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UNIVERSITE NANCY 2

Marie-Jeanne MUENDE-MAMPUYA

CONTEXTE HISTORIQUE DU CHRISTIANISME ET


INCULTURATION DE LA LITURGIE CATHOLIQUE :
DE LA LITURGIE ORIENTALE AUX RITES AFRICAINS

Thèse de doctorat d'histoire soutenue à l'Université Nancy 2

Octobre 2008

Directeur : Philippe MARTIN, professeur d'histoire, Université Nancy 2

Jury :

François KABASELE LUMBALA, professeur de théologie et de liturgie,


Université Démocrite de Thrace, Grèce

Philippe MARTIN, professeur d'histoire, Université Nancy 2

Claude PRUDHOMME, professeur d'histoire, Université Lumière, Lyon II

Etienne THEVENIN, maître de conférences d'histoire HDR,


Université Nancy 2

Année académique 2008-2009


i

Remerciements

Je remercie d’une façon toute particulière le professeur Philippe MARTIN qui, dépassant son
emploi du temps si chargé au service de l’Université et de la Région Lorraine, a accepté de diriger
ce travail. Sa disponibilité et ses conseils avisés m’ont permis d’avancer rapidement dans la
rédaction de cette étude et de lui garantir le niveau qui est le sien à ce jour ; volontiers je lui attribue
les quelques mérites de ce travail tout en en assumant les insuffisances. Infinie gratitude.

Mes remerciements vont également :


-à M. l’abbé Bernard STELLY, directeur de la bibliothèque diocésaine de Nancy, qui m’a ouvert
bien grands les portes et les rayons de la Maison de l’Asnée, où j’ai pu accéder sans limites aux
richesses de cette bibliothèque.
-aux responsables de la bibliothèque du Saulchoir, rue de la Glacière à Paris, j’y ai beaucoup puisé.
-à M. l’abbé Léonard SANTEDI KINKUPU, Secrétaire général de la Conférence Episcopale
Nationale du Congo, qui m’a aimablement autorisée à consulter des documents de l’Episcopat
classés « réservés », à les utiliser et à les citer dans ma thèse.
-à M. l’abbé DJIM Pierre LUMU, curé de la paroisse Saint Vincent de Paul, qui m’a permis
d’extraire de son culte de dimanche les quelques vues qui illustrent ce travail.
-A la famille Bernard et Marie-Pierre MBAYA MUADIAMVITA, pour tant de services rendus.
-A tous ceux qui nous ont aidée en répondant à nos questions directement ou indirectement ou en
nous conseillant un ouvrage.
ii

Dédicace

-A mes petits enfants, Maëva, Lou-Anne, Florine et Lilian, vous êtes dans le cœur de mon cœur ;
-A Christian-Yves, Jean-Michel et Jean-Hubert, mes enfants que j’aime tant ;
-A mon cher époux, ton amour ne m’a fait à aucun moment défaut pour tenir face aux exigences de
cette aventure, tandis que ton aide m’a été indispensable pour la toilette de ce travail qui est aussi
tien.
-A Mukenge Paul et Kanku Pauline mes parents qui sont auprès du Seigneur; à toi aussi, Antoinette
Kamuanga-Mukole, toi qui m'as bercée et tant chérie.
-A mes belles-filles Aurélia et Elodie, qui, par amour pour moi, avez manifesté beaucoup d’intérêt à
ce travail.
iii

Avant-propos

A chacun de mes grades universitaires, mes travaux de recherches ont toujours porté sur un aspect
des activités ou de la vie de l'Eglise congolaise, tout au long de son africanisation. J'ai donc, tout
naturellement, couronné ce cursus par un sujet plus vaste dans lequel s'imbrique parfaitement mon
traditionnel souci pour l'Eglise du Congo.

Le thème d'inculturation semble à certains comme rébarbatif ou simple recherche d'originalité,


revenant à empêcher de tourner rond, à troubler la quiétude catholique traditionnelle s'appuyant
avec une liturgie huilée et rodée. Les recherches conduisent, au contraire, à découvrir l'importance
historique dans la mesure où la liturgie catholique « universelle » n'est largement que la réussite de
l'inculturation occidentale. Dès lors, c'est avec étonnement que l'on découvre que les premiers
acteurs du rite zaïrois, c'est-à-dire la hiérarchie et les prêtres, le négligent, ne le pratiquent plus
guère que de temps en temps alors qu'il devrait être célébré régulièrement, devenir ordinaire. Mon
but, dans ce travail d'histoire, était d'éclairer les fondements qui légitiment sans conteste les efforts
de la hiérarchie de l'Eglise du Congo ; mon espoir est que cette dernière y trouve les arguments pour
être fière de son rite et en relance la pratique, tandis que les fidèles auraient des raisons, finissant
bien le comprendre, de se l'approprier comme expression du génie propre, revalorisation des valeurs
culturelles et de la personnalité irréductible de leur peuple.
Alors, je touche du bois et... prie pour.
1

INTRODUCTION GENERALE
2

Avant même d’aborder l’objet assigné à ce travail, à cause de la spécificité du sujet


qu’il traite, à l’intersection entre l’histoire et la liturgie, une science à la fois technique et
spécialisée, il nous a semblé utile, sinon nécessaire, de donner un éclairage sur les matériaux
de cette science qui n’est pas la nôtre et qui, même au sein de l’Eglise, est le fait d’une
minorité de clercs ayant reçu une formation et une spécialisation pointues. Le langage ainsi
que la substance de la liturgie peuvent, en effet, prendre les allures d’une science ésotérique
pour les profanes, de sorte que c’est ici le lieu de rechercher la rencontre entre le mot et la
chose qu’il représente.

Des mots de la liturgie


Au cours de ce travail, nous allons rencontrer des termes et des expressions techniques
très spécialisés dont le sens n’est pas toujours bien compris par les fidèles qui participent à la
liturgie, au point d’en dénaturer la signification et la valeur réelles. Par ailleurs, cette
compréhension est nécessaire pour garantir une participation consciente et effective des
fidèles. Aussi nous a-t-il semblé tout à fait indiqué, pour éclairer le lecteur et lui rendre
accessible leur vrai sens et faciliter aux fidèles la compréhension de ce à quoi ils participent,
de définir les expressions et termes les plus importants de l’aspect de la liturgie qui nous
intéresse. Nous recourons pour cela essentiellement au Dictionnaire de liturgie de Robert Le
Gall1, l’un des plus abordables, en particulier grâce à une clé de lecture qu’il fournit, par la
simplicité et la concision de ses définitions, courtes mais suffisamment claires pour une
compréhension suffisante de termes si techniques et l’intelligibilité des réalités liturgiques,
prières, rites, différents gestes et mots, institutions et célébrations. En vue de ne pas trop
allonger cette sorte de glossaire, nous ne retiendrons que les termes et expressions qui peuvent
jouer ici le rôle de cadres à l’intérieur desquels s’inscrivent ou sont consignées les institutions
et célébrations liturgiques ; concernant les autres mots relatifs à la spécificité de la liturgie,
nous les définirons au fur et à mesure de l’étude au niveau où ils interviennent dans le cadre
de notre examen de l’histoire et du déroulement de la liturgie, à l’aide du même dictionnaire
et des explications que les auteurs consultés donnent, en précisant les différentes variations et
déclinaisons de ces termes.

1
LE GALL (Dom), Robert, Dictionnaire de liturgie, Ed. C.L.D., 1987.
3

Liturgie

Le terme provient « de l’adjectif grec lèitos, « public », dérivé de léôs (en ionien laos)
et du nom commun ergon (« service », « œuvre », « travail ») », dérivant du verbe ergein
(faire, accomplir. « La liturgie est donc, étymologiquement, une œuvre, un « service public »
fait au bénéfice du peuple. Dans les démocraties grecques, leitourgia désigne tout service
rendu au bien commun par les citoyens, mais particulièrement la fonction publique dont le
titulaire supportait les dépenses et qui consistait à organiser les chœurs, les jeux, à équiper les
galères, etc. ». A Athènes, la leitourgia était, à cause de sa charge financière, souvent imposée
par la « Cité » aux citoyens riches et, comme on le voit, elle n’a encore aucune connotation
religieuse, sens qu’elle acquerra plus tard. En effet, quand, « au IIIe siècle avant Jésus-Christ,
la traduction grecque des Septante rend le terme hébreu ‘abodah (« service cultuel » par
leitourgia ; il ne s’agit donc plus d’une œuvre dont le peuple est le bénéficiaire, mais dont il
est le sujet ; la liturgie devient le « service » religieux et rituel rendu à Dieu par la
communauté rassemblée en son nom. »2 Les recherches modernes sur ce thème faisant
apparaître une double relation descendante (sanctification de l’homme par Dieu)-ascendante
(glorification de Dieu par l’homme) ont été ramassées dans la définition que la Constitution
du Concile Vatican II sur la liturgie donne de celle-ci : « La liturgie est l’exercice de la
fonction sacerdotale de Jésus-Christ, exercice dans lequel la sanctification de l’homme est
signifiée par des signes sensibles et est réalisée d’une manière propre à chacun d’eux, dans
lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus- Christ ,c’est-à-dire
par le Chef et par les membres. Par suite, toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre (opus)
du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée (actio sacra) par
excellence dont nulle autre action (actio) de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même
titre et au même degré »3.

Terme générique, liturgie est alors compris comme un cadre d’organisation et de


déroulement de plusieurs formes d’actes, de manifestations ou de cérémonies dans la religion
catholique : célébration eucharistique ou messe, célébrations liturgiques, sacrements, prières
et oraisons, différentes dévotions et adorations célébrées dans l’église, synaxes, etc. Notre
étude se limitera à la célébration eucharistique ou messe, bien que les liturgies examinées
dans le cadre des évolutions historiques, notamment les liturgies africaines, aient conçu des

2
LE GALL (Dom), Robert, Ibidem., p. 153.
3
La Constitution Sacrosanctum Concilium, § 7, V. infra, Concile Vatican II
4

rites nouveaux pour la liturgie sacramentelle, nous nous intéresserons uniquement aux
nouveaux rites de messe.

Culte

« Du latin cultus, mot qui vient de colere « cultiver », « soigner » et, par dérivation,
« honorer », « entretenir ». Le culte est l’ensemble des actes par lesquels une communauté
humaine honore ses dieux et entretient ses relations avec eux. On cultive la relation avec Dieu
comme on cultive une amitié ; on y « soigne » la divinité pour elle-même et en vue de ses
bienfaits. »

Rite(s) et Rituel(s)

Le rite, qui s’écrit parfois « rit » et avec un sens quasi identique, vient « du sanscrit riti
« allure », « disposition », « usage », issu du verbe ri : « aller ». « Dans l’acception courante,
le rit est un acte cultuel plus ou moins stéréotypé, un geste religieux plus ou moins
mécanique, répétitif. Originairement, le mot signifie les usages reçus grâce auxquels se
maintient l’ordre du monde. Loin d’être machinal, le rite est une action humaine
communautaire, déterminée par la divinité et, donc, reçue, qui mime ou reproduit l’action
divine. Pratiquer un rite, dans la plupart des religions, c’est agir comme Dieu et avec
Dieu….Dans la religion chrétienne les rites essentiels que sont le sacrifice eucharistique et les
sacrements [ne] sont[-ils pas] des actes de Dieu auxquels est associée l’Eglise [ ?]. »

On appelle Rituel « un livre liturgique contenant les rites de telle ou telle célébration».
Ainsi, le Rituel romain est le « recueil de la plupart des rites qu’un prêtre peut être amené à
célébrer » ; il en est ainsi de la messe, de la plupart des sacrements et des « sacramentaux »
(actes sacrés ou réalités sacrées qui, sans être des sacrements, appartiennent à l’ordre
sacramentel, comme les bénédictions d’objets, dédicace d’églises, … ou les consécrations de
personnes, par exemple celle des vierges, profession religieuse, etc.

Il ne peut y avoir de religion sans rites, car, comme écrivent Louis-Vincent Thomas et René
Luneau, « la religion, pour être vivante et active, doit s’exprimer dans des comportements
liturgiques socialement codifiés, le plus souvent visibles à tous (sauf dans quelques séquences
particulières réservées aux seuls initiés) »4 ; ainsi, liturgie et rites sont intimement liés et,

4
THOMAS, Louis-Vincent. et LUNEAU, René, La terre africaine et ses religions. Traditions et changements,
Paris, L’Harmattan, 1975.
5

souvent, employés l’un pour l’autre (par exemple dans les expressions « liturgie tridentine » et
« rite tridentin »).

Eucharistie

« Le mot grec eucharistia signifie « reconnaissance » ; il est composé du préfixe eu,


expressif du « bien », et du nom charis : « grâce ». L’eucharistie est d’abord l’action de grâce
que l’on prononce pour remercier Dieu de ses multiples bienfaits, particulièrement à
l’occasion des repas. Les Juifs attachaient une grande importance à ces « bénédictions »
(berakôth) : elles répondaient par des « bien-dits » [humains] aux « bien-faits » divins. Ainsi
s’articulent les deux dimensions complémentaires de la liturgie : à l’œuvre de Dieu
correspond l’œuvre de la communauté humaine, à l’initiative divine répond le merci de
l’homme. « L’eucharistie chrétienne tire son nom de la bénédiction prononcée par Jésus lors
de la dernière Cène… » (Lc 22, 19 ; I Co 11, 24 ; voir aussi Mt 26, 27 et Mc 14, 23).

« Dans toutes les religions, le repas est sacralisé ; il est l’acte central où la
communauté humaine reconnaît formellement devoir sa subsistance la divinité et où, en
échange, elle pourvoit à la « nourriture » divine en offrant aux dieux une part de leurs
dons… » 0n verra que cette vision à la fois étymologique et anthropologique de l’eucharistie a
une influence sur la nature et le sens de la célébration eucharistique chrétienne, et fait, à ce
titre, débat.

Messe

« Du latin missa : « action de laisser aller », « renvoi » (de mittere : « envoyer »,


« renvoyer »), « congé ». La missa signifie l’acte de congédier les fidèles au terme de la
liturgie eucharistique » … « A partir du IVe siècle, le mot missa vint à désigner, non le simple
renvoi, mais tout l’office qui le précède : c’est ainsi que… l’ensemble de la liturgie
eucharistique est devenue « messe », sens qui s’est imposé en Occident à partir du VIe siècle.
« L’appellation originelle de la célébration de la messe est : « Repas du Seigneur » (I Co 11,
20-33), « Fraction du pain » (Ac 2, 42-46 ; 20, 7), « Eucharistie ». Cet ensemble des rites de
célébration qu’en Occident on appelle « messe », les Orientaux le désignent par « Sainte
Liturgie ».
6

Missel

« Du latin missale, « relatif à la missa ». Le missel est le livre permettant de célébrer la


messe, ou d’y participer, … Le missel du célébrant ne comporte pas les lectures de la messe. »
Dans la présente étude, nous verrons comment et à partir de quelle période s’est formé le
missel dans l’Eglise latine. Dans notre travail, nous verrons brièvement comment, des
premiers formulaires et sacramentaires, on est arrivé à la formation du « Missel ».

Ordo missae

Pris isolément, un ordo est le calendrier liturgique annuel précisant pour un diocèse ou
une congrégation religieuse l’eucharistie et la « liturgie des heures », mais l’ensemble de
l’expression présentée ici se traduit littéralement par « l’ordre (ordo) de la messe (missae)».
« Un ordo missae, promulgué par un document authentique du Saint-Siège, prescrit la façon
dont on doit célébrer la messe : il précise comment il convient de donner à chaque rite sa
place véritable » L’histoire de la célébration eucharistique (messe) montre que les ordines
évoluent, changent selon les orientations du moment, de la même manière qu’évolue la
liturgie elle-même, tout cela dépendant des décisions des autorités habilitées de l’Eglise,
papes et curie pontificale, conciles ou synodes, etc.

Sacramentaire

« Du mot latin sacramentarium : « livre liturgique pour l’administration des


sacrements ». Dans les premiers temps de la liturgie chrétienne, le sacramentaire était le livre
du prêtre dans la célébration de la messe, il contenait oraisons, préfaces, Canon. » Ce sont les
différents sacramentaires anciens, dont la composition s’était largement étalée dans le temps,
qui sont « les sources principales du Missel romain », l’avènement de ce dernier constituant la
dernière étape de ce processus de formation et s’étant généralisé en se substituant au
sacramentaire. Plus techniquement, Marcel Metzger précise que le sacramentaire n’avait pas
pour fonction de réunir la totalité des pièces composant la messe, il ne correspondait qu’à l’un
des ministres intervenant dans la célébration. Il est, en effet, « le livre des interventions
ministérielles … » Par les acteurs concernés, «Il se distingue des livres des lecteurs et des
chantres car il concerne l’acolyte, le diacre et les ministres de rang sacerdotal, presbytre et
évêque » ; par les actes effectués, « il se présente comme le livre des ‘’paroles’’ et des
‘’gestes’’ produits par ces ministres ». Le sacramentaire contient des textes « transcrits entiers
7

qui, d’une part, décrivent le comportement des ministres… et, d’autre part, reproduisent … les
paroles revenant à ceux-ci. »5

Canon

« Du mot grec kanôn : « règle ». Les canons d’un concile sont les règles dogmatiques
ou disciplinaires qu’il édite », ils constituent alors un corpus de nature juridique. « Dans la
liturgie romaine, le Canon est le terme le plus souvent employé pour désigner la prière
eucharistique, c’est–à-dire la partie centrale de la messe, celle qui va de la Préface au Per
ipsum. Le Canon est « la règle » de célébration qui doit être observée pour l’eucharistie : il ne
s’agit pas seulement d’une règle de structure, mais d’un formulaire imposé. En Orient, ces
formulaires eucharistiques sont appelés anaphores. »

Dans ce sens, le Canon peut être considéré, également, comme le contenant d’un
ensemble de ces prières « eucharistiques », dites, ainsi que les gestes qui en accompagnent
quelques-unes, au cours de cette partie où se réalise l’essence même de la messe et qui sont
structurées, comme nous le verrons, sur le modèle des grandes prières juives d’action de
grâces ; on peut d’ores et déjà dire que, dans les prières eucharistiques actuelles, on reconnaît
assez facilement l’héritage juif, aussi bien quant à leur structure que quant à leur objet ou
contenu.

Des choses de la liturgie


C’est le judaïsme qui, avec l’inauguration du « service du Temple », introduisit le sens
religieux en faisant de la liturgie telle que le christianisme en retiendra le sens, en tant que ce
service représente le culte rendu et les prières adressées au Dieu d’Israël au nom de la
communauté. A l’origine, il y a l’alliance que l’Eternel proposa au peuple d’Israël par
l’intermédiaire de Moïse à qui il dit dans le buisson ardent de l’Horeb qu’on trouve dans le
Livre de l’Exode au chapitre 3, 12 : « Quand tu feras sortir le peuple d’Egypte, vous servirez
Dieu sur cette montagne ». Il est né du culte sacrificiel rendu depuis par les prêtres au nom du
peuple un rituel, décrit en détail dans le livre du Lévitique et qui a été respecté immuablement
de génération en génération. C’est certainement par le judaïsme, dont il est en quelque sorte
l’héritier, que le christianisme va, tout en changeant totalement la perspective, accueillir et la
pratique de la Pâque autour d’un repas rituel et cette terminologie en même temps que le sens
même du culte et certaines de ses expressions.

5
METZGER, Marcel, Les Sacramentaires, Turhnout (Belgique), Brepols, 1994, pp. 33-34.
8

C’est sans aucun doute dans le christianisme que le terme connaît son rayonnement en
désignant l’ensemble des rites constituant la trame de toute cérémonie religieuse organisée en
Eglise en relation avec le culte ou avec différents aspects de la vie et de la spiritualité
chrétiennes. Chez les catholiques, c’est la « messe » qui est le point culminant de la liturgie où
est célébrée « l’eucharistie ». En fait, dans l’Eglise antique, « le terme « liturgie » désignait la
célébration de la messe au sens large, et comprenait donc aussi la partie préparatoire qui ne
comporte que des prières et des lectures – et « eucharistie désignait la messe au sens strict,
particulièrement le canon de la messe, c’est-à-dire la prière de consécration proprement dite »
depuis la préface jusqu’à la conclusion, Amen, de la doxologie6 . En grec ancien, eukharistía
signifie plus précisément « action de grâces » pour désigner, chez les chrétiens, la célébration
du sacrifice du Christ ou, selon certaines évolutions, la commémoration (plus techniquement
« le mémorial ») de la mort et de la résurrection de Jésus. Elle s’accomplit autour de la
proclamation de la Bible et d’une action de grâce dont le moment fort est constitué par les
paroles de l’institution faite par Jésus lui-même, suivies du partage des « éléments
eucharistiques », le pain et le vin, considérés par les chrétiens ainsi que le corps et le sang du
Christ qui s’est offert en sacrifice sur la croix, mais, surtout, qui est, pour les chrétiens,
ressuscité. Dans les premiers temps du christianisme, ce rite liturgique était appelé par
l’expression qui désignait le repas qu’y mangeaient les participants en mémoire de la dernière
Cena que Jésus prit avec ses disciples avant d’être arrêté : l’eucharistie fut ainsi désignée par
« la fraction du pain », expression même qu’utilisaient les disciples de Jésus et les premiers
chrétiens [terme employé trois fois dans le Nouveau Testament, sens représenté plusieurs fois
par la locution verbale « rompre le pain » ], « le repas du Seigneur », repas sacré, etc.

De fait, au cœur de la liturgie, et de la messe, se trouve « l’institution » que fit Jésus le


soir de la dernière Cène au cours du repas qu’il prenait avec ses disciples lorsqu’il leur dit,
leur présentant du pain, après l’avoir béni et rendu grâce « Prenez et mangez tous. Ceci est
mon corps, livré pour vous » et, faisant de même en présentant une coupe de vin, il dit
« Prenez et buvez. Ceci est mon sang, le sang de l’alliance nouvelle et éternelle, versé pour
vous… » et ajoutant « Vous ferez cela en mémoire de moi »7. Il y a là, pour le catholicisme,
aussi bien les paroles qui, au cours de « l’eucharistie » avec les « espèces » bénies ou
« eucharistiées », accomplissent la « transsubstantiation », que l’ordre de perpétuer le culte
que Jésus venait d’instituer ; cette pratique va ainsi s’inscrire dans une tradition. Celle-ci a son

6
CASEL, Odon, Le Mémorial du Seigneur dans la liturgie de l’antiquité chrétienne – Les pensées
fondamentales du canon de la messe, 1945, p.23.
7
Lc 22, 14-20 et I Cor. 11, 23-25
9

origine dans le Christ et, l’évangile n’ayant rien dit, sans que l’on sache bien si Jésus avait
conçu et ordonné un rituel pour cette « Nouvelle Alliance », cette « Nouvelle Pâque », ou s’il
avait simplement appliqué le rite de la Pâque juive, le seul point commun incontestable étant
que les deux « pâques » ont lieu au cours de repas ou à travers un repas.

Problématique

Lorsque, par la suite, les apôtres, les disciples et d’autres témoins, chrétiens ou païens,
parlent de ces « fractions du pain » organisées au sein des communautés chrétiennes, ils n’en
décrivent pas le rituel, sauf la précision que les assemblées se tenaient « le jour du Seigneur »
ou le premier de la semaine ou « le jour du soleil » ; la tradition naquit donc de célébrer
chaque « dimanche ». On peut ainsi penser que l’usage s’est progressivement établi également
sur le rituel, lorsque les disciples s’assemblaient pour louer le Seigneur et « rompre le pain »,
sans doute en se limitant au récit que les évangiles font de l’institution de la dernière Cène.
Ceci s’est transmis de communauté en communauté selon un mode dans lequel la tradition
orale a joué un grand rôle. De fait, dans une période où les écrits sont peu nombreux, rares et
chers, la culture dans laquelle se sont formés le christianisme et ses différentes institutions
était essentiellement orale, les apôtres et les autres disciples n’ayant pu transmettre la tradition
établie par le Christ que par la mémoire. Les écrits n’arriveront que plus tard, au fur et à
mesure que les témoins directs des événements du Jeudi saint disparaissaient et que des
communautés et églises locales se trouvaient de plus en plus éloignées du siège apostolique
historique du christianisme, Jérusalem. Alors, se faisait sentir le besoin de conserver par écrit
une instruction, établir des sortes d’aide-mémoire pour demeurer aussi fidèles que possible à
la tradition ou par crainte de la trahir, l’oral et l’écrit s’épauleront ainsi jusqu’au IIe siècle8,
tandis que longtemps encore l’oralité jouera dans la propagation de certains usages, gestes et
paroles intervenant dans les rites ou tout simplement dans la vie des chrétiens et qui
s’intègrent ainsi dans une tradition qui remonte, de proche en proche, jusqu’à l’époque des
apôtres par l’intermédiaire de ceux qui ont côtoyé les disciples du Christ ou qui ont rencontré
les disciples des disciples du Christ, sans oublier ce que chaque période crée ou invente sans
pour autant s’écarter du mystère chrétien tel qu’enseigné par le Christ ou par ses apôtres9 .

8
Dans ce sens, GRELOT, Pierre, in Pierre GRELOT, Gérard ROCHAIS, Edouard COTHENET et Maurice
CARREZ, La liturgie dans le Nouveau Testament, Paris, Ed. Desclée, 1991, p. 34
9
Marcel METZGER rend compte de cette réflexion de Basile de Césarée, citant certaines pratiques comme le
signe de croix, la bénédiction de l’huile de l’onction ou de l’eau de baptême, etc., op.cit., pp. 19-20.
10

C’est autour de ce soubassement que s’est forgée la liturgie de la messe ou liturgie


eucharistique, célébrée de contrée en contrée au fur et à mesure de l’évangélisation et de
l’expansion du christianisme. Mais, en même temps, si l’oralité avait pu respecter l’essentiel
des gestes et des paroles de Jésus, il est évident qu’elle n’a pas pu transmettre avec la même
fidélité les circonstances mêmes de la célébration ni la manière dont chaque communauté
accompagnait la « fraction du pain » par des prières et des chants. Les usages rituels qui se
sont ainsi établis ne pouvaient pas être toujours identiques, en dépit du fait que, là aussi, des
« modèles » ou des aide-mémoire écrits ont pu circuler ; d’ailleurs, on voit que, très tôt, si les
paroles et les gestes du Christ lors de « l’institution » n’ont guère changé, les rituels s’étaient
diversifiés et, même, multipliés. Les transcriptions écrites n’étaient pas en mesure de rectifier
les choses et faire revenir toutes les communautés à un même usage. On se rend d’ailleurs
compte que les premiers écrits étaient destinés à des églises ou à des communautés
particulières, pour les former et les informer sur « l’institution », les gestes et les paroles de
Jésus instituant le « sacrifice », sans aucune indication d’un rituel qui serait fixé et imposé ou
même proposé ; tandis que le plus ancien écrit faisant état du « repas du Seigneur » est de
Paul, écrivant aux membres de l’église de Corinthe dans le but de les réprimander pour le
désordre, les abus et les divisions en son sein (« Que vous dire ? Vous louer ? Sur ce point, je
ne vous loue pas »10), et de leur rappeler la tradition créée par le Seigneur (Pour moi, en effet,
j’ai reçu du Seigneur ce qu’à mon tour je vous ai transmis »11).

De telle sorte que l’on peut affirmer que l’organisation de la célébration elle-même, ce
que plus tard on appellera ordo, va ainsi relever de chaque communauté, de chaque église
locale12 et non de codes écrits imposés par une hiérarchie non encore structurée ; dans ce sens,
la diversité et, même, le pluralisme liturgiques, sont sans doute observés dès les origines de la
liturgie chrétienne. Il en est ainsi né ce qui est reconnu comme des « familles liturgiques », la
liturgie « occidentale » ou latine et la liturgie « orientale », au sein desquelles se scindent
plusieurs sous-familles. Dans la première, ont existé et subsistent encore la liturgie milanaise
ou « ambrosienne », la liturgie lyonnaise, certains rites propres à des ordres religieux comme
le rite dominicain, etc. ; la même famille latine connut un schisme considéré comme
« hérétique », donnant naissance aux diverses Eglises « protestantes » ainsi que leurs propres
liturgies ou rites (luthéranisme d’où ont émané plusieurs branches se rattachant à cette Eglise
« réformée », anglicanisme, etc. Tandis que la seconde est diversifiée en plusieurs liturgies,

10
I Cor. 11, 17-22.
11
I Cor. 11, 23.
12
METZGER, Marcel, op.cit., p. 18.
11

grecques, arméniennes, syriaques, araméenne, chaldéenne, copte, mennonite, etc., certaines


appartenant à l’Eglise « orthodoxe » majoritaire en Orient, d’autres demeurant d’obédience
catholique romaine. Cette différenciation initiale, ainsi que nous le verrons, est globalement le
résultat d’un réseau complexe de facteurs religieux et politiques et, souvent, des deux à la
fois.

Mais aussi, pour l’historien, la liturgie est un phénomène de culture et de société :


l’observateur relève comment les chrétiens empruntent à l’environnement contemporain (la
Palestine et l’Israël du 1er siècle et, donc, le judaïsme) pour le cadre, la langue et les gestes du
service divin au cours des célébrations organisées par les premières communautés
chrétiennes. Ainsi que nous le remarquons par la racine commune des mots culte et culture, il
existe un tel lien entre liturgie et culture que celle-là s’inscrit toujours dans celle-ci et en
devient un des éléments essentiels, par rapport au peuple concerné. L’histoire vérifie cette
relation quand on constate que, dans la vie des peuples, il n’y a pas de vie sociale sans fêtes
et rites, ni de religion sans culte et célébrations, reflétant ainsi le lien entre liturgie, culture et
société, la liturgie s’avérant ainsi comme le lieu commun où se manifestent ensemble culture
et foi populaires. Dans cette relation, la liturgie voit certaines de ses facettes modelées par la
culture du lieu de son immersion, ses variations suivre celles de la culture locale, de la même
manière que l’évolution des civilisations a pu induire le sens, le contenu, la portée et même
l’apparition et la disparition de certaines « institutions » ou célébrations religieuses. De même,
les évolutions liturgiques sont, çà et là, marquées par des « coutumes liturgiques » locales, des
« traditions » qui s’expliquent par des particularités historiques et culturelles.

De fait, comme elle le reconnaît elle-même, comme dans l’encyclique Mediator Dei,
du 20 novembre 1947, où Pie XII écrit : « L’Église, sans doute, est un organisme vivant,
donc, même en ce qui regarde la liturgie sacrée elle croît, se développe, évolue, et
s’accommode aux formes que requièrent les nécessités et les circonstances au cours des
temps, pourvu que soit sauvegardée l’intégrité de la doctrine. », tandis que « Le culte
s’organise et se développe selon les circonstances et les besoins des chrétiens, il s’enrichit de
nouveaux rites, de nouvelles cérémonies et de nouvelles formules, toujours dans le but « que
nous tirions enseignement de ces signes extérieurs, que nous prenions conscience de nos
progrès et que nous nous stimulions fortement à les poursuivre car la valeur du résultat
dépendra de la ferveur qui l’aura précédé »13

13
Encyclique Mediator Dei, de pie XII, le 20 novembre 1947.
12

Selon la même encyclique, la liturgie est, certes, pour la théologie et la pastorale


liturgiques, avant tout un « culte intérieur », mais elle est aussi et à la fois un « culte
extérieur », « car tel le requiert la nature de l’homme, composé d’une âme et d’un corps ; car
la Providence divine a voulu que « par la connaissance des réalités visibles nous soyons
attirés à l’amour des réalités invisibles » ; car tout ce qui vient de l’âme s’exprime
naturellement par le moyen des sens ; car ce ne sont pas seulement les individus, mais aussi la
collectivité humaine, qui ont besoin de rendre leur culte à Dieu ; celui-ci doit être social ; ce
qui est impossible si, dans le domaine religieux lui aussi, il n’existe pas d’assujettissements
extérieurs et de manifestations extérieures ; c’est enfin le moyen d’attirer particulièrement
l’attention sur l’unité du Corps mystique, d’en accroître le zèle, d’en corroborer les forces et
d’en intensifier l’action : « bien que les cérémonies ne contiennent en elles-mêmes aucune
perfection, aucune sainteté, elles sont pourtant des actes extérieurs de religion, et par leur
signification elles stimulent l’âme à la vénération du sacré, elles élèvent l’esprit aux réalités
surnaturelles, nourrissent la piété, fomentent la charité, accroissent la foi, fortifient la
dévotion, instruisent les âmes simples, font l’ornement du culte de Dieu, conservent la
religion et distinguent les vrais chrétiens des faux et des hétérodoxes (I. Card. Bona, De
divina psalmodia, cap. XIX) ».

Cette longue citation de l’encyclique Mediator Dei explique déjà pourquoi la liturgie
est intimement liée à la culture. Celle-ci s’exprimant par les gestes, les arts, des croyances et
un culte « traditionnels » de chaque peuple, l’architecture, la musique, alors que par cette
dernière on « prie deux fois » selon le proverbe bien connu, car par le chant « l’Église
militante, c’est-à-dire le clergé et les fidèles assemblés, unit-elle sa voix aux cantiques de
l’Église triomphante et aux chœurs angéliques, pour élever à l’unisson un hymne splendide et
sans fin en l’honneur de la très sainte Trinité, selon ces mots (de la Préface) : « En compagnie
desquels nous te prions de faire admettre nos voix » (Mediator Dei).

Par ailleurs, la religion, les croyances et pratiques religieuses vécues par un peuple et,
ainsi, la liturgie, participent de la culture, de la civilisation de ce peuple, tout comme il en est
dit de la « civilisation judéo-chrétienne ». Notre propos n’étant pas d’entrer dans les
considérations propres aux mysteria chrétiens, nous devons donc observer le contexte
historique, en même temps que culturel, d’apparition, de développement et d’expansion du
christianisme, ainsi que de ses formes cultuelles, des expressions et des formes de sa liturgie.
13

Cet énoncé de facteurs d’évolution explique, à lui seul, que la liturgie n’est jamais
restée figée ; autant dès les premiers siècles, ayant émigré de Palestine pour d’autres contrées,
elle a dû réussir la conciliation de ses origines judaïques avec les cultures, y compris des rites,
de ces régions d’expansion. Par ailleurs, différents pasteurs, évêques d’églises particulières et
sièges épiscopaux, ont établi des prescriptions liturgiques qui ont divergé entre elles à une
époque où le débat doctrinal et théologique faisait rage, et pas seulement vis-à-vis des
« hérétiques », chacun suivant sa sensibilité, son inclinaison spirituelle ou la culture propre de
chaque région. Lorsque l’empire se disloque, l’Eglise va se trouver tiraillée entre les deux
mouvances politico-socio-culturelles, révélant deux manières de percevoir les fondamentaux
du christianisme, y compris sur les différentes facettes de la foi chrétienne, ainsi que
l’attestent les débats houleux des premiers conciles (Nicée, Constantinople, par exemple). La
liturgie va, globalement, suivre ces deux mouvances, orientale ou « grecque », autour de
Byzance, occidentale et « romaine » ou latine, autour de Rome ; une bifurcation qu’entre
autres traduit l’adage très chrétien « lex orandi, lex credendi »14. A ce propos, il n’est pas
indifférent, au contraire cela est avec assurance confirmé par tous les historiens, que
l’empereur se fût converti au christianisme, parce que la religion de l’empereur allait devenir
celle de son peuple ; comme nous le verrons, ce sera pratiquement une tradition s’imposant
comme principe (cuius regio eius religio) pendant tout le Moyen Age, ainsi qu’au moment de
la Réforme et lors de la formation des Etats centralisés de la Renaissance, avec l’apparition de
véritables « églises nationales ». Sans oublier que dans certains pays, l’Eglise locale pouvait
adopter une liturgie particulière pour se singulariser, marquer son indépendance vis-à-vis de
Rome, par exemple (cas du rite gallican) ou la séparation d’avec Rome (rite luthérien ou
anglican, etc.). Mais, aussi, son histoire nous enseigne que, y compris dans une même ère géo-
culturelle, la liturgie a été amenée à s’adapter à diverses évolutions, parfois pour des raisons
fortuites et, même, futiles, ou pour des différences de sensibilités ou sous l’influence d’une
vieille coutume locale, etc.

Ainsi, pour toutes ces raisons, parle-t-on de plusieurs « familles liturgiques ». En


Orient, existent plusieurs liturgies orientales : la zone de Jérusalem ; la zone d’Antioche avec

14
La formule lex orandi, lex credendi est devenue une formule, axiome, adage, maxime ou principe, articulant
la liturgie et la foi de l'Eglise. Elle se réfère à la relation entre le culte et la croyance, la liturgie étant une
expression essentielle de la foi de l’Eglise ; elle signifierait alors (sans nous engager dans les débats sémantiques
de théologiens) : la loi de la liturgie est celle de la foi ; notre prière exprime notre foi, telle prière, telle croyance,
ou encore, on croit de la même manière que l'on prie.
14

ses plusieurs ramifications (syrienne, occidentale, byzantine, arménienne, géorgienne,


maronite) et la zone d’Alexandrie (avec les Coptes et les Ethiopiens). Tandis que, pour
l’Occident, la liturgie catholique traditionnelle a vu, avec la Réforme, se distinguer les
liturgies catholique, luthérienne et anglicane, et qu’un temps s’était développée une liturgie
« gallicane » ; aujourd’hui la liturgie catholique est celle de Rome, mais elle connaît la
survivance de certains rites particuliers (notamment l’ambrosien à Milan, l’hispanique à
Tolède et on cite aussi le rite lyonnais)15.

Enfin, il ne faut pas minimiser l’influence sur la liturgie, ses formes et expressions,
que chaque période historique, avec sa culture dominante, ses arts, son architecture, sa
musique, etc., exerce sur les formes non seulement des lieux de culte mais aussi sur celle de la
liturgie elle-même, comme la simplicité ou le faste et le luxe des lieux de culte (des simples
maisons privées aux grandes basiliques antiques ainsi qu’aux imposantes cathédrales et
églises médiévales, etc.), tout comme sur les célébrations ainsi que les signes de vénération au
cours de ces dernières (honneurs, génuflexions, prosternations, …). Il n’y a qu’à penser à
l’influence du baroque, architecture, arts (peinture, sculpture, etc.), mais aussi du luxe et de la
pompe de l’étiquette des cours royales, sur les édifices religieux et sur la liturgie elle-même.

Certes, devenue, au sein de l’Eglise catholique, une «liturgie romaine » ou « latine »,


la liturgie catholique a longtemps charrié des aspects particuliers de la culture occidentale, de
même que le christianisme qui l’a véhiculée. Mais, les développements qui précèdent
montrent que toute l’histoire de la liturgie catholique est l’histoire de continuelles adaptations
qui, autour d’un même culte divin, traduisent un véritable « pluralisme liturgique », avec des
évolutions et des réformes nécessitées par certains événements historiques ou de la vie de
l’Eglise, ou justifiées par le besoin d’adéquation avec l’esprit et la culture d’une époque ou
d’une contrée.

Tel est le sens de la liturgie chrétienne qui fait l’objet de cette recherche, dont nous
retirerons délibérément l’ordonnancement et l’administration des sacrements et d’autres rites
lors de différents aspects de la vie spirituelle catholique, pour consacrer l’essentiel de nos
développements à l’eucharistie ou plus précisément à la messe, de sa forme originelle aux
récentes adaptations des rites africains.

Se situant dans le cadre d’une recherche sur un aspect de l’histoire de l’Eglise


catholique en dehors du milieu de ses origines et du contexte culturel de son essor universel,
15
V. CABIE, Robert, Histoire de la Messe des origines à nos jours, Paris, Ed. Desclée, 1990, p. 23.
15

notre projet vise à percevoir comment la pérennisation du christianisme et de l’Eglise


catholique a nécessité l’adaptation de leurs formes extérieures d’expression au contexte socio-
culturel de chaque milieu nouvellement christianisé. Ce besoin rencontrait ainsi les
préoccupations de l’Eglise elle-même, consciente de la contingence du milieu culturel dans
lequel le christianisme avait pris naissance et s’était développé, qui a cherché à épouser les
conditions de la vie contemporaine, à réaliser sa « modernisation » (terme bien inadéquat) ou,
mieux encore, sa « mise à jour », ainsi que son adaptation à la diversité culturelle des
différents peuples et courants de civilisation avec lesquels le christianisme est entré en
contact. On peut affirmer que, à cause de cela, la diversité marque la liturgie chrétienne
depuis son apparition, dans la mesure où l’expansion du christianisme signifiait un contact
avec une culture différente qui allait inventer des formes propres du culte. Dans ce sens, la
liturgie chrétienne, tout comme le christianisme dans son ensemble, dès qu’elle s’est
« expatriée » hors Palestine, au-delà de Jérusalem et de Juda, n’a fait que s’inculturer ; sans
encore le mot, il y avait déjà la chose.

Ce mouvement s’est poursuivi au cours de toute l’histoire : de Palestine au monde grec


et méditerranéen (le Latium et l’Italie, Alexandrie et l’Egypte) avec une implantation
caractéristique à Rome, de Rome aux différentes provinces et possessions de l’empire
(l’Afrique du Nord, la Gaule et le monde franc), dans les nouveaux Etats issus de l’Europe
médiévale, le nouveau monde et les lointaines terres « de mission » asiatiques, les contrées
colonisées et christianisées par l’Europe dans le reste du monde, etc. Cette extension en
quelque sorte géographique s’est doublée d’une évolution des cultures qui se sont succédé
selon les périodes historiques (Antiquité, Moyen Age, Renaissance, XVIIIème et XIXème
siècles, …) et selon les régions du monde, ces cultures ayant exercé leur impact sur les formes
de la liturgie.

Plusieurs réformes liturgiques se sont ainsi succédé tout au long de l’histoire, jusqu’à
nos jours ; certaines décidées pour mettre fin à trop de dispersion et uniformiser, autant que
possible, les rites qui du reste relèvent d’une même foi catholique, d’autres en vue de
répondre à des critiques acerbes mettant en péril l’unité de l’Eglise, comme celles du XVIe
siècle pour contrer la Réforme protestante, d’autres enfin pour accompagner un mouvement
de renouveau de l’Eglise dans son ensemble.

C’est de cette dernière catégorie que relèvent les réformes du milieu de ce XXe siècle,
notamment celle décidée par le Concile Vatican II convoqué par le pape Jean XXIII avec le
16

gigantesque projet de renouveler le visage de l’Eglise ; ce qu’il appelait « aggiornamento ».


Le Concile va imprimer ce mouvement à tous les aspects de la vie de l’Eglise, évangélisation,
structures, pastorale, liturgie, etc. Il ne s’agit pas de simples modernisations ou de mises au
« goût du jour » car, en fait, dans le domaine de la liturgie qui nous intéresse, Vatican II avait
voulu permettre une plus grande ouverture d’esprit, une plus grande participation des fidèles à
la célébration de l’Eucharistie et à l’expérience des sacrements, traduisant ainsi une effective
solidarité entre l’officiant et le peuple. Le nouveau missel promulgué par Paul VI en 1969, qui
est venu mettre fin au vieux missel Pie V datant du XVIe siècle, est donc, à la suite de Vatican
II, une nouvelle vision qui, déjà par la seule autorisation des célébrations en langues
vernaculaires locales, induit une dimension communautaire (collégiale ?), participative, de
l’eucharistie. Le nouveau missel met en œuvre les orientations du Concile, contenues dans la
constitution Sacrosanctum Concilium16.

Par ailleurs, aux fins de ce renouveau ecclésial, à la suite de Vatican II qui avait pris
des options et donné des orientations à cet effet, s’est développée la théologie d’inculturation.
Adoptée particulièrement par les Eglises d’Afrique, l’inculturation a le projet d’intégrer le
christianisme et sa religion dans les cultures locales, c’est-à-dire dans la manière de chaque
groupe humain de percevoir, de comprendre, d’exprimer, de vivre sa réalité, laquelle
comprend le monde de la nature et de l’univers, les êtres humains et le monde du transcendant
ou le domaine de la religion. Cette œuvre d’intégration, d’incorporation, ou, pour rejoindre les
théologiens, d’incarnation , du christianisme a été réalisée dans la liturgie également, où,,
fortes des orientations conciliaires de Sacrosanctum Concilium et des rituels types ainsi que
des différents ordines édictés en application de cette constitution, les Eglises d’Afrique ont
tenté de rénover les différents rites liturgiques, en premier lieu celui de la messe Ainsi,
plusieurs conférences épiscopales ont élaboré des rites intégrant dans le culte des valeurs
africaines plus adaptées au tempérament de leurs peuples et qui, par un tel culte, feraient que
l’Eglise catholique africaine, ainsi mieux intégrée dans le « paysage culturel », soit perçue
comme de moins en moins « européenne ». Dans le cadre de cette évolution des églises
d’Afrique, et à cause de son antériorité pour avoir été le premier rite « inculturé » approuvé
par Rome, on peut affirmer que le rite zaïrois de la messe s’est imposé comme la base de la
liturgie africaine ; véritable « atelier de la liturgie africaine », il a servi de modèle à beaucoup
d’autres églises locales en Afrique et peut sans doute inspirer une liturgie africaine ou,
pourquoi pas, un rite liturgique africain dans un mouvement de régionalisation pour la
visibilité d’une « Eglise africaine ».
16
La constitution sur la liturgie adoptée par le Concile Vatican II, qui sera examinée plus loin.
17

En cela, aussi, notre thèse fondamentale vient de trouver dans ces développements son
axe principal, le leitmotiv constant étant que, de tous les facteurs qui déterminent les
évolutions de la liturgie et des rites, leur « immersion » dans les cultures rencontrées, comme
leur manière de réagir ou de s’adapter aux milieux et contextes culturels et sociaux
« étrangers » à leur origine spatio-culturelle, est sans doute l’un des plus marquants. Mais,
l’exemple de la langue liturgique démontrera que cette adéquation entre christianisme en
général, liturgie en particulier, et culture, s’est avérée comme la circonstance qui, plus que
tout autre, détermine l’intériorisation du christianisme et de sa liturgie par les peuples néo-
christianisés ainsi que la participation active des fidèles. C’est ce qu’on appelle,
« inculturation ».

Dans ce sens, notre thèse c’est, également, que ce phénomène s’est avéré tout au long
de l’histoire du christianisme, l’étude de l’histoire de la liturgie nous le fera vérifier, au point
où il n’est pas exagéré d’oser dire que l’histoire de l’expansion du christianisme et de
l’accueil de l’évangile a été celle de leur inculturation dans les peuples. Dans l’encyclique
Missio redemptoris, Jean-Paul II proclame cette vérité dont nous avons fait le cœur de notre
travail, en affirmant que l’inculturation « C'est une exigence qui a marqué tout son parcours
au long de l'histoire et qui se fait aujourd'hui particulièrement sensible et urgente. »17

De telle sorte que le succès de l’implantation du christianisme en « Occident » est sans


doute le fruit, avant le terme, d’une inculturation réussie, non nécessairement pensée, mais
qu’une conjonction de circonstances favorables a imposée pratiquement comme allant de soi
au point où christianisme est assimilé à Occident, faisant oublier les origines orientales de
cette religion et de sa liturgie. Tandis que le sort de l’œuvre « missionnaire », ballottée entre
la tendance à la massification et l’approfondissement du message chrétien, demeure
controversé, du fait que la « mission » avait ignoré la nécessité de s’adapter et de s’inculturer
si elle n’avait pas simplement combattue les cultures locales, ce qui a fait ressentir le besoin
d’inculturer le christianisme dans « les pays de mission ».

Mais, depuis le Concile Vatican II, les principes et l’option sont dans une nouvelle

optique. L’Eglise est considérée comme la nouvelle incarnation, là où elle est implantée, du

Christ et de son message dans chaque peuple, dans sa culture et dans sa mentalité. L’action

liturgique, source et sommet de l’activité de l’Eglise, doit donc, dans cette logique et selon le

17
Encyclique Missio Redemptoris, du 7 décembre 1990, § 52.
18

désir du Concile, emprunter les formes appropriées à chaque culture, ses rites et ses

expressions cultuelles, pourvu que, dans leur sens profond et dans leur mode d’expression

extérieur, ils soient compatibles avec le message chrétien.

En effet, une Eglise locale doit avoir une liturgie qui soit pleinement signifiante pour
les peuples concernés, c’est-à-dire, qui emprunte ses signes à la culture locale, aux traditions
religieuses du pays, en sorte qu’elle soit l’expression et la célébration concrètes de la vie et du
monde. Comme on va le voir, il ne s’agit pas seulement de couleurs, vêtements et ornements,
mais, conformément au décret conciliaire Ad gentes qui recommande que la foi soit
« enseignée au moyen d’une catéchèse adaptée et célébrée dans une liturgie conforme au
génie du peuple » et qu’elle « passe dans les coutumes locales »18, il s’agira des gestes,
d’attitudes corporelles, de rites, de célébrations funéraires, de vigiles solennelles et de
processions et, même, de célébrations sacrificielles et cultuelles. Par une telle vision, le
Concile souligne l’importance d’un mouvement de rénovation liturgique, notamment dans les
jeunes Eglises hors l’espace culturel occidental, lançant un appel à des compétences et des
charismes particuliers pour aider à constituer une liturgie adaptée, autochtone, et pour
élaborer des directives et des manuels appropriés de pastorale liturgique.

A partir de ces options, un véritable mouvement de rénovation liturgique fut lancé


dans nombre d’Eglises africaines ; on vit des « expériences » tentées au Cameroun, au
Sénégal, au Zaïre, au Malawi, etc., s’inscrivant toutes dans le cadre de la mise en œuvre de
l’inculturation, mais seul le rite zaïrois a été consacré et adopté par le Vatican comme l’un des
rites catholiques officiels. C’est donc ce rite, devenu sans doute modèle d’une liturgie
africaine inculturée, qui va faire l’objet de notre analyse, en vue d’en saisir les sources, les
manifestations et la véritable portée.

L’intérêt attaché à ce sujet, de même que l’intérêt qu’il peut présenter pour la
connaissance de l’histoire de la liturgie catholique, réside justement dans cet aspect
particulier, guère exploré suffisamment, de l’inculturation comme vecteur des évolutions
liturgiques mais aussi de la permanence historique de ce phénomène, réussi dans l’expansion
géographique du christianisme dès ses premiers temps, et qui, après avoir été ignoré par les
missionnaires européens dans d’autres continents, revient à l’honneur pour légitimer les
récentes expériences liturgiques menées dans le monde extérieur à son berceau historique.

18
Décret conciliaire Ad gentes, § 19.
19

Les analyses de la liturgie ancienne auxquelles nous accédons s’intéressent


essentiellement à des problématiques théologiques des mystères eucharistiques (nature de la
messe, simple mémorial ou actualisation du sacrifice réel du Christ, valeur de l’eucharistie
dans l’œuvre du salut, dans la vie spirituelle et dans l’ecclésiologie, etc.), tandis que d’autres,
comme celles de J-A. Jungmann, s’attachent aux aspects génétiques de la liturgie chrétienne.
Tout en n’ignorant pas les problématiques de la nature de la célébration eucharistique et de la
génétique liturgique, notre travail s’attache, au contraire, à rechercher la permanence de ce qui
a permis au christianisme et à la liturgie de s’établir et de s’installer durablement dans le
monde « occidental », de cette capacité de s’adapter aux cultures locales et de s’en imprégner
au point de faire corps avec elles, de cette « inculturation » à l’œuvre dès les premiers siècles
pour assurer le succès que l’on sait du christianisme loin des lieux de sa naissance. Etant ainsi
considérée dans cette étude comme l’une des principales causes de l’expansion du
christianisme, l’inculturation nous semble à la fois être la condition de son acceptation
consciente ainsi que de son intériorisation par les différents peuples et, donc, de son
universalité. En conséquence de quoi, l’inculturation vient ainsi légitimer les recherches
africaines en vue d’ « inculturer » la liturgie chrétienne, de l’adapter aux valeurs et cultures
africaines, en même temps qu’elle pourrait pénétrer ces cultures pour que les peuples
concernés l’intériorisent et en fassent un élément de leur vie.

Nous avons travaillé sur cette problématique tout en connaissant les nombreuses
controverses théologiques qui déchirent aujourd’hui l’Eglise romaine sur cette question. A
propos de ces controverses, on a pu parler de « crise du missel » ou de la liturgie et, même, de
« guerre des missels ». Cette « crise » a eu comme ingrédients le « schisme » et
l’excommunication de Mgr Lefebvre et de sa « Fraternité Saint Pie X » révoltés contre les
réformes de Vatican II, avec, à sa suite, l’éclosion de tout un courant « traditionaliste ». Mais,
on peut trouver dans l’apparition de nombreux rites « inculturés » dont, à travers le « rite
zaïrois », les rites africains, ainsi que dans les réactions qui s’en sont suivies, une autre
manifestation de cette « crise » liturgique, ainsi que dans la volonté de réforme exprimée de
longue date, alors qu’il était encore cardinal, par le pape Benoît XVI qui, voulant dénoncer
des abus, parlait de « liturgies fabriquées » ou de « show », et à qui l’on avait prêté l’intention
d’effacer Vatican II ; tandis que son Motu proprio19 semble, à cet égard, très équilibré même
si certains y ont vu une prétendue revanche des « intégristes ». A chacun de ces moments ou à
chacune de ces occasions, il y a eu, globalement, une véritable « querelle des anciens et des
modernes ».
19
Motu proprio Summorum Pontificum, du 7 juillet 2007.
20

Par ailleurs, nous n’ignorons pas que les expériences du genre « rite zaïrois » sont
particulièrement visées, au moins dans quelques-uns de leurs aspects : il leur est adressé les
mêmes critiques que celles réservées à la théologie « africaine » et à l’inculturation qui sont
leurs sources et leurs fondements ; parfois, ce qui est visé c’est cette sorte d’étrangeté qu’ils
présentent par rapport à la liturgie romaine séculaire, ordonnancée, rigoureusement séquencée
et chronométrée, tandis que leur « exubérance » et leur expressivité ont été vues ainsi que des
caractéristiques d’un spectacle ou, encore, d’un show. Enfin, au sein de l’Eglise catholique
congolaise même, des débats se sont faits chauds, non pas seulement de la part de ceux qui
lient trop cette réforme, comme certaines autres, à la personne des prélats (Malula,
Monsengwo, Tshibangu, Ngindu, entre autres) qui, en leur temps, et avec d’autres théologiens
congolais, en avaient été les promoteurs zélés, mais aussi de la part de ceux qui, au Congo
même, prônent la théologie de la libération ou de ceux qui, paradoxalement, se font les
chantres du retour à la romanité pure et dure et qui aiguisent la critique la plus acerbe et la
plus avilissante du « rite zaïrois ». Cette dimension globale de la problématique donne au
débat un caractère « idéologique », dans ces oppositions entre l’ancien et le « moderne »,
entre la romanité universelle et le local, entre, finalement, le Nord et le Sud. Ce dernier aspect
se manifeste à travers l’intention prêtée, à tort ou à raison, aux peuples du Nord de maintenir,
par une liturgie imposant dans certains de ses aspects les cultures occidentales, leur
domination sur les peuples du Sud, d’aliéner les capacités de ces peuples du Sud de créer et de
s’approprier ou d’approprier à leurs cultures une foi dont il n’a jamais été question pour eux
de contester l’universalité.

Notre travail, une recherche en histoire, se situera bien évidemment en dehors de ces
querelles de spécialistes, théologiens et liturgistes. Nous ne nous intéressons qu’à cette
perspective historique qui a vu le canon romain évoluer, de l’intérieur en quelque sorte, par
diverses adaptations, même bien avant Vatican II, jusqu’aux bouleversements que sont, pour
l’Européen parfois scandalisé, en tout cas surpris, les rites africains. Les seuls aspects propres
au langage et à la recherche théologiques se situeront exclusivement dans le cadre de la
recherche des fondements et justifications de certaines réformes et de certaines adaptations,
notamment concernant les rites zaïrois, à travers la « théologie africaine » et l’inculturation.
Ces deux notions sont en effet, dans la perspective de ce travail, des « moments », dans le
sens de l’histoire, et participent d’un processus d’évolution de l’Eglise. Il s’agira donc de
vérifier dans ce domaine de la liturgie l’adaptation de l’Eglise aux réalités historiques et
culturelles africaines et l’impact de l’inculturation sur la liturgie dans ses expressions
extérieures, grâce à des adaptations inspirées des valeurs africaines et qui éclairent, d’une
21

lumière nouvelle pour les peuples africains, le sens et la signifiance de la liturgie catholique
dont certains aspects leur apparaissent, pas seulement à eux du reste, comme ésotériques.

Enfin, il est utile de préciser que ce projet a été utilement et favorablement « infléchi »
par les entretiens avec des spécialistes africains des « rites africains », faisant état de
préoccupations pastorales et « missionnaires » de leurs jeunes Eglises. Leur désir est de voir
ces préoccupations prendre place dans cette étude historique et analytique afin de découvrir, à
travers notamment les circonstances de la genèse et de l’évolution de la liturgie, davantage
d’arguments pour une nécessaire « contextualisation »-africanisation de la liturgie, qu’ils
jugent légitime, en demeurant néanmoins fidèles à l’Eglise dont serait ainsi assurée la
véritable « universalité » et de laquelle, en tout état de cause, ils n’ont nul besoin de
s’éloigner.

Méthodologie

Les exigences académiques font que notre travail porte sur les données de l’histoire de
cette activité importante de l’Eglise catholique ; par ailleurs, si la problématique choisie se
prête, certes pour cela, à un exposé historique, elle commande en même temps une démarche
analytique. Les développements seront donc inscrits dans une logique à la fois historique,
c’est-à-dire chronologique, et substantielle, c’est-à-dire, faisant appel à des explications de
fond ou de contenu qui, au-delà de l’événementiel, relient les événements et les faits les uns
aux autres, souvent dans une relation de cause à effet. Dans ce sens, certaines des analyses
font appel à des aspects liturgiques matériels et doctrinaux, mais dans la seule mesure
nécessaire pour présenter la logique de la trame des réformes, expliquer aussi bien les
changements introduits par ces réformes que les différences que représentent les liturgies
« inculturées », celles qui ont dérivé du tronc commun de la liturgie « officielle » romaine,
soit dans des temps écoulés de l’histoire missionnaire de l’Eglise soit dans le cas le plus
récent des rites africains.

La compréhension des évolutions de la liturgie exige de ne pas examiner partiellement


leur histoire, sauf si le projet est de n’en cerner qu’une période donnée. Pour autant, en ce qui
concerne notre travail, le projet est d’expliquer l’histoire de la messe et d’expliquer, à travers
l’inculturation, la clé ou les clés des modifications qu’elle a connues, alors que le plus
souvent celles-ci ne sont pas instantanées ni spontanées mais éclosent et murissent
progressivement, traversant plusieurs époques ; de telle sorte que nous ne pouvions limiter
nos développements à une seule période. Mais, aussi, c’est pour nous un véritable prétexte
22

pour faire connaître et faire comprendre le bien fondé et les spécificités de l’effort de
renouvellement et d’« auto-appropriation » des rites aujourd’hui tentés dans une grande partie
des pays dits de mission désireux d’enraciner en eux l’évangile.

A partir de cette problématique, et par rapport à elle, il semble que se dessinent trois
moments de l’histoire de l’Eglise et de sa liturgie. Le premier s’est réalisé entre la terre
« natale » du christianisme et les cultures et civilisations occidentales, dans des conditions où
le christianisme a fini par épouser, en interaction, les cultures des peuples rencontrés et de
faire un avec elles. Cette sorte de première inculturation qui a fait admettre sans contestation
que le christianisme était la religion occidentale et que la chrétienté s’identifiait à l’Occident,
s’impose ainsi, comme, historiquement et dans la logique de notre problématique, la matière
de la première partie de ce travail. Le second moment se présente historiquement lié à
l’expansion missionnaire, aussi bien « mission » comme concept et vocation de l’évangile que
« mission » comme œuvre d’évangélisation entreprise dans des contrées étrangères au
christianisme historique, en particulier en Afrique. Il s’y est avéré que les conditions mêmes
de cette évangélisation devaient être analysées et exploitées pour voir si elles étaient
susceptibles de permettre un certain degré d’inculturation ou, du moins, d’adaptation du
christianisme et de la liturgie aux réalités socio-culturelles locales. Il se trouve que cette
période s’est caractérisée, à la différence de la première, par une totale méconnaissance d’une
nécessaire inculturation, n’accouchant finalement que d’une évangélisation superficielle
(deuxième partie) Le troisième moment, à partir du concile Vatican II, tirant les conséquences
des effets pervers des méthodes suivies pendant l’évangélisation missionnaire, s’est inspiré
d’une conscience aiguë de la nécessité de tenir compte des spécificités des peuples pour
intégrer le christianisme et sa liturgie dans leurs cultures, afin que, là où le christianisme
apparaissait à une multitude de peuples comme étant étranger à leur vraie vie, il s’incarne au
contraire dans celle-ci, devenant l’élément chrétien de leurs cultures (troisième partie). De
telle sorte que l’inculturation est l’axe central, le fil conducteur, de ce travail, soit en ce
qu’elle a été réalisée soit en ce qu’elle a, au contraire, été refusée ou ignorée ; l’étude des
facteurs historiques et autres extra-liturgiques ne s’est imposée que parce qu’elle conduisait,
en les éclairant, à ces conclusions.

La nature et l’accessibilité des sources utiles à une recherche ou à une étude


académique dépendent de la période concernée. Ainsi, pour la période ancienne, soit des
origines aux grandes réformes antérieures au XXe siècle, les sources principales sont, aux
côtés d’une discipline particulière qu’est l’archéologie, des documents et manuscrits anciens
23

et originaux, que complètent, pour leur compréhension, des études d’analyse exécutées sur
eux par des spécialistes. Il faut la modestie de reconnaître que, outre le temps et les moyens
qui ont fait défaut, notre projet n’a jamais été de réaliser une œuvre d’érudition en liturgie.
Aussi, faute d’avoir accédé à ces originaux, nous nous sommes contentés de les aborder à
partir des éditions commentées qui en ont été publiées et dont la fidélité est attestée, en
particulier grâce à des auteurs qui font universellement autorité dans les domaines de
préhistoire, d’archéologie, de linguistique et de diplomatique. En effet, certains de ces
documents ayant fait l’objet de plusieurs reproductions, la concordance de la littérature sur
ces points nous autorise à nous y référer tels qu’ils sont reproduits et tels qu’ils nous sont
transmis. Toutefois, le sens historique nous contraint d’en citer quelques-uns pour justifier de
manière plausible nos analyses sur l’histoire de la liturgie de la messe à travers son évolution
depuis sa période de formation jusqu’à sa dispersion dans une chrétienté de plus en plus vaste
et dont la pratique s’est diversifiée avec l’apparition des Etats-nations modernes à la faveur de
la Renaissance qui ont entraîné dans leurs mouvances les églises locales ou nationales. Par
ailleurs, les nouvelles technologies de l’information, lorsqu’elles sont choisies comme
vecteurs et moyens de diffusion par des institutions officielles, notamment les institutions
religieuses ou spécialisées dans le domaine religieux, nous ont paru des sources, indirectes
certes, mais suffisamment crédibles.

Une autre source est constituée par les documents officiels de l’Eglise, actes des
conciles, des papes, des dicastères de la curie, des synodes ou, encore, des conférences
épiscopales ; les plus anciens d’entre eux présentent, pour les mêmes raisons, des difficultés
d’accès analogues, sauf à recourir aux traductions et publications officielles ou autorisées qui
en sont faites, telles qu’on peut les trouver dans l’édition ou dans les nouvelles technologies
de l’information. Le premier groupe est celui des documents conciliaires, des encycliques et
d’autres textes pontificaux, pour lesquels notre source principale a été le site officiel du
Vatican20. En ce qui concerne les sources zaïroises relatives au rite zaïrois, nous n’avons pas
trouvé un système d’archivage semblable aux techniques habituelles en la matière, notamment
en ce qui concernent les minutes des documents ou les « manuscrits » originaux ; elles sont
essentiellement des documents officiels de la Conférence episcopale, entreposés et non
catalogués, qui ne sont disponibles que dans leur forme imprimée et publiée par le secrétariat
général de la conférence. Certaines sont dans le domaine public, consultables et, même,
pouvant être achetées, par les particuliers, nous en avons ainsi consulté ou acheté auprès du
service de documentation du secrétariat général de la Conférence Episcopale Nationale du
20
http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/index_fr.htm
24

Congo. D’autres, toujours en forme imprimée et éditées, ne sont pas publiées et sont d’un
accès réservé, moyennant une autorisation du secrétariat qui nous permit généreusement d’en
consulter et d’en détenir ceux qui nous semblaient utiles pour notre travail. Nous avons par
ailleurs exploité à fond l’ordo missae zaïrois lui-même ainsi que le document qui présente à
l’intention de la Congrégation du Culte Divin le rite zaïrois ; là aussi, il s’agit de publications
officielles. La liste de ces documents utilisés se trouve à la fin du travail dans la partie
réservée à la bibliographie. Nous avons enfin, mais sans que ce soit dans les normes
techniques requises en ce qui concerne l’échantillonnage et la technique d’interview, interrogé
certains acteurs, prêtres ou laïcs ; leurs réponses nous éclairent sur certaines questions que
l’on peut se poser sur le rite zaïrois.

La troisième origine de la documentation dont a bénéficié cette étude se trouve dans la


littérature. Or, contrairement à ce qu’on pourrait croire, au vu de son omniprésence et de son
caractère à la fois actuel et « familier », la liturgie n’a fait l’objet que d’une bibliographie,
apparemment abondante, mais essentiellement spécialisée, œuvre de théologiens et de
liturgistes, mis à part les travaux de vulgarisation d’un contenu à caractère catéchétique ou
pastoral. Mais, rares sont des ouvrages consacrés à ses aspects simplement profanes,
historiques, sociologiques ou anthropologiques, tandis que l’historiographie, y compris celle
de l’histoire du christianisme et de l’Eglise, n’aborde la liturgie que superficiellement ou par
simple mention et en rattachant des aspects à un moment ou à un événement historique donné.
Sur les rites africains, mêmement, la bibliographie n’est pas abondante, il n’y a pratiquement
pas d’ouvrages complets, mais surtout des études portant sur tel ou tel aspect spécifique de la
théologie eucharistique ou sacramentelle, avec des courtes descriptions du déroulement de la
messe. Spécialement sur le rite zaïrois, le tout récent ouvrage, thèse universitaire œuvre de
théologien21, aborde très peu l’aspect historique qui concerne ce travail, mais insiste
essentiellement sur les questions de fond (ecclésiologie, argumentaire et sens théologiques,
etc.).

Il nous a fallu, interrogeant essentiellement les documents, mettre les données en


perspective, dans l’axe de démonstration adopté dans ce travail. Au total, cependant, pour une
étude de la nature de la nôtre, il a semblé suffisant d’examiner, en quelque sorte, les copies
« certifiées » des documents et manuscrits anciens, les traductions et éditions officielles ou
autorisées, ainsi que les analyses qui en sont faites par des auteurs et la bibliographie de ces

21
La seule qui nous soit connue et parvenue est Le rite zaïrois, d’Edouard Flory. KABONGO, Bruxelles. Bern,
Berlin. Frankfurt am Main. New-York, Oxford, Wien, Ed. Pie Peter Lang, 2008, dans une perspective
théologique, essentiellement ecclésiologique, qui ne nous a pas été d’un grand secours.
25

derniers. Un examen minutieux et aussi poussé que possible de ces sources, complété par
l’observation directe des phénomènes religieux et liturgiques auxquels nous assistons ou
participons nous-mêmes, avec une vérification réalisée grâce à des enquêtes et entretiens
conduits auprès des acteurs comme des « bénéficiaires » de l’action liturgique, nous ont
permis, à notre humble avis, d’une manière à la fois suffisante et satisfaisante, de circonscrire
les contours et de cerner d’assez près le projet que nous avions assigné à notre travail.
26
27

PREMIERE PARTIE

SOURCES ET EVOLUTIONS DE LA
LITURGIE CATHOLIQUE
« MODERNE »
28

Quelles que soient les formes qu’a prises à différentes époques ou sous différentes
latitudes, la liturgie eucharistique a les mêmes origines, dans les gestes que fit et les paroles
que dit Jésus au cours du dernier repas qu’il prenait avec eux en début de la soirée où il sera
arrêté pour aller souffrir sa passion, donc dans la « dernière Cène » et, également, dans l’ordre
qu’il donne aux siens.

Il convient de rappeler exactement ce qui s’est alors passé en cette soirée : lors, ou au
cours (pendant), de ce repas, Jésus prit le pain, rendit grâce, le rompit et le donna à ses
disciples et leur dit « Prenez et mangez-en tous. Ceci est mon corps [livré pour vous] » ; de la
même manière, à la fin du repas il prit une coupe de vin, rendit grâce et la donna à ses
disciples leur disant « Prenez et buvez-en tous. C’est la coupe de mon sang, le sang de
l’Alliance nouvelle versé pour la multitude… ». Luc et Paul ajoutent cet élément inexistant
chez Marc et Matthieu : Jésus dit alors « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Ce rite est
appelé « l’institution », grâce à quoi Jésus « institue » l’eucharistie. Certes, même la bible ne
donne pas toujours un récit identique de l’institution, elle contient quatre récits relatifs à cet
événement22 ; tandis que, dans diverses liturgies, on a relevé jusqu’à quatre-vingt-cinq
rédactions de ce récit 23. Mais, de ces éléments, ce qui fait l’actualité de la messe, c’est sans
doute l’ordre fait par Jésus à ses disciples : « Vous ferez cela en mémoire de moi », c’est par
cet ordre que s’est répété et que se perpétue de jour en jour, d’âge en âge, la célébration de
l’eucharistie ou la messe. Ces formules ayant d’abord été « pratiquées » dans les différents
usages liturgiques des premières communautés, soit juives (chez Marc-Matthieu) soit
grecques et helléniques (chez Luc et Paul), et n’ont été que postérieurement incorporées dans
les évangiles24.

Les répétitions de « l’institution », faites en mémoire de Jésus, vont avoir lieu au cours
des assemblées des croyants où il va toujours y avoir une place de choix pour la « fraction du
pain » ou la commémoration du « repas du Seigneur ». Il est logique d’imaginer qu’autour de
ce noyau dur, chaque communauté a organisé ses assemblées selon les réalités locales ou la
sensibilité du responsable ou dirigeant de la communauté ; si bien que l’organisation du
« peuple rassemblé pour le repas du Seigneur », non décrite avec précision par les écritures, a
pu varier et même diverger dès les origines, donnant naissance à une pluralité de liturgies
22
La bible rend compte de plusieurs récits de l’institution : Mt 26, 26-28 et Mc 14, 22-24, qui donnent un récit
sensiblement le même, ensuite Lc 22, 15-20 et 1 Cor. 11, 23-25, eux aussi très proches ; on remarque quelques
différences entre ces récits, notamment dans le déroulement des faits, tandis que l’essentiel de l’institution
demeure globalement identique.
23
LORET, Pierre, citant Henri Leclercq, La messe du Christ à Jean-Paul II- Brève histoire de la liturgie
eucharistique, Paris, Ed. Salvator, 1980, p.19.
24
L’eucharistie de Jésus aux chrétiens d’aujourd’hui, Collectif, Limoges, Droguetet, Ardant 1981, p. 182.
29

eucharistiques : une même eucharistie mais plusieurs liturgies. Dans l’introduction, nous
avons vu quelques-uns des facteurs de cette diversification originelle mais aussi ceux des
évolutions que va continuellement subir la liturgie chrétienne. Il s’agit, dans cette partie,
d’une part, de vérifier cette situation sur le terrain lors de la fixation progressive des éléments
de la liturgie chrétienne et, d’autre part, de mettre en lumière la substance et les conséquences
des évolutions qu’elle a connues.

En examinant cette évolution, on constatera, ainsi que cela est fait dans l’introduction,
que non seulement une même foi et une même eucharistie n’ont pas empêché la multiplicité
de rites liturgiques et de liturgies, mais aussi que, tout en évitant de condamner et de
supprimer systématiquement ce pluralisme et loin de figer une liturgie monolithique, l’Eglise,
sur la même base de l’unité de la foi, a néanmoins toujours cherché à endiguer et à canaliser la
floraison des rites, en fait de véritables désordres liturgiques dans lesquels était tombée la
liturgie, notamment en dehors de Rome25. C’est pourquoi après les origines de l’eucharistie et
la diversification des rites (I), nous verrons les tentatives de l’Eglise pour mettre de l’ordre
dans le mouvement en fixant une liturgie « typique », c’est-à-dire officielle, pour toute
l’Eglise latine, tout en tolérant à certaines conditions quelques particularismes (II).

25
CHALUFOUR, Jean-Denis, La sainte messe hier, aujourd’hui et demain (avec préface du Père Mansour
Labaky), Association Petrus a Stella – Abbaye Notre-Dame de Fontgombault, 2000, p.13.
30

NAISSANCE ET DIVERSIFICATION DE LA LITURGIE


CHRETIENNE

Si, la certitude scripturaire de « l’institution » a pu permettre une fixation relativement


facile, bien que lente, des éléments essentiels de la célébration eucharistique ou de la messe,
l’absence de description exacte du déroulement complet des premières célébrations a pu
induire une pluralité de pratiques liturgiques. Ceci se constate par les différences constatées
dans les documents des différentes communautés chrétiennes, différents formulaires ou des
différents pasteurs, évêques d’églises locales, par lesquels nous sont parvenues les pratiques
anciennes et à travers lesquels s’est forgé le visage de la liturgie catholique.

On peut dire que l’essentiel de la structure de la messe, ce qui a donné naissance à son
ordonnance actuelle, est certain et s’est fixé dès le IIe siècle autour de l’eucharistie, ainsi que
l’attestent les documents et manuscrits cités par tous les spécialistes.

Dans ce chapitre, nous remontons aux origines de la liturgie de l’eucharistie


chrétienne, en recherchant le cadre cultuel dans lequel elle prend naissance afin de découvrir
l’éventuelle filiation de la messe chrétienne à des pratiques liturgiques auxquelles
participaient alors le Christ, ses apôtres et ceux qui, les suivant, ont constitué les premières
communautés chrétiennes (I). Ensuite, liturgie vivante et vécue, l’eucharistie chrétienne,
fondée dans sa substance sur une doctrine spécifique du cadre de sa gestation, a connu une
croissance propre et autonome, dans un processus de maturation qui a affirmé non seulement
les rites spécifiques mais aussi le dynamisme de cette liturgie (II). Ces deux préoccupations
s’inscrivent, concernant la messe, dans la perspective d’une analyse à la fois organique, partie
par partie de la messe, de ces débuts de la liturgie eucharistique catholique, et presque
génétique, explorant aussi que possible tout le processus d’apparition, formation et fixation,
des différents rites, leurs interrelations, dérivations et influences, en intégrant par là la
dimension historique. Par ailleurs, enfin, il faudra constater que le climat et les circonstances
de cette formation et de ces évolutions indiquent clairement que celles-ci n’ont pas toujours
suivi un plan préconçu, mais ont résulté d’un concours ou d’un faisceau de facteurs,
essentiellement les facteurs « culturels », dont il est utile de dégager les influences (III).
31

I.I CADRE CULTUEL DE GESTATION DE LA LITURGIE DE LA MESSE

C’est patiemment que des rites sont apparus et établis à chacun des moments
importants de la célébration eucharistique dont les éléments constitutifs seront déterminés à
partir de certaines interprétations des écritures qui ne se limitent pas à la seule « institution »
proprement dite mais sollicitent des épisodes où l’on voit Jésus, en dehors de la dernière
Cène, manger avec des disciples et faire les mêmes gestes (sans les paroles) qu’à la Cène, et
qui préfigurent ou pré-fixent ce que feront plus tard les communautés. C’est le cas de la
rencontre de Jésus avec deux de ses disciples sur le chemin d’Emmaüs. Par ailleurs, nous
avons indiqué assez clairement que la sainte Cène a eu lieu au temps de la Pâque juive, peut-
être même elle eut lieu selon le cérémonial de cette dernière ; l’essentiel pour nous est de
constater que ce climat général de coexistence entre les pratiques, nouvelles, des chrétiens, et
celles des juifs, a pu donner à celles-là un modèle dans celles-ci.

Le récit de la rencontre d’Emmaüs (Lc 24, 13-32) peut être résumé de la manière
suivante : le soir même de sa résurrection, Jésus rencontre deux disciples éplorés, découragés
par les événements qu’ils venaient de vivre en dépit du fait que la nouvelle de la résurrection
de Jésus venait de parvenir à leur assemblée à Jérusalem ; devant leur découragement, il se
mit à leur expliquer les écritures à propos de ce qui concernait le messie, annonçant sa
passion, sa mort et sa résurrection. Quand, à la demande des disciples, ils se furent installés
pour prendre le repas, alors, il prit le pain, prononça la bénédiction ou le bénit, rompit le pain
et le leur donna ; à ce geste en quatre verbes (ceux de la dernière Cène : prit, bénit, rompit et
donna), les yeux des disciples s’ouvrirent, ils virent clair et reconnurent leur Seigneur. Cet
épisode a, selon les spécialistes, inspiré la structure de la messe actuelle, la liturgie de la
parole et la liturgie eucharistique, celle du repas, même si à cette occasion, à la différence de
la Cène du Jeudi saint, Jésus ne prononça plus les paroles dites de l’institution.

Mêmement, la célébration juive est présentée comme ayant inspiré les chrétiens : le
Juif Jésus a très vraisemblablement célébré la Pâque comme tous ses compatriotes, avec le
rôle du chef de famille et la fonction quasi sacerdotale que joue ce dernier en présidant le
repas et avec la bénédiction par laquelle les Juifs rendaient grâce pour le pain et pour le vin.
Par ailleurs, les assemblées synagogales inspirèrent les chrétiens, au moins au début tant que
le christianisme était encore limité à la Palestine avant de définitivement se détacher du
judaïsme ; les chrétiens ont alors définitivement cessé de célébrer parallèlement la Pâque
32

juive, qu’ils avaient continuée même après leur conversion au christianisme et après leur
baptême.

I.I.I Les origines et la filiation juives : les assemblées synagogales juives

De tous les cultes et de toutes les assemblées cultuelles orientaux de l’époque, les
spécialistes affirment sans hésitation que c’est du judaïsme qu’il faut partir pour comprendre
l’organisation et le fonctionnement des formes du culte et des assemblées des premières
communautés chrétiennes26. Cette « filiation » juive se rencontre aussi bien pour le fait même
de rassembler le peuple que pour le déroulement du rassemblement ainsi que dans le rite
même de la « fraction du pain ». De fait, on peut le vérifier aussi bien pour la nature même de
l’assemblée et pour la place des saintes Ecritures, que pour la liturgie eucharistique avec le
rite de la « fraction du pain » que nous examinerons plus loin.

I.I.I.1 Le modèle juif

C’est dans la tradition juive, depuis le Sinaï et l’alliance du buisson ardent lorsque
Dieu prescrit à Moïse d’organiser le rassemblement du peuple « sur cette montagne » pour le
servir27, que l’on trouve cette coutume acquise de l’assemblée du peuple, le qahal (à laquelle
même les Actes font référence, Ac 7, 38) pour « la prière et le service de Dieu ». Pour utiliser
le terme grec employé plus tard par Paul, l’origine de l’ecclesia chrétienne (en latin, ou
ekklesia en grec) est dans le qahal (ou Qehal ?) juif. Sans qualité, et ce n’est pas le lieu, pour
une description détaillée et plus complète du qahal, nous nous limitons à trouver les
confirmations de ce lien, presque génétique, en tout cas d’inspiration entre l’assemblée
cultuelle juive et l’assemblée liturgique chrétienne.

A la lumière des découvertes faites et des connaissances acquises au XXe siècle, Louis
Bouyer affirme que les chercheurs sont unanimes à considérer que « l’Eglise (ecclesia) du
Nouveau Testament doit être comprise comme la perfection ultime de ce que, dès le début, la
Bible hébraïque avait appelé Qehal Yahweh, ‘’Assemblée de Yahvé’’ ». Depuis la première
« assemblée » de ce genre sur le Mont Sinaï, cette dernière expression et ce sens qui

26
Par exemple, CASEL, Odon, JUNGMANN, BOUYER, Louis, La vie de la liturgie, Paris , Ed. du Cerf, 1956,
pp. 39-50 et 149-163 ; NOCENT, Adrien, L’avenir de la liturgie, Paris, Ed. Universitaires – Chrétienté
Nouvelle, 1961, pp. 57 et 58 ; LORET, Pierre, La Messe du Christ à Jean-Paul II - Brève histoire de la liturgie
eucharistique, Paris, Ed. Salvator, 1980, spécialement pp. 30 et 33 ; CABIE, Robert, Histoire de la messe des
origines à nos jours, Paris, Ed. Desclée, 1990, p. 9 ; GRELOT, Pierre et alii, La liturgie dans le Nouveau
Testament, Paris, Desclée, 1991, spécialement pp. 21-41 et 93.
27
Ex 3, 12.
33

différencie le Qahâl juif, en tant qu’assemblée cultuelle, de l’ekklesia grecque se trouvent


couramment utilisés dans les Ecritures, en particulier, le Livre du Deutéronome donne des
directives pour la participation à « l’Assemblée de Yahvé »28.

Dans les assemblées juives, la première assemblée de ce type étant celle du Sinaï,
telles qu’elles avaient lieu dans le Temple, le peuple est convoqué pour, d’abord, écouter la
lecture solennelle des Ecritures, notamment des livres de Moïse, que le peuple « accepte »
avec louange et cris de joie, enfin, il participe au renouvellement de l’alliance du buisson
ardent par la célébration du sacrifice qu’est la Pâque. Mais, des spécialistes discernent une
forme dérivée, du temps de l’exil mais aussi présente en Israël avant la reconstruction du
temple, où le sacrifice est remplacé par une grande et solennelle prière d’action de grâce
« eucharistia » dont l’initiative est attribuée à Esdras ; ce rite va se généraliser dans les
synagogues29. Cela peut être schématisé ainsi : rassemblement, écoute de la Parole de Dieu,
louange et action de grâce30, le tout dans la simplicité et sans quelque pompe que ce soit31.

I.I.I.2 Les débuts des assemblées chrétiennes

D’après ces explications, qui reviendront tout au long de cette section, c’est donc dans
la tradition liturgique juive que se trouve l’inspiration pour l’organisation des réunions ou
assemblées liturgiques chrétiennes ; ceci, y compris la coutume d’y proclamer les Ecritures,
qui, phénomène très général à l’époque au niveau de plusieurs communautés ou sectes, ne
relève pas, affirment certains spécialistes32, du cadre liturgique chrétien. Certes, dans
l’évangile de Matthieu, nous voyons Jésus utiliser le terme « église »33, le mot existait et avait
un équivalent sémitique traduit dans la Septante par le mot grec par lequel a été traduit le
concept juif qahal, ekklesia34, assemblée, non pas une organisation mais la réunion ou le
rassemblement du peuple, à Athènes pour exercer les fonctions politiques civiques, chez les
Juifs pour organiser le service de Dieu et l’écoute des écritures. On peut en conclure que notre
traduction « église » désigne avant tout cette assemblée des croyants, avant de se voir
assimiler au local ou lieu de rassemblement pour la prière ou le culte et même l’organisation

28
Par exemple à Dt 23, 2, 3, 4 et 9.
29
BOUYER, Louis, op.cit., p. 42.
30
NOCENT, Adrien, op.cit., p.58.
31
V. en annexe, la description que saint Justin fait à l’empereur, 1ère Apologie, 66. 3 et 67. »-6 (vers 150 après J-
C.).
32
GRELOT, Pierre, op.cit., p.22.
33
Mt 16, 18, Jésus dit à Simon-Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon « Eglise »
34
Dans ce sens, v. BOUYER, Louis, qui trouve même que le terme grec ekklesia a la même racine que l’hébreu
qâhal, op.cit,, p. 39. une indication technique précise nous est donnée dans la Bible de Jérusalem, Paris, Ed.
Desclée de Brouwer, nouvelle édition revue, corrigée, augmentée, 2000, note sous Mt 16 : 18.
34

ou le regroupement de toutes les communautés chrétiennes que Paul définit comme le Corps
du Christ.

C’est donc en relais, pourrions-nous dire, de ces assemblées synagogales juives que
s’assemblaient les fidèles de la nouvelle foi, sortis ou chassés des synagogues où ils
continuaient d’aller. Le livre des Actes des Apôtres décrit « la première communauté
chrétienne, dont les membres « se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à
la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières »35. L’assemblée se faisait donc
avant tout autour de la Parole de Dieu ; celle-ci n’est pas seulement écoutée, mais elle est
expliquée et, enfin, acceptée par le peuple qui la fait suivre d’une action de grâce, il y a là
connexion nécessaire entre la Parole, élément capital de l’assemblée cultuelle, et l’adhésion et
l’action de grâce du peuple. Louis Bouyer peut ainsi définir la liturgie comme « la réunion du
peuple de Dieu rassemblé par le ministère apostolique pour que ce peuple, prenant conscience
de son rassemblement, puisse entendre la Parole de Dieu […] puisse adhérer à cette parole au
moyen de la prière et de la louange […] et, ainsi sceller par le sacrifice eucharistique
l’alliance accomplie par cette même Parole »36. Ainsi que la réunion juive commençant par la
proclamation de la parole à travers les Prophètes, ainsi aussi l’assemblée des chrétiens en
Eglise commence-t-elle par la « liturgie de la Parole », première partie de la messe.

La liturgie de la Parole dans la liturgie chrétienne, elle-même, suit le modèle juif. Elle
est, sans doute, la première activité des communautés chrétiennes ; on rassemblait le peuple
pour écouter la parole, comme on le voyait faire chez les Juifs qui lisaient la Loi et les
Prophètes, dont la lecture était suivie d’un commentaire d’exhortation. C’est exactement ce
que faisait Jésus, notamment dans l’épisode où il est montré, entrant, « selon sa coutume »,
dans une assemblée synagogale un jour de sabbat, s’emparant d’un rouleau et, y choisissant
un extrait d’Isaïe (« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par
l’onction… »), fit son fameux commentaire, « aujourd’hui, s’accomplit à vos oreilles ce
passage de l’Ecriture », qui lui valut l’hostilité des Juifs37.

Les auteurs cités plus haut38 relèvent unanimement qu’avant d’organiser leur
assemblée spécifiquement entre chrétiens, les apôtres se sont, dans un premier temps, servi
des synagogues où ils entraient et proclamaient la Bonne Nouvelle aux Juifs, intervenant au
cours du service synagogal ; de cette façon ils ne prêchaient qu’aux Juifs fréquentant la
35
Ac 2, 42.
36
BOUYER, Louis, op.cit., p. 46.
37
Lc 4, 16-28.
38
Voir supra, note 26.
35

synagogue, apparemment comme s’ils se considéraient eux-mêmes encore comme une


nouvelle branche ou « secte » du judaïsme. C’est du reste dans ce cadre synagogal que Jésus
commença sa mission, lorsque, notamment, entrant dans le Temple, il annonce sa venue
comme l’avènement de celui qui était annoncé par les prophètes, inaugurant ainsi la Nouvelle
Alliance (Is. 6), comme cet épisode reporté par Luc et cité ci-dessus ou, encore, comme on le
voit dans Matthieu 13, 53-58 et dans Marc 6, 1-6. Pour attester cela, il y a l’épisode où l’on
voit Pierre et Jean entrant dans le temple « pour la prière de la neuvième heure » : après la
guérison miraculeuse de l’impotent par Pierre, celui-ci se mit à prêcher, expliquant comment,
annoncé comme l’envoyé de l’Eternel par les Prophètes, en commençant par Moïse, Jésus a
été glorifié par Dieu, comment après avoir souffert sous la main des Juifs, Jésus crucifié et
mort est ressuscité des morts. L’enseignement reprenait ainsi tout le kérygme chrétien, le cœur
de la doctrine chrétienne déjà proclamé le jour de la Pentecôte et que Pierre et Jean répéteront
devant le Sanhédrin39. Ou, encore, le récit de Saül après la rencontre de la route de Damas
quand, une fois dans cette ville, « il se mit aussitôt à prêcher Jésus dans les synagogues,
proclamant qu’il était le Fils de Dieu »40 ; mais aussi la prédication de Paul le jour du sabbat
dans la synagogue d’Antioche de Pisidie41. Cela montre que les prédicateurs chrétiens, les
apôtres, ont trouvé dans ces assemblées juives du Temple et de la synagogue, tout comme
Jésus, un cadre qui leur était con-naturel, connu et normal pour y annoncer la Parole, ne
faisant que participer à ce qui s’y passait depuis des siècles.

I.I.I.3. Les chrétiens se démarquent

Contraint d’affirmer son identité et son authenticité, le christianisme naissant va


adopter un certain nombre d’antithèses par rapport au judaïsme, antithèses qui vont séparer le
christianisme de ses origines juives, et en faisant une religion définitivement distincte du
judaïsme. Il y a, là, un double phénomène, enracinement structurel et culturel dans le
judaïsme et réinterprétation de ce dernier, préalable nécessaire faisant partie du processus
d’inculturation. On n’en retiendra que quelques exemples caractéristiques.

39
Ac 3 et 4.
40
Ac 9, 20.
41
Ac 1, 14 et ss.
36

I.I.I.3.1. Le lieu de rassemblement

Cette pratique s’estompa, dans un premier temps, se développa alors une sorte de
double liturgie, dans la mesure où, après avoir été au Temple comme tous les Juifs42, les
chrétiens se retrouvaient en privé en cercles restreints où commençait la réunion pour
« rompre le pain dans leurs maisons » ; c’est vrai qu’ils devaient en tout état de cause aller
ailleurs parce que si les Juifs fréquentaient le Temple, nous avons vu qu’ils n’y sacrifiaient
plus43. Par ailleurs, il faut dire que, de plus en plus conscients de la spécificité de leur foi, les
chrétiens sentaient bien le besoin de disposer de locaux qui leur fussent propres pour la
pratique de leur culte. D’autant plus qu’avec l’intervention de Paul, la nouvelle foi s’adressait
de plus en plus à des païens, à des non-Juifs, qui n’avaient pas accès au Temple ou à la
synagogue. Aussi bien en Palestine que dans la diaspora juive et parmi ces païens convertis,
on note l’influence de la culture et de la civilisation grecques qui, même si le judaïsme
religieux y résiste, vont imprégner ces premières communautés chrétiennes partout où le
christianisme va se propager, lançant, au-delà de l’église originelle judéo-chrétienne de
Palestine, les bases d’une puissante « église hellénistique » ou « helléno-chrétienne » dont le
travail de Paul et les Actes des Apôtres rendent compte du dynamisme. L’hellénisme qui se
manifeste de nombre des communautés chrétiennes primitives aura une influence durable
dans certains aspects de l’Eglise durant tous les premiers siècles, le grec va, dans ces
communautés, devenir la langue cultuelle, la langue de la liturgie, jusque vers le IVe siècle où
en Occident, le latin va progressivement s’imposer, ainsi que nous le verrons. C’est dans ces
communautés hellénisées, même en Palestine, que vont se manifester les premières difficultés
quant à la spécificité du christianisme par rapport au judaïsme44, spécificité dont les chrétiens
prennent progressivement conscience et qui va les pousser à s’éloigner de la synagogue.

Néanmoins, pour expliquer la sortie des chrétiens de la synagogue, bien que cette
rupture puisse ainsi sembler comme inscrite dans la logique et dans la nature des choses, il ne
faut pas sous-estimer le fait que les relations entre les Juifs et ceux qui embrassaient la
nouvelle foi s’étaient fortement détériorées. Sur le plan purement historique, on peut constater
l’hostilité ouverte de l’opinion juive contre les chrétiens, désignés comme nezorim, terme
qu’on traduit usuellement par « nazaréens », originaires de Nazareth, d’où venaient aussi bien
Jésus que ses premiers disciples. En effet, on sait qu’à partir de la dernière décennie du Ier
siècle, se récitait, intégrée comme la douzième demande de la prière liturgique dite « des dix-

42
Ac 2, 46.
43
V. aussi, LORET, Pierre, op.cit., p.27.
44
BAUMGARTNER, Mireille, L’Eglise en Occident – des origines au XVIe siècle, Paris, PUF, 1999, p. 11.
37

huit bénédictions », une prière contre les hérétiques, au premier rang les nazaréens, considérés
avec d’autres sectaires comme des apostats : « … Que les nazaréens (noserim) et les sectaires
(minim) périssent en un instant. Efface-les du livre de vie et qu’ils ne soient pas inscrits avec
les justes. Loué sois-tu Seigneur, qui soumets les arrogants ». C’est un climat que confirme
saint Justin qui rapporte que « dans les synagogues les croyants en Christ et même le Crucifié
sont l’objet de malédictions »45. Rien que ces malédictions suffisaient à pousser les chrétiens à
déserter de la synagogue pour ne pas participer ou assister à leur malédiction. Par ailleurs
excédés par cette doctrine différente, les Juifs ont chassé les prédicateurs chrétiens des
synagogues, une mésaventure que connut Paul de la part des responsables des synagogues
locales ; d’ailleurs, certains auteurs privilégient cette dernière explication, ainsi Pierre Loret
qui estime que « la décision de rompre [avec la liturgie juive] ne semble pas être venue d’eux
[des chrétiens]. Elle leur est comme imposée par les responsables juifs, qui arrêtent les
apôtres, les maltraitent et lapident Etienne »46.

En tout état de cause, sans doute facilitée par ce faisceau de raisons, la pratique devint
dorénavant systématique, de se réunir dans des maisons particulières ; comme à Corinthe où
Paul, obligé de quitter les synagogues devant l’hostilité et l’opposition des Juifs, organisera
dorénavant l’assemblée « chez un certain Justus, homme adorant Dieu, dont la maison était
contiguë à la synagogue »47. Comme à Troas où l’assemblée pour rompre le pain avait eu lieu
dans une maison particulière, « dans la chambre haute » où « il y avait bon nombre de
lampes », c’est l’épisode de cette assemblée qui se prolongea tard dans la nuit et où un jeune
homme endormi tomba de l’étage et fut ranimé par l’apôtre48. Ou, encore, le cas qu’indique le
récit d’une « assemblée assez nombreuse [qui] s’était réunie et priait » « chez Marie, mère de
Jean, surnommé Marc »49 ; cette Marie devait être de ces quelques frères et sœurs « les plus
fortunés [qui] mettaient à la disposition de l’Eglise une pièce de leur habitation qui tendait,
selon les possibilités, à être réservée à cet usage »50. Le cas de cette Marie est à rapprocher de
celui de Philémon, destinataire d’une épître de Paul, que ce dernier désigne comme un
propriétaire et à qui il adresse des salutations pour « l’Eglise qui s’assemble dans ta maison »,
voulant parler de l’Eglise de Colosse51. Par ailleurs, Marie ne semble pas avoir été la seule
femme à avoir abrité une « maison-église » ; on peut citer, en plus d’elle, Lydie, de Philippes

45
MARGUERAT, Daniel, « Juifs et Chrétiens : la séparation », in J-M MAYEUR, Ch. Et L. PIETRI, A.
VAUCHEZ et M. VENARD (Dir.), Histoire du Christianisme, 1, Le Nouveau Peuple, pp. 215-217.
46
LORET, Pierre, op. cit., p.24.
47
Ac 18, 6-8.
48
Ac 20, 7 et 8.
49
Ac 12, 12.
50
CABIE, Robert, op. cit., p.21, et dans ce sens, LORET, Pierre, op.cit., p.27.
51
Plm, 1 et 2.
38

en Macédoine qui, baptisée avec sa famille par Paul, l’accueillit avec les frères chez-elle et
c’est chez-elle qu’après leur libération, Paul et Silas allèrent et « revirent les frères et les
exhortèrent »52 ; on peut également citer Prisca qui, avec son mari Aquillas, réunissait une
communauté à Ephèse, ou encore Nympha, de Laodicée, que nous trouvons dans les Actes
des Apôtres lorsque Paul dit « Saluez les frères de Laodicée, avec Nympha et l’Eglise qui
s’assemble dans sa maison »53. Un cas assez significatif et autrement plaisant est celui que
rapporte Pline-le-Jeune, signalant à Trajan « l’existence en Bithynie, vers 110, d’une
communauté chrétienne, dirigée par deux esclaves-femmes. » et lui disant « qu’il a, selon son
ordre, soumis à la torture ces deux femmes, ‘ministres’’ (diakonoi) de cette ‘’secte’’ pour
s’enquérir sur elle »54.

Daniel-Rops, sur la foi des résultats de recherches archéologiques, cite, dans son
monumental Histoire de l’Eglise du Christ, tome I consacré à « L’Eglise des Apôtres et des
Martyrs », les cas de « ces fidèles riches » qui mettent leur demeure « à la disposition de la
communauté », citant les familles révélées par les fouilles sous maintes églises de Rome, les
Prisca, Cécile, Pudens, Clément, etc. ou les vestiges de ce genre d’habitations découverts sous
les fondations des basiliques55. C’est que les premières communautés, indépendamment
même des circonstances de la persécution, étaient peu regardantes quant au lieu du culte et ne
disposaient pas de lieu spécifique ; Clément d’Alexandrie expliquait, en justifiant cet état de
choses, qu’ « Il n’est pas bon et juste que nous limitions l’Insaisissable à un lieu et que nous
voulions renfermer Celui qui contient tous les êtres en des sanctuaires faits de main
d’homme »56. Plus tard, certaines communautés avaient les moyens d’acheter des maisons
qu’elles aménageaient pour y tenir régulièrement leur assemblée liturgique. L’exégète
Hyppolite, que des spécialistes distinguent du prêtre romain de la Tradition apostolique, parle
des maisons de culte qui sont l’objet d’attaques haineuses de la part des juifs et des païens
pendant que les fidèles y sont réunis57.

On commença par appeler ces maisons « domus Dei » ou, encore, « domus ecclesiae »,
cette dernière expression pouvant désigner la maison de l’assemblée. En réalité, le terme

52
Ac 16, 13-15 et 38-40.
53
Col 4, 15.
54
TUNC, Suzanne, Des femmes aussi suivaient Jésus, Essai d’interprétation de quelques versets des évangiles,
Paris, Desclée de Brouwer, 1998, pp. 110.
55
DANIEL-ROPS, Histoire de l’Eglise du Christ, tome I L’Eglise des Apôtres et des Martyrs, Paris, Ed. Fayard,
1951, p. 251.
56
Cité par SAXER, Victor, « Culte et liturgie », in J-M. MAYEUR, Ch. Et L. PIETRI, A. VAUCHEZ et M.
VENARD, Histoire du christianisme, T 2, Le Nouveau peuple, Paris, Desclée, p. 439.
57
SAXER, Victor, op.cit., p. 40.
39

« ekklesia », « église », sera utilisé pour désigner, par assimilation, tout lieu où se tenait une
telle assemblée, y compris les « maisons-églises », ce n’est qu’à partir de la fin du IIIe siècle
que des édifices construits spécialement pour abriter l’ « église » et le culte vont se
généraliser58, d’abord en forme de « basiliques » à l’instar des basiliques impériales où les
magistrats ou même, à l’occasion, l’empereur, tenaient audience. Ce rapprochement avec les
édifices du service public impérial que sont les basiliques explique peut-être pourquoi, devant
s’adapter aux vastes dimensions des basiliques, le culte chrétien empruntera quelques-uns des
aspects de son expression au protocole de cour ou de la magistrature59, en particulier après la
conversion de Constantin, abandonnant la simplicité au profit d’une plus grande solennité60
(on en reparlera plus loin).

L’accroissement du nombre des fidèles pousse à la construction de nouvelles


basiliques et autres églises de quartier (appelées à Rome tituli (c’est-à-dire « titres ») ainsi que
des églises de paroisses rurales alors que, avant, dans les milieux ruraux, les messes avaient
souvent lieu dans des exploitations agricoles. La multiplication des lieux de culte va avoir une
autre conséquence, en démultipliant les assemblées liturgiques dominicales ; alors que le
principe était celui d’une seule messe dominicale autour de l’évêque, la dispersion des lieux
de culte et l’augmentation du nombre des participants qui lui est concomitante vont faire
admettre que plusieurs assemblées aient lieu ce même jour à des endroits différents, les
chrétiens gardant la conscience que, malgré cela, ils forment une unique assemblée61.

Sur cette question du lieu de culte, certains auteurs confirment ce qui s’est souvent
raconté sur les catacombes comme lieu de célébration des chrétiens. Daniel-Rops, décrit, dans
tout un chapitre, « la vie chrétienne aux catacombes », où il affirme que « à maintes reprises
les Catacombes servirent d’asiles momentanés à l’Eglise » et, « de façon plus permanente,
elles assurèrent au culte chrétien un abri ». Une affirmation qu’atténuent à peine quelques
précautions de style de l’auteur quand, prudemment, il ajoute qu’il « serait absurde d’en faire
le seul cadre de l’existence des chrétiens des premiers siècles » ou que « c’est de façon
exceptionnelle, lorsqu’il s’agit de commémorer un martyr ou, en temps de persécution, quand
il est indispensable de se cacher »62. D’autres estiment qu’il s’agit là d’une pure légende,
expliquant que les Catacombes, ces cimetières publics, n’étaient certainement pas l’endroit le

58
On signale cependant que déjà au IIe siècle, quelques églises existaient à Rome, Alexandrie, Antioche, aussi
bien qu’en Syrie et en Palestine bien avant Constantin.
59
CABIE, Robert, op.cit., p. 23.
60
NOCENT, Adrien, op.cit., p.59.
61
CABIE, Robert, op.cit., pp. 26-28.
62
DANIEL-ROPS, op.cit., pp. 226-287, spécialement pp. 228 et 251.
40

mieux indiqué pour se cacher des persécuteurs, tout en reconnaissant qu’on y a célébré
l’eucharistie uniquement pour l’anniversaire de la mort des défunts sur les tombes desquels on
priait 63. Peut-être sont-ce ces célébrations dont on voit les détails sur les murs des Catacombes
et dont Daniel-Rops donne une description très détaillée.

I.I.I.3.2. Le jour de l’assemblée liturgique

Les chrétiens vont se démarquer des Juifs sur un autre point, celui concernant le jour
de rassemblement, abandonnant le samedi qui correspond au sabbat juif au profit du
dimanche, le « jour du Seigneur ». le dictionnaire de la théologie catholique indique que « La
date exacte de cette substitution ne peut être précisée. Toutefois, il est indiscutable qu’au
temps où fut écrite la première Epître aux Corinthiens et au temps de la rédaction des Actes
des apôtres, les réunions liturgiques chrétiennes se tenaient le premier jour de la semaine ou
le dimanche »64. On en trouve un témoignage dans les Actes des Apôtres où le narrateur
précise : « Le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain » (Ac 20, 7).
Ce « dimanche » (jour du Seigneur) tombait le premier jour de la semaine juive, c’est-à-dire
après le sabbat, correspondant au jour où, selon tous les quatre évangiles65, Jésus apparut aux
siens après sa résurrection. Pour des commentateurs, ce premier jour que les chrétiens fêtaient
comme « jour du Seigneur » commençait le soir après le sabbat ; on voit ainsi les chrétiens se
démarquer du judaïsme en organisant leur liturgie non en même temps que le sabbat mais le
« jour » d’après, notamment en ce qui concerne l’eucharistie66. Certains reprennent, pour
confirmer ce choix du « jour du Seigneur » et même la périodicité hebdomadaire des
célébrations, d’abord le « jour qui rappelle la résurrection du Seigneur », ce qui met la
célébration eucharistique au centre de l’assemblée chrétienne67, mais aussi les récits bibliques
du premier repas que Jésus le soir de ce premier jour après sa résurrection avec ses disciples
au Cénacle (sans Thomas), tandis qu’il en prit un autre huit jours plus tard (avec Thomas cette
fois)68. En tout cas, l’usage en était devenu et est resté certain. D’une part, on peut croire qu’à
la suite des apôtres qui avaient inauguré cette pratique, les successeurs organisèrent les
assemblées liturgiques le dimanche ; c’est ce que confirment, certains documents du IIe siècle
que nous allons ici citer. D’abord, la Didachè, La doctrine du Seigneur enseignée aux nations

63
Dans ce sens, Robert CABIE, op.cit., p.21.
64
Dictionnaire de théologie catholique, article « Dimanche », par Emile, DUBLANCHY.
65
Mt 28,1 ; Mc 16, 2 ; Lc 24, 1 ; Jn 20, 1.
66
GRELOT, Pierre, op.cit., p.27.
67
GRELOT, Pierre, ibid.
68
LORET, Pierre, op.cit., pp. 28-29.
41

par l’intermédiaire des apôtres69, conseille : « XIV, 1. Réunissez-vous le jour dominical du


Seigneur, rompez le pain et rendez grâces… ». Ensuite, la lettre d’un auteur païen, Pline-le-Jeune,
représentant de l’empereur Trajan pour la province de Bithynie : dans sa lettre du début du
siècle (vers 111) pour lui rendre compte de l’évolution de la persécution des chrétiens dans sa
province, il disait que ces chrétiens « se réunissent habituellement à jour fixe » ; dans la
mesure où il était indifférent au païen qu’était Pline-le-Jeune que ce jour fixe fût pour les
chrétiens le « jour dominical » (jour du Seigneur), on ne peut penser qu’au dimanche. Enfin,
un écrit chrétien, de saint Justin qui, dans sa Première Apologie à l’empereur Antonin (vers
150), renseigne que c’est « le jour du soleil » qu’avait lieu le rassemblement de tous en un
« même endroit », précisant que « Si nous nous rassemblons le jour du soleil, c’est parce que
ce jour est celui où Dieu, tirant la matière des ténèbres, commença à créer le monde, et aussi
celui où Jésus-Christ notre Sauveur ressuscita d’entre les morts; … » 70. Ce déplacement de la
pâque juive, se déroulant le 14 du Nizan, n’importe quel jour de la semaine et
indépendamment du shabbat, au dimanche, jour de la résurrection du Christ, est sans doute,
selon P-M Gy, une des antithèses du judaïsme réalisées par le christianisme. En effet, si au IIe
siècle encore, les chrétiens d’Asie Mineure fêtent Pâques le quatorzième jour du mois de
nizan, indépendamment de la célébration hebdomadaire du dimanche, à Rome, dès cette
époque, on fusionne les deux célébrations y compris dans leur sens chrétien insistant sur le
Christ mort et ressuscité71.

Cependant, on allait assez vite organiser des célébrations à d’autres jours de la


semaine. Dès la fin du IIe siècle et la survenance des premiers martyrs, on offrait
l’eucharistie, par exception, un jour ordinaire, quand on commémorait sur sa tombe le jour de
la mort d’un martyr, tandis qu’à partir du IVe siècle se multiplient des célébrations en
semaine mais jamais, sauf dans l’église d’Hippone de saint Augustin, quotidiennement. On
verra se multiplier des messes du samedi, notamment en Orient, tout en prenant soin d’éviter
toute confusion avec le sabbat72. Ce n’est que bien plus tard que va apparaître la coutume non
seulement de célébrations eucharistiques en dehors du dimanche mais aussi celle de la messe
quotidienne.

69
Nous reproduisons plus-bas un extrait de la Didachè, selon la traduction et les notes d’A.-G. Hamman, Ichtus
I, 1957, pp. 117-119 et 121, et http://www.migne.fr/didache.htm
70
Saint JUSTIN, La Première Apologie adressée à l’empereur Antonin, § 67.
71
GY, Pierre-Marie, « L’inculturation dans la liturgie romaine ancienne », Médiations africaines du sacré –
Célébrations créatrices et langage religieux, Actes du IIIe Colloque internationale du CERA, Kinshasa 16-22
février 1986, N° spécial Cahiers des Religions Africaines, Vol. XX-XXI, n. 39-42, 1986-1987, Faculté de
Théologie Catholique de Kinshasa, 1987, p.475.
72
CABIE, Robert, op.cit., pp. 27 et 28.
42

I.I.I.3.3. Le contenu de la liturgie de la Parole

Dans leurs propres célébrations, les chrétiens transposèrent, pour l’essentiel, le


rituel juif, en particulier en ce que l’assemblée était un lieu où était proclamée la Parole de
Dieu, notamment par la lecture de la Loi et des Prophètes. L’assemblée chrétienne adopta, elle
aussi, tout naturellement, cette activité et on institua la liturgie de la Parole. Nous avons déjà
dit qu’on ne trouve pas toujours dans les Ecritures de description détaillée du déroulement
d’une assemblée d’église ; mais, s’agissant de la lecture des Ecritures, il n’existait pas encore
d’écrits chrétiens où était consigné le contenu de la nouvelle foi, les premières communautés
lisaient les « écrits des Prophètes », car « le Livre saint des Juifs sera également celui des
premières générations chrétiennes »73, qu’elles complèteront par ce que sera le Nouveau
Testament, d’abord par l’intermédiaire de témoignages oraux auxquels s’ajouteront les
premiers cahiers écrits sur les « Mémoires des Apôtres ». Ce corpus va ensuite s’enrichir de
ce que seront les évangiles et les épîtres apostoliques ; c’est ce « Nouveau Testament » et les
« écrits des Prophètes » que les Chrétiens appelleront « Ancien Testament », intégré par Jésus
lui-même dans le plan du salut comme annonçant son avènement, qui vont constituer la bible
chrétienne.

Les témoignages oraux s’imposaient et avaient une grande importance à cette époque
où nombre des apôtres et de disciples et autres témoins oculaires vivaient encore ou lorsque
vivaient encore ceux qui les avaient côtoyés ou rencontrés. Nous avons une évocation de ces
témoignages oraux dans l’épisode de Paul entouré par les chrétiens de Troas : « Le premier
jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain ; Paul, qui devait partir le
lendemain, s’entretenait avec eux. Il prolongea son discours jusqu’au milieu de la nuit »
(souligné par moi)74, confirmant l’énoncé initial par lequel l’auteur des Actes des Apôtres
résume la vie des communautés chrétiennes primitives « Ils se montraient assidus à
l’enseignement des Apôtres »75. Venait ensuite, comme dans le judaïsme, le discours fait par
le « président » de l’assemblée, par l’explication de la Parole lue et l’exhortation qui
recommande aux fidèles de mettre en pratique la parole entendue ; c’est l’homélie ou le
sermon actuels. Comme pour la fixation des différents rites eux-mêmes, dans la proclamation
de la Parole, la tradition orale allait s’amenuiser avec la nécessité de consigner par écrit à
mesure que les témoins directs disparaissaient et que la foi chrétienne pénétrait des
communautés juives de la diaspora dispersées loin de Palestine. L’écrit ne sera en réalité

73
BAUMGARTNER, Mireille, L’Eglise en Occident – Des origines au XVIe siècle, Paris, PUF, 1999, p. 12.
74
Ac 20, 7.
75
Ac 2, 42.
43

qu’un « auxiliaire de la mémoire vive », aux prédicateurs comme « aide-mémoire pour assurer
leur fidélité globale de leur prédication »76, alors apparurent des petits livrets qui se sont
transmis de communauté en communauté et les « Mémoires des apôtres » commencèrent ainsi
à être lus et non pas seulement dits ou racontés, complétés par les lettres que des apôtres
envoient soit à des personnes bien déterminées soit à des églises locales, des communautés se
passeront d’ailleurs certaines de ces lettres apostoliques (épîtres). Ces lectures, comme celles
des assemblées juives et des différentes fraternités pieuses de la période de Jésus (par exemple
les Esséniens) qui rappelaient tout ce que l’Eternel avait fait pour la rédemption de son
peuple, remémoraient le plan du salut, reprenant tout ce qui était dit dans les Prophètes sur
Jésus, jusqu’à sa Passion, sa mort et sa résurrection. D’ailleurs, lors de la Cène ou encore avec
les « disciples d’Emmaüs », Jésus lui-même n’avait-il pas fait de même, expliquant qu’allait
se réaliser tout ce qui était écrit de lui, avant de rompre le pain avec les disciples ?

Ainsi, de la même manière que chez les Juifs, la liturgie de la Parole, placée en
première partie de l’assemblée liturgique chrétienne, se présentait comme une préface
nécessaire au partage du pain et du vin77. On peut confirmer que, après avoir été expulsés de
la synagogue, les apôtres ont naturellement, à l’évidence, tout naturellement repris la liturgie
de la Parole qu’ils pratiquaient dans le cadre du service synagogal78 et, comme l’écrit A.
Nocent, « L’assemblée chrétienne primitive transpose le schème [de la liturgie sabbatique du
matin] à son usage »79.

C’est sans doute le lieu de juste signaler, sans plus pour le moment, que si au cours des
assemblées les apôtres continuèrent d’utiliser, à la suite de Jésus, la langue araméenne, qu’ils
parlaient d’ailleurs eux-mêmes, les chrétiens non juifs utilisèrent leur propre langue, en
particulier le grec pour les Grecs ; Pierre Loret signale que cette substitution ne souleva ni
étonnement ni objection pour personne, parce qu’elle « allait de soi »80. Cet usage participe de
la nécessaire intelligibilité du rite ou de la liturgie pour le plus grand nombre ; une question
qui reviendra dans la suite de ce travail.

76
GRELOT, Pierre, op.cit., pp. 33-34.
77
Cette coïncidence entre les pratiques juive et chrétienne plaçant les lectures au début de la réunion existait
encore du temps des Apôtres, Pierre Loret indique que c’est plus tard que les lectures juives seront reportées vers
la fin de la liturgie ; op.cit., p. 33.
78
BOUYER, Louis, Eucharistie, Paris, Desclée, 1966, pp. 52-93.
79
NOCENT, Adrien, op.cit., p. 58.
80
LORET, Pierre, op.cit., p.29.
44

I.I.II Les origines et la filiation juives : la liturgie eucharistique (Berakah et


Eucharistie, Birkat ha-Mazon et Prière eucharistique)

Selon un certain nombre de liturgistes, les mêmes qui ont découvert la filiation juive
des assemblées liturgiques chrétiennes81, l’eucharistie dériverait en droite ligne de la berakah
juive (bénédiction, exprimée par le « Béni sois-tu » qui est souvent en tête des grandes prières
juives), tandis que la prière eucharistique serait l’équivalent de la Birkat ha-Mazon juive, cette
grande prière d’action de grâces que les Juifs adressent à Dieu en particulier lors des repas de
communauté dirigés par le chef de famille.

I.I.II.1 Le modèle inspirateur

Ainsi, tout en découlant de la pratique juive, le contenu le plus important de cette


partie du culte chrétien se trouverait moins dans le culte de la synagogue que dans le rite du
repas qui s’accomplit autour de la promesse faite par Dieu à son peuple de l’entrée dans la
terre promise « où coulent le lait et le miel ». C’est là, en effet, qu’après le repas se dit l’action
de grâce, c’est-à-dire la prière eucharistique, la plus complète, la Birkat ha-Mazon, dans
laquelle les Juifs reconnaissent ainsi que la nourriture et la boisson sont, non pas uniquement
des produits de la nature, mais des dons de Dieu. Cette première explication, empruntée ici
notamment à Louis Bouyer82, pourrait convenir, tellement elle semble logique et
caractéristique de la relation connue du peuple juif à son Dieu d’où il découle que l’histoire de
ce peuple a marqué pour toutes les générations futures ce moment où Dieu le sortit d’Egypte
(de l’esclavage) tout comme celui où, entré enfin sur la terre promise, il va jouir du lait et du
miel, de la nourriture et de la boisson. C’est d’autant plus vraisemblable que, selon les
Ecritures, Dieu, instituant la Pâque, avait prescrit de marquer par un signe ce moment
d’annonce de cette institution, et de commémorer, plus tard de génération en génération et à
perpétuité, la libération du peuple par ce repas spécial qu’est le repas pascal83. L’eucharistie
juive, cœur de la liturgie, vient de cet important événement de la vie d’Israël, tandis que la
Pâque va être insérée dans l’assemblée du peuple inaugurée dans le Sinaï après la sortie

81
Citons, entre autres francophones, Jean-Paul Audet qui a publié une «Esquisse historique du genre littéraire de
la bénédiction juive et de l’eucharistie chrétienne », Revue Biblique 65, 1958, pp. 371-399, Bernard Botte, Louis
Bouyer, Adrien Nocent, Robert Cabié, et le théologien et liturgiste François Kabasele Lumbala, cités par ailleurs,
mais aussi le germanique Odon Casel.
82
BOUYER, Louis, La vie de la liturgie, op.cit., pp. 152 et 153.
83
Ex 12, 1 à 14.
45

d’Egypte et au cours de laquelle Moïse transmit au peuple la Parole de Dieu avant que ce
dernier ne se manifeste à travers ce que la Bible de Jérusalem appelle « Théophanie »84.

Quelle que soit la valeur historique ou le degré d’historicité que l’on veuille accorder à
ce récit, il suffit de constater que c’est là-dessus que tout un peuple a fondé toute sa croyance
et organisé sa vie et son histoire, ciment de sa nation ; en tout cas, c’est de là que nous vient
cette forme d’assemblée prise par les liturgistes unanimes pour le modèle de l’ekklesia et son
contenu pour le modèle de l’eucharistie chrétienne. De fait, d’après Jean-Paul Audet suivi en
cela par beaucoup d’autres, la Birkat ha-Mazon se compose 1°) d’une berakah (bénédiction
proprement dite, plus ou moins stéréotypée et appel enthousiaste à la louange divine), 2°) de
l’annonce de ce pourquoi on dit la bénédiction, les merveilles de Dieu, et 3°) d’un retour à la
bénédiction exprimée sous forme de doxologie. C’est cette « bénédiction proprement dite »
qui, dans cette acception, se traduit par eucharistie, bénédiction étant synonyme d’eucharistie.
Sans le suivre dans le débat exégétique sur le sens sacrificiel de l’eucharistie, il y a lieu de
citer Charles Perrot qui distingue les différents repas juifs, le repas de famille, certains se
prenant même à la synagogue dans une salle à manger spéciale, le repas sabbatique pris avec
le poisson et le repas festifs (avec viandes et vins). Tous ces repas étaient accompagnés de
prières, une bénédiction sur le pain au début du repas lors de la fraction du pain, et chaque
repas se terminait par une autre bénédiction mais avec action de grâce et rappel des bienfaits
divins. Il estime que le récit des repas du Seigneur dans les Actes des apôtres montre bien que
c’est celui-ci qui « a visiblement constitué l’Eglise », ce qui « explique la désignation de ce
repas comme le repas sacrificiel, repas de la Nouvelle Pâque et comme repas du salut en
substitution des anciens sacrifices »85. Odon Casel, quant à lui, il affirme que « le
christianisme voulait non pas détruire l’ancien ordre de choses mais l’accomplir », et qu’ainsi
il prit, notamment pour ses prières, les leçons des liturgies existantes », juives et autres, et que
Jésus lui-même avait, « en ce qui concerne le culte, le premier donné l’exemple » en ce que sa
prière, après avoir donné rendu grâces, après avoir ‘’eucharistié’’ et donne « aux apôtres son
corps et son sang, c’est qu’alors sa prière se rattachait à l’action de grâce usitée dans tous les
repas juifs, particulièrement au festin de la Pâque »86.

Cependant, dans une étude plus récente que les publications des auteurs cités ci-
dessus, Thomas-Julian Talley met en doute cette thèse. En effet, tout en acquiesçant que « le
Bikat ha-Mazon fut la source d’inspiration qui donna le modèle de la prière eucharistique

84
Ex 19.
85
PERROT, Charles, Le repas du Seigneur, La Maison-Dieu, n° 123, 1975, pp. 33-36.
86
CASEL, Odon, Le Mémorial du Seigneur dans la liturgie de l’antiquité chrétienne, op.cit., p. 18.
46

primitive, « louange-action de grâce- supplication », cet auteur estime à propos des liturgies
juive et chrétienne, que « évaluer l’influence de l’une sur l’autre exige un genre de précision »
nécessaire qu’on n’a pas encore, pour lui, les ressemblances théologiques et thématiques
seules ne sauraient suffire ». Il ajoute, plus fermement, que « Non, berakah n’est pas
synonyme d’eucharistie ; nous pouvons espérer que des études ultérieures nous aideront à
comprendre le sens et les conséquences de ce fait… »87. Par rapport à cette opinion de
Thomas-Jullian Talley, si P-M Gy accepte que la berakah est une « bénédiction » tandis
qu’étymologiquement l’eucharistie est une « action de grâces », il établit sans hésitation un
lien entre les deux, l’eucharistie dérivant de la berakah. Il précise cependant que l’eucharistie
est une sorte d’antithèse chrétienne ou, plus exactement, de réinterprétation radicale
chrétienne, là où les Juifs, connaissant déjà Dieu, le bénissaient en le louant, les chrétiens,
reconnaissant le Fils, rendent grâces à Dieu pour le don du Fils qu’il a fait au monde ; là
réside la grande différence entre la berakah juivie et l’eucharistia chrétienne, dont on trouve
les fondements scripturaires, selon la Tradition apostolique d’Hippolithe, en Rom. 1, 2188

Qu’à cela ne tienne. Mais, dans l’exposé des témoignages et affirmations rapprochant
les liturgies juive et chrétienne, nous avons déjà vu que c’est uniquement dans le Temple
qu’au cours de la liturgie sacrificielle, les Juifs sacrifiaient les holocaustes dont une partie
était consumée sur l’autel de Dieu, l’autre restituée à celui qui avait offert pour qu’il en mange
avec les siens ; le sacrifice était ainsi en même temps un repas, un repas sacrificiel89 ; de telle
sorte que, lors de la Pâque juive ou chaque fois qu’était organisé le repas sacré, celui-ci avait
toujours un aspect de sacrifice. Répondant sans doute à certaines thèses qui, concernant
l’eucharistie, sont opposées au rapprochement entre eucharistie et repas, Philippe Béguérie
précise que « La liturgie du Deutéronome pourrait aider les chrétiens d’aujourd’hui à
retrouver une notion de sacrifice plus large… Cela résoudrait les fausses oppositions… On
oppose, par exemple, repas et sacrifice. On entend dire : «Si nous redonnons trop à
l’Eucharistie son sens de repas nous risquons d’oblitérer celui de sacrifice». C’est une fausse
opposition. Dans la Bible, certains repas sont des sacrifices. La prière eucharistique n’est pas

87
TALLEY, Thomas-Julian, « De la “Berakah” à l’Eucharistie, une question à réexaminer », La Maison-Dieu,
125, 1976, pp. 11-37.
88
GY, Pierre-Marie, « L’inculturation dans la liturgie romaine ancienne », in Médiations africaines du sacré,
Célébrations créatrices et langage religieux, Actes du IIIe Colloque international du CERA, Kinshasa 16-22
février 1986, N° spécial Cahiers des Religions Africaines Vol. XX-XXI 1986-1987, Faculté de théologie de
Kinshasa, 1987, p. 475.
89
LORET, Pierre, op. cit., pp. 35-36.
47

une simple bénédiction qui accompagne un repas, elle est un vrai sacrifice, elle fait du repas
un sacrifice, elle nous vient de la todah juive »90.

Avant le repas, c’est-à-dire la fraction du pain, des prières de bénédictions étaient dites
sur les aliments, qui étaient ainsi sanctifiés, le repas était suivi de grandes prières d’action de
grâces ou prière eucharistique, qui, en plus du banal merci à Dieu non seulement pour la sortie
d’Egypte, qui est au centre des promesses et des alliances successives de l’Eternel avec son
peuple, consistaient aussi en une commémoration de tous les biens dont il lui a fait don en
l’installant sur la terre promise, réalisation des promesses faites et gage d’autres bienfaits à
venir91. Il a déjà été dit que dans le service synagogal tel qu’il était réorganisé à partir de
l’exil, c’est-à-dire sans le sacrifice, le peuple rendait, dans une vibrante louange, une action de
grâces rappelant les hauts faits de Dieu. Plus généralement, le rituel des repas religieux ou
repas sacrés, ceux organisés et présidés à la Pâque ou lors de toute fête religieuse par les chefs
des familles pieuses, non seulement fondait l’unité d’une famille biologique mais aussi
consacrait une famille spirituelle92.

Le repas commençait obligatoirement par la prière du chef de famille pour remercier


Dieu pour ce don, en même temps qu’il bénissait, pour les sanctifier, la boisson et les aliments
L’une de ces bénédictions juives est à retenir particulièrement, car, c’est elle qui aurait
directement inspiré le rite chrétien qui introduit la liturgie eucharistique ; commençant par la
coupe de vin, le père de famille officiant disait « Bénis sois-tu, O Seigneur notre Dieu, roi de
toute éternité, qui as créé le fruit de la vigne », ensuite lors d’une solennelle fraction du pain,
il dit « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de toute éternité, qui as fait produire le pain de la
terre ». Le passage ci-après de cette prière en suivant l’ordre dans lequel elle était récitée dans
le rituel juif, inverse de l’ordre chrétien qui commence par le pain ; d’après Louis Bouyer, « le
repas de communauté [avec la fraction du pain] commençait », après plusieurs coupes de vin
et « lorsque les convives s’étaient lavé les mains avec de l’eau parfumée », affirmant que de
ce point de vue, le récit de l’institution de Luc, qui paraît si embarrassante aux exégètes
ignorants de la liturgie juive », est conforme au rituel juif93.

Déjà, cet exposé de la liturgie « eucharistique » juive a fait penser à ce à quoi les
chrétiens assistent quotidiennement dans leur propre célébration eucharistique ; déjà nous

90
BERGUERIE, Philippe, « Pédagogie de la prière chrétienne, in La prière eucharistique initiation à la prière
chrétienne », La Maison-Dieu, n° 125, 1976, p. 44.
91
BOUYER, Louis, op.cit., p. 43.
92
Ibid., pp. 155-156.
93
BOUYER, Louis, op.cit., pp. 156-157.
48

avons pu repérer les différents moments où, dans la dernière Cène, pourraient être situés les
instants importants de l’eucharistie et de « l’institution ». Il y a, d’abord, le déroulement de la
dernière Cène, conformément au rituel juif que, naturellement, Jésus a scrupuleusement suivi,
tout en inaugurant une nouvelle Pâque et une nouvelle alliance. C’est ce qu’affirme Jean-
Denis Chalufour : « c’est dans le cadre des cérémonies de la Pâque juive qu’il [Jésus) institua
ce sacrifice de la nouvelle et éternelle Alliance »94. Quant à Louis Bouyer, il confirme, à cet
effet, que « La célébration par Jésus de la Cène du Jeudi saint avec ses disciples semble avoir
été conforme à la pratique générale des autres rabbis avec leurs disciples »95.

I.I.II.2 L’eucharistie chrétienne

Si la première partie, préparatoire de la partie strictement eucharistique, qui se tenait le


matin, et cette dernière se succèdent aujourd’hui immédiatement lors de la célébration, au
début et jusqu’à l’époque de l’empereur Trajan (début du IIe siècle), le « banquet du
Seigneur », au cours duquel a lieu l’eucharistie, « était séparé de cette partie de la liturgie qui
ne comporte que des prières et des lectures et il avait lieu le soir, se calquant fidèlement sur la
dernière Cène du Christ », lié à l’agapè, le repas de charité, « dont il formait le couronnement
et la conclusion »96. D’ailleurs, lorsqu’il y eut cette jonction entre les deux parties, l’ensemble
de la célébration commença à se dérouler le matin.

Pour vérifier la conformité du déroulement de la célébration à la pratique juive, il est


bon de nous référer au récit que fait Luc qui, selon les spécialistes, soucieux de détails et
d’informations97, suggère le véritable déroulement de la dernière Cène comme repas sacré et
sacrificiel. Tandis que, si le récit de Paul dans la lettre aux Corinthiens se rapproche de celui
de Luc, les autres récits, celui de Marc ou de Matthieu, trop succincts ou laconiques, ne
s’embarrassent pas des détails du déroulement du repas, pour passer à l’essentiel, leur objet
étant avant tout l’instruction des fidèles qui, tous au départ, connaissaient parfaitement bien
les détails du rituel juif.

Il faut préciser à cet effet que selon Luc, Jésus prit une (première) coupe avec les mots
« Prenez ceci et partagez entre vous ; car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit
de la vigne jusqu’à ce que le Royaume de Dieu soit venu ». Au cours du repas, il prit le pain

94
CHALUFOUR (Dom), Jean-Denis, La Sainte Messe hier, aujourd’hui et demain, Association Perus a Stella-
Abbaye Notre-Dame de Fontgombault, 2000, p. 11.
95
BOUYER, Louis, op.cit., p.156.
96
CASEL, Odon, op.cit, p. 24.
97
Ainsi le jugent les traducteurs de la Bible de Jérusalem, édition déjà citée, sous introduction à l’évangile de
Luc.
49

pour le donner aux disciples en leur disant « Ceci est mon corps, livré pour vous. Vous ferez
cela en mémoire de moi. ». C’est lors d’une autre coupe, la dernière, « après le repas », dans
laquelle le vin est « mêlé d’eau » selon le rituel juif, que Jésus présentant ce vin à ses disciples
leur dit « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous »98, ou, selon
Marc, « Ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’alliance, répandu pour la multitude »
(Marc 14, 24-25).

Dans les célébrations ultérieures du « repas du Seigneur », l’eucharistie débute par le


rite d’offrandes lors duquel, comme dans le sacrifice du Temple où des Juifs (sans doute les
plus riches) offraient l’holocauste à sacrifier, les fidèles apportent du pain et du vin,
rassemblés par des diacres, qui sont à « eucharistier » en vue de la « fraction du pain » et le
partage de la « communion », le reste étant apporté par les diacres pour les absents, malades,
etc. C’est ce qu’estime P. Loret99, mais c’est également ce que décrit précisément l’Apologie
de Justin déjà évoquée, qui ajoute la collecte de ce que donnent «ceux qui sont riches et qui le
veulent », « chacun selon ce qu’il s’est lui-même imposé » ; ce dernier élément étant ainsi
l’origine de la « quête » faite au cours des célébrations chrétiennes actuelles (Voir un extrait
de l’Apologie en annexe).

A la fin du repas, clôturé par la dernière coupe de vin, l’officiant invitait les convives à
louer, par les mots « Rendons grâces », échangeant un dialogue laudatif avec eux ; ceci
introduisait la grande et solennelle prière « eucharistique »100 chantée par l’officiant, mêlant
louange et rappel du plan de Dieu, ses promesses, alliances et exploits, pour son peuple.

Par ailleurs, dans le service synagogal, tel qu’il se réorganisa pendant l’exil et la
« restauration » d’Esdras, on ne sacrifiait plus, à la place, on offrait une action de grâces forte
dans laquelle, dans la louange, était récité le mémorial de toute l’histoire de Dieu avec son
peuple, de nouveau consacré à Dieu, et exprimée l’espérance d’une intervention définitive de
Dieu parachevant son œuvre. Le modèle de cette action de grâces dans la louange nous est
donné par le récit d’un service rendu toute la journée sous Néhémie101, commençant tôt le
matin par le Sch’ma Israël (le célèbre « Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul
Seigneur, etc. ») prescrit par le Livre du Deutéronome102, suivi d’un dialogue introductif de la

98
Reproduit selon la traduction de Lc 22, 17-20 par la Bible de Jérusalem, Nouvelle édition revue, corrigée,
augmentée, Paris, Desclée de Brouwer, 2000.
99
LORET, Pierre, op.cit., p.30.
100
Ainsi qu’on l’a vu, en grec, eucharistia signifie justement action de grâce.
101
Ne 9, 5-37.
102
Dt 6, 4-13.
50

louange avant la grande action de grâces dite par le président de l’assemblée. Cette action de
grâces adressée à Dieu qui se révèle dans la nature et dans l’histoire du peuple choisi », est
clôturée par « la formule sainte » du Kedushah, le « trisagion » ou « les trois Saint »103. Casel
précise que « pour son action de grâce, le Christ utilisa donc… la bénédiction de la table »,
sans se refermer « strictement dans les limites du rituel juif ; mais pour répondre à la
nouveauté de son institution, il ajouta des paroles, des gestes et des actes nouveaux. Avant
tout, ce furent les paroles de l’institution eucharistique qui s’adjoignirent, comme quelque
chose d’entièrement nouveau, à la prière imitée du rituel juif »104.

Nous reproduisons ci-dessus ces importantes prières qui préfigurent et inspirent


directement la prière eucharistique chrétienne commençant par la « préface ».

Dialogue introductif de la prière d’action de grâce juive105

• Louez le Seigneur, digne de la souveraine louange !

• Loué soit le seigneur, digne de la souveraine louange, pour l’éternité.

• Nous allons réciter la bénédiction de la table.

• Béni soit le nom de l’Eternel d’éternité en éternité.

• Rendons grâces à notre Dieu qui nous nourrit.

• Loué soit notre Dieu qui nous nourrit, de qui la bonté nous fait subsister.

Le trisagion dans la Prière des dix-huit demandes106


Source : CASEL, p. 39

Le président :-Nous voulons sanctifier dans ce monde comme il est sanctifié dans les
hauteurs du ciel, ainsi qu’il est écrit par ton prophète : « Et ils se crient l’un à l’autre, disant :

Le président et l’assemblée :-Saint, Saint, Saint est Yahweh Sabaoth. Toute la terre est pleine
de sa magnificence.

Le président : -Tournés les uns vers les autres, ils disent :

103
LORET, Pierre, op.cit., p. 34.
104
CASEL, Odon, op.cit., p. 19.
105
D’après CASEL, Odon, Le mémorial du Seigneur, pp. 25-26.
106
CASEL, Odon, ibid., p. 39.
51

Le président et l’assemblée : -Bénis soit la gloire de Hayweh au lieu de sa demeure

Keduscha de Sidra Source : CASEL

Ses serviteurs se tiennent tous en ces régions supérieures et proclament bien haut avec
révérence les ordres du Dieu vivant qui régit le monde, tous aimés, tous élus, tous puissants.
Tous exécutent parfaitement dans un profond respect le commandement de leur Créateur et
tous dans la sainteté, ouvrant leur bouche consacrée pour le chant et les hymnes, louent et
exaltent, célèbrent et honorent, sanctifient et glorifient le nom du Tout-Puissant, du grand Roi
redoutable et qui a tout pouvoir – il est saint. Tous à leur rang particulier s’acquittent des
obligations du céleste royaume et s’excitent mutuellement à célébrer la sainteté de leur
Créateur avec une joie pleine de délices. Tous, unanimement, prononcent la formule sainte et
disent avec respect :

Saint, saint, saint est Yahweh Sabaoth.

Toute la terre est pleine de sa gloire

Les Ophannim et les saints Haiioth s’élèvent avec un grand tumulte vis-à-vis des séraphins
leur répondant pour dire à leur tour :

Bénie soit la gloire de Yahweh, au lieu de sa demeure.

Prière juive lors du service avec sacrifice ou repas

« Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, Roi éternel, Toi qui nourris le monde entier de Ta bonté,
de ta grâce, de Ta miséricorde et de Ta tendre compassion. Tu donnes à toute chair sa
nourriture, car Ta miséricorde dure à jamais. Par Ta grande bonté, l’aliment ne nous a jamais
fait défaut ; puisse-t-il ne jamais nous manquer, pour l’amour de Ton grand Nom, puisque Tu
entretiens et soutiens tous les êtres vivants, que Tu leur fais du bien à tous et que Tu procures
la nourriture à tout ce que Tu as créé. Béni sois-tu, Seigneur, qui donnes à tous leur
nourriture.

Nous Te rendons grâces, Seigneur, parce que Tu as donné en héritage, à nos pères une terre
vaste, bonne et désirable, et parce que Tu nous as tirés, Seigneur notre Dieu, du pays
d’Egypte, délivrés de la maison de servitude, aussi bien que pour Ton Alliance que Tu as
scellée dans notre chair, pour Ta loi que Tu nous as enseignée, Tes statuts que tu as fait
connaître, la vie, la grâce et la miséricorde que Tu as répandues sur nous, et pour l’aliment
par lequel Tu nous nourris et nous soutiens constamment, tous les jours, en tout temps et à
toute heure. Pour tout cela, Seigneur notre Dieu, nous Te rendons grâces et nous Te
bénissons, Béni soit Ton Nom par la bouche de tous les vivants, continuellement et à jamais,
selon qu’il est écrit : Tu mangeras et tu seras rassasié et tu béniras ton Dieu pour le bon pays
qu’Il t’a donné. Béni sois-tu, Seigneur, pour cette nourriture et pour ce pays.

Aie pitié Seigneur notre Dieu d’Israël Ton peuple, de Jérusalem Ta cité, de Sion la demeure
de Ta gloire, du royaume de la Maison de David Ton oint, et de la grande et sainte maison
52

qui a été appelée par Ton Nom. O Dieu, notre Père, nourris-nous, entretiens-nous, soutiens-
nous, supporte-nous, relève-nous et accorde-nous bientôt, Seigneur notre Dieu, un secours
dans tous nos malheurs. Nous T’en supplions, Seigneur notre Dieu, que nous n’ayons pas
besoin des dons des hommes ou de leurs aumônes, mais seulement de Ta main secourable,
laquelle est remplie, ouverte, sainte et généreuse, de sorte que nous ne soyons point honteux
ni confondus à jamais […] »

Prière juive du service sans sacrifice Source, Louis BOUYER, pp. 159-160

Président : Louez le Seigneur digne de toutes louanges

Peuple : Loué soit le Seigneur digne de toutes louanges à jamais

Président : Vraie et digne, fidèle et immuable, juste et véridique, aimable et agréable,


précieuse et délectable, digne de respect et magnifique, sûre et certaine, profitable et salutaire
est la promesse qui nous a été faite, maintenant et à jamais.

Ses ministres se tiennent tous dans les lieux très hauts et proclament à pleine voix, dans
l‘adoration, les ordres du Dieu vivant qui règne sur le monde. Tous aimés, tous élus, tous
puissants, tous exécutent parfaitement, dans un respect souverain, le commandement de leur
créateur, et tous, dans la sainteté, ouvrant leurs bouches consacrées pour le chant et les
hymnes, louent et exaltent, célèbrent et honorent, sanctifient et glorifient le Nom du tout
Puissant, du grand roi redoutable et qui peut tout :il est Saint ! Tous, chacun à son rang,
s’acquittent du service du royaume céleste et s’excitent mutuellement à célébrer la sainteté
de leur créateur dans une joie surabondante. Tous, unanimement, prononcent la formule
sainte et disent avec respect : Saint, Saint, Saint, le Seigneur Sabaoth ! Toute la terre est
pleine de sa gloire.

On ne s’attardera pas sur l’importance de l’institution dans les origines de l’eucharistie


chrétienne dont il a déjà question, il suffit juste d’ajouter que, tout en ayant sacrifié à un
devoir rituel de tout Juif, dans un rite authentiquement juif préexistant, Jésus a, en y intégrant
ces paroles et en ajoutant « Faites ceci en mémoire de moi », fait deux choses, d’abord il a
donné un sens nouveau au repas pascal juif et, ensuite, il institue ce que ses disciples devront
répéter dans l’avenir, c’est, pour tout le moins, un rite renouvelé107. Mais, les premières
communautés chrétiennes prirent pour modèle la façon dont Jésus avait agi, s’inspirant dans
un premier temps, avant d’être séparé comme nous l’avons vu, de la synagogue, des prières
juives qu’ils pratiquaient par ailleurs ainsi que des éléments des prières hellénistiques dites de

107
Nous avons voulu donner cette vision, partageant sur le plan historique, la réponse théologique que Louis
Bouyer donne à des exégètes « rationalistes » doutant que Jésus ait créé un nouveau rite pour l’avenir ; op.cit., p.
157.
53

louange et d’action de grâce que les Grecs appelaient eucharistia (justement, action de
grâces), en les adaptant à leur esprit chrétien et à la nouvelle liturgie108.

A l’instar de la liturgie juive, la liturgie chrétienne fait encadrer les paroles dites au
cours du « repas » par des prières de louange, de bénédictions et d’action de grâces : la
Préface qui, tout en précédant l’institution et la consécration, est partie intégrante de
l’eucharistie, tandis que l’institution est suivie par des sortes de « litanies » qui sont, elles
aussi, partie intégrante de l’eucharistie. Ce sont ces prières post consécration qui conduisent à
la « fraction du pain » proprement dite et à la communion, participation de chacun aux
aliments et à la boisson sacrés. Ces aliments et cette boisson sont, dans ce contexte spécifique,
les saintes « espèces » préalablement « eucharistiées », c’est-à-dire consacrées par la prière
eucharistique.

Il convient, avant de terminer cette présentation de la genèse des différents gestes,


mots et rites de la liturgie, de s’arrêter sur une des questions qui feront plus tard susciter des
controverses, en particulier de la part des églises séparées, mais aussi, au nom de
l’inculturation, par les églises des contrées extérieures à l’ère culturelle et naturelle du
pourtour de la Méditerranée : c’est la question de la nature des « espèces », pain et vin, devant
servir à l’eucharistie. Lors de la Pâque juive, que Jésus était justement en train de fêter avec
ses disciples, les coutumes juives prescrivaient l’usage du pain azyme, sans levain, selon le
commandement de Dieu lorsqu’il restaura la Pâque109, avec la délivrance d’Israël : «Cette
nuit-là, on mangera la chair rôtie au feu, on la mangera avec des azymes… »110 ; Moïse
répétera cet ordre : « Souvenez-vous de ce jour, celui où vous êtes sortis d’Egypte, …on ne
mangera pas de pain levé »111. Sans doute, Jésus, qui alors fêtait la Pâque avec ses disciples,
a-t-il utilisé du pain azyme ; mais, il faut préciser que l’usage du pain azyme n’était
obligatoire que pour le repas pascal, et par ailleurs, au cours des premiers siècles, le pain à
« eucharistier » était pris dans les corbeilles du pain apporté de leur ménage par les fidèles, de
telle sorte que, même si le Nouveau Testament ne le précise pas, le pain ordinairement
employé pour l’eucharistie était plus souvent du pain ordinaire que de l’azyme. Quant au vin,
rien n’indique, dans les extraits de l’Ancien Testament que nous avons cités, ni dans les
descriptions de la pratique ultérieure, que ce vin eût dû être du vin fermenté ou non (du pur
108
CASEL, Odon, op.cit., p. 20.
109
Restauration parce qu’en effet, la pâque existait comme une fête païenne, en tout cas d’origine pré-
israëlienne, la sortie d’Egypte ayant pu avoir lieu au moment de cette fête, elle lui donna par cette coïncidence
« une signification nouvelle exprimant l’intervention décisive de Dieu sauvant son peuple », Bible de Jérusalem,
note sous Ex 12, 1-13.
110
Ex 12, 8.
111
Ex 13, 3.
54

jus par exemple), même si Jésus, comme tout le monde au cours des repas, avait dû utiliser du
vin de vigne et que, ailleurs, il dit à ses disciples qu’il ne boira plus avec eux de la vigne. En
tout état de cause, sans encore soulever ici le débat provoqué par les pratiques ou par les
simples propositions d’adaptation faites plus tard par des jeunes églises (v. plus loin deuxième
partie, chapitre), on voit bien qu’il n’existe aucune objection de principe, sauf des
prescriptions canoniques, que le pain, par exemple, puisse être remplacé par d’autres aliments
locaux.

Mais, sur ce point, un élément important sépare le judaïsme du christianisme. Les Juifs
fêtaient la Pâque en mangeant, outre ce pain sans levain et le vin, de l’agneau et des herbes
amères, qui rappelaient la servitude en Egypte, P-M Gy rappelle que, selon la Tradition
Apostolique d’Hippolithe, la nuit de leur baptême, les néophytes recevaient, entre la
communion au pain et la communion au vin, du lait et du miel, « l’exacte antithèse des herbes
amères », car « pour les Juifs la Pâque rappelait la sortie d’Egypte, pour les chrétiens elle est
sacramentellement l’entrée dans la terre promise », l’agneau pascal remplacé par le pain et le
vin sacramentels, chair et sang du Christ112.

***

Ainsi se termine l’élément le plus important de la liturgie eucharistique chrétienne, le


moment fort de la « Messe » ; tous ces éléments de la liturgie chrétienne postérieure au Christ
vont se maintenir, tout en évoluant dans leur forme. On y remarque, à l’origine, l’importance
du « repas », telle que la célébration elle-même sera appelée « repas du Seigneur », ou
« Fraction du pain », tandis que ce n’est qu’au IIe siècle que l’expression « fraction du pain »
est remplacée par le terme « eucharistie » (utilisée justement à cette époque par l’Apologie de
Justin et par la Tradition apostolique), le terme « sacrifice » ou « saint sacrifice » prenant le
dessus à partir du IIIe siècle et surtout après l’exposé théologique d’Augustin d’Hippone) et,
enfin, à partir du Ve siècle dans l’Eglise latine va s’imposer « missa » qui se généralisera dans
toutes les langues de cette obédience113.

Il est, à présent, temps de découvrir comment, à partir de cet événement historique


présenté par les livres chrétiens, l’institution, s’est formé le rituel plus complet de la messe en
même temps qu’évoluait, par des développements ultérieurs, cette forme initiale de la liturgie
eucharistique chrétienne. Ces messes des Apôtres et de leurs successeurs, dans ces premiers

112
GY, Pierre-Marie, « L’inculturation dans la liturgie romaine ancienne », loc.cit., pp. 474-475.
113
Nature de la Messe, http://cybercure.cef.fr
55

temps du christianisme, ne suivaient pas des livres ou des prières fixes ; on peut comprendre
dès lors qu’avant que n’apparaissent les premiers écrits, on connut une période de
tâtonnements et d’improvisations qui, çà et là, ont fixé des formules dans une diversité
régionale et culturelle dont, selon dom Bernard Botte, les « pères apostoliques » se réjouirent
parce qu’ « elle ne souligne que mieux la force de l’unanimité des Eglises dans la
conservation du dépôt »114.

I.II LA FORMATION DE LA LITURGIE DE LA MESSE : UN PROCESSUS


EVOLUTIF

Passée la période consécutive aux événements de la Passion et de la mort de Jésus et,


sans doute, après la Pentecôte où ils sortent de leur cachette, les apôtres et les disciples se sont
mis à exécuter l’ordre donné ou, selon certains115, le testament laissé par Jésus lorsqu’au
dernier repas qu’il prit avec eux il avait dit : « Vous ferez ceci en mémoire de moi ». Tandis
que Paul, s’adressant aux Corinthiens, expliquera : « Toutes les fois que vous mangez ce pain
et que vous buvez de ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne ».
La liturgie chrétienne résulte des exigences de cette commémoration.

Dans sa formulation par son initiateur, lors de l’institution eucharistique de la dernière


Cène, la liturgie chrétienne est remarquable de simplicité et de dépouillement, en dépit de la
solennité de l’événement tel que Jésus en avait la mission, ainsi que de celle, recherchée
particulièrement, du lieu de célébration. Les spécialistes affirment que ces paroles et gestes si
simples ont connu des enrichissements, à commencer par les différentes versions des faits,
paroles et événements selon le style littéraire de chaque rédacteur et selon la transmission de
ce que la tradition orale avait fait circuler, ce qui explique certaines différences entre les
livres, en particulier entre les évangiles116. En effet, les premiers chrétiens, ayant enfin
compris le sens de ce que Jésus leur prescrivait, durent sans doute chercher, au-delà d’un
souvenir intérieur, d’une évocation silencieuse, la forme « qui, tout en exprimant leurs
pensées avec ampleur et clarté, serait capable de conférer à celles-ci une valeur durable », en
même temps qu’elle symboliserait l’action de toute la communauté exprimant une expérience
collective, dans « une prière solennelle, publique, construite et organisée avec art » en

114
BOTTE (Dom), Bernard, L’Eglise en prière, ouvrage collectif, Paris, Desclée, 1961, p. 35.
115
CASEL, Odon, Le Mémorial du Seigneur dans la liturgie de l’antiquité chrétienne-Les pensées
fondamentales du canon de la messe, 1945, p. 12.
116
Dans ce sens, v. Pierre GRELOT, op. cit ., pp. 103-107.
56

conformité avec les exigences d’un service divin ; c’est ce qui donna naissance à une liturgie
proprement chrétienne117.

La liturgie catholique qui est restée la base des célébrations jusqu’aux réformes du
XXe siècle s’est formée sur une longue période, depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du Moyen
Age. Pour traiter de cette évolution, il est possible de suivre la distinction classique des
périodes historiques couvrant le temps de formation et de fixation de la forme générale de la
liturgie de la messe, entre l’Antiquité et le Moyen Age ; ceci aurait l’avantage de l’exposé
chronologique, dans la mesure où chacune de ces périodes a laissé sa marque sur la liturgie
catholique. Mais, il est impossible de fixer une limite hermétique entre les réalisations de
l’Antiquité et celles du Moyen Age, étant donné que des formes apparues dans l’Antiquité,
souvent dans des conditions et circonstances peu connues ainsi que dans l’improvisation,
n’ont véritablement atteint leur maturation pour être fixées de manière incontestable qu’après
un temps plus ou moins long d’incertitudes, de tâtonnements ou avec lenteur, faute
d’informations sur les pratiques ayant cours dans les régions voisines ou, pour Rome et les
églises occidentales, à cause de l’ignorance de ce qui se pratiquait dans la partie orientale de
la chrétienté.

Pour plus de clarté, nous suivrons chaque moment important de la messe, dans son
apparition et dans ses évolutions ultérieures tout au long de l’Antiquité et du Moyen Age
chrétiens ; cela évitera des allers-retours dans l’histoire d’une même prière ou d’un même rite.
Par ailleurs, une telle description est susceptible d’entraîner beaucoup de détails ; ces détails
semblent inévitables, au contraire, parce qu’ils nous font connaître la totalité du rite et,
souvent, les circonstances historiques ou culturelles de son apparition et de ses évolutions.
C’est, de plus, une démarche qui permettra, en découvrant les circonstances et facteurs
d’évolution ou de modification, aussi bien d’apprécier les développements de la liturgie à
travers le temps que d’évaluer plus loin la portée des réformes liturgiques tout comme celle
des initiatives d’adaptation, d’acculturation ou d’inculturation au sein des jeunes églises
particulières. Il faut, toutefois, signaler la difficulté de donner des précisions historiques
incontestables sur certains points, face à l’incertitude et aux ombres recouvrant encore la
genèse et les développements de moments liturgiques à une époque où, l’écrit étant rare, il
manque de documents et de témoignages incontestables, à travers des pratiques fragmentaires
et parfois contradictoires. Dans le même ordre d’idées, les liturgies naissantes ne pouvaient,
dans ces conditions, qu’être marquées par des diversités locales, par exemple, des

117
CASEL, Odon, op. cit., p. 16.
57

emplacements différents pour telle prière ou tel rite, créant ainsi des confusions ou des
difficultés de compréhension pour le chercheur d’aujourd’hui. Néanmoins, ce rappel est
nécessaire pour notre sujet, dans la mesure où l’étude du processus de formation rend compte
des facteurs réllement contingents qui, au-delà des mystères chrétiens eux-mêmes,
déterminent la liturgie, où l’on découvre la réalité du lien avec la culture du milieu, fondant
ainsi l’utilité et, même, la nécessité de l’incarnation, de l’inculturation de celle-là dans celle-ci
au point d’en devenir l’une des composantes. De même, ainsi se trouvent légitimés les efforts,
parfois les revendications, des jeunes églises, notamment des églises d’Afrique, pour adapter,
chez-elles, la liturgie à la culture et au génie de leurs peuples.

I.II.I Le cadre de formation de la liturgie de la messe

I.II.I.1 Le contexte

La pratique de l’eucharistie va élargir le cadre de la célébration qui, dorénavant, ne va


plus se limiter à la « fraction du pain », même si celle-ci reste le moment culminant, la clé de
voûte, de la célébration. Les prières et gestes qui vont ainsi s’ajouter, justifiés par des raisons
« techniques », pratiques ou pastorales, et parfois fruit de l’improvisation, vont nécessiter, en
vue de l’encadrement du culte et la préservation des éléments historiques authentiques, une
sorte de « ritualisation », qui est à la base et à l’origine de la liturgie chrétienne. Tandis que,
du fait de la multiplication des lieux de culte et de l’expansion de la nouvelle foi et du
nouveau culte dans la « dispersion », de même que constaté pour les différentes narrations de
« l’institution », « l’eucharistie idéale n’a pas une forme unique dans la tradition mais des
formes complémentaires qui s’éclairent l’une l’autre »118.

Ce constat se vérifie en particulier pour la messe dont les différentes pièces vont
s’accoler au noyau central de « l’institution », tel un puzzle, dans un processus qui s’étale
dans le temps, à coup d’adaptations locales, souvent adoptées par les évêques d’églises
locales, à coup d’emprunts réciproques entre différentes églises, etc.

Mais les liturgies ont également été en partie l’œuvre ou le choix imposé par des
souverains, tant il est vrai que l’évolution de la liturgie n’est pas une histoire autonome et
qu’elle s’inscrit dans l’histoire générale et dans les circonstances de temps et de lieu. Dans ce
sens, on a pu parler de la liturgie des temps des persécutions et des catacombes, influencées
par la survenance de ces fléaux sur les chrétiens et sur l’Eglise ; c’est à juste raison, dès lors,

118
BOUYER, Louis, Théologie et spiritualité de la prière eucharistique, Paris, Desclée, 1968, p. 437.
58

que par exemple, dans son monumental « Histoire de l’Eglise du Christ », Daniel-Robs
consacre tout le premier tome à cette Eglise des Apôtres et des Martyrs, relatant la vie de
l’Eglise, la vie chrétienne et la liturgie de ces temps difficiles. De même, ainsi que nous
l’avons constaté au cours de nos recherches, ces circonstances n’ont pas permis que soient
élaborés et distribués de nombreux ouvrages ou, même, des formulaires sûrs décrivant
l’ordonnance des rites.

De fait, au cours de cette période, alors que l’empereur Dioclétien avant ordonné de
brûler les livres chrétiens (303), l’installation des persécutions ne pouvait favoriser la
119
production littéraire chrétienne ; ceci ayant une conséquence plus importante que la simple
rareté des sources, le fait qu’alors nombre de rites, prières et autres gestes de la liturgie
primitive, dont certains sont passés à la postérité, sont le fruit de l’improvisation. On peut
affirmer, à l’inverse, que la conversion de Constantin, qui de plus prendra l’édit de tolérance
en 313, va ouvrir l’âge d’or de la liturgie. L’empereur cèdera les premières basiliques
impériales pour la liturgie chrétienne, ce qui aura des implications sur l’organisation même du
culte en vu, notamment, de l’adapter aux nouveaux espaces ; il organisera, comme d’autres
rois après lui, des conciles importants dans la vie de l’Eglise, interviendra dans la
détermination par l’Eglise de certains points importants de la foi (par exemple, sur le contenu
du symbole de la foi chrétienne, le Symbole de Nicée-Constantinople), déterminera, par son
intervention directe, le sort de certaines hérésies etc.

Au Moyen Age, des rois joueront un rôle capital dans l’extension du christianisme car,
comme Constantin, lorsqu’ils se convertissent, ils font du christianisme la religion de leur
peuple sinon la religion d’Etat. Mais aussi, comme en Gaule et en Espagne, ils imposeront ou
introduiront de nouvelles formes liturgiques ou des rites et contribueront à la primauté de la
liturgie romaine, comme l’illustrent les réformes liturgiques en quelque sorte imposées par les
rois francs et carolingiens, essentiellement Charlemagne qui réalisera une œuvre liturgique
historique.

Ce sont ces contextes et facteurs qui ont permis une diversification des rites et des
liturgies constatée dès les origines, mais dans la fidélité à la même foi et à la même
eucharistie. De telle sorte que, jusqu’au milieu du XVIe siècle, il n’avait jamais existé une
liturgie unique ou unifiée, plusieurs rites coexistent, certes autour de la même eucharistie,

119
ROUET, Albert, La messe dans l’histoire, Paris, Cerf (Dossiers libres), 1979, p. 63.
59

mais dans des conditions où l’on pouvait craindre des initiatives particulières ou personnelles
et un certain désordre120, ce à quoi réagira le concile de Trente.

Pour plus de facilité, on suivra les diverses innovations ayant affecté les différents
moments de la messe, les différentes prières nées autour de la prière eucharistique et les
prières et rites inventés pour l’ordonnance « technique » de la célébration, qui s’est formée
progressivement, comme la diversité des prières eucharistiques, les rites d’entrée et de
conclusion, l’intégration de certaines formes d’une dévotion populaire spontanée et des
réponses à des réclamations des fidèles ou, encore, l’introduction de certains chants.

La liturgie de la messe ne cessera pas de « bouger », de voir s’ajouter des éléments


nouveaux, de s’adapter à l’évolution culturelle des différentes régions, au gré des contacts
entre églises locales, selon l’intuition ou l’inspiration des évêques et responsables d’églises
locales ou régionales. De sorte que, très tôt, il y eut une diversification bien compréhensible
des liturgies, se cristallisant dans quelques modèles phares, notamment la liturgie « romaine »,
la « milanaise » ou l’« ambrosienne », tandis que le pays franc développera ses spécificités ;
avec l’affirmation de la primauté du siège de Rome, la liturgie « romaine » finira par servir de
modèle à partir duquel auront lieu des tentatives d’unification, du moins d’encadrement. C’est
donc surtout par rapport à ce canon romain que nous appréhenderons la structure de la messe,
tout en faisant état des influences réciproques entre la messe romaine, celle de ce qui
deviendra le centre du catholicisme, et les autres rites, ceux de la périphérie.

L’essentiel de l’eucharistie ayant été fourni par la dernière Cène tandis que les
expériences vécues par les premières communautés chrétiennes ont suggéré la structure de la
messe, on peut dire qu’une pratique d’un siècle et demi (tout le premier siècle et la première
moitié du second) a pu fixer l’essentiel de l’ordonnance de la messe telle qu’elle a continué
jusqu’à nous. Parmi les rares et tout premiers documents qui en attestent et datant précisément
de cette période, citons la Didachè, au milieu du IIe siècle, la 1ère Apologie de saint Justin et
la Tradition Apostolique d’Hippolithe de Rome. La Didachè ou « La doctrine du Seigneur
transmise aux nations par les douez apôtres », paraît au cours du premier siècle de notre ère,
probablement au moment où des apôtres vivaient encore, elle est citée par des Pères comme
Irénée de Lyon, Alexandre d’Alexandrie et Origène, mais aussi par Eusèbe. L’Eglise ne la

120
C’est ainsi que s’étaient multipliés des rites, chaque région européenne, Germanie, Pays francs, Gaule,
Espagne, etc., avait une liturgie eucharistique propre très différente des autres (liturgies « romaine »,
« gallicane », « germano-franque », « romano-germanique », « hispanique », etc.), tandis que se développaient
des rites conventuels, chaque ordre religieux et pratiquement chaque couvent ayant développé son rite
particulier, le plus célèbre à ce titre étant sans doute le rite des dominicains.
60

reconnaît pas comme livre canonique mais la recommande comme écrit des Pères et parfois
s’y réfère explicitement, comme Pie XII dans son enccyclique Summi Pontificatus du 20
octobre 1939 : « Souviens-toi, Seigneur, de ton Église, pour la délivrer de tout mal et la
perfectionner dans la charité ; rassemble-la des quatre vents, toute sanctifiée, dans le royaume
que tu lui as préparé ; car à toi est la puissance et la gloire dans tous les siècles. " (Doctrine
des Douze Apôtres, c. X.) ». La Première Apologie, quant à elle, est l’œuvre de Justin de
Naplouse, qui a vécu vers 105-165, philosophe païen par la suite théologien chrétien, et qui
l’a écrite sous l’empereur Antonin le Pieux pour défendre devant lui et devant le Sénat, en
prenant en témoin le peuple romain, les chrétiens, « pour ces hommes de toute race,
injustement haïs et persécutés ». Il y présente la doctrine, les mystères et le culte chrétiens
pour démontrer qu’il n’y a là rien de repréhensible ; il meurt martyr sous Hadrien, Rusticus
étant préfet. Enfin, la Tradition Apostolique, présentée comme un Règlement de l’Église du
IIIe siècle121, mais non un livre officiel. Ce recueil contient des prescriptions et des prières
liturgiques, exposant en particulier le modèle de l’oblation lors d’une messe d’ordination d’un
évêque122 L’auteur généralement reconnu de la Tradition c’est Hyppolite de Rome, dont on
ne saurait affirmer la véritable identité et la véritable personnalité123. L’existence de ces
documents témoigne du fait qu’au IIe siècle la vie liturgique avait pris ses formes canoniques,
estime Casel qui ajoute que, dans cette période de recherche, la prière chrétienne, il en est
ainsi de la prière eucharistique, avait encore pu « fort bien prendre en considération des
liturgies existantes » et que « Ainsi des formes de prières juives, parfois même païennes,
purent servir de modèle au culte chrétien »124 En dépit de l’élaboration, à la fin du IVe siècle,
du canon romain de la messe dont témoigne l’ouvrage De sacramentis, de saint Ambroise, et
qui va fortement influencer l’évolution de la liturgie catholique, chaque siècle et pratiquement
chaque église, on le verra, ajoutera sa pièce à l’ensemble ou gardera sa spécificité sur tel ou
tel aspect.

121
BOTTE, Bernard, Hyppolite de Rome La Tradition Apostolique d’après les anciennes versions, Paris, Ed. du
Cerf, 1968, p.25 ;
122
BOTTE, Bernard, L’Eglise en prière, op.cit., p. 27.
123
Il semble exister des incertitudes entre ce prêtre romain qui aurait vécu vers 170-235, l’évêque savant
commentateur des Ecritures ou le laïc presque schismatique qui a tant écrit sur les hérésies.
124
CASEl, Odon, op .cit., p. 17.
61

I.II.I.2 La ritualisation de la liturgie de la messe

Les débuts du christianisme, déjà du temps des apôtres, seront difficiles : la


persécution s’abat sur les fidèles, avec le premier martyr subi par le diacre Etienne ; jusqu’au
moins à la conversion de Constantin, le christianisme est contraint d’avoir le profil bas,
l’empereur prenant des édits interdisant ce culte et organisant la persécution ainsi que l’atteste
le rapport que nous avons évoqué, envoyé par Pline-le-Jeune à Trajan, les chrétiens devaient
se cacher des persécuteurs. Pour rendre compte de la spécificité de cette période, Daniel-Robs
intitule le premier tome de son histoire du Christianisme « L’Eglise des Apôtres et des
Martyrs ». On a pu parler de l’Eglise des Catacombes, exagérant peut-être, ainsi que nous
l’avons dit, la place de ces dernières notamment dans la pratique de la liturgie, qui est
l’activité publique la plus spectaculaire de l’Eglise.

Par ailleurs, cette période est pourtant capitale dans l’établissement de la liturgie,
suivant immédiatement la période apostolique et venant juste avant le formidable
épanouissement de la liturgie qui va marquer l’Eglise du IVe au VIe siècles, que les
liturgistes, unanimes, appellent l’âge d’or de la liturgie125, que Dom Prosper Guéranger place
à saint Grégoire le Grand (pape de 590 à 604), sans doute en écho à cet autre « âge d’or »
avec lequel il coïncide, celui des Pères de l’Eglise126. La liturgie chrétienne est, selon cette
conception, sortie des catacombes et libérée de la persécution, à une époque où elle s’adapte
aux immenses basiliques qui abritent l’office liturgique au lieu des anciennes « maisons-
églises », pour faire face à une assistance de plus en plus importante127. De fait, jusqu’au Ve
siècle, les églises sont surtout urbaines et épiscopales, avec une église par diocèse, les églises
et paroisses rurales apparaissent donc vers le début du haut Moyen Age, sous la pression des
fidèles qui ne peuvent pas toujours se rendre en ville, alors que, par contre, les responsables
n’aimeraient pas multiplier ces églises de campagne afin de mieux centraliser et contrôler les
fidèles128.

Si, logiquement, cette période des persécutions des chrétiens se caractérise par la
rareté des documents relatifs à la liturgie, elle est pourtant celle qui a préparé cet âge d’or, ce
printemps merveilleux de la liturgie, tandis que les fastes des messes pontificales reproduisent
ceux des cours impériales et que le chant grégorien et la polyphonie viennent bientôt
rehausser la majesté de la liturgie (VIe siècle). C’est une période tellement riche que, comme
125
Par exemple Pierre LORET, op.cit., p.40.
126
La Revue Connaissance des Pères de l’Eglise, dont le tome 3 est intitulé L’âge d’or des Pères
127
DANIEL-ROPS, op .cit. p. 251.
128
http://www.univ-tlse2.fr/multimedia/medievale/UE5/ue5_med_cours/ue5_med_2p.htm
62

cela apparaîtra dans la deuxième partie, sa liturgie a certainement inspiré la réforme de


Vatican II qui, en cela et tout en évitant l’archéologisme, parle de restauration, comme d’une
sorte de retour aux caractéristiques de simplicité et de pureté de la liturgie ancienne.

En réalité, dans ces régions orientales à civilisations et cultures de tradition orale, c’est
dans cette dernière que les pratiques liturgiques naissent, se développent et prennent leurs
formes ; elles s’y transmettent en s’appuyant sur des emprunts entre églises locales, sur des
improvisations des célébrants et sur des considérations pratiques de bon sens ou de nécessité.
Rarement, on trouve dans certaines églises des lignes conçues et imposées par des pasteurs et
des orientations inspirées de la pensée ou de l’exégèse de penseurs et de maîtres spirituels
chrétiens (les « pères », comme Basile, Clément, Augustin, etc.). Ce n’est qu’à partir du VIIe
siècle que commencent à apparaître les premiers formulaires écrits dans lesquels sont
consignées ces traditions (notamment l’Ordo romanus dont il a été question dans
l’introduction) ; le besoin en sera plus pressant encore lorsque, à l’issue de guerres, il s’avère
utile de transcrire les usages anciens et quand, fuyant la persécution organisée en Orient par
les iconoclastes, de nombreux clercs orientaux viennent dans l’Eglise de Rome sans en
connaître les pratiques129. Mais, on peut affirmer avec plus ou moins de certitude que la
structure fondamentale de la liturgie de la messe est fixée, sur la base de l’ossature que nous
font découvrir l’Apologie, la Didachè et la Tradition apostolique, au IVe siècle, tandis que sa
transcription dans des formulaires se déroule jusqu’au VIe siècle sous Grégoire le Grand,
période où est daté l’Ordo romanus I. Ce dernier est le sacramentaire utilisé par l’Eglise
locale de Rome, au siège apostolique ; c’est celui qu’Hadrien Ier enverra à Charlemagne, dans
les circonstances que nous indiquerons plus loin. A la différence des formulaires en usage en
Espagne et en Gaule, où les prières sont changeantes et mouvantes tandis que les paroles de
l’Institution sont le seul élément fixe et immuable, le rite romain se caractérise par le canon, la
règle unique et fixe, dans un style sobre qui contraste avec le style gallican ou wisigoth fleuri
et abondant ; dès cette époque, l’ordo comprenait déjà les éléments essentiels de la liturgie,
autour de l’Institution, avec les grandes prières que sont le Communicantes et le Hanc
igitur130. L’arrivée du rite romain sur les terres de Charlemagne (Gaule et Germanie) va être
suivie par des apports locaux étrangers à partir d’usages locaux anciens ou de nouvelles
inventions liturgiques. A vrai dire, la liturgie qui va s’imposer au cours du bas Moyen Age
sera la résultante de cette rencontre entre le rite romain et les apports francs et germaniques,

129
METZGER, Marcel, Les Sacramentaires, op.cit., pp. 32-33.
130
BOTTE, Bernard, Rites et familles liturgiques, in MARTIMORT, L’Eglise en prière, Paris, Desclée & Cie,
1961, p. 28.
63

rassemblés dès le XIe siècle en Germanie en des sortes de missel qui vont revenir à Rome où,
pour les raisons que nous verrons plus loin, ils s’imposeront comme rites officiels.

Cette formation sera examinée en retenant les étapes de la célébration, en indiquant


autant que possible le moment et les circonstances de la naissance de chaque étape ainsi que
son histoire, c’est-à-dire les évolutions qu’elle a subies au cours de la période concernée. Pour
cela, c’est l’ordonnance exposée dans l’Apologie justinienne qui sera suivie, à cause de sa
fidélité avérée aux premières assemblées telles qu’elles n’ont cessé de célébrer selon la
tradition remontant au Christ, dans leur simplicité : la liturgie de la Parole et la liturgie
eucharistique ; tout en remarquant qu’à ces deux « moments liturgiques » historiques la
nécessité pastorale et dévotionnelle a fait ajouter d’autres rites venant encadrer, avant et après,
la célébration des saints mystères qui est le cœur de l’eucharistie. Ces rites, découlant des
enflures subies par la messe essentielle, sont, depuis, partie intégrante de la liturgie
« typique ». Il en est ainsi des rites d’entrée et de conclusion, mais aussi de l’élévation, de
l’introduction de certains chants ou prières, tandis que, même dans les parties principales, des
pièces ont pu être déplacées et changer de lieu. Signalons l’importance de la Didachè, qui,
tout en n’étant pas un formulaire liturgique, mais la compilation, aux Ier - IIe siècles, de la
doctrine du Christ telle qu’elle a été léguée par les apôtres et transmise par leurs propres
disciples, contient, cependant et, peut-être même à cause de cela, une instruction relative à la
liturgie cependant limitée à la prière eucharistique, depuis la bénédiction sur les espèces
jusqu’à la clôture de l’assemblée telle qu’elle se faisait à l’époque. L’ordonnance de la messe,
à cette période, nous est surtout connue, après l’Apologie (au IIe siècle), par la Tradition
Apostolique d’Hyppolite, élaboré vers le IIIe siècle.

Ces circonstances d’une période couvrant l’Antiquité et pratiquement tout le Moyen


Age font que l’histoire, aussi bien celle de la liturgie que de l’histoire profane, nous est assez
mal connue. Il se peut, dès lors, que certaines explications manquent de certitude et de
précision, notamment chronologique ; de même il pourrait sembler difficile de faire une
relation fidèle et cohérente d’une réalité liturgique complexe par rapport à laquelle les
liturgistes eux-mêmes avouent lacunes et incertitudes.
64

I.II.II L’introduction et la liturgie de la Parole

Depuis les premiers temps du christianisme, les chrétiens commémorent les mystères
du sacrifice du Christ, en répétant les gestes et les Paroles de ce dernier lors de la dernière
Cène, intégrant l’enseignement de la Parole sainte de la même manière que Jésus avait fait
précéder l’institution par le rappel des Ecritures, édifiant les apôtres et leur dévoilant le sens
de ce qu’il allait faire pour la première fois en leur présence.

Mais, les écrits des apôtres ne donnent aucune indication en relation avec la façon dont
débutait ou se préparait l’assemblée du « repas du Seigneur ». Le document que nous avons
cité de S. Justin commence directement, dès le rassemblement fait, par les lectures. Or, la
dynamique et la massification des assemblées allaient faire sentir le besoin d’une certaine
organisation du commencement de la cérémonie, avant cette partie didactique que l’on appelle
aujourd’hui liturgie de la Parole, par un ensemble de prières de préparation constituant ce
qu’on appelle le rite d’entrée.

I.II.II.1 L’entrée

Bien qu’aujourd’hui l’entrée figure dans l’ordo de la messe comme une étape à part
entière, pas injustifié d’en parler sous la rubrique Liturgie de la Parole dans la mesure où,
d’une part, ce rite est apparu comme une excroissance inexistante dans la liturgie originelle et
où, d’autre part, il est apparu comme une préparation aux lectures.

Par les premiers documents à notre disposition nous savons que le début des
assemblées chrétiennes était quelque peu abrupt, directement par les lectures de la Parole de
Dieu ; rien n’existait de ce qui constitue aujourd’hui le rite d’entrée, ni les prières de bas de
l’autel d’application avant la réforme de Vatican II, ni chant et acte pénitentiels avec la
confession (le confiteor) ou l’acte simplifié d’aujourd’hui avec les seuls Kyrie eleison131.
Tout ceci n’apparaîtra que plus tard. Pour ne pas en parler dans le rite d’entrée, signalons ces
autres prières privées du prêtre et des ministres qui l’accompagnent, pour se préparer à la
messe ; ces prières qui ne figuraient pas dans la liturgie proprement dite, seront introduites
dans des sacramentaires dès le XIe siècle et amplifiées au XIIIe, il y eut même depuis
l’époque carolingienne des prières à dire au moment de la vêture132. Ce sont, là, avec d’autres,

131
DANIEL-ROPS, op .cit., pp. 252-253.
132
CABIE, Robert, op.cit., pp. 58-59.
65

de ces fioritures qui, comme nous le verrons, s’accommoderont bien avec la contre-réforme
du concile de Trente et du Missel de Pie V.

Pourquoi un rite d’entrée ?

Dans son Apologie, saint Justin parle dans des termes qui peuvent nous aider à
comprendre pourquoi on a, rapidement, cessé de commencer la célébration directement par
les lectures ; il écrit en effet : « Le jour qu’on appelle jour du soleil, a lieu le rassemblement
en un endroit de tous ceux qui habitent la ville ou la campagne » (souligné par moi). On a pu
donc concevoir qu’avant même que la cérémonie commence, que quelque chose soit organisé
pour, non seulement en quelque sorte occuper les arrivants, mais aussi maintenir un certain
ordre et créer un climat propice à la grande prière qui allait commencer, préparer les esprits.
Ce fut le besoin d’une sorte d’introduction à l’eucharistie proprement dite, afin de
véritablement unir les cœurs et attirer l’attention des fidèles qui, à l’époque, entraient et
s’installaient en désordre et bruyamment, afin de véritablement les constituer en peuple
d’orants133, grâce à un chant d’entrée en grec ou plus tard en latin, suivi par l’installation de
l’officiant qui, pour commencer la cérémonie, fait une prière d’ouverture. C’est l’apparition,
au IVe siècle, du chant de l’introït, généralement un psaume dont un verset peut servir de
refrain. Cela s’avèrera une nécessité dans les messes, dites habituellement, à cette époque où,
on l’a vu, les églises sont urbaines et épiscopales, par l’évêque et, à Rome, par le pape,
s’avançant en procession au milieu des fidèles vers l’autel134 ; on peut alors affirmer que ce
rite, tout en répondant à un besoin pastoral de réunir le peuple dans une prière et un esprit
communs, participe d’une certaine solennité de la cérémonie.

Dans le même souci, il semble que le Gloria in excelsis Deo, une hymne triomphale,
une de ces hymnes de l’Eglise primitive, déjà chantée en Orient, fût introduit dans la liturgie
romaine de Noël et de Pâques à cette époque (Ve-VIe siècles), d’abord chanté solennellement
par le pape ou l’évêque et, bientôt notamment en pays franc, les dimanches et aux fêtes de
martyrs par tous les célébrants135. Un détail dont nous dirons l’importance plus loin
concernant les prières de supplications dans les nouvelles liturgies, en entonnant le Gloria, le
prêtre a les bras élevés vers le ciel136 en expression de la louange rendue à Dieu. Mais, déjà au
VIIe siècle, la majorité des prêtres ne chantaient plus le Gloria « qu’à la messe de la vigile

133
NOCENT, Adrien, op.cit., p. 59 ; CABIE, Robert, op.cit., pp. 31-33.
134
CABIE, Robert, op.cit., p. 31 et DANIEL-ROPS, op.cit., p.252.
135
CABIE, Robert, op.cit., p. 46. ; CHALUFOUR, Jean-Denis. op .cit. p. 59.
136
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 61.
66

pascale »137, sans que cela empêche la survivance de ce chant, qui, par sa simplicité et sa
structure, se prête à une exécution par la foule et pût ainsi malgré tout imposer une popularité
qui est encore actuelle.

D’abord introduit pour la solennité des messes dites « pontificales », ce petit rite
d’entrée va intégrer la structure de la messe et se généraliser vers le Ve siècle. Concernant ce
qui existe aujourd’hui et qu’on appelle, selon les missels ou, même, selon les officiants,
confession ou « préparation pénitentielle » ou encore « le rite pénitentiel », on peut en trouver
l’origine dans la Didachè, lorsqu’on y lit « XIV. 1. Réunissez-vous le jour dominical du
Seigneur, rompez le pain et rendez grâces après avoir, d’abord, confessé vos péchés, afin que
votre sacrifice soit pur. » et, surtout : « IV. 14. Dans l’assemblée, tu confesseras tes
manquements, et tu n’iras pas à ta prière avec une conscience mauvaise. Telle est la voie de la
vie. ».

Une petite histoire du Kyrie

Le Kyrie eleison est communément confondu aujourd’hui avec une formule de


confession et qui est souvent aujourd’hui récité comme prière pénitentielle avec la traduction
pas tout à fait exacte et qui est loin d’être l’unique, de « Seigneur, prends pitié de nous » ;
pourtant, il apparaît dans une autre optique et avec une autre signification dans la liturgie de la
messe solennelle du Siège apostolique. Celui-ci l’avait sans doute emprunté de l’Orient,
probablement au début du VIe siècle où il était déjà largement pratiqué en Italie, parce que le
concile de Vaison-la-Romaine, tenu en 529 sous la présidence de l’évêque d’Arles (saint
Césaire) en fait mention et recommande son usage pour la Gaule138.
En réalité, l’origine du Kyrie eleison est à trouver dans une série de prières variées de
demande et d’intercession, introduites dans des messes épiscopales et pontificales ; il s’agit de
ces prières que l’Apologie de saint Justin présente dans ces termes : « Quand le lecteur a fini,
celui qui préside prend la parole pour inciter et exhorter à l’imitation de ces belles choses.
Ensuite, nous nous levons tous ensemble et nous faisons des prières. » (souligné par nous).
Ainsi donc, après la liturgie de la Parole (épître, évangile et homélie) mais avant la liturgie
eucharistique, a lieu « la prière des fidèles » pour les grandes intentions de l’Eglise, encore
connue sous la désignation de « prière universelle ». Longtemps, en Occident, l’annonce des
intentions par le diacre était suivie d’une prière silencieuse et à la fin la prière des fidèles est

137
NOCENT, Adrien, op.cit., pp. 59 et 60.
138
NOCENT, Adrien, op.cit., pp.60 et 61.
67

clôturée par l’oraison de l’officiant. On affirme qu’en Orient, la prière des fidèles avait pris la
forme de litanie récitée par le diacre, tandis qu’après chaque intention le peuple répondait,
sans doute par cette expression grecque « Kyrie eleison », à traduire par « Seigneur, exauce-
nous »139. Cette pratique, empruntée de l’Orient où une pèlerine espagnole du nom d’Ethérie
l’aurait entendue vers 390140, se trouve consignée dans un formulaire du Ve siècle, attribué au
Pape Saint Gélase, qui recommandait aux fidèles de répondre par « Seigneur, écoute et prends
pitié » (Domine, exaudi et miserere) que l’on chante encore aujourd’hui. En tout cas, à cette
période le Kyrie n’est pas une prière pénitentielle, mais la réponse des fidèles aux demandes
au Seigneur exprimées par le diacre et il se situait, avec celles-ci, entre la liturgie de la Parole
et l’offertoire141, emplacement retrouvé par la prière des fidèles (ou la prière universelle)
après Vatican II.
Une instruction de Grégoire Ier (pape 590-604) prescrit qu’aux messes quotidiennes,
on passe « sous silence toutes ces choses qu’on a coutume de dire » et qu’il soit dit
« seulement Kyrie eleison, Christe eleison » (ce dernier élément n’existait pas
antérieurement), réservant, pour des besoins pastoraux, le système litanique, c’est-à-dire
l’énumération des intentions, aux messes dominicales et aux messes où il y a affluence. La
même décision reportait les invocations du Kyrie ainsi assoupli, et sans plus les intentions, au
début de la messe dans le rite d’entrée. C’est l’explication du fait que, depuis, le Kyrie eleison
soit placé au début de la messe, détaché de la prière universelle, prenant ainsi les allures du
rite pénitentiel qui lui colle encore, même si dans les prières universelles contemporaines les
fidèles répondent parfois par Kyrie eleison aux intentions proposées.

Albert Rouet décrit une entrée de messe gallicane au VIe siècle plus élaborée, avec
une procession d’entrée, avec un chant qui va être clôturé par la « petite doxologie »142, celle
du Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto (Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit …) qui
venait d’être introduit par le concile de Vaison de 529 afin de souligner la divinité de Jésus143.
Après ce chant, il y a le salut par le prêtre (Le Seigneur soit avec vous…) suivi directement
par le Trois fois Saint (l’Aïus), chanté en grec et en latin avec la réponse du public Amen ».
Ce rite se poursuit avec trois Kyrie eleison chantés par trois enfants, le Cantique de Zacharie
alterné par deux chœurs précèdant la monition et l’oraison du prêtre, la collecte, qui clôture le

139
Traduction que donne, par exemple, DANIEL-ROPS, op.cit., p.253.
140
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 55.
141
Ibid.
142
De fait, est présentée comme « grande doxologie » celle prononcée à la fin du canon par le Per Ipsum, ainsi
que nous le verrons plus bas.
143
Comme nous le disons par ailleurs, ce concile avait, entre autres missions, de combattre l’hérésie arianiste.
68

rite d’entrée ; alors commencent les lectures144. Des sources consultées dans ce travail, cet
auteur est le seul à placer ci-haut le « Trois Saint » et, de façon générale, cette entrée est
différente de celles présentées par d’autres auteurs.

En tout état de cause, on se rend compte que, depuis la description faite par l’Apologie
de Justin et la Tradition apostolique d’Hyppolite, des choses se sont intercalées entre l’arrivée
du célébrant et la liturgie de la Parole, introduisant un rite nouveau, celui d’entrée qui fera
dorénavant définitivement partie de la célébration liturgique.

Les prières au bas de l’autel

Dites par le prêtre au début de la messe avant de monter à l’autel, y compris les prières
pénitentielles du confiteor, ces prières sont introduites également à la même période, devenant
d’un usage courant dès le VIIe siècle dans la liturgie de Grégoire le Grand où, décrivant une
messe pontificale, on voit le pape, après avoir salué l’autel, prier tout seul au bas de l’autel.
Ces prières occuperont l’officiant pendant que l’on chante l’introït, comme si celui-ci ne le
concernait pas et que ses prières ne concernaient pas les fidèles, et avant que, montant à
l’autel, il ouvre la célébration proprement dite.
Mais, certaines de ces excroissances ont une grande importance au sein de ce rite du bas de
l’autel ; il en est ainsi du confiteor qui, selon la foi chrétienne, s’explique et se justifie par le
fait que le seul prêtre qui n’a pas besoin de se reconnaître pêcheur et de s’en purifier avant le
sacrifice c’est Jésus, tandis que tous les autres, ceux qui officient après lui in persona Christi,
ont besoin de se purifier et de se sanctifier avant le saint sacrifice. Ce n’est qu’au VIIIe siècle
qu’il est explicitement prescrit que le prêtre « prie pour lui et pour les péchés du peuple », le
confiteor se formant au XIe siècle145. Cette prière pénitentielle est dite par le prêtre
profondément incliné (pratiquement à angle droit), se frappant la poitrine aux mots mea culpa,
mea culpa, mea maxima culpa ; elle peut être répétée par les ministres qui sont avec lui
(diacres et sous-diacres). Mais, son placement au début de la célébration contribue
certainement à la confusion, installée depuis, consistant à, sans nuance, assimiler à une prière
pénitentielle le Kyrie placé depuis Grégoire le Grand dans le rite d’entrée et dont nous avons
vu les véritables histoires et portée. De plus, ces prières dites à voix basses vont, sans raison
explicite connue, faire naître l’habitude de faire lire à voix basse par le prêtre, même au cours

144
ROUET, Albert, op.cit., pp. 96 et 97.
145
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 41.
69

de la célébration, certains chants, prières et lectures qui étaient jusque là faits par les
fidèles146, pratique qui disparaîtra dans les réformes consécutives à Vatican II.
A partir du IVe, quand il monte à l’autel, comme avant de le quitter à la fin de la messe, le
prêtre baise l’autel, ainsi que chaque fois qu’il se retourne pour s’adresser aux fidèles par le
Dominus vobiscum ; plus tard (XIe), le geste sera accompagné d’une prière dite à voix basse.
Le baiser de l’autel peut facilement s’expliquer comme hommage rendu à l’autel, mais il faut
dire que, depuis notamment les persécutions, on avait pris l’habitude d’honorer les martyrs
par le culte des reliques des saints, jadis sur leurs tombes dans les catacombes et plus tard en
installant une « pierre d’autel » contenant ou recouvrant une relique147 ; le baiser est appliqué
à cet endroit ou, ailleurs, sur l’autel qui est, de toutes façons, consacré.
Le Confiteor des ministres :
Je confesse à Dieu tout-puissant, à la bienheureuse Marie toujours vierge, à saint Michel
Archange, à saint Jean-Baptiste, aux saints Apôtres Pierre et Paul, à tous les saints et à vous
mon père que j’ai beaucoup péché, par pensées, par paroles et par actions. C’est ma faute,
c’est ma faute, c’est ma très grande faute. C’est pourquoi je supplie la bienheureuse Marie
toujours vierge, saint Michel Archange, saint Jean-Baptiste les saints Apôtres Pierre et Paul,
tous les saints et vous mon père de prier pour moi le Seigneur notre Dieu. Traduction
Chalufour, p. 42.

Les ministres prient ainsi profondément inclinés, se frappant la poitrine à mea culpa, mea
culpa, mea maxima culpa, et se tournant vers le prêtre aux mots « et à vous mon père » et
« vous mon père ». Le prêtre dit le même confiteor mais, à la place de « vous mon père », dit
« vous mes frères ».

I.II.II.2 La liturgie de la Parole proprement dite

Aujourd’hui, c’est vraiment la désignation de la première des deux parties importantes


de la messe. Mais, les auteurs proches du « Mouvement liturgique » estimaient que pour
rassembler le peuple on avait fait preuve de beaucoup d’imagination, inventant toutes ces
nombreuses choses introduites dans le rite de l’entrée, tandis que l’importance de la
proclamation de la Parole a été diluée dans la profusion de ces ajouts d’introduction, dans un
foisonnement qui s’était substitué au schéma simple des origines qui débutait par les lectures
dans un dépouillement qu’on ne retrouve de nos jours que le Vendredi saint 148. Quant à Yves
Congar, voulant stigmatiser le peu de place et le peu d’importance accordé à la Parole dans la
liturgie antérieure à Vatican II, il fait un récit de la manière dont il avait vécu la messe

146
NOCENT, Adrien, op.cit., p. 62.
147
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 51
148
C’est ce qu’exprime p. ex. LORET, Pierre, op.cit., pp. 62-65.
70

solennelle d’ouverture du Concile le 11 octobre 1962 : « La Messe commence, chantée


exclusivement par la Sixtine : quelques morceaux de grégorien et de la polyphonie. Le
mouvement liturgique n’a pas pénétré jusqu’à la Curie romaine. Cette immense assemblée ne
dit rien, ne chante rien. … Il n’y en a ici que pour l’œil et l’oreille musicale : aucune liturgie
de la Parole. Aucune parole spirituelle. Je sais que tout à l’heure on installera sur un trône,
pour présider au concile, une Bible. MAIS PARLERA-T-ELLE ? L’écoutera-t-on ? Y aura-t-
il un moment pour la Parole de Dieu ? »149.

I.II.II.2.1 Les lectures et l’homélie

La liturgie de la Parole est héritée des plus anciennes pratiques chrétiennes qui
n’avaient, ainsi que nous l’avons vu, fait que transposer un rite de la liturgie juive au sein de
laquelle elle était déjà la première partie de l’assemblée synagogale, sans doute tel que Jésus
lui-même l’avait respecté lors de la dernière Cène notamment à travers le discours qu’il tenait
à ses apôtres juste avant l’institution de l’eucharistie.

Au début, on l’a vu, les lectures avaient lieu dès le rassemblement fait, avec, à la suite
des communautés chrétiennes primitives, généralement une lecture des « Mémoires des
Apôtres », parfois des « écrits des Prophètes » (l’Ancien Testament), suivie de l’exhortation
ou l’homélie du président.

Depuis le IIIe jusqu’au Ve siècles, il existe plusieurs lectures : la première lecture,


généralement d’un extrait de l’Ancien Testament, est faite à l’ambon par quelqu’un,
n’importe qui désigné à cet effet, la deuxième porte sur les livres des Apôtres (Epîtres, Actes
ou la Révélation de Jean), parfois des textes non scripturaires, comme les lettres de grands
responsables de la chrétienté tel Saint Clément de Rome ou Saint Ignace d’Antioche150.
Daniel-Robs ajoute que, parfois, il fut fait lecture des émouvants récits des martyrs. Entre les
deux lectures, un psaume est lu ou chanté. La troisième et ultime lecture, celle de l’Evangile
sur un passage choisi par l’évêque, c’est la plus solennelle ; au cours des premiers siècles la
lecture en est faite par de simples lecteurs, mais à partir du IVe c’est un diacre ou, s’il n’y a
pas de diacre, un prêtre, qui lit l’évangile151 après qu’il ait pris, levé et porté le livre jusqu’au
lieu de lecture, tout le public se lève dans le retentissement de l’Alleluia. On a pu faire

149
CONGAR, Yves M-J., Mon Journal du Concile, I, Paris, Ed. du Cerf, 2002, pp. 110-111.
150
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 69.
151
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 79.
71

remonter l’usage consistant à chanter l’alleluia entre deux lectures à la pratique juive qui,
entre les lectures, intercalait les chants dits de l’Hallel, groupe de psaumes entrecoupés
d’Alleluia, les communautés chrétiennes primitives auraient gardé cet usage lors des agapes et
de la messe, ce qui fait que ce chant est même antérieur au rite d’entrée (avec l’introït et les
prières du bas de l’autel) dans la liturgie romaine où, d’abord chanté aux messes du temps
pascal et à celles du dimanche, il s’est généralisé au Ve siècle152. L’usage des trois lectures est
général et encore connu au VIe siècle, mais avec, dans la liturgie gallicane comme nous
l’avons vu, le chant du Cantique des trois enfants de la fournaise du Livre de Daniel et du
« Trois Saint », après la deuxième lecture, juste avant la procession de l’évangile153.

Il faut signaler certains comportements et postures qui accompagnaient les lectures,


notamment l’un de ces gonflements sans doute inutiles de la liturgie et que rien ne justifie
vraiment, le fait que la lecture de l’épître dût avoir lieu à la gauche de l’autel et celle de
l’évangile à la droite de l’autel, une gesticulation dans laquelle certains, critique Adrien
Nocent, disaient voir le symbole des va-et-vient de Jésus, lors de sa passion, entre Hérode et
Caïphe154, une des choses que les réformes du XXe siècle feront disparaître.

La lecture terminée, l’évêque prononce l’homélie ou la fait prononcer par une


personne de son choix. L’homélie figure dans la liturgie des temps les plus reculés, l’Apologie
de S. Justin la signale ; il a même existé des « homéliaires », des recueils élaborés pour aider
les prédicateurs. Au VIe siècle, l’homélie est encore dite par l’évêque ou le prêtre, soit une
homélie de sa propre intuition soit la lecture des homélies des « Pères » telles que reçues de la
Tradition, jamais par le diacre dont la tâche dans cette partie de la messe est de, seulement,
lire l’évangile155 ; mais, à l’époque carolingienne, l’homélie tombe en désuétude et n’est plus
mentionnée dans les ordines156.

A l’époque de Grégoire le Grand, la psalmodie qui séparait les deux lectures est
supprimée, de même que la deuxième lecture avant l’évangile. La solennité de la lecture de
l’évangile est accentuée, le diacre désigné pour lire étant accompagné, en le précédant, de
deux acolytes avec chandeliers à sept branches, la chorale chantant encore l’Aïus et le livre
est, dans la messe gallicane, recouvert d’un voile157, trois sous-diacres avec une cassolette où

152
Ibid., p. 75.
153
ROUET, Albert, op.cit., p. 97.
154
NOCENT, Adrien, op.cit., p. 66.
155
ROUET, Albert, op.cit., p. 98.
156
CABIE, Robert, op.cit., p. 46.
157
ROUET, Albert, op.cit., p. 97 ; Rouet étant également le seul à mentionner ce chant de l’Aïus à la lecture de
l’évangile.
72

brûle l’encens ; il s’agit là d’une véritable procession. Certains estiment, prosaïquement, que
cette solennité renvoie à l’histoire antique lorsque « les magistrats romains étaient précédés de
flambeaux, honneur qui passa aux évêques, à l’évangéliaire … » ou, plus liturgiquement, que
l’auteur de la parole qui va être lue c’est le Christ lui-même, Lumière du monde158, ceci
explique en particulier la présence des chandeliers, ce symbolisme est sans doute, selon nous,
plus louable que les réminiscences impériales.

Les lectures avaient encore à cette époque où s’est formé le premier Ordo romain qu’à
Rome les noms des personnes désignées pour s’acquitter de cette tâche étaient communiqués
à l’avance au pape (dans les autres églises, à l’évêque), il en était de même de ceux qui
exécutaient un chant, et que le maître de la schola était responsable de la bonne qualité des
chants et des lectures et, pour cela, encourait l’excommunication si l’exécution était faite par
des personnes non approuvées159.

I.II.II.2.2 La prière des fidèles ou prière universelle

A cette époque, il n’y a pas encore de Credo dit à la messe ; il est en effet récité par les
catéchumènes lors de leur baptême, c’est pourquoi il est récité, comme profession de foi
individuelle, à la première personne du singulier160. Ainsi, l’homélie est suivie directement
par la prière des fidèles dont nous avons parlé plus haut et que le célébrant sollicite en disant,
tourné vers le public : Le Seigneur soit avec vous. Prions (Dominus vobiscum. Oremus).
Alors, l’assistance répond en une prière-méditation, silencieuse, tous debout les bras levés
vers le ciel, rapporte Daniel-Robs qui, faisant état d’une compilation du IVe siècle, évoque, à
l’appui, la posture des orants peints sur les murs des catacombes161, tandis que l’on exposait
les demandes importantes de l’Eglise à Dieu162. C’est cette prière qui a été évoquée plus haut
en parlant des origines du Kyrie eleison qui lui était attaché et qui s’est introduit en Occident
un peu avant que le concile de Vaison de 529 l’adopte. C’est au Ve siècle que se situe l’une
de ces prières des fidèles composée par le pape Gélase Ier (pape : 492-496), en proposant
comme réponse, non plus Kyrie eleison, mais « Seigneur, écoute et prend pitié » (Domine,
exaudi et miserere). Au VIe siècle, cette prière prend dans le rite gallican la forme d’une

158
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 81.
159
ANDRIEU (Mgr), Michel, Les Ordines romani du haut Moyen Age II , Louvain (Spcilegim Sacrum
Lovaniense), 1949, p. 80 (Ordo romanus I, 39).
160
D’après LORET, Pierre, La messe, du Christ à Jean-Paul II – Brève histoire de la liturgie eucharistique,
op.cit., p. 106.
161
DANIEL-ROPS, op.cit., pp. 253 et 254.
162
CASEL, Odon, op.cit ., p. 24.
73

longue litanie d’intercession intervenant ainsi juste après les lectures et l’homélie163, tandis
que, dans la messe romaine, à partir de la fin du VIe siècle on constate que la prière des
fidèles disparaît de sa place habituelle ; cette initiative sera fatale pour la prière des fidèles
bientôt abandonnée même aux messes dominicales ou solennelles, elle resurgira avec Vatican
II.
La prière des fidèles est conclue par une « collecte » du prêtre à la fin de laquelle
l’assistance manifeste son approbation par « Amen » ; nous reproduisons également le texte
de cette « prière de l’appel de tous à l’Un » : « Dieu tout-Puissant et éternel, consolation de
ceux qui sont tristes, force des travailleurs, que l’imploration de tous ceux qui souffrent vous
parvienne et qu’à travers leurs peines, tous se réjouissent de votre miséricorde »164

I.II.II.2.3 Une petite histoire du Credo

Il a été signalé ci-haut que le credo n’était pas encore dit au cours de la messe
romaine, tandis qu’il était professé en Orient dès le début du VIe siècle, le patriarche de
Constantinople, Timothée (patriarche : 511-517), suivi dans tout l’Orient, l’ayant imposé à
chaque messe165. En Occident, il était apparu en Espagne dès la fin du VIe siècle, introduit
avant la prière de Notre Père par le Concile de Tolède (589) pour « toutes les églises
d’Espagne, Gaule et Galice », en retenant, « à la manière orientale, le symbole de foi du
Concile de Constantinople », de préférence au symbole dit des Apôtres, qui commence par
« Je crois en Dieu, … » et qui est le plus courant dans l’Eglise latine romaine. C’est que, en
effet, il existe un autre symbole, celui adopté par le Concile de Nicée (325) et complété par le
Concile de Constantinople qui affirma la divinité du Saint-Esprit166 (381), il est plus long que
l’autre et commence par « Je crois en un seul Dieu, … » ; c’est l’unique texte de confession
de foi utilisé dans Eglise orientale et il faut remarquer que c’est ce credo (Nicée-
Constantinople) qui est chanté en latin. Que le Concile de Tolède ait choisi le symbole de
Nicée témoigne de sa préférence pour les décisions prises dans ce domaine par le Concile de
Nicée, qu’il considère le fait que ce symbole est l’œuvre de « cent cinquante évêques », tandis
que le symbole attribué aux Apôtres n’a pas une origine aussi sûre et s’est formé à Rome sans
que l’on sache de quelle autorité ni dans quelles circonstances historiques précises. De plus,
Nicée avait été convoqué par Constantin pour conforter la foi catholique et réfuter, avec le
soutien de l’empereur, une hérésie montante et coriace de l’époque, l’arianisme, relative à la
163
ROUET, Albert, op.cit., p.98.
164
DANIEL-ROPS, op.cit., p. 253.
165
LORET, Pierre, op.cit., p. 106.
166
Ibid., p. 91. C’est la raison pour laquelle, il est également appelé « Symbole de Nicée-Constantinople ».
74

nature divine de Jésus, que niait Arius (un prêtre alexandrin) soutenu par un certain nombre
d’évêques et de théologiens. Le Concile de Nicée retint l’identité de Jésus avec Dieu
(homoousios), de même substance, consubstantiel, monogène, et non seulement « semblable »
(homoiousios)167 ; en choisissant ce symbole, le Concile de Tolède, convoqué par les rois
wisigoths, consacrait l’abandon de l’arianisme qu’ils avaient jusque là adopté. Par ailleurs, si
l’Espagne fut le premier lieu d’Occident où fut récité le Credo à la messe, c’est également
l’influence de l’Orient subie directement par la présence sur la côte d’une communauté
byzantine qui avait importé ses coutumes liturgiques168 ; c’est par la suite que le Credo
atteindra d’autres régions (Irlande, Angleterre, etc.). Pour les pays carolingiens, Jungmann
précise169 que Charlemagne se le vit proposer par Alcuin (Albinus Flaccus…), le maître qu’il
avait fait venir en 782 à l’école de son palais d’Aix-la-Chappelle170. C’est Charlemagne qui
eut l’idée de le placer juste après l’évangile « pour ratifier la foi qu’on vient de proclamer »
(par les lectures), idée que, après des réticences soulevées partout, le pape Léon III acceptera
mais en limitant la proclamation du Credo au dimanche et aux jours des grandes fêtes. C’est
peut-être le lieu de signaler, comme manifestation de facteurs pas du tout liturgiques ou même
bibliques dans la formation de la liturgie : c’est également Charlemagne qui modifiera,
proprio motu, le Credo dans la liturgie d’obédience romaine en y introduisant le
problématique Filioque pour préciser spécifiquement que le Saint-Esprit ne procède pas que
du Père mais du Père et du Fils, ce qui, du reste, était déjà réalisé en Espagne et dans les
Gaules par le concile de Tolède171. L’objectif poursuivi par Charlemagne en généralisant la
récitation du Credo était de combattre l’arianisme renaissant dans son empire172. Tandis que
Rome restait le dernier bastion à ne pas avoir introduit le Credo dans la messe, l’empereur
Henri II qui lui aussi combattait l’arianisme, en visite à Rome en 1014 et scandalisé de ne pas
entendre le Credo lors de la messe à laquelle il assistait, exigea et obtint du pape Benoît VIII
qu’à la messe fût chanté le Credo, ce n’est donc qu’au XIe siècle que le Credo fut entendu
pour la première fois dans une messe romaine173.
En tout cas, l’essentiel de la profession de foi, indépendamment de sa formalisation
par les conciles (de Nicée et de Constantinople), était déjà affirmé au IIe siècle, comme on le
voit dans la déposition de saint Justin devant le préfet Rusticus qui l’intérrogeait :
« - Le préfet Rusticus dit : «Et quelle est cette doctrine ?»

167
Pour cette querelle et ses enjeux, voir DANIEL-ROPS, op.cit., pp. 537-546
168
LORET, Pierre, op.cit., p. 107.
169
JUNGMANN, Joseph-Andreas, MS II, p. 242.
170
Encyclopedia Universalis
171
LORET, Pierre, op.cit., p. 107.
172
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 95.
173
CABIE, Robert, op.cit., p.46. JUNGMANN, MS II, p. 242, LORET, Pierre, op.cit., p. 108.
75

- Justin répond : « C'est notre conception pieuse du Dieu des chrétiens. Ce Dieu, nous
croyons qu'il est unique, que dès l'origine il a été le créateur et le démiurge de toutes les
créatures visibles ou invisibles. Nous croyons que le Seigneur Jésus-Christ est le Fils de
Dieu, le Messie annoncé par les Prophètes comme devant assister la race des hommes »174

I.II.III La liturgie eucharistique

C’est la deuxième partie de la messe, qui comprend toutes les prières et tous les rites
autour du « repas eucharistique» commémorant la dernière Cène. C’est le moment le plus
solennel et le plus grave, intrinsèquement, de la messe où, par la foi, les chrétiens croient que
le Christ va se rendre présent dans les espèces, une fois celles-ci « eucharistiées », et s’offrir
en sacrifice, avant que les chrétiens puissent « rompre le pain », « manger le corps » et « boire
le sang » du Christ, par la communion. Ce cœur de la foi et du culte chrétiens est resté, à
cause de cela, depuis les temps apostoliques jusqu’à Vatican II réservé aux baptisés ; c’est
pourquoi les catéchumènes, les pénitents et les païens, qui assistaient à la messe jusque là
doivent sortir175. De longue date, la liturgie s’est ainsi conformée à cette exigence donnée par
la Didachè qui dit « IV. 5. Que personne ne mange ni ne boive de votre eucharistie, si ce n’est les
baptisés au nom du Seigneur; car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas ce qui est
saint aux chiens » (Mt 7,6). ». Cette exigence est confirmée par S.Justin dans son Apologie (à
l’empereur Antoine), qui dit que « Cette nourriture, nous l’appelons eucharistie et personne ne peut y
prendre part s’il ne croit à la vérité de ce qu’on enseigne chez-nous, s’il n’a reçu le bain pour la
rémission des péchés et la nouvelle naissance et s’il ne vit selon les préceptes du Christ ». Aussi, dans
plusieurs écrits, appelle-t-on cette partie « la messe des fidèles », tandis que la précédente est
dite « la messe des catéchumènes ».

C’est la messe au sens strict176 ; son caractère auguste est tel que, dans les premiers
temps, c’est l’évêque lui-même qui va directement officier cette partie où intervient le Christ
lui-même, l’évêque n’agissant en effet que, nous l’avons vu, in persona Christi. A cause de
cela, pendant longtemps la messe valide était uniquement celle dite ou présidée par l’évêque ;
la présidence par un prêtre ne s’imposera qu’avec la croissance démographique et avec
l’accroissement du nombre des lieux de célébration jusque dans les campagnes.

174
Extrait de «La vraie Légende dorée», relations de martyre traduites avec introduction et notices, par Paul
Monceaux, de l'Institut, professeur au Collège de France. Editions Payot, Paris, 1928. Une autre variante dit,
« nous reconnaissons un Dieu unique, auteur et créateur de toutes choses, tant les visibles, que celles qui ne se
voient pas des yeux du corps ; et nous confessons le Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu, annoncé autrefois par les
prophètes, et qui doit venir comme juge du genre humain".
175
DANIEL-ROPS, op .cit., pp. 254-255.
176
CASEL, Odon, op.cit., p. 23.
76

La liturgie eucharistique ou, encore, le saint-sacrifice, comprend l’offertoire, le canon


et la communion ; elle commence donc par les paroles d’introduction à la consécration
proprement dite.

I.II.III.1 L’offertoire et la préparation des dons

Au départ, ainsi que nous le montre l’Apologie de S. Justin, c’est immédiatement après
les prières qui suivent les lectures que tout commence, lorsque « on apporte à celui qui préside
du pain, du vin et de l’eau » et « pareillement celui qui préside fait monter au ciel prières et
actions de grâce, tant qu’il peut. Et le peuple pousse l’acclamation : Amen. Puis a lieu la
distribution et le partage des choses eucharistiées… ». C’est en cela seul que consiste cette
étape de la liturgie, en quelque sorte un ensemble de gestes et actes matériels qui conduisent
au mémorial.

Si l’on peut croire qu’alors les choses se passaient aussi simplement que nous l’avons
vu dans les développements relatifs aux origines de la liturgie chrétienne de la messe, dans la
suite, des rites se sont étoffés, ajoutant, comme pour l’entrée, prières et gestes plus ou moins
significatifs. Cette étape a connu des amplifications nécessitées pour des raisons utilitaires ou
pratiques, comme cela se dégage de la sobre description qu’en fait Justin. En effet, les dons
des fidèles étaient apportés et collectés avant la messe ; mais dès le Ve siècle, de premières
amplifications interviennent, d’abord en Afrique avant de passer à Milan puis à Rome où
l’apport des offrandes est inclus dans la célébration juste avant la prière eucharistique. C’est
ainsi que, là où le diacre apportait, tout simplement, le pain et le vin, ce sont les fidèles qui,
prenant de leur table, offrent à l’Eglise la matière, exprimant ainsi leur participation au
sacrifice, en même temps qu’ils en donnent pour les pauvres, veuves et indigents177. Saint
Augustin précise qu’en Afrique, notamment dans son siège (Hippone), l’apport des offrandes
est fait par les fidèles venant en procession jusqu’au sanctuaire, la pratique s’étendra à Milan
puis à Rome. Adrien Nocent estime que ce geste exprime la volonté de l’humanité et de
l’Eglise entière de s’unir à la tête qu’est le Christ, se disposant à être offerte avec le Christ
dans son sacrifice178. Mais les pratiques sont très variées, ailleurs, ce sont les diacres qui
continuent d’aller à la sacristie où les matières sont déposées et les apportent à l’autel.

Plusieurs autres amplifications, moins justifiées, viendront alourdir l’offertoire : une


foule de prières dites à voix basse soit exprimant l’humilité et la contrition du prêtre qui se

177
La matière à « eucharistier » est mise à part pour être apportée sur l’autel, le reste, destiné aux pauvres, etc.,
est, comme nous ‘avons dit plus haut, à l’origine de la quête que déposent les fidèles à la messe.
178
NOCENT, Adrien., op.cit., pp. 67 et 68.
77

reconnaît pêcheur et indigne, dans la lignée du confiteor et des autres prières du bas de l’autel
dont nous avons parlé, soit accompagnant chaque geste, dévoilement du calice, bénédiction de
l’eau, encensement, ablutions (la prière de lavabo) ou encore le Suscipe Sancta Trinitas179 que
le prêtre récite lorsqu’il reçoit chacune des deux matières à offrir (pain, vin et autres offrandes
des fidèles) qui lui sont remises. Des gonflements inutiles et sans fondement vont remplacer
les gestes, y compris la procession des offrandes, jusque là simples, créant, comme le constate
Pierre Loret, de regrettables confusions au point de pratiquement faire oublier que c’est seul le
Christ qui offre. Mais, partout, pendant que le diacre apporte le pain et le vin ou au cours de la
procession, on chante un psaume (celui de l’offertoire), le célébrant, qui jusque là n’a rien dit,
conclut le psaume par une oraison qui n’est qu’une prière sur les offrandes dite à haute voix,
tandis qu’en Gaule et en Espagne on lit ensuite les noms de ceux qui ont apporté les dons180.

La goutte d’eau

L’explication de la présence de l’eau, dont le célébrant ne versera qu’une goutte dans


le vin, n’est pas certaine. Il y en a qui parlent d’une coutume juive consistant à couper d’eau
le vin que l’on prenait à table, peut-être comme Jésus dut le faire à la dernière Cène ; on peut
dire qu’à ce titre l’usage est ancien parce que, on l’a vu, saint Justin dit qu’on apporte à celui
qui préside le pain, le vin et l’eau. D’autres y voient le symbole de l’eau mêlée au sang du
côté transpercé du crucifié ou encore le vin étant le sang du Christ, donc sa part dans la
célébration, l’eau représente la participation du peuple des fidèles au sacrifice, tandis qu’une
autre explication liturgique y voit l’union de la divinité et de l’humanité du Christ181 ou
encore l’alliance qui garantit aux hommes d’accéder « à la divinité de celui qui a pris leur
humanité » ainsi que le suggère une prière qui accompagne ce geste depuis Vatican II, restes
d’une prière romaine du VIe siècle dite comme « secrète » de Noël (c’est la « secrète » Deus
qui humanae substantiae) et qui se généralise à l’offertoire au XIe siècle. En tout cas, ce geste
qui se complique encore avec la bénédiction de l’eau, avec une prière, au moment d’en verser
une goutte dans le calice, dans la messe pontificale l’évêque effectuant cette bénédiction d’un
geste depuis son trône, est resté incompris des fidèles. Il est l’une de beaucoup de ces choses,
sans aucune signification ni caractéristique sacralisante, qui ont été ajoutées à la liturgie
« apostolique » et qui, outre l’aspect d’ésotérisme ou de magie qu’ils prennent aux yeux des

179
V. l’explication de cette prière dans CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 120.
180
CABIE, Robert, op.cit., pp. 35-37.
181
V. CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p.107. Cet auteur dit comment le Concile de Trente constate que les
Arméniens monophysites, parce qu’ils ne reconnaissent pas la nature humaine de Jésus, ne mêlent pas l’eau au
vin.
78

profanes, ne témoignent que du relativisme circonstanciel ou culturel de certains aspects de la


liturgie, relativisme dont il sera encore parlé plus tard.

Le rite de l’offertoire se poursuivait. D’abord par le Lavabo inter innocentes manus


meas et circumdabo altare tuum… (Je me laverai les mains parmi les innocents et ferai le tour
de ton autel…), reprenant les versets 6 à 12 du psaume 25, que le prêtre lit côté épître,
pendant que l’acolyte lui lave les mains à partir d’une burette (à la messe pontificale c’est à
genoux que l’acolyte lave les mains du prélat avec un grand vase à anse)182. Ensuite, le prêtre
dit l’Orate fratres introduisant une prière : se retournant vers le public et les bras ouverts, le
prêtre dit, s’adressant en fait aux ministres, « Priez, mes frères, pour que mon sacrifice qui est
aussi le vôtre puisse être agréé par Dieu le Père tout-puissant » « Orate fratres ». La coutume
fut introduite au VIIIe siècle, tout en connaissant plusieurs variantes. Généralement, cette
demande du prêtre recevait la réponse des ministres qui l’accompagnent agissant en fait au
nom des fidèles, dans une prière disant « Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice à
la louange et à la gloire de son nom, mais aussi pour notre bien et celui de toute sa sainte
Eglise. Amen » (la prière de Suscipiat)183. Daniel-Rops nous donne une formule de cette
oraison conclusive qui ne diffère de la substance de la précédente que par le fait que n’y
figure pas d’autre réponse des fidèles que l’Amen : « Prions, mes frères, afin que ce sacrifice
de moi et de vous soit accueilli favorablement par Dieu », les fidèles répondant tout
simplement « Amen »184. Vatican II gardera de ces prières des éléments dans le « Prions
ensemble pour le sacrifice de toute l’Eglise ».

La réponse du peuple ou faite au nom du peuple permet alors au prêtre de conclure


l’offertoire par l’oraison sur les offrandes Respice, Domine …, demandant à Dieu de regarder
les offrandes et d’en faire un aliment qui sanctifie les croyants, le corps et le sang du Christ. A
Rome l’oraison, appelée, oratio super oblata, se chantait, à haute voix, c’est en Gaule que,
dite à voix basse au VIIe siècle, elle prit le nom de secrète. Malheureusement, imitant les
usages gallicans, on abandonnera cette innovation pastorale selon laquelle tout était dit à
haute voix dans une célébration considérée comme communautaire, pour commencer la
pratique, qui se généralise à l’époque carolingienne, de réciter à voix basse l’oraison sur les
offrandes, qu’on pouvait multiplier à souhait, jusqu’à 16185. Il en fut de même pour toutes les
autres prières introduites ultérieurement à plusieurs endroits de la messe, dont question ci-

182
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., pp. 118-119.
183
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., pp. 122 et 123.
184
DANIEL-ROPS, op .cit. p. 255.
185
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p.124.
79

haut, elles aussi dites à voix basse, d’où le nom générique de « secrètes » qu’elles prendront,
subsistant sous cette forme jusqu’à Vatican II. Noëlle-Maurice Denis-Boulet donne une
explication peu convaincante, selon laquelle, si la prière sur les offrandes se disait à voix
basse c’est parce qu’elle « s’adressait non pas au peuple, mais aux offrandes »186.

Ce travail matériel de préparation de l’autel ainsi terminé, commence la prière


eucharistique, première étape de la liturgie eucharistique proprement dite.

I.II.III.2 La Prière eucharistique et le Canon de la messe

I.II.III.2 .1 Cadre conceptuel et structure

Il faut, ici, se référer à la Tradition apostolique, Ce document n’expose pas une


assemblée liturgique mais, pour ce qui nous intéresse ici, présente, à son chapitre 4 (De
oblatione), ce qui est considéré comme la plus ancienne anaphore connue, mais récitée lors
du sacre d’un évêque, immédiatement après la prière de sacre (donnée, elle, au chapitre 3) ; on
peut néanmoins penser qu’elle nous fournit le modèle de la structure d’une prière
eucharistique, valable pour toutes les concélébrations, avec les parties essentielles de la prière
eucharistique. En tout cas, on y découvre la manière générale dont cette prière est ordonnée
dans la forme qui prendra à Rome le nom de Canon de la messe. C’est vraiment la « grande
prière » de l’Eglise ; Jungmann la fait remonter, comme bien d’autres, ainsi que nous l’avons
vu, à la Berakah juive

Elle comprend une action de grâce, le récit de l’Institution suivie d’une anamnèse,
un appel des fruits et bénédictions sur les participants ou épiclèse et, dans la fin de cette
prière, une doxologie, avec la réponse des fidèles disant Amen.

Le texte de l’anaphore de la Tradition Apostolique187

« Quand il a été fait évêque, que tous lui offrent le baiser de paix, le saluant
parce qu’il est devenu digne.
Que les diacres lui présentent l’oblation et que, en imposant les mains sur elle
avec tout le presbyterium, dise en rendant grâces :
Le Seigneur soit avec vous.

Et que tous disent :

186
DENIS-BOULET, Noëlle-Maurice, Sacramentaire d’Amiens, p. 379.
187
HYPPOLITE DE ROME, La Tradition Apostolique d’après les anciennes versions, Introduction, traduction
et Notes par Bernard BOTTE, 2e Edition, Paris, Ed. du Cerf, 1968,pp. 47-51.
80

Et avec ton esprit.


Elevez vos cœurs.
Rendons grâces au Seigneur.
C’est digne et juste.

Et qu’il continue alors ainsi :


Nous te rendons grâces, ô Dieu, par ton Enfant bien aimé Jésus-Christ, que tu nous as
envoyé en ces deniers temps (comme) sauveur, rédempteur et messager de ton dessein,
qui lui est ton Verbe inséparable par qui tu as tout créé et que, dans ton bon plaisir, tu as
envoyé du ciel dans le sein d’une vierge et qui, ayant conçu, s’est incarné et s’est
manifesté comme ton Fils, né de l’Esprit-Saint et de la Vierge.
C’est lui qui, accomplissant ta volonté et t’acquérant un peuple saint, a étendu les mains
tandis qu’il souffrait pour délivrer de la souffrance ceux qui ont confiance en toi.
Tandis qu’il se livrait à la souffrance volontaire, pour détruire la mort et rompre les
chaînes du diable, fouler aux pieds l’enfer, amener les justes à la lumière, fixer la règle
(de foi) et manifester la résurrection, prenant du pain, il te rendit grâces et dit : Prenez,
manger, ceci est mon corps qui est rompu pour vous. De même le calice, en disant :
Ceci est mon sang qui est répandu pour vous. Quand vous faites ceci, faites-le en
mémoire de moi.
Nous souvenant de sa mort et de sa résurrection, nous t’offrons ce pain et ce calice, en
te rendant grâces de ce que tu nous as jugés dignes de nous tenir devant toi et de te
servir comme prêtres.
Et nous te demandons d’envoyer ton Esprit-Saint sur l’oblation de la sainte Eglise. En
(les) rassemblant, donne à tous ceux qui participent à tes saints (mystères) (d’y
participer) pour être remplis de l’Esprit-Saint, pour l’affermissement de (leur) foi dans
la vérité, afin que nous te louions et glorifions par ton Enfant Jésus-Christ, par qui à toi
gloire et bonheur avec le Saint-Esprit dans la sainte Eglise, maintenant et dans les
siècles des siècles.
Amen. »

Comme cela sera constaté dans la dernière partie de cette étude, cette prière indiquée
par la Tradition Apostolique inspire directement la prière eucharistique n° II adoptée par le
Concile Vatican II qui a, comme nous le verrons, entendu puiser aux sources liturgiques de la
Tradition chrétienne, et pas seulement dans prières eucharistiques.

Ce schéma unique, bénédiction de Dieu pour ce qu’il fait, récit de l’Institution, rappel
des événements qui déterminent le salut, passion mort et résurrection du Christ (anamnèse) et
prière pour la communauté, est resté immuable, sauf, du temps d’Hyppolite, possibilité
81

d’improvisation par l’évêque qui officie188. C’est ce schéma qui fera le fond de toutes les
anaphores des siècles suivants, de telle sorte qu’on peut affirmer que, sur ce fond, la prière
eucharistique prend à cette époque la forme fixe et définitive autour de la partie centrale que
nous allons découvrir dans les développements qui suivent et dont les éléments sont déjà en
substance ce qu’ils sont aujourd’hui189.

Mais, si cette structure suggérée par la Tradition Apostolique est suivie par le canon
romain, ailleurs il y eut plusieurs variantes, seul le récit de l’institution restant inchangé. Je
recours à ce vocable de canon, sans prendre part aux controverses des liturgistes sur ce qu’est
le canon véritable, la question de savoir quand, dans tous ces rites, il commence et il s’arrête ;
en particulier, s’il comprend ou non la Préface, etc. En effet, il est soutenu que « la prière
d’action de grâces apparaît dans la préface comme un élément isolé, pur préambule qui
introduit au canon », les choses n’étant d’ailleurs pas si simples, car par moments la préface
est présentée comme faisant partie du canon190.

Il semble que, malgré tout, une scission se soit produite entre la préface et le canon
proprement dit, influence des rites gallicans qui sectionnaient cette grande prière en plusieurs
oraisons (orationes) : la fin du Sanctus terminant la partie qui comprend la praefatio, avant
que ne commence la partie consécratoire jusqu’au Pater Noster191. Cependant, en remarquant
qu’après le Sanctus s’installe le silence, le prêtre se mettant à parler à voix basse, mezzo voce
ou même de manière inaudible, on peut reconnaître que l’on passe à autre chose. Dans cet
ordre d’idées, Jungmann cite le premier et le deuxième Ordines romani (les « ordinaires »
romains) qui expliquent ce silence en prescrivant qu’après le Sanctus, le prêtre « entre seul et
‘’tacitement’’ dans le canon », de la même manière que les prêtres de l’ancienne Alliance
étaient les seuls autorisés à entrer dans le sanctuaire. Les textes les plus anciens reprenaient la
forme de la bénédiction juive (la berakah) : avec une exclamation admirative : « Béni sois-tu,
Seigneur », avec mention de l’objet de l’exclamation, les œuvres accomplies par Dieu et
l’expression de l’espoir d’autres réalisations favorables, pour se conclure par une brève
louange (doxologie).

188
Cette improvisation de la prière eucharistique est attestée par DANIEL-ROBS qui précise que « Les mots de
l’Evangile lui viennent aux lèvres [du pontife], dans une improvisation mystique », Histoire de l’Eglise du Christ
t. I, op.cit., p. 255.
189
NOCENT, Adrien, L’avenir de la liturgie, op.cit., p.150.
190
JUNGMANN, Joseph-Andreas, Missarum Solemnia – Explication génétique de la Messe romaine III, Paris,
Ed. Montaigne, 1954, p. 5.
191
JUNGMANN, MS III, pp. 8-9.
82

Le canon romain fut constitué essentiellement du IIIe au IVe siècles. Dès le début du
Ve siècle, sous le pontificat d’Innocent Ier, il n’existe plus, pour qui veut célébrer une « messe
romaine », qu’un seul canon, une seule prière eucharistique dont les pièces sont fixes,
immuable et obligatoire, dans laquelle Innocent Ier avait inclu des prières d’intercession pour
les vivants. A la différence de ce qui se passait chez les Gallicans, tout est ordonné, clair et
net, préparé d’avance, les rôles distribués, sans aucune possibilité d’improvisation192. Il est
cependant attesté que le travail se poursuivit jusqu’au début du VIe siècle, plusieurs « Pères »
contribuèrent à son élaboration au cours des siècles, notamment les papes Ambroise, Léon,
Gélase, Grégoire le Grand ; on estime que c’est ce dernier qui en a fixé le premier véritable
formulaire qui nous est connu à travers les gallicans tentés de s’en inspirer193. Ce fut à
l’origine un ensemble simple et cohérent, mais il semble, selon Jungmann, qu’à Rome même
le peuple ne répond et ne participe plus aux chants194

Pour présenter la structure du canon, il sera fait appel essentiellement à


l’ordonnancement suivi par Joseph-André Jungmann dans le tome III de son Missarum
Solemnia, et Jean-Denis Chalufour195, d’autres sources servant à fournir des explications à
chaque partie de cette structure. Cette structure comprend la préface et la prière eucharistique
qui inclut l’anamnèse et des prières de supplication, elle est clôturée par la doxologie. Mais,
nous situant hors toutes les discussions qui ne concernent que les spécialistes, nous
séparerons, par pur souci de présentation et de clarté, la préface de ce que nous appelons le
canon proprement dit.

I.II.III.2.2 La Préface

Elle commence par le dialogue introductif des actions de grâce juives, que nous avons
retrouvé dans la Tradition apostolique, sans doute pour attirer l’attention de tous et unir les
esprits : c’est le début de la préface, introduit, après le traditionnel Dominus vobiscum et sa
réponse habituelle (Et cum spiritu tuo), ensuite le Sursum corda, « Hauts les cœurs », avec la
réponse du public « Nous les avons dans le Seigneur » (Habemus ad Dominum) ou, dans la
traduction d’aujourd’hui, « Nous les tournons vers le Seigneur », le dialogue se terminant par
l’invitation à rendre grâces « Gratias agamus Domino Deo nostro », avec la réponse « Il est
digne et juste » (Dignum et justum est). Suit alors toute la préface dont les premiers mots,

192
LORET, Pierre, op.cit., p.91.
193
CABIE, Robert, op.cit., p. 49.
194
JUNGMANN, MS I, p. 105.
195
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., pp. 135-165.
83

reprenant les derniers du dialogue, sont « Vraiment il est digne et juste, équitable et salutaire
de Te rendre grâces en tout temps et en tout lieu, Seigneur saint, Père tout puissant, Dieu
éternel… »196, presqu’en écho à la prière faite à l’office matinal juif après la Sch’ma Israel
ainsi que nous l’avons vu plus haut.

La présence de la préface et de son dialogue sont attestés dès le IIIe siècle197 ; il en


existe plusieurs variantes, avec celle, par excellence, dite la préface commune qui s’installe
« peut-être au VIe siècle »198, qui est une action de grâce pure rendue à Dieu pour ce qu’il est,
les autres variantes remercient Dieu pour ses bienfaits. Il faut relever un détail intéressant sur
l’attitude des fidèles, pendant que, les mains levées, le prêtre chante la préface, les fidèles eux
aussi « lèvent vers Dieu des mains saintes »199. A la fin de la préface, retentit le Trisagion, le
triple Sanctus : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur Sabaoth, toute la création est pleine de sa
gloire ». Pour Casel, il n’y a plus « aucun doute sur ce fait que le trisagion de l’eucharistie
chrétienne ne soit un héritage du fonds judaïque200. Son exécution sera généralisée au IVe
siècle en Orient, vers 350, avant que, plus tard, on l’emploie aussi en Occident, sans doute par
la Gaule vers 400 pour se généraliser vers 450201. Certes, le Sanctus ne figure pas dans la
Tradition apostolique d’Hyppolite, mais il semble déjà adopté dans les différentes liturgies
chrétiennes à cette époque et, dès le Ier siècle, à Rome. Les Constitutions apostoliques
contiennent une prière qui s’apparente à cette partie de la liturgie eucharistique :

Pour tout cela qu’à Toi soit l’honneur, Seigneur Tout-Puissant.

C’est toi qu’adorent les armées innombrables des anges,


archanges, trônes, domination, principautés, puissances, vertus des armées célestes.

Les chérubins et les séraphins aux six ailes se couvrent les pieds de deux ailes,

La tête, de deux autres ;


Et volent avec deux autres ;
Ensemble ils disent avec des millliers de milliers d’archanges
Et à des myriades de myriades d’anges,
Qui sans trêve ni repos crient :

196
CASEL, Odon, op.cit., p. 28.
197
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 129.
198
J. Jungmann, cité par CHALUFOUR, op.cit., pp. 128-129.
199
Selon le témoignage d’un apologiste cité par Casel, p. 29.
200
CASEL, Odon., op.cit., p. 39. Le chant de Sanctus, tiré de la vision d’Isaïe (Is 6, 3), était chanté lors du culte
synagogal sans faire partie des rites du repas ; c’est sans doute parce que non rattaché aux rites du repas qui
inspira la liturgie eucharistique chrétienne, qu’il ne sera que tardivement introduit dans la partie eucharistique
chrétienne.
201
ROUET, Albert, La messe dans l’histoire, Paris, Ed. Cerf, 1979, p. 76.
84

(et tout le peuple doit dire avec eux


Saint, Saint, Saint est le Seigneur Sabaoth
Le ciel et la terre sont remplis de sa gloire,
Louange à lui pour l’éternité. Amen

Quant à saint Clément de Rome, il le cite dans sa Lettre aux Corinthiens où, constatant
ce que disent les Ecritures sur les myriades de myriades qui se tiennent devant Dieu, clamant
« Saint, Saint, Saint est le Seigneur Sabaoth, toute la création est pleine de sa gloire », en
conclusion il adresse une invitation : « Nous donc aussi, réunis dans la concorde et
l’unanimité, crions vers lui constamment d’une seule et même voix (d’une seule bouche et
sans nous lasser) pour avoir part à ses sublimes et magnifiques promesses (afin de devenir
participants de ses grandes et glorieuses promesses) »202. Un détail intéressant est à préciser,
par cette invitation absente dans le texte juif et dans les préfaces antérieures à Vatican II où le
chant Sanctus avait une fonction narrative comme pour informer sur ce que disaient les
« myriades », la prière des Constitutions apostoliques et de Clément, au Ier siècle, ont donné
le modèle des préfaces actuelles où les fidèles sont invités, à l’instar des « myriades », à
chanter ou dire le Trisagion. On peut penser que le ton et le contenu de la prière de Clément
de Rome qui se termine par le trisagion, se rapportait, notamment par l’invitation faite aux
chrétiens de dire Saint, …, à la célébration eucharistique, et que les prières de Clément et des
Constitutions apostoliques confirment avec un degré élevé de certitude que le trisagion était
connu et récité dans les célébrations des communautés chrétiennes primitives qui étaient
directement héritières de la liturgie juive où ce Keduscha était prononcé dans le Sch’ma
Israël, dans la « Prière des dix-huit demandes » et dans le Keduscha de Sidra qui ont été
présentés plus haut.

Tandis que Le Benedictus (Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, Hosanna au
plus haut des cieux) qui accompagne dorénavant le Sanctus apparaît dans la liturgie au VIe
siècle. D’après Jungmann, dont Chalufour partage l’avis, il semble que c’est « dans les Gaules
que le Benedictus ait été joint pour la première fois au Sanctus ». Cette exclamation tirée de la
Bible et reprise plus tard à Rome et en Orient hors la liturgie alexandrine, était alors chantée
en Gaule après la consécration et garda cet emplacement jusqu’aux réformes du XXe siècle

202
Epître de Clément de Rome aux Corinthiens, XXXIV, 6-7, http://www.eglise-aarmenienne.com
85

qui l’ont intégrée depuis au Sanctus tel qu’il est encore dit ou chanté aujourd’hui, avant la
consécration.

I.II.III.3 Le Canon proprement dit

Le canon proprement dit, qui est la règle officielle de la « grande prière » (c’est-à-dire
de la prière eucharistique ou sacrificielle), commence ici avec une série de prières qui
conduisent à la consécration203. L’évocation de ces prières rétablit, comme on l’a vu plus haut,
leur genèse ainsi que leur évolution jusqu’à parachèvement, c’est-à-dire, en gros, jusqu’à la
publication du premier Missel plénier de 1474, tout en rappelant que la partie centrale du
canon : Quam oblationem, suivi de Qui pridie et du récit de l’Institution, Unde et memores et
l’anamnèse, ainsi que le Supra quae et le Supplices, s’est installée très tôt et n’a plus guère
changé. De fait, le canon est resté globalement dans la forme et le contenu fixés entre le Ve et
le VIIe siècle, ne subissant qu’un ajout, en 1958, dans le Communicantes, lorsque Jean XXIII
a associé saint Joseph à la liste des saints invoqués, au côté de la Vierge Marie. Il est de
tradition que le canon se dit à voix basse, à peine audible pour certaines prières, le prêtre, tel
le sacrificateur de l’Ancien Testament, entrant seul dans le saint des saints et s’adressant, seul
pour tous, à Dieu. Aux VIe-VIIe siècles, le clergé et les fidèles restent inclinés pendant tout le
canon, tandis qu’à la fin du Moyen Age, les fidèles s’agenouillaient, le clergé restant
debout204.

I.II.III.3.1 Les prières pré-consécratoires

1°) Le Te Igitur qui est une prière qui relie directement l’action de grâces à l’offrande car elle
demande à Dieu, par Jésus-Christ, d’agréer et de bénir les « oblats » que sont le pain et le vin
du sacrifice, « ces dons, ces présents, ces offrandes saintes et sans tâche ». Il n’est cependant
pas faux d’affirmer qu’alors que la première partie de la prière fait déjà tourner les esprits
exclusivement vers les oblats et l’événement de la transsubstantiation, survient une coupure et
à l’offrande la prière mêle l’intercession. En effet, le prêtre se met à présenter à Dieu ceux
pour qui il offre le sacrifice, généralement l’Eglise, le pape régnant, les évêques des lieux et
tous ceux qui « ont la garde de la foi catholique et apostolique » ; la prière pour le pape, titre
203
La succession de ces prières est reprise de Jungmann et de Chalufour, qui en ont fait une présentation
systématique ; la traduction des prières est surtout empruntée à ce dernier et se complète de quelques
approximations de notre part ; les autres auteurs sont également cités pour l’analyse et les explications.
204
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 135.
86

qui, notamment en pays francs, a longtemps désigné l’évêque, est instituée depuis le début du
VIe siècle, le Concile de Vaison (529) l’avait imposée en même temps qu’il introduisait le
credo, elle est pratiquée également la même période à Rome, à Milan, en Toscane, etc.205.

Il faut également signaler la prière pour le souverain, il est avéré que prier pour
l’empereur était devenu pratique courante déjà dès le Ve siècle, faisant partie du canon
notamment dans le rite ambrosien de Milan où l’on prie « pour notre empereur et nos rois » et,
lorsque les territoires se sont singularisés pour appartenir à des princes et rois souverains, on
faisait mention du roi du pays, jusque bien plus tard un peu partout en Europe. En fait, cette
coutume reculait et parfois se perdait dans les périodes de luttes ou de crises politiques, en
particulier avec le Saint-Siège ou en cas de conflits de dévolution206. La mention des
souverains séculiers dans la prière n’est pas pour surprendre : l’Apôtre Paul recommande en
effet aux chrétiens « qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de
grâces pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité, afin que nous
puissions mener une vie calme et paisible … » (I Tim 2, 2).

2°) Le Memento (des vivants), Memento Domine, famulorum famularumque tuarum N. et N.,
quorum… Les demandes continuent par cette prière d’intercession générale, par laquelle,
après la prière pour l’Eglise, les prêtres célébrant des messes dans des églises locales, de
village ou de quartier prient pour des particuliers, notamment ceux qui ont contribué
matériellement en donnant des « honoraires » de messe ou par tout autre secours, et dont les
noms, inscrits sur des tablettes (diptyques), sont cités ; l’intercession va s’étendre aux
chrétiens qui assistent à l’office en cours. La pratique, déjà suivie en Orient depuis le IVe
siècle, est signalée d’abord en Espagne et en Gaule où une grande oraison du président
concluait l’énumération de la liste des offrants (oraison post nomina)207. C’est pourquoi cette
prière est également ainsi appelée Memento des vivants. L’intercession pour les vivants était
déjà apparemment une coutume courante depuis le IVe siècle lorsqu’intervient la décision du
pape Innocent Ier (pape de 401 à 417) d’introduire ces demandes dans le canon208 afin que,
notamment ceux qui avaient apporté l’offrande, sans doute insigne (au moins les gros
donateurs), soient cités au milieu des Mystères sacrés (on devait certainement croire la prière
plus efficace à cet endroit). Il y a là, encore, comme ailleurs, incohérence illogique et un de
ces hasards par lesquels apparaissent certains rites ou gestes liturgiques, qui ne s’explique pas

205
JUNGMANN, MS III, op. cit., pp 64-67..
206
JUNGMANN, MS III, pp. 69-71.
207
CABIE, Robert, op.cit ., p. 37.
208
Dans son épître à Decentius de Gubbio,
87

logiquement sauf par l’influence des rites orientaux qui avaient déjà intercalé les demandes
d’intercession tout au début du même siècle209. L’Apologie de Justin nous montre ces prières à
la suite immédiate des lectures, lorsqu’elle indique qu’après qu’on ait apporté du pain, du vin
et de l’eau à celui qui préside, celui-ci « fait monter au ciel prières et actions de grâce tant
qu’il peut », donc, précédant l’eucharistie mais assez près d’elle ; parmi ces prières,
certainement celles d’intercessions diverses.

3°) Le Communicantes (En communion avec …), prière par laquelle l’officiant unit au
sacrifice de l’Eglise ceux que celle-ci honorent comme étant déjà dans la gloire du ciel (la
Vierge Marie, les Apôtres et les martyrs, les cinq premiers saints papes, etc.). Il n’est pas
anachronique d’indiquer, d’ores et déjà, que c’est en 1958 seulement que Jean XXIII
retoucha, pour la première fois dans l’histoire, les communicantes pour y ajouter, après la
Vierge Marie, la citation de « saint Joseph son époux ».

Une nouvelle phase du canon s’ouvre, au seuil vraiment de l’institution et de la


consécration, avec deux prières par lesquelles le prêtre revient à la présentation des oblats à
Dieu :

1°) Le Hanc Igitur oblationem servitutis nostrae…, afin que Dieu agrée les offrandes pour
qu’elles apportent grâces, bénédictions et paix (« Voici donc l’offrande que nous vous
présentons, nous vos serviteurs et avec nous votre famille entière… »). Les spécialistes en
attribuent la rédaction définitive à Grégoire le Grand qui ajouta les derniers mots au texte
primitif210.

2°) L’épiclèse Quam oblationem… : une supplication à Dieu pour qu’il bénisse et sanctifie
l’offrande de son église ; le célébrant, les mains tendues sur les espèces, dit : « Cette offrande,
daigne, toi, notre Dieu, la bénir, l’agréer et l’approuver pleinement, la rendre parfaite et digne
de te plaire, et qu’elle devienne ainsi pour nous le corps et le sang de ton Fils bien-aimé ».
Comme toute épiclèse, la prière Quam oblationem sollicite l’intervention de la puissance
divine, Dieu lui-même entrant en action, ici, pour l’opération centrale de la liturgie
eucharistique qu’est la transsubstantiation. C’est, ainsi, la dernière prière avant l’institution et
la consécration. Alors qu’ici on ne fait pas mention du Saint-Esprit, on trouve dans la
Tradition Apostolique, à la fin de l’anaphore, une épiclèse demandant à l’Esprit-Saint de venir
sur les dons pour que ceux qui les partageront en reçoivent des grâces ; à partir de là en

209
JUNGMANN, M S III, op.cit., p.63.
210
JUNGMANN, MS III, p 94.
88

Orient, en particulier dans les prières égyptiennes et éthiopiennes on intègre à l’épiclèse


Quam oblationem la demande de la descente et de l’intervention de l’Esprit sur le pain et le
vin « pour qu’ils deviennent le corps et le sang du Christ »211. Par rapport à cette prière de
l’épiclèse, il faut signaler la particularité des liturgies orientales concernant la consécration :
l’épiclèse n’y est pas seulement une demande de l’opération du Saint-Esprit, elle est en elle-
même consécratoire, alors que pour les églises occidentales ce sont les paroles de l’institution,
parce qu’émanant du Christ lui-même, qui consacrent le pain et le vin en son corps et en son
sang212. Le Concile Vatican II introduira dans le Quam oblationem une invocation de Saint-
Esprit.

En fait, indique Casel, au début, la plupart de ces prières, y compris l’épiclèse, avaient
lieu après le récit de l’institution, même si, en maints endroits, ce dernier était précédé de
brèves prières213. C’est ce que semble indiquer l’Apologie de Justin, lorsque, certes sans parler
du récit de l’institution comme nous le verrons, il est parlé des prières qui viennent après
qu’on ait apporté du pain, du vin et de l’eau, jusqu’à la distribution de la communion : « celui
qui préside fait les prières et les actions de grâces avec la plus grande ferveur. Le peuple
répond : Amen, et la distribution et la communion générale des choses consacrées se fait à
toute l’assistance »214.

I.II.III.3.2 La consécration

Même si elle ne figure pas dans les descriptions de l’Apologie de saint Justin dont
l’objet était particulier et non pas de présenter ou de décrire en détail la liturgie eucharistique,
c’est certainement, avec la communion, la partie la plus ancienne de la liturgie chrétienne et
de la messe ; ensemble ces deux rites constituent le noyau originel, initial et immuable de la
liturgie et dont, à coup sûr, l’auteur est le Christ lui-même, on les trouve décrits dans la
Didachè (la Doctrine du Seigneur transmise aux nations par les douze Apôtres).

A l’origine, la consécration s’effectuait uniquement par le récit de l’institution,


introduit par une phrase narrative dite comme tout le canon sur un ton monocorde « Qui
pridie quam pateretur » (Qui, le jour même de sa passion ou « où il souffrit »…), le Qui
remplaçant le Christ qui vient d’être mentionné à la fin de la prière précédente (de Quam
oblationem), « il prit du pain dans ses mains saintes et adorables et les yeux levés au ciel vers

211
CABIE, Robert, op.cit., p.38.
212
LE GALL (Dom), Robert, Dictionnaire liturgique, CLD, 1987, sous épiclèse, pp.101-102.
213
CASEL, Odon, op.cit ., pp. 41-42.
214
Apologie, n. 67.
89

Vous, Dieu, son père tout-puissant, vous rendit grâce, le bénit, le rompit et le donna à ses
disciples en disant : PRENEZ ET MANGEZ-EN TOUS, CAR CECI EST MON CORPS ».
Après une génuflexion, il prononce les paroles de l’institution sur le calice : Simili modo
postquam cenatum est, … (De même après le repas, il prit ce précieux calice dans ses mains
saintes et adorables. Vous rendit grâce de nouveau, le bénit, et le donna à ses disciples en
disant : Prenez et buvez-en tous, CECI EST LE CALICE DE MON SANG, LE SANG DE
L’ALLIACE NOUVELLE ET ETERNELLE –LE MYSTERE DE LA FOI—QUI SERA
VERSE POUR VOUS ET POUR LA MULTITUDE DES HOMMES EN REMISSION DES
PECHES. Toutes les fois que vous ferez cela, faites-le en mémoire de moi. » Les paroles de
l’institution doivent être dites en surélevant la voix, un peu plus que pour le reste du canon.

Si l’on cherche l’origine du début de ces paroles introductives de l’institution (Qui


pridie quam pateretur… « Qui le jour même où… »), il faut recourir à la narration de Paul
dans sa Lettre aux Corinthiens que nous avions déjà évoquée, qui, lui, dit : « le Seigneur
Jésus, la nuit où il était (ou fut) livré »215. Leur pratique après le temps apostolique est assez
ancienne parce qu’elles se trouvent reprises par la Tradition Apostolique : « Tandis qu’il se
livrait à la souffrance volontaire, pour détruire la mort et rompre les chaînes du diable, …,
prenant du pain ; il te rendit grâces et dit : Prenez, mangez, ceci est mon corps qui est rompu
pour vous. De même le calice, en disant : Ceci est mon sang qui est répandu pour vous. Quand
vous faites ceci, faites-le en mémoire de moi.»216. On les retrouve également dans le
formulaire-type des Constitutions apostoliques que cite Casel :

« nous souvenant maintenant de ce qu’il a accepté à cause de nous, nous vous


rendons grâces, Dieu Tout-puissant, non pas autant que nous le devons, mais
dans la mesure du possible, et nous accomplissons son ordonnance ; car dans la
nuit où il fut trahi, il prit du pain, etc. »217.

Les descriptions faites autour du pain et du vin, « pris dans ses mains saintes et adorables
et les yeux levés… », ne sont qu’une glose retenue par les Orientaux mais aussi plus tard par
les Occidentaux, comme de ces gloses courantes autour d’un même rite ou d’une même
prière, avec des variantes selon les civilisations, les sensibilités ou les préoccupations
circonstancielles. C’est, à ce dernier titre, par exemple, que, pour combattre la doctrine de la
prédestination qui était répandue aux Ve et VIe siècles, on sentit le besoin d’ajouter au début
de l’introduction -Qui pridie… Qui, le jour même de sa passion-, un élément insistant sur le

215
I Co 11, 23.
216
HIPPOLITE DE ROME, La Tradition apostolique, par B. BOTTE, op.cit., p. 51-53.
217
CASEL, Odon, op.cit., p. 42.
90

fait que Jésus souffrit sa Passion pour « notre salut et pour celui de tous les hommes » (pro
nostra omniumque salute pateretur), marquant l’universalité de la rédemption218, élément qui
n’a pas subsisté plus tard.

Dans le cadre de l’examen de la formation de la liturgie eucharistique, il faut


remarquer que des interrogations peuvent se justifier à ce niveau relativement à trois choses.
D’abord, que la lecture de la Tradition apostolique nous fait constater une relation quelque
peu partielle de l’institution par Jésus, relation qui omet certaines expressions présentes dans
l’évangile de Matthieu (Mt 26, 28 : « le sang de l’alliance ») et dans la Première Epître aux
Corinthiens (I Co 11, 25 : « cette coupe est l’Alliance nouvelle en mon sang »). A ce sujet, on
peut dire que la formule actuelle, depuis au moins le Missel de 1474, « le sang de l’alliance
nouvelle et éternelle », est sans doute le fruit d’une extrapolation théologique de la volonté de
Jésus d’inaugurer une nouvelle alliance. Il faut remarquer, en même temps, que le récit que
nous avons dans la formule de consécration n’est pas rigoureusement le même que celui des
évangiles ni celui de Paul219 ; mais, certains liturgistes en donnent une explication peu
éclairante selon laquelle la différence serait due au fait que la formule de la consécration
remonterait à une tradition antérieure aux écrits220 et prime donc ces écrits qui lui sont
postérieurs et qui présentent entre eux des différences relativement notables .
Ensuite, on peut signaler l’absence, dans ces formules datant du IVe au VIIe siècle, de deux
éléments importants des paroles de l’institution telle que nous l’ont restituée Paul et Luc :
c’est le « livré pour vous » après « Ceci est mon corps », mais aussi l’ordre donné par Jésus :
« Vous ferez cela en mémoire de moi ». Il semble que ces éléments aient existé dans les
formules les plus anciennes, Justin signale en particulier cette instruction de Jésus pour
justifier auprès de l’empereur pourquoi les chrétiens continuent cette commémoration de la
Cène du Seigneur. Les liturgistes, qui en sont étonnés, se perdent sans doute, les uns estimant
qu’il s’agit d’une suppression consécutive à la simplification du rite de la fraction, d’autres
avouant ne pas savoir pourquoi221. L’important pour nous, ce n’est pas ce débat des
spécialistes, mais le constat que la vie de la liturgie est affectée par nombre de facteurs : si,
par rapport à cela, on pense à la culture, à l’histoire et aux autres éléments d’emprunt ou
d’adaptation, etc., il y a aussi la part de l’impondérable, de l’irrationnel, de l’improvisation, de
la fantaisie, du hasard, … Par ailleurs, de même que cela se constate à propos des évangiles,
qui ne rapportent pas tous les quatre les mêmes événements (la différence entre les triptyques

218
Voir sur cet élément, BOTTE, Bernard, Le Canon, pp. 61 et ss, et JUNGMANN, MS III, p. 114.
219
Mt 26, 26-28, Mc 14, 22-25 et Lc 22, 19-20 ; I Co 11, 23-26.
220
CHALUFOUR, Jean-Denis, La sainte Messe hier, aujourd’hui et demain, op.cit., p. 149.
221
JUNGMANN, MS III, p.113.
91

et l’évangile de Jean) ou qui ne situent pas toujours les mêmes faits au même endroit et au
même moment ou rapportent différemment les propos et les événements, de même dans la
formation de la liturgie, la sensibilité personnelle ou les choix de celui qui rapporte l’histoire
ou qui décrit le déroulement d’un rite peuvent interférer. Il y a comme un relativisme de
certaines parties liturgiques selon les époques et les régions, par rapport à leurs coutumes
particulières et, parfois, apparemment sans raisons logiques ni convaincantes.
Enfin, une autre observation peut concerner le fameux « Le Mystères de la foi » (Mysterium
fidei), faisant une brutale et incompréhensible irruption au milieu des paroles de l’institution
dans cette formule de la fin de l’antiquité chrétienne déjà répandue dès le VIIe siècle dans
presque tous les rites de l’époque, partant de la liturgie romaine d’où elle est passée dans la
gallicane et ailleurs. En tout cas, on n’a pas l’explication de la présence ici de cette expression
qui ne figure que dans l’épître de Paul à Timothée à propos des diacres « Qu’ils gardent le
Mystère de la foi dans une conscience pure »222 ; encore une énigme qui ajoute
aux…mystères. C’est sans doute à cause de ce flou et de ces difficultés de compréhension,
semble-t-il, qu’on a fait ressortir dans les liturgies actuelles cette expression pour en faire un
élément introductif de l’anamnèse, laquelle commence par « Il est grand le mystère de la foi »
avec la réponse des fidèles proclamant la mort de Jésus, célébrant sa résurrection et attendant
sa venue (en application de l’exhortation de saint Paul « Vous annoncez la mort du Seigneur
jusqu’à ce qu’il vienne » I Co 11, 26 ). La Didachè renseigne que les anciens chrétiens
priaient alors ainsi juste après avoir reçu la communion : « Vienne la grâce et que ce monde
passe. Marana tha, Seigneur, viens », c’est sans doute ce qui a inspiré une autre des formules
actuelles de cette introduction de l’anamnèse qui se termine par « Viens, Seigneur Jésus ».

I.II.III.3.3 Prières post-consécration

Après la consécration, viennent une série de prières qui, terminant la prière


eucharistique, précèdent la fraction du pain et la communion ; ce sont certainement ces prières
que, sans les détailler, saint Justin désigne dans son Apologie lorsqu’il dit qu’on apporte à
celui qui préside du pain, du vin et de l’eau et « celui qui préside fait monter au ciel prières et
actions de grâce tant qu’il peut ». Ceci atteste à la fois la certitude et le grand nombre de ces
prières :

1°) D’abord, l’anamnèse (du grec anamnèsis), ce mémorial ou rappel du mystère pascal
(commençant en latin par Unde et memores… (C’est pourquoi, Seigneur, …célébrant le

222
I Tim 3, 9.
92

mémorial de la bienheureuse passion du Christ, de sa résurrection et de sa glorieuse ascension


dans les cieux …, nous vous offrons (ou présentons) ce que vous nous avez vous-même
donné, la victime pure, la victime sainte, la victime immaculée, le pain sacré de la vie
éternelle et le calice de l’éternel salut.). Rappelons qu’aujourd’hui l’anamnèse est introduite
par le court dialogue dont il est question ci-avant « Il est grand le mystère de la foi » (le texte
latin reprenant tout simplement le Mysterium fidei qui figure dans le récit liturgique de
l’institution indiqué ci-dessus).

2°) Ensuite, le Supra quae propitio… demandant que Dieu accepte les offrandes comme
celles d’Abel le juste, de son serviteur Abraham et du souverain prêtre Melchisédech. On se
dirige vers la fraction du pain et la communion avec le Supplices te rogamus,.

3°) Le Supplices te rogamus, une supplication pour que Dieu fasse porter les offrandes vers
l’autel céleste par son saint ange (le Christ ou les anges que, traditionnellement, on associait
au culte rendu à Dieu par les hommes ?)… et les reçoive afin que les communiants puissent
« tous être comblés des grâces et des bénédictions ». Noëlle-Maurice Denis-Boulet indique
qu’il fut un temps où, notamment dans l’anaphore de saint Ambroise, cette prière marquait la
fin du canon223.

3°) Le Memento etiam, Domine, famulorum famularumque tuarum qui nos praecesserunt…
C’est ici, après le Memento des vivants qu’on a vu avant la consécration qui commence par
les mêmes mots (Memento Domine famulorum famularumque tui…), le Memento des morts.
Avant de conclure le canon par la « grande doxologie », l’Eglise fait mémoire des défunts
« qui nous ont précédés marqués du signe de la foi ». Les formulaires du canon romain tel que
fixé au temps du pape Grégoire ne mentionnent pas cette intercession pour les morts, peut-être
à cette époque réservée aux messes des défunts224.

4°) Le Nobis quoque peccatoribus…(« Et sur nous, pécheurs, … », tandis que la version
actuelle la plus courante donne : Sur nous tous enfin, nous implorons ta bonté ; qu’avec la
Vierge Marie, la Bienheureuse mère de Dieu, avec…). Cette prière directement rattachée au
Memento, est une nouvelle invocation de la communion des saints, demandant à Dieu que les
membres de l’Eglise encore ici bas puissent rejoindre les saints du ciel dont une longue liste
peut suivre.

223
DENIS-BOULET, Noëlle-Maurice, Analyse des rites et des prières de la messe, in MARTIMORT, L’Eglise
en prière, op.cit., p. 406.
224
CABIE, Robert, op.cit., p.49.
93

5°) La « grande doxologie » ; c’est le Per Ipsum. C’est alors qu’intervient cette prière de
louange qu’est la « grande doxologie », qui clôture le canon et qui est directement rattachée
aux derniers mots du Nobis quoque peccatoribus : le prêtre, le calice un peu levé avec l’hostie
au-dessus, dit ou chante : Per Ipsum, cum Ipso et in Ipso …, proclamation solennelle de la
gloire de Dieu dans sa sainte Trinité (« Par Lui, avec Lui et en Lui, sont rendus, à vous Dieu
le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire. Pour tous les
siècles des siècles. » Le peuple répondant par Amen). Le Per ipsum apparaît déjà dans l’Ordo
romanus I qui précise que « l’archidiacre élève le calice, le tenant par les anses avec
l’offertorium [un linge spécial] et le tient élevé, à côté du pontife. Le pontife touche le calice
sur le côté avec les pains en disant Per ipsum et cum ipso jusqu’à Per omnia saecula
saeculorum. Puis il pose les pains à leur place et l’archidiacre pose le calice à côté d’eux,
après avoir retiré l’offertorium de ses anses. »225 Cette prière est introduite par un élément qui
se réfère à quelque chose non nommé ici mais qui est justement ce pourquoi on élève cette
prière de gloire : se rattachant au dernier « Par le Christ notre Seigneur » du Nobis quoque
peccatoribus, le Per Ipsum commence par une introduction « Per quem… Par qui (ou par lui),
Seigneur, Vous ne cessez de créer toutes ces bonnes choses, de les sanctifier, de les bénir et
de nous en faire don », avant de se poursuivre Per Ipsum, cum Ipso et in Ipso… Quand on lit
la Tradition apostolique, on se rend compte que le récit est interrompu par une série de
bénédictions : sur les récoltes, fruits, huiles, fromages, etc., il est possible que la doxologie ait
été introduite pour toutes ces belles et bonnes choses ; cela expliquerait l’évocation, dans
l’introduction, de ces choses bonnes que ne cesse de créer le Seigneur. De fait, autrefois le
prêtre bénissait, ici, les prémices des fruits de la terre (le vin à la Saint-Jean l’Evangéliste, les
semences à la Saint-Blaise et le pain à la Sainte-Agathe, etc.), depuis le premier missel
romain, il se contentait de tracer trois signes de croix sur les saintes espèces226. Encore une
fois, l’influence des circonstances spécifiques, de temps, tout au moins, sur la formation de la
liturgie.

***

Cette longue succession de prières semble tout à fait conforme à la Tradition, ainsi
qu’on le constate dans l’œuvre d’Hyppolite. A part les prières consécratoires rattachées
directement à l’institution, on y trouve : des prières d’intercession (comme celles introduites

225
CABIE, Robert, op.cit., p.50. Noëlle-Maurice DENIS-BOULET explique que c’est parce qu’il s’agissait de
calices massifs et très lourds que, pour les porter, il fallait les tenir par les anses, « Analyse des rites et des
prières de la messe », in MARTIMORT, L’Eglise en prière, 1961, p. 412.
226
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 165.
94

par Innocent Ier, v. supra), recommandant l’Eglise, ceux qui ont participé à l’offrande, etc.,
des apologies, qui sont des prières d’autocritique et de reconnaissance de ses faiblesses,
péchés et indignités, afin d’en demander le pardon de Dieu et de recevoir son secours, soit
avant d’offrir soit avant de rompre le pain et de manger. Mais, beaucoup de ces prières sont
assez tardives et ont pu être placées un peu vaille que vaille, à des endroits différents selon les
rites, orientaux ou occidentaux, tandis que dans le canon romain elles sont réparties, ainsi
qu’on l’a vu, une partie après le Sanctus (donc avant la consécration) et une autre à la fin de
la prière eucharistique (après la consécration) : toutefois, dans les coutumes d’Espagne et de
Gaule, elles sont absentes parce que la lecture des diptyques est déjà intervenue avant la prière
eucharistique227.

Dans la messe gallicane au VIe siècle qu’il décrit, Albert Rouet présente un rite très
dépouillé du canon, avec une prière eucharistique réduite à la plus simple expression : 1°)
préface suivie du Sanctus et du Benedictus (« la seconde partie ‘’Béni soit celui qui vient au
nom du Seigneur’’ ») ; 2°) tandis que « l’officiant amplifie alors le Saint, Saint, Saint par une
prière qui varie à chaque messe et dans laquelle il commence par célébrer Dieu qui est
‘’vraiment saint » », « vraiment béni ». … et qui se termine par « Jésus-Christ qui, la veille de
sa passion… » introduisant ainsi le récit de l’institution eucharistique ; 3°) après « une
formule d’offrande au Père avec, parfois, une intercession à l’Esprit Saint », avant le Notre
Père, par quoi se termine la prière eucharistique, « l’officiant procède à la fraction ». Rouet
ajoute des détails croustillants qui soulignent la part de fantaisie qui a pu déterminer certains
rites : « les parcelles d’hostie sont disposées en forme de croix et, pour des raisons qui nous
échappent et qui relèvent peut-être de vieux rites païens, elles sont disposées en forme de
silhouette humaine », on pouvait y trouver des hosties en forme d’oreilles, de mains, d’yeux,
…dont s’étonna le pape Gélase Ier vers la fin du VIe siècle, en 585228. Le fait que l’oraison
qui précède l’institution varie à chaque messe et surtout, que, comme le dit encore A. Rouet,
l’introduction et la fin du Pater Noster récité par tout le peuple changent à chaque messe, est
en effet caractéristique de la liturgie telle qu’à cette époque elle était vécue en Espagne et en
Gaule où, nous l’avons vu, seul le récit de l’institution demeurait invariable, « toutes les
prières qui le précèdent et celles qui le suivent sont différentes à chaque célébration »229.

227
CABIE, Robert, op.cit., p. 38.
228
ROUET, Albert, op.cit., pp. 98-100.
229
CABIE, Robert, op.cit., p.23.
95

Afin de mettre en exergue le parallèle et les influences entre des pratiques très
anciennes et les diverses formules en vigueur ou en expérimentation aujourd’hui, sont
exposées ici, empruntées à Casel, deux formes de prières post-consécration (pages 46-48) :

D’abord, tirée des Constitutions apostoliques :

Faisant à présent mémoire de sa passion et de sa mort, de sa résurrection d’entre les


morts, de son retour au ciel et de son second avènement à venir, quand il reviendra en
majesté et en puissance juger les vivants et les morts et rendre à chacun selon ses
œuvres.
Nous t’offrons, Roi et Dieu, suivant sa prescription, ce pain et ce calice, et par lui nous
te remercions de daigner nous rendre dignes de nous tenir en ta présence et de te servir
en qualité de prêtres.
Et nous te le demandons, d’en haut jette un regard favorable sur les dons qui te sont
présentés ; daigne les agréer avec complaisance pour l’honneur de ton Christ et, sur ce
sacrifice, qui rend témoignage des souffrances du Seigneur Jésus, envoie du ciel ton
Esprit-Saint, afin qu’il fasse de ce pain le corps de ton Christ, et de ce calice son sang.
Afin que tous ceux qui en goûteront se trouvent affermis dans la piété, obtiennent la
rémission de leurs péchés, la délivrance du diable et de ses tromperies, qu’ils
deviennent dignes de ton Christ, gagnent la vie éternelle, réconciliés avec toi, Seigneur
Tout-puissant.

Ensuite, de l’ancien canon romain :

C’est pourquoi nous faisons mémoire, Seigneur, nous tes serviteurs et ton peuple saint,
de la passion bénie, de la résurrection du séjour des morts et de la glorieuse ascension
du Christ, ton fils, Notre-Seigneur et nous offrons à ta souveraine majesté de tes
largesses et de tes dons
Une victime pure,
Une victime sainte,
Une victime sans tâche
Le pain sacré de la vie éternelle et le calice du salut éternel,
Regarde cette offrande d’un visage propice et favorable, et accepte-la comme tu as
agréé les dons de ton serviteur le juste Abel, le sacrifice de notre père Abraham, et
celui que t’offrait ton grand prêtre Melchisédech,
Le sacrifice saint, le don immaculé.
Nous t’en supplions avec ferveur, Dieu Tout-puissant, fais-le porter par la main de ton
saint ange sur ton autel sublime devant les yeux de ta divine Majesté afin que nous tous
qui, de cet autel, recevons le saint corps et le sang de ton fils, nous soyons remplis
d’une bénédiction et d’une grâce célestes.
96

Cette terminaison introduit ainsi à l’intercession où, alors qu’on est convaincu que ce
moment du sacrifice « confère à ses demandes une puissance particulière, le prêtre fait monter
vers Dieu des prières ardentes pour l’ensemble de l’Eglise, pour les évêques et le clergé, pour
le roi et le peuple, pour tous les affligés, … », faisant également mention des saints et des
défunts. C’est pratiquement une autre forme pour le prêtre de réitérer les intercessions de la
prière des fidèles230. La grande doxologie, après cette sorte de parenthèse, vient clore
l’eucharistie, avec l’approbation « Amen » poussée par le peuple, avant de passer à la
communion, dernier acte de la célébration, préparée par la fraction du pain.

I.II.III.4 La fraction du pain et la communion

La première communion est instituée et a lieu lors de la sainte Cène, au même moment
que l’institution de l’eucharistie par Jésus ; la communion connaît donc une pratique à la fois
sûre et ancienne. A la différence de l’institution, célébrée à la consécration, alors même que
son sens théologique et liturgique est demeuré immuable, les formes de la communion ont fort
évolué à travers les âges, sous des influences et dans des circonstances diverses dont certaines
ne tenaient qu’au bon sens.
A la place des gestes muets du début, cette partie de la messe s’est enrichie d’un
certain nombre de rites précédant ou suivant la distribution de la communion : la fraction du
pain, commémorant celle opérée par Jésus au cours de la dernière Cène ; les apologies, ces
prières, qu’on a vues au moment des offrandes et de la consécration, exprimant l’humilité du
prêtre et des fidèles ainsi que la reconnaissance de leurs faiblesses en vue de la purification
avant de manger le corps et de boire le sang du Christ ; la distribution de la communion par le
partage des espèces eucharistiées et devenues le corps et le sang du Christ, rappelant le
partage que Jésus lui-même fit aux apôtres du pain et du vin qu’il avait sanctifiés ; la post-
communion, où s’exprime l’action de grâce des chrétiens pour la vie et les bénédictions
reçues de l’eucharistie.
On va reprendre ces différents moments, dans leur histoire, à travers leur évolution et
les transformations éventuelles qu’ils ont ainsi subies.

230
CASEL, Odon, op.cit., p. 48.
97

I.II.III.4.1 La fraction du pain

Au début, c’est immédiatement après l’Amen qui conclut la doxologie du Per Ipsum
que l’évêque et les prêtres, ainsi que jadis le père de famille dans le repas juif, rompent le pain
pour le partager, avec cette précision que la liturgie byzantine place le Pater Noster ici, avant
le geste même de la fraction du pain231. Daniel-Rops, rendant compte d’une messe au temps
des persécutions et des catacombes, donc aux IIIe-IVe siècles, raconte, sans même signaler le
Pater, ce rite très simple : « Comme le Christ rompt le pain, le prêtre le rompt…232 [ce qui
suivait faisait partie de la communion : « C’est l’instant où tous les présents vont participer au
repas sacré. … tous ceux qui sont saints et purs ; les autres doivent sortir…Les communiants
se donnent le baiser de paix. Chacun s’approche du pontife, qui vient de communier lui-
même, suivi des prêtres et des diacres. Dans la main droite de chacun, l’évêque place un peu
de pain en disant : Corpus Christi. Puis le diacre tend le calice contenant le vin en disant :
Sanguis Christi calix vitae, le communiant dit : Amen. Et « La messe maintenant s’achève. »]
A cette époque, donc, et jusqu’au VIIe siècle sous le pape Serge Ier, la fraction du pain se fait
en silence ; le célébrant, ici l’évêque, dépose un morceau dans la coupe, une partie de cette
eucharistie est envoyée par l’évêque aux prêtres qui célèbrent ailleurs pour marquer l’unité de
l’Eglise et du corps du Christ C’est ainsi que fut imaginée et, de là, s’est étendue de la part des
autres évêques, la pratique du fermentum, une petite fraction du pain eucharistié transmise à
chaque basilique ou église où il y avait assemblée des chrétiens, pour que, d’une certaine
manière, mêlé au pain de célébration apporté dans cette église, le fermentum,consacré par
l’évêque en personne, « eucharistie » ce pain, étant entendu que, ainsi que nous l’a vu plus
haut, l’eucharistie n’était présidée que par l’évêque. Ensuite, on récite l’oraison dominicale, le
Pater Noster, considérée, par certains de ses éléments (p. ex., la demande du pain quotidien,
la demande du pardon), comme une préparation à la communion233.

Jusque là inactifs, les fidèles vont, dans la liturgie romaine et africaine, se donner le
baiser de paix. Ce geste rituel est signalé dans l’Apologie de Justin, qui le situe assez tôt,
avant les offrandes et après les grandes prières d’intercession, signalant les prières pour le
nouveau baptisé conduit au lieu de l’assemblée, « les prières que nous faisons pour
l’illuminé » mais aussi, « pour nous-mêmes et pour tous les autres », il ajoute « Quand la
prière est terminée, nous nous saluons tous d’un baiser de paix ; ensuite on apporte à celui qui

231
CABIE, Robert, op.cit., p. 39.
232
DANIEL-ROPS, op.cit., p.256.
233
CABIE, Robert, op.cit., pp. 39-41.
98

est le chef des frères du pain, de l’eau et du vin. »234. C’est plus tard que le baiser de paix
prendra place au moment de la prière eucharistique, généralement avant l’offrande ; sans
mentionner le Pater, Daniel-Robs cite une pratique antérieure situant le baiser de paix après
la fraction quand les communiants s’apprêtaient à aller communier235. Ce détail est sans doute
significatif, les deux pratiques étant légitimes et pouvant se justifier : placé au moment de la
fraction du pain, juste avant ou juste après, le rite de paix peut représenter un peuple qui vient
de demander pardon et s’engager à pardonner et, donc près à partager le Corps du Christ ;
lorsqu’il a lieu avant l’offrande, on peut y voir l’application du précepte de l’évangile selon
lequel il est dit : : « Lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si là tu te souviens que
ton frère a quelque chose contre toi, Laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te
réconcilier avec ton frère ; puis reviens et alors présente ton offrande »236. Il apparaîtra plus
loin que les rites africains ont, privilégiant le retour à la tradition, placé ce rite avant
l’offrande, en même temps que le rite pénitentiel, avec une explication qui justifie cet
emplacement d’une manière assez spécifique.

C’est le pape Grégoire-le-Grand qui, fin VIe-début VIIe siècles, va intervertir le Pater
et la fraction du pain, plaçant le Pater avant la fraction, rejoignant ainsi Byzance, mais
décidant, à la différence des usages orientaux grecs, que le Pater soit récité ou chanté par le
célébrant seul237. Certes, on pouvait expliquer qu’ainsi dit juste à la fin du Canon et avant la
fraction, le Pater le serait sur les offrandes, les espèces déjà « eucharistiées ». C’est,
d’ailleurs, l’explication que donne Grégoire Ier lui-même : « J’ai appris, par quelqu’un venu
de Sicile, que certains de ses amis, je ne sais si ce sont des Latins ou des Grecs, murmurent
contre mes décisions… ‘comment résister à l’influence de l’Eglise de Constantinople si l’on
imite ses usages en toutes choses ?’… ‘‘dire la prière du Seigneur immédiatement après le
Canon’’… ? Voici pourquoi nous disons la Prière du Seigneur aussitôt après la prière
eucharistique : l’usage des apôtres était de consacrer le sacrifice uniquement par la prière
d’oblation. Il m’a semblé qu’il ne convenait pas du tout de dire sur l’oblation une prière
composée par un écrivain quelconque et de ne pas dire sur le corps et le sang du Rédempteur
celle qu’il a lui-même composée et que nous livre la Tradition. Mais alors que, chez les Grecs,
cette prière est dite par tout le peuple, chez-nous, c’est le prêtre seul qui la dit. »238. En tout
état de cause, le Pater a occupé des emplacements variables selon les âges et les églises, ce

234
Apologie., § 65.
235
DANIEL-ROPS, op.cit., p. 256.
236
Mt 5, 23-24.
237
NOCENT, Adrien, op.cit., p.75.
238
GREGOIRE Ier, Lettre 12 à Jean de Syracuse (598), rendue par CABIE, Robert, op.cit., p.50.
99

qui montre que le lien qui en était fait avec la communion (aussi bien par l’allusion à « notre
pain quotidien » que par cette explication de Grégoire Ier) n’était pas un impératif ; nous
verrons d’ailleurs que certaines liturgies africaines le place à la fin de la célébration, le
réintégrant dans son rôle évangélique lorsque le Seigneur la donne à ses disciples qui lui
demandaient de leur apprendre à prier, comme modèle et ce en quoi se résume toute bonne
prière239. Dans le schéma romain, placé juste avant la fraction, le Pater est terminé par le
peuple disant « Mais délivre-nous du mal » (Sed libera nos a malo), l’Amen disparaissant
dans la pratique générale qui se conformait ainsi au texte original grec qui ne comporte pas
d’Amen. Celui-ci est alors dit à voix basse ou murmuré par le célébrant qui enchaîne par des
développements liturgiques, absents donc de l’oraison telle qu’enseignée par Jésus mais que,
pour une raison que nous ignorons, on ne trouve que dans la traduction œcuménique de la
bible (TOB) ; c’est ce qui a permis l’enchaînement avec la prière du Libera nos quaesumus
(Libère-nous de tous les maux passés, présents et à venir, et par l’intercession de la
bienheureuse Marie, etc., daigne donner la paix à notre temps, …). La terminaison de cet
embolisme dit à haute voix mais sur le ton récitatif propre au canon permettait d’introduire le
rite de paix par le « la paix du Seigneur soit toujours avec vous ». Mais, ce rite ne venait pas
immédiatement ici, parce qu’était dite une autre supplication qui accompagnait alors la
fraction et la commixtion, par laquelle le prêtre, brisant en deux l’hostie, au-dessus du calice,
et fractionnant de nouveau l’un des deux fragments (la partie gauche), en détache une petite
parcelle qu’il met dans le calice.
Il n’est pas nécessaire de décrire tout le rituel qui accompagne la fraction, en de
multiples gestes répétés, certains à l’autel, d’autres au trône du pape ou au siège de l’évêque,
de multiples signes de croix faits sur ou avec l’hostie ou ses fragments, la patène baisée par le
diacre et le prêtre avant de se signer avec, etc., autant de gestes que les liturgistes essaient
d’expliquer ou de justifier mais qui demeurent obscurs240, et pas seulement pour les profanes,
et qui ne disparaîtront que plusieurs siècles plus tard. Par contre, il est bon d’observer de plus
près l’un de ces rites, parce que basé sur les circonstances pratiques. En effet, une autre
commixtion consistait à, du calice de consécration où a eu lieu une première commixtion,
reverser le reste du vin eucharistié, après la communion des prêtres et des ministres, dans un
calice de distribution pour permettre la communion des nombreux fidèles au sang du Christ
après avoir pris le corps, au besoin on reversera du vin supplémentaire tenant compte du
nombre des communiants, en prenant soin d’y garder la fraction qui avait servi à la

239
KABASELE LUMBALA, François, Les liturgies africaines : l’enjeu culturel, ecclésial et théologique,
Recherches Africaines de Théologie – n. 14-, Faculté de Théologie de Kinshasa, 1996, p. 47.
240
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., pp. 174 et 175 ; JUNGMANN, op.cit., pp.237-248.
100

commixtion, celle-ci passera ainsi de calice à calice, au moyen d’une cuillère si nécessaire, le
nombre de fois nécessaire pour la communion de tous ; l’idée est que, par cette immixtion,
comme une sorte de consécration spécifique du vin, on conservait la nature de sang du Christ
qu’on transmettait ainsi à ce nouveau vin versé dans le calice et qui n’avait pas été
directement consacré.

Quant à la fraction du pain en elle-même, elle est une simple opération matérielle
utilitaire, minutieusement réglée lors des messes papales. Dans ces cas, en effet, le pape fait
venir les pains consacrés et, après en avoir détaché une petite parcelle qu’il laisse sur l’autel,
va à son trône et fait poser les pains sur d’énormes patènes en or ou en argent, héritées des
basiliques impériales et, souvent donations de l’empereur au pape ; ensuite, après un geste du
pape, les acolytes apportent les sacs de pain consacré aux évêques et aux prêtres qui, au signal
du pape, vont les rompre241 en un nombre suffisant de petits morceaux à remettre à chaque
communiant. Dans les messes pontificales présidées par l’évêque, c’est ce dernier qui donne
ces ordres. Lorsqu’on introduisit le pain azyme avec fabrication d’une énorme hostie,
l’opération de la fraction dut changer ; simplement posée sur la patène, l’hostie est bénie par
l’évêque, la fraction opérée, les morceaux d’hostie restent sur cette patène pour être distribués
lors de la communion242.
C’est pendant la fraction que, à la fin du VIIe siècle, le pape Serge Ier (pape de 687 à
701) introduisit l’Agnus Dei243, emprunté à l’Orient, Serge Ier lui-même étant originaire de
Syrie. Ce chant litanique, tout en ayant suggéré une sorte de demande de pardon, contient le
symbolisme du corps « rompu » de l’Agneau pascal immolé244, ce qui rehaussait l’importance
de la fraction qui, sans cela, aurait pu passer pour un geste anodin. Pourquoi l’Agnus Dei était-
il répété trois fois ? Simple question de pratique et de bon sens, alors que l’Agnus Dei se
chantait tout le temps que durait l’opération de fraction, lorsque, au XIIe siècle, cette dernière
se simplifia par l’avènement de l’hostie, on en limita le nombre à trois en se frappant trois fois
la poitrine.

A l’origine, dans les premières communautés, comme nous l’avons vu, et en dehors de
Rome et de l’Afrique245, le rite de paix proprement dit, signalé à la messe au IIe siècle246,

241
JUNGMANN, MS III, p. 229.
242
JUNGMANN, op.cit., p. 231.
243
DUCHESNE, Louis, Le Liber pontificalis, texte, introduction et commentaire, C. Vogel de Boccard, 2e éd.,
1956-1957, T. I, p.376 ; CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 177 ; JUNGMANN, MS III, p.261.
244
CABIE, Robert, op.cit., p. 49.
245
JUNGMANN, op.cit., p.249.
246
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 181 ; c’est ce qui, du reste, ressort de l’Apologie.
101

avait lieu au début de la partie « sacrifice » ou messe des fidèles, immédiatement après les
lectures247. Plus tard, ce rite intervient, dans le canon romain et dans l’église d’Afrique, à la
fin de la prière eucharistique ; elle est déjà signalée à ce même endroit dans la liturgie des
IIIe-IVe siècles que décrit Daniel-Rops248. Le baiser de paix est précédé par une autre prière
« Seigneur Jésus-Christ qui as dit à tes Apôtres, je vous laisse la paix, etc. (Domine Jesu
Chsrite, qui dixisti Apostolis tuis, Pacem relinquo vobis, etc.). Cette oraison de paix qui
précède le baiser de paix est une apologie, marque de piété personnelle du prêtre qui la disait
à la première personne (« Ne regarde pas mes péchés, mais …) ; elle apparut d’abord en
Allemagne, vers le Xe siècle, pour se généraliser à la fin du Moyen Age249. Après sa
terminaison par le « La paix du Seigneur soit toujours avec vous » (Pax Domini sit semper
vobiscum) et sa réponse habituelle, le signal est donné par le diacre pour le baiser de paix ;
l’ayant reçu lui-même, après les clercs, de l’évêque, il le transmet alors aux fidèles qui se le
transmettaient entre voisins, le baiser est donné avec les mots Pax tecum (la paix soit avec
toi). Avant que n’apparaisse cette oraison, le Pax domini sit…venait juste après l’Agnus Dei ;
à partir du Xe siècle, le baiser descendait de l’autel où le célébrant lui-même le recevait de
l’autel sur lequel il appliquait un baiser, le passant aux clercs et au diacre pour qu’il continue,
mais alors on ne le donnait plus aux femmes.
Ainsi, dans les liturgies africaines du temps de saint Augustin (IVe siècle) comme
dans le premier canon romain250, le baiser de paix est placé juste avant la communion. A cet
endroit, le baiser de paix est considéré, du VIIIe au XIe siècle, comme condition préalable
préparatoire à cette dernière, à ce titre on l’effectuait même en dehors de la messe lors de la
communion des malades, des voyageurs ou de tous autres absents. Le lien entre le baiser et la
communion est tel que l’on en vient souvent à le réserver à ceux qui communient (« que ceux
qui ne communient pas n’accèdent pas à la paix ni à l’instrument de paix »), excluant ainsi les
catéchumènes ; dans bien des endroits, le baiser devient un supplétif de la communion, avant
de connaître à son tour un déclin à partir du XIe siècle en même temps que l’on commençait à
communier rarement251.

247
Ce que confirme également Odon CASEL, op.cit., p.24.
248
DANIEL-ROPS, op.cit. p. 256.
249
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p.179, JUNGMANN, op.cit., p. 258.
250
JUNGMANN, MS III, p. 249.
251
JUNGMANN, pp. 251-253.
102

I.II.III.4.2 La communion
Ni l’Apologie de saint Justin ni la Tradition apostolique ne permettent de connaître
l’organisation de la distribution de la communion ; mais nous savons que les fidèles
recevaient la communion sous les deux espèces, le pain et le vin. Cela ressort clairement non
seulement de la dernière Cène et, donc, de la tradition remontant à Jésus, mais aussi de la
pratique des communautés chrétiennes primitives comme nous en voyons la description dans
l’Apologie : « Puis a lieu la distribution et le partage des choses eucharistiés à chacun… »,
ainsi que dans la lettre de Paul aux Corinthiens : « Chaque fois que vous mangez ce pain et
que vous buvez cette coupe » ou encore « Ainsi donc, quiconque mange le pain ou boit la
coupe du Seigneur indignement…»252.

La manière de communier
L’Apologie ne décrit pas l’organisation de la distribution ; mais on peut deviner que
c’est celui qui préside, qui est l’évêque, qui communie le premier, suivi du clergé et des
fidèles253. En revanche, dans la Tradition apostolique, Hyppolite donne des détails précis sur
la communion : « Le dimanche, l’évêque, si possible, distribuera (la communion) de sa main à
tout le peuple, tandis que les diacres font la fraction ; les prêtres rompront également le pain.
Quand le diacre apporte (l’eucharistie) au prêtre, le présentera le plateau et le prêtre prendra
lui-même il (le prêtre) distribuera au peuple de sa main. Les autres jours, on communiera
suivant les instructions de l’évêque ». La liturgie ancienne ne connaît donc qu’un rituel très
simple, pas de prières ni de formules particulières, ni génuflexion. Lorsque le pain ordinaire
sera remplacé par le pain azyme et l’hostie, dans une posture normale, le prêtre découvre le
calice, porte l’hostie à la bouche et, après, boit le vin, à peine était apparue au XIIIe siècle
l’habitude de se signer avec l’hostie avant la manducation254. Mais, à partir du Xe siècle,
plusieurs prières préparatoires à la communion du célébrant commencent à apparaître avec, en
prélude, le Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum… (Seigneur, je ne suis pas
digne d’entrer dans ma maison ou sous mon toit, actuellement « de te recevoir… »)255, repris
tel quel des paroles du centurion de la bible256, qu’on adaptera par la suite, mais qui ne se
généralisera que très lentement ; depuis le XIIe siècle, en Italie, et plus tard ailleurs, le
célébrant se mettra à le répéter trois fois en se frappant la poitrine257. La doctrine officielle

252
I Co 11, 26 et 27.
253
CABIE, Robert, op. cit., p. 41.
254
JUNGMANN, MS III, p. 281.
255
JUNGMANN, MS III, p. 285.
256
Mt 8, 8.
257
CHALUFOUR, Jean-Denis., p. 187, JUNGMANN, MS III, pp. 285-286.
103

c’est que la seule communion du célébrant, prise au nom de toute la communauté, est
suffisante et elle valide la messe, une certaine interprétation de cette doctrine explique la
baisse ultérieure et même la disparition de la communion au cours de la messe, c’est donc lui
seul qui recite cette apologie.

Néanmoins, on a pris l’habitude, sur le modèle des assemblées des débuts, de donner
la communion sous les deux espèces, celui qui donne la communion disant des paroles qui ont
connu plusieurs versions mais tournaient, au VIIIe siècle, autour de « Que le corps (ou le
sang) de Notre Seigneur Jésus-Christ te garde pour la vie éternelle » (Corpus (sanguis)
Domini Nostri Jesu Christi custodiat te in vitam aeternam), d’où est tiré le bref « Corps du
Christ » (Corpus Christi), le communiant répondant Amen258. Les fidèles montent en
procession jusqu’aux abords de l’autel pour recevoir la communion de l’évêque ou du
célébrant ; debout, ils reçoivent la communion dans le creux de la main droite placée au-
dessus de la paume de la gauche, souvent les femmes recouvrent la main d’un voile. La
communion au sang est servie au calice par le diacre, qui a la charge depuis d’anciens usages
attestés par saint Justin dans son Apologie, de distribuer l’eucharistie, plus tard le vin était
puisé au moyen soit d’un chalumeau soit d’une cuillère. Mais, pour cette communion au sang,
la pratique de l’inctinction de préférence à la communion des fidèles directement au calice,
venue d’Orient, qu’on aurait pu considérer comme la mieux indiquée pour les laïcs259, ne
s’introduisit en Occident qu’avec réticences, et fut réprouvée notamment par le Concile de
Braga en 675 et le Synode de Clermont en 1095 sous la présidence du pape Urbain Ier : « Que
personne ne communie de l’autel autrement qu’en recevant le corps à part et le sang à part,
sauf cas de nécessité ou de précaution »260. Il faut reconnaître qu’à cause de la friabilité des
morceaux de pain trempés dans le calice, l’inctinction devait s’être avérée peu commode, avec
des miettes qui, restant dans le vin du calice, s’imbibent de vin et rendent difficile la
continuation du geste.

Pour autant, en général, la communion au seul pain n’était pas rare, déjà on la
rencontre au IIe siècle, elle n’apparaît pas notamment dans la liturgie décrite par l’Apologie de
Justin. Mais, au contraire, elle était même très fréquente, plus fréquente sans doute que la
célébration de la messe parce que, alors que celle-ci resta longtemps limitée au dimanche, les
fidèles avaient la possibilité, du reste encouragée, de recevoir plusieurs morceaux de pain

258
JUNGMANN, MS III, pp. 321-325.
259
Dans ce sens, CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 189.
260
CABIE, Robert, op.cit., p.64.
104

eucharistié ou, par la suite, plusieurs hosties, pour se faire une réserve à la maison, afin de la
prendre au besoin chaque jour avant de prendre quoi que ce soit d’autre, ils pouvaient
l’emporter au cours de longs voyages, etc. Cette coutume était encouragée, avec la
recommandation de garder avec soin cette réserve domestique : la Tradition apostolique
prescrivait « Qu’il faut garder avec soin l’eucharistie. Chacun prendra soin qu’un infidèle ne
goûte pas de l’eucharistie, ni une souris ni un autre animal, et que rien n’en tombe et ne se
perde. C’est le corps du Christ qui doit être mangé par les croyants et ne doit pas être
méprisé » (n° 37).

La paix, la sécurité et la stabilité obtenues par l’Eglise à partir du IVe siècle après les
jours des tribulations, amenèrent des célébrations plus fréquentes et, on peut dire, le retour de
la communion à l’office261.

A partir du IXe siècle, le pain de communion, qui était alors du pain levé ordinaire,
change et le pain azyme, introduit sporadiquement un peu plutôt en Occident mais pas en
Orient, s’y impose et se généralise. Ce succès ne s’explique pas seulement par le besoin d’un
retour au modèle de la Pâque juive et de la dernière Cène où c’est le pain sans levain qui était
utilisé, mais aussi par des raisons pratiques : la fréquentation de la communion, comme on l’a
vu, avait considérablement baissé tandis qu’il y avait toujours un reliquat des espèces
sanctifiées au cours de l’eucharistie, pour les malades, les voyageurs ou les ermites par
exemple ; or, les morceaux de pain fermenté durcissent et se conservent difficilement et
mal262. Le recours au pain azyme permit de remédier à cet inconvénient. Avec ce changement,
on peut réduire la taille des morceaux à communier, pour faire l’hostie, fine ronde et blanche.
Ceci a plusieurs conséquences, dont la première est qu’il n’est plus possible de tenir cette
hostie fine dans la main, naît alors la pratique de la communion déposée directement sur la
langue, bientôt plus debout mais, progressivement partout, à genoux. Cela, aussi, pour une
raison pratique essentielle, celle de permettre au prêtre d’atteindre plus facilement le niveau
de la bouche où déposer l’hostie que si le communiant était resté debout, un servant ou
acolyte plaçant la patène sous le menton du communiant afin que d’éventuelles miettes y
tombent et soient ainsi récoltées; ce qui amena l’apparition de la table de communion, un banc
placé à l’entrée du chœur263.

261
JUNGMANN, MS I, pp. 290-293.
262
Dans ce sens, CABIE, Robert, op.cit., pp. 63-64.
263
LORET, Pierre, op.cit., p. 102.
105

La pratique de la communion sous les deux espèces commence à se perdre mais


durera encore jusqu’au XIIIe siècle pour s’estomper et disparaître par la suite, à partir
notamment des réticences suscitées par l’usage de l’inctinction264, ne subsistant que dans
quelques monastères. Réclamée par certains mouvements, la communion aux deux espèces fut
concédée pour certains pays, la Bohème en 1433, où avait sévi la doctrine de Jean Huss
contestant celle de l’Eglise sur la communion aux deux espèces, et par le Concile de Trente
pour l’Allemagne en 1564, là aussi pour minimiser les critiques des réformés contre la
communion au seul pain, mais la concession sera révoquée pour abus à partir de 1571. Et,
même, très tôt, la communion à la seule hostie se raréfie inexplicablement, les fidèles
communiant de moins en moins, même en Orient dans la liturgie grecque265 où, déjà du temps
de saint Ambroise, on ne communiait plus qu’une fois l’an. En Gaule, la baisse était telle que
l’évêque bénissait le peuple avant la distribution de la communion, dans la mesure où
immédiatement après il ne devait plus y avoir grand monde dans une assemblée vidée par le
gros des participants266. Est-ce dû à la rigueur fondée sur la discipline pénitentielle à respecter
pour communier ou au fait que fut consacré le jeûne eucharistique ? De fait, on commença par
imposer la continence aux prêtres, ainsi que le rappelle le pape Innocent Ier « En outre, ce qui
est digne, chaste et honnête, l’Église doit absolument y tenir : que les prêtres et les lévites
n’aient pas de relations avec leurs femmes, car ils sont tenus par les devoirs d’un ministère
quotidien…et il ne se passe pas un jour sans qu’ils doivent prendre part au divin sacrifice ou
administrer le baptême. »267. Mais, parallèlement, on fit aux fidèles l’obligation de ne rien
manger avant la communion à partir du dernier repas de la veille au soir, pratique qui avait
commencé au IVe siècle, sans doute sur la base d’une instruction de la Tradition apostolique :
« Personne ne prendra rien à Pâques avant qu’on ait fait l’oblation…» (n° 33) et surtout
« Tout fidèle s’empressera, avant de prendre quelque autre chose, de recevoir l’eucharistie »,
sur la croyance que « Si en effet il reçoit avec foi, même si on lui donne quelque poison
mortel, alors cela ne pourra rien contre lui » (n° 36). Précisons que le jeûne eucharistique sera
maintenu, avec la même rigueur, jusqu’aux réformes du XXe siècle où, comme on le verra, il
sera substantiellement assoupli268.

Toujours est-il qu’il n’y eut pas plus de succès et la fréquentation de la communion
n’augmenta pas, même lorsque, en Gaule, le synode d’Agde de 506 dut imposer un minimum

264
CABIE, Robert, op.cit., p.64.
265
JUNGMANN, MS III, pp. 291-293, LORET, Pierre, op.cit., p.102.
266
CABIE, Robert, op.cit., pp.50-51.
267
Lettre d’Innocent Ier à Victricius de Rouen, cité par DE CLERK, Paul, « Eucharistie et ministères à la fin de
l’Antiquité chrétienne », La Maison-Dieu 242, 1975.
268
Voir infra, IIIe Partie, Chapitre I.II.III.
106

de trois communions par an, à Noël, à Pâques et à Pentecôte et, plus tard le Jeudi saint,
jusqu’à ce que le concile de Latran IV de 1215, par le canon Omnis utriusque sexus, imposa
l’obligation de communier au moins une fois, à Pâques269 alors qu’entre temps la réticence à
l’inctinction conduisit dès cette époque à ne plus donner aux laïcs que la communion au pain
eucharistique. La baisse eut, en ce XIIIe siècle, un autre effet, le prêtre devient le seul à
communier, y compris au nom des fidèles et, même, des malades, les missels eux-mêmes
font disparaître la communion des fidèles de leurs rubriques pour les réintroduire en ajoutant
les prières préparatoires signalées ci-haut, du Confiteor et de Ecce Agnus Dei suivi du Domine
non sum dignus270. Ces éléments sont en quelque sorte empruntés de la communion aux
malades, en dehors de la messe, qui, dès le VIIe siècle étaient amenés à faire une profession
de foi et, au XIIe siècle une ordonnance prescrit au malade de dire son Confiteor (le même qui
était exécuté par le prêtre). Certaines liturgies particulières (monastiques, par exemple)
commencent dès les XIIe et XIIIe siècles à faire dire le Confiteor aux communiants valides au
cours de la messe et les liturgies paroissiales les imitèrent bientôt en le généralisant, dit par
toute l’assistance au même moment que le prêtre récite le sien ou, souvent, par le diacre au
nom des fidèles271, le prêtre donnant une sorte d’absolution en récitant le Misereatur et
l’Indulgentiam, tourné vers l’assemblée mais sans donner le dos au saint sacrement. Quant à
la profession de foi, elle se résuma dans la présentation de l’hostie par le Ecce Agnus Dei…,
en forme de sollicitation des fidèles par le prêtre, tandis que l’acquiescement est donné par les
fidèles récitant à leur tour le Domine, non sum dignus272. En réalité, le groupe Confiteor -
Ecce Agnus Dei - Domine… ne s’installa véritablement que bien après le Concile de Trente,
mais généralement récités par le servant au nom du peuple pour le Confiteor et par le prêtre
pour le Domine non sum dignus.

Cette baisse de la pratique sacramentelle sera compensée par une vague du culte et de
la dévotion du Saint sacrement, favorisés dès la fin du XIIe siècle, d’où découlèrent une
conception et une pratique de la « communion spirituelle »273 pour les fruits censés procurés
par le regard tourné vers le Christ, une foi vive, la méditation de la Passion, l’assistance
pieuse ou le regard vers l’hostie. On inventa même, au XIIIe siècle, une sorte de
« communion pour autrui », comme par une sorte de représentation, notamment pour ceux

269
JUNGMANN, MS III, p. 292-293, et BASCHET, Jérôme, La civilisation médiévale – De l’an mil à la
colonisation de l’Amérique, Paris, Ed. Aubier, 2004, p. 199..
270
CABIE, Robert, op, cit., p. 64.
271
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 190.
272
CHALUFOUR, op.cit., pp. 190-191, JUNGMAN, MS III, pp. 302-306.
273
CHALUFOUR, Jean-Denis., op.cit., p. 195.
107

qu’une trop rigoureuse discipline pénitentielle empêchait de communier274. Les efforts


ultérieurs pour « relancer » la pratique de la communion au courant de la dernière partie du
Moyen Age apportèrent un renouveau de la communion ; contrairement aux pratiques
gallicanes qui avaient auparavant contaminé Rome, on commença à exhorter les fidèles à
demeurer jusqu’au moins à la bénédiction, parfois il y avait affluence pour la communion
parce qu’on ne pouvait la refuser à tous ceux qui restaient ainsi dans la nef. Ceci eut dès le
XIIe siècle un effet inattendu, de reporter la communion jusqu’après la messe, comme ce fut
habituel chez les Byzantins, tendance qui s’accrut après le Concile de Trente, d’abord aux
grandes solennités ensuite aux messes habituelles275, pour n’être abandonnées qu’au XXe
siècle à partir, en particulier, du temps de Pie XII.

La question de la « sainte réserve »

Au moins deux circonstances étaient susceptibles de nécessiter la constitution d’une


réserve d’hosties consacrées : les fidèles avaient l’habitude de garder chez-eux une certaine
quantité d’hosties consacrées pour leur communion privée, de même, on en mettait de côté
pour les malades, etc. [point précédent] ; mais, souvent, il arrivait qu’il en restât plus que
nécessaire. Pendant tout le Moyen Age occidental, on rejeta, sauf pour le Vendredi saint, la
pratique orientale de communier les fidèles aux « présanctifiés », c’est-à-dire aux hosties
sanctifiées la veille et, plus généralement, de sanctifier trop d’espèces pour les utiliser plus
tard. Pour faire face au reliquat trop important, afin de ne garder que quelques morceaux ou
hosties pour les malades, diverses solutions se succédèrent : au IVe siècle (période où on
utilisait encore du pain), on enjoignit aux diacres de ne pas mettre trop de pain sur l’autel ;
ailleurs, on recommandait que le reste soit soigneusement enterré ou brûlé, ou on le donnait à
manger aux petits enfants après la messe, ou encore les diacres les consommaient.

Mais, la réserve s’imposa, en premier lieu pour la communion des malades, gardée,
comme on l’a vu, dans des maisons privées, encore aux IVe et Ve siècles ; plus tard, face aux
inconvénients de ce système (blasphème, difficultés chez des couples entre chrétiens et
païens, etc.), à partir du VIIIe siècle, la réserve pour les malades commencera à être gardée
dans des églises, enfermée dans une simple boîte ou des « propitiatoires » posés sur l’autel ou
placés à la sacristie. Ce n’est que plus tard qu’il fut recouru aux tabernacles, d’abord mobiles,
puis muraux et, enfin, des tabernacles placés sur l’autel : l’évêque de Paris décida au XIIIe
siècle que « le Très saint corps de notre Seigneur sera gardé dans la partie la plus noble de

274
JUNGMANN, MS III, pp. 295-296.
275
JUNGMANN, MS III, pp. 345-346.
108

l’autel, sous clé et avec beaucoup de diligence et de conscience ». C’est cette pratique qui fut
consacrée par le IVe Concile de Latran en prescrivant la garde sous clé, tandis qu’à partir du
XVIe siècle on commença à fixer des tabernacles inamovibles au milieu des autels sur
lesquels se célèbrent habituellement la messe276. La substitution des hosties au pain fermenté
ordinaire facilita la tâche ; il fut plus commode de conserver non seulement des hosties de
réserve mais aussi des hosties consacrées comme réserve eucharistique.

En plus de sa fonction de conserve du viatique des malades, la pratique de la réserve


eucharistique avait une autre destination ou une autre fin, celle de favoriser le culte du Saint
Sacrement soit dans des églises restant ouvertes soit, en Allemagne, dans des « tours
eucharistiques », immenses édifices en forme de tour placés au milieu du chœur et où le saint
sacrement était placé dans un réceptacle en verre pour être visible ; cette question de la
dévotion du Saint Sacrement sera exposée plus loin. Ces pratiques furent critiquées plus tard
par tous ceux qui contestaient la doctrine eucharistique de l’Eglise notamment les luthériens
qui ne reconnaissaient pas dans la messe la perpétuation ou le renouvellement du sacrifice
mais un simple mémorial et qui rejetaient la transsubstantiation ; au contraire, le concile de
Trente réaffirmant cette doctrine, prit même un canon renforçant le concept et la pratique de
la réserve eucharistique non seulement pour les malades mais aussi en général.

I.II.III.4.3 Les rites après la communion

En principe, aux premiers temps, la messe était considérée comme terminée après la
communion, vers l’aube277, avec une oraison collective pour remercier Dieu, selon la Didachè
qui prescrit, « Après vous être rassasiés, rendez grâces ainsi : Nous te rendons grâces, Père
saint, pour ton saint Nom que tu as fait habiter dans nos cœurs et pour la connaissance, la foi
et l’immortalité que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur. - A toi la gloire pour les
siècles. »278.
Vient alors la bénédiction finale que les fidèles reçoivent avant d’être congédiés par le
Ite missa est279. D’une manière systématique, cependant, dans les liturgies gallicanes l’évêque
donnait la bénédiction solennelle après le Pater, ceux qui ne communiaient pas, prenant la
bénédiction donnée à cet endroit comme, pour eux, la finale, s’en allaient. La messe romaine

276
BERAUDY, Roger, Le culte de l’eucharistie en dehors de la messe, in MARTIMORT, L’Eglise en
pière, op.cit., pp. 453-457.
277
C’est ce que, en particulier, suggère la « messe » que préside Paul à Troas, voir supra, parce que l’office avait
lieu, à l’origine, le soir.
278
Didachè X, I.
279
DANIEL-ROPS, op, cit., p. 256.
109

imita cette pratique, dès le VIe siècle le diacre pouvait, avant la communion, signaler à ceux
qui ne communiaient pas de « se ranger », en fait pour dégager la nef où le prêtre ou le diacre
passait donner la communion à tous ceux qui s’y trouvaient, mais cela était le plus souvent
compris comme une invitation à se retirer280. Mais, entre temps, la fin de la communion fut
marquée par un certain ritualisme, qui va gonfler et alourdir considérablement la conclusion
de la messe.

La purification
La « purification » revient à ce que, afin que ne se perdent ni la moindre parcelle
d’hostie consacrée ni la moindre goutte du vin « eucharistié », le prêtre absorbe les plus petits
restes d’hosties et de vin, afin de rendre ses doigts et le calice nets de toute trace de la
substance sacrée. Pour ce faire, le prêtre recueille soigneusement dans le calice les parcelles et
miettes tombées sur la patène placée sous le menton des fidèles au moment où le prêtre ou le
diacre pose l’hostie sur leur langue, ensuite le prêtre, disant la prière Quod ore sumpsimus,
boit du vin versé dans le calice. Ensuite, le prêtre se lave les doigts au-dessus du calice afin
qu’aucune miette d’hostie n’y reste collée (ablutions), la purification du calice pouvait exiger
jusqu’à deux ou trois ablutions, au vin puis à l’eau, en disant la prière Corpus tuum, Domine,
quod sumpsi…(Ton corps que j’ai mangé et ton sang que j’ai bu, Seigneur, qu’ils adhèrent à
mes entrailles et maintenant que je viens d’être restauré par ce sacrement pur et saint, fais que
le péché ne laisse en moi aucune tache…) ; puis, il boit au calice ces restes des ablutions.
Cette prière est connue dès le VIIe siècle, tandis que le geste d’ablution est attesté seulement
depuis le XIe siècle281. On signale une autre acception du vocable purification :
essentiellement purifier la bouche de tout reste de la substance sacrée, surtout à l’époque où la
communion consistait en un morceau de pain. Cette ablutio oris (ablution de la bouche) est un
usage ancien qu’on trouve déjà (sans être général) au début du Moyen Age, signalé en
particulier au VIe siècle, afin que le moindre reste du pain sacré ne sorte de la bouche par la
salive, consistait à prendre un peu d’eau, parfois de vin, ou un morceau de pain pour ainsi
l’avaler. L’usage se répandit au XIIe siècle avec l’éclosion de la dévotion au Saint Sacrement
et il était usuel au XIIIe siècle de donner aux communiants, en vue de l’ablatio oris, du vin
ordinaire après la communion, servi dans des vases ordinaires pour éviter la confusion avec la
communion au sang du Christ282.

280
JUNGMANN, MS III, p. 270.
281
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., pp. 194-195.
282
JUNGMANN, MS III, pp. 249-250.
110

La Postcommunion
C’est ici qu’est chanté ou lu le chant de communion, à la suite de quoi le prêtre fait

l’oraison Postcommunion qui conclut le rite de communion. Il faut y voir un développement

de l’action de grâces que nous avons vue intervenir comme oraison collective lue par le prêtre

et qui clôturait les anciennes célébrations immédiatement après la communion ; Saint

Augustin et Saint Jean Chrysostome la recommandent vivement, stigmatisant ceux qui se

précipitent dehors la communion terminée.

Elle a connu plusieurs variations, dont de longues prières de louange à Jésus, de


longues litanies, et d’autres formes faisant penser au début de la préface, etc. Jungmann nous
restitue celle que retiennent les Constitutions apostoliques283, pour l’église syriaque. Le
diacre l’introduit ainsi : « Ayant reçu le précieux corps et le sang précieux du Christ, rendons
grâces à celui qui a daigné nous faire participer à ses saints mystères, et supplions-le que ce ne
soit pas pour notre jugement, mais pour notre salut, pour le bien de notre corps et de notre
âme, pour la sauvegarde de la piété, la rémission du péché et la vie du siècle à venir ». Après
quoi, l’évêque passe à une longue oraison d’action de grâces, de remerciement et de
présentation de nombreuses intentions de la communauté. Mais la liturgie romaine est plus
sobre et conçoit une prière simple, variable avec toutefois un contenu ou un objet qui
concerne la communion que l’on vient de prendre et dont on attend des fruits.

I.II.III.4.4 L’importance de la doctrine eucharistique

Sans entrer dans les complexités théologiques, il faut montrer que l’évolution du rite
de communion et de sa pratique a été modelée par ce qu’on peut considérer comme une
évolution de la doctrine eucharistique. On ne peut dire avec certitude à quel moment s’opère
le changement de doctrines, mais on peut montrer que c’est ce changement qui introduisit
certaines pratiques et, au-delà, même si cela ne touche pas directement à la liturgie, la
réorganisation de la structure de l’Eglise, en particulier les rapports clercs-laïcs. En effet, dans
les premiers siècles, on l’a remarqué, par l’eucharistie les chrétiens faisaient moins un acte
sacrificiel qu’un acte de mémoire, la célébration étant le « mémorial » du Seigneur selon son
commandement, tandis que les espèces, alors pain et vin ordinaires, n’étaient pas confondues
avec le corps véritable, physique, du Christ mais uniquement des signes représentant ce corps.

283
Voir METZGER, Marcel (Introduction, texte critique, traduction et notes), Les Constitutions apostoliques,
Tome III, Livres VII et VIII
111

Dans ce sens, Saint Augustin lui-même considérait que c’est comme « figure » que le Christ
est présent dans le Saint Sacrement, représenté par les signes matériels que sont le pain et le
vin. On comprend qu’à cette période on ait laissé les chrétiens, ainsi que des convives à un
repas, s’approcher de l’autel aussi bien pour y porter les pains de célébration qu’ils avaient
d’ailleurs eux-mêmes apportés, que pour y aller « communier ». A partir du IXe siècle, les
fidèles sont éloignés de l’autel, les pains n’étant plus apportés jusqu’à l’autel mais reçus par
des ministres tandis que les fidèles reçoivent la communion à une « table de communion » au
seuil du chœur ; ce changement coïncide avec l’introduction, par des liturgistes284, des notions
nouvelles abandonnant la conception symbolique de l’eucharistie. Paschase Radbert, en
particulier, auteur d’un Traité sur l’eucharistie où il affirme que les espèces sont réellement,
et non métaphoriquement, le corps et le sang du Christ, insistait ainsi sur la « présence
eucharistique » de Jésus, contre laquelle se levaient certains autres théologiens, notamment
ceux proches de l’augustinisme, sans que la hiérarchie n’ait cru utile de trancher ce débat. Au
début du XIe siècle, Bérenger de Tours, reprend vers 1040 la thèse du « symbolisme
eucharistique » et l’enrichit de nouvelles argumentations en une analyse pointue du « Hoc est
corpus meum » dit par le Christ lors de l’institution ; il fut alors combattu comme hérétique285,
surtout lorsque, enfin, la hiérarchie se manifeste par plusieurs assemblées pour confirmer la
théologie eucharistique de la présence réelle du Christ.

Sans endosser la thèse selon laquelle le réalisme eucharistique n’aurait pas de


fondement biblique, ni discuter la signification des exhortations de l’Apôtre Paul concernant
l’eucharistie qui iraient au contraire dans le sens du réalisme286, l’histoire se doit néanmoins
de constater cette coïncidence du réalisme eucharistique avec certaines pratiques liturgiques,
comme l’éloignement des laïcs de l’autel, à partir de là au cœur même du mystère sacrificiel,
pour recevoir la communion à la table de communion, la fin de la communion sous les deux
espèces ou, encore, l’élévation et le développement du culte du Saint Sacrement dont nous
parlerons ci-après. Mais les conséquences sont également ecclésiales. En effet, une telle
doctrine aboutit à rehausser en le sur-sacralisant le geste ou le rituel eucharistiques, attribuant

284
Par exemple, PASCHASE RADBERT, liturgiste
285
Plus loin, nous verrons comment la réfutation de cette « hérésie » va avoir pour conséquence certains
gonflements ajoutés au rite de consécration et le développement du culte du Saint sacrement.
286
Au chapitre 10, verset 16, de la Première Lettre aux Corinthiens, Paul dit « La coupe de bénédiction que nous
bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ. Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au
corps du Christ ? ».
112

ainsi à ceux qui y procèdent, les prêtres, un pouvoir et une prééminence surmultipliés ; il en
découle une distanciation plus accrue entre clercs et laïcs287.

Il n’est pas inutile de présenter une autre conséquence de la doctrine du réalisme


eucharistique, en matière de la pratique religieuse en relation avec la liturgie de la
communion. Paradoxalement, l’institution de l’obligation minimale de la communion
annuelle à Pâques eut comme effet d’accentuer l’importance de ce sacrement, mais aussi son
caractère sacré qui fit accepter qu’on ne communie pas à Pâques, au risque de conséquences
spirituelles graves, sans s’être au préalable préparé par la purification. Le Concile de Latran
IV accompagna alors l’obligation de la communion annuelle d’une obligation de confession
annuelle. Certes, depuis la fin de l’Antiquité et le début du haut Moyen Age, existait l’idée de
pénitence, d’abord, faite en public, en vue de se purifier des péchés commis depuis le
baptême, que les fidèles s’avisèrent de n’accomplir qu’une seule fois dans la vie, le plus tard
possible, à l’approche de la mort, ceci ne valant rien pour ceux qui mouraient subitement. A
partir du VIIe siècle il y eut jusqu’au XIIe siècle la forme d’une pénitence tarifée selon un
barème indiqué dans le Pénitentiel, également publique mais renouvelable. Le canon Omnis
utriusque sexus de Latran prescrivant la confession sous cette forme n’avait donc fait
qu’officialiser une pratique qui se mit en place progressivement d’une pénitence sous forme
de « confession », où le chrétien, dans un acte qui marque une volonté d’humilité, avoue
oralement au prêtre ses péchés commis par action, la pensée ou l’intention ; à l’issue de l’acte
pénitentiel, le pénitent reçoit du prêtre l’absolution de ses péchés mais doit accomplir la
satisfaction comme sanction de ses fautes prescrite par le prêtre (prières, mortifications,
etc.)288.

Ces explications sont également utiles pour situer et comprendre quelques-unes des
divergences qui motiveront les réformateurs, non seulement ceux du XVIe siècle, les plus
connus à ce titre, mais aussi, déjà, au XIVe siècle, John Wyclif et Jean Huss.

I.II.III.5 La conclusion de la messe


Elle aurait pu être simple et consister à ce que les fidèles, l’office divin ainsi terminé,
se dispersent et rentrent chez-eux. Mais, il a fallu encore la ritualiser en trouvant une forme
qui la solennise. Jungmann signale qu’au départ, ce fut uniquement la bénédiction solennelle
de l’évêque, dans des formes qui ont varié, elle fut doublée ou triplée, tandis qu’elle

287
Dans le sens de ces interprétations, voir BASCHET, Jérôme, La civilisation féodale – De l’an mil à la
colonisation de l’Amérique, op.cit., pp. 339-343.
288
BASCHET, Jérôme, op.cit., p. 199.
113

disparaissait à certaines périodes et revenait à d’autres. C’est ainsi enrobée que la bénédiction
donna naissance à un rite plus complexe de conclusion289, fait d’une bénédiction, attestée dès
les IIIe-IVe siècles qui prit la forme d’une prière par laquelle le célébrant demande aide et
protection divine sur le peuple, c’est la prière sur le peuple290, qu’à l’invitation du diacre le
peuple reçoit debout et têtes inclinées ; très développée et dite à chaque messe en Orient, en
Occident la prière sur le peuple se réduit aux VIe-VIIIe siècles à une simple bénédiction
tandis que son ancienne forme est réservée aux messes de semaine pendant le carême. A partir
du IXe siècle et du XIe à Rome, la bénédiction est inclue dans une formule que dit le
célébrant baisant l’autel avant de se retourner vers le peuple et le bénir : Placeat tibi, Sancta
Trinitas, …, une sorte d’apologie et de supplication où le prêtre dit : « Agréez, Trinité sainte,
l’hommage de votre serviteur ; ce sacrifice que malgré mon indignité j’ai présenté […],
rendez-le digne de vous plaire et capable […] d’attirer votre faveur sur moi-même et sur tous
ceux pour qui je l’ai offert »291.

Pour le renvoi des fidèles, renonçant aux formules complexes d’Orient et des rites
grecs, Rome retient le Ite missa est en général ou aux solennités, ou le Benedicamus Domino,
dans les offices des religieux ou chaque fois qu’il n’est pas chanté de Gloria in excelsis Deo,
par exemple pendant le carême, le peuple répondant Deo gratias ; le renvoi est exprimé par
c’est le Resquiescant in pace.

La messe est en principe terminée. Mais, à partir du XIIIe siècle les prêtres prirent
l’habitude de réciter un passage de l’évangile comme action de grâces en rentrant à la sacristie
et au XVe siècle cette lecture se fit à l’autel au coin droit (où, nous l’avons vu, était également
lu l’évangile au cours de la messe)292. C’est le prologue de l’évangile de Jean qui s’imposa
très vite, consacrant en quelque sorte le véritable culte ou de pratiques superstitieuses dont il
était l’objet depuis le IVe siècle, plusieurs fidèles le réclamant en bien des occasions ; la
première utilisation de ce texte à la fin de la messe est consignée dans l’ordinaire des
Dominicains (1256), mais à la fin du Moyen Age l’usage n’était pas encore généralisé, il sera
fixé et « canonisé » après le Concile de Trente.293.

On peut, néanmoins, s’étonner de ces messes qui ne finissaient pas de finir, comme si
les prêtres ne savaient plus comment terminer la messe, comment dire carrément aux fidèles
que la messe est finie et qu’il est temps de rentrer chez-soi. Pourtant, fait remarquer Adrien
289
Op.cit., p. 363.
290
CABIE, Robert, op.cit., p.
291
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., pp. 200-201. Le baiser ainsi que la prière Placeat… entrèrent solidement
dans l’ordinaire de la messe en 1570 ; ce rite a aujourd’hui disparu.
292
CHALUFOUR, Jean-Denis, op.cit., p. 205.
293
JUNGMANN, MS III, pp. 385-388.
114

Nocent par simple bon sens, « La messe, comme tout acte posé par des hommes, doit avoir un
commencement et une fin, et il faut éviter de prolonger cette fin et de lui ajouter
continuellement des appendices »294.

I.II.IV Les livres liturgiques : la formation du missel

Le premier missel « plénier » est celui de 1474. Son élaboration est l’aboutissement
d’un long cheminement. Dans un premier temps, au moment où apparaissent les premiers
sacramentaires à Rome, l’une des formes de célébration, longtemps orales, a été consignée
vers la fin du VIIe siècle dans un document appelé l’Ordo romanus I décrivant la messe
pascale présidée par le pape. On y apprend le rituel selon lequel chaque dimanche ou à chaque
grande fête le pape, en tant qu’évêque de Rome, faisant en quelque sorte station là, disait la
messe successivement dans les vingt-cinq basiliques titulaires (les « titres ») de l’Eglise de
Rome, tandis que les assemblées dominicales ordinaires, simples synaxes présidées par les
presbytres, avaient lieu dans les basiliques de quartier de Rome. L’Ordo romanus de cette
époque décrit la messe papale : autour du président, le pape, ouvrent d’autres ministres,
sacerdotes, diacres, sous-diacres, lecteurs et acolytes, ainsi que les chantres (la scola
cantorum) ; mais, c’est le pape qui ordonne le déroulement de la célébration, donnant le signal
pour continuer ou arrêter l’action en cours, approuvant les noms des intervenants (lecteurs et
chantres). On y voit, enfin, les objets liturgiques utilisés lors de la messe, qui, conservés au
Latran ou à Sainte-Marie-Majeure, sont transportés vers la « station » où a lieu l’assemblée.
Mais, il existait également à Rome un sacramentaire. Celui-ci, pas plus que l’Ordo romanus I,
ne servait pas au pape, qui n’en avait pas besoin jugeait-on, mais à ceux qui, évêques ou
presbytres, pourraient remplacer le pape en cas de maladie, de vacance ou d’exil, ces deux
derniers cas ayant été très fréquents à l’époque ; c’est cela qui fut à l’origine de l’Ordo
romanus II295. Selon l’Ordo Romanus II, supplément contemporain de l’Ordo I, la liturgie du
pape se distinguait de celle de ses remplaçants, évêques et prêtres, par des éléments qui
exprimaient le pouvoir pontifical : l’usage de la cathedra, le trône, lieu liturgique distinct de
l’autel, ainsi que la présence du clergé hiérarchique réuni en corps assistant le pape pendant la
célébration296. Il y eut ainsi plusieurs types de messe : la messe solennelle, papale, la messe
« pontificale », qui est la messe solennelle de l’évêque ; la norme étant la messe solennelle, on

294
NOCENT, Adrien, L’avenir de la liturgie, op.cit., p. 66.
295
METZGER, Marcel, Les Sacramentaires, op.cit., pp. 24-28.
296
QOUËX (Abbé), Franck, « Les types de célébration de la messe romaine », in Baptistère n° 8, juin-juillet
2004.
115

reconnut néanmoins, aux niveaux inférieurs, les formes de « messe chantée » (missa cantata)
et de « messe basse »297.

En fait, l’ordo devra sa fortune à l’action déterminée de Charlemagne qui, l’ayant


demandé au milieu du VIIe siècle à Hadrien Ier, l’imposa dans les pays francs ; c’est cet ordo
trempé dans les coutumes liturgiques germano-gallicanes qui reviendra à Rome pour donner
naissance au premier missel « romain » plénier, le Missel de 1474. Si Rome devient
demandeuse de sacramentaires et d’autres livres liturgiques, c’est parce que, tandis que le
Siège apostolique est en crise, en pleine désagrégation, au Nord (en pays franc et surtout
germanique) règne au Xe siècle298 « une activité intense chez les écrivains et les copistes.
Dans les monastères allemands, en particulier, la copie et l’enluminure des livres sont
florissantes »299. Ceci expliquant cela, c’est également au Nord qu’apparaîtront les premiers
« missels pléniers », regroupant en un seul volume sacramentaire (livre euchologique, des
oraisons et de la prière eucharistique), lectionnaire et antiphonaire (les différentes pièces
chantées) dont il fallait disposer pour dire la messe, d’abord par une compilation l’un après
l’autre et, ensuite, en plaçant chaque élément à la place qu’il occupe dans l’ordonnance de la
messe300. En réalité, le lectionnaire est le seul livre dont le contenu est extrait de l’unique livre
obligatoire de la liturgie, la bible (et c’est pourquoi il est chronologiquement le premier à être
confectionné et publié), tandis que les autres, antiphonaire et sacramentaire, procèdent de
compositions, souvent libres, dont la formation a dépendu d’abord des actes des célébrants qui
ont pu être récoltés à travers la chrétienté et mis dans des formulaires écrits301. C’est ainsi que,
à partir de la fin du Xe siècle, le missel qui s’impose à la cour de Grégoire V est celui qu’en
998 le pape avait commandé par contrat au monastère allemand de Reichenau ; à partir de
Rome, l’usage du « missel » va se généraliser vers 1200 sans encore s’imposer, mais un effet
d’unification va être fait pour qu’il soit le missel de toute l’Eglise.

Par ce retour des choses, le fameux missel « romain », qui a fait autorité dans la
liturgie catholique jusqu’au milieu du XVe siècle et a inspiré le premier « missel plénier »
destiné à l’Eglise latine tout entière, n’était romain que de nom ; il venait de Germanie302,

297
Ibid.
298
Voir infra, Deuxième chapitre, section I, §2 (La misère sociale et morale de l’Eglise latine).
299
JUNGMANN, MS, p.130.
300
CABIE, Robert, op.cit., p.62.
301
METZGER, Marcel, Les Sacramentaires, Tur hout, Brepols, 1991, p. 28.
302
JUNGMANN, MS, p. 130.
116

II

LE CONCILE DE TRENTE ET LE « RITE TRIDENTIN »

L’adoption du missel plénier de 1474 n’avait pas mis fin à la diversité des pratiques
liturgiques. Noëlle-Maurice Denis-Boulet peut affirmer que jusqu’au concile de Trente, « la
variété des usages et des rites diocésains est sans limites »303. C’est dans la difficulté que va
s’ouvrir et se dérouler le Concile de Trente, entravée par une situation politico-religieuse
délicate mais, en même temps, favorable pour procéder à des réformes dont l’Eglise tout
entière, comme le monde politique et le pouvoir temporel, avait grandement besoin, afin de,
en quelque sorte, rétablir l’image de l’Eglise, pacifier et stabiliser les relations dans une
Europe qui voyait émerger des Etats-nations rivaux et en proie à des conflits incessants. A
cause des divergences et suspicions, entre l’empereur et la papauté, entre les responsables
temporels (empereur et rois de France, essentiellement), des diverses alliances et intrigues
politico-militaires dans lesquelles la papauté était impliquée, des reports, prorogations et
ajournements, le concile, convoqué le 4 juin 1536, ne commencera effectivement que, après
une succession de nouvelles convocations, près de dix ans plus tard, le 13 décembre 1545.
Cette longueur fit que le concile fonctionna sous des orientations de papes différents qui se
sont succédé304 et avec des évêques et des théologiens qui ne sont pas restés les mêmes305,
étant ainsi sans doute le plus long de l’histoire.

II.I LE CONTEXTE RELIGIEUX : la contestation doctrinale en toile de fond

La fin du Moyen Age et le début des Temps modernes sont marqués par une situation
extrêmement volatile et fragile, aussi bien sur le plan politique que dans le domaine purement
religieux. Tout le haut Moyen Age ainsi que la majeure partie du bas Moyen Age connurent
une Eglise aux mœurs dissolues autour d’une institution devenue presque la première
puissance temporelle et, donc, enferrée dans des problèmes de puissances rivales avec
l’empire et les royaumes européens. Plusieurs faits affectent la situation de l’Eglise de Rome.
On peut citer la crise de la hiérarchie avec l’exil avignonnais des papes, l’ignorance et la

303
DENIS-BOULET, Noël-Maurice, in L’Eglise en prière, 1961, pp. 299-305, spéc. P. 303.
304
Paul III, Jules III, Marcel II, Paul IV, Pie IV et Pie V qui mit en œuvre la réforme liturgique conciliaire.
305
BEDOUELLE, Guy, La Réforme du catholicisme (1480-1620), Paris, Cerf, 2002, p. 86.
117

pauvreté des clercs, la corruption et la cupidité des pasteurs, la déchéance et la dépravation


des mœurs ainsi que la débauche à la cour pontificale elle-même. Il n’est pas indiqué de trop
lourdement insister sur ce dernier aspect particulièrement attristant de tout une période (de
904 à 963), qualifiée par des historiens comme celle de la « pornocratie pontificale ». Le XIe
siècle n’a pas eu le monopole de cette réputation papale sulfureuse, Alexandre VI Borgia
frayera la chronique au XVe et les pratiques de ce siècle provoqueront ces paroles
d’admonestation au ton « ezzéchielien » ou « nathanien » du dominicain Savonarole :

« Arrive ici, Eglise infâme, écoute ce que te dit le Seigneur. Je t’ai donné ces beaux
vêtements et tu t’en fais des idoles. Avec tes vases de prix, tu as nourri ton orgueil. Tu
as profané les sacrements par la simonie… Tu as élevé une maison de débauche, tu t’es
transformée du haut en bas en maison infâme. Que fait-elle la fille publique ? Assise
sur le trône de Salomon, elle fait signe aux passants : quiconque a de l’argent entre et
fait tout ce qui lui plaît »306

On peut, également, juste relever la misère sociale des clercs pauvres et ignorants tandis
que la hiérarchie se complaît dans un système bénéficial simoniaque au service de Mammon.

Par contre, le contexte religieux mérite un examen, parce qu’il est susceptible
d’exposer dangereusement l’Eglise des Xe-XVIe siècles aux critiques de ses adversaires juste
au moment où éclate la querelle avec Constantinople (de laquelle devait découler le grand
schisme de 1054) et où, surtout, se manifestent les premières expressions et interprétations
théologiques centrifuges et rebelles préludes à la Réforme. C’est ce contexte qui explique
aussi bien l’urgence du concile que les décisions et réformes qu’il édictera, dans la mesure où
le Concile de Trente va ainsi se présenter comme la réponse jugée adéquate à cette situation
de crise multiforme de l’Eglise occidentale du bas Moyen Age et du début des Temps
modernes.

Ce travail se doit ainsi d’aborder uniquement la contestation doctrinale organisée par


les Réformés, en particulier leur critique de la liturgie catholique et de ses fondements
théologiques. Ce choix se justifie par le fait qu’en réalité, comme le dit, avec nombre
d’historiens, Nicole Lemaïtre dans sa leçon d’agrégation, le Concile de Trente « est réuni pour
répondre aux positions protestantes, il commence donc par définir des dogmes, par une
collaboration entre théologiens et canonistes, des vérités dont on peut vérifier l'enseignement
et la connaissance. ». Les réponses qu’il donne aux questions « dépendent largement des

306
Dans AUBENAS, Roger, L’Eglise et la Renaissance, t. XV, p. 134, cité par BERGERON, Marie-Ima, Le
christianisme en Chine – Approches et liturgies, Lyon, Ed. Le Chalet, 1977, p. 45.
118

protestants car les discussions suivent des catalogues d'erreurs tirées des oeuvres de Luther,
Melanchthon, Calvin, […] »307.

Dans ce domaine liturgique comme, du reste, dans les autres, le concile répond
directement aux critiques et, donc, à la doctrine de la Réforme ; certaines affirmations
appuyées d’une réforme conciliaire apologétique, ne se comprennent que placées en face du
contenu de cette contestation. Il faut rappeler simplement que les luthériens s’en prenaient à la
messe « privée », sans le peuple, à la communion « privée » du seul célébrant, aux rites qui
étaient privilégiés au détriment de la Parole de Dieu ; nous nous limiterons, pour les présenter
plus en détail, à quelques éléments de la doctrine eucharistique luthérienne, surtout ce en quoi
elle diffère de celle de l’Eglise romaine. Les documents luthériens comme La Confession
d’Augsbourg et l’Apologie sont l’illustration et la défense de la croyance fondamentale
luthérienne, tout en réfutant les prétentions et allégations, notamment de l’Eglise de Rome en
ce qu’elles affirment la doctrine « catholique » ou attaquent le luthéranisme. Nous y trouvons
le sens que Luther et les siens ont de la liturgie et de la messe qu’ils vont dorénavant
ordinairement appeler « le culte ». Ainsi, ils affirment que dans la Ière Apologie de Saint
Justin, le vocable « liturgie » « ne signifie pas, à proprement parler, un sacrifice, mais bien
plutôt un service public, […] qu’un seul ministre consacrant présente au reste du peuple le
corps et le sang du Seigneur, de même qu’un seul ministre enseignant présente l’Evangile au
peuple. C’est ainsi que Paul déclare: « Qu’on nous considère donc comme des serviteurs du
Christ et des dispensateurs des mystères de Dieu », c’est-à-dire de l’Evangile et des
sacrements (1 Corinthiens 4:1)... De la sorte, « leitourgia » correspond exactement à
« ministère » (Article XXIV, 79-81). Tandis que nous pouvons lire dans la Confession
d’Augsbourg que « les Saintes Ecritures déclarent en de nombreux endroits qu’il n’y a aucun
sacrifice ni pour le péché originel, ni pour les autres péchés, sinon uniquement la mort de
Christ. Car il est écrit dans l’Epître aux Hébreux, que Christ s’est offert une seule fois et
qu’ainsi il a aboli le péché, et nous a sanctifiés une fois pour toutes (Hébr. 9, 26-28 ; 10, 10).
C’est une innovation inouïe d’enseigner dans l’Eglise que la mort de Christ a satisfait
seulement pour le péché originel et non pas aussi pour les autres péchés. ». Nous remarquons,
là, une première différence avec la conception de la « messe » catholique considérée comme
la réactualisation du sacrifice de la croix par le prêtre agissant in persona Christi. Dans cette
conception luthérienne, la participation à la simple « opération rituelle » qu’est la « messe »,
n’attribue ni ne fait acquérir une grâce ou un bien quelconque de la part de Dieu, pas plus

307
LEMAITRE, Nicole, La réforme en continuité réussie, le concile de Trente, http://histoire.univ-
paris1.fr/agregation/moderne2003/cours12.htm
119

qu’elle ne permet d’être libéré des péchés. En effet, l’« eucharistie » n’est pas, pour le
luthéranisme, un sacrifice expiatoire ou propitiatoire, dans la mesure où « ce sacrifice a déjà
été consommé sur la croix - mais pour qu’il serve à réveiller en nous la foi, et à réconforter les
consciences ; en effet, le Sacrement nous rappelle que la grâce et la rémission des péchés nous
sont assurées par Jésus-Christ. », car « saint Paul enseigne que nous obtenons grâce devant
Dieu par la foi, et non par les œuvres. » Plus nettement encore, « la Messe n’est pas un
sacrifice offert pour d’autres, qu’ils soient vivants ou morts, afin d’effacer leurs péchés, mais
[qu’] elle est destinée à être une Communion dans laquelle prêtre et fidèles reçoivent le
Sacrement, chacun pour soi-même »308. Cette affirmation réfute en cela, également,
l’organisation des messes des morts et toutes les autres croyances qui lui sont attachées
comme la doctrine du purgatoire. A la limite, s’il n’y avait ce que le luthéranisme appelle « la
sainte Cène », qui vient introduire une idée d’eucharistie, le « culte » luthérien, quels que
soient ses autres rites, ne diffèrerait pas beaucoup de la simple synaxe ancienne, assemblée
liturgique essentiellement consacrée au partage de la Parole.

Quant à la sainte Cène, elle pose les questions de la doctrine eucharistique en ce qui
concerne la nature des espèces eucharistiques et la manière d’administrer la sainte Cène ou la
Communion. De ce point de vue, la doctrine luthérienne découle du rejet de la doctrine
eucharistique catholique et des rites ajoutés au schéma initial, tandis qu’elle remet en cause,
spécialement, la doctrine de la transsubstantiation. Certes, ainsi que le dit la Confession
d’Augsbourg, « Quant à la Sainte Cène du Seigneur, nous enseignons que le vrai corps et le
vrai sang de Christ sont réellement présents, distribués et reçus dans la Cène, sous les espèces
du pain et du vin. »309 Mais, Luther professe une doctrine dite de la « consubstantiation »
selon laquelle les paroles du Christ «ceci est mon corps, ceci est mon sang» signifient que,
lors de la Cène, et seulement lors de la Cène, les espèces deviennent effectivement corps et
sang du Christ, mais ils demeurent en même temps, ils n’ont pas cessé d’être, « pain » et
« vin ». De telle sorte qu’ils ne sont devenus « corps et sang » du Christ que durant le court
moment où le fidèle les mange et boit, demeurant pour le reste du temps simplement du pain
et du vin. Si une telle doctrine induit que l’on reçoive la communion avec respect et en étant
préparé, elle exclut la pratique de la « réserve eucharistique », l’adoration et tout le culte du
Saint sacrement.

308
Confession d’Augsbourg, article 24.
309
Confession…, article 10.
120

Quant à la manière de communier, Luther avait sévèrement critiqué l’abandon de la


communion sous les deux espèces, devenu systématique dans l’Eglise romaine310 ; il a donc
prescrit la communion au Corps et au Sang, revenant aux pratiques orthodoxes de l’Eglise
ancienne et aux enseignements de la tradition, Cyprien, Jérôme, le pape Gélase, etc. Mais la
raison principale avancée est sans aucun doute scripturaire, la Confession cite, à cet égard,
d’abord le Christ lui-même : « Dans nos églises on administre aux laïques la Sainte Cène sous
les deux espèces, pour la bonne raison que tel est clairement l’ordre et le commandement de
Christ, Matth. 26, 27 : ‘’Buvez-en tous’’ ». Là, le Christ, parlant de la coupe, ordonne en
termes clairs et précis que tous doivent en boire. » et, ensuite, la Lettre de saint Paul à l’Eglise
de Corinthe (I Co 11, 16).

Outre ces quelques différences d’ordre doctrinal, on peut dégager les grandes
innovations « rituelles » par rapport à la structure de la messe romaine. En général, tout en
partant de la tradition catholique qu’il connaît bien en tant qu’ancien augustin, et adaptant
l’Ordo missae311, Luther n’est pas néanmoins très favorable aux cérémonies grandioses
médiévales qui ont alourdi la structure simple de la liturgie des premiers chrétiens ; il les
considère en effet comme « fumée et bruit », ne voulant pas, au départ, abolir toute la liturgie,
mais la purifier de tous ces rites qui l’ont « défigurée », bien que ses idées aient évolué par la
suite et aient fini par bien singulariser le culte luthérien de la messe romaine. Ses vues sont
essentiellement exposées dans Formula Missae et Communionis (1523), et dans La Messe
allemande (1526) ; il stigmatise que l’on ait considéré « ces cultes comme une œuvre
bénéfique pour gagner la grâce et le salut, en cela, la foi a sombré… », ce qui explique que
l’on a « tu la Parole » au profit « d’affabulations non chrétiennes et de mensonges »312. C’est
pourquoi, ce qui frappe c’est l’importance accordée à la Parole (lectures et prédication) qui
occupe la place centrale dans la célébration du culte, qu’il soit le simple culte quotidien (du
matin ou du soir) ou le culte dominical. Le culte, ainsi dépouillé, autour de la Parole encadrée
par des chants, cantiques et hymnes, n’est plus la messe célébrée par un prêtre, effectuant des
gestes et disant à voix basse des paroles auxquels le peuple ne comprend rien, mais une
célébration communautaire conduite par un pasteur. Ceci traduit également la conception qu’a
Luther du sacerdoce : pour lui, ayant un seul et même baptême, une seule et même foi, un seul

310
Nous verrons que la validité de la communion uniquement au Corps du Christ sera décrétée en forme de
dogme par le Concile de Trente.
311
WEBER, Edith, La nouvelle ordonnance du culte et l’hymnologie – Formula Missae et Communionis (1523)
et Deutsche Messe (1526), in VALENTIN, Jean-Marie, Luther et la Réforme – Du Commentaire de l’Epître aux
Corinthiens à la Messe allemande, Paris, Ed. Desjonquères, 2001, pp. 386 et 389.
312
WEBER, Edith, op.cit., p. 393.
121

et même évangile, tous les chrétiens participent véritablement au sacerdoce, la seule


différence avec le sacerdoce sacramentel est liée à la fonction spécifique du prêtre. Reconnu
adulte et responsable, le chrétien peut interpréter lui-même les Ecritures et il en a le droit,
tandis que les sacrements qu’administre le prêtre n’agissent que par la foi de celui qui les
reçoit et non par eux-mêmes du fait d’émaner du prêtre ex opere operato (ce qui est la
doctrine officielle réaffirmée plus tard par le Concile de Trente), mais les sacrements sont la
manifestation objective d’une révélation que Dieu a voulue, à la fois donnée de l’extérieur et
matérialisée dans l’incarnation, dans le Livre, l’Eau, dans le Pain et le Vin. De telle sorte que
le sacerdoce sacramentel n’est même plus utile, ce dont l’Eglise a besoin ce sont les serviteurs
capables de proclamer la Parole313, par laquelle se révèle cette grâce gratuite et invisible de
Dieu ; d’où, l’importance de la Parole et de la prédication dans le service liturgique.

La structure de la messe allemande est simple et ne garde que quelques pièces de la


messe catholique314 :
Introït
Kyrie eleison (pas de Gloria, en tout cas, celui-ci n’est pas signalé)
Collecte (prière du jour)
Epître
Graduel (cantique allemand)
Evangile
Credo ou Confession de foi (chant d’une paraphrase du Credo par Luther)
Prédication
Notre Père (chant d’une paraphrase faite par Luther)
Exhortation à communier dignement (mais pas de confession ni d’absolution, celles-ci ayant
eu lieu en privé)
Paroles d’institution, sur la base de l’Epître aux Corinthiens, 11, 23 et ss. complété par la
lecture des textes de l’Evangile pendant qu’a lieu la consécration des espèces, c’est-à-dire en
fait la préparation,
Elévation des espèces de la Cène
Distribution de la Cène sous les deux espèces
Le Sanctus ou l’Agnus Dei
Prière d’action de grâces
Bénédiction

La messe luthérienne, dite allemande, se caractérise surtout comme un culte, un


service liturgique, où la prédication a, au moins, autant d’importance que la Cène elle-même.
Cette conception fait apparemment une application particulière de la primauté absolue de la

313
TÜCHLE, Herman, et alii, op.cit., pp. 69-70.
314
Concernant la structure et les apports de la messe allemande, WEBER, Edith, op.cit., pp.396-399.
122

Parole : sola scriptura, en conséquence, sola fide et sola gratia, parce que c’est solo Christo.
Luther veillera à la qualité du lectionnaire et des péricopes, qu’il hérite de la tradition
catholique. Elle se caractérise également par la recherche de la participation active des
fidèles : d’où, l’importance des chants, non plus ce grégorien qui s’était imposé dans l’Eglise
romaine mais était devenu affaire de spécialistes et de quasi professionnels au sein de la scola
cantorum. Lui-même musicien et poète, il a réalisé de nombreuses compositions musicales
pour la liturgie, avec des cantiques parmi les plus connus du protestantisme, nombre de
chorals chantés au cours de la liturgie sont de sa composition, comme les paraphrases de
certaines pièces traditionnelles de la messe (comme l’introït, le credo ou le Pater). Luther
appelle une rénovation de l’hymnologie en recourant aux chants et cantiques populaires ou, en
tout cas, de psaumes en langues vernaculaires ; il recommande que les paroles soient simples,
compréhensibles et faciles à chanter en communauté. Ce mouvement est facilité par une
tradition allemande, ancienne, du chant et de la musique populaires propices à des
célébrations collectives. Néanmoins, Luther n’avait pas ordonné l’abandon immédiat du latin ;
bon latiniste par sa formation, souhaitant même que le culte pût être célébré en latin et en
allemand, afin de satisfaire tous les goûts et toutes les sensibilités ; cette pratique bilingue
s’est poursuivie dans les grandes villes, encore aux XVIIe et XVIIIe siècles315.

Il est possible que, ayant subi des influences diverses depuis la Réforme, certaines
communautés ou paroisses luthériennes ne célèbrent pas en respectant le schéma qui résulte
de ces conceptions, cela peut être considéré comme une évolution vivante normale ou comme
une anomalie ou déviation, selon les points de vue. En tout état de cause, il demeure une
différence fondamentale avec la messe catholique, dans la mesure où pour les catholiques, la
messe représente toujours non seulement une commémoration mais aussi une réactualisation
du sacrifice du Christ avec l’eucharistie comme le sommet de la célébration, tandis que, nous
l’avons vu, les protestants, s’étant tous inspirés de la doctrine de Luther quelle que soit leur
dénomination, dans un culte sans valeur sacrificielle et simple assemblée liturgique avec la
sainte Cène, accordent la même importance aux deux parties de la messe, la liturgie de la
Parole et la liturgie eucharistique.

315
WEBER, Edith, op.cit. p. 399.
123

II.II LE CONCILE ET LA REFORME LITURGIQUE : LA LITURGIE


TRIDENTINE

Convoqué, ainsi qu’on l’a dit, au début de la Réforme protestante de Luther pour
réfuter les propositions théologiques considérées comme inexactes et contraires à la doctrine,
le Concile de Trente produit une abondante œuvre dogmatique et doctrinale et, pour faire face
aux désordres et fantaisies liturgiques, une réforme de la liturgie. Afin de bien comprendre le
sens et la portée des décisions conciliaires, il serait utile d’indiquer comment les conditions et
circonstances qui en sont à l’origine ont imposé en quelque sorte l’orientation (I), pour ensuite
examiner la doctrine mise en œuvre par le concile pour encadrer le contenu de la réforme
liturgique (II), avant de jeter un regard sur ce contenu au travers du missel et du rite
« tridentins » (III). Certains documents conciliaires relatifs à la liturgie de la messe, doctrine,
canons et constitution liturgique, ainsi que le schéma complet de la messe tridentine sont
reproduits en annexe.

II.II.I L’objet et l’œuvre du Concile

Il faut, d’emblée, dire que l’avènement du concile était un événement souhaité et


attendu de tous, vu la situation de l’Eglise et en son sein dans l’environnement politico-
religieux qui était le sien. D’une part, tout en étant encore une puissance indéniable au double
plan spirituel et temporel, la papauté traversait, malgré tout, des difficultés qui fragilisaient
l’Eglise, des tiraillements entre des alliances politico-militaires, des avancées de contestations
doctrinales sinon de véritables hérésies, sur un fond interne lézardé à cause de la décrépitude
des mœurs aussi bien à la curie que dans le clergé en général. D’autre part, l’Eglise elle-même
avait besoin de se réformer et de devenir forte face à la montée de la Réforme protestante qui
avait remis en question quelques-unes de ses bases doctrinales et dogmatiques les plus
traditionnelles ; la papauté, elle-même, bien qu’elle ait conservé intacte sa puissance
notamment sur des conciles qui avaient essayé de lui contester la primauté (Bâle, Constance,
etc.), elle ne pouvait laisser l’institution péricliter. Les souverains, aussi, avaient besoin d’une
réforme de l’Eglise, comptant sur un concile général pour réduire quelque peu la papauté et
ainsi affirmer leur souveraineté mais aussi leur droit de regard sur les églises de leur pays au
moment où la propagation de la Réforme était de nature à amener une sorte de crise de
régime.
124

En fait, il faut bien le reconnaître, on ne peut pas nier que la Réforme fut pour l’Eglise
une provocation très grave ; bien au-delà de ce qu’avait pu représenter le schisme d’Orient, la
Réforme correspondait à une sorte de schisme intérieur, au cœur même de l’Eglise de Rome
et au sein de l’empire, l’un de ses alliés les plus sûrs. Elle semble ainsi être la cause
surdéterminante du Concile parce qu’elle appelait une réponse aussi nette que « définitive »,
solidement argumentée en vue d’une condamnation ferme et sans recours et, en cela, un
concile était la voie la meilleure.

Par ces circonstances, l’objet du concile s’imposait de lui même ; double, il devait
faire face à la crise interne de l’Eglise pour la réformer et, d’un autre côté, réaffirmer la
« vraie » doctrine pour contrer les dérives hérétiques des Réformés luthériens. Il en découla,
pour l’œuvre du Concile, un caractère ambivalent ; elle est, certes, un effort de réforme,
notamment disciplinaire, de l’Eglise catholique, mais, il est difficile de ne pas y voir
indissociablement une sorte de « contre-réforme » au regard de la Réforme protestante : ses
décisions se répartissent ainsi entre ces deux objets, doctrine ou dogme et réforme. Du reste, à
cet égard, presque tout le mois de janvier de l’année 1546 fut consacré au débat sur la
primauté à accorder à ces deux thèmes, la papauté, globalement, privilégiait le travail
dogmatique, estimant que ce sont les manquements sur ce plan qui étaient à la base des abus
et errements constatés, tandis que la thèse impériale était que ce sont les mauvaises mœurs qui
ont donné prise aux contestations et thèses des hérétiques. Mais, sans doute, comme souvent,
la vérité devait-elle être au milieu ; en fait, pour les « Réformés », les deux aspects étaient liés
comme bases de leur révolte même si certains aspects disciplinaires leur semblaient de peu
d’importance. Finalement, il fut décidé de traiter ensemble la doctrine et la réforme mais le
légat du pape précisant que ce soit absolument dans cet ordre, l’examen d’un aspect de la foi
donnant lieu à celui d’un aspect des mœurs qui pouvait lui correspondre. Plus que d’un
compromis, il s’agit d’une véritable connexion interne de l’œuvre conciliaire qui donna à
celle-ci une certaine qualité opératoire que n’avaient pas toujours des conciles antérieurs à cet
égard trop théoriques316. De fait, à partir de la IVe session ouverte le 8 avril 1546, le concile
mena de concert ces deux matières et, souvent, faisant suivre d’un décret sur les abus et, donc,
sur la réforme, le décret pris en matière dogmatique. Mais, globalement, comme le dit N.
Lemaître, « comme dans la Réforme protestante, les textes de l'Écriture sont placés à la base
des travaux du concile, dès la 4e session, le 8 avril 1546, très tôt après l'ouverture, ce qui est

316
BEDOUELLE, Guy, op.cit., pp. 79-80.
125

la preuve d'un consensus. Avant de s'occuper des dogmes, le concile a donc voulu s'occuper
de leur fondement, définir les sources qui permettent de construire la foi. »317
Cependant, même dans cette matière relativement récente et suffisamment
documentée, les spécialistes ne s’accordent pas toujours sur le nombre et l’intitulé des décrets
promulgués, on peut néanmoins en distinguer assez nettement l’objet et la substance318, à part
le fait que chacun affirme l’alternance entre décrets doctrinaux et décrets disciplinaires.

Dans le domaine de la doctrine, en nous inspirant d’Alain Tallon et de Guy Bédouelle, nous
pouvons estimer que, outre le décret de la IIe session sur « la manière de vivre et les autres
points à observer au concile » (Tallon), les autres décrets intervenant dans le domaine de la
doctrine portent successivement sur :

-le symbole de la foi, au cours de la IIIe session (Tallon), l’Ecriture sainte (ou les Livres
canoniques) et les traditions apostoliques ;
-le péché originel ;
-la justification ;
-les sacrements en général et le baptême (le décret étant accompagné de trois canons sur la
réforme en matière de sacrements) ;
-l’Eucharistie ; la pénitence et l’extrême-onction ;
suivent, au cours de la XXIe session du 16 juillet 1562, le décret sur la communion sous -les
deux espèces et, au cours de la fameuse XXIIe session, le sacrifice de la messe (exposition de
la doctrine touchant le sacrifice de la Messe) et décret sur les abus à éviter dans la célébration
de la messe ;
-sur le sacrement de l’ordre ;
-le mariage ;
le purgatoire, le culte des saints et des images.
Suivant les mêmes sources, la réforme se vit, elle, consacrer des décrets portant
respectivement sur :

-la Vulgate ;
-les impressions du texte sacré et la langue vulgaire (l’édition et l’utilisation des Livres
saints) ;
-l’enseignement et la prédication de l’Ecriture et (Tallon) les quêteurs d’aumônes ;

317
Une réforme en continuité réussie, op.cit.
318
Voir les chronologies établies par TALLON, Alain, Le Concile de Trente, Paris, Cerf, 2000, pp. 100-102, et
BEDOUELLE, Guy, op.cit., pp. 84-85.
126

-la résidence des évêques et des prêtres et (Tallon) les excès à corriger par l’ordinaire, les
visites et les fonctions pontificales ;
-les bénéfices ecclésiastiques ;
-les droits et devoirs des évêques ;
-les relations des évêques et des prêtres ;
-la discipline sur les prêtres et leurs moyens de subsistance ;
-l’appel aux ordres par l’évêque et l’institution des séminaires ;
-les synodes provinciaux et diocésains ;
-les visites pastorales ;
-la prédication ;
-les chapitres cathédraux ;
-les vacances des sièges épiscopaux ;
-les réguliers et les moniales ; et
-un décret de « réforme générale » qui comprend vingt et un chapitres traitant de points très
divers qui complètent les décrets précédents.

La primauté du contenu des décrets de doctrine s’exprime dans la forme donnée à ces
derniers. Parce que, comme on l’a vu, le projet du Concile était de réfuter et de combattre les
hérésies, les décrets qui exposent et réaffirment la doctrine de l’Eglise étaient généralement
accompagnés de canons, dont la forme de textes juridiques énonce la fausse doctrine visée et
la condamne par la formule péremptoire de l’anathème : « Si quelqu’un dit ou croit que… ;
qu’il soit anathème ». L’autre particularité de ces décisions doctrinales c’est qu’elles ont créé
des instruments pastoraux de leur objet, à travers l’Ecriture sainte dont le contenu est fourni
par les Livres canoniques triés et fixés par l’Eglise au milieu de tous les écrits qu’on rencontre
couvrant les deux périodes de l’Ancien et du Nouveau Testaments ; à travers une profession
de foi catholique, sans doute pour répondre aux professions proclamées par les luthériens,
consignée dans le catéchisme romain à élaborer par le soin de la papauté sur la base des
décisions conciliaires, et à travers, concernant l’eucharistie, le Missel inspiré de la doctrine
conciliaire et qui sera élaboré et promulgué par les soins du pape.

En fonction de cette doctrine réaffirmée, Paul IV avait fait publier (1558) une liste de
livres prohibés, l’Index Librorum prohibitorum, élaborée sur la base des investigations et
propositions des théologiens « orthodoxes » des universités de Paris et de Louvain ; cette
œuvre va être prise en charge par le concile qui, faute de temps, demande au pape de la
parachever par une nouvelle édition de l’Index. En fait, parce que de tout temps certains livres
127

ou certains auteurs étaient mis en doute, le concile donne la liste des livres qui sont acceptés, à
partir d’une liste établie depuis le concile de Florence de 1439 dont il a déjà été question plus
haut, à la suite des discussions avec les Grecs ; toutefois, cet l’Index des livres admis
n’aboutissait pas à anathémiser ceux qui douteraient de tel ou tel des livres de cette liste
officielle. Sont écartés, avant tout, tous les écrits des grands penseurs et responsables
luthériens, tous les livres anonymes publiés depuis 1515, date à laquelle les « luthériens »
commençaient à se manifester et souvent dans l’anonymat, mais aussi certaines traductions
des Ecritures à cette époque où les protestants avaient opté pour la traduction libre. Le régime
des sanctions concerne soit une interdiction jusqu’à modifications exigées, soit une
interdiction pure et simple avec retrait et destruction des ouvrages condamnés et il fut, en
conséquence, institué un régime d’autorisation préalable d’édition, d’impression et de
publication d’ouvrages319. C’est que, comme l’observent certains spécialistes, dans le
domaine de la doctrine, le concile avait manifesté « une évidente intransigeance dogmatique
quand il s’agissait de faire face à la Réforme, mais un souci de compromis pour tout le
reste »320. De fait, en particulier, pour la réforme des mœurs et pratiques de la hiérarchie de
l’Eglise, la tâche ne fut pas facile ; il était en effet illusoire de croire que les prélats et évêques
cumulards de charges, de bénéfices ecclésiastiques à la tête de juridictions dans lesquelles ils
ne mettaient jamais le pied, pour ne prendre que cet exemple, pouvaient véritablement
réformer et s’imposer une obligation de résidence effective et renoncer aux richesses et à tout
ce qu’elles impliquaient de vie luxueuse bien peu évangélique. D’autant plus que, pour le
cumul et le trafic des bénéfices par exemple, le système en vigueur convenait bien aux
souverains qui y trouvaient des instruments politiques de leur influence sur les princes de
l’Eglise ; c’est pourquoi, malgré le concile, le système continua encore en Allemagne et en
France.

Deux objectifs majeurs auront préoccupé la hiérarchie de l’Eglise catholique, tous


deux sans aucun doute surdéterminés par la Réforme protestante. D’une part, combattre la
large diffusion des idées hérétiques de Luther et des siens, en assurant une aussi large et forte
réaffirmation de la doctrine traditionnelle de l’Eglise, croisade dont se chargeront les
différents ordres religieux. De tous, sans doute, la Compagnie de Jésus s’en fit-elle la
spécialité, celle de combattre les fausses doctrines et propager la vraie foi catholique.
L’approbation des statuts de cet ordre en 1540, en période pré-conciliaire et en pleine lutte

319
Sur l’Index, voir Analecta Juris Pontificii, Dissertations sur divers sujets de Droit canonique, Liturgie et
Théologie, Quatrième Série, Rome, 1860, pp. 1401-1446, numérisation par Google, et BEDOUELLE, Guy,
op.cit., pp. 98-99.
320
TALLON, Alain, op.cit., p. 98.
128

contre le protestantisme déferlant, témoigne bien que les jésuites se proposent et sont institués
pour ces croisades, aussi bien en occident même, pays des « fidèles », et ailleurs, chez les
« infidèles ». C’est ce que confirment les constitutions de la Compagnie reprenant en cela le
contenu de la bulle Regimini militantis Ecclesiae321 : si la fin de la Compagnie est de
« s’employer au salut et à la perfection de l'âme de ses membres mais, avec cette même grâce,
de chercher intensément à aider au salut et à la perfection du prochain. », ses membres font ce
« vœu exprès au Souverain Pontife, actuel ou futur, en tant que Vicaire du Christ notre
Seigneur : celui d'aller partout où Sa Sainteté voudra l'envoyer, chez les fidèles ou les
infidèles »322. Les jésuites seront véritablement une armée en croisades d’évangélisation dans
différentes contrées d’Europe, mais aussi, comme on le verra, dans les pays non chrétiens
d’Amérique, d’Asie et d’Afrique. Le deuxième objectif est d’encadrer toutes les initiatives et
actions par des structures appropriées œuvrant aux côtés du pape. Ce recentrage et cette
centralisation se traduiront par deux réformes capitales décidées par l’Eglise en créant deux
dicastères. La veille du Concile de Trente, en plein débat théologique bouillonnant avec les
Réformés, le pape Paul III institue la Sacrée Congrégation de l’Inquisition romaine et
universelle, par la bulle Licet ab initio, en date du 21 juillet 1542 ; gardienne de la « vraie
foi », la Congrégation avait pour mission de lutter contre les hérésies et, à ce titre,
responsable de l’inquisition, laquelle était déjà pratiquée depuis le XIIIe siècle (notamment
par l’intermédiaire des dominicains) mais demeurait trop entre les mains des rois, après le
Concile, la congrégation sera en charge de l’Index. Cette congrégation fit l’objet d’une
réforme de Pie X qui lui donna le nom de Sacra Congregatio Sancti Officii (Sacrée
Congrégation du Saint-Office), devant veiller à la pureté de la doctrine et des mœurs. Paul VI,
par le Motu proprio Integrae servandae, supprime l’Index et attribue à la congrégation son
nom actuel de Congrégation pour la doctrine de la Foi, la constitution apostolique Pastor
Bonus de Jean-Paul II de 1988 précisera que sa tâche est « de promouvoir et de protéger la
doctrine et les mœurs conformes à la foi dans tout le monde catholique… »323. La deuxième
réforme est l’œuvre de l’Eglise post-tridentine, sortie du Concile avec la conviction de la
justesse de sa doctrine et engagée dans la propagation de la foi dans les contrées étrangères
pénétrées par l’Europe à la faveur des « grandes découvertes » et des conquêtes des XVe-
XVIe siècles, et qui, pour encadrer la mission universelle de l’Eglise, créa la Sacra
Congregation de Propaganda Fide (Congrégation de la propagation de la foi, souvent appelée
« la Propagande »), créée par Grégoire XV en 1622, dont nous verrons plus loin l’importance

321
La bulle Regimini militantis Ecclesiae, promulguée le 27 septembre 1540 par le pape Paul III.
322
Constitution 3 et 7, www.jesuites.com/documents/constitutions
323
Pastor Bonus, §48.
129

dans le domaine de la « dilatation » (propagation) de la foi catholique et qui a joué un rôle


capital dans l’implantation de l’église « missionnaire ». Il n’est pas inutile d’ajouter que
l’édiction du catéchisme fut d’un apport certain dans la préservation du dogme et de la
doctrine. En effet, le concile de Trente, sort en 1566 le catéchisme dit romain destiné aux
adultes incultes et aux enfants. En fait, il s’agit d’un manuel pour les curés, afin qu'ils soient
capables d'expliquer clairement la doctrine et il sera, pour des raisons didactiques et pratiques,
élaboré en forme de dialogues pour en faciliter l’étude par cœur et l’assimilation ; pour les
mêmes raisons il sera traduit dans toutes les langues. Sur ce modèle, les diocèses éditeront à
leur tour des catéchismes adaptés aux enfants.

On peut ainsi dire qu’avec ce Concile, le catholicisme retrouve son unité, au moins
formelle, fondée essentiellement sur la réaffirmation du dogme, le pape Pie IV pouvait se
proclamer « évêque de l’Eglise universelle », tandis qu’un instrument nouveau est mis en
place pour assurer le contrôle de Rome sur les églises locales, grâce à la Visitatio ad limina
Apostolorum instituée par Sixte V324.

II.II.II La doctrine et la réforme liturgiques

Si nous nous limitons aux décisions relatives aux questions touchant à la liturgie et à la
messe, nous retiendrons les décrets adoptés à cet effet au cours des XIIIe, XXIe et XXIIe
sessions, respectivement sur l’Eucharistie, sur la communion sous les deux espèces et sur le
sacrifice de la Messe. Ces décrets sont accompagnés de canons qui clarifient bien les points
de la foi et de la pratique fondamentales de l’Eglise et précisent les obligations des fidèles
dans ce domaine ; mais ils ne peuvent être séparés de ce que l’Eglise affirme par ailleurs en
matière de sacrements en général (décret et canons adoptés lors de la VIIe session),
circonscrivant en particulier le sens du sacerdoce sacramentel (le sacrement de l’ordre, traité
au cours de la XXIIIe session) et le rôle du prêtre dans l’administration des sacrements et dans
l’accomplissement du sacrifice de la Messe, de même qu’est importante, ici, la question de la
traduction des Ecritures et des livres liturgiques en langues vulgaires.

324
BAUMGARTNER, Mireille, L’Eglise en Occident des origines aux réformes du XVIe siècle, op.cit., pp. 239-
240.
130

II.II.II.1 Contenu de la réforme liturgique

Le Concile entreprend de réfuter point par point les thèses luthériennes touchant les
idées et croyances qui sous-tendent la conception de la liturgie eucharistique en ses principaux
points ainsi que les expériences liturgiques déjà mises en pratique par les protestants : la
nature sacrificielle, la transsubstantiation, l’effet propitiatoire, l’admissibilité et la légitimité
de la messe pour les défunts, l’adoration du Saint sacrement, le culte de saints, et différents
autres rites que nous avons vus se développer dans les coutumes liturgiques en particulier au
cours du haut Moyen Age, etc. Toutefois, le contenu de cette doctrine montre que le Concile
répond à certains autres points ayant fait depuis longtemps objet de divergences plus ou moins
profondes entre les Eglises orientales et l’Eglise latine. Elle commence par préciser la nature
et le bien fondé de la messe, d’institution divine par le Seigneur lui-même comme symbole
devant perpétuer le sacrifice sanglant de la croix : bien que le Christ « dût une fois s’offrir lui-
même à Dieu son Père, … néanmoins, parce que son sacerdoce ne devait pas être éteint par la
mort, pour laisser à l’Église, sa chère épouse, un sacrifice visible… par lequel ce sacrifice
sanglant, qui devait s’accomplir une fois en la croix, fût représenté, la mémoire en fût
onservée jusqu’à la fin des siècles, et la vertu si salutaire en fût appliquée pour la rémission
des péchés que nous commettons tous les jours »325. Ceci répondait aux thèses luthériennes ne
considérant la messe que comme un mémorial et non l’actualisation ou la répétition du
sacrifice du Christ, subi une seule fois pour toutes, rejetant la pratique des eucharisties
fréquentes, rejetant la doctrine qui attribue à la participation à la messe des grâces et des
bénédictions. Bien plus, le Concile réaffirme le caractère propitiatoire de la messe, qui fait
qu’elle est dite pour l’expiation des péchés et pour le salut des vivants mais aussi des morts,
en particulier, ceux du purgatoire : « le sacrifice visible de la messe est propitiatoire pour les
vivants et les morts » ; « conformément à la tradition des apôtres, elle est offerte, non seulement
pour les péchés, les peines, les satisfactions et les autres nécessités des fidèles qui sont encore vivants,
mais aussi pour ceux qui sont morts en Jésus-Christ, et qui ne sont pas encore entièrement purifiés. »
(Décret « Exposition de la doctrine touchant le sacrifice de la Messe », chapitre II).

En fait, le concile entérine, légitime et impose toutes les pratiques et tous les rites
liturgiques qui étaient mis en place au cours des siècles précédents, que nous avons vus
s’introduire, parfois subrepticement, par improvisation ou par hasard. Non seulement les
messes dites en l’honneur des saints, les messes où seul le prêtre communie, pour la raison
qu’elles sont dites par un ministre public de l’Eglise, s’il communie seul sacramentellement
325
Décret de la XXIIe session sur l’Exposition de la doctrine touchant le sacrifice de la sainte messe chapitre
premier « De l’institution du sacrifice de la messe ».
131

les fidèles communient spirituellement et parce que le prêtre célèbre non seulement pour lui
mais aussi pour tous. Le concile justifie et légitime les pratiques comme « prononcer à la messe
des choses à basse voix, d’autres d’un ton plus haut, et a introduit des cérémonies, comme les
bénédictions mystiques, les lumières, les encensements, les ornements, et plusieurs autres choses
pareilles, … ». La raison en est que « la nature de l’homme étant telle qu’il ne peut… sans quelque
secours extérieur s’élever à la méditation des choses divines, … l’Église, comme une bonne mère, a
établi certains usages, … suivant la discipline et la tradition des apôtres, et pour rendre par là plus
recommandable la majesté d’un si grand sacrifice, et pour exciter les esprits des fidèles par ces signes
sensibles de piété et de religion à la contemplation des grandes choses qui sont cachées dans ce
sacrifice. » (chapitre V). L’argumentation utilisée pour justifier l’imposition du latin comme
langue liturgique est assez surprenante : « Quoique la messe contienne de grandes instructions
pour les fidèles, il n’a pourtant pas été jugé à propos par les anciens Pères qu’elle fût célébrée partout
en langue vulgaire. » Mais, le concile invite les prêtres à expliquer la Parole, ordonnant que
« souvent au milieu de la célébration de la messe ils expliquent eux-mêmes, ou fassent expliquer par
d’autres, quelque chose de ce qui se lit à la messe, … surtout les jours de dimanches et de fêtes. » Un
tel laconisme et ce peu de souci de véritablement justifier la doctrine détonnent à une période
où, non seulement les Réformés ont abondamment argumenté l’option des langues locales,
mais aussi jusqu’au sein du concile, y compris parmi les Romains et les Italiens, des voies
s’exprimaient pour une telle solution. De plus, l’un des canons rattachés à ce décret condamne
et réprime la contestation de ces pratiques et rites : « Si quelqu’un dit, que l’usage de l’Eglise
Romaine de prononcer à basse voix une partie du Canon, & les paroles de la Consécration, doit estre
condamné : Ou que la Messe ne doit estre célébrée qu’en langue vulgaire : Ou qu’on ne doit point
mesler d’eau avec le vin qui doit estre offert dans le Calice, parce que c’est contre l’institution de
Jesus-Christ : Qu’il soit Anathême. » (Canon IX).

Par ailleurs, lorsque pour les Réformés, les Ecritures, lecture et prédication de la
Parole, constituaient le cœur de la célébration, elles ne sont abordées que « souvent », comme
un appendice, juste pour « expliquer quelque chose de ce qui se lit à la messe ». De fait, c’est
une divergence fondamentale, d’autant plus qu’à la différence des Réformés, l’accès à
l’Ecriture n’est pas libre et que celle-ci est traduite, expliquée et interprétée par l’Eglise, le
Magistère et la Tradition. A cet égard, c’est une caractéristique du Concile de Trente que
d’établir cette sorte de filtre clérical entre les fidèles et les choses sacrées326, monopole du
sacerdoce sacramentel ordonné, alors que le concile, par l’emploi exclusif du latin, avait

326
TALLON, Alain, op.cit., p.63.
132

« tendu un voile entre l’autel et la nef », voile que ne pouvait percer qu’une bonne prédication
du prêtre, chose de plus en plus rare327.

Ce rôle spécifique du prêtre est également réaffirmé en ce qui concerne non seulement
l’administration mais aussi l’efficacité des sacrements. Il ne s’agit pas seulement de la
conception septénaire des sacrements, eucharistie, baptême, pénitence, ordre, confirmation,
mariage et extrême-onction, là où les Réformés n’en retiennent en fait que deux (baptême et
eucharistie). Mais, en plus, la multiplication des sacrements accroît le rôle de celui qui,
naturellement, en est chargé, le ministre ordonné, tandis que, de ce fait d’être l’œuvre du
prêtre, le sacrement opère de lui-même et en a son efficacité spirituelle (ex opere operato),
indépendamment de l’attitude ou des dispositions spirituelles et internes, c’est-à-dire de la foi,
de celui qui le reçoit, on pourrait même dire de celui qui l’administre. Différents canons
relatifs aux sacrements réfutent diverses opinions « protestantes » sur les sacrements et
réaffirment la doctrine traditionnelle de l’Eglise catholique :

« Si quelqu’un dit, que les Sacrements n’ont esté instituez que pour entretenir seulement la
Foy : Qu’il soit Anathême. » (Canon V) ; « Si quelqu’un dit, que les Sacrements de la nouvelle
Loy, ne contiennent pas la Grace qu’ils signifient ; Ou qu’ils ne conférent pas cette Grace à
ceux qui n’y mettent point d’obstacle ; comme s’ils estoient seulement des signes extérieurs de
la Justice ou de la Grace qui a esté receûë par la Foy, ou de simples marques de distinction de
la Religion Chrestienne, par lesquelles on reconnoist dans le monde les Fidelles d’avec les
Infidelles : Qu’il soit Anathême. » (Canon VI) ; « Si quelqu’un dit, que la Grace, quant à ce qui
est de la part de Dieu, n’est pas donnée toûjours, & à tous, par ces Sacrements, encore qu’ils
soient receûs avec toutes les conditions requises ; mais que cette Grace n’est donnée que
quelquefois, & à quelques-uns : Qu’il soit Anathême. » (Canon VII)

et, surtout :

« Si quelqu’un dit, que par les mesmes Sacrements de la nouvelle Loy, la Grace n’est pas
conférée par la vertu & la force qu’ils contiennent ; mais que la seule Foy aux promesses de
Dieu suffit, pour obtenir la Grace : Qu’il soit Anathème. » (Canon VIII)328.

Tandis que, pour les Réformés, c’est cette foi qui est à la base de l’effet du sacrement,
baptême ou eucharistie ; d’où, dans la majorité des mouvances « protestantes », l’acceptation
du seul baptême des adultes, capables d’exprimer leur foi, et le rejet de la doctrine selon
laquelle l’eucharistie soit, en elle-même, source de grâce, de bénédictions et de salut.

Concernant le sacrement de l’eucharistie, en particulier la communion, le décret sur le


décret sur le Très Saint sacrement de l’Eucharistie (XXIIe session) réaffirme la doctrine

327
BOTTE, Bernard., Le mouvement liturgique – Témoignages et souvenirs, Paris, Ed. Desclée, 1973, p. 16.
328
http://www.catholic.pf/concile_de_trente.htm ; souligné par nous.
133

fondamentale de la transsubstantiation, tandis que le canon condamne la doctrine luthérienne


de consubstantiation :

« par la consécration du pain et du vin se fait un changement de toute la substance du


pain en la substance du corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin
en la substance de son sang. Ce changement a été justement et proprement appelé, par
la sainte Église catholique, transsubstantiation. » (chapitre IV)
« Si quelqu’un dit que, une fois achevée la consécration, le Corps et le Sang de notre
Seigneur Jésus Christ ne sont pas dans l’admirable sacrement de l’eucharistie, mais
seulement quand on en use en le recevant, ni avant, ni après, et que le vrai Corps du
Seigneur ne demeure pas dans les hosties ou les parcelles consacrées qui sont gardées
ou restent après la communion : qu’il soit anathème. » (Can. 4).

Par ailleurs, le Concile consacre la pratique qui s’était répandue au Moyen Age de ne
plus donner la communion que sous une seule espèce. Il appuie son argumentation sur le
discours dans lequel Jésus recommande que l’on mange son corps et boive son sang, mais où
il dit également que celui qui mange son corps, ou le pain qu’il donne, vivra éternellement329,
ainsi que sur « le jugement et l’usage de l’Eglise elle-même », « déclare et prononce » que

« les Laïques, ni les Ecclésiastiques, quand ils ne consacrent pas, ne sont tenus par aucun
précepte divin, de recevoir le Sacrement de l’Eucharistie sous les deux Espèces ; & qu’on ne
peut en aucune manière douter, sans blesser la Foy, que la Communion sous l’une des Espèces
ne soit suffisante à salut. Car quoy-que Nostre Seigneur Jesus-Christ, dans la derniere Cène,
ait institué, & donné aux Apôtres ce Vénérable Sacrement, sous les Espèces du pain & du vin
(Matth. 26. 26. I Cor. 11. 24.) ; néanmoins, pour l’avoir institué, & donné de la sorte, ce n’est
pas à dire que tous les fidèles Chrestiens soient tenus & obligez, comme par Ordonnance de
Nostre Seigneur, à recevoir l’une & l’autre Espèce. »

Le concile ajoute un argument supplémentaire, selon lequel

« il faut [néanmoins] confesser, que sous l’une des deux Espèces on reçoit Jesus-Christ tout
entier, & le véritable Sacrement ; & qu’ainsi ceux qui ne reçoivent qu’une des Espèces, ne
sont privez, quant à l’effet, d’aucune grâce nécessaire à salut. »

Un canon accompagnant cette doctrine réfute et réprime la croyance contraire, notamment de


ceux qui prétendent ne reconnaître que la communion sous les deux espèces :

« Si quelqu’un nie, que Jesus-Christ, l’auteur & la source de toutes les Grâces, soit receû tout
entier sous la seule espece du pain ; à cause, comme quelques-uns soustiennent faussement,
qu’il n’est pas receû, conformément à l’institution de Jesus-Christ mesme, sous l’une & l’autre
Espèce : Qu’il soit Anathème. » (Canon III)

Une telle doctrine eucharistique a eu, après le Concile de Trente, pour effet d’aggraver
la crise de la communion manifestée par l’éloignement de nombreux fidèles de la sainte

329
Jn 6,51b
134

table ; jusqu’aux réformes du XXe siècle, la distribution de la communion au cours de la


messe était devenue une pratique rare et, habituellement, surtout dans les messes
« solennelles » et dominicales, il n’y avait pas distribution de la communion. A cet égard, il
n’est pas surprenant que le Missel tridentin ne décrive que la communion du prêtre,
introduisant des prières qui, avant, n’étaient que des prières de préparation privée du prêtre,
des « prières avant la communion », le Domine Jesu Christe et le Perceptio Corporis tui, deux
prières dont l’usage facultatif remonte au temps de Charlemagne pour la première et au Xe
siècle pour la seconde. Mais, parce qu’il n’organise pas véritablement la communion des
fidèles, le Missel ne reprend que le rituel de la communion des malades.

Il est également bon, pour terminer cette présentation de la doctrine conciliaire, de


signaler que le Concile trouva qu’il n’y avait pas lieu ni opportunité ni justification à modifier
le canon de la messe, établi par l’Eglise catholique « depuis plusieurs siècles », « saint, si
épuré et si exempt de toute erreur, qu’il n’y a rien dedans qui ne ressente tout à fait la sainteté
et la piété, et qui n’élève à Dieu l’esprit de ceux qui offrent le sacrifice, n’étant composé que
des paroles mêmes de Notre-Seigneur, des traditions des apôtres, et de pieuses institutions des
saints papes. ». C’est la raison pour laquelle, ainsi que le constate le Cardinal Ratzinger, le
missel promulgué le 14 juillet 1570 ne différait « que par d’infimes détails de la première
édition imprimée du Missale romanum publiée juste cent ans plus tôt »330. Dans ce sens, alors
que, même si elles se disaient habituellement, les prières au bas de l’autel ne figuraient pas
dans le Missel de 1474, elles sont incluses dans le missel de Pie V, la double élévation (hostie
et calice) est adoptée, on maintint tous les gestes, paroles et prières qui y figurent après le Ite
missa est qui terminait l’Ordo de 1474. C’est ainsi que se retrouve dans le Missel toute la
partie qu’il désigne sous la rubrique Orationes post missam, marquées essentiellement par le
fameux « deuxième évangile » ou « dernier évangile », le prologue de l’évangile de Jean que
des prêtres avaient pris l’habitude de lire hors Ordo, auquel furent ajoutés trois Ave Maria, la
prière de Salve Regina suivie d’une oraison, la prière à l’archange saint Michel et une
invocatio finale au Cœur de Jésus., tandis que la bénédiction des fidèles a paradoxalement lieu
après le Ite, missa est qui les a pourtant déjà congédiés. Certes, quelques allègements furent
décidés, au milieu de tout le foisonnement gestuel, rituel et de prières qui s’étaient ajoutés
dans le désordre et au gré des fantaisies : ainsi, en était-il de certaines séquences chantées
jugées trop longues et trop récentes, des invocations mariales ajoutées lors des fêtes mariales à
la fin du Gloria, aux trois exaltations de Jésus [« Car,Toi seul est saint (on ajoutait « toi qui

330
RATZINGER (Card.), Joseph, La célébration de la foi, Paris, Ed. Téqui, 2003, p. 84.
135

sanctifies Marie) », « toi seul est Seigneur » (toi qui gouvernes Marie) », « toi seul es le Très-
Haut (toi qui couronnes Marie) »]331.

Aussi, J-A. Jungmann rend-il une sentence de condamnation définitive du Missel de


Pie V, en disant : « Le Missel et l’ordre des cérémonies de la messe conservèrent sans
changement, et même sans vérification, bien des éléments surajoutés sans art par la période
germano-franque aux formes originelles de l’antique messe romaine ; ils ont gardé des
éléments que les missels de la Curie avaient reçus du gothique »332.

II.II.II.2 Portée et sort de la réforme tridentine

Avec Trente, il ne s’est donc pas tant agi d’une véritable réforme que d’une reprise en
mains, une remise en ordre de pratiques disparates qui s’étaient imposées çà et là, dans le but
d’uniformiser la célébration catholique. En effet, la publication du premier missel romain en
1474 n’avait pas mis fin, pas plus que ne l’avaient fait les ordines romains antérieurs, à
l’existence de plusieurs rites particuliers, conventuels ou régionaux ; l’ambition du Concile en
cette matière était donc d’amener tous les catholiques à célébrer partout la même foi de la
même manière. C’est pourquoi la bulle Qui primum tempore qui promulgue le missel
tridentin, prescrit qu’il sera rapidement publié afin

« que les prêtres sachent quelles prières ils doivent utiliser, quels sont les rites et quelles sont
les cérémonies qu’ils doivent conserver dorénavant dans la célébration des messes : pour
que tous accueillent partout et observent ce qui leur a été transmis par L’Eglise
Romaine […], et pour que par la suite et dans les temps à venir dans toutes les églises,
patriarcales, collégiales, paroissiales de toutes les provinces de la Chrétienté,
séculières ou de n’importe quels Ordres monastiques, […] et dans les églises et
chapelles sans charge d’âmes dans lesquelles la célébration de la messe conventuelle
[…] on ne chante ou ne récite d’autres formules que celle conforme au Missel que
Nous avons publié, même si ces mêmes églises ont obtenu une dispense quelconque,
par un indult du Siège Apostolique, par le fait d’une coutume, d’un privilège ou même
d’un serment, ou par confirmation apostolique, ou sont dotées d’autres permissions
quelconques ».

Le Missel étant fixé « à perpétuité », avec une certaine lourdeur, le pape insiste, disant
que tous, quel que soit leur grade, titre ou préséance, « devront, […], abandonner à l’avenir et
rejeter entièrement tous les autres principes et rites, si anciens fussent-ils, provenant des autres
missels dont ils avaient jusqu’ici l’habitude de se servir , et qu’ils devront chanter ou dire la
Messe suivant le rite, la manière et la règle que Nous enseignons par ce Missel et qu’ils ne

331
LORET, Pierre, op.cit., p.129.
332
JUNGMANN, Joseph-Andrea, MS I, op.cit. pp. 177-178.
136

pourront se permettre d’ajouter, dans la célébration de la Messe, d’autres cérémonies ou de


réciter d’autres prières que celles contenues dans ce Missel. », ordonnant aux églises que
« l’usage de leurs missels propres soit retiré et absolument et totalement rejeté et que jamais
rien ne soit ajouté, retranché ou modifié à notre missel que nous venons d’éditer. » Ces
interdictions sont accompagnées de sanctions, les récalcitrants menacés d’excommunication
immédiate et d’autres peines possibles, mais aussi de « l’indignation de Dieu tout-puissant et
des bienheureux apôtres Pierre et Paul ». Cette volonté de réunification qui traduit, sans doute,
la volonté de fermer la plaie ouverte par le schisme protestant, bénéficiera d’un élément
important de consolidation, à travers la Congrégation des Rites et Cérémonies, créée par
Sixte-Quint (Sixte V), le 22 janvier 1588, chargée de « faire observer exactement les vieux
rites sacrés, en tous lieux et par toutes les personnes, dans les églises de Rome et de l’univers,
y compris notre chapelle pontificale, … », renforçant ainsi la centralisation liturgique et
verrouillant contre toute velléité de réformation. De telle sorte que les années qui suivirent le
Concile et pratiquement jusqu’au début du XXe siècle, les liturgistes n’eurent plus rien à
faire, cédant la place à des spécialistes des rubriques soutenus et encadrés par la Congrégation
des rites ; la liturgie devient une affaire de spécialistes333. La liturgie est tellement canalisée
qu’elle ne se traduit plus que par « des rubriques précises et minutieuses », le Dictionnaire
des cérémonies et des rites sacrés nous donne un échantillon de la science des rubricistes
spécialisés concernant le cérémonial du diacre :

« Lorsque le diacre présente quelque chose au célébrant revêtu de ses ornements, il


baise premièrement l’objet et puis la main du célébrant, et quand il reçoit quelque
chose de lui, il baise premièrement sa main et ensuite l’objet »

ou, encore :

« Quand il (le diacre) fait bénir l’encens, il reçoit premièrement de la main droite la
navette, et la mettant dans la main gauche, il présente de la main droite au célébrant la
cuiller qu’il baise par le bot que le célébrant va prendre et puis sa main. Il dit, la tête
inclinée : Benedicite, pater reverende, ensuite ayant reçu la cuiller avec les baisers
ordinaires, il rend la navette, avec la cuiller dedans, … » 334.

Mais, vraiment, quel rapport encore avec la messe instituée par le Christ ?

En réalité, la décision ne fut pas si absolue ni le missel si immuable que le disent ces
termes péremptoires. En effet, la bulle elle-même contenait une exception de taille, en

333
CABIE, Robert, Histoire de la messe des origines à nos jours, op.cit., p.93.
334
BOISSONNET (Abbé) Victor-Daniel, Dictionnaire alphabético-méthodique des cérémonies et des rites
sacrés, dans L’Encyclopédie Théologique, de M. l’Abbé MIGNE, 1647, tome 15-17, spécialement Tome 15, col.
1098, Numérisation Google.
137

prévoyant une sorte d’indult général, en indiquant que l’interdiction vaut pour toutes les
églises et pour tous les rites « à moins que depuis la première institution approuvée par le Siège
Apostolique ou depuis que s’est établie la coutume, et que cette dernière ou l’institution elle-même
aient été observées sans interruption dans ces mêmes églises par la célébration de messes pendant plus
de deux cents ans. » ; l’exception étant introduite sous l’influence de Charles Borromée,
archevêque de Milan qui tenait à préserver le rite ambrosien de Milan. Cette disposition
profita à plusieurs églises et ordres qui avaient établi leur coutume depuis le XIVe siècle. Par
ailleurs, bien qu’il fût institué « à perpétuité », le Missel de Pie V connut plusieurs adaptations
locales.

On peut également parler de traductions non officielles, non autorisées, du Missel, et


qui furent finalement condamnées et interdites sous peine d’excommunication335, afin que le
latin demeure l’un des éléments du ciment qui maintenait l’unité des célébrations catholiques.
Ce même rôle au service de l’uniformité sera également joué par la musique grégorienne
exaltée et encouragée par le concile ; elle eut un effet imprévu, lors de ces messes dont le
peuple était spirituellement absent, auxquelles il ne comprenait pas grand chose, la belle
musique grégorienne, l’orgue et les polyphonies en vogue distrayaient les fidèles. Jungmann
constate que la musique submergeait la messe, tandis qu’ « à certaines fêtes, on a pu parler de
concerts à l’église avec présence liturgique », exécutés de plus en plus loin du chœur dont la
scola a émigré vers la tribune336. Pour toute « participation » à garantir au peuple, pour
occuper le fidèle (à condition qu’il sache lire) pendant que le prêtre dit « sa » messe, on
soutint ces prières privées au cours de la messe dont nous avons déjà parlé, par la publication
de « livres de prières », prières ne devant évidemment pas être la traduction de celles dites par
le célébrant, parfois même on récitait le rosaire à haute voix, etc.337 Plusieurs inventions
« intéressantes » viennent compenser cette absence de participation, alourdissant et allongeant
au-delà du nécessaire la messe : bénédiction de l’eau dans le chœur même, avant le début de
la messe, procession des ministres autour de l’église, aux petites heures, symbolisant l’aube
où les saintes femmes trouvèrent le tombeau vide, l’insertion du « prône » après l’évangile
(une formule qui brasse un peu de tout, annonces paroissiales, les fêtes de la ville, les
informations sociales, les naissances royales, les informations militaires sur les nombreuses
guerres de l’époque, longue intercession remplaçant la prière universelle, …), distribution du
« pain béni », réception de la communion après la messe pour ceux qui le désiraient alors

335
Ainsi, en 1661, Alexandre VII condamna une traduction française du Missel et interdit toute traduction
ultérieure, v. LORET, Pierre, op.cit., p.140.
336
JUNGMANN, MS I, op.cit. pp. 190-192.
337
JUNGMANN, op.cit., p.187.
138

que, comme on l’a vu, l’absence de communion au cours de la messe était devenue la règle,
etc.

D’un autre côté, jusqu’à la moitié du XIXe siècle, le missel de Pie V fut abandonné
dans maints diocèses français se dotant de livres propres qu’on a appelés « néogallicans »338,
avec un plus grand nombre de choix des lectures bibliques, avec certaines prières tirées des
anciens sacramentaires récemment découverts ou spécialement élaborés. L’Eglise dût elle-
même introduire des innovations, parfois de simples correctifs, pour éliminer de nombreuses
fautes d’impression ou des fautes de traduction ou changer des hymnes ou des rubriques. Plus
substantiellement, on peut citer la réforme de Pie X qui favorisa la communion des fidèles et,
plus près de nous, depuis ce pape, celles réalisées au cours du XXe siècle et que nous
exposerons plus loin.

En fait, sous la mouvance tridentine, les fidèles, devenus « assistants », ne prennent


pas part à la liturgie, mais s’efforcent de prier en s’inspirant de ce qu’est l’eucharistie. D’où,
une nouvelle catéchèse pour apprendre au peuple comment « ouïr dévotement la messe » :
avant que le prêtre n’arrive à l’autel, se préparer en se mettant en présence de Dieu et en
reconnaissant son indignité ; jusqu’à l’évangile, considérer la venue et la vie de Notre
Seigneur dans le monde ; de l’évangile après le credo, considérer la prédication du Sauveur,
décider de vivre dans la foi en obéissant à la Parole ; jusqu’au Pater, méditer les mystères de
la passion et de la mort du Christ représentée dans le saint sacrifice ; jusqu’à la communion,
faire « mille désirs de votre cœur », souhaitant d’être oint et uni au Sauveur ; jusqu’à la fin,
remercier Dieu de son incarnation, de sa vie et de sa mort et de l’amour qu’il témoigne en ce
sacrifice, etc.339

Ainsi se présente la liturgie romaine, du moins en considération de ce « missel


romain » de 1570. Il est utile, à présent, d’essayer de comprendre les facteurs de cette
évolution, afin de découvrir si elle correspond à un axe ou à un plan liturgique préconçu ou
si, au contraire, plusieurs faits fortuits ou contingents sont à sa base.

338
Robert CABIE estime que cette appellation est incorrecte, « car ils n’ont rien à voir avec l’ancienne tradition
des Gaules et demeurent fidèles à l’ordonnance de la messe romaine », in Historie de la messe des origines à nos
jours, op.cit., p.101.
339
Adapté de FRANCOIS DE SALES, Introduction à la vie dévote, 3e éd., 1610, cité par CABIE, Robert,
Histoire de la messe des origines à nos jours, op.cit., p. 97.
139

III

UNE INCULTURATION REUSSIE

L’examen de sa genèse et des différentes évolutions connues par la liturgie


eucharistique montre que rien ne correspondait à un plan préconçu ; plusieurs réflexions, sans
doute théologiques, ont présidé à la naissance et au développement de tel rite ou de telle prière
de la messe, selon non seulement la compréhension théologique de l’institution eucharistique,
du plan du salut et de la tradition des apôtres, mais aussi selon la sensibilité des pasteurs et
responsables d’églises locales. Mais, les raisons des évolutions de la liturgie ne sont pas
toujours liturgiques, bibliques ou théologiques. C’est ainsi qu’il ne faut pas négliger le rôle,
notamment dans la période de formation de la liturgie, des expériences locales faites souvent
d’improvisations et d’emprunts à d’autres, mais aussi de sensibleries et diverses formes de
dévotions populaires. Il faut également penser à l’histoire dont certains moments ou certains
personnages ont influencé ou inspiré, parfois de manière déterminante, des réformes ou des
développements de la liturgie, tant il est vrai qu’aucune évolution religieuse n’est
indépendante et que, comme dit Rouet, « l’histoire de la messe appartient à l’histoire
occidentale »340. Cette opinion attestant de la véritable inculturation qui a forgé la liturgie de
la messe, indique en même temps que toute cette histoire, y compris ces improvisations et ces
dévotions populaires qui se sont figées en coutumes liturgiques sont la culture occidentale.
C’est que tout ce mouvement s’est réalisé dans un contexte historique qui avait permis
l’assimilation culturelle d’une religion et d’une liturgie venues d’ailleurs qui ont pu se
concilier harmonieusement avec les coutumes et valeurs culturelles de la terre de mission
qu’était l’Occident au début de notre ère. Dans ce sens, le fait le plus déterminant, c’est peut-
être, sinon certainement, l’intégration d’une religion et d’une pratique cultuelle nées à
l’intérieur d’une culture orientale et étant l’une de ses expressions, qui se sont adaptées
partout ailleurs, notamment en Occident, au point de devenir co-naturelles aux différentes
cultures occidentales et de devenir, pour l’essentiel, l’élément fondateur de la culture
occidentale341. Ainsi, l’histoire de la liturgie catholique romaine est celle d’une inculturation
réussie.

340
ROUET, Albert, La messe dans l’histoire, Paris, Ed. Cerf, 1979, p. 89.
341
GY, Pierre-Marie, La liturgie dans l’histoire, Paris, Ed. Cerf-Saint Paul, 1990, p. 59.
140

III.I LA FORMATION DE LA LITURGIE NE SUIT PAS UN PLAN

Certains acquis de la liturgie relève du fait fortuit ou simplemnt, à cette période où tout
n’était pas encore fixé dans des formulaires, de l’improvisation à laquelle des célébrants
étaient contraints pour remplir des vides, ces pratiques s’étant consolidées par la force de
l’habitude (I et II), tandis que d’autres sont des manifestations de la dévotion populaire
entérinée par la hiérarchie (III).

III.I.I Le fait fortuit non pré-conçu

L’histoire passée de la liturgie a montré que l’emprunt, l’imitation ou même le


mimétisme, mais aussi la fantaisie et parfois le pur hasard dans le sens de fait fortuit et non
conçu, préparé ou programmé ou, tout simplement, logique, ont joué un rôle non négligeable
dans l’apparition, l’adoption ou la consolidation d’un rite ou d’une prière au cours de
l’histoire de la liturgie. On voit, dans l’exposé de l’histoire de la messe, que, dans bien des
cas, c’est le hasard qui, faisant parfois bien les choses comme on dit, a pu déterminer plus
d’une partie de l’ordonnancement de la messe : introduction des prières du bas de l’autel, le
sort de la communion sous les deux espèces, l’introduction du pain azyme et ses
conséquences sur la forme du pain consacré, sur la manière de communier (dans la main ou
dans la bouche, debout ou à genoux, etc.) avec la question de la position de l’autel et du
célébrant par rapport aux fidèles.

C’est également « par hasard » que s’est imposée la position du célébrant face ou dos
au peuple. En effet, lorsque la célébration eucharistique mettait l’accent sur le « repas », ainsi
que conçu aux premiers siècles de la liturgie chrétienne, « celui qui préside » est sans doute
autour de la table avec les autres « convives », cela durera jusqu’au moment où l’assistance
devient nombreuse lorsqu’alors la table se détache du public mais pour lui faire face de telle
sorte que le président regarde vers le peuple. Mais, l’on se mit à faire comme beaucoup de
religions en regardant dans une direction donnée pour prier, en particulier vers le centre
chrétien qu’était Jérusalem ; à la suite de cet usage courant en Orient dès les premiers siècles,
beaucoup d’églises occidentales adoptèrent à leur tour le chevet tourné vers l’Orient, les
fidèles mais aussi le prêtre regardaient donc vers l’Orient et tous regardant dans la même
direction, le prêtre, avec un autel tourné lui aussi vers l’Est, devait forcément tourner le dos au
peuple. La liturgie romaine ne ralliera cette pratique fortuite qu’au moment où elle la
découvre dans ses contacts avec la Gaule où, à l’époque carolingienne, elle était déjà
141

connue342. En conséquence, comme le dit Jungmann, « L’autel fut placé loin au fond de
l’abside et contre le mur »343. Remarquons qu’avant ces changements, dans la liturgie
romaine, de tout temps le prêtre priait tourné vers l’Est, mais dans des églises dont le chevet
était à l’Ouest, de telle sorte que le prêtre romain était face à l’assemblée, jusqu’au moment
où Rome s’est inexplicablement laissée contaminer par cette coutume venue de la Gaule.

Nous pouvons retenir deux autres facteurs, n’ayant aucune valeur théologique ni aucun
sens liturgique originel, mais qui, s’imposant également comme fruit du « hasard », ont
particulièrement pesé sur l’évolution de la liturgie chrétienne : l’improvisation et la dévotion
populaire.

III.I.II L’improvisation

Il ne s’agit pas seulement de mesures hâtives empruntées ou simplement mimées des


pratiques locales ou, le plus souvent, des liturgies orientales où ces pratiques correspondaient
à une réalité ou à une cohérence interne, mais d’absence de visibilité ou de conception. Il fut
en effet un temps où l’improvisation liturgique était pratique courante, notamment aux tout
débuts, quand les chrétiens, séparés du judaïsme, devaient pratiquer ou forger leurs propres
rites.

Plusieurs auteurs reconnaissent l’importance de l’improvisation liturgique. C’est le cas


du Moine de Fontgombault : « En ce qui concerne la prière centrale, on a cru pouvoir, au début
du siècle, remonter à l’« anaphore apostolique », considérée comme le formulaire invariable
utilisé par les Apôtres. Il faut plutôt considérer qu’il y eut, dès le départ, une certaine
diversité, suivant la personnalité des officiants, et aussi l’origine des communautés pour
lesquelles ils célébraient. »344. Deux autres auteurs cités par Adrien Nocent, situent avec
insistance le rôle insoupçonné de l’improvisation dans les premiers temps de la liturgie
chrétienne. D’abord, Dom Cabrol qui affirme que « l’improvisation est, à cette époque, la loi
de la prière. On improvise les doxologies, les prières litaniques et même l’anaphore
eucharistique ». Ensuite, le Père Jounel qui estime que « Ce serait une illusion d’imaginer
qu’il aurait existé à l’origine une liturgie apostolique (un Hyppolite n’aurait pas manqué d’en
prendre la défense dans sa Tradition apostolique) dont auraient dérivé par la suite toutes les
autres liturgies. Les plus anciens documents témoignent au contraire de la liberté des

342
CABIE, Robert, op.cit,, p. 59.
343
JUNGMANN, MS, p.116.
344
Les différents rites liturgiques, par un Moine de Fontgombault, La Nef n° 108-janvier 2001. La Nef se
présente comme un « journal », « mensuel », « catholique » et « indépendant » paraissant depuis décembre 1990,
qui clame « sa totale fidélité à l’Eglise enseignante et au pape Benoît XVI qui la gouverne » ; elle dispose d’un
site internet : www.lanef.net
142

célébrations liturgiques. Jusqu’au milieu du IVe siècle, c’est l’improvisation qui est de règle,
à l’intérieur d’un schéma fondamental que lui fournit la tradition, le célébrant a la liberté
d’inventer le texte de sa prière et, dans une mesure plus ou moins grande, d’organiser les rites.
Ceci s’applique d’abord à la célébration liturgique » 345. Quant à Albert Rouet, il considère
qu’il ne faut pas faire l’histoire de la messe « comme si elle s’édifiait étape par étape vers un
sommet prévu par quelque architecte secrètement informé de l’avenir »346

Cette réalité qu’il n’existait pas un plan préconçu ni, à l’origine, des prières élaborées
imposées aux célébrants, est abondamment confirmée par Justin dans sa Première Apologie.
En effet, à part la relation précise des paroles de l’institution, dans le respect de la tradition de
Jésus lui-même transmise par les apôtres, saint Justin ne donne de manière précise aucune
prière ni aucun rite ni, même, aucun modèle de prière : partout, y compris là où l’on place
habituellement la « prière eucharistique », ses formules de l’Apologie suggèrent une liberté
presque totale de celui qui préside :

-Quand on apporte du pain, vin et de l’eau, celui qui préside « les prend et il exprime
louange et gloire au Père de l’univers […] et il fait une action de grâces abondamment »
-« Celui qui préside ayant rendu grâces et tout le peuple ayant acclamé », les diacres
« donnent à chacun des assistants une part du pain eucharistié et du vin et de l’eau… »
(rapporté à l’occasion de la réception d’un nouveau baptisé)
-« lorsque nous nous arrêtons de prier, du pain est apporté, […] et celui qui préside adresse
des prières et des actions de grâces autant qu’il a des forces (ou autant qu’il peut) et le
peuple répond Amen »

On peut donc dire que, jusque, au moins, à l’époque de Justin (milieu du IIe siècle),
l’improvisation est réellement de règle, laissant à celui qui préside une très grande marge de
liberté et de créativité. Bien que certaines choses se soient précisées par la suite (le jour de
l’assemblée, la structure minimale d’organisation où l’on voit émerger des ministères, celui de
la présidence et ceux des services, le diaconat, les deux parties principales du culte, la parole
et l’eucharistie), l’improvisation des prières, notamment, y compris de la prière eucharistique
comme vient de l’indiquer St Justin, va subsister jusqu’aux Ve-VIe siècles. Ceci, on l’a vu,
aura comme conséquence l’extrême diversité des pratiques liturgiques et, même, des liturgies.

A cet égard, malgré le progrès qui se réalise à partir de ce temps, en particulier au IIIe
siècle, où nous trouvons la Tradition apostolique d’Hyppolite, qui nous fournit un premier

345
Dom CABROL, DTC, Messe, p. 1348, col. 2, et JOUNEL, CATH., Liturgie, p. 865, cités par LORET, Pierre,
op.cit., p.57.
346
ROUET, Albert, La messe dans l’histoire, Paris, Ed. du Cerf, 1979, p. 90.
143

document qui, même s’il n’est pas un canon officiel, est un témoignage important à la manière
d’un règlement d’une célébration, il n’y a pas encore de véritable canon. On peut affirmer
que, jusque là (IIIe siècle), « on en est encore à la période de libre composition », comme
l’affirme le Père Bernard Botte dont les études sur la Tradition apostolique et sur son auteur
Hyppolite de Rome font autorité, qui estime que « ne fût-ce que dans les formules de prières »
« la Tradition contient certainement une part d’intervention personnelle de son auteur »347.
Nous le savons, on ne parle de l’apparition d’un véritable canon romain qu’à partir de
Grégoire le Grand, au VIe siècle, même si les papes antérieurs (Pélage, Innocent, par
exemple) ont chacun apporté leur pièce à ce puzzle qui prend forme sous Grégoire en tant que
canon romain. Avant cette période, en effet, et même encore après, toute l’histoire de la
liturgie est marquée par des incertitudes sur l’origine et les formules de nombreuses prières,
sur certains rites et gestes au cours de la messe, sur l’endroit où est située telle prière ; nous
avons pu le constater en ce qui concerne, entre autres, la prière des fidèles ou prière
universelle ou , le baiser de paix, et les différentes prières d’intercession etc.

Certains actes ou faits liturgiques ne trouvent pas toujours leur explication dans une
histoire liturgique ordonnée ni dans une exigence liturgique d’origine théologique ou biblique
ni, même, dans une volonté affirmée ou imposée par la hiérarchie, mais dans la vie de la
liturgie telle qu’elle est vécue ou ressentie par les fidèles.

III.I.III Le rôle de la dévotion spontanée des fidèles

Ce sont quelques-unes des évolutions et dénaturations subies par la liturgie dans


certaines de ses moments qui ont favorisé le développement chez les fidèles d’attitudes
intérieures et extérieures traduisant une sorte de piété personnelle et individuelle au cours
même de l’action eucharistique conçue pourtant comme une célébration communautaire en
église. Cette piété a poussé à l’infléchissement de rites destiné à rencontrer ce besoin de
dévotion personnelle, entretenant de l’ambiguïté dans le sens même de certains gestes
liturgiques.

347
BOTTE, Bernard, Hyppolite de Rome - La Tradition apostolique d’après les anciennes versions, op.cit., p.
XVI.
144

III.I.III.1 Besoin de compensation par une piété personnelle

La description de la liturgie de l’Apologie de Justin ou de la Tradition apostolique


d’Hyppolite montre que, sans être centrale, la participation du peuple à la célébration est
absolument certaine et, même, impliquée par le caractère communautaire imprimé à celle-ci :
la célébration est celle du peuple de Dieu. De telle sorte que « celui qui préside », l’évêque ou
le prêtre, associe le peuple en parlant toujours à haute voix, en sollicitant son approbation, en
employant des formules qui associent le peuple à la prière ou à l’action de grâces et, lorsqu’il
prie, c’est toujours au nom et pour le bien du peuple.

Or, sans avoir remarqué avec précision à quel moment cela s’est produit, on a
néanmoins constaté la messe s’éloigner du modèle romain, encore en vigueur au VIIe, d’une
célébration communautaire où le président intervient et intercède pour toute la communauté,
prie à haute voix pour être entendu de tous. Mais, à partir du IXe siècle, le prêtre a commencé
à dire nombre de prières à voix basse, tandis que, à partir de cela, de nombreuses prières,
souvent personnelles comme les apologies, s’enchaînaient sans plus être entendues, acclamées
ou conclues par le peuple. C’est, en particulier, le cas tout au long du canon, de la préface à la
doxologie, où, même dans les messes chantées, tel le grand prêtre de l’Ancien Testament
entrant seul au sanctuaire, ainsi que le disent certains manuscrits, « Seul le pontife entre dans
le Canon, à voix basse »348 ; dès lors, il commence à régner un silence impressionnant dans
l’église, interrompu uniquement par le chant du Sanctus.

Un fait vint accentuer le mystère, c’est l’emplacement de l’autel, au fond de l’abside


contre le mur, le prêtre tournant le dos au peuple. L’effet fut catastrophique : le célébrant
s’isole encore plus du peuple qui ne regarde plus, sans voir, que de loin le prêtre « là-bas qui
fait des gestes mystérieux »349. En effet, dans un silence total et dans une atmosphère enfumée
tellement la cassolette et plus tard l’encensoir sont mis à contribution, tous ces gestes faits par
un prêtre dont on ne voyait plus que le dos devaient paraître bien mystérieux : génuflexions,
inclinations profondes, une foule de signes de croix sur les espèces, plusieurs baisers à l’autel,
à l’évangéliaire et à la patène, les yeux vers le ciel, les mains jointes et posées sur l’autel ou
ouvertes, les prières murmurées pendant les ablutions, des signes de croix faits avec les
fragments d’hostie ou avec le calice, des déplacements de droite à gauche de l’autel pour les
lectures, etc. Comme dit Adrien Nocent, il s’est multiplié des « signations » et des
génuflexions dont le sens « nous échappe », y compris donc aux liturgistes eux-mêmes. Que

348
CABIE, Robert, op.cit., p.58.
349
LORET, Pierre, op.cit., p.103.
145

dire du simple peuple ? Pendant ce temps, les fidèles s’occupaient comme ils le pouvaient, les
mieux inspirés lisant des livres de prières et de piété ou, plus tard, priant leur chapelet.

Le plus grave, c’est que certains dirigeants de l’Eglise tentaient de justifier ces
attitudes et gestes mystérieux, en publiant des commentaires allégoriques à l’adresse des
fidèles, sans doute dans une optique pastorale et catéchétique malheureusement infantilisante
(voir en annexe, des extraits d’une de ces allégories).

La baisse de la participation des fidèles va avoir, au moins, une conséquence


multiforme sur la liturgie, en compensant cette baisse par le développement d’une dévotion
privée et populaire qui influencera la célébration en introduisant de nouveaux rites dans la
messe elle-même ou provoquera une dévotion extérieure qui va déplacer la ferveur des fidèles
de la messe vers de nouvelles célébrations. Nous n’en retiendrons que l’exemple du rite de la
consécration et du développement, dans sa suite, du culte du Saint-Sacrement, dans une
recherche de nouvelles médiations. Cette impression de la cassure de la messe entre une
célébration privée du prêtre isolé dans le sanctuaire et la dévotion privée du peuple demeuré
au seuil va se pérenniser pratiquement en étant codifié dans les réformes du XVIe siècle.

III.I.III.2 La dévotion spontanée entraîne des gonflements du rite de consécration

Ce rite, tel que nous l’avons décrit plus haut, restera longtemps inchangé même si le
texte du canon romain subit des modifications ; c’est en général un rite simple où la
génuflexion elle-même est inconnue jusqu’à la fin du XVe siècle (dans le missel romain, en
1498)350. Mais, au XIIe siècle, une excroissance intervient, par l’élévation de l’hostie, facilitée
par le remplacement du pain ordinaire par l’hostie, suivie plus tard de l’élévation du calice351.
Ce geste qui n’existait pas dans la liturgie primitive au moment du rappel de l’institution, peut
sembler avoir une justification dogmatique ou, même pastorale, celle d’aider les fidèles à
consolider leur foi. On encouragera cette pratique, notamment pour contrer les erreurs de
Bérenger qui remettait en cause la présence réelle du Christ sous les espèces, en
accompagnant les paroles de l’institution, dites d’une manière peu audible, d’un geste visible.
Le concile de Paris du début du XIIIe siècle (en 1210) indiquera que l’élévation ne doit pas
être précipitée mais ne doit intervenir que lorsque le prêtre aura terminé de dire « Ceci est
mon corps » (Hoc est corpus meum), qu’elle doit être faite suffisamment haut pour que les

350
NOCENT, Adrien, op.cit., p.157.
351
Ibid., p.74.
146

fidèles puissent bien voir et vénérer le Christ présent dans l’hostie352. En 1287, un évêque
prescrira que l’hostie soit « élevée assez haut pour pouvoir être vue de tous les assistants »
car, ainsi, « leur dévotion en est accrue et le mérite de leur foi. On devra exhorter les
paroissiens à ne pas se contenter d’une inclination trop peu respectueuse au moment de
l’élévation du Christ, mais à se mettre à genoux et à adorer…On les y invitera auparavant en
agitant une clochette, et à l’élévation on frappera trois coups de la grande cloche »353.

Mais, ce geste est-il compris dans ce sens par les fidèles ? En réalité, l’élévation a été
suscitée par une dévotion populaire libre et spontanée. De fait, après toute la série de gestes,
de paroles et de prières que le prêtre fait et dit seul et à voix basse, comme nous l’avons vu,
tout au long du canon, tandis que le prêtre n’est plus « celui qui préside » mais devient le
« célébrant » unique, le peuple ne suit plus rien, il regarde, inactif et spectateur, son attention
va se réveiller avec le chant du Sanctus et la consécration. Or, les paroles de l’institution
finissant, elles aussi, par être chuchotées et, ainsi, soit que le prêtre en ait pris lui-même
l’initiative soit que les fidèles l’aient réclamé, le célébrant prend l’habitude de lever quelque
peu les espèces sanctifiées ; alors qu’à l’époque on communie peu, les fidèles ont envie, au
moins, de voir le corps et le sang du Christ. Toute une ritualisation va se faire : avec le coup
de clochette qui annonce l’élévation pour attirer l’attention, et la grande cloche qui salue trois
fois le Seigneur élevé ; ou encore, en vue de mieux mettre en lumière l’hostie à la vue des
fidèles, on allume des torches lors des messes trop matinales où subsiste encore de l’obscurité,
ou on installe une machinerie actionnée pour élever une tenture sombre derrière l’autel afin
que la blancheur de l’hostie soit vraiment en lumière et en soit encore plus éclatante. En dépit
de l’avantage pastoral de cette pratique, à cause de cela encouragée par l’Eglise, on peut
craindre le risque d’une conception « mécaniciste » de la part des fidèles, le risque, de la part
de l’Eglise, « de donner prise à une compréhension fausse d’une eucharistie magique comme
sont tentés de se l’imaginer les fidèles simples, avides de merveilleux plus que d’une vie
chrétienne sans éclat mais quotidiennement austère »354. Robert Cabié355 raconte le
commentaire moqueur d’un protestant qui dit avoir entendu, lors de l’élévation à une messe
catholique, des fidèles estimant que le prêtre avait seulement esquissé le geste sans aller assez
haut, lui crier « Plus haut Maître Jean, plus haut ! ». L’élévation, en rendant en quelque sorte
sensible l’effet des paroles de consécration, eut une telle importance aux yeux des fidèles
qu’elle leur semblât un substrat acceptable et suffisant de la communion dorénavant

352
LORET, Pierre, op.cit., p. 115.
353
Reproduit par Robert CABIE, op.cit., p.70.
354
NOCENT, Adrien, op.cit, p. 74.
355
CABIE, Robert, op.cit., p. 72, Pierre LORET rapporte la même anecdote, op.cit., p.116.
147

dangereuse à cause de l’état de péché, encouragés par des théologiens qui, sans craindre de se
contredire, affirment que certes la vue de l’hostie au cours de l’élévation n’est pas un
sacrement mais qu’il y a là une « mastication par la vue »356. Voilà un rite d’adoration qui a
pour effet d’éloigner nombre de chrétiens du sacrement, expliquant ce phénomène de baisse
de la fréquentation de la communion que tous les efforts de l’Eglise, y compris la réduction de
l’obligation à la seule communion pascale, n’endigueront pas.

Par ailleurs, cette élévation, même si elle se place avant la doxologie du Per Ipsum,
fait double emploi avec une « petite élévation » faite à cet endroit et qui existait déjà bien
avant l’élévation opérée au cours de la consécration. La vue de l’hostie s’est accompagnée de
véritables croyances superstitieuses, la vue est considérée comme la source de grâces
spirituelles particulières et, même, de secours miraculeux dans le domaine temporel et dans la
vie quotidienne, en certains endroits on croit fermement que « la vie des chrétiens est
prolongée d’autant de minutes que l’on a passées à regarder le Corps du Christ ». Bientôt, on
voit des chrétiens quitter la messe aussitôt après l’élévation pour mieux conserver les grâces
ainsi obtenues à la vue de l’hostie ou, au contraire, exiger que l’hostie soit élevée pendant de
longues minutes, qu’elle soit placée dans un ostensoir, une sorte de reliquaire, au-dessus de
l’autel pour qu’elle soit bien visible pendant toute la messe... Tandis qu’il se développe une
pratique qui va s’avérer très favorable à ce phénomène : la multiplication de messes privées,
celles que font les différents prêtres de la paroisse chaque jour aux autels « secondaires »
disséminés dans des alvéoles creusées dans les nefs latérales des grandes églises et autres
cathédrales, les chrétiens courant plusieurs de ces messes par jour pour profiter et bénéficier
du plus grand nombre possible d’élévations et, ainsi, accumuler les grâces357. C’est que, aux
XIVe-XVe siècles, des récits sensationnels sont faits sur de prétendus miracles constatés, ces
hosties qui saignent, l’enfant Jésus apparaissant soit dans les mains du célébrant soit les pieds
dans le calice, etc.

Toutes ces pratiques eurent un effet imprévu, celui de sortir la dévotion hors la messe
et de la déplacer vers d’autres formes de culte, en particulier le culte du Saint-Sacrement,
lequel prendra diverses formes : exposition, processions, celle de la fête du Corpus Christi
(instituée en 1264 par Urbain V), dite alors Fête-Dieu. La dévotion, recherchée pour elle-
même, va connaître des dérives vers un culte exacerbé des saints, d’abord Notre-Dame,
devenus des intermédiaires entre Dieu et les fidèles, dans une sorte d’oubli de la médiation du

356
BASCHET, Jérôme, op.cit., p.341.
357
Ces superstitions, et d’autres encore, sont présentées par Robert CABIE, op.cit., pp. 73-75.
148

Christ alors que la formule de dévotion mariale populaire « A Jésus par Marie » se substitue à
celle, à la fois traditionnelle, théologique et populaire de « Au Père par le Fils »358.

L’imbrication, la symbiose, entre la liturgie chrétienne et les diverses formes de


dévotion populaires explique certainement l’engouement des fidèles pour les cérémonies
liturgiques, attestant par là l’utilité de l’incarnation dans la culture populaire locale ; c’est déjà
une sorte d’adaptation, une inculturation inconsciente, de la liturgie aux coutumes et cultures
des peuples, par laquelle l’Eglise inaugure ainsi ce qui va devenir l’une des préoccupations
fondamentales des réformes liturgiques du XXe siècle.

III.II LA PREMIERE INCULTURATION

Tout indique que ce ne serait pas un anachronisme d’utiliser, au-delà d’une adaptation
culturelle, d’ores et déjà le vocable « inculturation » ; ce néo-logisme n’en représente pas
moins la réalité du phénomène qui s’est alors produit lors de la rencontre du christianisme et
de sa liturgie avec les cultures occidentales.

Il y a, en effet, une relation nécessaire entre liturgie et culture. C’est que, la liturgie,
dans ses formes et même dans ses structures, est tributaire de cultures dans lesquelles elles
apparaissent et se meuvent, tandis qu’elle peut agir sur une culture et en devenir un élément
soit dans sa consolidation soit dans sa mutation359. De fait, si au cours de l’histoire, la liturgie
et la culture peuvent connaître une évolution parfois divergente, la racine ou, même, l’origine
commune de “culte” dans le sens de liturgie et rites et “cultura” en tant que formation ou
création et entretien de la créativité spirituelle de l’homme, explique que dans nombre de
civilisations anciennes tout comme dans celles dites « primitives », les deux étaient
indissolublement liés, avec, même, des expressions extérieures identiques.

C’est de cette manière que nous avons vu la liturgie chrétienne d’abord enracinée dans
la tradition culturelle et cultuelle juive, faisant ainsi partie de la tradition culturelle juive,
hébraïque. Le Christ n’a pas inventé un nouveau cadre pour sa « nouvelle » religion, lui qui
n’était pas venu pour abolir mais pour parfaire (ou accomplir)360. En effet, on peut constater
que le christianisme lui-même n’a pas pu se détacher de son vivier naturel qu’a été le
judaïsme. De ce point de vue, au contraire, le christianisme dérive du contexte culturel juif, il

358
Voir, dans ce sens, CABIE, Robert, L’histoire de la messe des origines à nos jours, op.cit., p. 75.
359
Dans ce sens, VEILLEUX, Armand, « La liturgie dans la vie du peuple de Dieu », La vie des communautés
religieuses, 36, Montréal, 1978, pp. 22-30.
360
Mt 5, 17.
149

s’est franchement inscrit dans le judaïsme dans lequel il a puisé nombre de ses éléments (ses
sources scripturaires, des notions importantes comme celle de « bénédiction », sacrifice,
expiation et propitiation, son vocabulaire et ses pratiques liturgiques et rituelles, le style oral
et figuré du monde juif (paraboles, raisonnement comparatif ou allusif, etc.). Jusqu’aux
prières, notamment les psaumes, mais aussi l’ « oraison dominicale ». On en a une preuve
éclatante, pour cette dernière, la « prière du Seigneur », le « Notre Père » que le Christ,
imprégné de la culture, de la religion et de la spiritualité juives, a lui-même enseigné à ses
disciples : les trois formules de louange et les quatre demandes qui constituent cette prière, y
compris le vocatif « Notre Père qui es(t) aux cieux », se retrouvent, presque mot à mot, dans
diverses prières juives pratiquées au cours du Ier siècle ou dans les dernières années pré-
chrétiennes, soit le Ahavah rabbah (2ème prière avant le Sch’ma), soit le Quaddish, soit dans
les différentes bénédictions, soit dans la prière du matin ou encore dans la liturgie du Yom
Kippour361, même s’il est vrai que les symboles et les représentations n’ont pas le même sens
ou la même signification. Il y a, là, à n’en pas douter, par cette compénétration entre le
christianisme et le judaïsme, une inculturation « naturelle », de bon sens, allant de soi. Il est
évident que, s’il était né en Occident, nul doute que le christianisme eût pris d’autres formes
d’expression euchologique et liturgique.

Mais, d’un autre point de vue, bien que né au cœur du judaïsme, dès ses origines,
l’évangile était destiné à être apporté à toutes les nations de toutes langues et de toutes
cultures, il a une essence et une vocation universelles : Jésus envoie ses disciples en mission
« Allez donc, de toutes les nations faites mes disciples et baptisez-les au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit » (Mt 28,19-20 ) ; tandis que, le jour de Pentecôte, tous ceux qui étaient à
Jérusalem, Juifs, Arabes, Parthes, Mèdes, Elamites, etc., tous entendirent les apôtres leur
annoncer l’évangile dans leur langue (Act.2, 8-11). Dans ce sens, le christianisme est appelé à
« s’inculturer » chez tous les peuples. Bruno Luiselli, professeur de littérature latine, identifie
certaines voies par lesquelles le concept était déjà, bien avant le mot, mis en œuvre au début
du christianisme362. Il explique comment l’apôtre Paul a, sans doute été le premier, sur le
terrain, quand, lors de son « discours de l’Aréopage », pour se faire écouter et faire accueillir
son message, il a parlé aux Athéniens de l’adoption des éléments de leur culture païenne par
le christianisme : lorsqu’il explique que « l’autel au dieu inconnu » que les païens athéniens
ont dédié à un Dieu qu’ils ne connaissaient pas, c’est inconsciemment au vrai Dieu qu’ils
l’ont élevé, il professe donc que des réalités païennes ont été utilisées pour annoncer le

361
POUILLY, Jean, « Dieu notre Père », Cahiers Evangile n°68, Paris, Cerf, 1989.
362
LUISELLI, Bruno, L’inculturation au cours du premier millénaire, www.30giorni.it/fr,
150

christianisme 363. Bruno Luiselli faisant ainsi remonter le concept d’inculturation aux tout
premiers temps du christianisme, déduit de ce verset, « la Bonne Nouvelle est annoncée aux
pauvres » (Matthieu 11 :5), que c’était déjà la proclamation par le Christ de la vocation de
l’évangile à être inculturé. Ce n’est donc pas un hasard que la première béatitude (Mt 5,3) ait
été adressée aux «pauvres en esprit» dont les conditions de vie ne leur permettent pas « de se
montrer arrogants et dogmatiques comme le font ceux qui appartiennent aux classes
économiquement dominantes »364 ; cette béatitude abolit les discriminations sociales, cette
autre forme de racisme.

Ce qui précède montre bien que l’inculturation est une exigence de la « mission » et sa
réalisation va se poursuivre, assurant le succès du christianisme auprès des peuples dont il
intégrait la culture. Ainsi, de son foyer originel, la liturgie chrétienne, s’étendant en Occident,
finira par donner naissance à deux branches, la liturgie « occidentale » se distinguant de
l’orientale. Mais, comme le dit Michel de Guibert365, « dès les premiers siècles de l’Eglise,
encore indivise, les rites liturgiques de la Messe, que l’on appelle en Orient “Divine liturgie”,
se sont diversifiés en plusieurs rites liés aux premiers foyers d’évangélisation par les Apôtres
et aux premiers grands patriarcats (Rome, Alexandrie, Antioche, Jérusalem, puis
Constantinople). Et, indiquant la diversification de la liturgie orientale elle-même, il cite :

-le rite syriaque, né à Antioche et célébré en langue syriaque (araméen occidental), dans les
Eglises syro-jacobite (pré-chalcédonienne) et syriaque catholique, en Syrie ;

-le rite maronite, variante du rite syriaque, célébré en syriaque et en arabe dans l’Eglise
maronite (catholique), au Liban ;

-le rite assyro-chaldéen ou syrien oriental, le plus proche de la liturgie synagogale, célébré en
langue araméenne, dans les Eglises assyrienne (nestorienne) et chaldéenne (catholique), en
Mésopotamie, autour d’Edesse (Irak, Iran, Sud-Est de la Turquie) ; l’extension missionnaire
considérable de cette Eglise a laissé une variante de ce rite, le rite syro-malabar, au Sud-Ouest
de l’Inde (Kérala) ;

-le rite copte, né à Alexandrie et célébré en langue copte (égyptien ancien, du grec aegyptos),
dans les Eglises copte orthodoxe (pré-chalcédonienne) et copte catholique, en Egypte ;

363
Actes des Apôtres, 17, 22-31.
364
LUISELLI, Bruno, L’inculturation au cours du premier millénaire, www.30giorni.it/fr,
365
http://scholsaintmartin.free.fr/fichiers/ritesliturgiques.do
151

-le rite éthiopien, issu du rite copte, avec d’autres apports, et célébré en ghéez (langue
sémitique) dans l’Eglise éthiopienne orthodoxe (pré-chalcédonnienne) ;

-le rite byzantin, de loin le plus répandu des rites orientaux à partir de Constantinople, avec
des influences syro-antiochiennes, célébré en grec à l’origine et toujours en Grèce et à
Chypre, mais aussi en arabe dans les Eglises grecque-orthodoxe et grecque-melkite
(catholique) au Proche Orient (Palestine, Jordanie, Syrie, Liban, Egypte), en slavon (vieux
slave) et dans les langues vernaculaires des Eglises qui ont adopté ce rite en Europe de l’Est
(Russie, Ukraine, Serbie, Bulgarie, Roumanie, Géorgie), qu’elles soient orthodoxes ou gréco-
catholiques (en Ukraine occidentale et en Roumanie) ;le rite arménien, apparenté aux rites
byzantin et syrien, célébré en arménien dans les Eglises arménienne apostolique (pré-
chalcédonienne) et arménienne catholique.

De même, l’ère de Constantin embrassant le christianisme, comme nous allons le voir,


ouvre celle d’une culture dominante romaine, et ainsi de suite jusqu’à ce que, de proche en
proche, le christianisme et sa liturgie se sont étendus à tout l’Occident à travers une liturgie
romaine latine exprimant une culture et un ensemble de valeurs et de pensée, une civilisation
judéo-chrétienne qui s’est progressivement formée et installée tout au long du Moyen Age.
C’est que, en effet, la liturgie chrétienne a, depuis les premiers contacts, tellement pénétré les
cultures occidentales que, d’une part, elle est devenue un élément de ces cultures et que,
d’autre part, elle s’est adaptée à elles pour, d’une pratique cultuelle orientale, finir par
s’exprimer avec et dans les concepts culturels occidentaux, tandis que c’est le contexte
historico-culturel occidental qui a modelé les formes que la liturgie a prises tout au long de
l’histoire que nous avons rapidement ci-avant passée en revue. C’est dans ce sens que doivent
s’interpréter les différences locales ou régionales rencontrées ou les apports locaux ou
régionaux, ainsi que nous l’apprennent l’histoire et l’évolution des différents rites. Il y a, là,
incontestablement un héritage culturel chrétien que l’Europe assuma longtemps, même
si dans certaines circonstances elle croit avoir aujourd’hui des raisons de ne plus
l’afficher.

Ceci est un phénomène capital qui se traduit par la réception, l’intériorisation et


l’appropriation du christianisme et de sa liturgie par l’Occident, en dépit de l’existence des
emprunts faits par les uns aux autres ; c’est, en fait, cette adaptabilité du christianisme et de sa
liturgie qui en ont assuré le succès dans les différentes contrées. Ce phénomène d’adaptation
et de compénétration culturo-liturgique s’est réalisé au sein même du christianisme
152

occidental, « romain et latin », à travers la diversification de la liturgie, chaque groupe ou


région marquant de ses expériences spécifiques le schéma liturgique central formé depuis les
premiers siècles.

Avant d’être un concept que les théologiens accaparent et s’approprient, ce


phénomène d’« adaptation-inculturation » évoque d’abord, ce qu’exprime à la manière des
théologiens Achiel Peelman366 « par sa racine ‘’culture’’ », « la situation concrète de tous
ceux et celles qui sont impliqués dans la proclamation, la réception et la transmission » du
christianisme depuis l’origine de l’Eglise. Ensuite, en adoptant le raisonnement du même
auteur, on peut considérer que le préfixe « in » indique le mouvement de s’intégrer dans une
culture et, plus encore, d’intégrer une culture donnée.

C’est pourquoi, sur ce plan purement anthropologique et d’un processus historique,


nous pouvons nous permettre l’usage de ce terme « inculturation », parce qu’il ne semble pas
vrai, au contraire, comme ont tendance à l’affirmer les théologiens toujours prompts à cultiver
la spécialité, que l’inculturation soit une « création nouvelle »367. Si, en effet, le mot est
nouveau (néo-logisme), la chose est ancienne et, même, contemporaine aux origines du
christianisme et de l’Eglise.

Ainsi, l’histoire constate que la période d’un christianisme purement juif fut très brève,
coïncidant juste avec le temps de l’événement en pays juif du salut chrétien, mort et
résurrection du Christ ; mais après cette première proclamation de la « Bonne Nouvelle »,
celle-ci fut très rapidement portée dans des régions culturelles étrangères à l’ère juive, en
« hellénie » d’abord et en « romanie » ensuite, intégrant ainsi l’ère des civilisations
méditerranéennes avant de se consolider, dans les autres cultures occidentales, de proche en
proche et en commençant par l’Afrique du Nord, l’Espagne, la Gaule et la Germanie. C’est
cette période inaugurée par Paul qui dure depuis et donne la figure réelle du christianisme
dans sa longue histoire368. Ainsi, parti d’Orient, le christianisme s’est étendu à l’Occident, s’y
est implanté, s’y est « inculturé » au point de devenir pratiquement, au regard des autres ères
culturelles et religieuses, une religion ou, la religion, européenne et occidentale, alors même
que, pour parler de la liturgie, elle est arrivée en Occident en y trouvant d’autres cultes,
profondément différents, qu’elle a christianisés en même temps qu’elle en empruntait nombre

366
PEELMAN, Achiel, Les nouveaux défis de l’inculturation, Novalis (Université d’Ottawa) et Lumen Vitae
(Bruxelles), 2007, p. 9.
367
Ibid., p. 11.
368
Dans ce sens, ESCHLIMANN, Jean-Paul, Propos anthropologiques sur l’inculturation, t. 2, Katiola, juillet
1988, p. 17.
153

de formes et d’expressions. Comme l’écrit l’évêque de Ouayigouya (Haute-Volta), Mgr L.


Durrieu, « Le christianisme naissant n’a pas détruit la civilisation gréco-latine, il l’a baptisée
et renouvelée de l’intérieur »369.

Le premier aspect, l’aspect moteur, de cette inculturation de la liturgie chrétienne


ailleurs qu’en Palestine, notamment en « Occident », fut sans doute la langue. Lorsque, en
Orient même, le christianisme et l’Eglise deviennent, grâce essentiellement à Paul,
missionnaires en évangélisant les « nations » ou les « gentils », l’araméen qui en était la
langue d’origine, fut vite abandonné au profit du grec (langue de la culture « occidentale »
dominante du moment), notamment dans les colonies helléniques ; sans aucun doute,
s’adressant aux Athéniens, Paul n’a utilisé ni l’araméen ni l’hébreu mais que le grec. De
même, sur le plan doctrinal, Paul fait adopter par l’Eglise de Jérusalem la tolérance à l’égard
des païens et de leurs pratiques culturelles et cultuelles en ne leur exigeant plus l’adoption de
certaines pratiques cultuelles juives, comme la circoncision et, dans une certaine mesure,
l’interdiction des viandes sacrifiées aux idoles.

C’est cette première « adaptation » à la langue et à certaines coutumes de ces


communautés qui a assuré le succès de l’implantation du christianisme dans leur milieu.
Quant à l’Occident « géographique », c’est d’emblée en grec qu’il est christianisé et qu’il rend
le culte ; les premiers formulaires des rubriques, rites et paroles liturgiques sont écrits dans
cette langue « occidentale ». Le père P-M Gy rappelle que, tout en utilisant le latin populaire
pour communiquer, « les premiers chrétiens d’Occident, jusqu’au IIIe siècle et même
jusqu’au IVe ont prié en grec et ont pensé en grec »370, ce dernier élément traduisant le fait
que le grec était la langue de la culture. Lorsque, à partir du IVe siècle, le latin supplante le
grec dans sa fonction culturelle sur la majeure partie de l’Occident, la liturgie, mais aussi la
culture, deviennent latines ; mêmement, Celtes et Germains adoptent « le latin comme langue
de liturgie et de culture »371. A propos du processus de christianisation de l’Occident romain,
le même auteur n’hésite pas à parler de « processus d’inculturation liturgique dans la Rome
ancienne », dont il distingue trois phases : d’abord l’inculturation liturgique dans une Eglise
encore minoritaire au milieu d’un monde païen, puis, à partir du IVe siècle, dès le moment où
le christianisme fut vainqueur du paganisme et recueille « tout ce qui est valable dans la
culture antique » et, enfin, la diffusion de la liturgie romaine en dehors de Rome, tandis que
l’étape préalable à ces trois phases indique que dès sa naissance « la liturgie chrétienne est

369
Cité par NDONGALA Maduku, Ignace, Pour des Eglises régionales en Afrique, op.cit., p. 95.
370
GY, Pierre-Marie, La liturgie dans l’histoire, op.cit., p. 60.
371
Ibid.
154

structurellement enracinée dans le culte juif, elle effectue une réinterprétation radicale de
celui-ci »372. Cette réinterprétation participe sans doute, aussi, du processus d’inculturation, de
même que le passage du christianisme judéo-chrétien au christianisme pagano-chrétien.

L’adoption du latin, intervenant dans la liturgie qui est l’un des domaines les plus
visibles du christianisme, est particulièrement représentative de la valeur et de l’utilité de
l’inculturation. L’usage liturgique du latin a, en quelque sorte, fait glisser la langue savante de
Cicéron ou Virgile vers une forme vulgaire, dans le sens de populaire (de vulgus, peuple), afin
de l’adapter aux masses pauvres et illettrées en abaissant le niveau de la pureté du latin pour
en faire une langue populaire et véhiculaire devenue le latin ecclésiastique que les savants
raillaient. Mais il le fallait pour propager la doctrine, car, comme disait Saint Augustin, « Que
nous importe la prétention des grammairiens ? Il vaut mieux que nous fassions des barbarismes et que
vous nous compreniez plutôt que nous parlions avec éloquence et que vous soyez abandonnés par
nous. Il vaut mieux subir les reproches des maîtres de grammaire que de ne pas être compris des
gens ». En donnant cet exemple nous avons tenu à éviter les controverses linguistiques des
savants sur la qualité du latin ecclésiastique ; ce qui ne nous empêche pas de signaler que le
Père Gy démontre, dans les mêmes pages, de quelle manière la liturgie a enrichi la langue
latine en introduisant des concepts liés au culte et représentant des réalités inconnues des
peuples néo-christianisés ou en découvrant de nouveaux sens à des mots de la langue
ordinaire373. Il y a, là, sans aucun doute, une inculturation authentique, y compris dans
l’adaptation de la langue à la « culture » des masses incultes. C’est ce que Jean-Paul II
constate, lui aussi, des conséquences de la méthode « inculturante » de l’évangélisation
utilisée par Cyrille et Méthode dans les milieux slaves, en mettant en exergue l’importance
des traductions des livres et documents liturgiques dans les langues ainsi que l’effet
réciproque, par l’inculturation, entre l’évangile et les cultures locales : « En incarnant
l'Evangile dans la culture autochtone des peuples qu'ils évangélisaient, les saints Cyrille et
Méthode eurent le mérite particulier de former et de développer cette même culture ou, plutôt,
de nombreuses cultures… Par ailleurs, la traduction des Livres saints, réalisée par Cyrille et
Méthode en collaboration avec leurs disciples, conféra une efficience et une dignité culturelle

372
GY, Pierre-Marie, « L’inculturation dans la liturgie romaine ancienne », in Médiations africaines du sacré,
Célébrations créatrices et langage religieux, Actes du troisième Colloque international du CERA, Kinshasa, 16-
22 février 1986, N) spécial Cahiers des Religions Africaines vol. XX-XXI, 1986-1987, Faculté de Théologie
Catholique de Kinshasa, 1987, p. 474.
373
GY, Pierre-Marie, La liturgie dans l’histoire, op.cit., pp. 64-65.
155

à la langue liturgique paléoslave qui devint pour de longs siècles non seulement la langue
ecclésiastique, mais aussi la langue officielle et littéraire »374.

L’utilité de la langue est telle que, lorsque le latin de la vulgus était encore généralisé,
la participation du peuple à la liturgie, là où les textes lui attribuait un rôle, était plus effective
qu’au moment où les langues parlées vernaculaires dérivées du latin acquièrent une plus
grande autonomie et deviennent indépendantes, alors même que la liturgie continuait de se
dérouler en latin. De fait, le phénomène constaté plus haut de la baisse de la participation
active du peuple au cours des messes,, qui ne fait plus qu’écouter et regarder, a coïncidé avec
la diversification des langues parlées, la liturgie (en latin) s’étant alors éloignée de la culture
populaire (dans les langues vulgaires) ; c’est ce qui se reproduira dans les « pays de mission »
dont nous examinerons les pratiques plus loin. Pour y faire face, on prendra l’habitude de
traduire pour les fidèles les homélies au fur et à mesure qu’elles sont prononcées ; mais, lors
du concile de Tours (mai 813), convoqué par Charlemagne, le canon 17, officialisant en
quelque sorte « l’inculturation » de l’homélie, décida que, dans les régions correspondant
alors à la France et à l’Allemagne (domaine de Charlemagne), les homélies ne soient plus
prononcées en latin mais en « rusticam Romanam linguam aut Theodiscam, quo facilius
cuncti possint intellegere quae dicuntur », c’est-à-dire dans la « langue rustique romane » ou
dans la « langue tudesque » ou allemand (en fait la langue romane, le roman, était une sorte
de protofrançais), afin que tous puissent comprendre ce qui se disait. De là, seront
progressivement utilisées notamment les autres langues romanes issues du latin ou les langues
germaniques, etc.

Dans la foulée, devenant progressivement majoritaire après la période des


persécutions, le christianisme s’ouvre avec d’autant plus de facilité aux cultures qu’il a
trouvées localement, notamment par la traduction de la bible ainsi que des livres et des prières
liturgiques, pénétrant par là les domaines des rites et des fêtes, mais aussi les arts et, enfin,
certains autres éléments du mode de vie. Pour ces aspects techniques, fêtes et arts, il y a lieu
de signaler, sans autre détail, les exemples, que donne le Père Gy, de l’introduction de la fête
de Noël qui apparaît à Rome dans la première moitié du IVe siècle et plus tard ailleurs, fixée
au 25 décembre parce que, entre autres, on aurait pensé au solstice d’hiver, date à laquelle
était célébrée la naissance du dieu-soleil (la natalis Solis invicti) dont le culte rivalisait à

374
Le pape Jean-Paul II, dans l’Encyclique Slavorum Apostoli, du 2 juin 1985, § 21.
156

l’époque avec le christianisme et qu’il fallait remplacer par une fête chrétienne375 ; tandis que
l’Eglise avait voulu christianiser les fêtes païennes du solstice d’été en plaçant à cette période
la Saint Jean-Baptiste qui continue de cohabiter avec les « feux de la Saint Jean », fête
profane que de nombreuses localités célèbrent encore. Ensuite, un seul exemple aussi
concernant le recours à l’art local, en particulier, vers l’an 400, à une représentation des anges
qui emprunte à l’iconographie et à la sculpture païennes de la déesse Victoire376. Mais, la
fixation de la fête de la Nativité eut une importance qui dépassa la liturgie pour concerner la
culture en générale, à cause de son rôle dans la détermination du rythme du cycle liturgique et
finalement du temps dans la société. En effet, on détermina, parfois après d’âpres discussions
d’ordre philosophique, théologique et astronomique, les dates des grandes fêtes christiques
autour desquelles sont organisés les cycles de la liturgie : le cycle de Noël ou de la Nativité
(en gros, de l’Avent à l’Epiphanie), le cycle de Pâques pour la Rédemption (incluant le
carême, jusqu’à la Pentecôte) ; à ces deux cycles principaux on a, pour équilibrer l’année,
ajouté d’autres fêtes, comme celles de la Vierge et des autres saints (par exemple, au VIIIe
siècle on a déplacé la Toussaint de mai à novembre). Mais une autre leçon de l’importance du
« temps liturgique » est à signaler : ce sont les fêtes chrétiennes qui traduisent le calendrier
pratique des médiévaux, on identifie volontiers un jour ou une période par rapport à une fête
plutôt que par la date « civile » (le lendemain de Noël plutôt que le 26 décembre, le lundi de
Pâques plutôt que la date du jour, etc.). En plus de cela, c’est un autre fait remarquable que les
dates des grandes fêtes coïncident avec le rythme naturel ou agricole, le rythme saisonnier des
travaux agricoles (semailles, récoltes ; il fut instauré aux IVe-Ve siècles la liturgie des Quatre-
temps pour sanctifier le début de chacune des quatre saisons, il y a eu les processions et ces
« rogations » de trois jours qui précédaient l’Ascension pour demander la protection et la
bénédiction divines sur les semailles, les cultures et le bétail, …,377. Il en est ainsi de ces fêtes
placées à cette période qui correspond en Europe occidentale aux travaux agricoles et à la
préparation des sols, mais qui, imposées à l’ensemble de la catholicité y compris les pays
tropicaux dont les saisons ne correspondent pas à celles d’Europe, n’ont plus aucun sens. Il
n’est pas, non plus, indifférent que la fête de la Résurrection soit placée depuis le concile de
Nicée, le dimanche qui suit la pleine lune de l’équinoxe de printemps, période où, au Nord,
« toute la nature se met à resurgir », alors que la Pessah juive dont les chrétiens se sont
inspirés a lieu invariablement le 14 de Nisan (ou Nizan), soit le dernier jour avant la pleine
lune qui suit l’équinoxe de printemps, là encore période où en Orient les bergers et les
375
BASCHET, Jérôme, La civilisation féodale – De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, Ed. Aubier,
2004, p. 287.
376
pp. 63-69.
377
BASCHET, Jérôme, op.cit., pp. 286-288.
157

agriculteurs sont en activité intense. Certes, l’Eglise n’avoue pas qu’une telle correspondance
soit délibérée ; cela n’est pas impossible parce que bien souvent la fête chrétienne n’a pas, par
exemple, fait supprimer les célébrations locales « païennes » qui continuent d’avoir lieu
parallèlement à ce rythme religieux, ainsi que cela se remarque dans nombre de villages
gardant encore leurs traditions locales. Cette évocation montre l’imbrication entre la liturgie et
les événements culturels et traditionnels locaux ; il n’est pas certain, c’est même le contraire,
que si l’Eglise avait éclos dans l’hémisphère sud en premier, ces fêtes eussent été fixées de la
même façon.

Il ne faut pas terminer cette évocation du « temps liturgique » sans dire son importance
proprement liturgique en dehors même des fêtes : autour de ce temps, dont la structure est
complète depuis le VIIe siècle, on a organisé « l’année liturgique » ou « le calendrier
liturgique », avec, comme conséquence, le choix de péricopes des lectures bibliques adaptées
à chaque jour de l’année ou relatives à la fête de chaque saint ou propres à chaque solennité
de la chrétienté ; la presque perfection, dans ce domaine, est l’organisation des lectures
adoptée par Vatican II, comme nous le verrons plus loin.

Des spécialistes ont traduit avec pertinence et perspicacité cette vérité que l’apparition
de ce qu’on appelle « Occident » est intimement liée à l’épanouissement du christianisme et
représentait le monde de la chrétienté, autour de Rome, dans une relation d’influences
mutuelles entre cultures locales et christianisme et liturgie chrétienne. Roger Gryson affirme
que « la Bible latine est la matrice de la culture occidentale », une citation que donne le
professeur Paul-Augustin Deproost. Ce dernier, lui-même, met en exergue le rôle spécifique
de la liturgie catholique dans l’apparition du concept « Occident » : « Quant à la liturgie
latine, dont on ne nous offre plus aujourd’hui, hélas, que de trop fréquentes et pâles
contrefaçons, elle est le lieu où sont nés la poésie de l’occident chrétien, sa musique, son
théâtre, et toutes ses formes d’art, sinon même l’essentiel de sa pensée symbolique ; elle a
sublimé le sens tellement romain du spectacle dans la célébration des mystères chrétiens. »378.
Tandis qu’il n’est pas faux d’ajouter que la culture et la morale « occidentales » ont été
façonnées par la doctrine de l’Eglise à coups de décrets et de canons conciliaires et synodaux,
les institutions politiques elles-mêmes étant marquées par non seulement la législation des
souverains chrétiens depuis Constantin, ainsi que par le modèle organisationnel et
hiérarchique ecclésial. De fait, au-delà de la géographie par laquelle nous disons

378
« L’héritage du latin – une culture de l’universel », conférence prononcée lors d’un séminaire de recherche
appliquée de philosophie et lettres sur « L’Europe et la culture des cultures », Louvain-la-Neuve, 26 octobre
1998, http://bcs.fltr.ucl.be/FE/01
158

que « occident » désigne l’ouest, c’est la culture du christianisme latin qui donne le contenu
ayant un sens à ce qui n’était qu’indication d’un point cardinal : de Clovis à Charlemagne et
au Saint empire romain germanique, les évolutions du christianisme romain ont façonné tout
au long du Moyen Age les contours et le contenu de « l’Occident », scellés notamment après
la rupture à double détente avec Byzance (d’abord par le grand schisme d’Orient au XIe siècle
et ensuite lors du sac de Constantinople au XIIIe), faisant coïncider « Occident » avec
« Occident chrétien » et « chrétienté latine ou romaine ». Judicieusement, Hakim Karki et
Edgar Radelet ont donné ce sous-titre à leur excellent ouvrage « L a place de la religion dans
la conceptualisation de la notion d’Occident », et intitulé ainsi sa première partie « Le
christianisme est l’Occident »379.

C’est, ainsi, il semble, avec raison que Bruno Luiselli peut parler d’inculturation, tant
il est vrai que sans être jamais théorisée, l’inculturation fut, de toute évidence et depuis le
début, une nécessité pour la dynamique de cette évangélisation.

Cette évocation était nécessaire pour montrer un aspect de ce qui se remarque comme
l’un des facteurs déterminants de la liturgie, l’adaptation aux coutumes et à la culture des
régions et des peuples, c’est-à-dire l’inculturation. Il faut, en effet, considérer l’importance
« pour chaque peuple et même pour chaque communauté locale de développer sa créativité et
d’inventer une expression liturgique qui traduise fidèlement les modalités de son expérience
du Mystère du Christ »380, tant est vrai le constat que l’inadaptation entre culture et liturgie est
une des explications de l’abandon de la pratique de la liturgie par beaucoup de Chrétiens.

L’opération réussit si bien en Occident qu’elle fut favorisée par des circonstances
historiques, tant « Il est impossible de parler des relations de la liturgie avec la culture sans
parler de ses relations avec la politique », dit Armand Veilleux381. Il s’agit de confirmer que
certaines périodes historiques, par leurs choix ou leurs réalisations ont favorisé la fixation et
l’unification de la liturgie, marquant pour longtemps le culte de l’Eglise catholique. Ainsi,
sans s’arrêter à toutes les réalisations historiques des Etats, on peut épingler que l’engagement
chrétien de certains monarques a eu pour effet de faire adopter ou d’orienter dans un sens
donné des options et des évolutions liturgiques. Il n’est pas indifférent que l’empereur

379
KARKI, Hakim et RADELET, Edgar, Et Dieu créa l’Occident - La place de la religion dans la
conceptualisation de la notion d’Occident, Paris, L’Harmattan, 2001.
380
VEILLEUX, Armand, « La liturgie dans la vie du peuple de Dieu », in La Vie des communautés religieuses,
n° 36, 1978.
381
Ibid..
159

Constantin ait doté l’Eglise d’immenses et magnifiques « basiliques »382, dont, en particulier,
la vaste basilica constantiniana, devenue Saint Jean de Latran, la cathédrale du diocèse de
Rome383. Politique que poursuivra Charlemagne par l’édification de lieux de culte de plus en
plus spacieux et grandioses, dont les dispositions intérieures vont modifier certains usages
liturgiques, les nefs latérales, par exemple, favorisant le système de messes privées et des
messes votives en abritant des autels latéraux où se disaient la majorité de ces messes. De
même, le modèle artistique du Latran va inspirer le gothique dont les manifestations
artistiques (images, statues et architecture intérieure, en particulier) vont décorer les églises et
favoriser le culte des saints384.

Il faut, enfin, montrer l’imbrication entre l’histoire de l’époque avec certains choix et
certaines pratiques liturgiques, spécialement par l’influence de la politique dans le domaine de
la liturgie, les empereurs romains imposant le contenu de la profession de foi chrétienne, le
« Symbole des apôtres », les carolingiens favorisant l’unification de la liturgie385, au profit de
Rome et en vue de jeter les bases de la centralisation de leur pouvoir. Certes, on a pu parler
des coutumes gallicanes ou de rites gallicans, mais il n’y avait point une liturgie gallicane,
chaque célébrant organisant sa messe comme il l’entend à travers improvisations et imitations
à partir de sacramentaires romains que des initiatives privées ont fait venir, mais, il n’y a pas
d’unité liturgique et, même, ces sacramentaires ne se propagent pas facilement par le manque
de copistes et l’ignorance des clercs qui ont fait laisser pourrir ces manuscrits, tandis que fait
défaut l’esprit d’initiative de prélats gallicans talentueux du VIe siècle386. C’est par une
initiative d’autorités temporelles que le pays franc eut connaissance de la liturgie romaine
lorsque le pape Etienne II alla pour le sacre de Pépin le Bref à Saint-Denis (754), le roi fut
impressionné notamment par les fastes de la liturgie papale et le chant. Des copistes envoyés à
Rome ramenèrent des formulaires romains à partir desquels des éléments de cette liturgie sont
utilisés dans les célébrations pendant de nombreuses années, mais sans systématisation. Tout
en préconisant l’adoption du chant romain, le roi se préoccupe d’adapter au goût des
populations locales les trop austères et trop sobres formulaires romains afin de constituer un
sacramentaire franc. De même, Charlemagne réalisera que, sur le plan de la liturgie, l’Eglise
des Gaules est restée « depuis les premiers temps de la foi » unie à l’Eglise de Rome alors

382
LORET, Pierre, op.cit., p. 65.
383
PIETRI, Charles, op.cit., p.206.
384
HUBERT, Jean, PORCHER, Jean et VOLBACH, Wolfgang, L’empire carolingien, Paris, Ed. Gallimard,
1968.
385
LORET, Pierre, La messe du Christ à Jean-Paul II – Brève histoire de la liturgie eucharistique, op.cit., pp.
97-98.
386
CABIE, Robert, Histoire de la messe des origines à nos jours, op.cit., p.55.
160

qu’elle « avait pris ses distances dans la célébration liturgique, … » et qu’elle doit la rejoindre
« pour l’ordonnance de la psalmodie… ». Appliquant à sa manière la maxime lex orandi lex
credendi, il explique : « Les Eglises qui sont unies par la sainte lecture d’une seule sainte loi
doivent l’être aussi par la vénérable pratique d’une seule modulation des voix et il faut que
des différences dans la célébration ne séparent pas celles qui sont liées par l’adhésion à une
seule foi ». De fait, il imposa cette même pratique à ses possessions qui avaient une liturgie
particulière, différente de la liturgie romaine, « désirant rehausser la dignité de la sainte Eglise
romaine »387.

Mais, surtout, l’unification de l’empire, par-dessus la grande diversité des coutumes


liturgiques, diversité des manières de célébrer, romaine, gallicane, wisigothe, etc., poussa les
souverains carolingiens à rechercher l’unité liturgique en étendant à l’ensemble des contrées
de leur empire la liturgie en vigueur à Rome ; c’est à cela que servit le sacramentaire
« grégorien » que se procura Charlemagne pour l’imposer à l’usage dans son empire388. De
fait, en vue de ses réformes liturgiques, Charlemagne exigea le sacramentaire « authentique »,
celui que le pape utilisait lui-même, « qui soit conforme à la tradition de notre sainte
Eglise »389. Mais, faisant œuvre d’inculturation, il fera réaliser une synthèse entre la liturgie
romaine et certains usages locaux conformes au goût des populations ; cette synthèse va
donner naissance à une véritable réforme liturgique à la base d’une messe romano-gallo-
germano-franque qui revient à Rome au Xe siècle, demeurant l’axe central de la liturgie
romaine nouvelle, de cette messe médiévale, qui aura encore de l’influence bien après le
Concile de Trente et jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est de là que sont issus ces prières à
voix basse, la multiplication des signes de croix, les nombreuses bénédictions, encensements,
baisers à différents objets saints, certains vêtements liturgiques inconnus de Rome, comme
l’étole, la chape, l’anneau et la mitre de l’évêque, tandis que la crosse, refusée dans un
premier temps par Rome, finira par s’y imposer plus tard, ainsi que les orgues venues de la
cour de Constantinople à celle de Pépin le Bref et que Charlemagne va faire fabriquer pour
ses propres cultes et dont il facilitera ainsi l’adoption généralisée pour la « messe
traditionnelle »390.

387
Livres carolins, L1, ch. 6, cité par CABIE, Robert, op.cit., p. 56. Les Livres Carolins (Libri Carolini) sont un
exposé théologique d’une critique en règle des conceptions religieuses des Eglises byzantines, rédigé,
probablement par Alcuin, sur les instructions et sous l’autorité de Charlemagne, dans ce sens, KARKI et
RADELET, p. 90..
388
BASCHET, Jérôme, La civilisation féodale – De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, op.cit., pp. 62-64.
389
Lettre 69 d’Hadrien Ier à Charlemagne, extrait reproduit dans CABIE, Robert, op.cit., p.56.
390
Sur ces emprunts, v. MARTIMORT, L’Eglise en prière, p. 117, LORET, op.cit., pp. 103-104.
161

On peut, avec Nicole Lemaître, conclure que « La base de toutes les liturgies
catholiques était la liturgie dite romano-gallicane, imposée par Charlemagne, mais avec des
possibilités d'adaptation locales. »391 ; à cet égard, la réforme tridentine, si elle tente une
unification, elle n’est ni une révolution ni une œuvre perpétuelle alors que l’unité recherchée
elle-même, on l’a vu, ne sera que relative.

SYNTHESE DE LA PREMIERE PARTIE

La première partie de cette étude a conduit à découvrir les origines culturelles et


historiques de la liturgie chrétienne de la messe, dans des circonstances qui en ont déterminé
l’inspiration, la formation et l’évolution. De ce point de vue, la filiation juive de la liturgie
chrétienne est certaine, attestée par la quasi-totalité des spécialistes qui rattachent aux
pratiques juives non seulement le concept même de liturgie mais aussi son cadre, sa structure
et nombre de ses prières.

Mais, service vivant, la liturgie fut souvent empreinte des marques de la pratique et
des conditions particulières de chaque communauté, à travers certes la sensibilité de cette
dernière et de ses dirigeants et pasteurs mais surtout de ces coutumes et de sa culture ; ici, le
rôle des « Pères » fut très important, si l’on prend, par exemple, le cas des Eglises dites
orientales. En l’absence d’un plan liturgique ou logique préconçu à imposer à l’évolution de la
liturgie, il y eut, ainsi, une grande diversité liturgique, apparition, à travers des « familles
liturgiques », d’un véritable pluralisme dans ce domaine, mais surtout comme un mouvement
désordonné, en tous cas, pas maîtrisé. Certes, du fait des emprunts mutuels, des influences
diverses comme la volonté imposée d’un empereur et de la primauté malgré tout reconnue au
siège de Rome, la liturgie pratiquée en Occident aura un certain visage reconnaissable en tant
que liturgie catholique latine. Mais, au XIIIe siècle presque chaque diocèse a ses coutumes
particulières qui vont se fixer dans son propre « missel ».

Afin de provoquer un certain souci d’unité, plusieurs ordres religieux, notamment les
Franciscains, se feront les propagateurs de la liturgie de la Curie ; ces efforts vont encourager
Rome pour éditer et publier en 1474 le premier missel plénier romain, à partir du missel venu
de Germanie hérité de Charlemagne. Néanmoins, après l’édition du Missel, la dispersion ne
se termina pas pour autant, il existait des « sacramentaires » particuliers en maints endroits et,
notamment dans le monde monacal, pratiquement chaque ordre avait sa propre manière de

391
Dans sa leçon d’agrégation d’histoire, 12. La réforme en continuité réussie, le concile de Trente,
http://histoire.univ-paris 1.fr/agregation/moderne2003/cours12.htm
162

célébrer. Il y a lieu, cependant, d’estimer que ces efforts et les dernières réalisations
préparaient les actions du Concile de Trente et de Pie V pour tenter d’unifier les rites
essentiels en remettant de l’ordre dans une évolution qui, depuis les origines jusqu’à cette
époque, s’était faite librement et bien souvent en ordre dispersé.

Pour avoir, dès ses débuts, montré à quel point la liturgie vécue ne pouvait que
s’intégrer dans la culture du milieu dans une imprégnation réciproque, la première partie nous
a révélé l’importance primordiale de l’adaptation culturelle et sociétale comme facteur
déterminant de l’évolution et de l’histoire de la liturgie, dans des circonstances d’imbrication
qui ont fait assimiler l’Occident à la chrétienté et au christianisme. Bien que le vocable
n’existât pas encore au cours de toute cette période historique, cette évolution mérite d’être
considérée comme une belle réussite de l’inculturation grâce à laquelle, d’origine orientale et
juive, le christianisme et son culte sont devenus indissociables de l’Occident ; c’est en fait
l’inculturation qui explique l’adaptabilité du christianisme à n’importe quel milieu socio-
culturel. En tout état de cause, la théologie de la messe demeurant la même, en ce qui
concerne les éléments essentiels (sens et finalité de la messe, ainsi que doctrine eucharistique,
notamment), les formes liturgiques et les rites, y compris certaines prières, sont tributaires de
circonstances multiples, d’ordre culturel, socio-politique et historique, qui expliquent la
légitimité des différentes familles liturgiques qui ont pacifiquement et, même,
harmonieusement, coexisté dans l’histoire de l’Eglise. De la même manière, ces facteurs
fondent la légitimité de la volonté et de la recherche de formes liturgiques particulières
adaptées, par les églises locales se développant dans des contrées extérieures au milieu socio-
culturel d’origine du christianisme, afin que ce dernier, grâce à l’intégration mutuelle avec la
culture locale, devienne con-naturel à leur société, donnant ainsi une justification réelle et
légitime à l’universalisme de l’Eglise.
163

DEUXIEME PARTIE

L’EGLISE MISSIONNAIRE –
L’INCULTURATION IGNOREE
164

Le terme « mission », du latin missio, dérivé du verbe mittēre, envoyer, signifie


littéralement « envoi ». Dans le christianisme, c’est le Christ lui-même qui avait « envoyé »
ses disciples, selon l’injonction rapportée par les évangiles :

« Allez donc, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils
et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit »392.

Ou, encore :

« Allez dans le monde entier, proclamez l’évangile à toute la création. Celui qui croira et sera
baptisé, sera sauvé, […] »393.

Cela continuait certainement le propre envoi de Jésus par Dieu, selon ce que lui-même
avait dit, dans la prière qu’il faisait pour ses apôtres : « Comme tu (le Père) m’as envoyé dans
le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde »394, ou lors d’une apparition à ses
apôtres après sa résurrection : « De même que le père m’a envoyé, moi aussi je vous
envoie »395 ; cela continuait aussi l’envoi du Saint-Esprit par le Père au nom du Fils396.
Parallèlement, sans doute aussi, le terme revêtait-il le sens de « tâche » ou de « mandat »
confié à quelqu’un.

Dans ce sens, il ne serait pas faux de dire que, de par ses origines, la mission et
l’œuvre « missionnaire » ont commencé au temps des apôtres, lorsque ces derniers mirent en
application l’injonction reçue de leur maître, et que la christianisation de toute l’Europe
occidentale à partir de l’Eglise primitive de Palestine est la réalisation de cette « mission », le
fruit de l’œuvre « missionnaire » menée par les apôtres et dans laquelle Paul prit une part
prépondérante. Par la suite, on a pu ainsi parler, encore assez près de ce sens originel, de
« propagation de la foi », ou encore d’évangélisation, comme moyen de diffuser le
christianisme autrement que par la violence, comme celle des croisades, en amenant
pacifiquement les peuples à la foi catholique. Cette dernière acception eut une double
affectation : d’abord, défendre la vraie foi en Occident même contre les hérétiques, et

392
Mt 28, 19-20, traduction Bible de Jérusalem.
393
Mc 16, 15-16, ibid.
394
Jn 17, 18.
395
Jn 20, 21.
396
PRUDHOMME, Claude, Missions chrétiennes et colonisation XVIe– XXe siècle, Paris, Cerf, 2004, p. 11.
165

« chercher à gagner à la foi catholique, dans les contrées lointaines et sauvages, les
populations païennes d’Amérique, d’Asie, d’Afrique »397

Dans cette partie, il s’agit de voir comment, à partir de son nouveau foyer européen, le
christianisme s’est propagé dans ce qu’on a appelé « les pays de mission », sur les autres
continents ; la mission fut alors spécifiquement confiée à quelques nations européennes qui
allaient, ainsi, parrainer l’évangélisation des terres découvertes par les explorateurs au service
de souverains européens, c’est le système de « patronage » (I). Mais, la mission ne s’est pas
déroulée de la même manière partout, la mission en Asie et en Afrique, « pays de mission »
mais en même temps de résidence passagère des Européens, présente des conditions
spécifiques par rapport à l’Amérique vouée dès le début à devenir, comme contrée de
peuplement, la nouvelle patrie des Européens qui y immigraient. C’est la raison pour laquelle
le nécessaire exposé sur l’Eglise missionnaire se limitera, dans les deux chapitres suivants, à
ces deux continents, l’Asie et, spécifiquement, l’Extrême-Orient (II), et l’Afrique (III).
L’étude des conditions de l’évangélisation missionnaire dans ces nouveaux continents est
nécessaire parce qu’elle illustre et vérifie la problématique de l’adaptabilité du christianisme
et de sa liturgie aux cultures des peuples nouvellement christianisés. C’est à l’occasion de ces
missions que, depuis l’émigration du christianisme vers l’Europe, se pose ce problème de son
incarnation dans les cultures, qui est au cœur de notre travail. En effet, dans ces deux terres de
mission, le christianisme s’est tout de suite heurté à cette problématique incontournable de la
rencontre avec des cultures étrangères à l’ère socio-culturelle dans laquelle il avait évolué
jusque là. Cet examen démontre que, si l’inculturation avait pu se réaliser en Europe, les
méthodes missionnaires de son implantation en ont empêché l’application dans les pays de
mission (IV).

397
Ibid., p. 12.
166

LES DEBUTS DE LA « MISSION » : LE PADROADO ET


L’EMERGENCE DE L’EGLISE MISSIONNAIRE

On estime que ce sont les membres de la Compagnie de Jésus qui, s’étant justement
installés dès leurs débuts comme une congrégation « missionnaire », furent les premiers à
employer le vocable « mission » pour qualifier un mandat apostolique et d’évangélisation
dans un territoire déterminé, en particulier dans un territoire non-chrétien398. C’est ainsi que,
pendant longtemps, « mission » signifiait expansion de la religion chrétienne en vue de la
fondation de nouvelles églises, en particulier par les Européens dans des régions étrangères
lointaines d’Amérique et d’Afrique dès leur « découverte » par les explorateurs au service des
souverains d’Espagne et de Portugal, ainsi que d’Asie, et qu’on appellera, pour cela, « pays de
mission ». Il y a, donc, un lien entre l’envoi et la mission de Jésus par Dieu et l’envoi et la
mission de l’Eglise par Jésus, mais, en relation directe avec l’introduction des Européens sur
ces nouveaux territoires. Cependant, l’expérience asiatique se heurta à des résistances locales,
notamment au Japon qui se ferma finalement à l’œuvre missionnaire comme à toute influence
étrangère et, en Chine où, pour faire subsister la « mission », les missionnaires durent adapter
le christianisme, notamment, les célébrations liturgiques, au contexte et aux pratiques
culturels et religieux locaux.

Toutefois, la grande vague « missionnaire » qui partit d’Europe en direction d’autres


continents est consécutive à ce que les historiens et les explorateurs ont appelé les « grandes
découvertes », l’occupation des nouvelles terres « découvertes » par de célèbres explorateurs
(Christophe Colomb, Diego Cao, Stanley, de Brazza, etc.) par les puissances commanditaires
s’étant accompagnée de l’installation de postes missionnaires chargés de l’évangélisation des
peuples rencontrés. Ainsi, à partir du XVe siècle, la « mission », l’évangélisation des peuples,
fut associée à la conquête et à la colonisation et servit l’implantation des puissances
coloniales. On peut, même, considérer que l’Eglise facilita et favorisa la colonisation en
partageant les terres lointaines entre les puissances chargées, à cause de cela, de conduire à la
foi catholique les peuples qu’elles occupaient. Les origines ibériques du pape Alexandre VI
Borgia expliquent peut-être pourquoi l’Espagne et le Portugal furent les grands bénéficiaires

398
PRUDHOMME, Claude, op.cit., p. 12.
167

de ce système de « patronage » ou padroado par lequel le Saint-Siège leur attribua le


monopole d’occupation et d’évangélisation de la grande majorité des continents, sur la base
d’un véritable mandat constituant titre juridique sur ces terres399. Engagés dans l’aventure des
explorations et des « découvertes », le Portugal et l’Espagne se disputaient le contrôle du
nouveau monde ; les négociations les firent saisir le pape Alexandre VI qui allait ainsi exercer
un office d’arbitrage ou de médiation, que les souverains chrétiens lui reconnaissaient
volontiers400. Par la bulle Inter coetera, du 4 mai 1493, Alexandre VI, en désignant du doigt
un méridien sur la carte de la terre, partagea entre l’Espagne et le Portugal les terres
découvertes et à découvrir aux « Indes », en Amérique et ailleurs, ainsi que les océans
adjacents.

La zone espagnole couvre l’Ouest du méridien tandis que la zone portugaise s’étend
sur l’Est, notamment sur l’Afrique où le Portugal avait déjà mis pied depuis que vers les
années 1440 il avait fait installer des comptoirs sur des territoires africains qu’en 1483 Diego
Cao planta sur la rive gauche du « Nzadi » (fleuve « Zaïre » ou Congo) le padrâo portugais401.
Comme on le voit, également, le Portugal occupait déjà une partie de l’actuel Brésil, le traité
de Tordesillas du 7 juin 1494, conclu avec l’accord du pape, avait rectifié les lignes de
démarcation et déplacé la « ligne du pape Alexandre », pour permettre au Portugal, de
posséder l’ensemble du Brésil que, depuis la découverte de ce territoire par le Portugais
Cabral un an plus tôt, il était en train de conquérir au moment des arrangements antérieurs et
de la bulle pontificale402.

En retour, les puissances bénéficiaires du padroado s’engageaient à « travailler à


l’exaltation et (à) la dilatation de la foi catholique »403, donc à fonder des « missions », à
envoyer des missionnaires de leur nationalité en nombre suffisant, à construire des églises, à
protéger et à sécuriser le passage et les déplacements des missionnaires. Ainsi, par la bulle
Universalis Ecclesiae (1508), l’Espagne reçut le monopole sur la zone qui lui avait été
reconnue comme terre à coloniser (Amérique du sud), tandis que le Portugal, longtemps seule
puissance maritime, avait déjà eu, depuis le XVe siècle, l’occasion d’occuper des terres en

399
TÜCHLE, Hermann, BOUMAN, C.A. et LE BRUN, Jacques, op.cit., p.321. En fait, c’est le pape Jules II qui
va consacrer officiellement le système de patronage par la bulle Universalis Ecclesiae de 1508 confirmant le
partage du nouveau monde entre les deux puissances ibériques.
400
MAISTRE, Joseph Marie, Du pape, Paris, Ed. Charpentier, 1854, pp. 272-273 (numérisation Google).
401
Les circonstances, le nombre et les dates des voyanges de Diogo Cao dans le royaume du Kongo sont
controversés ou peu sûrs.
402
ROUXEL, Jean, Le Saint-Siège sur la scène internationale, Paris, l’Harmattan, 1998, p. 204. Cependant, des
dissensions continuèrent entre les puissances, Espagne et Portugal, certes, mais aussi Portugal et France et
Angleterre, ces dernières n’ayant pas cessé de contester le partage exclusif opéré par Rome.
403
PRUDHOMME, Claude, op.cit., p. 26.
168

Amérique où se déroulait la conquête du Brésil entérinée par le Traité de Tordesillas que nous
avons déjà cité, mais aussi en Afrique (également attribuée au Portugal par Alexandre VI) et
en Asie, qu’il avait entrepris d’évangéliser et sur lesquelles il reçut le titre juridique du pape
en 1514. En fait, le padroado fit l’objet d’un grand nombre de documents pontificaux : outre
la bulle Inter Cœtera d’Alexandre VI (1493) confirmée la même année par la bulle Piis
fidelium, d’autres bulles venaient confirmer ces précédentes, Jules II avec Eximiae devotionis
en 1503 et Universalis ecclesiae en 1508 confirmant le monopole reconnu à l’Espagne, puis
une autre bulle en 1513, au profit du Portugal ; d’autres bulles suivirent, celles de Léon X en
1518, d’Adrien VI (Omnimoda) en 1522, de Paul III en 1535 et en 1547, de Paul IV en 1555,
d’Urbain VIII en 1639 et de Benoît XIV en 1741404. Il convient, dans cette liste de documents
pontificaux, citer à part la bulle, antérieure à toutes celles-ci, Romanus Pontifex du pape
Nicolas V (pape 1447-1455) qui, déjà le 8 janvier 1455, attribuait à Alphonse V du Portugal,
et « à jamais », le monopole de la conquête et du commerce sur les terres africaines, sur
« toute la côte de Guinée, incluant les Indes », que du reste le Portugal avait déjà entrepris de
conquérir bien avant, grâce à l’action du prince Henri405. Hugh Thomas, qui présente cette
bulle affirme que, par là, le pape justifiait l’asservissement des peuples païens en vantant ses
conséquences bénéfiques pour ces derniers, en particulier parce qu’ils seraient transportés au
Portugal pour les convertir à la foi catholique. Le pape se « réjouissait de voir bien des
esclaves noirs convertis à la foi catholique»406. Le Pontifex romain comptait sur les progrès
des conquêtes pour obtenir beaucoup de conversions. Il y a, là, plus qu’une simple tolérance
ou qu’un simple encouragement donné à la traite des Noirs, c’est l’institution presque
canonique de l’esclavage. D’autant plus que, plus tard, lorsque la réalité de l’esclavage était
attestée par l’histoire et que les missions se soient préoccupées de la dignité des indigènes
même contre les administrations coloniales, l’encyclique Maximum Illud du pape Benoît XV
(1919), vise à gagner au Christ le plus d’âmes possible : « Une armée de missionnaires se lève
pour arracher les pitoyables tribus indigènes à l’atroce esclavage des démons tout en les
protégeant contre l’exploitation de maîtres sans conscience.», faisant l’éloge des exploits des
missionnaires de la période des découvertes407. On le voit, l’idée de mission libératrice et
civilisatrice est à la base des deux aventures, coloniale et missionnaire.

404
Voir « La conquête de l’Amérique ou la Croix prêchée », http://www.dici.org/thomatique_read.php
405
Sur l’action du prince Henri, v. CUVELIER (Mgr), Jean, L’ancien royaume de Congo – Fondation,
découverte, prmère évangélisation de l’ancien royaume de Congo. Règne du grand roi Afonso Mvemba Nzinga,
Desclée de Brouwer, Paris, MCMXLVI, pp. 27-32.
406
THOMAS, Hugh, La Traite des Noirs, Paris, Ed. Robert Laffont, 2006, pp. 51-52.
407
Dans ce sens, BLOCK, Mattijs Jean-Claude, « Christianisme en quête d’identité en Afrique », Revue
Réformée, N° 228-2004/3, Juin 2004 – Tome LV.
169

C’est que le pape, successeur de Pierre et vicaire du Christ, se voit reconnaître le


pouvoir temporel et spirituel qui lui permet de « donner aux rois la juridiction sur les
nouvelles terres », dans une confusion d’objectifs religieux, politiques et économiques par
rapport auxquels, envoyés de l’empereur, les explorateurs étaient désignés comme également
envoyés du pape408 ; sans être à l’origine du colonialisme, l’Eglise a ainsi néanmoins fourni
les fondements aussi bien politiques que spirituels nécessaires à légitimer l’établissement du
colonialisme européen et le partage du monde entre puissances occidentales.

Certes, d’autres souverains contestèrent un tel partage exclusif, le roi du Danemark ne


le reconnut jamais en ce qui concerne les Indes Orientales, tandis que le roi de France,
François Ier, dit bruyamment son mécontentement en protestant : « Le soleil brille pour moi
comme pour tous les autres. J’aimerais bien prendre connaissance de la clause du testament
d’Adam qui m’exclut du partage du monde »409. Mais, le système du padroado tint bon et
dura jusque vers la fin du XVIe siècle, lorsque, en particulier, le Portugal, incapable d’assurer
l’envoi et l’entretien des missionnaires, se tournera vers Rome et vers les jésuites dont la
congrégation venait de se créer, pour pratiquement leur offrir de prendre la relève ; tandis
qu’en Afrique où il continua jusque vers la fin du XIXe siècle, le padroado s’essouffla et la
mission périclita pour entrer en léthargie jusqu’à la reprise de l’évangélisation grâce à un
autre phénomène qui prospère à cette même période, le phénomène colonial.

Très vite, et notamment dans la juridiction portugaise, la mission devint l’occupation


principale de la Compagnie de Jésus qui en avait pratiquement fait sa spécialité. En effet, le
premier but de la Compagnie était d’aller en « mission », avec le vœu formulé par les
fondateurs d'aller en mission en Terre sainte ou, en cas d'impossibilité, de se soumettre
directement au pape. La mission en Palestine s'avérant impossible, le groupe se mit à la
disposition du pape Paul III (1538). A la suite de cela, ils adoptèrent leurs constitutions
entérinées par la bulle Regimini militantis ecclesiae410, où, sur la base de leur fameux
quatrième vœu, celui d’une obéissance sans excuse ni faille au pape, se trouve développée
leur conception de mission, c’est- à-dire d’être « répartis dans la vigne du Christ pour
travailler dans la partie de celle-ci et dans l'œuvre qui leur auront été confiées » :
« Et cela, qu'ils soient envoyés en divers lieux, soit par le Souverain Vicaire du Christ
notre Seigneur, soit par les Supérieurs de la Compagnie qui tiennent aussi pour eux la
place de la divine Majesté; ou bien qu'ils choisissent pour eux-mêmes où et à quoi se

408
PRUDHOMME, Claude, op.cit., pp. 26- 28.
409
QUENUM, Alphonse, Evangéliser Hier, Aujourd’hui – Une vision africaine, Abidjan, Ed. ICAO, Institut
Catholique de l’Afrique de l’Ouest, 1999, p. 123.
410
Bulle de Paul III, du 27 septembre 1540.
170

dépenser, s'il a été laissé à leur jugement de parcourir tout lieu où ils penseraient
pouvoir réaliser un plus grand service de notre Dieu et Seigneur et un plus grand profit
pour les âmes; ou bien que le travail ne se fasse pas en parcourant divers lieux, mais en
résidant de façon stable et continue en certains lieux où l'on espère beaucoup de fruit
pour la gloire et le service divins. Et pour traiter d'abord de la mission donnée par le
Souverain Pontife, en tant que la plus importante parmi toutes les autres, il faut
remarquer que l'intention de ce vœu par lequel la Compagnie s'est liée une obéissance
sans aucune excuse au Souverain Vicaire du Christ, est que nous nous portions en tout
pays où il jugerait devoir nous envoyer parmi les fidèles ou les infidèles pour une plus
grande gloire de Dieu et un plus grand secours des âmes. La Compagnie n'a pas
entendu être en un lieu particulier, mais qu'elle serait répandue à travers le monde en
différentes régions et en différents lieux, désirant choisir ce qui serait le mieux à faire
et espérant qu'il en serait ainsi si la répartition de ses membres était faite par le
Souverain Pontife. »411

Par cet engagement, les jésuites se mettent directement sous l’autorité du pape, ce qui
va ainsi affaiblir progressivement le « patronage ». Mais, le padroado enlevait une bonne
partie du gouvernement de l’Eglise au pape pour la confier aux rois, le pape n’était plus libre
de son action et de son choix ; ainsi, par exemple, dans le protectorat portugais, les évêques
nommés étaient des candidats présentés par la cour, tandis que les missionnaires devaient se
rendre à la cour pour prêter serment avant d’embarquer pour les « missions »412.

Par ailleurs, toutes ces difficultés montrèrent les limites du système et Rome,
« conscient du fait que la mission la plus noble du ministère pastoral est de propager la foi qui
conduit les hommes à la connaissance et à la vénération du vrai Dieu », créa un organisme
central en charge de l’œuvre missionnaire, c’est-à-dire la propagation de la foi catholique
partout dans le monde entier, non seulement en terre de mission. C’est la Sacra Congregatio
generalis de Propaganda Fide (Sacrée Congrégation de la Propagande de la Foi,
communément appelée « La Propagande »), créée par une décision du pape Grégoire XV
prise en la fête de l’Epiphanie 1622 (le 6 janvier), mais officialisée en forme juridique par la
bulle Inscrutabili Divinae Providentiae du 22 juin 1622, suivie par d’autres bulles, dont Cum
inter multiplice, du 14 décembre 1622, qui en organisent les droits et les pouvoirs, et fixent les
règles d’évangélisation ; mais, le nouveau dicastère ne commencera véritablement à travailler
que bien plus tard. Néanmoins, on peut dire qu’au cours de la deuxième moitié du XVIIe
siècle (à partir de 1658), la pratique de Rome rompt avec le padroado, quand la Propaganda
Fide crée et organise directement des missions et que le pape y envoie des évêques in partibus
infidelium, appelés « vicaires apostoliques » (représentant directement le pape), chargés de

411
Constitution N° 603 (septima pars), http://www.jesuites.com/documents/constitutions_nc/7eme_partie.htm
412
DUCORNET, Etienne, L’Eglise et la Chine – Histoire et défis, Paris, Ed. du Cerf, 2003, p. 36.
171

fonder et de développer des églises locales, vivant en parallèle avec les diocèses constitués
sous le régime du padroado413. Dès ce moment, l’aventure missionnaire cesse d’être
considérée comme une tâche nationale, à cause de cela intimement liée à la colonisation, pour
devenir une œuvre traduisant les responsabilités pastorales universelles de l’Eglise414,
amorçant par le fait même l’autonomie des missions, dépendant directement du pape, par
rapport à la colonisation et aux puissances coloniales ; nous verrons que c’est cette formule
qui sera systématiquement mise en œuvre pour les missions d’Afrique.

A partir de ces débuts, le terme « mission » est étroitement lié à l’envoi, dans des
contrées « païennes », des missionnaires, la notion de « missions extérieures » l’emporte sur
celle de « mission intérieure » utilisée pour désigner l’évangélisation et la pastorale dans les
diocèses européens eux-mêmes415. C’est alors que, en 1658, est créée, à Paris, la « Société des
missions étrangères », première société missionnaire recourant à des prêtres diocésains, avec
un séminaire pour la formations de prêtres séculiers missionnaires, au sein de laquelle le pape
va trouver les responsables des églises locales en pays de mission, notamment les vicaires
apostoliques.

Les « missions » espagnoles et portugaises furent ainsi les premières à véritablement


ouvrir l’ère missionnaire, avec une activité débordante et enthousiaste de pionniers, en
particulier en Asie et en Amérique du Sud, bénéficiant de l’existence de nombreux ordres
religieux qui avaient pullulé en Europe entre le bas Moyen Age et le XVIe siècle (des ordres
mendiants comme les Franciscains, les Dominicains et les Capucins, avant les Jésuites qui
apparaissent à partir du milieu du XVIe siècle). Désignés par le système de padroado pour la
double mission de coloniser et d’évangéliser les régions païennes, l’Espagne et le Portugal
s’engagèrent ainsi, en premier lieu, en Amérique (en particulier) et en Afrique, mais aussi, en
Asie où l’Inde, la Chine et le Japon devinrent à leur tour terres de mission.

Comme le démontre Claude Pruhdomme, la conquête de l’Amérique du Sud par les


Espagnols à la suite de la « découverte » de ce continent par Christophe Colomb y fut
vraiment l’« événement fondateur » non seulement de l’expansion européenne mais aussi de
la mission416. On peut dire que la présence missionnaire a fait partie intégrante de la conquête,
l’établissement de postes administratifs d’occupation coloniale étant toujours et

413
PRUDHOMME, Claude, op.cit., pp. 53-54.
414
TÜCHLE, Hermann, op.cit., p. 335.
415
PRUDHOMME, Claude, op.cit., p. 13.
416
PRUDHOMME, Claude, op.cit., p. 23.
172

nécessairement accompagné du débarquement de missionnaires espagnols, notamment


membres de congrégations de réguliers, franciscains, dominicains, augustins, les derniers
arrivants, mais s’identifiant à la mission, étant les jésuites (1568). Sans doute encouragés par
la bulle d’Alexandre VI, lequel avait même présenté Christophe Colomb comme l’envoyé du
pape, les conquistadores eux-mêmes n’hésitaient pas à disserter sur leur double mission,
représentant de l’empereur et envoyé du pape, devant réaliser les projets de l’un et de l’autre,
n’hésitant pas à commencer eux-mêmes l’évangélisation, dès le premier contact, par un
exposé sur la doctrine chrétienne417.

417
Claude Prudhomme raconte comment se déroulait le premier contact de Cortès avec les indigènes ; se
présentant comme « envoyé de l’empereur », il leur faisait un bref exposé de la doctrine chrétienne et les
exhortait à abandonner leurs idoles, op.cit., pp. 26-27.
173

II

LA MISSION EN EXTREME-ORIENT

Quand les marchands portugais à la recherche de nouvelles voies pour le commerce


des trésors de l’Extrême-Orient arrivent dans ces contrées, ils eurent la stupéfaction de
rencontrer sur place de petites communautés chrétiennes bien vivantes, avec une foi
solidement installée, transmise depuis plus de mille ans de génération en génération. Les
premiers missionnaires européens vont donc hériter de ce passé ; si au début
l’incompréhension dominait (I), la situation fut plus propice avec un changement des
méthodes introduit par Ricci vers la fin du XVIe siècle (II).

II.I LES DEBUTS MISSIONNAIRES EN EXTREME-ORIENT

C’est qu’une très vieille tradition au sein même de l’Eglise désigne l’Apôtre Thomas
« guide et maître de l’Eglise de l’Inde qu’il fonda et gouverna », le saint apôtre aurait suivi la
route du commerce, du Moyen-Orient jusqu’en Inde, et débarqua sur la côte de l’actuel
Kerala, ancien Malaba. Le pape Jean-Paul II lui-même conforte cette tradition quand,
s’adressant aux évêques du rite syro-malabar, il leur rappelle que Saint-Thomas est « votre
Père dans la foi », précisant : « En effet, les origines de votre Eglise sont directement liées à
l'aube de la chrétienté et à l'engagement missionnaire des Apôtres. Dans un certain sens, votre
voyage jusqu'ici pour me rencontrer réunit les Apôtres Pierre et Thomas dans la joie de la
Résurrection »418. Cette église, ainsi que sa liturgie, est appelée syro-malabar parce qu’elle a
subi une forte influence syriaque et chaldéenne. Il semble que le christianisme ait
effectivement assez tôt, sans toujours se pérenniser, touché toute l’Asie, y compris l’Asie
Centrale et la Chine. Certes, au XIIIe siècle, des franciscains tentèrent une nouvelle
expérience d’évangélisation. Mais, les communautés chrétiennes locales périclitèrent,
conséquence d’incompréhensions « civilisationnelles » et culturelles ayant entraîné des
vagues de persécution qui s’abattront de nouveau sur les missionnaires et les chrétiens en
Chine notamment (mais aussi au Japon) au XVIIIe siècle.

Quand, donc, les explorateurs portugais de 1498 débarquent et que, à la suite des
marchands portugais du XVIe siècle, François-Xavier, l’un des plus proches et tout premiers

418
Discours du pape Jean-Paul II aux évêques du rite syro-malabar de l’Inde en visite ad limina apostolorum, le
13 mai 2003, http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/2003/may/document/hf_jp-
ii_spe_20030513_syro-malabar-church_fr.html
174

compagnons d’Ignace de Loyola, arrive, ils rencontrent ces communautés résiduelles.


Malheureusement, comme on va le voir, les missionnaires portugais ou dépêchés sous
l’autorité du Portugal n’acceptent pas les traditions locales, imposant une latinisation forcée
qui sera nuisible à la mission.

Il y a, certes, des différences constatables dans l’histoire des missions selon les
contrées et les continents ; ces différences sont tangibles entre l’évangélisation de l’Amérique
et celle de l’Orient, dans le premier cas, on ne peut que constater l’importance non seulement
des « découvertes » mais surtout de la conquête (conquista) coloniale, tandis que ce
phénomène ne fut pas déterminant pour l’Orient, sauf là où le Portugal avait mis pieds et
installé des comptoirs dont certains allaient devenir des colonies (Macao, Goa, Malacca) mais
aussi en Chine, en Inde et au Japon. Mais, dans tous ces cas, il n’est pas faux que
l’implantation des missions est allée de pair avec l’établissement des Européens,
administrateurs coloniaux ou commerçants et industriels protégés par leurs puissances
respectives, de même qu’elle sera un véhicule de l’influence sinon de la prépondérance
culturelle et globale de l’Occident. Les méthodes d’implantation furent bien souvent
implacables : « le vainqueur détruisait tous les lieux de culte non-chrétiens dans les pays
conquis, interdisait toute pratique religieuse non-chrétienne, bannissait les prêtres païens,
interdisait certaines zones de la ville aux non-chrétiens : des méthodes dans la ligne du herem
(massacre des ennemis) prévu dans l’Ancien Testament, mais contraire à l’évangile »419. Le
tout se passait dans un contexte médiéval de croyance et un contexte colonial de manipulation
qui ne pouvaient que mélanger le profane et le religieux.

C’est dans cette confusion des genres que naquit et se développa la colonisation
ibérique. Sur la base du système alexandrin de padroado, Les Espagnols occupent l’Ouest et
presque toute l’Amérique du Sud sauf le Brésil et les Portugais s’étendent sur l’Est, occupant
l’Afrique « découverte » (la côte africaine le long du Golfe de Guinée et de l’océan Atlantique
ainsi que des contrées asiatiques, Chine, Indes, Philippines, Japon et quelques comptoirs
comme Macao. Dans toutes ces contrées, les intérêts politiques et missionnaires se
rencontrent sur un autre terrain, celui de la lutte contre l’influence musulmane qui s’était déjà
plus ou moins implantée, jusqu’en Chine. Dans Relations des musulmans avec les Chinois, à
l’issue de sa visite en Chine à la fin du XVe siècle, Aly Ekber, cité par Bergeron420, rapporte

419
LAURENTIN (père), René, Chine et Christianisme après les occasions manquées, Paris, Desclée de Brower,
1977, p. 117.
420
BERGERON, Marie-Irma, Le christianisme en Chine – Approches et stratégies, Lyon, Ed. Le Chalet, 1977,
p. 41.
175

que « Les Chinois n’ont de sentiments hostiles contre qui que ce soit, sous prétexte de
religion. Ils ne manifestent à ce sujet aucune inimitié, surtout aux musulmans, et c’est pour
leur croyance qu’ils manifestent le plus de goût et de penchant ». Colonisation et mission se
découvrent un ennemi commun, l’Islam sans doute effarouché par le débarquement des
Portugais flanqués de missionnaires, d’autant que, entravant les progrès de l’évangélisation, il
empêche la puissance lusitanienne d’accéder aux fabuleuses et légendaires richesses tant
vantées par les récits de Marco Polo, en particulier l’Islam bloque la route de la soie et des
épices. En réalité, c’est cette rencontre avec les Arabes du Golfe persique qui ont islamisé
l’Extrême-Orient qui explique l’extension de la « juridiction » portugaise sur cette partie du
monde.

Au XVIe siècle, c’est également en appliquant son droit de padroado que Jean III, roi
du Portugal, obtient d’Ignace de Loyola l’envoi de jésuites dans ses terres orientales. Et c’est
ainsi que le 7 septembre 1541, François-Xavier s’embarqua sur le navire portugais
« Santiago » à destination de l’Inde, arrivant le 6 mai 1542 à Goa, capitale de l’empire
portugais des Indes, point de départ des évangélisateurs jésuites en Extrême-Orient et
particulièrement pour la Chine ; ce véritable pionnier sera reconnu comme le patron des
missions. En fait, l’arrivée des missionnaires catholiques ne fut pas sans peine, rencontrant
plusieurs résistances, notamment au Japon où François-Xavier met pied en 1549 avant de
tenter l’aventure de la Chine et où il se fait objecter : « Nous avons reçu la sagesse de l’Ouest
[c’est-à-dire de la Chine]. Si elle ignore le christianisme, il ne doit pas avoir grande
valeur »421, ou « Si votre religion est bonne, comment se fait-il que les Chinois ne l’ont pas
adoptée ? »422. Ceux des missionnaires qui avaient tenté d’évangéliser, par exemple la Chine,
sans apprendre la langue, avaient rencontré tellement de difficultés qu’ils étaient convaincus
et faisaient circuler l’opinion que « Il n’y a pas espoir de convertir les Chinois, si ce n’est par
le recours à la force et en les contraignant à céder devant l’armée »423.

421
LAURENTIN (père), René, Chine et Christianisme…, op.cit., p. 115.
422
DUCORNET, Etienne, L’Eglise et la Chine – Histoire et défis, Paris, Ed. du Cerf, 2003, p. 31.
423
Ibid., p. 116.
176

II.II LE TOURNANT : L’ARRIVEE DE RICCI

La progression de la mission en Orient va connaître quelque succès mais largement


tributaires de la force des canons du roi du Portugal dans sa « marche économico-
religieuse »424, tandis que, en effet, en Chine, il faudra une véritable immersion des
missionnaires pour faire illusion pendant quelque temps. Plusieurs jésuites vont se succéder
en Chine, en partant en particulier de Goa et de Macao, ce grand comptoir portugais fondé sur
un minuscule territoire coincé au pied d’une montagne. Nombre d’entre eux se mettent à
l’étude du chinois et des cultures chinoises, s’introduisent dans les milieux des élites, les
« lettrés », jusqu’à la cour impériale. Il faut citer les exemples extraordinaires des jésuites
italiens Valignano qui débarque à Macao en 1577 et, surtout, à sa suite et à sa demande,
Ruggieri arrivé en 1579 ainsi que Ricci qui rejoint ce dernier à Macao le 7 août 1582, venant
de Goa où il était arrivé le 13 septembre 1578.

Matteo Ricci, né en 1552, est un prêtre italien qui arrive comme missionnaire en Inde
en 1580 et gagne la Chine en 1583. Ses solides connaissances en mathématiques, en
astronomie et en cartographie lui permettent de séduire les lettrés et savants chinois et
d’approcher les mandarins. Ayant maîtrisé le chinois écrit et parlé, il se fera recevoir en 1601
à la cour où il présenta une mappemonde, une épinette et deux horloges, grâce à quoi il a pu
étaler ses connaissances mathématiques et cartographiques, épatant les Chinois en dessinant
une carte du monde sur laquelle ces derniers qui découvrent la place, relative, de la Chine par
rapport aux autres parties du monde. Ainsi, il a pu se faire accepter en tant que lettré et savant
européen, réussissant à faire pratiquement admettre ou, tout au moins, tolérer la religion
chrétienne comme une sagesse parfaitement compatible avec la séculaire sagesse chinoise.
Ricci et Valignano pénètreront la haute élite chinoise, s’efforcent de s’intégrer à la culture
locale, se « sinisent », persuadant leurs interlocuteurs qu’ayant appris que « seul le peuple
chinois est bon, doux, paisible, raisonnable et qu’il possède des cérémonies et des coutumes
excellentes, beaucoup de science, des livres remarquables de morale », ils ont quitté leur pays,
bravé des souffrances dans un voyage de trois années, brûlant du désir de connaître tout cela
de près425. Ruggieri et Ricci se rendent en Chine continentale, à Shiuhing, le 10 septembre
1583, se font accepter par les « grands lettrés », refusant de se présenter eux-mêmes autrement
que comme des « lettrés » venus d’Occident ; Ricci ira jusqu’à changer son nom en celui de
Li Ma-t’ou, troquant le costume ecclésiastique européen contre la livrée des bonzes

424
BERGERON, Marie-Ima, op.cit., p. 42.
425
BERGERON, Marie-Ima, op.cit., p. 52.
177

bouddhistes, utilisant tous les stratagèmes d’un intelligent entrisme, regrettant même de ne
pouvoir modifier la forme de ses yeux et de son visage pour pouvoir « être complètement
chinois avec les Chinois »426 Leur approche de l’évangélisation fut intelligente, outre la
connaissance acquise des cultures chinoises et les liens d’amitié noués avec des membres de
l’élite intellectuelle et politique, ils les persuadaient d’entendre la nouvelle doctrine qu’ils
apportaient en échange du fait qu’eux-mêmes venaient apprendre auprès des Chinois ; ils
reprenaient ainsi pratiquement l’infructueuse méthode, mais en laquelle tout le monde croyait
tant à cette époque, de l’évangélisation par le haut qui aura été également pratiquée par les
missionnaires envoyés en Afrique à la fin du XVe siècle par les Portugais. Mais, ils eurent
l’habileté, au début, de ne présenter de cette nouvelle doctrine que ce que les Chinois
pouvaient assimiler et accepter, les Dix préceptes du Seigneur du Ciel, transmis par les
ancêtres, pas autre chose que le décalogue, qui « s’insère sans difficulté dans la mentalité des
mandarins, tous confucéens épris de morale, de piété filiale, de sens des relations »427. Cette
ouverture à la sensibilité chinoise se complétait d’une attitude de considération. Ainsi, par
exemple, alors que les Chinois sélectionnés pour la prêtrise recevaient une formation au
rabais, avec le latin pour pouvoir asseoir l’emprise du centre romain mais sans les
enseignements de philosophie et de théologie pour éviter des expressions d’orgueil chez des
Chinois ainsi instruits qui augmenteraient ainsi leur liberté et leur personnalité et refuseraient
de desservir des paroisses pauvres, dès son arrivée, Ricci s’insurgea contre ces manifestations
discriminatoires et de domination.

Nommé supérieur de la Mission de Chine en 1597, il finira par rencontrer l’empereur


en 1601 ; mais il ne précipita pas la christianisation en masse, ne baptisant qu’un ou deux
convertis par an, préparant au préalable un catéchisme en chinois qui pût être compris du
public, de telle sorte qu’en 1608 il n’y avait que 2000 chrétiens dans toute la Chine, mais
jusque dans la famille impériale. Ricci meurt le 11 mai 1610.

Mais, l’évangélisation qui alla de pair avec l’implantation des Européens se trouve
brutalement confrontée à des cultures, à des religions et à des pratiques cultuelles
incontestablement différentes, dont certaines incompatibles avec le christianisme et la liturgie
chrétienne. Dans bien des cas, il y eut un phénomène d’incompréhension, pour tout le moins,
les missionnaires ayant adopté une attitude négative et de répulsion des cultures et croyances
locales considérées comme païennes, ces peuples étant, pour eux, voués à la damnation.

426
LAURENTIN, René, op.cit., p. 119.
427
BERGERON, Marie-Ima, op.cit., p. 51.
178

C’est cette réaction qu’eurent globalement les missionnaires en Amérique du Sud et


plus tard en Afrique, comme le montre cet extrait d’une prédication d’un prêtre espagnol à
l’intention des Indiens de Mexique :

« Dites-moi, mes fils, de tous ces hommes qui sont nés sur cette terre avant que les
Espagnols n’y prêchent le saint Evangile, combien se sont sauvés ? Combien ?
Combien sont allés au Ciel ? Aucun. Combien d’Incas sont allés en enfer ? Combien
de reines ? Toutes. Car, ils ont adoré le démon dans les hacas. »428.
Mais, assez souvent aussi, il y eut, comme en Extrême-Orient, un phénomène de
résistance, sinon de rejet. La résistance et, même le rejet, fut la première attitude des
Asiatiques, notamment devant les diverses condamnations dont leurs croyances étaient l’objet
de la part des missionnaires. Il en fut ainsi, alors qu’à Macao des missionnaires portugais
n’hésitaient pas à affirmer que « tous les saints du confucianisme, Yao, Shun, Yu, le roi Wen
et Confucius lui-même étaient des diables »429. Néanmoins, en Chine, pour se faire accepter
dans un contexte culturel de fierté et de susceptibilité nationales, les missionnaires furent
tentés par certaines expériences d’adaptation aux religions et cultes traditionnels locaux,
introduisant dans la liturgie chrétienne certains cultes traditionnels ou faisant cohabiter les
deux rites, amalgamant ainsi les mystères chrétiens et les mystères païens locaux. Plus loin,
nous ne retiendrons de ces tentatives que l’expérience menée par les jésuites en Chine, comme
celle dite des « rites chinois », à cause de son retentissement et de l’ampleur de la crise dans
laquelle elle plongea la mission dans ses rapports avec Rome.

428
Prédication du P. Avendano aux Indiens, citée par Jean DELUMEAU, La Peur en Occident, p. 257, in
GERNET, Jean, Chine et christianisme – Action et réaction, Paris, Ed. Gallimard, 1982, p. 238.
429
GERNET, Jean, Chine et christianisme, op.cit., p. 238.
179

III

LA MISSION EN AFRIQUE NOIRE : LA COLONISATION ET


L’EGLISE MISSIONNAIRE

On considère communément que la christianisation de l’Afrique est un phénomène


relativement récent, concomitant à la colonisation du continent elle aussi réduite le plus
souvent à ses manifestations les plus récentes du XIXe siècle. Mais ce ne peut, partiellement,
concerner que l’Afrique Noire, à propos de laquelle il faut dire que la colonisation et
l’évangélisation ne datent pas du XIXe siècle. Par contre, le christianisme a tellement été
fusionné dans « l’Occident » et dans ses cultures que l’on a oublié que dès ses premiers
siècles (IIe-IVe), le bassin méditerranéen christianisé, avant tout le reste de l’Occident,
comprenait l’Afrique du Nord qui donna naissance à une Eglise extrêmement vivante et riche
pour l’ensemble de la chrétienté, fournissant à l’Eglise chrétienne quelques-uns de ses
premiers et célèbres « pères », ces penseurs qui ont façonné le christianisme. Dans Ecclesia in
Africa430, Jean-Paul II le rappelle opportunément, situant ainsi les trois phases de
l’évangélisation de l’Afrique. C’est avec des accents élogieux qu’il évoquait la première de
ces phases, la plus oubliée en tant que phase du prodigieux essor de l’évangile en Afrique, qui
coïncide avec les premiers siècles de la chrétienté (surtout IIe-IVe siècles), ces églises
d’Afrique « dont l’origine remonte aux temps apostoliques », avec sa « foule innombrable de
saints, de martyrs, de confesseurs, de vierges », avec des noms prestigieux « de grands
docteurs et écrivains, comme Origène, saint Athanase, saint Cyrille, flambeaux de l’école
d’Alexandrie », « ceux d’un Tertullien, d’un saint Cyprien, et surtout celui de saint Augustin,
une des lumières les plus brillantes de la chrétienté »431.
Il est vrai, néanmoins, que l’évangélisation, limitée à la seule Afrique Noire, s’est faite
en deux temps. Une « première évangélisation », qui est en fait la deuxième phase de
l’évangélisation de l’Afrique, commence essentiellement le long des côtes occidentales
d’Afrique, que le pape identifie avec précision (« les régions du Bénin actuel, de Sao Tomé,
de l’Angola, du Mozambique et de Madagascar ») ; datant du XVe siècle, elle s’est fixée
relativement durablement en Afrique centrale côtière s’appuyant sur la colonisation naissante
des contrées de l’embouchure du Congo par le Portugal qui avait installé des « comptoirs »
430
Exhortation apostolique Ecclesia in Africa du Saint-Père Jean-Paul II aux évêques, aux prêtres et aux diacres ,
aux religieux et aux religieuses et à tous les fidèles en Afrique, donnée à Yaoundé, Cameroun, le 14 septembre
1995.
431
Exhortation apostolique Ecclesia in Africa, du 14 septembre 1995, §§ 30-31, rappelant le Message Africae
terrarum de Paul VI en date du 29 octobre 1967.
180

sur la côte africaine. La « deuxième évangélisation » de l’Afrique Noire, représentant la


troisième phase de l’évangélisation de l’Afrique, s’est opérée au XIXe siècle en même temps
que débutait la vague décisive de la colonisation européenne en Afrique Noire. Si la première
évangélisation a surtout concerné les côtes de l’Afrique à partir du Golfe de Guinée et de
l’Afrique Centrale [Gabon, Congo français et, surtout, le royaume Kongo (sur des parties qui
deviendront plus tard des provinces congolaises ou angolaises)], cette deuxième
évangélisation, avec la reprise au XIXe siècle après une longue léthargie, voit, presqu’au
même moment, l’Afrique de l’Ouest s’ouvrir à la mission (le Sénégal, la Sierra Leone, la
Guinée…). Par ailleurs, généralement et sauf rares exceptions au début, la mission est
confiée, dans chacune de ces colonies, aux missionnaires ressortissants de la puissance
colonisatrice occupant le territoire. Comme pour l’évangélisation de l’Amérique
antérieurement, les stratégies politiques et stratégies religieuses en Afrique s’épaulent,
implicitement ou explicitement, s’entraident ou, parfois, se contrarient, mais
incontestablement il existe des accointances qui font penser à de la complicité.

Le cas congolais étant exceptionnel par l’ampleur aussi bien de la colonisation que de
celle de l’œuvre missionnaire, nous nous appesantirons essentiellement sur l’évangélisation
du Congo, tant depuis le XVe siècle dans la partie côtière explorée et occupée par le Portugal
qu’à partir du XIXe siècle lorsque commence la colonisation belge notamment dans la partie
que les Portugais n’avaient pas occupée ou se disputaient, jusqu’à la Conférence de Berlin,
avec la Belgique. Ainsi, à partir des années 1483-84, s’ouvrit au cœur de l’Afrique, un vaste
« pays de mission », l’évangélisation et la vie de l’Eglise y étant entre les mains des seuls
« missionnaires » européens.
181

III. I LA PREMIERE EVANGELISATION : LE POIDS DU PADROADO


PORTUGAIS

C’est vers la fin du XVe siècle, quelques années avant l’Amérique, que le continent
africain connut et la présence des Européens et l’évangélisation. Celle-ci se fit, comme en
Amérique, sur la base du système consacré par le pape Alexandre VI, par ce qu’on appelle les
« bulles alexandrines »432, dans le cadre du partage du monde entre l’Espagne et le Portugal,
l’Afrique revenant à ce dernier.

Les premiers missionnaires catholiques foulent le sol congolais peu après le passage
de Diego (ou Diogo) Cao qui mouilla la côte de l’Atlantique dans la zone équatoriale africaine
en août 1483. Il y plante, sur la rive gauche du fleuve « Nzadi »433, qu’il avait appelé « fleuve
puissant » (rio poderoso), le padrâo, la stèle qui atteste l’occupation portugaise, datée de
1482, date non pas de l’arrivée de Diego Cao mais du mandat qu’il avait reçu du roi434. En
effet, bien reçu, l’explorateur, en vue d’en faire de bons alliés favorables à l’occupation
portugaise, ramena quatre jeunes notables kongo au Portugal. D’après Mgr Jean Cuvelier, il
s’agissait bien d’un enlèvement de ces jeunes gens, Diogo Cao les ayant pris comme ôtages
alors qu’il ne voyait pas revenir les prêtres qu’il avait envoyés comme ambassadeurs à la cour
royale de Mbanza Kongo avec quelques guides indigènes435. Fin 1485, Diego Cao revint avec
les quatre jeunes Kongo qui avaient, en plus de la langue portugaise, reçu une instruction
religieuse, et remonta jusqu’à la capitale du royaume kongo, Mbanza Kongo (qui deviendra
plus tard Sâo Salvador), où résidait le Ntinu (roi), tandis qu’une mission franciscaine
s’intallait 436. Il était chargé de cadeaux du roi du Portugal à son « frère » africain qui lui
enverra à son tour des cadeaux et un ambassadeur, en compagnie d’un autre groupe de jeunes
nobles de Mbanza Kongo qui furent baptisés au Portugal.

432
QUENUM, Alphonse, Evangéliser, Hier, Aujourd’hui – Une vision africaine, op.cit., p. 121.
433
Plutôt que nom propre, ce terme signifierait, dans la langue locale de la région Kongo de Mbanza-Kongo,
« grand fleuve », et ne désigne pas le nom d’un fleuve particulier, en l’occurrence celui dénommé actuellement
Congo, la confusion étant venue du fait que les Portugais déformèrent Nzadi en Zaïre, disant alors le fleuve
Nzadi ou Zaïre.
434
BONTICK, François, « Le Zaïre découvert avant Diogo Cao ? », Africa, Rome, XXXI – 1976/3, pp.347-365.
435
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo…, op.cit., p. 40.
436
QUENUM, Alphonse, op.cit., p. 126.

183

III.I.I Un royaume chrétien en Afrique Centrale côtière

En relation avec l’arrivée des missionnaires au Kongo, l’ambassadeur kongo avait


apporté au Roi Joao du Portugal la demande pressante de son roi afin que soient envoyés des
missionnaires chrétiens ; le roi du Portugal avait, en effet, reçu du Pape le padroado, le droit de
patronage pour l’évangélisation des terres nouvelles. Après plusieurs mois d’un voyage de
retour pénible en période de peste, l’expédition débarqua avec des missionnaires catholiques
sur la rive gauche du fleuve, à Mpinda, le 29 mars 1491. Le Mani (chef, en fait le gouverneur
de cette province du royaume) de la région de Soyo où se trouve Mpinda, qui « contrôle » la
porte d’entrée sur l’embouchure et, donc, le premier à entrer en contact avec les missionnaires,
fut baptisé cinq jours plus tard, le 3 avril 1491, devenant ainsi le premier baptisé de l’histoire de
cette contrée ; n’osant sans doute pas donner à un chef subalterne le prénom du roi du Portugal,
alors João, les missionnaires lui donnèrent celui de Manuel, cousin du roi, qui lui succèdera
plus tard. Le roi lui-même, Nzinga a Nkuwu (ou selon d’autres, Muzinga a Nkuwu), accueillit
la loi évangélique et se fit baptiser quand les missionnaires furent arrivés à sa cour, un mois
plus tard, le 3 mai, de la main du père João de l’ordre séraphique, premier pasteur du
royaume437, adoptant le nom du roi régnant du Portugal, son « frère », João, devenant
Ndonzwau (adaptation ou déformation kikongo de Dom438 João), tandis que la reine reçut le
baptême le 5 juin et prit le nom de la reine du Portugal, Dona Eleonor, le prince héritier,
Mvemba a Nzinga, baptisé lui aussi le même jour, devint Dom Afonso (dom Affonso, selon la
graphie adoptée par Jean Cuvelier, ou, selon l’adaptation congolaise, Donfunsu). Ainsi, tous les
nobles de la cour et la population suivirent la famille royale ; tout le royaume devint de cette
manière un royaume chrétien, exacte application du principe classique cuius regio eius religio ;
le parallèle étant frappant avec le cas de Clovis dont la conversion et le baptême en 496 fit du
royaume des Francs un royaume chrétien et de la France « la fille aînée de l’Eglise ». Le prince
Kinu a Mbemba, fils de Dom Afonso, fut baptisé sous le nom de Dom Henrique, c’est lui qui,
devenu prêtre en 1521, fut ordonné évêque d’Utique par Léon X à qui le roi Emmanuel du
Portugal l’avait particulièrement recommandé439 ; il mourut vers 1539440. Remplaçant la toute

437
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola, 1621-1631, Extrait du Bulletin de l’Institut historique
belge de Rome, Paris, Rome, 1968, p. 389.
438
Ce terme portugais, proche de l’espagnol don, ne se confond cependant pas avec lui ; si, selon le Larousse,
don, en espagnol, est un simple titre de courtoisie placé devant le prénom, le dom portugais, lui, désigne soit un
titre porté dans certains ordres religieux soit un titre que portent des nobles au Portugal, c’est dans ce dernier
sens que l’emploient tous les historiens des missions en Afrique « portugaise » des XVe au XVIIe siècles cités
dans ce travail, entre autres Mgr Cuvelier, père Bontinck, père Quenum, Jadin et Dicorato, etc.
439
QUENUM, Alphonse, op.cit., p. 127.
440
Tandis que QUENUM cite 1518 comme date de l’ordination et situe la mort « vers 1539 », op.cit., p. 127,
François BONTINCK affirme lui, à propos de la mort de Don Henrique, nommé évêque en 1521, que « un
184

première église du royaume dédiée à l’Annonciation de Marie, la cathédrale, dédiée au São


Salvador (Saint-Sauveur), sera établie à Mbanza Kongo qui commencera à être désigné par ce
nom (São Salvador). Bien qu’on signale l’existence d’évêques noirs en Nubie plusieurs siècles
plus tôt441, Dom Henrique semble être le premier évêque noir connu avec certitude, tout au
moins depuis ce début du XVIe siècle.

Mais, la vie de ce premier « royaume chrétien » en terre africaine risqua de tourner


court car, un des fils du roi, resté païen, eut tellement d’influence sur ce dernier que, à peine les
envoyés du roi du Portugal repartis, le Ntinu revint à ses pratiques ancestrales et entraînant de
nouveau le peuple dans le fétichisme, manifestant d’ailleurs plus d’affection à ce prince non
baptisé qu’à Dom Afonso. Ce dernier témoigne lui-même de la persécution qu’il endura de son
père : « Quand mon père menaçait de nous tuer mon cousin et moi, nous donnâmes des
louanges à notre Seigneur Dieu. Si dans la partie sensible nous eûmes de la crainte, grande
douleur et angoisse, nous éprouvâmes une grande joie, à la pensée de mourir pour l’amour de
Notre Seigneur […] »442. Néanmoins, en 1496, âgé de 35 ans, il se rendit dans son fief de
Nsundi, accompagné de missionnaires religieux avec la ferme volonté de conquérir tout son
peuple à la foi du Christ » et « Eloigné de toutes les erreurs et idolâtries dans lesquelles vivaient
jusqu’alors mes ancêtres, je gardai la religion véritable […], je fus en butte à une grande
aversion de la part du roi mon père, des grands du royaume et de leurs peuples »443. Il engagea
dans sa province une lutte acharnée contre le fétichisme, travail qui lui valut une colère
redoublée de son père le roi et des grands du royaume. Secrètement averti de la mort de son
père par sa mère, Dom Afonso voulut se rendre à la capitale et se prépara à aller récupérer son
trône et, pour cela, affronter son frère païen, Mpanzu a Nzinga, que par leurs intrigues les
grands seigneurs et électeurs avaient porté au pouvoir en méconnaissance de son propre droit ;
de fait, selon les coutumes, le gouvernorat de Nsundi était confié à celui qui succèderait au roi.
Pour l’accompagner à la rencontre avec l’armée des traditionnalistes qui serait certainement
envoyée au devant de lui, Dom Afonso leva une armée de quelques dizaines de seigneurs
chrétiens, « Dom Pedro, son cousin, et trente six autres grands chefs accompagnés de leurs
hommes de guerre, tous chrétiens »444 ; il était convenu qu’ils cacheraient leurs armes dans des
paniers comme s’ils transportaient des marchandises. Il craignit un moment et eut peur, du fait

bénédictin belge a retrouvé dans les Archives Vaticanes un document qui permet de situer en 1531 la mort de
l’Evêque kongo », L’évangélisation du Zaïre, Kinshasa, Saint Paul-Afrique, 1979, p. 20.
441
De MEESTER Paul, « Une église florissante retrouvée au Soudan », Telema, n° 21, Kinshasa, 1980, pp.19-24
442
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo – Fondation, découverte, première évangélisation de
l’ancien royaume de Congo. Régime du grand roi Affonso Mvemba Nzinga, Desclée de Brouwer, Bruges, Paris,
MCMXLVI, op.cit., p. 90.
443
Ibid., p. 91.
444
Ibid., p. 99.
185

de l’opposition générale, de presque tout le peuple, des membres de sa parenté et de son frère ;
mais « par une divine inspiration de Notre Seigneur, nous prîmes courage, nous souvenant que
la puissance de Notre Seigneur peut suppléer à l’insuffisance du nombre. Nous eûmes
confiance qu’après nous avoir donné la connaissance de la foi, il nous donnerait aussi son
assistance contre les ennemis de cette foi et nous décidâmes de combattre »445. L’armée de
Mpanzu étant parvenue là où les Nsundi avaient rassemblé le peuple près de Mbanza Kongo,
elle attaqua la foule qui avait rallié Dom Afonso par des cris de Vive le roi. C’est alors que,

« immédiatement et miraculeusement, nous avons vu tous nos ennemis tourner le dos et


fuir, …beaucoup de gens moururent sans qu’aucun de nous n’en ait été la cause…»,
terrifiés par la vision d’une croix blanche dans le ciel avec « un grand nombre de
cavaliers armés »… « Pour cela, …, nous devons avoir une grande dette envers la
Providence, en plus des grandes actions de grâces et louanges que nous devons à Notre
Seigneur pour les grâces et la miséricorde qu’il a accordées à nous et à tous les nôtres.
Ce miracle fut si éclatant et notre victoire si complète que nous en faisons mémoire dans
les armoiries des rois qui viendront après nous en nos royaumes et seigneuries du
Congo. De cette façon, ils ne pourront jamais oublier cette grande grâce et faveur que
Dieu a accordées si merveilleusement au roi, au royaume et au peuple »446.

Mgr Cuvelier précise que pendant la bataille, les soldats chrétiens avançaient contre les
païens au cri de « San Tiago ! San Tiago ! » (Saint Jacques !), reprenant la prière au patron des
armées portugaises, et ajoute que Dom Afonso écrira que ce sont ces survivants qui
« témoignèrent unanimement, sans discordance aucune, que leur déroute avait été provoquée
par une apparition qui se produisit quand nous appelions l’apôtre Jacques à notre secours. Ils
virent une croix blanche et un grand nombre de guerriers à cheval et armés ; ce qui leur causa
une épouvante telle qu’ils furent contraints à s’enfuir subitement »447 Le spécialiste belge de
l’implantation du christianisme au Congo, François Bontinck, confirme que tant des Kongo que
des Portugais eux-mêmes attribuaient cette victoire surprenante à une intervention miraculeuse
de Saint Jacques de Compostelle qui est le patron des armées ibériques448.

Il est attesté que ce roi chrétien n’a vécu, depuis sa conversion, que pour la foi,
l’évangélisation et l’éducation chrétienne de son peuple, étudiant les écritures et les vies des

445
Ibid., p. 101.
446
JADIN, Louis et DICORATO, Mireille, Correspondance de Dom Afonso, roi du Congo (1506-1543),
Académie royale des sciences d’Outre-Mer, n° XLI-3, Bruxelles, 1974, pp.55-56.
447
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo Fondation, découverte, première évangélisation de l’ancien
royaume de Congo. Régime du grand roi Affonso Mvemba Nzinga, Desclée de Brouwer, Bruges, Paris,
MCMXLVI, p. 103.
448
BONTINCK, François, « La première évangélisation du Zaïre », Telema, n° 21, Kinshasa, 1980, p.28.
186

saints, prêchant et appelant son peuple à la conversion449, dans sa correspondance avec son
« frère » du Portugal, il n’était question que de la nécessité de lui envoyer des prêtres et
quelques personnes pour l’éducation ; le pape Paul III lui envoya, en reconnaissance, une lettre
de félicitations. Par cette inlassable action, à sa mort en 1543 la moitié de son peuple avait reçu
le baptême, au point qu’il fut appelé « l’apôtre du Kongo » ou encore le novus Constantinus
parce qu’il « garda au royaume Kongo son caractère chrétien et lui assura sans doute aussi son
indépendance jusqu’au XIXe siècle »450, tandis que le royaume frère d’Angola fut purement et
simplement annexé par le Portugal.

Des témoignages qui lui rendent hommage sont éloquents, estimant que sa vie tout
entière vouée à la foi fut bien fructueuse ; qu’il n’en suffise que deux. D’abord cet épisode
célèbre d’une messe d’un jour de mai 1516, sans doute aux environs du 20 parce que le
témoignage est daté du 25, au cours de laquelle le roi émerveilla le public, en premier lieu
Mgr Rui d’Aguiar vicaire du royaume kongo et curé de la capitale Mbanza Kongo. Louis
Jadin et Mirelle Dicorato auxquels nous empruntons cette relation, rapportent ces propos de
l’ecclésiastique disant du roi que :

« Ce roi ne porte sa pensée que sur Notre Seigneur et sur ses exemples. Dans ses
ordonnances, il vient de décider que les sujets de tout le royaume doivent payer la
dîme. Il dit qu’il faut porter la lampe devant, jusqu’au bout du royaume, et non
derrière soi. Votre Altesse doit savoir que, d’après ce qu’il dit, il me semble que son
christianisme n’est pas celui d’un homme, mais d’un ange que le Seigneur aurait
envoyé à ce royaume pour le convertir. Je puis en effet certifier à Votre Altesse qu’il
nous enseigne et qu’il connaît mieux que nous les prophètes, l’évangile de
Notre Seigneur Jésus-Christ, toutes les vies des saints et tout ce qui se rapporte à notre
sainte mère l’Eglise. Si Votre Altesse le voyait, elle en serait fort étonnée. Il parle si
bien et avec tant d’assurance qu’il me semble que toujours l’Esprit Saint parle par sa
bouche. En effet, Seigneur, il ne fait rien d’autre qu’étudier ; bien des fois il s’endort
sur ses livres et bien des fois il oublie de manger et de boire pour parler des choses de
Notre Seigneur. Il lui arrive d’être tellement absorbé par l’Ecriture sainte qu’il s’oublie
lui-même. Bien plus, quand il donne audience ou entend les parties, il ne parle de rien
d’autre que de Dieu et de ses saints. Il étudie les saints évangiles. Lorsque le prêtre
achève de dire la messe, il lui demande sa bénédiction ; ensuite, il commence à
prêcher à son peuple avec grande générosité et charité. Il lui demande de se convertir
par amour de Notre Seigneur et il l’exhorte en ce sens. Il se trouve si bien vers Dieu
que les siens en sont étonnés. Quant à nous, nous le sommes bien davantage à cause de
sa vertu et de sa foi en Notre Seigneur. Il agit de même chaque jour et il prêche
comme je viens de le dire à Votre Altesse. […] Dans toutes ses provinces il a réparti
un grand nombre d’hommes du pays qui tiennent l’école et enseignent notre sainte foi
au peuple. Il existe également des écoles pour filles, que dirige une sœur du roi,

449
Lettre de Rui de Aguiar, envoyé au Kongo comme supérieur ecclésiastique, au roi Dom Manuel du Portugal,
extraits cités dans Correspondance de Dom Afonso, de Jadin et Dicorato, op. cit., pp. 116-118.
450
BONTINCK, François, L’évangélisation du Zaïre, Ed. St Paul – Afrique, Kinshasa, 1980, p. 16.
187

femme d’une soixantaine d’années. Elle sait très bien lire ; ce qu’elle apprit, étant déjà
d’un âge avancé. Votre Altesse se réjouirait de s’en rendre compte. D’autres femmes
savent lire également. Et tous les jours que Dieu fait, les écolières vont à l’église
entendre la messe et se recommander à Notre Seigneur [selon une autre version : « A
la messe le roi se recommande à Notre Seigneur »]. Votre Altesse doit donc savoir que
ce peuple grandit véritablement dans la foi chrétienne et dans la vertu, car il connaît
maintenant la vérité. Que votre Altesse continue donc à s’intéresser à son bien, à
l’aider, à lui procurer les secours nécessaires, particulièrement en envoyant une grande
quantité de livres, parce que, Seigneur, ils ont besoin de ce secours plus que de tout
autre ».

Outre le grand prédicateur, le même témoignage reconnaît le roi kongo comme un grand
justicier :

« Votre Altesse se réjouira d’apprendre également qu’il est fort assidu à l’exercice de
la justice, qu’il punit ceux qui adorent les idoles et les fait brûler avec elles. Il a dans
son royaume des officiers de justice chargés d’arrêter tous ceux qui conservent les
idoles, s’adonnent aux fétiches ou font quelque autre action mauvaise qui porte
atteinte à notre sainte foi catholique »451

De fait, le roi ayant fait venir les chefs du royaume, les exhorta à cesser « d’honorer
les fétiches, de croire aux amulettes maintenant que nous avons vu la croix du Fils de Dieu »,
avertissant que « quiconque les honore sera condamné à mort ». Tous les chefs acceptèrent,
mais une femme qui portait des amulettes s’obstina, plus que jamais faisant « profession de
paganisme », le roi la fit enterrer vivante. La chronique ajoute que, devant les critiques
menaçantes des chefs qui prirent leurs arcs et leurs flèches, le roi sortit de chez lui, une croix à
la main et s’assit sur la grand’place de Congo, « élevant la croix, fixant les yeux au ciel. Les
chefs tirèrent sur lui de nombreuses flèches. Aucune ne l’atteignit. Stupéfaits, ils cessèrent de
tirer. Alors le roi leur dit : ‘’Vous voyez que Dieu l’emporte’’. Tous les chefs dirent alors
qu’ils croyaient à Dieu et au Christ. Dom Afonso leur remit des crucifix »452

Le deuxième témoignage porte sur les fruits de l’œuvre évangélisatrice du roi Donfunsu, tels
qu’en rend compte R. Beeckmans :

« A sa mort, la moitié du peuple kongo avait reçu le baptême ; le christianisme était


devenu pour ainsi dire la religion du royaume et de la noblesse dirigeante ; et bien que
les croyances et coutumes traditionnelles n’aient pas été christianisées en profondeur,
l’existence d’une vraie élite chrétienne s’était manifestée par un certain nombre de
vocations sacerdotales et religieuses. Enfin, et surtout, si l’implantation de la foi au
royaume kongo doit beaucoup au zèle de quelques missionnaires et de certains rois du

451
JADIN, Louis et DICORATO, Mireille, Correspondances de Dom Afonso, roi du Congo…, op.cit., pp. 116-
118. Mgr Jean CUVELIER en donne une autre traduction, cependant sensiblement proche quant à la substance,
L’ancien royaume de Congo…, op.cit., pp. 158-160.
452
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume Congo…, op.cit., pp. 120-121.
188

Portugal – particulièrement Manuel Ier (1495-1521) -- c’est vraiment indéniable et


vraiment remarquable que la première évangélisation de cette région d’Afrique fut
principalement l’œuvre d’un fils du pays : le Roi Afonso Mvemba Nzinga qui, déjà de
son vivant, fut appelé par ses contemporains l’« apôtre du Kongo »453.

Cela, après avoir affirmé que Donfunsu

« avait, dès le lendemain de sa conversion et de son baptême, dû souffrir persécution de


la part de son propre père, le roi, qui l’avait pris en aversion. Sa foi avait failli lui
coûter son trône et même sa vie. Il eut aussi à subir pas mal de déboires et même des
humiliations répétées de la part de commerçants et fonctionnaires portugais […]. Tout
cela, Dom Afonso le supporta afin de ne pas mécontenter son ’’frère’’ royal du
Portugal et d’en obtenir plus d’aide en hommes et en matériel pour l’évangélisation et
l’instruction de son peuple.»454.

Sans aucun préjugé, on peut affirmer que s’il avait été européen, Dom Afonso aurait,
dans les conditions de l’époque, été canonisé. Mais, il n’est nul doute que le roi du Kongo
n’aurait pas déparé la liste des cent quatre-vingt vies qui remplissent les Legenda Sanctorum
de Jacques de Voragine455. Ce dernier aurait trouvé dans la vie de « l’ange », comme
l’appelait Rui d’Anguiar, de quoi la proposer comme une vita legenda, non pas celle d’un
douteux saint local, mais celle d’un personnage participant véritablement à la « Légende
dorée » du christianisme, avec les autres évangélisateurs et saints exemplaires.

III.I.II Un élan brisé


Pour plusieurs raisons, après son bref succès notamment auprès du roi, de sa famille
et de l’élite kongo, la chrétienté du Kongo, commençait à s’essouffler du vivant même de
Dom Afonso et s’engagea dans un processus de déclin après la mort de ce dernier.

III.I.II.1 Le tentaculaire fléau de l’esclavage

De toutes les causes du déclin de l’œuvre missionnaire, il y a d’abord, sans que cela ait
nullement découragé le roi chrétien du Kongo, la traite des esclaves qui va créer un climat de
méfiance à l’égard de la religion et de l’Eglise importées par les Portugais. En effet, des
colons et marchands portugais, venus ensemble avec le christianisme, s’engagèrent dans ce
honteux commerce des esclaves dont le roi kongo se rendit compte et se plaignit auprès du roi

453
BEECKMANS, René, « La première évangélisation du Zaïre (1483-1835) », Zaïre-Afrique n° 147, 1980, p.
398.
454
BEECKMANS, René, ibid., p. 395.
455
Auteur, entre 1261 et 1266, de Legenda Sanctorum, (littéralement : ce qui doit être lu des saints), traduit en
français par Légende dorée, Introduction, notices, notes et recherches sur les sources par l’Abbé Jean-Baptiste.
Marie,. ROZE, chanoine honoraire de la cathédrale d’Amiens, Edouard Bouveyre, Editeur, Paris, MDCCCCII,
Numérisation Abbaye saint Benoît de Port-Valais, 22 février 2004.
189

du Portugal : « […] les marchands enlèvent chaque jour nos sujets […] Ils les enlèvent et ils
les vendent. Cette corruption et cette dépravation sont si répandues que notre terre en est
entièrement dépeuplée. Votre Altesse ne doit juger que cela soit bon ni en soi, ni pour son
service. Pour éviter cet abus, nous n’avons besoin dans ce pays que de prêtres, et de quelques
personnes pour enseigner dans les écoles et non des marchandises, si ce n’est du vin et de la
farine pour le saint sacrifice. […] C’est en effet notre volonté que ce royaume ne soit un lieu
ni de traite ni de transit d’esclaves, […]»456. Il semble néanmoins que le roi Afonso ne rejette
pas l’esclave comme tel, en particulier pas contre la traite des « vrais esclaves », ceux qui le
deviennent à la suite d’une défaite militaire ; il se révolte contre la chasse et le négoce
organisés des esclaves, des femmes auxquelles on arrachait leurs enfants qu’on jetait dans
l’eau, etc. Mais, lorsque le roi de Portugal en arriva à apprécier ce commerce pour lui-même,
alors que Dom Afonso lui envoyait jusque là des produits africains (ivoire, étoffes, peaux,
manilles), se dernier en fut fort attristé et accablé. En réalité, constatant qu’à la différence des
Amériques où les conquistadores trouvèrent immédiatement des quantités d’or qui réjouirent
les rois européens, l’Angola ne fut pas effectivement la terre argentifère qu’on en attendait,
dès lors, le Portugal et ses souverains se tournèrent vers le seul commerce alors possible, la
traite des esclaves. Emmanuel III lui-même « exprima le désir que les navires à leur retour
fussent chargés non seulement de cuivre et d’ivoire, mais aussi d’esclaves », Dom Afonso en
fut peiné. Il lui envoya au début cinq cents esclaves mais qui étaient des prisonniers de
guerre457. Emmanuel du Portugal ne se contenta plus des quelques expéditions de prisonniers
de guerre que faisait Dom Affonso, il voulut « se réserver le monopole du commerce » des
esclaves, « plutôt par esprit de lucre qu’avec le dessein de mettre des limites à la traite »458 ; il
n’y avait ainsi aucun espoir que la traite s’arrête.

Ensuite, était stigmatisé le contre-témoignage décourageant de la part des prêtres


venus du Portugal, appelés de tous ses vœux par Dom Afonso, mais qui « étaient dans la
plupart des cas franchement décevants, souvent même scandaleux. En effet, certains d’entre
eux étaient des aventuriers qui ne venaient au Kongo que pour s’y défroquer allègrement, y
vivre de débauche, de commerce et de trafic esclavagiste »459, à une période où l’Eglise
romaine connaissait la décadence et la dissolution, et alors que Luther venait d’entrer en
dissidence en dénonçant des scandales et des abus. Cette situation provoqua de si nombreuses
plaintes et marques de découragement chez Dom Afonso que le Nonce apostolique à

456
JADIN, Louis et DICORATO, Mireille, op. cit., p. 156.
457
CUVELIER (Mgr), Jean, L’ancien royaume de Congo…, op.cit., p. 228.
458
Ibid.
459
BEECKMANS René, op.cit., p. 396.
190

Lisbonne suggéra au Pape Clément VII que « A mon avis, il serait nécessaire, comme on l’a
fait pour (ces) Maronites, d’autoriser les prêtres à avoir une épouse, car le pays est très
échauffant et rend les habitants moins tempérants et moins continents », car « C’est miracle
que cette contrée ne soit pas devenue bien pire qu’auparavant », « ces prêtres servent plutôt la
religion de Mammon que celle du Christ. Ils causent bien des dommages »460. En tout cas, le
dépit du roi Dom Afonso lui-même fut grand et comme l’affirme R. Beeckmans461,

« A la fin de sa vie surtout, ses lettres témoignaient de sa déception devant le prix qu’il
avait eu à payer aux rois, aux fonctionnaires et aux commerçants du Portugal pour
l’œuvre missionnaire.»

Ce que confirment d’autres chroniqueurs de l’ancien royaume, comme J. Cuvelier


qui montre que le roi fustige avec virulence « ces calomniateurs et ces gens qui n’ont
d’autre souci que de faire du commerce et de vendre leurs biens mal acquis » et qui, « par
ce commerce, corrompent et pervertissent notre royaume et la chrétienté qui y est
implantée depuis tant d’années »462. « Pendant deux siècles, dit Jan Van Wing, les rapports
ne feront que répéter cette triste réalité » ; l’auteur explique par ailleurs que les chanoines
portugais, tout comme les quelques Noirs qui rejoignirent le chapitre, étaient attirés par les
« riches prébendes », « âpres au gain » et « incapables de résister aux mœurs de leur
entourage, ils scandalisaient le peuple, empêchaient l’action des vrais missionnaires »463.

Après Dom Afonso, l’implication des clercs dans le trafic se fit en effet de plus en
plus ouvertement, on en connaît même quelques détails alors que les chroniques de
l’époque furent essentiellement l’œuvre de missionnaires. Mais, comme l’écrit Kabolo,
« On ne peut s’étonner que dans un Kongo où la traite occupe, aussi bien pour les
conquistadores que pour les pompeiros et les autres trafiquants, une place de premier
choix, les missionnaires aient possédé eux aussi des esclaves dits ‘’d’Eglise’’ […] Du
moment que la traite contribuait en bonne part au financement de la mission, les agents
évangélisateurs n’avaient pas d’autre choix que de l’approuver et d’y participer ». On ne
peut du reste pas nier que quelques prêtres indigènes fussent impliqués dans ce trafic « de
la marchandise humaine, c’est du reste très propable au vu de l’influence qu’exerçaient sur
eux aussi bien les clercs que les laïcs européens, qu’ils aient été complices de leurs

460
Lettre du Nonce apostolique Mgr della Rovere, dans Correspondance de Dom Afonso, op. cit., p. 195.
461
BEECKMANS, René, op.cit., p. 396.
462
JADIN Louis et DICORATO Mireille, Correspondance de Dom Afonso, roi du Congo, 1506-1543, Bruxelles,
Académie royale des Sciences d’Outre-Mer, Cl. Des sciences morales et politiques, XLI-3, 1974, doc. 54, p. 1
463
VAN WING, Jan, Etudes Bakongo. Sociologie, religion et magie, Bruges, 2e éd. 1959, p.38.
191

supérieurs et/ou des trafiquants »464. Les missionnaires s’étaient tellement attachés à leurs
pratiques que lorsque, en 1590, le supérieur général des jésuites, le père Acquaviva,
interdit le trafic, il s’entendit répondre par ses religieux que « sans leurs esclaves, ils
seraient contraints de se retirer d’Angola »465. Se justifiant par le manque de moyens466,
des missionnaires achetaient des produits venus d’Europe en échange d’esclaves, et avaient
établi un curieux troc entre les jésuites d’Angola et ceux du Brésil, ceux-ci envoyant des
matériaux de construction et des vivres à ceux-là, qui payaient en cargaison d’esclaves,
afin « d’éviter la vente massive d’esclaves à bas prix à Loanda » ; les esclaves étaient ainsi
employés par les jésuites d’Amérique dans leurs plantations et fabriques de sucre467.

Par ailleurs, l’existence des « esclaves d’Eglise » est attestée et c’est devenu un
véritable fléau du XVIIe au XVIIIe siècle, que ces esclaves soient revendus pour les plantations
et usines brésiliennes, ou commis « au service de la mission », ou attachés à un prêtre qui aurait
ainsi des esclaves personnels. C’est par exemple, le cas rapporté par Pierre Mukuna Mutanda
dont l’étude porte un titre évocateur, cas scandaleux parce qu’il concerne un petit enfant
dénommé Lorenzo, esclave dès l’âge de cinq-six ans au service d’un missionnaire du nom de
Giuseppe da Pistoia, qui l’avait acquis comme prix d’une trentaine de messes qu’il avait
célébrées à l’intention de l’épouse d’un capitaine portugais, le missionnaire l’amena à Gênes
alors qu’il était déjà à son service depuis huit ans468. Le même auteur fait état de la démarche
de Mgr Rosario da Porco, préfet apostolique du Kongo-Angola, auprès de la Congrégation
pour la propagande de la foi pour l’informer que des capucins s’adonnaient au trafic sans
autorisation du supérieur qu’il était, en dissimulant l’argent reçu qu’ils envoyaient en Italie,
estimant qu’ils n’avaient à faire rapport de cet argent à personne469 ; comme on voit le prélat ne
condamne pas mais réclame sa part. C’est vrai que des supérieurs s’en mêlaient. Par exemple,
ce chroniqueur célèbre, le Père Laurent de Lucques, de son nom d’origine Lorenzo da Lucca,
qui se rendit au Kongo d’abord du 4 décembre 1701 au 10 juillet 1708 et ensuite du 21 février
1713 au 17 mai 1720, comme missionnaire et, puis, après quelques années, il revient au kongo

464
KABOLO IKO KABWITA, Le royaume kongo et la mission catholique 1750-1838, Paris, Karthala, 2004,
pp. 142-143 et p. 145.
465
Ibid., p. 130.
466
Jean CUVELIER et Louis JADIN les excusent presque, expliquant en effet que recevant du roi leur
traitement en nzimbu (monnaie kongo en coquillages), les missionnaires devaient ainsi « convertir [ce traitement]
en esclaves vendus à Sao Tomé, ce qui était prévu et légal », mais ’cela les incita également « à faire aussi du
trafic et à se livrer au commerce pour subsister. Plusieurs se font d’ailleurs accompagner de parent, neveux ou
autres, qui les aident et les incitent à faire du commerce », L’Ancien Congo d’après les archives romaines (1518-
1640), Bruxelles, 1954.
467
Ibid..
468
MUKUNA MUTANDA, « La question des ‘’esclaves d’Eglise’’ détenus par les Pères capucins au Kongo et
en Angola (1645-1835) », Revue Africaine de Théologie vol. 15, n° 30 (octobre 1991), p. 166
469
Ibid.
192

comme préfet apostolique. Il n’est pas contre l’esclavage, au contraire, pourvu que des Noirs
catholiques ne soient pas esclaves des pays hérétiques (protestants ou islamiques). Il avait servi
comme chapelain sur un navire négrier qui achetait des esclaves kongo à vendre au Brésil, ce
navire « était sous la protection de Notre-Dame della Pigna de France. Notre-Dame, qui
m’avait protégé depuis le commencement de mon voyage, voulait encore m’accompagner et
m’introduire dans ma première mission » ( !)470. Parlant des relations des capucins avec la
province de Soyo et son prince à propos des esclaves, il écrit :

«Ce n’est pas une chose juste que des baptisés dans l’Eglise catholique soient vendus à
des peuples ennemis de leur foi. Nous nous rendîmes auprès du prince et nous lui
fîmes comprendre comment il serait bien d’admettre la traite avec les catholiques. Le
prince témoigna son grand contentement et permit de prêter l’oreille aux négociations.
On décida que notre supérieur irait comme ambassadeur sur le navire français pour
traiter cette affaire »471.

Dans la conduite de ces « affaires », il monta un jour sur un bateau hollandais pour s’assurer
qu’il ne prendrait pas d’esclaves pour le compte des peuples ennemis de la foi catholique, et il
raconte à ce sujet :

« Mais, parce que le capitaine ne me montra pas ses lettres, ne sachant donc pas où il
se rendait, je fus incliné à ne pas permettre la traite avec lui, d’autant plus que la
guerre entre les couronnes d’Europe ne laissait libre que la route vers les contrées
hérétiques. Le devoir m’indiquait de ne pas permettre un trafic qui livrait les âmes
baptisées, avec péril de leur perte aux mains d’hérétiques ennemis de l’Eglise romaine.
Ce navire du reste, peu après, s’enfuit durant la nuit de crainte d’être pris par un navire
français »472.

On le voit, il était plus qu’un simple trafiquant, il était surtout un négrier organisateur de la
traite473.

Le phénomène des esclaves des missionnaires et de l’Eglise resta constant. Il en est


fait à plusieurs reprises état chez de nombreux historiens, en particulier par l’auteur du Diaire
congolais, un autre chroniqueur célèbre de l’ordre des capucins italiens en fait à de multiples
470
CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo du Père Laurent de Lucques (1700-1717), Bruxelles, 1953, p. 44.
471
CUVELIER Jean, Ibid., op.cit., pp. 63-64.
472
Ibid., p. 87.
473
La relation que fait ce chroniqueur sur le quotidien, les mœurs et coutumes kongo est globalement peu
positive, un ensemble de rapports négatifs et sans aucun égard pour ce peuple qu’il avait reçu mission de
sauver, il trouve tout diabolique. En général, toutes les chroniques auxquelles nous avons pu accéder, celle de de
Lucques, par CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo du Père Laurent de Lucques (1700-1717), Bruxelles,
1953, comme celle de l’auteur du Diaire congolais, Fra Luca da Caltanisetta, v. BONTINCK, François, Diaire
congolais (1690-1701) de Fra Luca de Caltanisetta, Paris-Louvain, 1970 ou, encore celles de Bernardo de Gallo
telles que rapportées par le père Jadin dans Le Congo et la secte des Antoniens Restauration du royaume sous
Pedro IV et la « Saint Antoine » congolaise (1694-1748), Bruxelles, 1961, sont de la même facture, traitant avec
mépris les autochtones, qualifiés sans état d’âme de barbares et sauvages, ainsi que leurs coutumes dans des
termes et expressions ouvertement racistes.
193

reprises état. Fra Luca da Caltanisetta, de son nom du monde Giuseppe Natale474, parlant
presqu’à chaque page de « nos esclaves », « des esclaves de notre église », de « mes
esclaves »475 ; Mukuna Mutanda analyse ce phénomène du XVIIe au XIXe siècle476, tandis
que Claude Prudhomme y consacre une étude dans laquelle il essaie de découvrir comment et
pourquoi l’Eglise a laissé s’élaborer, se développer et se pratiquer une théologie légitimant
l’esclave477. L’esclavage d’Eglise ou de missionnaires a ainsi duré jusqu’à l’éradication de ce
phénomène par les campagnes anti-esclavagistes de la fin du XIXe siècle.

Une autre épreuve frappa la mission du royaume kongo, avec la mort du roi-apôtre,
Dom Afonso, survenue en 1543, qui sans doute eut des répercussions sur le flux des
missionnaires qui n’était déjà pas très important, tandis que l’implication des missionnaires
dans la traite esclavagiste s’amplifiait, réduisant leur activité dans l’évangélisation. Certes, il
survivait une élite chrétienne qui avait pu donner des prêtres africains, une poignée, sous le
règne du successeur de Dom Afonso, Dom Diogo I. Au cours de ce règne qui connaissait une
période d’incertitude, sous des menaces incessantes de guerre civile, le nouveau roi, par
l’intermédiaire du père Diogo Gomes qu’il envoya comme ambassadeur auprès du roi de
Portugal pour cette mission, demanda néanmoins des prêtres, toujours en nombre insuffisant au
regard de l’étendue du royaume. La cour de Lisbonne lui conseilla les jésuites et Ignace de
Loyola lui-même envoya, avec Jorge Vaz comme supérieur, Diogo Soveral, coadjuteur
temporel, Cristovão Ribeiro et Diogo Dias et un frère, qui arrivèrent en 1548 ; ils s’installèrent
et ouvrirent un collège à Mbanza Kongo en juillet 1548478. Mais, ils révoltèrent le roi par leur
méconduite ; certains cherchèrent fortune dans le négoce ; on peut dans ce cas parler d’un

474
Il est né le 18 mai 1644 ; après des études chez les jésuites, il rentre chez les capucins le 21 juillet 1661,
ordonné prêtre en 1662 et nommé predicatore. Malgré ses multiples demandes pour devenir « missionnaire
apostolique », il ne fut admis par la Propagande qu’après 22 ans, le 27 janvier 1689. Le 11 novembre il
embarque via Lisbonne parce qu’il allait en pays de padroado, après plusieurs vicissitudes et une période de
maladie, il arrive à Luanda le 6 décembre 1690. Il va silloner le royaume du Kongo pendant 12 ans, surtout dans
les provinces de Mpemba, Mbata, Mpangu et Nsundi, devient préfet des capucins de Kongo et d’Angola en
octobre 1701 et s’installe pour ces fonctions à Luanda et y meurt le 20/11/1702. Il a rédigé ses Relatione del
Viaggio e missione di Congo fatta per me Fra luca da Caltanisetta, missionario apostolico, olim lettore et
predicatore capuccino della provincia di Palermo nelle Sicilia, nel 1689 sino al…, sans préciser le terme. Voir
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., pp. IX-XIII et CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo du
Père Laurent de Lucques, op.cit., pp. 72-73. Elisabeth MUDIMBE BOYI, Essais sur es cultures en contact :
Afrique, Amériques, Europe, Paris, Karthala, 2006, p. 29, donne un titre différent : Relatione della Missione fata
nel Regno Congo per lo spatio di undici anni in circa sino alla fine del 1701.
475
En voici un petit nombre de références, entre des dizaines, dans BONTINCK, François, Diaire congolais…,
pp. 12, 14, 16, 17, 23, 40, 67, 68, 71, 84, 143, 171, 194, …
476
Comme l’indique le titre de son étude ci-dessus évoquée, « La question des ‘’esclaves d’Eglise’’ détenus par
les Pères capucins au Kongo et en Angola (1645-1835) », Revue Africaine de Théologie vol. 15, n° 30 (octobre
1991), pp. 163-179.
477
PRUDHOMME, Claude, « L’Eglise catholique et l’esclavage : une si longue attente », L’Eglise et l’abolition
de l’esclavage, Les Cahiers du Centre d’études du Saulchoir n° 9 (1999), 9-20, Paris, Cerf, 1999.
478
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola tirées des archives de la Compagnie de Jésus, 1621-1631,
Extrait du Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, t. XXXIX (1968), Bruxelles-Rome, 1968, p. 349.
194

véritable trafic qui fut un fléau, notamment organisé par nombre d’autres jésuites. Bien que
réputé de faible personnalité et d’humeur changeante, Dom Diogo fut excédé par la déchéance
des missionnaires et chassa tous les missionnaires479. Les jésuites, concernés dans l’affaire,
expliquent les choses autrement. Selon eux, la maladie et plusieurs décès décimaient les
missionnaires tandis que pour plusieurs raisons certains rentraient au Portugal, au point où tout
l’établissement ainsi que la mission ne furent plus qu’entre les mains de deux jeunes qui,
succombant à l’esprit de lucre, abandonnèrent le collège en 1552, « ils seront l’objet des
sanctions de saint Ignace lui-même pour leurs malversations ». Mais, pour eux, c’est surtout
l’incompréhension du roi Diogo qui « fit avorter les plans merveilleux » des jésuites ; malgré
l’envoi de quelques unités supplémentaires par Ignace de Loyola, ils ne purent pas « reprendre
d’ascendant sur le roi Diogo ». Celui-ci « vivait publiquement en concubinage avec une parente
[…] Le P. Cornelio Gomes480 entra imprudemment en conflit à ce sujet avec le roi et le projet
de construction d’un grand collège par le P. Gomes qui voulait former des futurs prêtres […]
n’obtint qu’un commencement d’exécution. […] Cornelio Gomes se résigna à rentrer au
Portugal après un décret d’expulsion de tous les Portugais publié par Dom Diogo » (1557), qui
« aurait voulu voir confirmer le monopole du port de Pinda pour le trafic des esclaves et obtenir
un décret prohibant le commerce des Portugais avec l’Angola »481

III.I.II.2 Les faiblesses du système missionnaire du padroado portugais

A cette situation liée aux comportements des missionnaires, s’est ajoutée, pour
affaiblir encore plus la mission, l’insécurité générale qui avait commencé à régner sur le
royaume. Elle était due, certes, aux menaces d’invasions extérieures, mais aussi à des luttes de
succession, notamment entre les descendants de Ndonzuwau et de Ndonfunsu selon surtout
qu’ils avaient ou non été convertis, mais aussi à la discontinuité de la « mission » à cause
d’une présence entrecoupée de missionnaires venant d’ailleurs de différentes congrégations
qui se succédaient, ainsi qu’aux rivalités entre le Portugal voulant imposer son padroado et
l’Espagne qui, par sa puissance montante, le supplantait sur les mers et dans les terres
découvertes. Tout ceci a fait que, malgré la fidélité des rois qui se sont succédé sur le trône du
Kongo pendant près de deux siècles, l’Eglise n’ait pu véritablement prendre de l’envol. Il y a
lieu, également et surtout, de signaler des raisons spécialement liées aux conditions de

479
QUENUM, Alphonse, Evangéliser Hier, Aujourd’hui…, p. 128.
480
Cornelio est le nom pris par Diogo Gomes après son entrée chez les jésuites ; c’est lui qui sera, comme on le
verra plus loin, à l’origine du premier catéchisme en kikongo-portugais, publié trois ans après son retour au
Portugal le 15 août 1555 et qui sera envoyés aux franciscains (capucins) venus remplacer les jésuites en 1557,
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., p. 251.
481
JADIN, Louis, Ibid., pp. 250-251.
195

l’œuvre d’évangélisation elle-même pour expliquer l’échec de cette tâche de quatre siècles en
Afrique, cela sur plusieurs aspects.

Le padroado portugais faisait parrainer et diriger l’œuvre missionnaire par les rois du
Portugal et des autorités politiques qui entreprenaient la colonisation de cette partie de
l’Afrique et dont le pouvoir, auquel étaient ainsi liés les missionnaires, paraissait aux
autochtones comme oppresseur. La collusion plus ou moins consciente entre l’administration
coloniale ou d’occupation et l’Eglise missionnaire est une donnée historique certaine et
permanente, elle caractérisera également l’évangélisation de l’Afrique au cours des XIXe et
XXe siècles où certains missionnaires se mettront résolument derrière l’exploitation coloniale
et le colonialisme contre l’émancipation des peuples occupés. Elle est pernicieuse non
seulement parce qu’elle corrompt l’œuvre missionnaire mais aussi elle provoque des réactions
négatives de la part des colonisés dans une sorte de double rejet de la présence religieuse et
politique des Européens, l’Eglise et le christianisme étant alors considérés comme véhicule de
la domination et comme religion étrangère. D’autant plus que des missionnaires s’étaient,
comme on l’a, vu compromis avec le honteux trafic d’esclaves et l’exploitation économique
instaurés dès le XVe siècle à l’ombre de l’occupation, qui, soutenus par les mêmes autorités
politiques européennes, conduisirent le royaume Kongo à la décadence et à l’anarchie,
provoquant la méfiance à l’égard de l’œuvre d’évangélisation482. Au cours du XXe siècle, la
hiérarchie catholique s’en rendra compte et prendra conscience pour donner des directives
enjoignant aux missionnaires de ne pas commettre une confusion des genres entre le service
de l’Eglise et celui de leur pays.

De plus, l’ignorance des coutumes et des langues locales, ainsi que l’impréparation des
missionnaires à vivre dans ces contrées éloignées et à y évangéliser des peuples dont ils
ignoraient la culture, furent sources d’incontestables inconvénients dont le moindre n’est pas
que l’évangélisation et le christianisme, incompris non seulement de langue mais aussi de
sens, sont toujours passés aux yeux des autochtones comme des choses étrangères. Elle s’est
accompagnée d’une politique active de condamnation des coutumes et cultures, donc des
croyances et des pratiques religieuses locales ; il n’y aura jamais eu interpénétration entre la
nouvelle religion et les croyances ou religions traditionnelles africaines rencontrées dans les
pays de mission, en plus de rester collée au contexte politique de domination, la mission aura

482
BONTINCK, François, « La première évangélisation du Zaïre… », loc. cit., p. 39.
196

annoncé un Evangile prisonnier du contexte social et culturel européen de l’époque483. Par


rapport à cette caractéristique de l’évangélisation « missionnaire », l’Eglise ne prendra
conscience de la valeur des cultures des peuples qu’au milieu du XXe siècle à la faveur du
Concile Vatican II.

Par ailleurs, en dépit de sérieux efforts du début de l’évangélisation, les missionnaires


ne sont pas parvenus à créer un clergé local capable de prendre la relève ou de desservir les
nombreuses communautés chrétiennes qui se mettaient progressivement en place, au-delà de
l’emblématique sacre du premier évêque noir, un arbre incapable de cacher la forêt. Une
carence qui s’aggrava par le fait que, tandis que les prêtres portugais étaient dorénavant
majoritairement attirés par les missions d’Amérique et d’Asie et que les Blancs qui restaient
encore en Afrique n’étaient plus intéressés que par la traite des esclaves, le renouvellement du
personnel missionnaire qui a continué vaille que vaille d’arriver dans cette Eglise locale
(capucins italiens et espagnols, entre autres) fut enrayé au XVIIIe siècle par le déferlement du
rationalisme en Europe, ainsi que par la lutte qui fut entreprise sous l’influence de la
Révolution française contre les ordres religieux. Là, aussi, l‘Eglise se rattrapera au XXe siècle
en concevant et en engageant une politique systématique de formation du clergé africain,
parant ainsi partiellement aux inconvénients d’une religion et d’une Eglise restées jusque là
dans la mouvance culturelle exclusivement européenne. Cette lacune aggravait un autre écueil
venant de l’ignorance délibérée des coutumes locales, qui avait déjà eu des conséquences
néfastes sur l’apostolat, mais en plus, si quelques-uns s’adonnaient à l’apprentissage des
langues locales, généralement les missionnaires de la première évangélisation ne s’étaient pas
donné beaucoup de peine pour apprendre, même s’ils étaient restés de longues années au
royaume du Kongo, préférant utiliser le portugais avec l’aide d’interprètes locaux qui, eux-
mêmes, ne faisaient que balbutier le portugais.

Par ailleurs, cette « première évangélisation » d’obédience portugaise fut marquée par
d’incessantes rivalités entre le padroado portugais et le Saint-Siège, en particulier depuis la
création de la Propaganda Fide qui devenait le maître d’œuvre ecclésial de la mission. La
conséquence de cette situation fut, entre autres, la longue vacance du siège épiscopal de
Mbanza Kongo (São Salvador). En réalité, le décès prématuré du premier évêque kongo, Dom
Henrique, en 1530, survint avant même que fut créé le diocèse du Kongo qu’il avait
demandé ; il n’eut d’ailleurs pas de successeur en tant qu’évêque d’Utique. On sait que ce

483
DELANOTE Daniel, « Le centenaire de la deuxième évangélisation au Zaïre », Vie Pastorale, n° 1,
Kinshasa, juin 1979, p. 38.
197

diocèse in partibus infidelium parce que cette antique cité romaine du Nord-Ouest de
Carthage et qui, après la troisième guerre punique, devint la capitale de la province romaine
d’Afrique, avait cessé depuis la conquête musulmane d’être chrétienne. De telle sorte que,
nommé évêque de ce diocèse fantôme vacant depuis la fin de la chrétienté dans la contrée,
Dom Henrique n’exerçait en fait aucun apostolat épiscopal nulle part, étant d’ailleurs placé
sous l’autorité de l’évêque portugais du diocèse qui avait juridiction sur l’Ile de Sao Tomé, le
Kongo et la Guinée, installé à Sao Tomé, mais qui fut éphémère484. Jusqu’à sa mort, survenue
après celle de son fils, Dom Henrique, le roi Afonso Ier n’eut de cesse que de demander
l’érection d’un diocèse du Kongo, mais il n’eut pas satisfaction, lui dont tout le monde se
plaisait à louer l’engagement au service du Christ et de l’Eglise. Lors du consistoire du 20 mai
1596 et par séparation du diocèse de São Tomé tellement vaste qu’il était « difficile, voire
impossible, aux évêques de visiter en personne de si vastes royaumes »485, il sera certes créé
un diocèse de São Salvador, avec juridiction sur l’Angola et le Kongo. Mais les premiers
évêques avaient facilement cédé à la tentation de séjourner à Luanda plutôt que de rester, à
São Salvador, « exposés aux exigences souvent arbitraires des rois du Congo »486. Très vite
d’ailleurs, au début du XVIIe siècle, son siège sera transféré à Luanda où se déporteront de
plus en plus les missionnaires, le Kongo perdant rapidement de son intérêt pour les Portugais
qui le délaissaient au profit de l’Angola et surtout du Brésil, tandis que la situation décrite ci-
dessus le plonge dans l’anarchie487, dorénavant il ne sera plus qu’un réservoir d’esclaves pour
l’économie montante du Brésil.

Enfin, interviennent dans ce déclin les carences de la méthode et de la théologie


missionnaires mises en œuvre qui courraient derrière les chiffres et les statistiques du plus
grand nombre possible de baptisés et de « convertis », à une époque où il fallait devancer dans
cette contrée qui n’en était pas encore touchée, l’islam qui s’implantait ailleurs en Afrique.

484
QUENUM, Alphonse, op.cit , p. 127.
485
Rapport de la visite ad limina pour le diocèse de São Salvador, présenté au pape et à la Congrégation du
concile par l’évêque Francisco de Soveral, le 1er avril 1631, Archives Générales S. J., Rome, Goa, t. 40,
Historiae Aethiopiae 1630-1659, fol. 8-12, JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola, tirées des
archives de la Compagnie de Jésus, 1621-1631, Bruxelles-Rome, 1968, p.428.
486
Ibid.
487
KABOLO IKO KABWITA, Le royaume kongo et la mission catholique…, op.cit., p. 63.
198

III.I.II.3 Les dernières tentatives et les temps de la fin

Après avoir été contraints d’évacuer São Salvador à l’époque de Dom Diogo Ier, les
jésuites ont préféré s’installer dans le sud, au royaume d’un chef appelé Inene Angola (le
grand Angola), où ils créèrent un collège qui fonctionnera de 1574 à 1722. D’autres jésuites,
revenus en 1619 à Mbanza Kongo sur l’invitation du roi Dom Pedro II, y fondèrent, avec
l’approbation en avril 1623 de l’évêque de Luanda où se trouvait le collège jésuite, un collège
qui, après les travaux et l’installation de l’équipe rectorale, fonctionnera de 1624, sous un
nouveau roi, Garcia I, à 1669. Le collège admit « les enfants portugais, métis et congolais »,
en utilisant déjà la traduction des prières et du catéchisme en kikongo dont il sera question
plus loin et dont le concepteur, le père Mateus Cardoso, se sera retiré au Portugal de 1623 au
5 août 1625, et lorsqu’il revient est nommé recteur du collège de São Salvador depuis 1623,
pour mourir le 18 octobre488. En plus des enseignants du collège, le groupe des prêtres en
charge de la mission était toujours présent, souvent en conflit avec les enseignants qui parfois
se mêlaient de la mission, laquelle s’enlisait dans des conflits ouverts avec les rois successifs,
certains missionnaires participant parfois à des complots qui aboutissaient au renversement de
souverains et étant soupçonnés de collusion avec les ennemis angolais. D’ailleurs cela faisait
très longtemps que les jésuites ne s’aventuraient plus à l’intérieur des terres, restant cantonnés
dans les capitales, Luanda et São Salvador, où ils côtoyaient les colons, eux aussi occupés à la
traite.
Mais, il y eut de nouvelles tentatives de relancer la mission au Kongo, notamment
grâce à la Congrégation de la Propagation de la foi créée en 1622, cette dernière s’adressa
aux capucins italiens qui arrivèrent le 3 septembre 1645 ; pour les motiver, le Saint-Siège
avait érigé une « préfecture apostolique du Kongo », enfin un siège épiscopal, par un « bref »
pontifical du 16 juillet 1640 que les premiers capucins apportèrent à Mbanza Boma489. Mais,
l’érection du diocèse intervient à un moment défavorable où l’évangélisation était en grande
difficulté. Car, s’il y a eu jusqu’à plus de 400 capucins passés par le Kongo, de 1645 à 1835,
en cette dernière année, la situation n’était guère meilleure qu’à la fin du XVIe siècle où l’on
constate que « Il y a une grande pénurie d’ouvriers dans ce royaume, car pour trente mille
localités que compte le pays, il n’y a en tout que vingt ou au plus trente prêtres »490. De fait,
très peu de missionnaires acceptaient encore d’aller servir en Afrique, préférant le Brésil où
s’était orienté l’intérêt du Portugal et où les salaires étaient plus intéressants. La pénurie
488
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., pp. 351-353 et 356.
489
Le « bref » est une décision du pape, communiquée par une lettre moins solennelle que la bulle papale et ne
portant pas le sceau pontifical.
490
CUVELIER, Jean et JADIN, Louis, L’Ancien Congo d’après les archives romaines 1518-1640, 1954, p. 201.
199

s’accentue rapidement, dans la mesure où il ne se développe pas un clergé paroissial et


autochtone ; vers 1845, la dernière dizaine de missionnaires perdit quatre des siens, victimes
du climat. Il faut dire que c’est depuis longtemps que le processus du déclin de la mission du
Kongo était en route : le désintérêt manifesté par le Portugal, les difficultés de cette tutelle
portugaise alors que, de 1580 à 1640, le Portugal était tombé sous la domination espagnole.
Rome et l’Espagne ne reconnaîtront son indépendance récupérée que tardivement, en 1668 ;
de telle sorte que de 1642 à 1671, le diocèse du Congo et d’Angola resta vacant. A cela
s’ajoutent les tentatives du Portugal de coloniser le royaume, en tout cas ses ingérences dans
les problèmes du Kongo, ingérences qui le conduisirent à affronter une résistance nationaliste
de plus en plus ouverte, d’abord par des guerres avec des rois kongo dont la défaite et la mort
au combat (notamment celle du roi Antonio Ier, Dontoni Ier, le 25 octobre 1665) fut le
summum de l’humiliation nationale. Il y eut cette autre résistance sous forme de messianisme
religieux auquel les capucins italiens, mais aussi les Portugais, eurent à faire face avec Dona
Béatrice Kimpa Vita dont il sera question plus loin.

Toute cette situation de crise multiforme eut raison de la mission capucine qui, dès
lors, dépérissait et s’éteignait et, avec elle, la première évangélisation, celle du padroado
portugais. Les derniers capucins quittèrent le Kongo dans les années qui suivirent la décision
du Portugal d’interdire, en 1834, tous les ordres religieux sur son territoire et sur celui de ses
possessions. En 1865, la Sacrée Congrégation de la Propagande confia la mission du Kongo
aux spiritains, tandis que la France et le roi Léopold II de Belgique obtinrent du Saint Siège la
révocation du padroado portugais, déjà pratiquement en désuétude, pour permettre l’envoi de
missionnaires d’autres nationalités, dont ces spiritains français qui commencèrent la
« deuxième évangélisation », feignant d’ignorer la précédente, notamment au Congo de
Léopold II où dominait l’impression que tout recommençait à zéro.

De toute façon, c’est l’échec de l’approche locale suivie par les missionnaires, en
particulier dans une Afrique Centrale non encore totalement colonisée, en passant par des
arrangements et des pactes avec les chefs locaux, rêvant de fonder des sortes de « royaumes
chrétiens » autour des souverains et des élites qui pourraient ainsi entraîner tous leurs peuples.
C’est ce qui se vérifie chez les premiers missionnaires portugais du XVe siècle qui avaient
basé leur stratégie sur une alliance avec le roi converti, lui, sa famille et ses notables, et dont
la méthode fut imitée par tous les autres missionnaires, protestants comme catholiques,
notamment en Afrique australe et à Madagascar. Mais, il s’avéra impossible de soustraire
totalement les populations christianisées des intrusions aventurières et affairistes des colons,
200

la logique de la conquête coloniale l’emporta, dissipant ainsi « l’utopie d’un royaume


chrétien » ou d’un Clovis que l’exemple d’un Dom Joao ou d’un Dom Afonso avait fait un
temps miroiter491. De telle sorte qu’on peut oser une conclusion qui étonnera peut-être : le
relatif succès de cette expérience congolaise, alors que l’esclavage massif avait fait échouer
totalement l’évangélisation ailleurs sur la côte africaine, est sans doute dû à la détermination
que nous avons vue chez les souverains et princes locaux convertis plutôt qu’à l’action
missionnaire elle-même.

III.II LA DEUXIEME EVANGELISATION : LE POIDS DE LA COLONISATION


BELGE

Bien qu’une présence missionnaire ait pu se maintenir dans la région du Congo alors
occupée par le Portugal et qui, englobée dans un ensemble plus vaste du nom d’Angola,
demeurera colonisée pendant cinq siècles (de la fin du XVe siècle à 1975), elle connut des
difficultés pour se poursuivre. En tout cas, pour la partie plus tard intégrée au Congo belge, la
présence missionnaire était restée trop excentrée, trop près de la côte, ne s’étant étendue que
jusqu’au-delà de l’actuelle localité de Kisantu (Inkisi), alors Mbanza Nsundi, la province du
fils du Ntinu Dom Joäo (Ndonzwau), le prince Mvemba a Nzinga, baptisé Dom Afonso
(Ndofunsu), le futur « apôtre du Kongo », et ne put pénétrer les terres intérieures ; il faudra
attendre l’établissement de la colonisation belge pour que, parallèlement à la pénétration par
l’administration coloniale, soient implantées des « missions » catholiques.

III.II.I La fondation des postes de mission : Léopold II exploiteur foncier


et propagateur de la foi

Alors que, pour le compte de l’association géographique africaine, Stanley (Henry


Morton S.), commandité par le roi Léopold II de Belgique, entreprend à partir de 1877
l’exploration et la possession de ce qui deviendra l’Etat Indépendant du Congo (E.I.C.) puis le
Congo belge, de nouveaux postes catholiques s’implantent, pendant que s’étiolait la mission
de la tutelle portugaise. Déjà, par un décret de la Sacrée Congrégation de la Propagande (la
propagation de la foi, Propaganda Fide) du 9 septembre 1865, le Saint-Siège confie la

491
L’échec de cette stratégie est bien expliqué par PRUDHOMME, Claude, Missions chrétiennes et colonisation
XVIe –XXe siècle, op.cit., pp. 71-72.
201

« mission du Congo », érigée en Préfecture apostolique du Congo, aux pères spiritains


français en remplacement des Capucins italiens qui l’avaient abandonnée depuis 1835. La
Préfecture comprenait le Nord de l’Angola (le royaume du Kongo), le Bas-Congo, la future
enclave de Cabinda et le futur Congo français, « sans limites à l’intérieur »492.

Cette congrégation du Saint-Esprit, fondée en 1703 par Claude-François Poullart des


Places au début comme un simple séminaire et devenant un ordre par la suite, vit certains de
ses premiers prêtres, très vite, se consacrer à l’apostolat missionnaire lointain (Canada,
Extrême-Orient), par ailleurs en 1848 le père François Jacob Libermann lui intégra, avec
l’autorisation de Rome, la « Société du Saint-Cœur de Marie, pour l’évangélisation des
Noirs » ou « l’œuvre des Noirs » qu’il venait de créer en 1841. Libermann s’était en effet
spécialement préoccupé d’une mission auprès des Noirs :

« une nouvelle mission bien importante, mais aussi bien pénible, c’est celle de Guinée.
C’est la patrie de nos pauvres Noirs, ces Noirs enfants de Cham y sont abandonnés et
comme partout et aussi pauvres qu’ailleurs […] La malédiction prononcée sur les
enfants de Cham est terrible, le démon a régné parmi eux jusqu’à présent »493

Ses premiers missionnaires partirent pour, outre la Réunion (l’Ile Bourbon), l’Ile Maurice
et la Martinique, le Vicariat des « Deux Guinées et Sierra Leone» dont la juridiction
s’étendait du Sénégal au fleuve Orange en Afrique australe, couvrant ainsi, entre autres, le
golfe de Guinée, le Gabon, la frange côtière du royaume Kongo etc. Dès la fusion des deux
congrégations, l’ordre du Saint-Esprit devint véritablement la congrégation des colonies,
elle avait, de cette manière, une vocation naturelle et, apparemment, un « charisme », pour
exercer la mission en Afrique494. Peu soutenus par les Portugais, les Spiritains français se
retirent provisoirement en 1870, pour occuper à partir de 1873 la nouvelle mission de
Landana dans l’actuelle enclave de Cabinda mais en dehors de l’influence portugaise, d’où
ils repartiront pour de nouvelles missions dans la future colonie belge. Alors, ils
installèrent le premier poste à Boma sur la côte le 12 mai 1880, et pénétrèrent dans les
terres pour en ouvrir d’autres, notamment à Linzolo dans le Bas-Congo, en 1884.
Parallèlement, les « missionnaires d’Afrique », congrégation fondée par Mgr Lavigerie,
obtint du Pape Léon XIII d’implanter des missions dans l’Est de l’Etat Indépendant du

492
http://www.users.skynet.be
493
J. LECUYER, cité par QUENUM, Alphonse, Evangéliser Hier Aujourd’hui, op.cit., pp. 163-164.
494
Son influence dès son entrée dans l’Ordre du Saint-Esprit sera telle que Libermann sera présenté comme le
« deuxième fondateur » de cet ordre, http://www.spiritains.org. Sur Libermann, voir COULON, Paul et
BRASSEUR, Paule (dir.) et coll., préface de L.S. SENGHOR, Libermann 1850-1852 : Une pensée et une
mystique missionnaires, Paris, Cerf, 1988.
202

Congo (E.I.C.) où sévissaient des razzias esclavagistes arabes495. En fait, les Pères Blancs
étaient déjà présent dans l’Est africain, notamment dans l’Uganda et dans le Tanganyika
depuis que leur fondateur, Mgr Lavigerie avait eu la charge de la contrée496. Les Pères
Blancs français créent ainsi leur premier poste au Congo, à Mulewa sur la rive occidentale
du lac Tanganyika le 28 novembre 1880.

Dans l’Ouest, l’implantation se poursuivit par la création du poste missionnaire de


Kwamouth dans l’actuelle province de Bandundu par les Spiritains français (1886), qui
quittent la contrée en 1888 quand Léopold II exigera du Saint-Siège que l’évangélisation de
ses terres soit confiée à des congrégations et des missionnaires belges. Mais, des Spiritains
reviendront, de nationalité belge cette fois-ci, en 1907, pour évangéliser le Katanga
septentrional (actuels diocèses de Kindu, Kongolo et Manono).

On peut dire que 1879-1880 fut le début de la longue histoire, depuis ininterrompue,
de l’Eglise catholique au Congo, à la faveur de cette deuxième campagne missionnaire497. A
partir du milieu des années 1890, se succèdent plusieurs implantations, dans le Bas-Congo,
dans la région de l’actuelle capitale Kinshasa, notamment à Kingabwa puis à Kimwenza
(1893), à Léopoldville même (Saint Léopold en 1899, et progressivement furent créés les
postes qui deviendront les paroisses actuelles, Sainte Anne en 1915, Saint Pierre en 1935,
Saint François de Sales en 1938, Notre-Dame en 1948, etc.).

Une forte activité d’implantation missionnaire est à signaler, en ces débuts


missionnaires du XIXe siècle498, avec la mission du Kasayi, particulièrement représentative

495
Le fait qu’il était évêque d’Alger n’est peut-être pas étranger à l’envoi des Pères Blancs de Mgr Lavigerie
dans cette partie qui, outre l’esclavage, était en quelque sorte « menacée » par l’islam, l’évêque en pays
musulman étant sans doute plus sensible à cette dimension ; de fait, Mgr Lavigerie engagea le colonisateur belge
à combattre les campagnes esclavagistes conduites dans l’Est du Congo notamment par Tipo Tip qui utilisait les
ports de l’Est africain.
496
Mgr Lavigerie, évêque d’Alger depuis 1866, profitera de la création par Léopold II, en 1878, de l’Association
Internationale Africaine pour l’exploration du bassin du Congo spécialement, pour rédiger le 2 janvier 1878, à
l’intention du pape, un « Mémoire secret sur l’ A.I.A. », où il expose ce que devrait être l’apostolat dans ces
contrées soumises à l’exclavage, attirant ainsi l’attention de Léon XIII qui le nomme le 24 février 1878 délégué
apostolique de l’Afrique Equatoriale avec responsabilité d’évangéliser la « Région africaine des Grands Lacs »,
avec les membres de son Instiut des missionnaires de Notre-Dame d’Afrique qu’il fonda en 1872, formant avec
d’autres instituts (frères et sœurs), la Société des Missionnaires d’Afrique (SMA, différente de l’autre SMA,
Société des Missions d’Afrique fondée en 1856 à Lyon), célèbre par ses « Pères blancs » (à cause de leur tenue
adaptée au Sahara et de la barbe blanche), voir RUDAKEMWA, Fortunatus, L’évangélisation du Rwanda (1900-
1959), Paris, L’Harmattan, 2005, pp. 58, 61, 64-66.
497
C’est à ce titre que l’Eglise du Congo célébra en mai 1980 le centenaire de la « deuxième évangélisation » ;
pour cet événement, voir L’Eglise catholique au Zaïre. Un siècle de croissance (1880-1980), Kinshasa, Ed. St
Paul, 1981.
498
S’écrit aussi Kasaï, on trouve les deux formes chez les missionnaires, tandis que l’administration privilégie la
forme Kasaï ; le Kasaï, situé au centre du Congo, s’est, depuis 1960, scindé en deux provinces politico-
administratives qui s’appellent depuis 1972 Kasaï Occidental et Kasaï Oriental.
203

des méthodes et du travail de la congrégation de Scheut au Congo, le fer de lance de l’œuvre


missionnaire aussi bien que de la colonisation belges. La Congrégation du Cœur immaculé de
Marie (Congregatio Immaculati Cordis Mariae, CICM) ou Scheut499, comme on la désigne
couramment, est créé le 28 novembre 1862 à Scheut, un faubourg de Bruxelles, par le père
Théophile Verbist, avec le projet d’ouvrir une mission belge en Chine, à l’époque où les
jésuites y sont en difficulté et où d’autres congrégations sont envoyées par la Propagande pour
les remplacer. C’est à cette congrégation « nationale » belge que le roi Léopold II va
s’adresser pour son aventure africaine ; pour y répondre, Scheut envoya un petit groupe de
pères scheutistes, Albert Gueluy, Ferdinand Huberlant, Albert de Backer et Emeri Cambier.
Ces premiers missionnaires arrivent à Boma (Bas-Congo) le 21 septembre 1888, mais
continuent vers le Kasayi, en reprenant le poste de Kwamouth500 abandonné par les Pères
Blancs, mission qu’ils appelleront Berghe-Sainte Marie501.

L’ouverture de la mission au Kasayi s’est faite à l’ombre de la création du premier


poste colonial, établi par les Allemands Pogge et Wissmann en 1881 près d’un village
appartenant au grand chef de la région, Kalamba Mukenge, poste que l’allemand Pogge
baptisa « Pogge-station », que les porteurs Bimbadi amenés d’Angola par Wissmann en 1884
appelèrent du nom de leur village d’origine, Malange, et que les populations locales traduiront
par Malandi (ou Malandji). Cette première mission fut installée sur la rive droite de la rivière
Mikalayi, à quelques kilomètres du poste d’Etat déplacé de Pogge-station à la rive gauche de
la Lulua et rebaptisé pour cela Luluabourg. La mission s’appela Luluabourg Saint Joseph, du
nom de poste administratif. En fait, le poste allemand de 1881-1884 passa aux Belges en 1886
après la Conférence de Berlin (la création de l’Etat Indépendant du Congo, E.I.C.) et c’est
ainsi que le Kasayi fut occupé par les administrateurs belges et par les missionnaires de
Scheut envoyés du Bas-Congo où ils étaient déjà établis pour aller ouvrir la mission du
Kasayi. Les missionnaires tiennent à préciser que la mission fut fondée à la suite d’une
pétition du grand chef Kalamba Mukenge, déposée depuis 1887, demandant le baptême pour
lui et pour son peuple ; c’est le père Emery Cambier, l’un des arrivants du groupe de 1888,
qui en fut chargé. La date officielle retenue de cette fondation est le 8 décembre 1891, jour de

499
Pour l’histoire de Scheut, voir VEHELST, Daniel et DANIËLS, Hyacint, Scheut, hier et aujourd’hui (1862-
1983) Histoire de la congrégation du Cœur Immaculé de Marie – CICM, Leuven, 1991.
500
Cette localité fait actuellement partie de la province du Bandundu, à l’époque les terres de Léopld II n’étaient
pas encore organisées comme elles le seront plus tard, le Kasaï et une grande partie du Bandundu actuels
constituaient une même entité administrative et étaient dans un même « vicariat apostolique ».
501
KAVENADIAMBUKO, Ngemba Ntima, La méthode d’évangélisation des Rédemptoristes belges au Bas-
Congo (1899-1919) - Etude historico- analytique , Editrice Pontificana, Università Gregoriana, 1999, p. 89.
204

la fête de l’Immaculée Conception où fut célébrée la première messe502. Après cette première
réalisation, les fondations de missions au Kasayi vont s’enchaîner : Mérode Saint Jean
Berchmans en 1894, Muteba-SaintTrudon (près de Lusambo) en 1895, Hemptinne Saint
Benoit en 1897, Tielen Saint Jacques en 1898, une autre mission à Lusambo en 1906,
Ndemba Saint Jean-Baptiste en 1907, Luebo Sacré-Cœur en 1909, Kabinda Saint Martin en
1913, Katende Saint François Xavier en 1915, Ndekesha N-D des Sept douleurs en 1917,
Mayi Munene Immaculée Conception en 1919, ainsi de suite. En 1940, le Vicariat apostolique
du Kasayi comptait 31 missions503. Dans bien de ces missions établies en dehors de toute
agglomération, le peuplement initial fut garanti grâce à des familles d’esclaves rachetés par
les missionnaires, auxquels, comme à Luluabourg Saint Joseph, s’ajoutaient les porteurs
extérieurs à la région mais apportés par les missionnaires tout au long de leur avancée vers la
région choisie (parfois des étrangers, comme les porteurs « Bimbadi » d’Angola venus avec
les explorateurs coloniaux allemands à Luluabourg).

Ce résultat encourageant justifia l’érection d’une structure de l’Eglise du Congo par la


création d’un « vicariat apostolique de l’Etat Indépendant du Congo », confié, à la demande
insistante, pour les raisons que nous verrons plus loin, de Léopold II, aux missionnaires de la
congrégation belge des Pères de Scheut, mais d’autres congrégations vinrent la compléter,
toutes avec les prêtres et religieux de nationalité belge : les Jésuites (1893), les Trappistes de
Westmalle (1894), les prêtres du Sacré-Cœur (1897), les chanoines Prémontrés de Tongerloo
(1898), les Rédemptoristes (1899), les Bénédictins de l’Abbaye de Saint André lès Bruges
(1910). Parallèlement aux prêtres, des religieux se firent confier l’enseignement des petits
Congolais, notamment les Frères des écoles chrétiennes en 1909, les Frères maristes en 1911,
les Frères de Saint Gabriel en 1928, les Frères de Notre-Dame de Lourdes en 1929 et les
Xavériens de Bruges en 1931.

Pour des tâches particulières, dans divers secteurs sociaux, l’enseignement des jeunes
filles congolaises, la tenue des dispensaires, hôpitaux, maternités, homes de vieillards,
orphelinats et résidences de veuves, l’Eglise du Congo a très tôt senti, la nécessité de recourir
à des congrégations de religieuses, lesquelles, comme pour les prêtres, furent au départ des
congrégations missionnaires, venues d’Europe et installant des « maisons » locales
provinciales ou diocésaines. Les premières religieuses installées au Congo sont celles de la
Congrégation des Sœurs de la Charité de Jésus et de Marie de Gand (Belgique) arrivées en

502
SCHEITLER (Père), Marcel, L’histoire de l’Eglise catholique au Kasayi, Kananga, Ed. de l’Archidiocèse,
1990, pp. 9-13.
503
Ibid., pp. 351-355.
205

1892 au Bas-Congo, qui s’occupent des hôpitaux comme celui de Kinkanda près de Matadi et
des orphelinats comme celui de Kimbao près de Muanda, et de la formation des jeunes filles.
Cette congrégation va étendre sa présence en ouvrant un couvent, deux ans plus tard, à
Luluabourg Saint Joseph encore appelée Mikalayi, près de l’actuel Luluabourg (Kananga) au
Kasaï. D’autres congrégations missionnaires suivront à mesure que se multipliaient les
missions, beaucoup d’autres pour être établies sur tout le territoire de la colonie, comme les
Sœurs de Notre-Dame de Namur (1894), les Franciscaines de Marie en 1896, les Sœurs du
Cœur Immaculé de Marie en 1899, les Filles de la Croix en 1911, les Sœurs Franciscaines du
Règne de Jésus-Christ, en 1911 également, les Augustines en 1919, les Sœurs du Sacré-Cœur
de Marie en 1939. Il y eut ainsi des couvents dans tous les diocèses ; lors de l’accession du
Congo à l’indépendance, en 1960, on pouvait constater que ces congrégations missionnaires
avaient formé 890 religieuses congolaises504.

Depuis 1888, tout le territoire colonial belge était organisé en deux divisions
ecclésiales fédérant l’ensemble des missions existantes et appelées « vicariats apostoliques » :
le vicariat apostolique du Congo Belge pour l’ensemble de la partie ouest comprenant, outre
la ville de Kinshasa, les actuelles provinces du Bas-Congo, du Bandundu, de l’Equateur, du
Kasaï Occidental, du Kasaï Oriental et de la province Orientale, et le vicariat du Haut Congo
couvrant essentiellement la région des Grands Lacs et la partie du Katanga qui était déjà
intégrée dans la possession belge. Au fur et à mesure de cette implantation, va se mettre en
place une nouvelle organisation structurelle et pastorale, en des structures territoriales
appelées des « missions indépendantes », « préfectures apostoliques » avant de devenir à leur
tour des « vicariats apostoliques » à part entière, appellations propres aux pays de mission
comme l’était le Congo, qui seront, une fois que la « hiérarchie » d’une Eglise locale aura été
instaurée pratiquement la veille de l’indépendance du Congo-Belge, à l’origine des 47
diocèses actuels, dont 6 archidiocèses.

Il faut signaler cette sorte d’encadrement disciplinaire, moral et culturel des convertis
par les missions dans l’E.I.C., selon des stratégies mises en place par les scheutistes, ainsi
d’ailleurs que le faisaient les jésuites implantés dans le Bas-Congo (à Kionzo, à Kisantu et à
Kimwenza près de Kinshasa). Il faut dire que la méthode fut imposée par la difficulté
rencontrée par les missionnaires pour « convertir les adultes », il fallait donc des stratégies et
des approches qui plairaient et attireraient. C’est pour cela qu’avec l’aide de l’Etat, qui prit en
charge les enfants libérés lors de la grande campagne antiesclavagiste de Mgr Lavigerie et de

504
Actes de la VIème Assemblée de l’épiscopat, op. cit., p.67.
206

l’E.I.C., ainsi que les orphelins et enfants abandonnés505, qui deviendraient « les pupilles de
l’Etat » dont la formation sera confiée à des missionnaires (dans des « colonies scolaires »
dont certaines, celles de Boma et à Makanza « Nouvelle Anvers », sont célèbres) ou à la force
publique (l’armée), tandis que des adultes victimes des esclavagistes arabes ou de l’esclavage
interne (intertribal) mais rachetés par les missionnaires étaient également recueillis par eux ;
ces esclaves affranchis constituent le premier groupe cible de l’évangélisation. Un autre
groupe est formé, sur la base d’une expérience déjà en œuvre avec un brin de paternalisme
chez les scheutistes d’Extrême-Orient506, à partir de ceux qui redoutent l’insécurité et la
misère, qui trouveraient la liberté et la protection auprès des missionnaires. Ces personnes
bénéficieraient ainsi d’une aide multiforme : logis que les villageois ont le droit de construire
à l’ombre et sous la protection de la mission, traitement et soins, éducation, travail et, donc,
revenu, et… évangélisation. Cette stratégie prit des formes variées : fermes-chapelles chez les
jésuites, villages-chrétiens (ou villages des missions) chez les scheutistes. Le projet
d’évangélisation était de soustraire les nouveaux chrétiens à l’influence aussi bien de leur
milieu coutumier avec ses idées et pratiques « païennes » et, ainsi, éviter le risque d’un retour
au paganisme, qu’à celle des colons blancs aux mœurs dissolues ; on les regroupait, hommes,
femmes et enfants, autour de la mission, en un « village chrétien » à l’image de ceux qui se
construisaient en Amérique, « soumis à des règles d’ordre et de discipline intérieure édictées
par le missionnaire »507. L’espoir était également nourri que les « villages chrétiens »
transformeraient les villages environnants et amèneraient l’évangélisation de vastes régions
Ainsi, partout, particulièrement au Kasayi, autour de la résidence des missionnaires, se
fondaient des villages en quelque sorte « extra-coutumiers », dont les habitants, désignés
comme « les gens de la mission » ou les « hommes des missionnaires », venant d’un peu
partout ou, souvent à l’origine, d’anciens esclaves libérés ou rachetés et adoptés par les
prêtres, ainsi qu’on l’a vu, et qui se singularisaient de ceux des milieux traditionnels parce
qu’ils ne relevaient en principe d’aucune autorité coutumière mais aussi et surtout par un
mode et une discipline de vie constamment sous contrôle des missionnaires.

Ces structures (missions, villages chrétiens, fermes-chapelles, etc.) « étaient un


essaimage de la mission centrale : une dizaine de familles chrétiennes étaient détachées du

505
Depuis qu’il était évêque d’Alger, Mgr Lavigerie s’était engagé personnellement dans l’assistance aux
orphelins qui fut pour lui un des grands buts de l’apostolat.
506
Voir, HANSSEN, Alain, « Les méthodes d’évangélisation des pères de Scheut durant l’entre-deux-guerres en
Mongolie – Dossiers », in BTNG-RBHC, XVII, 1983, 3-4, pp. 461-486, spécialement pp. 464-467.
www.flwi.ugent.be.btng-rbhc/pdf/BTNG-RBHC,%2017,%201986,203-4,%20pp%20461-468.pdf
507
Rapport sur l’érection de la Mission du Kasaï supérieur, 1901, cité par PRUDHOMME, Claude, op.cit., pp.
75-76 ; le rapport décrit la pratique dans la région de Luluabourg, mais la stratégie d’implantation était partout
identique.
207

poste central et installées… avec catéchiste, écoles, résidence du missionnaire, financées


grâce aux dons de bienfaiteurs, tandis que les familles vivaient de leur travail de champ (d’où
le nom de fermes-chapelles) »508. Mais surtout, ces structures sont une nouvelle méthode
d’évangélisation car, « à partir de ces centres, on espère pouvoir convertir les villages
environnants »509, convaincus que le noyau des nouveaux convertis de ces « centres
d’évangélisation » que sont les villages chrétiens et fermes-chapelles seraient un puissant
stimulant pour les païens510. Le système des fermes-chapelles périclita à la suite d’un décret
de l’Etat Indépendant du Congo établissant la liberté de choix des anciens esclaves, qui ne
sont plus obligés de travailler si ce n’est que comme salariés.

Claude Prudhomme a vérifié cette pratique à une échelle plus large de la mission un
peu partout en Afrique, observant que les missionnaires catholiques « obéissent à une logique
qui passe par l’édification de mico-chrétientés sur lesquelles les missionnaires exercent un
contrôle direct, à l’occasion de leurs tournées, ou indirect à travers des relais locaux […] »,
une pastorale qui suppose « de séparer les néophytes de leur milieu, pour éloigner le risque
d’un retour au paganisme ». Il constate « l’universalité du modèle de la chrétienté organisée
autour du missionnaire », aussi bien dans les missions des Indes que dans le travail des
scheutistes au Congo belge. Dans le premier cas, le délégué apostolique L.M. Zaleski vantait
les mérites des conversions collectives en comparaison avec les conversions individuelles,
parce que « les missionnaires doivent travailler à provoquer des conversions en masse, même
au risque de défections futures qui, dans ce cas, sont inévitables ». Dans le futur Congo belge,
il cite le cas précis de la mission au Kasayi « où la logique est poussée à son terme » par les
scheutistes qui « ont commencé par s’installer à proximité de Luluabourg ; ils y ont groupé
peu à peu autour de leur résidence les esclaves libérés ou rachetés » et en demandant de leur
part une dépendance basée sur les lois coutumières du pays, de façon que tout le personnel
ainsi adopté […], se considèrent […] comme les hommes du Missionnaire »511.

C’est de cette manière que progressivement s’étoffent les missions et l’Eglise


missionnaire, à l’origine avec uniquement des prêtres missionnaires étrangers et, timidement
au départ, avec de plus en plus un clergé autochtone dont la formation nécessitera la création

508
Ces fermes-chapelles et postes secondaires portaient des noms exotiques, du genre, Lourdes Notre-Dame,
Ypres St Joseph, Grammont sur la montagne, Flobecq N-D de la paix, Courtai St Amand, Hély St Aignan,
Waterloo St Henri, Asseghem St jean, etc.
509
SCHEITLER, Marcel, op., cit, pp. 109-112, spécialement pp. 110-111.
510
KAVENADIAMBUKO Ngemba Ntima présente d’une façon assez complète cette méthode suivie dans
certaines régions non seulement par les scheutistes, à la suite des jésuites, mais aussi par les rédemptoristes, in
La méthode d’évangélisation des Rédemptoristes belges…, op.cit., pp. 90-111.
511
PRUDHOMME, Claude, Missions chrétiennes et colonisation…, op.cit., pp. 75-76.
208

d’établissements spécialisés, les séminaires ; grâce à ce clergé indigène, l’Eglise s’adapte


partiellement au milieu socio-culturel des contrées dans lesquelles elle est implantée. Mais,
l’origine coloniale de l’Eglise missionnaire va traîner comme un boulet stigmatisant le
christianisme en Afrique.

III.II.II La collusion entre la mission et le colonialisme

Personne ne nie plus aujourd’hui que l’évangélisation fut intimement liée à la


colonisation, cette dernière étant entendue comme un projet double de domination politique et
d’exploitation économique ; il en fut ainsi déjà lors de la « première évangélisation », mais
aussi même pour le continent américain où, dès le début des « grandes découvertes », les
explorateurs eux-mêmes, pour faire financer leur aventure par les rois européens, catholiques
et fidèles sujets du pape ainsi que par ce dernier, insistaient sur la conjonction entre mobiles
religieux et mobiles politico-économiques. Pour l’illustrer, Claude Prudhomme rapporte cette
adresse de Christoph Colomb aux souverains espagnols, parlant des Indiens qu’il a
« découverts » en Amérique, il dit :

« Ils sont crédules ; ils savent qu’il y a un Dieu dans le ciel et restent persuadés que
nous sommes venus de là. Ils sont très prompts à dire quelque prière que nous leur
enseignons et font le signe de la croix. Ainsi Vos Altesses doivent se déterminer à en
faire des chrétiens, et je crois que, si l’on commence, en très peu de temps, Vos
Altesses parviendront à convertir à notre Sainte Foi une multitude de peuples en
gagnant de grandes seigneuries et richesses ainsi que tous les peuples d’Espagne,
parce que sans aucun doute il y a dans ces terres de grandes masses d’or. »512.

Mais, ces liens historiques et, peut-être, stratégiques, entre l’Eglise missionnaire et
l’administration coloniale sont à l’origine d’un ensemble de difficultés d’ordre psychologique,
politique et social, auxquelles, surtout vers la fin de la colonisation, elle devait faire face.

Un rappel historique s’avère nécessaire pour comprendre cette situation en ce qui


concerne le cas belge au Congo. Du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, se tient à Berlin, à
l’initiative du chancelier allemand Bismarck, une conférence internationale en vue de régler
des questions apparues dans des domaines qui attisaient les appétits des grandes puissances et
les divisaient, en rapport avec l’occupation de différentes contrées africaines dans laquelle
elles étaient toutes engagées : la liberté du commerce dans le bassin du fleuve Congo, la
liberté de navigation sur les fleuves à caractère international comme le Congo et le Niger et

512
Ibid., p. 25.
209

les conditions d’opposabilité de l’occupation de régions africaines513. Le « partage de


l’Afrique » réalisé par cette conférence résulte de l’Acte général du 23 février 1885 qui
proclame que :

« Toute puissance européenne établie sur une côte africaine pourrait revendiquer
l’arrière pays, en reculant indéfiniment ses frontières jusqu’à ce qu’elles rencontrent
une zone d’influence européenne voisine, mais que l’annexion suppose une
occupation effective du terrain et une notification immédiate aux autres puissances
des traités conclus avec les indigènes »514.

Pour Léopold II de Belgique, le résultat fut la reconnaissance qu’il obtint de sa


possession du Congo comme un Etat, l’Etat indépendant du Congo (E.I.C.), et de lui-même
comme le souverain de cet Etat. En réalité, en fait d’ « Etat indépendant », le Congo, dans des
frontières encore floues à l’époque et qui vont être fixées au fur et à mesure qu’il va étendre
son territoire jusqu’après la 1ère guerre mondiale, demeurera jusqu’en 1908 la propriété privée
de Léopold II. Fort de cette propriété et de cette souveraineté, et n’acceptant pas la présence
de missionnaires français et autres étrangers sur ses terres, il obtint du Pape Léon XIII que les
missions du Congo, depuis 1865 confiées à la congrégation des Pères Blancs français (alors
qu’en fait Léopold II n’avait pas encore occupé cette partie de ce qui sera le Congo Belge),
fussent, à partir de 1886, remises exclusivement aux prêtres belges, prioritairement à la
congrégation belge des Pères de Scheut Mais, la gestion des postes de mission au Congo fut
partagée avec les Pères Blancs mais de nationalité belge515, ces derniers remplaçant les
Français qui, ainsi que nous l’avons vu ci-dessus, avaient évangélisé la partie est du Congo
depuis 1880.

Dès ce moment, Léopold II allait établir avec le catholicisme missionnaire belge des
liens d’une étroite collaboration, dont les termes seront formalisés et cristallisés dans une
convention conclue en bonne et due forme, le 26 mai 1906, entre l’Etat Indépendant du Congo
et le Saint-Siège. Certes, on peut affirmer que dans tous les territoires colonisés, une certaine
collaboration s’est toujours instaurée entre les missionnaires et le pouvoir colonial, de même
que toute puissance coloniale préfère que l’évangélisation soit confiée aux prêtres nationaux.
Ainsi, R. Bureau note une telle collaboration au Cameroun entre le colonisateur allemand et la
congrégation des Pères Pallotins, dont les responsables se félicitaient de « la coopération

513
Elle réunit treize nations européennes et les Etats-Unis : Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark,
Espagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Russie, Suède et Turquie.
514
Dans BRUNSCHWIG, Henri, Le partage de l’Afrique noire, question d’histoire, Paris, Flammarion, 1971, p.
127.
515
NKULU BUTOMBE, « L’arrivée des premiers missionnaires du Saint-Esprit au Zaïre », in L’Eglise
catholique, Kinshasa, 1981, pp.61-71.
210

importante entre l’Etat et l’Eglise … et (de) l’entente fondamentale entre les deux pouvoirs
suprêmes », tandis que les prêtres considéraient, comme signe de patriotisme, d’éduquer les
indigènes dans le sens de « la germanité »516, ce que confirme Jean-Paul Messina citant
l’évêque allemand du Cameroun encore colonie allemande, Mgr Heinrich Vieter, qui fait
« l’éloge de la collaboration entre les forces coloniales et les missionnaires »517. Il y a là, au
moins comme réminiscences, une forme moderne du partage du monde (entre Espagnols et
Portugais en 1493 par le Pape Alexandre VI Borgia) et tradition du padroado qui reconnaît
aux colonisateurs un droit de patronage sur les missions installées sur le territoire de leurs
possessions518, un véritable renouveau du traditionnel cuius regio eius religio. Ce lien entre
missionnaires et administration coloniale a dénaturé la vocation de la mission et dans bien des
cas, comme dit Alioune Diop, « Sauf de rares exceptions, les missionnaires semblent, au long
des siècles, avoir confondu leur vocation de messager et d’interprète de Dieu avec la
glorification de leur propre histoire et de leur propre génie »519

Le cas belge est un cas à part, où existe un monopole national d’évangélisation,


formalisation conventionnelle des rapports et liens de droits et devoirs réciproques entre les
deux camps. Il appert, en effet, que Léopold II avait méthodiquement organisé l’implication,
devenue dans certains cas la compromission, des missionnaires catholiques dans l’action
colonisatrice qu’il avait conçue sur la base d’une association tripartite à trois piliers, dans
l’ordre, l’Eglise catholique, ensuite les sociétés industrielles et commerciales coloniales et,
enfin, l’administration et l’armée (appelée Force Publique ») coloniales. C’est le fameux
« trinôme colonial » ou encore la « trilogie coloniale ». Il est, en tout cas, établi que l’une des
pseudo-justifications du colonialisme a été l’imposition à des peuples tenus pour sauvages,
païens et inférieurs, des valeurs de la civilisation européo-chrétienne. Durant les derniers
siècles, en Amérique, en Asie et ce XIXème siècle en Afrique, le colonialisme occidental avec
son sentiment de supériorité culturelle influença l’entreprise missionnaire. On allait
évangéliser les peuples primitifs et, en raison de ce langage et de cette manière de voir, on
avait à la fois comme but concomitant de les « civiliser ».

Exploitant foncier et fondateur d’empire colonial, Léopold II s’est institué propagateur


de la foi catholique, affichant de donner à son E.I.C. une double mission « civiliser et
516
BUREAU, René., Ethno-sociologie religieuse des Douala et apparentés, Thèse de doctorat, 3ème cycle, Paris,
1962, p. 262.
517
MESSINA, Jean.-Paul, Culture, christianisme et quête d’une identité africaine, Paris, L’Harmattan, 2007, p.
67.
518
HEBGA, Meinrad- Pierre., Emancipation d’Eglises sous tutelle, Paris, Présence Africaine, 1976, p. 42.
519
DIOP, Alioune, « Occident chrétien et colonialisme culturel », in HORAY, Pierre, La Conscience chrétienne
et les nationalismes, 1959, p. 226.
211

évangéliser »520. Il fut pratiquement conforté dans ce rôle par le pape Léon XIII lui-même
dans une lettre au Supérieur de la congrégation de Scheut dont l’extrait ci-après :

« Vous n’ignorez pas, cher Fils, Notre ardent désir de voir les peuples sauvages de
l’Afrique abandonner les ténèbres de l’erreur à l’éclat de lumière de l’Evangile, et
échange leurs coutumes abruties avec la politesse et la civilisation chrétienne […]
C’est grâce aux Belges, et surtout aux ministres de l’Eglise qui se rendent au Congo
sous les auspices et avec la protection de leur très religieux prince, que la lumière de
la vérité commence à se lever sur la terre africaine, et que ses habitants se prennent à
délaisser les habitudes et les prescriptions de la barbarie pour se plier aux usages des
peuples policés. Ce changement aura pour effet de soustraire à la loi de leurs
caprices ces tribus, peuplades ravalées au niveau de l’animalité, et de les faire passer
de la servitude de la corruption à la glorieuse liberté des enfants de Dieu »521.

On peut dès lors se demander si les missionnaires ne servaient pas de manière


particulièrement efficace les visées du colonialisme. Un premier exemple, le plus impitoyable
sans doute, de cette collusion au moins objective y compris dans le mal, est illustré notamment
par le silence de l’Eglise catholique officielle sur les abus et les atrocités qui accompagnaient
l’exploitation des ressources minières et forestières congolaises par les compagnies à charte
léopoldiennes et d’autres sociétés coloniales. L’E.I.C. était, en fait, une propriété personnelle
de Léopold II, faussement érigée en un « Etat indépendant ». En effet, sous ce monarque, le
territoire du Congo était rattaché non pas au royaume belge et à son gouvernement mais au
seul monarque établi par la loi comme l’unique source de pouvoir, dont les structures établies
au Congo n’étaient que des rouages d’exécution. C’est que, entre 1885 et 1908, Léopold II
avait élaboré des normes fondamentales sur le plan juridique et économique qui lui
garantissaient le contrôle sans partage du territoire et de ses ressources. A preuve, cet extrait
d’une lettre datée du 3 juin 1906, adressée par Léopold II aux secrétaires généraux :

« Le Congo a donc été et n’a pu être qu’une œuvre personnelle. Or, il n’est pas de
droit plus légitime et plus respectable que le droit de l’auteur sur sa propre œuvre, fruit
de son labeur [...] Mes droits sur le Congo sont sans partage; ils sont le produit de mes
peines et de mes dépenses [...] Le mode d’exercice de la puissance publique au Congo
ne peut relever que de l’auteur de l’Etat; c’est lui qui dispose légalement,
souverainement, et qui doit forcément continuer à disposer seul, dans l’intérêt de la
Belgique, de tout ce qu’il a créé au Congo »522.

Avant 1908, le pouvoir exécutif était régi par le « décret du Roi Souverain du 1er
septembre 1894 ». Le roi nommait un secrétaire d’Etat, « chargé de l’exécution des mesures
décidées par nous ». Le secrétaire d’Etat était assisté d’un trésorier général et de trois
520
KAYENADIAMBUKO, Ngemba Ntima, Les méthodes d’évangélisation des Rédemptoristes belges au Bas-
Congo (1899-1919)…, op.cit., p. 88.
521
Cité par QUENUM, Alphonse, op.cit., p. 181.
522
KAYENADIAMBUKO, Ngemba Ntima, ibid.
212

secrétaires généraux ; ensemble, ils formaient le « gouvernement central », qui résidait à


Bruxelles et dont la politique et les décisions étaient relayées au Congo par un gouverneur
général ayant tout pouvoir, civil et militaire sur l’ensemble des fonctionnaires de « l’Etat »,
cette situation ne devait guère changer après 1908 lorsque le Congo passa, en héritage, du
monarque absolu au Royaume de Belgique. Le 15 novembre 1908, l’E.I.C. devint le Congo
belge, contre 95,5 millions dont 50 à la charge du Congo versés en 15 annuités au roi ou à ses
successeurs pour couvrir diverses rentes (notamment au prince Albert), des subventions aux
missionnaires de Scheut, et l’entretien des serres de Laeken et du musée colonial de Tervuren.
Les 45,5 millions à la charge de la Belgique sont versés « au roi en témoignage de gratitude
pour ses grands sacrifices en faveur du Congo créé par lui ».

De plus, en fait de colonisation, il s’agissait d’une entreprise marchande, de cueillette


et de négoce dont les méthodes n’en cédaient en rien à l’esclavage ; par cette exploitation, les
autochtones étaient systématiquement spoliés de leurs terres, considérées par eux dans leurs
cultures comme propriété collective héritée des ancêtres, pour les céder au « domaine de la
Couronne » et à des compagnies à charte coloniales, tandis que les populations des régions
forestières, dans lesquelles avaient été taillés d’immenses domaines pour l’exploitation du
bois et l’extraction du caoutchouc, étaient décimées par des travaux forcés sans grande
différence avec l’esclavage. A ce titre, il est fréquemment fait état d’exécutions, de mains et
bras coupés pour le moindre manquement comme des quotas non remplis, d’exécutions
sommaires pour vol ou insoumission, tandis que les autochtones étaient à la merci
des « commandants » locaux ou, même, de simples exploitants privés. Dans Le crime du
Congo523 et dans plusieurs articles, Sir Arthur Conan Doyle affirmait que "L'exploitation du
Congo fut le plus grand crime contre l'humanité jamais commis dans l'histoire de l'humanité"
et estimait que ces crimes firent en vingt ans plus de victimes qu'un siècle d'esclavagisme
dans toute l'Afrique524.

En réalité, il n’est pas exagéré de dire que les tâches principales des agents de l’EIC
consistaient à faire récolter l’ivoire, le caoutchouc et à recruter des hommes par la force. Ces
méthodes étaient également utilisées dans l’exploitation du cuivre au Katanga et de l’or dans
la région de Kilo-Moto (dans l’actuelle Province Orientale, dans le Nord-Est du Congo), où

523
Londres 1909 et Paris 1910, réédité à Bruxelles en 2005 avec une postface de Colette Braeckmann.
524
Sur le système léopoldien, lire VANGROENWEGHE, Daniel, Du sang sur les lianes, Bruxelles, Didier
Hatier, 1986 ; MASSOZ, Michel, Le Congo de Léopold II, Liège, 1989 et HOCHSCHILD, Adam, Les fantômes
du roi Léopold II - Un holocauste oublié, Paris, Belfond, 1998. V. également Le roi blanc, le caoutchouc rouge,
la mort noire, documentaire belge, de Peter BATE, vu sur ARTE-Tv, mercredi 10 mai 2006,
213

les « travailleurs » étaient de véritables forçats, recrutés de force dans la brutalité, par des
enlèvements etc.

Des missionnaires protestants anglo-saxons avaient énergiquement dénoncé le


scandale du « caoutchouc rouge » (des mains coupées pour non respect de quota imposé de
caoutchouc à livrer aux colons, pratique suivie également dans l’exploitation de l’ivoire, etc.).
De fait, à partir de 1900, un nombre de plus en plus grand de rapports sur les “atrocités au
Congo”, parmi lesquels ceux de journalistes mais aussi ceux venant de missionnaires
protestants, permirent une campagne de dénonciation des exactions commises au Congo. A
l’inverse, les missionnaires catholiques en général et les Scheutistes en particulier, ne
critiquaient jamais le système mis en place par le roi, au contraire, ils en faisaient la
propagande. C’est le sens de cette contradiction personnelle d’un missionnaire, père Camille
Van Ronslé, qui, à l’issue d’une tournée au Congo en 1895, rapportait à son supérieur en
Belgique ce scandale qu’il avait rencontrait dans l’Etat Indépendant du Congo de Léopold II :
« On trouvait que nous étions en présence d’un spectacle d’esclavagisme en grand […] Les
caravanes qui descendent la route à Boma jonchent la route de cadavres », mais devenu
vicaire apostolique (évêque) il ne craignit pas de hésitait pas à déclarer, neuf ans plus tard en
1904 que « jamais ni moi-même ni, à ma connaissance, personne parmi mes missionnaires,
nous n’avons été témoins oculaires d’un acte de cruauté, ni d’un effet quelconque d’un tel
acte »525. De façon générale, l’Eglise missionnaire catholique belge s’était totalement tue,
consciente sans doute de son statut de partenaire privilégié de la colonisation comme premier
pilier de cette dernière526.

Dans l’ensemble, les missionnaires catholiques belges coopérèrent avec


l’administration coloniale et les grandes compagnies, aussi bien les compagnies à charte que
celles de traite et de négoce, dans cette fameuse trilogie coloniale souvent dénoncée. C’est
ainsi que, par exemple, l’évangélisation du Kasaï, érigé en mission autonome détachée du
vicariat de l’E.I.C., se développe dès les premières années par un accord conclu en 1902 entre
la congrégation de Scheut et la Compagnie du Kasaï (CK), une compagnie à charte créée en
décembre 1901, pour la « mise en valeur » de cette région. Aux termes de cet accord, les
« travailleurs » des missions du Haut-Kasaï sont mis à la disposition de la CK pour le portage
de caoutchouc et de marchandises ; en échange, la CK finance l’établissement des missions et
l’entretien des œuvres. L’administration coloniale est impliquée dans ces relations de
525
« Histoire de la colonisation au Congo », 1876-1910, www.cobelco.org
526
TERRAS, Luc, Petit atlas des Eglises africaines. Pour comprendre l’enjeu du christianisme en Afrique,
Golias, Paris, 1994, p.172.
214

« confiance » entre la mission et les affaires quand, par exemple, des rébellions se lèvent
contre les agents de la CK (comme la rébellion kuba en 1905), elle utilise la Force Publique
(l’armée coloniale composée de Noirs dirigés par des commandants blancs) pour sécuriser la
compagnie et les missions, consommant une application locale de la trilogie coloniale
« Eglise-Administration-milieux d’affaires ». C’est de cette manière que, mise en cause par
cette campagne des protestants, la même Compagnie du Kasaï (CK), sur la base et forte de ce
contrat, demanda à la Mission du Kasayi de l’aider dans la propagande qu’elle comptait
entreprendre pour redorer son image, voulant se montrer comme une entreprise de
philanthropie en faveur des travailleurs indigènes. L’Eglise du Kasaï, par l’intermédiaire du
Père Cambier, le provincial de Scheut, lui rendit ce service en l’associant à ses œuvres
généralement bien réputées et appréciées. On cite particulièrement, comme résultat de cette
coopération, la fondation et la construction de deux missions avec école et hôpital. Il s’agit
d’abord de la mission et de l’école de Ndemba St Jean-Baptiste (au Kasayi, à quelque
soixante kilomètres au Nord-Ouest de Luluabourg) dont la CK suggéra d’elle-même, en 1908,
de financer la construction et l’équipement. La mission fut construite sur un plateau étendu
appelé « Kapinga-Ngombe », du nom d’une célèbre guerrière locale qui fut tuée au combat
sous un gros arbre auquel elle avait également donné son nom et sous lequel « les sorciers
décidaient du sort des tribus voisines » parce que, depuis, les guerres se terminaient à l’ombre
de cet arbre. C’est sous cet arbre, justement, que les premiers responsables de la mission, les
pères A. Demol et R. Buytaert, bâtirent leur premier abri527. La construction de l’Eglise fut
achevée en 1915. Une autre réalisation Eglise-CK fut la construction et l’équipement d’une
mission et d’un hôpital à Pangu, sur la rive gauche de la grande rivière Kasaï près d’Ilebo
(Port-Franqui), arrangée au cours d’une correspondance suivie entre la compagnie et le
provincial de Scheut. Dans cette correspondance, le directeur de la CK proposait au supérieur
de s’occuper « des constructions du service religieux », à réaliser « sous la surveillance des
R.P. (Révérends Pères) destinés à les occuper, par des travailleurs et artisans à la solde de la
CK » et de « mettre à leur disposition tout ce qu’ils [nous] demanderont ». Le prêtre lui
répondait en lui disant qu’il était « parfaitement et entièrement d’accord avec toutes les
dispositions », […] « Quant aux 50 travailleurs, je vais faire mon possible pour les trouver
[… ; ] mais, ne croyez-vous pas, Monsieur le Directeur, qu’il serait bon de donner à Monsieur
le gérant de Luebo des instructions […] pour les tickets de passage à leur livrer ? Dans
quelques mois, j’aurai l’intention d’aller voir Pangu et je profiterai de l’occasion d’aller vous

527
SCHEITLER, Marcel, Histoire de l’Eglise catholique au Kasayi, op.cit., pp. 120-121. L’auteur précise, détail
croustillant, que l’arbre fut abattu en 1909, les païens prédisant les pires malheurs à la mission, quelque temps
après, la foudre tomba juste à cet endroit.
215

présenter nos respects. Je suppose, Monsieur le Directeur, que comme dans nos bonnes
relations antérieures, je pourrai profiter du steamer de la CK descendant de Luebo »528. On a,
là, une illustration d’échanges de bons procédés et de la coopération mutuellement fructueuse
entre les colons et les responsables de l’Eglise missionnaire.

528
V. l’échange de courriers, notamment sur le projet de Pangu, entre le père Cambier et le directeur de la CK,
M. Chaltin ; lettre de Chaltin à Cambier (28 février 1908) et la réponse de Cambier (5 juin 1908), cité par NKAY
MALU, Flavien, La mission chrétienne à l’épreuve de la tradition ancestrale…, op.cit., pp. 66-67. Il en est
également fait état par Marcel. SCHEITLER, op.cit., p. 121.
216

Vues de l’église de Demba Kapinga-Ngombe, St Jean-Baptiste, paroisse fondée en 1907,


construction achevée en 1915, fruit de la coopération entre Scheut et la CK ; l’église fut
agrandie dans le milieu des années 1950. Photos coll. Privée, 2007.
217

Il y a, enfin, un autre aspect de la collusion, où l’on voit la colonie au service de


l’Eglise catholique, dans sa lutte d’influence avec d’autres églises, notamment les différentes
branches du protestantisme. Après avoir arraché du Vatican que l’évangélisation du Congo
soit confiée aux seuls Belges, Léopold II adopta une politique de subsides aux missionnaires
catholiques belges et facilita leur installation au Congo pour contrer « l’avancée » des
protestants (usage de la force publique pour mater les indigènes, forcer ceux-ci au portage des
charges des missionnaires pour leur pénétration à l’intérieur du pays alors qu’ils étaient
autorisés à organiser des expéditions armées pour se fournir en nourriture auprès des
villageois)529. Tout cela devait faciliter l’avancée des missionnaires catholiques face à la
concurrence des protestants. De fait, en général, l’Eglise catholique a longtemps présenté les
protestants comme un cheval de Troie, soit des Anglo-Saxons, car alors que l’Angleterre
impose « des dispositions restrictives …, chez-nous on entre comme dans une grange », soit
de Moscou qui « attache au protestantisme un intérêt particulier parce qu’il le considère
comme un point faible du front capitaliste », leur prêtant au surplus un pernicieux programme
politique tendant à reconnaître aux peuples colonisés le droit de disposer d’eux-mêmes et de
devenir indépendants530. Plus spécialement, l’Eglise catholique s’en est prise, sur le terrain de
la spiritualité, aux religions et sectes messianiques fondées par des prophètes africains : de
même que les catholiques firent expulser le « prophète » nigérian Harris de la Gold Coast
(Ghana) en 1914 et de Côte d’Ivoire en 1915531, de même les missions catholiques et
l’administration coloniales belges avaient eu partie liée au Congo Belge contre deux
mouvements messianiques congolais, le kimbanguisme (enseignements de Simon Kimbangu)
et le kitawalisme, adaptation du Watch Tower pratiqué en Afrique Australe.

Il serait peut-être exagéré d’affirmer que le christianisme serait venu, uniquement


comme arme idéologique d’aliénation et de domination, dans les malles du colonialisme et
bien plus souvent en instrument de colonisation que d’évangélisation. Mais, en tout état de
cause, les conditions de l’implantation de l’Eglise missionnaire belge, grâce à la colonisation
et en même temps qu’elle, ainsi que celles du déroulement de l’évangélisation, qui ont fait du
christianisme une chose étrangère, ont fait entourer l’Eglise catholique « coloniale », ainsi que
son œuvre, d’un climat ambigu et équivoque, et l’œuvre des missionnaires d’une suspicion,

529
TERRAS, Luc, Petit atlas des Eglises africaines. Pour comprendre l’enjeu du christianisme en Afrique, ibid.
530
KABONGO-MBAYA, Philippe B., L’Eglise du Christ au Zaïre. Formation et adaptation d’un
protestantisme en situation de dictature, Paris, Karthala, 1992, pp.59-60, où il cite ces considérations de Mgr de
Hemptine, évêque au Katanga, dans un véritable brûlot « La politique des Missions protestantes au Congo »,
Elisabethville, 1929
531
Sur Harris, lire BUREAU, René, Le prophète de la lagune. Les harristes de Côte d’Ivoire, Paris, Karthala,
1996, et WONDJI, Christophe, Le prophète Harris, Paris, Ed. ABC, 1978.
218

qui n’ont pas pu être dissipés. Ainsi, après 1908, les sévères accusations contre le système
léopoldien ont certainement fait évoluer les méthodes de la Belgique, héritière du monarque,
sans changer d’objectif ; dans ces adaptations, l’Eglise coloniale a joué un rôle de premier
plan. En effet, l’école missionnaire s’est présentée comme un moyen efficace comme le
souligne en 1930, Mgr V. Roelens, à l’époque Vicaire Apostolique du Haut-Congo:

« Mais ce qui nous donne surtout bon espoir, c’est d’avoir pu constater que toute
l’élite des coloniaux, à quelque opinion qu’ils appartiennent, est, aujourd’hui,
persuadée que, seule, la religion chrétienne-catholique, basée sur l’autorité, peut être
capable de changer la mentalité indigène, de donner à nos noirs une conscience nette
et intime de leurs devoirs, de leur inspirer le respect de l’autorité et l’esprit de
loyalisme à l’égard de la Belgique. »532

En tout état de cause, qu’une véritable légende, mais tenace, comme celle soupçonnant
les prêtres de divulguer le secret du confessionnal en dénonçant auprès de l’administration et
de la police coloniales les crimes avoués en confesse, ait pu s’imposer dans les milieux des
colonisés comme vérité avérée montre bien le degré de méfiance que suscitait cette relation
complexe entre les missions et la colonisation belge au Congo. Enfin, que l’administration ait
eu parfois à redouter les réactions de certains religieux ou même de l’Eglise sur certains
aspects noirs de l’exploitation et de la répression ou de la politique coloniales est un fait réel
mais qui n’enlève rien au fait que, globalement, pour des milieux nationalistes et des
anticléricaux, l’imposition de l’ordre nouveau colonialiste avait bénéficié de la collaboration
active de l’Eglise catholique, entraînant dans un malheureux amalgame une commune
contestation du christianisme et du colonialisme.

532
FRANCK, Louis, Le Congo Belge II, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1930, pp. 208-209, cité par Honoré
VINCK, « Le Congo de Bwana – Influence des Théories Raciales dans l’Education en Afrique Coloniale »,
http://www.realisance .afrikblog.com
219

IV

EXIGENCE D’INCULTURATION DU CHRISTIANISME


HORS OCCIDENT : DES OCCASIONS MANQUEES
Dès le début, en Extrême-Orient comme en Afrique, les missionnaires se heurtèrent
aux résistances diverses, tant politiques que culturelles et religieuses. Mais les conditions de
chaque mission feront envisager et appliquer des solutions différentes à ce véritable choc des
cultures, en réalité sans grand succès. Dans les deux cas, l’occasion s’offrait de vérifier
l’adaptabilité du christianisme et dans les deux cas l’Eglise missionnaire n’a pas réalisée la
symbiose obtenue en occident entre le christianisme et les cultures des pays de mission.

IV.I. MISSION ET DIFFERENCE DES CULTURES

Les missionnaires se heurtèrent partout au problème de l’assimilation culturelle des


peuples évangélisés, exigeant de ces derniers de prendre des noms portugais, de s’habiller
comme les Portugais et d’adopter les coutumes portugaises ; cela s’est vérifié notamment dans
les premières possessions portugaises en Afrique où les premiers baptisés, la famille royale et
les notables kongo, furent contraints de prendre des noms portugais (dom Afonso, dom
Henrique, etc.), de s’habiller et de vivre comme les Portugais, notamment à la cour du roi
kongo. La question fondamentale était de savoir s’il était possible à ces peuples de devenir
chrétiens et de rester eux-mêmes, d’adopter le christianisme sans renoncer totalement à leurs
pratiques et croyances traditionnelles. Dès lors, était-il permis d’adapter le christianisme aux
coutumes locales ou, au contraire, d’éradiquer ces dernières pour imposer exclusivement le
modèle chrétien ?

Cette question inhérente à toute œuvre d’évangélisation et de conversion, avait déjà


trouvé chez Grégoire le Grand, une solution idéale. Le saint pape, donnant à propos de
l’évangélisation de l’Angleterre ce qui devait être le modèle de toute méthode de conversion
des peuples païens, dans des lettres, notamment en 597 à Augustin de Cantorbéry, moine
bénédictin de Saint André à Rome, pendant que, sur instructions du Pape Grégoire Ier, il
préparait à Arles la mission d’Angleterre. Il lui « communiqua d’intéressantes directives
d’adaptation missionnaire » qui, pour nous, sont énonciatrices de l’inculturation qui avait fait
réussir l’implantation du christianisme en Occident et dont plus loin, nous verrons la nécessité
dans les églises locales africaines :
220

« il ne fallait pas transplanter en Angleterre les formes de vie ecclésiale, même


liturgiques, alors en usage à Rome, mais on devait rassembler un choix de coutumes
liturgiques tirées des usages de divers endroits en sorte de constituer une liturgie
adaptée pour la nouvelle Eglise… », « conserver le plus possible les lieux
traditionnels de culte ainsi que les temples païens tout en les christianisant » et « ne
supprimer que progressivement les rites sacrificiels du paganisme tout en
transformant le cérémonial de ces offrandes en sorte de les destiner franchement au
culte du vrai Dieu »533.

Si Daniel-Rops trouve dans ces directives une « façon de faire si sage, celle que
l’Eglise utilisera partout, qu’on verra notamment appliquer les moines anglais en
Allemagne », « la cause de cette substitution, en tant des lieux observable, …, des coutumes
chrétiennes, des fêtes chrétiennes, aux fêtes et aux coutumes immémoriales du passé »,
directives « si intelligentes, si fermes, si raisonnables qu’on peut y voir le résumé de la
tactique de l’Eglise en matière de conversion »534, il n’en fut cependant pas ainsi dans la
conversion des continents extérieurs à l’Europe. Partout, notamment en Amérique du Sud
mais aussi en Afrique, le modèle chrétien occidental avait supplanté, du moins dans les
célébrations et dans les comportements publics, les traditions religieuses et rituelles
« païennes » locales, dans une situation de rapport de forces défavorable aux cultures des
contrées conquises qui n’ont pu résister dans leur usage public. La situation fut identique
même en Chine et en Extrême-Orient où, pourtant, en général, les missionnaires rencontrent
plus de résistance au niveau des élites, lesquelles étaient considérées comme susceptibles
d’amplifier le mouvement d’adhésion des masses ou des castes humbles.

IV.II LE CHOC DES CULTURES EN EXTREME-ORIENT

Plusieurs missionnaires n’avaient appris ni la langue ni les coutumes chinoises, ne se


présentant qu’avec le crucifix à la main, rencontrant pour ce faire des déboires, comme les
deux franciscains qui, venant de Manille avec les méthodes de conquistadores, parlent latin,
brandissant le crucifix et proférant des menaces, ignorant que ce symbole du salut chrétien
est, chez les Chinois, symbole de sorcellerie et de magie noire535 ; mal leur en prit car ils en
récoltèrent emprisonnements et sévices. La ligne générale des jésuites sera différente, tenant
compte de ces expériences malheureuses.

533
SEUMOIS, André, Théologie missionnaire. IV Eglise missionnaire et facteurs socio-culturels, Rome, 1978,
pp. 32-33. Un colloque fut consacré à cet événement à Arles qu 20 au 22 novembre 1998, il a donné lieu à une
publication, De DREUILLE (présentation), Christophe, L’Eglise et la mission au VIe siècle, la Mission
d’Augustin de Cantorbéry et les Eglises de Gaule sous l’impulsion de Grégoire le Grand, Actes du Colloque
d’Arles de 1998, avec la préface de Mgr Louis-Marie Billé, Paris, Ed. du Cerf, 2000.
534
DANIEL-ROPS, La conversion des barbares d’Occident, in Histoire universelle des missions catholiques 1
Les Missions des origines au XVIe siècle, Paris, Fayard, 1961, pp. 101-102.
535
LAURENTIN, René, op. cit., pp. 125-126.
221

IV.II.I Les cultures chinoises résistent

Par rapport à cette problématique culturelle, la question était de savoir si, en devenant
chrétiens, on pouvait encore continuer d’être loyalement Chinois, continuer, parallèlement au
culte chrétien, l’usage des rites familiaux et nationaux, culte des ancêtres avec encensements,
saluts, oblations et prosternations devant des « autels » familiaux où se trouvent des tablettes
avec les noms des défunts de la famille ; à cela s’ajoutait un culte rendu à Confucius. Il y
avait, là, conflit entre ces rites de piété filiale et nationale et le christianisme au nom duquel
ces rites pouvaient être considérés comme de l’idolâtrie païenne. Par ailleurs, on affichait dans
les églises des copies d’une tablette offerte par l’empereur et sur laquelle il avait de sa main
écrit « il faut adorer le ciel », les Chinois vénéraient ces tablettes, était-ce de l’idolâtrie ou
simple révérence pour un objet venant de l’empereur ? Enfin, pouvait-il y avoir concordance
entre certains concepts religieux chinois et ceux du christianisme, par exemple la traduction
du terme « Dieu » par le chinois « tienzhu » ou « tien-tchou» représentait-elle le Dieu chrétien
ou une vague idée de divinité ou de « dieux » ; la traduction de « ciel » par « tien »
comprenait-elle autre chose que le « ciel » matériel ou, en plus, une idée d’être ou de principe
suprême ? On peut ainsi présenter le cœur de la querelle, en ces trois questions : Peut-on être
catholique et participer aux cérémonies en l’honneur de Confucius ? Peut-on être catholique et
pratiquer les rites du culte des ancêtres ? Par quels termes chinois doit-on désigner Dieu ?536

Ces questions se sont manifestées dès la rencontre entre les deux cultures. Mais, du
temps de Ricci, cela ne posait aucun problème particulier : Ricci, qui avait trouvé « qu’à ses
yeux Confucius est un autre Sénèque et que les quatre Livres sont de bons documents
moraux »537, expliquait qu’il avait appris des Chinois que la piété familiale aux ancêtres
n’était pas de l’idolâtrie auprès de morts pour leur adresser des prières ou des demandes, tout
comme les oblations qu’on leur faisait, et que tout cela ne servait qu’à des fins pédagogiques
pour faire intérioriser chez les jeunes la « révération » et le respect des parents en voyant
ceux-ci avoir révéré leurs propres parents et continuer de le faire même après leur mort.
Tandis que le « culte » de Confucius était une marque nationale de reconnaissance pour la
bonne doctrine qu’il leur avait léguée, alors qu’il ne lui est adressé aucune prière ni
demande538. Pour les jésuites, il n’y avait là que des rites ayant un simple sens civil, rendant
hommage à la mémoire de Confucius et des ancêtres sans les prendre pour des mânes ou,

536
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 38.
537
GERNET, Jean, op.cit., p. 191.
538
LAURENTIN, René, op.cit., p. 131.
222

encore moins, des divinités539. S’agissant de la désignation de « Dieu », face aux trois
vocables qui désignaient Dieu, « tienzhu ou tien-tchou » (Seigneur du ciel), « Chang-ti »
(Souverain Seigneur) et « T’ien » (Ciel), tous utilisables dans ces mêmes acceptions dans le
Nouveau Testament et dans la langue courante en Occident, Ricci lui-même préférait et
utilisait « le Seigneur du Ciel ». Il considérait les « rites », en fait, comme des marques de
courtoisie, de respect filial ou de loyalisme et de reconnaissance, qui n’avaient pas de contenu
ou de sens religieux.

Etienne Ducornet, sans pour autant représenter le point de vue des jésuites, opine, en
effet, dans ce sens. Répondant à la question à laquelle pour lui revient la fameuse querelle,
« la foi catholique est-elle compatible avec la pratique des cérémonies en l’honneur de
Confucius et le culte chinois des ancêtres ? » qu’il traduit par « les rites chinois sont-ils
religieux ou civils ? », il affirme que

« Dans la tradition confucéenne, les rites représentaient une expression de la piété


filiale à l’égard des défunts. Il s’agissait d’un témoignage de déférence qui se
manifestait, aux jours prescrits, par des offrandes d’aliments et d’encens déposées
devant des tablettes où étaient gravés les noms des ancêtres. Quant aux cérémonies en
l’honneur de Confucius, elles étaient réservées aux lettrés et prenaient place aux jours
d’attribution des diplômes, ou encore à la nouvelle et à la pleine lune. »540

Il confirme sa position par une comparaison avec les cérémonies civiles organisées en
l’honneur des ancêtres dans plusieurs pays, comme la France (« vénération » des monuments
aux morts pour la patrie, ou quand le président de la République ranime la flamme du soldat
inconnu) ; rites qui, « il est bien évident [que] ne visent pas une mise en relation avec les
défunts, mais simplement la reconnaissance de leur sacrifice pour le pays et la célébration de
leur mémoire »541 Mais, il fait état d’autres cérémonies, plus solennelles, organisées
« plusieurs fois par an, extérieurement elles avaient l’apparence d’un sacrifice religieux :
offrande d’un animal tué sur place, de vin, d’aliments, d’encens, d’objets précieux, suivie
d’un banquet solennel. » ; il précise, cependant, cette fois-ci expliquant le point de vue jésuite,
que « ce qui incita le Père Ricci, après une première réaction plutôt négative, à considérer ces
pratiques comme des cultes civils, fut le fait que la plupart d’entre elles étaient courantes
également à l’égard des vivants en tant qu’expressions symboliques de la vertu de piété
filiale…, l’usage de l’encens et la prosternation était fréquent pour manifester le respect dû
aux invités de marque ou aux parents. » Il ajoute une raison supplémentaire en faveur du

539
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 38.
540
Ibid., p. 105.
541
Ibid.
223

caractère non religieux : l’agnosticisme de Confucius pour qui « On ne sait pas servir les
hommes, comment peut-on servir leurs mânes ? … On ne sait ce qu’est la vie, comment peut-
on savoir ce qu’est la mort ? »542

Du vivant du père Ricci, et à sa suite, les jésuites se montrèrent ainsi tolérants vis-à-vis
de ces rites, estimant qu’il faut « accueillir au maximum », pourvu que la foi soit sauve. Outre
l’adoption de la terminologie chinoise, il fut décidé que les chrétiens pourraient continuer de
participer aux oblations et autres libations offertes aux ancêtres familiaux, au culte rendu à
Confucius et à la vénération de l’empereur, tandis qu’ils continueraient de se prosterner
devant les « autels » des ancêtres et devant la tablette posée dans les églises qui reproduisait
l’instruction donnée par l’empereur lui-même « il faut adorer le Ciel », etc. La tolérance des
premiers jésuites, à la suite de Ricci, était également justifiée par le fait qu’il convenait de ne
pas brusquer les Chinois si jaloux de leur culture, qu’il fallait honorer l’empereur qui avait
accueilli l’Eglise chrétienne et, à cause de cela, accepter par exemple la tablette « il faut
adorer le ciel » qu’il avait été lui-même offerte comme signe de cet accueil et de l’agrément
accordé volontiers à l’Eglise chrétienne ; d’autant plus que l’on pouvait raisonnablement
penser que les chrétiens abandonneront peu à peu ces pratiques.

Mais, même dans ce contexte jésuite favorable à l’ouverture culturelle, il ne manqua


pas d’initiatives malheureuses. Dans les années 1630-1640, une pastorale et une catéchèse
catastrophiques firent inventer une partie de « la bonne nouvelle » apportée aux Chinois. Par
exemple, ce catéchisme pour Chinois où sont décrits les « cinq lieux » créés par « le Maître du
Ciel » pour le séjour des âmes : à part « le paradis », il existe « quatre lieux infernaux », « Au
centre de la terre se trouvent quatre grands trous. Le plus profond est la prison » pour « les
méchants de jadis et d’aujourd’hui ainsi que les diables. Le second, moins profond, est celui
où logent les hommes bons de jadis et d’aujourd’hui qui y purgent leurs crimes. » et qui, leurs
crimes une fois purgés, seront admis au paradis. « Le troisième lieu est pour les
enfants [qui…] ne peuvent en effet monter au paradis…Mais, …, il ne conviendrait pas qu’ils
descendent dans la prison la plus profonde… Dans ce lieu, ils n’éprouvent ni plaisir ni
souffrance. Le quatrième lieu est celui où résident les saints de l’Antiquité. D’après leurs
mérites, ils devraient monter au ciel, mais la porte du ciel leur reste fermée à cause de la faute
de Yadang (le premier ancêtre) », ils attendent que Jésus, « après son supplice, vienne les en
sortir et les fasse monter au ciel ». Ces quatre lieux représentent successivement « l’enfer des
souffrances éternelles », « l’enfer où l’on purge ses crimes », « l’enfer des enfants et l’enfer
542
Ibid., pp. 105-106.
224

purificateur » (ou notre purgatoire). En application de ce catéchisme, des missionnaires durent


expliquer aux Chinois, à la grande stupéfaction de ces derniers, que leurs saints, empereurs et
sages, y compris Confucius, devraient se trouver, au mieux, dans l’enfer purificateur qui, lot
de consolation, « n’est pas très pénible ».543

IV.II.II Une inculturation avortée : la querelle des rites chinois

La rencontre du christianisme avec la Chine, sa culture et sa civilisation impliquait un


sérieux défi aux missionnaires, à leurs collaborateurs chinois et à toute l’Eglise romaine :
comment, à l’instar de l’Incarnation, « communiquer aux Chinois les merveilles de Dieu en se
servant de leur langage et de leur expérience », comment réaliser « l’incarnation culturelle de
la foi chrétienne en terre chinoise »544, sans doute, là, s’agissait-il encore de la nécessité d’une
œuvre d’inculturation. En réalité, les missionnaires buttèrent contre l’hostilité de certains
chrétiens auxquels ils croyaient pouvoir imposer « toutes les lois ecclésiastiques qui avaient
cours en Europe et dans les possessions espagnoles et n’entendaient faire aucune concession
aux susceptibilités chinoises »545. Les difficultés et les résistances rencontrées par les
missionnaires voulant passer en force furent telles qu’il fallut, pour obtenir l’adhésion des
milieux traditionnels les plus influents, adapter le christianisme et le culte chrétien aux réalités
cultuelles et rituelles chinoises.

Ce sont les différentes tentatives d’adaptation qui furent à l’origine de ce que, depuis,
on appelle « la querelle des rites chinois »546. Une douloureuse période de l’histoire de la
mission et de l’Eglise, que René Laurentin, sans doute sincèrement et non parce qu’il est
jésuite lui-même, désigne comme « le drame des rites chinois »547. Il y eut d’abord la
perplexité de certains missionnaires, y compris des jésuites, qui commencèrent à critiquer ces
adaptations, demeurant fidèles au modèle occidental qu’il s’agissait pour eux de simplement
reproduire ; ils estimaient en effet que les rites prenaient une allure de plus en plus
superstitieuse au niveau du peuple. La Compagnie sut aplanir les dissensions entre ses
membres. Mais, de nouvelles congrégations rejoignirent bientôt les jésuites dans les missions
extrême-orientales, avec des rivalités entre congrégations ou entre leurs nations respectives.

543
GERNET, Jean, Chine et christianisme – Action et réaction, op.cit., pp. 239-240.
544
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 90.
545
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 37.
546
Sur la « querelle des rites chinois », des auteurs que nous avons consultés, sauf les généralités sur le rôle de
Ricci et sur la nature des « rites » incriminés, il n’en existe pas deux qui disent la même chose ni sur la manière
exacte dont la hiérarchie romaine avait géré cette crise ni sur les dates des événements, tandis que certains font
état d’éléments semblant importants mais auxquels d’autres ne font même pas allusion.
547
LAURENTIN, René, op.cit., p.130.
225

Ces rivalités conduisirent à des accusations de la part des responsables des Missions où n’était
pas pratiquée la tolérance et où l’évangélisation avait suivi les méthodes musclées des
conquistadores espagnols (Philippines), dénonçant la « déviance » et le « laxisme » de la
Mission de Chine face aux « superstitions ».

L’exacerbation de la polémique atteint son apogée avec la venue des traditionnels


rivaux des jésuites que sont les franciscains et surtout les dominicains, et l’on vit qu’en réalité
cette querelle est la partie visible des querelles entre ordres religieux rivaux. On pourrait dire,
jusqu’à la caricature ; ainsi, deux franciscains, Gaspar de Alenda, procureur provincial de
l’Ordre, et un certain Francisco, entrant dans une chapelle des jésuites, furent troublés en y
voyant une peinture représentant « le Christ et les apôtres chaussés de souliers » ; si ce fait
visiblement anodin les scandalisa, il n’était de la part des jésuites que la prise en considération
des sentiments des Chinois pour les pieds nus548. Toujours cherchant querelle, l’inquisiteur
Juan-Battista Morales, décrivant tendancieusement la situation, les réalités des rites et le
comportement des missionnaires jésuites, porta un jugement d’idolâtrie contre les rites chinois
introduits dans les célébrations chrétiennes, dénonçant des « autels, temples, prières et
sacrifices » là où les jésuites tolérants indiquaient de simples « tables, salles, éloges et
festins », posant officiellement, en 1643, la question de savoir si l’on pouvait donner un indult
spécial pour la participation des chrétiens aux cérémonies en l’honneur de l’empereur et des
morts, Confucius et les ancêtres. Ainsi, deux stratégies missionnaires s’opposaient : à la
stratégie du « respect des valeurs humaines et culturelles » faisait face celle de la « tabula
rasa »549, entre lesquelles il faudra sans doute choisir.

Quant à cela, on peut dire qu’à partir de là ce sont les décisions successives et
contradictoires de la hiérarchie vaticane et les débats et procès entre spécialistes qui furent la
substance de la « querelle des rites chinois», pratiquement jusqu’au-delà de la dissolution de
la Compagnie de Jésus en 1773, pratiquement jusqu’au XXe siècle. La hiérarchie ne cessera
d’hésiter entre les thèses présentées par les jésuites, selon lesquelles, globalement, «Les rites
sont des actes de courtoisie, de respect filial et de reconnaissance, sans caractère religieux ».
Dans ce sens, la méthode des jésuites aura pratiquement été encouragée par les Instructions de
la Propaganda Fide envoyées aux vicaires apostoliques d’Extrême-Orient le 10 novembre

548
DUCORNET, Etienne, op.cit., p. 38.
549
BERGERON, Marie.-Irna, Le christianisme en Chine…, op.cit., p. 78.
226

1659550. Bien qu’on la cite peu à propos de l’inculturation551, cette instruction est vraiment au
cœur de l’inculturation du christianisme en pays de mission, ainsi que le confirme cet extrait :
« Ne mettez aucun zèle, n’avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de
changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs, à moins qu’elles ne soient
évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que
d’introduire chez les Chinois, la France, l’Espagne l’Italie ou quelque autre pays
d’Europe ? N’introduisez pas chez-eux nos pays, mais la foi, cette foi qui ne
repousse ni ne blesse les rites ni les usages d’aucun peuple, pourvu qu’ils ne soient
pas détestables, mais qui, bien au contraire, veut qu’on les garde et protège […] Ne
comparez jamais les usages de ces peuples avec les usages européens, bien au
contraire empressez-vous de vous y habituer. Admirez et louez ce qui mérite la
louange. Pour ce qui ne la mérite pas, […], vous aurez la prudence de ne pas porter
de jugement, ou en tout cas de ne rien condamner étourdiment ou avec excès. »

Mais, après cette liberté ou, selon d’autres, cette autorisation, la position officielle
continua de briller par l’inconstance et la versatilité, tantôt tolérant les rites dans l’esprit de
1656 et 1659, tantôt les interdisant conformément au décret de 1645, inconstance et instabilité
alimentées par les controverses théologico-politiques. Après plusieurs décrets contradictoires,
Benoît XIV, prenant la bulle Ex quo singulari providentia factum est le 11 juillet 1742,
révoque toutes les facilités, tolérances et permissions accordées par différentes initiatives aux
chrétiens chinois, prescrivant « qu’elles n’aient plus aucune place » et précisant que « ces
permissions doivent être considérées comme si elles n’avaient jamais existé et condamnons
leur pratique comme superstitieuse. » ; et insistant plus que de nécessité, il ajoute en
surabondance : « Ainsi, par la présente Constitution, à valoir à perpétuité, nous révoquons,
cassons, abrogeons et privons totalement de force et d’effet, toutes et chacune de ces
permissions… Elles doivent être tenues à jamais pour cassées, nulles, invalides et sans aucune
force ni vigueur ». Ainsi sont condamnées les adaptations opérées par les jésuites, ces derniers
étant considérés comme « trop chinois ».

Les conséquences d’une telle intransigeance ne tardèrent pas : interdiction de l’Eglise


et de la foi, persécutions multiples y compris par des exécutions552, auxquelles allaient
s’ajouter, pour accabler les jésuites, les critiques continues dont ils faisaient l’objet en Europe
et la liquidation de la Compagnie de Jésus par le bref Dominus ac Redemptor du 21 juillet
1773 du pape Clément XIV, que M-I. Bergeron présente comme participant de la persécution
des jésuites traqués de toutes parts. Les jésuites, devenus séculiers, ne pourront plus

550
LAURENTIN, René., op.cit., p.134.
551
Néanmoins, on trouve chez Laurent. MONSENGWO Pasinya., le recours à cette instruction comme
argument démontrant que l’inculturation est une exigence de la « mission », v. « Inculturation du message à
l’exemple du Zaïre », in CHEZA, Maurice ., DERROITTE, Henri. et LUNEAU, René., Les évêques africains
parlent 1969-1992 Documents pour le synode africain, Paris, Centurion, 1992, p. 148.
552
BERGERON, Marie-Ima., op.cit., pp. 87-89.
227

qu’accueillir les nouveaux missionnaires destinés à les remplacer, les lazaristes, les
franciscains, les membres des Missions étrangères de Paris et, à partir de 1862, date de la
fondation de la congrégation de Scheut en Belgique, les scheutistes553, envoyés par les soins
de la Propaganda Fide, tandis que leurs dépouilles « sont partagées : fonctions et biens »554.

A y regarder de près, la question des rites chinois ne cessa de hanter l’Eglise jusqu’au
XXe siècle. Pourtant, ce « casse-tête des rites chinois » que « chacun essaie de résoudre à sa
manière », qui a « enflammé l’Europe intellectuelle du XVIIe et du XVIIIe siècles », semble
n’avoir déchaîné que « les passions des détracteurs et des défenseurs des jésuites dans un
débat où n’était pas seul en cause le service de l’Evangile mais où interviennent également les
controverses théologiques et philosophiques, les inimitiés personnelles ainsi que les luttes
d’influence entre les congrégations »555. On peut dire que les jésuites, dont « l’attitude n’avait
pas été et n’était pas toujours si différente de celle des autres ordres », comme le confirment
plusieurs témoignages cités par Jacques Gernet, avaient réuni toutes les haines mais aussi
toutes les jalousies contre eux. Considérés par les gallicans du Parlement de Paris et de la
Sorbonne comme des « ultramontains », accusés de laxisme par les jansénistes, taxés de
libertinisme par les traditionnalistes à cause de leur refus des observances claustrales, les
jésuites étaient par ailleurs de remarquables pédagogues dont les écoles et les facultés
débordaient d’élèves et de demandes, craints par les cardinaux qui s’inquiétaient de leur
influence au sein de la Curie, avec un succès dans le commerce et les affaires qui rendait
jaloux leurs concurrents556. De sorte qu’avant d’être un débat intellectuel et théologique au
service de la mission, la querelle des rites est surtout représentative de divisions
inadmissibles » n’ayant rien à voir avec l’esprit de l’Evangile. Au contraire car, comme le
constate René Laurentin, « la sinophilie mise à la mode par les jésuites, avait créé un essor de
vocations pour la Chine. La controverse le tarit »557.
Néanmoins, la dissolution de la Compagnie ne fut pas la mort de la mission chinoise.
De fait, les jésuites furent remplacés par des missionnaires d’autres congrégations ; de plus,
après la restauration de la Compagnie en 1814, les Chinois réclamèrent avec impatience le
retour de missionnaires jésuites, lesquels repartiront en Chine après l’avènement de Grégoire
XVI. Mais, surtout, on finit bien par se rendre compte qu’il était vraiment dommage que tant
d’intolérance ait été la méthode d’évangélisation de la part de missionnaires obscurantistes

553
Ibid., p. 92.
554
LAURENTIN, René., op.cit. p. 152.
555
BEDOUELLE, Guy., cité par DUCORNET, Etienne ., op.cit., p. 103.
556
BERGERON, Marie-Ima, op.cit., p. 91.
557
LAURENTIN, René, op.cit., p. 153.
228

s’appuyant sur une partie de la hiérarchie ne voyant que l’éradication des cultures locales au
profit de la domination occidentale dont la culture et la religion seraient les vecteurs et l’on
commença à faire la part des choses. Plusieurs pratiques reprochées aux Chinois pouvaient
très bien s’intégrer au culte chrétien, y compris ce qu’on a appelé le culte des ancêtres558, à
propos desquels il n’est pas exagéré de rappeler la ressemblance entre les fameuses
« tablettes » au cœur de la querelle, et ces autres tablettes, chrétiennes, rencontrées dans la
partie génétique de l’eucharistie, et qu’on appelait « dyptiques », portant, comme les
chinoises, les noms des défunts et des personnes en l’honneur de qui est offerte l’eucharistie.

Par ailleurs, on pouvait imaginer quelque chose de plus positif en recherchant la


christianisation de certaines pratiques chinoises. De fait, après la dernière et définitive
autorisation des rites chinois en 1939, alors que les rites avaient d’ailleurs perdu leur
dimension cosmique et même politique, et surtout depuis le Concile Vatican II, « le rituel
catholique chinois prévoit une cérémonie solennelle de vénération des ancêtres qui comprend
les offrandes d’encens et les prosternations face aux tablettes », avec surtout une touche
chrétienne par « des prières d’action de grâce et d’intercession en l’honneur des défunts »,
tandis qu’à Taïwan cette célébration est organisée le jour de la Toussaint. Dans la même
conception, la mission chinoise de Paris organise chaque année la vénération des ancêtres au
cours de la messe du nouvel an : après la communion, les tablettes sont placées devant l’autel,
des prières d’intercession sont dites accompagnées d’une procession qui conduit les fidèles,
bâtonnets d’encens à la main, devant les tablettes où ils procèdent à plusieurs prosternations
profondes559.

On voit, à l’exemple de la Chine, que s’était posée, sans doute pour la première fois
avec une telle acuité, la question de l’inculturation du christianisme. Grâce à l’action de Ricci,
le sens de la réponse à y donner s’éclairait d’une manière concrète ; on peut dire, à cet effet,
que Ricci a été un grand maître en matière de ce que nous appelons « inculturation », hélas
ignorée à l’époque. Les problèmes provoqués par cette tentative d’inculturation en Chine va
inhiber toute intention d’adapter le christianisme en Afrique et annihiler toute possibilité
d’adaptation ; au point où, lorsque la question sera posée par les Africains, elle prendra les
allures de revendication, tandis que les conditions de l’évangélisation qui ont fait naître cette
revendication sont restées longtemps ignorées.

558
Voir, plus bas, les caractéristiques et les explications des rites africains.
559
DUCORNET, Etienne., op.cit., pp. 106-107.
229

IV.III LE CHOC DES CULTURES EN AFRIQUE

Il faut reconnaître qu’il y eut en Afrique, du moins sur le plan des comportements
publics, peu de résistance culturelle à la pénétration du christianisme notamment face à la
volonté farouche, appuyée sur la force physique et policière, de faire table rase des coutumes
et croyances locales destinées à la destruction parce que considérées comme païennes et
radicalement incompatibles avec les valeurs chrétiennes. Cette politique fut ainsi un autre
terrain de collaboration entre l’administration coloniale belge et l’église missionnaire. Mais,
dans un souci d’ « adaptation », Rome encouragea et, bientôt, ordonna la formation d’un
clergé indigène, au départ pour palier l’insuffisance de missionnaires sur un territoire
immense qui allait fonder de plus en plus de postes de mission, mais par la suite, le clergé
local fut considéré comme une nécessité en vue de l’avènement d’une église locale.

IV.III.I Une inculturation refusée

La colonisation et le christianisme trouvèrent bien des croyances « religieuses » et


pratiques rituelles traditionnelles africaines, qu’on a appelées « religions traditionnelles
africaines ». Mais, le terme « religion », qui prête à confusion, ne doit pas faire illusion ; s’il
renvoie aux croyances qui commandent le rapport qu’a l’homme avec le sacré, il ne se réfère
cependant pas à un système organisé autour de préceptes et dogmes constituant l’objet de la
foi appartenant à toute une communauté, au sens qu’il a en Occident. Mais, la théologie et la
politique suivies par les missionnaires ne les prirent pas en considération, cherchant à les
détruire systématiquement comme pur paganisme et animisme incompatibles avec les valeurs
chrétiennes, établissant en cette terre africaine des églises qui n’étaient que des reproductions
des églises occidentales.

IV.III.I.1 Religions et spiritualités traditionnelles africaines

Les « religions africaines » envisagées ici ne doivent pas être confondues avec les
diverses formes de christianisme portées par ce qu’on appelle les « églises africaines
indépendantes », lesquelles sont, en réalité, des avatars généralement issus du protestantisme
dans les premières années du XXe siècle, surtout dans l’entre-deux-guerres et qui, devenus
« églises » à la manière des confessions venues d’Occident, ont prospéré en particulier après
les indépendances africaines. Tel est le cas du « Harrisme »560 en Afrique de l’Ouest et surtout

560
Sur le Harrisme, WONDJI, Christophe., Le prophète Harris, Paris, Ed. ABC, 1978
230

du « Kimbanguisme »561 en Afrique Centrale, qui sont le fleuron des « Eglises chrétiennes
indépendantes africaines » (ECIA). Mais, nombre de kimbanguistes ne manquent pas de
rattacher le messianisme de leur église à une tradition qui remonte à un mouvement
messianique et nationaliste organisé du temps de l’ancien royaume de Kongo, par Dona
Béatrice Kimpa Vita, au-delà des pratiques ancestrales qui seront évoquées plus loin, un
mouvement qui avait la prétention d’être une religion et une église nationales. Il est vrai que
pendant la colonisation, sans atteindre le niveau des mouvements messianiques, certaines
« croyances » se développèrent, pour quelques-unes d’entre elles, en des mouvements ou
sectes rassemblant des adeptes pour adorer ou vénérer tel fétiche, en vue de lutter contre la
sorcellerie et contre les puissances maléfiques562, ou pour l’adoption ou l’imposition d’un
fétiche nouveau en remplacement de tous les autres563. L’autorité coloniale, de concert avec
l’Eglise missionnaire et, paradoxalement en complicité avec des sectes et cultes rivaux,
combattit et réprima sévèrement ces mouvements qualifiés de « sociétés secrètes » ou « sectes
hiérarchisées » dont plusieurs avaient un projet « messianique » en prédisant la libération
prochaine des Noirs, comme le fit d’ailleurs Simon Kimbangu à ses débuts et, avant lui une
place spéciale est à reconnaître à l’œuvre de Dona Béatrice Kimpa Vita et son mouvement des
« Antoniens » qui était devenu un mouvement de résistance nationale contre les Portugais et
les missionnaires. On peut également citer le sort particulier du « Bwiti Fang »564, un culte
traditionnel pour des raisons politiques et de propagande, les autorités du nouvel Etat
hissèrent au rang d’une « église » après l’indépendance. Au départ simple culte des ancêtres et
des esprits, y compris le plus grand de tous, Dieu, le bwiti est une religion traditionnelle
adoptée au Gabon par les Fang, pratiquant la transe et la communication avec les dieux, grâce
à l’usage de l’eboga), une herbe hallucinogène également utilisée par des sorciers douala565.

561
Une abondante bibliographie concerne aujourd’hui le kimbanguisme, v. par exemple, CHOME, J., La passion
de Simon Kimbangu, 1959, GILLIS, C.A., Kimbangu : fondateur d’église, Bruxelles, 1961, FECI, D., « Vie
cachée et vie publique de Simon Kimbangu selon la littérature coloniale belge », in Cahiers du CEDAF, n° 910,
1970, le classique ASCH, Susan., L’église du prophète KIMBANGU, de ses origines à son rôle actuel au Zaïre
(1921-1981), Paris, Ed. Karthala, 1983, MATONDO, Nzakimwena , La personnalité spirituelle de Simon
Kimbangu,Rouen, Ed. EKI, 2004.
562
C’est le cas des sectes adorant les fétiches muvungi, mpeve et mupumbu étudiées par MUNAYI Muntu-
Monji, « Le prosélytisme des sectes parmi les acculturés du Kwilu-Kwango et du Kasaï… », in Zaïre-Afrique n°
0123, mars 7978, pp. 135-153, spécialement pp. 135-136.
563
KASIA, A. I., « Genèse et évolution de la secte des tupelepele chez les Pende au Kwilu (1930-1931), Institut
Pédagogique National, 1976, p. 22, où il cite le remplacement du fétiche « mupumbu » par le « lupambula ».
564
« Le Bwiti Fang », une étude collective in Pirogue n° 32, janv-mars 1979, pp. 22 et ss.
565
Pratique que présente ROSNY (père), Eric ., Les yeux de ma chèvre, Paris, Payot, 1981, p.78.
231

Le messianisme africain

L’œuvre de Dona Béatrice Kimpa Vita est vraiment pionnière du messianisme


africain. L’identité de cette figure de l’histoire kongo est difficile à cerner : selon certains, elle
se serait appelée Nsimba Marguerite ou Béatrice-Marguerite, et d’après ce nom de Nsimba,
elle serait jumelle, dont le nom aurait été déformé en Chimpa (Kimpa). On a dit aussi qu’elle
serait une prêtresse du culte de Marinda566, rôle qui l’aurait préparée à exercer la direction
d’un mouvement de résistance. Son mouvement devait déjà couver depuis la fin du XVIIe
siècle, mais il apparaît au grand jour, et dans la lutte, en 1704 en tant que mouvement politico-
religieux révélant une véritable religion nationale, que les missionnaires appelleront « la secte
des Antoniens »567 (ou « antonioniens », selon Balandier). Béatrice s’investit dans la
résistance aux étrangers qui s’ingéraient dans les affaires du royaume, dans les rivalités de
succession entre branches dynastiques concurrentes, divisant le peuple kongo et ruinant ses
institutions. La jeune fille mystique de 22 ans rencontre tout de suite du succès parce qu’elle
répondait au vif désir du peuple kongo de voir restauré le royaume avec un seul roi reconnu
(de tous les prétendants qui se battaient) et reconstruire la capitale Mbanza Kongo alors en
ruine ; cette confiance du peuple résulte du fait que les tentatives politico-militaires avaient
échoué et amené le chaos568. Cette revendication de l’identité, de la dignité et des droits des
Kongo au service de l’harmonie sociale kongo et très populaire ; mais elle agace aussi bien les
rois et chefs chrétiens du Kongo que les capucins. Le roi Dom Pedro IV appartenant au clan
Ki-Mulaza voit en elle une opposante qui avait pris partie pour le clan rival des Ki-Mpanzu,
tandis que le roi et les grands du royaume étaient dépités par les marques de vénération dont
elle jouissait. Georges Balandier rapporte à cet égard quelques-uns de ces témoignages :
« quand elle mange, les seigneurs lui étendent les pans des capes en guise de mantilles ou de
nappes ; ses fidèles se disputent la nourriture ou la boisson donnée de sa main ; quand elle se
déplace, les chemins sont nettoyés par les dames principales »569. Mais, la cause déterminante
de la perte de Dona Béatrice n’est pas à chercher dans le fait que « le projet de la jeune
mystique kongo a une signification politique » ainsi que le dit Georges Balandier570, tant il est
vrai que les capucins voyaient leur apostolat réduit à néant par le succès de la nouvelle
religion. De fait, Dona Béatrice imita en nombre de ses symboles le christianisme. D’abord,

566
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Hachette,
1965, p. 261.
567
JADIN, Louis, Le Congo et la secte des Antoniens. Restauration du royaume sous Pedro IV et la « Saint
Antoine » congolaise (1694-1718), Bruxelles-Rome, Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, 1961, sa
source principale semble être Laurent de Lucques et ses « relations » éditées par Mgr Jean Cuvelier
568
KABOLO IKO Kabwita, ibid., p. 57.
569
BALANDIER, Georges, op.cit., p. 262.
570
Ibid., p. 266.
232

elle « naturalise » les origines et les lieux historiques de celui-ci : Jésus serait un mu-kongo né
à Mbanza Kongo, Bethléem, et qu’il serait baptisé à Nsundi (Nazareth). Ensuite, on lui prêtait
de nombreux miracles, comme Jésus elle serait morte et ressuscitée, l’événement se déroulant
d’ailleurs régulièrement du vendredi où elle meurt et va au ciel « dîner avec Dieu et plaider la
cause des Noirs ainsi que la restauration du royaume », au samedi où elle ressuscite, tandis
que c’est lors de la première mort que saint Antoine serait venu s’incarner en elle, en entrant
dans sa tête, envoyé par Dieu pour lui confier la mission de prêcher au peuple et faire avancer
la restauration du royaume. Par ailleurs, comme Marie, elle dit, elle qui revendique la
chasteté, que par la puissance du Saint-Esprit elle enfantera un fils, sauveur du monde571 ;
comme Marie, elle s’applique à elle-même le Salve Regina, mais ne voulant laisser tel quel ce
« Salve de la misère et de la honte », elle en transforme les paroles visiblement aujourd’hui
perdues, pour en faire le Salve Antoniana, paroles que, adversaire acharné des antoniens,
Bernardo de Gallo, rapporte le père Jadin, abhorrait avec mépris, disant qu’elles « sont folies
diaboliques, paroles indigènes désordonnées et sans aucune connexion »572. Enfin, elle imitera
même l’Eglise et les missionnaires qu’elle accuse d’avoir confisqué la révélation et le secret
des richesses qui lui est associé, elle établit une hiérarchie « ecclésiale », elle élabore une
théologie et un dogme, elle lutte contre les fétiches et ouvre des succursales avec une
hiérarchie un peu partout dans le royaume, etc.573 Entre le roi et ses protecteurs missionnaires
capucins existe ainsi une collusion d’intérêts pour la perte de Dona Béatrice ; juges et
plaignants, ceux-ci vont instiguer Dom Pedro (Ndo Mpetelo) pour obtenir l’arrestation et la
condamnation de Dona Béatrice Kimpa Vita et des siens. Les relations de Dom Bernardo de
Gallo que rapporte Georges Balandier ou de Laurent de Lucques qu’on a déjà vu dans la
profession d’intermédiaire esclavagiste, n’indiquent pas clairement leur rôle capital dans ce
complot, mais il est établi que les capucins auront fait le siège du roi pour obtenir l’arrestation
des antoniens. Les capucins mèneront les interrogatoires de la prophétesse, comme celui que
rapporte Balandier, par de Gallo, pour que Dona Béatrice explique ses morts et
résurrections574 ou encore les aveux rapportés par de Lucques sur la naissance qu’elle disait
miraculeuse de son fils, sacrilège supplémentaire pour celle qui se proclamait chaste : « Je ne
peux pas nier que ce soit le mien, mais, comment je l’ai eu, je ne le sais pas. Je sais cependant
qu’il m’est venu du Ciel »575. Dona Béatrice et son compagnon, avec qui elle avait
certainement eu son fils, furent condamnés à la peine capitale et, le 2 juillet 1706, à l’instar de

571
Ibid., pp 262-265,
572
JADIN, Louis, Le Congo et la secte des Antoniens…, op.cit., p. 516.
573
BALANDIER, Georges, op.cit., p. 265.
574
Ibid., p. 262.
575
CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo du Père Laurent de Lucques (1700-1717), Bruxelles, 1953, p. 229.
233

Jeanne d’Arc et à peine un peu plus âgée qu’elle, livrés au bûcher, considérés comme
hérésiarques et relaps, donc pour des motifs religieux et non politiques. En réalité, le rôle du
roi reste de façade, les acteurs principaux étant les capucins ; Balandier lui-même qui a relevé
la dimension politique de l’action de Dona Béatrice, affirme par ailleurs que « Après un long
temps d’hésitation, Pedro IV cède à la pression des missionnaires capucins […] Il la fait
arrêter […] ». On voit d’ailleurs que l’arrêt de mort lu par le juge avant l’exécution ne fait état
que des motifs religieux :

« Il [le juge] prononça finalement la sentence contre dona Béatrice, disant que sous le
faux nom de saint Antoine elle avait trompé le peuple par ses hérésies et ses
faussetés. »576.

Une autre preuve du rôle des capucins réside dans le fait que le roi aurait voulu
remettre la jeune mystique dans les mains de l’évêque de Luanda, dans l’espoir que ses
partisans aient l’occasion de la délivrer, mais ce sont les capucins qui l’en dissuadèrent, ainsi
que l’avoue Laurent de Lucques577.

Certes, de Lucques fait une relation du supplice qui, bien évidemment, dissimule son
rôle et celui de ses confrères, en particulier de Gallo ; au contraire il feint de s’apitoyer sur le
sort fait à la condamnée par le peuple en fureur, notamment en s’attribuant la « bonne action »
du jour en sauvant le petit :

« La jeune femme, qui portait son enfant sur le bras, apparaissait maintenant remplie
de crainte et d’épouvante. Les inculpés s’assirent sur la terre nue et attendirent leur
arrêt de mort. Nous comprîmes en ce moment qu’ils avaient décidé de brûler l’enfant
avec sa mère. Cela nous parut une trop grande cruauté. Je m’empressai de me rendre
auprès du roi pour voir s’il y avait moyen de le sauver »578.

Mais, il tint à assister au supplice du bûcher, en compagnie de Bernardo de Gallo, prétextant


que « Nous avions l’obligation d’assister des condamnés à la peine capitale, cette exigence
était une coutume constante de toute la chrétienté »579. Mais, en fait, ils n’exercèrent même
pas leur office, de Lucques prétendant que : « Il se produisit un si grand tumulte parmi la
multitude du peuple, qu’il n’y avait pas moyen pour nous de prêter quelque assistance aux
deux condamnés »580. Tandis que le père Jadin rapporte comment de Gallo, cynique, satisfait
et sans compassion, exprimait ses sentiments lors du supplice de la jeune fille : « La pauvre

576
Ibid., p. 237.
577
Ibid., p. 267.
578
Ibid., p. 235.
579
Ibid., p. 235 ; ayant récupéré l’enfant, de Lucques le baptisa du nom de Jérôme.
580
Ibid., p. 238.
234

saint Antoine qui était habituée de mourir et de ressusciter, pour cette fois mourut mais ne
ressuscita pas »581.

Devenue martyr, Ndona Béatrice continua d’exercer son influence sur les masses et
son mouvement résista jusqu’au XIXe siècle582 ; le père de Lucques s’en plaint ainsi :

« Après leur mort, les antoniens, loin de revenir à résipiscence, devinrent plus
obstinés que jamais. Ils publièrent que la femme vénérée par eux comme sainte était
apparue aux sommets des arbres les plus hauts de Saõ salvador. Une autre femme peu
après se mit à prêcher qu’elle était la mère du faux saint Antoine. Elle stimula les gens
à ne rien craindre disant que si la fille était morte, la mère était restée. Celle-ci se
faisait appeler la mère des vertus. Que Dieu nous assiste par sa grâce pour que la
sainte foi ne se perde pas en ce pays »583.

Le messianisme africain moderne est représenté par des groupes dérivés du


christianisme au cours de la période coloniale et qui sont devenus des « églises », se
réclamant du christianisme mais et, donc, se différenciant de ces « religions traditionnelles
africaines » dont il est question dans ce paragraphe. D’abord, ces Eglises Chrétiennes
Indépendantes Africaines (ECIA) ont une véritable structure ecclésiale, grâce à quoi elles se
présentent comme « églises indépendantes » par rapport aux Eglises « occidentales » dont en
réalité elles dérivent, avec des structures territoriales et hiérarchiques ainsi que leurs pasteurs,
une pastorale en direction des fidèles, un corpus doctrinal et théologique, tandis que les
« religions traditionnelles africaines » n’ont rien de structuré ni, encore moins, théologie et
dogmes. Ensuite, par le fait que ces « religions traditionnelles africaines » sont des gardiennes
des cultes ancestraux tandis que les églises indépendantes ont adopté le christianisme,
arborant ses symboles comme Harris qui avait constamment sur lui une croix.

A la lumière de l’exemple du kimbanguisme, la doctrine des églises chrétiennes


indépendantes et leur enseignement sont en effet fondés sur les Ecritures Saintes, s’appuyant
sur la profession de foi chrétienne, notamment le credo de Nicée, combattant le paganisme,
les idoles, les ordalies, etc., Kimbangu prêchait l’abolition des symboles religieux
traditionnels, l’interdiction des danses rituelles et érotiques (y compris du tambour qui les
accompagne), et de la polygamie. Ces deux prophètes affirmaient avoir reçu leur mission de
messagers célestes, de l’ange Gabriel qui dit à Harris « Tu seras le prophète des temps

581
JADIN, Louis, Le Congo et la secte des Antoniens…, op.cit., p. 116.
582
Aujourd’hui encore, bien que se faisant peu entendre, des gens et même des mouvements font remonter leur
« nationalisme kongo » à ce mouvement de résistance de Béatrice, ainsi prise pour modèle.
583
CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo du Père Laurent de Lucques…, op.cit., p.238.
235

modernes »584 ou « la voix intérieure », une mission « divine », les miracles qu’ils opéraient
l’étaient au nom de Jésus, reconnu par eux comme le rédempteur de l’humanité. Par ailleurs,
la liturgie eucharistique kimbanguiste, donc avec la sainte Cène, n’en différait pas du schéma
traditionnel, du protestantisme dans sa branche baptiste qui était la confession de Simon
Kimbangu : lectures du Nouveau et de l’Ancien Testaments, prière pour la transformation des
éléments, prière sur ceux qui assurent la distribution de la communion, bénédiction de
l’assemblée, communion des fidèles suivie de celle de ceux qui distribuaient, prière de
conclusion dite par le président. Du reste, s’il se disait et s’assumait authentique prophète, rien
n’indique que de son vivant, Simon Kimbangu ait entendu fonder une « église », celle-ci est
en fait l’œuvre de son fils, Joseph Diangienda, qui, le 24 décembre 1959, crée officiellement
« l’Eglise de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu », dont le nom officiel
sera transformé en 1987 en « Eglise de Jésus-Christ sur la terre par son envoyé spécial Simon
Kimbangu ». Le kimbanguisme est une authentique église chrétienne, membre depuis 1969 du
Conseil Œcuménique des Eglises (COE) et depuis 1974 de la Conférence des Eglises de toute
l’Afrique (CETA). Le fait que la théologie kimbanguiste ait, dans une sorte de dérive qui a
suscité des remous au Conseil Œcuménique des Eglises et au sein de l’Eglise elle-même,
évolué pour faire de Simon Kimbangu, non plus un « simple » prophète, mais Dieu le Saint-
Esprit, et un de ses fils, Dialungana, le Christ, dont la date de naissance (un 25 mai) est
devenue celle de Noël585, ne doit pas faire du kimbanguisme une des « religions
traditionnelles », même si, comme c’est le vent actuel, en une sorte d’inculturation, nombre de
ces églises indépendantes pratiquent volontiers un mixage entre la liturgie chrétienne et
certains éléments des cultes traditionnels.

Les rites traditionnels africains

L’expression « religions traditionnelles africaines » relève d’une tout autre conception.


Dans ce sens, que ce soit au singulier ou au pluriel, en Afrique, la « religion » n’est pas un
phénomène autonome par rapport à la vie sociale en général, le social, le philosophique, le
religieux et le politique s’entremêlent, sans séparation entre le « sacré » et le « profane », le
physique côtoie l’immatériel, le monde visible l’invisible, le naturel le surnaturel, l’ici-bas
l’au-delà, l’homme, Dieu et les esprits. Toutefois, au-delà des caractéristiques fondamentales

584
WONDJI, Christophe ., Le prophète Harris, Paris, Ed. ABC, 1978, p. 37.
585
Les kimbanguistes ont, grâce à leur chaîne de télévision et à des publications de leurs théologiens, diffusé
avec le plus grand sérieux des « résultats de recherche » montrant que le Christ n’était pas né le 25 décembre
(comme si jamais quelqu’un soutenait cela) et que leurs calculs et des interprétations de la bible de leur cru
aboutissaient à cette date du 25 mai qui, comme par hasard, coïncide avec la naissance de l’un de leurs chefs
spirituels, Dialungana, fils de Simon Kimbangu.
236

partagées par toute l’Afrique Noire et qui permettent une certaine systématisation des
« religions traditionnelles africaines, il y a en réalité une grande diversité des pratiques selon
les cultures et les ethnies.

En fait, même si, comme on va le voir, le Dieu unique, Etre suprême, créateur de
l’univers, était connu de l’Africain, appelé Nzambi Mpungu chez les Kongo, Mvidi Mukulu
chez les Luba, par exemple, qui est certes le seul à faire l’objet d’une dévotion absolue, il est
considéré comme une puissance « jamais matérialisée et inaccessible, [qui] ne peut pour ces
raisons recevoir aucun culte »586. Il n’y a donc pas un culte particulier pour Dieu-Etre
suprême, le culte étant essentiellement orienté vers les ancêtres, les esprits et « dieux
inférieurs ». Le culte des ancêtres est ainsi un des éléments centraux de la religion
traditionnelle africaine dans les différentes régions. On peut l’illustrer avec la vie religieuse
d’un peuple depuis longtemps organisé dans une sorte d’un royaume centralisé, le peuple
kongo ; chez ce peuple, comme un peu partout en Afrique, le culte des ancêtres « consiste
essentiellement à renouveler régulièrement la relation entre la communauté des vivants et
celle des défunts bakulu (ancêtres), par des actes vitaux concrets : étant donné que les bakulu
conservent de leur vie terrestre leur rang et leur personnalité, les familles ou les lignages se
rendent sur leurs tombes, selon une fréquence donnée, et y font des incantations, versent ou
déposent du vin et des vivres », tandis que le mani (roi), ou tout chef dans les autres ethnies,
« veille à l’accomplissement du culte des ancêtres » au sein de la communauté587. Cela rejoint
ce qui est vécu chez les autres peuples africains, comme les Bangala autour de leurs ba-nkoko
ou les Baluba avec leurs ba-nkambwa ou ba-kaku et ba-nyinka. Sous un autre aspect, les
ancêtres sont considérés comme les « sources », parce que « toute harmonisation exige la
communion avec les sources » et que « harmoniser c’est renouer avec les origines »588 ; dans
le même ordre d’idées, on dira qu’ils sont « les garants de l’existence et de la solidité de la
communauté, leur intervention aplanissant les difficultés, essorant les tensions et éliminant les
risques d’éclatement. »589. Les objets de ces cultes, même variés, tournent toujours autour des
divers intérêts et événements de la communauté familiale, clanique, lignagère, ou tribale : on
célèbrera la naissance dans la « maison », les jumeaux, les enfants nés « miraculeusement »
comme ceux nés avant le retour des couches, le garçon ou la fille suivant deux ou trois filles

586
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume du Kongo…, op.cit., p. 248.
587
KABOLO IKO KABWITA, Le royaume kongo et la mission catholique, 1750-1838, Paris, Karthala, 2004,.
p.47.
588
KABASELE LUMBALA, François., Liturgies africaines : l’enjeu culturel, ecclésial et théologique,
Recherches africaines de théologie n° 14, Faculté de Théologie Catholique de Kinshasa, 1996, p. 14.
589
ABEGA, Séverin Céline, « Le Cameroun et la religion traditionnelle », in MESSINA, Jean.-Paul., BUTAKE,
Bole et VAN SLAGEREN, Jaap, Histoire du christianisme au Cameroun, des origines à nos jours, Paris,
Karthala, 2005, p. 18.
237

ou garçons, on organisera un culte pour la guerre, pour le labour, pour les semailles, pour les
récoltes, pour la réconciliation et l’harmonie au sein de la communauté, on organisera des
cérémonies ancestrales pour la levée du deuil, pour solliciter la protection, etc.

Ce sont donc des « religions » qui s’adressent aux génies, aux divinités et aux autres
esprits de ce monde invisible, parmi lesquels les ancêtres ; esprits familiaux alors que les
autres sont des esprits « naturels » (habitant les éléments comme les arbres, les rivières, la
forêt, les montagnes, etc.), les ancêtres jouent dans ces religions un rôle très important. Une
telle vision se fonde sur la continuité entre la vie ici bas et l’au-delà, entre le monde des
vivants et celui des morts, la croyance dans l’immortalité et la survie de l’âme, l’au-delà étant
le monde des ancêtres défunts et des esprits, dont des esprits bienfaisants et d’autres
malfaisants. Il y a continuité entre les générations, celle des ancêtres, passée, se relie à la
génération future (des enfants) en passant par celle, présente, des parents et adultes actuels ;
d’ailleurs, dans presque toutes les aires culturelles africaines, l’enfant est un ancêtre réincarné,
on lui trouve en effet de mêmes traits de caractère que ceux de l’ancêtre en question (courage,
bravoure, bonté, méchanceté, avarice ou toutes autres qualités ou tous autres défauts). Cette
relation s’exprime dans des rituels, chants, prières, sacrifices, prescriptions et interdits590 ;
chaque événement familial est occasion de célébration avec tous les ancêtres, parce qu’ils
continuent d’être la famille, on célèbrera ainsi ensemble avec eux le mariage, la naissance, les
funérailles, etc.

Comme on l’a dit, les rites traditionnels sont organisés, en dehors du culte en tant que
tel, lors d’événements importants de la vie, de la naissance à la mort. Il est une étape de la vie
qui est célébrée dans toutes les cultures africaines, celle du passage de l’adolescence à l’âge
adulte, donnant lieu à des cérémonies traditionnelles dans le cadre de l’initiation, qui est plus
importante que cette autre initiation lors de la circoncision, elle aussi partout accompagnée de
cérémonies. L’initiation, dans une société sans système scolaire organisé, est le cadre dans
lequel les jeunes gens, avant d’être considérés comme adultes et d’en avoir tous les droits et
devoirs dans la communauté, reçoivent un véritable enseignement des choses de la vie, des
coutumes, de la sagesse et des proverbes de l’art littéraire oral de la communauté par des
maîtres et maîtresses de l’initiation. Pour l’illustrer cette institution, nous nous référons à la
société traditionnelle kongo qui avait un système très élaboré, appelé le kimpasi. Il a lieu dans
un site retiré du village, proche d’une rivière et dans un enclos fait de branchages de palmier
et il se déroulait, a recueilli Georges Balandier, en trois étapes : la première étape est celle

590
ABEGA, Séverin Céline, ibid. , p. 16.
238

d’une mort rituelle, les candidats devenus des « cadavres » sont dévêtus de leurs vêtements
pour en quelque sorte se dépouiller du vieil homme avant d’être amenés par des
enseignements vers leur nouvelle naissance qui ouvre sur une deuxième étape ; celle de la
résurrection des initiés, cadavres réanimés par un maître et devenus les « nouveaux nés du
kimpasi », ils apprennent et exécutent des danses spécifiques, récitent des formules apprises et
prennent un nom d’initiation, l’étape de la résurrection se termine par des festivités et des
réjouissances qui occupent toute la nuit les initiés et leurs initiateurs sur le site ; la troisième
étape est celle de la sortie ainsi que de l’accueil au village des initiés, avec « fêtes de
démonstration et des cadeaux de triomphe ». A la fin du processus, « Les maîtres du kimpasi
ont, une fois de plus, formé des hommes et des femmes exemplaires, mandataires à part
entière des valeurs sociales591. Comme on le voit, l’initiation a, à l’instar de la plupart des
cérémonies cultuelles traditionnelles, un objet de formation individuelle mais aussi une
fonction de maintien, de défense et de conservation de la communauté, de la cohésion, de
l’agrégation et de l’harmonie sociale.

Il est un autre terrain où le sacré est constamment sollicité, celui de la santé : la


maladie n’est jamais uniquement d’origine physiologique ou somatique, il y a toujours une
cause surnaturelle, en particulier la malfaisance de la part des mauvais esprits ou par le
mauvais œil des hommes méchants, etc. Dès lors, chez ceux que les anthropologues
occidentaux ont sans discernement appelés « sorciers » ou « féticheurs » et, même, chez les
guérisseurs et herboristes, la guérison n’est jamais uniquement physique, le remède doit
également emprunter au surnaturel, la thérapeutique de la médecine dite « traditionnelle » se
réfère à la fois au transcendant ou à l'invisible et au traitement objectif, naturel. Aussi, même
si parfois le guérisseur recourt à des éléments naturels, feuilles, racines, onguents, etc., tout
s’accompagne d’un rituel « religieux », avec incantations mêlant esprits, génies, ancêtres et
Dieu. Gérard Bwakasa T. expose l’expérience médicale traditionnelle des Mongo du Congo-
Zaïre pour traiter et guérir une affection à la fois biologique, psychique et sociale, grâce à un
savoir médical traditionnel faisant appel au « zebola », notamment dans les cas de possession
par des esprits. La thérapeutique suppose que soient identifiés les agents de l’affection, c’est-
à-dire les esprits en cause, après quoi vient une médication à base de plantes, d’une initiation
à la danse rituelle zebola, en vue de calmer ces esprits, et d’un certain nombre d’interdits ; la
guérison n’est pas complète sans un autre rite spécial, celui de sortie.592 Tant il est vrai que,

591
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume du Kongo, op.cit., pp. 218-219.
592
BWAKASA, Gérard, Réinventer l’Afrique. De la modernité à la tradition au Congo-Zaïre, Paris,
L’Harmattan, 1996, p. 200.
239

pour l’Africain plus que pour tout autre, la relation au sacré est « une expérience inhérente à
la vie sociale, inséparable de ce qu’on vit, de ce qu’on fait », « dans un contexte socio-culturel
où la communication avec l’invisible est un aspect de la réalité sociale dans laquelle l’homme
vit »593. Enfin, certaines étapes de la vie, naissance, puberté, adolescence et passage à l’âge
adulte, donnent lieu à des cérémonies, dont essentiellement celles d’initiation qui sont elles
aussi un rituel ordonné au sein de la communauté clanique ou du village et qui, sans être un
culte des ancêtres, actualisent les valeurs et coutumes ancestrales.

Dans leurs expériences, les missionnaires ont également rencontré les différentes
sortes de divination qu’il ne serait pas fondé de confondre avec le culte, mais qui font appel à
des rites. Fra Luca rapporte ces « cérémonies » surprises dans certaines libatas (bourgades),
ayant lieu chez ou avec les nganga ngombo, c’est-à-dire les « prêtres-devins » ou « prêtresses-
devineresses ». Il explique que :

« Quand les noirs veulent connaître la cause d’un décès, d’une maladie, de la perte
d’un objet ou quand ils veulent savoir n’importe quelle autre chose, ils se réunissent
nombreux devant un féticheur (ou prêtre du démon) nommé nganga ngombo, à qui on
explique la nature de la demande. Le féticheur ordonne à toutes les personnes
présentes de s’asseoir en formant un cercle, au milieu duquel il se place avec ses
instruments diaboliques et ses idoles. Puis les assistants commencent à chanter et à
prier le démon de venir dans la tête du féticheur ; dès qu’il est venu, ils commencent à
le prier et, avec abondance de paroles sans cesse répétées, ils lui demandent la cause
de cette maladie ou de cette mort, ou l’auteur de tel vol ou de tel ou tel malheur,
empoisonnement ou autre méfait […] Si la consultation a trait à une maladie, il leur
fait aussi connaître le remède approprié […] Parfois lors de ces consultations, les
assistants omettent chants et bruits et, assis en cercle, ils se bornent à demander et à
prier le démon de venir vite sur la tête du féticheur pour lui suggérer la réponse à toute
demande. Chaque village et province a sa propre façon de consulté et j’ai entendu faire
la consultation de ces deux façons. La consultation au sujet de la guerre – finira-t-elle
par une victoire ou par une défaite – se fait encore d’une autre manière. Au milieu du
cercle formé par les gens assemblés, le féticheur place son bâton avec ses idoles et ses
amulettes. Quand le démon est venu sur ce bâton, s’ils doivent gagner la guerre, le
bâton court dans la direction où habite l’ennemi ; s’ils doivent être défaits, le bâton
court dans le sens opposé ».594

Il n’est pas question ici de mettre en exergue le bon ou le mauvais côté d’une telle
conception de la vie, en particulier, quand il en ressort une certaine fatalité où, finalement, par
une sorte de « providentialisme », on n’attend rien de l’action humaine individuelle ou
collective pour faire changer les choses, quand le bonheur, la prospérité, la santé, comme le
malheur, la misère et la maladie, dépendent de la toute puissance de la volonté des dieux, des

593
ELA, Jean.-Marc, Le cri de l’homme africain, questions aux chrétiens et aux églises, Paris, L’Harmattan,
1980, pp. 52-53.
594
BONTINCK, François, Diaire congolais (1690-1701)…, op.cit., pp.102-103.
240

esprits ou des ancêtres, mais de constater ce à quoi correspondent les croyances


traditionnelles. Dans un tel contexte, tout est occasion de rites religieux, pour demander la
santé, la protection, la prospérité, pour exorciser, délivrer de possessions diaboliques, pour
conjurer le mauvais sort, la malédiction ou la sorcellerie, pour guérir, pour implorer la pluie,
pour rendre honneur aux dieux, aux génies et aux ancêtres ou, tout simplement, à l’occasion
de la récolte, de la cueillette, de la chasse, etc.

Tel est, globalement, le projet « religieux » des cultures traditionnelles africaines, y


compris dans le cas de la médecine traditionnelle, tendant à rétablir, par des actes rituels,
l’ordre des rapports entre le visible et l’invisible, l’harmonie entre l’homme et l’univers ainsi
qu’au sein de sa communauté, de son groupe, se traduisant par la restitution à l’homme de son
intégrité ontologique et l’harmonisation de son rapport à sa société et aux autres. Mais, ce qui
importe pour cette étude, ce n’est pas tant la substance ou le contenu « doctrinal » ou
« dogmatique », quasiment inexistant, de ces croyances, que la pratique rituelle qu’elles
engendrent ou impliquent. A ce point de vue, dans la mesure où de tous les destinataires des
pratiques religieuses, ce sont eux qui sont les plus proches, tandis que les esprits, les divinités,
Dieu, sont lointains, les ancêtres joueront le rôle d’intermédiaires.

Ce caractère d’ancestralité donne aux religions africaines une dimension familiale.


Dans une telle conception, la pratique rituelle et « religieuse » est celle d’une sorte de
« religion domestique » ou, au mieux, clanique, qui met en relation la famille et les ancêtres
qui sont les intermédiaires entre les hommes et l’Etre Suprême, les esprits supérieurs ou les
autres esprits. Tout naturellement, le roi, le chef du clan ou le chef de famille en est
véritablement le prêtre. Il est l’officiant qui sacrifie aux ancêtres pour les problèmes de la
famille, leur demandant la protection ou leur intervention auprès de Dieu et des esprits
supérieurs. Ce caractère domestique fondé sur l’ancestralité explique aussi que, sur la base de
la religion traditionnelle, pour se garder ses ancêtres, on trouve des familles qui conservent
leurs reliques, comme le crâne (ou à défaut tout autre relique) chez les Bamilékés et les Fang,
ou, comme chez les Badjoue et certains groupes pygmées, on conserve tout simplement la
dépouille dans un tronc d’arbre creux, sinon on plante un arbre qui portera le nom du défunt
sur sa tombe et c’est au pied de cet arbre que seront déposés les offrandes à son esprit595. Une
autre forme du maintien d’un tel lien réside dans le fait que le régime foncier traditionnel
africain est celui de la propriété ancestrale de la terre qui fait que les gens ne cultivent,
n’exploitent la forêt et ne construisent que sur la terre de leurs ancêtres ; ce régime est

595
ABEGA, Séverin Céline, « Le Cameroun et la religion traditionnelle », loc.cit., pp. 17-18.
241

aujourd’hui partout en conflit avec les règles du droit écrit qui instaurent un droit privé et
individuel sur le sol.

Le rituel de la religion traditionnelle dépend de la nature de la cérémonie, selon qu’il


s’agit de sceller l’harmonie et la réconciliation au sein de la famille, ou de demander des
bienfaits, protection, etc. On y trouve essentiellement deux modèles rituels, comportant tous
les deux un repas, activité primordiale à laquelle les ancêtres eux-mêmes se sont livrés ; à la
différence de l’eucharistie chrétienne, il ne s’agit pas d’une nourriture considérée comme
sacrée, mais c’est une nourriture ordinaire et profane, offerte à tous596, sauf quelques interdits
à raison de sexe ou d’âge. Il y a d’abord le modèle de la palabre africaine : assemblée
convoquée par un chef (elle peut être de chefs de clans ou des dignitaires…) pour régler une
question sociale ; après des échanges informels entre les convoqués, lorsque, vêtu de ses
insignes royaux, le chef sort de sa case, on fait silence, tout le monde se lève pour l’accueillir,
ensuite, après s’être enquis des nouvelles de chaque clan, que l’on commente, il requiert le
silence et annonce l’objet de l’assemblée. C’est la prise de parole par le chef, donnant ses
instructions ou communiquant son message, autour duquel s’engage la palabre que clôture
une synthèse des débats approuvée par les dignitaires ou les chefs de clans convoqués. Enfin,
on apprête le repas et les boissons qu’offre le chef, pour cimenter l’union de la collectivité. Le
second modèle est celui du repas sacrificiel avec offrandes aux ancêtres, nourriture ou
libations et on peut dire que le sacrifice rituel est un rite religieux très éloquent, qui témoigne
de la soumission de l’homme au sacré : après la communication de l’objet, ou un échange qui
peut d’ailleurs prendre la forme de la palabre, tous les convoqués suivent le chef à la case des
ancêtres ou à l’arbre du clan ; on immole une bête, le chef déposant un morceau de nourriture
au seuil de la case ou au pied de l’arbre en prononçant des paroles sacrificielles (commençant
par présenter aux ancêtres les doléances de la communauté ou la raison pour laquelle on
sacrifie, présentant ensuite l’holocauste, implorant enfin des ancêtres auxquels on immole
protection, assistance, etc.). Alors seulement, tous les convives peuvent à leur tour prendre le
repas, en communiant aux mets offerts aux ancêtres. Le tout étant accompagné de chants et
danses dirigés par l’officiant.

En cela réside ce qui différencie la « religion » africaine de la religion dans le sens


occidental, les religions « révélées » qui aspirent à l’universalité et prétendent ainsi gommer
les différences ; religion domestique ou familiale, la religion traditionnelle africaine n’est pas
à usage public, n’a pas vocation à l’universel, elle est liée à l’expérience quotidienne de

596
ABEGA, Séverin-Céline, ibid., p. 18.
242

chacun qui la pratique dans sa famille, dans son clan. Il semble, en réalité, qu’en milieu
traditionnel historique, rien n’empêchait que la pratique rituelle soit publique, mais c’est la
répression qu’elles ont subie de la part de l’Eglise missionnaire et de la colonisation qui a
poussé les religions traditionnelles dans la clandestinité et, en tout cas, dans la confidentialité.

L’Africain et le Dieu chrétien

En dehors de ces « croyances ancestrales, il est avéré que la conception africaine


n’ignorait pas Dieu, contrairement à ce que les missionnaires ont fait croire. Il ne s’agit pas
d’idées trop vagues concernant quelque chose de surnaturel, comme une intuition naturelle de
tout être, mais d’une conscience qui a démontré que, contrairement à ce que l’on prétendait,
l’Afrique traditionnelle avait une idée relativement précise de Dieu, être suprême et le plus
grand des esprits, à l’origine de toute existence, c’est-à-dire le Dieu créateur. Dans ce sens,
comme l’affirmait J-A, Malula, « il est admis de tout le monde que le Noir bantou connaissait
Dieu bien avant l’arrivée des Blancs »597. L’archevêque de Kinshasa insiste : « En arrivant
chez nous, les missionnaires n’avaient pas trouvé une tabula rasa. Toutes les aspirations
religieuses de l’âme noire étaient comme autant des pierres d’attente prêtes à servir à
l’évangélisation (prêtes à recevoir l’Evangile du Salut, dans une autre version de ce texte). Le
monothéisme le plus pur professé partout par les bantous, offrait au catholicisme une base
solide sur laquelle pouvait s’édifier la doctrine catholique », tandis que « La croyance à la
survie de l’âme et à la rétribution finale offrait des perspectives d’épanouissement sans fin598.
De plus, les langues africaines ont un vocabulaire précis pour désigner non pas des
« divinités » ou des « dieux », mais le Dieu unique, comme dans les langues congolaises
(Akongo, Etre suprême ou Nzambe, en lingala, Nzambi a Pungu en kikongo, Mvidi-Mukulu,
en ciluba, Nzakomba en mongo, Mungu en swahili, etc. Pour eux, il est l’ancien, le premier,
celui qui est à l’origine de tout ce qui existe, Créateur, l’Eternel, il est partout et sait tout.

C’est ce que dit également Séverin Céline Abega, affirmant que « les cultures
africaines, avant le christianisme et l’islam, connaissent un Dieu unique et le nomment
parfois, même si elles lui rendent rarement un culte », et de donner quelques dénominations
africaines de Dieu formées sur une même racine, Nyambe, Zamba, Zambi599, en dépit du fait
que les mythologies ne sont pas toujours identiques et qu’elles n’accordent pas à ce Dieu des

597
MALULA, Joseph-Albert, « L’âme africaine noire », in L’évêque africain aujourd’hui et demain, Kinshasa
1979, pp. 42-63, voir De SAINT-MOULIN, Léon (présentation), Œuvres complètes du Cardinal Malula,
Facultés Théologiques de Kinshasa, 1997, p. 20.
598
De SAINT MOULIN, Léon, (prés.), Œuvres complètes du Cardinal Malula, op.cit., p. 24.
599
ABEGA, Séverin-Céline., « Le Cameroun et la religion traditionnelle », loc.cit., p. 16.
243

attributs identiques (tantôt il est bon, aimant, tantôt méchant, immoral, etc.) Dans le même
ordre d’idées, il y a toute une science des noms de gloire et de louange pour désigner Dieu,
induisant, pour Jésus que les Africains vont adopter avec le christianisme, une christologie
spécifique qui fait désigner le Christ par divers noms comme autant d’attributs ou de qualités
qui lui sont reconnus et qui seront à l’honneur dans le cadre de l’inculturation. Il y avait, là, au
moins ces « pierres d’attente » qui prédisposaient les Africains à recevoir et à accueillir le
christianisme, tandis que la vision du monde cosmique de l’Africain est de nature à lui faire
comprendre et croire nombre des mystères du christianisme (comme la naissance miraculeuse
de Jésus, sa résurrection, certains mystères eucharistiques comme la transsubstantiation…,
ainsi que cela sera exposé plus loin).
Dans ce sens, Eugène Lapointe600 estime que chaque peuple ou groupe humain
conserverait des traces ou vestiges d’une Révélation primitive, en particulier celle de la
Genèse, que Dieu aurait faite au début de l’histoire humaine et qui se serait transmise de
génération en génération par tradition orale. Pour cette raison, des missionnaires s’efforçaient
de découvrir dans les peuples qu’ils allaient évangéliser des traces de cette Révélation. Il cite
le père oblat François Le Bihan rendant compte de son expérience chez les Zoulous et chez
les Basotho, qui conclut « J’ai parlé de la notion de Dieu parmi ces païens [...]. J’ai dérivé de
là la question de la prière, de la vie future et de l’immortalité de l’âme. J’ai constaté
également les idées au sujet des dernières fins de l’homme, puis la persistance des vérités
morales, y compris le sentiment lugubre que cette chute a laissé dans l’esprit et dans le cœur.
Enfin nous avons fini par le dogme de la Rédemption. […] ». C’est pourquoi il lui avait
semblé facile de prêcher l’Evangile que ces peuples « reconnaissent comme une vérité qu’ils
ont toujours acceptée »601.

De fait, cette connaissance de Dieu, ainsi que tous les noms qui lui sont attribués, sont
bien antérieurs à l’arrivée des missionnaires ; c’est ce que voulait également signifier Mgr
Kabanga, archevêque de Lubumbashi, lors de la visite ad limina des évêques des provinces
ecclésiastiques de Kananga et de Lubumbashi en avril 1983, lorsqu’il disait que l’Afrique
était naguère terre inconnue, voire méconnue des hommes, mais toujours connue de Dieu.
C’est ce qu’attestent les témoignages occidentaux les plus anciens, portant notamment sur la
christianisation de l’ancien royaume kongo. Ainsi, bien qu’à propos de l’Etre suprême que

600
Eugène Lapointe est prêtre o.m.i., docteur en théologie ; il a été missionnaire au Lesotho (1960-1996) où, tout
en étant responsable de communautés chrétiennes, il a enseigné au séminaire national Saint-Augustin de Roma.
Il a publié, en particulier Une expérience pastorale en Afrique australe, Paris, L’Harmattan, 1986 et A ce monde
aimé de Dieu proclamer l’Evangile. La mission aujourd’hui, Médiaspaul, 1997. Source :
http://www.sedos.org/french/lapointe.html.
601
LAPOINTE, Eugène, « L’inculturation », Dictionnaire des valeurs oblates, http://omiworld.org.
244

des Noirs désignent par Nzambiampungu chez les Kongo [Mvidi Mukulu (chez les Luba),
Nzambe et Nzakomba (chez les Ngala et les Mongo), Nyambe ou Zamba dans certaines autres
langues africaines], des chroniqueurs missionnaires disent que « le dogme principal de
l’idolâtrie locale est celui de Nzambiampungu, d’après le nom attribué à la divinité », Georges
Balandier qui rapporte cela n’hésite pas à affirmer, au contraire, que « Dès le début du XVIe
siècle, tous les textes en témoignent, le terme Nzambi ampungu désigne à la fois l’Etre
suprême défini par la pensée religieuse kongo et le Dieu des chrétiens » et, dans une
conception spirituelle et non anthropomorhique de Dieu qu’a la religion occidentale,
identifiant le « Seigneur du Ciel » et la « Toute-Puissance créatrice »602, et non une vague
« divinité ». Enfin, commentant la phrase ci-dessus de Mgr Kabanga lors de la visite ad
limina, qu’il cite, Maurice Cheza conclut que « cette phrase exprime une vérité fondamentale
selon laquelle la relation entre Dieu et les populations africaines est bien antérieure à l’époque
missionnaire. Et en continuant sur cette logique, on peut se demander si la rencontre entre les
Africains et Dieu ne reste pas trop dépendante de la médiation européenne »603.

602
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume du Kongo…, op.cit., p. 248.
603
CHEZA, Maurice, Les évêques d’Afrique parlent,, Paris, Centurion, p. 119.
245

Photo: Lamote C. (1950 ?) Source: Congopresse


Légende: Dans un village du Sud du Kwango (R.D. Congo), un malade est venu demander sa guérison au
féticheur. S'accompagnant de petites cloches de bois ornées d'une tête sculptée et de hochets en vannerie où
crépitent des graines séchées, les assistants récitent une incantation tandis que le féticheur consulte les esprits au
moyen d'un miroir posé sur une corbeille où s'entassent divers ingrédients magiques (souligné par nous).
http://africamusica2.skynetblogs.be/archiveday/20060716
246

IV.III.I.2 La réponse missionnaire à la rencontre entre les deux cultures

C’est de tout cet univers « religieux » qui vient d’être succinctement présenté, que,
dans ses différentes manifestations, pensée, croyances, cultes et rites, arts (sculpture, danses,
musique, peinture) croyances, pensée, etc. et, donc, toute la culture des peuples africains
christianisés, les missionnaires ont voulu séparer ces derniers, en détruisant cet ensemble pour
remplacer les formes et valeurs culturelles autochtones par l’idéologie européo-chrétienne,
affaiblissant les résistances les plus efficaces dont puisse disposer un peuple contre la
domination et l’exploitation étrangères et coloniales. C’est cet objectif d’éradiquer leur culture
traditionnelle chez les convertis qui inspira la politique et la pratique des fermes-chapelles et
des villages chrétiens dont il a été question plus haut, afin de les éloigner des pratiques
« païennes » pour leur faire acquérir une nouvelle culture, imprégnée de valeurs chrétiennes.
Mais, aussi, d’astucieux agents coloniaux, récoltant toutes ces œuvres, en ont profité pour
s’enrichir et enrichir des collections privées ou des musées en œuvres d’art « primitif » ainsi
qu’en témoigne, en particulier, la richesse des musées coloniaux comme notamment celui de
Tervuren (près de Bruxelles). Par là, les missionnaires ont largement contribué à
l’acculturation et à l’aliénation culturelle et mentale des colonisés, armes idéologiques de la
domination coloniale, faisant table rase des pratiques religieuses africaines face à la liturgie
chrétienne importée. On serait tenté de voir dans ce comportement des missionnaires juste une
application des pratiques qui se sont déroulées même en Europe lors de la christianisation de
ce continent. Mais, il y a une différence capitale, dans le fait que, dans les pays de mission
africains la christianisation est l’œuvre d’acteurs représentant une civilisation conquérante
accompagnant un projet plus global d’occupation et de domination des sociétés locales, ainsi
que l’ont prouvé les expressions et attitudes des missionnaires dont nous avons vu les récits,
tandis que lors de l’évangélisation de l’Occident, ce sont les évangélisateurs qui étaient
opprimés et persécutés.

Il n’y avait donc pas lieu que, quoi que ce soit de ces croyances et de leurs
manifestations pût être retenu pour être intégré dans la liturgie chrétienne ; aucune tentative, à
l’instar des initiatives controversées des jésuites en Extrême-Orient, ne fut faite pour adapter
le christianisme aux quelques éléments locaux qui pouvaient lui être compatibles, on avait
décrété l’impossibilité de concilier les deux mondes, l’un devait chasser l’autre. Aussi, E.
Mveng affirme-t-il que « Au Bénin, au Congo, au Sierra Leone, dès le XVIe siècle, la chasse
aux fétiches constitue l’une des préoccupations majeures du missionnaire. Des trésors d’Art
Nègre furent livrés aux flammes par les missionnaires catholiques dans l’ancien Royaume du
247

Congo. Les exploits de Mgr Anguard, surnommé l’évêque des anthropophages, contre les
sorciers du Congo, sont restés célèbres. Une apologétique simple, trop simpliste parfois,
englobe sous le nom de diableries les cérémonies religieuses, la médecine traditionnelle, voire
les techniques de l’artisanat »604. Pour prendre cette période citée par E. Mveng, à l’époque du
royaume kongo, un jugement péremptoire et global est le plus souvent émis à l’encontre des
pratiques religieuses et cultuelles traditionnelles, par les missionnaires qui les déclaraient
diaboliques et entendaient les extirper pour « civiliser » les Kongo, parce que évangéliser
c’était civiliser et civiliser c’était initier à la culture occidentale. Les missionnaires s’en
prenaient aux cérémonies traditionnelles même quand elles ne concernaient pas un culte des
ancêtres ou des génies. Ainsi, l’initiation dont nous avons vu le rôle en tant que système
d’éducation, était considérée comme un obstacle à l’apostolat missionnaire, en particulier
parce que dans les choses de la vie apprises il y avait l’éducation sexuelle des jeunes, choses
horribles et abominables pour les missionnaires qui ne voyaient pas le projet éducatif d’un
système justement destiné à préparer les jeunes à entrer dans la vie d’adultes. Ainsi aussi, les
cérémonies des « matanga » concernant le deuil. Ce mot lingala, qui se dit de la même
manière en kikongo, signifie « deuil », et est désigné dans d’autres langues congolaises, par
madilu ou cidilu en ciluba, kilio en swahili, etc., il couvre aussi bien le fait d’être endeuillé
que la période et les cérémonies de deuil. C’est donc l’ensemble des cérémonies funéraires
traditionnelles, faites de veillées avec pleurs, chants et danses, de rites de purification et de
délivrance et se terminant par un rite de clôture du deuil ; certaines pratiques, en particulier en
cas du décès d’un conjoint, ou d’un petit enfant, ou encore d’un ancêtre ou d’un chef
coutumier, ont pu en effet désarçonner les missionnaires qui n’étaient pas au fait de ces
cultures. Ces cérémonies sont faites de moments confidentiels où l’on procède, d’abord, à la
recherche de la cause et de l’auteur de la mort (passant par la divination ou la consultation
d’un nganga), à la purification de la veuve ou du veuf selon le cas (faisant appel à certaines
épreuves ou exigences, parfois humiliantes, que subit l’intéressé). Dans certaines contrées,
aux petites heures de la nuit de la clôture du deuil, un cortège sélectionné conduit par un initié
tourne dans les environs de la maison de deuil pour « chercher et chasser le fantôme » du
défunt afin de lui permettre d’aller son chemin vers sa nouvelle terre (en langue luba, on dit
kukeba mukishi ou kukeba mujanyi), enfin, la clôture voit intervenir des chansons et danses

604
MVENG, Engelbert., L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant, Paris, L’Harmattan, 1986, pp. 75.
Engelbert Mveng était jésuite, formé au grand séminaire de Yaoundé (Cameroun) et au noviciat de la Compagnie
de Jésus à Djuma (Congo-Kinshasa), études de philosophie à Eigenhoven (Belgique) et de théologie à Lyon
(France), avantd’être ordonné prêtre en 1963 ; il a participé en 1969 à l’élaboration de la liturgie de Ndzon-
Melen dans la banlieu de Yaoundé. Poète, peintre, écrivain, professeur d’histoire à l’Université de Yaoundé de
1965 à 1995, date où il fut trouvé étranglé la nuit dans sa maison.
248

accompagnant les victuailles et les boissons. Sans se demander le sens de certaines de ces
choses, pour éventuellement en garder le sens social et en extirper ce qui serait par exemple
contraire à la dignité de la personne (comme certaines de ces épreuves que subit surtout la
veuve), et sans explications, les missionnaires ont virulemment combattu les matanga.
Pourtant, quand, en 1939, précisément à propos des cérémonies de matanga, le délégué
apostolique du Congo, Mgr Dellepiane, demandait à la Propagande l’autorisation d’en
expurger ce qui paraissait aux missionnaires comme des superstitions, il se vit en guise de
réponse répéter par cette congrégation romaine son instruction donnée aux jésuites de Chine
en 1659 : n’introduire dans ces pays que la foi et non « nos pays », ne pas convaincre les
peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs, ni repousser ni blesser les rites
et usages d’aucun peuple, mais au contraire les garder et les protéger, etc.605. C‘est ce que,
interrogé sur ces rites, en particulier ceux que subissent les veuves, préconise l’abbé Prosper
Abega, de l’archidiocèse de Yaoundé, qui estime que tous ces rites semblent faire partie d’«
une thérapie de rééquilibrage moral et physique. Les rites doivent continuer, mais il faut les
adapter aux conditions de vie de l’homme d’aujourd’hui »606.

D’un autre côté, beaucoup de ces religions imposaient des interdits de divers ordres à
leurs adeptes, telle l’interdiction du travail et du marché certains jours de la semaine. Il est vrai
que de telles pratiques avaient pour conséquence que les indigènes ne respectaient pas la
semaine chrétienne et occidentale de sept jours et, donc, la non observance de la solennité du
dimanche ; ainsi que le remarque le père de Lucques, «les gens observent quelques jours de la
semaine qui sont dédiés au démon comme si c’était des jours de fête. Ces jours là on s’abstient
de travailler. Ils reviennent tous les trois jours »607. Mais, en même temps, cette pratique faisait
diminuer la production ou provoquait l’absentéisme et la désertion des ouvriers et domestiques
employés par les Européens. Ces deux raisons expliquent pourquoi, à la base des réactions
négatives, on trouve une sorte de collusion avec l’autorité coloniale, souvent sur dénonciation
par des missions catholiques (autre manifestation de la collusion administration - milieux
d’affaires - missions catholiques).

Ce jugement de condamnation ne concernait pas seulement le culte, mais toutes les


coutumes sociales, comme les cérémonies de deuil que nous venons de voir, comme le régime
605
METZLER, Jozef, S.C. de Propaganda Fide Memoria Rerum 1622-1972, III, 2 (1915-1972), Paris, Ed.
Helder, 1976, p. 522 ; LINDEMANS, Steven, Histoire de l’Eglise, Kinshasa, Ed. du C.E.P. (Centre d’Etudes
Pastorales), 1978, p. 69.
606
Cité par H. YONKEU et J.D. MIHAMLE, « Cameroun, le chemin de croix des veuve – Le rituel du veuvage
résiste au modernisme », Bulletin d’Information Africaine, N° 402, décembre 2000, http://ospiti.peacelink.it/enb-
bia/nr402/f03.html
607
CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo du Père Laurent de Lucques…, op.cit., p.150.
249

matrimonial, qui, selon les missionnaires, ne tient pas compte chez les Kongo, par exemple,
« de la parenté », mais surtout parce qu’il autorise la polygamie et qu’il n’est pas fondé sur le
mariage « religieux » ; en vue d’imposer la monogamie, il fut organisé une véritable « chasse
aux concubins et concubines », tous ceux qui cohabitaient sans avoir été bénis à l’église,
provoquant les protestations des femmes ainsi abandonnées et dépourvues de statut social608.
Etaient également mal considérées, des danses populaires coutumières, celles que des gens
exécutent traditionnellement en groupe pour des réjouissances ou comme divertissement ; si
elles ne sont pas formellement condamnées, comme celles qui mettent en présence hommes et
femmes, elles sont ridiculisées et traitées de diaboliques. Tel le cas d’une danse kongo dite
« danse de l’épée » ou « danse guerrière », que les missionnaires ont appelée « sangare »609 ;
le père de Lucques dit à propos de cette danse que ce :
« n’est pas autre chose qu’un exercice d’armes que ces noirs ont coutume de faire,
faisant de l’escrime avec l’épée à la main, comme s’ils combattaient contre leurs
ennemis. Il est très curieux et risible de les voir les uns avec une épée et un bouclier,
d’autres avec un mousquet ou un bâton, courir de-c-là de façon désordonnée ou faisant
des grimaces ou des contorsions fort anormales. Celui qui se rend le plus difforme est
le plus applaudi »610

Fra Luca da Caltanisetta connut lui aussi le sangare, terme qu’il emploie en forme de
verbe, signifiant « exécuter la danse guerrière », tandis qu’il recourt à un autre vocable, le
sangamento, semblant être le substantif. Il y assista même. Une première fois, lors des
réjouissances le jour même où il fut baptisé par le missionnaire, le 18 août 1699, le mani
Nzonzo dansa le sangamento avec ses gens611 ; une deuxième fois, le père répondit à une
invitation du mani à aller le voir sangare612. Pourtant, il ne dénonce aucun aspect diabolique
ni quelque caractère de ceux que de Lucques attribue à cette danse. Mais, l’auteur du Diaire
congolais fait état de plusieurs sortes de danses : les danses honnêtes pour les enfants, les
danses honnêtes pour les hommes (le banda), les danses honnêtes pour les femmes (le
pakula), les uns et les autres dansant seuls, selon leur genre. Toutefois, il parle d’une autre
danse, appelée makwanda, « déshonnête » celle-ci, qui « s’exécute par les hommes et les
femmes ensemble ». Sans décrire cette danse ni en démontrer le caractère « déshonnête », Fra
Luca dit avoir été scandalisé en rencontrant « par hasard et en passant », des noirs exécutant
cette danse, il chercha un bâton pour les frapper, n’en trouvant pas, il utilisa la corde de son

608
KABOLO IKO K., op.cit., pp. 36-37.
609
Le mot est l’italianisation du ki-kongo sanga (danser avec allégresse avec simulation comme exécutant des
gestes de guerre), le lusangu étant, selon Jean CUVELIER, une danse de parade que seuls les chefs exécutent en
certaines circonstances, Relations sur le Congo…, op.cit., p. 197, voir aussi BONTINCK, François, Diaire
congolais…, op.cit., p. 6.
610
CUVELIER, Jean, Louis, Relations sur le Congo…, op.cit., p. 54.
611
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., p. 171.
612
Ibid., p. 175.
250

habit en regrettant de n’avoir pu « donner que deux coups ». Son commentaire est aussi sévère
et tendancieux qu’il est insignifiant :
« Cette danse déshonnête est exécutée surtout la nuit, après le repas du soir, ils sortent
de leurs cases pour danser et cela jusqu’au jour ; (…) ils crient comme des âmes
damnées et leurs cris dissonants ressemblent à ceux que poussent les acteurs qui, dans
nos représentations théâtrales, jouent les démons »613

De même, tous ceux qui ont vécu dans les « villages chrétiens », ces « îlots chrétiens »
décrits par Claude Prudhomme614, savent comment les missionnaires faisaient des rondes de
nuit pour surprendre les jeunes qui, au clair de lune et, simplement, s’égayaient en dansant, les
dispersant et repérant ceux qui, le lendemain, seront chassés de l’école, pour « indiscipline »
ou, plus grave, « débauche ». Dans le même ordre d’idées, de vieux missionnaires étaient
réputés pour s’en prendre, lors de rondes de nuit, à des assemblées de sorciers, sans doute ces
danseurs de nuit ou encore des féticheurs, qu’ils ne manquaient pas de menacer en chaire.
Mais, même là où, notamment du temps du royaume du Kongo, il existait des groupes plus ou
moins organisés, c’était toujours dans le sens de confréries pratiquant un même fétiche, mais
sans démentir le fait que la pratique rituelle est avant tout une affaire personnelle et
domestique, les habitants se rendant chez le féticheur pour en obtenir des cérémonies pour la
protection contre des esprits, contre un ennemi, pour la chance, pour le pouvoir, etc. C’est le
plus souvent à ce genre de manifestations qu’ont assisté les missionnaires et dont ils ont
pourchassé les adeptes. Le chroniqueur du Diaire congolais, Fra Luca, remplit le tiers de ses
chroniques de ces chasses aux féticheurs et autres « adorateurs du démon ». A plusieurs
reprises, on pourrait même affirmer, à chaque page, il dit avoir « détruit et brûlé beaucoup
d’instruments et d’idoles de féticheurs, détruit le sanctuaire où ils faisaient leurs adorations
superstitieuses »615. Plusieurs cérémonies, quoique rituelles, n’étaient que des thérapies pour
guérir, comme, entre plusieurs cas qu’il cite, celui d’une nuit où ces « féticheurs [qui]
s’étaient réunis devant la porte de dom Bernardo, ils sacrifiaient au démon pour demander la
guérison de la mère de Dom Bernardo »616. Mais, les pratiques des Noirs ne sont plus
diaboliques quand le missionnaire en bénéficie lui-même. Comme ces jours de Noël 1699,
lorsque, malade avec des « douleurs si atroces que je fus sur le point de mourir », mais obligé,
sur l’insistance de la reine dona Anna, de dire les messes de Noël, Fra Luca les célébra quand
même tout en se préparant à la mort par « la sainte communion per modum viatici » ; mais le
soir même du 25 décembre, il put récupérer sa santé, parce que « les noirs m’appliquèrent
613
Ibid., pp. 130-132.
614
PRUDHOMME, Claude, Missions chrétiennes et colonisation…, op.cit., p. 73.
615
Pour ne citer que cet épisode chez les Mubilis (Bavili), BONTINCK, François, Diaire congolais…, p. 23.
616
BONTINCK, François, Diaire congolais…, p. 40.
251

leurs remèdes, grâce auxquels, peu à peu, la maladie me laissa quelque répit » 617. C’est vrai
que des missionnaires passaient la plus grande partie de leur apostolat à combattre le
fétichisme, guettant, la majeure partie de la nuit, les activités des pratiquants. La nuit du 31
janvier 1698, à Lemfu, il entendit vers minuit

« une personne marcher en grande hâte ; de sa bouche elle produisait le son ‘o, o, o,’ et
elle haletait ‘ah, ah,’, comme si elle portait un lourd fardeau. Je soupçonnais aussitôt
qu’il s’agissait là d’une féticheuse et je demandai à un neveu du mani Lemfu qui était
cette personne. Il répondit que c’était une femme, une nganga ngombo, c-à-d. une
féticheuse-devineresse ; elle avait été tirée de son sommeil par le démon afin de jeter
dehors un autre féticheur venu chez elle pour l’empoisonner ; le démon était donc en
sa tête et, comme une folle, cette femme parcourait le village, en criant de cette fa çon
pour jeter dehors et expulser l’autre féticheur ; celui-ci s’enfuit et alla se cacher […],
je réprimandai ce neveu du mani et les autre personnes présentes ; […] Mais tout ce
que je dis fut salué d’un grand éclat de rire. C’est ainsi qu’habituellement ces gens
sauvages et barbares terminent et concluent tout sérieux entretien spirituel »618
Même des systèmes d’intégration sociale et d’éducation comme l’initiation étaient
considérés comme cultes diaboliques et combattus. C’est le cas du kimpasi du royaume
kongo. Si les missionnaires considéraient les cérémonies de l’initiation, le kimpasi, comme
nuisibles à leur apostolat, les autorités portugaises y soupçonnaient un élément d’un projet
politique, en effet, certains ont estimé que le kimpasi avait joué un rôle politique et contribué
à la lutte contre « le parti portugais »619. Pour Fra Luca les pratiquants, maîtres et candidats à
l’initiation sont « des initiés de la secte de kimpasi [qui] faisaient des sacrifices nocturnes au
démon, je les mis en fuite ». A Mbambalelo où ils avaient leur couvent de Nkusu, son
confrère le père Marcellino lui confia que, pendant son absence, il avait appris le 24 mars
1699 l’existence d’un camp du kimpasi où il était allé brûler « les cases de la secte et pris
quelques instruments diaboliques de féticheurs » et que, le 25, il avait mis le feu à « une case
diabolique et emporté tous les instruments » d’un autre camp du kimpasi. Le 28 avril, il
organisa un autodafé public : « on me remit quelques objets qui provenaient du camp brûlé du
Kimpasi : des bâtons tordus ou pourris et d’autres immondices que ce peuple aveuglé vénère,
le dimanche in albis, je les fis brûler »620. Si la pratique n’est guère mentionnée avec une telle
fréquence au cours de la deuxième évangélisation, on se rend compte qu’autant les
missionnaires du royaume de Kongo pourchassaient les « diableries », autant ils ont passé une
bonne partie de leur temps à distribuer des excommunications et à en absoudre, pour des
raisons variées plus ou moins futiles au point de banaliser la sanction ecclésiastique. On

617
Ibid., p. 192.
618
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., p. 101.
619
BALANDIER, Georges, La vie quotidienne au royaume du Kongo du 16e au 18e siècle, op.cit., p.219.
620
Ibid., respectivement pp. 39, 155 et 157. Le dimanche in albis c’est le premier dimanche après Pâques, cette
année 1699 il tombait le 26 avril.
252

frappe des féticheurs et autres superstitieux, des nobles désobéissants ou entêtés, jusqu’à ce
qu’ils demandent pardon. Parce que le roi et ses hommes lui interdisaient de quitter la mbanza
royale de Mukondo pour se rendre à Nkusu selon les instructions de la Propagande dans sa
lettre de nomination comme vice-préfet de Luanda, et qu’il avait envoyé des gens « dans
l’enclos de nos cases pour compter combien d’esclaves de notre église s’y trouvaient afin
qu’aucun ne pût s’en aller », Fra Luca les frappa d’excommunication, le roi, ses deux marquis
et ses conseillers. Il ne leva l’excommunication que lorsque le roi l’eut supplié de le laisser
entendre les messes de la semaine sainte et, après plusieurs refus, eut consenti à lui rendre
« tous mes esclaves » et à le laisser partir librement en mission où il voulait ; de sorte que « le
31 mars, Dimanche des Rameaux, je donnai l’absolution publique et solennelle de
l’excommunication au roi et à ses complices, présents à la messe »621. Après avoir
« excommunié certaines personnes, entre autres le chef de la libata Luilla, sujet du mani
Bwenze, et tous ses hommes, car ils avaient manqué de respect à mes mulekes et à moi-
même », dit Fra Luca, « je menaçai aussi d’excommunication le mani Zoella qui « refusait de
faire capturer un féticheur, un des principaux prêtres des dieux, qui présidait la secte de
Kimpasi, ce mani ne voulant même pas m’indiquer la case de ce féticheur ni celle où se
réunissaient les adeptes de cette secte diabolique » fut seulement menacé d’excommunication
par Fra Luca ; « la seule menace le laissa tout terrorisé »622. Au cours de son deuxième voyage
missionnaire (à partir du 25 février 1694), arrivé à Nsundi, il leva « l’excommunication que
quelques habitants avaient encourue l’année précédente », y brûlant « beaucoup d’idoles et
d’instruments de féticheurs », et déclara « excommuniés tous les féticheurs ou prêtres et
prêtresses des dieux et tous leurs protecteurs, même si ceux-ci étaient de grands seigneurs.
Apprenant cette excommunication, certains seigneurs reconnurent leur erreur et furent absous
par moi »623.
***

Les réactions des missionnaires montrent que, en réalité, le christianisme tel qu’il était
mis en œuvre en pays de mission africains, ne pouvait pas appliquer les instructions de
tolérance et d’adaptation aux cultures et coutumes locales comme celle donnée par la
Congrégation de la Propagande en 1659 et rappelée en 1939, en s’émancipant du contraignant
contexte général, culturel, économique et politique, dans lequel il a été implanté, c’est-à-dire
du projet global de la colonisation caractérisé, selon F. Eboussi Boulaga, par des rapports

621
BONTINCK, François, Diaire congolais…, pp. 16-17.
622
Ibid., p. 25. Libata (ou divata) signifie bourgade, muleke (ou nleke), c’est serviteur, ibid., p. LI.
623
Ibid., p. 32.
253

sociaux de domination. Autant Léopold II de Belgique, par exemple, avait prétendu conjuguer
« civiliser et évangéliser », autant la colonisation et, donc, l’évangélisation de l’Afrique dans
son ensemble avaient été présentées comme poursuivant ce double objectif, à la fois noble et
altruiste, comme l’explique encore F. Eboussi Boulaga624, de civiliser, humaniser l’homme
dégradé des contrées perdues d’Afrique, de propager la vraie foi au détriment des
« superstitions » de ces peuples, dans le cadre d’un projet consistant à élever progressivement
l’Africain à la normalité ou, mieux encore, à la norme qu’était la chrétienté.

Le sous-bassement religieux de la société africaine pré-coloniale aurait pu, dans une


conception positive d’adaptation ou… d’inculturation, faire envisager un certain degré de
conciliation du christianisme avec les croyances et religions traditionnelles africaines qui,
épurées de ce qui peut en paraître totalement incompatible, pouvaient intégrer
harmonieusement la liturgie chrétienne. Au lieu de cela, pendant toute la période coloniale,
les chrétiens africains durent ainsi subir la liturgie tridentine dans sa rigueur et dans sa stricte
latinité, seule l’homélie avait lieu dans les langues locales, tandis que les chants populaires
locaux ne purent être exécutés que, en dehors de l’eucharistie, dans diverses formes de
dévotion notamment celle du Saint Sacrement ou de Marie, etc.

Servant de véhicule à la domination, les missionnaires ont affaibli les ressorts de


résistance des peuples, à commencer par leurs fondements culturels, en combattant avec
acharnement ce qu’ils appelaient « pratiques fétichistes et animistes ». On ne se tromperait
pas en affirmant que le christianisme a procédé à une vaste opération de déculturation-
acculturation, avec aliénation culturelle et mentale, les cultures africaines, déclarées païennes,
ont été contraintes de s’adapter à la culture euro-chrétienne, en se reniant, en s’anéantissant.
Aussi, appliquant la tabula rasa, les missionnaires ont-ils cru bon de détruire les croyances et
expressions culturelles africaines, décrétées « païennes », incompatibles avec le message

624
EBOUSSI-BOULAGA, Fabien, développe de telles idées dans son Christianisme sans fétiche. Révélation et
domination, Paris, Présence Africaine, 1981, respectivement p. 26 et pp. 48-50. Fabien Eboussi, entre, en 1955,
chez les Jésuites, dont il suivra tout le cursus de formation, De 1957 à 1962, il fait, en France, une licence des
lettres et une licence de philosophie, de 1964 à 1968, il fait une licence de théologie a la Faculté de
théologie de Lyon-Fourvière, en même temps qu’un diplôme d’ethnologie et le doctorat en philosophie
(Histoire) à l’Université de Lyon II, Il a enseigne dans plusieurs universités en Afrique, en Europe et en
Amérique et a publié, entre autres : La crise du Muntu, Authenticité africaine et philosophie, Paris, Presence
Africaine, 1977, 1997, Christianisme sans fétiche, Paris, Présence africaine, 1981, A contretemps, L’enjeu de
Dieu en Afrique, Paris, Karthala, 1992, Christianity without fetishes, an African critique and recapture of
Christianity, Hamburg, Lit, 20
254

chrétien et incapables d’offrir une voie du salut, par un préjugé qui interdit tout examen des
éléments des traditions religieuses et des religions traditionnelles africaines qui pourraient
s’accorder avec les valeurs du christianisme. Cette conception a induit des pratiques ayant
pour but la massification des conversions, sans dédaigner les conversions individuelles, la
préférence était donnée à des conversions de masse, afin de « sauver » le plus d’âmes
possible.

IV.III.I.3 Une attitude commandée par la théologie missionnaire de l’époque

La théologie missionnaire de cette période « classique » de l’histoire de l’Eglise, celle


qui a dominé jusque pratiquement au début du XXe siècle, ne pouvait se préoccuper d’adapter
le christianisme aux conditions locales, notamment aux cultures et croyances rencontrées sur
les terres de mission. En effet, longtemps limitée aux exigences du salut des âmes dans la
conception traditionnelle « Extra Ecclesiam, nulla salus », cette théologie dite du salut des
âmes n’assignait à la mission que le rôle de « guérir, de convertir, de christianiser » en
annonçant la bonne nouvelle ; elle amena à « disqualifier globalement les traditions culturelles
et religieuses des peuples africains »625, à écraser, à travers le « paganisme », les arts, danses,
musique, croyances, cultes et rites, considérés comme du fétichisme païen. On peut retrouver
cette théologie confirmée par le pape Benoît XV dans l’encyclique Maximum Illud du 30
novembre 1919, la charte de la mission et des missionnaires, qui se préoccupe de gagner le
plus d’âmes possible au Christ : « Une armée de missionnaires se lève pour arracher les
pitoyables tribus indigènes à l’atroce esclavage des démons tout en les protégeant contre
l’exploitation de maîtres sans conscience.» Il y a là une véritable conviction misérabiliste ou
de pénibilité à travers laquelle « le missionnaire est le héros venu combattre et vaincre la
puissance du démon dans le but de moraliser les noirs abrutis et de sauver ces malheureux
afin qu’ils échappent à l’enfer qui les attend après la mort. »626. Les missionnaires étant ainsi
mus par « la pitié que devait inspirer la triste situation surnaturelle, morale et humaine des
‘’sauvages’’[…] » Il n’était pas question de reconnaître les valeurs intrinsèques des autres
religions – que d’ailleurs on connaissait peu, car « ces valeurs, même si on les avait perçues,
auraient été des obstacles à la romanisation uniformisatrice et salvatrice qui prévalait »627.

625
NGINDU MUSHETE, Alphonse, Les thèmes majeurs de la théologie africaine, Paris, L’Harmattan, 1989, pp.
32-33.
626
BLOCK, Mattijs. Jean-Claude., « Christianisme et quête d’identité en Afrique – La genèse et l’évolution de
la théologie africaine dans la tradition ecclésiale catholique romaine », in Revue Réformée N°228, 2004-3, juin
2004, t. I, www.unpoissondansle.net/rr/0406
627
MAURIER, Henri ., « La mission demain à la lumière de la mission hier », in Eglise et mission, 1977, n° 205,
p. 35, cité par NGINDU Mushete., Alphonse., op.cit., p. 33.
255

Autrement dit, cette théologie imposait aussi bien le message que les éléments contingents,
parce que purement culturels et « occidentaux » qu’il charriait, oubliant les instructions que la
Propagande avait données en 1659 déconseillant de « transporter chez les Chinois la France,
l’Espagne … ».

La théologie missionnaire alors mise en œuvre, celle du « salut des âmes », a semblé
évoluer pour s’employer à implanter l’Eglise institutionnelle, elle fut remplacée par « la
théologie de l’implantation » qui est tentée en Afrique à partir des années 1920, jusque, en
gros, en 1950. On la trouve parfaitement définie dans l’encyclique Rerum Ecclesiae, en date
du 8 février 1926, du pape Pie XI, pour qui le but des missions est, après avoir fait tabula rasa
des nations païennes, « d’établir et de fonder solidement l’Eglise de Dieu, et cela par tous les
mêmes éléments dont elle fut constituée autrefois chez nous ». Ni plus ni moins, ce dont il est
question c’est « donc d’ériger, d’implanter l’Eglise ou, mieux encore, de reconstituer, dans les
territoires de mission, des dépendances des Eglises occidentales avec leurs structures
administratives, leur clergé, leur liturgie, leur morale, etc. », « d’insérer les Africains et
l’Afrique dans l’Eglise »628. Mais, la théologie de l’implantation s’évertuait à reproduire les
règles et méthodes des Eglises occidentales, toujours avec des agents européens. Il s’agissait,
en fait, chez des peuples dont à cette époque la culture avait été anéantie par les pratiques
missionnaires et coloniales antérieures, « d’édifier, d’implanter l’Eglise telle qu’elle s’est
réalisée historiquement en Occident, dans son personnel, dans ses œuvres comme dans ses
méthodes. »629. Ce faisant, cette théologie contient la même logique que celle du salut des
âmes, parce qu’en imposant, par cette transposition, la romanité, elle implique que la seule
Eglise vraie de Jésus, celle à travers laquelle les hommes sont sauvés, est l’Eglise catholique
romaine.

Ces deux méthodes avaient les mêmes effets, en amenant l’Eglise à écraser, à travers
le « paganisme », les cultures africaines (arts, danses, musique, croyances, cultes et rites)
considérées comme du fétichisme païen. M. J-C Blok reprend, pour illustrer cette stratégie,
cet objectif assigné par le pape Pie XI à la mission630 : « établir et [de] fonder solidement
l’Eglise de Dieu, et cela par tous les mêmes éléments dont elle fut constituée autrefois chez
nous». Cela revient, en fait, à reconstituer « des dépendances des Eglises métropolitaines, sans

628
BLOCK, Mattijs. Jean-. Claude., loc.cit.
629
NGINDU Mushete. Alphonse., op. cit., p. 34.
630
Rerum Ecclesiae, 1926.
256

personnalité propre »631, selon l’appréciation de J.-M. Ela, avec leurs structures
administratives, leur clergé, leur liturgie, leur morale, tandis que, par une jolie tournure, F.
Eboussi B. constate que ces églises réputées jeunes « sont nées vieilles », transportées
d’Occident déjà vieilles, « pareilles aux châteaux médiévaux que de riches Américains
transportent pierre par pierre sur les bords du Potomac »632.

La dernière étape de l’Eglise missionnaire étrangère en Afrique, à partir des années


1950, connut une nouvelle théologie missionnaire, dite de l’adaptation, dont on trouve les
premières expressions dans l’encyclique Summi Pontificatus du 20 octobre 1939, dans
laquelle Pie XII, tout en étant en majorité relative aux « principes totalitaires », prescrit que :

« L'Église du Christ, fidèle dépositaire de la divine sagesse éducatrice, ne peut penser


ni ne pense à attaquer ou à mésestimer les caractéristiques particulières que chaque
peuple, avec une piété jalouse et une compréhensible fierté, conserve et considère
comme un précieux patrimoine. Son but est l'unité surnaturelle dans l'amour universel
senti et pratiqué, et non l'uniformité exclusivement extérieure, superficielle et par là
débilitante. Toutes les orientations, toutes les sollicitudes, dirigées vers un
développement sage et ordonné des forces et tendances particulières, qui ont leur
racine dans les fibres les plus profondes de chaque rameau ethnique, pourvu qu'elles
ne s'opposent pas aux devoirs dérivant pour l'humanité de son unité d'origine et de sa
commune destinée, l'Église les salue avec joie et les accompagne de ses vœux
maternels. Elle a montré à maintes reprises dans son activité missionnaire, que cette
règle est l'étoile directrice de son apostolat universel. D'innombrables recherches et
investigations de pionniers, accomplies en esprit de sacrifice, de dévouement et
d'amour par les missionnaires de tous les temps, se sont proposé de faciliter l'intime
compréhension et le respect des civilisations les plus variées et d'en rendre les valeurs
spirituelles fécondes pour une vivante et vivifiante prédication de l'Évangile du Christ.
Tout ce qui, dans ces usages et coutumes, n'est pas indissolublement lié à des erreurs
religieuses sera toujours examiné avec bienveillance, et, quand ce sera possible,
protégé et encouragé. »
L’Eglise considérait donc qu’on peut toujours trouver dans la culture d’un peuple des
éléments positifs compatibles avec le christianisme, lequel pourrait les assumer après les avoir
purifiés et transfigurés ; il y aurait, dans la culture africaine notamment, comme des « pierres
d’attente » sur lesquelles se grefferait le message du christianisme. Mais, cette théologie, en

631
ELA, Jean.-Marc., Le cri de l’homme africain – Questions aux chrétiens et aux Eglises d’Afrique, Paris,
L’Harmattan, 1980, p. 34. Jean-Marc ELA est né au Cameroun ; il est à la fois sociologue et théologien, il a fait
ses études de théologie à Paris et de sociologie à Strasbourg. Le père Ela a également enseigné à l'Université de
Yaoundé. Ses livres sont très connus en Afrique. Homme de vérité, en 1994, menacé de mort, il a été
contraint à l'exil. Parlant d'un hypothétique pape noir, il a une phrase qui résume sa démarche : . " S'il y avait
un Pape noir, je craindrais qu'il n'y eût pas de changements spectaculaires parce que les évêques et les cardinaux
d'Afrique, en dehors de quelques exceptions, sont plus romains que les romains ». Il a longtemps enseigné à
l'Université de Yaoundé (Cameroun) et comme professeur invité à l'Université catholique de Louvain-La-Neuve
(Belgique) et publié de nombreux ouvrages , dans Le cri de l’homme africain, Jean-Marc Ela critique l’Eglise
chrétienne pour sa place dans le mécanisme de dépendance des peuples africains face au système hégémonique
occidental.
632
EBOUSSI-Boulaga., Fabien., Christianisme sans fétiche. Révélation et domination, ibid.
257

dépit du préjugé favorable de théologiens africains dont quelques-uns en furent les plus
chauds partisans, ne fut même pas réellement mise en œuvre par les missionnaires et, avec les
indépendances africaines, se fit dépasser par des revendications pour une véritable
« incarnation » et « inculturation » du christianisme, des théologiens africains condamnant
même cette théologie d’adaptation comme un simple badigeonnage. En fait, elle ne visait qu’à
atténuer l’aspect et le visage trop occidentaux imprimés au christianisme et à l’Eglise, afin de
leur donner en quelque sorte un visage africain ; il fallait « africaniser » le christianisme, lui
donner une couleur locale. C’est en cela que cette théologie subit les critiques des tenants de
la théologie africaine, comme Oscar Bimwenyi Kweshi qui dénonce des « variantes
pléthoriques » et une terminologie flottante utilisées pour donner un visage africain à quelque
chose qui demeurerait étranger, alors que, selon eux, ce dont il s’agit c’est, non pas faire un tri
dans les cultures africaines pour y dénicher ce qui serait acceptable parce que compatible avec
le christianisme, mais faire pénétrer ce dernier dans les valeurs et cultures africaines pour
qu’il devienne une partie du patrimoine culturel et religieux de l’Afrique633.

Ce sévère jugement sur le rejet des cultures africaines par les missionnaires, ainsi que
l’appréciation accusant l’Eglise missionnaire de collusion avec la colonisation et son projet de
domination, peuvent se voir reprocher une sorte d’anachronisme en jugeant cette période avec
les armes, les connaissances et la conscience qui sont les nôtres aujourd’hui. Ce n’est pas le
lieu, et ce n’est pas l’objet de cette étude, de justifier ces thèses ni de s’en excuser, mais dans
la mesure où la critique s’adresse à une certaine praxis impulsée par les responsables des
congrégations missionnaires, quand on examine certaines directives de la hiérarchie de l’Eglise
universelle, on peut estimer que, même à cette époque là et dans le cadre des théologies
missionnaires qui se sont succédé, il était possible d’adopter d’autres attitudes.

Il s’avèrera, dans la suite, que les théologiens africains, et les Congolais en particulier,
épingleront les conséquences néfastes de ces méthodes, essentiellement par l’inefficacité de
l’évangélisation : sans aucune tentative d’adapter le christianisme notamment à travers la
liturgie qui en est la manifestation extérieure la plus caractéristique, l’Eglise missionnaire
n’avait atteint les autochtones qu’à la surface, la religion et la liturgie chrétiennes restant pour
ces derniers une foi étrangère à leur culture. C’est à ces faiblesses que s’attaquera
singulièrement le Concile Vatican II pour organiser l’adaptation de la liturgie au génie et au
tempérament propres de chaque peuple, l’Eglise reconnaissant en quelque sorte les religions

633
BIMWENYI, Kwetshi, O.scar, Discours théologique africain…Problèmes des fondements, Paris, Présence
Africaine, 1981, pp. 172-177.
258

africaines traditionnelles. En effet, confirmant les évêques africains qui s’étaient prononcés à
propos des religions traditionnelles africaines lors de leur synode, si l’Exhortation
Apostolique Ecclesia in Africa, prévient contre les influences négatives, elle encourage
l’assimilation de valeurs positives et, confirmant par ailleurs la vision de « pierres d’attente »,
affirme que ces valeurs de croyance en un Etre Suprême, Eternel, Créateur, Providence et
juste Juge
« peuvent être considérées comme une préparation évangélique, car elles
comprennent de précieuses semences du Verbe, qui sont susceptibles de conduire,
comme elles l’ont déjà fait dans le passé, un grand nombre de personnes à s’ouvrir à la
plénitude de la Révélation en Jésus-Christ à travers la proclamation de l’Evangile »634.

634
Exhortation apostolique postsynodale Ecclesia in Africa du Saint Père Jean-Paul II…, § 67, in NYOM,
Barthélemy, MPONGO, Laurent. et MBARGA, Jean. (Prés.), Eglise en Afrique, Paris, Ed. du Cerf, 1995, p.63.
259

Ci-dessous, deux photos prises en 1936 de la « pièce africaine ». Vente d’un « bel
ensemble d’Art africain de la collection historique d’Alex Van Obstal »,

Source : Salle des Ventes au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (le 11 mai 2000)
260

Nombre d’œuvres d’art africaines, considérées comme païennes et confisquées, ont fini dans
des salles de vente occidentales.
261

IV.III.II L’impossible inculturation

Les conditions de l’évangélisation en Afrique n’ont pu, à l’évidence, s’accommoder


d’une adaptation du christianisme aux cultures et coutumes africaines, à l’inculturation. Ce
constat est particulièrement vrai et absolu en ce qui concerne la liturgie. En fait, le seul terrain
où l’on peut parler d’une adaptation, c’est celui du personnel ecclésiastique, avec
l’africanisation du clergé et, bien plus tard, de sa hiérarchie ; politique préparatoire de
l’inculturation, la formation du clergé locale va, par la suite, s’avérer comme l’un des
instruments les plus actifs de celle-ci, qui ne pourra être réalisée que par des prêtres
autochtones devenus leurs propres missionnaires.

IV.III.II.1 La liturgie de l’Eglise missionnaire

Comme on l’a vu, à la poursuite du « salut des âmes », les missionnaires avaient
privilégié l’administration des sacrements, notamment les baptêmes. A ce sujet, il y eut une
véritable compétition, à qui aura baptisé le plus grand nombre de gens, les registres des
baptêmes servant également de livres de statistiques : c’était du prestige missionnaire très
recherché que de sauver le plus d’âmes possible par le baptême. La théologie du « salut des
âmes », qui sera encore d’application dans l’Eglise missionnaire des XIXe-XXe siècles, ne
touchant que superficiellement les indigènes et ne garantissant donc pas la pérennité du
christianisme, poussa à des baptêmes de masse sans préparation suffisante des
catéchumènes635, et, comme l’affirme Van Wing, l’apostolat en question se limitait à
« administrer le baptême », « Le nombre des baptêmes doit avoir été énorme »636. L’itinérance
organisée pour les missionnaires dans les villages éloignés du poste de mission et confiés à la
charge des catéchistes ne servait qu’à des baptêmes.

A ce sujet, presque chaque missionnaire tient les statistiques de ses baptêmes, soit par
localité soit pour une période donnée. Tel, pour ne prendre qu’un seul exemple, le cas de Fra
Luca : d’août 1691 à la fin de 1692, il dit avoir baptisé 2097 personnes dans le Mukondo et à
Nkusu637 ; il rapporte qu’au cours de son deuxième voyage missionnaire, du 25 février à fin
1694 « je baptisai 4940 personnes et j’assistai à 26 mariages »638. Le 31 octobre 1697, le père
étant à Mbanza Mpangu où il venait pour célébrer la commémoration des défunts comme il

635
DELANOTE, Daniel., « Le centenaire de la deuxième évangélisation au Zaïre… », loc. cit, p. 39.
636
VAN WING, Jan, Etudes Bakongo. Sociologie, religion et magie, op.cit., p. 37.
637
BONTINCK, François, Diaire congolais…, p. 23.
638
Ibid., p. 38.
262

l’avait promis au marquis de Mpangu, il baptisa à cette occasion 636 personnes639, tandis que
lors du voyage au Mpumbu (2 janvier-10 mars 1698), s’étant rendu au marché ( !) local du
village Magoa640 (un marché nsona) le 29 janvier, où « il y avait de très nombreux païens ; je
fis donc proclamer que, sans demander aucune aumône, je baptiserai tous ceux qui le
désireraient. Environ 200 personnes se firent baptiser »641. Parlant de l’année 1700, sans doute
l’une des plus mauvaises en nombre de baptisés, il dit avoir « conféré 335 baptêmes et béni 6
mariages »642, ainsi de suite. On apprend du même coup que le baptême s’administrait
moyennant le paiement d’honoraires, mais aussi, et surtout, qu’il n’était précédé d’aucune
formation ni même d’aucune préparation, initiation ou simple information. L’existence des
honoraires de baptême, appelés « aumône » par les missionnaires, est certaine, parce que, lors
de son passage chez un Dom Manuel, mani d’une localité de la libata de Kilangundu du
Mpumbu (fin février- début mars 1698) où il espérait administrer un grand nombre de
baptêmes, Fra Luca se rendit compte que les habitants n’étaient pas très intéressés, « pour les
allécher, je dis que je ne voulais qu’une petite aumône, prélevée sur ce qu’ils possédaient »643,
l’aumône consistait généralement en biens en nature (nourriture, étoffes, …, rarement en
nzimbus, la monnaie locale en coquillages).

Quant à l’organisation de la messe, il est inutile d’insiter pour indiquer que ni avant le
Concile de Trente, lorsque commence au XVe siècle la mission du Kongo ni, encore moins,
du XVIe au XXe siècle, alors que l’Eglise était encore secouée par la crise traumatisante de la
querelle des rites chinois, ni les jésuites, présents depuis le XVIe siècle, dont les méthodes
étaient la cause du drame chinois, ni les missionnaires d’aucun des autres ordres qui
accusaient constamment les jésuites, ne se seraient avisés d’adapter la liturgie latine romaine
aux cultures locales en pays de mission. Par ailleurs, le traitement fait aux pratiques cultuelles
africaines ainsi que le mépris dans lequel les missionnaires, pas seulement dans l’ancien
royaume Kongo, tenaient les populations africaines dont la personnalité et l’humanité étaient
ignorées dans leurs cultures et dans leurs coutumes, ne permettent pas d’imaginer que les
missionnaires aient pu penser à une quelconque adaptation de la liturgie aux cultures
africaines. Il semble bien en effet que, à la différence des jésuites de Chine, les missionnaires
d’Afrique, aussi bien ceux du royaume du Kongo de la première évangélisation que ceux de la

639
Ibid., p. 78.
640
Le marché s’appelait nsona, du nom du jour où il avait lieu ; au Kongo, il y avait une semaine de quatre
jours : nsona, nkandu, konzo (ou konso) et nkenge, il y a marché chacun de ces jours à tour de rôle BONTINCK
François, ibid., p. 97 note 115 et p. 100.
641
Ibid., p. 101.
642
Ibid., p. 208.
643
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., p. 110.
263

période coloniale en Afrique, n’aient fait aucun effort pour adapter la liturgie644, au contraire
ils se sont complus à plaquer telle quelle la liturgie tridentine. Qu’aucune des relations
consultées ne comporte une description du déroulement de la messe qui rende compte d’une
liturgie différente de la liturgie latine alors en vigueur dans la chrétienté occidentale ou d’une
adaptation de cette dernière aux cultures et rites africains, montre bien qu’il n’en a été fait
aucune tentative. Au contraire, les archives des jésuites, reprenant le rapport de la visite ad
limina dressé à l’intention du pape par l’évêque Francisco de Soveral parlant pour les deux
royaumes qui formaient le diocèse de São Salvador (Kongo et Angola), confirment que
« Dans la cathédrale et dans tout le diocèse, les offices et les messes sont célébrées suivant le
rite romain. On y suit les missels, bréviaires et rituels romains », ajoutant, en ce qui concerne
le service au confessionnal, que « Comme personne à la cathédrale n’est chargé spécialement
de la cure d’âmes, il a été décidé que tous les dignitaires et les chanoines rempliront cette
charge à tour de rôle et par semaine »645. Cette instance sur la romanité de la liturgie suivie et
des livres liturgiques utilisés, faite pendant la tourmente dans laquelle se trouvaient les
jésuites en Chine, est sans doute pour montrer que ceux d’Afrique n’avaient pas été tentés par
la même expérience d’adaptation de la liturgie de la messe aux cultures et coutumes locales.
On trouve seulement quelques entorses ou accommodations au cérémonial liturgique
catholique normal, tolérées un temps au seul profit des chefs parce qu’elles étaient dues à leur
ignorance des pratiques catholiques ; elles concernent essentiellement les sacrements et les
attitudes au cours de la messe.

Toutefois, l’évangélisation fut secourue par la traduction du catéchisme en 1555-1557


grâce au travail du père Diogo Cornelio Gomez qui était né au Congo, tandis qu’en 1624, est
publié le catéchisme du père Mateo Cardoso imprimé au Portugal646. Ce dernier, arrivé au
Congo en 1619 et bien accueilli par le roi Alvaro III, se mit à préparer son catéchisme en
kikongo avec l’aide de clercs et interprètes maîtres catéchistes de São Salvador. Ces
publications facilitèrent l’enseignement de la religion et, lors de son deuxième voyage en
Afrique, le père Cardoso, notamment chez le mani Moalla en août 1625, distribuait largement
ces catéchismes en kikongo, prêchait en kikongo au cours de la messe et « s’efforça
644
Nous verrons, pour ce qui est du Congo belge, que des réflexions de certains évêques missionnaires en vue de
l’adaptation arrivèrent trop tard, alors que ce pays accédait à l’indépendance, et que les efforts seront entrepris
par les hiérarchies autochtones à la fin de l’Eglise missionnaire « coloniale ».
645
« Rapport de la visite ad limina pour le diocèse de São Salvador, présenté au pape et à la congrégation du
concile par l’évêque Francisco de Soveral, le 1er avril 1631 », Archives Générales S. J., Rome, Goa, t. 4,
Historiae Aethiopiae 1630-1659, fol. 8-12, spécialement fol. 10, in JADIN, Louis, Relations sur le Congo et
l’Angola…, p. 435. En fait, cet évêque ne fit pas personnellement cette visite, ayant envoyé deux de ses 4
vicaires généraux ou officiaux de São Salvador, Loanda, Mossangano et Benguela.
646
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., p. 354. Il semble qu’en 1625 on ait perdu tout
souvenir du catéchisme de Gomez qui fut envoyé aussi bien au Congo qu’à São Tomé, Ibid., p. 428.
264

d’apprendre par cœur le chant des prières en langue indigène aux chrétiens qui, jusque là, ne
connaissaient que le pater, l’ave et le credo récités péniblement en latin »647. Ce fut une bonne
inspiration, parce que l’usage d’apprendre les prières en kikongo fut un succès, le père Mateo
Cardoso se félicita de cette réalisation, relevant le mérite de la Compagnie de Jésus qui a eu
cette initiative pour la première fois dans ce pays où « depuis 150 ans que la foi a été reçue »
rien de tel ne fut fait : « de nuit et de jour, on entend chanter ces prières dans les rues par les
garçons et les filles, à la cour, dans les endroits voisins et par les chemins et dans les maisons.
Non seulement les enfants, mais les vieux et les vieilles les connaissent déjà dans leur
langue »648

Quant à la liturgie au cours de la colonisation, elle ne reçut pas d’aménagements


quelconques, les rites, la messe en latin, le missel, les bréviaires et les rituels (notamment ceux
des sacrements), etc., étaient ceux appliqués depuis le concile de Trente en Occident. La
première entorse à ces normes liturgiques fut faite à l¨initiative d’un prêtre congolais, l’abbé
Malula qui, comme on le verra plus loin, adapta les cérémonies de l’adoration de la Croix du
vendredi saint aux cérémonies funéraires traditionnelles. Le dominicain belge Bernard Olivier,
envoyé comme professeur et arrivé en octobre 1958 à l’Université Lovanium de Léopoldville
pour y enseigner la théologie, décrit ces cérémonies auxquelles il assista dans une paroisse du
quartier populaire de Matete, un faubourg de Léopoldville. Il décrit en ces termes les
cérémonies du vendredi saint 1959 :

« A Matete, le Vendredi Saint, l’adoration de la croix se fait selon les rites locaux :
une statue du Christ est déposée sur une civière sous un toit de paille au milieu de
l’église. Autour d’elle, des femmes accroupies, le bébé sur le dos, pleurent la mort du
Seigneur comme on pleure un chef à la veillée funèbre. L’une d’elles entonne une
mélopée et toutes, battant des mains en cadence, reprennent le refrain. Une femme
agenouillée au chevet évente le visage du Christ et, de temps en temps, lui essuie la
face. C’est la première fois que j’assiste à ces rites qui sont ceux des décès ordinaires.
Les chants étaient en tshiluba. »649
Pour la messe en général, alors que, déjà, se faisait sentir et s’exprimait chez beaucoup,
comme nous le verrons, le besoin d’adapter la liturgie, Bernard Olivier indique que Joseph
Malula avait composé des chants de l’ordinaire d’une « messe de Mgr Malula » en lingala,
une messe « très belle » « qui est devenue notre ordinaire : Mokonzi yoka bisu mawa
(Seigneur prends pitié de nous), Nkembo na Nzambe o likolo (Gloire à Dieu dans les
hauteurs…) ». Rencontrant ce vent d’adaptation, certains missionnaires furent contraints,

647
CUVELIER, Jean, Relations sur le Congo et l’Angola tirées des archives de la Compagnie de Jésus, 1621-
1631, Extrait du Bulletin de l’Institut historique belge de Rome, Bruxelles, Rome, 1968, p. 354.
648
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., pp. 428-429.
649
OLIVIER, Bernard, Chroniques congolaises. De Léopoldvielle à Vatican II (1958-1965), op.cit., p. 65.
265

raconte Bernard Olivier qui était, en plus de ses cours, attaché à une paroisse construite par
l’Université dans un village mixte entre cadres universitaires et villageois (à Livulu), de
« recourir à des tours de passe-passe pour réaliser une liturgie vivante et adaptée ».
Rapportant son expérience dans cette paroisse, depuis 1959 où il faisait encore la messe en
plein air jusque plus tard quand l’église fut construite, et rappelant que « la messe était
célébrée en latin, naturellement », il raconte ses propres « tours de passe-passe » : pour les
lectures de la Parole, « comme les ménages congolais étaient bakongo, on faisait les lectures
en français et en kikongo »650. Il continue, dans ce souci d’intelligibilité de la liturgie :

« Même chose pour la prédication, assurée en kikongo par un jeune prêtre étudiant.
Ayant acquis la conviction en relisant les documents officiels qu’il était permis de
‘’doubler ‘’ en langue vivante des parties de la messe, je me suis mis à doubler
carrément toute la liturgie de la Parole. Je commençais la célébration directement en
latin dix minutes avant. De façon à pouvoir répéter cette partie en français à l’arrivée
des fidèles. On avait grand besoin d’un concile »651.

Cette répétition d’une partie de la messe prouve sans doute la conviction, pour l’époque, que
la seule messe valable était celle du rite latin, la répétition en français ne venant que pour la
forme et, en plus que la messe, pour être valide, n’avait pas besoin de public des fidèles. C’est
par des astuces de ce genre que des missionnaires imaginatifs cherchaient à rencontrer les
aspirations de leurs fidèles, en contournant la rigueur qui s’imposait encore deux ou trois ans
depuis l’annonce du concile Vatican II, profitant d’ailleurs de ce que, alors, commençaient
des recheches pour une liturgie inculturée, notamment à la veille de la VIe Assemblée
Plénière de l’épiscopat congolais de 1961 dont il sera largement question plus loin.

Pour revenir aux aménagements d’attitude concédés au profit des rois et nobles
(marquis, ducs et certains mani) de l’ancien royaume kongo, on sait que ceux-ci exigeaient de
se confesser et d’entendre la messe dans leurs cases. Fra Luca rapporte cet épisode qui résume
l’ensemble des pratiques au cours de la première évangélisation :

« Je restai environ deux mois dans la mbanza de Mbamba ; pendant ce temps j’entrai
en conflit avec le duc parce qu’il voulait se confesser dans sa maison. Je crois que cet
usage fut introduit par des prêtres séculiers ; en effet, j’ai vu cet abus aussi dans le
royaume de Portugal : les nobles, tant hommes que femmes, s’y confessent dans leur
maison avec tous leurs domestiques, mais je ne le permis pas au duc. Il voulait aussi
entendre la messe dans sa maison ; cette faveur, je la lui concédai parce qu’il y avait
une chapelle ; il prétendait aussi baiser la patène, entrer dans l’église la tête couverte
d’un bonnet, se confesser avec ce bonnet sur la tête et s’accuser de ses péchés en

650
Il faut dire que c’est un « tour de passe-passe » parce que, si l’épiscopat français avait déjà un lectionnaire en
français par ailleurs par des églises de langue française notamment en Europe, il n’y avait pas encore
d’autorisation de faire des lectures en une langue congolaise, pas plus le kikongo que toute autre langue.
651
OLIVIER, Bernard, op .cit., p. 128.
266

restant assis devant l’interprète, de plus, il voulait boire au calice la purification », « je


ne lui permis aucun de ces abus ; je m’excusai de ne pouvoir les permettre, car ils
étaient contraires à nos saints rites. S’il existait à ce sujet un privilège du pape, comme
ils l’assuraient, ils devaient me le montrer ; dans ce cas, je leur aurais tout permis, je
promis aussi d’en écrire à l’évêque de Luanda. J’écrivis donc à Luanda et l’évêque me
répondit de m’opposer à tous ces désordres et abus »652

On comprendra cette insistance de recevoir la paix avec la patène en se rappelant que si,
comme on l’a vu dans l’analyse génétique de la messe, dans le rite latin traditionnel, la paix se
donnait par accolade entre clercs, elle était donnée aux fidèles par l’intermédiaire d’un
« instrument de paix », une sorte de plaque de n’importe quel métal et que les fidèles baisaient,
car on estimait que la poignée de mains était mondaine653. Mais, selon Jungmann, ceux qui
avaient apporté leurs offrandes à l’autel avaient droit à recevoir la paix avec la patène que
l’évêque présentait en disant pax tecum, ce rite, supprimé par Pie V, subsista néanmoins à
certains endroits jusqu’au XXe siècle654. Le roi et quelques nobles kongo désiraient baiser non
pas cet instrument quelconque mais le métal précieux de la patène, sans doute y avait-il, en
plus, la croyance que la patène était plus « sainte », en tout cas plus noble, qu’une plaque
ordinaire. On ne sait pas pourquoi au XVIIe siècle les Portugais avaient introduit cet usage au
Kongo, peut-être pour les Blancs qui y allaient ou parce qu’au Portugal même il en était fait
application ; mais, il paraît bien que la pratique n’ait pas existé sous la deuxième évangélisation
au Congo belge où, à la messe, il n’y avait de geste de paix que lors des concélébrations à
l’occasion de messes pontificales ou de grandes solennités, par accolade et d’ailleurs
uniquement entre clercs. Il y avait également l’habitude de faire baiser l’évangile au roi après la
lecture, tandis que, à plusieurs reprises, le roi et les nobles faisaient lire le dernier évangile sur
(au-dessus de) leur tête. Concernant cette dernière coutume, il faut rappeler que le dernier
évangile, c’était le prologue de l’évangile de Jean qui s’imposa très vite, consacrant en quelque
sorte un véritable culte ou de pratiques superstitieuses dont il était en lui-même l’objet depuis le
IVe siècle, plusieurs fidèles réclamaient, en bien des occasions, que fût lu ce texte dont la
première utilisation à la fin de la messe est une initiative des Dominicains (1256). Cette lecture
sera fixée, canonisée et généralisée après le Concile de Trente et figure dans le missel de 1570 ;
on comprend que, lorsque les missionnaires s’implantent dans les deux royaumes (Congo et
Angola), ils aient importé une pratique déjà largement suivie en Europe.

Le roi réclamait ces privilèges, notamment de confesser dans sa maison avec son bonnet
et assis devant l’interprète qui entendait la confession et traduisait au prêtre, de baiser la patène

652
BONTINCK, François, Diaire congolais…, pp. 9-10.
653
CHALUFOUR, Jean-Denis, La sainte Messe hier, aujourd’hui et demain, op.cit., p. 180.
654
JUNGMANN, Joseph-Andrea, Missarum Solemnia II, op. cit., pp. 24-25.
267

après l’offertoire, après la communion boire au calice l’eau de la purification et recevoir la paix
avec la patène. Du temps de Fra Luca, il ne lui accorda que la messe et sa confession dans
l’église de son palais, confession sans bonnet et à genoux devant l’interprète car c’est à lui qu’il
avoue directement ses péchés ; quant à recevoir la paix par la patène et à boire au calice pour
l’ablutio oris, l’évêque exigea que le roi présentât le privilège pontifical qu’il disait avoir reçu
et qui serait enregistré par la chancellerie de façon à établir la règle à l’égard des futurs
missionnaires655, ce que le roi ne put prouver. Ce faisant, Fra Luca oubliait ou ne savait pas,
parce que cela s’était passé plus de 150 ans plus tôt, que ce sont les missionnaires eux-mêmes
qui ont fait découvrir aux Congolais ces gestes auxquels ils ont pris goût par la suite. En effet,
ces gestes ont été vus par les nobles du royaume dans le cérémonial suivi au cours de la messe
solennelle dite le lendemain du baptême, le 3 mai 1491, du roi le ne-Kongo Nzinga Nkuwu. Tel
que le rapporte Mgr Cuvelier : à cette messe du 4 mai « tout le cérémonial en usage à Lisbonne
dans la chapelle royale de Jean II s’y déploya […] Pendant la messe, à l’Evangile, on porte le
Missel à baiser au roi ; à l’offertoire le célébrant s’approche de lui et il baisse la patène. La
messe finie le célébrant lit sur lui l’évangile. Toutes ces distinctions, […] causèrent au roi un
très grand contentement »656. Pas étonnant que le roi de Congo ait voulu conserver, au moins
pour lui, ces privilèges qu’on lui avait dits appliqués à son « frère » le roi de Portugal.

Ces pratiques avaient donc dû être bien connues et en tout cas appréciées des seigneurs
congolais des XVIIe et XVIIIe siècles. En effet, malgré les réticences des missionnaires et le
refus de l’évêque qui leur avait été notifié au moins parce qu’ils avaient entendu la réponse
donnée au roi, il y en a qui continuaient de se comporter de la même manière. Comme ce
marquis de Wembo qui « prétendait recevoir les cendres, le bonnet sur la tête, le dimanche il
voulait aussi recevoir l’aspersion d’eau bénite la tête couverte, et le dimanche des rameaux,
recevoir à l’autel la palme des mains du prêtre ; de même il prétendait écouter l’évangile à la
fin de la messe tout en gardant la tête couverte », Fra Luca le lui refusa. Quant au marquis de
Lollo, venu se confesser, il « avait gardé son bonnet sur la tête et était assis pendant qu’il
confessait ses péchés à l’interprète. A cette vue, dit le missionnaire, je le réprimandai
âprement ; j’ordonnai à l’interprète de lui faire répéter sa confession et regretter en premier lieu
son geste d’orgueil », le marquis ôta son bonnet, se mit à genoux devant l’interprète et reprit sa
confession avant d’aller demander pardon au missionnaire657.

655
BONTINCK, François, Diaire congolais..., p. 13.
656
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume du Congo…, op.cit., p.78.
657
BONINCK, François, Diaire congolais…, p. 14.
268

Très longtemps, les missionnaires ont ignoré les langues locales, ne s’exprimant qu’en
portugais ou italien, recourant à des interprètes non seulement dans les relations privées mais
aussi dans le domaine du service liturgique. En effet, pour l’enseignement, les rituels et
l’administration des sacrements, les interprètes étaient utilisés, y compris pour la confession,
sans aucune considération de l’obligation du secret du confessionnal. Il en était également ainsi
pour la messe, au cours de laquelle l’homélie avait lieu en portugais, traduite en langue kongo
par les interprètes, comme le confirme ce témoignage que fait le père Laurent de Lucques qui
affirme qu’il n’y avait aucun autre moyen, « car pour nous autres missionnaires, il est très
difficile d’acquérir la connaissance de cette langue ». Il parle d’un père Bernardino da
Mazzarino qui, à Soyo, « fit un sermon en portugais, que le prince lui-même répéta en leur
langue. Je n’en fus pas peu étonné, car il dura une heure. Vraiment, cela paraît presque un
miracle car, humainement parlant, il semble impossible de répéter en congolais une prédication
entière faite en langue étrangère. Nos interprètes font la même chose. Nous prêchons en
portugais et ils traduisent en langue du pays »658. La technique n’est pas en soi condamnable,
car si l’on ne connaît pas une langue, il faut bien un interprète, les missionnaires des XIXe-XXe
siècles firent de même mais tant qu’ils étaient encore nouveaux, leurs congrégations et leurs
supérieurs ayant organisé les choses par la suite pour qu’ils apprennent et parlent les langues
locales parfois déjà depuis l’Europe, de telle sorte que, relativement rapidement, seul l’ordo
missae se déroulait comme normalement partout en latin, ainsi que la lecture des rituels des
sacrements, mais la confession et la prédication avaient lieu directement en langues locales. En
tout état de cause, les inconvénients de l’ignorance des langues africaines par les missionnaires
seront, lors de la deuxième évangélisation, stigmatisés par des actes pontificaux qui vont
prescrire la formation de prêtres locaux, en particulier l’encyclique Rerum ecclesiae, de Pie XI
(8 février 1926) qui dit à juste titre : « la prédication des missionnaires étrangers ne perd-elle
pas beaucoup de sa puissance et de son efficacité du fait que leur connaissance incomplète de la
langue les empêche d’exprimer leurs pensées ? »

Habituellement, la messe était dite dans l’église lorsque, comme dans les capitales, il y
en avait une, ou alors dans une maison servant d’église, ou dans un hangar si la case prévue
était détériorée pendant la longue absence des missionnaires en itinérance ou, encore, lorsque
c’est en dehors de la paroisse. Il n’était pas rare que la messe eût lieu en plein air, non
seulement dans les localités où les missionnaires faisaient leur itinérance mais où il n’avait pas

658
CUVELIER, Jean, Relations sur le royaume kongo du Père Laurent de Lucques…, op.cit., pp. 50-51.
269

encore été construit d’église, ou là où un mani demande qu’un prêtre de passage dise la messe
dans sa libata, mais aussi lors d’occasions de diverses solennités, comme le couronnement d’un
roi ou les grandes fêtes avec affluence du public. Apparemment, les prêtres disaient leur messe
quotidienne dans leur case, pour eux-mêmes ; cela arrivait également lorsque le prêtre ayant
excommunié un seigneur et ses gens, décide de couper les relations avec eux et de les
sanctionner en les privant de la messe jusqu’à leur absolution. A l’occasion de l’une de ces
messes dehors, le mani de Kimpese vint assister à la messe avec son bonnet et abrité sous un
parasol, pour continuer la messe Fra Luca da Caltanisetta lui fit enlever son bonnet et fermer le
parasol659. Dans la deuxième évangélisation, la construction des églises s’était généralisée,
d’abord en pisée ou dans des hangars couverts de pailles ou de feuilles de palmier, ensuite en
matériaux durables, la construction des hangars ayant été longtemps maintenue (aujourd’hui
encore) pour les localités éloignées du poste de mission et que le prêtre desservait en itinérance.
Comme cette dernière n’avait lieu que par intermittence comme cela se fait encore de nos jours,
après plusieurs mois, peut-être même une fois par an, les fidèles des villages éloignés des
missions se contentaient d’une célébration dominicale sans eucharistie, sous la responsabilité
d’un catéchiste qui a d’ailleurs la charge de l’éducation religieuse dans le village ; ainsi donc,
en réalité, la mission, l’évangélisation et la liturgie étaient intermittente, dans chaque village à
tour de rôle.

A São Salvador et à Loanda, la messe et les offices divins des dimanches et jours de
fêtes sont célébrés avec chant, exécuté par le chapitre mais plusieurs Noirs, « naturellement
enclins à la musique »660, chantent avec les chanoines. La tradition se poursuivit, mais l’Eglise
s’étant mieux implantée pendant la deuxième évangélisation, la connaissance des chants
liturgiques latins fut plus répandue et chaque paroisse ou chaque église montait une chorale, à
ces chants latins, de l’ordinaire de la messe, de l’adoration du saint Sacrement (processions de
la Fête-Dieu, salut, vêpres, etc.), s’ajoutèrent, comme dans les anciens royaumes Congo et
Angola, des chants populaires en langues locales, chantés en dehors de la liturgie de la messe
où la langue exclusive était le latin. Il est fait également souvent état de processions du saint
Sacrement ayant lieu, notamment les dimanches, après la messe.

Les missionnaires se plaignent souvent du laisser-aller des fidèles. A Noël 1698, comme
c’était de coutume dans la liturgie catholique (y compris pour Pâques), chaque prêtre disait
trois messes. Il se trouva un seigneur, Dom Miguel, membre de la famille régnante de Nkusu,

659
Ibid., p. 33.
660
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., p. 435.
270

ayant déjà assisté à deux messes, il envoya ses hommes avertir le père Salvatore qui était en
train de dire sa deuxième messe qu’il viendrait assister à sa troisième messe « avec son peuple
et en grande pompe et que, par après, ils exécuteraient la danse guerrière » ; la démarche avait
pour objet de dire au célébrant de retarder sa messe jusqu’à ce que le chef soit prêt. Mais les
envoyés du mani ne purent contacter le père Salvatore qui était alors à l’autel ; celui-ci ayant
terminé sa deuxième messe, enchaîna avec la troisième et quand le mani, dont l’intention était
de se montrer, « arriva avec ses guerriers portant leurs étendards et leurs armes, il trouva que
toutes les messes étaient finies ». Furieux, Dom Miguel interdit à son peuple de se rendre à
l’église soit pour la messe soit pour tout autre exercice spirituel661. Par ailleurs, il n’était pas
rare de voir les gens, surtout les seigneurs, venir ivres à la messe, l’ivresse étant considérée non
pas comme un défaut mais comme la qualité que doit avoir tout noble.

Il arriva que, à la demande du roi afin de lui permettre d’assister à la messe selon son
emploi du temps, les missionnaires aient eu à célébrer une messe pour le roi et une autre pour le
peuple, notamment pour les fêtes, parce que le roi avait décidé que les « messes devaient se
célébrer à l’heure qu’il voulait. Mais pour le roi, au moins en théorie, les choses allaient être
fixées, dans le sens de la reconnaissance de certains privilèges. En visite apostolique de mars à
fin juin 1700 dans certaines provinces du Kongo, notamment dans le Kimbangu, le Préfet des
missions, le père Francesco de Pavia, apprit des missionnaires que « les gens de Nkusu ne
témoignaient que peu de respect à notre église et ne la fréquentaient guère, car immergés dans
leurs superstitions diaboliques et leurs pratiques magiques, ils ne faisaient que peu de cas des
choses divines » ; il fut également informé « du manque de courtoisie dont souffraient les
missionnaires. Surtout, à la fin de sa visite, il laissa par écrit une série d’instructions (appelées
capitulations) pour l’application desquelles les missionnaires devaient prendre des
arrangements avec le roi et son conseil. Il y eut ainsi 17 « capitulations » que le père de
Caltanisetta communiqua au conseil du roi et qu’il remit après les avoir traduites dans les
langues locales. Tandis que plusieurs de ces capitulations avaient trait aux obligations du roi à
l’égard des missionnaires et de leur mission (les moyens et facilités à leur accorder, la
construction des lieux de culte et des maisons des missionnaires, l’obligation d’acheter les
ornements sacrés et, pour cela, la remise de tribut lors de solennités, l’obligation d’extirper les
pratiques fétichistes et le concubinage, …), il y en avait cinq qui se rapportaient directement à
la liturgie :

661
BONTINCK, François, Diaire congolais…, op.cit., p. 143.
271

« 1° quand le roi arrive à la porte de l’église, il doit se découvrir la tête et enlever son
bonnet, pour recevoir l’eau bénite ; il entrera dans l’église la tête découverte ; il restera
ainsi découvert jusqu’au moment où il sort ; à la porte de l’église, il se couvrira mais
ne fera aucune manifestation avec des pétards ou autre chose ;
« 2° à la porte de l’église, le roi ne fera aucune cérémonie ; ainsi il ne donnera pas la
bénédiction, car l’église est la maison de Dieu et on lui doit tout respect et toute
vénération ;
« 3° aux fêtes solennelles – et ces jours-là seulement, à l’exception donc des
dimanches ordinaires – le roi pourra baiser le missel à l’endroit du saint évangile ; on
lui donnera le baiser de paix et, à la fin de la messe, on lira sur lui l’évangile ;
« 4° durant l’évangile de la sainte messe, comme Défenseur de la Foi, il tiendra dans la
main droite le glaive dégainé et dans la main gauche un cierge allumé ;
« 5° aux jours de fête, le roi viendra à l’église à une heure convenable et non pas à
midi ; ceci pour la commodité du peuple et pour permettre aux Pères de faire le
sermon et les autres exercices spirituels ; dans l’oratoire du palais, on ne célèbrera la
messe que rarement et dans ce cas, l’oratoire sera aussi accessible au peuple ; »

La dernière capitulation (n° 17) ne manquera pas de surprendre, tellement elle est une
ingérence manifeste dans la gestion politique du royaume et de ses relations avec d’autres
chefferies ou royaumes :

« si le roi et ses conseillers ont à déclarer la guerre à leurs ennemis, pour la tranquillité
de leur conscience, ils soumettront les motifs de cette guerre au Père missionnaire qui
réside alors chez eux et de sa bouche ils entendront si cette guerre est juste ou
injuste »662

De façon générale, la fréquentation de l’église par les hommes du peuple est faible. De
fait, les jésuites se plaignaient que de ce que « Les jours de fêtes et les dimanches sont
observés de mauvais gré et imparfaitement, même à la cour royale », mais lorsque le roi, qui
célébrait bien la Saint Jean-Baptiste et la Saint Jacques dans les chapelles royales, « vient lui-
même à l’église, une grande multitude l’accompagne. S’il est absent, très peu se rendent à
l’église ». Mais, les récits n’indiquent pas comment étaient installés les fidèles au cours de la
messe, entre les Blancs et les Noirs, s’il y avait une discrimination ou des emplacements
réservés. Pendant la première évangélisation, si en Angola, à cause du nombre très rapidement
important des Portugais (les commerçants, pêcheurs, trafiquants d’esclaves, etc.), tandis qu’il
y avait eu une désaffection concernant le Kongo, une telle séparation n’a peut-être pas existé,
elle a pu s’imposer de soi par le fait que, par leur ignorance et le poids des coutumes, très peu
d’Angolais fréquentaient l’eucharistie. Au Kongo, malgré le succès des premiers
missionnaires dans la christianisation du royaume par en-haut, l’activité religieuse fut faible
dans les milieux des natifs, alors que les Portugais laïcs qui étaient dans le royaume ne

662
BONTINCK, François, Diaire congolais…, pp. 197-199.
272

pouvaient résider qu’à Mbanza Kongo ; d’ailleurs, les récits très détaillés des chroniqueurs
missionnaires ne parlent pas de Blancs dans les villages éloignés, sauf ceux qui s’y rendaient
à la chasse au noir au cours des campagnes esclavagistes. Pendant la colonisation belge,
hormis les villes, très peu d’Européens, en dehors des administrateurs coloniaux, vivaient
dans les villages ruraux (exploitants, dirigeants de sociétés de traite et de négoce, quelques
commerçants…) ; cette circonstance a facilité une telle discrimination, les missionnaires
plaçant, dès le début, ces quelques Blancs dans une section séparée des fidèles indigènes,
généralement à l’avant et parfois à la hauteur du chœur, avec une entrée séparée de celle des
Noirs à laquelle seuls les religieux noirs étaient admis. Dans les villes, l’administration belge
ayant adopté une sorte d’apartheid entre quartiers « européens » (« la ville ») et « indigènes »
(« la cité indigène »), avec interdiction formelle aux Congolais de traîner sans raison ou
autorisation dans les quartiers européens sous peine de sanction pénale, les Blancs avaient
ainsi forcément leurs paroisses. Un missionnaire belge l’a expérimenté juste avant
l’indépendance. Par un autre témoignage, le père Bernard Olivier dit avoir remarqué que des
Noirs de Léopoldville préféraient aller à la messe soit à la paroisse universitaire, située sur un
campus assez éloigné de la ville, soit dans une paroisse fondée pour desservir un village mixte
entre cadres (blancs et noirs) de l’Université et villageois et qui était confiée aux prêtres de
l’Université, parce que dans ces deux églises il n’y avait pas de discrimination entre Blancs et
Noirs. De fait, ils s’y sentaient à l’aise, tandis que, en ville, dans les églises des Blancs, les
Noirs ne se sentent pas vraiment chez-eux et « occupent discrètement les derniers rangs »663.

Il semble que la prédication ait été une pratique courante. Mais, si pendant la
colonisation elle a lieu lors de la liturgie de la Parole, dans la première évangelisation il y est
procédé après la messe, preuve que comme on l’a vu, l’habitude de l’homélie avait était perdue
ou sa pratique était devenue rare. On le voit, chez le père Mateus Cardoso qui rapporte qu’à
l’Assomption 1625, après la messe à laquelle le grand-duc de Bamba, alors Dom Gregorio
Afonso, assista en grande parure, il prêcha sur la fête de l’Assomption et, de nouveau, il prêcha
après la messe du curé résident des lieux664 ; on le voit également lors de la fameuse messe de
mai 1516 où le roi Dom Afonso prêcha « après la messe ».

Pendant la colonisation, aucun de ces anciens aménagements dans la tenue extérieure


n’existe. Dès lors, c’est de la façon dont la messe tridentine se déroulait en Occident qu’y ont
assisté pendant tout ce temps les Congolais.

663
OLIVIER, Bernard, Chroniques congolaises. De Léopoldville à Vatican II (1958-1965), op.cit., p. 64.
664
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, p. 421.
273

Eglise de la paroisse universitaire Notre-Dame de la Sagesse (Université de Kinshasa),


construite à l’époque où l’université était l’université catholique de Lovanium ; en forme de
poisson (ou de bateau), sa construction eut lieu dans les années 1953-1955. Photo coll. Privée
2008.
274

II.III.II.2 La question d’un clergé indigène

Tout au long de la première évangélisation il y eut, jusqu’au XIXe siècle, un seul


diocèse pour les deux royaumes de Congo et d’Angola et, d’après le rapport de la visite ad
limina de l’évêque, Loanda n’avait qu’une seule paroisse, mais il en existait quatre autres en
Angola (Mossangano, Muxima, Cambambe et Embaca (ou Ambaca). Les deux royaumes
n’étaient desservis que par 24 prêtres, dont le nombre atteignit 50 pendant l’épiscopat de
Soveral (dans les années 1630), lequel se plaint dans son rapport que tous les évêques qui se
sont succédé ont sans succès exposé tous ces besoins en prêtres dans leurs lettres aux rois de
Portugal. L’instruction religieuse en souffrait bien évidemment, mais à São Salvador, où il y
avait la présence du chapitre et du collège des jésuites, l’instruction religieuse de la population
était mieux assurée et, ainsi, « un certain nombre des fidèles pouvaient y recevoir la
communion. Dans les autres régions, les curés pouvaient à peine instruire sommairement la
centième partie de leurs ouailles ». Il est vrai que pour toute la partie congolaise du diocèse, il y
avait 10 paroisses très éloignées les unes des autres ainsi que de la capitale665. Les différentes
chroniques ne font pas état de prêtres africains dans les deux royaumes relevant du diocèse de
São Salvador ; mais, à l’exemple de Dom Henrique qui fut formé et ordonné au Portugal avant
d’être sacré évêque, il y eut quelques prêtres religieux kongo ordonnés après leur formation au
Portugal, donc, en petit nombre. Au début du XVIIe siècle, l’évêque, dit le rapport épiscopal de
la visite ad limina, fonda « un séminaire » en sa résidence, une école de latin où étaient
enseignés la grammaire et le chant, et données, par l’évêque lui-même, des leçons de théologie
(« les règles de foi catholique, de la sainte doctrine et des bonnes mœurs »)666. L’école était
ouverte « pas seulement aux blancs du pays, mais aussi à des métis et des noirs »667, une telle
expression signifie que les étudiants étaient d’abord les blancs du pays et que les métis et les
noirs devaient être en petit nombre. En tout cas, ce que l’on sait de la vie et des activités de
l’Eglise missionnaire de ces anciens royaumes ne permet pas de conclure qu’il y ait eu une
politique de formation d’un clergé indigène.

En réalité, la formation d’un clergé autochtone fut une entreprise timide et lente, pour
une Eglise missionnaire qui mit pied sur ce sol congolais depuis le XVème siècle, dont le roi,
christianisé sous le nom chrétien de Dom Alfonso, réclama la formation des prêtres

665
Ibid., p. 358.
666
JADIN, Louis, Relations sur le Congo et l’Angola…, op.cit., pp. 429-440, spécialement, p. 440. En fait, cet
évêque ne fit pas personnellement cette visite, ayant envoyé deux de ses 4 vicaires généraux ou officiaux de São
Salvador, Loanda, Mossangano et Benguela
667
JADIN, Louis, ibid., p. 359.
275

autochtones et obtint que son fils, Dom Enrique Kinu Mbemba, fût ordonné prêtre en 1520,
sans doute le premier prêtre catholique noir, puis sacré évêque en 1521668, qui resta longtemps
l’unique clerc kongo. Peut-être tout le monde, y compris des chrétiens autochtones, pensait-il
qu’il était impossible à des Noirs d’aspirer au mode de vie de prêtre669. En tout cas, il est
surprenant qu’il ait fallu attendre le XIXe siècle pour voir démarrer une période continue
d’ordinations de prêtres africains avec, qui plus est en pays d’Islam, l’ordination le 19
novembre 1840, dans la congrégation des Spiritains français, de trois prêtres sénégalais,
Fridoit, Boulat et Moussa.

La Congrégation de la Propagande publia, le 23 novembre 1845, son instruction


Neminem Perfecto, sur le clergé indigène. Elle y rappelle des principes importants : organiser
les territoires en prévision de l´institution de la hiérarchie et établir des évêques partout où
cela est possible ; fonder des séminaires et y former un clergé indigène ; conduire le clergé
indigène jusqu´à l´épiscopat et préparer cet évènement en choisissant des vicaires généraux au
sein du clergé indigène ; ne pas traiter les prêtres indigènes en clergé auxiliaire, mais, comme
aux Européens, à titre égal d´âge et de mérite, leur réserver les préséances, honneurs, offices
et charges ; ne pas faire pression en faveur du rite latin à l’égard des chrétientés de rites
orientaux, en particulier les syro-chaldéens de Malabar. A la suite de quoi, en 1846, l’un des
fondateurs de congrégations missionnaires parmi les plus actives en Afrique, François Jacob
Libermann, présentera à la Sacrée Congrégation de la propagande (Propaganda Fide) un
mémoire dans lequel il se proposait d’organiser la formation de prêtres autochtones, en
choisissant parmi les élèves des écoles catholiques « les plus capables pour les rassembler
dans une maison centrale où ils recevront une instruction primaire complète. », dans la
première des trois classes d’hommes qu’il se propose de former, « on fera entrer les enfants
doués et présentant quelque signe de vocation sacerdotale » qui y « apprendront le latin », en
nombre faible au début « mais (qui) augmentera dans la suite avec la civilisation »670.

A la fin du XIXe siècle, l’accroissement du nombre des postes de mission au fur et à


mesure de l‘implantation de l’Eglise, l’étendue du territoire à évangéliser qui coïncidait avec
celui convoité et qui sera occupé par Léopold II, soit toute la vaste colonie, ainsi que les
difficultés dues à l’inadaptation des missionnaires aux conditions climatiques et sanitaires,
démontrèrent très vite l’insuffisance en nombre des agents missionnaires étrangers et la
nécessité d’un apport substantiel en prêtres et religieux autochtones. C’est donc très tôt que le

668
LINDEMANS, Steven, op. cit., p. 54.
669
DE CLEENE, Noël, « Nos premiers séminaristes noirs », Missions de Scheut, 1920, T. 28, pp. 247-251.
670
Spiritus, n° 6, p.68.
276

Vatican avait conçu une approche, voire une politique, pour la formation d’un clergé
autochtone en terre de mission, sur la base de laquelle les missionnaires créèrent des
institutions de formation et mirent sur pied un clergé congolais autochtone qui s’avéra utile
non seulement pour étendre l’emprise de l’Evangile et l’implantation de l’Eglise mais aussi
pour prendre le relais des missionnaires étrangers à la tête et au sein de l’Eglise locale. On se
rend compte que, à part la traduction du catéchisme et des extraits de l’Ancien et du Nouveau
Testaments dans les langues locales, alors que les rites demeuraient dans la rigueur de leur
« romanité », la formation des prêtres autochtones aura été la seule tentative d’adaptation de
l’Eglise catholique aux conditions particulières des pays de mission africains.

On peut affirmer que si la puissance coloniale a pu nourrir les intentions de se servir


des missions, c’est que, pour elle, la colonisation, était un système définitif d’administration et
de « mise en valeur » de ses possessions d’outre-mer, que Léopold II avait réussi à faire
consacrer en un artificiel « Etat indépendant » en l’imposant aux puissances lors de la
Conférence de Berlin de 1885 et, à la suite, la colonie devait rester une terre de mission.
Toutefois, il faut reconnaître que l’Eglise missionnaire elle-même dut pallier l’insuffisance
numérique des agents étrangers par la préparation de la formation sur place d’un clergé
autochtone, en quelque sorte un clergé local « d’appoint » avec une hiérarchie entièrement
entre les mains des missionnaires et de leur maisons-mères, de la même manière que
l’administration coloniale se sentit elle aussi obligée de produire ses cadres auxiliaires locaux.
Par contre, ayant à cet égard, des objectifs différents, le Saint-Siège avait conclu à la nécessité
de remplacer à terme les Eglises de missions par de véritables Eglises autochtones, animées et
dirigées par un clergé local autochtone.

Léon XIII va stimuler et encourager les congrégations missionnaires dans cette voie.
D’une manière précise concernant l’Extrême-Orient, Léon XIII dit dans une autre lettre671,
que c’est le clergé autochtone qui, comprenant la langue, les mœurs et coutumes « auxquelles
on en se fait pas même après de longues années », car « le clergé européen reste absolument
étranger et que « une population se confie difficilement à des étrangers, il est évident que des
prêtres du pays produiront des fruits de salut beaucoup plus abondants. Ils ont les goûts, le
caractère, les mœurs de la nation : ils savent quand il faut parler et quand il faut se taire, ils
vivent Indiens parmi les Indiens sans éveiller de soupçons, avantage dont il est inutile de
démontrer l’importance surtout pour les circonstances critiques ». C’est dans cette perspective

671
Encyclique Ad extremas Orientis, du 24 juin 1893, du pape Léon XIII.
277

que, dès 1889 fut créé un important service appelé l’« Œuvre de Saint Pierre », pour la
formation du clergé autochtone.

Appliquée à l’Afrique, une telle conception vise une sorte d’« africanisation des
cadres » de l’évangélisation pour africaniser l’Eglise et sa mission ; elle sera constamment
confirmée par des textes ultérieurs. D’abord, Benoît XV promulgua, le 30 novembre 1919,
l’Encyclique Maximum Illud, dans laquelle il s’opposait fermement à toute domination de la
part des missionnaires catholiques et, surtout, demandait qu’on cessât de considérer les
Églises de mission comme des colonies sous autorité étrangère ; pour cette raison, le Pape
recommandait fortement la formation d’un clergé local capable non seulement de travailler
sous la tutelle missionnaire mais de prendre en charge l’administration de son peuple. En
effet, il insistait sur la nécessité de « former un clergé local pour assumer la direction des
nouvelles Eglises », l’objectif de Rome étant de réussir une complète évangélisation que ne
peut réaliser un travail superficiel ; le Pape déplorant qu’il manque des prêtres autochtones
dans des pays où la foi catholique avait été introduite depuis de longs siècles, ce qui était le
cas du Congo, souhaitait la formation d’un clergé autochtone compétent, recommandant à cet
effet, de

a) créer des séminaires partout où le besoin s’en fait sentir dans les missions ;

b) promouvoir les vocations missionnaires parmi les séminaristes et leurs prêtres et les
envoyer à l’extérieur de leur pays ;

c) encourager les organisations pontificales d’aide à la mission ….

Ensuite, par l’encyclique Maximum Illud, du 30 novembre 1919, Benoît XV relance


l'apostolat missionnaire en appelant à la promotion d'un clergé indigène, recommandant même
de s’orienter vers une hiérarchie indigène. Dans le même sens, Pie XI devait constater plus
tard que « la prédication des missionnaires étrangers ne perd-elle pas beaucoup de sa
puissance et de son efficacité du fait que leur connaissance incomplète de la langue les
empêche d’exprimer leurs pensées ?»672. Dans l’encyclique Summi Pontificatus déjà citée, Pie
XII, à propos du clergé local en pays de mission, dit : « Ceux qui entrent dans l'Église, quelle
que soit leur origine ou leur langue, doivent savoir qu'ils ont un droit égal de fils dans la
maison du Seigneur, où règnent la loi et la paix du Christ. C'est en conformité avec ces règles
d'égalité, que l'Église consacre ses soins à former un clergé indigène à la hauteur de sa tâche,
et à augmenter graduellement les rangs des évêques indigènes. ». Annonçant dans la même

672
Encycliqe Rerum Ecclesiae, du pape Pie XI, en date du 8 février 1926.
278

lettre que « pour donner à Nos intentions une expression extérieure, Nous avons choisi la fête
prochaine du Christ-Roi pour élever à la dignité épiscopale, sur le tombeau du prince des
apôtres, douze représentants des peuples ou groupes de peuples les plus divers. », il nommera
effectivement en cette année 1939, les deux premiers évêques africains depuis Dom Henrique,
en les personnes de Mgr Kiwanuka, en Ouganda, et de Mgr Ramarosandrotana, à Madagascar.
Par l’encyclique Evangelii praecones, du même Pie XII en date du 21 juin 1951, le Pape
rappelait que le but du travail missionnaire est d’établir fermement et définitivement l’Eglise
chez de nouveaux peuples, surtout par la participation du clergé à la construction de la
hiérarchie ecclésiastique et que les missionnaires n’ont plus le droit de former des chrétientés
mais de fonder des Eglises :

« Le but des Missions, comme chacun sait, est d'abord de faire resplendir pour de
nouveaux peuples la lumière de la vérité chrétienne et de susciter de nouveaux
chrétiens. Mais le but dernier auquel elles doivent tendre - et qu'il faut toujours avoir
sous les yeux - c'est que l'Église soit fermement et définitivement établie chez de
nouveaux peuples, et qu'elle reçoive une Hiérarchie propre, choisie parmi les habitants
du lieu. […] Il est clair cependant que l'Église ne peut s'établir convenablement en de
nouvelles régions à moins que les institutions et les œuvres n'y soient organisées
comme il faut, à moins surtout qu'un clergé indigène à la hauteur des besoins n'y soit
créé et formé, Nous aimons pour cela répéter en les empruntant à l'Encyclique Rerum
Ecclesiae ces phrases graves et sages : " ... S'il faut prendre soin que chacun d'entre
vous ait le plus grand nombre possible d'élèves indigènes, appliquez-vous en outre à
les former comme il convient, à la sainteté que demande la vie sacerdotale, à cet esprit
d'apostolat uni au désir du salut de leurs Frères qui les rendra capables de sacrifier
même leur vie pour leur concitoyens " (A. A. S., 1926, p. 76). […] Supposez qu'une
guerre ou d'autres événements politiques remplacent dans un territoire de Mission un
régime par un autre et que le départ des Missionnaires de telle nation soit demandé ou
décrété ; supposez - ce qui arrivera certes plus difficilement - que des indigènes
parvenus à un certain degré de culture et ayant atteint une certaine maturité politique
veuillent, pour obtenir leur autonomie, chasser de leur territoire les fonctionnaires, les
troupes et les Missionnaires de la nation qui leur commande, et ne puissent y arriver
qu'au moyen de la force. Quelle ruine, Nous le demandons, ne menacerait pas l'Église
en ces régions, si on n'avait entièrement pourvu aux besoins des nouveaux chrétiens en
disposant comme un réseau de prêtres indigènes sur tout le territoire ? (A. A. S., 1926, p.
75). »

Pie XII se pencha de nouveau sur les problèmes de la mission en Afrique dans une
autre encyclique devenue célèbre, Fidei Donum, du 21 avril 1957. Cette dernière encyclique
est consacrée à la « situation des missions catholiques en particulier en Afrique » où
« L'expansion de l'Église au cours de ces dernières décades est pour les chrétiens un sujet de
joie et de fierté ». Comme devait le rappeler Benoît XVI lors du 50ème anniversaire de cette
encyclique,
279

« C'est en effet à l'Afrique en particulier que Pie XII pensait lorsque, avec une
intuition prophétique, il imagina ce nouveau "sujet" missionnaire qui, des premiers
mots de l'Encyclique, tira le nom de "Fidei donum". Il souhaitait encourager, à côté de
formes traditionnelles, un nouveau type de coopération missionnaire entre les
Communautés chrétiennes dites "anciennes" et celles qui venaient de voir le jour dans
les territoires de récente évangélisation: les premières étaient donc invitées à envoyer,
pour aider les Églises "jeunes" et révélant une croissance prometteuse, des prêtres afin
qu'ils collaborent avec les Évêques du lieu pour un temps déterminé. »673.

Il y était en effet dit : « Considérant la foule innombrable de nos fils qui, spécialement
dans les pays d'ancienne chrétienté, bénéficient des richesses surnaturelles de la foi et, par
ailleurs, la foule plus innombrable encore de ceux qui attendent toujours le message du salut,
nous voulons vous exhorter instamment, Vénérables Frères, à soutenir par votre zèle la cause
sacrée de l'expansion de l'Eglise dans le monde. Dieu veuille qu'à Notre appel l'esprit
missionnaire pénètre plus profondément au cœur de tous les prêtres et, par leur ministère,
enflamme tous les fidèles! »674. Le pape sollicitait des évêques l’envoi de prêtres diocésains,
pour un temps, convenu, auprès de jeunes églises ; en fait on remarque, aujourd’hui, que ce
n’est plus un mouvement à sens unique et que beaucoup de prêtres africains, religieux et
séculiers, font des séjours pastoraux dans les diocèses de vieux pays catholiques d’Europe et
d’Amérique. Cette encyclique eut, en réalité, un effet inattendu ; en effet, en application de
ces instructions, on retrouve aujourd’hui un nombre significatif de prêtres africains en mission
fidei donum dans plusieurs diocèses d’Europe et d’Amérique durement frappés par le recul de
la religion et la baisse des vocations sacerdotales.

Quant à lui, dès le début de son pontificat, dans l’encyclique Princeps Pastorum de
1959, Jean XXIII appelle les évêques missionnaires à confier la formation des séminaristes
aux prêtres autochtones.

Enfin, les options de l’Eglise en cette matière sont aujourd’hui développées par le
décret Ad Gentes sur l’activité missionnaire675, la nouvelle charte de la mission depuis le
concile Vatican II ; le Concile Vatican II y indique que « chaque milieu sociologique doit
fournir ses prêtres et ses diacres si l’on veut que l’Eglise soit vraiment implantée ».

Pour le Congo, spécialement, des directives précises complétant la politique générale


de l’encyclique Maximum Illud avaient été données au premier délégué apostolique du Pape

673
Discours du pape Benoît XVI aux participants à la rencontre du Conseil supérieur des Œuvres Pontificales
Missionnaires « Fidei Donum », à Rome, le 24 mai 2007,
http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=2405076_anniversaire
674
Cité par Benoît XVI, ibid.
675
Décret Ad Gentes, l’Activité missionnaire, Paris, Ed. du Cerf, 1967.
280

au Congo-Belge, Mgr Dellepiane, nommé à ce poste en 1929. Par une lettre du 14 juillet
1938, la Sainte Congrégation de Propaganda Fide insistait sur l’objectif de la formation d’un
clergé local et d’une vie religieuse locale et congolaise ; en plus, elle donna les directives
traditionnelles de l’Eglise pour sauvegarder les valeurs de la culture locale, surtout les langues
locales, les rites, les mœurs et les coutumes, les missionnaires devant être les hérauts de
l’Evangile et non de la culture de leur patrie676. On peut reconnaître que l’Eglise missionnaire
du Congo s’employa à mettre en œuvre cette politique, avec, cependant, des résultats nuancés.

IV.III.II.3 La formation du clergé autochtone

Au Congo, c’est la congrégation des Pères Blancs qui joua le rôle de pionnière,
notamment dans le Katanga, avec l’ouverture d’une « école latine » à Mpala, décidée par Mgr
Roelens, vicaire apostolique du Haut-Congo et la création en 1906 du premier grand
séminaire de l’Etat Indépendant du Congo à Baudoinville677, tandis que le premier prêtre
congolais, Stefano (Stéphane) Kaoze, du vicariat du Haut-Congo à Baudoinville, sera ordonné
le 21 juillet 1917 par Mgr Roelens678.

A la suite de ce premier résultat suivi par la publication de Maximum Illud de Benoît


XV en 1919, d’autres vicariats s’engagèrent également dans la création des séminaires et dans
la formation de prêtres congolais. C’est ainsi que les supérieurs ecclésiastiques et religieux du
Congo, réunis à Kisantu (Bas- Congo) en juillet 1919, traitant de la formation d’un clergé
local, estimèrent que « le but final de toute mission en pays infidèle, est l’établissement d’une
Eglise autochtone qui puisse vivre, se gouverner et se perpétuer dans le pays, sans secours
étranger »679 , mettant ainsi en lumière l’urgence d’un clergé autochtone solidement formé et
des moyens pour susciter et cultiver des vocations. A cet effet, il fallut créer des séminaires.
Après une recommandation faite depuis 1911-1912 au vicaire apostolique du Congo, Mgr
Van Ronslé, par la Sacrée Congrégation de la Propagande, de créer un séminaire pour les
autochtones680, alors que dès 1907 chaque circonscription ecclésiastique pouvait créer une
« école d’instituteurs et comptables », ce n’est qu’en 1913 que fut décidée la création d’écoles
676
LINDEMANS, Steven, Histoire de l’Eglise, Kinshasa, Ed. du C.E.P. (Centre d’Etudes Pastorales), 1978, p.
69.
677
Ville située sur la rive du lac Tanganyika, rebaptisée depuis 1972 Moba (le poste de l’Eglise étant à Moba-
Kirungu).
678
Voir Stefano Kaoze, prêtre d’hier et d’aujourd’hui, biographie publiée par son diocèse d’origine, celui de
Moba, Kinshasa, Ed. St Paul, 1982.
679
DE CLEENE, Noël , op. cit., ib.
680
BONTINCK, François, Tentatives de formation d’un clergé local dans l’ancien vicariat apostolique du
Congo, Message et Mission, Xè anniversaire de la Faculté de Théologie catholique de Kinshasa,Paris-Louvain,
Ed. Nouvelaerts, 1968, p. 263.
281

des catéchistes et qu’il fut prévu que ces écoles pouvaient accueillir des « jeunes gens qui
donnent des espérances pour le séminaire »681. Mais, malgré des vocations déclarées dès 1913
pour la vie consacrée, trois dans le « bas » du vicariat (actuel Bas-Congo) et six dans le
« haut » (l’actuelle province de l’Equateur, Nord-Ouest du Congo), des querelles intestines
sur l’emplacement de l’établissement retardèrent jusqu’en 1916 l’ouverture d’une nouvelle
« schola latina » dix-sept ans après celle des Pères Blancs à Mpala. En fait, face à ces
dissensions, on dut ouvrir en même temps deux scholae latinae, l’une, dirigée par le père L.
de Clerck, le 31 mai 1916 à Kangu (Mayombe, Bas-fleuve) avec 7 élèves, où, en plus de
l’étude du latin, la langue véhiculaire même pour les mathématiques était … le latin, et
l’autre, confiée au père Peters, le 29 juillet à « Nouvelle-Anvers » (Makanza, dans l’Equateur)
avec 11 élèves et dont le régime, différent, utilisait le Lingala, la langue commune pour toute
la région du Nord. Les conséquences de la première guerre mondiale se firent sentir sur ces
initiatives, en 1918 il fallut réunir à Nouvelle-Anvers les deux établissements, afin de dégager
un certain nombre de prêtres des responsabilités du séminaire pour les affecter à d’autres
tâches, face au tarissement du flux de nouveaux prêtres venant d’Europe, dont beaucoup
étaient alors mobilisés. Avec ce mouvement, on systématisa les conditions d’admission, d’âge
(12 ans), de santé, de formation initiale antérieure (avoir terminé l’école primaire), de
caractère humain, de conduite, de capacités intellectuelles (réussir un examen d’entrée), etc.
Ainsi, la conception d’une simple schola latina céda la place à celle, plus systématique, du
séminaire, arrêtée par la réunion des supérieurs ecclésiastiques et religieux de 1919682.

A la suite de cette réunion et de la dynamique qui en naquit, furent alors créés


plusieurs autres séminaires, au fur et à mesure que les vicariats existants étaient subdivisés en
de nouveaux vicariats : à Kabwe ( dans le Kasaï au centre du Congo), fondé en 1916 juste
après Nouvelle-Anvers, à Mbata-Kiela (Bas-Congo) en 1919, en remplacement de celui de
Kangu fusionné en 1918 avec la schola latina de Nouvelle-Anvers, à Inongo (partie nord de la
région de Bandundu) en 1921, à Lemfu (Bas-Congo faisant alors partie du même vicariat que
la capitale) en 1922, à Rugeri (dans le Kivu) en 1923, à Kilo-Mines (dans le nord-est, actuelle
Province Orientale) en 1928, à Kinzambi (dans l’actuelle province de Bandundu) en 1937 ;
etc. En fait, les premières écoles étaient ouvertes pour former des catéchistes à la disposition
des missions. C’est le cas de l’une de ces écoles, créée à Luluabourg (Kasaï) pour la
formation des catéchistes de tout le Haut-Kasaï, qui formait les catéchistes en trois ans, avec
un programme apparemment avancé : la religion, le calcul, l’anatomie, la botanique, la

681
Missions catholiques du Congo-Belge, Instructions aux missionnaires, cité par François. Bontinck, ibid.
682
BONTINCK, François., op. cit., p. 276.
282

zoologie, la physique, l’histoire du Congo, la calligraphie, la géographie, le style, la politesse


(savoir-vivre), la puériculture et le français. C’est en 1916 que, en prévision de la sélection
des élèves pour la prêtrise, le latin est inscrit au programme de l’école de Luluabourg, à
l’intention de ceux qui le désiraient et dont les aptitudes étaient évaluées par les
missionnaires ; c’est par ce processus que sera « recruté » Charles Mbuya premier prêtre
ordonné en 1934 au grand séminaire de Kabwe au Kasaï683. En effet, l’école de Luluabourg,
par exemple, avait été créée comme une école des catéchistes mais avec vocation d’être « une
pépinière de bons évangélisateurs, voire une institution préparatoire à un futur petit
séminaire »684. Le pro-préfet pour le Kasaï donna instruction en 1916 au directeur de l’école
de Luluabourg St Joseph (une école de catéchistes devenue école normale), de donner des
leçons de latin aux jeunes gens qui en avaient le goût et les aptitudes afin de les préparer à la
prêtrise ; on ouvrit ainsi cette sorte de schola latina où furent admis deux des meilleurs élèves
de la 3ème année de l’école, deux autres en 1917, un cinquième en 1918 et trois nouveaux en
1919 ; ces élèves furent par la suite mis à part pour continuer une formation spécifique de
séminariste. C’est le 17 août 1928 que ce petit séminaire débutant fut transféré à Kabue, près
d’une mission qui venait d’être fondée en 1927. La construction de ses bâtiments en dur
commença en 1930 avec les locaux pour élèves (classes et dortoirs) pour s’achever en 1932
avec la construction de la résidence des professeurs 685.

Enfin, s’agissant de Léopoldville-Kinshasa particulièrement, de tout temps les


séminaristes originaires de cette grosse métropole ne recevaient pas leur formation dans leur
ville mais dans des établissements situés dans des zones rurales éloignées de la capitale. En
fait, il s’agit d’une politique délibérée d’implantation de séminaires loin des agglomérations
urbaines, considérées, à cause des mœurs liées à ces milieux et l’exigence d’un climat de
recueillement favorable à des études ardues et de ferveur favorable à la formation religieuse et
spirituelle, comme des cadres peu propices à la formation de prêtres. On remarque, d’ailleurs,
que par un choix délibéré, les missionnaires avaient installé tous les séminaires, grands et
petits y compris ceux des vicariats ruraux (Kabwe, Bolongo, Lemfu, Mbata-Kiela, Mayidi…),
loin des centres urbains, chefs-lieux de provinces ou de districts. C’est la raison pour laquelle
les premiers séminaristes de Kinshasa seront envoyés dans le premier séminaire couvrant
l’ensemble du vicariat auquel appartenait la ville à l’époque, à Mbata-Kiela ou Lemfu (situés

683
NKAY MALU, Flavien, La mission chrétienne à l’épreuve de la tradition ancestrale (Congo-belge, 1891-
1933), Paris, Karthala, 2007, pp. 61-62.
684
Lettre du pro-préfet du Kasayi aux missionnaires à propos de sa décision d’ouvrir une école en date du 30
mai 1914, leur demandant d’y envoyer « quelques enfants choisis, doués de bonnes qualités intellectuelles et
surtout morales », citée par SCHEITLER, Marcel, op.cit., p. 150.
685
SCHEITLER, Marcel, op.cit., pp. 251-252.
283

dans le Bas-Congo respectivement à plus de 500 Km et à environ 150 Km au sud-ouest de


Kinshasa). Mais, après la division du vicariat en deux (celui de Léopoldville et celui de
Boma) en 1934, le vicaire apostolique de Léopoldville, envoya les quatre séminaristes de
Kinshasa, Albert Amani, Joseph-Albert Malula, Eugène Moke et Jacques Nzeza, au séminaire
de Bolongo (près de Lisala en province de l’Equateur, dans le Nord-Ouest)686. Ce vicariat de
Léopoldville sera subdivisé en 1937 en vicariat de Léopoldville et en celui d’Inongo ; ce n’est
qu’en 1953 que, suivant en cela les directives pontificales autorisant chaque diocèse ou
chaque vicariat à disposer de son propre séminaire, que Mgr Scalais, le dernier vicaire
apostolique et premier et dernier archevêque européen de Léopoldville-Kinshasa jusqu’en
1964, décide de créer un séminaire « urbain » à Kinshasa, qui ouvrira ses portes en 1957 à
Mikondo, un faubourg situé à une vingtaine de Km du centre de la ville, sur un site alors très
isolé des quartiers urbains. L’établissement de séminaires dans les centres urbains participent
d’une option d’inculturation de la part des responsables ecclésiastiques congolais après la
colonisation. Là où la préoccupation des missionnaires était de couper le séminariste de son
terroir, de le prendre en mains et le façonner sans interférence ni de sa famille ni du milieu
coutumier, les responsables autochtones convinrent, en effet, que le prêtre doit se tremper
dans le milieu de vie de ses ouailles, connaitre et vivre leur condition et connaître ainsi ce que
sera l’objet et le lieu de son apostolat.

Concernant les grands séminaires, on peut signaler, après l’établissement pionnier


ouvert par Mgr Roelens des Pères Blancs à Mpala en 1906, le mouvement qui s’est accéléré à
partir de 1930, avec l’ouverture des grands séminaires de Kabue Christ-Roi (Kasaï) en 1930
où il s’ouvrit d’abord dans les locaux du petit séminaire avant d’occuper ses propres
installations à partir de 1933, de Bolongo (près de Lisala, dans l’Equateur), de celui de Mayidi
(Bas-Congo) en 1933 et de celui de Niangara (dans le Kivu) en 1938, etc.

A partir de cet essaimage, après l’émulation produite par la première ordination de


l’Abbé Kaozé en 1917, plusieurs promotions de prêtres purent sortir de ces différents
séminaires tout au long de la période coloniale : le 1er juillet 1934, fut ordonné le premier
prêtre congolais depuis 17 ans, l’Abbé Charles Mbuya du vicariat du Kasaï au grand
séminaire de Kabue,. Sa première messe fut célébrée avec une particulière solennité, en
présence de toute la hiérarchie vicariale et des autorités politico-administratives de la province
du Kasayi ; leur fierté fut telle que le vicaire apostolique lui-même, Mgr Auguste De Clercq,

686
De ces séminaristes, deux, Malula et Moke, après être passés par le grand séminaire de Kabwe dans le Kasaï,
seront ordonnés prêtres en 1946 et deviendront, le premier, archevêque de Kinshasa en 1964, le second, évêque
auxiliaire de Kinshasa en 1970.
284

en fit un récit émouvant et élogieux à la Sacrée Congrégations de la Propagande de la Foi687.


Seront également ordonnés à Kabue, deux prêtres du vicariat de Boma, Alphonse Nsumbu et
Philippe Ngidi, ainsi de suite, jusqu’à l’ordination des deux premiers prêtres du vicariat de
Léopoldville-Kinshasa, en 1946 seulement, les Abbés Malula et Moke. Le nombre des prêtres
autochtones, bien qu’encore faible, alla toujours croissant, selon la VIème Assemblée plénière
de l’Episcopat du Congo, de 31 en 1941, le nombre des prêtres africains est passé à 417 au
début des années ’60688.

Globalement, le contenu du programme de formation des prêtres autochtones se


conforme aux directives des Papes, en particulier à celles données par Pie XII dans son
Exhortation apostolique Menti Nostrae, sur la sainteté de la vie sacerdotale, du 23 septembre
1950, où il indique que la formation des futurs prêtres dans les pays de mission doit
comprendre une formation spirituelle et doctrinale complète et solide, mais aussi elle doit
permettre l’ouverture aux valeurs culturelles particulières de chacun de ces pays. Ce dernier
aspect ne sera vraiment rencontré qu’après l’ère missionnaire ; en effet, le séminariste des
missionnaires recevait une formation religieuse comprenant des éléments de philosophie et de
théologie, l’enseignement du latin, la lecture des hagiographies, tandis que, depuis, la
formation secondaire du séminariste est celle des programmes scolaires officiels, avec un
encadrement spirituel et moral spécifique, tandis qu’au grand séminaire, la connaissance des
hommes et de la société est acquise par l’études des sciences humaines (anthropologie,
histoire, sociologie, religions traditionnelles, etc.). C’est le souci qui est au centre de la
problématique de l’émergence d’une Eglise « particulière », celle qui, succédant à l’Eglise
missionnaire, apportera à la catholicité la marque du génie et des valeurs propres à la culture
congolaise. Tant il est vrai que « pour s’incarner dans un peuple, l’Evangile n’exige pas le
suicide des religions [africaines traditionnelles] ou leur anéantissement… Il s’agit d’admettre
la possibilité d’une conversion des religions, le Christ entrant dans la mentalité et les gestes
religieux des peuples pour y apposer son sceau libérateur »689.

687
Le père SCHEITLER rapporte la relation que Mgr De Clercq fait lui-même de l’événement à la Congrégation
de la Propagande de la Foi, op.cit., p. 285-286.
688
Actes de la VIème Assemblée plénière de l’épiscopat du Congo (du 20 novembre au 3 décembre 1961), in
De SAINT MOULIN, Léon et GAISE N’GANZI, Roger, Eglise et Société. Le discours socio-politique de
l’Eglise catholique du Congo (1956 – 1998) – T.1, Textes de la Conférence épiscopale, rassemblés par …, Ed.
Des Facultés catholiques de Kinshasa, 1998, p.67.
689
Le théologien Sidbe Sempore, cité par COULON, Paul, « Dialoguer avec les religions traditionnelles
africaines », http://www.theologia.fr/article/index.jsp?docid=1608952&rubld=16602
285

SYNTHESE DE LA DEUXIEME PARTIE

On a pu, au cours de cette partie, voir comment, alors qu’elle s’était si bien intégrée en
Occident qui est unanimement considéré comme terre de la chrétienté, la liturgie chrétienne
s’est comportée dans les milieux différents où, dans le cadre de l’œuvre missionnaire, elle fut
importée.

L’étude nous a ainsi amenés à examiner les conditions d’implantation de la


« mission », mettant en lumière, en particulier, le relatif échec du christianisme dans ces terres,
alors qu’au lieu de l’y intégrer, comme ce fut fait en Occident, dans les cultures locales, les
missionnaires ont, au contraire, cherché à détruire ces dernières en imposant le christianisme
occidental, lequel, facilité dans son entrée et son implantation sur les nouveaux territoires par
la colonisation occidentale, s’est avéré au service de la domination coloniale ; tandis que la
liturgie gardait sa forme issue du Concile de Trente et des pratiques occidentales du Moyen
Age et de la Renaissance. Le résultat fut, avec une liturgie « étrangère » incomprise et non
vécue, une évangélisation superficielle, un badigeonnage qui laissa intacts, chez les convertis,
jusqu’aux aspects de vie les plus contraires aux valeurs chrétiennes, dans un climat de
frustration qui a en fait plongé les néo-chrétiens dans des pratiques éclectiques et syncrétiques
nuisibles. L’analyse de la situation dans les deux régions de mission retenues, à cause de leur
exemplarité quant à cette question, l’Asie d’Extrême-Orient et l’Afrique Centrale, montre que
la rencontre entre le christianisme et les sociétés locales fut vécue comme véritablement un
choc des cultures entre le christianisme et des religions traditionnelles. Dans ce choc, l’Orient,
notamment la Chine, sembla un peu mieux résister que l’Afrique Centrale, en arrachant un
certain degré d’adaptation de la liturgie chrétienne aux cultures dominantes locales. Les
initiatives furent, en ce qui concerne l’Afrique, inhibées par le drame de la querelle des rites
chinois, contemporaine de la période de la première évangélisation de ce continent ; du coup,
s’imposa une liturgie romaine aussi figée que désincarnée et qui l’a demeuré tout le temps que
dura la « mission », ouvrant grandes les portes de la critique de l’œuvre missionnaire
d’évangélisation aussi bien dans ses liens avec la colonisation que, en elle-même, dans son
inefficacité. On peut résumer la situation de la liturgie en rappelant ce qu’en disent les
chroniqueurs jésuites à partir du rapport de l’évêque de leur diocèse du Congo et d’Angola :
« Dans la cathédrale et dans tout le diocèse, les offices et les messes sont célébrées suivant le
rite romain. On y suit les missels, bréviaires et rituels romains ». Néanmoins, dans l’ancien
Kongo, des aménagements avaient été tolérés, à partir de pratiques à la cour de Lisbonne,
comme privilèges reconnus au roi uniquement d’ailleurs en ce qui concerne la tenue au cours
286

de la messe. A cet effet, on peut relever la valeur symbolique de l’un des privilèges royaux,
lorsqu’il était reconnu que « durant l’évangile de la sainte messe, comme Défenseur de la Foi,
il tiendra dans la main droite le glaive dégainé et dans la main gauche un cierge allumé ». En
cela on honorait, sans toutefois oublier de les christianiser par ce cierge que le roi tient dans la
main gauche, une coutume par laquelle le roi tient le glaive comme insigne de royauté attestant
de sa qualité de guerrier suprême, en même temps que ces danses et cérémonies guerrières
coutumières auxquelles le roi et les grands du royaume s’adonnaient régulièrement. Mais,
durant le padroado et la colonisation, rien qui fit appel aux rites traditionnels africains pour
adapter la liturgie romaine aux cultures locales, condamnées et combattues comme
superstitions diaboliques. Cette frustration, en plus d’avoir provoqué des critiques des
nouvelles générations de chrétiens africains et des hiérarchies ecclésiastiques de l’Afrique
indépendante, fut à l’origine de l’expression des aspirations à s’approprier le christianisme et
sa liturgie par l’inculturation. Mais, il faudra attendre l’évolution des esprits, avec sa
maturation à l’occasion du Concile Vatican II, pour que cette tension entre les acquis figés du
Concile de Trente et les aspirations qui s’exprimaient trouve son dépassement.
287

TROISIEME PARTIE

DE VATICAN II AUX RITES AFRICAINS


OU L’INCULTURATION RESTAUREE
288

Au cours des deux derniers siècles, le monde a connu des bouleversements dans tous
les domaines, la révolution industrielle, la révolution idéologique, l’explosion des
connaissances dans le secteur des sciences humaines, les diverses évolutions politiques qui
voient le monde dominé par la colonisation européenne perdre sa suprématie au profit de la
liberté des peuples et l’apparition de nouveaux acteurs tandis que plusieurs autres civilisations
allaient accéder à la parole, les progrès du positivisme et ceux, parallèlement, de l’athéisme et
du libre arbitre. Cette nouvelle situation ne pouvait pas laisser en dehors de son mouvement
l’Eglise. Mais, celle-ci continuait de demeurer dans une conception tridentine plutôt sclérosée
et totalement hors du temps et de toute cette modernité qui a fait irruption.

Il faudra qu’un homme soit inspiré pour ouvrir les yeux sur cette réalité et en prendre
conscience, afin de secouer ce carcan suranné et mettre l’Eglise à l’air de son temps. Le pape
Jean XXIII, nouvellement élu en succession à Pie XII, surprend le monde avec son projet,
annoncé le 25 janvier 1959, d’un concile œcuménique avec objectif de réaliser
l’aggiornamento de l’Eglise. De ce concile va sortir un véritable renouvellement de l’Eglise
aussi bien dans ses aspects internes que dans son rapport au monde et aux autres religions qui
se sont développées depuis la naissance du christianisme, en contestation à ce dernier ou dans
d’autres ères culturelles, philosophiques et de croyances.

Certes, l’Eglise se devait de se transformer, se structurer pour répondre aux exigences


contemporaines, mais aussi, elle a senti le besoin de réadapter ses méthodes de travail,
concernant en particulier l’évangélisation et la mission dont les résultats, après près de deux
siècles, ne semblait pas avoir affecté en profondeur les pays de mission tandis que ceux de la
vieille chrétienté se déchristianisaient à vue d’œil. D’un autre côté, il était devenu clair que la
mission mais aussi les formes d’expression de la foi, héritées d’une culture trop localisée pour
impliquer tous les peuples, devaient être repensées afin d’assurer pour l’Eglise les caractères
de sa catholicité (universalité) et au christianisme son introduction partout comme facteur
d’une culture partagée. Ce travail va apparaître, en particulier dans la conception de la
mission à travers les fondements et les méthodes de l’évangélisation, ainsi que, d’une manière
spectaculaire, dans la liturgie où l’Eglise universelle va, revenant aux sources du
christianisme, au-delà du Concile de Trente pour découvrir et restaurer une liturgie
authentique et renouer avec le pluralisme liturgique dans l’unité qui a caractérisé l’Eglise des
premiers siècles. C’est dans cette liturgie repensée et restaurée que puisent leurs sources,
289

légitimité et fondements les liturgies et rites particuliers qui ont fleuri un peu partout et,
singulièrement en Afrique, sous l’égide de la hiérarchie et dans l’unité de l’Eglise.
Pour rendre compte de ces réalisations, nous allons d’abord présenter, entourées des
circonstances qui en ont commandé les orientations et le contenu, les décisions et directives
du Concile dans le secteur de la liturgie en vue de donner à l’Eglise universelle une liturgie
dépouillée des scories de la culture qui l’a illégitimement dominée pendant deux millénaires
(I), avant d’exposer cette nouvelle liturgie en elle-même (II) ainsi que les directives du concile
pour l’inculturation de la liturgie dans les diverses cultures que comprend la chrétienté (III).
Ainsi pourront se manifester les caractéristiques et spécificités des liturgies et rites africains,
que nous examinerons essentiellement à la lumière du rite zaïrois, de toute l’Afrique le seul à
avoir été approuvé et peut-être jusque là le plus élaboré (IV).
290
291

LE CONCILE VATICAN II ET LA REFORME DE LA


LITURGIE CATHOLIQUE
Si importante et si novatrice qu’elle soit, l’œuvre du Concile Vatican II dans le
domaine de la liturgie n’est pas une génération spontanée et n’en est pas moins
l’aboutissement d’un long cheminement traduisant le souci d’adapter les célébrations aux
besoins de chaque époque, sinon de canaliser les diverses initiatives dont certaines avaient pu
faire craindre de dangereuses dérives. On l’a vu, en effet, la grande réforme tridentine et la
célèbre « messe de Pie V » ont subi des déformations dans le temps et dans l’espace, certaines
traduisant la contestation de la domination romaine, d’autres procédant d’un sincère dessein
de mieux faire adopter la liturgie catholique par des peuples, par exemple en Chine, dont la
culture était si éloignée des traditions occidentales qui avaient modelé cette liturgie, en
s’efforçant de l’adapter aux réalités culturelles et, même, cultuelles locales.

Sur le plan historique, il n’est pas exagéré d’avancer que la réforme de Vatican II,
venant après toute cette histoire mouvementée de la liturgie, une évolution des esprits et des
réformes réformatrices qui créent un climat de plus en plus favorable à la grande réforme
attendue depuis le Concile de Trente.

I.I LE MOMENT FAVORABLE

Cela se réalise grâce à l’activisme des partisans du « Mouvement liturgique », ce « renouveau


de ferveur du clergé et des fidèles pour la liturgie »690, mais aussi à l’action et aux réalisations
du pape Pie XII.

L’objectif visé par les réformateurs était que les fidèles puissent « participer » au
sacrifice eucharistique, là où, pendant longtemps, ils ne faisaient que « assister », restant
muets et passifs, alors que, au mieux, chacun pouvait à son gré réciter le chapelet ou se
plonger dans d’autres belles prières sans rapport avec la liturgie en cours. De fait, comme le
constate Bernard Botte, « La messe a cessé d’être la prière de la communauté chrétienne.
C’est le clergé qui s’en charge entièrement en son nom. Dès lors, les fidèles ne peuvent s’y

690
ROUSSEAU (dom), Olivier, L’Eglise en prière, ouvrage collectif. A. G. Martimort, Paris, Ed. Desclée,
1961, p. 51.
292

associer que de loin et se livrer à leur dévotion personnelle »691. Les tendances prises par les
réformes du XXe siècle traduisent l’influence déterminante des membres ou des auteurs
proches du mouvement liturgique, dont spécialement : dom Beauduin et dom Cappelle, dom
B. Botte, les pères Pie Duployé, Roguet, L. Bouyer, Gy, le chanoine A. G. Martimort, dom
Nocent, l’abbé Jounel, les pères Chenu, Chéry, et Maydieu, ainsi que les pères Doncœur et
Daniélou ; en Allemagne-Autriche, signalons dom Odon Casel, dom Pius Parsch, Romano
Guardini, J-A. Jungmann. Ces liturgistes et théologiens développent des thèmes à propos
desquels sont proposées des solutions retenues dans ces réformes : la participation des fidèles,
la messe communautaire, la messe-communautaire-avec-chants, l’atténuation de la discipline
du jeûne eucharistique, le sacrifice-repas, le sacerdoce royal et le sacerdoce des fidèles,
l’Eucharistie-Mémorial, le transfert des cérémonies du Jeudi Saint et du Vendredi Saint au
soir, le célébrant tourné vers le peuple, l’usage des langues vulgaires, etc.

A la suite du « Mouvement liturgique » et des initiatives que ce dernier inspirait aux uns
et aux autres, comme à son habitude, le Vatican dut mettre de l’ordre, recentrer les velléités de
réforme et canaliser le besoin senti et exprimé de changements. En effet, Pie XII publiera
l’Encyclique Mediator Dei692, qui semble préparer les réformes arrêtées plus tard par le Concile
Vatican II dont elle est sans doute l’acte précurseur et aborder les thèmes que développera le
concile et que, en ce qui les regarde, les Eglises africaines mettront en œuvre parce que cela
rencontre le « célébrer africain ». Il n’est pas facile d’identifier l’influence exacte des membres
du mouvement dans la conception et l’élaboration de l’Encyclique ou, encore, l’influence
négative qu’en ressentit le Pape pour réagir à quelques-unes de leurs propositions, mais on se
rend compte que les idées et réformes annoncées par Pie XII répondent à nombre des
propositions des réformateurs, soit pour en retenir quelques-unes soit pour en rejeter vivement
d’autres. Dans cette encyclique, même fort de l’autorité fondée sur la nature du sacerdoce, le
dogme et le magistère, le Pape n’affirme pas que la liturgie soit rigide et immuable ; au
contraire, il lui reconnaît le double caractère constitué par des éléments divins et des éléments
humains qui, eux, « peuvent subir des modifications diverses, [...] ». En préfiguration de
l’inculturation que va promouvoir Vatican II, le Pape se réjouit même, de la diversité des
liturgies et des rites liturgiques, source de « l’accroissement progressif [...] Toutes ces
transformations attestent la vie permanente de l’Église à travers tant de siècles ;[…] ». Dans le
même souci d’encourager la participation populaire, si le latin est conservé et a priorité comme
langue liturgique, parce que « signe manifeste d’unité et protection efficace contre toute

691
BOTTE, Bernard, Le Mouvement liturgique. Témoignage et souvenirs, Paris, Desclée, 1973, p. 10-11.
692
Mediator Dei et Humanum sur la Sainte Liturgie, du 20 novembre 1947.
293

corruption de la doctrine originale », l’encyclique fait une ouverture au profit des langues
vulgaires, disant que « Dans bien des rites cependant, se servir du langage vulgaire peut être
très profitable au peuple […] ». Mieux, l’essentiel apparaît pour nous, en vue de l’étude de
l’évolution historique, dans cette reconnaissance par Pie XII « des coutumes cultuelles et des
œuvres de piété particulières »,

Ces initiatives de Pie XII se déroulaient dans un véritable climat d’effervescence dans le
domaine de la liturgie avec la parution de plusieurs publications et une véritable demande de
réforme, non seulement de ce milieu de liturgistes mais aussi de la part d’épiscopats
nationaux693. En réalité des réformes commencèrent à se concrétiser sur le terrain, mettant en
œuvre les orientations de l’encyclique de Pie XII, grâce, notamment, à la Commission pour la
réforme liturgique qu’il avait mise en place dès 1948 et dont le père Bugnini, qui jouera un rôle
important mais controversé au Concile Vatican II, fut nommé secrétaire. Furent ainsi réalisés
entre 1950 et 1956 : l’usage des langues vulgaires dans certains sacrements, tandis que
plusieurs militaient pour leur introduction dans la messe au moins pour les lectures, la réforme
de la Semaine sainte, avec en particulier la restauration de la Vigile pascale, l’assouplissement
du jeûne eucharistique, des retouches au missel, etc.

Pour Robert Cabié, « le Mouvement liturgique a façonné bien des esprits et creusé le
désir de nouvelles formes de célébration s’inspirant de la Tradition et répondant aux aspirations
des éléments les plus vivants du peuple chrétien…c’est ainsi que se préparait le renouveau que
devait promouvoir le IIe Concile du Vatican »694. On remarque, en tout cas, que les idées et
thèses générales du Mouvement sur la messe étaient déjà très répandues, des schémas
liturgiques annoncés et expliqués, donnant pratiquement le contenu des innovations retenues
par la réforme conciliaire et post-conciliaire.

693
GY, Pierre-Marie, La liturgie dans l’histoire, Paris, Ed. Cerf/ Saint-Paul, 1990, pp. 288-290.
694
CABIE, Robert, Histoire de la messe des origines à nos jours, Paris, Desclée, 1990, p. 105.
294

I.II L’AVENEMENT DU CONCILE VATICAN II ET LE RENOUVEAU


LITURGIQUE

Les développements qui précèdent nous ont accompagnés progressivement vers la


grande réforme liturgique du Concile Vatican II. Ces développements nous ont également
permis de comprendre pourquoi la constitution sur la liturgie, ainsi balisée, fut rapidement
préparée et élaborée, étant le premier document officiel du Concile à être promulgué et publié.

Dès l’annonce du concile, le 25 janvier 1959, le nouveau pape indiquait que « les
grands principes commandant la réforme de l’ensemble de la liturgie doivent être proposés
aux Pères au cours du prochain concile œcuménique ». Ce qui réjouissait les réformistes qui
espéraient un concile à cet effet et dont il est même rapporté que c’est l’élection du cardinal
Roncalli elle-même qui fut pour eux une aubaine, car, disaient-ils, « s’ils élisaient Roncalli,
tout serait sauvé : il serait capable de convoquer un concile et de consacrer
l’œcuménisme »695, cet autre combat des réformateurs, qui s’accorde avec nombre de
propositions que les réformateurs du Mouvement cherchaient à faire triompher. Comme le
constate P-M. Gy, à la différence des autres dossiers soumis aux pères conciliaires, « la
question de la réforme liturgique avait déjà atteint sa maturité »696. Mais, il y a d’autres
responsables ecclésiastiques que l’avènement du concile a dû réjouir ; il s’agit des évêques
africains qui, pères conciliaires, allaient pour la première fois participer et contribuer aux
décisions qui engagent le christianisme vécu chez-eux. Avant d’examiner l’œuvre du concile
(II), il est utile d’évoquer la présence des jeunes Eglises d’Afrique auxquelles les options
conciliaires allaient offrir l’opportunité de se modeler selon le contexte socio-culturel de leurs
peuples (I).

695
Confidence de Dom Beauduin à Louis Bouyer, in BOUYER, Louis, Un homme d’Eglise, Paris, Ed.
Castermann, 1964, p. 180.
696
La liturgie dans l’histoire, op.cit., p. 257, reprenant une étude qu’il avait déjà publiée dans la Maison-Dieu
76, 1963 (pp. 7-17), l’année même de la Constitution sur la liturgie.
295

I.II.I L’Eglise africaine au Concile697

L’annonce du Concile fut suivie d’une large consultation, organisée dès 1959, des
responsables des Eglises locales à travers le monde, membres de la curie, archevêques, évêques
et évêques auxiliaires, vicaires généraux et vicaires apostoliques, supérieurs d’instituts
religieux, etc. C’est donc à cette époque là majoritairement des missionnaires européens, mais
aussi quelques autochtones, qui y prirent part notamment en Afrique Noire.
Il s’agissait, dans cette phase antépréparatoire du concile (1959-1960), sur la base d’un
questionnaire adressé le 18 juin 1959 par la commission chargée de la supervision de la
consultation (présidée par le cardinal Tardini), de récolter les vœux et propositions des
membres de la curie romaine, des évêques, des supérieurs religieux et des universités
catholiques pour donner de la matière à la phase préparatoire proprement dite qui allait s’étaler
entre 1960 et 1961 et au cours de laquelle devaient être étudiés ces vœux et propositions en vue
d’élaborer les projets des schémas à partir desquels le concile travaillerait et prendrait ses
décisions698.
Les évêques d’Afrique avaient ainsi, à peine leurs pays devenus indépendants, pour la
première fois l’occasion de dire leur mot sur la marche de l’Eglise universelle mais aussi et
surtout de contribuer directement aux décisions pour faire prendre en compte leur opinion sur
leurs églises locales et la manière dont le travail de la mission du Christ devait être menée dans
les conditions concrètes du XXe siècle et de leur continent et ses spécificités.
Déjà, à ce niveau de la consultation, la participation africaine est significative. En effet, 289
autorités ecclésiastiques africaines avaient été consultées, 173 évêques résidentiels, 3 abbés
nullius, 2 exarques, 33 vicaires apostoliques, 6 internonces et délégués apostoliques, 32
évêques auxiliaires et 38 préfets apostoliques. La réaction africaine fut globalement positive
parce que 241 réponses écrites émanèrent des responsables africains, soit plus de 83%, ce qui
est un pourcentage honorable. L’importance de cette réaction peut également être évaluée en
fonction de la participation des « grandes » églises africaines : Congo-Léopoldville, avec 38
réponses sur 40 consultés, l’Union sud-africaine, 25 sur 28, Afrique Occidentale Française, 21
697
Sur la participation africaine au Concile, v. CHENU, Marie.-Dominique, La Parole de Dieu, t. II,
L’évangélisation dans le temps, Paris, Cerf, 1964, spéc. pp.647-653, OLIVIER, Bernard, Chroniques
congolaises. De Léopoldville à Vatican II (1958-1965), Paris, Karthala, 2000, PRUDHOMME, Claude., « Les
évêques de l’Afrique Noire anciennement française et le Concile », in FOUILLOUX, Etienne, (dir.), Vatican II
commence… Approches francophones, Bibliotheek van de Faculteit der Godfeleerdheid, Leuven, 1993, pp. 163-
188, SOETENS, Claude, « L’apport du Congo-Léopoldville (Zaïre), du Rwanda et du Burundi au Concile
Vatican II « , ibid., pp. 198-208, MESSINA, Jean.-Paul ., Les évêques africains au Concile Vatican II (1959-
1965). Le cas du Cameroun, Paris, Karthala, 2000, et « L’Eglise d’Afrique au Concile Vatican II : origines de
l’assemblée du synode pour les évêques d’Afrique », in Mélanges de sciences religieuses, vol. 3 (1994), pp. 279-
295..
698
NDONGALA MADUKU, I., Pour des Eglises régionales en Afrique, Paris, Karthala, 1999, pp. 90-91.
296

sur 28, Tanganyika, 16 sur 21, Rhodésie, 10 sur 14, Madagascar, 13 sur 13, Egypte, 12 sur
13… Mais, aussi, en dépit du fait qu’ils étaient minoritaires, ils prirent, dans les commissions
où ils étaient affectés (élus par les autres « Pères » ou nommés directement par le pape), une
part active, remarquée et à sa juste valeur unanimement appréciée. Sans pouvoir dire le nombre
total exact des évêques d’Afrique pères conciliaires, on peut tout au moins indiquer leur
présence dans les commissions préparatoires et conciliaires. Il y eut 20 prélats africains dans les
commissions (sur 600 membres), ainsi répartis699 :

Commission centrale (chargée de superviser l’ensemble des travaux préparatoires, présidée


par Jean XXIII lui-même) :
GOUVEIA T., de Lourenço Marques (Mozambique) ;
RUGAMBWA L., cardinal, de Bukoba ( Tanganyika) ;
LEFEBVRE M., de Dakar (Sénégal) ;
HURLEY E., de Durban (Afrique du Sud) ;
PERRIN M., de Carthage (Tunisie) ;
BERNARD M., de Brazzaville (Congo français – Congo Brazzaville) ;
RAKATOMALALA G., DE Tananarive (Madagascar) ;
YAGO B., d’Abidjan (Côte d’Ivoire) ;
VERWIMP A., de Kisantu (Congo belge – Congo Léopoldville) ;
SIDAROUS E. copte du Caire (Egypte)

Commission Liturgie :
MALULA J., évêque auxiliaire de Léopoldville (Congo belge – Congo
Léopoldville)

Commission Mission :
AMISSAH J.K., de Cape Coast (Ghana) ;
SPIESS E. (consulteur), Abbé Nullius de Perambo (Tanganyika)

Commission Eglises orientales :


DIB P., maronite du Caire (Egypte) ;
SCANDAR A., copte du Caire (Egypte) ;
GHEBRE J.J., copte d’Erythrée ;
MALAK J. (consulteur), évêque du Caire (Egypte)

Commission Apostolat des Laïcs :


GANTIN B. (consulteur), de Cotonou (Dahomey) ;

699
MESSINA, Jean-Paul., Evêques africains au concile Vatican II (1959-1965) – le cas du Cameroun, Paris,
Karthala, 2000, p. 58, c’est également du même auteur que nous empruntons les statistiques données plus haut
sur l’importance numérique de participation ; voir aussi LAURENTIN René ., L’enjeu du Concile, Paris, Seuil,
1967, p. 131.
297

BLOMJOUS J. (consulteur), de Mwanza (Tanganyika) ;


Mc CANN (consulteur), de Cape Town (Afrique du Sud).

Mais, lors de la constitution, en octobre 1962, des commissions conciliaires définitives, les
Africains ne se retrouvent plus qu’à treize700 :

Commission Evêques et gouvernement des diocèses :


Mc CANN O., archevêque de Cape Town ;
RAKATOMALALA G., archevêque de Tananarive

Commission des Missions :


GAMBWA L., cardinal, évêque de Bukoka ;
PERRIN M., archevêque de Carthage ;
ZOA J., archevêque de Yaoundé ;
YAGO B., archevêque d’Abidjan.

Commission Séminaires, études et éducation catholique :


HURLEY E., archevêque de Durban.

Commission Liturgie :
MALULA J., évêque auxiliaire de Léopoldville.

Commission des Religieux :


MELS B., archevêque de Luluabourg (Congo belge)

Commission Discipline des sacrements :


VAN CAUWELAERT J., évêque d’Inongo (Congo belge)

Commission Eglises orientales :


YAMMERU ASTRATE M., archevêque d’Addis-Abeba ;
SIDAROUS S., patriarche d’Alexandrie

Commission Apostolat des Laïcs :


BLOMJOUS J., évêque de Mwanza.

Il y a lieu d’affiner la présentation en donnant quelques indications spécifiques,


notamment qu’on évalue à 61 le nombre d’évêques négro-africains dont, pour ne prendre que
l’exemple d’une des églises phare de l’Afrique Noire, six Congolais (Malula, alors auxiliaire
de Léopoldville, Nkongolo, évêque de Bakwanga qui deviendra plus tard Mbujimayi, Kuba,
évêque de Mahagi, Ngangu, de Lisala, Nzita, évêque auxiliaire de Matadi et Kimbondo alors

700
V. tableau présenté par MESSINA Jean-Paul., op.cit., 70.
298

auxiliaire de Kisantu mais qui remplacera Mgr Verwimp comme archevêque lorsque ce dernier
démissionne en 1961).

Le concile fut certainement la première occasion donnée à tous les responsables


ecclésiastiques africains de se retrouver ensemble pendant de nombreuses années pour, sur la
base de leurs diverses expériences, parler de leurs églises en fournissant une contribution
proprement africaine qui fasse triompher les conditions particulières de leurs peuples et de leurs
églises et faire tenir compte du contexte socioculturel dans lequel ils évoluent. De fait, tous sont
allés à Rome en exprimant leur profond espoir de voir le concile les « aider à trouver une
pastorale adaptée au monde moderne et accueillante aux valeurs africaines… », la parole qu’ils
allaient porter était d’autant plus forte qu’ils se disaient convaincus que s’ils n’étaient pas ainsi
aidés, « l’Afrique risque de chercher un progrès en dehors du Christ »701.

Mais, il faut reconnaître qu’ils éprouvèrent beaucoup de difficultés, non seulement


parce que les organisateurs du concile avaient tenu à verrouiller ce dernier en faisant diriger
tous les travaux (commissions comme congrégations générales) par des membres de la Curie
avec l’objectif de ne pas laisser déborder ou déraper, mais aussi parce qu’il était évident que si
les Africains allaient en ordre dispersé et parlaient de plusieurs voix discordantes, ils ne
pèseraient d’aucun poids sur les travaux et qu’ils risqueraient de ne pas faire entendre les
attentes des chrétiens africains. Lors de rencontres informelles, une initiative dont l’origine
n’est pas certaine (on cite les évêques Van Cauwelaert d’Inongo au Congo, Zoa de Yaoundé et
Blomjous de Mwanza comme initiateurs)702, germa l’idée d’un cadre de concertation, au sein
de neuf grandes régions, en liaison avec ces régions fut formalisé, le 18 octobre 1962, un
secrétariat épiscopal panafricain703. Ce secrétariat, officieusement connu comme « la
panafricaine épiscopale », fut placé sous la présidence du cardinal Rugambwa, tout
naturellement, par préséance parce qu’il était l’unique cardinal africain ; ce dernier en fut en
même temps le porte-parole tandis que furent également désignés deux secrétaires, Mgr Zoa,
pour le groupe francophone et Mgr Blomjous, pour le groupe anglophone. C. Soetens rapporte
une lettre de Mgr Cauwelaert d’Inongo où il explique que le secrétariat « décidera des
interventions à faire en commun et des contacts à prendre avec les autres épiscopats. Des

701
MESSINA, Jean-Paul., Jean Zoa, prêtre, archevêque de Yaoundé, Paris, Karthala 2000, p. 72.
702
MESSINA Jean-Paul, Evêques africains au concile Vatican II, op.cit., p. 73, voir du même auteur, Jean
Zoa…, op.cit., p. 69.
703
Selon une relation de Mgr Dalmais, archevêque de Fort-Lamy (l’actuelle N’Djamena, au Tchad), rapportée
par PRUDHOMME, Claude, « Les évêques d’Afrique Noir anciennement française et le Concile », loc.cit., pp.
176-177.
299

commissions parallèles conciliaires seront créées avec comme membres un délégué de chaque
groupe. Ils aideront le secrétariat pour prendre les contacts, pour préparer les interventions et
pour informer leurs groupes respectifs sur les problèmes de leur compétence. Avec Mgr
Malula, je prendrai part pour le Congo aux activités de la commission de la liturgie de
l’Afrique »704. Ces rencontres eurent sans doute du succès parce que, en effet, depuis, la
concertation permit aux pères conciliaires africains d’adopter des positions communes sur les
questions importantes, en particulier concernant l’Afrique, et de les faire exprimer par un porte-
parole unique, Mgr Rugambwa intervenant le plus souvent en congrégation générale, les autres
surtout en commissions. Le succès fut tel que des responsables du concile dénoncèrent des
« conciles parallèles » et Mgr Zoa se fit rudement rappeler à l’ordre par le préfet de la
Propagande705. Mais, surtout, plus d’un observateur admirèrent l’organisation des prélats
africains ainsi que leur solidarité dont l’effet « le plus manifeste, le plus opportun fut le
caractère collectif des interventions des Africains à l’Assemblée conciliaire… très vite on
remarqua que, sur les orientations majeures, les prélats africains parlaient au nom de leur 260
collègues ; et tous alors, dans l’Assemblée, de tendre l’oreille »706.

Bien que les évêques aient envoyé séparément et individuellement leurs réponses et
leurs vœux (vota) à Rome, l’organisation imaginée sur place leur permit de se concerter et
d’harmoniser leurs vœux et parfois, comme pour ceux du Congo-Léopoldville, de compiler un
document collectif. Sans ici faire l’histoire du concile ni, même, celle des Africains ou des
Congolais au concile, il y a lieu, même sans avoir pu accéder directement aux vota des
différents groupes, de s’interroger sur les préoccupations et propositions africaines au cours du
concile, de façon à établir l’exacte portée de la contribution africaine au concile eu égard aux
projets et besoins des églises d’Afrique, à partir de ceux qui ont analysé ces documents archivés
au Vatican707. Il ne s’agit pas de tenir une comptabilité ni un palmarès de leurs interventions,
exercice que des chroniques du concile ou certaines études sur le concile pourraient faciliter
sans trop de peine ; il n’est pas non plus nécessaire d’indiquer l’influence « idéologique » des
uns et des autres, ainsi qu’avec de bonnes intentions le fait J.-P. Messina708 qui estime que les
positions des évêques africains pouvaient se regrouper en « progressistes », « conservateurs » et
« prudents ». Mais, il convient de voir quels sont les thèmes qui traversaient ces églises à peine

704
SOETENS, Claude, loc.cit., p. 199.
705
MESSINA, Jean-Paul., Jean Zoa…, op.cit., p.73.
706
CHENU, Marie- Dominique., La Parole de Dieu, t. II., loc.cit., p. 648.
707
Acta et documenta Concilio oecumenico Vaticano II apparando. Consilia et Vota Episcoporum ac
Praelatorum. Series I, vol. II, Pars V : Africa.
708
MESSINA, Jean.-Paul, Les évêques africains au Concile Vatican II (1959-1965). Cas du Cameroun, op.cit.,
p. 26.
300

sorties de la colonisation et à la veille de cesser d’être des églises « de mission » pour voir
ériger leur hiérarchie d’églises particulières. Au niveau des « vœux » en réponse à la
consultation préconciliaire, en interrogeant ceux qui ont suivi de près l’événement, Claude
Prudhomme constate que « L’aspiration la plus commune concerne, sous différentes
formulations, l’assouplissement des contrôles et des contraintes imposées par le centre romain.
Décentralisation au profit des évêques, dans la ligne des décisions prises par la Congrégation
des rites, adaptation aux réalités locales de la liturgie et de la catéchèse, retouches d’un droit
canon parfois inapplicable, telle sont les propositions qui reviennent dans la majorité des
textes »709. Pour sa part, en ce qui concerne plus spécialement les évêques congolais, Claude
Soetens rapporte « comme chez les évêques d’Europe », l’écrasante majorité des sujets abordés
« porte sur des questions de discipline interne à l’Eglise, un certain nombre d’entre elles étant
envisagées sous l’angle de leurs implications pastorales. Quatre ou cinq évêques traitent de
questions théologiques, notamment de la théologie de l’épiscopat et de celle du laïcat. Un
même nombre parle de l’attitude chrétienne à l’égard des problèmes politiques, sociaux,
œcuméniques et culturels (relations Eglise-Etat, paix dans le monde, pauvreté, discrimination
raciale)… ». Mais, Soetens signale également d’autres sujets plus proches de l’adaptation,
notamment dans le domaine de la pastorale et de la liturgie, les vœux y étant essentiellement
exprimés autour de l’usage « des langues vivantes dans la liturgie eucharistique et le rituel des
autres sacrements », ainsi que le « rétablissement du diaconat permanent », affirmant,
paradoxalement, que « Le souci de l’adaptation de l’Eglise à la culture africaine n’inspire
qu’assez peu les vota des évêques de l’Afrique centrale. Il est question de la révision du droit
canon […] On ne trouve aucun écho direct aux requêtes d’ordre culturel exprimées par des
laïcs et un certain nombre de prêtres africains au cours des années précédentes »710. Néanmoins,
on peut expliquer ce peu d’audace dans les propositions innovantes, notamment pour
l’affirmation des cultures africaines et la revendication d’une liturgie réellement adaptée à ces
dernières, par plusieurs raisons. D’une part il y a la prédominance des évêques missionnaires,
généralement sensibles aux questions de la mission et d’ecclésiologie touchant aux relations
entre les ordinaires et la curie, malgré la présence d’un Van Cauwelaert partisan convaincu de
l’adaptation et qui a joué un rôle important au sein de l’épiscopat congolais même lorsque
celui-ci examinait les questions liturgiques. D’autre part, il ne faut pas sous-estimer la relative
prudence des Africains, notamment des évêques de l’Afrique française, très proches de Rome

709
PRUDHOMME, Claude, loc.cit., p. 170.
710
SOETENS, Claude, L’apport des évêques du Congo-Léopoldville (Zaïre), du Rwanda et du Burundi, op.cit.,
pp. 193-194.
301

pour être presque tous passés par la gregoriana ou l’urbaniana711, et soucieux de ne pas
effaroucher la Curie, au point où Mgr Zoa s’était senti obligé de démentir et dénoncer « par
écrit » Van Cauwelaert dont une intervention « musclée » critiquant « les pratiques romaines »,
qu’il jugea certainement trop « polémique », estimant que « le relator n’a pas respecté notre
mission et notre volonté. Nous ne reconnaissons que le passage sur la concélébration ; le reste,
l’introduction et la dernière partie, ne sont pas de nous »712.

En dépit de ce qu’affirme Soetens, on remarque que l’Afrique est d’une certaine


manière préoccupée par la prise en compte de ses valeurs spirituelles et culturelles dans les
nouvelles orientations et décisions, notamment en rapport avec la mission, l’évangélisation, la
pastorale, l’administration de l’Eglise et la liturgie, même si cela n’est pas mis en lumière de
façon explicite dans les vota. Concernant la liturgie, les vœux africains sont essentiellement
axés sur la nécessaire réforme liturgique, autour de la messe et en général l’office divin, le
jeûne, l’abstinence, le calendrier liturgique, les langues liturgiques en souhaitant l’usage des
langues vernaculaires soit dans l’ensemble de la liturgie, soit seulement au cours de la messe et
des sacrements, soit encore uniquement dans certaines parties de la messe comme les chants du
Gloria et du Credo713.
C’est sans surprise que, plus que d’autres Africains, les prélats congolais conçoivent
l’adaptation liturgique comme le préalable au succès de l’évangélisation. De fait, dans la fièvre
des préparatifs du concile, les ordinaires du Congo auront systématisé leurs conceptions,
notamment en liturgie, lors de leur VIe Assemblée plénière de novembre 1961 où ils
détaillaient leurs conceptions sur l’adaptation de la liturgie et de la christianisation et dont il
sera question plus loin714. Mais, en vain, ils essaieront de partager leurs conclusions avec leurs
frères africains au concile, pour en faire une plate-forme commune ; en effet, Claude Soetens
affirme que :
« il semble qu’au cours de l’Assemblée plénière, les évêques proposèrent de tenir une
réunion avec leurs confrères de l’Afrique francophone pour échanger sur leurs
problèmes communs et mieux préparer de cette façon une action concertée au sein du
Concile. Le nonce apostolique au Congo, G. Mojaisky-Perelli, s’opposa à la
proposition, en expliquant qu’une telle initiative ferait injure au Saint-Siège »715.

711
PRUDHOMME Claude, loc.cit., p. 171.
712
Ibid., p. 181.
713
NDONGALA Manduku, Ignace, Pour des Eglises régionales en Afrique, op.cit., p.91.
714
Troisième Partie, chapitre III.II.II.1 L’œuvre prophétique de la VIe Assemblée plénière de l’Episcopat
congolais.
715
SOETENS, Claude, « L’apport du Congo-Léopoldville (Zaïre), du Rwanda et du Burundi au Concile Vatican
II », loc.cit., p. 198.
302

Bernard Olivier confirme cet intérêt des évêques congolais, qui « se sentaient
particulièrement concernés », « qui étaient le groupe le plus nombreux » ; mais ce qui, de leur
part, « était sans doute le plus attendu, c’est une réforme de la liturgie qui la rendît plus proche
et plus accessible aux fidèles de toute culture ». C’est la raison pour laquelle, en préparation des
vota des évêques congolais, avait été sollicité le concours des théologiens de la Faculté de
Théologie de l’Université de Lovanium qui ont travaillé sur des orientations indiquées par des
évêques, comme l’évêque de Kisantu, Mgr Kimbondo, et celui d’Inongo, Mgr Cauwelaert, qui
demandaient que soient repris des éléments de l’initiation africaine, tandis que Mgr Bakole,
alors vice-recteur de l’Université, plaidait pour la fin de « l’ère des missions étrangères pour
ouvrir celle de l’Eglise africaine »716.

Dans le même sens, il convient de relever que les positions exprimées, en particulier
pour la liturgie, mais aussi tout ce qui touche l’évangélisation et la vocation missionnaire de
l’Eglise, se basent sur l’importance des valeurs africaines, sur la valeur de la culture et le
respect qui dû à toutes les cultures dont aucune ne saurait être parfaite ni supérieure aux autres ;
le droit à la différence culturelle est ainsi revendiqué, pour que les méthodes d’évangélisation
ainsi que les expressions liturgiques tiennent compte de la culture des peuples concernés717.
C’est ce que constate également Ignace Ndongala M. quand il dit que « des vœux des évêques
africains se dégage une perception assez précise de la spécificité de la culture africaine. »,
estimant, dans une perspective ecclésiologique, que « commencent à émerger l’exigence de la
reconnaissance de cette spécificité par les Eglises de l’Occident et la nécessité de la remise en
question de la centralisation »718. Il faut signaler ici les réponses de deux évêques missionnaires
du Congo, qui placent ces propositions dans un cadre plus global de l’Eglise universelle, en vue
de restaurer des « chrétientés » distinctes et de véritables familles liturgiques, justifiées par la
reconnaissance de régions culturelles sur la base des « grandes cultures humanistes » du
monde. Le vicaire apostolique du Lac Albert (Bunia), Mgr A. Matthijsen, et celui de Wamba,
Mgr J. Wittebols, suggèrent que, dans le but de véritablement christianiser les cultures
africaines, soit promue une sorte de synthèse philosophique religieuse africaine de manière à
faire apparaître une chrétienté noire (ou bantoue), aux côtés de la chrétienté occidentale
(romano-latine), d’une sino-japonaise (« jaune »), une d’Amérique du Nord, une sémite, une
indienne (hindoue), une slave et une d’Amérique latine ou, que soient reconnues des régions
culturelles. Bien que présentées dans une perspective ecclésiologique sur les structures et les
716
OLIVIER, Bernard, Chroniques congolaises…, op.cit., p. 182.
717
Tel est le sens de la déclaration faite par Mgr Zoa sur les attentes africaines, ainsi que ses interventions à la
commission des Missions telles que rapportées par MESSINA, J.P., Jean Zoa…, op.cit., p. 83
718
NDONGALA Manduku, Ignace, op.cit., p. 92.
303

rapports internes de l’Eglise universelle, ces propositions se transposent facilement en liturgie


où chaque « chrétienté », chaque « grande culture humaniste », devrait comporter une liturgie
propre719.

Ces « audaces » furent écartées des débats mais l’idée de mettre au centre du culte les
valeurs culturelles et le génie propre de chaque peuple revint fortement dans les travaux du
concile. C’est ce que constata Mgr Malula, alors évêque auxiliaire de Léopoldville, dans son
intervention lors de la XIVe congrégation générale du 7 novembre 1962 au nom des évêques de
toute l’Afrique et de Madagascar : « Nous nous réjouissons donc de ce qu’aujourd’hui
l’occasion est donnée aux évêques du monde entier d’approuver le vieux principe de la
diversité dans l’unité et d’exhorter tous les peuples, toutes les nations et cultures – à l’exemple
des mages d’Orient à l’Epiphanie – à offrir au Christ et à l’Eglise ce qu’ils possèdent de
meilleur et de plus beau », justifiant cela par la nécessité d’enraciner le culte chrétien dans la
culture locale. Sa présence au sein de la commission Liturgie était de bon augure, ainsi que cela
se traduira par son influence sur l’Eglise du Congo et sur l’adoption du rite zaïrois, lui qui
expliquait par une image saisissante ses aspirations pour une liturgie adaptée à la culture négro-
africaine :
« En 1961, je faisais partie du groupe de travail qui préparait la constitution sur la
liturgie. Lors d’une des séances, Mgr Bugnini qui dirigeait le groupe de travail, m’a
demandé de chanter dans ma langue l’un des chants cultuels ; quand j’ouvris la bouche
ce fut le Notre Père en lingala qui sortit. Un air de soulagement et surtout d’espérance
se lisait sur les visages des participants, comme pour dire ‘’Voilà un avant-goût de ce à
quoi nos efforts tendent’’. Mes coéquipiers sentaient dans ce Notre Père lingala toute
mon âme qui vibrait : j’habitais pleinement ce que je chantais »720.

Faute de discuter, comme on l’a vu, une plate-forme commune avec les autres
épiscopats africains sur la base des conclusions de leur VIe Assemblée plénière, les évêques
congolais les soumirent en juillet 1962, comme il sied, à la hiérarchie, à travers la Congrégation
des Rites. Ces vœux, neuf sur la messe, six sur le rituel et un sur le diaconat721, reprennent pour
l’essentiel le « directoire pour l’adaptation de l’office divin » adopté lors de cette VIe
Assemblée plénière. Ces propositions sont respectueuses de la structure générale du missel
romain mais se caractérisent par l’usage, sauf pour le canon, des langues populaires notamment

719
NDONGALA Manduku, Ignace, Pour des Eglises régionales…, op.cit., p. 95 ; v. également SOETENS,
Claude, loc.cit., p. 194.
720
Préface à KABASELE LUMBALA, François, Alliance avec le Christ en Afrique. Inculturation des rites
religieux au Zaïre, 1987, p. 13.
721
SOETENS, Claude, « L’apport du Congo-Léopoldville (Zaïre), du Rwanda et du Burundi… », loc.cit. , p.
197.
304

pour les lectures, par les dialogues, par des chants, même du propre, en langues locales et selon
les modes et rythmes africains ; enfin, il fut envisagé que le célébrant soit face au peuple. A ces
adaptations de la messe, le document soumit au dicastère romain ajoutait d’autres vœux en
rapport avec la messe : la possibilité de « dispenser du jeûne eucharistique leurs prêtres qui, les
dimanches et les jours de fêtes d’obligation, doivent célébrer une deuxième ou une troisième
messe, de sorte qu’ils puissent prendre des boissons non alcoolisées » ; « qu’il soit permis
d’utiliser la musique grégorienne pour accompagner les chants liturgiques dont la traduction en
langue vivante a été autorisée » ; « que les membres des ordres qui possèdent un rite latin
particulier suivent le rite romain quand ils célèbrent en public avec la participation du peuple »

Pour rester dans le domaine liturgique, on peut, à coup sûr, avancer que les initiatives
congolaises, endossées par la « panafricaine », eurent de l’effet, et que, de ce point de vue, les
auteurs de la constitution Sacrosanctum Concilium, dont le membre congolais de la
Commission Liturgie, Mgr Malula722, ont largement suivi le document congolais. En effet, un
grand et bon observateur de l’intérieur du concile, le père Chenu, estime que dans le domaine
de la liturgie, « les requêtes des Eglises d’Afrique ont trouvé, par leur aspect même, une
heureuse satisfaction. Plus encore que pour les Occidentaux chez qui demeure malgré tout une
affinité spontanée entre leur culture et les expressions cultuelles de l’Eglise latine, le
problème de la liturgie qui capte et exprime les valeurs originales de l’âme africaine impose
une recherche plus aiguë et plus audacieuse. Il ne s’agit pas seulement de quelques
accommodations marginales, mais bien, dans le respect exprès de la substance des sacrements
de l’Eglise, d’une incarnation effective du mystère chrétien, et tout d’abord de la Parole qui
livre ce mystère. Non pas quelques « adaptations » habiles, mais, à l’intérieur du mystère lui-
même et par la lucidité de la foi, une manière d’invention des puissances obédientielles (des
pierres d’attente) que porte en soi l’âme africaine »723, et Chenu d’écrire qu’en ce qui
concerne l’adaptation « on recourra surtout aux directives et déjà aux décisions de
l’Assemblée plénière de l’épiscopat du Congo-Léopoldville de 1961 », dont il cite d’ailleurs
les Actes724.

722
Mgr Malula s’était adjoint un expert officieux, en la personne de l’abbé Tharcice Tshibangu, théologien..
723
CHENU, Marie-Dominique, La Parole de Dieu…, op.cit., pp. 649-650.
724
Ibid., p. 651.
305

I.II.II La réforme de la liturgie : la Constitution De Liturgia

La commission préconciliaire de liturgie était organisée en treize sous-commissions,


chargées, chacune, de l’un des treize secteurs devant composer le schéma sur la liturgie725.
Celui-ci sortit de la mise en commun des travaux des sous-commissions débattus dans
plusieurs « sessions » de la commission, d’où il acquit les formes et le style particuliers requis
des textes ecclésiastiques et des documents solennels des conciles, avant son adoption le 1er
janvier 1962 par la Commission préconciliaire en plénière. Il était à présenter au Concile par
l’intermédiaire de la Commission centrale présidée par le cardinal Gaetano Cicognani ; celui-
ci ne contresigna le document que le 1er février, quatre jours avant sa mort, semble-t-il à
contrecœur car, comme l’affirme le P. Gy remarque, le président de la commission
préconciliaire « était plutôt effrayé par les nouveautés qu’hostile à celles-ci »726

A l’ouverture officielle des travaux du Concile le jeudi 11 octobre 1962, il fut procédé
à la constitution des Commissions conciliaires, avec l’annonce dès le 20 que le schéma sur la
liturgie serait le premier à être examiné. Le débat sur ce schéma dura du 22 octobre au 13
novembre 1962 ; on remarque que le cardinal Montini, le futur pape, intervenant parmi les
tout premiers dès le 22 octobre, s’engagea vigoureusement en faveur de ce schéma, estimant,
en particulier, que « les cérémonies devraient être une fois encore réduites à une forme plus
simple », « afin de rendre l’héritage liturgique du passé plus évident, plus compréhensible et
plus utile pour les hommes de notre temps.. » Le décès de Jean XXIII survint le 3 juin 1963,
suivi de l’avènement de Paul VI le 21 du même mois, le nouveau Pape allait entreprendre de
réformer de fond en comble la curie.

La liturgie comprend tout ce qui est manifestations et expressions extérieures des


attitudes intérieures des fidèles à l’égard de Dieu par le culte, la prière, les sacrements. C’est
donc elle qui, tout en étant susceptible d’influences culturelles des différents contextes,
notamment marquée par le contexte socioculturel occidental qui domine la catholicité, donne
son cachet à la religion catholique ; c’est le domaine visible et, pour cela, très important, de la
doctrine et de l’activité de l’Eglise. C’est pourquoi la doctrine et la théologie de la liturgie ont
toujours affirmé et consolidé l’unité liturgique au sein de l’Eglise catholique. C’est, sans

725
Mystère de la liturgie, formation liturgique, participation active, langue liturgique, adaptation, messe,
concélébration, sacrements, office divin, musique sacrée, art sacré-vêtements-mobilier, calendrier, et l’année
liturgique ; l’organisation et le fonctionnement de la commission a fait l’objet d’un article du P. Bugnini traduit
dans la Documentation Catholique du 1er avril 1962, col. 435-437.
726
GY, Pierre.-Marie, op.cit., p. 299, et “Celui par qui le scandale et la ruine furent: Annibal Bugnini (1947-
1975), Armmoricus, Pâques 2006, extrait du Sainte-Anne de mai 2006 (Prieuré de Lanvallay).
306

doute, à cause de cette importance « visible » de la liturgie que le premier grand document
adopté et promulgué, dans ce mouvement d’aggiornamento, par Vatican II, est justement la
Constitution de Sancta Liturgia Sacrosanctum Concilium sur la liturgie qui fut adoptée le 4
décembre 1963 par 2147 voix pour et 4 contre (dont celle de Mgr Lefebvre qui dira plus tard
que le Concile Vatican II fut un concile schismatique) ; elle fut promulguée le même jour par
Paul VI.

I.II.II.1 Présentation générale du contenu de la Constitution sur la liturgie

De peur de nous égarer dans les méandres de ce texte complexe, nous nous
contenterons de n’en retenir que les rubriques les plus significatives et les plus représentatives
de l’ampleur des innovations introduites dans la liturgie catholique, notamment dans la messe,
par la constitution conciliaire.

Sacrosanctum Concilium est une « constitution dogmatique », c’est-à-dire que le texte,


outre le programme de réformes qu’il semble être, a avant tout une intention doctrinale
marquée, mettant en exergue le besoin de réforme qui s’était fait sentir au sein de l’Eglise
romaine, motivant par le recours à la bible et à la tradition, les changements à introduire dans
les rituels, le Concile ayant voulu, selon le mot de Paul VI lors de la promulgation de la
constitution, donner à la prière « plus de pureté et d’authenticité », la « rapprocher de ses
sources de vérité et de grâce », et ainsi lui permettre de « devenir le patrimoine spirituel du
peuple chrétien ». On peut dire que tout le programme est dans cette phrase qui donne, à elle
seule, le sens des réformes devant concrétiser les options de la Constitution. Par ailleurs, il
faut remarquer une certaine sensibilité au contexte historique qui semble commander des
mesures relevant de la restauration de l’authentique pureté de la liturgie catholique. Enfin, une
finalité didactique et pastorale, remarquable dans la simplicité générale des rites, la nécessité
d’expliquer aussi bien le texte que les rites non seulement pour qu’ils soient facilement
compris mais aussi pour faciliter la participation active et consciente des fidèles.

Nous ne ferons qu’énoncer les titres si parlants des paragraphes de la Section I (Nature
de la liturgie et son importance dans la vie de l’Eglise) du Chapitre premier (Principes
généraux pour la restauration et le progrès de la liturgie) :

5. L’œuvre de la rédemption accomplie par le Christ


6. L’Église, dans l’exercice de la liturgie, continue l’œuvre de salut
7. Le Christ est présent dans les actions liturgiques
8. La liturgie terrestre, avant-goût de la liturgie céleste
307

9. La liturgie n’est pas toute l’activité de l’Église


10. La liturgie, surtout l’Eucharistie, est source de grâce
11. Coopération nécessaire des fidèles
12. Vie spirituelle personnelle
13. Les exercices non strictement liturgiques

Cette énonciation suffit sans doute pour comprendre qu’à cause de cette importance reconnue
à la liturgie dans la vie des fidèles, « il est nécessaire que les fidèles accèdent à la liturgie » et
« coopèrent à la grâce d’en haut », tandis que les pasteurs « doivent être attentifs à ce que les
fidèles participent à celle-ci de façon consciente, active et fructueuse. ».

L’esprit de cette section sur la nature de l’eucharistie se retrouve dans une présentation
théologique formulée dans l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia727. Mais ce que le profane
peut en comprendre réaffirme la doctrine conciliaire sur la nature de l’eucharistie, notamment
de la messe ; celle-ci y est présentée, à la suite du catéchisme de l’Eglise catholique728,
comme « à la fois et inséparablement le mémorial sacrificiel dans lequel se perpétue le
sacrifice de la Croix, et le banquet sacré de la communion au Corps et au Sang du Seigneur ».
Si par la messe, le sacrifice du Christ « se rend présent », dans la mesure où « le sacrifice du
Christ et le sacrifice de l’Eucharistie sont un unique sacrifice », la messe n’y ajoute rien et
par sa répétition, « Ce qui se répète, c’est la célébration en mémorial, la « manifestation en
mémorial »729.

La Section II tire la conséquence des exigences d’une liturgie « participative », en termes


d’intelligibilité des livres et des rites liturgiques en vue d’une participation « active » ; elle est
donc consacrée à la « Recherche de la formation liturgique et de la participation active », qui
est ainsi motivée :

-« La Mère Église désire beaucoup que tous les fidèles soient amenés à cette
participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques […] ». -Cette
participation pleine et active de tout le peuple est ce qu’on doit viser de toutes ses
forces dans la restauration et la mise en valeur de la liturgie […] c’est pourquoi elle
doit être recherchée avec ardeur par les pasteurs d’âmes, dans toute l’action pastorale,
avec la pédagogie nécessaire. -Mais il n’y a aucun espoir d’obtenir ce résultat, si
d’abord les pasteurs eux-mêmes ne sont pas profondément imprégnés de l’esprit et de
la force de la liturgie […] il est donc très nécessaire qu’on pourvoie en premier lieu à
la formation liturgique du clergé...»730.

727
Encyclique Ecclesia de Eucharistia, de Jean-Paul II,
728
Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 1382.
729
Une doctrine déjà vue dans Mediator Dei de Pie XII.
730
La constitution Sacrosanctum Concilium, § 14.
308

Suivent les paragraphes ci-après qui mettent en œuvre cette philosophie :

14. Nécessité d’une bonne formation liturgique du clergé


15. Formation des professeurs de liturgie
16. Modalités de la formation liturgique du clergé
19. Formation liturgique du peuple par les pasteurs
20. Émissions radiodiffusées et télévisées

Outre cette préoccupation pastorale, la constitution énonce le principe de la réforme :


« Pour que le peuple chrétien obtienne plus sûrement des grâces abondantes dans la liturgie, la
sainte Mère Église veut travailler sérieusement à la restauration générale de la liturgie elle-
même. » (paragr. 21). C’est l’objet de la Section III intitulée « Restauration de la Liturgie ».
En vue de légitimer et de justifier la réforme, la Constitution conciliaire reprend les
motivations de Mediator Dei de Pie XII, reconnaissant le double caractère de la liturgie, divin
et humain, immuable et contingent : « Car celle-ci comporte une partie immuable, celle qui
est d’institution divine, et des parties sujettes au changement qui peuvent varier au cours des
âges ou même le doivent s’il s’y est introduit des éléments qui correspondent mal à la nature
intime de la liturgie elle-même, ou si ces parties sont devenues inadaptées ». Or, justement,
jusqu’aux réformes de Pie X et de Pie XII, la liturgie officielle était restée inchangée depuis le
Concile de Trente, tandis qu’elle s’est éloignée de plus en plus des coutumes et mentalités des
fidèles d’aujourd’hui, qui n’en comprenaient plus la langue et la symbolique731.

Cependant, pour éviter des débordements, la restauration suivra certaines normes,


accompagnées d’instructions en vue de leur mise en œuvre :

a) normes générales (§ 22. Modifier la liturgie relève de la hiérarchie, §23. Progresser


en respectant la tradition, § 24. Promouvoir le goût de la Sainte Écriture, § 25. Réviser les
livres liturgiques) ;
b) normes tirées du caractère hiérarchique et communautaire de la liturgie (§ 27.
Préférer les célébrations communautaires, § 28. Bien remplir sa fonction propre, § 30.
Participation active des fidèles, § 32. Aucune acception des personnes) ;
c) normes tirées du caractère didactique et pastoral de la liturgie (§ 34. Simplicité des
rites, § 35. Lecture de la Sainte Écriture, prédication et catéchèse liturgique, § 36. Langue
liturgique) ;
d) normes pour adapter la liturgie au tempérament et aux conditions des différents
peuples (§ 38. Des adaptations sont admises, § 39. Ces adaptations relèvent de l’autorité
ecclésiastique, § 40. Urgence et difficultés de l’adaptation, surtout dans les missions).

731
Dans ce sens, POUPARD (cardinal) Paul, Le Concile Vatican II, Paris, PUF, 1983, pp. 30 et 31.
309

De façon générale, le Concile se fixe des limites dans cette restauration, car le principe
est que celle-ci « doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment
avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient, et que le peuple chrétien, autant qu’il
est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et
communautaire. » (§ 21, souligné par nous). C’est pourquoi, les instructions sont données, en
vue de l’exécution de la Constitution, ainsi dans la fixation et la présentation des rites, dans le
nouveau rituel de la messe notamment, « on les simplifiera ; on omettra ce qui, au cours des
âges, a été redoublé ou a été ajouté sans grande utilité ;… », mais aussi, pour une restauration
dans ce domaine de la tradition constatée dans les origines des célébrations de la liturgie par
les premiers chrétiens, « on rétablira, selon l’ancienne norme des saints Pères, certaines
choses qui ont disparu sous les atteintes du temps, dans la mesure où cela apparaîtra opportun
ou nécessaire. » (§ 50). Par ailleurs, le Concile endigue les velléités réformatrices de certains,
en décidant que l’autorité de restaurer ou de faire évoluer la liturgie revient à la seule
hiérarchie de l’Eglise, le Pape, les évêques et, dans certaines conditions, les assemblées
épiscopales légitimes et compétentes territorialement, et à personne d’autre, même prêtre.

Enfin, il faut signaler qu’en vue de favoriser le développement de la pastorale


liturgique dont le Concile a souligné l’importance, chaque hiérarchie nationale doit instituer
« une Commission liturgique qui aura le concours d’hommes experts en science liturgique, en
musique sacrée, en art sacré et en pastorale. », chargée de diriger la pastorale liturgique dans
le pays et de « promouvoir les recherches et les expériences nécessaires chaque fois qu’il
s’agira de proposer des adaptations au Siège apostolique. » (§ 44). De même, il y aura une
Commission liturgique dans chaque diocèse « sous la direction de l’évêque » (§ 45).

Le Consilium chargé de préparer l’application de la Constitution Sacrosanctum


Concilium mit cinq ans pour achever son travail à l’issue duquel fut signée, le 3 avril 1969 (le
Jeudi saint, « in Cena Domini »), la Constitution apostolique promulguant le « Missel romain
restauré sur l’ordre du IIe Concile œcuménique du Vatican », la « Constitutio apostolica qua
missale romanum ex decreto concilii oecumenici Vaticani Il instauratum PROMULGATUR. »
En réalité, le texte présenté ainsi comme promulgué le 3 avril 1969 n’interviendra que le 26
mars 1970 par le Décret de la congrégation romaine du culte divin, qui publie l’édition latine
dite « typique » (c’est-à-dire officielle) de la nouvelle messe ; une deuxième édition sera
publiée en 1975. La version officielle faisant universellement autorité est celle révisée sous le
pontificat de Jean-Paul II en 2002 ; mais en 2008 elle n’est disponible en français que dans sa
forme officielle provisoire. Longtemps, on a discuté pour savoir si le Missel de 1969-70
310

remplaçait définitivement celui de Pie V dont l’usage se trouverait ainsi interdit. Paul VI
devait trancher lui-même dans son discours consistorial du 24 mai 1976 dans lequel il dit que
« L’adoption du nouvel Ordo Missae n’est certainement pas laissée à la libre décision des
prêtres ou des fidèles [...] Le nouvel Ordo Missae a été promulgué pour prendre la place de
l’ancien »732.

I.II.II.2 Les points forts de la Constitution

La réforme est marquée par quelques lignes de force destinées à changer l’image mais
aussi la réalité de la messe telle qu’elle s’était dégradée et figée depuis la « réforme »
tridentine. Nous allons revenir avec quelques détails sur certains aspects spécifiques
seulement de la Constitution, à cause de leur importance dans l’œuvre de restauration et des
objectifs recherchés par le Concile à travers les « normes tirées du caractère didactique et
pastoral de la liturgie » (SC, article 34) : a) la Simplicité des rites, b) la participation des
fidèles, à laquelle est liée, c) la question de la langue liturgique et, d) l’adaptation au
tempérament et aux conditions des différents peuples, en insistant sur ceux qui paraissent être
des implications de la nécessaire « adaptation liturgique ». Les références concerneront la
Constitution Sacrosanctum Concilium (SC), la Constitution apostolique (CA) ou le Missel
romain dans son édition de 2002 (MR).

La simplicité des rites

Il faut reconnaître que le cadre architectural, le décorum et le climat des rites de la


liturgie traditionnelle n’étaient pas de nature à favoriser l’intelligibilité de la liturgie par le
peuple ni la participation active et consciente de ce dernier ; quelle que soit l’explication ou la
justification de ces fastes extérieurs, cet inconvénient n’en demeure pas moins, privilégiant les
oripeaux extérieurs au détriment de l’intériorisation d’un message intelligible. Ainsi, Jean-
Paul II a beau argumenter, se référer à l’onction de Béthanie où une femme verse sur la tête de
Jésus un flacon de parfum précieux, ce que les apôtres condamneront comme étant du
gaspillage ( Mt 26, 8; Mc 14, 4; Jn 12, 4), et à « la grande salle » que Jésus recommande à ses
apôtres de préparer minutieusement pour y fêter la Pâque (Mc 14, 15; Lc 22, 12), pour en
conclure que

« De même que les premiers disciples chargés de préparer la ‘’grande salle’’, elle
[l’Eglise] s’est sentie poussée, au cours des siècles et dans la succession des cultures, à

732
Quinze ans de guerre contre la messe, http://www.amdg.asso.fr/formation/format_15ansde
guerre_itinéraire.htm., Extrait de Itinéraires, N° 288 – Décembre 1984.
311

célébrer l’Eucharistie dans un contexte digne d’un si grand Mystère. On comprend que
la foi de l’Église dans le Mystère eucharistique se soit exprimée dans l’histoire non
seulement par la requête d’une attitude intérieure de dévotion, mais aussi par une série
d’expressions extérieures , destinées à souligner la grandeur de l’événement célébré.
De là naît le parcours qui a conduit progressivement à délimiter un statut spécial de
réglementation pour la liturgie eucharistique, dans le respect des diverses traditions
ecclésiales légitimement constituées. Sur cette base s’est aussi développé un riche
patrimoine artistique. L’architecture, la sculpture, la peinture, la musique, en se
laissant orienter par le mystère chrétien, ont trouvé dans l’Eucharistie, directement ou
indirectement, un motif de grande inspiration. »733.

Il n’en reste pas moins vrai que ces fastes ne se concevaient que sur le modèle de ceux
des cours royales, entre seigneurs et loin du peuple, la liturgie étant considérée comme un
cérémonial avec une « étiquette » plus pompeuse encore pour le grand Roi du ciel que pour les
rois terrestres. Face à tant de beauté, de déploiement de lumières et de joyaux, une musique
sublimée à la façon de l’opéra triomphant à cette époque, le peuple, extasié, loin de participer,
ne pouvait qu’admirer, dans un véritable décorum baroque flamboyant avec des sculptures
profanes, bucoliques, animalières, bref, païennes et « entièrement étrangères à la mentalité où
s’étaient originellement développés les rites et les paroles de la liturgie »734. Cet ensemble
cérémoniaire n’avait visiblement rien à voir avec la substance du mystère même si ce dernier
était désigné comme un « banquet », il était sans doute extérieur à la vraie liturgie, mais il est
le témoin de l’influence, réciproque, il est vrai, qu’exerçaient l’une sur l’autre la culture de
l’époque dans les pays chrétiens et la liturgie ; bref, une « inculturation » (mauvaise ?) de la
liturgie. C’était l’une des causes de la désaffection populaire et des critiques acerbes des
Réformés contre la liturgie catholique réduite à ces oripeaux et, au mieux, à une pièce ou un
drame joué sur une luxueuse scène de théâtre.

Dès lors, on comprend, en dépit de ces explications fournies par Jean-Paul II dans son
encyclique, que Vatican II ait voulu rétablir cette simplicité originelle des rites et de la
liturgie, celle avec laquelle Jésus institue l’Eucharistie lors de la dernière Cène, simplicité que
reconnaît Jean-Paul II dans son encyclique735. C’était de même la volonté des successeurs de
Pie XII de débarrasser l’Eglise d’un luxe et de signes extérieurs d’une opulence ostentatoire
jugée par les ennemis de l’Eglise comme contraire à la pauvreté de Jésus et, donc, nuisibles à
l’Eglise catholique. Aussi, a-t-on vu tomber la majestueuse tiare traditionnelle des Papes,
avant que le Concile affirme, pour les rites, le principe dans des termes qui mettent en lumière
la nature didactique et pastorale de la liturgie : « Les rites manifesteront une noble simplicité,

733
Encyclique Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003, (§§ 47- 52), souligné par nous.
734
BOUYER, Louis, La vie de la Liturgie, 1956, pp. 16 et 17.
735
Ecclesia de Eucharistia, § 47.
312

seront d’une brièveté remarquable et éviteront les répétitions inutiles; ils seront adaptés à la
capacité des fidèles et, en général, il n’y aura pas besoin de nombreuses explications pour les
comprendre. »736 .

La participation des fidèles

Les explications sur la structure et le début de la messe mettent en exergue le


changement de perspective : là où le prêtre allait à l’autel dire « sa » messe, avec Vatican II
une vision communautaire prédomine. En effet, « À la Messe, autrement dite la Cène du
Seigneur, le peuple de Dieu est convoqué en corps, sous la présidence du prêtre agissant in
persona Christi, à la célébration du mémorial du Seigneur, ou pour mieux dire au sacrifice »
(SC, § 27). Sans que soit interdite la célébration sans les fidèles, la messe est avant tout
assemblée de la communauté, le rôle du prêtre étant celui de président. La participation active
du peuple doit donc être organisée « de manière systématique et dans une pastorale
concertée », comme précise Mgr H. Jenny, « au plan de la célébration elle-même » et à celui
« du climat liturgique » qui dépend du calendrier de l’Année liturgique, de la qualité du jour
concerné notamment s’agissant du « Jour du Seigneur » et de la nature de la célébration,
grand’messe chantée ou messe lue, etc.737

L’objectif est d’obtenir « que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi comme
des spectateurs étrangers ou muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières,
ils participent consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée, soient formés par la
parole de Dieu, se restaurent à la table du Corps du Seigneur, rendent grâce à Dieu ; … ».
C’était l’un des objets de la réforme liturgique ; c’est la raison pour laquelle, le Concile fixe
un principe directeur, afin d’organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment
avec « plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient », pour que, le peuple les comprenant
mieux, il puisse mieux et plus activement participer.

C’est pourquoi, pour une participation « active », « on favorisera les acclamations du


peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou
gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré. » (n. 30
MR) et que l’ordo devra préciser chaque fois ce que doivent faire les fidèles participant à la
messe (n. 31 MR). Le caractère communautaire, que le missel attache à la nature de la
célébration de la Messe, est une innovation capitale, dont les manifestations sont explicitées

736
SC, article 34.
737
JENNY (Mgr), Henri, Principes généraux de la Constitution, Maison-Dieu n° 76, 1986, pp. 25-26.
313

par le Missel qui cite, parmi les plus importantes, « les dialogues entre le célébrant et les
fidèles rassemblés, ainsi que les acclamations », qui « possèdent une grande valeur », parce
que, plus que de simples signes extérieurs, « ils favorisent et réalisent la communion entre le
prêtre et le peuple. » (n. 34 MR). De plus, ces dialogues et ces acclamations « constituent un
degré de participation active » « pour exprimer clairement et fortifier l’action de toute la
communauté » (MR, n. 35). Il y a ici, sans aucun doute, une habilitation explicite de « la
messe dialoguée », dont nous avons vu qu’elle était depuis longtemps dans les propositions du
Mouvement liturgique que la hiérarchie avait constamment rejetées. Le célébrant est
encouragé à susciter toutes ces formes d’expression de la participation des fidèles : « les
pasteurs doivent être attentifs à ce que dans l’action liturgique, non seulement on observe les
lois d’une célébration valide et licite, mais aussi à ce que les fidèles participent à celle-ci de
façon consciente, active et fructueuse. » (SC, article 11) . Par ailleurs, les attitudes manifestées
par les fidèles au cours de la messe (acclamations, gestes, attitudes du corps) doivent refléter
la communauté et l’unité de cœurs, par leur harmonie ; à cet effet, le missel prescrit :
« L’attitude commune, observée par tous les participants, est un signe de l’unité de la
communauté chrétienne rassemblée pour la sainte Liturgie : en effet, elle exprime et
développe les sentiments et la disposition d’esprit des participants. » (MR, n. 42, souligné par
nous).

On comprend que plusieurs prières soient à présent dites soit par le prêtre mais à haute
et intelligible voix, parce qu’elles intéressent ou concernent l’Eglise et les fidèles, lesquels
sont fondés à les comprendre, soit en alternance ou en dialogue entre le prêtre et les chrétiens,
soit ensemble par le prêtre et les fidèles, ce qui a diminué le nombre des « secrètes » et des
prières simplement murmurées par le célébrant. Alors que la participation du peuple oblige de
préciser et d’ainsi distinguer les rôles et les actes respectifs du prêtre et du peuple, les gestes
proprement sacerdotaux et sacrificiels et ceux d’adhésion et de collaboration des fidèles.

Un autre aspect de la participation peut-être trouvé dans la communion sacramentelle


des fidèles. Or, bien que le Concile de Trente ne l’ait pas interdite, au contraire738, la pratique
s’établit dans plusieurs diocèses de ne pas distribuer la communion au cours de la messe, mais
seulement et presque exclusivement en dehors de la messe, avant ou après : il était en effet

738
De fait, le concile de Trente recommandait que " à chaque messe, les assistants communient non seulement
en esprit, mais aussi par la réception sacramentelle de l’Eucharistie, afin que le fruit de ce sacrifice très saint leur
parvienne plus abondamment " (Sess. XXII, cap. 6)
314

admis dans une certaine conception cléricale d’une eucharistie œuvre du seul prêtre agissant
in persona Christi, qu’il suffisait pour la validité du sacrifice que ce dernier seul
communiât739. A l’inverse, dans une conception communautaire, il ne peut y avoir « repas
commun » de la communauté sans cette participation de tous les fidèles à la communion au
corps du Christ. Aussi, tout en rappelant cette doctrine de l’Eglise et sans doute constatant la
pratique des messes sans communion des fidèles, Pie XII rétablit que « l’Église notre Mère
renouvelle à tous et à chacun de ses fils l’invitation du Christ Notre-Seigneur : « Prenez et
mangez… Faites ceci en mémoire de moi « (I Co XI, 24). » et, rappelant Benoît XIV, dit et
fait connaître que « par la réception de la divine Eucharistie les fidèles participent au sacrifice
lui-même,… »740, afin que, ajoute le Missel de Paul VI, « selon l’ordre du Seigneur, son
Corps et son Sang soient reçus par les fidèles bien préparés comme une nourriture
spirituelle »741 et encore, plus clairement, qu’il est « très souhaitable que les fidèles, comme
le prêtre est tenu de le faire lui-même, reçoivent le Corps du Seigneur avec des Hosties
consacrées à cette même Messe et, dans les cas prévus, qu’ils participent au Calice afin que,
même par ses signes, la communion apparaisse mieux comme une participation au sacrifice
actuellement célébré. »742.

Ainsi, est affirmé le caractère communautaire de la liturgie, avec toutes les


composantes de la communauté à leur place respective : le célébrant doit célébrer, les
« ministres », formés, doivent assister le célébrant en s’acquittant de leurs tâches liturgiques et
rituelles, la schola étant nécessaire ou, tout au moins, utile, pour animer le chant et accentuer
le climat festif de la célébration, le peuple doit participer activement, notamment dans sa
langue (articles 36 pour les prescriptions générales, 54 pour la messe, 63 pour les sacrements),
afin que « dans n’importe quelle action sacrée qui doit s’accomplir avec chant, toute
l’assemblée des fidèles puisse assurer la participation active qui lui revient en propre,
conformément aux articles 28 et 30. » (article 114).

La question de la langue liturgique

Cette question est intimement liée à une problématique générale autour des exigences
didactiques et pastorales qui commandent, spécialement, l’intelligibilité de la liturgie et des
rites, ainsi que la participation active des fidèles, en même temps que, à cause de cela,

739
V. l’analyse critique que fait de cette conception de la liturgie par Louis Bouyer, dans son La vie de la
Liturgie, op.cit., p.14
740
Pie XII, dans son Encyclique Mediator Dei déjà citée et analysée ci-haut.
741
Missel Romain (2002), n. 80-85.
742
Ibid.
315

s’exprime à travers elle la problématique de l’inculturation. Il est donc nécessaire que les
fidèles, en vue de percevoir le sens du sacrifice salvifique auquel ils participent et en
intériorisent la liturgie, comprennent ce qu’ils font et disent ainsi que ce que fait et dit le
prêtre, tout comme le contenu des lectures faites au cours de la célébration. C’est pourquoi il
faut lui consacrer quelques développements. Certes, comme l’avait estimé Pie XII, le latin
comme langue liturgique était « un signe d’unité manifeste et éclatant, et une protection
efficace contre toute corruption de la doctrine originale »743. De fait, avec le latin, tout
catholique pouvait se sentir à l’aise et suivre le culte partout où il se serait trouvé dans le
monde, tout comme il serait difficile de manipuler le latin dans l’évangélisation et faire
circuler des doctrines douteuses. Mais, il n’a jamais été dans l’intention de Pie XII d’affirmer
que le latin puisse jamais être la source ou le fermant de l’unité, mais seulement un signe,
l’unité étant plutôt fondée sur « la foi, le baptême et l’eucharistie » qui construit l’Eglise
autour de sa hiérarchie d’autant plus que le latin n’a jamais été la langue liturgique de
l’ensemble de l’Eglise mais seulement celle d’ « une grande partie de l’Eglise », ainsi que le
reconnaît d’ailleurs l’encyclique744. Cela dit, que vaut une « unité dans la même et regrettable
inintelligibilité »745, face au besoin et à la demande des fidèles de véritablement être partie
prenante et de suivre et participer consciemment et intelligiblement au saint sacrifice ? Avant
Pie XII, le Concile de Trente avait déjà renvoyé ceux qui demandait la permission de l’emploi
de la langue du pays à la doctrine traditionnelle de l’Eglise selon laquelle « le sacrifice
eucharistique est avant tout l’action du Christ lui-même ; par conséquent, son efficacité propre
n’est pas atteinte par la manière dont les fidèles peuvent y participer »746. Pour sa part,
rencontrant sur ce point les analyses et propositions du Mouvement liturgique, Vatican II,
dépassant la simple ouverture acceptée par Mediator Dei en faveur des langues vernaculaires,
va d’abord, dans un usage pastoral de la liturgie, constater que si « L’usage de la langue
latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. », « l’emploi de la langue du
pays peut être souvent très utile pour le peuple » soit dans la Messe, soit dans l’administration
des sacrements, soit dans les autres parties de la liturgie », et qu’ « on pourra donc lui
accorder une plus large place, surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain
nombre de prières et de chants … » (SC, article 36). Plus loin, le Concile renforce cette
option, en particulier « dans les messes célébrées avec concours du peuple, surtout pour les

743
Voir Supra, encyclique Mediator Dei de Pie XX, du 20 novembre 1947.
744
Dans ce sens, NOCENT (Dom), Adrien, L’avenir de la liturgie, Editions Universitaires-Chrétienté Nouvelle,
Paris, 1961, pp. 100 et 101.
745
NOCENT, Adrien .., op.cit., p. 101.
746
Cité par l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia, de Jean-Paul II, en date du 17 avril 2003, sur le site
http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=encyclique_eucharistie
316

lectures et la « prière commune » et recommande de considérer le cas dans lequel « un emploi


plus large de la langue du pays dans la messe semble opportun » (SC, article 54). C’est avec
un grand empressement que ce qui n’était qu’une autorisation n’excluant pas le latin a été
accueilli et, partout, le Saint Siège et les évêques ont permis l’usage des langues vivantes dans
toutes les célébrations liturgiques avec participation du peuple.

A propos de l’abandon du latin et de l’usage des langues locales, il s’en suivit une
forte et malheureuse crise qui provoqua ce qui était pris par l’Eglise elle-même comme un
schisme lorsque, avec quelques prêtres, Mgr Marcel Lefebvre décida de « choisir la
tradition », de rejeter la majeure partie des décisions du Concile Vatican II et de continuer le
rite tridentin exclusivement, avec le seul latin comme langue liturgique, hormis pour le
sermon ou l’homélie. Communément, on considéra de façon erronée cette crise comme
provoquée par le rejet du latin et l’imposition des langues locales. Le débat dont nous avons
fait état sur le motu proprio de Benoît XVI a dissipé ce malentendu ; bien qu’une bonne partie
de gens continuent de parler de « retour » au Concile de Trente, tandis que, en fait, les
partisans de Lefebvre s’en prennent à toute l’œuvre de Vatican II que le prélat contestataire
appelait « concile schismatique ». Bien que ce mouvement ait essaimé dans plusieurs pays, il
n’ pas, à notre connaissance, touché les Eglises africaines tout occupées à l’inculturation qui
était autre chose que le retour en force de la liturgie latine.

La promotion des langues locales comporte une autre implication dont le Concile tire
la conséquence, s’agissant des chants liturgiques. Il réaffirme, c’est vrai, que « L’Église
reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine; c’est donc lui qui,
dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la première place. »
(SC, article 116). Mais, il ajoute que « Le chant religieux populaire sera intelligemment
favorisé, pour que dans les exercices pieux et sacrés, et dans les actions liturgiques elles-
mêmes, conformément aux normes et aux prescriptions des rubriques, les voix des fidèles
puissent se faire entendre. » (article 118). Dans une cinquième « Instruction en vue de la
bonne Application de la Constitution sur la sainte Liturgie du Concile Vatican II », du 20
mars 2001, appelée Liturgiam Authenticam, Jean-Paul II complétant les directives pour
l’usage des langues vernaculaires et la traduction des textes liturgiques latins, indique que
317

seules les langues les plus parlées devraient être utilisées par la Liturgie en évitant
l’introduction de trop nombreux idiomes.747.

Jean-Paul II met en exergue l’importance de l’usage des langues locales, même pour
des missionnaires étrangers :

« Les missionnaires originaires d'autres Eglises et d'autres pays doivent s'insérer dans
le monde socio-culturel de ceux vers lesquels ils sont envoyés, en surmontant les
conditionnements de leur milieu d'origine. C'est ainsi qu'ils doivent apprendre la
langue de la région où ils travaillent, connaître les expressions les plus significatives
de la culture des habitants, et en découvrant les valeurs par l'expérience directe. C'est
seulement grâce à cette connaissance qu'ils pourront livrer aux peuples d'une manière
crédible et fructueuse la connaissance du mystère caché »748

L’adaptation au tempérament et aux conditions des différents peuples, principe


inducteur de l’inculturation

Les circonstances de la naissance et de l’expansion du christianisme témoignent du


rôle qu’ont pu jouer la culture et la mentalité des différentes contrées, des différents et des
différentes époques, en particulier sur les formes prises par le culte liturgique. Nous avons vu,
en particulier, comment la liturgie de Rome a pu l’emporter sur toutes les autres liturgies
occidentales et comment, trempée dans la culture et l’histoire européenne, elle a été exportée
dans les pays de mission charriant avec elle non seulement des aspects de la culture
occidentale mais aussi celle-ci comme vecteur de sa domination. De ce point de vue, le
Concile Vatican II s’ouvre et se déroule à une époque où toutes les terres de mission
s’émancipaient sur le plan politique dans un climat de contestation de cette domination
multiforme. C’est le mérite de l’Eglise d’avoir su lire les signes des temps afin d’adapter les
méthodes de sa mission mais aussi de faire la part des choses et notamment « dans les
domaines qui ne touchent pas la foi ou le bien de toute la communauté », et de ne pas
« imposer la forme rigide d’un libellé unique ». Il est évident que la nature de la liturgie veut
que chacun puisse « pratiquer la liturgie de façon vivante » et que, pour cela, il convient de
« ne pas imposer à la liturgie une culture ou des tendances qui lui sont étrangères »749, alors
que pratiquement jusqu’à la veille du Concile, la liturgie était devenue le produit de la culture
européenne de la période baroque.

747
Selon le résumé qui en est donné par le site internet officiel du Vatican :
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccdds/documents/rc_con_ccdds_doc_20010507_comunicato-
stampa_fr.html
748
Encyclique Missio Redemptoris, du 7 décembre 1990, n° 53.
749
BOUYER, Louis, op.cit., p.20.
318

Le Concile va donc énoncer un vrai retournement. Le principe en est fixé dans la


Constitution Sacrosanctum Concilium elle-même : « L’Eglise, dans les domaines qui ne
touchent pas la foi ou le bien de toute la communauté, ne désire pas, même dans la liturgie,
imposer la forme rigide d’un libellé unique ; bien au contraire, elle cultive les qualités et les
dons des divers peuples et elle les développe… », elle admet « tout ce qui, dans leurs mœurs,
n’est pas indissolublement solidaire de superstitions et d’erreurs, … », « qui plus est, elle
l’admet parfois dans la liturgie elle-même, pourvu que cela s’harmonise avec les principes
d’un véritable et authentique esprit liturgique »750. Le concile admet « les différences
légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples, surtout
dans les missions », « Pourvu que soit sauvegardée l’unité substantielle du rite romain, on
admettra des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des
régions, des peuples, surtout dans les missions, … » et décide qu’il faudra en tenir compte
« pour aménager la structure des rites et établir les rubriques. »751. Pour les pays de mission
spécialement, il est précisé qu’on « considérera avec attention et prudence ce qui, , à partir
des traditions et de la mentalité de chaque peuple, peut opportunément être admis dans le
culte divin. »752.

Nous reviendrons sur ces options qui sont clairement, on le voit, au cœur de
l’inculturation, fil conducteur de notre examen de l’évolution de la liturgie catholique, par
laquelle en réalité le Concile n’a fait que permettre aux peuples extérieurs à l’aire chrétienne
traditionnelle ce que s’étaient reconnu les peuples premiers christianisés du bassin de la
Méditerranée qui avaient intégré le christianisme au point de s’appeler eux-mêmes la
chrétienté.

La logique des options fondamentales du Concile s’est reflétée dans certains autres
changements, « de détail » apparemment, mais si utiles pour correspondre aux exigences de la
nature didactique et pastorale de la liturgie si souvent affirmée. Il en est ainsi quand le prêtre
dit la messe face au peuple. Il a été montré, en effet, que la coutume qui consistait à tourner le
dos au peuple était justifiée par la volonté de prier étant tourné vers l’Orient, vers Jérusalem,
origine de l’eucharistie, qui a fait que toutes les églises furent construites orientées vers l’Est
avec la conséquence que tous ceux qui sont dans l’Eglise pour la messe, prêtre et fidèles,
regardent tous dans la même direction, le prêtre, devant le peuple et lui tournant le dos. Le
caractère fortuit de cette coutume et le fait que, pour plusieurs raisons (exemple, disponibilité

750
SC, article 37.
751
SC, article 38.
752
Ibid., art. 40.
319

de terrains, etc.), il n’était plus possible d’orienter tous les lieux de culte de la même façon,
ont eu comme conséquence qu’elle ne pouvait résister à la volonté de réformation affirmée
par le Concile en particulier, en abandonnant ce qui n’avait été que contingentiel. Il en est
également ainsi du sort réservé à l’autel : le maître-autel, monumental, jadis collé, dans les
édifices orientés Est, au mur du fond pour que l’officiant soit tourné vers l’Orient, avec ses
sculptures et ses ors, ne sied plus à cette nouvelle orientation du célébrant ni favorable à la
participation populaire ; il a donc été remplacé par un meuble plus simple, plus humble,
pouvant être entouré par les concélébrants ou contournés lors des rites d’encensement. Bref,
le Concile a rapproché l’autel considéré comme à la fois table du sacrifice et table du banquet
et tourné le célébrant vers l’assemblée, dans une position de vis-à-vis. Cela pour signifier que
si le ministre préside l’assemblée in persona Christi, on pourrait dire que c’est toute
l’assemblée qui célèbre.
320
321

II

LA LITURGIE DE VATICAN II ET L’ORDO MISSAE

C’est le 3 avril 1969 que le pape Paul VI promulgue le Missel romain (dit « restauré
par décret du IIe Concile du Vatican »), lequel ne sera édité et publié qu’en 1970, en même
temps que le lectionnaire contenant les lectures faites à chaque messe.

II.I L’ESPRIT DU NOUVEAU MISSEL

D’emblée, les Instructions Générales (Institutio Generalis Missalis Romani, IGMR)


qui introduisent le nouveau Missel insistent, pour présenter son esprit et situer l’ampleur des
innovations, sur les différences des circonstances qui avaient présidé à l’élaboration du missel
« tridentin » de 1570 :

« 7. En des temps vraiment difficiles où, sur la nature sacrificielle de la messe, le


sacerdoce ministériel, la présence réelle et permanente du Christ sous les espèces
eucharistiques, la foi catholique avait été mise en danger, il fallait avant tout, pour
saint Pie V, préserver une tradition relativement récente, injustement attaquée, en
introduisant le moins possible de changements dans le rite sacré. Et, à la vérité, le
Missel de 1570 diffère très peu du premier Missel qui ait été imprimé, en 1474, lequel
déjà répète fidèlement le Missel de l´époque d´Innocent III. En outre, les manuscrits
de la Bibliothèque vaticane, s´ils ont servi en certains cas à trouver des leçons
meilleures, n´ont pas permis d´étendre les recherches relatives aux « auteurs anciens et
approuvés » au-delà des commentaires liturgiques du moyen âge. »753.

Il y est rappelé l’article 50 de la Constitution sur la liturgie qui prévoyait que certains
rites « seraient rétablis selon l´ancienne norme des Pères », aujourd’hui mieux connue grâce
aux recherches menées depuis, de même que les anciens sacramentaires romains et
ambrosiens dont les nombreuses éditions critiques, comme les anciens livres liturgiques
hispaniques et gallicans qui ont permis de mettre « au jour quantité de prières, ignorées
jusque-là, d´une grande qualité spirituelle », tandis que « les traditions des premiers siècles,
antérieures à la formation des rites d´Orient et d´Occident, sont d´autant mieux connues
maintenant qu´on a découvert un nombre considérable de documents liturgiques. »

Certes, les doctrines traditionnelles de l’Eglise sont réaffirmées : le caractère


sacrificiel de la messe, « le mystère étonnant de la présence réelle du Seigneur sous les
espèces eucharistiques », la transsubstantiation, « la nature du sacerdoce ministériel, propre au

753
Institutio Generalis, n. 9.
322

prêtre qui, agissant en nom et place du Christ, offre le sacrifice et préside l´assemblée du
peuple saint », tout en mettant «encore dans sa juste lumière une autre réalité de grande
importance : le sacerdoce royal des fidèles, dont le sacrifice spirituel atteint sa consommation
par le ministère des prêtres, en union avec le sacrifice du Christ, unique médiateur »754

Mais, même si, à cause de cette tradition commune de l’Eglise, les Instructions
affirment que les deux missels se complètent « d’une manière heureuse », on peut au contraire
dire qu’à cause de ces nouvelles connaissances plusieurs différences séparent le Missel de
Paul VI de celui de Pie V. En effet, les Instructions Générales n’ont pas pu, pour privilégier
une apparente continuité, dissimuler l’ampleur réelle des changements lorsqu’elles
reconnaissent

« que la « norme des Pères » ne demande pas seulement que l´on conserve la tradition
léguée par nos prédécesseurs immédiats, mais que l´on embrasse et que l´on examine
de plus haut tout le passé de l´Église et toutes les manières dont la foi unique s´est
manifestée dans des formes de culture humaine et profane aussi différentes que celles
qui ont été en vigueur chez les Sémites, les Grecs, les Latins. Cette enquête plus vaste
nous permet de voir comment l´Esprit Saint accorde au peuple de Dieu une
merveilleuse fidélité pour conserver l´immuable dépôt de la foi à travers la diversité
considérable des prières et des rites. »755

Ces changements, par lesquels le Concile Vatican II « marque donc à son tour une étape de
grande importance dans la tradition liturgique », se justifient parfaitement, car, comme
l’affirme l’Institutio Generalis,

« Lorsque les Pères du IIe concile du Vatican ont répété les affirmations dogmatiques
du concile de Trente, ils ont parlé à une époque bien différente de la vie du monde;
c´est pourquoi, dans le domaine pastoral, ils ont pu apporter des suggestions et des
conseils que l´on ne pouvait même pas prévoir quatre siècles auparavant. »756 ;

et dans la mesure où, si

« Le concile de Trente avait déjà reconnu la grande valeur catéchétique impliquée


dans la célébration de la messe; [mais] il ne pouvait en tirer toutes les conséquences
pratiques. »757.

Compte tenu de tout cela, en plus des modifications de principe examinées au


paragraphe précédent, le nouveau missel comporte de nombreuses innovations dans
l’ordonnancement de la messe.

754
Institutio Generalis Missali Romani, §§ 2-5.
755
Ibid., § 9.
756
Ibid., § 10.
757
Institutio Generalis, § 11.
323

II.II LA STRUCTURE DE LA MESSE

II.II.I Les rites d’entrée

Ils sont conçus dans le même esprit que dans les temps anciens, afin de rassembler en
peuple célébrant les fidèles qui viennent à la messe. C’est pourquoi les documents relatifs à
l’ordo missae (la description de la Liturgie de la messe et la Présentation générale)
commencent par « Quand le peuple est rassemblé… », l’IGMR indiquant que : « A la messe
ou Cène du Seigneur, le peuple de Dieu est convoqué et rassemblé, sous la présidence du
prêtre, qui représente la personne du Christ, pour célébrer le mémorial du Seigneur, ou
sacrifice eucharistique ». Le sens, ici comme jadis, est que le peuple sort de la dispersion de la
vie quotidienne pour une assemblée constituée pour le culte. Ces rites sont considérés comme
ouverture, introduction et préparation de la messe qui comporte « deux parties: la liturgie de
la parole et la liturgie eucharistique » « si étroitement liées qu´elles forment un seul acte de
culte », tandis que d’autres rites, après la liturgie eucharistique, en sont la conclusion.

L’entrée se compose
- d’un chant d’entrée
- de la salutation
- de la préparation pénitentielle, nouveauté introduite là où le célébrant, seul, disait son
confiteor, pour y faire participer le peuple qui confesse
- du Gloria in excelsis, systématiquement chanté ou lu le dimanche, les jours de fête et de
solennités mais, parce que festif, il n’intervient qu’en dehors de l’Avent et du Carême ;
- de la Collecte, désormais une seule à chaque messe, selon des formules très variées mais se
terminant toujours par la conclusion trinitaire.

II.II.II La liturgie de la Parole

Nous avons vu l’importance accordée, dès ses débuts, par la liturgie chrétienne à la
proclamation de la Parole de Dieu, annonce et prédication au cours des célébrations avaient
été remarquées ci-devant. De même le fait que cette importance a considérablement été
réduite, non seulement à cause de l’introduction de rites et autres pièces de la célébration qui
n’avaient qu’un lien lointain avec l’objet de la célébration eucharistique, mais aussi du fait de
l’ignorance par la foule, y compris par bon nombre de clercs du Moyen Age, de la langue
liturgique (le latin) dans laquelle, quand elle était prévue, avait lieu la lecture de la Parole. Il y
eut des périodes où il n’y avait plus d’homélie au cours de la messe.
324

La veille du Concile Vatican II, des liturgistes suggéraient que ce dernier ait à cœur de
réhabiliter les lectures, face à la désuétude dans laquelle la proclamation de la Parole était
tombée ; qu’on se souvienne des regrets d’Yves Congar devant l’effacement de la Parole,
même à l’ouverture solennelle du Concile, au profit des fastes cérémoniaires. Des souhaits se
manifestaient pour retrouver l’importance des lectures et que le choix rapproche l’Ancien
Testament et le Nouveau Testament autour de mêmes thèmes et que soient conçus deux ou
trois cycles de lectures de manière que les fidèles reçoivent une formation aussi complète que
possible des Ecritures. De même, on trouve le souci d’un avertissement préalable au moment
où vont commencer les lectures pour attirer l’attention des fidèles sur l’importance de ce qui
va se passer. Il fut également proposé de rétablir les grandes prières de l’Eglise, ces prières
des fidèles qui avaient disparu. Certaines de ces propositions vont inspirer la réorganisation
de la liturgie de la Parole par le Concile.

La liturgie de la Parole est rehaussée et sa singularité soulignée par la constitution


Sacrosanctum Concilium qui la met en évidence comme partie intégrante de la messe et non
sa préparation, parce que c’est le Seigneur « qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes
Écritures. » (n. 7), insistant pour que soit manifestée « clairement l’union intime du rite et de
la parole dans la liturgie ». La constitution soulignera que l’« on restaurera une lecture de la
Sainte Écriture plus abondante, plus variée et mieux adaptée. » (art. 35). Le Missel fixe à deux
le nombre de lectures avant l’évangile les dimanches et aux différentes solennités, étant
entendu que l’évangile est lu par un diacre ou un autre prêtre ou, encore, s’il est seul, par ce
dernier lui-même. Un seul psaume responsorial suit la première lecture, tandis qu’on chante
l’alléluia entre la deuxième lecture et l’évangile, pendant la procession qui conduit à l’ambon
où sera lu l’évangile.

La constitution prescrit qu’une rubrique soit prévue pour l’homélie (« Le moment le


plus approprié pour le sermon, …, sera marqué dans les rubriques », art. 35/2). Déjà, le 25
janvier 1964, soit un an après la promulgation de la Constitution sur la liturgie, le Motu
proprio Sacram liturgiam décide l’obligation de faire une homélie à la messe dominicale,
appliquant l’option de la constitution Sacrosanctum Concilium qui la recommande fortement
comme « faisant partie de la liturgie elle-même », précisant que « bien plus, aux messes
célébrées avec concours du peuple les dimanches et jours de fête de précepte, on ne l’omettra
que pour un motif grave. » (art. 52) tandis qu’on «accomplira très fidèlement et exactement le
ministère de la prédication. » (art. 35).
325

Le Missel de Paul VI fait figurer la profession de foi dans la liturgie de la Parole, qui
n’est chantée ou lue, en sa forme traditionnelle du credo, que le dimanche et aux solennités, la
profession baptismale ou celle de la veillée pascale en tient lieu lors de l’administration du
baptême ou le samedi saint.

La question du choix des lectures et de la confection du lectionnaire suit en règle


générale une ligne de compromis entre des thèmes relatifs au mystère célébré le jour et un
souci d’une lecture continue. En effet, on s’efforce de lire la majeure partie des évangiles en
étendant la lecture sur trois ans, en année A (l’évangile de Matthieu), année B (Marc) et année
C (Luc), tandis que pour l’évangile de Jean, certains de ses chapitres complètent les lectures
de l’année B consacrée à l’évangile de Marc, plus court, et, pour le reste, il est surtout lu
pendant le Carême et pendant le temps pascal (les cinquante jours jusqu’à la Pentecôte).
Quant aux deux lectures qui précèdent l’évangile, la première est généralement tirée de
l’Ancien Testament, avec un passage qui s’accorde au thème de l’évangile du jour ou, dans le
temps pascal, des Actes des Apôtres ; la deuxième est tirée de l’Apocalypse et des Epîtres
(Apocalypse, Pierre et Jean aux temps pascal, Jacques et Paul le reste de l’année)758.

La prière universelle est une rubrique qui figure dans la liturgie de la Parole. L’histoire
de la liturgie ancienne nous a appris que cette intercession avait disparu dans le cadre des
réformes grégoriennes du VIe siècle (supra) ; la Présentation générale (Institutio generalis)
du Missel de 1970 prescrit que « le peuple exerce la fonction sacerdotale en priant pour tous
les hommes ».

Ainsi, la structure de la liturgie de la Parole se présente de la manière suivante :

Monitions d’introduction
Première lecture (habituellement un passage de l’Ancien testament),
Psaume responsorial ou répons graduel,
Seconde lecture,
Séquence,
Alléluia ou Trait,
Acclamation de l’Evangile,
Lecture de l’Evangile,
Homélie,
Profession de foi,
Prière universelle.

758
CABIE, Robert ., op.cit., p. 124.
326

II.II.III La liturgie eucharistique

Elle est introduite par la « préparation des dons ». Cette formule a été préférée à
« offertoire » qui pouvait entraîner une confusion comme s’il y avait déjà ici un sacrifice,
celui des hommes, alors que le vrai sacrifice, celui unique du Christ, s’opère à la
consécration ; c’est donc par erreur ou par simple habitude que l’on continue de parler
d’offertoire. Tous les gestes et prières anciens, qui anticipaient la prière eucharistique ou le
canon, ont été supprimés ; le rite se réduit à apporter les espèces, jusque là posées sur une
crédence au fond de l’église ou à côté de l’autel, qui sont déposées sur l’autel, tandis que le
célébrant les présente à Dieu [« Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce
pain… (…ce vin)…»]. Dans la présentation de la messe notamment dans ses évolutions du
Moyen Age, nous avons vu le célébrant demander la prière des ministres par le « Orate,
fratres », tandis qu’avec Vatican II, c’est toute l’assemblée qu’il invite à entrer dans l’action
eucharistique (« Prions ensemble au moment… »). Vient enfin la prière sur les offrandes.

Le rite se poursuit par « la grande prière », la Prière eucharistique, centre de toute la


liturgie, à laquelle habituellement on assimile le canon. Alors que dans l’ancienne liturgie
romaine, la prière du canon était unique, le Missel de Vatican II (Paul VI) en ajoute trois
autres. Il y a ainsi quatre Prières eucharistiques (P.E.) disponibles pour le célébrant qui, dans
les moments ordinaires, choisit selon les circonstances ou événements, même si bien souvent
l’ordo impose telle prière ou telle autre selon les jours, les fêtes et solennités. A l’ancienne
prière romaine (devenue P.E. I), s’ajoutent la P.E. II, dont nous avons vu qu’elle était
largement une adaptation du formulaire dont rend compte la Tradition apostolique, (supra,
notes 176 et 178), ensuite la P.E. III qui est une toute nouvelle composition de Paul VI et la
P.E. IV qui est l’une des innovations que Vatican II, dans cette volonté de puiser aux sources
apostoliques et patristiques, a tirées des anaphores orientales.

Les paroles de l’institution sont désormais précédées par une épiclèse dont la première
partie a exposé l’origine et l’histoire [la Tradition apostolique et les anaphores orientales,
(voir supra, première partie) mais qui manquait à la liturgie romaine]. Autre innovation, ces
paroles ont été rédigées un peu différemment que celles de l’ancien canon romain, appliquant
la même rédaction aux quatre P.E., modifiant ainsi celle qu’aurait dû conserver la P.E. I : à
« Ceci est mon corps » est ajouté « livré pour vous », reprenant ainsi les évangiles
(notamment Lc 22, 19) ; « Chaque fois que vous ferez cela… » est remplacé par « Faites ceci
en mémoire de moi » considéré comme plus proche des Ecritures (notamment Lc 22, 19 et I
327

Co 11, 24). Enfin, dans l’ancienne formule, il s’était glissé, au milieu de ces paroles
d’institution, une expression qui ne se rattachait à aucun de leurs éléments, –Mystère de la foi,
Mysterium fidei »-, le Missel Paul VI l’en a détachée pour en faire l’introduction de
l’acclamation poussée par les fidèles avant l’anamnèse quand, après la consécration, le
célébrant énonce : « Il est grand le mystère de la foi » ou tout autre variante.

La structure des rites de la Prière eucharistique est la suivante :

Préparation des dons,


Prière sur les dons ou sur les offrandes,
Préface
Sanctus
Prières eucharistiques
Début du canon
Consécration
Suite du canon et doxologie

II.II.IV La Communion

- Pater ou Oraison dominicale : chanté ou dit par toute l’assemblée, il se prolonge, après le
« Mais délivre-nous du mal » par une prière qui, à la différence de l’ancien ordo, ne fait plus
mention des saints et se termine par une évocation eschatologique « en cette vie où nous
espérons (ou attendons) le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ notre
Sauveur », conclu, comme fin du Pater, par une acclamation des fidèles (Car, c’est à toi
qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire, Pour les siècles des siècles, Amen),
adaptée de la doxologie contenue dans la Didachè « Car c’est à toi la puissance et la gloire
pour les siècles ! » (supra, première partie).
- Rite de la paix. Réservé dans la liturgie tridentine aux ministres lorsqu’après le Domine Jesu
Christe… (Seigneur Jésus-Christ, vous qui avez dit à vos apôtres, je vous laisse la paix…) qui
était l’une des apologies privées du célébrant, ce dernier disait au ministre Pax tecum, ce
dernier répondant Et cum spiritu tuo. Le rite de paix rejoint la pratique antique pour redevenir
un rite de l’assemblée (supra, première partie), le prêtre disant cette prière en mettant les
pronoms au pluriel et s’adressant à toute l’assemblée « Pax domini sit semper vobiscum »
(Que la paix du Seigneur soit avec vous), réponse Et cum spiritu tuo (Et avec votre esprit). Le
diacre ou le prêtre invite le peuple à se donner un signe de paix, dont la forme sera adaptée
aux traditions culturelles et sociales locales.
328

- Fraction du pain. Le concile l’ayant conçue comme une « parfaite participation à la messe
qui consiste en ce que les fidèles, après la communion du prêtre, reçoivent le corps du
Seigneur avec des pains consacrés à ce même sacrifice » (SC, n° 55), il lui fait retrouver sa
portée d’origine en tant qu’elle signifie que la foule nombreuse va communier à l’unique pain
ainsi rompu en plusieurs morceaux, portée qu’elle avait perdue avec les multiples fioritures
médiévales alors que le célébrant était le seul à communier (supra). C’est pendant la fraction
du pain qu’est entonné, dit ou chanté, l’Agnus Dei.
- Distribution de la communion. Elle a récupéré le caractère systématique dans la mesure où
tous les fidèles (en ordre) sont invités à communier. Les traditionnelles apologies personnelles
du célébrant et des ministres (le confiteor et le Dominus, non sum dignus…), deviennent
collectives et les fidèles disent « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir… », après une
adaptation d’un verset de l’Apocalypse (Ap. 19, 9), proclamée par le célébrant « Heureux les
invités au repas du Seigneur ». La distribution est faite par le prêtre, les autres ministres et, si
besoin, par des laïcs. La constitution conciliaire sur la liturgie restaure en certaines
circonstances la communion aux deux espèces et chacun peut, s’il le désire, recevoir, comme
dans l’antique pratique, le Corps du Christ dans la main, avec la formule du prêtre « le corps
du Christ », « le sang du Christ », à laquelle il répond par une adhésion personnelle « Amen ».
Un temps de silence avec, parfois, un chant de louange ou d’action de grâces, précède
l’Oraison de postcommunion.

II.II.V Les rites de Conclusion et le renvoi ont été simplifiés : il n’y a plus tous les
ajouts médiévaux qui étaient introduits dans les missels de 1470 et de 1570, notamment le
« dernier évangile » et les prières qui le suivaient Ils se limitent aux Annonces, à la
Salutation et Bénédiction finale, suivies du Renvoi.
329

III

LA DEUXIEME INCULTURATION, SOURCE MEDIATE DES


RITES AFRICAINS : LEGITIMATION D’UNE DEMARCHE
Les circonstances de l’importation et de l’implantation du christianisme en Afrique
démontrent à suffisance que l’Eglise africaine en général et l’Eglise congolaise en particulier
fut et est encore largement une église marquée par la colonisation, profitant de cette dernière
pour répandre l’évangile et, grâce à celui-ci, aplanissant les chemins de la domination
européenne. La théologie missionnaire considérait qu’il fallait coûte que coûte convertir les
peuples africains, pour leur salut, en leur faisant abandonner leurs croyances et religions
traditionnelles ainsi que leurs pratiques cultuelles pour leur imposer la nouvelle foi, la
nouvelle religion et le nouveau culte chrétiens. D’où, la lutte acharnée menée contre les
religions locales, procédant à la destruction des cultures autochtones759 considérées comme
incapables de recevoir la nouvelle religion tandis que les pratiques cultuelles africaines ne
pouvaient servir de véhicules pour et de servir de véhicule pour une liturgie transcendante
comme la liturgie catholique.

Parallèlement, les Eglises africaines ont par des arguments positifs, facilités par les
directives du Concile sur l’inculturation, justifié pourquoi cette opération est utile ou doit
avoir lieu, qu’est-ce qui l’exige. Elles l’ont fait en partant du constat qu’une opération de
« nationalisation » de la liturgie s’avère utile pour chaque peuple, dans la mesure où la
liturgie, en organisant le culte que le peuple, la communauté, rend à son Dieu, est une
« réaction de la communauté touchée par la grâce » et où, donc, « cette réaction sera italienne
en Italie, française en France, … », africaine en Afrique, congolaise au Congo760. Ce faisant,
la « réaction » de la communauté humaine, n’est pas qu’humaine, mais se déroulant autour
des mystères chrétiens, elle ne devra pas non plus n’être que chrétienne ; comme le dit Mgr
Sanon, le « sens de l’Incarnation » c’est que « il faut tenir indissociablement les deux ». De
fait, les mystères chrétiens se vivent dans un contexte culturel et des croyances du peuple
concerné tel qu’il est « situé », ils doivent « indissociablement » faire corps avec ces derniers
tandis qu’ils doivent également les imprégner : c’est ce qui s’est imposé comme le contenu

759
KABASELE LUMBALA, François, « Processus d’élaboration d’une église au Zaïre, Chances réciproques
d’une rencontre », Concilium, n° 251, 1994, pp. 74-75.
760
SANON (Mgr), Anselme-Titianma, « L’africanisation de la liturgie », conférence de l’évêque de Bobo-
Dioulasso à la Session de liturgie de Bombouaka (Togo), La Maison-Dieu, n° 123, 1975, pp. 108-125,
spécialemeent p. 112.
330

d’un concept rendu par le néologisme de « inculturation ». C’est, en effet, cette démarche
qu’a suivie l’Eglise universelle en vue de, comme nous l’avons vu, adopter les « normes pour
adapter la liturgie au tempérament et aux conditions des différents peuples », ainsi que nous
l’avons vu se faire dès les premiers siècles du christianisme (I). Certes, l’inculturation n’est
pas un phénomène africain ni d’origine africaine, car même si la conceptualisation théorique
du phénomène n’était point encore réalisée, il existait incontestablement, comme on l’a vu,
dès les premiers siècles du christianisme et de l’Eglise, comme exigence de la « mission »
assignée à l’Eglise. Mais, il est vrai qu’après sa reconnaissance après Vatican II, L’Afrique
s’en empara l’Eglise du Congo fut parmi les premières à réaliser l’inculturation et,
certainement, celle qui, en Afrique, poussa le plus loin les recherches sur l’inculturation
(III.II), à l’origine du renouveau qui a affecté les autres domaines de la vie ecclésiale messe.

III.I. POSITION DU PROBLEME : INCULTURATION ET UNIVERSALITE DE


L’EGLISE

Parti d’Orient, le christianisme va s’étendre à l’Occident, s’y implanter, s’y


« inculturer » au point de devenir pratiquement une religion ou, la religion, européenne et
occidentale. De fait, selon A. Shorter, « le christianisme est une religion historique et
l’inculturation fait partie de l’histoire de l’Église. Comme ‘produits dérivés’ de ce processus
historique, il y a une certaine accumulation d’éléments culturels, en commençant par les
cultures de la Bible et en passant par la longue liste des inculturations successives. J’appelle
cette accumulation ‘le patrimoine culturel de l’Église »761

Ainsi, arrivées en même temps que le colonisateur occidental, la religion catholique et


sa liturgie, servies par ces théologies missionnaires, ont pu paraître comme « les choses des
Blancs » plaquées sur les Noirs, au mieux, un badigeonnage aux couleurs africaines ; le Dieu
chrétien lui-même, Jésus, les anges, tous les personnages bibliques et tous les saints étant
considérés comme des Blancs et représentés sous les traits des Blancs par l’iconographie
officielle. La liturgie, cette fête des peuples, organisée et se déroulant en une langue
européenne, faisait de la participation des Africains un exercice de mime sans âme ni
expression des mystères sacrés dont ils ne comprenaient ni le sens ni la portée, sauf ce que
leur en disait le missionnaire, alors qu’ils étaient censés, par cette liturgie, rendre eux-mêmes
ou eux aussi un culte à Dieu. A la différence des expériences essayées en Extrême-Orient,
sauf, l’admission des Noirs au sacerdoce, aucune tentative n’avait été faite, même au nom de

761
SHORTER, Aylward, L’inculturation dans le christianisme des religions traditionnelles africaines –
Jusqu’où?, Le Petit Echo, 2007/10..
331

la théologie de l’adaptation, d’adapter la liturgie aux cultures et aux expressions et pratiques


cultuelles africaines, rien qui pût faire introduire dans la liturgie chrétienne des éléments des
cultures africaines, tandis que l’accession à la parole de Dieu, rendue impossible par la langue
de la liturgie et des livres saints, passait, difficilement, par l’intermédiation du prêtre.

Il n’est pas faux d’affirmer qu’il fallait plus qu’une simple initiation pour saisir la
signification profonde et le sens de la liturgie de l’Eglise latine, non seulement à cause de la
langue liturgique qu’était le latin, mais aussi pour toute la symbolique des instruments et des
gestes liturgiques empruntée aux diverses cultures et traditions orientales et occidentales. De
fait, alors que toute personne pouvait comprendre le culte protestant, dépouillé et exécuté dans
les langues vernaculaires, la liturgie catholique avait de quoi laisser l’impression de quelque
cérémonie ésotérique à laquelle, sans en saisir le sens, on était invité à être des spectateurs
silencieux.

Ce dont il devenait question, c’est de mettre en lumière la quintessence du


christianisme et de son message, en les débarrassant de ce qui ne se comprenait que comme
« occidental » afin que certains éléments des cultures des autres peuples participent, eux aussi,
à ce que Shorter appelle le « patrimoine culturel de l’Eglise », gage de son universalité.

Ainsi, certes, dans la rénovation sentie comme nécessaire et urgente par le Concile
Vatican II, les options conciliaires ont, donc, ouvert les portes à des réformes touchant à la
langue, aux formes d’expression gestuelles et vestimentaires, au déroulement du rite lui-même
et, alors que l’Eglise s’employait à rendre leurs responsabilités aux fidèles, à la participation
plus active et consciente des fidèles à la célébration liturgique. Mais, aussi, par ces options, le
Concile lançait un concept non encore nommé, qui allait, intégrant en principe les cultures de
peuples que le christianisme rencontre, donner à l’Eglise africaine le visage qu’on lui connaît
aujourd’hui, dont la liturgie, enrichie des cultures de speuples africains, surprend, étonne ou
déconcerte plus d’un observateur. Les effets sont tellement importants mais, surtout, on se
rend compte que, ce faisant, les Africains n’ont fait que mettre en œuvre les options
conciliaires, rejoignant l’inculturation qui a existé dans les premiers siècles du christianisme ;
cela justifie que soit examiné ce phénomène d’inculturation qui, né du dedans même de
l’Eglise, a pu permettre la réalisation en Afrique de la diversité et du pluralisme liturgiques.

Le terme est ignoré par les dictionnaires généraux, s’il se trouve bien dans
dictionnaires spécialisés comme le Dictionnaire critique de théologie dès sa première
332

édition762. Ce dernier le définit comme, en général, « rapport adéquat entre la foi et toute
personne [ou toute communauté] humaine en situation socioculturelle particulière ». Si l’on
reconnaît au missiologue belge Pierre Charles la paternité du vocable, Eugène Lapointe
estime que ce fut par erreur, car il n’a plus jamais utilisé ce mot et ne revendique pas l’avoir
inventé763. Mais, le substantif inculturation allait s’imposer et connaître un véritable essor,
depuis que le jésuite J. Masson avait écrit que « Aujourd’hui, … l’exigence se fait plus urgente
d’un catholicisme inculturé d’une façon polymorphe. Jamais sans doute autant que de nos jours, les
grands groupes culturels de l’humanité n’ont senti, apprécié et voulu défendre leur originalité
culturelle, leur sol avec ses caractères propres, leur langue, leur art, leur symbolique, leur étiquette,
leur vue générale de la vie, leur «way of life» à l’américaine, leur svadharma indien, leur
Weltanschauung ou leur négritude, jadis honteuse, mais maintenant brandie comme un fier
drapeau»764. Notamment, lorsqu’il fut utilisé pour la première fois à la 32e Congrégation de la
Société de Jésus de décembre 1974 à avril 1975 et que le père Pedro Arrupe, général des
Jésuites du temps, en fit accepter l’introduction au Synode romain des évêques de 1977 sur la
catéchèse765. L’inculturation met l’accent sur la situation locale, sur la naissance d’une Église
locale et particulière. L’Église une et universelle ne trouve son existence que dans les Églises
particulières ; il va ainsi de soi que l’agent premier de l’inculturation est le peuple qui reçoit
l’Évangile et l’assimile par l’action, avec le concours de ses pasteurs membres d’un clergé
appartenant à cette même culture, et non point le missionnaire.

Si ce n’est que depuis Vatican II que l’on développe des théories et des études sur
l’inculturation, il faut constater que « la chose » était déjà concrètement à l’œuvre, sans
encore « le mot » ; elle s’était même imposée comme une nécessité pour la propagation de
l’évangile, au point où l’on peut considérer que « toute démarche de foi, toute intelligence et
expérience de la foi est en définitive une question d’inculturation »766. Dans la première partie
de ce travail, nous avons vu que, dans l’apparition même du christianisme, qui s’était
immergé dans le contexte culturel et cultuel juif, s’était déjà opérée l’inculturation. Parce que,
comme dit le Concile Vatican II, « dès le début de son histoire, (l’Eglise) elle a toujours
appris à exprimer le message du Christ en se servant des concepts et des langues des divers
peuples »767. Dans ce sens, exigence de la foi, l’inculturation est également un phénomène

762
LACOSTE, Jean-Yves (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF 1ère édition, 1998, 1ère édition
PUF/Quadrige, 2002.
763
LAPOINTE, Eugène, « L’inculturation », Dictionnaire des valeurs oblates, http://www.omiworld.org,
764
MASSON, Jean-Louis, L’Église ouverte sur le monde, Nouvelle Revue Théologique, 84 (1962), p. 1038.
765
Intervention publiée sous le titre «Catéchèse et inculturation» dans Lumen Vitæ, 37 (1977), p. 445-450 et
également dans ARRUPE, Pedro, s. j., L’espérance ne trompe pas, Paris, Le Centurion, 1981, p. 161-173.
766
Ibid.
767
Gaudium et Spes, § 44.
333

ancien qui demeure permanent, on a pu ainsi comprendre que le fait que christianisme et
Occident aient été si assimilés l’un à l’autre dans l’histoire traduit la réalité de l’inculturation.
Il semble même qu’avant l’introduction du vocable dans le langage courant de l’Eglise, il
avait déjà été utilisé, Yves Congar affirme qu’il avait déjà été employé au Japon dans le sens
plus profond de « planter le germe de la foi dans une culture et l’y faire se déployer,
s’exprimer selon les ressources et le génie de cette culture »768. Car, Dieu aime ses créatures
dans leur différence, dans leur altérité et dans leurs cultures particulières.

Comme dit le père Pedro Arrupe, l’inculturation « est un dialogue permanent entre la
Parole de Dieu et les multiples manières qu’ont les hommes de s’exprimer »769, c’est

« une incarnation de la vie et du message du christ dans une aire culturelle concrète, en
sorte que non seulement cette expérience s’exprime avec les éléments de la culture en
question…, mais encore que cette même expérience se transforme en un principe
d’inspiration, à la fois norme et force d’unification, qui transforme et recrée cette
culture, étant aussi à l’origine d’une ‘’nouvelle création’’ »770.

Aylward Shorter rend la même idée en disant que « Un des résultats majeurs de
l’inculturation est qu’une culture est transformée par la foi et que la culture en question
devient partie prenante de l’Église, Corps mystique du Christ. »771 Ainsi, le christianisme
pourra-t-il prendre en compte « l’autre », ni juif, ni grec, comme disait l’apôtre Paul, mais
aussi ni occidental, ni non-occidental, car, l’évangile a une vocation « catholique »,
universelle, pour appartenir à tous, juifs et grecs. Pour cela, il doit prendre des distances avec
les figures historiques qu’il a revêtues dans le passé : inculturé dès les origines du message de
son fondateur, partant des catégories mentales et logiques sémites vers les cultures greco-
latines et méditerranéennes, le christianisme a démontré sa transculturalité et peut,
aujourd’hui, emprunter les véhicules culturels des autres peuples sans pour autant trahir le
Message. D’ailleurs, sans trop forcer les réalités de l’histoire du christianisme, on peut dire
que son succès est, au moins en partie, dû à cette capacité qu’il a eu de s’adapter aux
différentes cultures qu’il a approchées, de les pénétrer, d’en adopter certaines formes, valeurs
et expressions, et, les considérant parfois comme des pierres d’attente, des rampes de
lancement, de les utiliser pour atteindre plus en profondeur les masses, pas seulement en
surface. Par cette voie, le christianisme a donc pu se faire accepter par les peuples de cultures
différentes de celles des contrées de sa naissance et de son essor ; en cela il justifie son
768
Cité dans Dictionnaire critique de théologie, op.cit.
769
ARRUPE, Pedro, « Catéchèse et inculturation » dans Lumen Vitæ, 37 (1977), op. cit., p.448.
770
ARRUPE, Pedro, « Lettre sur l’inculturation », Ecrits pour évangéliser, DDB-Bellarmin, Paris, 1985, pp.
169-170.
771
SHORTER, Aylward, L’inculturation dans le christianisme des valeurs religieuses traditionnelles africaines –
Jusqu’où ?, Le Petit Echo, 2007/10, pp. 169-170.
334

« universalité ». De fait, ainsi que le conseillait M.-D. Chenu, pour l’Eglise, il y avait
« urgence », expliquant que « comme le disait Pie XI à propos du cas semblable de l’Inde,
l’Eglise est imparfaite dans la mesure où elle n’assume pas les richesses natives de peuples
entiers »772.

III.II L’INCULTURATION, UN DROIT REVENDIQUE

L’inculturation revient à libérer le Christianisme de la domination d’une seule culture,


afin qu’il puisse s’exprimer dans et par toutes les cultures. Cette vision était celle de Grégoire
le Grand qui la prescrivait pour l’Angleterre, elle fut plus fortement encore inscrite par la
Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi dans son décret de 1659 à propos des « rites
chinois ». Ce décret pouvait ainsi à juste titre se présenter comme la « charte de la mission »,
car plusieurs souverains pontifes en développeront les différents aspects et implications, en
particulier pour inciter les missionnaires à former un clergé local ; il aurait pu ainsi
s’appliquer à la « mission d’Afrique ». Au moins pour favoriser une nécessaire « adaptation »,
Pie XII s’était fait remarquer sur ce point en parlant de la « supranationalité » de l’Eglise,
« mère de toutes les nations et de tous les peuples… et par conséquent elle n’est ni ne peut
être étrangère en aucun endroit », précisant le principe de « sauvegarder le caractère, les
traditions et les coutumes indigènes dans la mesure où ils sont conciliables avec la foi de
Dieu », le missionnaire n’ayant pas « mission de transplanter la civilisation proprement
européenne dans les pays de mission, mais bien de disposer les peuples qui jouissent parfois
d’une culture millénaire à accueillir et à s’assimiler les éléments de vie et de mœurs
chrétiennes qui doivent s’harmoniser naturellement et sans difficulté avec toute civilisation
saine, et qui confèrent à celle-ci la parfaite capacité et la forme d’assurer et de garantir la
dignité et le bonheur de l’homme. Les catholiques indigènes doivent être réellement des
membres de la famille divine et citoyens du royaume de Dieu, sans pour cela cesser de
demeurer en même temps des citoyens de leur patrie terrestre »773. Cette insistance de la
hiérarchie montre bien que, cinq siècles durant, l’Eglise de la « mission d’Afrique » n’avait
fait que « transplanter la civilisation européenne » et garantir sa domination. Venant à peine
de secouer le joug colonial, l’église d’Afrique se sentit motivée et poussée par les options du
concile pour son émancipation pour « inculturer » un christianisme sans scories occidentales
(I), s’appuyant pour cela sur une théologie renouvelée (II).

772
CHENU, Marie-Dominique, La Parole de Dieu, t. II : L’évangélisation dans le temps, op.cit., p. 650.
773
Pie XII, radio-message de Noël 1945 (24 décembre 1945) et adresse aux membres des Conseils des Œuvres
Pontificales Missionnaires, 24 juin, 1944, cité par MULAGO, Vincent, « Evangélisation et authenticité dans
l’enseignement du magistère », in Aspects du catholicisme au Zaïre, Centre d’Etudes des Religions Africaines
vol. 14, n° 27-28, Faculté de théologie de Kinshasa, 1981, pp. 15-16.
335

II.II.I L’Afrique s’empare de l’inculturation

C’est poser la question dans les mêmes termes que jadis pour la Chine : Comment
faire en sorte que les Africains, devenant bons catholiques ne cessent pas d’être de bons
Africains, fidèles aux cultures ancestrales ? Peut-on être catholique et continuer de respecter
les coutumes, croyances et pratiques ancestrales ? Or, de ce point de vue, les méthodes
d’évangélisation de l’Eglise coloniale, essentiellement d’implantation, parfois forcée, ne
faisaient aucun cas des cultures africaines et n’ont pas hésité à balayer les résistances de
toutes formes et de tous ordres que pouvaient entretenir les indigènes, jusque dans la force
qu’ils pouvaient trouver dans leur culture et leurs valeurs de civilisation. Aussi, diverses
expressions culturelles, – danses, instruments de musique comme le tam-tam, amulettes,
religions et cultes traditionnels --, furent-elles décrétées incompatibles non seulement avec le
christianisme mais aussi avec la « civilisation » et les indigènes obligés, lors de leur
« conversion », de renoncer à leur culture, dont les différents héritages ancestraux étaient
considérés comme sataniques, brûlés ou pillés par les colons pour alimenter des collections
privées ou des musées coloniaux. Dans la mesure où, de cette manière, nombre d’Africains
ont été déçus du christianisme tel qu’il leur avait été imposé et qu’ils l’ont appris ou vécu dans
la culture occidentale, l’inculturation devient une recherche de dépaysés, de perdus et de
frustrés, pour qu’enfin ils puissent vivre un christianisme enraciné dans leur culture, leurs
coutumes et leurs traditions. Elle devient, par là, un lieu de reconnaissance, celle de la valeur
des richesses culturelles des peuples africains qui, à la suite de l’agression culturelle
occidentale et leur « acculturation » par l’aliénation culturelle, doutaient de cette valeur et,
qui, espérant dans l’évangile, désiraient ardemment vivre la Bonne Nouvelle dans leur culture.
C’est que, comme, tout en faisant une lecture critique des critiques africaines de la mission,
est bien obligé de le remarquer I. Ndongala Maduku, « En introduisant en Afrique des
éléments de sa civilisation : langue, sciences et techniques, urbanisation, organisation
étatique, économique et politique, théologie de la révélation, l’Europe occidentale n’a pas
manqué d’influer sur la proposition chrétienne de la Bonne Nouvelle ». Et le même auteur de
conclure que les théologiens africains ayant désiré se réapproprier la mission, « L’histoire
montre la différence entre le projet missionnaire occidental et sa reprise par les Africains »774

C’est pourquoi, au-delà des allures de revendication qu’elle va avoir dans certaines de
ses expressions, cette recherche africaine a pour objet essentiel le recours aux richesses
culturelles africaines comme moyens d’évangélisation et possibilités d’expression liturgique

774
NDONGALA MADUKU, Ignace, Pour des Eglises régionales en Afrique, Paris, Karthala, 1999, pp. 14-15.
336

et de témoignage de l’Evangile reçu. Oscar Bimwenyi l’exprime si clairement : « En Afrique,


inculturation signifie une démarche qui permettrait au message de Jésus-Christ d’être, enfin,
réellement accueilli par l’Africain en-quête-de-plénitude ; un Africain bien situé dans son
univers socio-culturel propre, et non plus un déplacé, un arraché à son propre milieu, cette
amputation étant requise comme préalable à l’évangélisation »775. C’est que, dans une certaine
mesure, l’évangélisation à la faveur et avec les moyens de la colonisation n’avait touché que
de l’extérieur les masses par une mince pellicule de christianisme, sans réussir à faire pousser
le christianisme dans les âmes. On le constate, entre autres, par l’éclectisme ou le syncrétisme
des pratiques, combinant, pas seulement chez les masses rurales peu occidentalisées,
christianisme et religions et cultes traditionnels, magies, diverses formes d’ésotérisme
« moderne », superstitions et fétichisme. Il n’est pas rare de voir les mêmes personnes
fréquenter l’église et sacrifier aux mânes des ancêtres, consulter le « nganga », féticheur qui
guérit ou protège par toutes sortes de gri-gri, porter croix au cou et amulette en bandoulière ou
aux hanches, se faire délivrer par « l’autorité du Nom de Jésus » et, malgré tout, aller
consulter le « nganga » exorciste, fabriquer un fétiche en invoquant l’évangile et Jésus ; tout
cela sans y trouver aucune contradiction. Déjà, les missionnaires de l’ancien royaume Kongo
avaient déploré les dispositions dans lesquelles les noirs reçoivent les sacrements : tout en
étant mariés [dans le langage missionnaire cela signifie mariés religieusement], ils
n’abandonnent pas leurs anciennes concubines ni ne cessent d’en chercher de nouvelles », il
en est, à plus forte raison, de même pour les pratiques fétichistes qui ponctuent toute la vie
traditionnelle. La chronique ajoute que « les habitants se font volontiers baptiser, ils le font
uniquement pour pouvoir s’appeler Dom et pour ne pas être tenus pour des païens. Pourtant
ils désirent recevoir le baptême sans se donner trop de peine et que le prêtre vienne le leur
administrer dans leur libata »776. Les circonstances du baptême du roi Nzinga a Nkuwu
expliquent peut-être les raisons pour lesquelles certains chefs traditionnels kongo avaient
réclamé le baptême. D’abord tous les nobles et conseillers du roi voulaient faire comme lui,
certains lui avaient même demandé l’honneur d’être baptisés en même temps que lui, le roi
leur répondant qu’ils seront baptisés après la reine et son fils 777 ; ici, le mimétisme avait joué,
sans qu’il y ait toujours véritable volonté de conversion. Ensuite, on avait attaché au baptême
un caractère utilitaire superstitieux ; en effet, lors de la cérémonie de l’enlèvement du bandeau
de baptême du roi, deux nobles qui avaient été baptisés, vinrent raconter les rêves qu’ils

775
BIMWENYI Kweshi, Oscar, « Inculturation en Afrique et attitude des agents de l’évangélisation », in Aspects
du catholicisme au Zaïre, Centre d’Etudes des Religions Africaines, Faculté de théologie catholique de
Kinshasa, Vol. 14, n° 27-28, 1981,p. 47.
776
BONTINCK, François, Diaire congolais (1690-1701)…, op.cit., p. 79.
777
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo…, op.cit., p. 79.
337

disaient avoir faits. L’un, Dom Jorge, raconta qu’il a vu une très belle dame qui lui a ordonné
de dire au roi que « nous sommes devenus invincibles. Je me sentis tant de courage et de force
que j’étais prêt à me battre contre cent hommes ». Le second, Dom Diogo, dit la même chose
mais ajouta qu’en sortant le matin de sa maison il a trouvé un objet semblable à celui que les
Pères avaient quand ils nous baptisaient, une croix », cette croix fut gardée dans la maison qui
servait de chapelle et honorée « comme un objet miraculeux »778. Il faut préciser que ces
choses étaient dites par deux personnes qui étaient Nsaku, représentants du culte des ancêtres,
principaux personnages après le roi, ils étaient intermédiaires entre la population et les
ancêtres et recevaient de ces derniers les réponses aux nécessités sociales qu’ils leur
exposent ; leur témoignage eut un effet extraordinaire et le peuple, « fort enclin à prendre pour
des réalités indubitables les songes », « fut plus que jamais désireux de recevoir le
baptême »779 Ces songes n’allaient-ils pas être confirmés par les missionnaires qui dirent, un
mois après ces événements, le 4 juin 1491, le jour même du baptême de la reine qui deviendra
Eléonore et de son fils Mvemba Nzinga (Don Afonso) au roi kongo Nzinga a Nkuwu, qui
recevait des mains de Rui de Sousa de la part de João II de Portugal une bannière armée d’une
croix que « par la vertu de ce signe salutaire des armées avaient vaincu des ennemis
supérieurs en nombre » ?780 Les exploits miraculeux de Dom Afonso au nom de la foi avaient
également alléché les nobles dans l’espoir de voir se multiplier leur force et se renforcer leur
pouvoir, tandis que leur « conversion », avec une foi ne reposant pas sur un minimum de
formation religieuse, était superficielle et, comme disait le père Fra de Luca, « pour se
montrer ».

Dans ce sens et à cause de cela, à partir d’une certaine époque l’inculturation devint
non seulement un besoin revendiqué par les Africains mais aussi une nécessité ressentie par la
hiérarchie de l’Eglise. Dans cette logique, on peut dire que les théologiens africains, bien
avant Vatican II, déjà en 1956, à travers ce constat de l’abbé Vincent Mulago, la question de
l’inculturation en constatant cette sorte d’échec de l’œuvre missionnaire : « Qui n’a jamais
rencontré de ces cas vraiment décevants : un tel qui a été vingt, trente ans durant, un excellent
chrétien, voilà que soudain il retourne aux pratiques de ses ancêtres. Hypocrisie ? Peut-être !
Telle brave chrétienne ne peut se passer de certains rites qu’elle sait néanmoins défendus [par
exemple certains rites d’accouchement ou de maternité]. Menaces et raisonnements peuvent
lui arracher des promesses mais à la prochaine venue d’un bébé au monde, par exemple, elle

778
BONTINCK, François, Diaire congolais…, p. 81.
779
CUVELIER, Jean, L’ancien royaume de Congo…, p. 81.
780
Ibid., p. 82
338

retournera à ses ‘’superstitions’’ »781. Un constat identique est fait par le père Meinrad Hebga
dans son excellent ouvrage sur l’émergence des églises particulières en Afrique, lorsqu’il y
parle de ces Africains soi-disant évolués, modernes, se rendant allègrement chez les
guérisseurs et les marabouts et autres devins « pour retrouver la santé, la chance ou damer le
pion à un adversaire qui peut être un collègue », jusqu’à des pasteurs et prêtres, religieux et
religieuses, croyant à la sorcellerie et à la magie ou y recourant eux-mêmes782. Dans son style
à lui, Oscar Bimwenyi le constate de son côté :

« Mais, lorsque vous êtes venus, que vous avez évangélisé, vous vous êtes trouvés en
présence du ‘’culte’’ hypertrophié des « ancêtres », d’histoires de « sorcellerie »,
d’histoires de ‘’fétiches’’, devant lesquelles vous avez été obligés de prendre certaines
attitudes. Vous avez vilipendé, vous avez tenté d’exorciser et, apparemment, vous
n’avez pas réussi. Car, voilà que cela continue. Les gens se sont laissés baptiser, mais
ils ont continué, à part eux, à séjourner dans le voisinage de leurs ancêtres, à leur offrir
de temps en temps une poule bien préparée… Le matin à la messe, le soir chez le
devin, amulettes en poche et scapulaire au cou, tenant ainsi les deux bouts de la corde,
ils croient se ménager les meilleures chances en réunissant autour d’eux tous les atouts
possibles.»783.

Prosper Abega s’en prend, lui aussi, à cette « dichotomie héritée d’une certaine
évangélisation ». Il l’explique par le fait que :

« En Afrique cette dichotomie n’a pas été définie en termes de juxtaposition comme
ailleurs. Elle est définie en termes d’opposition et de lutte. En effet, le missionnaire
ayant traité de démoniaque notre religion traditionnelle et notre arsenal culturel et
symbolique, chaque fois que le chrétien africain revient à sa religion, il fait
essentiellement ce qui est mal aux yeux du christianisme qu’on lui a appris. Mais en
fait, il continue à recourir, dans sa vie réelle, aux rites et symboles traditionnels. Il
existe donc un conflit permanent entre les valeurs humaines héritées de nos ancêtres et
une certaine vision chrétienne de l’évangélisation »784

Il n’est sans doute, dès lors, plus surprenant que, bien avant que le Concile Vatican II
ait ouvert ses travaux, la VIème Assemblée plénière de l’épiscopat congolais (20 novembre –
3 décembre 1961), avec le souci d’incarner le message chrétien, ait abordé des thèmes,
analyses et propositions de réformes qu’on retrouvera, largement repris, plus tard dans les

781
MULAGO, Vincent, « Nécessité de l’adaptation missionnaire chez les Bantu du Congo », in SANTEDI
KINKUPU, Léonard, BISSAINTHE, Gérard et HEBGA, Meinhard (présentation), Des prêtres noirs
s’interrogent. Cinquante ans après…, Paris, Karthala et Présence Africaine, 2006, pp. 21-22.
782
HEBGA, Meinhard, Emancipation d’une église sous tutelle, Paris, Présence Africaine, 1976, p. 55.
783
BIMWENYI Kweshi, Oscar, « L’inculturation en Afrique… », loc.cit., p. 56. Ce texte de l’Abbé Bimwenyi
est une transcription d’une communication, « parlée », lors d’une conférence donnée aux prêtres, religieux et
religieuses du doyenné de Lubumbashi le 20 décembre 1979.
784
ABEGA, Prosper, « La liturgie camerounaise », in Médiations africaines du sacré – Célébrations créatrices
et langage religieux, Actes du IIIe Colloque international du CERA, Kinshasa, 16-22 février 1986, Numéro
spécial Cahiers des Religions Africaines Vol. XX-XXI, n. 39-42, 1986-1987, Faculté de Théologie Catholique
de Kinshasa, 1987, p. 522.
339

documents conciliaires. Le fait demeure largement ignoré que, déjà, les ordinaires du Congo
abordaient la nécessité d’une telle opération, sans doute instruits par l’expérience notamment
la constatation du syncrétisme des pratiques de nombre de chrétiens africains. Avant le mot,
les ordinaires du Congo en avaient déjà identifié la substance et affirmaient que

« Pour donner la vie aux hommes, le Fils de Dieu assume leur vie. Pour proclamer la
Parole, il adopte leur langage. Pour leur communiquer l’Esprit, il s’incorpore à
l’humanité, il se fait solidaire de la condition humaine… Comme le Christ s’est
incarné dans la race juive, Il veut, par Son Eglise, s’insérer dans chaque peuple,
chaque génération, chaque civilisation, pour les assumer et les consacrer au Père.
Ainsi, la Bonne Nouvelle devra pour chacun être accessible dans sa langue et sa
pensée, s’exprimer dans son art et s’accorder à sa mentalité. Ce devoir d’engagement
oblige l’Eglise à rechercher les modes de pensée et d’expression propre au peuple
congolais pour aboutir à une adaptation réelle de l’expression religieuse au génie
africain : culte, liturgie, prédication et organisation, architecture et art religieux, vie
monastique et manifestations sociales de la vie religieuse doivent trouver leur
formulation propre, pour que le christianisme s’intègre à la culture et offre au peuple
congolais un visage familier et des traits dans lesquels il se retrouve. »785.

Dans ce sens, l’inculturation ne traduit pas l’enfermement sur soi-même mais, au contraire,
l’ouverture sur et l’accueil de l’autre, de l’étranger. A la différence de l’Europe où le mot fut
représenté par aggiornamento, l’Eglise faisant dialoguer son passé et son présent pour adapter celui-là
à celui-ci dans une sorte de « dialogue intraculturel », en Afrique, l’inculturation traduit, dans une
relation « interculturelle », le dialogue avec l’autre, l’étranger, lorsqu’il ne vient pas comme une
menace qu’on repousse ou qu’on fait disparaître, mais comme un ami, un allié ou, encore, un hôte
paisible et même contributeur « aux questionnements fondamentaux de la communauté » qu’on
accueille et à qui on dit « reste avec nous » ; tel le Christ, qui apporte la bonne nouvelle du salut, qui
agit à l’intérieur de la culture locale786.

Lors de son voyage à Kampala (29-31 juillet 1969), Paul VI s’adressa à la première réunion du
Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), qui se créa
à cette occasion, et leur dit : « Africains, vous êtes désormais vos propres missionnaires […]
mais, une question qui demeure très vive et suscite beaucoup de discussions se présente à
votre œuvre évangélisatrice, celle de l’adaptation de l’Evangile, de l’Eglise, à la culture
africaine ». Certes, 1°) « Votre Eglise doit être catholique, fondée sur le patrimoine
identique… de la même doctrine du Christ, professée par la tradition authentique et autorisée
par l’unique et véritable Eglise ». Mais, 2°) « l’expression, le langage, la façon de manifester
l’unique foi peut être multiple et par conséquent originale, conforme à la langue, au style, au

785
« Actes de la VIème Assemblée plénière de l’épiscopat congolais (20 novembre - 3 décembre 1961) », Eglise
et Société, op. cit., p. 71.
786
V. dans ce sens, BIMWENYI Kweshi Oscar, « Inculturation en Afrique… », loc.cit., pp.48-55
340

tempérament, au génie, à la culture de qui professe cette unique foi. Sous cet aspect, un
pluralisme est légitime, même souhaitable. C’est ce qu’exprime, par exemple, la réforme
liturgique. En ce sens, Vous pouvez et vous devez avoir un christianisme africain »787. Cette
exhortation s’éclaire par l’affirmation décisive faite lors de la réunion du clergé diocésain de
Kinshasa, le 26 novembre 1973 par l’archevêque de Kinshasa, le Cardinal Malula, selon
laquelle « Hier, les missionnaires étrangers ont christianisé l’Afrique ; aujourd’hui, les Négro-
africains vont africaniser le christianisme », elle contient tout un programme de
renouvellement des méthodes d’évangélisation et de la manière de vivre le christianisme dans
lequel va s’engager l’Eglise du Congo pour affirmer son « africanité ».

Le constat d’un bilan contrasté a été fait par le Synode des évêques de 1974 où les
évêques et les théologiens africains ont recensé toutes les questions les plus urgentes pour
l’Eglise en Afrique, dominées par la nécessité de l’incarnation du message chrétien en
Afrique788. C’est le sens de l’intervention générale présentée au nom de 26 conférences
épiscopales dont les rapports sont synthétisés par Mgr J. Sangu, évêque de Mbeya et président
de la conférence épiscopale de Tanzanie. Il dresse le bilan de l’évangélisation, à partir
d’enquêtes sociologiques, présentant une relecture de l’histoire de l’évangélisation en
Afrique, ainsi que le sens qu’elle doit y avoir, la situation actuelle de l’évangélisation à travers
les expériences des Eglises africaines, etc. La démarche débouche sur la nécessité d’une
« réappropriation » de l’évangélisation par les africains, son africanisation qui implique un
minimum d’autonomie789. Tel est également le sens du propos de Mgr François Kabangu wa
Mutela, évêque de Luebo (Congo-Kinshasa) pour qui, sur la base de valeurs culturelles,
l’évangélisation « doit viser à épanouir pleinement les valeurs de la personnalité africaine et
de son identité à manifester la force libératrice de l’Evangile vis-à-vis de l’oppression sous
toutes ses formes : rendre les Africains responsables de leur évangélisation et de leur
promotion intégrale »790 Globalement, les pères synodaux africains estiment que l’évangile
doit s’incarner, s’incorporer dans le peuple et sa culture; il s’agit d’une incarnation continue,
non pas tellement de l’Église qui s’étend et grandit que d’une Église nouvelle qui naît, une
Eglise locale. Ainsi que le disait encore le Cardinal Malula, l’Eglise missionnaire « ne pouvait

787
Documentation. Catholique nº 1548, 1969, pp. 764 et 765
788
MARTY (card), François (présentation), L’Eglise des cinq continents. Principaux textes du Synode des
évêques, Paris, Ed. du Centurion, 1975.
789
Pour l’intervention de Mgr Sangu, voir L’Eglise des cinq continents. Bilan et perspectives de l’évangélisation.
Principaux textes du synode des évêques, Paris, Le Centurion, 1975, pp.48-61.
790
Documentation Catholique, novembre 1974, p. 975. On trouvera également dans la DC de novembre 1974 les
interventions de plusieurs évêques africains, Yago, Malula, Duval, Biayenda, Anguillé, Aggey, etc.
341

que développer une foi désincarnée chez lez fidèles pris entre deux mondes »791 Pour les
évêques africains, qui y sont intervenus de manière très significative avec leur concept
d’«incarnation», annonçant déjà l’inculturation sans utiliser le terme, celle-ci est une nouvelle
vision missionnaire.

Il faut entendre par inculturation, en Afrique, le fait d’introduire l’Evangile dans la


culture et dans l’agir des Africains ; de sorte que, ainsi, l’Africain se convainque et s’assure
que sa culture, hier en quelque sorte culpabilisée comme « païenne » et soumise, est
aujourd’hui reconnue, acceptée, légitimée et affirmée comme pouvant accueillir et véhiculer
l’Evangile à l’instar de toutes les autres cultures et qu’à l’instar de ces dernières, elle
revendique d’être dite chrétienne. Par et avec elle, l’annonce de l’Evangile va s’adapter aux
langues, symboles, rites et à la vision du monde des peuples africains et pénétrer leurs
cultures, facilitant par là l’accueil et l’intériorisation du Message. Comme le figure si joliment
P. Abega, depuis le grand apôtre missionnaire qu’est Paul, « l’Evangile est comme un grand
instrument de musique polyvalent. Sur cet instrument chaque peuple est appelé à venir jouer
pour l’Eternel un hymne de louange, dans sa propre gamme. Sans effacer toutes les notes de
l’instrument, chaque peuple n’utilise de fait que certaines notes »792.

Bien qu’elle soit, ainsi, devenue une réalité dans l’Eglise, il a fallu attendre pour voir
l’inculturation, qui n’est nulle part énoncée comme telle dans les textes conciliaires, recevoir
une reconnaissance officielle. D’abord, dans l’encyclique Slavorum Apostoli, à propos de
Cyrille et Méthode, chez qui le pape trouve « un modèle de ce que l'on appelle aujourd'hui
« l'inculturation »’ : l'incarnation de l'Evangile dans les cultures autochtones, et en même
temps l'introduction de ces cultures dans la vie de l'Eglise. »793. Ensuite et surtout, dans
l’Encyclique Missio Redemptoris (La Mission du Rédempteur), que Jean-Paul II publiera en
1990, le pape donne plusieurs précisions :

« En exerçant son activité missionnaire parmi les peuples, l'Eglise entre en contact
avec différentes cultures et se trouve engagée dans le processus d'inculturation […] il
ne s'agit pas d'une simple adaptation extérieure, car l'inculturation ’’signifie une intime
transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le
christianisme, et l'enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines’’
[…] Par l'inculturation, l'Eglise incarne l'Evangile dans les diverses cultures et, en

791
MALULA (card.) Joseph-Albert, L’Eglise de Dieu qui est à Kinshasa vous parle, Kinshasa, Ed. Saint Paul
Afrique, 1976, p. 9.
792
ABEGA, Prosper., « La liturgie camerounaise », in Méditations africaines du sacré, Actes du IIIe Colloque
international du CERA, 16-22 février 1986, N° spécial Cahiers des Religions Africaines, Vol. XX-XXI, n° 39-
42, 1986-1987, Faculté de théologie de Kinshasa, 1987, p. 519.
793
Slavorum Apostoli, 2 juin 1985, § 21.
342

même temps, elle introduit les peuples avec leurs cultures dans sa propre communauté
; elle leur transmet ses valeurs, en assumant ce qu'il y a de bon dans ces cultures et en
les renouvelant de l'intérieur. »794

Par l’Exhortation Apostolique Ecclesia in Africa, signée le 14 septembre 1995 par le


Pape lors de la clôture du Synode des Evêques africains à Yaoundé le Synode souligne
« l’importance particulière pour l’évangélisation de l’inculturation ou processus par lequel ‘la
catéchèse s’incarne dans les différentes cultures’. L’inculturation comprend une double dimension :
d’une part ‘’une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le
christianisme‘’ et, d’autre part, ‘’l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures‘’. Le
Synode considère l’inculturation comme une priorité et une urgence dans la vie des Églises
particulières pour un enracinement réel de l’Évangile en Afrique, ‘’une exigence de l’évangélisation‘’,
‘’un cheminement vers une pleine évangélisation‘’, l’un des enjeux majeurs pour l’Église dans le
continent à l’approche du troisième millénaire »795. Pour le Synode, comme le Verbe se faisant
chair et habitant parmi les hommes, l’incarnation du Verbe étant ainsi « une incarnation dans
une culture », l’inculturation est l’insertion du message évangélique dans les cultures796. Le
Synode recommande « aux évêques et aux Conférences épiscopales de tenir compte que
l’inculturation englobe tous les domaines de la vie de l’Église et de l’évangélisation :
théologie, liturgie, vie et structure de l’Église. Tout ceci souligne le besoin d’une recherche
dans le domaine des cultures africaines en toute leur complexité ».

III.II.II L’inculturation et la théologie africaine

L’inculturation s’appuie sur une jeune, mais solide, recherche théologique, autour du
concept et des objets d’une « théologie africaine ». Une telle problématique est fondée sur la
conviction des penseurs religieux congolais que, si la Révélation demeure la source de la foi
devant rester sauve, la réflexion qui la rend proche de l’homme est œuvre du penseur imbibé
de sa culture et de son contexte, ainsi que du milieu à christianiser ; ainsi la doctrine qui s’en
dégage peut varier, elle doit être adaptée. D’où toutes les réflexions et interrogations sur la
nécessité et l’existence d’une théologie africaine797. Dans la mesure où la fermeté de la foi
peut être fonction du degré de lumière et de compréhension de la parole révélée, le théologien
doit pouvoir donner réponse à toutes les questions que se posent les fidèles. Toute théologie,
influencée, certes, par le subjectivisme « individuel du penseur, est plus significativement

794
Missio Redemptoris, du 7 décembre 1990, § 52.
795
Ecclesia in Africa, § 59.
796
Ibid., § 60.
797
Problématique examinée par Vincent MULAGO, « Langage missionnaire », Bulletin de Théologie Africaine,
vol.I, n°1, pp.44-46.
343

tributaire de l’influence collective qu’exerce l’espace culturel, imprégné par une mentalité,
une tradition, une culture ; dans ce sens, la théologie la plus efficace est celle adaptée à ce
contexte, tout en demeurant fidèle au message « universel ». Les Occidentaux semblaient ne
pas accepter que leur théologie fût conditionnée par leur culture, la présentant comme supra
culturelle ou transculturelle et valide universellement, exportable ensemble avec la foi dans la
mesure où, pour eux, leur culture était chrétienne, s’identifiait et ne faisait qu’un avec la foi.
Dénonçant l’impérialisme culturel de certains théologiens européens qui croient que leur
culture est « le lieu de l’universalité humaine », le théologien congolais Alphonse Ngindu
Mushete a pu, quant à lui, affirmé que « La théologie universelle est un mythe. Rien ne la
fonde, ni la révélation, ni la foi, ni l’histoire », car « toute théologie est culturellement et
socialement située »798.

C’est sur ces prémices que, depuis de nombreuses années, s’étaient engagées des
discussions pour savoir s’il doit, s’il peut exister et s’il existe une théologie « africaine ». Le
problème a été posé par un collectif de prêtres africains depuis 1956 dans un ouvrage célèbre,
Des prêtres noirs s’interrogent799, dans lequel il est écrit : « S’il nous faut une excuse, nous en
avons une ; celle-ci : il fallait commencer. On a assez longtemps pensé nos problèmes pour
nous, sans nous et même malgré nous. Le prêtre africain doit aussi dire ce qu’il pense de son
Église en son pays, pour faire avancer le Royaume de Dieu »800. Les contributions de ces
prêtres à cet ouvrage situent les enjeux et les axes de ce que deviendra la théologie africaine :

- A. Abblé : La Vierge Noire (poème) ;


-J-Cl Bajeux : Mentalité noire et mentalité biblique ;
-J. Bala : A notre Père (poème) ;
-G. Bissainthe : Catholicisme et indigénisme religieux ;
-L. Doosseh et R. Sastre : propagande et vérité ;
-M. Hebga : Christianisme et négritude ;
-A. Kagame : La littérature orale au Rwanda ;
-V. Mulago : Nécessité de l’aadaptation missionnaires chez les Bantu du Congo et Le
pacte du sang et la communion alimentaire, pierres d’attente de la communion eucharistique ;
-J. Parisot : Vaudou et christianisme ;
-R. Sastre : Liturgie romaine et négritude ;
-J. Thiam : Du clan tribal à la communauté chrétienne ;
-E. Verdieu et P. Ondia : Sacerdoce et négritude

798
NGINDU Mushete (Abbé), Les thèmes majeurs de la théologie africaine, Paris, Karthala, 1989, p. 44. Voir
également, du même auteur, « De la polémique à l’irénisme critique », Bulletin de Théologie Africaine, vol.I,
n°1, 1979, p.90.
799
Des prêtres noirs s’interrogent, Paris, Edition du Cerf, 1956, avec la préface de Mgr Marcel Lefebvre
(archevêque de Dakar).
800
Avant-propos de G. Bissainthe.
344

Présentant la réédition du célèbre ouvrage réalisée en 2006 à l’occasion du


cinquantième anniversaire de l’événement, René Luneau commence par affirmer avec force
ce que l’on constate au vu des suites de ce livre : c’est que cet ouvrage est « d’une certaine
manière l’acte de naissance de la théologie africaine et un haut lieu de mémoire pour les
chrétiens africains d’aujourd’hui ». Il donne ensuite raison à ceux qui avaient pris cet
initiative, ces prêtres qui s’interrogeaient « sur leur avenir et, plus encore, sur l’avenir d’un
christianisme venu tout droit d’Occident et dont ils perçoivent chaque jour la fragilité », avant
de donner une de ces conclusions : Personne ne doute aujourd’hui que le travail
d’évangélisation en Afrique relève des chrétiens africains eux-mêmes et que nul ne peut le
faire à leur place. »801. Venant après la Conférence de Bandoeng (Indonésie, 1955), ayant
réuni les Etats et forces politiques et sociales représentant des peuples d’Asie et d’Afrique et
affirmé des principes fondateurs de la lutte de libération nationale et de l’émancipation des
peuples du colonialisme ainsi que du non-alignement, ce livre a ainsi posé le problème de
l’émancipation de l’Eglise africaine802.

La problématique alors soulevée par ces analyses des treize prêtres continuera de
passionner les intellectuels et le clergé africains organisés dans la Société Africaine de Culture
(S.A.C.) sous les auspices de Présence Africaine. Un plan de travail et de recherche a été
conçu pour développer la pensée religieuse africaine et les recherches théologiques, au cours
de plusieurs rencontres organisées entre intellectuels, écrivains, artistes et théologiens, jusqu’à
la Déclaration de l’Association des théologiens du tiers monde de Dar-ès-Salam en 1976,
appelant à un développement de la théologie chrétienne suivant d’autres conceptions que
celles de la tradition occidentale803. Ainsi, est affirmée la volonté de penser et d’écrire une
théologie africaine qui, dépassant une simple adaptation de l’Evangile pour l’incarner dans les
cultures africaines, puisse répondre à tous les questionnements théologiques selon le système
de pensée africain et intégrer la culture africaine.

Dès 1971, deux ans à peine après la rencontre de Kampala, le Cardinal Malula pouvait
justifier le droit des Africains d’avoir une théologie propre : « Quant au problème du
pluralisme théologique, nous pensons pouvoir affirmer ici que pour nous Africains, il faut
désoccidentaliser l’Eglise en Afrique, de façon à arriver petit à petit à une Eglise particulière

801
Présentation par René LUNEAU, sur la quatrième de la couverture, Des prêtres noirs s’interrogent :
cinquante ans plus tard, Paris Karthala, 2006, avec l’introduction de Léonard SANTEDI KINKUPU.
802
Ce n’est pas étonnant que l’un des auteurs, Meinhard HEBGA, publie plus tard Emancipation d’Eglises sous
tutelle, Paris, Présence Africaine, 1976.
803
TSHIBANGU Tshishiku (Mgr), « Les tâches de la théologie africaine - Questions aux théologiens africains »,
B.T.A. vol. I n°1, 1979, pp.23-24.
345

authentique ayant sa théologie propre, sa philosophie propre, sa liturgie propre, certaines


points de discipline [ecclésiastique] propre »804, et de dénoncer « l’impérialisme théologique
occidental » qui « risque d’imposer toutes les nouvelles théories chez-nous »805. Il y a là toute
une revendication que font leur les Evêques d’Afrique et de Madagascar lors du Synode des
Evêques de 1974, en ces termes : « Toute action pour construire nos Eglises doit s’opérer en
référence constante à la vie de nos communautés. C’est à partir de ces communautés que nous
apporterons au rendez-vous de la catholicité non seulement nos expériences culturelles et
artistiques…mais une pensée théologique propre qui s’efforce de répondre aux questions posées, par
nos divers contextes historiques… » et, privilégiant une théologie qui associe une véritable
incarnation de l’évangile, ils estiment que « Les jeunes Eglises d’Afrique et de Madagascar ne
peuvent se dérober à cette exigence fondamentale. Admettant effectivement le pluralisme théologique
dans l’unité de la foi, elles doivent encourager, par tous les moyens, la recherche théologique
africaine »806.

Sans entrer dans les querelles d’écoles, de définitions et de choix qui divisent les
théologiens, il peut être constaté que cette conception d’une théologie apte à servir
l’imprégnation des cultures africaines par le message évangélique n’a rien de commun avec la
philosophie du système « missionnaire » colonial dont l’objectif était d’implanter la marque
extérieure de l’Eglise dans le plus de villages possible et de « convertir les infidèles » en
combattant et en liquidant leurs traditions et valeurs culturelles et religieuses, au profit d’un
prétendu universalisme et dont le résultat, ainsi que nous l’avons vu plus haut, a été très
sévèrement jugé comme l’échec d’un certain christianisme.

La problématique d’une théologie africaine exigence d’un christianisme vécu et tâche


des Eglises africaines rentre bien dans les préoccupations du Concile Vatican II qui parle des
Eglises particulières et de leur mission. On lit, en effet, que les Eglises particulières
« empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peuples, à leur sagesse, à leurs sciences, à leurs
arts, à leurs disciplines, tout ce qui peut contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière
la grâce du Sauveur et ordonner comme il le faut la vie chrétienne. Pour obtenir ce résultat, il est
nécessaire que dans chaque territoire socio-culturel, comme on dit, une réflexion théologique de cette
sorte soit encouragée, par laquelle, à la lumière de la tradition de l’Eglise Universelle, les faits et les
paroles révélés par Dieu, […] seront soumis à un nouvel examen. Ainsi, on saisira plus nettement par
quelles voies la foi, compte tenu de la philosophie et de la sagesse des peuples, peut chercher
l’intelligence, et de quelles manières les coutumes, le sens de la vie, l’ordre social peuvent s’accorder

804
V. De SAINT MOULIN, Léon., Œuvres complètes du Cardinal Malula, vol. 2, p. 182.
805
Documentation Catholique, n° 1608, du 7 mai 1972, p. 450.
806
Cardinal François. MARTY, op.cit , 210-211.
346

avec les mœurs que fait connaître la révélation divine »807. Ainsi, l’heure de traduire la théologie
dans le langage des Africains était venue, il était normal que naissent de nouvelles expressions
théologiques, bien au-delà de la simple traduction de la pensée théologique occidentale dans
des langues africaines. En effet, «L’africanisation de l’Eglise, c’est-à-dire l’introduction de
l’Afrique dans l’espace ecclésial où elle a sa place de plein droit, s’effectuera dans la mesure
où l’africanisation de la théologie en ouvrira le chemin.»808.

« Théologie africaine » n’est pas à entendre dans le sens qu’il existe bien des
théologiens qui sont des Africains ; mais c’est un concept qui part de la ferme contestation de
la prétendue unicité de la théologie, qui part de la croyance qu’il y a nécessairement pluralité,
diversité de théologies, dans leurs présupposés philosophiques et culturels et dans leur
manière de se saisir de la foi et du message chrétien ainsi que dans leur manière de les
expliquer. L’objectif de construire une Eglise et un christianisme « africains », intégrant les
valeurs culturelles africaines et qui s’intègrent dans celles-ci, a toujours été au cœur de « la
théologie africaine » et en constitue la substance. Prenant à bras le corps la condition présente
des Africains, depuis les théories de l’adaptation et des pierres d’attente, tout en étant divisée
en plusieurs courants différents, - incarnation, libération, inculturation,- sans doute aussi les
différentes étapes de son évolution, elle s’est voulue dès le début une théologie de la
protestation, contre la domination occidentale, d’abord la domination théologique. Ensuite,
prenant parti en faveur de la reconstitution de l’identité africaine, en même temps qu’elle
s’interroge sur la signification des cultures et traditions africaines en théologie, elle s’assigne
la tâche d’inculturer la foi dans l’Afrique. La « théologie africaine » est méthodologiquement
une théologie de l’inculturation, essentiellement. C’est peut-être ce qu’une partie d’entre eux,
ceux de la théologie dite de libération en particulier, reproche à la « théologie africaine »,
d’être hantée par la nostalgie d’un passé idéalisé et de se contenter ainsi de promouvoir une
sorte de folklore, d’être une idéologie abstraite, loin de la réalité que vit l’Africain, une
idéologie timorée qui n’ose pas s’attaquer à la domination et à l’exploitation ni remettre en
cause l’ordre établi809. Les plus modérés, « théologiens africains » eux-mêmes, y voient une
« théologie », en quelque sorte psychologique, tenant à revaloriser le Noir, à démontrer son

807
Décret Ad Gentes sur l’activité missionnaire, déjà cité, § 22, souligné par nous.
808
BÜHLMANN, Walbert, Afrique, Paris, Ed. Desclée de Brouwer (Coll. Visages de l’Eglise), 1967, p. 232,
appelant une création de l’esprit local africain et dénonçant la volonté de fonder une église de type occidental en
Afrique.
809
Pour une critique, voir METOGO, Eloi Messi, Théologie africaine et ethnophilosophie. Problèmes de
méthode en théologie africaine, Paris l’Harmattan, 1985.
347

intelligence et à « faire connaître l’Eglise du Zaïre à l’étranger »810. Et c’est peut-être, là, l’une
de ses faiblesses apparentes.

En tout état de cause, la contribution des théologiens congolais à ce courant au sein de


l’Eglise d’Afrique est remarquable. Il faut, à ce titre, mettre en évidence le rôle qu’ils ont joué
dans le débat ayant abouti à la consécration du pluralisme théologique et à la reconnaissance
d’une théologie africaine. Il est vrai, cependant, que lorsque ces problèmes sont exposés
publiquement dans les années cinquante, l’intervention des Congolais est presque inexistante
car pas plus dans la théologie que dans les autres domaines (politique, culturel ou scientifique)
l’administration coloniale n’avait pas produit grand chose en matière de formation de cadres.
Dès cette époque, pourtant, on peut citer l’apport de l’un des théologiens africains les plus
réputés, l’abbé congolais Vincent Mulago, dont la thèse de doctorat en théologie soutenue à
Rome en 1955 portait sur « L’union vitale bantoue » et qui, après sa contribution à Des
prêtres noirs d’interrogent, ouvrage collectif de référence sur les origines de la théologie
africaine811, avait participé au deuxième congrès des écrivains et artistes africains de 1958 en
y faisant une communication remarquée sur la théologie et ses responsabilités ; à son actif,
existe, depuis, une foule d’études théologiques en rapport avec l’inculturation du
christianisme, notamment son « africanisation ».

La part des théologiens congolais, notamment de ceux de la faculté de théologie de


Kinshasa, dans le débat sur la théologie africaine et dans l’œuvre théologique africaine elle-
même, privilégiant une théologie congolaise fondamentale, critique, analytique et explicative
de préférence à une simple adaptation, a pris, notamment à partir de 1960, une place de
premier plan, aussi bien avec les « anciens » comme Mulago, Ntedika, Tshibangu,
Monsengwo, Mpongo dont les travaux très profonds sur la procédure et le rituel congolais du
mariage chrétien sont bien connus, Bujo, Ngindu, Bimwenyi, Nyeme, Kabasele Lumbala,
Muteba, et des plus jeunes encore comme Santedi, Kalamba Nsapo, Ndongala et bien
d’autres. La majorité de ces théologiens sont cités dans ce travail, pour avoir soit contribué
par leurs analyses à l’élaboration et à la compréhension de la théologie africaine et de la
théologie de l’incuturation, soit pour avoir participé personnellement à un niveau quelconque
du processus d’élaboration du rite zaïrois soit pour l’avoir étudié et analysé.

810
BUJO, Bénezet, Le diaire d’un théologien africain, Paris, Karthala, 1988, p. 44 ; il y fait une profonde et
sévère critique de l’Eglise du Zaïre, de ses clercs et de sa hiérarchie, par exemple à propos des théologiens il
demande « Notre théologie s’occupe-t-elle de faire connaître Jésus-Christ aux Africains en commençant par les
plus pauvres ? »
811
Des prêtres noirs s’interrogent, Paris, Ed. du Cerf, 1957.
348

III.II.III Quelques figures de la théologie congolaise

Comme on l’a dit, la place des théologiens et ecclésiastiques congolais aussi bien dans
la recherche relative à la théologie africaine que spécifiquement dans les travaux relatifs à
l’inculturation liturgique est universellement reconnue. Présentant dix des livres de théologie
publiés ces dernières années, Bede Ukwuije, théologie nigérian, affirme que « les premiers
grands théologiens francophones, surtout Congolais, Tharcice Tshibangu et Alphonse Ngindu
Mushete et Oscar Bimwenyi-Kweshi se sont battus pour doter la théologie africaine d’outils
conceptuels et la hisser au niveau scientifique. »812 Le même Bede Ukwuije, parlant du travail
des « pionniers de cette théologie [qui] se sont interrogés sur la signification des cultures et
des traditions africaines pour la théologie », confirme cette place éminente de la théolgie
congolaise en mettant en exergue « la contribution considérable, de l'école de Kinshasa -
Tharcice Tshibangu, Alphonse Ngindu Mushete, Vincent Mulago, Oscar Bimwenyi, Charles
Nyamiti, F. Kabasele, Bénezet Bujo - qui cherche à formuler un discours théologique
véritablement africain à partir de l'héritage religieux africain et en dialogue avec l'héritage
chrétien universel. »813 Il nous a ainsi semblé légitime de présenter quelques-uns de ces
grands théologiens congolais, en ce qu’ils se sont particulièrement signalés par leurs travaux
sur l’inculturation ou par leur participation à l’élaboration du rite zaïrois, en nous limitant
pour l’essentiel à ceux référencés dans notre travail.

A ces différents titres, sans doute faut-il donner une place éminente au Cardinal
Malula. Issu d’une famille chrétienne, Joseph Malula étudie chez les scheutistes, à l’école
Saint Joseph de Kinshasa et au petit séminaire de Mbata Kiela dans le Bas-Congo. Pour des
raisons expliquées dans l’historique des séminaires au Congo, il ira terminer son petit
séminaire de Lisala en province de l’Equateur, avant d’étudier la philosophie et la théologie
au grand séminaire de Kabwe dans le Kasaï (de 1937 à 1944) et, une année de « probation »
au petit séminaire de Bokoro, d’être ordonné prêtre à Léopoldville le 9 juin 1946, premier
prêtre de Léopoldville, en même temps que son condisciple et ami Eugène Moke. Avant
même d’être nommé le 20 novembre 1959 vicaire apostolique auxiliaire de Léopoldville
(évêque auxiliaire dans les pays de mission, avant l’érection d’une « hiérarchie » épiscopale)
et, à l’érection de la hiérarchie, il devient évêque auxiliaire du même Mgr Scalais à qui il
succède le 27 août 1964 comme archevêque de Léopoldville.Lorsqu’il est fait cardimars 1969,
812
Bede UKWUIJE est docteur en théologie de l’Institut Catholique de Paris (2005) et professeur de théologie
au Spiritan International School of Theology à Attakwu, Enugu (Nigeria), www.catho-theo.net/Dix-livres-
recents-de-la-theologie
813
Présentation de l’Assemblé Générale de l’Association Francophone Œcuménique de Missiologie, 23-24 mai
2003, sur « La mission du théologien, un point de vue africain », http://www.afom.org
349

il aura pour évêques auxiliaires son ami Mgr E. Moke et Mgr Tharcice Tshibangu T, celui-là
même qu’il se sera adjoint comme conseiller théologique personnel quand il se rend au
Concile Vatican II. Mais, il faut remarquer que c’est bien avant d’avoir toutes ces
responsabilités que Joseph Malula exprime des idées très précises sur l’indigénisation de
l’Eglise, la réappropriation du christianisme et l’adaptation de la liturgie. Encore curé d’une
paroisse de Léopoldville (Christ-Roi) entre 1954 et 1959, il tenta en 1957 une adaptation des
rites du vendredi saint aux pratiques rituelles congolaises, notamment aux cérémonies de deuil
telles que les vivent les Congolais dans leur tradition ; une inculturation avant la lettre. De
même, on le voit déjà élaborant une véritable théorie d’une Eglise africaine et d’un
christianisme qui s’adresse à « l’âme noire » ; en effet, lors d’une conférence qu’il est invité à
tenir à l’exposition universelle de Bruxelles en 1958, il va exposer toutes ses idées sur une
« Eglise congolaise dans un Etat congolais », sur l’antériorité de la connaissance du Dieu
unique à la venue des Européens, sur la base d’une théorie ou d’une théologie des « pierres
d’attente » à laquelle adhère et que développe toute une génération de théologiens congolais.
Tout ceci explique pourquoi le cardinal Malula sera l’un des grands animateurs de la
théologie de « l’inculturation » et de la « théologie africaine », et pourquoi son nom restera
pour toujours lié à l’inculturation et au rite zaïrois qui en fut le couronnement. Sur un autre
plan, il se révèle comme un pasteur de terrain talentueux qui va révolutionner les structures de
son Eglise et transformer le visage de son diocèse, en particulier dans ses structures pastorales
et dans la promotion d’un laïcat adulte et responsable. Il fondera une congrégation diocésaine
de religieuses et s’avèrera un liturgiste de talent, compositeur de nombreux cantiques et
initiateur de la réforme liturgique qui porte vraiment sa marque. Enfin, il y a un autre terrain
où il s’affirmera comme brillant intellectuel nationaliste, contribuant à la réflexion sur
l’émancipation politique du Congo, étant à l’origine, en 1956, du Manifeste de la Conscience
Africaine, l’une des premières expressions du nationalisme congolais moderne. Une bonne
partie de l’histoire de l’Eglise du Congo indépendant coïncide avec la sienne propre, en
particulier, dans les rapports entre l’Eglise et l’Etat marqués par une longue crise intimement
liée au « conflit » entre le Cardinal et Mobutu au cours duquel il fut contraint à l’exil à Rome,
après lequel il continuera inlassablement de dénoncer les travers du régime Mobutu. Le
Cardinal Malula meurt le 14 juin 1989 ; après deux ans d’ « administration apostolique » par
l’un de ses auxiliaires, Mgr Eugène Moke, il sera remplacé au siège par Mgr Frédéric Etsou,
archevêque de Mbandaka-Bikoro qui, en 1998, le proclame « père de l’Eglise de Kinshasa ».

Un des anciens évêques auxiliaires du cardinal Malula, et pas seulement pour avoir été
associé aux réflexions et aux activités de ce dernier, Tharcice Tshibangu Tshishiku, mérite
350

d’être également présenté pour sa contribution à la science théologique congolaise. Il est, en


effet le premier maître en théologie congolais formé à l’Université catholique de Louvain
après des études à l’Université Lovanium de Léopoldville. Son souci pour une théologie
africaine, il l’a manifesté dès 1960 en engageant avec le doyen de sa faculté de théologie, le
professeur Alfred Vaneste, une controverse restée célèbre dans les milieux des théologiens,
sur la possibilité ou l’admissibilité de l’existence d’une théologie « de couleur africaine »,
contestant donc la prétention occidentale à imposer une théologie universelle car toute
théologie est nécessairement « située » et la théologie dite universelle est tout simplement la
théologie occidentale. Le Dictionnaire des théologiens le dit « soucieux d’une théologie
africaine marquée par une exigence de rigueur scientifique », tout en insistant « sur
l’importance de l’engagement social du théologien », à soutenir le bien fondé d’une théologie
africaine autonome de la théologie « occidentale » que les théologiens occidentaux
s’efforçaient d’imposer comme une théologie universelle, niant qu’il puisse y avoir de
théologie « africaine ». Il dirigera pendant longtemps, comme recteur, l’Université Lovanium,
à Kinshasa avant de devenir recteur de l’Université Nationale du Zaïre et, de 1981 à ces jours,
il est président du conseil d’administration des universités publiques du Congo-Zaïre. Son
activité théologique le conduira à être du groupe fondateur de l’Association œcuménique des
théologiens africains (AOTA), longtemps évêque auxiliaire de Kinshasa avant de devenir
jusqu’à ce jour évêque de Mbuji Mayi. Mgr Tshibangu a à son actif plusieurs publications,
dont, outre les références que l’on trouvera dans ce travail, Le propos d’une théologie
africaine et La théologie comme science au XXe siècles.

Par sa présence marquante aussi bien au sein de l’Eglise du Congo que dans la vie de
la société congolaise, Laurent Monsengwo Pasinya. Il est depuis 2007 archevêque de
Kinshasa, après avoir été de nombreuses années évêque auxiliaire d’Inongo (dans le
Bandundu, 1980-1988) et, puis évêque auxiliaire avant d’être archevêque de Kisangani
(Province Orientale, 1988-2007). Ses contributions au processus politique congolais de
démocratisation depuis 1991 lui valent d’être très connu du grand public mais c’est avant tout
un grand théologien, docteur en théologie (Rome), qui a été longtemps secrétaire général de la
Conférence Episcopale du Congo, avant d’exercer plusieurs mandats de président de cette
conférence. En fait, c’est à ce dernier titre qu’il à été impliqué dans la politique du pays, pour
avoir été élu président de la Conférence nationale souveraine en 1992 et, puis, président du
parlement de transition à partir de 1992 jusqu’à la chute en 1997 du maréchal Mobutu.
Théologien et évêque, il a joué, à la tête de la conférence épiscopale ou au synode des
évêques pour l’Afrique de 1994, un rôle de premier plan dans la formulation de la théologie
351

d’inculturation et dans sa mise en œuvre dans l’Eglise du Congo-Zaïre ; on le voit, par


exemple, dirigeant les travaux de la commission spéciale de l’épiscopat pour mettre sur pieds
les débats théologiques importants pour faire approuver le rite zaïrois de la messe par la
Congrégation du Culte Divin, et présider la délégation qui discutera avec les envoyés romains.
Le Dictionnaire des théologiens le présente comme « le premier Africain docteur en sciences
bibliques (Rome 1971) », apparaissant « comme un pionnier » dans « ses nombreux articles
concernant l’herméneutique et l’inculturation » ; on comprend que l’Eglise du Congo et celle
d’Afrique aient pu profiter de ses compétences reconnues. De nouveau président de la
conférence épiscopale jusqu’en 2008 date où il a été désigné à la tête de l’archidiocèse de
Kinshasa, succédant au cardinal Etsou décédé deux ans plus tôt ; le 24 août 2008, le pape
Benoît XVI l’a nommé secrétaire spécial du prochain Synode sur la Parole de Dieu.

Plusieurs raisons militent pour que soit cité Vincent Mulago wa Cikala, prêtre du
diocèse de Bukavu dans le Kivu. D’abord, c’est le premier ayant entrepris une filière de
formation académique entièrement en Europe, devenant le premier docteur congolais en
théologie (Rome 1955), mais il est également canoniste. Il devient le premier professeur de
théologie congolais à l’Université Lovanium et, à ce titre, c’est lui qui a créé le Centre
d’Etude des Religions Africaines (CERA) et fondé la revue Cahiers des religions
africaines au sein de la Faculté de théologie de Kinshasa. Par ailleurs, l’abbé Mulago, avant
de prendre une part active fait partie au symposium des intellectuels africains organisé de
1958 par la Société Africaine de Culture, seul Congolais, sera parmi les treize prêtres noirs,
d’Afrique et de Haïti, qui se réunirent à Paris pour réfléchir sur des questions du christianisme
en Afrique, coauteur de Des prêtres noirs s’interrogent (Ed. du Cerf, 1956) où il publie deux
contributions déjà situées dans les problématiques de ce qu’on n’appelle pas encore la
théologie africaine. Il est reconnu comme ayant été, avec les théories de « l’adaptation » et
« des pierres d’attente » dans lesquelles il s’est distingué, l’un des tout premiers initiateurs et
promoteurs de la théologie africaine, posant la problématique de la rencontre entre le
christianisme et les cultures notamment les religions africaines ; il sera membre de la
Commission théologique internationale entre 1974 et 1980. Le Dictionnaire des théologiens
cite quelques-unes de ses publications, Le visage africain du christianisme, l’union vitale
bantu face à l’unité vitale ecclésiale (1965), La religion traditionnelle des Bantu et leur vision
du monde (1980), tandis que tout récemment, il a publié Théologie africaine et problèmes
connexes: au fil des années, 1956-1992814. Après sa retraite de la Faculté de Théologie

814
Paris, L’Harmattan, 2007.
352

Catholique et du CERA en 1989, il a dirigé, comme recteur, l’Université catholique de


Bukavu.

Personnalité forte et sûre, l’abbé Alphonse Ngindu Mushete, docteur en théologie,


professeur et longtemps secrétaire général académique de la Faculté de théologie de Kinshasa,
membre fondateur l’Association œcuménique des théologiens du tiers monde (EATWOT) et
de l’Association œcuménique des théologiens africains (AOTA), il a dirigé le Bulletin de
Théologie Africaine (B.T.A.) et a été longtemps l’un des responsables de l’A.O.T.A., il fait
partie du comité directeur de la revue Concilium. Selon le Dictionnaire des théologiens, avec
sa thèse Le problème de la connaissance religieuse d’après L. Laberthonnière, il a engagé ses
recherches dans une herméneutique africaine et a publié, entre autres, Les thèmes majeurs de
la théologie africaine et plusieurs autres études citées dans ce travail. Longtemps proche et
collaborateur du Cardinal Malula, le professeur Ngindu s’est vu ainsi témoin privilégié et
actif, jusqu’à la mort de ce dernier, de l’expression de sa pensée et de la réalisation de ses
actions.

De la même génération de séminaristes que Ngindu Mushete, on ne peut pas ne pas


parler d’Oscar Bimwenyi Kweshi, docteur en théologie, avec une thèse remarquée en 1980,
sur Discours théologique africain…Problèmes des fondements, publiée chez Présence
Africaine en 1981 ; il fut professeur à la faculté de théologie de Kinshasa, longtemps
secrétaire général adjoint de la Conférence Episcopale et a dirigé le diocèse de Luebo comme
administrateur apostolique, l’évêque ayant été appelé à d’autres fonctions au Vatican. Il est
l’auteur d’un grand nombre d’études, dont certaines sont citées dans ce travail. Oscar
Bimwenyi n’est pas de ceux qui travaillèrent personnellement au rite zaïrois, mais sa
contribution à la théologie africaine et de l’inculturation est particulièrement remarquée parmi
les théologiens, en particulier à travers sa thèse considérée comme une œuvre majeure,
décisive et incontournable pour ce qui touche à ces aspects spécifiques de la théologie
africaine. En effet, préfaçant la publication de cette thèse, Mgr Tharcice Tshibangu écrit :
« Nous considérons pour notre part que ce travail, qui synthétise les éléments de la
problématique d’une théologie africaine, clôture le débat de principe sur la possibilité et la
légitimité d’une élaboration théologique africaine spécifiquement marquée. Le moment est
venu pour les chercheurs et penseurs africains de passer à la finalité essentielle : celle de
353

’’faire la théologie africaine’’ par des actes d’engagement intellectuel et vital face à chacun
des mystères constituant l’ensemble du donné révélé du christianisme »815.

Dans la frange légèrement plus jeune on peut citer François Kabasele Lumbala,
théologien, avec une thèse en liturgie et en sciences des religions (Institut Catholique de Paris
et à Paris Sorbonne, Des rites nouveaux de consécration religieuse au Zaïre, 1983),
habilitation à diriger les recherches (à l’Université Marc Bloch de Strasbourg). Il a activement
participé aux travaux sur l’inculturation de la liturgie en Afrique et, par ses écrits, a très
largement contribué à la compréhension du rite zaïrois ainsi qu’à l’élaboration des rites
sacramentels et d’engagement religieux ; pasteur, il a expérimenté l’inculturation liturgique
dans la paroisse de Cijiba dont il était alors le curé. Actuellement, François Kabasele est
professeur à l’Université Démocrite de Thrace (Grèce), il a enseigné la catéchèse et la liturgie
aux Facultés catholiques de Kinshasa et enseigne encore dans plusieurs universités d’Afrique
et d’Europe, en même temps qu’il poursuit des recherches en anthropologie religieuse ;
membre du comité directeur de la revue internationale Concilium, il a écrit, entre autres,
L’Alliance avec le Christ en Afrique (1989) et Le christianisme et l’Afrique, une chance
réciproque (1993), Renouer avec ses racines - Chemins d’inculturation (2005), sa nombreuse
production est suffisamment représentée dans la biographie de ce travail.

Laurent Mpongo Mpoto Mamba et Boka di Mpasi, tous les deux scheutistes, figurent
parmi les théologiens confirmés de l’Eglise congolaise, qu’on peut citer, spécialement pour
leur contribution dans le domaine de l’inculturation. Le premier est théologien et liturgiste, il
a été secrétaire de la commission épiscopale de l’évangélisation et, auteur d’un projet de
messe zaïroise ; dans cette étude, nous verrons sa participation active et déterminante à
l’élaboration du rite zaïrois. Il est professeur à l’Institut catholique de Yaoundé et a, à son
actif, plusieurs publications, dont celle-ci, qui fait autorité, Pour une anthropologie chrétienne
du mariage au Congo, Vers un rituel chrétien du mariage conforme au génie des Ntomb'e
Njale (Pont. Inst. Liturg. Anselmianum). Kinshasa-Limete, CEP, 1968. Le second est docteur
en théologie de l’Université de Louvain avec une thèse sur le rôle médiateur du Saint-Esprit
dans la révélation, professeur de théologie à Lumen Vitae (Bruxelles), Rome, Nairobi et
Lugano ; fondateur de la revue de réflexion pastorale Telema de Kinshasa, qui est cité dans ce
travail, le Dictionnaire des théologiens lui reconnait de nombreux articles sur la théologie

815
Préface de Mgr Tshibangu Tshishiku à l’ouvrage d’Oscar Bimwenyi, Discours théologique africain.
Problèmes de fondements, p. 10.
354

africaine, l’inculturation et la missiologie. Les références que fait de lui notre travail montrent
son intérêt pour l’inculturation de la liturgie et la pertinence de ses opinions sur le rite zaïrois.

La jeune génération est bien représentée dans ce domaine aride de la recherche


théologique, montrant que la relève est d’ores et déjà assurée au Congo. Il nous suffira d’un
échantillon de ce vivier entre plusieurs. Ainsi, Fulgence Muteba, né en 1962, il est ordonné
prêtre en 1990. Docteur en théologie pastorale à l'Université Montréal au Canada, il a été
Secrétaire Général de la Conférence Episcopale Nationale du Congo et a enseigné la théologie
pastorale aux Facultés Catholiques de Kinshasa. Depuis 2005, il est évêque de Kilwa-Kasenga
au Katanga. Léonard Santedi Kimpuku, docteur en théologie de l’Institut Catholique de Paris
et docteur en Histoire des religions - anthropologie religieuse, ancien directeur du petit
séminaire de Kinshasa, il est professeur à la faculté de théologie et actuel secrétaire général de
la Conférence Episcopale (2005--). Il a à son actif un grand nombre d’ouvrages et d’articles,
son domaine de recherche étant l’épistémologie théologique et herméneutique des dogmes,
l’inculturation et les nouveaux paradigmes de la mission. Enfin, Sylvain Kalamba Nsapo,
docteur en théologie, est directeur de la revue Cheick Anta Diop à Bruxelles, membre de
Missio/Belgique, membre du comité de rédaction de la revue Mission de l'Eglise (France). Sa
thèse a porté sur Ecclésiologies africaines et Inculturation, il a publié, entre autres, Les
ecclésiologies d’épiscopats africains sub-sahariens – Essai d’analyse de contenu (Ed. Société
ouverte, 2000), Théologie africaine. Question de méthode aujourd’hui (2003), Chrétiens
africains en Europe – Pour une ecclésiologie du respect mutuel et de la réciprocité
intercontinentale (2004).

III.II.IV Le désir d’inculturation, une aspiration politique ?

« Il est impossible de parler des relations de la liturgie avec la culture sans parler de
ses relations avec la politique », écrit Armand Veilleux816. Ce serait une erreur, en effet, de
croire que l’histoire liturgique soit autonome ; nous avons déjà dit qu’elle s’inscrit dans
l’histoire générale dont, comme toute la religion, elle subit des influences. A la suite de quoi,
l’Église elle-même a toujours joué des rôles politiques au cours de l’histoire comme nous le
constatons dans cette étude. Il faut aussi citer la fonction politique de « socialisation » et
d’agrégation que jouent les grandes manifestations liturgiques ou paraliturgiques, ayant
ainsi une dimension politique souvent peu visible mais perceptible à l’observation et à
l’analyse, les grandes manifestations liturgiques offrent un réconfort de nature affective
816
VIELLEUX, Armand., La liturgie dans la vie du peuple de Dieu, La Vie des communautés religieuses., n° 36,
1978.
355

qui calme et apaise les remous sociaux ou politiques. Il y a, enfin également une
dimension politique, comme on le constate dans nombre de pays africains saisis par la
fièvre des grandes campagnes de « prières miraculeuses », dans le fait que c’est par leur
ferveur liturgique que l’on voit les couches les plus pauvres de la société devenir
capables de faire face à la misère et tout un peuple à un désarroi collectif et espérer. La
religion et la liturgie ne sont pas, dans ce sens, apolitiques. Par ailleurs, il convient surtout
de souligner l’influence de la politique sur la religion et particulièrement en matière de
liturgie. Ainsi, la libération du christianisme des persécutions, notamment par la conversion
de Constantin, a démontré les influences réciproques entre politique et religion, tandis que le
christianisme, la liturgie en particulier, va connaître un développement décisif avec
l’implication de la dynastie carolingienne, dans une relation qui n’est pas qu’à sens unique,
l’Eglise elle-même ayant souvent joué un rôle politique.

On est donc en droit de se demander si, au-delà de ces considérations générales, tout le

mouvement de remise en question de la théologie « traditionnelle » de l’Eglise pour une

relecture qui s’inscrive dans les cultures et dans les schémas de pensée africains, tout comme

la farouche volonté manifestée par les ecclésiastiques africains pour africaniser la liturgie, à

travers par exemple le rite zaïrois, ne participent pas d’un projet politique traduisant en

quelque sorte une contestation de la domination occidentale. L’œuvre de réforme théologico-

liturgique revêtirait-elle une dimension politique ; les acteurs principaux de l’inculturation du

rite zaïrois auraient-ils, ce faisant, entendu mener un combat politique ?

Un premier élément d’une réponse concrète se trouve dans le contexte du moment,


dans les circonstances qui ont accompagné la première manifestation de cette volonté
d’africanisation, la réunion de prêtres noirs à Paris et la publication en 1956 du célèbre livre
Des prêtres noirs s’interrogent dont il a été question au paragraphe précédent. Il importe de
situer ici les circonstances historiques de ces initiatives fondatrices. En effet, 1956 c’est une
année après la réunion de la Conférence de Bandoeng du 17 au 24 avril 1955, à l’issue de
laquelle sont adoptés de très importants principes - La décolonisation et l'émancipation des
peuples d'Afrique et d'Asie - La coexistence pacifique et le développement économique - La
non-ingérence dans les affaires intérieures – et condamnant le colonialisme et l’impérialisme
sous toutes leurs formes. L’année suivante voyait certains pays africains accéder à
l’indépendance, tandis que se répandait en Afrique un mouvement de contestation pour
356

l’émancipation, y compris des guerres de libération contre le colonialisme. Or, l’œuvre


missionnaire, notamment au Congo, est malheureusement restée liée dans les esprits à
l’aliénation culturelle et mentale et à l’imposition de la domination culturelle et, à travers
celle-ci, à la domination politique et économique du colonisateur. De telle sorte qu’on a pu
parler de colonialisme spirituel, non seulement dans le sens que l’âme des peuples colonisés
est aliénée, mais aussi, dans la vie même et le fonctionnement de l’Eglise que le clergé
missionnaire, par une confiscation monopolistique de la direction effective de l’Eglise locale
et de sa hiérarchie, maintenait le clergé autochtone sous sa domination.

Subissant une contestation généralisée dans le pays, l’Eglise était également ainsi
visée de l’intérieur par les prêtres congolais qui, bien avant l’indépendance, se plaçaient dans
l’optique revendicative d’une Eglise authentiquement congolaise dont la hiérarchie serait
entre les mains des Congolais eux-mêmes. De fait, au début des années 1950, une petite
poignée d’abbés congolais fut envoyée, pour la première fois de l’histoire du pays, à Rome
pour y parfaire leur formation en accédant à l’enseignement supérieur de qualité dispensé par
les institutions, universités et séminaires, vaticanes817. Il a été constaté qu’après de brillantes
études réussies dans les établissements romains, ces abbés, mais aussi les autres prêtres
congolais et les fidèles congolais eux-mêmes, ne comprirent pas que ces diplômés soient de
nouveau envoyés à des tâches « peu nobles » et « inférieures » de vicaires ou de « prêtres
routiers » dans des missions de « brousse », fonctions qu’ils avaient déjà exercées, au lieu de
monter dans la hiérarchie de l’Eglise locale, voire d’y être nommés évêques818. Dès lors,
l’Eglise découvrait, avec ces tensions, un problème, tout à fait nouveau pour les missionnaires
comme il en fut pour les administrateurs coloniaux, celui de la revendication par les prêtres
autochtones d’une participation effective à la direction de l’Eglise locale jusqu’à ses plus
hauts niveaux. La nomination, dans ces années cinquante seulement, de prêtres congolais à la
tête de certaines paroisses rurales, n’était pas de nature à calmer les esprits819 ; mais la

817
Par exemple, furent ainsi envoyés au Vatican les abbés Joseph Nkongolo et Albert Kankolongo, qui y ont fait
des études de droit canon.
818
Après avoir presté dans une mission rurale, de Kabuluanda au Kasaï, Joseph Nkongolo, à la fois une
intelligence et une présence, ira longtemps enseigner au petit séminaire de Kabwe, avant d’être nommé vicaire
apostolique et, en novembre 1959 soit quelque six mois et demi avant l’indépendance, évêque ; tandis que
Albert Kankolongo, extrêmement intelligent mais aussi sans doute très ambitieux, après avoir accepté des
charges ordinaires en paroisse, quitta la prêtrise.
819
Comme, au Kasaï, les abbés Mukuna nommé à Kabwe, Kabamba à Kamponde et Nkanka à Kabuluanda ;
tandis qu’à Léopoldville, le futur cardinal-archevêque, l’abbé Joseph Albert Malula, longtemps depuis 1951
vicaire à une paroisse de « cité », Christ-Roi, n’en sera curé que peu de temps avant de devenir en 1959 évêque
auxiliaire de Mgr Scalais lorsque ce dernier, de vicaire apostolique, est élevé au titre d’archevêque de
Léopoldville avec l’érection de la « hiérarchie » de l’Eglise congolaise.
357

tendance revendicative va s’amplifier dans la dernière année de la colonisation dans la fièvre


de l’imminence de l’indépendance.

Néanmoins, hormis sur la « question scolaire » qui divisait les forces politiques belges,
aussi bien en Belgique même que sur le territoire colonial, notamment en remettant en cause
le monopole de l’Eglise dans l’enseignement par la généralisation des écoles « laïques » au
profit des indigènes, l’émancipation politique du peuple colonisé fut la première occasion
d’un engagement politique de la part de l’Eglise catholique du Congo belge. Lors de
l’assemblée des ordinaires du 29 juin 1956, l’Episcopat, alors exclusivement composé de
missionnaires, aborda, bien que brièvement, cette question, en reconnaissant que si tous les
habitants d’un pays ont le devoir de collaborer activement au bien général, « Ils ont donc le
droit de prendre part à la conduite des affaires publiques », ajoutant spécifiquement que « La
nation tutrice a l’obligation de respecter ce droit et d’en favoriser l’exercice par une éducation
politique progressive. ». Enfin, sans se prononcer sur les modalités qu’elle peut prendre ou par
lesquelles elle doit se réaliser, l’Eglise « belge » du Congo se déclare clairement en faveur de
l’émancipation politique du peuple congolais, considérée comme « légitime du moment
qu’elle s’accomplit dans le respect des droits mutuels et de la charité », encourageant les
catholiques à « participer à la vie politique et sociale » comme leur devoir afin de veiller « à
ce que, dans les institutions qu’on crée, soient respectés les droits de la conscience
chrétienne », de manière à apporter aux problèmes qui se posent « les solutions de bien
commun que propose la doctrine sociale chrétienne », s’unissant dans de fortes associations
qui pourront faire accepter les exigences de leur foi »820.

Ce document fut généralement considéré comme consommant la rupture entre l’Eglise


du Congo-Belge et l’administration de la colonie, affaiblissant durablement l’ordre colonial.
En effet, après cette déclaration, l’histoire s’accélérait et, dans un pays où il n’y avait jamais
eu de réclamation ouverte de l’indépendance politique, la décision allait être très rapidement
prise en faveur de l’indépendance immédiate de la colonie qui intervenait ; on peut dire qu’il
y eut là un impact, au moins indirect, de l’Eglise catholique.

En réalité, lorsque la Vème Conférence plénière de l’Episcopat se réunit du 21 juin au


er
1 juillet 1956, elle avait été précédée par quelques événements politiques importants

820
Déclaration de la Ve Assemblée Plénière des révérendissimes Ordinaires du Congo Belge et du Ruanda-
Urundi, Léopoldville, 21 juin-1er juillet 1956, publiée le 29 juin 1956, De SAINT MOULIN, Léon et GAIZE
N’Ganzi, Roger, Le discours socio-politique de l’Eglise catholique du Congo (1956-1998), Eglise et Société, t. 1,
Facultés Catholiques de Kinshasa, 1998, spécialement pp. 47-48.
358

survenus sur le continent qui expliquent, sans doute, le contenu de ce document. De fait, le
souffle, encore léger, de l’indépendance touchait déjà certaines colonies en Afrique, le Maroc,
la Tunisie, le Soudan étaient devenus indépendants tandis que la Gold Coast (Ghana)
connaissait déjà un régime d’autonomie interne qui le préparait à l’indépendance prévue pour
1957. Pour le Congo, spécialement, en 1955, un prêtre universitaire belge, Antoine-Alfred Jef
Van Bilsen, avait publié un « plan » de trente ans pour l’émancipation du Congo. Professeur
à l’INUTOM (Institut Universitaire des Territoires d’Outre-Mer) d’Anvers qui forme les
administrateurs Van Bilsen souligne le retard pris par le Congo belge sur les pays voisins sous
administrations française et anglaise et insiste pour qu’une formation accélérée soit assurée au
profit des élites congolaises et qu’il leur soit permis d’accéder progressivement aux leviers de
commande mais dans un processus contrôlé afin d’éviter des dérapages et des tensions821.
Bien qu’il n’envisageât l’indépendance qu’à l’horizon très éloigné de 1985, ce plan provoqua

la réprobation générale en Belgique, tandis que son auteur fut soumis à des pressions et
exposé à des sanctions disciplinaires, mais de nombreux Congolais l’accueillirent avec
enthousiasme, parmi eux un groupe culturel, appelé Conscience Africaine. L’intervention de
cette association est importante parce que si, lors de la première prise de position politique de
l’Eglise en 1956, il n’y avait aucun ecclésiastique congolais, ici, on a une initiative d’une
association qui fut fondée en 1951 par un prêtre congolais, Joseph Malula 822, réunissant
autour de ce dernier essentiellement d’anciens élèves des prêtres de la congrégation de
Scheut, entre autres, Joseph Ileo, Ngwenza et Joseph Ngalula. L’association publia le 30 juin
1956 un Manifeste de Conscience africaine. Ce document très largement conçu par l’abbé
Malula, reçut de l’Eglise un réel appui en le faisant abondamment distribuer le jour même de
la clôture de l’assemblée de l’Episcopat (le 1er juillet 1956)823 dont, nous l’avons vu, la
déclaration reconnaissait le « droit de tous les habitants à prendre part à la conduite des
affaires publiques » ainsi que la légitimité de l’émancipation. Le Manifeste, inspiré du Plan
Van Bilsen, admet en gros les étapes de ce dernier, mais à condition que les Congolais soient
associés à leur mise en œuvre. Il affirmait par ailleurs, ainsi que le cite Isidore Ndaywel824,
que « Le Congo est appelé à devenir une grande nation. C’est aux Congolais seuls qu’il
revient d’entreprendre cette œuvre, aidés par les Européens qui peuvent être intégrés à

821
Le « Un Plan de trente ans pour l’émancipation politique de l’Afrique belge » de Van Bilsen fut d’abord
publié en flamand dans la revue De gids op Maatschappelijk Gebied, sa traduction française aura lieu en février
1956 dans Les dossiers de l’action sociale catholique. En édition, un ouvrage, sous le titre Vers l’indépendance
du Congo et du Ruanda-Urundi, sera publié aux éditions Casterman, 1961
822
Devenu plus tard cardinal-archevêque de Kinshasa.
823
De SAINT MOULIN, Léon, Œuvres complètes du Cardinal Malula, Kinshasa, 1977, vol. 6, pp. 298-301.
824
NDAYWEL, Isidore, Histoire générale du Congo. De l’héritage ancien à la République démocratique,
Bruxelles, Ed. De Boeck & Larcier, 1998, p. 515.
359

condition de renoncer à des préjugés et à des privilèges », présentant ainsi une position
modérée qui prône une émancipation totale mais par étapes et dans la coopération avec la
Belgique écartant toutefois l’idée d’une « communauté » (belgo-congolaise) qui figurait dans
le « Plan Van Bilsen », insistant sur l’égalité des partenaires sur la base du principe que « la
couleur de la peau ne confère aucun privilège ». Il est vrai, cependant, que l’objectif ultime
des auteurs du Manifeste demeure « l’émancipation » : « Notre volonté est que l'émancipation
du Congo se réalise dans l'ordre et la tranquillité. Les Européens doivent bien comprendre que
notre désir légitime d'émancipation n'est pas dirigé contre eux. Nous prévoyons de créer une
organisation qui se fera en pleine légalité et en se conformant aux lois »825. Mais, malgré ce
contenu modeste, le Manifeste était, en 1956, le premier discours véritablement politique tenu
par des Congolais ; c’est pourquoi, à partir de là, la situation politique va se précipiter au
Congo, entraînée, il est vrai, par la dynamique générale en Afrique826. On peut dire que cette
conscience politique ainsi manifestée par l’abbé Malula déclenche chez-lui un devoir
d’actions concrètes pour affirmer la dignité et l’identité du Noir ainsi que son droit d’être
considéré comme acteur et maître de son destin. En effet, dès 1958, à l’exposition
internationale de Bruxelles, il tient une conférence remarquée intitulée « l’âme de l’Afrique
Noire », à l’occasion du Congrès de « l’humanisme chrétien universel » (le 28 mai 1958) ; le
plan de sa conférence est en lui-même un véritable programme : 1°) 1’âme noire face au
Créateur, 2°) l’âme noire face à l’Evangile et au Christ, 3°) l’âme noire face à l’Occident et
4°) les aspirations politiques de l’âme noire. Si dans les deux dernières parties il dénonce le
préjugé de l’Occidental contre le Noir et le paternalisme en réclament l’autonomie et
l’indépendance, c’est dans la troisième partie que nous voyons ce qui conduira ses initiatives
et positions dans les activités religieuses et ecclésiales. En effet, il y développe la théorie des
« pierres d’attente » de l’Africain ainsi que sa connaissance du Dieu unique, celui que le
christianisme est venu prêcher en Afrique : « si les missionnaires pouvaient se dire porteurs de
la Bonne Nouvelle », c’est une Bonne Nouvelle « que nous attendions ». Le deuxième apport
est cette annonce, on est en 1958 répétons-le, de » la nécessité de l’adaptation », lorsqu’il dit :
« L’Eglise catholique n’est ni occidentale, ni orientale, ni méridionale, ni septentrionale », et
que « le travail de la première heure a été partout forcément superficiel ; le christianisme n’a

825
Extraits, in Chronique de politique étrangère, vol. XII, n°4-6, juillet-nov. 1960, p.443-445
826
En réalité, certains groupes de Congolais s’opposèrent au plan Van Bilsen qui inspirait le Manifeste du
groupe de l’abbé Malula ainsi que contre le Manifeste lui-même : l’Alliance des Bakongo (l’ABAKO de
Nzenza-Landu et de Joseph Kasavubu publia le 23 août 1956 un contre-manifeste où il est dit « Pour nous, nous
n’aspirons pas à collaborer à l’élaboration de ce plan mais à son annulation pure et simple, parce que son
application ne ferait que retarder le Congo davantage. Notre patience a déjà dépassé les bornes. Puisque l’heure
est venue, il faut nous accorder aujourd’hui même l’émancipation plutôt que de la retarder encore de 30 ans », v.
Les dossiers du CRISP, « Abako 1950-1960 »
360

pas encore poussé des racines profondes […] ; dans la masse de nos baptisés, il est encore des
‘’contreplaqués’’. C’est maintenant que va commencer le travail en profondeur. Ce travail se
fera par l’adaptation du message évangélique à l’âme bantoue. Pour le réaliser vraiment, il
faut accorder le christianisme au substratum de l’âme bantoue à travers une hiérarchie
autochtone. […] Au point de vue liturgique, à part quelques essais sporadiques, l’adaptation
est encore au point mort. Avec le renouveau liturgique, nous avons espoir que les portes de
l’Eglise s’ouvriront et nous louerons le Seigneur avec nos chants et nos instruments de
musique indigènes. »827. Depuis, il n’a plus qu’un cri : « Une Eglise congolaise dans un état
congolais », qui conduit son engagement et son action.

On peut également scruter le cheminement de Vincent Mulago, apparemment et pour


ceux qui ne le connaîtraient que de loin, homme calme, sans emportement, peut-être l’eau qui
dort. Il fut le premier séminariste congolais à être allé suivre son cursus normal de théologie
en 1949 à Rome où il devient docteur en théologie en 1955 avec une thèse sur l’union vitale
bantoue. Il est l’unique prêtre congolais à y participer avec la rencontre des 13 prêtres noirs en
1956 à Paris avec une contribution dans l’important ouvrage qui sort de cette rencontre et dont
il a été question plus haut, Des prêtres noirs s’interrogent et participe à la première rencontre
des écrivains et artistes africains de 1959. Il faut reconnaître que toutes ces activités se
déroulent sous l’influence de la Société Africaine de la Culture (SAC) dont on connaît la
conscience politique à une époque où les Africains réclament et progressivement obtiennent
leur indépendance, tandis qu’au Congo, depuis 1955 les controverses portent sur le fameux
plan de 30 ans dit « plan Van Bilsen ». Il n’est pas dès lors étonnant que, revenu dans son
diocèse de Bukavu, il se fasse remarquer par une conférence tenue fin 1956 sur « L’avenir du
Congo devant notre conscience chrétienne », en présence des « évolués » de la ville, des
missionnaires et Européens locaux. Signe révélateur, son évêque interdit de faire suivre la
conférence du débat qui généralement intervient en pareilles circonstances Le jeune prêtre
dénonce une « atmosphère globale d’obscurantisme colonial et missionnaire », qui « ignorait
les controverses sur les idées et sur les systèmes. Les occupants avaient un but exclusif vers
lequel ils allaient sans consulter les conquis ». Il stigmatise l’attitude coloniale et
missionnaire, le Blanc s’étant présenté en Afrique « avec la préoccupation de son prestige » et
ayant « éprouvé la nécessité de s’affirmer ». Il axe son argumentation autour du problème
racial et sur l’avenir du Congo, pourfendant les idées répandues sur les Noirs considérés
comme les descendants de Cham sur lesquels pesait la malédiction divine. S’il existe des

827
De SAINT MOULIN, Léon, Œuvres complètes du Cardinal Malula, vol. 3, Facultés Catholiques de
Kinshasa, pp. 23, 24, 26, 30 et 33.
361

problèmes politiques et même religieux, pour lui c’est la solution du problème racial qui
conditionne celles de tous les autres828. Le sens politique du propos n’avait pas échappé à
l’administration coloniale, à preuve, le fait que le gouverneur général de passage dans la
région et informé de cette conférence le convoqua et eut avec lui une conversation
« houleuse » aux dires de Mulago lui-même829. De Vincent Mulago, on peut encore retenir sa
communication à la IVe Semaine théologique de Kinshasa tenue du 22 au 27 juillet 1968 et
consacrée à la théologie africaine. Face au professeur belge Vaneste, depuis toujours réservé
quant à l’idée d’une théologie africaine, ne croyant qu’en une théologie « universelle »,
Mulago rétorque que « Personne ne peut nous déconseiller ou nous faire remettre à plus tard
l’élaboration d’une théologie qui ne soit pas étrangère à notre milieu, à notre tradition de
pensée, à notre sensibilité, à notre mentalité, à notre culture. » Pour lui, le qualificatif
« universelle » que l’on accole à la théologie est trompeur, la théologie dite « universelle » est
tout simplement occidentale ; il conclut que « En Afrique, l’Eglise sera africaine, puisqu’elle
est catholique, et la théologie, si elle est catholique, y sera africaine »830.

Il faut cependant relativiser ces accès de fièvre politicienne, pour voir que si, certes, le
climat général était à la contestation globale de la domination européenne, une domination
multiforme et, donc, politique, le cœur de l’argumentation n’en était pas moins
authentiquement théologique et religieux. Quand, en 1960, Tharcice Tshibangu, le futur
évêque, engagea sa célèbre controverse contre le doyen Vaneste, sur la possibilité ou
l’admissibilité de l’existence d’une théologie « de couleur africaine », il contestait l’idée
d’une théologie universelle car toute théologie est nécessairement « située » ; c’est vrai que
toute idée tendant à imposer une théologie universelle uniforme cache une intention de
domination. Il en est ainsi clairement signifié lorsque des théologiens, comme le congolais
Alphonse Ngindu Mushete, dénoncent « l’impérialisme culturel de certains théologiens
européens » qui croient que leur culture est « le lieu de l’universalité humaine », affirmant que
« La théologie universelle est un mythe. Rien ne la fonde, ni la révélation, ni la foi, ni
l’histoire », car « toute théologie est culturellement et socialement située »831, même si, avec
une note politique, il n’hésite pas à confier que l’avènement du rite zaïrois est un événement

828
NYUNDA YA RUBANGO, Les pratiques discursives du Congo Belge au Congo-Kinshasa, Paris,
l’Harmattan, 2001, p. 108.
829
Selon le reportage de journal Temps Nouveaux d’Afrique, n° 48-49 nov-déc. 1956 cité par NYUDA YA
RUBANGO, op.cit., 107.
830
Complétant les Actes, un compte-rendu est publié avec comme titre Renouveau de l’Eglise et Nouvelles
Eglises, Kinshasa, 1969, v. pp.124-125.
831
NGINDU MUSHETE, Les thèmes majeurs de la théologie africaine, Paris, Karthala, 1989, p. 44. Voir
également, du même auteur, « De la polémique à l’irénisme critique », Bulletin de Théologie Africaine, vol.I,
n°1, 1979, p.90.
362

éminemment politique, une victoire politico-religieuse de l’Eglise du Congo et, avant tout,
celle du cardinal Malula. C’est, semble-t-il, la logique implicite de cette opinion de Maurice
Cheza se demandant « si la rencontre entre les Africains et Dieu ne reste pas trop dépendante
de la médiation européenne », impliquant ainsi une contestation théologique légitime832.

832
CHEZA, Maurice, DEROITTE, Henri, LUNEAU, René, Les évêques d’Afrique parlent, 1969-1991 :
documents pour le synode africain, Paris, 1992, p. 119.
363

IV

LES RITES AFRICAINS

Un tel énoncé est un parti pris, une reconnaissance que ces rites existent et, donc, qu’il
a fallu établir des rites liturgiques africains, africaniser la liturgie romaine, ce souci étant
justifié ainsi que nous l’avons vu. L’inculturation inspira l’action des Eglises particulières
africaines pour concevoir et adopter des liturgies adaptées au tempérament et aux conditions
de leurs peuples, elle en fut la source lointaine venue de l’autorité de l’Eglise universelle.
Mais, ces Eglises avaient à mette en œuvre les directives et ont engagé des recherches à cet
effet ; les résultats de ces recherches locales ont ainsi façonné le visage des rites africains (I).
Sur la base de tous ces travaux, l’Eglise congolaise entrepris d’élaborer un rite de la messe
propre à ses diocèses, dont l’analyse s’impose entre tous les rites, du fait en particulier qu’il
est jusqu’à ce jour le seul rite particulier approuvé en Afrique par le Saint-Siège (II). ; ceci
nous permettra d’évaluer non seulement la concordance des démarches avec certains autres
rites africains plus ou moins officieux mais aussi quelques tentatives de dépassement du rite
zaïrois (III).

IV.I LES SOURCES IMMEDIATES DU RITE ZAIROIS DE LA MESSE : LES


OPTIONS CONCILIAIRES ET LES DECISIONS DE L’EPISCOPAT ZAIROIS

L’importance de la liturgie explique pourquoi la hiérarchie catholique a toujours


insisté sur l’unité de la liturgie, mais c’est aussi pourquoi, paradoxe purement apparent, le
Concile a trouvé que la « mission » de l’Eglise n’est pas à lier nécessairement à ces contextes
socioculturels et que l’Eglise pouvait très bien, de même que sa liturgie, sans trahir le
message, se dépouiller de certaines manifestations du visage « occidental » qui l’ont
exagérément marquée. Il a été indiqué, ci-dessus, en quels termes le concile veut que la
liturgie tienne compte de la diversité des peuples et des cultures pour réussir une
compénétration avec les cultures des différents peuples et régions, donnant des directives
précises à cet effet aux responsables des Eglises particulières (I). C’est sur ces bases que les
Eglises africaines, l’Eglise du Congo en particulier, ont mené des recherches pour établir une
liturgie adaptée qui demeure dans l’unité ecclésiale avec l’Eglise universelle (II).
364

IV.I.I. Directives conciliaires en vue de l’inculturation liturgique

Par ces options, le Concile admettait que, le message restant sauf, l’inculturation
(l’adaptation dans le vocabulaire conciliaire) impliquait une sorte de pluralisme liturgique ;
ceci amplifie les premiers pas que nous avions déjà vu faire Pie XII lorsque, dans Mediator
Dei, il admettait la diversité des liturgies et des rites liturgiques et s’en réjouissait même. Pour
sa part, la Constitution conciliaire sur la liturgie contient les principes de rénovation, les
normes d’adaptation pour chacune des parties de l’ensemble rituel touchant aux textes, gestes,
chants, vêtements et décors, ainsi que les conditions de procédure dans lesquelles seraient
adoptées et autorisées les réformes. Il s’agit, en gros, par les principes fondamentaux ci-après,
de faire une liturgie compréhensible où le peuple a la possibilité de s’exprimer selon son génie
propre et d’enrichir le culte par ses propres valeurs traditionnelles, tout en sauvegardant la
signification et les valeurs fondamentales universelles du culte catholique, sans dénaturer ni
déformer le message833 :

- vérité et intelligibilité des rites : les différents rites seront, pour rendre active et
consciente la participation des fidèles, révisés dans le sens de la simplification mais sans
que soit perdu leur caractère sacré ;
- évolution et adaptation des rites selon les circonstances de temps et de lieu ; adaptation
de la langue locale : ce principe a été adopté malgré les objections de ceux qui
craignaient que soit menacée l’unité assurée par le latin ;
- le caractère communautaire de la célébration et de la prière, avec assistance et
participation des fidèles, de préférence à une célébration individuelle et quasi privée ;
- à cet effet, la Constitution liturgique précise que « Les actions liturgiques ne sont pas
des actions privées, mais des célébrations de l'Église, qui est "le sacrement de l'unité",
c'est-à-dire le peuple saint réuni et organisé…C'est pourquoi… elles atteignent chacun
de ses membres, de façon diverse, selon la diversité des ordres, des fonctions. et de la
participation effective. »
- l’accompagnement de ce renouveau par une éducation des fidèles, pour leur faire
acquérir le nouvel état d’esprit et la nouvelle mentalité qu’exige la réforme d’un secteur
demeuré pratiquement immuable depuis quatre siècles.

Tout en confiant à chaque « autorité ecclésiastique ayant compétence sur le territoire


[…] de déterminer les adaptations […], conformément toutefois aux normes fondamentales
contenues dans la présente Constitution » (Sacrosanctum Concilium, § 39), le concile
recommande beaucoup d’attention et de prudence pour « ce qui, […], à partir des traditions et
de la mentalité de chaque peuple, peut opportunément être admis dans le culte divin »,
décidant que les adaptations utiles ou nécessaires soient « proposées au Siège Apostolique

833
JERNY, Henri, Vatican II, la Constitution de la Sainte Liturgie, Paris, Ed. du Centurion, 1964, p. 58.
365

pour être introduites avec son consentement » (§ 40). Le concile est conscient que « en
différents lieux et en différentes circonstances, il est urgent d’adapter plus profondément la
liturgie », malgré les difficultés que cela représente d’autant plus ; d’où, tous ces conseils de
prudence, de sagesse et de discipline, mais aussi, étant donné les difficultés spécifiques des
lois liturgiques, la recommandation de s’entourer d’experts avérés en matière doctrinale et en
expérience pastorale.

Cette liberté d’innovation accordée aux évêques et aux conférences épiscopales est
officiellement encadrée, les adaptations se feront « dans les limites fixées par les éditions
typiques des livres liturgiques, notamment celles des nouveaux livres adoptés par le concile et
élaborés dans la période post conciliaire834. Dans le même ordre d’idées, le Pape, en
promulguant Sacrosanctum Concilium, met instamment en garde pour que les simplifications
introduites dans la liturgie pour la rendre plus compréhensible aux fidèles, ne soient pas
l’occasion pour « diminuer l’importance de la prière ni la faire passer après les autres soucis
du ministère sacré ou des activités pastorales », et que « personne ne porte atteinte aux normes
de la prière officielle de l’Eglise en introduisant des réformes ou des rites particuliers ; que
personne ne s’arroge le droit d’anticiper arbitrairement l’application de la constitution […]
avant que n’aient été données les instructions officielles à ce sujet et que n’aient été dûment
approuvées les réformes » envisagées835. Plus tard, la Présentation générale du Missel
Romain précisera encore : « Enfin, si la participation des fidèles et leur bien spirituel
requièrent des différences et des adaptations plus profondes pour que la célébration liturgique
corresponde à la mentalité et aux traditions des divers peuples, les Conférences des évêques
pourront, selon la norme de l’article 40 de la Constitution sur la Sainte Liturgie, les proposer
au Siège Apostolique pour qu’avec son consentement elles soient introduites, et ce surtout en
faveur des peuples à qui l’Évangile a été annoncé plus récemment. »836 En réalité, il faut voir
dans ces précautions prises par la hiérarchie catholique une liberté surveillée des conférences
épiscopales, et regretter que tant de limitations ne laissent plus que la liberté de procéder à
quelques adaptations superficielles dans une liturgie fixée et figée une fois pour toutes mais
dont on sait que, pour l’essentiel, elle est une reprise de coutumes et rites orientaux et
occidentaux (juifs et araméens, latins, celtes, germaniques, francs, gaulois …)
« christianisés ». Il y a là, certes, un souci d’orthodoxie en vue d’éviter d’éventuelles hérésies,

834
Pour les différents rites, seront adoptés : ordo missae, pour le rite de la messe ; ordo initiationis christiana
adultorum ou rituel de l’initiation chrétienne des adultes, ordo celebrandi matrimonium, pour le mariage ; ordo
paenitentiae, pour le sacrement de pénitence ; ordo unctionis infirmorum eorumque pastoralis curae, sur la
pastorale des malades ; ordo exequiarum, sur la célébration de la mort.
835
JERNY, Henri, op. cit ., pp. 31 et 32.
836
Présentation Générale du Missel Romain, art. 395, souligné par nous.
366

mais, on peut y voir également le poids du passé ainsi que l’inertie de la culture dominante de
l’Eglise catholique romaine dont on pourra mesurer l’impact sur la capacité d’innovation
liturgique au sein des jeunes églises, comme si, en fait d’adaptations, il ne leur était accordé
que de mettre en place un cadre africain dont le contenu continuerait d’être l’ordo romain.

IV.I.II Initiatives et recherches des Eglises africaines

Les églises africaines mirent en œuvre les recommandations du Concile, notamment


en menant des recherches. En réalité, cette recherche liturgique ne vise pas la liturgie comme
une fin en soi, mais elle s’inscrit dans un projet théologique et pastoral plus vaste, celui
d’ériger de véritables « Eglises particulières ». Ce concept qui s’est développé depuis le
Concile Vatican II est défini par la Constitution conciliaire Lumen Gentium qui dit que « Il
existe légitimement, au sein de la communion de l’Eglise, des églises particulières jouissant
de leurs propres traditions sans préjudice du primat de la chaire de Pierre qui préside au
rassemblement universel de la charité, garantit les légitimes diversités et veille à ce que, loin
de porter préjudice à l’unité, les particularités, au contraire, lui soient profitables… »837.
Tandis que le décret Ad Gentes vise, en parlant d’églises particulières, spécialement la
situation des « jeunes églises », « Quand l'assemblée des fidèles est déjà enracinée dans la vie
sociale et modelée jusqu'à un certain point sur la culture locale, qu'elle jouit d'une certaine
stabilité et fermeté, l'œuvre de la plantation de l'Eglise dans ce groupe humain déterminé
atteint dans une certaine mesure son terme ; ayant ses ressources propres, fussent-elles
insuffisantes, en clergé local, en religieux et en laïcs, elle est enrichie de ces ministères et
institutions qui sont nécessaires pour mener et développer la vie du peuple de Dieu sous la
conduite de son propre évêque. » « Elles empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs
peuples, à leur sagesse, à leur science, à leurs arts, à leurs disciplines, tout ce qui peut
contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière la grâce du Sauveur, et
ordonner comme il le faut la vie chrétienne. »838 Dans ce sens, comme le disait le cardinal
Malula, le projet de l’Eglise du Congo-Zaïre avait un but, « favoriser le surgissement d’une
Eglise locale authentiquement négro-africaine »839 et, ainsi, une liturgie inculturée est sans
aucun doute l’une de ces ressources propres, qui font l’autonomie d’une église particulière840,

837
La constitution Lumen Gentium, n) 13.
838
Le décret Ad Gentes sur l’activité missionnaire de l’Eglise, n° 19 et 22, souligné par nous.
839
MALULA (Card.), Joseph-Albert, « L’Eglise à l’heure de l’africanité », in De SAINT MOULIN, Léon,
Œuvres complètes du Cardinal Malula, vol.3, Facultés catholiques de Kinshasa, 1997, p. 51.
840
L’inculturation a permis à l’Eglise particulière du Congo-Zaïre de mener un triple renouveau : théologique,
pastoral et liturgique ; voir ce lien in MUENDE-MAMPUYA, Marie-Jeanne, Essor de l’Eglise catholique
congolaise et l’évolution politique du Congo - de la colonisation à la démocratisation, Mémoire de Master 2,
367

par lesquelles cette dernière confesse la gloire du Créateur et participe véritablement à la


catholicité de l’Eglise.

Les recherches menées avaient pour but de découvrir les points de rencontre possibles
entre leurs cultures et la liturgie catholique, ainsi que les aspects de ces cultures susceptibles
d’intégrer harmonieusement cette dernière (2) et, surtout exposant ce qui caractérisera les rites
africains (3). Mais au Congo, dès 1961, l’épiscopat, alors composé d’une majorité d’évêques
européens, avait eu une inspiration d’avant-garde pour l’époque et qui balisa les rénovations
structurelles et liturgiques réalisées plus tard par l’Eglise de ce pays (1).

IV.I.II.1 L’œuvre « prophétique » de la VIe Assemblée de l’épiscopat congolais (1961)

Avant même l’établissement des grands textes conciliaires, les jalons du renouveau
liturgique au Congo étaient déjà jetés par l’importante VIème Assemblée plénière de
l’épiscopat congolais du 20 novembre au 2 décembre 1961 dont nous avons parlé plus haut,
réunie avec en toile de fond la préparation de la participation congolaise au concile ; avec 41
évéchés, y participent 58 responsables, dont 2 évêques congolais (Kimbondo et Nkongolo) et,
sans doute pour équilibrer quelque peu entre missionnaires et nationaux, 21 vicaires généraux,
tous congolais parmi lesquels les 4 évêques auxiliaires (Malula, Nzundu, Nzita et Nganga)841.
En fait, le calendrier de l’Eglise du Congo coïncide avec la période préconciliaire, au
lendemain de la grande consultation universelle lancée par la Curie en vue de récolter les
vœux des Eglises. Les résultats de cette réunion seront comme une prémonition au seuil du
Concile et, finalement, la substance des conclusions sera présentée à ce dernier842. Léon De
Saint Moulin relie nettement la tenue de la VIe Assemblée Plénière à la préparation du
Concile ; le secrétariat général de l’épiscopat ayant, à la suite de la consultation initiée par le
Vatican lancé une large enquête sur les problèmes pastoraux, à partir de mars 1961. Ce sont
les résultats de cette enquête, déjà examinés au niveau des conférences provinciales, qui
servirent de base à la réunion du comité permanent pour établir les thèmes des travaux de
l’Assemblée843.

Au cours de cette assemblée, l’épiscopat constate et même rencontre les critiques


faites à l’Eglise et au christianisme missionnaires s’est préoccupé d’intégrer dans le culte des

sous la direction de Philippe Martin, Faculté de Lettres et Sciences humaines, Nancy 2, 2005-2006, spéc. pp.46-
88.
841
De SAINT MOULIN, Léon, Eglise et société –Le discours socio-politique de l’Eglise catholique du Congo
(1956-1998), t. 1, op.cit., p. 65.
842
OLIVIER, Bernard, Chroniques congolaises…, op.cit., pp. 170-171.
843
De SAINT MOULIN, Léon, Eglise et société …, p. 65.
368

valeurs africaines et congolaises qui peuvent ajouter un caractère vivant et communautaire,


plus adapté au tempérament des fidèles attirés, par nature, par la spontanéité, la vivacité et le
mouvement, caractéristiques qui, naturellement adoptées par les sectes, ont donné à leur culte
plus d’attractivité et exercé de l’influence sur nombre de fidèles catholiques dont certains ont
déserté les Eglises « occidentales »844. De fait, l’épiscopat avait constaté que la direction de
l’Eglise et l’annonce du message par des missionnaires non africains avaient fini par présenter
l’Eglise comme « européenne dans son culte »845. C’est ainsi que, en une sorte de bilan ou
d’autocritique, les Ordinaires missionnaires constatent :

« Nous n’aurons pas réellement christianisé la vie africaine aussi longtemps que nous
n’aurons pas intégré ses valeurs culturelles dans un culte chrétien adapté où nos fidèles
africains pourront exprimer leurs richesses spirituelles et sentir vibrer leur âme
religieuse. Seul un culte vivant et adapté peut provoquer l’approfondissement
nécessaire que l’instruction seule est incapable de donner »

Ce qui nécessite d’engager une réflexion sur les conditions d’une liturgie compréhensible et
participative pour le peuple, avec, dans les prières, le culte et les rites, des expressions et des
gestes qui traduisent vraiment cette « âme religieuse du peuple ». Globalement, la VIe
Assemblée Plénière envisage la liturgie ensemble avec la pastorale et parle même d’apostolat
liturgique, dans le but de faire participer activement le peuple, grâce à l’étude des coutumes et
des cultures religieuses africaines afin d’élaborer « une liturgie africaine vivante » et
intelligible par les fidèles et qui corresponde à leurs besoins. Les évêques considèrent que leur
but primordial est « de faire participer notre peuple activement et avec une foi éclairée à la
liturgie », constatant, par ailleurs, quatre-vingt ans après le début de la mission « belge », que

« Aussi longtemps que notre catéchèse n’aboutira pas à une célébration liturgique
vivante et adaptée, et n’y trouvera pas une présentation concrète du mystère du Salut,
elle restera étrangère à la vie de nos néophytes et ne touchera pas leurs conceptions
vitales » et que « La liturgie introduite en terre d’Afrique ne s’est pas encore adaptée
au caractère propre de ces populations et leur est restée étrangère. Le retour aux
valeurs authentiques de la liturgie ouvre largement le chemin à une adaptation
fondamentale au milieu africain »846.

Dans cette perspective, l’assemblée propose, en plus de directives pastorales847, des


adaptations de la liturgie et des rituels848. Plutôt que de les interpréter, voici énumérés les
souhaits concernant les rituels et un extrait du contenu du « directoire pour l’adaptation de

844
BUHLMANN, Walbert, La tierce Eglise est là, Kinshasa, Ed. St Paul – Afrique, 1978, pp.166-178.
845
Déclaration de la VIème Assemblée plénière de l’épiscopat, chap. II, §I, b), in De SAINT MOULIN, Léon et
GAISE N’GANZI, Roger, op. cit. , p.68.
846
Actes de la VIe Assemblée plénière de l’Episcopat du Congo-Léopoldville, pp. 188-189 et 191.
847
Ibid., pp. 105-134, spécialement p. 133.
848
Ibid., pp. 407-408.
369

l’office divin », directoire que chaque évêque est appelé à mettre en œuvre en vue des
adaptations à opérer, en tenant compte des réalités locales et après une catéchèse appropriée,
suivis des directives pastorales, tels que dégagés par les évêques après leur analyse de la
situation dans ces différents domaines et tels qu’ils les ont présentés à la Congrégation des
rites.

Les « directives sur les orientations pastorales » :

1. Abandon de la pastorale d’institution pour une pastorale de présence de l’Eglise au


monde.
2. Concentration des efforts apostoliques sur les communautés chrétiennes vivantes, en
recourant aux médiations proprement ecclésiales : prédication-liturgie-formation des
laïcs, charité. Dans ce but, il faut libérer le plus possible de prêtres pour le travail
pastoral, l’action catholique, l’édification de la communauté chrétienne.
3. Assurer la liberté spirituelle de l’Eglise par le désengagement de tout ordre établi et la
renonciation aux privilèges inhérents à un ‘’ordre social’’ déterminé.
4. Limiter le poids des institutions, en confiant le plus de responsabilités possibles aux
laïcs.
5. Mettre les institutions existantes au service des masses de façon à les aider à subvenir
à leurs besoins et à s’organiser.
6. Clarifier les relations Eglise-Etat, dans le respect de l’autonomie propre de l’état et
dans le refus de tout cléricalisme, par la fidélité du prêtre à sa mission propre.
7. Respect du rôle propre au laïc et de son autonomie dans le domaine temporel.
8. Obligation de préparer et de former les laïcs à l’apostolat social moderne.
9. Pratique de la vraie tolérance fondée sur la liberté et le respect de la rencontre du Dieu
vivant dans la foi.
10. Collaboration loyale avec les non-chrétiens pour l’édification d’un monde plus juste
et plus humain

Les « vœux au sujet de la liturgie » :

1. On estime souhaitable de permettre le chant du Propre en langue vivante, ou, à sa


place, des paraphrases de ce propre, ou encore des cantiques appropriés.
2. On désire que le ministre (ou le célébrant) soit autorisé à proclamer les lectures de la
messe uniquement dans la langue des fidèles présents et en se tournant vers eux.
3. On souhaite pouvoir employer la faculté de missa cantata in cantu populari aussi pour
les messes solennelles et pontificales.
4. On souhaite que tous les dialogues entre le célébrant et les fidèles puissent être faits
directement et exclusivement en langue vivante.
5. On souhaite que les prières présidentielles (les trois oraisons : collecte, secrète,
postcommunion ; préface et sanctus, doxologie de la fin du canon ; Pater avec
monition précédente ; bénédiction ; Agnus Dei, Domine non sum dignus, formule
370

raccourcie, Corpus N.D.J.C.) puissent être faites directement et exclusivement en


langue vivante.
6. On souhaite que les chants liturgiques de la messe exécutés par les ministres, la
chorale ou le peuple ne doivent plus être répétés par le célébrant.
7. Les ordinaires désirent pouvoir dispenser du jeûne eucharistique leurs prêtres qui, les
dimanches et les jours de fêtes d’obligation, doivent célébrer une deuxième ou une
troisième messe, de sorte qu’ils puissent prendre des boissons non alcoolisées.
8. L’Assemblé plénière souhaite qu’il soit permis d’utiliser la musique grégorienne pour
accompagner les chants liturgiques dont la traduction en langue vivante a été
autorisée.
9. Les ordinaires du Congo souhaitent que les membres des ordres qui possèdent un rite
latin particulier suivent le rite romain quand ils célèbrent en public avec la
participation du peuple.

Les souhaits concernant le rituel :

1. L’Assemblée plénière demande l’autorisation de réciter en langue vivante la


bénédiction nuptiale, que ce soit pendant la messe ou en dehors.
2. Ayant déjà obtenu de pouvoir employer une traduction du rituel (excepté les formes
sacramentaires et les exorcismes), les ordinaires du Congo souhaitent pouvoir user
aussi d’une traduction des formes sacramentaires et des exorcismes, et aussi de
chercher pour les exorcismes des formules plus appropriées.
3. Les ordinaires désirent, tenant compte des besoins et des coutumes de leurs fidèles,
pouvoir composer des bénédictions et les soumettre à une Commission instituée par
l’épiscopat.
4. Il semble nécessaire en général et servatis servandis d’adapter les rites des sacrements
et sacramentaux aux coutumes locales : en premier lieu de supprimer des rites et des
textes qui sont complètement en désaccord avec la mentalité locale.
5. Il est désirable que les rubriques du rituel déterminent strictement la structure des rites,
mais laissent quelque liberté dans le choix des cérémonies, de façon à permettre à
l’ordinaire de les adapter aux conditions locales.
6. Dans les cérémonies du mariage et dans les rites funéraires, les ordinaires souhaitent
pouvoir faire place aux coutumes locales servatis servandis.

Ces orientations sont importantes. En effet, elles préconisent une conception pastorale
tout à fait nouvelle et une profonde restructuration de la liturgie et préfigurent ce qui, quand
elles auront été pratiquement entérinées par le Concile Vatican II, va caractériser la messe
zaïroise, ainsi que cela sera développé plus loin, tandis que, dans l’ensemble, elles annoncent
les nouvelles orientations que prendra le concile en matière de liturgie.

Certes, un peu partout en Afrique, de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique Australe, les


choses bougent avant même la fin du concile. Pour ne prendre qu’un exemple
d’empressement à interpréter le Concile de façon à en tirer toutes les conséquences, Mgr
371

Yago, qui fut au Concile membre de la Commission des Missions, déclarait, dans une lettre
pastorale : « Dieu nous demande de chanter ses louanges, de l’honorer et de le prier en accord
avec notre âme africaine. Jusqu’à présent, nous l’avons fait sur la base d’une tradition latine,
et les missionnaires qui nous ont annoncé la Bonne Nouvelle ne pouvaient nous la transmettre
d’une autre manière »849. En même temps, plusieurs conférences épiscopales se mettent à
l’œuvre et réunissent des groupes de travail sur ce programme d’africanisation de la liturgie et
certaines l’appliquent déjà en commençant par la traduction des textes liturgiques et en
préparant les éléments d’une liturgie africaine. Mais, c’est certainement au Congo que
l’effervescence se fait le plus sentir ; sans doute, Joseph Malula, devenu archevêque du
diocèse le plus important du Congo et peu après l’unique cardinal de ce pays, y joue-t-il un
rôle moteur. En plus des réunions au niveau des diocèses et de la conférence épiscopale pour
des directives nationales au cours de tout le premier semestre de 1964, il y a surtout la volonté
de l’Episcopat congolais de fonder la nouvelle liturgie congolaise sur des bases théologiques
indiscutables ; aussi, charge-t-il la Faculté de théologie catholique de Kinshasa d’organiser
des cycles de recherches et d’études sur des thèmes relatifs à l’africanisation de l’Eglise et du
christianisme dans les différents domaines. C’est le début des célèbres « Semaines
théologiques de Kinshasa », qui va être ainsi intimement liée à la préparation de vota des
évêques congolais pour le concile et dont la première est aussitôt organisée, du 20 au 25 juillet
1964.

Dès lors, l’Episcopat du Congo, engage ses travaux en adaptant ses orientations aux
innovations que Paul VI, avant même la fin du Concile, avait commencé d’introduire en vue
d’une application provisoire des conclusions du Concile en matière de liturgie, avec
notamment la publication de l’Ordo Missae de 1965. Les évêques congolais constatent donc,
comme leurs collègues africains, que le culte est en Afrique une activité engageant et faisant
intervenir toute la communauté, alors que l’inculturation exige d’emprunter aux traditions de
la vie religieuse africaine, de les adapter en les ayant purifiées pour les rendre propres au culte
chrétien. A la suite de ces réflexions et directives, l’Assemblée des évêques va adopter et
soumettre à la hiérarchie vaticane, en particulier au moment du concile et par la suite,
plusieurs réformes dans le domaine liturgique, en relation avec le rite de la messe, concernant
les textes bibliques, la musique, l’habillement, les arts sacrés, et la célébration eucharistique
elle-même, dont certaines seront mises en application avant les autorisations ou approbations
hiérarchiques. Les évêques vont aussi recommander que la messe soit dite dans les langues

849
Lettre pastorale de janvier 1964, in ALBERIGO Giuseppe (dir.), Histoire du Concile Vatican II, T. 3, Le
Concile adulte, Paris, le Cerf, 1997, p. 530.
372

des peuples, l’officiant face à l’assistance, et qu’il y soit introduit des dialogues plus fréquents
et en langues locales, toutes caractéristiques qui conviennent bien au tempérament
communautaire africain. Mais, le premier secteur où ces initiatives se sont concrétisées est
celui de la traduction en langues vernaculaires des textes bibliques, en vue des lectures au
cours de la messe, qui s’est faite dans un premier temps avec un certain désordre et avec des
incohérences et contradictions par manque de coordination et de directives communes ;
l’harmonisation grâce à la procédure obligatoire d’approbation ultérieure par Rome des
traductions utilisées jusque là ad experimentum a permis plus tard de fixer les lectures
officielles diffusées et utilisées au sein de toute l’Eglise du Congo, notamment au cours de la
messe de rite zaïrois. Ces « essais » bénéficieront d’une vision plus systématique une fois que
le Concile sera terminé, ils vont s’orienter plus nettement dans les efforts pour un rite de
messe propre à l’Eglise du Congo.

IV.I.II.2 Les résultats des recherches post-conciliaires

Le Concile ayant recommandé aux évêques de faire des recherches préalables


approfondies au sein des assemblées épiscopales nationales ou des conférences régionales pour
préparer les réformes, sous l’autorité de la conférence épiscopale du Zaïre ainsi que dans les
facultés et instituts catholiques congolais des études furent menées en vue d’une meilleure
connaissance des cultures locales et d’en trier qui puissent enrichir la « mission » par
l’inculturation du christianisme et celle de la liturgie en particulier.

Redécouvrir les religions traditionnelles africaines

Mais, cette recherche ne devrait pas être celle de l’optique des missionnaires coloniaux
qui ont, eux aussi, étudié les cultures, traditions et croyances africaines, étant à l’origine d’un
nombre impressionnant d’ouvrages devenus des références en matière d’anthropologie et
d’ethnographie, soit généraux soit monographiques sur différentes contrées ou seulement
certains clans et tribus. Cette optique était essentiellement orientée vers l’identification des
superstitions et croyances qui devaient à tout prix céder la place, grâce à une conversion
parfois forcée, à la « vraie foi », après leur destruction ou leur retrait de la circulation. Comme
l’écrit E. Mveng, si le missionnaire « étudie les religions traditionnelles, ce n’est pas seulement
pour y retrouver des pierres d’attente, c’est surtout pour les combattre »850. Au contraire,
aujourd’hui, l’inventaire devrait viser la découverte de celles de ces valeurs qui recèlent une
conception positive de l’humanité et de la relation au divin, susceptible d’intégrer le message
850
MVENG, Engelbert, L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant, op.cit., p. 74.
373

chrétien et d’y amener les formes et expressions cultuelles et liturgiques propres authentiques,
la découverte de l’identité africaine.

On peut ne pas toujours saisir ce que les publications de théologiens et philosophes


africains désignent comme « l’identité africaine ». Celle-ci se trouverait-elle peut-être résumée
dans cette citation de F. Kabasele Lumbala, s’inspirant d’une certaine transculturalté des
cultures africaines :

« L’homme noir a une conception de la personne humaine comme d’un cosmos en miniature,
eau et feu, terre et air, visible et invisible, corps et esprit indissociablement ; […] certains
codes de la nature peuvent l’amener à canaliser les forces de la nature pour influer sur le cours
de la vie, pour conjurer la mort et faire triompher la vie… La religion est pour nous une
manière de vivre, de concevoir le monde, et d’entrer en relation avec les hommes, la nature et
l’Au-delà (Dieu, les Ancêtres, les Esprits). Les rapports avec Dieu ne sont pas les plus
éloquents, mais plutôt ceux avec les Ancêtres, ces intermédiaires qui nous ont connus et qui
continuent de militer à nos côtés pour le triomphe de la vie. Il n’y a pas de monde sacré et
profane. L’univers tout entier est le lieu de l’irruption de l’Au-delà ou du divin. La vie est le
sacré par excellence.[…] La vie est la valeur suprême, le don par excellence de Dieu, et qu’il
faut transmettre. Vivre pour nous, c’est donner la vie. Une vie sans progéniture est une
catastrophe […] En Afrique noire, on survit plus par solidarité et alliance, que par de
puissantes organisations et de rigoureuses planifications. On cultive moins la confiance dans
l’outil, la machine, dans les biens matériels, que dans l’homme et dans la relation
communautaire. »851

De même, liée à la liturgie, la « christologie africaine » a-t-elle permis de découvrir


des noms et symboles africains pour nommer Jésus, tels qu’un échantillon en est donné dans
un ouvrage collectif dont les auteurs se demandent comment penser, comprendre et confesser
Jésus-Christ dans les cultures africaines et dans l’histoire actuelle de l’Afrique, et où l’on
découvre les noms du Christ comme Chef, Ancêtre et Aîné, Maître d’initiation (initiateur),
Guérisseur ou, encore, identifié au Pharaon comme le fait l’égyptologie africaine852. Le même
souci est rencontré en rapport avec les noms donnés à Dieu. Toutes ces recherches africaines
ont débuté par la démonstration que l’Afrique traditionnelle, dite païenne, connaissait Dieu et
en avait une conception monothéiste ; les chercheurs énumèrent, en effet, les noms par
lesquels les différentes langues africaines traduisent la notion rendue par les mots « Dieu »,
« Deus », « Théos » « God », « Goth » ou « Allah »… dans des langues étrangères, se
traduisant par Nzambe, Mungu, Mvidi Mukulu (ou Mulopo, Maweja), Nzakomba, Nzambi,
etc., dans les langues congolaises, par exemple. Des études ont de fait prouvé que, de ce point

851
KABASELE LUMBALA, François, « Les cultures africaines et le christianisme : peuvent-ils s’enrichir
mutuellement ? Si oui, à quelles conditions ? », www.sedos.org/french/Kabasele/html
852
KABASELE LUMBALA, François. (dir.), Chemins de la christologie africaine, Ed. Desclée, Coll. Jésus et
Jésus-Christ n° 25, 2001 ; c’est une nouvelle édition d’un ouvrage publié en 1986 sous la direction d’Engelbert
MVENG, ses auteurs sont des théologiens et littéraires africains : Pius Ngandu Nkashama, François Kabasele,
Julien Pénoukou, Anselme Sanon, Cécé Kolié, Kä Mana, Lambert Ntumba, Vital Mbadu Kwalu, Josaphat
Hitimana, Josée Ngalula Tshianda et Benezet.
374

de vue, au-delà des croyances ancestrales, l’Afrique est largement dominée par une
conception monothéiste » et que, même, elle serait, avec Akhenaton et avant les patriarches
d’Israël, le berceau du monothéisme853. Mais, en plus, la sagesse et la connaissance africaines
regorgent d’appellations et d’images profondes par lesquelles la tradition rend les attributs,
qualités et caractéristiques de Dieu, qui, d’une part, prouvent que ces traditions connaissent
parfaitement Dieu et, d’autre part, fournissent les nombreuses appellations de gloire, de
louange et de puissance de Dieu. F. Kabasele Lumbala donne un riche échantillon de ces
noms de gloire (meena a bunuunu ne a luumu), en langue ciluba, pour la tradition « luba » au
Congo-Kinshasa, une idée de la profondeur de la connaissance que la civilisation luba a de
Dieu : Dieu est « le soleil qu’on ne peut regarder fixement, qui brûlerait celui qui le
regarderait » (Diiba kuditangidi cishiki, wakutangila dyamosha nsese), « la terre qui n’offre
pas de tribut à la pluie » (Buloba kalambudi mvula), « la route qui ne gémit pas, ce sont ceux
qui marchent dessus qui gémisent » (Njila katu mikemu, batwatwa mikemu mbendelandela
pu), « le léopard qui a sa propre fôret » (Nkashama wa diende diitu), « le vent qu’on ne peut
piéger » (Cipepele ukeena kuteya), « l’arc-en-ciel qui arrête la pluie » (Mwanza-Nkongolo
lukanda mvula)854, etc. Chez Kalamba Nsapo, qui corrobore ces noms, on en trouve d’autres :
Maweeja Kateena dina (le Dieu qu’on ne saurait nommer, littéralement « sans nom »), Ndi
(« Je suis »), il est Musangana mwenapo ne Musangana mwenabyo (littéralement, « Il est
trouvé déjà là, propriétaire de l’univers et propriétaire de toutes les créatures »), Kafukele
Mwena bantu mmutaambe too ne bayaya ku ngondo (le créateur maître de l’humanité, il
surpasse même ceux qui vont à la lune), Nzambi Mudifuke (« le Dieu qui s’est créé lui-
même »), etc.855.

De telles recherches sont utiles dans la mesure où la démarche revient à s’interroger sur
l’utilisation que la théologie, la liturgie particulièrement, peut faire des données culturelles
africaines. En tout état de cause, une démarche crédible d’inculturation nécessite que, dans une
opération de redécouverte des racines africaines856, soient identifiées ces « valeurs culturelles

853
Sans le démontrer avec les recherches pointues des égyptologues africains célèbres (Cheik Anta-Diop,
Théophile Obenga), citons quelques études des Congolais Bimwenyi (Discours théologique négro-africain,
Présence Africaine 1981), Bilolo M. (Métaphysique pharaonique IIIe millénaire avant J-C. Prolégomènes et
postulats majeurs, 1994), Kabasele Lumbala et Ntumba Mwena Mwanza (Kutendeleela Yezu mu bwena kwetu,
Ed. Bafiike dimanyayi, 2001), Kalamba Nsapo (Bunkaaya bwa Mufuki mu Afrika, Publ. Univ. Africaines, 2007)
etc.
854
KABASELE LUMBALA, François, « Révélation de Dieu dans des traditions Luba », in La religion africaine
réhabilitée ? – Regards changeants sur le fait religieux africain, Paris, Karthala , 2007, p. 116.
855
KALAMBA NSAPO, Sylvain, Bunkaaya bwa Mufuki mu Afrika, Munich- Kinshasa- Paris, Ed. Publ.
Univers. Africaines, 2007, pp. 9 et ss.
856
Démarche que rend bien le titre d’un ouvrage récent de François Kabasele Lumbala, Renouer avec ses racines
– Chemins d’inculturation, Paris, Karthala, 2005.
375

africaines » qui alimenteraient l’inculturation, ces valeurs suffisamment compatibles avec le


christianisme pour pouvoir l’incarner ou le traduire et en exprimer la foi et le culte avec
fidélité.

Aussi, les années qui suivirent la promulgation de la Constitution conciliaire sur la


liturgie et la fin du Concile Vatican II « furent [elles], dans nombre d’Eglises d’Afrique, des
années d’intense labeur »857, avec des recherches qui ont dépassé le simple niveau de
l’exploitation et de l’interprétation des documents conciliaires et de l’histoire de l’Eglise pour
interroger le contenu et la portée des croyances africaines dans le rapport au divin.

Il ne s’agit, certes, pas de revenir aux « religions traditionnelles africaines », dont, à


vrai dire, on ne connaît que peu de choses de précis, sinon dans des contes qui se transmettent
par cette oralité que l’Africain revendique comme originalité permanente ou dans des pratiques
contemporaines qui ont certainement subi des altérations ou des influences diverses. Mais, au-
delà de sa fonction proprement religieuse ou sacralisante de la relation au surnaturel en regard
des valeurs transcendantales propres à ce dernier, toute religion détient et exerce une fonction
sociale de contrôle et d’identification culturelle, c’est la raison pour laquelle la prise en
considération des religions traditionnelles africaines, comme source, dans ces recherches
tendant à s’inspirer des valeurs culturelles traditionnelles, est une démarche qui s’impose858.
Par ailleurs, par ces études, à la suite des missionnaires qui avaient découvert chez les peuples
africains, non pas seulement la croyance dans de vagues « divinités » considérées comme
animistes, mais des éléments de croyance en Dieu et, même, en un seul Dieu, les Africains ont
pu approfondir les données tendant à établir plus nettement et plus directement, en profondeur,
des liens avec le Dieu de Jésus-Christ, avec le mystère christologique de la souffrance, de la
mort et de la résurrection ainsi qu’avec la problématique du sacrifice pour la rédemption. Ce
genre de « preuves » de l’authenticité de la foi africaine traditionnelle et de son rapport à la foi
chrétienne importée ne nous concerne pas ici. Néanmoins, cela fonde des prémices pour la
revendication d’une manière africaine de louer et d’adorer ce « Dieu », la revendication d’un
« célébrer africain ».

Dans ces recherches, des spécialistes, comme François Kabasele L., vont jusqu’à
relativiser la « révélation » présentée comme exclusive à Israël et l’« élection » d’Israël comme
l’unique peuple « élu ». Ce point de vue n’est pas séduisant uniquement par les réfutations
857
LUNEAU, René, Paroles et silences du synode africain (1989-1995), Paris, Karthala, 1997, p. 74.
858
ABEGA, Séverin-Céline, « Le Cameroun et la religion traditionnelle », in MESSINA, Jean.-Paul, BUTAKE,
Bole et VAN SLAGEREN, Jaap, Histoire du christianisme au Cameroun, des origines à nos jours, op.cit., p.
16.
376

« scientistes », fondées sur des découvertes archéologiques récentes, contestant des récits
bibliques de l’histoire du peuple juif, y compris l’existence même des patriarches fondateurs
que sont Abraham, Isaac et Jacob, ainsi du reste que l’esclavage en Egypte et l’exode massif
par lequel le peuple juif se serait emparé de Canaan859. Dans le même sens, Alphonse Ngindu
Mushete rappelle que les théoriciens des théologies missionnaires traditionnelles « oublient
que le Dieu salvifiant est omniprésent et qu’il existe non seulement une révélation universelle
débordant la révélation dite spéciale (judéo-chrétienne), mais un salut qui est obtenu par les
médiations non ecclésiastiques, aussi diversifiées que sont les humanismes parmi les
hommes »860. Mais, même sans ces arguments de spécialistes théologiens, on peut comprendre
le point de vue de ceux qui croient que le Dieu, unique, qui a créé toute chose et tout homme, a
dû établir des contacts avec sa créature partout où il lui avait donné de vivre, par des songes,
des oracles, des signes et symboles, etc. Il est donc affirmé que Dieu « s’est révélé à nos
ancêtres », il ne peut avoir abandonné « la multitude des peuples, sortie elle aussi de sa main
créatrice, de son cœur aimant et de ses pensées immuables »861. Dans une étude récente862,
François Kabasele Lumbala développe ces idées, montrant comment dans toutes les religions
s’est toujours établie la communication entre l’homme et les divinités, comment Dieu se serait
révélé à des « initiés » ou « éveillés », en dehors du peuple d’Israël, que ce soit dans
l’hindouisme, dans certaines formes du bouddhisme comme le taoïsme ou dans l’islam. Partant
de la définition que Vatican II donne de la « révélation » contenue dans les livres sacrés, en
tant qu’elle traduit la communication de Dieu faite à des hommes qui l’ont transcrite à
l’intention de leur communauté, Kabasele admet qu’ainsi « l’histoire du salut a débuté partout
avec la création, avec nos ancêtres, avec les fondateurs de nos nations ; elle inclut tous ceux
qui ont joué un rôle dans la sauvegarde et la croissance de la vie , dans le rayonnement de
l’amour et de la paix entre les hommes, dans le rétablissement de l’harmonie sur la terre ». S’il
s’est trouvé l’écriture ici, permettant au scribe ou au prêtre de transcrire par écrit la révélation
reçue ou transmise par la tradition, ailleurs, comme en Afrique sub-saharienne, il ne s’est
trouvé que l’oralité pour transmettre de bouche à oreille et de génération à génération le
message divin à travers rites, songes, visions, contes, proverbes et mythes, gestes et paroles de
vie863.

859
A ce propos, François KABASELE commente de larges extraits de l’ouvrage La bible dévoilée, les nouvelles
révélations de l’archéologie, de Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, Paris, Bayard, 2002.
860
NGINDU MUSHETE, Alphonse, Les thèmes majeurs de la théologie africaine, op.cit., pp. 33-34.
861
KABASELE LUMBALA, François, Renouer avec ses racines, op.cit., pp. 210-222.
862
KABASELE LUMBALA, François, « Révélation de Dieu dans des traditions luba », in La religion africaine
réhabilitée ? Regards changeants sur le fait religieux africain, Paris, Karthala, 2007, pp. 103-120.
863
Ibid., spécialement pp. 104-107, 109 et s.
377

Exposée notamment par E. Mveng864, on peut lire une thèse basée sur des recherches
des égyptologues comme la découverte par Cheick Anta Diop de l’antériorité de la civilisation
égyptienne par rapport à la civilisation gréco-romaine, allant plus loin encore, qui, rapprochant
les Juifs et les Kushites (des Noirs, eux aussi un peuple biblique), affirme que « Le message de
la Bible nous apparaît sous un éclairage nouveau. Il appartient, en tout premier lieu, à
l’héritage culturel et spirituel des peuples noirs ». Certes, cette révélation aux peuples
d’Afrique ne s’est transmise qu’oralement, mais la révélation biblique fut, elle aussi, marquée
par l’oralité pour ne bénéficier de l’écriture que bien tard ; du reste, l’oralité est une attitude
devant la parole, qui croit dans la puissance de la parole, une puissance mystérieuse s’agissant
des choses liées à la force vitale et à la vie ; contrairement à ce qu’on en dit, l’oralité, qui est
communication par les symboles et le concret, n’altère pas la réalité du fait ou de l’événement
énoncé. La conclusion, c’est qu’un peuple qui a un rapport et une communication avec Dieu
doit être capable de l’adorer dans son identité et, donc, forger sa propre liturgie ou, dans
l’universalité de l’Eglise, marquer de son propre génie culturel et religieux la liturgie dans
laquelle il rend le culte à son Dieu.

Nécessité d’adaptation

Ces recherches ont ainsi fait émerger des rites inédits dans la liturgie catholique
occidentale, empruntés aux cultures africaines et qui ont pu être intégrés dans les rituels de
certains sacrements (mariage, vie consacrée, baptême, réconciliation ou pénitence, …), dans la
compréhension du culte des saints et l’invocation des ancêtres au cours de la célébration
eucharistique865, dans le rite de la messe lui-même…, dans l’adoption d’une iconographie
chrétienne africaine où, fait homme, Dieu rejoint tout homme de toute race, iconographie qui
représente Dieu, Jésus ainsi que les mystères sacrés dans les traits et expressions artistiques de
toutes les races pour mieux marquer qu’ils ne s’identifient ni ne se limitent pas à une seule866.
Ainsi que le montre A. Shorter, « L’inculturation, c’est la transformation de la culture par la foi
et la ré-expression de la foi par la culture. Une Eucharistie inculturée (ou tout autre rite
liturgique) est authentique quand elle est le fruit d’un processus plus large qui a transformé
toute la culture. Dans cette inculturation, on reconnaît l’Eucharistie des chrétiens, avec sa

864
MVENG, Engelbert et WERBLOWSKH, R.I.Z. (éd.), L’Afrique noire et la Bible, Ed. The Israel Interfaith
Commeetee, p. 39.
865
KABASELE LUMBALA, François, « Processus d’élaboration d’Eglise au Zaïre », op.cit., Concilium n° 251,
1994, p. 77.
866
KABASELE LUMBALA, François, ibid., p.78.
378

structure et ses éléments, mais le style, le contexte, l’esprit viennent de la nouvelle culture
locale. ».867

Plusieurs thèmes en rapport avec la célébration rituelle dans les traditions culturelles
africaines ont été abordés par ces recherches, le rôle du rite et, en conséquence, celui de la
liturgie, les formes et expressions de la célébration traditionnelle africaine, comprenant rites et
schémas rituels, arts, rythmes, signes et symboles propres aux cultures africaines. Mais, tous
ces thèmes tournent essentiellement autour du célébrer africain, pour emprunter cette
expression à F. Kabasele868, un acte collectif et communautaire, participatif et expressif où
chaque membre de la communauté détient et joue un rôle : s’il ne préside pas, il porte ou
apporte les éléments, il chante et danse en battant les mains, il prie avec le célébrant ; il n’y a
d’observateurs ou de spectateurs que les étrangers à la communauté culturelle concernée et,
aujourd’hui dans les villes et centres extra-coutumiers, les badauds et les touristes. Par ailleurs,
il n’est de célébration, au sein des communautés culturelles africaines, qui ne se déroule autour
de la communion avec les ancêtres, qu’on honore et dont on sollicite protection et assistance.

Par ailleurs, les théologiens africains sont préoccupés par le problème de la


contextualisation du message évangélique On trouve dans une communication du père Laurent
Mpongo, l’un des acteurs de la liturgie zaïroise « inculturée », un certain nombre de
propositions faites au cours de la période d’élaboration du rite zaïrois, fondées sur la critique
du « langage du missel romain »869. On y lit que le langage du missel romain de 1969, en dépit
de ses efforts, est trop abstrait et « propose aux africains des formes d’expression étrangères à
leur psychologie », en particulier il interpelle l’homme « réduit à l’intériorité de l’âme », se
basant sur une nette délimitation du sacré et du profane, il banalise l’histoire profane, la
condition socio-politique de l’homme, comme si ce dernier laissait sa vie quotidienne à la porte
de l’église et sortait de son histoire et de son « devenir matériel et social » ainsi que son action,
pour y rencontrer un Jésus que la liturgie ecclésiastique a sorti de l’histoire. Alors qu’il faut un
langage qui soit « l’expression vivante du message à transmettre et de la réponse du peuple au
message décodé », message et réponse à formuler « selon les genres littéraires de l’aire
culturelle à laquelle appartient le peuple considéré ». Il appelle un langage concret qui, par lui-
même, fasse percevoir, mieux que le langage ecclésiastique habituel, le contenu du message,
qui rende le message « un message universellement humain » qui ne fait pas abstraction de « la

867
SHORTER, Aylward, « L’inculturation dans le christianisme des valeurs religieuses traditionnelles africaines
– Jusqu’où ? », loc.cit.
868
KABASELE LUMBALA, François, Renouer avec ses racines – Chemins d’inculturation, op.cit., p.19.
869
MPONGO, Laurent, « Liturgie et Renouveau liturgique », non édité, 1978.
379

conscience qu’a l’homme de ses relations avec le cosmos, les autres hommes, la société et avec
Dieu. C’est un langage qui puisse adopter « l’art de la parole » propre à l’Afrique noire,
employant des « procédés stylistiques, parmi lesquels, les répétitions voulues pour des fins
rythmiques ou pour insister, des images formulées sous forme de métaphore ou de
comparaison ; les expressions ‘’énigmatiques’’, les énumérations ». Cet art coutumier aux
Africains a le mérite d’éveiller et de captiver par son charme l’attention du fidèle, comme le
confirme une enquête de l’Agence D.I.A. que cite l’auteur, selon laquelle de nombreux
chrétiens du diocèse de Beni-Butembo « se sentent plus à l’aise quand ils assistent à la
célébration présidée par le catéchiste qu’à la célébration eucharistique présidée par le prêtre ».
L. Mpongo appelle ainsi une liturgie vraie et vivante qui, à la différence notamment de
nombreux textes euchologiques du missel romain, fait mention de combats que le chrétien doit
mener, avec l’aide de la grâce, pour la paix, la justice, dans l’action quotidienne qu’il mène
pour participer à l’action transformatrice de Dieu qui l’a appelé à « dominer la terre ». Selon
James Chukwuma, le salut n’est pas uniquement relatif à l’âme, « il concerne la personne
humaine dans son contexte total, il est corporel et spirituel, social et psychologique. L’Africain
n’attend pas le salut après la mort, celui-ci doit être, pour lui, un résultat visible dès maintenant
dans les circonstances de sa vie. En conséquence, le salut est une délivrance du pouvoir des
principautés ou royaumes démoniaques (esprits malfaisants) et enclaves des ennemis humains,
la délivrance de la mauvaise santé et des malheurs de la vie »870. Le chrétien africain attend que
le sang du Christ le sauve dès maintenant. C’est que, pour l’Africain, le sacrifice eucharistique
est une opération efficace pour sa vie et, comme écrit J. Chukwuma dans l’étude précitée,
« une eucharistie africaine devrait puissamment symboliser la présence active de Dieu et de
son Christ au sein de l’assemblée »871.

Cette réflexion rejoint ainsi la pensée exprimée par le père E. Mveng dans sa
conception de la « théologie de la libération » dans sa contextualité, quand il dit que «La
théologie de la libération a pour point de départ la fonction de notre foi dans la vie quotidienne
de chacun de nous. Si Dieu s’est révélé à nous, c’est pourquoi ? Voilà la question de la
libération, et elle répond à cette question en ayant recours à la révélation. Qu’est-ce que Dieu
nous dit dans ce que nous appelons la parole de Dieu? Et la Bible nous répond : Dieu s’adresse
à l’homme pour sauver l’homme, pour le libérer», « On lit toujours la Bible à partir de là où

870
CHUKWUMA OKOYE, James, “The Eucharist in African Perspective”,
http://www.sedos.org/english/okoye_2.htm
871
Ibid.
380

on est, c’est-à-dire à partir de son contexte»872. Elle rejoint aussi, sans doute, l’exhortation de
Paul VI, indiquant que l’évangélisation doit tenir compte de ceux que l’on évangélise, parce
que « La question perd beaucoup de sa force et de son efficacité si elle ne prend pas en
considération le peuple concret auquel elle s’adresse, n’utilise pas sa langue, ses signes et
symboles, ne répond pas aux questions qu’il pose, ne rejoint pas sa vie concrète »873.

Il y a lieu de citer, enfin, Jean-Marc Ela qui, posant cette question radicale, se
demande : « Allons-nous produire de la théologie pour une minorité de privilégiés, nous
offrant le luxe de réfléchir sur l’Evangile pour lui-même, sans nous soucier des hommes
auxquels il s’adresse ! Ou bien allons-nous investir nos ressources dans un travail théologique
qui rejoint des hommes là où ils sont, dans leur univers propre, pour les aider à réfléchir sur la
relation entre l’Evangile et leur vie concrète, avec sa complexité, ses dimensions et ses
exigences » Alors que « L’Africain est à la recherche du bonheur à l’ombre des ancêtres, il faut
l’y rejoindre pour porter le ‘’soupçon ‘’ sur nos énoncés de foi, la prédication de la vie
éternelle, l’attente d’un autre monde… En Afrique, le christianisme est mis en cause par tout
ce qui permet à l’homme de se comprendre, de se valoriser, de s’intégrer à la société,
d’assumer sa condition, de maîtriser ses angoisses, d’atteindre à un équilibre suffisant en lui-
même et au sein de son univers »874. C’est pourquoi les liturgies africaines englobent ainsi les
différents aspects de la vie. C’est ainsi que, depuis plus de dix ans, des rituels sont adoptés,
comme cet ensemble élaboré sous les auspices de l’Institut d’Anthropologie Culturelle de
Bandundu au Congo-Kinshasa (CEEBA), de rites divers : pour écarter les êtres maléfiques
d’un enfant, rite d’ablution christianisé pour rendre un enfant vigoureux, rituel lors des troubles
nocturnes en famille, rituel autour de la naissance, des messes pour les malades remplaçant la
délivrance de la sorcellerie, rituels pour veillées mortuaires, protection contre les cris d’oiseaux
nocturnes, pour chasser les êtres maléfiques de la maison, libérer sa femme enceinte du génie
de terre et éviter un accouchement difficile, réparer la mésentente d’une femme enceinte avec
son mari…875.

Ce constat interpelle, au-delà même des penseurs africains. En effet, K. Kunumpuram,


cité par P. Kattenberg, estime que « l’homme moderne trouve les cérémonies liturgiques sans

872
MVENG, Engelbert, Théologie, libération et culture africaines, entretien avec Benjamin Lepawing, Yaoundé,
Ed. Clé et Présence Africaine, 1996. (souligné par nous)
873
Exhortation Apostolique Evangelii Nuntiandi, 8 décembre 1975, n° 63.
874
ELA, Jean-Marc, « Identité propre d’une théologie africaine », in Théologie et choc des cultures, Colloque de
l’Institut Catholique de Paris, Cl. Geffre, Paris, Cerf, 1984, pp. 23 et 33.
875
Foi chrétienne et croyances ancestrales en compétition, 30e colloque du CEEBA, présenté par
HOCHEGGER, Hermann, « Le processus. d’inculturation de la foi chrétienne au Congo Zaïre »,
http://www.ceeba.at/incultetfoichretienne.htm
381

signification parce qu’elles sont séparées de la vie de chaque jour » et que « L’homme
sécularisé est scandalisé par le fait que le culte a apparemment si peu d’influence sur la vie
quotidienne de ceux qui y participent. »876. Ainsi, la question fondamentale à propos des
célébrations liturgiques ne devrait plus être celle de la licéité de ce qui se fait ou de ce qui est
proposé, mais celle-ci : « cela signifie-t-il quelque chose pour les gens ? », écrit C. Sekwa,
militant pour que les prêtres soient affranchis de la rigueur rituelle dans une optique où il
faudrait leur « permettre de faire des liturgies venant d’une ‘’initiative créatrice’’, affranchie
des structures et des textes prescrits, ayant des ‘’structures naturelles’’ et comportant des
prières spontanées ». C’est donc la signifiance qui devrait être le critère de la licéité de la
célébration877. Il y a, là, une réalité universelle mais que, plus que tout autre, apparemment,
l’Africain ressent intimement : « la liturgie est un exercice pratique qui saisit l’homme pour lui
permettre de réagir à partir des situations de sa vie »878. C’est toute la problématique de la
théologie pratique en Afrique qui est posée, non seulement par la fonction critique mais aussi
en préconisant, comme s’exprime Fulgence Muteba Mugala, « des pratiques pastorales plus
engageantes dans la transformation de la société », parce que la théologie en Afrique doit être
« ouvrière de l’Evangile et servante des humains » pour reprendre le même auteur879.

Avec Prosper Abega880, nous trouvons une critique plus « dérangeante » encore parce
qu’elle remet en cause certaines pratiques rituelles multiséculaires de la liturgie romaine, qui
ne lui paraissent que comme transpositions d’expressions culturelles étrangères à la mentalité
et à la culture africaines. Il en est ainsi, selon lui, du fait que la liturgie de la messe romaine
commence par « beaucoup de prières sans d’abord savoir pourquoi on avait été convoqué par
Dieu ; tandis que des prières et chants mélangent des sentiments disparates (la louange est
exprimée dans le gloria et dans des prières eucharistiques, la contrition est dans le Confiteor,
dans le Kyrie et même dans le Gloria et dans l’Agnus Dei), et qu’une dichotomie marque toute
cette messe, l’officiant d’un côté, le peuple de l’autre, s’ignorant pratiquement l’un l’autre. Il
cite également deux exemples parlants de l’inadéquation entre certains gestes rituels et la

876
KATTENBERG, Pape, « La participation des gens, nécessité fondamentale pour la célébration liturgique », in
Centre de recherche théologique missionnaire, A travers le monde Célébrations de l’Eucharistie, Paris, Ed. du
Cerf, 1981, p.122.
877
Cité par P. Kattenberg, op.cit. , p. 124.
878
SANON (Mgr), Anselme.-Titianma., « L’africanisation de la liturgie…, op.cit., p. 113.
879
MUTEBA MUGALA, Fulgence, « Tâche de la théologie pratique en Afrique Noire, in Revue Africaine de
Théologie, Vol. 27, n° 34, Facultés catholiques de Kinshasa, 2003, pp. 248-249.
880
L’abbé Prosper ABEGA, prêtre du diocèse de Yaoundé (Nkol Ntoumou, la basilique, Briqutterie…, fut
président de l’Association des prêtres diocésains de Yaoundé, …). Linguiste réputé, il a enseigné à l’Université
de Yaoundé, département de Langues africaines et linguistique, il en fut retraité en 1993. Avec E. Mveng et Pie
Ngumu, il est à l’origine de la liturgie de Ndzong-Melen dont il est question dans ce travail dans lequel plusieurs
de ses publications sont citées.
382

culture africaine, celui du « baiser » de la croix ou de l’autel et celui du chant religieux. Le


baiser, tel qu’il se pratique si couramment en Occident, est absent de nombre des cultures
noires africaines ; même si l’on en réussit une traduction littérale, le geste en lui-même n’a pas
un sens sociologique signifiant pour les peuples, en Afrique on se donne volontiers
l’accolade881. Au Cameroun, « baiser » fut rendu par un verbe beti qui signifie « flairer » ;
scandale ! la croix ou l’autel sent-il mauvais pour qu’on en vérifie l’état de conservation ou de
dégradation ? Même constat pour le chant religieux où, dans un contexte linguistique
caractérisé par l’existence d’homographies qui ne sont pas des homophonies, changeant de
sens selon le ton « haut » ou « bas » imprimé au même mot, le placage des mélodies
occidentales sur des langues camerounaises aboutissait à des non-sens aux oreilles des
Camerounais. Ainsi, l’expression traduite selon le ton bas par « tu es bon, aie pitié de moi »
devenait, avec le ton haut, « tu es un gourdin, regarde-moi pauvre silure » ; il fallut introduire
des airs camerounais, du coup, c’est le curé qui n’y comprenait rien.882. C’est que les hymnes
composées dans le style occidental ne conviennent pas aux langues africaines, dont les
changements de tonalité donnent vie aux chants africains. De la même manière dont il en est
constaté à propos de la langue igbo, « utiliser des airs occidentaux en y plaquant des mots igbo
n’a pas de sens. », écrit Lazarus Nnanyelu, donnant l’exemple d’un mot (akwa) dont le
changement d’intonation donne cinq sens différents (la peine, les larmes, les habits, un lit, un
pont ou un œuf), ou un autre (igwe) qui signifie, selon la tonalité, le ciel, les nuages, le fer, la
bicyclette ou la foule. Ainsi, dans une prière ou dans un chant, la phrase akwa adigh n’elu
igwe, signifierait sans doute « Il n’y a pas de pleurs dans le ciel », mais aussi « il n’y a pas de
pleurs sur la bicyclette », « il n’y a pas d’œufs dans le ciel », « il n’y a pas de vêtements dans la
foule », « il n’y a pas de lit dans le ciel »883. On comprend que ces spécificités linguistiques
aient nécessité de l’inventivité pour composer les paroles et les mélodies de chants religieux
signifiants pour les peuples d’Afrique, dans les styles compatibles avec ces spécificités, de
manière que, chantés, les mots aient le même sens que lorsqu’ils sont seulement parlés.

881
Même si la chose est largement pratiquée aujourd’hui soit en amour soit comme geste d’accueil, de salut, etc.,
mais c’est en imitation des pratiques occidentales ; d’ailleurs, dans bien des langues il n’y a pas de vocable pour
dire « baiser » sauf quelques approximations littérales du genre « donner la langue » qui n’a rien à voir avec le
geste liturgique ou le simple « bisou » ou des formes d’indigénisation du français « baiser » (à Kinshasa on dit
volontiers « baisse »), tandis qu’en ciluba (une autre langue du Congo-Kinshasa) la traduction littérale donne
« kutwa mishiku » (verbe, « poser ou appliquer les lèvres », tandis que le substantif est inconnu).
882
ABEGA, Prosper, « La liturgie camerounaise », in Médiations africaines du sacré – Célébrations créatrices
et langage religieux, Actes du IIIe Colloque international du CERA, 16-22 février 1986, Centre d’Etudes des
Religions Africaines, Vol. XX-XXI, n° 39-42, 1986-1987, Faculté de théologie catholique de Kinshasa, 1987,
pp. 516-517 et 520.
883
A travers le monde Célébrations de l’Eucharistie, op.cit., p. 157.
383

Les recherches africaines ont donc visé à corriger plusieurs traits de la messe romaine
afin de les rendre compatible avec les mentalités et les cultures africaines et, ainsi, sans
dénaturer le sens de la liturgie sacrificielle chrétienne, à l’intégrer à ces dernières. Plusieurs
autres ont concerné divers autres domaines, ceux de la vie consacrée (sens, formes
d’engagements conformes aux conceptions africaines d’engagements vitaux, pactes, etc., ), de
différents rites liturgiques, rituels des sacrements en particulier, avec les rites d’initiation, de
réconciliation et de prières de guérison, de mariage, …), ou alors la délicate question de la
nature des matières eucharistiques, le pain et le vin. Ayant limité notre étude à la seule liturgie
de la messe, dans la mesure où Rome n’avait pas entendu autoriser des changements
concernant le pain et le vin eucharistiques, nous aborderons cette question après la présentation
des innovations reconnues par la hiérarchie, pour examiner les arguments avancés par les
chercheurs africains.

Toutes les opinions exposées ci-dessus montrent que, globalement, comme, écrivant en
1962, le pressentait déjà M.-D. Chenu, l’objet de telles recherches n’était pas seulement de
redécouvrir nécessairement des « rites particuliers, aptes à être christianisés, mais aussi des
traits caractéristiques de l’homme africain qui peuvent et doivent apporter au chrétien de ce
monde des richesses que le capital occidental n’a pas, jusqu’ici du moins, suffisamment mises
en valeur : sensibilité de l’homme à sa situation dans l’engrenage cosmique, sens de la fête
comme expression de la gratuité et comme refus de la monotonie quotidienne, puissance du
verbe, aspect concret de la praxis, et autres traits typiques récemment analysés »884.

IV.I.II.3 Les caractéristiques des liturgies africaines

L’importance des rites, en particulier en Afrique et pour les Africains, n’est plus à
discuter. Nous nous limiterons à ce qu’en dit Tharcice Tshibangu T., quand, avant de poser la
problématique d’une « ritualité chrétienne africaine », il déclare : « Aucune vie humaine
n’échappe à la soumission à des rites reconnus plus ou moins consciemment, et toute société
collectivement organisée est obligée à des rites systématiquement établis et structurés, et ceci
sous tous les aspects de la vie communautaire », affirmant l’existence des rites politiques,
économiques, sociaux, des rites assurant le passage d’un statut personnel à un autre et, les rites
religieux qui sont « accomplis dans l’ expresse de nouer le contact avec le monde surnaturel ou
numineux, extrasensoriel, et transcendant la nature et les forces empiriques de l’homme ». Et,
pas seulement pour les Africains, le rite se caractérise comme répétitif, réalisateur d’une

884
CHENU, Marie-Dominique, La Parole de Dieu, T.II, L’évangélisation dans le temps, op.cit., p. 650.
384

communauté de destin, purificateur par le sacrifice et anticipateur d’une fête ; de plus, en


Afrique plus qu’ailleurs, le rite visualise le sacré, notamment dans la fonction de médiation, le
sacré « devient partiellement vécu corporel, et le Négro-africain n’imagine pas de rites sans
certaines postures corporelles, sans rythme ni danses »885.

Cette recherche d’une ritualité africaine qui puisse intégrer la liturgie chrétienne
marque les chercheurs africains. Les chercheurs zaïrois, comme les autres Africains, vont au
bout des conclusions du sens que l’Eglise universelle donne à la liturgie ; pour eux,
« L’assemblée liturgique doit être le lieu où la communauté chrétienne reçoit l’impulsion de
remplir ses fonctions types dont la fonction prophétique, la fonction de médiation,
d’organisation, de transcendance ainsi que la fonction diaconale et koïnoniale, sans oublier la
fonction d’exorciste »886

Le « célébrer chrétien africain » traduit une fête de toute la communauté dans sa double
composante, des vivants et des morts, autour d’un événement que l’on se remémore, ponctuée
de danses et d’exclamations diverses et de cris joie, lieu d’échanges entre le célébrant et la
communauté marqué par le dialogue et le style oral. Louis-Vincent Thomas affirme en effet
que l’oralité est l’une des caractéristiques des célébrations et des religions africaines887, non
seulement influant sur la qualité de la célébration mais aussi imprégnant du message porté par
la parole tant l’orateur que le participant. On verra, en effet, que le style oral africain fait du
discours autre chose qu’un simple symbole ou simple rite oral, pour devenir « rite total » parce
que, comme l’écrit R. Bastide, le discours « englobe la totalité de l’homme orant »888. L’oralité
commande ainsi aussi bien le style des prières, donc la qualité des textes euchologiques, que la
prédication.

Une fête de la communauté

Pour les Africains, la célébration religieuse est une cérémonie et une fête de la
communauté. Cette expression s’entend d’abord comme célébration du peuple, une véritable

885
TSHIBANGU TSHISHIKU (Mgr), « Le rite et la condition humaine », in Médiations africaines du sacré,
op.cit., pp. 21-22.
886
MPONGO Mpoto Mamba, Laurent, « La liturgie de demain au Zaïre », in Aspects du catholicisme au Zaïre,
Centre d’Etudes des Religions Africaines, Vol. 14, n° 27-28, Faculté de théologie de Kinshasa, 1981, p. 83. Le
père Laurent Mpongo, docteur en théologie et liturgiste, était alors secrétaire de la Commission de
l’Evangélisation de la Conférence épiscopale du Zaïre et, à ce titre, a activement participé aux recherches sur le
rite zaïrois ainsi qu’à son élaboration.
887
THOMAS, Louis-.Vincent, « La religion négro-africaine dans son essence et ses manifestations », in
Religions africaines et Christianisme, Colloque international de Kinshasa 9-14 janvier 1978, pp. 65-66.
888
BASTIDE, Roger, « L’expression de la prière chez les peuples sans écriture », in La Maison-Dieu, n° 109,
1972, p. 107.
385

action du peuple ; P. Abega expliquant la liturgie de Ndzong-Melen, justifie cette recherche du


caractère d’action et de participation populaires dans l’étymologie même du terme leitourgia.
Dans la présente étude, nous avons, en effet, vu, comment l’étymologie même du vocable avait
évolué notamment en Israël lorsque le « service cultuel » ou leitourgia, il ne s’agit plus d’une
œuvre dont le peuple est le bénéficiaire, mais le sujet ; R. Le Gall expliquant que la liturgie
devient le « service » religieux et rituel « rendu à Dieu par la communauté rassemblée en son
nom. »889 Une telle vision correspond parfaitement aux observations des sociologues, comme
E. Durkheim pour qui « L’idée même d’une cérémonie religieuse de quelque importance
éveille naturellement l’idée de fête. Inversement, toute fête, alors même qu’elle est laïque par
ses origines, a certains caractères de la cérémonie religieuse, car, dans tous les cas, elle a pour
effet de rapprocher les individus, de mettre en mouvement les masses et de susciter ainsi un
état d’effervescence, parfois même de délire, qui n’est pas sans parenté avec l’état religieux.
L’homme est transporté hors de lui, distrait de ses occupations et de ses préoccupations
ordinaires. »890. De fait, « l’homme qui prie se transporte dans un autre univers, au moins en se
déconnectant des réseaux habituels auxquels il est branché, il se met en présence du divin, de
l’au-delà »891, ce à quoi dispose, comme l’explique ci-dessus Durkheim, la danse qui, en plus
de la louange qu’elle contient, distrait l’homme de ses préoccupations ordinaires en le
transportant hors de lui.

Le père E. Mveng, l’un des initiateurs, avec Pie-Claude Ngumu et Prosper Abega, de la
liturgie de Ndzong-Melen au Cameroun, explique ainsi la place de la danse dans les cultures et
dans les arts africains :

« La danse est l’expression souveraine de l’art africain. En elle, rythme, mélodie,


parole, gestes, synthétisent dans le corps humain l’espace et la durée dans leur capacité
d’expression. C’est aussi la forme la plus dramatique de l’expression culturelle
africaine, car elle est la seule où l’homme, en tant que refus du déterminisme de la
nature, se veut non plus seulement liberté, mais libération de sa limite. »

Plus loin, il ajoute :

« si en Afrique on sème, on récolte, on tisse, on forge, tout cela se danse avant de


passer à la routine quotidienne, tout cela est geste religieux avant de devenir travail et
technique de production ». « La danse est l’expression sacramentelle de la religion
africaine, car elle permet au geste quotidien de retrouver dans le mystère vital qui la
transmet son accomplissement et sa signification. Elle est un élan mystique qui essaie

889
LE GALL (Dom), Robert, Dictionnaire de liturgie, op.cit., p. 153.
890
DURKHEIM, Emile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, P.U..F., 1968, p. 547.
891
KABASELE LUMBALA, François, L’être humain et les rites, in Questions liturgiques, vol. 86, 2005/2-3, p.
174.
386

de traduire l’impuissance de l’homme à franchir l’abîme qui le sépare de Celui qui est
la Vie en qui il cherche sa plénitude892.

Comme l’écrit Kabasele Lumbala, « dans la civilisation négro-africaine où l’univers


matériel est le lieu d’irruption de l’au-delà, et donc lieu de communion avec la divinité, le
corps devient forcément participant de la prière…la danse devient une nécessité pour la prière,
et surtout la prière liturgique où il s’opère une communication des forces de l’au-delà avec
celles d’ici-bas »893. On chante et on danse de joie, comme de peine ou de douleur (lors des
funérailles), l’amour comme la haine, on chante et on danse la berceuse pour faire se reposer
un bébé, on chante et on danse au travail (notamment lors de travaux collectifs ou lorsqu’on
s’entraide à tour de rôle pour vite achever la culture des champs), etc. ; tout est, en Afrique,
occasion de danser. Mais aussi, la danse est, généralement, exécutée en l’honneur de celui en
qui on place ses espérances et attentes, de fertilité, de fécondité, de sécurité, de succès, de
réussite, de victoire à la guerre, ou, tout simplement, de communion spirituelle avec lui, lui
exprimant en même temps sa joie ou le rendant sensible à sa peine, selon les circonstances894.
Dans une telle conception, la danse est une manière d’entrer en contact avec l’univers visible et
invisible par le canal de l’harmonie ; dans un monde créé bon et dans lequel tous les
événements méritent d’être célébrés, dansés, le malheur comme, surtout, la joie, pour se mettre
en harmonie avec le rythme du monde895. Dans cette fonction, la danse, dit Mgr Sanon, associe
des gestes et des attitudes, manières de chaque peuple d’exprimer et « de proclamer sa joie, sa
souffrance, de dire son message ; il y a le rythme, la musique, les danses, les instruments. »,
avec ironie il ajoute « Cela aurait dû être facile si nos premiers chrétiens n’étaient pas nés
perdus. Ils sont nés sans langage, sans corps ni jambes », dansant « devant l’Eglise et, quand ils
y entrent, on dirait qu’ils deviennent des anges, comme s’ils avaient perdu les trois–quarts de
leur humanité en entrant dans l’Eglise »896. Au cours de la liturgie, les gestes et attitudes
expriment aussi le respect, le recueillement, l’accueil. Mais, la danse est, en plus,
communication avec les esprits, ceux des ancêtres comme des esprits divins, dont le plus grand
est non seulement source de vie mais aussi force vitale elle-même ; c’est le sens de l’opinion
d’E. Mveng quand il dit que la danse est « l’expression sacramentelle de la religion africaine ».

892
MVENG, Engelbert, L’Art de l’Afrique noire, Paris, Mama, 1964, p. 81.
893
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines : l’enjeu culturel, ecclésial et théologique,
Recherches africaines de théologie n° 14, Faculté de Théologie de Kinshasa, 1996, p. 27.
894
C’est sans doute compréhensible que des pouvoirs politiques aient exploité cette propension naturelle au
chant et à la danse pour celui en qui on met ses espérances et ses attentes en organisant le culte de la
personnalité, quand, affamés et en lambeaux, les Africains n’hésitent pas à s’épuiser dans la danse pour « le
chef » ; au Congo, on chante et danse devant ce dernier en disant « tata aye, nzala esili » (le papa est arrivé, la
faim est terminée).
895
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., p. 6, et L’expérience du rite zaïrois,
communication, in Colloque Omnes gentes, Leuven, octobre 2004, p. 3.
896
SANON (Mgr), Anselme-Tatianma, op.cit., p. 122.
387

Dès lors, on peut comprendre que cet esprit de Dieu enflamme toute l’assemblée liturgique
dans un enthousiasme qui fait sentir la présence de Dieu et qui, devenant contagieux, se mue
« en extase » et « en danse » ; on prie et danse avec « l’Esprit qui habite en nos cœurs »897.
L’auteur de cette opinion explique par ailleurs, sur une base artistique et culturelle, que :

« Manifestation de l’Eglise, les célébrations liturgiques revêtent des aspects culturels.


En effet, elles recourent au langage gestuel ou mimique. De la sorte, toute célébration
liturgique est, par nature, mimodramatique et trouve son expression pleine dans un
geste global. Celle-ci comprend la parole, la gesticulation, la danse, des réalités
culturelles et cosmiques, dont l’ensemble constitue l’expression humaine. De ces
considérations, il résulte que l’expression humaine ne se réduit pas à l’oralité et,
encore moins, au langage conceptuel. Elle comprend également des représentations et
suppose le recours au langage symbolique »898

Le père Boka explique, quant à lui, comment, parce que, par cette forme d’expression
qu’est la danse, on célèbre et danse la vie et toute la vie, la prière, qui célèbre cette vie que
Jésus nous communique dans la liturgie, doit être dansée899. Le même auteur, expliquant la
liturgie zaïroise, précise par ailleurs que « l’expression corporelle, libérée des inhibitions et
contraintes artificielles, dessine des mouvements où la danse sacrée (2 S 6, 20 et Mt 11, 17) se
traduit en attitudes, gestes, acclamations et légers balancements du corps rythmés par des
chants chaleureux et des instruments de musique locaux »900.

C’est donc tout naturellement que l’Africain peut intégrer la danse et tous autres
mouvements rythmiques de sa liturgie traditionnelle dans la liturgie chrétienne, pour
communier à la force vitale communiquée depuis sa vraie source qu’est Dieu ; en effet, chants
et danses sur le son de tous les instruments traditionnels ou modernes de musique sont
adoration et louange à l’Esprit suprême et souverain. L’Africain peut, ainsi, très bien se
retrouver en David et, comme lui, chanter et danser pour Dieu, comme nous y invitent les
psaumes ; il ne comprend pas que l’Occidental ne le comprenne pas. Mais le père Daniélou le
comprenait, lui, dans une étude publiée in tempore non suspecto, un an avant Mediator Dei,
plus de dix-sept avant Sacrosanctum Concilium, donc bien avant que furent seulement pensées
ou imaginées les liturgies de Ndzong-Melen et du rite zaïrois ; il prophétisait ainsi :

« Le jour où le monde noir sera christianisé, on pourrait prévoir dans cet ordre un
développement sacramentel, liturgique prodigieux, un art de l’Eglise, un retour à la
danse sacrée (après tout, David dansait bien devant l’Arche, et la danse est un moyen

897
MPONGO Mpoto. Mamba, Laurent, La liturgie de demain…, loc.cit., p. 88.
898
MPONGO, Mpoto .Mamba, Laurent, « Evangélisation et Liturgie », in Telema, 2, 1976, 3, p. 14.
899
BOKA DI MPASI, L’expression corporelle en liturgie africaine, Concilium n° 152, 1980, n°2, pp.53-64.
900
BOKA DI MPASI, « Inculturation de l’Eucharistie au Zaïre », in BROUARD, Maurice (dir.), Eu charistia,
L’Encyclopédie de l’Eucharistie, Paris, Ed. du Cerf, 2002, p. 345.
388

pour louer Dieu comme les autres) qui nous est étranger. Je ne vois pas comment les
Noirs pourraient louer Dieu sans danser, car la danse est tellement dans tout leur être
qu’elle fait partie intégrante de leur civilisation. Avec eux, nous retrouverons le sens
liturgique de la danse sacrée »901.

Enfin, la danse rituelle est commune à toute l’humanité de toute époque ; elle est
connue dans le judaïsme qui, de tous les cultes orientaux, est le plus proche du christianisme,
non seulement chez David, parce qu’on la rencontre omniprésente dans les psaumes. Ce n’est
pas un hasard ni une hérésie si Jean-Paul II a abondamment insisté sur l’expression corporelle
afin de louer non seulement avec son esprit mais aussi avec son corps ; juste retour à (et de)
« l’humanité ».

Un mémorial en compagnie des ancêtres, intermédiaires auprès de Dieu

Dans sa conception, l’Africain croit en une sorte d’unité cosmique, entre l’univers
visible et l’univers invisible, « un monde double où le visible et l’invisible, l’au-delà et l’ici-
bas, le passé et le présent, sont intimement liés et imbriqués l’un dans l’autre »902. Il croit dans
le pouvoir mystique, l’univers est activé par des forces et pouvoirs mystiques ; il croit aussi
que plusieurs catégories de personnes, guérisseurs, sorciers, faiseurs de pluie et « prêtres »
savent accéder à ces pouvoirs, à ce titre l’eucharistie présidée par le prêtre est une voie
d’accession au surnaturel et à « l’au-delà ».

Si on ne doit pas, par là, penser à la croyance à la vie éternelle, c’est au moins la
croyance que « les morts ne sont pas étrangers à la vie de ceux qui leur survivent » ; à tel point
que, observe L. Mpongo, « chez les Noirs du Brésil, comme chez nombre des Noirs d’Afrique,
aucune cérémonie publique ne commence sans avoir auparavant fait appel aux ancêtres censés
habiter la terre qui les avait vus naître »903. Le sens religieux de la vénération des ancêtres ne
traduit pas l’animisme obscurantiste qu’on se plaît à décrier, qui ferait prendre les ancêtres
pour des dieux. D’abord, il y a une hiérarchie qui situe au sommet l’Esprit initial, l’Alpha et
l’Omega, l’origine et la fin, le principe premier. Ensuite, n’est pas « ancêtre » et n’est pas
vénéré à ce titre n’importe quel défunt, il n’y a que les hommes bons qui sont dignes de ce titre
et de vénération, les autres étant voués à l’opprobre et à l’oubli de la communauté, tout comme
la liturgie latine célèbrent les esprits « bienveillants », vouant les maléfiques au feu. Il ne suffit
pas d’être vieux et de mourir, mais il faut « avoir bien vécu », avoir mené une « vie

901
DANIELOU (Card.), Jean, Le mystère du salut des nations, Paris, Ed. du Seuil, 1946, p. 56.
902
KABASELE LUMBALA, François, Renouer avec ses racines, op.cit., p. 179.
903
MPONGO Mpoto Mamba (père cicm), Laurent, « Le rite zaïrois – Quelques-unes de ses caractéristiques », in
Médiations africaines du sacré, op.cit., p. 511.
389

vertueuse », conforme aux lois sociales, n’avoir été ni querelleur ni diviseur, mais au contraire
trait d’union au sein de la communauté, être bien mort, de sa belle mort « naturelle », rassasié
d’ans et après avoir transmis le message de vie aux jeunes904 ; bref, ceux qui restent dans les
légendes populaires de la communauté comme des exemples à suivre. Le père Mpongo estime
que « le culte des ancêtres est à l’Afrique et à ses îles ce que le culte des martyrs et des saints
confesseurs est aux catholiques romains. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une
réponse que la communauté donne à ses membres pour satisfaire le besoin profond
d’expérimenter la communication entre le ciel et la terre à travers les trépassés qui ont été une
stature importante pour la vie des vivants. »905. Certains théologiens africains dégagent de cette
description l’image du Christ, « Ancêtre par excellence »906, même Bruno Chenu, avec quelque
limite, admet cette image, inscrivant parfaitement le Christ dans cette lignée des ancêtres
« fleurons de la communauté locale » et « intermédiaires privilégiés », tout en insistant sur le
fait que la vie qu’offre ou garantit le Christ est d’une tout autre nature. Certes, aussi,
l’inconvénient de cette conception est que, ce faisant, le Christ serait le plus grand esprit, le
premier, l’aîné des ancêtres parce qu’il est le « premier-né d’entre les morts », fils et donc, pas
l’égal du Père, le premier médiateur auprès de Dieu, le plus efficace sûrement, mais médiateur
comme les autres « ancêtres », donc pas Dieu comme le Père ; une conception qui diverge
quelque peu de la doctrine traditionnelle de la Sainte Trinité. Néanmoins, nous avons dans la
description de l’ « ancêtre » celle du « saint » selon le christianisme, c’est la raison pour
laquelle l’Africain, mieux que le chrétien occidental, est prédisposé à comprendre non
seulement la résurrection mais aussi le culte des saints. C’est également pourquoi presque
toutes les liturgies africaines associent, dans la prière liturgique, après le Dieu trinitaire, les
ancêtres « au cœur droit » et les « saints », en commençant la liturgie eucharistique par des
litanies dans lesquelles la communauté communie d’abord avec ses propres ancêtres et,
ensuite, avec les saints de l’Eglise universelle, ces « ancêtres » d’autres races et d’autres
contrées. Ce n’est pas, ainsi, en vain ni sans raison que le cardinal Malula, pensant sans doute à
tous ces saints oubliés, repose la question des « saints » canonisés par l’Eglise : « Il y a des
saints dans l’Eglise catholique. Mais, nous constatons que la très grande majorité des saints
canonisés sortent des pays situés dans le bassin méditerranéen. On peut se demander

904
Dans ce sens, voir KABASELE LUMBALA, François, Chemins de la christologie africaine, op.cit., pp.264-
266.
905
MPONGO (père, cicm), Laurent, Nos ancêtres dans l’aujourd’hui du Christ, Rome, Editions de la Solidarité
St Pierre Claver, 2001.
906
Les sages anciens chinois ne disent-ils pas que « Le Tao », sans nom, sans corps, est « l’Ultime réalité »,
« l’ancêtre des ancêtres », d’après BERGERON, Marie-Ima, Le christianisme en Chine…, op.cit., p. 51.
390

pourquoi »907. Dans le même ordre d’idées, le titre d’une étude de Benézet Bujo est
significatif : « Nos ancêtres, ces saints inconnus »908. C’est une forte conviction chez les
Africains et chez les Africains chrétiens, qu’il est nécessaire que les ancêtres soient présents à
tous les moments importants de la vie et des activités de la communauté : un évêque, membre
de la Conférence épiscopale du Zaïre, réclamait d’introduire « notre petite case des esprits » et
de dessiner « un grand arbre des esprits sur l’autel », « Ainsi, quand nous entrerons dans
l’église, nous penserons à nos morts (ancêtres) et nous honorerons leur esprit »909.

On constate globalement deux manières typiques d’invoquer les ancêtres dans


l’eucharistie, soit avant les saints, soit après. La première manière est suivi par le rite zaïrois
typique, commençant par les litanies des saints, lesquelles se terminent par une invocation des
ancêtres par laquelle il leur est demandé de rejoindre les célébrants du jour, d’ « être avec
eux » ; dans le même sens, la « liturgie africaine type » proposée par une rencontre de
théologiens et liturgistes africains à St Merry (Paris) qui sera évoquée plus loin, rassemblant
les ancêtres des différents peuples d’Afrique pour compléter par l’invocation des « ancêtres
dans la foi ». Cette dernière modalité se rapproche de la manière qui inverse cet ordre, en
commençant par les ancêtres avant d’invoquer les saints : c’est qu’il faut commencer par
rassembler chez-soi, commencer, pour emprunter une métaphore biblique, par Jérusalem avant
d’aller en Judée et de rejoindre toute la terre ; de telle sorte que, comme le dit B. Bujo dans
l’étude précitée, le célébrant « élargit le cercle des ancêtres en y associant les saints ».

Quelques expériences, limitées, existent, qui font participer de manière « concrète » les
ancêtres à l’eucharistie, en les associant au repas du Seigneur. Certes, on les a invités à « être
avec nous », mais parce que l’assemblée passe à table, ils y sont conviés aussi, afin de
communier avec eux par diverses formes de libations accompagnées de certaines paroles ou
« incantations » à l’adresse des ancêtres, ainsi que cela est de coutume dans toutes les
cérémonies traditionnelles auxquelles on associe les ancêtres. Soit qu’avant de communier lui-
même, le célébrant dépose une hostie trempée dans le vin consacré placée sur une patène dans
un grand pot contenant une branche de « l’arbre des ancêtres » mis au bas de l’autel (appelé au
Kasayi, en tshiluba, « mutshi wa mvidie wa bakishi ») ; soit que, comme dans un centre
expérimental signalé par F. Kabasele Lumbala à Kananga, initiative vraiment osée, le célébrant
met une hostie dans le feu ou foyer des ancêtres allumé au bas de l’autel ; soit encore, pour

907
MALULA (Cardinal), « La mystique de la ‘’christification’’, route de sainteté », un texte de 1983, cité in De
SAINT MOULIN, Léon, Œuvres complètes du Cardinal Malula, vol. 3, p. 125.
908
BUJO, Benezet, « Nos ancêtres, ces saints inconnus », in Bulletin de théologie africaine, T.2, 1979.
909
NKONGOLO wa MBIYE, Le culte des esprits, Kinshasa, Ed. Conférence Episcopale du Zaïre, p. 21.
391

ménager les susceptibilités, grâce à une libation symbolique par l’aspersion à l’eau bénite de
l’arbre des ancêtres ; etc. Cela ne revient cependant pas à une offrande aux ancêtres, parce que
les chrétiens convient leurs ancêtres au bas de l’autel du Christ pour être associés à la vie de
l’eucharistie, ils les associent à l’offrande dont le destinataire est Dieu910.

Finalement, ce culte n’est plus si étranger que cela au genre liturgique et peut
parfaitement être intégré dans la liturgie catholique. On lit, en effet, dans Lumen Gentium, un
énoncé parfaitement en harmonie avec cette vision de la communion entre le monde des
vivants et celui des « morts » :

«Alors comme on peut le lire dans les Saints Pères, tous les justes depuis Adam,
depuis Abel le juste jusqu’au dernier élu, se trouveront rassemblés auprès du Père dans
l’Eglise universelle »911

Par ailleurs, Paul VI reconnaissait, chez les Africains, la « vision spirituelle de la vie,
[...] plus profonde et plus universelle, selon laquelle tous les êtres et la nature visible elle-
même sont tenus pour liés au monde de l’invisible et de l’esprit. », et d’ajouter que « on
reconnaît en l’homme « la présence et l’action d’un autre élément, qui est spirituel, et grâce
auquel la vie humaine est toujours mise en rapport avec la vie l’au-delà »912, tandis que, dans
Ecclesia in Africa, publiée à l’issue du Synode africain Jean-Paul II exhorte les Eglises et les
universités catholiques africaines à poursuivre les recherches dans ce sens :

« Lorsque la doctrine est difficilement assimilable même après une longue période
d’évangélisation, ou encore lorsque sa pratique pose de sérieux problèmes pastoraux,
notamment dans la vie sacramentelle, le Synode réaffirme qu’il faut demeurer fidèle à
l’enseignement de l’Église et en même temps respecter les personnes selon la justice et
avec une vraie charité pastorale. Compte-tenu de cela, il souhaite que les Conférences
épiscopales, de concert avec les Universités et Instituts catholiques, créent des
commissions d’études, notamment pour ce qui est du mariage, de la vénération des
ancêtres et du monde des esprits, en vue d’examiner à fond tous les aspects culturels
des problèmes posés du point de vue théologique, sacramentel, rituel et
canonique.106 »913

Et cela, c’est après avoir reconnu que les Africains « croient instinctivement que les morts ont
une autre vie, et leur désir est de rester en communication avec eux. », le pape y voyant, « en
quelque sorte, une préparation à la foi dans la communion des saints »914. La « vision

910
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., pp. 70-72.
911
La Constitution Lumen Gentium, n° 2
912
Message Africae Terrarum, de Paul VI, 1967, n° 7 et 8.
913
Ecclesia in Africa, Exhortation apostolique du 14 septembre 1995, à l’issue du Synode africain de Yaoundé, §
64 (souligné par nous).
914
Ibid., § 43.
392

spirituelle » que reconnaissait Paul VI a une autre implication liturgique, outre le lien avec les
esprits et les ancêtres, celle d’une relation avec tout le cosmos ; dans la mesure où « toute
prière africaine se réfère à une puissance supérieure, aux énergies de l’univers et à la condition
de l’homme vivant dans un milieu social déterminé », elle induit une liturgie « cosmique »
célébrée par une communauté chrétienne s’associant à la création915. De plus, dans l’invocation
des saints associés aux ancêtres on voit non seulement comme invitation à vivre la communion
des saints mais aussi un lieu de rencontre, un « symbole topologique », entre le visible et
l’invisible, quand la mémoire des défunts, saints et ancêtres au cœur pur, « appelle à un éveil
de conscience » et que l’assemblée terrestre se tourne vers la Jérusalem céleste916.

En tout cas, comme le constate Kabasele Lumbala, pour les chrétiens bantu
« L’eucharistie est un événement si important qu’ils ne peuvent pas ne pas y invoquer leurs
ancêtres », au point qu’on trouve des tentatives de « les associer à la communion eucharistique
par une libation, en versant une goutte du vin consacré dans un pot de terre à eux réservé. ».
Certes, un tel geste n’a pu être concrétisé, ne semblant ni urgent ni nécessaire, mais il peut
parfaitement s’inscrire même dans la liturgie chrétienne, où l’on célèbre traditionnellement
l’eucharistie pour les vivants et pour les morts917.

Enfin, sur ce plan de la croyance des Africains dans les forces de l’au-delà, il faut
signaler cet autre aspect que souligne Chukwuma. « Les Africains partagent une vision unitaire
de la vie dans laquelle la nature, l’humanité et le monde invisible sont liés dans une continuelle
communion…Les Africains sont toujours conscients de leur interaction avec le monde
invisible… », ce lien se sent et se voit dans la vie, notamment lorsque l’explication habituelle
« du malheur, telle qu’elle est donnée par les devins, c’est la perturbation des relations avec le
monde invisible des esprits et des ‘’morts vivants’’ »918. De telle sorte que la maladie, en
Afrique, est une affaire religieuse et que la thérapie est à la fois physique et mystique et,
comme l’écrit un connaisseur de ces réalités africaines, « guérir c’est retrouver l’harmonie
perdue »919. Ces opinions ont une conséquence rejoignant les préoccupations pastorales déjà
rencontrées ci-haut quant à la fonction et à l’efficacité de l’eucharistie : Pour les Africains, le
sacrifice eucharistique maintient un « équilibre ontologique » entre Dieu et les hommes, les

915
MPONGO Mpoto.Mamba, Laurent, La célébration liturgique. Son enracinement culturel, cours polycopié,
Kinshasa, 1978, pp. 35-36.
916
MPONGO Mpoto. Mamba, Laurent, « Le rite zaïrois … », op.cit., p. 512.
917
KABASELE LUMBALA, François, « Nouveaux rites, foi naissante », in Reconnaissances théologiques à
travers l’Afrique Noire, Lumière et vie, n° 159, 1983, p. 66.
918
CHUKWUMA OKOLE, James, “An African Eucharist” op.cit.
919
DE ROSNY, Eric, L’Afrique des Guérisons, Paris, Karthala, 1992, pp. 129-130.
393

esprits et les hommes, les trépassés et les vivants ; elle doit aboutir à l’amélioration de la
guérison de l’individu et de la communauté.

Un style oral et dialogué

La liturgie « africaine » est une fête où le président échange avec les membres du
peuple, dans ce style oral si spécifique du discours africain qui recourt à des procédés de style
faisant un grand usage des images et des répétitions par le public de mots-clés ou significatifs
qui concluent la pensée de l’orateur. Présentant la liturgie camerounaise à travers la Messe de
Ndzong-Melen, P. Abega dit de l’homélie que c’est « un sermon qui prend la forme d’un
dialogue entre l’assemblée et le célébrant. Ayant fait découvrir la vérité du jour, grâce à la
maïeutique de Socrate, le célébrant termine cette activité concertée avec diverses
recommandations »920. Ce dialogue communautaire métaphorique, répétitif, marqué par des
phrases rythmées même si dans certaines langues elles peuvent être courtes, change du
monologue du célébrant chrétien occidental. L’observateur non africain n’en saisira la réalité
qu’en consultant l’un des ordines africains dont des extraits sont reproduits dans cette étude ;
il y découvrira ce style omniprésent, y compris dans certaines préfaces et certaines prières
eucharistiques et, en tout état de cause, dans l’homélie qui est son terrain de prédilection.
Concernant les prières, on remarque que la brièveté, la sobriété des oraisons « romaines », à
cause de cela si abstraites pour les Africains, tranche avec la richesse et la longueur des
oraisons élaborées sur le modèle des procédés stylistiques et genres littéraires africains, pleins
de métaphores par lesquelles sont personnifiés des idées et concepts abstraits, et qui rendent
les prières si concrètes921. La prière n’est pas autre chose qu’une parole rituelle adressée à
quelqu’un, pour les Africains, adressée à l’Esprit suprême et parfois aux esprits supérieurs,
souvent en passant par un médiateur (les ancêtres en particulier)922. Dans la prière, « la parole
est le souffle animé et animant de l’orant ; elle possède une vertu magique, elle réalise la loi
de participation et crée le nommé par sa vertu intrinsèque »923 ; dans ce sens, elle peut « agir
sur tout pour engendrer le bien et le mal, pour transformer, pour marquer des frontières, pour
donner vie et mort »924. Ainsi, la parole est efficace et active, dans la prière comme dans les
Ecritures et dans l’homélie, on croit dans ce qu’elle dit, elle se réalise ; c’est pour cela que
l’homélie et la prière doivent être concrètes. Au-delà de la parole, le dialogue pratiqué dans
920
ABEGA, Prosper, « La liturgie camerounaise », in Médiations africaines du sacré…, op.cit., p. 521.
921
L. Mpongo établit ces comparaisons, à titre d’exemple, entre le style africain et certaines prières de style
hellénistique du rite romain, « La liturgie de demain au Zaïre », loc.cit., pp. 86-88.
922
Dans ce sens, v. FAÏK-NZUJI Madiya, C., « Parole et geste dans les médiations du sacré », in Médiations
africaines du sacré…, op.cit., p. 75.
923
SENGHOR, Léopold-.Sedar, « L’éthique négro-africaine », Diogène n° 16, 1956, p.52.
924
FAÏK-NZUJI Madiya, C., « Parole et geste dans les médiations du sacré, loc.cit., p. 77.
394

l’homélie mais aussi dans les prières n’est pas ici un simple style, il revêt un caractère à la fois
ontologique et éthique et, l’un des traits des rites traditionnels africains, il a une signification
profonde comme valeur de culture et de civilisation. L’Africain croit que la parole a été
donnée à l’homme pour qu’il entre en contact avec les autres, établissant donc le dialogue et
étant, de ce fait, efficace ; de plus, ainsi que l’explique l’abbé Alphonse Kibwila, le dialogue
existe en toute chose, rien n’étant statique ni plat, mais toujours en train de répondre, toujours
en dialogue925.

L’usage exclusif des langues africaines locales

Ces exigences ou ces caractéristiques, notamment les procédés et stylistiques et


littéraires africains, sont, à l’évidence, commandées mais aussi ne peuvent s’accorder que par
la spécificité idiomatique de chaque langue, spécificité ne pouvant être satisfaite que dans la
langue locale. C’est la raison pour laquelle, les liturgies africaines sont de ce point de vue
intraduisibles ; elles ne se dérouleront et ne pourront se dérouler que dans les langues
africaines, de façon que chaque communauté retrouve son vocabulaire et son langage
habituels ; ce sera un gage de l’essor du rite, tout comme, pour s’épanouir, la liturgie
chrétienne a adopté le grec dans l’ère hellénistique et, très vite, le latin dans le monde sous
l’empire romain. Avant même l’adoption de rites et prières spécifiques, le travail de traduction
des textes liturgiques fut donc un préalable très utile, qui a dans un premier temps permis aux
peuples de comprendre les réalités d’une liturgie à l’origine étrangère ; depuis l’élaboration de
ces nouveaux rites, ceux-ci ne se déroulent plus et ne peuvent se dérouler qu’en langues
locales. Au Congo-Zaïre, la liturgie eucharistique a lieu dans les langues vernaculaires, non
seulement dans les quatre « grandes » langues nationales (kikongo, lingala, swahili et tshiluba
ou ciluba), avec des effets plutôt heureux. Par exemple, comme on l’a vu, l’Africain croit dans
« l’autre-monde », non pas seulement l’au-delà comme monde qui vient après la mort mais un
monde actuel cependant mystérieux, un monde « de mystères », concomitant au monde visible
et cohabitant avec lui, déjà ici bas. L’Africain sait que dans cet « autre-monde », les choses
représentent d’autres réalités que celles, physiques, que nous palpons, mais en plus, il sent ou
vit ou subit ces autres réalités. Quand donc, assistant à une messe en tshiluba, l’une des 4
langues nationales congolaises, un Congolais lubaphone de la région du Kasaï entend le prêtre
expliquer par une monition l’entrée dans le rite de la consécration, disant que l’on va assister
au « dyaalu », du verbe « kuaalula », non pas changer, mais transformer ou modifier

925
KIBWILA Yala, Alphonse, « A l’école de la prière, une pastorale initiatique de la de la mystique
évangélique », in La prière africaine, Actes du IIe Colloque international de Kinshasa, 10-12 janvier 1994, p.
109
395

mystérieusement, on pourrait même dire « dénaturer » les espèces, le pain et le vin sont et ne
sont plus pain et vin, ce Congolais comprendra le « dyaalu », y croira et est prêt à croire en la
« transsubstantiation » qu’il ne connaît ni ne comprend comme vocable, et à y croire mieux
qu’un Occidental que son « cartésianisme » empêche de croire dans les mystères, qui connaît et
comprend le terme « transsubstantiation » mais ne peut y croire. De plus, croyant dans
l’efficacité de la parole, l’Africain n’a aucun mal à comprendre et à admettre l’efficacité des
paroles de l’institution par lesquelles les espèces sont transformées en corps et sang du Christ.
En effet, nos « sorciers » africains réalisent constamment le « dyaalu », eux qui évoluent dans
cet « autre-monde » et qui, quand ils donnent une banane ou des arachides à manger à celui
qu’ils veulent contaminer de sorcellerie, celui-ci mâche, sens et avale de la viande, quand ils
donnent un coup de massue à ce qui paraît comme une bête (chèvre, mouton, …) et la
mangent, cela signifie qu’une personne humaine, mystérieusement touchée par ce geste, meurt
réellement et va être mystérieusement ou mystiquement, on pourrait dire sacramentellement,
mangée par cette confrérie sorcière926. Certes, certains concepts et notions exprimés en latin ou
en toute autre langue européenne peuvent présenter des difficultés à la traduction ( on a pu se
demander comment on réussirait à traduire dans une langue zaïroise « mystère » ou
« transsubstantiation » ), mais nous venons de voir qu’il valait la peine que des efforts soient
faits pour y parvenir.

Pour terminer, il est bon de citer ce témoignage de Jean-Paul II décrivant son souvenir
des liturgies africaines :

« La liturgie, et particulièrement la participation à l’eucharistie, indiquent combien


harmonieusement l’œuvre d’inculturation de la foi se réalise dans la vie de ces jeunes
communautés. La langue en rend témoignage. En témoignent les chants qui sont, on
peut bien le dire, vivants et très beaux. En témoignent aussi d’autres éléments locaux :
comme par exemple, les danses qui manifestent, notamment à l’offertoire, une vérité
anthropologique fondamentale : voilà que l’homme désire s’approcher de l’autel dans
sa totalité, avec son âme et son corps, et s’insérer lui-même dans cette offrande de tout
le créé qui se réalise dans l’Eucharistie »927.

926
Le lecteur trouvera une série impressionnante d’histoires de sorciers africains, les unes plus incroyables que
les autres, dans LUNEAU, René, Comprendre l’Afrique –Evangile, modernité, mangeurs d’âme, 2è édition,
Paris, Karthala, 1989, un échantillon bien plus varié encore que ce qu’il trouvera dans le célèbre Les yeux de ma
chèvre du père De Rosny.
927
Jean-Paul II de retour d’un voyage en Afrique australe en septembre 1988, reporté par LUNEAU, René,
Paroles et silences du Synode africain, 1989-1995,Paris, Ed. Karthala, 1997, p. 74.
396

Une question laissée en suspens : l’inculturation des matières eucharistiques

La culture, n’étant pas que les expressions artistiques, ou les vêtements et la


nourriture, mais la manière d’un groupe humain plus ou moins homogène de percevoir, de
comprendre, d’exprimer, de vivre la réalité interne au groupe ou celle qui l’entoure et d’en
faire l’expérience, l’inculturation serait incomplète si elle se limitait à ces manifestations
extérieures de la foi.

Mais, il semble bien que, pour le Vatican, l’innovation par l’africanisation de la


liturgie a des limites. Il en est ainsi de la matérialisation de ce qui est au cœur de l’eucharistie,
les matières employées pour constituer les matières eucharistiques, le pain, notamment sans
levain, et le vin. Ceux des diocèses qui ont tenté d’ « africaniser » la nature des espèces
eucharistiques, le pain et le vin, pour leur substituer des produits locaux, avaient attiré sur eux
le courroux de Rome928. A l’évidence, cette réaction de la hiérarchie ne tranche pas
définitivement la question de savoir si les substances employées par Jésus sont de droit divin
ou si elles n’ont qu’une portée culturelle contingente, pouvant donc changer selon la culture et
l’économie de chaque contrée, même si des théologiens, notamment scholastiques, estiment
que le Christ avait institué l’eucharistie non pas en général, mais d’une façon immédiate en
précisant directement les rites qu’il convient de suivre, les ayant ainsi voulus invariables929.

Pourtant l’étude « génétique » de la première partie nous a montré qu’il y a eu bien des
évolutions. Concernant les espèces singulièrement, nous avons vu comment leur conception
avait évolué en s’adaptant à des circonstances parfois fortuites ; si ces adaptations étaient
certes dans l’église universelle le fait de décisions des autorités canoniques, elles ne s’en
éloignaient pas moins des espèces probablement utilisées par le Christ lui-même : ainsi qu’on
l’a vu, les circonstances de la dernière Cène ne permettent pas à elles seules de dire avec une
certitude absolue qu’il s’était alors agi du pain fermenté ou du pain azyme, l’un ou l’autre
pouvant être justifié ; l’Eglise occidentale elle-même avait utilisé du pain ordinaire avant de
passer au pain azyme, tandis que l’Eglise orientale maintenait le pain fermenté et que certains
responsables de cette Eglise admettaient la licéité de l’usage du pain ordinaire. Si le vin,
même au Jeudi saint, était vraisemblablement du vin rouge de table, l’Eglise, pour une raison
simplement pratique (le rouge salissait trop les linges blancs, notamment le corporal, de
l’autel), dut privilégier plus tard le vin blanc, tournant le dos au symbolisme du sang (rouge).
Par ailleurs, comme le dit A.T. Sanon se basant sur l’usage du pain et du vin en tant

928
HEBGA, Meinhard-Pierre, op. cit., pp.55-56.
929
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., p. 79.
397

qu’éléments de l’alimentation, étant « en quelque sorte l’aliment premier et principal de


l’homme » notamment dans le contexte de la civilisation des peuples bibliques,
méditerranéens, c’est en tant que « condition nécessaire pour maintenir la vie humaine et
l’épanouir » que le pain est ici essentiel. D’autant plus qu’avec le Concile Vatican II, on est
revenu au symbolisme de la Tradition alors que l’Eucharistie ne représentait « pas seulement
sacrifice, mais [qu’] elle est aussi repas », ce qui « permit de revaloriser, du moins
théoriquement, le geste primitif de la fraction du pain au cours de la célébration
eucharistique. »930 Mais, justement, à ce titre d’aliment principal des contrées considérées
dans la Bible, le pain « pouvait désigner la nourriture en général » parce qu’alors il « est
considéré avant tout comme un don de Dieu qu’il faut implorer chaque jour de notre Père qui
est au ciel et c’est ainsi que dans nos langues on le traduit dans le Notre Père par nourriture
tout court »931. Tandis qu’il existe de nombreux arguments théologiques, historiques et
canoniques pouvant s’interpréter diversement932, il y a lieu, enfin, d’évoquer, ainsi que le font
abondamment des chercheurs africains, des arguments de nature économique faisant valoir
qu’on ne peut imposer aux peuples du monde entier des substances qui, pour des raisons
climatiques et culturales, ne sont cultivées et ne sont cultivables que dans certaines contrées,
imposer aux sociétés de l’Afrique subsaharienne le froment et la vigne qui ne sont connues
que dans les régions méditerranéennes ou tempérées, alors que ces sociétés ont comme
aliment et boisson de base d’autres produits agricoles, manioc ou autres variétés ou espèces de
céréales (maïs, riz, mil…), tandis que la boisson courante n’est pas le vin de la vigne, mais le
« vin » de palme ou de mil ou de banane, etc.

Ce débat qui vient d’être résumé montre que la question est pertinente et qu’elle reste
ouverte. On peut certes, regretter que dans toutes les expériences d’inculturation et
d’africanisation, aucune liturgie africaine n’ait officiellement adopté d’autres substances que
le pain de froment non levé et le vin de vigne. Pourtant, en 1973, alors qu’il menait des
recherches en vue de l’inculturation liturgique par un rite zaïrois de la messe, l’Episcopat
zaïrois s’était adressé à la Congrégation pour la doctrine de la Foi, lui demandant : « Le vin
de messe doit-il être nécessairement le vin de vigne (vinum ex vite) ? Au cas où nous

930
GAISE NGANZI, Roger, « Les signes sacramentels de l’Eucharistie dans l’Eglise latine – Etudes
théologiques et historiques : Perspectives à redécouvrir », in L’Eucharistie dans l’Eglise-Famille en Afrique à
l’aube du troisième millénaire, Actes de la XXIIe Semaine théologique de Kinshasa, du 28 au 31 mars 2001, p.
107.
931
SANON, Anselme-Titianma, « Les dimensions anthropologique de l’eucharistie », in Documentation
Catholique, 79, 1981, col. 722. Ainsi, à titre d’exemple, dans le Notre Père dans des langues congolaises, à
« pain » il est substitué « nourriture » ou « à manger », bilei (en lingala), tshiakudia (en luba), ou encore chakula
(en swahili).
932
Voir ces arguments résumés chez GAISE NGANZI, Roger, op.cit., pp. 116-121.
398

manquerions de vin de vigne, ne pourrions-nous pas utiliser ou du vin rouge étranger ou du


vin de canne à sucre, ou du vin de palme, dont la couleur est respectivement vert clair (selon
les variétés de canne à sucre) et blanche ? » La réponse était aussi péremptoire que vague sur
ses fondements, parce que le dicastère se contentait d’affirmer que la pratique de l’Eglise en
ce qui concerne le vin de messe demeure inchangée933. Cependant, quelques initiatives locales
limitées ont été tentées mais sans lendemain934. Néanmoins, si essentiel qu’il soit, il s’agit
d’un problème délicat à aborder sous cet angle dans l’Eglise, parce que « depuis l’époque du
Nouveau Testament l’Eglise attache une très grande importance à l’usage continué des
éléments du pain et de vin que Jésus a employés à la sainte Cène »935 et parce qu’il s’agit
qu’une question de discipline eucharistique dans laquelle la place des fondements logiques est
bien faible. Au moment où les Eglises de certaines contrées où le pain et le vin constituent des
mets étrangers importés font des recherches, ne peut-on pas croire qu’elles pensent à l’aliment
de base de leurs sociétés respectives, qui incarnerait l’eucharistie plus concrètement pour ces
peuples que le pain et le vin ? Après tout, comme le dit judicieusement Mampila Mambu,
dans la mesure où l’Eucharistie est une action symbolique de la communauté chrétienne, « ce
n’est pas avant tout l’usage du pain de blé et du vin des raisins qui garantit leur conformité
avec la Cène de Jésus, mais bien leur caractère symbolique. »936. Cet auteur conclut
positivement son étude, car, se fondant sur l’efficacité de la parole, idée qu’il dit partagée par
les Juifs parce que « dans la Bible, la parole (dabar) a une efficacité intrinsèque »937, il dit que
« Il est dès lors permis de penser que les paroles de l’institution, par nature dissociables du
symbolisme du pain et du vin, pourront se dire sur de nouveaux éléments que le magistère
aura sélectionnés pour qu’ils servent de matière sacramentelle »938.

933
La Documentation Catholique, 1973, p. 746.
934
KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., p. 81, cite sa propre expérience dans la
Paroisse de Cijiba, au Kasayi, exceptionnellement autorisée par l’ordinaire du lieu, qui faisait appel à du manioc
frais râpé trempé dans de l’eau et laissant un dépôt en forme de pâte dans le fond du récipient ; cette pâte
comprimée entre deux plaques chauffées donnant de fines lamelles de pain de manioc, semblables à de véritables
« hosties » ; le vin de vigne était quant à lui remplacé par du « vin » de maïs ( les grains mêlés à du sucre et à de
l’eau restent en dépôt dont le tamisage donne une sorte de lait alcoolisé à 5 ou 6 degrés).
935
THURIEN, M., Foi et institution, baptême, Eucharistie et ministère, conversion de la foi, Paris, Le Centurion,
1982, p.44, cité par TSHUNGU, Bamesa, « Symbolisme et signification anthropologique du repas africain », in
L’Eucharistie dans l’Eglise-Famille en Afrique…, op.cit., p. 22.
936
MAMPILA, Mandiangu., « Recherche de nouveaux symboles chrétiens », in Médiations africaines du
sacré…, op.cit., p.408.
937
Nous avons indiqué plus haut cette même valeur, chez les Africains, de la parole dite.
938
MAMPILA, Mandiangu, « Recherche de nouveaux symboles chrétiens », loc.cit., ibid.
399

IV.II LE RITE ZAIROIS DE LA MESSE

C’est sur la base de ces recherches que l’épiscopat zaïrois, dès 1969, demanda la
permission de la Congrégation pour le Culte Divin de charger la Commission épiscopale de
l’évangélisation de faire des études pour un projet de rite de messe adapté. La réponse de la
Congrégation romaine, qui arriva le 22 juin 1970, était significative en ce qu’elle fixait des
limites à ce qui devait être envisagé ; elle donne en effet l’autorisation pour rechercher « un
cadre africain et zaïrois pour l’Ordo Missae romain »939. Il y eut, on peut le voir, un
malentendu initial qui marque la différence d’optique, alors que par cette expression Rome
tenait à ce que fût respectée la « romanité » de la liturgie catholique latine, le travail d’étude de
l’épiscopat zaïrois déboucha en 1973 sur un projet intitulé, lui, « Rite zaïrois de la Célébration
eucharistique ». Le projet fut élaboré sous la responsabilité de la Commission épiscopale de
l’évangélisation, avec le concours du scheutiste Laurent Mpongo Mpoto Mamba, liturgiste
réputé. Il faut reconnaître que cette attente représentait une revendication de l’opinion publique
africaine, depuis longtemps frustrée par la liturgie latine, aussi bien pour son caractère
« étranger » reflétant la culture occidentale (ornements et vêtures médiévaux, le grégorien,
langue liturgique…), que pour l’exclusion de toute forme des expressions de l’africanité. C’est
là que cette aspiration à l’africanité rencontrait l’Encyclique Mediator Dei qui, bien avant
Vatican II, déjà, appelait, comme nous l’avons vu, la « participation active des fidèles», suivie
en cela par le Concile :

« que tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un honneur suprême
de participer au sacrifice eucharistique, et cela, non d’une manière passive et
négligente et en pensant à autre chose, mais avec une attention et une ferveur qui les
unissent étroitement au Souverain Prêtre, […] offrant avec lui et par lui, se sanctifiant
comme des spectateurs muets et étrangers, mais qu’ils soient touchés à fond ».

Cette exhortation provoqua une véritable effervescence, au cours de la décennie qui a


suivi l’Encyclique, par la multiplication de versions africaines de la messe, avec, au Congo-
Zaïre même, la « Misa luba », mais aussi, au Congo-Brazzaville, la Messe des piroguiers ou,
encore, la « Messe des savanes » en Haute-Volta (l’actuel Burkina Faso)940. Par ailleurs, des
initiatives ou tentatives de renouveau de la liturgie eurent lieu en Afrique, parfois
expérimentées avec un grand succès populaire.

939
Conférence épiscopale du Zaïre, Présentation de la liturgie de la messe – Supplément au Missel romain pour
les diocèses du Zaïre, Ed. du Secrétariat Général, , 1989, p.8. paroles et silences du Synode africain, 1989-1995,
Paris, Ed. Karthala, 1997, p. 74.
940
LONDI BOKA DI MPASI, « Inculturation de l’eucharistie au Zaïre », BROUARD, Maurice (dir.),
Encyclopédie de l’eucharistie, Paris, Ed. du Cerf, 2002, p. 357.
400

IV.II.I L’avènement du rite zaïrois

Ainsi qu’on l’a vu, les réflexions et propositions de schémas pour des rites africains
s’accélèrent avec la promulgation du missel romain et l’ordo missae de Paul VI, dont la
parution encourageait ainsi les recherches pour les adaptations liturgiques autorisées et
encouragées par le Concile. Dans une première période, quelques initiatives « privées » sont
expérimentées officieusement. On peut à ce titre, comme ayant particulièrement marqué le
processus d’élaboration du rite zaïrois, la pensée et les initiatives du Cardinal Malula, en
rapport avec tout ce qu’il a fait à la recherche d’une Eglise au visage africain. Déjà, encore
simple prêtre, Malula entreprit dans sa paroisse de Saint Pierre, à la suite de la réforme de la
Semaine sainte par Pie XII, l’adaptation de l’office du Vendredi saint, spécialement pour
l’adoration de la Croix : le crucifix est déposé sur un catafalque au milieu du chœur, entouré
de groupes de femmes assises par terre tout autour de ce « lit de mort », pour une veillée
« mortuaire » avec chants funèbres dans les diverses langues du pays, à la manière du deuil
congolais (matanga, cidilu ou madilu, kilio)941. De plus, dès 1958, Malula disait de l’Eglise
qu’elle doit « réunir tous les hommes dans l’amour. Chaque peuple doit apporter sa pierre
vivante pour l’édification de l’Eglise… Le christianisme n’a pas encore pu jeter des racines
profondes dans l’esprit des individus. C’est maintenant qu’il faut commencer le travail en
profondeur », pour « adapter le Message évangélique à l’âme bantoue »942. Par ailleurs, après
avoir composer l’ordinaire de la messe en lingala et qui se chantait de temps en temps avant
même le concile dans des églises à Kinshasa, Malula est l’auteur du premier projet d’un rite
congolais de messe cum populo, que, impatient de tirer toutes les conséquences des
orientations conciliaires dans lesquelles il avait mis ses espoirs pour un rite propre à l’Eglise
du Zaïre, il expérimentera rapidement, dès novembre 1970, pratiquement au moment où était
promulgué le missel de Paul VI943. Il y a lieu de citer également un projet de messe proposé à
la Conférence Episcopale du Zaïre par le père Laurent Mpongo M. M. (alors secrétaire de la
commission de l’évangélisation).

Sans reproduire l’histoire de ce processus, du début de ces premières moutures (1969)


à sa maturation dans le projet qui sera soumis à l’agrément de Rome (XXIIe assemblée
Plénière de l’Episcopat en 1985), signalons seulement que ces deux projets mettent en place
quelques-uns des éléments qui constitueront le rite zaïrois de la messe, particulièrement le
941
V. De SAINT MOULIN, Léon., Œuvres complètes du Cardinal Malula, op.cit., p. 35.
942
Ibid., pp. 36-37.
943
Le « Rite congolais de la messe » avec le peuple mettait en œuvre un schéma que le Cardinal avait établi avec
l’aide d’experts et publié depuis juillet 1969 sous le titre « Rite congolais de la messe cum populo. Essai par le
groupe de recherche dirigée par S.E. le Cardinal J.A. Malula ».
401

projet de L. Mpongo dont nous avons vu, par ses commentaires et explications sur les
caractéristiques des rites africains, qu’il a exercé une forte influence sur le contenu du rite
zaïrois définitif. Il est remarquable que la Conférence épiscopale du Zaïre, après avoir obtenu
de la Congrégation du Culte Divin l’autorisation de mener une telle étude944, confie l’étude
d’un projet de rite zaïrois, non pas à sa Commission de liturgie mais à la Commission
d’évangélisation qui a tout de même une cheville ouvrière adaptée, la sous-commission de
liturgie. Le projet du « Rite zaïrois de la Célébration Eucharistique », issu de cette recherche,
fut expérimenté, avec l’autorisation donnée le 15 juin 1973 par la Congrégation pour le Culte
Divin, exigeant par ailleurs que chaque modification introduite dans l’Ordo romain fît l’objet
d’une explication des raisons culturelles spécifiques qui l’imposent. Après les premières
observations du dicastère romain, notifiées le 2 décembre 1982, la Conférence Episcopale du
Zaïre, à l’issue des consultations internes nécessaires auprès de toutes les provinces
ecclésiastiques zaïroises, arrêta son projet définitif lors de la XXIIe session de son Assemblée
Plénière (9-12 août 1985).

Sur ce projet, s’engagèrent en 1986 des débats houleux et parfois tendus entre une
délégation de la Congrégation et une Commission spéciale établie par la Conférence
épiscopale, notamment sur toutes les options qui semblaient être des innovations et donc, ne
s’alignaient pas sur les formes et pratiques traditionnelles de la liturgie romaine. Après des
échanges épistolaires, des débats in vivo eurent lieu à Kinshasa, en présence du Pro-Nonce
apostolique (Mgr Rapisarda), entre une délégation de la Congrégation du Culte Divin qui
avait au préalable assisté, en une sorte d’inspection, à une célébration en rite zaïrois à
Kinshasa puis, le 2 novembre 1986, à Lisala, et une commission spéciale constituée à cet effet
par la Conférence Episcopale du Zaïre (ECZ). La délégation de la Congrégation du Culte
Divin se composait de Mgr Virgilio Noé (secrétaire de la Congrégation) et de l’abbé Jean
Evenou (attaché à la Congrégation), tandis que la Commission spéciale des négociateurs
zaïrois comprenait les évêques L. Monsengwo P., alors président de la Conférence Episcopale
Nationale du Congo, G. Mukenge K., vice-président, Lesambo, président de la commission de
la doctrine, M’sanda, président de la commission de l’évangélisation, Mgr Kanyamachumbi,
secrétaire général de la conférence épiscopale, l’abbé Buetubela, secrétaire de la commission

944
En réponse à la demande du Comité permanent de la CEZ, le 22 juin 1970 est accordé l’indult pour l’étude
d’un cadre africain et zaïrois de l’ordo missae ; v. le Supplément au Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre,
n. 27.
402

de la doctrine, l’abbé Ndruudjo, secrétaire de la commission de l’évangélisation et le père L.


Mpongo comme expert945.

Il sera fait mention de ces débats à propos de certaines options zaïroises ; à ce niveau,
on se limitera au débat sur le titre que devait porter la liturgie ainsi élaborée. Alors que le
projet élaboré et arrêté par l’Episcopat zaïrois s’appelait « Rite zaïrois de la Célébration
Eucharistique », sans doute par souci de recentrer les choses et crainte de menace contre
l’unité de la liturgie de l’Eglise romaine, Rome voulut et présenta un titre officiel par une
lettre de la Congrégation pour le Culte Divin d’avril 1986 à l’Eglise du Zaïre, décidant que
« le titre définitif retenu pour le ‘’projet de la liturgie de la messe au Zaïre’’ était ‘’Missel
romain pour les diocèses du Zaïre’’ ». Il y avait là quelque soupçon que l’appellation choisie
par l’Eglise du Zaïre débouchât sur une conception de pluralisme liturgique consacrant une
sorte de nouvelle famille liturgique, ce qui n’est pas le sens de l’adaptation recommandée par
la Constitution Sacrosanctum Concilium. La Congrégation proposait un titre ( soit celui qui
fut finalement imposé, soit un autre, proche, Missel romain pour l’Eglise du Zaïre), au cours
des débats un membre proposa même un troisième, « Missel romano-zaïrois de la célébration
liturgique », à l’instar du missel du rite dit « lyonnais » à propos duquel « on parlait de
missale romano-lugdunens » ; l’essentiel était de montrer « l’identité fondamentale de la
liturgie eucharistique au Zaïre avec le Missel romain », en dépit de l’inculturation946. La
logique zaïroise était différente, basée sur le concept d’inculturation dont l’entendement
écartait de faire de simples copies du missel romain conformément à l’esprit de la
Constitution conciliaire « qui justement autorise à inculturer et non à copier ou reproduire le
missel romain », ce qui peut « créer une pluriformité liturgique basée sur l’unité de la foi
chrétienne et de la prière transmise des traditions liturgiques soit orientales soit
occidentales »947. Un membre zaïrois ira même jusqu’à réclamer pour les conférences
épiscopales le même statut que « les anciens centres métropoles d’où rayonnaient les rites »,
sans doute dans la logique qui participe d’une idée de construction d’une véritable Eglise

945
Ces échanges eurent lieu le 4 novembre 1986 ; voir l’état de ces débats dans le Procès-verbal des séances de
travail tenues au Centre Interdiocésain le 4/11/1986 par les membres de la Congrégation pour le Culte Divin et la
Commission spéciale de la C.E.Z. sur le « Rite zaïrois de la célébraion eucharistique », in.les Actes de la XXIIIe
Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre, Session ordinaire, Kinshasa, du 6 au 17 novembre 1986, I. Dossiers
préparatoires, II. Avis et Décisions, SecrétariatGénéral, Texte réservé, pp. 203-234..
946
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaîre…, pp. 206-212. travail tenues au Centre
Interdiocésain le 4/11/1986 par les membres de la Congrégation pour le Culte Divin et la Commission spéciale
de la C.E.Z. sur le « Rite zaïrois de la célébraion eucharistique », in.les Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de
l’Episcopat du Zaïre, Session ordinaire, Kinshasa, du 6 au 17 novembre 1986, I. Dossiers préparatoires, II. Avis
et Décisions, SecrétariatGénéral, Texte réservé, pp. 203-234..
946
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaîre…, pp. 206
947
Ibid., p. 208.
403

locale, autonome et non sous tutelle, maîtresse de ses instruments et moyens de salut (sa
théologie, sa liturgie, etc.)948. De toutes les façons, aux yeux des Zaïrois, cette appellation
officielle ne correspondait pas à ce qu’est le résultat des recherches zaïroises qui ont
emprunté, certes au sein d’une Eglise une et indivisible, aux rites romains, mais aussi aux rites
orientaux, notamment en ce qui concerne les anaphores, tout en se caractérisant par
l’introduction des rites conformes aux valeurs africaines949. Précaution supplémentaire, la
Congrégation romaine tint à ce que le « rite zaïrois » dût comporter en tête la présentation
générale du Missel romain avec les modifications apportées par les adaptations prévues »950.

Un accord obtenu sur les différents points en débat permit alors la rédaction du texte
définitif et la Congrégation pour le Culte Divin put en 1986 confirmer aux évêques zaïrois que
le projet approuvé par eux en 1985 et soumis à ce Dicastère « correspondait, dans ses lignes
générales, aux dispositions du Concile Vatican II » (conformément à la Constitution
Sacrosanctum Concilium, n° 37-40) et qu’« il peut être utilisé ad interim dans les diocèses du
Zaïre ». Il sera approuvé et confirmé dans sa rédaction en langue française, avec ses annexes
(les Préliminaires, le Calendrier et les Messes propres) par le décret Zairensium dioecesium,
du 30 avril 1988951, prévoyant un « Rite solennel » et un « Rite simple », le second se
différenciant du premier du fait qu’il ne connaît pas l’intervention de l’annonciateur, ni
l’usage de l’encens ni la danse autour de l’autel. La première messe officielle du rite zaïrois
typique fut célébrée par le cardinal Malula en présence de Mgr Virgilio de la Congrégation du
Culte Divin en l’église Saint Alphonse, à Matete (une commune périphérique de Kinshasa), le
27 mai 1988.

Par ailleurs, comme on vient de le dire, avec le rite lui-même, le décret autorise le
« propre » des Messes pour le Zaïre. Celui-ci comprend les Messes : pour la paix et la justice,
pour la sanctification du travail, pour la Patrie et le progrès des peuples, de Sainte Thérèse de
l’Enfant Jésus (1er octobre), de la Bienheureuse Anuarite Nengapeta Marie Clémentine, vierge
et martyre (1er décembre), pour Saint François-Xavier (3 décembre) et pour les Rogations (14
mai ou 1er octobre).

948
Ibid., p. 211.
949
Présentation de la liturgie de la Messe, Supplément au Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre, op.cit., n°
99, et Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière…, p. 208.
950
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre…, p. 213.
951
CONFERENCE EPISCOPALE DU ZAIRE, Présentation de la liturgie de la Messe – Supplément au Missel
Romain pour les diocèses du Zaïre, op.cit., p. 9.
404

Enfin, d’autres circonstances, notamment politiques, expliquent l’autorisation obtenue


par l’Eglise du Zaïre de disposer d’un calendrier liturgique propre aux diocèses du Zaïre. Il
s’agit, en particulier, du conflit qui avait surgi entre le régime de Mobutu et l’Eglise zaïroise.
En effet, une grave crise brouilla les relations entre l’Etat zaïrois et l’Eglise du Zaïre, à la suite
d’une interprétation rigoriste de la politique de « recours à l’authenticité » décidée par le
régime du parti unique, prétendant faire table rase de tous les symboles religieux considérés
comme signes et vecteurs d’une culture et d’une domination étrangères952 : abandon des
prénoms chrétiens (« des noms juifs adoptés par l’Eglise au 2ème siècle »), vive querelle avec
le cardinal Malula, archevêque de la capitale zaïroise, qui se soldat par l’exil du prélat à
Rome, la fermeture des séminaires ou l’obligation d’y installer des comités du parti unique, la
suppression des cours de religion des programmes d’enseignement, etc. Jusqu’à ce 26 juin
1974, quand une décision du Bureau politique du parti, sous la conduite de Mobutu lui-même,
« considérant que l’Etat zaïrois est laïc et se trouve de ce fait au-dessus de toute religion », fait
du 25 décembre et de toutes les autres fêtes religieuses tombant en semaine des jours
ouvrables, tandis que le 24 juin sera un jour férié légal, parce que commémorant un triple
événement : le lancement du Zaïre-monnaie, la promulgation de la constitution du régime et la
journée des pêcheurs. A la suite de ces décisions, l’Eglise se vit obligée d’adapter son
calendrier afin de continuer de célébrer les grandes fêtes religieuses de la catholicité,
annonçant, le 28 octobre 1974 par l’intermédiaire du président de la Conférence Episcopale
du Zaïre, Mgr Lesambo, évêque d’Inongo, que « dans l’Eglise du Zaïre la fête de la Nativité
du Seigneur sera célébrée le 25 décembre, bien que cette journée ne soit plus jour férié
légal ». Concernant les autres fêtes, ascension, assomption, par exemple, l’Eglise décidera
qu’elles soient célébrées le dimanche qui suit la date de la fête dans l’Eglise universelle.
L’approbation du « Missel romain à l’usage des diocèses du Zaïre » fut l’occasion de revoir la
structure officielle du calendrier liturgique spécifique pour le Zaïre, reproduit en annexe dans
cette étude à la suite du Missel lui-même.

952
Pour les détails sur cette longue crise historique, v. MUENDE MAMPUYA Marie-Jeanne, Essor de l’Eglise
catholique congolaise et l’évolution politique du Congo – De la colonisation à la démocratisation, mémoire de
Master 2 en histoire, Université de Nancy 2, 2005-2006, pp. 149- 172, spéc. pp. 149-165.
405

Façade et entrée principales (ouest) de l’Eglise Saint Alphonse de Matete (Kinshasa), où fut
organisée la première célébration eucharistique selon le rite zaïrois de la Messe après son
approbation, le 27 mai 1988. Photo Coll. privée, 2008.
406

Façade et entrée latérales sud de l’Eglise Saint Alphonse de Matete (Kinshasa) Photo Coll.
privée 2008.
407

IV.II.II Explication du rite zaïrois de la Messe

Ce « rite zaïrois de la messe » se caractérise par une synthèse qui restaure des pratiques
qui étaient en cours dans les assemblées traditionnelles bantoues. Il intègre l’ancienne
structure et la pratique du dialogue communautaire de ces rassemblements, l’officiant et les
fidèles se sentant ainsi en communion et célébrant ensemble la fête du Seigneur, celui-là suivi
et approuvé par ceux-ci en ce qu’il fait et dit, tandis que de cette manière toute la communauté
est effectivement entraînée et impliquée. D’où, une structure de la messe bouleversant
quelque peu le schéma romain classique, une symbolique communautaire visible en
particulier par le style dialogué, une célébration plus vivante non seulement à cause de cette
participation communautaire mais aussi par la grande place faite aux chants, à la danse, aux
gestes et à d’autres manifestations participatives de toute l’assemblée. Répondant aux
exigences de la Congrégation pour le Culte Divin, la Conférence épiscopale zaïroise
accompagne la présentation du rite zaïrois de la messe d’« explications nécessaires sur les
raisons culturelles spécifiques qui expliquent le changement introduit dans l’Ordo Missae du
Missel romain ».

Nous inspirant de cette brochure explicative de présentation ainsi que des débats du 4
novembre 1986 évoqués ci-dessus, nous pouvons en retenir quatre éléments essentiels qui se
rattachent aux « besoins pastoraux des fidèles », qui ont inspiré les principaux changements.
Signalons que, dans le rite zaïrois typique, le canon, la prière eucharistique, n’a pas subi des
changements autres que de style, notamment par le dialogue qui y est tenu entre le célébrant et
les fidèles, mais on y trouve également certaines prières qui sont du cru propre de l’Eglise du
Congo. On ne sera cependant pas étonné de retrouver dans le rite zaïrois les traits
caractéristiques des liturgies africaines que nous avons expliqués plus haut.

La vision spirituelle de la vie dans la tradition africaine.

Elle implique la communication du monde visible avec le monde invisible avec lequel
les Africains entretiennent des relations par des rites positifs d’agrégation ou d’alliance. Dans
la structure de la messe, cette idée introduit la mise en présence de Dieu par la vénération et
l’adoration grâce au Gloria in excelsis Deo. Ce chant est la proclamation de la majesté et de la
gloire de Dieu en même temps qu’il est un chant de joie, c’est pourquoi pendant son exécution
les ministres dansent autour de l’autel, conformément aux traditions africaines ils forment un
cercle afin de communier à la force vitale qui irradie de l’autel ainsi mis au centre (§ 74) ;
c’est par ce chant que commence la célébration véritable après le chant d’entrée et les litanies.
408

En fait, par la danse et d’autres expressions corporelles (exécutées ici lors du Gloria mais
aussi au cours des processions d’entrée, des dons et de sortie, ou par tout le peuple
accompagnant d’un balancement rythmé sur place certains chants), le fidèle se libère « des
inhibitions et contraintes artificielles, et dessine des mouvements où ‘’la danse sacrée’’ (2 S
6, 20 et MT 11, 17) » accompagne presque toujours les chants liturgiques, et « se traduit en
attitudes, gestes, acclamations et légers balancements du corps rythmés par des chants
chaleureux et des instruments de musique locaux »953 ( tam-tam et autres instruments de
musique traditionnels), les acclamations se faisant toujours avec battement des mains, cris de
joie et d’approbation. Le deuxième aspect de cette vision africaine se traduit par les litanies
qui associent à la glorification de Dieu l’invocation des « amis [ou alliés] de Dieu » que sont
les ancêtres au cœur droit et les saints, la grande famille de Dieu, céleste et terrestre. Sur la
vénération des ancêtres, se rappelant sans doute « la querelle des rites chinois » et le sort qui
fut fait à ces derniers, l’épiscopat zaïrois multiplie les justifications, les explications et les
rapprochements avec l’image et l’idéal des saints chrétiens, y consacrant 12 paragraphes des
49 servant à expliquer toute la messe (§§ 60-71), inscrit adroitement la vénération des
ancêtres dans la rubrique de la « mise en présence de Dieu » réalisée en deux moments,
vénération de Dieu saint et invocation des saints et des ancêtres au cœur droit, précisant que
les « ancêtres » dont il est question sont les justes qui ont « vécu conformément à la volonté
de Dieu », qui « ont légué l’ordre social, éthique et religieux. Or, nos ancêtres croyaient en
Dieu et savaient que Dieu rémunère les bons et punit les méchants », ces derniers n’étant
d’ailleurs « jamais honorés du titre d’ancêtres». Pour l’Eglise africaine, l’invocation des
ancêtres au cœur droit se situe dans la même ligne que « celle des saints, en ce qui concerne
l’idéal humain et religieux qu’ils représentent en particulier pour leurs descendants et la
communion de vie qu’ils ont avec eux et finalement avec toute la famille des bienheureux et
amis de Dieu, au ciel et sur la terre ». Cette invocation se fait dans des litanies par lesquelles
débute la célébration eucharistique et qui associent ancêtres africains et saints, ceux-ci
considérés comme « les ancêtres d’autres peuples dans la foi » (§ 69). Mais, alors que dans les
litanies habituelles de l’Eglise les fidèles s’adressent aux saints en disant « ora, orate pro
nobis», demandant leur intercession, ici, il s’agit d’une invocation où il est demandé aux
ancêtres « soyez avec nous » (voir les paroles dans l’ordo missae reproduit plus loin).

Cette ouverture de la célébration était l’un des points sur lesquels Rome avait exigé
des explications : sur le rôle de l’annonciateur, ministère nouveau dont il est question plus

953
BOKA DI MPASI, Londi, « L’inculturation de l’eucharistie au Zaïre », in BROUARD, Maurice. (dir.), de
Encyclopédie l’eucharistie, Paris, Ed. du Cerf, 2002, p. 359.
409

loin, et sur le sens des litanies d’invocations des saints et des ancêtres. Concernant
l’invocation, la délégation de la Congrégation du Culte divin avait voulu savoir s’il est
nécessaire qu’elle ait la forme de litanie dialoguée entre le célébrant et le peuple, estimant
qu’elle est de nature diaconale et qu’il conviendrait de la commencer par le traditionnel Kyrie
eleison, Christe elerison, Kyrie eleison. L’Episcopat a indiqué à la délégation de la
Congrégation du Culte Divin qu’il ne s’agissait pas d’une de ces litanies classiques, mais d’un
« acte de solidarité qui se traduit par la convocation de la communauté qui, en Afrique,
comprend les vivants et les défunts, pour une mise en présence de Dieu et une prière
communautaire. C’est une sorte d’appel nominal des défunts méritants à s’associer aux
vivants avant de commencer la célébration et la louange du Seigneur » ; de plus, à la
suggestion de confier cette invocation au diacre comme il en est le cas pour les litanies
romaines traditionnelles, l’Episcopat répondit qu’il s’agissait d’une convocation et que, « dans
nos traditions cette convocation est de la compétence du chef de la communauté. On ne peut
pas la confier à un diacre »954. Enfin, le sens de l’expression « soyez avec nous » utilisée à la
place de « priez pour nous » n’est pas celui, banal, de « être à côté de quelqu’un ». En effet,
dans ces civilisations africaines marquées par des situations ou des états existentiels de
relation et de communauté, la catégorie « être avec » est primordiale, au point où les
spécialistes font constater qu’il n’y existe pas de verbe « avoir » ou « posséder » [on dira « je
suis avec… », « nazali na… » en lingala, « ndi ne » en luba, « niko na » en swahili ou mono
kele na (mo kele na) en kikongo, par exemple] ; « être avec » quelqu’un c’est alors être de
cœur avec lui, être uni à lui.

L’imitation du style et l’adoption de la structure de la « Palabre africaine »

C’est une méthode qui favorise l’union et la communion, notamment pour la liturgie
de la Parole. Pour cela, c’est après une monition de « l’annonciateur » (dont nous verrons le
ministère), qu’ont lieu les lectures de la Parole. La lecture de l’Evangile, contrairement à la
pratique de la liturgie « occidentale », est écoutée par le peuple assis, s’accordant à la
coutume selon laquelle quand le chef parle, lui seul prend l’attitude qu’il veut, debout ou
assis, mais le peuple est respectueusement assis, ainsi bien disposé à écouter avec attention le
message du chef.

Les lectures et l’homélie qui les complète sont suivies de l’expression de l’adhésion du
peuple à la Parole et aux leçons de l’homélie comme exposé au point exposé ci-dessous ;

954
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière, Session ordinaire, de la CEZ, op.cit., p. 216.
410

alors, vient la « réconciliation avec Dieu et avec les frères ». Cette réconciliation se traduit
après un double geste, le pardon et le geste de paix ainsi intimement liés. C’est ce qui
explique pourquoi c’est seulement après la liturgie de la Parole proprement dite qu’intervient
l’acte pénitentiel, vécu comme un acte de purification au cours duquel le prêtre parcourt
l’église avec aspersion de l’eau bénite ; l’acte pénitentiel est placé après la Parole qui
interpelle et « accuse » le fidèle et lui inspire une introspection et un examen de conscience
afin que, ainsi instruit, il puisse d’autant mieux regretter son état de pécheur et plus
ardemment désirer sa purification. Cet emplacement de ce double rite est une pratique que les
Africains trouvent conforme aux mœurs africaines, d’abord l’essentiel, salutation et écoute du
message pour lequel on est venu ou pour lequel on est convoqué et, ensuite seulement, griefs
et regrets en vue de faire amende honorable ou de se pardonner. Comme le résume si
merveilleusement le titre d’un article du quotidien catholique français La Croix commentant
les explications de Mgr Sanon sur cette question : « L’amour avant le pardon »955. Dans le
même ordre d’idées, le rite de la paix suit la purification et, logiquement, précède, dans cette
conception, l’offrande du sacrifice eucharistique ; tout en répondant à la logique africaine
exposée ci-dessus, la place du rite de paix se conforme à l’enseignement de Jésus : « Quand
donc tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose
contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et vas d’abord te réconcilier avec ton frère ;
puis reviens, et alors présente ton offrande » (Mt 5, 23-24). Au cours des débats sur le projet
zaïrois, la délégation romaine crut découvrir un doublet du rite pénitentiel avec la mise en
présence de Dieu et avec l’asperges me toujours exécuté dans le rite zaïrois, contesta
l’emplacement de cet ensemble rituel –acte pénitentiel, rite de la paix-, et proposa qu’il soit
laissé au choix, soit au début pour l’acte pénitentiel et après le Pater pour le geste de paix.
Aucune des objections de la Congrégation vaticane, ni historique, ni liturgique ni théologique,
sur cet emplacement et la formulation des paroles de ce rite n’a pu ébranler les positions et les
convictions de l’Episcopat zaïrois quant au bien-fondé de cette originalité présentée comme
inspirée du modèle de la palabre africaine et par une théologie conforme à l’Evangile, tandis
qu’il n’y a pas double emploi avec l’asperges me, qui ne s’ajoute pas à l’acte pénitentiel mais
le valorise en rappelant le baptême956. Ces options seront maintenues, moyennant cette
observation de Rome de ne pas donner trop d’ampleur au rite pénitentiel, qui casserait le
rythme normal de la messe entre ses deux parties traditionnelles957.

955
JARCZYK, B., « Mgr Sanon, Evêque du Burkina-Faso : L’amour avant le pardon », in La Croix, 8-9
décembre 1987, p. 16.
956
V. débat sur le point n. 23, Actes de la XXIIIe Assemblé Plénière, p. 220.
957
Ibid.
411

Cette étape de la messe, à la fin de la liturgie de la Parole, se clôture par la prière


universelle, dite par la communauté réconciliée avec Dieu et en son sein et qui, ayant reçu la
paix, demande qu’elle s’étende au monde entier.

La participation pleine et active de tout le peuple aux actions liturgiques.

L’Eglise africaine a recherché les moyens concrets propres à favoriser ou provoquer


une participation effective et non théorique, supposée ou purement « spirituelle », comme la
veut la Constitution liturgique Sacrosanctum Concilium. Les efforts faits à cette fin s’inspirent
de l’organisation du culte et des réunions de communauté dans la tradition culturelle locale.

C’est ici que l’on retrouve le ministère de l’annonciateur, une sorte d’héraut, laïc
habituellement, qui, entré dans le chœur avant le célébrant, les autres ministres et les acolytes,
renforce, après une formule spécifique de salutation, la conscience de la communauté en
expliquant les perspectives de l’événement célébré, présente les ministres et invite alors les
fidèles à se lever et à la chorale de commencer le chant d’entrée. Au cours de la célébration, il
prononce diverses monitions, entraînant les fidèles lors de la louange du Gloria, situant les
lectures, appelant l’attention du public et présentant les annonces et informations de la
paroisse à la fn de la célébration..

Les lecteurs, diacres ou laïcs, demandent la bénédiction du célébrant, dans une


profonde inclination, avant de se diriger vers l’ambon. Les lectures, comme la prédication,
s’achèvent par une formule d’approbation des fidèles, qui expriment ainsi leur adhésion à la
Parole et à son message ; le lecteur leur demande « Frères et sœurs, c’était la parole de Dieu,
l’accueillez-vous ? », et ils répondent « Nous croyons, nous croyons, nous croyons ». On peut
évoquer, à ce niveau, le débat qui eut lieu à propos de la demande de bénédiction par le
lecteur. En fait, le projet zaïrois prévoyait une « demande de parole » par le lecteur, tandis que
le célébrant le bénit par l’imposition d’une main posée sur la tête ; c’est selon les exigences de
Rome qui préférait la formule « bénédiction du lecteur » et voulait que l’imposition des mains
soit remplacée par une bénédiction par le signe de croix, que, finalement, on retint la formule
romaine et la délégation remarqua en assistant à une messe de rite zaïrois qu’en fait ce n’est
pas une imposition des mains mais une extension de la main et s’en contenta

On observe, comme autre originalité du rite zaïrois, que, sans que cela figure dans la
description des rubriques du rite zaïrois, la première lecture est délibérément et
systématiquement faite par une femme. Des spécialistes zaïrois expliquent ce choix, non par
412

galanterie comme on serait tenté de le faire en Occident, mais par un argument biblique
faisant état de la « double disponibilité primordiale de la Nouvelle Eve », Marie qui, en
recueillant la parole de Dieu à travers l’Annonciation de Gabriel, « accueillit l’enfant Jésus
pour le présenter au monde », ensuite Marie-Madeleine qui, en recevant la première la
nouvelle de la résurrection, reçut la première parole de Jésus ressuscité « pour l’annoncer aux
apôtres » ; on voit, par là dans le rite zaïrois, « un présage et une promesse »958.

La lecture de l’évangile est précédée par l’intronisation par laquelle le peuple acclame,
à l’invitation par le lecteur (célébrant ou diacre) : « Frères et sœurs, le Fils (le Verbe) de Dieu
s’est fait chair », en répondant « Il a demeuré parmi nous ; écoutons-le, écoutons-le, écoutons-
le ». Au cours de l’homélie, le dialogue se poursuit entre le célébrant et les fidèles appelés à
compléter les phrases du prédicateur, complétant les proverbes et paroles de sagesse dont il
truffe son propos, etc. L’homélie se termine par une interpellation du prédicateur : « Que celui
qui a des oreilles pour entendre », le peuple : « qu’il entende », de nouveau le prédicateur :
« que celui qui a le cœur pour consentir (croire) » ou encore « que celui qui a le courage pour
mettre en pratique », et le peuple : « qu’il consente (croie) », etc.

Par ailleurs, c’est en procession avec chants et danses que les fidèles donnent leur
quête et d’autres offrandes, tandis qu’ensuite, le produit de la quête, les offrandes en nature et
les espèces du sacrifice jusque là placées sur une crédence au fond de l’église, sont apportés
par une procession au prêtre debout au seuil du sanctuaire en compagnie des ministres ; ils les
remettent avec une formule de présentation priante. Alors que la procession des dons,
recommandée par Vatican II comme la restauration d’une pratique antique, notamment
africaine, ainsi que le confirmait saint Augustin comme nous l’avons vu, reste peu pratiquée
en Occident, elle est pour la liturgie africaine le premier moment fort de la liturgie
eucharistique proprement dite et, par elle, les fidèles associent leur sacrifice à celui du Christ,
dans le sens de la prière eucharistique n° 3 de Vatican II rappelée à cet effet justement par
Jean-Paul II959.

La participation des fidèles est requise et réalisée même lors de la prière eucharistique,
dite en dialogue entre le célébrant et le peuple alors qu’à l’élévation, en dehors des
acclamations formalisées prévues, il est fréquent que, spontanément, du milieu des fidèles
crépitent des grelots et éclatent des cris stridents d’admiration, de louange et d’adoration, en
958
BOKA DI MPASI, LONDI, « Inculturation de l’eucharistie au Zaïre », in BROUARD, Maurice,
Encyclopédie de l’eucharistie, op.cit., p. 360.
959
« Regarde, Seigneur, le sacrifie de ton Eglise et daigne y reconnaître celui de ton fils… », rappel dans la
Lettre Dominicae Cenae de Jean-Paul II, du 24 février 1980, § 9.
413

dépit du fait que la délégation romaine tint à préciser qu’il ne faut pas laisser libre cours à des
improvisation non contrôlées. Il conviendrait de trouver des formules précises […] »960.

La participation s’exprime également par l’élévation des mains pendant les oraisons
dites par le prêtre, pendant la doxologie, elle aussi dialoguée, et pendant la récitation du Pater.
En fait, la participation du peuple aux oraisons dites par le célébrant est sollicitée par ce
dernier : le prêtre commence chacune de ses oraisons par inviter les fidèles à lever les mains
« Les mains en haut (ou les mains levées), frères et sœurs, prions le Seigneur », tandis que la
conclusion, presque toujours trinitaire, est chantée par le célébrant et le peuple : (traduction
littérale) « Nous supplions ainsi dans le nom de Jésus-Christ, notre Seigneur, ton Fils et lui-
même Dieu, qui a la gloire ensemble avec toi et avec le Saint-Esprit, pour tous les siècles
éternellement. Amen »).

Les styles oraux africains.

Ils imprègnent les textes et les rites, afin que le message que contiennent et véhiculent
ceux-ci soit adressé et exprimé dans un style vivant. On recourt à des images, à des
métaphores, qui frappent l’imagination (jusque dans certaines prières, comme les formulaires
de l’acte pénitentiel où le péché est comparé à « la sangsue qui adhère à la peau et suce le
sang », …). On recourt à ce que Laurent Monsengwo appelle « genres littéraires africains »
pour la prédication et l’éloquence sacrée et « expression et symbolique africaines »
concernant la liturgie961, avec assonances et recherche de sonorités expressives, répétition par
l’assemblée de certains mots les plus significatifs ou des mots simplement suggérés par le
contexte des paroles dites par l’orateur, recours à des images qui frappent l’imagination, à
l’expression énigmatique et à des allusions, à des proverbes et paroles de sagesse
traditionnelles, ... Ceci donne des homélies contextualisées, dialoguées et mettant assez
souvent en œuvre, comme le signale par ailleurs, P. Abega, la maïeutique et débouchant sur
des conclusions, résolutions et recommandations. Même les prières et oraisons en sont
marquées, non seulement elles sont plus longues que les oraisons « romaines », mais aussi
elles contiennent des développements théologiques et christologiques au cours de prières
eucharistiques, qui empruntent aux symboles représentant, à l’africaine, les attributs et
qualités de Dieu et du Christ ; par exemple, magnifier Dieu comme « le soleil qu’on ne peut
regarder fixement ». Le dialogue accompagne également les prières, y compris la prière
eucharistique.

960
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre…, p. 225.
961
MONSENGWO Pasinya (Mgr), Laurent, in Les Evêques d’Afrique, n.37, 1978, p. 145.
414

Création de ministères spécifiques nouveaux

L’épiscopat congolais, dans une vision globale d’insertion des laïcs dans la vie de
l’Eglise, voit, bien plus qu’un palliatif, l’institution de véritables « ministères » nouveaux,
inédits dans l’Eglise universelle, détenus et exercés par des laïcs et totalement intégrés dans la
mission de l’Eglise, ou la reconnaissance comme « ministères » de services existants au
niveau de communautés plus ou moins restreintes, parfois jusque là sans statut précis, dans
lesquels étaient engagés des laïcs et qui ne fonctionnaient que par le dévouement de ces
derniers. Cette option de l’Eglise congolaise est concrétisée, notamment à Kinshasa par les
« Options pastorales » publiées en 1970, dans lesquelles l’évêque rappelle opportunément que
« Historiquement, toutes les fonctions de la communauté ont été petit à petit prises en charge
par les clercs. Le renouvellement de la théologie du peuple de Dieu nous invite à situer le
prêtre à sa vraie place, et à rendre aux laïcs l’exercice de leurs responsabilités également dans
le domaine de la vie interne de l’Eglise - Institution par une véritable réactivation de la
conscience missionnaire des chrétiens »962.

En faisant appel aux laïcs, cette vision accélère le processus d’africanisation et


d’inculturation, répondant à l’africanité de la communauté chrétienne du Congo en partageant
les responsabilités entre les membres, conformément à la tradition communautaire africaine,
les laïcs n’étant plus de simples auxiliaires des prêtres, cantonnés dans des tâches profanes,
mais membres et responsables à part entière participant à la vie ecclésiale dans toute ses
dimensions. Cela traduit, telle qu’exposée par le cardinal Malula à la VIIIème Semaine
Théologique de Kinshasa, la conviction de l’épiscopat que les Eglises « ne seront particulières
que si elles jouissent de la plénitude de leurs moyens propres du salut », parmi lesquels « les
ministères propres adaptés aux besoins de nos Eglises particulières »963. Cette Semaine,
consacrée à « Ministères et Services dans l’Eglise », appela à une pastorale nouvelle, par des
conclusions qui remettent en cause le monopole clérical et proposent des communautés
chrétiennes où le ministère laïc aurait sa place et serait reconnu comme important. Pour
autant, la problématique ainsi clairement posée des ministères laïcs ne permet pas d’en établir
une liste systématique à instituer au niveau des différentes communautés (p.ex. paroisse ou
succursale de paroisse) ; il a simplement été, un peu empiriquement, recommandé que selon
les besoins de chaque communauté, les divers services et fonctions exercés par des laïcs
soient, à la demande des membres de la communauté, consacrés en ministères officiellement

962
Mission de l’Eglise à Kinshasa, in Options pastorales, septembre 1970, p. 19.
963
Allocution du Cardinal Malula à la VIIIème Semaine Théologique de Kinshasa, juillet 1973.
415

reconnus. Toutefois, on peut dégager quatre directions dans lesquelles pourront être créés des
ministères laïcs : catéchèse, liturgie, animation des communautés et direction des
communautés964 ; le nouveau visage de l’Eglise congolaise présente cette marque du rôle des
laïcs, jusqu’à la direction des paroisses par le système de « bakambi de paroisse » dont un
exposé est fait en annexe. Par ailleurs, ces options seront présentées à la troisième Assemblée
générale du Synode des évêques qui s’est tenue à Rome du 27 septembre au 26 octobre 1974
consacrée au thème de l’évangélisation, dans un document de base remis par les évêques
zaïrois, où se trouve traitée, entre autres, la problématique de l’institutionnalisation des
ministères laïcs. A ce propos, les évêques zaïrois déclarent : « La formation d’un peuple
sacerdotal et prophétique, fin de l’évangélisation, ne peut se concevoir ni se réaliser sans une
institutionnalisation généralisée de ministères laïcs… ». C’est pourquoi, la Conférence
Episcopale du Zaïre va instituer « un éventail de ministères laïcs correspondant aux besoins
réels de la communauté des croyants », qui étaient jusqu’à présent monopolisés par le prêtre
ou qui n’apparaissaient que comme activités subalternes. Dans le domaine de la liturgie, le
rite zaïrois a érigé en ministères liturgiques certains offices traditionnels, tels que les
ministères de la présidence de la prière et de la liturgie dominicale (sans célébration
eucharistique), de la Parole (lecteurs et interprètes de l’Ecriture, ministère homilétique), de la
célébration de certains sacrements (baptême, sacrement des malades, …), de l’animation
liturgique, musique et chorale, et l’annonciateur qui remplace le traditionnel
« commentateur ». Il y a également lieu de citer ce ministère particulier, des nkumu (à
Kinshasa) (ou ba-ntita en langue luba), ministres qui accompagnent le président de la liturgie,
le célébrant, sans tâche spécifique au cours de la messe, à l’instar des notables qui
accompagnaient le chef traditionnel partout où il allait et spécialement lors des cérémonies
cultuelles communautaires, audiences arbitrales ou tout autre circonstance ; à la messe, ils
encadrent le célébrant, un peu en retrait lorsqu’il est à l’autel ou assis de part et d’autre de lui
pendant les lectures, quand ils sont présents à la messe, la distribution de la communion par
les laïcs leur revient en premier…

Le ministère d’annonciateur, par sa spécificité, mérite quelques explications


L’annonciateur est plus que le simple commentateur qu’autorise l’ordo romain et dont la
fonction est de proposer « aux fidèles des explications et des monitions pour les introduire
dans la célébration et mieux les disposer à la comprendre ».965 Par contre, l’annonciateur de la

964
Selon l’étude du Père Lefebvre, Renouveau pastoral à Kinshasa, Kinshasa-Limete C.E.P. 1977.
965
Présentation Générale du Missel Romain, n. 68, a), d’après Conférence Episcopale du Zaïre, Missel romain
pour les Diocèses du Zaïre, Kinshasa, Ed. du Secrétariat Général, 1989, pp. 29-30.
416

liturgie zaïroise exerce un des nouveaux ministères spécifiques des rites africains, que l’Eglise
du Zaïre avait tenu à maintenir face aux pressions romaines pour se limiter au rôle du
« commentateur ». Il s’agit d’un ministère, certes non ordonné, mais qui figure bien dans la
rubrique « Offices et ministères à la messe » de l’ordo du rite zaïrois qui l’institue pour le rite
solennel : c’est un laïc qui « joue son rôle de précurseur, de celui qui annonce l’événement, en
renforçant la conscience de la communauté », par des formules de salutation fraternelle.
Conformément à la tradition africaine, c’est le héraut qui « proclame la charte de la vie
intérieure, le guide qui exhorte, menace, console, …, suscite l’espérance » et, lors du culte, il
« précise l’objet du culte du jour, éveille à la présence de la puissance divine dans l’acte
sacrificiel et la prière qui vont commencer » ; dans l’eucharistie, il « assure la liaison entre le
célébrant et l’assemblée, en dirigeant de façon discrète et efficace la participation active des
fidèles et en guidant leurs prières », par son commentaire, il « fait ressortir le mystère que
l’Eglise célèbre, proclame dans le service de la Parole, et réalise pendant la liturgie
eucharistique ». L’annonciateur qui, à chaque intervention, utilise une clochette, présente les
prêtres, les ministres et les visiteurs de marque venus s’associer à la communauté en prière ; il
introduit les lectures par une brève monition, il se met en tête de la procession de l’Evangile et
intervient également avant la prière eucharistique.966

Ce ministère avait fait l’objet de débats entre la délégation romaine et la délégation


zaïroise lors des échanges et consultations organisés en vue d’examiner la conformité
doctrinale et théologique des innovations proposées par l’Episcopat zaïrois. Les délégués de la
Congrégation du Culte Divin craignaient la confusion avec la fonction diaconale et préféraient
que l’annonciateur se limite au rôle du commentateur tel que défini par l’ordo romain,
insistant également pour que la formule de salutation par laquelle il ouvre ses adresses ne se
confonde pas avec celle du prêtre : c’est la raison pour laquelle, maintenant le « ministère » de
l’annonciateur, distinct de celui du diacre, la délégation zaïroise modifia la formule de
salutation : au lieu de « Frères et sœurs, grâce, miséricorde, paix de par Dieu le Père et le
Christ Jésus notre Seigneur », formule qui était prévue à l’origine, le peuple répondant par
« Amen », on retint une simple salutation fraternelle qui est aujourd’hui pratiquée dans
l’Eglise du Congo après son introduction dans le diocèse de Kinshasa : Frères et sœurs, la
Paix (Bandeko, Boboto ), réponse : la fraternité (bondeko »), la fraternité (bondeko), réponse :
la joie (esengo)967, parfois on ajoute la joie, réponse : l’unité (lisanga), lisanga, réponse

966
Présentation de la liturgie de la Messe, Supplément au Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre, Kinshasa,
Ed. du Secrétariat Général de la Conférence Episcopale du Zaïre, n. 91 et 100.
967
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre…, p. 214.
417

mosala (travail…) ! Outre qu’on remarque encore ici ce style répétitif et dialogué des rites
africains, l’ordonnance de ces termes, plaçant la « fraternité » au centre, dit Ignace Ndongala
M., induit une « présupposition sociale », dans un rapport qui « n’est pas une simple formule
de politesse ni un quelconque souhait mais uns bénédiction », déclinant « une modalité
particulière du vivre ensemble » qui devient d’ailleurs la manière de se désigner et de se
saluer des catholiques968.

Autres innovations.

Plusieurs autres formes d’africanisation ont été autorisées et mises en œuvre. Il en est
ainsi de la musique sacrée, y compris les instruments d’accompagnement, à propos de laquelle
le Concile avait dit que « Puisque, [ …], surtout en pays de mission, on trouve des peuples qui
possèdent une tradition musicale propre qui tient une grande place dans leur vie religieuse et
sociale, on accordera à cette musique l’estime qui lui est due et la place convenable, aussi
bien en formant leur sens religieux qu’en adaptant le culte à leur génie »969. Il existe ainsi un
très vaste répertoire musical liturgique, les chants étant adaptés à la tradition musicale dans
l’art africain, avec des instruments adaptés au style dansant ou tout au moins entraînant des
chants liturgiques. Au Congo, outre la guitare et le synthétiseur auxquels il est fait appel, c’est
l’usage d’instruments de musique africains, ngonga, likembe, tam-tam, xylophone,
maracasses et grelots, etc., qui est le plus courant, donc des instruments dits profanes mais
avec l’injonction que, consacrés lorsqu’ils sont affectés à la musique sacrée, ces instruments
ne soient pas prêtés à des usages profanes.

L’adaptation des vêtements liturgiques, dont on sait que le chasuble lui-même « a


connu, au cours des siècles, des étranges et nombreuses mutilations970, et que « l’habit adopté
en Europe pour la liturgie ne se portait pas dans toute l’Europe », « il a bien fallu adopter un
modèle qui est beau et susceptible de traduire le symbolisme liturgique »971 qui, au Congo,
emprunte aux motifs artistiques, colorés et chamarrés traditionnels, dans le respect par la
couleur dominante de la signification des couleurs liturgiques spécifiques pour l’Eglise ainsi
que du caractère de la célébration. De fait, le symbolisme des couleurs est reconnu de tous : il
en est qui « calment les nerfs » et « mettent à l’aise », d’autres mettent de l’ambiance, en

968
NDONGALA MADUKU, Ignace, « Des communautés célébrantes pour quelle Eglise ? L’expérience du
diocèse de Kinshasa (RDC) », in Questions liturgiques – Studies in Liturgy, Vol. 86-2005/2-3, Liturgisch
Instituut, Leuven, pp. 115-116.
969
Cité par JENNY, Henri, op. cit., p.110.
970
LESAGE, Robert, Objets et habits liturgiques, Paris, Ed. Fayard, 1958, p. 18.
971
MVENG, Engelberg, L’art nègre, l’art chrétien, Paris, Ed. Présence Africaine, 1969, p.73.
418

liturgie certaines sont le symbole de la joie, ou de la pureté et de l’innocence, comme le blanc


souvent porté dans les messes pour les enfants, même défunts, mais il peut aussi être la
couleur de « l’invisible » et de la vie d’outre-tombe, pour orner les messes célébrant les
mystères, les confesseurs et, même, dans plus d’une culture, les funérailles, tandis que
d’autres représentent la douleur ou la souffrance, comme le rouge qui, pouvant également
représenter la vie et le sang972, conviendrait pour la Passion du Christ et les fêtes des Martyrs.
Pour la confection des habits liturgiques, il existe des « ouvroirs liturgiques » qui, même s’ils
avaient vu le jour au cours de l’2glise missionnaire, voient leurs créations influencées par le
mouvement général d’africanisation Dans le même registre, il faut citer l’usage d’un couvre-
chef traditionnel, souvent une sorte de survêtement en peau de bête et d’une sorte de sceptre
terminé par une queue de bête (en forme de « chasse-mouches ») à la manière des chefs
traditionnels, le président étant un chef qui représente le grand chef qu’est le Christ. Enfin, le
statuaire et l’imagerie adoptent les figurations sculpturales et picturales traditionnelles
congolaises ; etc.

***

Globalement, on retrouve dans ce rite les différents résultats des recherches qui ont été
présentés plus haut et, selon les explications qu’en donne l’épiscopat, « les efforts entrepris
pour inculturer la liturgie catholique sont à situer dans le cadre des exigences pastorales,
catéchétiques et liturgiques de la vie de l’Eglise du Zaïre » (§ 30).

Sans aucune prétention théologique, on peut dire que, ainsi présenté, ce rite semble
bien refléter les enseignements de l’Eglise sur les exigences d’une évangélisation réussie, qui
incarne le message chrétien dans la société concernée et sa culture, embrassant aussi bien
l’aspect transmission du message chrétien que l’aspect liturgique. En effet, dans une rubrique
« Adaptation et fidélité du langage » de son encyclique Evangelii Nuntiandi, Paul VI dit :

« Les Eglises particulières, profondément amalgamées avec les personnes mais aussi
les aspirations, les richesses et limites, les façons de prier, d’aimer, de considérer la vie
et le monde qui marquent tel ou tel ensemble humain, ont le rôle d’assimiler l’essentiel
du message évangélique, de le transposer, sans la moindre trahison de sa vérité
essentielle, dans le langage que ces hommes comprennent, puis de l’annoncer dans ce
langage. La transposition est à faire […] dans le domaine des expressions liturgiques,
de la catéchèse, de la formulation théologique, des structures ecclésiales secondaires,
des ministères. »973.

972
MVENG, Engelbert, L’art de l’Afrique noire, Paris, Mame, 1964, p. 32.
973
Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, du 8 décembre 1975 , § 63.
419

Ce que confirme Jean-Paul II dans son encyclique Missio Redemptoris, quand il écrit :

«Grâce à cette action dans les Eglises locales, l'Eglise universelle elle-même s'enrichit
d'expressions et de valeurs nouvelles dans les divers secteurs de la vie chrétienne, tels
que l'évangélisation, le culte, la théologie, les œuvres caritatives ; elle connaît et
exprime mieux le mystère du Christ, et elle est incitée à se renouveler constamment.
Ces thèmes, présents dans le Concile et, par la suite, dans les enseignements du
magistère, je les ai sans cesse abordés au cours de mes visites pastorales aux jeunes
Eglises »974

Avant la reproduction, qui nous a semblé nécessaire, de l’ensemble de la liturgie de la


messe en annexe, c’est-à-dire de l’ordo missae lui-même, nous présentons ci-dessous le
schéma975.

IV.II.III Structure de la liturgie zaïroise de la messe

Cette structure est, pour l’essentiel, conforme au missel romain tel qu’il s’est forgé au
cours de l’histoire, en respectant la division de la messe en une partie introductive qui est
l’ouverture, suivie de la liturgie de la Parole et de la liturgie Eucharistique. Néanmoins,
compte tenu de toutes les caractéristiques africaines vues ci-haut, l’ordo missae selon le rite
zaïrois contient des innovations ou des particularités dont certaines seront brièvement
commentées ici, d’autres commentaires ayant été présentés au paragraphe précédent en
relation avec le débat de clarification qui eut lieu entre le Saint-Siège et l’Eglise du Zaïre.

Ouverture de la célébration

L’annonce : le « héraut » ou l’annonciateur annonce l’événement, éveille la conscience


des fidèles, les invite à se lever et demande à la chorale de commencer les chants d’entrée
pour accueillir la procession.

- Procession d’entrée du célébrant, des ministres et des acolytes. Le célébrant porte


normalement des insignes d’honneur traditionnels (couvre-chef et une sorte de sceptre,
parfois une peau de bête fait partie du décorum, …) ; sur fond de chants rythmés, la
procession est dansante, deux ou quatre acolytes dansent avec des lances ainsi que lors
des parades traditionnelles.
- Vénération de l’autel. Le missel prescrit que « Arrivé au sanctuaire, le ministre qui porte
l’évangéliaire le dépose sur l’autel, les ministres inférieurs se mettent en demi-cercle
derrière l’autel », les célébrants « se mettent près de l’autel, mais face au peuple. Tous
ensemble, ils saluent l’autel en faisant une inclination profonde, ou une génuflexion ou

974
Encyclique Missio Redemptoris, déjà citée, § 52.
975
Adapté de Présentation de la liturgie de la Messe, op.cit., pp.10-12.
420

une prostration ». « Le prêtre peut également se tenir debout au milieu de l’autel, face au
peuple, les bras étendus en forme de V, puis, il s’appuie sur l’autel, le front touchant
l’autel, il répète ce geste aux trois autres côtés de l’autel » en contournant par la droite,
tandis que les concélébrants et les autres ministres demeurent profondément inclinés.976
- Salutation au peuple rassemblé
- Mise en présence de Dieu : Après avoir invité le peuple à prendre conscience d’être sur
la montagne de Dieu et d’avancer avec confiance, le prêtre, disant « Unissons-nous à tous
les disciples du Christ qui ont quitté cette terre […] » « Unissons-nous à tous ceux qui,
même s’ils n’ont pas connu le Christ […], ont pourtant cherché Dieu d’un cœur sincère »
« Que ce sacrifice eucharistique nous rassemble tous en une seule famille devant Dieu »,
introduit l’invocation des saints et des ancêtres « au cœur droit », amis de Dieu, de même
que la liturgie romaine évoque depuis l’Antiquité Abel le juste, Abraham et Melchisédek.
- Chant d’acclamation : c’est un chant de louange, que remplace le Gloria in excelsis Deo
les jours où celui-ci est prévu selon les rubriques de l’Ordo romain.
- Prière d’ouverture : dite ou chantée par le prêtre, tandis que le peuple a les mains levées
vers le ciel et conclut en reprenant avec le prêtre, comme indiqué plus avant, la
conclusion trinitaire de l’oraison terminée par Amen. A noter que c’est la première
oraison depuis le début de la célébration.

Liturgie de la Parole

- Les lectures bibliques (Ancien et Nouveau Testaments)

Le lecteur, pour lire les épîtres, ou le diacre pour l’Evangile, va s’incliner devant le prêtre à
son siège et lui demande la bénédiction, puis s’incline en signe de remerciement. La demande
de bénédiction est une originalité du rite zaïrois, tirée de la pratique ancestrale selon laquelle
nul ne peut prendre la parole devant le chef sans y être autorisé et, donc tout celui qui, dans la
célébration, proclame la Parole de Dieu en son nom soit accrédité auprès de l’assemblée par
celui qui en a reçu mandat de par son ministère. Après la proclamation, le lecteur invite le
peuple à manifester son approbation ; les deux formules, au choix, se trouvent reproduites
dans l’ordo présenté plus loin). Les premiers projets zaïrois prévoyaient une « demande de
parole » à laquelle le prêtre répondait par une imposition des mains au lecteur et termine
l’autorisation par une bénédiction trinitaire ; après les discussions avec Rome, l’imposition
des mains fut remplacée par une simple main tendue au-dessus du lecteur et l’habituelle
bénédiction par le signe de croix.977

976
Missel romain pour les Diocèses du Zaïre, op.cit., p. 83, A-4.
977
Explication donnée dans le compte-rendu fait dans Actes de la XXIIe Assemblée Plénière de la Conférence
Episcopale du Zaïre, du 9 au 12 août 1985, CEZ, Kinshasa, Ed. du Secrétariat Général.
421

- L’intronisation de l’Evangile

Lorsqu’un personnage prend la parole en public, dans la tradition, l’attention de l’auditoire est
attirée sur sa personne et sur le contenu et la portée attendue de son intervention. Or, ici, c’est
le Christ lui-même qui prend la parole, ce qu’explique le Concile en indiquant que « c’est lui
qui parle » et qu’ « il est dans sa parole ». Après avoir été présenté, le Verbe fait chair est
acclamé par l’assemblée : dans le rite zaïrois, le livre élevé, le prêtre, au milieu de l’autel,
chante « Frères et sœurs, le Fils de l’homme s’est fait homme » et l’assemblée répond « Il a
habité (ou il était) parmi nous, écoutons-le, écoutons-le, écoutons-le », un chant éclate et
poursuit spontanément l’acclamation pendant que débute la procession du Livre vers l’ambon.

- L’homélie (selon les particularités stylistiques et oratoires du discours africain


traditionnel, avec répétitions, assonances et dialogues, …, comme indiqué dans l’exposé des
caractéristiques des rites africains et ci-dessus dans le paragraphe relatif à l’explication du rite
zaïrois). L’homélie, en rite zaïrois, se fonde sur l’efficacité de la parole dans la tradition
africaine ; comme l’explique F. Kabasele Lumbala, « La parole est un élément fondamental
dans les civilisations de l’oralité. Elle n’est pas seulement un moyen et un outil, elle est
personnifiée, elle agit…»978

- La Profession de foi

- L’Acte pénitentiel. Il est introduit par une invitation à la repentance par le prêtre qui
utilise l’une des trois formules proposées qui, toutes, mettent en exergue l’efficacité de la
Parole de Dieu (ainsi qu’on l’a vu). Ensuite, le prêtre commence les invocations dont la
première est très spécifique, où le péché est assimilé à « la sangsue qui adhère à la peau et
suce le sang de l’homme… », demandant « Qui nous sauvera, sinon toi notre
Seigneur ? »…Chaque invocation est conclue par le peuple en disant « Seigneur prends pitié »
ou « Kyrie eleison ». C’est un véritable examen de conscience suivi par l’Asperges me et,
revenu à l’autel, le prêtre implore alors le pardon dans l’une des deux formules que propose le
Missel. Une de ces formules est caractéristique du style eucologique africain avec son
métaphorisme concret et unique : « que nos cœurs ne soient plus enclins au mal ; pardonne-
nous nos fautes, à cause du sacrifice de ton fils…, que ton Esprit habite en nos cœurs et que
nos péchés soient noyés dans l’eau profonde et silencieuse de ta miséricorde ».
- Le rite de la paix. Après la réconciliation à l’issue du rite pénitentiel, la joie reçue de la
Parole et de l’homélie est redoublée et le rite de la paix en devient lui aussi festif,
978
KABASELE LUMBALA, François, « Du Canon romain au rite zaïrois », in BTA, Vol. IV, n° 8, 1982, 220.
422

s’accompagnant de chants et gestes dont la sémantique est une illustration de la chaîne de


convivialité formée et vécue par les fidèles.
- La prière universelle

La liturgie eucharistique

L’apport des dons (qui comprennent le produit de la quête, les offrandes et dîmes, les
offrandes en nature que rassemblent les chrétiens pour les besoins de l’Eglise, de la paroisse
et de l’équipe pastorale ; ils sont pris depuis le fond de l’église où se trouve disposée
également la crédence portant les espèces, apportés en procession avec le chant de l’offertoire
et reçus à l’entrée du sanctuaire par le prêtre accompagnés des concélébrants et du diacre, les
fidèles accompagnent la remise des dons d’une formule de présentation). Ce rite n’est
nullement folklore, mais il a une signification ecclésiologique évidente, au regard des
conceptions africaines : en effet, l’eucharistie devient un lieu de service en ce que toutes les
communautés ecclésiales de base sont appelées à la solidarité et au partage en se chargeant à
tour de rôle des offrandes. De telle sorte que les fidèles, dans le cadre de ces communautés,
prennent en charge les besoins des paroisses et des instituts de formation ; souvent, dans
presque toutes les paroisses congolaises, la quête est collectée séparément par communauté,
dans un climat d’émulation mutuelle (rivalité ou concurrence ?) entre elles, chacune se
mobilisant pour donner plus que les autres979.

Lors des échanges de novembre 1986, la délégation de la Congrégation vaticane a


présenté quelques objections sur le déroulement de la liturgie eucharistique. D’abord, le projet
zaïrois ayant proposé le mélange du vin et de l’eau au début de la célébration (on peut dire,
pour que ce soit fait une fois pour toutes), Rome exprima son profond désaccord, de même
que là où le projet prévoyait une prière unique sur les offrandes expliquant que le Corps du
Christ est un, qu’il ne se sépare pas en chair et sang, alors même que le projet prévoyait que le
prêtre offre ensemble toutes les offrandes, celles apportées par les fidèles et les espèces
eucharistiques. Arguant que les espèces ne deviennent corps et sang du Christ qu’après leur
consécration avec prière sur chacune, l’un devenant le Corps l’autre le Sang du Christ, la
délégation de la Congrégation romaine fit adopter les prescriptions du Missel romain telles

979
Pour l’émergence et le rôle des « Communautés ecclésiales de base » (CEB) ou « Communautés ecclésiales
vivantes de base » (CEVB) dans la nouvelle ecclésiologie de l’Eglise particulière, lire MUENDE-MAMPUYA,
Marie-Jeanne., Essor de l’Eglise catholique congolaise et l’évolution politique du Congo…, Mémoire déjà cité,
spécialement pp. 73-75.
423

qu’elles avaient été voulues par Paul VI, seules les « offrandes pour le sacrifice sont offertes à
l’autel par le prêtre » et une prière est dite séparément sur chaque espèce980.

La prière eucharistique (de la Préface à la fin, elle est dialoguée ou accompagnée par
de brèves acclamations de l’assemblée). La prière eucharistique souleva plusieurs
interrogations de la part de la Congrégation du Culte Divin, dont celles relatives au dialogue
introductif de la Préface et à la mention des gouvernants dans les intercessions du Memento
des vivants. Sur le premier point, l’interrogation portait sur la réponse « Qu’il soit aussi avec
vous » que proposait le rite zaïrois au Dominus vobiscum de la Préface, qui ne refléterait pas
le sens du traditionnel Et cum Spiritu tuo du missel romain et de sa traduction littérale
française « Et avec votre esprit ». La délégation zaïroise expliqua que la version zaïroise en
français n’est pas la reprise du missel français auquel Rome aurait voulu qu’elle se conformât,
mais une traduction des langues congolaises en français à l’intention du Saint-Siège, en même
temps qu’une restitution conforme au langage liturgique africain, et rend mieux l’idée de la
personne à laquelle on répond et pas seulement son esprit, fidèle en cela à l’expression utilisée
dans le culte juif (nefesh, personne, qui se dit nafsi en swahili, l’une des langues zaïroises).
Quant à la mention des autorités civiles, la Congrégation soutint qu’il ne conviendrait pas, là
où l’on prie pour la communauté ecclésiale, de traiter de façon identique « ceux qui veillent
sur la foi catholique reçue des apôtres et ceux qui gouvernent les nations » ; elle fit adopter
que la mention des dirigeants politiques sied mieux dans la prière universelle et non dans la
prière eucharistique981. A la fin de la prière eucharistique, il y a lieu de remarquer la
doxologie qui, à la différence de la doxologie romaine christologique, glorifie les trois
personnes en Dieu et fait participer les fidèles :

-Célébrant : Seigneur, puissions-nous glorifier ton nom (sens de la langue originale : « rends-
nous dignes de glorifier ton nom », Actes de la XXIIIe Ass. Plén. de l’Episcopat…, p. 227)
Réponse : Amen
-Célébrant : Ton nom
Réponse : Amen
-Célébrant : Très honorable
Réponse : Amen
-Célébrant : Père
Réponse : Amen
-Célébrant : Fils
Réponse : Amen
-Célébrant : Esprit Saint

980
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de la CEZ, Session ordinaire du 6 au 17 novembre 1986, p. 222.
981
Ibid., pp. 225-226.
424

Réponse : Amen
-Célébrant : Puissions-nous le glorifier
Réponse : Amen,
-Célébrant : Aujourd’hui
Réponse : Amen
-Célébrant : Demain
Réponse : Amen
-Célébrant : Pour les siècles des siècles
Réponse : Amen.

Cette doxologie trinitaire posa un problème à la délégation romaine qui la mettait en


contraste avec l’option classique du Per Ipsum dont la logique est qu’on loue « le Père par le
fils dans le Saint-Esprit » ; la réponse zaïroise fut que la formule est une adaptation d’une
anaphore de Saint Jean Chrysostome et, magnifiant le nom de Dieu, elle veut « proclamer que
Dieu est Père, Fils et Esprit Saint », les trois jouant un rôle dans l’histoire du salut982.

Les rites de communion et de conclusion : ils ne présentent rien de spécifique, mais la sortie
du célébrant accompagné des ministres et acolytes se fait en procession par la nef centrale, le
peuple suivant derrière.

982
Ibid.
425

QUELQUES VUES D’UNE CELEBRATION EN RITE ZAÏROIS à la


PAROISSE SAINT VINCENT DE PAUL, KINSHASA/KIMBANGU, PRESIDEE PAR
LE CURE DE LA PAROISSE, l’abbé Pierre LUMU « Djim »
Dimanche 15 juillet 2007
Photos – video, 2007
426

La vénération de l’autel : le prêtre, les bras en « V », pose le front sur l’autel à ses quatre côtés
– ici, de dos, face au peuple.
427

La vénération de l’autel : le prêtre, les bras en « V », pose le front sur l’autel à ses quatre côtés
– ici, de face..
428

La danse autour de l’autel pendant l’exécution du Gloria ; on aperçoit des acolytes dansant
tenant une lance
429

Le célébrant assis avec deux acolytes pendant les deux premières lectures : on remarquera le
couvre-chef et le bâton terminé par des poils en forme de queue
430

L’intronisation du Livre avant la procession de l’Evangile


431

La fin de la procession des offrandes, le prêtre en liesse avec les fidèles, attend de recevoir les
offrandes amenées et présentées par les CEVB
432

Une fidèle, comme d’autres, n’hésite pas à continuer des cris de joie
et de louange peu avant l’Offertoire
433

QUELQUES INSTRUMENTS DE MUSIQUE AFRICAINS SUSCEPTIBLES D’ETRE


UTILISES AU COURS DES CELEBRATIONS LITURGIQUES

DJEMBE (notamment en Afrique de l’Ouest ; en Afrique Centrale, c’est le TAM-TAM qui est
le plus utilisé, une sorte de djembe ou de tambour cylindrique et haut que l’on joue debout)

SANZA (en Centrafrique), LIKEMBE (au Congo, où par ailleurs, en langue luba il est appelé
« tshisanji »)

(N.B. : photo à l’envers)


434

CLOCHES (Ngonga au Congo) CALEBASSE

XYLOPHONES (MADIMBA, MARIMBA, BALA, BALAFON…)


435

IV.III AUTRES RITES AFRICAINS983

L’étude des fondements et des caractéristiques de liturgies africaines nous a montré


qu’un peu partout en Afrique, des recherches furent menées et des initiatives entreprises,
même si les schémas adoptés ne reçurent pas la canonisation romaine. De fait, la réflexion
sur la nécessité d’une liturgie « africaine » avait suivi de très près la réforme de Vatican II.
Ainsi, si à notre connaissance le rite zaïrois est le seul rite africain à avoir obtenu une
consécration par décret en tant que rite « romain », donc en tant que rite typique pour le
Zaïre, certains autres, dont quelques-uns avaient été même expérimentés avant le rite
zaïrois, existent dans divers pays d’Afrique. Au Congo-Zaïre même, des initiatives locales,
plus audacieuses que le rite typique, concurrencent ou côtoient dans certaines paroisses ce
dernier. De façon générale, l’euchologie africaine se distingue des prières et oraisons
« romaines ». Si ces dernières sont courtes, concises et bien souvent abstraites, les prières
« africaines », empruntant à l’oralité et à l’improvisation qui caractérisent la rhétorique
africaine, ponctuée d’images suggestives et de formulations proverbiales et, surtout, des
noms par lesquels, comme on l’a vu par ailleurs, sont montrés les attributs, les qualités, la
toute-puissance, la providence, les exploits et les fonctions de Dieu, grand chef, l’Aîné,
l’Ancêtre par excellence. Le lecteur qui n’en lit que les traductions en français ne pourra
véritablement en saisir le sens et la saveur qu’elles ont dans leur langue d’origine, les
figurations, images et expressions proverbiales ne pouvant lui suggérer rien de concret, de
significatif et de compréhensible.

IV.III.I L’expérience de Ndzong-Melen984

L’année même où était publié le Missel de Paul VI, apparaissait au Cameroun un rite
liturgique inspiré de traditions culturelles africaines, la messe de Ndzong-Melen. Dans un
article où il présentait le sens de cette démarche africaine, Prosper Abega mettait en exergue
le « conflit permanent » qui, selon lui, existait « entre les valeurs humaines instaurées par nos
ancêtres pour le bonheur de nos sociétés et cette vision chrétienne instaurée par une certaine
période missionnaire »985, conflit qui ne s’apaiserait que par une célébration liturgique
africaine qui réconcilierait l’âme africaine et le christianisme occidental. La liturgie de
Ndzong-Melen est issue de recherches de mélodies et rites liturgiques inspirés de l’art et des

983
Un grand nombre de prières eucharistiques africaines se trouve reproduites dans Centre de recherche
théologique missionnaire (Centre de Recherches Théologiques Missionnaires), A travers le monde Célébrations
de l’Eucharistie, Paris, Ed. du Cerf, 1981.
984
Exposition adaptée de la description de Prosper Abega, « La liturgie camerounaise », loc.cit., pp 518-522.
985
ABEGA, Prosper, « L’expérience liturgique de Ndzong Melen », Telema, 1970, n.4, p. 50.
436

traditions du terroir, recherches menées dès la fin du Concile par les pères camerounais
Englebert Mveng, Prosper Abega et le charismatique Pie-Claude Ngumu. Apparue dans une
paroisse (Saint Paul) de la banlieue de Yaoundé en 1968, elle fit sensation au Congrès
international eucharistique de Lourdes en 1981 ; elle est sans doute l’une des toutes premières,
avec la All Africa Eucharistic Prayer qui va être évoquée plus bas, à être aussi élaborées,
même si elle ne reçut pas la même consécration officielle du Vatican que celle du rite zaïrois,
mais elle jouit d’une reconnaissance notable. Décrivant cette liturgie, A. Shorter dit que
« C’est une célébration d’inspiration africaine et pas du tout une célébration européenne avec
ajouts de quelques éléments africains. Par exemple, on y danse sans discontinuer au son de la
musique et des chants de cette culture. On célèbre maintenant ainsi un peu partout en Afrique,
sinon tous les dimanches, au moins pour les grandes fêtes. », description bien simpliste car on
ne saurait, à l’évidence, réduire les liturgies africaines à la danse.

Mais, bien autre chose que ces danses continues que décrie Shorter, c’est dans
l’ordonnance de la messe que, s’appuyant sur un modèle culturel spécifique africain des
assemblées du peuple convoqué par le Chef, ou par le membre de la société qui a un problème
à faire résoudre par la communauté, et du repas qui y a lieu, le rite de Ndzong-Melen se
démarque de la liturgie romaine. De ce point de vue, toute assemblée délibérative ou autour
d’un événement socio-culturel important, commence par la proclamation de ce pourquoi le
peuple est convoqué, faite par un hérault, un annonciateur, ensuite on écoute le chef et enfin la
palabre ou le repas peut commencer. Ainsi, explique Abega, « nous avons fait appel à
l’assemblée traditionnelle beti pour essayer de réorganiser la messe catholique ». Il commence
par expliquer que l’assemblée (etogan ekaon, en beti) « est toujours informelle au moment de
sa convocation, … l’ordre du jour n’est jamais préétabli » ; ce qui oblige, séance tenante, à
informer les membres de l’objet du débat ou de la réunion ; suivent les délibérations, où on
rivalise de qualités oratoires et d’échanges de proverbes sapientiaux, après quoi le président
fait la synthèse d’où se dégage la solution, c’est alors qu’est servi le repas, à la fois de gratitude
et de communion (harmonisation et agrégation) pour le groupe.

C’est la raison pour laquelle la messe Ndzong- Melen débute par l’acclamation du livre
des lectures. Ayant apprêté le livre à la sacristie pendant que les chœurs avec leurs balafons
entament les chants que le peuple danse sur place, les ministres sortent en procession, précédés
par la croix et par le président portant le livre qu’il présente à la foule qui l’accueille par une
chaleureuse acclamation, le livre est alors ouvert et porté par le diacre pendant la procession.
Quand, après l’intronisation du livre par le président, tout le monde a gagné sa place, sans
437

aucune des prières introductoires de la liturgie classique, la cérémonie commence par l’écoute
de la Parole (l’annonce de l’objet de la réunion, du mystère du jour), trois lectures
entrecoupées de chants et, enfin la proclamation solennelle de l’évangile, la parole de celui qui
a convoqué son peuple, suivie de l’homélie, un véritable dialogue entre le célébrant et le
peuple, en une sorte de « palabre africaine », conduite par le célébrant à travers une maïeutique
qui accouche d’une concertation et de recommandations dégagées du « débat ». Le credo
s’élève alors comme acclamation et acquiescement de la foule ; pendant ce temps, les
offrandes de toutes sortes, en espèces et en nature, sont rassemblées à un endroit indiqué. Le
credo est suivi de la prière d’intercession de la communauté, conclue par un chant de
supplication qui remplace le Kyrie ; c’est alors que par la toute première oraison depuis le
début de la célébration, l’officiant ramasse toutes ces intentions individuelles et collectives : la
prière conclut, elle n’introduit pas, cette première partie.

La seconde partie c’est celle du repas de la communion. Elle commence par la


préparation du repas, le chœur en chants et danses accompagne le peuple qui porte les
offrandes à l’autel, dans une procession joyeuse et émouvante, offrandes que le prêtre bénit une
à une lorsqu’elles arrivent à son niveau. Sans transition, c’est l’invocation sur les offrandes,
suivie de la grande hymne d’action de grâce qu’est la Préface ; le Sanctus qui suit est
accompagné par un pas de danse de jeunes filles autour de l’autel. La consécration du pain et
du vin est chaque fois saluée par des applaudissements avec des cris de joie et d’ovation, tandis
que la consécration terminée, le chœur s’élance vers les jeunes filles, dansant et exécutant avec
toute la foule un chant de louange et de gloire. Ainsi le Gloria est chanté après la consécration,
peut-être dans la croyance que c’est lors de ce mystère que descendent les grâces du ciel ; le
Centre de recherche théologique missionnaire constate, à propos de la Messe de Ndzong-
Melen, que « Dans cette nouvelle liturgie, le Gloria est devenu un chant d’accueil, une
explosion de joie de la part d’un peuple qui est heureux de recevoir enfin son Emmanuel »986.
La messe se poursuit avec le reste du canon, le Pater, l’Agnus Dei et la communion, tandis
qu’après celle-ci et la purification des vases sacrés, « le peuple de Dieu chante et danse la
puissance active de la Grâce »987.

La structure de la messe de Ndzong Melen s’organise ainsi autour de ces deux moments
forts, l’acclamation du Livre et les lectures qu’elle ouvre, suivies du repas eucharistique :

986
In A travers le monde…, op.cit., p. 145.
987
ABEGA, Prosper, cité in A travers le monde…, ibid.
438

La présentation du Livre et la proclamation de la Parole :

Hymnes et danses

Encensement du Livre

Procession avec le Livre

Intronisation du Livre

Annonce solennelle du motif de rassemblement

Lectures de l’Ancien et du Nouveau Testament

Homélie

Profession de foi et collecte des offrandes

Rite pénitentiel et prières des fidèles

Le repas eucharistique

Présentation des offrandes avec un pas de danse

Préface, Sanctus, première partie du canon romain

Chant de Gloire à Dieu, après la consécration

Suite du canon romain, le Notre Père et l’Agnus Dei

Chants et danses d’action de grâces

Prière finale, bénédiction et renvoi


439

Une vue de la Chorale au cours de la Messe Ndzong Melen, à Yaoundé,


Source : http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=0504074_sacramentum_caritatis

IV.III.II La messe malawienne988

Fruit de la prière et de la réflexion des sœurs clarisses de Lilongwe, cette messe est,
avec toute la liturgie des heures, à considérer comme l’une des élaborations les mieux
réussies de l’inculturation en Afrique Noire. Son schéma est fondamentalement romain
mais il met en valeur certaines caractéristiques qui empruntent à la pratique africaine.
D’abord, les textes euchologiques dont la composition et l’expression sont typiques de la
culture africaine telle que nous en avons vu certains traits spécifiques. Ensuite, le décor : la
célébration a lieu en plein air, sur un espace uniquement entouré d’un enclos de bambous
orné de triangles et de losanges, de manière à y reconnaître ainsi la volonté d’une liturgie
du cosmos tout entier ; l’autel n’est qu’un tronc d’arbre sur lequel est étendue une peau de
léopard, tandis qu’à côté de l’autel brûle un foyer de bois, dont nous verrons la
signification dans la présentation d’une autre liturgie africaine dans une paroisse
congolaise. Enfin, le déroulement de la célébration : procession d’entrée, suivie de la
demande de pardon et du rite de paix, puis vient la louange, tandis qu’un moment de
recueillement précède la liturgie de la Parole (chantée) (écoute de la Parole, qui est chantée,
prédication et profession de foi) ; la procession d’offrande (chacun apportant de ce qu’il a :
pas seulement de l’argent, des biens et le fruit de son travail, mais aussi tout simplement

988
Nous nous inspirons de la présentation qu’en fait François Kabasele Lumbala, Liturgies africaines…, op.cit.,
p. 37.
440

dire la joie qu’il a eue de faire certaines rencontres dont il fait état, dire ses souffrances,
…) ; la préface et la prière eucharistique sont chantées et dialoguées avec les fidèles, la
consécration est suivie par un rite spécial d’adoration souvent réalisé par une personne
rampant lentement vers l’autel en professant la louange de Dieu que l’assemblée reprend en
une clameur sourde ; l’assemblée reste assise la majeure partie de la messe, celle-ci est en
effet considérée comme un rassemblement de grande importance religieuse et sociale,
tandis que le célébrant est vêtu d’une longue tunique traversée en bandoulière par un pagne
(une sorte de drap bariolé), à la manière de roi ou de grand chef.

IV.III.III La « Prière eucharistique africaine » (la All Africa Eucharistic


Prayer) élaborée par l’AMECEA.

En 1969, l’année même de la promulgation du Missel romain de Paul VI,


l’Association des Conférences Episcopales de l’Afrique de l’Est – AMECEA - (comprenant le
Soudan, l’Ethiopie, le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie, le Malawi et la Zambie, avec les
Seychelles comme membre associé) fit étudier et composer par l’Institut Pastoral d’Afrique
de l’Est (Pastoral Institute of Eastern Africa), sous la direction d’Aylward Shorter (M.Afr.,
Pères blancs), une « prière eucharistique africaine »989, proposée aux autres conférences
épiscopales africaines. Cette prière suivait la structure litanique, facile à comprendre par les
peuples, empruntait aux spécificités stylistiques et littéraires africains, ainsi que nous les
avons découverts comme traits de l’art oratoire africain, et mettait en valeur comme dans
toutes les cultures africaines, les attributs de Dieu, les idées et valeurs fondamentales que sont
la vie, la fécondité et la joie.

Ci-dessous, la prière eucharistique pour toute l’Afrique990 :

I Rassemblement pour la communion

Célébrant principal :
Voici votre nourriture !
Voici votre boisson !
Tout ceci est à vous avant d’être à nous.
Nous célébrons une fête,
989
La prière fut dénommée et elle est ainsi connue « All Africa Eucharistic Prayer » ; en 1973, le même Aylward
Shorter élabora des prières eucharistiques pour le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie.
990
HEALEY, Joseph, A Collection of African Prayers: African Eucharistic Prayer, Jully 18, 2005, http//:www.
Africaaction.org/campaign_new; mais, surtout, l’ensemble de la prière dans A travers le monde Célébrations de
l’Eucharistie, op.cit., pp. 137-140.
441

Mais, c’est une fête d’action de grâce,


Nous remercions Dieu.

Concélébrant :
Oh Dieu, nous et nos ancêtres,
Les pères de notre peuple
Nous te remercions et nous nous réjouissons.
Cette nourriture,
Nous la mangerons en ton honneur.
Cette boisson, nous la boirons en ton honneur.

II Litanie d’action de grâce

Célébrant principal :
Nous te remercions pour le don de la vie.

Tous : Nous te remercions

Célébrant principal :
Nous te remercions pour le don de la liberté.

Tous : Nous te remercions

Célébrant principal :
Nous te remercions de nous apporter la paix< ;

Tous : Nous te remercions

Célébrant principal :
Nous te remercions pour celui qui porte la punition.
C’est notre dette.

Tous : Nous te remercions

Célébrant principal :
Pour celui sur qui tomba la punition,
Qui nous apporta la Paix,

Tous : Nous te remercions

III Epiclèse

Concélébrant :
Père, envoie l’Esprit de vie,
L'Esprit de puissance et de fécondité.
442

Avec son souffle, prononce ta Parole dans choses


Fais d’elles le corps vivant
Et le sang de la vie
De Jésus-Christ notre Frère.
Donne-nous à nous qui mangeons et buvons en ta présence
La vie et la puissance, et la fécondité du cœur et du corps.
Donne-nous la vraie fraternité avec ton Fils.

IV Le récit de l’institution

Concélébrant :
La nuit de sa passion
Il rendit grâce pour le pain
Qu’il tenait dans ses mains.
Ce pain il le partagea parmi ses disciples en disant :
Vous tous, prenez ceci, mangez ceci :
C’est mon corps qui sera livré pour vous.

Tous : C’est le corps !

Concélébrant :
Ensuite il partagea la boisson avec eux, en disant :
Vous tous prenez ceci, buvez ceci :
C’est mon sang
Le sang du pacte de la fraternité
Qui commence maintenant
Et durera pour toujours.
Ce sang sera versé pour vous et pour tous les hommes

Tous : C’est le sang !

V et VI Acclamation et anamnèse

Tous :
Nous te saluons ! Nous te saluons ! Nous te saluons !
Mort
Résurrection
Et retour.
Puisse venir le Bonheur !

Concélébrant :
Seigneur, Tu es la Résurrection et la Vie.
443

Toi, Crucifixion, Tu es ici !


Toi, Résurrection, Tu es ici !
Toi, Ascension, Tu es ici !
Toi, l’Esprit-Remède de Vie, Tu es ici !

VII Intercessions

Célébrant principal :
Donne-nous la parenté et la fraternité
Avec tous les hommes.
Avec les aînés et les pères de ton peuple
Avec… notre pape
Et… notre évêque
Avec les vivants
Et les morts toujours en vie,
Avec les enfants qui ne sont pas encore nés,
Dans Jésus qui fut consacré avec le remède de la Vie.

VIII Doxologie

Tous :
Et toi, notre Prière,
Prière du passé lointain,
Toi la Parole ancienne prononcée par le Père,
Toi dont le souffle est l’Esprit,
Prière des ancêtres.
Tu es prononcée maintenant !
Amen.

Dans la revue Afer, Aylward Shorter, caractérise la All Africa Eucharistic Prayer par
ses « phrases courtes et saccadées qui sont typiques des prières africaines. L’accent y est mis
sur l’efficacité de la parole prononcée et sur la personnification des mystères au lieu de les
laisser sous la forme de concepts abstraits […] l’ensemble de la prière se présente comme une
liturgie eucharistique reflétant les coutumes d’un repas festif africain »991

Cette prière fut fort critiquée au Zaïre pour n’avoir sollicité que les coutumes et
cultures pratiquement minoritaires, notamment soudanaises, nilotiques, …, ce qui explique
certaines ressemblances de ton et de style avec la prière igbo que nous présentons ci-après
dans notre travail, tandis que la population majoritaire bantoue, peuplant en particulier le
Zaïre, était méconnue. A cause de cela, elle ne fut pas considérée dans ce pays comme
représentative des cultures africaines, ses auteurs, selon Boniface Luykx, un théologien de
Kinshasa très proche du cardinal Malula, n’ayant pu élaborer qu’une prière qui est restée
ethniquement locale, sans pouvoir s’élever à un niveau véritablement panafricain, estimant
991
SHORTER, Aylward, « An African eucharistic prayer », Afer 12, 1970, 2, pp. 144-146.
444

qu’il fallait « reformuler le texte dans des catégories ou des termes africains…, déjà dans les
textes types avant qu’on ne le traduise en des langues africaines »992. En réalité, l’AMECEA
qui avait initié cette prière rassemblait uniquement des diocèses anglophones, ce qui explique
que plusieurs anciennes colonies britanniques l’aient adoptée et traduite dans leurs langues
locales, tandis que les autres, dont le Zaïre, n’ayant pas été consultés, l’ignorèrent. De plus,
l’Eglise zaïroise, forte du travail de ses théologiens et du nombre de ses catholiques et de ses
diocèses, accéléra plutôt son propre projet de messe zaïroise sur la base d’idées et d’initiatives
très anciennes, comme celles qu’on a vues de Malula qui, dès 1958, parlait d’une église
africaine et qui en 1957 avait introduit les rites locaux dans l’adoration de la croix du vendredi
saint.

IV.III.IV Une prière eucharistique Igbo (Nigeria)993

Célébrant : Le Seigneur soit avec vous.


Tous : Et avec vous aussi.
Célébrant : Elevez vos cœurs.
Tous : Nous les tournons vers le Seigneur.
Céébrant : Rendons grâces au Seigneur notre Dieu.
Tous : Il est juste de lui rendre grâces et de le louer.

Célébrant :

Osebulu (Seigneur), Chukwu (Dieu), le tout-puissant, nous te louons.


Créateur du monde, Chi (Dieu), le maître de la vie, nous te louons.
Notre Père, le père de nos ancêtres,
Nous sommes rassemblés pour te louer et de remercier avec notre sacrifice.
Tes enfants sont devant toi, te remerciant, te louant et se réjouissant en toi.
Parce que tu es notre vie,
parce que tu diriges et protèges chacun d’entre nous.
Parce que tu nous donnes la vie et nous fais croître dans le monde.
Ta puissance et ta gloire sont évidentes dans le ciel et sur la terre.
Le soleil, la lune et les étoiles qui remplissent les cieux proclament ta gloire.
Cette belle terre sur laquelle nous vivons c’est le travail de tes mains.
La nourriture produite de cette terre, qui nous donne la vie, est ta bénédiction.
R : Père, plein de gloire et de majesté, nous te louons.
Chi, maître de la vie, notre guide, nous te louons.
Père, plein de gloire et de majesté,
Nous reconnaissons que nous ne sommes pas dignes de nous rassembler devant toi.
Ce sont nos péchés qui ont semé le mal dans le monde.
992
LUYKX, Boniface, « Culte chrétien en Afrique après Vatican II », Nouvelle Revue de science missionnaire,
supplém. Vol. XXII, 1974, p.98. Le fait que les responsables de cette œuvre fussent des occidentaux,
principalement A. Shorter, est-il pour quelque chose dans ces limites?
993
In A travers le monde Célébrations de l’Eucharistie, op.cit., pp. 150-153. Voir, pour la liturgie igbo,
UZUKWU, Elochukwu, Eugène, « Project for an Igbo Mass of the Awka Diocesian Liturgical Reserch Group »,
Médiations africaines du sacré, …, op.cit., pp. 527-534.
445

Mais ton amour et ta miséricorde nous entourent.


Tu as fait connaître ta volonté parmi les hommes,
Tu as guidé nos ancêtres et tous les hommes et leurs as enseigné ta voie.
Parce que tu veux que le monde entier connaisse ta beauté.
Que le monde entier fasse l’expérience de la plénitude de vie en toi.

Tous :
Nous te remercions Seigneur, le guide de nos pères,
Ta bonté à notre égard est sans limite.
Ton amour pour nous est sans limite.

Célébrant :
Chukwu, notre créateur,
Nous nous tenons debout devant toi dans la joie,
Te louant et te glorifiant dans la plus belle action que tu as faite en ce monde :
Tu nous as envoyé ton fils unique et bien-aimé,
c’est lui qui accomplit tes promesses aux (fils des) hommes.
Il nous a montré ton amour et ta bonté.
Il nous a fait comprendre que tu es Chi, Dieu notre Sauveur,
Il est auprès de toi nos yeux et nos oreilles,
Il nous a montré comment te voir, comment t’entendre et comment t’adorer.
Pour que nous puissions avoir la plénitude de la vie.

Tous :
Nous te remercions Père.
Nous te remercions pour notre Sauveur Jésus-Christ.

Célébrant :
Lorsqu’il eut terminé le travail pour lequel tu l’avais envoyé,
Lorsqu’il fut prêt à donner sa vie pour nous,
La nuit d’avant sa Passion, pendant qu’ils mangeaient,
Il prit le pain, te loua et le donna à ses disciples en disant :
Prenez, vous tous, mangez, vous tous. C’est mon corps.
La victime du sacrifice pour vous.
A la fin du repas festif,
Il prit la coupe de bénédiction, te remercia et te loua pour toutes tes œuvres
admirables, et la donna à ses disciples en disant :
Prenez-en tous, buvez-en tous, c’est mon sang,
Le sceau de l’alliance,
Il lave les péchés,
Il me lie à vous et à tous les hommes dans l’unique famille éternelle de Dieu.
Faites ceci en mémoire de moi.
Père, nous proclamons la mort du Christ.

Tous : Sa mort sur la croix.


Célélébrant : Nous sautons de joie à cause de sa résurrection.
Tous : Sa merveilleuse résurrection.
Célébrant : Nous attendons son retour au dernier jour.
Tous : Nous entrerons alors dans la fête de la vie éternelle.
446

Célélébrant :
Dans ton amour et ta bonté, regarde ce sacrifice,
Accepte-le à cause du Christ ton fils et notre frère,
Accepte-le à cause de ta bonté pour nous.
Envoie-nous ton Esprit,
L’Esprit de ton fils,
L’Esprit de vie.
Celui qui enseigne les croyants,
Le guide de nos pères,
Qu’il repose sur ce sacrifice.
Pour que nous soyons remplis de vie et de vérité.
Puisse ce banquet au corps et au sang du Christ nous garder solidement dans ta
famille.
Père, bénis cette famille qui est ta famille et que tu as sanctifiée dans le sang du
Christ.
Père, écoute notre voix.
Souviens-toi de nos frères et sœurs tes enfants, qui ne sont pas encore dans cette
nouvelle famille,
A la lumière de ton Esprit, illumine-les pour qu’ils voient dans le Christ
l’accomplissement des prières de nos ancêtres.
Père, écoute notre voix.
Bénis tous les pays du monde,
Donne-leur l’amour, l’unité et la paix.
Père, écoute notre voix.
Bénis cette belle terre sur laquelle nous vivons,
Donne-lui l’abondance en habitants et en nourriture.
Père, écoute notre voix.
Guéris les malades, console ceux qui souffrent, donne à manger à ceux qui ont
faim.
Père, écoute notre voix.
Prends pitié de nos frères et de nos sœurs qui sont morts, donne-leur la plénitude de
vie.
Père, écoute notre voix.
Unis-nous à tous les tiens, en particulier à nos ancêtres qui firent ta volonté,
à Marie, la mère de ton fils Jésus,
aux apôtres et à tous ceux qui firent ce qui te plaisait.
Père, écoute notre voix.
Nous unissons nos voix aux leurs,
En te louant et en te suppliant, Oh Père Saint,
Par le Christ ton fils
Dans l’Esprit de vie,
Puisse notre prière parvenir jusqu’à toi,
Pour que nous puissions entrer dans la vie qui ne finit pas. Amen.
447

IV.III.V La liturgie de Tshikapa-Kele (Diocèse de Luebo, Congo-Zaïre)

Au Congo même, certains prêtres poussèrent leurs recherches, pas toujours


autorisées par la hiérarchie, jusqu’à vouloir rencontrer, dans leur pureté, les cultes des
religions traditionnelles africaines, avec l’intention de traduire à travers les différents rites
ancestraux les mystères et symboles chrétiens. Ils ont transposé les rites bien connus
d’initiation, de purification, de réconciliation et d’agrégation familiale autour de l’ancêtre
du clan, appliqués aux mystères chrétiens pour les valeurs et les fonctions de vie,
d’intégration et d’harmonisation, d’offrande, d’hommage et de vénération qu’ils
exprimaient ou exerçaient dans les célébrations traditionnelles, les introduisant dans la
célébration de la messe qui en prend ainsi une tout autre allure.

Cette expérience est menée, en particulier, dans la paroisse de Tshikapa-Kele994, par


son curé, l’abbé Ntumba Mwena Mwanza995. Les connaissances anthropologiques de ce
prêtre sont sans doute à l’origine de l’analyse profonde des présupposés et du contenu du
rite zaïrois typique dont il faut reconnaître que l’originalité et l’alignement sur les cultures
et coutumes zaïroises ne sont pas suffisamment accentués, le rite zaïrois étant en fait
essentiellement romain, cela étant dû aux circonstances d’élaboration du rite zaïrois,
comme on a vu, sous la vigilance constante de la hiérarchie vaticane. Sur bien, des points,
le rite zaïrois n’est pas assez osé pour ce qui est de l’adaptation aux différents usages rituels
traditionnels locaux en ce qui concerne notamment la nature et l’expression du sacrifice. En
collaboration avec un liturgiste congolais bien connu avec lequel il partage beaucoup de
conviction sur l’ancestralité et la nécessité de l’inculturation, l’abbé Ntumba est l’auteur
d’un ouvrage écrit en langue luba (le ciluba, une langue de la région du Kasaï, en
République démocratique du Congo), qui expose les fondements historiques,
anthropologiques et théologiques de la liturgie africaine « authentique », tirée des religions
et pratiques des peuples. Mais, d’après certaines informations que nous n’avons pu vérifier,
ce prêtre est considéré par nombre de ses confrères comme un peu en marge de la normalité
ecclésiale, par ses pratiques « trop ancestrales » très éloignées des normes de la liturgie
romaine, mais aussi l’originalité qu’il revendique étant allée jusqu’à la remise en question
de la discipline cléricale concernant le célibat, sur la base de l’opinion, tirée des

994
C’est la paroisse qui s’appelait Tshikapa Saint Joseph – Budikadidi.
995
L’abbé NTUMBA MWENA MWANZA est né en 1948, il est licencié en théologie et docteur en
anthropologie culturelle de l’Université Laval (Québec), il a centré ses recherches sur l’inculturation et la
conscience noire. Il est directeur de l’Institut du monde noir (Congo-Kinshasa) et professeur d’anthropologie à
l’Université de Kinshasa, il a publié « L’expérience de Cikapa-Kele, essai d’une communauté chrétienne
africaine de se prendre totalement en charge », Revue Africaine des Sciences de la Mission, 1995.
448

conceptions traditionnelles, selon laquelle un chef considéré (que doit être le prêtre) doit
participer à la perpétuation de la communauté et, pour cela, être marié et père de famille.
Pourtant, la liturgie de Tshikapa-Kele fut autorisée par l’ordinaire des lieux parce que
l’ouvrage qui l’explique est préfacé par l’évêque lui-même996.

Nous n’allons pas reproduire cette liturgie dans son ensemble, l’ouvrage de 272
pages développant, outre, à la fin, la présentation de la messe, traduite comme « le repas du
Seigneur » ou « le Mémorial du Seigneur », beaucoup d’autres questions sur la liturgie, son
historique, la liturgie des heures, les sacrements, des bénédictions particulières, certaines
formes d’exorcisme et une sorte de lectionnaire spécifique pour la liturgie de Tshikapa-
Kele). Nous nous limiterons à indiquer les innovations de cette liturgie ainsi que ses
différences avec la liturgie typique de l’Eglise, en adaptant en français le texte luba de
l’ouvrage ( pp. 260-268).

Si l’innovation ne porte pas sur la prière eucharistique en elle-même997, il faut


reconnaître que, jusqu’à cette dernière, la structure de la messe de Tshikapa-Kele se
démarque significativement de l’ordo romain et même du rite zaïrois.

1°) En premier lieu, les rites d’entrée, qui s’inscrivent nettement dans les traditions
cultuelles africaines. Après avoir souhaité la bienvenue, l’annonciateur ou le
commentateur, appelé au Kasayi « mumvwiji » (littéralement « celui qui explique » « qui
fait comprendre ») explicite « l’objet du rassemblement » et invoque, dans la formule
trinitaire, la protection de Dieu ; suivent alors les chants d’entrée.

2°) Ensuite, intervient un rite traditionnel, avec le grand moment de l’allumage du « feu
ou du foyer de la vie » (« kapya ka muoyo ») et de l’application du kaolin blanc, une
sorte de chaux appelée « lupemba ». L’annonciateur explique le sens de cette tradition
ancestrale : rassembler toute la communauté des vivants et des trépassés grâce à ces deux
signes de la vie que sont le kapya et le lupemba, afin d’en tirer la force de combattre le mal
qui sévit sur terre et sauvegarder la vie ; mais aussi, il rappelle que les membres de la
communauté qui se tiennent près du feu et se font appliquer le kaolin doivent avoir le cœur

996
NTUMBA MWENA MWANZA et KABASELE LUMBALA, François, Kutendeleela Yezu mu bwena kwetu,
Mwaku mudyenza muntu mu Afrika [Rendre un culte à Jésus selon nos traditions, ou encore une liturgie
conforme à nos coutumes ; avec un sous titre pouvant se traduire par la Parole incarnée en Afrique ou
L’Incarnation (l’inculturation) de la Parole en Afrique], Messelstein-Verlag GMBH- Donzdorf (Allemagne),
Ed. Bafiike dimanyayi, 2001, avec la préface de Mgr Emery Kabongo Kanundowi, ancien collaborateur de Jean-
Paul II, alors archevêque-évêque du diocèse de Luebo avant d’être appelé à une nouvelle fonction à Rome.
997
Ici, généralement ce rite se réfère au canon romain, en privilégiant la prière eucharistique II ou en suivant le
canon du rite zaïrois typique.
449

pur, car, dans les traditions ancestrales, le feu et le lupemba sont capables de « frapper »
ou, mieux encore en utilisant la notion luba de kutapa les coupables, les mauvais ( la
traduction littérale « blesser » n’aurait aucun sens pour un étranger, mais cela induit l’idée
de causer du mal, frapper de sanction, …). Alors, le célébrant passe à cette cérémonie :
appelant les morts et les vivants, tous membres de la famille de Dieu, grâce à une torche de
bois, il met le feu à de l’herbe sèche pendant qu’à son invitation, tous « demandent » au feu
de faire venir Dieu et les ancêtres et demandant au Tout-Puissant d’exaucer la prière. Et
puis, dans un dialogue avec les fidèles, il reprend l’un après l’autre tous les maux ou péchés
qui sont nuisibles à l’homme et à la vie et qui conduisent à la mort, disant « le feu rejette …
le mensonge, … la peur, … l’esclavage, … la sorcellerie, … la haine, etc. », l’assemblée
répondant chaque fois « abandonnons le mensonge, …la peur, …l’esclavage, …la
sorcellerie, …la haine, etc. ». Après quoi, le célébrant s’applique et applique à tous les
participants le kaolin blanc sur le front, pendant qu’est chanté le chant pour le lupemba,
disant, entre autres, « nous avons des défauts, mais nos ancêtres appliquaient le kaolin avec
un cœur pur, le kaolin est une lumière demeurant dans notre vie, etc. Invoquant Dieu, on
ajoute également quelques figures célèbres, héros de la lutte pour la vie et pour la liberté,
afin de leur ressembler et transformer la face de la terre, etc.

3°) La liturgie de la Parole (Dikobola dya Diyi), l’annonciateur appelle les fidèles à
l’attention et à l’écoute. La première lecture est, généralement, faite autour d’un thème de
vie communautaire ou individuelle, selon les urgences ou l’intérêt du moment constatés
dans la communauté paroissiale ; elle est préparée par une sorte de commission liturgique
ensemble avec, à tour de rôle, une des communautés ecclésiales de base (appelée « cyota »,
soit « byota » au pluriel). Comme on le voit, cette première lecture n’est pas prise dans le
Lectionnaire de l’Eglise ; cela peut paraître étonnant, mais on sait, par exemple, qu’en Inde,
il y a toujours une lecture tirée des « écritures indiennes » (qu’il y ait une, deux ou trois
lectures avant l’évangile, elles doivent contenir une des Ecritures indiennes ; il peut
d’ailleurs n’y avoir qu’une seule lecture avant l’évangile, ce sera celle des Ecritures
indiennes)998. Après un chant, vient la deuxième lecture, tirée des Saintes Ecritures ou peut
être empruntée à des auteurs de sagesse, etc.. La troisième lecture est tirée de l’Evangile,
« la Bonne Nouvelle de Jésus, l’alpha et l’oméga de tout et de tous » ; l’annonciateur en
résume le thème et indique le livre, chapitre et verset de l’extrait qui va être lu, et ouvre la
procession de l’évangéliaire ensemble avec le célébrant et les ministres, en chants et avec
danses de procession. La lecture de l’Evangile est suivie d’un chant (les auteurs indiquent à
998
« Adaptation liturgique en Inde », in A travers le monde Célébrations de l’Eucharistie, op.cit., pp. 165-166.
450

titre d’exemple le chant « Mfumu Yezu ngwa bisamba » (« Le seigneur Jésus est à toutes les
races »), et d’une parabole dont l’annonciateur présente le conteur en demandant une
écoute attentive des fidèles. Vient alors l’homélie, suivie d’un chant. Se rattache à la
liturgie de la Parole la récitation du credo (Dikobola dyetu ditaba dya cyota), non sans que
l’annonciateur ait invité les fidèles à s’accueillir et à faire connaissance mutuellement,
« avant de professer notre foi commune et de nous joindre au Créateur autour d’un même
repas ». Le credo de Tshikapa-Kele est l’un de ceux dont il sera vu plus bas qu’ils se
singularisent du contenu traditionnel du credo chrétien, celui reproduit dans l’ouvrage est
une hymne de louange, appelant toute l’humanité, les peuples du Congo et de toute
l’Afrique à louer et glorifier, appuyant les noms rappelant les attributs de la gloire et de la
puissance de Dieu (voir plus haut) ; il n’est pas trinitaire, mais invoque l’Esprit en adaptant
l’épisode célèbre que lut Jésus à la synagogue (« L’Esprit de Dieu repose sur moi, il m’a
envoyé… pour proclamer la Bonne Nouvelle aux pauvres, aux captifs la délivrance, aux
aveugles qu’ils sont sur le point de voir… »)999. Ici, s’installe une cérémonie complexe, qui
mêle l’examen de conscience, une sorte de contrition, d’un geste symbolique qui montre
que tous jettent le mal dans le feu de la vie et la résolution avec serment de ne pas retomber
dans le mal, et du rite de paix introduit par une monition de l’annonciateur (« à peu près
ceci : « Nous participons d’une seigneurie de lumière, si nous en observons les lois, le bien
emplira notre terre ; donnons-nous un signe de paix et de souhait du bien »).

4°) La liturgie eucharistique, les offrandes suivies de la consécration et de la communion.


Les offrandes sont précédées d’un chant, sorte d’épiclèse où l’on demande à Dieu
d’envoyer son Esprit (Seigneur envoie ton Esprit, qu’il renouvelle la face de la terre ; que
l’esprit de Dieu dont nous héritons nous incite à transformer la face de la terre en
combattant le mal. C’est cela l’offrande qui plaît au Seigneur et à nos ancêtres qui nous ont
légué cette terre…) ; vient la procession des offrandes, en chants. Le canon commence avec
la préface (celle présentée exprime la louange et une action de grâces pour tous les biens et
les merveilles reçus du Seigneur et l’espérance de la guérison de diverses maladies, etc.).
La Prière eucharistique, ici la liturgie de Tshikapa-Kele rejoint l’ordo romain ; elle est
introduite par l’annonciateur qui explicite le sens du mystère en tant que dyaalu (cette
mutation mystérieuse et mystique, sans manipulation, du pain et du vin en vrai corps et en
vrai sang du Christ dont nous avons vu le sens dans les pratiques mystérieuses et
surnaturelles de « l’autre-monde »), et situe son utilité pour la vie [« le commandement de
transformer la face de la terre nous réunit avec celui qui l’a donné, dans son sang qu’il a
999
Lc 3, 18-19.
451

lui-même versé pour accomplir ce vœu, sans craindre la mort. Le plat qui nous assemble
est fait du corps et du sang de notre Héros Jésus qui sont le sacrement du don de sa vie pour
vaincre le mal et sauver les hommes. Nous sommes en famille et commémorons ce mystère
de transsubstantiation… le mystère du dyaalu »]. Est alors dite la Prière eucharistique,
généralement la PE II ou le canon du rite zaïrois typique, elle se clôture par le Pater
Noster. Après quoi, on annonce « la communion à la coupe du sang du Seigneur » avant la
distribution des espèces eucharistiées, et un petit couplet avertit : « Examine-toi en
profondeur, mon frère, ma sœur, examine tous tes actes ; prends garde de ne pas recevoir
ton Seigneur avec des taches » (du mal dans ton cœur, avec le péché, …). Intervient alors la
prière de clôture.

IV.III.VI Proposition d’une synthèse pour une liturgie africaine type : la

messe de Saint Merry (Paris, novembre 1981)1000

Dans la mesure où, d’une part, le « combat » des Africains a été mené sur le plan du
continent, avec le rôle particulièrement déterminant des théologiens des différentes
nationalités, de la SCEAM et du Synode africain et, où, d’autre part, tous ont utilisé des
arguments culturels et religieux identiques pour tous les peuples d’Afrique et toutes les
cultures et traditions africaines, on peut imaginer, sur ces bases, une liturgie africaine dans
laquelle tous les peuples d’Afrique pourraient se retrouver et où il n’y aurait que des
différences de langues. Une telle liturgie panafricaine a été recherchée et une proposition
présentée par les étudiants africains de l’Institut Supérieur de Liturgie (de l’Institut
catholique de Paris) lors d’une rencontre qu’ils avaient organisée en novembre 1981 au
sein de leur université entre théologiens africains et l’Occident chrétien ; les théologiens
manifestèrent de l’intérêt pour ce projet qu’ils approuvèrent, sauf la libation aux ancêtres
qui était prévue avant la communion. On y retrouve les grandes caractéristiques des
liturgies africaines, empruntant soit au modèle de la palabre africaine comme le rite zaïrois
soit à celui d’une assemblée de réconciliation comme la messe de Ndzong-Melen,
impliquant l’invocation des ancêtres, les processions notamment lors des offrandes, la
danse, le rôle de l’annonciateur et le déplacement de certaines rubriques de l’ordo romain,
etc. La synthèse ainsi obtenue de ces emprunts aux différents rites africains préfigure une
liturgie continentale qui, sauf la différence des langues ou certaines spécificités
euchologiques, serait compréhensible et reconnaissable partout en Afrique.

1000
Adapté de KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africains, op.cit
452

L’entrée. Sur le rythme d’un chant animé avec gong ou tam-tam, le célébrant, revêtu des
insignes traditionnels du président de l’assemblée, les ministres et les acolytes entrent et
sont installés. Le célébrant procède au salut trinitaire traditionnel de la liturgie catholique et
annonce l’invocation des ancêtres, dont la présence est nécessaire car « la célébration
eucharistique est si importante ». L’invocation des ancêtres associent les ancêtres de toutes
les contrées africaines : « Oh vous les ancêtres du Zimbabwe, du bord de l’Orange et du
Zambèze, du Twana et du Sotho, les San, les Khoi, les Zulu, …Oh vous les ancêtres Luba,
Kongo, Mongo, Banya-Rwanda, ceux qui remontent le cours du Cuanza, du Kasayi et de
l’Ubangi, ceux du Ruwenzori…Vous nos pères Yoruba, du Bénin, les ancêtres des Mossi,
des Nok, des Ibo, des Bambara, des Wolof, ceux des rives du Niger et du Sénégal, … Ceux
de Nubie, du Nil jusqu’en Egypte, des Nuer, des Peuls, des Kikuyu et des Dinka, Soyez
avec nous ». Enfin « vous, nos ancêtres dans la foi, ceux d’Ethiopie, d’Hippone et
d’Ouganda, spécialement Augustin, Lwanga et ses compagnons martyrs, les missionnaires
étrangers… Soyez avec nous ».

La Parole. Les deux premières lectures sont accompagnées de formules d’engagement, le


lecteur commençant la lecture par demander aux fidèles : « Frères et sœurs, voulez-vous
écouter la Parole de Dieu ? » , tous répondent « Oui, nous voulons », la lecture se termine
ainsi : Lecteur :« Celui qui a des oreilles pour entendre… », tous répondent « Qu’il
entende », Lecteur : « Celui qui a un cœur pour accueillir… », tous : « Qu’il accueille ». La
proclamation de l’évangile est précédée, pendant l’alleluia, d’une procession, le célébrant
présentant l’évangéliaire, avec un pas de danse autour de l’autel, se dirigeant vers l’ambon ;
l’encensement, etc. Après la lecture, vient l’homélie.

Le rite pénitentiel et le geste de paix. Le célébrant, après l’homélie, enchaine par une
monition introduisant le rite pénitentiel et entonne la supplication pénitentielle (adaptée de
celle du rite zaïrois) : Devant toi notre Dieu, nous nous reconnaissons pécheurs, le mal est
sur nous comme un insecte qui suce notre sang. Qui nous sauvera, sinon Toi ? Seigneur,
prends pitié. Tous : Seigneur, prends pitié. … Oh Christ, prends pitié. … Seigneur prends
pitié. Après quoi, il invite ainsi du geste de paix : Heureux d’avoir été pardonnés,
échangeons un geste de paix pour marquer ce rétablissement dans la communion avec
Dieu, avec nos Ancêtres et les Saints, et avec tous nos frères.

Les offrandes. Après la paix, le chant d’offrandes est entonné, durant lequel la quête est
faite. Ensuite, trois ou quatre personnes tiennent les paniers d’offrandes, ainsi que le vin et
453

le pain. Sur un pas de danse, ils se dirigent en procession en partant du fond de l’église vers
l’autel où les attendent le célébrant et les ministres. Les dons sont présentés au célébrant,
avec ces paroles :

-Oh prêtre de Dieu, voici le pain, présente-le au Seigneur, qu’il devienne son corps pour
notre salut et notre vie. (Le prêtre acquiesce d’un léger battement des mains, puis prend le
don et le passe à un ministre).
–Oh prêtre de Dieu, voici le vin, présente-le au Seigneur, qu’il devienne son sang pour
notre salut et notre vie. (Le prêtre acquiesce le don, …)
-Oh prêtre de Dieu, voici les autres dons, fruits de nos labeurs, présente-les au Seigneur,
qu’il les fasse fructifier, pour notre salut et notre vie. Etc. et le prêtre revient à l’autel pour
dire la prière sur les offrandes.

Prière eucharistique.
Revenu à l’autel, dit la prière sur les offrandes et poursuit par la prière eucharistique,
précédée de sons de tam-tam :

Célébrant : Le Seigneur soit avec vous.


Tous : Et avec vous aussi.
Célébrant : Tenons-nous debout pour louer notre Dieu. Oui nous te louons.
Tous : Oui nous te louons.
Célébrant : Nous te louons, Seigneur, Esprit aîné, toi l’Ancien, le façonneur, le créateur de
toutes choses, toi l’eau origine du sel, toi le pilier du monde, toi le maître des hommes. Tu
es celui qui se créa lui-même, Mvidi Mukulu, Kagaliya, Imana, Shabantu… oui nous te
louons.
Tous : Oui, nous te louons.

Célébrant : Nous te louons toi le Tout-Autre, toi l’Abîme qui ne s’emplit pas d’eau, Soleil
qu’on ne peut regarder fixement, toi la nasse aux yeux innombrables, toi la Porte qui voit
des deux côtés, toi le Léopard à qui l’on réserve sa propre forêt, toi qui distribue pouvoirs
et principautés… oui, nous te louons.

Tous : Oui, nous te louons.

Célébrant : Nous te louons Dieu, toi le Prodigue, le Généreux, qui donne sans compter,
même aux arbres en forêt, toi le Vent qui emplit les montagnes, oui nous te louons.

Tous : Oui, nous te louons.

Célébrant : Nous te louons, toi le Dieu déconcertant, toi dont personne ne peut faire le tour,
toi qui donnes et qui retires, toi le maître de la vie et de la mort, toi le cuisinier qui prépares
sans faire de fumée… oui nous te louons.

Tous : Oui, nous te louons.


454

Célébrant : Nous te louons par ton Fils, premier-né d’entre les morts, venu achever et
accomplir la parole qui était sur les lèvres de nos ancêtres. Ton fils est le héros qui jamais
ne fuit devant l’ennemi, mais c’est toujours l’ennemi qui détale devant lui. Il est le début et
la fin de toutes choses, il est le chemin, la vérité et la vie. Par lui et dans l’Esprit Saint, nous
te louons.

Tous : Oui, nous te louons. (On entonne alors un chant de louange ou le Sanctus)

Célébrant : Père très bon, tu as tout créé, tu as bien créé. Mais voici que l’homme, ton chef-
d’œuvre, a abusé de sa liberté. Il fit comme le triste aîné attendu mais qui se déshonora
devant les puînés1001. L’homme s’est détourné de toi et depuis, les haines, les sorcelleries,
les sortilèges des méchants, ont fait irruption dans le monde et ont enchaîné l’homme au
pouvoir de la mort. N’est-ce pas ainsi, mes frères et sœurs ?

Tous : Oui, c’est ainsi.

Célébrant : Mais toi, Père, le Dieu de miséricorde et de tendresse, tu n’as pas abandonné
tes fils. Tu t’es dit : l’enfant qui a brûlé la maison, le jette-t-on dans le brasier ?1002, tu es
allé à leur recherche, partout où ils étaient égarés. Parmi eux, tu choisissais des patriarches
comme Abraham, Isaac et Jacob ; tu choisissais des meneurs et des héros, des fondateurs
des clans comme nos ancêtres, tu suscitais parmi eux des prophètes, pour remettre les
hommes sur les chemins de l’amour, les chemins de l’alliance, sur tes chemins de vie.
N’est-ce pas ainsi mes frères et sœurs ?

Tous : Oui, c’est ainsi.

Célébrant : Tu as tellement aimé le monde, Oh toi notre Dieu, que tu nous as envoyé
finalement ton propre Fils, Jésus, pour qu’il soit notre sauveur. Il naquît par la force de ton
Esprit, du ventre d’une fille de chez nous, Marie. Il vécut notre condition d’homme en
toutes choses sans jamais faire du mal. Il a apporté à tous les opprimés, à tous les pauvres
la délivrance et la joie. N’est-ce pas ainsi mes frères et sœurs ?

Tous : Oui c’est ainsi.

Célébrant : Pour accomplir cette œuvre d’amour, il a pris tous les risques, il a exposé sa
vie ; il le savait, mais il n’a pas reculé. Il est mort, de la violence des malveillants. Mais toi
tu l’as ressuscité. Et par cette résurrection, tu as confondu le mal et tu as fait de Jésus,
Seigneur, source éternelle d’une vie abondante, pleine et forte. Et depuis qu’il est assis à ta
droite, il nous a envoyé l’Esprit consolateur, qui poursuit son œuvre dans le monde. N’est-
ce pas ainsi mes frères et sœurs ?

Tous : Oui c’est ainsi.

1001
Ceci évoque un proverbe luba qui exprime la déception : mukulu muindila e kuvua kuditapa nsesu.
1002
Un autre dicton bantu.
455

Célébrant (Etendant les mains sur les dons) : Nous t’en supplions, envoie cet Esprit de la
vie pour bénir et sanctifier ces offrandes, qu’elles deviennent pour nous le Corps et le Sang
de Jésus notre Frère et ton Fils. Avant de quitter ce monde, il avait réuni ses disciples à
table pour le repas. Il prit du pain, il rendit grâces, il le rompit et le donna à ses disciples en
disant : Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps livré pour vous. (un griot lance un
cri, ou bien un tam-tam crépite, pendant que le célébrant lève et montre le pain)

De même à la fin du repas, il prit la coupe, de nouveau il rendit grâces et la donna à ses
disciples en disant : prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de
l’alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pout vous et pour la multitude en rémission
des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi. (de nouveau, un griot lance un cri, ou un
tam-tam crépite pendant que le célébrant lève et montre la coupe. On chante alors
l’anamnèse)

Tous :
Christ est venu, Christ est né, Christ a souffert, Christ est mort,
Christ est ressuscité, Christ est vivant, Christ reviendra,
Christ est là, Christ reviendra, Christ est là.

Célébrant : Tu es toujours avec nous, Seigneur, manifeste-toi, répands sur cette assemblée
ton Esprit, pour que ce sacrifice porte en nous ses fruits de paix, de joie, d’entente et
d’union, des fruits de vie.

Tous : Père, écoute notre voix.

Célébrant : Guéris les malades, console ceux qui souffrent, donne à manger à ceux qui ont
faim.

Tous : Père, écoute notre voix.


Célébrant : Prends pitié de nos frères et sœurs qui sont morts sans parvenir chez toi. Fais-
les arriver dans ce village des ancêtres et puis auprès de toi, donne-leur la plénitude de la
vie.

Tous : Père, écoute notre voix.


Célébrant : Sois avec les guides de notre peuple : le pape…, les évêques…, et tous les
pasteurs de nos communautés, prêtres et laïcs, les gouvernants de nos cités.
Tous : Père, écoute notre voix.
Célébrant : Frères et sœurs, croyez-vous que Dieu est avec nous ?
Tous : Oui il est avec nous.
Célébrant : Dieu est avec nous ? Croyez-vous qu’il a entendu ?
Tous : Oui il a entendu.

Célébrant : Seigneur, que ton nom soit sanctifié.


Tous : Amen.
Célébrant : Ton nom.
Tous : Amen.
456

Célébrant : Père
Tous : Amen
Célébrant : Fils
Tous : Amen
Célébrant : Esprit Saint
Tous : Amen
Célébrant : Aujourd’hui
Tous : Amen
Célébrant : Demain
Tous : Amen
Célébrant : Et pour toujours
Tous : Amen.

Communion (On procède à la fraction du pain pendant que l’on chante un chant évoquant
la communion, l’amour, le partage ou le traditionnel « Agneau de Dieu »)

Célébrant : Frères et sœurs, voici le moment venu d’avancer avec joie et respect vers la
table où le Seigneur nous invite.
Voici ce pain devenu Corps du Christ (le célébrant communie). Voici le vin devenu le sang
du Christ, voici le sang du pacte de fraternité, qu’il nous garde en communion avec lui et
entre nous tous.

Tous : Amen.

Le célébrant communie au vin, puis fait communier les fidèles. Un temps de silence est
observé, puis, un chant de remerciement est entonné.

Conclusion (le célébrant invite les fidèles à se lever) : Frères et sœurs, achevons notre
prière en suivant l’exemple que Jésus nous avait enseigné. Notre Père, …

Etendant les mains vers le peuple, il bénit en disant : Que Dieu vous accompagne, que son
amour vous rende féconds, que vos relations soient vraies, pour que votre vie soit forte et
que votre joie soit parfaite.

Tous : Amen.

Célébrant : Allons dans la paix du Christ.


Tous : Nous rendons grâces à Dieu.
457

IV.III.VII Quelques prières particulières

Les credo africains

La manière particulière dont la liturgie africaine aborde quelques fois la problématique


du credo mérite d’être signalée. Certes, il est des credo qui ne font que traduire, adapter ou
paraphraser le texte latin, mais d’autres remettent en cause la composition même du credo
traditionnel en tant que profession de foi chrétienne. En examinant, dans la première partie, ce
que nous avons appelé « une petite histoire du credo », nous avons vu l’importance qu’ont eue
sa formation et la composition de son contenu, tranchant les querelles nées de l’acceptation et
de l’interprétation de certains points importants de la foi chrétienne, quant à la nature et la
substance de Dieu, de Jésus et de l’Esprit-Saint, ainsi qu’à leur rapport, de même que sur les
relations entre les églises chrétiennes. Des chercheurs africains ont pu penser que certaines
querelles théologiques liées aux subtilités de la philosophie grecque, comme ce débat sur la
substance du Père et du Fils (homoousios, de même substance ou homoiousios, semblable),
sur la filiation du Fils au Père (engendré non pas créé), ou encore les querelles d’églises, ne
devraient pas entraver la foi des chrétiens africains 1003.
Aussi, nombre de credo africains ont-ils une forme et un contenu plutôt œcuméniques.
Pourtant, cet extrait de la Cinquième Instruction Pour la correcte application de la
Constitution sur la Sainte Liturgie, qui donne des instructions très précises sur la manière de
traduire les textes liturgiques, présente des indications spécifiques strictes pour le credo en
tant qu’il est le dépôt de l’unique foi :

« Le Symbole ou profession de foi a pour but de permettre que l’ensemble du peuple


rassemblé donne une réponse à la Parole de Dieu annoncée dans les lectures et la
Sainte Ecriture et exposée dans l’homélie, et prononce la règle de foi selon une
formule prévue pour l’usage liturgique, qu’il confesse ainsi les grands mystères de la
foi. Le Credo doit être traduit par des mots bien choisis en conformité avec la tradition
de l’Eglise Latine, et il faut employer la première personne du singulier, qui permet de
manifester expressément : “la confession de la foi est transmise par le symbole comme
par la personne de l’Eglise entière unie par la même foi”. De plus, les mots
“résurrection de la chair” doivent être traduits littéralement, toutes les fois que le
Symbole des Apôtres est prescrit dans la Liturgie ou quand il est possible d’y
recourir. »1004

1003
C’est globalement ce qu’avance François Kabasele Lumbala, tout en reconnaissant que « de ces querelles est
sorti un affermissement et des ajustements de l’intelligence de la foi chrétienne », in Liturgies africaines…,
op.cit., pp. 48-49.
1004
Cinquième Instruction « pour la correcte application de la Constitution sur la Sainte Liturgie, de la
Congrégation du Culte Divin et de la Discipline des Sacrements, 28 mars 2001,§ 65.
458

Ayant présenté la messe malawiene (de Lilongwe), nous reproduisons ici son credo de
Lilongwe qui semble globalement satisfaire à ces exigences1005 :
Oh Dieu, vous avez donné à nos ancêtres cette connaissance : Dieu existe, et il est présent
ici, effectivement.
Quand ils rencontraient une merveille ou quelque chose inspirant de la crainte, ils
s’exclamaient : ceci est l’œuvre de Dieu, vraiment Dieu est là…
Quand ils étaient inquiets ou qu’ils avaient besoin de quelque chose, ils se tournaient vers
toi en disant : Dieu, aide-nous. Ce sont les mêmes cris que mon cœur pousse encore
aujourd’hui : Dieu, tu es là, tu es effectivement ici.
Mais voici qu’un jour arrivèrent des messagers venant d’au-delà du lac. Il y eut de la
lumière partout, et quelle lumière ? C’était la lumière. Ils arrivèrent avec des torches en
mains : bonnes nouvelles ; et ils ouvrirent leurs bouches pour dire :
Un jour, vaincu par son amour en voyant ses enfants croupir dans les ténèbres, loin de lui,
Dieu nous envoya son propre fils, le miséricordieux. Celui-ci naquit de Marie, et devint
ainsi un des nôtres.
Lui-même le miséricordieux, il souffrit et nos péchés le conduisirent à la mort.
Le sauveur se releva de la mort et il est vraiment ressuscité. Il monta au ciel chez son Père,
au ciel, mais en réalité, il reviendra de nouveau comme Roi des Rois.
Il nous a envoyé le Grand Esprit, l’Esprit du Père et du Fils, l’esprit, lui qui est la vie,
l’amour, la lumière qui fait briller nos vies.
Le miséricordieux a construit son Eglise, comme peuple de Dieu. Et le Baptême nous
introduit dans Son Eglise, dans le Peuple de Dieu.
Il nous fera parvenir à la vie, et nous fera entrer dans son Royaume, si nous le suivons
réellement. Ce sera la joie, la vie éternelle.
Toi qui est le Miséricordieux, mon cœur est saisi par ton message.

Il y a également lieu de signaler une pratique particulière de la préface. Dans toute la


tradition liturgique catholique, la préface est une prière de louange au Père pour ce qu’il est et
pour ce qu’il fait, ses œuvres ayant atteint leur sommet avec le salut accordé en Jésus. Cette
tradition est globalement respectée par les préfaces africaines. On en trouve, néanmoins, qui
remplacent le contenu classique de la préface par une hymne christologique, en mélange avec
la louange de Dieu, comme cet exemple de la paroisse de Cijiba (en pays luba, au Kasaï, au
Congo-Zaïre).

1005
Misa ya Cimalawi, Lilongwe, 1985, pp. 3-4, cité par François KABASELE LUMBALA, ibid., p.51.
459

Préface de Cijiba1006 :

Célébrant :
Ohé, Ohé, venez voir Jésus oint de l’’onction royale,
Il est comme un bélier à la musculature saillante,
Seigneur à la marche majestueuse.
Il est le léopard à forêt propre,
qui ne se dispute sa chèvre avec personne.
Il est l’épervier qui aime à planer,
ne trouvant pas de trou ici-bas,
il dépose ses œufs dans les hauteurs.
Seigneur nous t’acclamons et te félicitons

Tous :
Louange à toi mon Seigneur,
Louange à tout, Seigneur.

Célébrant :
Fils unique de Marie et de Joseph le menuisier,
étang aux énormes étendues,
bâton impérial, bâton de soutien pendant la marche,
Jésus, vers qui tout tend,
Jésus, héros venu d’au-delà des eaux,
Première sauterelle à se présenter à la sortie de la nasse,
fourmi la tête de la file, tampon amortisseur des chocs
et qui accueille toute charge sur la tête,
mais celui qui rejette le tampon se fait mal à la tête.
Route qui ne gémit pas sous le poids des passants,
ce sont plutôt les passants qui gémissent.
Dieu tu es la terre sur laquelle les hommes marchent,
Dieu, tu es le récipient qui garde les confidences,
tu ne te laisses pas accabler par les calomnies des hommes.
Dieu, tu es celui qui mange au vu et au su de tous,
pour que personne ne se plaigne d’avoir faim ;
celui qui s’enferme pour manger est répréhensible.
Seigneur nous t’acclamons et te félicitons.

Tous :
Louange à toi mon Seigneur,
Louange à toi Seigneur.

Célébrant :
Ohé, ohé, venez voir l’oiseau qui jamais ne se crève l’œil
même s’il passe à travers une forêt de lianes et de chardons.
Venez voir l’arc-en-ciel qui arrête les pluies ennuyeuses,
arc-en-ciel qui entoure le ciel de ses bras.
Venez voir la termitière toujours laborieuse au fond de la terre,

1006
Traduction par François KABASELE LUMBALA, Liturgies africains, op.cit., pp. 58-60, à partir du rituel ad
experimentum du diocèse de Mbujimayi, Difila bimanyinu bya lupandu (sacrements) ne bisambukilu
(sacrementaux), Kinshasa, 1996, pp. 20-21.
460

Oh Christ notre frère, tu es la merveille des merveilles,


Citundu (un être qui arrive en surprenant) fils d’en-haut,
lion de Juda, parcourant monts et vallées,
grotte aux innombrables cavernes,
alors qu’elle est une, on dirait qu’il y en a cinq ;
vent qui fait tourbillonner les herbes ;
ouragan qui dévêt ceux qui portent du raphia ;
bouclier sur qui se brisent les vaillants combattants ;
héros qui excelle dans le maniement de l’épée ;
héros qui a toujours des flèches en réserve,
Kanda-Kazadi (titre d’un héros) qui, par sa croix, a évincé le démon,
héros qui jamais ne fuit l’ennemi,
mais c’est toujours l’ennemi qui détale devant lui.
Seigneur nous t’acclamons et te félicitons.

Tous :
Louange à toi mon Seigneur,
Louange à toi Seigneur.

Célébrant :
Oh Jésus notre oint,
tu es la hache qui ne craint pas les chardons,
la houe qui ne craint pas de s’enfoncer dans la boue,
Dinyanu (résidu de sueur) qui poursuit l’homme,
alors que l’homme le fuit ;
mortier autour duquel s’assemblent ceux qui pilent,
Cinkunku (un grand arbre) autour duquel se rassemblent les chasseurs.
Tu es celui à qui chacun soumet ses problèmes,
celui qui aime dépanner,
celui qu’il faut invoquer quand on est dans le pétrin,
celui dont on ne se lasse pas de citer le nom ;
pilier d’appui, quand on a mangé, on s’y frotte les mains ;
celui pour qui nous sommes créés,
chêne appuyé sur Dieu,
Seigneur qui nous indiques la route à suivre,
Jésus, Jésus, tu es le saint.

Tous :
Saint, Saint, Saint, …
461

SYNTHESE DE LA TROISIEME PARTIE

C’est grâce à cette sorte d’autocritique de l’Eglise elle-même que fut le Concile Vatican II que
furent repensées les bases de l’universalité de l’Eglise catholique et la nécessité de
l’adaptation de ses formes (évangélisation, pastorale et liturgie) aux cultures locales.
L’inculturation, fruit, fortuit pourrait-on dire, de l’histoire au cours de la première période de
l’histoire de l’Eglise, devint un projet mûrement réfléchi et méthodiquement mis en œuvre par
l’Eglise post-conciliaire.

L’opportunité fut ainsi offerte aux églises de nombreux pays de mission, notamment
en Afrique, de se donner un visage authentique avec un christianisme incarné dans les cultures
de leur peuple, dont le message puisse être intériorisé par la société comme un des éléments
de sa culture. Cette adaptation voulue par Vatican II fut menée grâce à des recherches
approfondies qui ont permis de découvrir des points de contact et d’encrage entre la liturgie
chrétienne et les valeurs et pratiques culturelles africaines. En fait, à cette liturgie des peuples
se sont ajoutées des adaptations théologiques, pastorales et structurelles, pour fournir les bases
de l’autonomie d’églises dorénavant libérées de la tutelle occidentale pour s’émanciper en
véritables églises particulières dont l’avènement fut souhaité par le Concile.

Sur la base de ces recherches, les liturgies africaines ont des caractéristiques dans
lesquelles les peuples se retrouvent et se reconnaissent, qui les font participer à l’unique culte
chrétien universel dans des formes et expressions qui sont le fruit du génie de ces peuples
devenus, à leur tour, acteurs ayant un apport spécifique à offrir à l’Eglise universelle en vue
de son enrichissement. Certaines innovations liturgiques, au-delà des seules solutions relatives
à la langue de célébration et à l’expression corporelle, ont remis à jour et restauré des valeurs
et pratiques que les missionnaires, dans une théologie étriquée, avaient combattues et bannies
comme païennes et contraires au christianisme, telle l’invocation des ancêtres. En même
temps, ces églises ont tenu à affirmer leur catholicité et à justifier chacun des changements
recherchés et retenus, montrant leur conformité non seulement au message chrétien mais aussi
à l’esprit liturgique vrai et authentique inspiré de la tradition et des Pères, avant que ne le
confisque et le réduise la culture dominante occidentale.

Ces tendances africaines sont bien représentées par l’expérience du rite zaïrois qui,
pour avoir été l’unique à être canonisé par la hiérarchie vaticane, s’impose comme le modèle
et qui, en tout état de cause, a encouragé des recherches similaires dans beaucoup d’autres
églises africaines ; à partir de cette expérience zaïro-congolaise, l’étude rend brièvement
462

compte des autres tentatives, présageant l’élaboration d’une liturgie continentale pouvant être
reconnue à l’image d’autres rites particuliers, comme le rite mozarabe ou syro-malabar, etc.
L’intérêt de ces différents rites africains est à prendre en considération pour poser la profonde
question de la pérennité de l’inculturation liturgique et, à travers cette dernière, celle de la
diversité liturgique et, au-delà, celle de l’autonomie des Eglises particulières ou continentales,
dont la légitimité ne peut plus être mise en doute.

On se rend compte, cependant, que, pour certains, le rite zaïrois est resté trop romain,
dans les limites d’un cadre zaïrois pour le rite romain que le Vatican avait entendu lui fixer.
En particulier l’introduction de rites ancestraux a été jugée superficielle, dans la mesure où les
rites les plus significatifs et les plus spécifiques des pratiques cultuelles traditionnelles n’ont
pas été retenus, tandis que ceux qui ont été adoptés ne l’ont été que symboliquement ou
allusivement, plutôt comme modèle que comme substance. Aussi, a-t-on vu des essais de
dépassement du rite zaïrois grâce à des initiatives privées et limitées, dont la liturgie de
Tshikapa-Kele est le modèle le plus élaboré.
463

CONCLUSION GENERALE
464

La liturgie chrétienne a deux millénaires d’une histoire changeante, parfois


mouvementée, qui a connu des controverses entre Eglises, notamment entre les églises
« orientales » et celles d’obédience romaine latine, qui explique au moins partiellement le
grand schisme, mais aussi des contestations qui ont affecté le catholicisme lui-même dans son
ensemble, comme celle qui conduisit à la Réforme. L’Eglise catholique elle-même ne
maintint pas figée sa liturgie, qu’elle essaya d’adapter non seulement à des circonstances
historiques évolutives au sein même de l’Occident, y compris des accommodations de
circonstance faites d’emprunts à différentes expressions et différents rites ayant fait jour dans
les églises locales, mais aussi à certaines cultures locales particulières.

De fait, l’histoire du catholicisme et de sa liturgie est celle d’incessantes migrations


élargissant la scène de présence et le champ d’activités chrétiennes, depuis la Palestine et
l’Orient, lieu d’origine, de gestation et de naissance du christianisme, en passant par le
pourtour méditerranéen et toute l’Europe occidentale, jusqu’à l’Extrême-Orient, à l’Amérique
centrale et du Sud ainsi qu’à l’Afrique. Ces migrations traduisent la « mission » léguée à ses
disciples par Jésus, afin que, ainsi qu’il l’avait ordonné, il soit fait de toutes les nations les
disciples, partant de Jérusalem, s’étendant à la Judée et au monde entier. Dès ses origines, le
christianisme s’est ainsi transmis par l’intermédiaire des « missionnaires » qui, de Palestine,
l’ont amené aux peuples du couchant (Méditerranée et Europe), tandis que les Européens se
sont faits à leur tour missionnaires pour apporter le christianisme à d’autres peuples et à
d’autres contrées.

Ainsi, à partir de gestes de l’institution au cours de la dernière Cène, dont tout le


monde reconnaît la simplicité, s’est formée une liturgie de plus en plus complexe avec des
formes qui, le noyau central des paroles de l’institution restant immuables, se sont diversifiées
grâce à des rites dont les strates se sont souvent juxtaposés sans toujours s’éliminer, faisant de
quelques mots autour d’un geste bref, la longue messe que nous connaissons aujourd’hui.
Certes, les circonstances de dernier repas organisé par quelqu’un qui se sait voué à mourir
dans les heures qui allaient suivre ont pu faire imaginer tout le climat de testament qu’un tel
repas peut revêtir : le maître donnant ses derniers enseignements, donnant des instructions
précises sur ce qui devra être fait pour pérenniser l’œuvre, fournissant des indications sur les
moyens (spirituels) qui seront à disposition et dont il faudra savoir faire usage ; le cérémonial
même d’un tel repas ainsi que les adieux du maître à ses disciples, etc. Mais, d’autres facteurs
expliquent cette croissance exponentielle des rites qui ont fait la messe, phénomène que nous
avons examiné, en quelque sorte génétiquement, en partant des pratiques des premières
465

communautés chrétiennes autour de ce jusqu’au IIe siècle on n’appelait que par l’expression
« fraction du pain », jusqu’au moment où, à la fin Moyen Age, se fixe la liturgie eucharistique
qui restera en vigueur, dans ses grands axes, jusqu’à la réforme du Concile Vatican II. Ces
facteurs sont, certes historiques, mais aussi politiques et, surtout, culturels. De fait, on a vu
des empereurs et des rois, à l’origine ou à la tête de conciles et synodes, imposer ou, tout au
moins, orienter des formes liturgiques et, parfois, marquer de manière indélébile la liturgie de
toute une période, imposer le contenu de certains actes ou fait liturgiques, tels certaines
prières, etc. Parallèlement, chaque fois que le christianisme s’est implanté dans une contrée, il
y a connu une période de maturation qui lui a permis d’imprégner la culture locale autant qu’il
s’est imprégné lui-même de cette dernière. Ce phénomène, globalement désigné par le
vocable « inculturation », se remarquent essentiellement ou, du moins, de façon visible, dans
la liturgie, secteur où nous avons pu le vérifier tout au long de cette étude, même si le terme
n’était guère utilisé, ni même n’existait, avant les interprétations et explications consécutives
au Concile Vatican II et son œuvre d’aggiornamento. Tout le sens de ce travail était de
démontrer la permanence de ce facteur dans les grandes évolutions de la liturgie et qui, pour
n’avoir pas été spectaculaire dans le passé, n’en est pas le facteur qui explique de la manière
la plus satisfaisante le succès du christianisme là où les cultures locales ayant résisté ont pu
l’intégrer non seulement en modelant la civilisation sur les valeurs nouvelles chrétiennes mais
aussi en modelant le christianisme dans son élément le plus expressif et le plus extériorisant
qu’est la liturgie. Ainsi, les peuples ont pu se reconnaître dans cette liturgie et dans les valeurs
chrétiennes comme dans leur propre culture.

C’est sur cette vérité que le Concile, tout en ayant admis que si les cérémonies étaient
incompréhensibles pour les fidèles, même pour les fidèles occidentaux, elle était encore plus
éloignée des peuples extra-occidentaux, eut un double mouvement. D’abord, favoriser
l’intelligibilité de la liturgie et la participation active des fidèles et, surtout ensuite, privilégier
la méthode visant à « familiariser » la liturgie avec les différents peuples, restés jusque là
extérieurs à la chrétienté et auxquels le christianisme s’est proposé et a été accepté comme un
élément étranger, une religion européenne Le Concile reconnaissait ainsi que la liturgie était
restée, pour bien des peuples devenus chrétiens, trop occidentale, constatant pour le moins
qu’elle avait épousé exclusivement des formes et expressions européennes et, de ce fait,
apparaissait comme une domination culturelle occidentale. Les peuples concernés eurent
l’opportunité d’intérioriser la liturgie chrétienne en l’intégrant dans les expressions de leur
génie propre, conciliant leur pratique religieuse traditionnelle avec le culte chrétien.
466

C’est dans ce sens que les Eglises africaines, avec l’encadrement ordonné par le
Concile, élaborèrent des réformes tendant à inculturer la liturgie dans leur culture locale, en
diapason avec les valeurs et traditions de leurs peuples. Si toutes les ébauches répondent à une
inspiration similaire et présentent donc, au-delà de particularismes locaux, des caractéristiques
communes, le Vatican ne reconnut officiellement que le rite zaïrois de la messe, jugé
conforme à la doctrine et compatible avec les directives conciliaires et hiérarchiques ; ainsi,
comme il existe le rite romain ou, pour parler de rites particuliers reconnus, le rite mozarabe
ou syro-malabar ou d’autres rites catholiques orientaux, il existe un rite zaïrois « typique »,
même si ce dernier n’est pas établi comme une autre « famille liturgique ». Pour autant,
l’absence de reconnaissance officielle n’a pas empêché différents rites africains d’exister et
d’être pratiqués, parfois avec une approbation de l’évêque local ad experimentum, y compris
au Congo-Zaïre même où des rites locaux coexistent avec le rite typique. Pour toutes ces
raisons, notre étude a retenu, pour présentation et analyse, essentiellement le rite zaïrois.

L’inculturation liturgique réalisée, on peut s’interroger sur le sort de l’inculturation en


tant que phénomène touchant globalement les méthodes d’évangélisation de l’Eglise
catholique, sauf à se contenter de l’opinion selon laquelle la liturgie étant l’élément visible du
christianisme et, pourrait-on dire, l’élément existentiel de la visibilité de l’Eglise, son
inculturation revêt une grande importance et rejaillit sur l’ensemble. Une telle vue serait
simpliste et trop réductrice des réalités complexes d’une religion dans ses différents éléments
historiques, doctrinaux, dogmatiques et pastoraux. De ce point de vue, bien que nous n’ayons
pas traité de cette question, l’Eglise du Congo-Zaïre avait inscrit cette inculturation liturgique
dans un projet plus global d’érection d’une Eglise locale particulière disposant de ses propres
moyens et ressources pour une vie ecclésiale, pastorale et évangélisatrice autonome sans
lesquels il ne peut y avoir « église particulière » au sens du Concile.

Toutefois, la question la plus importante est celle de savoir si l’inculturation liturgique


valait vraiment la peine d’être si hardiment recherchée, parfois en frôlant une grave crise avec
la tête de l’Eglise universelle. Cela revient à se demander et à dire si l’œuvre représente autre
chose que la satisfaction d’un ego national, une sorte de révolte culturelle et historique contre
la prédominance et, même, la domination de la culture européenne dans la vie de l’Eglise
catholique en méconnaissance des cultures des autres peuples qui composent le peuple de
Dieu au sein de l’Eglise universelle. La question a été abordée, non pas sous cet angle
anthropologique ou idéologique, mais en rapport avec la légitimité et la particularité de ces
nouveaux rites, au-delà des simples aspects extérieurs et parfois spectaculaires. De fait, si elle
467

se limitait à l’introduction de la danse et du rythme « chaud » des musiques tropicales,


l’inculturation liturgique ne dépasserait pas un niveau purement folklorique et amusant.

En effet, en dépit de l’enthousiasme, parfois une sympathique curiosité, qu’ils ont


suscité, les rites africains n’ont pas que des admirateurs et des défenseurs ; en prenant
l’exemple du rite zaïrois et certaines de ses variantes, il est, à certains endroits, au centre d’une
forte polémique entre clercs congolais, tandis qu’aux yeux de certains la nécessité et l’utilité de
rites africains différents du rite universel ne sont pas suffisamment justifiées. La question est
fondamentale de savoir quelle est la réalité de ces rites africains, quel impact ils ont sur le
christianisme en Afrique, quelle est, au-delà de tout l’argumentaire théologico-anthropologique
utilisé pour revendiquer l’inculturation du christianisme et de la liturgie en Afrique, au-delà de
la danse et des chants rythmiques de célébrations festives, qui peuvent passer et qui passent
aux yeux de certains pour du folklore, la véritable originalité de ces rites. Certains observateurs
n’ont pas hésité à ne retenir du rite zaïrois que cet extérieur, comme Mgr Vandame, alors
archevêque de N’djamena, que cite L. Mpongo M.M., qui disait au journal catholique français
La Croix, « Vous savez, la messe zaïroise n’est que le rite latin avec des changements locaux
dans le vêtement et le chant »1007.

Cette question est fondamentale parce que multiforme. Si pour une part elle touche à
des aspects théologiques et, surtout dans certaines formes de rites locaux, à des aspects de
discipline canonique, nous retiendrons particulièrement l’interrogation sur l’originalité des rites
africains, avant de voir que l’africanisation de la liturgie, dans le cas du rite zaïrois
spécialement, a suscité des controverses jusqu’au sein de l’Eglise zaïroise elle-même, tandis
que s’expriment de plus en plus ouvertement des tendances à remettre en cause de ces rites
considérés comme franchement peu… catholiques, afin de revenir à une romanité plus
assumée. Ce débat posant celui de l’inculturation elle-même qui semble s’essouffler après une
période de grande activité théologique.

Il s’agit de savoir ce qui différencie le rite zaïrois du rite romain, quelles sont les
innovations. Il serait vain de rechercher des différences de fond, parce qu’alors il n’y aurait
plus grand-chose de commun entre les deux rites, or, quel que soit le degré de son originalité,
le rite zaïrois est toujours un rite catholique. A ce dernier titre, le rite zaïrois doit demeurer
fidèle à l’héritage commun aux catholiques reçu de la tradition et des Pères. Il y a, là, une

1007
MPONGO Mpoto Mamba, « Le rite zaïrois – Quelques-unes de ses caractéristiques », Médiations
africaines du sacré, loc.cit., p. 513.
468

première limite que doit se fixer toute initiative qui se veut catholique, dans un souci d’unité
qui ne nie pas la légitimité de certains particularismes.

Dans leur forme, à l’instar du rite zaïrois, les rites africains de la messe se caractérisent
par leur simplicité générale et leur dépouillement ; ils présentent quelques bouleversements
par rapport au rite romain post-conciliaire, induits par une « participation plus consciente et
plus active des fidèles à la liturgie »1008. Il faut reconnaître que, plus que simple folklore, les
processions joyeuses, les chants, les danses et le style oratoire, ajoutés à une nouvelle
structure de la messe, même si cette nouvelle structure n’est pas inédite, constituent une
spécialité dans laquelle les fidèles se reconnaissent et se retrouvent, ils sont autant de moyens
de communication et de gestes qui font « d’une célébration, non pas un spectacle, mais une
action à laquelle l’homme participe »1009. Mais, bien plus, l’originalité de la manière de prier
ne peut être mise en doute, quand bien même on ne l’approuverait pas, avec la spontanéité à
laquelle incitent les rites africains, avec une eucologie qui, par exemple celle du rite
pénitentiel que nous avons exposé, se démarque de l’oraison romaine traditionnelle par son
contenu concret dans le cadre d’une liturgie engageante où l’homme se sent interpellé sur son
comportement et invité à l’améliorer. On peut affirmer, avec Ignace Ndongala Maduku, qu’il
se dégage du rite zaïrois, très représentatif en cela des rites africains, « une régénération des
rites, de la symbolique, de l’homilétique ainsi qu’une liturgie corporelle expressive. En effet,
l’Eucharistie devient de plus en plus une fête, un banquet de fraternité, mieux un sacrement de
fraternité, une confession en acte du salut. »1010.

Néanmoins, il est une limite qu’aucun degré de spécificité, aussi élevé soit-il, ne peut
franchir dans l’africanisation ou l’inculturation de la liturgie eucharistique. C’est que si, à
propos de la liturgie le concile parle d’adaptation, même si plus tard la hiérarchie utilisera
volontiers le terme « inculturation », celle-ci se fait dans le cadre de la liturgie romaine et nous
avons vu que les adaptations doivent faire l’objet d’une recognitio de la part de la hiérarchie : il
ne s’agit nullement de fonder de nouvelles familles liturgiques. Aussi, ainsi qu’on l’a vu, la
Congrégation du Culte Divin a-t-elle imposé au rite zaïrois l’appellation officielle de « Missel
romain pour les Diocèses du Zaïre », ce rite demeure ainsi dans la famille liturgique romaine,
étant tout simplement une autre manière, la manière zaïroise, de célébrer l’eucharistie de rite
romain. Les « adaptations » liturgiques sont, on l’a vu, encadrées et entourées de garde-fous

1008
Cardinal MALULA, L’Eglise de Dieu qui est à Kinshasa vous parle, Kinshasa, Ed. St Paul, 1976, pp.23-34.
1009
MPONGO Mpoto.Mamba, « Le “rite zaïrois’’, Quelques-unes de ses caractéristiques », in Médiations
africaines du sacré…, op.cit., p.510.
1010
NDONGALA MADUKU, Ignace, « Le rite congolais de la messe : 30 ans après », in L’Eucharistie dans
l’Eglise-Famille en Afrique à l’aube du troisième millénaire, op.cit., p. 97.
469

relativement stricts. Mais, l’on peut se permettre, parce que cela n’est pas spécialement du
domaine de la théologie, de constater que la même Constitution sur la Liturgie qui impose des
limites substantielles et formelles, est celle qui par ailleurs envisage qu’à certains endroits des
adaptations profondes puissent s’avérer nécessaires, tandis que depuis Pie XII l’Eglise
reconnaît la légitimité d’un pluralisme liturgique. En effet, la Constitution affirme que « dans
les domaines qui ne touchent pas à la foi ou au bien de toute la communauté », l’Eglise « ne
désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique »1011. Mais, il
s’ensuivit un encadrement si strict qu’il en apparaît comme une volonté de brider les initiatives
et de « recentraliser » les choses. D’abord, pour ne citer que des documents que nous avons
dans l’ensemble peu exploités :

La Présentation Générale du Missel Romain avait déjà délimité la matière dans laquelle les
« adaptations » peuvent être opérées :

« Il appartient aux Conférences des Évêques de définir et, après


reconnaissance les actes par le Siège Apostolique, d’introduire dans ce même
Missel les adaptations indiquées au cours de cette Présentation et dans
l’Ordinaire de la Messe, regardant :
-les gestes des fidèles et les attitudes du corps ; l
-les gestes de vénération envers l’autel et l’Évangéliaire ;
-les textes des chants d’introït, à la présentation des dons et de communion ;
-les lectures de la sainte Écriture à prendre dans des circonstances
particulières ;
-la manière de donner la paix ; la manière de recevoir la sainte Communion ;
-la matière de l’autel et du mobilier sacré, surtout des vases sacrés, ainsi que
-la matière, la forme et la couleur des vêtements liturgiques,
-Des Directoires ou Instructions pastorales que les Conférences des Évêques jugeront
utiles pourront être introduits à l’endroit approprié dans le Missel romain, après
reconnaissance du Siège Apostolique. »1012

Par ailleurs, l’Instruction sur la Liturgie romaine et l’inculturation, venait mettre des
points sur les i : « La recherche d’inculturation ne vise pas la création de nouvelles familles
rituelles : en répondant aux besoins d’une culture déterminée, elle aboutit à des adaptations qui
font partie du rite romain »1013. En 2001, une autre Instruction de la même Congrégation
concernant les traductions des textes liturgiques, rappelait ces critères : « Les adaptations des
textes réalisés selon les articles 37-40 de la Constitution Sacrosanctum Concilium, doivent être
1011
Constitution Sacrosanctum Concilium, n° 37
1012
Présentation Générale…, § 390.
1013
Instruction Varietates legitimae, de la Congrégation du Culte Divin et de la discipline des Sacrements, 25
janvier 1994, § 26, http://www.eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=0504074_sacramentum_caritatis
470

considérées comme répondant aux vraies exigences culturelles et pastorales, et non pas comme
dérivant d’un simple souhait d’introduire des éléments nouveaux ou de la variété. De telles
adaptations ne peuvent être considérées non plus comme des moyens employés en vue de
modifier les éditions typiques ou changer l’ensemble des énoncés théologiques, mais, au
contraire, il faut que ces adaptations soient régies par les normes et les critères qui sont énoncés
dans l’Instruction Varietates legitimae »1014

Enfin, Benoît XVI semble en effet se retrouver dans cette conception minimaliste de
l’inculturation de la liturgie. Dans son Exhortation apostolique post-synodale Sacramentum
Caritatis, il précise : « A partir des affirmations fondamentales du Concile Vatican II,
l'importance de la participation active des fidèles au Sacrifice eucharistique a été plus d'une
fois soulignée. Pour favoriser cette implication, on peut faire droit à certains aménagements
appropriés aux divers contextes et aux différentes cultures. Le fait qu'il y ait eu certains abus
n'entache pas la clarté de ce principe, qui doit être maintenu selon les nécessités réelles de
l'Église, qui vit et qui célèbre le même mystère du Christ dans des situations culturelles
différentes »1015.

Il s’agit donc d’introduire des adaptations à certains endroits du missel romain et non
d’instaurer un nouveau rite en dehors de l’unique liturgie. Quoi que l’on pense de ces
restrictions, elles sont claires et il semble que, à cet égard, les rites africains, tout en étant
conformes à ces critères que les Eglises n’ont pas discutés, affichent, au sens de ces
instructions, leur originalité, même s’il peut se trouver des raisons pour regretter qu’elle ne soit
pas allée assez loin ou aussi loin qu’on l’aurait souhaité. D’ailleurs, des spécialistes africains le
reconnaissent, comme Laurent Mpongo qui conclut que « De toute manière, .. ; il n’est pas
superflu de rappeler que Vatican II n’a pas envisagé la création de nouvelles familles
liturgiques au sein de l’Eglise catholique romaine », « c’est pourquoi, aux yeux d’un historien
de la liturgie, un rite liturgique est spécifique dans la mesure où il est référé à son prétendu
fondateur ou à la communauté chrétienne qui le célèbre »1016. Ou, encore, en plus critique,
Ignace Ndongala Maduku, qui se plaît à relever les contradictions qui, selon lui, existeraient
entre les prises de positions et les documents du Vatican, entre la volonté d’ouverture et celle
de freinage, estimant que Rome « réduit l’inculturation de la liturgie eucharistique à une

1014
Instruction De l’usage des langues vernaculaires dans l’édition des livres de la liturgie romaine, Cinquième
Instruction « Pour la Correcte application de la Constitution sur la Sainte Liturgie », Congrégation du Culte
Divin et de la Discipline des Sacrements, 28 mars 2001, § 22.
1015
Exhortation apostolique Sacramentum Caritatis, l’Eucharistie sacrement de la Miséricorde, 2é février 2007,
§ 54, http://eucharistiemisericor.free.fr/index.php?page=1303073_sacrement_amour
1016
MPONGO Mpoto.Mamba, « Rite zaïrois… », in Médiations africaines du sacré…, op.cit., pp.508 et 514.
471

réorganisation des éléments du rite romain », sans remettre en cause « la romanité », le


renouvellement du rite se réduisant « en un accommodement à l’intérieur du rite romain,
unique rite de l’Eglise latine ». L’auteur critique la soumission des évêques africains en
synode, qui ont entériné ces affirmations « curieuses » et fait état de « la question de la
pertinence de l’existence dans l’Eglise latine d’un seul rite. », question posée par certains qui
n’hésitent pas à proposer « l’éclatement du rite latin en plusieurs autres rites », à l’instar des
Eglises catholiques orientales qui connaissent une « diversité intégrant le patrimoine liturgique,
théologique, spirituel, disciplinaire… »1017. De ce fait, c’est par erreur, au regard des réalités
ecclésiales et canoniques, que l’on parle de « rite zaïrois », sauf à en entendre une simple
adaptation zaïroise du rite romain ou à convenir ainsi.

Une autre problématique, liée à celle-ci mais plus englobante, touche à l’inculturation
du christianisme elle-même en général, même si, à cause de la visibilité de la liturgie, elle
semble avoir moins d’impact et d’ampleur : la remise en cause de la liturgie inculturée semble
en effet s’attaquer à l’inculturation elle-même. C’est d’autant plus vrai que les critiques ne
distinguent pas, généralement, l’inculturation de la liturgie et l’inculturation dans les autres
domaines (théologie, structures, pastorale, évangélisation, catéchèse, …). Mais, surtout, la
visibilité des rites liturgiques fait de la liturgie, sans doute, l’élément ostensible, visuel, de
l’activité de l’Eglise, en elle se reflètent toutes les caractéristiques du christianisme et les
manifestations de l’adhésion des fidèles à l’Eglise, qui s’évalue bien souvent par l’ampleur de
ce qu’on appelle « la pratique religieuse », assimilée, sans doute incorrectement, à la
fréquentation de la liturgie eucharistique. Par rapport à cela, le moins que l’on puisse dire c’est
qu’on n’assiste plus, autour de l’inculturation, à la même fièvre ou effervescence de recherche
et d’émulation scientifiques que celles des décennies 70-90 ; à cela s’ajoute que certains ténors
de la « théologie africaine », de la « théologie de libération » et de la « théologie de
l’inculturation » se sont vus écarter des premières places ou mettre en garde par la hiérarchie, y
compris la hiérarchie romaine.

Plusieurs causes expliquent cette baisse d’intérêt, surtout du point de vue pratique, à
l’égard de la liturgie inculturée. Nous retiendrons l’exemple précis du rite zaïrois dont nous
nous permettons d’affirmer qu’il connaît une crise. Il faut d’abord citer, pour cela, les
controverses entre théologiens, liturgistes ou, simplement, entre prêtres. Une première faiblesse
vient du fait que certains estiment que le rite zaïrois est l’œuvre de Malula et de son

1017
NDONGALA Manduku., Ignace, « Le rite congolais de la messe : 30 ans après », in L’Eucharistie dans
l’Eglise-Famille en Afrique…, op.cit., pp. 100-101.
472

« groupe », ainsi que nous l’avouait un vieux missionnaire ayant œuvré dans le Kivu, qui
affirmait que dans cette contrée là, le rite zaïrois est plutôt considéré comme une affaire des
Kinois (habitants de Kinshasa). C’est la raison pour laquelle, dans l’optique que les réformes
ont été l’œuvre de l’ensemble de l’épiscopat, ce travail a délibérément choisi de ne pas trop
insister sur le rôle personnel éminent de l’ancien archevêque de Kinshasa, tout en signalant
néanmoins le travail de pionnier qu’il exerça dans le processus du rite zaïrois, ne serait-ce que
comme chef du plus important diocèse du Congo-Zaïre, de surcroît celui de la capitale,
profitant ainsi de l’influence qu’exerce cette ville sur l’ensemble de la vie nationale dans tous
les domaines (politique, économique, scientifique, des arts et de la culture, de la mode, etc.).
Qu’il suffise de faire savoir que ces mérites du Cardinal Malula lui sont reconnus par toute
l’Eglise africaine et particulièrement l’Eglise du Congo. Cette reconnaissance est exprimée par
la voix de son successeur, le cardinal Etsou, qui, en mai 1997, le proclama « Père de l’Eglise
de Kinshasa »1018, pour « lui rendre un hommage mérité », « souligner le rôle normatif que
nous attribuons à ses écrits. Ils doivent constituer désormais un héritage de grand prix et une
source d’action et de réflexion pour toute notre Eglise », tandis que des voix s’élèvent, dont
celle de Mgr Th. Tshibangu T., pour reconnaître en Malula un « Père de l’Eglise africaine ».

Par ailleurs, des controverses se sont fait jour au sein même de l’Eglise du Congo ;
elles se traduisent par deus attitudes opposées sans que l’on assiste à une sorte de querelle des
anciens et des modernes, à un conflit de générations. D’un côté, sans nécessairement
s’exprimer par des écrits critiques ni des arguments théologiques systématiques, certains ont
sans doute estimé que le niveau d’inculturation ou d’adaptation aux cultures congolaises n’est
pas suffisant, que les adaptations n’ont pas été assez audacieuses, qu’on s’est contenté d’une
démarche de pure forme sans vraiment introduire la substance des coutumes ancestrales dans
la liturgie. Cela s’est traduit par les initiatives comme celle de Tshikapa-Kele au Kasayi qui,
dans sa première partie, n’a vraiment pas grand-chose de commun avec le rite romain ni
même avec le rite zaïrois officiel ; une démarche plus anthropologique que simplement
théologique. D’un autre côté, ce ne sont pas moins que des tentatives de remettre en cause, à
travers certain es « erreurs d’interprétation » ou de certains abus, le bien-fondé même de
l’inculturation. C’est l’exemple des débats houleux et bruyants ayant opposé des prêtres du
diocèse de Mbujimayi (au Kasayi), l’un des plus dynamiques en matière de recherches
théologiques et d’expériences d’inculturation liturgique. Avec la prétention de parer aux
supposées « carences » des rites pratiqués au Congo, à savoir le Missel Romain (ou de Paul

1018
V. CHEZA, Maurice, « Le cardinal Malula, Père de l’Eglise de Kinshasa », in Mission de l’Eglise, n° 119,
avril 1998.
473

VI, 1969-70) et le Missel Romain pour les Diocèses du Zaïre (ou le « rite zaïrois »), l’abbé
Albert Mbombo Kapiamba publie en 2003 un opuscule intitulé Bwikala bwamba. Pa
ntendeleelu mu Katolika1019. Après avoir présenté les deux rites officiels en vigueur au Congo,
l’auteur en conclut que « Dans la plupart de nos paroisses, le rite en vigueur est plutôt un rite
hybride, qui emprunte ses éléments à ces deux rites officiels »1020. Ensuite, il s’emploie à
montrer comment l’inculturation répond au besoin légitime de chaque peuple d’avoir sa
liturgie, fondée sur sa langue, ses coutumes et sa vision du monde, et expose les éléments de
la liturgie officielle qui, par rapport à cela, devraient être, à son avis, mieux expliqués ou
enlevés de la célébration actuelle, pour ainsi dire pratiquement tout, parce que cela va de
l’entrée à la bénédiction finale1021. La dernière partie du livre1022 étudie, au nombre de cinq
(finalement on en découvre plus), les caractéristiques d’une véritable inculturation liturgique
selon l’auteur. Notre propos n’est pas d’examiner, sans aucune compétence, ce travail de
pasteur de terrain, mais d’en prendre prétexte pour identifier les conséquences des débats
houleux, critiques et controverses que l’auteur, délibérément, souhaite provoquer parmi ou
avec ses confrères, dans lesquels interviendra l’éminent liturgiste François Kabasele L. Ces
controverses ne nous intéressent pas non plus, dans la mesure où nous n’avons pris
connaissances des différents points de vue qu’à travers ce qu’en dit un autre ouvrage, Dieu ou
le veau d’or – Réflexions sur quelques aspects de l’inculturation de la liturgie, autre réponse
polémique, publié à la suite par un autre prêtre du même diocèse1023.

L’essentiel est que, à travers ce dernier, on découvre dans ces controverses tout le
spectre de prises de position. Il y a les propositions de l’auteur de Bwikala bwamba, qui prône
une remise en cause des options officielles actuelles, en faveur d’une sorte de radicalisation de
l’africanisation favorisant outre mesure des éléments empruntés au mouvement
charismatique, mêlé à une sorte de célébration « civique » axée sur les réalités temporelles,
sociales et politiques de la société ; proposition que l’auteur de Dieu ou le veau d’or qualifie
de « apologie de la spiritualité de la marmite de viande… où, vaincu par le ventre et alléché
par l’odeur de la viande, l’homme oublie la Terre promise, lointaine, et s’accroche à la terre

1019
MBOMBO KAPIAMBA, Albert, Bwikala bwamba. Pa ntendeleelu mu Katolika, Kananga, Ed. Mikanda ya
Bereya, 2003, 35 p. Ce titre peut littéralement se traduire par « Pourvu que ce soit dit. A propos de la liturgie
catholique ».
1020
MBOMBO Kapiamba, Albert, Bwikala bwamba..., p. 9.
1021
Ibid., pp. 9-15.
1022
Ibid., pp. 16-35.
1023
CIKONGO, Cibaka, Dieu ou le veau d’or – Réflexions sur quelques aspects de l’inculturation de la liturgie,
Kinshasa, Ed. Universitaires Africaines, 2005. Ce livre est intéressant dans la mesure où il présente l’état du
débat de l’inculturation dans le diocèse, étant lui-même largement occupé à faire la critique des critiques, au-delà
de celle de l’ouvrage qui est à l’origine des controverses.
474

égyptienne, immédiate », une « inculturation au rabais », pas digne d’une église qui se veut
responsable et consciente de la nature profonde de la liturgie chrétienne. »1024 D’autres
propositions défendent le rite zaïrois typique, quitte à en améliorer les défauts constatés au
cours de ces décennies d’expérimentation. Il y a, même, jusqu’à des affidés de la romanité
pure et dure ne permettant qu’une lecture minimaliste des ouvertures que Vatican II a pu
introduire comme brèches dans le carcan du rite romain au profit des cultures des peuples,
certains d’entre eux se font « de virulents ennemis de l’inculturation, dont les plus radicaux
vont jusqu’à imaginer que toute recherche d’inculturation n’est qu’un retour déguisé au
paganisme ancestral”1025.

Entre ces trois tendances, le rite zaïrois typique, le dépassement du rite zaïrois typique
et le retour à la romanité, c’est une question d’option avec plus ou moins, à l’appui, des
arguments théologiques, historiques, juridiques ou anthropologiques ; on ne saurait accréditer
l’hypothèse d’un conflit de générations, ni d’écoles, les prêtres congolais étant en majorité
aujourd’hui issus des promotions postérieures à 1965 et ont fréquenté les mêmes séminaires et
les mêmes instituts de formation.. Risquerait-on une sorte de schisme de traditionnalistes,
défenseurs du rite romain, avec le risque que ce serait soit une liturgie en latin que trop de
prêtres actuels ne connaissent tout simplement pas, soit une copie sans imagination de la
liturgie romaine traduite en langues locales, sans imagination ni la fierté d’exprimer le génie
propre des peuples. Alors, à quoi aurait servi le combat mené pour la revalorisation des
cultures congolaises ignorées, baffouées et détruites durant les sicèles de domination ?

Certaines autres remises en cause ou minimisations de l’inculturation bien que n’ayant


pas été nombreuses, inquiètent à cause de l’autorité de ceux dont elles émanent. Telle est cette
controverse rapportée entre le cardinal Arinze, préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et
la Discipline des Sacrements, et Mgr Piero Marini qui était alors maître des célébrations
liturgiques pontificales1026. Ce dernier avait, le 5 octobre 2003, lors de la messe de canonisation
de trois missionnaires, introduit des danses africaines (à l’offertoire) et indiennes (à la
consécration). Quelques jours après, le cardinal Arinze a tiré à boulets rouges sur la "créativité
incontrôlée" et "l'imagination trop fertile", qui ne correspondent pas avec la "véritable
inculturation", ajoutant que l'inculturation n'est nullement un encouragement à pratiquer "des

1024
V. pp. 189-190 et 191.
1025
L’appréciation est de François KABASELE LUMBALA, « L’inculturation liturgique en Afrique depuis
1956 (Enjeux et pronostics) », Contribution au Colloque de l’UCAO, Abidjan, 2007.
1026
Depuis le 1er octobre 2007, Mgr Piero Marini, nommé président du comité pour les Congrès eucharistiques
internationaux, a été remplacé au poste de cérémoniaire par Mgr Guido Marini.
475

célébrations liturgiques non autorisées". Ce à quoi le maître des cérémonies répondit en


plaidant en faveur de l'accommodation "de légitimes éléments culturels" dans la liturgie,
estimant que si "il n'est pas pertinent d'introduire la danse dans les paroisses italiennes, elle a
par contre sa place dans les célébrations missionnaires"1027.

Ce genre de prises de position viennent s’attaquer à une liturgie affaiblie de l’intérieur,


non pas, pour le rite zaïrois par exemple, à cause des critiques et controverses internes, mais
surtout par une pratique qui semble périlleuse pour la pérennité des rites « inculturés ».

D’abord, il manque une pédagogie auprès des fidèles ; nous avons eu la possibilité de le
vérifier à l’occasion de trois entretiens avec des fidèles fréquentant assidûment la messe
paroissiale. Il nous a été donné de constater que, habitués plutôt au changement par rapport à la
messe latine abandonnée depuis le Concile Vatican II, ces fidèles confondent le « rite zaïrois »
avec la messe chantée en langue locale. Il est de fait possible de confondre les deux à cause des
emprunts au rite zaïrois insensiblement introduits dans la messe romaine en langue locale,
chants rythmés, danse, processions, le même style oratoire et la même homilétique, tandis que
la structure est celle de l’ordo romain ; ces ressemblances sont telles que seules des personnes
averties peuvent déceler les différences. A l’issue d’une messe en rite zaïrois que nous avions
exprès sollicitée du curé d’une paroisse populaire pour les besoins de notre recherche, certains
de mes interlocuteurs m’interrogeaient sur le couvre-chef ainsi que sur la « queue de cheval »
tenue en main par le célébrant, se demandant si ce n’était pas une cérémonie ancestrale1028. Il
paraît dès lors que la hiérarchie avait certes salué l’avènement du rite authentiquement africain
mais avait oublié d’expliquer aux fidèles en quoi il consistait et en quoi il innovait par rapport
au rite romain, notamment en ce qui concerne l’ordonnance de la messe et le sens des
innovations. Nous ne nous rappelons pas nous-mêmes qu’une telle pédagogie ait été organisée
systématiquement dans les paroisses en direction des fidèles. Une catéchèse liturgique ayant
pour matière le rite zaïrois devrait être organisée, si l’on ne veut pas que ce rite tombe dans
l’oubli des chrétiens congolais eux-mêmes.

Cette ignorance du peuple se perpétue, a-t-il semblé, et la situation est même plus
grave dans la mesure où le rite zaïrois, aussi paradoxal que cela puisse paraître, paresse,
facilité ou lassitude, est très peu pratiqué. Les entretiens que nous avons eus avec certains,
notamment avec trois prêtres dont deux de paroisses rurales et avec deux laïcs l’un à

1027
http://www.golias.fr/spip.php,breve75, et
http://infocatho.cef.fr/fichiers_html/archives/deuxmilletroissem/semaine42/23nx42eglisem.htm
1028
Oyo, makambo ya bo-nkoko te ? (en lingala), pour dire Ceci, n’est-ce pas des histoires des ancêtres ?
476

Kinshasa, l’autre dans une paroisse rurale, et dont nous résumons la substance en annexe,
illustrent toutes ces insuffisances. La hiérarchie, qui n’encourage pas particulièrement les
célébrations en rite zaïrois, n’en organise elle-même qu’à de rares grandes occasions (grandes
fêtes et solennités, ordinations, consécration d’églises, …) : le rite typique n’est pas
systématique, alors même qu’il existe un rite « simple » qui aurait pu être le rite ordinaire et la
règle, pour faire de la messe romaine l’exception. On devrait instituer l’habitude de célébrer
en rite zaïrois, pour commencer, au moins deux fois par mois en rite simple et une fois par
trimestre en rite solennel. Le risque, ici aussi, c’est l’oubli qui guette, y compris l’Eglise
congolaise elle-même ; nous n’avons pas, par exemple, entendu dire que l’on ait commémoré,
vingt ans après (2008), la date du 30 avril 1988, date anniversaire d’un document si important,
le décret autorisant le rite zaïrois, ni du 27 mai de la même année, date de la première messe
après l’approbation par la Congrégation romaine. Néanmoins, pour restaurer la pratique
régulière du rite zaïrois, les prêtres autochtones doivent se sentir comme le fer de lance de
l’inculturation, “même s’ils ont été formés exclusivement à l’école occidentale et soustraits
dès le jeune âge des milieux coutumiers”, et devraient s’appliquer à pratiquer fréquemment la
liturgie africaine. Mais, alors, dans ce cas, certains défauts du rite zaïrois devraient être
corrigés, parmi lesquels, essentiellement, le manque de rigueur et la longueur des cérémonies.
Il n’y a pas de rigueur ni de discipline chez les acolytes et les servants de messe, se
complaisant à prolonger au-delà du nécessaire les danses, ralentissant, pour cette raison les
processions ; il n’y a pas de rigueur ni de discipline au niveau des chants, dont parfois le choix
est inapproprié, dont la longueur (par exemple certains gloria ou chants de l’offertoire qui se
prolongent alors que le prêtre attend pour commencer la prière sur les offrandes, certains
chants accompagnant le rite de la paix, etc.) et le nombre des couplets ne sont pas déterminés,
tandis que, souvent, il est donné aux fidèles d’assister plutôt à un concert, au point où on en
reçoit l’impression que le maître de chants ne sait plus comment arrêter le chant. La durée
moyenne des célébrations en rite zaïrois est, sans exagération aucune, de deux heures et demie
quand, à de grandes occasions, elle n’atteint pas les quatre heures, au risque d’une baisse
d’attention et même de la nécessaire ferveur des fidèles. Heureusement, les dernières
directives de l’Episcopat1029 tendent à imposer plus de rigueur, tout en poussant au respect des
spécificités de chaque ordo, pour éviter d’amalgamer le romain et le zaïrois, après avoir
dénoncé « la confusion manifeste entre les rites romains et local congolais de la messe », et
recommandant la formation continue des prêtres et une catéchèse eucharistique appropriée
pour les fidèles.

1029
Directives de l’Episcopat congolais pour la célébration digne et correcte de la sainte Eucharistie, 10 juillet
2008, pp. 1 et 14-15.
477

Cela dit, notre travail a tenté exposer toutes les raisons avancées par les spécialistes,
pour que l’on continue de considérer que l’inculturation est une bonne chose, aussi bien pour
les fidèles africains que pour l’affirmation des Eglises particulières africaines et que pour une
véritable universalité de l’Eglise catholique, non pas monolithe mais rencontre de toutes les
composantes du peuple de Dieu, non pas une culture locale « universalisée » et imposée à
toutes les autres cultures mais rendez-vous des cultures que le Créateur a données aux
différents peuples, afin que chacun apporte le fruit des talents propres qu’il a reçus. En tout
cas, la réforme liturgique a représenté aux yeux des responsables religieux africains l’un des
aspects les plus importants, qui a, notamment par la participation active des laïcs, contribué au
succès des autres projets des Eglises particulières d’Afrique. Il faut ajouter que des
observateurs extérieurs trouvent bien des qualités à la liturgie africaine en général, même si,
pour certains, le rite zaïrois est « jusqu’à présent le cas le plus élaboré »1030. Dans l’ensemble
on peut parler d’acquis certains. C’est d’abord l'invocation aux ancêtres, puis une prière
eucharistique de style oral, ensuite le décor africain et la danse, mais aussi ce style particulier
des prières et oraisons africaines, le tout dans une structure quelque peu différente de celle de
la messe romaine. D’autres domaines de rénovation liturgique ont été développés, que ce
travail n’a pas repris, ayant été consacré exclusivement à la liturgie de la messe ; il y a lieu de
citer, à ce titre, le rite baptismal et les formes d’engagements dans la vie consacrée,
notamment concernant les religieuses, où, un peu partout, on a emprunté aux symboles forts
africains (le linge intime joint à une pousse de bananier symbolisant fidélité et fécondité de
l’engagement, un cordon à nœuds, ainsi que le don d’un bracelet en ivoire, la machette
rituelle, signe d’engagement au combat à la suite du Christ, le feu, etc.)1031. La Conférence
épiscopale nationale du Congo établit ainsi un bilan globalement positif de cette liturgie
africaine congolaise « qui s’inspire davantage de la ‘’ritologie’’ si riche des religions et des
pratiques rituelles africaines, dans le respect des normes ecclésiales ». Ce rite zaïrois, dit la
Conférence Episcopale Nationale du Congo, « est une manière propre à notre Eglise locale de
célébrer l’Eucharistie, dans le contexte culturel qui est le nôtre », « une liturgie
authentiquement africaine, fondée sur une triple fidélité : fidélité à la foi et à la tradition
apostolique, fidélité à la nature intime de la liturgie catholique elle-même, fidélité au génie
religieux et au patrimoine culturel africain et congolais »1032

1030
KANCYNSKI, R., « Sens et condition de la réforme liturgique », in La Maison- Dieu, Revue de pastorale
liturgique, Paris, Ed. du Cerf, n°128, 4ème trimestre 1976.
1031
Voir KABASELE LUMBALA, François, Liturgies africaines…, op.cit., et L’inculturation liturgique en
Afrique depuis 1956 (Enjeux et pronostics), op.cit.
478

Mais, la hiérarchie vaticane redoute la multiplication de rites nationaux1033. Evoquant


cette éventualité, les délégués de la Congrégation avaient fait remarquer que « Des évêques
africains affirment : si l’on approuve le ‘’rite zaïrois’’ elles vont demander la même
chose »1034, après avoir dit qu’à supposer que d’autres pays (« Cameroun, Angola, etc. »)
demandent des adaptations, « on va assister à une balkanisation de la liturgie »1035 ; ce qui
risque de dépiter Rome alors tentée de refuser dorénavant les indults En fait, il nous semble
que tout le débat et tout le combat menés par les Africains pour l’inculturation n’auraient de
sens que s’ils étaient porteurs d’un véritable projet d’inculturation à l’échelle de l’Afrique
entière pour, en particulier sur la liturgie, donner naissance à une liturgie continentale
africaine. En effet, sans empiéter sur le domaine des spécialistes de l’ecclésiologie, on peut
objectivement penser que trop d’émiettement en plusieurs christianismes et Eglises nationaux
ne pourrait qu’être nuisibles au christianisme et à l’Eglise.

Or, certains de ces rites ont un caractère purement paroissial ou local, inconnus du
reste du diocèse ou du pays, au risque de disparaître en tombant dans l’oubli ou en désuétude,
de subir sans pouvoir résister les coups de boutoir et de critiques et, au mieux, de devenir des
curiosités pour touristes, sinon, de devoir répondre à des suspicions de sectarisme ou de
schisme qui pourraient conduire à leur condamnation ou tout au moins à leur interdiction par
la hiérarchie de l’Eglise universelle qui les tolère encore aujourd’hui. Il n’y aurait de
crédibilité, de sérieux et de pérennité qu’au profit d’une liturgie « panafricaine » pour un
christianisme africain ; on pourrait ainsi fonder l’espoir que, reconnue comme rite catholique,
une telle liturgie africaine pourrait inspirer les autres Eglises qui renoueraient, par exemple,
avec la danse sacrée qu’elles ont oubliée mais qui est l’une des spécificités africaines. Les
Eglises africaines seront-elles capables de dépasser l’ego national dans des manifestations de
rivalités sur l’échiquier théologique, chacune voulant passer pour celle qui a produit le plus de
théologiens ou les meilleurs théologiens, le plus de liturgistes, qui a la meilleure liturgie ? Ou,
seront-elles capables de s’accorder pour, sur la base des caractéristiques que partagent leurs
cultures respectives, ainsi que nous l’avons vu, élaborer un seul « rite africain de la messe »,
que chaque diocèse pourrait adapter à ses propres réalités locales (pour ce qui est de la langue
liturgique, des chants, des solennités locales, etc.) ? Cela rejoint la remarque de l’abbé
Evenou, utilisant cependant l’argument contre la dénomination « Rite zaïrois », qui pensait

1032
Conférence Episcopale Nationale du Congo, Nouvelle évangélisation et catéchèse, n. 68 et Défis pastoraux
au seuil du XXIe siècle…, op.cit., p.11.
1033
A ce sujet, la demande du Malawi, la deuxième en cours d’examen, après celle de l’Eglise zaïroise,
constituera un test.
1034
Actes de la XXIIIe Assemblée Plénière de l’Episcopat du Zaïre…, p. 211.
1035
Ibid., p. 210.
479

qu’il fallait éviter de trop lier la réforme en la désignant comme « rite zaïrois » parce qu’alors
il serait impossible de la proposer comme modèle à adapter à d’autres églises qui ne le
voudront pas « parce qu’il s’agit d’un ‘’rite zaïrois’’, ajoutant cette interrogation « Et si les
autres pays acceptaient votre rite, sera-t-il encore zaïrois ? … Est-ce que le rite zaïrois peut
faire des boutures dans d’autres pays s’il a pour titre officiel ’’rite zaïrois’’ ? »1036, tout
insidieux qu’il est, l’argument a une certaine logique n’excluant pas l’unité liturgique de
l’Afrique comme « grande culture humaniste » ou « chrétienté » propre.

Il y a fort à parier que, sans un tel effort, le voile de l’oubli et de la désuétude couvrira
ces rites « nationaux » ou locaux officiels comme officieux, tandis que l’on sera tenté de
revenir à des cérémonies guindées et que la spiritualité catholique souffrira en Afrique de tant
de laisser-aller, au profit des sectes ou, au mieux, des « églises évangéliques ».

1036
Ibid.
480
481

ANNEXES
482

I Extrait de la Première Apologie de Saint Justin adressée à Antonin-le-


Pieux en faveur des chrétiens Source : http://catho.org/9.php?d=lt#b

65 Revenons à nous. Quand celui qui s’est associé à notre foi et à notre croyance a reçu
l’ablution dont nous avons parlé plus haut, nous le conduisons dans le lieu où sont rassemblés
ceux que nous nommons nos frères. Là commencent les prières ardentes que nous faisons
pour l’illuminé, pour nous-mêmes et pour tous les autres, dans l’espoir d’obtenir, avec la
connaissance que nous avons de la vérité, la grâce de vivre dans la droiture des oeuvres et
dans l’observance des préceptes, et de mériter ainsi le salut éternel. Quand la prière est
terminée, nous nous saluons tous d’un baiser de paix; ensuite on apporte à celui qui est le chef
des frères; du pain, de l’eau et du vin. Il les prend et célèbre la gloire et chante les louanges du
Père de l’univers, par le nom du Fils et du saint Esprit, et fait une longue action de grâces,
pour tous les biens que nous avons reçus de lui. Les prières et l’action de grâces terminées,
tout le peuple s’écrie: Amen! Amen, en langue hébraïque, signifie, ainsi soit-il. Quand le chef
des frères a fini les prières et l’action de grâces, que tout le peuple y a répondu, ceux que nous
appelons diacres distribuent à chacun des assistants le pain, le vin et l’eau, sur lesquels les
actions de grâces ont été dites, et ils en portent aux absents.

66 Nous appelons cet aliment Eucharistie, et personne ne peut y prendre part, s’il ne croit la
vérité de notre doctrine, s’il n’a reçu l’ablution pour la rémission de ses péchés et sa
régénération, et s’il ne vit selon les enseignements du Christ. Car nous ne prenons pas cet
aliment comme un pain ordinaire et une boisson commune. Mais de même que, par la parole
de Dieu, Jésus-Christ, notre Sauveur, ayant été fait chair, a pris sang et chair pour notre salut;
de même aussi cet aliment, qui par l’assimilation doit nourrir nos chairs et notre sang, est
devenu, par la vertu de l’action de grâces, contenant les paroles de Jésus-Christ lui-même, le
propre sang et la propre chair de Jésus incarné: telle est notre foi. Les apôtres, dans leurs
écrits, que l’on nomme Evangiles, nous ont appris que Jésus-Christ leur avait recommandé
d’en agir de la sorte, lorsque ayant pris du pain, il dit: « Faites ceci en mémoire de moi: ceci
est mon corps; « et semblablement ayant pris le calice, et ayant rendu grâces: « Ceci est mon
sang, « ajouta-t-il; et il le leur distribua à eux seuls. Les démons n’ont pas manqué d’imiter
cette institution dans les mystères de Mithra; car on apporte à l’initié du pain et du vin, sur
lesquels on prononce certaines paroles que vous savez, ou que vous êtes à même de savoir.

67 Après l’assemblée, nous nous entretenons les uns les autres dans le souvenir de ce qui s’y
est passé. Si nous avons du bien, nous soulageons les pauvres et nous nous aidons toujours; et
dans toutes nos offrandes, nous louons le Créateur de l’univers par Jésus-Christ son Fils et par
le saint Esprit. Le jour du soleil, comme on l’appelle, tous ceux qui habitent les villes ou les
campagnes se réunissent dans un même lieu, et on lit les récits des apôtres ou les écrits des
prophètes, selon le temps dont on peut disposer. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait
un discours pour exhorter à l’imitation de ces sublimes enseignements. Ensuite nous nous
levons tous et nous prions; et, comme nous l’avons dit, la prière terminée, on apporte du pain,
du vin et de l’eau, et celui qui préside fait les prières et les actions de grâces avec la plus
grande ferveur. Le peuple répond: Amen, et la distribution et la communion générale des
choses consacrées se fait à toute l’assistance; la part des absents leur est portée par les diacres.
483

Ceux qui sont dans l’abondance et veulent donner, font leurs largesses, et ce qui est recueilli
est remis à celui qui préside, et il assiste les veuves, les orphelins, les malades, les indigents,
les prisonniers et les étrangers: en un mot, il prend soin de soulager tous les besoins. Si nous
nous rassemblons le jour du soleil, c’est parce que ce jour est celui où Dieu, tirant la matière
des ténèbres, commença à créer le monde, et aussi celui où Jésus-Christ notre Sauveur
ressuscita d’entre les morts; car les Juifs le crucifièrent la veille du jour de Saturne, et le
lendemain de ce jour, c’est-à-dire le jour du soleil, il apparut à ses disciples, et leur enseigna
ce que nous avons livré à vos méditations.

II La Didachè ou Doctrine des Douze Apôtres (extraits)


Traduction et notes d'A.-G. Hamman (http://www.migne.fr/didache.htm)

9. Pour ce qui est de 1'Eucharistie, rendez grâces ainsi :


D'abord pour le calice :
Nous te rendons grâces, ô notre Père, pour la sainte vigne de David, ton serviteur; tu
nous 1'as fait connaître par Jésus, ton Serviteur.
Gloire à Toi dans les siècles !

Puis pour le pain rompu :


Nous te rendons grâces, ô notre Père, pour la vie et la connaissance que tu nous as
accordées par Jésus, ton Serviteur.

Gloire à toi dans les siècles !

Comme ce pain rompu, autrefois disséminé sur les montagnes, a été recueilli pour
n'en faire plus qu'un, rassemble ainsi ton Eglise des extrémités de la terre dans ton
royaume.

Oui, à Toi est la gloire et la puissance, par Jésus-Christ dans les siècles !

10. Après avoir été rassasiés, remerciez ainsi :


Nous te rendons grâces, ô Père saint, pour ton saint nom que tu as abrité dans nos
cœurs, pour la connaissance, la foi et 1'immortalité que tu nous a accordées par Jésus,
ton enfant.

Gloire à Toi dans les siècles !

C'est toi, Maître tout-puissant, qui as créé 1'univers, à la louange de ton nom ;
tu as donné aux hommes la nourriture et le breuvage en jouissance, afin qu'ils te
rendent grâces ;
mais nous, tu nous a gratifiés d'une nourriture et d'un breuvage spirituels, et de la vie
éternelle par ton Enfant.
Avant tout, nous te rendons grâces, parce que tu es puissant ;

Gloire à Toi dans les siècles !


484

Souviens-toi, Seigneur, de délivrer ton Eglise de tout mal et de la parfaire dans ton
amour.
Rassemble, des quatre vents, 1'Eglise que tu as sanctifiée, dans le royaume que tu lui
as préparé.

Car à Toi est la puissance et la gloire dans les siècles !

Vienne ta grâce et que passe ce monde !

Hosannah au Dieu de David !


Si quelqu'un est saint, qu'il vienne ; s'il ne 1'est pas, qu'il fasse pénitence ; Marana
tha ! Amen.

14. Réunissez-vous le jour dominical du Seigneur, rompez le pain et rendez


grâces, après avoir d'abord confessé vos péchés, afin que votre sacrifice soit pur.
Celui qui a un différend avec son compagnon ne doit pas se joindre à vous avant
de s'être réconcilié, de peur de profaner votre sacrifice, car voici ce qu'a dit le
Seigneur : « Qu'en tout lieu et en tout temps, on m'offre un sacrifice pur ; car je
suis un grand roi, dit le Seigneur, et mon nom est admirable parmi les nations.
»1037

III. QUELQUES DOCUMENTS du CONCILE de TRENTE

Sources : http://www.amdg.asso.fr/spv_doctrine_trente.htm

1. Exposition de la doctrine touchant le sacrifice de la Messe

Concile de Trente

XXIIème SESSION

Qui est la sixième tenue sous Pie IV souverain pontife, le 17 septembre 1562. Exposition de la
doctrine touchant le sacrifice de la messe

Le saint concile de Trente, œcuménique et général, légitimement assemblé sous la conduite


du Saint-Esprit, les mêmes légats du Siège apostolique y présidant ; afin que dans la sainte
Église catholique, la doctrine et la créance ancienne touchant le grand mystère de l'Eucharistie
se maintienne entière et parfaite en toutes ses parties, et se conserve dans sa pureté, en
bannissant toutes les erreurs et toutes les hérésies ; instruit par la lumière du Saint-Esprit,
déclare, prononce et arrête ce qui suit , pour être enseigné aux fidèles au sujet de l'Eucharistie,
considérée comme le véritable et unique sacrifice

1037
D’après Gabriel Huan, Considérations sur le Christ de l’Eglise intérieure, J. Vrin, 1930 et http://livres-
mystiques.com, C’est de cette « Doctrine des Apôtres que parle Saint Paul, quand il rappelle à Tite, l’obligation
de conformer sa prédication à la « doctrine » (Tite I, 9 et II, 1), l’enseignement oral apostolique, dont la Didachè
expose l’élément moral, disciplinaire et liturgique.
485

CHAPITRE PREMIER : De l'institution du saint sacrifice de la messe

Parce que sous l'ancien Testament, selon le témoignage de l'apôtre saint Paul, il n'y avait rien
de parfait ni d'accompli à cause de la faiblesse et de l'impuissance du sacerdoce lévitique, il a
fallu. Dieu le Père des miséricordes l'ordonnant ainsi, qu'il se soit levé un autre prêtre selon
l'ordre de Melchisédech, savoir Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel pût rendre accomplis et
conduire à une parfaite justice tous ceux qui devaient être sanctifiés. Or quoique Notre-
Seigneur Dieu dût une fois s'offrir lui-même à Dieu son Père, en mourant sur l'autel de la
croix pour y opérer la rédemption éternelle, néanmoins, parce que son sacerdoce ne devait pas
être éteint par la mort, pour laisser à l'Église, sa chère épouse, un sacrifice visible tel que la
nature des hommes le requérait, par lequel ce sacrifice sanglant, qui devait s'accomplir une
fois en la croix, fût représenté, la mémoire en fût conservée jusqu'à la fin des siècles, et la
vertu si salutaire en fût appliquée pour la rémission des péchés que nous commettons tous les
jours ; dans la dernière cène, la nuit même qu'il fut livré, se déclarant prêtre établi pour
l'éternité selon l'ordre de Melchisédech, il offrit à Dieu le Père son corps et son sang, sous les
espèces du pain et du vin, et sous les symboles des mêmes choses, les donna à prendre à ses
apôtres, qu'il établissait lors prêtres du nouveau Testament ; et par ces paroles : Faites ceci en
mémoire de moi, leur ordonna, à eux et à leurs successeurs dans le sacerdoce, de les offrir,
ainsi que l'Église catholique l'a toujours entendu et enseigné. Car après avoir célébré
l'ancienne pâque, que l'assemblée des enfants d'Israël immolait en mémoire de la sortie
d'Egypte, il établit la pâque nouvelle, se laissant lui-même pour être immolé par les prêtres au
nom de l'Église, sous des signes visibles, en mémoire de son passage de ce monde à son Père,
lorsqu'il nous racheta par l'effusion de son sang, nous arracha de la puissance des ténèbres, et
nous transféra dans son royaume. […]

CHAPITRE II : Que le sacrifice visible de la messe est propitiatoire pour les vivants et
pour les morts

Et parce que le même Jésus-Christ qui s'est offert une fois lui-même sur l'autel de la croix
avec effusion de son sang, est contenu et immolé sans effusion de sang dans ce divin sacrifice,
qui s'accomplit à la messe : dit et déclare le saint concile que ce sacrifice est véritablement
propitiatoire, et que par lui nous obtenons miséricorde et trouvons grâce et secours au besoin,
si nous approchons de Dieu, contrits et pénitents, avec un cœur sincère, une foi droite, et dans
un esprit de crainte et de respect. Car notre Seigneur, apaisé par cette offrande, et accordant la
grâce et le don de pénitence, remet les crimes et les péchés, même les plus grands, puisque
c'est la même et l'unique hostie, et que c'est le même qui s'offrit autrefois sur la croix qui
s'offre encore à présent par le ministère des prêtres, n'y ayant de différence qu'en la manière
d'offrir ; et c'est même par le moyen de cette oblation non sanglante que l'on reçoit avec
abondance le fruit de celle qui s'est faite avec effusion de sang ; tant s'en faut que par elle on
déroge en aucune façon à la première. C'est pourquoi, conformément à la tradition des
apôtres, elle est offerte, non seulement pour les péchés, les peines, les satisfactions et les
autres nécessités des fidèles qui sont encore vivants, mais aussi pour ceux qui sont morts en
Jésus-Christ, et qui ne sont pas encore entièrement purifiés.

CHAPITRE III : Des messes qui se disent en l'honneur des saints

[…]
486

CHAPITRE IV : Du canon de la messe

Et comme il est à propos que les choses saintes soient saintement administrées, et que de
toutes les choses saintes ce sacrifice est le plus saint ; afin qu'il fût offert et reçu avec dignité
et respect, l'Église catholique, depuis plusieurs siècles, a établi le saint canon si épuré et si
exempt de toute erreur, qu'il n'y a rien dedans qui ne ressente tout à fait la sainteté et la piété,
et qui n'élève à Dieu l'esprit de ceux qui offrent le sacrifice, n'étant composé que des paroles
mêmes de Notre-Seigneur, des traditions des apôtres, et de pieuses institutions des saints
papes.

CHAPITRE V : Des cérémonies de la messe

Or la nature de l'homme étant telle qu'il ne peut aisément et sans quelque secours extérieur
s'élever à la méditation des choses divines, pour cela l'Église, comme une bonne mère, a établi
certains usages, comme de prononcer à la messe des choses à basse voix, d'autres d'un ton
plus haut, et à introduit des cérémonies, comme les bénédictions mystiques, les lumières, les
encensements, les ornements, et plusieurs autres choses pareilles, suivant la discipline et la
tradition des apôtres, et pour rendre par là plus recommandable la majesté d'un si grand
sacrifice, et pour exciter-les esprits des fidèles par ces signes sensibles de piété et de religion à
la contemplation des grandes choses qui sont cachées dans ce sacrifice.

CHAPITRE VI : Des messes auxquelles le prêtre seul communie

Le saint concile souhaiterait à la vérité qu'à chaque messe tous les fidèles qui y assisteraient
communiassent non seulement spirituellement et par un sentiment intérieur de dévotion, mais
aussi par la réception sacramentelle de l'Eucharistie, afin qu'ils participassent plus
abondamment au fruit de ce très-saint sacrifice. Cependant, encore que cela ne se fasse pas
toujours, il ne condamne pas pour cela comme illicites et à titre de particulières les messes
auxquelles le prêtre seul communie sacramentellement ; mais il les approuve et les autorise
même, puisque ces mêmes messes doivent être estimées véritablement communes, et parce
que le peuple y communie spirituellement, et parce qu'elles sont célébrées par un ministre
public de l'Eglise, non seulement pour lui, mais aussi pour tous les fidèles qui appartiennent
au corps de Jésus-Christ.

CHAPITRE VII : De l'eau que l'on mêle avec le vin dans le calice

Le saint concile avertit aussi que l'Église a ordonné aux prêtres de mêler de l'eau au vin qui
doit être offert dans le calice, tant parce qu'il est à croire que Notre-Seigneur Jésus-Christ en a
usé de la sorte, que parce qu'il sortit de son côté de l'eau avec le sang ; et que par le mélange
que l'on fait dans le calice, on renouvelle la mémoire de ce mystère ; outre que par là même
on représente encore l'union du peuple fidèle avec Jésus-Christ qui en est le chef, les peuples
étant signifiés par les eaux dans l'Apocalypse de saint Jean.

CHAPITRE VIII : En quelle langue la messe doit être célébrée.

Quoique la messe contienne de grandes instructions pour les fidèles, il n'a pourtant pas été
jugé à propos par les anciens Pères qu'elle fût célébrée partout en langue vulgaire. C'est
pourquoi chaque église retenant en chaque lieu l'ancien usage qu'elle a pratiqué, et qui a été
approuvé par la sainte Église romaine, la mère et la maîtresse de toutes les églises ; afin
pourtant que les brebis de Jésus-Christ ne souffrent pas de faim, et que les petits enfants ne
demandent pas du pain sans trouver qui leur en rompe, le saint concile ordonne aux pasteurs,
487

et à tous ceux qui ont charge d'âmes, que souvent au milieu de la célébration de la messe ils
expliquent eux-mêmes, ou fassent expliquer par d'autres, quelque chose de ce qui se lit à la
messe, et particulièrement qu'ils s'attachent à faire entendre quelque mystère de ce très-saint
sacrifice, surtout les jours de dimanches et de fêtes.

CHAPITRE IX : Touchant les canons suivants

Or, d’autant que, contre cette ancienne créance, fondée et établie sur le saint Évangile, sur la tradition
des apôtres et sur la doctrine des saints Pères, il s’est répandu en ce temps quantité d’erreurs, et que
plusieurs se mêlent d’enseigner et de soutenir diverses choses contraires : le saint concile, après avoir
mûrement et soigneusement agité et discuté toutes ces matières, a résolu, du consentement unanime de
tous les Pères, de condamner, et de bannir de la sainte Église, par les canons suivants, tout ce qui est
contraire à la pureté de cette créance, et de cette sainte doctrine.

DU SACRIFICE DE LA MESSE

CANON l

Si quelqu’un dit qu’à la messe on n’offre pas à Dieu un véritable et propre sacrifice, ou qu’être offert
n’est autre chose que Jésus-Christ nous être donné à manger : Qu’il soit anathème.

CANON II

Si quelqu’un dit que par ces paroles (l Cor. Il, Luc. 22) : Faites ceci en mémoire de moi, Jésus-Christ
n’a pas établi les apôtres prêtres, ou n’a pas ordonné qu’eux et les autres prêtres offrissent son corps et
son sang : Qu’il soit anathème.

CANON III

Si quelqu’un dit que le sacrifice de la messe est seulement un sacrifice de louange et d’action de
grâces, ou une simple mémoire du sacrifice qui a été accompli à la croix, et qu’il n’est pas
propitiatoire, ou qu’il n’est profitable qu’à celui qui le reçoit, et qu’il ne doit point être offert pour les
vivants et pour les morts, pour les péchés, les peines, les satisfactions, et pour toutes les autres
nécessités : Qu’il soit anathème.

CANON IV

Si quelqu’un dit que par le sacrifice de la messe on commet un blasphème contre le très saint sacrifice
de Jésus-Christ consommé en la croix, ou qu’on y déroge : Qu’il soit anathème.

CANON V

Si quelqu’un dit que c’est une imposture de célébrer des messes en l’honneur des saints, et pour
obtenir leur entremise auprès de Dieu, comme c’est l’intention de l’Église : Qu’il soit anathème.

CANON VI

Si quelqu’un dit que le canon de la messe contient des erreurs, et que pour cela il en faut supprimer
l’usage : Qu’il soit anathème.
488

CANON VII

Si quelqu’un dit que les cérémonies, les ornements et les signes extérieurs dont use l’Église catholique
dans la célébration de la messe, sont plutôt des choses qui portent à l’impiété, que des devoirs de piété
et de dévotion : Qu’il soit anathème.

CANON VIII

Si quelqu’un dit que les messes auxquelles le seul prêtre communie sacramentellement sont illicites, et
que pour cela il en faut faire cesser l’usage : Qu’il soit anathème.

CANON IX

Si quelqu’un dit que l’usage de l’Église romaine de prononcer à basse voix une partie du canon et les
paroles de la consécration doit être condamné ; ou que la messe ne doit être célébrée qu’en langue
vulgaire ; ou qu’on ne doit point mêler d’eau avec le vin qui doit être offert dans le calice, parce que
c’est contre l’institution de Jésus-Christ : Qu’il soit anathème.

2. Décret sur le très Saint-Sacrement de l’Eucharistie XIIIème Session (11


octobre 1551)

http://www.adoperp.com/magistere/conciles_divers/trente.html

Chapitre I. La présence réelle de notre Seigneur Jésus Christ dans le très Saint-Sacrement de
l’Eucharistie

En premier lieu, le saint concile enseigne et professe ouvertement et sans détour que dans le
vénérable Sacrement de la sainte Eucharistie, après la consécration du pain et du vin, notre
Seigneur jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, est vraiment, réellement et substantiellement
contenu sous l’apparence de ces réalités sensibles. […] C’est ainsi en effet que tous nos
ancêtres, qui ont tous été dans le véritable Église du Christ et ont traité de ce très Saint-
Sacrement, ont professé très ouvertement que notre Rédempteur a institué ce Sacrement si
admirable lors de la dernière Cène, lorsque, après avoir béni le pain et le vin, il attesta en
termes clairs et précis qu’il leur donnait son propre corps et son propre sang. Ces paroles […]
se présentent en un sens propre est très clair, selon ce que les Pères ont compris. Aussi est-ce
le scandale le plus indigne de voir certains hommes querelleurs et pervers les ramener à des
figures de style sans consistance et imaginaires, par lesquelles est niée la vérité de la chair et
du sang du Christ […].

Chapitre II. Raison de l’institution de ce très Saint-Sacrement

[…]

Chapitre III. Excellence de la très sainte Eucharistie par rapport aux autres Sacrements

[…]

Chapitre IV. La transsubstantiation


489

Parce que le Christ notre Rédempteur a dit qu’était vraiment son corps ce qu’il offrait sous
l’espèce du pain17, on a toujours été persuadé dans l’Église de Dieu - et c’est ce que déclare de
nouveau aujourd’hui ce saint concile - que par la consécration du pain et du vin se fait un
changement de toute la substance du pain en la substance du corps du Christ notre Seigneur18
et de toute la substance du vin en la substance de son sang. Ce changement a été justement et
proprement appelé, par la sainte Église catholique, transsubstantiation.

Chapitre V. Le culte et la vénération qui sont dus à ce très Saint-Sacrement

C’est pourquoi il ne reste aucune raison de douter que tous les chrétiens selon la coutume
reçue depuis toujours dans l’Église catholique, rendent avec vénération le culte de latrie, qui
est dû au vrai Dieu, à ce très Saint-Sacrement. En effet, celui-ci ne doit pas être moins adoré
parce qu’il a été institué par le Christ Seigneur pour nous nourrir. Car nous croyons qu’en lui
est présent ce même Dieu que le Père éternel a introduit dans le monde en disant: Et que tous
les anges de Dieu l’adorent19, lui que les mages ont adoré en se prosternant20, lui enfin dont
l’Écriture témoigne qu’il fut adoré en Galilée par les apôtres21. En outre, le saint concile
déclare que la coutume a été pieusement et religieusement introduite dans l’Église de Dieu de
célébrer chaque année, en un jour de fête particulier, ce Sacrement éminent et vénérable dans
une vénération et une solennité spéciales22 et de porter celui-ci avec respect et honneur dans
des processions à travers les rues et les places publiques [.. ;].

Chapitre VI. Le Sacrement de la sainte Eucharistie que l’on conserve et que l’on porte aux
malades

La coutume de conserver la sainte Eucharistie en un lieu sacré est si ancienne que le siècle du
concile de Nicée23 la connaissait déjà. En outre, porter cette sainte Eucharistie aux malades et,
pour ce faire, la conserver soigneusement dans les églises non seulement est chose très
équitable en même temps que conforme à la raison, mais est aussi prescrit par de nombreux
conciles24 et observé par une très ancienne coutume de l’Église catholique. C’est pourquoi ce
saint concile a statué qu’il fallait garder absolument cette coutume salutaire et nécessaire.

Chapitre VII. La Préparation à apporter pour qu’on reçoive dignement la sainte Eucharistie

S’il ne convient pas que qui que ce soit s’approche d’une fonction sacrée si ce n’est
saintement, à coup sûr plus un chrétien découvre la sainteté et le caractère divin de ce
Sacrement céleste, plus il doit diligemment veiller à ne s’en approcher pour le recevoir
qu’avec grand respect et sainteté, d’autant plus que nous lisons dans l’Apôtre ces mots pleins
de crainte : Qui mange et boit indignement, mange et boit sa condamnation, ne discernant pas
le corps du Christ25. C’est pourquoi il faut rappeler à qui veut communier le commandement :
Que l’homme s’éprouve lui-même26. La coutume de l’Église montre clairement que cette
épreuve est nécessaire pour que personne en ayant conscience d’un péché mortel, quelque
contrit qu’il s’estime, ne s’approche de la sainte Eucharistie sans une confession
sacramentelle préalable. Ce saint concile a décrété que cela devait être observé toujours par
tous les chrétiens, même par les prêtres qui sont tenus par office de célébrer, du moment
qu’ils peuvent avoir recours à un confesseur. Que si, en raison d’une nécessité urgente, un
prêtre a dû célébrer sans confession préalable, qu’il se confesse le plus tôt possible.

Canon 1. Si quelqu’un dit que dans le très saint sacrement de l’eucharistie ne sont pas
contenus vraiment, réellement et substantiellement le Corps et le Sang en même temps que
490

l’âme et la divinité de notre Seigneur Jésus Christ et, en conséquence, le Christ tout entier,
mais dit qu’ils n’y sont qu’en tant que dans un signe ou en figure ou virtuellement qu’il soit
anathème.

Canon 2. Si quelqu’un dit que, dans le très saint sacrement de l’eucharistie, la substance du
pain et du vin demeure avec le Corps et le Sang de notre Seigneur Jésus Christ, et s’il nie ce
changement admirable et unique de toute la substance du pain en son Corps et de toute la
substance du vin en son Sang, alors que demeurent les espèces du pain et du vin, changement
que l’Église catholique appelle d’une manière très appropriée transsubstantiation : qu’il soit
anathème.

Canon 3. Si quelqu’un nie que, dans le vénérable sacrement de l’eucharistie, le Christ tout
entier soit contenu sous chaque espèce et sous chacune des parties de l’une ou l’autre espèce,
après leur séparation : qu’il soit anathème.

Canon 4. Si quelqu’un dit que, une fois achevée la consécration, le Corps et le Sang de notre
Seigneur Jésus Christ ne sont pas dans l’admirable sacrement de l’eucharistie, mais seulement
quand on en use en le recevant, ni avant, ni après, et que le vrai Corps du Seigneur ne
demeure pas dans les hosties ou les parcelles consacrées qui sont gardées ou restent après la
communion : qu’il soit anathème.

Canon 5. Si quelqu’un dit ou bien que le fruit principal de la très sainte eucharistie est la
rémission des péchés ou bien qu’elle ne produit pas d’autres effets : qu’il soit anathème.

Canon 6. Si quelqu’un dit que, dans le saint sacrement de l’eucharistie, le Christ, Fils unique
de Dieu, ne doit pas être adoré d’un culte de latrie, même extérieur et que, en conséquence, il
ne doit pas être vénéré par une célébration festive particulière, ni être porté solennellement en
procession selon le rite ou la coutume louables et universels de la sainte Église, ni être
proposé publiquement à l’adoration du peuple, ceux qui l’adorent étant des idolâtres : qu’il
soit anathème.

Canon 7. Si quelqu’un dit qu’il n’est pas permis de garder la sainte eucharistie dans le
tabernacle, mais qu’elle doit nécessairement être distribuée aux assistants immédiatement
après la consécration, ou qu’il n’est pas permis de la porter avec honneur aux malades : qu’il
soit anathème.

Canon 8. Si quelqu’un dit que le Christ présenté dans l’eucharistie est mangé seulement
spirituellement et non pas aussi sacramentellement et réellement : qu’il soit anathème.

Canon 9. Si quelqu’un nie que, une fois qu’ils ont atteint l’âge de discrétion, tous et chacun
des chrétiens de l’un et l’autre sexe sont tenus de communier chaque année au moins à
Pâques, conformément au commandement de notre sainte mère l’Église : qu’il soit anathème.

Canon 10. Si quelqu’un dit qu’il n’est pas permis au prêtre qui célèbre de se communier lui-
même : qu’il soit anathème.

Canon 11. Si quelqu’un dit que la foi seule est une préparation suffisante pour recevoir le
sacrement de la très sainte eucharistie : qu’il soit anathème.

Et pour qu’un si grand sacrement ne soit pas reçu indignement et donc pour la mort et la
condamnation, ce saint concile statue et déclare que ceux dont la conscience est chargée d’un
491

péché mortel, quelque contrits qu’ils se jugent, doivent nécessairement au préalable se


confesser sacramentellement, s’il se trouve un confesseur.

Si quelqu’un a l’audace d’enseigner, prêcher ou affirmer opiniâtrement le contraire ou même


le défendre dans des disputes publiques, qu’il soit par le fait même, excommunié.

3. BULLE « QUO PRIMUM TEMPORE «

du Pape Saint Pie V ( 1570 ), organisant définitivement la célébration du Saint Sacrifice de


la Messe. ( Bullarium Romanum )
Pie, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, pour mémoire à la postérité.

“Quo primum tempore ad Apostolatus apicem assumpti fuimus, ad ea libenter... “

Dès le premier instant de Notre élévation au sommet de la Hiérarchie Apostolique, Nous avons tourné
avec amour notre esprit et nos forces, et dirigé toutes nos pensées vers ce qui était de nature à
conserver la pureté du culte de l’Eglise, et, avec l’aide de Dieu Lui-même, Nous nous sommes efforcés
de le réaliser en plénitude, en y apportant tout notre soin. Comme parmi d’autres décisions du Saint
Concile de Trente, il nous incombait de décider de l’édition et de la réforme des livres sacrés, le
Catéchisme, le Bréviaire et le Missel ; après avoir déjà, grâce à Dieu, édité le Catéchisme pour
l’instruction du peuple, et, pour qu’à Dieu soient rendues les louanges qui Lui sont dues, corrigé
complètement le Bréviaire, pour que le Missel répondit au Bréviaire, ce qui est convenable et normal
puisqu’il sied qu’il n’y ait dans l’Eglise de Dieu qu’une seule façon de psalmodier et un seul rite pour
célébrer la Messe, il Nous apparaissait désormais nécessaire de penser le plus tôt possible à ce qui
restait à faire dans ce domaine, à savoir : éditer le Missel lui-même.

C’est pourquoi Nous avons estimé devoir confier cette charge à des savants choisis ; et, de fait, ce sont
eux qui, après avoir soigneusement rassemblé tous les manuscrits, non seulement les anciens de Notre
Bibliothèque Vaticane, mais aussi d’autres recherchés de tous les côtés, corrigés et exempts
d’altération, ainsi que les décisions des anciens et les écrits d’auteurs estimés qui nous ont laissé des
documents relatifs à l’organisation de ces mêmes rites, ont rétabli le Missel lui-même conformément à
la règle antique et aux rites des Saints Pères.

Une fois celui-ci révisé et corrigé, après mûre réflexion, afin que tous profitent de cette disposition et
du travail que nous avons entrepris, Nous avons ordonné qu’il fût imprimé à Rome le plus tôt possible,
et qu’une fois imprimé, il fût publié, afin que les prêtres sachent quelles prières ils doivent utiliser,
quels sont les rites et quelles sont les cérémonies qu’ils doivent conserver dorénavant dans la
célébration des messes : pour que tous accueillent partout et observent ce qui leur a été transmis par
L’Eglise Romaine, Mère et Maîtresse de toutes les autres églises, et pour que par la suite et dans les
temps à venir dans toutes les églises, patriarcales, collégiales, paroissiales de toutes les provinces de la
Chrétienté, séculières ou de n’importe quels Ordres monastiques, tant d’hommes que de femmes,
même d’Ordres militaires réguliers, et dans les églises et chapelles sans charge d’âmes dans lesquelles
la célébration de la messe conventuelle à haute voix avec le Chœur, ou à voix basse suivant le rite de
l’Eglise Romaine est de coutume ou d’obligation, on ne chante ou ne récite d’autres formules que celle
conforme au Missel que Nous avons publié, même si ces mêmes églises ont obtenu une dispense
quelconque, par un indult du Siège Apostolique, par le fait d’une coutume, d’un privilège ou même
d’un serment, ou par confirmation apostolique, ou sont dotées d’autres permissions quelconques ; à
moins que depuis la première institution approuvée par le Siège Apostolique ou depuis que s’est
établie la coutume, et que cette dernière ou l’institution elle-même aient été observées sans
492

interruption dans ces mêmes églises par la célébration de messes pendant plus de deux cents ans. Dans
ce cas Nous ne supprimons aucunement à ces églises leur institution ou coutumes de célébrer la messe
; mais, si ce Missel que Nous avons fait publier leur plaisait davantage, de l’avis de l’Evêque ou du
Prélat, ou de l’ensemble du Chapitre, Nous permettons que, sans que quoi que ce soit y fasse obstacle,
elles puissent célébrer la messe suivant celui-ci.

Par notre présente constitution qui est valable à perpétuité, nous avons décodé et nous ordonnons, sous
peine de notre malédiction, que pour toutes les autres églises précitées l’usage de leurs missels propres
soit retiré et absolument et totalement rejeté et que jamais rien ne soit ajouté, retranché ou modifié à
notre missel que nous venons d’éditer.

Nous avons décidé rigoureusement pour l’ensemble et pour chacune des églises énumérées ci-dessus,
pour les Patriarches, les Administrateurs et pour toutes autres personnes revêtues de quelque dignité
ecclésiastique, fusent-ils même Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine ou aient tout autre grade ou
prééminence quelconque, qu’ils devront, en vertu de la sainte obéissance, abandonner à l’avenir et
rejeter entièrement tous les autres principes et rites, si anciens fusent-ils, provenant des autres missels
dont ils avaient jusqu’ici l’habitude de se servir , et qu’ils devront chanter ou dire la Messe suivant le
rite, la manière et la règle que Nous enseignons par ce Missel et qu’ils ne pourront se permettre
d’ajouter, dans la célébration de la Messe, d’autres cérémonies ou de réciter d’autres prières que celles
contenues dans ce Missel.

Et même, par les dispositions présentes et au nom de notre autorité apostolique, nous concédons et
accordons que ce même missel pourra être suivi en totalité dans la Messe chantée ou lue, dans quelque
église que ce soit, sans aucun scrupule de conscience et sans recourir aucune punition, condamnation
ou censure, et qu’on pourra valablement l’utiliser librement et licitement, et cela, à perpétuité.

Et, d’une façon analogue, Nous avons décidé et déclarons que les supérieurs, administrateurs,
chanoines, chapelains et autres prêtres de quelques nom qu’ils seront désignés, ou les religieux de
n’importe quel ordre, ne peuvent être tenus de célébrer la Messe autrement que nous l’avons fixé, et
que jamais et en aucun temps, qui que ce soit ne pourra les contraindre et les forcer à laisser ce missel
ou à abroger la présente instruction ou la modifier, mais qu’elle demeurera toujours en vigueur et
valide, dans toute sa force, nonobstant les décisions antérieures et les Constitutions et Ordonnances
Apostoliques, et les Constitutions Générales ou spéciales émanant de Conciles Provinciaux et
Généraux, pas plus que l’usage des églises précitées confirmé par une prescription très ancienne et
immémoriale, mais ne remontant pas à plus de deux cents ans, ni les décisions ou coutumes contraires
quelles qu’elles soient.

Nous voulons, au contraire, et Nous le décrétons avec la même autorité, qu’après la publication de
Notre présente Constitution ainsi que du Missel, tous les prêtres qui sont présents dans la Curie
Romaine soient tenus de chanter ou de dire la Messe selon ce Missel dans un délai d’un mois ; ceux
qui sont de ce côté des Alpes, au bout de trois mois ; et, enfin, ceux qui habitent de l’autre côté des
montagnes, au bout de six mois ou dès que celui-ci leur sera offert à acheter. Et, pour qu’en tout lieu
de la terre il soit conservé sans corruption et exempt de fautes et d’erreurs, Nous interdisons par Notre
autorité apostolique et par le contenu d’instructions semblables à la présente, à tous les imprimeurs
domiciliés dans le domaine soumis directement ou indirectement à Notre autorité et à la Sainte Eglise
Romaine, sous peine de confiscation des livres et d’une amende de deux cents ducats d’or à payer au
Trésor Apostolique, et aux autres, domiciliés en quelque lieu du monde, sous peine
d’excommunication et d’autres sanctions en Notre pouvoir, de se permettre en aucune manière ou de
s’arroger le droit de l’imprimer ou de l’offrir, ou de l’accepter sans notre permission ou une
permission spéciale d’un Commissaire Apostolique qui doit être chargé par Nous de ce soin, et sans
que ce Commissaire n’ait comparé avec le Missel imprimé à Rome, suivant la grande impression, un
original destiné au même imprimeur pour lui servir de modèle pour ceux que ledit imprimeur doit
imprimer, ni sans qu’on n’ait préalablement bien établi qu’il concorde avec ledit Missel et ne présente
absolument aucune divergence par rapport à celui-ci.
493

Cependant, comme il serait difficile de transmettre la présente lettre en tous lieux de la Chrétienté et
de la porter tout de suite à la connaissance de tous, Nous ordonnons de la publier et de l’afficher,
suivant l’usage, à la Basilique du Prince des Apôtres et à la Chancellerie Apostolique, ainsi que sur le
Champ de Flore, et d’imprimer aussi des exemplaires de cette même lettre signée de la main d’un
notaire public et munis du sceau d’une personnalité revêtue d’une dignité ecclésiastique, auxquels on
devra partout, chez tous les peuples et en tous lieux, accorder la même confiance absolument exempte
de doute que si l’on montrait ou exposait la présente.

Qu’absolument personne, donc, ne puisse déroger à cette page qui exprime notre permission, notre
décisions, notre ordonnance, notre commandement, notre précepte, notre concession, notre indult,
notre déclaration, notre décret et notre interdiction, ou n’ose aller témérairement à l’encontre de ces
dispositions. Si cependant, quelqu’un se permettait une telle altération, qu’il sache qu’il encourrait
l’indignation de Dieu tout puissant et de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome, à Saint-Pierre, l’an mil cinq cent soixante dix de l’Incarnation du Seigneur, en la
cinquième année de Notre pontificat.

Sa Sainteté le Pape Pie V

4. ORDO MISSAE
dans le rite dit « de Saint Pie V » Source http://amdg.free.fr/amdg_messe_spv.htm

Aspersio aquae benedictae Aspersion d’eau bénite


In Dominicis per annum Les Dimanches pendant l’année

Asperges me, Domine, hyssopo, et mundabor : lavabis Purifiez-moi, Seigneur, avec l’hysope, et je serai sans
me, et super nivem dealbabor . tache : lavez-moi, et je deviendrai plus blanc que la
Ps : Miserere mei, Deus, secundum magnam neige.
misericordiam Tuam. Gloria Patri... Asperges me... Ps : Ayez pitié de moi, mon Dieu, dans Votre grande
miséricorde. Gloire au Père... Aspergez-moi...
In Dominicis paschalibus

Les Dimanches du Temps Pascal


Vidi aquam egredientem de templo a latere dextro,
alleluia ; et omnes ad quos pervenit aqua ista salvi facti J’ai vu l’eau jaillir du côté droit du Temple, alleluia ; et
sunt, et dicent : alleluia, alleluia. Ps : Confitemini tous ceux que l’eau a atteints sont sauvés et ils chantent
Domino, quoniam bonus : quoniam in saeculum alleluia, alleluia. Ps : Louez le Seigneur car Il est bon,
misericordiam Ejus. éternel est Son amour. Gloire au Père... J’ai vu l’eau...
Gloria Patri... Vidi aquam...
P: Montrez-nous, Seigneur,Votre miséricorde.
P: Ostende nobis, Domine, misericordiam tuam. (T.P. Alleluia)
R: Accordez-nous Votre salut. (T.P.Alleluia)
(T.P. Alleluia)
P: Seigneur, exaucez ma prière.
R: Que mon cri parvienne jusqu’à Vous.
R: Et salutare tuum da nobis.
P: Le Seigneur soit avec vous.
R: Et avec votre esprit.
494

P: Domine exaudi orationem meam. R: Et avec votre esprit.


P: Prions.
R: Et clamor meus ad te veniat. Exaucez-nous, Seigneur, Père très Saint, Dieu éternel et
tout-puissant ; et daignez envoyer Votre saint Ange afin
P: Dominus vobiscum.
qu’il garde, soutienne, protège, visite et défende Votre
peuple assemblé en ce lieu.
R: Et cum spiritu tuo.
Par le Christ notre Seigneur. Amen.
P: Oremus.
Exaudi nos, Domine sancte, Pater omnipotens, aeterne
Deus : et mittere digneris sanctum Angelum Tuum de
caelis, qui custodiat, foveat, protegat, visitet, atque
defendat omnes habitantes in hoc habitaculo .
Per Christum Dominum nostrum. Amen.

Ascensio ad Altare Montée à l’Autel

P: In nomine Patris, † et Filii, et Spiritus Sancti. Amen P: Au Nom † du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Introibo ad altare Dei. Amen.
R: Ad deum qui laetificat juventutem meam. P: Judica J’irai vers l’autel de Dieu .
me Deus, et discerne causam meam de gente non sancta R: De Dieu Qui fait la joie de ma jeunesse .
: ab homine iniquo et doloso erue me. PSAUME 42
R: Quia tu es Deus fortitudo mea : quare me repulisti, et P: Jugez-moi, mon Dieu, séparez ma cause de celle des
quare tristis incedo, dum affligit me inimicus ? P: impies : de l’homme injuste et trompeur, délivrez-moi .
Emitte lucem tuam, et veritatem tuam : ipsa me R: Car Vous êtes ma force, mon Dieu . Pourquoi
deduxerunt, et adduxerunt in montem sanctum tuum, et m’avez-Vous rejeté et pourquoi m’en vais-je triste
in tabernacula tua. R: Et introibo ad altare Dei : ad lorsque l’ennemi m’afflige ?
Deum qui laetificat juventutem meam. P: Confitebor P: Envoyez Votre Lumière et Votre vérité : elles me
tibi in cithara Deus, Deus meus: quare tristis es anima conduiront vers Votre montagne sainte, vers Vos
mea, et quare conturbas me ? R: Spera in Deo, quoniam tabernacles.
adhuc confitebor illi : salutare vultus mei, et Deus R: J’irai vers l’autel de Dieu, de Dieu Qui fait la joie de
meus. ma jeunesse.
P: Gloria Patri, et Filio, et Spiritu Sancto. P: Je Vous louerai avec la cithare, Dieu, mon Dieu .
R: Sicut erat in principio et nunc, et semper, et in Pourquoi être triste, mon âme ? Pourquoi te troubler ?
saecula saeculorum. Amen. P: Introibo ad altare Dei. R: R: Espère en Dieu, car je Le louerai encore, Lui, mon
Ad Deum qui laetificat juventutem meam. P: Sauveur et mon Dieu.
Adjutorium nostrum † in nomine Domini. R: Qui fecit P: Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit .
coelum et terram. R: Comme il était au commencement, maintenant et
P: Confiteor Deo omnipotenti, beatae Mariae semper toujours, et pour les siècles des siècles. Amen.
virgini, beato Michaeli archangelo, beato Joanni P: J’irai vers l’autel de Dieu,
Baptistae, sanctis Apostolis Petro et Paulo, omnibus R: De Dieu Qui fait la joie de ma jeunesse.
Sanctis et vobis fratres, quia peccavi nimis cogitatione, P: Notre secours est dans le Nom†du Seigneur.
verbo, et opere mea culpa, mea culpa, mea maxima R: Qui a fait le ciel et la terre.
495

culpa. Ideo precor beatam Mariam semper virginem, P: Je confesse à Dieu tout-puissant, à la Bienheureuse
beatum Michaelem archangelum, beatum Joannem Marie toujours Vierge, à Saint Michel Archange,
Baptistam, sanctos Apostolos Petrum et Paulum, omnes à Saint Jean le Baptiste, aux Saints Apôtres Pierre et
Sanctos, et vos fratres, orare pro me ad Dominum Paul, à tous les Saints, et à vous aussi, mes frères, parce
Deum nostrum. que j’ai beaucoup péché, en pensée, en parole, par
R: Misereatur tui omnipotens Deus, et dimissis peccatis action.
tuis, perducat te ad vitam aeternam. C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande
P: Amen. faute.
R: Confiteor Deo omnipotenti, beatae Mariae semper C’est pourquoi je supplie la Bienheureuse Marie
virgini, beato Michaeli archangelo, beato Joanni toujours Vierge, Saint Michel Archange, Saint Jean le
Baptistae, sanctis Apostolis Petro et Paulo, omnibus Baptiste, les Saints Apôtres Pierre et Paul, tous les
Sanctis, et tibi, Pater, quia peccavi nimis cogitatione, Saints, et vous, mes frères, de prier pour moi le
verbo, et opere : mea culpa, mea culpa, mea maxima Seigneur notre Dieu.
culpa.
Ideo precor beatam Mariam semper virginem, beatum R: Que le Dieu tout-puissant vous fasse miséricorde,
Michaelem archangelum, beatum Joannem Baptistam, qu’il vous pardonne tous nos péchés et vous conduise à
sanctos Apostolos Petrum et Paulum, omnes Sanctos, et la vie éternelle .
te, Pater, orare pro me ad Dominum Deum nostrum. P: Amen.
R: Je confesse à Dieu tout-puissant, à la Bienheureuse
P: Misereatur vestri omnipotens Deus, et dimissis Marie toujours Vierge, à Saint Michel Archange,
peccatis vestris, perducat vos ad vitam aeternam. R: à Saint Jean le Baptiste, aux Saints Apôtres Pierre et
Amen. Paul, à tous les Saints, et à vous, mon Père, parce que
P: Indulgentiam, † absolutionem et remissionem j’ai beaucoup péché, en pensée, en parole, par action.
peccatorum nostrorum, tribuat nobis omnipotens et C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande
misericors Dominus. R: Amen. faute.
P: Deus tu conversus vivificabis nos. C’est pourquoi je supplie la Bienheureuse Marie
R: Et plebs tua laetabitur in te. P: Ostende nobis, toujours Vierge, Saint Michel Archange, Saint Jean le
Domine, misericordiam tuam. R: Et salutare tuum da Baptiste, les Saints Apôtres Pierre et Paul, tous les
nobis. P: Domine exaudi orationem meam. R: Et clamor Saints, et vous, mon Père, de prier pour moi le Seigneur
meus ad te veniat. P: Dominus vobiscum. R: Et cum notre Dieu.
spiritu tuo. P: Que le Dieu tout-puissant vous fasse miséricorde,
P: Oremus. qu’il vous pardonne tous vos péchés et vous conduise à
Aufer a nobis, quaesumus Domine, iniquitates nostras: la vie éternelle.
ut ad Sancta Sanctorum puris mereamur mentibus R: Amen.
introire. Per Christum Dominum nostrum. Amen. P: Que le Seigneur tout-puissant et miséricordieux nous
accorde† le pardon, l’absolution et la rémission de tous
Oramus te, Domine per merita sanctorum tuorum, nos péchés.
quorum reliquiae hic sunt et omnium sanctorum: ut R: Amen.
indulgere digneris omnia peccata mea. Amen. P: Dieu, tournez-Vous vers nous et donnez-nous la vie.
In Missis Solemnibus, Incensio Altaris R: Votre peuple se réjouira en Vous.
496

Benedicaris † ab Illo, Cujus honore cremaberis. P: Montrez-nous, Seigneur, Votre miséricorde.


R: Accordez-nous Votre salut.
P: Seigneur, exaucez ma prière.
R: Que mon cri parvienne jusqu’à Vous.
P: Le Seigneur soit avec vous.
R: Et avec votre esprit.
P: Prions. Enlevez nos fautes, Seigneur, afin que nous
puissions pénétrer jusqu’au Saint des Saints avec une
âme pure.
Par le Christ notre Seigneur. Amen.
Nous Vous prions, Seigneur, par les mérites de vos
Saints dont nous conservons ici les Reliques, et de tous
Vos Saints de daigner me pardonner tous mes péchés.
Amen.
Aux Messes solennelles, Encensement de l’Autel
Sois béni † par Celui en l’honneur de Qui tu vas brûler.

Introït

(voir propre du jour)

Kyrie Eleison Kyrie Eleison

P: Kyrie eleison. P: Seigneur, ayez pitié de nous.


R: Kyrie eleison. R: Seigneur, ayez pitié de nous.
P: Kyrie eleison. P: Seigneur, ayez pitié de nous.
R: Christe eleison. R: Christ, ayez pitié de nous.
P: Christe eleison. P: Christ, ayez pitié de nous.
R: Christe eleison. R: Christ, ayez pitié de nous.
P: Kyrie eleison. P: Seigneur, ayez pitié de nous.
R: Kyrie eleison. R: Seigneur, ayez pitié de nous.
P: Kyrie eleison. P: Seigneur, ayez pitié de nous.

Gloria Gloria

P: Gloria in excelsis Deo, et in terra pax hominibus P: Gloire à Dieu au plus haut des cieux, Et paix sur la
bonae voluntatis. Laudamus te, benedicimus te, terre aux hommes de bonne volonté. Nous Vous louons,
adoramus te, glorificamus te. Gratias agimus tibi propter Nous Vous bénissons, Nous Vous adorons,
magnam gloriam tuam. Domine Deus rex coelestis, Nous Vous glorifions, Nous Vous rendons grâces pour
Deus Pater omnipotens. Domine Fili Unigenite, Jesu Votre immense gloire. Seigneur Dieu, Roi du ciel, Dieu
Christe. Domine Deus, Agnus Dei, Filius Patris. Qui le Père tout-puissant. Seigneur Fils Unique, Jésus
tollis peccata mundi, miserere nobis. Qui tollis peccata Christ,
497

mundi, suscipe deprecationem nostram. Qui sedes ad Seigneur Dieu, Agneau de Dieu, le Fils du Père.
dexteram patris, miserere nobis. Quoniam tu solus Vous Qui enlevez les péchés du monde,ayez pitié de
sanctus, tu solus Dominus, tu solus altissimus, Jesu nous.
Christe, cum Sancto Spiritu, in gloria Dei Patris. Amen. Vous Qui enlevez les péchés du monde, recevez notre
prière. Vous Qui êtes assis à la droite du Père, ayez pitié
P: Dominus vobiscum. de nous. Car Vous seul êtes Saint, Vous seul êtes
R: Et cum spiritu tuo. Seigneur, Vous seul êtes le Très-Haut, Jésus Christ,
Avec le Saint-Esprit, dans la gloire de Dieu le Père.
Amen.

P: Le Seigneur soit avec vous.


R: Et avec votre esprit.

Collecte

(voir propre du jour)

Epître

(voir propre du jour)

Graduel ou trait (séquence)

(voir propre du jour)

Sanctum Evangrlium Saint Evangile

P: Munda cor meum, ac labia mea, omnipotens Deus, P: Purifiez mon coeur et mes lèvres, Dieu tout-puissant,
qui labia Isaiae prophetae calculo mundasti ignito : ita Qui avez purifiez les lèvres du prophète Isaïe avec un
me tua grata miseratione dignare mundare, ut sanctum charbon ardent, afin que, par Votre miséricordieuse
Evangelium tuum digne valeam nuntiare. Per Christum bonté, je puisse proclamer dignement Votre Saint
Dominum nostrum. Amen. Evangile. Par le Christ notre Seigneur. Amen.
Le Seigneur soit en mon coeur et sur mes lèvres, afin
Jube Domine benedicere. Dominus sit in corde meo, et que j’annonce dignement et convenablement Son
in labiis meis; ut digne et competenter annuntiem Evangile. Amen.
Evangelium suum. Amen.
P: Le Seigneur soit avec vous.
P: Dominus vobiscum. R: Et avec votre esprit.
R: Et cum spiritu tuo. P: † Suite (ou Commencement) du Saint Evangile selon
P: † Sequentia (vel Initium) Sancti Evangelii secundum Saint N. .
498

N. R: Gloire à Vous Seigneur .


R: Gloria tibi Domine.
R: Louange à Vous Seigneur Jésus.
R: Laus tibi, Christe. P: Que par les paroles de ce Saint Evangile nos péchés
P: Per evangelica dicta deleantur nostra delicta. soient effacés.

Credo Credo

P: Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem, P: Je crois en un seul Dieu, Le Père tout-puissant,
factorem coeli et terrae, visibilium omnium et Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et
invisibilium. Et in unum Dominum Jesum Christum, invisible. Et en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils
Filium Dei unigenitum. Et ex Patre natum ante omnia Unique de Dieu, Né du Père avant tous les siècles. Il est
saecula. Deum de Deo, lumen de lumine, Deum verum Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu
de Deo vero. Genitum, non factum, consubstantialem né du vrai Dieu,Engendré, non pas créé, consubstantiel
Patri : per quem omnia facta sunt. Qui propter nos au Père, par Qui tout a été créé. Pour nous les hommes
homines, et propter nostram salutem descendit de coelis. et pour notre salut, Il descendit des cieux.
ET INCARNATUS EST DE SPIRITU SANCTO EX IL A PRIS CHAIR DE LA VIERGE MARIE PAR
MARIA VIRGINE ET HOMO FACTUS EST. ACTION DU SAINT-ESPRIT, ET IL S’EST FAIT
Crucifixus etiam pro nobis: sub Pontio Pilato passus, et HOMME.
sepultus est. Et resurrexit tertia die, secundum Crucifié pour nous sous Ponce Pilate, Il souffrit Sa
Scripturas. Et ascendit in coelum : sedet ad dexteram Passion et fut mis au tombeau. Il ressucita le troisième
Patris. Et iterum venturus est cum gloria, judicare vivos jour, conformément aux Ecritures, Et Il monta au ciel,
et mortuos: cujus regni non erit finis. Et in Spiritum où Il siège à la droite du Père . Il reviendra dans la
Sanctum, Dominum et vivificantem: qui ex Patre gloire pour juger les vivants et les morts ; Et Son règne
Filioque procedit. Qui cum Patre et Filio simul adoratur n’aura pas de fin. Je crois en l’Esprit Saint, Qui est
et conglorificatur: qui locutus est per prophetas. Et Seigneur et Qui donne la vie : Il procède du Père et du
unam, sanctam, Catholicam et Apostolicam Ecclesiam. Fils . Avec le Père et le Fils, Il reçoit même adoration et
Confiteor unum baptisma in remissionem peccatorum. même gloire : Il a parlé par les prophètes. Je crois à
Et exspectio resurrectionem mortuorum. Et vitam l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Je
venturi saeculi. Amen. reconnais un seul baptême pour la rémission des péchés.
Et j’attends la résurrection des morts. Et la vie du
P: Dominus vobiscum. monde à venir. Amen.
R: Et cum spiritu tuo.
P: Le Seigneur soit avec vous.
P: Oremus. R: Et avec votre esprit.

P: Prions.

Antienne d’Offertoire

(voir propre du jour)


499

Offertorium Offertoire

P: Suscipe sancte Pater omnipotens aeterne Deus, hanc P: Recevez Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant,
immaculatam hostiam, quam ego indignus famulus tuus cette Hostie sans tache, que moi, Votre indigne
offero tibi Deo meo vivo et vero, pro innumerabilibus serviteur, je vous offre à Vous, notre Dieu vivant et vrai,
peccatis et offensionibus et negligentiis meis, et pro pour mes innombrables péchés, offenses et négligences,
omnibus circumstantibus, sed et pro omnibus fidelibus pour tous ceux ici rassemblés et pour tous les fidèles
Christianis vivis atque defunctis: ut mihi et illis proficiat chrétiens vivants et morts afin qu’elle serve à mon salut
ad salutem in vitam aeternam. Amen. et au leur pour la vie éternelle. Amen.

P: Deus, qui humanae substantiae dignitatem mirabiliter P: Dieu, Qui avez admirablement fondé la dignité de la
condidisti, et mirabilius reformasti: da nobis per hujus nature humaine et l’avez plus admirablement encore
aquae et vini mysterium, ejus divinitatis esse consortes, réformée, donnez-nous par le mystèrede l’eau mêlée au
qui humanitatis nostrae fieri dignatus est particeps, vin de prendre part à la divinité de Celui Qui a daigné
Jesus Christus, Filius tuus, Dominus noster: Qui tecum prendre notre humanité, Jésus Christ, Votre Fils, notre
vivit et regnat in unitate Spiritus Sancti, Deus; per Seigneur. Qui vit et règne avec Vous dans l’unité du
omnia saecula saeculorum. Amen. Saint Esprit, Dieu dans tous les siècles des siècles.
Amen.
P: Offerimus tibi Domine, calicem salutaris, tuam
deprecantes clementiam : ut in conspectu divinae P: Nous Vous offrons, Seigneur,le calice du salut,

majestatis tuae, pro nostra et totius mundi salute cum implorant Votre clémence : qu’il s’élève en odeur de

odore suavitatis ascendat. Amen. suavité devant Votre divine majesté, pour notre salut et
celui du monde entier. Amen.

P: In spiritu humilitatis, et in animo contrito


P: Voyez l’humilité de nos âmes et la contrition de nos
suscipiamur a te Domine: et sic fiat sacrificium nostrum
coeurs : nous Vous supplions, Seigneur , accueillez-
in conspectu tuo hodie, ut placeat tibi Domine Deus.
nous et que notre Sacrifice en ce jour trouve grâce

P: Veni sanctificator omnipotens aeterne Deus, et † devant Vous, Seigneur Dieu.

benedic hoc sacrificium tuo sancto nomini praeparatum.


P: Venez sanctificateur, Dieu éternel et tout-puissant et
bénissez† ce sacrifice préparé pour la gloire de Votre
Saint Nom.

Incensio Encensement
In Missis Solemnibus Aux Messes Solennelles
Per intercessionem Beati Michaelis Archangeli, stantis a Par l’intercession du Bienheureux Michel Archange,
dextris altaris incensi, et omnium electorum Suorum, debout à droite de l’autel des parfums, et de tous Ses
incensum istud dignetur Dominus bene†dicere, et in élus,
odorem suavitatis accipere. que le Seigneur daigne bénir †cet encens, et le recevoir
500

Super oblata. en odeur de suavité.


Incensum istud a Te benedictum, ascendat ad Te, Sur les oblats.
Domine : et descendat super nos misericordia Tua. Que cet encens béni par Vous, Seigneur s’élève en Votre
Super Crucem et Altare, ex Psalmo 140. présence et que descende sur nous Votre miséricorde.
V.2 Dirigatur, Domine,oratio mea, sicut incensum in Sur la Croix et l’Autel, du Psaume 140 .
conspectu Tuo:elevatio manuum mearum Sacrificium V.2 Que ma prière s’élève vers Vous,Seigneur,comme la
vespertinum . fumée de l’encens et mes mains pour le Sacrifice du soir.
V.3 Pone, Domine, custodiam ori meo, et ostium V.3 Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche et une
circumstantiae labiis meis : barrière à mes lèvres :
V.4 Ut non declinet cor meum in verba malitiae, ad V.4 Que mon coeur ne tombe pas en de mauvaises
excusandas excusationes in peccatis. paroles et en de vaines excuses à mes péchés.

Accendat in nobis Dominus ignem Sui amoris, et Que le Seigneur allume en nous le feu de Son amour et
flammam aeternae caritatis. Amen. la flamme de l’éternelle charité. Amen.

Lavabo Lavement des mains

P: Lavabo inter innocentes manus meas: et circumdabo P: Je laverai mes mains parmi les innocents et je me
altare tuum Domine. Ut audiam vocem laudis: et tiendrai auprès de Votre autel, Seigneur. Pour entendre
enarrem universa mirabilia tua. Domine dilexi decorem la voix de la louange et raconter Vos merveilles infinies.
domus tuae, et locum habitationis gloriae tuae. Ne Seigneur, j’aime l’ornement de Votre maison et le lieu
perdas cum impiis Deus animam meam: et cum viris où Votre gloire habite. Dieu, Ne perdez pas mon âme
sanguinum vitam meam. In quorum manibus iniquitates avec les impies, et ma vie avec les hommes de sang.
sunt : dextera eorum repleta est muneribus. Ego autem Leurs mains commettent l’iniquité et leur droite est
in innocentia mea ingressus sum: redime me, et remplie de biens. Pour moi je marche dans l’innocence,
miserere mei. Pes meus stetit in directo: in ecclesiis rachetez-moi et ayez pitié de moi. Mon pied marchera
benedicam te Domine. sur la voie droitet : je Vous bénirez dans les assemblées.
Gloria Patri et Filio, et Spiritui Sancto. Sicut erat in Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit. Comme il
principio, et nunc, et semper, et in saecula saeculorum. était au commencement, maintenant et toujours, et pour
Amen. les siècles des siècles. Amen.

P: Recevez, Trinité Sainte, cette Offrande, que nous

P: Suscipe sancta Trinitas hanc oblationem, quam tibi Vous présentons en memoire de la Passion, de la

offerimus ob memoriam passionis resurrectionis et Resurrection et de l’Ascension de Jesus-Christ notre

ascensionis Jesu Christi Domini nostri: et in honorem Seigneur; et en l’honneur de la Bienheureuse Marie

beatae Mariae semper virginis, et beati Joannis toujours Vierge, du Bienheureux Jean le Baptiste, des

Baptistae, et sanctorum Apostolorum Petri et Pauli, et Saints Apôtres Pierre et Paul, (des Saints dont nous

istorum, et omnium Sanctorum: ut illis proficiat ad vénérons les reliques ici,) et de tous Vos Saints ; qu’Elle

honorem, nobis autem ad salutem: et illi pro nobis serve à leur honneur et à notre salut, et que les Saints

intercedere dignentur in coelis, quorum memoriam dont nous faisons mémoire

agimus in terris. sur la terre daignent intercéder pour nous dans les cieux

Per eumdem Christum Dominum nostrum. Amen. . Par le même Christ notre Seigneur.
501

Amen.

Orate fratres Orate fratres

P: Orate, fratres, ut meum ac vestrum sacrificium P: Priez mes frères: afin que mon Sacrifice,qui est aussi
acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem. le vôtre, soit agréé par Dieu le Père tout-puissant.
R: Suscipiat Dominus sacrificium de manibus tuis ad R: Que le Seigneur reçoive un Sacrifice à la louange et à
laudem et gloriam nominis sui, ad utilitatem quoque la gloire de Son Nom, pour notre bien et celui de toute
nostram, totiusque Ecclesiae suae sanctae. Sa Sainte Eglise.

Secrete

(voir propre du jour)

Praefatio de Sanctissima Trinitate Préface de la Sainte Trinité

P: Per omnia saecula saeculorum. P: Pour les siècles des siècles.


R: Amen. R: Amen.
P: Dominus vobiscum. P: Le Seigneur soit avec vous.
R: Et cum spiritu tuo. R: Et avec votre esprit.
P: Sursum corda. P: Elevons notre coeur.
R: Habemus ad Dominum. R: Nous le tournons vers le Seigneur.
P: Gratias agamus Domino Deo nostro. P: Rendons grâces au Seigneur notre Dieu.
R: Dignum et justum est. R: Cela est juste et bon.
P: Vere dignum et justum est, aequum et salutare, nos P: Vraiment il est juste et bon, c’est notre devoir et
tibi semper, et ubique gratias agere: Domine sancte, notre salut, de Vous rendre grâces toujours et en tout
Pater omnipotens, aeterne Deus. Qui cum unigenito lieu : Seigneur, Père très saint, Dieu éternel et tout-
Filio tuo, et Spiritu Sancto, unus es Deus, unus es puissant : Qui, avec Votre Fils unique et l’Esprit Saint,
Dominus: non in unius singularitate personae, sed in êtes un seul Dieu, un seul Seigneur non dans la
unius Trinitate substantiae. Quod enim de tua gloria, singularité d’une personne mais dans la Trinité d’une
revelante te, credimus, hoc de Filio tuo, hoc de Spritu substance. C’est pourquoi, par Votre révélation, nous
sancto, sine differentia discretionis sentimus. Ut in croyons votre gloire comme celle de Votre Fils et celle
confessione verae, sempiternaeque Deitatis, et in de l’Esprit sans que nous sentions ni différence, ni
personis proprietas, et in essentia unitas, et in majestate distinction. Dans la confession de la véritable et
adoretur aequalitas. Quam laudant Angeli, atque éternelle divinité, nous adorons de même la propriété
Archangeli, Cherubim quoque ac Seraphim: qui non des personnes, l’unité de l’essence et l’égalité en
cessant clamare quotidie, una voce dicentes: majesté.
C’est Elle Que loue les Anges et les Archanges, les
Chérubins et les Séraphins qui ne cessent de proclamer
502

chaque jour en disant d’une seule voix :

Sanctus Sanctus

P: Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus Deus Sabaoth. P: Saint, Saint, Saint, le Seigneur, Dieu de l’univers. Le
Pleni sunt coeli et terra gloria tua. Hosanna in excelsis. ciel et la terre sont remplis de Votre Gloire. Béni soit
Benedictus qui venit in nomine Domini. Hosanna in celui Qui vient au Nom du Seigneur . Hosanna au plus
excelsis. haut des cieux.

Canon Missae Canon de la Messe


P: Te igitur clementissime Pater, per Jesum Christum P: Père très clément, Vous vers Qui montent nos
Filium tuum Dominum nostrum, supplices rogamus ac louanges, nous Vous prions humblement et nous Vous
petimus, uti accepta habeas, et benedicas haec † dona, supplions, par Jésus Christ, Votre Fils, notre Seigneur,
haec † munera, haec † sancta sacrificia illibata, in d’accepter et de bénir ces†dons, ces† présents,
primis quae tibi offerimus pro Ecclesia tua sancta ces†offrandes saintes et sans taches . Nous Vous les
Catholica; quam pacificare, custodire, adunare, et regere présentons avant tout, pour Votre sainte Eglise
digneris toto orbe terrarum: una cum famulo tuo Papa catholique : daignez lui donner la paix, la protéger, la
nostro N. et Antistite nostro N. et omnibus orthodoxis, rassembler dans l’unité et la gouverner par toute la terre
atque Catholicae et Apostolicae fidei cultoribus. en communion avec Votre serviteur notre Pape N. ,
notre Evêque N. , l’ensemble des évêques, des prêtres et
tous ceux qui veillent fidèlement sur la foi catholique et
apostolique.
P: Memento Domine famulorum, famularumque tuarum
N. et N. et omnium circumstantium, quorum tibi fides P: Souvenez-Vous, Seigneur, de Vos serviteurs et de

cognita est, et nota devotio, pro quibus tibi offerimus: Vos servantes N. et N. et de tous ceux ici assemblés,

vel qui tibi offerunt hoc sacrificium laudis pro se, dont Vous connaissez la foi et la dévotion . Pour eux

suisque omnibus: pro redemptione animarum suarum, nous Vous offrons ou ils Vous offrent eux-mêmes ce

pro spe salutis et incolumitatis suae : tibique reddunt Sacrifice de louange, pour eux et pour les leurs, pour la

vota sua aeterno Deo vivo et vero. rédemption de leur âme, dans l’espérance du salut et de
leur conservation ; et ils Vous rendent cet hommage, à
P: Communicantes, et memoriam venerantes, in primis Vous, Dieu éternel, vivant et vrai.
gloriosae semper virginis Mariae genitricis Dei et
Domini nostri Jesu Christi: sed et beati Joseph, ejusdem P: Unis dans une même communion, nous voulons

virginis sponsi et beatorum Apostolorum ac martyrum vénérer en premier lieu la mémoire de la Glorieuse

tuorum, Petri et Pauli, Andreae, Jacobi, Joannis, Marie toujours Vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur

Thomae, Jacobi, Philippi, Bartholomaei, Matthaei, Jésus Christ et ensuite de Saint Joseph, son très chaste

Simonis et Thaddaei: Lini, Cleti, Clementis, Xysti, Epoux, de Vos Saints Apôtres et Martyrs, Pierre et Paul,

Cornelii, Cypriani, Laurentii, Chrysogoni, Joannis et André, Jacques, Jean, Thomas, Jacques, Philippe,

Pauli, Cosmae et Damiani, et omnium sanctorum Barthélémy, Matthieu, Simon et Jude, Lin, Clet,

tuorum: quorum meritis precibusque concedas, ut in Clément, Xyste, Corneille, Cyprien, Laurent,

omnibus protectionis tuae muniamur auxilio. Per Chrysogone, Jean et Paul, Côme et Damien et de tous
503

omnibus protectionis tuae muniamur auxilio. Per Vos Saints . Accordez-nous, par leurs mérites et leurs
eumdem Christum Dominum nostrum. Amen. prières d’être, toujours et partout, munis du secours de
Votre protection.
P: Hanc igitur oblationem servitutis nostrae, sed et Par le même Christ notre Seigneur. Amen.
cunctae familiae tuae, quaesumus, Domine, ut placatus
accipias : diesque nostros in tua pace disponas, atque ab P: Voici donc l’Offrande que nous Vous présentons,
aeterna damnatione nos eripi, et in electorum tuorum nous Vos serviteurs et Votre famille entière : nous Vous
jubeas grege numerari. Per Christum Dominum supplions de l’accepter avec bienveillance, de disposer
nostrum. Amen. nos jours dans la paix, de nous arracher à la damnation
éternelle et de nous recevoir au nombre de Vos élus.
P: Quam oblationem tu, Deus, in omnibus, quaesumus
Par le Christ notre Seigneur. Amen.
benedictam †, adscriptam †, ratam †, rationabilem,
acceptabilemque facere digneris: ut nobis Corpus †, et P: Cette Oblation, Dieu, nous Vous en prions, daignez
Sanguis † fiat dilectissimi Filii tui Domini nostri Jesu la† bénir, l’†agréer, l’†approuver pleinement, la rendre
Christi. parfaite et digne de Vous plaire afin qu’elle devienne
pour nous le†Corps et le†Sang de Votre Fils bien-aimé
Jésus Christ, notre Seigneur.
P: Qui pridie quam pateretur, accepit panem in sanctas
ac venerabiles manus suas: et elevatis oculis in coelum P: La veille de Sa Passion, Il prit le pain dans Ses mains
ad te Deum Patrem suum omnipotentem, tibi gratias saintes et vénérables, et, les yeux élevés au ciel, vers
agens, benedixit †, fregit, deditque discipulis suis, Vous, Dieu Son Père tout-puissant, Vous rendant
dicens: „Accipite et manducate ex hoc omnes : grâces, Il le†bénit, le rompit, et le donna à Ses disciples
en disant : « Prenez et mangez-en tous :
HOC EST ENIM CORPUS
MEUM“ CECI EST MON CORPS »

P: Simili modo postquam coenatum est, accipiens et P: De même, après le repas, prenant aussi ce précieux

hunc praeclarum Calicem in sanctas ac venerabiles Calice dans Ses mains saintes et vénérables, Vous

manus suas: item tibi gratias agens, benedixit †, rendant grâces de nouveau, Il le†bénit, et le donna à Ses

deditque discipulis suis, dicens : „Accipite et bibite ex disciples en disant : « Prenez et buvez-en tous :
eo omnes:
CECI EST LE CALICE DE
HIC EST ENIM CALIX
MON SANG, LE SANG DE
SANGUINIS MEI, NOVI ET
L’ALLIANCE NOUVELLE
ÆTERNI TESTAMENTI:
ET ETERNELLE, MYSTERE
MYSTERIUM FIDEI, QUI
DE LA FOI, QUI SERA
PRO VOBIS ET PRO
504

PRO VOBIS ET PRO VERSE POUR VOUS ET


MULTIS EFFUNDETUR IN POUR UNE MULTITUDE
REMISSIONEM EN REMISSION DES
PECCATORUM“ PECHES »

P: Chaque fois que vous ferez ceci, vous le ferez en


P: Haec quotiescumque feceritis in mei memoriam mémoire de Moi.
facietis.
P: C’est pourquoi, Seigneur, nous Vos serviteurs et
Votre peuple saint avec nous, faisant mémoire de la
P: Unde et memores Domine, nos servi tui, sed et plebs Passion bienheureuse de Votre Fils, Jésus Christ notre
tua sancta, ejusdem Christi Filii tui Domini nostri tam Seigneur, de Sa Résurrection du séjour des morts et de
beatae passionis, nec non et ab inferis resurrectionis, sed Sa Glorieuse Ascension dans les cieux, nous Vous
et in coelos gloriosae ascensionis: offerimus praeclarae présentons, Dieu de gloire et de majesté, cette Offrande
majestati tuae de tuis donis ac datis, hostiam † puram, choisie parmi les biens que Vous donnez, l’Hostie†pure,
hostiam † sanctam, hostiam † immaculatam, Panem † l’Hostie†sainte, l’Hostie† immaculée, le Pain†sacré de
sanctum vitae aeternae, et Calicem † salutis perpetuae. la vie éternelle et le Calice†de l’éternel salut.

P: Supra quae propitio ac sereno vultu respicere P: Sur ces Offrandes daignez jeter un regard favorable
digneris: et accepta habere, sicuti accepta habere et accueillir dans Votre bienveillance ce Sacrifice Saint,
dignatus es munera pueri tui justi Abel, et sacrificium cette Hostie immaculée, comme il Vous plut d’accueillir
patriarchae nostri Abrahae: et quod tibi obtulit summus les présents de Votre serviteur Abel le Juste, le Sacrifice
sacerdos tuus Melchisedech, sanctum sacrificium, de notre père Abraham, et celui que Vous offrit Votre
immaculatam hostiam. grand-prêtre Melchisedech.

P: Supplices te rogamus, omnipotens Deus; jube haec P: Nous Vous en supplions, Dieu tout-puissant, faites
perferri per manus sancti Angeli tui in sublime altare porter ces Offrandes par Votre Saint Ange sur Votre
tuum, in conspectu divinae majestatis tuae: ut quotquot autel céleste en présence de Votre divine majesté, afin
ex hac altaris participatione, sacrosanctum Filii tui qu’en recevant ici, par notre communion à l’autel,
Corpus † et Sanquinem † sumpserimus omni le†Corps et le†Sang sacrés de Votre Fils, nous puissions
benedictione coelesti et gratia repleamur. Per eumdem être comblés de Votre grâce et de toute bénédiction
Christum Dominum nostrum. Amen. céleste. Par le même Christ notre Seigneur. Amen.

P: Memento etiam, Domine, famulorum famularumque P: Souvenez-Vous aussi, Seigneur, de Vos serviteurs et
tuarum N. et N. qui nos praecesserunt cum signo fidei, de Vos servantes N. et N. qui nous ont précédé, marqués
et dormiunt in somno pacis. du signe de la foi, et qui dorment du sommeil de la paix.

P: Ipsis Domine, et omnibus in Christo quiescentibus, P: Pour ceux-là, Seigneur, et pour tous ceux qui
505

locum refrigerii, lucis et pacis, ut indulgeas, reposent dans le Christ, nous implorons Votre bonté :
deprecamur, per eumdem Christum Dominum nostrum. qu’ils entrent dans le séjour du bonheur, de la Lumière
Amen. et de la paix. Par le même Christ notre Seigneur. Amen.

P: Et à nous aussi pécheurs, Vos serviteurs, qui mettons

P: Nobis quoque peccatoribus famulis tuis, de notre espérance en Votre miséricorde infinie,

multitudine miserationum tuarum sperantibus, partem daignez nous accorder une place dans la communauté de

aliquam et societatem donare digneris, cum tuis sanctis Vos Saints Apôtres et Martyrs, de Jean le Baptiste,

Apostolis et Martyribus: cum Joanne, Stephano, Précurseur du Sauveur, Etienne, Matthias, Barnabé,

Matthia, Barnaba, Ignatio, Alexandro, Marcellino, Ignace, Alexandre, Marcellin, Pierre, Félécité, Perpétue,

Petro, Felicitate, Perpetua, Agatha, Lucia, Agnete, Agathe, Lucie, Agnès, Cécile, Anastasie et et de tous

Caecilia, Anastasia, et omnibus sanctis tuis : intra Vos Saints ; admettez-nous en leur compagnie, nous

quorum nos consortium, non aestimator meriti, sed Vous en supplions, sans considérer nos mérites mais

veniae, quaesumus, largitor admitte. Votre miséricorde. Par le Christ notre Seigneur. Amen.
Per Christum Dominum nostrum. Amen .
P: Par Lui, Seigneur, Vous ne cessez de créer tous ces
biens et Vous les sancti†fiez, Vous les vivi†fiez et Vous
les bénis†sez pour nous en faire don.
P: Per quem haec omnia, Domine, semper bona creas,
sanctificas † , vivificas † , benedicis † et praestas nobis.
P: Par † Lui, avec † Lui, et en † Lui, à Vous Dieu le
Père † tout-puissant, en l’unité du Saint†Esprit, tout
P: Per ipsum † , et cum ipso † , et in ipso † , est tibi Deo
honneur et toute gloire.
Patri † omnipotenti, in unitate Spritus † Sancti, omnis
honor et gloria.
P: Pour les siècles des siècles.
R: Amen.
P: Per omnia saecula saeculorum.
R: Amen.

Pater Noster Notre Père

P: Oremus. Praeceptis salutaribus moniti, et divina P: Prions. Comme nous l’avons appris du Sauveur, et
institutione formati, audemus dicere : selon Son divin commandement, nous osons dire :

P: Pater noster, qui es in coelis ; sanctificetur nomen P: Notre Père, Qui êtes aux cieux : Que Votre Nom soit

tuum ; adveniat regnum tuum: fiat voluntas tua sicut in sanctifié ; Que Votre règne arrive ; Que Votre volonté

coelo et in terra. Panem nostrum quotidianum da nobis soit faite sur la terre comme au ciel. Donnez-nous

hodie ; et dimitte nobis debita nostra, sicut et nos aujourd’hui notre pain de chaque jour. Pardonnez-nous

dimittimus debitoribus nostris. Et ne nos inducas in nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous

tentationem. ont offensés ; Et ne nous laissez pas succomber à la


tentation ;
R: Sed libera nos a malo. R: Mais délivrez-nous du Mal.
P: Amen. P: Amen.
506

P: Libera nos, quaesumus Domine, ab omnibus malis P: Délivrez-nous, Seigneur, de tout mal passé, présent et
praeteritis, praesentibus, et futuris: et intercedente beata à venir et, par l’intercession de la Bienheureuse et
et gloriosa semper Virgine Dei Genitrice Maria, cum Glorieuse Marie toujours Vierge, Mère de Dieu, Vos
beatis Apostolis tuis Petro at Paulo, atque Andrea, et Saints Apôtres Pierre et Paul, André, et tous Vos Saints,
omnibus sanctis, da propitius pacem in diebus nostris: ut daignez accorder la paix à notre temps et, par Votre
ope misericordiae tuae adjuti, et a peccato simus semper miséricorde, libérez-nous du péché, rassurez-nous dans
liberi, et ab omni perturbatione securi. les épreuves.
P: Per eumdem Dominum nostrum Jesum Christum P: Par le même Jésus Christ, Votre Fils, notre Seigneur.
Filium tuum. Qui tecum vivit et regnat in unitate Qui vit et règne avec Vous dans l’unité du Saint Esprit,
Spiritus Sancti Deus. Per omnia saecula saeculorum. Dieu dans tous les siècles des siècles.
R: Amen. R: Amen.

P: Pax † Domini sit † semper vobiscum † . P: Que la paix† du Seigneur soit †toujours avec vous†,
R: Et cum spiritu tuo. R: Et avec votre esprit.

P: Haec commixtio et consecratio Corporis et Sanguinis P: Que le mélange sacramentel du Corps et du Sang de
Domini nostri Jesu Christi fiat accipientibus nobis in notre Seigneur Jésus Christ nourissent en nous la vie
vitam aeternam. Amen. éternelle. Amen.

Agnus Dei Agnus Dei

P: Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis. P: Agneau de Dieu, Qui enlevez les péchés du monde :
Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, miserere nobis. prenez pitié de nous.
Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, dona nobis pacem. Agneau de Dieu, Qui enlevez les péchés du monde :
prenez pitié de nous.
P: Domine Jesu Christe, qui dixisti Apostolis tuis: Agneau de Dieu, Qui enlevez les péchés du monde :
pacem relinquo vobis, pacem meam do vobis: ne donnez-nous la paix.
respicias peccata mea, sed fidem Ecclesiae tuae; eamque
secundum voluntatem tuam pacificare et coadunare P: Seigneur Jésus Christ, Qui avez dit à Vos Apôtres :
digneris. Qui vivis et regnas Deus, per omnia saecula Je vous laisse Ma paix, Je vous donne Ma paix ; ne
saeculorum. Amen. regardez pas mes péchés, mais la foi de Votre Eglise ;
pour que Votre volonté s’accomplisse, donnez-lui
P: Domine Jesu Christe, Fili Dei vivi, qui ex voluntate
toujours cette paix, et conduisez-la vers l’unité parfaite.
Patris cooperante Spritu Sancto, per mortem tuam
Vous Qui vivez et régnez, Dieu, pour les siècles des
mundum vivificasti: libera me per hoc sacrosanctum
siècles. Amen.
Corpus et Sanguinem tuum ab omnibus iniquitatibus
meis et universis malis: et fac me tuis semper inhaerere P: Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, selon la
mandatis: et a te nunquam separari permittas : qui cum volonté du Père et avec la coopération de l’Esprit Saint,
eodem Deo Patre et Spiritu Sancto vivis et regnas Deus Vous avez donné, par Votre Mort, la vie au monde ; que
in saecula saeculorum. Amen. Votre Corps et Votre Sang sacrés me délivrent de mes
péchés et de tout mal : faites moi demeurer toujours
507

P: Perceptio Corporis tui, Domine Jesu Christe, quod péchés et de tout mal : faites moi demeurer toujours
ego indignus sumere praesumo, non mihi proveniat in attachés à Vos commandements, et ne permettez pas
judicium et condemnationem : sed pro tua pietate prosit que je sois jamais séparé de Vous. Qui vivez et régnez
mihi ad tutamentum mentis et corporis, et ad medelam avec le Père et le Saint Esprit, Dieu pour les siècles des
percipiendam. Qui vivis et regnas cum Deo Patre in siècles. Amen.
unitate Spiritus Sancti Deus, per omnia saecula
saeculorum. Amen. P: Que la communion à Votre Corps et à Votre Sang,
Seigneur Jésus Christ, Que j’ose recevoir malgré mon
indignité, n’entraîne pour moi ni jugement ni
condamnation ; mais, par Votre miséricorde, qu’elle
serve de soutien et de remède à mon esprit et mon corps.
Vous, Qui vivez et régnez avec le Père et le Saint Esprit,
Dieu pour les siècles des siècles. Amen.

Communio Communion

P: Panem coelestem accipiam et nomen Domini P: Je prendrai le Pain du ciel, et j’invoquerai le Nom du
invocabo. Seigneur.

P: Seigneur, je ne suis pas digne de Vous recevoir, mais

P: Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum: dites seulement une parole et mon âme sera guérie. (ter)
sed tantum dic verbo, et sanabitur anima mea (ter).
P: Le Corps de notre Seigneur Jésus Christ garde mon

P: Corpus Domini nostri Jesu Christi custodiat animam âme pour la vie éternelle. Amen.
meam in vitam aeternam. Amen.
P: Que rendrai-je au Seigneur pour le bien qu’Il m’a fait
?
P: Quid retribuam Domino pro omnibus quae retribuit
Je prendrai le Calice du salut et j’invoquerai le Nom du
mihi? Calicem salutaris accipiam, et nomen Domini
Seigneur et je serai sauvé de mes ennemis.
invocabo Dominum, et ab inimicis meis salvus ero.

P: Le Sang de notre Seigneur Jésus Christ garde mon


P: Sanguis Domini nostri Jesu Christi custodiat animam
âme pour la vie éternelle. Amen.
meam in vitam aeternam. Amen.

P: Voici l’Agneau de Dieu, Qui enlève les péchés du


P: Ecce Agnus Dei, ecce Qui tollit peccata mundi.
monde.

Domine, non sum dignus, ut intres sub tectum meum:


Seigneur, je ne suis pas digne de Vous recevoir, mais
sed tantum dic verbo, et sanabitur anima mea. (ter)
dites seulement une parole et mon âme sera guérie. (ter)

P: Corpus Domini nostri Jesu Christi custodiat animam


P: Le Corps du Christ garde votre âme pour la vie
tuam in vitam aeternam. Amen.
éternelle. Amen.

P: Quod ore sumpsimus Domine, pura mente capiamus: P: Que nous gardions dans un corps pur, Seigneur, ce
et de munere temporali fiat nobis remedium
508

et de munere temporali fiat nobis remedium que nous avons reçu et que ce don nous soit un remède
sempiternum. éternel.

P: Corpus tuum, Domine, quod sumpsi, et Sanguis, P: Que Votre Corps et Votre Sang Qui nous ont nourris,

quem potavi, adhaereat visceribus meis: et praesta, ut in Seigneur, s’attache à mon être et que Vos saints

me non remaneat scelerum macula, quem pura et sancta mystères efface en moi la souillure du péché.

refecerunt sacramenta. Qui vivis et regnas in saecula Vous Qui vivez et régnez pour les siècles des siècles.

saeculorum. Amen. Amen.

Antienne de Communion

(voir propre du jour)

Postcommunio Postcommunion

P: Dominus vobiscum. P: Le Seigneur soit avec vous.


R: Et cum spiritu tuo. R: Et avec votre esprit.
P: Oremus. P: Prions.

(voir propre du jour)

Benedictio Bénédiction

P: Dominus vobiscum. P: Le Seigneur soit avec vous.


R: Et cum spiritu tuo. R: Et avec votre esprit.
P: Ite, missa est. (T.P.Alleluia,Alleluia) P: Allez la Messe est dite. (T.P.Alleluia,Alleluia)
R: Deo gratias. (T.P.Alleluia,Alleluia) R: Nous rendons grâces à Dieu. (T.P.Alleluia,Alleluia)

P: Placeat tibi sancta Trinitas, obsequium servitutis P: Agréez, Trinité Sainte, l’hommage de ma servitude,

meae; et praesta, ut sacrificium, quod oculis tuae ce Sacrifice, que, malgré mon indignité, j’ai présenté

majestatis indignus obtuli, tibi sit acceptabile, mihique aux regards de Votre Majesté, acceptez-le, et, que par

et omnibus, pro quibus illud obtuli, sit, te miserante, Votre miséricorde, il soit une source de grâces pour moi

propitiabile. et pour tous ceux pour lesquels je Vous l’ai offert.

Per Christum Dominum nostrum. Amen. Par le Christ notre Seigneur. Amen.

P: Benedicat vos omnipotens Deus, Pater, et Filius † , et P: Que Dieu tout-puissant vous bénisse, le Père, † le
Spiritus Sanctus. Fils et le Saint Esprit.
509

R: Amen. R: Amen.

Evangelium Joannis Dernier Evangile

P: Dominus vobiscum. P: Le Seigneur soit avec vous.


R: Et cum spiritu tuo. R: Et avec votre esprit.
P: Initium sancti Evangelii secundum Joannem. P: Commencement du Saint Evangile selon Saint Jean
R: Gloria tibi Domine. R: Gloire à Vous Seigneur.

P: In prinicipio erat Verbum, et Verbum erat apud P: Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en
Deum, et Deus erat Verbum. Hoc erat in principio apud Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était en Dieu au
Deum. Omnia per ipsum facta sunt, et sine ipso factum commencement. Il a tout fait et rien de ce qui s’est fait
est nihil quod factum est. In ipso vita erat, et vita erat ne s’est fait sans Lui. En Lui était la vie et la vie était la
lux hominum: et lux in tenebris lucet, et tenebrae eam Lumière des hommes et la Lumière luit dans les
non comprehenderunt. Fuit homo missus a Deo, cui ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas comprise. Il y eut un
nomen erat Joannes. Hic venit in testimonium, ut homme envoyé par Dieu, du nom de Jean. Il vint en
testimonium perhiberet de lumine, ut omnes crederent témoin pour rendre témoignage à la Lumière afin que
per illum. Non erat ille lux, sed ut testimonium tous croient par lui. Il n’était pas la Lumière mais il vint
perhiberet de lumine. Erat lux vera quae illuminat rendre témoignage à la Lumière. Le Verbe était la vraie
omnem hominem venientem in hunc mundum. In Lumière Qui éclaire tout homme venant en ce monde .
mundo erat, et mundus per ipsum factus est, et mundus Il était dans le monde et le monde s’est fait par Lui et le
eum non cognovit. In propria venit, et sui eum non monde ne L’a pas connu. Il est venu chez les Siens et
receperunt. Quotquot autem receperunt eum, dedit eis les Siens ne L’ont pas reçu. Mais tous ceux qui ne L’ont
potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in nomine pas reçu, Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants
ejus. Qui non ex sanguinibus, neque ex voluntate carnis, de Dieu, à ceux qui croient en Son Nom, qui ne sont pas
neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt. ET nés du sang, de la volonté de la chair et de l’homme
VERBUM CARO FACTUM EST, et habitavit in nobis mais de Dieu. ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR et Il
et vidimus gloriam ejus, gloriam quasi unigeniti a Patre, a habité parmi nous : et nous avons vu Sa gloire pleine
plenum gratiae et veritatis. de grâce et de vérité, qui est la gloire que le Fils Unique
R: Deo gratias. tient du Père.
R: Nous rendons grâces à Dieu.

Orationes post Missam Prières après la Messe

Ave Maria, gratia plena, Dominus tecum. Benedicta tu Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est
in mulieribus, et benedictus fructus ventris tui, Jesus. avec Vous,vous êtes bénie entre toutes les femmes et
Sancta Maria, Mater Dei, ora pro nobis peccatoribus, Jésus, le fruit de vos entrailles est béni.
nunc, et in hora mortis nostrae. Amen. (ter) Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres
pécheurs maintenant et à l’heure de notre mort. Amen.
SALVE REGINA (ter)

Salve Regina, Mater misericordiae. Vita, dulcedo, et


510

spes nostra, salve.


Ad te clamamus exsules filii Hevae. SALVE REGINA

Ad te suspiramus, gementes et flentes in hac lacrimarum


Salut Reine, Mère de miséricorde ; notre vie, notre
valle.
douceur et notre espérance, salut.
Eia ergo, Advocata nostra, illos tuos misericordes
Vers vous, nous crions, enfants d’Eve exilés.
oculos ad nos converte.
Vers vous, nous soupirons, gémissant et pleurant dans
Et Jesum, benedictum fructum ventris tui, nobis post
cette vallée de larmes.
hoc exsilium ostende.
O vous, notre avocate, tournez vers nous vos regards
O clemens,
miséricordieux.
O pia,
Et après cet exil, montrez-nous Jésus, le fruit béni de
O dulcis Virgo Maria.
vos entrailles,

P: Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix. Ô clémente,

R: Ut digni efficiamur promissionibus Christi. Ô miséricordieuse,


Ô douce Vierge Marie .
P: Oremus. P:Priez pour nous Sainte Mère de Dieu,
Deus refugium nostrum et virtus, populum ad te R: Pour que nous soyons rendus dignes des promesses
clamantem propitius respice; et intercedente gloriosa et de Jésus Christ.
immaculata Virgine Dei Genitrice Maria, cum beato
Josepho ejus Sponso, ac beatis Apostolis tuis Petro et P: Prions.
Paulo, et omnibus Sanctis, quas pro conversione Dieu, notre refuge et notre force, regardez le peuple qui
peccatorum, pro libertate et exaltatione sanctae Matris crie vers Vous ; et, par l’intercession de la Glorieuse et
Ecclesiae, preces effundimus, misericors et benignus Immaculée Marie toujours Vierge, Mère de Dieu, avec
exaudi. Per eumdem Christum Dominum nostrum. Saint Joseph, son très chaste Epoux, Saint Michel
R: Amen. Archange, Saint Jean le Baptiste, Vos Saints Apôtres
Pierre et Paul, André, et tous Vos Saints, écoutez avec
bienveillance et miséricorde, les prières que nous Vous
adressons pour la conversion des pécheurs, pour la
Sancte Michael Archangele, defende nos in praelio. liberté et le triomphe de notre Sainte Mère l’Eglise. Par
Contra nequitiam et insidias diaboli esto praesidium. le même Christ notre Seigneur.
Imperet illi Deus, supplices deprecamur. Tuque R: Amen.
princeps militiae caelestis, Satanam aliosque spiritus
malignos, qui ad perditionem animarum pervagantur in Saint Michel Archange, défendez nous dans le combat,

mundo divina virtute in infernum detrude. contre la malice et les embûches du démon.

R: Amen. Que Dieu lui fasse sentir Son empire, nous vous en
supplions et vous, Prince de la milice céleste, repoussez
INVOCATIO en enfer par la force divine Satan et les autres esprits
mauvais, qui œuvrent dans le monde à la perte des
P: Cor Jesu sacratissimum, âmes.
R: Miserere nobis. (ter) R: Amen.
511

INVOCATION

P: Coeur Sacré de Jésus,


R: Prenez pitié de nous. (ter)

Coordination “Ad Majorem Dei Gloriam” - 2001

IV Un commentaire allégorique : la proclamation de l’Evangile à la messe


(Source : ALAMAIRE de Metz, Liber officialis, liv. III, ch. 18, in R. CABIE, Histoire de la messe des
origins à nos jours, p. 65)

Le diacre va à l’autel et y prend l’évangile pour en faire la lecture. L’autel peut désigner
Jérusalem, d’où est partie la proclamation de l’Evangile, selon l’Ecriture : « De Sion viendra
la Loi et de Jérusalem la parole du Seigneur » (Is. 2, 3). Il peut encore désigner le corps du
Seigneur lui-même, en qui sont les paroles de l’Evangile, c’est-à-dire de la Bonne Nouvelle.
C’est lui qui a ordonné aux Apôtres de prêcher l’Evangile à toute créature ; c’est lui qui a dit :
« Mes paroles sont esprit et vie » (Is. 6, 64). Ses paroles sont contenues dans l’Evangile. Le
diacre qui porte le livre es comme les pieds du Christ. Ll le porte sur son bras gauche qui
évoque la vie de ce monde, dans lequel il est nécessaire d’annoncer l’Evangile.
Quand le diacre salue le peuple, il convient que tous se tournent ver lui. Le prêtre et le peuple
sont en effet tournés vers l’orient, jusqu’au moment où par le diacre le Seigneur parle, et ils
font le signe de la croix sur leur front. […] Pourquoi précisément sur cette partie du corps ?
C’est que le front est le siège de la honte. Si les Juifs rougissent de croire en celui qu’ils
voient crucifié, comme dit l’Apôtre : « Nous annonçons un Crist crucifié, scandale pour les
Juifs, etc… » (1 Cor. 1, 23), nous croyons, nous, que nous sommes sauvés par le Crucifié. Les
Juifs rougissent de son nom, tandis que nous, nous croyons que ce nom nos protège. C’est
pourquoi nous nous signons sur le front, qui est le siège de la honte, comme nous l’avons dit.
[…] Les deux cierges qui sont portés devant l’Evangile désignent la Loi et les Prophètes, qui
ont précédé l’enseignement évangélique. L’encensoir évoque toutes les vertus qui émanent de
la vie du Christ. L’encensoir, lui, monte à l’ambon devant l’Evangile, pour y répandre une
odeur de parfum, montrant par là que le Christ a fait le bien avant d’annoncer l’Evangile,
comme l’atteste Luc dans les Actes des Apôtres : « Ce que le Christ a fait et enseigné » (Act.
1, 1). Il a d’abord agi et ensuite il a enseigné.
Le lieu élevé du haut duquel on lit l’Evangile manifeste la supériorité de la doctrine
évangélique et sa grande autorité de jugement. La place des cierges montre que la Loi et les
Prophètes sont inférieurs à l’Evangile. Et quand le livre a été rapporté à sa place, après la
lecture, on éteint les cierges, car lorsque a retenti la prédication de l’Evangile, la Loi et les
Prophètes ne parlent plus […].
Les rites qui ont précédé désignent la prédication du Christ jusqu’à l’heure de sa passion ainsi
que celle de ses prédicateurs, jusqu’à la fin du monde et au-delà. Ceux qui veulent suivre
révèlent ce qui est réalisé par la passion du Christ, sa résurrection et son ascension aux cieux,
et pareillement le sacrifice, la mortification et la résurrection de ses disciples par la confession
de foi et le désir du ciel où ils entendront la voix du Seigneur : « Venez les bénis de mon Père,
prenez possession du royaume qui a été préparé pour vous » (Mt 25, 34).
512

V. Convention du 26 mai 1906 entre le Saint-Siège et l’Etat Indépendant du


Congo (Sources : François Bontinck, « La genèse de la convention entre le Saint-Siège et l’Etat
Indépendant du Congo », in L’Eglise catholique au Zaïre. Un siècle de croissance (1880-1980),
et Ed. De Jonghe, Les Missions Religieuses au Congo Belge, dans Congo 1933, I, p. 14-15

Le Saint-Siège Apostolique, soucieux de favoriser la diffusion méthodique du catholicisme au


Congo, et le gouvernement de l’Etat Indépendant, appréciant la part considérable des
missionnaires catholiques dans son œuvre civilisatrice de l’Afrique centrale, se sont entendus
entre eux et avec les représentants de missions catholiques au Congo, en vue d’assurer
davantage la réalisation de leurs intentions respectives.

A cet effet, les soussignés Son excellence Mgr Vico, Nonce apostolique, dûment autorisé par
Sa Sainteté le Pape Pie X, et le Chevalier de Cuvelier, dûment autorisé par S.M. Léopold II,
Roi-souverain de l’Etat Indépendant, se sont convenus des dispositions suivantes : 1. L’Etat
Indépendant du Congo concèdera aux établissements de missions catholiques au Congo les
terres nécessaires à leurs œuvres religieuses dans les conditions suivantes :

2 ; Chaque établissement de mission s’engage, dans la mesure de ses ressources, à créer une
école où les indigènes recevront l’instruction. Le programme comportera notamment un
enseignement agricole et l’agronomie forestière et un enseignement professionnel pratique de
métiers manuels ;

2. Le programme des études et des cours sera soumis au gouverneur général et les branches à
enseigner seront fixées de commun accord. L’enseignement des langues nationales belges fera
parti essentielle du programme.

4. Il sera fait par chaque supérieur de mission, à des dates périodiques, rapport au gouverneur
général sur l’organisation et le développement des écoles, le nombre des élèves, l’avancement
des études, etc. Le gouverneur général, par lui-même ou un délégué, qu’il désignera
expressément, pourra s’assurer que les écoles répondent à toutes les conditions d’hygiène et
de salubrité ;

5. La nomination de chaque supérieur de mission sera notifiée au gouverneur général ;

6. Les missionnaires s’engagent à remplir pour l’Etat et moyennant indemnité, les travaux
spéciaux d’ordre scientifique rentrant dans la compétence personnelle, tels que reconnaissance
ou études géographiques, ethnographiques, linguistiques, etc. ;
513

7. La superficie des terres à allouer à chaque mission, dont l’établissement sera décidé de
commun accord, sera de 200 hectares cultivables ; elle pourra être portée à 200 hectares en
raison des nécessités et de l’importance de la mission. Ces terres ne pourront être aliénées t
devront rester affectées à leur utilisation aux œuvres de la mission. Ces terres sont données à
titre gratuit et en propriété perpétuelle ; leur emplacement sera déterminé de commun accord
entre le gouverneur et le supérieur de la mission ;

8. Les missionnaires catholiques s’engagent, dans la mesure de leur personnel disponible, à


assurer le ministère sacerdotal dans les centres où le nombre des fidèles rendrait leur présence
opportune. En cas de résidence stable, les missionnaires recevront du gouverneur un
traitement à convenir dans chaque cas particulier ;

9. Il est convenu que les deux parties contractantes recommanderont toujours à leur
subordonnés la nécessité de conserver la plus parfaite harmonie entre les missionnaires et les
agents de l’Etat. Si les difficultés venaient à surgir, elles seront réglées à l’amiable entre les
autorités locales qui en référaient aux autorités supérieures.

En foi de quoi, les soussignés ont signé la présente convention et y ont apposé leurs cachets.

Fait en double exemplaire à Bruxelles, le vingt-six mai mil neuf cent six.

(sé) Chevalier de Cuvelier. (sé) Vico, Archevêque de Philippe, N.A.

VI. Quelques repères chronologiques sur la mission

1483 : Abordage de Diego Cao en compagnie de prêtres venus du Portugal, sur l’embouchure
du fleuve « Congo », en pays kongo. La bulle XXX d’Alexandre VI partageant le monde
entre Espagnols et Portugais.

1494 : Traité de Tordesillas.


1540 : Approbation de la Compagnie de Jésus par le pape Paul III, fondée par Ignace de
Loyola et quelques autres.
1545- 1563: Concile de Trente.
1597 : 27 Martyrs à Nagasaki.
1622 : 52 Martyrs à Nagasaki et fermeture du Japon aux étrangers.
1622 : Grégoire XV crée la Congrégation de la Propagande pour la coordination du travail
missionnaire (bulle Incrustabili).
1624 : Alexandre de Rhodes et les jésuites débarquent en Cochinchine puis au Tonkin.
Vers 1640-1643 : début de la « querelle des rites chinois »
1659 : Instructions de la Propaganda Fide aux missionnaires.
1660 : Départ des premiers missionnaires des Missions étrangères de Paris, en tant que
vicaires apostoliques, c’est-à-dire, évêques dépendant directement de Rome.
1742 : Benoît XIV rédige la bulle Ex quo singulari qui, interdisant les rites chinois, met fin à
la querelle des rites ; mais la fin véritable interviendra avec l’autorisation, de nouveau, des
514

rites chinois par Pie XII en 1939. Début d’une longue période de persécution et interdiction
du christianisme en Chine.
1773 : Suppression des Jésuites par Clément XIV
1814 : Restauration des Jésuites.
1822 Fondation à Lyon de l’œuvre de la Propagation de la foi
1845 : Encycliques Neminem Perfecto sur la formation du clergé local.
1862 : Fondation de la congrégation « belge » de Scheut
1872 : Fondation des Pères blancs, premiers pères Blancs au Sahara (Laghouat)
1878 : Départ d’une caravane de Missionnaires vers le Bouganda et le Tanganika.
1880 : Retour de missionnaires au Congo
1885-1886 : Création de l’Etat indépendant du Congo (E.I.C.)
1886 : Martyr des chrétiens de l’Ouganda.
1919 : Encyclique Maximum illud de Benoît XV
1926 : Encyclique Rerum Ecclesiae de Pie XI
1947 : Encyclique Mediator Dei de Pie XII
1951 : Encyclique Evangelii Praecones sur l’autonomie des Églises locales de Pie XII
1957 : Encyclique Fidei Donum sur la mission particulièrement en Afrique. (Pie XII)
1962-1965 : Concile Vatican II et adoption des normes pour adapter la liturgie au
tempérament et aux conditions des différents peuples (inculturation)

VII. Chronologie du Concile Vatican II Source : Editions de l’Atelier 2002

28 octobre 1958 : élection de Giuseppe Angelo Roncalli comme pape sous le nom de Jean XXIII.
17 novembre 1958 : Mgr Tardini secrétaire d’état.
25 janvier 1959 : Annonce aux cardinaux par Jean XXIII : concile œcuménique, synode du diocèse de
Rome, refonte du Code de droit canonique.

17 mai 1959 - 30 mai 1960 : Phase anté-préparatoire


Juin 1959 : Début de la consultation des évêques.
29 Juin 1959 : Encyclique Ad Petri cathedram : les attentes de Jean XXIII à l’égard du concile.
Printemps 1960 : Analyse des 8972 vota des évêques, supérieurs religieux et facultés de théologie.

5 juin 1960 - 10 octobre 1962 : Phase préparatoire

Juin-septembre 1960 : Mise en place des Commissions préparatoires.


Novembre 1960 - automne 1961 : Travail des commissions préparatoires.
15 mai 1961 : Encyclique Mater et magistra (la question sociale).
Août 1961 : Le cardinal Amleto Cicognani secrétaire d’état.
Automne 1961 - juin 1962 : Travail de la Commission centrale.
25 décembre 1961 : Bulle convoquant le concile.
Février 1962 : Lettre pontificale Veterum sapientia (le maintien du latin comme langue de l’église).
6 août 1962 : Promulgation du règlement conciliaire.
été 1962 : Envoi des sept premiers schémas aux évêques.
Septembre 1962 : Désignation des observateurs et des experts.
Octobre 1962 : Crise internationale autour de Cuba.
515

11 octobre - 8 décembre 1962 : Première session

11 octobre : Ouverture, discours de Jean XXIII : Gaudet Mater Ecclesia.


13 octobre : Première congrégation générale. Le cardinal Liénart demande que les évêques sursoient à
l’élection des commissions pour faire connaissance.
20 octobre : élection des membres des commissions et publication d’un Message au monde.
22 octobre - 13 novembre : Examen du préambule et premier chapitre du schéma sur la liturgie, vote
de principe.
14-22 novembre : Examen du schéma sur la Révélation, rejet par la majorité simple (1368 placet, 822
non placet), décision du pape de faire refondre le texte par une Commission mixte (Commission
doctrinale - Secrétariat pour l’Unité des chrétiens).
23-26 novembre : Examen du schéma sur les moyens de communication sociale, décision d’en réduire
les dimensions.
26-29 novembre : Examen du schéma sur l’oecuménisme, décision de fondre en un seul les trois
schémas existants.
1er-7 décembre : Début de l’examen du schéma sur l’église, pas de vote.
5 décembre : Mise en place de la Commission de coordination pour l’intersession.

1962-1963 : Première inter-session


Février-mai 1963 : Les commissions conciliaires remanient les schémas et les réduisent à dix-sept.
28 mars 1963 : Mise en place de la Commission pour la révision du Code de droit canonique.
11 avril : Encyclique Pacem in terris. Mai : Envoi des schémas remaniés aux Pères conciliaires.
3 juin : Décès de Jean XXIII.
21 Juin : élection de Paul VI.

29 septembre - 4 décembre 1963 : Deuxième session


Les débats sont menés par quatre modérateurs : les cardinaux Agagianian, Dopfner, Lercaro, Suenens.
30 septembre - 31 octobre : Examen du schéma sur l’église, vote indicatif sur la collégialité
épiscopale, à l’initiative des modérateurs. à une faible majorité, l’assemblée décide d’insérer le texte
relatif à la Vierge Marie dans la constitution sur l’église.
5-15 novembre : Examen du schéma sur la charge pastorale des évêques. La minorité conteste la
validité du vote sur la collégialité.
18 novembre - 2 décembre : Examen du schéma sur l’oecuménisme, discussion des trois premiers
chapitres.
22 et 25 novembre : Vote de la Constitution sur la liturgie (Sacrosanctum concilium) et du Décret
sur les moyens de communication sociale (Inter mirifica).
4 décembre : Promulgation des deux textes.

1963-1964 : Deuxième inter-session


4-6 janvier 1964 : Première rencontre entre Paul VI et le patriarche Athénagoras à Jérusalem.
25 janvier : Motu proprio Sacram liturgiam prescrivant des mesures transitoires pour la réforme
liturgique (« la messe de 1965 »).
29 février : Mise en place de la Commission pour l’application de la Constitution sur la liturgie
présidée par le cardinal Lercaro.
février-avril : Travail des Commissions conciliaires. printemps : Le « Plan Dopfner » : certains
schémas, vus comme mineurs, seraient réduits à de simples « propositions » et soumis au vote sans
débat. Ce projet sera abandonné.
mai : Création du Secrétariat pour les religions non-chrétiennes.
516

18-20 mai : Création de la Conférence épiscopale française.


avril-juillet : Envoi des schémas remaniés aux Pères conciliaires.
6 août : Encyclique Ecclesiam suam sur l’église.

14 septembre - 21 novembre 1964 : Troisième session


15-18 septembre : Examen du schéma sur l’église, approbation des six premiers chapitres.
18-23 septembre : Examen du schéma sur la charge pastorale des évêques.
23-28 septembre : Examen du schéma sur la liberté religieuse.
25-30 septembre : Examen du schéma sur les relations avec les non-chrétiens et les juifs. L’assemblée,
qui avait demandé que le texte de 1963 sur les Juifs soit développé, critique la nouvelle version d’où
est absent le rejet de l’accusation de déicide.
30 septembre - ler octobre : Discussion sur le statut des annexes du schéma XIII (L’église dans le
monde de ce temps) : simples documents privés ou parties intégrantes du texte.
30 septembre - 6 octobre : Examen du schéma remanié sur la Révélation.
6-12 octobre : Début de l’examen du schéma sur l’apos-tolat des laïcs.
9-11 octobre : Après la protestation de dix-sept cardinaux, le pape renonce à faire refondre le schéma
sur la liberté religieuse par une commission comprenant trois opposants.
13-15 octobre : Début de l’examen du schéma sur le ministère et la vie des prêtres.
15-20 octobre : Examen du schéma sur les églises orientales catholiques.
20 octobre - 10 novembre : Examen du schéma XIII.
6-9 novembre : Examen du schéma sur l’activité missionnaire de l’Église.
10-12 novembre : Examen du schéma sur la vie religieuse.
12-17 novembre : Examen du schéma sur la formation des prêtres.
17-19 novembre : Examen du schéma sur l’éducation chrétienne.
19 novembre : Vote de la Constitution dogmatique sur L’église (Lumen Gentium).
19 novembre : Le pape retire le texte sur la liberté religieuse de l’ordre du jour et propose des
amendements au schéma sur l’oecuménisme.
19-20 novembre : Examen et abandon du schéma sur le mariage.
20 novembre : Vote du Décret sur les églises orientales catholiques (Orientalium Ecclesiarum) et du
Décret sur l’oecuménisme (Unitatis redintegratio).
21 novembre : Promulgation des trois textes votés.

1964-1965 : Troisième inter-session


2-6 décembre 1964 : Voyage de Paul VI à Bombay.
Janvier 1965 : Publication de l’Ordo missae et des rituels de concélébration et de communion
sous les deux espèces.
Mai : Constitution d’un groupe de travail commun entre l’église catholique et le Conseil oecuménique
des églises.
3 septembre : Encyclique Mysterium Fidei sur l’Eucharistie.

14 septembre - 8 décembre 1965 : Quatrième session


15 septembre : Institution du Synode des évêques.
15-21 septembre : Examen du schéma sur la liberté religieuse. Objections des cardinaux Ottaviani,
Ruffini et Siri et de Mgr Carli, au nom des « droits de la vérité ». Défense du texte au nom de la réalité
britannique (Mgr Heenan) et de celle des pays communistes (NN.SS. Wyszynski, Beran).
21 septembre - 8 octobre : Examen du schéma sur l’église dans le monde de ce temps.
7-18 septembre : Examen du schéma sur l’activité missionnaire de l’église.
14-26 septembre : Examen du schéma sur le ministère et la vie des prêtres.
517

4 octobre : Discours de Paul VI à l’O.N.U.


6-16 octobre : Vote du Décret sur la charge pastorale des évêques (Christus Dominus), du Décret sur
la vie religieuse (Perfecta caritatis), du Décret sur la formation des prêtres (Optatam totius), de la
Déclaration sur l’éducation chrétienne (Gravissimum educationis), de la Déclaration sur les relations
avec les religions non-chrétiennes (Nostra aetate).
Le texte sur le rapport avec les Juifs est adopté par une très large majorité (1763 voix contre 250).
17-24 octobre : Mise en congé de l’assemblée.
25 octobre : L’épiscopat français autorise de nouveau des prêtres à travailler à plein temps.
29 octobre : Vote de la Constitution dogmatique sur la Révélation divine (Dei Verbum).
9-12 novembre : Examen du schéma sur les indulgences. Suite aux critiques de Maximos IV et du
cardinal Dîpfner, Paul VI retire le texte.
10 novembre - 2 décembre : Vote du Décret sur l’apostolat des laïcs (ApostoLicam actuositatem), de
la Déclaration sur la liberté religieuse (Dignitatis humanae), du Décret sur l’activité missionnaire de
l’église (Ad gentes), du Décret sur le ministère et la vie des prêtres (Presbyterorum ordinis).
4 décembre : Célébration oecuménique à Saint-Paul-hors-les-Murs.
6 décembre : Vote de la Constitution pastorale sur l’église dans le monde de ce temps (Gaudium et
spes).
7 décembre : Levée des anathèmes entre l’église romaine et celle de Constantinople ; promulgation des
textes votés lors de la session.
8 décembre : Séance solennelle de clôture.

Période post-conciliaire
24-25 mars 1966 : Visite du Dr Ramsay, archevêque de Canterbury et président de la Communion
anglicane, à Rome.
5 octobre 1966 : Publication du Catéchisme hollandais.
26 mars 1967 : Encyclique Populorum progressio (le développement des peuples).
24 juin 1967 : Encyclique Sacerdotatis coelibatus (le célibat des prêtres).
25-26 juillet 1967 : Visite de Paul VI à Constantinople.
15 août 1967 : Constitution apostolique Regimini Ecclesiae universae engageant la réforme globale de
la Curie.
29 septembre - 29 octobre 1967 : Première réunion du Synode des évêques, sur la révision du code de
droit canon, le directoire catéchétique, les séminaires, les mariages mixtes et la liturgie.
26 octobre 1967 : Visite d’Athénagoras à Rome.
26 novembre 1967 : La Conférence épiscopale française accorde l’autorisation d’utiliser la langue
française pour le canon de la messe.
25 juillet 1968 : Encyclique Humanae vitae (la régulation des naissances).
22-24 août 1968 : Voyage de Paul VI en Colombie (discours de Medellin).
3 avril 1969 : Publication du nouveau Missel romain.
10 juin 1969 : Discours de Paul VI au Conseil oecuménique des églises.
Janvier 1970 : Le Concile pastoral de la province ecclésiastique des Pays-Bas vote l’abandon de
l’obligation du célibat sacerdotal.
Novembre 1970 : Fondation du séminaire d’Ecône par Mgr Marcel Lefebvre.
15 mai 1971 : Exhortation apostolique Octogesima adveniens (les questions sociales).
1er décembre 1974 : Publication par la Commission pontificale pour les relations religieuses avec le
judaïsme, des Orientations et suggestions romaines pour l’application de la déclaration conciliaire «
Nostra aetate ».
1975 : Célébration de l’Année sainte.
22 juillet 1976 : Mgr Lefebvre suspendu a divinis.
Février 1977 : Occupation de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris par les intégristes.
518

25 janvier 1983 : Promulgation du Code de droit canonique.


24 novembre - 8 décembre 1985 : Synode extraordinaire des évêques sur l’application du concile
Vatican Il.
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551

IX EXPOSE SUR LES BAKAMBI (laïcs responsables de paroisses)

On peut lire, dans les Œuvres complètes du Cardinal Malula1038, où ce dernier


explique comment il aura tiré le maximum de profit des orientations postconciliaires prises
par Paul VI. D’abord la « Lettre apostolique en forme de Motu proprio Ministeria quaedam
réformant la discipline de la tonsure, des ordres mineurs et du sous-diaconat dans l’eglise
latine » du 15 août 1972, qui, maintenant le diaconat, supprimait les ordres mineurs,
notamment le sous-diaconat, pour les remplacer par des « ministères » pouvant être « confiés
à des laïcs de telle sorte qu’ils ne soient plus réservés aux candidats au sacrement de l’ordre ».
Certes, les « ministères » alors cités sont le lectorat et l’acolytat, mais la porte n’était pas
fermée. Ensuite de fait, l’Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi de 1975 est plus
explicite et accorde beaucoup d’ouverture :

« les laïcs peuvent aussi se sentir appelés ou être appelés à collaborer avec leurs
Pasteurs au service de la communauté ecclésiale, pour la croissance et la vie de celle-
ci, exerçant des ministères très diversifiés, selon la grâce et les charismes que le
Seigneur voudra bien déposer en eux […] Nous encourageons l’ouverture que, dans
cette ligne et avec ce souci, l’Eglise accomplit aujourd’hui. Ouverture à la réflexion
d’abord, puis à des ministères ecclésiaux capables de rajeunir et de renforcer son
propre dynamisme évangélisateur. Il est certain qu’à côté des ministères ordonnés,
grâce auxquels certains sont mis au rang des Pasteurs et se consacrent d’une manière
particulière au service de la communauté, l’Eglise reconnaît la place de ministères non
ordonnés, mais qui sont aptes à assurer un service spécial de l’Eglise […] De tels
ministères, […] par exemple ceux de catéchètes, d’animateurs de la prière et du chant,
des chrétiens voués au service de la Parole de Dieu ou à l’assistance des frères dans le
besoin, ceux enfin des chefs de petites communautés, des responsables de
mouvements apostoliques ou autres responsables —, sont précieux pour
l’implantation, la vie et la croissance de l’Eglise et pour sa capacité d’irradier autour
d’elle et vers ceux qui sont au loin. »1039.

Il ne s’agit plus de services ou fonctions exercés par des laïcs, mais de la présence de
laïcs dans la direction des structures de l’Eglise jusque là réservée aux prêtres. L’une des
recommandations de la VIIIème Semaine Théologique de 1973 était le principe de
communautés ecclésiales dirigées par des laïcs, « sans que (son) rôle soit diminué par la
présence d’un prêtre qui viendrait y accomplir son ministère sacerdotal ». C’est donc tout à
fait logiquement que, tirant les conséquences de ces conclusions, montrant par là que la
« revalorisation » de la place et du rôle du laïc dans l’Eglise n’étaient pas que de pure forme et
ne se limitaient pas à l’exécution ou même à la collaboration, l’archevêque de Kinshasa
annonça dès septembre 1973, comme d’autres évêques par la suite, la décision, assez
inhabituelle il faut le dire, de « confier entièrement certaines paroisses à des animateurs
laïcs »1040, au besoin en retirant pour cela les prêtres qui exerçaient dans ces paroisses. Dans la
pratique, il y eut des « animateurs » dirigeant des paroisses, tels des curés, tandis que d’autres
laîcs, collaborateurs des responsables de paroisse, sont des « animateurs pastoraux ».

1038
De SAINT MOULIN, Léon, Œuvres complètes du Cardinal Malula…, op.cit., vol. 6 (Textes concernant le
laïcat et la société), p. 213.
1039
Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, du 8 décembre 1975, § 73.
1040
In Options pastorales, septembre 1973.
552

Le mokambi est un laïc qui dirige, dans une totale autonomie, une paroisse ; de telle
sorte que si, dans la tradition ecclésiale, les paroisses sont dirigées par des curés, ce système
autorise qu’à la place de prêtres des laïcs puissent aussi être placés à la tête de paroisses1041.
Au Congo, il y a ainsi des paroisses dirigées par des prêtres et d’autres dont le … « curé » est
un laïc. Outre l’administration de la paroisse, le mokambi a des charges pastorales et
d’animation de la paroisse, il dirige les assemblés liturgiques sans eucharisties, y prêche, y
distribue en communion des hosties déjà consacrées. Le diocèse de Kinshasa mit en œuvre
cette option et définit les différentes responsabilités du mokambi dans un Manuel du Mokambi
publié par le conseil épiscopal en janvier 1975. Ce manuel donne des précisions sur le
contenu des fonctions et les conditions d’accès aux fonctions de mokambi. Ce dernier a la
charge de la paroisse et en coordonne toutes les activités dont il répond directement sans
intermédiaire devant l’autorité diocésaine, il dirige la vie de la paroisse et décide, participe
aux réunions décanales. Nommé et installé par l’évêque, il doit remplir un certain nombre de
conditions : stabilité dans son mariage et dans sa vie familiale, une formation religieuse reçue
pendant deux ans à l’Institut Supérieur des Sciences Religieuses, insertion effective dans la
communauté paroissiale attestée par son esprit apostolique et une collaboration à la direction
ou à l’animation de la paroisse, reconnaissance de ses qualités par les membres de la paroisse,
etc. Cette fonction est bénévole, c’est pourquoi le candidat doit avoir un emploi rémunéré
stable ; mais, tout le temps qu’il sera « mokambi », il est, avec sa famille, logé dans la maison
paroissiale et tous les frais de sa charge lui sont remboursés par la caisse de sa paroisse. Le
mandat de mokambi est d’un an, il est renouvelable mais l’évêque peut le révoquer à tout
moment s’il s’avère que sa vie ne s’accorde plus avec les exigences de sa charge ecclésiale.

Le mokambi, chef de sa paroisse au même titre qu’un curé dans la sienne, est secondé
par un « prêtre animateur » et par un conseil paroissial dont il est le président et qui
comprend, outre le prêtre-animateur, d’autres laïcs responsables des services paroissiaux et
des différents mouvements en activité dans la paroisse (Action catholique, renouveau
charismatique, légion de Marie, etc.). Selon le Manuel du mokambi, le prêtre-animateur a la
charge du service sacerdotal : ministre de la Parole de Dieu (il prêche, supervise le contenu de
la doctrine et de tout ce qui est enseigné par le mokambi et ses autres collaborateurs, anime
des retraites, …) ; ministre des sacrements (il célèbre l’eucharistie, supervise la préparation à
la réception des sacrements organisée par le mokambi dans la paroisse ; pasteur (il aide les
laïcs à la prière et à la méditation, aide le mokambi et ses collaborateurs pour consolider leurs
connaissances doctrinales et pastorales, etc.). Mais si le mokambi doit respecter le prêtre-
animateur dans son ministère sacerdotal spécifique, ce dernier n’est pas au-dessus du
mokambi mais son premier collaborateur et son conseiller. Ce système ne crée pas des sous-
paroisses, les paroisses dirigées par des laïcs ne sont pas inférieures aux autres ; on peut dire
que le mokambi est « curé » dans sa propre paroisse, bien que « curé » entièrement à part,

1041
« Mokambi » est un mot lingala (l’une des 4 langues nationales, parlé dans les provinces nord, qui est en plus
le parler populaire de Kinshasa, dérivé du verbe « kokamba », diriger, conduire ; le « mokambi » de paroisse
signifie alors le dirigeant de la paroisse, pluriel « bakambi ». Dans d’autres régions, ce responsable porte le nom
dans la langue de la région, ainsi, par exemple au Kasaï c’est le « mulami ».
553

dans cette vision exceptionnelle où l’évêque délègue « certains aspects de ses pouvoirs
pastoraux à des ministres non-ordonnés »1042.

Pour autant, la situation ne doit être ni idylisée ni idéalisée ; ce système n’est pas sans
problèmes. Lors d’entretiens avec des « bakambi », plusieurs nous ont fait part de leurs
difficultés, liées à leur situation familiale (marié, père de plusieurs enfants, il n’a pas toujours
le temps de s’occuper de l’éducation de ces derniers et en même temps de s’employer à la
formation et au perfectionnement de ses collaborateurs), à leur situation professionnelle avec
une rémunération qui ne leur permet pas toujours de se consacrer prioritairement aux tâches
paroissiales, tandis qu’ils rencontrent, notamment au début de cette expérience, à une sorte de
résistance d’ordre psychologique de paroissiens longtemps habitués à se confier à « leur »
curé et pas toujours prompts à s’ouvrir à … un laïc, etc. Mais, une fois surmontées les
premières difficultés et vaincues les réserves de paroissiens, on s’est rendu compte que ces
paroisses ont fonctionné comme celles dirigées par des prêtres, avec ceci, en plus, que ces
« curés » laïcs eux-mêmes en bénéficient par l’approfondissement de leur vie spirituelle et
religieuse. Par ailleurs, sauf dans les paroisses rurales que le prêtre ne dessert que par
intermittence et où l’équivalent du mokambi (mulami, au Kasaï) est irremplaçable,
l’institution avait un temps stagné, longtemps on n’instituait plus de nouveaux bakambi, sans
doute face à l’hostilité de certains prêtres inquiets de leur monopole mais aussi avec le décès
de l’initiateur à Kinshasa, le cardinal Malula. Il nous a été dit que la hiérarchie actuelle est
déterminée à relancer ce mouvement qui a une valeur autre que simplement supplétive.

D’autres laïcs reçoivent diverses responsabilités, ce sont les animateurs. Les


animateurs sont choisis parmi des membres de la communauté d’âge mûr et ayant une vie
conjugale et familiale, professionnelle et sociale équilibrée. Ils sont nommés et délégués par le
curé après une formation spirituelle et religieuse approfondie pendant trois ans pour se voir
confier divers aspects des activités de la paroisse (cours de Bible, préparation au mariage,
rencontres décanales dans leur secteur, animation pastorale sous l’autorité du curé ou du
mokambi selon le cas, responsables de communautés, agents d’évangélisation, aumôniers
d’hôpitaux et responsables de succursales de paroisse, etc.).

X RESUME DES ENTRETIENS

a) Un prêtre en études à Kinshasa explique :


• Ce qui caractérise le rite zaïrois : sa structure différente celle du rite latin ; l’animation
liturgique, prédication vivante, chants et danses rythmés qui entraînent la participation des
fidèles ; fréquence des dialogues, grâce à quoi la liturgie devient une œuvre de l’ensemble de
la communauté ; usages des symboles traditionnels qui, sur le prêtre, représentent la majesté
de Dieu ; le recours au parler africain qui rend les prières et la louange significatives pour les
• fidèles et qui aiguisent leur ferveur ; enfin, sa longueur par rapport au rite romain.

1042
ALLARY, DELANOTE et VERHAERT, La fonction de prêtre-animateur dans une paroisse dirigée par un
laïc, Kinshasa, Ed. St Paul-Afrique, 1978,p. 11.
554

• Le sens du rite zaïrois : l’inculturation dans nos coutumes du message et de la mission du


Christ. Suivant, par cette inculturation, des assemblées communautaires et la structure d’esprit
des fidèles, le rite zaïrois prend une structure qui rend celle du Notre Père : louange-
demandes (notamment celle du pardon) et entrée dans les mystères de l’eucharistie avec le
repas.
• Pourquoi il n’est pas souvent utilisé : Il a eu une mauvaise réception, on dirait que les
autorités ecclésiastiques n’ont pas assimilé son importance. Les responsables ne l’ont fait
systématiser, n’en ont pas organisé une régulière application et ne le célèbrent pas
régulièrement eux-mêmes ; le rite n’est pas non plus pratiqué souvent dans les lieux de
formation sacerdotale (séminaire, universités catholiques…), le cours de liturgie, souvent
dispensé par des enseignants étrangers, n’approfondit pas les éléments de connaissance de ce
rite (son histoire, son contenu…). Père Augustin KANKU LUKUSA, missionnaire des Amis
du Christ, étudiant aux Facultés Catholiques de Kinshasa (a fait parvenir une réponse
manuscrite le 25 février 2008).

b) Deux curés de paroisses rurales :


• Leur appréciation du rite zaïrois est identique : une bonne décision de notre Eglise, un rite
à la fois beau et signifiant pour les fidèles. En particulier, les fidèles eux-mêmes apprécient le
style de l’homélie qui rend les propos concrets et qui adaptent la parole à la situation concrète
vécue en société ; ils apprécient également les symboles traditionnels, en ce qu’ils font figurer
le Christ en véritable chef de l’Eglise.
• Sur la fréquence des célébrations en rite zaïrois : l’un qui avait été contacté avant l’autre,
regrettait que ce rite ne soit pas suffisamment célébré, du fait que la hiérarchie ne l’avait pas
recommandé avec insistance. Mais, le changement à la tête du diocèse leur fait adopter une
même opinion sur le fait que, depuis quelque temps, l’archevêque a recommandé de célébrer
le plus souvent possible ce rite mais la pratique courante est d’une célébration par mois. Ce
rythme qui leur semble encore insuffisant, serait dû au défaut qu’ils trouvent, eux aussi, au
rite zaïrois : sa longueur due à une durée non déterminée, sans doute parce que les rubriques
et les séquences de chants ne sont pas délimitées tandis que les danses lors des processions ne
sont pas réglementées. Tous les deux espèrent que les choses s’améliorent. Abbés Arthur
NGANDU et Jean-Pierre KASONGA, respectivement curés de Demba Saint Jean-Baptiste
Kapinga-Ngombe et de Demba Saint Pierre (entretien par téléphone, le 19 juillet pour le
premier et le 13 août 2008 pour le second).

c) Entretiens avec un paroissien de Kinshasa et avec une paroissienne de Demba :


• Globalement, ils ne perçoivent pas les questions de structure et de rubriques.
• Ils ne font pas de différence entre le rite zaïrois et le rite romain célébré dans les langues
locales, se réjouissant de comprendre la célébration, de comprendre directement la Parole, de
chanter des chants connus de tous et qui les entraînent dans un rythme dansant traduisant la
joie mais aussi leur adhésion enthousiaste aux mystères. Ceci est dû surtout au fait que les
célébrants eux-mêmes, tout en connaissant les caractéristiques de l’un et de l’autre, ne
peuvent plus ne pas emprunter les avantages du rite zaïrois, aboutissant pratiquement à une
célébration mixte.
555

• Interrogés spécialement, ils reconnaissent tous les deux n’avoir jamais reçu de formation
sur ce rite pour en connaître la différence avec un rite romain célébré en langues locales.
• Ils ne perçoivent ce qu’on appelle inculturation qu’à travers la langue, les symboles et le
style oratoire, en particulier les anciens qui avaient connu la raideur (sécheresse) des
cérémonies latines.
N.B. : à cause de ce contenu et du fait que l’un de nos interlocuteurs a, depuis, regagné la
patrie céléste, nous nous abstenons de révéler leur identité (entretiens : 16 février 2008 à
Kinshasa et le 22 à Demba).
556
557

SOURCES
558

1. Documents conciliaires

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Texte original latin analysé par le P. Joseph de GUIBERT, S. J., in http://www.salve-
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Concile de Trente

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http://www.catholic.pf/troisieme%20session%20concile%20trente.htm

IVe SESSION, le 8e jour d'Avril 1546. DECRET des Ecritures Canoniques.


http://www.catholic.pf/quatrieme%20session%20concile%20trente.htm

XIIIe SESSION, le 11 Octobre 1551. DECRET du Tres - Saint Sacrement de l'Eucharistie.


http://www.catholic.pf/treizieme%20session%20concile%20trente.htm

XIVe SESSION, le 25 Novembre 1551. Exposition de la doctrine des sacremens tres-Saints


de Pénitence, & d'Extresme66oction.
http://www.catholic.pf/quatorzieme%20session%20concile%20trente.htm

Concile Vatican II (Source : http://asv.vatican.va/fr/arch/concilio.htm)

La constitution liturgique Sacrosanctum Concilium


Constitution dogmatique sur l’église Lumen Gentium
Constitution pastorale sur l’église dans le monde de ce temps Gaudium et spes.

Décret Ad Gentes
Décret sur la formation des prêtres Optatam totius
Décret sur l’apostolat des laïcs ApostoLicam actuositatem

Documents pontificaux

Encycliques

Maximum Illud, 30 novembre 1919


Rerum Ecclesiae, 28 février 1926
Summi Pontificatus, 20 octobre 1939
Mediator Die, 20 novembre 1947
559

Evangelii Praecones, 2 juin 1951


Fidei Donum, 21 avril 1957
Ad Petri cathedram, 29 juin 1959
Mysterium Fidei, 3 septembre 1965
Evangelii Nuntiandi, 5 décembre 1975
Slavorum Apostoli, 2 juin 1985
Redemptoris Missio, 7 décembre 1992
Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003

Autres

Bulles
Laetantur Coeli, 6 juillet 1439 (« réunification » des Eglises d’Orient et d’Occident à l’issue
du concile de Florence)
IIllud qui, 1442 (entérine les conquêtes du prince Henri le navigateur. en Afrique)
Romanus Pontifes, 8 janvier 1455 (confirme Henri le navig. et le monopole commercial
porugais.en Afrique Tout en se réjouissant des bienfaits de l’asservissement des populations
indigènes)
Inter coetera, 13 mars 1456 (Callixe III confie l’administration des possessions portugaises à
la confrérie chevaleresque d’Henri le Navigateur)
Aeterni regis, 21 juin 1481 (les terres conquises en Afrique confiées au Portugal)
Piis fidelium, 3 mai 1493 (lance les missions dans le Nouveau Monde)
Inter coetera, 4 mai 1493 (Alexandre VI partage le nouveau monde entre l’Espagne et le
Portugal)
Universalis Ecclesiae, 5 août 1508 (précisant les patronat et vicariat apostoliques des rois
d’Espagne sur l’Amérique)
Sublimi Deus, 29 mai 1537 (reconnaît les Indiens d’Amérique comme « Hommes véritables)
Regimini militantis ecclesiae, 27 septembre 1540 (approbation de la Compagnie de Jésus)
Exposcit Debitum, 21 juillet 1550 (remplace la précédente et confirma la Compagnie)
Quo Primum temporis, 1570 (promulgation du missel de Pie V)
Incrustabili, 22 juin 1622 (créant la Sacrée Congrégation de Propaganda Fide)
Ex quo singulari, 11 juillet 1742 (interdit les rites chinois)
Tra le Sollecitudini, 22 novembre 1903 (motu proprio de Pie X sur la musique sacrée)
Quam Singulari, 8 août 1910 (entre autres, autorisant la communion des enfants)

Décrets et Exhortations apostoliques

Décret Sacra Tridentina Synodus, 30 décembre 1903 (participation quotidienne à la


communion)
Décret Dominicae resurrectionis vigiliam, 9 février 1951 (restauration de la Vigile pascale)
Africae terrarum, 7 septembre 1969 (Message de Paul VI à l’Eglise d’Afrique)
Evangelii Nuntiandi, 8 décembre 1975 (sur l’évangélisation)
Catechesi Tradendæ 16 octobre 1979 (Exhortation apostolique de Jean-Paul II sur la
catéchèse)
560

2. Documents synodaux

JEAN-PAUL II, L’exhortation apostolique postsynodale Ecclesia in Africa, 14 septembre


1995 (consécutive au synode africain)
MARTY (Card.), François, L’Eglise des cinq continents. Principaux textes du Synode des
évêques, Paris, Ed. du Centurion, 1975.
CHEZA Maurice, (éditeur) - Le synode africain. Histoire et textes. Paris, 1996
CHEZA Maurice, DERROITTE Henri, LUNEAU René, (éditeurs), Les évêques d'Afrique
parlent: 1969-1991 : documents pour le synode africain. Paris, 1992

3. Documents de l’Episcopat congolais

Actes de la Vème Conférence Plénière des Révérendissimes ordinaires du Congo Belge et du


Ruanda-Urundi, 21 juin-1er juillet 1956, Documentation Catholique, 1956, n° 1234.
Actes de la VIème Assemblée Plénière de l’Episcopat, 20 novembre-2 décembre 1961, Ed. du
Secrétariat général de l’épiscopat, Léopoldville, 1961.
Actes de la XXIIème Assemblée Plénière, 9-12 août 1985, Editions du Secrétariat général de
la CEZ, Kinshasa, 1985 (document réservé)
Rapport de la session du 1 au 6 juillet 1985, Kinshasa, Editions du Secrétariat général de la
Conférence Episcopale du Zaïre, 1985
Actes de la XXIIIème Assemblée Plénière, 6-17 novembre 1986, Editions du Secrétariat
général de l’ECZ, 1986 (document réservé)
Directives de l’Episcopat congolais pour la célébration digne et correcte de la sainte liturgie
à l’occasion de l’année consacrée au ministère et à la vie des prêtres en RDC, Secrétariat
général de la CENCO, 2008 (texte non publié à ce jour)
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Cardinal J.A.Malula, 2 juillet 1970 (12 p.)
Projet-Messe congolaise. Elaboré par le secrétaire de la commission de liturgie (1970, 32 p.)
Document de base remis à la 3ème Assemblée générale du Synode des évêques sur
l’évangélisation, du 27 septembre au 26 octobre 1974, dans De SAINT MOULIN et
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TABLE DES MATIERES


Remerciements i
Dédicaces ii
Avant-propos iii

INTRODUCTION GENERALE 1

Des mots de la liturgie 2

Des choses de la liturgie 7

Problématique 9

Méthodologie 21

PREMIERE PARTIE SOURCES ET EVOLUTIONS DE LA LITURGIE


CATHOLIQUE « MODERNE » 27

I NAISSANCE ET DIVERSIFICATION DE LA LITURGIE CHRETIENNE 30

I.I CADRE CULTUEL DE GESTATION DE LA LITURGIE DE LA MESSE 31

I.I.I Les origines et la filiation juives : les assemblées synagogales juives 32

I.I.I.1 Le modèle juif 32

I.I.I.2 Les débuts des assemblées chrétiennes 33

I.I.I.3. Les chrétiens se démarquent 35

I.I.I.3.1. Le lieu de rassemblement 36

I.I.I.3.2. Le jour de l’assemblée liturgique 40

I.I.I.3.3. Le contenu de la liturgie de la Parole 42

I.I.II Les origines et la filiation juives : la liturgie eucharistique (Berakah et Eucharistie,


Birkat ha-Mazon et Prière eucharistique) 44

I.I.II.1 Le modèle inspirateur 44

I.I.II.2 L’eucharistie chrétienne 48

I.II LA FORMATION DE LA LITURGIE DE LA MESSE :


UN PROCESSUS EVOLUTIF 55

I.II.I Le cadre de formation de la liturgie de la messe 57


582

I.II.I.1 Le contexte 57

I.II.I.2 La ritualisation de la liturgie de la messe 61

I.II.II L’introduction et la liturgie de la Parole 64

I.II.II.1 L’entrée 65

Pourquoi un rite d’entrée 65

Une petite histoire du Kyrie 66

Les prières au bas de l’autel 68

I.II.II.2 La liturgie de la Parole proprement dite 69

I.II.II.2.1 Les lectures et l’homélie 70

I.II.II.2.2 La prière des fidèles ou prière universelle 72

I.II.II.2.3 Une petite histoire du Credo 73

I.II.III La liturgie eucharistique 75

I.II.III.1 L’offertoire et la préparation des dons 76

La goutte d’eau 77

I.II.III.2 La Prière eucharistique et le Canon de la messe 79

I.II.III.2 .1 Cadre conceptuel et structure 79

I.II.III.2.2 La Préface 83

I.II.III.3 Le Canon proprement dit 85

I.II.III.3.1 Les prières pré-consécratoires 85

I.II.III.3.2 La consécration 88

I.II.III.3.3 Prières post-consécration 91

I.II.III.4 La fraction du pain et la communion 96

I.II.III.4.1 La fraction du pain 97

I.II.III.4.2 La communion 102


La manière de communier 102

La question de la « sainte réserve » 107


583

I.II.III.4.3 Les rites après la communion 108

La Postcommunion 110

I.II.III.4.4 L’importance de la doctrine eucharistique 111

II.III.5 La conclusion de la messe 112

I.II.IV Les livres liturgiques : la formation du missel 114


II LE CONCILE DE TRENTE ET LE « RITE TRIDENTIN » 116
II.I LE CONTEXTE RELIGIEUX : la contestation doctrinale en toile de fond 116

II.II LE CONCILE ET LA REFORME LITURGIQUE : LA LITURGIE TRIDENTINE 123

II.II.I L’objet et l’œuvre du Concile 123

II.II.II La doctrine et la réforme liturgiques 129

II.II.II.1 Contenu de la réforme liturgique 130

II.II.II.2 Portée et sort de la réforme tridentine 135

III UNE INCULTURATION 139

III. ILA FORMATION DE LA LITURGIE NE SUIT PAS UN PLAN 140

III.I.I Le fait fortuit non pré-conçu 140


III.I.II L’improvisation 141
III.I.III Le rôle de la dévotion spontanée des fidèles 143
III.I.III.1 Besoin de compensation par une piété personnelle 144
III.I.III.2 La dévotion spontanée entraîne des gonflements du rite de consécration 145

III.II LA PREMIERE INCULTURATION 148

SYNTHESE DE LA PREMIERE PARTIE 161

DEUXIEME PARTIE L’EGLISE MISSIONNAIRE – L’INCULTURATION


IGNOREE 163

I LES DEBUTS DE LA « MISSION » : LE PADROADO ET L’EMERGENCE DE


L’EGLISE MISSIONNAIRE 166

II LA MISSION EN EXTREME-ORIENT 173

II.I LES DEBUTS MISSIONNAIRES EN EXTREME-ORIENT 173


584

II.II LE TOURNANT : L’ARRIVEE DE RICCI 176

III LA MISSION EN AFRIQUE NOIRE : LA COLONISATION ET L’EGLISE


MISSIONNAIRE 179

III. I LA PREMIERE EVANGELISATION : LE POIDS DU PADROADO PORTUGAIS 181

III.I.I Un royaume chrétien en Afrique Centrale côtière 183

III.I.II Un élan brisé 188

III.I.II.1 Le tentaculaire fléau de l’esclavage 188

III.I.II.2 Les faiblesses du système missionnaire du padroado portugais 194

III.I.II.3 Les dernières tentatives et les temps de la fin 198

III.II LA DEUXIEME EVANGELISATION : LE POIDS DE LA COLONISATION


BELGE 200

III.II.I La fondation des postes de mission : Léopold II exploiteur foncier et ropagateur de la


foi 200

III.II.II La collusion entre la mission et le colonialisme 205

IV EXIGENCE D’INCULTURATION DU CHRISTIANISME HORS OCCIDENT :


DES OCCASIONS MANQUEES 219

IV.I. MISSION ET DIFFERENCE DES CULTURES 219

IV.II LE CHOC DES CULTURES EN EXTREME-ORIENT 220

IV.II.I Les cultures chinoises résistent 221

IV.II.II Une inculturation avortée : la querelle des rites chinois 224

IV.III LE CHOC DES CULTURES EN AFRIQUE 229

IV.III.I Une inculturation refusée 229

IV.III.I.1 Religions et spiritualités traditionnelles africaines 229

Le messianisme africain 231

Les rites traditionnels africains 235

L’Africain et le Dieu chrétien 242

IV.III.I.2 La réponse missionnaire à la rencontre entre les deux cultures 246


585

IV.III.I.3 Une attitude commandée par la théologie missionnaire de l’époque 254

IV.III.II L’impossible inculturation 261

IV.III.II.1 La liturgie de l’Eglise missionnaire 261

IV.III.II.2 La question d’un clergé indigène 274

IV.III.II.3 La formation du clergé autochtone 280

SYNTHESE DE LA DEUXIEME PARTIE 285

TROISIEME PARTIE DE VATICAN II AUX RITES AFRICAINS OU


L’INCULTURATION RESTAUREE 287

I LE CONCILE VATICAN II ET LA REFORME DE LA LITURGIE 291

I.I LE MOMENT FAVORABLE 291

I.II L’AVENEMENT DU CONCILE VATICAN II ET LE RENOUVEAU


LITURGIQUE 294

I.II.I L’Eglise africaine au Concile 295

I.II.II La réforme de la liturgie : la Constitution De Liturgia 305

I.II.II.1 Présentation générale du contenu de la Constitution sur la liturgie 306

I.II.II.2 Les points forts de la Constitution 310

La simplicité des rites 310


La participation des fidèles 312

La question de la langue liturgique 314

L’adaptation au tempérament et aux conditions des différents peuples, principe


inducteur de l’inculturation 316

II LA LITURGIE DE VATICAN II ET L’ORDO MISSAE 321

II.I L’ESPRIT DU NOUVEAU MISSEL 321

II.II LA STRUCTURE DE LA MESSE 323

II.II.I Les rites d’entrée 323

II.II.II La liturgie de la Parole 323

II.II.III La liturgie eucharistique 326

II.II.IV La Communion 327


586

II.II.V Les rites de Conclusion 328

III LA DEUXIEME INCULTURATION, SOURCE MEDIATE DES RITES


AFRICAINS : LEGITIMATION D’UNE DEMARCHE 329

III.I. POSITION DU PROBLEME : INCULTURATION ET UNIVERSALITE DE


L’EGLISE 330

III.II L’INCULTURATION, UN DROIT REVENDIQUE 334

III.II.I L’Afrique s’empare de l’inculturation 335

III.II.II L’inculturation et la théologie africaine 342

III.II.III Quelques figures de la théologie congolaise 348

III.II.IV Le désir d’inculturation, une aspiration politique ? 354

IV LES RITES AFRICAINS 363

IV.I LES SOURCES IMMEDIATES DU RITE ZAIROIS DE LA MESSE : LES


OPTIONS CONCILIAIRES ET LES DECISIONS DE L’EPISCOPAT ZAIROIS 363

IV.I.I. Directives conciliaires en vue de l’inculturation liturgique 364

IV.I.II Initiatives et recherches des Eglises africaines 366

IV.I.II.1 L’œuvre « prophétique » de la VIe Assemblée de l’épiscopat congolais 367

IV.I.II.2 Les résultats des recherches post-conciliaires 372

Redécouvrir les religions traditionnelles africaines 372

Nécessité d’adaptation 377

IV.I.II.3 Les caractéristiques des liturgies africaines 383

Une fête de la communauté 384

Un mémorial en compagnie des ancêtres, intermédiaires auprès de Die 388

Un style oral et dialogué 393

L’usage exclusif des langues africaines locales 394

Une question laissée en suspens : l’inculturation des matières eucharistiques 396

IV.II LE RITE ZAIROIS DE LA MESSE 399

IV.II.I L’avènement du rite zaïrois 400


587

IV.II.II Explication du rite zaïrois de la Messe 407

La vision spirituelle de la vie dans la tradition africaine. 407

L’imitation du style et l’adoption de la structure de la « Palabre africaine » 409

La participation pleine et active de tout le peuple aux actions liturgiques. 411

Les styles oraux africains. 413

Création de ministères spécifiques nouveaux 414

Autres innovations. 417

IV.II.III Structure de la liturgie zaïroise de la messe 419

IV.III AUTRES RITES AFRICAINS 435

IV.III.I L’expérience de Ndzong-Melen 435

IV.III.II La messe malawienne 439

IV.III.III La « Prière eucharistique africaine » (la All Africa Eucharistic Prayer) élaborée par
l’AMECEA 440

IV.III.IV Une prière eucharistique Igbo (Nigeria) 444

IV.III.V La liturgie de Tshikapa-Kele (Diocèse de Luebo, Congo-Zaïre) 447

IV.III.VI Proposition d’une synthèse pour une liturgie africaine type : la messe de Saint Merry
(Paris, novembre 1981) 451

IV.III.VII Quelques prières particulières 457

Les credo africains 457

Lilongwe 458

Préface de Cijiba 459

SYNTHESE DE LA TROISIEME PARTIE 461

CONCLUSION GENERALE 463


ANNEXES 481
I Extrait de la Première Apologie de Saint Justin adressée à Antonin-le-Pieux en faveur des
chrétiens 482
II La Didachè ou Doctrine des Douze Apôtres (extraits) 483
III. Quelques documents du Concile de Trente 484
IV Un commentaire allégorique : la proclamation de l’Evangile à la messe 511
V. Convention du 26 mai 1906 entre le Saint-Siège et l’Etat Indépendant du Congo 512
588

VI Quelques repères chronologiques sur la mission 514


VII. Chronologie du Concile Vatican II 515
VIII L’Ordo Missae du rite zaïrois 519
IX Exposé sur les bakambi 551
X Résumé des entretiens 553

SOURCES 557

BIBLIOGRAPHIE 561

TABLE DES MATIERES 581

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