Huntington Phillips Samuel - Le Choc Des Civilisations PDF
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Huntington Phillips Samuel - Le Choc Des Civilisations PDF
HUNTINGTON
LE CHOC DES
CIVILISATIONS
LE CHOC
DES CIVILISATIONS
Nancy,
qui a support le choc en gardant le sourire.
Prface
10
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
Prface
11
Premire partie
CHAPITRE PREMIER
16
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
de protester contre la proposition 187 qui allait faire l'objet d'un rfrendum. Celle-ci stipulait que les immigrs illgaux et leurs enfants
n'auraient plus droit aux subsides de l'tat. Pourqu5>i dfilent-ils sous
la bannire mexicaine alors qu'ils rclament aux Etats-Unis le libre
accs aux tudes ? s'tonnrent certains observateurs. Ils auraient d
brandir des drapeaux amricains.}) Deux semaines plus tard, des
manifestants dfilrent en plus grand nombre encore sous des drapeaux amricains en berne. Grce quoi, la proposition 187 a t
approuve par 59 % des lecteurs californiens.
Dans le monde d'aprs la guerre froide, les drapeaux restent essentiels, tout comme d'autres symboles d'identit culturelle, les croix par
exemple, les croissants et mme les chapeaux, car la culture est dterminante, et l'identit culturelle est ce qui importe le plus beaucoup
de personnes. On se dcouvre de nouvelles identits; on en redcouvre
aussi souvent d'anciennes. Et, qu'ils soient anciens ou nouveaux,
dfiler en brandissant des drapeaux conduit entrer en guerre contre
des ennemis anciens mais aussi nouveaux, bien souvent.
La vision pessimiste du monde qui va de pair avec ce nouvel ge
se trouve bien exprime par le dmagogue vnitien qui apparat dans
le roman de Michael Dibdin intitul Dead lLlgpon : On ne peut avoir
de vrais amis si on n'a pas de vrais ennemis. A moins de har ce qu'on
n'est pas, il n'est pas possible d'aimer ce qu'on est. Voil des vrits
trs anciennes que nous sommes en train de redcouvrir avec douleur
aprs plus d'un sicle de sentimentalit. Ceux qui les nient, nient leur
famille, leur hritage, leur culture, les droits qu'ils acquirent en naissant, et jusqu' leur moi. Pas de pardon pour eux. Les hommes politiques et les universitaires ne peuvent ignorer la vrit qui se cache
derrire ces vrits trs anciennes, ft-elle dplorable. Tous ceux qui
sont en qute d'identit et d'unit ethnique ont besoin d'ennemis. Les
conflits les plus dangereux aujourd'hui surviennent dsormais de part
et d'autre des lignes de partage qui sparent les civilisations majeures
du monde.
Quel est le thme central de ce livre? Le fait que la culture, les
identits culturelles qui, un niveau grossier, sont des identits de
civilisation, dterminent les structures de cohsion, de dsintgration
et de conflits dans le monde d'aprs la guerre froide. Les cinq parties
de cet ouvrage dveloppent les corollaires de cette proposition de base.
Premire partie : pour la premire fois dans l'histoire, la politique
globale est la fois multipolaire et multicivilisationnelle. La modernisation se distingue de l'occidentalisation et ne produit nullement une
civilisation universelle, pas plus qu'elle ne donne lieu l'occidentalisation des socits non occidentales.
Deuxime partie : le rapport de forces entre les civilisations
change. L'influence relative de l'Occident dcline; la puissance conomique, militaire et politique des civilisations asiatiques s'accrot;
l'islam explose sur le plan dmographique, ce qui dstabilise les pays
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Carte 1.1
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CIVILISATIONS
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Carte 1.2
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D'autres mondes?
CARTES ET PARADIGMES
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paradigme qui ne permet plus d'expliquer des faits nouveaux ou nouvellement dcouverts un nouveau paradigme rendant compte de ces
faits de faon plus satisfaisante. Pour tre accepte comme paradigme, crit Kuhn, une thorie doit sembler meilleure que ses concurrentes, mais il n'est pas ncessaire qu'elle explique tous les faits
auxquels elle est confronte et, de fait, elle n'y parvient jamais 4. John
Lewis Gaddis a fait observer avec sagesse que s'aventurer en terrain
peu familier exige une carte. La cartographie, comme la cognition ellemme, est une simplification ncessaire qui nous permet de voir ce
que nous sommes et o nous allons. Selon lui, la conception de la
comptition entre superpuissances, hrite de la guerre froide, constituait un tel modle. C'est Harry Truman qui l'avait formule pour la
premire fois. C'tait un exercice de cartographie gopolitique qui
dpeignait le paysage international en termes que tout le monde pouvait comprendre et prparait ainsi la voie la stratgie sophistique
de containment qui a bientt prvalu. Visions du monde et thories
causales sont des guides indispensables en politique internationale 5.
Pendant quarante ans, les tudiants et les experts en relations
internationales ont pens et agi en s'inspirant de ce paradigme hautement simplifi, mais trs utile, hrit de la guerre froide. Il ne pouvait
rendre compte de tout ce qui se produisait dans la politique mondiale.
Il subsistait de nombreuses anomalies, pour utiliser l'expression de
Kuhn, et parfois ce paradigme a rendu les universitaires et les hommes
d'tat aveugles des volutions majeures, comme la rupture sinosovitique. Cependant, en tant que modle simple de la politique globale, il a t presque universellement accept et il a influenc la pense
politique de deux gnrations.
Les paradigmes simplifis ou les cartes sont indispensables la
pense et l'action humaines. Nous pouvons formuler explicitement
des thories et des modles et les utiliser de manire rflchie pour
guider notre comportement. l'inverse, nous pouvons aussi nier ce
besoin de guides et prtendre agir seulement en fonction de faits particuliers dont nous pensons dtenir une connaissance objective et
considrer chaque fois la situation particulire . En procdant ainsi,
cependant, nous nous leurrons nous-mmes. Car, dans notre for intrieur, sont cachs des principes, des biais, des prjugs qui dterminent la faon dont nous percevons la ralit, les faits auxquels nous
accordons de l'attention et notre manire de juger de leur importance
et de leur nature propre. Il nous faut des modles explicites ou implicites pour pouvoir:
1. ordonner et gnraliser propos de la ralit;
2. comprendre les relations causales entre les phnomnes;
3. anticiper et, si nous avons de la chance, prdire les vnements
futurs;
4. distinguer ce qui est important de ce qui ne l'est pas;
5. saisir comment parvenir nos fins.
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Tout modle ou carte est une abstraction plus utile pour certaines
fins que pour d'autres. Une carte routire nous montre comment nous
rendre de A B, mais elle n'est gure utile si nous pilotons un avion;
nous avons alors besoin d'une carte arienne indiquant les canaux
radio, les routes ariennes et la topographie. Sans carte, cependant,
nous serions perdus. Plus une carte est dtaille, plus elle reflte la
ralit. Une carte extrmement dtaille, toutefois, ne sert pas n'importe quelle fin. Si nous souhaitons aller d'une grande ville une autre
en suivant une autoroute importante, nous n'avons pas besoin d'une
carte incluant beaucoup d'informations sans lien avec les transports
routiers et sur laquelle les autoroutes sont perdues au milieu d'une
masse de routes secondaires. l'inverse, une carte qui comporte une
seule route express limine beaucoup d'aspects de la ralit et ne nous
aide gure dcouvrir un itinraire de dlestage si l'autoroute est bloque par un accident. Bref, nous avons besoin d'une carte qui reprsente la ralit tout en la simplifiant pour servir au mieux nos intrts.
C'est ainsi que plusieurs cartes ou paradigmes de la politique mondiale
la fin de la guerre froide ont t proposs.
UN SEUL ET MME MONDE: EUPHORIE ET HARMONIE
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EUX ET NOUS
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japonaise, chinoise, hindoue, musulmane et africaine n'ont pas grandchose en commun en termes de religion, de structures sociales, d'institutions et de valeurs dominantes. L'unit du monde non occidental et
la dichotomie Orient/Occident sont des mythes crs par l'Occident. Ils
souffrent des mmes maux que l'orientalisme, que critique juste titre
Edward Said parce qu'il prsuppose la diffrence entre le familier
(l'Europe, l'Occident, nous ) et l'tranger (l'Orient, l'Est, eux ), la
supriorit intrinsque du premier sur le second 10 . Durant la guerre
froide, le monde tait en majeure partie polaris selon un spectre idologique. Cependant, il n'existe pas de spectre culturel unique. La polarisation de l'Occident et de l'Orient est, culturellement parlant,
en partie due la tendance gnralise et nfaste appeler civilisation
occidentale la civilisation europenne. Au lieu d'opposer l'Orient et
l'Occident , on devrait plutt dire l'Occident et le reste du monde .
Cela impliquerait au moins qu'il existe plusieurs faons de ne pas tre
occidental. Le monde est trop complexe pour qu'il soit opratoire de
le considrer comme divis conomiquement entre le Nord et le Sud,
et culturellement entre l'Occident et l'Orient.
CENT QUATRE-VINGT-QUATRE TATS ENVIRON
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Les tats restent les acteurs majeurs dans les affaires du monde.
Us perdent cependant de leur souverainet, de leurs prrogatives, de
leur puissance. Des institutions internationales ont dsormais le droit
de juger et de rguler l'action des tats l'intrieur de leur propre
territoire. Dans certains cas, surtout en Europe, elles ont acquis des
fonctions importantes, assures auparavant par les tats, et une
bureaucratie internationale puissante a t cre qui agit directement
sur la vie individuelle des citoyens. Globalement, les gouvernements
tendent perdre du pouvoir, lequel est de plus en plus dvolu des
entits infra-tatiques, rgionales, provinciales et locales. Dans de
nombreux tats, dont ceux du monde dvelopp, des mouvements
rgionalistes font entendre des revendications autonomistes ou scessionnistes. Les gouvernements des tats ont dans une large mesure
perdu le contrle des flux montaires l'intrieur et hors de leur pays,
et ils ont de plus en plus de mal contrler la circulation des ides,
des technologies, des biens et des personnes. En rsum, les frontires
entre les tats sont de plus en plus permables. C'en est fini de l'tat
boule de billard qui tait considr comme la norme depuis le trait
de Westphalie en 1648 12 Un ordre international vari, complexe, multilinaire merge, et il ressemble de plus en plus ce qui avait cours
au Moyen ge.
UN PUR CHAOS
L'affaiblissement des tats et, dans certains cas, leur chec accrditent une quatrime image, celle d'un monde rduit l'anarchie. Ce
paradigme s'appuie sur le dclin de l'autorit gouvernementale, l'explosion de certains tats, l'intensification des conflits tribaux, ethniques
et religieux, l'mergence de mafias criminelles internationales, le fait
que les rfugis se comptent par dizaines de millions, la prolifration
des armes de destruction massive, nuclaires ou autres, l'expansion du
terrorisme, la persistance des massacres et des nettoyages ethniques.
Les titres de deux ouvrages pntrants publis en 1993 refltent bien
cette image du monde sombrant dans le chaos : Out of Control de Zbigniew Brzezinski et Pandmonium de Daniel Patrick Moynihan 13.
Comme le paradigme tatique, le paradigme chaotique est proche
de la ralit. TI donne une vision image et prcise d'une bonne partie
de ce qui se produit effectivement dans le monde. la diffrence du
paradigme tatique, il rend compte des changements significatifs qui
ont eu lieu depuis la fin de la guerre froide. Par exemple, au dbut de
l'anne 1993, quarante-huit conflits ethniques faisaient rage travers
le monde sans compter les cent soixante-quatre revendications et
conflits ethniques et territoriaux concernant des frontires qui agitaient l'ex-Union sovitique. Trente impliquaient un conflit arm 14.
Cependant, ce modle est infrieur au paradigme tatique en ce qu'il
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CHAPITRE 2
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(au sens matriel aussi bien que plus lev) formant une sorte de tout
historique et coexistant (bien que pas toujours en mme temps) avec
d'autres varits de ce phnomne . Une civilisation est, selon
Dawson, le produit d' un processus original de crativit culturelle
qui est l'uvre d'un peuple particulier , tandis que, pour Durkheim et
Mauss, c'est une sorte de milieu moral englobant un certain nombre
de nations, chaque culture nationale n'tant qu'une forme particulire
du tout. Pour Spengler, la civilisation est le destin invitable de la
Culture [... ], le degr de dveloppement le plus extrieur et le plus artificiel dont l'humanit est capable [... ], une conclusion, le produit succdant la production. La culture est l'lment commun toutes les
dfinitions possibles de la civilisation s.
Les lments culturels cls qui dfinissent une civilisation ont t
poss dans leur forme classique par les Athniens quand ils ont voulu
rassurer les Spartiates sur le fait qu'ils ne les trahiraient pas en faveur
des Perses:
Mme si nous en avions la tentation, beaucoup de considrations puissantes nous en empcheraient. Tout d'abord et surtout, les images et
les statues des dieux ont t brles et rduites en pices : cela mrite
vengeance, de toutes nos forces. li n'est pas question de s'entendre avec
celui qui a perptr de tels forfaits. Deuximement, la race grecque est
du mme sang, parle la mme langue, partage les mmes temples et les
mmes sacrifices; nos coutumes sont voisines. Trahir tout cela serait un
crime pour les Athniens 6.
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Une civilisation reprsente l'entit culturelle la plus large. Les villages, les rgions, les groupes ethniques, les nationalits, les groupes
religieux : tous ont des cultures diffrentes diffrents niveaux d'htrognit culturelle. La culture d'un village de l'Italie du Sud peut tre
diffrente de celle d'un village du Nord, mais tous deux ont en commun
la culture italienne, laquelle les diffrencie des villages allemands. Des
communauts europennes diffrentes, leur tour, partagent des traits
culturels qui les distinguent de communauts chinoises ou hindoues.
Toutefois, les Chinois, les Hindous et les Occidentaux ne font pas
partie d'une entit culturelle plus large. Ils forment des civilisations
diffrentes. Une civilisation est ainsi le mode le plus lev de regroupement et le niveau le plus haut d'identit culturelle dont les humains
ont besoin pour se distinguer des autres espces. Elle se dfinit la
fois par des lments objectifs, comme la langue, l'histoire, la religion,
les coutumes, les institutions, et par des lments subjectifs d'autoidentification. L'identit comporte des niveaux: un habitant de Rome
peut se dfinir de faon plus ou moins forte comme Romain, Italien,
catholique, chrtien, Europen, Occidental. La civilisation laquelle il
appartient est le niveau d'identification le plus large auquel il s'identifie. Les civilisations sont les plus gros nous et elles s'opposent
tous les autres eux. Elles peuvent inclure une population importante, comme la civilisation chinoise, ou bien un tout petit nombre de
personnes, comme les Carabes anglophones. Au cours de l'histoire,
plusieurs petits groupes ont exist qui possdaient une culture distincte et aucune inscription culturelle plus large. On a fait des distinctions selon la taille et l'importance entre civilisations majeures et
priphriques (Bagby) ou entre civilisations majeures et bloques ou
avortes (Toynbee). Ce livre traite de ce que l'on considre en gnral
comme les civilisations majeures dans l'histoire.
Les civilisations n'ont pas de frontires clairement tablies, ni de
dbut et de fin prcis. On peut toujours redfinir son identit, de sorte
que la composition et les formes des civilisations changent au fil du
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confucenne )}. Il est plus prcis, toutefois, d'utiliser le terme chinoise )}. Le confucianisme est une des composantes majeures de la civilisation chinoise. Celle-ci ne se rduit pourtant pas au confucianisme
et va bien au-del de la Chine en tant qu'entit politique. Le terme
chinois)} (sinic), qui a t utilis par beaucoup de chercheurs,
dsigne de faon adquate la culture commune de la Chine et des
communauts chinoises qui vivent en Asie du Sud-Est et partout ailleurs hors de Chine, aussi bien que les cultures connexes du Vit-nam
et de la Core.
LA CIVILISATION JAPONAISE
Depuis 1500 av. J.-C., on reconnat gnralement qu'une ou plusieurs civilisations ont exist dans le sous-continent indien. On les
appelle indiennes ou hindoues, ce dernier terme tant prfr pour la
plus rcente d'entre elles. Sous diffrentes formes, l'hindouisme a jou
un rle central dans la culture indienne depuis le deuxime millnaire
avant Jsus-Christ. C'est davantage qu'une religion ou un systme
social; c'est le noyau de la civilisation indienne 15. )} Il a continu
jouer ce rle l'poque moderne, mme si l'Inde possde une importante communaut musulmane ainsi que plusieurs minorits culturelles moins nombreuses. Comme chinoise, le terme hindoue)}
permet de distinguer la civilisation de son tat phare, ce qui est souhaitable lorsque, comme c'est ici le cas, la culture lie la civilisation
s'tend au-del des limites de cet tat.
LA CIVILISATION MUSULMANE
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LA CIVILISATION OCCIDENTALE
L'AMRIQUE LATINE
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l'exception de Fernand Braudel, la plupart des grands spcialistes des civilisations ne reconnaissent pas la spcificit de la civilisation africaine. Le nord du continent africain et sa cte orientale
relvent de la civilisation musulmane. Historiquement, l'thiopie formait une civilisation part. Ailleurs, l'imprialisme et les peuplements
europens ont apport des lments de la civilisation occidentale. En
Afrique du Sud, les pionniers hollandais, franais et anglais ont cr
une culture europenne composite 18. L'imprialisme europen a par
ailleurs implant le christianisme dans la majeure partie du continent
africain situ au sud du Sahara. Dans toute l'Afrique dominent de
* L'usage de Orient et Occident pour dsigner des lieux gographiques est
confus et ethnocentriste. Nord et Sud ont des rfrents universellement admis:
les ples. Pas 1' Orient et 1' Occident. La question est : l'est ou l'ouest de quoi ?
Tout dpend de l o on se trouve. Orient et Occident se rfraient peut-tre
l'origine aux versants orientaux et occidentaux de l'Eurasie. D'un point de vue amricain, toutefois, l'Extrme-Orient est en fait l'Extrme-Occident. Pendant la plus grande
partie de l'histoire chinoise, 1' Occident signifiait l'Inde, tandis qu' au Japon, ''l'Occident"dsignait en gnral la Chine . William E. Naff, Reflection on the Question
of "East and West"from the Point ofView of Japan , Comparative Civilizations Review,
13-14, automne 1985 et t 1986, p. 228.
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fortes identits tribales, mais les Africains dveloppent aussi un sentiment d'identit africaine, de sorte qu'on peut penser que l'Afrique subsaharienne pourrait s'assembler pour former une civilisation distincte
dont le centre de gravit serait l'Etat d'Afrique du Sud.
La religion est l'un des critres de dfinition d'une civilisation et,
comme l'crivait Christopher Dawson, les grandes religions sont les
fondements des grandes civilisations 19 . Parmi les cinq religions du
monde selon Weber, quatre -le christianisme, l'islam, l'hindouisme
et le confucianisme - sont associes de grandes civilisations. Pas
le bouddhisme. Pourquoi? Tout comme l'islam et le christianisme, le
bouddhisme s'est trs tt scind en deux et, comme le christianisme, il
n'a pas survcu sur sa terre d'origine. N au rer sicle ap. J.-C., le bouddhisme mahayana a t export en Chine, puis en Core, au Vit-nam
et au Japon. Au sein de ces socits, il s'est adapt de diffrentes
manires, il a t assimil par les cultures indignes (par exemple en
Chine par le confucianisme et le taosme) et a disparu en tant que
tel. Ds lors, quand bien mme le bouddhisme reste une importante
composante de ces cultures, ces socits ne forment pas une civilisation bouddhiste et ne se reconnatraient pas comme telles. Cependant,
au Sri Lanka, en Birmanie, en Thalande, au Laos et au Cambodge,
on peut noter qu'il existe ce qu'on pourrait appeler une civilisation
bouddhiste theravada. En outre, les habitants du Tibet, de Mongolie et
du Bhoutan ont historiquement adhr une variante du bouddhisme
mahayana, celle des lamas, et forment une deuxime zone o prvaut
la civilisation bouddhiste. Malgr tout, l'extinction virtuelle du bouddhisme en Inde aussi bien que son adaptation et son intgration des
cultures prexistantes en Chine et au Japon signifient que le bouddhisme, bien que ce soit une grande religion, n'a pas t la base d'une
grande civilisation 20. *.
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MesopotamIenne
(sumrienne)
Egyptienne
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Crtoise
Hittite
nne
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Orthodoxe
Cansanite
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Classique (mditelTnne)
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Occidentale
l
l
Hindoue
Indienne?
Chinoise
Japonaise
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1988
1993
volution
en%
71
46
44
144
-38
+213
Washington Post
Monde libre
L'Occident
112
36
67
87
-40
+ 142
Congressional Recod
Monde libre
L'Occident
356
7
114
-68
+43
Nbre de rfrences
10
Source: Lexis/Nexis
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CIVILISATIONS
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LE
CHOC
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Dans le mme ordre d'ide, mais sous une forme plus sophistique, on peut aussi privilgier les mdias, Hollywood plutt que CocaCola. La matrise qu'ont les tats-Unis sur le cinma, la tlvision et
l'audiovisuel est plus importante que celle qu'ils exercent sur l'industrie
aronautique. 88 des 100 films les plus vus dans le monde en 1993
taient amricains. Deux agences amricaines et deux europennes
dominent la collecte et la diffusion mondiales d'informations s. Cette
situation tient deux phnomnes. Le premier, compte tenu du caractre universel de l'intrt que prennent les hommes l'amour, au sexe,
la violence, au mystre, l'hrosme et la richesse, c'est l'aptitude
avec laquelle des entreprises capitalistes, surtout amricaines, exploitent cet intrt leur profit. Mais rien ne prouve que l'mergence de
communications globales tendues produise bel et bien une convergence significative des attitudes et des croyances. Se divertir, dit
Michael Vlahos, n'est pas se convertir. De plus, ce qui est communiqu est interprt d'une certaine manire, en fonction de valeurs et
de perspectives prexistantes. Les mmes images visuelles transmises
simultanment travers le monde, observe Kishore Mahbubani, suscitent des perceptions opposes. On applaudit en Occident quand des
missiles de croisire frappent Bagdad. Ailleurs, on constate que l'Occident punit les non-Blancs irakiens ou somalis, mais pas les Blancs
serbes, ce qui est un message inquitant 6.
Les communications globales reprsentent l'une des manifestations les plus importantes de la puissance occidentale. Cette hgmonie encourage cependant les hommes politiques populistes non
occidentaux dnoncer l'imprialisme culturel occidental et en
appeler la dfense des cultures indignes. L'ampleur de la domination occidentale sur les communications globales est ainsi une source
importante de ressentiment et d'hostilit des non-Occidentaux son
gard. cela s'ajoutaient, au dbut des annes quatre-vingt-dix, la
modernisation et le dveloppement conomique des socits non occidentales qui ont fait merger des mdias locaux et rgionaux traduisant les gots propres de ces socits 7. En 1994, par exemple, CNN
International estimait que son audience potentielle tait de 55 millions
de spectateurs, soit 1 010 de la population mondiale (chiffre proche de
celui des personnes concernes par la culture de Davos). Son prsident
prdisait que ses missions en anglais pourraient toucher 2 4 % du
march. Les rseaux rgionaux (c'est--dire civilisationnels) mettent
en espagnol, en japonais, en arabe, en franais (en Afrique de l'Ouest)
et dans d'autres langues. La grande salle de rdaction mondiale,
concluent trois chercheurs, est en passe de devenir une tour de
BabeI B. Ronald Dore fait grand cas de l'mergence d'une mme
culture intellectuelle globale chez les diplomates et les hauts fonctionnaires. Et de conclure que toutes choses gales par ailleurs [les italiques sont de luiJ, la densit accrue des communications crera un
sentiment accru de proximit entre les nations, ou du moins entre les
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LA LANGUE
1958
2,7
2,7
9,8
5,2
15,6
5,5
5,0
1970
2,9
2,9
9,1
5,3
16,6
5,6
5,2
1980
3,3
3,2
8,7
5,3
15,8
6,0
5,5
1992
3,5
3,2
7,6
6,4
15,2
4,9
6,1
* Nombre total de personnes parlant des langues utilises par au moins 1 million de
personnes.
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LE
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DES
CIVILISATIONS
personnes. En 1992, ils n'taient plus que 7,6 % (voir tableau 3.1). La
proportion de la population mondiale parlant les principales langues
occidentales (l'anglais, le franais, l'allemand, le portugais, l'espagnol)
a chut de 24,1 % en 1958 20,8 % en 1992. En 1992, plus de deux
fois plus de gens parlaient mandarin qu'anglais, soit 15,2 % de la population mondiale, et 3,6 % parlaient d'autres variantes du chinois (voir
tableau 3.2).
Tableau 3.2 Les langues chinoises et occidentales dans le monde
Langue
1992
1958
Nbre
444
43
39
36
19
%
15,6
1,5
1,4
1,3
0,7
Nbre
907
65
64
50
33
%
15,2
1,1
1,1
0,8
0,6
Lang. chin.
581
20,5
1119
18,8
Anglais
Espagnol
Portugais
Allemand
Franais
278
142
74
120
70
9,8
5,0
2,6
4,2
2,5
456
362
177
119
123
7,6
6,1
3,0
2,0
2,1
684
2845
24,1
44,5
1237
5979
20,8
39,4
Mandarin
Cantonais
Wu
Min
Hakka
Lang. europ.
Total monde
Source : pourcentages calculs partir de donnes linguistiques fournies par le professeur Sidney S. Culbert, du dpartement de psychologie de l'universit de Washington,
of Facts de 1959 et de 1993.
63
64
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
65
66
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
LA RELIGION
1900
26,9
7,5
12,4
0,2
12,5
7,8
23,5
6,6
0,0
1970
30,6
3,1
15,3
15,0
12,8
6,4
5,9
2,4
4,6
1980
30,0
2,8
16,5
16,4
13,3
6,3
4,5
2,1
4,5
1985 (est)
29,7
2,7
17,1
16,9
13,5
6,2
3,9
1,9
4,4
2000 (est)
29,9
2,4
19,2
17,1
13,7
5,7
2,5
1,6
4,2
67
La
Le concept de civilisation universelle est caractristique de l'Occident. Au XIXe sicle, l'ide de la responsabilit de l'homme blanc
a servi justifier l'expansion politique occidentale et la domination
conomique sur les socits non occidentales. la fin du xxe sicle, le
concept de civilisation universelle sert justifier la domination culturelle de l'Occident sur les autres socits et prsuppose le besoin
qu'elles auraient d'imiter les pratiques et les institutions occidentales.
L'universalisme est l'idologie utilise par l'Occident dans ses confrontations avec les cultures non occidentales. Comme c'est souvent le cas
68
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
chez les marginaux ou les convertis, certains des partisans les plus
farouches de cette conception sont des intellectuels immigrs en Occident, comme Vidiadhar S. Naipaul ou Fouad Ajami. Selon eux, ce
concept donne une rponse trs satisfaisante la question centrale :
qui suis-je? Un intellectuel arabe a trait ces immigrs de bons
Ngres 20 et l'ide de civilisation universelle a trs peu de partisans
dans les autres civilisations. Ce que l'Occident voit comme universel
passe ailleurs pour occidental. Les Occidentaux voient par exemple
dans la prolifration des mdias mondiaux un signe d'une intgration
globale qui serait sans danger. Les non-Occidentaux, au contraire, y
voient un effet nfaste de l'imprialisme occidental. Considrer le
monde comme un tout est pour eux une menace.
La thse selon laquelle une forme de civilisation universelle apparatrait repose sur plusieurs prsupposs. Tout d'abord, il y a, comme
on l'a vu au chapitre l, l'ide que l'croulement de l'Union sovitique
signifie la fin de l'histoire et la victoire universelle de la dmocratie
librale partout dans le monde. On pourrait tout aussi bien soutenir
l'inverse. Durant la guerre froide, il tait admis que la seule alternative
possible au communisme tait la dmocratie librale et que la dfaite
de l'un signifiait la victoire totale de l'autre. l'vidence, il existe toutefois de multiples formes d'autoritarisme, de nationalisme, de corporatisme et d'conomie communiste de march (comme en Chine) qui
sont tout aussi florissantes. Surtout, la religion joue un rle qui va bien
au-del des idologies laques. Dans le monde moderne, la religion est
une force centrale, peut-tre mme la force centrale, qui motive et
mobilise les nergies. C'est une pure et simple preuve d'orgueil que de
penser que, parce que le communisme sovitique s'est effondr, l'Occident a vaincu pour toujours et que les musulmans, les Chinois, les
Indiens et d'autres encore vont se hter d'adhrer au libralisme occidental comme si c'tait la seule alternative. La division de l'humanit
la lumire des concepts de la guerre froide n'a plus cours. Les divisions
fondamentales sont dsormais ethniques et religieuses. Les diffrentes
civilisations demeurent et ce sont elles qui suscitent les nouveaux
conflits.
Deuximement, il y a l'ide selon laquelle un surcrot d'interactions - commerce, investissements, tourisme, mdias, communication lectronique - engendrerait une culture mondiale commune. Les
progrs dans les transports et les technologies de la communication
ont rendu plus faciles et moins coteux les dplacements d'argent, de
biens, de personnes, de connaissances, d'ides et d'images travers le
monde. En la matire, les flux internationaux sont plus importants
que jamais. Quel en est cependant l'impact? L'ide selon laquelle le
commerce rduirait la probabilit que des nations entrent en guerre
n'est pas dmontre. On trouve mme beaucoup de preuves du
contraire. Le commerce international s'est dvelopp de faon significative pendant les annes soixante et soixante-dix et, dix ans plus tard,
69
la guerre froide s'est arrte. En 1913, le commerce international atteignait des niveaux records, et dans les annes qui ont suivi les nations
se sont entre-tues 21. Si le commerce international, parvenu ce
niveau, n'a pu prvenir la guerre, alors quand y parviendra-t-il? TI
n'existe tout simplement pas de preuve que le commerce est un facteur
de paix. Certaines analyses menes pendant les annes quatre-vingt-dix
remettent mme cette thse en question. La croissance du commerce
international pourrait tre un facteur de division politique accrue [... J.
Ce n'est pas en soi un moyen pour rduire les tensions internationales
ou pour favoriser une plus grande stabilit internationale, conclut
une tude 22. Selon une autre, un haut degr d'interdpendance conomique peut tre un facteur de paix ou bien de guerre en fonction des
perspectives commerciales venir. L'interdpendance conomique
favorise la paix seulement quand les tats souhaitent que les
changes commerciaux se poursuivent un haut degr l'avenir. Si
ce n'est pas le cas, il pourrait y avoir la guerre 23 .
L'chec du commerce et des communications pour produire paix
et sentiment commun est cohrent avec ce que montrent les sciences
sociales. En psychologie sociale, la thorie de la distinction montre
que les personnes se dfinissent par leurs diffrences dans un certain
contexte: On se peroit par l'intermdiaire de caractristiques qui
distinguent des autres hommes, en particulier de ceux qui appartiennent au mme milieu [ ... ]. Une psychologue au milieu d'une douzaine
d'autres femmes qui ont chacune une activit diffrente se pensera
comme psychologue; au milieu de psychologues hommes, elle se sentira femme 24. On se dfinit par ce qu'on n'est pas. Comme les
communications, le commerce et les voyages multiplient les interactions entre civilisations; on accorde en gnral de plus en plus d'attention son identit civilisationnelle. Deux Europens, un Allemand et
un Franais, qui interagissent ensemble s'identifieront comme allemand et franais. Mais deux Europens, un Allemand et un Franais,
interagissant avec deux Arabes, un Saoudien et un gyptien, se dfiniront les uns comme Europens et les autres comme Arabes. L'immigration nord-africaine en France suscite un certain rejet et donne en
mme temps plus d'attrait l'immigration issue de l'Europe catholique. Les Amricains sont plus hostiles aux investissements japonais
que canadiens ou europens. De mme, comme le soulignait David
Horowitz, un Ibo est un Owerri ou un Onitsha l'est du Nigeria.
Lagos, c'est simplement un Ibo. Londres, c'est un Nigerian, et New
York, c'est un Africain 25 . La thorie sociologique de la globalisation
autorise des conclusions similaires : Dans un monde de plus en plus
globalis - caractris par un haut degr d'interdpendance notamment civilisationnelle et socitale, et par la conscience accrue de ce
phnomne -, la conscience de soi civilisationnelle, socitale et ethnique se trouve accrue. Le renouveau global du religieux, le retour
70
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
L'Occident et la modernisation
Troisime argument, plus gnral: la civilisation universelle serait
le rsultat du processus de modernisation l'uvre depuis le
xvme sicle. La modernisation inclut l'industrialisation, l'urbanisation,
le dveloppement de l'ducation, la richesse, la mobilit sociale et une
division plus complexe et plus diversifie du travail. Elle rsulte des
progrs scientifiques et technologiques, raliss depuis le xv:rne sicle,
qui ont permis aux tres humains de contrler et de faonner leur environnement d'une manire absolument sans prcdent. La modernisation est un processus rvolutionnaire qui ne peut tre compar qu'au
passage des socits primitives aux socits civilises, c'est--dire
l'mergence de la civilisation au singulier, dans les valles du Tigre
et de l'Euphrate, du Nil et de l'Indus cinq mille ans av. J.-C.27. Les
comportements, les valeurs, le savoir et la culture dans une socit
moderne diffrent considrablement de leurs quivalents dans une
socit traditionnelle. En tant que premire civilisation s'tre modernise, l'Occident a jou un rle moteur dans le dveloppement de la
culture moderne. Au fur et mesure que d'autres socits se dotent des
mmes structures d'ducation, de travail, de richesse et d'organisation
sociale, cette culture occidentale moderne pourrait devenir la culture
universelle du monde.
Qu'il existe des diffrences significatives entre les cultures
modernes et traditionnelles n'est pas douteux. Cependant, il ne s'ensuit
pas ncessairement que les socits dotes d'une culture moderne se
ressemblent plus les unes les autres que les socits traditionnelles. Un
monde dans lequel coexistent des socits trs modernes et des
socits encore traditionnelles est moins homogne qu'un monde dans
lequel toutes les socits seraient parvenues un mme degr de
modernit. Mais quid d'un monde o toutes les so,cits seraient traditionnelles? C'tait le cas il y a plusieurs sicles. Etait-il moins homogne que ne le serait un monde universellement moderne? Rien de
moins sr. La Chine des Ming [... ] ressemblait plus la France des
Valois, crivait Braudel, que la Chine de Mao Da France] de la
Ve Rpublique 28.
Cependant, les socits modernes pourraient se ressembler plus
que les socits traditionnelles pour deux raisons. Tout d'abord, les
interactions accrues entre socits modernes n'engendrent pas une
culture commune, mais elles facilitent le transfert de techniques, d'inventions et de pratiques entre socits une vitesse et un degr qui
71
Le christianisme d'Occident, tout d'abord sous la forme du catholicisme seul, puis du catholicisme et du protestantisme, est historiquement la caractristique la plus importante de la civilisation
72
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
occidentale. Durant son premier millnaire d'existence, ce qui reprsente aujourd'hui la civilisation occidentale s'appelait la chrtient. Les
chrtiens d'Occident se sentaient lis entre eux et distincts des Turcs,
des Maures, des Byzantins. Et c'est au nom de Dieu au moins autant
que pour l'or que les Occidentaux se sont lancs la conqute du
monde au XVIe sicle. La Rforme et la Contre-Rforme, ainsi que la
division entre un Nord protestant et un Sud catholique, sont galement
propres l'histoire occidentale, l'orthodoxie n'ayant pas connu la
mme volution, non plus que l'Amrique latine.
LES LANGUES EUROPENNES
L'ide selon laquelle le droit joue un rle central pour la civilisation est un hritage romain. Les penseurs du Moyen Age ont labor
le concept de droit naturel d'aprs lequel les monarques doivent
exercer leur pouvoir, et une tradition de camman law s'est dveloppe
en Angleterre. Aux XVIe et XVIIe sicles, lorsque l'absolutisme rgnait
sans partage, l'tat de droit tait plus une fiction qu'une ralit, mais
l'ide demeurait que le pouvoir humain devait tre limit: Non sub
hamine sed sub Dea et lege. La tradition de l'tat de droit a jet les
73
Au cours de l'histoire, la socit occidentale a t hautement pluraliste. Comme le remarque Deutsch, ce qui distingue l'Occident, ce sont
la monte et la persistance de divers groupes autmomes qui ne sont
pas fonds sur les liens de sang ou le mariage 30 . A partir du VIe et du
VIf sicle, ces groupes ont d'abord compris les monastres, les ordres
monastiques et les guildes, puis se sont dvelopps pour inclure dans
de nombreuses parties de l'Europe diffrentes autres associations et
socits 31. Le puralisme associationniste a t complt par le puralisme de classe. La plupart des socits europennes comprenaient une
aristocratie puissante et autonome, une paysannerie nombreuse et une
classe rduite mais agissante de marchands et de commerants. La
puissance de l'aristocratie fodale a empch l'absolutisme de s'enraciner en profondeur dans la plupart des nations europennes. Ce pluralisme contraste avec la pauvret de la socit civile, la faiblesse de
l'aristocratie et la puissance des empires bureaucratiques qui caractrisaient la Russie, la Chine, l'Empire ottoman et d'autres socits non
occidentales.
LESCORPSINTERMDUURES
Le puralisme social a fait natre des parlements et d'autres institutions chargs de reprsenter les intrts de l'aristocratie, du clerg, des
marchands et d'autres groupes. Ces corps intermdiaires ont permis
des formes de reprsentation qui, au fil de la modernisation, ont volu
pour donner les institutions modernes de la dmocratie. Certains de
ces corps ont t abolis, ou bien leurs pouvoirs ont t considrablement affaiblis durant la priode absolutiste. Mme lorsque c'tait le
cas, ils ont pu, comme en France, renatre pour favoriser la participation la vie politique. Aucune autre civilisation n'a reu en hritage
de tels corps intermdiaires datant d'un millnaire. Au niveau local
galement, partir du IXe sicle, des formes de gouvernement autonome se sont dveloppes dans les villes italiennes et ont gagn le
Nord, forant les vques, les barons et d'autres grands nobles partager le pouvoir avec les bourgeois et mme finalement se soumettre 32 . La reprsentation l'chelon national s'est ainsi trouve
complte par l'autonomie locale, ce qui est sans quivalent ailleurs
dans le monde.
74
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
L'INDIVIDUALISME
75
LE REJET
76
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
LE KMALISME
Pour employer une autre expression emprunte Toynbee, 1' hrodianisme reprsente une autre forme de raction l'Occident. Il
consiste adhrer la fois la modernisation et l'occidentalisation.
Il est fond sur l'ide que la modernisation est dsirable et ncessaire,
que la culture indigne est incompatible avec la modernisation et doit
tre abandonne ou abolie et que la socit doit tre entirement occidentalise afin de se moderniser convenablement. Modernisation et
occidentalisation se renforcent mutuellement et doivent aller de pair.
Un bon exemple de ce point de vue rside dans le raisonnement de
certains intellectuels japonais et chinois du XIXe sicle qui pensaient
que, pour se moderniser, leur socit devait abandonner sa langue
ancestrale et adopter l'anglais comme langue nationale. Ce point de
vue, bien videmment, a t plus populaire auprs des Occidentaux
que des lites non occidentales. Il revient dire : Pour russir, vous
devez tre comme nous; la seule voie possible est la ntre. On suppose alors que les valeurs religieuses, les principes moraux et les
structures sociales de ces socits [non occidentales] sont au mieux
trangres, au pire hostiles aux valeurs et aux pratiques de l'industrialisme . Le dveloppement conomique recquiert donc une refonte
radicale de la vie et de la socit, et bien souvent une rinterprtation
du sens de l'existence lui-mme tel qu'il a t compris par les personnes
qui vivent dans ces civilisations 37 . Pipes fait le mme raisonnement
en rfrence l'islam :
Pour chapper l'anomie, les musulmans n'ont pas le choix, car la
modernisation requiert l'occidentalisation. [... ] L'islam n'est pas une
alternative en termes de modernisation. [... ] On ne peut viter la scularisation de la socit. La science et la technologie modernes requirent de
se fondre dans les processus de pense qui vont de pair avec elles. De
mme pour les institutions politiques. Le contenu autant que la forme
doivent tre stimuls. TI faut donc reconnatre la domination de la civilisation occidentale de faon pouvoir apprendre d'elle. On ne peut faire
l'conomie des langues et des structures d'enseignement europennes,
mme si ces dernires favorisent la libert de pense et le laxisme. Les
musulmans pourront se moderniser et donc se dvelopper seulement
s'ils acceptent le modle occidental 38
77
Soixante ans avant que ce texte ne soit crit, Mustafa Kemal Atatrk tait parvenu aux mmes conclusions et avait cr une Turquie
nouvelle sur les ruines de l'Empire ottoman en lanant un vaste effort
de modernisation et d'occidentalisation. En s'engageant dans cette voie
et en rejetant le pass de l'islam, Atatrk a fait de la Turquie un pays
dual, musulman dans sa religion, ses traditions, ses coutumes et ses
institutions, mais domin par une lite dtermine en faire une
socit moderne, occidentale et lie l'Occident. la fin du xxe sicle,
plusieurs pays suivent l'option kmaliste et s'efforcent d'acqurir une
identit non occidentale.
LE RFORMISME
78
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
1
c:
0
.~
:sc:
Q)
"0
'(3
0
A
Modernisation
79
~m~oo<
Puissance
conomique,
~
militaire,
politique
accrue
Rsurgence culturelle
. , - . et
~ et""gleuoe
Individu
crise d'identit
80
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
81
82
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
Deuxime partie
CHAPITRE 4
L'effacement de l'Occident
puissance, culture et indignisation
86
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
L'effacement de ['Occident
87
tion asiatique que s'accrotra le plus la puissance, la Chine apparaissant de plus en plus comme la socit apte dfier l'Occident pour
acqurir une influence globale. Ces volutions dans la rpartition de la
puissance entre civilisations entranent et entraneront le renouveau et
l'affirmation culturelle grandissante des socits non occidentales et le
rejet accru de la culture occidentale.
Le dclin de l'Occident a trois caractristiques majeures.
Tout d'abord, c'est un processus lent. La monte en puissance de
l'Occident a pris quatre sicles. Son recul pourrait prendre autant de
temps. Dans les annes quatre-vingt, l'minent universitaire britannique Hedley Bull a soutenu que la domination de l'Europe ou de
l'Occident sur la socit internationale universelle a atteint son apoge
aux environs de 1900 3 . Le premier volume de Spengler est paru en
1918, et le dclin de l'Occident est rest un thme central en histoire
durant tout le sicle. Ce processus s'est poursuivi pendant presque tout
le xxe sicle et il pourrait mme s'acclrer. Le progrs conomique et
d'autres amliorations dans les ressources d'un pays suivent souvent
une courbe en S : ils commencent doucement, puis s'acclrent avant
de ralentir et de s'arrter. Le dclin des pays suit une courbe en S
renvers, comme on le voit pour l'Union sovitique: il est lent au
dbut, puis s'acclre trs vite avant de retomber. Le dclin de l'Occident en est encore actuellement sa phase lente.
Deuximement, le dclin ne suit pas une ligne droite. TI est trs
irrgulier, connat des pauses, des renversements, des retours en force
suivis de manifestations de puissance. Les socits dmocratiques
ouvertes d'Occident ont un fort potentiel de renouveau. En outre, la
diffrence de nombreuses civilisations, l'Occident a deux grands
centres. Le dclin dont Bull a cru saisir les prmices en 1900 tait
essentiellement celui de la composante europenne de la civilisation
occidentale. De 1910 1945, l'Europe a t divise et s'est trouve
plonge dans des problmes conomiques, sociaux et politiques
internes. Dans les annes quarante, cependant, la phase amricaine de
la domination occidentale a commenc et, en 1945, les tats-Unis ont
un bref moment domin le monde un degr comparable celui des
Allis en 1918. La dcolonisation d'aprs guerre a rduit l'influence
europenne, mais pas celle des tats-Unis, qui ont remplac les
empires territoriaux traditionnels par un imprialisme transnational.
Pendant la guerre froide, la puissance militaire amricaine tait quilibre par celle de l'Union sovitique, tandis que la puissance conomique amricaine dclinait par rapport celle du Japon.
Priodiquement, les tats-Unis tentent un retour en force militaire et
conomique. En 1991, Barry Buzan, un autre minent universitaire
britannique, a soutenu qu' en profondeur, le centre est dsormais plus
dominant et la priphrie plus soumise qu' aucun autre moment
depuis que la dcolonisation a commenc 4 . La pertinence de ce point
88
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
L'effacement de
89
['Occident
1900
1920
1971
1993
1900
1920
1971
1993
Afr.
Chin. Hind.
164 1317 54
20290
25447 400 3913 61
12806 4636 3936 1316
12711 5682 3923 1279
38,7
48,5
24,4
24,2
0,3
0,8
8,8
10,8
8,2
7,5
7,5
7,5
0,1
0,1
2,5
2,4
Is!'
Jap.
en miles2
3592
101
261
1811
142
9183
11054
145
en%
0,3
6,8
3,5
0,5
17,5
0,3
21,1
0,3
LatinoOrthod. Autre
Amricaine
7721
8898
7833
7819
8733
10258
10346
7169
7458
2758
2302
2718
14,7
15,4
14,9
14,9
16,6
10,5
19,7
13,7
14,3
4,3
4,4
5,2
latine, en Afrique, au Moyen-Orient, en Afrique du Sud, en ExtrmeOrient et en Asie du Sud-Est ne reprsentait plus qu'un tiers un demi
de ce qu'il tait trente ans plus tt. L'esprance de vie dans ces zones
avait augment de faon significative, de onze ans en Afrique vingttrois ans en Extrme-Orient. Au dbut des annes soixante, dans
presque tout le Tiers-Monde, moins d'un tiers de la population savait
lire et crire. Au dbut des annes quatre-vingt-dix, il n'y avait plus que
dans de rares pays, l'exception de l'Afrique, que moins de la moiti
de la population savait lire et crire. 50 % de la population indienne
environ et 75 % des Chinois savent aujourd'hui lire et crire. Le taux
de scolarisation dans les pays en voie de dveloppement reprsentait,
en 1970, en moyenne 41 % de celui des pays dvelopps; en 1992, il
atteignait 71 %. Au dbut des annes quatre-vingt-dix, dans toutes les
rgions sauf l'Afrique, quasiment toute la population en ge d'tre scolarise allait effectivement l'cole. De faon encore plus notable, au
dbut des annes soixante, en Asie, en Amrique latine, au MoyenOrient et en Afrique, moins d'un tiers de la population concerne faisait des tudes secondaires, alors qu'en 1990 c'tait la moiti, sauf en
Afrique. En 1960, les citadins reprsentaient moins d'un quart de la
population des pays les plus pauvres. De 1960 1992, cependant, le
pourcentage de gens vivant dans les villes est pass de 49 % 73 % en
Amrique latine, de 34 % 55 % dans les pays arabes, de 14 % 29 %
en Afrique, de 18 % 27 % en Chine et de 19 % 26 % en Inde 6.
Ces volutions dans la scolarisation, l'ducation et l'urbanisation
ont augment la mobilit sociale de populations aux aptitudes et aux
attentes plus grandes. Elles peuvent se mobiliser des fins politiques
90
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
Tableau 4.2
Chinoise
Islamique
Hindoue
Occidentale
1340900
927600
915000
805400
Latinoamricaine
Africaine
Orthodoxe
Japonaise
507500
392100
261300
124700
Source: calculs tirs de l'Encyclopaedia Britannica, 1994 Book of the Year, Chicago,
Encyclopaedia Britannica, 1994, p. 764-769.
mieux que des populations moins bien formes. Les socits o rgne
la mobilit sociale sont plus puissantes. En 1953, moins de 15 % des
Iraniens savaient lire et crire et moins de 17 % vivaient en ville.
Kermit Roosevelt et la CIA touffrent alors facilement un soulvement
et restaurrent le Shah sur son trne. En 1979, quand 50 % des Iraniens savaient lire et crire, et que 47 % vivaient dans les villes, la puissance militaire amricaine n'a pu empcher que le Shah soit dtrn.
Un foss important spare encore les Chinois, les Indiens, les Arabes
et les Africains d'un ct et les Occidentaux, les Japonais et les Russes
de l'autre. Il se comble cependant trs vite. En mme temps, un autre
foss se creuse. L'ge moyen des Occidentaux, des Japonais et des
Russes augmente de faon constante, et la proportion de gens qui ne
travaillent pas augmente, ce qui reprsente un poids de plus en plus
grand pour les actifs. Les autres civilisations doivent supporter la
charge que constitue un nombre lev d'enfants, mais les enfants sont
de futurs travailleurs et de futurs soldats.
Tableau 4.3 Parts de la population mondiale contrle par les diffrentes civilisations,
1900-2025 (en %)
Total
Occid. Afri. Chin. Hind. Islam.
mondial *
1900 [1,6] 44,3
4,2
0,4 19,3
0,3
1920 [1,0] 18,1
0,7 17,3
0,3
2,4
1971 [3,7] 14,4
5,6 22,8 15,2 13,0
1990 [5,3] 14,7
8,2 24,3 16,3 13,4
1995 [5,8] 13,1
9,5 24,0 16,4 15,9 1
2010 [7,2] 11,5 11,7 22,3 17,1 17,9 1
2025 [8,5] 10,1 14,4 21,0 16,9 19,2 1
Jap.
3,5
4,1
2,8
2,3
2,2
1,8
1,5
Ortho Autres
LatinoAmricaine
3,2
8,5
16,3
1,6
13,9
8,6
8,4
10,0
5,5
5,1
9,2
6,5
9,3
6,12
3,5
5,42
10,3
2,0
9,2
4,9 2 2,0
Source: Nation unies, Services dmographiques, Department for Economic and Social
Information and Policy Analysis, World Population Prospects, The 1992 Reviston, New
York, Nations unies, 1993; Stateman's Year Book, New York, St. Martin's Press, 19011927; World Almanac and Book of Facts, New York, Press Pub, 1970-1993.
L'effacement de l'Occident
91
LA PRODUCTION CONOMIQUE
1750
18,2
32,8
3,8
24,5
5,0
1800
23,3
33,3
3,5
19,7
5,6
1830 1860 1880 1900 1913 1928 1938 1953 1963 1973 1980
31,1 53,7 68,8 77,4 81,6 84,2 78,6 74,6 65,4 61,2 57,8
29,8 19,7 12,5 6,2 3,6 3,4 3,1 2,3 3,5 3,9 5,0
2,8 2,6 2,4 2,4 2,7 3,3 5,2 2,9 5,1 8,8 9,1
17,6 8,6 2,8 1,7 1,4 1,9 2,4 1,7 1,8 2,1 2,3
5,6 7,0 7,6 8,8 8,2 5,3 9,0 16,0 20,9 20,1 21,1
0,8 0,6 0,7 0,8 0,8 0,8 0,9 1,2 1,6 2,2
15,7 14,6 13,1 7,6 5,3 2,8 1,7 1,1 0,9 1,6 2,1 2,3 2,5
92
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
64,1
53,4
48,6
48,9
Afr.
Chin.
Hind.
Isl.
Jap.
0,2
1,7
2,0
2,1
3,3
4,8
6,4
10,0
3,8
3,0
2,7
3,5
2,9
4,6
6,3
11,0
3,1
7,8
8,5
8,0
Latino- Orthod.*
Amricaine
5,6
6,2
7,7
8,3
16,0
17,4
16,4
6,2
Autres**
1,0
1,1
1,4
2,0
L'effacement de
93
['Occident
Occid.
Jap.
1900
1920
1970
1991
(10,086)
(8,645)
(23,991)
(25,797)
43,7
48,S
26,8
21,1
16,7
3,6
10,4
20,0
1,6
3,8
2,1
3,4
10,0
17,4
24,7
25,7
0,4
0,4
6,6
4,8
9,4
10,2
4,0
14,3
16,6
12,8*
75,1
3,5
0,1
0,5
2,3
Globalement, les annes qui ont suivi la fin de la guerre froide ont,
dans le domaine militaire, t domines par cinq grandes tendances.
Premirement, les forces armes de l'Union sovitique ont cess
d'exister peu de temps aprs la fin de l'Union sovitique. l'exception
de la Russie, seule l'Ukraine a hrit de moyens importants. Les forces
russes ont t rduites de faon importante en taille et ont quitt l'Europe centrale et les Balkans. Le pacte de Varsovie a cess d'tre. Tout
comme la rivalit avec la marine amricaine. Les quipements militaires ont t dtruits, laisss l'abandon ou bien ont cess d'tre oprationnels. Le budget de la dfense a t rduit de faon drastique. La
dmoralisation a gagn les officiers comme les hommes de troupe.
94
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
L'effacement de ['Occident
95
96
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
contrlaient ensemble le monde. la confrence de Paris, ils dcidrent des pays qui existeraient et de ceux qui n'existeraient pas, des
nouveaux pays qui seraient crs, de leurs frontires et de leurs souverains, de la faon dont le Moyen-Orient et d'autres rgions du monde
seraient diviss entre les puissances victorieuses. ns dcidrent aussi
d'une intervention militaire en Russie et de concessions conomiques
en Chine. Cent ans plus tard, aucun cercle rduit d'hommes d'tat ne
pourra exercer un tel pouvoir. supposer que ce soit encore possible,
ce gr:oupe ne se composerait pas de trois Occidentaux, mais des chefs
des tats phares des sept ou huit grandes civilisations mondiales. Avec
les successeurs de Reagan, Thatcher, Mitterrand et Kohl rivaliseraient
ceux de Deng Xiaoping, Nakasone, Indira Gandhi, Eltsine, Khomeiny
et Suharto. L'ge de la domination occidentale est fini. Dans l'intervalle, l'effacement de l'Occident et la monte en puissance d'autres
centres ont favoris un processus global d'indignisation et la rsurgence des cultures non occidentales.
L'indignisation : la rsurgence
des cultures non occidentales
La rpartition des cultures dans le monde reflte celle de la
puissance. Le commerce ne va peut-tre pas toujours avec le drapeau, mais la culture, elle, suit toujours la puissance. Au cours de
l'histoire, l'expansion de la puissance d'une civilisation a en gnral
t de pair avec l'efflorescence de sa culture et a presque toujours
signifi l'usage de cette puissance pour rpandre ses valeurs, ses
pratiques et ses institutions aux autres socits. Pour tre universelle,
une civilisation doit avoir une puissance universelle. La puissance
romaine a cr une civilisation presque universelle l'intrieur des
limites du monde antique. La puissance de l'Occident, sous la forme
du colonialisme europen au XIXe sicle et de l'hgmonie amricaine
au xxe, a rpandu la culture occidentale sur presque toute la plante.
C'en est dsormais fini du colonialisme europen. Quant l'hgmonie amricaine, elle recule. n s'ensuit une certaine rosion de la
culture occidentale, tandis que les murs, les langues, les croyances
et les institutions indignes, enracines dans l'histoire, sont raffirmes. La puissance accrue des socits non occidentales sous l'effet
de la modernisation engendre le renouveau des cultures non occidentales dans le monde entier *.
* Le lien entre puissance et culture a presque toujours t nglig par ceux qui
pensent qu'apparat et doit apparatre une civilisation universelle comme par ceux
pour qui l'occidentalisation est une condition ncessaire de la modernisation. lis refu-
L'effacement de l'Occident
97
98
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
L'effacement de
['Occident
99
100
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
vingt-dix, ils risquent d'tre chasss par des lections. La dmocratisation entre en conflit avec l'occidentalisation, et la dmocratie
devient un facteur de repli plutt que d'ouverture. Les hommes
politiques des socits non occidentales ne gagnent pas les lections
en montrant combien ils sont occidentaliss. La concurrence lectorale, au contraire, les incite aller dans le sens de ce qui est le plus
populaire, en gnral ce qui est ethnique, nationaliste et religieux.
D en rsulte une mobilisation populaire contre les lites formes
l'occidentale. Les groupes fondamentalistes islamiques ont bien
russi aux rares lections qui ont eu lieu dans les pays musulmans
et seraient arrivs au pouvoir en Algrie si l'arme n'avait pas cass
les lections en 1992. En Inde, la concurrence lectorale a encourag
la violence 15. La dmocratie au Sri Lanka a permis au Parti de la
libert de chasser en 1956 le Parti national unifi, trs favorable
l'Occident, et a suscit la monte d'un mouvement nationaliste dans
les annes quatre-vingt. Avant 1949, les Sud-Africains comme les
Occidentaux considraient l'Afrique du Sud comme un pays occidental. Lorsque le rgime de l'apartheid a pris forme, les lites
occidentales ont tenu le pays l'cart du camp occidental, mais les
Sud-Africains continuaient se voir comme des Occidentaux. Afin
de retrouver leur place dans l'ordre international occidental, cependant, ils ont d instaurer un systme dmocratique l'occidentale,
ce qui a conduit au pouvoir une lite noire fortement occidentalise.
Si l'effet d'indignisation de deuxime gnration joue, leurs successeurs seront plus proches de leurs racines, et l'Afrique du Sud se
dfinira de plus en plus comme un tat africain.
plusieurs reprises avant le XIXe sicle, se comparant aux Occidentaux, les Byzantins, les Arabes, les Chinois, les Ottomans, les
Mongols et les Russes ont pris confiance dans leur force et dans
leurs ralisations. Ds ont alors prouv le plus grand mpris pour
l'infriorit culturelle, l'arriration institutionnelle, la corruption et
la dcadence occidentales. Ds lors que l'Occident est en dclin, ces
attitudes rapparaissent. L'Iran est un cas extrme, mais les valeurs
occidentales sont rejetes dans diffrents pays, et tout autant en
Malaisie, en Indonsie, Singapour, en Chine et au Japon 16 . Nous
assistons la fin de l're progressiste domine par les idologies
occidentales et nous entrons dans une re au cours de laquelle des
civilisations multiples interagiront, se concurrenceront et coexisteront 17. Ce processus global d'indignisation est manifeste dans les
diffrents modes de retour du religieux auxquels on assiste dans de
nombreuses parties du monde, et surtout dans le renouveau culturel
des pays asiatiques et musulmans, sous l'effet surtout de leur dynamisme conomique et dmographique.
L'effacement de l'Occident
101
La revanche de Dieu
Pendant la premire moiti du xxe sicle, les lites intellectuelles
ont en gnral accept de considrer que la modernisation conomique et sociale conduisait au recul de la religion. Ce prsuppos
tait partag la fois par ceux qui taient favorables cette tendance
et par ceux qui la dploraient. Les lacs modernistes approuvaient
la faon dont la science, le rationalisme et le pragmatisme liminaient les superstitions, les mythes, l'irrationalit et les rituels qui
formaient le socle commun des religions existantes. La socit serait
tolrante, rationnelle, progressiste, humaniste et laque. Les conservateurs, de l'autre ct, s'inquitaient des consquences de la disparition des croyances religieuses, des institutions religieuses et des
orientations morales donnes par la religion au comportement
humain individuel et collectif. Il en rsulterait au bout du compte
l'anarchie, la dpravation, la ruine de la vie civilise. Si vous ne
voulez pas de Dieu (et Dieu est jaloux), alors vous devrez vous
prosterner devant Hitler ou Staline , disait T. S. Eliot 18.
La seconde moiti du sicle a montr que ces espoirs et ces
peurs taient sans fondement. La modernisation conomique et
sociale est globale. Dans le mme temps, la religion reprend vigueur
partout. Ce renouveau, cette revanche de Dieu, selon l'expression
de Gilles Kepel, a gagn tous les continents, toutes les civilisations
et potentiellement tous les pays. Au milieu des annes soixante-dix,
comme l'a fait observer Kepel, la tendance la scularisation et
l'accord entre religion et lacit s'est inverse. Une nouvelle
approche de la religion est apparue, qui n'avait plus pour but de
s'adapter aux valeurs laques mais de redonner un fondement sacr
l'organisation de la socit - au besoin en changeant la socit.
Sous des formes multiples, cette approche plaidait pour l'abandon
du modernisme, qui avait chou et dont on pouvait attribuer ses
retours en arrire et ses impasses la rupture avec Dieu. Le souci
principal n'tait plus l'aggiornamento, mais une "deuxime vanglisation de l'Europe" ; ce n'tait plus la modernisation de l'islam mais
"l'islamisation de la modernit" 19 .
Ce renouveau religieux a en partie signifi l'expansion de certaines
religions, qui ont gagn de nouveaux convertis dans des socits o elles
n'en avaient pas auparavant. Avec plus d'ampleur encore, la rsurgence
du religieux a impliqu des populations retournant aux traditions religieuses de leur communaut pour leur redonner vigueur et sens. Le
christianisme, l'islam, le judasme, l'hindouisme, le bouddhisme, l'orthodoxie : tous ont enregistr de nouvelles pousses d'engagement, de
102
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
L'effacement de l'Occident
103
La plus vidente, la plus constante et la plus puissante est prcisment ce qui tait cens devoir provoquer la mort de la religion : le
processus de modernisation sociale, conomique et culturelle qui s'est
tendu au monde entier dans la seconde moiti du :xxe sicle. Les fondements anciens de l'identit et les vieux systmes d'autorit se sont
crouls. Beaucoup de gens ont migr de la campagne vers la ville,
ont perdu leurs racines et ont pris un nouveau travail ou bien se sont
retrouvs sans emploi. Ils entrent en contact avec un grand nombre
d'trangers et sont exposs une nouvelle gamme de relations. Ils ont
besoin de nouvelles sources d'identit, de nouvelles formes stables de
communaut et d'un nouvel ensemble de prceptes moraux pour
retrouver du sens et de la finalit. La religion, modre ou bien fondamentaliste, satisfait ces besoins. Comme Lee Kuan Yew l'expliquait
pour l'Asie du Sud-Est:
Nous sommes des socits agricoles qui se sont industrialises en une
ou deux gnrations. Ce qui a pris deux cents ans au moins en Occident
s'est droul en cinquante ans tout au plus ici. La rupture a t brutale.
Si vous regardez les pays en voie de dveloppement rapide, comme la
Core, la Thalande, Hong Kong et Singapour, vous notez un phnomne
particulirement remarquable: la monte de la religion. [. .. ] Les coutumes et les religions anciennes, comme le culte des anctres et le chamanisme, ne plaisent plus autant. On observe une qute d'explications
suprieures de la finalit de l'homme, de sa nature. C'est li des
priodes de grand stress social 23
On ne vit pas seulement de raison. On ne peut calculer et agir de
faon rationnelle la poursuite de son intrt sans se dfinir. La politique de l'intrt prsuppose l'identit. Face un changement social
rapide, les identits tablies se dissolvent. On doit se redfinir et se
doter d'une nouvelle identit. Pour qui se demande qui il est et d'o il
vient, la religion apporte une rponse consolatrice, et les groupes religieux forment de petites communauts sociales aptes remplacer
celles que l'urbanisation a fait disparatre. Toutes les religions, comme
l'a dit Hassan al-Turabi, donnent un sens de l'identit et une direction
de vie . Dans ce processus, on se redcouvre ou bien on se dote de
nouvelles identits historiques. Quels que soient leurs buts universalistes, les religions fournissent une identit en distinguant entre les
croyants et les non-croyants, entre les membres suprieurs du groupe
et les autres, diffrents et infrieurs 24.
Dans le monde musulman, soutient Bernard Lewis, la tendance
a t rcurrente chez les musulmans, en cas d'urgence, trouver les
bases de leur identit et de leur loyaut dans la communaut religieuse
- c'est--dire dans une entit dfinie par l'islam plutt que selon des
critres ethniques et territoriaux . Gilles Kepel, de mme, souligne le
caractre central de la qute d'identit : La re-islamisation "par le
104
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
L'effacement de
['Occident
105
106
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
L'effacement de
['Occident
107
le distinguer de la modernit . Pour autant, ils ne rejettent pas l'urbanisation, l'industrialisation, le dveloppement, le capitalisme, la
science et la technologie ainsi que ce qu'ils impliquent pour l'organisation de la socit. En ce sens, ils ne sont pas antimodernes. Ils acceptent la modernisation, comme l'a not Lee Kuan Yew, et le caractre
incontournable de la science et de la technologie, ainsi que les changements dans le style de vie qu'elles apportent , mais refusent d'tre
occidentaliss. Ce ne sont pas le nationalisme ou le socialisme qui
ont produit le dveloppement du monde musulman, soutient alTurabi. Au contraire, la religion est le moteur du dveloppement ,
et un islam purifi jouera, l'poque contemporaine, un rle comparable celui de l'thique protestante dans l'histoire de l'Occident. La
religion n'est pas non plus incompatible avec le dveloppement d'un
tat moderne 35. Les mouvements fondamentalistes musulmans ont t
puissants dans les socits musulmanes les plus avances et apparemment les plus laques, comme l'Algrie, l'Iran, l'gypte, le Liban et la
Tunisie 36. Les mouvements religieux, notamment les mouvements fondamentalistes particularistes, sont trs ouverts aux communications
modernes et aux techniques de management moderne pour rpandre
leur message, comme on le voit avec le succs des tl-vanglistes
protestants en Amrique centrale.
Les adeptes du renouveau religieux viennent de toutes les couches
sociales, mais surtout de deux catgories, les urbains et les plus
mobiles socialement. Les immigrs rcents arrivs dans les villes ont
en gnral besoin d'un soutien affectif, social et matriel, et de repres,
ce que leur offrent plus que tout les groupes religieux. La religion,
comme le disait Rgis Debray, n'est pas l'opium du peuple, mais la
vitamine du faible 37 . La nouvelle classe moyenne qui incarne ce que
Dore a appel l'indignisation de deuxime gnration}) constitue un
autre contingent. Les activistes des groupes fondamentalistes islamistes ne sont pas, comme l'a montr Gilles Kepel, des conservateurs
gs ou des paysans illettrs. Chez les musulmans comme chez
d'autres, le renouveau religieux est un phnomne urbain; il sduit les
gens qui sont orients vers la modernit, ont un bon niveau d'tudes
et une position dans les professions librales, l'administration et le
commerce 38. Parmi les musulmans, les jeunes sont religieux, et leurs
parents sont lacs. Il en va de mme chez les hindous, o les chefs du
mouvement de renouveau viennent de la deuxime gnration indignise et sont souvent des fonctionnaires ou des dirigeants
d'entreprises qui ont russi , ce que la presse indienne appelle des
scuppies, pour saffron-clad yuppies. Au dbut des annes quatre-vingtdix, leurs partisans appartenaient de plus en plus la solide classe
moyenne indienne avec ses marchands et ses comptables, ses avocats
et ses ingnieurs, ses fonctionnaires, ses intellectuels et ses journalistes 39. En Core du Sud, le mme type de personnes a rempli de plus
108
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
CHAPITRE 5
~
Economie et dmographie
dans les civilisations montantes
110
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
exigeants dans les relations avec les autres pays. La croissance dmographique dans les pays musulmans, en particulier l'augmentation de
la part des jeunes de quinze vingt-quatre ans dans la population
totale, fournit des recrues en grand nombre au fondamentalisme, au
terrorisme, aux mouvements de rvolte et aux migrations. La croissance dmographique rend plus forts les gouvernements asiatiques; la
croissance dmographique menace les gouvernements musulmans et
les socits non musulmanes.
L'affirmation de l'Asie
Le dveloppement conomique en Extrme-Orient a t l'une des
volutions les plus importantes dans le monde durant la seconde moiti
de ce sicle. Ce processus a commenc dans le Japon des annes cinquante, et, pendant un temps, ce pays fait figure d'exception: enfin, un
pays non occidental avait russi se moderniser et devenir conomiquement dvelopp. Le phnomne, toutefois, s'est tendu aux quatre
Dragons (Hong Kong, Taiwan, la Core du Sud et Singapour) ainsi qu'
la Chine, la Malaisie, la Thalande et l'Indonsie avant d'atteindre les Philippines, l'Inde et le Vit-nam. Ces pays ont souvent eu pendant plus de
dix ans des taux de croissance moyens de 8 10 %, voire plus. De la
mme manire, les changes commerciaux se sont dvelopps de faon
nette tout d'abord entre l'Asie et le reste du monde, puis au sein mme
de l'Asie. Ce succs conomique contraste de faon trs tranche avec la
croissance modeste des conomies europenne et amricaine et la stagnation qui a prvalu dans presque tout le reste du monde.
L'exception ne concerne plus seulement le Japon, elle touche de
plus en plus toute l'Asie. Aprs le xxe sicle, on ne pourra plus identifier
richesse et Occident d'une part, sous-dveloppement et reste du monde
d'autre part. Partout, cette transformation a t trs rapide. Comme l'a
soulign Kishore Mahbubani, il a fallu respectivement cinquante-huit
et quarante-sept ans la Grande-Bretagne et aux tats-Unis pour doubler leur PNB par habitant, alors que le Japon a mis trente-trois ans,
l'Indonsie dix-sept, la Core du Sud onze et la Chine dix ans. L'conomie chinoise a eu un taux de croissance annuelle moyen de 8 %
pendant les annes quatre-vingt et le dbut des annes quatre-vingtdix, tandis que les Dragons ont ralis des performances proches (voir
figure 5.1). La zone conomique chinoise, selon la Banque mondiale en 1993, est devenue le quatrime ple mondial de croissance ,
avec les tats-Unis, le Japon et l'Allemagne. Selon la plupart des estimations, l'conomie chinoise sera numro un au XXIe sicle. L'Asie possde la deuxime et la troisime conomie mondiale dans les annes
quatre-vingt-dix; elle regroupera quatre des cinq premires et sept des
111
conomie et dmographie
12
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1975
1970
1980
1985
1990
1993
Ans
tats-Unis
Dragons
Chine
Europe
Japon
Source: Banque mondiale, World Tables 1995, 1991, Baltimore, John Hopkins University Press, 1995, 1991; Direction gnrale du Budget; rapports et statistiques, ROC,
Statistical Abstract of NationalIncome, Taiwan Area, Republic of China, 1951-1995, 1995.
Note : Les points correspondent des moyennes tri-annuelles.
112
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
Une vritable renaissance culturelle gagne l'Asie , notait l'ambassadeur Tommy Koch en 1993. Les Asiatiques prennent confiance
en eux et ne regardent plus tout ce qui est amricain ou occidental
comme ce qu'il y a ncessairement de mieux 2 . Cette renaissance se
manifeste dans l'accent mis sur l'identit culturelle propre chacun
des pays d'Asie et sur les points communs des cultures asiatiques qui
les distinguent de la culture occidentale. On peut voir l'uvre ce
renouveau culturel dans les relations qu'entretiennent avec la culture
occidentale les deux socits majeures d'Extrme-Orient.
Quand l'Occident s'est introduit en force en Chine et au Japon, au
~ sicle, aprs avoir t un temps sduites par le kmalisme, les lites
dominantes ont adopt une stratgie rformiste. Durant la restauration
Meiji, un groupe dynamique de rformateurs est aniv au pouvoir au
Japon, et a tudi et emprunt les techniques, les pratiques et les institutions occidentales pour lancer la modernisation du pays. n a cependant fait en sorte de prserver les lments essentiels de la culture
japonaise traditionnelle, ce qui, maints gards, a contribu la
modernisation et a permis ensuite au Japon de s'appuyer dessus pour
justifier son imprialisme et le justifier dans les annes trente et quarante. En Chine, d'autre part, la dynastie Ch'ing en plein dclin a t
incapable de s'adapter avec succs l'influence occidentale. La Chine
a t vaincue, exploite et humilie par le Japon et les puissances occidentales. Aprs la chute de la dynastie en 1910, elle a connu la division,
la guerre civile, et les dirigeants intellectuels et politiques chinois qui
s'opposaient se sont rallis des concepts occidentaux concurrents :
les trois principes de Sun Yat-sen, le nationalisme, la dmocratie et la
vie du peuple; le libralisme de Liang Ch'i-ch'ao; le marxisme-lninisme de Mao Ts-tung. la fin des annes quarante, les emprunts
l'Union sovitique ont pris le dessus sur ceux venus d'Occident - le
nationalisme, le libralisme, la dmocratie, le christianisme -, et la
Chine est devenue une socit socialiste.
Au Japon, la dfaite a produit un chamboulement culturel total.
Aujourd'hui, faisait remarquer en 1994 un observateur bien inform,
il est trs difficile pour nous de nous rendre compte combien tout
- la religion, la culture, tous les aspects de la vie mentale de ce
pays - avait t mis au service de cette guerre. La dfaite a t un
choc pour ce systme. Dans l'esprit des Japonais, plus rien ne valait la
peine et tout tait perdu 3. Tout ce qui tait li l'Occident, et en
particulier au vainqueur amricain, est devenu dsirable. Le Japon a
ainsi~ tent de copier les tats-Unis, comme la Chine l'Union sovitique.
A la fin des annes soixante-dix, l'chec conomique du communisme et la russite du capitalisme tant au Japon que dans d'autres
socits asiatiques de plus en plus nombreuses ont incit le nouveau
pouvoir chinois s'carter du modle sovitique. La chute de l'Union
sovitique, dix ans aprs, a encore plus soulign les checs dus cet
emprunt. Les Chinois ont t confronts la question de savoir s'ils
conomie et dmographie
113
114
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
dans les concepts imports d'Occident, mais dans leur culture chinoise
commune.
Le nationalisme dfendu par le rgime est un nationalisme han,
ce qui contribue effacer les diffrences linguistiques, rgionales et
conomiques ruvre dans 90 % de la population chinoise. En mme
temps, il souligne les diffrences avec les minorits ethniques non chinoises qui reprsentent moins de 10 % de la population, mais occupent
60 % du territoire. Il fournit galement au rgime une base pour rejeter
le christianisme, les organisations chrtiennes et le proslytisme chrtien, lesquels reprsentent une alternative pour remplir le vide laiss
par l'croulement du marxisme-lninisme.
Paralllement, dans le Japon des annes quatre-vingt, la russite
conomique, qui contraste avec les checs et le dclin de l'conomie
et du systme social amricains, suscite chez les Japonais un dsenchantement vis--vis des modles occidentaux. Ils sont de plus en plus
convaincus du fait que leur succs peut s'expliquer par leur culture
propre. La culture japonaise, qui a produit le dsastre militaire de 1945
et devait donc tre rejete, a aussi donn le triomphe conomique. On
doit donc renouer avec elle. La familiarit de plus en plus grande des
Japonais avec la socit occidentale les a conduits comprendre
qu'tre occidental n'est pas en soi et pour soi magique et merveilleux.
Ils tiennent cela de leur propre systme . Les Japonais de la restauration Meiji ont adopt une politique de dsengagement vis--vis de
l'Asie et de rapprochement l'gard de l'Europe; le renouveau
culturel japonais de la fin du xxe sicle conduit prendre ses distances avec l'Amrique et se rapprocher de l'Asie B . Cette tendance
implique tout d'abord de se rapproprier les traditions culturelles japonaises et de raffirmer les valeurs de ces traditions; ensuite, ce qui est
plus problmatique, d' asianiser le Japon et de l'identifier, malgr
ses particularits, la culture asiatique en gnral. Vu le degr d'identification du Japon, aprs la Seconde Guerre mondiale, avec l'Occident,
par contraste avec la Chine, et dans la mesure o l'Occident, malgr
ses checs, ne s'est pas croul aprs la fin de l'Union sovitique, les
tentations au Japon de rejeter l'Occident sont aussi grandes qu'en
Chine, celles de prendre ses distances la fois avec l'Union sovitique
et les modles occidentaux. D'un autre ct, la singularit de la civilisation japonaise, les souvenirs laisss par l'imprialisme japonais dans
d'autres pays et l'influence conomique dominante de la Chine dans
de nombreux autres pays d'Asie signifient aussi qu'il sera plus facile
pour le Japon de s'loigner de l'Occident que de se mler l'Asie 9. En
raffirmant son identit culturelle, le Japon souligne sa singularit et
ses diffrences vis--vis la fois des cultures occidentales et des
cultures asiatiques.
De mme que Chinois et Japonais prouvent de nouveau la valeur
de leur culture, ils raffirment tous la valeur de la culture asiatique
en gnral par rapport celle de l'Occident. L'industrialisation et la
conomie et dmographie
115
croissance qui l'a accompagne ont pouss dans les annes quatrevingt et quatre-vingt-dix les Extrme-Orientaux ce qu'on pourrait
appeler une affirmation asiatique. Cet ensemble d'attitudes comporte
quatre composantes majeures.
Premirement, les Asiatiques croient que l'Extrme-Orient
connatra un dveloppement conomique rapide, dpassera l'Occident
par son produit conomique et sera donc de plus en plus puissant dans
les affaires internationales par rapport l'Occident. La croissance conomique stimule dans les socits asiatiques le sentiment de puissance
et favorise l'affirmation de leur aptitude se dresser contre l'Occident.
L'poque durant laquelle, lorsque les tats-Unis ternuaient, l'Asie
prenait froid est finie , a dclar en 1993 un journaliste japonais
important. Un responsable malaisien a repris la mtaphore mdicale
en disant que mme une grosse fivre en Amrique ne donnera plus
le rhume l'Asie . Les Asiatiques, selon un autre dirigeant d'Asie,
sortent de leur tat de soumission vis--vis des tats-Unis et vont
dsormais pouvoir rpondre . La prosprit de plus en plus grande
en Asie, a affirm le Premier ministre malaisien, signifie qu'elle est
dsormais en situation d'offrir une alternative srieuse l'ordre mondial politique, social et conomique dominant 10. Cela signifie aussi,
soutiennent les Extrme-Orientaux, que l'Occident perd rapidement sa
capacit pousser les socits asiatiques se conformer aux normes
occidentales en matire de droits de l'homme et dans d'autres
domaines de valeurs.
Deuximement, les Asiatiques croient que leur russite conomique est en grande partie un produit de la culture asiatique, laquelle
serait suprieure celle de l'Occident, culturellement et socialement
dcadent. Durant les beaux jours des annes quatre-vingt, lorsque
l'conomie, les exportations, la balance commerciale et les rserves de
devises japonaises connaissaient un boom, les Japonais, comme les
Saoudiens avant eux, fiers de leur puissance conomique nouvelle, voquaient avec mpris le dclin de l'Occident et attribuaient leur succs
ainsi que les checs de l'Occident la supriorit de leur culture et
la dcadence de la culture occidentale. Au dbut des annes quatrevingt-dix, le triomphalisme asiatique s'est exprim dans ce qu'on pourrait appeler l'offensive culturelle de Singapour . commencer par
Lee Kuan Yew, les dirigeants de Singapour ont proclam la monte de
l'Asie dans les relations avec l'Occident et ils ont oppos les vertus de
la culture asiatique, fondamentalement confucenne, qui seraient responsables de sa russite -l'ordre, la discipline, la responsabilit familiale, le got du travail, le collectivisme, la sobrit - la
complaisance, la paresse, l'individualisme, la violence, la sous-ducation, le manque de respect pour l'autorit et l'ossification mentale
qui seraient responsables du dclin de l'Occident. Pour lutter contre
l'Asie, soutenaient-ils, les tats-Unis doivent remettre en question
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conomie et dmographie
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La Rsurgence de l'islam
cause de leur dveloppement conomique, les Asiatiques s'affirment de plus en plus. Les musulmans, en grand nombre, se tournent
dans le mme temps vers l'islam comme source d'identit, de sens, de
stabilit, de lgitimit, de dveloppement, de puissance et d'espoir,
espoir symbolis par le slogan: l'islam est la solution . Cette Rsurgence de l'islam *, par son ampleur et sa profondeur, est la dernire
* Certains lecteurs se demanderont peut-tre pourquoi crire Rsurgence
avec une capitale. La raison en est que ce terme se rfre un vnement historique
extrmement important, qui affecte au moins un cinquime de l'humanit et est donc
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phase du rajustement de la civilisation musulmane par rapport l'Occident. C'est un effort pour trouver la solution non plus dans les
idologies occidentales mais dans l'islam. Elle se traduit par l'acceptation de la modernit, le rejet de la culture occidentale et le rengagement dans l'islam comme guide de vie dans le monde moderne.
Comme l'expliquait un haut fonctionnaire saoudien en 1994, les
"importations de l'tranger" sont sympatiques quand il s'agit de
"choses" belles ou sophistiques, mais des institutions sociales et
politiques intangibles venues d'ailleurs peuvent tre mortelles
-demandez au shah d'Iran [... ]. Pour nous, l'islam n'est pas seulement
une religion, c'est un mode de vie. Nous autres Saoudiens voulons nous
moderniser, mais pas ncessairement nous occidentaliser 17 .
La Rsurgence de l'islam reprsentre l'effort des musulmans pour
atteindre ce but. C'est un vaste mouvement intellectuel, culturel, social
et politique qui domine le monde musulman. Le fondamentalisme
islamique, conu comme islam politique, n'est qu'une composante du
retour bien plus large aux ides, aux pratiques et la rhtorique islamiques, et du lien restaur avec l'islam dans les populations musulmanes. La Rsurgence est modre et non extrmiste, dominante et
non isole.
Elle affecte les musulmans dans tous les pays et la plupart des
aspects de la socit et de la politique dans la majorit des pays musulmans. John L. Esposito crivait:
Les signes d'un rveil musulman dans la vie personnelle sont nombreux : attention de plus en plus grande la pratique religieuse (frquentation des mosques, prires, cultes), prolifration des programmes et
des publications religieux, importance accrue accorde la tenue et aux
valeurs islamiques, revitalisation du soufisme (mysticisme). Ce renouveau trs tendu s'est accompagn d'une raffirmation de l'islam dans la
vie publique: augmentation des gourvernements, des organisations, des
lois, des banques, des services sociaux et des institutions d'enseignement
tourn vers l'islam. Les gourvernements et les mouvements d'opposition
se sont tourns vers l'islam pour se donner une autorit et gagner un
soutien populaire [...J. La plupart des souverains et des gouvernements,
dont des tats lacs comme la Turquie et la Tunisie, ont pris conscience
de la force potentielle de l'islam et se montrent plus sensibles mais aussi
plus inquiets vis--vis des questions islamiques.
conomie et dmographie
119
usage plus grand du langage et du symbolisme religieux, une expansion de l'enseignement islamique (manifeste dans la multiplication des
coles islamiques et dans l'islamisation des programmes dans les
coles publiques courantes), une adhsion plus grande aux codes islamiques de comportement social (comme le voile des femmes, le fait de
ne pas boire d'alcool), la participation plus grande aux rituels religieux,
la domination de groupes islamiques dans l'opposition aux gouvernements lacs dans les socits musulmanes et les efforts accrus pour
dvelopper la solidarit internationale entre tats et socits islamiques 18. La revanche de Dieu est un phnomne global, mais Dieu, ou
plutt Allah, a fait en sorte qu'elle soit plus forte et plus complte dans
la Oumma, la communaut de l'islam.
Dans ses manifestations politiques, la Rsurgence de l'islam ressemble au marxisme : critures saintes, vision de la socit parfaite,
engagement pour un changement radical, rejet des puissances tablies
et de l'tat-nation, diversit doctrinale qui va du rformisme modr
l'extrmisme rvolutionnaire et violent. Plus opratoire est cependant
l'analogie avec la Rforme protestante. Toutes deux sont des ractions
la stagnation et la corruption des institutions en place, dfendent
un retour une version plus pure et plus exigeante de leur religion,
prchent le travail, l'ordre et la discipline, et s'adressent des populations dynamiques appartenant aux classes moyennes montantes.
Toutes deux sont galement des mouvements complexes, avec des tendances diverses, mais deux principales, le luthrianisme et le calvinisme, l'islam chiite et le fondamentalisme sunnite. On peut mme
faire un parallle entre Calvin et l'ayatollah Khomeiny : ils ont tous
deux tent d'imposer la discipline monastique leur socit. L'esprit
de la Rforme et de la Rsurgence, c'est la rforme profonde. La
Rforme doit tre universelle, dclarait un pasteur puritain: on doit
rformer partout, tout le monde; on doit rformer les tribunaux et
les magistrats, rformer les universits, rformer les villes et les pays,
rformer les lieux de savoir, rformer le sabbat, rformer les ordres, le
culte de Dieu. Dans des termes semblables, al-Turabi affirme que ce
rveil est gnral - il ne porte pas seulement sur la pit individuelle;
il n'est pas seulement intellectuel et culturel, ni seulement politique. il
est tout cela la fois, une reconstruction gnrale de la socit de bas
en haut 19 . Ignorer l'impact de la Rsurgence de l'islam sur la politique de l'hmisphre oriental la fin du xxe sicle serait comme
ignorer l'impact de la Rforme protestante sur la politique europenne
la fin du XVIe sicle.
La Rsurgence diffre cependant de la Rforme sur un point cl.
La seconde a surtout touch l'Europe du Nord. Elle s'est peu tendue
en Espagne, en Italie, en Europe de l'Est, dans les territoires contrls
par les Habsbourg. Au contraire, la premire a touch presque toutes
les socits musulmanes. Depuis le dbut des annes soixante-dix, les
symboles, les croyances, les pratiques, les institutions, les politiques et
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mistes dominer l'opposition a aussi t accrue par l'action des gouvernements qui ont fait disparatre les mouvements d'opposition
laque. La puissance du fondamentalisme est inversement proportionnelle celle des partis dmocratiques ou nationalistes lacs. Elle a t
plus faible dans des pays comme le Maroc ou la Turquie, o une certaine dose de multipartisme est autorise, que dans les pays o il
n'existait aucune opposition 28. L'opposition laque, toutefois, est plus
vulnrable la rpression que l'opposition religieuse. Cette dernire
peut oprer au sein et l'abri d'un rseau de mosques, d'organisations
de secours, de fondations et d'autres institutions musulmanes dont le
gouvernement pense qu'elles ne peuvent tre supprimes. Les dmocrates libraux ne disposent pas d'une telle couverture et sont bien plus
facilement contrls et limins par le gouvernement.
Soucieux de prvenir la croissance des tendances islamistes, les
gouvernements ont tendu l'enseignement religieux dans les coles
contrles par l'tat, lesquelles taient en fait domines par des professeurs et des ides islamistes. ils ont donn un soutien accru la religion et aux institutions religieuses d'ducation. Ces actions
traduisaient l'vidence l'engagement de ces gouvernements dans
l'islam et, par le biais du financement, elles ont tendu le contrle gouvernemental sur l'enseignement et les institutions islamiques. Toutefois, cela a aussi contribu former un grand nombre de gens aux
valeurs de l'islam et les rendre ainsi plus ouverts aux appels des islamistes. De nombreux militants ont aussi obtenu des diplmes qui leur
ont ensuite permis de travailler au service des buts islamistes.
La force de la Rsurgence et l'attrait des mouvements islamistes
ont conduit les gouvernements promouvoir des institutions et des
pratiques islamiques, et intgrer les symboles et les pratiques islamiques leur propre fonctionnement. D'une manire gnrale, cela a
signifi affirmer ou raffirmer le caractre islamique de leur rgime et
de leur socit. Dans les annes soixante-dix et quatre-vingt-dix, les
dirigeants politiques se sont empresss d'identifier leur rgime et leur
personne l'islam. Le roi Hussein de Jordanie, persuad que les gouvernements lacs n'avaient pas d'avenir dans le monde arabe, a voqu
le besoin de crer une dmocratie islamique et un islam modernisateur. Le roi Hasan II du Maroc a rappel qu'il descend du Prophte
et est le Commandeur des croyants. Le sultan du Brunei, auparavant peu pratiquant, est devenu de plus en plus dvot et a dfini
son rgime comme une monarchie musulmane. Ben Ali, en Tunisie,
a commenc invoquer de plus en plus Allah dans ses discours et
s'est drap dans le manteau de l'islam pour concurrencer la monte
des groupes islamiques 29. Au dbut des annes quatre-vingt-dix,
Suharto a adopt une claire politique d'islamisation. Au Bangladesh,
le principe de lacit a t retir de la constitution au milieu des annes
soixante-dix, et, au dbut des annes quatre-vingt-dix, le kmalisme a
t remis en cause pour la premire fois en Turquie. Pour souligner
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19 20
.9
c
o
~
'3
18
0-
~ 16
CI)
~ 14
CI)
~ 12
,...
CI)
10
o
19651970
1980
1990
2000
2010
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Ans
_
tats-Unis
Europe
_
_
Pays musulmans
_
Fdration russe
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annes 80
Syrie
Albanie
Ymen
Turquie
Tunisie
Pakistan
Malaisie
Kirghizistan
Tadjikistan
Turkmnistan
Azerbadjan
annes 90
Algrie
Irak
Jordanie
Maroc
Bangladesh
Indonsie
annes 2000
Tadjikistan
Turkmnistan
gypte
Iran
Arabie Saoudite
Kowet
Soudan
annes 2010
Kirghizistan
Malaisie
Pakistan
Syrie
Ymen
Jordanie
Irak
Oman
Libye
Afghanistan
Dcennies pendant lesquelles le nombre des 15-24 ans a atteint un pic en pourcentage de la
population totale (presque toujours plus de 20 %). Dans certains pays, on note deux pics.
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19651970
1980
1990
2000
Ans
Balkans
Moyen-Orient
Asie centrale
Afrique du N.
tats du Golfe
Asie du Sud
2010
2020 2025
Asie du Sud-Est
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De nouveaux dfis
Aucune socit ne peut connatre durablement une croissance
deux chiffres. Le boom conomique de l'Asie s'arrtera un jour ou
l'autre au ~ sicle. Le taux de croissance conomique du Japon a
chut dans les annes soixante-dix. Par la suite, il n'a gure t plus
lev que ceux des tats-Unis et des pays europens. L'un aprs l'autre,
les miraculs d'Asie verront leur taux de croissance dcrotre et
atteindre le niveau normal des conomies complexes. De mme,
aucun renouveau religieux ou mouvement culturel ne dure indfiniment. Un jour ou l'autre, la Rsurgence de l'islam marquera le pas
et rentrera dans l'histoire. Cela se produira sans doute lorsque l'lan
dmographique qui la nourrit s'affaiblira dans les annes 2020-2030.
ce moment, le nombre de militants, de guerriers et de migrants diminuera, et les conflits au sein de l'islam et entre les pays musulmans et
les autres s'attnueront (voir chapitre 10). Les relations entre l'islam et
l'Occident ne deviendront pas plus intimes pour autant, mais elles
seront moins tendues, et la quasi-guerre actuelle (voir chapitre 9)
cdera la place la guerre froide, voire la paix froide.
Le dveloppement conomique en Asie laissera en hritage
richesse, conomies complexes, plus ouvertes sur l'international, des
bourgeoisies prospres et des classes moyennes l'aise. Cela plaidera
sans doute pour une vie plus pluraliste et peut-tre plus dmocratique,
mais pas ncessairement plus pro-occidentale. Cette puissance incitera
au contraire l'Asie s'affirmer plus dans les affaires internationales,
agir pour que les tendances globales n'aillent pas ncessairement dans
le sens de ce qui convient l'Occident et modifier les institutions
internationales pour les loigner du modle et des normes occidentaux.
La Rsurgence de l'islam, tels des mouvements comparables, comme
la Rforme, laissera aussi un important hritage. Les musulmans
auront plus conscience de ce qu'ils ont en commun et de ce qui les
distingue des non-musulmans. La nouvelle gnration de dirigeants
qui merge avec la monte des jeunes ne sera pas ncessairement fondamentaliste, mais elle sera plus implique dans l'islam que celle qui
l'a prcde. L'indignisation se renforcera. La Rsurgence laissera un
rseau d'organisations sociales, culturelles, conomiques et politiques
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Troisime partie
CHAPITRE 6
La recomposition culturelle
de la politique globale
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vigueur, dmontrant ainsi, l'instar de l'Union europenne, que l'intgration conomique est plus rapide et plus profonde lorsgu'elle est
fonde sur une communaut culturelle. En mme temps, les Etats-Unis
et le Canada tentent d'absorber le Mexique dans la zone nord-amricaine de libre change, processus dont la russite dpend en grande
partie de la capacit qu'aura le Mexique de passer d'une culture latinoamricaine une culture nord-amricaine.
Avec la fin de l'ordre de la guerre froide, les pays du monde entier
ont commenc dvelopper de nouveaux antagonismes et de nouvelles
affinits, ou bien en raviver d'anciennes. Ils tendent se regrouper
et le font avec des pays appartenant la mme culture et la mme
civilisation. Les hommes politiques invoquent de grandes communauts culturelles auxquelles l'opinion s'identifie et qui transcendent
les frontires des tats-nations : la grande Serbie, la grande Chine , la grande Turquie, la grande Hongrie, la grande Croatie , le grand Azerbadjan la grande Russie, la grande
Albanie, le grand Iran et le grand Ouzbkistan.
Les alliances politiques et conomiques concideront-elles toujours avec celles qui sont fondes sur la culture et la civilisation? Certainement pas. Les rapports de force susciteront parfois des
rapprochements transculturels, comme ce fut le cas lorsque Franois
1er s'allia avec les Turcs contre les Habsbourg. En outre, des associations conues pour servir les intrts de certains tats une poque
dtermine dureront parfois encore. Elles perdront cependant de leur
puissance et de leur sens, et devront tre adaptes au contexte nouveau. La Grce et la Turquie resteront certainement membres de
l'OTAN, mais leurs liens avec les autres tats membres se distendront
sans doute. De mme pour les alliances des tats-Unis avec le Japon
et la Core, avec Isral, ainsi qu'avec le Pakistan pour les questions de
dfense. Des organisations internationales multicivilisationnelles
comme l'ANSEA prouveront de plus en plus de difficults rester
cohrentes. Des pays comme l'Inde et le Pakistan, partenaires de superpuissances diffrentes l'poque de la guerre froide, redfiniront leurs
intrts et rechercheront des associations nouvelles refltant les ralits de la politique culturelle. Les pays africains qui dpendaient du
soutien de l'Occident pour contrecarrer l'influence sovitique regarderont de plus en plus vers l'Afrique du Sud, laquelle pourrait devenir
leur chef de file et leur soutien.
Pourquoi les affinits culturelles devraient-elles faciliter la coopration et la cohsion, tandis que les diffrences culturelles devraient
attiser les clivages et les conflits?
Premirement, chacun a de multiples identits, de cousinage, professionnelle, culturelle, institutionnelle, territoriale, d'ducation, partisane, idologique, etc., qui peuvent entrer en comptition ou se
renforcer les unes les autres. S'identifier une seule dimension peut
jurer avec d'autres identifications. Exemple classique: les ouvriers alle1
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liens civilisationnels sont plus actives que les organisations multicivilisationnelles, et elles russissent mieux. C'est vrai des organisations
politiques et militaires, mais aussi des organisations conomiques.
Le succs de l'OTAN s'explique en grande partie par son rle central comme organisation militaire des pays occidentaux partageant les
mmes valeurs et la mme philosophie. L'Union de l'Europe occidentale est le produit de la culture europenne. L'Organisation pour la
scurit et la coopration en Europe, l'inverse, comprend des pays
appartenant au moins trois civilisations. ils ont des valeurs et des
intrts diffrents, ce qui empche d'en faire une institution l'identit
forte et aux attributions tendues. La communaut des Carabes
(CARICOM) regroupe treize ex-colonies britanniques anglophones
lies par les mmes bases civilisationnelles. Elle a permis d'instaurer
des dispositifs de coopration trs dvelopps. Les efforts pour rassembler au sein d'organisations carabes des pays d'influence anglaise et
d'autres d'influence hispanique ont systmatiquement chou. De
mme, l'Association pour la coopration rgionale en Asie du Sud-Est,
forme en 1985 et rassemblant sept tats hindous, musulmans et
bouddhistes, a t totalement inefficace, au point mme de ne pouvoir
se runir 3
La relation entre culture et rgionalisme est vidente en termes
d'intgration conomique. Par ordre croissant de degr d'intgration,
on admet que les quatre niveaux possibles d'association conomique
entre pays sont:
1. la zone de libre-change;
2. l'union douanire;
3. le march commun;
4. l'union conomique.
L'Union europenne s'est intgre en crant un march commun
et les lments d'une union conomique. Les pays appartenant Mercosur et au Pacte andin, instances relativement homognes, taient en
1994 sur le point de crer des unions douanires. En Asie, l'ANSEA,
qui est multicivilisationnelle, commenait peine en 1992 dvelopper une zone de libre-change. D'autres organisations conomiques
multicivilisationnelles restent loin derrire. En 1995, l'exception marginale de l'ALENA, aucune organisation de ce genre n'avait cr de
zone de libre-change et plus forte raison une quelconque forme d'intgration conomique plus tendue.
En Europe occidentale et en Amrique latine, les liens de communaut civilisationnelle stimulent la coopration et l'organisation rgionale. Les Europens de l'Ouest et les Latino-Amricains savent qu'ils
ont beaucoup en commun. Au contraire, on trouve cinq civilisations
en Extrme-Orient (six en comptant la Russie). C'est donc l qu'on
peut vrifier ce qu'il en est du dveloppement d'organisations importantes qui ne seraient pas fondes sur une civilisation commune. Au
dbut des annes quatre-vingt-dix, on n'y trouvait aucune organisation
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De mme pour nous Asiatiques. Son but, comme l'a dit un de ses
membres, est de dvelopper le commerce rgional entre pays frres
en Asie 7 .
Le prsuppos du CEEO est que l'conomie suit la culture. L'Australie, la Nouvelle-Zlande et les Etats-Unis en sont exclus, parce que,
culturellement parlant, ils ne sont pas asiatiques. Sa russite dpend
cependant de la participation du Japon et de la Chine. Mahathir a
plaid pour la participation japonaise. Le Japon est asiatique. Le
Japon fait partie de l'Extrme-Orient, a-t-il dit devant un public japonais. Vous ne pouvez ngliger cette donne goculturelle. Vous
appartenez l'Asie s. Le gouvernement japonais, toutefois, tait rticent, en partie par peur d'offenser les tats-Unis et en partie parce qu'il
n'tait pas sr que le Japon devait s'identifier l'Asie. Si le Japon
rejoint le CEEO, ce sera pour le dominer, ce qui peut susciter les
craintes et les hsitations de ses membres, ainsi que l'hostilit de la
Chine. Depuis plusieurs annes, il est question que le Japon cre une
zone yen pour faire contrepoids l'Union europenne et l'ALENA.
Cependant, le Japon est un pays isol qui a peu de liens avec ses voisins, de sorte qu'en 1995 encore aucune zone yen ne s'tait concrtise.
L'ANSEA volue lentement; la zone yen est un rve; le Japon tergiverse ; le CEEO ne voit pas encore le jour. Cependant, les interactions
conomiques en Extrme-Orient n'en ont pas moins augment de
faon saisissante. Cette expansion est due aux liens culturels qui unissent les communauts chinoises. Ds ont suscit 1' intgration informelle constante d'une vritable conomie internationale chinoise
comparable par bien des aspects la Ligue hansatique et conduisant
peut-tre un march commun chinois de fait 9 (voir p. 183 190).
En Extrme-Orient comme ailleurs, les affinits culturelles forment les
bases de l'intgration conomique.
La fin de la guerre froide a stimul les efforts pour crer de nouvelles organisations conomiques rgionales et pour revigorer les
anciennes. La russite de ces efforts dpendait surtout de l'homognit culturelle des tats concerns. C'est pourquoi le plan de march
commun moyen-oriental propos en 1994 par Shimon Peres restera
sans doute longtemps un mirage. Le monde arabe, disait en effet un
responsable arabe, n'a pas besoin d'une institution ou d'une banque
pour le dveloppement auxquelles participerait Isral 10. L'Association des tats carabes, cre en 1994 pour relier CARICOM Hati et
aux pays hispanophones de la rgion, ne semble pas tre parvenue
dpasser les diffrences linguistiques et culturelles entre ses membres,
non plus que l'insularit des ex-colonies britanniques et leur ouverture
vers les tats-Unis 11. D'un autre ct, les efforts mens dans le cadre
d'organisations culturellement homognes donnent des rsultats.
Malgr leurs divisions, le Pakistan, l'Inde et la Turquie ont en 1985
redonn vie la Coopration rgionale pour le dveloppement qu'ils
avaient cre en 1977 et l'ont rebaptise Organisation de coopration
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menace que reprsente l'islam au sud est plus incertain que ne l'tait
sa volont d'tre aux cts de l'Occident contre la menace sovitique.
Pendant la crise du Golfe, le refus par l'Allemagne, pays traditionnellement ami de la Turquie, de considrer qu'une attaque de missile contre
ce pays aurait reprsent une attaque contre l'OTAN a aussi montr
que la Turquie ne pouvait compter sur le soutien occidental contre les
menaces venues du sud. l'poque de la guerre froide, les confrontations de la Turquie avec l'Union sovitique ne posaient pas la question
de son appartenance telle ou telle civilisation; ce n'est pas le cas,
aprs la fin de la guerre froide, pour ce qui est de ses relations avec les
pays arabes.
Depuis le dbut des annes quatre-vingt, les lites turques favorables l'Occident ont eu pour priorit en matire de politique trangre d'assurer l'entre dans l'Union europenne. La Turquie a dpos
une demande officielle en avril 1987. En dcembre 1989, elle a appris
que celle-ci ne pourrait tre prise en considration avant 1993. En
1994, l'Union a approuv l'entre de l'Autriche, de la Finlande, de la
Sude et de la Norvge. On pouvait alors penser que, dans les annes
venir, ce serait le cas aussi pour la Pologne, la Hongrie et la Rpublique
tchque, puis peut-tre pour la Slovnie, la Slovaquie et les rpubliques
baltes. Les Turcs ont eu la dception de voir que l'Allemagne, c'est-dire le membre le plus influent de la communaut europenne, ne
soutenait pas activement leur candidature et donnait plutt la priorit
aux tats d'Europe centrale. Sous la pression des tats-Unis, l'Union
europenne a cependant ngoci une union douanire avec la Turquie 27. Son entre pleine et entire dans l'Europe n'interviendra toutefois pas avant un avenir lointain et fort incertain.
Pourquoi la Turquie a-t-elle ainsi t oublie et semble toujours
passer en dernier? En public, les officiels europens invoquent son
niveau faible de dveloppement conomique et son peu de respect pour
les droits de l'homme. En priv, les Europens comme les Turcs s'accordent penser que les vraies raisons sont chercher dans l'opposition vive de la Grce et surtout dans le fait que la Turquie est un pays
musulman. Les pays europens ne veulent pas se retrouver dans la
position d'ouvrir leurs frontires l'immigration issue d'un pays de
soixante millions de musulmans, dont beaucoup de chmeurs. Plus
important encore, ils estiment que la Turquie ne fait culturellement
pas partie de l'Europe. La prtendue mauvaise situation des droits de
l'homme est, selon le prsident Ozal en 1992, un prtexte pour justifier le refus de laisser la Turquie entrer dans la communaut europenne . La vraie raison, disait-il, c'est que nous sommes musulmans
alors qu'ils sont chrtiens . Mais, ajoutait-il, ils n'osent pas le dire .
Les responsables europens considrent que l'Union est un club chrtien et que {( la Turquie est trop pauvre, trop peuple, trop musulmane, trop rudimentaire, trop diffrente culturellement, trop tout .
Le mauvais rve des Europens, disait un observateur, c'est le sou-
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conditions minimales pour qu'un pays dchir change d'identit civilisationnelle. Les lites soutenaient cette volution et l'opinion approuvait. Les lites occidentales, cependant, ne voyaient pas cela d'un bon
il. La rsurgence de l'islam en Turquie a attis des sentiments antioccidentaux dans l'opinion et a min l'orientation laque et pro-occidentale des lites. Les obstacles au fait, pour la Turquie, de devenir
pleinement europenne, ses moyens limits pour jouer un rle dominant dans les ex-rpubliques sovitiques et la monte des tendances
islamiques portant atteinte l'hritage d'Atatrk, tout cela semble
assurer que la Turquie restera encore longtemps un pays dchir.
Les dirigeants turcs dcrivent souvent leur pays comme un
pont entre les cultures. La Turquie, disait le Premier ministre Tansu
Ciller en 1993, est la fois une dmocratie occidentale et une
partie du Moyen-Orient. Elle fait se rejoindre physiquement et
culturellement deux civilisations . Auprs du public turc, Ciller apparat souvent comme musulmane, mais, quand elle s'adresse l'OTAN,
elle dfend l'ide selon laquelle le fait est que, d'un point de vue gographique et politique, la Turquie est un pays europen . De mme,
le prsident Sleyman Demirel disait que la Turquie est un pont
important dans une rgion qui va de l'ouest l'est, c'est--dire de l'Europe la Chine 37 . Cependant, un pont est une cration artificielle qui
relie deux entits solides, mais ne fait partie d'aucune d'entre elles.
Quand les dirigeants turcs qualifient ainsi leur pays, c'est un euphmisme confirmant qu'il est bel et bien dchir.
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CHAPITRE 7
Ordre et civilisations
Dans la politique globale qui s'impose, les Etats phares des
grandes civilisations supplantent les deux superpuissances de la guerre
froide en tant que principaux ples d'attraction et de rpulsion pour
les autres pays. Ces changements sont particulirement patents si on
considre les civilisations occidentale, orthodoxe et chinoise. En
l'occurrence, des regroupements civilisationnels apparaissent qui rassemblent des Etats phares, des Etats membres, des minorits culturellement affilies dans les Etats adjacents et, ce qui pose plus de
problmes, des reprsentants d'autres cultures dans les Etats voisins.
Au sein de ces blocs culturels, les Etats tendent se distribuer en
cercles concentriques autour du ou des Etats phares, et ce en fonction
de leur degr d'identification et d'intgration avec le bloc auquel ils
appartiennent. Dans le cas de l'islam, le sentiment d'appartenance s'accrot, certes, mais, faute d'Etat phare, les structures politiques
communes restent rudimentaires.
Les pays tendent se raccrocher ceux qui ont une culture semblable et faire pendant aux pays avec lesquels ils n'ont pas d'affinits
culturelles. C'est particulirement vrai des Etats phares. Leur puissance attire ceux qui sont culturellement semblables et repousse ceux
qui sont culturellement diffrents. Pour des raisons de scurit, les
Etats phares tentent parfois d'incorporer ou de dominer des peuples
appartenant d'autres civilisations, lesquels s'efforcent de rsister ou
d'chapper un tel contrle (la Chine avec les Tibtains et les Ougours, la Russie avec les Tatars, les Tchtchnes et les musulmans
d'Asie centrale). Le poids de l'histoire et les rapports de force condui-
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reste limite. Le Pakistan, le Bangladesh et mme le Sri Lanka n'accepteront pas que l'Inde joue un rle ordonnateur en Asie du Sud et aucun
tat extrme-oriental n'acceptera que le Japon joue ce rle en
Extrme-Orient.
Lorsque les civilisations n'ont pas d'tat phare, crer un ordre au
sein des civilisations et en ngocier un entre civilisations est nettement
plus difficile. L'absence d'tat phare islamique pouvant avec lgitimit
et autorit soutenir les Bosniaques, comme la Russie le fait avec les
Serbes et l'Allemagne avec les Croates, a oblig les tats-Unis jouer
ce rle. Cela n'a gure t efficace, car la question des frontires dans
l'ex-Yougoslavie n'est pas stratgique pour les tats-Unis, parce qu'il
n'existe pas de lien culturel entre les Etats-Unis et la Bosnie et parce
que l'Europe est oppose la cration d'un tat musulman sur son sol.
L'absence d'tat phare en Afrique et dans le monde arabe a beaucoup
compliqu la rsolution de la guerre civile persistante au Soudan. L
o il y a des tats phares, l'inverse, ceux-ci sont les cls du nouvel
ordre international fond sur les civilisations.
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.1f:::.=::::-::-~~~~~-=:
rg~~~:tffin~~lIf~~b.The Transformation of Western Europe,
FRONTIRES ORIENTALES
DELA CIVI LI SATION OCC 1DENTALE
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quement allie trs proche de la Russie. Au milieu des annes quatrevingt-dix, tous ces pays avaient des gouvernements prorusses parvenus
en gnral au pouvoir la faveur d'lections. Les relations entre la
Russie et la Gorgie (surtout orthodoxe) et l'Ukraine (en grande partie
orthodoxe) sont plus lches. Ces deux pays ont un fort sentiment
national et une claire conscience de leur indpendance passe. Dans
les Balkans orthodoxes, la Russie a des relations troites avec la Bulgarie, la Grce, la Serbie et Chypre, et plus lches avec la Roumanie.
Les rpubliques musulmanes de l'ex-Union sovitique restent trs
dpendantes de la Russie la fois conomiquement et dans le domaine
de la scurit. Les rpubliques baltes, par constraste, sous l'effet de
la force d'attirance de l'Europe, sont sorties de la sphre d'influence
russe.
La Russie cre un bloc form d'un territoire orthodoxe qu'elle
dirige et entour d'tats musulmans relativement faibles qu'elle dominera des degrs divers et dont elle tentera de dtourner l'influence
des autres puissances. Elle escompte que le monde accepte et approuve
ce systme. Les gouvernements trangers et les organisations internationales, disait Eltsine en fvrier 1993, doivent reconnatre la
Russie des pouvoirs spciaux en tant que garant de la paix et de la
stabilit dans les anciennes rgions de l'URSS . L'Union sovitique
tait une superpuissance qui avait des intrts globaux; la Russie est
une grande puissance qui a des intrts rgionaux et civilisationnels.
Les pays orthodoxes de l'ex-Union sovitique ont un rle central
pour le dveloppement d'un bloc russe cohrent en Eurasie et dans les
affaires internationales. Lorsque l'Union sovitique a explos, ces cinq
pays ont tout d'abord pris une direction trs nationaliste et ont voulu
marquer leur indpendance et leurs distances vis--vis de Moscou. Par
la suite, les ralits conomiques, gopolitiques et culturelles ont
conduit les lecteurs de quatre d'entre eux porter au pouvoir des
gouvernements prorusses et soutenir des politiques prorusses. Les
ressortissants de ces pays en appellent la protection et au soutien de
la Russie. Dans le cinquime, la Gorgie, l'intervention militaire russe
a impos une volution similaire dans les positions du gouvernement.
Historiquement, les intrts de l'Armnie se sont identifis ceux
de la Russie, et celle-ci s'est enorgueillie d'tre le dfenseur de l'Armnie contre ses voisins musulmans. Ces relations ont repris de la
vigueur dans les annes postsovitiques. Les Armniens dpendaient
du soutien conomique et militaire russe et ont appuy la Russie sur
des questions concernant les relations entre les ex-rpubliques sovitiques. Ces deux pays ont des intrts stratgiques convergents.
la diffrence de l'Armnie, la Bilorussie a peu de conscience
nationale. Elle est galement bien plus dpendante du soutien russe.
Nombre de ses rsidents semblent s'identifier bien plus la Russie qu'
leur propre pays. Aux lections de janvier 1994, un conservateur prorusse a remplac un centriste et nationaliste modr la tte de l'Etat.
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En juillet 1994, 80 % des votants ont lu comme prsident un extrmiste prorusse alli de Vladimir Zhirinovsky. La Bilorussie a trs tt
rejoint la Communaut des tats indpendants (CEI), a t un membre
fondateur de l'union conomique cre en 1993 avec la Russie et l'Ukraine, a consenti une union montaire avec la Russie, a abandonn
ses armements nuclaires la Russie et a accept que des troupes
russes stationnent sur son sol jusqu' la fin du sicle. En 1995, la Bilorussie tait de fait une partie de la Russie sauf par son nom.
Aprs que la Moldavie est devenue indpendante lorsque l'Union
sovitique s'est croule, on a pu penser qu'elle serait rintgre la
Roumanie. La crainte que cela se produise a en retour stimul un mouvement scessionniste dans l'est du pays, zone russifie, et il a t soutenu tacitement par Moscou et activement par la 14e arme russe. Cela
a conduit la cration de la rpublique du Trans-Dniestr. Le sentiment
que la Moldavie et la Roumanie feraient un tout a cependant dclin
en rponse aux problmes conomiques rencontrs par les deux pays
et sous la pression conomique russe. La Moldavie a rejoint la CEl, et
les changes avec la Russie se sont dvelopps. En fvrier 1994, les
partis prorusses ont gagn les lections parlementaires.
Dans ces trois tats, en rponse des intrts stratgiques et conomiques combins, l'opinion publique a pouss au pouvoir des gouvernements favorables un alignement troit sur la Russie. Le schma
a t pratiquement le mme en Ukraine. En Gorgie, cependant, le
cours des vnements a t diffrent. La Gorgie a t indpendante
jusqu'en 1801 lorsque le roi Georges XIII a demand la protection
russe contre les Turcs. Pendant trois annes aprs la Rvolution russe,
de 1918 1921, elle a t de nouveau indpendante, mais les bolcheviques l'ont de force rincorpore dans l'Union sovitique. Une coalition nationaliste a gagn les lections, mais son chef s'est engag dans
une rpression autodestructrice et a t violemment destitu. Edouard
A. Chevardnadze, qui avait t ministre des Affaires trangres d'Union
sovitique, est revenu diriger le pays et a t confirm au pouvoir aux
lections prsidentielles de 1992 et de 1995. Il a cependant t
confront une opposition sparatiste en Abkhazie, laquelle a reu un
soutien ru~se important, et une insurrection mene par Gamsakhourdia. A l'instar du roi Georges, il a admis que la Gorgie n'avait
pas le choix et a fait appel l'aide de Moscou. Les troupes russes sont
intervenues pour le soutenir condition que le pays entre dans la CEL
En 1994, les Gorgiens ont accept que les Russes aient trois bases
militaires en Gorgie pour une dure indfinie. L'intervention militaire
russe, tout d'abord pour affaiblir le gouvernement gorgien puis pour
le soutenir, a ainsi fait basculer la Gorgie, qui a des vellits d'indpendance, dans le camp russe.
Si on excepte la Russie, l'ex-rpublique sovitique la plus peuple
et la plus importante est l'Ukraine. des priodes diverses dans l'histoire, elle a t indpendante. Cependant, durant la majeure partie de
181
l're moderne, elle a fait partie d'une entit politique gouverne par
Moscou. L'vnement dcisif s'est produit en 1654 lorsque Bogdan
Khmelnitski, chef cosaque d'un soulvement contre la domination
polonaise, a fait allgeance au tsar en change d'aide contre les Polonais. De cette date 1991, sauf pendant le bref intermde o une rpublique indpendante a t tablie entre 1917 et 1920, ce qui est
aujourd'hui l'Ukraine a t contrl par Moscou. Cependant, c'est un
pays dchir par deux cultures distinctes. La frontire civilisationnelle
entre l'Occident et l'orthodoxie passe en plein cur de l'Ukraine et ce
depuis des sicles. Pendant certaines priodes, dans le pass, l'ouest de
l'Ukraine a fait partie de la Pologne, de la Lituanie et de l'Empire
austro-hongrois. Une grande part de sa population a adhr l'glise
uniate, qui pratique le rituel orthodoxe mais reconnat l'autorit du
pape. Historiquement, les Ukrainiens de l'Ouest parlaient l'ukrainien
et taient trs nationalistes. Les habitants de l'est du pays, au contraire,
taient surtout orthodoxes et parlaient en majorit le russe. Au dbut
des annes quatre-vingt-dix, 31 % de la population totale taient russophones. Une majorit d'lves de l'cole lmentaire et du secondaire
suivent des cours en russe 6. La Crime est majoritairement russe et a
appartenu la Fdration russe jusqu'en 1954, date laquelle
Khrouchtchev l'a transfre l'Ukraine en reconnaissance officielle de
la dcision prise par Khmelnitski trois cents ans plus tt.
Les diffrences entre l'est et l'ouest de l'Ukraine sont manifestes
dans l'attitude de leur population. Fin 1992, par exemple, un tiers des
Russes l'ouest de l'Ukraine, mais seulement 10 % Kiev, disaient
200, km
RUSSIE
Systems.
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de l'ombre. Au dbut des annes quatre-vingt-dix, l'influence conomique chinoise Hong Kong s'est beaucoup accrue, les investissements venus du continent dpassant en 1993 le total de ceux des tatsUnis et du Japon 21. Au milieu des annes quatre-vingt-dix, l'intgration
conomique de Hong Kong et de la Chine continentale est devenue
virtuellement complte, et l'intgration politique a t consomme en
1997.
Le dveloppement des liens conomiques de Taiwan avec le continent est la trane par rapport celui de Hong Kong. Des changements
importants ont pourtant commenc se produire dans les annes
quatre-vingt. Aprs 1949, pendant une trentaine d'annes, les deux
rpubliques chinoises ont refus de reconnatre leur existence ou leur
lgitimit respectives, elles n'entretenaient aucune communication et
taient virtuellement en guerre, ce qui se traduisait certains moments
par des canonnades dans les les ctires. Aprs que Deng Xiaoping a
consolid son pouvoir et a lanc le processus de rforme conomique,
cependant, le gouvernement de Chine continentale a entrepris une
srie de dmarches de conciliation. En 1981, le gouvernement de
Taiwan a ragi et a commenc abandonner sa politique des trois
non : pas de contact, pas de ngociation, pas de compromis. En mai
1986, la premire ngociation a eu lieu entre des reprsentants des
deux parties sur la restitution d'un avion de rpublique de Chine
dtourn sur le continent et, l'anne suivante, la Rpublique a lev son
interdit sur les voyages en Chine populaire 22.
Le dveloppement rapide des relations conomiques entre Taiwan
et le continent qui a suivi a t grandement facilit par leur sinitude
partage et par la confiance mutuelle qui en rsultait. Les gens de
Taiwan et de Chine ont, comme le remarquait le principal ngociateur
taiwanais, en quelque sorte le sentiment que le sang prime l'eau, et
ils taient fiers de ce que faisait l'autre. la fin de 1993, il y eut plus
de 4,2 millions de visites de Taiwanais sur le continent et quarante
mille visites de continentaux Taiwan; quarante mille lettres et treize
mille coups de tlphone taient changs chaque jour. Les changes
commerciaux entre les deux Chine avaient atteint 14,4 milliards de
dollars en 1993, et vingt mille hommes d'affaires taiwanais avaient
investi entre 15 et 30 milliards de dollars sur le continent. Avant
1980, le plus important march pour Taiwan, c'tait l'Amrique,
remarquait un haut fonctionnaire taiwanais en 1993, mais depuis les
annes quatre-vingt-dix, nous savons que le facteur le plus critique
pour la russite conomique taiwanaise, c'est l'conomie du continent. La main-d' uvre bon march de Chine populaire attirait aussi
les investisseurs taiwanais confronts chez eux un manque de maind' uvre. En 1994, l'quilibre capital-travail entre les deux Chine a
commenc tre rectifi lorsque les socits de pche de Taiwan ont
embauch dix mille continentaux pour faire marcher leurs bateaux 23.
Le dveloppement de ces liens conomiques a suscit des ngocia-
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Deuximement, le concept de Oumma prsuppose que l'tatnation n'est pas lgitime, et pourtant la Oumma ne peut tre unifie
que sous l'action d'au moins un tat phare fort qui fait actuellement
dfaut. L'ide de l'islam comme communaut politico-religieuse unifie a signifi que les tats phares se matrialisaient dans le pass seulement lorsque les suprmaties religieuse et politique - le califat et
le sultanat - taient combines en une seule entit gouvernante. La
conqute arabe rapide de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au
VIle sicle a culmin dans le califat umayyade qui avait pour capitale
Damas. Il a t suivi au VIIf sicle par le califat abbasside, bas
Bagdad et sous influence perse, et par des califats secondaires apparus
au Caire et Cordoue au xe sicle. Quatre cents ans plus tard, les Turcs
ottomans se sont tendus travers le Moyen-Orient, prenant Constantinople en 1453 et tablissant un nouveau califat en 1517. Presque en
mme temps, d'autres Turcs ont envahi l'Inde et fond l'Empire mogol.
La monte en puissance de l'Occident a affaibli la fois l'Empire
ottoman et l'Empire mogol, et la fin du premier a laiss l'islam sans
tat phare. Ses territoires se sont trouvs, en grande partie, diviss
entre les puissances occidentales. Et lorsqu'elles se sont retires, elles
ont laiss derrire elles des tats fragiles forms sur le modle occidental tranger aux traditions de l'islam. Pendant la plus grande partie
du xe sicle, aucun pays musulman n'a t assez puissant et assez lgitime culturellement et religieusement pour jouer le rle de chef de file
de l'islam et tre accept comme tel par les autres tats islamiques et
par les pays non islamiques.
L'absence d'tat phare islamique a beaucoup contribu la multiplication des conflits internes et externes qui caractrise l'islam. Le fait
que l'islam engendre une conscience identitaire commune sans cohsion politique est une source de faiblesse et une menace pour les autres
civilisations. Qu'en sera-t-il dans l'avenir?
Un tat phare islamique doit possder les ressources conomiques, la puissance militaire, les comptences d'organisation et
l'identit et l'engagement islamiques pour confrer la Oumma une
suprmatie politique et religieuse. On mentionne priodiquement six
tats au titre de chef de file de l'islam. Pour lors, aucun d'eux n'a
rempli toutes les conditions pour constituer effectivement un tat
phare. L'Indonsie est le pays musulman le plus vaste et elle connat
un dveloppement conomique rapide. Cependant, elle est situe la
priphrie de l'islam, loin de ses centres arabes. Sa variante de l'islam
est trs souple. Et sa population et sa culture rsultent d'un mlange
d'influences indignes, musulmanes, hindoues, chinoises et chrtiennes. L'gypte est un pays arabe, la population nombreuse, situ
un emplacement central et stratgique du Moyen-Orient. Elle possde la principale institution d'enseignement islamique, l'universit
Al-Azhar. C'est toutefois un pays pauvre, conomiquement dpendant
tats phares,
cercles concentriques
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des tats-Unis, des institutions internationales contrles par l'Occident et des tats arabes riches en ptrole.
L'Iran, le Pakistan et l'Arabie Saoudite se sont tous explicitement
dfinis comme des pays musulmans et ont activement tent d'exercer
une influence et de confrer la suprmatie la Oumma. Ce faisant, ils
sont devenus rivaux dans le financement d'organisations et de groupes
islamiques, dans le soutien aux combattants en Afghanistan et dans
l'agitation des musulmans d'Asie centrale. L'Iran a la taille, la situation
centrale, la population, les traditions historiques, les ressources ptrolires et le niveau de dveloppement conomique requis pour tre un
tat phare islamique. 90 % des musulmans, cependant, sont sunnites
et l'Iran est chiite. Le persan est loin derrire l'arabe comme langue de
l'islam. Et les relations entre Perses et Arabes ont t historiquement
antagonistes.
Le Pakistan a la taille, la population et les moyens militaires ncessaires. Ses dirigeants se sont faits les dfenseurs de la coopration
entre tats islamiques et les hrauts de l'islam dans le reste du monde.
Le Pakistan est cependant assez pauvre et souffre de srieuses divisions ethniques et rgionales internes. Il est trs instable politiquement
et obsd par le problme de sa scurit vis--vis de l'Inde, ce qui
explique en grande partie son souci de dvelopper des relations troites
avec d'autres pays islamiques, ainsi qu'avec des puissances non islamiques, comme la Chine et les tats-Unis.
L'Arabie Saoudite a t le berceau de l'islam; les lieux saints de
l'islam s'y trouvent; sa langue est celle de l'islam; elle a les plus
grandes rserves de ptrole du monde et l'influence financire qui va
de pair; son gouvernement a conform la socit saoudienne un
islam strict. Pendant les annes soixante-dix et quatre-vingt, l'Arabie
Saoudite tait la force la plus influente de l'islam. Elle a dpens des
milliards de dollars pour dfendre la cause des musulmans dans le
monde entier, des mosques aux anthologies de textes, des partis politiques aux organisations islamistes et aux mouvements terroristes, et
ce de faon assez indiffrencie. D'un autre ct, sa population relativement limite et sa vulnrabilit gographique la rendent dpendante
de l'Occident pour sa scurit.
Enfin, la Turquie a l'histoire, la population, le niveau conomique,
la coh~sion nationale, les traditions et les comptences militaires pour
tre l'Etat phare de l'islam. En dfinissant explicitement la Turquie
comme laque, cependant, Atatrk a empch la rpublique turque de
succder l'Empire ottoman dans ce rle. La Turquie ne peut mme
pas devenir membre de l'OCI parce que sa constitution garantit la lacit. Aussi longtemps qu'elle se dfinira comme un tat lac, la suprmatie sur l'islam lui sera dnie.
Et si la Turquie changeait? Jusqu' un certain point, elle semble
prte renoncer son statut, plutt frustrant et humiliant, de mendiant vis--vis de l'Occident pour retrouver son rle historique, plus
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Quatrime partie
CHAPITRE 8
L'universalisme occidental
Dans le monde qui nat, les relations entre tats et groupes appartenant diffrentes civilisations ne seront gure troites, mais souvent
plutt antagonistes. Cependant, certaines relations intercivilisationnelles porteront plus au conflit que d'autres. Au niveau rgional, les
lignes de partage les plus violentes opposent l'islam et ses voisins
orthodoxes, hindous, africains et chrtiens d'Occident. Au niveau plantaire, c'est la division prpondrante entre l'Occident et le reste du
monde qui prdomine, les affrontements les plus intenses ayant lieu
entre les musulmans et les socits asiatiques, d'un ct, et l'Occident,
de l'autre. Les chocs dangereux l'avenir risquent de venir de l'interaction de l'arrogance occidentale, de l'intolrance islamique et de l'affirmation de soi chinoise.
L'Occident est la seule parmi les civilisations avoir eu un impact
important et parfois dvastateur sur toutes les autres. La relation entre
la puissance et la culture de l'Occident et la puissance et les cultures
des autres civilisations est ainsi une des cls du monde civilisationnel.
Tandis que la puissance des autres civilisations s'accrot, l'attrait que
prsente la culture occidentale s'estompe, et les non-Occidentaux prennent confiance dans leurs cultures indignes et s'impliquent plus en
elles. Le problme central dans les relations entre l'Occident et le reste
du monde est par consquent la discordance entre les efforts de l'Occident - en particulier de l'Amrique - pour promouvoir une culture
occidentale universelle et son aptitude dclinante pour ce faire.
La chute du communisme a exacerb ce phnomne en renforant
en Occident l'ide que son idologie dmocrate librale aurait
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triomph globalement et donc serait universellement valide. L'Occident, en particulier les tats-Unis, qui ont toujours t une nation missionnaire, croit que les non-Occidentaux devraient adopter les valeurs
occidentales, la dmocratie, le libre-change, la sparation des pouvoirs, les droits de l'homme, l'individualisme, l'tat de droit, et
conformer leurs institutions ces valeurs. Des minorits embrassent
ces valeurs et les dfendent au sein d'autres civilisations, mais l'attitude
dominante leur gard dans les cultures non-occidentales va plutt
du scepticisme au rejet. Ce qui semble de l'universalisme aux yeux de
l'Occident passe pour de l'imprialisme ailleurs.
L'Occident s'efforce et s'efforcera l'avenir de maintenir sa position prminente et de dfendre ses intrts en les prsentant comme
ceux de la communaut mondiale. Cette expression est un euphmisme collectif (qui remplace le monde libre) cens donner une
lgitimit globale aux actions qui refltent en fait les intrts des tatsUnis et des autres puissances occidentales. L'Occident tente, par
exemple, d'intgrer les conomies des socits non occidentales dans
un systme conomique global qu'il domine. TI dfend ses intrts conomiques par l'intermdiaire du FMI et des autres institutions conomiques internationales, et cherche imposer aux autres nations les
politiques conomiques qu'il pense adaptes. N'importe quel sondage
effectu chez les non-Occidentaux montrerait que les ministres des
Finances et certaines autres personnes sont favorables au FMI, mais
que presque tout le monde lui est dfavorable et reprendrait son
compte la faon dont Georgi Arbatov dcrit les fonctionnaires du FMI:
des nobolcheviques qui aiment exproprier les autres de leur argent,
imposer des rgles non dmocratiques et trangres de conduite conomique et politique, et renforcer la libert conomique 1 .
Les non-Occidentaux n'hsitent pas non plus montrer du doigt
le foss qui spare les principes et les actions des Occidentaux. Les
prtentions l'universalisme n'empchent pas l'hypocrisie, le double
langage, les exceptions. On dfend la dmocratie mais pas si elle porte
au pouvoir les fondamentalistes islamistes; on prche la non-prolifration pour l'Iran et l'Irak mais pas pour Isral; le libre-change est
l'lixir de la croissance conomique mais pas pour l'agriculture; les
droits de l'homme reprsentent un problme en Chine mais pas en
Arabie Saoudite; une agression contre le Kowet riche en ptrole est
repousse avec vigueur mais pas les assauts contre les Bosniaques qui
n'ont pas de ptrole. Le double langage dans la pratique va de pair avec
des principes universels.
Parvenues l'indpendance politique, les socits non occidentales veulent se librer de la domination conomique, militaire et
culturelle de l'Occident. Les socits d'Extrme-Orient sont en passe
de rivaliser conomiquement avec l'Occident. Les pays asiatiques et
islamiques comptent sur des coupes dans les budgets militaires de l'Occident pour parvenir son niveau. Les aspirations universelles de la
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qui regardent l'Occident comme leur adversaire ont ainsi des raisons
de cooprer entre elles contre lui, l'instar des Allis et de Staline
contre Hitler. Cette coopration se manifeste dans des domaines trs
varis, notamment les droits de l'homme, l'conomie, l'armement, en
particulier les armes de destruction massive et les missiles, et ce pour
contrebalancer la supriorit de l'Occident dans le domaine conventionnel. Au dbut des annes quatre-vingt-dix, une filire islamoconfucenne s'est mise en place entre la Chine et la Core du Nord,
d'un ct, et des degrs divers le Pakistan, l'Iran, l'Irak, la Syrie, la
Libye et l'Algrie, de l'autre, pour s'opposer l'Occident dans ces
domaines.
Les problmes qui divisent l'Occident et ces socits sont de plus
en plus importants sur la scne internationale. Trois d'entre eux
concernent les efforts de l'Occident primo pour prserver sa supriorit
militaire grce une politique de non-prolifration et de contre-prolifration l'gard des armes nuclaires, biologiques et chimiques, et
des moyens de les utiliser; secundo pour promouvoir les valeurs et les
institutions occidentales en pressant les autres socits de respecter les
droits de l'homme tels qu'ils sont conus en Occident et d'adopter la
dmocratie l'occidentale; tertio pour protger l'intgrit culturelle,
sociale et ethnique des socits occidentales en restreignant le nombre
de non-Occidentaux admis comme immigrs ou comme rfugis. Dans
ces trois domaines, l'Occident a prouv des difficults dfendre ses
intrts contre ceux des socits non occidentales, et cela continuera
l'avenir.
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L'Occident et le reste du
monde
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Iran
540
300
7500
1200*
Pakistan
1100
Irak
1300
650
100
50
720
140
332
788*
212
32
222*
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L'Occident et le reste du
monde
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En retour, la Chine, a ragi cette dmonstration de faiblesse en continuant de commettre et mme en intensifiant les actes auxquels l'administration Clinton s'tait oppose. Cette dernire a galement battu en
retraite dans ses tractations avec Singapour sur l'emprisonnement d'un
citoyen amricain et avec l'Indonsie propos des violences perptres
Timor.
La capacit des rgimes asiatiques rsister la pression occidentale concernant les droits de l'homme s'est trouve renforce par plusieurs facteurs. Les hommes d'affaires amricains et europens,
dsireux de dvelopper leurs changes et leurs investissements dans
ces pays forte croissance, ont soumis leurs gouvernements une
intense pression pour qu'ils ne viennent pas perturber leurs relations
conomiques avec eux. En outre, les pays d'Asie ont vu dans cette pression une atteinte leur souverainet et se sont serrs les coudes
lorsque ces problmes se sont poss. Les hommes d'affaires taiwanais,
japonais et hong-kongais qui avaient investi en Chine avaient intrt
ce que celle-ci conserve ses privilges de nation la plus favorise vis-vis des tats-Unis. Le gouvernement japonais a pris ses distances vis-vis de la politique amricaine des droits de l'homme : nous ne laisserons pas une conception abstraite des droits de l'homme affecter
nos relations avec la Chine, a dit le Premier ministre Kiichi Miyazawa
peu de temps aprs Tian'anmen. Les pays de l'ANSEA n'ont pas souhait faire pression sur le Myanmar et, en 1994, ont accueilli la junte
militaire leur runion alors que l'Union europenne, comme l'a dit
son porte-parole, a d reconnatre que sa politique avait chou et
qu'elle devrait suivre la dmarche de l'ANSEA vis--vis du Myanmar.
En outre, leur puissance conomique de plus en plus grande permet
des tats comme la Malaisie et l'Indonsie de pnaliser les pays et les
socits qui les critiquent ou adoptent d'autres comportements qu'ils
n'admettent pas 14.
Par-dessus tout, la force conomique de plus en plus grande des
pays d'Asie les prserve de plus en plus de la pression occidentale en
ce qui concerne les droits de l'homme et la dmocratie. La puissance
conomique de la Chine d'aujourd'hui, notait Richard Nixon en 1994,
rend imprudentes les dmarches amricaines. Dans ~ ans, elles ne
seront plus pertinentes. Dans vingt ans, on en rira 15. A ce moment,
cependant, le dveloppement conomique de la Chine pourrait les
rendre inutiles. La croissance conomique rend les gouvernements
d'Asie plus forts par rapport ceux d'Occident. long terme, elle renforcera aussi les socits asiatiques par rapport leurs gouvernements.
Si la dmocratie doit apparatre dans de nouveaux pays d'Asie, c'est
parce que des bourgeoisies et des classes moyennes plus fortes le
voudront.
Par contraste avec l'accord sur l'extension une dure indtermine du trait de non-prolifration, les efforts de l'Occident pour
dfendre les droits de l'homme et la dmocratie dans les agences des
L'Occident et le reste du
monde
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CIVILISATIONS
L'Occident et le reste du
monde
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~ier r~ng. Cet~e situation sans prcde,nt va dfinir la nouvelle politIque InternatIOnale des droits de 1homme. Elle va galement
multiplier les occasions de conflit 18.
Le grand gagnant [de Vienne], notait un observateur, fut clairement la Chine, du moins si on mesure la russite au fait de dire aux
autres ce qu'ils ne doivent pas faire. Pkin a gagn tout au long de la
runion simplement en jouant de son poids 19. Mis en minorit et en
mauvaise position Vienne, l'Occident n'en a pas moins t capable
quelques mois plus tard de remporter sur la Chine une victoire non
dpourvue d'importance. Assurer Pkin l'organisation des Jeux olympiques d't de 2000 reprsentait un objectif majeur pour le gouvernement chinois, qui avait beaucoup investi dans ce sens. En Chine,
beaucoup de publicit tait faite sur la candidature chinoise, et les
espoirs populaires taient importants; le gouvernement faisait pression sur les autres gouvernements pour qu'ils interviennent auprs de
leur fdration olympique; Taiwan et Hong Kong l'avaient rejoint dans
cette campagne. Dans l'autre camp, le Congrs amricain, le Parlement
europen et les organisations de dfense des droits de l'homme se sont
opposs avec force au choix de Pkin. Bien que le vote au Comit international olympique ait lieu bulletin secret, il s'est l'vidence jou
en termes civilisationnels. Au premier tour, Pkin est arriv en tte
devant Sidney, avec le soutien avr de l'Afrique. Aux tours suivants,
une fois Istanbul limin, la filire islamo-confucenne a apport ses
voix Pkin; lorsque Berlin et Manchester ont t limins leur tour,
leurs voix sont alles Sidney, qui a gagn au quatrime tour, causant
une dfaite humiliante pour la Chine, laquelle en a rendu responsables
les tats-Unis 20. L'Amrique et la Grande-Bretagne, notait Lee Kuan
Yew, ont russi faire plier la Chine. [... ] La raison apparente tait
/Iles droits de l'homme". Mais la vraie raison tait une dmonstration
d'influence occidentale 21. l'vidence, de par le monde, le sport
proccupe davantage que les droits de l'homme, mais vu les dfaites
subies par l'Occident Vienne et ailleurs sur la question des droits de
l'homme, cette dmonstration isole d' influence occidentale a aussi
rappel la faiblesse occidentale.
Non seulement cette influence diminue, mais le paradoxe de la
dmocratie attnue aussi la volont occidentale de dfendre la dmocratie dans le monde d'aprs la guerre froide. Pendant la guerre froide,
l'Occident et les tats-Unis en particulier taient confronts au problme que posait le fait de collaborer avec des tyrans amis : ils se
demandaient s'il fallait bel et bien cooprer avec des juntes militaires
et des dictateurs qui taient anticommunistes et donc utiles dans le
cadre de la guerre froide. Une telle coopration jetait un trouble et
entranait mme des embarras lorsque ces rgimes portaient atteinte
de faon trop criante aux droits de l'homme. Cette coopration se justifiait toutefois parce qu'elle tait un moindre mal : ces gouvernements
taient moins rpressifs que les rgimes communistes et sans doute
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LE
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DES
CIVILISATIONS
L'immigration
Si la dmographie dicte le destin de l'histoire, les mouvements de
population en sont le moteur. Au cours des sicles passs, les diffrences de taux de croissance, les conditions conomiques difficiles et
la politique mene par certains gouvernements ont engendr des
migrations massives de Grecs, de Juifs, de tribus germaniques, de Normands, de Turcs, de Russes, de Chinois, etc. Certaines fois, ces mouvements taient assez pacifiques et, d'autres fois, ils taient plutt
violents. Les Europens du xrxe sicle, cependant, sont passs matres
dans l'art de l'invasion dmographique. Entre 1821 et 1924, environ
cinquante-cinq millions d'Europens ont migr outre-mer, dont
trente-quatre millions aux tats-Unis. Les Occidentaux ont conquis et
parfois extermin d'autres peuples; ils ont explor et colonis des
terres moins densment peuples. L'exportation des personnes a peuttre reprsent la plus importante dimension de la monte en puissance de l'Occident entre le XVIe et le xxe sicle.
L'Occident et le reste du
monde
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CIVILISATIONS
dans les grands pays europens. Aux tats-Unis, .les i~migrs reprsentaient 8,7% de la population en 1994, deux fOlS le nIVeau de 1970,
25 % de la population de Californie et 16 % de c~lle de ~ew York.
Environ 8,3 millions de personnes sont entres aux Etats-UnIs dans les
annes quatre-vingt et 4,5 au cours des quatre premires annes de la
dcennie quatre-vingt-dix.
Les nouveaux immigrs venaient surtout des socits non occidentales. En Allemagne, les rsidents trangers turcs taient 1 675000 en
1990 ; arrivaient ensuite les ressortissants de Yougoslavie, d'Italie et de
Grce. En Italie, les principaux apports provenaient du Maroc, des
tats-Unis (sans doute des Italo-Amricains revenant au pays), de
Tunisie et des Philippines. Au milieu des annes quatre-vingt-dix,
environ quatre millions de musulmans vivaient en France et treize
dans toute l'Europe. Dans les annes cinquante, les deux tiers des
immigrs vivant aux tats-Unis venaient d'Europe et du Canada; dans
les annes quatre-vingt, prs de 35 % du nombre, bien plus important,
d'immigrs venaient d'Asie, 45 % d'Amrique latine et moins de 15 %
d'Europe et du Canada. La croissance dmographique naturelle est
faible aux tats-Unis et potentiellement nulle en Europe. Les immigrs
ont au contraire des taux de fertilit levs et assurent la majeure
partie de la croissance dmographique dans les socits occidentales.
Par consquent, les Occidentaux craignent de plus en plus d' tre
envahis non plus par des armes et des chars, mais par des immigrs
qui parlent d'autres langues, croient en d'autres dieux, appartiennent
d'autres cultures et qui, redoutent-ils, prendront leurs emplois, occuperont leurs terres, profiteront des services sociaux et menaceront leur
mode de vie 23 . Comme le notait Stanley Hoffmann, ces phobies, qui
puisent leurs racines dans le dclin dmographique, s'expliquent par
des chocs culturels et des peurs quant l'identit nationale 24 .
Au dbut des annes quatre-vingt -dix, les deux tiers des immigrs
en Europe taient musulmans. La proccupation des Europens en la
matire concernait par-dessus tout l'immigration musulmane. Le dfi
est dmographique - les immigrs reprsentent 10 % des naissances
en Europe occidentale et les Arabes 50 % de celles-ci Bruxelles et culturel. Les communauts musulmanes, turque en Allemagne ou
algrienne en France, n'taient pas intgres dans leur culture d'accueil
et, au grand dam des Europens, ne semblaient pas devoir l'tre. On
craint de plus en plus dans toute l'Europe, disait Jean-Marie Domenach en 1991, qu'une communaut musulmane se constitue par-dessus
les frontires des pays europens, crant ainsi une treizime nation
dans la Communaut. Un journaliste amricain notait:
Vis--vis des immigrs, l'hostilit europenne est trangement slective.
Peu de gens en France s'inquitent d'un afflux de ressortissants de l'Est
-les Polonais, aprs tout, sont europens et catholiques. Les immigrs
africains qui ne sont pas arabes ne sont pour la plupart ni redouts ni
219
Les Franais sont toutefois plus attachs leur culture que racistes
proprement parler. Ils ont accord la nationalit des Africains noirs
qui parlent un franais parfait, mais n'admettent pas dans leurs coles
les jeunes musulmanes qui portent le voile. En 1990, 76 % de l'opinion
franaise pensait qu'il y avait trop d'Arabes en France, 46 % trop de
Noirs, 40 % trop d'Asiatiques et 24 % trop de Juifs. En 1994, 47 010 des
Allemands disaient qu'ils prfreraient ne pas avoir pour voisins des
Arabes, 39 % des Polonais, 36 % des Turcs et 22 % des Juifs 26. En
Europe occidentale, l'antismitisme vis--vis des Arabes a en grande
partie remplac l'antismitisme l'gard des Juifs.
L'opposition publique l'gard de l'immigration et l'hostilit vis-vis des immigrs se manifestent dans des cas extrmes par des violences perptres contre des communauts musulmanes et des personnes. Ce fut en particulier un problme en Allemagne au dbut des
annes quatre-vingt-dix. Plus significative est l'augmentation des suffrages rallis par les partis d'extrme-droite, nationalistes et antiimmigrs. Pourtant, ils ont rarement obtenu un grand nombre de voix.
Le Parti rpublicain en Allemagne a obtenu plus de 7 % des voix aux
lections europennes de 1989, mais seulement 2,1 % aux lections
nationales de 1990. En France, le Front national, ngligeable en 1981,
est mont 9,6 % en 1988 et s'est ensuite stabilis entre 12 et 15 %
aux lections rgionales et lgislatives. En 1995, les deux candidats
nationalistes la prsidence de la Rpublique ont rassembl 19,9 %
des voix, et le Front national a ravi des mairies, dont Toulon. En Italie,
les voix en faveur du MSI et de l'Alliance nationale sont passes de 5 %
en 1980 10-15 % au dbut des annes quatre-vingt-dix. En Belgique,
le Bloc flamand et le Front national ont progress de 9 % aux lections
locales de 1994, le Bloc obtenant 28 % Anvers. En Autriche, les voix
du Parti de la libert sont passes de moins de 10 % en 1986 plus de
15 % en 1990 et prs de 23 % en 1994 27
Ces partis europens hostiles l'immigration taient pour une
bonne part l'image en miroir des partis islamistes dans les pays musulmans. C'taient des outsiders dnonant un establishment social et politique corrompu, exploitant les mcontentements conomiques, en
particulier le chmage, en appelant la race et la religion et critiquant les influences trangres sur leur socit. Dans la plupart des
cas, les partis islamistes et nationalistes europens ont obtenu plus de
rsultats l'chelon local qu'au plan national. L'establishment politique
musulman et europen a ragi de la mme manire. Dans les pays
musulmans, comme on l'a vu, les gouvernements sont tous devenus
plus islamiques dans leurs orientations, leurs symboles, leurs poli-
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CIVILISATIONS
L'Occident et le reste du
monde
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ils se sont dfinis ainsi; et, au cours de leur histoire, ils ont russi
assimiler les nouveaux venus. En outre, dans les annes quatre-vingt
et quatre-vingt-dix, le chmage a t bien moins lev qu'en Europe,
et la peur de perdre son emploi n'a gure jou dans l'attitude l'gard
de l'immigration. Les sources de l'immigration en Amrique taient
aussi plus varies qu'en Europe, et donc la crainte d'tre envahi par un
seul et mme groupe tranger tait moindre au plan national, mme si
elle tait bien relle dans certaines parties des Etats-Unis. La distance
culturelle des deux plus grands groupes d'immigrs vis--vis de la
culture d'accueil tait aussi moins grande: les Mexicains sont catholiques et hispanophones; les Philippins, catholiques et anglophones.
Malgr cela, dans le quart de sicle suivant la loi de 1964, laquelle
a ouvert les vannes une plus grande immigration asiatique et latinoamricaine, l'opinion publique amricaine a nettement volu. En
1965, seulement 33 % du public voulait moins d'immigrs. En 1977,
42 %. En 1986,49 % et, en 1990 et 1993, 61 %. Les sondages des annes
quatre-vingt-dix ont montr que 60 % au moins du public tait favorable une rduction 28. Les proccupations et les conditions conomiques jouent sur les attitudes l'gard de l'immigration. Cependant,
la monte constante de l'opposition l'immigration dans les priodes
favorables comme dfavorables semble montrer que la culture, la criminalit et la vie quotidienne ont t plus importantes pour expliquer
cette volution de l'opinion. Beaucoup d'Amricains, peut-tre mme
la majorit, notait un observateur en 1994, pensent encore que leur
pays est une nation d'Europens, dont les lois sont hrites d'Angleterre, dont la langue est et doit rester l'anglais, dont les institutions et
les btiments publics sont inspirs des normes occidentales classiques,
dont la religion a des racines judo-chrtiennes et dont la grandeur est
venue de l'thique protestante du travail. 55 % des personnes interroges ont ainsi dit qu'elles pensaient que l'immigration constituait une
menace pour la culture amricaine. Les Europens voient un danger
dans l'immigration musulmane ou arabe; les Amricains voient un
pril dans l'immigration latino-amricaine et asiatique, mais surtout
mexicaine. Lorsqu'on leur demandait, en 1990, de quel pays les tatsUnis admettaient que provenaient trop d'migrs, un chantillon reprsentatif a rpondu deux fois plus souvent du Mexique. Arrivaient
ensuite Cuba, l'Orient (non prcis), l'Amrique du Sud et l'Amrique
latine (non prcis), le Japon, le Vit-nam, la Chine et la Core 29
L'opposition publique de plus en plus grande l'immigration au
dbut des annes quatre-vingt-dix a suscit une raction politique
comparable celle qui est apparue en Europe. Compte tenu de la
nature du systme politique amricain, les partis de droite anti-immigration n'ont pas rassembl de voix, mais les personnalits et les
groupes de pression hostiles l'immigration sont devenus plus nombreux, plus actifs, plus prsents sur la scne publique. Une bonne part
de l'hostilit s'est concentre sur les 3,5 4 millions d'immigrs ill-
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1995
Blancs non hispaniques
Hispaniques
Noirs
Asiatiques
et originaires des les du Pacifique
Indiens d'Amrique et natifs d'Alaska
Total (millions)
2020
2050
Est.
Est.
74%
10%
12%
64%
16%
13%
53%
25%
14%
3%
d%
263
6%
d%
323
8%
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Source: Bureau amricain du recensement. Rodger Doyle 1995, News &World Report.
o
1
500 km
1
CHAPITRE 9
228
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
ainsi. La paix froide, la guerre froide, la guerre commerciale, la quasiguerre, la drle de paix, les relations agites, la rivalit intense, la
coexistence dans la concurrence, la course aux armements: toutes ces
expressions pourront bon droit dsigner les relations entre entits
appartenant diffrentes civilisations. La confiance et l'amiti seront
rares.
Les conflits entre civilisations prennent deux formes. Au niveau
local, les conflits civilisationnels surviennent entre tats voisins appartenant diffrentes civilisations, entre groupes appartenant diffrentes civilisations, comme dans l'ex-Union sovitique et l'exYougoslavie. Ils visent crer de nouveaux tats partir des restes des
anciens. Les conflits civilisationnels dominent particulirement entre
musulmans et non-musulmans. Leurs causes, leur nature et leur cours
sont examins aux chapitres 10 et Il. Au niveau global, les conflits
entre tats phares ont lieu entre les grands tats appartenant diffrentes civilisations. Les problmes qui entrent en ligne de compte sont
classiques en politique internationale. Ils concernent:
- l'influence relative sur le dveloppement global et les actions
des organisations internationales globales comme l'ONU, le FMI et la
Banque mondiale;
- les rapports de force militaires, qui se manifestent dans les discussions sur la non-prolifration et le contrle des armements, ainsi
que dans la course aux armements;
- la puissance et la prosprit conomiques, qui se manifestent
dans les dbats sur le commerce, les investissements et d'autres
questions;
- les personnes, travers les tentatives menes par un tat
appartenant une civilisation pour protger des apparents vivant au
sein d'une autre civilisation, pour pratiquer la discrimination contre
des personnes appartenant une autre civilisation et pour exclure de
son territoire des personnes appartenant une autre civilisation;
- les valeurs et la culture, qui suscitent des conflits lorsqu'un tat
s'efforce de promouvoir ou d'imposer ses valeurs auprs des reprsentants d'une autre civilisation;
- les territoires, propos desquels des tats phares montent
l'assaut dans des conflits civilisationnels.
Ces problmes, bien videmment, ont donn lieu des affrontements entre les hommes tout au long de l'histoire. Toutefois, lorsque
des tats appartenant diverses civilisations sont impliqus, les diffrences culturelles rendent le conflit plus intense. Dans leur rivalit
entre eux, les tats phares tentent de rallier les membres de leur civilisation, d'obtenir l'appui de tierces civilisations, de favoriser la division
et la trahison chez leurs adversaires et ils utilisent toute une panoplie
de moyens diplomatiques, politiques, conomiques et clandestins, de
campagnes de propagande et de menaces pour parvenir leurs fins.
Cependant, ils sont peu tents de recourir directement la force mili-
229
taire les uns contre les autres, sauf, comme ce fut le cas au MoyenOrient et dans le sous-continent indien, lorsqu'ils se sont battus entre
~ux autour de lignes de fracture civilisationnelles. Les guerres entre
Etats phares peuvent se produire dans deux cas de figure seulement.
Tout d'abord, elles peuvent rsulter de l'escalade de conflits civilisatioIllJels entre groupes locaux, lorsque des groupes apparents, dont
des Etats phares, viennent soutenir les combattants sur le terrain. Cette
possibilit incite toutefois les tats phares de civilisations antagonistes
contenir ou rsoudre le conflit civilisationnel.
Deuximement, une guerre entre tats phares peut rsulter de
changements dans les rapports de force globaux entre civilisations. Au
sein de la civilisation grecque, par exemple, c'est, selon Thucydide, la
puissance de plus en plus grande d'Athnes qui aurait donn lieu la
guerre du Ploponnse. De mme, l'histoire de la civilisation occidentale a t faite de guerres hgmoniques entre puissances montantes et dclinantes. La survenue de ces conflits entre tats phares
montants et dclinants de diffrentes civilisations dpend de la faon
dont, au sein de ces civilisations, la plupart des tats ragissent la
monte d'une nouvelle puissance, selon qu'ils se rallient elle ou cherchent s'y opposer. La premire option est sans doute plus caractristique des civilisations asiatiques, mais la monte en puissance de la
Chine pourrait inciter la seconde des tats appartenant d'autres
civilisations, comme les tats-Unis, 11nde et la Russie. Dans l'histoire
occidentale, il n'y a pas eu de guerre hgmonique entre la GrandeBretagne et les tats-Unis, et le fait que le passage de la Pax Britannica
la Pax Americana ait t pacifique s'explique sans doute par la proximit des deux socits. Dans le cas de l'volution en cours dans le rapport de force entre l'Occident et la Chine, l'absence de tels liens ne
rend pas automatiquement certain qu'un conflit arm clate, mais c'est
probable. Le dynamisme de l'islam est la source de nombreuses
petites guerres civilisationnelles ; la monte de la Chine pourrait, quant
elle, donner lieu une grande guerre intercivilisationnelle entre Etats
phares.
L'islam et l'Occident
Certains Occidentaux, comme le prsident Bill Clinton, soutiennent que l'Occident n'a pas de problmes avec l'islam, mais seulement
avec les extrmistes islamistes violents. Quatorze cents ans d'histoire
dmontrent le contraire. Les relations entre l'islam et le christianisme,
orthodoxe comme occidental, ont toujours t agites. Chacun a t
l'autre de l'autre. Au xxe sicle, le conflit entre la dmocratie librale et
le marxisme-lninisme n'est qu'un phnomne historique superficiel
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raient comme leurs allis et leurs soutiens naturels aussi. Peu de livres
dus des auteurs musulmans et publis dans les annes quatre-vingtdix en Occident ont t aussi bien accueillis qu'Islam and Democracy
de Fatima Mernissi. Il a t prsent comme le tmoignage courageux
d'une musulmane moderne et librale 10. Cependant, le portrait qu'elle
brosse fait de l'Occident pourrait difficilement tre moins flatteur.
L'Occident est militariste et imprialiste ; il a traumatis les
autres nations par la terreur coloniale (p. 3, 9). L'individualisme,
marque de la culture occidentale, est la source de tous les maux
(p. 8). Il faut craindre la puissance de l'Occident. Il dcide seul si les
satellites serviront enseigner aux Arabes ou bien leur lancer des
bombes. [ ... ] Il ruine nos possibilits et investit nos vies avec ses produits d'importation et ses films de tlvision qui envahissent les ondes
[ ... ]. C'est une puissance qui nous ruine, qui dtruit nos marchs et
contrle nos ressources, nos initiatives, nos possibilits. On pouvait
s'en douter, mais la guerre du Golfe a chang cette impression en certitude (p. 146-147). L'Occident acquiert de la puissance par la
recherche militaire et vend ensuite les produits de cette recherche
aux pays sous-dvelopps qui sont ses consommateurs passifs. Pour
se librer de cette soumission, l'islam doit dvelopper ses propres ingnieurs et ses propres scientifiques, construire ses propres armes
(nuclaires ou conventionnelles, elle ne le prcise pas) et s'affranchir
de la dpendance militaire vis--vis de l'Occident (p. 43-44). Rptons-le, ce ne sont pas des propos tenus par un ayatollah barbu.
Quelles que soient leurs opinions politiques ou religieuses, les
musulmans conviennent qu'il existe des diffrences fondamentales
entre la culture occidentale et la leur. Pour Sheik Ghanoushi, nos
socits sont fondes sur des valeurs autres que celles de l'Occident .
Les Amricains viennent ici, dit un fonctionnaire gyptien, et ils veulent que nous soyons comme eux. Ils ne comprennent rien nos
valeurs et notre culture . Nous sommes diffrents, convient un
journaliste gyptien. Nous avons un fonds culturel diffrent, une histoire diffrente. Nous avons donc droit un avenir diffrent. Les
publications musulmanes populaires mais aussi intellectuelles rendent
sans cesse compte de plans que l'Occident concevrait pour soumettre,
humilier et ruiner les institutions et la culture islamiques 11.
Cette raction hostile l'Occident ne s'observe pas seulement dans
les cercles intellectuels impliqus dans la rsurgence de l'islam, mais
aussi dans le changement d'attitude l'gard de l'Occident des gouvernements des pays musulmans. Les gouvernements au pouvoir juste
aprs l're coloniale avaient en gnral des idologies politiques et conomiques et des politiques occidentales. Ils taient pro-occidentaux en
politique trangre, sauf de rares exceptions, comme l'Algrie et l'Indonsie, deux pays devenus indpendants la suite d'une rvolution
nationaliste. L'un aprs l'autre, cependant, les gouvernements prooccidentaux ont cd la place des gouvernements moins proches de
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communisme l'avait t pour l'Occident, et un membre trs respect de l'administration Clinton a dsign l'islam comme rival global
de l'Occident 13.
mesure que disparat la menace militaire de l'Est, les plans de
l'OTAN sont de plus en plus dirigs contre les menaces potentielles
qui viennent du Sud. Le front sud, observait un expert de l'arme
amricaine en 1992, remplace le front central et devient la nouvelle
frontire de l'OTAN. Pour faire face ces menaces venues du Sud,
les membres mridionaux de l'OTAN -l'Italie, la France, l'Espagne et
le Portugal - ont commenc concevoir des plans communs et
mener des oprations conjointes. Ils ont galement enrl les gouvernements du Maghreb dans des rflexions sur la faon de contrer l'extrmisme islamiste. Ces craintes justifient galement la prsence
militaire amricaine en Europe. Les forces amricaines en Europe
ne sont pas la panace pour rsoudre les problmes que pose l'islam
fondamentaliste, notait un ex-haut fonctionnaire amricain. Elles jettent une ombre sur les plans militaires dans toute la zone. Vous vous
rappelez le dploiement russi des forces amricaines, franaises et
britanniques venues d'Europe dans la guerre du Golfe de 1990-91 ? Les
gens de la rgion s'en souviennent, eux 14. Il aurait pu ajouter qu'ils
s'en souviennent avec crainte, ressentiment et haine.
Compte tenu de la vision dominante que les musulmans et les
Occidentaux ont les uns des autres et de la monte de l'extrmisme
islamiste, il n'est gure surprenant que, la suite de la rvolution iranienne de 1979, une quasi-guerre intercivilisationnelle se soit dveloppe entre l'islam et l'Occident. C'est une quasi-guerre pour trois
raisons. Premirement, la totalit de l'islam ne s'est pas dresse contre
la totalit de l'Occident. Deux tats fondamentalistes (l'Iran et le
Soudan), trois tats non fondamentalistes (l'Irak, la Libye et la Syrie),
plus toute une gamme d'organisations islamistes, avec le soutien financier d'autres pays musulmans comme l'Arabie Saoudite, se sont dresss
contre les tats-Unis et par moments contre la Grande-Bretagne, la
France et d'autres tats et groupes occidentaux, ainsi que contre Isral
et les Juifs. Deuximement, c'est une quasi-guerre parce que, sauf pendant la guerre du Golfe de 1990-1991, on a seulement employ des
moyens limits: le terrorisme d'un ct et la puissance arienne, les
actions ponctuelles et les sanctions conomiques de l'autre. Troisimement, c'est une quasi-guerre parce que la violence a t discontinue.
Des actions intermittentes de la part d'un camp ont entran des ractions de l'autre camp. Cependant, une quasi-guerre est encore une
guerre. Mme en excluant les dizaines de milliers de soldats et de civils
irakiens tus par les bombardements occidentaux en janvier-fvrier
1991, le nombre des morts et des victimes se compte par milliers et ce,
presque chaque anne depuis 1979. Beaucoup plus d'Occidentaux sont
morts au cours de cette quasi-guerre que pendant la vraie guerre
du Golfe.
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DES
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Surtout, les deux camps ont reconnu que ce conflit tait bel et bien
une guerre. Trs tt, Khomeinya dclar, non sans raison, que l'Iran
[tait] en guerre avec l'Amrique 15 et Kadhafi proclame rgulirement la guerre sainte contre l'Occident. Les dirigeants d'autres groupes
et tats extrmistes se sont exprims en des termes sembl~bles. Du
ct occidental, les tats-Unis ont class sept pays comme Etats terroristes : cinq sont musulmans (l'Iran, l'Irak, la Syrie, la Libye, le
Soudan); Cuba et la Core du Nord figurent galement daI}s la liste.
Cela les pose de fait en ennemis, parce qu'ils attaquent les Etats-Unis
et leurs amis avec les armes les plus efficaces dont ils disposent et cela
vaut reconnaissance de fait d'un tat de guerre avec eux. Les fonctionnaires amricains qualifient ces tats de hors la loi et de rengats - ce qui les exclut de l'ordre international civilis et ce qui en
fait des cibles lgitimes pour les reprsailles multilatrales ou unilatrales. Le gouvernement des tats-Unis a condamn les responsables
de l'attentat du World Trade Center pour avoir dclar une guerre de
terrorisme urbain contre les tats-Unis et a soutenu que les conspirateurs accuss de prparer des attentats la bombe Manhattan taient
des combattants d'une lutte impliquant une guerre contre les
tats-Unis. Si les musulmans supposent que l'Occident porte la guerre
contre l'islam et si les Occidentaux supposent que des groupes islamiques portent la guerre contre l'Occident, il semble raisonnable d'en
conclure qu'une sorte de guerre a lieu.
Dans cette quasi-guerre, chaque camp a capitalis sur ses propres
forces et sur les faiblesses de l'autre. D'un point de vue militaire, cette
guerre a en grande partie oppos le terrorisme la puissance arienne.
Des militants islamiques spcialement entrans exploitent les opportunits qu'offre le libralisme de l'Occident et abandonnent des voitures piges des emplacements prcis. Les soldats de mtier
occidentaux exploitent le vide qui rgne dans les airs au-dessus des
territoires musulmans pour envoyer des bombes intelligentes sur des
cibles prcises. Des islamistes intriguent pour assassiner des personnalits occidentales; les tats-Unis intriguent pour renverser des rgimes
islamiques extrmistes. Entre 1980 et 1995, selon le ministre amricain de la Dfense, les tats-Unis se sont engags dans dix-sept oprations militaires au Moyen-Orient, toutes diriges contre des
musulmans. Aucune autre civilisation n'a suscit pareille mobilisation
militaire de la part des tats-Unis.
ce jour, chaque camp a, sauf pendant la guerre du Golfe, maintenu la violence un niveau assez bas et s'est gard de considrer que
les actes violents accomplis par l'autre devaient tre assimils des
actes de guerre appelant une rponse radicale. Si la Libye ordonnait
un de ses sous-marins de couler un vaisseau amricain, notait The
Economist, les tats-Unis traiteraient cela comme un acte de guerre
manant d'un gouvernement. Ils ne demanderaient pas l'extradition
du commandant du sous-marin. En principe, un attentat la bombe
239
perptr par les services secrets de Libye contre un avion de ligne n'est
pas diffrent 16. Cependant, les belligrants de cette guerre utilisent
des tactiques bien plus violentes l'un contre l'au,tre que les tats-Unis
et l'Union sovitique durant la guerre froide. A de rares exceptions
prs, aucune de ces deux superpuissances n'a tu de civils et mme de
militaires appartenant l'autre camp. C'est souvent le cas au cours de
la quasi-guerre qui a aujourd'hui lieu.
Les dirigeants amricains considrent que les musulmans engags
dans cette quasi-guerre sont une petite minorit et que l'usage qu'il
font de la violence est rejet par la grande majorit des musulmans
modernistes. C'est peut-tre vrai, mais on manque de preuves. On n'a
gure vu de manifestations contre la violence exerce l'gard de l'Occident dans les pays musulmans. Les gouvernements musulmans,
mme ceux qui vivent sous cloche parce qu'ils sont favorables l'Occident et dpendent de lui, sont tonnamment rticents lorsqu'il s'agit
de condamner les actes terroristes perptrs contre l'Occident. De
l'autre ct, l'opinion et les gouvernements europens ont pour la plupart soutenu et rarement critiqu les actions des tats-Unis contre
leurs adversaires musulmans, alors que les actions amricaines contre
l'Union sovitique et le communisme l'poque de la guerre froide ont
suscit une vive hostilit. Dans les conflits civilisationnels, la diffrence des affrontements idologiques, on prend parti pour ses frres.
Le problme central pour l'Occident n'est pas le fondamentalisme
islamique. C'est l'islam, civilisation diffrente dont les reprsentants
sont convaincus de la supriorit de leur culture et obsds par l'infriorit de leur puissance. Le problme pour l'islam n'est pas la CIA
ou le ministre amricain de la Dfense. C'est l'Occident, civilisation
diffrente dont les reprsentants sont convaincus de l'universalit de
leur culture et croient que leur puissance suprieure, bien que dclinante, leur confre le devoir d'tendre cette culture travers le monde.
Tels sont les ingrdients qui alimentent le conflit entre l'islam et
l'Occident.
Les changements conomiques en Asie, notamment en ExtrmeOrient, reprsentent l'une des volutions les plus importantes survenues l'chelle du monde au cours de la dernire moiti du sicle.
Dans les annes quatre-vingt-dix, elle a suscit une euphorie gnralise chez beaucoup d'observateurs : l'Extrme-Orient et toute la zone
Pacifique, dsormais relis par de vastes rseaux commerciaux trs
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plus le Vit-nam qui a un gros potentiel. Cela donne au total une structure internationale trs complexe, comparable par bien des aspects
ce qui existait en Europe aux XVIIIe et XIXe sicles, avec toute la fragilit
et l'instabilit qui caractrisent les situations multipolaires.
C'est prcisment ce caractre multipolaire et multicivilisationnel
qui distingue l'Extrme-Orient de l'Europe occidentale, et les diffrences conomiques et politiques accroissent encore le contraste. Tous
les pays d'Europe occidentale sont des dmocraties stables qui ont une
conomie de march et un haut niveau de dveloppement conomique.
Au milieu des annes quatre-vingt-dix, l'Extrme-Orient comprenait
une dmocratie stable, plusieurs dmocraties jeunes et instables,
quatre des cinq dernires dictatures communistes, plus des gouvernements militaires, des dictatures personnelles et des systmes autoritaires parti unique. Le niveau de dveloppement conomique, de
celui du Japon et de Singapour celui du Vit-nam et de la Core du
Nord, tait trs variable. On pouvait observer une tendance gnrale
la libralisation conomique, mais aussi peu prs tous les systmes
conomiques possibles, de l'conomie dirige en Core du Nord jusqu'au laisser-faire de Hong Kong en passant par tous les mlanges
entre contrle public et libert d'entreprendre.
Sauf lorsque la Chine, en exerant sa suprmatie, est parvenue
crer un ordre dans la rgion, jamais l'Extrme-Orient n'a connu
comme l'Europe occidentale de socit internationale (au sens anglais
du terme) 17. Au xxe sicle, l'Europe s'est unifie par le truchement d'un
rseau extraordinairement complexe d'institutions internationales :
l'Union europenne, l'OTAN, l'Union de l'Europe occidentale, le
Conseil de l'Europe, l'Organisation pour la scurit et la coopration
en Europe, etc. Rien de tel en Extrme-Orient, part l'ANSEA, qui ne
comprend aucune grande puissance, qui a chou sur presque toutes
les questions de scurit et qui commence peine voluer vers des
formes trs primitives d'intgration conomique. Dans les annes
quatre-vingt-dix, une organisation plus large a t cre: l'APEC. Elle
comprend les pays de la zone Pacifique, mais elle est encore plus faible
que l'ANSEA. Aucune autre grande institution multilatrale ne rassemble les principales puissances d'Asie.
Autre contraste avec l'Europe, les sources de conflits entre tats
sont lgion en Extrme-Orient. La question des deux Cores et celle
des deux Chine sont videmment bien connues. Ce sont toutefois des
rsidus de la guerre froide. Les diffrences idologiques perdent
aujourd'hui de leur signification et, en 1995, les relations entre les deux
Chine se dveloppaient, tout comme, un moindre degr, les rapports
entre les deux Cores. La probabilit d'une guerre entre Corens est
faible; celle d'une guerre entre Chinois est plus leve, mais elle reste
limite, sauf si les Taiwanais renoncent leur identit chinoise et
crent officiellement une rpublique indpendante de Taiwan. On ne
devrait pas se battre entre frres 18 , disait un gnral cit dans un
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la fin des annes quatre-vingt et au dbut des annes quatrevingt-dix, les relations entre les tats-Unis et les pays d'Asie, sauf le
Vit-nam, sont devenues de plus en plus conflictuelles. L'aptitude des
tats-Unis jouer un rle dominant a dclin. Ces tendances ont t
particulirement nettes vis--vis des grandes puissances d'ExtrmeOrient, de sorte que les relations des tats-Unis avec la Chine et le
Japon ont suivi des chemins parallles. Les Amricains, tout comme
les Chinois et les Japonais, parlent de guerre froide propos des relations entre leurs pays 22. Ces courants simultans ont commenc sous
l'administration Bush et ont continu sous celle de Carter. Au milieu
des annes quatre-vingt-dix, les relations des tats-Unis avec les deux
grandes puissances asiatiques taient tendues, et il est probable que
cela ne cessera pas de sitt *.
Au dbut des annes quatre-vingt-dix, les relations nippo-amricaines ont t agites par des querelles portant sur toute une srie de
* li est noter que, du moins aux tats-Unis, il rgne une certaine confusion
terminologique en ce qui concerne les relations entre pays. De bonnes relations
sont censes tre amicales, propices la coopration; de mauvaises relations sont
hostiles, conflictuelles. Ces expressions mlent deux dimensions diffrentes : amitil
hostilit et dsirabilit/indsirabilit. Cela reflte le prjug amricain selon lequel
l'harmonie dans les relations internationales est toujours bonne et le conflit mauvais.
Cependant, on ne peut considrer que de bonnes relations sont amicales que si on juge
que le conflit n'est jamais dsirable. La plupart des Amricains estiment qu'il tait
bien que l'administration Bush rendent mauvaises les relations des tats-Unis
avec l'Irak en allant faire la guerre au Koweit. Pour viter les confusions propos de
la question de savoir si bon signifie dsirable ou harmonieux et mauvais indsirable ou hostile, j'utilise bon et mauvais seulement pour dsigner ce qui est
dsirable et ce qui ne l'est pas. Fait remarquable et paradoxal, les Amricains valorisent
la comptition au sein de la socit amricaine entre les opinions, les groupes, les
partis, les pouvoirs, les intrts conomiques. La question de savoir pourquoi ils
croient que le conflit est bon au sein de leur socit mais mauvais entre les socits
est fascinante. ma connaissance, personne ne l'a tudie srieusement.
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ligne plus dure. En juin 1993, cent gnraux chinois ont envoy une
lettre Deng pour se plaindre de la politique passive du gouvernement vis--vis des tats-Unis et de son incapacit rsister aux tentatives amricaines de chantage. l'automne de cette mme anne,
un document gouvernemental confidentiel chinois expos les raisons
avances par les militaires pour se battre avec les tats-Unis: Parce
que la Chine et les tats-Unis sont depuis longtemps en conflit du fait
de leurs idologies, de leurs systmes sociaux et de leurs politiques
trangres diffrents, il sera impossible d'amliorer en profondeur les
relations sino-amricaines. Puisque les Amricains croient que l'Extrme-Orient deviendra le cur de l'conomie mondiale [... ] les tatsUnis ne peuvent tolrer un adversaire puissant en Extrme-Orient 26 .
Au milieu des annes quatre-vingt-dix, les agences et les responsables
chinois prsentaient en gnral les tats-Unis comme une puissance
hostile.
L'antagonisme de plus en plus fort entre la Chine et les tats-Unis
s'explique en grande partie par des raisons intrieures. Comme pour
le Japon, l'opinion amricaine est divise. De nombreux reprsentants
de l'establishment soutiennent l'ouverture vers la Chine, le dveloppement de relations conomiques plus troites et l'entre de la Chine
dans le concert des nations. Pour d'autres, la Chine reprsente une
menace potentielle; les concessions son gard auront des rsultats
ngatifs, et une attitude ferme pour la contenir s'impose. En 1993,
parmi les pays dangereux pour les tats-Unis, l'opinion amricaine
classait la Chine deuxime derrire l'Iran. Les hommes politiques amricains ont jou avec des symboles qui heurtaient les Chinois, comme
la visite de Lee Cornell et la rencontre de Clinton avec le dala-lama,
tout en poussant l'administration sacrifier la question des droits de
l'homme aux intrts conomiques, comme on l'a vu lors de l'extension
de la clause de la nation la plus favorise. Du ct chinois, le gouvernement a eu besoin d'un nouvel ennemi pour justifier ses appels au nationalisme chinois et lgitimer son pouvoir. Comme les luttes de
succession durent, l'influence politique de l'arme s'accrot. Le prsident Jiang et ses concurrents pour la succession de Deng au pouvoir
ne peuvent se permettre d'tre laxistes dans la dfense des intrts
chinois.
En quelques annes, les relations amricaines avec le Japon et la
Chine se sont donc dtriores. Ce changement est si brutal et touche
tellement de questions qu'il ne faut sans doute pas chercher ses causes
dans des conflits d'intrts individuels sur des composants automobiles, des ventes d'appareils photo ou des bases militaires d'un ct et,
de l'autre, sur l'emprisonnement de dissidents, des transferts d'armements ou la piraterie intellectuelle. En outre, il n'tait pas du tout dans
l'intrt des Amricains de permettre que ces relations deviennent
simultanment plus conflictuelles avec les deux grandes puissances
d'Asie. D'aprs les rgles les plus lmentaires de la diplomatie et de la
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naise ? Au regard des principaux pays industrialiss, l'conomie japonaise est unique parce que la socit japonaise est la seule ne pas tre
occidentale. La socit et la culture japonaises diffrent de la socit et
de la culture occidentales, en particulier amricaines. Ces diffrences
ont t bien mises en lumire par toutes les analyses comparatives 29.
Pour que les problmes conomiques entre le Japon et les tats-Unis
soient rsolus, l faudrait donc des changements fondamentaux dans
la nature de l'une au moins de ces conomies, et, pour cela, des changements de fond dans la socit et la culture de l'une au moins. De tels
changements ne sont pas impossibles. De fait, les socits et les
cultures changent. Cela pourrait venir d'un vnement traumatique
majeur: la dfaite totale la fin de la Seconde Guerre mondiale a fait
de deux des pays les plus militaristes du monde deux des plus pacifistes. Cependant, il semble peu probable que les tats-Unis infligent
au Japon, et vice versa un Hiroshima conomique. Le dveloppement
conomique peut aussi modifier en profondeur la structure sociale et
la culture d'un pays, comme on l'a vu en Espagne, entre le dbut des
annes cinquante et la fin des annes soixante-dix. Peut-tre la richesse
conomique transformera-t-elle le Japon en socit de consommation
l'amricaine. la fin des annes quatre-vingt, on disait au Japon
et en Amrique que les deux pays se rapprochaient. L'accord nippoamricain sur les SIl tait cens favoriser cette convergence. Son chec
et celui d'initiatives semblables dmontrent cependant que les diffrences conomiques ont des racines profondes dans la culture de ces
deux socits.
Les conflits entre les tats-Unis et l'Asie s'enracinent dans des diffrences culturelles. La faon dont ils voluent reflte les changements
dans les rapports de force entre les tats-Unis et l'Asie. Les tats-Unis
ont remport des victoires, mais la balance penche du ct de l'Asie et
sa monte en puissance ne fait qu'exacerber les antagonismes. Les
tats-Unis escomptaient que les gouvernements asiatiques les reconnaissent comme chef de file de la communaut internationale et
acceptent d'appliquer chez eux les valeurs et les principes occidentaux.
De l'autre ct, les Asiatiques, comme l'a dit le secrtaire d'tat adjoint
Winston Lord, taient de plus en plus conscients et fiers de ce qu'ils
ont fait, s'attendaient tre traits en gaux et avaient tendance
considrer les tats-Unis comme une nurse internationale un peu
svre . Des impratifs culturels trs forts poussent cependant les
tats-Unis jouer le rle de nurse svre dans les affaires internationales, de sorte que les attentes amricaines sont de plus en plus entres
en conflit avec celles des socits asiatiques. Sur un grand nombre de
problmes, les Japonais et les autres dirigeants d'Asie ont appris dire
non leurs interlocuteurs amricains la faon polie des Asiatiques.
Le tournant sYlnbolique dans les relations amricano-asiatiques a sans
doute t ce qu'un haut fonctionnaire japonais a appel le premier
gros accroc dans les relations nippo-amricaines : il s'est produit en
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fvrier 1994, lorsque le Premier ministre Morihiro Hosokawa a fermement rejet les exigences du prsident Clinton en matire de quotas
sur les importations japonaises de produits manufacturs amricains.
Cela aurait t impossible ne serait-ce qu'il y a un an , notait un
fonctionnaire japonais. Un an plus tard, le ministre japonais des
Affaires trangres a soulign l'volution qui tait en cours en indiquant qu' une poque d'intense comptition conomique entre les
nations et les rgions, l'intrt national du Japon comptait plus que
son appartenance au camp occidental 30.
Les Amricains se sont petit petit adapts ce rapport de force
modifi, comme on le voit dans l'volution de leur politique l'gard
de l'Asie dans les annes quatre-vingt-dix. Premirement, en concdant
de fait qu'ils manquent du dsir et/ou de la capacit d'exercer une pression sur les socits asiatiques, les tats-Unis ont bien distingu les
problmes sur lesquels ils pouvaient agir de ceux sur lesquels il y avait
conflit. Bien que Clinton ait proclam que les droits de l'homme tait
une des priorits de la politique trangre amricaine vis--vis de la
Chine, en 1994, il a rpondu la pression d'hommes d'affaires amricains, de Taiwan et d'autres sources pour bien sparer les droits de
l'homme des problmes conomiques. Il a galement cess d'utiliser
l'extension de la clause de la nation la plus favorise pour influer sur
le comportement des Chinois l'gard de leurs dissidents politiques.
Suivant la mme volution, l'administration a explicitement spar la
politique de scurit l'gard du Japon, sur laquelle il peut agir, des
problmes commerciaux et autres, qui sont plus conflictuels. Les
Etats-Unis ont ainsi renonc des armes qu'ils auraient pu utiliser
pour dfendre les droits de l'homme en Chine et obtenir des concessions commerciales de la part du Japon.
Deuximement, les tats-Unis ont suivi une dmarche de rciprocit anticipe avec les nations d'Asie : ils ont fait des concessions dans
l'espoir qu'elles en entraneraient d'autres de la part des Asiatiques.
Cette attitude a souvent t justifie par le besoin de prserver un engagement constructif ou un dialogue avec les pays d'Asie. Toutefois, ceux-ci ont bien souvent interprt ces concessions comme des
signes de faiblesse, ce qui les a incits rejeter plus vivement les exigences amricaines. C'est particulirement notable avec la Chine, qui
a rpondu l'affaiblissement par les tats-Unis de la clause de la
nation la plus favorise par une nouvelle vague de violations des droits
de l'homme. Les Amricains ont tendance considrer que de bonnes relations sont des relations amicales . Ils sont trs dsavantags face aux socits asiatiques pour lesquelles de bonnes
relations sont celles dont ils tirent avantage. Pour les Asiatiques, les
concessions amricaines n'appellent pas de rciprocit; il faut en
profiter.
Troisimement, les conflits commerciaux entre les tats-Unis et le
Japon suivent toujours la mme structure: les tats-Unis ont des exi-
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monde; les tats-Unis refusent d'admettre le leadership ou l'hgmonie de la Chine en Asie. Depuis plus de deux cents ans, les tatsUnis s'efforcent d' empcher qu'merge une puissance dominante en
Europe. Depuis presque cent ans, avec la politique de la porte ouverte vis--vis de la Chine, ils procdent de mme en Extrme-Orient.
Pour ce faire, ils se sont battus dans deux guerres mondiales et dans
une guerre froide avec l'Allemagne impriale, l'Allemagne nazie, le
Japon imprial, l'Union sovitique et la Chine communiste. Les intrts de l'Amrique n'ont pas chang, et Reagan et Bush n'ont fait que
les rappeler. L'mergence de la Chine comme puissance rgionale
dominante en Extrme-Orient, si elle se poursuit, est un dfi pos aux
intrts vitaux amricains. La cause sous-jacente du conflit entre
l'Amrique et la Chine est chercher dans leurs diffrences de fond
sur la question de savoir quel doit tre l'quilibre de la puissance en
Extrme-Orient.
L'HGMONIE CHINOISE: QUILIBRE ET SUIVISME
Avec six civilisations, dix-huit pays, des conomies en pleine croissance et des diffrences politiques, conomiques et sociales importantes, il est bien difficile de dire quel sera l'avenir des relations
internationales en Extrme-Orient au dbut du XXIe sicle. On peut toutefois imaginer qu'un ensemble extrmement complexe de rapports de
coopration et de conflit apparatra entre les grandes puissances et les
puissances moyennes de la rgion. Ou bien un systme international
multipolaire pourrait prendre forme entre la Chine, le Japon, les tatsUnis, la Russie et peut-tre l'Inde, ces puissances s'quilibrant et rivalisant entre elles. Il se pourrait aussi que la vie politique en ExtrmeOrient soit domine par un affrontement bipolaire entre la Chine et le
Japon ou entre les Etats-Unis et la Chine, les autres pays venant se
ranger dans un camp ou dans l'autre, ou bien optant pour le non-alignement. Mais elle pourrait encore revenir une structure unipolaire
traditionnelle, avec Pkin comme centre de pouvoir. Si la Chine maintient son haut niveau de croissance conomique au XXIe sicle, prserve
son unit et ne se dchire pas dans des luttes de succession, elle tentera
sans doute de jouer ce rle. Sa russite dpendra des ractions des
autres acteurs du jeu politique extrme-oriental.
L'histoire, la culture, les traditions, la taille, le dynamisme conomique et l'image de soi de la Chine: tout l'invite s'assurer une position hgmonique en Extrme-Orient. Ce serait en tout cas le produit
naturel de son dveloppement conomique rapide. La Grande-Bretagne et la France, l'Allemagne et le Japon, les tats-Unis et l'Union
sovitique se sont engags sur la voie de l'expansion extrieure, de l'affirmation et de l'imprialisme alors mme ou peu aprs qu'ils ont
connu une industrialisation rapide et de forts taux de croissance. Il n'y
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L'analyse par Walt de la formation des alliances en Asie du SudOuest a montr que les tats s'efforcent presque toujours de contrer
les menaces extrieures qui psent sur eux. On a aussi presque toujours
suppos que cette attitude tait la norme dans l'histoire europenne
moderne, les diffrentes puissances faisant voluer leurs alliances afin
d'quilibrer et de contenir la menace que reprsentaient pour elles,
tour tour, Philippe II, Louis XIV, Frdric le Grand, Napolon, le
Kaiser et Hitler. Walt admet cependant que les tats peuvent choisir
le suivisme sous certaines conditions et, comme le soutient Randall
Schweller, les tats rvisionnistes sont enclins se rallier aux puissances mergeantes parce qu'ils ne sont pas satisfaits et esprent profiter de changements dans le statu quo 34 En outre, comme le suggre
Walt, le suivisme implique une certaine confiance dans les intentions
non-malveillantes de l'tat le plus puissant.
En recherchant l'quilibre des forces, les tats peuvent jouer un
rle primaire ou bien secondaire. Premirement, l'tat A peut s'efforcer d'quilibrer la puissance de l'tat B, dans lequel il voit un
ennemi potentiel, en faisant alliance avec les tats C et D, en dveloppant ses forces militaires ou autres (ce qui conduit une course aux
armements) ou en combinant ces mthodes. Dans cette situation, les
tats A et B sont des rivaux primaires l'un de l'autre. Deuximement,
l'tat A peut considrer qu'il n'a pas d'adversaire immdiat mais qu'il
a intrt favoriser l'quilibre des forces entre les tats B et C, l'un
des deux, s'il devenait trop puissant, pouvant constituer une menace
pour lui. Dans cette situation, l'tat A agit comme un rival secondaire
des tats B et C, qui peuvent tre des rivaux primaires l'un vis--vis de
l'autre.
Comment les tats se comporteront-ils vis--vis de la Chine si elle
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a aussi beaucoup pench en faveur de la Chine. La Thalande a prserv son indpendance aux XIXe et xxe sicles en s'accommodant de
l'imprialisme europen et japonais et a exprim ouvertement ses dispositions en faire autant avec la Chine, inclination encore renforce
par la menace potentielle que reprsente pour elle le Vit-nam.
L'Indonsie et le Vit-nam sont deux pays du Sud-Est asiatique
enclins la recherche de l'quilibre et une politique de containment
vis--vis de la Chine. L'Indonsie est trs tendue; elle est peuple de
musulmans et elle est situe loin de la Chine. Pour autant, sans aide
extrieure, elle est incapable d'empcher la Chine de faire valoir ses
prrogatives sur la mer de Chine mridionale. l'automne 1995, l'Indonsie et l'Australie ont conclu un accord de scurit qui les engageait
se consulter mutuellement dans le cas o leur scurit serait
menace. Bien que les deux parties aient ni que c'tait l une entente
anti-chinoise, elles ont prsent la Chine comme la menace pesant sur
elles 37. Le Vit-nam est de culture nettement confucenne, mais, au
cours de l'histoire, il a entretenu des relations hautement conflictuelles
avec la Chine et, en 1979, il a mme livr une courte guerre contre elle.
Le Vit-nam et la Chine revendiquent tous deux les les Spartly et leurs
navires se sont souvent affronts dans les annes soixante-dix et
quatre-vingt. Au dbut des annes quatre-vingt-dix, le Vit-nam a
moins investi que la Chine en matire militaire. Plus que tout autre
tat d'Extrme-Orient, le Vit-nam a des raisons srieuses de rechercher des partenaires pour faire contrepoids la Chine. Son admission
dans l'ANSEA et la normalisation de ses relations avec les tats-Unis
en 1995 vont dans cette direction. Les divisions au sein de l'ANSEA et
la rpugnance de l'association faire contrepoids la Chine rendent
cependant peu probable l'hypothse selon laquelle l'ANSEA pourrait
constituer une alliance anti-chinoise ou soutenir activement le Vitnam en cas de confrontation avec la Chine. Les tats-Unis pourraient
reprsenter un garde-fou plus rsolu, mais au milieu des annes
quatre-vingt-dix, on ne sait pas trs bien jusqu'o ils iraient si la Chine
cherchait prendre le contrle du sud de la mer de Chine. Au bout du
compte, pour le Vit-nam, la solution la moins pire serait de s'arranger avec la Chine et d'accepter une finlandisation, ce qui, quoique
blessant pour l'orgueil vietnamien [... ] garantirait la survie du
pays 38 .
Dans les annes quatre-vingt-dix, presque toutes les nations d'Extrme-Orient, sauf la Chine et la Core du Nord, ont fait savoir qu'elles
continuaient approuver la prsence militaire amricaine dans la
rgion. En pratique, cependant, l'exception du Vit-nam, elles ont
tendance chercher des accommodements avec la Chine. Il n'y a plus
de bases ariennes et navales amricaines importantes aux Philippines
et, Okinawa, la prsence de forces amricaines nombreuses suscite
de plus en plus le rejet. En 1994, la Thalande, la Malaisie et l'Indonsie
ont refus d'hberger dans leurs eaux territoriales six navires amri-
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l'influence politique. Mais elle peut aussi stimuler rvolution vers des
formes politiques plus ouvertes, plus pluralistes, voire plus dmocratiques. Cela s'est dj produit en Core du Sud et Taiwan. Dans ces
deux pays, toutefois, les dirigeants politiques les plus actifs militer
pour la dmocratie taient des chrtiens.
L'hritage confucen de la Chine met l'accent sur l'autorit, l'ordre,
la hirarchie et la primaut du collectif sur l'individuel. TI reprsente
un obstacle pour la dmocratie. Cependant, la croissance conomique
cre, dans le sud de la Chine, beaucoup de richesses et fait merger
une bourgeoisie dynamique et une classe moyenne de plus en plus
nombreuse. Le pouvoir conomique chappe de plus en plus l'emprise du gouvernement. En outre, les Chinois sont de plus en plus en
contact avec le monde extrieur, la faveur des changes commerciaux
et financiers, ainsi que des tudes que beaucoup font dsormais
l'tranger. Tout cela fournit une base sociale une volution vers le
pluralisme politique.
La condition pralable l'ouverture politique au sein d'un systme
autoritaire est en gnral l'arrive au pouvoir de rformistes. Cela se
produira-t-il en Chine? Certainement pas avec les premiers successeurs de Deng, mais peut-tre ensuite. Le sicle venir pourrait voir la
cration dans le sud de la Chine de groupes porteurs d'un programme
politique qui pourraient constituer les embryons de partis politiques
et pourraient tre trs lis aux Chinois de Taiwan, de Hong Kong et de
Singapour, et trs soutenus par eux. Si une telle volution avait lieu
dans le sud de la Chine et si une faction rformiste prenait le pouvoir
Pkin, une certaine transition politique pourrait commencer. La
dmocratisation pourrait encourager les hommes politiques prendre
des positions nationalistes, ce qui accrotrait le risque de guerre, mme
si, long terme, il est probable qu'un systme pluraliste stable en Chine
faciliterait les relations du pays avec les autres puissances.
Le pass de l'Europe est peut-tre, selon l'expression de Friedberg,
le futur de l'Asie. Mais il est plus probable que le pass de l'Asie sera
aussi son futur. L'Asie doit choisir entre l'quilibre des forces au prix
de la guerre et la paix garantie au prix de l'hgmonie. Les socits
occidentales pousseront sans doute l'quilibre des forces et au conflit.
Mais l'histoire, la culture et les rapports de force rels montrent que
l'Asie optera pour la paix et pour l'hgmonie. L're qui a commenc
avec les intrusions occidentales des annes 1840 et 1850 est finie. La
Chine retrouve sa place de suzerain rgional et l'Orient reprend la
sienne.
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conomiquement (bien que les choses changent rapidement en Amrique latine). Dans leurs relations avec l'Occident, elles volueront sans
doute dans des directions opposes. L'Amrique latine est proche
culturellement de l'Occident. Pendant les annes quatre-vingt et
quatre-vingt-dix, ses systmes politiques et conomiques se sont de
plus en plus approchs de ceux de l'Occident. Les deux tats latinoamricains qui s'taient efforcs d'acqurir la bombe ont renonc.
L'Amrique latine est la civilisation la moins arme de toutes. Elle peut
dplorer la domination militaire amricaine, mais elle n'a pas l'intention de la remettre en cause. La monte rapide du protestantisme dans
de nombreuses socits latino-amricaines les rapproche des socits
occidentales marques la fois par le catholicisme et le protestantisme, et permet de dvelopper des liens religieux autres qu'avec Rome.
Paralllement, l'afflux aux tats-Unis de Mexicains ainsi que d'originaires d'Amrique centrale et des Carabes a une influence sur la
socit amricaine et favorise les convergences culturelles. Les principaux problmes entre l'Amrique latine et l'Occident, c'est--dire en
fait les tats-Unis en l'occurence, sont l'immigration, la drogue et le
terrorisme qu'elle engendre, ainsi que l'intgration conomique (soit
les tats d'Amrique latine entrent dans le NAFTA, soit ils se regoupent
dans le Mercosur ou le Pacte andin). Comme le montre le problme
qu'a pos l'entre du Mexique dans le NAFTA, le mariage des civilisations latino-amricaines et occidentales ne sera pas facile. Peut-tre
faudra-t-il une bonne partie du XXIe sicle pour qu'il prenne corps. Il se
pourrait mme qu'il ne soit jamais consomm. Cependant, les diffrends entre l'Occident et l'Amrique latine sont peu de choses en
comparaison de ceux de l'Occident avec les autres civilisations.
Les relations de l'Occident avec l'Afrique ne devraient impliquer
que des conflits limits principalement parce que l'Afrique est trs
faible. Cependant, des problmes importants se posent. L'Afrique du
Sud, la diffrence du Brsil et de l'Argentine, n'a pas renonc son
programme nuclaire; elle a dtruit les armes dj fabriques. Cellesci ont t produites par un gouvernement blanc pour se protger des
attaques contre l'apartheid et ce gouvernement ne voulait pas les abandonner un gouvernement noir qui pourrait les utiliser d'autres fins.
Toutefois, la capacit fabriquer des armes nuclaires ne peut tre
dtruite, et il est possible qu'un gouvernement post-apartheid se dote
d'un arsenal nuclaire pour jouer le rle d'tat phare et pour empcher
une intervention occidentale en Afrique. Les droits de l'homme, l'immigration, les problmes conomiques et le terrorisme sont aussi des
questions l'ordre du jour entre l'Afrique et l'Occident. Malgr les
efforts de la France pour prserver des liens troits avec ses anciennes
colonies, un processus au long cours de dsoccidentalisation semble
l' uvre en Afrique : les intrts et l'influence des puissances occidentales reculent, la culture indigne est raffirme et l'Afrique du Sud
finit par donner dans sa culture la prpondrance aux lments afri-
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pour la Russie est l'immigration chinoise en Sibrie: les imm~grs illgaux taient en 1995 trois cinq millions, et les Russes enVIron sept
millions en Sibrie orientale. Selon le ministre russe de la Dfense
Pavel Grachev, les Chinois sont en train de conqurir pacifiquement
les confins orientaux de la Russie. Un haut responsable russe des
questions d'immigration a galement dclar: Nous devons rsister
l'expansionnisme chinois 47. En outre, les relations conomiques qui
se dveloppent entre la Chine et les ex-rpubliques sovitiques d'Asie
centrale pourraient bien engendrer des tensions dans les relations avec
la Russie. L'expansion chinoise pourrait aussi prendre une forme militaire si la Chine dcidait de rclamer la Mongolie, que les Russes ont
dtache d'elle aprs la Premire Guerre mondiale et qui a ensuite
longtemps t un satellite de l'Union sovitique. Le pril jaune, qui
hante l'imagination des Russes depuis les invasions mongoles, pourrait
bien redevenir une ralit.
Les relations de la Russie avec l'islam restent marques par des
sicles de conqutes menes contre les Turcs, les peuples du nord du
Caucase et les mirats d'Asie centrale. La Russie collabore aujourd'hui
avec des allis orthodoxes, la Serbie et la Grce, pour contrebalancer
l'influence turque dans les Balkans et avec l'Armnie, autre pays orthodoxe, pour restreindre cette mme influence en Transcaucasie. Elle
s'est efforce de prserver son influence politique, conomique et militaire au sein des rpubliques d'Asie centrale. Elle les a fait entrer dans
la CEl et a dploy des forces militaires sur leur territoire. Les rserves
de ptrole et de gaz de la mer Caspienne sont essentielles pour la
Russie, tout comme les routes par lesquelles ces ressources peuvent
tre achemine vers l'Occident et l'Extrme-Orient. La Russie a aussi
livr une premire guerre au nord du Caucase contre le peuple tchtchne, qui est musulman, et une deuxime au Tadjikistan, pour soutenir le gouvernement face un insurrection mene notamment par
des fondamentalistes islamiques. Ces problmes ne peuvent qu'inciter
la Russie cooprer avec la Chine pour contenir la menace islamique en Asie centrale. lis justifient aussi un rapprochement vis--vis
de l'Iran. La Russie a ainsi vendu des sous-marins, des avions de chasse
sophistiqus, des chasseurs bombardiers, des missiles sol-air, ainsi que
des instruments de reconnaissance et de guidage l'Iran. En outre, elle
a accept d'y construire un racteur nuclaire et de fournir du matriel
pour l'enrichissement de l'uranium. En retour, la Russie escompte que
l'Iran restreigne la diffusion du fondamentalisme en Asie centrale et
coopre pour contrer l'influence turque qui s'tend dans cette zone et
dans le Caucase. Dans les annes venir les relations de la Russie avec
l'islam seront fonction de sa vision de la menace que reprsente le
boom dmographique musulman sur sa priphrie mridionale.
Pendant la guerre froide, l'Inde, troisime civilisation flottante,
tait allie l'Union sovitique et s'est battue une fois avec la Chine et
plusieurs fois avec le Pakistan. Ses relations avec l'Occident, en parti-
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Plus conflictuel
Moins conflictuel
le cas, et tous les pays d'une civilisation donne n'auront pas les mmes
relations avec tous les pays d'une autre. L'existence d'intrts
communs, en gnral un ennemi commun appartenant une troisime
civilisation, peut susciter la coopration entre pays relevant de civilisations diffrentes. Des conflits clatent aussi, l'vidence, au sein mme
d'une civilisation, en particulier l'islam. En outre, les relations entre
groupes situs aux lignes de partage entre civilisations peuvent
diverger dans une mesure importante des relations entre les tats
phares des diffrentes civilisations concernes. Cependant, certaines
tendances lourdes sont l'uvre et on peut gnraliser de faon plausible sur ce que seront demain les nouvelles alliances et les nouveaux
antagonismes entre civilisations et tats phares. La figure 9. 1 en
donne une vue rsume. Comme on le voit, la bipolarit relativement
simple de l'poque de la guerre froide cde la place un monde
complexe, multipolaire et multicivilisationnel.
CHAPITRE 10
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Il contient peine sa joie l'ide qu'un dirigeant arabe ose tenir tte
la plus grande puissance mondiale 5. Des millions de mUSulI~lanS, du
Maroc la Chine, se sont rallis la cause de Saddam HusseIn et ont
acclam en lui un hros musulman 6 . Le paradoxe de la dmocratie
a donn lieu l'un des plus tonnants paradoxes de ce conflit : c'est
dans les pays arabes les plus ouverts et o la libert d'expression est le
mieux garantie que le soutien Saddam Hussein a t le plus fervent
et [le plus] large 7 . Au Maroc, au Pakistan, en Jordanie, en Indonsie
et dans d'autre pays, des manifestations gigantesques ont eu lieu
contre l'Occident ainsi que contre des dirigeants politiques comme le
roi Hasan II, Benazir Bhutto et Suharto, traits de sbires la solde de
l'Occident. Une opposition la coalition est mme parvenue se faire
jour en Syrie, o un grand nombre de citoyens se sont opposs la
prsence de forces trangres dans le Golfe . 75 % des cent millions
de musulmans vivant en Inde ont tenu les tats-Unis responsables de
la guerre, et les 171 millions de musulmans d'Indonsie sont presque
universellement opposs l'intervention militaire amricaine dans le
Golfe. De mme, de nombreux intellectuels arabes se sont mobiliss,
au prix de contorsions parfois byzantines, pour justifier le soutien
qu'ils apportaient un dirigeant aussi dictatorial que peut l'tre
Saddam Hussein, pour dnoncer l'intervention occidentale 8.
Les Arabes et les autres musulmans en gnral s'accordaient
reconnatre que Saddam Hussein tait un tyran sanguinaire. Pour
autant, en cho aux formules de Roosevelt, ils voyaient en lui leur
tyran sanguinaire eux . De leur point de vue, l'invasion tait une
histoire de famille rgler en famille, et ceux qui intervenaient au nom
d'une grande thorie de la justice internationale le faisaient tout simplement pour protger leurs intrts privs et pour maintenir les pays
arabes dans leur tat de sujtion vis--vis de l'Occident. Les intellectuels arabes, comme l'a signal une tude, mprisent le rgime irakien et en dplorent le caractre brutal et l'autoritarisme, mais ils le
considrent comme un centre de rsistance au grand ennemi du
monde arabe: l'Occident. lis dfinissent le monde arabe par opposition l'Occident . Pour reprendre les mots d'un universitaire palestinien, ce qu'a fait Saddam est condamnable, mais nous ne pouvons
pas pour autant condamner l'Irak de tenir tte l'intervention militaire
occidentale. Les musulmans, en Occident et ailleurs, ont dnonc la
prsence de troupes non musulmanes en Arabie Saoudite, et la profanation de lieux sacrs qui en a dcoul 9. Pour simplifier, le point de
vue dominant tait le suivant : si Saddam avait tort d'avoir envahi le
Kowet, l'Occident avait encore plus tort d'intervenir. Donc, Saddam
avait raison de combattre l'Occident et nous avions raison de le
soutenir.
Saddam Hussein, comme tout principal intress dans une guerre
frontalire, a identifi son rgime, jusqu'alors sculier, la cause qui
lui apporterait le soutien le plus vaste, savoir l'islam. tant donn la
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ennemis depuis quelques heures, tandis que Rome est notre ennemi
jusqu'au jugement dernier 12 .
La guerre a galement amorc le processus de rconciliation entre
11rak et l'Iran. Les dirigeants religieux chiites iraniens ont dnonc
l'intervention occidentale et ont appel un djihad contre l'Occident.
Le gouvernement iranien a pris ses distances avec les mesures qui
visaient son ancien ennemi, et la guerre a t suivie d'une amlioration
progressive des relations entre les deux rgimes.
La prsence d'un ennemi extrieur contribue galement rduire
les conflits internes un pays. En janvier 1991, par exemple, on signalait que le Pakistan tait la proie de polmiques anti-occidentales ,
ce qui, du moins pour un temps, avait rassembl tout le pays. ({ Le
Pakistan n'a jamais t aussi uni. Dans la province mridionale du
Sind, o les Sindhis autochtones et les immigrants indiens s'entretuaient depuis cinq ans, les gens des deux bords manifestaient bras
dessus bras dessous contre les Amricains. Dans les rgions tribales
ultra-conservatrices la frontire nord-ouest, on voyait les femmes
descendre dans la rue pour manifester, souvent mme dans des lieux
o, jusqu'alors, les gens ne s'taient rassembls que pour les prires du
vendredi 13.
Tandis que l'opposition la guerre faisait l'unanimit dans l'opinion publique, les gouvernements qui s'taient l'origine associs la
coalition revenaient sur leurs dcisions, se retrouvaient partags ou
encore inventaient de subtils arguments pour justifier leur attitude.
Des dirigeants comme Hafez el-Assad, qui avaient fourni des troupes
la coalition mene par l'Occident, dclaraient dsormais qu'elles
taient ncessaires pour quilibrer, voire remplacer les forces occidentales prsentes en Arabie Saoudite. En tout tat de cause, elles seraient
employes uniquement dans des fonctions dfensives et pour la protection des lieux saints. En Turquie et au Pakistan, les plus hauts dirigeants militaires ont dnonc publiquement le ralliement de leur
gouvernement la coalition. Les gouvernements d'gypte et de Syrie,
ceux qui avaient fourni le plus de troupes, disposaient d'un contrle
social suffisamment muscl pour pouvoir liminer ou purement et
simplement ignorer les pressions anti-occidentales. Les gouvernements
des pays musulmans relativement plus ouverts, quant eux, ont t
amens se dmarquer de l'Occident et adopter des positions antioccidentales de plus en plus tranches. Au Maghreb, l'explosion de
soutien 11rak a reprsent l'une des grandes surprises de la guerre . L'opinion publique tunisienne tait vigoureusement anti-occidentale, et le prsident Ben Ali n'a pas tard condamner l'intervention
occidentale. Le gouvernement marocain avait initialement fourni mille
cinq cents soldats la coalition, mais, comme des groupes anti-occidentaux se mobilisaient, il a t amen soutenir une grve gnrale
de soutien l'Irak. En Algrie, une manifestation pro-irakienne de
quatre cent mille personnes a incit le prsident Bendjedid, qui l'ori-
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certaines des parties d'un camp donn refusent d'y souscrire. L'accord
dure alors d'autant moins longtemps. Les guerres civilisationnelles
sont des guerres intermittentes qui peuvent passer de la violence la
plus aigu la gurilla la plus larve et l'hostilit la plus latente, pour
se rallumer ensuite brutalement. Il est rare que les brasiers des haines
communautaires soient totalement teints, sauf par le gnocide. Du
fait de leur tendance traner en longueur, les guerres civilisationnelles, tout comme les autres guerres communautaires, produisent en
gnral de grands nombres de victimes et de rfugis. Il convient de
traiter avec prudence les estimations en ce sens, mais les chiffres couramment admis pour les morts des guerres civilisationnelles qui ont
eu lieu au dbut des annes quatre-vingt-dix sont les suivants : 50 000
aux Philippines, 50000 100000 au Sri Lanka, 20000 au Cachemire,
500 000 1,5 million au Soudan, 100 000 au Tadjikistan, 50 000 en
Croatie, 50000 200000 en Bosnie, 30000 50000 en Tchtchnie,
100000 au Tibet, 200 000 au Timor oriental 19. Presque tous ces conflits
ont produit des quantits de rfugis encore plus importantes.
Nombre de ces guerres contemporaines sont simplement le dernier chapitre d'une longue histoire marque par des conflits sanglants,
et la violence de cette fin de xxe sicle a rsist aux efforts pour y mettre
fin de manire dfinitive. Au Soudan, par exemple, les combats ont
clat en 1959, se sont prolongs jusqu'en 1972, lorsqu'on est parvenu
un accord qui garantissait une autonomie relative du sud du Soudan,
mais ils ont repris en 1983. La rbellion des Tamouls au Sri Lanka a
commenc en 1983 ; les ngociations de paix pour y mettre un terme
se sont interrompues brutalement en 1991, mais elles ont repris en
1994, et on est parvenu un accord de cessez-le-feu en janvier 1995.
Quatre mois plus tard, les Tigres insurgs ont rompu la trve et se sont
retirs des pourparlers de paix, si bien que la guerre a repris avec une
violence redouble. La rbellion des Moros aux Philippines a
commenc au dbut des annes soixante-dix et s'est calme en 1976
aprs que l'on eut conclu un accord qui garantissait l'autonomie de
certaines rgions de Mindanao. Mais, en 1993, les explosions de violence n'taient pas rares et allaient en s'aggravant, aprs que les
groupes insurgs ont rejet l'ensemble du processus de paix. Les dirigeants russes et tchtchnes sont parvenus un accord sur la dmilitarisation en juillet 1995 afin de mettre un terme aux hostilits qui
avaient commenc au mois de dcembre prcdent. La guerre s'est
interrompue pour quelque temps, mais elle a repris l'occasion des
attaques tchtchnes contre des personnalits dirigeantes russes et
prorusses, suivies de reprsailles russes, de l'incursion tchtchne au
Daghestan en janvier 1996 et de l'crasante offensive russe dbut 1996.
Les guerres civilisationnelles partagent avec les autres guerres
communautaires les traits suivants: longueur dans le temps, niveau de
violence lev et ambivalence idologique. Elles en diffrent toutefois
deux gards.
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groupes. Le gouvernement albanais et le gouvernement grec se regardent en chiens de faence propos des droits de leurs minorits respectives dans chacun de leurs deux pays. Les Turcs et les Grecs sont
depuis longtemps couteaux tirs. Chypre, les Turcs musulmans
et les Grecs orthodoxes forment deux tats voisins et rivaux. Dans le
Caucase, la Turquie et l'Armnie s'opposent depuis longtemps, et les
Azris et les Armniens sont en guerre pour le contrle du NagornyKarabakh. Dans le nord du Caucase, depuis deux cents ans, les Tchtchnes, les Ingouches et d'autres peuples musulmans se battent pour
leur indpendance, lutte que la querelle entre la Russie et la Tchtchnie a reprise de manire sanglante en 1994. Des combats ont galement eu lieu entre Ingouches musulmans et Osstes orthodoxes. Dans
le bassin de la Volga, les Tatars musulmans se sont jadis battus contre
les Russes et, au dbut des annes quatre-vingt-dix, sont parvenus un
compromis trs fragile avec la Russie, qui leur a concd une souverainet partielle.
Tout au long du XIXe sicle, la Russie a progressivement tendu
par la force son influence sur les peuples musulmans d'Asie centrale.
Dans les annes quatre-vingt, les Afghans et les Russes se sont livr
une guerre en rgle, et, aprs la retraite russe, la guerre s'est
dplace au Tadjikistan entre troupes russes qui soutenaient le gouvernement existant et insurgs majoritairement musulmans. Au
Xingjiang, les Ouigours ainsi que d'autres groupes musulmans luttent contre la sinisation, et nouent des relations avec leurs proches
parents ethniques et religieux dans les autres anciennes rpubliques
sovitiques. Dans la pninsule indienne, le Pakistan et l'Inde se sont
dj livr trois guerres, la domination indienne au Cachemire est
conteste par un soulvement musulman, des immigrs musulmans
se battent avec les peuples tribaux de l'Assam, et musulmans et
Hindous se livrent rgulirement des meutes et des violences
dans l'ensemble de l'Inde, explosions qu'attise encore la monte des
mouvements intgristes au sein des deux communauts religieuses.
Au Bangladesh, les Bouddhistes protestent contre les discriminations
que leur impose la majorit musulmane, tandis qu'au Myanmar, ce
sont les musulmans qui s'lvent contre les discriminations que leur
impose la majorit bouddhiste. En Malaisie et en Indonsie, les
musulmans se livrent rgulirement des meutes contre les Chinois, pour protester contre la domination qu'exercent ces derniers
sur la vie conomique. Dans le sud de la Thalande, des groupes
musulmans ont t impliqus dans des soulvements intermittents
contre le gouvernement bouddhiste, tandis que dans le sud des Philippines un soulvement musulman lutte pour l'indpendance dans
un pays et contre un gouvernement catholique. En Indonsie, inversement, les Timoriens catholiques de l'Ouest luttent contre la rpression que leur impose un gouvernement musulman.
Au Moyen-Orient, le conflit entre Arabes et Juifs en Palestine
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Gurr estime qu'elles ont fait au moins deux cent mille victimes, trois
(au Soudan, en Bosnie et au Timor oriental) opposaient des musulmans et des non-musulmans, deux (en Somalie, et la guerre entre les
Kurdes et l'Irak) opposaient des musulmans, et une seule (en Angola)
impliquait uniquement des non-musulmans.
2. Le New York Times a localis quarante-huit points du globe o
se sont drouls quelque cinquante-neuf conflits ethniques en 1993.
Dans la moiti des cas, des musulmans en conflit avec d'autres musulmans ou des non-musulmans. Trente et un des cinquante-neuf conflits
opposaient des groupes de civilisations diffrentes, et, pour faire cho
aux chiffres avancs par Gurr, deux tiers (soit vingt et un) des ces
conflits intracivilisationnels opposaient des musulmans d'autres
groupes (voir tableau 10.2).
3. Dans une autre analyse encore, Ruth Leger Sivard a identifi
vingt-neuf guerres (soit des conflits faisant au moins mille victimes par
an) en cours en 1992. Sur les douze conflits intercivilisationnels, neuf
opposaient des musulmans et des non-musulmans. Une fois encore,
les musulmans taient impliqus dans un plus grand nombre de
guerres que les peuples d'aucune autre civilisation 22.
Trois compilations de donnes diffrentes aboutissent donc la
mme conclusion: dans les annes quatre-vingt-dix, la violence intergroupes concernait plus les musulmans que les non-musulmans, et
les deux tiers des guerres intercivilisationnelles se droulaient entre
Tableau 10.1 Conflits ethnopolitiques en 1993-1994
Islam
Autres
Total
Intracivilisationnels
Intercivilisationnels
Total
11
19*
30
15
5
20
24
50
26
Intracivilisationnels
7
21*
28
Intercivilisationnels
21
10
31
Total
28
31
59
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Taux moyen
de militarisation
Indice moyen
d'effort militaire
11,8
7,1
17,7
5,8
9,5
12,3
8,2
16,9
Source,' James L. Payne, Why Nations Arm (Basil Blackwell, 1989, Oxford), p. 125 et
138-139. Les pays chrtiens et musulmans sont ceux o plus de 80 % des habitants sont
membres de la religion en question.
287
les grandes puissances, seule la Chine est plus encline la violence que
les Etats musulmans: elle s'est servie de la violence pour rgler 76,9 %
de ses crises 23. Le caractre belliqueux et violent des pays musulmans
la fin du xxe sicle est donc un fait que personne, musulman ou nonmusulman, ne saurait nier.
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L'effondrement, au dbut des annes soixante-dix, de l'ordre constitutionnel au Liban est en grande partie le rsultat de l'augmentation
spectaculaire de la population chiite par rapport au nombre de chrtiens maronites. Au Sri Lanka, comme l'a montr Gary Fuller, les pics
du soulvement nationaliste cingalais en 1970 et du soulvement
tamoul la fin des annes quatre-vingt concident exactement avec les
annes o la masse des jeunes de quinze vingt-quatre ans, dans chacune des communauts respectives, a dpass les 20 % de la population totale de son groupe respectif24 (voir figure 10.1).
Figure 10.1 Sri Lanka : les masses de jeunes cingalais et tamouls
Pourcentage des 15/24 ans dans la POPulation totale
niveau critique
total
singalaise
tamoule
05
289
290
LE
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291
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Conflits historiques
et contemporains
Conflits
contemporains
Conflits
extra-musulmans
Voisinage
Inassimilabilit
Conflits
internes et externes
Militarisme
Statut victimaire
Masse de jeunes
Absence d'tat-repre
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de leurs propres anctres 32 . Cependant, l'argument du musulman victime ne rend pas compte des conflits entre majorits musulmanes et
minorits non musulmanes dans des pays comme le Soudan, l'gypte,
11ran et l'Indonsie.
Un facteur plus probant, qui explique peut-tre les violences tant
intra- qu'inter-islamiques, est l'absence d'un ou de plusieurs tats
phares dans l'islam. Les dfenseurs de l'islam avancent souvent que ses
dtracteurs occidentaux s'imaginent qu'il y aurait une force centrale
qui, telle une conspiration, dirigerait l'islam en mobilisant et en coordonnant ses actions contre l'Occident et les autres. Mais cette thorie
est fallacieuse. L'islam est une source d'instabilit dans le monde parce
qu'il lui manque un centre dominant. Les tats qui aspirent devenir
dirigeants de l'islam, comme l'Arabie Saoudite, l'Iran, le Pakistan, la
Turquie, voire l'Indonsie, se livrent des luttes d'influence dans le
monde islamique; aucun d'entre eux ne jouit d'une position de mdiateur privilgi dans les conflits internes l'islam; et aucun d'entre eux
ne jouit de l'autorit ncessaire pour pouvoir agir au nom de l'islam
lorsqu'il s'agit de rgler des conflits entre groupes musulmans et non
musulmans.
Enfin, et ce n'est pas la moindre hypothse, l'explosion dmographique des socits musulmanes et le fait que de grands nombres
d'hommes entre quinze et trente ans, souvent sans emploi, soient disponibles sont une source naturelle d'instabilit et de violence, tant au
sein de l'islam que contre des non-musulmans. Quelles que soient les
autres causes en jeu, ce facteur suffirait quasiment lui seul expliquer la violence musulmane des annes quatre-vingt et quatre-vingtdix. Le vieillissement de la population, qui interviendra vers la troisime dcennie du xxf sicle, ainsi que le dveloppement conomique
des socits musulmanes, lorsqu'il se produira et condition qu'il se
produise, pourraient provoquer et attnuer la propension musulmane
la violence et donc diminuer la frquence et l'intensit des guerres
civilisationnelles.
CHAPITRE Il
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contre l'Inde a, au dbut, t conduite par une organisation relativement laque, soutenue par le gouvernement pakistanais. Celui-ci a
ensuite appuy des groupes fondamentalistes qui sont devenus prdominants. Ceux-ci comprenaient des insurgs durs, dtermins
apparemment poursuivre le djihad pour lui-mme, quelles que fussent les perspectives. Selon un autre observateur, les sentiments
nationalistes ont t avivs par les diffrences religieuses; l'essor mondial du militantisme islamique a t un encouragement pour les
insurgs du Cachemire et a rod la tradition cachemire de tolrance
entre hindous et musulmans 6 .
Une monte dramatique des identifications civilisationnelles s'est
produite en Bosnie, en particulier au sein de la communaut musulmane. Historiquement, les identits communautaires n'taient pas
fortes en Bosnie; Serbes, Croates et musulmans vivaient en bon voisinage; les mariages mixtes taient chose commune, les identifications
religieuses restaient faibles : on disait que les musulmans taient les
Bosniaques qui n'allaient pas la mosque, les Croates ceux qui ne se
rendaient pas la cathdrale et les Serbes ceux qui ne visitaient pas
l'glise orthodoxe. Lorsque l'identit yougoslave s'est effondre, ces
identits religieuses, limites et banales, ont pris une nouvelle signification et se sont durcies ds que les combats ont commenc. Le multicommunautarisme s'est vapor, chaque groupe s'est de plus en plus
identifi sa communaut culturelle plus large et a commenc se
dfinir en termes religieux. Les Serbes de Bosnie sont devenus des
nationalistes serbes extrmistes, s'identifiant l'ide de Grande Serbie,
l'glise orthodoxe et, plus largement, au monde orthodoxe. Les
Croates de Bosnie sont devenus les nationalistes croates les plus fervents. Ils se sont considrs comme des citoyens de la Croatie. Ils ont
accentu leur catholicisme et, de concert avec les Croates de Croatie,
leur identit romaine occidentale.
La prise de conscience de l'appartenance une civilisation a t
plus marque encore chez les musulmans. Jusqu'au dclenchement de
la guerre, les musulmans de Bosnie avaient un comportement hautement lac. Ils se considraient comme Europens et taient les plus
fermes partisans d'une socit et d'un tat multiculturels. Tout cela a
chang avec l'clatement de la Yougoslavie. Comme les Croates et les
Serbes, les musulmans ont rejet les partis multicommunautaires lors
des lections de 1990 et ont massivement vot pour le Parti d'action
dmocratique (SDA) musulman, conduit par Izetbegovic. Musulman
dvot, emprisonn pour activisme islamique par le gouvernement
communiste, ce dernier avait affirm dans La Dclaration islamique,
livre publi en 1970, l'incompatibilit de l'islam avec les systmes non
islamiques. Il ne peut y avoir ni paix ni coexistence entre la religion
islamique et les institutions socio-politiques non islamiques . Quand
le mouvement islamique sera suffisamment fort, il lui faudra prendre
le pouvoir et crer une rpublique islamique. Il sera de la plus haute
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tique de la nouvelle et prdominante nation musulmane [... J. Le principal rsultat de ce nationalisme musulman nouveau est un mouvement
vers l'homoginisation nationale [... J. Le fondamentalisme religieux l'emporte de plus en plus dans la dtermination des intrts nationaux
musulmans 10.
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Civilisation B
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Violence
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Ngociation
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immdiatement sa contribution de combattants d'Azerbadjan, d'Afghanistan, du Pakistan, du Soudan et d'ailleurs. Les tats musulmans
endossrent la cause tchtchne, on annona que la Turquie et l'Iran
fournissaient une aide matrielle, ce qui ne pouvait qu'inciter davantage Moscou chercher se concilier Thran. Un flux rgulier
d'armes destination des Tchtchnes commena entrer en Russie
depuis l'Azerbadjan, poussant celle-l fermer sa frontire avec celuici et par l mme les fournitures, mdicales et autres, la
Tchtchnie 26.
Les musulmans de la Fdration russe se rallirent aux Tchtchnes. Alors que les appels une guerre sainte de tout le Caucase
contre la Russie restaient sans effet, les dirigeants des six rpubliques
de la Volga et de l'Oural demandrent Moscou de mettre un terme
ses actes arms, et les reprsentants des rpubliques musulmanes du
Caucase lancrent le mot d'ordre de dsobissance civile contre la
tutelle russe. Le prsident de la rpublique de Tchouvachie exempta
ses recrues du service militaire contre des frres en Islam. Les {( protestations les plus vives contre la guerre vinrent des deux rpubliques
voisines de la Tchtchnie, l'Ingouchie et le Daghestan. Les Ingouches
attaqurent les troupes russes en mouvement vers la Tchtchnie,
poussant le ministre de la Dfense russe dclarer que le gouvernement ingouche {( tait virtuellement entr en guerre contre la Russie.
Des attaques contre les forces russes eurent galement lieu au
Daghestan. Les Russes rpliqurent en bombardant des villages
ingouches et daghestanais 27. L'hostilit des Daghestanais contre les
Russes fut exacerbe aprs que ceux-ci eurent ras le village de Pervomaiskoye, suite au raid tchtchne contre la ville de Kizljar en janvier
1996.
La cause tchtchne fut galement aide par la diaspora tchtchne, qui avait t provoque, pour une part importante, par l'agression russe du xnce sicle contre les peuples montagnards du Caucase.
Cette diaspora leva des fonds, livra des armes et fournit des volontaires. Elle est particulirement nombreuse en Jordanie et en Turquie,
ce qui conduisit la premire adopter une position ferme contre les
Russes et renfora l'inclination de la seconde porter assistance aux
Tchtchnes. En janvier 1996, quand la guerre dborda sur son territoire, l'opinion publique turque sympathisa avec la prise d'un ferry et
d'otages russes par des membres de la diaspora. Le gouvernement
d'Ankara ngocia, avec l'aide de chefs tchtchnes, une solution de
cette crise d'une manire qui aggrava davantage les relations dj tendues qui existaient entre la Turquie et la Russie.
L'incursion tchtchne au Daghestan, la rponse russe et la saisie
du ferry au dbut de 1996 clairrent la possibilit d'une extension du
conflit en un affrontement entre les Russes et les peuples montagnards,
selon les alignements qui prvalrent pendant des dcennies, au cours
du x:rxe sicle. Le Caucase du Nord est une poudrire, avertissait
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Fiona Hill en 1995, o un conflit dans une rpublique peut tre l'tincelle d'une conflagration rgionale qui franchira les frontires jusqu'au
reste de la Fdration russe et incitera l'engagement de la Gorgie, de
l'Azerbadjan, de la Turquie, de l'Iran et des diasporas du Nord-Caucase. Comme la guerre de Tchtchnie le dmontre, un conflit dans la
rgion ne peut tre circonscrit aisment [... ] et les combats ont dbord
sur des rpubliques et des territoires voisins de la Tchtchnie. Un
analyste russe le confirme, assurant que des coalitions informelles
se constituaient selon des lignes civilisationnelles. Les Chrtiens de
Gorgie, d'Armnie, du Nagorny-Karabakh et d'Osstie du Nord se rangent face aux musulmans d'Azerbadjan, d'Abkhazie, de Tchtchnie et
d1ngouchie. Dj engage au Tadjikistan, la Russie courait le
risque d'tre entrane dans une confrontation durable avec le monde
musulman 28 .
Dans une autre guerre civilisationnelle entre orthodoxes et musulmans, les participants de premier rang sont les Armniens de l'enclave
du Nagorny-Karabakh, face au gouvernement et la population
d'Azerbadjan, ceux-l voulant se librer de ceux-ci. Le gouvernement
armnien est un participant de deuxime chelon, la Russie, la Turquie
et l'Iran ayant des engagements de troisime chelon. En plus, un rle
essentiel est jou par la considrable diaspora armnienne d'Europe
occidentale et d'Amrique du Nord. Les combats ont commenc en
1988, avant la disparition de l'URSS, se sont intensifis en 1992-1993,
et se sont calms aprs la ngociation d'un cessez-le-feu en 1994. Les
Turcs et les autres musulmans ont soutenu l'Azerbadjan, la Russie a
fait de mme pour les Armniens mais a us de son influence sur eux
pour contester aussi l'influence turque en Azerbadjan. Cette guerre
tait le dernier pisode en date de la lutte sculaire entre l'Empire russe
et l'Empire ottoman pour le contrle de la mer Noire et du Caucase,
ainsi que de l'intense antagonisme entre Armniens et Turcs qui
remonte aux massacres perptrs, au dbut du xxe sicle, par ceux-ci
l'encontre de ceux-l.
Dans cette guerre, la Turquie a t un partisan constant de l'Azerbadjan et un opposant des Armniens. La premire reconnaissance de
l'indpendance d'une rpublique sovitique, en dehors de celles des
pays baltes, a t la reconnaissance de l'Azerbadjan par la Turquie.
Tout au long du conflit, celle-ci a fourni celui-l une aide financire
et militaire, et elle a form les soldats azris. Lorsque la violence s'est
aggrave en 1991-1992 et que les Armniens sont entrs sur le territoire
azri, l'opinion publique turque s'est enflamme, et des pressions se
sont exerces sur le gouvernement pour qu'il soutienne un peuple
apparent par l'ethnie et la religion. Ce dernier craignait aussi que cela
n'avive la division entre musulmans et chrtiens, n'amplifie le soutien
occidental l'Armnie et ne mcontente ses allis de l'OTAN. La Turquie se retrouva ainsi confronte aux pressions contraires que connat
un participant de deuxime chelon une guerre civilisationnelle.
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envoya des troupes dans la rgion, afin de soutenir ce qui tait peru
comme un gouvernement communiste loyal Bakou. Aprs la disparition de l'URSS, ces considrations firent place d'autres, plus
anciennes, d'ordre historique et culturel. L'Azerbadjan accusa le
gouvernement russe d'avoir effectu un virage 180 degrs et de soutenir activement l'Armnie chrtienne. L'assistance militaire russe aux
Armniens avait en fait commenc dans l'arme sovitique, au sein de
laquelle les Armniens taient promus des rangs plus levs et
assigns des units combattantes bien plus frquemment que les
musulmans. Aprs le dclenchement de la guerre, le 366e rgiment de
fusiliers motoris de l'arme russe, bas au Nagorny-Karabakh, joua
un rle dirigeant dans l'attaque arienne sur la ville de Khodjali, au
cours de laquelle jusqu' mille Azris auraient t massacrs. Par la
suite des troupes Spetsuaz ont aussi particip des combats. Durant
l'hiver 1992-1993 qui la vit souffrir de l'embargo turc, l'Armnie fut
sauve de l'effondrement conomique total par l'infusion de milliards
de roubles de crdits russes . Au printemps, des troupes russes se joignirent aux forces rgulires armniennes pour ouvrir un corridor
reliant l'Armnie au Nagorny-Karabakh. Une force blinde russe d'une
quarantaine de chars aurait particip l'offensive du Karabakh de l't
1993 31 Comme le relevrent Hill et Jewett, l'Armnie avait de son ct
peu de choix, si ce n'est s'allier troitement la Russie. Elle dpend
de celle-ci pour ses matires premires, son nergie, son alimentation
et sa dfense contre les ennemis historiques ses frontires, tels l'Azerbadjan et la Turquie. L'Armnie a sign tous les accords conomiques
et militaires de la CEl, permis des troupes russes de stationner sur
son territoire et abandonn en faveur de la Russie tout droit sur les
anciens avoirs sovitiques 32 .
Le soutien des Armniens rehaussa l'influence russe en Azerbadjan. En juin 1993, le dirigeant nationaliste azri, Aboulfaz Eltchibey, fut chass par un coup d'tat et remplac par Geudar Aliev,
un ancien communiste probablement prorusse. Aliev reconnut la
ncessit de se faire pardonner par la Russie afin de contraindre l'Armnie. li revint sur le refus azri de rejoindre la CEl et autorisa le
stationnement de troupes russes sur son territoire. li ouvrit galement
la voie la participation russe au consortium international pour l'exploitation du ptrole azri. En retour, la Russie commena entraner
les troupes azries, pressa l'Armnie d'arrter de soutenir les forces
du Karabakh et d'amener celles-ci se retirer du territoire azri. En
dplaant son poids d'un ct vers l'autre, la Russie permit aussi
l'Azerbadjan d'obtenir des rsultats et put contrer l'influence iranienne
et turque dans ce pays. Le soutien l'Armnie renfora non seulement
l'alli le plus proche de la Russie dans le Caucase, mais aussi affaiblit
les principaux rivaux de celle-ci dans la rgion.
En dehors de la Russie, la principale source de soutien dont l'Armnie jouissait tait sa nombreuse, riche et influente diaspora en
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deux nouveaux tats, et, trs vite, les autres pays occidentaux suivirent, tats-Unis compris. Le Vatican joua aussi un rle central. Le pape
dclara que la Croatie tait le rempart de la chrtient [occidentale]
et se hta d'accorder la reconnaissance diplomatique aux deux tats
avant que l'Union europenne ne le fasse 35. Le Vatican devint ainsi une
partie du conflit, ce qui eut des consquences en 1994 quand le pape
se prpara visiter les trois rpubliques. L'opposition de l'glise orthodoxe serbe l'empcha de se rendre Belgrade et, comme les Serbes ne
voulurent pas garantir sa scurit, il dut annuler sa visite Sarajevo. Il
se rendit cependant Zagreb o il rendit honneur au cardinal Alojzieje
Septinac qui s'tait associ au rgime croate fasciste durant la Seconde
Guerre mondiale, celui-l mme qui avait perscut et massacr
Serbes, Tsiganes et Juifs.
Aprs avoir obtenu la reconnaissance par l'Occident de son indpendance, la Croatie commena dvelopper son arsenal militaire en
dpit de l'embargo sur les armes que l'ONU imposa toutes les rpubliques de l'ancienne Yougoslavie en septembre 1991. Les armes
afflurent de pays catholiques europens tels que l'Allemagne, la
Pologne et la Hongrie, ainsi que de pays latino-amricains, le Panama,
le Chili et la Bolivie notamment. Avec l'escalade des combats en 1991,
les exportations espagnoles d'armements, rputes largement contrles par l'Opus Dei, sextuplrent en trs peu de temps, l'essentiel
ayant vraisemblablement trouv le chemin de Ljubljana et de Zagreb.
Il fut rapport en 1993 que la Croatie avait acquis plusieurs Mig-21 en
Allemagne et en Pologne, au su des gouvernements concerns. Les
Forces de dfense croates reurent le renfort de centaines et peut-tre
de milliers de volontaires d'Europe occidentale, de la diaspora croate
et de pays catholiques d'Europe orientale, dsireux d'engager une
croisade chrtienne contre la fois le communisme serbe et le fondamentalisme musulman . Des militaires de carrire venus d'Occident
fournirent une assistance technique. En partie grce cette aide de
pays apparents, les Croates purent renforcer leurs moyens et crer un
contrepoids l'arme yougoslave dominance serbe 36.
Le soutien occidental la Croatie comprenait galement le silence
sur l'puration ethnique et les violations des droits de l'homme et des
lois de la guerre pour lesquelles les Serbes taient rgulirement
dnoncs. L'Occident ne dit mot en 1995 quand l'arme croate requinque lana une attaque contre les Serbes de Krajina, installs dans la
rgion depuis des sicles, et poussa des centaines de milliers d'entre
eux l'exil en Bosnie et en Serbie. La Croatie bnficiait aussi d'une
nombreuse diaspora. Les riches Croates d'Europe occidentale et
d'Amrique du Nord financrent l'acquisition d'armes et d'quipements. Les associations croates firent du lobbying auprs du Congrs
et du prsident des tats-Unis. D'une importance et d'une influence
particulire furent les six cent mille Croates d'Allemagne. Les
communauts croates du Canada, des tats-Unis, d'Australie et d'Alle-
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essentiel dans la survie de l'tat bosniaque et la reconqute par celuici de territoires, aprs les victoires irrsistibles remportes initialement
par les Serbes. Il stimula beaucoup l'islamisation de la socit bosniaque et l'identification des musulmans de Bosnie la communaut
islamique mondiale. Il incita les tats-Unis faire preuve de sympathie
l'gard des Bosniaques et de leurs besoins.
Les gouvernements musulmans ont, individuellement et collectivement, exprim de faon rpte leur solidarit envers leurs coreligionnaires bosniaques. L'Iran prit l'initiative en 1992, dcrivant la guerre
comme un conflit religieux avec les Serbes chrtiens, engags dans le
gnocide des musulmans bosniaques. En prenant ainsi la tte, l'Iran
prenait, selon Fouad Ajami, un acompte sur la gratitude de l'tat
bosniaque , tablissait le modle et stimulait d'autres puissances
musulmanes, la Turquie et l'Arabie Saoudite par exemple, lui
emboter le pas. l'instigation de l'Iran, l'organisation de la Confrence islamique se proccupa de l'affaire et cra un groupe charg de
dmarcher auprs de l'ONU la cause bosniaque. En aot 1992, les
reprsentants musulmans dnoncrent le gnocide suppos devant
l'Assemble, gnrale et, au nom de l'OCI, la Turquie dposa une rsolution demandant une intervention militaire au titre de l'article 7 de la
Charte. Au dbut de 1993, les pays musulmans fixrent une date-butoir
pour l'entre en action de l'Occident pour protger les Bosniaques et,
pass ce dlai, ils se sentiraient libres de livrer des armes la Bosnie.
En mai 1993, l'OCI condamna le plan conu par les nations occidentales et la Russie qui crait des havres de scurit pour les musulmans
et surveillait la frontire avec la Serbie, mais qui rpudiait toute intervention militaire. Elle demanda la leve de l'embargo sur les armes,
l'usage de la force contre les armes lourdes des Serbes, la surveillance
agressive de la frontire serbe, l'inclusion de troupes de pays musulmans dans les forces de casques bleus. Le mois suivant, ra CI outrepassa les objections occidentales et russes, et obtint que la Confrence
des Nations unies sur les droits de l'homme adopte une rsolution
dnonant l'agression serbe et croate, et demandant la leve de l'embargo. En juillet 1993, l'OCI plaa l'Occident dans rembarras en offrant
de fournir dix-huit mille casques bleus l'ONU, soldats procurs par
l'Iran, la Turquie, la Malaysia, la Tunisie, le Pakistan et le Bangladesh.
Les tats-Unis opposrent un veto l'Iran, les Serbes la Turquie. Ces
contingents arrivrent nanmoins en Bosnie l't 1994 et, en 1995,
la Force de protection de l'ONU comptait, parmi ses vingt-cinq mille
hommes, sept mille venant de Turquie, du Pakistan, de Malaysia, d'Indonsie et du Bangladesh. En aot 1993, une dlgation de l'OCI,
conduite par le ministre des Affaires trangres turc, pressa Boutros
Boutros-Ghali et Warren Christopher de soutenir des frappes immdiates de l'OTAN, afin de protger les Bosniaques des attaques serbes.
L'impuissance de l'Occident a, selon la presse, cr des tensions
srieuses entre la Turquie et ses allis de l'OTAN46.
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leurs allis et provoqu ce qui fut considr comme une crise majeure
de l'OTAN. Aprs la signature des accords de Dayton, les tats-Unis
acceptrent de cooprer avec l'Arabie Saoudite et d'autres pays musulmans l'entranement et l'quipement des forces bosniaques. La
question est donc: pourquoi, durant et aprs la guerre, les tats-Unis
ont-ils t le seul pays briser le moule civilisationnel, pourquoi devinrent-ils le seul Etat non musulman promouvoir les intrts des
musulmans bosniaques et uvrer en ce sens avec des pays musulmans? Qu'est-ce qui explique l'anomalie amricaine?
Une possibilit est que cela ne constituait en fait pas une anomalie,
mais un acte calcul de Realpolitik civilisationnelle. En choisissant les
Bosniaques et en proposant vainement la leve de l'embargo, les tatsUnis cherchaient rduire l'influence de pays fondamentalistes musulmans, comme l'Iran et l'Arabie Saoudite, auprs des Bosniaques prcdemment laques et tourns vers l'Europe. Si c'tait l le motif,
pourquoi les tats-Unis ont-ils acquiesc l'aide saoudienne et iranienne, pourquoi n'ont-ils pas davantage insist pour une leve de l'embargo qui aurait lgitim l'aide occidentale? Pourquoi les officiers
amricains n'ont-ils pas lanc un avertissement public propos des
dangers du fondamentalisme musulman dans les Balkans? Une autre
explication la conduite amricaine est que le gouvernement subissait
les pressions de ses amis du monde musulman, la Turquie et l'Arabie
Saoudite en particulier, et cda afin de maintenir ses bonnes relations
avec eux. Toutefois, ces relations sont enracines dans une convergence d'intrts dpassant la Bosnie et n'auraient vraisemblablement
pas t affectes par un chec des tats-Unis venir en aide la
Bosnie. En plus, cette hypothse ne peut expliquer pourquoi les tatsUnis ont implicitement approuv que d'normes quantits d'armes iraniennes entrent en Bosnie, au moment o ils dfiaient l'Iran sur
d'autres fronts et o l'Arabie Saoudite rivalisait avec l'Iran pour l'influence en Bosnie.
Quand bien mme la Realpolitik civilisationnelle a pu jouer un rle
dans la dfinition de l'attitude amricaine, d'autres facteurs paraissent
avoir pes d'un poids plus lourd. Les Amricains veulent identifier,
dans chaque conflit tranger, les forces du bien et les forces du mal,
puis s'aligner sur les premires. Les atrocits commises par les Serbes
au dbut des affrontements en firent des mchants, assassinant les
innocents et perptrant un gnocide, alors que les Bosniaques parvinrent donner d'eux-mmes l'image des victimes impuissantes. Tout
au long du conflit, la presse amricaine s'attacha peu aux nettoyages
ethniques commis par les Croates et les musulmans, aux crimes de
guerre ou aux violations des zones de sret et des cessez-le-feu perptrs par les forces bosniaques. Selon la phrase de Rebecca West, les
Bosniaques devinrent pour les Amricains le petit peuple familier des
Balkans, nich dans leur cur comme un groupe souffrant et innocent,
ternellement massacr et massacreur jamais 52 .
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se rencontrent, et l'influence pour les en convaincre. Les guerres civilisationnelles ne sont presque jamais arrtes par des ngociations
directes entre parties de base seulement et le sont rarement par la
mdiation de parties non concernes. La distance culturelle, l'intensit
des haines, la violence qu'elles se sont mutuellement impose font qu'il
est extrmement difficile aux parties primaires de s'asseoir autour
d'une table et d'engager des discussions productives propos de ce qui
pourrait tre un cessez-le-feu. Les enjeux politiques sous-jacents - qui
contrle quel territoire et quelles personnes, de quelle manire? reviennent constamment la surface et interdisent un accord sur des
questions plus limites.
Les conflits entre pays ou groupes ayant une culture commune
peuvent parfois tre rsolus grce la mdiation d'une tierce partie
dsintresse, partageant ladite culture, ayant une lgitimit reconnue
au sein de cette culture et pouvant ainsi avoir la confiance des deux
parties pour qu'une solution soit recherche, qui s'enracinerait dans
les valeurs communes. Le pape a servi avec succs de mdiateur dans
le diffrend frontalier entre l'Argentine et le Chili. Dans les conflits
intercivilisationnels, il n'y a pas de parties dsintresses. Il est extrmement difficile de trouver un individu, une instance ou un tat en
lequel les deux parties ont confiance. Tout ngociateur potentiel appartient l'une des civilisations concernes ou une tierce civilisation,
ayant une culture et des intrts autres, qui n'inspirent confiance
aucune des parties belligrantes. Le pape ne sera pas requis par les
Tchtchnes ou les Russes, ni par les Tamouls ou les Cinghalais. Les
organisations internationales chouent aussi d'habitude car elles ne
peuvent imposer des cots significatifs aux parties, ni leur proposer
des avantages substantiels.
Les guerres civilisationnelles ne sont pas interrompues par des
individus, groupes ou organisations dsintresss, mais par des parties
intresses de deuxime et troisime chelon, parties qui se sont attir
le soutien de leur parentle et qui ont la capacit de ngocier des
accords avec leurs homologues, d'une part, et de convaincre leur
parent d'accepter ces accords, d'autre part. S'il est vrai que le ralliement intensifie et prolonge la guerre, c'est aussi d'habitude une condition ncessaire mais pas suffisante pour limiter et arrter la guerre. En
gnral, les allis de deuxime et troisime chelon ne tiennent pas
se transformer en combattants de premier rang et cherchent donc
maintenir la guerre sous contrle. Ils ont aussi des intrts plus diversifis que les participants primaires, obnubils par la guerre, et sont
concerns, dans leurs relations rciproques, par d'autres enjeux. Aussi,
un certain moment, sont-ils enclins penser qu'il est de leur intrt
d'arrter les combats. Parce qu'ils se sont rallis leurs apparents, ils
disposent d'un levier. Les allis deviennent ainsi des empcheurs et des
stoppeurs.
Les guerres sans parties de deuxime et de troisime chelon ont
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moins tendance s'tendre que les autres guerres, mais elles sont aussi
plus difficiles arrter, tout somme les guerres entre groupes appartenant des civilisations sans Etat central. Les ~erres civilisationnelles
qui incluent une insurrection l'intrieur d'un tat constitu et qui ne
disposent pas de ralliements significatifs posent aussi des problmes
particuliers. Si la guerre se prolonge notablement, les insurgs passeront de la revendication d'une autonomie celle de l'indpendance
complte, que le gouvernement tabli ne peut accepter. En gnral,
celui-ci demande aux insurgs de rendre leurs armes comme premier
pas vers l'arrt des combats, ce que l'insurrection ne peut accepter.
Trs naturellement, le gouvernement rsistera aussi l'implication
d'acteurs extrieurs dans ce qu'il considre tre un problme strictement intrieur, provoqu par des lments criminels. Le fait que
l'affaire est dfinie comme intrieure sert d'excuse aux autres tats,
qui ne s'engageront pas, comme cela a t le cas des puissances occidentales propos de la Tchtchnie.
Les problmes sont compliqus par l'absence d'tats phares. Ainsi,
la guerre du Soudan commena en 1956 mais fut arrte en 1972 aprs
que les parties eurent puis leurs ressources et que le Conseil martial
des glises et le Conseil africain des glises soient parvenus, exemple
quasi unique d'organisations internationales non gouvernementales
russies, ngocier l'accord d'Addis-Abeba accordant l'autonomie au
Soudan mridional. Une dcennie plus tard, le gouvernement abrogea
l'accord et la guerre reprit, les objectifs des insurgs devinrent plus
ambitieux, et la position du gouvernement plus dure, si bien que les
tentatives de ngociation d'un autre accord chourent. Ni le monde
arabe ni l'Afrique ne disposent d'tats centraux ayant intrt faire
pression sur les participants et l'influence ncessaire pour y parvenir.
Les efforts de mdiation de Jimmy Carter et de diffrents dirigeants
africains chourent, tout comme ceux d'tats de l'Afrique orientale,
tels que le Kenya, l'rythre, l'Ouganda et l'thiopie. Les tats-Unis,
qui entretiennent des relations antagoniques avec le Soudan, ne pouvaient agir directement; ils ne pouvaient demander 11ran, 11rak ou
la Libye, qui ont des relations troites avec le Soudan, de jouer des
rles utiles; ils furent donc conduits engager l'Arabie Saoudite, mais
celle-ci n'a qu'une influence limite au Soudan 55.
En gnral, les ngociations de cessez-le-feu sont favorises par
l'engagement parallle et quivalent de parties de deuxime et troisime chelon. Parfois, un seul tat central se rvle assez puissant
pour obtenir l'arrt des combats. En 1992, la Confrence pour la scurit et la coopration en Europe (CSCE) tenta une mdiation dans la
guerre entre l'Armnie et l'Azerbadjan. Un comit fut constitu qui,
sous le nom de Groupe de Minsk, comprenait des parties de premier,
deuxime et troisime chelon (Armniens du Nagorny-Karabakh,
Armnie, Azerbadjan, Russie, Turquie), plus la France, l'Allemagne,
l'Italie, la Sude, la Rpublique tchque, la Bilorussie et les tats-
327
Unis. Les tats-Unis et la France excepts, qui ont d'importantes diasporas armniennes, le dernier groupe de pays tait peu intress et
n'avait gure les moyens de mettre fin aux combats." Lorsque les deux
parties de troisime chelon (Russie, Turquie) et les Etats-Unis s'accordrent sur un plan, celui-ci fut rejet par les Armniens du NargornyKarabakh. Toutefois, la Russie a patronn de manire indpendante
une longue srie de ngociations Moscou, entre Armnie et Azerbadjan, qui crrent une alternative au Groupe de Minsk et [... ]
annulrent ainsi la tentative de la communaut internationale 56 . En
fin de compte, aprs que les protagonistes de premier rang se furent
puiss et que Moscou eut recueilli le soutien de l'Iran, l'effort russe
aboutit un accord de cessez-le-feu. La Russie et l'Iran ont galement
coopr, en tant que parties de deuxime chelon, aux tentatives de
cessez-le-feu au Tadjikistan, qui ont t couronnes d'un succs
intermittent.
La Russie continuera tre prsente en Transcaucasie et sera en
mesure de faire respecter le cessez-le-feu qu'elle a patronn, tant
qu'elle y trouvera son intrt. TI y a une diffrence avec la situation des
Etats-Unis pour ce qui est de la Bosnie. Les accords de Dayton ont
t construits sur les propositions labores par le groupe de contact,
constitu d'tats centraux intresss (Allemagne, Grande-Bretagne,
France, Russie, tats-Unis), mais aucune de ces parties de troisime
chelon ne fut intimement implique dans la rdaction de l'accord
final, et deux des trois parties du front restrent en marge des ngociations. La mise en uvre de l'accord repose sur une force de l'OTAN
dominance amricaine. Si les tats-Unis retirent leurs troupes de
Bosnie, ni les puissances europennes ni la Russie ne seront incites
continuer de veiller sur la mise en uvre de l'accord; le gouvernement
bosniaque, les Serbes et les Croates seront par contre fortement incits
reprendre les combats, ds qu'ils se seront reposs; les gouvernements serbe et croate seront tents de saisir l'occasion pour raliser
leurs rves de Grande Serbie et de Grande Croatie.
Robert Putnam a montr de faon claire quel point les ngociations entre tats sont des jeux deux niveaux, au cours desquels
les diplomates ngocient simultanment avec leur lectorat national
et avec leurs homologues trangers. De mme, les rformateurs d'un
gouvernement autoritaire ngocient une transition la dmocratie
avec les modrs de l'opposition et doivent en mme temps ngocier
avec, ou contrer, les durs l'intrieur du gouvernement, cependant que
les modrs doivent faire de mme avec les radicaux de l'opposition 57.
Ces jeux deux niveaux engagent au moins quatre parties, ayant au
moins trois et peut-tre quatre relations entre elles. Une guerre de ligne
de faille complexe est cependant un jeu trois niveaux, engageant au
moins six parties ayant au moins sept relations entre elles (voir figure
11.1). Des relations horizontales travers la ligne de faille existent
l'intrieur des binmes de premier, deuxime et troisime chelon. Des
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pour reprendre les mots d'un officiel amricain 61. Comme elle est la
principale source extrieure de soutien financier, l'Allemagne dispose
d'une position trs forte pour exercer une influence sur le comportement des Croates. L'troite relation que les tats-Unis ont tablie avec
la Croatie galement servi viter, jusqu'en 1995 du moins, que
Tudjman n'accomplisse le vu si souvent exprim de partager la
Bosllie-Herzgovine entre la Croatie et la Serbie.
A la diffrence de la Russie et de l'Allemagne, il n'existe pas de
points communs culturels entre les tats-Unis et leur client bosniaque,
ce qui place les premiers dans une position difficile pour presser les
musulmans au compromis. De plus, et au-del de la rhtorique, l'aide
amricaine aux Bosniaques a consist seulement fermer les yeux
devant les violations de l'embargo sur les armes commises par l'Iran et
d'autres tats musulmans. En consquence, la gratitude des musulmans bosniaques est alle la communaut islamique au sens large,
laquelle ils s'identifiaient de plus en plus. Ils ont simultanment accus
Washington d'avoir un double talon de valeurs et de ne pas
repousser l'agression qu'ils subissaient comme elle l'avait fait pour le
Kowet . Le fait que les musulmans de Bosnie se sont draps dans le
manteau de la victime gnait les Amricains dans les pressions qu'ils
pouvaient tre tents d'exercer. Les Bosniaques ont t ainsi en mesure
de rejeter des propositions de paix, de renforcer leurs capacits militaires avec l'aide de leurs amis musulmans, de prendre ensuite l'initiative et de regagner une partie considrable du terrain qu'ils avaient
perdu.
La rsistance au compromis est vive parmi les parties du premier
chelon. Dans le guerre de Transcaucasie, l'ultranationaliste Fdration rvolutionnaire armnienne (Dachnak), trs forte dans la diaspora, dominait l'entit du Nagorny-Karabakh et rejeta les propositions
turco-russo-amricaines de paix de mai 1993, acceptes pourtant par
les gouvernements armnien et azri. Elle engagea des offensives militaires qui donnrent lieu des accusations de nettoyage ethnique,
firent surgir la perspective d'une extension de la guerre et dtriorrent
les relations avec le gouvernement plus modr d'Armnie. Le succs
de l'offensive posait des problmes l'Armnie, dsireuse d'amliorer
ses relations avec la Turquie et l'Iran, afin d'attnuer la pnurie alimentaire et nergtique rsultant de la guerre et du blocus turc. Plus les
choses s'amliorent au Karabakh, plus cela devient difficile pour Erevan, put dire un diplomate occidental 62 Le prsident armnien
Levon Ter-Petrossian devait, comme le prsident Eltsine, maintenir un
quilibre entre les pressions nationalistes venant de son parlement et
les intrts plus larges de politique trangre, qui poussaient l'accommodement avec d'autres tats. la fin de 1994, le gouvernement
interdit le Dachnak sur le sol armnien.
l'instar des Armniens du Nagorny-Karabakh, les Serbes et les
Croates de Serbie adoptrent des positions intransigeantes. En cons-
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CHAPITRE 12
Le renouveau de l'Occident?
La fin d'une civilisation parat toujours plus ou moins tre la fin
de l'histoire. Lorsqu'une civilisation atteint l'universalit, son peuple
est aveugl par ce que Toynbee a appel le mirage de l'immortalit
et est persuad d'tre parvenu au stade ultime de l'volution de la
socit humaine. Ce fut le cas pour l'Empire romain, le califat des
'Abbassides, l'empire mongol et l'empire ottoman. Les citoyens d'un
tat universel en dpit des vidences [... ] sont enclins le considrer
non pas comme un abri pour la nuit dans une zone inhospitalire,
mais comme la terre promise, le but vers lequel tendent les efforts des
hommes. C'tait le cas lorsque la Pax britannica tait son apoge.
En 1897, pour la classe moyenne anglaise, l'histoire tait finie! [... ] Et
les Anglais avaient toutes les raisons de se rjouir de la flicit ternelle
qu'entranerait cette fin de l'histoire 1 . Toutefois, les socits qui supposent que leur histoire est son terme sont, en gnral, des socits
proches du dclin.
L'Occident est-il l'exception? Melko a formul parfaitement les
deux questions fondamentales:
Premirement, la civilisation occidentale est-elle d'un genre nouveau,
constitue-t-elle une catgorie part, incomparable avec toutes les autres
civilisations?
Deuximement, son expansion mondiale menace-t-elle (ou promet-elle)
de mettre fin toute possibilit de dveloppement pour les autres
civilisations 2 ?
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La majorit des Occidentaux ont tendance rpondre par l'affirmative ces deux questions. ns ont peut-tre raison. Pourtant, dans le
pass, les peuples d'autres civilisations ont pens ainsi et ils avaient
tort.
n est vident que l'Occident diffre de toutes les civilisations ayant
exist, par l'influence essentielle qu'il a eue sur toutes les autres civilisations depuis 1500. n a t galement l'origine des processus de
modernisation et d'industrialisation, et de leur extension mondiale. Les
socits de toutes les autres civilisations ont cherch combler le foss
avec lui, tre aussi riches et modernes. Ces caractristiques signifient-elles que l'volution et la dynamique de l'Occident, en tant que
civilisation, diffrent fondamentalement des modles qui ont prvalu
pour les autres ? Les donnes historiques et les analyses des spcialistes ne vont pas dans ce sens. Le dveloppement de l'Occident n'a
pas diffr, de faon significative, des modles d'volution communs
toutes les civilisations au cours de l'histoire. La renaissance de l'islam
et le dynamisme conomique de l'Asie prouvent que d'autres civilisations sont bien vivantes et peuvent reprsenter une menace pour l'Occident. Un conflit majeur, entre l'Occident et les principaux tats des
autres civilisations, est improbable, mais pourrait avoir lieu. La tendance au dclin, relle et bien qu'irrgulire, qui a commenc au dbut
du xxe sicle en Occident, pourrait se perptuer pendant des dizaines
d'annes ou pendant les sicles venir. moins que l'Occident ne
connaisse une renaissance, n'inverse la tendance, ne conjure le dclin
de son influence dans le monde des affaires et ne raffirme sa position
de leader, suivi et imit par d'autres civilisations.
Carroll Ouigley, dans le cadre de ce qui est sans doute la plus intressante des priodisations de l'volution historique des civilisations,
imagine un modle commun en sept phases 3 (voir page 41). Selon cette
approche, la civilisation occidentale a commenc prendre forme
entre 370 et 750 ap. J.-C., en mlant des lments provenant des
cultures classiques, smitiques, arabes et barbares. Sa priode de gestation, du milieu du vme la fin du xme sicle, fut suivie, ce qui est
exceptionnel, de phases de progrs et de recul, s'intercalant entre des
priodes d'expansion et de conflits. Au dire de Ouigley et d'autres spcialistes, l'Occident semble tre dsormais sorti de sa phase conflictuelle. La civilisation occidentale est devenue une zone sre. Les
guerres internes, l'exception d'une ventuelle guerre de la morue,
sont virtuellement impensables. L'Occident est en train de dvelopper,
comme nous l'avons vu au chapitre 2, l'quivalent d'un empire universel sous la forme d'un systme complexe de confdrations, de fdrations, de rgimes et d'institutions communautaires qui lvent au
rang de choix de civilisation l'adhsion la dmocratie et au pluralisme politique. La socit occidentale a atteint sa maturit. Elle est
entre dans ce que les gnrations futures, selon ce modle de priodisation des civilisations, considreront comme tant un ge d'or)}, une
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principes amricains fondamentaux, en substituant aux droits individuels ceux des groupes qui se dfinissent essentiellement en termes de
race, d'appartenance ethnique, de sexe et de prfrence sexuelle. Les
principes fondamentaux, comme l'a dit Gunnar Myrdal dans les
annes quarante reprenant avec force les remarques faites par des
observateurs trangers comme Hector Saint-John de Crvecur et
Alexis de Tocqueville, ont t le ciment de cette grande nation disparate)}. Richard Hofstader tait du mme avis : En tant que nation,
notre destin fut de croire non aux idologies mais l'unit 9. Qu'arrivera-t-il alors aux tats-Unis si cette idologie est dsavoue par un
grand nombre de leurs citoyens? Le sort de l'Union sovitique, l'autre
grand pays dont l'unit repose, encore plus que les tats-Unis, sur des
notions idologiques, est un bon exemple pour les Amricains. Le philosophe japonais, Takeshi Umehara, estimait que l'chec total du
marxisme [... ] et le dmembrement de l'Union sovitique ne sont que
des signes prcurseurs de l'effondrement du capitalisme libral, le
principal courant de modernit. Loin de reprsenter une alternative
au marxisme et d'tre l'idologie dominante la fin de l'histoire, le
libralisme sera le prochain domino qui tombera 10 . Dans une poque
o tous les peuples se dfinissent eux-mmes par leur appartenance
culturelle, quelle place peut occuper une socit dpourvue de fonds
culturel commun et se dfinissant uniquement par des principes politiques ? Les principes politiques ne constituent pas une base solide permettant de construire une communaut durable. Dans un monde aux
civilisations multiples, o la culture est un facteur central, les tatsUnis seraient rduits n'tre que les derniers partisans d'un monde
occidental affaibli o primerait l'idologie.
Le rejet des principes fondamentaux et de la civilisation occidentale signifie la fin des tats-Unis d'Amrique tels que nous les avons
connus. Cela signifie galement la fin de la civilisation occidentale. Si
les tats-Unis se dsoccidentalisent, l'Ouest se rduira l'Europe et
quelques zones d'implantation europenne, faiblement peuples. Sans
les tats-Unis, l'Occident ne reprsente plus qu'une fraction minuscule
et dclinante de la population mondiale, abandonne sur une petite
pninsule l'extrmit de la masse eurasienne.
L'affrontement entre les partisans du multiculturalisme et les
dfenseurs de la civilisation occidentale et des principes amricains
constitue, selon les termes de James Kurth, le vritable conflit)} au
sein de la partie amricaine de la civilisation occidentale 11. Les Amricains ne peuvent viter de se demander si oui ou non ils forment un
peuple d'Occident. L'avenir des tats-unis et celui de l'Occident dpendent de la foi renouvele des Amricains en faveur de la civilisation
occidentale. Cela ncessite de faire taire les appels au multiculturalisme, l'intrieur de leurs frontires. Sur le plan international, cela
suppose de rejeter les tentatives illusoires d'assimilation des tats-Unis
l'Asie. Quels que soient les liens conomiques qu'entretiennent les
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fique) OU dont les cots politiques et conomiques ont t mal apprcis, comme l'Accord de libre-change avec Mexico. TIs ont tent de
nouer des relations troites avec les tats phares des autres civilisations, sous la forme d'un partenariat au sens large avec la Russie
ou d'un engagement constructif avec la Chine, en dpit des conflits
d'intrts vidents existant entre les tats-Unis et ces tats. Dans le
mme temps, l'administration Clinton n'est pas parvenue impliquer
pleinement, dans le processus de paix en Bosnie, la Russie, malgr
l'importance de cette guerre pour cette dernire, qui se trouve au cur
de la zone orthodoxe. L'administration Clinton, suivant en cela l'ide
chimrique d'un tat aux multiples civilisations, n'a pas reconnu le
droit l'autodtermination des minorits serbes et croates et a
contribu faire natre dans les Balkans un tat islamique parti
unique, alli de l'Iran. Dans le mme esprit, le gouvernement amricain
a pris position pour la soumission des musulmans la rgle orthodoxe,
sous prtexte que la Tchetchnie fait, de toute vidence, partie de la
Fdration russe 14 .
En dpit de la conscience qu'ont tous les Europens de la ralit
profonde de la ligne de sparation existant entre la chrtient occidentale d'un part et le monde orthodoxe et 11slam d'autre part, les tatsUnis, le secrtaire d'tat l'a dit, n'admettraient aucune division
majeure entre les diffrentes parties de l'Europe : catholique, orthodoxe, et musulmane. Ne pas reconnatre l'existence de diffrences
fondamentales quivaut se condamner l'incomprhension. L'administration Clinton a paru, dans un premier temps, ne pas tre
consciente de l'quilibre instable existant entre les tats-Unis et les
socits d'Extrme-Orient et a clam maintes reprises ses intentions
concernant les changes, les droits de l'homme, la prolifration
nuclaire et d'autres questions, sans tre capable de les concrtiser.
Le gouvernement amricain prouve, d'une faon gnrale, de grandes
difficults s'adapter une poque au cours de laquelle la politique
est dtermine par les liens culturels et les rapports entre civilisations.
Deuximement, la politique trangre amricaine a du mal abandonner, changer ou mme reconsidrer les orientations prises au
temps de la guerre froide. Ainsi fait-on parfois resurgir la menace
sovitique. De faon plus gnrale, on tend encenser les alliances
scelles au temps de la guerre froide et les accords portant sur la limitation des armements. L'OTAN doit rester telle qu'elle tait l'poque
de la guerre froide. Les accords militaires entre le Japon et les tatsUnis sont essentiels pour maintenir la scurit en Extrme-Orient. Le
trait ABM (portant sur les missiles antibalistiques) ne peut tre viol.
Le trait europen sur les forces classiques (CFE) doit tre respect.
Manifestement, aucun des accords ou traits lis la guerre froide
n'est appel tre rejet. Pourtant, pour la dfense des intrts des
tats-Unis et de l'Occident, il n'est pas ncessaire que ces accords perdurent tels qu'ils ont t conus. La ralit du monde, aux civilisations
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des aspects, tre en proie la barbarie, engendrant ainsi un phnomne sans prcdent, un ge des tnbres qui s'abattrait sur
l'humanit.
Dans les annes cinquante, Lester Pearson annonait que l'humanit allait entrer dans un ge o les diffrentes civilisations devront
apprendre vivre cte cte en entretenant des relations pacifiques,
en apprenant se connatre, en tudiant mutuellement leur histoire,
leur idal, leur art et leur culture; en s'enrichissant rciproquement.
Sinon, dans ce petit monde surpeupl, on tendra vers l'incomprhension, la tension, le choc et la catastrophe 22 . L'avenir, tant de la paix
que de la Civilisation, dpend de l'entente et de la coopration entre
les responsables politiques, spirituels, et intellectuels des principales
civilisations du monde. Dans le choc des civilisations, l'Europe et
l'Amrique feront bloc ou se spareront. Quand surviendra le choc
total, le vritable choc mondial entre la Civilisation et la barbarie,
les civilisations majeures, qui auront leur plein panouissement dans
les domaines de la religion, de la littrature, de la philosophie, de la
science, de la technologie, de la moralit et de la compassion, feront
galement bloc ou divergeront. Dans les temps venir, les chocs entre
civilisations reprsentent la principale menace pour la paix dans le
monde, mais ils sont aussi, au sein d'un ordre international, dsormais
fond sur les civilisations, le garde fou le plus sr contre une guerre
mondiale.
Notes
1. Henry Kissinger, Diplomacy, New York, Simon & Schuster, 1994, p. 23-24;
trad. fr. Diplomatie, Paris, Fayard, 1996.
2. Expression de H. D. S. Greenway, Boston Globe, 3 dcembre 1992, p. 19.
3. Vclav Havel, The New Measure of Man , New York Times, 8 juillet 1994,
p. A27; Jacques Delors, Questions Concerning European Security , discours, Institut international d'tudes stratgiques, Bruxelles, 10 septembre 1993, p. 2.
4. Thomas S. Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, University
of Chicago Press, p. 17-18; trad. fr. La Structure des rvolutions scientifiques, Paris,
Flammarion.
5. John Lewis Gaddis, Toward the Post-Cold War World , Foreign Affairs, 70,
printemps 1991 ; Judith Goldstein et Robert O. Keohane d., Ideas and Foreign Policy :
Beliefs, Institutions, and Political Change, Ithaca, Cornell University Press, 1993, p. 817.
6. Francis Fukuyama, The End of History , The National Interest, 16, t 1989,
4, 18; repris in La Fin de l'histoire, Paris, Flammarion.
7. Discours au Congrs sur la confrence de Yalta , 1er mars 1945, cit in
Samuel 1. Rosenman d., Public Papers and Adresses of Franklin D. Roosevelt, New
York, Russel and Russel, 1969, XIII, 586.
8. Voir Max Singer et Aaron Wildavsky, The Real World Order: Zones of Peace,
Zones of Turmoil, Chatham, NJ, Chatham House, 1993 ; Robert O. Keohane et Joseph
S. Nye, Introduction: The End of the Cold War in Europe , in Keohane, Nye et
Stanley Hoffmann d., After the Cold War : International Institutions and State Strategies in Europe, 1989-1991, Cambridge, Harvard University Press, 1993, p. 6; James
M. Goldeier et Michael McFaul, A Tale of Two Worlds : Core and Periphery in the
Post-Cold War Era , International Organization, 46, printemps 1992, p. 467-491.
9. Voir F. S. C. Northrop, The Meeting of East and West: An Inquiry Concerning
World Understanding, New York, Macmillan, 1946.
10. Edward W. Said, Orientalism, New York, Pantheon Book, 1978, p. 43-44.
Il. Voir Kenneth N. Waltz, The Emerging Structure of International Politics ,
International Security, 18, automne 1993, p. 44-79; John 1. Mearsheimer, Back to
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the Future: Instability in Europe after the Cold War , International Security, 15, t
1990, p. 5-56.
12. Stephen D. Krasner discute l'importance de la Westphalie comme point de
rupture. Voir Westphalia and AlI That , in Goldstein et Keohane d., Ideas and
Foreign Policy, p. 235-264.
13. Zbigniew Brzezinski, Out of Control.' Global Turmoil on the Eve of the Twenty{trst Century, New York, Scribner, 1993; Daniel Patrick Moynihan, Pandmonium .'
Ethnicity in International Poli tics , Oxford, Oxford University Press, 1993; voir aussi
Robert Kaplan, The Coming Anarchy , Atlantic Monthly, 273, fvrier 1994, p. 44-76.
14. Voir New York Times, 7 fvrier 1993, p. 1, 14; Gabriel Schoenfeld, Outer
Limits , Post-Soviet Prospects, 17, janvier 1993, 3. TI cite des chiffres manant du
ministre russe de la Dfense.
15. Voir Gaddis, {( Toward the Post-Cold War World ; Benjamin R. Barber,
{( Jihad vs McWorld , Atlantic Monthly, 269, mars 1992 et Jihad vs McWorld, New
York, Times Book, 1995, trad. fr., Paris, Descle de Brouwer, 1996; Hans Mark, {( After
the Victory in the Cold War : The Global Village or Tribal Warfare , in J. J. Lee et
Walter Korter d., Europe in Transition.' Political, Economical, and Security Prospects
for the 1990s, LBJ School of Public Affairs, Universit du Texas, Austin, mars 1990,
p. 19-27.
16. John J. Mearsheimer, {( The Case for a NUclear Deterrent , Foreign Affairs,
72, t 1993, 54.
17. Lester B. Pearson, Democracy in World Politics, Princeton, Princeton University Press, 1955, p. 82-83.
18. De faon indpendante, Johan Galtung dveloppe une analyse tout fait
parallle la mienne sur la persistance de sept ou huit civilisations majeures avec
leurs tats phares. Voir {( The Emerging Conflict Formations , in Katharine et Majid
Tehranian d., Restructuring for World Peace .' On the Threshold of the Twenty-First
Century, Cresskill NJ, Hampton Press, 1992, p. 23-24. Galtung considre que sept groupement rgionaux et culturels mergent, lesquels sont domins par des puissances
hgmoniques: les tats-Unis, la Communaut europenne, le Japon, la Chine, la
Russie, I1nde et le {( ple islamiste . D'autres auteurs ont avanc des arguments similaires au dbut des annes quatre-vingt-dix: Michael Und, {( American as an Ordinary
Country , American Enterprise, 1, sept-oct 1990, p. 19-23; Barry Buzan, {( New Patterns of Global Security in the Twenty-first Century , International Affairs, 67, 1991,
p. 441, p. 448-449 ; Robert Gilpin, {( The Cycle of Great Powers : Has It Finally Been
Broken? , Princeton University, non publi, 19 mai 1993, p. 6 sq.; William S. Lind,
North-South Relations: Returning to a World of Cultures in Conflict , Current World
Leaders, 35, dc. 1992, p. 1073-1080 et {( Defending Western Culture , Foreign Policy,
84, automne 1994, p. 40-50, {( Looking Back from 2992 : A World History, chap. 13 :
The Disastrous 21st Century , Economist, 26 dcembre 1992-8 janvier 1993, p. 17-19,
The New World Order : Back to the Future , Economist, 8 janvier 1994, p. 21-23,
A Survey of Defense and the Democracies , Economist, 1er septembre 1990; Zsolt
Rostovanyi, Clash of Civilisations and Cultures : Unity and Disunity of World
Order , article non publi, 29 mars 1993; Michael Vlahos, Culture and Foreign Policy , Foreign PoUcy, 82, printemps 1991, p. 59-78; Donald J. Puchala, {( The History of
the Future of International Relations , Ethics and International Affairs, 8, 1994, p. 177202; Mahdi Elmandjra, Cultural Diversity : Key to Survival in the Future , article
prsent au premier congrs mexicain de prospective, Mexico, septembre 1994. En
1991, Elmandjra a publi en arabe un livre qui est paru en franais l'anne suivante
sous le titre Premire guerre civilisationnelle, Casablanca, d. Toubkal, 1982, 1994.
19. Fernand Braudel, On History, Chicago, University of Chicago Press, 1980,
p. 210-211, trad. fr. Paris, Flammarion, coll. {( Champs .
Not e
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CHA PIT R E 2 :
1. L'histoire du monde est l'histoire des grandes civilisations. Oswald Spengler, Decline of the West, New York, A. A. Knopf, 1926-1928, II, p. 170, tr. fr. Le Dclin
de l'Occident. Les principales uvres de ces spcialistes qui ont analys la nature et la
dynamique des civilisations sont notamment: Max Weber, The Sociology of Religion,
Boston, Beacon Press, trad. par Ephraim Fischoff, 1968 ; mile Durkheim et Marcel
Mauss, Note on the Notion of Civilization , Social Research, 38, 1971, p. 808-813;
Oswald Spengler, Decline of the West, Le Dclin de l'Occident; Pitirim Sorokin, Social
and Cultural Dynamics, New York, American Book Co, 4 vol., 1937-1985; Arnold
Toynbee, A Study of History, Londres, Oxford University Press, 12 vol, 1934-1961;
Alfred Weber, Kulturgeschichte ais Kultursoziologie, Leiden, A. W. Sitjthoffs Uitgersversmaatschappij, N. V., 1935; A. L. Kroeber, Configurations of Culture Growth,
Berkeley, University of California Press, 1944, et Style and Civilizations, Westport, CT,
Greenwood Press, 1973 ; Philip Bagby, Culture and History : Prolegomena to the Comparative Study of Civilizations, Londres, Longmans, Green, 1958; Carroll Quigley, The
Evolution of Civilizations : An Introduction to Historical Analysis, New York, Macmillan, 1961 ; Rushton Coulborn, The Origin of Civilized Societies, Princeton, Princeton
University Press, 1959 ; S. N. Eisenstadt, Cultural Traditions and Political Dynamics :
The Origins and Modes of Ideological Politics , British Journal of Sociology, 32, juin
1981, p. 155-181 ; Fernand Braudel, History of Civilizations, New York, Allen LanePenguin Press, 1994, et On History, Chicago, University of Chicago Press, 1980; William H. McNeill, The Rise of the West: A History of the Human Community, Chicago,
University of Chicago Press, 1963; Adda B. Bozeman, Civilizations Under Stress ,
Virginia Quaterly Review, 51, hiver 1975, 1-18, Strategie Intelligence and Statecraft,
Washington, Brassey's (EU), 1992 et Politics and Culture in International History : From
the Ancient Near East to the Opening of the Modern Age, New Brunswick, NJ, Transaction Publisher, 1994; Christopher Dawson, Dynamics of World History, LaSalle, IL,
Sherwood Sugden Co., 1978, et The Movement ofWorld Revolution, New York, Sheed
and Ward, 1959; Immanuel Wallerstein, Geopolitics and Geoculture : Essays on the
Changing World-system, Cambridge, Cambridge University Press, 1992; Felipe Fernandez-Armesto, Millennium : A History of the Last Thousand Years, New York, Scribners, 1995. li conviendrait d'y ajouter le dernier livre de Louis Hartz, A Synthesis of
World History, Zurich, Humanity Press, 1983. Selon Samuel Beer, avec une remarquable prscience, il prvoit que l'humanit, un peu l'image de ce qui se produit dans
le monde d'aprs la guerre froide, se scindera en cinq grandes rgions culturelles :
chrtienne, musulmane, hindoue, confucenne et africaine. Notice ncrologique, Louis
Hartz, Harvard University Gazette, 89, 27 mai 1994. Matthew Melko introduit l'analyse des civilisations dans The Nature ofCivilizations, Boston, Porter Sargent, 1969. Je
dois galement beaucoup aux remarques critiques de Hayward W. Alker Jr. sur mon
article de Foreign Affairs : If not Huntington's Civilizations , Then Whose? ,
article non publi, Massachussets Institute of Technology, 25 mars 1994.
2. Fernand Braudel, On History, p. 177-181, 212-214, et History of Civilizations,
p. 4-5 ; Gerrit W. Gong, The Standard of Civilization in International Society, Oxford,
Clarendon Press, 1984, p. 81 sq, p. 97-100; Immanuel Wallerstein, Geopolitics and
Geoculture, p. 160 sq et 215 sq ; Arnold J. Toynbee, Study in History, X, p. 274-275, et
Civilization on Trial, New York, Oxford University Press, 1948, p. 24.
3. Braudel, On History, p. 205. Pour une tude dtaille des dfinitions de la
culture et de la civilisation, notamment de la distinction allemande, voir A.L. Kroeber
et Clyde Kluckhohn, Culture : A Critical Review of Concept and Definitions, Cambridge, Papers of Peabody Museum of American Archeology and Ethnology, Harvard
University, vol. XLVII, n 1, 1952, passim mais surtout p. 15-29.
362
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CIVILISATIONS
Not e s
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364
LE
CHA PIT R E 3 :
CHOC
DES
CIVILISATIONS
Not e s
365
Albert Jacquard et al., Les ScientifUJues parlent, Paris, Hachette, 1987, p. 140, 143, 151,
154-156.
20. Edward Said propos de V. S. Naipaul, cit par Brent Staples, Con Men
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ouvrages antrieurs; Immanuel Wallerstein, Geopolitics and Geoculture : Essays on
the Changing World-System, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; Karl W.
Deutsch a fait une comparaison fine, succincte et trs fconde entre l'Occident et neuf
autres civilisations en fonction de vingt et un facteurs gographiques, culturels, conomiques, technologiques, sociaux et politiques afin de voir dans quelle mesure l'Occident diffre des autres. Voir Karl W. Deutsch, On Nationalism, World Regions and
the Nature of the West , in Per Torsvik d., Mobilization, Center-Periphery Structures
and Nation-building: A Volume in Commemoration of Stein Rokkan, Bergen, Universitetforlaget, 1981, p. 51-93. Pour un rsum succinct des caractristiques propres
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European State-making , in Tilly d., The Formation of National States in Western
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Quarterly, 9, t 1992, p. 52. L'ouvrage le plus utile pour comprendre la nature, l'attrait,
les limites et le rle historique du fondamentalisme islamique de la fin du sicle est
sans doute l'tude de Walzer sur le puritanisme calviniste anglais des XVIe et
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a t brusquement port l'attention des Amricains, quand cette proccupation est
devenue importante, en 1994, par Matthew Connelly et Paul Kennedy (<< Must it Be
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384
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
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385
Not es
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386
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
CRDITS
Index
390
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
1 n de x
-technologies de la, 59-61, 75, 80, 140,
159,187,192,217,224,281,304
- voir aussi Langue
Communisme, 26, 67, 68, 241, 299
- attrait pour le, 97, 123, 148, 149, 154
-croulement du, 26, 30,106,112,154,
172,175,178,199,232,236,271
- conflits avec les dmocraties, 17, 30,
51,53,154,236,264
- voir aussi Guerre froide; voir aussi
pays particuliers
Confdration des peuples du Caucase,
307
Confrence arabe et musulmane populaire, 193
Confrence sur la scurit et la coopration en Europe, 255, 256, 257, 326
Conflit moro-philippin, 296, 303, 305
Confusianisme, 46,99, 105, 170, 184,293,
354, 355
- comme facteur de progrs, 109, 113,
115,247,258,259,262
- voir aussi Civilisation chinoise
Congrs musulman mondial, 193
Conseil de l'Europe, 241, 265
Conseil des glises africaines, 326
Conseil mondial des glises, 326
Contre-Rforme, 72
Coopration rgionale pour le dveloppement, 144
Coran, 80,120,292,297
Core du Nord, 22, 34, 43, 46, 103, 104,
137, 171, 183, 184, 185, 202, 204, 205,
207,208,209,211,213,221,238,241,
258,259,262,267,347,350
- moyens militaires de la, 202-210
Core du Sud, 22, 43, 46,94,95, 103, 104,
105, 107, 110, 137, 143, 145, 171, 183,
184, 185, 208, 209, 210, 221, 240, 241,
243,251,258,267,347,350
Cte d'Ivoire, 147
Cour europenne de Justice, 178
Cresson, dith, 220
Crime, 181, 182, 183
Croatie, 33, 34, 65,137,138,149,173,175,
233, 280, 282, 287, 290, 291, 298, 299,
300,301,304,342,345,349
- pays amis rallis la, 302, 312-324,
329-332
Croissance dmographique, 16, 88-90,
109, 117, 126-130, 192, 195,216,218,
231,287-290,294,336-338
Cuba, 148, 171,210,213,221,238
Culture, 85, 87, 95, 141-146, 170,208
Culture livresque, 90, 98, 125
391
Danilevskiy, Nikolay Y., 153
Dawson, Christopher, 37, 39,46
de la Madrid, Miguel, 163
Debray, Rgis, 107
Dclaration universelle des droits de
l'homme, 211, 214
Dcolonisation, 27, 64, 87, 192, 217, 230,
235
Delors, Jacques, 22
Demirel, Suleyman, 157, 159, 162
Dmocratie, 122, 164, 166, 189, 233-236,
262
-alliances et, 29, 175-177
- attrait de la, 97-98, 112, 113, 122, 148,
154,199,233
- conflits avec le communisme, 17, 32,
51,52, 154,236,264, voir aussi Guerre
froide
- droits de l'homme et, 200, 202, 210-216,
247
-libraux, 52, 124, 140, 217, 327, 334,
337,339
-paradoxe de la, 99, 164,274
- prtendue victoire de la, 25, 51, 52,154,
199,200,202,210,216
Dmocratie librale, voir Dmocratie, Libraux 263
Dmographie, 20, 22, 335, 344, 349, 352
- croissance de la population et, 88-90,
109, 110, 126-130, 192, 195, 216, 218,
231,287-290,294
- voir aussi Immigration
Deng Xiaoping, 188,245,246,254,262
Denitch, Bogdan, 291
Dessouki, Ali E. Hillal, 118
Deutsch, Karl W., 73, 74
Deuxime guerre mondiale, 26, 91, 93,
114, 127, 154, 157, 192, 202, 204, 214,
230, 231, 245, 249, 290, 314, 324, 347,
349,351,352
Dveloppement conomique de l', 109,
117, 141, 145, 239, 241, 246, 251, 262,
334
- relations de l'Australie avec l', 164-167,
251,259
- hgmonie chinoise en, 239
- chocs avec l', 22, 137, 142, 143, 240,
252-262
- valeurs culturelles de l', 27
- dveloppement culturel en, 165-167,
212
- monte en puissance de l', 16, 20, 22,
27, 89, 95, 102, 103, 104, 109-117, 130,
212,239-262,344
- migration, 221, 224
392
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
Index
393
General Agreement on Tariffs and Trade
(GATT), 244
Gorgie, 65,170,179,180,307,309,310
Ghanoushi, Sheik, 235
Giscard d'Estaing, Valry, 220
Glenny, Misha, 300
Goldstein, Avery, 258
Goldstone, Jack, 127
Gorbatchev, Mikhail, 99, 153,310
Gouvernement, 72, 74
- relations avec l'glise, 100, 130, 151,
231
-responsabilits du, 41, 200, 247
-structure de, 73,151,152
Grande-Bretagne, 17, 49, 72, 77, 85, 94,
136, 147, 164, 165, 167, 172, 202, 215,
220, 229, 230, 237, 252, 253, 256, 260,
277, 286, 316, 327, 328, 333, 340, 349,
352
Gratchev, Pavel, 72, 100, 146, 149, 171
Grce, 130, 136, 137, 138, 157, 158, 171,
172,177,178,179,218,283,312,315,
316,340,349
Greenway, H. D. S., 281
Grenade, 230
Groupe de Minsk, 326, 327
Guerre de l'opium, 75
Guerre du Golfe, 123, 157, 161, 193, 203,
237,238,244,271-278
Guerre du Ploponnse, 229
Guerre froide, 86, 87, 92, 93, 94, 95, 99,
106,233,239,282,334
- alliances pendant la, 136,201,215,227,
228,234,240,268,302
-commencement de la, 26, 79,117,175
- politique bipolaire pendant la, 17, 23,
28, 35, 51, 53, 68, 86, 123, 138, 146,
149, 164, 170, 171, 172, 184, 240, 251,
256,263,266,268,270,282,342
- fin de la, 20, 22, 25-26, 65, 69, 99, 106,
135, 138, 141, 157, 160, 184, 240, 241,
247,271,290,344,346
- diffrences idologiques pendant la,
240,242
- armement nuclaire pendant la, 203,
207,209,248
Guerre russo-afghane, 271-273, 306
Guerres frontalires, 228, 270, 271, 294295, 332
- caractristiques des, 278-282, 324
- quilibre dmographique et, 279, 287290, 294
- escalade de la violence, 302-304, 321,
324,329,332,346
- arrt des, 324-332, 349, 351
394
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
1 n de x
395
Kelly, John B., 125
Kmalisme, 76-77, 80, 98, 112, 124, 150,
160, 168
Kenya, 149,284,326
Kepel, Gilles, 101, 103, 107
Khmelnytsky, Bohdan, 181, 182
Khomeini, Ayatollah Ruhollah, 96, 119,
123,238
Kissinger, Henry, 20, 340
Koch, Tommy, 112
Kohl, Helmut, 96, 220
Kowet, 200, 203, 236, 273, 274, 277, 330
Kozyrev, Andrei, 301, 316, 328
Kravtchouk, Leonid, 35, 182
Kuchma, Leonid, 182, 183
Kuhn, Thomas, 23, 24
Kurth, James, 339
Kirgizistan, 65, 159, 301, 306
Langue, 20, 61-66, 72, 121, 136, 151, 190,
191,221,254,281,354
- puissance et, 64, 76, 299
Langue arabe, 61, 72, 299
Langue latine, 62, 63, 71, 72
Langue russe, 181
Laos, 46, 143
Lapidus, Ira, 191
Latvia,65, 150, 173
Lawrence, Bruce B., 106
Lee Kuan Yew, 99, 103, 107, 113, 115, 116,
167, 186, 190,215
Lee Teng-hui, 113, 138, 189, 245, 246
Lellouche, Pierre, 222
Lnine, V. 1., 51, 152, 196,232
Lvy, Bernard-Henri, 323
Lewis, Bernard, 103, 230, 233
Lewis, Flora, 313
Liban, 39, 107, 236, 273, 282, 284, 303,
319
Libye, 22, 33, 95, 125, 191, 193,202,205,
209, 213, 236, 237, 238, 239, 273, 303,
305,312,326
Ligue arabe, 193, 273, 277, 304
Ligue du monde musulman, 44, 52, 88,
141, 145, 147, 163, 167,200
Ligue hansatique, 144
Linguarranca, 51,152,196,232
Lithuanie, 65, 97, 173, 175, 181
Llyod George, David, 95
Lord, Winston, 137, 142, 145
Macao, 190
Macdoine, 149, 178
MacFarquhar, Roderick, 136, 137, 150,
164,167,258
396
~aghreb,
LE
CHOC
130,234,237,276,277
~ohammad, 117, 143, 144,
166,341
~ahbubani, Kishore, 60, 110
~alaisie, 43, 94, 100, 110, 115, 116, 125,
131, 143, 149, 166, 184, 185, 187, 190,
192, 209, 212, 213, 236, 240, 251, 253,
258, 25~ 275, 27~ 283, 293, 305, 31~
318,319,320
~alte, 175
~andarin,61,62,64, 72,99,190
~ao Tse-toung, 51, 112
~arch commun d'Amrique centrale,
137, 145
~aroc, 120, 122, 124, 128, 136, 193,218,
273,274,276,317
~arxisme-Ininisme, 51, 53, 106, 112,
113,119,140,155,229,339
- chec du, 25, 29, 53, 113, 149
~auritanie, 273
~auss, ~arcel, 39
~azrui, Ali, 77, 78, 141,205
~cNeill, William H., 42,97, 104, 108
~earsheimer, John, 32, 33
~diations, 351
~elko, ~atthew, 40, 41,42, 333
~ercosur, 137, 142, 145
~emissi, Fatima, 235, 275, 277
~exique, 16, 33, 44, 117, 136, 137, 138,
145, 147, 150, 151, 162, 163, 164, 167,
209,221,224,342
- identit culturelle du, 136, 137, 150,
164, 167
- migration, 220-224, 337
- comme pays dchir, 150, 164, 167
~ilosevic, Slobodan, 290, 321, 331
~intz, Sidney, 148
~itterrand, Franois, 96, 220
~iyazawa, Kiichi, 212
~ladic, Ratko, 317
~odemisation, 70-82, 93, 101, 103, 106,
168,192,217,339,355,357
- acceptation de la, 75-79, 112, 118, 152,
157
- crise identitaire et, 79, 125, 135, 139
- industrialisation et, 70-71, 334
- rejet de la, 75-79
- traditions contre la, 70-71
- occidentalisation accrue par la, 45, 7071,75-82,157,334
~odemisme, 101, 106
~oldavie, 137, 176, 178, 180
~ongolie,46, 151, 152, 183,242,348
~oore, Clement Henry, 122
~orrison,John, 183
~ahathir,
DES
CIVILISATIONS
~ortimer, Edward, 53
Moyen-Orient, 89, 96, 140, 141, 147, 157,
161, 162, 194, 196,205,208,223,229,
230, 233, 236, 238, 257, 278, 282, 292,
306,345,356
~oyens militaires 50, 75, 92-95, 152, 176,
194,233,297,305,344,345,356
-non-prolifration, 200-210, 217, 228,
248,251,262,263,266,268,349,352
-nuclaires, 33, 95, 179, 180, 182, 183,
202-210, 217, 248, 254, 256, 265-269,
342,347-351
-monte en puissance, 86, 87, 137, 195,
201-210, 224, 228, 235, 239-262, 345352
- dpenses, 94, 190, 202, 206-209
Moynihan, Daniel Patrick, 30
Myanmar (= Birmanie), 143, 193, 212,
213,242,269,283,350
~yrdal, Gunnar, 339
1 n de x
397
-de la guerre froide, 17,23,28,35,51,
53,68,86,123,138,146,149,164,170,
171, 173, 184, 240, 256, 263, 270, 282,
342
- dfini, 23, 26
- moniste, 25
- tatique, 28, 29, 30, 32, 201
- dualiste, 26-28
Parker, Geoffrey, 50
Parlement europen, 215
Partnership for Peace, 176, 317
Pasqua, Charles, 220
Payne, James, 286
Pays dchirs, 150-168,342,354
- redfinition des, 150, 164, 165
Pays clats, 148, 149, 337
Pays frres s'alliant, 17,20, 170,229,239,
273,281,297,302,324-326,342
- voir Guerres frontalires
Pays isols, 145-146, 148-149, 171
Pays musulmans, 184, 212, voir Civilisation musulmane
Pays-Bas, 140, 171,290
Paz, Octavio, 162
Pearson, Lester, 35, 357
Peres, Shimon, 144
Perry, Matthew Calbraith, 75
Perses, 39,43, 65, 195
Philippines, 110, 149, 171, 192, 193,210,
218, 242, 253, 259, 260, 280, 283, 293,
303,304,305
- conflit avec le Moro, 296
Pierre le Grand, 150, 151, 152, 153, 156
Pipes, Daniel, 75, 76, 81
Place Tian'anmen 113, 186,212
Pluralisme, 73, 151,334, 345
Pologne, 35, 49, 97, 123, 136, 145, 158,
172,173,175,176,181,218,314
Portugal, 49, 74, 110, 163, 172, 210, 230,
237
Post Ministerial COnfrence (PMC), 143
Premire guerre mondiale, 26, 268, 290,
349
Proposition 187, 16,222,224
Protestantisme, 44,71, 105, 136, 149, 175,
210,221,284
Puissance, 23, 29
- centralisation de la, 153
- culture et, 96-98, 138, 140, 232, 343
- dfinie, 87
- diffusion de la, 93, 96, 201, 209
- dure vs douce, 97, 117
-langue et, 63, 64, 66, 76, 299
- volution dans l'quilibre de la, 16, 47-
398
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
Quaid-i-Azam, 99
Qui~ey,Carroll,41,42,47,334,335,336
1 n de x
145, 171, 184, 185, 186, 187, 188, 189,
190,210,215,240,241,243,245,326
Spengler, Oswald, 37, 39, 42, 54, 55, 79,
87
Sri Lanka, 22, 46, 100, 147, 149, 171,280,
282,287,288,304,305,306,331,350
Staline, Joseph, 152, 202
Stankevich, Sergei, 155
Straits Exchange Foundation, 189
Sude, 136, 141, 152, 158, 172, 175, 213,
326,337
Suharto, gnral, 96, 124, 125,274
Suisse, 217, 319
Syrie, 128, 136, 202, 205, 209, 213, 236,
237,238,273,274,275,276,277
Systme international vs socit internationale,54
Taiwan, Rpublique de Chine, 81, 110,
113, 116, 137, 143, 145, 171, 184, 185,
186, 187, 188, 189, 190,210,215,240,
241,243,245,251,254,260,262,346
Tadjikistan 65, 137, 280, 283, 296, 297,
301,303,304,305,306,309
Tanzanie, 149,284
Tchcoslovaquie, 33, 148, 173
Tchtchnie, 137, 140, 193,268,280,283,
288, 293, 296, 297, 300, 301, 303, 304,
306,307,308,309,325,326,331,342
Technologie, 47, 48, 50, 92, 107, 199, 208,
217,231,345,355,357
-communications, 59-61, 68, 75, 80,139,
159,187,192,217,224,281,304
Ter-Petrossian, Levon, 330
Terrorisme, 110, 204, 233, 237, 238, 265,
319
Thaliande,46,94, 110, 166, 171, 184, 185,
242,253,259,283,293
Thorie de la dette, 79
Thorie de la distinction, 69
Thorie de la globalisation, 69
Thorie des relations internationales, 200,
204-207,209,233,254,344,349,351
Tibet, 46, 184,242,245,251,254,280,350
Tiers-Monde 89, 94, 170, 184
- guerre froide dans le, 22, 305, 326
- guerres d'apres la guerre froide dans le,
17,25,302
- voir aussi pays particuliers,
Timor oriental, 242, 280, 283, 285, 301
Toynbee, Arnold, 37,40,41,42, 54, 55, 76,
333
Trait de Nankin, 30, 172, 175, 176, 177,
178
399
Trait de non-prolifration nuclaire, 202,
209,212
Trait de Westphalie, 30,51,53
Trans-Dniester Republic, 180
Truman, Harry S., 24
Tudjman, Franjo, 313, 329, 331
Tunisie, 107, 118, 124, 128, 136, 193,218,
236,273,318
Turkmnistan 65, 159
Turquie, 15,22,33,34,43,49,72,77,117,
118, 121, 122, 123, 124, 136, 137, 138,
141, 144, 150, 151, 155, 156, 157, 158,
159, 160, 161, 162, 163, 164, 167, 171,
175, 177, 178, 193, 195, 196,213,216,
230, 236, 264, 268, 276, 277, 283, 287,
294,299,348,349
- identit culturelle de la, 136-138, 141,
144, 150, 156-164, 167, 177, 195-196,
283
- pays frres se ralliant la, 303, 313318,322,326,330
-comme pays dchir, 156-164, 167,
177, 195-196
Ukraine, 22, 32,33, 65, 136, 137, 150, 155,
173, 176, 179, 180, 181, 182, 183, 204,
316,346
Umehara, Takeshi, 339
Union de l'Europe occidentale, 241
Union europenne, 22, 30, 53, 95, 136,
137, 138, 142, 144, 146, 158, 159, 171,
172,175,177,178,183,212,220,241,
266,313,314,316,328,340,345
Union sovitique, 22, 136, 137, 149, 151,
154, 158, 159, 192, 244, 341, 356
-allis de l', 17, 25, 29, 157, 171, 175,
183,304,305
- dissolution de l', 15, 22, 25, 30, 52, 65,
85,87,97,112,123,136,137,149,154,
159, 161, 171, 178-180, 210, 228, 231,
236, 290, 306, 309, 310, 311, 339, 340,
342,344
- guerres frontalires en, 228, 287, 306,
309
- puissance militaire et agression de l',
87, 90, 93-95, 97, 155, 176, 207, 239,
242,247,248
- voir aussi Civilisation russe orthodoxe
Urbanisation, 89, 107, 125, 192
Vatican, 312, 313, 314,316
Vnzuela, 137, 145, 147
Vit-nam, 43, 46, 51, 52, 102, 110, 143,
170, 171, 183, 184, 187,221, 241, 242,
271,347,350
400
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
Table
Prface.....................................................
Premire partie
UN MONDE DMS EN CMLISATIONS
CHA PIT R E PRE MIE R: Le nouvel ge de la politique
globale.....................................................
15
37
57
CHA PIT RE 2 :
Deuxime partie
L'QUILffiRE INSTABLE DES CMLISATIONS
85
109
CHA PIT R E 4 :
402
LE
CHOC
DES
CIVILISATIONS
Troisime partie
LE NOUVEL ORDRE DES CMLISATIONS
CHA PIT R E 6 :
o....................................................
135
169
globale
Quatrime partie
LES CONFLITS ENTRE CMLISATIONS
CHA PIT R E 8 : L'Occident et le reste du monde : problmes
intercivilisationnels o........................................
197
227
271
CHA PIT R E 9 :
295
333
o.....................................................
359
Index.......................................................
387
Notes
LE CHOC DES
CIVILISATIONS
Un tour de force intellectuel: une uvre fondatrice qui va rvolutionner notre vision des
affaires internationales. (Zbigniew Brzezinski)
SAMUEL P. HUNTINGTON
ISBN 2.7381.0499.1
Illustration de couverture :
PIXIMichael Shay
111111'
11111
9 782738 104991
22,87 150 F