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Bull. Inst. fr. études andines
1996, 25 (3): 421-441
LE GLISSEMENT DE TERRAIN ET LES INONDATIONS
CATASTROPHIQUES DE LA JOSEFINA EN EQUATEUR
Eric Cadier *, Othon Zevallos **, Pedro Basabe ***
Résumé
Le 29 mars 1993, s‘est produit en Equateur un gigantesque glissement de terrain, d'un volume
¢estiméa environ 20 millions dem: qui abarré erioPaute. Ceglissement a provoquéunnombredemorts
estimé entre 35et plus de 100. Entrele 29 marsetle 1 mai, un lacde pres de 200 millions de ms’est formé
en amont du barrage constitué par le glissement, noyant une zone fertile et habitée de prés de 1000 ha
et provoquant la destruction de routes, de voies de chemin de fer et de la centrale thermoélectrique
régionale. Le 23 avril, ’eau.a commencé & couler dans le canal d’évacuation creusé dans le barrage pour
atténuer la violence de la rupture, motivant I’évacuation des 14 000 habitants de la vallée en aval et la
préoccupation des responsables du grand barrage d’Amaluza, situé 60 km en aval, qui produit entre 60,
et 75% de Vélectricité consommée en Equateur. Le samedi 1" mai, le débit s'est accru de fagon
spectaculaire passant de quelques dizaines de m*/s & prés de 10 000 m?/s, dépassant la plupart des
prévisions des experts. Cet écoulement formidable a tout balayé sur son passage : blocs de plusieurs m’,
routes, maisons, épargnant de justesse le barrage d’ Amaluza au termed’un suspense éprouvant. Apres
avoir décrit quelques aspects géotechniques du glissement de terrain et hydrauliques dela rupture du
barrage et dela propagation de!’onde de crue, nous comparerons les différentes méthodes utilisées pour
prévoir le temps de rupture et le débit de pointe de la crue. Trois méthodes ont été utilisées: Yutilisation
d’abaques empiriques, la modélisation physique et la modélisation numérique. Ces prévisions, vitales
pour tout ce qui est en aval sont pour le moins délicates. Nous avons constaté de fortes divergences dans
les prévisions des experts. On présente enfin quelques aspects de la gestion de cette crise, de la
reconstruction quil’a suivie, ainsi que de la prévention des désastres naturels. La rupture dubarragede
la Josefina est un événement depremiére grandeur, dontlaplupart des parametres sont connus. Elle doit,
étre utilisée pour faire progresser les connaissanceset diminuer'imprécision des méthodes de prévision
‘en matidre de rupture des trés grandes digues.
‘Mots-clefs: Glissement de terrain barrage ;inondations ; propagation de rues ;rupturede barrage ;modélisation
physique, mathématique et prévisions ; gestion de crise.
“ Adresse postal : Mission ORSTOM Apartado 1711-6596 Quito EQUATEUR Mail :cadier@orstom exec;
Tel-fax dINSEQ : (5932)468.327; fax de !ORSTOM 569.396,
* Escuela Politéenica Nacional, Departamento de Hidréulica, Isabel La Catélica s/n, Quito, Ecuador.
Tel (5932) 507 144; 563.077
‘Proyecto PRECUPA, Casilla 01-01-1980, Cuenca, Ecuador. Tel (5982) (7) 880.418; 00.463. Fax: 890.900.422 E. CADIER, O. ZEVALLOS, P. BASABE
EL DESLIZAMIENTO Y LAS INUNDACIONES CATASTROFICAS DE LA JOSEFINA
EN ECUADOR
Resumen
E129 de marzo de 1993 se produjo en el Ecuador un gigantesco deslizamiento con un volumen
estimado de 20 millones dem’ que repres6 el rio Paute. El deslizamiento provocé un mimerode muertos
estimado entre 35 y més de 100. Entre el 29 de marzo y el 1 de mayo se forms un lago de cerca de 200
millones de nv aguas arriba del deslizamiento que inwiid6 una zona fértil y poblada de casi 1 000ha, con
la destruccion de carreteras, ferrocattiles, y de la central termoelélectvica de la regin. E123 de abril, el
‘agua empez6 a salir por el canal de desagtie excavado en la masa deslizada a fin de mitigar efectos
mayores. Sin embargo esto motivé la evacuacidn de los 14 000 habitantes del valle aguas abajo y la
reocupacisn de los responsables dela gran presa de Amaluza ubicadaa60 kmaguasabajo, que produce
entre el 60 y 75% de la energfa eléctrica consumida por el Ecuador. El sébado 1 de mayo, el caudal
aumenté de forma espectacular pasando de algunas decenas de m?/s hasta cerca de 10 000 m’/s,
sobrepasando la mayoria dle las previsiones de los expertos. Este enorme flujo arrasé con todo lo que
estaba a su alcance: bloques de varios m’, carreteras, casas, puentes, etc, salvandose apenas la presa de
‘Amaluza después de un suspense estremececor. El trabajo presenta algunos de los aspectos geotécnicos
‘ehidraulicos del deslizamiento dela Josefina, larotura dela presa y la propagacién dela onda de crecida.
‘Se comparan ademas los diversos métodos utilizados para preclecir el tiempo de rotura y el caudal de
pico de las crecidas. Con tal objeto se utilizaron tres procedimientos: la utilizacién de abacos empiricos,
lamodelizacién fisica y la modelizacién numérica, Estas predicciones, de vital importancia para todo lo
ubicado aguas abajo, son muy deticadas, Se constataron fuertes divergencias entre las diversas
previsiones de los expertos. Finalmente se analizan algunos aspectos de la situacidn de crisis, asi como
asacciones dereconstruccién y de prevencién dedesastres naturales. La rotura de la presa de a Josefina
es un evento de primera magnitud, donde la_mayor parte de los pardmetros eran conocidos. Estas
experiencias eben ser utilizadas para mejorarlos conocimientosclel fenémenoy disminuirla imprecision
de los métodos de previsién de rotura de grandes presas.
Palabras claves: Deslizamiento; represamiento; inundaciones; propagacién de crecidas; rotura de presa;
modelizacién fisica, matematice y previsiones: gestion de criss.
THE LANDSLIDE AND CATASTROPHIC FLOODING OF THE JOSEFINA
IN ECUADOR
Abstract
On the 29th of March 1993, a lange landslide with an estimated volume of 20 million m?, took
place in Ecuador, damming the Pauteriver. This landslide caused a number of deaths estimated between
35 and more of 100. Between the 29% of March and the 1" of May, a reservoir with a volume of near 200
million m? formed upstream of the blockage, flooding almost 1 000 hectares of fertile and occupated land
and destroying roads, railways and a regional thermoelectric plant. On the 23%of April the waterstarted
to flow out of the dam through a channel which had been excavated in the dam in order to reduce the
further damage. This in turn prompted the evacuaction of the 14,000 habitants of the valley downstream,
and caused great anxiety among those responsible for the Amaluza dam, sittiated 60 Km downstream,
which produces between the 60 and the 75% ofall the electric energy consumed in Ecuador. OnSaturday
May 1, the river's discharge rose dramatically, nearing the 10,000 m?/s mark, and exceeding the
predictions of most experts. This large flow carried large rocks and destroyed everything in its path like
roads, houses, bridges, etc only leaving standing the Amaluza dam after moments of frightening
suspense. This work describes some of the geotechnicaland hydraulical aspects of the Josefina landslide,
the rupture of the dam and the routing of the flood wave. The various methods used to predict the
rupture time and peak discharge of the flood are also compared. Three methods were employed:
empirical procedures, scale modelling and numerical modelling. These predictions were of vital
importance to everything situated downstream. There were strong differences between the various
predictions madeby theexperts. Inaddition, someaspects of thecrisis managementof thereconstruction,
and of the natural disaster prevention are considered. The rupture ofthe Josefina dam isan event of first
_magnitude where most of the parameters were known. The experience gained must be used to improve
the knowledge of this kind of events and to reduce the uncertainty of the prediction methods of large
dam failure.
Key Words: Landslide; danming; flooding; flood routing; dant breaking; scale, numerical modelling and
prediction; crisis management.LA JOSEFINA, EQUATEUR : GLISSEMENT DE TERRAIN ET INONDATIONS 423
INTRODUCTION
Le 29 mars 1993 s’est produit au sud de I'Equateur un glissement de terrain d’un
volume estimé & environ 20 millions de m° qui a barré le rio Paute par une digue de 100 m
de hauteur, 600 m de largeur et 1,1 km de longueur, formant un lac de prés de 200 millions
de m’ qui a mis un mois se remplir. Sa rupture a ensuite provoqué des dégats importants
jusqu’a 100 km en aval. Les dommages directs sont estimés a 147 millions de dollars (CREA,
1993), auxquels il faut ajouter les atteintes & l'environnement, aux voies de communication
de Vensemble de la région et la réduction de la durée de vie du barrage de !'Amaluza. Au-
dela de ses lourdes conséquences locales sur le plan humain, économique et social, cette
catastrophea bien failli plonger tout le pays dans une trés grave crise énergétique en mettant
en péril le barrage d’Amaluza qui fournit prés des trois quarts de I’électricité du pays.
Nous décrirons tout d’abord les principales phases de cette catastrophe (Cadier et al.,
1994 ; Plaza & Zevallos, 1994 ; Canuti et al., 1994) :
- le glissement de terrain de la Josefina
- le remplissage du lac en amont du barrage formé par le glissement
- le creusement du canal destiné a accélérer et A atténuer la violence de la
rupture du barrage formé par le glissement
- la rupture du barrage formé par le glissement de la Josefina
- la propagation de I’onde de crue dans la vallée située en aval, jusqu’au
barrage hydro-électrique d’Amaluza
Nous étudierons ensuite plus en détail le scénario de la rupture et comparerons la
précision et I’efficacité des différentes méthodes et modeles de prévision de ruptures de
digues en terre utilisés.
Nousanalyseronsentin quelques aspects dela gestion de l'ensemble delacrise, avant
et aprés la rupture du barrage de la Josefina.
Laplupartdes données quenousavons utilisées ou citées proviennentde mesures sur
le terrain, de laboratoire et de calculs eifectués par 'INECEL (Institut Equatorien
d’Electrification). Ces mesures concerment les courbes hauteur-volume des différentes
retenues, les niveaux de ces dernigres au cours des phases de remplissage et de rupture ainsi
que les hydrogrammes en différents points du rio Paute, lors de la rupture,
1. LE GLISSEMENT DE TERRAIN DE LA JOSEFINA : CAUSES, DYNAMIQUE ET
COMPOSITION
Le 29 mars & 20h 30 un pan entier d’une montagne appelée “Parquiloma” (connue
localement sous le nom de “Cerro Tamuga”) et située au nord du rio Paute a une vingtaine de
km en aval de la ville de Cuenca, s‘est effondré, tuant au moins 35 personnes et détruisant
une route vitale et unique qui permettait de relier les villes de Paute, de Gualaceoetle barrage
de /Amaluza, a Cuenca et au reste du pays. Les premieres estimations du volume de ce
glissement ont été trés variables : entre 20 (Plaza & Eguez, 1993), 36 (Aguilera & Romo, 1993)
et 44 millions de m* (James, 1993). Des calculs plus précis effectués & partir d’une restitution
photogrammétrique ont fourni une estimation de19 millions de m® Sevilla, 1993 ;1994).Ce
glissement, présentant une pente de 25 a 45% et couvrant une surface de 40 ha, a barréle rio424 . CADIER, O. ZEVALLOS, P. BASABE
Paute en constituant une digue de 100 m de hauteur, 600 mde largeur et 1,1 km de longueur,
derriére laquelle s‘est ensuite formé un lac de 200 millions de m’, Les figures 1 et 2permettent
de situer ce gigantesque éboulement.
29°,
oanrace
[nen
ZONE ee
‘DETAILLEE, N
3) GLISSEMENT DE ot oe ky
set $/ TERRAIN DE 4
LA JOSEFINA
79°
Fig. 1 Carte de situation,
Fig. 2- Vue du glissement et du lac depuis lamont, un jour avant la rupture (photo C. Menendez),
(A) Téte du glissement ;(B) Direction du mouvement ;(C) Accumulation des matériaux ayant glissé ;(D)
Canal creusé dans la partie la plus basse du glissement ;(E) Lac accumulé en amont du glissement.LA JOSEFINA, EQUATEUR : GLISSEMENT DE TERRAIN ETINONDATIONS __425
Cette zone fait partie du bord occidental d’un bassin sédimentaire interandin qui est
composé d’un mélange de roches sédimentaires, métamorphiques et parfois volcaniques du
néogene (Plaza & Eguez, 1993). Il y aurait eu en réalité deux glissements successifs. Le
premier, constitué de roches relativement peu disloquées, a été recouvert quelques instants
plus tard par un second glissement ou éboulementrocheux, dans lequel, au contraire, toutes
les couches du sol ont été mélangées, des blocs rocheux disloqués de toute taille étant
enserrés dans du matériel fin et pulvérulent, Ceci a été confirmé par une étude sismique du
barrage et a pu étre constaté dans les coupes du glissement postérieures a la rupture. La
vitesse du glissement a dd etre grande, puisque des morceaux dela route située rive gauche,
du cété du glissement, ont été projetés a plusieurs centaines de métres sur Y’autre rive, a une
altitude plus élevée, attestant dune forte énergie cinétique. Selon Zevallos (1994), la densité
moyenne des matériaux du glissement a été estimée a 2,76, avec une porosité de 15%, un
angle de friction de 45°, une cohésion de 0ST /m# et un D50% de 100 mm,
1. 1. Les causes du glissement
La convergence eta superposition de plusieurs facteurs semblent avoir déclenché ce
mouvement de terrain. Tout d’abord, il se situe dans une zone tectonique avec des intrusions
locales propices a ce genre d’accident. Un glissement plus ancien a d’ailleurs éé mis en
évidence (Sevilla, 1994). Des plans de faille, trés inclinés et dirigés vers la vallée ont pu
favoriser !’éboulement. Les pluies ont été, le mois préeédant I'événement, deux fois plus
Elevées que la normale (Acosta & Salazar, 1993). On a fait état de crevasses par ott
s‘engouffrait l'eau, en amont du glissement, mais on peut aussi supposer que des carrigres
situées dans sa partie inférieure et dans lesquelles de l'eau s’écoulait ont contribué & le
fragiliser a la base. En tout état de cause les origines du déclenchement du phénoméne sont
probablement multiples et restent un sujet trés polémique. De plus, peu d’informations sont
disponiblessur la situation antérieure a ce glissement dans la mesure oit le secteur n’était pas
surveillé.
2. LEREMPLISSAGEDE LA RETENUE: L' INONDATION DESZONESEN AMONT
DU GLISSEMENT DE TERRAIN
L’eau s’est accumulée derriére le barrage formé par le glissement de terrain de la
Josefina. Un lac de 200 millions de ma mis plus d’un mois se remplir.
Les dégats ont été considérables. Entre 800 (INECEL, 1993) et 1000 hectares (Zeas,
1994) de fond de vallée fertile et relativement peuplée ont été inexorablement noyés ainsi que
d'importants axes routiers, une voie de chemin de fer, une usine thermoélectrique régionale
et une partie de la banlieue dela ville de Cuenca. Ona pu observer de nombreux glissements
induits provoqués parlasaturation des talus plongeant dans leseaux dulac, toutd’abord lors
de la montée des eaux, mais surtout au moment de la vidange rapide de la retenue au cours
de laquelle les pressions hydrostatiques dans le sol n’ont pas eu le temps de se dissiper.
Durant ce mois, le débit moyen dela rividre a été de71 m?/s. Les valeurs maximales
et minimales enregistrées ont été respectivement de 186 et de 25,6 m°/s (Zevallos, 1994). Par
ailleurs, les valeurs maximales a retenir en liaison avec la retenue sont les suivantes :
Cote de I’eau : 2 362,3 m426 E. CADIER, O. ZEVALLOS, P. BASABE
Profondeur maximum de la retenue : 77 m
Volume de la retenue : 200 millions de m*
Longueur du lac: 9 km
Surface inondée : 800 8 1 000 ha
2. 1. Les difficultés de prévision de la montée des eaux du lac
Les premiéres estimations du temps deremplissage dela retenue ont été de mauvaise
qualité. Cela est lié d’une part a une sur-évaluation des débits entrants, estimés initialement
100 m*/s, alors qu’une baisse des précipitations au cours du remplissage a induit une
diminution des débits. D‘autre part, le volume du réservoir créé par le glissementa été sous-
estimé.
Cette mauvaise estimation initiale, qui aurait pu sans doute étre corrigée, a eu pour
conséquence :
a) de suspendre trop tat le creusement du canal, dont le radier aurait pu étre
encore abaissé, ce qui aurait pu éviter de noyer une bonne centaine d’hectares
et permis de réduire un peu plus le débit de pointe au moment de la rupture.
b) d’évacuer prés de 15 jours trop tat les populations habitant en aval, ce qui
a entrainé une certaine lassitude et une démobilisation au moment fatidique
de la rupture du barrage.
Nous reviendrons @ la fin de cet article sur plusieurs aspects de la gestion de cette
crise.
3. CREUSEMENT DU CANAL D’EVACUATION D’EAU : SITE CHOISI ET
TECHNIQUES EMPLOYEES
‘Afin de diminuer les effets de 'inondation et de la rupture du barrage, l'armée a
creusé un canal d’écoulement de 18 m de profondeur, de 6 m de largeur a sa base et de
407 m de longueur, dont la section transversale a été reportée sur la figure 3. On avait, au
préalable, analysé et rejeté d’autres solutions peu viables comme un tunnel, le pompage, le
dynamitage et la stabilisation et /oula transformation du glissement de terrain en un barrage
permanent,
Jusqu’a 21 engins de terrassement ont enlevé 165 000 m' de matériaux en 13 jours. Le
rabaissement de la créte de prés de 20 m a évité l'inondation de 250 ha supplémentaires en
amont. Si l’on n’avait pas creusé ce canal, le volume de la retenve aurait atteint 330 millions
de met le débit, au moment de la rupture, aurait été proche de 30 000 m'/s avec des
conséquences encore plus graves (Zevallos, 1993).
Onne peut que regretterI'arrét prématuré de ces travaux le 14 avril, provoqué parla
sous-évaluation du temps de remplissage, mais aussi par la crainte, qui s’est révélée &
posteriori peu justifiée, de voir ce barrage rompre sur plus d’un kilometre de longueur sous
effet d’un phénoméne de renard hydraulique. De plus, les techniciens étaient pressés par
le temps et plusieurs machines utilisées de maniére trop intensive ont été détériorées. Les
cing derniers metres du canal ont ainsi été creusés avec un talus beaucoup trop raide, dans
des conditions trés dangereuses.LA JOSEFINA, EQUATEUR : GLISSEMENT DE TERRAIN ET INONDATIONS 427
280.
2440.
2
8
8
BRECHE APRES
LA RUPTURE
1” MONTAGNE
7 "LOMA TUBON"
GLISSEMENT
DE
TERRAIN
ALTITUDE (m)
PROFIL,
ORIGINAL.
22 mo Wo Wo abo al ako abo alo sb ako alo slo abo abo ako alo
LARGEUR = (m)
Fig. 3 - Section transversale du canal d’évacuation (adapté de Aguilera & Romo, 1993),
Enfin, quand l'eau a commeneé & s’écouler, le canal d’évacuation a été trs souvent
obstrué par des éboulements développés dans ses parois & la fois trop raides et constituées
dematériaux non consolidés. L’eau, parsonaction érosive, provoquait ainsi I'obstruction du
canal qu’elle était censée creuser. En conséquence, ces éboulements ont retardé de cing ousix
joursiemoment dela rupture et augmenté leniveau dulacde quatre métres supplémentaires
qui n’avaient pas été prévus.
Les dimensions finales du barrage et du canal (Fig. 2) sont les suivantes :
Cote du fond de la retenue : 2 280 m
Cote du radier du canal : 2:356,6 m
Profondeur de la retenue au point de déversement : 76,6 m
Longueur du canal : 407 m
Pente du talus de la partie supérieure : 1V:4H
Pente du talus des cing derniers métres : entre 100 et 200%
4, LE PROCESSUS DE RUPTURE DU BARRAGE DE LA JOSEFINA
A/'inverse du remplissage, le processus de rupture est difficile a prévoir. On ne sait
pasexactement quand il se déclenchera nile temps que mettra la digue a étre emportée. C’est
ce temps qui conditionnera le débit maximum et donc I'importance des inondations et des
dégats en aval. Dans le cas de la Josefina, c’était le plus mal connu des facteurs de risques et
aussi le plus grand puisque l’existence méme dea ville de Paute et du barrage del’ Amaluza
était en jeu. Deux facteurs peuvent permettre de diminuer ce débit maximum :428 E. CADIER, O. ZEVALLOS, P. BASABE
= Il faut que le volume a évacuer soit le plus faible possible, done que la
rupture du barrage ait lieu le plus tot possible, d’ou I’intérét du creusement
du canal.
- Quand Ie processus exponentiel de rupture est amorcé, il faut, au contraire,
le ralentir le plus possible. Ceci n’a pas pu étre réalisé lors de la rupture de
Ia Josefina.
4, 1. La phase d’érosion régressive dans le canal
L’eau a commencé & s’écouler par le canal Ie 23 avril. Les experts prévoyaient une
durée de un a trois jours pour que le seuil d’érosion régressive remonte les 407 m du canal,
atteigne son extrémitéamontet provoquela rupture du barrage. Ilen aura falluseptaucours
desquels le canal aura été sans cesse obstrué par les éboulements qui, en amont, ont fait
remonter le niveau du lacde quatre metres. Le désarroi des responsables et des populations
était tel, que la veille de la rupture, le Comité de gestion de crise a suspendu provisoirement
Valerte rouge, permettant ainsi aux populations d’accéder aux zones interdites situées dans
la vallée en aval.
A posteriori, en analysant les causes du retard du processus érosif dans le canal, on
peut tirer un certain nombre d’enseignements:
a) Les pentes latérales prés du fond du canal étaient trop fortes et le fond du
canal trop étroit, dou son obstruction répétée par des éboulements de terrain.
b) La pente longitudinale du canal était trop faible, et par conséquent, en
amont du seuil d’érosion régressive, l'eau n’avait pas la capacité d’enlever les
plus grands blocs des éboulements.
c) Il aurait été souhaitable d’installer dés le début un systéme permettant de
traverser le canal (petit téléphérique ou bateau sur le lac), facilitant le déblaiement
des éboulements obstruant le canal.
4, 2, La rupture du barrage
Cetterupture aeulieu, dans un contexte de démobilisation générale, lesamedi 1* mai
au matin, c'est-a-dire prés d’une semaine apres la date prévue. Une fois amorcé, le processus
de rupture a été plus rapide que ne I'avaient supposé la plupart des experts. Le 30 avril,
17h30, les militaires avaient tiré des missiles anti-char, pour tenter, sans succes, de fissurer
un gros bloc qui obstruait le canal. Le 1 mai au matin, a 5h30 le débit est estimé a environ
200 m/s. Puis tout va trés vite. Le processus de rupture est amorcé. A 7h15, les mesures
limnimétriquesindiquent queleniveau du laccommenceabaisser. A 8h, la télévision montre
des images impressionnantes des écoulements et de ’érosion du barrage. Entre 9h et 10h, on
observe une baisse du niveau du lac de plus de 4 métres, ce qui correspond & un volume
évacué de 30 millions de m’ et done a un débit moyen proche de 9000 m?/s. Les estimations
du débit maximum, qui ont eu lieu vers 9h 40, oscillent entre9 000m*/s et 14000 m*/setcelle
de la vitesse maximum immédiatement en aval du lieu de rupture entre 15 et 20 m/s.
Il aura fallu 24 heures supplémentaires pour que ’écoulement atteigne un régime
d’équilibre. Le volume total écoulé a été de 175 millions de m? dont 75 millions entre 8h etLA JOSEFINA, EQUATEUR : GLISSEMENT DE TERRAIN ET INONDATIONS, 429
Ih le 1* mai. Comme lavaient prévu les modéles, un lac résiduel de 40 métres de
profondeur, & la cote de 2 322,4 m, et d’un volume approximatif de 20 millions de m’, a
subsisté en amont.
5. LA PROPAGATION DE LA CRUE EN AVAL
Lapointe de crue aatteint la ville de Paute en une heure et demie et I’ Amaluza en trois
heures, comme prévu. Dans les biefs inondés, les hauteurs d’eau étaient de ordre de 6 et 8
métres dans les parties les plus larges, de 12 25 ou peut-¢tre 30 métres dans les secteurs plus
encaissés.Ona par exemplerelevé unniveau maximum de24 metresalastationhydrométrique
de Paute A.J. Dudas (ou Chalacay) (INECEL, 1993), située & mi-chemin entre La Josefina et
VAmaluza, dans une gorge étroite. Des routes, des ponts et des maisons ont été détruits
jusqu’en Amazonie, 8 160 kilometres en aval du barrage de la Josefina, bien au-dela du
barrage d’Amaluza.
La propagation de la crue et les zones inondées dans les 60 km de vallée séparant la
Josefina du barrage d’Amaluza ont été correctement prévues par des modéles comme le
modéle de DAMBRK (voir plus loin). L'inondation s‘étant produite de jour, il n’y a pas eu
de victimes, !évacuation des habitants ayant pu étre organisée normalement. Cependant, la
moitié de la ville de Paute a été détruite, des kilométres de routes ont été emportés et de
nombreux champs ont été rendus stériles. La morphologie du fond des vallées a été
profondément modifiée par des dépéts alluviaux pouvant atteindre plusieurs métres. Un
grand nombre de glissements de terrain “secondaires” ou “induits” onteu lieulorsdelacrue,
la rividre déséquilibrant des pans entiers de montagne.
Le barrage d’ Amaluza avait été heureusement vidé au maximum par 'INECEL, qui
avait baissé son niveau de 31 m, ce qui lui permettait de stocker un volume de crue de 51
millions de m’. Le débit maximum entrant dans la retenue n’était plus que de 8 000 (Aguilera
& Romo, 1993 ; Zeas, 1993) A 10 000 m?/s (Zeas, 1993). L’usine hydroélectrique avait été
arrétéeet toutesses entrées avaient été fermées et calfeutrées en prévision d’unesubmersion.
Aprés laminage et stockage par la retenue, on a mesuré un débit déversé maximum de pres
de 5 000 m*/s (Cepeda, 1995), alors que I'évacuateur de crue était dimensionné pour
7700 m?/s. Des simulations ont montré que, sil’on n’avait pas creusé le canal d’évacuation,
le débit de pointe aurait été de 30 000 m'/s, ce qui aurait probablement provoqué la
destruction du barrage d’Amaluza.
‘Au barrage, deux turbines ont été remises en marche trente heures aprés la crue, de
maniére prématurée cependant, dans la mesure oi la concentration de sédiments en
suspension était encore élevée. Notons aussi la bonne qualité de ’évacuateur de crue qui a
supporté sans dommage un écoulement tout & fait exceptionnel.
Un volume de sédiments estimé A 1,2 millions de m? (Jerves, 1995) a néanmoins
pénétré dans le barrage d’Amaluza au cours de cette crue. Si l'on considére les sédiments
encore mobilisables le long des 60 km de lit, on peut supposer que la vie utile de ce barrage
a été notablement réduite.
Enfindecompte, présde 175 millionsdem* ont été évacués, leniveaud’eaua diminué
de 40 m, en laissant une retenue résiduelle de 20 millions de m’ (postérieurement, le niveau
decette retenue a été baissé artificiellement de7 metres supplémentaires). lly aeu un nombre430 E. CADIER, O. ZEVALLOS, P. BASABE
de mortsestimés entre 35 (Cruz, 1993),72(Chamotet al.,1993) et méme 150 (Zeas, 1994), tous
provoqués directement par le glissement de terrain, sur lequel on dénombrait 22 petites
maisons. Si la rupture s‘était produite de nuit, il y aurait probablement eu d’autres victimes
parmi les habitants de la vallée située en aval, qui n‘auraient pas pu s’échapper. Cruz (1993)
estime les dégats directs 4 150 millions de dollars US, 35 morts, 6420 sinistrés, 40 km de route
revétue détruits, 1 800 ha de terres stérilisées, sans compter les atteintes a I’environnement
et la réduction probable de la vie utile du barrage d’Amaluza.
6. COMPARAISON DES DIVERSES METHODES DE PREVISION DE RUPTURE DE
BARRAGES EN TERRE
6. 1. Généralités
La rupture des barrages naturels dépend dela taille et de la géométrie du glissement
des matériaux qui le composent, du débit dea rivitre et de la présence de contrdles rocheux.
La majorité des glissements a une durée de vie trés courte. Parmi les 63 cas étudiés par
Schuster & Costa (1986), 22% ont été emportés en moins d’une journée et la moitié a laché
dans les 10 jours suivant le glissement.
La principale cause de rupture est le débordement (overtopping). Dans ces cas-la, la
rupture est presque toujours trés rapide et elle produit de fortes crues et inondations. Plus
ledébit dela rividre est important, la taille du barrage faible et le matériau fin, plusla rupture
sera violente. Le début de la formation de la bréche de rupture se produit quand I’érosion
régressive du talus, partant de I'aval, est remontée jusqu’a la partie amont du barrage.
Les barrages formés par des glissements sont en général plus massifs que ceux
construits par homme. Ils sont d’autant plus stables que le rapport entre leur largeur & la
baseet leur hauteur est élevé (Schuster & Costa, 1986). Ils peuvent aussi devenir permanents
lorsque le débit est trop faible pour éroder les matériaux du glissement ou quand ilexiste des
controles géologiques. La caractéristique la plus importante qui empéche la rupture est la
résistance a I’érosion des matériaux, par cuirassement.
6. 2. Etude bibliographique
Les recherches existantes, en majorité, envisagentleproblémede fagon mathématique
enadmettant|’hypothése simplificatrice d’une rupture instantanée ou alors elles ne tiennent
pas compte du processus d’érosion du barrage. Chen & Ambruster (1980), Hunt (1984),
Schocklitsh (US corps of eng., 1960) et plus récemment Gozali & Hunt (1993) ont fait
d'importantes recherches expérimentalessur la rupture instantanéeet graduellede barrages.
Cependant, dans toutes ces études, le flux produit par la rupture du barrage est simulé par
une opération de vanes et non comme le résultat d’un processus d’érosion.
Macdonald & Langridge-Mompolis (1984), Hagen (1982), Schuster & Costa (1986) et
Froelich (1987), se sont appuyés sur des cas historiques dans le monde et ont proposé des
Equations et des abaques empiriques pour estimer le débit de crue produit par la rupture
d’un barrage. Ces méthodes, certes utiles, présentent les inconvénients suivants :
1) elles n'indiquent pas si le barrage rompra ou non ;
2) elles ne tiennent pas compte des caractéristiques des matériaux qui composent
le barrage ;LA JOSEFINA, EQUATEUR : GLISSEMENT DE TERRAIN ET INONDATIONS 431
3) hormis la hauteur, elles ne prennent pas en compte la taille du barrage ;
4) elles ne donnent pas d’informations sur le temps et I’hydrogramme de rupture.
Les moddles disponibles ou commercialisés de rupture de barrages, comme celui de
BREACH et celui de DAMBRK développés par Fread (1984), sont fondés sur de fortes
simplifications du processus d’érosion du barrage ; leurs résultats ne sont donc pas toujours
tds fiables.
Lesmodéles physiques de rupture de barrages ont été appliqués des cas particuliers
comme celui du barrage de Sarras (Escande, 1961), ou celui du glissement de Mayunmarca
en 1974 au Pérou (Chang & Alva, 1991).
6. 3. Les prévisions effectuées au cours de la crise
Les études de rupture du barrage de la Josefina ont eu pour objectif de prévoir ses
effets dans la vallée en aval et d’élaborer des scénarios permettant de gérer le projet
hydroélectrique d’Amaluza. La prévision du débit de pointe est absolument vitale pour la
sécurité de tout ce qui est en aval.
Plusieurs groupes de travail indépendants ont été constitués. Malgré la divergence
des études et des résultats, tous sont tombés d’ accord sur la sévérité des conséquences de la
rupture du barrage. Un groupe a cependantsoutenu que le barrage ne romprait pas, ou alors
que la rupture se produirait sur une période comprise entre 3 et 15 jours (Penille & Jacome,
1993).
Les difficultés rencontrées pour effectuer des prévisions fiables soulignentI'intérétde
Vinformation rassemblée ci-dessousafin d’essayer d’améliorer la connaissanceetles méthodes
de prévision de ce type de rupture.
6. 3. 1. Les méthodes empiriques
En utilisant I’abaque proposé par Schuster & Costa (1986), qui permet de comparer
le cas particulier de la Josefina & l'ensemble des catastrophes similaires connues, on trouve,
pour un barrage de 83 métres de hauteur et un volume de 200 millions de m’, un débit
maximum de 10 000 m*/s, ce qui est proche de la réalité.
En revanche, la formule de Hagen (1982) donne un débit de pointe de 28 200 m°/s,
donc nettement surestimé.
6. 3. 2. Modélisation numérique
Natale (1993) de l'Université de Pavie, en collaboration avec l'Université de Cuenca,
a utilisé son modéle d’érosion fondé sur les Equations de continuité de I’érosion et des
sédiments. Ila retenu cing hypotheses et a finalement considéré que la rupture en 72 heures
constituerait le cas le plus critique. Durant cette période 177 millions de m* devaient
s‘écouler. Selon cet auteur, le débit de pointe devait atteindre un peu moins de 2000 m’/s,
22 heures aprés le début de I’écoulement.
James etal. (1993b), del‘ US Corps of ing. en collaboration avecl'Université de Cuenca,
ont testé le modéle de Natale & partir d’une couche de 25 m d’épaisseur (D50% = 10cm, n =
10%), située sur une autre couche de granulométrie plus grossiére (D50% = 70cm, n = 50%).432 E. CADIER, O. ZEVALLOS, P. BASABE
La cote initiale était de 2.358 met le débit de la riviére de 100 m?/s. Selon les auteurs, le débit
maximum devait étre de I’ordre de 2700 m’/s, 26 heures apres le début du passage de l'eau,
‘Avec le modéle de DAMBRK on est parti de I’hypothése d’un temps de rupture de 15
heures, d’une bréche finale de 100 metres, avec une pente latérale de 1:1. Le débit résultant,
dans le cas le plus défavorable, a été de prés de5 500 m?/s. Ona aussi utilisé ce modéle pour
prévoirles niveaux maxima d’eauen aval le long dea rividre. Pour cela la rividre a été divisée
en 34 biefs. Par mesure de sécurité, ont été adoptées, pour le plan d’évacuation des
populations, les conditions les plus pessimistes, avec des niveaux de submersion compris
entre 7,8 et 19,3 métres (Aguilera & Romo, 1993).
Zevallos et al. (1993) de I EPN, en collaboration avec INECEL, ont utilisé le modéle
BREACH poursimulerlarupturedu barrage. Ils ont adopté les conditionssuivantes: érosion
dela créte de 12 a 25 metres, débit initial de la rivigre 80 m°/s, largeur maximum de bréche
de 50 m ; pente de la riviére 0,017 et coefficient de rugosité de Manning du canal de 0,05.
Pour la propagation de la crue dans le lit, ils ont utilisé le mod@le DAMBRK avec sa
version donde dynamique, qui utilise l’équation de mouvementla plus complete. Pour cela
on a divisé la rividre en 30 biefs. Pour le laminage de la crue dans la retenue d’ Amaluza on
a utilisé le modéle HIDRO1 développé a l'EPN (Escuela Politécnica Nacional de Quito). Celui-
i utilise la méthode du Puls modifiée.
Les résultats de ces simulations ont été les suivants : débit maximum au barrage de
la Josefina : de 7 100 & 16 500 m*/s ; débit maximum entrant dans le barrage d’Amaluza : de
5 500 & 12000 m?/s ; débit maximum déversé au barrage d’Amaluza de 0 a 3 033 m*/s ;
profondeurs maximums des zones inondées de 8 a 16 m ; temps de montée : de 6 a8 heures
et temps de transfert de la crue & la ville de Paute et 4 Amaluza respectivement de 1,5 et 3
heures. La figure 4 reproduit les hydrogrammes observés en plusieurs sites.
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Fig. 4- Hydrogramme de rupture en plusieurs sites.LA JOSEFINA, EQUATEUR : GLISSEMENT DE TERRAIN ET INONDATIONS, 433
6. 3. 3. Modélisation physique
Pour avoir une meilleure précision sur la rupture du barrage, on a construit un
modéle sans distorsion & I’échelle de 1:200, avec la similitude de Froude. On a modélisé le
diamétre des matériauxsans correction d’ échelle linéaire et le poids spécifiqueaétéleméme.
Ceci assure que le parametre de mobilité de Shields est le méme sur le modale et le prototype
et garantit la reproduction du phénomene d’érosion (Zevallos et al., 1993).
Les matériaux constitutifs
La localisation, le type et les caractéristiques des matériaux, tant en surface qu’en
profondeur ont été les parametres les plus importants retenus pour la modélisation de la
rupture, mais en méme temps ils ont été la source de la plupart des incertitudes et des
divergences. Les valeurs moyennes adoptées pour la modélisation sont les suivantes :
Poids spécifique du matériel : 2,76 T/m?
Granulométrie :
1D50%= 100mm (0,1 mm - 2.000mm) ;
D90/D30=30
5 % (10-50% )
Angle de friction : 45°
Cohésion :0,5 T/m?
Angularité : élevée
En raison de Vincertitude existante & propos des matériaux constituant le barrage,
Zevallos (1993) a utilisé deux granulométries qui conduisent & deux hypothdses de rupture :
Yune, optimiste, ott le barrage se stabilise & la cote 2 345 grace & la présence de gros blocs et,
Yautre, pessimiste, qui simule un barrage homogene de matériau moyen.
Porosité :
Hypothése | Hypothese
optimiste pessimiste
Granulométrie (D50%) 25cm 10cm
Cote initiale créte (m) 23566 23566
Débit maximum (m*/s) 7900 16 000
Durée de la rupture (h) 8 6
Durée de la phase érosive avant la rupture (h) 37 36
Volume évacué (millions de m?) % 185
Cote d’équilibre (m) 2345 2314
Volume final (millions de m*) gle} 6b
Les deux essais réalisées par Rivero & Marin (1993) sur un modéle d’échelle 1:150avec
150% = 15 cm ont donné les résultats suivants :434 E. CADIER, O. ZEVALLOS, P. BASABE
leressai__| 2 essai
Cote initiate (m) 2353 235885
Volume emmagasiné (millions de m?) 126 150
Débit maximum (m°/s) 8.000 6500
‘Temps de montée (heures) a 30
Cote d’équilibre (m) 233085 2329.85
Volume final (millions de m°) 36 8
Les figures 5, 6 et 7 permettent de comparer le modéle réduit avec la réalité.
Fig. 5- Simulation sur modéle réduit: phase initiale d’érosion
régressive lente du canal.
Fig. 6- L'érosion exponentielle réelle du barrage de la Josefinz.
Insistons sur le fait que toutes ces estimations ont été réalisées avant la rupture, pour
tenter d'estimer un débit maximum, encore inconnu mais d'importance vitale pour tout ce
et ceux qui existent en aval. La divergence de ces prévisions atteste de leur complexité,LA JOSEFINA, EQUATEUR : GLISSEMENT DE TERRAIN ET INONDATIONS, 435
Fig. 7 - Simulation sur modéle réduit : phase d’érosion
exponentielle du barrage.
6. 4. Comparaison des méthodes de prévision de rupture
a) L’abaque proposé par de Schuster & Costa (1986), d'utilisation trés simple,
a donné une bonne approximation du débit maximum de crue.
b) La combinaison de modéles réduits physiques et mathématiques est
recommandée pour simuler la rupture de barrages et ses effets en aval. Leur
utilisation est cependant délicate, car les résultats fournis par ces modéles
sont trés sensibles aux paramétres d’entrées que J’on ne connait pas toujours.
Il est en particulier absolument indispensable d’estimer correctement la
granulométrie du barrage pour pouvoir simuler correctement sa rupture.
c) Le modéle DAMBRK a été précieux pour simuler la propagation de la crue.
Il ne permet malheureusement pas de simuler la rupture du barrage, puisqu’il
nécessite des données non connues (hauteur de la bréche, temps de rupture).
De plus, ne prenant pas en compte le transport solide, il n’a pas pu reproduire
correctement les niveaux de I’eau dans les premiers kilometres en aval du
barrage oii le fond de la vallée s’est trouvé rehaussé de plusieurs métres par
les dépéts provenant de la rupture du barrage.
d) Le modéle BREACH s’est révélé inadapté car il demande lui aussi que l’on
fixe la cote finale d’équilibre du barrage et la largeur finale de la bréche qui436 E, CADIER, O. ZEVALLOS, P. BASABE
sont justement des inconnues. D’autre part ce modéle présente de sérieuses
insuffisances et une certaine instabilité par rapport & la variation de paramétres
tels que V'inclinaison des talus et la largeur de la créte, Dans ce modéle, le
diamétre moyen du matériau qui constitue le barrage n‘a pas d’influence sur
la rupture, ce qui ne correspond pas & la réalité.
¢) Les difficultés rencontrées pour la réalisation de bonnes prévisions ont montré
la nécessité d’améliorer les connaissances dans les domaines suivants :
- les caractéristiques spécifiques du site de la catastrophe: débit de la rivigre, hauteur
dubarrage, volumeemmagasiné,courbe hauteur-volume, dimensionsdubarrage, dimensions
du canal d’écoulement, matériaux qui forment le barrage, ete.
- le processus d’érosion des barrages. Il faut étudier, en particulier, linteraction du
flux de eau et des sédiments en condition d’écoulement torrentiel non permanent, la taille
de la brdche de rupture, la sédimentation dans le lit en aval, la hautzur de stabilisation du
barrage et en conséquence I’hydrogramme de crue qui en résulte.
7. QUELQUES LEGONS ET ASPECTS DE LA GESTION DECETTE CRISE
7. 1, Nature et conscience du danger
Le glissement de terrain de La Josefina et ses conséquences ont montré importance
qu'il faut attribuer & ce type de danger dans le cadre d’une planification locale et régionale,
pour tenter d’épargner les vies humaines, les biens et les infrastructures, Cet événement a
aussi mis en évidence la grande vulnérabilité de la région a des phénoménes naturels de tout
ordre, parmi lesquels il faut citer les menaces morphologiques, géologiques et
hydrométéorologiques, qui sont souvent aggravées par V'action de homme. Tous ces
facteurs, associés & la localisation des habitants, déterminent finalement les risques que
courent les populations.
Aprés la catastrophe, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer I'absence de
planification et de prévention. Dans les communautés scientifiques, techniques et parmi les.
autorités, on s'est interrogé sur les causes de événement et sur les possibilités qu'il y avait
de ’éviter ou du moins de le prévoir.
La zone de La Josefina était connue pour son instabilité. Les crevasses prés dela ligne
de créte et les incessantes déformations de la route qui passait dans sa partie inférieure, en
sont la preuve. Ainsi, deux ans avant la catastrophe, une inspection du site relatée par la
presse (journal “El Tiempo” du 19/03/91 A Cuenca) fut effectuée par des autorités locales
accompagnées d’un ingénieur du Service Géologique National. L’article de presse signalait
que le danger d’un glissement était imminent et que la situation nécessitait une intervention
immédiate, car susceptible de provoquer des dommages imprévisibles dans la mesure ott le
fond de la vallée pouvait étre obstrué a tout moment et retenir les eaux du rio Paute. I! était
‘enméme temps fait mention de crevasses ainsi quedelanécessité desuspendre|exploitation
de la carriére située au pied du futur glissement.
Cela montre bien que l'information préalable n’était pas absente. C’est avant tout la
conscience réelle du danger qui a fait défaut aux institutions, chargées de prendre des
décisions face un énorme risque potentiel dont la probabilité d’occurrence, del’aveuméme
des spécialistes, était difficile a évaluer.LA JOSEFINA, EQUATEUR : GLISSEMENT DE TERRAIN ET INONDATIONS: 437
7. 2. Réponse institutionnelle, structures mises en place
II s‘agit de bien distinguer les institutions chargées de gérer ce type de situation et ses
‘conséquences :celles quiexistaientavant leglissementde terrain celles qui ont été mises en place tres
rapidementafin de gérer un événement dontl’ampleur était totalement inhabituelle elles,enfin, qui
ontétéchargées, apréslacrise, delaréhabilitation deszonessinistréesoudelapréventiondedésastres
ultérieurs,
La prévention et la gestion de ce type de catastrophe est normalement du ressort de
la “Junta Provincial de Defensa Civil”, appuyée par les départements techniques de plusieurs
autres institutions (Forces Armées, INECEL, CREA, Services Géologiques des Ponts et
Chaussées, etc).
Faceal'ampleur del’événement, la gestion de la crisea été confiée dés le début deux
organismes spécialement créés : le “Comité de gestién de crisis” sous la responsabilité de
TArmée, et le “Consejo de Programacién de obras emergentes en la Cuenca del Paute y de sus
afluentes”.Ces derniers ontdemandé’appuiet coordonnéT'action d’universités équatoriennes
et de plusieurs organismesnationaux et internationaux. Surle plan international, les experts
de la Division des Affaires Humanitaires (DHA) des Nations Unies, du Corps Suisse d’ Aide
en cas de Catastrophe (ASC), de YORSTOM, ainsi que des experts chiliens, italiens, nord-
américainsetsuissessontintervenusen tant queconseillers techniques. L’aideaux populations
civiles a pour sa part été assurée par la Croix Rouge, l’Eglise, l' USAID, I'Union Buropéenne
et plusieurs ONG.
Apresla crise, la réhabilitation des zones sinistrées a été confiée au méme "Consejo de
Programacién de obras emergentes en In Cuenca del Paute y de sus afluentes” qui a souvent
coordonné directement le financement et la construction d’ouvrages, et négocié et canalisé
lesaides de divers gouvernements ou institutions équatorienneset étrangeres. Unimportant
projet de reconstruction, d’unmontantde 14 millions d'ECU est en phase denégociation avec
YUE.
Dans le domaine de la prévention, il faut citer plus particuligrement le projet
PRECUPA de coopération entre diverses institutions équatoriennes et organisation Suisse,
ASC, déja citée, qui était déja intervenue comme conseiller au cours de la catastrophe. Le
projet PRECUPA a pour objectif d’assurer la prévention eta réduction des risques d'origine
géotechnique, géologique/sismique, et d’inondation sur l'ensemble du bassin du rio Paute,
ainsi que lecontréle de la qualité des eaux du lac résiduel en amont du glissement. L’une des
préoccupations du projet PRECUPA est l'utilisation des résultats de ses études par
Yinformation des populations, la formation des techniciens et ’appui aux organismes
équatoriens de protection civile.
8. CONCLUSIONS : LES ENSEIGNEMENTS DE CET EVENEMENT MAJEUR
Nous avons apporté quelques éléments d’information sur les aspects géotechniques
duglissementde terrain et sur 'importance des dégats causés par les inondationstantenaval
qu’en amont du barrage de la Josefina. Nous avons abordé quelques aspects humains,
sociaux et institutionnels de cette crise et de sa gestion, deja largement traités par plusieurs
auteurs (Cruz, 1993 ; Leone & Velésquez, ce numéro, etc). Nous essayerons, dans cette
conclusion, de montrer ce que cette crise de la Josefina nous a appris. Les institutions438 E. CADIER, O. ZEVALLOS, P. BASABE.
équatoriennes ou internationalesseront-elles mieux préparées, &l/avenir, pour faire facea un
événement similaire ? Avons-nous su profiter des nombreuses informations existantes sur
cedésastre majeur pour faire progresser nos connaissancessurlesmécanismes fondamentaux
des phénoménes qui en sont a lorigine ? Quelles sont Jes recommandations que nous
pourrions faire ? Citons enfin louvrage fondamental "Sin plazo para la esperanza’, tout
récemment compilé par Zevallos et al. (1996) et qui réunit les points de vue les plus
importants sur ce drame aux multiples facettes.
8. 1. La gestion en temps réel de la crise
La crise a été coordonnée par une cellule qui a du répondre immédiatement aux
questions des décideurs, parfois sans disposer de tous les éléments nécessaires. Cette cellule
a fait ce qu’elle a pu. Ona signalé, a posteriori ses erreurs et ses points faibles, comme les
divergences dans la prévision de la montée du lac ou des débits maximums au moment de
la rupture. Mais cette cellule a permis de creuser le canal, sans lequel le barrage d’Amaluza
aurait été probablement détruit, et d’organiser les secours et les évacuations.
Comment faudrait-il organiser une future cellule de crise ? Comme cela a été le cas,
il faut qu'elle soit capable de se mobiliser trés vite, car la majeure partie des barrages sont
emportés en quelques jours. Souvent, tout ce que l'on peut faire est délimiter les zones
menacées et organiser les évacuations, Pour cela, il faut pouvoir disposer trés rapidement
d'une équipe rodée, disposant de moyens de transport et de reconnaissance (la contribution
de l'armée est ici essentielle). Cette équipe doit étre composée de spécialistes en géologie/
géotechnique (Equipés d’instruments de mesure des caractéristiques mécaniques des sols,
munis d’outils de reconnaissance sismique ou de radars, etc), de fopographes/cartographes,
d'hydrauliciens, d’hydrologues et de spécialistes de ruptures de digues en terre. A ce sujet, il est
nécessaire de maintenir en permanence une unité opérationnelle capable de réaliser en des
temps trés brefs des modéles réduits physiques et mathématiques permettant de simuler et
donc de prévoir la violence de la rupture de la digue.
8, 2. La gestion post-crise et la réhabilitation
ILy a eu beaucoup d’intervenants : organismes gouvernementaux équatoriens ;
organismes étrangers (dont l'aide est allée de dons ponctuels d’un gouvernement & la mise
en oeuvre de projets globaux comme ceux de la CEE ou de PRECUPA) ; ONG diverses ;
VEglise, etc. Il est hors de notre propos de débattre de cette question pourtant extrémement
importante pour la réorganisation d’une région touchée par une crise de cette ampleur,
analysée par Léone et Velésquez (ce numéro).
8. 3. La prévention
Le premier probléme est de savoir oii va se produire un glissement dangereux. Le
second, plus délicat, est de savoir quand.
Peut-on faire uninventaire des glissementsles plus dangereux ? Eloigner les populations
des zones trop risquées ? Prévoir des solutions alternatives pour les infrastructures vitales et
parfois uniques comme es routes, les ponts, les oléoducs, les lignes électriques? Est-ce quel’on
aurait pu prévoir ce glissement de terrain (en Equateur, c'est le deuxiéme en 6 ans aprés celui
del PISQUE prés de Quito) ou bien est-on condamné a réagir seulement aprés coup ?LA JOSEFINA, EQUATEUR : GLISSEMENT DE TERRAIN ET INONDATIONS, 439
8. 4, L’utilisation de information acquise pour améliorer les connaissances
fondamentales sur ce type de phénomene
Nous évoquerons seulement ici la question de la rupture de la digue qui, apres le
glissement de terrain, est apparue comme étant I'un des phénoménes les plus difficilement
prévisibles.
8. 4. 1. La divergence des prévisions
Jusqu’a l'heure de la rupture, les prévisions des experts étaient extrémement
divergentes. Certains, comme les experts chiliens (Penille & Jacome, 1993) pensaient que ce
barrage, de plus d’un kilometre de long ne céderait pas. La majorité des experts se rangeait
a avis de Natale (1993) qui prévoyait un débit maximum proche de 2 000 m?/s ; seuls
Zevallos et al (1993) et Rivero & Marin (1993) ont cerné la réalité en effectuant des prévisions
comprises entre 6000et16000m: /s. En prenantsimultanément toutes les hypotheses les plus
défavorables, ils ont méme obtenu une estimation de 40 000 m’/s.
Ces divergences montrent bien que les connaissances sur I’évolution de ce genre de
rupture sont insuffisantes. Tout dépend, en fait, de la vitesse de l'eau, de sa densité, mais
aussi du pourcentage global de roches de grande taille, qui restent sur place et constituent
une base. C’est le barrage résiduel qui a stoppé le processus érosif. Mais, en terme de
prévision, le probléme est de savoir quelle peut-