Une - Année - À - Florence - DUMAS, ALEXANDRE PDF
Une - Année - À - Florence - DUMAS, ALEXANDRE PDF
Une - Année - À - Florence - DUMAS, ALEXANDRE PDF
Alexandre Dumas
A PAR
j~
AMXAWDRE BtJMA~
· PAMS
AU t{URE.AU DU S~CLE,i6, RUE DU CRO~Sl~
A!<t:tm< NOTH. CO!.MM.
i85t.'
J~mpr~~t~tt~ t!~a~c
LE LAC M CUGES ET LA. FONTAINE DE ROUGIEZ. -Ah 1 vous ne connaissez pas Rougiez. Rougiez, mon
cher, c'est un village qui, depuis la création, cherche de
l'eau. Au déluge il s'est désaltéré; depuis ce jour-là bonsoir.
En soixante ans, il a changé trois. fois de place; il cherche
J'étais à Marseille depuis huit jours, et j'y attendais avec une source. Jamais Rougiez n'élit un maire sans lui faire
d'autant plus de patience le moment de mon départ, que j'a- jurer qu'il en trouvera une. J'en ai connu trois qui sont
vais i'hOté! d'Orient pour caravensérail et Méry pour cice- morts à la peine, et deux qui ont donné leur démission..
rone. Mais pourquoi Rougiez ne fait-il pas creuser un puits
Un matin Méry entra plus tôt que d'habitude. artésien ?
Mon cher, me dit-il, féiicitez-nous, nous avons un lac. Rougiez est sur granit de première formation; Rougiez
Comment, lui demandai-je en me frottant les yeux, frappe le rocher pour avoir de l'eau, il en sort du feu. Ah 1
vous avez un lac? vous croyez que cela se fait ainsi. Je voudrais vous y voir,
La Provence avait des montagnes, la Provenceavait des vous qui parlez. En ~8~0, oui, c'était en <8)0, Rougiez prit
neuves, la 'Provence avait des ports de mer, des arcs de l'énergique résolution de se donner une fontaine. Un nou-
triomphe anciens et modernes, la bouillabesse, les devis et veau maire venait d'être nommé, son serment était tout frais,
l'ayoli mais que voulez-vous, elle n'avait pas de lac Dieu il voulait absolument le tenir. Il assembla les notables, les
a voulu qué la Provence fut complète, il lui a envoyé un lac. notables nrent venir un architecte
–Et comment cela? Monsieurl'architecte, dirent les notables, nous voulons
!i lui est tombé du ciel. une fontaine.
-Y a-t-il. longtemps ? Une fontaine, dit l'architecte, rien de plus facile)
Avec les dernières pluies j'en ai appris la nouvelle ce Vraiment? dit le maire.
matin. -Vous allez avoir cela dans une demi-heure.
Mais, nouvelle officielle ? L'architecte prit un compas, une règle, un crayon et du
Tout ce qu'il y a de plus officiel.
–Etoûest-i), ce lac? papier, puis il demanda de l'eau pour délayer de l'encre de
la Chine dans un petit godet de porcelaine.
A Cuges, vous le verrez en allant à Toulon c'est sur
votre route. -De l'eau P dit le maire.
Et les Cugeois sont-ils contens t -Eh bien 1 oui, de l'eau.
Je crois bien qu'ils sont contens, pardieu 1 ils seraient Nous n'en avons pas d'eau, répondit le maire si nous
bien difficiles. avions de l'eau, nous ne vous demanderions pas une fon-
Alors Cuges désirait un lac? taine.
Cuges? Cuges aurait fait des bassesses pour avoir une –C'est juste, dit l'architecte. Et il cracha dans son go-
citerne; Cuges était comme Rougiez; c'est de Cuges et de det et délaya l'encre de la Chine avec un peu de salive.
Rougiez que nous viennent tous les chiens enragés. Vous Puis il se mit à tracer sur le papier une fontaine super-
connaissez Bougiez ? be, surmontée d'une urne percée de quatre trous a masca-
-Non, ma foi 1 rons, avec quatre gerbes d'une eau magnifique.
Ah ah ) 1 dirent le maire et les notables en tirant la tables adressèrent une pétition à la Chambre. Malheureuse-
tangue, ah voilà bien ce qu'il nous faudrait. ment la pétition tomba au milieu des émeutes du mois de
Vous t'aurez; dit l'architecte. juin il fallut bien attendre que la tranquitlité fût rétablie.
Combien cela nous coùtera-t-il 7 Cependant le mal avait un peu diminué. Comme nous
L'architecte prit son crayon, mit une foule de cMCres,Jes_, ~vons dit, l'eau s'était rapprochée d'une lieue et demie:
uns sous les autres, puis il additionna. c'était bien quelque chose; aussi Rougiez aurait-il pris sa
Cela vous coûtera vingt-cinq mille francs, dit l'archi- soifen patience, sans les épigrammes de Nans.
tecte. –Mais, interrompit Méry, usant du même artificeque
–Et nous aurons une fontaine comme celle-là P? l'Arioste, cela nous éloigne beaucoup de Cuges.
–P)usbei)e. Mon cher, lui répondis-je, je voyage pour m'instruire,
Avec quatre gerbes d'eau semblables ? tes excursions sont donc de mon domaine. Nous reviendrons
Plus grosses. àCuges par Nans. Qu'est-ce queNans?
Vous en répondez?il -Nans, mon ami, c'est un village qui est fier de ses eaux
-Tiens, pardieu Vous savez, mon cher, continua Méry, et de ses arbres. A Nans, les fontaines coulent de source, et
les architectes répondent toujours de tout. les platanes poussent tout seuls. Nans s'a'euve aux casca-
Eh bien dirent les notables, commencez la besogne. des de Giniès, qui coulent sous des trembles, des sycomores,
En attendant, on atGcha ,le plan de l'architecte à ;)a mai- et dès-chênes Mânes -et ~erts. Nans.-fMtemi&e ~vac-cettc
rie tout ID village.a!la le. voir, et u'en .revint que (plus al- 1 tongue'dhaîne de montagnes gui porte comme un aqueduc
téré. nature)Bes eanxSte Satnt-CasStBM aux v~lé& theasalaennes
On se nul àlailler les pierres du bassin, èt dix ans après, de Gem'enos.T)ieu à versé Teau ét l'ombre sur T{ans, en se-
c'est-à-dire le )" mai <820, Rougiez eut la satisfaction de couant la poussière sur Rougiez. Respectons les secrets de
voir ce travail terminé i) avait coûte ~o,000 francs. La con- la Providence.
fection de l'urne hydraulique fut poussée plus vivement, Or, chaque fois qu'un charretier de Nans passait avec son
cinq petites années sufHrcnt pour la sculpter et la mettre en mulet devant le bassin de Rougiez, il défaisait le licou et la
place. On était alors en <825. On promit à l'architecte une bride de son animal, et le conduisant à la vasque de pierre,
gratification de mille écus s'il parvenait, la même année, à l'invitait à boire l'eau absente et attendue depuis 48)0. Le
mettre ta fontaine en transpiration. L'eau en vint à la bou- mulet attongeait la tête, ouvrait la narine, humait la chaleur
che de l'architecte, et il commença à faire creuser, car il de la pierre, il fait un soleil d'Afrique à Rougiez, et
avaitjeuTa m~5~ia$eque vous, un puits artésien. A cinq ¡ -jetait -a -snn maître un oblique regard, comme pour lui re-
pieds sous le sol, il trouva le granit. Comme un architecte procher sa mystification. Or, ce regard, qui faisait rire à
ne peut pas avoir tort, 1 dit qu'un forçat évadé avait jeté gorge déployée le Nansais, faisait grincer des dents aux
son boulet dans le conduit, et qu'il allait aviser à un autre Rougiessains. On résolut donc de trouver de l'argent à tout
moyen. ifncnt)!Mr~)Vtrr
<'
faire
prix, dût-on vendre les vignes de Rougiez pour boire de
tfT prendre patience aux notables, l'eau; d'ailleurs les Rougiessains avaient remarqué que rien
l'architecte planta autour du bassin une belle promenade de n'altère comme le vin.
platanes, arbres friands d'humidité, et qui la boivent avec Le maire de Rougiez, qui a cent écus de rente, donna
délices par les racines. Les platanes se laissèrent planter, l'exemple du dévoûment ses trois gendres l'imitèrent. H
maisils.promijrent.bicndene pas.pousser une feuille tant avaLt.mapiéj ses 4.rtMSAUps~ dan~ -)'t~r~e~t<}uan~sa
qu'on'ne leur donnerait pasd~au; le maire, sa femme et pauvre femme, ette était morte sans avoir eu !à consolation
ses trois nDes, aDcront tous les soirs, pour les .encourager, de voir couler la fontaine. Tous les administrés, entraînés
se .promener à l'ambre Ue leurs jeunes troncs. par un élan national, contribuèrent au prorata de leurs
Cependant, 'Rongiez., après avoir fait ses quatre repas. moyens.; on atteignit un chiffre assez, élevé .pour oser diceàà
était obligé d'aller'boire à une source abondante qui voulait t'architectc:Cdmmëncez'!ecana). v
à (rois .fieues.au midi c'est dur quand on a.payévingt-cinq TEn'nn, 'mon cher,, continua Mëry,, ap!'es Ylhtg'i-s'ts/.ans.'cf'es-
mille francs pour avoir de .l'eau- pérances conçues et aétru~es, lès 'travaux ont'été termines
L'architecte redemanda cinq autre mille francs, mais.la la semaine dernière.; .l'architecte fépondit du-résulta~.t~i-
bourse de la commune était à sec comme son bassin. nauguration ae ta fontaine Tut 'flxee:au d'imanctie savant, et
La révolution de .jmllët arriva les'habUans de Rougiez le maire de Rougiez 'invita, .par .des aûiches et des citputa!-
reprirent espoir, mais rien ne -vint. Mors le maire, .qui était res, tes popùlations des communes voisines assister à la
un'homme lettre, .se ranpeJale procède des Romains, qud grande fête de l'eau sur ta .place de Rodiez.
a!!aienttchercn.er Teau où étlc,ëtait p:t qui 'ramenaient ou lis Le .programme .était court, ce qui nel'aura!< rendu que
en quête.
voulaient qu~HeJfû.t témon 1e.pont du Gard. 'H .s'agissait meilleur, s'il e&tetÉÏenu.
donc toutLonnementde trouver .une source un jpeu mou)s
éloignée que celle où'Rougicz allait se désaltérer.ûn.se.mi.t
Le vô~cj
((Art. etun'ique.Je maire DuvriM te "bat sur ~aa'
place ue'tàpontainc, et aux premiers sons-tLu lamb(Mirin,)a
Au bout d'un an de recherches on trouva une .source qui fontaine coulera.
n'était qu'à une lieue et demie de Rougiez~ c'étatt d~à moi- Vous comprenez, mon cher, ce qu'une paMitIe.~mtorce
tié chemin d'épargné. attira de curieux..Ueut -d'énormes .pans <!e fa<ts~ tes uns
Alors on délibéra pour savoir'sTI ne 'vainlràit psrs fnieux parièrent que ia'fon'ta'ine coulerait, les autres parièrent
aller chercher'ie'villagc,sa fontaine et ses platanes, ttles la fontaine ne coûterait pas.
q
amener 'a t)a source, <que :de conctutre la soarce ao 'v?Mage. On vint à la fête de tous les vIHages circonvoisins, de
MaMfewreusenienHe moire avait ane'bell'e'vae de 5esfet)%- Tretz, qui s'enorgueilfit de ses redoutes romaines, d~ Plan-
très, et i) craignaM'de'la'perdre 'il iint en conséquence à ce d'Aups, illustré par .l'abbé Garnier; de Pépin, Corde ses
que ce fût la source qui vint le trouver. mines de'ttouiïtes; deSaint-Maximin, qui conserve la Icte
On eut de nouveau recours à l'Architecte, avec lequel on de sainte Madelaine, grâce à laquelle le villageoblient de la
étaitcn froid. D~cmajtda vingt.mille francs pour creuser un ptuie. à volonté.de Tourves, qui ~u-les amours de Val-
canal. belle et de mademoiselle Clairon de Bessc, qui donna nais-
Rougiez n'avait pas le premier milledes vingt mille francs. sance au fameux Gaspard, le plus .gâtant des voleurs (<), et
Réduit à cette extrémité, Rougiez se souvint qu'ail existai enfin du vallon de Ligmore gui s~étend aux.lituites de l'anti-
une chambre. Le maire, qui avait .fait un voyage Parist
assura même que chaque fois qu'un orateur montait;à la .tri, !(t) Gaspard de 60~6, voyhnt un de ses hommes qui voulait totf-
bune, onlui apportait un verre d'eau sucrée. II pensa donc
des vivaient pcr le doigt d'une femme parce qu'il n'en pouvait pas .tirer «M
que gens qui dans une telle abondance ne lais- bague précieuse, mit terre devant elle, et tira la ba-
seraient pas leurs compatriotes mourir de la pépie. Les no- gue avec ses dents, un genou en
que'Gargamas.vous-même, mon. cher, si vo~s ëHez.vtm'a C'était juste ce que prédisait Nostradamus.
deux jours plus tôt, vous auriez pu y aller. R'ougioz, scanoc tenant et dans: )e' premier' mouvement
Nans:arriva enfin avec tous.sc5.mu)ëtssa~siicou~et'sans d'entiteuMasme*, s'impo&a'une'nom'cHe'ccmtfiBu~ont
BrMe, déclarant qu~eiic ne'epoipa~ à' Feau'que quand ses Puis tous les villages, vioion~cnt~'et. mulets en'qucue,
mu«s~ auraient Bw se rendirent aux fontaines de Saitrt-Genië~, où te !)a) recom-
C'était à cinq heures que devait s'ouvrir le bal. On avaft mença, et où les danseurs se HvrarenC & mre= orgie hydrau-
attendu que la grande cha<M)r CfUt pass~tf, (? pear'que les lique digne de i'age d'or.
danseùns m' dassëehassant ia' fontaine. Cinq n'cm'as-son- En attendant, Rougiez, tranquillisé par la prophétie de
~rcnt. Nostradamus, compte sur L'an-40. Maintenant vous compre-
ï!'yeuetm'momenfdbairBnceso)e!fm'r. nez, mon cher, combien Rougiez doit être furieux du bon-
te'ma~re'aira inviter'sa'danseuseetviht se'm'eMre en'p~BB heur qui arrive à Cuges.
avee'eDb, le visage tourné vers !a tontine. Ees persom~cs Peste 1 je crois bien Mais est-ce bien vrai que Cuges
indiquëcs~poup-Gompiëter'Ie'q~tadrn~isaisirent son exem- aituniac?
pt:.~hJssitoHesnnitetSd6 N.fnfs- a'apprsstent dtr baexin. Parbleu 1
Les~vw~nsdonTfent~ Hey na~eo))~ pfë!udt!n<?e!fnot)es Mais un vrai lac 7?
e)aire?~ sonores eonnnB')e'ctran~.de')~bueH<B'. –'Ujt vrai' tac li pris.si gnam~ qtre~e-tao'Ontafib', trîjque le
Le'3%)Ta!'e&td'<mM;Ja ï'HoupneHe* commence. Mf~BtëTH* lac Léman, pardieu~! mais.nn'lac comnre )!e' lac d'Engniënt
lë'maitre- est a ta gaùene' d<6's~ dansense, ? pied'dfo~ en –Mais comment ceias'est-i~ fait?'
avanC;' tbns les yeux sont n~ës sur )frBspccta))!e ma~stpat –Voi)à!. (Eugcs est! situe-dans'unentonnoir. 1); est'toïntB
qui, comprenant rimportanceda'sa'sauat&m', pedc~Icdë beaucoup de neige cet hcvH'; et beaucoup' d'eau cet et6: Ba
d!gniM: 'L'àrcaitecte~ la-'B~uettfa !a' mafn', strt~eat prêt, !t)M)ge'e~)~eau' r~uai'esontfattnn.iac. Ce lac; à'ce~H< pa-
comme'Mo~B.a'fMpper. ra!~ s'ëst'.mis en sommu'nicadon'arYeo'dea sources qui ont
-En avant deux crie l'orchestre.En avant deux poupt~
1 pmmBade'Fa~menter: Des canarde saniva~BS qui pnssa?ent
rrëh'!5' l'ont pnsau serienx, etse sent abattus: dessus. Du'monrsnt
te mafre' et; sa da~'sMSC s'~n'ce~t'VBrs!tc ibtttaite' pocr et)i!)yxemde5 canards- sur- fe It)t[!, on construit des' ba-
ar
gafuer l't'au' nàfssan<b'~ fentes' fes= Bou'cne? a~ntp't~vn'nt teaux pour leur donner ia chasse. De sorte qu'Qncnagae
pour'aspirEr'ces premfèrc~ gout~~aHend~e~depa'fs 4~0; déjà sur )e lac deCagas, mon cher. Oh n'y'p~che'pas encore,
!esmn)ets ~nmascnt d'ëspëranBS, L'architecte te~esa'ba~- c'est vrai- mais ]a' pèche' est déjà )'ouëe' pour l'année pro-
~eH~:NaT)~es~atiattue,R'<t<igiMtriomphe: chaine.-Quand'vous y passerM, faites-y~ attention' soir'et
TouOà' coup'it'~viMons' s'aff~nt, ?9 uageoitts fonCun matin, it' a' une'vapemr. C'est un-vrai i5pc~
canard', Fes 6agtreMes resCent sn'spend'n'es~ –VnxsMtendor, ~<je!) Jadin qtu entMt, !)' nous faut
MtrcMtfcte a frappe la faTftaine'db' sa.vBrga, mafis.!a <b!t- un dessin de Cuges: et <te son lac.
ttiire'n'a pas'cotrré'. Le matrc pa)<t, jette guT'rarcMtcetfnn On vous )e fera, répondit Jadin mais le déjeuner'?'
regard-foudroyatM. ~rcMtccte frappe la~ataine- d'un' se'- C'estt TMM, dia-je'à~Méry; eOe'd~euner?
cond coup. L'eau ne' para~ pas. C'est juste, BepntM~ry, ee' maudit )ac de Ctrges'm'A-
]~ns'it,.T'ret~s'&)digne,Fcpfn'Bondit, Bessej-nre', Satnt- iait< fait perdre la't'été. Le déjeuner vous attend' an château
Hatrmin's~rrite tous' les v!!)a'gcs invites à ta' Mtë menacent <Mf.
Rougiëz'd'unp SBdrtion'. Le m'aire tire' soir écnarpe d8'sa po- –Et <omment.al)ons'nonsau château cPK?'
che', Ta roDfè autour de' son abdomen, et d~are' que-force Je ne vous l'ai pas dit?
restera a' la ior. –Mais'.non.
Croyez ça et buvez de l'eau, répond Nans. –BS~e'.d&iaedB Cagast c'est encopes~fauH' c'est <~ne
–Mionstem'Farcnitecte'rcna le maire, monsieur t'aMhi- c'est tcn )a~ nMm d))M'; parafe ~honneu~ un vrai tac. Eh
Metc, vous m'avcx'repondu de')a fbntaHte:d'<9û ïi'enPque'ta Bien matsTtKtsa))ëz' au'Gitateau) d~f'dans-un'cHarma!)t h9t-
fontaine ne coule pas'?" teau qu'un de nos amis vous prêter un bateau ponte'aveole-
E'areltittcFe'pnt aon crayon, tira' des~ lignes. superposa (~ueion'i<KtMau!t!ndes.
aes'chifR-e~, cta~rësun quprt d'heure' de' calculs, dedara Et oùest-iHa bateau?'
–N.voaa.aMend's~r'tepoct.
que les deux carr)?s'eonst~u~ssur )~s: pecHes tfgnes:~e'))y-
pe~~ttsë étant* <%auyau) troisième', !a'fo~~?~ne-ë~ait-cM~gee iflions.
–Eh bien!
–Nom.p~a'iiez.
de coûter.
Et pourtant, dit Nans etr hoan< Roo~e~ etîe'Be eou!e Comment, vous ne venez pas avec nona?'
c'était ra'mente' ctose' qtre' le Pafe'~t'M de'GaMée, M)0<, aller e~met, <tiitiMery';je:n!iTais.paB atif !e' lac
pas
excepté que c'était tout le contraire. deLCages~
'Satnt-Za'chafrie~a'inMrposaet'prêcha' !a mofteMtiM~ C'é- Mery, i'host)tta]<t~ exige ~e'vouBnou~ accompagniez.
tittfMen faei)e''a Satni-zactrarie. Saiht'-ZacHarM'donne nais- Jes~s Uicn'q~e'je suis dany mon tort; mais' que vou-
sance à cette belle rivière de i'Huveaume,qui' roule tambde tM~'ousï:
poussière dans son lit. -~Je vpu~un'dc~mm'a~ement'.
Etr m~me temps', tme'YieH<e' femme s'avança avec !es. een- –Lequel?
tmcies de Nostradamus, rëc]ama')e sHence, et lut !a centurie –CenFTBr~surMafsciDe pendant' que nous irons' au
suivante chateau~tn.
–Deux eents~ai voua voulez.:
Sous bois b6nict de saincte p&pilcnte,. C'est) cMfenu'.
Avec pépie et géhenne au gcsier,
bougiez bevra bonne eau en l'an quarante,
–Arrêté,
En grand soulas et liesse en Mvrier. –.Songez-y, nous serons de retour dans deux heures.
Dans deux. hruTes.voscont'vcrs seront faits.
Cette prophétie est ciaire comme de l'eau de roche, Cette convention, conoiue, nous nou& rendimes sur te'port.
dit )c maire. A chaque personne qu'! Méry rencontrait
suis (rompe.
Et elle sera accomplie, dit l'architecte, c'est moi qui me
Ah
j
s'écria î~ougiëz triomphant, ce n'est point la faute ne
Votts'savcz'y (tisnit-i)', que euges a nn )ac'.
Pantieu répondaient les. passans, un~ lac superbe~ on
peut pas en trouver le fond,
de la fontaine. –Yoy('z-vous!?fép~Oi<'Mcry.
C'est la mienne, dit t'architecte~ te e!ma)! dWair Ctre Su!')c'()uaitt'Ot')mtMnous trouvâmes un charmant t'a-
creusé en H~neconvetc, il a. été' creuso- en ligne. concave. teau qui nous attendait.
C'est une aO'ji're de quatre ou'einq ans pRt'o'e, et d'une di- Voi!a votre C!))))~)'caHo]), nous-dit Mëry: é'
zaine de mille francs :)u ptus, pui& la fontaine'coutet'a. –Et j'aurai mes vers?
Ils seront faits. rinage politique, comme la Sainte-Beaume est un pèlerinage
Nous descendlmesdans le bateau, tes bateliers appuyèrent religieux.
leurs rames contre le quai, et nous quittâmes le bord. Le château d'If était la prison où l'on enfermait autrefois
Bon voyage nous cria Méry. les fils de famille mauvais sujets; citait une chose hérédi-
Et il s'en alla en disant tairement convenue le fils pouvait demandw la chambre
Ce diable de Cuges qui a un lac du père.
Mirabeau y fut envoyé à ce titre.
Il avait un père fou et surtout ridicule; il l'exaspéra par
iesdéréglemensinoutsd'une jeunesse où débordait la sève
des passions; tous ses pas jusqu'alors avaient été marqués
par des scandales qui avaient soulevé l'opinion publique.
Mirabeau, resté libre, était perdu de réputation. Mirabeau
IMPROVISATION. prisonnier fut sauvé par la pitié qui s'attacha à lui.
Puis cette réclusion cruelle était peut-être une des voies
dont se servait la Providence pour forcer le jeune homme a
Le premier monument qu'on aperçoit & sa droite, quand étudier sur lui-même la tyrannie dans tous ses détails; il en
on va du quai d'Oriéans à la mer, c'est la Consigne. résulta que, lorsque la révolution s'approcha, Mirabeau put
La Consigne est un monument de fraîche et moderne mettre au service de cette grande catastrophe sociale, ses
tournure, avec de nombreuses fenêtres garnies de triples passions arrêtées dans leur course et ses colères amassées
grilles, donnant sur le bassin du port. pendant une longue prison.
Au dessous de ces fenêtres sont force gens qui échangent La société ancienne l'avait condamné à mort il lui ren-
des paroles avec les habitans de cette charmante maison. voya sa condamnation, et le 2t janvier <T95 l'arrêt fut exé-
On croirait être à Madrid, et on prendrait volontiers tous cuté.
ces gens pour des amans qui se cachent d'un tuteur. La chambre qu'habitaMirabeau, la première et souvent la
Point; ce sont des cousins, des frères et des sœurs qui ont seule qu'on demandeà voir, tant le colosse républicain a em-
peur de la peste. pli cette vieille forteresse de son nom, est la dernière à
La Consigne est le parloir de la quarantaine. droite dans la cour, à l'angle sud-ouest du château; c'est un
Un peu plus loin, en face du fort Saint-Nicolas,bâti par cachot qui ne se distingue des autres que parce qu'il est
Louis XIV, est la tour Saint-Jean bâtie par le roi René; plus sombre peut-être. Une espèce d'alcôve taillée dans le
c'est par la fenêtre carrée, située au second étage, qu'essaya roc indique la place où était son-lit; deux crampons qui sou-
de se sauver on 93 ce pauvre duc de Montpensier,qui a laissé tenaient une planche aujourd'hui absente, la place où il
de si charmans mémoires sur sa captivité avec le prince de mettait ses livres; enfin quelques restes de peintures à
Conti. bandes longitudinales bleues et jaunes, font foi des amélio-
On sait que la corde grâce a laquelle il espérait gagner rations que la philanthropie de l'ami des hommes avait per-
la terre étant trop courte, le pauvre prisonnier se laissa tom- mis au prisonnier d'introduire dans sa prison.
ber au hasard et se hrisa la cuisse en tombant; au point du Je ne suis pas de l'avis de ceux qui prétendent que Mira-
jour, des pécheurs le trouvèrent évanoui et le portèrent chez beau captif pressentait son avenir; il aurait fallu pour cela
un perruquieroù il obtint de rester jusqu'à son entière gué- qu'il devinât la révolution. Est-ce que le matelot, quand le
rison. ciel est pur, quand la mer est belle, devine la tempête qui le
Le perruquier avait une fille, une de ces jolies grisettes jettera sur quelque ile sauvage, dont sa supériorité le fera
de Marseille qui ont des bas jaunes et un pied d'Andalouse. le roi?
Je ne serai pas plus indiscret que le prince, mais cela En sortant de la chambre de Mirabeau, l'invalide,qui sert
me coûte. H y avait une jolie histoire à raconter sur cette de cicerone au voyageur lui fait voir quelques vieilles plan-
jeune fille et le pauvre blessé. ches qui pourrissent sous un hangard
Nous laissâmes à notre droite le rocher de l'Esteou nous C'est le cercueil qui ramena le corps de Kléber en France.
étioas juste sur la Marseille de César que la mer a recou- A notre retour nous trouvâmes Méry qui nous attendait
verte. Quand il fait beau temps dit-on, quand la mer est en fumant son cigare sur le quai d'Orléans.
calme, on voit encore des ruines au fond de l'eau. J'ai bien Et mes vers? lui criai-je du plus loin que je l'aperçus.
peur qu'il n'en soit de la Marseille de César comme du pas- Vos vers?
sage des pigeons. Eh bien 1 oui, mes versPP
Au pied d'un rocher, près du Château-Vert, nous aper- Ils sont faits, vos vers, il y a une heure.
çûmes Méry; il nous montra qu'il avait à la main un papier Je sautai sur le quai.
et un crayon. Je commençai à croire qu'il avait aussi bien Où sont-iis ? demandai-je en prenant Méry au collet.
fait de ne pas venir; nous avions vent debout, un diable de Pardieu, les voila, j'ai eu le temps de les recopier
mistral qui ne voulait pas nous laisser sortir du port, mais êtes-vous content ?y
qui promettait de bien nous secouer une fois que nous en C'est miraculeux mon cher.
serions sortis. En effet, en moins d'une heure, Méry avait fait cent vingt-
En face de la sortie du port, l'horizon semble fermé par huit vers l'un dans l'autre, c'était plus de deux vers par
les îles de Ratonneau et de Pommègues. Ces deux iles, réu- minute.
nies par une jetée, forment le port de Frioul, Fretum Ju- je les cite, non point parce qu'ils me sont adressés, mais
lii, détroit de César. Pardon, i'étymoiogie n'est pas de à cause du tour de force.
moi cette jetée est un ouvrage moderne; quant au Frioul, Les voici
c'est le port du typhus, du choléra, de la peste et de la Se-
vre jaune, la douane des Oéaux, ie lazaret enfin. MARSEILLE.
Aussi y a-t-il toujours dans le port du Frioul bon nombre
de vaisseaux qui ont un air ennuyé des plus pénibles à voir.
Malheureusement, ou heureusement plutôt, MarseiHe n'a
point encore oublié la fameuse peste de <T20, que lui avait
apportée le capitaine Çhataud. A Alexandre Bmnas.
La troisième !)e des environs de Marseille, la plus célèbre
des trois, est l'ile d'If; cependant I't)e d'If n'est qu'un écueil; Tantôt j'étais assis près do la rive aimée,
mais sur cet écueil est une forteresse, et dans cette forteresse La mer aux pieds, couvert de l'humide fumée
est le cachot de Mirabeau. Qui s'élève des rocs lorsque les flots Nouvans
Il en résulte que l'ile d'If est devenue une espèce de pèle- S'abandonnentlascifs aux caresses des vent:.
L'air était, froid décembre étendait sur ma tête Une tour, qu'épargnait notre peuple rongeur,
Son crêpe nébuleux, drapeau do la tempête Aurait pu t'arrêter un instant. voyageur!
Les alcyons au vol gagnaient l'abri du port Moi je t'ai vue enfant noble tour! elle seule
Le Midi s'effaçait, sous les teintes du Nord. A chaque Marseillais rappelait son aïeute.
La Méditerranée, orageuse et grondante, Un jour d'assaut, un jour d'héroïque vertu,
Comme un lac échappé du sombre enfer de Dante, Nos mères, a. son ombre, avaient bien combattu!1
N'avait plus son parfum, plus son riant sommei), Elle avait des créneaux ou )a conque marine
Plus ses paillettes d'or qu'elle emprunte au soleil. Sifflait l'air belliqueux, lorsque la coulevrine,
Il le fallait ainsi la mer intelligente S'allongeant, envoyait, d'un homicide vol,
Qui roule de Marseille au golfe d'Agrigente, Le boulet de Marseille au dévot Espagnol.
Notre classique mer, avait su revêtir Sur cette haute tour, la tour de Sainte-Faute,
Le plaid d'Ecosse au lieu de la pourpre de Tyr: Flottait notre drapeau! Là, le coq de la Gaulel
Cest ainsi, voyageur, qu'elle te faisait fête, Et sur l'écu d'argent, si redouté des rois,
A toi, l'enfant du Nord, dramatiquepoète, L'azur de notre ciel dessinant une croix
Le jour où, couronné d'un cortége d'amis, Elle s'est éboulée 0 voyageur, approche,
La voile au vent, debout sur le canot promis, Il te faut aujourd'hui visiter une roche;
Loin du port; où la vague expire, où le vent gronde, C'est un fort monument qui rcsi:te à la mer;
Loin de la citadelle, où surgit la toar ronde, Se rit du feu grégeois et méprise le fer.
Vers l'archipelvoisin tu voguais si joyeux,
Et pour tout voir n'ayant pas assez de tes yeux. Nous n'avons ni palais, ni temples, ni portiques,
Les seuls monts d'alentour sont nos trésors antiques,
Moi, l'amant de la mer, et que la mer tourmente, Et même, tant Marseille a subi de malheurs,
Moi, qui redoute un peu mon orageuse amante, Us n'ont plus ni tours bois, ni leurs vallons de fleurs.
Sur la brume des eaux je te suivais de l'œil Tourne ta proue, oh viens, la vi))c grecque est morte,
Je conjurais de loin la tempête et l'écueil, Oui, mais Marseille vit; elle t'ouvre sa porte
En répétant tout bas à ta chaloupe agile La splendide cité, reine de ces climats,
Les vers qu'Horace chante au vaisseau de Virgile; Cache l'fau de son port sous l'ombre de ses mâts.
Et puis, en te perdant sur les i:ots écumeux, Elle est riche eUe peut, à défaut de ruines,'
Mes souvenirsvenaient, noirs et tristes comme eux Couvrir de monumens sa plaine et ses collines.
Son nom, que sur le globe elle fait retentir,
Combien de fois, depuis mes courses enfantines, Est plus grand que les noms de Sidon et do Tyr.
J'ai contemplé la mer et ses voiles latines; Elle envoie aujourd'hui les cnfans de son mOle
L'île de Mirabeau,rocailleuse prison Aux feux de la Torride, aux glacières du p6to
Les Monts-Bleus dont le cap s'effite à l'horizon Partout, son f~avUton, à l'heure où je t'écris.
Et les golfes secrets, où le flot de Provence L'univers commerçant le salue à grands cris.
Chante de volupté sous le pin qui s'arance. Les trésors échanges de sa rive féconde
Alors, à cet aspect, je ne songeais à rien, Illustrent les bazars de Delhy, do Golconde,
C'était un tableau calme, un rêve aérien, De Lahore, d'A)ep, de Bagdad, d'Ispahan,
Un paysage d'or. La vague, douce et lente, Que la terre couronne et quo ceint l'Océan.
Endormait dans l'oubli ma pensée indolente. Notre voisine sceur, l'Orientale Asie,
'Aujourd'hui,toi voguant au voisin archipel, Couvre ce port heureuxde tant de poésie;
La brise obéissant a ton joyeux appel, Les longs quais de ce port, congrès da l'univers,
Je ne sais trop pourquoi de tristes revoies Sont hroyés nuit et jour par tant d'hommes divers,
Fanent aux mêmes bords mes visions Jeunes. Qu'un voyageur mêlé dans la foule mouvante,
Je ne songe qu'aux jours où le deuil en passant. Marbre aux mille couleurs,mosaïque vivante,
A coloré ces flots d'une teinte de sang, Croit vivre en Orient, ou, dans les jour,< premiers,
Où la peste, vingt fois do rodent venue, Sous Didon ao Carlhage, au pays des palmiers.
A frappé cette ville agonisante et nue; Ainsi donc le commerce est chez uous poétique.
Où les temples sacrés du rivage voisin, Poëte, viens t'asseoir sous quelque frais portique;
Meurtrisdu fer de Rome ou du fer sarrasin, Si je no puis oflrir à ton brûlant regard
Se sont évanouis comme la vapeur grise Ni tes temples n!mois, ni l'aqueduc du Gard
Que ma bouche aspirante abandonneà la brise. Ni la vieille Phocée à &a gloire ravie
A défaut de la mort, viens contempler la vie;
Pèlerin, sur la mer, en détournant les yeux, Le cœur se réjouit à cet éclat si beau,
Ici, tu ne peux voir ce qu'ont vu mes aïeux L'opulente maison vaut mieux que le tombeau.
Cette tie de maisons, près de la tour placée,
Oh 1 non, non, co n'est point la fille de Phocée; Maintenant, me dit Méry après que j'eus lu ses vers, ce
Elle est bien morte, et l'algae a tissé son linceul. n'est pas le tout. Pendant le temps que j'ai perdu & vous
Son cadavre est visible aux regards de Dieu seul. attendre, je vous ai retrouvé une chronique qui vous ma
Peut-être sous les flots elle dort tout entière, que pour compléter votre tableau de Marseille.
Et M golfe riant lui sert de cimetière. Laquelle ?
Hétas! sur nos remparts trois mille ans ont pes6, C'est Marseille en 93.
Le roc des Phocéens lui-même s'est usé; Vite)a chronique.
Et chaque jour encor la vague déracine Allons d'abord place du Petit-Mazeau; mon frère nous
Cette église qui fut le temple de Lucine, y attend avec ses manuscrits.
Cette haute esplanade où tant do travaux lents Nous nous rendimes à la rue désignée Louis Méry me
Avaient amoncelé les péristyles blancs, montra une petite maison, basse et de chétivc apparence, et
Divine architecture, expirée,
en naissant que cependant on avait récrépie et mise à neuf autant que la
Comme sa sœur qui dort dans les flots du Pyrée, chose était possible.
Et qui du moins en Grèce, aux murs du Parthénon, Regardez bien cette maison, me dit Louis Méry.
En s'éteignant laissa les lettres de son nom 1. son ?
C'est fait. Eh bien ) 1 qu'est-ce que c'est que cette mai-
Il no nous reste rien, à nous; rien ne surnage Rentrez à votre Mte!, lisez ce manuscrit et vous le
De notre vie antique, et rien du moyen-âge. saurez.
J'obéis ponctuellement je lus le manuscrit de la première mieres brises du soir, demeuraient fermées; enfin, dernier
a)aderniéreligne. symptôme de douleur, encore plus terrible dans une ville
Voici ce que c'était que cette maison. commercialeque dans toute autre, les boutiques s'étaient do-
ses, à l'exception d'une seule.
Sans doute c'était à cause de l'innocent commerce de célui
qui l'habitait, car au-dessus de la porte de cette boutique il
y avait une enseigne qui disait:
Coquelin, faiseur de joujoux en carton.
rompu.
gue et sèche figure- Puis, pendant que~e greSier lisait Far- rayon, qu'un enfant, à t'aide d'un verre, diMgesur le nez de
rêt, il thdiquart, sur les listes des suspects qu'on lui avait son professeur.- Puis Fhomme à la Cgur&booacerouvrait
remises le matin, le nom de ceux~ qui devaient remplir dans et refermait ta po~te de son arrière-boutique,, revenait s'as-
la prison les vides qu'il y lisait le soir. seoir sur la cbatse,. et contiMtait.te ciMyahdecafton itter-
Cette besogne achevée, il rentrait dans son obscur troi-
sième étage, qui, par une de ces traverses comme'on en trou-
ve fréquemmentdans les vieiHes viHes, mettait en communi-
Cet homme, c'était Coquetin).. ,<.
fille.
M:)rsei))e, quoique profondément aUjeinhe. par. cette fièvre cartonnages du/(<M<:Mr~f!oxc~~<n/a."<
révo)utionnaipenu!M tiraifle~us.pundeson san&, avait Coquelin avait t'espr.it et I'a;U, fopt peu curieux,, majs il
conservé pendant quelque tempStcncore'cnt aspect uabonr avait pourtant fini par.Kcmarqut)r.:cettt),fc.mmcet cet enfant
heur pt d&'gaité qui faat 'c caractère principal de sa pitysio- auxquels, mait!)é son manque absolu d'éducation,, il faisait
nomie. Cependdnt, peu à peu~un voitede dcui) s'était éten- un si~nc~c tote assez amical, qui; ra8SuraiUa,m&re.et en-
du sur elle, ses. rues i)ru.ya~esré)aiont devenues~sitencifu- hurdissait la
ses, ses ft;nctrM,qui,pa)'ei!!csautournersoi, s'ouvrent tour Ln jour, )a.une femme dtimanda~a. Coquctin le prix d'une
à tour. pour aspit<er;)espremicr&.rayons'duso)eit.cttes p)'e- jolie )),))<n~onnoHn en carton,dont le toit-simutatt parf~itt'ment
les tuHes, el qui. avait dn&conit'CYeus pcLntscn.vcrL L'c)jf:)nt
C'est la chronique de Louis Méry, quo nous avions promise sautait de joie en frappant les mait~st'unc contre t'autre a
(bns!annte page 300 ~M/t/;p)'M~M~d<' t'o~n~~tM/c'M~e t'idccquesa nK're allait lui acheter cette jotiemaisouCo-
la f;'<M~. quetin examina le travail de t'cbj.ct demandé, ctaj;r~ avoir
réfléchi un instant, .il prononça ces parûtes: Trois francs. Oh! citoyenne, répondit Coquclin, j'en suis bien fûché'
C'étaient les seules que la jeune femme lui avait jamais en- carj'anra'is du yveitler; c'est ma 'faute. Mais mademoisette
teMhtdiM. EUe posa.je prix de l'estimation sur latabtë, Louiscesttëgèrecommeunebiche..
carCoquelinc'avait point tendu la main vers e)!e pour re- -Et étourdie comme M 'hannehm, ~tt la jeune femme
cevoir l'argent, et. Ja petite fille, toute radieuse .de joie et avec un triste et doux sourire.
d'orgueil, emporta lasuperhe joujou.. Ce sourire, si passager qu'il eût été, rendit Coquelin ex-
Letendemain, seit que l'enfant, satisfaite de son acquisi- pansif. !) regretta de n'avoir pas une chaise, pas un tabou-
tion de la veille, n'eût canservé aucun désir pourles autres rei à présenter à 1a citoyenneet a sa <!t<e. Sa conversation
jouets que renfermait ~Jbo.utique de Coquelin, soit que la étaitcette d'un hommequi a peu <T)dëes, et'une certaine te-
jeune lemme fût retenue lotn~ie la rue duPetit-Mazeau par nacitë de caractère, ce qui va presque toujours ensemMe.
ceMe<fraiM.quHa.Mndajt.si..triste, ni la mère ni ta Ole ne D'ailleurs, sa phrase était courte, 'saccadée, inattendue, et il
parurent. la débitait avec un accent !t<on<agna<~t. De son côte, la jeune
Jusqu'à l'heure où elles avaient,l'~bitude de s'arrêter de- ifcmme commençaità s'habituer à cet homme,qui avait com-
vantsa botrti~ee, Coquelin demeura fort tranquille, se H- mence par lui inspirer une rëpagnance dont ettc~e se ren-
vrant assidûment a ses occupations hahituel'es. Lorsque dait pas compte. Aussi lui Ot ette, a son tour, quelques
cette -uearefutMBue, il se retourna plusieurs fois vers ta questions.
porte avec M certain .air d'impatience, et comme si quel- Et ce que vous faites-tasunH~ vos besoins? lai de-
qu'un qu'il attendait ne fût pas venu au rendez-vous; mais manda t-elle.
quand l'heune fat passée, Coquelin passa de l'impatience à Oh j'ai du travail en ville; fëpondit Coque~in.
l'inquiétude, quitta fréquemmentsa chaise pour aller regar- -Mais ce travail vous rend-il beaucoup 9
der aux deux ,~ïjtr~aujtes ~de la ,rne, revenant, chaque fois –Oui,quitonmepaiebien.
qu'ittfoyaitsBO.ostMfaaœ trampee, d'un air chagrin delà- –Et]atna!stt<!omanque?'!
porte à sa chaise. Ce jour~. ii découpa mal. jl ne put ache- C'est-à-dire, répondit~t'ouvrier, qui.Jetait (remis &aa
ver une'boitc;es manceau-x. ne rajustaient pas; Ta cotje' besogne, se renversant en arrière et relevant ses manches,
étai~pophr~ce; sesjcisaaux se,montraient reyëc1)es~ M~n c'est dire qu'itya'des temps.
plus, choseët<MH)anteJ.ii~'y ~t point/ce ~our-!à,d'~ciairs Et vous êtes -dans un bon moment, à ce .qu'i) paralt1
vifs et~pidos ni ~e bruits .gr~npans dans'l'arriere-toutique. demanda la jeune femme, car vous me semblez content.
Maisie lendemain, les Joues pendante~ et ridëps'de Co- –Mais oui~ mais oui! DepuiBdeuxmoisapeu pres,!e:
qaB) in passèrent ~u .Mr.t,an rouge quand )a jeune 'femme .et commandes ne vont pas mal et 6'Mgmententtoustes jours,
stm. enfant is'ap{u'ochèrent de Ba J)OtUi<tue. Pourtant il ne te-. graceautiitoyenBrutus.
motgnt .s~ joie .que. p~Lr :te pittt s<Mjrire qui efueura ses -–Voas.connaissezle' citoyen 'Brutus?
s'écria ~a jeune
grosses.tcMtes'ct s'en ~ta mourir stu,pMemjcnt dans.ùn com femme,' sans rët)échtr à <et(e ë<Mn~ jnOtMnce que pouvait
de ses yeux éteints; la petite nne/cnitardie parle sourire, avoir ')e cttoyen Brutus sur le ';commeMe d'Mn faiseur de
eB~af6s~amMtj.dans.Ja.bpuHq,ue et vint poser-sa petit jouets~'enfans;
!Min~)rJ'épat))e.de:Coqu.eti.n~tandis q~e deTautrë eTte fai- –Si jesi'jecen'na)B'le
otoyen Brutus, 'rëpondUCoqueUc;
-sait tourner une girouettejpia~ée sijucuo c)taiteaude,carton; parbleu le concais. C'-estun~ha~d ~unne p~isaa~
Ceqpettn se tauraa fV€)'& la ctar.mantc enfant et lui ht une pas.
gmmace d~mitie:tapetite.ne .se,famHiansa tout .a fait –~V(m6 le <!bmtsMssez < -oh imoa Dieu t ~tMt.p~t-~tre la
a~ec ia'&gMC ~ur;de<t sale du,faiseur de joujoux, et finit Prtrtidencequim'aconduMeici.–Et le voyez-yotts sou-
par agir sans façons, ~esorle que, tandis que.samer/; avait venf?
les ;)eMf<hi<ssur les. murs~du. palais eu le (riounal tenait –Oui, comme cela, de temps en temp&Quand t'ai~in)
ses.s6~noe&,~.petite 6J,k s'ins)a)ia c)ans la Doutique {!e Co- mon tfava'!) du jonr, je vais demander pes ordres~po~ le
que)in, trempant ses petits dogts.dajisJe pot de .collp., fai- tcnd~thain.~ous prenons un ~etit~enre ensemble etnous
sant danser les pantins, rouler.tescan'osses,ouvrant )esfe- trinquons à la santé deta .répub)iquB,'une ~ttindt.vieibic.
B~rfs ~es maisons d,e carton, hpufeversant la table de Oh 1 H 'n'est pas<ier, te citoyen Bfutus.
GequeMa~i~nJ.ne pMfëraitpas ta moindre plainte et dont C~t'oyen Coqne~n, vou8'nie:para!ssez tua jbraye hom.OML
les yeux se reportaient successivement de i'cnfant à ta m~re. 'Un brave homtn~ moi?. ô cito~eone t
.Pendtat un imament où .ii.regardaiUa mère, Fenfant se –'V~ns me renartez volontiers un service, a'es~ce (pas~*
gHs8<~nsTarNÈ<)e-Jtpu.tique; et presque aussitôt, Jetant un –'Si je )€ pûTna!6, ettoyeane. Ceft~inenteat te <? fteman.-
cri, reparut sùrie seuil de la porte intérieure avec un doigt tteraispas mieux.
iott.en'smg. Tene?, citoyen Coquetm, je ~~UKlout~Xis dM',e. J'ai
A ce cri, la mère se retourna vivement et se précipita dans mon mari~npnson, voila'peunqwo! je passeto~sI.esjQur~
ta bpuHqtte. ~ns eetteTue M est mnocent, 'je fous te jure, maJLS il ,a~es
Oh. ,moB Dieu mon Dieu t lui, dit-elle, qu'as-tu Tait, ennemis parce qu'il est riche. Si vous poumst unptorefjpoxr
MtKptUtTe enfant?'tu t'es MopëefP lui ta justice 'au dtoyea Orutus! B ~Moomme Robert,
–Oh~,maman, maman, repondit Tenfant en secouant sa 'mon-mar! retenez 'bjen son mom, et .puisque vous connais-
petite nMiinettenffai&ant ,tout.ce qu'el)e pouvait pour retenir sez~eprësMent Brutus, pu6sqMe'TOU8 attBïtev~Mf à Ia~
ses larmes, ne me jgronde ~as,; c'est un ,gros vilain couperet ne votre travail, eh Men! '<K<es-h<i,~a pMjmipM fois qu.e vo~s
tqui m):a mordue.. irez, 'dites-M qu'~e p<hïre ~femme i)iea malheureuse te
–.Un~~upûret! s~ëcria.ia'mëre. supplie au nom <ht -ciel <te tui co.nserner ~ou marL.. Dites-
La nguce/deCoquetin'devint Uvjde.ae pâleur-'Et, fermant lui bien qu'il n'a rien fa~t, mon pauvne Charijes, le père de
avec soin la porte de i'arrière~boutique, dont il mit )a clef ma petite'Lou~se~d~tes-tut qti'il n'.a -jamais conspiré, que
-~ans'sapcehe.: c'est un bon -patriote qui aime <)a fépubtiqae..Si.vous saviez
–'Ce n'est .rien.. ce n'est rien, dit-il d'une voix trem- commei) il m'aime! si vous .saviez comme il aime son ~en-
blante. Voici du tauetas'd'Angleterre pansez-la vous-jnëme; fant.t) faut que je vous dise que toupies'joursje revois
moi, j'ai la main trop lourde. à cinq heures, i't passe do'ant une petitefenetregriMéeet me
Et avec Tm empressement extraordinaire, Coquelin pré- fait un signe aussi, tous tes jours à .cinq heures, nous a,I-
sen'ta !) )a jeune femme une tasse pleine d'eau, et se tint a ge- ions attendre ~e signe devant ta fenêtre. J'ai-fait tout,ceqne
noux devant l'enfant, tandis que sa mère lui lavait le doigt j'ai pu pour voir le citoyen Brutus, mais on ne m'a ~pas laissé
et appliquait.sur la coupure un morceau de taffetas d'Angle- arriver jusqu'à lui. Cependant je t'aurais!tantpr.i6,)tant sup-
terre. ,plié, qu'il m'aurait donné la vie de mon .mari, j'enstds-sûre.
–E)Ieaura misia main imprudemment sur quelque cou-1 Mais c'est te'bon Dieu qui m'a conduite'ioi, et puisque vous
(eau de cuisine, dit la jeune femme un peu rassurée. Ces connaissez le citoyen Brutus, on ne tuera pas mon Chartes.
malheureux enfans fourrent la main partout. Louise'! mon enfant s'écria ta pauvre .m&re toute éperdue,
on veut tuer ton père, prie avec moi le citoyen Coquelin Oui, dit ia jeune femme, et comme elle est bien sage,
pour qu'on ne le tue pas l je vais encore lui acheter ce pantin.
Louise se mit à pleurer en criant:, Louise poussa un cri de joie. Coquelin se leva dans toute
Je ne veux pas que papa meure, monsieur Coquelin.; la fierté dé sa taille, et remit le pantin à la pauvre mère, qui
ne .tuez pas papa. le paya quatre francs, recommanda une dernière fois son
La figure de Coquelin devint livide de pâleur. mari aux bons offices de Coquelin et sortit.
N'écoutez pas ce que dit cette enfant, s'écria la mère A propos votre adresse, citoyenne ? lui demanda-t-il.
elle ne sait ce qu'elle dit, mon bon monsieur Coquetin. Rue des Thionvillois, !)e 4, n° 6.
Et elle voulut prendre les mains rugueuses du faiseur de Merci, dit Coquelin. Et il rentra dans son magasin,
joujoux, qui les retira vivement. écrivit sur un morceau de papier l'adresse que venait de lui
Citoyenne, ne touchez pas à mes mains, lui dit-il avec donner la jeune femme, mit le morceau de papier dans la
une sorte d'effroi. poche grasse de son gilet à ramages, poussa un soupir, et
La pauvre femme se recula, elle ne comprenait pas le passa dans l'arrière-boutique.
mouvement de Coquelin. Il y eut un instant de silence. Un instant après, les éclairs jaillirent, et le bruit grinçant
Vous dites donc, reprit Coquelin, que la vie de votre se fit entendre.
mari dépend du citoyen BrutusP Le lendemain, vers les onze heures du matin, la jeune
De lui seul s'écria la jeune femme. femme apprit que son mari avait paru devant Brntus, et que
C'est qu'il est bien dur, le citoyen Brutus continua Brutus l'avait condamné à mort.
Coquelin en secouant la tête. Bien dur, bien dur, et il La jeune femme resta d'abord toute étourdie de ce coup.
poussa un soupir. Mais elle vit son enfant qui jouait avec la jolie maison elle
Me refdsez-vous votre protection ? demanda avec ti- pensa à Coquelin, dit à la petite Louise d'être sage et de
midité )à jeune femme en joignantles mains. s'amuser avec ses joujoux, ferma la porte à clef, et courut,
Moi, dit Coquelin; moi vous refuser quelque chose de comme une folle, rue du Petit-Mazeau.
ce qu'il m'est possible de faire ? ah vous ne me connaissez La boutique du faiseur de jouets d'enfans était fermée.
pas, citoyenne. D'ailleurs, est-ce que vous ne m'avez pas C'était un dernier espoir qui lui échappait; aussi se mit-
acheté une maison en carton ? est-ce que vous ne venez pas elle à frapper du poing contre cette porte comme une in-
tous les jours dans ma boutique où il vient si peu de monde? sensée, renversant de temps en temps la tête en arrière et
Est-ce que vous ne parlez pas, avec votre bonne petite voix poussant des sanglots.
si douce, à un pauvre homme à qui personne ne parle 1 Et Personne ne répondit, mais une vieille femme voisine de
cependant rendez-moi justice, est-ce que je n'ai pas la bou- Coquelin ouvrit sa fenêtre, et, voyant cette jeune temmequi
tique la mieux fournie de Marseille? Est-ce qu'il y en a un frappait sans relâche, elle lui demanda ce qu'elle voulait
pour manier les ciseaux comme moi Oh 1 allez, j'ai de l'a- -Je veux parler an citoyen Coquetin! s'écria la jeune
dresse, j'ai du goût, moi. Tenez, voyez ce petit pantin, femme.
c'est cela qui est drôte je n'ai qu'à tirer la CceUe, et les Le citoyen Coquelin est parti avec son tombereau, ré-
bras, les jambes, la tête, tout cela s'agite, tout cela remue; pondit la vieille it doit être à cette heure-ci sur la Canne-
voyez voyez 1 bière. Et la vieille refermala fenêtre.
La jeune femme, par complaisance, regarda, à travers les La jeune femme femme se mit à courir du côté indiqué;
larmes qui s'étaient répandues dans ses yeux, le grotesque mais à mesure qu'elle approchait, la foulé était si considé-
pantin, dont Coquelin, la figure ébahie avec une satisfaction rable, qu'elle fut obligee de s'arrêter dans une des rues voi-
orgueilleuse d'artiste, faisait bondir les jambes et les bras. sines. Des gens à face patibulaire disaient
De son coté, la petite Louise, passant de la douleur à la Quel malheur de ne pas pouvoir aller plus loin 1 On en
joie, comme une entant qu'elle était, sautait sur la pointe mené douze aujourd'hui. Ceux qui ont les premières places
de ses pieds en riant comme une folle. en verront pour leur argent.
La scène avait pris un caractère touchant et presque pa- La pauvre femme s'évanouit.
triarcha). Renversé sur sa chaise, Coquelin tenait d'une On la porta dans une maison, on fouilla dans ses poches;
main, à la hauteur de son nez, le petit bonhomme de carton on y trouva une lettre a son adresse, et on la reporta rue des
suspendu par la tête, et de l'autre main il communiquait, Thionvillois.
au moyen de la 6ee))e, un mouvementrapide aux bras et aux Quand elle revint à elle, la petit Louise était à genoux, et
jambes de ce pantin. Plus le bonhomme se démenait, p)us une vieille femme, qui l'avait suivie de Paris, lui jetait de
les rires de Louise devenaient joyeux. Coquelin savourait l'eau sur la figure.
son succès de mécanicien sa figure s'épanouissait. Et il Elle voulut se lever, mais elle était si faible qu'elle fut
disait, tout en tirant la Scelle et en accordant sa voix avec forcée de se rasseoir.
les gestes du pantin: Elle resta deux heures,les mains appuyées sur les bras
Vous dites donc, citoyenne, que votre mari est accusé?P de son fauteuil, t'œi) fixe, sans prononcer une seule'parole.
Eh bien, je verrai le citoyen Brutus; je lui parlerai. Il est Au bout de deux heures, on sonna viotemment.àla porte.
dur, le citoyen Brutus Mais, qui sait?. En tout cas, je fe- Allez voir ce que c'est, dit-elle à la vièllle servante.
rai tout ce que je pourrai pour votre mari; soyez tranquille, La bonne femme descendit. Un instant après, elle rentra
citoyenne. Malheureusement,je~te peux pas grand chose. toute tremblante et tenant un billet à la main.
mais tout ce que je peux, je le ferai. tout 1 Un homme, coiffé d'un bonnet rouge, avait jeté ce billet
Oh 1 mon bon monsieur Coquelin 1 dans l'escalier, en criant: Pour ta citoyenne veuve Robert.
Oh j'ai de la mémoire, moi, citoyenne. J'en ai. je La jeune femme prit le papier. Voici ce qui y était écrit
n'oublierai jamais que, depuis deux semaines, vous venez
me voir travailler une demi-heure tous les jours, et que pen- «Citoyenne, ils étaient douze, votre mari était le dou-
dant cette demi-heure, je ne sais pourquoi, mais je suis zième, je t'ai fait passer le premier vous voyez que j'ai tenu
heureux. C'estqu'à Marseille, voyez-vous, on n'aime pas les ma promesse, j'ai fait tout ce que j'ai pu.
artistes. j'étais forcé de m'admirer tout seul. Voyez donc "COQUEUN,
comme i) danse, mon pantin, ma petite citoyenne. Elle aime Exécuteur des hautes-œuvres.
bien son papa, n'est-ce pas ?
De tout mon cœur, répondit l'enfant. Encemoment,Louiseditasamère:
C'est bien. Elle n'a pas cassé sa maison? Maman, vois comme il saute, mon pantin1
Oh non 1 monsieur Coquelin, je l'ai mise sur la table La pauvre femme se leva, mit en pièces )e pantin et la
à jeu du salon. maison de carton, et prenant sa fille dans ses bras, elle ra-
Vous devez être bien heureuse, citoyenne, d'avoir une tomba évanouie une seconde fois en disant
aussi jolie en~ïT Les monstres! ils ont tué ton père!1
le pauvre savetier devenu riche, étaient quasi prêts à rendre
leur lac, si on voulait leur rendre leur tranquiiiité.
Nous nous arrêtâmes à Cuges, d'où nous repartimes le
TOULON. lendemain à six heures du matin.
La seule chose curieuse que nous offrit la route jusqu'à
Toulon, c'était ]es gorges d'Ollioules; les gorges d'Ollioules
sont les Thcrmopy)es de la Provence. Que l'on se figure
Attendu, dit le proverbe, qu'il n'y a si bonne compagnie des rochers à pic de deux trois mille pieds de haut, du
qu'il ne faille quitter, après trois jours de fêtes et de plaisirs, sommet desquels quelques villages perdus, où l'on monte
force me fut de quitter cette bonne et spirituelle compagnie on ne sait par où, se penchent curieusement pour vous re-
marseillaise, au milieu de laquelle une semaine s'était envo garder passer. Quelques-unes de ces montagnes ont de plus
lée aven la rapidité d'une heure. la prétention d'être des volcans éteints je ne m'y oppose
En me conduisant à la voiture, Méry recommanda Jadin pas.
de ne point oublier de lui faire faire en passant un dessin du A peine est-on sorti des gorges d'Oiiiouies, que le con-
lac de Cuges, puis nous nous embrassâmes; je partis pour traste est grand au lieu de ces deux parois de granit, si
Toulon, et Méry rentra dans Marseille. nues et si rapprochées qu'elles vous étouffent, on se trouve
la route que l'on prend pour sortir de la capitale de la tout :'t coup dans une plaine délicieuse, encaissée a gauche
Provence est aussi brûiec et aussi poussiéreuse que celle que par les montagnes qui s'arrondissent en demi-cerc)e, et à
l'on suit pour y arriver; rien de plus uniforme et de plus droite par la mer. Celte plaine, c'est la serre chaude de la
triste que ces oliviers entremêlés de vignes, dans les inters- Provence; c'est là que poussent en pleine terre, et à l'envi
tices desquels, comme dit)c président des Brosses, on élève l'un de l'autre, le palmier de Syrie, l'oranger de Mayorque,
par curiosité des plantes de froment. le néOier du Japon, le goyavier des Antilles, le yucca
Au bout d'une heure ou deux, nous nous engageâmes dans d'Amérique, le lentisque de Crète, et l'accacia de Constanti-
des montagnes peiécs et nues, auxquelles le soleil et les nople; c'est fa le pied :') terre des plantes qui viennent de
pluies n'ont laissé que leur ossature de granit. Nous suivîmes l'orient et du midi, pour s'en aller mourir dans nos jardins
le fond d'une vallée aussi sèche que le reste du chemin en- botaniques du nord. Heureuses celles qui s'y arrêtent, car
fin, vers la nuit, au détour d'une roche gigantesque qui force elles peuvent se croire encore dans leur pays natal.
la roule de décrire une courbe, nous nous trouvâmes en face C'est à gauche, sur le revers du chemin qui conduit des
d'une grande nappe d'eau c'était Je lac de Cuges. gorges d'Ollioules Tou)on. qu'eut lieu, le ~8juin ~8~
Comme le voiturier était à nos ordres, nous fimcs halte. le jour même de la bataille de Waterloo, l'entrevue du ma-
Jadin, ainsi qu'il l'avait promis, dessina une vue pour Méry. réchal Brune et de Murât. Murât était vêtu en mendiant,
Le lac était au premier plan, Cuges et son église au second; avait une redingote grise, une résille espagnole, un grand
le troisième était fermé par les montagnes Pendant ce feutre catalan, et des lunettes c~'or. Ce que demandait le men-
temps, je pris mon fusil, et je suivis ses bords pour voir si diant royal, c'était de reprendre sa place comme simple
jene rencontrerais pas quelque canard; ma]heureusement)es soldat dans les armées de celui qu'il avait perdu deux fois,
roseaux n'avaient point encore eu le temps de pousser, et la première en se déclarant contre lui, la seconde en se dé-
les canards se tenaient au large. clarant pour lui. On sait que) fut le résultat de cette en-
Je revins près de Jadin, qui avait fini son croquis, et nous trevue. Murât, repoussé de France, passa en Corse, et de la
nous apprêtâmes à passer le lac. Corse s'embarqua pour la Calabre. On peut retrouver son
Ce n'était pas une petite affaire, les Cugeois n'avaient cadavre dans l'église du Pizzo'.
point encore eu lc temps de bâtir un pont; puis avant de le En entrant à Toulon, nous passâmes devant le fameux
bâtir, ils voulaient sans doute être bien sûrs que leur lac balcon du Puget, qui fit dire au chevalier Bernin, lorsqu'il
leur resterait. En attendant, l'eau avait recouvert la grande arriva en France, que ce n'était pas la peine d'envoyer
route on voyait bien le chemin entrer d'un côté et sortir de chercher des artistes en Italie quand on avait chez soi des
t'autre mais pendant l'espace d'un quart de lieue, on n'avait gens capables de faire de pareilles choses.
d'autre guide pour le suivre que quelques jalons plantés à Les trois tètes qui soutiennent ce balcon sont les charges
droite et ù gauche. Or, comme ce chemin formait chaussée, des trois consuls de Toulon, dont Puget était mécontent;
pour peu que nous nous écartassions d'un coté ou de l'autre, aussi la ville les garde-t-etie précieusement comme des por-
nous tombions dans des profondeurs que nous pouvions me- traits de famille.
surer par des cîmes d'arbres qui apparaissaient comme des J'avais des lettres pour M. Lauvergne, jeune médecin du
broussailles à fleur d'eau. Je commençai à trouver que la plus grand mérite, qui avait accompagné le duc de Join-
Providence avait été bien prodigue envers Cuges, de lui ville dans son excursion de Corse, d'Italie et de Sicile, et
donner un pareil lac, quand les Cugeois se seraient fort frère de Lauvergne, le peintre de marine, qui a fait deux ou
bien contentés d'une fontaine. trois fois le tour du monde. Comme nous comptions nous
Cependant, comme il n'y avait ni pont, ni bac, force nous arrêter à Toulon, il nous offrit, au lieu de notre sombre
fut de prendre notre parti nous montâmes sur l'impériale, appartement en ville, une petite bastide pleine d'air et de
afin d'être tout prêts à nous sauver :'< la nage, et notre ber- soleil qu'i) avait au fort Lamaigue. L'offre était faite avec
lingo entra bravement dans le lac, dont il atteignit sans ac- tant de franchise que nous acceptâmes a l'instant. Le
cident l'autre bord. soir même nous étions installés, de sorte que le lendemain,
Nous trouvâmes Cuges en révolution le gouvernement en nous éveillant et en ouvrant nos fenêtres, nous avions
avait eu avis de son lac et avait mis la main dessus. Les lacs devant nous celle mer infinie qu'on a besoin de revoir de
sont de droit la propriété des gouvernemens, seulement un temps en temps une fois qu'on l'a vue, et dont on ne se
cas litigieux s'élevait pour celui-ci. C'était un lac de nou- lasse pas tant qu'on la voit.
velle date, et qui ne remontait pas, comme les autres, a la Touion a peu de souvenirs. A part le siège qu'en fit le duc
création du monde ou tout au moins au déluge. C'est par le de Savoie, et la trahison qui le mit aux mains des Anglais
déluge, comme on sait, que les lacs font leur preuve de no- et des Espagnol, cfHTOS, son nom se trouve rarement cité
blesse. Le déluge est le ~599 des lacs. Or, celui de Cuges dans i'bistoirc mais h cette dernière fois elle s'y trouve
s'était étendu sans façon sur des propriétés qui apparte- inscrite d'une manière ineuaçabie c'est de Toulon que
naient a des citoyens des villages environnans. Les citoyens date rcc))eu)C))t la carrioc mi'itaire de Bonaparte.
propriétaires voulaient bien laisser le lac au gouvernement, Comme curiosités, Toulon que n'a que son bagne et son
mais ils voulaient être indemnisés des terres qu'ils perdaient port. Malgré le peu de sympathie qui m'altirait vers le pre-
par cette concession. Les Eaux et Forêts leur riaient au nez, mier de ces étabtissemens, je ne lui en fis pas moirs ma
ils montraient les dents aux Eaux et Forets bref, il y avait t visite le second jour après mon arrivée. Malheureusement,
déjà eu du papier marqué d'échange, et les Cugeois, comme le bagne de Toulon n'avait pour le moment aucune not:))'i-
!ité; il venait, avait deux ou trois mois, d'envoyer ce juifs. Mais depuis ce temps, nous dit-il, la grâce de Dieu
il y
qù'i) possédait de mieux à Brest et & Rochefort. l'avait touché, et il s'était fait chrétien. -Parbleu, lui ré-
Les trois premiers objets qui frappent la vue en entrant pondit Jadin, voilà un beau triomphe pour notre religion 1
au bagne sont, d'abord un Cupidon appuyé sur une ancre, Nous avions commencé par les exceptions, mais nous en
puis un crucifix, puis deux pièces de canon chargées à revinmes bientôt aux généralités.
mitraille. Les forçats sont divisés en quatre classes les indociles,
Le premier forçat que nous rencontrâmes vint droit à les récidives, les intermédiaires, et les éprouvés.
moi, etm'appe)aparmon nom en me demandant si je n'a- Les indociles, comme l'indique leur nom, sont dont
chetais pas que)quechose à sa petite boutique. Quelque il n'y a rien à faire; ceux-là ont lé bonnet vert,aceux casaque
désir que j'eusse dé lui rendre sa politesse, je cherchais rouge et les deux manches brures.
vainement a me rappeler ia ngure de cet homme il s'aper- Ensuite viennent les récidives, qui ont le bonnet vert, une
çut' de mon emMarra" et se mit rire. manche rouge et une manche brune.
Monsieur cherche à me reconnaître? me dit-il. Puis les intermédiaires, qui ont te bonnet et. la casaque
Oui, je l'avoue, mais sans aucun succès.
–rai pourtant eu l'honneur de voir Monsieur bien rouge. Et enfin les éprouvés, qui ont la-casaque rouge et le bon-
souvent. net violet
La chose devenait de p~us en p)us flatteuse; seulement je Les individus des trois premières classes sont enchaînés
ne me rappelais pas avoir jamais fréquenté si bonne com- deux à deux ceux de la dernière n'ont que l'anneau autour,
pagnie enfin'H pritpitié de mon embarras. de ta jambe et pas de chaine de plus, on leur distribue une
Je vois bien qu'il faut que je dise à Monsieur où den)i-)ivre de viande les dimanches et lés jours de fêtes,,
je l'ai vu, car Monsieur'ne~ se le rappellerait pas. J'ai vu tandis que les autres ne sont nourris que de soupe et de
Monsieur chez maden)oise))ë Mars. pain.
Et que faisiez-vous chez mademoiseite Mars ?2 Des chantiers et du port, nous passâmes dans les dor-
Je servais, Monsieur, j'étais va)et de chambre c'est toirs la couche des forçats est un immense lit de camp en.
moi qui ai volé ses diamans. bois, dont les deux extrémités sont en pierres. A l'extrémité.
Ah ah vous ctes Mulon, a)ors ? inférieure qui forme rebord, sont scellés des anneaux; c'est!
!) me présenta une carte. à ces anneaux que, chaque soir, on cadenasse la chaîne que.
Mulon, artiste forçat, pour vous servir. les forçats traînent à la jambe; la maladie ne la fait pas
Mais, dites-moi, il me semble que vous êtes à mer- tomber, et le condamné a perpétuité vit, dort et meurt avec
veille ici. les fers.
Oui, monsieur, grâce à Dieu je ne suis pas mal il A chaque issue du bagne, deux pièces d& canon chargéesà,
est toujours bon de s'adresser aux personnes comme il faut. mitraille sont braquées jour et nuit.
Quand on a su que c'était moi qui avais vo)é mademoiselle Comme j'avais des lettres de recommandation pour le
Mars, cela m'a va)u une certaine distinction. Alors, mon- commissaire de marine, il me fit, lorsqu'il eut appris que je
sieur, comme je me suis toujours bien conduit, on m'a dis- demeurais à une demi-lieue de Toulon, la gracieuseté de
pensé des travaux durs; d'ailleurs on a bien vu que je n'é- m'offrir, pour mon serviceparticulier,pendant tout le temps
tais pas un voleur ordinaire; j'ai été tenté voilà tout. que je resterais à Toulon, un canot det'Ëtatetdouze éprou
Monsieur sait le proverbe l'occasion fait le larron. i vés. Comme nous comptions visiter les différens points du
Pour combien de temps en avez-vous encore? golfe qui attirent les curieux, soit par leur site, soit par
Pour deux ans, monsieur: leurs souvenirs, nous acceptâmes avec reconnaissance en
Et que comptez-vous faire en sortant d'ici ? conséquence te canot fut mis à notre disposition à l'instant
Je compte me mettre dans le commerce, monsieur j'ai même, etmous en profitâmes pour retourner à notre bastide.
fait ici un très bon apprentissage, et comme je sortirai, Dieu En nous quittant, le garde chiourme nous demanda nos
merci) avec d'excellens certificats et une certaine somme ordres comme aurait pu faire un cocher de bonne maison.
provenant de mes économies, j'achèterai un petit fonds. En Nous lui dîmes dé se trouver le lendemain à neuf heures du
attendant, si monsieur veut voir ma petite boutique. matin à notre porte. Rien n'était plus facile que d'obéir lit-
Volontiers. tératement à cet ordre, notre bastide baignantses pieds dans
Mulon marcha devant moi et me conduisit à une es- la mer.
pèce de baraque en pierre, pleine de toutes sortes d'ouvra- Dtt'restc, il serait difficile d'exiger de ces malheureux for-
ges en cocos, en corail, en ivoire et en ambre, qui faisait çats un sentiment plus profond de leur abaissement qu'ils
réeDement'de cet étatage un assortiment assez curieux de ne t'exprimenteux-mêmes. Si vous êtes assis dans te canot,
l'industrie du bagne. ils s'éloignent le plus qu'ils peuvent de vous; si vous mar-
–Mais, lui dis-je, ce n'est pas vous qui pouvez confec- chez, ils rangent longtemps à l'avance leurs jambes, pour
tionner tout cela vous-même?P que vous ne les rencontriez pas. Enfin, lorsque vous mettez
–Oh non, monsieur, me répondit Mu)on, je fais tra- pied à terre, et que le canot vacillant vous force de chercher
vaiHer. Comme ces malheureux savent que j'exploite en un appui, c'est'le coude qu'ils vous présentent, tant ils sen-
grand, ils m'apportenttout ce qu'ils font; si ce n'est pas tent que leur main n'est pas digne de toucher votre main. En
bien, je leur donne-des avis, des conseils je dirige leur effet, les malheureux comprennent que leur contact est im-
goût; puis je revends aux étrangers. monde, et parleur humilité ils désarment presque votre ré-
–Et vous gagnez cent pour cent sur eux, bien entendu? pugnance.
Que voulez-vous,monsieur, je suis à la mode, il faut Le lendemain, à l'heure dite, lé canot était sous nos fenê-
bien que j'en profite; monsieursaitbien que n'a pas la tres il n'y a pas dé serviteurs plus exacts que les forçats;
vogue qui veut. Oh 1 si je pouvais rester ici dix ans de plus le bâton répond de )eurpo)i('tt)a)ité, et n'était la livrée, je
seulement, je ne serais pas inquiet de ma fortune, je me re- désirerais fort n'avoir jamais d'autres domestiques. Pendant
tirerais avec de; quoi vivre pour le reste de mes jours. Mal- que nous achevions dé nous haMttér, nous )éur fimes boire
heureusement, monsieur; je n'en ai eu que pour dix ans en déuxbouteittesdevin.qui leur furent distribuées par lé
tout, et dans deux ans il faudra que je sorte. Oh 1 si j'avais garde chiourme. Ce brave h'omme nt les parts avec une jus-
su. tesse de coup d'oeil qui prouvait une pratique fort exercée
J'achetai quelques babioles à ce forçat optimiste, et con- du droit individuel. H poussa même l'impartialité jusqu'à
tinuai ma route, tout stupéfait de voir qu'il y avait des gens boire le dernier verre, qu'il ne pouvait diviser en douze
qui pouvaient regretter le bagne. portions, plutôt que de favoriser tes uns aux dépens des
Je trouvai Jadin en marché avec un autre industriel qui autres.
vendait des cordons d'Alger c'était un Arabe, qui nous ra- Nous allions d'abord à Saint-Mandrier. SaintMandrier
conta toute sa vie. JI était là pour avoir un peu tué deux estunhôpitatnon-seutfmentbati par )ës forçats, mais en
quelque sorte créé.entièrementpareux. En effet, itsont-tiré En conséquence de l'accord, nous rangeâmes les avirons a~
ta.pierre deta.carrière, ils ont écarri tes charpentes, ils ont fond du canot, nous dressâmes !e petit m~t,.nous dépioyame:
~ai))ë)es..bri(;ues,forgé.la serrurerie, cuit les tui)es, ctta- la voile, et nous partimes.
miné les plombs; il n'y a que la verrerie qui leur est arrivée Quoique, nous fussions sépares .de deux milles a. peine du
toute faite. Triton, ]a navigation n'était pas.sans .un certain,danger; i!
.Au-dessus de .Saint-Mandrier, au-dessus .de ta deuxième y avait mistral, ce qui suffisait pour mettre la mer en gaité;
copine, s'élève la tour des :signaux qui sert en même temps or, tout )e monde sait ce que c'est que les gaitës de la mer.
de tombeau à t'amira) deLatouehe-Trévitte. Certes, si le capitaine avait eu son équipage, ou seule-
.En quittant. Saint-Mandrier, nous .traversâmes .toute la ment ses deux bras, notre traversée n'eût été qu'une plai-
.rade et.nous attâmes.descendre.a-upetit Gibraltar..C'est oe santerie mais n'ayant que son bras gauche et moi seul pour
fort, comme on te sait, qui .fut emporté par Bonaparte en compagnon, sa position n'était pas commode. Le capitaine
jpersonne,etdont Ia.prise,amena presqu'immédiatement la oubliait toujours mon ignorance en marine, de sorte qu'il
reddition, de Toulon. Le vainqueur, en montant .à l'assaut, me commandait.~a'manceurresomme!) aurait pu faire au
y fut grièvement blessé d'un coup de baYonnette..à La cuisse., contre-maitre le plus exercé, ce à quoi je répondais en pre-
.Enrevenant'du,petit.Gibrattar, nous tuaversâmes touteta nant bâbord pour tribord, et en amarrant quand il aurait
flotte du contr&amiratMassieu.deCtairva); élle,se.compo- fallu larguer; il en résultait des quiproquos qui, avec des
sait.desixmagnifiques.vaisseaux: teSM~M?t,)a Didon, le vaguesde~ouzeà:q<nnzepiedsde 'haut, 'et'avec un vent
Nestor, le jPM<j'uMne, ta Bellone et.le T-riton. Nous ~aecostamas aussi.capriMeux'queJe.mistra), ~ne laissaient pas d'offrir
ce dernier, car j'avais .une visite.à y rendre.à un ami déjà .quelque. danger. Deux ou ;trois'fois je'cras i'embarcation
.cétebre.ators, .mais dont la cé)ébrité .s'est ,accrue depuis, sur~'point de chaMt)er,)etj'ôtai mon :habit sous le pré-
jgrace à.un des plus beaux faits.d'armes dont s'honore notre .(exte~etre.ptus 'apte a~afmaMœuvre,mais de fait, pour être
.marine; cet ami était le vice-amiral Batidin. Quant au fait -moins empêché,'s'H~mefaHait~par hasard continuer ma
-d'armes, on a déjà nomme ta prise deSamt-Jean-d'.UHoa. route à la nage.
JLe vice-amiral n'était alors que capitaine, et commandait .De.temps~entemps, fau'miiieu de mes~ perplexités, je jetais
le Triton. C'était une.de ces existences.brisées par la res- )es yeux &ur!)ern<<w,.et j'apercevais ~tout l'équipage qui,
tauration de 48)3, et.qui venaient de .se rcprendre.a la ré- amas&é &ur,)e:p<)nt~nou6tregardait 'man<Borrer sans nous
volution.de <850.. Pendant ces,gainze ans,. te capitaine Bau- perdre un seul instant de vue. Je ne comprenais pas une
din :s'était réfugié dans la marinemarchande; et dans <jette pareiJie.tnaction,.join(eà!une,c)trMsHési soutenue;'n'était
_partie de .sa .carrière, je pourrais, si je le voulais, à défaut évnic.nt que )'on savait .q~i nous étions. A)ors, puisqu'on
de belles actions, citer de bonnes actions. -voyai~notce~position. -comment n'envoyait-onpas notre
Le capitaine Baudin nous fit les honneurs de son bâtiment aide?.Je comprenais bien tout ce qu~hy avait d'orrgina)ité
<avec cette grâce,parfaite qui n'appartient qu'aux ofliciers de à-se noyer en~compagnieuumeiUeur capitaine: peut-être de
.marine; puis, en s'invitant.a déjeuner le lendemain dans touie.ta marinefrano8ise,maisj'avoue:que,'dans~emoment,
notre petite bastide, mit à néant toutes tes mauvaises je .n'envisageais point eeUtonBeur sous son 'véritabte point
raisons que nous.lui donnionspour ne pas rester a diner :de vue.
avec.lui.àabord; il en résulta que nous quittâmes le.Triton Nous mîmes~t peu pres~une heure et'demie a gagner !e
,àtuit.heuresdusoir. bâtiment; car,.comme nousfavions ie~ent debout, ce ne fut
Je voudrais bien .savoir ce qui empêcha les forçats, qui qu'à t'aide de manœuvres très compliquées etftrfs savantes,
étaient douze, de nous prendre quelque vingt-cinq louis que qui Srent l'admiration de l'équipage, que nous atteignîmes
nous avions dans nos poches, de nous. jeter à ta mer, Jadin, notre majestueux Triton, )eque), comme~s'i) était étranger a
moi et te garde chiourme, et de s'eu.aller où bon.leuraurait tous.ces petits caprices du vent. et de la:mer, sebaiancaità à
semblé avec le canot du gouvernement. à
peine sur ses ancres. A peine fûmes-nous portée, que
Lors.quej)ous fûmes .rentrés à notre bastide, .et tous deux cinq ou six matelots se précipitèrentjdansla yo)e alors te
couches, nos portes bien fermées dans la même chambre,je capitaine, ~avecia gravité et )e. sang-froid qui 'ne t'avaient pas
fis,part de ma réucxion à Jadin. quitté un seul instant, monta )'éche))e le premier; on sait
Jadin m'avoua que, tout le long de la route, iln'avait pas que c'est d'étiquette, )e capitaine~est Mi à;hord.Hexptiqua
pensé à autre chose. en,deux mots comment.nousrevenions seuls, et donna quel-
Le lendemain, à.l'heure convenue, nous vîmes arriver ques ordres relatifs à ia réception faire aux matelots lors-
notre convive dans :ayo)eétégante, dont tes douze rames qu.'ils reviendraient à ieur'tjour. Quant à moi, qui l'avais
fendaient l'eau d'un mouvement si rapide et si uniforme, suivi le plus promptement possible, je reçus force compli-
qu'on les aurait crues mises en jeu par l'impassible volonté mens sur ia façon distinguée dont .j'avais accompti )cs ma-
d'une machine. Le capitaine la laissa dans le petit débarca- nœuvres qui.m'avaient été .commandées. Je. ni'inclinai d'un
dère et monta chez nous. L'hospitalité était moins étégante .air modeste,'en répondant.que j'étais'a si bonne école qu'il
que celle du Triton; une petite guinguette des environs en n'y avait rien d'étonnant :à ce j'eusse fait de pareils pro-
avait fait tous les frais. Heureusement une des qualités de grès.
l'air de la mer est de donner un éternel et insatiable Le dinerfortfut~ai et fort spirituel, notre expédition fit
appétit. en partie les frais de.la conversation. Là, je m'informai des
A deux heures, le capitaine nous quitta; je le reconduisis raisons pour lesquelles le lieutenant qui, gràce à sa )u-
jusqu'à sa yole. La yole se balançait seule et vide sur la nette, ne nous avait pas perdus de vue un instant, s'était
mer. Les matelots, qui avaient prohablcment compté que abstenu d'envoyer un canot au devant de non?. II nous ré-
notre déjeuner dégénérerait en diner, étaient allés faire pondit que, sans un signe du capitaine qui indiquât que
leurs dévotions au cabaret du fort Lamalgue. nous étions en détresse, il ne se serait jamais permis une
C'était, ce qu'il paraît, une faute énorme contre les rè- telle inconvenance.
gles de la discipline, car.ayant voulu les appeler, le capi- Mais, lui demandai-Je, si nous avions chaviré, ce-
taine me pria de n'en rjen faire, et me dit qu'i) s'en irait pendant. t.
sans eux,aCn que les coupables comprissent bien la gran- –Oh! dans ce cas, c'était autre chose, me répondit-il;
deur de leur péché. Comme le capitaine était seul, et que, nous avions une embarcation toute prête.
comme on le sait, il avait cu le bras droit emporté par un Qui serait arrivée quand nous aurions été noyés! 1
boulet de canon, j'offris alors de lui servir d'équipage, ce merci.
qu'il accepta a la condition qu'à mon tour je resterais di- Le lieutenant me répondit par un geste de la bouche et
ner avec lui. Ce n'était point une condition pareille qui des ëpautfs, qui signifiait
pouvait empêcher mon enrôlement dans l'équipage du Tri- Que voutcx vous, c'est la tcgie.
ton. Je répondis donc que je suivrais le capitaine au bout J'avoue qu'a part moi, je trouvai cette )'f!g)e fort sévère,
du monde, et aux conditions qu'il lui plairait de m'imposer. surtout ()U9))d on )'app)i')nc de compte f) (!cn)i i des gens
qui n'ont pas t'honneur d'appartenir au corps royat de la à Issachar qui posa ses tentes au midi. Du côté de l'occident,
marine. la mer vient baigner sa base qui s'avance, fait une pointe
En m'en allant, j'eus la satisfaction de voir les douze ma- entre les flots, et se présente de loin au pèlerin qui vient
telots de la yole qui prenaient le frais dans les haubans ils d'Europe, comme le point le plus avancé de la Terre-Sainte,
en avaient pour jusqu'au quart du matin à compter tes etoi)es sur lequel il puisse poser ses deux genoux.
et a Oairer de quel côte venait le vent. Ce fut sur le sommet du Carmel qu'Éiie donna rendez-
vous aux huit cent cinquante faux prophètes envoyés par
Achab, afin qu'un miracle décidât, aux yeux de tous, quel
était le véritabtoDieu,de Baal ou deJehovah. Deux autels
alors furent élevés sur la plateau de la montagne, et des vic-
times amenées à chacun d'un. Les faux prophètes crièrent'àà
leurs idoles qui restèrent sourdes. Élie invoqua Dieu, et à
peine s'était-il agenouillé, qu'une flamme descendit du ciel
FRÈRE JEAN-BAPTISTE. et dévora tout à la fois, non seulement le bois et la victime,
mais encore la pierre du sacrifice. Les faux prophètes, vain-
cus, furent égorgés par ]e peuple, et le nom du vrai Dieu
glorifié cela arriva 900 ans avant te Christ.
Nous ne pouvions pas être venus si près de la ville d'Hyè- Depuis cejour, le Carmel est resté dans )a possession des
res sans visiter le paradis de la Provence; seulement nous fidèles. Élie laissa à ÉHséc non seulement son manteau,
hésitâmes un instant si nous irions par terre ou par mer. mais encoresa grotte. A Élisée succédèrent tes fils des pro-
Notre irrésolution fut fixée par le commissaire de la marine, phètes, qui sont les ancêtres de saint Jean. Lors de la mort
qui nous dit qu'il ))c pouvait pas nous prêter les forcats pour du Christ, les religieux qui l'habitaient passèrent de ]a loi
une si longue course, attendu qu'il ne leur était pas permis écrite à la loi de grâce. Trois cents ans après, saint Bazile
de découcher. et ses successeurs donnèrent ù ces pieux cénobites des règles
Nous envoyâmes donc tout bonnement retenir nos places particulières. A l'époque des croisades, les moines aban-
à la voiture de Toulon à Hyères, qui tous les jours passait donnèrent le rit grec pour le rit romain, et de saint Louis
vers les cinq heures du soir, à quelque cent pas de notre à Bonaparte, le couvent bâti sur l'emplacement même où ie
bastide. prophète dressa son autel, fut ouvert aux voyageurs de toute
Rien de délicieux comme la route de Toulon à Hyeres. Ce religion et de tout pays, et cela gratuitement, à )a glorifica-
ne sont point des'plaines, des vattées, des montagnes que l'on tion de Dieu et du prophète EHe, lequel est en égaie véné-
franchit, c'est un immense jardin que l'on parcourt. Aux ration aux rabbins, qui ie croient occupés à écrire les évé-
deux cotés de la route s'étcvent des haies de grenadiers, au nemens de tous les âges du monde, aux Mages de Perse, qui
dessus desquelles on voit de temps en temps flotter, comme disent que leur maître Zoroastre a été disciple de ce grand
un panache, la cime de quelque palmier, ou surgir, prophète; et enfin aux Musulmans qui pensent qu'il habite
<;omme une lance, la fleur de t'aloes puis au delà de cette une oasis délicieuse dans laquelle se trouve i'arbre et la fon-
mer de verdure, la mer azurée, toute peuplée, le long de ses taine de la vie qui entretiennent son immortalité.
cotes, de barques aux voiles latines, tandis qu'à son horizon La montagnesainte avait donc été vouée au eu) te du Sei-
passe gravement le trois mâts avec sa pyramide de voiles, où gneur pendant deux mille six cents ans, lorsque Bonaparte
file avec rapidité le bateau à vapeur, laissant derrière lui vint mettre ie siège devant Saint-Jean-d'Acre; alors le Car-
une longue traînée de fumée, lente à se perdre dans le ciel. mei ouvrit, comme toujours, ses portes hospitalières, non
En arrivant à l'hôtel, nous n'y pûmes pas tenir, et notre plus aux pèlerins, non plus aux voyageurs, mais aux mou-
premier mot fat pour demander à notre hôte s'il possédait rans et aux blessés. A huit cents ans d'intervalle, il avait vu
un jardin, et si dans ce jardin il y avait des orangers. Sur venir à lui Titus. Louis IX et Napoléon.
sa réponse amrmative, nous nous y précipitâmes mais si la Ces trois réactions de l'Occident contre l'Orient furent fa-
gourmandise est un péché mortel, nous ne tardâmes point à tales au Carmel. Après la prise de Jérusalem par Titus, les
en être punis. soldats romains le dévastèrent;après l'abandon de la Terre-
Dieu garde tout chrétien, ne possédant pas un double ra- Sainte par les Chrétiens, les Sarrasins égorgèrent ses habi-
telier de Désirabode, de mordre à pleines dents comme nous tans enfin, après )'échecde Bonaparte devant Saint-Jean-
le fimes, dans les oranges d'Hyëres. d'Acre, les Turcs s'en emparèrent, massacrèrent les blessés
En revenant vers notre bastide, nous aperçûmes de loin, français, dispersèrent les moines, brisèrent portes et fenê-
debout sur le seuil de la porte, un beau moine carmélite a tres, et laissèrent le saint asile inhabitable.
figure austère, à longue barbe grisonnante, couvert d'un Il ne restait donc du couvent que ses murs ébranlés, et de
manteau levantin, et le corps entouré d'une ceinture arabe. la communautéqu'un seul moine qui s'était retiré Kaïffa,
Je doublai le pas, curieux de savoir ce qui me valait cette lorsque frère Jean-Baptiste, désigné par son générai au pape,
étrange visite. Le moine alors vint au devant de moi, et me reçut de Sa Sainteté l'ordre de se rendre au Carmel, et de
saluant dans le plus pur romain, me présenta un livre sur voir dans quel état les infidèles avaient mis )a sainte hôtel-
lequel étaient inscrits les noms de Chateaubriand et de La- lerie de Dieu, ct quels étaient les moyens de la réédifier.
martine. Ce livre était l'album du mont Carmel. Le moment était mai choisi. Abdaiiah-Pacha commandait
Voici l'histoire de ce moine; il y en a peu d'aussi simples pour la Porte, et ce ministre du sultan portait une haine
et d'aussi édifiantes. profonde aux Chrétiens; cette haine s'augmenta encore de
En ~)9, frère Jean-Baptiste ()), qui babitaitRome, reçut la révolte des Grecs. Abdallah écrivit au sublime empereur,
mission du pape Pie VII de partir pour la Terre-Sainte, et que le couvent du Carmel pourrait servir de forteresse a ses
de voir, en sa qualité d'architecte, quel moyen il y aurait à ennemis, et demanda la permission de le détruire elle lui
employer pour rebâtir le couvent du Carmel. fut facilementaccordée. Abdallah fit miner le monastère, et
Le Carmel, comme on le sait, est une des montagnes sain- l'envoyé de Rome vit sauter les derniers débris de t'édifiée
tes ainsi que t'Horeb et le Sina!, il a été visité par le Sei- qu'il était appelé à reconstruire. Cela se passait en <82t. H
gneur. Situé entre Tyr et Césarée, séparé seulement de n'yavaitplusrien à faire au Carmel, le frère Jean-Baptiste re-
Saint-Jean-d'Acre par un golfe, !) cinq heures de distance vint Rome.
de Nazareth, et à deux journées de Jérusalem lors- de la Cependant il n'avait point renoncé à son projet. En ~826,
division des tribus, il échut en partage à Azer, qui s'établit i) partit pour Constantinopte, et grâce au crédit de la France
à son septentrion, à Zabulon, qui s'empara de son orient, et et aux instances de l'ambassadeur, ii obtint de Mahmoud un
lirman qui autorisait )a reconstruction du monastère. !i re-
(<) Son nom )aïf;ue était Cassini c'était un cousin issu de ger- vint alors a Kaîffa et trouva le dernier moine mort.
main du cu)cbre géographe. Alors il gravit tout seul la montagne sainte, s'assit sur un
débris de colonne Bysantine, et là, son crayon à la man), rues de Constantinopie, demandant partout l'aumôneaunom
architecte élu pour la maison du Seigneur, il fit le plan d'un du Seigneur, et, six mois après, il revint, rapportant une
nouveau couvent plus magnifique qu'aucun de ceux qui somme de vingt mille francs, sufBsante aux premières dé-
avaient jamais existé, et après ce plan le devis. Le devis penses de son édifice. Enfin, le jour de la Fête-Dieu, sept
montait à 250,000 fr.; puis enfin, le devis arrête, l'archi- ans heure pour heure après qu'Abdallah-Pacha avait fait
tecte miraculeux, qui bâtissait ainsi avec la pensée sans sauter les murs de l'ancien couvent, frère Jean-Baptiste posa
s'occuper de l'exécution, alla à la première maison venue la première pierre du nouveau.
demander un morceau de pain pour son repas du soir. Mais, avant )a fin de l'année, cette somme fut épuisée
Le lendemain, il commença à s'occuper de trouver les alors le père Jean-Baptiste repartit pour la Grèce et pour
250,000 fr. nécessaires à l'accomplissement de son oeuvre l'Italie; et porteur d'une somme considérable, il revint une
sainte. seconde fois, ramenant )a vie au monument qui continua de
La première chose à laquelle il pensa fut de créer un re- grandir, et qui déjà à cette époque était assez avancé pour
venu à la communauté qui n'existait point encore. !i avait donner t'hospita)ité aux voyageurs. Lamartine, Taylor,
remarqué, à cinq heures de distance du Carmel et à trois i'abM Desmazurcs,Champmartin et Dauzatz, y furent logés
heures de Nazareth, deux moulins à eau abandonnés, soit pendant leurs voyages en Palestine.
par les suites de la guerre, soit parce que l'eau qui les fai- Et c'est ainsi que, sans se lasser de la fatigue, sans se re-
sait mouvoir s'était détournée. chercha si bien qu'à une buter des refus, offrant Dieu ses dangers et ses humilia-
lieue de là il trouva une source que, par le moyen d'un tions, )e frère Jean-Baptiste, quoique âgé aujourd'hui de 63
aqueduc, il pouvait conduire jusqu'à ses usines. Cette ans, poursuivit son œuvre. H partit onze fois du Carmel et
trouvaille faite, et certain qu'il pouvait mettre ses moutins y retourna onze fois. Pendant dix ans que durèrent ses
en mouvement, le frère Jean-Baptiste s'occupad'acquérir les courses, il visita tout un hémisphère il alla à Jérusa-
moutins.its appartenaient à une fami))e de Dt'uscs: c'était une lem, à Damas, i) Jaffa, à Alexandrie, au Caire, à Rama,
tribu qui descendaitde ces israétites qui adorcrentteV eau d'Or; à Tripo)i de Syrie, à Smyrne, ?) Maite, à Athènes, à
ils avaient conservé l'idolâtrie de leurs pères. Les femmes, Constantinople, a Tunis, H Tripoli d'Afrique, à Syracuse,
aujourd'hui encore, portent pour coiffure la corne d'une vache. à Palerme, a Alger, à Gibraltar. Il pénétra jusque Fez et
Cette corne, qui n'est relevée d'aucun ornement chez les fem- jusqu'à Maroc, il parcourut toute l'Italie, toute la Corse,
mes pauvres, est argentée ou dorée chez les femmes riches. toute la Sardaigne, toute l'Espagne, et une partie de l'An-
La famille druse, qui se composait d'une vingtaine de per- gleterre, d'où il revint par Hriandc et le Portuga), si bien
sonnes, ne voulût pas se défaire du terrain iégué par ses an- qu'A la dixième fofs il était retourné au Carmel avec if com-
cêtres, quoique ce terrain ne rapportât rien; elle aurait cru ptément d'une somme de 250,000 francs. Mais son d~'vis,
faire une impiété. Le frère Jean-Baptiste lui offrit de louer ce comme tout devis doit être, se trouvait d'une centaine de
terrain qu'elle ne voulait pas vendre. Le chef consentità mille francs au dessous de la réalité, de sorte qu'il arrivait
cette dernière condition. Le revenu des moulins devait être parti pour la douzième fois du Carmel, afin de faire une der-
divisé en tiers: un tiers aux propriétaires, et les deux au- nière quête en France, ayant garde ie royaume trcs chrétien
tres tiers aux bailleurs. pour sa suprême ressource.
En effet, les hailleurs devaient être deux l'un apportaitt Et ce qu'il y avait d'admirabte dans cet homme, c'est que,
son industrie, et celui-là, c'était frère Jean-Baptiste; mais il pendant dix ans qu'ii avait fait la quête du Seigneur, pas
fallait qu'un autre apportât l'argent nécessaire aux frais de une obole de ces 250 000 francs qu'il avait recueitiis ne s'é-
réparation des moulins et de construction de l'aqueduc. Le tait detourn''e de la masse commune au profit de ses besoins
frère Jean-Baptiste alla trouver un Turc de ses amis qu'it personnels. S'il avait eu :) franchir les mers, il avait reçu
avait connu dans son premier voyage, et lui demanda neuf son passage gratis sur quelque pauvre bâtiment, qui avait
mille francs pour mettre à exécution sa laborieuse entreprise. espéré, par cette bonne œuvre, obtenir une mer calme et un
Le Turc le conduisit à son trésor, car les Turcs, qui n'ont vent favorable. S'il avait eu des royamnes à traverser, it fcs
ni rentes, ni industrie, ont encore à cette heure, comme dans avait traversés, soit à pied, soit dans la voiture de pauvres
les Mille et une Nuits, des tonnes d'or et d'argent. Le frère rouliers qui toi avaient demandé pour toute récompense de
Jean-Baptistey prit la somme dont il avait besoin, affecta au prier pour eux; s'il avait eu faim, il avait demandé du pain à
remboursement de cette somme le tiers de la vente des mou- )a chaumière, et s'il avait eu soif, de l'eau à la fontaine
lins et grâce à cette première mise de fonds faite par tin chaque presbytère lui avait prêté un lit pour son repos de
musulman, l'architecte put jeter les fondemens de son hôtel- quelques heures. Ht ainsi parti du même lieu que le Juif
lerie chrétienne. D'intérêts, il n'en fut pas question, et ce- errant, avec une bénédictionau lieu d'un anathème, il venait,
pendant il fallait au moins douze ans pour que sa part dans après avoir vu presqu'autant de pays que lui, terminer ses
la rente couvrît le bon mahométan de l'avance qu'il venait courses par la France.
de faire quant au centrat, ce fut chose toute simple, les J'offris mon offrande au frère Jean-Baptiste, honteux de
conditions en furent arrêtées de vive voix, et les deux con- )a lui faire si faible; mais je lui donnai des lettres pour des
tractans jurèrent par leur barbe, l'un au nom de Mahomet, amis plus riches que moi.
l'autre au nom du Christ, de les observer religieusement. Aujourd'hui, frère Jean-Baptiste est retourné demander
Savez-vous rien de plus simplementgrand que ce chrétien une tombe à cette montagne qu'il a dotée d'un palais.
qui s'en va demander de l'argent à un Turc pour rebâtir la Et maintenant, Dieu garde le couvent du Mont-Carme)
maison de Dieu, et rien de plus grandement simple que ce d'Ibrahim, d'Abdut-Medjid, et surtout du commodore
Turc qui le prête sans autre garantie que le serment du chré- Napier.
tien ¡>
C'est que la réédincation du Carmel était non seulement
une question de religion, mais encore d'humanité c'est que
le Carmel est une hôtellerie sainte, où sont reçus, sans payer,
les pèlerins de toutes les croyances, les voyageurs de tous les
pays, et où celui qui arrive n'a qu'i) dire pour trouver un lit
et un repas Frère, je suis fatiguéet j'ai faim.
Bientôt le frère Jean-Baptistepartit pour sa première cour- LE GOLFEJUAN
se, laissant le soin de l'exécution de son aqueduc et la répa-
ration de ses moulins à un néophite intelligent. En partant,
il écrivit que ceux qui voulaient se réunir au supérieur des
Carmelets d'Orient n'avaient qu'à venir, et que, dans quet- Nous quittâmes Toulon après un séjour de six semaines.
que temps, un monastère s'élèverait pour les recevoir. Alors Comme il n'y avait rien voir de Toulon à Fréjus, si ce
il parcourut les côtes de l'Asie mineure, de t'Archipe), et tes n'est le pays que nous pouvions parfaitement voir par les
portieres,"nons prîmes'ta voiture publique. D'ailleurs, pour Corse qui les commandait, qai sauta'du haut en bas des
un observateur, la voiture pubiique a un avantage'qui ba- remparts, et qui aUa te rejoindre, ce grand empereur.
lance tous ses désagrémens, c'est que 'l'on peut y étudier –Et que fit-on des prisonniers ? demandai-je.
sous un 'jour assez curieux ia classe moyennedes pays que –'Monsieur, on voulait les mettra dans la maison d'arrêt
l'on parcourt. dela--ville, mais elle étaitpteine~tjedis, moi Mettez-!es
L'intérieur de notre diligence était complété par un jeune dans l'église, pardieu Et onies mit dans l'église.
homme de vingt ou vingt-deux ans, et par un homme de –Et combien de temps y restèrent-ils ? demanda Jadin.
cinquante & cinquante-cinq. Oh ils y restèrent depuis tedemars'jusqu'au 22,
Le jeune homme avait la figure naïve, les'yeux étonnes, que l'on apprit que te grand Napoléonavait fait 'son entrée
les jambes embarrassantes, un chapeau & long,poil, un dans ta capitale.
habit b)eu barbeau, un pantalon gris sans sous-pieds, des Pauvres gens 1 dit le jeune homme.
bas noirs, des souliers iacés, et une montre avec des fruits 'Comment, pauvresgens reprit le capitaine:Comment,
d'Amérique. pauvres gens voilà pardieu! des gaittards bien è plaindre
L'homme de cinquante-cinq ans avait les cheveux, gris et lis avaient de bon,pain, de.bon vin,debonriz et de !bonnes
raides, des favoris formant demi-cercle, et se terminant-en fèves; je vous demande un peu qu'est ce qu'il faut de ptus
pointe à la hauteur des narines, des yeux gris clair, un nez pour faire te bonheur't'1
en bec de faucon, les dents écartées, et la bouche gourmande;
–Mais, dis-je à mon tour, j'espère, capitaine, qu'au
sa toilette se composait d'un col de chemise qui lui guiHo- retour des Bourbons, vous avez eu au moins la croix d'hon-
tinait les oreilles, d'une cravate rouge, d'une veste grise, neur'PP
d'un pantalon bleu, et de souliers de peau de <!aim.De temps –Lacroix <t'honneur!jantënoui!jeTardemandée, la
en temps il sortait la tête par la portière et dialoguait avec
croix d'hoBneur)Savez-vous ce qu'il m'a envoyé,ce'vieux
ie conducteur, qui ne manquait jamais, en lui répondant, de calotin de Louis XVIFTP !t m~a envoyé sa Beur de tis. Oh'!
l'appeler capitaine. que je dis en ta recevant, tu pouvais bien ta garder, ta pu-
Nous n'avions pas encore achevé la première poste, que naise t
nous savions déjà que ie capitaine portait ce titre parce –Pester repris-]e,'capitaitte,comme vous les traitez,
qu'en ~8~N il avait reçu du maréchal Brune l'ordre de ces pauvres'Oeurs de tis!'Faites donc attention que 'saint
charger et de transporter des vivres de Fréjus et d'Antibes Louis, François ~"etHenri'IV étaient moins dimcites que
à Toulon. Pour cette expédition on lui avait donné une cha- vous, et que ces fleurs de lis,que vous méprisez, étaient
loupe et six mateiots qui avaient commencé par l'appeler leurs armes.
patron, et qui avaient fini par l'appeler capitaine ce titre –Les annes'deHeurirV! mais t)on, Henri IV, il était
lui avait paru faire bien en tête de son nom, et il l'avait protestant, pardieu) C'est parce qu'il était protestant que
garde. Depuis ce temps, en conséquence, on l'appelait le tes jésuites Fcnt tué; car'ce sont les jésuites,monsieur, qui
capitaine Langlet. l'ont tué~ce grand roi. Vous avez lu iaXfpttftCKfe, monsieurP
A la seconde poste, nous connaissions )es opinions poli-
–Qu'est-ce qtre'c~est'que la Nenno~e? demanda Jadin
tiques et religieuses du capitaine en politique il était bo- avec le plus grand sang-froid.
napartiste, en religion il était voltairien.
–Voas'ne connaissez pas1a\~n'<~e? Il:faut lire la
Henriade, monsieur, c'est un beau ~oëme c'estde M. de
La conversation tomba sur le frère Jean-Baptiste; le Voltaire, qui'n'aimait pas tes calotins, ce)ui-)à; aussi'les
capitaine en profita pour nous exprimer tout son mépris calotins l'ont empoisonné.ils l'ont empoisonné 1 On a dit.le
pour les calotins; il nous cita à ce sujet deux articles ex- contraire, mais ils l'ont empoisonné,monsieur, aussi vrai que
ceilens du Constitutionnelcontre )e parti prêtre. jem'appei)e)ecapitaineLang)et. Ce pauvre M. de Voltaire1
Nous descendîmespour.diner à Cornoulles. Comme c'était Si j'avais vécu de son temps, j'aurais donné dix ans de ma
un vendredi, l'hôte nous demanda si nous voulions faire vie pour conserver la sienne. M. deVottairct!! ah 1 en
maigre.–Est-ce .que vous me prenez pour un jésuite? Lui voilà un qui n'aurait jamais fait maigreJevendredi
répondit d'un ton foudroyant le capitaine; faUes-moi.de 'Nous comprimes à qui i'ëpigramme's'adressait, ~tnoas
bonnes grillades, et une omelette au lard. courbâmes la tête. Pendant quelque temps le capitaine
Quanta nous, nous répondîmes que s'il y avait du pois- Langlet nous com'prima sous son regard victorieux; puis,
son frais, nous mangerions du poisson. Le jeune homme, voyant que nous nous'rendions, il se mita fredonner une
interrogé à son tour, répondit d'un ton très-doux et en chanson bonapartiste.
rougissant jusqu'aux oreiiies Je ferai comme ces mes- Nous arrivâmes à Fréjus sans nous être relevés du coup.
sieurs. Là, nous primes congé du capitaine Langlet, qui donna de
Le capitaine Langlet nous regarda avec un mépris encyclo- nouveau à Jadin te conseil de lire la Henriade, et qui, se
pédique, et quand on lui apporta son omelette, il se plaignit penchant à mon oreille, me dit tout bas
qu'il n'y avait pas assez de lard. On voit bien que vous êtes royaliste, jeune homme,
Nous remontâmes en voiture, et comme nous devions avec votre poisson et vos fleurs de lis mais, troun de t'airtt
coucher le soir à Fréjus, la conversation tomba sur )e dé- ne dites pas ainsi tout haut votre opinion nous n'entendons
barquement de Napoiéon.Lecapitaine Langlet y avait assisté pas plaisanterie sur Napoiéon, nous autres Fréjusains et
de son navire. Antibois vous vous feriez égorger comme un poulet, dame!
–Ators, lui dit Jadix, it n'y a pas besoin de vous de- Ainsi, de la prudence.
mander, avec les opinions que je vous connais, si vous vous Je promis au capitaine Langlet d'être plus circonspect ~a
réunîtes au grand homme. l'avenir, et nous primes congé l'un de l'autre, lui continuant
Peste monsieur, répondit le capitaine Langlet, je sa route pour Antibes,~t nous restant a Fréjus pour visiter
n'eus garde d'abord à cette époque, monsieur, je lui en te lendemain à noire aiseie golfe Juan.
voulais encore un peu à ce sublime empereur, d'avoir ré- Au moment où nous.aiïions prendre place pour souper,
tabli les églises au lieu d'en faire d'excellens magasins à à l'extrémité d'une de ces longues tables d'auberges où dine
fourrages. Non point, monsieur, au contraire, je fis voile ordinairement toute-une diligence, notre hôte vint nous de-
pour Antibes, et j'annonçai la grande nouvelle au comman- mander si nous voulionsbien permettre que le jeune homme
dant de place, le généra) Cossin; je lui dis mcme que je qui était venu avec nous de Toutoa se fit servir son repas
croyais qu'une petite troupe d'une vingtaine d'hommes s'a- à l'autre bout de la table. Comme ce jeune voyageur nous
vançait vers notre ville avec un drapeau tricolore. Alors il avait paru fort convenable tout le tongde )n'route, nousré-
fit ses dispositions, ce bon généra) et lorsque la petite pondimes que non seulement il était parfaitement libre de se
troupe arriva, on la laissa entrer, puis on ferma )a porte faire servir où cela lui convenait, mais que si, mieux encore,
derrière elle. De sorte que, grâce à moi, ils furent tous it voulait souper avec nous, it nous ferait plaisir. L'auber-
pris, monsieur, à l'exception de Casablanca, un farceur de giste s'empressa donc de tui porter notre réponse qu'ittat-
tendait dans l'autre chambre. Nous avions déjà fait toutes- Le postillon répondit au prince que les artilleurs déte-
Ms dispositions pour intercaler autmiiieu, de nous notre laient ses chevaux..
nouveau convive, lorsque notre hôte vint.nous dire qpe le: Le prince de Monaco sauta àbas de.sa voiture pour don-
jeune homme était bien reconnaissant, mais qu'il ne voulàit ner des coups de canne aux Mtitteurs, jurant entreses
pas nous être importun; et'dêsirait seulement se tenir assez dents que, si les drôles passaient jamais. par sa principauté,
près de nous pour jouir du charme de notre conversation. il les ferait pendre.
Je me retournai vers Jadin en lui tirant mon chapeau, car le Derrière les artilleursi il y avait, un, homme en costume
compliinent était évidemment pour lui. Pendant toute ià de général.
route il avait fait poser le capitaine Langlet de manière à -Tiens! c'est vous, Monaco? dit en voyantle prince.
satisfaire les amateurs les plus difficiles, et'tout naïf que pa- l'homme en costume de général. Laissez,passer le prince,
raissait notre compagnon déroute, i) avait on ne peut plus ajouta-t-il aux artilleurs. qui lui.barraient le. passage,, c'est
apprécie ce genre d'àmabi)ité si' nouveau pour lui. un ami.
Lemarécha) Gérard disait un jour 5 propos de courage, Le prince de Monaco se frotta !es yeux.
et en parlant du général Jacqueminot Quand on ne le Comment, c'est vous, Drouot? lui dit-il.
regarde pas, ii n'est qu'étonnant, mais si on le regarde, Moi-même, mon cher prince..
il devient fabuleux. Même chose peut se dire dé Jadin à' Mais je vous croyais à l'ile d'Elbe avec l'empereur.
propos de l'esprit. Ce soir-là n'était regardé, ii fut spien- -Eh 1 mon Dieu oui, nous y étions en effet, mais nous
dide. Le jeune homme alla'se coucher bien content il avait' sommes venus faire un. petit tour en France; n'est-ce pas,
passé une heureuse soirée. maréchal ?
Le lendemain; nous fimes un tour dans Fréjùs, juste ce –Tiens) c'est vous,.Monaco ? dit le nouveau venu; et
qu'il en fallait pour qu'une ville qui date de 2,600 ans n'eût comment vous portez-vous, mon cher prince ?
pas à se plaindre de nos procédés. Nous mimes en consé- Le prince de Monaco se frotta les yeux une seconde fois..
quence des cartes à l'amphithéâtre, à i'àqueducetà à la porte Et vous aussi, maréchal, lui dit-il, mais vous avez
dorée, et nous revihmes déjeuner notre hôte), où nous at~ donc tous quitté !'ile d'E)be?7
tendait la voiture qui' devaitnouscondùireàNice. En dé- Eh mon Dieu t oui, mon cher prince, répondit Ber-
jéunant, nous demandâmes des nouvelles de notre jeune trand l'air en était mauvais pour notre santé, et nous
homme; mais, comme il n'avait pas osé nous proposer de sommes venus respirer celui de France.
lui céder une place dans notre voiture, et qu'il n'était' pas Qu'y a-t-il.donc,.messieurs ? dit une voix claire et im-
assez grand seigneur, avait-il dit, pour iouer une voiture pérative, devant laquelle le groupe qui entourait le prince
à lui tout seul, il avait pris les devans en prévenant qu'i) s'ouvrit.
aurait l'honneur de nous souhaiter le bonjour au golfe Juan. Ah ah! c'est vous, Monaco? dit la même voix.
Oh ne pouvait pas être à la fois plus discret et plus poli. Le prince de,Monaco se.frotta tes yeux une troisième fois,
Nous quittâmes Fréjus vers les dix heures du matin. Il croyait faire un rêve.
La route que nous primes remontait dans les terres mais, Oui, sire 1 Oui, dit-il oui, c'est moi, mais d'où vient
au bout de six à sept lieues, nous nous rapprochâmes de là Votre Majesté ? où va-t-elle? 'l
mer, moitié de notre part, moitié au moyen d'une gr.indÈ -Je viens de ]'!)e d'Elbe; et'je'vais à Paris. Voulez-vous
échancrure qui semblait venir au devant de nous. Cette venir avec moi, Mbnaco? Vous savez que vous avez votre
grande échancrure était le golfe Juan. Nous nous arrêtâmes appartement aux Tuileries.
juste où le prince de Monaco s'était arrêté. Sire! dit le prince de Monaco qui commençait à com-
On sait l'histoire du prince de Monaco. prendre, je n'ai point oublié tes bontés de Votre Majesté
Madame de D. avait suivi M. le prince de Talleyrand'au pour moi, et j'en garderai une éternelle reconnaissance.
congrès de Vienne. Mais il y'a huit jours à peine que ies Bourbons m'ont rendu
Mon cher prince, iui dit-elle un jour, est-ce que vous ma principauté, et if n'y aurait vraiment.pas assez de temps
ne ferez rien pour ce pauvre Monaco, qui, depuis quinze entre le bienfait et l'ingratitude. Si Votre Majesté le permet,
ans, comme vous savez, a tout perdu, et qui avait étépMigé je continuerai donc ma route versma. principauté, où j'atten-
d'accepter je ne sais quelle pauvre petite charge à la cour de drai ses ordres.
l'usurpateur? Vous avez raison, Monaco, lui dit l'empereur, allez,
Ah 1 si fait, répondit le prince,, avec le plus grand allez! seulement vous savez que votre ancienne place vous
plaisir. Ce pauvre Monaco 1 vous: avez bien fait de m'y faire attend, ja n'en disposerai pas.
penser,.chèreamieje t'avais oublié. Je remercie mille fois Votre Majesté, répondit le
Et le prince pritd'acte du congrès qui était sur sa table, prince.
et dans lequel on retaillait, à petits coups de plume.le bloc L'empereur. fit un signe, et. l'on. rendit au postillon ses
européen que Napoléon avait dégrossi à grands coups chevaux qui. avaient déjà. mis en position une pièce de
d'épée puis de sa plus minime écriture, après je ne sais quatre.
quel protocole qui. regardait l'empereur de Russie oa le roi Le postillon rattela ses. chevaux. Maistant que le prince
de Prusse, il ajouta fut à la portée de la vue: de l'empereur, il ne. voulut point
Et le prince de Monaco rentrera dans ses Étals. remonter en voiture et marcha à pied.
Cette disposition était bien peu de chose elle ne faisait Quant à Napoléon, il alla s'asseoir, tout. pensif sur un
banc de bois à laporte d'une petite auberge, d'où ii présida
pas matériellement la moitié d'une ligne; aussi passa-t-elle le débarquement.
inaperçue, ou si elle fut aperçue, personne ne jugea que ce
fut la peine de rien dire contre. it
Puis, quand le débarquement fut fini,.comme commen-
L'article supplémentaire passa donc sans aucune con- çait à se faire tard, il décida qu'on .n'irait pas p!us loin ce
jour-ià, et qu'il passerait la.nuit au bivouac.
testation.
En conséquence, il s'engagea dans une petite ruelle,.et
Et madame de D. écrivit au prince de Monaco qu'il était alla s'asseoir sous le troisième olivier à partir delà grande
rentré dans ses Etats.
route. Ce fut là qu'il passa la première nuit de son retour
Le 2S février ~8~5, trois jours après avoir reçu cette nou- en France.
velle, le prince de Monaco fit venir des chevaux de poste, Maintenant, si on veut le suivre dans sa marche victo-
et prit la route de sa principauté. rieuse jusqu'à Paris, on n'a qu'à consulter le .MMi!'<€M-. Pour
En arrivant au golfe Juan, il trouva le chemin barré par guider nos lecteurs ubns cette recherche historique, nous
deux pièces do canon. allons en donner un extrait assez curieux. On'y trouvera la
Comme il approchait de ses Etats, le prince de Monaco fit marche graduée de Napoléon vers Paris, avec la modiSca-
grand bruit de cet embarras qui leretardait, et ordonna au tion que son approche produisait dans les opinions du
pp&tUion défaire déranger les pièces et de passer outre. journal.
–L'antropophageest sorti de son repaire. celui qui lui paraîtra le plus vraisemblable ou qui lui sera
L'ogre de Corse vient de débarquer au golfe Juan. le plus sympathique.
Le tigre est arrivé à Gap.
Le monstre à couché à Grenoble. PnEHtER SYSTÈME.
Le tyran a traversé Lyon. L'auteur du premier système est anonyme. Le système est
L'usurpateur a été vu à soixante lieues de la capitale.
venu tout fait de la Hollande, sans doute sous le patronage
-Bonaparte s'avance à grands pas, mais il n'entrera ja- du roi Guillaume. Tel qu'il est, le voici Le cardinal de
mais dans Paris. Richelieu, tout fier de voir sa nièce Parisiatis aimée de
Napoléon sera demain sous nos remparts. Gaston, duc d'Orléans, frère du roi, proposa à ce prince de
L'empereur est arrivé à Fontainebleau. devenir sérieusement son neveu. Mais le fils de Henri IV, qui
Sa Majesté Impériale et Royale a fait hier son entrée voulait bien de mademoiselle Parisiatis pour maitresse,
en son château des Tuileries au milieu de ses Mêles su- trouva si impertinent que le premier ministre osât la lui
jets' proposer pour femme, qu'il répondit à cette proposition
C'est l'exegi HMHumMfuM du journalisme; il n'aurait par un soufflet. Le cardinal était rancunier; mais, comme il
rien dû faire depuis, car il ne fera rien de mieux. n'y avait pas moyen de traiter le frère du roi en Bouteville
Quant a Napoléon, il voulut qu'une pyramide constatât le ou en Montmorency, il s'entendit avec sa nièce et le père
grand événement dont )e prince de Monaco avait été un des Joseph pour tirer de Caston une autre vengeance. Ne pou-
premiers témoins. Celle pyramide fut élevée sur le bord de la vant lui faire tomber la tête de dessus les épaules, i) résolut
route, entre deux mùriers et en face de l'olivier où il avait de lui faire cheoir la couronne de dessus la tête.
passé )a première nuit. MalheureusementNapoléon voulut La perte de cette couronne devait être d'autant plus sensi-
que celte pyramide renfermât un échantillon de toutes nos ble à Gaston que Gaston croyaitdéja )a tenir. Il y avait quel-
monnaies d'or et d'argent frappées au millésimede ~8~5. que vingt-deux ou vingt-trois ans que son frère aîné était
H en résulta qu'après Waterloo, tes gens de Valory abat- marié, et la France attendait encore un dauphin.
tirent la pyramide pour voler ce qu'elle renfermait. Voici ce qu'imagina Richelieu, toujours dans le système
Notre jeune homme nous attendait à )a porte de la petite de l'anonyme hollandais.
auberge, assis sur le même banc où s'était assis Napoléon. Un jeune homme, nommé le C. D. R., était amoureux, de-
Cette petite auberge, qui, depuis ce temps, s'est mise de puis plusieurs années, de la femme de son roi. Cet amour,
son autorité privée sous la protection de ce grand souvenir, auquel la reine n'avait pas paru insensible, n'avait point
se recommande aux voyageurspar l'inscription suivante: échappé aux regards jaloux de Richelieu, qui, amoureux
Au débarquement de Napoléon, empereur des français, lui-même d'Anne d'Autriche, s'en était inquiété jusqu'au
venant de l'ile d'E)be, débarqué au golfe Join, le mars moment où il jugea à propos d'en tirer parti.
<8<S on vend à boire et à manger en son honneur, à la Un soir, le C. D. R. reçut un billet d'une main inconnue
minute. dans lequel on lui disait que, s'il voulait se rendre à un en-
t C'est lui qui subjugua presque tout l'Univers, droit indiqué, et se laisser bander les yeux, on le conduirait
t Affronta les périls, la bombe et la mitraille, dans un lieu où il désirait être présente depuis longtemps.
Brava partout la mort et sillonna les mers, Le jeune homme était aventureux et brave: il se trouva au
Combattit à Wagram et gagna la bataille. » rendez-vous, se laissa bander les yeux et lorsque le ban-
deau lui tombadu front, il était dans l'appartement d'Anne
Nous demandâmes à l'aubergiste si c'était son cuisinier d'Autriche qu'il aimait.
qui avait fait les vers de son enseigne, et, sur sa réponse Le lendemain elle alla trouver le cardinal et lui dit:
négative, nous lui commandâmes à diner. « Vous avez enfin gagné votre méchante cause mais prenez-
En attendant le dîner, nous nous préparâmes à prendre y garde, monsieur le prélat, et faites en sorte que je trouve
un bain de mer. A peine eut-il à nos dispositions pénétré cette miséricorde et cette bonté céleste dont vous m'avez
notre projet, que notre jeune homme demanda a Jadin si nattée par vos pieux sophismes. Ayez soin de mon âme o o
nous voulions bien lui accorder l'honneur de se baigner en L'auteur anonyme attribue à cette aventure la naissance
même temps que nous. de Louis XIV, fils de Louis XIII, par voie de transubstan-
Nous nous regardâmes en riant, et nous lui répondîmes tiation. La brochure, qui se terminait là, annonçait une
qu'il était parfaitement libre que, s'i) croyait au reste avoir suite qui n'a point été publiée. Mais comme l'anonyme bot-
besoin de notre permission pour cela, nous la lui accordions landais ajoutait que cette suite serait la /ot<e catastrophe du
de tout cœur. C. D. R., on prétendit que la castatrophe fut la découverte
Le jeune homme nous remercia comme si nous lui avions que fit Louis XIII des amours de la reine, et que le prix
fait une grande grâce puis, pour ne pas choquer notre pu- dont le C. D. R. les paya fut une prison perpétuette avec ap-
deur, il se fit un caleçon de sa cravate, entra dans la mer plication d'un masque de fer.
jusqu'aux aisselles, et s'arrêta là à regarder nos évolutions. Le C. D. R. était ou le comte de'Rivière ou !e comte de
En face de nous, à l'horizon, étaient les îles Sainte-Mar- Rochefort.
guerite. Ce système, à notre avis, sent trop le pamphlet pour avoir
Les !)es Sainte-Marguerite, comme on le sait, servirent, besoin d'être réfuté.
pendant neuf ans, de prison au Masque de fer.
Nos lecteurs peuvent sauter par dessus le chapitre suivant, DEUXtÈHE SYSTÈME.
quej'intercale par conscience, et pour satisfaire la curiosité
de ceux qui, comme moi, se baigneraient dans le golfe Juan. Celui-ci est de Sainte-Foix, et, s'il n'a pas le mérite de la
Ils n'y perdront qu'une dissertation historique médiocrement vraisemblance, il a au moins celui det'origiuatité. Sainte-
amusante. Foix, comme on ic sait, était un homme de beaucoup d'ima-
gination, qui n'aimait pas les bavaroises, et qui trouvait
mauvais que les autres les aimassent. U en résultait qu'il
déjeunait ordinairement avec des côtelettes et du vin de
Champagne, et qu'il avait le tort d'écrire l'histoire après
avoir déjeuné.
Un jour Sainte-Foix lut dans l'histoire de Hume, que le
L'HOMME AU MASQUE DE FER. duc de Montmouth n'avait point été exécuté comme on l'avait
dit, mais qu'un de ses partisans qui lui ressemblait fort, ce
qui cependant n'était pas facile à rencontrer, avait consenti
Tout calcul fait, il y a neuf systèmes sur homme au à mourir à sa place, tandis que le fils naturel de Charles
masque de fer. Nous laissons au lecteur le soin de choisir chez lequel on avait respecté le sang royal, tout ittégitime
qu'il fût, avait été transféré secrètement en France pour y fer,
fi et le duc (l'Orléans ~H-BbmoyoM. Quant à la Bastille,
subir-une prison perpétuette. elle
e était désignée sous le nom de la forteresse ~M/;<!?!, et
A ce passage, Sainte-Foix, toujours en quête du romanes- les
Il i)es Sainte-Margueritesous )cnon) de <act< .(~Hed'OrmtM.
Voici maintenant t'anccdote réduite à ses vrais noms
que, ouvrit de grands yfux et découvrit un petit volume
anonyme et apocryphe intituié: ~wouM de Chartes 77 e< de Louis de Bourbon, comte de Vermandois,était, comme on
1le sait, fils naturel de Louis XIV et de mademoiselle de La-
Jacques jf/, rois d'Angleterre.Dans ce petit volume il était
dit: La nuit d'après la prétendue exécution du duc de va)Hère. Comme à tous ses bâtards, Louis XIV lui portait
Montmouth, le roi, accompagné-de trois hommes, vint lui- tune grande amitié, si bien que cette amitié ayant changé
jmême te tirer de la tour. On lui couvrit ta tête d'une espf'ce 1l'orgueil qui était propre au jeune prince en insolence, it
j.
jour où il comptait dresser l'obélisque sur son piédestal, et jamais le moindre accident n'est arrivé à aucun des 245 vais-
ce jour fut publié à son de trompe par toute la ville. Chacun seaux qui ont héréditairement etannuellement transporté la
pouvait assister à l'opération, mais à la condition du plus sainte cargaison.
rigoureux silence c'était un point qu'avait réclamé Fon- Nous arrivâmes à Oneitte à neuf heures du soir, car notre
tana, afin que sa voix a lui, le seul qui eût le droit de don- MMunna nous ayant promis de nous déposer à Gènes, le
ner des ordres dans ce grand jour, pût être entendue des troisième jour à deux heures, à la porte des Quatre-Nations,
travailleurs. Or, comme Sixte-Quint ne faisait pas les cho- faisait ses journées en conséquence. It en résulta que
ses à demi, la proclamation portait que la moindre parole, nous repartîmes d'Oneille le lendemain au point du jour.
le moindre cri, la moindre exclamation serait punie de mort, Nous n'en dirons pas grand'chose, si ce n'est que c'est la
quels que fussent le rang et la condition de celui qui i'au- patrie du, grand André Doria, ce qui n'empêche pas, à ea
rait proféré. juger par celle où nous couchâmes, que ses auberges n'en
Fontana commença son travail au milieu d'une foule im- soient détestables.
mense d'un côté était ie pape et toute sa cour sur un écha- Au pointdu jour nous nous,remimes en route. Nous com-
faudage élevé exprès; de l'autre, était le bourreau et la po- mencions à nous réveiller, lorsque nous traversâmes Ales-
tence au milieu, dans un espace resserré et; que faisait sio, où nous vimes pour ia première fois les femmes coiffées
vriers..
respecter un cercle de soldatsi étaient Fontana et ses ou-
La base de l'obélisque avaitrété amenée jusqu'à son 'pié-
de mezzaro génois, voile blanc, qui, sans,te cache.r, encadre
leur visage. Quant aux hommes, c'étaient autrefois de har-
dis marins, qui prirent part avec Pizarre à la conquête du
destal; ce qui restait.à faire, c'était donc de le dresser. Des Pérou, et avec don Juan d'Autriche à la victoire de Lépante.
cordes attachées à son extrémité devaient, par un mécanisme Nous nous arrêtâmes pour-déjeuner à Albeuga, ville au
ingénieux, lui faire perdre sa position horizontale pour t'a- doux nom, mais à laquelle ses remparts croulans et ses
mener doucement à une position perpendiculaire. La lon- tours en ruines donnent un aspect des plus sombres. C'est à
gueur des cordes avait été mesurée à. cet effet; arrivées à Albenga, s'il faut en croire madame de Genlis, que la du-
leur point, d'arrêt, i'obéiisque devait être debout, chesse de Cerifalco fut enfermée pendant neuf ans dans un
L'opération commença au.miiieu du.pius profond siience; souterrain par son mari.
l'obélisque lentement soulevé obéissait comme par magie à Un autre point historique plus sérieusement arrêté, c'est
ta force attractive qui ie mettait en mouvement. Le pape, que ce fut à Albenga que naquit ce Proculus qui disputa
muet comme les autres, encourageait la manoeuvre par des l'empire à Probus, et DeciusPertinax; qu'iine fautpas con-
signes de tête; la voix de l'architecte donnant des ordres fondre avec le Pertinax qui devint empereur.
retentissait seule au milieu,de ce silence solennel. L'obéiis- Albengapossède deux monumens antiques, son baptistère,
que montait toujours, un ou deux tours de roues encore, et qui remonte, assure-t-on, à Proculus et son ponte longo qui
ii était étaNi sur sa'base. Tout à coup, Fontana s'aperçoit fut bâti par le général romain'Constance. Une chose remar-
que le mécanismene tourne plus; )a mesure des cordes avait quable au reste, c'est que les habitans d'Albenga, l'ancienne
été exactement prise, mais,les cordes avaient été distendues .~MMyauMtnt, s'étantalliés avec Magon, frère d'Annibal, fu-
par la masse, et elles se trouvaient maintenant de .quelques rent compris dans le traité de paix qu'il fit avec le consul
pieds trop longues; nulle force humaine ne pouvait suppléer romain Publius /E)ius; et depuis ce temps, jusqu'au XH<
à ia force qui manquait. C'était une opération manquée, une siècle, en vertu de ce traité, se gouvernèrent par leurs pro-
réputation perdue; Fontana pressait les ordres, -multipliait pres lois, frappant monnaie comme un
État indépendant. Au
)es commandemens.Du moment où les corder n'atliraient xii" siècle, les Pisans en guerre avec les Génois prirent
plus i'obéiisque, i'obéiisque pesait d'un double poids sur les Albenga et la saccagèrent. Rebâtie par tes Génois, elle resta
cordes. Fontana porta les-mains à son front, ne voyait au- depuis c& temps en teur pouvoir, sans être brûtée, c'est vrai,
cun moyen de remédiera l'extrémité où il se trouvait, ii mais aussi sans être rebâtie, ce qui fait qu'Albenga aurait
grand besoin d'être brûtée une seconde fois.
brisa..
sentait qu'il devenait fou.,En ce moment un des câbles se
Le route continuait'au restera être délicieuseet pleine
d'&ccidens pius. pittoresques~es'unsque tes autrea avec la
(i)~ta soiMnte-Mize'pieds de haut et h croit qn! )e tunnontS mer à notre droite, calme comme un lac et resplendissante
vingt-six comme un miroir; et !) notre gauche, tantôt des roches!) pic,
tant6t:de charmans vallons-avec des baies de grenadiers et à rhorizon, couchée au, fond de son golfe avec la noncha-
de grosses touffes de lauriers rosés'; tantôt de grandes échap- lante majesté d'une reine. Un seul mot explique, au reste,
pées de vue, avec, quelque Tiiiage pittoresque, se détachant ce luxe presque inexplicable de palais, que le voyageur
sur des fonds bleuâtres comme on n'en voit que dans le pays trouvé éparpillés sur sa route avec la même profusion que
des montagnes. H en résutta.quct. sans fatigue aucune; nous les;bastides des environs de Marseille. Les lois somptuaires
arrivâmes à Savone où nous devions coucher. de la république, qui défendaient de donner des fêtes, de
Sayone.est'!une espèce de viife à qui il reste une espèce de s'habiller de velours et de, brocard, et de porter des dia-
port que les Génois ont laissé se combler peu à peu malgré mans, ne s'étendaient point au detà des murailles de la ca-
les réclamations des.habitans, afin qu& ie commerce de Sa- pitale c'était donc à la campagne que s'était réfugié le luxe
vone ne nuisit point au commerce de Gênes. Il en résnite de ces turbulens,et orgueilleux républicains.
que Savone est à peu près ruinée. Comme toutes,les puissan- La première chose que nous aperçûmes en arrivant à
ces tombées et forcées de renoncer à leur avenir, la ville est Gênes, et en traversant,. pour nous rendre à notre hôte),ia
toute orgueiiieusedesonpassé.En effet, Savone a donné Porta di Vacca,. qui est située près de ia Darse, c'est un
naissance. a l'empereur Pertinax, a Grégoire VII,à Sixte !V, fragment des chaînes du port de Pise, rompues par les
à Jules ![, et-à a Chiabrera.qui passe pour )p plus grand poëtc Génois en <290. Depuis GOO ans, ce témoignage de la haine
lyrique que i'Itatie moderne ait jamais eu. De toutes ces des deux peuples, haine que leur chute commune n'a pu
grandeurs; iirësteà Savone ia façade du palais de Jules II, éteindre, est étale à la vue de tous. Ce fut Conrad Doria,
attribuéà l'architecte San Gaiio, et le,bas-reliefde la Visite sorti de Gênesavec 40 galères, « qui, secondé de ceux de Luc-
de la Vierge à sainte Élisabeth, l'un des meilleurs du Ber- ques, dit l'historien Accinelli, attaqua Porto Pisano, le pilla,
nin. Le sacristain- montre en outre au. voyageur un tableau et se tournant ensuite contre Livourne, en détruisit tes for-
de la Présentation de )a~ Vierge au temple, comme étant du tifications et la ville, à l'exception de l'église Saint-Jean.
Dominicain: Défiez-vous du sacristain de Savone, payez Ce n'est pas la seule preuve de haine que tes Génois aient
comme s'il vous avait montré un Vasari ou un Gaëtano, et donnée aux autres peuples de la péninsule. En 4262, l'em-
vous serezencore voté. pereur grccayant abandonné aux Génois un château qui
A trois ou quatre lieues de Savone, nous trouvâmes Co- appartenait aux Vénitiens, les Génois, en haine de ceux-ci,
goletto, petit village qui prétend mieux savoir que Colomb dont ils avaient reçu je ne sais quelle insulte, démolirent le
lui-même où Colomb est né, etqui reciameie grand naviga- château, en transportèrent les pierres sur leurs navires, ra
teurcomme un de ses enfans, quoiqu'il ait dit dans son tes- menèrent ces pierres à Gènes, et en bâtirent .l'édifice connu
tament Que M'endo yo Inacido en Genova, como natural d'allg autrefois sous le nom de Banque de Saint-George, et aujour-
porque de ella sali y en ella Ttactt L'argument eût peut-étre d'hui sous celui de la Douane. Ce monument de vengeance
été concluant pour tout autre que Cogolelto, mais Cogotetto renferme un monument d'orgueil, c'est le griffon Génois,
est entêté, et i) répondit à Colomb en écrivantsur )a: porte étouffant dans ses serres l'aigle impériale et le renard Pisan,
d'une espèce de cabane qu'il prétend être la maison du avec cette inscription:
grand magistrat:
Griphus ut bas ang!t,
Proviucia di Savdna, Sic hostes Genua frangit.
Communa di Cogolétto,
Patria di' Colombo, Si l'on monte a ta Douane, on y trouvera les anciennes
Scropitor~ieInuovomoNdo. bouches de dénonciation qui, dans les dernières révolutions,
à ce qu'on assure, ne sont pas toujours restées vides.
Puis, à tout hasard, et comme ne pouvant pas faire de Notre hôtel était tout près de la Darse; tandis qu'on nous
mal, il ajouta ce vers latin de Gagiuim: préparait f) diner, j'eus donc le temps d'aller, Schiller à la
main, faire ma visite au tombeau de Fiesque..
Unus erat mundus: duo sint, ait iste: fuere (1). Parla même occasion, je parcourus l'arsenal de mer. Dans
ta première enceinte, Gênes, encore aujourd'hui, arme, dé-
EnRn, pour accumuler les preuves, 'on déterra nn vieux sarme ou répare ses vaisseaux. A cette enceinte a succédé
portrait qui représentaitle visage vénéraNe de quelque baii!i une seconde, desséchée, et qui n'est cette heure autre que
de Cogoietto, et on'l'installa en grande pompe à ia maison le vaste chantier maritime où la république construisait
communalecomme étant le portrait de Colomb. ces fameuses galères, longues de 58 mètres, larges de 4,
Ceux qui passeronta Cogoletto sont priés de faire au ci- qui coûtaient chacune sept. milles. livres génoises, et qui,
cerone qui leur'montrera ce portrait l'aumône de quelques montées par 250 hommes, parcouraient en .maîtresses toute
coups de canne, en mémoire du pauvre Colomb, si cruelle- la Méditerranée: Cette seconde enceinte sert aujourd'hui
ment persécuté pendant sa vie, et si traîtreusement calomnié d'atelier & 7 ou 800 galériens, qui traînent: leurs boulets
après sa mort. sous les bettes voûtes bâties au XIU* siècle d'après tes des-
sins de Boccanegra.
GÊNES LA SUPERBE.
t Dans un coin de l'arsenal est un exacte sarde avec cette
inscription
<<Br!'yatt<tt!o Sar~o~t Fentce, commatM~o da capitan'
fMtcefeM'e.MoKe Jat ~5 a! <4 /B&&ro;'o 485S, essendosi opty<<!
un entestatura di taaola Ca~o a Picoo a l'isola. di Z.atrc. ? »
Un tableau représente l'événement: le navire sombre, la
chaloupe s'abandonne à la mer, et la Vierge qu'cDo invoque,
et qui apparaît dans, un coin de la toile, calme la tempête
d'un signe.
En allant de l'arsenal de mer au vieux palais Doria, on
A partir de Cogoletto; Gênes vient pour 'ainsi dire au trouve sur son chemin la porte Saint-Thomas: une petite
devant du voyageur. Peg)i, avec ses trois magnifiquesviitas, porte s'ouvre.dans la grande'; c'est en franchissant le seuil
n'est qu'une espèce de faubourg qui passe par Cestri di Po- de cette petite porte que Gianettino, neveu du doge, fut tué.
nente; et se prolonge jusqu'à Saint-Pierre-d'Arena, digne Avant d'arriver cette porte, on traverse la place d'Aqua
entrée de la ville qui s'est donnée à eiie même le surnom de Verde. C'est en ce lieu que Masséna, après avoir tenu
la Superbe, et que depuis six ou sept lieues déjà on aperçoit soixante jours, avoir épuisé toutes ses ressources et avoir
mangé jusqu'aux selles des chevaux, mangés eux-mêmes de-
(i) Il n'y avait qu'un inonde Qu'il y en ait deux, dit Colomb; puis longtemps, ayant signé au pont de Conegliano, avec
et ils furent l'amiral Keith et le baron d'Ott, sa bette capitulation qu'il
intitula convention, rassembla le reste de sa garnison, lent; les débris qui en tombent sont poussés dans les ruel-
~2,000 hommes à peu près, qui, pendant trois jours, ychan- les qui les séparent, où ilss'amassent avec d'autres immon-
tèrent, entourés d'Autrichiens, tous tes chants patriotiques dices. C'est un mélangedouloureux de plâtre et de marbre,
de la France. de grandeur et de misère, et l'on sent qu'au dixième du
Le palais Doria est le roi du golfe il semble, à le voir, prix qu'ils ont coûté, on aurait palais, meubles, tableaux,
que c'est pour le plaisir des yeux de ceux qui Tout habité et, s'il faut en croire le proverbe génois, la duchesse par
que Gènes a été bâtie ainsi en amphithéâtre. Nous montâmes s dessus.
les larges escaliers que le vieux doge balayait a'quatre- Le proverbe n'est point comme l'investigation scientifique
vingts ans de sa robe ducale, après, comme le dit l'inscription du président Desbrosses, et peut se citer. En conséquence,
de son palais, avoir été amira) du pape, de Charles-Quint, le voici tel qu'il a couru de tout temps
de François 1er, et de Gênes. En montant.~cet escalier, on n'a ~oreMKzapMce, monttMnzo ~no,uomtHtMnzo/f(~, don-
qu'à lever les yeux pour voir au-dessus de sa tête de char- ne ~enza ~M-~na.
mantes fresques imitées des toges du Vatican, et peintes par Ce qui signifie mer sans poisson, montagnes sans bois,
Perino del Yaga. un des meilleurs élèves de Raphaë), que te hommes sans foi, femmes sans vergogne.
sac de Rome par les soldats du connétable de Bourbon fit C'est ce proverbe qui faisait sans doute dire à Louis XI
fuir de la ville sainte. A. cette époque i) y avait toujours des <t Les Génois se donnent à moi, et moi je les donne au
palais ouverts pourle poéte on l'artiste qui fuyait, le pinceau diable."
ou la plume & la main. Perino del Vaga trouva le palais de I) n'y a qu'une petite observation à faire, c'est que je crois
Doria sur sa route; il y fut reçu par le vieux doge comme le proverbe pisan et non génois~Bridoison dit avec beaucoup
eût été reçu l'ambassadeur d'un roi, et i! paya son hospita- de justesse qu'on ne se dit pas de ces choses ta à soi-même
)itë en couvrant de chefs-d'œuvre les murs qui lui oCrirent et jamais un Génois n'a passé pour être plus bête que Bri-
un abri. doison.
Le palais Doria est entre deux jardins; l'un d'eux est situé La strada Ba!6t nous mena à la strada ~ViMf!Mtmt!, et la
de l'autre côté de la rue et-s'élève avec la montagne on y ar- strada J!fMOM~tma à la strada ~VuoM. C'est dans cette der-
rive par une galerie; l'autre estattenant au palais lui-même nière rue, terminée par la place des jFontotttM omoMMtMM,
et conduit à une terrasse de marbre qui commande le gol- toute encadrée dans ses maisons à fresques extérieures,
fe. C'est sur cette terrasse qu'André Doria 'donnait aux am- que se trouvent les plus beaux palais. Parmi ceux-ci, nous
bassadeurs ces fameux repas servis en vaisselle d'argent re- en visitâmes deux; le palais Doria Tursi; et le palais Rou-
nouvelre trois fois, et qu'après chaque service on jetait à la ge, l'un propriété publique appartenant à l'Etat, l'autre
mer. Peut-êlre bien y avait-il quelques filets cachés sous propriété privée appartenant à M. de Brignole,ambassadeur
i'ea)), !t l'aide desquels on repêchait le lendemain plats et du roi Charles-Albert à Paris.
aiguières; mais c'est le secret de t'orguei) ducal, et il n'à Le palais Tursi, dont on attribue à tort l'architecture a
jamaisété révé)é. Michel-Ange, fut commencé par le Lombard Roch Lugaro,
Prcs de la statue colossale de Jupiler s'élève le monu- ornementé là porte et aux fenêtres par Thaddëi Carloni,
ment funéraire du fameux chien Radan, donné par Charles- et achevé parRandoni les peintures sont du chevalierMi-
Quint h André Doria, et qui étant trépassé en l'absence de chel Canzio. Au reste, l'un des plus riches au dehors, il
Doria, fut enterré au pied de cette statue, ann, dit son épi- est l'un des moins beaux en dedans.
taphe, que tout mortqu'il était, il ne cessât point de garder Il n'en est point ainsi du palais Rouge, son extérieur est
un dieu. Doria revint de son expédition, trouva l'épitaphe peu élégant, quoiqu'il nemanquepasd'un certain grandiose,
toute simptc,etlataissacommeet)e était. mais il renferme la plus belle gâterie de Gênes peut-être,
Quant à André Doria )ui-même, il est enterré dans l'église sans en excepter la galerie roya)e. On y trouve des Titien,
de San-Mattei. des Véronese, des Palma-Vecchio, des Paris-Bordone, des
Ma religion pour l'historique m'avait d'abord conduit où Albert Durer, des Louis Carracae,.desMichel-Ange de Car-,
m'appellaicnt mes souvenirs mes dettes avec Doria, avec ravage, des Carlo Do)ci, des Guerchin, des Guide, et surtout
Fiesque et avec Masséna acquittées, je jetai un regard sur
la lanterne bâtie par Charles Y!)!, et, en longeant pendant
des Van-Dyck. i .1
I) est inntile de dire que le palais Brignole n'est point de
dix minutes lerempart, je me trouvai à la porte de l'arsenal, ceux qui sont à vendre.
où était le fameux rostrum antique qui fut retrouvé dans le Après avoir visité la tombe de Fiesque.it. me: restait A
port de Gênes, et qu'on suppose avoir appartenu à un vais- voir ia ptace où était bâti son palais. Je! m'y fis conduirez
seau coulé à fonddanstecombatnaval qui eutlieu entre les Gé-
nois et Magon, frère d'Annibal. Près de ce rostrum, qui date
de l'an 524 de Rome, est un canon de cuir eercté de fer, pris
surtesVénitiensau siégedeChiozza,en~5T9,etqui,par con-
séquent, est un des premiers qui aient été faits apres l'in-
vention de la poudre. Quant aux trente-deux cuirasses de
une propriété dcl'État.
cette place, toujours vide, est située près de l'église de San-
ta-Maria-in-~ia-Lata. Cette inscription, sans nommer le
conspirateur, indique à quelle époque le terrain est devenu
Ha*cjam)aintus et extra
J)
femmes portées en 1501 par les croisées génoises, et dont la PuMicamproprietatem
Indicabat ex décrète P. P.
forme a fait é)ever au président Desbrosses un doute si in- Communis diei 18 july
jurieux sur ces nobles amazones (1), elles ont été, en t8<5, m4.
vendues dans les rues au prix de la vieille ferrai'te, par les
Anglais.qui tenaient Gènes. Une seule a échappé a cette spé- Dans toutautre pays, cet emplacement, qui a à peine 50
culation de laquais, encore ne m'a-t-elle point paru bien au- pieds carrés, donnerait une pauvre idée de la richesse et de
thentique. la puissance de son propriétaire. Mais !t Gênes, il ne faut
Del'Arsenal., il n'y a qu'un pas au bout de la rueBaibi, pas prendre les patais en largeur, maison hauteur; les plus
l'une des trois seules rues qui existent Gênes, les autres riches, à l'exception de celui d'André Doria et de deux ou
méritant a peine )c nom de rue))cs. H est vrai aussi que ces trois autres peu t'être, n'ont de jardins que sur leurs terrasses
trois rues, que madame de Staë) prétendait être bâties pour et sur leurs fenêtres.
un congrès de rois, et qu'Alfieri appelait un magasin de Un autre souvenir du même genre se trouve à quelques
palais, n'ont peut-être pas leurs pareilles au monde. minutes de chemin du premier, près de la petite église ro-
Sur tous ces palais le temps a passé une couche de tristes- mané de San-Donato, où l'envient de découvrir,sous le ba-
se incroyable. Queiques-uns se fendent, les autres s'écait- digeon qui les recouvrait comme le reste de l'édifice, quatre
charmantes colonnes de granitoriental,les plus belles eties
(1) Au moment de citer l'opinion du spirituel président,je n'ose
mieux conservéespeut-êtrequ'ilyaitdanstoute la .ville de
le faire, et me contente de renvoyer a l'ouvrage tui-même. Gênes, qui est cependant la ville des colonnes.
Voir en conséquence, tome t, page 71, édition de t836. Ce souvenir, qui date de 1560~ se.rattacheà }a<:Qnspira-
tion Raggio le palais a été rasé comme celui de Fiesque; lait bien faire quelque chose. Ils en faisaient des églises et
mais l'inscription'a été enlevée par un descendant du cons- des palais.
pirateur, ministre de la police, et portant le même nom. L'église Saint-Laurentest la première en date sur le cata-
Cette conspiration, moins connue que celle de Fiesque, logue des curiosités de Gênes. Néanmoins, comme nous
parce qu'il ne s'est point trouve de Schiller qui en fit un marchions devant nous sans suivre aucun ordre ni chrono-
chef-d'œuvre tragique, ne faillit pas moins être aussi fatale logique, ni aristocratique, nous la visitâmes une des der.
que l'autre à la république,et fut découverte par un hasard nières. C'est une belle fabrique du onzième siècle, toute re-
non moinsremarquable que cetuiqui Bt échouer les prejets vêtue de marbre blanc et noir, comme le sont la plupart des
de Fiesque. églises d'Italie, mais qui a sur beaucoup d'autres l'avanta-
Le marquis de Raggio était le chef de cette conspiration ge d'être achevée. Entre autres choses curieuses, l'église de
il faisait creuser de son château au palais ducal une gale- Saint-Laurentrenferme le fameux plat d'émeraude sur le.
rie souterraine, delaquelle devaient sortir, à une:heure con- quel Jésus-Christ fit, dit-on, la Cène, et qui avait été donné
venue, trente conjures parfaitement.armés et résolus, lors- à Salomon par la reine de Saba. Il était gardé à Jérusalem
qu'un tambour qui était de garde au palais, ayant par ha- dans le trésor du temple, et il est connu sous le nom de
sard posé sa caisse à terre, remarqua qu'elle frémissait Secro-Cothno.Que l'on discute ou non l'antiquité de l'ori-
comme Il arrive lorsqu'on creuse quoique mine i) appela gine, la sainteté de l'usage et ta richesse de la matière, la
aussitôt son ofucier qui prévint le doge. On contremina, et manière dont il tomba entre les mains des Génois n'en est
l'on trouva les travailleurs. La galerie souterraineconduisait pas moins merveilleuse, et rien quela façon dont ils l'acqui-
droit la maison du marquis Raggio il n'y avait donc point rent suffirait pour expliquer les précautions dont la républi-
à nier. D'ailleurs le coupable était trop fier pour en avoir que l'avait entouré, dans la crainte qu'il ne lui arrivât mal-
même l'idée il avoua tout et fut condamné à mort. heur.
Au moment où il marchait au supplice, et comme il était Ce fut en 4~0) que les croisés génois et pisans entrepri-
arrivé à moitié chemin du castellaccio où il devait ctre exécu- rent ensemble le siège de Césarée. Arrivés devantla ville, ils
té, il demanda comme grâce suprême de mourir en tenant a tinrent an conseil de guerre pour savoir comment ils l'atta-
la main un crucinx rapporté, dit-il, par un de ses ancêtres queraient. Plusieurs avis avaient déjà été émis et combattus,
de la Terre-Sainte, et dans lequel il avait une grande foi.. lorsqu'un des soldats pisans, nommé Daimbert, qui passait
A cette époque de croyance, on trouva la demande toute pour prophète, se leva et dit
simple, et on se hâta de l'accorder au condamné un prêtre Nous combattons pour la cause de Dieu, ayons donc
fut en conséquence dépêché au patais Raggio, et te cortége confiance en Dieu il n'est besoin, ni de tours, ni d'ouvra-
funèbre (it halte pour l'attendre. Au bout d'un quart d'heure ges, ni de machines de guerre. Ayons la foi seulement, com-
le prêtre revint apportant le crucifix. munions tous demain, et quand le Seigneur sera avec nous,
Le marquis baisa avec amour les pieds du Christ, puis, prenons d'une main notre épée, de l'autre les échelles de nos
tirant la partie supérieure du crucifix,qui n'étaitautre chose galères, et marchons aux murailles.
que la garde d'un poignard dont la lame rentrait dans la Le consul génois Caput-Malio appuya l'avis tout le camp
gaine, il se l'enfonça tout entière dans la poitrine, et mourut y répondit par des cris d'enthousiasme. Les croisés passè-
du coup. rent la nuit en prières, et le lendemain au point du jour,
De San-Donato nous allâmes visiter le pont Carignan; ayant communié, et sans autres armes que leurs épées, sans
c'est une curieuse bâtisse destinée, non pas à conduire d'un autres machines que les échelles de leurs galères, sans au-
bord a l'autre d'une rivière, mais à joindre deux monta- tres exhortations que le cri de Dieu le veut, guidés par le
gnes il se compose de sept arches, dont les trois du milieu consul et le prophète, Génois et Pisans, se pressant à l'envi,
ont, je crois, quatre-vingtspieds de hauteur ce qu'il y a de prirent Césarée du premier assaut.
certain, c'est qu'il passe au-dessus de plusieurs maisons à Puis, la ville prise, les Génois abandonnèrent aux Pisans
six étages. C'est une promenade .fort fréquentée dans les toutes les richesses, à la condition que ceux-ci leur laisse-
chaudes soirées d'été, attendu qu'à cette hauteur on est tou- raient le Socro Cot<tHo.
jours à peu près sûr de trouver de l'air. Le Sacro-Cattino fut en conséquence rapporté de Césarée
Le pont de Carignan conduit a l'église du même nom bi- à Gènes, où dès lors it fut en grande vénération, tant par
jou du seizième siècle, MU par le marquis de Sauli, sur les souvenirs religieux que par les souvenirs guerriers qui
les dessins de Galeas Alessio. Voici à quel événement cette se rattachaient a lui. On créa douze chevaliers Clavigeri,
église, l'une des plus belles de Gênes, doit son existence. qui devaient, chacun à son tour et pendant un mois, garder
Le marquis de Sauli, l'un des hommes les plus riches et la clef du tabernacle où il était renfermé, et d'où on ne le ti-
des plus probes de Gênes, avait plusieurs palais dans la rait qu'une fois l'an, pour l'exposer à la vénération de la
ville, et un entre autres qu'il habitait de préférence et qui foule; alors un prélat le tenait par un cordon, tandis que
était situé sur l'emplacement même où s'élève, aujourd'hui tout autour de la relique étaient rangés ses douze défen-
l'église de Carignan. Comme il n'avait point de chapelle a seurs. Enfin, en ~76, parut une loi qui condamnait à la
lui, il avait l'habitude d'aDer entendre la messe dans celle peine de mort quiconque toucherait le Sacro-Cattino avec
de .Sants-JMarta-tn-Fta-fato, qui appartenait à la'famille de l'or, de l'argent, des pierres, du corail, ou toute autre
Fiesque. Un jour, Fiesque fit Mter l'heure de l'office, de matière, afin, disait cette loi, d'empêcher los curieux et les
sorte que le marquis de Sauli arriva quand il était fini. La incrédules de faire un examen pendant lequel le Cattino
première fois qu'il rencontra son élégant voisin, il s'en plai- pourrait souffrir quelque atteinte ou même être cassé, ce qui
gnit à lui en riant. serait une perte irréparable pour la république. Il Malgré'
Mon cher marquis, lui dit Fiesque, quand on veut al- cette loi, monsieur de la Condamine, qui avait cru remar-
ler à la messe; on a une chapelle à soi. quer dans le Sacro-Cattino des bulles pareilles à celles quif
Le marquis de Sauli flt jeter bas son palais, et fit élever à se trouvent dans le verre fondu, cacha un diamant sous la
la place l'église de Sainte-Marie-de-Carignan. manche de son habit, afin d'éprouver sa dureté le diamant
Une partie de ces beaux palais qui feraient honneur à des devant mordre dessus s'il était de verre, et.demeurer impuis-
princes, et de ces belles églises qui sont dignes de servir de sant s'il était d'émeraude. Heureusement pour monsieur de
demeure à Dieu, a été bâtie par de simples particuliers. Le la Condamine, qui, peut-être, au reste, ignorait cette loi, le
secret de ces fondations, dans lesquelles des millions ont été prêtre s'aperçut à temps de son intention et releva le Socro-
enfouis, est toujours dans ces lois somptuaires du moyen- Cattino, au moment même où l'indiscret visiteur tirait son
âge qui défendaient lejeu, les fêtes, les diamans, les étoffes diamant. Le moine en fut quitte pour la peur, et monsieur
de velours et de brocard. Alors tous les aventureux commer- de la Condamine resta dans le doute. 1
çans qui, pendant vingt ans, avaient sillonné la mer en tous Les juifs de Gênes étaient moins incrédules que le savant
sens, et qui avaient amassé chez eux ces richesses des. trois français, car ils prêtèrent pendant le siège quatre millions
mondes, se h'ouyaient en face de monceaux d'or, dont fat- sur ce gage. Les quatre millions furent probablement rem-
boursés, car le StMfO-CoHtnotut transporté à Paris en ~809, bes de velours vert brochées d'or, ave& leurs taiOes sous lea
et y resta jusqu'en ~8~5, époque à laquelle il fut rendu à là épautes, etteurs longues queues traînantes; it y avait les
ville, avec les différens objets ~'art que nous lui avions em- costumes de princes et de.pairs avec leurs chapeaux~) plu-
pruntés en même tetnps que lui. Le voyage fut fatal à la me a ta Henri IV et leurs manteaux à ta Louis XIII seule-
sainte relique, car elle fut brisée entre Gènes et Turin, etun ment tes culottes avaient manqué, à ce qu'il parait, et les
morceau même en fut perdue de sorte qu'aujourd'huiJe Sa~ acteurs intelligens y avaient .suppléé par des pantalons de
cro-Cattino est non-seulement privé de ses honneurs, de ses soie rose et bleue, auxquels ils avaient, pour leur donner
gardes et de son mystère, mais encore il est ébrèehé, comme l'air étranger, fait des .ligatures au dessous des genoux et
une simple assiette de porcelaine. au-dessus des chevilles. Quant à Leicester, au lieu d'une
Jadin demanda la permission d'en faire un dessin, per- jarretière, il enavait deux, façomngéniensed'indiquersans
mission qui lui fut accordée sans aucune difficulté. doute le crédit dont it jouissait près de )a reine.
n résulte de tout cela que Génes ne croit plus que le Sa- La représentation se passa sans.accident, et à ta vive sa-
cro-Cattino soit une émeraude. tisfaction des spectateurs seulement au moment où la reine
Gènes ne croit plus que cette émeraude ait été donnée attait signer l'arrêt de sa rivale, un coup de vent emporta ta
par la reine de Saba à Salomon Gènes ne croit plus que sentence des mains d'Elisabeth:Elisabeth qui, comme on le
dans cette émeraude Jésus-Christ ait mangé l'agneau pas- sait, aimait assez à faire ses affaires elle-même, au lien de
cal. S! aujourd'hui Gênes reprenait Césarée, Gènes deman- sonner quelque page ou quelque huissier, se mit à courir
derait sa part du butin, et laisserait aux Pisans le Sacro- après, mais un second coup de vent envoya la sentence dans
Cattino, qui n'est que de verre. le parterre. 'Nous fûmes au moment, Jadin et moi, décrier
Mais aussi Gènes n'est plus libre, Gênes a une citadelle grâce, en voyant que le ciet 6e déclarait aussi ouvertement
toute hérissée de canons dont les bouches verdâtres s'ou- pour la pauvre Marie, mais en ce moment-un spectateur ra-
vrent sur chacune de ses rues. Gênes n'est'plus marquise, massa le papier eUe présenta à la reine, qui lui fit une ré-
Gênes n'a plus de doge, Gênes n'a plus de griffon qui étouffe vérence en signe de remerciment;allase rasseoira à la table,
dans ses serres l'aigle impériale et le renard pisan.–Gê- et'te signa aussi gravementque s'il n'était rien arrivé. Marie
nes a un roi; elle est tout bonnement la seconde ville dn Stuart, définitivementcondamnée, fut exécutée sans miséri-
royaume. corde l'acte suivant
La force n'est bien souvent autre chose que la foi. Peut- Nous rentrâmes a t'hôtet où nous attendait notre ainer,
être Gênes serait-elle encore libre, si elle croyait toujours que nous mangeâmes tout en philosophant sur les misères
que le Sacro-Cattino est une émeraude. humaines. Au dessert on m'annonça qu'un homme de la po''
Nous revinmes à notre hôtel par le Port-Franc, espèce de lice désirait me parler. Comme je ne croyais pas qu'il y eût
ville à part dans )a ville, avec ses institutions, ses lois, et sa de secrets entre moi et la police sarde,je fis prier l'émissaire
population à elle. Cette population, toute bergamasque, fut du buon ~ouerttO de se donner la peine d'entrer. L'émissaire
fondée en 1540 par la banque de Saint-Georges, qui, sous me salua avec une grande politesse, me présenta mon passe"
le nom arabe de Caravane, fit venir douze portefaix de la port visé pour Livourne, et me dit'que le roi Charles-Albert
vallée de Brembana. Ces douze portefaix avaient leurs fem- ayant appris mon arrivée de la veille dans:la ville de Gènes,
mes qui venaient accoucher au Port-Franc, ou qui retour- m'invitait à en sortir le lendemain. Je priai l'émissaire du
naient accoucher aux villages de Piazza et de Zugno, pour &uo<t ~oMfM de remercier de ma part te roi Charles-Albert
donner à leurs enfans le privilége de succédera à leurs pères. de ce qu'il voulait bien m'accorder vingt-quatre heures, ce
La compagnie s'est ainsi perpétuée depuis cinq cents ans, qu'il ne faisait pas pour tout )e monde, et je lui exprimai
s'élevant jusqu'au nombre de deux cents membres, et se lais- combien j'étais natté d'être connu de souroi, que je connais-
sant de père en Cis de telles traditions de probité, que ja- sais bien pour un roi guerrier,mais non pas pourun roi lit-
mais, de mémoire de police, une seule plainte n'a été portée téraire. L'émissaire du &u<Mt~oMnto me :demanda s'il n'y
contre un portefaix bergamasque. Les CaTat)att<M sans en- avait rien pour boire. Je lui donnai quarante sous, tant j'é-
fans peuvent vendre leurs charges a leurs compatriotes; il tais natté que ma réputation fût parvenueau pied du trône
y a de ces charges quivalentjusqu'a dix et douze mille de S. M. sarde, et rémissairedu&uonyoeerKose retira en
francs; mebaisanHesTnains.
Pendant toute notre course et à chaque coin de rue nous
avions trouvé des afEchesannonçant en grande pompe la re-
présentation, au théâtre Diurne, de la Mort de Marie-Stuart,
Quand Alberto Nota
donné une médaille
Quoique je
d'or.
connaisse
est venu en France, nous lui avons
s
bien la devise littéraire du roi Char-
avec costumes nouveaux. Nous n'eûmes garde, comme on lé les-Albert, qui est poco~t DtO, niente del fe, c'est-à-dire
comprend bien, de manquer une si belle occasion nous parlez peu de Dieu, et pas du tout du roi et peut-être
nous donnâmes un coup de brosse, et'nous nous rendîmes au memeparce que je connaissais bien cette devise, je ne com-
bureau quis'ouvrait a deux heures et demie. prenais rien a )a bonté qu'il avait de s'occuper ainsi de moi.
Le théâtre Diurne est une tradition des cirques antiques J'ai peu écrit surDieu dans ma vie, mais ce peu n'a ~peut-être
comme les spectateurs grecs ou romains, les spectateurs mo- pas été inutile à la religion. J'ai parlé du roi Charles-Albert,
dernes sont assis sur des gradins circu)aires,apeuprès c'est vrai,'mais c'était pour faire l'éloge de son courage
comme chez Franconi. La seule différence, c'est que t'édince commeprincédeCarignan, et H n'y avait point là de quoi
n'a d'autre voûte que )a coupole du ciel il en résuite que, me faire chasser de ses Etats. Je lui avais bien, trois ans
comme il est Mti dans un quartier assez fréquenté, au mi- auparavant,brute, moi septième, une forêt, mais nous l'a-
lieu de charmantes viUas, et ombragé par des peupliers- et vions payée, il n'y avait donc rien à dire; et~mme les bons
des platanes, il a autant despectateurs sur les arbres et aux comptes font tes bons amis,~ et que le compte avait été bon,
fenêtres qu'il y en a dans le théâtre, ce qui rie doit pas lais- je me croyais, ajuste titre, un des bons amis du roi Gharfes-
ser que de faire un certain tort à la recette. Comme on )e A'bert.
comprend bien, nous ne tentâmes aucune économie sur;les J'eus grand peur que cet événement n'enttat fort le prit
douze sous que coûtait )e billet d'entrée, et nous nous exé- de la carte payante, vu l'impression qu'il avait dû procurer
par tète..
cutâmes bravement, Jadin et moi, de nos soixante centimes
qu'à quatre heures moins un quart je serais à bord,du Sully. On m'apporta le citron je voulus Tnordre dedans, mais
L'émissaire du buon ~orerno me demanda s'il n'y avait rien pour mordre il faut ouvrir la bouche ce fut ce qui me
pour la bonne-main je lui donnai vingt sous, et il s'en alla perdit.
en m'appelant excellence. Celui qui n'a jamais souffert du mal de mer ne sait pas ce
Nous allâmes faire un dernier tour dans la strada Balbi, que c'est que de souffrir.
la strada ~VMoomtmo, et la strada Nuova; Jadin prit une Quant à moi, j'avais ta tête complétement étourdie, j'en-
vue de la place des fontaines amoureuses, puis nous tirâmes tendais mon émigré qui, dans tous les intervalles de mieux
notre montre il n'était que midi. Nous visitâmes alors les que j'éprouvais,continuait son récit. J'aurais voulu le battre,
palais Balbi ei Durazzo, que nous avions oubliés dans notre j'aurais même donné bien des choses pour cela, mais je n'a-
première tournée, et cela nous fit encore passerdeux heures. vais pas la force de lever le petit doigt. Cependant je fis un
Puis je me rappelai qu'il y avait, à l'ancien palais des Pères effort violent et je me retournai. J'aperçus alors Jadin, dans
du Commun, une certaine table de bronze antique, contenant une position non équivoque, et Milord le regardant avec dé
une sentence rendue, l'an 695 de la fondation de Rome, par gros yeux hébétés. Tout cela m'apparaissait comme a tra-
deux jurisconsultesromains, à propos dequelquesdinérends vers une vapeur, quand un corps opaque vint se placer entre
survenus entre les gens de Gênes et de Langasco,et trouvée moi et Jadin. C'était mon diable de marquis, qui ne voulait
par un paysan qui piochait la terre dans la Poluvera; et pas perdre le récit de sa troisième émigration, et qui, voyant
nous nous rendîmes l'ancien palais des Pères du Commun que je m'étais retourné, venait de nouveau se mettre à ma
cela nous prit encore une demi-heure. Je copiai le jugement, portée.
non pas, Dieu merci pour l'offrir mes lecteurs, mais pour La réunion de ces deux supplices me sauva, l'un me donna
faire quelque chose, car le temps que m'avait accordé le roi de la force contre l'autre. Un matelot passant à ma portée
Charles-Albert commençait à me paraitre long, et cela nous en ce moment, je le saisis au bras en'demandant ma cham-
fit gagner encore un quart-d'heare.Enfin, comme il ne nous bre. Le matelot avait l'habitude de ces sortes de demandes;
restait plus qu'une heure un quart pour faire nos paquets il me prit je ne sais par où, m'emporta je ne sais comment,
et nous rendre au bateau, nous regagnâmes l'hôtel, nous ré- et je me trouvai couché. J'entendis qu'il me disait que du
glâmes nos comptes, et nous montâmes dans une barque, thé me ferait du bien, et je répétai machinalement
partageant parfaitementl'avis de ce bon etspirituel prési- Oui, du thé.
dent Desbrosses, qui prétend que, parmi les plaisirs que Combien P me demanda-t-il.
Gênes peut procurer, les voyageurs oublient ordinairement –Beaucoup, répondis-je.
de mentionner le plus grand, qui est celui d'en être dehors. Puis je ne me souviens plus de .rien, si ce n'est que de
La première personne que j'aperçus en montant à bord cinq minutes en cinq minutcs j'avàlai force liquide, et que
du ~<Hy, fut mon émissaire du &uon governo qui venait s'as- cette inglutition dura quatre ou cinq'heures enCn, moulu,
surer, par ses propres yeux, si je quittais bien réellement brisé, rompu, je m'endormis peu près de la même façon
Gênes. Nous nous saluâmes comme de vieux amis, et j'eus dont on doit mourir,
l'avantage d'être honoré de sa conversation jusqu'au mo- Quand je me réveittai le lendemain,.nous étions dans le
ment où la cloche du paquebot sonna. Alors il m'exprima port de LtYOurhe~ j'avais dévoré trois.citrons, bu pour 28
tout son regret de se -séparer de moi, et me tendit la main. francs de thé, et entendu raconter les trois émigrations au
J'y déposai généreusement une pièce de dix sous.Li'émissaire marquis de R. 01'
du buon ~oMrfto m'appela monseigneur et descendit dans sa Je montai sur le pont pour chercher Jadin, et. je te trou-
chaloupe, en m'envoyanttoutes sortes de bénédictions. vai dans un coin, insensible aux caresses de Milord et aux
-Gênes est vraiment maginSque, vue du port. A l'aspect de consolations d~Ohésime, tant il était humilié d'avoir rendu
ces splendides maisons bâties en amphithéâtre, avec leurs les nations étrangères témoins de sa faiblesse..
jardins suspendus comme ceux de Sémiramis, on ne peut Quant à moi, je ne pus toucher un citron de six semaines,
s'imaginer quelles ruelles infectes rampent à leurs pieds de je ne pus boire du thé de six mois, et je ne pourrai revoir
marbre. Si au lieu de me faire sortir de Gênes, Charles-Al- le marquis de R-de.ma vie.
bert m'avait empêché d'y entrer, je ne m'en serais jamais
consolé.
Je m'éloignais donc avec un sentiment profond de recon-
naissance pour Sa Majesté sarde, lorsque je sentis que mal-
gré la conversation attachante de mon' voisin, monsieur le
marquis de R. qui me racontait la première de ses trois
émigrations en 92, un autre sentiment moins pur venait s'y
mêler. La mer était grosse, et le vent contraire, de sorte que LIVOURNE.
te bâtiment, outre cette odieuse odeur d'huile chaude, que
tout paquebot se croit le droit d'exhaler, avait encore un
roulis dont chaque mouvement me remuait le cœur. Je re-
gardai autour de moi et vis que quoique nous fussions par' J'ai visité' bien des ports, j'ai parcouru bien des villes,
tis depuis deux heures à peine et qu'il fit encore grand jour, j'ai eu affaire aux portefaix d'Avignon, aux facchini de Malte,
le pont était presque vide. Je cherchai des yeux Jadin, et je et aux aubergistes de Messine, mais je ne .connais pas de
l'aperçus fumant sa quatrième pipe et marchant A grands coupe-gorge comme Livourne.
pas suivi deMilord~qui ne comprenait rien à cette agitation Dans tous tes autres pays du monde, il y a moyen de de-
inaccoutuméede son maître. Je crus remarquer que, malgré fendre son bagage, de faire un prix pour le transporter à
la fermeté de la démarche, son teint devenaitpâle, son œil l'hôtel, et, si l'on ne tombe pas d'accord, on est libre de le
vitreux. Je compris cependant que le mouvement devait être charger sur ses épaules, et de faire sa besogne soi-même. A.
une réaction bienfaisante contre l'engourdissement qui coin- ~Livourne, rien de tout cela.
mençait à s'emparer de moi, et je demandai à monsieur le La barque qui vous amène n'a pas encore touché terre
marquis de R. s'il ne pouvait pas continuer son récit'en qu'elle est envahie; les commissionnaires peuvent, vous ne
marchant. Il parait que pe<) importait au narrateur pourvu savez pas d'où ils sautent de la jetée, ils s'élancent des
qu'il narrât, car, sans s'interrompre, il se mit aussitôt sur barques voisines; ils se )aissentgtisser des cordages des
ses jambes. Je voulus en faire autant, ihais je sentis que ta Mtfmens. Comme vous voyez que votre canot va chavirer
sous!e poids, vous pensez à votre propre sûreté, vous vous .géra n'en rien faire, présumant que mieux valait pour moi
cramponnez au m6)e, comme Robinson ason rocher; puis, arriver au ciel sans recommandation qu'avec la sienne.
après bien des efforts, votre chapeau perdu, vos genoux en C'est sur la place de la Darse que s'élève la statue de Fer-
sang et vos ongles retournés, vous arrivez sur ta jetée. Bien, dinand I<r. Comme je n'ai pas grand'chose à dire sur.Li-
voilà pour vous quant à votre bagage, il est déjà divisé en vourne, j'en profiterai pour raconter l'histoire de ce second
autant de lots qu'il y a de pièces vous avez un portefaix .successeur du Tibère toscan, ainsi que celle de FrançoisT~
pour votre malle, un portefaix pour votre nécessaire, un ,son frère, et de Bianca Capetto sa bette-sœur. Il y a plus d'un
portefaix pour votre carton à chapeau, un portefaix pour roman moins étrange et moins curieux que cette histoire.
votre parapluie, et un portefaix pour votre canne; si vous Sur ta fin du règne de Cosme le Grand, c'est-à-dire vers le
êtes deux, cela vous fait dix portefaix; si vous êtes trois, commencement de l'an <565, un jeune homme nommé Pierre
cela en fait quinze. Comme nous étions quatre, nous en Bonaventuri, issu d'honnête mais pauvre famille, était-venu
eûmes vingt un vingt-unième voulut prendre Milord. Mi- chercher fortune à Venise. Un de ses oncles; qui portait le
lord, qui n'entend pas raillerie, lui prit le mollet il fallut même nom que lui, et qui habitait la ville sérénissime de-
lui mordre la queue pour qu'il desserrât les dents. Le por- puis une vingtaine d'années, le recommanda à la maison de
tefaix nous suivit en criant que notre chien l'avait estropié, banque des Salviati, dont il était lui-même un des gérans.
et qu'il nous ferait condamner à une amende. Le peuple s'a- Le jeune homme était de haute mine, possédait une belle
meuta, et nous arrivâmes à la pension suisse avec vingt écriture, chiffrait comme un astrologue il fut reçu sans dis-
portefaix devant nous et deux cents personnes par der- cussion comme troisième ou quatrième commis, avec pro-
rière. messe que, s'il se conduisait bien; il pourrait, outre sa
Il nous en coûta quarante francs pour quatre malles, trois nourriture, dans trois ou quatre ans, arriver à gagner ~30
pu quatre cartons à chapeau, deux ou trois nécessaires, un ou 200 ducats. Une pareille promesse dépassait tout ce que
ou deux parapluies et une canne; plus, dix francs pour le le pauvre Bonaventuriavait jamais pu rêver dans ses
songes
portefaix mordu, c'est-à-dire cinquante frances pour faire les plus ambitieux.Il baisa les mains de son oncle et promit
cinquante pas à peu près, juste autant (thé à part) qu'il nous aux Salviati de se conduire de manière à être le modèle de
en avait coûté pour venir de Gènes. toute la maison. Le pauvre Pietro avait bonne envie de tenir
Je suis retourné trois fois à Livourne; les deux dernières, parole; mais le diable se mêla de ses affaires et vint se jeter
j'étais prévenu, j'avais pris mes précautions, je me tenais au travers de toutes ses bonnes intentions.
sur mes gardes; chaque fois, j'ai payé plus cher. En arri- En face de la banque de Salviati logeait un riche seigneur
vant à Livourne, il faut faire, comme en traversant les ma- vénitien, chef de la maison Capello, lequel avait un fils et
rais Pontins, la part des voleurs. La différence est qu'en une fille. Le fils était un beau jeunè homme, à ta barbe
traversant les marais Pontius, on en réchappe quelquefois, pointue, à la moustache retroussée, à la parole leste et in-
souvent même; à Livourne, jamais. solente; ce qui faisait que trois ou quatre fois par mois il
Ce ne serait encore rien si, en arrivant à Livourne,.au tirait l'épée à
lieu de descendre dans une de ces infâmes tavernes qui usur- tique il propos de jeu on de femmes, car de la poli-
s'en mêlait aucunement, trouvant la chose trop
pent le nom respectable d'auberge, on faisait venir un voi- sérieusene être discutée
turin, on montait dedans, et, n'importe à quel prix, on par- grises sipour par d'autres que par des barbes
bien qu'on avait déjà rapporté deux fois à la mai-
tait pour Pise ou pour Florence; mais non puisqu'on est son paternelle Giovannino perforé de part en part mais,
à Livourne, on veut voir Livourne. Or, ce n'est guère la attendu
sans doute que le diable aurait trop perdu à sa
peine, car il n'y a que trois choses à voir dans cette ville: mort, Giovannino
les galériens, la statué de Ferdinand 1er, et la madone de en était revenu. Cependant, comme le père
était un homme de sens, et qu'it avait pensé qu'il n'aurait
Montenero. peut-être toujours le même bonheur, il avait renoncé à
Les galériens sont mêlés à la population, et s'occupent de l'idée qu'ilpas avait eue d'abord de faire sa fille religieuse afin
toutes sortes de travaux: ils balaient, ils écarrissehL des de doubler la fortune de son fils: il craignait qu'en passant
planches, ils traînentdes brouettes ils sont vêtus d'un pan-
une bette nuit de ce monde à l'autre, Giovannino ne le lais-
talon jaune, d'un bonnet rouge et d'une veste brune dont il sât à la fois sans fils et sans fille.
serait difficile de spécifier la couleur primitive. Sur le dos Quant à Bianca, c'était une charmante enfant de quinze à
de cette veste est indiqué le crime pour lequel le premier seize
propriétaire de l'habit a été condamné; mais, comme il ar- le sang ans, au teint blanc et mat, sur lequel, toute émotion,
passait comme un nuage rosé; aux cheveux de ce
rive souvent que le bagne use le criminel avant que le cri- blond puissantdont Raphaël venait de faire une beauté, aux
minel use l'habit, la veste passe avec son étiquette sur le yeux noirs et pleins de flamme, à la taille souple et flexible,
dos de celui qui lui succède. Il en résulte qne, pour les ga- mais de cette souplesse et de cette flexibilitéqu'on sent pleine
lériens toscans, la veste est une grande affaire; c'est une de force, toute prête à l'amour comme Juliette, et qui n'at-
demi-grâce ou une doubte'côndamnation. Comme les galé- tendait que le moment où quelque beau Roméo se trouve-
riens sont les seuls à Livourne qui demandent et qui ne rait sur son chemin pour dire comme la jeune fille de Vé-
prennent pas, la question pour l'industriel est d'avoir une rone Je serai à toi ou à la tombe.
veste qui éveille la commisération publique. Or, il y a des Elle vit Pietro Bonaventuri la fenêtre de la chambre du
crimes que tout le monde méprise, tandis qu'il y en a d'au-j eune homme s'ouvrait sur la chambre de la jeune fille. Ils
tres que tout le monde plaint personne ne fait l'aumône a échangèrent d'abord des regards, puis des signes, puis des
un voleur ou à un faussaire; chacun donne à un assassin par promesses d'amour. Arrivés là, la distance seule les empê-
amour. Aussi celui qui tombe une pareille veste n'a plus à chait d'y ajouter les preuves cette distance, Bianca la fran-
s'occuper de rien que de la brosser chacun l'arrête pour lui chit.
faire raconter son aventure. Nous en vîmes un qui faisait Chaque nuit,~uand tout le monde était couché chez le
pleurer à chaudes larmes deux Anglaises, et peut-être nous nohle Capello, quand la nourrice qui avait élevé Bianca était
allions pleurer comme elles, lorsque son camarade, à qui il retirée dans la chambre voisine, quand la jeune fille, debout
avait refusé probablement un intérêt dans sa recette, nous contre la cloison, s'était assurée que ce dernier argus s'était
!e dénonça comme un voleur avec effraction. Le véritable endormi, elle passait une robe brune afin de n'être point vue
<!M<M!'no per amore était mort il y avait huit ans, et sa veste dans la rue, descendait à tâtons et légère comme une om-
avait déjà fait la fortune de trois de ses successeurs.. Je bre les escaliers de marbre du palais paternel, entr'ouvrait
donnai un demi-paul à cebravehomme,qui portait écrit la porte en dedans et. traversait la rue; sur le seuil de la
en grosses lettres sur le dos le mot voleur, hasard qui l'a- porte opposée, elle. trouvait. son amant. Tous deux alors,
vait ruiné, car il avait beau dire qu'il était incendiaire, per- avec de douées étreintes, montaient l'escalier qui conduisait
sonne ne voulait le croire aussi, dans sa reconnaissance àla petite chambre de Pietro. Puis, lorsque le jour était sur
d'une aubaine aussi inattendue et aussi rare, promtt-ttbien I1 le point de paraître~ Biancaredescendaitet rentrait dans sa
de prier Dieu pour moi. Je revins sur mes pas pour l'enga- chambre, où sa nourrice, le matin, la trouvait endormie de
ce sommeil de la volupté qui ressemble tant à celui de l'in- !t va sans dire que communicationde la sentence rendue
nocence. par )(; tribunal des Dix avait <'té faite au gouvernement flo-
Une nuit que Bianca était chez son amant, un garçon bou- rentin, lequel avait autorisé Capello et le patriarche d'A-
langer qui venait de chauffer un four dans les environs quitée à faire les recherches nécessaires, non seulement à
trouva une porte entr'ouverle et crut bien faire de la fermer; Ftorence, mais encore dans toute la Toscane; ces recher-
dix minutes après, Bianca descendit et vit qu'il lui était im- ches avaient été inutiles. Chacun avait trop d'intérêt à gar-
possible de rentrer cher. son père. der son propre secret.
) Bianca était une de ces âmes fortes dont les résolutions Trois mois se passèrent ainsi, sans que la pauvre Bianca,
'se prennent en un instant, et une fois prises sont inébran- habituée à toutes les caresses du luxe, laissât échapper une
lables elle vit tout son avenir changé par un accident, et seule plainte sur sa misère. Sa seule distraction était de
elle accepta sans hésiter la vie nouvelle que cet accident lui regarder dans la rue en soulevant doucement saja)ousie;
faisait. mais on ne lui entendait pas même envier, à elle, pauvre pri-
Bianca remonta chez son amant, lui raconta ce qui venait sonnière, la liberté de ceux qui passaient ainsi, joyeux ou
d'arriver, lui demanda s'il était prêt de tout sacrifier pour attristés.
elle comme elle tout pour lui, et lui proposa de profiter des Parmi cem qui passaient, était le jeune grand-duc, qui,
deux heures de nuit qui leur restaient pour quitter Venise de deux jours l'un allait voir son père à son château de la
et se mettre à l'abri des poursuites de ses parcns. Pietro Petraja. C'était ordinairement cheval queFrancesco faisait
Bonaventuri accepta. Les deux jeunes gens sautèrent dans ce petit voyage; puis, comme il était jeune, galant et beau
une gondole et se rendirent chez )o gardien du port. Là, Pie, cavalier, chaque fois qu'il passait sur quoique place où il
tre Bonaventuri se fit reconnaiti'e, et dit qu'une affaire im- pensait pouvoir être vu par de beaux yeux, il faisait fort
portante pour !a i'a~que des S.ttviati le forçait à partir à caracoler sa monture. Mais ce «'était ni sa jeunesse, ni sa
l'instant mrme de Venise pour Rimini. Le gardien donna beauté, ni son t'tc~anc' qui préoccupaient Biancatorsqu'ette
l'ordre de taisser toiiibei- la chaine, et tes fugitifs passèrent; le voyait passer: c était t'ittée que ce gentil prince, aussi
seulement, au lieu de prendre la route de Rimini, ils prirent puissant qu'il était gracieux, n'avait qu'H dir.' un mot pour
en toute hâte celle de Ferrare. que le ban fut levé et pour que Bonaventuri fût tibreet heu-
On devine l'effet que produisit dans le noble palais Ça reux. A cette i(!fe, tes yeux (h; la jeune vénitienne lançaient
pello la fuite de Bianca. Pendant un jour tout entier on at- une namme qui eu doublait éciat. Tous les deux jours, à
tendit sans faireaucune recherche; on espérait toujours que l'heure où elle savait que )!ev.fit passer te prince, elle ne
la jeune fille allait revenir; mais la journée s'écouta sans manquait dune point tt'e mettre :) sa ft'.n.'tre et de soulever
apporter de nouvelles de la fugitive. U fallut donc s'informer; sa jalousie. Un jour, le prince tcva les yeux par hasard et vit
on apprit la fuite de Pietro Bonaventuri. On rapprocha mille briller, dans i'umbre projetée par la jalousie, les yeux ar-
faits qui avaient passé sans être aperçus, et qui maintenant dens de la jeune fitte Rianca se retira vivement, si vive-
se représentaient dans toute leur importance. Le résultat de ment qu'elle laissa tomber un bouquet qu'ettc tenait à !a
ce rapprochement fut la conviction que les deux jeunes gens main. Le prince desMndit de cheval, ramassa le bouquet,
étaient partis ensemble. s'arrêta un instant pour voir si )a belle vision n'apparaîtrait
La femme de Capello, belle-mère de Bianca, était sœur du pas de nouveau; puis, voyant que la jatousie restait baissée,
patriarche d'A.quitée elle intéressa son frère à sa vengeance. il mit le bouquet dans son pourpoint, et continua sa route
Le patriarche était tout puissant; i) se présenta au conseil au pas, en iournantla tète deux ou trois fois avant de dis-
des Dix avec son beau-frère, déclara la noblesse toutentière paraître.
insultée en leurs noms, et demanda que Pietro Bonaventuri Le surlendemain, il repassa à la même heure; mais, quoi-
fût mis au ban de la république, comme coupable de rapt. que Bianca fût toute tremblante derrière la jalousie, la ja-
Cette première demandeaccordée, il exigea que Jean Bap- lousie resta fermée, et pas la plus petite fleur ne se glissa à
tiste Bonaventuri, oncle de Pierre, qu'il soupçonnait d'avoir travers ses barreaux.
prêté les mains à cette évasion fut arrêté. Cette seconde Deux jours après, le prin. e passa encore mais la jalousie
demande lui fut accordée comme la première. Le pauvre fut iuexorai-ie, quelque prière intérieure que le prince lui
Jean-Baptiste, appréhendé au corps par les sbires de la s' ré- adressât. t.
ni~sime république, fut ieté dans un cachot, où on t'oublia Àlors il pensa qu'il devait prendre un autre moyen. Il ren-
attendu la grande quantité de personnages bien autrement tra ct'ez tui, fit venir un gentilhomme espagnol nommé Mon-
considérabies dont avait à s'occuper le conseil des Dix, et où dragone, qui avait été ptacé près de lui par son père, et dont
it mourut, au bout de trois mois, de froid et de misère. it avait fait son complaisant il lui posa la main sur l'é-
Quant à Giovannino, il fouitta pendant nuit jours tous paule, le regarda en face, et lui dit:
les coins et tous les recoins de Venise, disant que, s'il Mondragone, il y a sur la place Saint-Marc, au second,
trouvait Pietro et Bianca, tous les deux ne mourraient que dansla maison qui fait le coin entre la p'ace deSanta Croce
de sa main. et la via Larga, une jeune fille quejen'ai pas reconnue pour
Le lecteur se demande peut-être ce qu'ont de commun ces être de Florence elle est belle, elle me plaît; d'ici à huit
jeunes amans fuyant ):< nuit de Venise, et poursuivis par jours il me faut une entrevue avec elle.
toute une famille outragée, avec Ferdinand, second fils de Mondragone savait qu'il y a certaines circonstances où la
Cosme le Grand,etalors cardinal à Rome. n)e saura bientôt. première quaiité d'un courtisan est d'être laconique.
Cependant les fugitifs étaient arrivés a Florence sans ac- Vous l'aurez, monseigneur, répondit-i).
cident, mais, comme on le pense bien, avec grande fati- Et il atta trouver sa femme, et lui raconta tout joyeux
gue, et s'étaient réfugiés chez le père de Bonaventuri, qui l'honneur que venait de lui faire le prin e en le choisissant
habitait un petit appartement au second sur la place Saint- pour son confident. La Mondragoneétait savante en ces sor-
Marc c'est chez les pauvres parens que les enfans sont sur- tes d'intrigues elle dit A son mari de continuer son service
tout les bien venus. Bonaventuri et sa femme reçurent leur auprès du prince, et qu'elle se chargeait de tout. Le même
fils et leur fille a bras ouverts. On renvoya la servante, pour jour, elle alla aux informations, et apprit que l'étage qu'elle
économiser une bouche inutile, et à charge ou à craindre dé- désignait était habité par deux ménages. l'un jeune, l'autre
sormais, soit qu'elle s'ouvrît pour manger, soit qu'elle s'ou- vieux que la vieille femme sortait tous les matins pour al-
vrit pour parler. La mère se chargea des soins du ménage ¡ ler it ta provision que les deux hommes sortaient tous les
Bianca, dont les blanches mains ne pouvaient descendre à soirs pour aller reporter les copies qu'ils avaient faites dans
ces soins vulgaires, commença à broder de vérit~Nes ta- la journée, m-fisque, quant à la jeune femme, elle ne sortait
pisseries de fée. Le père de Pietro, qui vivait de copies qu'il jamais.
faisait pour les officiers publics, annonça qu'i) avait pris un La Mondragone résolut d'aller chercher la jeune fille jus-
commis, et se chargea deduubte besogne. Dieu bénit le tra- que dans la maison, puisqu'on lui disait qu'il était impos-
vail de tous, et la petite famille vécut. sible de l'attirer dehors.
Le lendemain, la Mondragoncs'embusqua dans sa voitu- quet tombé par la fenêtre et ramassé parle grand dnc Frati-
re, à vingt cinq ou trente pas de la porte, puis, quand la cesco. D'ailleurs quel rapport ce bouquet avait-)) avec le
vieite sortit comme d'habitude, elle ordonna à son cocher comte et la comtesseMondragone? La situation pesait au-
de partir au ga'op et de s'arranger de manière, au tournant tant à Pietro qu'à Bianca, it consentit à tout d'aith'urs, lui
de la rue, à accrocher cette femme tout en lui faisant le moins aussi avait son secret depuis deux ou trois jours une belle
de mal possible. Ce n'était peut-être pas le moyen le moins dame voilée avait passé entre lui et sa femme. Quoique de
dangereux, mais c'était le plus court. Il faut bien que les basse condition, Bonavenluri avait tous les goûts d'un gen-
petits rissent quelque chose quand ils ont l'honneur d'avoir tilhomme, et la fidélité, on le sait du reste, n'était point à
affaire aux grands. cette époque la vertu dont la noblesse se piquait le plus.
Le cocher était un homme fort adroit il culhuta la bonne La Mondragonearriva à l'heure dite et avec le costume
femme sans lui faire autre chose que deux ou trois contu- promis. C'était un charmant habit de satin broché d'or,
sions. La bonne femme jeta les hauts ris, mais la Mondra- taillé à l'espagnole,.et qui allait a Bianca comme s'il eût été
gone sauta à bas desavoiture, ca)m'< la populace, en disant fait pour elle. La jeune fille frémit de joie au toucher de ces
que sou cocher recevrait, en rentrant, vingt-cinq coups de étoffes aristocratiquesdont avait été drapé son berceau. Il
Mton, prit la blessée dans ses L'as, la fit mettre dans sa faut des robes de brocard et-de velours pour balayer les
voiture par ses gcus, et déclara qu'ette la voulait reconduire escaliers de marbre des palais. Or, Biauca avait été élevée
chez elle et ne la '.uittfraitque to'sque le médecin lui aurait dans un patais. Un coup de vent funeste et inattendu l'a-
donné la certitude que cet accident n'aurait aucune suite. vait poussée dans la mauvaise fortune: mais elle était jeune
Peu s'en fallut que la Moudragoth- ne fut portée en triomphe et bettf, et le mal produit par le hasard, le hasard pourrait
par le uple. le réparer La jeunesse a des horizons immenses et inconnus
On arriva chez !esBonaventuri. Du premier coup d'œit, dans lesquels elle distingue des choses que l'enfance ne voit
la Moudragone vit qu'ftte avait affaire à dp pauvres gens, et, pas encore et que la vieillesse ne voit plus
comme d'habitude, elle estima la vertu ile la jeune femme à
la valeur de t'ap)'arteme"t qu'ette habitait.
Quant la mère de Bonaventuri, elle admirait sa fille à
mains jointes, comme si elle s'était trouvée devant une
Bianca lui fut présentée. A sa vue, la Mou~ragnne, tout madone.
habite qu'ettefùt, ne sut j.tus trop que penser c'est qu')t Toute!; trois montèrent en voiture et se rendirent an pa-
y avait daus Bianca, de quelque habit qu'el'e fût revétue, lais Mondragone, qui était situé via <M Carnescchi, près de
tonte la hauteu'' du regard des Ca)'e!)o. D'ai'leurs, ses ter- SantaMaria-Novetta. Mondragone venait de faire bâtir ce
mf's étaient étcKans.et c))0isis. La grande dame se répétait palais sur les dessins de l'Ammanato, et depuis un an à
de tous les côtés sous l'extérieur de la pauvre fille. La peine il t'habitait.
Mondragone se retira sans comprendre autre chose à tout Comme la chose avait été convenue, la Mondragonepré-
ceci, qu'il y avait t~ t't'toff~' ft'uue maitresse de prince, et sa
senta les deux femmes a son mari, et raconta en peu de mots
fortune, cite, si elle réussissait. les aventures de Biauca. Mondragone promit sa protection,
Elle revint h' tendemai!! proxh'e deshouvettesdetabonne et comme il se rendait à l'instant même chez le duc, qui
femme; elle allait tout a t:titt)ic)),et était on ne pouvait l'avait envoyé quérir, il s'engagea à lui parler le jour même
plus n connaissante de re qu'une aussi grande dameda'gnait en faveur des deux jeunes gens.
s'occuper d'elle. La Mondrag'~ne avait compris son monde: Bianca ne pouvait cacher sa joie, elle se retrouvait dans
un monde qui était le sien, ses tnaius touchaient de nouveau
el'e é ait troj'adroite pour offrir de l'argent, mais e)t-'laissa
du marbre, ses pieds foutaient enfin des tapis la toile et !t
voir guette ~o-'itiou s'<u m 'r~ tenait A ta cour, et elle oftrit
ses services. La mc~e et la fille échangèrent un coup d'œ 1 serge avaient cessé pour un instant d'attrister ses yenx;
ce fut assez pour la Mondrag~nc sût que les services offerts elle se retrouvait dans s le velours et dans la soie. Il lui sem-
seraient a(C n'es. blait n'avoir jamais quitté le palais de son père, et que tout
ce qu'elle voyait était à elle.
Le surlendemain, ette revint une troisième fois, et cette fois
elle fut plus gracieuse que les deux autres. Elle avait dès la Aussitôt Mondragone sorti, la bette-mère de Bianca vou-
veille laissé voir Bianca qu'ctte n'était pas dupe de l'inco- tutse retirer, mais la comtesse dit qu'elle ne laisserait pas
partir sa protégée sans lui faire voir son palais m détait,
gnito dont elle cherchai), à s'envelopper, et qu'elle la recon-
naissait pour être de race. Elle fit un appe) !) sa confiance.attendu qu'elle voulait savoir d'elle s'il approchait de ces
La jeune femme n'avait aucun motif pour se défier d'elle magnifiquesfabriques vénitiennes qu'elle avait tant entendu
elle lui raconta tout. La Mondragone écouta la contid 'nc~ vanter. Elle pria donc la bonn'' femme, qu'une pareitte vi-
avec une bienveittance charmante; mais la confidence ache- site eût fatiguée, de se rrposer en les attendant, puis ta com-
vée, elle dit à Bianca que, comme la situation était plus tesse et Bianca, s'étant prises sous te bras, comme deux an-
grave qu'elle ne l'avait pensé d abord, c'était a son mari ciennes amies, sortirent de la chambre et !ra\ers&rent deux
ou trois appartemens, dans chacun desquels la comtesse fit
qu'il fallait raconter tout. cela; que, du reste, la chose s'ar-
rangerait certainem('nt,Jon'iragoneayat)ttoute ta confiance remarquer à tiianra quelque m 'ub)e mervcitteusement in-
du prince, et possédant sur lui la double influenced'un gou- crusté, ou quelque tableau précieux de ces grands maîtres
verueur et d'un ami. En conséquence,elle lui offrit de la ve- qui venaient de mourir. Enlin cites :nriven'nt dans un dé-
nir prendre le lendemain avec sa belle-mère, et de la con- licieux petit boudoir dont les fenêtres donnaient sur un jar-
duire chez son mari. Biauca, enrayée -)e sortir ainsi pour la din là etb'força la jeune fille à s'asseoir, et tirant d'un
première fois depuis trois ou quatre mois qu'elle habitait stipo tout marqueté d'ivoire une parure (Omptétc de dia-
Florence, et menacée comme elle était part'arrét du conseil mans, elle lui montra toutes ces richesses féminines q')i,
de;Dix, essaya de s'excuser sur la simj'ticité de sa mise, du temps de Cornélie déjà, avaient perdu tant de cceurs de
-qui ne lui permettait pas de se présenter devant un grand femmes puis, tes lui mettant sur les genoux, et poussant
seigneur comme le comte de Mondragone. Cétait là que sa chaise devant une des plus grandes glaces qui eussent
Fat'endait la tentatrice elle s'approcha d'elle, reconnut été faites a Vetnse: Essayez tout cela, lui dit-elle, moi je vais
qu'elles étaient à peu près toutes deux de la même taille, et vous chercher un costume que je viens de faire faire à la
mode de votre pays, et >ur lequel je désire avoir votre opi-
ajouta que, s'il n'y avait d'autre obstacle à t'entrevue que la
Simplicité de la mise de Bianca, t'nbstacte était facile à le-nion.–Et a ces mots, sans attendre la réponse de Bianca,
ver car elle apporterait le lendemain un costume complet elle sortit vivement.
qu'on lui avait envoyé de la ville, costume qui, elle en était une femme n'est jamais seule quand elle est avec des bi.
certaine, irait a Bianca comme s'it avait é'é fait pour elle. joux, et la Mondragone laissait Bianca en tête a t~te avec les
Biauca consentit tout c'était te seul moyen d'obtenirte plus beaux damans qu'elle eût jamais vus. Le serpent con-
sauf-conduit peut-être aussi le serpent de l'orgueil s'était- naissait son métier, et savait quelle pomme il fallait offrir à
il déjà introduit dans le paradis de son amour. cette nt!e d'Eve pour qu'ette y mord!).
Cependant Dianca raconta tout à son mari, excepté lebou- Ausai à peine la comtesse fut-elle sortie, que Bianca se
mit a Fœuvre. Bracelets, pendans d'oreilles, diadèmes, tout sortant toujours de son palais seul et déguisé; mais au
trouva sa placé; elle achevait d'agrafer un superbe collier à bout d'un an, ayant reçu du grand-duc son père une lettre
son cou, lorsqu'elle vit derrière elle une autre tête rc&échie qui lui disait que de pareiDes promenades étaient dange-
dans la glace; elle se leva vivement et se trouva en f~ce du reuses pour un prince, il donna a Pictro un emploi dans t&
grand-duc Francesco, qui venait d'entrer par une porte dé- palais Pitti, et acheta pour Bianca la charmante maison
robée. qui se voit encore aujourd'hui ?JM lIlagyio, surmontée
Alors, avec cette rapiditéd'esprit qui la caractérisait, elle des armes des M-'dicis. Ainsi, Bianca. se trouva tellement
comprit tout :t'oupissantd'!honte, elle porta les mains à rapprochée de. Francesco, qu'il n'avait besoin, pour ainsi'
son front, et se laissant tomber sur ses deux genoux dire, que de traverser la place Pitti, et qu'il.se trouvait chez
Monseigneur 1 lui dit-elle, je suis une pauvre femme qui elle.
n'ai pour tout bien que moa honneur, qui n'est même plus On sait les dispositions qu'avait Pietro à la dissipation et
à moi, mais à mon mari au nom du ciel, ayez pitié de à l'insolenoe. Sa nouvelle position leur donna une nouvelle
moi!I force. 11 se jeta à plein corps dans les orgies, dans le jeu et
Madame, dit !e duc en ta relevant, qui vous a donné de dans les aventures galantes, se fit force ennemis des bu-,
moi cette cruellp idée? Rassurez-vous, je ne suis point venu veurs vaincus, des joueurs à sec et des maris trompés, si
pour porter atteinte à votre honneur, mais pour vous conso- bien qu'un beau matin on le. trouva percé de cinq ou six
ler et vous i)ider dans votre infortune. Mondragone m'a dit coups de poignard, dans une impasse, à l'extrémité du pont
quelque chose de vos aventures; racontez-les-moi tout en- Vieux.
tières, et je vous promets de vous écouter avec autant d'in- Il y avait trois ans que les deux amans étaient partis de.
térêt que de respect. Venise en jurant de s'aimer toujours, et i) y avait deux ans
Bianra était prise reculer, c'était paraître craindre, et que chacun de son coté avait oublié sa promesse. Il en ré-
paraître craindre, c'était avouer qu'on pouvait* céder d'ail- sulta que Pietro fut peu regrette, m&me de sa femme, pour
leurs cette occasion qu'elle avait tant désirée, de faire lever laquelle deputs. longtemps il n'était qu'un étranger. Il n'y
le ban de son mari, venait se présenter d'ette-mfme c'eût. n'y eut que la bonne vieille mère qui mourut de chagrin de
donc été mériter sa proscription que de ne pas en pro6ter. wir ainsi mourir son fils.
Bianca voulait rester deb&ut devant le prince, mais ce fut La pauvre Jeanne d'Autriche, de son côte, n'était pas.
lui qui ta nt asseoir et qui demeuraappuyé sur sonfauteuil, heureuse elle était grande-duchesse de nom, mais Bianca.
la regarda'nt et t'écoutant. La jf-uue femme n'eu), besoin que Capello t'était de fait. Pour les emplois, pour tes grâces,,
de laisser parler ses souvenirs pour être intéressante: elle pour tes faveurs, c'était a.1% Vénitienne uu'on s'adressait.
lui raconta~ tout, depuis ses jeunes et {ralehe& amouts jus- La Vénitienne était toute puissante; elle avait des pages~
qu'à son arrivée à Florence. La elle s'arréta.; en allant plus une cour, des, tueurs ies pauvres seuls allaient à là
loin, elle eût été forcée de parler au prince de lui-même, et grande-duchesse Jeanne. Or. Jeanne élait une femme pieuse
!t y avait certaine histoire d'un bouquet tombé par la fenêtre et sévère comme le sont ordinairement les princesses de la
qui, t<mt innocente qu'elle était, n'aurait pas laissé de lui maison d'Autriche, elle offrit religieusementses chagrins à
eaaser quelque embarras. Dieu Dieu abaissa les yeux vers elle, vit ce qu'elle souffrait,
Le prince était trop heureux pour ne pas tout promettre. et la retira de ce monde.
Le sauf-conduit tant désiré fut accordé à l'instant même, Onattribuacette mort à ce que, le frère de la Bianca
mais à la condition cependant que Bianea viendrait le étant venu à Florence, Francesco lui fit si grande fête qu'iÏ
prendre elle même. C'eût été perdre une grande faveur pour n'eût pas faitdavautage pour un roi régnant, ce qui, selon
une bien petite formaiité. Bianca promit à son. tour ce que le peuple, causa tant de peine à la malheureuse Jeanne, que
demandait te princR. sa grossesse tourna a mal si bien qu'au lieu d'un second
Francesco coxnaissait trop bien les femmes pour avoir fils que Florence complait acconpapner joyeusement au
parlé le premier jour d'autre chose que de t'intéret qu'il baptistère, il n'y eut que deux cadavres qu'elle conduisit
éprouvait pour Kanca. Ses yeux avaient bien quelque peu tristement au tombeau.
Démenti sa bouche, mais le moyen d en vouloir à des yeux Le grand-duc Francesco n'était point méchant il était
qui vous regardent parce qu'ils vous trouvent belle 1 faible, voilà tout. Cette sourde et lente douleur qui minait
A peine le prince fut-il sorti que la comtesse rentra. sa femme lui causait de temps en temps des tristesses qui
Bianca, fn)'apprcevant, courut à elle et se jeta à son cou. La ressemblaient à des remords. Au moment de mourir, Jeanne
Mondritgonen'eut pas besoin d~autre explication pour com- essaya de tirer parti de ce sentiment; elle fit venir à son
pFendre~que sa petite trahison tui étaU pardonnée. chevet le grand-duc, qui, depuis qu'elle était tombée mae
Le lecteur voit que nous nous approchons du cardinal lade, s'était montré excellent pour elle. Sans lui faire de re-
'FercMnand,puisque nous en sommes déjà. à son frère. proches sur ses amours passés, elle le supplia de vivre plus
La belle-mère ne sut rien de ce qui s'était passé, et Bona- religieusement à l'avenir. Francesco, tout en baignant ses
I~Bturi sut seulement qu'il aurait le sauf-conduit. Cette mains de larmes, lui promit de ne point revoir Bianca.
Oouvette'parut lui causer une si grande joie, que, certes, si Jeanne sourit tristement, secoua la tête d'un air de doute,
Bianca eût su le rendre heureux à ce point, eUe n'eût pas murmura une prière dans laquelle le grand-duc entendit
tfouvé que c'était; t'acheter trop cher que d'être forcée de plusieurs fois revenir son nom, et mourut.
le recevoir ctte-m&me des mains d'un jeune et beau prince. Elle laissait de son mariage trois tilles et un fils.
Elle attendit, donc avec impatience le moment oû.ctte rever- Pendant quatre mois Francesco tint parole pendant
rait le grand-duc, tant elle se fit une fête de rapporter de quatre mois Bianca fut non pas exilée, mais du moins éloi-
cette entrevue le bienheureux papier que PieLro estimait à gnée de Floreuce. Mais Bianca connaissitit sa puissance
-si haut prix. Hétas 1 ce papter n'était si fort désiré par elle laissa le temps passer sur la douleur, sur les remords
Pietro que parce qu'ittui donnait la liberté de suivre le jour et sur le serment du grand-duc puis, un jour, elle se
-tt damevoitée qu'il n'avait encore pu suivre que la.nuit.. plaça sur son chemin douleurs, remords, serment, tout fut
!t arriva ce qui devait arriver. Pietro fut t'amant de la dame alors oublié.
voitéf, et Dianca fut la maitresse du duc. Ccpeitdant, attendu Elle avait pour confesseur un capucin adroit et intrigant
que Cosme lef négociait à cette époque le mariage du grand- comme un jésuite elle le donna au prince. Le prince lui
duc François avec t'archiduchcssc Jeatme d'Autriche, n fut confia ses remords; le capucin lui dit que le seul moyeR
convMut tntre les deux amans que t'intrigue resterait du les calmer était d'épouser Bianca. Le grand-duc y avait
secrète: en att~utam on donna il Pietro Bonaventuri un déjà pensé. Son pcr< Cosmo le-Grand, lui avait donné'le
emploi qui suffisait pour répandre le bien-être dans toute sa même exempte,, eu épousant Uans sa vieillesse Camilla Mar-
pauvre famine. telli. On avait forL crit' qn.nu) ce mâtine avait eu lieu, mais
Le n)nriHnC dt'sitc se lit tf jt'u))e grand-uuc donna une entitt ou avait ft~i p:u' s~ tait' Fm~ct'sco pensa qu'i!. Ci)
année aux convenance.s, nu visitant Bianca oue la nuit, et serait pour ~)i comn.e il en t:it c:e pour Cosnic ) et, k)U'
jours poussé par le capucin, il se décida enfin à mettre chambre de Bianca qui, du plus loin qu'ellel'aperçut, lui pré-
d'accord sa conscienceet ses désirs. senta son enfant Le grand-duc pensa devenir fou de joie, et
Depuis longtemps les courtisans, qui avaient vu que le l'enfant fut baptise sous le nom de don Antoine, Bianca
vent soufnait de ce côte, avaient parlé devant le grand-duc avant déclaré que c'était aux prières de ce saint qu'elle de-
de ces sortes d'unions comme des choses les plus simples, vait la première conception qui les rendait tous si heureux
et avaient cité tous )e~ exemptes que leur mémoire avait pu à cette heure.
leur fournir de princes choisissant leur femme dans une fa- Dix-huit mois après l'accouchement de Bianca, on ren.
mille non princière. Une dernière flatterie décidaFrancesco voya dans sa patrie la Bolonaise qui avait conduit toute cette
Venise, qui, dans ce moment, avait besoin de Florence, dé- intrigue. La gouvernante partit sans défiance et comblée de
clara Bianca Capello fille de la république; si bien que, prions; mais, en traversant les montagnes, sa voiture fut
tandis que le carnmal Ferdinand, qui se doutait des réso- attaquée par des hommes masqués qui tirèrent sur elle et
lutions de son frère, lui cherchait une femme dans toutes la laissèrent pour morte, blessée de trois coups d'arquebuse.
les cours de l'Europe, celui-ci épousait secrètement la Bian- Néanmoins, contre toute attente, elle reprit ses sens, et,
ca dans la chapelle du palais Pitti. comme le juge du village où elle avait été transportée l'in-
Il avait été arrêté que le mariage resterait secret, mais ce terrogeait, elle déclara que, le masque d'un de ces hommes
n'était point l'affaire de la grande-duchesse; elle n'était pas étant tombé, elle avait reconnu un sbire au service de la
arrivée si haut pour s'arrêter en chemin, et six mois ne s'é- Bianca; qu'au reste, elle avait mérité cette punition (quoi-
taient pas passes, qu't-npuMic comme en secret, surtetrône qu'elle ne s'attendit point à la re';evoir d'une-sembtabte
comme dans* te lit, elle avait repris la place de la pauvre main), puisqu'elle avait aidé à tromper le grand-duc Fran-
Jeanne d'Autriche. çois en donnant à sa maîtresse le conseil de se faire passer
Ce fut vers cette époque que Montaigne, dissuadé par un pour enceinte, et, le projet adopté, en apportant elle-mcme
Allemand qui avait été volé à Spolette de se rendre à Rome dans un luth l'enfantdont une pauvre femme était accouchée
par la marche d'Ancône, prit la route de Florence et fut ad- la veille. Or, cet enfant n'était autre que celui qui était été
mis à la table de Bianca. vé sous le titre du jeune prince, et sous le nom de don An-
Cette duchesse, dit-il, est belle à l'opinion italienne, un tonio. Cette confession faite, la femme expira. Aussitôt le
visanc :'gn'a)))e et i))))~rienx, le corsage droit et les tétinsà procès-verbal en fut envoyé à Rome au cardinal Ferdinand
souhait elle me sembla bien avoir la sufRsance d'avoir en- de Médicis, qui en fit faire une copie qu'il adressa à s"n frère;
jôlé ce prince et de le tenir à sa dévotion depuis longtemps. mais il fut facile à Bianca de faire croire a son amiint que
Le grand-duc mettait assez d'eau dans son vin, mais elle tout cela n'était qu'une intrigue ourdie contre elle, et l'a-
quasi point. n
mour-du grand-duc ne fit que s'augmenter de ce qu'il regar-
Qu'on mette ce portrait à coté de celui du Bronzino, et dait comme une persécution dirigée contre sa mattresse.
l'on verra que tous deux se ressemblent; seulement il y a Cependant, l'affaire, on le comprend bien, avait fait trop
dans le tableau da sombre peintre toscan un caractère de de bruit pour que don Antonio put prétendre à l'héritage de
fatuité qui ne se trouve pas sous la plume du naïf mora- son père. Le trône revenait donc au cardinal, si la grande-
liste français. duchesse n'avait pas d'autre enfant, et Francesco lui-même
Trois ans après le mariage de Francesco et de Bianca, commençait à désespérer d'un tel bonheur, lorsque Bianca
c'est ~-dire au commencement de l'année <S83, le jeune ar- annonça une seconde grossesse.
chidUc mourut, laissant le trône de Toscane sans héritier Cette fois, le cardinal se promit bien de surveiller lui-
direct; or, à défaut d'héritier direct. le cardinal Ferdinand même les couches de sa bette-sœur, afin de n'être pas dupe
devenait grand-duc à la mort de son frère. de quelque nouvel escamotage. En conséquence, il commen-
En ~ST6, le grand-duc Francesco avait eu un fils de ça par se raccommoder avec son beau-frère François, en lui
Bianca mais ce fils étant adultérin ne pouvait succéder à disant que cette nouvelle preuve de fécondité qu'allait don-
son père; d'ailleurs on racontait de singulières choses sur ner la grande-duchesse, lui prouvait bien qu'il avait été
sa naissance. On racontait que la Bianca, voyant qu elle trompé une première fois par un faux rapport. François,
n'aurait jamais probablement d'autre enfant qu'une petite heureux de voir son beau-frère désabusé, revint à lui avec
fille qu'elle avait eue de son mari, et qui s'appelait Pette- toute la franchise de son ccpur. Le cardinal profita de ce
gri~a, avait résolu d'en supposer un. En conséquence, elle rapprochement pour venir s'installer au palais Pitti.
s'était entendue avec une gouvernante bolonaise dans laquelle L'arrivée du cardinal fut médiocrementagréable à Bianca,
ci)c avait toute confiance; et voilà, disait-on, ce qui était qui ne se méprenait pas à la véritable cause de cette recru-
arrivé. descenced'amnur fraternel. Bianca sentait qu'elle avait dans
Bianca avait feint toutes les indispositions,symptômes or- le cardinal un espion de tous les instans aussi de son côté,
dinaires d'une grossesse; bientôt à ces indispositions s'é- fit-elle si bien qu'il fut impossible de la prendre un seul
taient joints des signes extérieurs, si bien que le grand-duc, instant en défaut. Le cardinal lui-même doutait. Si cette
n'ayant plus aucun doute, avait annoncé iui-méme à ses plus grossesse n'était pas uneréatité, la comédie était habitement
intimes que Bianca allait le rendre père Dés lors le crédit jouée; mais tant d'adresse le piqua au jeu, et il résolut de
de la favorite avait doublé, on avait été au devant de tous ne pas demeurer en reste d'habiteté.
ses désirs, et tous les courtisans, plus empressés que ja- Le jour de l'accouchement arriva; le cardinal ne pouvait
mais auiour d'elle, lui avaient prédit un uts. rester dans la chambre de Bianca, mais il se plaça dans la
La nuit du 29'au 50 aoùt <ST6 fut choisie pour être celle chambre voisine, par laquelle il fallait nécessairement pas-
de l'accouchement; vers les onze heures du soir, Bianca an- ser p~.ur arriver jusqu'à elle. L~ il se mit a dire son bréviai-
nonça donc son mari qu'elle commençait à éprouver les re en marchant à grands pas. Au bout d'une heure de pro-
prenticres douleurs. Francesco, tremblant et joyeux à la menade, on vint le prier, de la part de la malade, de passer
fois, déclara qu'il ne la quitterait point qu'elle ne fùt déii- dans une autre chambre, attendu qu'il l'incommodait.
vrée. Ce n'était point là l'affaire de Bianca; aussi, vers les Qu'elle fasse son affaire, je fais la mienne, répondit le car-
trois heures, les douleurs commencèrent à s'apaiser, et la dinal. Et, sans vouloir rien entendre, il se remit à mar-
sage-femmedéclara qu'elle croyait que la patiente tt'accou- cher et à prier.
cherait que dans trois ou quatre heures. Alors Bianca in- Un instant après, le confesseur de la grande-duchesse
sista pour que Francesco, fatigué de la veille, atjat prendre entra C'était un capucin à longue robe. Le cardinal alla à
que!que repos; Francesro'éda à la condition qu'on le ré- lui et le prit dans ses bras pour lui recommander sa soeur
veillerait aussitôt que sa bien aimée Bianca recommencerait avec une affection toute partit uticre. Tout en embrassant le
!t souffrir. Bianca le lui promit, et sur cette promesse, le bon moine, le cardiua) sentit ou crut sentir quelque chose
grand-duc se retira. d'étrange dans sa grande manche il y fourra la main, et en
Deux heures après, on alla le réveiller en effet, mais pour tira un gros garçon.
lui annoncer qu'il était père d'un garçon. Il courut à la Mon frère, dit le cardinal, me voie: plus tranquille, et
je suis sûr du moins que ma belle-soeur ne mourra point en madone s'alourdit tout a coup, au point qu'il fut impossi-
couches. ble au prêtre de faire un pas de plus. Le prêtre comprit
Le moine comprit que le mieux était d'éviter le scandale; qu'il
( était arrivé à sa destination il s'arrêta donc, et, avec
il demanda au cardinal ce qu'il devait faire. Le cardinal lui les aumônes des fiuèles, il fonda l'oratoire de Montenero.
dit d'entrer dans la chambre de )a grande-duchesse, et de Un an après, le capitaine d'un vaisseau livournais ayant
lui dire, tout en la confessant, ce qui venait d'arriver selon fait un voyage au mont Eubée, déclara avoir pris, dans la
qu'elle ferait, le cardinal devait faire. Le silence amènerait montagne même qu'avait habitée ta madone pendant deux ou
le silence, et le bruit amènerait le bruit. trois sièc.tcs, la mesure de la place qu'elle occupait cette
La grande-duchessevit que, pour cette fois, il lui fallait mesure s'accordait ligne pour ligne avec sa largeur et avec
renoncer à donner un héritier à la couronne, et elle prit le sa hauteur.
parti de faire une fausse couche. Le cardinal, de son côté, Dès lors il n'y eut plus de doute sur la réalité du miracle,
tint parole, et ne révéla rien de cette tentative avortée. que pour les artistes, qui reconnurent la madone pour être
I) en résulta que rien ne troubla la bonne harmonie qui ré- une peinture de Margaritone, un des contemporains de Ci-
gnait entre les deux frères. L'automne suivant, le cardinal mabué, le même Margaritone qui crut avoir récompensé di-
fut même invité par François à venir passer les deux mois de gnement Farinata des Uberti en lui envoyant lorsqu'il eut
villegiatura & Poggia à Cajano. Il accepta, car il était grand sauvé Florence, après la bataille de Monte Aperto, un cruci-
amateur de chasse, et le château de Poggio à Cajano était fix peint de sa main. Dieu punit son orgueil le pauvre vieil-
une des réserves les plus giboyeuses du grand-duc Fran- lard mourut de chagrin en voyant les progrès que Cimabué
çois. avait fait faire à l'art.
Le jour même de l'arrivée du cardinal, Bianca, qui savait Nous recommandonsaux artistes la madone de Montene-
que le cardinal aimait les tourtes confectionnéesd'une cer- ro comme un curieux monument de la peinture grecque au
taine façon, voulut en préparer une elle-même. Le cardinal xnr* siècle.
appritparlegrand-ducFrancesco cette attention de sa belle- rentrant, nous fimes prix avec un voiturin, et
Le soir, en
sœur, et comme il n'avait pas une confiance bien profonde le lendemain matin à neuf heures nous partîmes pour Fto-
dans sa réconciliation avec elle, cette gracieuseté de sa part rence.
ne laissa pas de l'inquiéter. Heusement le cardinal possédait
une opale qui lui avait été donnée par le pape Sixte-Quint,
et dont la propriété était de se ternir quand on l'approchait
d'une substance empoisonnée.Le cardinal ne manqua point
d'en faire l'épreuve sur la tourte préparée par Bianca. Ce
qu'il avait prévu arriva. Errapprochant de la tourte, l'opale
se ternit, et le cardinal déclara que toute réflexion faite, il RÉPUBLIQUES ITALIENNES.
ne mangerait pas de tourte. Le duc insista un instant.
.Voyant que ses instances étaient inutiles -Eh bien! dit-il
en se retournant vers sa femme, puisque mon frère ne man-
ge pas de son plat favori, j'en mangerai, moi, afin qu'il ne
soit pas dit qu'une grande-duchesse se sera faite pâtissière Un mot d'histoire sur cette Italie que nous allons parcou-
inutilement; --et i) se servit un morceau de la tourte. rir en faisant d'abord le tour du tronc, nous verrons mieux
Bianca fit un mouvement pour l'en empêcher, mais elle ensuite dans quelle direction s'étendent tous les rameaux.
s'arrêta. La position était horrible: il fallait ou qu'elle Dieu mit six jours à sa genèse l'Hatie six siècles à la
avouât son crime, ou qu'elle laissât son mari mourir empoi- sienne.
sonné. Elle jeta un coup d'œil rapide sur sa vie passée, elle Ce furent surtout les villes des côtes, qui, les premières,
vit qu'elle avai t épuisé toutes les joies de la terre, et atteint se trouvèrent mûres pour la Hberté. Déjà, du temps de Solon,
toutes les grandeurs de ce monde. Sa décision fut rapide, on avait remarqué que les marins étaient tes plus indépen-
comme elle l'avait été le jour où elle avait fui de Venise dans des hommes. Ainsi que les déserts, la mer est un re-
avec Pietro elle coupa un morceau de tourte pareil à celui fuge contre la tyrannie; l'homme qui se trouve sans cesse
qu'avait pris le grand-duc, lui tendit une main, et mangea de entre le ciel et l'eau, riche et puissant de l'espace qu'il a
l'autre en souriant le morceau empoisonné. devant lui, a bien de la peine à reconnaître d'autre maitre
Le lendemain,Francesco et Bianca étaient morts. Un mé- que Dieu.
decin ouvrit leurs corps par ordre de Ferdinand, et déclara Il en résultait que Gènes et Pise relevaient bien de l'em-
qu'ils avaient succombé a une fièvre maligne. Trois jours pire comme les villes de l'intérieur, mais, plus que celles-ci
après le cardinal jeta la barette aux orties et monta sur le- cependant, elles s'étaient peu à peu soustraites.~ sa domi-
trône. nation. Dans les expéditions qu'elles faisaient pour leur
Voici l'histoire de celui dont la statue s'élève sur la place propre compte dans les iles de Corse et de Sardaigne, elles
de la Da?'Mn<t a Livourne. La carrière du cardinal fut encore traitaient depuis longtemps de la paix et de la guerre, des
marquée par beaucoup d'autres actes, témoin les quatre es- rançons et des tributs, et cela selon leur bon plaisir et sans
claves enchaînés qui ornent !e piédestal de sa statue; mais en rendre compte à personne. Grâce à cet acheminement
nous croyons avoir raconté la partie de sa vie la plus cu- vers l'indépendance, ces deux villes étaient déjà, sur la fin du
rieuse et la plus intéressante,et pour le reste nous renver- XO siècle, dans un si grand état de prospérité, qu'en 982,
rons nos lecteurs à Galuzzi. Othon envoya sept de ses barons pour obtenir de la marine
Comme sur la place, outre la statue, il y a force fiacres, pisane un renfort de galères qui le secondât dans son ex-
nous montâmes dans l'une de ces voitures, et nous nous pédition de Calabre.- Pendant qu'ils étaient à Pise, Othon
fimcs conduire à l'église de Montenero. mourut. Cette mort rendait leur voyage inutile; mais ce n'é-
Cette église renferme une des madones les plus miracu- tait pas sans envier le sort des Toscans qu'ils avaient vu la
leuses qui existent. Une tradition populaire veut que cette fertilité de leur plaines et la richesse de leurs cités. Séduits
sainte iwage, native du mont Eubée dans le Négrepont, se par les promesses d'avenir que le ciel avaient fait à ce beau
soit lassée un jour de sa patrie. Cédant à un désir de loco- pays, ils obtinrent de la municipalité le titre de citoyens, et
motion bien flatteur pour l'Occident, elle apparut à un prê- de Févéque t'inféodation de quelques châteaux. Ce fut la tige
tre et lui ordonna de la transporterau Moutenrro. Le prêtre des sept familles pisanes qui demeurèrent trois siècles à la
s'informa de la partie du monde où se trouvait cette mon- tête de la faction guelfe ou gibeline. Ils se nommaient Vis-
tagne, et apprit que c'était aux environs de Livourne. Aus- conti, Godimari, Orlandi, Vecchionesi, Gualandi, Sismondi,
sitôt il se mit en marche, portant la sainte image avec lui, Lanfranchi
et, après un voyage de deux mois, arriva :t sa destination, Desoncûté, Gènes, couchée aux pieds de ses montagnes
qui lui fut indiquée par un miracle des plus concluans la arides, qui la séparent comme une muraitie de la Lombardie,
ncrc dé l'un des plus beaux ports de l'Europe, déjà peuplé à la grande querelle qui divisait l'Italie, n'y était point
dé vaisseaux au X<- siècle, tirant de sa situation le hénélice entrée avec la même ardeur que celle des autres vil'les;
d'être isoler do siège de l'empire, se livrait dans toute l'ar- elle restait divisée, il est vrai, en deux parits, mais non en
deur de sa jeune existence au commerce et à la marine. d~x camps. Chacun de ces partis s'observait avec plus de
Ï'iliée en 9~() par lés Sarrasins, moins d'un siècle après, c'é- dénance que de haine, et si ce n'était déjà plus la paix, ce
tait elle qui se liguait avec les Pisans pour aller leur repor- n'était du moins pas encore la guerre.
ter en Sardaigne ~e fer et 'le feu qu'ils étaient venus appor- Parmi les familles guelfes, une des plus nobles, des p1a&
ter en Ligurie, et Can'aro, auteur de sa première chronique puissantes et des plus riches, était celle des Buondelmonri.
co'i'.mpncée en «O) et achevée en «6Ï, nous apprend qu'a L'aîné de cette maison était fiancé avec une jeune Btte de la
cette époque Gènes avait déjà des magistrats suprêmes, ,qï)e 'fanntte des Amadei, alliée aux Uberti, et connue pour ses
ces magistrats portaient le titre de consuls, qu'ils siégeaient opinions gibelines Buondetmonte des Buondetmonti était
~ternativemént au nombre de quatre ou de six, et qu'Us seigneur de Monte-Buono, dans le val d'Arno supérieur,
restaient en place trois ou quatre ans. et habitait un superbe palais situé sur la place de'la Trinité.
Quant aux vi)ies nu centre de l'Italie, elles étaient aeweu- Un jour que, selon son habitude, il traversait, à cheval et
rées en retard. ~esprit de liberté qui 'avait so~nlé sur les magnifiquement vêtu, les rues de Florence, une fenêtre s'ou-
côtes avait bien .pas~é sur Mian, sur Flotence, sur Pérouse vrit sur son passage, et il s'entendit appeter.par son nom.
et sur AreMo; mais~yant pdittt la mer po'ur ? lancer'ieurs Buondetmonte se retourna; mais, voyant que celle' qui
Vaisseaux, ces vitles avai''nt continué d'obéir airx emp'e- 1'appelait était voilée, n continua son chemin.
reurs lorsque le moine Hildebrand l'ut appelé, en <<075~ au La dame l'appela une seconde fois, et leva son voite. ÂÏors
pontificat, sousi'e'nbmne Crégo!re\r!; ÏïenriIVTégnait Buondetmohte la reconnut pour être de tamaison des Donati,
'alors. et arrêtant son cheval, il lui demanda avec courtoisie'ce
Trois ans à peine s'étaient écoulés depuis l'exaltation du qn'elle avait à lui dire.
iMUveau pape, dans~c~ùëi devait se personniner.ia démo Je n'ai qu'à te féliciter sur ton ,proctiain mariage,
cratiedu moyen-âge, qu'en jeta'nt!eS yeux sur TËurope, et Buondelmonte, reprit la dame d'un ton rai))eur~ je
en voyant le peuple poindre partout comme les hiés en avril, qu'admirer ton dévouement, qui te fait allier à une ne veux
maison
il avait compris que c'était à lui, successeur de Saint-Pierre, si fort au-dessous de ia tienne. Sans doute un ancêtre des
de recueillir cette moisson de liberté qu'avait semée la pa- Amadci aura rendu quelque grand service à un des tiens, et
role du Christ. Dès ~076, il publia donc une décrétale qui lu acquittes une dette de fami))e.
défendait à fes succpsseurs de soumettre leur nomination à Vbus vous trompez, noble dame, répondit'Buondel-
la puissance temporelle de ce jour la chaire pontificale fut monte; si quoique distance existe entre nos deux maisons,
placée au même étage que le trône de l'empereur, et le peu- ce n'est point la reconnaissance qui i'ëuace~ mais Nen F~-
ple eut son César. mour. faime I~ucrezia Amadei, ma Bancée, et jerëpouse
Cependant Henri T~ n'était pas 'p~us de caractère à renon- parce que je Talme.
cer à ses droits, que Grégaire Vil n'était d'esprit à s'y sou- Pardon, seigneur Buondelmonte, continua !a Gua!aM-
mettre il répondit à la décrétale par un rescrit. Son ambas- da; mais il me sembtaitque~e plus noble devait épouser']a
sadeur vintensonnom à Rome ordonner au souverain pon- plus riche, Ja plus riche le plus noDé, et le p!us beau la
ti'fe de déposer la thiare, et aux cardinaux de se rendre à plus belle.
sa
cour, afin de designer un autre pape. ta ~ançe avaitrencon- Mais jusqu'à présent, répondit Buonddmonte, U n''y
trè le bouclier, le fer avait repoussé le fer. a que te miroir que je lui ai fait venir de Venise qui m'ait
'Grégoire Vît répondit en excommunian't l'empereur. montré une figure comparable à celle de Lucrezîa.
A la nouvelle de celle mesure, les princes aliemands se 'Vous avez mal cherché, monseigneur, ou vous
rassembtcreni à teritourg, et <:omme l'empereur dans sa co- vous
êtes iassé trop vite. Florence peroT-ait bientôt son nom de
)ére avait dépassé ses droits, qui retendaient à l'investiture 'vincdes~eurs, si elle ne comptait .point dans son parterre
'et non à la nomination, ils meBacaiettt de le déposer en de plus be))e rose que celle que vous allez cueillir
vertu du même droit qui l'avait élu, si, dans le terme d'une Ftorence,a peu de jardins que je n'aie visitès,,peu de
année, f) ne s'était pas t'éconciïië avec le saint-siége. Ûeurs dont je n'aie admiré les couleurs ou respiré te par-
'hënri fut forcé d'obéir il apparut en suppliant au sommet fum et il n'y a guère que les marguerites et les violettes
(te ces Alpes qu'il avait menacé de tranchir en vainqueur et qui aient.pu échappera mes yeux en se cachantsousl'herbe.
,par an hiver rigoureux, il traversa I'Italie.pour .aller, à ge- Il y a encore le lis gui ,pousse au bord des fontaines
noux et pieds nus, demander au pape 'l'absolution de sa et grandit à l'ombre des saules, qui baigne ses .pieds dans
tante. Asti, Milan, Pavie, Crémone et Lodi le virent ainsi le ruisseau pour conserver sa fraîcheur, et qui cache sa
passer; et, fortes de sa faiblesse, elles saisirent~ prétexte beauté dans la solitude pour garder sa pureté.
de son excommunicationpour se délier de leur serment. De
La signora Gualdrada aurait-eile dans le jardin de son
.Son côté, Henri !V, craignant d'irriter encore le pape, ne
tenta point même de les faire rentrer sous son obéissance et palais quelque chose de pareil a me faire 'voir?
ratilia leur liberté: ratification dont elles auraient à la ri- Peut-être, si le seigneur Buondelmonte daignait me
gueur pu se passer, comme le pape de l'investiture. Ce fut faire l'honneur de le visiter.
de cette division entre le saint-siége et l'empereur, entre le Bnondelmonte jeta la bride de son cheval aux mains te
peuple etta féodalité, que se formèrent les factions guelte et son page et s'élança dans te palais ~Donati.
,gibeline. La Gnaldrada j'attendait au'haut de I'esca!!er; e!)e'te
Pendant ce temps, et comme pour préparer la liberté de guida par des corridors obscurs jusque une chambre reti-
Ftoreoce, Godefroy de Lorraine, marquis ,de toscane, et rée. Elle ouvrit )a porte, souleva la tapisserie, et Buondel-
B( a)rix sa femme mouraient l'un en ~070 et l'autre en )07C, monte aperçut une jeune fille endormie.
laissant la comtesse Mathilde héritière et souveraine du Buondeliiionte demeura saisi d'admiration rien d'aussi
plus~rand (lefqui ait jamais existé en halie. Mariée deux beau, d'aussi frais et d'aussi pur ne s'était encore offert àsa
fois, la première avec Godefroy le jeune, la seconde avec vue. C'était une de ces têtes hlondes si rares en Italie que
Gudfe de Bavicrc, elle se sépara successivement de ses deux 'Baphai'tcn fait le type de sesvifrges; c'était un teint si
époux et mourut sans héritier, léguant ses biens à la chaire b)anc qu'on aurait dit qu'i) s'était cpanoui au p~tc soleil du
devint Pierre. x~rd c'ctait t)ne taille si aérienne que Buond~imonteo'ai-
C~'tte mort laissa Florence ;) peu près libre d'imité)' les 'gnait de respirer, de peur que cet ange, en se rcvt'iHant, ne
autres villes d'Italie. Elle s'('h~ea donc en république, don- remnnt~tau cie) ) 1
nant a son tour t'exempte qu'ctie avait reçu, à Sienne, à Pis- La Guahtrada laissa retomber le rideau. Bnoih~imontc
loi:) et à AreMO. fit un mouvement pour la retenir, elle lui arrêta la m.nn.
Cependant. la noblesse florentine, sans rester indifférente -Voici la fiancée que je t'avais ~.n'déR, sotituirc ut pure)
lui dit-elle mais tu t'es hâté, Buondelmonte, tu as offert de la Chandeleur ~2~8, le parti guelfe vaincu fut forcé d'a-
ton coeur à une autre. Va t c'est bien va, et sois heureux. bandonner Florence.
Buondelmonte interdit, gardait le silence. Alors les vainqueurs, maîtres de la ville, se titrèrent à ces
Eh bien continua la Gualdrada, oublies-tu que la belle excès qui éternisent les guerres civiles. Trente-six palais
Lucretia t'attend? furent démolis et leurs tours abattues; celle des Toringhl!l
Écoute, lui dit Buondelmonte en lui prenant la main, qui dominait la place du vieux Marché, et qui s'ét'-vait, toutes
si je renonçais à cette alliance, si je rompais les engagemens couverte de marbre, a la hauteur de cent vingt brassées,
pris, si j'offrais d'épouser ta fille, me la donnerais-tuP. minée par sa base, croula comme un géant foudroyée. Le
Et quelle serait la mère assez vaine ou assez insensée parti de l'empereur triompha donc en Toscane, et les Guelfes
pour refuser l'alliance du seigneur de Monte-Buono!1 restèrent exilés jusqu'en <25<, époque de la mort de Fré-
Alors Buondelmonte leva la portière, s'agenouilla près déric Il.
du lit de )a jeune fille, dont il prit la main, et comme la Cette mort produisltune réaction; les Guelfes furent rap-
dormeuse entr'ouvrait les yeux « Réveillez-vous, ma belle pelés, et le peuple reprit une partie de t'influencequ'il avait
fiancée, lui dit-il. n Puis se retournant vers la Gualdrada perdue. Un de ses premiers régtemens fut l'ordre de détruire
« Envoyez chercher le prêtre, si
ma mère; et votre fille m'ac- les forteresses derrière lesquelles les gentilshommes hra-
cepte pour époux, conduisez-nous à faute) »» vaient les fois. Un rescrit enjoignit aux nobles d'abaisser
Le même jour, Buondelmonleépousa Lucia Gualdrada, de les tours de leurs palais à la hauteur de cinquante brasses,
la maison desDonati. et les matériaux résultantde cette démolition tcrvirent a été-
Le lendemain, le bruit de ce mariage se répandit. Les ver des remparts à la ville, qui n'était p~'int fertitiée dit côté
Amadei doutèrent quelque temps de l'outrage qui leur avait de l'Arno. Enfin, en ~2S2, le peuple, pour consacrer le re~
été fait, mais un moment vint où ils n'en purent plus douter, tour de la liberté à Florence, frappa avec t'or le plus put
Alors ils convoquèrent leurs parens, les Uberti, les Fifanti. cette monnaie qu'on appela florin, du nom de la ville qai lui
les Lamberti et les Gualdalandi et lorsqu'ils furent rassem- donna naissance, et qui depuis 700 ans est restée à la m~me
blés, leur exposèrent ta cause de cette réunion. Dans ces effigie, au même poids et au même titre, sans qu'aucune
temps d'honneur irascible et de prompte vengeance, un pa- des révolutions qui suivirent celle à laquelle le florin devait
reil affront ne pouvait se laver que dans le sang. Mosca pro- sa naissance ait osé changer son -empreinte populaire, ou
posa la mort de Buondelmonte, et sa mort fut résolue à l'u- altérer son or républicain.
nanimité. Cependant les Guettes, plus généreux ou ptu&co'~ians que
Le matin de Pâques, Buondelmonte venait de traverser le leurs ennemis, avaient permis aux Gibelins de rester dans
vieux pont, et descendait Longo-l'Arno, lorsque ptusieurs la ville ceux-ci profitèrent de cette liberté pour ourdir une
hommes a cheval., comme tui, débouchèrent de la rue de la conspiration qui fut découverte. Les magistrats teur firent
Trinité, et marchèrent & sa rencontre. Arrivés a une certaine alors porter l'ordre de venir justifier leur conduite; mais
distance, ils se séparèrent en deux troupes, afin de t'atta- ils repoussèrent les archers du podestat a coups de pierres
quer, de deux cotés. Buondelmonte reconnut ceux qui ve- et de fie. hes. Tout le peuple se souleva aussitôt, on vint at-
naient à lui pour des ennemis; mais soit connance dans taquer les ennemis dans leurs maisons, on fit le siège des
leur loyauté ou dans son courage, il continua sofi chemin palais et des forteresses; en deux jours tout fut fmi.Srha-
sans donner aucune marque Je défiance loin de ta, en arri- zetto des Uherti, le même qui avait assommé Buonftetmonte,
vant près d'eux, il les salua avec courtoisie. Alors SchazeXo mourut les armes
des Uberti sortit de dessous
la main. Ln autre Uberti et nu Infangatt
son manteau son bras armé o'rent la tête tranchée sur la place du vieux Marché, ef c'-ux
d'une masse, et d'un seul coup ii renversa B'~ond~montede qui échappèrent au massacre ou à la justice, gnidés t'arFa-
cheval. Au même moment, Ad'to Arrighi mettant pied A terre. rinata des Uberli, sortirfntdeta ville et attërent demander
de peur qu'il ne fùt qu'étourdi, lui ouvrit les veines avec a Sienne un asile qu'elle leur accorda.
son couteau. Buondelmonte se traina jusqu'au pied de Mars, Farinata des Uberti était un de ces hommes de la famille du
protecteur pa<en de Florence, dont la statue était encore de- baron des Adrets, du connétableBourbon, et de Lesdiguiéres,
hout, et expira. Le bruit de ce meurtre ne tarda point re- qui naissent avec un bras de fer et un c'pur de bronze, dont
tentirdans la ville. Tous les parens deBuondehnonteseras- tes yeux s'ouvrent dans une ville assiégée et se ferment
semblèrent dans la maison mortuaire, tirent atteler un char, le champ dehataitte plantes arrosées de sang et qui portent sur
-et y placèrent dans une bière découverte le corps de la vic~ des fleurs et des fruits sangtans
time. La jeune veuve s'assit sur le bord du cercueil, ap- La mort de )'empereur lui ôtait la ressource ordinaire aux
puya la tête fracassée de son époux sur sa poitrine; les Gibctins, qui était de s'adresser à t'cmpereur. t) envoya
plus proches parens l'entourèrent, et le cortège se mit en alors des députés !) Manfred, roi de Sicile. Ces députés de-
marche par les rues de Florence, précédé du vieux père de mandaient une armée. Manfred offrit cent hommes. Les
Buondelmonte, qui, vêtu de deuil, et monté sur un cheval bassadeurs étaient sur te point de refuser cette offre qu'ils am-
caparaçonné de noir, criait de temps en temps d'une voix regardaieut comme dérisoire; mais Farinata leur écrivit:
sourde Vengeance! vengeance! vengeance ) Acceptez toujours, t'important est d'avoir la bannière de
(
A la v.ue de cadavre ensanglanté, à la vue de c~Uc be))e Manfred parmi les nôtres, et quand nous l'aurons, j'irai la
veuve pleurante et les cheveux épars, a la vue de ce père planter dans un tel lieu qu'il faudra bien qu'il nous envoie
-qui précédait )e cercueil de Teufant qui aurait dû suivre )e un renfort pour l'aller reprendre.
sien, Ics esprits s'exaltèrent et chaque maison noble pritt Cependant t'armée guette poursuivit les Gibelins, vint
parti selon son opinion, son alliance ou sa parenté. Qoa- éfat'tir son camp devant la portt'dcCnmogtia, dont laet
rante-deux familles du premier rang se firent Guelfes, c'est- su're était si douce à Aifiéri (<). Après quelques escarmouches pous-
à-dire Papistes, et prirent le parti de Buondetmontc; vingt- sans conséquence, Farinata, ayant
r''çu les cent hommes
quatre se déclarèrent Gibelins, c'i'st-a-dire Impériatistes, et d armes que lui envoyait Manfred, ordonna une sortie et
reconnurent les Uberti pour leurs chefs. Chacun rnssembta leur lit distribuer les meitteurs vins de la Toscane, puis lors-
ses serviteurs, fortifia ses palais, é)cva ses tours, et pendant qn'it vit le combat engagé entre les Guelfes tes Gibelins,
et
trente trois ans la guerre civile, se renfrrmantdans les murs sous prétexte de dégager les siens, il mit à la tête tle ses
de Florence, courut échevelée par ses rues et par ses places anxiliaires allemands, et leur fit fairese charge tettement
publiques. une
profonde, que lui et ses cent hommes d'armes se trouvèrent
Ce,pl'nda.nt les Gibelins qui, comme on l'a vu, étaient nu- enveloppés par tes ennemis. Les Allemands se battirent en
mériquementles plus faibles de prcs de mni~ie, désespérant désespérés, mais la partie était
de vaincre s ils étaient réduits tcurs propres forces, s'a- trop inégale pour que te
dressérent~ l'empereur, qui teur envoya seize cents cavaliers courage y pût quelque chose. Tous tombèrent. Fariu~ta,
seul et par miracle, s'ouvrit un chemin et regagna les siens,
allemands. Cette troupe s'introduisit furtivement dans la
ville par'une des portes appat'tennnt aux GihcHns.eHanuit ()) A Camogtia mi godo il putyorone. SM'!e< cxn.
couvert du sang de ses ennemis, las de tuer, mais sans bles- Tornaquinci et sur la ptate-formc du Carroccio, réservée
sure. aux plus vaillans, étaient ses sepl fils, auxquels il avait fait
Son but était atteint, les cadavres des soldats de Manfred jurer de mourir tous avant qu'un seul ennemi touchât cette
criaient vengeance par toutes leurs plaies; l'étendard royal, arche d'honneur du moycn-a~e. Quant à la cloche, elle avait
envoyé à F)orcnce, avait été traîné dans la boue et mis en été ))énie, disait-on, par le pape Martin, et en l'honneur de'
pièces par la populace. tt y avait affront a la maison de son parrain elle s'appelait Martincita.
Souabe, et tache t'écusson impérial. Une victoire pouvait Le 4 septembre, au point du jour, l'armée se trouva sur le
seule venger l'une et effacer l'autre. Farinata des Uberti écri- monte Aperto, colline située cinq milles de Sienne, vers ta~
vit au roi de Sicile en lui racontant la bataille Manfred lui partie orientale de la ville elle découvrit alors dans toute
répondit t'n lui envoyant deux mille hommes. son étendue ta cité qu'elle espérait surprendre. AussiFût urr
Alors le lion se fit renard pour attirer les Florentins dans évëque presque aveugle monta sur la plate-forme du Carroc-
une mauvaiseposition. Fartnata feignit d'avoir à se plaindre. cio, et dit la messe, que toute t'armée écouta sotennetterr.ent
ies Gibelins. 1) écrivit aux Anziani pour leur indiquer un à genoux et la tête découverte puis le saint sacrifice ache-
tendez-vous à un quart de lieue de la ville. Douze hommes vé, il détacha l'étendard de Florence, le remit aux mains de
'y attendirent; lui s'y rendit seul. H leur offrit, s'ils vou- Jacopo del Vacca de la famille des Pazzi, et revêtant lui-
,aient faire marcher une puissante armée contre tienne, de même une armure, il alla se placer dans les rangs de la ca-
leur livrer la ,porte de San-Vito dont ils avaient la garde. valerie il y était à peine que la porte de San-Vito s'ouvrit
Les chefs guelfes ne pouvaient rien décider sans l'avis du suivant la promesse faite. La cavalerie allemande en sortit
peuple, ils retournèrent vers lui et assemblèrent le conseil. la première, derrière elle venait celle des émigrés florentins,
Farinata rentra dans la ville. commandée par Farinata; ensuite parurent les citoyens de
L'assemblée fut tumultueuse; la masse était d'avis d'ac- Sienne avec leurs vassaux formant l'infanterie, en touH5,000
cepter, mais quelques-uns plus clairvoyans craignaient une hommes. Les Florentins virent qu'ils étaient trahis mais ils
trahison. Les Anziani, qui avaient entamé la négociation et comparèrent aussitôt leur armée à celle qui se développait
qui devaient en tirer honneur, l'appuyaient de tout leur pou- sous leurs yeux, et songeant qu'ils étaient trois contre un,
voir, et le peuple appuyait les Anziani. Le comte Guido ils poussèrent de grands cris d'insulte et de provocation, et
Guerra et Tegghiaio Aldobrandini essayèrent en vain de tirent face a l'ennemi.
s'opposer à la majorité; le peuple ne voulut pas les écouter. En ce moment, t'évêque qui avait dit la messe et qui,
Alors Luc des Guerardini, connu par sa sagesse et son d6 comme tous les homme privés d'un sens avait exercéles au-
vouement à la patrie, se leva et essaya de se faire entendre; tres à le remplacer, entendit du bruit derrière lui, se retour-
mais les Anziani lui ordonnèrent de se taire. H n'en conti- na, et ses yeux, tout affaiblis qu'ils étaient, crurent aperce-
nua pas moins son discours, et les magistrats le condamnè- voir entre lui et l'horizon une tigne qui, un instant aupara-
rent à cent florins d'amende. Guerardini consentit à les vant, n'existait pas. H frappa sur l'épaule de son voisin et
payer, si à ce prix il obtenait la parole. L'amende fut dou- lui demanda si cequ'il voyait était une muraille ou un brouil-
blée, Guerardini accepta cette nouvelle punition en disant tard. Ce n'est ni l'un ni l'autre, dit le soldat, ce sont les
qu'on ne pouvait acheter trop cher le bonheur de donner un boucliers des ennemis. En effet, un corps de cavalerie a!.
bon avis à la république. Enfin, on porta l'amende jusqu'à lemande avait tourné le Monte Aperto, passé Arbia à gué,
la somme de quatre cents florins sans qu'on pût lui imposer et attaquait les derrières de t'armée florentine, tandis que
silence. Ce dévouement, qu'on prit pour de l'obstination, le reste des Siennois lui présentait le combat de face.
exalta les esprits, la peine de mort fut proposée et adoptée Alors Jacopo del Vacca, pensant que l'heure était venue
contre celui qui osait s'opposer ainsi à la volonté du peuple. d'engager la bataille, éleva au-dessus de toutes les tctest'é-
La sentence fut aussitôt signifiée a Guerardini, il t'é.outa tendard de Florence qui représentait un tion, et cria:-En
tranquillement, puis se levant une dernière fois c Faites avant Mais au même instant Bocca degli Abatti, qui était
dresser t'échafaud, dit-i), maistaisscz-moi parler pendant Gibelin dans l'âme, tira son épse du fourreau et abattit d'un
qu'en le dressera. Au lieu de tomber aux pieds de cet seul coup la main et t'étendard puis s'écriant A moi les
homme, ils t'arrêtèrent et le firent conduire en prison. Alors Gibelins 1 il se sépara avec trois cents nobles du même parti
comme il était à peu près le seul opposant, et que d'ailleurs de l'armée guelfe pour aller rejoindre la cavalerie atte-
aucun n'était de cœur à suivre un pareil exemple, une fois mande.
Guerardini hors de l'assemblée, la proposition passa. Flo- Cependant la confusion était grande parmi tes Florentins:
rence envoya demander aussitôt du secours à ses alliées. Jacopo del Vacca élevait son poignet mutilé et sanglant, en
Luc()ues, fiotogne, Pistoie, Le Prato, San Miniato et Volterra criant Trahison Nul ne pensait à ramasser t'étendard
répondirent à son appel. Au bout de deux mois, les Guelfes foulé aux pieds des chevaux,et chacun, en se voyant chargé
avaient rassembté trois mille cavaliers et trente mille fan- par celui qu'un instant auparavant il croyait son frère, au
tassins. lieu de s'appuyer sur son voisin, s'éloignait de lui, crai-
Le lundi 5 septembre ~260, cette armée sortit nuitamment gnant plus encore t'epéequi le devait défendre que ''ette qui
des murs de Florence, et marcha vers Sienne. Au milieu le devait attaquer. Alors te-cri de trahison proféré par Ja-
d'une garde choisie parmi les plus braves, roulait pesam- copo del Vacca passa de bouche en bouche, et chaque cava-
ment fe Carroccio. C'était un char doré attelé de huit );œufs lier, oubliant le salut de la patrie pour ne penser qu'au sien,
couverts de caparaçons rouges, et au milieu duquel s'élevait tira du côté qui lui semblait le moins dangereux, confiant sa
une antenne surmontée (t'ung)obe doré; au-dessous de ce vie à la vitesse de son cheval, et laissant son honneur expi-
gtohe ttottait retendant de Florence, qui, au moment du rer à sa place sur le champ de bataille, si bien que de ces
combat, était confié à celui qu'on estimait le plus brave. 5,000 hommes, qui étaient tous de la noblesse, trente-cinq
Au-dessous, un Christ en croix semblait bénir l'armée de vaillans restèrent seuls, qui ne voulurent pas fuir et qui
ses bras étendus. Unectoche, suspendue près de lui, rappe. moururent.
lait vers un centre commun ceux que la me!ée dispersait; L'infanterie, qui était composée du peuple de Florence et
et le pesant attelage, ôtant au Carroccio tout moyen de fuir, de gens venus des villes alliées, 01 meilleure contenance et
formait t'armée, soit à ('abandonner avec honte, soit à le dé- se serra autour du Carroccio ce fut donc sur ce point que
fendre avec acharnement. C'était une invention d'Eribert, se concentra le combat et lé grand carnage qni, au dire de
archevêque de Milan, qui, voulant relever l'importance de Dante, teignit l'Arbia en rouge ~).
l'infanteriedes communes, afin de s'opposer ta cavalerie Mais, privés de leur cavalerie, les Guelfes ne pouvaient
tenir, puisque les seuls qui fussent cestés sur le champ de
des gentilshommes, en avait fait usage pour la première fois
dans la guerre contre Conrad-le-Salique. Aussi était-ce au
milieu de l'infanterie, dont le pas se réglait sur celui des (t) La strazio e') grande scempio
bœufs, que roulait cette lourde machine. Celui qui la con- Che fece l'Arbia colorata in rosso.
duisait était un vieillard de soixante-dix ans, nommé Jean /n/mo. x.
bataille étaient, comme nous l'avons dit, des gens du peuple douze mille fantassins qui restaient encore autour du Car-
qui, armés au hasard de fourches et de hallebardes, n'a- roccio ils entrèrent dans cette masse, la sittonnant tel qu'un
vaient a oppo.r à la longue lance et à t'épée à deux mains immense serpent, dont l'épée de Farinata était le dard. Le
des cavaliers que des boucliers de bois, des cuirasses de vieillard vit le monstre s'avancer en roulant ses anneaux.
buffle ou des justaucorps mah'tas~és les hommes et les gigantesques il fit signe ses deux fils. Ils s'éiaocèrent au-
chevaux hardf''s de fer entraient donc facilement dans ces devant de l'ennemi avec toute la réserve. Arnolfo pleurait de
masses et y faisaient des trouées profondes et cependant, honte de ne pas suivre ses frères.
animées par le bruit de Martinetta, qui ne cessait de son- Le vieillard les vit tomber l'un après l'autre; alors il
ner, trois fois ces masses se refermert'nt repoussant de leur remit la corde de la cloche aux mains d'Arootfo, et sauta au
sein la cavalerie allemamle, qui en ressortit trois fois san- bas de la plate-forme. Le pauvre père n'avait pas eu le
glante et ébrcchée comme un fer d'une blessure. courage de voir mourir son septième enfant.
Enfin, a j'aide de la diversion que fit Farinata à la tête Farinata passa sur le corps du père comme il avait passé
des émigré*, florentins et du peuple de Sienne, les cavaliers sur le corps des fils. t.e Carroccio fut pris, et comme Ar-
parvinrent jusqu'au Carroccio. Alors se passa à la vue des nolfo continuait de sonner MartineDa,malgré les injonctions
deux armées une action merveilleuse ce fut celle de ce vieil- contraires qu'il recevait, Della Presa monta sur la plate-
lard à la garde duqufl nous avons dit que le Carroccio était forme, et lui brisa la tête d'un coup de masse d'armes.
confié, et qui avait fait jurer à ses sept fils de mourir au Du moment où les Florentins n'entendirent plus la voix
poste où il les avait placés. de Martinella, ils n'essayèrent même plus ile se rattier. Cha-
Pendant tout le temps qu'avait déjà dureté combat, les cun s'enfuit de son côté; quetques-uns se réfugièrent dans
sept jeunes gens étnient restés sur la plate-forme du Carroc- le château de Monte Aperto, où ils furent pris le lendemain.
cio, d'où ils dominaient l'armée, et trois fois ils avaient Dix mille hommes restèrent, dit-on, sur )a place du combat.
tourné les yeux impatiemment vers leur père; mais d'un La perte de la bataille de Monte Aperto est restée pour
signe le vieillard les avait retenus enfin, l'heure était arri- Florence un de ces grands desastres dont le souvenir se
vée où il fallait mourir le vieillard cria à ses Sis Allons perpétue à travers les âges. Après cinq siècles et demi, le
Les jeunes gens sautèrent à bas du Carroccio, à l'excep- Florentin montre encore avec tristesse aux voyageurs le lieu
tion d'un seul, que son père retint par le bras c'était le du combat, et cherche dans les eaux de l'Arbia cette teinte
plus jeune et par conséquent le plus aimé; it avait dix-sept rougeàtre que leur avait donnée le sang de ses an.'ëtres. De
ans à peine et s'appelait Arnolfo. leur côté les Siennois s'enorgueillissentencore aujourd'hui
Les six frères étaient armés comme des chevaliers, c'est-à- de leur victoire. Les antennes du Caroccio qui vit tomber
dire de jacques de fer, aussi reçurent-ils vigoureusement le tant d'hommes autour de lui dans cette fatale journée, sont
choc des Gibelins. Pendant ce temps le père, de la main qui précieusement conservées dans !a Basilique, comme Gênes
ne tenait pas Arnolfo, sonnait la cloche de ralliement. Les conserve à ses portes les chapes du port de Pise, comme
Guelfes reprirent courage, et les cavaliers allemands furent Pérouse garde, à la fenc're du palais municipal, le lion de
une quatrième fois repousses. Le vieillard vit revenir à lui Florence; pauvres villes, auxquelles i) ne reste de leur
quatre de ses Sts; deux s'étaient couchés déj!) pour ne plus antique liberté que les trophées qu'elles se sont enlevés
se relever. t
les unes aux autres pauvres esclaves, à qui leurs maî-
Au même instant, du coté opposé, on entendit pousser de tres, par dérision sans -doute, ont cloué au front leurs
grands cris et on vit la foule s'ouvrir c'était Farinata des couronnes de reine
Uberti à la téte'des émigrés florentins; il avait poursuivi la Le 27 septembre, fermée gibeline se présenta devantt
cavalerie guelfe jusqu'à ce qu'il se fùt assuré qu'elle ne re- Florence dont elle prouva toutes les femmes en deuil car,
viendrait plus au combat, comme fait un loup qui écarte les dit Vilhni, il n'en était pas une seule qui n'eût perdu un
chiens avant de se jeter sur les moutons. fils, un frère ou un mari. Les portes en étaient ouvertes, et
Le vieillard, qui dominait la mêtéc, le reconnut à son pa- nulle opposition ne fut faite. Dès le lendemain toutes les lois
nache, à ses armes, et encore plus à ses coups. L'homme et guelfes furent abolies, et le peuple, cessant d'avoir part au
le cheval paraissaient ne faire qu'un, et semblaient un mons- conseil, rentra sous la domination de la noblesse.
tre couvert des mêmes écailles. Ce qui tombait sous les Alors une diète des cités gibelines de la Toscane fut con-
coups de l'un était foulé à l'instant sous les pieds de l'au- voquée à Empoli les ambassadeurs de Pise et de Sienne
tre tout s'ouvrait devant eux. Le vieillard fit signe à ses déclarèrent qu'ils ne voyaient d'autres moyens d'éteindre la
quatre fils, et Farinata vint se heurter contre une muraille guerre civile qu'en dé ruisant complétementFlorence, véri-
de fer Aussitôt ces masses se serrèrent autour d'eux et le table ville des Guelfes, et qui ne cesserait jamais de favo-
combat se rétablit. riser ce parti. Les comtes Guidi etAtherti,)csSantafioret
Farinata était seul parmi les gens de pied qu'il dominait les Ubaldini, appuyèrent cette proposition. Chacun y ap-
de toute la hauteur de son cheval, car it avait laissé les au- plaudit, soit par ambition, soit par haine, soit par crainte.
tres cavaliers gibelins et allemands bien loin derrière lui. La motion allait passer, lorsque Farinata des Uberti se
Le vieillard pouvait suivre des yeux son épéeuamboyante leva.
qui se levait et s'abaissait avec la régularité d'un marteau Ce fut un discours sublime que celui que prononça ce
de forgeron it pouvait entendre le cri de mort qui suivait Ftoreniin pour Florence ce fils plaidant en faveur de sa
chaque coup porté, deux fois il crut reconnaître la voix de mère, ce victorieux demandant grâce pour les vaincus, of-
ses fils, cependant il ne cessa point de sonner la cloche, frant de mourir pour que la patrie vécût, commençant
seulement de l'autre main il serrait avec plus de force le comme Coriolan et finissant comme Camille.
bras d'Arnolfo. La parole de Farinata l'emporta au conseil, comme son
Farinata recula enfin, mais comme recule un lion, déchi épée à la ba)ai))c. Doence fut sauvée les Gibelins y éta-
rant et rugissant il dirigea sa retraite vers les cavaliers blirent le siège de leur gouvernement, et le comte Guide
florentins qui chargeaient pour le secourir. Pendant le Novello, capitaine des gendarmes de Manfred, fut nommé
moment qui s'écoula avant qu'il les rejoignit, le vieillard vit gouverneur de la ville.
revenir deux de ses (i)s. Pas une tarme ne coula de ses yeux, Ce fut la cinquième année de cette réactiou impériale que
pas une plainte ne s'échappa de son cœur, seulement il serra naquit, a Florence, un enfant qui reçut de ses parens le nom
Arnolfo contre sa poitrine. d'Alighieri, et du ciel celui de Dante.
Mais Farinata, les émigrés florentins et les cavaliers Les choses durèrent ainsi depuis ~260 jusqu'en ~266.
allemands s'étaient réunis, et tandis que toute l'armée sien- Mais, un matin, on apprit & Florence que Manfred, ce
nbise chargeait de son coté infanterie contre infanterie, ils grand protecteur du parti gibetin, avait été tué à la bataille
se préparèrent à charger du leur. de Grandella et que celui ta qui avait fait trembler t't'atie
La dernière attaque fut terrible trois mille hommes à n'avait plus d'autre tombeau que la pierre qu'en passant
cheav) et couverts de fer s'enfoncèrent au milieu de dix ou avait jetée sur son cadavre chaque soldat de l'armé frau-
47
OEUv. co~rr. vin.
(aise; encore sut-on MentOt que l'archevêque de Cosence, aucune autre viUe, parce que c'est Florence que nous allons
lui ayant envié cette séputture improvisée par )a piétjé de ses visiter d'abond, et nous nous sommes arrêtés a cette année
ennemis, avait fait entever~on corps et Favait fait jetcf sur ~266, parce~ue c'estde cette époque à peu près que datent
les frontières du royaume, aux bords de la rivière Vende. les plus vieux monumens .que nous ferons visiter à nos )ec-
On oomprend le cttangementque cette nouvelle apporta teur~. Quant. au.TesLe de son histoire, nous la trouverons
dans la contenance da parti ~tetfe. Le peuple manifesta sa écrite sur ses palais, sur ses statue.s et sur ses tombeaux, et
joie par des cris et des ittuminations tes édités M rappro- nous la heurterons à chaque pas que nous ferons par ses
chèreRl de ia ville, n'attendant pi~s que le momeat <d'y rues.et-ses places publiques.
rentrer, et Guido Novetto et ses quinze cents gendarmes,
c'est tout ce qui lui en était reste après la bataille deMon~e
Aperto, se trouva comme un naufrage sur une roche, et qui
voit, a chaque instant, la marée qui monte.
Au lieu défaire bravement face au danger, etdemaioi.cnir
Florence par la terreur, ce qui lui étaitpossible encore avet
ses quinze cents hommes, Guido crut qu'il apaiserait les
esprits en faisant auK partis de ces concessions qui leur ROUTE PE MYOURNE A FLORENCE.
dom)ent la mesure de leur force. !) fit venir de Bologne,
pour être ensemble podestats de Fiorence,carJes podestats,
on ~e sait, devaient toujours être étrangers, deux chevaliers
d'un 'ordre nouveau qui venait de s'étever, et qui, dispensé Nou~~vionspris.ujtvoitunn pour nous conduire de Li-
des'vccDY do chasteté et .de pauvreté, faisait seulement ser- voumeàJFtorence c'est à peu près le seul mode de com-
ment de défendre les veuves et les orphelins. De ces deux munication qui existe entr.e Jes deux villes. !) y a bien une
chevaliers, l'un était Gibetin, l'autre était Guelfe. On leur W)UMre pubhque qui dit qu'eUe marche; mais, moins heu-
composa Tin conseil de trente-six prud'hommes, divisés poé- muse que le philosophe grec, elle ne peut pas en donner la
tiquement de la même façon on autorisa les citoyens &e preuve.
réunir en corporations, &T) forma doute corps d'arts eunc- CetteMaction de )a diligence tient à un reste de cet esprit
tiers (<); .on accorda aux sept arts majeurs des enseignes, popu)ai<'e si répandu en Toscane, que les différens gouver-
sons )esquei)es devaient se Tanger les autres en cas dhiarjne, ncmens qui s'y sont succédé n'ont jamais pu effacer cette
et !'on espéra que 'du contact naitrai.t.une fusion. ~ieijie .teinte gueite répandue partout. Encore aujourd'hui,
Il en résulta tout le contraire. Du contact .naquit une aon-seulonM'nt tes individus~ majs encore Jes palais et les
émeute, à la ~uite de laquelle Guido et ses quinze cents murajUes ont une opinion, les créneaux éteins sont guelfes,
hommes d'armes furent forcés do quitter Florence et.de.se tes créneaux widés sont gibelins.
retirer à l'rato. Qr, Jes y.OttjM'ins étao~ l'expression .du commerce popn-
Cette retraite fut le signal de la réaction guelfe. Les .Gi- hn'e, et~e6~i)igenoos )e résultat de l'industrie aristocrati-
bclins, sesentant incapables de lutter,.quittèrent )a pat.tie ~)Uje, les vo.itujjins )'OAt..emportc tout naturellement sur les
et nbanaonn&rent')avi1)e,etle gouvernement, d'aristocra- ililigences auxquelles le gouvernement, toujours guidé pa~r
tique qu'H 'était, redevint, du jour au lendemain, ,popu- ceties)pr~ damocrAt.iquequi veut le bien-ctre du plus grand~
taire. nM)bre,MOpose~es condHions telles qu'au bou,t d'un ce,r-
Où était Farinata des Uberti dans cette .grande ciMon- faM) ~empjs ~'en~reprise s'aperçoit qu'etle ne ,peut pt~s
stance ? son nom n'est point prononcé dans cette .nouvel tenir.
catastrophe.Le géant disparait comme un fantôme, et on'ne D'~UiSUfS des dmgfnces ~pajtent .à tctu.re Cxe et attendent
ieTt'trouve que quarante ans après, dans l'enfer de Dante, où les voyageurs; les voi.tu.rins partent!) toute he~reet courent
plongé jusqu'h ta ceinture dans un 'tombeau ~rougi par les après Les praj~u.es.. Ce sont nos cochers de.Sceaux et de
flammes, il se plaint, mon pas de la douleur qu'il éprouve, Sai.ntr.Oenis. A 'peine a-t-on mis Je pied hors de la barque
mais de l'acharnementaveclequel tesFtorentins poursuiven.t qu.i vous conduit du bateau à ~apeu.r.au port, que i'.on es.t
sonnometsafamitte (3). assaiiU~ ~uve~oppé, tijué, .assourdi par vingt cochers qui vous
'En effet, les 'Ftorentins, qui n'avaient poinj. ioub)ié )a 'regardent comme ).em' marchandise, vous tr.ai~nt en consé-
défaite de Monte Aperto avaient porte 'une )<ci qui Of- ) que')ce,<.tRniraiettt~Mvous emporter .i~ur Jeurs épaules st
dormait que te palais de 'Fapinata .des t)herti ~eraH tonles .iaissait f&)re.d6s .fami)~es .wt été séparées ainsi sur
rasé, 'que la charrue passerait sur ses 'fondemeas, ot que ~p0tt,de 'Litout)ne,,~t .n'otu. pu se réunir qu'à .Ftorence.
jamais aucun édifice pubtic ni particulier ne's'Hie~oratt sur On a beau monter dans un tiacre, ils sautent devant, des-
le terrain où avaitété conçu, dans un jour t)e po)ere'oéteste, )su~derr;ëre,,6t'àta porte de l'hôtel on se retrouve, comme
le moderne 'Coriolan. !sur~)e.popt,:aumt)te~) de huit.ou.(tixdro)es qui n'en crient
~a même toi ~)orta'!t que tes Uberti )seraien)..aijamais.ex- !que tp~sffnnt pour avoir attendu.
ceptes de toutes les amnisties que l'on' pourrait accorder !).est~onfded,it.eators.qu'.on.vientà Livourne pour af-
dans't'avenir aux Gibetins. faire .de commetee,.que .l'an compte y passer huit jours. ti
TtoLfs notR sommes-étendussur Florence plus que~ur fauft~n.ccnséquence.demander :au gardien,de t'hôte~, devant
les honorables,tnd.ustr.ie)s.dontvqus .vou]e?.vpus.débarras-
'(~)'T)e 'th la déxomination)d'artS)tnajeurSfet.d'Mts inférieurs sor,.8;ny.aun.appartement.tibre.pour une semaine, ators
qu'on retrouve si.sotn'ertt~ans.L'tustoire.deFtorcnce.Les.arts quelquefois itswus,croient,.abandonnentla proie qu~Hs
majeurs étaient
-<<"LesjutMconsuttes; 2o.)es marchands de drap franger,; 30 tes
comptent rattraper plus tard, et retournent à toutes jambes
banquiers; ~o.iesfabricansdc.iainc; 50 )esmcdec[ns;(;°)esfa- aufport pour happer .d'autres voyageurs, et .vous êtes ti.bre.
Meansde.soiRCt.merciers;'i°icsp<;UeUprs. Celj9 n'empêche ppjnt qu'en sortant une heure après, on
1 Les arts mineurs étaient: trouve.une.ou deuxsenHneHes )9 porte.. ,Ceux-)a sonties
i" t.es d~UtiUcttrs; 2o les bouchers; 3° les cordonniers; -t<' !es famitier.s.de )'h&tel its ont été préyeous par le garçon, au-
manons et'ics charpentiers j &<' les ferriers et les-sotruriers. quet.Usont'fait une.remtseaceteC'et, que ce n'est ppint
('2)'Bis-m6i Mpendant, di.s-'moi, et poisses-tu rotourner dansée danshmtfjours que .vous partez, mais le jour même p~ ~e
monde ()c la iumiere, dis-moi.peurquoi ce peuple est si cruel en- lendemain.
vers tos'micus, qu'il ies;pour&uit encore dans. chacune d.e~eslo;s. -J) <!aut se.hate)'dp;rentrer avec ceux-là Si.on.avait t'jp!.
–)Kt.)noi~e répondis: ce.gMud carMgequi teignit réseaux .de
t'Ad)!it en rouge. leur conseille.ces tristes résolutions. prndence~te sorlir, cinquante de leurs confrères accour-
~t lui, raipnt:)Mrs.cris,.etLascénedu pprt.recpmmencerait.
en-secouant la tête Jc.n'etais pas seul à la bataille, dit-ii, et ce
serait JHstic~, ce me sembto, de me )rait<'r comme tes autres/Mais Ils demanderont dix piastres par vpiturf; soixante francs
j'étais seul à i'a'.se~btce oit't'on '(tt'cida que Florence serait dé- pour faire seize.iieues! Uifautieuren offrir cinq, et,cncqre
truite, et seul je la défendis a visage'découvert.' à la:<;oj)dition qu'on changera, trois fonde chevaux et n.u'0tt
ne changera pas de voiture. Ifs jetteront les hauts cris; on Eh bien c'est ce que nous allons voir.
ies mettra la porte. Au bout de dix minutes, il en rentrera C'est ce que nous allons voir, répéta tranquillement
le cocher; et i) remit son attetage au pas.
un par la fenêtre, et on fera prix avec In) pour trente francs.
Ce prix fait, vous des sacré pour tout le monde; en cinq Frantz, dit en saxon le prince a son domestique, des~
minutes, le bruit se répand que vous êtes accord. Vous cendez et donnez une votée à ce drôle.
pouvez dès lors aller partout où bon vous sembJera, chacun Frantz descendit de !a voiture sans 'faire la moindre ob-
vous salue et vous souhaite un bon voyage'; vous.vous croi- servation, enteva )e cocher de son. siège, le rossa avec une
riez au milieu du peuple le plus désintéresse de la terre. gravité toute a))emandc, )e remit sur son siège; puis, lui
À i'heure'dite,]e~tM est apporte. 'En Italie, le mot montrant le chemin Vor <caM~, lui dit-i), et il se rassit
7~to s'applique !< tout ce qui transporte; eest aussi bien près de )ui.
une barque qu'un carrosse à six chevaux, un cabriolet qu'un Le cocher se remit en route; seu'emeut it marcha un peu
bateau a valeur lcgno est le ma!o de robba, ~n~ et robba plus doucement qu'auparavant.
sont le fond de.~a tangue. Le~no est une infante brouette; On se fasse.de tout, munie Je battre un cocher. Le prince,
il ne faut point y f.re attention i) n'y en a pas d'autres convaincu que d'une façon o.n de l'autre il Mirait toujours
I).oiM.
dansées écuries du padr(Me.:D'i<i))<'ursonn'ysera,pas plus
ma) quedans;une:ditigencc. La seule question dont-il reste
à s'occuper, est celle de la &t<ont: mano, c'est-à-dire du pour-
CMttO.
faire, .donner des rensognemons à ce sujet, est.même resté voiture.
vingt-quatre heures en route, et a passé une fort mauvaise Où est le papierP demanda le cocher.
nuit. –Mais vous savez bien, drôte.quejen'enaipas.
Voici, l'histoire.; nous, :reviendr.ons ensuite~ .ta ~ona Eh bien 1 si vous n'avez pas de papier, on changera'<
de voiture.
Le prince ;C.. était arrivé avec sa,mère,et un domestique 'Le prince avait grande envie de rosser cette fois le co-
allemand à Livourne. Comme tout voyageur qui arrive à cher lui-même; mais il vit aux mines de, ceux qui entou-
Livourne, il avait cherche aussitôt les moyens do .partir )e raient la voiture que ce ne 'serait pas pn'dent.En consé-
plus vite possible. Qr, ainsi que nous t'avons dit, les quence, !i descendit du legno on jt'.ta sa robba sur le pavé,
.moyens viennent au devant de vous, il ne s'agit que de sa- et au bout d'une heure d'attente à peu près, on lui amena
voir en faire usage. une mauvaise charrette distoquée, et deux chevaux qui n'a-
Les M~un'ttt avaient, su des /aecht'n< qui avaient porté les vaient que le soaffte.
mal!esqù'i)s avaient affaire à.un.prince. En conséquence, En toute antre circonstance, le prince, qui est généreux à
i)s)ui avaient demandé douze piastres au lieu de dix; et de la fois comme un grand seigneur russe et comme un artiste
son côté, au lieu de leur eu offrir cinq, le .prince leur avait français, aurait donné un fouis de guides; mais il était tel-
répondu C'est bon, je vous donnerai douze piastres; lement tfans son droit que céder lui parut d'un mauvais
mais je ne veux pas être ennuyé a chaque re)ai .par !c: co- exemple, et qu'il résutut de s'entêter. Il monta donc dans sa
chers, et vous .vous chargerez de la 6ucnamano. –Ta bene, charrette, et comme !e nouveau cocher était prévenu qu'il
avait répondu'Je vetturino. En conséquence, le prince C. n'y avait pas de bonne main, il repartit au pas, au milieu
avait donne ses douze piastres, et )e tegno était parti au ga- des rires et presque ues huées de tous tes assistans.
lop, Temportantjuiet toute sa roliba. Il était neuf heures. Cette fois, tes chevaux étaient si misérables que c'eût été
du.matin; selon son calcul,Je prince devait être Florence, conscienced'exiger qu'ils allassent autrement qu'au pas. Le
vers trois ou quatre heures de l'après-midi. prince mit donc six autres heures à aller de Pontedera à
A,un quart de lieue de Livourne, les chevaux .s'étaient Empoii.
ralenti tout naturellement et avaient pris ]e pas. Quant au En entrant à Empoli, le cocher arrêta sa voiture et s'en
cocher, i! s'était mis à chanter sur son siège, ne s'interrom- vinta la portière.
.pant que pour causer avec ses connaissances; mais bien- Son Excellence couche ici? dit-il au prince.
tôt, comme on cause,mal en marchant, il s'arrêta 'toutes Comment, je couche ici, est-ce que nous sommes à
'les fois qu'ii trouva l'occasion de causer. 'Florence?
Le prince supporta ce manège pendant une demi-heure ou Non,ExceHen''e; nous sommes à Empoli, une char-
(rois quarts d'heure;'mais, au bout de ce'temps, calculant mante petite ville.
qu'il avait fait à peu près un'mille, il mit la fête a 'ia por- –'J'ai payé'douze piastres a'ton maitre pour aller cou-
tière, en criant dans le plus pur toscan ~MMttf avantil cher & Florence et non h'Empoli. J'irai coucher à Florence.
'<tra!e <a.' –Où est le,papier, Excetience?
–'Combien donnerez-vous de bonne main? demanda 'le –Va~t'en au diabic avec ton papier.
l..
cocher dans )e même idiome. Votre Exce))ence n'a pas de papier?
Que venez-vousnie parler (le bonne main ? dit !e prince. –Non.
J'ai donné dou/c piastres a votre maitre, à -condition qu'il Bien, dit le'cocher en remontant sur son siège.
se chargerait de tout. –Que dis-tu? cria le prince.
–La'bonne main ne 'regarde pas )es'maîtres, répondit le Je dis très bien, repondit !e cocher en fouettant ses
cocher. Combien donm'rcx-vous de bonne main'? harideHes.
Pas un son, j'ni payé. Et pour la première 'fois depuis Livourne, le prince se
Alors, s'i) p)a!t a VotreExcettence, nous irons au pas. sentit~'mportéaupetit trot.
Comment, nous' irons au pas; mais votre maitre s'est ~'aHure lui parut de bon présage il mit la tête H la por-
engagé a me conduire en six heures a Ftot'encc. tière. Les rues étaient pleines de monde et les fenêtres illu-
.–Où cst)c papier? demanda )ecoc))er. mtuées; c'était ta fctc de la madone d'Empoli, qui passe
Le papier? Est-ce qu'il y avait besoin Je faire un pa- pour fort miraculeuse. En passant sur la grande place, il
pier pour cela vit qu'on dansait.
vous voyez bien que. si vous n'avez pas de papier, Le prince était occupé :) regarder ce monde, ces ittnmina-
vous pc pouvcx [ias mf fo'crr. tions et ces danses, qu:u)d tout a coup it s'aperçut qu'il en-
Ah t je ne puis p:'s te forcer, dit le prince. trait sous une cspfce de voûte; aussitôt la voitures'arrêta.
–T\ou,o[rc'Exc~)t'))cc.' Ou sommes-nous? dounnda le prince.
Sous la remise de l'auberge, Excellence. et ils ont mieux aimé coucher dans leur voiture. Comme je
Pourquoi sous la remise? sais que les Anglais sont tous des originaux, j'ai dit C'est
Parce que ce t.era plus commode pour changer de che- bon. Alors j'ai vidé encore un fiasco, j'ai été chercher mes
vaux. chevaux, et me voilà. Est-il de trop bonne heure ? Je revien-
Allons 1 allons dépêchons,dit le prince. drai.
–S"6t'~o, répondit le coc.her. Non, sacredieu dit le prince, attelez et ne perdons pas
Le prince savait déjà qu'il y a certains mots dont il faut une minute it y a une piastre de bonne main si nous sommes
se défier en Italie, attendu qu'ils veulent toujours dire le dans trois heures à Florence.
contraire de ce qu'ils promettent. Cependant, voyant qu'on Dans trois heures, mon prince, dit le voiturin; oh! il
détachait les chevaux, il referma la glace de la voiture et at- ne faut pas tant que cela. Du moment qu'il y a une piastre
tendit. de bonne main, j'espère bien que dans deux heures nous y
Au bout d'une demi-heure d'attente, i! baissa la glace, et, serons.
se penchant hors de la voiture Dieu vous entende, mon brave homme 1 dit la prin-
Eh bien ? dit-il. Personne ne lui répondit.
Frantz cria le prince, Frantz 1 cesse.
Monseigneur, répondit Frantz en se réveillant en sur- Le cocher tint parole le prince sortit à sept heures son-
saut. nant d'Empoli, à neuf heures il descendait place de la Tri-
Mais où diaMe sommes-nous ddncP nité.
Je n'en sais rien, monseigneur. Il avait mis juste vingt-quatre heures pour aller de Li-
Comment, tu n'en sais rien ? vourne à Florence.
Non je me suis endormi, et je me réveille. Le premier soin du prince, après avoir déjeuné, car ni lui
Oh ) mon Dieu s'écria la princesse, nous sommes dans ni la princesse n'avaient mangé depuis la veille au matin,
quelque caverne de voleurs. fut d'aller déposer sa plainte.
Non, dit Frantz, nous sommes sous une remise. Avez-vous un papier demanda le chef du !)MMt~opento.
Eh bien ouvre la porte et appelle quelqu'un, dit le Non, dit le prince.
prince. Eh bien je vous conseille de laisser la chose tomber à
La porte est fermée, répondit Frantz. l'eau; seulement, la prochaine fois, ne donnez que cinq pias-
Comment, fermée? s'écria à son tour le prince en sau- tres au maitre, et donnez une piastre et demie aux,conduc-
tant en bas de la voiture. teurs vous aurez cinq piastres et demie d'économie, et vous
Voyez plutôt, monseigneur. arriverez dix-huit heures plus tôt.
Le prince secoua la porte de toutes ses forces, elle était Depuis ce temps, le prince n'a pas manqué, chaque fois
parfaitementfermée. Le prince appela à tue-tête; personne que l'occasion s'en est présentée, de suivre le conseil du
ne répondit. Le prince chercha un pavé pour enfoncer la
président du 6uon ~wento, et il s'en est toujours bien
porte, i) n'y avait pas de pavé. trouvé.
Or, comme le prince était avant tout un homme d'un sens La morale de ceci est, qu'en sortant de Livourne, il'faut
exquis, après s'être assuré qu'on ne pouvait pas ou qu'on tirpr sa montre, la. mettre devant les yeux du cocher, et lui
ne voulait pas l'entendre, i! résolut de tirer le meilleur parti dire
possible de sa position, remonta dans la voiture, ferma les H y a cinq paoli de bonne main si nous sommes dans
glaces, s'assura à tout hasard que ses pistolets étaient à sa deux heures à Pontedera.
portée, souhaita le bonsoir à sa mère, étendit ses jambes On y sera en deux heures.
sur la banquette de devant et s'endormit. Frantz en fit au- On usera du même procédé en sortant de Pontedera et
tant sur son siége; i) n'y eut que la princesse qui resta les d'Empoli et, en six heures et demie au plus tard, on sera
yeux tout grands ouverts, ne doutant pas qu'elle ne fùt tom- à Florence; on mettrait deux heures de plus en prenant
la
bée dans quelque guet-â-pens. poste.
La nuit se passa sans alarmes. A sept heures du matin, A moitié chemin de Livourne à Florence, s'élève comme
de San-Miniato-al-Tedesco.
on ouvrit la porte de la remise, et un voiturin parut à la porte une borne gigantesque la tour
avec deux chevaux San-Miniato-al-Tedescoest le berceau de la famille Bo-
Eh n'y a-t-il pas ici des voyageurs pour Florence? naparte. C'est de cette aire qu'est partie cette volée d'aigles
demanda le voiturin avec un ton de bonhomie parfaite, et qui s'est abattue sur le monde; et, chose étrange! c'est à
comme s'il faisait là une question toute naturelle. Florence, c'est-à-dire au pied de San-Miniato, que les Napo-
Le prince ouvrit la portière et sauta hors de la voiture léon, grâce à l'hospitalité fraternelle du grand duc Léo
dans l'intention d'étrangler celui qui lui faisait cette ques- pold If, reviennent tous mourir.
tion mais, voyant que ce n'était point son conducteur de la Le dernier membre de la famille Bonaparte qui habita
veitte, il pensa qu'il pourraitbien châtier, sinon te bon,pour San-Miniato fut un vieux chanoine qui y mourut, je crois,
le mauvais, du moins l'innocent pour le coupable il se con- en ~828; c'était un cousin de Napoléon. Napoléon fit tout ce
tint donc. qu'il put pour le décider & quitter son canonicat et accepter
Où est le cocher qui nous a amené: ici? demanda-t-il un évéché, mais il refusa constamment. En échange, il tour-
tout pâle de colère, mais avec. te plus grand sang-froid appa- menta toute sa vie l'empereur pour le décider canoniser
rent, et répoodant à une question par une autre question. un de ses ancêtres; mais Bonaparte répondit à chaque fois
–Peppino, que Votre Excellenceveut dire? que cette demande se renouvela, qu'il y avait déjà un saint
Le cocher de Pontedera. Bonaparte, et que c'était assez d'un saint dans une famille.
Eh bien c'est Peppino. Il ne se doutait pas à cette époque, et en faisant cette ré-
Alors où est Peppino ? ponse, qu'il y aurait un jour un saint.et un martyr du même
Ii est en route pour retourner chez lui. nom.
Comment? en route pour retourner chez lui? Nous arrivâmes dans la capitale de la Toscane vers les dix
Oui, oui. Comme c'était fête à Empoli, nous avons bu heures du soir. Nous descendîmesdans le bel hôtel crénelé
et dansé ensemble toute la nuit, et ce matin, il y a une heure, de madame Hombert; et, comme nous comptions nous arrê-
il m'a dit Gaëtano, tu vas prendre les chevaux, et tu iras ter quelques temps à Florence, le lendemain nous nous mt-
chercher deux voyageurs et un domestique qui sont sous la mes en quête d'un logement en ville.
remise de la Croix-d'Or; tout est pa~é excepté la bonne Le même jour nous en trouvâmes un dans une maison par-
main. Alors je lui ai demandé, moi, comment i) se faisait ticulière, située Por<ooHa Croce.
qu'il y avait des voyageurs sous une remise, au lieu d'être Moyennant deux cents francs par mois, nous eûmes un
dans une chambre. Ah bien 1 ce sont des Anglais qu'il m'a palais, un jardin, avec des madones de Luca della Robbia,
dit, ils ont eu peur qu'on ne leur donne pas de draps blancs, des grottes en coquillages, des berceaux de lauriers roses,
une allée de citronniers, et un jardinier qui s'appelait Dé- Les écoliers refusèrent de suivre les cours des nouveaux
métrius. maltres, et ils tirèrent si bien à eux, que l'enseignement re-
Sans compter que de notrebalconnous découvrions, sous tomba dans son ornière.
son côté le plus pittoresque, cette charmante petite basili- Florence est l'Eldorado de la liberté individuelle. Dans
que de San-Miniato-al Monte, les amours de Michel-Ange. tous les pays du monde, même dans la république (tes Etats-
Comme on !e voit, ce n était pas cher. Unis, même dans )a république helvétique, même dans la ré-
publique de Saint-Marin, les horloges sont soumises à une
espèce de tyrannie qui les force de battre à peu près en même
temps. A Florence, il n'en est pas ainsi; elles sonnent la
même heure pendant vingt minutes. Un étranger s'en plai-
gnit un Florentin: Eh 1 lui répondit l'impassible Toscan,
que diable avez-vous besoin de'savoir l'heure qu'il est?
I) résulte de cette apathie, ou plutôt de cette facilité de
FLORENCE. vivre, toute particulière a Florence, qu'excepté la fabrica-
tion des chapeaux de paille, que les jeunes filles tissent tout
en marchant par les rues ou tout en voyageant par les gran-
des routes, l'industrie et le commerce sont à peu près nuls.
Pendant t'été Florence est vide. Encaissée entre ses hau- Et ici ce n'est point encore la faute du grand-duc; tout
tes montagnes, batte sur un fleuve qui pendant neuf mois essai est encouragé par lui, soit de son argent, soit de sa fa-
ce roule que de la poussière, exposée sans que rien l'en ga- veur. A. défaut de Toscans aventureux, i! appelle des étran-
rantisse un soleil ardent que reflètent tes dalles grisâtres gers, et les récompense de leurs efforts industriels sans
de ses rues et les murailles blanchies de ses palais, Flo- exception aucune de nationalité. M. Larderel a été nommé
rence, moins l'aria cattiva, dévient comme Rome une vaste comte de Monte-Cerboli pour avoir établi une exploitation
étuve du mois d'avril au mois d'octobre aussi y a-t-il deux de produits boraciques; M. Demidoff a été fait prince de
prix pour tout prix d'été et prix d'hiver. I) va sans dire que San-Donato pour avoir fondé une manufacture de soieries.
le prix d'hiver est le double du prix d'été; cela tient à ce qu'à Et que l'on ne s'y trompe point, cela ne s'appelle pas vendre
la fin de l'automne une nuée d'Anglais de tout rang, de tout un titre, cela s'appelle le donner, et le donner noblement,
sexe, de tout âge, et surtout de toutes couleurs, s'abat sur pour le bien d'un pays tout entier.
Ja capitale de la Toscane, On comprend qu'avec cette absence de fabriques indigè-
Nous étions arrivés dans le commencement du mois de nes, on ne trouve à peu près rien de ce dont on a besoin
juin, et l'on préparait tout pour les fêtes de la Saint-Jean. chez les marchands toscans; les quelques magasins un peu
A part cette circonstance, où il est tout simple que la ville comfortablement organisés de Florence sont des magasins
tienne à faire honneur à son patron, les Mtes sont la grande français qui tirent tout de Paris; encore les élégans Floren-
affaire de Florence. C'est toujours fête, demi-fête on quart tins s'habillent-ils chez BUn, Humann ou Vaudeau, et les
de fête dans le moins de juin, par exemple, grâce à l'heu- lionnes Florentines se coiffent-elles chez mademoiselle Bau-
reux accouchement de la grande duchesse, qui eut lieu le dran.
<0 ou le 42, et qui par conséquent se trouva placé entre les Aussi à Florence faut-il tout aller chercher, rien ne vient
fêtes de la Pentecôte et de la Saint-Jean, il n'y eut que cinq au devant de vous; chacun reste chez soi, toute chose demeu-
jours onvrables. Nous étions donc arrivés au bon moment re a sa place. Un étranger qui ne resterait qu'un mois dans
pour voir les babitans, mais au mauvais pour visiter les édi- la capitale de la Toscane en emporteraitune tres-faasse idée.
fices, attendu que, les jours de fête, tout se ferme à midi. Au premier abord, il semble impossible de se rien procurer
Le premier besoin de Florence, c'est le repos. Le plaisir des choses les plus indispensables, ou celles qu'on se procure
même, je crois, ne vient qu'après, et il faut que le Floren- sont mauvaises; ce n'est qu'à la longue qu'on apprend, non
tin se fasse une certaine violence pour s'amuser. !) semble pas des habitans du pays, mais d'autres étrangers qui sont
que, lassée de ses longues convulsions politiques, la ville des depuis plus longtemps que vous dans la ville, où toute chose
Médicis n'aspiré plus qu'au sommeil fabuleux de la Belle se trouve. Au bout de six mois, on fait encore chaque jour
au bois dormant. Il n'y a que les sonneurs de cloches qui de ces sortes de découvertes si bien que l'on quitte ordinai-
n'ont de repos ni jour ni nuit: Je ne comprends point com- rement la Toscane au moment où l'on allait s'y trouver à
ment les pauvres diables ne meurent pas à la peine; c'est peu près bien. Il en résulte que chaque fois qu'on y revient
un véritable métier de pendu. on s'y trouve mieux, et qu'au bout de trois ou quatre voya-
Hyaà Florence non-seulement un hommepolitique très-fort, ges, on finit par aimer Florence comme une seconde patrie
mais encore un homme du monde de beaucoup d'esprit, et et souvent par y demeurer tout à fait.
que Napoléon appelait un géant dans un entresol: c'est M. le La première chose qui frappe, quand on visite cette an-
comte de Fossombroni, ministre des affaires étrangères et cienne reine du commerce, est l'absence de cet esprit com-
secrétaire d'État. Chaque fois qu'on le presse d'adopter quel- m'ercial qui a fait d'elle une des républiques les plus riches
que innovation industrielle, ou de faire quelque changement et les plus puissantes de la terre. On cherche, sans la pou-
politique, il se contente de sourire et répond tranquillement: voir trouver, cette classe intermédiaire et industrielle qui
Il monde va da se; c'est-à-dire Le monde va de lui-même. peuple les rez-de-chaussées et les trottoirs des rues de Paris
Et i) a bien raison pour son monde à lui, car son monde et de Londres. A Florence, il n'y a que trois classes visi-
à lui, c'est la Toscane, la Toscane où le seul homme de bles l'aristocratie, les étrangers et le peuple. Or, au pre-
progrès est le grand-duc. Aussi l'opposition que fait le mier coup d'œi), il est presque impossible de deviner com-
peuple est-elle une opposition étrange par le temps qui court. ment et de quoi vit ce peuple. En effet, a part deux ou trois
Il trouve son souverain trop libéral pour lui, et il réagit maisons princières, l'aristocratie dépense peu et le peuple
toujours contre les innovations que dans sa philantropie ne travaille pas c'est qu'à Florence l'hiver défraie l'été. A
héréditaire il songe sans cesse à établir. l'automne, vers l'époque où apparaissent les oiseaux de pas-
A Florence, en effet, toutes les améliorations sociales sage. des volées d'étrangers, Anglais, Russes et Français
viennent du trône. Le dessèchement des maremmes, l'opé- s'abattfnt sur Florence. Florence connait cette époque; elle
ration du cadastre, le nouveau système hypothécaire, les ouvre les portes de ses hôtels et de ses maisons garnies, elle
congrès scientifiques, et la réforme Judiciaire, sont des idées y fait entrer pêle-mêle. Français, Russes et Anglais, et jus-
qui émanent de lui, et que l'apathie populaire, et la routine qu'au printemps elle les plume.
démocratique, lui ont donné grand peine à exécuter. Der- Ce que je dis est a la lettre, et le calcul est facile a faire.
nièrement encore, il avait voulu régler les études universi- Du mois de novembre au mois de mars, Florence compte un
taires sur le mode français, qu'il avait reconnu comme fort surcroit de population de dix mille personnes; or, que cha-
supérieur au mode usité en Toscane. cune de ces dix mille personnes dépense, toutes les 34 heu-
fes, trois piastres stutement., je co<e au plus bas, trente filles, de sa sœur, et de la grande-duchesse douairière. Deux
mille piastres s'écoutent quotidiennemient par )awt)e..Ceia &u trois autres, beattx e«&ns q,u! composent le reste de sa
fait quelqué chose Mïnme xent.quatre~vin~t mille francs par famHte bondissent ~oveus&mentà part &o<is ta sdrwHIance de
jour, soixante mMfe'pérson'nes vivent là dessus, leurs gouern-Mtes.
A~ssi~ c'est encore en, ceti qu'éctate L'extrême solticitndte Le grand-duc est. u& homme de quarante à.quarante-dCeux
du grand-énc pour son people. !) a' coMipri~quet'étranger ans, aux cheveux déjà blanchis par le travail; car ~e grand-
était une source dé forfruno pour Ftofence, et tout étranger duc, Toscan par le cœur, mais Allemand par l'esprit, tra-
est le bien venu à P~rence I'Ang)a4s avec aaf. mor~jtc~ )<B vaille huit à dix heures par jour. Il porte habituellement,
Français avec son indiscrétion le Russe avec sa réserve. Le un peu inclinée, sur sa poitrine, sa tête que de dix pas en
premier jauger arrî\ô~ le palais Prtt;i, ouvert tons les jours il
dix pas relève pour saluer ceux qui passent. A chaque sa-
aux étrangers, à la curiosité desquels il offre sa magnifique
.galerie, s'ouvre encore une fois par semaine, le soir, pour
leur donner 4es bals sptendrdës. Là,, tout homme que son
ambassadeur juge d'igné de t'bospitat.tté souveraine est pne'-
senté, et nobteou commerçant, industrie) :ou artiste, est re-
je ne l'ai vu qu'à )ui.
lut, sa figure calme et pensive s'éclaire d'un sourire plein
d'imetligentebienveiltance ce sourire lui est particulier, et
jtoprovisation.
l.e :ac de Cuges et la fontaine de Rougiez.. 399
Livourne.
GenestafSuperbe.
Tonton.
3&&
Marsei))een93. 332
itatiennes. 359
Florence.
334 Républiques 365
BoutedeLiyourneaFtorence.
FrereJeau-Bapt'ste.
).ego)feJuan. fer
337
340
34t Pergola.
La
Sainte-Marie-des-Fteure.
370
373
37t
1,'Homme au Masque de
LeMpitaineLangtet.
LaphncipautcdeMonaco.
344
348 Riccardi.
palais
Le Patais-Vieux.
Le
377
386
LarivièredeGênes. MO
353 La place du
390
Grand-Duc. ,9M~