes péchés, mais …) ; elle apparut d’abord en
Allemagne, vers le Xe siècle, pour se généraliser à la fin du Moyen Age249. Après sa
terminaison par le « La paix du Seigneur soit toujours avec vous » (Pax Domini sit semper
vobiscum) et sa réponse habituelle, le signal est donné par le diacre pour le baiser de paix ;
l’ayant reçu lui-même, après les clercs, de l’évêque, il le transmet alors aux fidèles qui se le
transmettaient entre voisins, le baiser est donné avec les mots Pax tecum (la paix soit avec
toi). Avant que n’apparaisse cette oraison, le Pax domini sit…venait juste après l’Agnus Dei ;
à partir du Xe siècle, le baiser descendait de l’autel où le célébrant lui-même le recevait de
l’autel sur lequel il appliquait un baiser, le passant aux clercs et au diacre pour qu’il continue,
mais alors on ne le donnait plus aux femmes.
Ainsi, dans les liturgies africaines du temps de saint Augustin (IVe siècle) comme
dans le premier canon romain250, le baiser de paix est placé juste avant la communion. A cet
endroit, le baiser de paix est considéré, du VIIIe au XIe siècle, comme condition préalable
préparatoire à cette dernière, à ce titre on l’effectuait même en dehors de la messe lors de la
communion des malades, des voyageurs ou de tous autres absents. Le lien entre le baiser et la
communion est tel que l’on en vient souvent à le réserver à ceux qui communient (« que ceux
qui ne communient pas n’accèdent pas à la paix ni à l’instrument de paix »), excluant ainsi les
catéchumènes ; dans bien des endroits, le baiser devient un supplétif de la communion, avant
de connaître à son tour un déclin à partir du XIe siècle en même temps que l’on commençait à
communier rarement251.
247
Ce que confirme également Odon CASEL, op.cit., p.24.
248
DANIEL-ROPS, op.cit. p. 256.
249
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p.179, JUNGMANN, op.cit., p. 258.
250
JUNGMANN, MS III, p. 249.
251
JUNGMANN, pp. 251-253.
102
I.II.III.4.2 La communion
Ni l’Apologie de saint Justin ni la Tradition apostolique ne permettent de connaître
l’organisation de la distribution de la communion ; mais nous savons que les fidèles
recevaient la communion sous les deux espèces, le pain et le vin. Cela ressort clairement non
seulement de la dernière Cène et, donc, de la tradition remontant à Jésus, mais aussi de la
pratique des communautés chrétiennes primitives comme nous en voyons la description dans
l’Apologie : « Puis a lieu la distribution et le partage des choses eucharistiés à chacun… »,
ainsi que dans la lettre de Paul aux Corinthiens : « Chaque fois que vous mangez ce pain et
que vous buvez cette coupe » ou encore « Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la
coupe du Seigneur indignement…»252.
La manière de communier
L’Apologie ne décrit pas l’organisation de la distribution ; mais on peut deviner que
c’est celui qui préside, qui est l’évêque, qui communie le premier, suivi du clergé et des
fidèles253. En revanche, dans la Tradition apostolique, Hyppolite donne des détails précis sur
la communion : « Le dimanche, l’évêque, si possible, distribuera (la communion) de sa main à
tout le peuple, tandis que les diacres font la fraction ; les prêtres rompront également le pain.
Quand le diacre apporte (l’eucharistie) au prêtre, le présentera le plateau et le prêtre prendra
lui-même il (le prêtre) distribuera au peuple de sa main. Les autres jours, on communiera
suivant les instructions de l’évêque ». La liturgie ancienne ne connaît donc qu’un rituel très
simple, pas de prières ni de formules particulières, ni génuflexion. Lorsque le pain ordinaire
sera remplacé par le pain azyme et l’hostie, dans une posture normale, le prêtre découvre le
calice, porte l’hostie à la bouche et, après, boit le vin, à peine était apparue au XIIIe siècle
l’habitude de se signer avec l’hostie avant la manducation254. Mais, à partir du Xe siècle,
plusieurs prières préparatoires à la communion du célébrant commencent à apparaître avec, en
prélude, le Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum… (Seigneur, je ne suis pas
digne d’entrer dans ma maison ou sous mon toit, actuellement « de te recevoir… »)255, repris
tel quel des paroles du centurion de la bible256, qu’on adaptera par la suite, mais qui ne se
généralisera que très lentement ; depuis le XIIe siècle, en Italie, et plus tard ailleurs, le
célébrant se mettra à le répéter trois fois en se frappant la poitrine257. La doctrine officielle
252
I Co 11, 26 et 27.
253
CABIE, Robert, op. cit., p. 41.
254
JUNGMANN, MS III, p. 281.
255
JUNGMANN, MS III, p. 285.
256
Mt 8, 8.
257
CHALUFOUR, Jean-Denis., p. 187, JUNGMANN, MS III, pp. 285-286.
103
c’est que la seule communion du célébrant, prise au nom de toute la communauté, est
suffisante et elle valide la messe, une certaine interprétation de cette doctrine explique la
baisse ultérieure et même la disparition de la communion au cours de la messe, c’est donc lui
seul qui recite cette apologie.
Néanmoins, on a pris l’habitude, sur le modèle des assemblées des débuts, de donner
la communion sous les deux espèces, celui qui donne la communion disant des paroles qui ont
connu plusieurs versions mais tournaient, au VIIIe siècle, autour de « Que le corps (ou le
sang) de Notre Seigneur Jésus-Christ te garde pour la vie éternelle » (Corpus (sanguis)
Domini Nostri Jesu Christi custodiat te in vitam aeternam), d’où est tiré le bref « Corps du
Christ » (Corpus Christi), le communiant répondant Amen258. Les fidèles montent en
procession jusqu’aux abords de l’autel pour recevoir la communion de l’évêque ou du
célébrant ; debout, ils reçoivent la communion dans le creux de la main droite placée au-
dessus de la paume de la gauche, souvent les femmes recouvrent la main d’un voile. La
communion au sang est servie au calice par le diacre, qui a la charge depuis d’anciens usages
attestés par saint Justin dans son Apologie, de distribuer l’eucharistie, plus tard le vin était
puisé au moyen soit d’un chalumeau soit d’une cuillère. Mais, pour cette communion au sang,
la pratique de l’inctinction de préférence à la communion des fidèles directement au calice,
venue d’Orient, qu’on aurait pu considérer comme la mieux indiquée pour les laïcs259, ne
s’introduisit en Occident qu’avec réticences, et fut réprouvée notamment par le Concile de
Braga en 675 et le Synode de Clermont en 1095 sous la présidence du pape Urbain Ier : « Que
personne ne communie de l’autel autrement qu’en recevant le corps à part et le sang à part,
sauf cas de nécessité ou de précaution »260. Il faut reconnaître qu’à cause de la friabilité des
morceaux de pain trempés dans le calice, l’inctinction devait s’être avérée peu commode, avec
des miettes qui, restant dans le vin du calice, s’imbibent de vin et rendent difficile la
continuation du geste.
Pour autant, en général, la communion au seul pain n’était pas rare, déjà on la
rencontre au IIe siècle, elle n’apparaît pas notamment dans la liturgie décrite par l’Apologie de
Justin. Mais, au contraire, elle était même très fréquente, plus fréquente sans doute que la
célébration de la messe parce que, alors que celle-ci resta longtemps limitée au dimanche, les
fidèles avaient la possibilité, du reste encouragée, de recevoir plusieurs morceaux de pain
258
JUNGMANN, MS III, pp. 321-325.
259
Dans ce sens, CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 189.
260
CABIE, Robert, op.cit., p.64.
104
eucharistié ou, par la suite, plusieurs hosties, pour se faire une réserve à la maison, afin de la
prendre au besoin chaque jour avant de prendre quoi que ce soit d’autre, ils pouvaient
l’emporter au cours de longs voyages, etc. Cette coutume était encouragée, avec la
recommandation de garder avec soin cette réserve domestique : la Tradition apostolique
prescrivait « Qu’il faut garder avec soin l’eucharistie. Chacun prendra soin qu’un infidèle ne
goûte pas de l’eucharistie, ni une souris ni un autre animal, et que rien n’en tombe et ne se
perde. C’est le corps du Christ qui doit être mangé par les croyants et ne doit pas être
méprisé » (n° 37).
La paix, la sécurité et la stabilité obtenues par l’Eglise à partir du IVe siècle après les
jours des tribulations, amenèrent des célébrations plus fréquentes et, on peut dire, le retour de
la communion à l’office261.
A partir du IXe siècle, le pain de communion, qui était alors du pain levé ordinaire,
change et le pain azyme, introduit sporadiquement un peu plutôt en Occident mais pas en
Orient, s’y impose et se généralise. Ce succès ne s’explique pas seulement par le besoin d’un
retour au modèle de la Pâque juive et de la dernière Cène où c’est le pain sans levain qui était
utilisé, mais aussi par des raisons pratiques : la fréquentation de la communion, comme on l’a
vu, avait considérablement baissé tandis qu’il y avait toujours un reliquat des espèces
sanctifiées au cours de l’eucharistie, pour les malades, les voyageurs ou les ermites par
exemple ; or, les morceaux de pain fermenté durcissent et se conservent difficilement et
mal262. Le recours au pain azyme permit de remédier à cet inconvénient. Avec ce changement,
on peut réduire la taille des morceaux à communier, pour faire l’hostie, fine ronde et blanche.
Ceci a plusieurs conséquences, dont la première est qu’il n’est plus possible de tenir cette
hostie fine dans la main, naît alors la pratique de la communion déposée directement sur la
langue, bientôt plus debout mais, progressivement partout, à genoux. Cela, aussi, pour une
raison pratique essentielle, celle de permettre au prêtre d’atteindre plus facilement le niveau
de la bouche où déposer l’hostie que si le communiant était resté debout, un servant ou
acolyte plaçant la patène sous le menton du communiant afin que d’éventuelles miettes y
tombent et soient ainsi récoltées; ce qui amena l’apparition de la table de communion, un banc
placé à l’entrée du chœur263.
261
JUNGMANN, MS I, pp. 290-293.
262
Dans ce sens, CABIE, Robert, op.cit., pp. 63-64.
263
LORET, Pierre, op.cit., p. 102.
105
Toujours est-il qu’il n’y eut pas plus de succès et la fréquentation de la communion
n’augmenta pas, même lorsque, en Gaule, le synode d’Agde de 506 dut imposer un minimum
264
CABIE, Robert, op.cit., p.64.
265
JUNGMANN, MS III, pp. 291-293, LORET, Pierre, op.cit., p.102.
266
CABIE, Robert, op.cit., pp.50-51.
267
Lettre d’Innocent Ier à Victricius de Rouen, cité par DE CLERK, Paul, « Eucharistie et ministères à la fin de
l’Antiquité chrétienne », La Maison-Dieu 242, 1975.
268
Voir infra, IIIe Partie, Chapitre I.II.III.
106
de trois communions par an, à Noël, à Pâques et à Pentecôte et, plus tard le Jeudi saint,
jusqu’à ce que le concile de Latran IV de 1215, par le canon Omnis utriusque sexus, imposa
l’obligation de communier au moins une fois, à Pâques269 alors qu’entre temps la réticence à
l’inctinction conduisit dès cette époque à ne plus donner aux laïcs que la communion au pain
eucharistique. La baisse eut, en ce XIIIe siècle, un autre effet, le prêtre devient le seul à
communier, y compris au nom des fidèles et, même, des malades, les missels eux-mêmes
font disparaître la communion des fidèles de leurs rubriques pour les réintroduire en ajoutant
les prières préparatoires signalées ci-haut, du Confiteor et de Ecce Agnus Dei suivi du Domine
non sum dignus270. Ces éléments sont en quelque sorte empruntés de la communion aux
malades, en dehors de la messe, qui, dès le VIIe siècle étaient amenés à faire une profession
de foi et, au XIIe siècle une ordonnance prescrit au malade de dire son Confiteor (le même qui
était exécuté par le prêtre). Certaines liturgies particulières (monastiques, par exemple)
commencent dès les XIIe et XIIIe siècles à faire dire le Confiteor aux communiants valides au
cours de la messe et les liturgies paroissiales les imitèrent bientôt en le généralisant, dit par
toute l’assistance au même moment que le prêtre récite le sien ou, souvent, par le diacre au
nom des fidèles271, le prêtre donnant une sorte d’absolution en récitant le Misereatur et
l’Indulgentiam, tourné vers l’assemblée mais sans donner le dos au saint sacrement. Quant à
la profession de foi, elle se résuma dans la présentation de l’hostie par le Ecce Agnus Dei…,
en forme de sollicitation des fidèles par le prêtre, tandis que l’acquiescement est donné par les
fidèles récitant à leur tour le Domine, non sum dignus272. En réalité, le groupe Confiteor -
Ecce Agnus Dei - Domine… ne s’installa véritablement que bien après le Concile de Trente,
mais généralement récités par le servant au nom du peuple pour le Confiteor et par le prêtre
pour le Domine non sum dignus.
Cette baisse de la pratique sacramentelle sera compensée par une vague du culte et de
la dévotion du Saint sacrement, favorisés dès la fin du XIIe siècle, d’où découlèrent une
conception et une pratique de la « communion spirituelle »273 pour les fruits censés procurés
par le regard tourné vers le Christ, une foi vive, la méditation de la Passion, l’assistance
pieuse ou le regard vers l’hostie. On inventa même, au XIIIe siècle, une sorte de
« communion pour autrui », comme par une sorte de représentation, notamment pour ceux
269
JUNGMANN, MS III, p. 292-293, et BASCHET, Jérôme, La civilisation médiévale – De l’an mil à la
colonisation de l’Amérique, Paris, Ed. Aubier, 2004, p. 199..
270
CABIE, Robert, op, cit., p. 64.
271
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 190.
272
CHALUFOUR, op.cit., pp. 190-191, JUNGMAN, MS III, pp. 302-306.
273
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 195.
107
Mais, la réserve s’imposa, en premier lieu pour la communion des malades, gardée,
comme on l’a vu, dans des maisons privées, encore aux IVe et Ve siècles ; plus tard, face aux
inconvénients de ce système (blasphème, difficultés chez des couples entre chrétiens et
païens, etc.), à partir du VIIIe siècle, la réserve pour les malades commencera à être gardée
dans des églises, enfermée dans une simple boîte ou des « propitiatoires » posés sur l’autel ou
placés à la sacristie. Ce n’est que plus tard qu’il fut recouru aux tabernacles, d’abord mobiles,
puis muraux et, enfin, des tabernacles placés sur l’autel : l’évêque de Paris décida au XIIIe
siècle que « le Très saint corps de notre Seigneur sera gardé dans la partie la plus noble de
274
JUNGMANN, MS III, pp. 295-296.
275
JUNGMANN, MS III, pp. 345-346.
108
l’autel, sous clé et avec beaucoup de diligence et de conscience ». C’est cette pratique qui fut
consacrée par le IVe Concile de Latran en prescrivant la garde sous clé, tandis qu’à partir du
XVIe siècle on commença à fixer des tabernacles inamovibles au milieu des autels sur
lesquels se célèbrent habituellement la messe276. La substitution des hosties au pain fermenté
ordinaire facilita la tâche ; il fut plus commode de conserver non seulement des hosties de
réserve mais aussi des hosties consacrées comme réserve eucharistique.
En principe, aux premiers temps, la messe était considérée comme terminée après la
communion, vers l’aube277, avec une oraison collective pour remercier Dieu, selon la Didachè
qui prescrit, « Après vous être rassasiés, rendez grâces ainsi : Nous te rendons grâces, Père
saint, pour ton saint Nom que tu as fait habiter dans nos cœurs et pour la connaissance, la foi
et l’immortalité que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur. - A toi la gloire pour les
siècles. »278.
Vient alors la bénédiction finale que les fidèles reçoivent avant d’être congédiés par le
Ite missa est279. D’une manière systématique, cependant, dans les liturgies gallicanes l’évêque
donnait la bénédiction solennelle après le Pater, ceux qui ne communiaient pas, prenant la
bénédiction donnée à cet endroit comme, pour eux, la finale, s’en allaient. La messe romaine
276
BERAUDY, Roger, Le culte de l’eucharistie en dehors de la messe, in MARTIMORT, L’Eglise en
pière, op.cit., pp. 453-457.
277
C’est ce que, en particulier, suggère la « messe » que préside Paul à Troas, voir supra, parce que l’office avait
lieu, à l’origine, le soir.
278
Didachè X, I.
279
DANIEL-ROPS, op, cit., p. 256.
109
imita cette pratique, dès le VIe siècle le diacre pouvait, avant la communion, signaler à ceux
qui ne communiaient pas de « se ranger », en fait pour dégager la nef où le prêtre ou le diacre
passait donner la communion à tous ceux qui s’y trouvaient, mais cela était le plus souvent
compris comme une invitation à se retirer280. Mais, entre temps, la fin de la communion fut
marquée par un certain ritualisme, qui va gonfler et alourdir considérablement la conclusion
de la messe.
La purification
La « purification » revient à ce que, afin que ne se perdent ni la moindre parcelle
d’hostie consacrée ni la moindre goutte du vin « eucharistié », le prêtre absorbe les plus petits
restes d’hosties et de vin, afin de rendre ses doigts et le calice nets de toute trace de la
substance sacrée. Pour ce faire, le prêtre recueille soigneusement dans le calice les parcelles et
miettes tombées sur la patène placée sous le menton des fidèles au moment où le prêtre ou le
diacre pose l’hostie sur leur langue, ensuite le prêtre, disant la prière Quod ore sumpsimus,
boit du vin versé dans le calice. Ensuite, le prêtre se lave les doigts au-dessus du calice afin
qu’aucune miette d’hostie n’y reste collée (ablutions), la purification du calice pouvait exiger
jusqu’à deux ou trois ablutions, au vin puis à l’eau, en disant la prière Corpus tuum, Domine,
quod sumpsi…(Ton corps que j’ai mangé et ton sang que j’ai bu, Seigneur, qu’ils adhèrent à
mes entrailles et maintenant que je viens d’être restauré par ce sacrement pur et saint, fais que
le péché ne laisse en moi aucune tache…) ; puis, il boit au calice ces restes des ablutions.
Cette prière est connue dès le VIIe siècle, tandis que le geste d’ablution est attesté seulement
depuis le XIe siècle281. On signale une autre acception du vocable purification :
essentiellement purifier la bouche de tout reste de la substance sacrée, surtout à l’époque où la
communion consistait en un morceau de pain. Cette ablutio oris (ablution de la bouche) est un
usage ancien qu’on trouve déjà (sans être général) au début du Moyen Age, signalé en
particulier au VIe siècle, afin que le moindre reste du pain sacré ne sorte de la bouche par la
salive, consistait à prendre un peu d’eau, parfois de vin, ou un morceau de pain pour ainsi
l’avaler. L’usage se répandit au XIIe siècle avec l’éclosion de la dévotion au Saint Sacrement
et il était usuel au XIIIe siècle de donner aux communiants, en vue de l’ablatio oris, du vin
ordinaire après la communion, servi dans des vases ordinaires pour éviter la confusion avec la
communion au sang du Christ282.
280
JUNGMANN, MS III, p. 270.
281
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., pp. 194-195.
282
JUNGMANN, MS III, pp. 249-250.
110
La Postcommunion
C’est ici qu’est chanté ou lu le chant de communion, à la suite de quoi le prêtre fait
de l’action de grâces que nous avons vue intervenir comme oraison collective lue par le prêtre
Sans entrer dans les complexités théologiques, il faut montrer que l’évolution du rite
de communion et de sa pratique a été modelée par ce qu’on peut considérer comme une
évolution de la doctrine eucharistique. On ne peut dire avec certitude à quel moment s’opère
le changement de doctrines, mais on peut montrer que c’est ce changement qui introduisit
certaines pratiques et, au-delà, même si cela ne touche pas directement à la liturgie, la
réorganisation de la structure de l’Eglise, en particulier les rapports clercs-laïcs. En effet, dans
les premiers siècles, on l’a remarqué, par l’eucharistie les chrétiens faisaient moins un acte
sacrificiel qu’un acte de mémoire, la célébration étant le « mémorial » du Seigneur selon son
commandement, tandis que les espèces, alors pain et vin ordinaires, n’étaient pas confondues
avec le corps véritable, physique, du Christ mais uniquement des signes représentant ce corps.
283
Voir METZGER, Marcel (Introduction, texte critique, traduction et notes), Les Constitutions apostoliques,
Tome III, Livres VII et VIII
111
Dans ce sens, Saint Augustin lui-même considérait que c’est comme « figure » que le Christ
est présent dans le Saint Sacrement, représenté par les signes matériels que sont le pain et le
vin. On comprend qu’à cette période on ait laissé les chrétiens, ainsi que des convives à un
repas, s’approcher de l’autel aussi bien pour y porter les pains de célébration qu’ils avaient
d’ailleurs eux-mêmes apportés, que pour y aller « communier ». A partir du IXe siècle, les
fidèles sont éloignés de l’autel, les pains n’étant plus apportés jusqu’à l’autel mais reçus par
des ministres tandis que les fidèles reçoivent la communion à une « table de communion » au
seuil du chœur ; ce changement coïncide avec l’introduction, par des liturgistes284, des notions
nouvelles abandonnant la conception symbolique de l’eucharistie. Paschase Radbert, en
particulier, auteur d’un Traité sur l’eucharistie où il affirme que les espèces sont réellement,
et non métaphoriquement, le corps et le sang du Christ, insistait ainsi sur la « présence
eucharistique » de Jésus, contre laquelle se levaient certains autres théologiens, notamment
ceux proches de l’augustinisme, sans que la hiérarchie n’ait cru utile de trancher ce débat. Au
début du XIe siècle, Bérenger de Tours, reprend vers 1040 la thèse du « symbolisme
eucharistique » et l’enrichit de nouvelles argumentations en une analyse pointue du « Hoc est
corpus meum » dit par le Christ lors de l’institution ; il fut alors combattu comme hérétique285,
surtout lorsque, enfin, la hiérarchie se manifeste par plusieurs assemblées pour confirmer la
théologie eucharistique de la présence réelle du Christ.
284
Par exemple, PASCHASE RADBERT, liturgiste
285
Plus loin, nous verrons comment la réfutation de cette « hérésie » va avoir pour conséquence certains
gonflements ajoutés au rite de consécration et le développement du culte du Saint sacrement.
286
Au chapitre 10, verset 16, de la Première Lettre aux Corinthiens, Paul dit « La coupe de bénédiction que nous
bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ. Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au
corps du Christ ? ».
112
ainsi à ceux qui y procèdent, les prêtres, un pouvoir et une prééminence surmultipliés ; il en
découle une distanciation plus accrue entre clercs et laïcs287.
Ces explications sont également utiles pour situer et comprendre quelques-unes des
divergences qui motiveront les réformateurs, non seulement ceux du XVIe siècle, les plus
connus à ce titre, mais aussi, déjà, au XIVe siècle, John Wyclif et Jean Huss.
287
Dans le sens de ces interprétations, voir BASCHET, Jérôme, La civilisation féodale – De l’an mil à la
colonisation de l’Amérique, op.cit., pp. 339-343.
288
BASCHET, Jérôme, op.cit., p. 199.
113
disparaissait à certaines périodes et revenait à d’autres. C’est ainsi enrobée que la bénédiction
donna naissance à un rite plus complexe de conclusion289, fait d’une bénédiction, attestée dès
les IIIe-IVe siècles qui prit la forme d’une prière par laquelle le célébrant demande aide et
protection divine sur le peuple, c’est la prière sur le peuple290, qu’à l’invitation du diacre le
peuple reçoit debout et têtes inclinées ; très développée et dite à chaque messe en Orient, en
Occident la prière sur le peuple se réduit aux VIe-VIIIe siècles à une simple bénédiction
tandis que son ancienne forme est réservée aux messes de semaine pendant le carême. A partir
du IXe siècle et du XIe à Rome, la bénédiction est inclue dans une formule que dit le
célébrant baisant l’autel avant de se retourner vers le peuple et le bénir : Placeat tibi, Sancta
Trinitas, …, une sorte d’apologie et de supplication où le prêtre dit : « Agréez, Trinité sainte,
l’hommage de votre serviteur ; ce sacrifice que malgré mon indignité j’ai présenté […],
rendez-le digne de vous plaire et capable […] d’attirer votre faveur sur moi-même et sur tous
ceux pour qui je l’ai offert »291.
Pour le renvoi des fidèles, renonçant aux formules complexes d’Orient et des rites
grecs, Rome retient le Ite missa est en général ou aux solennités, ou le Benedicamus Domino,
dans les offices des religieux ou chaque fois qu’il n’est pas chanté de Gloria in excelsis Deo,
par exemple pendant le carême, le peuple répondant Deo gratias ; le renvoi est exprimé par
c’est le Resquiescant in pace.
La messe est en principe terminée. Mais, à partir du XIIIe siècle les prêtres prirent
l’habitude de réciter un passage de l’évangile comme action de grâces en rentrant à la sacristie
et au XVe siècle cette lecture se fit à l’autel au coin droit (où, nous l’avons vu, était également
lu l’évangile au cours de la messe)292. C’est le prologue de l’évangile de Jean qui s’imposa
très vite, consacrant en quelque sorte le véritable culte ou de pratiques superstitieuses dont il
était l’objet depuis le IVe siècle, plusieurs fidèles le réclamant en bien des occasions ; la
première utilisation de ce texte à la fin de la messe est consignée dans l’ordinaire des
Dominicains (1256), mais à la fin du Moyen Age l’usage n’était pas encore généralisé, il sera
fixé et « canonisé » après le Concile de Trente.293.
On peut, néanmoins, s’étonner de ces messes qui ne finissaient pas de finir, comme si
les prêtres ne savaient plus comment terminer la messe, comment dire carrément aux fidèles
que la messe est finie et qu’il est temps de rentrer chez-soi. Pourtant, fait remarquer Adrien
289
Op.cit., p. 363.
290
CABIE, Robert, op.cit., p.
291
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., pp. 200-201. Le baiser ainsi que la prière Placeat… entrèrent solidement
dans l’ordinaire de la messe en 1570 ; ce rite a aujourd’hui disparu.
292
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 205.
293
JUNGMANN, MS III, pp. 385-388.
114
Nocent par simple bon sens, « La messe, comme tout acte posé par des hommes, doit avoir un
commencement et une fin, et il faut éviter de prolonger cette fin et de lui ajouter
continuellement des appendices »294.
Le premier missel « plénier » est celui de 1474. Son élaboration est l’aboutissement
d’un long cheminement. Dans un premier temps, au moment où apparaissent les premiers
sacramentaires à Rome, l’une des formes de célébration, longtemps orales, a été consignée
vers la fin du VIIe siècle dans un document appelé l’Ordo romanus I décrivant la messe
pascale présidée par le pape. On y apprend le rituel selon lequel chaque dimanche ou à chaque
grande fête le pape, en tant qu’évêque de Rome, faisant en quelque sorte station là, disait la
messe successivement dans les vingt-cinq basiliques titulaires (les « titres ») de l’Eglise de
Rome, tandis que les assemblées dominicales ordinaires, simples synaxes présidées par les
presbytres, avaient lieu dans les basiliques de quartier de Rome. L’Ordo romanus de cette
époque décrit la messe papale : autour du président, le pape, ouvrent d’autres ministres,
sacerdotes, diacres, sous-diacres, lecteurs et acolytes, ainsi que les chantres (la scola
cantorum) ; mais, c’est le pape qui ordonne le déroulement de la célébration, donnant le signal
pour continuer ou arrêter l’action en cours, approuvant les noms des intervenants (lecteurs et
chantres). On y voit, enfin, les objets liturgiques utilisés lors de la messe, qui, conservés au
Latran ou à Sainte-Marie-Majeure, sont transportés vers la « station » où a lieu l’assemblée.
Mais, il existait également à Rome un sacramentaire. Celui-ci, pas plus que l’Ordo romanus I,
ne servait pas au pape, qui n’en avait pas besoin jugeait-on, mais à ceux qui, évêques ou
presbytres, pourraient remplacer le pape en cas de maladie, de vacance ou d’exil, ces deux
derniers cas ayant été très fréquents à l’époque ; c’est cela qui fut à l’origine de l’Ordo
romanus II295. Selon l’Ordo Romanus II, supplément contemporain de l’Ordo I, la liturgie du
pape se distinguait de celle de ses remplaçants, évêques et prêtres, par des éléments qui
exprimaient le pouvoir pontifical : l’usage de la cathedra, le trône, lieu liturgique distinct de
l’autel, ainsi que la présence du clergé hiérarchique réuni en corps assistant le pape pendant la
célébration296. Il y eut ainsi plusieurs types de messe : la messe solennelle, papale, la messe
« pontificale », qui est la messe solennelle de l’évêque ; la norme étant la messe solennelle, on
294
NOCENT, Adrien, L’avenir de la liturgie, op.cit., p. 66.
295
METZGER, Marcel, Les Sacramentaires, op.cit., pp. 24-28.
296
QOUËX (Abbé), Franck, « Les types de célébration de la messe romaine », in Baptistère n° 8, juin-juillet
2004.
115
reconnut néanmoins, aux niveaux inférieurs, les formes de « messe chantée » (missa cantata)
et de « messe basse »297.
Par ce retour des choses, le fameux missel « romain », qui a fait autorité dans la
liturgie catholique jusqu’au milieu du XVe siècle et a inspiré le premier « missel plénier »
destiné à l’Eglise latine tout entière, n’était romain que de nom ; il venait de Germanie302,
297
Ibid.
298
Voir infra, Deuxième chapitre, section I, §2 (La misère sociale et morale de l’Eglise latine).
299
JUNGMANN, MS, p.130.
300
CABIE, Robert, op.cit., p.62.
301
METZGER, Marcel, Les Sacramentaires, Tur hout, Brepols, 1991, p. 28.
302
JUNGMANN, MS, p. 130.
116
II
L’adoption du missel plénier de 1474 n’avait pas mis fin à la diversité des pratiques
liturgiques. Noëlle-Maurice Denis-Boulet peut affirmer que jusqu’au concile de Trente, « la
variété des usages et des rites diocésains est sans limites »303. C’est dans la difficulté que va
s’ouvrir et se dérouler le Concile de Trente, entravée par une situation politico-religieuse
délicate mais, en même temps, favorable pour procéder à des réformes dont l’Eglise tout
entière, comme le monde politique et le pouvoir temporel, avait grandement besoin, afin de,
en quelque sorte, rétablir l’image de l’Eglise, pacifier et stabiliser les relations dans une
Europe qui voyait émerger des Etats-nations rivaux et en proie à des conflits incessants. A
cause des divergences et suspicions, entre l’empereur et la papauté, entre les responsables
temporels (empereur et rois de France, essentiellement), des diverses alliances et intrigues
politico-militaires dans lesquelles la papauté était impliquée, des reports, prorogations et
ajournements, le concile, convoqué le 4 juin 1536, ne commencera effectivement que, après
une succession de nouvelles convocations, près de dix ans plus tard, le 13 décembre 1545.
Cette longueur fit que le concile fonctionna sous des orientations de papes différents qui se
sont succédé304 et avec des évêques et des théologiens qui ne sont pas restés les mêmes305,
étant ainsi sans doute le plus long de l’histoire.
La fin du Moyen Age et le début des Temps modernes sont marqués par une situation
extrêmement volatile et fragile, aussi bien sur le plan politique que dans le domaine purement
religieux. Tout le haut Moyen Age ainsi que la majeure partie du bas Moyen Age connurent
une Eglise aux mœurs dissolues autour d’une institution devenue presque la première
puissance temporelle et, donc, enferrée dans des problèmes de puissances rivales avec
l’empire et les royaumes européens. Plusieurs faits affectent la situation de l’Eglise de Rome.
On peut citer la crise de la hiérarchie avec l’exil avignonnais des papes, l’ignorance et la
303
DENIS-BOULET, Noël-Maurice, in L’Eglise en prière, 1961, pp. 299-305, spéc. P. 303.
304
Paul III, Jules III, Marcel II, Paul IV, Pie IV et Pie V qui mit en œuvre la réforme liturgique conciliaire.
305
BEDOUELLE, Guy, La Réforme du catholicisme (1480-1620), Paris, Cerf, 2002, p. 86.
117
« Arrive ici, Eglise infâme, écoute ce que te dit le Seigneur. Je t’ai donné ces beaux
vêtements et tu t’en fais des idoles. Avec tes vases de prix, tu as nourri ton orgueil. Tu
as profané les sacrements par la simonie… Tu as élevé une maison de débauche, tu t’es
transformée du haut en bas en maison infâme. Que fait-elle la fille publique ? Assise
sur le trône de Salomon, elle fait signe aux passants : quiconque a de l’argent entre et
fait tout ce qui lui plaît »306
On peut, également, juste relever la misère sociale des clercs pauvres et ignorants tandis
que la hiérarchie se complaît dans un système bénéficial simoniaque au service de Mammon.
Par contre, le contexte religieux mérite un examen, parce qu’il est susceptible
d’exposer dangereusement l’Eglise des Xe-XVIe siècles aux critiques de ses adversaires juste
au moment où éclate la querelle avec Constantinople (de laquelle devait découler le grand
schisme de 1054) et où, surtout, se manifestent les premières expressions et interprétations
théologiques centrifuges et rebelles préludes à la Réforme. C’est ce contexte qui explique
aussi bien l’urgence du concile que les décisions et réformes qu’il édictera, dans la mesure où
le Concile de Trente va ainsi se présenter comme la réponse jugée adéquate à cette situation
de crise multiforme de l’Eglise occidentale du bas Moyen Age et du début des Temps
modernes.
306
Dans AUBENAS, Roger, L’Eglise et la Renaissance, t. XV, p. 134, cité par BERGERON, Marie-Ima, Le
christianisme en Chine – Approches et liturgies, Lyon, Ed. Le Chalet, 1977, p. 45.
118
protestants car les discussions suivent des catalogues d'erreurs tirées des oeuvres de Luther,
Melanchthon, Calvin, […] »307.
Dans ce domaine liturgique comme, du reste, dans les autres, le concile répond
directement aux critiques et, donc, à la doctrine de la Réforme ; certaines affirmations
appuyées d’une réforme conciliaire apologétique, ne se comprennent que placées en face du
contenu de cette contestation. Il faut rappeler simplement que les luthériens s’en prenaient à la
messe « privée », sans le peuple, à la communion « privée » du seul célébrant, aux rites qui
étaient privilégiés au détriment de la Parole de Dieu ; nous nous limiterons, pour les présenter
plus en détail, à quelques éléments de la doctrine eucharistique luthérienne, surtout ce en quoi
elle diffère de celle de l’Eglise romaine. Les documents luthériens comme La Confession
d’Augsbourg et l’Apologie sont l’illustration et la défense de la croyance fondamentale
luthérienne, tout en réfutant les prétentions et allégations, notamment de l’Eglise de Rome en
ce qu’elles affirment la doctrine « catholique » ou attaquent le luthéranisme. Nous y trouvons
le sens que Luther et les siens ont de la liturgie et de la messe qu’ils vont dorénavant
ordinairement appeler « le culte ». Ainsi, ils affirment que dans la Ière Apologie de Saint
Justin, le vocable « liturgie » « ne signifie pas, à proprement parler, un sacrifice, mais bien
plutôt un service public, […] qu’un seul ministre consacrant présente au reste du peuple le
corps et le sang du Seigneur, de même qu’un seul ministre enseignant présente l’Evangile au
peuple. C’est ainsi que Paul déclare: « Qu’on nous considère donc comme des serviteurs du
Christ et des dispensateurs des mystères de Dieu », c’est-à-dire de l’Evangile et des
sacrements (1 Corinthiens 4:1)... De la sorte, « leitourgia » correspond exactement à
« ministère » (Article XXIV, 79-81). Tandis que nous pouvons lire dans la Confession
d’Augsbourg que « les Saintes Ecritures déclarent en de nombreux endroits qu’il n’y a aucun
sacrifice ni pour le péché originel, ni pour les autres péchés, sinon uniquement la mort de
Christ. Car il est écrit dans l’Epître aux Hébreux, que Christ s’est offert une seule fois et
qu’ainsi il a aboli le péché, et nous a sanctifiés une fois pour toutes (Hébr. 9, 26-28 ; 10, 10).
C’est une innovation inouïe d’enseigner dans l’Eglise que la mort de Christ a satisfait
seulement pour le péché originel et non pas aussi pour les autres péchés. ». Nous remarquons,
là, une première différence avec la conception de la « messe » catholique considérée comme
la réactualisation du sacrifice de la croix par le prêtre agissant in persona Christi. Dans cette
conception luthérienne, la participation à la simple « opération rituelle » qu’est la « messe »,
n’attribue ni ne fait acquérir une grâce ou un bien quelconque de la part de Dieu, pas plus
307
LEMAITRE, Nicole, La réforme en continuité réussie, le concile de Trente, http://histoire.univ-
paris1.fr/agregation/moderne2003/cours12.htm
119
qu’elle ne permet d’être libéré des péchés. En effet, l’« eucharistie » n’est pas, pour le
luthéranisme, un sacrifice expiatoire ou propitiatoire, dans la mesure où « ce sacrifice a déjà
été consommé sur la croix - mais pour qu’il serve à réveiller en nous la foi, et à réconforter les
consciences ; en effet, le Sacrement nous rappelle que la grâce et la rémission des péchés nous
sont assurées par Jésus-Christ. », car « saint Paul enseigne que nous obtenons grâce devant
Dieu par la foi, et non par les œuvres. » Plus nettement encore, « la Messe n’est pas un
sacrifice offert pour d’autres, qu’ils soient vivants ou morts, afin d’effacer leurs péchés, mais
[qu’] elle est destinée à être une Communion dans laquelle prêtre et fidèles reçoivent le
Sacrement, chacun pour soi-même »308. Cette affirmation réfute en cela, également,
l’organisation des messes des morts et toutes les autres croyances qui lui sont attachées
comme la doctrine du purgatoire. A la limite, s’il n’y avait ce que le luthéranisme appelle « la
sainte Cène », qui vient introduire une idée d’eucharistie, le « culte » luthérien, quels que
soient ses autres rites, ne diffèrerait pas beaucoup de la simple synaxe ancienne, assemblée
liturgique essentiellement consacrée au partage de la Parole.
Quant à la sainte Cène, elle pose les questions de la doctrine eucharistique en ce qui
concerne la nature des espèces eucharistiques et la manière d’administrer la sainte Cène ou la
Communion. De ce point de vue, la doctrine luthérienne découle du rejet de la doctrine
eucharistique catholique et des rites ajoutés au schéma initial, tandis qu’elle remet en cause,
spécialement, la doctrine de la transsubstantiation. Certes, ainsi que le dit la Confession
d’Augsbourg, « Quant à la Sainte Cène du Seigneur, nous enseignons que le vrai corps et le
vrai sang de Christ sont réellement présents, distribués et reçus dans la Cène, sous les espèces
du pain et du vin. »309 Mais, Luther professe une doctrine dite de la « consubstantiation »
selon laquelle les paroles du Christ «ceci est mon corps, ceci est mon sang» signifient que,
lors de la Cène, et seulement lors de la Cène, les espèces deviennent effectivement corps et
sang du Christ, mais ils demeurent en même temps, ils n’ont pas cessé d’être, « pain » et
« vin ». De telle sorte qu’ils ne sont devenus « corps et sang » du Christ que durant le court
moment où le fidèle les mange et boit, demeurant pour le reste du temps simplement du pain
et du vin. Si une telle doctrine induit que l’on reçoive la communion avec respect et en étant
préparé, elle exclut la pratique de la « réserve eucharistique », l’adoration et tout le culte du
Saint sacrement.
308
Confession d’Augsbourg, article 24.
309
Confession…, article 10.
120
Outre ces quelques différences d’ordre doctrinal, on peut dégager les grandes
innovations « rituelles » par rapport à la structure de la messe romaine. En général, tout en
partant de la tradition catholique qu’il connaît bien en tant qu’ancien augustin, et adaptant
l’Ordo missae311, Luther n’est pas néanmoins très favorable aux cérémonies grandioses
médiévales qui ont alourdi la structure simple de la liturgie des premiers chrétiens ; il les
considère en effet comme « fumée et bruit », ne voulant pas, au départ, abolir toute la liturgie,
mais la purifier de tous ces rites qui l’ont « défigurée », bien que ses idées aient évolué par la
suite et aient fini par bien singulariser le culte luthérien de la messe romaine. Ses vues sont
essentiellement exposées dans Formula Missae et Communionis (1523), et dans La Messe
allemande (1526) ; il stigmatise que l’on ait considéré « ces cultes comme une œuvre
bénéfique pour gagner la grâce et le salut, en cela, la foi a sombré… », ce qui explique que
l’on a « tu la Parole » au profit « d’affabulations non chrétiennes et de mensonges »312. C’est
pourquoi, ce qui frappe c’est l’importance accordée à la Parole (lectures et prédication) qui
occupe la place centrale dans la célébration du culte, qu’il soit le simple culte quotidien (du
matin ou du soir) ou le culte dominical. Le culte, ainsi dépouillé, autour de la Parole encadrée
par des chants, cantiques et hymnes, n’est plus la messe célébrée par un prêtre, effectuant des
gestes et disant à voix basse des paroles auxquels le peuple ne comprend rien, mais une
célébration communautaire conduite par un pasteur. Ceci traduit également la conception qu’a
Luther du sacerdoce : pour lui, ayant un seul et même baptême, une seule et même foi, un seul
310
Nous verrons que la validité de la communion uniquement au Corps du Christ sera décrétée en forme de
dogme par le Concile de Trente.
311
WEBER, Edith, La nouvelle ordonnance du culte et l’hymnologie – Formula Missae et Communionis (1523)
et Deutsche Messe (1526), in VALENTIN, Jean-Marie, Luther et la Réforme – Du Commentaire de l’Epître aux
Corinthiens à la Messe allemande, Paris, Ed. Desjonquères, 2001, pp. 386 et 389.
312
WEBER, Edith, op.cit., p. 393.
121
313
TÜCHLE, Herman, et alii, op.cit., pp. 69-70.
314
Concernant la structure et les apports de la messe allemande, WEBER, Edith, op.cit., pp.396-399.
122
Parole : sola scriptura, en conséquence, sola fide et sola gratia, parce que c’est solo Christo.
Luther veillera à la qualité du lectionnaire et des péricopes, qu’il hérite de la tradition
catholique. Elle se caractérise également par la recherche de la participation active des
fidèles : d’où, l’importance des chants, non plus ce grégorien qui s’était imposé dans l’Eglise
romaine mais était devenu affaire de spécialistes et de quasi professionnels au sein de la scola
cantorum. Lui-même musicien et poète, il a réalisé de nombreuses compositions musicales
pour la liturgie, avec des cantiques parmi les plus connus du protestantisme, nombre de
chorals chantés au cours de la liturgie sont de sa composition, comme les paraphrases de
certaines pièces traditionnelles de la messe (comme l’introït, le credo ou le Pater). Luther
appelle une rénovation de l’hymnologie en recourant aux chants et cantiques populaires ou, en
tout cas, de psaumes en langues vernaculaires ; il recommande que les paroles soient simples,
compréhensibles et faciles à chanter en communauté. Ce mouvement est facilité par une
tradition allemande, ancienne, du chant et de la musique populaires propices à des
célébrations collectives. Néanmoins, Luther n’avait pas ordonné l’abandon immédiat du latin ;
bon latiniste par sa formation, souhaitant même que le culte pût être célébré en latin et en
allemand, afin de satisfaire tous les goûts et toutes les sensibilités ; cette pratique bilingue
s’est poursuivie dans les grandes villes, encore aux XVIIe et XVIIIe siècles315.
Il est possible que, ayant subi des influences diverses depuis la Réforme, certaines
communautés ou paroisses luthériennes ne célèbrent pas en respectant le schéma qui résulte
de ces conceptions, cela peut être considéré comme une évolution vivante normale ou comme
une anomalie ou déviation, selon les points de vue. En tout état de cause, il demeure une
différence fondamentale avec la messe catholique, dans la mesure où pour les catholiques, la
messe représente toujours non seulement une commémoration mais aussi une réactualisation
du sacrifice du Christ avec l’eucharistie comme le sommet de la célébration, tandis que, nous
l’avons vu, les protestants, s’étant tous inspirés de la doctrine de Luther quelle que soit leur
dénomination, dans un culte sans valeur sacrificielle et simple assemblée liturgique avec la
sainte Cène, accordent la même importance aux deux parties de la messe, la liturgie de la
Parole et la liturgie eucharistique.
315
WEBER, Edith, op.cit. p. 399.
123
Convoqué, ainsi qu’on l’a dit, au début de la Réforme protestante de Luther pour
réfuter les propositions théologiques considérées comme inexactes et contraires à la doctrine,
le Concile de Trente produit une abondante œuvre dogmatique et doctrinale et, pour faire face
aux désordres et fantaisies liturgiques, une réforme de la liturgie. Afin de bien comprendre le
sens et la portée des décisions conciliaires, il serait utile d’indiquer comment les conditions et
circonstances qui en sont à l’origine ont imposé en quelque sorte l’orientation (I), pour ensuite
examiner la doctrine mise en œuvre par le concile pour encadrer le contenu de la réforme
liturgique (II), avant de jeter un regard sur ce contenu au travers du missel et du rite
« tridentins » (III). Certains documents conciliaires relatifs à la liturgie de la messe, doctrine,
canons et constitution liturgique, ainsi que le schéma complet de la messe tridentine sont
reproduits en annexe.
En fait, il faut bien le reconnaître, on ne peut pas nier que la Réforme fut pour l’Eglise
une provocation très grave ; bien au-delà de ce qu’avait pu représenter le schisme d’Orient, la
Réforme correspondait à une sorte de schisme intérieur, au cœur même de l’Eglise de Rome
et au sein de l’empire, l’un de ses alliés les plus sûrs. Elle semble ainsi être la cause
surdéterminante du Concile parce qu’elle appelait une réponse aussi nette que « définitive »,
solidement argumentée en vue d’une condamnation ferme et sans recours et, en cela, un
concile était la voie la meilleure.
Par ces circonstances, l’objet du concile s’imposait de lui même ; double, il devait
faire face à la crise interne de l’Eglise pour la réformer et, d’un autre côté, réaffirmer la
« vraie » doctrine pour contrer les dérives hérétiques des Réformés luthériens. Il en découla,
pour l’œuvre du Concile, un caractère ambivalent ; elle est, certes, un effort de réforme,
notamment disciplinaire, de l’Eglise catholique, mais, il est difficile de ne pas y voir
indissociablement une sorte de « contre-réforme » au regard de la Réforme protestante : ses
décisions se répartissent ainsi entre ces deux objets, doctrine ou dogme et réforme. Du reste, à
cet égard, presque tout le mois de janvier de l’année 1546 fut consacré au débat sur la
primauté à accorder à ces deux thèmes, la papauté, globalement, privilégiait le travail
dogmatique, estimant que ce sont les manquements sur ce plan qui étaient à la base des abus
et errements constatés, tandis que la thèse impériale était que ce sont les mauvaises mœurs qui
ont donné prise aux contestations et thèses des hérétiques. Mais, sans doute, comme souvent,
la vérité devait-elle être au milieu ; en fait, pour les « Réformés », les deux aspects étaient liés
comme bases de leur révolte même si certains aspects disciplinaires leur semblaient de peu
d’importance. Finalement, il fut décidé de traiter ensemble la doctrine et la réforme mais le
légat du pape précisant que ce soit absolument dans cet ordre, l’examen d’un aspect de la foi
donnant lieu à celui d’un aspect des mœurs qui pouvait lui correspondre. Plus que d’un
compromis, il s’agit d’une véritable connexion interne de l’œuvre conciliaire qui donna à
celle-ci une certaine qualité opératoire que n’avaient pas toujours des conciles antérieurs à cet
égard trop théoriques316. De fait, à partir de la IVe session ouverte le 8 avril 1546, le concile
mena de concert ces deux matières et, souvent, faisant suivre d’un décret sur les abus et, donc,
sur la réforme, le décret pris en matière dogmatique. Mais, globalement, comme le dit N.
Lemaître, « comme dans la Réforme protestante, les textes de l'Écriture sont placés à la base
des travaux du concile, dès la 4e session, le 8 avril 1546, très tôt après l'ouverture, ce qui est
316
BEDOUELLE, Guy, op.cit., pp. 79-80.
125
la preuve d'un consensus. Avant de s'occuper des dogmes, le concile a donc voulu s'occuper
de leur fondement, définir les sources qui permettent de construire la foi. »317
Cependant, même dans cette matière relativement récente et suffisamment
documentée, les spécialistes ne s’accordent pas toujours sur le nombre et l’intitulé des décrets
promulgués, on peut néanmoins en distinguer assez nettement l’objet et la substance318, à part
le fait que chacun affirme l’alternance entre décrets doctrinaux et décrets disciplinaires.
Dans le domaine de la doctrine, en nous inspirant d’Alain Tallon et de Guy Bédouelle, nous
pouvons estimer que, outre le décret de la IIe session sur « la manière de vivre et les autres
points à observer au concile » (Tallon), les autres décrets intervenant dans le domaine de la
doctrine portent successivement sur :
-le symbole de la foi, au cours de la IIIe session (Tallon), l’Ecriture sainte (ou les Livres
canoniques) et les traditions apostoliques ;
-le péché originel ;
-la justification ;
-les sacrements en général et le baptême (le décret étant accompagné de trois canons sur la
réforme en matière de sacrements) ;
-l’Eucharistie ; la pénitence et l’extrême-onction ;
suivent, au cours de la XXIe session du 16 juillet 1562, le décret sur la communion sous -les
deux espèces et, au cours de la fameuse XXIIe session, le sacrifice de la messe (exposition de
la doctrine touchant le sacrifice de la Messe) et décret sur les abus à éviter dans la célébration
de la messe ;
-sur le sacrement de l’ordre ;
-le mariage ;
le purgatoire, le culte des saints et des images.
Suivant les mêmes sources, la réforme se vit, elle, consacrer des décrets portant
respectivement sur :
-la Vulgate ;
-les impressions du texte sacré et la langue vulgaire (l’édition et l’utilisation des Livres
saints) ;
-l’enseignement et la prédication de l’Ecriture et (Tallon) les quêteurs d’aumônes ;
317
Une réforme en continuité réussie, op.cit.
318
Voir les chronologies établies par TALLON, Alain, Le Concile de Trente, Paris, Cerf, 2000, pp. 100-102, et
BEDOUELLE, Guy, op.cit., pp. 84-85.
126
-la résidence des évêques et des prêtres et (Tallon) les excès à corriger par l’ordinaire, les
visites et les fonctions pontificales ;
-les bénéfices ecclésiastiques ;
-les droits et devoirs des évêques ;
-les relations des évêques et des prêtres ;
-la discipline sur les prêtres et leurs moyens de subsistance ;
-l’appel aux ordres par l’évêque et l’institution des séminaires ;
-les synodes provinciaux et diocésains ;
-les visites pastorales ;
-la prédication ;
-les chapitres cathédraux ;
-les vacances des sièges épiscopaux ;
-les réguliers et les moniales ; et
-un décret de « réforme générale » qui comprend vingt et un chapitres traitant de points très
divers qui complètent les décrets précédents.
La primauté du contenu des décrets de doctrine s’exprime dans la forme donnée à ces
derniers. Parce que, comme on l’a vu, le projet du Concile était de réfuter et de combattre les
hérésies, les décrets qui exposent et réaffirment la doctrine de l’Eglise étaient généralement
accompagnés de canons, dont la forme de textes juridiques énonce la fausse doctrine visée et
la condamne par la formule péremptoire de l’anathème : « Si quelqu’un dit ou croit que… ;
qu’il soit anathème ». L’autre particularité de ces décisions doctrinales c’est qu’elles ont créé
des instruments pastoraux de leur objet, à travers l’Ecriture sainte dont le contenu est fourni
par les Livres canoniques triés et fixés par l’Eglise au milieu de tous les écrits qu’on rencontre
couvrant les deux périodes de l’Ancien et du Nouveau Testaments ; à travers une profession
de foi catholique, sans doute pour répondre aux professions proclamées par les luthériens,
consignée dans le catéchisme romain à élaborer par le soin de la papauté sur la base des
décisions conciliaires, et à travers, concernant l’eucharistie, le Missel inspiré de la doctrine
conciliaire et qui sera élaboré et promulgué par les soins du pape.
En fonction de cette doctrine réaffirmée, Paul IV avait fait publier (1558) une liste de
livres prohibés, l’Index Librorum prohibitorum, élaborée sur la base des investigations et
propositions des théologiens « orthodoxes » des universités de Paris et de Louvain ; cette
œuvre va être prise en charge par le concile qui, faute de temps, demande au pape de la
parachever par une nouvelle édition de l’Index. En fait, parce que de tout temps certains livres
127
ou certains auteurs étaient mis en doute, le concile donne la liste des livres qui sont acceptés, à
partir d’une liste établie depuis le concile de Florence de 1439 dont il a déjà été question plus
haut, à la suite des discussions avec les Grecs ; toutefois, cet l’Index des livres admis
n’aboutissait pas à anathémiser ceux qui douteraient de tel ou tel des livres de cette liste
officielle. Sont écartés, avant tout, tous les écrits des grands penseurs et responsables
luthériens, tous les livres anonymes publiés depuis 1515, date à laquelle les « luthériens »
commençaient à se manifester et souvent dans l’anonymat, mais aussi certaines traductions
des Ecritures à cette époque où les protestants avaient opté pour la traduction libre. Le régime
des sanctions concerne soit une interdiction jusqu’à modifications exigées, soit une
interdiction pure et simple avec retrait et destruction des ouvrages condamnés et il fut, en
conséquence, institué un régime d’autorisation préalable d’édition, d’impression et de
publication d’ouvrages319. C’est que, comme l’observent certains spécialistes, dans le
domaine de la doctrine, le concile avait manifesté « une évidente intransigeance dogmatique
quand il s’agissait de faire face à la Réforme, mais un souci de compromis pour tout le
reste »320. De fait, en particulier, pour la réforme des mœurs et pratiques de la hiérarchie de
l’Eglise, la tâche ne fut pas facile ; il était en effet illusoire de croire que les prélats et évêques
cumulards de charges, de bénéfices ecclésiastiques à la tête de juridictions dans lesquelles ils
ne mettaient jamais le pied, pour ne prendre que cet exemple, pouvaient véritablement
réformer et s’imposer une obligation de résidence effective et renoncer aux richesses et à tout
ce qu’elles impliquaient de vie luxueuse bien peu évangélique. D’autant plus que, pour le
cumul et le trafic des bénéfices par exemple, le système en vigueur convenait bien aux
souverains qui y trouvaient des instruments politiques de leur influence sur les princes de
l’Eglise ; c’est pourquoi, malgré le concile, le système continua encore en Allemagne et en
France.
319
Sur l’Index, voir Analecta Juris Pontificii, Dissertations sur divers sujets de Droit canonique, Liturgie et
Théologie, Quatrième Série, Rome, 1860, pp. 1401-1446, numérisation par Google, et BEDOUELLE, Guy,
op.cit., pp. 98-99.
320
TALLON, Alain, op.cit., p. 98.
128
contre le protestantisme déferlant, témoigne bien que les jésuites se proposent et sont institués
pour ces croisades, aussi bien en occident même, pays des « fidèles », et ailleurs, chez les
« infidèles ». C’est ce que confirment les constitutions de la Compagnie reprenant en cela le
contenu de la bulle Regimini militantis Ecclesiae321 : si la fin de la Compagnie est de
« s’employer au salut et à la perfection de l'âme de ses membres mais, avec cette même grâce,
de chercher intensément à aider au salut et à la perfection du prochain. », ses membres font ce
« vœu exprès au Souverain Pontife, actuel ou futur, en tant que Vicaire du Christ notre
Seigneur : celui d'aller partout où Sa Sainteté voudra l'envoyer, chez les fidèles ou les
infidèles »322. Les jésuites seront véritablement une armée en croisades d’évangélisation dans
différentes contrées d’Europe, mais aussi, comme on le verra, dans les pays non chrétiens
d’Amérique, d’Asie et d’Afrique. Le deuxième objectif est d’encadrer toutes les initiatives et
actions par des structures appropriées œuvrant aux côtés du pape. Ce recentrage et cette
centralisation se traduiront par deux réformes capitales décidées par l’Eglise en créant deux
dicastères. La veille du Concile de Trente, en plein débat théologique bouillonnant avec les
Réformés, le pape Paul III institue la Sacrée Congrégation de l’Inquisition romaine et
universelle, par la bulle Licet ab initio, en date du 21 juillet 1542 ; gardienne de la « vraie
foi », la Congrégation avait pour mission de lutter contre les hérésies et, à ce titre,
responsable de l’inquisition, laquelle était déjà pratiquée depuis le XIIIe siècle (notamment
par l’intermédiaire des dominicains) mais demeurait trop entre les mains des rois, après le
Concile, la congrégation sera en charge de l’Index. Cette congrégation fit l’objet d’une
réforme de Pie X qui lui donna le nom de Sacra Congregatio Sancti Officii (Sacrée
Congrégation du Saint-Office), devant veiller à la pureté de la doctrine et des mœurs. Paul VI,
par le Motu proprio Integrae servandae, supprime l’Index et attribue à la congrégation son
nom actuel de Congrégation pour la doctrine de la Foi, la constitution apostolique Pastor
Bonus de Jean-Paul II de 1988 précisera que sa tâche est « de promouvoir et de protéger la
doctrine et les mœurs conformes à la foi dans tout le monde catholique… »323. La deuxième
réforme est l’œuvre de l’Eglise post-tridentine, sortie du Concile avec la conviction de la
justesse de sa doctrine et engagée dans la propagation de la foi dans les contrées étrangères
pénétrées par l’Europe à la faveur des « grandes découvertes » et des conquêtes des XVe-
XVIe siècles, et qui, pour encadrer la mission universelle de l’Eglise, créa la Sacra
Congregation de Propaganda Fide (Congrégation de la propagation de la foi, souvent appelée
« la Propagande »), créée par Grégoire XV en 1622, dont nous verrons plus loin l’importance
321
La bulle Regimini militantis Ecclesiae, promulguée le 27 septembre 1540 par le pape Paul III.
322
Constitution 3 et 7, www.jesuites.com/documents/constitutions
323
Pastor Bonus, §48.
129
On peut ainsi dire qu’avec ce Concile, le catholicisme retrouve son unité, au moins
formelle, fondée essentiellement sur la réaffirmation du dogme, le pape Pie IV pouvait se
proclamer « évêque de l’Eglise universelle », tandis qu’un instrument nouveau est mis en
place pour assurer le contrôle de Rome sur les églises locales, grâce à la Visitatio ad limina
Apostolorum instituée par Sixte V324.
Si nous nous limitons aux décisions relatives aux questions touchant à la liturgie et à la
messe, nous retiendrons les décrets adoptés à cet effet au cours des XIIIe, XXIe et XXIIe
sessions, respectivement sur l’Eucharistie, sur la communion sous les deux espèces et sur le
sacrifice de la Messe. Ces décrets sont accompagnés de canons qui clarifient bien les points
de la foi et de la pratique fondamentales de l’Eglise et précisent les obligations des fidèles
dans ce domaine ; mais ils ne peuvent être séparés de ce que l’Eglise affirme par ailleurs en
matière de sacrements en général (décret et canons adoptés lors de la VIIe session),
circonscrivant en particulier le sens du sacerdoce sacramentel (le sacrement de l’ordre, traité
au cours de la XXIIIe session) et le rôle du prêtre dans l’administration des sacrements et dans
l’accomplissement du sacrifice de la Messe, de même qu’est importante, ici, la question de la
traduction des Ecritures et des livres liturgiques en langues vulgaires.
324
BAUMGARTNER, Mireille, L’Eglise en Occident des origines aux réformes du XVIe siècle, op.cit., pp. 239-
240.
130
Le Concile entreprend de réfuter point par point les thèses luthériennes touchant les
idées et croyances qui sous-tendent la conception de la liturgie eucharistique en ses principaux
points ainsi que les expériences liturgiques déjà mises en pratique par les protestants : la
nature sacrificielle, la transsubstantiation, l’effet propitiatoire, l’admissibilité et la légitimité
de la messe pour les défunts, l’adoration du Saint sacrement, le culte de saints, et différents
autres rites que nous avons vus se développer dans les coutumes liturgiques en particulier au
cours du haut Moyen Age, etc. Toutefois, le contenu de cette doctrine montre que le Concile
répond à certains autres points ayant fait depuis longtemps objet de divergences plus ou moins
profondes entre les Eglises orientales et l’Eglise latine. Elle commence par préciser la nature
et le bien fondé de la messe, d’institution divine par le Seigneur lui-même comme symbole
devant perpétuer le sacrifice sanglant de la croix : bien que le Christ « dût une fois s’offrir lui-
même à Dieu son Père, … néanmoins, parce que son sacerdoce ne devait pas être éteint par la
mort, pour laisser à l’Église, sa chère épouse, un sacrifice visible… par lequel ce sacrifice
sanglant, qui devait s’accomplir une fois en la croix, fût représenté, la mémoire en fût
onservée jusqu’à la fin des siècles, et la vertu si salutaire en fût appliquée pour la rémission
des péchés que nous commettons tous les jours »325. Ceci répondait aux thèses luthériennes ne
considérant la messe que comme un mémorial et non l’actualisation ou la répétition du
sacrifice du Christ, subi une seule fois pour toutes, rejetant la pratique des eucharisties
fréquentes, rejetant la doctrine qui attribue à la participation à la messe des grâces et des
bénédictions. Bien plus, le Concile réaffirme le caractère propitiatoire de la messe, qui fait
qu’elle est dite pour l’expiation des péchés et pour le salut des vivants mais aussi des morts,
en particulier, ceux du purgatoire : « le sacrifice visible de la messe est propitiatoire pour les
vivants et les morts » ; « conformément à la tradition des apôtres, elle est offerte, non seulement
pour les péchés, les peines, les satisfactions et les autres nécessités des fidèles qui sont encore vivants,
mais aussi pour ceux qui sont morts en Jésus-Christ, et qui ne sont pas encore entièrement purifiés. »
(Décret « Exposition de la doctrine touchant le sacrifice de la Messe », chapitre II).
En fait, le concile entérine, légitime et impose toutes les pratiques et tous les rites
liturgiques qui étaient mis en place au cours des siècles précédents, que nous avons vus
s’introduire, parfois subrepticement, par improvisation ou par hasard. Non seulement les
messes dites en l’honneur des saints, les messes où seul le prêtre communie, pour la raison
qu’elles sont dites par un ministre public de l’Eglise, s’il communie seul sacramentellement
325
Décret de la XXIIe session sur l’Exposition de la doctrine touchant le sacrifice de la sainte messe chapitre
premier « De l’institution du sacrifice de la messe ».
131
les fidèles communient spirituellement et parce que le prêtre célèbre non seulement pour lui
mais aussi pour tous. Le concile justifie et légitime les pratiques comme « prononcer à la messe
des choses à basse voix, d’autres d’un ton plus haut, et a introduit des cérémonies, comme les
bénédictions mystiques, les lumières, les encensements, les ornements, et plusieurs autres choses
pareilles, … ». La raison en est que « la nature de l’homme étant telle qu’il ne peut… sans quelque
secours extérieur s’élever à la méditation des choses divines, … l’Église, comme une bonne mère, a
établi certains usages, … suivant la discipline et la tradition des apôtres, et pour rendre par là plus
recommandable la majesté d’un si grand sacrifice, et pour exciter les esprits des fidèles par ces signes
sensibles de piété et de religion à la contemplation des grandes choses qui sont cachées dans ce
sacrifice. » (chapitre V). L’argumentation utilisée pour justifier l’imposition du latin comme
langue liturgique est assez surprenante : « Quoique la messe contienne de grandes instructions
pour les fidèles, il n’a pourtant pas été jugé à propos par les anciens Pères qu’elle fût célébrée partout
en langue vulgaire. » Mais, le concile invite les prêtres à expliquer la Parole, ordonnant que
« souvent au milieu de la célébration de la messe ils expliquent eux-mêmes, ou fassent expliquer par
d’autres, quelque chose de ce qui se lit à la messe, … surtout les jours de dimanches et de fêtes. » Un
tel laconisme et ce peu de souci de véritablement justifier la doctrine détonnent à une période
où, non seulement les Réformés ont abondamment argumenté l’option des langues locales,
mais aussi jusqu’au sein du concile, y compris parmi les Romains et les Italiens, des voies
s’exprimaient pour une telle solution. De plus, l’un des canons rattachés à ce décret condamne
et réprime la contestation de ces pratiques et rites : « Si quelqu’un dit, que l’usage de l’Eglise
Romaine de prononcer à basse voix une partie du Canon, & les paroles de la Consécration, doit estre
condamné : Ou que la Messe ne doit estre célébrée qu’en langue vulgaire : Ou qu’on ne doit point
mesler d’eau avec le vin qui doit estre offert dans le Calice, parce que c’est contre l’institution de
Jesus-Christ : Qu’il soit Anathême. » (Canon IX).
Par ailleurs, lorsque pour les Réformés, les Ecritures, lecture et prédication de la
Parole, constituaient le cœur de la célébration, elles ne sont abordées que « souvent », comme
un appendice, juste pour « expliquer quelque chose de ce qui se lit à la messe ». De fait, c’est
une divergence fondamentale, d’autant plus qu’à la différence des Réformés, l’accès à
l’Ecriture n’est pas libre et que celle-ci est traduite, expliquée et interprétée par l’Eglise, le
Magistère et la Tradition. A cet égard, c’est une caractéristique du Concile de Trente que
d’établir cette sorte de filtre clérical entre les fidèles et les choses sacrées326, monopole du
sacerdoce sacramentel ordonné, alors que le concile, par l’emploi exclusif du latin, avait
326
TALLON, Alain, op.cit., p.63.
132
« tendu un voile entre l’autel et la nef », voile que ne pouvait percer qu’une bonne prédication
du prêtre, chose de plus en plus rare327.
Ce rôle spécifique du prêtre est également réaffirmé en ce qui concerne non seulement
l’administration mais aussi l’efficacité des sacrements. Il ne s’agit pas seulement de la
conception septénaire des sacrements, eucharistie, baptême, pénitence, ordre, confirmation,
mariage et extrême-onction, là où les Réformés n’en retiennent en fait que deux (baptême et
eucharistie). Mais, en plus, la multiplication des sacrements accroît le rôle de celui qui,
naturellement, en est chargé, le ministre ordonné, tandis que, de ce fait d’être l’œuvre du
prêtre, le sacrement opère de lui-même et en a son efficacité spirituelle (ex opere operato),
indépendamment de l’attitude ou des dispositions spirituelles et internes, c’est-à-dire de la foi,
de celui qui le reçoit, on pourrait même dire de celui qui l’administre. Différents canons
relatifs aux sacrements réfutent diverses opinions « protestantes » sur les sacrements et
réaffirment la doctrine traditionnelle de l’Eglise catholique :
« Si quelqu’un dit, que les Sacrements n’ont esté instituez que pour entretenir seulement la
Foy : Qu’il soit Anathême. » (Canon V) ; « Si quelqu’un dit, que les Sacrements de la nouvelle
Loy, ne contiennent pas la Grace qu’ils signifient ; Ou qu’ils ne conférent pas cette Grace à
ceux qui n’y mettent point d’obstacle ; comme s’ils estoient seulement des signes extérieurs de
la Justice ou de la Grace qui a esté receûë par la Foy, ou de simples marques de distinction de
la Religion Chrestienne, par lesquelles on reconnoist dans le monde les Fidelles d’avec les
Infidelles : Qu’il soit Anathême. » (Canon VI) ; « Si quelqu’un dit, que la Grace, quant à ce qui
est de la part de Dieu, n’est pas donnée toûjours, & à tous, par ces Sacrements, encore qu’ils
soient receûs avec toutes les conditions requises ; mais que cette Grace n’est donnée que
quelquefois, & à quelques-uns : Qu’il soit Anathême. » (Canon VII)
et, surtout :
« Si quelqu’un dit, que par les mesmes Sacrements de la nouvelle Loy, la Grace n’est pas
conférée par la vertu & la force qu’ils contiennent ; mais que la seule Foy aux promesses de
Dieu suffit, pour obtenir la Grace : Qu’il soit Anathème. » (Canon VIII)328.
Tandis que, pour les Réformés, c’est cette foi qui est à la base de l’effet du sacrement,
baptême ou eucharistie ; d’où, dans la majorité des mouvances « protestantes », l’acceptation
du seul baptême des adultes, capables d’exprimer leur foi, et le rejet de la doctrine selon
laquelle l’eucharistie soit, en elle-même, source de grâce, de bénédictions et de salut.
327
BOTTE, Bernard., Le mouvement liturgique – Témoignages et souvenirs, Paris, Ed. Desclée, 1973, p. 16.
328
http://www.catholic.pf/concile_de_trente.htm ; souligné par nous.
133
Par ailleurs, le Concile consacre la pratique qui s’était répandue au Moyen Age de ne
plus donner la communion que sous une seule espèce. Il appuie son argumentation sur le
discours dans lequel Jésus recommande que l’on mange son corps et boive son sang, mais où
il dit également que celui qui mange son corps, ou le pain qu’il donne, vivra éternellement329,
ainsi que sur « le jugement et l’usage de l’Eglise elle-même », « déclare et prononce » que
« les Laïques, ni les Ecclésiastiques, quand ils ne consacrent pas, ne sont tenus par aucun
précepte divin, de recevoir le Sacrement de l’Eucharistie sous les deux Espèces ; & qu’on ne
peut en aucune manière douter, sans blesser la Foy, que la Communion sous l’une des Espèces
ne soit suffisante à salut. Car quoy-que Nostre Seigneur Jesus-Christ, dans la derniere Cène,
ait institué, & donné aux Apôtres ce Vénérable Sacrement, sous les Espèces du pain & du vin
(Matth. 26. 26. I Cor. 11. 24.) ; néanmoins, pour l’avoir institué, & donné de la sorte, ce n’est
pas à dire que tous les fidèles Chrestiens soient tenus & obligez, comme par Ordonnance de
Nostre Seigneur, à recevoir l’une & l’autre Espèce. »
« il faut [néanmoins] confesser, que sous l’une des deux Espèces on reçoit Jesus-Christ tout
entier, & le véritable Sacrement ; & qu’ainsi ceux qui ne reçoivent qu’une des Espèces, ne
sont privez, quant à l’effet, d’aucune grâce nécessaire à salut. »
« Si quelqu’un nie, que Jesus-Christ, l’auteur & la source de toutes les Grâces, soit receû tout
entier sous la seule espece du pain ; à cause, comme quelques-uns soustiennent faussement,
qu’il n’est pas receû, conformément à l’institution de Jesus-Christ mesme, sous l’une & l’autre
Espèce : Qu’il soit Anathème. » (Canon III)
Une telle doctrine eucharistique a eu, après le Concile de Trente, pour effet d’aggraver
la crise de la communion manifestée par l’éloignement de nombreux fidèles de la sainte
329
Jn 6,51b
134
330
RATZINGER (Card.), Joseph, La célébration de la foi, Paris, Ed. Téqui, 2003, p. 84.
135
sanctifies Marie) », « toi seul est Seigneur » (toi qui gouvernes Marie) », « toi seul es le Très-
Haut (toi qui couronnes Marie) »]331.
Avec Trente, il ne s’est donc pas tant agi d’une véritable réforme que d’une reprise en
mains, une remise en ordre de pratiques disparates qui s’étaient imposées çà et là, dans le but
d’uniformiser la célébration catholique. En effet, la publication du premier missel romain en
1474 n’avait pas mis fin, pas plus que ne l’avaient fait les ordines romains antérieurs, à
l’existence de plusieurs rites particuliers, conventuels ou régionaux ; l’ambition du Concile en
cette matière était donc d’amener tous les catholiques à célébrer partout la même foi de la
même manière. C’est pourquoi la bulle Qui primum tempore qui promulgue le missel
tridentin, prescrit qu’il sera rapidement publié afin
« que les prêtres sachent quelles prières ils doivent utiliser, quels sont les rites et quelles sont
les cérémonies qu’ils doivent conserver dorénavant dans la célébration des messes : pour
que tous accueillent partout et observent ce qui leur a été transmis par L’Eglise
Romaine […], et pour que par la suite et dans les temps à venir dans toutes les églises,
patriarcales, collégiales, paroissiales de toutes les provinces de la Chrétienté,
séculières ou de n’importe quels Ordres monastiques, […] et dans les églises et
chapelles sans charge d’âmes dans lesquelles la célébration de la messe conventuelle
[…] on ne chante ou ne récite d’autres formules que celle conforme au Missel que
Nous avons publié, même si ces mêmes églises ont obtenu une dispense quelconque,
par un indult du Siège Apostolique, par le fait d’une coutume, d’un privilège ou même
d’un serment, ou par confirmation apostolique, ou sont dotées d’autres permissions
quelconques ».
Le Missel étant fixé « à perpétuité », avec une certaine lourdeur, le pape insiste, disant
que tous, quel que soit leur grade, titre ou préséance, « devront, […], abandonner à l’avenir et
rejeter entièrement tous les autres principes et rites, si anciens fussent-ils, provenant des autres
missels dont ils avaient jusqu’ici l’habitude de se servir , et qu’ils devront chanter ou dire la
Messe suivant le rite, la manière et la règle que Nous enseignons par ce Missel et qu’ils ne
331
LORET, Pierre, op.cit., p.129.
332
JUNGMANN, Joseph-Andrea, MS I, op.cit. pp. 177-178.
136
ou, encore :
« Quand il (le diacre) fait bénir l’encens, il reçoit premièrement de la main droite la
navette, et la mettant dans la main gauche, il présente de la main droite au célébrant la
cuiller qu’il baise par le bot que le célébrant va prendre et puis sa main. Il dit, la tête
inclinée : Benedicite, pater reverende, ensuite ayant reçu la cuiller avec les baisers
ordinaires, il rend la navette, avec la cuiller dedans, … » 334.
Mais, vraiment, quel rapport encore avec la messe instituée par le Christ ?
En réalité, la décision ne fut pas si absolue ni le missel si immuable que le disent ces
termes péremptoires. En effet, la bulle elle-même contenait une exception de taille, en
333
CABIE, Robert, Histoire de la messe des origines à nos jours, op.cit., p.93.
334
BOISSONNET (Abbé) Victor-Daniel, Dictionnaire alphabético-méthodique des cérémonies et des rites
sacrés, dans L’Encyclopédie Théologique, de M. l’Abbé MIGNE, 1647, tome 15-17, spécialement Tome 15, col.
1098, Numérisation Google.
137
prévoyant une sorte d’indult général, en indiquant que l’interdiction vaut pour toutes les
églises et pour tous les rites « à moins que depuis la première institution approuvée par le Siège
Apostolique ou depuis que s’est établie la coutume, et que cette dernière ou l’institution elle-même
aient été observées sans interruption dans ces mêmes églises par la célébration de messes pendant plus
de deux cents ans. » ; l’exception étant introduite sous l’influence de Charles Borromée,
archevêque de Milan qui tenait à préserver le rite ambrosien de Milan. Cette disposition
profita à plusieurs églises et ordres qui avaient établi leur coutume depuis le XIVe siècle. Par
ailleurs, bien qu’il fût institué « à perpétuité », le Missel de Pie V connut plusieurs adaptations
locales.
335
Ainsi, en 1661, Alexandre VII condamna une traduction française du Missel et interdit toute traduction
ultérieure, v. LORET, Pierre, op.cit., p.140.
336
JUNGMANN, MS I, op.cit. pp. 190-192.
337
JUNGMANN, op.cit., p.187.
138
que, comme on l’a vu, l’absence de communion au cours de la messe était devenue la règle,
etc.
D’un autre côté, jusqu’à la moitié du XIXe siècle, le missel de Pie V fut abandonné
dans maints diocèses français se dotant de livres propres qu’on a appelés « néogallicans »338,
avec un plus grand nombre de choix des lectures bibliques, avec certaines prières tirées des
anciens sacramentaires récemment découverts ou spécialement élaborés. L’Eglise dût elle-
même introduire des innovations, parfois de simples correctifs, pour éliminer de nombreuses
fautes d’impression ou des fautes de traduction ou changer des hymnes ou des rubriques. Plus
substantiellement, on peut citer la réforme de Pie X qui favorisa la communion des fidèles et,
plus près de nous, depuis ce pape, celles réalisées au cours du XXe siècle et que nous
exposerons plus loin.
338
Robert CABIE estime que cette appellation est incorrecte, « car ils n’ont rien à voir avec l’ancienne tradition
des Gaules et demeurent fidèles à l’ordonnance de la messe romaine », in Historie de la messe des origines à nos
jours, op.cit., p.101.
339
Adapté de FRANCOIS DE SALES, Introduction à la vie dévote, 3e éd., 1610, cité par CABIE, Robert,
Histoire de la messe des origines à nos jours, op.cit., p. 97.
139
III
340
ROUET, Albert, La messe dans l’histoire, Paris, Ed. Cerf, 1979, p. 89.
341
GY, Pierre-Marie, La liturgie dans l’histoire, Paris, Ed. Cerf-Saint Paul, 1990, p. 59.
140
Certains acquis de la liturgie relève du fait fortuit ou simplemnt, à cette période où tout
n’était pas encore fixé dans des formulaires, de l’improvisation à laquelle des célébrants
étaient contraints pour remplir des vides, ces pratiques s’étant consolidées par la force de
l’habitude (I et II), tandis que d’autres sont des manifestations de la dévotion populaire
entérinée par la hiérarchie (III).
C’est également « par hasard » que s’est imposée la position du célébrant face ou dos
au peuple. En effet, lorsque la célébration eucharistique mettait l’accent sur le « repas », ainsi
que conçu aux premiers siècles de la liturgie chrétienne, « celui qui préside » est sans doute
autour de la table avec les autres « convives », cela durera jusqu’au moment où l’assistance
devient nombreuse lorsqu’alors la table se détache du public mais pour lui faire face de telle
sorte que le président regarde vers le peuple. Mais, l’on se mit à faire comme beaucoup de
religions en regardant dans une direction donnée pour prier, en particulier vers le centre
chrétien qu’était Jérusalem ; à la suite de cet usage courant en Orient dès les premiers siècles,
beaucoup d’églises occidentales adoptèrent à leur tour le chevet tourné vers l’Orient, les
fidèles mais aussi le prêtre regardaient donc vers l’Orient et tous regardant dans la même
direction, le prêtre, avec un autel tourné lui aussi vers l’Est, devait forcément tourner le dos au
peuple. La liturgie romaine ne ralliera cette pratique fortuite qu’au moment où elle la
découvre dans ses contacts avec la Gaule où, à l’époque carolingienne, elle était déjà
141
connue342. En conséquence, comme le dit Jungmann, « L’autel fut placé loin au fond de
l’abside et contre le mur »343. Remarquons qu’avant ces changements, dans la liturgie
romaine, de tout temps le prêtre priait tourné vers l’Est, mais dans des églises dont le chevet
était à l’Ouest, de telle sorte que le prêtre romain était face à l’assemblée, jusqu’au moment
où Rome s’est inexplicablement laissée contaminer par cette coutume venue de la Gaule.
Nous pouvons retenir deux autres facteurs, n’ayant aucune valeur théologique ni aucun
sens liturgique originel, mais qui, s’imposant également comme fruit du « hasard », ont
particulièrement pesé sur l’évolution de la liturgie chrétienne : l’improvisation et la dévotion
populaire.
III.I.II L’improvisation
342
CABIE, Robert, op.cit,, p. 59.
343
JUNGMANN, MS, p.116.
344
Les différents rites liturgiques, par un Moine de Fontgombault, La Nef n° 108-janvier 2001. La Nef se
présente comme un « journal », « mensuel », « catholique » et « indépendant » paraissant depuis décembre 1990,
qui clame « sa totale fidélité à l’Eglise enseignante et au pape Benoît XVI qui la gouverne » ; elle dispose d’un
site internet : www.lanef.net
142
célébrations liturgiques. Jusqu’au milieu du IVe siècle, c’est l’improvisation qui est de règle,
à l’intérieur d’un schéma fondamental que lui fournit la tradition, le célébrant a la liberté
d’inventer le texte de sa prière et, dans une mesure plus ou moins grande, d’organiser les rites.
Ceci s’applique d’abord à la célébration liturgique » 345. Quant à Albert Rouet, il considère
qu’il ne faut pas faire l’histoire de la messe « comme si elle s’édifiait étape par étape vers un
sommet prévu par quelque architecte secrètement informé de l’avenir »346
Cette réalité qu’il n’existait pas un plan préconçu ni, à l’origine, des prières élaborées
imposées aux célébrants, est abondamment confirmée par Justin dans sa Première Apologie.
En effet, à part la relation précise des paroles de l’institution, dans le respect de la tradition de
Jésus lui-même transmise par les apôtres, saint Justin ne donne de manière précise aucune
prière ni aucun rite ni, même, aucun modèle de prière : partout, y compris là où l’on place
habituellement la « prière eucharistique », ses formules de l’Apologie suggèrent une liberté
presque totale de celui qui préside :
-Quand on apporte du pain, vin et de l’eau, celui qui préside « les prend et il exprime
louange et gloire au Père de l’univers […] et il fait une action de grâces abondamment »
-« Celui qui préside ayant rendu grâces et tout le peuple ayant acclamé », les diacres
« donnent à chacun des assistants une part du pain eucharistié et du vin et de l’eau… »
(rapporté à l’occasion de la réception d’un nouveau baptisé)
-« lorsque nous nous arrêtons de prier, du pain est apporté, […] et celui qui préside adresse
des prières et des actions de grâces autant qu’il a des forces (ou autant qu’il peut) et le
peuple répond Amen »
On peut donc dire que, jusque, au moins, à l’époque de Justin (milieu du IIe siècle),
l’improvisation est réellement de règle, laissant à celui qui préside une très grande marge de
liberté et de créativité. Bien que certaines choses se soient précisées par la suite (le jour de
l’assemblée, la structure minimale d’organisation où l’on voit émerger des ministères, celui de
la présidence et ceux des services, le diaconat, les deux parties principales du culte, la parole
et l’eucharistie), l’improvisation des prières, notamment, y compris de la prière eucharistique
comme vient de l’indiquer St Justin, va subsister jusqu’aux Ve-VIe siècles. Ceci, on l’a vu,
aura comme conséquence l’extrême diversité des pratiques liturgiques et, même, des liturgies.
A cet égard, malgré le progrès qui se réalise à partir de ce temps, en particulier au IIIe
siècle, où nous trouvons la Tradition apostolique d’Hyppolite, qui nous fournit un premier
345
Dom CABROL, DTC, Messe, p. 1348, col. 2, et JOUNEL, CATH., Liturgie, p. 865, cités par LORET, Pierre,
op.cit., p.57.
346
ROUET, Albert, La messe dans l’histoire, Paris, Ed. du Cerf, 1979, p. 90.
143
document qui, même s’il n’est pas un canon officiel, est un témoignage important à la manière
d’un règlement d’une célébration, il n’y a pas encore de véritable canon. On peut affirmer
que, jusque là (IIIe siècle), « on en est encore à la période de libre composition », comme
l’affirme le Père Bernard Botte dont les études sur la Tradition apostolique et sur son auteur
Hyppolite de Rome font autorité, qui estime que « ne fût-ce que dans les formules de prières »
« la Tradition contient certainement une part d’intervention personnelle de son auteur »347.
Nous le savons, on ne parle de l’apparition d’un véritable canon romain qu’à partir de
Grégoire le Grand, au VIe siècle, même si les papes antérieurs (Pélage, Innocent, par
exemple) ont chacun apporté leur pièce à ce puzzle qui prend forme sous Grégoire en tant que
canon romain. Avant cette période, en effet, et même encore après, toute l’histoire de la
liturgie est marquée par des incertitudes sur l’origine et les formules de nombreuses prières,
sur certains rites et gestes au cours de la messe, sur l’endroit où est située telle prière ; nous
avons pu le constater en ce qui concerne, entre autres, la prière des fidèles ou prière
universelle ou , le baiser de paix, et les différentes prières d’intercession etc.
Certains actes ou faits liturgiques ne trouvent pas toujours leur explication dans une
histoire liturgique ordonnée ni dans une exigence liturgique d’origine théologique ou biblique
ni, même, dans une volonté affirmée ou imposée par la hiérarchie, mais dans la vie de la
liturgie telle qu’elle est vécue ou ressentie par les fidèles.
347
BOTTE, Bernard, Hyppolite de Rome - La Tradition apostolique d’après les anciennes versions, op.cit., p.
XVI.
144
Or, sans avoir remarqué avec précision à quel moment cela s’est produit, on a
néanmoins constaté la messe s’éloigner du modèle romain, encore en vigueur au VIIe, d’une
célébration communautaire où le président intervient et intercède pour toute la communauté,
prie à haute voix pour être entendu de tous. Mais, à partir du IXe siècle, le prêtre a commencé
à dire nombre de prières à voix basse, tandis que, à partir de cela, de nombreuses prières,
souvent personnelles comme les apologies, s’enchaînaient sans plus être entendues, acclamées
ou conclues par le peuple. C’est, en particulier, le cas tout au long du canon, de la préface à la
doxologie, où, même dans les messes chantées, tel le grand prêtre de l’Ancien Testament
entrant seul au sanctuaire, ainsi que le disent certains manuscrits, « Seul le pontife entre dans
le Canon, à voix basse »348 ; dès lors, il commence à régner un silence impressionnant dans
l’église, interrompu uniquement par le chant du Sanctus.
348
CABIE, Robert, op.cit., p.58.
349
LORET, Pierre, op.cit., p.103.
145
dire du simple peuple ? Pendant ce temps, les fidèles s’occupaient comme ils le pouvaient, les
mieux inspirés lisant des livres de prières et de piété ou, plus tard, priant leur chapelet.
Le plus grave, c’est que certains dirigeants de l’Eglise tentaient de justifier ces
attitudes et gestes mystérieux, en publiant des commentaires allégoriques à l’adresse des
fidèles, sans doute dans une optique pastorale et catéchétique malheureusement infantilisante
(voir en annexe, des extraits d’une de ces allégories).
Ce rite, tel que nous l’avons décrit plus haut, restera longtemps inchangé même si le
texte du canon romain subit des modifications ; c’est en général un rite simple où la
génuflexion elle-même est inconnue jusqu’à la fin du XVe siècle (dans le missel romain, en
1498)350. Mais, au XIIe siècle, une excroissance intervient, par l’élévation de l’hostie, facilitée
par le remplacement du pain ordinaire par l’hostie, suivie plus tard de l’élévation du calice351.
Ce geste qui n’existait pas dans la liturgie primitive au moment du rappel de l’institution, peut
sembler avoir une justification dogmatique ou, même pastorale, celle d’aider les fidèles à
consolider leur foi. On encouragera cette pratique, notamment pour contrer les erreurs de
Bérenger qui remettait en cause la présence réelle du Christ sous les espèces, en
accompagnant les paroles de l’institution, dites d’une manière peu audible, d’un geste visible.
Le concile de Paris du début du XIIIe siècle (en 1210) indiquera que l’élévation ne doit pas
être précipitée mais ne doit intervenir que lorsque le prêtre aura terminé de dire « Ceci est
mon corps » (Hoc est corpus meum), qu’elle doit être faite suffisamment haut pour que les
350
NOCENT, Adrien, op.cit., p.157.
351
Ibid., p.74.
146
fidèles puissent bien voir et vénérer le Christ présent dans l’hostie352. En 1287, un évêque
prescrira que l’hostie soit « élevée assez haut pour pouvoir être vue de tous les assistants »
car, ainsi, « leur dévotion en est accrue et le mérite de leur foi. On devra exhorter les
paroissiens à ne pas se contenter d’une inclination trop peu respectueuse au moment de
l’élévation du Christ, mais à se mettre à genoux et à adorer…On les y invitera auparavant en
agitant une clochette, et à l’élévation on frappera trois coups de la grande cloche »353.
Mais, ce geste est-il compris dans ce sens par les fidèles ? En réalité, l’élévation a été
suscitée par une dévotion populaire libre et spontanée. De fait, après toute la série de gestes,
de paroles et de prières que le prêtre fait et dit seul et à voix basse, comme nous l’avons vu,
tout au long du canon, tandis que le prêtre n’est plus « celui qui préside » mais devient le
« célébrant » unique, le peuple ne suit plus rien, il regarde, inactif et spectateur, son attention
va se réveiller avec le chant du Sanctus et la consécration. Or, les paroles de l’institution
finissant, elles aussi, par être chuchotées et, ainsi, soit que le prêtre en ait pris lui-même
l’initiative soit que les fidèles l’aient réclamé, le célébrant prend l’habitude de lever quelque
peu les espèces sanctifiées ; alors qu’à l’époque on communie peu, les fidèles ont envie, au
moins, de voir le corps et le sang du Christ. Toute une ritualisation va se faire : avec le coup
de clochette qui annonce l’élévation pour attirer l’attention, et la grande cloche qui salue trois
fois le Seigneur élevé ; ou encore, en vue de mieux mettre en lumière l’hostie à la vue des
fidèles, on allume des torches lors des messes trop matinales où subsiste encore de l’obscurité,
ou on installe une machinerie actionnée pour élever une tenture sombre derrière l’autel afin
que la blancheur de l’hostie soit vraiment en lumière et en soit encore plus éclatante. En dépit
de l’avantage pastoral de cette pratique, à cause de cela encouragée par l’Eglise, on peut
craindre le risque d’une conception « mécaniciste » de la part des fidèles, le risque, de la part
de l’Eglise, « de donner prise à une compréhension fausse d’une eucharistie magique comme
sont tentés de se l’imaginer les fidèles simples, avides de merveilleux plus que d’une vie
chrétienne sans éclat mais quotidiennement austère »354. Robert Cabié355 raconte le
commentaire moqueur d’un protestant qui dit avoir entendu, lors de l’élévation à une messe
catholique, des fidèles estimant que le prêtre avait seulement esquissé le geste sans aller assez
haut, lui crier « Plus haut Maître Jean, plus haut ! ». L’élévation, en rendant en quelque sorte
sensible l’effet des paroles de consécration, eut une telle importance aux yeux des fidèles
qu’elle leur semblât un substrat acceptable et suffisant de la communion dorénavant
352
LORET, Pierre, op.cit., p. 115.
353
Reproduit par Robert CABIE, op.cit., p.70.
354
NOCENT, Adrien, op.cit, p. 74.
355
CABIE, Robert, op.cit., p. 72, Pierre LORET rapporte la même anecdote, op.cit., p.116.
147
dangereuse à cause de l’état de péché, encouragés par des théologiens qui, sans craindre de se
contredire, affirment que certes la vue de l’hostie au cours de l’élévation n’est pas un
sacrement mais qu’il y a là une « mastication par la vue »356. Voilà un rite d’adoration qui a
pour effet d’éloigner nombre de chrétiens du sacrement, expliquant ce phénomène de baisse
de la fréquentation de la communion que tous les efforts de l’Eglise, y compris la réduction de
l’obligation à la seule communion pascale, n’endigueront pas.
Par ailleurs, cette élévation, même si elle se place avant la doxologie du Per Ipsum,
fait double emploi avec une « petite élévation » faite à cet endroit et qui existait déjà bien
avant l’élévation opérée au cours de la consécration. La vue de l’hostie s’est accompagnée de
véritables croyances superstitieuses, la vue est considérée comme la source de grâces
spirituelles particulières et, même, de secours miraculeux dans le domaine temporel et dans la
vie quotidienne, en certains endroits on croit fermement que « la vie des chrétiens est
prolongée d’autant de minutes que l’on a passées à regarder le Corps du Christ ». Bientôt, on
voit des chrétiens quitter la messe aussitôt après l’élévation pour mieux conserver les grâces
ainsi obtenues à la vue de l’hostie ou, au contraire, exiger que l’hostie soit élevée pendant de
longues minutes, qu’elle soit placée dans un ostensoir, une sorte de reliquaire, au-dessus de
l’autel pour qu’elle soit bien visible pendant toute la messe... Tandis qu’il se développe une
pratique qui va s’avérer très favorable à ce phénomène : la multiplication de messes privées,
celles que font les différents prêtres de la paroisse chaque jour aux autels « secondaires »
disséminés dans des alvéoles creusées dans les nefs latérales des grandes églises et autres
cathédrales, les chrétiens courant plusieurs de ces messes par jour pour profiter et bénéficier
du plus grand nombre possible d’élévations et, ainsi, accumuler les grâces357. C’est que, aux
XIVe-XVe siècles, des récits sensationnels sont faits sur de prétendus miracles constatés, ces
hosties qui saignent, l’enfant Jésus apparaissant soit dans les mains du célébrant soit les pieds
dans le calice, etc.
Toutes ces pratiques eurent un effet imprévu, celui de sortir la dévotion hors la messe
et de la déplacer vers d’autres formes de culte, en particulier le culte du Saint-Sacrement,
lequel prendra diverses formes : exposition, processions, celle de la fête du Corpus Christi
(instituée en 1264 par Urbain V), dite alors Fête-Dieu. La dévotion, recherchée pour elle-
même, va connaître des dérives vers un culte exacerbé des saints, d’abord Notre-Dame,
devenus des intermédiaires entre Dieu et les fidèles, dans une sorte d’oubli de la médiation du
356
BASCHET, Jérôme, op.cit., p.341.
357
Ces superstitions, et d’autres encore, sont présentées par Robert CABIE, op.cit., pp. 73-75.
148
Christ alors que la formule de dévotion mariale populaire « A Jésus par Marie » se substitue à
celle, à la fois traditionnelle, théologique et populaire de « Au Père par le Fils »358.
Tout indique que ce ne serait pas un anachronisme d’utiliser, au-delà d’une adaptation
culturelle, d’ores et déjà le vocable « inculturation » ; ce néo-logisme n’en représente pas
moins la réalité du phénomène qui s’est alors produit lors de la rencontre du christianisme et
de sa liturgie avec les cultures occidentales.
Il y a, en effet, une relation nécessaire entre liturgie et culture. C’est que, la liturgie,
dans ses formes et même dans ses structures, est tributaire de cultures dans lesquelles elles
apparaissent et se meuvent, tandis qu’elle peut agir sur une culture et en devenir un élément
soit dans sa consolidation soit dans sa mutation359. De fait, si au cours de l’histoire, la liturgie
et la culture peuvent connaître une évolution parfois divergente, la racine ou, même, l’origine
commune de “culte” dans le sens de liturgie et rites et “cultura” en tant que formation ou
création et entretien de la créativité spirituelle de l’homme, explique que dans nombre de
civilisations anciennes tout comme dans celles dites « primitives », les deux étaient
indissolublement liés, avec, même, des expressions extérieures identiques.
C’est de cette manière que nous avons vu la liturgie chrétienne d’abord enracinée dans
la tradition culturelle et cultuelle juive, faisant ainsi partie de la tradition culturelle juive,
hébraïque. Le Christ n’a pas inventé un nouveau cadre pour sa « nouvelle » religion, lui qui
n’était pas venu pour abolir mais pour parfaire (ou accomplir)360. En effet, on peut constater
que le christianisme lui-même n’a pas pu se détacher de son vivier naturel qu’a été le
judaïsme. De ce point de vue, au contraire, le christianisme dérive du contexte culturel juif, il
358
Voir, dans ce sens, CABIE, Robert, L’histoire de la messe des origines à nos jours, op.cit., p. 75.
359
Dans ce sens, VEILLEUX, Armand, « La liturgie dans la vie du peuple de Dieu », La vie des communautés
religieuses, 36, Montréal, 1978, pp. 22-30.
360
Mt 5, 17.
149
s’est franchement inscrit dans le judaïsme dans lequel il a puisé nombre de ses éléments (ses
sources scripturaires, des notions importantes comme celle de « bénédiction », sacrifice,
expiation et propitiation, son vocabulaire et ses pratiques liturgiques et rituelles, le style oral
et figuré du monde juif (paraboles, raisonnement comparatif ou allusif, etc.). Jusqu’aux
prières, notamment les psaumes, mais aussi l’ « oraison dominicale ». On en a une preuve
éclatante, pour cette dernière, la « prière du Seigneur », le « Notre Père » que le Christ,
imprégné de la culture, de la religion et de la spiritualité juives, a lui-même enseigné à ses
disciples : les trois formules de louange et les quatre demandes qui constituent cette prière, y
compris le vocatif « Notre Père qui es(t) aux cieux », se retrouvent, presque mot à mot, dans
diverses prières juives pratiquées au cours du Ier siècle ou dans les dernières années pré-
chrétiennes, soit le Ahavah rabbah (2ème prière avant le Sch’ma), soit le Quaddish, soit dans
les différentes bénédictions, soit dans la prière du matin ou encore dans la liturgie du Yom
Kippour361, même s’il est vrai que les symboles et les représentations n’ont pas le même sens
ou la même signification. Il y a, là, à n’en pas douter, par cette compénétration entre le
christianisme et le judaïsme, une inculturation « naturelle », de bon sens, allant de soi. Il est
évident que, s’il était né en Occident, nul doute que le christianisme eût pris d’autres formes
d’expression euchologique et liturgique.
Mais, d’un autre point de vue, bien que né au cœur du judaïsme, dès ses origines,
l’évangile était destiné à être apporté à toutes les nations de toutes langues et de toutes
cultures, il a une essence et une vocation universelles : Jésus envoie ses disciples en mission
« Allez donc, de toutes les nations faites mes disciples et baptisez-les au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit » (Mt 28,19-20 ) ; tandis que, le jour de Pentecôte, tous ceux qui étaient à
Jérusalem, Juifs, Arabes, Parthes, Mèdes, Elamites, etc., tous entendirent les apôtres leur
annoncer l’évangile dans leur langue (Act.2, 8-11). Dans ce sens, le christianisme est appelé à
« s’inculturer » chez tous les peuples. Bruno Luiselli, professeur de littérature latine, identifie
certaines voies par lesquelles le concept était déjà, bien avant le mot, mis en œuvre au début
du christianisme362. Il explique comment l’apôtre Paul a, sans doute été le premier, sur le
terrain, quand, lors de son « discours de l’Aréopage », pour se faire écouter et faire accueillir
son message, il a parlé aux Athéniens de l’adoption des éléments de leur culture païenne par
le christianisme : lorsqu’il explique que « l’autel au dieu inconnu » que les païens athéniens
ont dédié à un Dieu qu’ils ne connaissaient pas, c’est inconsciemment au vrai Dieu qu’ils
l’ont élevé, il professe donc que des réalités païennes ont été utilisées pour annoncer le
361
POUILLY, Jean, « Dieu notre Père », Cahiers Evangile n°68, Paris, Cerf, 1989.
362
LUISELLI, Bruno, L’inculturation au cours du premier millénaire, www.30giorni.it/fr,
150
christianisme 363. Bruno Luiselli faisant ainsi remonter le concept d’inculturation aux tout
premiers temps du christianisme, déduit de ce verset, « la Bonne Nouvelle est annoncée aux
pauvres » (Matthieu 11 :5), que c’était déjà la proclamation par le Christ de la vocation de
l’évangile à être inculturé. Ce n’est donc pas un hasard que la première béatitude (Mt 5,3) ait
été adressée aux «pauvres en esprit» dont les conditions de vie ne leur permettent pas « de se
montrer arrogants et dogmatiques comme le font ceux qui appartiennent aux classes
économiquement dominantes »364 ; cette béatitude abolit les discriminations sociales, cette
autre forme de racisme.
Ce qui précède montre bien que l’inculturation est une exigence de la « mission » et sa
réalisation va se poursuivre, assurant le succès du christianisme auprès des peuples dont il
intégrait la culture. Ainsi, de son foyer originel, la liturgie chrétienne, s’étendant en Occident,
finira par donner naissance à deux branches, la liturgie « occidentale » se distinguant de
l’orientale. Mais, comme le dit Michel de Guibert365, « dès les premiers siècles de l’Eglise,
encore indivise, les rites liturgiques de la Messe, que l’on appelle en Orient “Divine liturgie”,
se sont diversifiés en plusieurs rites liés aux premiers foyers d’évangélisation par les Apôtres
et aux premiers grands patriarcats (Rome, Alexandrie, Antioche, Jérusalem, puis
Constantinople). Et, indiquant la diversification de la liturgie orientale elle-même, il cite :
-le rite syriaque, né à Antioche et célébré en langue syriaque (araméen occidental), dans les
Eglises syro-jacobite (pré-chalcédonienne) et syriaque catholique, en Syrie ;
-le rite maronite, variante du rite syriaque, célébré en syriaque et en arabe dans l’Eglise
maronite (catholique), au Liban ;
-le rite assyro-chaldéen ou syrien oriental, le plus proche de la liturgie synagogale, célébré en
langue araméenne, dans les Eglises assyrienne (nestorienne) et chaldéenne (catholique), en
Mésopotamie, autour d’Edesse (Irak, Iran, Sud-Est de la Turquie) ; l’extension missionnaire
considérable de cette Eglise a laissé une variante de ce rite, le rite syro-malabar, au Sud-Ouest
de l’Inde (Kérala) ;
-le rite copte, né à Alexandrie et célébré en langue copte (égyptien ancien, du grec aegyptos),
dans les Eglises copte orthodoxe (pré-chalcédonienne) et copte catholique, en Egypte ;
363
Actes des Apôtres, 17, 22-31.
364
LUISELLI, Bruno, L’inculturation au cours du premier millénaire, www.30giorni.it/fr,
365
http://scholsaintmartin.free.fr/fichiers/ritesliturgiques.do
151
-le rite éthiopien, issu du rite copte, avec d’autres apports, et célébré en ghéez (langue
sémitique) dans l’Eglise éthiopienne orthodoxe (pré-chalcédonnienne) ;
-le rite byzantin, de loin le plus répandu des rites orientaux à partir de Constantinople, avec
des influences syro-antiochiennes, célébré en grec à l’origine et toujours en Grèce et à
Chypre, mais aussi en arabe dans les Eglises grecque-orthodoxe et grecque-melkite
(catholique) au Proche Orient (Palestine, Jordanie, Syrie, Liban, Egypte), en slavon (vieux
slave) et dans les langues vernaculaires des Eglises qui ont adopté ce rite en Europe de l’Est
(Russie, Ukraine, Serbie, Bulgarie, Roumanie, Géorgie), qu’elles soient orthodoxes ou gréco-
catholiques (en Ukraine occidentale et en Roumanie) ;le rite arménien, apparenté aux rites
byzantin et syrien, célébré en arménien dans les Eglises arménienne apostolique (pré-
chalcédonienne) et arménienne catholique.
Ainsi, l’histoire constate que la période d’un christianisme purement juif fut très brève,
coïncidant juste avec le temps de l’événement en pays juif du salut chrétien, mort et
résurrection du Christ ; mais après cette première proclamation de la « Bonne Nouvelle »,
celle-ci fut très rapidement portée dans des régions culturelles étrangères à l’ère juive, en
« hellénie » d’abord et en « romanie » ensuite, intégrant ainsi l’ère des civilisations
méditerranéennes avant de se consolider, dans les autres cultures occidentales, de proche en
proche et en commençant par l’Afrique du Nord, l’Espagne, la Gaule et la Germanie. C’est
cette période inaugurée par Paul qui dure depuis et donne la figure réelle du christianisme
dans sa longue histoire368. Ainsi, parti d’Orient, le christianisme s’est étendu à l’Occident, s’y
est implanté, s’y est « inculturé » au point de devenir pratiquement, au regard des autres ères
culturelles et religieuses, une religion ou, la religion, européenne et occidentale, alors même
que, pour parler de la liturgie, elle est arrivée en Occident en y trouvant d’autres cultes,
profondément différents, qu’elle a christianisés en même temps qu’elle en empruntait nombre
366
PEELMAN, Achiel, Les nouveaux défis de l’inculturation, Novalis (Université d’Ottawa) et Lumen Vitae
(Bruxelles), 2007, p. 9.
367
Ibid., p. 11.
368
Dans ce sens, ESCHLIMANN, Jean-Paul, Propos anthropologiques sur l’inculturation, t. 2, Katiola, juillet
1988, p. 17.
153
369
Cité par NDONGALA Maduku, Ignace, Pour des Eglises régionales en Afrique, op.cit., p. 95.
370
GY, Pierre-Marie, La liturgie dans l’histoire, op.cit., p. 60.
371
Ibid.
154
structurellement enracinée dans le culte juif, elle effectue une réinterprétation radicale de
celui-ci »372. Cette réinterprétation participe sans doute, aussi, du processus d’inculturation, de
même que le passage du christianisme judéo-chrétien au christianisme pagano-chrétien.
L’adoption du latin, intervenant dans la liturgie qui est l’un des domaines les plus
visibles du christianisme, est particulièrement représentative de la valeur et de l’utilité de
l’inculturation. L’usage liturgique du latin a, en quelque sorte, fait glisser la langue savante de
Cicéron ou Virgile vers une forme vulgaire, dans le sens de populaire (de vulgus, peuple), afin
de l’adapter aux masses pauvres et illettrées en abaissant le niveau de la pureté du latin pour
en faire une langue populaire et véhiculaire devenue le latin ecclésiastique que les savants
raillaient. Mais il le fallait pour propager la doctrine, car, comme disait Saint Augustin, « Que
nous importe la prétention des grammairiens ? Il vaut mieux que nous fassions des barbarismes et que
vous nous compreniez plutôt que nous parlions avec éloquence et que vous soyez abandonnés par
nous. Il vaut mieux subir les reproches des maîtres de grammaire que de ne pas être compris des
gens ». En donnant cet exemple nous avons tenu à éviter les controverses linguistiques des
savants sur la qualité du latin ecclésiastique ; ce qui ne nous empêche pas de signaler que le
Père Gy démontre, dans les mêmes pages, de quelle manière la liturgie a enrichi la langue
latine en introduisant des concepts liés au culte et représentant des réalités inconnues des
peuples néo-christianisés ou en découvrant de nouveaux sens à des mots de la langue
ordinaire373. Il y a, là, sans aucun doute, une inculturation authentique, y compris dans
l’adaptation de la langue à la « culture » des masses incultes. C’est ce que Jean-Paul II
constate, lui aussi, des conséquences de la méthode « inculturante » de l’évangélisation
utilisée par Cyrille et Méthode dans les milieux slaves, en mettant en exergue l’importance
des traductions des livres et documents liturgiques dans les langues ainsi que l’effet
réciproque, par l’inculturation, entre l’évangile et les cultures locales : « En incarnant
l'Evangile dans la culture autochtone des peuples qu'ils évangélisaient, les saints Cyrille et
Méthode eurent le mérite particulier de former et de développer cette même culture ou, plutôt,
de nombreuses cultures… Par ailleurs, la traduction des Livres saints, réalisée par Cyrille et
Méthode en collaboration avec leurs disciples, conféra une efficience et une dignité culturelle
372
GY, Pierre-Marie, « L’inculturation dans la liturgie romaine ancienne », in Médiations africaines du sacré,
Célébrations créatrices et langage religieux, Actes du troisième Colloque international du CERA, Kinshasa, 16-
22 février 1986, N) spécial Cahiers des Religions Africaines vol. XX-XXI, 1986-1987, Faculté de Théologie
Catholique de Kinshasa, 1987, p. 474.
373
GY, Pierre-Marie, La liturgie dans l’histoire, op.cit., pp. 64-65.
155
à la langue liturgique paléoslave qui devint pour de longs siècles non seulement la langue
ecclésiastique, mais aussi la langue officielle et littéraire »374.
L’utilité de la langue est telle que, lorsque le latin de la vulgus était encore généralisé,
la participation du peuple à la liturgie, là où les textes lui attribuait un rôle, était plus effective
qu’au moment où les langues parlées vernaculaires dérivées du latin acquièrent une plus
grande autonomie et deviennent indépendantes, alors même que la liturgie continuait de se
dérouler en latin. De fait, le phénomène constaté plus haut de la baisse de la participation
active du peuple au cours des messes,, qui ne fait plus qu’écouter et regarder, a coïncidé avec
la diversification des langues parlées, la liturgie (en latin) s’étant alors éloignée de la culture
populaire (dans les langues vulgaires) ; c’est ce qui se reproduira dans les « pays de mission »
dont nous examinerons les pratiques plus loin. Pour y faire face, on prendra l’habitude de
traduire pour les fidèles les homélies au fur et à mesure qu’elles sont prononcées ; mais, lors
du concile de Tours (mai 813), convoqué par Charlemagne, le canon 17, officialisant en
quelque sorte « l’inculturation » de l’homélie, décida que, dans les régions correspondant
alors à la France et à l’Allemagne (domaine de Charlemagne), les homélies ne soient plus
prononcées en latin mais en « rusticam Romanam linguam aut Theodiscam, quo facilius
cuncti possint intellegere quae dicuntur », c’est-à-dire dans la « langue rustique romane » ou
dans la « langue tudesque » ou allemand (en fait la langue romane, le roman, était une sorte
de protofrançais), afin que tous puissent comprendre ce qui se disait. De là, seront
progressivement utilisées notamment les autres langues romanes issues du latin ou les langues
germaniques, etc.
374
Le pape Jean-Paul II, dans l’Encyclique Slavorum Apostoli, du 2 juin 1985, § 21.
156
l’époque avec le christianisme et qu’il fallait remplacer par une fête chrétienne375 ; tandis que
l’Eglise avait voulu christianiser les fêtes païennes du solstice d’été en plaçant à cette période
la Saint Jean-Baptiste qui continue de cohabiter avec les « feux de la Saint Jean », fête
profane que de nombreuses localités célèbrent encore. Ensuite, un seul exemple aussi
concernant le recours à l’art local, en particulier, vers l’an 400, à une représentation des anges
qui emprunte à l’iconographie et à la sculpture païennes de la déesse Victoire376. Mais, la
fixation de la fête de la Nativité eut une importance qui dépassa la liturgie pour concerner la
culture en générale, à cause de son rôle dans la détermination du rythme du cycle liturgique et
finalement du temps dans la société. En effet, on détermina, parfois après d’âpres discussions
d’ordre philosophique, théologique et astronomique, les dates des grandes fêtes christiques
autour desquelles sont organisés les cycles de la liturgie : le cycle de Noël ou de la Nativité
(en gros, de l’Avent à l’Epiphanie), le cycle de Pâques pour la Rédemption (incluant le
carême, jusqu’à la Pentecôte) ; à ces deux cycles principaux on a, pour équilibrer l’année,
ajouté d’autres fêtes, comme celles de la Vierge et des autres saints (par exemple, au VIIIe
siècle on a déplacé la Toussaint de mai à novembre). Mais une autre leçon de l’importance du
« temps liturgique » est à signaler : ce sont les fêtes chrétiennes qui traduisent le calendrier
pratique des médiévaux, on identifie volontiers un jour ou une période par rapport à une fête
plutôt que par la date « civile » (le lendemain de Noël plutôt que le 26 décembre, le lundi de
Pâques plutôt que la date du jour, etc.). En plus de cela, c’est un autre fait remarquable que les
dates des grandes fêtes coïncident avec le rythme naturel ou agricole, le rythme saisonnier des
travaux agricoles (semailles, récoltes ; il fut instauré aux IVe-Ve siècles la liturgie des Quatre-
temps pour sanctifier le début de chacune des quatre saisons, il y a eu les processions et ces
« rogations » de trois jours qui précédaient l’Ascension pour demander la protection et la
bénédiction divines sur les semailles, les cultures et le bétail, …,377. Il en est ainsi de ces fêtes
placées à cette période qui correspond en Europe occidentale aux travaux agricoles et à la
préparation des sols, mais qui, imposées à l’ensemble de la catholicité y compris les pays
tropicaux dont les saisons ne correspondent pas à celles d’Europe, n’ont plus aucun sens. Il
n’est pas, non plus, indifférent que la fête de la Résurrection soit placée depuis le concile de
Nicée, le dimanche qui suit la pleine lune de l’équinoxe de printemps, période où, au Nord,
« toute la nature se met à resurgir », alors que la Pessah juive dont les chrétiens se sont
inspirés a lieu invariablement le 14 de Nisan (ou Nizan), soit le dernier jour avant la pleine
lune qui suit l’équinoxe de printemps, là encore période où en Orient les bergers et les
375
BASCHET, Jérôme, La civilisation féodale – De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, Ed. Aubier,
2004, p. 287.
376
pp. 63-69.
377
BASCHET, Jérôme, op.cit., pp. 286-288.
157
agriculteurs sont en activité intense. Certes, l’Eglise n’avoue pas qu’une telle correspondance
soit délibérée ; cela n’est pas impossible parce que bien souvent la fête chrétienne n’a pas, par
exemple, fait supprimer les célébrations locales « païennes » qui continuent d’avoir lieu
parallèlement à ce rythme religieux, ainsi que cela se remarque dans nombre de villages
gardant encore leurs traditions locales. Cette évocation montre l’imbrication entre la liturgie et
les événements culturels et traditionnels locaux ; il n’est pas certain, c’est même le contraire,
que si l’Eglise avait éclos dans l’hémisphère sud en premier, ces fêtes eussent été fixées de la
même façon.
Il ne faut pas terminer cette évocation du « temps liturgique » sans dire son importance
proprement liturgique en dehors même des fêtes : autour de ce temps, dont la structure est
complète depuis le VIIe siècle, on a organisé « l’année liturgique » ou « le calendrier
liturgique », avec, comme conséquence, le choix de péricopes des lectures bibliques adaptées
à chaque jour de l’année ou relatives à la fête de chaque saint ou propres à chaque solennité
de la chrétienté ; la presque perfection, dans ce domaine, est l’organisation des lectures
adoptée par Vatican II, comme nous le verrons plus loin.
Des spécialistes ont traduit avec pertinence et perspicacité cette vérité que l’apparition
de ce qu’on appelle « Occident » est intimement liée à l’épanouissement du christianisme et
représentait le monde de la chrétienté, autour de Rome, dans une relation d’influences
mutuelles entre cultures locales et christianisme et liturgie chrétienne. Roger Gryson affirme
que « la Bible latine est la matrice de la culture occidentale », une citation que donne le
professeur Paul-Augustin Deproost. Ce dernier, lui-même, met en exergue le rôle spécifique
de la liturgie catholique dans l’apparition du concept « Occident » : « Quant à la liturgie
latine, dont on ne nous offre plus aujourd’hui, hélas, que de trop fréquentes et pâles
contrefaçons, elle est le lieu où sont nés la poésie de l’occident chrétien, sa musique, son
théâtre, et toutes ses formes d’art, sinon même l’essentiel de sa pensée symbolique ; elle a
sublimé le sens tellement romain du spectacle dans la célébration des mystères chrétiens. »378.
Tandis qu’il n’est pas faux d’ajouter que la culture et la morale « occidentales » ont été
façonnées par la doctrine de l’Eglise à coups de décrets et de canons conciliaires et synodaux,
les institutions politiques elles-mêmes étant marquées par non seulement la législation des
souverains chrétiens depuis Constantin, ainsi que par le modèle organisationnel et
hiérarchique ecclésial. De fait, au-delà de la géographie par laquelle nous disons
378
« L’héritage du latin – une culture de l’universel », conférence prononcée lors d’un séminaire de recherche
appliquée de philosophie et lettres sur « L’Europe et la culture des cultures », Louvain-la-Neuve, 26 octobre
1998, http://bcs.fltr.ucl.be/FE/01
158
que « occident » désigne l’ouest, c’est la culture du christianisme latin qui donne le contenu
ayant un sens à ce qui n’était qu’indication d’un point cardinal : de Clovis à Charlemagne et
au Saint empire romain germanique, les évolutions du christianisme romain ont façonné tout
au long du Moyen Age les contours et le contenu de « l’Occident », scellés notamment après
la rupture à double détente avec Byzance (d’abord par le grand schisme d’Orient au XIe siècle
et ensuite lors du sac de Constantinople au XIIIe), faisant coïncider « Occident » avec
« Occident chrétien » et « chrétienté latine ou romaine ». Judicieusement, Hakim Karki et
Edgar Radelet ont donné ce sous-titre à leur excellent ouvrage « L a place de la religion dans
la conceptualisation de la notion d’Occident », et intitulé ainsi sa première partie « Le
christianisme est l’Occident »379.
C’est, ainsi, il semble, avec raison que Bruno Luiselli peut parler d’inculturation, tant
il est vrai que sans être jamais théorisée, l’inculturation fut, de toute évidence et depuis le
début, une nécessité pour la dynamique de cette évangélisation.
Cette évocation était nécessaire pour montrer un aspect de ce qui se remarque comme
l’un des facteurs déterminants de la liturgie, l’adaptation aux coutumes et à la culture des
régions et des peuples, c’est-à-dire l’inculturation. Il faut, en effet, considérer l’importance
« pour chaque peuple et même pour chaque communauté locale de développer sa créativité et
d’inventer une expression liturgique qui traduise fidèlement les modalités de son expérience
du Mystère du Christ »380, tant est vrai le constat que l’inadaptation entre culture et liturgie est
une des explications de l’abandon de la pratique de la liturgie par beaucoup de Chrétiens.
L’opération réussit si bien en Occident qu’elle fut favorisée par des circonstances
historiques, tant « Il est impossible de parler des relations de la liturgie avec la culture sans
parler de ses relations avec la politique », dit Armand Veilleux381. Il s’agit de confirmer que
certaines périodes historiques, par leurs choix ou leurs réalisations ont favorisé la fixation et
l’unification de la liturgie, marquant pour longtemps le culte de l’Eglise catholique. Ainsi,
sans s’arrêter à toutes les réalisations historiques des Etats, on peut épingler que l’engagement
chrétien de certains monarques a eu pour effet de faire adopter ou d’orienter dans un sens
donné des options et des évolutions liturgiques. Il n’est pas indifférent que l’empereur
379
KARKI, Hakim et RADELET, Edgar, Et Dieu créa l’Occident - La place de la religion dans la
conceptualisation de la notion d’Occident, Paris, L’Harmattan, 2001.
380
VEILLEUX, Armand, « La liturgie dans la vie du peuple de Dieu », in La Vie des communautés religieuses,
n° 36, 1978.
381
Ibid..
159
Constantin ait doté l’Eglise d’immenses et magnifiques « basiliques »382, dont, en particulier,
la vaste basilica constantiniana, devenue Saint Jean de Latran, la cathédrale du diocèse de
Rome383. Politique que poursuivra Charlemagne par l’édification de lieux de culte de plus en
plus spacieux et grandioses, dont les dispositions intérieures vont modifier certains usages
liturgiques, les nefs latérales, par exemple, favorisant le système de messes privées et des
messes votives en abritant des autels latéraux où se disaient la majorité de ces messes. De
même, le modèle artistique du Latran va inspirer le gothique dont les manifestations
artistiques (images, statues et architecture intérieure, en particulier) vont décorer les églises et
favoriser le culte des saints384.
Il faut, enfin, montrer l’imbrication entre l’histoire de l’époque avec certains choix et
certaines pratiques liturgiques, spécialement par l’influence de la politique dans le domaine de
la liturgie, les empereurs romains imposant le contenu de la profession de foi chrétienne, le
« Symbole des apôtres », les carolingiens favorisant l’unification de la liturgie385, au profit de
Rome et en vue de jeter les bases de la centralisation de leur pouvoir. Certes, on a pu parler
des coutumes gallicanes ou de rites gallicans, mais il n’y avait point une liturgie gallicane,
chaque célébrant organisant sa messe comme il l’entend à travers improvisations et imitations
à partir de sacramentaires romains que des initiatives privées ont fait venir, mais, il n’y a pas
d’unité liturgique et, même, ces sacramentaires ne se propagent pas facilement par le manque
de copistes et l’ignorance des clercs qui ont fait laisser pourrir ces manuscrits, tandis que fait
défaut l’esprit d’initiative de prélats gallicans talentueux du VIe siècle386. C’est par une
initiative d’autorités temporelles que le pays franc eut connaissance de la liturgie romaine
lorsque le pape Etienne II alla pour le sacre de Pépin le Bref à Saint-Denis (754), le roi fut
impressionné notamment par les fastes de la liturgie papale et le chant. Des copistes envoyés à
Rome ramenèrent des formulaires romains à partir desquels des éléments de cette liturgie sont
utilisés dans les célébrations pendant de nombreuses années, mais sans systématisation. Tout
en préconisant l’adoption du chant romain, le roi se préoccupe d’adapter au goût des
populations locales les trop austères et trop sobres formulaires romains afin de constituer un
sacramentaire franc. De même, Charlemagne réalisera que, sur le plan de la liturgie, l’Eglise
des Gaules est restée « depuis les premiers temps de la foi » unie à l’Eglise de Rome alors
382
LORET, Pierre, op.cit., p. 65.
383
PIETRI, Charles, op.cit., p.206.
384
HUBERT, Jean, PORCHER, Jean et VOLBACH, Wolfgang, L’empire carolingien, Paris, Ed. Gallimard,
1968.
385
LORET, Pierre, La messe du Christ à Jean-Paul II – Brève histoire de la liturgie eucharistique, op.cit., pp.
97-98.
386
CABIE, Robert, Histoire de la messe des origines à nos jours, op.cit., p.55.
160
qu’elle « avait pris ses distances dans la célébration liturgique, … » et qu’elle doit la rejoindre
« pour l’ordonnance de la psalmodie… ». Appliquant à sa manière la maxime lex orandi lex
credendi, il explique : « Les Eglises qui sont unies par la sainte lecture d’une seule sainte loi
doivent l’être aussi par la vénérable pratique d’une seule modulation des voix et il faut que
des différences dans la célébration ne séparent pas celles qui sont liées par l’adhésion à une
seule foi ». De fait, il imposa cette même pratique à ses possessions qui avaient une liturgie
particulière, différente de la liturgie romaine, « désirant rehausser la dignité de la sainte Eglise
romaine »387.
387
Livres carolins, L1, ch. 6, cité par CABIE, Robert, op.cit., p. 56. Les Livres Carolins (Libri Carolini) sont un
exposé théologique d’une critique en règle des conceptions religieuses des Eglises byzantines, rédigé,
probablement par Alcuin, sur les instructions et sous l’autorité de Charlemagne, dans ce sens, KARKI et
RADELET, p. 90..
388
BASCHET, Jérôme, La civilisation féodale – De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, op.cit., pp. 62-64.
389
Lettre 69 d’Hadrien Ier à Charlemagne, extrait reproduit dans CABIE, Robert, op.cit., p.56.
390
Sur ces emprunts, v. MARTIMORT, L’Eglise en prière, p. 117, LORET, op.cit., pp. 103-104.
161
On peut, avec Nicole Lemaître, conclure que « La base de toutes les liturgies
catholiques était la liturgie dite romano-gallicane, imposée par Charlemagne, mais avec des
possibilités d'adaptation locales. »391 ; à cet égard, la réforme tridentine, si elle tente une
unification, elle n’est ni une révolution ni une œuvre perpétuelle alors que l’unité recherchée
elle-même, on l’a vu, ne sera que relative.
Mais, service vivant, la liturgie fut souvent empreinte des marques de la pratique et
des conditions particulières de chaque communauté, à travers certes la sensibilité de cette
dernière et de ses dirigeants et pasteurs mais surtout de ces coutumes et de sa culture ; ici, le
rôle des « Pères » fut très important, si l’on prend, par exemple, le cas des Eglises dites
orientales. En l’absence d’un plan liturgique ou logique préconçu à imposer à l’évolution de la
liturgie, il y eut, ainsi, une grande diversité liturgique, apparition, à travers des « familles
liturgiques », d’un véritable pluralisme dans ce domaine, mais surtout comme un mouvement
désordonné, en tous cas, pas maîtrisé. Certes, du fait des emprunts mutuels, des influences
diverses comme la volonté imposée d’un empereur et de la primauté malgré tout reconnue au
siège de Rome, la liturgie pratiquée en Occident aura un certain visage reconnaissable en tant
que liturgie catholique latine. Mais, au XIIIe siècle presque chaque diocèse a ses coutumes
particulières qui vont se fixer dans son propre « missel ».
Afin de provoquer un certain souci d’unité, plusieurs ordres religieux, notamment les
Franciscains, se feront les propagateurs de la liturgie de la Curie ; ces efforts vont encourager
Rome pour éditer et publier en 1474 le premier missel plénier romain, à partir du missel venu
de Germanie hérité de Charlemagne. Néanmoins, après l’édition du Missel, la dispersion ne
se termina pas pour autant, il existait des « sacramentaires » particuliers en maints endroits et,
notamment dans le monde monacal, pratiquement chaque ordre avait sa propre manière de
391
Dans sa leçon d’agrégation d’histoire, 12. La réforme en continuité réussie, le concile de Trente,
http://histoire.univ-paris 1.fr/agregation/moderne2003/cours12.htm
162
célébrer. Il y a lieu, cependant, d’estimer que ces efforts et les dernières réalisations
préparaient les actions du Concile de Trente et de Pie V pour tenter d’unifier les rites
essentiels en remettant de l’ordre dans une évolution qui, depuis les origines jusqu’à cette
époque, s’était faite librement et bien souvent en ordre dispersé.
Pour avoir, dès ses débuts, montré à quel point la liturgie vécue ne pouvait que
s’intégrer dans la culture du milieu dans une imprégnation réciproque, la première partie nous
a révélé l’importance primordiale de l’adaptation culturelle et sociétale comme facteur
déterminant de l’évolution et de l’histoire de la liturgie, dans des circonstances d’imbrication
qui ont fait assimiler l’Occident à la chrétienté et au christianisme. Bien que le vocable
n’existât pas encore au cours de toute cette période historique, cette évolution mérite d’être
considérée comme une belle réussite de l’inculturation grâce à laquelle, d’origine orientale et
juive, le christianisme et son culte sont devenus indissociables de l’Occident ; c’est en fait
l’inculturation qui explique l’adaptabilité du christianisme à n’importe quel milieu socio-
culturel. En tout état de cause, la théologie de la messe demeurant la même, en ce qui
concerne les éléments essentiels (sens et finalité de la messe, ainsi que doctrine eucharistique,
notamment), les formes liturgiques et les rites, y compris certaines prières, sont tributaires de
circonstances multiples, d’ordre culturel, socio-politique et historique, qui expliquent la
légitimité des différentes familles liturgiques qui ont pacifiquement et, même,
harmonieusement, coexisté dans l’histoire de l’Eglise. De la même manière, ces facteurs
fondent la légitimité de la volonté et de la recherche de formes liturgiques particulières
adaptées, par les églises locales se développant dans des contrées extérieures au milieu socio-
culturel d’origine du christianisme, afin que ce dernier, grâce à l’intégration mutuelle avec la
culture locale, devienne con-naturel à leur société, donnant ainsi une justification réelle et
légitime à l’universalisme de l’Eglise.
163
DEUXIEME PARTIE
L’EGLISE MISSIONNAIRE –
L’INCULTURATION IGNOREE
164
« Allez donc, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit »392.
Ou, encore :
« Allez dans le monde entier, proclamez l’évangile à toute la création. Celui qui croira et sera
baptisé, sera sauvé, […] »393.
Cela continuait certainement le propre envoi de Jésus par Dieu, selon ce que lui-même
avait dit, dans la prière qu’il faisait pour ses apôtres : « Comme tu (le Père) m’as envoyé dans
le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde »394, ou lors d’une apparition à ses
apôtres après sa résurrection : « De même que le père m’a envoyé, moi aussi je vous
envoie »395 ; cela continuait aussi l’envoi du Saint-Esprit par le Père au nom du Fils396.
Parallèlement, sans doute aussi, le terme revêtait-il le sens de « tâche » ou de « mandat »
confié à quelqu’un.
Dans ce sens, il ne serait pas faux de dire que, de par ses origines, la mission et
l’œuvre « missionnaire » ont commencé au temps des apôtres, lorsque ces derniers mirent en
application l’injonction reçue de leur maître, et que la christianisation de toute l’Europe
occidentale à partir de l’Eglise primitive de Palestine est la réalisation de cette « mission », le
fruit de l’œuvre « missionnaire » menée par les apôtres et dans laquelle Paul prit une part
prépondérante. Par la suite, on a pu ainsi parler, encore assez près de ce sens originel, de
« propagation de la foi », ou encore d’évangélisation, comme moyen de diffuser le
christianisme autrement que par la violence, comme celle des croisades, en amenant
pacifiquement les peuples à la foi catholique. Cette dernière acception eut une double
affectation : d’abord, défendre la vraie foi en Occident même contre les hérétiques, et
392
Mt 28, 19-20, traduction Bible de Jérusalem.
393
Mc 16, 15-16, ibid.
394
Jn 17, 18.
395
Jn 20, 21.
396
PRUDHOMME, Claude, Missions chrétiennes et colonisation XVIe– XXe siècle, Paris, Cerf, 2004, p. 11.
165
« chercher à gagner à la foi catholique, dans les contrées lointaines et sauvages, les
populations païennes d’Amérique, d’Asie, d’Afrique »397
Dans cette partie, il s’agit de voir comment, à partir de son nouveau foyer européen, le
christianisme s’est propagé dans ce qu’on a appelé « les pays de mission », sur les autres
continents ; la mission fut alors spécifiquement confiée à quelques nations européennes qui
allaient, ainsi, parrainer l’évangélisation des terres découvertes par les explorateurs au service
de souverains européens, c’est le système de « patronage » (I). Mais, la mission ne s’est pas
déroulée de la même manière partout, la mission en Asie et en Afrique, « pays de mission »
mais en même temps de résidence passagère des Européens, présente des conditions
spécifiques par rapport à l’Amérique vouée dès le début à devenir, comme contrée de
peuplement, la nouvelle patrie des Européens qui y immigraient. C’est la raison pour laquelle
le nécessaire exposé sur l’Eglise missionnaire se limitera, dans les deux chapitres suivants, à
ces deux continents, l’Asie et, spécifiquement, l’Extrême-Orient (II), et l’Afrique (III).
L’étude des conditions de l’évangélisation missionnaire dans ces nouveaux continents est
nécessaire parce qu’elle illustre et vérifie la problématique de l’adaptabilité du christianisme
et de sa liturgie aux cultures des peuples nouvellement christianisés. C’est à l’occasion de ces
missions que, depuis l’émigration du christianisme vers l’Europe, se pose ce problème de son
incarnation dans les cultures, qui est au cœur de notre travail. En effet, dans ces deux terres de
mission, le christianisme s’est tout de suite heurté à cette problématique incontournable de la
rencontre avec des cultures étrangères à l’ère socio-culturelle dans laquelle il avait évolué
jusque là. Cet examen démontre que, si l’inculturation avait pu se réaliser en Europe, les
méthodes missionnaires de son implantation en ont empêché l’application dans les pays de
mission (IV).
397
Ibid., p. 12.
166
On estime que ce sont les membres de la Compagnie de Jésus qui, s’étant justement
installés dès leurs débuts comme une congrégation « missionnaire », furent les premiers à
employer le vocable « mission » pour qualifier un mandat apostolique et d’évangélisation
dans un territoire déterminé, en particulier dans un territoire non-chrétien398. C’est ainsi que,
pendant longtemps, « mission » signifiait expansion de la religion chrétienne en vue de la
fondation de nouvelles églises, en particulier par les Européens dans des régions étrangères
lointaines d’Amérique et d’Afrique dès leur « découverte » par les explorateurs au service des
souverains d’Espagne et de Portugal, ainsi que d’Asie, et qu’on appellera, pour cela, « pays de
mission ». Il y a, donc, un lien entre l’envoi et la mission de Jésus par Dieu et l’envoi et la
mission de l’Eglise par Jésus, mais, en relation directe avec l’introduction des Européens sur
ces nouveaux territoires. Cependant, l’expérience asiatique se heurta à des résistances locales,
notamment au Japon qui se ferma finalement à l’œuvre missionnaire comme à toute influence
étrangère et, en Chine où, pour faire subsister la « mission », les missionnaires durent adapter
le christianisme, notamment, les célébrations liturgiques, au contexte et aux pratiques
culturels et religieux locaux.
398
PRUDHOMME, Claude, op.cit., p. 12.
167
La zone espagnole couvre l’Ouest du méridien tandis que la zone portugaise s’étend
sur l’Est, notamment sur l’Afrique où le Portugal avait déjà mis pied depuis que vers les
années 1440 il avait fait installer des comptoirs sur des territoires africains qu’en 1483 Diego
Cao planta sur la rive gauche du « Nzadi » (fleuve « Zaïre » ou Congo) le padrâo portugais401.
Comme on le voit, également, le Portugal occupait déjà une partie de l’actuel Brésil, le traité
de Tordesillas du 7 juin 1494, conclu avec l’accord du pape, avait rectifié les lignes de
démarcation et déplacé la « ligne du pape Alexandre », pour permettre au Portugal, de
posséder l’ensemble du Brésil que, depuis la découverte de ce territoire par le Portugais
Cabral un an plus tôt, il était en train de conquérir au moment des arrangements antérieurs et
de la bulle pontificale402.
399
TÜCHLE, Hermann, BOUMAN, C.A. et LE BRUN, Jacques, op.cit., p.321. En fait, c’est le pape Jules II qui
va consacrer officiellement le système de patronage par la bulle Universalis Ecclesiae de 1508 confirmant le
partage du nouveau monde entre les deux puissances ibériques.
400
MAISTRE, Joseph Marie, Du pape, Paris, Ed. Charpentier, 1854, pp. 272-273 (numérisation Google).
401
Les circonstances, le nombre et les dates des voyanges de Diogo Cao dans le royaume du Kongo sont
controversés ou peu sûrs.
402
ROUXEL, Jean, Le Saint-Siège sur la scène internationale, Paris, l’Harmattan, 1998, p. 204. Cependant, des
dissensions continuèrent entre les puissances, Espagne et Portugal, certes, mais aussi Portugal et France et
Angleterre, ces dernières n’ayant pas cessé de contester le partage exclusif opéré par Rome.
403
PRUDHOMME, Claude, op.cit., p. 26.
168
Amérique où se déroulait la conquête du Brésil entérinée par le Traité de Tordesillas que nous
avons déjà cité, mais aussi en Afrique (également attribuée au Portugal par Alexandre VI) et
en Asie, qu’il avait entrepris d’évangéliser et sur lesquelles il reçut le titre juridique du pape
en 1514. En fait, le padroado fit l’objet d’un grand nombre de documents pontificaux : outre
la bulle Inter Cœtera d’Alexandre VI (1493) confirmée la même année par la bulle Piis
fidelium, d’autres bulles venaient confirmer ces précédentes, Jules II avec Eximiae devotionis
en 1503 et Universalis ecclesiae en 1508 confirmant le monopole reconnu à l’Espagne, puis
une autre bulle en 1513, au profit du Portugal ; d’autres bulles suivirent, celles de Léon X en
1518, d’Adrien VI (Omnimoda) en 1522, de Paul III en 1535 et en 1547, de Paul IV en 1555,
d’Urbain VIII en 1639 et de Benoît XIV en 1741404. Il convient, dans cette liste de documents
pontificaux, citer à part la bulle, antérieure à toutes celles-ci, Romanus Pontifex du pape
Nicolas V (pape 1447-1455) qui, déjà le 8 janvier 1455, attribuait à Alphonse V du Portugal,
et « à jamais », le monopole de la conquête et du commerce sur les terres africaines, sur
« toute la côte de Guinée, incluant les Indes », que du reste le Portugal avait déjà entrepris de
conquérir bien avant, grâce à l’action du prince Henri405. Hugh Thomas, qui présente cette
bulle affirme que, par là, le pape justifiait l’asservissement des peuples païens en vantant ses
conséquences bénéfiques pour ces derniers, en particulier parce qu’ils seraient transportés au
Portugal pour les convertir à la foi catholique. Le pape se « réjouissait de voir bien des
esclaves noirs convertis à la foi catholique»406. Le Pontifex romain comptait sur les progrès
des conquêtes pour obtenir beaucoup de conversions. Il y a, là, plus qu’une simple tolérance
ou qu’un simple encouragement donné à la traite des Noirs, c’est l’institution presque
canonique de l’esclavage. D’autant plus que, plus tard, lorsque la réalité de l’esclavage était
attestée par l’histoire et que les missions se soient préoccupées de la dignité des indigènes
même contre les administrations coloniales, l’encyclique Maximum Illud du pape Benoît XV
(1919), vise à gagner au Christ le plus d’âmes possible : « Une armée de missionnaires se lève
pour arracher les pitoyables tribus indigènes à l’atroce esclavage des démons tout en les
protégeant contre l’exploitation de maîtres sans conscience.», faisant l’éloge des exploits des
missionnaires de la période des découvertes407. On le voit, l’idée de mission libératrice et
civilisatrice est à la base des deux aventures, coloniale et missionnaire.
404
Voir « La conquête de l’Amérique ou la Croix prêchée », http://www.dici.org/thomatique_read.php
405
Sur l’action du prince Henri, v. CUVELIER (Mgr), Jean, L’ancien royaume de Congo – Fondation,
découverte, prmère évangélisation de l’ancien royaume de Congo. Règne du grand roi Afonso Mvemba Nzinga,
Desclée de Brouwer, Paris, MCMXLVI, pp. 27-32.
406
THOMAS, Hugh, La Traite des Noirs, Paris, Ed. Robert Laffont, 2006, pp. 51-52.
407
Dans ce sens, BLOCK, Mattijs Jean-Claude, « Christianisme en quête d’identité en Afrique », Revue
Réformée, N° 228-2004/3, Juin 2004 – Tome LV.
169
408
PRUDHOMME, Claude, op.cit., pp. 26- 28.
409
QUENUM, Alphonse, Evangéliser Hier, Aujourd’hui – Une vision africaine, Abidjan, Ed. ICAO, Institut
Catholique de l’Afrique de l’Ouest, 1999, p. 123.
410
Bulle de Paul III, du 27 septembre 1540.
170
dépenser, s'il a été laissé à leur jugement de parcourir tout lieu où ils penseraient
pouvoir réaliser un plus grand service de notre Dieu et Seigneur et un plus grand profit
pour les âmes; ou bien que le travail ne se fasse pas en parcourant divers lieux, mais en
résidant de façon stable et continue en certains lieux où l'on espère beaucoup de fruit
pour la gloire et le service divins. Et pour traiter d'abord de la mission donnée par le
Souverain Pontife, en tant que la plus importante parmi toutes les autres, il faut
remarquer que l'intention de ce vœu par lequel la Compagnie s'est liée une obéissance
sans aucune excuse au Souverain Vicaire du Christ, est que nous nous portions en tout
pays où il jugerait devoir nous envoyer parmi les fidèles ou les infidèles pour une plus
grande gloire de Dieu et un plus grand secours des âmes. La Compagnie n'a pas
entendu être en un lieu particulier, mais qu'elle serait répandue à travers le monde en
différentes régions et en différents lieux, désirant choisir ce qui serait le mieux à faire
et espérant qu'il en serait ainsi si la répartition de ses membres était faite par le
Souverain Pontife. »411
Par cet engagement, les jésuites se mettent directement sous l’autorité du pape, ce qui
va ainsi affaiblir progressivement le « patronage ». Mais, le padroado enlevait une bonne
partie du gouvernement de l’Eglise au pape pour la confier aux rois, le pape n’était plus libre
de son action et de son choix ; ainsi, par exemple, dans le protectorat portugais, les évêques
nommés étaient des candidats présentés par la cour, tandis que les missionnaires devaient se
rendre à la cour pour prêter serment avant d’embarquer pour les « missions »412.
Par ailleurs, toutes ces difficultés montrèrent les limites du système et Rome,
« conscient du fait que la mission la plus noble du ministère pastoral est de propager la foi qui
conduit les hommes à la connaissance et à la vénération du vrai Dieu », créa un organisme
central en charge de l’œuvre missionnaire, c’est-à-dire la propagation de la foi catholique
partout dans le monde entier, non seulement en terre de mission. C’est la Sacra Congregatio
generalis de Propaganda Fide (Sacrée Congrégation de la Propagande de la Foi,
communément appelée « La Propagande »), créée par une décision du pape Grégoire XV
prise en la fête de l’Epiphanie 1622 (le 6 janvier), mais officialisée en forme juridique par la
bulle Inscrutabili Divinae Providentiae du 22 juin 1622, suivie par d’autres bulles, dont Cum
inter multiplice, du 14 décembre 1622, qui en organisent les droits et les pouvoirs, et fixent les
règles d’évangélisation ; mais, le nouveau dicastère ne commencera véritablement à travailler
que bien plus tard. Néanmoins, on peut dire qu’au cours de la deuxième moitié du XVIIe
siècle (à partir de 1658), la pratique de Rome rompt avec le padroado, quand la Propaganda
Fide crée et organise directement des missions et que le pape y envoie des évêques in partibus
infidelium, appelés « vicaires apostoliques » (représentant directement le pape), chargés de
411
Constitution N° 603 (septima pars), http://www.jesuites.com/documents/constitutions_nc/7eme_partie.htm
412
DUCORNET, Etienne, L’Eglise et la Chine – Histoire et défis, Paris, Ed. du Cerf, 2003, p. 36.
171
fonder et de développer des églises locales, vivant en parallèle avec les diocèses constitués
sous le régime du padroado413. Dès ce moment, l’aventure missionnaire cesse d’être
considérée comme une tâche nationale, à cause de cela intimement liée à la colonisation, pour
devenir une œuvre traduisant les responsabilités pastorales universelles de l’Eglise414,
amorçant par le fait même l’autonomie des missions, dépendant directement du pape, par
rapport à la colonisation et aux puissances coloniales ; nous verrons que c’est cette formule
qui sera systématiquement mise en œuvre pour les missions d’Afrique.
A partir de ces débuts, le terme « mission » est étroitement lié à l’envoi, dans des
contrées « païennes », des missionnaires, la notion de « missions extérieures » l’emporte sur
celle de « mission intérieure » utilisée pour désigner l’évangélisation et la pastorale dans les
diocèses européens eux-mêmes415. C’est alors que, en 1658, est créée, à Paris, la « Société des
missions étrangères », première société missionnaire recourant à des prêtres diocésains, avec
un séminaire pour la formations de prêtres séculiers missionnaires, au sein de laquelle le pape
va trouver les responsables des églises locales en pays de mission, notamment les vicaires
apostoliques.
413
PRUDHOMME, Claude, op.cit., pp. 53-54.
414
TÜCHLE, Hermann, op.cit., p. 335.
415
PRUDHOMME, Claude, op.cit., p. 13.
416
PRUDHOMME, Claude, op.cit., p. 23.
172
417
Claude Prudhomme raconte comment se déroulait le premier contact de Cortès avec les indigènes ; se
présentant comme « envoyé de l’empereur », il leur faisait un bref exposé de la doctrine chrétienne et les
exhortait à abandonner leurs idoles, op.cit., pp. 26-27.
173
II
LA MISSION EN EXTREME-ORIENT
C’est qu’une très vieille tradition au sein même de l’Eglise désigne l’Apôtre Thomas
« guide et maître de l’Eglise de l’Inde qu’il fonda et gouverna », le saint apôtre aurait suivi la
route du commerce, du Moyen-Orient jusqu’en Inde, et débarqua sur la côte de l’actuel
Kerala, ancien Malaba. Le pape Jean-Paul II lui-même conforte cette tradition quand,
s’adressant aux évêques du rite syro-malabar, il leur rappelle que Saint-Thomas est « votre
Père dans la foi », précisant : « En effet, les origines de votre Eglise sont directement liées à
l'aube de la chrétienté et à l'engagement missionnaire des Apôtres. Dans un certain sens, votre
voyage jusqu'ici pour me rencontrer réunit les Apôtres Pierre et Thomas dans la joie de la
Résurrection »418. Cette église, ainsi que sa liturgie, est appelée syro-malabar parce qu’elle a
subi une forte influence syriaque et chaldéenne. Il semble que le christianisme ait
effectivement assez tôt, sans toujours se pérenniser, touché toute l’Asie, y compris l’Asie
Centrale et la Chine. Certes, au XIIIe siècle, des franciscains tentèrent une nouvelle
expérience d’évangélisation. Mais, les communautés chrétiennes locales périclitèrent,
conséquence d’incompréhensions « civilisationnelles » et culturelles ayant entraîné des
vagues de persécution qui s’abattront de nouveau sur les missionnaires et les chrétiens en
Chine notamment (mais aussi au Japon) au XVIIIe siècle.
Quand, donc, les explorateurs portugais de 1498 débarquent et que, à la suite des
marchands portugais du XVIe siècle, François-Xavier, l’un des plus proches et tout premiers
418
Discours du pape Jean-Paul II aux évêques du rite syro-malabar de l’Inde en visite ad limina apostolorum, le
13 mai 2003, http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/2003/may/document/hf_jp-
ii_spe_20030513_syro-malabar-church_fr.html
174
Il y a, certes, des différences constatables dans l’histoire des missions selon les
contrées et les continents ; ces différences sont tangibles entre l’évangélisation de l’Amérique
et celle de l’Orient, dans le premier cas, on ne peut que constater l’importance non seulement
des « découvertes » mais surtout de la conquête (conquista) coloniale, tandis que ce
phénomène ne fut pas déterminant pour l’Orient, sauf là où le Portugal avait mis pieds et
installé des comptoirs dont certains allaient devenir des colonies (Macao, Goa, Malacca) mais
aussi en Chine, en Inde et au Japon. Mais, dans tous ces cas, il n’est pas faux que
l’implantation des missions est allée de pair avec l’établissement des Européens,
administrateurs coloniaux ou commerçants et industriels protégés par leurs puissances
respectives, de même qu’elle sera un véhicule de l’influence sinon de la prépondérance
culturelle et globale de l’Occident. Les méthodes d’implantation furent bien souvent
implacables : « le vainqueur détruisait tous les lieux de culte non-chrétiens dans les pays
conquis, interdisait toute pratique religieuse non-chrétienne, bannissait les prêtres païens,
interdisait certaines zones de la ville aux non-chrétiens : des méthodes dans la ligne du herem
(massacre des ennemis) prévu dans l’Ancien Testament, mais contraire à l’évangile »419. Le
tout se passait dans un contexte médiéval de croyance et un contexte colonial de manipulation
qui ne pouvaient que mélanger le profane et le religieux.
C’est dans cette confusion des genres que naquit et se développa la colonisation
ibérique. Sur la base du système alexandrin de padroado, Les Espagnols occupent l’Ouest et
presque toute l’Amérique du Sud sauf le Brésil et les Portugais s’étendent sur l’Est, occupant
l’Afrique « découverte » (la côte africaine le long du Golfe de Guinée et de l’océan Atlantique
ainsi que des contrées asiatiques, Chine, Indes, Philippines, Japon et quelques comptoirs
comme Macao. Dans toutes ces contrées, les intérêts politiques et missionnaires se
rencontrent sur un autre terrain, celui de la lutte contre l’influence musulmane qui s’était déjà
plus ou moins implantée, jusqu’en Chine. Dans Relations des musulmans avec les Chinois, à
l’issue de sa visite en Chine à la fin du XVe siècle, Aly Ekber, cité par Bergeron420, rapporte
419
LAURENTIN (père), René, Chine et Christianisme après les occasions manquées, Paris, Desclée de Brower,
1977, p. 117.
420
BERGERON, Marie-Irma, Le christianisme en Chine – Approches et stratégies, Lyon, Ed. Le Chalet, 1977,
p. 41.
175
que « Les Chinois n’ont de sentiments hostiles contre qui que ce soit, sous prétexte de
religion. Ils ne manifestent à ce sujet aucune inimitié, surtout aux musulmans, et c’est pour
leur croyance qu’ils manifestent le plus de goût et de penchant ». Colonisation et mission se
découvrent un ennemi commun, l’Islam sans doute effarouché par le débarquement des
Portugais flanqués de missionnaires, d’autant que, entravant les progrès de l’évangélisation, il
empêche la puissance lusitanienne d’accéder aux fabuleuses et légendaires richesses tant
vantées par les récits de Marco Polo, en particulier l’Islam bloque la route de la soie et des
épices. En réalité, c’est cette rencontre avec les Arabes du Golfe persique qui ont islamisé
l’Extrême-Orient qui explique l’extension de la « juridiction » portugaise sur cette partie du
monde.
Au XVIe siècle, c’est également en appliquant son droit de padroado que Jean III, roi
du Portugal, obtient d’Ignace de Loyola l’envoi de jésuites dans ses terres orientales. Et c’est
ainsi que le 7 septembre 1541, François-Xavier s’embarqua sur le navire portugais
« Santiago » à destination de l’Inde, arrivant le 6 mai 1542 à Goa, capitale de l’empire
portugais des Indes, point de départ des évangélisateurs jésuites en Extrême-Orient et
particulièrement pour la Chine ; ce véritable pionnier sera reconnu comme le patron des
missions. En fait, l’arrivée des missionnaires catholiques ne fut pas sans peine, rencontrant
plusieurs résistances, notamment au Japon où François-Xavier met pied en 1549 avant de
tenter l’aventure de la Chine et où il se fait objecter : « Nous avons reçu la sagesse de l’Ouest
[c’est-à-dire de la Chine]. Si elle ignore le christianisme, il ne doit pas avoir grande
valeur »421, ou « Si votre religion est bonne, comment se fait-il que les Chinois ne l’ont pas
adoptée ? »422. Ceux des missionnaires qui avaient tenté d’évangéliser, par exemple la Chine,
sans apprendre la langue, avaient rencontré tellement de difficultés qu’ils étaient convaincus
et faisaient circuler l’opinion que « Il n’y a pas espoir de convertir les Chinois, si ce n’est par
le recours à la force et en les contraignant à céder devant l’armée »423.
421
LAURENTIN (père), René, Chine et Christianisme…, op.cit., p. 115.
422
DUCORNET, Etienne, L’Eglise et la Chine – Histoire et défis, Paris, Ed. du Cerf, 2003, p. 31.
423
Ibid., p. 116.
176
Matteo Ricci, né en 1552, est un prêtre italien qui arrive comme missionnaire en Inde
en 1580 et gagne la Chine en 1583. Ses solides connaissances en mathématiques, en
astronomie et en cartographie lui permettent de séduire les lettrés et savants chinois et
d’approcher les mandarins. Ayant maîtrisé le chinois écrit et parlé, il se fera recevoir en 1601
à la cour où il présenta une mappemonde, une épinette et deux horloges, grâce à quoi il a pu
étaler ses connaissances mathématiques et cartographiques, épatant les Chinois en dessinant
une carte du monde sur laquelle ces derniers qui découvrent la place, relative, de la Chine par
rapport aux autres parties du monde. Ainsi, il a pu se faire accepter en tant que lettré et savant
européen, réussissant à faire pratiquement admettre ou, tout au moins, tolérer la religion
chrétienne comme une sagesse parfaitement compatible avec la séculaire sagesse chinoise.
Ricci et Valignano pénètreront la haute élite chinoise, s’efforcent de s’intégrer à la culture
locale, se « sinisent », persuadant leurs interlocuteurs qu’ayant appris que « seul le peuple
chinois est bon, doux, paisible, raisonnable et qu’il possède des cérémonies et des coutumes
excellentes, beaucoup de science, des livres remarquables de morale », ils ont quitté leur pays,
bravé des souffrances dans un voyage de trois années, brûlant du désir de connaître tout cela
de près425. Ruggieri et Ricci se rendent en Chine continentale, à Shiuhing, le 10 septembre
1583, se font accepter par les « grands lettrés », refusant de se présenter eux-mêmes autrement
que comme des « lettrés » venus d’Occident ; Ricci ira jusqu’à changer son nom en celui de
Li Ma-t’ou, troquant le costume ecclésiastique européen contre la livrée des bonzes
424
BERGERON, Marie-Ima, op.cit., p. 42.
425
BERGERON, Marie-Ima, op.cit., p. 52.
177
bouddhistes, utilisant tous les stratagèmes d’un intelligent entrisme, regrettant même de ne
pouvoir modifier la forme de ses yeux et de son visage pour pouvoir « être complètement
chinois avec les Chinois »426 Leur approche de l’évangélisation fut intelligente, outre la
connaissance acquise des cultures chinoises et les liens d’amitié noués avec des membres de
l’élite intellectuelle et politique, ils les persuadaient d’entendre la nouvelle doctrine qu’ils
apportaient en échange du fait qu’eux-mêmes venaient apprendre auprès des Chinois ; ils
reprenaient ainsi pratiquement l’infructueuse méthode, mais en laquelle tout le monde croyait
tant à cette époque, de l’évangélisation par le haut qui aura été également pratiquée par les
missionnaires envoyés en Afrique à la fin du XVe siècle par les Portugais. Mais, ils eurent
l’habileté, au début, de ne présenter de cette nouvelle doctrine que ce que les Chinois
pouvaient assimiler et accepter, les Dix préceptes du Seigneur du Ciel, transmis par les
ancêtres, pas autre chose que le décalogue, qui « s’insère sans difficulté dans la mentalité des
mandarins, tous confucéens épris de morale, de piété filiale, de sens des relations »427. Cette
ouverture à la sensibilité chinoise se complétait d’une attitude de considération. Ainsi, par
exemple, alors que les Chinois sélectionnés pour la prêtrise recevaient une formation au
rabais, avec le latin pour pouvoir asseoir l’emprise du centre romain mais sans les
enseignements de philosophie et de théologie pour éviter des expressions d’orgueil chez des
Chinois ainsi instruits qui augmenteraient ainsi leur liberté et leur personnalité et refuseraient
de desservir des paroisses pauvres, dès son arrivée, Ricci s’insurgea contre ces manifestations
discriminatoires et de domination.
Mais, l’évangélisation qui alla de pair avec l’implantation des Européens se trouve
brutalement confrontée à des cultures, à des religions et à des pratiques cultuelles
incontestablement différentes, dont certaines incompatibles avec le christianisme et la liturgie
chrétienne. Dans bien des cas, il y eut un phénomène d’incompréhension, pour tout le moins,
les missionnaires ayant adopté une attitude négative et de répulsion des cultures et croyances
locales considérées comme païennes, ces peuples étant, pour eux, voués à la damnation.
426
LAURENTIN, René, op.cit., p. 119.
427
BERGERON, Marie-Ima, op.cit., p. 51.
178
« Dites-moi, mes fils, de tous ces hommes qui sont nés sur cette terre avant que les
Espagnols n’y prêchent le saint Evangile, combien se sont sauvés ? Combien ?
Combien sont allés au Ciel ? Aucun. Combien d’Incas sont allés en enfer ? Combien
de reines ? Toutes. Car, ils ont adoré le démon dans les hacas. »428.
Mais, assez souvent aussi, il y eut, comme en Extrême-Orient, un phénomène de
résistance, sinon de rejet. La résistance et, même le rejet, fut la première attitude des
Asiatiques, notamment devant les diverses condamnations dont leurs croyances étaient l’objet
de la part des missionnaires. Il en fut ainsi, alors qu’à Macao des missionnaires portugais
n’hésitaient pas à affirmer que « tous les saints du confucianisme, Yao, Shun, Yu, le roi Wen
et Confucius lui-même étaient des diables »429. Néanmoins, en Chine, pour se faire accepter
dans un contexte culturel de fierté et de susceptibilité nationales, les missionnaires furent
tentés par certaines expériences d’adaptation aux religions et cultes traditionnels locaux,
introduisant dans la liturgie chrétienne certains cultes traditionnels ou faisant cohabiter les
deux rites, amalgamant ainsi les mystères chrétiens et les mystères païens locaux. Plus loin,
nous ne retiendrons de ces tentatives que l’expérience menée par les jésuites en Chine, comme
celle dite des « rites chinois », à cause de son retentissement et de l’ampleur de la crise dans
laquelle elle plongea la mission dans ses rapports avec Rome.
428
Prédication du P. Avendano aux Indiens, citée par Jean DELUMEAU, La Peur en Occident, p. 257, in
GERNET, Jean, Chine et christianisme – Action et réaction, Paris, Ed. Gallimard, 1982, p. 238.
429
GERNET, Jean, Chine et christianisme, op.cit., p. 238.
179
III
Le cas congolais étant exceptionnel par l’ampleur aussi bien de la colonisation que de
celle de l’œuvre missionnaire, nous nous appesantirons essentiellement sur l’évangélisation
du Congo, tant depuis le XVe siècle dans la partie côtière explorée et occupée par le Portugal
qu’à partir du XIXe siècle lorsque commence la colonisation belge notamment dans la partie
que les Portugais n’avaient pas occupée ou se disputaient, jusqu’à la Conférence de Berlin,
avec la Belgique. Ainsi, à partir des années 1483-84, s’ouvrit au cœur de l’Afrique, un vaste
« pays de mission », l’évangélisation et la vie de l’Eglise y étant entre les mains des seuls
« missionnaires » européens.
181
C’est vers la fin du XVe siècle, quelques années avant l’Amérique, que le continent
africain connut et la présence des Européens et l’évangélisation. Celle-ci se fit, comme en
Amérique, sur la base du système consacré par le pape Alexandre VI, par ce qu’on appelle les
« bulles alexandrines »432, dans le cadre du partage du monde entre l’Espagne et le Portugal,
l’Afrique revenant à ce dernier.
Les premiers missionnaires catholiques foulent le sol congolais peu après le passage
de Diego (ou Diogo) Cao qui mouilla la côte de l’Atlantique dans la zone équatoriale africaine
en août 1483. Il y plante, sur la rive gauche du fleuve « Nzadi »433, qu’il avait appelé « fleuve
puissant » (rio poderoso), le padrâo, la stèle qui atteste l’occupation portugaise, datée de
1482, date non pas de l’arrivée de Diego Cao mais du mandat qu’il avait reçu du roi434. En
effet, bien reçu, l’explorateur, en vue d’en faire de bons alliés favorables à l’occupation
portugaise, ramena quatre jeunes notables kongo au Portugal. D’après Mgr Jean Cuvelier, il
s’agissait bien d’un enlèvement de ces jeunes gens, Diogo Cao les ayant pris comme ôtages
alors qu’il ne voyait pas revenir les prêtres qu’il avait envoyés comme ambassadeurs à la cour
royale de Mbanza Kongo avec quelques guides indigènes435. Fin 1485, Diego Cao revint avec
les quatre jeunes Kongo qui avaient, en plus de la langue portugaise, reçu une instruction
religieuse, et remonta jusqu’à la capitale du royaume kongo, Mbanza Kongo (qui deviendra
plus tard Sâo Salvador), où résidait le Ntinu (roi), tandis qu’une mission franciscaine
s’intallait 436. Il était chargé de cadeaux du roi du Portugal à son « frère » africain qui lui
enverra à son tour des cadeaux et un ambassadeur, en compagnie d’un autre groupe de jeunes
nobles de Mbanza Kongo qui furent baptisés au Portugal.
432
QUENUM, Alphonse, Evangéliser, Hier, Aujourd’hui – Une vision africaine, op.cit., p. 121.
433
Plutôt que nom propre, ce terme signifierait, dans la langue locale de la région Kongo de Mbanza-Kongo,
« grand fleuve », et ne désigne pas le nom d’un fleuve particulier, en l’occurrence celui dénommé actuellement
Congo, la confusion étant venue du fait que les Portugais déformèrent Nzadi en Zaïre, disant alors le fleuve
Nzadi ou Zaïre.
434
BONTICK, François, « Le Zaïre découvert avant Diogo Cao ? », Africa, Rome, XXXI – 1976/3, pp.347-365.
435
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo…, op.cit., p. 40.
436
QUENUM, Alphonse, op.cit., p. 126.
183
437
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola, 1621-1631, Extrait du Bulletin de l’Institut historique
belge de Rome, Paris, Rome, 1968, p. 389.
438
Ce terme portugais, proche de l’espagnol don, ne se confond cependant pas avec lui ; si, selon le Larousse,
don, en espagnol, est un simple titre de courtoisie placé devant le prénom, le dom portugais, lui, désigne soit un
titre porté dans certains ordres religieux soit un titre que portent des nobles au Portugal, c’est dans ce dernier
sens que l’emploient tous les historiens des missions en Afrique « portugaise » des XVe au XVIIe siècles cités
dans ce travail, entre autres Mgr Cuvelier, père Bontinck, père Quenum, Jadin et Dicorato, etc.
439
QUENUM, Alphonse, op.cit., p. 127.
440
Tandis que QUENUM cite 1518 comme date de l’ordination et situe la mort « vers 1539 », op.cit., p. 127,
François BONTINCK affirme lui, à propos de la mort de Don Henrique, nommé évêque en 1521, que « un
184
bénédictin belge a retrouvé dans les Archives Vaticanes un document qui permet de situer en 1531 la mort de
l’Evêque kongo », L’évangélisation du Zaïre, Kinshasa, Saint Paul-Afrique, 1979, p. 20.
441
De MEESTER Paul, « Une église florissante retrouvée au Soudan », Telema, n° 21, Kinshasa, 1980, pp.19-24
442
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo – Fondation, découverte, première évangélisation de
l’ancien royaume de Congo. Régime du grand roi Affonso Mvemba Nzinga, Desclée de Brouwer, Bruges, Paris,
MCMXLVI, op.cit., p. 90.
443
Ibid., p. 91.
444
Ibid., p. 99.
185
de l’opposition générale, de presque tout le peuple, des membres de sa parenté et de son frère ;
mais « par une divine inspiration de Notre Seigneur, nous prîmes courage, nous souvenant que
la puissance de Notre Seigneur peut suppléer à l’insuffisance du nombre. Nous eûmes
confiance qu’après nous avoir donné la connaissance de la foi, il nous donnerait aussi son
assistance contre les ennemis de cette foi et nous décidâmes de combattre »445. L’armée de
Mpanzu étant parvenue là où les Nsundi avaient rassemblé le peuple près de Mbanza Kongo,
elle attaqua la foule qui avait rallié Dom Afonso par des cris de Vive le roi. C’est alors que,
Mgr Cuvelier précise que pendant la bataille, les soldats chrétiens avançaient contre les
païens au cri de « San Tiago ! San Tiago ! » (Saint Jacques !), reprenant la prière au patron des
armées portugaises, et ajoute que Dom Afonso écrira que ce sont ces survivants qui
« témoignèrent unanimement, sans discordance aucune, que leur déroute avait été provoquée
par une apparition qui se produisit quand nous appelions l’apôtre Jacques à notre secours. Ils
virent une croix blanche et un grand nombre de guerriers à cheval et armés ; ce qui leur causa
une épouvante telle qu’ils furent contraints à s’enfuir subitement »447 Le spécialiste belge de
l’implantation du christianisme au Congo, François Bontinck, confirme que tant des Kongo que
des Portugais eux-mêmes attribuaient cette victoire surprenante à une intervention miraculeuse
de Saint Jacques de Compostelle qui est le patron des armées ibériques448.
Il est attesté que ce roi chrétien n’a vécu, depuis sa conversion, que pour la foi,
l’évangélisation et l’éducation chrétienne de son peuple, étudiant les écritures et les vies des
445
Ibid., p. 101.
446
JADIN, Louis et DICORATO, Mireille, Correspondance de Dom Afonso, roi du Congo (1506-1543),
Académie royale des sciences d’Outre-Mer, n° XLI-3, Bruxelles, 1974, pp.55-56.
447
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo Fondation, découverte, première évangélisation de l’ancien
royaume de Congo. Régime du grand roi Affonso Mvemba Nzinga, Desclée de Brouwer, Bruges, Paris,
MCMXLVI, p. 103.
448
BONTINCK, François, « La première évangélisation du Zaïre », Telema, n° 21, Kinshasa, 1980, p.28.
186
saints, prêchant et appelant son peuple à la conversion449, dans sa correspondance avec son
« frère » du Portugal, il n’était question que de la nécessité de lui envoyer des prêtres et
quelques personnes pour l’éducation ; le pape Paul III lui envoya, en reconnaissance, une lettre
de félicitations. Par cette inlassable action, à sa mort en 1543 la moitié de son peuple avait reçu
le baptême, au point qu’il fut appelé « l’apôtre du Kongo » ou encore le novus Constantinus
parce qu’il « garda au royaume Kongo son caractère chrétien et lui assura sans doute aussi son
indépendance jusqu’au XIXe siècle »450, tandis que le royaume frère d’Angola fut purement et
simplement annexé par le Portugal.
Des témoignages qui lui rendent hommage sont éloquents, estimant que sa vie tout
entière vouée à la foi fut bien fructueuse ; qu’il n’en suffise que deux. D’abord cet épisode
célèbre d’une messe d’un jour de mai 1516, sans doute aux environs du 20 parce que le
témoignage est daté du 25, au cours de laquelle le roi émerveilla le public, en premier lieu
Mgr Rui d’Aguiar vicaire du royaume kongo et curé de la capitale Mbanza Kongo. Louis
Jadin et Mirelle Dicorato auxquels nous empruntons cette relation, rapportent ces propos de
l’ecclésiastique disant du roi que :
« Ce roi ne porte sa pensée que sur Notre Seigneur et sur ses exemples. Dans ses
ordonnances, il vient de décider que les sujets de tout le royaume doivent payer la
dîme. Il dit qu’il faut porter la lampe devant, jusqu’au bout du royaume, et non
derrière soi. Votre Altesse doit savoir que, d’après ce qu’il dit, il me semble que son
christianisme n’est pas celui d’un homme, mais d’un ange que le Seigneur aurait
envoyé à ce royaume pour le convertir. Je puis en effet certifier à Votre Altesse qu’il
nous enseigne et qu’il connaît mieux que nous les prophètes, l’évangile de
Notre Seigneur Jésus-Christ, toutes les vies des saints et tout ce qui se rapporte à notre
sainte mère l’Eglise. Si Votre Altesse le voyait, elle en serait fort étonnée. Il parle si
bien et avec tant d’assurance qu’il me semble que toujours l’Esprit Saint parle par sa
bouche. En effet, Seigneur, il ne fait rien d’autre qu’étudier ; bien des fois il s’endort
sur ses livres et bien des fois il oublie de manger et de boire pour parler des choses de
Notre Seigneur. Il lui arrive d’être tellement absorbé par l’Ecriture sainte qu’il s’oublie
lui-même. Bien plus, quand il donne audience ou entend les parties, il ne parle de rien
d’autre que de Dieu et de ses saints. Il étudie les saints évangiles. Lorsque le prêtre
achève de dire la messe, il lui demande sa bénédiction ; ensuite, il commence à
prêcher à son peuple avec grande générosité et charité. Il lui demande de se convertir
par amour de Notre Seigneur et il l’exhorte en ce sens. Il se trouve si bien vers Dieu
que les siens en sont étonnés. Quant à nous, nous le sommes bien davantage à cause de
sa vertu et de sa foi en Notre Seigneur. Il agit de même chaque jour et il prêche
comme je viens de le dire à Votre Altesse. […] Dans toutes ses provinces il a réparti
un grand nombre d’hommes du pays qui tiennent l’école et enseignent notre sainte foi
au peuple. Il existe également des écoles pour filles, que dirige une sœur du roi,
449
Lettre de Rui de Aguiar, envoyé au Kongo comme supérieur ecclésiastique, au roi Dom Manuel du Portugal,
extraits cités dans Correspondance de Dom Afonso, de Jadin et Dicorato, op. cit., pp. 116-118.
450
BONTINCK, François, L’évangélisation du Zaïre, Ed. St Paul – Afrique, Kinshasa, 1980, p. 16.
187
femme d’une soixantaine d’années. Elle sait très bien lire ; ce qu’elle apprit, étant déjà
d’un âge avancé. Votre Altesse se réjouirait de s’en rendre compte. D’autres femmes
savent lire également. Et tous les jours que Dieu fait, les écolières vont à l’église
entendre la messe et se recommander à Notre Seigneur [selon une autre version : « A
la messe le roi se recommande à Notre Seigneur »]. Votre Altesse doit donc savoir que
ce peuple grandit véritablement dans la foi chrétienne et dans la vertu, car il connaît
maintenant la vérité. Que votre Altesse continue donc à s’intéresser à son bien, à
l’aider, à lui procurer les secours nécessaires, particulièrement en envoyant une grande
quantité de livres, parce que, Seigneur, ils ont besoin de ce secours plus que de tout
autre ».
Outre le grand prédicateur, le même témoignage reconnaît le roi kongo comme un grand
justicier :
« Votre Altesse se réjouira d’apprendre également qu’il est fort assidu à l’exercice de
la justice, qu’il punit ceux qui adorent les idoles et les fait brûler avec elles. Il a dans
son royaume des officiers de justice chargés d’arrêter tous ceux qui conservent les
idoles, s’adonnent aux fétiches ou font quelque autre action mauvaise qui porte
atteinte à notre sainte foi catholique »451
De fait, le roi ayant fait venir les chefs du royaume, les exhorta à cesser « d’honorer
les fétiches, de croire aux amulettes maintenant que nous avons vu la croix du Fils de Dieu »,
avertissant que « quiconque les honore sera condamné à mort ». Tous les chefs acceptèrent,
mais une femme qui portait des amulettes s’obstina, plus que jamais faisant « profession de
paganisme », le roi la fit enterrer vivante. La chronique ajoute que, devant les critiques
menaçantes des chefs qui prirent leurs arcs et leurs flèches, le roi sortit de chez lui, une croix à
la main et s’assit sur la grand’place de Congo, « élevant la croix, fixant les yeux au ciel. Les
chefs tirèrent sur lui de nombreuses flèches. Aucune ne l’atteignit. Stupéfaits, ils cessèrent de
tirer. Alors le roi leur dit : ‘’Vous voyez que Dieu l’emporte’’. Tous les chefs dirent alors
qu’ils croyaient à Dieu et au Christ. Dom Afonso leur remit des crucifix »452
Le deuxième témoignage porte sur les fruits de l’œuvre évangélisatrice du roi Donfunsu, tels
qu’en rend compte R. Beeckmans :
451
JADIN, Louis et DICORATO, Mireille, Correspondances de Dom Afonso, roi du Congo…, op.cit., pp. 116-
118. Mgr Jean CUVELIER en donne une autre traduction, cependant sensiblement proche quant à la substance,
L’ancien royaume de Congo…, op.cit., pp. 158-160.
452
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume Congo…, op.cit., pp. 120-121.
188
Sans aucun préjugé, on peut affirmer que s’il avait été européen, Dom Afonso aurait,
dans les conditions de l’époque, été canonisé. Mais, il n’est nul doute que le roi du Kongo
n’aurait pas déparé la liste des cent quatre-vingt vies qui remplissent les Legenda Sanctorum
de Jacques de Voragine455. Ce dernier aurait trouvé dans la vie de « l’ange », comme
l’appelait Rui d’Anguiar, de quoi la proposer comme une vita legenda, non pas celle d’un
douteux saint local, mais celle d’un personnage participant véritablement à la « Légende
dorée » du christianisme, avec les autres évangélisateurs et saints exemplaires.
De toutes les causes du déclin de l’œuvre missionnaire, il y a d’abord, sans que cela ait
nullement découragé le roi chrétien du Kongo, la traite des esclaves qui va créer un climat de
méfiance à l’égard de la religion et de l’Eglise importées par les Portugais. En effet, des
colons et marchands portugais, venus ensemble avec le christianisme, s’engagèrent dans ce
honteux commerce des esclaves dont le roi kongo se rendit compte et se plaignit auprès du roi
453
BEECKMANS, René, « La première évangélisation du Zaïre (1483-1835) », Zaïre-Afrique n° 147, 1980, p.
398.
454
BEECKMANS, René, ibid., p. 395.
455
Auteur, entre 1261 et 1266, de Legenda Sanctorum, (littéralement : ce qui doit être lu des saints), traduit en
français par Légende dorée, Introduction, notices, notes et recherches sur les sources par l’Abbé Jean-Baptiste.
Marie,. ROZE, chanoine honoraire de la cathédrale d’Amiens, Edouard Bouveyre, Editeur, Paris, MDCCCCII,
Numérisation Abbaye saint Benoît de Port-Valais, 22 février 2004.
189
du Portugal : « […] les marchands enlèvent chaque jour nos sujets […] Ils les enlèvent et ils
les vendent. Cette corruption et cette dépravation sont si répandues que notre terre en est
entièrement dépeuplée. Votre Altesse ne doit juger que cela soit bon ni en soi, ni pour son
service. Pour éviter cet abus, nous n’avons besoin dans ce pays que de prêtres, et de quelques
personnes pour enseigner dans les écoles et non des marchandises, si ce n’est du vin et de la
farine pour le saint sacrifice. […] C’est en effet notre volonté que ce royaume ne soit un lieu
ni de traite ni de transit d’esclaves, […]»456. Il semble néanmoins que le roi Afonso ne rejette
pas l’esclave comme tel, en particulier pas contre la traite des « vrais esclaves », ceux qui le
deviennent à la suite d’une défaite militaire ; il se révolte contre la chasse et le négoce
organisés des esclaves, des femmes auxquelles on arrachait leurs enfants qu’on jetait dans
l’eau, etc. Mais, lorsque le roi de Portugal en arriva à apprécier ce commerce pour lui-même,
alors que Dom Afonso lui envoyait jusque là des produits africains (ivoire, étoffes, peaux,
manilles), se dernier en fut fort attristé et accablé. En réalité, constatant qu’à la différence des
Amériques où les conquistadores trouvèrent immédiatement des quantités d’or qui réjouirent
les rois européens, l’Angola ne fut pas effectivement la terre argentifère qu’on en attendait,
dès lors, le Portugal et ses souverains se tournèrent vers le seul commerce alors possible, la
traite des esclaves. Emmanuel III lui-même « exprima le désir que les navires à leur retour
fussent chargés non seulement de cuivre et d’ivoire, mais aussi d’esclaves », Dom Afonso en
fut peiné. Il lui envoya au début cinq cents esclaves mais qui étaient des prisonniers de
guerre457. Emmanuel du Portugal ne se contenta plus des quelques expéditions de prisonniers
de guerre que faisait Dom Affonso, il voulut « se réserver le monopole du commerce » des
esclaves, « plutôt par esprit de lucre qu’avec le dessein de mettre des limites à la traite »458 ; il
n’y avait ainsi aucun espoir que la traite s’arrête.
456
JADIN, Louis et DICORATO, Mireille, op. cit., p. 156.
457
CUVELIER (Mgr), Jean, L’ancien royaume de Congo…, op.cit., p. 228.
458
Ibid.
459
BEECKMANS René, op.cit., p. 396.
190
Lisbonne suggéra au Pape Clément VII que « A mon avis, il serait nécessaire, comme on l’a
fait pour (ces) Maronites, d’autoriser les prêtres à avoir une épouse, car le pays est très
échauffant et rend les habitants moins tempérants et moins continents », car « C’est miracle
que cette contrée ne soit pas devenue bien pire qu’auparavant », « ces prêtres servent plutôt la
religion de Mammon que celle du Christ. Ils causent bien des dommages »460. En tout cas, le
dépit du roi Dom Afonso lui-même fut grand et comme l’affirme R. Beeckmans461,
« A la fin de sa vie surtout, ses lettres témoignaient de sa déception devant le prix qu’il
avait eu à payer aux rois, aux fonctionnaires et aux commerçants du Portugal pour
l’œuvre missionnaire.»
Après Dom Afonso, l’implication des clercs dans le trafic se fit en effet de plus en
plus ouvertement, on en connaît même quelques détails alors que les chroniques de
l’époque furent essentiellement l’œuvre de missionnaires. Mais, comme l’écrit Kabolo,
« On ne peut s’étonner que dans un Kongo où la traite occupe, aussi bien pour les
conquistadores que pour les pompeiros et les autres trafiquants, une place de premier
choix, les missionnaires aient possédé eux aussi des esclaves dits ‘’d’Eglise’’ […] Du
moment que la traite contribuait en bonne part au financement de la mission, les agents
évangélisateurs n’avaient pas d’autre choix que de l’approuver et d’y participer ». On ne
peut du reste pas nier que quelques prêtres indigènes fussent impliqués dans ce trafic « de
la marchandise humaine, c’est du reste très propable au vu de l’influence qu’exerçaient sur
eux aussi bien les clercs que les laïcs européens, qu’ils aient été complices de leurs
460
Lettre du Nonce apostolique Mgr della Rovere, dans Correspondance de Dom Afonso, op. cit., p. 195.
461
BEECKMANS, René, op.cit., p. 396.
462
JADIN Louis et DICORATO Mireille, Correspondance de Dom Afonso, roi du Congo, 1506-1543, Bruxelles,
Académie royale des Sciences d’Outre-Mer, Cl. Des sciences morales et politiques, XLI-3, 1974, doc. 54, p. 1
463
VAN WING, Jan, Etudes Bakongo. Sociologie, religion et magie, Bruges, 2e éd. 1959, p.38.
191
supérieurs et/ou des trafiquants »464. Les missionnaires s’étaient tellement attachés à leurs
pratiques que lorsque, en 1590, le supérieur général des jésuites, le père Acquaviva,
interdit le trafic, il s’entendit répondre par ses religieux que « sans leurs esclaves, ils
seraient contraints de se retirer d’Angola »465. Se justifiant par le manque de moyens466,
des missionnaires achetaient des produits venus d’Europe en échange d’esclaves, et avaient
établi un curieux troc entre les jésuites d’Angola et ceux du Brésil, ceux-ci envoyant des
matériaux de construction et des vivres à ceux-là, qui payaient en cargaison d’esclaves,
afin « d’éviter la vente massive d’esclaves à bas prix à Loanda » ; les esclaves étaient ainsi
employés par les jésuites d’Amérique dans leurs plantations et fabriques de sucre467.
Par ailleurs, l’existence des « esclaves d’Eglise » est attestée et c’est devenu un
véritable fléau du XVIIe au XVIIIe siècle, que ces esclaves soient revendus pour les plantations
et usines brésiliennes, ou commis « au service de la mission », ou attachés à un prêtre qui aurait
ainsi des esclaves personnels. C’est par exemple, le cas rapporté par Pierre Mukuna Mutanda
dont l’étude porte un titre évocateur, cas scandaleux parce qu’il concerne un petit enfant
dénommé Lorenzo, esclave dès l’âge de cinq-six ans au service d’un missionnaire du nom de
Giuseppe da Pistoia, qui l’avait acquis comme prix d’une trentaine de messes qu’il avait
célébrées à l’intention de l’épouse d’un capitaine portugais, le missionnaire l’amena à Gênes
alors qu’il était déjà à son service depuis huit ans468. Le même auteur fait état de la démarche
de Mgr Rosario da Porco, préfet apostolique du Kongo-Angola, auprès de la Congrégation
pour la propagande de la foi pour l’informer que des capucins s’adonnaient au trafic sans
autorisation du supérieur qu’il était, en dissimulant l’argent reçu qu’ils envoyaient en Italie,
estimant qu’ils n’avaient à faire rapport de cet argent à personne469 ; comme on voit le prélat ne
condamne pas mais réclame sa part. C’est vrai que des supérieurs s’en mêlaient. Par exemple,
ce chroniqueur célèbre, le Père Laurent de Lucques, de son nom d’origine Lorenzo da Lucca,
qui se rendit au Kongo d’abord du 4 décembre 1701 au 10 juillet 1708 et ensuite du 21 février
1713 au 17 mai 1720, comme missionnaire et, puis, après quelques années, il revient au kongo
464
KABOLO IKO KABWITA, Le royaume kongo et la mission catholique 1750-1838, Paris, Karthala, 2004,
pp. 142-143 et p. 145.
465
Ibid., p. 130.
466
Jean CUVELIER et Louis JADIN les excusent presque, expliquant en effet que recevant du roi leur
traitement en nzimbu (monnaie kongo en coquillages), les missionnaires devaient ainsi « convertir [ce traitement]
en esclaves vendus à Sao Tomé, ce qui était prévu et légal », mais ’cela les incita également « à faire aussi du
trafic et à se livrer au commerce pour subsister. Plusieurs se font d’ailleurs accompagner de parent, neveux ou
autres, qui les aident et les incitent à faire du commerce », L’Ancien Congo d’après les archives romaines (1518-
1640), Bruxelles, 1954.
467
Ibid..
468
MUKUNA MUTANDA, « La question des ‘’esclaves d’Eglise’’ détenus par les Pères capucins au Kongo et
en Angola (1645-1835) », Revue Africaine de Théologie vol. 15, n° 30 (octobre 1991), p. 166
469
Ibid.
192
comme préfet apostolique. Il n’est pas contre l’esclavage, au contraire, pourvu que des Noirs
catholiques ne soient pas esclaves des pays hérétiques (protestants ou islamiques). Il avait servi
comme chapelain sur un navire négrier qui achetait des esclaves kongo à vendre au Brésil, ce
navire « était sous la protection de Notre-Dame della Pigna de France. Notre-Dame, qui
m’avait protégé depuis le commencement de mon voyage, voulait encore m’accompagner et
m’introduire dans ma première mission » ( !)470. Parlant des relations des capucins avec la
province de Soyo et son prince à propos des esclaves, il écrit :
«Ce n’est pas une chose juste que des baptisés dans l’Eglise catholique soient vendus à
des peuples ennemis de leur foi. Nous nous rendîmes auprès du prince et nous lui
fîmes comprendre comment il serait bien d’admettre la traite avec les catholiques. Le
prince témoigna son grand contentement et permit de prêter l’oreille aux négociations.
On décida que notre supérieur irait comme ambassadeur sur le navire français pour
traiter cette affaire »471.
Dans la conduite de ces « affaires », il monta un jour sur un bateau hollandais pour s’assurer
qu’il ne prendrait pas d’esclaves pour le compte des peuples ennemis de la foi catholique, et il
raconte à ce sujet :
« Mais, parce que le capitaine ne me montra pas ses lettres, ne sachant donc pas où il
se rendait, je fus incliné à ne pas permettre la traite avec lui, d’autant plus que la
guerre entre les couronnes d’Europe ne laissait libre que la route vers les contrées
hérétiques. Le devoir m’indiquait de ne pas permettre un trafic qui livrait les âmes
baptisées, avec péril de leur perte aux mains d’hérétiques ennemis de l’Eglise romaine.
Ce navire du reste, peu après, s’enfuit durant la nuit de crainte d’être pris par un navire
français »472.
On le voit, il était plus qu’un simple trafiquant, il était surtout un négrier organisateur de la
traite473.
reprises état. Fra Luca da Caltanisetta, de son nom du monde Giuseppe Natale474, parlant
presqu’à chaque page de « nos esclaves », « des esclaves de notre église », de « mes
esclaves »475 ; Mukuna Mutanda analyse ce phénomène du XVIIe au XIXe siècle476, tandis
que Claude Prudhomme y consacre une étude dans laquelle il essaie de découvrir comment et
pourquoi l’Eglise a laissé s’élaborer, se développer et se pratiquer une théologie légitimant
l’esclave477. L’esclavage d’Eglise ou de missionnaires a ainsi duré jusqu’à l’éradication de ce
phénomène par les campagnes anti-esclavagistes de la fin du XIXe siècle.
Une autre épreuve frappa la mission du royaume kongo, avec la mort du roi-apôtre,
Dom Afonso, survenue en 1543, qui sans doute eut des répercussions sur le flux des
missionnaires qui n’était déjà pas très important, tandis que l’implication des missionnaires
dans la traite esclavagiste s’amplifiait, réduisant leur activité dans l’évangélisation. Certes, il
survivait une élite chrétienne qui avait pu donner des prêtres africains, une poignée, sous le
règne du successeur de Dom Afonso, Dom Diogo I. Au cours de ce règne qui connaissait une
période d’incertitude, sous des menaces incessantes de guerre civile, le nouveau roi, par
l’intermédiaire du père Diogo Gomes qu’il envoya comme ambassadeur auprès du roi de
Portugal pour cette mission, demanda néanmoins des prêtres, toujours en nombre insuffisant au
regard de l’étendue du royaume. La cour de Lisbonne lui conseilla les jésuites et Ignace de
Loyola lui-même envoya, avec Jorge Vaz comme supérieur, Diogo Soveral, coadjuteur
temporel, Cristovão Ribeiro et Diogo Dias et un frère, qui arrivèrent en 1548 ; ils s’installèrent
et ouvrirent un collège à Mbanza Kongo en juillet 1548478. Mais, ils révoltèrent le roi par leur
méconduite ; certains cherchèrent fortune dans le négoce ; on peut dans ce cas parler d’un
474
Il est né le 18 mai 1644 ; après des études chez les jésuites, il rentre chez les capucins le 21 juillet 1661,
ordonné prêtre en 1662 et nommé predicatore. Malgré ses multiples demandes pour devenir « missionnaire
apostolique », il ne fut admis par la Propagande qu’après 22 ans, le 27 janvier 1689. Le 11 novembre il
embarque via Lisbonne parce qu’il allait en pays de padroado, après plusieurs vicissitudes et une période de
maladie, il arrive à Luanda le 6 décembre 1690. Il va silloner le royaume du Kongo pendant 12 ans, surtout dans
les provinces de Mpemba, Mbata, Mpangu et Nsundi, devient préfet des capucins de Kongo et d’Angola en
octobre 1701 et s’installe pour ces fonctions à Luanda et y meurt le 20/11/1702. Il a rédigé ses Relatione del
Viaggio e missione di Congo fatta per me Fra luca da Caltanisetta, missionario apostolico, olim lettore et
predicatore capuccino della provincia di Palermo nelle Sicilia, nel 1689 sino al…, sans préciser le terme. Voir
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., pp. IX-XIII et CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo du
Père Laurent de Lucques, op.cit., pp. 72-73. Elisabeth MUDIMBE BOYI, Essais sur es cultures en contact :
Afrique, Amériques, Europe, Paris, Karthala, 2006, p. 29, donne un titre différent : Relatione della Missione fata
nel Regno Congo per lo spatio di undici anni in circa sino alla fine del 1701.
475
En voici un petit nombre de références, entre des dizaines, dans BONTINCK, François, Diaire congolais…,
pp. 12, 14, 16, 17, 23, 40, 67, 68, 71, 84, 143, 171, 194, …
476
Comme l’indique le titre de son étude ci-dessus évoquée, « La question des ‘’esclaves d’Eglise’’ détenus par
les Pères capucins au Kongo et en Angola (1645-1835) », Revue Africaine de Théologie vol. 15, n° 30 (octobre
1991), pp. 163-179.
477
PRUDHOMME, Claude, « L’Eglise catholique et l’esclavage : une si longue attente », L’Eglise et l’abolition
de l’esclavage, Les Cahiers du Centre d’études du Saulchoir n° 9 (1999), 9-20, Paris, Cerf, 1999.
478
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola tirées des archives de la Compagnie de Jésus, 1621-1631,
Extrait du Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, t. XXXIX (1968), Bruxelles-Rome, 1968, p. 349.
194
véritable trafic qui fut un fléau, notamment organisé par nombre d’autres jésuites. Bien que
réputé de faible personnalité et d’humeur changeante, Dom Diogo fut excédé par la déchéance
des missionnaires et chassa tous les missionnaires479. Les jésuites, concernés dans l’affaire,
expliquent les choses autrement. Selon eux, la maladie et plusieurs décès décimaient les
missionnaires tandis que pour plusieurs raisons certains rentraient au Portugal, au point où tout
l’établissement ainsi que la mission ne furent plus qu’entre les mains de deux jeunes qui,
succombant à l’esprit de lucre, abandonnèrent le collège en 1552, « ils seront l’objet des
sanctions de saint Ignace lui-même pour leurs malversations ». Mais, pour eux, c’est surtout
l’incompréhension du roi Diogo qui « fit avorter les plans merveilleux » des jésuites ; malgré
l’envoi de quelques unités supplémentaires par Ignace de Loyola, ils ne purent pas « reprendre
d’ascendant sur le roi Diogo ». Celui-ci « vivait publiquement en concubinage avec une parente
[…] Le P. Cornelio Gomes480 entra imprudemment en conflit à ce sujet avec le roi et le projet
de construction d’un grand collège par le P. Gomes qui voulait former des futurs prêtres […]
n’obtint qu’un commencement d’exécution. […] Cornelio Gomes se résigna à rentrer au
Portugal après un décret d’expulsion de tous les Portugais publié par Dom Diogo » (1557), qui
« aurait voulu voir confirmer le monopole du port de Pinda pour le trafic des esclaves et obtenir
un décret prohibant le commerce des Portugais avec l’Angola »481
A cette situation liée aux comportements des missionnaires, s’est ajoutée, pour
affaiblir encore plus la mission, l’insécurité générale qui avait commencé à régner sur le
royaume. Elle était due, certes, aux menaces d’invasions extérieures, mais aussi à des luttes de
succession, notamment entre les descendants de Ndonzuwau et de Ndonfunsu selon surtout
qu’ils avaient ou non été convertis, mais aussi à la discontinuité de la « mission » à cause
d’une présence entrecoupée de missionnaires venant d’ailleurs de différentes congrégations
qui se succédaient, ainsi qu’aux rivalités entre le Portugal voulant imposer son padroado et
l’Espagne qui, par sa puissance montante, le supplantait sur les mers et dans les terres
découvertes. Tout ceci a fait que, malgré la fidélité des rois qui se sont succédé sur le trône du
Kongo pendant près de deux siècles, l’Eglise n’ait pu véritablement prendre de l’envol. Il y a
lieu, également et surtout, de signaler des raisons spécialement liées aux conditions de
479
QUENUM, Alphonse, Evangéliser Hier, Aujourd’hui…, p. 128.
480
Cornelio est le nom pris par Diogo Gomes après son entrée chez les jésuites ; c’est lui qui sera, comme on le
verra plus loin, à l’origine du premier catéchisme en kikongo-portugais, publié trois ans après son retour au
Portugal le 15 août 1555 et qui sera envoyés aux franciscains (capucins) venus remplacer les jésuites en 1557,
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., p. 251.
481
JADIN, Louis, Ibid., pp. 250-251.
195
l’œuvre d’évangélisation elle-même pour expliquer l’échec de cette tâche de quatre siècles en
Afrique, cela sur plusieurs aspects.
Le padroado portugais faisait parrainer et diriger l’œuvre missionnaire par les rois du
Portugal et des autorités politiques qui entreprenaient la colonisation de cette partie de
l’Afrique et dont le pouvoir, auquel étaient ainsi liés les missionnaires, paraissait aux
autochtones comme oppresseur. La collusion plus ou moins consciente entre l’administration
coloniale ou d’occupation et l’Eglise missionnaire est une donnée historique certaine et
permanente, elle caractérisera également l’évangélisation de l’Afrique au cours des XIXe et
XXe siècles où certains missionnaires se mettront résolument derrière l’exploitation coloniale
et le colonialisme contre l’émancipation des peuples occupés. Elle est pernicieuse non
seulement parce qu’elle corrompt l’œuvre missionnaire mais aussi elle provoque des réactions
négatives de la part des colonisés dans une sorte de double rejet de la présence religieuse et
politique des Européens, l’Eglise et le christianisme étant alors considérés comme véhicule de
la domination et comme religion étrangère. D’autant plus que des missionnaires s’étaient,
comme on l’a, vu compromis avec le honteux trafic d’esclaves et l’exploitation économique
instaurés dès le XVe siècle à l’ombre de l’occupation, qui, soutenus par les mêmes autorités
politiques européennes, conduisirent le royaume Kongo à la décadence et à l’anarchie,
provoquant la méfiance à l’égard de l’œuvre d’évangélisation482. Au cours du XXe siècle, la
hiérarchie catholique s’en rendra compte et prendra conscience pour donner des directives
enjoignant aux missionnaires de ne pas commettre une confusion des genres entre le service
de l’Eglise et celui de leur pays.
De plus, l’ignorance des coutumes et des langues locales, ainsi que l’impréparation des
missionnaires à vivre dans ces contrées éloignées et à y évangéliser des peuples dont ils
ignoraient la culture, furent sources d’incontestables inconvénients dont le moindre n’est pas
que l’évangélisation et le christianisme, incompris non seulement de langue mais aussi de
sens, sont toujours passés aux yeux des autochtones comme des choses étrangères. Elle s’est
accompagnée d’une politique active de condamnation des coutumes et cultures, donc des
croyances et des pratiques religieuses locales ; il n’y aura jamais eu interpénétration entre la
nouvelle religion et les croyances ou religions traditionnelles africaines rencontrées dans les
pays de mission, en plus de rester collée au contexte politique de domination, la mission aura
482
BONTINCK, François, « La première évangélisation du Zaïre… », loc. cit., p. 39.
196
Par ailleurs, cette « première évangélisation » d’obédience portugaise fut marquée par
d’incessantes rivalités entre le padroado portugais et le Saint-Siège, en particulier depuis la
création de la Propaganda Fide qui devenait le maître d’œuvre ecclésial de la mission. La
conséquence de cette situation fut, entre autres, la longue vacance du siège épiscopal de
Mbanza Kongo (São Salvador). En réalité, le décès prématuré du premier évêque kongo, Dom
Henrique, en 1530, survint avant même que fut créé le diocèse du Kongo qu’il avait
demandé ; il n’eut d’ailleurs pas de successeur en tant qu’évêque d’Utique. On sait que ce
483
DELANOTE Daniel, « Le centenaire de la deuxième évangélisation au Zaïre », Vie Pastorale, n° 1,
Kinshasa, juin 1979, p. 38.
197
diocèse in partibus infidelium parce que cette antique cité romaine du Nord-Ouest de
Carthage et qui, après la troisième guerre punique, devint la capitale de la province romaine
d’Afrique, avait cessé depuis la conquête musulmane d’être chrétienne. De telle sorte que,
nommé évêque de ce diocèse fantôme vacant depuis la fin de la chrétienté dans la contrée,
Dom Henrique n’exerçait en fait aucun apostolat épiscopal nulle part, étant d’ailleurs placé
sous l’autorité de l’évêque portugais du diocèse qui avait juridiction sur l’Ile de Sao Tomé, le
Kongo et la Guinée, installé à Sao Tomé, mais qui fut éphémère484. Jusqu’à sa mort, survenue
après celle de son fils, Dom Henrique, le roi Afonso Ier n’eut de cesse que de demander
l’érection d’un diocèse du Kongo, mais il n’eut pas satisfaction, lui dont tout le monde se
plaisait à louer l’engagement au service du Christ et de l’Eglise. Lors du consistoire du 20 mai
1596 et par séparation du diocèse de São Tomé tellement vaste qu’il était « difficile, voire
impossible, aux évêques de visiter en personne de si vastes royaumes »485, il sera certes créé
un diocèse de São Salvador, avec juridiction sur l’Angola et le Kongo. Mais les premiers
évêques avaient facilement cédé à la tentation de séjourner à Luanda plutôt que de rester, à
São Salvador, « exposés aux exigences souvent arbitraires des rois du Congo »486. Très vite
d’ailleurs, au début du XVIIe siècle, son siège sera transféré à Luanda où se déporteront de
plus en plus les missionnaires, le Kongo perdant rapidement de son intérêt pour les Portugais
qui le délaissaient au profit de l’Angola et surtout du Brésil, tandis que la situation décrite ci-
dessus le plonge dans l’anarchie487, dorénavant il ne sera plus qu’un réservoir d’esclaves pour
l’économie montante du Brésil.
484
QUENUM, Alphonse, op.cit , p. 127.
485
Rapport de la visite ad limina pour le diocèse de São Salvador, présenté au pape et à la Congrégation du
concile par l’évêque Francisco de Soveral, le 1er avril 1631, Archives Générales S. J., Rome, Goa, t. 40,
Historiae Aethiopiae 1630-1659, fol. 8-12, JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola, tirées des
archives de la Compagnie de Jésus, 1621-1631, Bruxelles-Rome, 1968, p.428.
486
Ibid.
487
KABOLO IKO KABWITA, Le royaume kongo et la mission catholique…, op.cit., p. 63.
198
Après avoir été contraints d’évacuer São Salvador à l’époque de Dom Diogo Ier, les
jésuites ont préféré s’installer dans le sud, au royaume d’un chef appelé Inene Angola (le
grand Angola), où ils créèrent un collège qui fonctionnera de 1574 à 1722. D’autres jésuites,
revenus en 1619 à Mbanza Kongo sur l’invitation du roi Dom Pedro II, y fondèrent, avec
l’approbation en avril 1623 de l’évêque de Luanda où se trouvait le collège jésuite, un collège
qui, après les travaux et l’installation de l’équipe rectorale, fonctionnera de 1624, sous un
nouveau roi, Garcia I, à 1669. Le collège admit « les enfants portugais, métis et congolais »,
en utilisant déjà la traduction des prières et du catéchisme en kikongo dont il sera question
plus loin et dont le concepteur, le père Mateus Cardoso, se sera retiré au Portugal de 1623 au
5 août 1625, et lorsqu’il revient est nommé recteur du collège de São Salvador depuis 1623,
pour mourir le 18 octobre488. En plus des enseignants du collège, le groupe des prêtres en
charge de la mission était toujours présent, souvent en conflit avec les enseignants qui parfois
se mêlaient de la mission, laquelle s’enlisait dans des conflits ouverts avec les rois successifs,
certains missionnaires participant parfois à des complots qui aboutissaient au renversement de
souverains et étant soupçonnés de collusion avec les ennemis angolais. D’ailleurs cela faisait
très longtemps que les jésuites ne s’aventuraient plus à l’intérieur des terres, restant cantonnés
dans les capitales, Luanda et São Salvador, où ils côtoyaient les colons, eux aussi occupés à la
traite.
Mais, il y eut de nouvelles tentatives de relancer la mission au Kongo, notamment
grâce à la Congrégation de la Propagation de la foi créée en 1622, cette dernière s’adressa
aux capucins italiens qui arrivèrent le 3 septembre 1645 ; pour les motiver, le Saint-Siège
avait érigé une « préfecture apostolique du Kongo », enfin un siège épiscopal, par un « bref »
pontifical du 16 juillet 1640 que les premiers capucins apportèrent à Mbanza Boma489. Mais,
l’érection du diocèse intervient à un moment défavorable où l’évangélisation était en grande
difficulté. Car, s’il y a eu jusqu’à plus de 400 capucins passés par le Kongo, de 1645 à 1835,
en cette dernière année, la situation n’était guère meilleure qu’à la fin du XVIe siècle où l’on
constate que « Il y a une grande pénurie d’ouvriers dans ce royaume, car pour trente mille
localités que compte le pays, il n’y a en tout que vingt ou au plus trente prêtres »490. De fait,
très peu de missionnaires acceptaient encore d’aller servir en Afrique, préférant le Brésil où
s’était orienté l’intérêt du Portugal et où les salaires étaient plus intéressants. La pénurie
488
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., pp. 351-353 et 356.
489
Le « bref » est une décision du pape, communiquée par une lettre moins solennelle que la bulle papale et ne
portant pas le sceau pontifical.
490
CUVELIER, Jean et JADIN, Louis, L’Ancien Congo d’après les archives romaines 1518-1640, 1954, p. 201.
199
Toute cette situation de crise multiforme eut raison de la mission capucine qui, dès
lors, dépérissait et s’éteignait et, avec elle, la première évangélisation, celle du padroado
portugais. Les derniers capucins quittèrent le Kongo dans les années qui suivirent la décision
du Portugal d’interdire, en 1834, tous les ordres religieux sur son territoire et sur celui de ses
possessions. En 1865, la Sacrée Congrégation de la Propagande confia la mission du Kongo
aux spiritains, tandis que la France et le roi Léopold II de Belgique obtinrent du Saint Siège la
révocation du padroado portugais, déjà pratiquement en désuétude, pour permettre l’envoi de
missionnaires d’autres nationalités, dont ces spiritains français qui commencèrent la
« deuxième évangélisation », feignant d’ignorer la précédente, notamment au Congo de
Léopold II où dominait l’impression que tout recommençait à zéro.
De toute façon, c’est l’échec de l’approche locale suivie par les missionnaires, en
particulier dans une Afrique Centrale non encore totalement colonisée, en passant par des
arrangements et des pactes avec les chefs locaux, rêvant de fonder des sortes de « royaumes
chrétiens » autour des souverains et des élites qui pourraient ainsi entraîner tous leurs peuples.
C’est ce qui se vérifie chez les premiers missionnaires portugais du XVe siècle qui avaient
basé leur stratégie sur une alliance avec le roi converti, lui, sa famille et ses notables, et dont
la méthode fut imitée par tous les autres missionnaires, protestants comme catholiques,
notamment en Afrique australe et à Madagascar. Mais, il s’avéra impossible de soustraire
totalement les populations christianisées des intrusions aventurières et affairistes des colons,
200
Bien qu’une présence missionnaire ait pu se maintenir dans la région du Congo alors
occupée par le Portugal et qui, englobée dans un ensemble plus vaste du nom d’Angola,
demeurera colonisée pendant cinq siècles (de la fin du XVe siècle à 1975), elle connut des
difficultés pour se poursuivre. En tout cas, pour la partie plus tard intégrée au Congo belge, la
présence missionnaire était restée trop excentrée, trop près de la côte, ne s’étant étendue que
jusqu’au-delà de l’actuelle localité de Kisantu (Inkisi), alors Mbanza Nsundi, la province du
fils du Ntinu Dom Joäo (Ndonzwau), le prince Mvemba a Nzinga, baptisé Dom Afonso
(Ndofunsu), le futur « apôtre du Kongo », et ne put pénétrer les terres intérieures ; il faudra
attendre l’établissement de la colonisation belge pour que, parallèlement à la pénétration par
l’administration coloniale, soient implantées des « missions » catholiques.
491
L’échec de cette stratégie est bien expliqué par PRUDHOMME, Claude, Missions chrétiennes et colonisation
XVIe –XXe siècle, op.cit., pp. 71-72.
201
« une nouvelle mission bien importante, mais aussi bien pénible, c’est celle de Guinée.
C’est la patrie de nos pauvres Noirs, ces Noirs enfants de Cham y sont abandonnés et
comme partout et aussi pauvres qu’ailleurs […] La malédiction prononcée sur les
enfants de Cham est terrible, le démon a régné parmi eux jusqu’à présent »493
Ses premiers missionnaires partirent pour, outre la Réunion (l’Ile Bourbon), l’Ile Maurice
et la Martinique, le Vicariat des « Deux Guinées et Sierra Leone» dont la juridiction
s’étendait du Sénégal au fleuve Orange en Afrique australe, couvrant ainsi, entre autres, le
golfe de Guinée, le Gabon, la frange côtière du royaume Kongo etc. Dès la fusion des deux
congrégations, l’ordre du Saint-Esprit devint véritablement la congrégation des colonies,
elle avait, de cette manière, une vocation naturelle et, apparemment, un « charisme », pour
exercer la mission en Afrique494. Peu soutenus par les Portugais, les Spiritains français se
retirent provisoirement en 1870, pour occuper à partir de 1873 la nouvelle mission de
Landana dans l’actuelle enclave de Cabinda mais en dehors de l’influence portugaise, d’où
ils repartiront pour de nouvelles missions dans la future colonie belge. Alors, ils
installèrent le premier poste à Boma sur la côte le 12 mai 1880, et pénétrèrent dans les
terres pour en ouvrir d’autres, notamment à Linzolo dans le Bas-Congo, en 1884.
Parallèlement, les « missionnaires d’Afrique », congrégation fondée par Mgr Lavigerie,
obtint du Pape Léon XIII d’implanter des missions dans l’Est de l’Etat Indépendant du
492
http://www.users.skynet.be
493
J. LECUYER, cité par QUENUM, Alphonse, Evangéliser Hier Aujourd’hui, op.cit., pp. 163-164.
494
Son influence dès son entrée dans l’Ordre du Saint-Esprit sera telle que Libermann sera présenté comme le
« deuxième fondateur » de cet ordre, http://www.spiritains.org. Sur Libermann, voir COULON, Paul et
BRASSEUR, Paule (dir.) et coll., préface de L.S. SENGHOR, Libermann 1850-1852 : Une pensée et une
mystique missionnaires, Paris, Cerf, 1988.
202
Congo (E.I.C.) où sévissaient des razzias esclavagistes arabes495. En fait, les Pères Blancs
étaient déjà présent dans l’Est africain, notamment dans l’Uganda et dans le Tanganyika
depuis que leur fondateur, Mgr Lavigerie avait eu la charge de la contrée496. Les Pères
Blancs français créent ainsi leur premier poste au Congo, à Mulewa sur la rive occidentale
du lac Tanganyika le 28 novembre 1880.
On peut dire que 1879-1880 fut le début de la longue histoire, depuis ininterrompue,
de l’Eglise catholique au Congo, à la faveur de cette deuxième campagne missionnaire497. A
partir du milieu des années 1890, se succèdent plusieurs implantations, dans le Bas-Congo,
dans la région de l’actuelle capitale Kinshasa, notamment à Kingabwa puis à Kimwenza
(1893), à Léopoldville même (Saint Léopold en 1899, et progressivement furent créés les
postes qui deviendront les paroisses actuelles, Sainte Anne en 1915, Saint Pierre en 1935,
Saint François de Sales en 1938, Notre-Dame en 1948, etc.).
495
Le fait qu’il était évêque d’Alger n’est peut-être pas étranger à l’envoi des Pères Blancs de Mgr Lavigerie
dans cette partie qui, outre l’esclavage, était en quelque sorte « menacée » par l’islam, l’évêque en pays
musulman étant sans doute plus sensible à cette dimension ; de fait, Mgr Lavigerie engagea le colonisateur belge
à combattre les campagnes esclavagistes conduites dans l’Est du Congo notamment par Tipo Tip qui utilisait les
ports de l’Est africain.
496
Mgr Lavigerie, évêque d’Alger depuis 1866, profitera de la création par Léopold II, en 1878, de l’Association
Internationale Africaine pour l’exploration du bassin du Congo spécialement, pour rédiger le 2 janvier 1878, à
l’intention du pape, un « Mémoire secret sur l’ A.I.A. », où il expose ce que devrait être l’apostolat dans ces
contrées soumises à l’exclavage, attirant ainsi l’attention de Léon XIII qui le nomme le 24 février 1878 délégué
apostolique de l’Afrique Equatoriale avec responsabilité d’évangéliser la « Région africaine des Grands Lacs »,
avec les membres de son Instiut des missionnaires de Notre-Dame d’Afrique qu’il fonda en 1872, formant avec
d’autres instituts (frères et sœurs), la Société des Missionnaires d’Afrique (SMA, différente de l’autre SMA,
Société des Missions d’Afrique fondée en 1856 à Lyon), célèbre par ses « Pères blancs » (à cause de leur tenue
adaptée au Sahara et de la barbe blanche), voir RUDAKEMWA, Fortunatus, L’évangélisation du Rwanda (1900-
1959), Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 58, 61, 64-66.
497
C’est à ce titre que l’Eglise du Congo célébra en mai 1980 le centenaire de la « deuxième évangélisation » ;
pour cet événement, voir L’Eglise catholique au Zaïre. Un siècle de croissance (1880-1980), Kinshasa, Ed. St
Paul, 1981.
498
S’écrit aussi Kasaï, on trouve les deux formes chez les missionnaires, tandis que l’administration privilégie la
forme Kasaï ; le Kasaï, situé au centre du Congo, s’est, depuis 1960, scindé en deux provinces politico-
administratives qui s’appellent depuis 1972 Kasaï Occidental et Kasaï Oriental.
203
499
Pour l’histoire de Scheut, voir VEHELST, Daniel et DANIËLS, Hyacint, Scheut, hier et aujourd’hui (1862-
1983) Histoire de la congrégation du Cœur Immaculé de Marie – CICM, Leuven, 1991.
500
Cette localité fait actuellement partie de la province du Bandundu, à l’époque les terres de Léopld II n’étaient
pas encore organisées comme elles le seront plus tard, le Kasaï et une grande partie du Bandundu actuels
constituaient une même entité administrative et étaient dans un même « vicariat apostolique ».
501
KAVENADIAMBUKO, Ngemba Ntima, La méthode d’évangélisation des Rédemptoristes belges au Bas-
Congo (1899-1919) - Etude historico- analytique , Editrice Pontificana, Università Gregoriana, 1999, p. 89.
204
la fête de l’Immaculée Conception où fut célébrée la première messe502. Après cette première
réalisation, les fondations de missions au Kasayi vont s’enchaîner : Mérode Saint Jean
Berchmans en 1894, Muteba-SaintTrudon (près de Lusambo) en 1895, Hemptinne Saint
Benoit en 1897, Tielen Saint Jacques en 1898, une autre mission à Lusambo en 1906,
Ndemba Saint Jean-Baptiste en 1907, Luebo Sacré-Cœur en 1909, Kabinda Saint Martin en
1913, Katende Saint François Xavier en 1915, Ndekesha N-D des Sept douleurs en 1917,
Mayi Munene Immaculée Conception en 1919, ainsi de suite. En 1940, le Vicariat apostolique
du Kasayi comptait 31 missions503. Dans bien de ces missions établies en dehors de toute
agglomération, le peuplement initial fut garanti grâce à des familles d’esclaves rachetés par
les missionnaires, auxquels, comme à Luluabourg Saint Joseph, s’ajoutaient les porteurs
extérieurs à la région mais apportés par les missionnaires tout au long de leur avancée vers la
région choisie (parfois des étrangers, comme les porteurs « Bimbadi » d’Angola venus avec
les explorateurs coloniaux allemands à Luluabourg).
Pour des tâches particulières, dans divers secteurs sociaux, l’enseignement des jeunes
filles congolaises, la tenue des dispensaires, hôpitaux, maternités, homes de vieillards,
orphelinats et résidences de veuves, l’Eglise du Congo a très tôt senti, la nécessité de recourir
à des congrégations de religieuses, lesquelles, comme pour les prêtres, furent au départ des
congrégations missionnaires, venues d’Europe et installant des « maisons » locales
provinciales ou diocésaines. Les premières religieuses installées au Congo sont celles de la
Congrégation des Sœurs de la Charité de Jésus et de Marie de Gand (Belgique) arrivées en
502
SCHEITLER (Père), Marcel, L’histoire de l’Eglise catholique au Kasayi, Kananga, Ed. de l’Archidiocèse,
1990, pp. 9-13.
503
Ibid., pp. 351-355.
205
1892 au Bas-Congo, qui s’occupent des hôpitaux comme celui de Kinkanda près de Matadi et
des orphelinats comme celui de Kimbao près de Muanda, et de la formation des jeunes filles.
Cette congrégation va étendre sa présence en ouvrant un couvent, deux ans plus tard, à
Luluabourg Saint Joseph encore appelée Mikalayi, près de l’actuel Luluabourg (Kananga) au
Kasaï. D’autres congrégations missionnaires suivront à mesure que se multipliaient les
missions, beaucoup d’autres pour être établies sur tout le territoire de la colonie, comme les
Sœurs de Notre-Dame de Namur (1894), les Franciscaines de Marie en 1896, les Sœurs du
Cœur Immaculé de Marie en 1899, les Filles de la Croix en 1911, les Sœurs Franciscaines du
Règne de Jésus-Christ, en 1911 également, les Augustines en 1919, les Sœurs du Sacré-Cœur
de Marie en 1939. Il y eut ainsi des couvents dans tous les diocèses ; lors de l’accession du
Congo à l’indépendance, en 1960, on pouvait constater que ces congrégations missionnaires
avaient formé 890 religieuses congolaises504.
Depuis 1888, tout le territoire colonial belge était organisé en deux divisions
ecclésiales fédérant l’ensemble des missions existantes et appelées « vicariats apostoliques » :
le vicariat apostolique du Congo Belge pour l’ensemble de la partie ouest comprenant, outre
la ville de Kinshasa, les actuelles provinces du Bas-Congo, du Bandundu, de l’Equateur, du
Kasaï Occidental, du Kasaï Oriental et de la province Orientale, et le vicariat du Haut Congo
couvrant essentiellement la région des Grands Lacs et la partie du Katanga qui était déjà
intégrée dans la possession belge. Au fur et à mesure de cette implantation, va se mettre en
place une nouvelle organisation structurelle et pastorale, en des structures territoriales
appelées des « missions indépendantes », « préfectures apostoliques » avant de devenir à leur
tour des « vicariats apostoliques » à part entière, appellations propres aux pays de mission
comme l’était le Congo, qui seront, une fois que la « hiérarchie » d’une Eglise locale aura été
instaurée pratiquement la veille de l’indépendance du Congo-Belge, à l’origine des 47
diocèses actuels, dont 6 archidiocèses.
Il faut signaler cette sorte d’encadrement disciplinaire, moral et culturel des convertis
par les missions dans l’E.I.C., selon des stratégies mises en place par les scheutistes, ainsi
d’ailleurs que le faisaient les jésuites implantés dans le Bas-Congo (à Kionzo, à Kisantu et à
Kimwenza près de Kinshasa). Il faut dire que la méthode fut imposée par la difficulté
rencontrée par les missionnaires pour « convertir les adultes », il fallait donc des stratégies et
des approches qui plairaient et attireraient. C’est pour cela qu’avec l’aide de l’Etat, qui prit en
charge les enfants libérés lors de la grande campagne antiesclavagiste de Mgr Lavigerie et de
504
Actes de la VIème Assemblée de l’épiscopat, op. cit., p.67.
206
l’E.I.C., ainsi que les orphelins et enfants abandonnés505, qui deviendraient « les pupilles de
l’Etat » dont la formation sera confiée à des missionnaires (dans des « colonies scolaires »
dont certaines, celles de Boma et à Makanza « Nouvelle Anvers », sont célèbres) ou à la force
publique (l’armée), tandis que des adultes victimes des esclavagistes arabes ou de l’esclavage
interne (intertribal) mais rachetés par les missionnaires étaient également recueillis par eux ;
ces esclaves affranchis constituent le premier groupe cible de l’évangélisation. Un autre
groupe est formé, sur la base d’une expérience déjà en œuvre avec un brin de paternalisme
chez les scheutistes d’Extrême-Orient506, à partir de ceux qui redoutent l’insécurité et la
misère, qui trouveraient la liberté et la protection auprès des missionnaires. Ces personnes
bénéficieraient ainsi d’une aide multiforme : logis que les villageois ont le droit de construire
à l’ombre et sous la protection de la mission, traitement et soins, éducation, travail et, donc,
revenu, et… évangélisation. Cette stratégie prit des formes variées : fermes-chapelles chez les
jésuites, villages-chrétiens (ou villages des missions) chez les scheutistes. Le projet
d’évangélisation était de soustraire les nouveaux chrétiens à l’influence aussi bien de leur
milieu coutumier avec ses idées et pratiques « païennes » et, ainsi, éviter le risque d’un retour
au paganisme, qu’à celle des colons blancs aux mœurs dissolues ; on les regroupait, hommes,
femmes et enfants, autour de la mission, en un « village chrétien » à l’image de ceux qui se
construisaient en Amérique, « soumis à des règles d’ordre et de discipline intérieure édictées
par le missionnaire »507. L’espoir était également nourri que les « villages chrétiens »
transformeraient les villages environnants et amèneraient l’évangélisation de vastes régions
Ainsi, partout, particulièrement au Kasayi, autour de la résidence des missionnaires, se
fondaient des villages en quelque sorte « extra-coutumiers », dont les habitants, désignés
comme « les gens de la mission » ou les « hommes des missionnaires », venant d’un peu
partout ou, souvent à l’origine, d’anciens esclaves libérés ou rachetés et adoptés par les
prêtres, ainsi qu’on l’a vu, et qui se singularisaient de ceux des milieux traditionnels parce
qu’ils ne relevaient en principe d’aucune autorité coutumière mais aussi et surtout par un
mode et une discipline de vie constamment sous contrôle des missionnaires.
505
Depuis qu’il était évêque d’Alger, Mgr Lavigerie s’était engagé personnellement dans l’assistance aux
orphelins qui fut pour lui un des grands buts de l’apostolat.
506
Voir, HANSSEN, Alain, « Les méthodes d’évangélisation des pères de Scheut durant l’entre-deux-guerres en
Mongolie – Dossiers », in BTNG-RBHC, XVII, 1983, 3-4, pp. 461-486, spécialement pp. 464-467.
www.flwi.ugent.be.btng-rbhc/pdf/BTNG-RBHC,%2017,%201986,203-4,%20pp%20461-468.pdf
507
Rapport sur l’érection de la Mission du Kasaï supérieur, 1901, cité par PRUDHOMME, Claude, op.cit., pp.
75-76 ; le rapport décrit la pratique dans la région de Luluabourg, mais la stratégie d’implantation était partout
identique.
207
Claude Prudhomme a vérifié cette pratique à une échelle plus large de la mission un
peu partout en Afrique, observant que les missionnaires catholiques « obéissent à une logique
qui passe par l’édification de mico-chrétientés sur lesquelles les missionnaires exercent un
contrôle direct, à l’occasion de leurs tournées, ou indirect à travers des relais locaux […] »,
une pastorale qui suppose « de séparer les néophytes de leur milieu, pour éloigner le risque
d’un retour au paganisme ». Il constate « l’universalité du modèle de la chrétienté organisée
autour du missionnaire », aussi bien dans les missions des Indes que dans le travail des
scheutistes au Congo belge. Dans le premier cas, le délégué apostolique L.M. Zaleski vantait
les mérites des conversions collectives en comparaison avec les conversions individuelles,
parce que « les missionnaires doivent travailler à provoquer des conversions en masse, même
au risque de défections futures qui, dans ce cas, sont inévitables ». Dans le futur Congo belge,
il cite le cas précis de la mission au Kasayi « où la logique est poussée à son terme » par les
scheutistes qui « ont commencé par s’installer à proximité de Luluabourg ; ils y ont groupé
peu à peu autour de leur résidence les esclaves libérés ou rachetés » et en demandant de leur
part une dépendance basée sur les lois coutumières du pays, de façon que tout le personnel
ainsi adopté […], se considèrent […] comme les hommes du Missionnaire »511.
508
Ces fermes-chapelles et postes secondaires portaient des noms exotiques, du genre, Lourdes Notre-Dame,
Ypres St Joseph, Grammont sur la montagne, Flobecq N-D de la paix, Courtai St Amand, Hély St Aignan,
Waterloo St Henri, Asseghem St jean, etc.
509
SCHEITLER, Marcel, op., cit, pp. 109-112, spécialement pp. 110-111.
510
KAVENADIAMBUKO Ngemba Ntima présente d’une façon assez complète cette méthode suivie dans
certaines régions non seulement par les scheutistes, à la suite des jésuites, mais aussi par les rédemptoristes, in
La méthode d’évangélisation des Rédemptoristes belges…, op.cit., pp. 90-111.
511
PRUDHOMME, Claude, Missions chrétiennes et colonisation…, op.cit., pp. 75-76.
208
« Ils sont crédules ; ils savent qu’il y a un Dieu dans le ciel et restent persuadés que
nous sommes venus de là. Ils sont très prompts à dire quelque prière que nous leur
enseignons et font le signe de la croix. Ainsi Vos Altesses doivent se déterminer à en
faire des chrétiens, et je crois que, si l’on commence, en très peu de temps, Vos
Altesses parviendront à convertir à notre Sainte Foi une multitude de peuples en
gagnant de grandes seigneuries et richesses ainsi que tous les peuples d’Espagne,
parce que sans aucun doute il y a dans ces terres de grandes masses d’or. »512.
Mais, ces liens historiques et, peut-être, stratégiques, entre l’Eglise missionnaire et
l’administration coloniale sont à l’origine d’un ensemble de difficultés d’ordre psychologique,
politique et social, auxquelles, surtout vers la fin de la colonisation, elle devait faire face.
512
Ibid., p. 25.
209
« Toute puissance européenne établie sur une côte africaine pourrait revendiquer
l’arrière pays, en reculant indéfiniment ses frontières jusqu’à ce qu’elles rencontrent
une zone d’influence européenne voisine, mais que l’annexion suppose une
occupation effective du terrain et une notification immédiate aux autres puissances
des traités conclus avec les indigènes »514.
Dès ce moment, Léopold II allait établir avec le catholicisme missionnaire belge des
liens d’une étroite collaboration, dont les termes seront formalisés et cristallisés dans une
convention conclue en bonne et due forme, le 26 mai 1906, entre l’Etat Indépendant du Congo
et le Saint-Siège. Certes, on peut affirmer que dans tous les territoires colonisés, une certaine
collaboration s’est toujours instaurée entre les missionnaires et le pouvoir colonial, de même
que toute puissance coloniale préfère que l’évangélisation soit confiée aux prêtres nationaux.
Ainsi, R. Bureau note une telle collaboration au Cameroun entre le colonisateur allemand et la
congrégation des Pères Pallotins, dont les responsables se félicitaient de « la coopération
513
Elle réunit treize nations européennes et les Etats-Unis : Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark,
Espagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Russie, Suède et Turquie.
514
Dans BRUNSCHWIG, Henri, Le partage de l’Afrique noire, question d’histoire, Paris, Flammarion, 1971, p.
127.
515
NKULU BUTOMBE, « L’arrivée des premiers missionnaires du Saint-Esprit au Zaïre », in L’Eglise
catholique, Kinshasa, 1981, pp.61-71.
210
importante entre l’Etat et l’Eglise … et (de) l’entente fondamentale entre les deux pouvoirs
suprêmes », tandis que les prêtres considéraient, comme signe de patriotisme, d’éduquer les
indigènes dans le sens de « la germanité »516, ce que confirme Jean-Paul Messina citant
l’évêque allemand du Cameroun encore colonie allemande, Mgr Heinrich Vieter, qui fait
« l’éloge de la collaboration entre les forces coloniales et les missionnaires »517. Il y a là, au
moins comme réminiscences, une forme moderne du partage du monde (entre Espagnols et
Portugais en 1493 par le Pape Alexandre VI Borgia) et tradition du padroado qui reconnaît
aux colonisateurs un droit de patronage sur les missions installées sur le territoire de leurs
possessions518, un véritable renouveau du traditionnel cuius regio eius religio. Ce lien entre
missionnaires et administration coloniale a dénaturé la vocation de la mission et dans bien des
cas, comme dit Alioune Diop, « Sauf de rares exceptions, les missionnaires semblent, au long
des siècles, avoir confondu leur vocation de messager et d’interprète de Dieu avec la
glorification de leur propre histoire et de leur propre génie »519
évangéliser »520. Il fut pratiquement conforté dans ce rôle par le pape Léon XIII lui-même
dans une lettre au Supérieur de la congrégation de Scheut dont l’extrait ci-après :
« Vous n’ignorez pas, cher Fils, Notre ardent désir de voir les peuples sauvages de
l’Afrique abandonner les ténèbres de l’erreur à l’éclat de lumière de l’Evangile, et
échange leurs coutumes abruties avec la politesse et la civilisation chrétienne […]
C’est grâce aux Belges, et surtout aux ministres de l’Eglise qui se rendent au Congo
sous les auspices et avec la protection de leur très religieux prince, que la lumière de
la vérité commence à se lever sur la terre africaine, et que ses habitants se prennent à
délaisser les habitudes et les prescriptions de la barbarie pour se plier aux usages des
peuples policés. Ce changement aura pour effet de soustraire à la loi de leurs
caprices ces tribus, peuplades ravalées au niveau de l’animalité, et de les faire passer
de la servitude de la corruption à la glorieuse liberté des enfants de Dieu »521.
« Le Congo a donc été et n’a pu être qu’une œuvre personnelle. Or, il n’est pas de
droit plus légitime et plus respectable que le droit de l’auteur sur sa propre œuvre, fruit
de son labeur [...] Mes droits sur le Congo sont sans partage; ils sont le produit de mes
peines et de mes dépenses [...] Le mode d’exercice de la puissance publique au Congo
ne peut relever que de l’auteur de l’Etat; c’est lui qui dispose légalement,
souverainement, et qui doit forcément continuer à disposer seul, dans l’intérêt de la
Belgique, de tout ce qu’il a créé au Congo »522.
Avant 1908, le pouvoir exécutif était régi par le « décret du Roi Souverain du 1er
septembre 1894 ». Le roi nommait un secrétaire d’Etat, « chargé de l’exécution des mesures
décidées par nous ». Le secrétaire d’Etat était assisté d’un trésorier général et de trois
520
KAYENADIAMBUKO, Ngemba Ntima, Les méthodes d’évangélisation des Rédemptoristes belges au Bas-
Congo (1899-1919)…, op.cit., p. 88.
521
Cité par QUENUM, Alphonse, op.cit., p. 181.
522
KAYENADIAMBUKO, Ngemba Ntima, ibid.
212
En réalité, il n’est pas exagéré de dire que les tâches principales des agents de l’EIC
consistaient à faire récolter l’ivoire, le caoutchouc et à recruter des hommes par la force. Ces
méthodes étaient également utilisées dans l’exploitation du cuivre au Katanga et de l’or dans
la région de Kilo-Moto (dans l’actuelle Province Orientale, dans le Nord-Est du Congo), où
523
Londres 1909 et Paris 1910, réédité à Bruxelles en 2005 avec une postface de Colette Braeckmann.
524
Sur le système léopoldien, lire VANGROENWEGHE, Daniel, Du sang sur les lianes, Bruxelles, Didier
Hatier, 1986 ; MASSOZ, Michel, Le Congo de Léopold II, Liège, 1989 et HOCHSCHILD, Adam, Les fantômes
du roi Léopold II - Un holocauste oublié, Paris, Belfond, 1998. V. également Le roi blanc, le caoutchouc rouge,
la mort noire, documentaire belge, de Peter BATE, vu sur ARTE-Tv, mercredi 10 mai 2006,
213
les « travailleurs » étaient de véritables forçats, recrutés de force dans la brutalité, par des
enlèvements etc.
« confiance » entre la mission et les affaires quand, par exemple, des rébellions se lèvent
contre les agents de la CK (comme la rébellion kuba en 1905), elle utilise la Force Publique
(l’armée coloniale composée de Noirs dirigés par des commandants blancs) pour sécuriser la
compagnie et les missions, consommant une application locale de la trilogie coloniale
« Eglise-Administration-milieux d’affaires ». C’est de cette manière que, mise en cause par
cette campagne des protestants, la même Compagnie du Kasaï (CK), sur la base et forte de ce
contrat, demanda à la Mission du Kasayi de l’aider dans la propagande qu’elle comptait
entreprendre pour redorer son image, voulant se montrer comme une entreprise de
philanthropie en faveur des travailleurs indigènes. L’Eglise du Kasaï, par l’intermédiaire du
Père Cambier, le provincial de Scheut, lui rendit ce service en l’associant à ses œuvres
généralement bien réputées et appréciées. On cite particulièrement, comme résultat de cette
coopération, la fondation et la construction de deux missions avec école et hôpital. Il s’agit
d’abord de la mission et de l’école de Ndemba St Jean-Baptiste (au Kasayi, à quelque
soixante kilomètres au Nord-Ouest de Luluabourg) dont la CK suggéra d’elle-même, en 1908,
de financer la construction et l’équipement. La mission fut construite sur un plateau étendu
appelé « Kapinga-Ngombe », du nom d’une célèbre guerrière locale qui fut tuée au combat
sous un gros arbre auquel elle avait également donné son nom et sous lequel « les sorciers
décidaient du sort des tribus voisines » parce que, depuis, les guerres se terminaient à l’ombre
de cet arbre. C’est sous cet arbre, justement, que les premiers responsables de la mission, les
pères A. Demol et R. Buytaert, bâtirent leur premier abri527. La construction de l’Eglise fut
achevée en 1915. Une autre réalisation Eglise-CK fut la construction et l’équipement d’une
mission et d’un hôpital à Pangu, sur la rive gauche de la grande rivière Kasaï près d’Ilebo
(Port-Franqui), arrangée au cours d’une correspondance suivie entre la compagnie et le
provincial de Scheut. Dans cette correspondance, le directeur de la CK proposait au supérieur
de s’occuper « des constructions du service religieux », à réaliser « sous la surveillance des
R.P. (Révérends Pères) destinés à les occuper, par des travailleurs et artisans à la solde de la
CK » et de « mettre à leur disposition tout ce qu’ils [nous] demanderont ». Le prêtre lui
répondait en lui disant qu’il était « parfaitement et entièrement d’accord avec toutes les
dispositions », […] « Quant aux 50 travailleurs, je vais faire mon possible pour les trouver
[… ; ] mais, ne croyez-vous pas, Monsieur le Directeur, qu’il serait bon de donner à Monsieur
le gérant de Luebo des instructions […] pour les tickets de passage à leur livrer ? Dans
quelques mois, j’aurai l’intention d’aller voir Pangu et je profiterai de l’occasion d’aller vous
527
SCHEITLER, Marcel, Histoire de l’Eglise catholique au Kasayi, op.cit., pp. 120-121. L’auteur précise, détail
croustillant, que l’arbre fut abattu en 1909, les païens prédisant les pires malheurs à la mission, quelque temps
après, la foudre tomba juste à cet endroit.
215
présenter nos respects. Je suppose, Monsieur le Directeur, que comme dans nos bonnes
relations antérieures, je pourrai profiter du steamer de la CK descendant de Luebo »528. On a,
là, une illustration d’échanges de bons procédés et de la coopération mutuellement fructueuse
entre les colons et les responsables de l’Eglise missionnaire.
528
V. l’échange de courriers, notamment sur le projet de Pangu, entre le père Cambier et le directeur de la CK,
M. Chaltin ; lettre de Chaltin à Cambier (28 février 1908) et la réponse de Cambier (5 juin 1908), cité par NKAY
MALU, Flavien, La mission chrétienne à l’épreuve de la tradition ancestrale…, op.cit., pp. 66-67. Il en est
également fait état par Marcel. SCHEITLER, op.cit., p. 121.
216
529
TERRAS, Luc, Petit atlas des Eglises africaines. Pour comprendre l’enjeu du christianisme en Afrique, ibid.
530
KABONGO-MBAYA, Philippe B., L’Eglise du Christ au Zaïre. Formation et adaptation d’un
protestantisme en situation de dictature, Paris, Karthala, 1992, pp.59-60, où il cite ces considérations de Mgr de
Hemptine, évêque au Katanga, dans un véritable brûlot « La politique des Missions protestantes au Congo »,
Elisabethville, 1929
531
Sur Harris, lire BUREAU, René, Le prophète de la lagune. Les harristes de Côte d’Ivoire, Paris, Karthala,
1996, et WONDJI, Christophe, Le prophète Harris, Paris, Ed. ABC, 1978.
218
qui n’ont pas pu être dissipés. Ainsi, après 1908, les sévères accusations contre le système
léopoldien ont certainement fait évoluer les méthodes de la Belgique, héritière du monarque,
sans changer d’objectif ; dans ces adaptations, l’Eglise coloniale a joué un rôle de premier
plan. En effet, l’école missionnaire s’est présentée comme un moyen efficace comme le
souligne en 1930, Mgr V. Roelens, à l’époque Vicaire Apostolique du Haut-Congo:
« Mais ce qui nous donne surtout bon espoir, c’est d’avoir pu constater que toute
l’élite des coloniaux, à quelque opinion qu’ils appartiennent, est, aujourd’hui,
persuadée que, seule, la religion chrétienne-catholique, basée sur l’autorité, peut être
capable de changer la mentalité indigène, de donner à nos noirs une conscience nette
et intime de leurs devoirs, de leur inspirer le respect de l’autorité et l’esprit de
loyalisme à l’égard de la Belgique. »532
En tout état de cause, qu’une véritable légende, mais tenace, comme celle soupçonnant
les prêtres de divulguer le secret du confessionnal en dénonçant auprès de l’administration et
de la police coloniales les crimes avoués en confesse, ait pu s’imposer dans les milieux des
colonisés comme vérité avérée montre bien le degré de méfiance que suscitait cette relation
complexe entre les missions et la colonisation belge au Congo. Enfin, que l’administration ait
eu parfois à redouter les réactions de certains religieux ou même de l’Eglise sur certains
aspects noirs de l’exploitation et de la répression ou de la politique coloniales est un fait réel
mais qui n’enlève rien au fait que, globalement, pour des milieux nationalistes et des
anticléricaux, l’imposition de l’ordre nouveau colonialiste avait bénéficié de la collaboration
active de l’Eglise catholique, entraînant dans un malheureux amalgame une commune
contestation du christianisme et du colonialisme.
532
FRANCK, Louis, Le Congo Belge II, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1930, pp. 208-209, cité par Honoré
VINCK, « Le Congo de Bwana – Influence des Théories Raciales dans l’Education en Afrique Coloniale »,
http://www.realisance .afrikblog.com
219
IV
Si Daniel-Rops trouve dans ces directives une « façon de faire si sage, celle que
l’Eglise utilisera partout, qu’on verra notamment appliquer les moines anglais en
Allemagne », « la cause de cette substitution, en tant des lieux observable, …, des coutumes
chrétiennes, des fêtes chrétiennes, aux fêtes et aux coutumes immémoriales du passé »,
directives « si intelligentes, si fermes, si raisonnables qu’on peut y voir le résumé de la
tactique de l’Eglise en matière de conversion »534, il n’en fut cependant pas ainsi dans la
conversion des continents extérieurs à l’Europe. Partout, notamment en Amérique du Sud
mais aussi en Afrique, le modèle chrétien occidental avait supplanté, du moins dans les
célébrations et dans les comportements publics, les traditions religieuses et rituelles
« païennes » locales, dans une situation de rapport de forces défavorable aux cultures des
contrées conquises qui n’ont pu résister dans leur usage public. La situation fut identique
même en Chine et en Extrême-Orient où, pourtant, en général, les missionnaires rencontrent
plus de résistance au niveau des élites, lesquelles étaient considérées comme susceptibles
d’amplifier le mouvement d’adhésion des masses ou des castes humbles.
533
SEUMOIS, André, Théologie missionnaire. IV Eglise missionnaire et facteurs socio-culturels, Rome, 1978,
pp. 32-33. Un colloque fut consacré à cet événement à Arles qu 20 au 22 novembre 1998, il a donné lieu à une
publication, De DREUILLE (présentation), Christophe, L’Eglise et la mission au VIe siècle, la Mission
d’Augustin de Cantorbéry et les Eglises de Gaule sous l’impulsion de Grégoire le Grand, Actes du Colloque
d’Arles de 1998, avec la préface de Mgr Louis-Marie Billé, Paris, Ed. du Cerf, 2000.
534
DANIEL-ROPS, La conversion des barbares d’Occident, in Histoire universelle des missions catholiques 1
Les Missions des origines au XVIe siècle, Paris, Fayard, 1961, pp. 101-102.
535
LAURENTIN, René, op. cit., pp. 125-126.
221
Par rapport à cette problématique culturelle, la question était de savoir si, en devenant
chrétiens, on pouvait encore continuer d’être loyalement Chinois, continuer, parallèlement au
culte chrétien, l’usage des rites familiaux et nationaux, culte des ancêtres avec encensements,
saluts, oblations et prosternations devant des « autels » familiaux où se trouvent des tablettes
avec les noms des défunts de la famille ; à cela s’ajoutait un culte rendu à Confucius. Il y
avait, là, conflit entre ces rites de piété filiale et nationale et le christianisme au nom duquel
ces rites pouvaient être considérés comme de l’idolâtrie païenne. Par ailleurs, on affichait dans
les églises des copies d’une tablette offerte par l’empereur et sur laquelle il avait de sa main
écrit « il faut adorer le ciel », les Chinois vénéraient ces tablettes, était-ce de l’idolâtrie ou
simple révérence pour un objet venant de l’empereur ? Enfin, pouvait-il y avoir concordance
entre certains concepts religieux chinois et ceux du christianisme, par exemple la traduction
du terme « Dieu » par le chinois « tienzhu » ou « tien-tchou» représentait-elle le Dieu chrétien
ou une vague idée de divinité ou de « dieux » ; la traduction de « ciel » par « tien »
comprenait-elle autre chose que le « ciel » matériel ou, en plus, une idée d’être ou de principe
suprême ? On peut ainsi présenter le cœur de la querelle, en ces trois questions : Peut-on être
catholique et participer aux cérémonies en l’honneur de Confucius ? Peut-on être catholique et
pratiquer les rites du culte des ancêtres ? Par quels termes chinois doit-on désigner Dieu ?536
Ces questions se sont manifestées dès la rencontre entre les deux cultures. Mais, du
temps de Ricci, cela ne posait aucun problème particulier : Ricci, qui avait trouvé « qu’à ses
yeux Confucius est un autre Sénèque et que les quatre Livres sont de bons documents
moraux »537, expliquait qu’il avait appris des Chinois que la piété familiale aux ancêtres
n’était pas de l’idolâtrie auprès de morts pour leur adresser des prières ou des demandes, tout
comme les oblations qu’on leur faisait, et que tout cela ne servait qu’à des fins pédagogiques
pour faire intérioriser chez les jeunes la « révération » et le respect des parents en voyant
ceux-ci avoir révéré leurs propres parents et continuer de le faire même après leur mort.
Tandis que le « culte » de Confucius était une marque nationale de reconnaissance pour la
bonne doctrine qu’il leur avait léguée, alors qu’il ne lui est adressé aucune prière ni
demande538. Pour les jésuites, il n’y avait là que des rites ayant un simple sens civil, rendant
hommage à la mémoire de Confucius et des ancêtres sans les prendre pour des mânes ou,
536
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 38.
537
GERNET, Jean, op.cit., p. 191.
538
LAURENTIN, René, op.cit., p. 131.
222
encore moins, des divinités539. S’agissant de la désignation de « Dieu », face aux trois
vocables qui désignaient Dieu, « tienzhu ou tien-tchou » (Seigneur du ciel), « Chang-ti »
(Souverain Seigneur) et « T’ien » (Ciel), tous utilisables dans ces mêmes acceptions dans le
Nouveau Testament et dans la langue courante en Occident, Ricci lui-même préférait et
utilisait « le Seigneur du Ciel ». Il considérait les « rites », en fait, comme des marques de
courtoisie, de respect filial ou de loyalisme et de reconnaissance, qui n’avaient pas de contenu
ou de sens religieux.
Etienne Ducornet, sans pour autant représenter le point de vue des jésuites, opine, en
effet, dans ce sens. Répondant à la question à laquelle pour lui revient la fameuse querelle,
« la foi catholique est-elle compatible avec la pratique des cérémonies en l’honneur de
Confucius et le culte chinois des ancêtres ? » qu’il traduit par « les rites chinois sont-ils
religieux ou civils ? », il affirme que
Il confirme sa position par une comparaison avec les cérémonies civiles organisées en
l’honneur des ancêtres dans plusieurs pays, comme la France (« vénération » des monuments
aux morts pour la patrie, ou quand le président de la République ranime la flamme du soldat
inconnu) ; rites qui, « il est bien évident [que] ne visent pas une mise en relation avec les
défunts, mais simplement la reconnaissance de leur sacrifice pour le pays et la célébration de
leur mémoire »541 Mais, il fait état d’autres cérémonies, plus solennelles, organisées
« plusieurs fois par an, extérieurement elles avaient l’apparence d’un sacrifice religieux :
offrande d’un animal tué sur place, de vin, d’aliments, d’encens, d’objets précieux, suivie
d’un banquet solennel. » ; il précise, cependant, cette fois-ci expliquant le point de vue jésuite,
que « ce qui incita le Père Ricci, après une première réaction plutôt négative, à considérer ces
pratiques comme des cultes civils, fut le fait que la plupart d’entre elles étaient courantes
également à l’égard des vivants en tant qu’expressions symboliques de la vertu de piété
filiale…, l’usage de l’encens et la prosternation était fréquent pour manifester le respect dû
aux invités de marque ou aux parents. » Il ajoute une raison supplémentaire en faveur du
539
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 38.
540
Ibid., p. 105.
541
Ibid.
223
caractère non religieux : l’agnosticisme de Confucius pour qui « On ne sait pas servir les
hommes, comment peut-on servir leurs mânes ? … On ne sait ce qu’est la vie, comment peut-
on savoir ce qu’est la mort ? »542
Du vivant du père Ricci, et à sa suite, les jésuites se montrèrent ainsi tolérants vis-à-vis
de ces rites, estimant qu’il faut « accueillir au maximum », pourvu que la foi soit sauve. Outre
l’adoption de la terminologie chinoise, il fut décidé que les chrétiens pourraient continuer de
participer aux oblations et autres libations offertes aux ancêtres familiaux, au culte rendu à
Confucius et à la vénération de l’empereur, tandis qu’ils continueraient de se prosterner
devant les « autels » des ancêtres et devant la tablette posée dans les églises qui reproduisait
l’instruction donnée par l’empereur lui-même « il faut adorer le Ciel », etc. La tolérance des
premiers jésuites, à la suite de Ricci, était également justifiée par le fait qu’il convenait de ne
pas brusquer les Chinois si jaloux de leur culture, qu’il fallait honorer l’empereur qui avait
accueilli l’Eglise chrétienne et, à cause de cela, accepter par exemple la tablette « il faut
adorer le ciel » qu’il avait été lui-même offerte comme signe de cet accueil et de l’agrément
accordé volontiers à l’Eglise chrétienne ; d’autant plus que l’on pouvait raisonnablement
penser que les chrétiens abandonneront peu à peu ces pratiques.
Ce sont les différentes tentatives d’adaptation qui furent à l’origine de ce que, depuis,
on appelle « la querelle des rites chinois »546. Une douloureuse période de l’histoire de la
mission et de l’Eglise, que René Laurentin, sans doute sincèrement et non parce qu’il est
jésuite lui-même, désigne comme « le drame des rites chinois »547. Il y eut d’abord la
perplexité de certains missionnaires, y compris des jésuites, qui commencèrent à critiquer ces
adaptations, demeurant fidèles au modèle occidental qu’il s’agissait pour eux de simplement
reproduire ; ils estimaient en effet que les rites prenaient une allure de plus en plus
superstitieuse au niveau du peuple. La Compagnie sut aplanir les dissensions entre ses
membres. Mais, de nouvelles congrégations rejoignirent bientôt les jésuites dans les missions
extrême-orientales, avec des rivalités entre congrégations ou entre leurs nations respectives.
543
GERNET, Jean, Chine et christianisme – Action et réaction, op.cit., pp. 239-240.
544
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 90.
545
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 37.
546
Sur la « querelle des rites chinois », des auteurs que nous avons consultés, sauf les généralités sur le rôle de
Ricci et sur la nature des « rites » incriminés, il n’en existe pas deux qui disent la même chose ni sur la manière
exacte dont la hiérarchie romaine avait géré cette crise ni sur les dates des événements, tandis que certains font
état d’éléments semblant importants mais auxquels d’autres ne font même pas allusion.
547
LAURENTIN, René, op.cit., p.130.
225
Ces rivalités conduisirent à des accusations de la part des responsables des Missions où n’était
pas pratiquée la tolérance et où l’évangélisation avait suivi les méthodes musclées des
conquistadores espagnols (Philippines), dénonçant la « déviance » et le « laxisme » de la
Mission de Chine face aux « superstitions ».
Quant à cela, on peut dire qu’à partir de là ce sont les décisions successives et
contradictoires de la hiérarchie vaticane et les débats et procès entre spécialistes qui furent la
substance de la « querelle des rites chinois», pratiquement jusqu’au-delà de la dissolution de
la Compagnie de Jésus en 1773, pratiquement jusqu’au XXe siècle. La hiérarchie ne cessera
d’hésiter entre les thèses présentées par les jésuites, selon lesquelles, globalement, «Les rites
sont des actes de courtoisie, de respect filial et de reconnaissance, sans caractère religieux ».
Dans ce sens, la méthode des jésuites aura pratiquement été encouragée par les Instructions de
la Propaganda Fide envoyées aux vicaires apostoliques d’Extrême-Orient le 10 novembre
548
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 38.
549
BERGERON, Marie.-Irna, Le christianisme en Chine…, op.cit., p. 78.
226
1659550. Bien qu’on la cite peu à propos de l’inculturation551, cette instruction est vraiment au
cœur de l’inculturation du christianisme en pays de mission, ainsi que le confirme cet extrait :
« Ne mettez aucun zèle, n’avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de
changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs, à moins qu’elles ne soient
évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que
d’introduire chez les Chinois, la France, l’Espagne l’Italie ou quelque autre pays
d’Europe ? N’introduisez pas chez-eux nos pays, mais la foi, cette foi qui ne
repousse ni ne blesse les rites ni les usages d’aucun peuple, pourvu qu’ils ne soient
pas détestables, mais qui, bien au contraire, veut qu’on les garde et protège […] Ne
comparez jamais les usages de ces peuples avec les usages européens, bien au
contraire empressez-vous de vous y habituer. Admirez et louez ce qui mérite la
louange. Pour ce qui ne la mérite pas, […], vous aurez la prudence de ne pas porter
de jugement, ou en tout cas de ne rien condamner étourdiment ou avec excès. »
Mais, après cette liberté ou, selon d’autres, cette autorisation, la position officielle
continua de briller par l’inconstance et la versatilité, tantôt tolérant les rites dans l’esprit de
1656 et 1659, tantôt les interdisant conformément au décret de 1645, inconstance et instabilité
alimentées par les controverses théologico-politiques. Après plusieurs décrets contradictoires,
Benoît XIV, prenant la bulle Ex quo singulari providentia factum est le 11 juillet 1742,
révoque toutes les facilités, tolérances et permissions accordées par différentes initiatives aux
chrétiens chinois, prescrivant « qu’elles n’aient plus aucune place » et précisant que « ces
permissions doivent être considérées comme si elles n’avaient jamais existé et condamnons
leur pratique comme superstitieuse. » ; et insistant plus que de nécessité, il ajoute en
surabondance : « Ainsi, par la présente Constitution, à valoir à perpétuité, nous révoquons,
cassons, abrogeons et privons totalement de force et d’effet, toutes et chacune de ces
permissions… Elles doivent être tenues à jamais pour cassées, nulles, invalides et sans aucune
force ni vigueur ». Ainsi sont condamnées les adaptations opérées par les jésuites, ces derniers
étant considérés comme « trop chinois ».
550
LAURENTIN, René., op.cit., p.134.
551
Néanmoins, on trouve chez Laurent. MONSENGWO Pasinya., le recours à cette instruction comme
argument démontrant que l’inculturation est une exigence de la « mission », v. « Inculturation du message à
l’exemple du Zaïre », in CHEZA, Maurice ., DERROITTE, Henri. et LUNEAU, René., Les évêques africains
parlent 1969-1992 Documents pour le synode africain, Paris, Centurion, 1992, p. 148.
552
BERGERON, Marie-Ima., op.cit., pp. 87-89.
227
qu’accueillir les nouveaux missionnaires destinés à les remplacer, les lazaristes, les
franciscains, les membres des Missions étrangères de Paris et, à partir de 1862, date de la
fondation de la congrégation de Scheut en Belgique, les scheutistes553, envoyés par les soins
de la Propaganda Fide, tandis que leurs dépouilles « sont partagées : fonctions et biens »554.
A y regarder de près, la question des rites chinois ne cessa de hanter l’Eglise jusqu’au
XXe siècle. Pourtant, ce « casse-tête des rites chinois » que « chacun essaie de résoudre à sa
manière », qui a « enflammé l’Europe intellectuelle du XVIIe et du XVIIIe siècles », semble
n’avoir déchaîné que « les passions des détracteurs et des défenseurs des jésuites dans un
débat où n’était pas seul en cause le service de l’Evangile mais où interviennent également les
controverses théologiques et philosophiques, les inimitiés personnelles ainsi que les luttes
d’influence entre les congrégations »555. On peut dire que les jésuites, dont « l’attitude n’avait
pas été et n’était pas toujours si différente de celle des autres ordres », comme le confirment
plusieurs témoignages cités par Jacques Gernet, avaient réuni toutes les haines mais aussi
toutes les jalousies contre eux. Considérés par les gallicans du Parlement de Paris et de la
Sorbonne comme des « ultramontains », accusés de laxisme par les jansénistes, taxés de
libertinisme par les traditionnalistes à cause de leur refus des observances claustrales, les
jésuites étaient par ailleurs de remarquables pédagogues dont les écoles et les facultés
débordaient d’élèves et de demandes, craints par les cardinaux qui s’inquiétaient de leur
influence au sein de la Curie, avec un succès dans le commerce et les affaires qui rendait
jaloux leurs concurrents556. De sorte qu’avant d’être un débat intellectuel et théologique au
service de la mission, la querelle des rites est surtout représentative de divisions
inadmissibles » n’ayant rien à voir avec l’esprit de l’Evangile. Au contraire car, comme le
constate René Laurentin, « la sinophilie mise à la mode par les jésuites, avait créé un essor de
vocations pour la Chine. La controverse le tarit »557.
Néanmoins, la dissolution de la Compagnie ne fut pas la mort de la mission chinoise.
De fait, les jésuites furent remplacés par des missionnaires d’autres congrégations ; de plus,
après la restauration de la Compagnie en 1814, les Chinois réclamèrent avec impatience le
retour de missionnaires jésuites, lesquels repartiront en Chine après l’avènement de Grégoire
XVI. Mais, surtout, on finit bien par se rendre compte qu’il était vraiment dommage que tant
d’intolérance ait été la méthode d’évangélisation de la part de missionnaires obscurantistes
553
Ibid., p. 92.
554
LAURENTIN, René., op.cit. p. 152.
555
BEDOUELLE, Guy., cité par DUCORNET, Etienne ., op.cit., p. 103.
556
BERGERON, Marie-Ima, op.cit., p. 91.
557
LAURENTIN, René, op.cit., p. 153.
228
s’appuyant sur une partie de la hiérarchie ne voyant que l’éradication des cultures locales au
profit de la domination occidentale dont la culture et la religion seraient les vecteurs et l’on
commença à faire la part des choses. Plusieurs pratiques reprochées aux Chinois pouvaient
très bien s’intégrer au culte chrétien, y compris ce qu’on a appelé le culte des ancêtres558, à
propos desquels il n’est pas exagéré de rappeler la ressemblance entre les fameuses
« tablettes » au cœur de la querelle, et ces autres tablettes, chrétiennes, rencontrées dans la
partie génétique de l’eucharistie, et qu’on appelait « dyptiques », portant, comme les
chinoises, les noms des défunts et des personnes en l’honneur de qui est offerte l’eucharistie.
On voit, à l’exemple de la Chine, que s’était posée, sans doute pour la première fois
avec une telle acuité, la question de l’inculturation du christianisme. Grâce à l’action de Ricci,
le sens de la réponse à y donner s’éclairait d’une manière concrète ; on peut dire, à cet effet,
que Ricci a été un grand maître en matière de ce que nous appelons « inculturation », hélas
ignorée à l’époque. Les problèmes provoqués par cette tentative d’inculturation en Chine va
inhiber toute intention d’adapter le christianisme en Afrique et annihiler toute possibilité
d’adaptation ; au point où, lorsque la question sera posée par les Africains, elle prendra les
allures de revendication, tandis que les conditions de l’évangélisation qui ont fait naître cette
revendication sont restées longtemps ignorées.
558
Voir, plus bas, les caractéristiques et les explications des rites africains.
559
DUCORNET, Etienne., op.cit., pp. 106-107.
229
Il faut reconnaître qu’il y eut en Afrique, du moins sur le plan des comportements
publics, peu de résistance culturelle à la pénétration du christianisme notamment face à la
volonté farouche, appuyée sur la force physique et policière, de faire table rase des coutumes
et croyances locales destinées à la destruction parce que considérées comme païennes et
radicalement incompatibles avec les valeurs chrétiennes. Cette politique fut ainsi un autre
terrain de collaboration entre l’administration coloniale belge et l’église missionnaire. Mais,
dans un souci d’ « adaptation », Rome encouragea et, bientôt, ordonna la formation d’un
clergé indigène, au départ pour palier l’insuffisance de missionnaires sur un territoire
immense qui allait fonder de plus en plus de postes de mission, mais par la suite, le clergé
local fut considéré comme une nécessité en vue de l’avènement d’une église locale.
Les « religions africaines » envisagées ici ne doivent pas être confondues avec les
diverses formes de christianisme portées par ce qu’on appelle les « églises africaines
indépendantes », lesquelles sont, en réalité, des avatars généralement issus du protestantisme
dans les premières années du XXe siècle, surtout dans l’entre-deux-guerres et qui, devenus
« églises » à la manière des confessions venues d’Occident, ont prospéré en particulier après
les indépendances africaines. Tel est le cas du « Harrisme »560 en Afrique de l’Ouest et surtout
560
Sur le Harrisme, WONDJI, Christophe., Le prophète Harris, Paris, Ed. ABC, 1978
230
du « Kimbanguisme »561 en Afrique Centrale, qui sont le fleuron des « Eglises chrétiennes
indépendantes africaines » (ECIA). Mais, nombre de kimbanguistes ne manquent pas de
rattacher le messianisme de leur église à une tradition qui remonte à un mouvement
messianique et nationaliste organisé du temps de l’ancien royaume de Kongo, par Dona
Béatrice Kimpa Vita, au-delà des pratiques ancestrales qui seront évoquées plus loin, un
mouvement qui avait la prétention d’être une religion et une église nationales. Il est vrai que
pendant la colonisation, sans atteindre le niveau des mouvements messianiques, certaines
« croyances » se développèrent, pour quelques-unes d’entre elles, en des mouvements ou
sectes rassemblant des adeptes pour adorer ou vénérer tel fétiche, en vue de lutter contre la
sorcellerie et contre les puissances maléfiques562, ou pour l’adoption ou l’imposition d’un
fétiche nouveau en remplacement de tous les autres563. L’autorité coloniale, de concert avec
l’Eglise missionnaire et, paradoxalement en complicité avec des sectes et cultes rivaux,
combattit et réprima sévèrement ces mouvements qualifiés de « sociétés secrètes » ou « sectes
hiérarchisées » dont plusieurs avaient un projet « messianique » en prédisant la libération
prochaine des Noirs, comme le fit d’ailleurs Simon Kimbangu à ses débuts et, avant lui une
place spéciale est à reconnaître à l’œuvre de Dona Béatrice Kimpa Vita et son mouvement des
« Antoniens » qui était devenu un mouvement de résistance nationale contre les Portugais et
les missionnaires. On peut également citer le sort particulier du « Bwiti Fang »564, un culte
traditionnel pour des raisons politiques et de propagande, les autorités du nouvel Etat
hissèrent au rang d’une « église » après l’indépendance. Au départ simple culte des ancêtres et
des esprits, y compris le plus grand de tous, Dieu, le bwiti est une religion traditionnelle
adoptée au Gabon par les Fang, pratiquant la transe et la communication avec les dieux, grâce
à l’usage de l’eboga), une herbe hallucinogène également utilisée par des sorciers douala565.
561
Une abondante bibliographie concerne aujourd’hui le kimbanguisme, v. par exemple, CHOME, J., La passion
de Simon Kimbangu, 1959, GILLIS, C.A., Kimbangu : fondateur d’église, Bruxelles, 1961, FECI, D., « Vie
cachée et vie publique de Simon Kimbangu selon la littérature coloniale belge », in Cahiers du CEDAF, n° 910,
1970, le classique ASCH, Susan., L’église du prophète KIMBANGU, de ses origines à son rôle actuel au Zaïre
(1921-1981), Paris, Ed. Karthala, 1983, MATONDO, Nzakimwena , La personnalité spirituelle de Simon
Kimbangu,Rouen, Ed. EKI, 2004.
562
C’est le cas des sectes adorant les fétiches muvungi, mpeve et mupumbu étudiées par MUNAYI Muntu-
Monji, « Le prosélytisme des sectes parmi les acculturés du Kwilu-Kwango et du Kasaï… », in Zaïre-Afrique n°
0123, mars 7978, pp. 135-153, spécialement pp. 135-136.
563
KASIA, A. I., « Genèse et évolution de la secte des tupelepele chez les Pende au Kwilu (1930-1931), Institut
Pédagogique National, 1976, p. 22, où il cite le remplacement du fétiche « mupumbu » par le « lupambula ».
564
« Le Bwiti Fang », une étude collective in Pirogue n° 32, janv-mars 1979, pp. 22 et ss.
565
Pratique que présente ROSNY (père), Eric ., Les yeux de ma chèvre, Paris, Payot, 1981, p.78.
231
Le messianisme africain
566
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Hachette,
1965, p. 261.
567
JADIN, Louis, Le Congo et la secte des Antoniens. Restauration du royaume sous Pedro IV et la « Saint
Antoine » congolaise (1694-1718), Bruxelles-Rome, Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, 1961, sa
source principale semble être Laurent de Lucques et ses « relations » éditées par Mgr Jean Cuvelier
568
KABOLO IKO Kabwita, ibid., p. 57.
569
BALANDIER, Georges, op.cit., p. 262.
570
Ibid., p. 266.
232
elle « naturalise » les origines et les lieux historiques de celui-ci : Jésus serait un mu-kongo né
à Mbanza Kongo, Bethléem, et qu’il serait baptisé à Nsundi (Nazareth). Ensuite, on lui prêtait
de nombreux miracles, comme Jésus elle serait morte et ressuscitée, l’événement se déroulant
d’ailleurs régulièrement du vendredi où elle meurt et va au ciel « dîner avec Dieu et plaider la
cause des Noirs ainsi que la restauration du royaume », au samedi où elle ressuscite, tandis
que c’est lors de la première mort que saint Antoine serait venu s’incarner en elle, en entrant
dans sa tête, envoyé par Dieu pour lui confier la mission de prêcher au peuple et faire avancer
la restauration du royaume. Par ailleurs, comme Marie, elle dit, elle qui revendique la
chasteté, que par la puissance du Saint-Esprit elle enfantera un fils, sauveur du monde571 ;
comme Marie, elle s’applique à elle-même le Salve Regina, mais ne voulant laisser tel quel ce
« Salve de la misère et de la honte », elle en transforme les paroles visiblement aujourd’hui
perdues, pour en faire le Salve Antoniana, paroles que, adversaire acharné des antoniens,
Bernardo de Gallo, rapporte le père Jadin, abhorrait avec mépris, disant qu’elles « sont folies
diaboliques, paroles indigènes désordonnées et sans aucune connexion »572. Enfin, elle imitera
même l’Eglise et les missionnaires qu’elle accuse d’avoir confisqué la révélation et le secret
des richesses qui lui est associé, elle établit une hiérarchie « ecclésiale », elle élabore une
théologie et un dogme, elle lutte contre les fétiches et ouvre des succursales avec une
hiérarchie un peu partout dans le royaume, etc.573 Entre le roi et ses protecteurs missionnaires
capucins existe ainsi une collusion d’intérêts pour la perte de Dona Béatrice ; juges et
plaignants, ceux-ci vont instiguer Dom Pedro (Ndo Mpetelo) pour obtenir l’arrestation et la
condamnation de Dona Béatrice Kimpa Vita et des siens. Les relations de Dom Bernardo de
Gallo que rapporte Georges Balandier ou de Laurent de Lucques qu’on a déjà vu dans la
profession d’intermédiaire esclavagiste, n’indiquent pas clairement leur rôle capital dans ce
complot, mais il est établi que les capucins auront fait le siège du roi pour obtenir l’arrestation
des antoniens. Les capucins mèneront les interrogatoires de la prophétesse, comme celui que
rapporte Balandier, par de Gallo, pour que Dona Béatrice explique ses morts et
résurrections574 ou encore les aveux rapportés par de Lucques sur la naissance qu’elle disait
miraculeuse de son fils, sacrilège supplémentaire pour celle qui se proclamait chaste : « Je ne
peux pas nier que ce soit le mien, mais, comment je l’ai eu, je ne le sais pas. Je sais cependant
qu’il m’est venu du Ciel »575. Dona Béatrice et son compagnon, avec qui elle avait
certainement eu son fils, furent condamnés à la peine capitale et, le 2 juillet 1706, à l’instar de
571
Ibid., pp 262-265,
572
JADIN, Louis, Le Congo et la secte des Antoniens…, op.cit., p. 516.
573
BALANDIER, Georges, op.cit., p. 265.
574
Ibid., p. 262.
575
CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo du Père Laurent de Lucques (1700-1717), Bruxelles, 1953, p. 229.
233
Jeanne d’Arc et à peine un peu plus âgée qu’elle, livrés au bûcher, considérés comme
hérésiarques et relaps, donc pour des motifs religieux et non politiques. En réalité, le rôle du
roi reste de façade, les acteurs principaux étant les capucins ; Balandier lui-même qui a relevé
la dimension politique de l’action de Dona Béatrice, affirme par ailleurs que « Après un long
temps d’hésitation, Pedro IV cède à la pression des missionnaires capucins […] Il la fait
arrêter […] ». On voit d’ailleurs que l’arrêt de mort lu par le juge avant l’exécution ne fait état
que des motifs religieux :
« Il [le juge] prononça finalement la sentence contre dona Béatrice, disant que sous le
faux nom de saint Antoine elle avait trompé le peuple par ses hérésies et ses
faussetés. »576.
Une autre preuve du rôle des capucins réside dans le fait que le roi aurait voulu
remettre la jeune mystique dans les mains de l’évêque de Luanda, dans l’espoir que ses
partisans aient l’occasion de la délivrer, mais ce sont les capucins qui l’en dissuadèrent, ainsi
que l’avoue Laurent de Lucques577.
Certes, de Lucques fait une relation du supplice qui, bien évidemment, dissimule son
rôle et celui de ses confrères, en particulier de Gallo ; au contraire il feint de s’apitoyer sur le
sort fait à la condamnée par le peuple en fureur, notamment en s’attribuant la « bonne action »
du jour en sauvant le petit :
« La jeune femme, qui portait son enfant sur le bras, apparaissait maintenant remplie
de crainte et d’épouvante. Les inculpés s’assirent sur la terre nue et attendirent leur
arrêt de mort. Nous comprîmes en ce moment qu’ils avaient décidé de brûler l’enfant
avec sa mère. Cela nous parut une trop grande cruauté. Je m’empressai de me rendre
auprès du roi pour voir s’il y avait moyen de le sauver »578.
576
Ibid., p. 237.
577
Ibid., p. 267.
578
Ibid., p. 235.
579
Ibid., p. 235 ; ayant récupéré l’enfant, de Lucques le baptisa du nom de Jérôme.
580
Ibid., p. 238.
234
saint Antoine qui était habituée de mourir et de ressusciter, pour cette fois mourut mais ne
ressuscita pas »581.
Devenue martyr, Ndona Béatrice continua d’exercer son influence sur les masses et
son mouvement résista jusqu’au XIXe siècle582 ; le père de Lucques s’en plaint ainsi :
« Après leur mort, les antoniens, loin de revenir à résipiscence, devinrent plus
obstinés que jamais. Ils publièrent que la femme vénérée par eux comme sainte était
apparue aux sommets des arbres les plus hauts de Saõ salvador. Une autre femme peu
après se mit à prêcher qu’elle était la mère du faux saint Antoine. Elle stimula les gens
à ne rien craindre disant que si la fille était morte, la mère était restée. Celle-ci se
faisait appeler la mère des vertus. Que Dieu nous assiste par sa grâce pour que la
sainte foi ne se perde pas en ce pays »583.
581
JADIN, Louis, Le Congo et la secte des Antoniens…, op.cit., p. 116.
582
Aujourd’hui encore, bien que se faisant peu entendre, des gens et même des mouvements font remonter leur
« nationalisme kongo » à ce mouvement de résistance de Béatrice, ainsi prise pour modèle.
583
CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo du Père Laurent de Lucques…, op.cit., p.238.
235
modernes »584 ou « la voix intérieure », une mission « divine », les miracles qu’ils opéraient
l’étaient au nom de Jésus, reconnu par eux comme le rédempteur de l’humanité. Par ailleurs,
la liturgie eucharistique kimbanguiste, donc avec la sainte Cène, n’en différait pas du schéma
traditionnel, du protestantisme dans sa branche baptiste qui était la confession de Simon
Kimbangu : lectures du Nouveau et de l’Ancien Testaments, prière pour la transformation des
éléments, prière sur ceux qui assurent la distribution de la communion, bénédiction de
l’assemblée, communion des fidèles suivie de celle de ceux qui distribuaient, prière de
conclusion dite par le président. Du reste, s’il se disait et s’assumait authentique prophète, rien
n’indique que de son vivant, Simon Kimbangu ait entendu fonder une « église », celle-ci est
en fait l’œuvre de son fils, Joseph Diangienda, qui, le 24 décembre 1959, crée officiellement
« l’Eglise de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu », dont le nom officiel
sera transformé en 1987 en « Eglise de Jésus-Christ sur la terre par son envoyé spécial Simon
Kimbangu ». Le kimbanguisme est une authentique église chrétienne, membre depuis 1969 du
Conseil Œcuménique des Eglises (COE) et depuis 1974 de la Conférence des Eglises de toute
l’Afrique (CETA). Le fait que la théologie kimbanguiste ait, dans une sorte de dérive qui a
suscité des remous au Conseil Œcuménique des Eglises et au sein de l’Eglise elle-même,
évolué pour faire de Simon Kimbangu, non plus un « simple » prophète, mais Dieu le Saint-
Esprit, et un de ses fils, Dialungana, le Christ, dont la date de naissance (un 25 mai) est
devenue celle de Noël585, ne doit pas faire du kimbanguisme une des « religions
traditionnelles », même si, comme c’est le vent actuel, en une sorte d’inculturation, nombre de
ces églises indépendantes pratiquent volontiers un mixage entre la liturgie chrétienne et
certains éléments des cultes traditionnels.
584
WONDJI, Christophe ., Le prophète Harris, Paris, Ed. ABC, 1978, p. 37.
585
Les kimbanguistes ont, grâce à leur chaîne de télévision et à des publications de leurs théologiens, diffusé
avec le plus grand sérieux des « résultats de recherche » montrant que le Christ n’était pas né le 25 décembre
(comme si jamais quelqu’un soutenait cela) et que leurs calculs et des interprétations de la bible de leur cru
aboutissaient à cette date du 25 mai qui, comme par hasard, coïncide avec la naissance de l’un de leurs chefs
spirituels, Dialungana, fils de Simon Kimbangu.
236
partagées par toute l’Afrique Noire et qui permettent une certaine systématisation des
« religions traditionnelles africaines, il y a en réalité une grande diversité des pratiques selon
les cultures et les ethnies.
En fait, même si, comme on va le voir, le Dieu unique, Etre suprême, créateur de
l’univers, était connu de l’Africain, appelé Nzambi Mpungu chez les Kongo, Mvidi Mukulu
chez les Luba, par exemple, qui est certes le seul à faire l’objet d’une dévotion absolue, il est
considéré comme une puissance « jamais matérialisée et inaccessible, [qui] ne peut pour ces
raisons recevoir aucun culte »586. Il n’y a donc pas un culte particulier pour Dieu-Etre
suprême, le culte étant essentiellement orienté vers les ancêtres, les esprits et « dieux
inférieurs ». Le culte des ancêtres est ainsi un des éléments centraux de la religion
traditionnelle africaine dans les différentes régions. On peut l’illustrer avec la vie religieuse
d’un peuple depuis longtemps organisé dans une sorte d’un royaume centralisé, le peuple
kongo ; chez ce peuple, comme un peu partout en Afrique, le culte des ancêtres « consiste
essentiellement à renouveler régulièrement la relation entre la communauté des vivants et
celle des défunts bakulu (ancêtres), par des actes vitaux concrets : étant donné que les bakulu
conservent de leur vie terrestre leur rang et leur personnalité, les familles ou les lignages se
rendent sur leurs tombes, selon une fréquence donnée, et y font des incantations, versent ou
déposent du vin et des vivres », tandis que le mani (roi), ou tout chef dans les autres ethnies,
« veille à l’accomplissement du culte des ancêtres » au sein de la communauté587. Cela rejoint
ce qui est vécu chez les autres peuples africains, comme les Bangala autour de leurs ba-nkoko
ou les Baluba avec leurs ba-nkambwa ou ba-kaku et ba-nyinka. Sous un autre aspect, les
ancêtres sont considérés comme les « sources », parce que « toute harmonisation exige la
communion avec les sources » et que « harmoniser c’est renouer avec les origines »588 ; dans
le même ordre d’idées, on dira qu’ils sont « les garants de l’existence et de la solidité de la
communauté, leur intervention aplanissant les difficultés, essorant les tensions et éliminant les
risques d’éclatement. »589. Les objets de ces cultes, même variés, tournent toujours autour des
divers intérêts et événements de la communauté familiale, clanique, lignagère, ou tribale : on
célèbrera la naissance dans la « maison », les jumeaux, les enfants nés « miraculeusement »
comme ceux nés avant le retour des couches, le garçon ou la fille suivant deux ou trois filles
586
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume du Kongo…, op.cit., p. 248.
587
KABOLO IKO KABWITA, Le royaume kongo et la mission catholique, 1750-1838, Paris, Karthala, 2004,.
p.47.
588
KABASELE LUMBALA, François., Liturgies africaines : l’enjeu culturel, ecclésial et théologique,
Recherches africaines de théologie n° 14, Faculté de Théologie Catholique de Kinshasa, 1996, p. 14.
589
ABEGA, Séverin Céline, « Le Cameroun et la religion traditionnelle », in MESSINA, Jean.-Paul., BUTAKE,
Bole et VAN SLAGEREN, Jaap, Histoire du christianisme au Cameroun, des origines à nos jours, Paris,
Karthala, 2005, p. 18.
237
ou garçons, on organisera un culte pour la guerre, pour le labour, pour les semailles, pour les
récoltes, pour la réconciliation et l’harmonie au sein de la communauté, on organisera des
cérémonies ancestrales pour la levée du deuil, pour solliciter la protection, etc.
Ce sont donc des « religions » qui s’adressent aux génies, aux divinités et aux autres
esprits de ce monde invisible, parmi lesquels les ancêtres ; esprits familiaux alors que les
autres sont des esprits « naturels » (habitant les éléments comme les arbres, les rivières, la
forêt, les montagnes, etc.), les ancêtres jouent dans ces religions un rôle très important. Une
telle vision se fonde sur la continuité entre la vie ici bas et l’au-delà, entre le monde des
vivants et celui des morts, la croyance dans l’immortalité et la survie de l’âme, l’au-delà étant
le monde des ancêtres défunts et des esprits, dont des esprits bienfaisants et d’autres
malfaisants. Il y a continuité entre les générations, celle des ancêtres, passée, se relie à la
génération future (des enfants) en passant par celle, présente, des parents et adultes actuels ;
d’ailleurs, dans presque toutes les aires culturelles africaines, l’enfant est un ancêtre réincarné,
on lui trouve en effet de mêmes traits de caractère que ceux de l’ancêtre en question (courage,
bravoure, bonté, méchanceté, avarice ou toutes autres qualités ou tous autres défauts). Cette
relation s’exprime dans des rituels, chants, prières, sacrifices, prescriptions et interdits590 ;
chaque événement familial est occasion de célébration avec tous les ancêtres, parce qu’ils
continuent d’être la famille, on célèbrera ainsi ensemble avec eux le mariage, la naissance, les
funérailles, etc.
Comme on l’a dit, les rites traditionnels sont organisés, en dehors du culte en tant que
tel, lors d’événements importants de la vie, de la naissance à la mort. Il est une étape de la vie
qui est célébrée dans toutes les cultures africaines, celle du passage de l’adolescence à l’âge
adulte, donnant lieu à des cérémonies traditionnelles dans le cadre de l’initiation, qui est plus
importante que cette autre initiation lors de la circoncision, elle aussi partout accompagnée de
cérémonies. L’initiation, dans une société sans système scolaire organisé, est le cadre dans
lequel les jeunes gens, avant d’être considérés comme adultes et d’en avoir tous les droits et
devoirs dans la communauté, reçoivent un véritable enseignement des choses de la vie, des
coutumes, de la sagesse et des proverbes de l’art littéraire oral de la communauté par des
maîtres et maîtresses de l’initiation. Pour l’illustrer cette institution, nous nous référons à la
société traditionnelle kongo qui avait un système très élaboré, appelé le kimpasi. Il a lieu dans
un site retiré du village, proche d’une rivière et dans un enclos fait de branchages de palmier
et il se déroulait, a recueilli Georges Balandier, en trois étapes : la première étape est celle
590
ABEGA, Séverin Céline, ibid. , p. 16.
238
d’une mort rituelle, les candidats devenus des « cadavres » sont dévêtus de leurs vêtements
pour en quelque sorte se dépouiller du vieil homme avant d’être amenés par des
enseignements vers leur nouvelle naissance qui ouvre sur une deuxième étape ; celle de la
résurrection des initiés, cadavres réanimés par un maître et devenus les « nouveaux nés du
kimpasi », ils apprennent et exécutent des danses spécifiques, récitent des formules apprises et
prennent un nom d’initiation, l’étape de la résurrection se termine par des festivités et des
réjouissances qui occupent toute la nuit les initiés et leurs initiateurs sur le site ; la troisième
étape est celle de la sortie ainsi que de l’accueil au village des initiés, avec « fêtes de
démonstration et des cadeaux de triomphe ». A la fin du processus, « Les maîtres du kimpasi
ont, une fois de plus, formé des hommes et des femmes exemplaires, mandataires à part
entière des valeurs sociales591. Comme on le voit, l’initiation a, à l’instar de la plupart des
cérémonies cultuelles traditionnelles, un objet de formation individuelle mais aussi une
fonction de maintien, de défense et de conservation de la communauté, de la cohésion, de
l’agrégation et de l’harmonie sociale.
591
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume du Kongo, op.cit., pp. 218-219.
592
BWAKASA, Gérard, Réinventer l’Afrique. De la modernité à la tradition au Congo-Zaïre, Paris,
L’Harmattan, 1996, p. 200.
239
pour l’Africain plus que pour tout autre, la relation au sacré est « une expérience inhérente à
la vie sociale, inséparable de ce qu’on vit, de ce qu’on fait », « dans un contexte socio-culturel
où la communication avec l’invisible est un aspect de la réalité sociale dans laquelle l’homme
vit »593. Enfin, certaines étapes de la vie, naissance, puberté, adolescence et passage à l’âge
adulte, donnent lieu à des cérémonies, dont essentiellement celles d’initiation qui sont elles
aussi un rituel ordonné au sein de la communauté clanique ou du village et qui, sans être un
culte des ancêtres, actualisent les valeurs et coutumes ancestrales.
Dans leurs expériences, les missionnaires ont également rencontré les différentes
sortes de divination qu’il ne serait pas fondé de confondre avec le culte, mais qui font appel à
des rites. Fra Luca rapporte ces « cérémonies » surprises dans certaines libatas (bourgades),
ayant lieu chez ou avec les nganga ngombo, c’est-à-dire les « prêtres-devins » ou « prêtresses-
devineresses ». Il explique que :
« Quand les noirs veulent connaître la cause d’un décès, d’une maladie, de la perte
d’un objet ou quand ils veulent savoir n’importe quelle autre chose, ils se réunissent
nombreux devant un féticheur (ou prêtre du démon) nommé nganga ngombo, à qui on
explique la nature de la demande. Le féticheur ordonne à toutes les personnes
présentes de s’asseoir en formant un cercle, au milieu duquel il se place avec ses
instruments diaboliques et ses idoles. Puis les assistants commencent à chanter et à
prier le démon de venir dans la tête du féticheur ; dès qu’il est venu, ils commencent à
le prier et, avec abondance de paroles sans cesse répétées, ils lui demandent la cause
de cette maladie ou de cette mort, ou l’auteur de tel vol ou de tel ou tel malheur,
empoisonnement ou autre méfait […] Si la consultation a trait à une maladie, il leur
fait aussi connaître le remède approprié […] Parfois lors de ces consultations, les
assistants omettent chants et bruits et, assis en cercle, ils se bornent à demander et à
prier le démon de venir vite sur la tête du féticheur pour lui suggérer la réponse à toute
demande. Chaque village et province a sa propre façon de consulté et j’ai entendu faire
la consultation de ces deux façons. La consultation au sujet de la guerre – finira-t-elle
par une victoire ou par une défaite – se fait encore d’une autre manière. Au milieu du
cercle formé par les gens assemblés, le féticheur place son bâton avec ses idoles et ses
amulettes. Quand le démon est venu sur ce bâton, s’ils doivent gagner la guerre, le
bâton court dans la direction où habite l’ennemi ; s’ils doivent être défaits, le bâton
court dans le sens opposé ».594
Il n’est pas question ici de mettre en exergue le bon ou le mauvais côté d’une telle
conception de la vie, en particulier, quand il en ressort une certaine fatalité où, finalement, par
une sorte de « providentialisme », on n’attend rien de l’action humaine individuelle ou
collective pour faire changer les choses, quand le bonheur, la prospérité, la santé, comme le
malheur, la misère et la maladie, dépendent de la toute puissance de la volonté des dieux, des
593
ELA, Jean.-Marc, Le cri de l’homme africain, questions aux chrétiens et aux églises, Paris, L’Harmattan,
1980, pp. 52-53.
594
BONTINCK, François, Diaire congolais (1690-1701)…, op.cit., pp.102-103.
240
595
ABEGA, Séverin Céline, « Le Cameroun et la religion traditionnelle », loc.cit., pp. 17-18.
241
aujourd’hui partout en conflit avec les règles du droit écrit qui instaurent un droit privé et
individuel sur le sol.
596
ABEGA, Séverin-Céline, ibid., p. 18.
242
chacun qui la pratique dans sa famille, dans son clan. Il semble, en réalité, qu’en milieu
traditionnel historique, rien n’empêchait que la pratique rituelle soit publique, mais c’est la
répression qu’elles ont subie de la part de l’Eglise missionnaire et de la colonisation qui a
poussé les religions traditionnelles dans la clandestinité et, en tout cas, dans la confidentialité.
C’est ce que dit également Séverin Céline Abega, affirmant que « les cultures
africaines, avant le christianisme et l’islam, connaissent un Dieu unique et le nomment
parfois, même si elles lui rendent rarement un culte », et de donner quelques dénominations
africaines de Dieu formées sur une même racine, Nyambe, Zamba, Zambi599, en dépit du fait
que les mythologies ne sont pas toujours identiques et qu’elles n’accordent pas à ce Dieu des
597
MALULA, Joseph-Albert, « L’âme africaine noire », in L’évêque africain aujourd’hui et demain, Kinshasa
1979, pp. 42-63, voir De SAINT-MOULIN, Léon (présentation), Œuvres complètes du Cardinal Malula,
Facultés Théologiques de Kinshasa, 1997, p. 20.
598
De SAINT MOULIN, Léon, (prés.), Œuvres complètes du Cardinal Malula, op.cit., p. 24.
599
ABEGA, Séverin-Céline., « Le Cameroun et la religion traditionnelle », loc.cit., p. 16.
243
attributs identiques (tantôt il est bon, aimant, tantôt méchant, immoral, etc.) Dans le même
ordre d’idées, il y a toute une science des noms de gloire et de louange pour désigner Dieu,
induisant, pour Jésus que les Africains vont adopter avec le christianisme, une christologie
spécifique qui fait désigner le Christ par divers noms comme autant d’attributs ou de qualités
qui lui sont reconnus et qui seront à l’honneur dans le cadre de l’inculturation. Il y avait, là, au
moins ces « pierres d’attente » qui prédisposaient les Africains à recevoir et à accueillir le
christianisme, tandis que la vision du monde cosmique de l’Africain est de nature à lui faire
comprendre et croire nombre des mystères du christianisme (comme la naissance miraculeuse
de Jésus, sa résurrection, certains mystères eucharistiques comme la transsubstantiation…,
ainsi que cela sera exposé plus loin).
Dans ce sens, Eugène Lapointe600 estime que chaque peuple ou groupe humain
conserverait des traces ou vestiges d’une Révélation primitive, en particulier celle de la
Genèse, que Dieu aurait faite au début de l’histoire humaine et qui se serait transmise de
génération en génération par tradition orale. Pour cette raison, des missionnaires s’efforçaient
de découvrir dans les peuples qu’ils allaient évangéliser des traces de cette Révélation. Il cite
le père oblat François Le Bihan rendant compte de son expérience chez les Zoulous et chez
les Basotho, qui conclut « J’ai parlé de la notion de Dieu parmi ces païens [...]. J’ai dérivé de
là la question de la prière, de la vie future et de l’immortalité de l’âme. J’ai constaté
également les idées au sujet des dernières fins de l’homme, puis la persistance des vérités
morales, y compris le sentiment lugubre que cette chute a laissé dans l’esprit et dans le cœur.
Enfin nous avons fini par le dogme de la Rédemption. […] ». C’est pourquoi il lui avait
semblé facile de prêcher l’Evangile que ces peuples « reconnaissent comme une vérité qu’ils
ont toujours acceptée »601.
De fait, cette connaissance de Dieu, ainsi que tous les noms qui lui sont attribués, sont
bien antérieurs à l’arrivée des missionnaires ; c’est ce que voulait également signifier Mgr
Kabanga, archevêque de Lubumbashi, lors de la visite ad limina des évêques des provinces
ecclésiastiques de Kananga et de Lubumbashi en avril 1983, lorsqu’il disait que l’Afrique
était naguère terre inconnue, voire méconnue des hommes, mais toujours connue de Dieu.
C’est ce qu’attestent les témoignages occidentaux les plus anciens, portant notamment sur la
christianisation de l’ancien royaume kongo. Ainsi, bien qu’à propos de l’Etre suprême que
600
Eugène Lapointe est prêtre o.m.i., docteur en théologie ; il a été missionnaire au Lesotho (1960-1996) où, tout
en étant responsable de communautés chrétiennes, il a enseigné au séminaire national Saint-Augustin de Roma.
Il a publié, en particulier Une expérience pastorale en Afrique australe, Paris, L’Harmattan, 1986 et A ce monde
aimé de Dieu proclamer l’Evangile. La mission aujourd’hui, Médiaspaul, 1997. Source :
http://www.sedos.org/french/lapointe.html.
601
LAPOINTE, Eugène, « L’inculturation », Dictionnaire des valeurs oblates, http://omiworld.org.
244
des Noirs désignent par Nzambiampungu chez les Kongo [Mvidi Mukulu (chez les Luba),
Nzambe et Nzakomba (chez les Ngala et les Mongo), Nyambe ou Zamba dans certaines autres
langues africaines], des chroniqueurs missionnaires disent que « le dogme principal de
l’idolâtrie locale est celui de Nzambiampungu, d’après le nom attribué à la divinité », Georges
Balandier qui rapporte cela n’hésite pas à affirmer, au contraire, que « Dès le début du XVIe
siècle, tous les textes en témoignent, le terme Nzambi ampungu désigne à la fois l’Etre
suprême défini par la pensée religieuse kongo et le Dieu des chrétiens » et, dans une
conception spirituelle et non anthropomorhique de Dieu qu’a la religion occidentale,
identifiant le « Seigneur du Ciel » et la « Toute-Puissance créatrice »602, et non une vague
« divinité ». Enfin, commentant la phrase ci-dessus de Mgr Kabanga lors de la visite ad
limina, qu’il cite, Maurice Cheza conclut que « cette phrase exprime une vérité fondamentale
selon laquelle la relation entre Dieu et les populations africaines est bien antérieure à l’époque
missionnaire. Et en continuant sur cette logique, on peut se demander si la rencontre entre les
Africains et Dieu ne reste pas trop dépendante de la médiation européenne »603.
602
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume du Kongo…, op.cit., p. 248.
603
CHEZA, Maurice, Les évêques d’Afrique parlent,, Paris, Centurion, p. 119.
245
C’est de tout cet univers « religieux » qui vient d’être succinctement présenté, que,
dans ses différentes manifestations, pensée, croyances, cultes et rites, arts (sculpture, danses,
musique, peinture) croyances, pensée, etc. et, donc, toute la culture des peuples africains
christianisés, les missionnaires ont voulu séparer ces derniers, en détruisant cet ensemble pour
remplacer les formes et valeurs culturelles autochtones par l’idéologie européo-chrétienne,
affaiblissant les résistances les plus efficaces dont puisse disposer un peuple contre la
domination et l’exploitation étrangères et coloniales. C’est cet objectif d’éradiquer leur culture
traditionnelle chez les convertis qui inspira la politique et la pratique des fermes-chapelles et
des villages chrétiens dont il a été question plus haut, afin de les éloigner des pratiques
« païennes » pour leur faire acquérir une nouvelle culture, imprégnée de valeurs chrétiennes.
Mais, aussi, d’astucieux agents coloniaux, récoltant toutes ces œuvres, en ont profité pour
s’enrichir et enrichir des collections privées ou des musées en œuvres d’art « primitif » ainsi
qu’en témoigne, en particulier, la richesse des musées coloniaux comme notamment celui de
Tervuren (près de Bruxelles). Par là, les missionnaires ont largement contribué à
l’acculturation et à l’aliénation culturelle et mentale des colonisés, armes idéologiques de la
domination coloniale, faisant table rase des pratiques religieuses africaines face à la liturgie
chrétienne importée. On serait tenté de voir dans ce comportement des missionnaires juste une
application des pratiques qui se sont déroulées même en Europe lors de la christianisation de
ce continent. Mais, il y a une différence capitale, dans le fait que, dans les pays de mission
africains la christianisation est l’œuvre d’acteurs représentant une civilisation conquérante
accompagnant un projet plus global d’occupation et de domination des sociétés locales, ainsi
que l’ont prouvé les expressions et attitudes des missionnaires dont nous avons vu les récits,
tandis que lors de l’évangélisation de l’Occident, ce sont les évangélisateurs qui étaient
opprimés et persécutés.
Il n’y avait donc pas lieu que, quoi que ce soit de ces croyances et de leurs
manifestations pût être retenu pour être intégré dans la liturgie chrétienne ; aucune tentative, à
l’instar des initiatives controversées des jésuites en Extrême-Orient, ne fut faite pour adapter
le christianisme aux quelques éléments locaux qui pouvaient lui être compatibles, on avait
décrété l’impossibilité de concilier les deux mondes, l’un devait chasser l’autre. Aussi, E.
Mveng affirme-t-il que « Au Bénin, au Congo, au Sierra Leone, dès le XVIe siècle, la chasse
aux fétiches constitue l’une des préoccupations majeures du missionnaire. Des trésors d’Art
Nègre furent livrés aux flammes par les missionnaires catholiques dans l’ancien Royaume du
247
Congo. Les exploits de Mgr Anguard, surnommé l’évêque des anthropophages, contre les
sorciers du Congo, sont restés célèbres. Une apologétique simple, trop simpliste parfois,
englobe sous le nom de diableries les cérémonies religieuses, la médecine traditionnelle, voire
les techniques de l’artisanat »604. Pour prendre cette période citée par E. Mveng, à l’époque du
royaume kongo, un jugement péremptoire et global est le plus souvent émis à l’encontre des
pratiques religieuses et cultuelles traditionnelles, par les missionnaires qui les déclaraient
diaboliques et entendaient les extirper pour « civiliser » les Kongo, parce que évangéliser
c’était civiliser et civiliser c’était initier à la culture occidentale. Les missionnaires s’en
prenaient aux cérémonies traditionnelles même quand elles ne concernaient pas un culte des
ancêtres ou des génies. Ainsi, l’initiation dont nous avons vu le rôle en tant que système
d’éducation, était considérée comme un obstacle à l’apostolat missionnaire, en particulier
parce que dans les choses de la vie apprises il y avait l’éducation sexuelle des jeunes, choses
horribles et abominables pour les missionnaires qui ne voyaient pas le projet éducatif d’un
système justement destiné à préparer les jeunes à entrer dans la vie d’adultes. Ainsi aussi, les
cérémonies des « matanga » concernant le deuil. Ce mot lingala, qui se dit de la même
manière en kikongo, signifie « deuil », et est désigné dans d’autres langues congolaises, par
madilu ou cidilu en ciluba, kilio en swahili, etc., il couvre aussi bien le fait d’être endeuillé
que la période et les cérémonies de deuil. C’est donc l’ensemble des cérémonies funéraires
traditionnelles, faites de veillées avec pleurs, chants et danses, de rites de purification et de
délivrance et se terminant par un rite de clôture du deuil ; certaines pratiques, en particulier en
cas du décès d’un conjoint, ou d’un petit enfant, ou encore d’un ancêtre ou d’un chef
coutumier, ont pu en effet désarçonner les missionnaires qui n’étaient pas au fait de ces
cultures. Ces cérémonies sont faites de moments confidentiels où l’on procède, d’abord, à la
recherche de la cause et de l’auteur de la mort (passant par la divination ou la consultation
d’un nganga), à la purification de la veuve ou du veuf selon le cas (faisant appel à certaines
épreuves ou exigences, parfois humiliantes, que subit l’intéressé). Dans certaines contrées,
aux petites heures de la nuit de la clôture du deuil, un cortège sélectionné conduit par un initié
tourne dans les environs de la maison de deuil pour « chercher et chasser le fantôme » du
défunt afin de lui permettre d’aller son chemin vers sa nouvelle terre (en langue luba, on dit
kukeba mukishi ou kukeba mujanyi), enfin, la clôture voit intervenir des chansons et danses
604
MVENG, Engelbert., L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant, Paris, L’Harmattan, 1986, pp. 75.
Engelbert Mveng était jésuite, formé au grand séminaire de Yaoundé (Cameroun) et au noviciat de la Compagnie
de Jésus à Djuma (Congo-Kinshasa), études de philosophie à Eigenhoven (Belgique) et de théologie à Lyon
(France), avantd’être ordonné prêtre en 1963 ; il a participé en 1969 à l’élaboration de la liturgie de Ndzon-
Melen dans la banlieu de Yaoundé. Poète, peintre, écrivain, professeur d’histoire à l’Université de Yaoundé de
1965 à 1995, date où il fut trouvé étranglé la nuit dans sa maison.
248
accompagnant les victuailles et les boissons. Sans se demander le sens de certaines de ces
choses, pour éventuellement en garder le sens social et en extirper ce qui serait par exemple
contraire à la dignité de la personne (comme certaines de ces épreuves que subit surtout la
veuve), et sans explications, les missionnaires ont virulemment combattu les matanga.
Pourtant, quand, en 1939, précisément à propos des cérémonies de matanga, le délégué
apostolique du Congo, Mgr Dellepiane, demandait à la Propagande l’autorisation d’en
expurger ce qui paraissait aux missionnaires comme des superstitions, il se vit en guise de
réponse répéter par cette congrégation romaine son instruction donnée aux jésuites de Chine
en 1659 : n’introduire dans ces pays que la foi et non « nos pays », ne pas convaincre les
peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs, ni repousser ni blesser les rites
et usages d’aucun peuple, mais au contraire les garder et les protéger, etc.605. C‘est ce que,
interrogé sur ces rites, en particulier ceux que subissent les veuves, préconise l’abbé Prosper
Abega, de l’archidiocèse de Yaoundé, qui estime que tous ces rites semblent faire partie d’«
une thérapie de rééquilibrage moral et physique. Les rites doivent continuer, mais il faut les
adapter aux conditions de vie de l’homme d’aujourd’hui »606.
D’un autre côté, beaucoup de ces religions imposaient des interdits de divers ordres à
leurs adeptes, telle l’interdiction du travail et du marché certains jours de la semaine. Il est vrai
que de telles pratiques avaient pour conséquence que les indigènes ne respectaient pas la
semaine chrétienne et occidentale de sept jours et, donc, la non observance de la solennité du
dimanche ; ainsi que le remarque le père de Lucques, «les gens observent quelques jours de la
semaine qui sont dédiés au démon comme si c’était des jours de fête. Ces jours là on s’abstient
de travailler. Ils reviennent tous les trois jours »607. Mais, en même temps, cette pratique faisait
diminuer la production ou provoquait l’absentéisme et la désertion des ouvriers et domestiques
employés par les Européens. Ces deux raisons expliquent pourquoi, à la base des réactions
négatives, on trouve une sorte de collusion avec l’autorité coloniale, souvent sur dénonciation
par des missions catholiques (autre manifestation de la collusion administration - milieux
d’affaires - missions catholiques).
matrimonial, qui, selon les missionnaires, ne tient pas compte chez les Kongo, par exemple,
« de la parenté », mais surtout parce qu’il autorise la polygamie et qu’il n’est pas fondé sur le
mariage « religieux » ; en vue d’imposer la monogamie, il fut organisé une véritable « chasse
aux concubins et concubines », tous ceux qui cohabitaient sans avoir été bénis à l’église,
provoquant les protestations des femmes ainsi abandonnées et dépourvues de statut social608.
Etaient également mal considérées, des danses populaires coutumières, celles que des gens
exécutent traditionnellement en groupe pour des réjouissances ou comme divertissement ; si
elles ne sont pas formellement condamnées, comme celles qui mettent en présence hommes et
femmes, elles sont ridiculisées et traitées de diaboliques. Tel le cas d’une danse kongo dite
« danse de l’épée » ou « danse guerrière », que les missionnaires ont appelée « sangare »609 ;
le père de Lucques dit à propos de cette danse que ce :
« n’est pas autre chose qu’un exercice d’armes que ces noirs ont coutume de faire,
faisant de l’escrime avec l’épée à la main, comme s’ils combattaient contre leurs
ennemis. Il est très curieux et risible de les voir les uns avec une épée et un bouclier,
d’autres avec un mousquet ou un bâton, courir de-c-là de façon désordonnée ou faisant
des grimaces ou des contorsions fort anormales. Celui qui se rend le plus difforme est
le plus applaudi »610
Fra Luca da Caltanisetta connut lui aussi le sangare, terme qu’il emploie en forme de
verbe, signifiant « exécuter la danse guerrière », tandis qu’il recourt à un autre vocable, le
sangamento, semblant être le substantif. Il y assista même. Une première fois, lors des
réjouissances le jour même où il fut baptisé par le missionnaire, le 18 août 1699, le mani
Nzonzo dansa le sangamento avec ses gens611 ; une deuxième fois, le père répondit à une
invitation du mani à aller le voir sangare612. Pourtant, il ne dénonce aucun aspect diabolique
ni quelque caractère de ceux que de Lucques attribue à cette danse. Mais, l’auteur du Diaire
congolais fait état de plusieurs sortes de danses : les danses honnêtes pour les enfants, les
danses honnêtes pour les hommes (le banda), les danses honnêtes pour les femmes (le
pakula), les uns et les autres dansant seuls, selon leur genre. Toutefois, il parle d’une autre
danse, appelée makwanda, « déshonnête » celle-ci, qui « s’exécute par les hommes et les
femmes ensemble ». Sans décrire cette danse ni en démontrer le caractère « déshonnête », Fra
Luca dit avoir été scandalisé en rencontrant « par hasard et en passant », des noirs exécutant
cette danse, il chercha un bâton pour les frapper, n’en trouvant pas, il utilisa la corde de son
608
KABOLO IKO K., op.cit., pp. 36-37.
609
Le mot est l’italianisation du ki-kongo sanga (danser avec allégresse avec simulation comme exécutant des
gestes de guerre), le lusangu étant, selon Jean CUVELIER, une danse de parade que seuls les chefs exécutent en
certaines circonstances, Relations sur le Congo…, op.cit., p. 197, voir aussi BONTINCK, François, Diaire
congolais…, op.cit., p. 6.
610
CUVELIER, Jean, Louis, Relations sur le Congo…, op.cit., p. 54.
611
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., p. 171.
612
Ibid., p. 175.
250
habit en regrettant de n’avoir pu « donner que deux coups ». Son commentaire est aussi sévère
et tendancieux qu’il est insignifiant :
« Cette danse déshonnête est exécutée surtout la nuit, après le repas du soir, ils sortent
de leurs cases pour danser et cela jusqu’au jour ; (…) ils crient comme des âmes
damnées et leurs cris dissonants ressemblent à ceux que poussent les acteurs qui, dans
nos représentations théâtrales, jouent les démons »613
De même, tous ceux qui ont vécu dans les « villages chrétiens », ces « îlots chrétiens »
décrits par Claude Prudhomme614, savent comment les missionnaires faisaient des rondes de
nuit pour surprendre les jeunes qui, au clair de lune et, simplement, s’égayaient en dansant, les
dispersant et repérant ceux qui, le lendemain, seront chassés de l’école, pour « indiscipline »
ou, plus grave, « débauche ». Dans le même ordre d’idées, de vieux missionnaires étaient
réputés pour s’en prendre, lors de rondes de nuit, à des assemblées de sorciers, sans doute ces
danseurs de nuit ou encore des féticheurs, qu’ils ne manquaient pas de menacer en chaire.
Mais, même là où, notamment du temps du royaume du Kongo, il existait des groupes plus ou
moins organisés, c’était toujours dans le sens de confréries pratiquant un même fétiche, mais
sans démentir le fait que la pratique rituelle est avant tout une affaire personnelle et
domestique, les habitants se rendant chez le féticheur pour en obtenir des cérémonies pour la
protection contre des esprits, contre un ennemi, pour la chance, pour le pouvoir, etc. C’est le
plus souvent à ce genre de manifestations qu’ont assisté les missionnaires et dont ils ont
pourchassé les adeptes. Le chroniqueur du Diaire congolais, Fra Luca, remplit le tiers de ses
chroniques de ces chasses aux féticheurs et autres « adorateurs du démon ». A plusieurs
reprises, on pourrait même affirmer, à chaque page, il dit avoir « détruit et brûlé beaucoup
d’instruments et d’idoles de féticheurs, détruit le sanctuaire où ils faisaient leurs adorations
superstitieuses »615. Plusieurs cérémonies, quoique rituelles, n’étaient que des thérapies pour
guérir, comme, entre plusieurs cas qu’il cite, celui d’une nuit où ces « féticheurs [qui]
s’étaient réunis devant la porte de dom Bernardo, ils sacrifiaient au démon pour demander la
guérison de la mère de Dom Bernardo »616. Mais, les pratiques des Noirs ne sont plus
diaboliques quand le missionnaire en bénéficie lui-même. Comme ces jours de Noël 1699,
lorsque, malade avec des « douleurs si atroces que je fus sur le point de mourir », mais obligé,
sur l’insistance de la reine dona Anna, de dire les messes de Noël, Fra Luca les célébra quand
même tout en se préparant à la mort par « la sainte communion per modum viatici » ; mais le
soir même du 25 décembre, il put récupérer sa santé, parce que « les noirs m’appliquèrent
613
Ibid., pp. 130-132.
614
PRUDHOMME, Claude, Missions chrétiennes et colonisation…, op.cit., p. 73.
615
Pour ne citer que cet épisode chez les Mubilis (Bavili), BONTINCK, François, Diaire congolais…, p. 23.
616
BONTINCK, François, Diaire congolais…, p. 40.
251
leurs remèdes, grâce auxquels, peu à peu, la maladie me laissa quelque répit » 617. C’est vrai
que des missionnaires passaient la plus grande partie de leur apostolat à combattre le
fétichisme, guettant, la majeure partie de la nuit, les activités des pratiquants. La nuit du 31
janvier 1698, à Lemfu, il entendit vers minuit
« une personne marcher en grande hâte ; de sa bouche elle produisait le son ‘o, o, o,’ et
elle haletait ‘ah, ah,’, comme si elle portait un lourd fardeau. Je soupçonnais aussitôt
qu’il s’agissait là d’une féticheuse et je demandai à un neveu du mani Lemfu qui était
cette personne. Il répondit que c’était une femme, une nganga ngombo, c-à-d. une
féticheuse-devineresse ; elle avait été tirée de son sommeil par le démon afin de jeter
dehors un autre féticheur venu chez elle pour l’empoisonner ; le démon était donc en
sa tête et, comme une folle, cette femme parcourait le village, en criant de cette fa çon
pour jeter dehors et expulser l’autre féticheur ; celui-ci s’enfuit et alla se cacher […],
je réprimandai ce neveu du mani et les autre personnes présentes ; […] Mais tout ce
que je dis fut salué d’un grand éclat de rire. C’est ainsi qu’habituellement ces gens
sauvages et barbares terminent et concluent tout sérieux entretien spirituel »618
Même des systèmes d’intégration sociale et d’éducation comme l’initiation étaient
considérés comme cultes diaboliques et combattus. C’est le cas du kimpasi du royaume
kongo. Si les missionnaires considéraient les cérémonies de l’initiation, le kimpasi, comme
nuisibles à leur apostolat, les autorités portugaises y soupçonnaient un élément d’un projet
politique, en effet, certains ont estimé que le kimpasi avait joué un rôle politique et contribué
à la lutte contre « le parti portugais »619. Pour Fra Luca les pratiquants, maîtres et candidats à
l’initiation sont « des initiés de la secte de kimpasi [qui] faisaient des sacrifices nocturnes au
démon, je les mis en fuite ». A Mbambalelo où ils avaient leur couvent de Nkusu, son
confrère le père Marcellino lui confia que, pendant son absence, il avait appris le 24 mars
1699 l’existence d’un camp du kimpasi où il était allé brûler « les cases de la secte et pris
quelques instruments diaboliques de féticheurs » et que, le 25, il avait mis le feu à « une case
diabolique et emporté tous les instruments » d’un autre camp du kimpasi. Le 28 avril, il
organisa un autodafé public : « on me remit quelques objets qui provenaient du camp brûlé du
Kimpasi : des bâtons tordus ou pourris et d’autres immondices que ce peuple aveuglé vénère,
le dimanche in albis, je les fis brûler »620. Si la pratique n’est guère mentionnée avec une telle
fréquence au cours de la deuxième évangélisation, on se rend compte qu’autant les
missionnaires du royaume de Kongo pourchassaient les « diableries », autant ils ont passé une
bonne partie de leur temps à distribuer des excommunications et à en absoudre, pour des
raisons variées plus ou moins futiles au point de banaliser la sanction ecclésiastique. On
617
Ibid., p. 192.
618
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., p. 101.
619
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume du Kongo du 16e au 18e siècle, op.cit., p.219.
620
Ibid., respectivement pp. 39, 155 et 157. Le dimanche in albis c’est le premier dimanche après Pâques, cette
année 1699 il tombait le 26 avril.
252
frappe des féticheurs et autres superstitieux, des nobles désobéissants ou entêtés, jusqu’à ce
qu’ils demandent pardon. Parce que le roi et ses hommes lui interdisaient de quitter la mbanza
royale de Mukondo pour se rendre à Nkusu selon les instructions de la Propagande dans sa
lettre de nomination comme vice-préfet de Luanda, et qu’il avait envoyé des gens « dans
l’enclos de nos cases pour compter combien d’esclaves de notre église s’y trouvaient afin
qu’aucun ne pût s’en aller », Fra Luca les frappa d’excommunication, le roi, ses deux marquis
et ses conseillers. Il ne leva l’excommunication que lorsque le roi l’eut supplié de le laisser
entendre les messes de la semaine sainte et, après plusieurs refus, eut consenti à lui rendre
« tous mes esclaves » et à le laisser partir librement en mission où il voulait ; de sorte que « le
31 mars, Dimanche des Rameaux, je donnai l’absolution publique et solennelle de
l’excommunication au roi et à ses complices, présents à la messe »621. Après avoir
« excommunié certaines personnes, entre autres le chef de la libata Luilla, sujet du mani
Bwenze, et tous ses hommes, car ils avaient manqué de respect à mes mulekes et à moi-
même », dit Fra Luca, « je menaçai aussi d’excommunication le mani Zoella qui « refusait de
faire capturer un féticheur, un des principaux prêtres des dieux, qui présidait la secte de
Kimpasi, ce mani ne voulant même pas m’indiquer la case de ce féticheur ni celle où se
réunissaient les adeptes de cette secte diabolique » fut seulement menacé d’excommunication
par Fra Luca ; « la seule menace le laissa tout terrorisé »622. Au cours de son deuxième voyage
missionnaire (à partir du 25 février 1694), arrivé à Nsundi, il leva « l’excommunication que
quelques habitants avaient encourue l’année précédente », y brûlant « beaucoup d’idoles et
d’instruments de féticheurs », et déclara « excommuniés tous les féticheurs ou prêtres et
prêtresses des dieux et tous leurs protecteurs, même si ceux-ci étaient de grands seigneurs.
Apprenant cette excommunication, certains seigneurs reconnurent leur erreur et furent absous
par moi »623.
***
Les réactions des missionnaires montrent que, en réalité, le christianisme tel qu’il était
mis en œuvre en pays de mission africains, ne pouvait pas appliquer les instructions de
tolérance et d’adaptation aux cultures et coutumes locales comme celle donnée par la
Congrégation de la Propagande en 1659 et rappelée en 1939, en s’émancipant du contraignant
contexte général, culturel, économique et politique, dans lequel il a été implanté, c’est-à-dire
du projet global de la colonisation caractérisé, selon F. Eboussi Boulaga, par des rapports
621
BONTINCK, François, Diaire congolais…, pp. 16-17.
622
Ibid., p. 25. Libata (ou divata) signifie bourgade, muleke (ou nleke), c’est serviteur, ibid., p. LI.
623
Ibid., p. 32.
253
sociaux de domination. Autant Léopold II de Belgique, par exemple, avait prétendu conjuguer
« civiliser et évangéliser », autant la colonisation et, donc, l’évangélisation de l’Afrique dans
son ensemble avaient été présentées comme poursuivant ce double objectif, à la fois noble et
altruiste, comme l’explique encore F. Eboussi Boulaga624, de civiliser, humaniser l’homme
dégradé des contrées perdues d’Afrique, de propager la vraie foi au détriment des
« superstitions » de ces peuples, dans le cadre d’un projet consistant à élever progressivement
l’Africain à la normalité ou, mieux encore, à la norme qu’était la chrétienté.
624
EBOUSSI-BOULAGA, Fabien, développe de telles idées dans son Christianisme sans fétiche. Révélation et
domination, Paris, Présence Africaine, 1981, respectivement p. 26 et pp. 48-50. Fabien Eboussi, entre, en 1955,
chez les Jésuites, dont il suivra tout le cursus de formation, De 1957 à 1962, il fait, en France, une licence des
lettres et une licence de philosophie, de 1964 à 1968, il fait une licence de théologie a la Faculté de
théologie de Lyon-Fourvière, en même temps qu’un diplôme d’ethnologie et le doctorat en philosophie
(Histoire) à l’Université de Lyon II, Il a enseigne dans plusieurs universités en Afrique, en Europe et en
Amérique et a publié, entre autres : La crise du Muntu, Authenticité africaine et philosophie, Paris, Presence
Africaine, 1977, 1997, Christianisme sans fétiche, Paris, Présence africaine, 1981, A contretemps, L’enjeu de
Dieu en Afrique, Paris, Karthala, 1992, Christianity without fetishes, an African critique and recapture of
Christianity, Hamburg, Lit, 20
254
chrétien et incapables d’offrir une voie du salut, par un préjugé qui interdit tout examen des
éléments des traditions religieuses et des religions traditionnelles africaines qui pourraient
s’accorder avec les valeurs du christianisme. Cette conception a induit des pratiques ayant
pour but la massification des conversions, sans dédaigner les conversions individuelles, la
préférence était donnée à des conversions de masse, afin de « sauver » le plus d’âmes
possible.
625
NGINDU MUSHETE, Alphonse, Les thèmes majeurs de la théologie africaine, Paris, L’Harmattan, 1989, pp.
32-33.
626
BLOCK, Mattijs. Jean-Claude., « Christianisme et quête d’identité en Afrique – La genèse et l’évolution de
la théologie africaine dans la tradition ecclésiale catholique romaine », in Revue Réformée N°228, 2004-3, juin
2004, t. I, www.unpoissondansle.net/rr/0406
627
MAURIER, Henri ., « La mission demain à la lumière de la mission hier », in Eglise et mission, 1977, n° 205,
p. 35, cité par NGINDU Mushete., Alphonse., op.cit., p. 33.
255
Autrement dit, cette théologie imposait aussi bien le message que les éléments contingents,
parce que purement culturels et « occidentaux » qu’il charriait, oubliant les instructions que la
Propagande avait données en 1659 déconseillant de « transporter chez les Chinois la France,
l’Espagne … ».
La théologie missionnaire alors mise en œuvre, celle du « salut des âmes », a semblé
évoluer pour s’employer à implanter l’Eglise institutionnelle, elle fut remplacée par « la
théologie de l’implantation » qui est tentée en Afrique à partir des années 1920, jusque, en
gros, en 1950. On la trouve parfaitement définie dans l’encyclique Rerum Ecclesiae, en date
du 8 février 1926, du pape Pie XI, pour qui le but des missions est, après avoir fait tabula rasa
des nations païennes, « d’établir et de fonder solidement l’Eglise de Dieu, et cela par tous les
mêmes éléments dont elle fut constituée autrefois chez nous ». Ni plus ni moins, ce dont il est
question c’est « donc d’ériger, d’implanter l’Eglise ou, mieux encore, de reconstituer, dans les
territoires de mission, des dépendances des Eglises occidentales avec leurs structures
administratives, leur clergé, leur liturgie, leur morale, etc. », « d’insérer les Africains et
l’Afrique dans l’Eglise »628. Mais, la théologie de l’implantation s’évertuait à reproduire les
règles et méthodes des Eglises occidentales, toujours avec des agents européens. Il s’agissait,
en fait, chez des peuples dont à cette époque la culture avait été anéantie par les pratiques
missionnaires et coloniales antérieures, « d’édifier, d’implanter l’Eglise telle qu’elle s’est
réalisée historiquement en Occident, dans son personnel, dans ses œuvres comme dans ses
méthodes. »629. Ce faisant, cette théologie contient la même logique que celle du salut des
âmes, parce qu’en imposant, par cette transposition, la romanité, elle implique que la seule
Eglise vraie de Jésus, celle à travers laquelle les hommes sont sauvés, est l’Eglise catholique
romaine.
Ces deux méthodes avaient les mêmes effets, en amenant l’Eglise à écraser, à travers
le « paganisme », les cultures africaines (arts, danses, musique, croyances, cultes et rites)
considérées comme du fétichisme païen. M. J-C Blok reprend, pour illustrer cette stratégie,
cet objectif assigné par le pape Pie XI à la mission630 : « établir et [de] fonder solidement
l’Eglise de Dieu, et cela par tous les mêmes éléments dont elle fut constituée autrefois chez
nous». Cela revient, en fait, à reconstituer « des dépendances des Eglises métropolitaines, sans
628
BLOCK, Mattijs. Jean-. Claude., loc.cit.
629
NGINDU Mushete. Alphonse., op. cit., p. 34.
630
Rerum Ecclesiae, 1926.
256
personnalité propre »631, selon l’appréciation de J.-M. Ela, avec leurs structures
administratives, leur clergé, leur liturgie, leur morale, tandis que, par une jolie tournure, F.
Eboussi B. constate que ces églises réputées jeunes « sont nées vieilles », transportées
d’Occident déjà vieilles, « pareilles aux châteaux médiévaux que de riches Américains
transportent pierre par pierre sur les bords du Potomac »632.
631
ELA, Jean.-Marc., Le cri de l’homme africain – Questions aux chrétiens et aux Eglises d’Afrique, Paris,
L’Harmattan, 1980, p. 34. Jean-Marc ELA est né au Cameroun ; il est à la fois sociologue et théologien, il a fait
ses études de théologie à Paris et de sociologie à Strasbourg. Le père Ela a également enseigné à l'Université de
Yaoundé. Ses livres sont très connus en Afrique. Homme de vérité, en 1994, menacé de mort, il a été
contraint à l'exil. Parlant d'un hypothétique pape noir, il a une phrase qui résume sa démarche : . " S'il y avait
un Pape noir, je craindrais qu'il n'y eût pas de changements spectaculaires parce que les évêques et les cardinaux
d'Afrique, en dehors de quelques exceptions, sont plus romains que les romains ». Il a longtemps enseigné à
l'Université de Yaoundé (Cameroun) et comme professeur invité à l'Université catholique de Louvain-La-Neuve
(Belgique) et publié de nombreux ouvrages , dans Le cri de l’homme africain, Jean-Marc Ela critique l’Eglise
chrétienne pour sa place dans le mécanisme de dépendance des peuples africains face au système hégémonique
occidental.
632
EBOUSSI-Boulaga., Fabien., Christianisme sans fétiche. Révélation et domination, ibid.
257
dépit du préjugé favorable de théologiens africains dont quelques-uns en furent les plus
chauds partisans, ne fut même pas réellement mise en œuvre par les missionnaires et, avec les
indépendances africaines, se fit dépasser par des revendications pour une véritable
« incarnation » et « inculturation » du christianisme, des théologiens africains condamnant
même cette théologie d’adaptation comme un simple badigeonnage. En fait, elle ne visait qu’à
atténuer l’aspect et le visage trop occidentaux imprimés au christianisme et à l’Eglise, afin de
leur donner en quelque sorte un visage africain ; il fallait « africaniser » le christianisme, lui
donner une couleur locale. C’est en cela que cette théologie subit les critiques des tenants de
la théologie africaine, comme Oscar Bimwenyi Kweshi qui dénonce des « variantes
pléthoriques » et une terminologie flottante utilisées pour donner un visage africain à quelque
chose qui demeurerait étranger, alors que, selon eux, ce dont il s’agit c’est, non pas faire un tri
dans les cultures africaines pour y dénicher ce qui serait acceptable parce que compatible avec
le christianisme, mais faire pénétrer ce dernier dans les valeurs et cultures africaines pour
qu’il devienne une partie du patrimoine culturel et religieux de l’Afrique633.
Ce sévère jugement sur le rejet des cultures africaines par les missionnaires, ainsi que
l’appréciation accusant l’Eglise missionnaire de collusion avec la colonisation et son projet de
domination, peuvent se voir reprocher une sorte d’anachronisme en jugeant cette période avec
les armes, les connaissances et la conscience qui sont les nôtres aujourd’hui. Ce n’est pas le
lieu, et ce n’est pas l’objet de cette étude, de justifier ces thèses ni de s’en excuser, mais dans
la mesure où la critique s’adresse à une certaine praxis impulsée par les responsables des
congrégations missionnaires, quand on examine certaines directives de la hiérarchie de l’Eglise
universelle, on peut estimer que, même à cette époque là et dans le cadre des théologies
missionnaires qui se sont succédé, il était possible d’adopter d’autres attitudes.
Il s’avèrera, dans la suite, que les théologiens africains, et les Congolais en particulier,
épingleront les conséquences néfastes de ces méthodes, essentiellement par l’inefficacité de
l’évangélisation : sans aucune tentative d’adapter le christianisme notamment à travers la
liturgie qui en est la manifestation extérieure la plus caractéristique, l’Eglise missionnaire
n’avait atteint les autochtones qu’à la surface, la religion et la liturgie chrétiennes restant pour
ces derniers une foi étrangère à leur culture. C’est à ces faiblesses que s’attaquera
singulièrement le Concile Vatican II pour organiser l’adaptation de la liturgie au génie et au
tempérament propres de chaque peuple, l’Eglise reconnaissant en quelque sorte les religions
633
BIMWENYI, Kwetshi, O.scar, Discours théologique africain…Problèmes des fondements, Paris, Présence
Africaine, 1981, pp. 172-177.
258
africaines traditionnelles. En effet, confirmant les évêques africains qui s’étaient prononcés à
propos des religions traditionnelles africaines lors de leur synode, si l’Exhortation
Apostolique Ecclesia in Africa, prévient contre les influences négatives, elle encourage
l’assimilation de valeurs positives et, confirmant par ailleurs la vision de « pierres d’attente »,
affirme que ces valeurs de croyance en un Etre Suprême, Eternel, Créateur, Providence et
juste Juge
« peuvent être considérées comme une préparation évangélique, car elles
comprennent de précieuses semences du Verbe, qui sont susceptibles de conduire,
comme elles l’ont déjà fait dans le passé, un grand nombre de personnes à s’ouvrir à la
plénitude de la Révélation en Jésus-Christ à travers la proclamation de l’Evangile »634.
634
Exhortation apostolique postsynodale Ecclesia in Africa du Saint Père Jean-Paul II…, § 67, in NYOM,
Barthélemy, MPONGO, Laurent. et MBARGA, Jean. (Prés.), Eglise en Afrique, Paris, Ed. du Cerf, 1995, p.63.
259
Ci-dessous, deux photos prises en 1936 de la « pièce africaine ». Vente d’un « bel
ensemble d’Art africain de la collection historique d’Alex Van Obstal »,
Source : Salle des Ventes au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (le 11 mai 2000)
260
Nombre d’œuvres d’art africaines, considérées comme païennes et confisquées, ont fini dans
des salles de vente occidentales.
261
Comme on l’a vu, à la poursuite du « salut des âmes », les missionnaires avaient
privilégié l’administration des sacrements, notamment les baptêmes. A ce sujet, il y eut une
véritable compétition, à qui aura baptisé le plus grand nombre de gens, les registres des
baptêmes servant également de livres de statistiques : c’était du prestige missionnaire très
recherché que de sauver le plus d’âmes possible par le baptême. La théologie du « salut des
âmes », qui sera encore d’application dans l’Eglise missionnaire des XIXe-XXe siècles, ne
touchant que superficiellement les indigènes et ne garantissant donc pas la pérennité du
christianisme, poussa à des baptêmes de masse sans préparation suffisante des
catéchumènes635, et, comme l’affirme Van Wing, l’apostolat en question se limitait à
« administrer le baptême », « Le nombre des baptêmes doit avoir été énorme »636. L’itinérance
organisée pour les missionnaires dans les villages éloignés du poste de mission et confiés à la
charge des catéchistes ne servait qu’à des baptêmes.
A ce sujet, presque chaque missionnaire tient les statistiques de ses baptêmes, soit par
localité soit pour une période donnée. Tel, pour ne prendre qu’un seul exemple, le cas de Fra
Luca : d’août 1691 à la fin de 1692, il dit avoir baptisé 2097 personnes dans le Mukondo et à
Nkusu637 ; il rapporte qu’au cours de son deuxième voyage missionnaire, du 25 février à fin
1694 « je baptisai 4940 personnes et j’assistai à 26 mariages »638. Le 31 octobre 1697, le père
étant à Mbanza Mpangu où il venait pour célébrer la commémoration des défunts comme il
635
DELANOTE, Daniel., « Le centenaire de la deuxième évangélisation au Zaïre… », loc. cit, p. 39.
636
VAN WING, Jan, Etudes Bakongo. Sociologie, religion et magie, op.cit., p. 37.
637
BONTINCK, François, Diaire congolais…, p. 23.
638
Ibid., p. 38.
262
l’avait promis au marquis de Mpangu, il baptisa à cette occasion 636 personnes639, tandis que
lors du voyage au Mpumbu (2 janvier-10 mars 1698), s’étant rendu au marché ( !) local du
village Magoa640 (un marché nsona) le 29 janvier, où « il y avait de très nombreux païens ; je
fis donc proclamer que, sans demander aucune aumône, je baptiserai tous ceux qui le
désireraient. Environ 200 personnes se firent baptiser »641. Parlant de l’année 1700, sans doute
l’une des plus mauvaises en nombre de baptisés, il dit avoir « conféré 335 baptêmes et béni 6
mariages »642, ainsi de suite. On apprend du même coup que le baptême s’administrait
moyennant le paiement d’honoraires, mais aussi, et surtout, qu’il n’était précédé d’aucune
formation ni même d’aucune préparation, initiation ou simple information. L’existence des
honoraires de baptême, appelés « aumône » par les missionnaires, est certaine, parce que, lors
de son passage chez un Dom Manuel, mani d’une localité de la libata de Kilangundu du
Mpumbu (fin février- début mars 1698) où il espérait administrer un grand nombre de
baptêmes, Fra Luca se rendit compte que les habitants n’étaient pas très intéressés, « pour les
allécher, je dis que je ne voulais qu’une petite aumône, prélevée sur ce qu’ils possédaient »643,
l’aumône consistait généralement en biens en nature (nourriture, étoffes, …, rarement en
nzimbus, la monnaie locale en coquillages).
Quant à l’organisation de la messe, il est inutile d’insiter pour indiquer que ni avant le
Concile de Trente, lorsque commence au XVe siècle la mission du Kongo ni, encore moins,
du XVIe au XXe siècle, alors que l’Eglise était encore secouée par la crise traumatisante de la
querelle des rites chinois, ni les jésuites, présents depuis le XVIe siècle, dont les méthodes
étaient la cause du drame chinois, ni les missionnaires d’aucun des autres ordres qui
accusaient constamment les jésuites, ne se seraient avisés d’adapter la liturgie latine romaine
aux cultures locales en pays de mission. Par ailleurs, le traitement fait aux pratiques cultuelles
africaines ainsi que le mépris dans lequel les missionnaires, pas seulement dans l’ancien
royaume Kongo, tenaient les populations africaines dont la personnalité et l’humanité étaient
ignorées dans leurs cultures et dans leurs coutumes, ne permettent pas d’imaginer que les
missionnaires aient pu penser à une quelconque adaptation de la liturgie aux cultures
africaines. Il semble bien en effet que, à la différence des jésuites de Chine, les missionnaires
d’Afrique, aussi bien ceux du royaume du Kongo de la première évangélisation que ceux de la
639
Ibid., p. 78.
640
Le marché s’appelait nsona, du nom du jour où il avait lieu ; au Kongo, il y avait une semaine de quatre
jours : nsona, nkandu, konzo (ou konso) et nkenge, il y a marché chacun de ces jours à tour de rôle BONTINCK
François, ibid., p. 97 note 115 et p. 100.
641
Ibid., p. 101.
642
Ibid., p. 208.
643
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., p. 110.
263
période coloniale en Afrique, n’aient fait aucun effort pour adapter la liturgie644, au contraire
ils se sont complus à plaquer telle quelle la liturgie tridentine. Qu’aucune des relations
consultées ne comporte une description du déroulement de la messe qui rende compte d’une
liturgie différente de la liturgie latine alors en vigueur dans la chrétienté occidentale ou d’une
adaptation de cette dernière aux cultures et rites africains, montre bien qu’il n’en a été fait
aucune tentative. Au contraire, les archives des jésuites, reprenant le rapport de la visite ad
limina dressé à l’intention du pape par l’évêque Francisco de Soveral parlant pour les deux
royaumes qui formaient le diocèse de São Salvador (Kongo et Angola), confirment que
« Dans la cathédrale et dans tout le diocèse, les offices et les messes sont célébrées suivant le
rite romain. On y suit les missels, bréviaires et rituels romains », ajoutant, en ce qui concerne
le service au confessionnal, que « Comme personne à la cathédrale n’est chargé spécialement
de la cure d’âmes, il a été décidé que tous les dignitaires et les chanoines rempliront cette
charge à tour de rôle et par semaine »645. Cette instance sur la romanité de la liturgie suivie et
des livres liturgiques utilisés, faite pendant la tourmente dans laquelle se trouvaient les
jésuites en Chine, est sans doute pour montrer que ceux d’Afrique n’avaient pas été tentés par
la même expérience d’adaptation de la liturgie de la messe aux cultures et coutumes locales.
On trouve seulement quelques entorses ou accommodations au cérémonial liturgique
catholique normal, tolérées un temps au seul profit des chefs parce qu’elles étaient dues à leur
ignorance des pratiques catholiques ; elles concernent essentiellement les sacrements et les
attitudes au cours de la messe.
d’apprendre par cœur le chant des prières en langue indigène aux chrétiens qui, jusque là, ne
connaissaient que le pater, l’ave et le credo récités péniblement en latin »647. Ce fut une bonne
inspiration, parce que l’usage d’apprendre les prières en kikongo fut un succès, le père Mateo
Cardoso se félicita de cette réalisation, relevant le mérite de la Compagnie de Jésus qui a eu
cette initiative pour la première fois dans ce pays où « depuis 150 ans que la foi a été reçue »
rien de tel ne fut fait : « de nuit et de jour, on entend chanter ces prières dans les rues par les
garçons et les filles, à la cour, dans les endroits voisins et par les chemins et dans les maisons.
Non seulement les enfants, mais les vieux et les vieilles les connaissent déjà dans leur
langue »648
« A Matete, le Vendredi Saint, l’adoration de la croix se fait selon les rites locaux :
une statue du Christ est déposée sur une civière sous un toit de paille au milieu de
l’église. Autour d’elle, des femmes accroupies, le bébé sur le dos, pleurent la mort du
Seigneur comme on pleure un chef à la veillée funèbre. L’une d’elles entonne une
mélopée et toutes, battant des mains en cadence, reprennent le refrain. Une femme
agenouillée au chevet évente le visage du Christ et, de temps en temps, lui essuie la
face. C’est la première fois que j’assiste à ces rites qui sont ceux des décès ordinaires.
Les chants étaient en tshiluba. »649
Pour la messe en général, alors que, déjà, se faisait sentir et s’exprimait chez beaucoup,
comme nous le verrons, le besoin d’adapter la liturgie, Bernard Olivier indique que Joseph
Malula avait composé des chants de l’ordinaire d’une « messe de Mgr Malula » en lingala,
une messe « très belle » « qui est devenue notre ordinaire : Mokonzi yoka bisu mawa
(Seigneur prends pitié de nous), Nkembo na Nzambe o likolo (Gloire à Dieu dans les
hauteurs…) ». Rencontrant ce vent d’adaptation, certains missionnaires furent contraints,
647
CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo et l’Angola tirées des archives de la Compagnie de Jésus, 1621-
1631, Extrait du Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, Bruxelles, Rome, 1968, p. 354.
648
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., pp. 428-429.
649
OLIVIER, Bernard, Chroniques congolaises. De Léopoldvielle à Vatican II (1958-1965), op.cit., p. 65.
265
raconte Bernard Olivier qui était, en plus de ses cours, attaché à une paroisse construite par
l’Université dans un village mixte entre cadres universitaires et villageois (à Livulu), de
« recourir à des tours de passe-passe pour réaliser une liturgie vivante et adaptée ».
Rapportant son expérience dans cette paroisse, depuis 1959 où il faisait encore la messe en
plein air jusque plus tard quand l’église fut construite, et rappelant que « la messe était
célébrée en latin, naturellement », il raconte ses propres « tours de passe-passe » : pour les
lectures de la Parole, « comme les ménages congolais étaient bakongo, on faisait les lectures
en français et en kikongo »650. Il continue, dans ce souci d’intelligibilité de la liturgie :
« Même chose pour la prédication, assurée en kikongo par un jeune prêtre étudiant.
Ayant acquis la conviction en relisant les documents officiels qu’il était permis de
‘’doubler ‘’ en langue vivante des parties de la messe, je me suis mis à doubler
carrément toute la liturgie de la Parole. Je commençais la célébration directement en
latin dix minutes avant. De façon à pouvoir répéter cette partie en français à l’arrivée
des fidèles. On avait grand besoin d’un concile »651.
Cette répétition d’une partie de la messe prouve sans doute la conviction, pour l’époque, que
la seule messe valable était celle du rite latin, la répétition en français ne venant que pour la
forme et, en plus que la messe, pour être valide, n’avait pas besoin de public des fidèles. C’est
par des astuces de ce genre que des missionnaires imaginatifs cherchaient à rencontrer les
aspirations de leurs fidèles, en contournant la rigueur qui s’imposait encore deux ou trois ans
depuis l’annonce du concile Vatican II, profitant d’ailleurs de ce que, alors, commençaient
des recheches pour une liturgie inculturée, notamment à la veille de la VIe Assemblée
Plénière de l’épiscopat congolais de 1961 dont il sera largement question plus loin.
Pour revenir aux aménagements d’attitude concédés au profit des rois et nobles
(marquis, ducs et certains mani) de l’ancien royaume kongo, on sait que ceux-ci exigeaient de
se confesser et d’entendre la messe dans leurs cases. Fra Luca rapporte cet épisode qui résume
l’ensemble des pratiques au cours de la première évangélisation :
« Je restai environ deux mois dans la mbanza de Mbamba ; pendant ce temps j’entrai
en conflit avec le duc parce qu’il voulait se confesser dans sa maison. Je crois que cet
usage fut introduit par des prêtres séculiers ; en effet, j’ai vu cet abus aussi dans le
royaume de Portugal : les nobles, tant hommes que femmes, s’y confessent dans leur
maison avec tous leurs domestiques, mais je ne le permis pas au duc. Il voulait aussi
entendre la messe dans sa maison ; cette faveur, je la lui concédai parce qu’il y avait
une chapelle ; il prétendait aussi baiser la patène, entrer dans l’église la tête couverte
d’un bonnet, se confesser avec ce bonnet sur la tête et s’accuser de ses péchés en
650
Il faut dire que c’est un « tour de passe-passe » parce que, si l’épiscopat français avait déjà un lectionnaire en
français par ailleurs par des églises de langue française notamment en Europe, il n’y avait pas encore
d’autorisation de faire des lectures en une langue congolaise, pas plus le kikongo que toute autre langue.
651
OLIVIER, Bernard, op .cit., p. 128.
266
On comprendra cette insistance de recevoir la paix avec la patène en se rappelant que si,
comme on l’a vu dans l’analyse génétique de la messe, dans le rite latin traditionnel, la paix se
donnait par accolade entre clercs, elle était donnée aux fidèles par l’intermédiaire d’un
« instrument de paix », une sorte de plaque de n’importe quel métal et que les fidèles baisaient,
car on estimait que la poignée de mains était mondaine653. Mais, selon Jungmann, ceux qui
avaient apporté leurs offrandes à l’autel avaient droit à recevoir la paix avec la patène que
l’évêque présentait en disant pax tecum, ce rite, supprimé par Pie V, subsista néanmoins à
certains endroits jusqu’au XXe siècle654. Le roi et quelques nobles kongo désiraient baiser non
pas cet instrument quelconque mais le métal précieux de la patène, sans doute y avait-il, en
plus, la croyance que la patène était plus « sainte », en tout cas plus noble, qu’une plaque
ordinaire. On ne sait pas pourquoi au XVIIe siècle les Portugais avaient introduit cet usage au
Kongo, peut-être pour les Blancs qui y allaient ou parce qu’au Portugal même il en était fait
application ; mais, il paraît bien que la pratique n’ait pas existé sous la deuxième évangélisation
au Congo belge où, à la messe, il n’y avait de geste de paix que lors des concélébrations à
l’occasion de messes pontificales ou de grandes solennités, par accolade et d’ailleurs
uniquement entre clercs. Il y avait également l’habitude de faire baiser l’évangile au roi après la
lecture, tandis que, à plusieurs reprises, le roi et les nobles faisaient lire le dernier évangile sur
(au-dessus de) leur tête. Concernant cette dernière coutume, il faut rappeler que le dernier
évangile, c’était le prologue de l’évangile de Jean qui s’imposa très vite, consacrant en quelque
sorte un véritable culte ou de pratiques superstitieuses dont il était en lui-même l’objet depuis le
IVe siècle, plusieurs fidèles réclamaient, en bien des occasions, que fût lu ce texte dont la
première utilisation à la fin de la messe est une initiative des Dominicains (1256). Cette lecture
sera fixée, canonisée et généralisée après le Concile de Trente et figure dans le missel de 1570 ;
on comprend que, lorsque les missionnaires s’implantent dans les deux royaumes (Congo et
Angola), ils aient importé une pratique déjà largement suivie en Europe.
Le roi réclamait ces privilèges, notamment de confesser dans sa maison avec son bonnet
et assis devant l’interprète qui entendait la confession et traduisait au prêtre, de baiser la patène
652
BONTINCK, François, Diaire congolais…, pp. 9-10.
653
CHALUFOUR, Jean-Denis, La sainte Messe hier, aujourd’hui et demain, op.cit., p. 180.
654
JUNGMANN, Joseph-Andrea, Missarum Solemnia II, op. cit., pp. 24-25.
267
après l’offertoire, après la communion boire au calice l’eau de la purification et recevoir la paix
avec la patène. Du temps de Fra Luca, il ne lui accorda que la messe et sa confession dans
l’église de son palais, confession sans bonnet et à genoux devant l’interprète car c’est à lui qu’il
avoue directement ses péchés ; quant à recevoir la paix par la patène et à boire au calice pour
l’ablutio oris, l’évêque exigea que le roi présentât le privilège pontifical qu’il disait avoir reçu
et qui serait enregistré par la chancellerie de façon à établir la règle à l’égard des futurs
missionnaires655, ce que le roi ne put prouver. Ce faisant, Fra Luca oubliait ou ne savait pas,
parce que cela s’était passé plus de 150 ans plus tôt, que ce sont les missionnaires eux-mêmes
qui ont fait découvrir aux Congolais ces gestes auxquels ils ont pris goût par la suite. En effet,
ces gestes ont été vus par les nobles du royaume dans le cérémonial suivi au cours de la messe
solennelle dite le lendemain du baptême, le 3 mai 1491, du roi le ne-Kongo Nzinga Nkuwu. Tel
que le rapporte Mgr Cuvelier : à cette messe du 4 mai « tout le cérémonial en usage à Lisbonne
dans la chapelle royale de Jean II s’y déploya […] Pendant la messe, à l’Evangile, on porte le
Missel à baiser au roi ; à l’offertoire le célébrant s’approche de lui et il baisse la patène. La
messe finie le célébrant lit sur lui l’évangile. Toutes ces distinctions, […] causèrent au roi un
très grand contentement »656. Pas étonnant que le roi de Congo ait voulu conserver, au moins
pour lui, ces privilèges qu’on lui avait dits appliqués à son « frère » le roi de Portugal.
Ces pratiques avaient donc dû être bien connues et en tout cas appréciées des seigneurs
congolais des XVIIe et XVIIIe siècles. En effet, malgré les réticences des missionnaires et le
refus de l’évêque qui leur avait été notifié au moins parce qu’ils avaient entendu la réponse
donnée au roi, il y en a qui continuaient de se comporter de la même manière. Comme ce
marquis de Wembo qui « prétendait recevoir les cendres, le bonnet sur la tête, le dimanche il
voulait aussi recevoir l’aspersion d’eau bénite la tête couverte, et le dimanche des rameaux,
recevoir à l’autel la palme des mains du prêtre ; de même il prétendait écouter l’évangile à la
fin de la messe tout en gardant la tête couverte », Fra Luca le lui refusa. Quant au marquis de
Lollo, venu se confesser, il « avait gardé son bonnet sur la tête et était assis pendant qu’il
confessait ses péchés à l’interprète. A cette vue, dit le missionnaire, je le réprimandai
âprement ; j’ordonnai à l’interprète de lui faire répéter sa confession et regretter en premier lieu
son geste d’orgueil », le marquis ôta son bonnet, se mit à genoux devant l’interprète et reprit sa
confession avant d’aller demander pardon au missionnaire657.
655
BONTINCK, François, Diaire congolais..., p. 13.
656
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume du Congo…, op.cit., p.78.
657
BONINCK, François, Diaire congolais…, p. 14.
268
Très longtemps, les missionnaires ont ignoré les langues locales, ne s’exprimant qu’en
portugais ou italien, recourant à des interprètes non seulement dans les relations privées mais
aussi dans le domaine du service liturgique. En effet, pour l’enseignement, les rituels et
l’administration des sacrements, les interprètes étaient utilisés, y compris pour la confession,
sans aucune considération de l’obligation du secret du confessionnal. Il en était également ainsi
pour la messe, au cours de laquelle l’homélie avait lieu en portugais, traduite en langue kongo
par les interprètes, comme le confirme ce témoignage que fait le père Laurent de Lucques qui
affirme qu’il n’y avait aucun autre moyen, « car pour nous autres missionnaires, il est très
difficile d’acquérir la connaissance de cette langue ». Il parle d’un père Bernardino da
Mazzarino qui, à Soyo, « fit un sermon en portugais, que le prince lui-même répéta en leur
langue. Je n’en fus pas peu étonné, car il dura une heure. Vraiment, cela paraît presque un
miracle car, humainement parlant, il semble impossible de répéter en congolais une prédication
entière faite en langue étrangère. Nos interprètes font la même chose. Nous prêchons en
portugais et ils traduisent en langue du pays »658. La technique n’est pas en soi condamnable,
car si l’on ne connaît pas une langue, il faut bien un interprète, les missionnaires des XIXe-XXe
siècles firent de même mais tant qu’ils étaient encore nouveaux, leurs congrégations et leurs
supérieurs ayant organisé les choses par la suite pour qu’ils apprennent et parlent les langues
locales parfois déjà depuis l’Europe, de telle sorte que, relativement rapidement, seul l’ordo
missae se déroulait comme normalement partout en latin, ainsi que la lecture des rituels des
sacrements, mais la confession et la prédication avaient lieu directement en langues locales. En
tout état de cause, les inconvénients de l’ignorance des langues africaines par les missionnaires
seront, lors de la deuxième évangélisation, stigmatisés par des actes pontificaux qui vont
prescrire la formation de prêtres locaux, en particulier l’encyclique Rerum ecclesiae, de Pie XI
(8 février 1926) qui dit à juste titre : « la prédication des missionnaires étrangers ne perd-elle
pas beaucoup de sa puissance et de son efficacité du fait que leur connaissance incomplète de la
langue les empêche d’exprimer leurs pensées ? »
Habituellement, la messe était dite dans l’église lorsque, comme dans les capitales, il y
en avait une, ou alors dans une maison servant d’église, ou dans un hangar si la case prévue
était détériorée pendant la longue absence des missionnaires en itinérance ou, encore, lorsque
c’est en dehors de la paroisse. Il n’était pas rare que la messe eût lieu en plein air, non
seulement dans les localités où les missionnaires faisaient leur itinérance mais où il n’avait pas
658
CUVELIER, Jean, Relations sur le royaume kongo du Père Laurent de Lucques…, op.cit., pp. 50-51.
269
encore été construit d’église, ou là où un mani demande qu’un prêtre de passage dise la messe
dans sa libata, mais aussi lors d’occasions de diverses solennités, comme le couronnement d’un
roi ou les grandes fêtes avec affluence du public. Apparemment, les prêtres disaient leur messe
quotidienne dans leur case, pour eux-mêmes ; cela arrivait également lorsque le prêtre ayant
excommunié un seigneur et ses gens, décide de couper les relations avec eux et de les
sanctionner en les privant de la messe jusqu’à leur absolution. A l’occasion de l’une de ces
messes dehors, le mani de Kimpese vint assister à la messe avec son bonnet et abrité sous un
parasol, pour continuer la messe Fra Luca da Caltanisetta lui fit enlever son bonnet et fermer le
parasol659. Dans la deuxième évangélisation, la construction des églises s’était généralisée,
d’abord en pisée ou dans des hangars couverts de pailles ou de feuilles de palmier, ensuite en
matériaux durables, la construction des hangars ayant été longtemps maintenue (aujourd’hui
encore) pour les localités éloignées du poste de mission et que le prêtre desservait en itinérance.
Comme cette dernière n’avait lieu que par intermittence comme cela se fait encore de nos jours,
après plusieurs mois, peut-être même une fois par an, les fidèles des villages éloignés des
missions se contentaient d’une célébration dominicale sans eucharistie, sous la responsabilité
d’un catéchiste qui a d’ailleurs la charge de l’éducation religieuse dans le village ; ainsi donc,
en réalité, la mission, l’évangélisation et la liturgie étaient intermittente, dans chaque village à
tour de rôle.
A São Salvador et à Loanda, la messe et les offices divins des dimanches et jours de
fêtes sont célébrés avec chant, exécuté par le chapitre mais plusieurs Noirs, « naturellement
enclins à la musique »660, chantent avec les chanoines. La tradition se poursuivit, mais l’Eglise
s’étant mieux implantée pendant la deuxième évangélisation, la connaissance des chants
liturgiques latins fut plus répandue et chaque paroisse ou chaque église montait une chorale, à
ces chants latins, de l’ordinaire de la messe, de l’adoration du saint Sacrement (processions de
la Fête-Dieu, salut, vêpres, etc.), s’ajoutèrent, comme dans les anciens royaumes Congo et
Angola, des chants populaires en langues locales, chantés en dehors de la liturgie de la messe
où la langue exclusive était le latin. Il est fait également souvent état de processions du saint
Sacrement ayant lieu, notamment les dimanches, après la messe.
Les missionnaires se plaignent souvent du laisser-aller des fidèles. A Noël 1698, comme
c’était de coutume dans la liturgie catholique (y compris pour Pâques), chaque prêtre disait
trois messes. Il se trouva un seigneur, Dom Miguel, membre de la famille régnante de Nkusu,
659
Ibid., p. 33.
660
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., p. 435.
270
ayant déjà assisté à deux messes, il envoya ses hommes avertir le père Salvatore qui était en
train de dire sa deuxième messe qu’il viendrait assister à sa troisième messe « avec son peuple
et en grande pompe et que, par après, ils exécuteraient la danse guerrière » ; la démarche avait
pour objet de dire au célébrant de retarder sa messe jusqu’à ce que le chef soit prêt. Mais les
envoyés du mani ne purent contacter le père Salvatore qui était alors à l’autel ; celui-ci ayant
terminé sa deuxième messe, enchaîna avec la troisième et quand le mani, dont l’intention était
de se montrer, « arriva avec ses guerriers portant leurs étendards et leurs armes, il trouva que
toutes les messes étaient finies ». Furieux, Dom Miguel interdit à son peuple de se rendre à
l’église soit pour la messe soit pour tout autre exercice spirituel661. Par ailleurs, il n’était pas
rare de voir les gens, surtout les seigneurs, venir ivres à la messe, l’ivresse étant considérée non
pas comme un défaut mais comme la qualité que doit avoir tout noble.
Il arriva que, à la demande du roi afin de lui permettre d’assister à la messe selon son
emploi du temps, les missionnaires aient eu à célébrer une messe pour le roi et une autre pour le
peuple, notamment pour les fêtes, parce que le roi avait décidé que les « messes devaient se
célébrer à l’heure qu’il voulait. Mais pour le roi, au moins en théorie, les choses allaient être
fixées, dans le sens de la reconnaissance de certains privilèges. En visite apostolique de mars à
fin juin 1700 dans certaines provinces du Kongo, notamment dans le Kimbangu, le Préfet des
missions, le père Francesco de Pavia, apprit des missionnaires que « les gens de Nkusu ne
témoignaient que peu de respect à notre église et ne la fréquentaient guère, car immergés dans
leurs superstitions diaboliques et leurs pratiques magiques, ils ne faisaient que peu de cas des
choses divines » ; il fut également informé « du manque de courtoisie dont souffraient les
missionnaires. Surtout, à la fin de sa visite, il laissa par écrit une série d’instructions (appelées
capitulations) pour l’application desquelles les missionnaires devaient prendre des
arrangements avec le roi et son conseil. Il y eut ainsi 17 « capitulations » que le père de
Caltanisetta communiqua au conseil du roi et qu’il remit après les avoir traduites dans les
langues locales. Tandis que plusieurs de ces capitulations avaient trait aux obligations du roi à
l’égard des missionnaires et de leur mission (les moyens et facilités à leur accorder, la
construction des lieux de culte et des maisons des missionnaires, l’obligation d’acheter les
ornements sacrés et, pour cela, la remise de tribut lors de solennités, l’obligation d’extirper les
pratiques fétichistes et le concubinage, …), il y en avait cinq qui se rapportaient directement à
la liturgie :
661
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., p. 143.
271
« 1° quand le roi arrive à la porte de l’église, il doit se découvrir la tête et enlever son
bonnet, pour recevoir l’eau bénite ; il entrera dans l’église la tête découverte ; il restera
ainsi découvert jusqu’au moment où il sort ; à la porte de l’église, il se couvrira mais
ne fera aucune manifestation avec des pétards ou autre chose ;
« 2° à la porte de l’église, le roi ne fera aucune cérémonie ; ainsi il ne donnera pas la
bénédiction, car l’église est la maison de Dieu et on lui doit tout respect et toute
vénération ;
« 3° aux fêtes solennelles – et ces jours-là seulement, à l’exception donc des
dimanches ordinaires – le roi pourra baiser le missel à l’endroit du saint évangile ; on
lui donnera le baiser de paix et, à la fin de la messe, on lira sur lui l’évangile ;
« 4° durant l’évangile de la sainte messe, comme Défenseur de la Foi, il tiendra dans la
main droite le glaive dégainé et dans la main gauche un cierge allumé ;
« 5° aux jours de fête, le roi viendra à l’église à une heure convenable et non pas à
midi ; ceci pour la commodité du peuple et pour permettre aux Pères de faire le
sermon et les autres exercices spirituels ; dans l’oratoire du palais, on ne célèbrera la
messe que rarement et dans ce cas, l’oratoire sera aussi accessible au peuple ; »
La dernière capitulation (n° 17) ne manquera pas de surprendre, tellement elle est une
ingérence manifeste dans la gestion politique du royaume et de ses relations avec d’autres
chefferies ou royaumes :
« si le roi et ses conseillers ont à déclarer la guerre à leurs ennemis, pour la tranquillité
de leur conscience, ils soumettront les motifs de cette guerre au Père missionnaire qui
réside alors chez eux et de sa bouche ils entendront si cette guerre est juste ou
injuste »662
De façon générale, la fréquentation de l’église par les hommes du peuple est faible. De
fait, les jésuites se plaignaient que de ce que « Les jours de fêtes et les dimanches sont
observés de mauvais gré et imparfaitement, même à la cour royale », mais lorsque le roi, qui
célébrait bien la Saint Jean-Baptiste et la Saint Jacques dans les chapelles royales, « vient lui-
même à l’église, une grande multitude l’accompagne. S’il est absent, très peu se rendent à
l’église ». Mais, les récits n’indiquent pas comment étaient installés les fidèles au cours de la
messe, entre les Blancs et les Noirs, s’il y avait une discrimination ou des emplacements
réservés. Pendant la première évangélisation, si en Angola, à cause du nombre très rapidement
important des Portugais (les commerçants, pêcheurs, trafiquants d’esclaves, etc.), tandis qu’il
y avait eu une désaffection concernant le Kongo, une telle séparation n’a peut-être pas existé,
elle a pu s’imposer de soi par le fait que, par leur ignorance et le poids des coutumes, très peu
d’Angolais fréquentaient l’eucharistie. Au Kongo, malgré le succès des premiers
missionnaires dans la christianisation du royaume par en-haut, l’activité religieuse fut faible
dans les milieux des natifs, alors que les Portugais laïcs qui étaient dans le royaume ne
662
BONTINCK, François, Diaire congolais…, pp. 197-199.
272
pouvaient résider qu’à Mbanza Kongo ; d’ailleurs, les récits très détaillés des chroniqueurs
missionnaires ne parlent pas de Blancs dans les villages éloignés, sauf ceux qui s’y rendaient
à la chasse au noir au cours des campagnes esclavagistes. Pendant la colonisation belge,
hormis les villes, très peu d’Européens, en dehors des administrateurs coloniaux, vivaient
dans les villages ruraux (exploitants, dirigeants de sociétés de traite et de négoce, quelques
commerçants…) ; cette circonstance a facilité une telle discrimination, les missionnaires
plaçant, dès le début, ces quelques Blancs dans une section séparée des fidèles indigènes,
généralement à l’avant et parfois à la hauteur du chœur, avec une entrée séparée de celle des
Noirs à laquelle seuls les religieux noirs étaient admis. Dans les villes, l’administration belge
ayant adopté une sorte d’apartheid entre quartiers « européens » (« la ville ») et « indigènes »
(« la cité indigène »), avec interdiction formelle aux Congolais de traîner sans raison ou
autorisation dans les quartiers européens sous peine de sanction pénale, les Blancs avaient
ainsi forcément leurs paroisses. Un missionnaire belge l’a expérimenté juste avant
l’indépendance. Par un autre témoignage, le père Bernard Olivier dit avoir remarqué que des
Noirs de Léopoldville préféraient aller à la messe soit à la paroisse universitaire, située sur un
campus assez éloigné de la ville, soit dans une paroisse fondée pour desservir un village mixte
entre cadres (blancs et noirs) de l’Université et villageois et qui était confiée aux prêtres de
l’Université, parce que dans ces deux églises il n’y avait pas de discrimination entre Blancs et
Noirs. De fait, ils s’y sentaient à l’aise, tandis que, en ville, dans les églises des Blancs, les
Noirs ne se sentent pas vraiment chez-eux et « occupent discrètement les derniers rangs »663.
Il semble que la prédication ait été une pratique courante. Mais, si pendant la
colonisation elle a lieu lors de la liturgie de la Parole, dans la première évangelisation il y est
procédé après la messe, preuve que comme on l’a vu, l’habitude de l’homélie avait était perdue
ou sa pratique était devenue rare. On le voit, chez le père Mateus Cardoso qui rapporte qu’à
l’Assomption 1625, après la messe à laquelle le grand-duc de Bamba, alors Dom Gregorio
Afonso, assista en grande parure, il prêcha sur la fête de l’Assomption et, de nouveau, il prêcha
après la messe du curé résident des lieux664 ; on le voit également lors de la fameuse messe de
mai 1516 où le roi Dom Afonso prêcha « après la messe ».
663
OLIVIER, Bernard, Chroniques congolaises. De Léopoldville à Vatican II (1958-1965), op.cit., p. 64.
664
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, p. 421.
273
En réalité, la formation d’un clergé autochtone fut une entreprise timide et lente, pour
une Eglise missionnaire qui mit pied sur ce sol congolais depuis le XVème siècle, dont le roi,
christianisé sous le nom chrétien de Dom Alfonso, réclama la formation des prêtres
665
Ibid., p. 358.
666
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., pp. 429-440, spécialement, p. 440. En fait, cet
évêque ne fit pas personnellement cette visite, ayant envoyé deux de ses 4 vicaires généraux ou officiaux de São
Salvador, Loanda, Mossangano et Benguela
667
JADIN, Louis, ibid., p. 359.
275
autochtones et obtint que son fils, Dom Enrique Kinu Mbemba, fût ordonné prêtre en 1520,
sans doute le premier prêtre catholique noir, puis sacré évêque en 1521668, qui resta longtemps
l’unique clerc kongo. Peut-être tout le monde, y compris des chrétiens autochtones, pensait-il
qu’il était impossible à des Noirs d’aspirer au mode de vie de prêtre669. En tout cas, il est
surprenant qu’il ait fallu attendre le XIXe siècle pour voir démarrer une période continue
d’ordinations de prêtres africains avec, qui plus est en pays d’Islam, l’ordination le 19
novembre 1840, dans la congrégation des Spiritains français, de trois prêtres sénégalais,
Fridoit, Boulat et Moussa.
668
LINDEMANS, Steven, op. cit., p. 54.
669
DE CLEENE, Noël, « Nos premiers séminaristes noirs », Missions de Scheut, 1920, T. 28, pp. 247-251.
670
Spiritus, n° 6, p.68.
276
Vatican avait conçu une approche, voire une politique, pour la formation d’un clergé
autochtone en terre de mission, sur la base de laquelle les missionnaires créèrent des
institutions de formation et mirent sur pied un clergé congolais autochtone qui s’avéra utile
non seulement pour étendre l’emprise de l’Evangile et l’implantation de l’Eglise mais aussi
pour prendre le relais des missionnaires étrangers à la tête et au sein de l’Eglise locale. On se
rend compte que, à part la traduction du catéchisme et des extraits de l’Ancien et du Nouveau
Testaments dans les langues locales, alors que les rites demeuraient dans la rigueur de leur
« romanité », la formation des prêtres autochtones aura été la seule tentative d’adaptation de
l’Eglise catholique aux conditions particulières des pays de mission africains.
Léon XIII va stimuler et encourager les congrégations missionnaires dans cette voie.
D’une manière précise concernant l’Extrême-Orient, Léon XIII dit dans une autre lettre671,
que c’est le clergé autochtone qui, comprenant la langue, les mœurs et coutumes « auxquelles
on en se fait pas même après de longues années », car « le clergé européen reste absolument
étranger et que « une population se confie difficilement à des étrangers, il est évident que des
prêtres du pays produiront des fruits de salut beaucoup plus abondants. Ils ont les goûts, le
caractère, les mœurs de la nation : ils savent quand il faut parler et quand il faut se taire, ils
vivent Indiens parmi les Indiens sans éveiller de soupçons, avantage dont il est inutile de
démontrer l’importance surtout pour les circonstances critiques ». C’est dans cette perspective
671
Encyclique Ad extremas Orientis, du 24 juin 1893, du pape Léon XIII.
277
que, dès 1889 fut créé un important service appelé l’« Œuvre de Saint Pierre », pour la
formation du clergé autochtone.
Appliquée à l’Afrique, une telle conception vise une sorte d’« africanisation des
cadres » de l’évangélisation pour africaniser l’Eglise et sa mission ; elle sera constamment
confirmée par des textes ultérieurs. D’abord, Benoît XV promulgua, le 30 novembre 1919,
l’Encyclique Maximum Illud, dans laquelle il s’opposait fermement à toute domination de la
part des missionnaires catholiques et, surtout, demandait qu’on cessât de considérer les
Églises de mission comme des colonies sous autorité étrangère ; pour cette raison, le Pape
recommandait fortement la formation d’un clergé local capable non seulement de travailler
sous la tutelle missionnaire mais de prendre en charge l’administration de son peuple. En
effet, il insistait sur la nécessité de « former un clergé local pour assumer la direction des
nouvelles Eglises », l’objectif de Rome étant de réussir une complète évangélisation que ne
peut réaliser un travail superficiel ; le Pape déplorant qu’il manque des prêtres autochtones
dans des pays où la foi catholique avait été introduite depuis de longs siècles, ce qui était le
cas du Congo, souhaitait la formation d’un clergé autochtone compétent, recommandant à cet
effet, de
a) créer des séminaires partout où le besoin s’en fait sentir dans les missions ;
b) promouvoir les vocations missionnaires parmi les séminaristes et leurs prêtres et les
envoyer à l’extérieur de leur pays ;
672
Encycliqe Rerum Ecclesiae, du pape Pie XI, en date du 8 février 1926.
278
lettre que « pour donner à Nos intentions une expression extérieure, Nous avons choisi la fête
prochaine du Christ-Roi pour élever à la dignité épiscopale, sur le tombeau du prince des
apôtres, douze représentants des peuples ou groupes de peuples les plus divers. », il nommera
effectivement en cette année 1939, les deux premiers évêques africains depuis Dom Henrique,
en les personnes de Mgr Kiwanuka, en Ouganda, et de Mgr Ramarosandrotana, à Madagascar.
Par l’encyclique Evangelii praecones, du même Pie XII en date du 21 juin 1951, le Pape
rappelait que le but du travail missionnaire est d’établir fermement et définitivement l’Eglise
chez de nouveaux peuples, surtout par la participation du clergé à la construction de la
hiérarchie ecclésiastique et que les missionnaires n’ont plus le droit de former des chrétientés
mais de fonder des Eglises :
« Le but des Missions, comme chacun sait, est d'abord de faire resplendir pour de
nouveaux peuples la lumière de la vérité chrétienne et de susciter de nouveaux
chrétiens. Mais le but dernier auquel elles doivent tendre - et qu'il faut toujours avoir
sous les yeux - c'est que l'Église soit fermement et définitivement établie chez de
nouveaux peuples, et qu'elle reçoive une Hiérarchie propre, choisie parmi les habitants
du lieu. […] Il est clair cependant que l'Église ne peut s'établir convenablement en de
nouvelles régions à moins que les institutions et les œuvres n'y soient organisées
comme il faut, à moins surtout qu'un clergé indigène à la hauteur des besoins n'y soit
créé et formé, Nous aimons pour cela répéter en les empruntant à l'Encyclique Rerum
Ecclesiae ces phrases graves et sages : " ... S'il faut prendre soin que chacun d'entre
vous ait le plus grand nombre possible d'élèves indigènes, appliquez-vous en outre à
les former comme il convient, à la sainteté que demande la vie sacerdotale, à cet esprit
d'apostolat uni au désir du salut de leurs Frères qui les rendra capables de sacrifier
même leur vie pour leur concitoyens " (A. A. S., 1926, p. 76). […] Supposez qu'une
guerre ou d'autres événements politiques remplacent dans un territoire de Mission un
régime par un autre et que le départ des Missionnaires de telle nation soit demandé ou
décrété ; supposez - ce qui arrivera certes plus difficilement - que des indigènes
parvenus à un certain degré de culture et ayant atteint une certaine maturité politique
veuillent, pour obtenir leur autonomie, chasser de leur territoire les fonctionnaires, les
troupes et les Missionnaires de la nation qui leur commande, et ne puissent y arriver
qu'au moyen de la force. Quelle ruine, Nous le demandons, ne menacerait pas l'Église
en ces régions, si on n'avait entièrement pourvu aux besoins des nouveaux chrétiens en
disposant comme un réseau de prêtres indigènes sur tout le territoire ? (A. A. S., 1926, p.
75). »
Pie XII se pencha de nouveau sur les problèmes de la mission en Afrique dans une
autre encyclique devenue célèbre, Fidei Donum, du 21 avril 1957. Cette dernière encyclique
est consacrée à la « situation des missions catholiques en particulier en Afrique » où
« L'expansion de l'Église au cours de ces dernières décades est pour les chrétiens un sujet de
joie et de fierté ». Comme devait le rappeler Benoît XVI lors du 50ème anniversaire de cette
encyclique,
279
« C'est en effet à l'Afrique en particulier que Pie XII pensait lorsque, avec une
intuition prophétique, il imagina ce nouveau "sujet" missionnaire qui, des premiers
mots de l'Encyclique, tira le nom de "Fidei donum". Il souhaitait encourager, à côté de
formes traditionnelles, un nouveau type de coopération missionnaire entre les
Communautés chrétiennes dites "anciennes" et celles qui venaient de voir le jour dans
les territoires de récente évangélisation: les premières étaient donc invitées à envoyer,
pour aider les Églises "jeunes" et révélant une croissance prometteuse, des prêtres afin
qu'ils collaborent avec les Évêques du lieu pour un temps déterminé. »673.
Il y était en effet dit : « Considérant la foule innombrable de nos fils qui, spécialement
dans les pays d'ancienne chrétienté, bénéficient des richesses surnaturelles de la foi et, par
ailleurs, la foule plus innombrable encore de ceux qui attendent toujours le message du salut,
nous voulons vous exhorter instamment, Vénérables Frères, à soutenir par votre zèle la cause
sacrée de l'expansion de l'Eglise dans le monde. Dieu veuille qu'à Notre appel l'esprit
missionnaire pénètre plus profondément au cœur de tous les prêtres et, par leur ministère,
enflamme tous les fidèles! »674. Le pape sollicitait des évêques l’envoi de prêtres diocésains,
pour un temps, convenu, auprès de jeunes églises ; en fait on remarque, aujourd’hui, que ce
n’est plus un mouvement à sens unique et que beaucoup de prêtres africains, religieux et
séculiers, font des séjours pastoraux dans les diocèses de vieux pays catholiques d’Europe et
d’Amérique. Cette encyclique eut, en réalité, un effet inattendu ; en effet, en application de
ces instructions, on retrouve aujourd’hui un nombre significatif de prêtres africains en mission
fidei donum dans plusieurs diocèses d’Europe et d’Amérique durement frappés par le recul de
la religion et la baisse des vocations sacerdotales.
Quant à lui, dès le début de son pontificat, dans l’encyclique Princeps Pastorum de
1959, Jean XXIII appelle les évêques missionnaires à confier la formation des séminaristes
aux prêtres autochtones.
Enfin, les options de l’Eglise en cette matière sont aujourd’hui développées par le
décret Ad Gentes sur l’activité missionnaire675, la nouvelle charte de la mission depuis le
concile Vatican II ; le Concile Vatican II y indique que « chaque milieu sociologique doit
fournir ses prêtres et ses diacres si l’on veut que l’Eglise soit vraiment implantée ».
673
Discours du pape Benoît XVI aux participants à la rencontre du Conseil supérieur des Œuvres Pontificales
Missionnaires « Fidei Donum », à Rome, le 24 mai 2007,
http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=2405076_anniversaire
674
Cité par Benoît XVI, ibid.
675
Décret Ad Gentes, l’Activité missionnaire, Paris, Ed. du Cerf, 1967.
280
au Congo-Belge, Mgr Dellepiane, nommé à ce poste en 1929. Par une lettre du 14 juillet
1938, la Sainte Congrégation de Propaganda Fide insistait sur l’objectif de la formation d’un
clergé local et d’une vie religieuse locale et congolaise ; en plus, elle donna les directives
traditionnelles de l’Eglise pour sauvegarder les valeurs de la culture locale, surtout les langues
locales, les rites, les mœurs et les coutumes, les missionnaires devant être les hérauts de
l’Evangile et non de la culture de leur patrie676. On peut reconnaître que l’Eglise missionnaire
du Congo s’employa à mettre en œuvre cette politique, avec, cependant, des résultats nuancés.
Au Congo, c’est la congrégation des Pères Blancs qui joua le rôle de pionnière,
notamment dans le Katanga, avec l’ouverture d’une « école latine » à Mpala, décidée par Mgr
Roelens, vicaire apostolique du Haut-Congo et la création en 1906 du premier grand
séminaire de l’Etat Indépendant du Congo à Baudoinville677, tandis que le premier prêtre
congolais, Stefano (Stéphane) Kaoze, du vicariat du Haut-Congo à Baudoinville, sera ordonné
le 21 juillet 1917 par Mgr Roelens678.
des catéchistes et qu’il fut prévu que ces écoles pouvaient accueillir des « jeunes gens qui
donnent des espérances pour le séminaire »681. Mais, malgré des vocations déclarées dès 1913
pour la vie consacrée, trois dans le « bas » du vicariat (actuel Bas-Congo) et six dans le
« haut » (l’actuelle province de l’Equateur, Nord-Ouest du Congo), des querelles intestines
sur l’emplacement de l’établissement retardèrent jusqu’en 1916 l’ouverture d’une nouvelle
« schola latina » dix-sept ans après celle des Pères Blancs à Mpala. En fait, face à ces
dissensions, on dut ouvrir en même temps deux scholae latinae, l’une, dirigée par le père L.
de Clerck, le 31 mai 1916 à Kangu (Mayombe, Bas-fleuve) avec 7 élèves, où, en plus de
l’étude du latin, la langue véhiculaire même pour les mathématiques était … le latin, et
l’autre, confiée au père Peters, le 29 juillet à « Nouvelle-Anvers » (Makanza, dans l’Equateur)
avec 11 élèves et dont le régime, différent, utilisait le Lingala, la langue commune pour toute
la région du Nord. Les conséquences de la première guerre mondiale se firent sentir sur ces
initiatives, en 1918 il fallut réunir à Nouvelle-Anvers les deux établissements, afin de dégager
un certain nombre de prêtres des responsabilités du séminaire pour les affecter à d’autres
tâches, face au tarissement du flux de nouveaux prêtres venant d’Europe, dont beaucoup
étaient alors mobilisés. Avec ce mouvement, on systématisa les conditions d’admission, d’âge
(12 ans), de santé, de formation initiale antérieure (avoir terminé l’école primaire), de
caractère humain, de conduite, de capacités intellectuelles (réussir un examen d’entrée), etc.
Ainsi, la conception d’une simple schola latina céda la place à celle, plus systématique, du
séminaire, arrêtée par la réunion des supérieurs ecclésiastiques et religieux de 1919682.
681
Missions catholiques du Congo-Belge, Instructions aux missionnaires, cité par François. Bontinck, ibid.
682
BONTINCK, François., op. cit., p. 276.
282
683
NKAY MALU, Flavien, La mission chrétienne à l’épreuve de la tradition ancestrale (Congo-belge, 1891-
1933), Paris, Karthala, 2007, pp. 61-62.
684
Lettre du pro-préfet du Kasayi aux missionnaires à propos de sa décision d’ouvrir une école en date du 30
mai 1914, leur demandant d’y envoyer « quelques enfants choisis, doués de bonnes qualités intellectuelles et
surtout morales », citée par SCHEITLER, Marcel, op.cit., p. 150.
685
SCHEITLER, Marcel, op.cit., pp. 251-252.
283
686
De ces séminaristes, deux, Malula et Moke, après être passés par le grand séminaire de Kabwe dans le Kasaï,
seront ordonnés prêtres en 1946 et deviendront, le premier, archevêque de Kinshasa en 1964, le second, évêque
auxiliaire de Kinshasa en 1970.
284
687
Le père SCHEITLER rapporte la relation que Mgr De Clercq fait lui-même de l’événement à la Congrégation
de la Propagande de la Foi, op.cit., p. 285-286.
688
Actes de la VIème Assemblée plénière de l’épiscopat du Congo (du 20 novembre au 3 décembre 1961), in
De SAINT MOULIN, Léon et GAISE N’GANZI, Roger, Eglise et Société. Le discours socio-politique de
l’Eglise catholique du Congo (1956 – 1998) – T.1, Textes de la Conférence épiscopale, rassemblés par …, Ed.
Des Facultés catholiques de Kinshasa, 1998, p.67.
689
Le théologien Sidbe Sempore, cité par COULON, Paul, « Dialoguer avec les religions traditionnelles
africaines », http://www.theologia.fr/article/index.jsp?docid=1608952&rubld=16602
285
On a pu, au cours de cette partie, voir comment, alors qu’elle s’était si bien intégrée en
Occident qui est unanimement considéré comme terre de la chrétienté, la liturgie chrétienne
s’est comportée dans les milieux différents où, dans le cadre de l’œuvre missionnaire, elle fut
importée.
de la messe. A cet effet, on peut relever la valeur symbolique de l’un des privilèges royaux,
lorsqu’il était reconnu que « durant l’évangile de la sainte messe, comme Défenseur de la Foi,
il tiendra dans la main droite le glaive dégainé et dans la main gauche un cierge allumé ». En
cela on honorait, sans toutefois oublier de les christianiser par ce cierge que le roi tient dans la
main gauche, une coutume par laquelle le roi tient le glaive comme insigne de royauté attestant
de sa qualité de guerrier suprême, en même temps que ces danses et cérémonies guerrières
coutumières auxquelles le roi et les grands du royaume s’adonnaient régulièrement. Mais,
durant le padroado et la colonisation, rien qui fit appel aux rites traditionnels africains pour
adapter la liturgie romaine aux cultures locales, condamnées et combattues comme
superstitions diaboliques. Cette frustration, en plus d’avoir provoqué des critiques des
nouvelles générations de chrétiens africains et des hiérarchies ecclésiastiques de l’Afrique
indépendante, fut à l’origine de l’expression des aspirations à s’approprier le christianisme et
sa liturgie par l’inculturation. Mais, il faudra attendre l’évolution des esprits, avec sa
maturation à l’occasion du Concile Vatican II, pour que cette tension entre les acquis figés du
Concile de Trente et les aspirations qui s’exprimaient trouve son dépassement.
287
TROISIEME PARTIE
Au cours des deux derniers siècles, le monde a connu des bouleversements dans tous
les domaines, la révolution industrielle, la révolution idéologique, l’explosion des
connaissances dans le secteur des sciences humaines, les diverses évolutions politiques qui
voient le monde dominé par la colonisation européenne perdre sa suprématie au profit de la
liberté des peuples et l’apparition de nouveaux acteurs tandis que plusieurs autres civilisations
allaient accéder à la parole, les progrès du positivisme et ceux, parallèlement, de l’athéisme et
du libre arbitre. Cette nouvelle situation ne pouvait pas laisser en dehors de son mouvement
l’Eglise. Mais, celle-ci continuait de demeurer dans une conception tridentine plutôt sclérosée
et totalement hors du temps et de toute cette modernité qui a fait irruption.
Il faudra qu’un homme soit inspiré pour ouvrir les yeux sur cette réalité et en prendre
conscience, afin de secouer ce carcan suranné et mettre l’Eglise à l’air de son temps. Le pape
Jean XXIII, nouvellement élu en succession à Pie XII, surprend le monde avec son projet,
annoncé le 25 janvier 1959, d’un concile œcuménique avec objectif de réaliser
l’aggiornamento de l’Eglise. De ce concile va sortir un véritable renouvellement de l’Eglise
aussi bien dans ses aspects internes que dans son rapport au monde et aux autres religions qui
se sont développées depuis la naissance du christianisme, en contestation à ce dernier ou dans
d’autres ères culturelles, philosophiques et de croyances.
légitimité et fondements les liturgies et rites particuliers qui ont fleuri un peu partout et,
singulièrement en Afrique, sous l’égide de la hiérarchie et dans l’unité de l’Eglise.
Pour rendre compte de ces réalisations, nous allons d’abord présenter, entourées des
circonstances qui en ont commandé les orientations et le contenu, les décisions et directives
du Concile dans le secteur de la liturgie en vue de donner à l’Eglise universelle une liturgie
dépouillée des scories de la culture qui l’a illégitimement dominée pendant deux millénaires
(I), avant d’exposer cette nouvelle liturgie en elle-même (II) ainsi que les directives du concile
pour l’inculturation de la liturgie dans les diverses cultures que comprend la chrétienté (III).
Ainsi pourront se manifester les caractéristiques et spécificités des liturgies et rites africains,
que nous examinerons essentiellement à la lumière du rite zaïrois, de toute l’Afrique le seul à
avoir été approuvé et peut-être jusque là le plus élaboré (IV).
290
291
Sur le plan historique, il n’est pas exagéré d’avancer que la réforme de Vatican II,
venant après toute cette histoire mouvementée de la liturgie, une évolution des esprits et des
réformes réformatrices qui créent un climat de plus en plus favorable à la grande réforme
attendue depuis le Concile de Trente.
L’objectif visé par les réformateurs était que les fidèles puissent « participer » au
sacrifice eucharistique, là où, pendant longtemps, ils ne faisaient que « assister », restant
muets et passifs, alors que, au mieux, chacun pouvait à son gré réciter le chapelet ou se
plonger dans d’autres belles prières sans rapport avec la liturgie en cours. De fait, comme le
constate Bernard Botte, « La messe a cessé d’être la prière de la communauté chrétienne.
C’est le clergé qui s’en charge entièrement en son nom. Dès lors, les fidèles ne peuvent s’y
690
ROUSSEAU (dom), Olivier, L’Eglise en prière, ouvrage collectif. A. G. Martimort, Paris, Ed. Desclée,
1961, p. 51.
292
associer que de loin et se livrer à leur dévotion personnelle »691. Les tendances prises par les
réformes du XXe siècle traduisent l’influence déterminante des membres ou des auteurs
proches du mouvement liturgique, dont spécialement : dom Beauduin et dom Cappelle, dom
B. Botte, les pères Pie Duployé, Roguet, L. Bouyer, Gy, le chanoine A. G. Martimort, dom
Nocent, l’abbé Jounel, les pères Chenu, Chéry, et Maydieu, ainsi que les pères Doncœur et
Daniélou ; en Allemagne-Autriche, signalons dom Odon Casel, dom Pius Parsch, Romano
Guardini, J-A. Jungmann. Ces liturgistes et théologiens développent des thèmes à propos
desquels sont proposées des solutions retenues dans ces réformes : la participation des fidèles,
la messe communautaire, la messe-communautaire-avec-chants, l’atténuation de la discipline
du jeûne eucharistique, le sacrifice-repas, le sacerdoce royal et le sacerdoce des fidèles,
l’Eucharistie-Mémorial, le transfert des cérémonies du Jeudi Saint et du Vendredi Saint au
soir, le célébrant tourné vers le peuple, l’usage des langues vulgaires, etc.
A la suite du « Mouvement liturgique » et des initiatives que ce dernier inspirait aux uns
et aux autres, comme à son habitude, le Vatican dut mettre de l’ordre, recentrer les velléités de
réforme et canaliser le besoin senti et exprimé de changements. En effet, Pie XII publiera
l’Encyclique Mediator Dei692, qui semble préparer les réformes arrêtées plus tard par le Concile
Vatican II dont elle est sans doute l’acte précurseur et aborder les thèmes que développera le
concile et que, en ce qui les regarde, les Eglises africaines mettront en œuvre parce que cela
rencontre le « célébrer africain ». Il n’est pas facile d’identifier l’influence exacte des membres
du mouvement dans la conception et l’élaboration de l’Encyclique ou, encore, l’influence
négative qu’en ressentit le Pape pour réagir à quelques-unes de leurs propositions, mais on se
rend compte que les idées et réformes annoncées par Pie XII répondent à nombre des
propositions des réformateurs, soit pour en retenir quelques-unes soit pour en rejeter vivement
d’autres. Dans cette encyclique, même fort de l’autorité fondée sur la nature du sacerdoce, le
dogme et le magistère, le Pape n’affirme pas que la liturgie soit rigide et immuable ; au
contraire, il lui reconnaît le double caractère constitué par des éléments divins et des éléments
humains qui, eux, « peuvent subir des modifications diverses, [...] ». En préfiguration de
l’inculturation que va promouvoir Vatican II, le Pape se réjouit même, de la diversité des
liturgies et des rites liturgiques, source de « l’accroissement progressif [...] Toutes ces
transformations attestent la vie permanente de l’Église à travers tant de siècles ;[…] ». Dans le
même souci d’encourager la participation populaire, si le latin est conservé et a priorité comme
langue liturgique, parce que « signe manifeste d’unité et protection efficace contre toute
691
BOTTE, Bernard, Le Mouvement liturgique. Témoignage et souvenirs, Paris, Desclée, 1973, p. 10-11.
692
Mediator Dei et Humanum sur la Sainte Liturgie, du 20 novembre 1947.
293
corruption de la doctrine originale », l’encyclique fait une ouverture au profit des langues
vulgaires, disant que « Dans bien des rites cependant, se servir du langage vulgaire peut être
très profitable au peuple […] ». Mieux, l’essentiel apparaît pour nous, en vue de l’étude de
l’évolution historique, dans cette reconnaissance par Pie XII « des coutumes cultuelles et des
œuvres de piété particulières »,
Ces initiatives de Pie XII se déroulaient dans un véritable climat d’effervescence dans le
domaine de la liturgie avec la parution de plusieurs publications et une véritable demande de
réforme, non seulement de ce milieu de liturgistes mais aussi de la part d’épiscopats
nationaux693. En réalité des réformes commencèrent à se concrétiser sur le terrain, mettant en
œuvre les orientations de l’encyclique de Pie XII, grâce, notamment, à la Commission pour la
réforme liturgique qu’il avait mise en place dès 1948 et dont le père Bugnini, qui jouera un rôle
important mais controversé au Concile Vatican II, fut nommé secrétaire. Furent ainsi réalisés
entre 1950 et 1956 : l’usage des langues vulgaires dans certains sacrements, tandis que
plusieurs militaient pour leur introduction dans la messe au moins pour les lectures, la réforme
de la Semaine sainte, avec en particulier la restauration de la Vigile pascale, l’assouplissement
du jeûne eucharistique, des retouches au missel, etc.
Pour Robert Cabié, « le Mouvement liturgique a façonné bien des esprits et creusé le
désir de nouvelles formes de célébration s’inspirant de la Tradition et répondant aux aspirations
des éléments les plus vivants du peuple chrétien…c’est ainsi que se préparait le renouveau que
devait promouvoir le IIe Concile du Vatican »694. On remarque, en tout cas, que les idées et
thèses générales du Mouvement sur la messe étaient déjà très répandues, des schémas
liturgiques annoncés et expliqués, donnant pratiquement le contenu des innovations retenues
par la réforme conciliaire et post-conciliaire.
693
GY, Pierre-Marie, La liturgie dans l’histoire, Paris, Ed. Cerf/ Saint-Paul, 1990, pp. 288-290.
694
CABIE, Robert, Histoire de la messe des origines à nos jours, Paris, Desclée, 1990, p. 105.
294
Dès l’annonce du concile, le 25 janvier 1959, le nouveau pape indiquait que « les
grands principes commandant la réforme de l’ensemble de la liturgie doivent être proposés
aux Pères au cours du prochain concile œcuménique ». Ce qui réjouissait les réformistes qui
espéraient un concile à cet effet et dont il est même rapporté que c’est l’élection du cardinal
Roncalli elle-même qui fut pour eux une aubaine, car, disaient-ils, « s’ils élisaient Roncalli,
tout serait sauvé : il serait capable de convoquer un concile et de consacrer
l’œcuménisme »695, cet autre combat des réformateurs, qui s’accorde avec nombre de
propositions que les réformateurs du Mouvement cherchaient à faire triompher. Comme le
constate P-M. Gy, à la différence des autres dossiers soumis aux pères conciliaires, « la
question de la réforme liturgique avait déjà atteint sa maturité »696. Mais, il y a d’autres
responsables ecclésiastiques que l’avènement du concile a dû réjouir ; il s’agit des évêques
africains qui, pères conciliaires, allaient pour la première fois participer et contribuer aux
décisions qui engagent le christianisme vécu chez-eux. Avant d’examiner l’œuvre du concile
(II), il est utile d’évoquer la présence des jeunes Eglises d’Afrique auxquelles les options
conciliaires allaient offrir l’opportunité de se modeler selon le contexte socio-culturel de leurs
peuples (I).
695
Confidence de Dom Beauduin à Louis Bouyer, in BOUYER, Louis, Un homme d’Eglise, Paris, Ed.
Castermann, 1964, p. 180.
696
La liturgie dans l’histoire, op.cit., p. 257, reprenant une étude qu’il avait déjà publiée dans la Maison-Dieu
76, 1963 (pp. 7-17), l’année même de la Constitution sur la liturgie.
295
L’annonce du Concile fut suivie d’une large consultation, organisée dès 1959, des
responsables des Eglises locales à travers le monde, membres de la curie, archevêques, évêques
et évêques auxiliaires, vicaires généraux et vicaires apostoliques, supérieurs d’instituts
religieux, etc. C’est donc à cette époque là majoritairement des missionnaires européens, mais
aussi quelques autochtones, qui y prirent part notamment en Afrique Noire.
Il s’agissait, dans cette phase antépréparatoire du concile (1959-1960), sur la base d’un
questionnaire adressé le 18 juin 1959 par la commission chargée de la supervision de la
consultation (présidée par le cardinal Tardini), de récolter les vœux et propositions des
membres de la curie romaine, des évêques, des supérieurs religieux et des universités
catholiques pour donner de la matière à la phase préparatoire proprement dite qui allait s’étaler
entre 1960 et 1961 et au cours de laquelle devaient être étudiés ces vœux et propositions en vue
d’élaborer les projets des schémas à partir desquels le concile travaillerait et prendrait ses
décisions698.
Les évêques d’Afrique avaient ainsi, à peine leurs pays devenus indépendants, pour la
première fois l’occasion de dire leur mot sur la marche de l’Eglise universelle mais aussi et
surtout de contribuer directement aux décisions pour faire prendre en compte leur opinion sur
leurs églises locales et la manière dont le travail de la mission du Christ devait être menée dans
les conditions concrètes du XXe siècle et de leur continent et ses spécificités.
Déjà, à ce niveau de la consultation, la participation africaine est significative. En effet, 289
autorités ecclésiastiques africaines avaient été consultées, 173 évêques résidentiels, 3 abbés
nullius, 2 exarques, 33 vicaires apostoliques, 6 internonces et délégués apostoliques, 32
évêques auxiliaires et 38 préfets apostoliques. La réaction africaine fut globalement positive
parce que 241 réponses écrites émanèrent des responsables africains, soit plus de 83%, ce qui
est un pourcentage honorable. L’importance de cette réaction peut également être évaluée en
fonction de la participation des « grandes » églises africaines : Congo-Léopoldville, avec 38
réponses sur 40 consultés, l’Union sud-africaine, 25 sur 28, Afrique Occidentale Française, 21
697
Sur la participation africaine au Concile, v. CHENU, Marie.-Dominique, La Parole de Dieu, t. II,
L’évangélisation dans le temps, Paris, Cerf, 1964, spéc. pp.647-653, OLIVIER, Bernard, Chroniques
congolaises. De Léopoldville à Vatican II (1958-1965), Paris, Karthala, 2000, PRUDHOMME, Claude., « Les
évêques de l’Afrique Noire anciennement française et le Concile », in FOUILLOUX, Etienne, (dir.), Vatican II
commence… Approches francophones, Bibliotheek van de Faculteit der Godfeleerdheid, Leuven, 1993, pp. 163-
188, SOETENS, Claude, « L’apport du Congo-Léopoldville (Zaïre), du Rwanda et du Burundi au Concile
Vatican II « , ibid., pp. 198-208, MESSINA, Jean.-Paul ., Les évêques africains au Concile Vatican II (1959-
1965). Le cas du Cameroun, Paris, Karthala, 2000, et « L’Eglise d’Afrique au Concile Vatican II : origines de
l’assemblée du synode pour les évêques d’Afrique », in Mélanges de sciences religieuses, vol. 3 (1994), pp. 279-
295..
698
NDONGALA MADUKU, I., Pour des Eglises régionales en Afrique, Paris, Karthala, 1999, pp. 90-91.
296
sur 28, Tanganyika, 16 sur 21, Rhodésie, 10 sur 14, Madagascar, 13 sur 13, Egypte, 12 sur
13… Mais, aussi, en dépit du fait qu’ils étaient minoritaires, ils prirent, dans les commissions
où ils étaient affectés (élus par les autres « Pères » ou nommés directement par le pape), une
part active, remarquée et à sa juste valeur unanimement appréciée. Sans pouvoir dire le nombre
total exact des évêques d’Afrique pères conciliaires, on peut tout au moins indiquer leur
présence dans les commissions préparatoires et conciliaires. Il y eut 20 prélats africains dans les
commissions (sur 600 membres), ainsi répartis699 :
Commission Liturgie :
MALULA J., évêque auxiliaire de Léopoldville (Congo belge – Congo
Léopoldville)
Commission Mission :
AMISSAH J.K., de Cape Coast (Ghana) ;
SPIESS E. (consulteur), Abbé Nullius de Perambo (Tanganyika)
699
MESSINA, Jean-Paul., Evêques africains au concile Vatican II (1959-1965) – le cas du Cameroun, Paris,
Karthala, 2000, p. 58, c’est également du même auteur que nous empruntons les statistiques données plus haut
sur l’importance numérique de participation ; voir aussi LAURENTIN René ., L’enjeu du Concile, Paris, Seuil,
1967, p. 131.
297
Mais, lors de la constitution, en octobre 1962, des commissions conciliaires définitives, les
Africains ne se retrouvent plus qu’à treize700 :
Commission Liturgie :
MALULA J., évêque auxiliaire de Léopoldville.
700
V. tableau présenté par MESSINA Jean-Paul., op.cit., 70.
298
auxiliaire de Kisantu mais qui remplacera Mgr Verwimp comme archevêque lorsque ce dernier
démissionne en 1961).
701
MESSINA, Jean-Paul., Jean Zoa, prêtre, archevêque de Yaoundé, Paris, Karthala 2000, p. 72.
702
MESSINA Jean-Paul, Evêques africains au concile Vatican II, op.cit., p. 73, voir du même auteur, Jean
Zoa…, op.cit., p. 69.
703
Selon une relation de Mgr Dalmais, archevêque de Fort-Lamy (l’actuelle N’Djamena, au Tchad), rapportée
par PRUDHOMME, Claude, « Les évêques d’Afrique Noir anciennement française et le Concile », loc.cit., pp.
176-177.
299
commissions parallèles conciliaires seront créées avec comme membres un délégué de chaque
groupe. Ils aideront le secrétariat pour prendre les contacts, pour préparer les interventions et
pour informer leurs groupes respectifs sur les problèmes de leur compétence. Avec Mgr
Malula, je prendrai part pour le Congo aux activités de la commission de la liturgie de
l’Afrique »704. Ces rencontres eurent sans doute du succès parce que, en effet, depuis, la
concertation permit aux pères conciliaires africains d’adopter des positions communes sur les
questions importantes, en particulier concernant l’Afrique, et de les faire exprimer par un porte-
parole unique, Mgr Rugambwa intervenant le plus souvent en congrégation générale, les autres
surtout en commissions. Le succès fut tel que des responsables du concile dénoncèrent des
« conciles parallèles » et Mgr Zoa se fit rudement rappeler à l’ordre par le préfet de la
Propagande705. Mais, surtout, plus d’un observateur admirèrent l’organisation des prélats
africains ainsi que leur solidarité dont l’effet « le plus manifeste, le plus opportun fut le
caractère collectif des interventions des Africains à l’Assemblée conciliaire… très vite on
remarqua que, sur les orientations majeures, les prélats africains parlaient au nom de leur 260
collègues ; et tous alors, dans l’Assemblée, de tendre l’oreille »706.
Bien que les évêques aient envoyé séparément et individuellement leurs réponses et
leurs vœux (vota) à Rome, l’organisation imaginée sur place leur permit de se concerter et
d’harmoniser leurs vœux et parfois, comme pour ceux du Congo-Léopoldville, de compiler un
document collectif. Sans ici faire l’histoire du concile ni, même, celle des Africains ou des
Congolais au concile, il y a lieu, même sans avoir pu accéder directement aux vota des
différents groupes, de s’interroger sur les préoccupations et propositions africaines au cours du
concile, de façon à établir l’exacte portée de la contribution africaine au concile eu égard aux
projets et besoins des églises d’Afrique, à partir de ceux qui ont analysé ces documents archivés
au Vatican707. Il ne s’agit pas de tenir une comptabilité ni un palmarès de leurs interventions,
exercice que des chroniques du concile ou certaines études sur le concile pourraient faciliter
sans trop de peine ; il n’est pas non plus nécessaire d’indiquer l’influence « idéologique » des
uns et des autres, ainsi qu’avec de bonnes intentions le fait J.-P. Messina708 qui estime que les
positions des évêques africains pouvaient se regrouper en « progressistes », « conservateurs » et
« prudents ». Mais, il convient de voir quels sont les thèmes qui traversaient ces églises à peine
704
SOETENS, Claude, loc.cit., p. 199.
705
MESSINA, Jean-Paul., Jean Zoa…, op.cit., p.73.
706
CHENU, Marie- Dominique., La Parole de Dieu, t. II., loc.cit., p. 648.
707
Acta et documenta Concilio oecumenico Vaticano II apparando. Consilia et Vota Episcoporum ac
Praelatorum. Series I, vol. II, Pars V : Africa.
708
MESSINA, Jean.-Paul, Les évêques africains au Concile Vatican II (1959-1965). Cas du Cameroun, op.cit.,
p. 26.
300
sorties de la colonisation et à la veille de cesser d’être des églises « de mission » pour voir
ériger leur hiérarchie d’églises particulières. Au niveau des « vœux » en réponse à la
consultation préconciliaire, en interrogeant ceux qui ont suivi de près l’événement, Claude
Prudhomme constate que « L’aspiration la plus commune concerne, sous différentes
formulations, l’assouplissement des contrôles et des contraintes imposées par le centre romain.
Décentralisation au profit des évêques, dans la ligne des décisions prises par la Congrégation
des rites, adaptation aux réalités locales de la liturgie et de la catéchèse, retouches d’un droit
canon parfois inapplicable, telle sont les propositions qui reviennent dans la majorité des
textes »709. Pour sa part, en ce qui concerne plus spécialement les évêques congolais, Claude
Soetens rapporte « comme chez les évêques d’Europe », l’écrasante majorité des sujets abordés
« porte sur des questions de discipline interne à l’Eglise, un certain nombre d’entre elles étant
envisagées sous l’angle de leurs implications pastorales. Quatre ou cinq évêques traitent de
questions théologiques, notamment de la théologie de l’épiscopat et de celle du laïcat. Un
même nombre parle de l’attitude chrétienne à l’égard des problèmes politiques, sociaux,
œcuméniques et culturels (relations Eglise-Etat, paix dans le monde, pauvreté, discrimination
raciale)… ». Mais, Soetens signale également d’autres sujets plus proches de l’adaptation,
notamment dans le domaine de la pastorale et de la liturgie, les vœux y étant essentiellement
exprimés autour de l’usage « des langues vivantes dans la liturgie eucharistique et le rituel des
autres sacrements », ainsi que le « rétablissement du diaconat permanent », affirmant,
paradoxalement, que « Le souci de l’adaptation de l’Eglise à la culture africaine n’inspire
qu’assez peu les vota des évêques de l’Afrique centrale. Il est question de la révision du droit
canon […] On ne trouve aucun écho direct aux requêtes d’ordre culturel exprimées par des
laïcs et un certain nombre de prêtres africains au cours des années précédentes »710. Néanmoins,
on peut expliquer ce peu d’audace dans les propositions innovantes, notamment pour
l’affirmation des cultures africaines et la revendication d’une liturgie réellement adaptée à ces
dernières, par plusieurs raisons. D’une part il y a la prédominance des évêques missionnaires,
généralement sensibles aux questions de la mission et d’ecclésiologie touchant aux relations
entre les ordinaires et la curie, malgré la présence d’un Van Cauwelaert partisan convaincu de
l’adaptation et qui a joué un rôle important au sein de l’épiscopat congolais même lorsque
celui-ci examinait les questions liturgiques. D’autre part, il ne faut pas sous-estimer la relative
prudence des Africains, notamment des évêques de l’Afrique française, très proches de Rome
709
PRUDHOMME, Claude, loc.cit., p. 170.
710
SOETENS, Claude, L’apport des évêques du Congo-Léopoldville (Zaïre), du Rwanda et du Burundi, op.cit.,
pp. 193-194.
301
pour être presque tous passés par la gregoriana ou l’urbaniana711, et soucieux de ne pas
effaroucher la Curie, au point où Mgr Zoa s’était senti obligé de démentir et dénoncer « par
écrit » Van Cauwelaert dont une intervention « musclée » critiquant « les pratiques romaines »,
qu’il jugea certainement trop « polémique », estimant que « le relator n’a pas respecté notre
mission et notre volonté. Nous ne reconnaissons que le passage sur la concélébration ; le reste,
l’introduction et la dernière partie, ne sont pas de nous »712.
711
PRUDHOMME Claude, loc.cit., p. 171.
712
Ibid., p. 181.
713
NDONGALA Manduku, Ignace, Pour des Eglises régionales en Afrique, op.cit., p.91.
714
Troisième Partie, chapitre III.II.II.1 L’œuvre prophétique de la VIe Assemblée plénière de l’Episcopat
congolais.
715
SOETENS, Claude, « L’apport du Congo-Léopoldville (Zaïre), du Rwanda et du Burundi au Concile Vatican
II », loc.cit., p. 198.
302
Bernard Olivier confirme cet intérêt des évêques congolais, qui « se sentaient
particulièrement concernés », « qui étaient le groupe le plus nombreux » ; mais ce qui, de leur
part, « était sans doute le plus attendu, c’est une réforme de la liturgie qui la rendît plus proche
et plus accessible aux fidèles de toute culture ». C’est la raison pour laquelle, en préparation des
vota des évêques congolais, avait été sollicité le concours des théologiens de la Faculté de
Théologie de l’Université de Lovanium qui ont travaillé sur des orientations indiquées par des
évêques, comme l’évêque de Kisantu, Mgr Kimbondo, et celui d’Inongo, Mgr Cauwelaert, qui
demandaient que soient repris des éléments de l’initiation africaine, tandis que Mgr Bakole,
alors vice-recteur de l’Université, plaidait pour la fin de « l’ère des missions étrangères pour
ouvrir celle de l’Eglise africaine »716.
Dans le même sens, il convient de relever que les positions exprimées, en particulier
pour la liturgie, mais aussi tout ce qui touche l’évangélisation et la vocation missionnaire de
l’Eglise, se basent sur l’importance des valeurs africaines, sur la valeur de la culture et le
respect qui dû à toutes les cultures dont aucune ne saurait être parfaite ni supérieure aux autres ;
le droit à la différence culturelle est ainsi revendiqué, pour que les méthodes d’évangélisation
ainsi que les expressions liturgiques tiennent compte de la culture des peuples concernés717.
C’est ce que constate également Ignace Ndongala M. quand il dit que « des vœux des évêques
africains se dégage une perception assez précise de la spécificité de la culture africaine. »,
estimant, dans une perspective ecclésiologique, que « commencent à émerger l’exigence de la
reconnaissance de cette spécificité par les Eglises de l’Occident et la nécessité de la remise en
question de la centralisation »718. Il faut signaler ici les réponses de deux évêques missionnaires
du Congo, qui placent ces propositions dans un cadre plus global de l’Eglise universelle, en vue
de restaurer des « chrétientés » distinctes et de véritables familles liturgiques, justifiées par la
reconnaissance de régions culturelles sur la base des « grandes cultures humanistes » du
monde. Le vicaire apostolique du Lac Albert (Bunia), Mgr A. Matthijsen, et celui de Wamba,
Mgr J. Wittebols, suggèrent que, dans le but de véritablement christianiser les cultures
africaines, soit promue une sorte de synthèse philosophique religieuse africaine de manière à
faire apparaître une chrétienté noire (ou bantoue), aux côtés de la chrétienté occidentale
(romano-latine), d’une sino-japonaise (« jaune »), une d’Amérique du Nord, une sémite, une
indienne (hindoue), une slave et une d’Amérique latine ou, que soient reconnues des régions
culturelles. Bien que présentées dans une perspective ecclésiologique sur les structures et les
716
OLIVIER, Bernard, Chroniques congolaises…, op.cit., p. 182.
717
Tel est le sens de la déclaration faite par Mgr Zoa sur les attentes africaines, ainsi que ses interventions à la
commission des Missions telles que rapportées par MESSINA, J.P., Jean Zoa…, op.cit., p. 83
718
NDONGALA Manduku, Ignace, op.cit., p. 92.
303
Ces « audaces » furent écartées des débats mais l’idée de mettre au centre du culte les
valeurs culturelles et le génie propre de chaque peuple revint fortement dans les travaux du
concile. C’est ce que constata Mgr Malula, alors évêque auxiliaire de Léopoldville, dans son
intervention lors de la XIVe congrégation générale du 7 novembre 1962 au nom des évêques de
toute l’Afrique et de Madagascar : « Nous nous réjouissons donc de ce qu’aujourd’hui
l’occasion est donnée aux évêques du monde entier d’approuver le vieux principe de la
diversité dans l’unité et d’exhorter tous les peuples, toutes les nations et cultures – à l’exemple
des mages d’Orient à l’Epiphanie – à offrir au Christ et à l’Eglise ce qu’ils possèdent de
meilleur et de plus beau », justifiant cela par la nécessité d’enraciner le culte chrétien dans la
culture locale. Sa présence au sein de la commission Liturgie était de bon augure, ainsi que cela
se traduira par son influence sur l’Eglise du Congo et sur l’adoption du rite zaïrois, lui qui
expliquait par une image saisissante ses aspirations pour une liturgie adaptée à la culture négro-
africaine :
« En 1961, je faisais partie du groupe de travail qui préparait la constitution sur la
liturgie. Lors d’une des séances, Mgr Bugnini qui dirigeait le groupe de travail, m’a
demandé de chanter dans ma langue l’un des chants cultuels ; quand j’ouvris la bouche
ce fut le Notre Père en lingala qui sortit. Un air de soulagement et surtout d’espérance
se lisait sur les visages des participants, comme pour dire ‘’Voilà un avant-goût de ce à
quoi nos efforts tendent’’. Mes coéquipiers sentaient dans ce Notre Père lingala toute
mon âme qui vibrait : j’habitais pleinement ce que je chantais »720.
Faute de discuter, comme on l’a vu, une plate-forme commune avec les autres
épiscopats africains sur la base des conclusions de leur VIe Assemblée plénière, les évêques
congolais les soumirent en juillet 1962, comme il sied, à la hiérarchie, à travers la Congrégation
des Rites. Ces vœux, neuf sur la messe, six sur le rituel et un sur le diaconat721, reprennent pour
l’essentiel le « directoire pour l’adaptation de l’office divin » adopté lors de cette VIe
Assemblée plénière. Ces propositions sont respectueuses de la structure générale du missel
romain mais se caractérisent par l’usage, sauf pour le canon, des langues populaires notamment
719
NDONGALA Manduku, Ignace, Pour des Eglises régionales…, op.cit., p. 95 ; v. également SOETENS,
Claude, loc.cit., p. 194.
720
Préface à KABASELE LUMBALA, François, Alliance avec le Christ en Afrique. Inculturation des rites
religieux au Zaïre, 1987, p. 13.
721
SOETENS, Claude, « L’apport du Congo-Léopoldville (Zaïre), du Rwanda et du Burundi… », loc.cit. , p.
197.
304
pour les lectures, par les dialogues, par des chants, même du propre, en langues locales et selon
les modes et rythmes africains ; enfin, il fut envisagé que le célébrant soit face au peuple. A ces
adaptations de la messe, le document soumit au dicastère romain ajoutait d’autres vœux en
rapport avec la messe : la possibilité de « dispenser du jeûne eucharistique leurs prêtres qui, les
dimanches et les jours de fêtes d’obligation, doivent célébrer une deuxième ou une troisième
messe, de sorte qu’ils puissent prendre des boissons non alcoolisées » ; « qu’il soit permis
d’utiliser la musique grégorienne pour accompagner les chants liturgiques dont la traduction en
langue vivante a été autorisée » ; « que les membres des ordres qui possèdent un rite latin
particulier suivent le rite romain quand ils célèbrent en public avec la participation du peuple »
Pour rester dans le domaine liturgique, on peut, à coup sûr, avancer que les initiatives
congolaises, endossées par la « panafricaine », eurent de l’effet, et que, de ce point de vue, les
auteurs de la constitution Sacrosanctum Concilium, dont le membre congolais de la
Commission Liturgie, Mgr Malula722, ont largement suivi le document congolais. En effet, un
grand et bon observateur de l’intérieur du concile, le père Chenu, estime que dans le domaine
de la liturgie, « les requêtes des Eglises d’Afrique ont trouvé, par leur aspect même, une
heureuse satisfaction. Plus encore que pour les Occidentaux chez qui demeure malgré tout une
affinité spontanée entre leur culture et les expressions cultuelles de l’Eglise latine, le
problème de la liturgie qui capte et exprime les valeurs originales de l’âme africaine impose
une recherche plus aiguë et plus audacieuse. Il ne s’agit pas seulement de quelques
accommodations marginales, mais bien, dans le respect exprès de la substance des sacrements
de l’Eglise, d’une incarnation effective du mystère chrétien, et tout d’abord de la Parole qui
livre ce mystère. Non pas quelques « adaptations » habiles, mais, à l’intérieur du mystère lui-
même et par la lucidité de la foi, une manière d’invention des puissances obédientielles (des
pierres d’attente) que porte en soi l’âme africaine »723, et Chenu d’écrire qu’en ce qui
concerne l’adaptation « on recourra surtout aux directives et déjà aux décisions de
l’Assemblée plénière de l’épiscopat du Congo-Léopoldville de 1961 », dont il cite d’ailleurs
les Actes724.
722
Mgr Malula s’était adjoint un expert officieux, en la personne de l’abbé Tharcice Tshibangu, théologien..
723
CHENU, Marie-Dominique, La Parole de Dieu…, op.cit., pp. 649-650.
724
Ibid., p. 651.
305
A l’ouverture officielle des travaux du Concile le jeudi 11 octobre 1962, il fut procédé
à la constitution des Commissions conciliaires, avec l’annonce dès le 20 que le schéma sur la
liturgie serait le premier à être examiné. Le débat sur ce schéma dura du 22 octobre au 13
novembre 1962 ; on remarque que le cardinal Montini, le futur pape, intervenant parmi les
tout premiers dès le 22 octobre, s’engagea vigoureusement en faveur de ce schéma, estimant,
en particulier, que « les cérémonies devraient être une fois encore réduites à une forme plus
simple », « afin de rendre l’héritage liturgique du passé plus évident, plus compréhensible et
plus utile pour les hommes de notre temps.. » Le décès de Jean XXIII survint le 3 juin 1963,
suivi de l’avènement de Paul VI le 21 du même mois, le nouveau Pape allait entreprendre de
réformer de fond en comble la curie.
725
Mystère de la liturgie, formation liturgique, participation active, langue liturgique, adaptation, messe,
concélébration, sacrements, office divin, musique sacrée, art sacré-vêtements-mobilier, calendrier, et l’année
liturgique ; l’organisation et le fonctionnement de la commission a fait l’objet d’un article du P. Bugnini traduit
dans la Documentation Catholique du 1er avril 1962, col. 435-437.
726
GY, Pierre.-Marie, op.cit., p. 299, et “Celui par qui le scandale et la ruine furent: Annibal Bugnini (1947-
1975), Armmoricus, Pâques 2006, extrait du Sainte-Anne de mai 2006 (Prieuré de Lanvallay).
306
doute, à cause de cette importance « visible » de la liturgie que le premier grand document
adopté et promulgué, dans ce mouvement d’aggiornamento, par Vatican II, est justement la
Constitution de Sancta Liturgia Sacrosanctum Concilium sur la liturgie qui fut adoptée le 4
décembre 1963 par 2147 voix pour et 4 contre (dont celle de Mgr Lefebvre qui dira plus tard
que le Concile Vatican II fut un concile schismatique) ; elle fut promulguée le même jour par
Paul VI.
De peur de nous égarer dans les méandres de ce texte complexe, nous nous
contenterons de n’en retenir que les rubriques les plus significatives et les plus représentatives
de l’ampleur des innovations introduites dans la liturgie catholique, notamment dans la messe,
par la constitution conciliaire.
Nous ne ferons qu’énoncer les titres si parlants des paragraphes de la Section I (Nature
de la liturgie et son importance dans la vie de l’Eglise) du Chapitre premier (Principes
généraux pour la restauration et le progrès de la liturgie) :
Cette énonciation suffit sans doute pour comprendre qu’à cause de cette importance reconnue
à la liturgie dans la vie des fidèles, « il est nécessaire que les fidèles accèdent à la liturgie » et
« coopèrent à la grâce d’en haut », tandis que les pasteurs « doivent être attentifs à ce que les
fidèles participent à celle-ci de façon consciente, active et fructueuse. ».
L’esprit de cette section sur la nature de l’eucharistie se retrouve dans une présentation
théologique formulée dans l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia727. Mais ce que le profane
peut en comprendre réaffirme la doctrine conciliaire sur la nature de l’eucharistie, notamment
de la messe ; celle-ci y est présentée, à la suite du catéchisme de l’Eglise catholique728,
comme « à la fois et inséparablement le mémorial sacrificiel dans lequel se perpétue le
sacrifice de la Croix, et le banquet sacré de la communion au Corps et au Sang du Seigneur ».
Si par la messe, le sacrifice du Christ « se rend présent », dans la mesure où « le sacrifice du
Christ et le sacrifice de l’Eucharistie sont un unique sacrifice », la messe n’y ajoute rien et
par sa répétition, « Ce qui se répète, c’est la célébration en mémorial, la « manifestation en
mémorial »729.
-« La Mère Église désire beaucoup que tous les fidèles soient amenés à cette
participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques […] ». -Cette
participation pleine et active de tout le peuple est ce qu’on doit viser de toutes ses
forces dans la restauration et la mise en valeur de la liturgie […] c’est pourquoi elle
doit être recherchée avec ardeur par les pasteurs d’âmes, dans toute l’action pastorale,
avec la pédagogie nécessaire. -Mais il n’y a aucun espoir d’obtenir ce résultat, si
d’abord les pasteurs eux-mêmes ne sont pas profondément imprégnés de l’esprit et de
la force de la liturgie […] il est donc très nécessaire qu’on pourvoie en premier lieu à
la formation liturgique du clergé...»730.
727
Encyclique Ecclesia de Eucharistia, de Jean-Paul II,
728
Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 1382.
729
Une doctrine déjà vue dans Mediator Dei de Pie XII.
730
La constitution Sacrosanctum Concilium, § 14.
308
731
Dans ce sens, POUPARD (cardinal) Paul, Le Concile Vatican II, Paris, PUF, 1983, pp. 30 et 31.
309
De façon générale, le Concile se fixe des limites dans cette restauration, car le principe
est que celle-ci « doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment
avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu’il
est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et
communautaire. » (§ 21, souligné par nous). C’est pourquoi, les instructions sont données, en
vue de l’exécution de la Constitution, ainsi dans la fixation et la présentation des rites, dans le
nouveau rituel de la messe notamment, « on les simplifiera ; on omettra ce qui, au cours des
âges, a été redoublé ou a été ajouté sans grande utilité ;… », mais aussi, pour une restauration
dans ce domaine de la tradition constatée dans les origines des célébrations de la liturgie par
les premiers chrétiens, « on rétablira, selon l’ancienne norme des saints Pères, certaines
choses qui ont disparu sous les atteintes du temps, dans la mesure où cela apparaîtra opportun
ou nécessaire. » (§ 50). Par ailleurs, le Concile endigue les velléités réformatrices de certains,
en décidant que l’autorité de restaurer ou de faire évoluer la liturgie revient à la seule
hiérarchie de l’Eglise, le Pape, les évêques et, dans certaines conditions, les assemblées
épiscopales légitimes et compétentes territorialement, et à personne d’autre, même prêtre.
remplaçait définitivement celui de Pie V dont l’usage se trouverait ainsi interdit. Paul VI
devait trancher lui-même dans son discours consistorial du 24 mai 1976 dans lequel il dit que
« L’adoption du nouvel Ordo Missae n’est certainement pas laissée à la libre décision des
prêtres ou des fidèles [...] Le nouvel Ordo Missae a été promulgué pour prendre la place de
l’ancien »732.
La réforme est marquée par quelques lignes de force destinées à changer l’image mais
aussi la réalité de la messe telle qu’elle s’était dégradée et figée depuis la « réforme »
tridentine. Nous allons revenir avec quelques détails sur certains aspects spécifiques
seulement de la Constitution, à cause de leur importance dans l’œuvre de restauration et des
objectifs recherchés par le Concile à travers les « normes tirées du caractère didactique et
pastoral de la liturgie » (SC, article 34) : a) la Simplicité des rites, b) la participation des
fidèles, à laquelle est liée, c) la question de la langue liturgique et, d) l’adaptation au
tempérament et aux conditions des différents peuples, en insistant sur ceux qui paraissent être
des implications de la nécessaire « adaptation liturgique ». Les références concerneront la
Constitution Sacrosanctum Concilium (SC), la Constitution apostolique (CA) ou le Missel
romain dans son édition de 2002 (MR).
« De même que les premiers disciples chargés de préparer la ‘’grande salle’’, elle
[l’Eglise] s’est sentie poussée, au cours des siècles et dans la succession des cultures, à
732
Quinze ans de guerre contre la messe, http://www.amdg.asso.fr/formation/format_15ansde
guerre_itinéraire.htm., Extrait de Itinéraires, N° 288 – Décembre 1984.
311
célébrer l’Eucharistie dans un contexte digne d’un si grand Mystère. On comprend que
la foi de l’Église dans le Mystère eucharistique se soit exprimée dans l’histoire non
seulement par la requête d’une attitude intérieure de dévotion, mais aussi par une série
d’expressions extérieures , destinées à souligner la grandeur de l’événement célébré.
De là naît le parcours qui a conduit progressivement à délimiter un statut spécial de
réglementation pour la liturgie eucharistique, dans le respect des diverses traditions
ecclésiales légitimement constituées. Sur cette base s’est aussi développé un riche
patrimoine artistique. L’architecture, la sculpture, la peinture, la musique, en se
laissant orienter par le mystère chrétien, ont trouvé dans l’Eucharistie, directement ou
indirectement, un motif de grande inspiration. »733.
Il n’en reste pas moins vrai que ces fastes ne se concevaient que sur le modèle de ceux
des cours royales, entre seigneurs et loin du peuple, la liturgie étant considérée comme un
cérémonial avec une « étiquette » plus pompeuse encore pour le grand Roi du ciel que pour les
rois terrestres. Face à tant de beauté, de déploiement de lumières et de joyaux, une musique
sublimée à la façon de l’opéra triomphant à cette époque, le peuple, extasié, loin de participer,
ne pouvait qu’admirer, dans un véritable décorum baroque flamboyant avec des sculptures
profanes, bucoliques, animalières, bref, païennes et « entièrement étrangères à la mentalité où
s’étaient originellement développés les rites et les paroles de la liturgie »734. Cet ensemble
cérémoniaire n’avait visiblement rien à voir avec la substance du mystère même si ce dernier
était désigné comme un « banquet », il était sans doute extérieur à la vraie liturgie, mais il est
le témoin de l’influence, réciproque, il est vrai, qu’exerçaient l’une sur l’autre la culture de
l’époque dans les pays chrétiens et la liturgie ; bref, une « inculturation » (mauvaise ?) de la
liturgie. C’était l’une des causes de la désaffection populaire et des critiques acerbes des
Réformés contre la liturgie catholique réduite à ces oripeaux et, au mieux, à une pièce ou un
drame joué sur une luxueuse scène de théâtre.
Dès lors, on comprend, en dépit de ces explications fournies par Jean-Paul II dans son
encyclique, que Vatican II ait voulu rétablir cette simplicité originelle des rites et de la
liturgie, celle avec laquelle Jésus institue l’Eucharistie lors de la dernière Cène, simplicité que
reconnaît Jean-Paul II dans son encyclique735. C’était de même la volonté des successeurs de
Pie XII de débarrasser l’Eglise d’un luxe et de signes extérieurs d’une opulence ostentatoire
jugée par les ennemis de l’Eglise comme contraire à la pauvreté de Jésus et, donc, nuisibles à
l’Eglise catholique. Aussi, a-t-on vu tomber la majestueuse tiare traditionnelle des Papes,
avant que le Concile affirme, pour les rites, le principe dans des termes qui mettent en lumière
la nature didactique et pastorale de la liturgie : « Les rites manifesteront une noble simplicité,
733
Encyclique Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003, (§§ 47- 52), souligné par nous.
734
BOUYER, Louis, La vie de la Liturgie, 1956, pp. 16 et 17.
735
Ecclesia de Eucharistia, § 47.
312
seront d’une brièveté remarquable et éviteront les répétitions inutiles; ils seront adaptés à la
capacité des fidèles et, en général, il n’y aura pas besoin de nombreuses explications pour les
comprendre. »736 .
L’objectif est d’obtenir « que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi comme
des spectateurs étrangers ou muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières,
ils participent consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée, soient formés par la
parole de Dieu, se restaurent à la table du Corps du Seigneur, rendent grâce à Dieu ; … ».
C’était l’un des objets de la réforme liturgique ; c’est la raison pour laquelle, le Concile fixe
un principe directeur, afin d’organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment
avec « plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient », pour que, le peuple les comprenant
mieux, il puisse mieux et plus activement participer.
736
SC, article 34.
737
JENNY (Mgr), Henri, Principes généraux de la Constitution, Maison-Dieu n° 76, 1986, pp. 25-26.
313
par le Missel qui cite, parmi les plus importantes, « les dialogues entre le célébrant et les
fidèles rassemblés, ainsi que les acclamations », qui « possèdent une grande valeur », parce
que, plus que de simples signes extérieurs, « ils favorisent et réalisent la communion entre le
prêtre et le peuple. » (n. 34 MR). De plus, ces dialogues et ces acclamations « constituent un
degré de participation active » « pour exprimer clairement et fortifier l’action de toute la
communauté » (MR, n. 35). Il y a ici, sans aucun doute, une habilitation explicite de « la
messe dialoguée », dont nous avons vu qu’elle était depuis longtemps dans les propositions du
Mouvement liturgique que la hiérarchie avait constamment rejetées. Le célébrant est
encouragé à susciter toutes ces formes d’expression de la participation des fidèles : « les
pasteurs doivent être attentifs à ce que dans l’action liturgique, non seulement on observe les
lois d’une célébration valide et licite, mais aussi à ce que les fidèles participent à celle-ci de
façon consciente, active et fructueuse. » (SC, article 11) . Par ailleurs, les attitudes manifestées
par les fidèles au cours de la messe (acclamations, gestes, attitudes du corps) doivent refléter
la communauté et l’unité de cœurs, par leur harmonie ; à cet effet, le missel prescrit :
« L’attitude commune, observée par tous les participants, est un signe de l’unité de la
communauté chrétienne rassemblée pour la sainte Liturgie : en effet, elle exprime et
développe les sentiments et la disposition d’esprit des participants. » (MR, n. 42, souligné par
nous).
On comprend que plusieurs prières soient à présent dites soit par le prêtre mais à haute
et intelligible voix, parce qu’elles intéressent ou concernent l’Eglise et les fidèles, lesquels
sont fondés à les comprendre, soit en alternance ou en dialogue entre le prêtre et les chrétiens,
soit ensemble par le prêtre et les fidèles, ce qui a diminué le nombre des « secrètes » et des
prières simplement murmurées par le célébrant. Alors que la participation du peuple oblige de
préciser et d’ainsi distinguer les rôles et les actes respectifs du prêtre et du peuple, les gestes
proprement sacerdotaux et sacrificiels et ceux d’adhésion et de collaboration des fidèles.
738
De fait, le concile de Trente recommandait que " à chaque messe, les assistants communient non seulement
en esprit, mais aussi par la réception sacramentelle de l’Eucharistie, afin que le fruit de ce sacrifice très saint leur
parvienne plus abondamment " (Sess. XXII, cap. 6)
314
admis dans une certaine conception cléricale d’une eucharistie œuvre du seul prêtre agissant
in persona Christi, qu’il suffisait pour la validité du sacrifice que ce dernier seul
communiât739. A l’inverse, dans une conception communautaire, il ne peut y avoir « repas
commun » de la communauté sans cette participation de tous les fidèles à la communion au
corps du Christ. Aussi, tout en rappelant cette doctrine de l’Eglise et sans doute constatant la
pratique des messes sans communion des fidèles, Pie XII rétablit que « l’Église notre Mère
renouvelle à tous et à chacun de ses fils l’invitation du Christ Notre-Seigneur : « Prenez et
mangez… Faites ceci en mémoire de moi « (I Co XI, 24). » et, rappelant Benoît XIV, dit et
fait connaître que « par la réception de la divine Eucharistie les fidèles participent au sacrifice
lui-même,… »740, afin que, ajoute le Missel de Paul VI, « selon l’ordre du Seigneur, son
Corps et son Sang soient reçus par les fidèles bien préparés comme une nourriture
spirituelle »741 et encore, plus clairement, qu’il est « très souhaitable que les fidèles, comme
le prêtre est tenu de le faire lui-même, reçoivent le Corps du Seigneur avec des Hosties
consacrées à cette même Messe et, dans les cas prévus, qu’ils participent au Calice afin que,
même par ses signes, la communion apparaisse mieux comme une participation au sacrifice
actuellement célébré. »742.
Cette question est intimement liée à une problématique générale autour des exigences
didactiques et pastorales qui commandent, spécialement, l’intelligibilité de la liturgie et des
rites, ainsi que la participation active des fidèles, en même temps que, à cause de cela,
739
V. l’analyse critique que fait de cette conception de la liturgie par Louis Bouyer, dans son La vie de la
Liturgie, op.cit., p.14
740
Pie XII, dans son Encyclique Mediator Dei déjà citée et analysée ci-haut.
741
Missel Romain (2002), n. 80-85.
742
Ibid.
315
s’exprime à travers elle la problématique de l’inculturation. Il est donc nécessaire que les
fidèles, en vue de percevoir le sens du sacrifice salvifique auquel ils participent et en
intériorisent la liturgie, comprennent ce qu’ils font et disent ainsi que ce que fait et dit le
prêtre, tout comme le contenu des lectures faites au cours de la célébration. C’est pourquoi il
faut lui consacrer quelques développements. Certes, comme l’avait estimé Pie XII, le latin
comme langue liturgique était « un signe d’unité manifeste et éclatant, et une protection
efficace contre toute corruption de la doctrine originale »743. De fait, avec le latin, tout
catholique pouvait se sentir à l’aise et suivre le culte partout où il se serait trouvé dans le
monde, tout comme il serait difficile de manipuler le latin dans l’évangélisation et faire
circuler des doctrines douteuses. Mais, il n’a jamais été dans l’intention de Pie XII d’affirmer
que le latin puisse jamais être la source ou le fermant de l’unité, mais seulement un signe,
l’unité étant plutôt fondée sur « la foi, le baptême et l’eucharistie » qui construit l’Eglise
autour de sa hiérarchie d’autant plus que le latin n’a jamais été la langue liturgique de
l’ensemble de l’Eglise mais seulement celle d’ « une grande partie de l’Eglise », ainsi que le
reconnaît d’ailleurs l’encyclique744. Cela dit, que vaut une « unité dans la même et regrettable
inintelligibilité »745, face au besoin et à la demande des fidèles de véritablement être partie
prenante et de suivre et participer consciemment et intelligiblement au saint sacrifice ? Avant
Pie XII, le Concile de Trente avait déjà renvoyé ceux qui demandait la permission de l’emploi
de la langue du pays à la doctrine traditionnelle de l’Eglise selon laquelle « le sacrifice
eucharistique est avant tout l’action du Christ lui-même ; par conséquent, son efficacité propre
n’est pas atteinte par la manière dont les fidèles peuvent y participer »746. Pour sa part,
rencontrant sur ce point les analyses et propositions du Mouvement liturgique, Vatican II,
dépassant la simple ouverture acceptée par Mediator Dei en faveur des langues vernaculaires,
va d’abord, dans un usage pastoral de la liturgie, constater que si « L’usage de la langue
latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. », « l’emploi de la langue du
pays peut être souvent très utile pour le peuple » soit dans la Messe, soit dans l’administration
des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie », et qu’ « on pourra donc lui
accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain
nombre de prières et de chants … » (SC, article 36). Plus loin, le Concile renforce cette
option, en particulier « dans les messes célébrées avec concours du peuple, surtout pour les
743
Voir Supra, encyclique Mediator Dei de Pie XX, du 20 novembre 1947.
744
Dans ce sens, NOCENT (Dom), Adrien, L’avenir de la liturgie, Editions Universitaires-Chrétienté Nouvelle,
Paris, 1961, pp. 100 et 101.
745
NOCENT, Adrien .., op.cit., p. 101.
746
Cité par l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia, de Jean-Paul II, en date du 17 avril 2003, sur le site
http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=encyclique_eucharistie
316
A propos de l’abandon du latin et de l’usage des langues locales, il s’en suivit une
forte et malheureuse crise qui provoqua ce qui était pris par l’Eglise elle-même comme un
schisme lorsque, avec quelques prêtres, Mgr Marcel Lefebvre décida de « choisir la
tradition », de rejeter la majeure partie des décisions du Concile Vatican II et de continuer le
rite tridentin exclusivement, avec le seul latin comme langue liturgique, hormis pour le
sermon ou l’homélie. Communément, on considéra de façon erronée cette crise comme
provoquée par le rejet du latin et l’imposition des langues locales. Le débat dont nous avons
fait état sur le motu proprio de Benoît XVI a dissipé ce malentendu ; bien qu’une bonne partie
de gens continuent de parler de « retour » au Concile de Trente, tandis que, en fait, les
partisans de Lefebvre s’en prennent à toute l’œuvre de Vatican II que le prélat contestataire
appelait « concile schismatique ». Bien que ce mouvement ait essaimé dans plusieurs pays, il
n’ pas, à notre connaissance, touché les Eglises africaines tout occupées à l’inculturation qui
était autre chose que le retour en force de la liturgie latine.
La promotion des langues locales comporte une autre implication dont le Concile tire
la conséquence, s’agissant des chants liturgiques. Il réaffirme, c’est vrai, que « L’Église
reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine; c’est donc lui qui,
dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la première place. »
(SC, article 116). Mais, il ajoute que « Le chant religieux populaire sera intelligemment
favorisé, pour que dans les exercices pieux et sacrés, et dans les actions liturgiques elles-
mêmes, conformément aux normes et aux prescriptions des rubriques, les voix des fidèles
puissent se faire entendre. » (article 118). Dans une cinquième « Instruction en vue de la
bonne Application de la Constitution sur la sainte Liturgie du Concile Vatican II », du 20
mars 2001, appelée Liturgiam Authenticam, Jean-Paul II complétant les directives pour
l’usage des langues vernaculaires et la traduction des textes liturgiques latins, indique que
317
seules les langues les plus parlées devraient être utilisées par la Liturgie en évitant
l’introduction de trop nombreux idiomes.747.
Jean-Paul II met en exergue l’importance de l’usage des langues locales, même pour
des missionnaires étrangers :
« Les missionnaires originaires d'autres Eglises et d'autres pays doivent s'insérer dans
le monde socio-culturel de ceux vers lesquels ils sont envoyés, en surmontant les
conditionnements de leur milieu d'origine. C'est ainsi qu'ils doivent apprendre la
langue de la région où ils travaillent, connaître les expressions les plus significatives
de la culture des habitants, et en découvrant les valeurs par l'expérience directe. C'est
seulement grâce à cette connaissance qu'ils pourront livrer aux peuples d'une manière
crédible et fructueuse la connaissance du mystère caché »748
747
Selon le résumé qui en est donné par le site internet officiel du Vatican :
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccdds/documents/rc_con_ccdds_doc_20010507_comunicato-
stampa_fr.html
748
Encyclique Missio Redemptoris, du 7 décembre 1990, n° 53.
749
BOUYER, Louis, op.cit., p.20.
318
Nous reviendrons sur ces options qui sont clairement, on le voit, au cœur de
l’inculturation, fil conducteur de notre examen de l’évolution de la liturgie catholique, par
laquelle en réalité le Concile n’a fait que permettre aux peuples extérieurs à l’aire chrétienne
traditionnelle ce que s’étaient reconnu les peuples premiers christianisés du bassin de la
Méditerranée qui avaient intégré le christianisme au point de s’appeler eux-mêmes la
chrétienté.
La logique des options fondamentales du Concile s’est reflétée dans certains autres
changements, « de détail » apparemment, mais si utiles pour correspondre aux exigences de la
nature didactique et pastorale de la liturgie si souvent affirmée. Il en est ainsi quand le prêtre
dit la messe face au peuple. Il a été montré, en effet, que la coutume qui consistait à tourner le
dos au peuple était justifiée par la volonté de prier étant tourné vers l’Orient, vers Jérusalem,
origine de l’eucharistie, qui a fait que toutes les églises furent construites orientées vers l’Est
avec la conséquence que tous ceux qui sont dans l’Eglise pour la messe, prêtre et fidèles,
regardent tous dans la même direction, le prêtre, devant le peuple et lui tournant le dos. Le
caractère fortuit de cette coutume et le fait que, pour plusieurs raisons (exemple, disponibilité
750
SC, article 37.
751
SC, article 38.
752
Ibid., art. 40.
319
de terrains, etc.), il n’était plus possible d’orienter tous les lieux de culte de la même façon,
ont eu comme conséquence qu’elle ne pouvait résister à la volonté de réformation affirmée
par le Concile en particulier, en abandonnant ce qui n’avait été que contingentiel. Il en est
également ainsi du sort réservé à l’autel : le maître-autel, monumental, jadis collé, dans les
édifices orientés Est, au mur du fond pour que l’officiant soit tourné vers l’Orient, avec ses
sculptures et ses ors, ne sied plus à cette nouvelle orientation du célébrant ni favorable à la
participation populaire ; il a donc été remplacé par un meuble plus simple, plus humble,
pouvant être entouré par les concélébrants ou contournés lors des rites d’encensement. Bref,
le Concile a rapproché l’autel considéré comme à la fois table du sacrifice et table du banquet
et tourné le célébrant vers l’assemblée, dans une position de vis-à-vis. Cela pour signifier que
si le ministre préside l’assemblée in persona Christi, on pourrait dire que c’est toute
l’assemblée qui célèbre.
320
321
II
C’est le 3 avril 1969 que le pape Paul VI promulgue le Missel romain (dit « restauré
par décret du IIe Concile du Vatican »), lequel ne sera édité et publié qu’en 1970, en même
temps que le lectionnaire contenant les lectures faites à chaque messe.
Il y est rappelé l’article 50 de la Constitution sur la liturgie qui prévoyait que certains
rites « seraient rétablis selon l´ancienne norme des Pères », aujourd’hui mieux connue grâce
aux recherches menées depuis, de même que les anciens sacramentaires romains et
ambrosiens dont les nombreuses éditions critiques, comme les anciens livres liturgiques
hispaniques et gallicans qui ont permis de mettre « au jour quantité de prières, ignorées
jusque-là, d´une grande qualité spirituelle », tandis que « les traditions des premiers siècles,
antérieures à la formation des rites d´Orient et d´Occident, sont d´autant mieux connues
maintenant qu´on a découvert un nombre considérable de documents liturgiques. »
753
Institutio Generalis, n. 9.
322
prêtre qui, agissant en nom et place du Christ, offre le sacrifice et préside l´assemblée du
peuple saint », tout en mettant «encore dans sa juste lumière une autre réalité de grande
importance : le sacerdoce royal des fidèles, dont le sacrifice spirituel atteint sa consommation
par le ministère des prêtres, en union avec le sacrifice du Christ, unique médiateur »754
Mais, même si, à cause de cette tradition commune de l’Eglise, les Instructions
affirment que les deux missels se complètent « d’une manière heureuse », on peut au contraire
dire qu’à cause de ces nouvelles connaissances plusieurs différences séparent le Missel de
Paul VI de celui de Pie V. En effet, les Instructions Générales n’ont pas pu, pour privilégier
une apparente continuité, dissimuler l’ampleur réelle des changements lorsqu’elles
reconnaissent
« que la « norme des Pères » ne demande pas seulement que l´on conserve la tradition
léguée par nos prédécesseurs immédiats, mais que l´on embrasse et que l´on examine
de plus haut tout le passé de l´Église et toutes les manières dont la foi unique s´est
manifestée dans des formes de culture humaine et profane aussi différentes que celles
qui ont été en vigueur chez les Sémites, les Grecs, les Latins. Cette enquête plus vaste
nous permet de voir comment l´Esprit Saint accorde au peuple de Dieu une
merveilleuse fidélité pour conserver l´immuable dépôt de la foi à travers la diversité
considérable des prières et des rites. »755
Ces changements, par lesquels le Concile Vatican II « marque donc à son tour une étape de
grande importance dans la tradition liturgique », se justifient parfaitement, car, comme
l’affirme l’Institutio Generalis,
« Lorsque les Pères du IIe concile du Vatican ont répété les affirmations dogmatiques
du concile de Trente, ils ont parlé à une époque bien différente de la vie du monde;
c´est pourquoi, dans le domaine pastoral, ils ont pu apporter des suggestions et des
conseils que l´on ne pouvait même pas prévoir quatre siècles auparavant. »756 ;
754
Institutio Generalis Missali Romani, §§ 2-5.
755
Ibid., § 9.
756
Ibid., § 10.
757
Institutio Generalis, § 11.
323
Ils sont conçus dans le même esprit que dans les temps anciens, afin de rassembler en
peuple célébrant les fidèles qui viennent à la messe. C’est pourquoi les documents relatifs à
l’ordo missae (la description de la Liturgie de la messe et la Présentation générale)
commencent par « Quand le peuple est rassemblé… », l’IGMR indiquant que : « A la messe
ou Cène du Seigneur, le peuple de Dieu est convoqué et rassemblé, sous la présidence du
prêtre, qui représente la personne du Christ, pour célébrer le mémorial du Seigneur, ou
sacrifice eucharistique ». Le sens, ici comme jadis, est que le peuple sort de la dispersion de la
vie quotidienne pour une assemblée constituée pour le culte. Ces rites sont considérés comme
ouverture, introduction et préparation de la messe qui comporte « deux parties: la liturgie de
la parole et la liturgie eucharistique » « si étroitement liées qu´elles forment un seul acte de
culte », tandis que d’autres rites, après la liturgie eucharistique, en sont la conclusion.
L’entrée se compose
- d’un chant d’entrée
- de la salutation
- de la préparation pénitentielle, nouveauté introduite là où le célébrant, seul, disait son
confiteor, pour y faire participer le peuple qui confesse
- du Gloria in excelsis, systématiquement chanté ou lu le dimanche, les jours de fête et de
solennités mais, parce que festif, il n’intervient qu’en dehors de l’Avent et du Carême ;
- de la Collecte, désormais une seule à chaque messe, selon des formules très variées mais se
terminant toujours par la conclusion trinitaire.
Nous avons vu l’importance accordée, dès ses débuts, par la liturgie chrétienne à la
proclamation de la Parole de Dieu, annonce et prédication au cours des célébrations avaient
été remarquées ci-devant. De même le fait que cette importance a considérablement été
réduite, non seulement à cause de l’introduction de rites et autres pièces de la célébration qui
n’avaient qu’un lien lointain avec l’objet de la célébration eucharistique, mais aussi du fait de
l’ignorance par la foule, y compris par bon nombre de clercs du Moyen Age, de la langue
liturgique (le latin) dans laquelle, quand elle était prévue, avait lieu la lecture de la Parole. Il y
eut des périodes où il n’y avait plus d’homélie au cours de la messe.
324
La veille du Concile Vatican II, des liturgistes suggéraient que ce dernier ait à cœur de
réhabiliter les lectures, face à la désuétude dans laquelle la proclamation de la Parole était
tombée ; qu’on se souvienne des regrets d’Yves Congar devant l’effacement de la Parole,
même à l’ouverture solennelle du Concile, au profit des fastes cérémoniaires. Des souhaits se
manifestaient pour retrouver l’importance des lectures et que le choix rapproche l’Ancien
Testament et le Nouveau Testament autour de mêmes thèmes et que soient conçus deux ou
trois cycles de lectures de manière que les fidèles reçoivent une formation aussi complète que
possible des Ecritures. De même, on trouve le souci d’un avertissement préalable au moment
où vont commencer les lectures pour attirer l’attention des fidèles sur l’importance de ce qui
va se passer. Il fut également proposé de rétablir les grandes prières de l’Eglise, ces prières
des fidèles qui avaient disparu. Certaines de ces propositions vont inspirer la réorganisation
de la liturgie de la Parole par le Concile.
Le Missel de Paul VI fait figurer la profession de foi dans la liturgie de la Parole, qui
n’est chantée ou lue, en sa forme traditionnelle du credo, que le dimanche et aux solennités, la
profession baptismale ou celle de la veillée pascale en tient lieu lors de l’administration du
baptême ou le samedi saint.
La prière universelle est une rubrique qui figure dans la liturgie de la Parole. L’histoire
de la liturgie ancienne nous a appris que cette intercession avait disparu dans le cadre des
réformes grégoriennes du VIe siècle (supra) ; la Présentation générale (Institutio generalis)
du Missel de 1970 prescrit que « le peuple exerce la fonction sacerdotale en priant pour tous
les hommes ».
Monitions d’introduction
Première lecture (habituellement un passage de l’Ancien testament),
Psaume responsorial ou répons graduel,
Seconde lecture,
Séquence,
Alléluia ou Trait,
Acclamation de l’Evangile,
Lecture de l’Evangile,
Homélie,
Profession de foi,
Prière universelle.
758
CABIE, Robert ., op.cit., p. 124.
326
Elle est introduite par la « préparation des dons ». Cette formule a été préférée à
« offertoire » qui pouvait entraîner une confusion comme s’il y avait déjà ici un sacrifice,
celui des hommes, alors que le vrai sacrifice, celui unique du Christ, s’opère à la
consécration ; c’est donc par erreur ou par simple habitude que l’on continue de parler
d’offertoire. Tous les gestes et prières anciens, qui anticipaient la prière eucharistique ou le
canon, ont été supprimés ; le rite se réduit à apporter les espèces, jusque là posées sur une
crédence au fond de l’église ou à côté de l’autel, qui sont déposées sur l’autel, tandis que le
célébrant les présente à Dieu [« Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce
pain… (…ce vin)…»]. Dans la présentation de la messe notamment dans ses évolutions du
Moyen Age, nous avons vu le célébrant demander la prière des ministres par le « Orate,
fratres », tandis qu’avec Vatican II, c’est toute l’assemblée qu’il invite à entrer dans l’action
eucharistique (« Prions ensemble au moment… »). Vient enfin la prière sur les offrandes.
Les paroles de l’institution sont désormais précédées par une épiclèse dont la première
partie a exposé l’origine et l’histoire [la Tradition apostolique et les anaphores orientales,
(voir supra, première partie) mais qui manquait à la liturgie romaine]. Autre innovation, ces
paroles ont été rédigées un peu différemment que celles de l’ancien canon romain, appliquant
la même rédaction aux quatre P.E., modifiant ainsi celle qu’aurait dû conserver la P.E. I : à
« Ceci est mon corps » est ajouté « livré pour vous », reprenant ainsi les évangiles
(notamment Lc 22, 19) ; « Chaque fois que vous ferez cela… » est remplacé par « Faites ceci
en mémoire de moi » considéré comme plus proche des Ecritures (notamment Lc 22, 19 et I
327
Co 11, 24). Enfin, dans l’ancienne formule, il s’était glissé, au milieu de ces paroles
d’institution, une expression qui ne se rattachait à aucun de leurs éléments, –Mystère de la foi,
Mysterium fidei »-, le Missel Paul VI l’en a détachée pour en faire l’introduction de
l’acclamation poussée par les fidèles avant l’anamnèse quand, après la consécration, le
célébrant énonce : « Il est grand le mystère de la foi » ou tout autre variante.
II.II.IV La Communion
- Pater ou Oraison dominicale : chanté ou dit par toute l’assemblée, il se prolonge, après le
« Mais délivre-nous du mal » par une prière qui, à la différence de l’ancien ordo, ne fait plus
mention des saints et se termine par une évocation eschatologique « en cette vie où nous
espérons (ou attendons) le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ notre
Sauveur », conclu, comme fin du Pater, par une acclamation des fidèles (Car, c’est à toi
qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire, Pour les siècles des siècles, Amen),
adaptée de la doxologie contenue dans la Didachè « Car c’est à toi la puissance et la gloire
pour les siècles ! » (supra, première partie).
- Rite de la paix. Réservé dans la liturgie tridentine aux ministres lorsqu’après le Domine Jesu
Christe… (Seigneur Jésus-Christ, vous qui avez dit à vos apôtres, je vous laisse la paix…) qui
était l’une des apologies privées du célébrant, ce dernier disait au ministre Pax tecum, ce
dernier répondant Et cum spiritu tuo. Le rite de paix rejoint la pratique antique pour redevenir
un rite de l’assemblée (supra, première partie), le prêtre disant cette prière en mettant les
pronoms au pluriel et s’adressant à toute l’assemblée « Pax domini sit semper vobiscum »
(Que la paix du Seigneur soit avec vous), réponse Et cum spiritu tuo (Et avec votre esprit). Le
diacre ou le prêtre invite le peuple à se donner un signe de paix, dont la forme sera adaptée
aux traditions culturelles et sociales locales.
328
- Fraction du pain. Le concile l’ayant conçue comme une « parfaite participation à la messe
qui consiste en ce que les fidèles, après la communion du prêtre, reçoivent le corps du
Seigneur avec des pains consacrés à ce même sacrifice » (SC, n° 55), il lui fait retrouver sa
portée d’origine en tant qu’elle signifie que la foule nombreuse va communier à l’unique pain
ainsi rompu en plusieurs morceaux, portée qu’elle avait perdue avec les multiples fioritures
médiévales alors que le célébrant était le seul à communier (supra). C’est pendant la fraction
du pain qu’est entonné, dit ou chanté, l’Agnus Dei.
- Distribution de la communion. Elle a récupéré le caractère systématique dans la mesure où
tous les fidèles (en ordre) sont invités à communier. Les traditionnelles apologies personnelles
du célébrant et des ministres (le confiteor et le Dominus, non sum dignus…), deviennent
collectives et les fidèles disent « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir… », après une
adaptation d’un verset de l’Apocalypse (Ap. 19, 9), proclamée par le célébrant « Heureux les
invités au repas du Seigneur ». La distribution est faite par le prêtre, les autres ministres et, si
besoin, par des laïcs. La constitution conciliaire sur la liturgie restaure en certaines
circonstances la communion aux deux espèces et chacun peut, s’il le désire, recevoir, comme
dans l’antique pratique, le Corps du Christ dans la main, avec la formule du prêtre « le corps
du Christ », « le sang du Christ », à laquelle il répond par une adhésion personnelle « Amen ».
Un temps de silence avec, parfois, un chant de louange ou d’action de grâces, précède
l’Oraison de postcommunion.
II.II.V Les rites de Conclusion et le renvoi ont été simplifiés : il n’y a plus tous les
ajouts médiévaux qui étaient introduits dans les missels de 1470 et de 1570, notamment le
« dernier évangile » et les prières qui le suivaient Ils se limitent aux Annonces, à la
Salutation et Bénédiction finale, suivies du Renvoi.
329
III
Parallèlement, les Eglises africaines ont par des arguments positifs, facilités par les
directives du Concile sur l’inculturation, justifié pourquoi cette opération est utile ou doit
avoir lieu, qu’est-ce qui l’exige. Elles l’ont fait en partant du constat qu’une opération de
« nationalisation » de la liturgie s’avère utile pour chaque peuple, dans la mesure où la
liturgie, en organisant le culte que le peuple, la communauté, rend à son Dieu, est une
« réaction de la communauté touchée par la grâce » et où, donc, « cette réaction sera italienne
en Italie, française en France, … », africaine en Afrique, congolaise au Congo760. Ce faisant,
la « réaction » de la communauté humaine, n’est pas qu’humaine, mais se déroulant autour
des mystères chrétiens, elle ne devra pas non plus n’être que chrétienne ; comme le dit Mgr
Sanon, le « sens de l’Incarnation » c’est que « il faut tenir indissociablement les deux ». De
fait, les mystères chrétiens se vivent dans un contexte culturel et des croyances du peuple
concerné tel qu’il est « situé », ils doivent « indissociablement » faire corps avec ces derniers
tandis qu’ils doivent également les imprégner : c’est ce qui s’est imposé comme le contenu
759
KABASELE LUMBALA, François, « Processus d’élaboration d’une église au Zaïre, Chances réciproques
d’une rencontre », Concilium, n° 251, 1994, pp. 74-75.
760
SANON (Mgr), Anselme-Titianma, « L’africanisation de la liturgie », conférence de l’évêque de Bobo-
Dioulasso à la Session de liturgie de Bombouaka (Togo), La Maison-Dieu, n° 123, 1975, pp. 108-125,
spécialemeent p. 112.
330
d’un concept rendu par le néologisme de « inculturation ». C’est, en effet, cette démarche
qu’a suivie l’Eglise universelle en vue de, comme nous l’avons vu, adopter les « normes pour
adapter la liturgie au tempérament et aux conditions des différents peuples », ainsi que nous
l’avons vu se faire dès les premiers siècles du christianisme (I). Certes, l’inculturation n’est
pas un phénomène africain ni d’origine africaine, car même si la conceptualisation théorique
du phénomène n’était point encore réalisée, il existait incontestablement, comme on l’a vu,
dès les premiers siècles du christianisme et de l’Eglise, comme exigence de la « mission »
assignée à l’Eglise. Mais, il est vrai qu’après sa reconnaissance après Vatican II, L’Afrique
s’en empara l’Eglise du Congo fut parmi les premières à réaliser l’inculturation et,
certainement, celle qui, en Afrique, poussa le plus loin les recherches sur l’inculturation
(III.II), à l’origine du renouveau qui a affecté les autres domaines de la vie ecclésiale messe.
761
SHORTER, Aylward, L’inculturation dans le christianisme des religions traditionnelles africaines –
Jusqu’où?, Le Petit Echo, 2007/10..
331
Il n’est pas faux d’affirmer qu’il fallait plus qu’une simple initiation pour saisir la
signification profonde et le sens de la liturgie de l’Eglise latine, non seulement à cause de la
langue liturgique qu’était le latin, mais aussi pour toute la symbolique des instruments et des
gestes liturgiques empruntée aux diverses cultures et traditions orientales et occidentales. De
fait, alors que toute personne pouvait comprendre le culte protestant, dépouillé et exécuté dans
les langues vernaculaires, la liturgie catholique avait de quoi laisser l’impression de quelque
cérémonie ésotérique à laquelle, sans en saisir le sens, on était invité à être des spectateurs
silencieux.
Ainsi, certes, dans la rénovation sentie comme nécessaire et urgente par le Concile
Vatican II, les options conciliaires ont, donc, ouvert les portes à des réformes touchant à la
langue, aux formes d’expression gestuelles et vestimentaires, au déroulement du rite lui-même
et, alors que l’Eglise s’employait à rendre leurs responsabilités aux fidèles, à la participation
plus active et consciente des fidèles à la célébration liturgique. Mais, aussi, par ces options, le
Concile lançait un concept non encore nommé, qui allait, intégrant en principe les cultures de
peuples que le christianisme rencontre, donner à l’Eglise africaine le visage qu’on lui connaît
aujourd’hui, dont la liturgie, enrichie des cultures de speuples africains, surprend, étonne ou
déconcerte plus d’un observateur. Les effets sont tellement importants mais, surtout, on se
rend compte que, ce faisant, les Africains n’ont fait que mettre en œuvre les options
conciliaires, rejoignant l’inculturation qui a existé dans les premiers siècles du christianisme ;
cela justifie que soit examiné ce phénomène d’inculturation qui, né du dedans même de
l’Eglise, a pu permettre la réalisation en Afrique de la diversité et du pluralisme liturgiques.
Le terme est ignoré par les dictionnaires généraux, s’il se trouve bien dans
dictionnaires spécialisés comme le Dictionnaire critique de théologie dès sa première
332
édition762. Ce dernier le définit comme, en général, « rapport adéquat entre la foi et toute
personne [ou toute communauté] humaine en situation socioculturelle particulière ». Si l’on
reconnaît au missiologue belge Pierre Charles la paternité du vocable, Eugène Lapointe
estime que ce fut par erreur, car il n’a plus jamais utilisé ce mot et ne revendique pas l’avoir
inventé763. Mais, le substantif inculturation allait s’imposer et connaître un véritable essor,
depuis que le jésuite J. Masson avait écrit que « Aujourd’hui, … l’exigence se fait plus urgente
d’un catholicisme inculturé d’une façon polymorphe. Jamais sans doute autant que de nos jours, les
grands groupes culturels de l’humanité n’ont senti, apprécié et voulu défendre leur originalité
culturelle, leur sol avec ses caractères propres, leur langue, leur art, leur symbolique, leur étiquette,
leur vue générale de la vie, leur «way of life» à l’américaine, leur svadharma indien, leur
Weltanschauung ou leur négritude, jadis honteuse, mais maintenant brandie comme un fier
drapeau»764. Notamment, lorsqu’il fut utilisé pour la première fois à la 32e Congrégation de la
Société de Jésus de décembre 1974 à avril 1975 et que le père Pedro Arrupe, général des
Jésuites du temps, en fit accepter l’introduction au Synode romain des évêques de 1977 sur la
catéchèse765. L’inculturation met l’accent sur la situation locale, sur la naissance d’une Église
locale et particulière. L’Église une et universelle ne trouve son existence que dans les Églises
particulières ; il va ainsi de soi que l’agent premier de l’inculturation est le peuple qui reçoit
l’Évangile et l’assimile par l’action, avec le concours de ses pasteurs membres d’un clergé
appartenant à cette même culture, et non point le missionnaire.
Si ce n’est que depuis Vatican II que l’on développe des théories et des études sur
l’inculturation, il faut constater que « la chose » était déjà concrètement à l’œuvre, sans
encore « le mot » ; elle s’était même imposée comme une nécessité pour la propagation de
l’évangile, au point où l’on peut considérer que « toute démarche de foi, toute intelligence et
expérience de la foi est en définitive une question d’inculturation »766. Dans la première partie
de ce travail, nous avons vu que, dans l’apparition même du christianisme, qui s’était
immergé dans le contexte culturel et cultuel juif, s’était déjà opérée l’inculturation. Parce que,
comme dit le Concile Vatican II, « dès le début de son histoire, (l’Eglise) elle a toujours
appris à exprimer le message du Christ en se servant des concepts et des langues des divers
peuples »767. Dans ce sens, exigence de la foi, l’inculturation est également un phénomène
762
LACOSTE, Jean-Yves (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF 1ère édition, 1998, 1ère édition
PUF/Quadrige, 2002.
763
LAPOINTE, Eugène, « L’inculturation », Dictionnaire des valeurs oblates, http://www.omiworld.org,
764
MASSON, Jean-Louis, L’Église ouverte sur le monde, Nouvelle Revue Théologique, 84 (1962), p. 1038.
765
Intervention publiée sous le titre «Catéchèse et inculturation» dans Lumen Vitæ, 37 (1977), p. 445-450 et
également dans ARRUPE, Pedro, s. j., L’espérance ne trompe pas, Paris, Le Centurion, 1981, p. 161-173.
766
Ibid.
767
Gaudium et Spes, § 44.
333
ancien qui demeure permanent, on a pu ainsi comprendre que le fait que christianisme et
Occident aient été si assimilés l’un à l’autre dans l’histoire traduit la réalité de l’inculturation.
Il semble même qu’avant l’introduction du vocable dans le langage courant de l’Eglise, il
avait déjà été utilisé, Yves Congar affirme qu’il avait déjà été employé au Japon dans le sens
plus profond de « planter le germe de la foi dans une culture et l’y faire se déployer,
s’exprimer selon les ressources et le génie de cette culture »768. Car, Dieu aime ses créatures
dans leur différence, dans leur altérité et dans leurs cultures particulières.
Comme dit le père Pedro Arrupe, l’inculturation « est un dialogue permanent entre la
Parole de Dieu et les multiples manières qu’ont les hommes de s’exprimer »769, c’est
« une incarnation de la vie et du message du christ dans une aire culturelle concrète, en
sorte que non seulement cette expérience s’exprime avec les éléments de la culture en
question…, mais encore que cette même expérience se transforme en un principe
d’inspiration, à la fois norme et force d’unification, qui transforme et recrée cette
culture, étant aussi à l’origine d’une ‘’nouvelle création’’ »770.
Aylward Shorter rend la même idée en disant que « Un des résultats majeurs de
l’inculturation est qu’une culture est transformée par la foi et que la culture en question
devient partie prenante de l’Église, Corps mystique du Christ. »771 Ainsi, le christianisme
pourra-t-il prendre en compte « l’autre », ni juif, ni grec, comme disait l’apôtre Paul, mais
aussi ni occidental, ni non-occidental, car, l’évangile a une vocation « catholique »,
universelle, pour appartenir à tous, juifs et grecs. Pour cela, il doit prendre des distances avec
les figures historiques qu’il a revêtues dans le passé : inculturé dès les origines du message de
son fondateur, partant des catégories mentales et logiques sémites vers les cultures greco-
latines et méditerranéennes, le christianisme a démontré sa transculturalité et peut,
aujourd’hui, emprunter les véhicules culturels des autres peuples sans pour autant trahir le
Message. D’ailleurs, sans trop forcer les réalités de l’histoire du christianisme, on peut dire
que son succès est, au moins en partie, dû à cette capacité qu’il a eu de s’adapter aux
différentes cultures qu’il a approchées, de les pénétrer, d’en adopter certaines formes, valeurs
et expressions, et, les considérant parfois comme des pierres d’attente, des rampes de
lancement, de les utiliser pour atteindre plus en profondeur les masses, pas seulement en
surface. Par cette voie, le christianisme a donc pu se faire accepter par les peuples de cultures
différentes de celles des contrées de sa naissance et de son essor ; en cela il justifie son
768
Cité dans Dictionnaire critique de théologie, op.cit.
769
ARRUPE, Pedro, « Catéchèse et inculturation » dans Lumen Vitæ, 37 (1977), op. cit., p.448.
770
ARRUPE, Pedro, « Lettre sur l’inculturation », Ecrits pour évangéliser, DDB-Bellarmin, Paris, 1985, pp.
169-170.
771
SHORTER, Aylward, L’inculturation dans le christianisme des valeurs religieuses traditionnelles africaines –
Jusqu’où ?, Le Petit Echo, 2007/10, pp. 169-170.
334
« universalité ». De fait, ainsi que le conseillait M.-D. Chenu, pour l’Eglise, il y avait
« urgence », expliquant que « comme le disait Pie XI à propos du cas semblable de l’Inde,
l’Eglise est imparfaite dans la mesure où elle n’assume pas les richesses natives de peuples
entiers »772.
772
CHENU, Marie-Dominique, La Parole de Dieu, t. II : L’évangélisation dans le temps, op.cit., p. 650.
773
Pie XII, radio-message de Noël 1945 (24 décembre 1945) et adresse aux membres des Conseils des Œuvres
Pontificales Missionnaires, 24 juin, 1944, cité par MULAGO, Vincent, « Evangélisation et authenticité dans
l’enseignement du magistère », in Aspects du catholicisme au Zaïre, Centre d’Etudes des Religions Africaines
vol. 14, n° 27-28, Faculté de théologie de Kinshasa, 1981, pp. 15-16.
335
C’est poser la question dans les mêmes termes que jadis pour la Chine : Comment
faire en sorte que les Africains, devenant bons catholiques ne cessent pas d’être de bons
Africains, fidèles aux cultures ancestrales ? Peut-on être catholique et continuer de respecter
les coutumes, croyances et pratiques ancestrales ? Or, de ce point de vue, les méthodes
d’évangélisation de l’Eglise coloniale, essentiellement d’implantation, parfois forcée, ne
faisaient aucun cas des cultures africaines et n’ont pas hésité à balayer les résistances de
toutes formes et de tous ordres que pouvaient entretenir les indigènes, jusque dans la force
qu’ils pouvaient trouver dans leur culture et leurs valeurs de civilisation. Aussi, diverses
expressions culturelles, – danses, instruments de musique comme le tam-tam, amulettes,
religions et cultes traditionnels --, furent-elles décrétées incompatibles non seulement avec le
christianisme mais aussi avec la « civilisation » et les indigènes obligés, lors de leur
« conversion », de renoncer à leur culture, dont les différents héritages ancestraux étaient
considérés comme sataniques, brûlés ou pillés par les colons pour alimenter des collections
privées ou des musées coloniaux. Dans la mesure où, de cette manière, nombre d’Africains
ont été déçus du christianisme tel qu’il leur avait été imposé et qu’ils l’ont appris ou vécu dans
la culture occidentale, l’inculturation devient une recherche de dépaysés, de perdus et de
frustrés, pour qu’enfin ils puissent vivre un christianisme enraciné dans leur culture, leurs
coutumes et leurs traditions. Elle devient, par là, un lieu de reconnaissance, celle de la valeur
des richesses culturelles des peuples africains qui, à la suite de l’agression culturelle
occidentale et leur « acculturation » par l’aliénation culturelle, doutaient de cette valeur et,
qui, espérant dans l’évangile, désiraient ardemment vivre la Bonne Nouvelle dans leur culture.
C’est que, comme, tout en faisant une lecture critique des critiques africaines de la mission,
est bien obligé de le remarquer I. Ndongala Maduku, « En introduisant en Afrique des
éléments de sa civilisation : langue, sciences et techniques, urbanisation, organisation
étatique, économique et politique, théologie de la révélation, l’Europe occidentale n’a pas
manqué d’influer sur la proposition chrétienne de la Bonne Nouvelle ». Et le même auteur de
conclure que les théologiens africains ayant désiré se réapproprier la mission, « L’histoire
montre la différence entre le projet missionnaire occidental et sa reprise par les Africains »774
C’est pourquoi, au-delà des allures de revendication qu’elle va avoir dans certaines de
ses expressions, cette recherche africaine a pour objet essentiel le recours aux richesses
culturelles africaines comme moyens d’évangélisation et possibilités d’expression liturgique
774
NDONGALA MADUKU, Ignace, Pour des Eglises régionales en Afrique, Paris, Karthala, 1999, pp. 14-15.
336
775
BIMWENYI Kweshi, Oscar, « Inculturation en Afrique et attitude des agents de l’évangélisation », in Aspects
du catholicisme au Zaïre, Centre d’Etudes des Religions Africaines, Faculté de théologie catholique de
Kinshasa, Vol. 14, n° 27-28, 1981,p. 47.
776
BONTINCK, François, Diaire congolais (1690-1701)…, op.cit., p. 79.
777
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo…, op.cit., p. 79.
337
disaient avoir faits. L’un, Dom Jorge, raconta qu’il a vu une très belle dame qui lui a ordonné
de dire au roi que « nous sommes devenus invincibles. Je me sentis tant de courage et de force
que j’étais prêt à me battre contre cent hommes ». Le second, Dom Diogo, dit la même chose
mais ajouta qu’en sortant le matin de sa maison il a trouvé un objet semblable à celui que les
Pères avaient quand ils nous baptisaient, une croix », cette croix fut gardée dans la maison qui
servait de chapelle et honorée « comme un objet miraculeux »778. Il faut préciser que ces
choses étaient dites par deux personnes qui étaient Nsaku, représentants du culte des ancêtres,
principaux personnages après le roi, ils étaient intermédiaires entre la population et les
ancêtres et recevaient de ces derniers les réponses aux nécessités sociales qu’ils leur
exposent ; leur témoignage eut un effet extraordinaire et le peuple, « fort enclin à prendre pour
des réalités indubitables les songes », « fut plus que jamais désireux de recevoir le
baptême »779 Ces songes n’allaient-ils pas être confirmés par les missionnaires qui dirent, un
mois après ces événements, le 4 juin 1491, le jour même du baptême de la reine qui deviendra
Eléonore et de son fils Mvemba Nzinga (Don Afonso) au roi kongo Nzinga a Nkuwu, qui
recevait des mains de Rui de Sousa de la part de João II de Portugal une bannière armée d’une
croix que « par la vertu de ce signe salutaire des armées avaient vaincu des ennemis
supérieurs en nombre » ?780 Les exploits miraculeux de Dom Afonso au nom de la foi avaient
également alléché les nobles dans l’espoir de voir se multiplier leur force et se renforcer leur
pouvoir, tandis que leur « conversion », avec une foi ne reposant pas sur un minimum de
formation religieuse, était superficielle et, comme disait le père Fra de Luca, « pour se
montrer ».
Dans ce sens et à cause de cela, à partir d’une certaine époque l’inculturation devint
non seulement un besoin revendiqué par les Africains mais aussi une nécessité ressentie par la
hiérarchie de l’Eglise. Dans cette logique, on peut dire que les théologiens africains, bien
avant Vatican II, déjà en 1956, à travers ce constat de l’abbé Vincent Mulago, la question de
l’inculturation en constatant cette sorte d’échec de l’œuvre missionnaire : « Qui n’a jamais
rencontré de ces cas vraiment décevants : un tel qui a été vingt, trente ans durant, un excellent
chrétien, voilà que soudain il retourne aux pratiques de ses ancêtres. Hypocrisie ? Peut-être !
Telle brave chrétienne ne peut se passer de certains rites qu’elle sait néanmoins défendus [par
exemple certains rites d’accouchement ou de maternité]. Menaces et raisonnements peuvent
lui arracher des promesses mais à la prochaine venue d’un bébé au monde, par exemple, elle
778
BONTINCK, François, Diaire congolais…, p. 81.
779
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo…, p. 81.
780
Ibid., p. 82
338
retournera à ses ‘’superstitions’’ »781. Un constat identique est fait par le père Meinrad Hebga
dans son excellent ouvrage sur l’émergence des églises particulières en Afrique, lorsqu’il y
parle de ces Africains soi-disant évolués, modernes, se rendant allègrement chez les
guérisseurs et les marabouts et autres devins « pour retrouver la santé, la chance ou damer le
pion à un adversaire qui peut être un collègue », jusqu’à des pasteurs et prêtres, religieux et
religieuses, croyant à la sorcellerie et à la magie ou y recourant eux-mêmes782. Dans son style
à lui, Oscar Bimwenyi le constate de son côté :
« Mais, lorsque vous êtes venus, que vous avez évangélisé, vous vous êtes trouvés en
présence du ‘’culte’’ hypertrophié des « ancêtres », d’histoires de « sorcellerie »,
d’histoires de ‘’fétiches’’, devant lesquelles vous avez été obligés de prendre certaines
attitudes. Vous avez vilipendé, vous avez tenté d’exorciser et, apparemment, vous
n’avez pas réussi. Car, voilà que cela continue. Les gens se sont laissés baptiser, mais
ils ont continué, à part eux, à séjourner dans le voisinage de leurs ancêtres, à leur offrir
de temps en temps une poule bien préparée… Le matin à la messe, le soir chez le
devin, amulettes en poche et scapulaire au cou, tenant ainsi les deux bouts de la corde,
ils croient se ménager les meilleures chances en réunissant autour d’eux tous les atouts
possibles.»783.
Prosper Abega s’en prend, lui aussi, à cette « dichotomie héritée d’une certaine
évangélisation ». Il l’explique par le fait que :
« En Afrique cette dichotomie n’a pas été définie en termes de juxtaposition comme
ailleurs. Elle est définie en termes d’opposition et de lutte. En effet, le missionnaire
ayant traité de démoniaque notre religion traditionnelle et notre arsenal culturel et
symbolique, chaque fois que le chrétien africain revient à sa religion, il fait
essentiellement ce qui est mal aux yeux du christianisme qu’on lui a appris. Mais en
fait, il continue à recourir, dans sa vie réelle, aux rites et symboles traditionnels. Il
existe donc un conflit permanent entre les valeurs humaines héritées de nos ancêtres et
une certaine vision chrétienne de l’évangélisation »784
Il n’est sans doute, dès lors, plus surprenant que, bien avant que le Concile Vatican II
ait ouvert ses travaux, la VIème Assemblée plénière de l’épiscopat congolais (20 novembre –
3 décembre 1961), avec le souci d’incarner le message chrétien, ait abordé des thèmes,
analyses et propositions de réformes qu’on retrouvera, largement repris, plus tard dans les
781
MULAGO, Vincent, « Nécessité de l’adaptation missionnaire chez les Bantu du Congo », in SANTEDI
KINKUPU, Léonard, BISSAINTHE, Gérard et HEBGA, Meinhard (présentation), Des prêtres noirs
s’interrogent. Cinquante ans après…, Paris, Karthala et Présence Africaine, 2006, pp. 21-22.
782
HEBGA, Meinhard, Emancipation d’une église sous tutelle, Paris, Présence Africaine, 1976, p. 55.
783
BIMWENYI Kweshi, Oscar, « L’inculturation en Afrique… », loc.cit., p. 56. Ce texte de l’Abbé Bimwenyi
est une transcription d’une communication, « parlée », lors d’une conférence donnée aux prêtres, religieux et
religieuses du doyenné de Lubumbashi le 20 décembre 1979.
784
ABEGA, Prosper, « La liturgie camerounaise », in Médiations africaines du sacré – Célébrations créatrices
et langage religieux, Actes du IIIe Colloque international du CERA, Kinshasa, 16-22 février 1986, Numéro
spécial Cahiers des Religions Africaines Vol. XX-XXI, n. 39-42, 1986-1987, Faculté de Théologie Catholique
de Kinshasa, 1987, p. 522.
339
documents conciliaires. Le fait demeure largement ignoré que, déjà, les ordinaires du Congo
abordaient la nécessité d’une telle opération, sans doute instruits par l’expérience notamment
la constatation du syncrétisme des pratiques de nombre de chrétiens africains. Avant le mot,
les ordinaires du Congo en avaient déjà identifié la substance et affirmaient que
« Pour donner la vie aux hommes, le Fils de Dieu assume leur vie. Pour proclamer la
Parole, il adopte leur langage. Pour leur communiquer l’Esprit, il s’incorpore à
l’humanité, il se fait solidaire de la condition humaine… Comme le Christ s’est
incarné dans la race juive, Il veut, par Son Eglise, s’insérer dans chaque peuple,
chaque génération, chaque civilisation, pour les assumer et les consacrer au Père.
Ainsi, la Bonne Nouvelle devra pour chacun être accessible dans sa langue et sa
pensée, s’exprimer dans son art et s’accorder à sa mentalité. Ce devoir d’engagement
oblige l’Eglise à rechercher les modes de pensée et d’expression propre au peuple
congolais pour aboutir à une adaptation réelle de l’expression religieuse au génie
africain : culte, liturgie, prédication et organisation, architecture et art religieux, vie
monastique et manifestations sociales de la vie religieuse doivent trouver leur
formulation propre, pour que le christianisme s’intègre à la culture et offre au peuple
congolais un visage familier et des traits dans lesquels il se retrouve. »785.
Dans ce sens, l’inculturation ne traduit pas l’enfermement sur soi-même mais, au contraire,
l’ouverture sur et l’accueil de l’autre, de l’étranger. A la différence de l’Europe où le mot fut
représenté par aggiornamento, l’Eglise faisant dialoguer son passé et son présent pour adapter celui-là
à celui-ci dans une sorte de « dialogue intraculturel », en Afrique, l’inculturation traduit, dans une
relation « interculturelle », le dialogue avec l’autre, l’étranger, lorsqu’il ne vient pas comme une
menace qu’on repousse ou qu’on fait disparaître, mais comme un ami, un allié ou, encore, un hôte
paisible et même contributeur « aux questionnements fondamentaux de la communauté » qu’on
accueille et à qui on dit « reste avec nous » ; tel le Christ, qui apporte la bonne nouvelle du salut, qui
agit à l’intérieur de la culture locale786.
Lors de son voyage à Kampala (29-31 juillet 1969), Paul VI s’adressa à la première réunion du
Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), qui se créa
à cette occasion, et leur dit : « Africains, vous êtes désormais vos propres missionnaires […]
mais, une question qui demeure très vive et suscite beaucoup de discussions se présente à
votre œuvre évangélisatrice, celle de l’adaptation de l’Evangile, de l’Eglise, à la culture
africaine ». Certes, 1°) « Votre Eglise doit être catholique, fondée sur le patrimoine
identique… de la même doctrine du Christ, professée par la tradition authentique et autorisée
par l’unique et véritable Eglise ». Mais, 2°) « l’expression, le langage, la façon de manifester
l’unique foi peut être multiple et par conséquent originale, conforme à la langue, au style, au
785
« Actes de la VIème Assemblée plénière de l’épiscopat congolais (20 novembre - 3 décembre 1961) », Eglise
et Société, op. cit., p. 71.
786
V. dans ce sens, BIMWENYI Kweshi Oscar, « Inculturation en Afrique… », loc.cit., pp.48-55
340
tempérament, au génie, à la culture de qui professe cette unique foi. Sous cet aspect, un
pluralisme est légitime, même souhaitable. C’est ce qu’exprime, par exemple, la réforme
liturgique. En ce sens, Vous pouvez et vous devez avoir un christianisme africain »787. Cette
exhortation s’éclaire par l’affirmation décisive faite lors de la réunion du clergé diocésain de
Kinshasa, le 26 novembre 1973 par l’archevêque de Kinshasa, le Cardinal Malula, selon
laquelle « Hier, les missionnaires étrangers ont christianisé l’Afrique ; aujourd’hui, les Négro-
africains vont africaniser le christianisme », elle contient tout un programme de
renouvellement des méthodes d’évangélisation et de la manière de vivre le christianisme dans
lequel va s’engager l’Eglise du Congo pour affirmer son « africanité ».
Le constat d’un bilan contrasté a été fait par le Synode des évêques de 1974 où les
évêques et les théologiens africains ont recensé toutes les questions les plus urgentes pour
l’Eglise en Afrique, dominées par la nécessité de l’incarnation du message chrétien en
Afrique788. C’est le sens de l’intervention générale présentée au nom de 26 conférences
épiscopales dont les rapports sont synthétisés par Mgr J. Sangu, évêque de Mbeya et président
de la conférence épiscopale de Tanzanie. Il dresse le bilan de l’évangélisation, à partir
d’enquêtes sociologiques, présentant une relecture de l’histoire de l’évangélisation en
Afrique, ainsi que le sens qu’elle doit y avoir, la situation actuelle de l’évangélisation à travers
les expériences des Eglises africaines, etc. La démarche débouche sur la nécessité d’une
« réappropriation » de l’évangélisation par les africains, son africanisation qui implique un
minimum d’autonomie789. Tel est également le sens du propos de Mgr François Kabangu wa
Mutela, évêque de Luebo (Congo-Kinshasa) pour qui, sur la base de valeurs culturelles,
l’évangélisation « doit viser à épanouir pleinement les valeurs de la personnalité africaine et
de son identité à manifester la force libératrice de l’Evangile vis-à-vis de l’oppression sous
toutes ses formes : rendre les Africains responsables de leur évangélisation et de leur
promotion intégrale »790 Globalement, les pères synodaux africains estiment que l’évangile
doit s’incarner, s’incorporer dans le peuple et sa culture; il s’agit d’une incarnation continue,
non pas tellement de l’Église qui s’étend et grandit que d’une Église nouvelle qui naît, une
Eglise locale. Ainsi que le disait encore le Cardinal Malula, l’Eglise missionnaire « ne pouvait
787
Documentation. Catholique nº 1548, 1969, pp. 764 et 765
788
MARTY (card), François (présentation), L’Eglise des cinq continents. Principaux textes du Synode des
évêques, Paris, Ed. du Centurion, 1975.
789
Pour l’intervention de Mgr Sangu, voir L’Eglise des cinq continents. Bilan et perspectives de l’évangélisation.
Principaux textes du synode des évêques, Paris, Le Centurion, 1975, pp.48-61.
790
Documentation Catholique, novembre 1974, p. 975. On trouvera également dans la DC de novembre 1974 les
interventions de plusieurs évêques africains, Yago, Malula, Duval, Biayenda, Anguillé, Aggey, etc.
341
que développer une foi désincarnée chez lez fidèles pris entre deux mondes »791 Pour les
évêques africains, qui y sont intervenus de manière très significative avec leur concept
d’«incarnation», annonçant déjà l’inculturation sans utiliser le terme, celle-ci est une nouvelle
vision missionnaire.
Bien qu’elle soit, ainsi, devenue une réalité dans l’Eglise, il a fallu attendre pour voir
l’inculturation, qui n’est nulle part énoncée comme telle dans les textes conciliaires, recevoir
une reconnaissance officielle. D’abord, dans l’encyclique Slavorum Apostoli, à propos de
Cyrille et Méthode, chez qui le pape trouve « un modèle de ce que l'on appelle aujourd'hui
« l'inculturation »’ : l'incarnation de l'Evangile dans les cultures autochtones, et en même
temps l'introduction de ces cultures dans la vie de l'Eglise. »793. Ensuite et surtout, dans
l’Encyclique Missio Redemptoris (La Mission du Rédempteur), que Jean-Paul II publiera en
1990, le pape donne plusieurs précisions :
« En exerçant son activité missionnaire parmi les peuples, l'Eglise entre en contact
avec différentes cultures et se trouve engagée dans le processus d'inculturation […] il
ne s'agit pas d'une simple adaptation extérieure, car l'inculturation ’’signifie une intime
transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le
christianisme, et l'enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines’’
[…] Par l'inculturation, l'Eglise incarne l'Evangile dans les diverses cultures et, en
791
MALULA (card.) Joseph-Albert, L’Eglise de Dieu qui est à Kinshasa vous parle, Kinshasa, Ed. Saint Paul
Afrique, 1976, p. 9.
792
ABEGA, Prosper., « La liturgie camerounaise », in Méditations africaines du sacré, Actes du IIIe Colloque
international du CERA, 16-22 février 1986, N° spécial Cahiers des Religions Africaines, Vol. XX-XXI, n° 39-
42, 1986-1987, Faculté de théologie de Kinshasa, 1987, p. 519.
793
Slavorum Apostoli, 2 juin 1985, § 21.
342
même temps, elle introduit les peuples avec leurs cultures dans sa propre communauté
; elle leur transmet ses valeurs, en assumant ce qu'il y a de bon dans ces cultures et en
les renouvelant de l'intérieur. »794
L’inculturation s’appuie sur une jeune, mais solide, recherche théologique, autour du
concept et des objets d’une « théologie africaine ». Une telle problématique est fondée sur la
conviction des penseurs religieux congolais que, si la Révélation demeure la source de la foi
devant rester sauve, la réflexion qui la rend proche de l’homme est œuvre du penseur imbibé
de sa culture et de son contexte, ainsi que du milieu à christianiser ; ainsi la doctrine qui s’en
dégage peut varier, elle doit être adaptée. D’où toutes les réflexions et interrogations sur la
nécessité et l’existence d’une théologie africaine797. Dans la mesure où la fermeté de la foi
peut être fonction du degré de lumière et de compréhension de la parole révélée, le théologien
doit pouvoir donner réponse à toutes les questions que se posent les fidèles. Toute théologie,
influencée, certes, par le subjectivisme « individuel du penseur, est plus significativement
794
Missio Redemptoris, du 7 décembre 1990, § 52.
795
Ecclesia in Africa, § 59.
796
Ibid., § 60.
797
Problématique examinée par Vincent MULAGO, « Langage missionnaire », Bulletin de Théologie Africaine,
vol.I, n°1, pp.44-46.
343
tributaire de l’influence collective qu’exerce l’espace culturel, imprégné par une mentalité,
une tradition, une culture ; dans ce sens, la théologie la plus efficace est celle adaptée à ce
contexte, tout en demeurant fidèle au message « universel ». Les Occidentaux semblaient ne
pas accepter que leur théologie fût conditionnée par leur culture, la présentant comme supra
culturelle ou transculturelle et valide universellement, exportable ensemble avec la foi dans la
mesure où, pour eux, leur culture était chrétienne, s’identifiait et ne faisait qu’un avec la foi.
Dénonçant l’impérialisme culturel de certains théologiens européens qui croient que leur
culture est « le lieu de l’universalité humaine », le théologien congolais Alphonse Ngindu
Mushete a pu, quant à lui, affirmé que « La théologie universelle est un mythe. Rien ne la
fonde, ni la révélation, ni la foi, ni l’histoire », car « toute théologie est culturellement et
socialement située »798.
C’est sur ces prémices que, depuis de nombreuses années, s’étaient engagées des
discussions pour savoir s’il doit, s’il peut exister et s’il existe une théologie « africaine ». Le
problème a été posé par un collectif de prêtres africains depuis 1956 dans un ouvrage célèbre,
Des prêtres noirs s’interrogent799, dans lequel il est écrit : « S’il nous faut une excuse, nous en
avons une ; celle-ci : il fallait commencer. On a assez longtemps pensé nos problèmes pour
nous, sans nous et même malgré nous. Le prêtre africain doit aussi dire ce qu’il pense de son
Église en son pays, pour faire avancer le Royaume de Dieu »800. Les contributions de ces
prêtres à cet ouvrage situent les enjeux et les axes de ce que deviendra la théologie africaine :
798
NGINDU Mushete (Abbé), Les thèmes majeurs de la théologie africaine, Paris, Karthala, 1989, p. 44. Voir
également, du même auteur, « De la polémique à l’irénisme critique », Bulletin de Théologie Africaine, vol.I,
n°1, 1979, p.90.
799
Des prêtres noirs s’interrogent, Paris, Edition du Cerf, 1956, avec la préface de Mgr Marcel Lefebvre
(archevêque de Dakar).
800
Avant-propos de G. Bissainthe.
344
La problématique alors soulevée par ces analyses des treize prêtres continuera de
passionner les intellectuels et le clergé africains organisés dans la Société Africaine de Culture
(S.A.C.) sous les auspices de Présence Africaine. Un plan de travail et de recherche a été
conçu pour développer la pensée religieuse africaine et les recherches théologiques, au cours
de plusieurs rencontres organisées entre intellectuels, écrivains, artistes et théologiens, jusqu’à
la Déclaration de l’Association des théologiens du tiers monde de Dar-ès-Salam en 1976,
appelant à un développement de la théologie chrétienne suivant d’autres conceptions que
celles de la tradition occidentale803. Ainsi, est affirmée la volonté de penser et d’écrire une
théologie africaine qui, dépassant une simple adaptation de l’Evangile pour l’incarner dans les
cultures africaines, puisse répondre à tous les questionnements théologiques selon le système
de pensée africain et intégrer la culture africaine.
Dès 1971, deux ans à peine après la rencontre de Kampala, le Cardinal Malula pouvait
justifier le droit des Africains d’avoir une théologie propre : « Quant au problème du
pluralisme théologique, nous pensons pouvoir affirmer ici que pour nous Africains, il faut
désoccidentaliser l’Eglise en Afrique, de façon à arriver petit à petit à une Eglise particulière
801
Présentation par René LUNEAU, sur la quatrième de la couverture, Des prêtres noirs s’interrogent :
cinquante ans plus tard, Paris Karthala, 2006, avec l’introduction de Léonard SANTEDI KINKUPU.
802
Ce n’est pas étonnant que l’un des auteurs, Meinhard HEBGA, publie plus tard Emancipation d’Eglises sous
tutelle, Paris, Présence Africaine, 1976.
803
TSHIBANGU Tshishiku (Mgr), « Les tâches de la théologie africaine - Questions aux théologiens africains »,
B.T.A. vol. I n°1, 1979, pp.23-24.
345
Sans entrer dans les querelles d’écoles, de définitions et de choix qui divisent les
théologiens, il peut être constaté que cette conception d’une théologie apte à servir
l’imprégnation des cultures africaines par le message évangélique n’a rien de commun avec la
philosophie du système « missionnaire » colonial dont l’objectif était d’implanter la marque
extérieure de l’Eglise dans le plus de villages possible et de « convertir les infidèles » en
combattant et en liquidant leurs traditions et valeurs culturelles et religieuses, au profit d’un
prétendu universalisme et dont le résultat, ainsi que nous l’avons vu plus haut, a été très
sévèrement jugé comme l’échec d’un certain christianisme.
804
V. De SAINT MOULIN, Léon., Œuvres complètes du Cardinal Malula, vol. 2, p. 182.
805
Documentation Catholique, n° 1608, du 7 mai 1972, p. 450.
806
Cardinal François. MARTY, op.cit , 210-211.
346
avec les mœurs que fait connaître la révélation divine »807. Ainsi, l’heure de traduire la théologie
dans le langage des Africains était venue, il était normal que naissent de nouvelles expressions
théologiques, bien au-delà de la simple traduction de la pensée théologique occidentale dans
des langues africaines. En effet, «L’africanisation de l’Eglise, c’est-à-dire l’introduction de
l’Afrique dans l’espace ecclésial où elle a sa place de plein droit, s’effectuera dans la mesure
où l’africanisation de la théologie en ouvrira le chemin.»808.
« Théologie africaine » n’est pas à entendre dans le sens qu’il existe bien des
théologiens qui sont des Africains ; mais c’est un concept qui part de la ferme contestation de
la prétendue unicité de la théologie, qui part de la croyance qu’il y a nécessairement pluralité,
diversité de théologies, dans leurs présupposés philosophiques et culturels et dans leur
manière de se saisir de la foi et du message chrétien ainsi que dans leur manière de les
expliquer. L’objectif de construire une Eglise et un christianisme « africains », intégrant les
valeurs culturelles africaines et qui s’intègrent dans celles-ci, a toujours été au cœur de « la
théologie africaine » et en constitue la substance. Prenant à bras le corps la condition présente
des Africains, depuis les théories de l’adaptation et des pierres d’attente, tout en étant divisée
en plusieurs courants différents, - incarnation, libération, inculturation,- sans doute aussi les
différentes étapes de son évolution, elle s’est voulue dès le début une théologie de la
protestation, contre la domination occidentale, d’abord la domination théologique. Ensuite,
prenant parti en faveur de la reconstitution de l’identité africaine, en même temps qu’elle
s’interroge sur la signification des cultures et traditions africaines en théologie, elle s’assigne
la tâche d’inculturer la foi dans l’Afrique. La « théologie africaine » est méthodologiquement
une théologie de l’inculturation, essentiellement. C’est peut-être ce qu’une partie d’entre eux,
ceux de la théologie dite de libération en particulier, reproche à la « théologie africaine »,
d’être hantée par la nostalgie d’un passé idéalisé et de se contenter ainsi de promouvoir une
sorte de folklore, d’être une idéologie abstraite, loin de la réalité que vit l’Africain, une
idéologie timorée qui n’ose pas s’attaquer à la domination et à l’exploitation ni remettre en
cause l’ordre établi809. Les plus modérés, « théologiens africains » eux-mêmes, y voient une
« théologie », en quelque sorte psychologique, tenant à revaloriser le Noir, à démontrer son
807
Décret Ad Gentes sur l’activité missionnaire, déjà cité, § 22, souligné par nous.
808
BÜHLMANN, Walbert, Afrique, Paris, Ed. Desclée de Brouwer (Coll. Visages de l’Eglise), 1967, p. 232,
appelant une création de l’esprit local africain et dénonçant la volonté de fonder une église de type occidental en
Afrique.
809
Pour une critique, voir METOGO, Eloi Messi, Théologie africaine et ethnophilosophie. Problèmes de
méthode en théologie africaine, Paris l’Harmattan, 1985.
347
intelligence et à « faire connaître l’Eglise du Zaïre à l’étranger »810. Et c’est peut-être, là, l’une
de ses faiblesses apparentes.
810
BUJO, Bénezet, Le diaire d’un théologien africain, Paris, Karthala, 1988, p. 44 ; il y fait une profonde et
sévère critique de l’Eglise du Zaïre, de ses clercs et de sa hiérarchie, par exemple à propos des théologiens il
demande « Notre théologie s’occupe-t-elle de faire connaître Jésus-Christ aux Africains en commençant par les
plus pauvres ? »
811
Des prêtres noirs s’interrogent, Paris, Ed. du Cerf, 1957.
348
Comme on l’a dit, la place des théologiens et ecclésiastiques congolais aussi bien dans
la recherche relative à la théologie africaine que spécifiquement dans les travaux relatifs à
l’inculturation liturgique est universellement reconnue. Présentant dix des livres de théologie
publiés ces dernières années, Bede Ukwuije, théologie nigérian, affirme que « les premiers
grands théologiens francophones, surtout Congolais, Tharcice Tshibangu et Alphonse Ngindu
Mushete et Oscar Bimwenyi-Kweshi se sont battus pour doter la théologie africaine d’outils
conceptuels et la hisser au niveau scientifique. »812 Le même Bede Ukwuije, parlant du travail
des « pionniers de cette théologie [qui] se sont interrogés sur la signification des cultures et
des traditions africaines pour la théologie », confirme cette place éminente de la théolgie
congolaise en mettant en exergue « la contribution considérable, de l'école de Kinshasa -
Tharcice Tshibangu, Alphonse Ngindu Mushete, Vincent Mulago, Oscar Bimwenyi, Charles
Nyamiti, F. Kabasele, Bénezet Bujo - qui cherche à formuler un discours théologique
véritablement africain à partir de l'héritage religieux africain et en dialogue avec l'héritage
chrétien universel. »813 Il nous a ainsi semblé légitime de présenter quelques-uns de ces
grands théologiens congolais, en ce qu’ils se sont particulièrement signalés par leurs travaux
sur l’inculturation ou par leur participation à l’élaboration du rite zaïrois, en nous limitant
pour l’essentiel à ceux référencés dans notre travail.
A ces différents titres, sans doute faut-il donner une place éminente au Cardinal
Malula. Issu d’une famille chrétienne, Joseph Malula étudie chez les scheutistes, à l’école
Saint Joseph de Kinshasa et au petit séminaire de Mbata Kiela dans le Bas-Congo. Pour des
raisons expliquées dans l’historique des séminaires au Congo, il ira terminer son petit
séminaire de Lisala en province de l’Equateur, avant d’étudier la philosophie et la théologie
au grand séminaire de Kabwe dans le Kasaï (de 1937 à 1944) et, une année de « probation »
au petit séminaire de Bokoro, d’être ordonné prêtre à Léopoldville le 9 juin 1946, premier
prêtre de Léopoldville, en même temps que son condisciple et ami Eugène Moke. Avant
même d’être nommé le 20 novembre 1959 vicaire apostolique auxiliaire de Léopoldville
(évêque auxiliaire dans les pays de mission, avant l’érection d’une « hiérarchie » épiscopale)
et, à l’érection de la hiérarchie, il devient évêque auxiliaire du même Mgr Scalais à qui il
succède le 27 août 1964 comme archevêque de Léopoldville.Lorsqu’il est fait cardimars 1969,
812
Bede UKWUIJE est docteur en théologie de l’Institut Catholique de Paris (2005) et professeur de théologie
au Spiritan International School of Theology à Attakwu, Enugu (Nigeria), www.catho-theo.net/Dix-livres-
recents-de-la-theologie
813
Présentation de l’Assemblé Générale de l’Association Francophone Œcuménique de Missiologie, 23-24 mai
2003, sur « La mission du théologien, un point de vue africain », http://www.afom.org
349
il aura pour évêques auxiliaires son ami Mgr E. Moke et Mgr Tharcice Tshibangu T, celui-là
même qu’il se sera adjoint comme conseiller théologique personnel quand il se rend au
Concile Vatican II. Mais, il faut remarquer que c’est bien avant d’avoir toutes ces
responsabilités que Joseph Malula exprime des idées très précises sur l’indigénisation de
l’Eglise, la réappropriation du christianisme et l’adaptation de la liturgie. Encore curé d’une
paroisse de Léopoldville (Christ-Roi) entre 1954 et 1959, il tenta en 1957 une adaptation des
rites du vendredi saint aux pratiques rituelles congolaises, notamment aux cérémonies de deuil
telles que les vivent les Congolais dans leur tradition ; une inculturation avant la lettre. De
même, on le voit déjà élaborant une véritable théorie d’une Eglise africaine et d’un
christianisme qui s’adresse à « l’âme noire » ; en effet, lors d’une conférence qu’il est invité à
tenir à l’exposition universelle de Bruxelles en 1958, il va exposer toutes ses idées sur une
« Eglise congolaise dans un Etat congolais », sur l’antériorité de la connaissance du Dieu
unique à la venue des Européens, sur la base d’une théorie ou d’une théologie des « pierres
d’attente » à laquelle adhère et que développe toute une génération de théologiens congolais.
Tout ceci explique pourquoi le cardinal Malula sera l’un des grands animateurs de la
théologie de « l’inculturation » et de la « théologie africaine », et pourquoi son nom restera
pour toujours lié à l’inculturation et au rite zaïrois qui en fut le couronnement. Sur un autre
plan, il se révèle comme un pasteur de terrain talentueux qui va révolutionner les structures de
son Eglise et transformer le visage de son diocèse, en particulier dans ses structures pastorales
et dans la promotion d’un laïcat adulte et responsable. Il fondera une congrégation diocésaine
de religieuses et s’avèrera un liturgiste de talent, compositeur de nombreux cantiques et
initiateur de la réforme liturgique qui porte vraiment sa marque. Enfin, il y a un autre terrain
où il s’affirmera comme brillant intellectuel nationaliste, contribuant à la réflexion sur
l’émancipation politique du Congo, étant à l’origine, en 1956, du Manifeste de la Conscience
Africaine, l’une des premières expressions du nationalisme congolais moderne. Une bonne
partie de l’histoire de l’Eglise du Congo indépendant coïncide avec la sienne propre, en
particulier, dans les rapports entre l’Eglise et l’Etat marqués par une longue crise intimement
liée au « conflit » entre le Cardinal et Mobutu au cours duquel il fut contraint à l’exil à Rome,
après lequel il continuera inlassablement de dénoncer les travers du régime Mobutu. Le
Cardinal Malula meurt le 14 juin 1989 ; après deux ans d’ « administration apostolique » par
l’un de ses auxiliaires, Mgr Eugène Moke, il sera remplacé au siège par Mgr Frédéric Etsou,
archevêque de Mbandaka-Bikoro qui, en 1998, le proclame « père de l’Eglise de Kinshasa ».
Un des anciens évêques auxiliaires du cardinal Malula, et pas seulement pour avoir été
associé aux réflexions et aux activités de ce dernier, Tharcice Tshibangu Tshishiku, mérite
350
Par sa présence marquante aussi bien au sein de l’Eglise du Congo que dans la vie de
la société congolaise, Laurent Monsengwo Pasinya. Il est depuis 2007 archevêque de
Kinshasa, après avoir été de nombreuses années évêque auxiliaire d’Inongo (dans le
Bandundu, 1980-1988) et, puis évêque auxiliaire avant d’être archevêque de Kisangani
(Province Orientale, 1988-2007). Ses contributions au processus politique congolais de
démocratisation depuis 1991 lui valent d’être très connu du grand public mais c’est avant tout
un grand théologien, docteur en théologie (Rome), qui a été longtemps secrétaire général de la
Conférence Episcopale du Congo, avant d’exercer plusieurs mandats de président de cette
conférence. En fait, c’est à ce dernier titre qu’il à été impliqué dans la politique du pays, pour
avoir été élu président de la Conférence nationale souveraine en 1992 et, puis, président du
parlement de transition à partir de 1992 jusqu’à la chute en 1997 du maréchal Mobutu.
Théologien et évêque, il a joué, à la tête de la conférence épiscopale ou au synode des
évêques pour l’Afrique de 1994, un rôle de premier plan dans la formulation de la théologie
351
Plusieurs raisons militent pour que soit cité Vincent Mulago wa Cikala, prêtre du
diocèse de Bukavu dans le Kivu. D’abord, c’est le premier ayant entrepris une filière de
formation académique entièrement en Europe, devenant le premier docteur congolais en
théologie (Rome 1955), mais il est également canoniste. Il devient le premier professeur de
théologie congolais à l’Université Lovanium et, à ce titre, c’est lui qui a créé le Centre
d’Etude des Religions Africaines (CERA) et fondé la revue Cahiers des religions
africaines au sein de la Faculté de théologie de Kinshasa. Par ailleurs, l’abbé Mulago, avant
de prendre une part active fait partie au symposium des intellectuels africains organisé de
1958 par la Société Africaine de Culture, seul Congolais, sera parmi les treize prêtres noirs,
d’Afrique et de Haïti, qui se réunirent à Paris pour réfléchir sur des questions du christianisme
en Afrique, coauteur de Des prêtres noirs s’interrogent (Ed. du Cerf, 1956) où il publie deux
contributions déjà situées dans les problématiques de ce qu’on n’appelle pas encore la
théologie africaine. Il est reconnu comme ayant été, avec les théories de « l’adaptation » et
« des pierres d’attente » dans lesquelles il s’est distingué, l’un des tout premiers initiateurs et
promoteurs de la théologie africaine, posant la problématique de la rencontre entre le
christianisme et les cultures notamment les religions africaines ; il sera membre de la
Commission théologique internationale entre 1974 et 1980. Le Dictionnaire des théologiens
cite quelques-unes de ses publications, Le visage africain du christianisme, l’union vitale
bantu face à l’unité vitale ecclésiale (1965), La religion traditionnelle des Bantu et leur vision
du monde (1980), tandis que tout récemment, il a publié Théologie africaine et problèmes
connexes: au fil des années, 1956-1992814. Après sa retraite de la Faculté de Théologie
814
Paris, L’Harmattan, 2007.
352
’’faire la théologie africaine’’ par des actes d’engagement intellectuel et vital face à chacun
des mystères constituant l’ensemble du donné révélé du christianisme »815.
Dans la frange légèrement plus jeune on peut citer François Kabasele Lumbala,
théologien, avec une thèse en liturgie et en sciences des religions (Institut Catholique de Paris
et à Paris Sorbonne, Des rites nouveaux de consécration religieuse au Zaïre, 1983),
habilitation à diriger les recherches (à l’Université Marc Bloch de Strasbourg). Il a activement
participé aux travaux sur l’inculturation de la liturgie en Afrique et, par ses écrits, a très
largement contribué à la compréhension du rite zaïrois ainsi qu’à l’élaboration des rites
sacramentels et d’engagement religieux ; pasteur, il a expérimenté l’inculturation liturgique
dans la paroisse de Cijiba dont il était alors le curé. Actuellement, François Kabasele est
professeur à l’Université Démocrite de Thrace (Grèce), il a enseigné la catéchèse et la liturgie
aux Facultés catholiques de Kinshasa et enseigne encore dans plusieurs universités d’Afrique
et d’Europe, en même temps qu’il poursuit des recherches en anthropologie religieuse ;
membre du comité directeur de la revue internationale Concilium, il a écrit, entre autres,
L’Alliance avec le Christ en Afrique (1989) et Le christianisme et l’Afrique, une chance
réciproque (1993), Renouer avec ses racines - Chemins d’inculturation (2005), sa nombreuse
production est suffisamment représentée dans la biographie de ce travail.
Laurent Mpongo Mpoto Mamba et Boka di Mpasi, tous les deux scheutistes, figurent
parmi les théologiens confirmés de l’Eglise congolaise, qu’on peut citer, spécialement pour
leur contribution dans le domaine de l’inculturation. Le premier est théologien et liturgiste, il
a été secrétaire de la commission épiscopale de l’évangélisation et, auteur d’un projet de
messe zaïroise ; dans cette étude, nous verrons sa participation active et déterminante à
l’élaboration du rite zaïrois. Il est professeur à l’Institut catholique de Yaoundé et a, à son
actif, plusieurs publications, dont celle-ci, qui fait autorité, Pour une anthropologie chrétienne
du mariage au Congo, Vers un rituel chrétien du mariage conforme au génie des Ntomb'e
Njale (Pont. Inst. Liturg. Anselmianum). Kinshasa-Limete, CEP, 1968. Le second est docteur
en théologie de l’Université de Louvain avec une thèse sur le rôle médiateur du Saint-Esprit
dans la révélation, professeur de théologie à Lumen Vitae (Bruxelles), Rome, Nairobi et
Lugano ; fondateur de la revue de réflexion pastorale Telema de Kinshasa, qui est cité dans ce
travail, le Dictionnaire des théologiens lui reconnait de nombreux articles sur la théologie
815
Préface de Mgr Tshibangu Tshishiku à l’ouvrage d’Oscar Bimwenyi, Discours théologique africain.
Problèmes de fondements, p. 10.
354
africaine, l’inculturation et la missiologie. Les références que fait de lui notre travail montrent
son intérêt pour l’inculturation de la liturgie et la pertinence de ses opinions sur le rite zaïrois.
« Il est impossible de parler des relations de la liturgie avec la culture sans parler de
ses relations avec la politique », écrit Armand Veilleux816. Ce serait une erreur, en effet, de
croire que l’histoire liturgique soit autonome ; nous avons déjà dit qu’elle s’inscrit dans
l’histoire générale dont, comme toute la religion, elle subit des influences. A la suite de quoi,
l’Église elle-même a toujours joué des rôles politiques au cours de l’histoire comme nous le
constatons dans cette étude. Il faut aussi citer la fonction politique de « socialisation » et
d’agrégation que jouent les grandes manifestations liturgiques ou paraliturgiques, ayant
ainsi une dimension politique souvent peu visible mais perceptible à l’observation et à
l’analyse, les grandes manifestations liturgiques offrent un réconfort de nature affective
816
VIELLEUX, Armand., La liturgie dans la vie du peuple de Dieu, La Vie des communautés religieuses., n° 36,
1978.
355
qui calme et apaise les remous sociaux ou politiques. Il y a, enfin également une
dimension politique, comme on le constate dans nombre de pays africains saisis par la
fièvre des grandes campagnes de « prières miraculeuses », dans le fait que c’est par leur
ferveur liturgique que l’on voit les couches les plus pauvres de la société devenir
capables de faire face à la misère et tout un peuple à un désarroi collectif et espérer. La
religion et la liturgie ne sont pas, dans ce sens, apolitiques. Par ailleurs, il convient surtout
de souligner l’influence de la politique sur la religion et particulièrement en matière de
liturgie. Ainsi, la libération du christianisme des persécutions, notamment par la conversion
de Constantin, a démontré les influences réciproques entre politique et religion, tandis que le
christianisme, la liturgie en particulier, va connaître un développement décisif avec
l’implication de la dynastie carolingienne, dans une relation qui n’est pas qu’à sens unique,
l’Eglise elle-même ayant souvent joué un rôle politique.
On est donc en droit de se demander si, au-delà de ces considérations générales, tout le
relecture qui s’inscrive dans les cultures et dans les schémas de pensée africains, tout comme
la farouche volonté manifestée par les ecclésiastiques africains pour africaniser la liturgie, à
travers par exemple le rite zaïrois, ne participent pas d’un projet politique traduisant en
Subissant une contestation généralisée dans le pays, l’Eglise était également ainsi
visée de l’intérieur par les prêtres congolais qui, bien avant l’indépendance, se plaçaient dans
l’optique revendicative d’une Eglise authentiquement congolaise dont la hiérarchie serait
entre les mains des Congolais eux-mêmes. De fait, au début des années 1950, une petite
poignée d’abbés congolais fut envoyée, pour la première fois de l’histoire du pays, à Rome
pour y parfaire leur formation en accédant à l’enseignement supérieur de qualité dispensé par
les institutions, universités et séminaires, vaticanes817. Il a été constaté qu’après de brillantes
études réussies dans les établissements romains, ces abbés, mais aussi les autres prêtres
congolais et les fidèles congolais eux-mêmes, ne comprirent pas que ces diplômés soient de
nouveau envoyés à des tâches « peu nobles » et « inférieures » de vicaires ou de « prêtres
routiers » dans des missions de « brousse », fonctions qu’ils avaient déjà exercées, au lieu de
monter dans la hiérarchie de l’Eglise locale, voire d’y être nommés évêques818. Dès lors,
l’Eglise découvrait, avec ces tensions, un problème, tout à fait nouveau pour les missionnaires
comme il en fut pour les administrateurs coloniaux, celui de la revendication par les prêtres
autochtones d’une participation effective à la direction de l’Eglise locale jusqu’à ses plus
hauts niveaux. La nomination, dans ces années cinquante seulement, de prêtres congolais à la
tête de certaines paroisses rurales, n’était pas de nature à calmer les esprits819 ; mais la
817
Par exemple, furent ainsi envoyés au Vatican les abbés Joseph Nkongolo et Albert Kankolongo, qui y ont fait
des études de droit canon.
818
Après avoir presté dans une mission rurale, de Kabuluanda au Kasaï, Joseph Nkongolo, à la fois une
intelligence et une présence, ira longtemps enseigner au petit séminaire de Kabwe, avant d’être nommé vicaire
apostolique et, en novembre 1959 soit quelque six mois et demi avant l’indépendance, évêque ; tandis que
Albert Kankolongo, extrêmement intelligent mais aussi sans doute très ambitieux, après avoir accepté des
charges ordinaires en paroisse, quitta la prêtrise.
819
Comme, au Kasaï, les abbés Mukuna nommé à Kabwe, Kabamba à Kamponde et Nkanka à Kabuluanda ;
tandis qu’à Léopoldville, le futur cardinal-archevêque, l’abbé Joseph Albert Malula, longtemps depuis 1951
vicaire à une paroisse de « cité », Christ-Roi, n’en sera curé que peu de temps avant de devenir en 1959 évêque
auxiliaire de Mgr Scalais lorsque ce dernier, de vicaire apostolique, est élevé au titre d’archevêque de
Léopoldville avec l’érection de la « hiérarchie » de l’Eglise congolaise.
357
Néanmoins, hormis sur la « question scolaire » qui divisait les forces politiques belges,
aussi bien en Belgique même que sur le territoire colonial, notamment en remettant en cause
le monopole de l’Eglise dans l’enseignement par la généralisation des écoles « laïques » au
profit des indigènes, l’émancipation politique du peuple colonisé fut la première occasion
d’un engagement politique de la part de l’Eglise catholique du Congo belge. Lors de
l’assemblée des ordinaires du 29 juin 1956, l’Episcopat, alors exclusivement composé de
missionnaires, aborda, bien que brièvement, cette question, en reconnaissant que si tous les
habitants d’un pays ont le devoir de collaborer activement au bien général, « Ils ont donc le
droit de prendre part à la conduite des affaires publiques », ajoutant spécifiquement que « La
nation tutrice a l’obligation de respecter ce droit et d’en favoriser l’exercice par une éducation
politique progressive. ». Enfin, sans se prononcer sur les modalités qu’elle peut prendre ou par
lesquelles elle doit se réaliser, l’Eglise « belge » du Congo se déclare clairement en faveur de
l’émancipation politique du peuple congolais, considérée comme « légitime du moment
qu’elle s’accomplit dans le respect des droits mutuels et de la charité », encourageant les
catholiques à « participer à la vie politique et sociale » comme leur devoir afin de veiller « à
ce que, dans les institutions qu’on crée, soient respectés les droits de la conscience
chrétienne », de manière à apporter aux problèmes qui se posent « les solutions de bien
commun que propose la doctrine sociale chrétienne », s’unissant dans de fortes associations
qui pourront faire accepter les exigences de leur foi »820.
820
Déclaration de la Ve Assemblée Plénière des révérendissimes Ordinaires du Congo Belge et du Ruanda-
Urundi, Léopoldville, 21 juin-1er juillet 1956, publiée le 29 juin 1956, De SAINT MOULIN, Léon et GAIZE
N’Ganzi, Roger, Le discours socio-politique de l’Eglise catholique du Congo (1956-1998), Eglise et Société, t. 1,
Facultés Catholiques de Kinshasa, 1998, spécialement pp. 47-48.
358
survenus sur le continent qui expliquent, sans doute, le contenu de ce document. De fait, le
souffle, encore léger, de l’indépendance touchait déjà certaines colonies en Afrique, le Maroc,
la Tunisie, le Soudan étaient devenus indépendants tandis que la Gold Coast (Ghana)
connaissait déjà un régime d’autonomie interne qui le préparait à l’indépendance prévue pour
1957. Pour le Congo, spécialement, en 1955, un prêtre universitaire belge, Antoine-Alfred Jef
Van Bilsen, avait publié un « plan » de trente ans pour l’émancipation du Congo. Professeur
à l’INUTOM (Institut Universitaire des Territoires d’Outre-Mer) d’Anvers qui forme les
administrateurs Van Bilsen souligne le retard pris par le Congo belge sur les pays voisins sous
administrations française et anglaise et insiste pour qu’une formation accélérée soit assurée au
profit des élites congolaises et qu’il leur soit permis d’accéder progressivement aux leviers de
commande mais dans un processus contrôlé afin d’éviter des dérapages et des tensions821.
Bien qu’il n’envisageât l’indépendance qu’à l’horizon très éloigné de 1985, ce plan provoqua
la réprobation générale en Belgique, tandis que son auteur fut soumis à des pressions et
exposé à des sanctions disciplinaires, mais de nombreux Congolais l’accueillirent avec
enthousiasme, parmi eux un groupe culturel, appelé Conscience Africaine. L’intervention de
cette association est importante parce que si, lors de la première prise de position politique de
l’Eglise en 1956, il n’y avait aucun ecclésiastique congolais, ici, on a une initiative d’une
association qui fut fondée en 1951 par un prêtre congolais, Joseph Malula 822, réunissant
autour de ce dernier essentiellement d’anciens élèves des prêtres de la congrégation de
Scheut, entre autres, Joseph Ileo, Ngwenza et Joseph Ngalula. L’association publia le 30 juin
1956 un Manifeste de Conscience africaine. Ce document très largement conçu par l’abbé
Malula, reçut de l’Eglise un réel appui en le faisant abondamment distribuer le jour même de
la clôture de l’assemblée de l’Episcopat (le 1er juillet 1956)823 dont, nous l’avons vu, la
déclaration reconnaissait le « droit de tous les habitants à prendre part à la conduite des
affaires publiques » ainsi que la légitimité de l’émancipation. Le Manifeste, inspiré du Plan
Van Bilsen, admet en gros les étapes de ce dernier, mais à condition que les Congolais soient
associés à leur mise en œuvre. Il affirmait par ailleurs, ainsi que le cite Isidore Ndaywel824,
que « Le Congo est appelé à devenir une grande nation. C’est aux Congolais seuls qu’il
revient d’entreprendre cette œuvre, aidés par les Européens qui peuvent être intégrés à
821
Le « Un Plan de trente ans pour l’émancipation politique de l’Afrique belge » de Van Bilsen fut d’abord
publié en flamand dans la revue De gids op Maatschappelijk Gebied, sa traduction française aura lieu en février
1956 dans Les dossiers de l’action sociale catholique. En édition, un ouvrage, sous le titre Vers l’indépendance
du Congo et du Ruanda-Urundi, sera publié aux éditions Casterman, 1961
822
Devenu plus tard cardinal-archevêque de Kinshasa.
823
De SAINT MOULIN, Léon, Œuvres complètes du Cardinal Malula, Kinshasa, 1977, vol. 6, pp. 298-301.
824
NDAYWEL, Isidore, Histoire générale du Congo. De l’héritage ancien à la République démocratique,
Bruxelles, Ed. De Boeck & Larcier, 1998, p. 515.
359
condition de renoncer à des préjugés et à des privilèges », présentant ainsi une position
modérée qui prône une émancipation totale mais par étapes et dans la coopération avec la
Belgique écartant toutefois l’idée d’une « communauté » (belgo-congolaise) qui figurait dans
le « Plan Van Bilsen », insistant sur l’égalité des partenaires sur la base du principe que « la
couleur de la peau ne confère aucun privilège ». Il est vrai, cependant, que l’objectif ultime
des auteurs du Manifeste demeure « l’émancipation » : « Notre volonté est que l'émancipation
du Congo se réalise dans l'ordre et la tranquillité. Les Européens doivent bien comprendre que
notre désir légitime d'émancipation n'est pas dirigé contre eux. Nous prévoyons de créer une
organisation qui se fera en pleine légalité et en se conformant aux lois »825. Mais, malgré ce
contenu modeste, le Manifeste était, en 1956, le premier discours véritablement politique tenu
par des Congolais ; c’est pourquoi, à partir de là, la situation politique va se précipiter au
Congo, entraînée, il est vrai, par la dynamique générale en Afrique826. On peut dire que cette
conscience politique ainsi manifestée par l’abbé Malula déclenche chez-lui un devoir
d’actions concrètes pour affirmer la dignité et l’identité du Noir ainsi que son droit d’être
considéré comme acteur et maître de son destin. En effet, dès 1958, à l’exposition
internationale de Bruxelles, il tient une conférence remarquée intitulée « l’âme de l’Afrique
Noire », à l’occasion du Congrès de « l’humanisme chrétien universel » (le 28 mai 1958) ; le
plan de sa conférence est en lui-même un véritable programme : 1°) 1’âme noire face au
Créateur, 2°) l’âme noire face à l’Evangile et au Christ, 3°) l’âme noire face à l’Occident et
4°) les aspirations politiques de l’âme noire. Si dans les deux dernières parties il dénonce le
préjugé de l’Occidental contre le Noir et le paternalisme en réclament l’autonomie et
l’indépendance, c’est dans la troisième partie que nous voyons ce qui conduira ses initiatives
et positions dans les activités religieuses et ecclésiales. En effet, il y développe la théorie des
« pierres d’attente » de l’Africain ainsi que sa connaissance du Dieu unique, celui que le
christianisme est venu prêcher en Afrique : « si les missionnaires pouvaient se dire porteurs de
la Bonne Nouvelle », c’est une Bonne Nouvelle « que nous attendions ». Le deuxième apport
est cette annonce, on est en 1958 répétons-le, de » la nécessité de l’adaptation », lorsqu’il dit :
« L’Eglise catholique n’est ni occidentale, ni orientale, ni méridionale, ni septentrionale », et
que « le travail de la première heure a été partout forcément superficiel ; le christianisme n’a
825
Extraits, in Chronique de politique étrangère, vol. XII, n°4-6, juillet-nov. 1960, p.443-445
826
En réalité, certains groupes de Congolais s’opposèrent au plan Van Bilsen qui inspirait le Manifeste du
groupe de l’abbé Malula ainsi que contre le Manifeste lui-même : l’Alliance des Bakongo (l’ABAKO de
Nzenza-Landu et de Joseph Kasavubu publia le 23 août 1956 un contre-manifeste où il est dit « Pour nous, nous
n’aspirons pas à collaborer à l’élaboration de ce plan mais à son annulation pure et simple, parce que son
application ne ferait que retarder le Congo davantage. Notre patience a déjà dépassé les bornes. Puisque l’heure
est venue, il faut nous accorder aujourd’hui même l’émancipation plutôt que de la retarder encore de 30 ans », v.
Les dossiers du CRISP, « Abako 1950-1960 »
360
pas encore poussé des racines profondes […] ; dans la masse de nos baptisés, il est encore des
‘’contreplaqués’’. C’est maintenant que va commencer le travail en profondeur. Ce travail se
fera par l’adaptation du message évangélique à l’âme bantoue. Pour le réaliser vraiment, il
faut accorder le christianisme au substratum de l’âme bantoue à travers une hiérarchie
autochtone. […] Au point de vue liturgique, à part quelques essais sporadiques, l’adaptation
est encore au point mort. Avec le renouveau liturgique, nous avons espoir que les portes de
l’Eglise s’ouvriront et nous louerons le Seigneur avec nos chants et nos instruments de
musique indigènes. »827. Depuis, il n’a plus qu’un cri : « Une Eglise congolaise dans un état
congolais », qui conduit son engagement et son action.
827
De SAINT MOULIN, Léon, Œuvres complètes du Cardinal Malula, vol. 3, Facultés Catholiques de
Kinshasa, pp. 23, 24, 26, 30 et 33.
361
problèmes politiques et même religieux, pour lui c’est la solution du problème racial qui
conditionne celles de tous les autres828. Le sens politique du propos n’avait pas échappé à
l’administration coloniale, à preuve, le fait que le gouverneur général de passage dans la
région et informé de cette conférence le convoqua et eut avec lui une conversation
« houleuse » aux dires de Mulago lui-même829. De Vincent Mulago, on peut encore retenir sa
communication à la IVe Semaine théologique de Kinshasa tenue du 22 au 27 juillet 1968 et
consacrée à la théologie africaine. Face au professeur belge Vaneste, depuis toujours réservé
quant à l’idée d’une théologie africaine, ne croyant qu’en une théologie « universelle »,
Mulago rétorque que « Personne ne peut nous déconseiller ou nous faire remettre à plus tard
l’élaboration d’une théologie qui ne soit pas étrangère à notre milieu, à notre tradition de
pensée, à notre sensibilité, à notre mentalité, à notre culture. » Pour lui, le qualificatif
« universelle » que l’on accole à la théologie est trompeur, la théologie dite « universelle » est
tout simplement occidentale ; il conclut que « En Afrique, l’Eglise sera africaine, puisqu’elle
est catholique, et la théologie, si elle est catholique, y sera africaine »830.
Il faut cependant relativiser ces accès de fièvre politicienne, pour voir que si, certes, le
climat général était à la contestation globale de la domination européenne, une domination
multiforme et, donc, politique, le cœur de l’argumentation n’en était pas moins
authentiquement théologique et religieux. Quand, en 1960, Tharcice Tshibangu, le futur
évêque, engagea sa célèbre controverse contre le doyen Vaneste, sur la possibilité ou
l’admissibilité de l’existence d’une théologie « de couleur africaine », il contestait l’idée
d’une théologie universelle car toute théologie est nécessairement « située » ; c’est vrai que
toute idée tendant à imposer une théologie universelle uniforme cache une intention de
domination. Il en est ainsi clairement signifié lorsque des théologiens, comme le congolais
Alphonse Ngindu Mushete, dénoncent « l’impérialisme culturel de certains théologiens
européens » qui croient que leur culture est « le lieu de l’universalité humaine », affirmant que
« La théologie universelle est un mythe. Rien ne la fonde, ni la révélation, ni la foi, ni
l’histoire », car « toute théologie est culturellement et socialement située »831, même si, avec
une note politique, il n’hésite pas à confier que l’avènement du rite zaïrois est un événement
828
NYUNDA YA RUBANGO, Les pratiques discursives du Congo Belge au Congo-Kinshasa, Paris,
l’Harmattan, 2001, p. 108.
829
Selon le reportage de journal Temps Nouveaux d’Afrique, n° 48-49 nov-déc. 1956 cité par NYUDA YA
RUBANGO, op.cit., 107.
830
Complétant les Actes, un compte-rendu est publié avec comme titre Renouveau de l’Eglise et Nouvelles
Eglises, Kinshasa, 1969, v. pp.124-125.
831
NGINDU MUSHETE, Les thèmes majeurs de la théologie africaine, Paris, Karthala, 1989, p. 44. Voir
également, du même auteur, « De la polémique à l’irénisme critique », Bulletin de Théologie Africaine, vol.I,
n°1, 1979, p.90.
362
éminemment politique, une victoire politico-religieuse de l’Eglise du Congo et, avant tout,
celle du cardinal Malula. C’est, semble-t-il, la logique implicite de cette opinion de Maurice
Cheza se demandant « si la rencontre entre les Africains et Dieu ne reste pas trop dépendante
de la médiation européenne », impliquant ainsi une contestation théologique légitime832.
832
CHEZA, Maurice, DEROITTE, Henri, LUNEAU, René, Les évêques d’Afrique parlent, 1969-1991 :
documents pour le synode africain, Paris, 1992, p. 119.
363
IV
Un tel énoncé est un parti pris, une reconnaissance que ces rites existent et, donc, qu’il
a fallu établir des rites liturgiques africains, africaniser la liturgie romaine, ce souci étant
justifié ainsi que nous l’avons vu. L’inculturation inspira l’action des Eglises particulières
africaines pour concevoir et adopter des liturgies adaptées au tempérament et aux conditions
de leurs peuples, elle en fut la source lointaine venue de l’autorité de l’Eglise universelle.
Mais, ces Eglises avaient à mette en œuvre les directives et ont engagé des recherches à cet
effet ; les résultats de ces recherches locales ont ainsi façonné le visage des rites africains (I).
Sur la base de tous ces travaux, l’Eglise congolaise entrepris d’élaborer un rite de la messe
propre à ses diocèses, dont l’analyse s’impose entre tous les rites, du fait en particulier qu’il
est jusqu’à ce jour le seul rite particulier approuvé en Afrique par le Saint-Siège (II). ; ceci
nous permettra d’évaluer non seulement la concordance des démarches avec certains autres
rites africains plus ou moins officieux mais aussi quelques tentatives de dépassement du rite
zaïrois (III).
Par ces options, le Concile admettait que, le message restant sauf, l’inculturation
(l’adaptation dans le vocabulaire conciliaire) impliquait une sorte de pluralisme liturgique ;
ceci amplifie les premiers pas que nous avions déjà vu faire Pie XII lorsque, dans Mediator
Dei, il admettait la diversité des liturgies et des rites liturgiques et s’en réjouissait même. Pour
sa part, la Constitution conciliaire sur la liturgie contient les principes de rénovation, les
normes d’adaptation pour chacune des parties de l’ensemble rituel touchant aux textes, gestes,
chants, vêtements et décors, ainsi que les conditions de procédure dans lesquelles seraient
adoptées et autorisées les réformes. Il s’agit, en gros, par les principes fondamentaux ci-après,
de faire une liturgie compréhensible où le peuple a la possibilité de s’exprimer selon son génie
propre et d’enrichir le culte par ses propres valeurs traditionnelles, tout en sauvegardant la
signification et les valeurs fondamentales universelles du culte catholique, sans dénaturer ni
déformer le message833 :
- vérité et intelligibilité des rites : les différents rites seront, pour rendre active et
consciente la participation des fidèles, révisés dans le sens de la simplification mais sans
que soit perdu leur caractère sacré ;
- évolution et adaptation des rites selon les circonstances de temps et de lieu ; adaptation
de la langue locale : ce principe a été adopté malgré les objections de ceux qui
craignaient que soit menacée l’unité assurée par le latin ;
- le caractère communautaire de la célébration et de la prière, avec assistance et
participation des fidèles, de préférence à une célébration individuelle et quasi privée ;
- à cet effet, la Constitution liturgique précise que « Les actions liturgiques ne sont pas
des actions privées, mais des célébrations de l'Église, qui est "le sacrement de l'unité",
c'est-à-dire le peuple saint réuni et organisé…C'est pourquoi… elles atteignent chacun
de ses membres, de façon diverse, selon la diversité des ordres, des fonctions. et de la
participation effective. »
- l’accompagnement de ce renouveau par une éducation des fidèles, pour leur faire
acquérir le nouvel état d’esprit et la nouvelle mentalité qu’exige la réforme d’un secteur
demeuré pratiquement immuable depuis quatre siècles.
833
JERNY, Henri, Vatican II, la Constitution de la Sainte Liturgie, Paris, Ed. du Centurion, 1964, p. 58.
365
pour être introduites avec son consentement » (§ 40). Le concile est conscient que « en
différents lieux et en différentes circonstances, il est urgent d’adapter plus profondément la
liturgie », malgré les difficultés que cela représente d’autant plus ; d’où, tous ces conseils de
prudence, de sagesse et de discipline, mais aussi, étant donné les difficultés spécifiques des
lois liturgiques, la recommandation de s’entourer d’experts avérés en matière doctrinale et en
expérience pastorale.
Cette liberté d’innovation accordée aux évêques et aux conférences épiscopales est
officiellement encadrée, les adaptations se feront « dans les limites fixées par les éditions
typiques des livres liturgiques, notamment celles des nouveaux livres adoptés par le concile et
élaborés dans la période post conciliaire834. Dans le même ordre d’idées, le Pape, en
promulguant Sacrosanctum Concilium, met instamment en garde pour que les simplifications
introduites dans la liturgie pour la rendre plus compréhensible aux fidèles, ne soient pas
l’occasion pour « diminuer l’importance de la prière ni la faire passer après les autres soucis
du ministère sacré ou des activités pastorales », et que « personne ne porte atteinte aux normes
de la prière officielle de l’Eglise en introduisant des réformes ou des rites particuliers ; que
personne ne s’arroge le droit d’anticiper arbitrairement l’application de la constitution […]
avant que n’aient été données les instructions officielles à ce sujet et que n’aient été dûment
approuvées les réformes » envisagées835. Plus tard, la Présentation générale du Missel
Romain précisera encore : « Enfin, si la participation des fidèles et leur bien spirituel
requièrent des différences et des adaptations plus profondes pour que la célébration liturgique
corresponde à la mentalité et aux traditions des divers peuples, les Conférences des évêques
pourront, selon la norme de l’article 40 de la Constitution sur la Sainte Liturgie, les proposer
au Siège Apostolique pour qu’avec son consentement elles soient introduites, et ce surtout en
faveur des peuples à qui l’Évangile a été annoncé plus récemment. »836 En réalité, il faut voir
dans ces précautions prises par la hiérarchie catholique une liberté surveillée des conférences
épiscopales, et regretter que tant de limitations ne laissent plus que la liberté de procéder à
quelques adaptations superficielles dans une liturgie fixée et figée une fois pour toutes mais
dont on sait que, pour l’essentiel, elle est une reprise de coutumes et rites orientaux et
occidentaux (juifs et araméens, latins, celtes, germaniques, francs, gaulois …)
« christianisés ». Il y a là, certes, un souci d’orthodoxie en vue d’éviter d’éventuelles hérésies,
834
Pour les différents rites, seront adoptés : ordo missae, pour le rite de la messe ; ordo initiationis christiana
adultorum ou rituel de l’initiation chrétienne des adultes, ordo celebrandi matrimonium, pour le mariage ; ordo
paenitentiae, pour le sacrement de pénitence ; ordo unctionis infirmorum eorumque pastoralis curae, sur la
pastorale des malades ; ordo exequiarum, sur la célébration de la mort.
835
JERNY, Henri, op. cit ., pp. 31 et 32.
836
Présentation Générale du Missel Romain, art. 395, souligné par nous.
366
mais, on peut y voir également le poids du passé ainsi que l’inertie de la culture dominante de
l’Eglise catholique romaine dont on pourra mesurer l’impact sur la capacité d’innovation
liturgique au sein des jeunes églises, comme si, en fait d’adaptations, il ne leur était accordé
que de mettre en place un cadre africain dont le contenu continuerait d’être l’ordo romain.
837
La constitution Lumen Gentium, n) 13.
838
Le décret Ad Gentes sur l’activité missionnaire de l’Eglise, n° 19 et 22, souligné par nous.
839
MALULA (Card.), Joseph-Albert, « L’Eglise à l’heure de l’africanité », in De SAINT MOULIN, Léon,
Œuvres complètes du Cardinal Malula, vol.3, Facultés catholiques de Kinshasa, 1997, p. 51.
840
L’inculturation a permis à l’Eglise particulière du Congo-Zaïre de mener un triple renouveau : théologique,
pastoral et liturgique ; voir ce lien in MUENDE-MAMPUYA, Marie-Jeanne, Essor de l’Eglise catholique
congolaise et l’évolution politique du Congo - de la colonisation à la démocratisation, Mémoire de Master 2,
367
Les recherches menées avaient pour but de découvrir les points de rencontre possibles
entre leurs cultures et la liturgie catholique, ainsi que les aspects de ces cultures susceptibles
d’intégrer harmonieusement cette dernière (2) et, surtout exposant ce qui caractérisera les rites
africains (3). Mais au Congo, dès 1961, l’épiscopat, alors composé d’une majorité d’évêques
européens, avait eu une inspiration d’avant-garde pour l’époque et qui balisa les rénovations
structurelles et liturgiques réalisées plus tard par l’Eglise de ce pays (1).
Avant même l’établissement des grands textes conciliaires, les jalons du renouveau
liturgique au Congo étaient déjà jetés par l’importante VIème Assemblée plénière de
l’épiscopat congolais du 20 novembre au 2 décembre 1961 dont nous avons parlé plus haut,
réunie avec en toile de fond la préparation de la participation congolaise au concile ; avec 41
évéchés, y participent 58 responsables, dont 2 évêques congolais (Kimbondo et Nkongolo) et,
sans doute pour équilibrer quelque peu entre missionnaires et nationaux, 21 vicaires généraux,
tous congolais parmi lesquels les 4 évêques auxiliaires (Malula, Nzundu, Nzita et Nganga)841.
En fait, le calendrier de l’Eglise du Congo coïncide avec la période préconciliaire, au
lendemain de la grande consultation universelle lancée par la Curie en vue de récolter les
vœux des Eglises. Les résultats de cette réunion seront comme une prémonition au seuil du
Concile et, finalement, la substance des conclusions sera présentée à ce dernier842. Léon De
Saint Moulin relie nettement la tenue de la VIe Assemblée Plénière à la préparation du
Concile ; le secrétariat général de l’épiscopat ayant, à la suite de la consultation initiée par le
Vatican lancé une large enquête sur les problèmes pastoraux, à partir de mars 1961. Ce sont
les résultats de cette enquête, déjà examinés au niveau des conférences provinciales, qui
servirent de base à la réunion du comité permanent pour établir les thèmes des travaux de
l’Assemblée843.
sous la direction de Philippe Martin, Faculté de Lettres et Sciences humaines, Nancy 2, 2005-2006, spéc. pp.46-
88.
841
De SAINT MOULIN, Léon, Eglise et société –Le discours socio-politique de l’Eglise catholique du Congo
(1956-1998), t. 1, op.cit., p. 65.
842
OLIVIER, Bernard, Chroniques congolaises…, op.cit., pp. 170-171.
843
De SAINT MOULIN, Léon, Eglise et société …, p. 65.
368
« Nous n’aurons pas réellement christianisé la vie africaine aussi longtemps que nous
n’aurons pas intégré ses valeurs culturelles dans un culte chrétien adapté où nos fidèles
africains pourront exprimer leurs richesses spirituelles et sentir vibrer leur âme
religieuse. Seul un culte vivant et adapté peut provoquer l’approfondissement
nécessaire que l’instruction seule est incapable de donner »
Ce qui nécessite d’engager une réflexion sur les conditions d’une liturgie compréhensible et
participative pour le peuple, avec, dans les prières, le culte et les rites, des expressions et des
gestes qui traduisent vraiment cette « âme religieuse du peuple ». Globalement, la VIe
Assemblée Plénière envisage la liturgie ensemble avec la pastorale et parle même d’apostolat
liturgique, dans le but de faire participer activement le peuple, grâce à l’étude des coutumes et
des cultures religieuses africaines afin d’élaborer « une liturgie africaine vivante » et
intelligible par les fidèles et qui corresponde à leurs besoins. Les évêques considèrent que leur
but primordial est « de faire participer notre peuple activement et avec une foi éclairée à la
liturgie », constatant, par ailleurs, quatre-vingt ans après le début de la mission « belge », que
« Aussi longtemps que notre catéchèse n’aboutira pas à une célébration liturgique
vivante et adaptée, et n’y trouvera pas une présentation concrète du mystère du Salut,
elle restera étrangère à la vie de nos néophytes et ne touchera pas leurs conceptions
vitales » et que « La liturgie introduite en terre d’Afrique ne s’est pas encore adaptée
au caractère propre de ces populations et leur est restée étrangère. Le retour aux
valeurs authentiques de la liturgie ouvre largement le chemin à une adaptation
fondamentale au milieu africain »846.
844
BUHLMANN, Walbert, La tierce Eglise est là, Kinshasa, Ed. St Paul – Afrique, 1978, pp.166-178.
845
Déclaration de la VIème Assemblée plénière de l’épiscopat, chap. II, §I, b), in De SAINT MOULIN, Léon et
GAISE N’GANZI, Roger, op. cit. , p.68.
846
Actes de la VIe Assemblée plénière de l’Episcopat du Congo-Léopoldville, pp. 188-189 et 191.
847
Ibid., pp. 105-134, spécialement p. 133.
848
Ibid., pp. 407-408.
369
l’office divin », directoire que chaque évêque est appelé à mettre en œuvre en vue des
adaptations à opérer, en tenant compte des réalités locales et après une catéchèse appropriée,
suivis des directives pastorales, tels que dégagés par les évêques après leur analyse de la
situation dans ces différents domaines et tels qu’ils les ont présentés à la Congrégation des
rites.
Ces orientations sont importantes. En effet, elles préconisent une conception pastorale
tout à fait nouvelle et une profonde restructuration de la liturgie et préfigurent ce qui, quand
elles auront été pratiquement entérinées par le Concile Vatican II, va caractériser la messe
zaïroise, ainsi que cela sera développé plus loin, tandis que, dans l’ensemble, elles annoncent
les nouvelles orientations que prendra le concile en matière de liturgie.
Yago, qui fut au Concile membre de la Commission des Missions, déclarait, dans une lettre
pastorale : « Dieu nous demande de chanter ses louanges, de l’honorer et de le prier en accord
avec notre âme africaine. Jusqu’à présent, nous l’avons fait sur la base d’une tradition latine,
et les missionnaires qui nous ont annoncé la Bonne Nouvelle ne pouvaient nous la transmettre
d’une autre manière »849. En même temps, plusieurs conférences épiscopales se mettent à
l’œuvre et réunissent des groupes de travail sur ce programme d’africanisation de la liturgie et
certaines l’appliquent déjà en commençant par la traduction des textes liturgiques et en
préparant les éléments d’une liturgie africaine. Mais, c’est certainement au Congo que
l’effervescence se fait le plus sentir ; sans doute, Joseph Malula, devenu archevêque du
diocèse le plus important du Congo et peu après l’unique cardinal de ce pays, y joue-t-il un
rôle moteur. En plus des réunions au niveau des diocèses et de la conférence épiscopale pour
des directives nationales au cours de tout le premier semestre de 1964, il y a surtout la volonté
de l’Episcopat congolais de fonder la nouvelle liturgie congolaise sur des bases théologiques
indiscutables ; aussi, charge-t-il la Faculté de théologie catholique de Kinshasa d’organiser
des cycles de recherches et d’études sur des thèmes relatifs à l’africanisation de l’Eglise et du
christianisme dans les différents domaines. C’est le début des célèbres « Semaines
théologiques de Kinshasa », qui va être ainsi intimement liée à la préparation de vota des
évêques congolais pour le concile et dont la première est aussitôt organisée, du 20 au 25 juillet
1964.
Dès lors, l’Episcopat du Congo, engage ses travaux en adaptant ses orientations aux
innovations que Paul VI, avant même la fin du Concile, avait commencé d’introduire en vue
d’une application provisoire des conclusions du Concile en matière de liturgie, avec
notamment la publication de l’Ordo Missae de 1965. Les évêques congolais constatent donc,
comme leurs collègues africains, que le culte est en Afrique une activité engageant et faisant
intervenir toute la communauté, alors que l’inculturation exige d’emprunter aux traditions de
la vie religieuse africaine, de les adapter en les ayant purifiées pour les rendre propres au culte
chrétien. A la suite de ces réflexions et directives, l’Assemblée des évêques va adopter et
soumettre à la hiérarchie vaticane, en particulier au moment du concile et par la suite,
plusieurs réformes dans le domaine liturgique, en relation avec le rite de la messe, concernant
les textes bibliques, la musique, l’habillement, les arts sacrés, et la célébration eucharistique
elle-même, dont certaines seront mises en application avant les autorisations ou approbations
hiérarchiques. Les évêques vont aussi recommander que la messe soit dite dans les langues
849
Lettre pastorale de janvier 1964, in ALBERIGO Giuseppe (dir.), Histoire du Concile Vatican II, T. 3, Le
Concile adulte, Paris, le Cerf, 1997, p. 530.
372
des peuples, l’officiant face à l’assistance, et qu’il y soit introduit des dialogues plus fréquents
et en langues locales, toutes caractéristiques qui conviennent bien au tempérament
communautaire africain. Mais, le premier secteur où ces initiatives se sont concrétisées est
celui de la traduction en langues vernaculaires des textes bibliques, en vue des lectures au
cours de la messe, qui s’est faite dans un premier temps avec un certain désordre et avec des
incohérences et contradictions par manque de coordination et de directives communes ;
l’harmonisation grâce à la procédure obligatoire d’approbation ultérieure par Rome des
traductions utilisées jusque là ad experimentum a permis plus tard de fixer les lectures
officielles diffusées et utilisées au sein de toute l’Eglise du Congo, notamment au cours de la
messe de rite zaïrois. Ces « essais » bénéficieront d’une vision plus systématique une fois que
le Concile sera terminé, ils vont s’orienter plus nettement dans les efforts pour un rite de
messe propre à l’Eglise du Congo.
Mais, cette recherche ne devrait pas être celle de l’optique des missionnaires coloniaux
qui ont, eux aussi, étudié les cultures, traditions et croyances africaines, étant à l’origine d’un
nombre impressionnant d’ouvrages devenus des références en matière d’anthropologie et
d’ethnographie, soit généraux soit monographiques sur différentes contrées ou seulement
certains clans et tribus. Cette optique était essentiellement orientée vers l’identification des
superstitions et croyances qui devaient à tout prix céder la place, grâce à une conversion
parfois forcée, à la « vraie foi », après leur destruction ou leur retrait de la circulation. Comme
l’écrit E. Mveng, si le missionnaire « étudie les religions traditionnelles, ce n’est pas seulement
pour y retrouver des pierres d’attente, c’est surtout pour les combattre »850. Au contraire,
aujourd’hui, l’inventaire devrait viser la découverte de celles de ces valeurs qui recèlent une
conception positive de l’humanité et de la relation au divin, susceptible d’intégrer le message
850
MVENG, Engelbert, L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant, op.cit., p. 74.
373
chrétien et d’y amener les formes et expressions cultuelles et liturgiques propres authentiques,
la découverte de l’identité africaine.
« L’homme noir a une conception de la personne humaine comme d’un cosmos en miniature,
eau et feu, terre et air, visible et invisible, corps et esprit indissociablement ; […] certains
codes de la nature peuvent l’amener à canaliser les forces de la nature pour influer sur le cours
de la vie, pour conjurer la mort et faire triompher la vie… La religion est pour nous une
manière de vivre, de concevoir le monde, et d’entrer en relation avec les hommes, la nature et
l’Au-delà (Dieu, les Ancêtres, les Esprits). Les rapports avec Dieu ne sont pas les plus
éloquents, mais plutôt ceux avec les Ancêtres, ces intermédiaires qui nous ont connus et qui
continuent de militer à nos côtés pour le triomphe de la vie. Il n’y a pas de monde sacré et
profane. L’univers tout entier est le lieu de l’irruption de l’Au-delà ou du divin. La vie est le
sacré par excellence.[…] La vie est la valeur suprême, le don par excellence de Dieu, et qu’il
faut transmettre. Vivre pour nous, c’est donner la vie. Une vie sans progéniture est une
catastrophe […] En Afrique noire, on survit plus par solidarité et alliance, que par de
puissantes organisations et de rigoureuses planifications. On cultive moins la confiance dans
l’outil, la machine, dans les biens matériels, que dans l’homme et dans la relation
communautaire. »851
851
KABASELE LUMBALA, François, « Les cultures africaines et le christianisme : peuvent-ils s’enrichir
mutuellement ? Si oui, à quelles conditions ? », www.sedos.org/french/Kabasele/html
852
KABASELE LUMBALA, François. (dir.), Chemins de la christologie africaine, Ed. Desclée, Coll. Jésus et
Jésus-Christ n° 25, 2001 ; c’est une nouvelle édition d’un ouvrage publié en 1986 sous la direction d’Engelbert
MVENG, ses auteurs sont des théologiens et littéraires africains : Pius Ngandu Nkashama, François Kabasele,
Julien Pénoukou, Anselme Sanon, Cécé Kolié, Kä Mana, Lambert Ntumba, Vital Mbadu Kwalu, Josaphat
Hitimana, Josée Ngalula Tshianda et Benezet.
374
de vue, au-delà des croyances ancestrales, l’Afrique est largement dominée par une
conception monothéiste » et que, même, elle serait, avec Akhenaton et avant les patriarches
d’Israël, le berceau du monothéisme853. Mais, en plus, la sagesse et la connaissance africaines
regorgent d’appellations et d’images profondes par lesquelles la tradition rend les attributs,
qualités et caractéristiques de Dieu, qui, d’une part, prouvent que ces traditions connaissent
parfaitement Dieu et, d’autre part, fournissent les nombreuses appellations de gloire, de
louange et de puissance de Dieu. F. Kabasele Lumbala donne un riche échantillon de ces
noms de gloire (meena a bunuunu ne a luumu), en langue ciluba, pour la tradition « luba » au
Congo-Kinshasa, une idée de la profondeur de la connaissance que la civilisation luba a de
Dieu : Dieu est « le soleil qu’on ne peut regarder fixement, qui brûlerait celui qui le
regarderait » (Diiba kuditangidi cishiki, wakutangila dyamosha nsese), « la terre qui n’offre
pas de tribut à la pluie » (Buloba kalambudi mvula), « la route qui ne gémit pas, ce sont ceux
qui marchent dessus qui gémisent » (Njila katu mikemu, batwatwa mikemu mbendelandela
pu), « le léopard qui a sa propre fôret » (Nkashama wa diende diitu), « le vent qu’on ne peut
piéger » (Cipepele ukeena kuteya), « l’arc-en-ciel qui arrête la pluie » (Mwanza-Nkongolo
lukanda mvula)854, etc. Chez Kalamba Nsapo, qui corrobore ces noms, on en trouve d’autres :
Maweeja Kateena dina (le Dieu qu’on ne saurait nommer, littéralement « sans nom »), Ndi
(« Je suis »), il est Musangana mwenapo ne Musangana mwenabyo (littéralement, « Il est
trouvé déjà là, propriétaire de l’univers et propriétaire de toutes les créatures »), Kafukele
Mwena bantu mmutaambe too ne bayaya ku ngondo (le créateur maître de l’humanité, il
surpasse même ceux qui vont à la lune), Nzambi Mudifuke (« le Dieu qui s’est créé lui-
même »), etc.855.
De telles recherches sont utiles dans la mesure où la démarche revient à s’interroger sur
l’utilisation que la théologie, la liturgie particulièrement, peut faire des données culturelles
africaines. En tout état de cause, une démarche crédible d’inculturation nécessite que, dans une
opération de redécouverte des racines africaines856, soient identifiées ces « valeurs culturelles
853
Sans le démontrer avec les recherches pointues des égyptologues africains célèbres (Cheik Anta-Diop,
Théophile Obenga), citons quelques études des Congolais Bimwenyi (Discours théologique négro-africain,
Présence Africaine 1981), Bilolo M. (Métaphysique pharaonique IIIe millénaire avant J-C. Prolégomènes et
postulats majeurs, 1994), Kabasele Lumbala et Ntumba Mwena Mwanza (Kutendeleela Yezu mu bwena kwetu,
Ed. Bafiike dimanyayi, 2001), Kalamba Nsapo (Bunkaaya bwa Mufuki mu Afrika, Publ. Univ. Africaines, 2007)
etc.
854
KABASELE LUMBALA, François, « Révélation de Dieu dans des traditions Luba », in La religion africaine
réhabilitée ? – Regards changeants sur le fait religieux africain, Paris, Karthala , 2007, p. 116.
855
KALAMBA NSAPO, Sylvain, Bunkaaya bwa Mufuki mu Afrika, Munich- Kinshasa- Paris, Ed. Publ.
Univers. Africaines, 2007, pp. 9 et ss.
856
Démarche que rend bien le titre d’un ouvrage récent de François Kabasele Lumbala, Renouer avec ses racines
– Chemins d’inculturation, Paris, Karthala, 2005.
375
Dans ces recherches, des spécialistes, comme François Kabasele L., vont jusqu’à
relativiser la « révélation » présentée comme exclusive à Israël et l’« élection » d’Israël comme
l’unique peuple « élu ». Ce point de vue n’est pas séduisant uniquement par les réfutations
857
LUNEAU, René, Paroles et silences du synode africain (1989-1995), Paris, Karthala, 1997, p. 74.
858
ABEGA, Séverin-Céline, « Le Cameroun et la religion traditionnelle », in MESSINA, Jean.-Paul, BUTAKE,
Bole et VAN SLAGEREN, Jaap, Histoire du christianisme au Cameroun, des origines à nos jours, op.cit., p.
16.
376
« scientistes », fondées sur des découvertes archéologiques récentes, contestant des récits
bibliques de l’histoire du peuple juif, y compris l’existence même des patriarches fondateurs
que sont Abraham, Isaac et Jacob, ainsi du reste que l’esclavage en Egypte et l’exode massif
par lequel le peuple juif se serait emparé de Canaan859. Dans le même sens, Alphonse Ngindu
Mushete rappelle que les théoriciens des théologies missionnaires traditionnelles « oublient
que le Dieu salvifiant est omniprésent et qu’il existe non seulement une révélation universelle
débordant la révélation dite spéciale (judéo-chrétienne), mais un salut qui est obtenu par les
médiations non ecclésiastiques, aussi diversifiées que sont les humanismes parmi les
hommes »860. Mais, même sans ces arguments de spécialistes théologiens, on peut comprendre
le point de vue de ceux qui croient que le Dieu, unique, qui a créé toute chose et tout homme, a
dû établir des contacts avec sa créature partout où il lui avait donné de vivre, par des songes,
des oracles, des signes et symboles, etc. Il est donc affirmé que Dieu « s’est révélé à nos
ancêtres », il ne peut avoir abandonné « la multitude des peuples, sortie elle aussi de sa main
créatrice, de son cœur aimant et de ses pensées immuables »861. Dans une étude récente862,
François Kabasele Lumbala développe ces idées, montrant comment dans toutes les religions
s’est toujours établie la communication entre l’homme et les divinités, comment Dieu se serait
révélé à des « initiés » ou « éveillés », en dehors du peuple d’Israël, que ce soit dans
l’hindouisme, dans certaines formes du bouddhisme comme le taoïsme ou dans l’islam. Partant
de la définition que Vatican II donne de la « révélation » contenue dans les livres sacrés, en
tant qu’elle traduit la communication de Dieu faite à des hommes qui l’ont transcrite à
l’intention de leur communauté, Kabasele admet qu’ainsi « l’histoire du salut a débuté partout
avec la création, avec nos ancêtres, avec les fondateurs de nos nations ; elle inclut tous ceux
qui ont joué un rôle dans la sauvegarde et la croissance de la vie , dans le rayonnement de
l’amour et de la paix entre les hommes, dans le rétablissement de l’harmonie sur la terre ». S’il
s’est trouvé l’écriture ici, permettant au scribe ou au prêtre de transcrire par écrit la révélation
reçue ou transmise par la tradition, ailleurs, comme en Afrique sub-saharienne, il ne s’est
trouvé que l’oralité pour transmettre de bouche à oreille et de génération à génération le
message divin à travers rites, songes, visions, contes, proverbes et mythes, gestes et paroles de
vie863.
859
A ce propos, François KABASELE commente de larges extraits de l’ouvrage La bible dévoilée, les nouvelles
révélations de l’archéologie, de Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, Paris, Bayard, 2002.
860
NGINDU MUSHETE, Alphonse, Les thèmes majeurs de la théologie africaine, op.cit., pp. 33-34.
861
KABASELE LUMBALA, François, Renouer avec ses racines, op.cit., pp. 210-222.
862
KABASELE LUMBALA, François, « Révélation de Dieu dans des traditions luba », in La religion africaine
réhabilitée ? Regards changeants sur le fait religieux africain, Paris, Karthala, 2007, pp. 103-120.
863
Ibid., spécialement pp. 104-107, 109 et s.
377
Exposée notamment par E. Mveng864, on peut lire une thèse basée sur des recherches
des égyptologues comme la découverte par Cheick Anta Diop de l’antériorité de la civilisation
égyptienne par rapport à la civilisation gréco-romaine, allant plus loin encore, qui, rapprochant
les Juifs et les Kushites (des Noirs, eux aussi un peuple biblique), affirme que « Le message de
la Bible nous apparaît sous un éclairage nouveau. Il appartient, en tout premier lieu, à
l’héritage culturel et spirituel des peuples noirs ». Certes, cette révélation aux peuples
d’Afrique ne s’est transmise qu’oralement, mais la révélation biblique fut, elle aussi, marquée
par l’oralité pour ne bénéficier de l’écriture que bien tard ; du reste, l’oralité est une attitude
devant la parole, qui croit dans la puissance de la parole, une puissance mystérieuse s’agissant
des choses liées à la force vitale et à la vie ; contrairement à ce qu’on en dit, l’oralité, qui est
communication par les symboles et le concret, n’altère pas la réalité du fait ou de l’événement
énoncé. La conclusion, c’est qu’un peuple qui a un rapport et une communication avec Dieu
doit être capable de l’adorer dans son identité et, donc, forger sa propre liturgie ou, dans
l’universalité de l’Eglise, marquer de son propre génie culturel et religieux la liturgie dans
laquelle il rend le culte à son Dieu.
Nécessité d’adaptation
Ces recherches ont ainsi fait émerger des rites inédits dans la liturgie catholique
occidentale, empruntés aux cultures africaines et qui ont pu être intégrés dans les rituels de
certains sacrements (mariage, vie consacrée, baptême, réconciliation ou pénitence, …), dans la
compréhension du culte des saints et l’invocation des ancêtres au cours de la célébration
eucharistique865, dans le rite de la messe lui-même…, dans l’adoption d’une iconographie
chrétienne africaine où, fait homme, Dieu rejoint tout homme de toute race, iconographie qui
représente Dieu, Jésus ainsi que les mystères sacrés dans les traits et expressions artistiques de
toutes les races pour mieux marquer qu’ils ne s’identifient ni ne se limitent pas à une seule866.
Ainsi que le montre A. Shorter, « L’inculturation, c’est la transformation de la culture par la foi
et la ré-expression de la foi par la culture. Une Eucharistie inculturée (ou tout autre rite
liturgique) est authentique quand elle est le fruit d’un processus plus large qui a transformé
toute la culture. Dans cette inculturation, on reconnaît l’Eucharistie des chrétiens, avec sa
864
MVENG, Engelbert et WERBLOWSKH, R.I.Z. (éd.), L’Afrique noire et la Bible, Ed. The Israel Interfaith
Commeetee, p. 39.
865
KABASELE LUMBALA, François, « Processus d’élaboration d’Eglise au Zaïre », op.cit., Concilium n° 251,
1994, p. 77.
866
KABASELE LUMBALA, François, ibid., p.78.
378
structure et ses éléments, mais le style, le contexte, l’esprit viennent de la nouvelle culture
locale. ».867
Plusieurs thèmes en rapport avec la célébration rituelle dans les traditions culturelles
africaines ont été abordés par ces recherches, le rôle du rite et, en conséquence, celui de la
liturgie, les formes et expressions de la célébration traditionnelle africaine, comprenant rites et
schémas rituels, arts, rythmes, signes et symboles propres aux cultures africaines. Mais, tous
ces thèmes tournent essentiellement autour du célébrer africain, pour emprunter cette
expression à F. Kabasele868, un acte collectif et communautaire, participatif et expressif où
chaque membre de la communauté détient et joue un rôle : s’il ne préside pas, il porte ou
apporte les éléments, il chante et danse en battant les mains, il prie avec le célébrant ; il n’y a
d’observateurs ou de spectateurs que les étrangers à la communauté culturelle concernée et,
aujourd’hui dans les villes et centres extra-coutumiers, les badauds et les touristes. Par ailleurs,
il n’est de célébration, au sein des communautés culturelles africaines, qui ne se déroule autour
de la communion avec les ancêtres, qu’on honore et dont on sollicite protection et assistance.
867
SHORTER, Aylward, « L’inculturation dans le christianisme des valeurs religieuses traditionnelles africaines
– Jusqu’où ? », loc.cit.
868
KABASELE LUMBALA, François, Renouer avec ses racines – Chemins d’inculturation, op.cit., p.19.
869
MPONGO, Laurent, « Liturgie et Renouveau liturgique », non édité, 1978.
379
conscience qu’a l’homme de ses relations avec le cosmos, les autres hommes, la société et avec
Dieu. C’est un langage qui puisse adopter « l’art de la parole » propre à l’Afrique noire,
employant des « procédés stylistiques, parmi lesquels, les répétitions voulues pour des fins
rythmiques ou pour insister, des images formulées sous forme de métaphore ou de
comparaison ; les expressions ‘’énigmatiques’’, les énumérations ». Cet art coutumier aux
Africains a le mérite d’éveiller et de captiver par son charme l’attention du fidèle, comme le
confirme une enquête de l’Agence D.I.A. que cite l’auteur, selon laquelle de nombreux
chrétiens du diocèse de Beni-Butembo « se sentent plus à l’aise quand ils assistent à la
célébration présidée par le catéchiste qu’à la célébration eucharistique présidée par le prêtre ».
L. Mpongo appelle ainsi une liturgie vraie et vivante qui, à la différence notamment de
nombreux textes euchologiques du missel romain, fait mention de combats que le chrétien doit
mener, avec l’aide de la grâce, pour la paix, la justice, dans l’action quotidienne qu’il mène
pour participer à l’action transformatrice de Dieu qui l’a appelé à « dominer la terre ». Selon
James Chukwuma, le salut n’est pas uniquement relatif à l’âme, « il concerne la personne
humaine dans son contexte total, il est corporel et spirituel, social et psychologique. L’Africain
n’attend pas le salut après la mort, celui-ci doit être, pour lui, un résultat visible dès maintenant
dans les circonstances de sa vie. En conséquence, le salut est une délivrance du pouvoir des
principautés ou royaumes démoniaques (esprits malfaisants) et enclaves des ennemis humains,
la délivrance de la mauvaise santé et des malheurs de la vie »870. Le chrétien africain attend que
le sang du Christ le sauve dès maintenant. C’est que, pour l’Africain, le sacrifice eucharistique
est une opération efficace pour sa vie et, comme écrit J. Chukwuma dans l’étude précitée,
« une eucharistie africaine devrait puissamment symboliser la présence active de Dieu et de
son Christ au sein de l’assemblée »871.
Cette réflexion rejoint ainsi la pensée exprimée par le père E. Mveng dans sa
conception de la « théologie de la libération » dans sa contextualité, quand il dit que «La
théologie de la libération a pour point de départ la fonction de notre foi dans la vie quotidienne
de chacun de nous. Si Dieu s’est révélé à nous, c’est pourquoi ? Voilà la question de la
libération, et elle répond à cette question en ayant recours à la révélation. Qu’est-ce que Dieu
nous dit dans ce que nous appelons la parole de Dieu? Et la Bible nous répond : Dieu s’adresse
à l’homme pour sauver l’homme, pour le libérer», « On lit toujours la Bible à partir de là où
870
CHUKWUMA OKOYE, James, “The Eucharist in African Perspective”,
http://www.sedos.org/english/okoye_2.htm
871
Ibid.
380
on est, c’est-à-dire à partir de son contexte»872. Elle rejoint aussi, sans doute, l’exhortation de
Paul VI, indiquant que l’évangélisation doit tenir compte de ceux que l’on évangélise, parce
que « La question perd beaucoup de sa force et de son efficacité si elle ne prend pas en
considération le peuple concret auquel elle s’adresse, n’utilise pas sa langue, ses signes et
symboles, ne répond pas aux questions qu’il pose, ne rejoint pas sa vie concrète »873.
Il y a lieu de citer, enfin, Jean-Marc Ela qui, posant cette question radicale, se
demande : « Allons-nous produire de la théologie pour une minorité de privilégiés, nous
offrant le luxe de réfléchir sur l’Evangile pour lui-même, sans nous soucier des hommes
auxquels il s’adresse ! Ou bien allons-nous investir nos ressources dans un travail théologique
qui rejoint des hommes là où ils sont, dans leur univers propre, pour les aider à réfléchir sur la
relation entre l’Evangile et leur vie concrète, avec sa complexité, ses dimensions et ses
exigences » Alors que « L’Africain est à la recherche du bonheur à l’ombre des ancêtres, il faut
l’y rejoindre pour porter le ‘’soupçon ‘’ sur nos énoncés de foi, la prédication de la vie
éternelle, l’attente d’un autre monde… En Afrique, le christianisme est mis en cause par tout
ce qui permet à l’homme de se comprendre, de se valoriser, de s’intégrer à la société,
d’assumer sa condition, de maîtriser ses angoisses, d’atteindre à un équilibre suffisant en lui-
même et au sein de son univers »874. C’est pourquoi les liturgies africaines englobent ainsi les
différents aspects de la vie. C’est ainsi que, depuis plus de dix ans, des rituels sont adoptés,
comme cet ensemble élaboré sous les auspices de l’Institut d’Anthropologie Culturelle de
Bandundu au Congo-Kinshasa (CEEBA), de rites divers : pour écarter les êtres maléfiques
d’un enfant, rite d’ablution christianisé pour rendre un enfant vigoureux, rituel lors des troubles
nocturnes en famille, rituel autour de la naissance, des messes pour les malades remplaçant la
délivrance de la sorcellerie, rituels pour veillées mortuaires, protection contre les cris d’oiseaux
nocturnes, pour chasser les êtres maléfiques de la maison, libérer sa femme enceinte du génie
de terre et éviter un accouchement difficile, réparer la mésentente d’une femme enceinte avec
son mari…875.
872
MVENG, Engelbert, Théologie, libération et culture africaines, entretien avec Benjamin Lepawing, Yaoundé,
Ed. Clé et Présence Africaine, 1996. (souligné par nous)
873
Exhortation Apostolique Evangelii Nuntiandi, 8 décembre 1975, n° 63.
874
ELA, Jean-Marc, « Identité propre d’une théologie africaine », in Théologie et choc des cultures, Colloque de
l’Institut Catholique de Paris, Cl. Geffre, Paris, Cerf, 1984, pp. 23 et 33.
875
Foi chrétienne et croyances ancestrales en compétition, 30e colloque du CEEBA, présenté par
HOCHEGGER, Hermann, « Le processus. d’inculturation de la foi chrétienne au Congo Zaïre »,
http://www.ceeba.at/incultetfoichretienne.htm
381
signification parce qu’elles sont séparées de la vie de chaque jour » et que « L’homme
sécularisé est scandalisé par le fait que le culte a apparemment si peu d’influence sur la vie
quotidienne de ceux qui y participent. »876. Ainsi, la question fondamentale à propos des
célébrations liturgiques ne devrait plus être celle de la licéité de ce qui se fait ou de ce qui est
proposé, mais celle-ci : « cela signifie-t-il quelque chose pour les gens ? », écrit C. Sekwa,
militant pour que les prêtres soient affranchis de la rigueur rituelle dans une optique où il
faudrait leur « permettre de faire des liturgies venant d’une ‘’initiative créatrice’’, affranchie
des structures et des textes prescrits, ayant des ‘’structures naturelles’’ et comportant des
prières spontanées ». C’est donc la signifiance qui devrait être le critère de la licéité de la
célébration877. Il y a, là, une réalité universelle mais que, plus que tout autre, apparemment,
l’Africain ressent intimement : « la liturgie est un exercice pratique qui saisit l’homme pour lui
permettre de réagir à partir des situations de sa vie »878. C’est toute la problématique de la
théologie pratique en Afrique qui est posée, non seulement par la fonction critique mais aussi
en préconisant, comme s’exprime Fulgence Muteba Mugala, « des pratiques pastorales plus
engageantes dans la transformation de la société », parce que la théologie en Afrique doit être
« ouvrière de l’Evangile et servante des humains » pour reprendre le même auteur879.
Avec Prosper Abega880, nous trouvons une critique plus « dérangeante » encore parce
qu’elle remet en cause certaines pratiques rituelles multiséculaires de la liturgie romaine, qui
ne lui paraissent que comme transpositions d’expressions culturelles étrangères à la mentalité
et à la culture africaines. Il en est ainsi, selon lui, du fait que la liturgie de la messe romaine
commence par « beaucoup de prières sans d’abord savoir pourquoi on avait été convoqué par
Dieu ; tandis que des prières et chants mélangent des sentiments disparates (la louange est
exprimée dans le gloria et dans des prières eucharistiques, la contrition est dans le Confiteor,
dans le Kyrie et même dans le Gloria et dans l’Agnus Dei), et qu’une dichotomie marque toute
cette messe, l’officiant d’un côté, le peuple de l’autre, s’ignorant pratiquement l’un l’autre. Il
cite également deux exemples parlants de l’inadéquation entre certains gestes rituels et la
876
KATTENBERG, Pape, « La participation des gens, nécessité fondamentale pour la célébration liturgique », in
Centre de recherche théologique missionnaire, A travers le monde Célébrations de l’Eucharistie, Paris, Ed. du
Cerf, 1981, p.122.
877
Cité par P. Kattenberg, op.cit. , p. 124.
878
SANON (Mgr), Anselme.-Titianma., « L’africanisation de la liturgie…, op.cit., p. 113.
879
MUTEBA MUGALA, Fulgence, « Tâche de la théologie pratique en Afrique Noire, in Revue Africaine de
Théologie, Vol. 27, n° 34, Facultés catholiques de Kinshasa, 2003, pp. 248-249.
880
L’abbé Prosper ABEGA, prêtre du diocèse de Yaoundé (Nkol Ntoumou, la basilique, Briqutterie…, fut
président de l’Association des prêtres diocésains de Yaoundé, …). Linguiste réputé, il a enseigné à l’Université
de Yaoundé, département de Langues africaines et linguistique, il en fut retraité en 1993. Avec E. Mveng et Pie
Ngumu, il est à l’origine de la liturgie de Ndzong-Melen dont il est question dans ce travail dans lequel plusieurs
de ses publications sont citées.
382
881
Même si la chose est largement pratiquée aujourd’hui soit en amour soit comme geste d’accueil, de salut, etc.,
mais c’est en imitation des pratiques occidentales ; d’ailleurs, dans bien des langues il n’y a pas de vocable pour
dire « baiser » sauf quelques approximations littérales du genre « donner la langue » qui n’a rien à voir avec le
geste liturgique ou le simple « bisou » ou des formes d’indigénisation du français « baiser » (à Kinshasa on dit
volontiers « baisse »), tandis qu’en ciluba (une autre langue du Congo-Kinshasa) la traduction littérale donne
« kutwa mishiku » (verbe, « poser ou appliquer les lèvres », tandis que le substantif est inconnu).
882
ABEGA, Prosper, « La liturgie camerounaise », in Médiations africaines du sacré – Célébrations créatrices
et langage religieux, Actes du IIIe Colloque international du CERA, 16-22 février 1986, Centre d’Etudes des
Religions Africaines, Vol. XX-XXI, n° 39-42, 1986-1987, Faculté de théologie catholique de Kinshasa, 1987,
pp. 516-517 et 520.
883
A travers le monde Célébrations de l’Eucharistie, op.cit., p. 157.
383
Les recherches africaines ont donc visé à corriger plusieurs traits de la messe romaine
afin de les rendre compatible avec les mentalités et les cultures africaines et, ainsi, sans
dénaturer le sens de la liturgie sacrificielle chrétienne, à l’intégrer à ces dernières. Plusieurs
autres ont concerné divers autres domaines, ceux de la vie consacrée (sens, formes
d’engagements conformes aux conceptions africaines d’engagements vitaux, pactes, etc., ), de
différents rites liturgiques, rituels des sacrements en particulier, avec les rites d’initiation, de
réconciliation et de prières de guérison, de mariage, …), ou alors la délicate question de la
nature des matières eucharistiques, le pain et le vin. Ayant limité notre étude à la seule liturgie
de la messe, dans la mesure où Rome n’avait pas entendu autoriser des changements
concernant le pain et le vin eucharistiques, nous aborderons cette question après la présentation
des innovations reconnues par la hiérarchie, pour examiner les arguments avancés par les
chercheurs africains.
Toutes les opinions exposées ci-dessus montrent que, globalement, comme, écrivant en
1962, le pressentait déjà M.-D. Chenu, l’objet de telles recherches n’était pas seulement de
redécouvrir nécessairement des « rites particuliers, aptes à être christianisés, mais aussi des
traits caractéristiques de l’homme africain qui peuvent et doivent apporter au chrétien de ce
monde des richesses que le capital occidental n’a pas, jusqu’ici du moins, suffisamment mises
en valeur : sensibilité de l’homme à sa situation dans l’engrenage cosmique, sens de la fête
comme expression de la gratuité et comme refus de la monotonie quotidienne, puissance du
verbe, aspect concret de la praxis, et autres traits typiques récemment analysés »884.
L’importance des rites, en particulier en Afrique et pour les Africains, n’est plus à
discuter. Nous nous limiterons à ce qu’en dit Tharcice Tshibangu T., quand, avant de poser la
problématique d’une « ritualité chrétienne africaine », il déclare : « Aucune vie humaine
n’échappe à la soumission à des rites reconnus plus ou moins consciemment, et toute société
collectivement organisée est obligée à des rites systématiquement établis et structurés, et ceci
sous tous les aspects de la vie communautaire », affirmant l’existence des rites politiques,
économiques, sociaux, des rites assurant le passage d’un statut personnel à un autre et, les rites
religieux qui sont « accomplis dans l’ expresse de nouer le contact avec le monde surnaturel ou
numineux, extrasensoriel, et transcendant la nature et les forces empiriques de l’homme ». Et,
pas seulement pour les Africains, le rite se caractérise comme répétitif, réalisateur d’une
884
CHENU, Marie-Dominique, La Parole de Dieu, T.II, L’évangélisation dans le temps, op.cit., p. 650.
384
Cette recherche d’une ritualité africaine qui puisse intégrer la liturgie chrétienne
marque les chercheurs africains. Les chercheurs zaïrois, comme les autres Africains, vont au
bout des conclusions du sens que l’Eglise universelle donne à la liturgie ; pour eux,
« L’assemblée liturgique doit être le lieu où la communauté chrétienne reçoit l’impulsion de
remplir ses fonctions types dont la fonction prophétique, la fonction de médiation,
d’organisation, de transcendance ainsi que la fonction diaconale et koïnoniale, sans oublier la
fonction d’exorciste »886
Le « célébrer chrétien africain » traduit une fête de toute la communauté dans sa double
composante, des vivants et des morts, autour d’un événement que l’on se remémore, ponctuée
de danses et d’exclamations diverses et de cris joie, lieu d’échanges entre le célébrant et la
communauté marqué par le dialogue et le style oral. Louis-Vincent Thomas affirme en effet
que l’oralité est l’une des caractéristiques des célébrations et des religions africaines887, non
seulement influant sur la qualité de la célébration mais aussi imprégnant du message porté par
la parole tant l’orateur que le participant. On verra, en effet, que le style oral africain fait du
discours autre chose qu’un simple symbole ou simple rite oral, pour devenir « rite total » parce
que, comme l’écrit R. Bastide, le discours « englobe la totalité de l’homme orant »888. L’oralité
commande ainsi aussi bien le style des prières, donc la qualité des textes euchologiques, que la
prédication.
Pour les Africains, la célébration religieuse est une cérémonie et une fête de la
communauté. Cette expression s’entend d’abord comme célébration du peuple, une véritable
885
TSHIBANGU TSHISHIKU (Mgr), « Le rite et la condition humaine », in Médiations africaines du sacré,
op.cit., pp. 21-22.
886
MPONGO Mpoto Mamba, Laurent, « La liturgie de demain au Zaïre », in Aspects du catholicisme au Zaïre,
Centre d’Etudes des Religions Africaines, Vol. 14, n° 27-28, Faculté de théologie de Kinshasa, 1981, p. 83. Le
père Laurent Mpongo, docteur en théologie et liturgiste, était alors secrétaire de la Commission de
l’Evangélisation de la Conférence épiscopale du Zaïre et, à ce titre, a activement participé aux recherches sur le
rite zaïrois ainsi qu’à son élaboration.
887
THOMAS, Louis-.Vincent, « La religion négro-africaine dans son essence et ses manifestations », in
Religions africaines et Christianisme, Colloque international de Kinshasa 9-14 janvier 1978, pp. 65-66.
888
BASTIDE, Roger, « L’expression de la prière chez les peuples sans écriture », in La Maison-Dieu, n° 109,
1972, p. 107.
385
Le père E. Mveng, l’un des initiateurs, avec Pie-Claude Ngumu et Prosper Abega, de la
liturgie de Ndzong-Melen au Cameroun, explique ainsi la place de la danse dans les cultures et
dans les arts africains :
889
LE GALL (Dom), Robert, Dictionnaire de liturgie, op.cit., p. 153.
890
DURKHEIM, Emile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, P.U..F., 1968, p. 547.
891
KABASELE LUMBALA, François, L’être humain et les rites, in Questions liturgiques, vol. 86, 2005/2-3, p.
174.
386
de traduire l’impuissance de l’homme à franchir l’abîme qui le sépare de Celui qui est
la Vie en qui il cherche sa plénitude892.
892
MVENG, Engelbert, L’Art de l’Afrique noire, Paris, Mama, 1964, p. 81.
893
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines : l’enjeu culturel, ecclésial et théologique,
Recherches africaines de théologie n° 14, Faculté de Théologie de Kinshasa, 1996, p. 27.
894
C’est sans doute compréhensible que des pouvoirs politiques aient exploité cette propension naturelle au
chant et à la danse pour celui en qui on met ses espérances et ses attentes en organisant le culte de la
personnalité, quand, affamés et en lambeaux, les Africains n’hésitent pas à s’épuiser dans la danse pour « le
chef » ; au Congo, on chante et danse devant ce dernier en disant « tata aye, nzala esili » (le papa est arrivé, la
faim est terminée).
895
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., p. 6, et L’expérience du rite zaïrois,
communication, in Colloque Omnes gentes, Leuven, octobre 2004, p. 3.
896
SANON (Mgr), Anselme-Tatianma, op.cit., p. 122.
387
Dès lors, on peut comprendre que cet esprit de Dieu enflamme toute l’assemblée liturgique
dans un enthousiasme qui fait sentir la présence de Dieu et qui, devenant contagieux, se mue
« en extase » et « en danse » ; on prie et danse avec « l’Esprit qui habite en nos cœurs »897.
L’auteur de cette opinion explique par ailleurs, sur une base artistique et culturelle, que :
Le père Boka explique, quant à lui, comment, parce que, par cette forme d’expression
qu’est la danse, on célèbre et danse la vie et toute la vie, la prière, qui célèbre cette vie que
Jésus nous communique dans la liturgie, doit être dansée899. Le même auteur, expliquant la
liturgie zaïroise, précise par ailleurs que « l’expression corporelle, libérée des inhibitions et
contraintes artificielles, dessine des mouvements où la danse sacrée (2 S 6, 20 et Mt 11, 17) se
traduit en attitudes, gestes, acclamations et légers balancements du corps rythmés par des
chants chaleureux et des instruments de musique locaux »900.
C’est donc tout naturellement que l’Africain peut intégrer la danse et tous autres
mouvements rythmiques de sa liturgie traditionnelle dans la liturgie chrétienne, pour
communier à la force vitale communiquée depuis sa vraie source qu’est Dieu ; en effet, chants
et danses sur le son de tous les instruments traditionnels ou modernes de musique sont
adoration et louange à l’Esprit suprême et souverain. L’Africain peut, ainsi, très bien se
retrouver en David et, comme lui, chanter et danser pour Dieu, comme nous y invitent les
psaumes ; il ne comprend pas que l’Occidental ne le comprenne pas. Mais le père Daniélou le
comprenait, lui, dans une étude publiée in tempore non suspecto, un an avant Mediator Dei,
plus de dix-sept avant Sacrosanctum Concilium, donc bien avant que furent seulement pensées
ou imaginées les liturgies de Ndzong-Melen et du rite zaïrois ; il prophétisait ainsi :
« Le jour où le monde noir sera christianisé, on pourrait prévoir dans cet ordre un
développement sacramentel, liturgique prodigieux, un art de l’Eglise, un retour à la
danse sacrée (après tout, David dansait bien devant l’Arche, et la danse est un moyen
897
MPONGO Mpoto. Mamba, Laurent, La liturgie de demain…, loc.cit., p. 88.
898
MPONGO, Mpoto .Mamba, Laurent, « Evangélisation et Liturgie », in Telema, 2, 1976, 3, p. 14.
899
BOKA DI MPASI, L’expression corporelle en liturgie africaine, Concilium n° 152, 1980, n°2, pp.53-64.
900
BOKA DI MPASI, « Inculturation de l’Eucharistie au Zaïre », in BROUARD, Maurice (dir.), Eu charistia,
L’Encyclopédie de l’Eucharistie, Paris, Ed. du Cerf, 2002, p. 345.
388
pour louer Dieu comme les autres) qui nous est étranger. Je ne vois pas comment les
Noirs pourraient louer Dieu sans danser, car la danse est tellement dans tout leur être
qu’elle fait partie intégrante de leur civilisation. Avec eux, nous retrouverons le sens
liturgique de la danse sacrée »901.
Enfin, la danse rituelle est commune à toute l’humanité de toute époque ; elle est
connue dans le judaïsme qui, de tous les cultes orientaux, est le plus proche du christianisme,
non seulement chez David, parce qu’on la rencontre omniprésente dans les psaumes. Ce n’est
pas un hasard ni une hérésie si Jean-Paul II a abondamment insisté sur l’expression corporelle
afin de louer non seulement avec son esprit mais aussi avec son corps ; juste retour à (et de)
« l’humanité ».
Dans sa conception, l’Africain croit en une sorte d’unité cosmique, entre l’univers
visible et l’univers invisible, « un monde double où le visible et l’invisible, l’au-delà et l’ici-
bas, le passé et le présent, sont intimement liés et imbriqués l’un dans l’autre »902. Il croit dans
le pouvoir mystique, l’univers est activé par des forces et pouvoirs mystiques ; il croit aussi
que plusieurs catégories de personnes, guérisseurs, sorciers, faiseurs de pluie et « prêtres »
savent accéder à ces pouvoirs, à ce titre l’eucharistie présidée par le prêtre est une voie
d’accession au surnaturel et à « l’au-delà ».
Si on ne doit pas, par là, penser à la croyance à la vie éternelle, c’est au moins la
croyance que « les morts ne sont pas étrangers à la vie de ceux qui leur survivent » ; à tel point
que, observe L. Mpongo, « chez les Noirs du Brésil, comme chez nombre des Noirs d’Afrique,
aucune cérémonie publique ne commence sans avoir auparavant fait appel aux ancêtres censés
habiter la terre qui les avait vus naître »903. Le sens religieux de la vénération des ancêtres ne
traduit pas l’animisme obscurantiste qu’on se plaît à décrier, qui ferait prendre les ancêtres
pour des dieux. D’abord, il y a une hiérarchie qui situe au sommet l’Esprit initial, l’Alpha et
l’Omega, l’origine et la fin, le principe premier. Ensuite, n’est pas « ancêtre » et n’est pas
vénéré à ce titre n’importe quel défunt, il n’y a que les hommes bons qui sont dignes de ce titre
et de vénération, les autres étant voués à l’opprobre et à l’oubli de la communauté, tout comme
la liturgie latine célèbrent les esprits « bienveillants », vouant les maléfiques au feu. Il ne suffit
pas d’être vieux et de mourir, mais il faut « avoir bien vécu », avoir mené une « vie
901
DANIELOU (Card.), Jean, Le mystère du salut des nations, Paris, Ed. du Seuil, 1946, p. 56.
902
KABASELE LUMBALA, François, Renouer avec ses racines, op.cit., p. 179.
903
MPONGO Mpoto Mamba (père cicm), Laurent, « Le rite zaïrois – Quelques-unes de ses caractéristiques », in
Médiations africaines du sacré, op.cit., p. 511.
389
vertueuse », conforme aux lois sociales, n’avoir été ni querelleur ni diviseur, mais au contraire
trait d’union au sein de la communauté, être bien mort, de sa belle mort « naturelle », rassasié
d’ans et après avoir transmis le message de vie aux jeunes904 ; bref, ceux qui restent dans les
légendes populaires de la communauté comme des exemples à suivre. Le père Mpongo estime
que « le culte des ancêtres est à l’Afrique et à ses îles ce que le culte des martyrs et des saints
confesseurs est aux catholiques romains. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une
réponse que la communauté donne à ses membres pour satisfaire le besoin profond
d’expérimenter la communication entre le ciel et la terre à travers les trépassés qui ont été une
stature importante pour la vie des vivants. »905. Certains théologiens africains dégagent de cette
description l’image du Christ, « Ancêtre par excellence »906, même Bruno Chenu, avec quelque
limite, admet cette image, inscrivant parfaitement le Christ dans cette lignée des ancêtres
« fleurons de la communauté locale » et « intermédiaires privilégiés », tout en insistant sur le
fait que la vie qu’offre ou garantit le Christ est d’une tout autre nature. Certes, aussi,
l’inconvénient de cette conception est que, ce faisant, le Christ serait le plus grand esprit, le
premier, l’aîné des ancêtres parce qu’il est le « premier-né d’entre les morts », fils et donc, pas
l’égal du Père, le premier médiateur auprès de Dieu, le plus efficace sûrement, mais médiateur
comme les autres « ancêtres », donc pas Dieu comme le Père ; une conception qui diverge
quelque peu de la doctrine traditionnelle de la Sainte Trinité. Néanmoins, nous avons dans la
description de l’ « ancêtre » celle du « saint » selon le christianisme, c’est la raison pour
laquelle l’Africain, mieux que le chrétien occidental, est prédisposé à comprendre non
seulement la résurrection mais aussi le culte des saints. C’est également pourquoi presque
toutes les liturgies africaines associent, dans la prière liturgique, après le Dieu trinitaire, les
ancêtres « au cœur droit » et les « saints », en commençant la liturgie eucharistique par des
litanies dans lesquelles la communauté communie d’abord avec ses propres ancêtres et,
ensuite, avec les saints de l’Eglise universelle, ces « ancêtres » d’autres races et d’autres
contrées. Ce n’est pas, ainsi, en vain ni sans raison que le cardinal Malula, pensant sans doute à
tous ces saints oubliés, repose la question des « saints » canonisés par l’Eglise : « Il y a des
saints dans l’Eglise catholique. Mais, nous constatons que la très grande majorité des saints
canonisés sortent des pays situés dans le bassin méditerranéen. On peut se demander
904
Dans ce sens, voir KABASELE LUMBALA, François, Chemins de la christologie africaine, op.cit., pp.264-
266.
905
MPONGO (père, cicm), Laurent, Nos ancêtres dans l’aujourd’hui du Christ, Rome, Editions de la Solidarité
St Pierre Claver, 2001.
906
Les sages anciens chinois ne disent-ils pas que « Le Tao », sans nom, sans corps, est « l’Ultime réalité »,
« l’ancêtre des ancêtres », d’après BERGERON, Marie-Ima, Le christianisme en Chine…, op.cit., p. 51.
390
pourquoi »907. Dans le même ordre d’idées, le titre d’une étude de Benézet Bujo est
significatif : « Nos ancêtres, ces saints inconnus »908. C’est une forte conviction chez les
Africains et chez les Africains chrétiens, qu’il est nécessaire que les ancêtres soient présents à
tous les moments importants de la vie et des activités de la communauté : un évêque, membre
de la Conférence épiscopale du Zaïre, réclamait d’introduire « notre petite case des esprits » et
de dessiner « un grand arbre des esprits sur l’autel », « Ainsi, quand nous entrerons dans
l’église, nous penserons à nos morts (ancêtres) et nous honorerons leur esprit »909.
Quelques expériences, limitées, existent, qui font participer de manière « concrète » les
ancêtres à l’eucharistie, en les associant au repas du Seigneur. Certes, on les a invités à « être
avec nous », mais parce que l’assemblée passe à table, ils y sont conviés aussi, afin de
communier avec eux par diverses formes de libations accompagnées de certaines paroles ou
« incantations » à l’adresse des ancêtres, ainsi que cela est de coutume dans toutes les
cérémonies traditionnelles auxquelles on associe les ancêtres. Soit qu’avant de communier lui-
même, le célébrant dépose une hostie trempée dans le vin consacré placée sur une patène dans
un grand pot contenant une branche de « l’arbre des ancêtres » mis au bas de l’autel (appelé au
Kasayi, en tshiluba, « mutshi wa mvidie wa bakishi ») ; soit que, comme dans un centre
expérimental signalé par F. Kabasele Lumbala à Kananga, initiative vraiment osée, le célébrant
met une hostie dans le feu ou foyer des ancêtres allumé au bas de l’autel ; soit encore, pour
907
MALULA (Cardinal), « La mystique de la ‘’christification’’, route de sainteté », un texte de 1983, cité in De
SAINT MOULIN, Léon, Œuvres complètes du Cardinal Malula, vol. 3, p. 125.
908
BUJO, Benezet, « Nos ancêtres, ces saints inconnus », in Bulletin de théologie africaine, T.2, 1979.
909
NKONGOLO wa MBIYE, Le culte des esprits, Kinshasa, Ed. Conférence Episcopale du Zaïre, p. 21.
391
ménager les susceptibilités, grâce à une libation symbolique par l’aspersion à l’eau bénite de
l’arbre des ancêtres ; etc. Cela ne revient cependant pas à une offrande aux ancêtres, parce que
les chrétiens convient leurs ancêtres au bas de l’autel du Christ pour être associés à la vie de
l’eucharistie, ils les associent à l’offrande dont le destinataire est Dieu910.
Finalement, ce culte n’est plus si étranger que cela au genre liturgique et peut
parfaitement être intégré dans la liturgie catholique. On lit, en effet, dans Lumen Gentium, un
énoncé parfaitement en harmonie avec cette vision de la communion entre le monde des
vivants et celui des « morts » :
«Alors comme on peut le lire dans les Saints Pères, tous les justes depuis Adam,
depuis Abel le juste jusqu’au dernier élu, se trouveront rassemblés auprès du Père dans
l’Eglise universelle »911
Par ailleurs, Paul VI reconnaissait, chez les Africains, la « vision spirituelle de la vie,
[...] plus profonde et plus universelle, selon laquelle tous les êtres et la nature visible elle-
même sont tenus pour liés au monde de l’invisible et de l’esprit. », et d’ajouter que « on
reconnaît en l’homme « la présence et l’action d’un autre élément, qui est spirituel, et grâce
auquel la vie humaine est toujours mise en rapport avec la vie l’au-delà »912, tandis que, dans
Ecclesia in Africa, publiée à l’issue du Synode africain Jean-Paul II exhorte les Eglises et les
universités catholiques africaines à poursuivre les recherches dans ce sens :
« Lorsque la doctrine est difficilement assimilable même après une longue période
d’évangélisation, ou encore lorsque sa pratique pose de sérieux problèmes pastoraux,
notamment dans la vie sacramentelle, le Synode réaffirme qu’il faut demeurer fidèle à
l’enseignement de l’Église et en même temps respecter les personnes selon la justice et
avec une vraie charité pastorale. Compte-tenu de cela, il souhaite que les Conférences
épiscopales, de concert avec les Universités et Instituts catholiques, créent des
commissions d’études, notamment pour ce qui est du mariage, de la vénération des
ancêtres et du monde des esprits, en vue d’examiner à fond tous les aspects culturels
des problèmes posés du point de vue théologique, sacramentel, rituel et
canonique.106 »913
Et cela, c’est après avoir reconnu que les Africains « croient instinctivement que les morts ont
une autre vie, et leur désir est de rester en communication avec eux. », le pape y voyant, « en
quelque sorte, une préparation à la foi dans la communion des saints »914. La « vision
910
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., pp. 70-72.
911
La Constitution Lumen Gentium, n° 2
912
Message Africae Terrarum, de Paul VI, 1967, n° 7 et 8.
913
Ecclesia in Africa, Exhortation apostolique du 14 septembre 1995, à l’issue du Synode africain de Yaoundé, §
64 (souligné par nous).
914
Ibid., § 43.
392
spirituelle » que reconnaissait Paul VI a une autre implication liturgique, outre le lien avec les
esprits et les ancêtres, celle d’une relation avec tout le cosmos ; dans la mesure où « toute
prière africaine se réfère à une puissance supérieure, aux énergies de l’univers et à la condition
de l’homme vivant dans un milieu social déterminé », elle induit une liturgie « cosmique »
célébrée par une communauté chrétienne s’associant à la création915. De plus, dans l’invocation
des saints associés aux ancêtres on voit non seulement comme invitation à vivre la communion
des saints mais aussi un lieu de rencontre, un « symbole topologique », entre le visible et
l’invisible, quand la mémoire des défunts, saints et ancêtres au cœur pur, « appelle à un éveil
de conscience » et que l’assemblée terrestre se tourne vers la Jérusalem céleste916.
En tout cas, comme le constate Kabasele Lumbala, pour les chrétiens bantu
« L’eucharistie est un événement si important qu’ils ne peuvent pas ne pas y invoquer leurs
ancêtres », au point qu’on trouve des tentatives de « les associer à la communion eucharistique
par une libation, en versant une goutte du vin consacré dans un pot de terre à eux réservé. ».
Certes, un tel geste n’a pu être concrétisé, ne semblant ni urgent ni nécessaire, mais il peut
parfaitement s’inscrire même dans la liturgie chrétienne, où l’on célèbre traditionnellement
l’eucharistie pour les vivants et pour les morts917.
Enfin, sur ce plan de la croyance des Africains dans les forces de l’au-delà, il faut
signaler cet autre aspect que souligne Chukwuma. « Les Africains partagent une vision unitaire
de la vie dans laquelle la nature, l’humanité et le monde invisible sont liés dans une continuelle
communion…Les Africains sont toujours conscients de leur interaction avec le monde
invisible… », ce lien se sent et se voit dans la vie, notamment lorsque l’explication habituelle
« du malheur, telle qu’elle est donnée par les devins, c’est la perturbation des relations avec le
monde invisible des esprits et des ‘’morts vivants’’ »918. De telle sorte que la maladie, en
Afrique, est une affaire religieuse et que la thérapie est à la fois physique et mystique et,
comme l’écrit un connaisseur de ces réalités africaines, « guérir c’est retrouver l’harmonie
perdue »919. Ces opinions ont une conséquence rejoignant les préoccupations pastorales déjà
rencontrées ci-haut quant à la fonction et à l’efficacité de l’eucharistie : Pour les Africains, le
sacrifice eucharistique maintient un « équilibre ontologique » entre Dieu et les hommes, les
915
MPONGO Mpoto.Mamba, Laurent, La célébration liturgique. Son enracinement culturel, cours polycopié,
Kinshasa, 1978, pp. 35-36.
916
MPONGO Mpoto. Mamba, Laurent, « Le rite zaïrois … », op.cit., p. 512.
917
KABASELE LUMBALA, François, « Nouveaux rites, foi naissante », in Reconnaissances théologiques à
travers l’Afrique Noire, Lumière et vie, n° 159, 1983, p. 66.
918
CHUKWUMA OKOLE, James, “An African Eucharist” op.cit.
919
DE ROSNY, Eric, L’Afrique des Guérisons, Paris, Karthala, 1992, pp. 129-130.
393
esprits et les hommes, les trépassés et les vivants ; elle doit aboutir à l’amélioration de la
guérison de l’individu et de la communauté.
La liturgie « africaine » est une fête où le président échange avec les membres du
peuple, dans ce style oral si spécifique du discours africain qui recourt à des procédés de style
faisant un grand usage des images et des répétitions par le public de mots-clés ou significatifs
qui concluent la pensée de l’orateur. Présentant la liturgie camerounaise à travers la Messe de
Ndzong-Melen, P. Abega dit de l’homélie que c’est « un sermon qui prend la forme d’un
dialogue entre l’assemblée et le célébrant. Ayant fait découvrir la vérité du jour, grâce à la
maïeutique de Socrate, le célébrant termine cette activité concertée avec diverses
recommandations »920. Ce dialogue communautaire métaphorique, répétitif, marqué par des
phrases rythmées même si dans certaines langues elles peuvent être courtes, change du
monologue du célébrant chrétien occidental. L’observateur non africain n’en saisira la réalité
qu’en consultant l’un des ordines africains dont des extraits sont reproduits dans cette étude ;
il y découvrira ce style omniprésent, y compris dans certaines préfaces et certaines prières
eucharistiques et, en tout état de cause, dans l’homélie qui est son terrain de prédilection.
Concernant les prières, on remarque que la brièveté, la sobriété des oraisons « romaines », à
cause de cela si abstraites pour les Africains, tranche avec la richesse et la longueur des
oraisons élaborées sur le modèle des procédés stylistiques et genres littéraires africains, pleins
de métaphores par lesquelles sont personnifiés des idées et concepts abstraits, et qui rendent
les prières si concrètes921. La prière n’est pas autre chose qu’une parole rituelle adressée à
quelqu’un, pour les Africains, adressée à l’Esprit suprême et parfois aux esprits supérieurs,
souvent en passant par un médiateur (les ancêtres en particulier)922. Dans la prière, « la parole
est le souffle animé et animant de l’orant ; elle possède une vertu magique, elle réalise la loi
de participation et crée le nommé par sa vertu intrinsèque »923 ; dans ce sens, elle peut « agir
sur tout pour engendrer le bien et le mal, pour transformer, pour marquer des frontières, pour
donner vie et mort »924. Ainsi, la parole est efficace et active, dans la prière comme dans les
Ecritures et dans l’homélie, on croit dans ce qu’elle dit, elle se réalise ; c’est pour cela que
l’homélie et la prière doivent être concrètes. Au-delà de la parole, le dialogue pratiqué dans
920
ABEGA, Prosper, « La liturgie camerounaise », in Médiations africaines du sacré…, op.cit., p. 521.
921
L. Mpongo établit ces comparaisons, à titre d’exemple, entre le style africain et certaines prières de style
hellénistique du rite romain, « La liturgie de demain au Zaïre », loc.cit., pp. 86-88.
922
Dans ce sens, v. FAÏK-NZUJI Madiya, C., « Parole et geste dans les médiations du sacré », in Médiations
africaines du sacré…, op.cit., p. 75.
923
SENGHOR, Léopold-.Sedar, « L’éthique négro-africaine », Diogène n° 16, 1956, p.52.
924
FAÏK-NZUJI Madiya, C., « Parole et geste dans les médiations du sacré, loc.cit., p. 77.
394
l’homélie mais aussi dans les prières n’est pas ici un simple style, il revêt un caractère à la fois
ontologique et éthique et, l’un des traits des rites traditionnels africains, il a une signification
profonde comme valeur de culture et de civilisation. L’Africain croit que la parole a été
donnée à l’homme pour qu’il entre en contact avec les autres, établissant donc le dialogue et
étant, de ce fait, efficace ; de plus, ainsi que l’explique l’abbé Alphonse Kibwila, le dialogue
existe en toute chose, rien n’étant statique ni plat, mais toujours en train de répondre, toujours
en dialogue925.
925
KIBWILA Yala, Alphonse, « A l’école de la prière, une pastorale initiatique de la de la mystique
évangélique », in La prière africaine, Actes du IIe Colloque international de Kinshasa, 10-12 janvier 1994, p.
109
395
mystérieusement, on pourrait même dire « dénaturer » les espèces, le pain et le vin sont et ne
sont plus pain et vin, ce Congolais comprendra le « dyaalu », y croira et est prêt à croire en la
« transsubstantiation » qu’il ne connaît ni ne comprend comme vocable, et à y croire mieux
qu’un Occidental que son « cartésianisme » empêche de croire dans les mystères, qui connaît et
comprend le terme « transsubstantiation » mais ne peut y croire. De plus, croyant dans
l’efficacité de la parole, l’Africain n’a aucun mal à comprendre et à admettre l’efficacité des
paroles de l’institution par lesquelles les espèces sont transformées en corps et sang du Christ.
En effet, nos « sorciers » africains réalisent constamment le « dyaalu », eux qui évoluent dans
cet « autre-monde » et qui, quand ils donnent une banane ou des arachides à manger à celui
qu’ils veulent contaminer de sorcellerie, celui-ci mâche, sens et avale de la viande, quand ils
donnent un coup de massue à ce qui paraît comme une bête (chèvre, mouton, …) et la
mangent, cela signifie qu’une personne humaine, mystérieusement touchée par ce geste, meurt
réellement et va être mystérieusement ou mystiquement, on pourrait dire sacramentellement,
mangée par cette confrérie sorcière926. Certes, certains concepts et notions exprimés en latin ou
en toute autre langue européenne peuvent présenter des difficultés à la traduction ( on a pu se
demander comment on réussirait à traduire dans une langue zaïroise « mystère » ou
« transsubstantiation » ), mais nous venons de voir qu’il valait la peine que des efforts soient
faits pour y parvenir.
Pour terminer, il est bon de citer ce témoignage de Jean-Paul II décrivant son souvenir
des liturgies africaines :
926
Le lecteur trouvera une série impressionnante d’histoires de sorciers africains, les unes plus incroyables que
les autres, dans LUNEAU, René, Comprendre l’Afrique –Evangile, modernité, mangeurs d’âme, 2è édition,
Paris, Karthala, 1989, un échantillon bien plus varié encore que ce qu’il trouvera dans le célèbre Les yeux de ma
chèvre du père De Rosny.
927
Jean-Paul II de retour d’un voyage en Afrique australe en septembre 1988, reporté par LUNEAU, René,
Paroles et silences du Synode africain, 1989-1995,Paris, Ed. Karthala, 1997, p. 74.
396
Pourtant l’étude « génétique » de la première partie nous a montré qu’il y a eu bien des
évolutions. Concernant les espèces singulièrement, nous avons vu comment leur conception
avait évolué en s’adaptant à des circonstances parfois fortuites ; si ces adaptations étaient
certes dans l’église universelle le fait de décisions des autorités canoniques, elles ne s’en
éloignaient pas moins des espèces probablement utilisées par le Christ lui-même : ainsi qu’on
l’a vu, les circonstances de la dernière Cène ne permettent pas à elles seules de dire avec une
certitude absolue qu’il s’était alors agi du pain fermenté ou du pain azyme, l’un ou l’autre
pouvant être justifié ; l’Eglise occidentale elle-même avait utilisé du pain ordinaire avant de
passer au pain azyme, tandis que l’Eglise orientale maintenait le pain fermenté et que certains
responsables de cette Eglise admettaient la licéité de l’usage du pain ordinaire. Si le vin,
même au Jeudi saint, était vraisemblablement du vin rouge de table, l’Eglise, pour une raison
simplement pratique (le rouge salissait trop les linges blancs, notamment le corporal, de
l’autel), dut privilégier plus tard le vin blanc, tournant le dos au symbolisme du sang (rouge).
Par ailleurs, comme le dit A.T. Sanon se basant sur l’usage du pain et du vin en tant
928
HEBGA, Meinhard-Pierre, op. cit., pp.55-56.
929
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., p. 79.
397
Ce débat qui vient d’être résumé montre que la question est pertinente et qu’elle reste
ouverte. On peut certes, regretter que dans toutes les expériences d’inculturation et
d’africanisation, aucune liturgie africaine n’ait officiellement adopté d’autres substances que
le pain de froment non levé et le vin de vigne. Pourtant, en 1973, alors qu’il menait des
recherches en vue de l’inculturation liturgique par un rite zaïrois de la messe, l’Episcopat
zaïrois s’était adressé à la Congrégation pour la doctrine de la Foi, lui demandant : « Le vin
de messe doit-il être nécessairement le vin de vigne (vinum ex vite) ? Au cas où nous
930
GAISE NGANZI, Roger, « Les signes sacramentels de l’Eucharistie dans l’Eglise latine – Etudes
théologiques et historiques : Perspectives à redécouvrir », in L’Eucharistie dans l’Eglise-Famille en Afrique à
l’aube du troisième millénaire, Actes de la XXIIe Semaine théologique de Kinshasa, du 28 au 31 mars 2001, p.
107.
931
SANON, Anselme-Titianma, « Les dimensions anthropologique de l’eucharistie », in Documentation
Catholique, 79, 1981, col. 722. Ainsi, à titre d’exemple, dans le Notre Père dans des langues congolaises, à
« pain » il est substitué « nourriture » ou « à manger », bilei (en lingala), tshiakudia (en luba), ou encore chakula
(en swahili).
932
Voir ces arguments résumés chez GAISE NGANZI, Roger, op.cit., pp. 116-121.
398
933
La Documentation Catholique, 1973, p. 746.
934
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., p. 81, cite sa propre expérience dans la
Paroisse de Cijiba, au Kasayi, exceptionnellement autorisée par l’ordinaire du lieu, qui faisait appel à du manioc
frais râpé trempé dans de l’eau et laissant un dépôt en forme de pâte dans le fond du récipient ; cette pâte
comprimée entre deux plaques chauffées donnant de fines lamelles de pain de manioc, semblables à de véritables
« hosties » ; le vin de vigne était quant à lui remplacé par du « vin » de maïs ( les grains mêlés à du sucre et à de
l’eau restent en dépôt dont le tamisage donne une sorte de lait alcoolisé à 5 ou 6 degrés).
935
THURIEN, M., Foi et institution, baptême, Eucharistie et ministère, conversion de la foi, Paris, Le Centurion,
1982, p.44, cité par TSHUNGU, Bamesa, « Symbolisme et signification anthropologique du repas africain », in
L’Eucharistie dans l’Eglise-Famille en Afrique…, op.cit., p. 22.
936
MAMPILA, Mandiangu., « Recherche de nouveaux symboles chrétiens », in Médiations africaines du
sacré…, op.cit., p.408.
937
Nous avons indiqué plus haut cette même valeur, chez les Africains, de la parole dite.
938
MAMPILA, Mandiangu, « Recherche de nouveaux symboles chrétiens », loc.cit., ibid.
399
C’est sur la base de ces recherches que l’épiscopat zaïrois, dès 1969, demanda la
permission de la Congrégation pour le Culte Divin de charger la Commission épiscopale de
l’évangélisation de faire des études pour un projet de rite de messe adapté. La réponse de la
Congrégation romaine, qui arriva le 22 juin 1970, était significative en ce qu’elle fixait des
limites à ce qui devait être envisagé ; elle donne en effet l’autorisation pour rechercher « un
cadre africain et zaïrois pour l’Ordo Missae romain »939. Il y eut, on peut le voir, un
malentendu initial qui marque la différence d’optique, alors que par cette expression Rome
tenait à ce que fût respectée la « romanité » de la liturgie catholique latine, le travail d’étude de
l’épiscopat zaïrois déboucha en 1973 sur un projet intitulé, lui, « Rite zaïrois de la Célébration
eucharistique ». Le projet fut élaboré sous la responsabilité de la Commission épiscopale de
l’évangélisation, avec le concours du scheutiste Laurent Mpongo Mpoto Mamba, liturgiste
réputé. Il faut reconnaître que cette attente représentait une revendication de l’opinion publique
africaine, depuis longtemps frustrée par la liturgie latine, aussi bien pour son caractère
« étranger » reflétant la culture occidentale (ornements et vêtures médiévaux, le grégorien,
langue liturgique…), que pour l’exclusion de toute forme des expressions de l’africanité. C’est
là que cette aspiration à l’africanité rencontrait l’Encyclique Mediator Dei qui, bien avant
Vatican II, déjà, appelait, comme nous l’avons vu, la « participation active des fidèles», suivie
en cela par le Concile :
« que tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un honneur suprême
de participer au sacrifice eucharistique, et cela, non d’une manière passive et
négligente et en pensant à autre chose, mais avec une attention et une ferveur qui les
unissent étroitement au Souverain Prêtre, […] offrant avec lui et par lui, se sanctifiant
comme des spectateurs muets et étrangers, mais qu’ils soient touchés à fond ».
939
Conférence épiscopale du Zaïre, Présentation de la liturgie de la messe – Supplément au Missel romain pour
les diocèses du Zaïre, Ed. du Secrétariat Général, , 1989, p.8. paroles et silences du Synode africain, 1989-1995,
Paris, Ed. Karthala, 1997, p. 74.
940
LONDI BOKA DI MPASI, « Inculturation de l’eucharistie au Zaïre », BROUARD, Maurice (dir.),
Encyclopédie de l’eucharistie, Paris, Ed. du Cerf, 2002, p. 357.
400
Ainsi qu’on l’a vu, les réflexions et propositions de schémas pour des rites africains
s’accélèrent avec la promulgation du missel romain et l’ordo missae de Paul VI, dont la
parution encourageait ainsi les recherches pour les adaptations liturgiques autorisées et
encouragées par le Concile. Dans une première période, quelques initiatives « privées » sont
expérimentées officieusement. On peut à ce titre, comme ayant particulièrement marqué le
processus d’élaboration du rite zaïrois, la pensée et les initiatives du Cardinal Malula, en
rapport avec tout ce qu’il a fait à la recherche d’une Eglise au visage africain. Déjà, encore
simple prêtre, Malula entreprit dans sa paroisse de Saint Pierre, à la suite de la réforme de la
Semaine sainte par Pie XII, l’adaptation de l’office du Vendredi saint, spécialement pour
l’adoration de la Croix : le crucifix est déposé sur un catafalque au milieu du chœur, entouré
de groupes de femmes assises par terre tout autour de ce « lit de mort », pour une veillée
« mortuaire » avec chants funèbres dans les diverses langues du pays, à la manière du deuil
congolais (matanga, cidilu ou madilu, kilio)941. De plus, dès 1958, Malula disait de l’Eglise
qu’elle doit « réunir tous les hommes dans l’amour. Chaque peuple doit apporter sa pierre
vivante pour l’édification de l’Eglise… Le christianisme n’a pas encore pu jeter des racines
profondes dans l’esprit des individus. C’est maintenant qu’il faut commencer le travail en
profondeur », pour « adapter le Message évangélique à l’âme bantoue »942. Par ailleurs, après
avoir composer l’ordinaire de la messe en lingala et qui se chantait de temps en temps avant
même le concile dans des églises à Kinshasa, Malula est l’auteur du premier projet d’un rite
congolais de messe cum populo, que, impatient de tirer toutes les conséquences des
orientations conciliaires dans lesquelles il avait mis ses espoirs pour un rite propre à l’Eglise
du Zaïre, il expérimentera rapidement, dès novembre 1970, pratiquement au moment où était
promulgué le missel de Paul VI943. Il y a lieu de citer également un projet de messe proposé à
la Conférence Episcopale du Zaïre par le père Laurent Mpongo M. M. (alors secrétaire de la
commission de l’évangélisation).
projet de L. Mpongo dont nous avons vu, par ses commentaires et explications sur les
caractéristiques des rites africains, qu’il a exercé une forte influence sur le contenu du rite
zaïrois définitif. Il est remarquable que la Conférence épiscopale du Zaïre, après avoir obtenu
de la Congrégation du Culte Divin l’autorisation de mener une telle étude944, confie l’étude
d’un projet de rite zaïrois, non pas à sa Commission de liturgie mais à la Commission
d’évangélisation qui a tout de même une cheville ouvrière adaptée, la sous-commission de
liturgie. Le projet du « Rite zaïrois de la Célébration Eucharistique », issu de cette recherche,
fut expérimenté, avec l’autorisation donnée le 15 juin 1973 par la Congrégation pour le Culte
Divin, exigeant par ailleurs que chaque modification introduite dans l’Ordo romain fît l’objet
d’une explication des raisons culturelles spécifiques qui l’imposent. Après les premières
observations du dicastère romain, notifiées le 2 décembre 1982, la Conférence Episcopale du
Zaïre, à l’issue des consultations internes nécessaires auprès de toutes les provinces
ecclésiastiques zaïroises, arrêta son projet définitif lors de la XXIIe session de son Assemblée
Plénière (9-12 août 1985).
Sur ce projet, s’engagèrent en 1986 des débats houleux et parfois tendus entre une
délégation de la Congrégation et une Commission spéciale établie par la Conférence
épiscopale, notamment sur toutes les options qui semblaient être des innovations et donc, ne
s’alignaient pas sur les formes et pratiques traditionnelles de la liturgie romaine. Après des
échanges épistolaires, des débats in vivo eurent lieu à Kinshasa, en présence du Pro-Nonce
apostolique (Mgr Rapisarda), entre une délégation de la Congrégation du Culte Divin qui
avait au préalable assisté, en une sorte d’inspection, à une célébration en rite zaïrois à
Kinshasa puis, le 2 novembre 1986, à Lisala, et une commission spéciale constituée à cet effet
par la Conférence Episcopale du Zaïre (ECZ). La délégation de la Congrégation du Culte
Divin se composait de Mgr Virgilio Noé (secrétaire de la Congrégation) et de l’abbé Jean
Evenou (attaché à la Congrégation), tandis que la Commission spéciale des négociateurs
zaïrois comprenait les évêques L. Monsengwo P., alors président de la Conférence Episcopale
Nationale du Congo, G. Mukenge K., vice-président, Lesambo, président de la commission de
la doctrine, M’sanda, président de la commission de l’évangélisation, Mgr Kanyamachumbi,
secrétaire général de la conférence épiscopale, l’abbé Buetubela, secrétaire de la commission
944
En réponse à la demande du Comité permanent de la CEZ, le 22 juin 1970 est accordé l’indult pour l’étude
d’un cadre africain et zaïrois de l’ordo missae ; v. le Supplément au Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre,
n. 27.
402
Il sera fait mention de ces débats à propos de certaines options zaïroises ; à ce niveau,
on se limitera au débat sur le titre que devait porter la liturgie ainsi élaborée. Alors que le
projet élaboré et arrêté par l’Episcopat zaïrois s’appelait « Rite zaïrois de la Célébration
Eucharistique », sans doute par souci de recentrer les choses et crainte de menace contre
l’unité de la liturgie de l’Eglise romaine, Rome voulut et présenta un titre officiel par une
lettre de la Congrégation pour le Culte Divin d’avril 1986 à l’Eglise du Zaïre, décidant que
« le titre définitif retenu pour le ‘’projet de la liturgie de la messe au Zaïre’’ était ‘’Missel
romain pour les diocèses du Zaïre’’ ». Il y avait là quelque soupçon que l’appellation choisie
par l’Eglise du Zaïre débouchât sur une conception de pluralisme liturgique consacrant une
sorte de nouvelle famille liturgique, ce qui n’est pas le sens de l’adaptation recommandée par
la Constitution Sacrosanctum Concilium. La Congrégation proposait un titre ( soit celui qui
fut finalement imposé, soit un autre, proche, Missel romain pour l’Eglise du Zaïre), au cours
des débats un membre proposa même un troisième, « Missel romano-zaïrois de la célébration
liturgique », à l’instar du missel du rite dit « lyonnais » à propos duquel « on parlait de
missale romano-lugdunens » ; l’essentiel était de montrer « l’identité fondamentale de la
liturgie eucharistique au Zaïre avec le Missel romain », en dépit de l’inculturation946. La
logique zaïroise était différente, basée sur le concept d’inculturation dont l’entendement
écartait de faire de simples copies du missel romain conformément à l’esprit de la
Constitution conciliaire « qui justement autorise à inculturer et non à copier ou reproduire le
missel romain », ce qui peut « créer une pluriformité liturgique basée sur l’unité de la foi
chrétienne et de la prière transmise des traditions liturgiques soit orientales soit
occidentales »947. Un membre zaïrois ira même jusqu’à réclamer pour les conférences
épiscopales le même statut que « les anciens centres métropoles d’où rayonnaient les rites »,
sans doute dans la logique qui participe d’une idée de construction d’une véritable Eglise
945
Ces échanges eurent lieu le 4 novembre 1986 ; voir l’état de ces débats dans le Procès-verbal des séances de
travail tenues au Centre Interdiocésain le 4/11/1986 par les membres de la Congrégation pour le Culte Divin et la
Commission spéciale de la C.E.Z. sur le « Rite zaïrois de la célébraion eucharistique », in.les Actes de la XXIIIe
Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre, Session ordinaire, Kinshasa, du 6 au 17 novembre 1986, I. Dossiers
préparatoires, II. Avis et Décisions, SecrétariatGénéral, Texte réservé, pp. 203-234..
946
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaîre…, pp. 206-212. travail tenues au Centre
Interdiocésain le 4/11/1986 par les membres de la Congrégation pour le Culte Divin et la Commission spéciale
de la C.E.Z. sur le « Rite zaïrois de la célébraion eucharistique », in.les Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de
l’Episcopat du Zaïre, Session ordinaire, Kinshasa, du 6 au 17 novembre 1986, I. Dossiers préparatoires, II. Avis
et Décisions, SecrétariatGénéral, Texte réservé, pp. 203-234..
946
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaîre…, pp. 206
947
Ibid., p. 208.
403
locale, autonome et non sous tutelle, maîtresse de ses instruments et moyens de salut (sa
théologie, sa liturgie, etc.)948. De toutes les façons, aux yeux des Zaïrois, cette appellation
officielle ne correspondait pas à ce qu’est le résultat des recherches zaïroises qui ont
emprunté, certes au sein d’une Eglise une et indivisible, aux rites romains, mais aussi aux rites
orientaux, notamment en ce qui concerne les anaphores, tout en se caractérisant par
l’introduction des rites conformes aux valeurs africaines949. Précaution supplémentaire, la
Congrégation romaine tint à ce que le « rite zaïrois » dût comporter en tête la présentation
générale du Missel romain avec les modifications apportées par les adaptations prévues »950.
Un accord obtenu sur les différents points en débat permit alors la rédaction du texte
définitif et la Congrégation pour le Culte Divin put en 1986 confirmer aux évêques zaïrois que
le projet approuvé par eux en 1985 et soumis à ce Dicastère « correspondait, dans ses lignes
générales, aux dispositions du Concile Vatican II » (conformément à la Constitution
Sacrosanctum Concilium, n° 37-40) et qu’« il peut être utilisé ad interim dans les diocèses du
Zaïre ». Il sera approuvé et confirmé dans sa rédaction en langue française, avec ses annexes
(les Préliminaires, le Calendrier et les Messes propres) par le décret Zairensium dioecesium,
du 30 avril 1988951, prévoyant un « Rite solennel » et un « Rite simple », le second se
différenciant du premier du fait qu’il ne connaît pas l’intervention de l’annonciateur, ni
l’usage de l’encens ni la danse autour de l’autel. La première messe officielle du rite zaïrois
typique fut célébrée par le cardinal Malula en présence de Mgr Virgilio de la Congrégation du
Culte Divin en l’église Saint Alphonse, à Matete (une commune périphérique de Kinshasa), le
27 mai 1988.
Par ailleurs, comme on vient de le dire, avec le rite lui-même, le décret autorise le
« propre » des Messes pour le Zaïre. Celui-ci comprend les Messes : pour la paix et la justice,
pour la sanctification du travail, pour la Patrie et le progrès des peuples, de Sainte Thérèse de
l’Enfant Jésus (1er octobre), de la Bienheureuse Anuarite Nengapeta Marie Clémentine, vierge
et martyre (1er décembre), pour Saint François-Xavier (3 décembre) et pour les Rogations (14
mai ou 1er octobre).
948
Ibid., p. 211.
949
Présentation de la liturgie de la Messe, Supplément au Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre, op.cit., n°
99, et Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière…, p. 208.
950
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre…, p. 213.
951
CONFERENCE EPISCOPALE DU ZAIRE, Présentation de la liturgie de la Messe – Supplément au Missel
Romain pour les diocèses du Zaïre, op.cit., p. 9.
404
952
Pour les détails sur cette longue crise historique, v. MUENDE MAMPUYA Marie-Jeanne, Essor de l’Eglise
catholique congolaise et l’évolution politique du Congo – De la colonisation à la démocratisation, mémoire de
Master 2 en histoire, Université de Nancy 2, 2005-2006, pp. 149- 172, spéc. pp. 149-165.
405
Façade et entrée principales (ouest) de l’Eglise Saint Alphonse de Matete (Kinshasa), où fut
organisée la première célébration eucharistique selon le rite zaïrois de la Messe après son
approbation, le 27 mai 1988. Photo Coll. privée, 2008.
406
Façade et entrée latérales sud de l’Eglise Saint Alphonse de Matete (Kinshasa) Photo Coll.
privée 2008.
407
Ce « rite zaïrois de la messe » se caractérise par une synthèse qui restaure des pratiques
qui étaient en cours dans les assemblées traditionnelles bantoues. Il intègre l’ancienne
structure et la pratique du dialogue communautaire de ces rassemblements, l’officiant et les
fidèles se sentant ainsi en communion et célébrant ensemble la fête du Seigneur, celui-là suivi
et approuvé par ceux-ci en ce qu’il fait et dit, tandis que de cette manière toute la communauté
est effectivement entraînée et impliquée. D’où, une structure de la messe bouleversant
quelque peu le schéma romain classique, une symbolique communautaire visible en
particulier par le style dialogué, une célébration plus vivante non seulement à cause de cette
participation communautaire mais aussi par la grande place faite aux chants, à la danse, aux
gestes et à d’autres manifestations participatives de toute l’assemblée. Répondant aux
exigences de la Congrégation pour le Culte Divin, la Conférence épiscopale zaïroise
accompagne la présentation du rite zaïrois de la messe d’« explications nécessaires sur les
raisons culturelles spécifiques qui expliquent le changement introduit dans l’Ordo Missae du
Missel romain ».
Nous inspirant de cette brochure explicative de présentation ainsi que des débats du 4
novembre 1986 évoqués ci-dessus, nous pouvons en retenir quatre éléments essentiels qui se
rattachent aux « besoins pastoraux des fidèles », qui ont inspiré les principaux changements.
Signalons que, dans le rite zaïrois typique, le canon, la prière eucharistique, n’a pas subi des
changements autres que de style, notamment par le dialogue qui y est tenu entre le célébrant et
les fidèles, mais on y trouve également certaines prières qui sont du cru propre de l’Eglise du
Congo. On ne sera cependant pas étonné de retrouver dans le rite zaïrois les traits
caractéristiques des liturgies africaines que nous avons expliqués plus haut.
Elle implique la communication du monde visible avec le monde invisible avec lequel
les Africains entretiennent des relations par des rites positifs d’agrégation ou d’alliance. Dans
la structure de la messe, cette idée introduit la mise en présence de Dieu par la vénération et
l’adoration grâce au Gloria in excelsis Deo. Ce chant est la proclamation de la majesté et de la
gloire de Dieu en même temps qu’il est un chant de joie, c’est pourquoi pendant son exécution
les ministres dansent autour de l’autel, conformément aux traditions africaines ils forment un
cercle afin de communier à la force vitale qui irradie de l’autel ainsi mis au centre (§ 74) ;
c’est par ce chant que commence la célébration véritable après le chant d’entrée et les litanies.
408
En fait, par la danse et d’autres expressions corporelles (exécutées ici lors du Gloria mais
aussi au cours des processions d’entrée, des dons et de sortie, ou par tout le peuple
accompagnant d’un balancement rythmé sur place certains chants), le fidèle se libère « des
inhibitions et contraintes artificielles, et dessine des mouvements où ‘’la danse sacrée’’ (2 S
6, 20 et MT 11, 17) » accompagne presque toujours les chants liturgiques, et « se traduit en
attitudes, gestes, acclamations et légers balancements du corps rythmés par des chants
chaleureux et des instruments de musique locaux »953 ( tam-tam et autres instruments de
musique traditionnels), les acclamations se faisant toujours avec battement des mains, cris de
joie et d’approbation. Le deuxième aspect de cette vision africaine se traduit par les litanies
qui associent à la glorification de Dieu l’invocation des « amis [ou alliés] de Dieu » que sont
les ancêtres au cœur droit et les saints, la grande famille de Dieu, céleste et terrestre. Sur la
vénération des ancêtres, se rappelant sans doute « la querelle des rites chinois » et le sort qui
fut fait à ces derniers, l’épiscopat zaïrois multiplie les justifications, les explications et les
rapprochements avec l’image et l’idéal des saints chrétiens, y consacrant 12 paragraphes des
49 servant à expliquer toute la messe (§§ 60-71), inscrit adroitement la vénération des
ancêtres dans la rubrique de la « mise en présence de Dieu » réalisée en deux moments,
vénération de Dieu saint et invocation des saints et des ancêtres au cœur droit, précisant que
les « ancêtres » dont il est question sont les justes qui ont « vécu conformément à la volonté
de Dieu », qui « ont légué l’ordre social, éthique et religieux. Or, nos ancêtres croyaient en
Dieu et savaient que Dieu rémunère les bons et punit les méchants », ces derniers n’étant
d’ailleurs « jamais honorés du titre d’ancêtres». Pour l’Eglise africaine, l’invocation des
ancêtres au cœur droit se situe dans la même ligne que « celle des saints, en ce qui concerne
l’idéal humain et religieux qu’ils représentent en particulier pour leurs descendants et la
communion de vie qu’ils ont avec eux et finalement avec toute la famille des bienheureux et
amis de Dieu, au ciel et sur la terre ». Cette invocation se fait dans des litanies par lesquelles
débute la célébration eucharistique et qui associent ancêtres africains et saints, ceux-ci
considérés comme « les ancêtres d’autres peuples dans la foi » (§ 69). Mais, alors que dans les
litanies habituelles de l’Eglise les fidèles s’adressent aux saints en disant « ora, orate pro
nobis», demandant leur intercession, ici, il s’agit d’une invocation où il est demandé aux
ancêtres « soyez avec nous » (voir les paroles dans l’ordo missae reproduit plus loin).
Cette ouverture de la célébration était l’un des points sur lesquels Rome avait exigé
des explications : sur le rôle de l’annonciateur, ministère nouveau dont il est question plus
953
BOKA DI MPASI, Londi, « L’inculturation de l’eucharistie au Zaïre », in BROUARD, Maurice. (dir.), de
Encyclopédie l’eucharistie, Paris, Ed. du Cerf, 2002, p. 359.
409
loin, et sur le sens des litanies d’invocations des saints et des ancêtres. Concernant
l’invocation, la délégation de la Congrégation du Culte divin avait voulu savoir s’il est
nécessaire qu’elle ait la forme de litanie dialoguée entre le célébrant et le peuple, estimant
qu’elle est de nature diaconale et qu’il conviendrait de la commencer par le traditionnel Kyrie
eleison, Christe elerison, Kyrie eleison. L’Episcopat a indiqué à la délégation de la
Congrégation du Culte Divin qu’il ne s’agissait pas d’une de ces litanies classiques, mais d’un
« acte de solidarité qui se traduit par la convocation de la communauté qui, en Afrique,
comprend les vivants et les défunts, pour une mise en présence de Dieu et une prière
communautaire. C’est une sorte d’appel nominal des défunts méritants à s’associer aux
vivants avant de commencer la célébration et la louange du Seigneur » ; de plus, à la
suggestion de confier cette invocation au diacre comme il en est le cas pour les litanies
romaines traditionnelles, l’Episcopat répondit qu’il s’agissait d’une convocation et que, « dans
nos traditions cette convocation est de la compétence du chef de la communauté. On ne peut
pas la confier à un diacre »954. Enfin, le sens de l’expression « soyez avec nous » utilisée à la
place de « priez pour nous » n’est pas celui, banal, de « être à côté de quelqu’un ». En effet,
dans ces civilisations africaines marquées par des situations ou des états existentiels de
relation et de communauté, la catégorie « être avec » est primordiale, au point où les
spécialistes font constater qu’il n’y existe pas de verbe « avoir » ou « posséder » [on dira « je
suis avec… », « nazali na… » en lingala, « ndi ne » en luba, « niko na » en swahili ou mono
kele na (mo kele na) en kikongo, par exemple] ; « être avec » quelqu’un c’est alors être de
cœur avec lui, être uni à lui.
C’est une méthode qui favorise l’union et la communion, notamment pour la liturgie
de la Parole. Pour cela, c’est après une monition de « l’annonciateur » (dont nous verrons le
ministère), qu’ont lieu les lectures de la Parole. La lecture de l’Evangile, contrairement à la
pratique de la liturgie « occidentale », est écoutée par le peuple assis, s’accordant à la
coutume selon laquelle quand le chef parle, lui seul prend l’attitude qu’il veut, debout ou
assis, mais le peuple est respectueusement assis, ainsi bien disposé à écouter avec attention le
message du chef.
Les lectures et l’homélie qui les complète sont suivies de l’expression de l’adhésion du
peuple à la Parole et aux leçons de l’homélie comme exposé au point exposé ci-dessous ;
954
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière, Session ordinaire, de la CEZ, op.cit., p. 216.
410
alors, vient la « réconciliation avec Dieu et avec les frères ». Cette réconciliation se traduit
après un double geste, le pardon et le geste de paix ainsi intimement liés. C’est ce qui
explique pourquoi c’est seulement après la liturgie de la Parole proprement dite qu’intervient
l’acte pénitentiel, vécu comme un acte de purification au cours duquel le prêtre parcourt
l’église avec aspersion de l’eau bénite ; l’acte pénitentiel est placé après la Parole qui
interpelle et « accuse » le fidèle et lui inspire une introspection et un examen de conscience
afin que, ainsi instruit, il puisse d’autant mieux regretter son état de pécheur et plus
ardemment désirer sa purification. Cet emplacement de ce double rite est une pratique que les
Africains trouvent conforme aux mœurs africaines, d’abord l’essentiel, salutation et écoute du
message pour lequel on est venu ou pour lequel on est convoqué et, ensuite seulement, griefs
et regrets en vue de faire amende honorable ou de se pardonner. Comme le résume si
merveilleusement le titre d’un article du quotidien catholique français La Croix commentant
les explications de Mgr Sanon sur cette question : « L’amour avant le pardon »955. Dans le
même ordre d’idées, le rite de la paix suit la purification et, logiquement, précède, dans cette
conception, l’offrande du sacrifice eucharistique ; tout en répondant à la logique africaine
exposée ci-dessus, la place du rite de paix se conforme à l’enseignement de Jésus : « Quand
donc tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose
contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et vas d’abord te réconcilier avec ton frère ;
puis reviens, et alors présente ton offrande » (Mt 5, 23-24). Au cours des débats sur le projet
zaïrois, la délégation romaine crut découvrir un doublet du rite pénitentiel avec la mise en
présence de Dieu et avec l’asperges me toujours exécuté dans le rite zaïrois, contesta
l’emplacement de cet ensemble rituel –acte pénitentiel, rite de la paix-, et proposa qu’il soit
laissé au choix, soit au début pour l’acte pénitentiel et après le Pater pour le geste de paix.
Aucune des objections de la Congrégation vaticane, ni historique, ni liturgique ni théologique,
sur cet emplacement et la formulation des paroles de ce rite n’a pu ébranler les positions et les
convictions de l’Episcopat zaïrois quant au bien-fondé de cette originalité présentée comme
inspirée du modèle de la palabre africaine et par une théologie conforme à l’Evangile, tandis
qu’il n’y a pas double emploi avec l’asperges me, qui ne s’ajoute pas à l’acte pénitentiel mais
le valorise en rappelant le baptême956. Ces options seront maintenues, moyennant cette
observation de Rome de ne pas donner trop d’ampleur au rite pénitentiel, qui casserait le
rythme normal de la messe entre ses deux parties traditionnelles957.
955
JARCZYK, B., « Mgr Sanon, Evêque du Burkina-Faso : L’amour avant le pardon », in La Croix, 8-9
décembre 1987, p. 16.
956
V. débat sur le point n. 23, Actes de la XXIIIe Assemblé Plénière, p. 220.
957
Ibid.
411
C’est ici que l’on retrouve le ministère de l’annonciateur, une sorte d’héraut, laïc
habituellement, qui, entré dans le chœur avant le célébrant, les autres ministres et les acolytes,
renforce, après une formule spécifique de salutation, la conscience de la communauté en
expliquant les perspectives de l’événement célébré, présente les ministres et invite alors les
fidèles à se lever et à la chorale de commencer le chant d’entrée. Au cours de la célébration, il
prononce diverses monitions, entraînant les fidèles lors de la louange du Gloria, situant les
lectures, appelant l’attention du public et présentant les annonces et informations de la
paroisse à la fn de la célébration..
On observe, comme autre originalité du rite zaïrois, que, sans que cela figure dans la
description des rubriques du rite zaïrois, la première lecture est délibérément et
systématiquement faite par une femme. Des spécialistes zaïrois expliquent ce choix, non par
412
galanterie comme on serait tenté de le faire en Occident, mais par un argument biblique
faisant état de la « double disponibilité primordiale de la Nouvelle Eve », Marie qui, en
recueillant la parole de Dieu à travers l’Annonciation de Gabriel, « accueillit l’enfant Jésus
pour le présenter au monde », ensuite Marie-Madeleine qui, en recevant la première la
nouvelle de la résurrection, reçut la première parole de Jésus ressuscité « pour l’annoncer aux
apôtres » ; on voit, par là dans le rite zaïrois, « un présage et une promesse »958.
La lecture de l’évangile est précédée par l’intronisation par laquelle le peuple acclame,
à l’invitation par le lecteur (célébrant ou diacre) : « Frères et sœurs, le Fils (le Verbe) de Dieu
s’est fait chair », en répondant « Il a demeuré parmi nous ; écoutons-le, écoutons-le, écoutons-
le ». Au cours de l’homélie, le dialogue se poursuit entre le célébrant et les fidèles appelés à
compléter les phrases du prédicateur, complétant les proverbes et paroles de sagesse dont il
truffe son propos, etc. L’homélie se termine par une interpellation du prédicateur : « Que celui
qui a des oreilles pour entendre », le peuple : « qu’il entende », de nouveau le prédicateur :
« que celui qui a le cœur pour consentir (croire) » ou encore « que celui qui a le courage pour
mettre en pratique », et le peuple : « qu’il consente (croie) », etc.
Par ailleurs, c’est en procession avec chants et danses que les fidèles donnent leur
quête et d’autres offrandes, tandis qu’ensuite, le produit de la quête, les offrandes en nature et
les espèces du sacrifice jusque là placées sur une crédence au fond de l’église, sont apportés
par une procession au prêtre debout au seuil du sanctuaire en compagnie des ministres ; ils les
remettent avec une formule de présentation priante. Alors que la procession des dons,
recommandée par Vatican II comme la restauration d’une pratique antique, notamment
africaine, ainsi que le confirmait saint Augustin comme nous l’avons vu, reste peu pratiquée
en Occident, elle est pour la liturgie africaine le premier moment fort de la liturgie
eucharistique proprement dite et, par elle, les fidèles associent leur sacrifice à celui du Christ,
dans le sens de la prière eucharistique n° 3 de Vatican II rappelée à cet effet justement par
Jean-Paul II959.
La participation des fidèles est requise et réalisée même lors de la prière eucharistique,
dite en dialogue entre le célébrant et le peuple alors qu’à l’élévation, en dehors des
acclamations formalisées prévues, il est fréquent que, spontanément, du milieu des fidèles
crépitent des grelots et éclatent des cris stridents d’admiration, de louange et d’adoration, en
958
BOKA DI MPASI, LONDI, « Inculturation de l’eucharistie au Zaïre », in BROUARD, Maurice,
Encyclopédie de l’eucharistie, op.cit., p. 360.
959
« Regarde, Seigneur, le sacrifie de ton Eglise et daigne y reconnaître celui de ton fils… », rappel dans la
Lettre Dominicae Cenae de Jean-Paul II, du 24 février 1980, § 9.
413
dépit du fait que la délégation romaine tint à préciser qu’il ne faut pas laisser libre cours à des
improvisation non contrôlées. Il conviendrait de trouver des formules précises […] »960.
La participation s’exprime également par l’élévation des mains pendant les oraisons
dites par le prêtre, pendant la doxologie, elle aussi dialoguée, et pendant la récitation du Pater.
En fait, la participation du peuple aux oraisons dites par le célébrant est sollicitée par ce
dernier : le prêtre commence chacune de ses oraisons par inviter les fidèles à lever les mains
« Les mains en haut (ou les mains levées), frères et sœurs, prions le Seigneur », tandis que la
conclusion, presque toujours trinitaire, est chantée par le célébrant et le peuple : (traduction
littérale) « Nous supplions ainsi dans le nom de Jésus-Christ, notre Seigneur, ton Fils et lui-
même Dieu, qui a la gloire ensemble avec toi et avec le Saint-Esprit, pour tous les siècles
éternellement. Amen »).
Ils imprègnent les textes et les rites, afin que le message que contiennent et véhiculent
ceux-ci soit adressé et exprimé dans un style vivant. On recourt à des images, à des
métaphores, qui frappent l’imagination (jusque dans certaines prières, comme les formulaires
de l’acte pénitentiel où le péché est comparé à « la sangsue qui adhère à la peau et suce le
sang », …). On recourt à ce que Laurent Monsengwo appelle « genres littéraires africains »
pour la prédication et l’éloquence sacrée et « expression et symbolique africaines »
concernant la liturgie961, avec assonances et recherche de sonorités expressives, répétition par
l’assemblée de certains mots les plus significatifs ou des mots simplement suggérés par le
contexte des paroles dites par l’orateur, recours à des images qui frappent l’imagination, à
l’expression énigmatique et à des allusions, à des proverbes et paroles de sagesse
traditionnelles, ... Ceci donne des homélies contextualisées, dialoguées et mettant assez
souvent en œuvre, comme le signale par ailleurs, P. Abega, la maïeutique et débouchant sur
des conclusions, résolutions et recommandations. Même les prières et oraisons en sont
marquées, non seulement elles sont plus longues que les oraisons « romaines », mais aussi
elles contiennent des développements théologiques et christologiques au cours de prières
eucharistiques, qui empruntent aux symboles représentant, à l’africaine, les attributs et
qualités de Dieu et du Christ ; par exemple, magnifier Dieu comme « le soleil qu’on ne peut
regarder fixement ». Le dialogue accompagne également les prières, y compris la prière
eucharistique.
960
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre…, p. 225.
961
MONSENGWO Pasinya (Mgr), Laurent, in Les Evêques d’Afrique, n.37, 1978, p. 145.
414
L’épiscopat congolais, dans une vision globale d’insertion des laïcs dans la vie de
l’Eglise, voit, bien plus qu’un palliatif, l’institution de véritables « ministères » nouveaux,
inédits dans l’Eglise universelle, détenus et exercés par des laïcs et totalement intégrés dans la
mission de l’Eglise, ou la reconnaissance comme « ministères » de services existants au
niveau de communautés plus ou moins restreintes, parfois jusque là sans statut précis, dans
lesquels étaient engagés des laïcs et qui ne fonctionnaient que par le dévouement de ces
derniers. Cette option de l’Eglise congolaise est concrétisée, notamment à Kinshasa par les
« Options pastorales » publiées en 1970, dans lesquelles l’évêque rappelle opportunément que
« Historiquement, toutes les fonctions de la communauté ont été petit à petit prises en charge
par les clercs. Le renouvellement de la théologie du peuple de Dieu nous invite à situer le
prêtre à sa vraie place, et à rendre aux laïcs l’exercice de leurs responsabilités également dans
le domaine de la vie interne de l’Eglise - Institution par une véritable réactivation de la
conscience missionnaire des chrétiens »962.
962
Mission de l’Eglise à Kinshasa, in Options pastorales, septembre 1970, p. 19.
963
Allocution du Cardinal Malula à la VIIIème Semaine Théologique de Kinshasa, juillet 1973.
415
reconnus. Toutefois, on peut dégager quatre directions dans lesquelles pourront être créés des
ministères laïcs : catéchèse, liturgie, animation des communautés et direction des
communautés964 ; le nouveau visage de l’Eglise congolaise présente cette marque du rôle des
laïcs, jusqu’à la direction des paroisses par le système de « bakambi de paroisse » dont un
exposé est fait en annexe. Par ailleurs, ces options seront présentées à la troisième Assemblée
générale du Synode des évêques qui s’est tenue à Rome du 27 septembre au 26 octobre 1974
consacrée au thème de l’évangélisation, dans un document de base remis par les évêques
zaïrois, où se trouve traitée, entre autres, la problématique de l’institutionnalisation des
ministères laïcs. A ce propos, les évêques zaïrois déclarent : « La formation d’un peuple
sacerdotal et prophétique, fin de l’évangélisation, ne peut se concevoir ni se réaliser sans une
institutionnalisation généralisée de ministères laïcs… ». C’est pourquoi, la Conférence
Episcopale du Zaïre va instituer « un éventail de ministères laïcs correspondant aux besoins
réels de la communauté des croyants », qui étaient jusqu’à présent monopolisés par le prêtre
ou qui n’apparaissaient que comme activités subalternes. Dans le domaine de la liturgie, le
rite zaïrois a érigé en ministères liturgiques certains offices traditionnels, tels que les
ministères de la présidence de la prière et de la liturgie dominicale (sans célébration
eucharistique), de la Parole (lecteurs et interprètes de l’Ecriture, ministère homilétique), de la
célébration de certains sacrements (baptême, sacrement des malades, …), de l’animation
liturgique, musique et chorale, et l’annonciateur qui remplace le traditionnel
« commentateur ». Il y a également lieu de citer ce ministère particulier, des nkumu (à
Kinshasa) (ou ba-ntita en langue luba), ministres qui accompagnent le président de la liturgie,
le célébrant, sans tâche spécifique au cours de la messe, à l’instar des notables qui
accompagnaient le chef traditionnel partout où il allait et spécialement lors des cérémonies
cultuelles communautaires, audiences arbitrales ou tout autre circonstance ; à la messe, ils
encadrent le célébrant, un peu en retrait lorsqu’il est à l’autel ou assis de part et d’autre de lui
pendant les lectures, quand ils sont présents à la messe, la distribution de la communion par
les laïcs leur revient en premier…
964
Selon l’étude du Père Lefebvre, Renouveau pastoral à Kinshasa, Kinshasa-Limete C.E.P. 1977.
965
Présentation Générale du Missel Romain, n. 68, a), d’après Conférence Episcopale du Zaïre, Missel romain
pour les Diocèses du Zaïre, Kinshasa, Ed. du Secrétariat Général, 1989, pp. 29-30.
416
liturgie zaïroise exerce un des nouveaux ministères spécifiques des rites africains, que l’Eglise
du Zaïre avait tenu à maintenir face aux pressions romaines pour se limiter au rôle du
« commentateur ». Il s’agit d’un ministère, certes non ordonné, mais qui figure bien dans la
rubrique « Offices et ministères à la messe » de l’ordo du rite zaïrois qui l’institue pour le rite
solennel : c’est un laïc qui « joue son rôle de précurseur, de celui qui annonce l’événement, en
renforçant la conscience de la communauté », par des formules de salutation fraternelle.
Conformément à la tradition africaine, c’est le héraut qui « proclame la charte de la vie
intérieure, le guide qui exhorte, menace, console, …, suscite l’espérance » et, lors du culte, il
« précise l’objet du culte du jour, éveille à la présence de la puissance divine dans l’acte
sacrificiel et la prière qui vont commencer » ; dans l’eucharistie, il « assure la liaison entre le
célébrant et l’assemblée, en dirigeant de façon discrète et efficace la participation active des
fidèles et en guidant leurs prières », par son commentaire, il « fait ressortir le mystère que
l’Eglise célèbre, proclame dans le service de la Parole, et réalise pendant la liturgie
eucharistique ». L’annonciateur qui, à chaque intervention, utilise une clochette, présente les
prêtres, les ministres et les visiteurs de marque venus s’associer à la communauté en prière ; il
introduit les lectures par une brève monition, il se met en tête de la procession de l’Evangile et
intervient également avant la prière eucharistique.966
966
Présentation de la liturgie de la Messe, Supplément au Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre, Kinshasa,
Ed. du Secrétariat Général de la Conférence Episcopale du Zaïre, n. 91 et 100.
967
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre…, p. 214.
417
mosala (travail…) ! Outre qu’on remarque encore ici ce style répétitif et dialogué des rites
africains, l’ordonnance de ces termes, plaçant la « fraternité » au centre, dit Ignace Ndongala
M., induit une « présupposition sociale », dans un rapport qui « n’est pas une simple formule
de politesse ni un quelconque souhait mais uns bénédiction », déclinant « une modalité
particulière du vivre ensemble » qui devient d’ailleurs la manière de se désigner et de se
saluer des catholiques968.
Autres innovations.
Plusieurs autres formes d’africanisation ont été autorisées et mises en œuvre. Il en est
ainsi de la musique sacrée, y compris les instruments d’accompagnement, à propos de laquelle
le Concile avait dit que « Puisque, [ …], surtout en pays de mission, on trouve des peuples qui
possèdent une tradition musicale propre qui tient une grande place dans leur vie religieuse et
sociale, on accordera à cette musique l’estime qui lui est due et la place convenable, aussi
bien en formant leur sens religieux qu’en adaptant le culte à leur génie »969. Il existe ainsi un
très vaste répertoire musical liturgique, les chants étant adaptés à la tradition musicale dans
l’art africain, avec des instruments adaptés au style dansant ou tout au moins entraînant des
chants liturgiques. Au Congo, outre la guitare et le synthétiseur auxquels il est fait appel, c’est
l’usage d’instruments de musique africains, ngonga, likembe, tam-tam, xylophone,
maracasses et grelots, etc., qui est le plus courant, donc des instruments dits profanes mais
avec l’injonction que, consacrés lorsqu’ils sont affectés à la musique sacrée, ces instruments
ne soient pas prêtés à des usages profanes.
968
NDONGALA MADUKU, Ignace, « Des communautés célébrantes pour quelle Eglise ? L’expérience du
diocèse de Kinshasa (RDC) », in Questions liturgiques – Studies in Liturgy, Vol. 86-2005/2-3, Liturgisch
Instituut, Leuven, pp. 115-116.
969
Cité par JENNY, Henri, op. cit., p.110.
970
LESAGE, Robert, Objets et habits liturgiques, Paris, Ed. Fayard, 1958, p. 18.
971
MVENG, Engelberg, L’art nègre, l’art chrétien, Paris, Ed. Présence Africaine, 1969, p.73.
418
***
Globalement, on retrouve dans ce rite les différents résultats des recherches qui ont été
présentés plus haut et, selon les explications qu’en donne l’épiscopat, « les efforts entrepris
pour inculturer la liturgie catholique sont à situer dans le cadre des exigences pastorales,
catéchétiques et liturgiques de la vie de l’Eglise du Zaïre » (§ 30).
Sans aucune prétention théologique, on peut dire que, ainsi présenté, ce rite semble
bien refléter les enseignements de l’Eglise sur les exigences d’une évangélisation réussie, qui
incarne le message chrétien dans la société concernée et sa culture, embrassant aussi bien
l’aspect transmission du message chrétien que l’aspect liturgique. En effet, dans une rubrique
« Adaptation et fidélité du langage » de son encyclique Evangelii Nuntiandi, Paul VI dit :
« Les Eglises particulières, profondément amalgamées avec les personnes mais aussi
les aspirations, les richesses et limites, les façons de prier, d’aimer, de considérer la vie
et le monde qui marquent tel ou tel ensemble humain, ont le rôle d’assimiler l’essentiel
du message évangélique, de le transposer, sans la moindre trahison de sa vérité
essentielle, dans le langage que ces hommes comprennent, puis de l’annoncer dans ce
langage. La transposition est à faire […] dans le domaine des expressions liturgiques,
de la catéchèse, de la formulation théologique, des structures ecclésiales secondaires,
des ministères. »973.
972
MVENG, Engelbert, L’art de l’Afrique noire, Paris, Mame, 1964, p. 32.
973
Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, du 8 décembre 1975 , § 63.
419
Ce que confirme Jean-Paul II dans son encyclique Missio Redemptoris, quand il écrit :
«Grâce à cette action dans les Eglises locales, l'Eglise universelle elle-même s'enrichit
d'expressions et de valeurs nouvelles dans les divers secteurs de la vie chrétienne, tels
que l'évangélisation, le culte, la théologie, les œuvres caritatives ; elle connaît et
exprime mieux le mystère du Christ, et elle est incitée à se renouveler constamment.
Ces thèmes, présents dans le Concile et, par la suite, dans les enseignements du
magistère, je les ai sans cesse abordés au cours de mes visites pastorales aux jeunes
Eglises »974
Cette structure est, pour l’essentiel, conforme au missel romain tel qu’il s’est forgé au
cours de l’histoire, en respectant la division de la messe en une partie introductive qui est
l’ouverture, suivie de la liturgie de la Parole et de la liturgie Eucharistique. Néanmoins,
compte tenu de toutes les caractéristiques africaines vues ci-haut, l’ordo missae selon le rite
zaïrois contient des innovations ou des particularités dont certaines seront brièvement
commentées ici, d’autres commentaires ayant été présentés au paragraphe précédent en
relation avec le débat de clarification qui eut lieu entre le Saint-Siège et l’Eglise du Zaïre.
Ouverture de la célébration
974
Encyclique Missio Redemptoris, déjà citée, § 52.
975
Adapté de Présentation de la liturgie de la Messe, op.cit., pp.10-12.
420
une prostration ». « Le prêtre peut également se tenir debout au milieu de l’autel, face au
peuple, les bras étendus en forme de V, puis, il s’appuie sur l’autel, le front touchant
l’autel, il répète ce geste aux trois autres côtés de l’autel » en contournant par la droite,
tandis que les concélébrants et les autres ministres demeurent profondément inclinés.976
- Salutation au peuple rassemblé
- Mise en présence de Dieu : Après avoir invité le peuple à prendre conscience d’être sur
la montagne de Dieu et d’avancer avec confiance, le prêtre, disant « Unissons-nous à tous
les disciples du Christ qui ont quitté cette terre […] » « Unissons-nous à tous ceux qui,
même s’ils n’ont pas connu le Christ […], ont pourtant cherché Dieu d’un cœur sincère »
« Que ce sacrifice eucharistique nous rassemble tous en une seule famille devant Dieu »,
introduit l’invocation des saints et des ancêtres « au cœur droit », amis de Dieu, de même
que la liturgie romaine évoque depuis l’Antiquité Abel le juste, Abraham et Melchisédek.
- Chant d’acclamation : c’est un chant de louange, que remplace le Gloria in excelsis Deo
les jours où celui-ci est prévu selon les rubriques de l’Ordo romain.
- Prière d’ouverture : dite ou chantée par le prêtre, tandis que le peuple a les mains levées
vers le ciel et conclut en reprenant avec le prêtre, comme indiqué plus avant, la
conclusion trinitaire de l’oraison terminée par Amen. A noter que c’est la première
oraison depuis le début de la célébration.
Liturgie de la Parole
Le lecteur, pour lire les épîtres, ou le diacre pour l’Evangile, va s’incliner devant le prêtre à
son siège et lui demande la bénédiction, puis s’incline en signe de remerciement. La demande
de bénédiction est une originalité du rite zaïrois, tirée de la pratique ancestrale selon laquelle
nul ne peut prendre la parole devant le chef sans y être autorisé et, donc tout celui qui, dans la
célébration, proclame la Parole de Dieu en son nom soit accrédité auprès de l’assemblée par
celui qui en a reçu mandat de par son ministère. Après la proclamation, le lecteur invite le
peuple à manifester son approbation ; les deux formules, au choix, se trouvent reproduites
dans l’ordo présenté plus loin). Les premiers projets zaïrois prévoyaient une « demande de
parole » à laquelle le prêtre répondait par une imposition des mains au lecteur et termine
l’autorisation par une bénédiction trinitaire ; après les discussions avec Rome, l’imposition
des mains fut remplacée par une simple main tendue au-dessus du lecteur et l’habituelle
bénédiction par le signe de croix.977
976
Missel romain pour les Diocèses du Zaïre, op.cit., p. 83, A-4.
977
Explication donnée dans le compte-rendu fait dans Actes de la XXIIe Assemblée Plénière de la Conférence
Episcopale du Zaïre, du 9 au 12 août 1985, CEZ, Kinshasa, Ed. du Secrétariat Général.
421
- L’intronisation de l’Evangile
Lorsqu’un personnage prend la parole en public, dans la tradition, l’attention de l’auditoire est
attirée sur sa personne et sur le contenu et la portée attendue de son intervention. Or, ici, c’est
le Christ lui-même qui prend la parole, ce qu’explique le Concile en indiquant que « c’est lui
qui parle » et qu’ « il est dans sa parole ». Après avoir été présenté, le Verbe fait chair est
acclamé par l’assemblée : dans le rite zaïrois, le livre élevé, le prêtre, au milieu de l’autel,
chante « Frères et sœurs, le Fils de l’homme s’est fait homme » et l’assemblée répond « Il a
habité (ou il était) parmi nous, écoutons-le, écoutons-le, écoutons-le », un chant éclate et
poursuit spontanément l’acclamation pendant que débute la procession du Livre vers l’ambon.
- La Profession de foi
- L’Acte pénitentiel. Il est introduit par une invitation à la repentance par le prêtre qui
utilise l’une des trois formules proposées qui, toutes, mettent en exergue l’efficacité de la
Parole de Dieu (ainsi qu’on l’a vu). Ensuite, le prêtre commence les invocations dont la
première est très spécifique, où le péché est assimilé à « la sangsue qui adhère à la peau et
suce le sang de l’homme… », demandant « Qui nous sauvera, sinon toi notre
Seigneur ? »…Chaque invocation est conclue par le peuple en disant « Seigneur prends pitié »
ou « Kyrie eleison ». C’est un véritable examen de conscience suivi par l’Asperges me et,
revenu à l’autel, le prêtre implore alors le pardon dans l’une des deux formules que propose le
Missel. Une de ces formules est caractéristique du style eucologique africain avec son
métaphorisme concret et unique : « que nos cœurs ne soient plus enclins au mal ; pardonne-
nous nos fautes, à cause du sacrifice de ton fils…, que ton Esprit habite en nos cœurs et que
nos péchés soient noyés dans l’eau profonde et silencieuse de ta miséricorde ».
- Le rite de la paix. Après la réconciliation à l’issue du rite pénitentiel, la joie reçue de la
Parole et de l’homélie est redoublée et le rite de la paix en devient lui aussi festif,
978
KABASELE LUMBALA, François, « Du Canon romain au rite zaïrois », in BTA, Vol. IV, n° 8, 1982, 220.
422
La liturgie eucharistique
L’apport des dons (qui comprennent le produit de la quête, les offrandes et dîmes, les
offrandes en nature que rassemblent les chrétiens pour les besoins de l’Eglise, de la paroisse
et de l’équipe pastorale ; ils sont pris depuis le fond de l’église où se trouve disposée
également la crédence portant les espèces, apportés en procession avec le chant de l’offertoire
et reçus à l’entrée du sanctuaire par le prêtre accompagnés des concélébrants et du diacre, les
fidèles accompagnent la remise des dons d’une formule de présentation). Ce rite n’est
nullement folklore, mais il a une signification ecclésiologique évidente, au regard des
conceptions africaines : en effet, l’eucharistie devient un lieu de service en ce que toutes les
communautés ecclésiales de base sont appelées à la solidarité et au partage en se chargeant à
tour de rôle des offrandes. De telle sorte que les fidèles, dans le cadre de ces communautés,
prennent en charge les besoins des paroisses et des instituts de formation ; souvent, dans
presque toutes les paroisses congolaises, la quête est collectée séparément par communauté,
dans un climat d’émulation mutuelle (rivalité ou concurrence ?) entre elles, chacune se
mobilisant pour donner plus que les autres979.
979
Pour l’émergence et le rôle des « Communautés ecclésiales de base » (CEB) ou « Communautés ecclésiales
vivantes de base » (CEVB) dans la nouvelle ecclésiologie de l’Eglise particulière, lire MUENDE-MAMPUYA,
Marie-Jeanne., Essor de l’Eglise catholique congolaise et l’évolution politique du Congo…, Mémoire déjà cité,
spécialement pp. 73-75.
423
qu’elles avaient été voulues par Paul VI, seules les « offrandes pour le sacrifice sont offertes à
l’autel par le prêtre » et une prière est dite séparément sur chaque espèce980.
La prière eucharistique (de la Préface à la fin, elle est dialoguée ou accompagnée par
de brèves acclamations de l’assemblée). La prière eucharistique souleva plusieurs
interrogations de la part de la Congrégation du Culte Divin, dont celles relatives au dialogue
introductif de la Préface et à la mention des gouvernants dans les intercessions du Memento
des vivants. Sur le premier point, l’interrogation portait sur la réponse « Qu’il soit aussi avec
vous » que proposait le rite zaïrois au Dominus vobiscum de la Préface, qui ne refléterait pas
le sens du traditionnel Et cum Spiritu tuo du missel romain et de sa traduction littérale
française « Et avec votre esprit ». La délégation zaïroise expliqua que la version zaïroise en
français n’est pas la reprise du missel français auquel Rome aurait voulu qu’elle se conformât,
mais une traduction des langues congolaises en français à l’intention du Saint-Siège, en même
temps qu’une restitution conforme au langage liturgique africain, et rend mieux l’idée de la
personne à laquelle on répond et pas seulement son esprit, fidèle en cela à l’expression utilisée
dans le culte juif (nefesh, personne, qui se dit nafsi en swahili, l’une des langues zaïroises).
Quant à la mention des autorités civiles, la Congrégation soutint qu’il ne conviendrait pas, là
où l’on prie pour la communauté ecclésiale, de traiter de façon identique « ceux qui veillent
sur la foi catholique reçue des apôtres et ceux qui gouvernent les nations » ; elle fit adopter
que la mention des dirigeants politiques sied mieux dans la prière universelle et non dans la
prière eucharistique981. A la fin de la prière eucharistique, il y a lieu de remarquer la
doxologie qui, à la différence de la doxologie romaine christologique, glorifie les trois
personnes en Dieu et fait participer les fidèles :
-Célébrant : Seigneur, puissions-nous glorifier ton nom (sens de la langue originale : « rends-
nous dignes de glorifier ton nom », Actes de la XXIIIe Ass. Plén. de l’Episcopat…, p. 227)
Réponse : Amen
-Célébrant : Ton nom
Réponse : Amen
-Célébrant : Très honorable
Réponse : Amen
-Célébrant : Père
Réponse : Amen
-Célébrant : Fils
Réponse : Amen
-Célébrant : Esprit Saint
980
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de la CEZ, Session ordinaire du 6 au 17 novembre 1986, p. 222.
981
Ibid., pp. 225-226.
424
Réponse : Amen
-Célébrant : Puissions-nous le glorifier
Réponse : Amen,
-Célébrant : Aujourd’hui
Réponse : Amen
-Célébrant : Demain
Réponse : Amen
-Célébrant : Pour les siècles des siècles
Réponse : Amen.
Les rites de communion et de conclusion : ils ne présentent rien de spécifique, mais la sortie
du célébrant accompagné des ministres et acolytes se fait en procession par la nef centrale, le
peuple suivant derrière.
982
Ibid.
425
La vénération de l’autel : le prêtre, les bras en « V », pose le front sur l’autel à ses quatre côtés
– ici, de dos, face au peuple.
427
La vénération de l’autel : le prêtre, les bras en « V », pose le front sur l’autel à ses quatre côtés
– ici, de face..
428
La danse autour de l’autel pendant l’exécution du Gloria ; on aperçoit des acolytes dansant
tenant une lance
429
Le célébrant assis avec deux acolytes pendant les deux premières lectures : on remarquera le
couvre-chef et le bâton terminé par des poils en forme de queue
430
La fin de la procession des offrandes, le prêtre en liesse avec les fidèles, attend de recevoir les
offrandes amenées et présentées par les CEVB
432
Une fidèle, comme d’autres, n’hésite pas à continuer des cris de joie
et de louange peu avant l’Offertoire
433
DJEMBE (notamment en Afrique de l’Ouest ; en Afrique Centrale, c’est le TAM-TAM qui est
le plus utilisé, une sorte de djembe ou de tambour cylindrique et haut que l’on joue debout)
SANZA (en Centrafrique), LIKEMBE (au Congo, où par ailleurs, en langue luba il est appelé
« tshisanji »)
L’année même où était publié le Missel de Paul VI, apparaissait au Cameroun un rite
liturgique inspiré de traditions culturelles africaines, la messe de Ndzong-Melen. Dans un
article où il présentait le sens de cette démarche africaine, Prosper Abega mettait en exergue
le « conflit permanent » qui, selon lui, existait « entre les valeurs humaines instaurées par nos
ancêtres pour le bonheur de nos sociétés et cette vision chrétienne instaurée par une certaine
période missionnaire »985, conflit qui ne s’apaiserait que par une célébration liturgique
africaine qui réconcilierait l’âme africaine et le christianisme occidental. La liturgie de
Ndzong-Melen est issue de recherches de mélodies et rites liturgiques inspirés de l’art et des
983
Un grand nombre de prières eucharistiques africaines se trouve reproduites dans Centre de recherche
théologique missionnaire (Centre de Recherches Théologiques Missionnaires), A travers le monde Célébrations
de l’Eucharistie, Paris, Ed. du Cerf, 1981.
984
Exposition adaptée de la description de Prosper Abega, « La liturgie camerounaise », loc.cit., pp 518-522.
985
ABEGA, Prosper, « L’expérience liturgique de Ndzong Melen », Telema, 1970, n.4, p. 50.
436
traditions du terroir, recherches menées dès la fin du Concile par les pères camerounais
Englebert Mveng, Prosper Abega et le charismatique Pie-Claude Ngumu. Apparue dans une
paroisse (Saint Paul) de la banlieue de Yaoundé en 1968, elle fit sensation au Congrès
international eucharistique de Lourdes en 1981 ; elle est sans doute l’une des toutes premières,
avec la All Africa Eucharistic Prayer qui va être évoquée plus bas, à être aussi élaborées,
même si elle ne reçut pas la même consécration officielle du Vatican que celle du rite zaïrois,
mais elle jouit d’une reconnaissance notable. Décrivant cette liturgie, A. Shorter dit que
« C’est une célébration d’inspiration africaine et pas du tout une célébration européenne avec
ajouts de quelques éléments africains. Par exemple, on y danse sans discontinuer au son de la
musique et des chants de cette culture. On célèbre maintenant ainsi un peu partout en Afrique,
sinon tous les dimanches, au moins pour les grandes fêtes. », description bien simpliste car on
ne saurait, à l’évidence, réduire les liturgies africaines à la danse.
Mais, bien autre chose que ces danses continues que décrie Shorter, c’est dans
l’ordonnance de la messe que, s’appuyant sur un modèle culturel spécifique africain des
assemblées du peuple convoqué par le Chef, ou par le membre de la société qui a un problème
à faire résoudre par la communauté, et du repas qui y a lieu, le rite de Ndzong-Melen se
démarque de la liturgie romaine. De ce point de vue, toute assemblée délibérative ou autour
d’un événement socio-culturel important, commence par la proclamation de ce pourquoi le
peuple est convoqué, faite par un hérault, un annonciateur, ensuite on écoute le chef et enfin la
palabre ou le repas peut commencer. Ainsi, explique Abega, « nous avons fait appel à
l’assemblée traditionnelle beti pour essayer de réorganiser la messe catholique ». Il commence
par expliquer que l’assemblée (etogan ekaon, en beti) « est toujours informelle au moment de
sa convocation, … l’ordre du jour n’est jamais préétabli » ; ce qui oblige, séance tenante, à
informer les membres de l’objet du débat ou de la réunion ; suivent les délibérations, où on
rivalise de qualités oratoires et d’échanges de proverbes sapientiaux, après quoi le président
fait la synthèse d’où se dégage la solution, c’est alors qu’est servi le repas, à la fois de gratitude
et de communion (harmonisation et agrégation) pour le groupe.
C’est la raison pour laquelle la messe Ndzong- Melen débute par l’acclamation du livre
des lectures. Ayant apprêté le livre à la sacristie pendant que les chœurs avec leurs balafons
entament les chants que le peuple danse sur place, les ministres sortent en procession, précédés
par la croix et par le président portant le livre qu’il présente à la foule qui l’accueille par une
chaleureuse acclamation, le livre est alors ouvert et porté par le diacre pendant la procession.
Quand, après l’intronisation du livre par le président, tout le monde a gagné sa place, sans
437
aucune des prières introductoires de la liturgie classique, la cérémonie commence par l’écoute
de la Parole (l’annonce de l’objet de la réunion, du mystère du jour), trois lectures
entrecoupées de chants et, enfin la proclamation solennelle de l’évangile, la parole de celui qui
a convoqué son peuple, suivie de l’homélie, un véritable dialogue entre le célébrant et le
peuple, en une sorte de « palabre africaine », conduite par le célébrant à travers une maïeutique
qui accouche d’une concertation et de recommandations dégagées du « débat ». Le credo
s’élève alors comme acclamation et acquiescement de la foule ; pendant ce temps, les
offrandes de toutes sortes, en espèces et en nature, sont rassemblées à un endroit indiqué. Le
credo est suivi de la prière d’intercession de la communauté, conclue par un chant de
supplication qui remplace le Kyrie ; c’est alors que par la toute première oraison depuis le
début de la célébration, l’officiant ramasse toutes ces intentions individuelles et collectives : la
prière conclut, elle n’introduit pas, cette première partie.
La structure de la messe de Ndzong Melen s’organise ainsi autour de ces deux moments
forts, l’acclamation du Livre et les lectures qu’elle ouvre, suivies du repas eucharistique :
986
In A travers le monde…, op.cit., p. 145.
987
ABEGA, Prosper, cité in A travers le monde…, ibid.
438
Hymnes et danses
Encensement du Livre
Intronisation du Livre
Homélie
Le repas eucharistique
Fruit de la prière et de la réflexion des sœurs clarisses de Lilongwe, cette messe est,
avec toute la liturgie des heures, à considérer comme l’une des élaborations les mieux
réussies de l’inculturation en Afrique Noire. Son schéma est fondamentalement romain
mais il met en valeur certaines caractéristiques qui empruntent à la pratique africaine.
D’abord, les textes euchologiques dont la composition et l’expression sont typiques de la
culture africaine telle que nous en avons vu certains traits spécifiques. Ensuite, le décor : la
célébration a lieu en plein air, sur un espace uniquement entouré d’un enclos de bambous
orné de triangles et de losanges, de manière à y reconnaître ainsi la volonté d’une liturgie
du cosmos tout entier ; l’autel n’est qu’un tronc d’arbre sur lequel est étendue une peau de
léopard, tandis qu’à côté de l’autel brûle un foyer de bois, dont nous verrons la
signification dans la présentation d’une autre liturgie africaine dans une paroisse
congolaise. Enfin, le déroulement de la célébration : procession d’entrée, suivie de la
demande de pardon et du rite de paix, puis vient la louange, tandis qu’un moment de
recueillement précède la liturgie de la Parole (chantée) (écoute de la Parole, qui est chantée,
prédication et profession de foi) ; la procession d’offrande (chacun apportant de ce qu’il a :
pas seulement de l’argent, des biens et le fruit de son travail, mais aussi tout simplement
988
Nous nous inspirons de la présentation qu’en fait François Kabasele Lumbala, Liturgies africaines…, op.cit.,
p. 37.
440
dire la joie qu’il a eue de faire certaines rencontres dont il fait état, dire ses souffrances,
…) ; la préface et la prière eucharistique sont chantées et dialoguées avec les fidèles, la
consécration est suivie par un rite spécial d’adoration souvent réalisé par une personne
rampant lentement vers l’autel en professant la louange de Dieu que l’assemblée reprend en
une clameur sourde ; l’assemblée reste assise la majeure partie de la messe, celle-ci est en
effet considérée comme un rassemblement de grande importance religieuse et sociale,
tandis que le célébrant est vêtu d’une longue tunique traversée en bandoulière par un pagne
(une sorte de drap bariolé), à la manière de roi ou de grand chef.
Célébrant principal :
Voici votre nourriture !
Voici votre boisson !
Tout ceci est à vous avant d’être à nous.
Nous célébrons une fête,
989
La prière fut dénommée et elle est ainsi connue « All Africa Eucharistic Prayer » ; en 1973, le même Aylward
Shorter élabora des prières eucharistiques pour le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie.
990
HEALEY, Joseph, A Collection of African Prayers: African Eucharistic Prayer, Jully 18, 2005, http//:www.
Africaaction.org/campaign_new; mais, surtout, l’ensemble de la prière dans A travers le monde Célébrations de
l’Eucharistie, op.cit., pp. 137-140.
441
Concélébrant :
Oh Dieu, nous et nos ancêtres,
Les pères de notre peuple
Nous te remercions et nous nous réjouissons.
Cette nourriture,
Nous la mangerons en ton honneur.
Cette boisson, nous la boirons en ton honneur.
Célébrant principal :
Nous te remercions pour le don de la vie.
Célébrant principal :
Nous te remercions pour le don de la liberté.
Célébrant principal :
Nous te remercions de nous apporter la paix< ;
Célébrant principal :
Nous te remercions pour celui qui porte la punition.
C’est notre dette.
Célébrant principal :
Pour celui sur qui tomba la punition,
Qui nous apporta la Paix,
III Epiclèse
Concélébrant :
Père, envoie l’Esprit de vie,
L'Esprit de puissance et de fécondité.
442
IV Le récit de l’institution
Concélébrant :
La nuit de sa passion
Il rendit grâce pour le pain
Qu’il tenait dans ses mains.
Ce pain il le partagea parmi ses disciples en disant :
Vous tous, prenez ceci, mangez ceci :
C’est mon corps qui sera livré pour vous.
Concélébrant :
Ensuite il partagea la boisson avec eux, en disant :
Vous tous prenez ceci, buvez ceci :
C’est mon sang
Le sang du pacte de la fraternité
Qui commence maintenant
Et durera pour toujours.
Ce sang sera versé pour vous et pour tous les hommes
V et VI Acclamation et anamnèse
Tous :
Nous te saluons ! Nous te saluons ! Nous te saluons !
Mort
Résurrection
Et retour.
Puisse venir le Bonheur !
Concélébrant :
Seigneur, Tu es la Résurrection et la Vie.
443
VII Intercessions
Célébrant principal :
Donne-nous la parenté et la fraternité
Avec tous les hommes.
Avec les aînés et les pères de ton peuple
Avec… notre pape
Et… notre évêque
Avec les vivants
Et les morts toujours en vie,
Avec les enfants qui ne sont pas encore nés,
Dans Jésus qui fut consacré avec le remède de la Vie.
VIII Doxologie
Tous :
Et toi, notre Prière,
Prière du passé lointain,
Toi la Parole ancienne prononcée par le Père,
Toi dont le souffle est l’Esprit,
Prière des ancêtres.
Tu es prononcée maintenant !
Amen.
Dans la revue Afer, Aylward Shorter, caractérise la All Africa Eucharistic Prayer par
ses « phrases courtes et saccadées qui sont typiques des prières africaines. L’accent y est mis
sur l’efficacité de la parole prononcée et sur la personnification des mystères au lieu de les
laisser sous la forme de concepts abstraits […] l’ensemble de la prière se présente comme une
liturgie eucharistique reflétant les coutumes d’un repas festif africain »991
Cette prière fut fort critiquée au Zaïre pour n’avoir sollicité que les coutumes et
cultures pratiquement minoritaires, notamment soudanaises, nilotiques, …, ce qui explique
certaines ressemblances de ton et de style avec la prière igbo que nous présentons ci-après
dans notre travail, tandis que la population majoritaire bantoue, peuplant en particulier le
Zaïre, était méconnue. A cause de cela, elle ne fut pas considérée dans ce pays comme
représentative des cultures africaines, ses auteurs, selon Boniface Luykx, un théologien de
Kinshasa très proche du cardinal Malula, n’ayant pu élaborer qu’une prière qui est restée
ethniquement locale, sans pouvoir s’élever à un niveau véritablement panafricain, estimant
991
SHORTER, Aylward, « An African eucharistic prayer », Afer 12, 1970, 2, pp. 144-146.
444
qu’il fallait « reformuler le texte dans des catégories ou des termes africains…, déjà dans les
textes types avant qu’on ne le traduise en des langues africaines »992. En réalité, l’AMECEA
qui avait initié cette prière rassemblait uniquement des diocèses anglophones, ce qui explique
que plusieurs anciennes colonies britanniques l’aient adoptée et traduite dans leurs langues
locales, tandis que les autres, dont le Zaïre, n’ayant pas été consultés, l’ignorèrent. De plus,
l’Eglise zaïroise, forte du travail de ses théologiens et du nombre de ses catholiques et de ses
diocèses, accéléra plutôt son propre projet de messe zaïroise sur la base d’idées et d’initiatives
très anciennes, comme celles qu’on a vues de Malula qui, dès 1958, parlait d’une église
africaine et qui en 1957 avait introduit les rites locaux dans l’adoration de la croix du vendredi
saint.
Célébrant :
Tous :
Nous te remercions Seigneur, le guide de nos pères,
Ta bonté à notre égard est sans limite.
Ton amour pour nous est sans limite.
Célébrant :
Chukwu, notre créateur,
Nous nous tenons debout devant toi dans la joie,
Te louant et te glorifiant dans la plus belle action que tu as faite en ce monde :
Tu nous as envoyé ton fils unique et bien-aimé,
c’est lui qui accomplit tes promesses aux (fils des) hommes.
Il nous a montré ton amour et ta bonté.
Il nous a fait comprendre que tu es Chi, Dieu notre Sauveur,
Il est auprès de toi nos yeux et nos oreilles,
Il nous a montré comment te voir, comment t’entendre et comment t’adorer.
Pour que nous puissions avoir la plénitude de la vie.
Tous :
Nous te remercions Père.
Nous te remercions pour notre Sauveur Jésus-Christ.
Célébrant :
Lorsqu’il eut terminé le travail pour lequel tu l’avais envoyé,
Lorsqu’il fut prêt à donner sa vie pour nous,
La nuit d’avant sa Passion, pendant qu’ils mangeaient,
Il prit le pain, te loua et le donna à ses disciples en disant :
Prenez, vous tous, mangez, vous tous. C’est mon corps.
La victime du sacrifice pour vous.
A la fin du repas festif,
Il prit la coupe de bénédiction, te remercia et te loua pour toutes tes œuvres
admirables, et la donna à ses disciples en disant :
Prenez-en tous, buvez-en tous, c’est mon sang,
Le sceau de l’alliance,
Il lave les péchés,
Il me lie à vous et à tous les hommes dans l’unique famille éternelle de Dieu.
Faites ceci en mémoire de moi.
Père, nous proclamons la mort du Christ.
Célélébrant :
Dans ton amour et ta bonté, regarde ce sacrifice,
Accepte-le à cause du Christ ton fils et notre frère,
Accepte-le à cause de ta bonté pour nous.
Envoie-nous ton Esprit,
L’Esprit de ton fils,
L’Esprit de vie.
Celui qui enseigne les croyants,
Le guide de nos pères,
Qu’il repose sur ce sacrifice.
Pour que nous soyons remplis de vie et de vérité.
Puisse ce banquet au corps et au sang du Christ nous garder solidement dans ta
famille.
Père, bénis cette famille qui est ta famille et que tu as sanctifiée dans le sang du
Christ.
Père, écoute notre voix.
Souviens-toi de nos frères et sœurs tes enfants, qui ne sont pas encore dans cette
nouvelle famille,
A la lumière de ton Esprit, illumine-les pour qu’ils voient dans le Christ
l’accomplissement des prières de nos ancêtres.
Père, écoute notre voix.
Bénis tous les pays du monde,
Donne-leur l’amour, l’unité et la paix.
Père, écoute notre voix.
Bénis cette belle terre sur laquelle nous vivons,
Donne-lui l’abondance en habitants et en nourriture.
Père, écoute notre voix.
Guéris les malades, console ceux qui souffrent, donne à manger à ceux qui ont
faim.
Père, écoute notre voix.
Prends pitié de nos frères et de nos sœurs qui sont morts, donne-leur la plénitude de
vie.
Père, écoute notre voix.
Unis-nous à tous les tiens, en particulier à nos ancêtres qui firent ta volonté,
à Marie, la mère de ton fils Jésus,
aux apôtres et à tous ceux qui firent ce qui te plaisait.
Père, écoute notre voix.
Nous unissons nos voix aux leurs,
En te louant et en te suppliant, Oh Père Saint,
Par le Christ ton fils
Dans l’Esprit de vie,
Puisse notre prière parvenir jusqu’à toi,
Pour que nous puissions entrer dans la vie qui ne finit pas. Amen.
447
994
C’est la paroisse qui s’appelait Tshikapa Saint Joseph – Budikadidi.
995
L’abbé NTUMBA MWENA MWANZA est né en 1948, il est licencié en théologie et docteur en
anthropologie culturelle de l’Université Laval (Québec), il a centré ses recherches sur l’inculturation et la
conscience noire. Il est directeur de l’Institut du monde noir (Congo-Kinshasa) et professeur d’anthropologie à
l’Université de Kinshasa, il a publié « L’expérience de Cikapa-Kele, essai d’une communauté chrétienne
africaine de se prendre totalement en charge », Revue Africaine des Sciences de la Mission, 1995.
448
conceptions traditionnelles, selon laquelle un chef considéré (que doit être le prêtre) doit
participer à la perpétuation de la communauté et, pour cela, être marié et père de famille.
Pourtant, la liturgie de Tshikapa-Kele fut autorisée par l’ordinaire des lieux parce que
l’ouvrage qui l’explique est préfacé par l’évêque lui-même996.
Nous n’allons pas reproduire cette liturgie dans son ensemble, l’ouvrage de 272
pages développant, outre, à la fin, la présentation de la messe, traduite comme « le repas du
Seigneur » ou « le Mémorial du Seigneur », beaucoup d’autres questions sur la liturgie, son
historique, la liturgie des heures, les sacrements, des bénédictions particulières, certaines
formes d’exorcisme et une sorte de lectionnaire spécifique pour la liturgie de Tshikapa-
Kele). Nous nous limiterons à indiquer les innovations de cette liturgie ainsi que ses
différences avec la liturgie typique de l’Eglise, en adaptant en français le texte luba de
l’ouvrage ( pp. 260-268).
1°) En premier lieu, les rites d’entrée, qui s’inscrivent nettement dans les traditions
cultuelles africaines. Après avoir souhaité la bienvenue, l’annonciateur ou le
commentateur, appelé au Kasayi « mumvwiji » (littéralement « celui qui explique » « qui
fait comprendre ») explicite « l’objet du rassemblement » et invoque, dans la formule
trinitaire, la protection de Dieu ; suivent alors les chants d’entrée.
2°) Ensuite, intervient un rite traditionnel, avec le grand moment de l’allumage du « feu
ou du foyer de la vie » (« kapya ka muoyo ») et de l’application du kaolin blanc, une
sorte de chaux appelée « lupemba ». L’annonciateur explique le sens de cette tradition
ancestrale : rassembler toute la communauté des vivants et des trépassés grâce à ces deux
signes de la vie que sont le kapya et le lupemba, afin d’en tirer la force de combattre le mal
qui sévit sur terre et sauvegarder la vie ; mais aussi, il rappelle que les membres de la
communauté qui se tiennent près du feu et se font appliquer le kaolin doivent avoir le cœur
996
NTUMBA MWENA MWANZA et KABASELE LUMBALA, François, Kutendeleela Yezu mu bwena kwetu,
Mwaku mudyenza muntu mu Afrika [Rendre un culte à Jésus selon nos traditions, ou encore une liturgie
conforme à nos coutumes ; avec un sous titre pouvant se traduire par la Parole incarnée en Afrique ou
L’Incarnation (l’inculturation) de la Parole en Afrique], Messelstein-Verlag GMBH- Donzdorf (Allemagne),
Ed. Bafiike dimanyayi, 2001, avec la préface de Mgr Emery Kabongo Kanundowi, ancien collaborateur de Jean-
Paul II, alors archevêque-évêque du diocèse de Luebo avant d’être appelé à une nouvelle fonction à Rome.
997
Ici, généralement ce rite se réfère au canon romain, en privilégiant la prière eucharistique II ou en suivant le
canon du rite zaïrois typique.
449
pur, car, dans les traditions ancestrales, le feu et le lupemba sont capables de « frapper »
ou, mieux encore en utilisant la notion luba de kutapa les coupables, les mauvais ( la
traduction littérale « blesser » n’aurait aucun sens pour un étranger, mais cela induit l’idée
de causer du mal, frapper de sanction, …). Alors, le célébrant passe à cette cérémonie :
appelant les morts et les vivants, tous membres de la famille de Dieu, grâce à une torche de
bois, il met le feu à de l’herbe sèche pendant qu’à son invitation, tous « demandent » au feu
de faire venir Dieu et les ancêtres et demandant au Tout-Puissant d’exaucer la prière. Et
puis, dans un dialogue avec les fidèles, il reprend l’un après l’autre tous les maux ou péchés
qui sont nuisibles à l’homme et à la vie et qui conduisent à la mort, disant « le feu rejette …
le mensonge, … la peur, … l’esclavage, … la sorcellerie, … la haine, etc. », l’assemblée
répondant chaque fois « abandonnons le mensonge, …la peur, …l’esclavage, …la
sorcellerie, …la haine, etc. ». Après quoi, le célébrant s’applique et applique à tous les
participants le kaolin blanc sur le front, pendant qu’est chanté le chant pour le lupemba,
disant, entre autres, « nous avons des défauts, mais nos ancêtres appliquaient le kaolin avec
un cœur pur, le kaolin est une lumière demeurant dans notre vie, etc. Invoquant Dieu, on
ajoute également quelques figures célèbres, héros de la lutte pour la vie et pour la liberté,
afin de leur ressembler et transformer la face de la terre, etc.
3°) La liturgie de la Parole (Dikobola dya Diyi), l’annonciateur appelle les fidèles à
l’attention et à l’écoute. La première lecture est, généralement, faite autour d’un thème de
vie communautaire ou individuelle, selon les urgences ou l’intérêt du moment constatés
dans la communauté paroissiale ; elle est préparée par une sorte de commission liturgique
ensemble avec, à tour de rôle, une des communautés ecclésiales de base (appelée « cyota »,
soit « byota » au pluriel). Comme on le voit, cette première lecture n’est pas prise dans le
Lectionnaire de l’Eglise ; cela peut paraître étonnant, mais on sait, par exemple, qu’en Inde,
il y a toujours une lecture tirée des « écritures indiennes » (qu’il y ait une, deux ou trois
lectures avant l’évangile, elles doivent contenir une des Ecritures indiennes ; il peut
d’ailleurs n’y avoir qu’une seule lecture avant l’évangile, ce sera celle des Ecritures
indiennes)998. Après un chant, vient la deuxième lecture, tirée des Saintes Ecritures ou peut
être empruntée à des auteurs de sagesse, etc.. La troisième lecture est tirée de l’Evangile,
« la Bonne Nouvelle de Jésus, l’alpha et l’oméga de tout et de tous » ; l’annonciateur en
résume le thème et indique le livre, chapitre et verset de l’extrait qui va être lu, et ouvre la
procession de l’évangéliaire ensemble avec le célébrant et les ministres, en chants et avec
danses de procession. La lecture de l’Evangile est suivie d’un chant (les auteurs indiquent à
998
« Adaptation liturgique en Inde », in A travers le monde Célébrations de l’Eucharistie, op.cit., pp. 165-166.
450
titre d’exemple le chant « Mfumu Yezu ngwa bisamba » (« Le seigneur Jésus est à toutes les
races »), et d’une parabole dont l’annonciateur présente le conteur en demandant une
écoute attentive des fidèles. Vient alors l’homélie, suivie d’un chant. Se rattache à la
liturgie de la Parole la récitation du credo (Dikobola dyetu ditaba dya cyota), non sans que
l’annonciateur ait invité les fidèles à s’accueillir et à faire connaissance mutuellement,
« avant de professer notre foi commune et de nous joindre au Créateur autour d’un même
repas ». Le credo de Tshikapa-Kele est l’un de ceux dont il sera vu plus bas qu’ils se
singularisent du contenu traditionnel du credo chrétien, celui reproduit dans l’ouvrage est
une hymne de louange, appelant toute l’humanité, les peuples du Congo et de toute
l’Afrique à louer et glorifier, appuyant les noms rappelant les attributs de la gloire et de la
puissance de Dieu (voir plus haut) ; il n’est pas trinitaire, mais invoque l’Esprit en adaptant
l’épisode célèbre que lut Jésus à la synagogue (« L’Esprit de Dieu repose sur moi, il m’a
envoyé… pour proclamer la Bonne Nouvelle aux pauvres, aux captifs la délivrance, aux
aveugles qu’ils sont sur le point de voir… »)999. Ici, s’installe une cérémonie complexe, qui
mêle l’examen de conscience, une sorte de contrition, d’un geste symbolique qui montre
que tous jettent le mal dans le feu de la vie et la résolution avec serment de ne pas retomber
dans le mal, et du rite de paix introduit par une monition de l’annonciateur (« à peu près
ceci : « Nous participons d’une seigneurie de lumière, si nous en observons les lois, le bien
emplira notre terre ; donnons-nous un signe de paix et de souhait du bien »).
lui-même versé pour accomplir ce vœu, sans craindre la mort. Le plat qui nous assemble
est fait du corps et du sang de notre Héros Jésus qui sont le sacrement du don de sa vie pour
vaincre le mal et sauver les hommes. Nous sommes en famille et commémorons ce mystère
de transsubstantiation… le mystère du dyaalu »]. Est alors dite la Prière eucharistique,
généralement la PE II ou le canon du rite zaïrois typique, elle se clôture par le Pater
Noster. Après quoi, on annonce « la communion à la coupe du sang du Seigneur » avant la
distribution des espèces eucharistiées, et un petit couplet avertit : « Examine-toi en
profondeur, mon frère, ma sœur, examine tous tes actes ; prends garde de ne pas recevoir
ton Seigneur avec des taches » (du mal dans ton cœur, avec le péché, …). Intervient alors la
prière de clôture.
Dans la mesure où, d’une part, le « combat » des Africains a été mené sur le plan du
continent, avec le rôle particulièrement déterminant des théologiens des différentes
nationalités, de la SCEAM et du Synode africain et, où, d’autre part, tous ont utilisé des
arguments culturels et religieux identiques pour tous les peuples d’Afrique et toutes les
cultures et traditions africaines, on peut imaginer, sur ces bases, une liturgie africaine dans
laquelle tous les peuples d’Afrique pourraient se retrouver et où il n’y aurait que des
différences de langues. Une telle liturgie panafricaine a été recherchée et une proposition
présentée par les étudiants africains de l’Institut Supérieur de Liturgie (de l’Institut
catholique de Paris) lors d’une rencontre qu’ils avaient organisée en novembre 1981 au
sein de leur université entre théologiens africains et l’Occident chrétien ; les théologiens
manifestèrent de l’intérêt pour ce projet qu’ils approuvèrent, sauf la libation aux ancêtres
qui était prévue avant la communion. On y retrouve les grandes caractéristiques des
liturgies africaines, empruntant soit au modèle de la palabre africaine comme le rite zaïrois
soit à celui d’une assemblée de réconciliation comme la messe de Ndzong-Melen,
impliquant l’invocation des ancêtres, les processions notamment lors des offrandes, la
danse, le rôle de l’annonciateur et le déplacement de certaines rubriques de l’ordo romain,
etc. La synthèse ainsi obtenue de ces emprunts aux différents rites africains préfigure une
liturgie continentale qui, sauf la différence des langues ou certaines spécificités
euchologiques, serait compréhensible et reconnaissable partout en Afrique.
1000
Adapté de KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africains, op.cit
452
L’entrée. Sur le rythme d’un chant animé avec gong ou tam-tam, le célébrant, revêtu des
insignes traditionnels du président de l’assemblée, les ministres et les acolytes entrent et
sont installés. Le célébrant procède au salut trinitaire traditionnel de la liturgie catholique et
annonce l’invocation des ancêtres, dont la présence est nécessaire car « la célébration
eucharistique est si importante ». L’invocation des ancêtres associent les ancêtres de toutes
les contrées africaines : « Oh vous les ancêtres du Zimbabwe, du bord de l’Orange et du
Zambèze, du Twana et du Sotho, les San, les Khoi, les Zulu, …Oh vous les ancêtres Luba,
Kongo, Mongo, Banya-Rwanda, ceux qui remontent le cours du Cuanza, du Kasayi et de
l’Ubangi, ceux du Ruwenzori…Vous nos pères Yoruba, du Bénin, les ancêtres des Mossi,
des Nok, des Ibo, des Bambara, des Wolof, ceux des rives du Niger et du Sénégal, … Ceux
de Nubie, du Nil jusqu’en Egypte, des Nuer, des Peuls, des Kikuyu et des Dinka, Soyez
avec nous ». Enfin « vous, nos ancêtres dans la foi, ceux d’Ethiopie, d’Hippone et
d’Ouganda, spécialement Augustin, Lwanga et ses compagnons martyrs, les missionnaires
étrangers… Soyez avec nous ».
Le rite pénitentiel et le geste de paix. Le célébrant, après l’homélie, enchaine par une
monition introduisant le rite pénitentiel et entonne la supplication pénitentielle (adaptée de
celle du rite zaïrois) : Devant toi notre Dieu, nous nous reconnaissons pécheurs, le mal est
sur nous comme un insecte qui suce notre sang. Qui nous sauvera, sinon Toi ? Seigneur,
prends pitié. Tous : Seigneur, prends pitié. … Oh Christ, prends pitié. … Seigneur prends
pitié. Après quoi, il invite ainsi du geste de paix : Heureux d’avoir été pardonnés,
échangeons un geste de paix pour marquer ce rétablissement dans la communion avec
Dieu, avec nos Ancêtres et les Saints, et avec tous nos frères.
Les offrandes. Après la paix, le chant d’offrandes est entonné, durant lequel la quête est
faite. Ensuite, trois ou quatre personnes tiennent les paniers d’offrandes, ainsi que le vin et
453
le pain. Sur un pas de danse, ils se dirigent en procession en partant du fond de l’église vers
l’autel où les attendent le célébrant et les ministres. Les dons sont présentés au célébrant,
avec ces paroles :
-Oh prêtre de Dieu, voici le pain, présente-le au Seigneur, qu’il devienne son corps pour
notre salut et notre vie. (Le prêtre acquiesce d’un léger battement des mains, puis prend le
don et le passe à un ministre).
–Oh prêtre de Dieu, voici le vin, présente-le au Seigneur, qu’il devienne son sang pour
notre salut et notre vie. (Le prêtre acquiesce le don, …)
-Oh prêtre de Dieu, voici les autres dons, fruits de nos labeurs, présente-les au Seigneur,
qu’il les fasse fructifier, pour notre salut et notre vie. Etc. et le prêtre revient à l’autel pour
dire la prière sur les offrandes.
Prière eucharistique.
Revenu à l’autel, dit la prière sur les offrandes et poursuit par la prière eucharistique,
précédée de sons de tam-tam :
Célébrant : Nous te louons toi le Tout-Autre, toi l’Abîme qui ne s’emplit pas d’eau, Soleil
qu’on ne peut regarder fixement, toi la nasse aux yeux innombrables, toi la Porte qui voit
des deux côtés, toi le Léopard à qui l’on réserve sa propre forêt, toi qui distribue pouvoirs
et principautés… oui, nous te louons.
Célébrant : Nous te louons Dieu, toi le Prodigue, le Généreux, qui donne sans compter,
même aux arbres en forêt, toi le Vent qui emplit les montagnes, oui nous te louons.
Célébrant : Nous te louons, toi le Dieu déconcertant, toi dont personne ne peut faire le tour,
toi qui donnes et qui retires, toi le maître de la vie et de la mort, toi le cuisinier qui prépares
sans faire de fumée… oui nous te louons.
Célébrant : Nous te louons par ton Fils, premier-né d’entre les morts, venu achever et
accomplir la parole qui était sur les lèvres de nos ancêtres. Ton fils est le héros qui jamais
ne fuit devant l’ennemi, mais c’est toujours l’ennemi qui détale devant lui. Il est le début et
la fin de toutes choses, il est le chemin, la vérité et la vie. Par lui et dans l’Esprit Saint, nous
te louons.
Tous : Oui, nous te louons. (On entonne alors un chant de louange ou le Sanctus)
Célébrant : Père très bon, tu as tout créé, tu as bien créé. Mais voici que l’homme, ton chef-
d’œuvre, a abusé de sa liberté. Il fit comme le triste aîné attendu mais qui se déshonora
devant les puînés1001. L’homme s’est détourné de toi et depuis, les haines, les sorcelleries,
les sortilèges des méchants, ont fait irruption dans le monde et ont enchaîné l’homme au
pouvoir de la mort. N’est-ce pas ainsi, mes frères et sœurs ?
Célébrant : Mais toi, Père, le Dieu de miséricorde et de tendresse, tu n’as pas abandonné
tes fils. Tu t’es dit : l’enfant qui a brûlé la maison, le jette-t-on dans le brasier ?1002, tu es
allé à leur recherche, partout où ils étaient égarés. Parmi eux, tu choisissais des patriarches
comme Abraham, Isaac et Jacob ; tu choisissais des meneurs et des héros, des fondateurs
des clans comme nos ancêtres, tu suscitais parmi eux des prophètes, pour remettre les
hommes sur les chemins de l’amour, les chemins de l’alliance, sur tes chemins de vie.
N’est-ce pas ainsi mes frères et sœurs ?
Célébrant : Tu as tellement aimé le monde, Oh toi notre Dieu, que tu nous as envoyé
finalement ton propre Fils, Jésus, pour qu’il soit notre sauveur. Il naquît par la force de ton
Esprit, du ventre d’une fille de chez nous, Marie. Il vécut notre condition d’homme en
toutes choses sans jamais faire du mal. Il a apporté à tous les opprimés, à tous les pauvres
la délivrance et la joie. N’est-ce pas ainsi mes frères et sœurs ?
Célébrant : Pour accomplir cette œuvre d’amour, il a pris tous les risques, il a exposé sa
vie ; il le savait, mais il n’a pas reculé. Il est mort, de la violence des malveillants. Mais toi
tu l’as ressuscité. Et par cette résurrection, tu as confondu le mal et tu as fait de Jésus,
Seigneur, source éternelle d’une vie abondante, pleine et forte. Et depuis qu’il est assis à ta
droite, il nous a envoyé l’Esprit consolateur, qui poursuit son œuvre dans le monde. N’est-
ce pas ainsi mes frères et sœurs ?
1001
Ceci évoque un proverbe luba qui exprime la déception : mukulu muindila e kuvua kuditapa nsesu.
1002
Un autre dicton bantu.
455
Célébrant (Etendant les mains sur les dons) : Nous t’en supplions, envoie cet Esprit de la
vie pour bénir et sanctifier ces offrandes, qu’elles deviennent pour nous le Corps et le Sang
de Jésus notre Frère et ton Fils. Avant de quitter ce monde, il avait réuni ses disciples à
table pour le repas. Il prit du pain, il rendit grâces, il le rompit et le donna à ses disciples en
disant : Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps livré pour vous. (un griot lance un
cri, ou bien un tam-tam crépite, pendant que le célébrant lève et montre le pain)
De même à la fin du repas, il prit la coupe, de nouveau il rendit grâces et la donna à ses
disciples en disant : prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de
l’alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pout vous et pour la multitude en rémission
des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi. (de nouveau, un griot lance un cri, ou un
tam-tam crépite pendant que le célébrant lève et montre la coupe. On chante alors
l’anamnèse)
Tous :
Christ est venu, Christ est né, Christ a souffert, Christ est mort,
Christ est ressuscité, Christ est vivant, Christ reviendra,
Christ est là, Christ reviendra, Christ est là.
Célébrant : Tu es toujours avec nous, Seigneur, manifeste-toi, répands sur cette assemblée
ton Esprit, pour que ce sacrifice porte en nous ses fruits de paix, de joie, d’entente et
d’union, des fruits de vie.
Célébrant : Guéris les malades, console ceux qui souffrent, donne à manger à ceux qui ont
faim.
Célébrant : Père
Tous : Amen
Célébrant : Fils
Tous : Amen
Célébrant : Esprit Saint
Tous : Amen
Célébrant : Aujourd’hui
Tous : Amen
Célébrant : Demain
Tous : Amen
Célébrant : Et pour toujours
Tous : Amen.
Communion (On procède à la fraction du pain pendant que l’on chante un chant évoquant
la communion, l’amour, le partage ou le traditionnel « Agneau de Dieu »)
Célébrant : Frères et sœurs, voici le moment venu d’avancer avec joie et respect vers la
table où le Seigneur nous invite.
Voici ce pain devenu Corps du Christ (le célébrant communie). Voici le vin devenu le sang
du Christ, voici le sang du pacte de fraternité, qu’il nous garde en communion avec lui et
entre nous tous.
Tous : Amen.
Le célébrant communie au vin, puis fait communier les fidèles. Un temps de silence est
observé, puis, un chant de remerciement est entonné.
Conclusion (le célébrant invite les fidèles à se lever) : Frères et sœurs, achevons notre
prière en suivant l’exemple que Jésus nous avait enseigné. Notre Père, …
Etendant les mains vers le peuple, il bénit en disant : Que Dieu vous accompagne, que son
amour vous rende féconds, que vos relations soient vraies, pour que votre vie soit forte et
que votre joie soit parfaite.
Tous : Amen.
1003
C’est globalement ce qu’avance François Kabasele Lumbala, tout en reconnaissant que « de ces querelles est
sorti un affermissement et des ajustements de l’intelligence de la foi chrétienne », in Liturgies africaines…,
op.cit., pp. 48-49.
1004
Cinquième Instruction « pour la correcte application de la Constitution sur la Sainte Liturgie, de la
Congrégation du Culte Divin et de la Discipline des Sacrements, 28 mars 2001,§ 65.
458
Ayant présenté la messe malawiene (de Lilongwe), nous reproduisons ici son credo de
Lilongwe qui semble globalement satisfaire à ces exigences1005 :
Oh Dieu, vous avez donné à nos ancêtres cette connaissance : Dieu existe, et il est présent
ici, effectivement.
Quand ils rencontraient une merveille ou quelque chose inspirant de la crainte, ils
s’exclamaient : ceci est l’œuvre de Dieu, vraiment Dieu est là…
Quand ils étaient inquiets ou qu’ils avaient besoin de quelque chose, ils se tournaient vers
toi en disant : Dieu, aide-nous. Ce sont les mêmes cris que mon cœur pousse encore
aujourd’hui : Dieu, tu es là, tu es effectivement ici.
Mais voici qu’un jour arrivèrent des messagers venant d’au-delà du lac. Il y eut de la
lumière partout, et quelle lumière ? C’était la lumière. Ils arrivèrent avec des torches en
mains : bonnes nouvelles ; et ils ouvrirent leurs bouches pour dire :
Un jour, vaincu par son amour en voyant ses enfants croupir dans les ténèbres, loin de lui,
Dieu nous envoya son propre fils, le miséricordieux. Celui-ci naquit de Marie, et devint
ainsi un des nôtres.
Lui-même le miséricordieux, il souffrit et nos péchés le conduisirent à la mort.
Le sauveur se releva de la mort et il est vraiment ressuscité. Il monta au ciel chez son Père,
au ciel, mais en réalité, il reviendra de nouveau comme Roi des Rois.
Il nous a envoyé le Grand Esprit, l’Esprit du Père et du Fils, l’esprit, lui qui est la vie,
l’amour, la lumière qui fait briller nos vies.
Le miséricordieux a construit son Eglise, comme peuple de Dieu. Et le Baptême nous
introduit dans Son Eglise, dans le Peuple de Dieu.
Il nous fera parvenir à la vie, et nous fera entrer dans son Royaume, si nous le suivons
réellement. Ce sera la joie, la vie éternelle.
Toi qui est le Miséricordieux, mon cœur est saisi par ton message.
1005
Misa ya Cimalawi, Lilongwe, 1985, pp. 3-4, cité par François KABASELE LUMBALA, ibid., p.51.
459
Préface de Cijiba1006 :
Célébrant :
Ohé, Ohé, venez voir Jésus oint de l’’onction royale,
Il est comme un bélier à la musculature saillante,
Seigneur à la marche majestueuse.
Il est le léopard à forêt propre,
qui ne se dispute sa chèvre avec personne.
Il est l’épervier qui aime à planer,
ne trouvant pas de trou ici-bas,
il dépose ses œufs dans les hauteurs.
Seigneur nous t’acclamons et te félicitons
Tous :
Louange à toi mon Seigneur,
Louange à tout, Seigneur.
Célébrant :
Fils unique de Marie et de Joseph le menuisier,
étang aux énormes étendues,
bâton impérial, bâton de soutien pendant la marche,
Jésus, vers qui tout tend,
Jésus, héros venu d’au-delà des eaux,
Première sauterelle à se présenter à la sortie de la nasse,
fourmi la tête de la file, tampon amortisseur des chocs
et qui accueille toute charge sur la tête,
mais celui qui rejette le tampon se fait mal à la tête.
Route qui ne gémit pas sous le poids des passants,
ce sont plutôt les passants qui gémissent.
Dieu tu es la terre sur laquelle les hommes marchent,
Dieu, tu es le récipient qui garde les confidences,
tu ne te laisses pas accabler par les calomnies des hommes.
Dieu, tu es celui qui mange au vu et au su de tous,
pour que personne ne se plaigne d’avoir faim ;
celui qui s’enferme pour manger est répréhensible.
Seigneur nous t’acclamons et te félicitons.
Tous :
Louange à toi mon Seigneur,
Louange à toi Seigneur.
Célébrant :
Ohé, ohé, venez voir l’oiseau qui jamais ne se crève l’œil
même s’il passe à travers une forêt de lianes et de chardons.
Venez voir l’arc-en-ciel qui arrête les pluies ennuyeuses,
arc-en-ciel qui entoure le ciel de ses bras.
Venez voir la termitière toujours laborieuse au fond de la terre,
1006
Traduction par François KABASELE LUMBALA, Liturgies africains, op.cit., pp. 58-60, à partir du rituel ad
experimentum du diocèse de Mbujimayi, Difila bimanyinu bya lupandu (sacrements) ne bisambukilu
(sacrementaux), Kinshasa, 1996, pp. 20-21.
460
Tous :
Louange à toi mon Seigneur,
Louange à toi Seigneur.
Célébrant :
Oh Jésus notre oint,
tu es la hache qui ne craint pas les chardons,
la houe qui ne craint pas de s’enfoncer dans la boue,
Dinyanu (résidu de sueur) qui poursuit l’homme,
alors que l’homme le fuit ;
mortier autour duquel s’assemblent ceux qui pilent,
Cinkunku (un grand arbre) autour duquel se rassemblent les chasseurs.
Tu es celui à qui chacun soumet ses problèmes,
celui qui aime dépanner,
celui qu’il faut invoquer quand on est dans le pétrin,
celui dont on ne se lasse pas de citer le nom ;
pilier d’appui, quand on a mangé, on s’y frotte les mains ;
celui pour qui nous sommes créés,
chêne appuyé sur Dieu,
Seigneur qui nous indiques la route à suivre,
Jésus, Jésus, tu es le saint.
Tous :
Saint, Saint, Saint, …
461
C’est grâce à cette sorte d’autocritique de l’Eglise elle-même que fut le Concile Vatican II que
furent repensées les bases de l’universalité de l’Eglise catholique et la nécessité de
l’adaptation de ses formes (évangélisation, pastorale et liturgie) aux cultures locales.
L’inculturation, fruit, fortuit pourrait-on dire, de l’histoire au cours de la première période de
l’histoire de l’Eglise, devint un projet mûrement réfléchi et méthodiquement mis en œuvre par
l’Eglise post-conciliaire.
L’opportunité fut ainsi offerte aux églises de nombreux pays de mission, notamment
en Afrique, de se donner un visage authentique avec un christianisme incarné dans les cultures
de leur peuple, dont le message puisse être intériorisé par la société comme un des éléments
de sa culture. Cette adaptation voulue par Vatican II fut menée grâce à des recherches
approfondies qui ont permis de découvrir des points de contact et d’encrage entre la liturgie
chrétienne et les valeurs et pratiques culturelles africaines. En fait, à cette liturgie des peuples
se sont ajoutées des adaptations théologiques, pastorales et structurelles, pour fournir les bases
de l’autonomie d’églises dorénavant libérées de la tutelle occidentale pour s’émanciper en
véritables églises particulières dont l’avènement fut souhaité par le Concile.
Sur la base de ces recherches, les liturgies africaines ont des caractéristiques dans
lesquelles les peuples se retrouvent et se reconnaissent, qui les font participer à l’unique culte
chrétien universel dans des formes et expressions qui sont le fruit du génie de ces peuples
devenus, à leur tour, acteurs ayant un apport spécifique à offrir à l’Eglise universelle en vue
de son enrichissement. Certaines innovations liturgiques, au-delà des seules solutions relatives
à la langue de célébration et à l’expression corporelle, ont remis à jour et restauré des valeurs
et pratiques que les missionnaires, dans une théologie étriquée, avaient combattues et bannies
comme païennes et contraires au christianisme, telle l’invocation des ancêtres. En même
temps, ces églises ont tenu à affirmer leur catholicité et à justifier chacun des changements
recherchés et retenus, montrant leur conformité non seulement au message chrétien mais aussi
à l’esprit liturgique vrai et authentique inspiré de la tradition et des Pères, avant que ne le
confisque et le réduise la culture dominante occidentale.
Ces tendances africaines sont bien représentées par l’expérience du rite zaïrois qui,
pour avoir été l’unique à être canonisé par la hiérarchie vaticane, s’impose comme le modèle
et qui, en tout état de cause, a encouragé des recherches similaires dans beaucoup d’autres
églises africaines ; à partir de cette expérience zaïro-congolaise, l’étude rend brièvement
462
compte des autres tentatives, présageant l’élaboration d’une liturgie continentale pouvant être
reconnue à l’image d’autres rites particuliers, comme le rite mozarabe ou syro-malabar, etc.
L’intérêt de ces différents rites africains est à prendre en considération pour poser la profonde
question de la pérennité de l’inculturation liturgique et, à travers cette dernière, celle de la
diversité liturgique et, au-delà, celle de l’autonomie des Eglises particulières ou continentales,
dont la légitimité ne peut plus être mise en doute.
On se rend compte, cependant, que, pour certains, le rite zaïrois est resté trop romain,
dans les limites d’un cadre zaïrois pour le rite romain que le Vatican avait entendu lui fixer.
En particulier l’introduction de rites ancestraux a été jugée superficielle, dans la mesure où les
rites les plus significatifs et les plus spécifiques des pratiques cultuelles traditionnelles n’ont
pas été retenus, tandis que ceux qui ont été adoptés ne l’ont été que symboliquement ou
allusivement, plutôt comme modèle que comme substance. Aussi, a-t-on vu des essais de
dépassement du rite zaïrois grâce à des initiatives privées et limitées, dont la liturgie de
Tshikapa-Kele est le modèle le plus élaboré.
463
CONCLUSION GENERALE
464
communautés chrétiennes autour de ce jusqu’au IIe siècle on n’appelait que par l’expression
« fraction du pain », jusqu’au moment où, à la fin Moyen Age, se fixe la liturgie eucharistique
qui restera en vigueur, dans ses grands axes, jusqu’à la réforme du Concile Vatican II. Ces
facteurs sont, certes historiques, mais aussi politiques et, surtout, culturels. De fait, on a vu
des empereurs et des rois, à l’origine ou à la tête de conciles et synodes, imposer ou, tout au
moins, orienter des formes liturgiques et, parfois, marquer de manière indélébile la liturgie de
toute une période, imposer le contenu de certains actes ou fait liturgiques, tels certaines
prières, etc. Parallèlement, chaque fois que le christianisme s’est implanté dans une contrée, il
y a connu une période de maturation qui lui a permis d’imprégner la culture locale autant qu’il
s’est imprégné lui-même de cette dernière. Ce phénomène, globalement désigné par le
vocable « inculturation », se remarquent essentiellement ou, du moins, de façon visible, dans
la liturgie, secteur où nous avons pu le vérifier tout au long de cette étude, même si le terme
n’était guère utilisé, ni même n’existait, avant les interprétations et explications consécutives
au Concile Vatican II et son œuvre d’aggiornamento. Tout le sens de ce travail était de
démontrer la permanence de ce facteur dans les grandes évolutions de la liturgie et qui, pour
n’avoir pas été spectaculaire dans le passé, n’en est pas le facteur qui explique de la manière
la plus satisfaisante le succès du christianisme là où les cultures locales ayant résisté ont pu
l’intégrer non seulement en modelant la civilisation sur les valeurs nouvelles chrétiennes mais
aussi en modelant le christianisme dans son élément le plus expressif et le plus extériorisant
qu’est la liturgie. Ainsi, les peuples ont pu se reconnaître dans cette liturgie et dans les valeurs
chrétiennes comme dans leur propre culture.
C’est sur cette vérité que le Concile, tout en ayant admis que si les cérémonies étaient
incompréhensibles pour les fidèles, même pour les fidèles occidentaux, elle était encore plus
éloignée des peuples extra-occidentaux, eut un double mouvement. D’abord, favoriser
l’intelligibilité de la liturgie et la participation active des fidèles et, surtout ensuite, privilégier
la méthode visant à « familiariser » la liturgie avec les différents peuples, restés jusque là
extérieurs à la chrétienté et auxquels le christianisme s’est proposé et a été accepté comme un
élément étranger, une religion européenne Le Concile reconnaissait ainsi que la liturgie était
restée, pour bien des peuples devenus chrétiens, trop occidentale, constatant pour le moins
qu’elle avait épousé exclusivement des formes et expressions européennes et, de ce fait,
apparaissait comme une domination culturelle occidentale. Les peuples concernés eurent
l’opportunité d’intérioriser la liturgie chrétienne en l’intégrant dans les expressions de leur
génie propre, conciliant leur pratique religieuse traditionnelle avec le culte chrétien.
466
C’est dans ce sens que les Eglises africaines, avec l’encadrement ordonné par le
Concile, élaborèrent des réformes tendant à inculturer la liturgie dans leur culture locale, en
diapason avec les valeurs et traditions de leurs peuples. Si toutes les ébauches répondent à une
inspiration similaire et présentent donc, au-delà de particularismes locaux, des caractéristiques
communes, le Vatican ne reconnut officiellement que le rite zaïrois de la messe, jugé
conforme à la doctrine et compatible avec les directives conciliaires et hiérarchiques ; ainsi,
comme il existe le rite romain ou, pour parler de rites particuliers reconnus, le rite mozarabe
ou syro-malabar ou d’autres rites catholiques orientaux, il existe un rite zaïrois « typique »,
même si ce dernier n’est pas établi comme une autre « famille liturgique ». Pour autant,
l’absence de reconnaissance officielle n’a pas empêché différents rites africains d’exister et
d’être pratiqués, parfois avec une approbation de l’évêque local ad experimentum, y compris
au Congo-Zaïre même où des rites locaux coexistent avec le rite typique. Pour toutes ces
raisons, notre étude a retenu, pour présentation et analyse, essentiellement le rite zaïrois.
Cette question est fondamentale parce que multiforme. Si pour une part elle touche à
des aspects théologiques et, surtout dans certaines formes de rites locaux, à des aspects de
discipline canonique, nous retiendrons particulièrement l’interrogation sur l’originalité des rites
africains, avant de voir que l’africanisation de la liturgie, dans le cas du rite zaïrois
spécialement, a suscité des controverses jusqu’au sein de l’Eglise zaïroise elle-même, tandis
que s’expriment de plus en plus ouvertement des tendances à remettre en cause de ces rites
considérés comme franchement peu… catholiques, afin de revenir à une romanité plus
assumée. Ce débat posant celui de l’inculturation elle-même qui semble s’essouffler après une
période de grande activité théologique.
Il s’agit de savoir ce qui différencie le rite zaïrois du rite romain, quelles sont les
innovations. Il serait vain de rechercher des différences de fond, parce qu’alors il n’y aurait
plus grand-chose de commun entre les deux rites, or, quel que soit le degré de son originalité,
le rite zaïrois est toujours un rite catholique. A ce dernier titre, le rite zaïrois doit demeurer
fidèle à l’héritage commun aux catholiques reçu de la tradition et des Pères. Il y a, là, une
1007
MPONGO Mpoto Mamba, « Le rite zaïrois – Quelques-unes de ses caractéristiques », Médiations
africaines du sacré, loc.cit., p. 513.
468
première limite que doit se fixer toute initiative qui se veut catholique, dans un souci d’unité
qui ne nie pas la légitimité de certains particularismes.
Dans leur forme, à l’instar du rite zaïrois, les rites africains de la messe se caractérisent
par leur simplicité générale et leur dépouillement ; ils présentent quelques bouleversements
par rapport au rite romain post-conciliaire, induits par une « participation plus consciente et
plus active des fidèles à la liturgie »1008. Il faut reconnaître que, plus que simple folklore, les
processions joyeuses, les chants, les danses et le style oratoire, ajoutés à une nouvelle
structure de la messe, même si cette nouvelle structure n’est pas inédite, constituent une
spécialité dans laquelle les fidèles se reconnaissent et se retrouvent, ils sont autant de moyens
de communication et de gestes qui font « d’une célébration, non pas un spectacle, mais une
action à laquelle l’homme participe »1009. Mais, bien plus, l’originalité de la manière de prier
ne peut être mise en doute, quand bien même on ne l’approuverait pas, avec la spontanéité à
laquelle incitent les rites africains, avec une eucologie qui, par exemple celle du rite
pénitentiel que nous avons exposé, se démarque de l’oraison romaine traditionnelle par son
contenu concret dans le cadre d’une liturgie engageante où l’homme se sent interpellé sur son
comportement et invité à l’améliorer. On peut affirmer, avec Ignace Ndongala Maduku, qu’il
se dégage du rite zaïrois, très représentatif en cela des rites africains, « une régénération des
rites, de la symbolique, de l’homilétique ainsi qu’une liturgie corporelle expressive. En effet,
l’Eucharistie devient de plus en plus une fête, un banquet de fraternité, mieux un sacrement de
fraternité, une confession en acte du salut. »1010.
Néanmoins, il est une limite qu’aucun degré de spécificité, aussi élevé soit-il, ne peut
franchir dans l’africanisation ou l’inculturation de la liturgie eucharistique. C’est que si, à
propos de la liturgie le concile parle d’adaptation, même si plus tard la hiérarchie utilisera
volontiers le terme « inculturation », celle-ci se fait dans le cadre de la liturgie romaine et nous
avons vu que les adaptations doivent faire l’objet d’une recognitio de la part de la hiérarchie : il
ne s’agit nullement de fonder de nouvelles familles liturgiques. Aussi, ainsi qu’on l’a vu, la
Congrégation du Culte Divin a-t-elle imposé au rite zaïrois l’appellation officielle de « Missel
romain pour les Diocèses du Zaïre », ce rite demeure ainsi dans la famille liturgique romaine,
étant tout simplement une autre manière, la manière zaïroise, de célébrer l’eucharistie de rite
romain. Les « adaptations » liturgiques sont, on l’a vu, encadrées et entourées de garde-fous
1008
Cardinal MALULA, L’Eglise de Dieu qui est à Kinshasa vous parle, Kinshasa, Ed. St Paul, 1976, pp.23-34.
1009
MPONGO Mpoto.Mamba, « Le “rite zaïrois’’, Quelques-unes de ses caractéristiques », in Médiations
africaines du sacré…, op.cit., p.510.
1010
NDONGALA MADUKU, Ignace, « Le rite congolais de la messe : 30 ans après », in L’Eucharistie dans
l’Eglise-Famille en Afrique à l’aube du troisième millénaire, op.cit., p. 97.
469
relativement stricts. Mais, l’on peut se permettre, parce que cela n’est pas spécialement du
domaine de la théologie, de constater que la même Constitution sur la Liturgie qui impose des
limites substantielles et formelles, est celle qui par ailleurs envisage qu’à certains endroits des
adaptations profondes puissent s’avérer nécessaires, tandis que depuis Pie XII l’Eglise
reconnaît la légitimité d’un pluralisme liturgique. En effet, la Constitution affirme que « dans
les domaines qui ne touchent pas à la foi ou au bien de toute la communauté », l’Eglise « ne
désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique »1011. Mais, il
s’ensuivit un encadrement si strict qu’il en apparaît comme une volonté de brider les initiatives
et de « recentraliser » les choses. D’abord, pour ne citer que des documents que nous avons
dans l’ensemble peu exploités :
La Présentation Générale du Missel Romain avait déjà délimité la matière dans laquelle les
« adaptations » peuvent être opérées :
Par ailleurs, l’Instruction sur la Liturgie romaine et l’inculturation, venait mettre des
points sur les i : « La recherche d’inculturation ne vise pas la création de nouvelles familles
rituelles : en répondant aux besoins d’une culture déterminée, elle aboutit à des adaptations qui
font partie du rite romain »1013. En 2001, une autre Instruction de la même Congrégation
concernant les traductions des textes liturgiques, rappelait ces critères : « Les adaptations des
textes réalisés selon les articles 37-40 de la Constitution Sacrosanctum Concilium, doivent être
1011
Constitution Sacrosanctum Concilium, n° 37
1012
Présentation Générale…, § 390.
1013
Instruction Varietates legitimae, de la Congrégation du Culte Divin et de la discipline des Sacrements, 25
janvier 1994, § 26, http://www.eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=0504074_sacramentum_caritatis
470
considérées comme répondant aux vraies exigences culturelles et pastorales, et non pas comme
dérivant d’un simple souhait d’introduire des éléments nouveaux ou de la variété. De telles
adaptations ne peuvent être considérées non plus comme des moyens employés en vue de
modifier les éditions typiques ou changer l’ensemble des énoncés théologiques, mais, au
contraire, il faut que ces adaptations soient régies par les normes et les critères qui sont énoncés
dans l’Instruction Varietates legitimae »1014
Enfin, Benoît XVI semble en effet se retrouver dans cette conception minimaliste de
l’inculturation de la liturgie. Dans son Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum
Caritatis, il précise : « A partir des affirmations fondamentales du Concile Vatican II,
l'importance de la participation active des fidèles au Sacrifice eucharistique a été plus d'une
fois soulignée. Pour favoriser cette implication, on peut faire droit à certains aménagements
appropriés aux divers contextes et aux différentes cultures. Le fait qu'il y ait eu certains abus
n'entache pas la clarté de ce principe, qui doit être maintenu selon les nécessités réelles de
l'Église, qui vit et qui célèbre le même mystère du Christ dans des situations culturelles
différentes »1015.
Il s’agit donc d’introduire des adaptations à certains endroits du missel romain et non
d’instaurer un nouveau rite en dehors de l’unique liturgie. Quoi que l’on pense de ces
restrictions, elles sont claires et il semble que, à cet égard, les rites africains, tout en étant
conformes à ces critères que les Eglises n’ont pas discutés, affichent, au sens de ces
instructions, leur originalité, même s’il peut se trouver des raisons pour regretter qu’elle ne soit
pas allée assez loin ou aussi loin qu’on l’aurait souhaité. D’ailleurs, des spécialistes africains le
reconnaissent, comme Laurent Mpongo qui conclut que « De toute manière, .. ; il n’est pas
superflu de rappeler que Vatican II n’a pas envisagé la création de nouvelles familles
liturgiques au sein de l’Eglise catholique romaine », « c’est pourquoi, aux yeux d’un historien
de la liturgie, un rite liturgique est spécifique dans la mesure où il est référé à son prétendu
fondateur ou à la communauté chrétienne qui le célèbre »1016. Ou, encore, en plus critique,
Ignace Ndongala Maduku, qui se plaît à relever les contradictions qui, selon lui, existeraient
entre les prises de positions et les documents du Vatican, entre la volonté d’ouverture et celle
de freinage, estimant que Rome « réduit l’inculturation de la liturgie eucharistique à une
1014
Instruction De l’usage des langues vernaculaires dans l’édition des livres de la liturgie romaine, Cinquième
Instruction « Pour la Correcte application de la Constitution sur la Sainte Liturgie », Congrégation du Culte
Divin et de la Discipline des Sacrements, 28 mars 2001, § 22.
1015
Exhortation apostolique Sacramentum Caritatis, l’Eucharistie sacrement de la Miséricorde, 2é février 2007,
§ 54, http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=1303073_sacrement_amour
1016
MPONGO Mpoto.Mamba, « Rite zaïrois… », in Médiations africaines du sacré…, op.cit., pp.508 et 514.
471
Une autre problématique, liée à celle-ci mais plus englobante, touche à l’inculturation
du christianisme elle-même en général, même si, à cause de la visibilité de la liturgie, elle
semble avoir moins d’impact et d’ampleur : la remise en cause de la liturgie inculturée semble
en effet s’attaquer à l’inculturation elle-même. C’est d’autant plus vrai que les critiques ne
distinguent pas, généralement, l’inculturation de la liturgie et l’inculturation dans les autres
domaines (théologie, structures, pastorale, évangélisation, catéchèse, …). Mais, surtout, la
visibilité des rites liturgiques fait de la liturgie, sans doute, l’élément ostensible, visuel, de
l’activité de l’Eglise, en elle se reflètent toutes les caractéristiques du christianisme et les
manifestations de l’adhésion des fidèles à l’Eglise, qui s’évalue bien souvent par l’ampleur de
ce qu’on appelle « la pratique religieuse », assimilée, sans doute incorrectement, à la
fréquentation de la liturgie eucharistique. Par rapport à cela, le moins que l’on puisse dire c’est
qu’on n’assiste plus, autour de l’inculturation, à la même fièvre ou effervescence de recherche
et d’émulation scientifiques que celles des décennies 70-90 ; à cela s’ajoute que certains ténors
de la « théologie africaine », de la « théologie de libération » et de la « théologie de
l’inculturation » se sont vus écarter des premières places ou mettre en garde par la hiérarchie, y
compris la hiérarchie romaine.
Plusieurs causes expliquent cette baisse d’intérêt, surtout du point de vue pratique, à
l’égard de la liturgie inculturée. Nous retiendrons l’exemple précis du rite zaïrois dont nous
nous permettons d’affirmer qu’il connaît une crise. Il faut d’abord citer, pour cela, les
controverses entre théologiens, liturgistes ou, simplement, entre prêtres. Une première faiblesse
vient du fait que certains estiment que le rite zaïrois est l’œuvre de Malula et de son
1017
NDONGALA Manduku., Ignace, « Le rite congolais de la messe : 30 ans après », in L’Eucharistie dans
l’Eglise-Famille en Afrique…, op.cit., pp. 100-101.
472
« groupe », ainsi que nous l’avouait un vieux missionnaire ayant œuvré dans le Kivu, qui
affirmait que dans cette contrée là, le rite zaïrois est plutôt considéré comme une affaire des
Kinois (habitants de Kinshasa). C’est la raison pour laquelle, dans l’optique que les réformes
ont été l’œuvre de l’ensemble de l’épiscopat, ce travail a délibérément choisi de ne pas trop
insister sur le rôle personnel éminent de l’ancien archevêque de Kinshasa, tout en signalant
néanmoins le travail de pionnier qu’il exerça dans le processus du rite zaïrois, ne serait-ce que
comme chef du plus important diocèse du Congo-Zaïre, de surcroît celui de la capitale,
profitant ainsi de l’influence qu’exerce cette ville sur l’ensemble de la vie nationale dans tous
les domaines (politique, économique, scientifique, des arts et de la culture, de la mode, etc.).
Qu’il suffise de faire savoir que ces mérites du Cardinal Malula lui sont reconnus par toute
l’Eglise africaine et particulièrement l’Eglise du Congo. Cette reconnaissance est exprimée par
la voix de son successeur, le cardinal Etsou, qui, en mai 1997, le proclama « Père de l’Eglise
de Kinshasa »1018, pour « lui rendre un hommage mérité », « souligner le rôle normatif que
nous attribuons à ses écrits. Ils doivent constituer désormais un héritage de grand prix et une
source d’action et de réflexion pour toute notre Eglise », tandis que des voix s’élèvent, dont
celle de Mgr Th. Tshibangu T., pour reconnaître en Malula un « Père de l’Eglise africaine ».
Par ailleurs, des controverses se sont fait jour au sein même de l’Eglise du Congo ;
elles se traduisent par deus attitudes opposées sans que l’on assiste à une sorte de querelle des
anciens et des modernes, à un conflit de générations. D’un côté, sans nécessairement
s’exprimer par des écrits critiques ni des arguments théologiques systématiques, certains ont
sans doute estimé que le niveau d’inculturation ou d’adaptation aux cultures congolaises n’est
pas suffisant, que les adaptations n’ont pas été assez audacieuses, qu’on s’est contenté d’une
démarche de pure forme sans vraiment introduire la substance des coutumes ancestrales dans
la liturgie. Cela s’est traduit par les initiatives comme celle de Tshikapa-Kele au Kasayi qui,
dans sa première partie, n’a vraiment pas grand-chose de commun avec le rite romain ni
même avec le rite zaïrois officiel ; une démarche plus anthropologique que simplement
théologique. D’un autre côté, ce ne sont pas moins que des tentatives de remettre en cause, à
travers certain es « erreurs d’interprétation » ou de certains abus, le bien-fondé même de
l’inculturation. C’est l’exemple des débats houleux et bruyants ayant opposé des prêtres du
diocèse de Mbujimayi (au Kasayi), l’un des plus dynamiques en matière de recherches
théologiques et d’expériences d’inculturation liturgique. Avec la prétention de parer aux
supposées « carences » des rites pratiqués au Congo, à savoir le Missel Romain (ou de Paul
1018
V. CHEZA, Maurice, « Le cardinal Malula, Père de l’Eglise de Kinshasa », in Mission de l’Eglise, n° 119,
avril 1998.
473
VI, 1969-70) et le Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre (ou le « rite zaïrois »), l’abbé
Albert Mbombo Kapiamba publie en 2003 un opuscule intitulé Bwikala bwamba. Pa
ntendeleelu mu Katolika1019. Après avoir présenté les deux rites officiels en vigueur au Congo,
l’auteur en conclut que « Dans la plupart de nos paroisses, le rite en vigueur est plutôt un rite
hybride, qui emprunte ses éléments à ces deux rites officiels »1020. Ensuite, il s’emploie à
montrer comment l’inculturation répond au besoin légitime de chaque peuple d’avoir sa
liturgie, fondée sur sa langue, ses coutumes et sa vision du monde, et expose les éléments de
la liturgie officielle qui, par rapport à cela, devraient être, à son avis, mieux expliqués ou
enlevés de la célébration actuelle, pour ainsi dire pratiquement tout, parce que cela va de
l’entrée à la bénédiction finale1021. La dernière partie du livre1022 étudie, au nombre de cinq
(finalement on en découvre plus), les caractéristiques d’une véritable inculturation liturgique
selon l’auteur. Notre propos n’est pas d’examiner, sans aucune compétence, ce travail de
pasteur de terrain, mais d’en prendre prétexte pour identifier les conséquences des débats
houleux, critiques et controverses que l’auteur, délibérément, souhaite provoquer parmi ou
avec ses confrères, dans lesquels interviendra l’éminent liturgiste François Kabasele L. Ces
controverses ne nous intéressent pas non plus, dans la mesure où nous n’avons pris
connaissances des différents points de vue qu’à travers ce qu’en dit un autre ouvrage, Dieu ou
le veau d’or – Réflexions sur quelques aspects de l’inculturation de la liturgie, autre réponse
polémique, publié à la suite par un autre prêtre du même diocèse1023.
L’essentiel est que, à travers ce dernier, on découvre dans ces controverses tout le
spectre de prises de position. Il y a les propositions de l’auteur de Bwikala bwamba, qui prône
une remise en cause des options officielles actuelles, en faveur d’une sorte de radicalisation de
l’africanisation favorisant outre mesure des éléments empruntés au mouvement
charismatique, mêlé à une sorte de célébration « civique » axée sur les réalités temporelles,
sociales et politiques de la société ; proposition que l’auteur de Dieu ou le veau d’or qualifie
de « apologie de la spiritualité de la marmite de viande… où, vaincu par le ventre et alléché
par l’odeur de la viande, l’homme oublie la Terre promise, lointaine, et s’accroche à la terre
1019
MBOMBO KAPIAMBA, Albert, Bwikala bwamba. Pa ntendeleelu mu Katolika, Kananga, Ed. Mikanda ya
Bereya, 2003, 35 p. Ce titre peut littéralement se traduire par « Pourvu que ce soit dit. A propos de la liturgie
catholique ».
1020
MBOMBO Kapiamba, Albert, Bwikala bwamba..., p. 9.
1021
Ibid., pp. 9-15.
1022
Ibid., pp. 16-35.
1023
CIKONGO, Cibaka, Dieu ou le veau d’or – Réflexions sur quelques aspects de l’inculturation de la liturgie,
Kinshasa, Ed. Universitaires Africaines, 2005. Ce livre est intéressant dans la mesure où il présente l’état du
débat de l’inculturation dans le diocèse, étant lui-même largement occupé à faire la critique des critiques, au-delà
de celle de l’ouvrage qui est à l’origine des controverses.
474
égyptienne, immédiate », une « inculturation au rabais », pas digne d’une église qui se veut
responsable et consciente de la nature profonde de la liturgie chrétienne. »1024 D’autres
propositions défendent le rite zaïrois typique, quitte à en améliorer les défauts constatés au
cours de ces décennies d’expérimentation. Il y a, même, jusqu’à des affidés de la romanité
pure et dure ne permettant qu’une lecture minimaliste des ouvertures que Vatican II a pu
introduire comme brèches dans le carcan du rite romain au profit des cultures des peuples,
certains d’entre eux se font « de virulents ennemis de l’inculturation, dont les plus radicaux
vont jusqu’à imaginer que toute recherche d’inculturation n’est qu’un retour déguisé au
paganisme ancestral”1025.
Entre ces trois tendances, le rite zaïrois typique, le dépassement du rite zaïrois typique
et le retour à la romanité, c’est une question d’option avec plus ou moins, à l’appui, des
arguments théologiques, historiques, juridiques ou anthropologiques ; on ne saurait accréditer
l’hypothèse d’un conflit de générations, ni d’écoles, les prêtres congolais étant en majorité
aujourd’hui issus des promotions postérieures à 1965 et ont fréquenté les mêmes séminaires et
les mêmes instituts de formation.. Risquerait-on une sorte de schisme de traditionnalistes,
défenseurs du rite romain, avec le risque que ce serait soit une liturgie en latin que trop de
prêtres actuels ne connaissent tout simplement pas, soit une copie sans imagination de la
liturgie romaine traduite en langues locales, sans imagination ni la fierté d’exprimer le génie
propre des peuples. Alors, à quoi aurait servi le combat mené pour la revalorisation des
cultures congolaises ignorées, baffouées et détruites durant les sicèles de domination ?
1024
V. pp. 189-190 et 191.
1025
L’appréciation est de François KABASELE LUMBALA, « L’inculturation liturgique en Afrique depuis
1956 (Enjeux et pronostics) », Contribution au Colloque de l’UCAO, Abidjan, 2007.
1026
Depuis le 1er octobre 2007, Mgr Piero Marini, nommé président du comité pour les Congrès eucharistiques
internationaux, a été remplacé au poste de cérémoniaire par Mgr Guido Marini.
475
D’abord, il manque une pédagogie auprès des fidèles ; nous avons eu la possibilité de le
vérifier à l’occasion de trois entretiens avec des fidèles fréquentant assidûment la messe
paroissiale. Il nous a été donné de constater que, habitués plutôt au changement par rapport à la
messe latine abandonnée depuis le Concile Vatican II, ces fidèles confondent le « rite zaïrois »
avec la messe chantée en langue locale. Il est de fait possible de confondre les deux à cause des
emprunts au rite zaïrois insensiblement introduits dans la messe romaine en langue locale,
chants rythmés, danse, processions, le même style oratoire et la même homilétique, tandis que
la structure est celle de l’ordo romain ; ces ressemblances sont telles que seules des personnes
averties peuvent déceler les différences. A l’issue d’une messe en rite zaïrois que nous avions
exprès sollicitée du curé d’une paroisse populaire pour les besoins de notre recherche, certains
de mes interlocuteurs m’interrogeaient sur le couvre-chef ainsi que sur la « queue de cheval »
tenue en main par le célébrant, se demandant si ce n’était pas une cérémonie ancestrale1028. Il
paraît dès lors que la hiérarchie avait certes salué l’avènement du rite authentiquement africain
mais avait oublié d’expliquer aux fidèles en quoi il consistait et en quoi il innovait par rapport
au rite romain, notamment en ce qui concerne l’ordonnance de la messe et le sens des
innovations. Nous ne nous rappelons pas nous-mêmes qu’une telle pédagogie ait été organisée
systématiquement dans les paroisses en direction des fidèles. Une catéchèse liturgique ayant
pour matière le rite zaïrois devrait être organisée, si l’on ne veut pas que ce rite tombe dans
l’oubli des chrétiens congolais eux-mêmes.
Cette ignorance du peuple se perpétue, a-t-il semblé, et la situation est même plus
grave dans la mesure où le rite zaïrois, aussi paradoxal que cela puisse paraître, paresse,
facilité ou lassitude, est très peu pratiqué. Les entretiens que nous avons eus avec certains,
notamment avec trois prêtres dont deux de paroisses rurales et avec deux laïcs l’un à
1027
http://www.golias.fr/spip.php,breve75, et
http://infocatho.cef.fr/fichiers_html/archives/deuxmilletroissem/semaine42/23nx42eglisem.htm
1028
Oyo, makambo ya bo-nkoko te ? (en lingala), pour dire Ceci, n’est-ce pas des histoires des ancêtres ?
476
Kinshasa, l’autre dans une paroisse rurale, et dont nous résumons la substance en annexe,
illustrent toutes ces insuffisances. La hiérarchie, qui n’encourage pas particulièrement les
célébrations en rite zaïrois, n’en organise elle-même qu’à de rares grandes occasions (grandes
fêtes et solennités, ordinations, consécration d’églises, …) : le rite typique n’est pas
systématique, alors même qu’il existe un rite « simple » qui aurait pu être le rite ordinaire et la
règle, pour faire de la messe romaine l’exception. On devrait instituer l’habitude de célébrer
en rite zaïrois, pour commencer, au moins deux fois par mois en rite simple et une fois par
trimestre en rite solennel. Le risque, ici aussi, c’est l’oubli qui guette, y compris l’Eglise
congolaise elle-même ; nous n’avons pas, par exemple, entendu dire que l’on ait commémoré,
vingt ans après (2008), la date du 30 avril 1988, date anniversaire d’un document si important,
le décret autorisant le rite zaïrois, ni du 27 mai de la même année, date de la première messe
après l’approbation par la Congrégation romaine. Néanmoins, pour restaurer la pratique
régulière du rite zaïrois, les prêtres autochtones doivent se sentir comme le fer de lance de
l’inculturation, “même s’ils ont été formés exclusivement à l’école occidentale et soustraits
dès le jeune âge des milieux coutumiers”, et devraient s’appliquer à pratiquer fréquemment la
liturgie africaine. Mais, alors, dans ce cas, certains défauts du rite zaïrois devraient être
corrigés, parmi lesquels, essentiellement, le manque de rigueur et la longueur des cérémonies.
Il n’y a pas de rigueur ni de discipline chez les acolytes et les servants de messe, se
complaisant à prolonger au-delà du nécessaire les danses, ralentissant, pour cette raison les
processions ; il n’y a pas de rigueur ni de discipline au niveau des chants, dont parfois le choix
est inapproprié, dont la longueur (par exemple certains gloria ou chants de l’offertoire qui se
prolongent alors que le prêtre attend pour commencer la prière sur les offrandes, certains
chants accompagnant le rite de la paix, etc.) et le nombre des couplets ne sont pas déterminés,
tandis que, souvent, il est donné aux fidèles d’assister plutôt à un concert, au point où on en
reçoit l’impression que le maître de chants ne sait plus comment arrêter le chant. La durée
moyenne des célébrations en rite zaïrois est, sans exagération aucune, de deux heures et demie
quand, à de grandes occasions, elle n’atteint pas les quatre heures, au risque d’une baisse
d’attention et même de la nécessaire ferveur des fidèles. Heureusement, les dernières
directives de l’Episcopat1029 tendent à imposer plus de rigueur, tout en poussant au respect des
spécificités de chaque ordo, pour éviter d’amalgamer le romain et le zaïrois, après avoir
dénoncé « la confusion manifeste entre les rites romains et local congolais de la messe », et
recommandant la formation continue des prêtres et une catéchèse eucharistique appropriée
pour les fidèles.
1029
Directives de l’Episcopat congolais pour la célébration digne et correcte de la sainte Eucharistie, 10 juillet
2008, pp. 1 et 14-15.
477
Cela dit, notre travail a tenté exposer toutes les raisons avancées par les spécialistes,
pour que l’on continue de considérer que l’inculturation est une bonne chose, aussi bien pour
les fidèles africains que pour l’affirmation des Eglises particulières africaines et que pour une
véritable universalité de l’Eglise catholique, non pas monolithe mais rencontre de toutes les
composantes du peuple de Dieu, non pas une culture locale « universalisée » et imposée à
toutes les autres cultures mais rendez-vous des cultures que le Créateur a données aux
différents peuples, afin que chacun apporte le fruit des talents propres qu’il a reçus. En tout
cas, la réforme liturgique a représenté aux yeux des responsables religieux africains l’un des
aspects les plus importants, qui a, notamment par la participation active des laïcs, contribué au
succès des autres projets des Eglises particulières d’Afrique. Il faut ajouter que des
observateurs extérieurs trouvent bien des qualités à la liturgie africaine en général, même si,
pour certains, le rite zaïrois est « jusqu’à présent le cas le plus élaboré »1030. Dans l’ensemble
on peut parler d’acquis certains. C’est d’abord l'invocation aux ancêtres, puis une prière
eucharistique de style oral, ensuite le décor africain et la danse, mais aussi ce style particulier
des prières et oraisons africaines, le tout dans une structure quelque peu différente de celle de
la messe romaine. D’autres domaines de rénovation liturgique ont été développés, que ce
travail n’a pas repris, ayant été consacré exclusivement à la liturgie de la messe ; il y a lieu de
citer, à ce titre, le rite baptismal et les formes d’engagements dans la vie consacrée,
notamment concernant les religieuses, où, un peu partout, on a emprunté aux symboles forts
africains (le linge intime joint à une pousse de bananier symbolisant fidélité et fécondité de
l’engagement, un cordon à nœuds, ainsi que le don d’un bracelet en ivoire, la machette
rituelle, signe d’engagement au combat à la suite du Christ, le feu, etc.)1031. La Conférence
épiscopale nationale du Congo établit ainsi un bilan globalement positif de cette liturgie
africaine congolaise « qui s’inspire davantage de la ‘’ritologie’’ si riche des religions et des
pratiques rituelles africaines, dans le respect des normes ecclésiales ». Ce rite zaïrois, dit la
Conférence Episcopale Nationale du Congo, « est une manière propre à notre Eglise locale de
célébrer l’Eucharistie, dans le contexte culturel qui est le nôtre », « une liturgie
authentiquement africaine, fondée sur une triple fidélité : fidélité à la foi et à la tradition
apostolique, fidélité à la nature intime de la liturgie catholique elle-même, fidélité au génie
religieux et au patrimoine culturel africain et congolais »1032
1030
KANCYNSKI, R., « Sens et condition de la réforme liturgique », in La Maison- Dieu, Revue de pastorale
liturgique, Paris, Ed. du Cerf, n°128, 4ème trimestre 1976.
1031
Voir KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., et L’inculturation liturgique en
Afrique depuis 1956 (Enjeux et pronostics), op.cit.
478
Or, certains de ces rites ont un caractère purement paroissial ou local, inconnus du
reste du diocèse ou du pays, au risque de disparaître en tombant dans l’oubli ou en désuétude,
de subir sans pouvoir résister les coups de boutoir et de critiques et, au mieux, de devenir des
curiosités pour touristes, sinon, de devoir répondre à des suspicions de sectarisme ou de
schisme qui pourraient conduire à leur condamnation ou tout au moins à leur interdiction par
la hiérarchie de l’Eglise universelle qui les tolère encore aujourd’hui. Il n’y aurait de
crédibilité, de sérieux et de pérennité qu’au profit d’une liturgie « panafricaine » pour un
christianisme africain ; on pourrait ainsi fonder l’espoir que, reconnue comme rite catholique,
une telle liturgie africaine pourrait inspirer les autres Eglises qui renoueraient, par exemple,
avec la danse sacrée qu’elles ont oubliée mais qui est l’une des spécificités africaines. Les
Eglises africaines seront-elles capables de dépasser l’ego national dans des manifestations de
rivalités sur l’échiquier théologique, chacune voulant passer pour celle qui a produit le plus de
théologiens ou les meilleurs théologiens, le plus de liturgistes, qui a la meilleure liturgie ? Ou,
seront-elles capables de s’accorder pour, sur la base des caractéristiques que partagent leurs
cultures respectives, ainsi que nous l’avons vu, élaborer un seul « rite africain de la messe »,
que chaque diocèse pourrait adapter à ses propres réalités locales (pour ce qui est de la langue
liturgique, des chants, des solennités locales, etc.) ? Cela rejoint la remarque de l’abbé
Evenou, utilisant cependant l’argument contre la dénomination « Rite zaïrois », qui pensait
1032
Conférence Episcopale Nationale du Congo, Nouvelle évangélisation et catéchèse, n. 68 et Défis pastoraux
au seuil du XXIe siècle…, op.cit., p.11.
1033
A ce sujet, la demande du Malawi, la deuxième en cours d’examen, après celle de l’Eglise zaïroise,
constituera un test.
1034
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre…, p. 211.
1035
Ibid., p. 210.
479
qu’il fallait éviter de trop lier la réforme en la désignant comme « rite zaïrois » parce qu’alors
il serait impossible de la proposer comme modèle à adapter à d’autres églises qui ne le
voudront pas « parce qu’il s’agit d’un ‘’rite zaïrois’’, ajoutant cette interrogation « Et si les
autres pays acceptaient votre rite, sera-t-il encore zaïrois ? … Est-ce que le rite zaïrois peut
faire des boutures dans d’autres pays s’il a pour titre officiel ’’rite zaïrois’’ ? »1036, tout
insidieux qu’il est, l’argument a une certaine logique n’excluant pas l’unité liturgique de
l’Afrique comme « grande culture humaniste » ou « chrétienté » propre.
Il y a fort à parier que, sans un tel effort, le voile de l’oubli et de la désuétude couvrira
ces rites « nationaux » ou locaux officiels comme officieux, tandis que l’on sera tenté de
revenir à des cérémonies guindées et que la spiritualité catholique souffrira en Afrique de tant
de laisser-aller, au profit des sectes ou, au mieux, des « églises évangéliques ».
1036
Ibid.
480
481
ANNEXES
482
65 Revenons à nous. Quand celui qui s’est associé à notre foi et à notre croyance a reçu
l’ablution dont nous avons parlé plus haut, nous le conduisons dans le lieu où sont rassemblés
ceux que nous nommons nos frères. Là commencent les prières ardentes que nous faisons
pour l’illuminé, pour nous-mêmes et pour tous les autres, dans l’espoir d’obtenir, avec la
connaissance que nous avons de la vérité, la grâce de vivre dans la droiture des oeuvres et
dans l’observance des préceptes, et de mériter ainsi le salut éternel. Quand la prière est
terminée, nous nous saluons tous d’un baiser de paix; ensuite on apporte à celui qui est le chef
des frères; du pain, de l’eau et du vin. Il les prend et célèbre la gloire et chante les louanges du
Père de l’univers, par le nom du Fils et du saint Esprit, et fait une longue action de grâces,
pour tous les biens que nous avons reçus de lui. Les prières et l’action de grâces terminées,
tout le peuple s’écrie: Amen! Amen, en langue hébraïque, signifie, ainsi soit-il. Quand le chef
des frères a fini les prières et l’action de grâces, que tout le peuple y a répondu, ceux que nous
appelons diacres distribuent à chacun des assistants le pain, le vin et l’eau, sur lesquels les
actions de grâces ont été dites, et ils en portent aux absents.
66 Nous appelons cet aliment Eucharistie, et personne ne peut y prendre part, s’il ne croit la
vérité de notre doctrine, s’il n’a reçu l’ablution pour la rémission de ses péchés et sa
régénération, et s’il ne vit selon les enseignements du Christ. Car nous ne prenons pas cet
aliment comme un pain ordinaire et une boisson commune. Mais de même que, par la parole
de Dieu, Jésus-Christ, notre Sauveur, ayant été fait chair, a pris sang et chair pour notre salut;
de même aussi cet aliment, qui par l’assimilation doit nourrir nos chairs et notre sang, est
devenu, par la vertu de l’action de grâces, contenant les paroles de Jésus-Christ lui-même, le
propre sang et la propre chair de Jésus incarné: telle est notre foi. Les apôtres, dans leurs
écrits, que l’on nomme Evangiles, nous ont appris que Jésus-Christ leur avait recommandé
d’en agir de la sorte, lorsque ayant pris du pain, il dit: « Faites ceci en mémoire de moi: ceci
est mon corps; « et semblablement ayant pris le calice, et ayant rendu grâces: « Ceci est mon
sang, « ajouta-t-il; et il le leur distribua à eux seuls. Les démons n’ont pas manqué d’imiter
cette institution dans les mystères de Mithra; car on apporte à l’initié du pain et du vin, sur
lesquels on prononce certaines paroles que vous savez, ou que vous êtes à même de savoir.
67 Après l’assemblée, nous nous entretenons les uns les autres dans le souvenir de ce qui s’y
est passé. Si nous avons du bien, nous soulageons les pauvres et nous nous aidons toujours; et
dans toutes nos offrandes, nous louons le Créateur de l’univers par Jésus-Christ son Fils et par
le saint Esprit. Le jour du soleil, comme on l’appelle, tous ceux qui habitent les villes ou les
campagnes se réunissent dans un même lieu, et on lit les récits des apôtres ou les écrits des
prophètes, selon le temps dont on peut disposer. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait
un discours pour exhorter à l’imitation de ces sublimes enseignements. Ensuite nous nous
levons tous et nous prions; et, comme nous l’avons dit, la prière terminée, on apporte du pain,
du vin et de l’eau, et celui qui préside fait les prières et les actions de grâces avec la plus
grande ferveur. Le peuple répond: Amen, et la distribution et la communion générale des
choses consacrées se fait à toute l’assistance; la part des absents leur est portée par les diacres.
483
Ceux qui sont dans l’abondance et veulent donner, font leurs largesses, et ce qui est recueilli
est remis à celui qui préside, et il assiste les veuves, les orphelins, les malades, les indigents,
les prisonniers et les étrangers: en un mot, il prend soin de soulager tous les besoins. Si nous
nous rassemblons le jour du soleil, c’est parce que ce jour est celui où Dieu, tirant la matière
des ténèbres, commença à créer le monde, et aussi celui où Jésus-Christ notre Sauveur
ressuscita d’entre les morts; car les Juifs le crucifièrent la veille du jour de Saturne, et le
lendemain de ce jour, c’est-à-dire le jour du soleil, il apparut à ses disciples, et leur enseigna
ce que nous avons livré à vos méditations.
Comme ce pain rompu, autrefois disséminé sur les montagnes, a été recueilli pour
n'en faire plus qu'un, rassemble ainsi ton Eglise des extrémités de la terre dans ton
royaume.
Oui, à Toi est la gloire et la puissance, par Jésus-Christ dans les siècles !
C'est toi, Maître tout-puissant, qui as créé 1'univers, à la louange de ton nom ;
tu as donné aux hommes la nourriture et le breuvage en jouissance, afin qu'ils te
rendent grâces ;
mais nous, tu nous a gratifiés d'une nourriture et d'un breuvage spirituels, et de la vie
éternelle par ton Enfant.
Avant tout, nous te rendons grâces, parce que tu es puissant ;
Souviens-toi, Seigneur, de délivrer ton Eglise de tout mal et de la parfaire dans ton
amour.
Rassemble, des quatre vents, 1'Eglise que tu as sanctifiée, dans le royaume que tu lui
as préparé.
Sources : http://www.amdg.asso.fr/spv_doctrine_trente.htm
Concile de Trente
XXIIème SESSION
Qui est la sixième tenue sous Pie IV souverain pontife, le 17 septembre 1562. Exposition de la
doctrine touchant le sacrifice de la messe
1037
D’après Gabriel Huan, Considérations sur le Christ de l’Eglise intérieure, J. Vrin, 1930 et http://livres-
mystiques.com, C’est de cette « Doctrine des Apôtres que parle Saint Paul, quand il rappelle à Tite, l’obligation
de conformer sa prédication à la « doctrine » (Tite I, 9 et II, 1), l’enseignement oral apostolique, dont la Didachè
expose l’élément moral, disciplinaire et liturgique.
485
Parce que sous l'ancien Testament, selon le témoignage de l'apôtre saint Paul, il n'y avait rien
de parfait ni d'accompli à cause de la faiblesse et de l'impuissance du sacerdoce lévitique, il a
fallu. Dieu le Père des miséricordes l'ordonnant ainsi, qu'il se soit levé un autre prêtre selon
l'ordre de Melchisédech, savoir Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel pût rendre accomplis et
conduire à une parfaite justice tous ceux qui devaient être sanctifiés. Or quoique Notre-
Seigneur Dieu dût une fois s'offrir lui-même à Dieu son Père, en mourant sur l'autel de la
croix pour y opérer la rédemption éternelle, néanmoins, parce que son sacerdoce ne devait pas
être éteint par la mort, pour laisser à l'Église, sa chère épouse, un sacrifice visible tel que la
nature des hommes le requérait, par lequel ce sacrifice sanglant, qui devait s'accomplir une
fois en la croix, fût représenté, la mémoire en fût conservée jusqu'à la fin des siècles, et la
vertu si salutaire en fût appliquée pour la rémission des péchés que nous commettons tous les
jours ; dans la dernière cène, la nuit même qu'il fut livré, se déclarant prêtre établi pour
l'éternité selon l'ordre de Melchisédech, il offrit à Dieu le Père son corps et son sang, sous les
espèces du pain et du vin, et sous les symboles des mêmes choses, les donna à prendre à ses
apôtres, qu'il établissait lors prêtres du nouveau Testament ; et par ces paroles : Faites ceci en
mémoire de moi, leur ordonna, à eux et à leurs successeurs dans le sacerdoce, de les offrir,
ainsi que l'Église catholique l'a toujours entendu et enseigné. Car après avoir célébré
l'ancienne pâque, que l'assemblée des enfants d'Israël immolait en mémoire de la sortie
d'Egypte, il établit la pâque nouvelle, se laissant lui-même pour être immolé par les prêtres au
nom de l'Église, sous des signes visibles, en mémoire de son passage de ce monde à son Père,
lorsqu'il nous racheta par l'effusion de son sang, nous arracha de la puissance des ténèbres, et
nous transféra dans son royaume. […]
CHAPITRE II : Que le sacrifice visible de la messe est propitiatoire pour les vivants et
pour les morts
Et parce que le même Jésus-Christ qui s'est offert une fois lui-même sur l'autel de la croix
avec effusion de son sang, est contenu et immolé sans effusion de sang dans ce divin sacrifice,
qui s'accomplit à la messe : dit et déclare le saint concile que ce sacrifice est véritablement
propitiatoire, et que par lui nous obtenons miséricorde et trouvons grâce et secours au besoin,
si nous approchons de Dieu, contrits et pénitents, avec un cœur sincère, une foi droite, et dans
un esprit de crainte et de respect. Car notre Seigneur, apaisé par cette offrande, et accordant la
grâce et le don de pénitence, remet les crimes et les péchés, même les plus grands, puisque
c'est la même et l'unique hostie, et que c'est le même qui s'offrit autrefois sur la croix qui
s'offre encore à présent par le ministère des prêtres, n'y ayant de différence qu'en la manière
d'offrir ; et c'est même par le moyen de cette oblation non sanglante que l'on reçoit avec
abondance le fruit de celle qui s'est faite avec effusion de sang ; tant s'en faut que par elle on
déroge en aucune façon à la première. C'est pourquoi, conformément à la tradition des
apôtres, elle est offerte, non seulement pour les péchés, les peines, les satisfactions et les
autres nécessités des fidèles qui sont encore vivants, mais aussi pour ceux qui sont morts en
Jésus-Christ, et qui ne sont pas encore entièrement purifiés.
[…]
486
Et comme il est à propos que les choses saintes soient saintement administrées, et que de
toutes les choses saintes ce sacrifice est le plus saint ; afin qu'il fût offert et reçu avec dignité
et respect, l'Église catholique, depuis plusieurs siècles, a établi le saint canon si épuré et si
exempt de toute erreur, qu'il n'y a rien dedans qui ne ressente tout à fait la sainteté et la piété,
et qui n'élève à Dieu l'esprit de ceux qui offrent le sacrifice, n'étant composé que des paroles
mêmes de Notre-Seigneur, des traditions des apôtres, et de pieuses institutions des saints
papes.
Or la nature de l'homme étant telle qu'il ne peut aisément et sans quelque secours extérieur
s'élever à la méditation des choses divines, pour cela l'Église, comme une bonne mère, a établi
certains usages, comme de prononcer à la messe des choses à basse voix, d'autres d'un ton
plus haut, et à introduit des cérémonies, comme les bénédictions mystiques, les lumières, les
encensements, les ornements, et plusieurs autres choses pareilles, suivant la discipline et la
tradition des apôtres, et pour rendre par là plus recommandable la majesté d'un si grand
sacrifice, et pour exciter-les esprits des fidèles par ces signes sensibles de piété et de religion à
la contemplation des grandes choses qui sont cachées dans ce sacrifice.
Le saint concile souhaiterait à la vérité qu'à chaque messe tous les fidèles qui y assisteraient
communiassent non seulement spirituellement et par un sentiment intérieur de dévotion, mais
aussi par la réception sacramentelle de l'Eucharistie, afin qu'ils participassent plus
abondamment au fruit de ce très-saint sacrifice. Cependant, encore que cela ne se fasse pas
toujours, il ne condamne pas pour cela comme illicites et à titre de particulières les messes
auxquelles le prêtre seul communie sacramentellement ; mais il les approuve et les autorise
même, puisque ces mêmes messes doivent être estimées véritablement communes, et parce
que le peuple y communie spirituellement, et parce qu'elles sont célébrées par un ministre
public de l'Eglise, non seulement pour lui, mais aussi pour tous les fidèles qui appartiennent
au corps de Jésus-Christ.
CHAPITRE VII : De l'eau que l'on mêle avec le vin dans le calice
Le saint concile avertit aussi que l'Église a ordonné aux prêtres de mêler de l'eau au vin qui
doit être offert dans le calice, tant parce qu'il est à croire que Notre-Seigneur Jésus-Christ en a
usé de la sorte, que parce qu'il sortit de son côté de l'eau avec le sang ; et que par le mélange
que l'on fait dans le calice, on renouvelle la mémoire de ce mystère ; outre que par là même
on représente encore l'union du peuple fidèle avec Jésus-Christ qui en est le chef, les peuples
étant signifiés par les eaux dans l'Apocalypse de saint Jean.
Quoique la messe contienne de grandes instructions pour les fidèles, il n'a pourtant pas été
jugé à propos par les anciens Pères qu'elle fût célébrée partout en langue vulgaire. C'est
pourquoi chaque église retenant en chaque lieu l'ancien usage qu'elle a pratiqué, et qui a été
approuvé par la sainte Église romaine, la mère et la maîtresse de toutes les églises ; afin
pourtant que les brebis de Jésus-Christ ne souffrent pas de faim, et que les petits enfants ne
demandent pas du pain sans trouver qui leur en rompe, le saint concile ordonne aux pasteurs,
487
et à tous ceux qui ont charge d'âmes, que souvent au milieu de la célébration de la messe ils
expliquent eux-mêmes, ou fassent expliquer par d'autres, quelque chose de ce qui se lit à la
messe, et particulièrement qu'ils s'attachent à faire entendre quelque mystère de ce très-saint
sacrifice, surtout les jours de dimanches et de fêtes.
Or, d’autant que, contre cette ancienne créance, fondée et établie sur le saint Évangile, sur la tradition
des apôtres et sur la doctrine des saints Pères, il s’est répandu en ce temps quantité d’erreurs, et que
plusieurs se mêlent d’enseigner et de soutenir diverses choses contraires : le saint concile, après avoir
mûrement et soigneusement agité et discuté toutes ces matières, a résolu, du consentement unanime de
tous les Pères, de condamner, et de bannir de la sainte Église, par les canons suivants, tout ce qui est
contraire à la pureté de cette créance, et de cette sainte doctrine.
DU SACRIFICE DE LA MESSE
CANON l
Si quelqu’un dit qu’à la messe on n’offre pas à Dieu un véritable et propre sacrifice, ou qu’être offert
n’est autre chose que Jésus-Christ nous être donné à manger : Qu’il soit anathème.
CANON II
Si quelqu’un dit que par ces paroles (l Cor. Il, Luc. 22) : Faites ceci en mémoire de moi, Jésus-Christ
n’a pas établi les apôtres prêtres, ou n’a pas ordonné qu’eux et les autres prêtres offrissent son corps et
son sang : Qu’il soit anathème.
CANON III
Si quelqu’un dit que le sacrifice de la messe est seulement un sacrifice de louange et d’action de
grâces, ou une simple mémoire du sacrifice qui a été accompli à la croix, et qu’il n’est pas
propitiatoire, ou qu’il n’est profitable qu’à celui qui le reçoit, et qu’il ne doit point être offert pour les
vivants et pour les morts, pour les péchés, les peines, les satisfactions, et pour toutes les autres
nécessités : Qu’il soit anathème.
CANON IV
Si quelqu’un dit que par le sacrifice de la messe on commet un blasphème contre le très saint sacrifice
de Jésus-Christ consommé en la croix, ou qu’on y déroge : Qu’il soit anathème.
CANON V
Si quelqu’un dit que c’est une imposture de célébrer des messes en l’honneur des saints, et pour
obtenir leur entremise auprès de Dieu, comme c’est l’intention de l’Église : Qu’il soit anathème.
CANON VI
Si quelqu’un dit que le canon de la messe contient des erreurs, et que pour cela il en faut supprimer
l’usage : Qu’il soit anathème.
488
CANON VII
Si quelqu’un dit que les cérémonies, les ornements et les signes extérieurs dont use l’Église catholique
dans la célébration de la messe, sont plutôt des choses qui portent à l’impiété, que des devoirs de piété
et de dévotion : Qu’il soit anathème.
CANON VIII
Si quelqu’un dit que les messes auxquelles le seul prêtre communie sacramentellement sont illicites, et
que pour cela il en faut faire cesser l’usage : Qu’il soit anathème.
CANON IX
Si quelqu’un dit que l’usage de l’Église romaine de prononcer à basse voix une partie du canon et les
paroles de la consécration doit être condamné ; ou que la messe ne doit être célébrée qu’en langue
vulgaire ; ou qu’on ne doit point mêler d’eau avec le vin qui doit être offert dans le calice, parce que
c’est contre l’institution de Jésus-Christ : Qu’il soit anathème.
http://www.adoperp.com/magistere/conciles_divers/trente.html
Chapitre I. La présence réelle de notre Seigneur Jésus Christ dans le très Saint-Sacrement de
l’Eucharistie
En premier lieu, le saint concile enseigne et professe ouvertement et sans détour que dans le
vénérable Sacrement de la sainte Eucharistie, après la consécration du pain et du vin, notre
Seigneur jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, est vraiment, réellement et substantiellement
contenu sous l’apparence de ces réalités sensibles. […] C’est ainsi en effet que tous nos
ancêtres, qui ont tous été dans le véritable Église du Christ et ont traité de ce très Saint-
Sacrement, ont professé très ouvertement que notre Rédempteur a institué ce Sacrement si
admirable lors de la dernière Cène, lorsque, après avoir béni le pain et le vin, il attesta en
termes clairs et précis qu’il leur donnait son propre corps et son propre sang. Ces paroles […]
se présentent en un sens propre est très clair, selon ce que les Pères ont compris. Aussi est-ce
le scandale le plus indigne de voir certains hommes querelleurs et pervers les ramener à des
figures de style sans consistance et imaginaires, par lesquelles est niée la vérité de la chair et
du sang du Christ […].
[…]
Chapitre III. Excellence de la très sainte Eucharistie par rapport aux autres Sacrements
[…]
Parce que le Christ notre Rédempteur a dit qu’était vraiment son corps ce qu’il offrait sous
l’espèce du pain17, on a toujours été persuadé dans l’Église de Dieu - et c’est ce que déclare de
nouveau aujourd’hui ce saint concile - que par la consécration du pain et du vin se fait un
changement de toute la substance du pain en la substance du corps du Christ notre Seigneur18
et de toute la substance du vin en la substance de son sang. Ce changement a été justement et
proprement appelé, par la sainte Église catholique, transsubstantiation.
C’est pourquoi il ne reste aucune raison de douter que tous les chrétiens selon la coutume
reçue depuis toujours dans l’Église catholique, rendent avec vénération le culte de latrie, qui
est dû au vrai Dieu, à ce très Saint-Sacrement. En effet, celui-ci ne doit pas être moins adoré
parce qu’il a été institué par le Christ Seigneur pour nous nourrir. Car nous croyons qu’en lui
est présent ce même Dieu que le Père éternel a introduit dans le monde en disant: Et que tous
les anges de Dieu l’adorent19, lui que les mages ont adoré en se prosternant20, lui enfin dont
l’Écriture témoigne qu’il fut adoré en Galilée par les apôtres21. En outre, le saint concile
déclare que la coutume a été pieusement et religieusement introduite dans l’Église de Dieu de
célébrer chaque année, en un jour de fête particulier, ce Sacrement éminent et vénérable dans
une vénération et une solennité spéciales22 et de porter celui-ci avec respect et honneur dans
des processions à travers les rues et les places publiques [.. ;].
Chapitre VI. Le Sacrement de la sainte Eucharistie que l’on conserve et que l’on porte aux
malades
La coutume de conserver la sainte Eucharistie en un lieu sacré est si ancienne que le siècle du
concile de Nicée23 la connaissait déjà. En outre, porter cette sainte Eucharistie aux malades et,
pour ce faire, la conserver soigneusement dans les églises non seulement est chose très
équitable en même temps que conforme à la raison, mais est aussi prescrit par de nombreux
conciles24 et observé par une très ancienne coutume de l’Église catholique. C’est pourquoi ce
saint concile a statué qu’il fallait garder absolument cette coutume salutaire et nécessaire.
Chapitre VII. La Préparation à apporter pour qu’on reçoive dignement la sainte Eucharistie
S’il ne convient pas que qui que ce soit s’approche d’une fonction sacrée si ce n’est
saintement, à coup sûr plus un chrétien découvre la sainteté et le caractère divin de ce
Sacrement céleste, plus il doit diligemment veiller à ne s’en approcher pour le recevoir
qu’avec grand respect et sainteté, d’autant plus que nous lisons dans l’Apôtre ces mots pleins
de crainte : Qui mange et boit indignement, mange et boit sa condamnation, ne discernant pas
le corps du Christ25. C’est pourquoi il faut rappeler à qui veut communier le commandement :
Que l’homme s’éprouve lui-même26. La coutume de l’Église montre clairement que cette
épreuve est nécessaire pour que personne en ayant conscience d’un péché mortel, quelque
contrit qu’il s’estime, ne s’approche de la sainte Eucharistie sans une confession
sacramentelle préalable. Ce saint concile a décrété que cela devait être observé toujours par
tous les chrétiens, même par les prêtres qui sont tenus par office de célébrer, du moment
qu’ils peuvent avoir recours à un confesseur. Que si, en raison d’une nécessité urgente, un
prêtre a dû célébrer sans confession préalable, qu’il se confesse le plus tôt possible.
Canon 1. Si quelqu’un dit que dans le très saint sacrement de l’eucharistie ne sont pas
contenus vraiment, réellement et substantiellement le Corps et le Sang en même temps que
490
l’âme et la divinité de notre Seigneur Jésus Christ et, en conséquence, le Christ tout entier,
mais dit qu’ils n’y sont qu’en tant que dans un signe ou en figure ou virtuellement qu’il soit
anathème.
Canon 2. Si quelqu’un dit que, dans le très saint sacrement de l’eucharistie, la substance du
pain et du vin demeure avec le Corps et le Sang de notre Seigneur Jésus Christ, et s’il nie ce
changement admirable et unique de toute la substance du pain en son Corps et de toute la
substance du vin en son Sang, alors que demeurent les espèces du pain et du vin, changement
que l’Église catholique appelle d’une manière très appropriée transsubstantiation : qu’il soit
anathème.
Canon 3. Si quelqu’un nie que, dans le vénérable sacrement de l’eucharistie, le Christ tout
entier soit contenu sous chaque espèce et sous chacune des parties de l’une ou l’autre espèce,
après leur séparation : qu’il soit anathème.
Canon 4. Si quelqu’un dit que, une fois achevée la consécration, le Corps et le Sang de notre
Seigneur Jésus Christ ne sont pas dans l’admirable sacrement de l’eucharistie, mais seulement
quand on en use en le recevant, ni avant, ni après, et que le vrai Corps du Seigneur ne
demeure pas dans les hosties ou les parcelles consacrées qui sont gardées ou restent après la
communion : qu’il soit anathème.
Canon 5. Si quelqu’un dit ou bien que le fruit principal de la très sainte eucharistie est la
rémission des péchés ou bien qu’elle ne produit pas d’autres effets : qu’il soit anathème.
Canon 6. Si quelqu’un dit que, dans le saint sacrement de l’eucharistie, le Christ, Fils unique
de Dieu, ne doit pas être adoré d’un culte de latrie, même extérieur et que, en conséquence, il
ne doit pas être vénéré par une célébration festive particulière, ni être porté solennellement en
procession selon le rite ou la coutume louables et universels de la sainte Église, ni être
proposé publiquement à l’adoration du peuple, ceux qui l’adorent étant des idolâtres : qu’il
soit anathème.
Canon 7. Si quelqu’un dit qu’il n’est pas permis de garder la sainte eucharistie dans le
tabernacle, mais qu’elle doit nécessairement être distribuée aux assistants immédiatement
après la consécration, ou qu’il n’est pas permis de la porter avec honneur aux malades : qu’il
soit anathème.
Canon 8. Si quelqu’un dit que le Christ présenté dans l’eucharistie est mangé seulement
spirituellement et non pas aussi sacramentellement et réellement : qu’il soit anathème.
Canon 9. Si quelqu’un nie que, une fois qu’ils ont atteint l’âge de discrétion, tous et chacun
des chrétiens de l’un et l’autre sexe sont tenus de communier chaque année au moins à
Pâques, conformément au commandement de notre sainte mère l’Église : qu’il soit anathème.
Canon 10. Si quelqu’un dit qu’il n’est pas permis au prêtre qui célèbre de se communier lui-
même : qu’il soit anathème.
Canon 11. Si quelqu’un dit que la foi seule est une préparation suffisante pour recevoir le
sacrement de la très sainte eucharistie : qu’il soit anathème.
Et pour qu’un si grand sacrement ne soit pas reçu indignement et donc pour la mort et la
condamnation, ce saint concile statue et déclare que ceux dont la conscience est chargée d’un
491
Dès le premier instant de Notre élévation au sommet de la Hiérarchie Apostolique, Nous avons tourné
avec amour notre esprit et nos forces, et dirigé toutes nos pensées vers ce qui était de nature à
conserver la pureté du culte de l’Eglise, et, avec l’aide de Dieu Lui-même, Nous nous sommes efforcés
de le réaliser en plénitude, en y apportant tout notre soin. Comme parmi d’autres décisions du Saint
Concile de Trente, il nous incombait de décider de l’édition et de la réforme des livres sacrés, le
Catéchisme, le Bréviaire et le Missel ; après avoir déjà, grâce à Dieu, édité le Catéchisme pour
l’instruction du peuple, et, pour qu’à Dieu soient rendues les louanges qui Lui sont dues, corrigé
complètement le Bréviaire, pour que le Missel répondit au Bréviaire, ce qui est convenable et normal
puisqu’il sied qu’il n’y ait dans l’Eglise de Dieu qu’une seule façon de psalmodier et un seul rite pour
célébrer la Messe, il Nous apparaissait désormais nécessaire de penser le plus tôt possible à ce qui
restait à faire dans ce domaine, à savoir : éditer le Missel lui-même.
C’est pourquoi Nous avons estimé devoir confier cette charge à des savants choisis ; et, de fait, ce sont
eux qui, après avoir soigneusement rassemblé tous les manuscrits, non seulement les anciens de Notre
Bibliothèque Vaticane, mais aussi d’autres recherchés de tous les côtés, corrigés et exempts
d’altération, ainsi que les décisions des anciens et les écrits d’auteurs estimés qui nous ont laissé des
documents relatifs à l’organisation de ces mêmes rites, ont rétabli le Missel lui-même conformément à
la règle antique et aux rites des Saints Pères.
Une fois celui-ci révisé et corrigé, après mûre réflexion, afin que tous profitent de cette disposition et
du travail que nous avons entrepris, Nous avons ordonné qu’il fût imprimé à Rome le plus tôt possible,
et qu’une fois imprimé, il fût publié, afin que les prêtres sachent quelles prières ils doivent utiliser,
quels sont les rites et quelles sont les cérémonies qu’ils doivent conserver dorénavant dans la
célébration des messes : pour que tous accueillent partout et observent ce qui leur a été transmis par
L’Eglise Romaine, Mère et Maîtresse de toutes les autres églises, et pour que par la suite et dans les
temps à venir dans toutes les églises, patriarcales, collégiales, paroissiales de toutes les provinces de la
Chrétienté, séculières ou de n’importe quels Ordres monastiques, tant d’hommes que de femmes,
même d’Ordres militaires réguliers, et dans les églises et chapelles sans charge d’âmes dans lesquelles
la célébration de la messe conventuelle à haute voix avec le Chœur, ou à voix basse suivant le rite de
l’Eglise Romaine est de coutume ou d’obligation, on ne chante ou ne récite d’autres formules que celle
conforme au Missel que Nous avons publié, même si ces mêmes églises ont obtenu une dispense
quelconque, par un indult du Siège Apostolique, par le fait d’une coutume, d’un privilège ou même
d’un serment, ou par confirmation apostolique, ou sont dotées d’autres permissions quelconques ; à
moins que depuis la première institution approuvée par le Siège Apostolique ou depuis que s’est
établie la coutume, et que cette dernière ou l’institution elle-même aient été observées sans
492
interruption dans ces mêmes églises par la célébration de messes pendant plus de deux cents ans. Dans
ce cas Nous ne supprimons aucunement à ces églises leur institution ou coutumes de célébrer la messe
; mais, si ce Missel que Nous avons fait publier leur plaisait davantage, de l’avis de l’Evêque ou du
Prélat, ou de l’ensemble du Chapitre, Nous permettons que, sans que quoi que ce soit y fasse obstacle,
elles puissent célébrer la messe suivant celui-ci.
Par notre présente constitution qui est valable à perpétuité, nous avons décodé et nous ordonnons, sous
peine de notre malédiction, que pour toutes les autres églises précitées l’usage de leurs missels propres
soit retiré et absolument et totalement rejeté et que jamais rien ne soit ajouté, retranché ou modifié à
notre missel que nous venons d’éditer.
Nous avons décidé rigoureusement pour l’ensemble et pour chacune des églises énumérées ci-dessus,
pour les Patriarches, les Administrateurs et pour toutes autres personnes revêtues de quelque dignité
ecclésiastique, fusent-ils même Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine ou aient tout autre grade ou
prééminence quelconque, qu’ils devront, en vertu de la sainte obéissance, abandonner à l’avenir et
rejeter entièrement tous les autres principes et rites, si anciens fusent-ils, provenant des autres missels
dont ils avaient jusqu’ici l’habitude de se servir , et qu’ils devront chanter ou dire la Messe suivant le
rite, la manière et la règle que Nous enseignons par ce Missel et qu’ils ne pourront se permettre
d’ajouter, dans la célébration de la Messe, d’autres cérémonies ou de réciter d’autres prières que celles
contenues dans ce Missel.
Et même, par les dispositions présentes et au nom de notre autorité apostolique, nous concédons et
accordons que ce même missel pourra être suivi en totalité dans la Messe chantée ou lue, dans quelque
église que ce soit, sans aucun scrupule de conscience et sans recourir aucune punition, condamnation
ou censure, et qu’on pourra valablement l’utiliser librement et licitement, et cela, à perpétuité.
Et, d’une façon analogue, Nous avons décidé et déclarons que les supérieurs, administrateurs,
chanoines, chapelains et autres prêtres de quelques nom qu’ils seront désignés, ou les religieux de
n’importe quel ordre, ne peuvent être tenus de célébrer la Messe autrement que nous l’avons fixé, et
que jamais et en aucun temps, qui que ce soit ne pourra les contraindre et les forcer à laisser ce missel
ou à abroger la présente instruction ou la modifier, mais qu’elle demeurera toujours en vigueur et
valide, dans toute sa force, nonobstant les décisions antérieures et les Constitutions et Ordonnances
Apostoliques, et les Constitutions Générales ou spéciales émanant de Conciles Provinciaux et
Généraux, pas plus que l’usage des églises précitées confirmé par une prescription très ancienne et
immémoriale, mais ne remontant pas à plus de deux cents ans, ni les décisions ou coutumes contraires
quelles qu’elles soient.
Nous voulons, au contraire, et Nous le décrétons avec la même autorité, qu’après la publication de
Notre présente Constitution ainsi que du Missel, tous les prêtres qui sont présents dans la Curie
Romaine soient tenus de chanter ou de dire la Messe selon ce Missel dans un délai d’un mois ; ceux
qui sont de ce côté des Alpes, au bout de trois mois ; et, enfin, ceux qui habitent de l’autre côté des
montagnes, au bout de six mois ou dès que celui-ci leur sera offert à acheter. Et, pour qu’en tout lieu
de la terre il soit conservé sans corruption et exempt de fautes et d’erreurs, Nous interdisons par Notre
autorité apostolique et par le contenu d’instructions semblables à la présente, à tous les imprimeurs
domiciliés dans le domaine soumis directement ou indirectement à Notre autorité et à la Sainte Eglise
Romaine, sous peine de confiscation des livres et d’une amende de deux cents ducats d’or à payer au
Trésor Apostolique, et aux autres, domiciliés en quelque lieu du monde, sous peine
d’excommunication et d’autres sanctions en Notre pouvoir, de se permettre en aucune manière ou de
s’arroger le droit de l’imprimer ou de l’offrir, ou de l’accepter sans notre permission ou une
permission spéciale d’un Commissaire Apostolique qui doit être chargé par Nous de ce soin, et sans
que ce Commissaire n’ait comparé avec le Missel imprimé à Rome, suivant la grande impression, un
original destiné au même imprimeur pour lui servir de modèle pour ceux que ledit imprimeur doit
imprimer, ni sans qu’on n’ait préalablement bien établi qu’il concorde avec ledit Missel et ne présente
absolument aucune divergence par rapport à celui-ci.
493
Cependant, comme il serait difficile de transmettre la présente lettre en tous lieux de la Chrétienté et
de la porter tout de suite à la connaissance de tous, Nous ordonnons de la publier et de l’afficher,
suivant l’usage, à la Basilique du Prince des Apôtres et à la Chancellerie Apostolique, ainsi que sur le
Champ de Flore, et d’imprimer aussi des exemplaires de cette même lettre signée de la main d’un
notaire public et munis du sceau d’une personnalité revêtue d’une dignité ecclésiastique, auxquels on
devra partout, chez tous les peuples et en tous lieux, accorder la même confiance absolument exempte
de doute que si l’on montrait ou exposait la présente.
Qu’absolument personne, donc, ne puisse déroger à cette page qui exprime notre permission, notre
décisions, notre ordonnance, notre commandement, notre précepte, notre concession, notre indult,
notre déclaration, notre décret et notre interdiction, ou n’ose aller témérairement à l’encontre de ces
dispositions. Si cependant, quelqu’un se permettait une telle altération, qu’il sache qu’il encourrait
l’indignation de Dieu tout puissant et de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, l’an mil cinq cent soixante dix de l’Incarnation du Seigneur, en la
cinquième année de Notre pontificat.
4. ORDO MISSAE
dans le rite dit « de Saint Pie V » Source http://amdg.free.fr/amdg_messe_spv.htm
Asperges me, Domine, hyssopo, et mundabor : lavabis Purifiez-moi, Seigneur, avec l’hysope, et je serai sans
me, et super nivem dealbabor . tache : lavez-moi, et je deviendrai plus blanc que la
Ps : Miserere mei, Deus, secundum magnam neige.
misericordiam Tuam. Gloria Patri... Asperges me... Ps : Ayez pitié de moi, mon Dieu, dans Votre grande
miséricorde. Gloire au Père... Aspergez-moi...
In Dominicis paschalibus
P: In nomine Patris, † et Filii, et Spiritus Sancti. Amen P: Au Nom † du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Introibo ad altare Dei. Amen.
R: Ad deum qui laetificat juventutem meam. P: Judica J’irai vers l’autel de Dieu .
me Deus, et discerne causam meam de gente non sancta R: De Dieu Qui fait la joie de ma jeunesse .
: ab homine iniquo et doloso erue me. PSAUME 42
R: Quia tu es Deus fortitudo mea : quare me repulisti, et P: Jugez-moi, mon Dieu, séparez ma cause de celle des
quare tristis incedo, dum affligit me inimicus ? P: impies : de l’homme injuste et trompeur, délivrez-moi .
Emitte lucem tuam, et veritatem tuam : ipsa me R: Car Vous êtes ma force, mon Dieu . Pourquoi
deduxerunt, et adduxerunt in montem sanctum tuum, et m’avez-Vous rejeté et pourquoi m’en vais-je triste
in tabernacula tua. R: Et introibo ad altare Dei : ad lorsque l’ennemi m’afflige ?
Deum qui laetificat juventutem meam. P: Confitebor P: Envoyez Votre Lumière et Votre vérité : elles me
tibi in cithara Deus, Deus meus: quare tristis es anima conduiront vers Votre montagne sainte, vers Vos
mea, et quare conturbas me ? R: Spera in Deo, quoniam tabernacles.
adhuc confitebor illi : salutare vultus mei, et Deus R: J’irai vers l’autel de Dieu, de Dieu Qui fait la joie de
meus. ma jeunesse.
P: Gloria Patri, et Filio, et Spiritu Sancto. P: Je Vous louerai avec la cithare, Dieu, mon Dieu .
R: Sicut erat in principio et nunc, et semper, et in Pourquoi être triste, mon âme ? Pourquoi te troubler ?
saecula saeculorum. Amen. P: Introibo ad altare Dei. R: R: Espère en Dieu, car je Le louerai encore, Lui, mon
Ad Deum qui laetificat juventutem meam. P: Sauveur et mon Dieu.
Adjutorium nostrum † in nomine Domini. R: Qui fecit P: Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit .
coelum et terram. R: Comme il était au commencement, maintenant et
P: Confiteor Deo omnipotenti, beatae Mariae semper toujours, et pour les siècles des siècles. Amen.
virgini, beato Michaeli archangelo, beato Joanni P: J’irai vers l’autel de Dieu,
Baptistae, sanctis Apostolis Petro et Paulo, omnibus R: De Dieu Qui fait la joie de ma jeunesse.
Sanctis et vobis fratres, quia peccavi nimis cogitatione, P: Notre secours est dans le Nom†du Seigneur.
verbo, et opere mea culpa, mea culpa, mea maxima R: Qui a fait le ciel et la terre.
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culpa. Ideo precor beatam Mariam semper virginem, P: Je confesse à Dieu tout-puissant, à la Bienheureuse
beatum Michaelem archangelum, beatum Joannem Marie toujours Vierge, à Saint Michel Archange,
Baptistam, sanctos Apostolos Petrum et Paulum, omnes à Saint Jean le Baptiste, aux Saints Apôtres Pierre et
Sanctos, et vos fratres, orare pro me ad Dominum Paul, à tous les Saints, et à vous aussi, mes frères, parce
Deum nostrum. que j’ai beaucoup péché, en pensée, en parole, par
R: Misereatur tui omnipotens Deus, et dimissis peccatis action.
tuis, perducat te ad vitam aeternam. C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande
P: Amen. faute.
R: Confiteor Deo omnipotenti, beatae Mariae semper C’est pourquoi je supplie la Bienheureuse Marie
virgini, beato Michaeli archangelo, beato Joanni toujours Vierge, Saint Michel Archange, Saint Jean le
Baptistae, sanctis Apostolis Petro et Paulo, omnibus Baptiste, les Saints Apôtres Pierre et Paul, tous les
Sanctis, et tibi, Pater, quia peccavi nimis cogitatione, Saints, et vous, mes frères, de prier pour moi le
verbo, et opere : mea culpa, mea culpa, mea maxima Seigneur notre Dieu.
culpa.
Ideo precor beatam Mariam semper virginem, beatum R: Que le Dieu tout-puissant vous fasse miséricorde,
Michaelem archangelum, beatum Joannem Baptistam, qu’il vous pardonne tous nos péchés et vous conduise à
sanctos Apostolos Petrum et Paulum, omnes Sanctos, et la vie éternelle .
te, Pater, orare pro me ad Dominum Deum nostrum. P: Amen.
R: Je confesse à Dieu tout-puissant, à la Bienheureuse
P: Misereatur vestri omnipotens Deus, et dimissis Marie toujours Vierge, à Saint Michel Archange,
peccatis vestris, perducat vos ad vitam aeternam. R: à Saint Jean le Baptiste, aux Saints Apôtres Pierre et
Amen. Paul, à tous les Saints, et à vous, mon Père, parce que
P: Indulgentiam, † absolutionem et remissionem j’ai beaucoup péché, en pensée, en parole, par action.
peccatorum nostrorum, tribuat nobis omnipotens et C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande
misericors Dominus. R: Amen. faute.
P: Deus tu conversus vivificabis nos. C’est pourquoi je supplie la Bienheureuse Marie
R: Et plebs tua laetabitur in te. P: Ostende nobis, toujours Vierge, Saint Michel Archange, Saint Jean le
Domine, misericordiam tuam. R: Et salutare tuum da Baptiste, les Saints Apôtres Pierre et Paul, tous les
nobis. P: Domine exaudi orationem meam. R: Et clamor Saints, et vous, mon Père, de prier pour moi le Seigneur
meus ad te veniat. P: Dominus vobiscum. R: Et cum notre Dieu.
spiritu tuo. P: Que le Dieu tout-puissant vous fasse miséricorde,
P: Oremus. qu’il vous pardonne tous vos péchés et vous conduise à
Aufer a nobis, quaesumus Domine, iniquitates nostras: la vie éternelle.
ut ad Sancta Sanctorum puris mereamur mentibus R: Amen.
introire. Per Christum Dominum nostrum. Amen. P: Que le Seigneur tout-puissant et miséricordieux nous
accorde† le pardon, l’absolution et la rémission de tous
Oramus te, Domine per merita sanctorum tuorum, nos péchés.
quorum reliquiae hic sunt et omnium sanctorum: ut R: Amen.
indulgere digneris omnia peccata mea. Amen. P: Dieu, tournez-Vous vers nous et donnez-nous la vie.
In Missis Solemnibus, Incensio Altaris R: Votre peuple se réjouira en Vous.
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Introït
Gloria Gloria
P: Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus P: Gloire à Dieu au plus haut des cieux, Et paix sur la
bonae voluntatis. Laudamus te, benedicimus te, terre aux hommes de bonne volonté. Nous Vous louons,
adoramus te, glorificamus te. Gratias agimus tibi propter Nous Vous bénissons, Nous Vous adorons,
magnam gloriam tuam. Domine Deus rex coelestis, Nous Vous glorifions, Nous Vous rendons grâces pour
Deus Pater omnipotens. Domine Fili Unigenite, Jesu Votre immense gloire. Seigneur Dieu, Roi du ciel, Dieu
Christe. Domine Deus, Agnus Dei, Filius Patris. Qui le Père tout-puissant. Seigneur Fils Unique, Jésus
tollis peccata mundi, miserere nobis. Qui tollis peccata Christ,
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mundi, suscipe deprecationem nostram. Qui sedes ad Seigneur Dieu, Agneau de Dieu, le Fils du Père.
dexteram patris, miserere nobis. Quoniam tu solus Vous Qui enlevez les péchés du monde,ayez pitié de
sanctus, tu solus Dominus, tu solus altissimus, Jesu nous.
Christe, cum Sancto Spiritu, in gloria Dei Patris. Amen. Vous Qui enlevez les péchés du monde, recevez notre
prière. Vous Qui êtes assis à la droite du Père, ayez pitié
P: Dominus vobiscum. de nous. Car Vous seul êtes Saint, Vous seul êtes
R: Et cum spiritu tuo. Seigneur, Vous seul êtes le Très-Haut, Jésus Christ,
Avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père.
Amen.
Collecte
Epître
P: Munda cor meum, ac labia mea, omnipotens Deus, P: Purifiez mon coeur et mes lèvres, Dieu tout-puissant,
qui labia Isaiae prophetae calculo mundasti ignito : ita Qui avez purifiez les lèvres du prophète Isaïe avec un
me tua grata miseratione dignare mundare, ut sanctum charbon ardent, afin que, par Votre miséricordieuse
Evangelium tuum digne valeam nuntiare. Per Christum bonté, je puisse proclamer dignement Votre Saint
Dominum nostrum. Amen. Evangile. Par le Christ notre Seigneur. Amen.
Le Seigneur soit en mon coeur et sur mes lèvres, afin
Jube Domine benedicere. Dominus sit in corde meo, et que j’annonce dignement et convenablement Son
in labiis meis; ut digne et competenter annuntiem Evangile. Amen.
Evangelium suum. Amen.
P: Le Seigneur soit avec vous.
P: Dominus vobiscum. R: Et avec votre esprit.
R: Et cum spiritu tuo. P: † Suite (ou Commencement) du Saint Evangile selon
P: † Sequentia (vel Initium) Sancti Evangelii secundum Saint N. .
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Credo Credo
P: Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem, P: Je crois en un seul Dieu, Le Père tout-puissant,
factorem coeli et terrae, visibilium omnium et Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et
invisibilium. Et in unum Dominum Jesum Christum, invisible. Et en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils
Filium Dei unigenitum. Et ex Patre natum ante omnia Unique de Dieu, Né du Père avant tous les siècles. Il est
saecula. Deum de Deo, lumen de lumine, Deum verum Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu
de Deo vero. Genitum, non factum, consubstantialem né du vrai Dieu,Engendré, non pas créé, consubstantiel
Patri : per quem omnia facta sunt. Qui propter nos au Père, par Qui tout a été créé. Pour nous les hommes
homines, et propter nostram salutem descendit de coelis. et pour notre salut, Il descendit des cieux.
ET INCARNATUS EST DE SPIRITU SANCTO EX IL A PRIS CHAIR DE LA VIERGE MARIE PAR
MARIA VIRGINE ET HOMO FACTUS EST. ACTION DU SAINT-ESPRIT, ET IL S’EST FAIT
Crucifixus etiam pro nobis: sub Pontio Pilato passus, et HOMME.
sepultus est. Et resurrexit tertia die, secundum Crucifié pour nous sous Ponce Pilate, Il souffrit Sa
Scripturas. Et ascendit in coelum : sedet ad dexteram Passion et fut mis au tombeau. Il ressucita le troisième
Patris. Et iterum venturus est cum gloria, judicare vivos jour, conformément aux Ecritures, Et Il monta au ciel,
et mortuos: cujus regni non erit finis. Et in Spiritum où Il siège à la droite du Père . Il reviendra dans la
Sanctum, Dominum et vivificantem: qui ex Patre gloire pour juger les vivants et les morts ; Et Son règne
Filioque procedit. Qui cum Patre et Filio simul adoratur n’aura pas de fin. Je crois en l’Esprit Saint, Qui est
et conglorificatur: qui locutus est per prophetas. Et Seigneur et Qui donne la vie : Il procède du Père et du
unam, sanctam, Catholicam et Apostolicam Ecclesiam. Fils . Avec le Père et le Fils, Il reçoit même adoration et
Confiteor unum baptisma in remissionem peccatorum. même gloire : Il a parlé par les prophètes. Je crois à
Et exspectio resurrectionem mortuorum. Et vitam l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Je
venturi saeculi. Amen. reconnais un seul baptême pour la rémission des péchés.
Et j’attends la résurrection des morts. Et la vie du
P: Dominus vobiscum. monde à venir. Amen.
R: Et cum spiritu tuo.
P: Le Seigneur soit avec vous.
P: Oremus. R: Et avec votre esprit.
P: Prions.
Antienne d’Offertoire
Offertorium Offertoire
P: Suscipe sancte Pater omnipotens aeterne Deus, hanc P: Recevez Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant,
immaculatam hostiam, quam ego indignus famulus tuus cette Hostie sans tache, que moi, Votre indigne
offero tibi Deo meo vivo et vero, pro innumerabilibus serviteur, je vous offre à Vous, notre Dieu vivant et vrai,
peccatis et offensionibus et negligentiis meis, et pro pour mes innombrables péchés, offenses et négligences,
omnibus circumstantibus, sed et pro omnibus fidelibus pour tous ceux ici rassemblés et pour tous les fidèles
Christianis vivis atque defunctis: ut mihi et illis proficiat chrétiens vivants et morts afin qu’elle serve à mon salut
ad salutem in vitam aeternam. Amen. et au leur pour la vie éternelle. Amen.
P: Deus, qui humanae substantiae dignitatem mirabiliter P: Dieu, Qui avez admirablement fondé la dignité de la
condidisti, et mirabilius reformasti: da nobis per hujus nature humaine et l’avez plus admirablement encore
aquae et vini mysterium, ejus divinitatis esse consortes, réformée, donnez-nous par le mystèrede l’eau mêlée au
qui humanitatis nostrae fieri dignatus est particeps, vin de prendre part à la divinité de Celui Qui a daigné
Jesus Christus, Filius tuus, Dominus noster: Qui tecum prendre notre humanité, Jésus Christ, Votre Fils, notre
vivit et regnat in unitate Spiritus Sancti, Deus; per Seigneur. Qui vit et règne avec Vous dans l’unité du
omnia saecula saeculorum. Amen. Saint Esprit, Dieu dans tous les siècles des siècles.
Amen.
P: Offerimus tibi Domine, calicem salutaris, tuam
deprecantes clementiam : ut in conspectu divinae P: Nous Vous offrons, Seigneur,le calice du salut,
majestatis tuae, pro nostra et totius mundi salute cum implorant Votre clémence : qu’il s’élève en odeur de
odore suavitatis ascendat. Amen. suavité devant Votre divine majesté, pour notre salut et
celui du monde entier. Amen.
Incensio Encensement
In Missis Solemnibus Aux Messes Solennelles
Per intercessionem Beati Michaelis Archangeli, stantis a Par l’intercession du Bienheureux Michel Archange,
dextris altaris incensi, et omnium electorum Suorum, debout à droite de l’autel des parfums, et de tous Ses
incensum istud dignetur Dominus bene†dicere, et in élus,
odorem suavitatis accipere. que le Seigneur daigne bénir †cet encens, et le recevoir
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Accendat in nobis Dominus ignem Sui amoris, et Que le Seigneur allume en nous le feu de Son amour et
flammam aeternae caritatis. Amen. la flamme de l’éternelle charité. Amen.
P: Lavabo inter innocentes manus meas: et circumdabo P: Je laverai mes mains parmi les innocents et je me
altare tuum Domine. Ut audiam vocem laudis: et tiendrai auprès de Votre autel, Seigneur. Pour entendre
enarrem universa mirabilia tua. Domine dilexi decorem la voix de la louange et raconter Vos merveilles infinies.
domus tuae, et locum habitationis gloriae tuae. Ne Seigneur, j’aime l’ornement de Votre maison et le lieu
perdas cum impiis Deus animam meam: et cum viris où Votre gloire habite. Dieu, Ne perdez pas mon âme
sanguinum vitam meam. In quorum manibus iniquitates avec les impies, et ma vie avec les hommes de sang.
sunt : dextera eorum repleta est muneribus. Ego autem Leurs mains commettent l’iniquité et leur droite est
in innocentia mea ingressus sum: redime me, et remplie de biens. Pour moi je marche dans l’innocence,
miserere mei. Pes meus stetit in directo: in ecclesiis rachetez-moi et ayez pitié de moi. Mon pied marchera
benedicam te Domine. sur la voie droitet : je Vous bénirez dans les assemblées.
Gloria Patri et Filio, et Spiritui Sancto. Sicut erat in Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit. Comme il
principio, et nunc, et semper, et in saecula saeculorum. était au commencement, maintenant et toujours, et pour
Amen. les siècles des siècles. Amen.
P: Suscipe sancta Trinitas hanc oblationem, quam tibi Vous présentons en memoire de la Passion, de la
ascensionis Jesu Christi Domini nostri: et in honorem Seigneur; et en l’honneur de la Bienheureuse Marie
beatae Mariae semper virginis, et beati Joannis toujours Vierge, du Bienheureux Jean le Baptiste, des
Baptistae, et sanctorum Apostolorum Petri et Pauli, et Saints Apôtres Pierre et Paul, (des Saints dont nous
istorum, et omnium Sanctorum: ut illis proficiat ad vénérons les reliques ici,) et de tous Vos Saints ; qu’Elle
honorem, nobis autem ad salutem: et illi pro nobis serve à leur honneur et à notre salut, et que les Saints
agimus in terris. sur la terre daignent intercéder pour nous dans les cieux
Per eumdem Christum Dominum nostrum. Amen. . Par le même Christ notre Seigneur.
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Amen.
P: Orate, fratres, ut meum ac vestrum sacrificium P: Priez mes frères: afin que mon Sacrifice,qui est aussi
acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem. le vôtre, soit agréé par Dieu le Père tout-puissant.
R: Suscipiat Dominus sacrificium de manibus tuis ad R: Que le Seigneur reçoive un Sacrifice à la louange et à
laudem et gloriam nominis sui, ad utilitatem quoque la gloire de Son Nom, pour notre bien et celui de toute
nostram, totiusque Ecclesiae suae sanctae. Sa Sainte Eglise.
Secrete
Sanctus Sanctus
P: Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus Deus Sabaoth. P: Saint, Saint, Saint, le Seigneur, Dieu de l’univers. Le
Pleni sunt coeli et terra gloria tua. Hosanna in excelsis. ciel et la terre sont remplis de Votre Gloire. Béni soit
Benedictus qui venit in nomine Domini. Hosanna in celui Qui vient au Nom du Seigneur . Hosanna au plus
excelsis. haut des cieux.
cognita est, et nota devotio, pro quibus tibi offerimus: Vos servantes N. et N. et de tous ceux ici assemblés,
vel qui tibi offerunt hoc sacrificium laudis pro se, dont Vous connaissez la foi et la dévotion . Pour eux
suisque omnibus: pro redemptione animarum suarum, nous Vous offrons ou ils Vous offrent eux-mêmes ce
pro spe salutis et incolumitatis suae : tibique reddunt Sacrifice de louange, pour eux et pour les leurs, pour la
vota sua aeterno Deo vivo et vero. rédemption de leur âme, dans l’espérance du salut et de
leur conservation ; et ils Vous rendent cet hommage, à
P: Communicantes, et memoriam venerantes, in primis Vous, Dieu éternel, vivant et vrai.
gloriosae semper virginis Mariae genitricis Dei et
Domini nostri Jesu Christi: sed et beati Joseph, ejusdem P: Unis dans une même communion, nous voulons
virginis sponsi et beatorum Apostolorum ac martyrum vénérer en premier lieu la mémoire de la Glorieuse
tuorum, Petri et Pauli, Andreae, Jacobi, Joannis, Marie toujours Vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur
Thomae, Jacobi, Philippi, Bartholomaei, Matthaei, Jésus Christ et ensuite de Saint Joseph, son très chaste
Simonis et Thaddaei: Lini, Cleti, Clementis, Xysti, Epoux, de Vos Saints Apôtres et Martyrs, Pierre et Paul,
Cornelii, Cypriani, Laurentii, Chrysogoni, Joannis et André, Jacques, Jean, Thomas, Jacques, Philippe,
Pauli, Cosmae et Damiani, et omnium sanctorum Barthélémy, Matthieu, Simon et Jude, Lin, Clet,
tuorum: quorum meritis precibusque concedas, ut in Clément, Xyste, Corneille, Cyprien, Laurent,
omnibus protectionis tuae muniamur auxilio. Per Chrysogone, Jean et Paul, Côme et Damien et de tous
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omnibus protectionis tuae muniamur auxilio. Per Vos Saints . Accordez-nous, par leurs mérites et leurs
eumdem Christum Dominum nostrum. Amen. prières d’être, toujours et partout, munis du secours de
Votre protection.
P: Hanc igitur oblationem servitutis nostrae, sed et Par le même Christ notre Seigneur. Amen.
cunctae familiae tuae, quaesumus, Domine, ut placatus
accipias : diesque nostros in tua pace disponas, atque ab P: Voici donc l’Offrande que nous Vous présentons,
aeterna damnatione nos eripi, et in electorum tuorum nous Vos serviteurs et Votre famille entière : nous Vous
jubeas grege numerari. Per Christum Dominum supplions de l’accepter avec bienveillance, de disposer
nostrum. Amen. nos jours dans la paix, de nous arracher à la damnation
éternelle et de nous recevoir au nombre de Vos élus.
P: Quam oblationem tu, Deus, in omnibus, quaesumus
Par le Christ notre Seigneur. Amen.
benedictam †, adscriptam †, ratam †, rationabilem,
acceptabilemque facere digneris: ut nobis Corpus †, et P: Cette Oblation, Dieu, nous Vous en prions, daignez
Sanguis † fiat dilectissimi Filii tui Domini nostri Jesu la† bénir, l’†agréer, l’†approuver pleinement, la rendre
Christi. parfaite et digne de Vous plaire afin qu’elle devienne
pour nous le†Corps et le†Sang de Votre Fils bien-aimé
Jésus Christ, notre Seigneur.
P: Qui pridie quam pateretur, accepit panem in sanctas
ac venerabiles manus suas: et elevatis oculis in coelum P: La veille de Sa Passion, Il prit le pain dans Ses mains
ad te Deum Patrem suum omnipotentem, tibi gratias saintes et vénérables, et, les yeux élevés au ciel, vers
agens, benedixit †, fregit, deditque discipulis suis, Vous, Dieu Son Père tout-puissant, Vous rendant
dicens: „Accipite et manducate ex hoc omnes : grâces, Il le†bénit, le rompit, et le donna à Ses disciples
en disant : « Prenez et mangez-en tous :
HOC EST ENIM CORPUS
MEUM“ CECI EST MON CORPS »
P: Simili modo postquam coenatum est, accipiens et P: De même, après le repas, prenant aussi ce précieux
hunc praeclarum Calicem in sanctas ac venerabiles Calice dans Ses mains saintes et vénérables, Vous
manus suas: item tibi gratias agens, benedixit †, rendant grâces de nouveau, Il le†bénit, et le donna à Ses
deditque discipulis suis, dicens : „Accipite et bibite ex disciples en disant : « Prenez et buvez-en tous :
eo omnes:
CECI EST LE CALICE DE
HIC EST ENIM CALIX
MON SANG, LE SANG DE
SANGUINIS MEI, NOVI ET
L’ALLIANCE NOUVELLE
ÆTERNI TESTAMENTI:
ET ETERNELLE, MYSTERE
MYSTERIUM FIDEI, QUI
DE LA FOI, QUI SERA
PRO VOBIS ET PRO
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P: Supra quae propitio ac sereno vultu respicere P: Sur ces Offrandes daignez jeter un regard favorable
digneris: et accepta habere, sicuti accepta habere et accueillir dans Votre bienveillance ce Sacrifice Saint,
dignatus es munera pueri tui justi Abel, et sacrificium cette Hostie immaculée, comme il Vous plut d’accueillir
patriarchae nostri Abrahae: et quod tibi obtulit summus les présents de Votre serviteur Abel le Juste, le Sacrifice
sacerdos tuus Melchisedech, sanctum sacrificium, de notre père Abraham, et celui que Vous offrit Votre
immaculatam hostiam. grand-prêtre Melchisedech.
P: Supplices te rogamus, omnipotens Deus; jube haec P: Nous Vous en supplions, Dieu tout-puissant, faites
perferri per manus sancti Angeli tui in sublime altare porter ces Offrandes par Votre Saint Ange sur Votre
tuum, in conspectu divinae majestatis tuae: ut quotquot autel céleste en présence de Votre divine majesté, afin
ex hac altaris participatione, sacrosanctum Filii tui qu’en recevant ici, par notre communion à l’autel,
Corpus † et Sanquinem † sumpserimus omni le†Corps et le†Sang sacrés de Votre Fils, nous puissions
benedictione coelesti et gratia repleamur. Per eumdem être comblés de Votre grâce et de toute bénédiction
Christum Dominum nostrum. Amen. céleste. Par le même Christ notre Seigneur. Amen.
P: Memento etiam, Domine, famulorum famularumque P: Souvenez-Vous aussi, Seigneur, de Vos serviteurs et
tuarum N. et N. qui nos praecesserunt cum signo fidei, de Vos servantes N. et N. qui nous ont précédé, marqués
et dormiunt in somno pacis. du signe de la foi, et qui dorment du sommeil de la paix.
P: Ipsis Domine, et omnibus in Christo quiescentibus, P: Pour ceux-là, Seigneur, et pour tous ceux qui
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locum refrigerii, lucis et pacis, ut indulgeas, reposent dans le Christ, nous implorons Votre bonté :
deprecamur, per eumdem Christum Dominum nostrum. qu’ils entrent dans le séjour du bonheur, de la Lumière
Amen. et de la paix. Par le même Christ notre Seigneur. Amen.
P: Nobis quoque peccatoribus famulis tuis, de notre espérance en Votre miséricorde infinie,
multitudine miserationum tuarum sperantibus, partem daignez nous accorder une place dans la communauté de
aliquam et societatem donare digneris, cum tuis sanctis Vos Saints Apôtres et Martyrs, de Jean le Baptiste,
Apostolis et Martyribus: cum Joanne, Stephano, Précurseur du Sauveur, Etienne, Matthias, Barnabé,
Matthia, Barnaba, Ignatio, Alexandro, Marcellino, Ignace, Alexandre, Marcellin, Pierre, Félécité, Perpétue,
Petro, Felicitate, Perpetua, Agatha, Lucia, Agnete, Agathe, Lucie, Agnès, Cécile, Anastasie et et de tous
Caecilia, Anastasia, et omnibus sanctis tuis : intra Vos Saints ; admettez-nous en leur compagnie, nous
quorum nos consortium, non aestimator meriti, sed Vous en supplions, sans considérer nos mérites mais
veniae, quaesumus, largitor admitte. Votre miséricorde. Par le Christ notre Seigneur. Amen.
Per Christum Dominum nostrum. Amen .
P: Par Lui, Seigneur, Vous ne cessez de créer tous ces
biens et Vous les sancti†fiez, Vous les vivi†fiez et Vous
les bénis†sez pour nous en faire don.
P: Per quem haec omnia, Domine, semper bona creas,
sanctificas † , vivificas † , benedicis † et praestas nobis.
P: Par † Lui, avec † Lui, et en † Lui, à Vous Dieu le
Père † tout-puissant, en l’unité du Saint†Esprit, tout
P: Per ipsum † , et cum ipso † , et in ipso † , est tibi Deo
honneur et toute gloire.
Patri † omnipotenti, in unitate Spritus † Sancti, omnis
honor et gloria.
P: Pour les siècles des siècles.
R: Amen.
P: Per omnia saecula saeculorum.
R: Amen.
P: Oremus. Praeceptis salutaribus moniti, et divina P: Prions. Comme nous l’avons appris du Sauveur, et
institutione formati, audemus dicere : selon Son divin commandement, nous osons dire :
P: Pater noster, qui es in coelis ; sanctificetur nomen P: Notre Père, Qui êtes aux cieux : Que Votre Nom soit
tuum ; adveniat regnum tuum: fiat voluntas tua sicut in sanctifié ; Que Votre règne arrive ; Que Votre volonté
coelo et in terra. Panem nostrum quotidianum da nobis soit faite sur la terre comme au ciel. Donnez-nous
hodie ; et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos aujourd’hui notre pain de chaque jour. Pardonnez-nous
dimittimus debitoribus nostris. Et ne nos inducas in nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous
P: Libera nos, quaesumus Domine, ab omnibus malis P: Délivrez-nous, Seigneur, de tout mal passé, présent et
praeteritis, praesentibus, et futuris: et intercedente beata à venir et, par l’intercession de la Bienheureuse et
et gloriosa semper Virgine Dei Genitrice Maria, cum Glorieuse Marie toujours Vierge, Mère de Dieu, Vos
beatis Apostolis tuis Petro at Paulo, atque Andrea, et Saints Apôtres Pierre et Paul, André, et tous Vos Saints,
omnibus sanctis, da propitius pacem in diebus nostris: ut daignez accorder la paix à notre temps et, par Votre
ope misericordiae tuae adjuti, et a peccato simus semper miséricorde, libérez-nous du péché, rassurez-nous dans
liberi, et ab omni perturbatione securi. les épreuves.
P: Per eumdem Dominum nostrum Jesum Christum P: Par le même Jésus Christ, Votre Fils, notre Seigneur.
Filium tuum. Qui tecum vivit et regnat in unitate Qui vit et règne avec Vous dans l’unité du Saint Esprit,
Spiritus Sancti Deus. Per omnia saecula saeculorum. Dieu dans tous les siècles des siècles.
R: Amen. R: Amen.
P: Pax † Domini sit † semper vobiscum † . P: Que la paix† du Seigneur soit †toujours avec vous†,
R: Et cum spiritu tuo. R: Et avec votre esprit.
P: Haec commixtio et consecratio Corporis et Sanguinis P: Que le mélange sacramentel du Corps et du Sang de
Domini nostri Jesu Christi fiat accipientibus nobis in notre Seigneur Jésus Christ nourissent en nous la vie
vitam aeternam. Amen. éternelle. Amen.
P: Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis. P: Agneau de Dieu, Qui enlevez les péchés du monde :
Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis. prenez pitié de nous.
Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, dona nobis pacem. Agneau de Dieu, Qui enlevez les péchés du monde :
prenez pitié de nous.
P: Domine Jesu Christe, qui dixisti Apostolis tuis: Agneau de Dieu, Qui enlevez les péchés du monde :
pacem relinquo vobis, pacem meam do vobis: ne donnez-nous la paix.
respicias peccata mea, sed fidem Ecclesiae tuae; eamque
secundum voluntatem tuam pacificare et coadunare P: Seigneur Jésus Christ, Qui avez dit à Vos Apôtres :
digneris. Qui vivis et regnas Deus, per omnia saecula Je vous laisse Ma paix, Je vous donne Ma paix ; ne
saeculorum. Amen. regardez pas mes péchés, mais la foi de Votre Eglise ;
pour que Votre volonté s’accomplisse, donnez-lui
P: Domine Jesu Christe, Fili Dei vivi, qui ex voluntate
toujours cette paix, et conduisez-la vers l’unité parfaite.
Patris cooperante Spritu Sancto, per mortem tuam
Vous Qui vivez et régnez, Dieu, pour les siècles des
mundum vivificasti: libera me per hoc sacrosanctum
siècles. Amen.
Corpus et Sanguinem tuum ab omnibus iniquitatibus
meis et universis malis: et fac me tuis semper inhaerere P: Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, selon la
mandatis: et a te nunquam separari permittas : qui cum volonté du Père et avec la coopération de l’Esprit Saint,
eodem Deo Patre et Spiritu Sancto vivis et regnas Deus Vous avez donné, par Votre Mort, la vie au monde ; que
in saecula saeculorum. Amen. Votre Corps et Votre Sang sacrés me délivrent de mes
péchés et de tout mal : faites moi demeurer toujours
507
P: Perceptio Corporis tui, Domine Jesu Christe, quod péchés et de tout mal : faites moi demeurer toujours
ego indignus sumere praesumo, non mihi proveniat in attachés à Vos commandements, et ne permettez pas
judicium et condemnationem : sed pro tua pietate prosit que je sois jamais séparé de Vous. Qui vivez et régnez
mihi ad tutamentum mentis et corporis, et ad medelam avec le Père et le Saint Esprit, Dieu pour les siècles des
percipiendam. Qui vivis et regnas cum Deo Patre in siècles. Amen.
unitate Spiritus Sancti Deus, per omnia saecula
saeculorum. Amen. P: Que la communion à Votre Corps et à Votre Sang,
Seigneur Jésus Christ, Que j’ose recevoir malgré mon
indignité, n’entraîne pour moi ni jugement ni
condamnation ; mais, par Votre miséricorde, qu’elle
serve de soutien et de remède à mon esprit et mon corps.
Vous, Qui vivez et régnez avec le Père et le Saint Esprit,
Dieu pour les siècles des siècles. Amen.
Communio Communion
P: Panem coelestem accipiam et nomen Domini P: Je prendrai le Pain du ciel, et j’invoquerai le Nom du
invocabo. Seigneur.
P: Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum: dites seulement une parole et mon âme sera guérie. (ter)
sed tantum dic verbo, et sanabitur anima mea (ter).
P: Le Corps de notre Seigneur Jésus Christ garde mon
P: Corpus Domini nostri Jesu Christi custodiat animam âme pour la vie éternelle. Amen.
meam in vitam aeternam. Amen.
P: Que rendrai-je au Seigneur pour le bien qu’Il m’a fait
?
P: Quid retribuam Domino pro omnibus quae retribuit
Je prendrai le Calice du salut et j’invoquerai le Nom du
mihi? Calicem salutaris accipiam, et nomen Domini
Seigneur et je serai sauvé de mes ennemis.
invocabo Dominum, et ab inimicis meis salvus ero.
P: Quod ore sumpsimus Domine, pura mente capiamus: P: Que nous gardions dans un corps pur, Seigneur, ce
et de munere temporali fiat nobis remedium
508
et de munere temporali fiat nobis remedium que nous avons reçu et que ce don nous soit un remède
sempiternum. éternel.
P: Corpus tuum, Domine, quod sumpsi, et Sanguis, P: Que Votre Corps et Votre Sang Qui nous ont nourris,
quem potavi, adhaereat visceribus meis: et praesta, ut in Seigneur, s’attache à mon être et que Vos saints
me non remaneat scelerum macula, quem pura et sancta mystères efface en moi la souillure du péché.
refecerunt sacramenta. Qui vivis et regnas in saecula Vous Qui vivez et régnez pour les siècles des siècles.
Antienne de Communion
Postcommunio Postcommunion
Benedictio Bénédiction
P: Placeat tibi sancta Trinitas, obsequium servitutis P: Agréez, Trinité Sainte, l’hommage de ma servitude,
meae; et praesta, ut sacrificium, quod oculis tuae ce Sacrifice, que, malgré mon indignité, j’ai présenté
majestatis indignus obtuli, tibi sit acceptabile, mihique aux regards de Votre Majesté, acceptez-le, et, que par
et omnibus, pro quibus illud obtuli, sit, te miserante, Votre miséricorde, il soit une source de grâces pour moi
Per Christum Dominum nostrum. Amen. Par le Christ notre Seigneur. Amen.
P: Benedicat vos omnipotens Deus, Pater, et Filius † , et P: Que Dieu tout-puissant vous bénisse, le Père, † le
Spiritus Sanctus. Fils et le Saint Esprit.
509
R: Amen. R: Amen.
P: In prinicipio erat Verbum, et Verbum erat apud P: Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en
Deum, et Deus erat Verbum. Hoc erat in principio apud Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était en Dieu au
Deum. Omnia per ipsum facta sunt, et sine ipso factum commencement. Il a tout fait et rien de ce qui s’est fait
est nihil quod factum est. In ipso vita erat, et vita erat ne s’est fait sans Lui. En Lui était la vie et la vie était la
lux hominum: et lux in tenebris lucet, et tenebrae eam Lumière des hommes et la Lumière luit dans les
non comprehenderunt. Fuit homo missus a Deo, cui ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas comprise. Il y eut un
nomen erat Joannes. Hic venit in testimonium, ut homme envoyé par Dieu, du nom de Jean. Il vint en
testimonium perhiberet de lumine, ut omnes crederent témoin pour rendre témoignage à la Lumière afin que
per illum. Non erat ille lux, sed ut testimonium tous croient par lui. Il n’était pas la Lumière mais il vint
perhiberet de lumine. Erat lux vera quae illuminat rendre témoignage à la Lumière. Le Verbe était la vraie
omnem hominem venientem in hunc mundum. In Lumière Qui éclaire tout homme venant en ce monde .
mundo erat, et mundus per ipsum factus est, et mundus Il était dans le monde et le monde s’est fait par Lui et le
eum non cognovit. In propria venit, et sui eum non monde ne L’a pas connu. Il est venu chez les Siens et
receperunt. Quotquot autem receperunt eum, dedit eis les Siens ne L’ont pas reçu. Mais tous ceux qui ne L’ont
potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in nomine pas reçu, Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants
ejus. Qui non ex sanguinibus, neque ex voluntate carnis, de Dieu, à ceux qui croient en Son Nom, qui ne sont pas
neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt. ET nés du sang, de la volonté de la chair et de l’homme
VERBUM CARO FACTUM EST, et habitavit in nobis mais de Dieu. ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR et Il
et vidimus gloriam ejus, gloriam quasi unigeniti a Patre, a habité parmi nous : et nous avons vu Sa gloire pleine
plenum gratiae et veritatis. de grâce et de vérité, qui est la gloire que le Fils Unique
R: Deo gratias. tient du Père.
R: Nous rendons grâces à Dieu.
Ave Maria, gratia plena, Dominus tecum. Benedicta tu Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est
in mulieribus, et benedictus fructus ventris tui, Jesus. avec Vous,vous êtes bénie entre toutes les femmes et
Sancta Maria, Mater Dei, ora pro nobis peccatoribus, Jésus, le fruit de vos entrailles est béni.
nunc, et in hora mortis nostrae. Amen. (ter) Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres
pécheurs maintenant et à l’heure de notre mort. Amen.
SALVE REGINA (ter)
mundo divina virtute in infernum detrude. contre la malice et les embûches du démon.
R: Amen. Que Dieu lui fasse sentir Son empire, nous vous en
supplions et vous, Prince de la milice céleste, repoussez
INVOCATIO en enfer par la force divine Satan et les autres esprits
mauvais, qui œuvrent dans le monde à la perte des
P: Cor Jesu sacratissimum, âmes.
R: Miserere nobis. (ter) R: Amen.
511
INVOCATION
Le diacre va à l’autel et y prend l’évangile pour en faire la lecture. L’autel peut désigner
Jérusalem, d’où est partie la proclamation de l’Evangile, selon l’Ecriture : « De Sion viendra
la Loi et de Jérusalem la parole du Seigneur » (Is. 2, 3). Il peut encore désigner le corps du
Seigneur lui-même, en qui sont les paroles de l’Evangile, c’est-à-dire de la Bonne Nouvelle.
C’est lui qui a ordonné aux Apôtres de prêcher l’Evangile à toute créature ; c’est lui qui a dit :
« Mes paroles sont esprit et vie » (Is. 6, 64). Ses paroles sont contenues dans l’Evangile. Le
diacre qui porte le livre es comme les pieds du Christ. Ll le porte sur son bras gauche qui
évoque la vie de ce monde, dans lequel il est nécessaire d’annoncer l’Evangile.
Quand le diacre salue le peuple, il convient que tous se tournent ver lui. Le prêtre et le peuple
sont en effet tournés vers l’orient, jusqu’au moment où par le diacre le Seigneur parle, et ils
font le signe de la croix sur leur front. […] Pourquoi précisément sur cette partie du corps ?
C’est que le front est le siège de la honte. Si les Juifs rougissent de croire en celui qu’ils
voient crucifié, comme dit l’Apôtre : « Nous annonçons un Crist crucifié, scandale pour les
Juifs, etc… » (1 Cor. 1, 23), nous croyons, nous, que nous sommes sauvés par le Crucifié. Les
Juifs rougissent de son nom, tandis que nous, nous croyons que ce nom nos protège. C’est
pourquoi nous nous signons sur le front, qui est le siège de la honte, comme nous l’avons dit.
[…] Les deux cierges qui sont portés devant l’Evangile désignent la Loi et les Prophètes, qui
ont précédé l’enseignement évangélique. L’encensoir évoque toutes les vertus qui émanent de
la vie du Christ. L’encensoir, lui, monte à l’ambon devant l’Evangile, pour y répandre une
odeur de parfum, montrant par là que le Christ a fait le bien avant d’annoncer l’Evangile,
comme l’atteste Luc dans les Actes des Apôtres : « Ce que le Christ a fait et enseigné » (Act.
1, 1). Il a d’abord agi et ensuite il a enseigné.
Le lieu élevé du haut duquel on lit l’Evangile manifeste la supériorité de la doctrine
évangélique et sa grande autorité de jugement. La place des cierges montre que la Loi et les
Prophètes sont inférieurs à l’Evangile. Et quand le livre a été rapporté à sa place, après la
lecture, on éteint les cierges, car lorsque a retenti la prédication de l’Evangile, la Loi et les
Prophètes ne parlent plus […].
Les rites qui ont précédé désignent la prédication du Christ jusqu’à l’heure de sa passion ainsi
que celle de ses prédicateurs, jusqu’à la fin du monde et au-delà. Ceux qui veulent suivre
révèlent ce qui est réalisé par la passion du Christ, sa résurrection et son ascension aux cieux,
et pareillement le sacrifice, la mortification et la résurrection de ses disciples par la confession
de foi et le désir du ciel où ils entendront la voix du Seigneur : « Venez les bénis de mon Père,
prenez possession du royaume qui a été préparé pour vous » (Mt 25, 34).
512
A cet effet, les soussignés Son excellence Mgr Vico, Nonce apostolique, dûment autorisé par
Sa Sainteté le Pape Pie X, et le Chevalier de Cuvelier, dûment autorisé par S.M. Léopold II,
Roi-souverain de l’Etat Indépendant, se sont convenus des dispositions suivantes : 1. L’Etat
Indépendant du Congo concèdera aux établissements de missions catholiques au Congo les
terres nécessaires à leurs œuvres religieuses dans les conditions suivantes :
2 ; Chaque établissement de mission s’engage, dans la mesure de ses ressources, à créer une
école où les indigènes recevront l’instruction. Le programme comportera notamment un
enseignement agricole et l’agronomie forestière et un enseignement professionnel pratique de
métiers manuels ;
2. Le programme des études et des cours sera soumis au gouverneur général et les branches à
enseigner seront fixées de commun accord. L’enseignement des langues nationales belges fera
parti essentielle du programme.
4. Il sera fait par chaque supérieur de mission, à des dates périodiques, rapport au gouverneur
général sur l’organisation et le développement des écoles, le nombre des élèves, l’avancement
des études, etc. Le gouverneur général, par lui-même ou un délégué, qu’il désignera
expressément, pourra s’assurer que les écoles répondent à toutes les conditions d’hygiène et
de salubrité ;
6. Les missionnaires s’engagent à remplir pour l’Etat et moyennant indemnité, les travaux
spéciaux d’ordre scientifique rentrant dans la compétence personnelle, tels que reconnaissance
ou études géographiques, ethnographiques, linguistiques, etc. ;
513
7. La superficie des terres à allouer à chaque mission, dont l’établissement sera décidé de
commun accord, sera de 200 hectares cultivables ; elle pourra être portée à 200 hectares en
raison des nécessités et de l’importance de la mission. Ces terres ne pourront être aliénées t
devront rester affectées à leur utilisation aux œuvres de la mission. Ces terres sont données à
titre gratuit et en propriété perpétuelle ; leur emplacement sera déterminé de commun accord
entre le gouverneur et le supérieur de la mission ;
9. Il est convenu que les deux parties contractantes recommanderont toujours à leur
subordonnés la nécessité de conserver la plus parfaite harmonie entre les missionnaires et les
agents de l’Etat. Si les difficultés venaient à surgir, elles seront réglées à l’amiable entre les
autorités locales qui en référaient aux autorités supérieures.
En foi de quoi, les soussignés ont signé la présente convention et y ont apposé leurs cachets.
Fait en double exemplaire à Bruxelles, le vingt-six mai mil neuf cent six.
1483 : Abordage de Diego Cao en compagnie de prêtres venus du Portugal, sur l’embouchure
du fleuve « Congo », en pays kongo. La bulle XXX d’Alexandre VI partageant le monde
entre Espagnols et Portugais.
rites chinois par Pie XII en 1939. Début d’une longue période de persécution et interdiction
du christianisme en Chine.
1773 : Suppression des Jésuites par Clément XIV
1814 : Restauration des Jésuites.
1822 Fondation à Lyon de l’œuvre de la Propagation de la foi
1845 : Encycliques Neminem Perfecto sur la formation du clergé local.
1862 : Fondation de la congrégation « belge » de Scheut
1872 : Fondation des Pères blancs, premiers pères Blancs au Sahara (Laghouat)
1878 : Départ d’une caravane de Missionnaires vers le Bouganda et le Tanganika.
1880 : Retour de missionnaires au Congo
1885-1886 : Création de l’Etat indépendant du Congo (E.I.C.)
1886 : Martyr des chrétiens de l’Ouganda.
1919 : Encyclique Maximum illud de Benoît XV
1926 : Encyclique Rerum Ecclesiae de Pie XI
1947 : Encyclique Mediator Dei de Pie XII
1951 : Encyclique Evangelii Praecones sur l’autonomie des Églises locales de Pie XII
1957 : Encyclique Fidei Donum sur la mission particulièrement en Afrique. (Pie XII)
1962-1965 : Concile Vatican II et adoption des normes pour adapter la liturgie au
tempérament et aux conditions des différents peuples (inculturation)
28 octobre 1958 : élection de Giuseppe Angelo Roncalli comme pape sous le nom de Jean XXIII.
17 novembre 1958 : Mgr Tardini secrétaire d’état.
25 janvier 1959 : Annonce aux cardinaux par Jean XXIII : concile œcuménique, synode du diocèse de
Rome, refonte du Code de droit canonique.
Période post-conciliaire
24-25 mars 1966 : Visite du Dr Ramsay, archevêque de Canterbury et président de la Communion
anglicane, à Rome.
5 octobre 1966 : Publication du Catéchisme hollandais.
26 mars 1967 : Encyclique Populorum progressio (le développement des peuples).
24 juin 1967 : Encyclique Sacerdotatis coelibatus (le célibat des prêtres).
25-26 juillet 1967 : Visite de Paul VI à Constantinople.
15 août 1967 : Constitution apostolique Regimini Ecclesiae universae engageant la réforme globale de
la Curie.
29 septembre - 29 octobre 1967 : Première réunion du Synode des évêques, sur la révision du code de
droit canon, le directoire catéchétique, les séminaires, les mariages mixtes et la liturgie.
26 octobre 1967 : Visite d’Athénagoras à Rome.
26 novembre 1967 : La Conférence épiscopale française accorde l’autorisation d’utiliser la langue
française pour le canon de la messe.
25 juillet 1968 : Encyclique Humanae vitae (la régulation des naissances).
22-24 août 1968 : Voyage de Paul VI en Colombie (discours de Medellin).
3 avril 1969 : Publication du nouveau Missel romain.
10 juin 1969 : Discours de Paul VI au Conseil oecuménique des églises.
Janvier 1970 : Le Concile pastoral de la province ecclésiastique des Pays-Bas vote l’abandon de
l’obligation du célibat sacerdotal.
Novembre 1970 : Fondation du séminaire d’Ecône par Mgr Marcel Lefebvre.
15 mai 1971 : Exhortation apostolique Octogesima adveniens (les questions sociales).
1er décembre 1974 : Publication par la Commission pontificale pour les relations religieuses avec le
judaïsme, des Orientations et suggestions romaines pour l’application de la déclaration conciliaire «
Nostra aetate ».
1975 : Célébration de l’Année sainte.
22 juillet 1976 : Mgr Lefebvre suspendu a divinis.
Février 1977 : Occupation de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris par les intégristes.
518
551
« les laïcs peuvent aussi se sentir appelés ou être appelés à collaborer avec leurs
Pasteurs au service de la communauté ecclésiale, pour la croissance et la vie de celle-
ci, exerçant des ministères très diversifiés, selon la grâce et les charismes que le
Seigneur voudra bien déposer en eux […] Nous encourageons l’ouverture que, dans
cette ligne et avec ce souci, l’Eglise accomplit aujourd’hui. Ouverture à la réflexion
d’abord, puis à des ministères ecclésiaux capables de rajeunir et de renforcer son
propre dynamisme évangélisateur. Il est certain qu’à côté des ministères ordonnés,
grâce auxquels certains sont mis au rang des Pasteurs et se consacrent d’une manière
particulière au service de la communauté, l’Eglise reconnaît la place de ministères non
ordonnés, mais qui sont aptes à assurer un service spécial de l’Eglise […] De tels
ministères, […] par exemple ceux de catéchètes, d’animateurs de la prière et du chant,
des chrétiens voués au service de la Parole de Dieu ou à l’assistance des frères dans le
besoin, ceux enfin des chefs de petites communautés, des responsables de
mouvements apostoliques ou autres responsables —, sont précieux pour
l’implantation, la vie et la croissance de l’Eglise et pour sa capacité d’irradier autour
d’elle et vers ceux qui sont au loin. »1039.
Il ne s’agit plus de services ou fonctions exercés par des laïcs, mais de la présence de
laïcs dans la direction des structures de l’Eglise jusque là réservée aux prêtres. L’une des
recommandations de la VIIIème Semaine Théologique de 1973 était le principe de
communautés ecclésiales dirigées par des laïcs, « sans que (son) rôle soit diminué par la
présence d’un prêtre qui viendrait y accomplir son ministère sacerdotal ». C’est donc tout à
fait logiquement que, tirant les conséquences de ces conclusions, montrant par là que la
« revalorisation » de la place et du rôle du laïc dans l’Eglise n’étaient pas que de pure forme et
ne se limitaient pas à l’exécution ou même à la collaboration, l’archevêque de Kinshasa
annonça dès septembre 1973, comme d’autres évêques par la suite, la décision, assez
inhabituelle il faut le dire, de « confier entièrement certaines paroisses à des animateurs
laïcs »1040, au besoin en retirant pour cela les prêtres qui exerçaient dans ces paroisses. Dans la
pratique, il y eut des « animateurs » dirigeant des paroisses, tels des curés, tandis que d’autres
laîcs, collaborateurs des responsables de paroisse, sont des « animateurs pastoraux ».
1038
De SAINT MOULIN, Léon, Œuvres complètes du Cardinal Malula…, op.cit., vol. 6 (Textes concernant le
laïcat et la société), p. 213.
1039
Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, du 8 décembre 1975, § 73.
1040
In Options pastorales, septembre 1973.
552
Le mokambi est un laïc qui dirige, dans une totale autonomie, une paroisse ; de telle
sorte que si, dans la tradition ecclésiale, les paroisses sont dirigées par des curés, ce système
autorise qu’à la place de prêtres des laïcs puissent aussi être placés à la tête de paroisses1041.
Au Congo, il y a ainsi des paroisses dirigées par des prêtres et d’autres dont le … « curé » est
un laïc. Outre l’administration de la paroisse, le mokambi a des charges pastorales et
d’animation de la paroisse, il dirige les assemblés liturgiques sans eucharisties, y prêche, y
distribue en communion des hosties déjà consacrées. Le diocèse de Kinshasa mit en œuvre
cette option et définit les différentes responsabilités du mokambi dans un Manuel du Mokambi
publié par le conseil épiscopal en janvier 1975. Ce manuel donne des précisions sur le
contenu des fonctions et les conditions d’accès aux fonctions de mokambi. Ce dernier a la
charge de la paroisse et en coordonne toutes les activités dont il répond directement sans
intermédiaire devant l’autorité diocésaine, il dirige la vie de la paroisse et décide, participe
aux réunions décanales. Nommé et installé par l’évêque, il doit remplir un certain nombre de
conditions : stabilité dans son mariage et dans sa vie familiale, une formation religieuse reçue
pendant deux ans à l’Institut Supérieur des Sciences Religieuses, insertion effective dans la
communauté paroissiale attestée par son esprit apostolique et une collaboration à la direction
ou à l’animation de la paroisse, reconnaissance de ses qualités par les membres de la paroisse,
etc. Cette fonction est bénévole, c’est pourquoi le candidat doit avoir un emploi rémunéré
stable ; mais, tout le temps qu’il sera « mokambi », il est, avec sa famille, logé dans la maison
paroissiale et tous les frais de sa charge lui sont remboursés par la caisse de sa paroisse. Le
mandat de mokambi est d’un an, il est renouvelable mais l’évêque peut le révoquer à tout
moment s’il s’avère que sa vie ne s’accorde plus avec les exigences de sa charge ecclésiale.
Le mokambi, chef de sa paroisse au même titre qu’un curé dans la sienne, est secondé
par un « prêtre animateur » et par un conseil paroissial dont il est le président et qui
comprend, outre le prêtre-animateur, d’autres laïcs responsables des services paroissiaux et
des différents mouvements en activité dans la paroisse (Action catholique, renouveau
charismatique, légion de Marie, etc.). Selon le Manuel du mokambi, le prêtre-animateur a la
charge du service sacerdotal : ministre de la Parole de Dieu (il prêche, supervise le contenu de
la doctrine et de tout ce qui est enseigné par le mokambi et ses autres collaborateurs, anime
des retraites, …) ; ministre des sacrements (il célèbre l’eucharistie, supervise la préparation à
la réception des sacrements organisée par le mokambi dans la paroisse ; pasteur (il aide les
laïcs à la prière et à la méditation, aide le mokambi et ses collaborateurs pour consolider leurs
connaissances doctrinales et pastorales, etc.). Mais si le mokambi doit respecter le prêtre-
animateur dans son ministère sacerdotal spécifique, ce dernier n’est pas au-dessus du
mokambi mais son premier collaborateur et son conseiller. Ce système ne crée pas des sous-
paroisses, les paroisses dirigées par des laïcs ne sont pas inférieures aux autres ; on peut dire
que le mokambi est « curé » dans sa propre paroisse, bien que « curé » entièrement à part,
1041
« Mokambi » est un mot lingala (l’une des 4 langues nationales, parlé dans les provinces nord, qui est en plus
le parler populaire de Kinshasa, dérivé du verbe « kokamba », diriger, conduire ; le « mokambi » de paroisse
signifie alors le dirigeant de la paroisse, pluriel « bakambi ». Dans d’autres régions, ce responsable porte le nom
dans la langue de la région, ainsi, par exemple au Kasaï c’est le « mulami ».
553
dans cette vision exceptionnelle où l’évêque délègue « certains aspects de ses pouvoirs
pastoraux à des ministres non-ordonnés »1042.
Pour autant, la situation ne doit être ni idylisée ni idéalisée ; ce système n’est pas sans
problèmes. Lors d’entretiens avec des « bakambi », plusieurs nous ont fait part de leurs
difficultés, liées à leur situation familiale (marié, père de plusieurs enfants, il n’a pas toujours
le temps de s’occuper de l’éducation de ces derniers et en même temps de s’employer à la
formation et au perfectionnement de ses collaborateurs), à leur situation professionnelle avec
une rémunération qui ne leur permet pas toujours de se consacrer prioritairement aux tâches
paroissiales, tandis qu’ils rencontrent, notamment au début de cette expérience, à une sorte de
résistance d’ordre psychologique de paroissiens longtemps habitués à se confier à « leur »
curé et pas toujours prompts à s’ouvrir à … un laïc, etc. Mais, une fois surmontées les
premières difficultés et vaincues les réserves de paroissiens, on s’est rendu compte que ces
paroisses ont fonctionné comme celles dirigées par des prêtres, avec ceci, en plus, que ces
« curés » laïcs eux-mêmes en bénéficient par l’approfondissement de leur vie spirituelle et
religieuse. Par ailleurs, sauf dans les paroisses rurales que le prêtre ne dessert que par
intermittence et où l’équivalent du mokambi (mulami, au Kasaï) est irremplaçable,
l’institution avait un temps stagné, longtemps on n’instituait plus de nouveaux bakambi, sans
doute face à l’hostilité de certains prêtres inquiets de leur monopole mais aussi avec le décès
de l’initiateur à Kinshasa, le cardinal Malula. Il nous a été dit que la hiérarchie actuelle est
déterminée à relancer ce mouvement qui a une valeur autre que simplement supplétive.
1042
ALLARY, DELANOTE et VERHAERT, La fonction de prêtre-animateur dans une paroisse dirigée par un
laïc, Kinshasa, Ed. St Paul-Afrique, 1978,p. 11.
554
• Interrogés spécialement, ils reconnaissent tous les deux n’avoir jamais reçu de formation
sur ce rite pour en connaître la différence avec un rite romain célébré en langues locales.
• Ils ne perçoivent ce qu’on appelle inculturation qu’à travers la langue, les symboles et le
style oratoire, en particulier les anciens qui avaient connu la raideur (sécheresse) des
cérémonies latines.
N.B. : à cause de ce contenu et du fait que l’un de nos interlocuteurs a, depuis, regagné la
patrie céléste, nous nous abstenons de révéler leur identité (entretiens : 16 février 2008 à
Kinshasa et le 22 à Demba).
556
557
SOURCES
558
1. Documents conciliaires
Décret de l’Union entre l’Eglise grecque et l’Eglise latine, A.A., Arm. I-XVIII, 397
Texte original latin analysé par le P. Joseph de GUIBERT, S. J., in http://www.salve-
regina.com/Magistere/Valeur_dogmatique_concile_de_Florence_Guibert.htm
Concile de Trente
Décret Ad Gentes
Décret sur la formation des prêtres Optatam totius
Décret sur l’apostolat des laïcs ApostoLicam actuositatem
Documents pontificaux
Encycliques
Autres
Bulles
Laetantur Coeli, 6 juillet 1439 (« réunification » des Eglises d’Orient et d’Occident à l’issue
du concile de Florence)
IIllud qui, 1442 (entérine les conquêtes du prince Henri le navigateur. en Afrique)
Romanus Pontifes, 8 janvier 1455 (confirme Henri le navig. et le monopole commercial
porugais.en Afrique Tout en se réjouissant des bienfaits de l’asservissement des populations
indigènes)
Inter coetera, 13 mars 1456 (Callixe III confie l’administration des possessions portugaises à
la confrérie chevaleresque d’Henri le Navigateur)
Aeterni regis, 21 juin 1481 (les terres conquises en Afrique confiées au Portugal)
Piis fidelium, 3 mai 1493 (lance les missions dans le Nouveau Monde)
Inter coetera, 4 mai 1493 (Alexandre VI partage le nouveau monde entre l’Espagne et le
Portugal)
Universalis Ecclesiae, 5 août 1508 (précisant les patronat et vicariat apostoliques des rois
d’Espagne sur l’Amérique)
Sublimi Deus, 29 mai 1537 (reconnaît les Indiens d’Amérique comme « Hommes véritables)
Regimini militantis ecclesiae, 27 septembre 1540 (approbation de la Compagnie de Jésus)
Exposcit Debitum, 21 juillet 1550 (remplace la précédente et confirma la Compagnie)
Quo Primum temporis, 1570 (promulgation du missel de Pie V)
Incrustabili, 22 juin 1622 (créant la Sacrée Congrégation de Propaganda Fide)
Ex quo singulari, 11 juillet 1742 (interdit les rites chinois)
Tra le Sollecitudini, 22 novembre 1903 (motu proprio de Pie X sur la musique sacrée)
Quam Singulari, 8 août 1910 (entre autres, autorisant la communion des enfants)
2. Documents synodaux
BIBLIOGRAPHIE
562
1. Ouvrages généraux
CORNEVIN, Robert, Histoire du Zaïre. Des origines à nos jours, 4ème édition revue et
augmentée, Paris, Académie des sciences d’Outre-Mer, Bruxelles, Hayez, 1989, 635 p.
HUBERT, Jean, PORCHER, Jean et VOLBACH, Wolfgang, L’empire carolingien, Paris, Ed.
Gallimard, 1968
THOMAS, Hugh, La Traite des Noirs, Paris, Ed. Robert Laffont, 2006
VANGROENWEGHE, Daniel, Du sang sur les lianes, Bruxelles, Didier Hatier, 1986
BAUMGARTNER, Mireille, L’Eglise en Occident – des origines au XVIe siècle, Paris, PUF,
1999.
DANIEL-ROPS, Histoire de l’Eglise du Christ, tome I L’Eglise des Apôtres et des Martyrs,
Paris, Ed. Fayard, 1951,
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INTRODUCTION GENERALE 1
Problématique 9
Méthodologie 21
I.II.I.1 Le contexte 57
I.II.II.1 L’entrée 65
La goutte d’eau 77
I.II.III.2.2 La Préface 83
I.II.III.3.2 La consécration 88
La Postcommunion 110
IV.III.III La « Prière eucharistique africaine » (la All Africa Eucharistic Prayer) élaborée par
l’AMECEA 440
IV.III.VI Proposition d’une synthèse pour une liturgie africaine type : la messe de Saint Merry
(Paris, novembre 1981) 451
Lilongwe 458
SOURCES 557
BIBLIOGRAPHIE 561