Geopolitique Russie 012016 2 2
Geopolitique Russie 012016 2 2
Geopolitique Russie 012016 2 2
Sommaire
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L'auteur :
Matre de confrences en tudes slaves & gopolitique (universit Paris VIII).
Enseignant en gopolitique et langue russe, ses recherches portent sur le secteur
russe de linnovation civile au sens large, et plus particulirement sur
lorganisation du cyberespace russophone.
photocopieur est conserv sous cl, son utilisation ncessitant une autorisation
administrative spciale.
Malgr tout, un Internet sovitique a bel et bien exist, selon un mode de
circulation de linformation libre et dcentralis trs proche de celui du Web
contemporain. En tmoigne par exemple la persistance de cet trange
vestige numrique quest le nom de domaine .su (pour Soviet Union),
encore actif de nos jours. De mme, certains canaux de discussions utiliss par
les quelques internautes sovitiques pour discuter politique labri des oreilles
du KGB existent encore dans les recoins du deep web - cette partie du rseau
inaccessible par les navigateurs et les moteurs de recherche classiques.
Fin 1991, soit au moment o lUnion Sovitique sest croule, ils sont en
effet dj plusieurs centaines de citoyens sovitiques tre relis les uns
aux autres par modem. Depuis quelques annes, ils discutent en temps rels
avec des internautes occidentaux, sans la moindre censure. Au dpart, il sagissait
essentiellement de rseaux scientifiques utiliss par une poigne dingnieurs et
de chercheurs pour faciliter lchange de donnes. Mais petit petit, les
changes professionnels laissent place des discussion dune toute autre nature :
au fur et mesure que lURSS senfonce dans la crise conomique et politique qui
prcipite son effondrement, des cadres scientifiques se sont mis discuter en
ligne de cette situation proccupante. Grce aux rformes de la Perestroka,
certains de ces ingnieurs et scientifiques ont pu systmatiser ce qui ntait alors
que discussions informelles et caches au cur du rseau, en crant des salons
de discussions ddis la politique interne de lURSS ou encore en fondant le
premier (et le seul) fournisseur daccs Internet (FAI) dUnion Sovitique.
Curieusement, cet pisode de lhistoire sovitique demeure peu connu, et rares
sont les travaux qui lui sont consacrs. Cest pourtant au sein de cette petite
communaut de passionns que plusieurs grands noms du Web russe
contemporains ont fait leurs premires armes, limage dArkady Volozh,
fondateur de Yandex (moteur de recherche n1 en Russie, devant Google). Cest
galement de l que viennent nombre des informaticiens qui travaillent
aujourdhui dans le domaine de la cyberscurit en Russie, mais galement en
Isral, o beaucoup danciens internautes sovitiques ont migr. Ltude de
cette matrice que fut lInternet sovitique apparat ds lors comme
utile, ne serait-ce que pour comprendre certaines relations et les rivalits
de pouvoir qui structurent aujourdhui encore le cyberespace russophone,
et qui trouvent leurs racines dans cet ge de pierre du numrique russe.
Dautant plus que les sources ne manquent pas : de vieux serveurs sovitiques
contenant les archives de plusieurs annes de discussions et de publications ont
t rpliqus sur des miroirs, fournissant ainsi des milliers de pages utiles ceux
qui voudraient retracer cette aventure technologique mconnue et construire une
nouvelle mthodologie dapproche de problmatiques plus contemporaines. Ainsi,
cet article se veut une premire tentative de dblayage et de mise en ordre,
partir de donnes et darchives rcoltes et traites depuis plus de deux ans, sur
le dveloppement dun Internet sovitique. Des balbutiements de la mise en
rseau dordinateurs en URSS dans les annes 1960 la constitution dune
communaut dinternautes solidement structure par lanticommunisme, il
sagira ici de retracer le dveloppement en apparence paradoxal dun
rseau informatique libre et ouvert en Union Sovitique.
tlphone de son correspondant pour lui envoyer des paquets . Celui-ci pouvait
son tour les envoyer vers dautres ordinateurs de par le monde. En URSS, selon
G. Ganley, Fidonet tait essentiellement utilis dans les rpubliques baltes. Ce
rseau aurait servi de point de discussion entre nationalistes estoniens et
lettons tablis en Union sovitique et certains de leurs compatriotes installs
lOuest.
Entre 1986 et 1991, lembryon dInternet form par tous ces rseaux se
dveloppe rapidement. En septembre 1990, Demos obtient de lInternet
Assigned Numbers Authority (IANA) la gestion du nom de domaine .su,
qui existe toujours aujourdhui [ 5 ] . Ironie de lhistoire, cest donc une
entreprise prive qui assure la gestion du nom de domaine de la patrie du
socialisme
De mme, le nombre dutilisateurs connects augmente pour atteindre
plusieurs centaines la fin de lanne 1991. A la faveur de la Perestroka en
effet, plusieurs chercheurs ont dsormais possibilit de squiper en matriel
informatique malgr la pnurie qui rgne dans ce secteur en URSS : certains se
rendent aux Etats-Unis pour acheter un ordinateur IBM quils ramnent ensuite,
tandis que dautres sarrangent avec des collgues occidentaux pour que ceux-ci
leurs fassent parvenir le prcieux matriel.
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occidentales.
Cependant, dans ce black-out total, une minuscule lueur demeurait : les
putschistes navaient en effet pas daign couper les liaisons informatiques
qui transitaient via la fentre sur lEurope entre Leningrad et Helsinki.
Si bien que les quelques utilisateurs du Net sovitiques se retrouvrent
propulss en quelques heures au rang dinformateurs de premire main
pour les journalistes occidentaux, mais galement en relais du prsident Boris
Eltsine dans tout le pays. Sur le canal Usenet le plus pris par les sovitiques
(celui-ci sappelait talk.soviet.politics), on vit dbouler des journalistes de
lAssociated Press ou de CNN, des universitaires amricains, des utilisateurs du
monde entier venus chercher de linformation ou simplement tmoigner leur
soutien leurs collgues sovitiques. Plusieurs utilisateurs bass Moscou
racontaient ainsi en temps rel ce quils voyaient depuis leur fentre, et lun
dentre eux russit mme transmettre sur le rseau le premier communiqu de
Boris Eltsine via un collgue connect lintrieur de la Maison Blanche. Le
message fut ensuite redistribu vers toutes les adresses dUnion Sovitique avec
la mention imprimer et placarder massivement .
Un exemple de message post par un informaticien de Demos lors du
putsch
From demos !hq.demos.su !avg fuug.fi Mon Aug 19 05:01:08 1991 Organization :
DEMOS, Moscow, USSR From : avg hq.demos.su (Vadim Antonov) Date : Mon, 19 Aug
91 14:31:23 +0200 (MSD) Subject : Re : just heard the news
Oh, do not say. Ive seen these tanks with my own eyes. I hope well be able to
communicate during few next days.
Communists cannot rape the Mother Russia once again !
La poigne d internautes que comptait lUnion Sovitique a jou un rle
central dans le rglement international de la crise. Cest notamment grce leurs
informations, et mme aux photographies que certains parvinrent scanner (une
prouesse technologique pour lpoque !), que les journaux occidentaux du 20 aot
1991au matin disposrent dinformations solides.
A lpoque, beaucoup staient interrogs sur les motivations du GKChP, qui
contrlait toutes les communications dUnion Sovitique, laisser ces messages
transiter librement. Selon Vadim Antonov, lun des principaux contributeurs de
Demos, ctait de lignorance pure de la part du KGB, qui ngligea cette toute
petite brche dans le rempart dress par les putschistes entre lURSS et le reste
du monde. Quoiquil en soit, lpisode daot 1991 demeure aujourdhui encore
un symbole extrmement fort des premires annes dexistence du Net
russophone. Lanticommunisme quasi-unanime qui y rgnait alors a certes t le
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L'auteur :
Michel Heller, historien (1922-1997), enseignant la Sorbonne de 1969 1990.
Auteur de nombreux ouvrages dont Le Septime Secrtaire. Splendeur et misre
de Mikhal Gorbatchev, Olivier Orban, Paris, 1990. P. Verluise tait au moment de
cet entretien contributeur au Quotidien de Paris dirig par P. Tesson.
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Pourquoi ?
P.V. Comment expliquer ce coup dEtat ?
M.H. Trois lments ont jou un rle dterminant.
Premirement, Eltsine et Kravtchouk estimaient que Mikhal Gorbatchev les
empchait de devenir aux yeux de lOccident les chefs de leur Rpublique.
Deuximement, les trois leaders voulaient donner quelque chose leur peuple.
Or, aujourdhui, ils ne peuvent rien offrir dautre que le remplacement dune
Union qui a cess dexister.
Troisimement, les trois dirigeants ont voulu en finir avec lURSS moribonde et
dblayer le terrain.
Maintenant, ils commencent la construction dun nouvel Etat slave. Pour des
raisons gopolitiques et conomiques, ce quon appelle Moscou "laxe slave"
doit devenir un ple dattraction pour les autres Rpubliques de lancienne URSS.
La preuve, lArmnie a dj manifest son intention dentrer dans cette
communaut. Le Kazakhstan et les Rpubliques dAsie centrale vont suivre. Aprs
avoir cr leurs propres structures, les Rpubliques baltes elles-mmes vont
tablir des relations avec cette nouvelle entit.
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Pronostic
P.V. Boris Eltsine peut-il russir ?
M.H. Il semble fort probable quil choue. Pourquoi ?
Premirement, parce que la rforme politique risque de se heurter aux structures
de pouvoir existantes.
Deuximement, parce que la rforme conomique ne peut pas bnficier de
ladhsion de la population, cause de linvitable hausse des prix.
Considrons tout dabord laspect politique. Sur quelle structure les reprsentants
personnels dEltsine peuvent-il sappuyer ? Les Soviets constituent les seuls
organes lgislatifs et excutifs existants ! Cette continuit indique quau sens
politologique, le systme demeure sovitique. Qui sige dans ces instances ? La
nomenklatura du Parti communiste ! Ds lors, comment les reprsentants
personnels de Boris Eltsine pourraient-ils mettre en uvre une transition vers
lconomie de march ? Leur seul instrument est un appareil qui a fait la preuve
de son opposition toute rforme. Il nexiste pas dlite dirigeante alternative
immdiatement disponible. En effet, le parti drainait par le pass tous ceux qui
avaient le got du pouvoir. Nul ne peut affirmer srieusement que la
nomenklatura est devenue aujourdhui adepte de la dmocratie et de lconomie
de march.
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L'auteur :
Directrice de "La Pense russe". Entretien avec Pierre Verluise Directeur du
Diploweb.com
La connaissance inutile ?
Le malheur, ce fut cette mprise durable dans laquelle le reste du monde sest
tabli. Voici ce qui fut, pour mes parents comme pour moi-mme lune des plus
grandes souffrances : sentir autour de nous une incomprhension gnralise. Ce
ntait pourtant pas les preuves qui manquaient. Plusieurs centaines de milliers
de rfugis avaient t accueillis en Occident aprs la rvolution. Mais cela
relevait dun mouvement du cur qui ninfluenait pas les jugements. Ds quon
voquait le fond des choses propos du totalitarisme sovitique, on se heurtait
un mur dincomprhension.
La premire migration a tmoign, mais lopinion publique en Occident ne la
pas entendue. Le phnomne sest rpt par la suite avec une constance
dconcertante. Mes parents, comme beaucoup dautres, en ont tir la conclusion
quil tait vain de parler. Les rfugis de cette poque se sont mis vivre part,
dans une sorte de ghetto oblig. A la fin des annes 1950, jen tais venue de ce
fait une sorte de refus de mintresser lUnion sovitique. Je ressentais la
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fait. Mais ces sentiments, on les prouve comme distance. Sakharov minspirait
plus de que ladmiration, une amiti comme jen ai peu connue et sa femme Elena
Bonner tout autant. Sakharov, ctait la tendresse, lmerveillement devant une
bont infinie. Sa dimension historique ne faisait pas cran.
Voici comment jai fait la connaissance des Soljenitsyne. Peu aprs le dcs de
mon mari, jai reu en janvier 1975 un appel deux me demandant de leur rendre
visite en Suisse, o ils se trouvaient aprs avoir t chasss dUnion sovitique.
Alexandre Soljenitsyne ma alors expos secrtement son intention de gagner les
Etats-Unis pour sy tablir. Il avait besoin ses cts et pour son travail dune
personne de confiance pour laider dans ce monde occidental si nouveau.
Quelquun qui ne fut pas susceptible de se laisser manipuler par le KGB, lequel
avait dj fait bien des efforts pour sinsinuer dans leur milieu en Suisse. Sans
my attendre le moins du monde, je me trouvais donc prie de laccompagner aux
Etats-Unis. Mon admiration pour cet homme, son uvre, sans parler de son
courage, tait sans borne. Aprs consultation de mes enfants, jai accept cette
proposition qui mentranait pour plus de trois ans dans une immense aventure.
Soljenitsyne sortait dun combat de gant en Union sovitique. Un David qui
navait mme pas une fronde pour se dfendre contre le KGB, une plume tout au
plus. Rarement quelquun ma sembl habit comme lui par une force venue
dailleurs. On a abus du mot prophte pour lappliquer des gens qui ne ltaient
pas toujours. Mais dans le cas de Soljenitsyne, je pense quon peut lemployer
sans se tromper. Lhomme donne le sentiment dtre dun bloc, mais il nest pas
tout dune pice. Bien quassez austre de temprament, il aime la vie et le
manifeste. Mais en lui, il y a toujours comme une instance qui lamne saisir les
tres et les ralits au-del de toutes les apparences. Comme tous les grands
crivains, cest dans ses livres quon trouve le vrai Soljenitsyne et ce quil a de
plus chrtien. Le sommet de son uvre, cest LArchipel du goulag (d. Seuil,
1974) dont la trace restera dans lHistoire parce quelle en a chang le cours. Il
ntait pas le premier tmoigner, mais il fut le premier se faire entendre
vraiment, changer le jugement.
Un courage dacier
Quant Andre Sakharov, il avait un courage dacier, pur comme le cristal, il tait
une figure de juste. Ce quil entreprenait - par exemple pour condamner linvasion
sovitique de lAfghanistan en 1979 - il le conduisait jusquau bout. Avec, de
surcrot, une rare capacit daccueil, de bienveillance lgard des personnes.
Quiconque sadressait Sakharov devenait pour lui ltre le plus important du
monde. Les gens ne sy trompaient pas, ils accouraient lui en foule incroyable.
Ctait un cerveau et un cur la fois. Do son rayonnement, mme au jour o
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L'auteur :
Ecrivain.
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blancs et rouges. (...) Fallait-il que lInstitut retombe dans lornire ?..." (Appel
sign par Andr Glucksmann, Bernard-Henri Lvy et Philippe Sollers in Le
Monde, 11.2.2003).
Cest un cas de figure intressant et trs spcifiquement franais, o tantt la
gauche, tantt la droite, saccusent mutuellement de complaisance vis--vis de la
Russie. La droite a, en effet, des faiblesses pour l"ternelle Russie" despotique au
gouvernement, mais flatteusement voltairienne dans les salons. Avec ses fastes !
ses ressources ! sa force !
La gauche a toujours les yeux de Chimne pour lhritire de la Rvolution
franaise (1789) et de la Commune (1871). "Patrie du socialisme et du
communisme", dont Lnine a aussi labor le projet en France, puis en Suisse.
Mme si ce sont les Allemands du Kayser qui lont ramen chez lui pour faire le
coup dEtat bolchevique de la Rvolution dOctobre 1917.
Certes, lamour pour Staline fut une erreur de jeunesse, une sorte de maladie
infantile du communisme et des gauches franaises. Parce que Staline a "trahi la
Rvolution", dit-on contre toute raison jusqu aujourdhui dans ces milieux
intellectuels. Il suffit de lire attentivement le supplment du Monde du 26 fvrier
2003 consacr tout entier Staline. Signalons, dailleurs, que dans ce flot
intressant, le sort de la Pologne, par exemple, nest pas du tout trait. Et que
Katyn apparat une seule fois, parce quun manuel... russe dhistoire en parle,
Moscou ! Nos manuels franais nen parlent toujours pas Paris. On a aussi du
mal parler du Pacte germano-sovitique daot-septembre 1939 et de
lagression sovitique contre la Pologne, le 17 septembre 1939. Mais on observe
une amlioration des connaissances dans ce domaine. (Cf. A. Viatteau, "Le Pacte
Ribbentrop-Molotov, lagression sovitique contre la Pologne le 17.09.1939 et sa
ngation russe en 1999. Ltat des connaissances scientifiques en 2000",
diploweb.com, 18.10.2000 et "Staline assassine la Pologne, 1939-1947", d. Seuil,
1999).
Ce rle tmoin, clairant de la Pologne est, semble-t-il, gomm pour luder la
responsabilit du communisme, ds lorigine, et non du seul Staline, dans la
barbarie totalitaire. Un ouvrage traduit, recommand par Radio Classique (6 mars
2003 9h), crit par un Russe amricain, Richard Lourie, va jusqu
personnaliser compltement le totalitarisme communiste sovitique. Dans "Moi,
Staline", lauteur se met dans la peau de Staline pour dmontrer que cest "par
divertissement que jai (Staline) vers dans le crime", "joui de la terreur". "Un vrai
nihiliste", commente Radio Classique.
On voit l cet change de tir droite-gauche, gauche-droite franaises : de droite,
on tire sur le nihilisme ; de gauche, on tire sur le despotisme. Mais, la fascination
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est la mme. On aime la Russie et on frissonne devant ses tsars et leur knout.
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cryptocommunisme catholique ? Les chrtiens progressistes en France, 19471953", in Renseignement et propagande pendant la Guerre froide" sous la
direction de J.Delmas et J.Kessler, d. Complexe-Mmorial de Caen, 1999).
Dans les rangs de la gauche non communiste, notamment des chrtiens de
gauche, Jacques Maritain lui mme, ainsi que Franois Mauriac, refusent de
prendre position contre loccupation de lEurope du Centre-Est, et notamment
contre les crimes commis en Pologne par lURSS avant, pendant et aprs
lInsurrection de Varsovie en 1944 et la Libration en 1945. "La stratgie gaulliste
obligeait passer (cela) sous silence", confiait alors le Polonais Joseph Czapski,
rescap des massacres des officiers polonais en URSS et officier dans lArme
polonaise des Forces Allies occidentales (Cf. chapitre "Complicit politique et
morale" in A.Viatteau, "Staline assassine la Pologne, 1939-1947", op.cit.).
La technique de lamalgame
Des prisonniers franais - les chanceux, ceux qui ont pu regagner la France et non
aller au Goulag leur libration en Allemagne par les troupes sovitiques -, ont
tmoign datrocits sovitiques contre des civils allemands. En vain. On trouve
dans les archives dpartementales du Puy de Dme des affiches communistes
dnonant ces tmoignages vcus comme tant de la "calomnie de la part de
fascistes et un complot des trusts pour jeter le discrdit sur lArme rouge" !
(archives 120W54 et 120W55). Dj cet amalgame communiste et "compagnon de
route" entre lincomparable. Sur la chane franaise Antenne 2, le 2 avril 2003
13 heures, une enseignante apprenait des lves adolescents de nos coles ce
que voulait dire le portrait de George W. Bush affubl de la moustache de Hitler
sur un panneau des manifestants "anti-guerre" photographi par la presse. Le
garon rpondait avec srieux, et sans tre contredit, que "Bush avec la
moustache dHitler, a veut dire quil veut commettre un gnocide contre les
Arabes". Toujours la phrasologie des "fascistes et des trusts". Mme Moscou ne
va plus aussi loin aujourdhui.
En 1949, J. Czapski relatait ses pourparlers avec lditeur franais Calmann-Lvy
pour la publication de son ouvrage sur les crimes de Staline en URSS pendant la
Seconde Guerre mondiale, "Terre inhumaine". Dans un premier temps, Raymond
Aron, responsable de la collection, accepte louvrage. Mais, lditeur convoque J.
Czapski et lui dclare : "Je ne suis pas du tout daccord avec lopinion de
Monsieur Aron. Je ne pourrai pas publier votre livre. Vous parlez trop des
Polonais, qui nintressent pas les Franais. Il faudrait faire des coupures trs
importantes. Ce qui est plus grave, vous tes trop antistalinien, a ne passerait
pas..." (Cf. Joseph Czapski, "Tumultes et spectres", d. Noir sur Blanc, 1991, p.
68, in ouvrage paratre de Frdric Saillot ; cf. aussi A.Viatteau, "Transition Est-
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" Cest au nom de ce principe, crivait lditorialiste, que les communistes chinois
furent livrs jadis aux bourreaux de Tchang-Kai-chek et que la guerre dEspagne
fut utilise par les staliniens des fins qui navaient souvent pas grand chose
voir avec la victoire. Rien, soyons en certains, ne sera chang, moins que Mao
Ts-toung nlve quelques prtentions la direction de la rvolution mondiale...
".
Le mme pressentiment trotskiste ou maoste faisait crire Gilles Martinet dans
LObservateur que la prdominance russe sur le mouvement communiste, comme
jadis la prdominance franaise sur la rvolution bourgeoise, allait peut-tre
cesser avec la mort de Staline : " ...le communiste le plus minent actuellement
vivant est Mao Ts-toung et non Malenkov ".
Ni lun ni lautre, prdisait, juste titre, un kremlinologue de LObservateur, mais
Nikita Khrouchtchev, parce quil a soudain avanc du dixime au cinquime rang
au nouveau Prsidium (Politburo) du comit central du parti.
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"lmotion populaire" et "lespoir des pauvres" : "La pit ingnue de ces masses
devant la mort de Staline..."
Toujours dans Combat, un reprsentant du radicalisme franais, Edgar Faure,
voyait dans Staline le dictateur efficace qui avait froidement fait table rase et
liquid un monde ancien pour y allumer les lumires du progrs : il estimait que,
parmi les grands dictateurs du monde moderne, Staline tait " le seul avoir
rsist au pril de la griserie, de la mgalomanie et de lhystrie "... Ce ntait,
tout de mme, pas la position de tous les radicaux, tant sen faut.
Enfin, bien avant le Rapport Khrouchtchev, un esprit qui conservait de la clart,
en plus de la fascination, jugeait ainsi le communisme dans Le Monde : " Cest
une rvolution sans romantisme, mene avec une volont implacable, sans
concession aucune au sentimentalisme ou la piti, en vue de forcer le bonheur
de lhumanit... La poursuite de ce bonheur mathmatique a peupl les camps de
concentration et les charniers ; elle a transform des millions dhommes en
robots. Elle en a priv dautres de la plus lmentaire dignit ". Seul pourrait
dpasser la russite tactique de Staline, poursuivait lditorialiste, " celui qui
rconcilierait la rvolution et la libert ".
Un espoir qui a mal vieilli, avant de mourir de dsillusion et dentraner le
systme sclros dans la mort, pour voir rapparatre laube du XXIme sicle
un gauchisme idalis, considrablement enrichi et renforc par le libralisme et
le parlementarisme, dont Marx avait bien dit que ctaient les meilleurs moyens
daccder au pouvoir. En dveloppant aussi, sans cesse, la propagande
intellectuelle et la manipulation de masse, auxquelles tous ont recours, au
demeurant, mais dont le maniement est plus ou moins expert.
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La France instrumente ?
La Russie, sous tous ses rgimes, et quoi quelle fasse, est lallie favorite de la
France, mais Moscou ne compte quavec Washington pour raliser le projet dEtat
mondial. Certes, pour ce faire, il faut affaiblir les Etats Unis, et la France est bien
utile comme "locomotive" du mouvement anti-amricain. Mais, terme, la Russie
ambitionne le leadership de lEurope, pour se retrouver face face entre
"Grands", avec les Etats Unis, pour dominer la plante. Ou bien pour imposer
lhgmonisme russe sur les politiques et les ides.
La tribune franaise est, pour ce faire, importante en Europe pour la Russie. Pour
les petites et les grandes choses. Cest dans Le Monde que parat, le 1er-2
dcembre 2002, la publicit dune page entire pour promouvoir lExposition
universelle internationale de 2010 Moscou. Dici l, il semble Mikhal
Gorbatchev, qui co-signe lannonce, que les jeux seront faits : "Cela permettra au
monde entier de saluer le succs des changements dj connus sous le nom de
perestroka". Le thme de lExposition : "Ressources, technologies, ides pour
aller vers un monde uni"... "dialogue global dterminant pour le sort du monde...",
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"la communaut mondiale est prte se lancer dans une nouvelle vague de
dveloppement". La France sest mme dote dun ministre adquat consacr au
"Dveloppement durable..." ! Et le prsident Valry Giscard dEstaing souhaite, le
23 mars 2003, sur FR3, la formation dune "opinion publique globale". Lide est
avance dans la conjoncture des manifestations de masses organises contre les
Etats Unis. Mme si ce nest pas tout fait le sens de ce que voulait dire Valry
Giscard dEstaing, du moins peut-on lesprer.
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est sur terre ? Ne vaut-il pas mieux me laisser aller au courant qui mentrane ?
Sil est possible de faire quelque chose, je ne le ferai pas tout seul, mais en
commun avec dautres. Et, laissant l cette arme toute puissante de la pense qui
sexprime, chacun sefforcera de trouver une arme qui serve une action
commune, sans faire attention que toute action en commun repose sur ces
principes mmes quil veut combattre...". Alors que la "force toute puissante,
insaisissable et libre est celle qui apparat dans lme dun homme lorsque, seul ,
il songe aux vnements du monde...". Et quil fonde sa propre rflexion sur la
connaissance et le savoir, avant dagir en consquence.
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nest pas signale). Le titre de lexposition de cet t Paris est "Quand la Russie
parlait franais. Paris-Saint-Ptersbourg 1800-1830". De mauvais esprits font le
rapprochement avec la campagne lectorale aux lections de la Douma Moscou
du "clan des Saint-Ptersbourgeois, issus le plus souvent des services secrets o
M. Poutine a fait sa carrire" (Cf. Le Monde, 29.3.2003).
Dans un registre culinaire tout fait plaisant, propuls au niveau quasi politique
et diplomatique par le Snat amricain loccasion des discordances francoamricaines concernant lIrak en 2003, une revue franaise semble riposter , sans
aucun doute par hasard, au boycott amricain des French potatoes par le rappel
que "dans le menu dEugne Onguine (clbre pome national russe de
Pouchkine - AV) figure du foie gras de Strasbourg dans une recette de 1830"...
1830, date de la grande Insurrection polonaise contre loccupation russe, au
demeurant.
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dites. Tous les Franais devinrent pieux en un moment ; ils suspendirent avec
grand soin dans les chambres des marins russes ces mmes images religieuses
que, peu de temps auparavant, ils avaient enleves avec autant de soin des murs
de leurs coles, comme autant dinstruments de superstition ; et, sans trve, on
les vit en prires. (...) "Puisse lamiti de la Russie et de la France faire de nos
deux nations les gardiennes de la paix !"
Cependant, des milliers de tlgrammes schangeaient entre la Russie et la
France. Les femmes de France flicitrent les femmes de Russie ; celles-ci, leur
tour, exprimrent leur reconnaissance. Une troupe dacteurs russes flicita les
acteurs franais ; les acteurs franais rpondirent que laccueil de leurs collgues
russes resterait grav au fond de leur cur. Des tudiants en droit exprimrent
leur enthousiasme la nation franaise. Tel gnral flicita madame une telle ;
madame une telle assura le gnral de son dvouement la Russie. Des enfants
russes envoyrent des enfants franais des compliments en vers ; les petits
Franais rpondirent en vers et en prose. Le ministre de lInstruction publique, en
Russie, assura le ministre de lInstruction publique, en France, de laffection
subite que venaient de ressentir lgard des Franais tous les enfants, les
savants, les crivains qui dpendaient de son administration ; les membres de la
Socit protectrice des animaux exprimrent aux franais leur attachement ; le
conseil municipal de Kazan fit de mme.
Une mme croyance
Un chanoine du diocse dA... assura le Protopresbyter de la cour impriale que,
dans le cur de tous les cardinaux et vques de France, brlait un vif amour
pour la Russie, pour Sa Majest Alexandre III et son auguste famille. Il ajouta que
le clerg de France et celui de Russie avaient presque la mme croyance : tous
deux nhonorent-ils pas la sainte Vierge ! A cela, le Protopresbyter rpondit que
les prires du clerg franais pour la famille impriale veillaient une joie
profonde dans le cur de tout le peuple russe qui aime le tsar ; il dit encore que,
comme le peuple russe honorait aussi la sainte Vierge, il pouvait compter sur la
France, la vie, la mort.
Des sentiments analogues furent exprims par des gnraux, des tlgraphistes
et des marchands piciers. Tous eurent quelquun fliciter et remercier.
(...) Un journaliste a crit quun Franais lui a dit, dans un bal, quon trouverait
difficilement Paris, une femme qui ne fut pas prte oublier ses devoirs pour
satisfaire les dsirs dun marin russe : et tout cela passa inaperu, comme une
chose toute naturelle. On vit mme des cas de folie caractrise. Ainsi une
femme, enveloppe dune toffe aux couleurs franaises et russes, attendit
larrive du cortge et se prcipita dans la Seine en criant : "Vive la Russie !".
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L'auteur :
Prsident de la Fondation pour la culture chrtienne Znak. Entretien avec Pierre
Verluise, directeur du Diploweb.com
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mafieux.
La situation nous semble galement proccupante en matire religieuse. Lintrt
pour lorthodoxie amorc au dbut de la priode post-sovitique est en crise.
Pourquoi ? Parce que le clerg orthodoxe reste insuffisant, autant en quantit
quen qualit, souvent form en quelques mois. Par ailleurs, la pastorale reste
incomprhensible puisquelle demeure en slavon, une langue slave ancienne que
la plupart des gens ne comprennent pas.
Enfin, les milieux oecumniques sont peine tolrs, rejets sur les marges.
Comment trouver des partenaires ? Il faut prendre aussi en considration une
certaine nationalisation de lOrthodoxie russe et de frquentes attitudes
anticatholiques (ou un faux oecumnisme national en Ukraine).
P.V. Quelles actions prnez-vous lgard de la Russie de V. Poutine ?
Z.W. Les Occidentaux doivent se garder des dfauts suivants : flatter la Russie
dans une politique courte vue et/ou ignorer ce pays-continent. On ne peut pas
la fois flatter la Russie no-sovitique et lui tourner le dos, ce serait suicidaire.
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L'auteur :
Officier allemand, stagiaire au CID en 2009-2010
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la Russie.
Mais pour la Russie, lAllemagne en tant que troisime puissance conomique du
monde et le partenaire commercial le plus important est un acteur politique
incontournable du point de vue conomique. Pour la Russie, lAllemagne se place
au premier rang dans le domaine conomique et ceci pour trois raisons : elle est
son partenaire commercial le plus important, un des principaux investisseurs et
son plus grand crancier.
Dans ce contexte, on peut donc parler sans conteste dun partenariat
stratgique . Dun point de vue gostratgique, chacun intervient toutefois des
niveaux diffrents. En effet la Russie, du fait de son tendue gographique sur le
continent eurasien lintersection entre lEurope et lAsie, entretient un autre
rapport avec la puissance mondiale actuelle que sont les tats-Unis ainsi quavec
la puissance mondiale probablement montante quest la Chine. LAllemagne par
contre ne peut que difficilement revendiquer sa pleine dimension politique
mondiale sans lUE. Toutefois cette situation prvaut aussi pour les autres grands
tats membres de lUE, par exemple la France et la Grande-Bretagne.
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scurit extrieure des mesures polonaises visant la Russie, qui concernent aussi
la politique de lUE envers la Russie : la Pologne freine lvolution des relations
politiques UE - Russie en bloquant depuis 2007 la rnovation de lAPC. [91]
Sous langle conomique, les Polonais insistent, linstar des pays baltes, par
exemple sur la construction du gazoduc Amber la place du gazoduc Nord
Stream . [ 92 ] Ces projets sont sources de conflits, notamment avec
lAllemagne. [93]
Enfin, sur le champ de la scurit extrieure, la Pologne est trs favorable la
mise en place dun bouclier antimissile par les tats-Unis en Pologne,
officiellement orient face la menace iranienne. [94] Mais selon le premier
ministre de la Pologne Donald Tusk, ce bouclier antimissile servirait globalement
de mesure prventive la dfense europenne. Ces propos du chef du
gouvernement polonais, soutenu par le gouvernement tchque, visent clairement
la Russie et montrent les fortes rticences. [95]
Parmi les pays membres de lOuest de lUE qui mettent des rserves lgard de
la Russie, lAngleterre a de nombreux dsaccords avec la Fdration de Russie,
surtout dans le domaine nergtique. A ces tensions, se greffent des incidents
sans doute lis lactivit des services spciaux [ 96 ]. Dans dautres tats
membres, les proccupations que suscite la monte de lautoritarisme en Russie
sont telles quelles relguent au second plan les arguments en faveur dun
renforcement du partenariat stratgique, mme dans des pays aussi russophiles
que lAllemagne. Illustrant ces difficults, Andreas Schockenhoff, membre du
Bundestag allemand et coordinateur de la coopration inter-socital germanorusse du gouvernement fdral, note :
Par cette politique, la Russie a perdu considrablement en crdibilit, en
prvisibilit et en confiance, et elle sest isole sur le plan international. [] De
surcrot, les chances de voir le pluralisme et les principes de ltat de droit,
linnovation et la modernisation sociale se dvelopper en Russie ont subi un
srieux revers. Le foss sest creus entre les valeurs et la vision des choses de la
Russie et de lEurope. Cela est contreproductif pour la Russie, mais aussi pour
lEurope. [97]
La Sude qui assurera la prsidence de lUnion europenne au second semestre
2009 et qui, ce titre, incombe dj un rle particulier au sein de lUE dans le
cadre des travaux prparatoires, insiste sur le fait, quon ne peut pas luder
purement et simplement la question de la guerre daot 2008, et quil faudra
demander des comptes la Russie. Elle exprime des rserves manifestes
lencontre dun pays qui intervient sa priphrie, dans une zone dintrt
gopolitique aussi pour lUE, en mettant en uvre des moyens
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disproportionns . [98 ]
Ceci montre bien que les tats membres dEurope centrale et dEurope orientale,
comme la Pologne, la Rpublique tchque ou les pays baltes ne sont pas les seuls
se montrer circonspects lgard dune politique dhgmonie russe.
Cette analyse est confirme par ltude faite par le Conseil europen des
relations externes , qui met en relief la rpartition des pays membres vis--vis
des relations bilatrales avec la Russie :
. les Chevaux de Troie dont la Russie peut se servir avec fiabilit et qui
souvent dfendent les intrts russes dans lUE plus ou moins ouvertement :
Grce et Chypre
. les partenaires stratgiques qui ont des relations troites avec la Russie,
surtout bases sur les intrts conomiques : Allemagne, France, Espagne et
Italie
. les partenaires pragmatiques pour lesquels les relations bilatrales
conomiques avec la Russie jouent un rle trs important : Autriche, Belgique,
Bulgarie, Finlande, Hongrie, Malte, Luxembourg, Portugal, Slovaquie et Slovnie
. les partenaires sceptiques qui montrent des rserves importantes envers la
Russie : Rpublique Tchque, Danemark, Estonie, Irlande, Lettonie, Pays-Bas,
Sude, Roumanie et Royaume-Uni
. les nouveaux guerriers froids qui ont des relations plutt hostiles avec la
Russie : Pologne et Lituanie. [99]
Concernant les questions ouvertes dans les relations de lUE vis--vis de la
Russie, il existe cinq catgories de problmes diffrents :
. lvolution des relations nergtiques
. la transformation de lconomie et lvolution des structures dmocratiques en
Russie
. lvolution de la politique europenne de voisinage (PEV) dans la zone
priphrique entre lUE et la Russie et au Caucase
. lintgration de la Russie dans des organisations internationales
. les questions de scurit commune et de dfense.
Ces catgories de problmes contiennent la fois une dimension extrieure et
une dimension intrieure. La dimension extrieure englobe toutes les questions
qui sont traiter avec la Russie. La dimension intrieure comprend tous les
problmes et conflits impliquant des pays membres de lUE et qui proviennent de
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[102]
La priorit de lOstpolitik de lEurope et de lAllemagne est la Russie. () Cela
ne veut pas dire que nous nous voulions nous cacher derrire lEurope. Mais cela
veut dire que nous nous engageons clairement exclure tout cavalier seul
(Sonderweg) allemand dans nos relations avec la Russie. Gerhard Schrder,
chancelier allemand (2001) [103]
Dans lhistoire, il nexiste presque pas dexemple de politique allemande
couronne de succs qui nait russi saccommoder avec la Russie ou lUnion
sovitique.
Lobjectif de la politique allemande concernant la Russie depuis lcroulement de
lUnion sovitique a t lintgration de la Fdration de Russie dans les
structures europennes et dans les structures conomiques mondiales pour des
raisons de scurit et de stabilit. Pour cela, lAllemagne a t co-initiatrice de la
stratgie commune de lUE vis--vis de la Russie et du concept europen des
quatre espaces . LAllemagne a t le premier tat membre de lUE faciliter
lobtention de visas, depuis janvier 2004, pour la circulation entre lAllemagne et
la Russie. [104]
Dans le domaine de la politique de scurit, lAllemagne veut faire progresser la
coopration entre lOTAN et la Russie. [105] Cest la raison pour laquelle elle a
activement soutenu ds sa cration en 2002 la monte en puissance du conseil
OTAN-Russie (COR). [106]
Pendant la prsidence allemande de lUE au premier semestre 2007, le dossier
Russie comptait parmi les plus importants des projets du gouvernement
fdral. Il proposait la mise en place dune nouvelle Ostpolitik au sein de lUE.
Dj partir du deuxime semestre 2006, en amont de la prsidence allemande
du conseil de lUE, le Ministre des Affaires trangres publiait les grandes ides
qui sous-tendaient le dossier Russie . Une nouvelle Ostpolitik avec trois
priorits y tait dfinie : une politique europenne de voisinage (PEV) plus un
rajustement des relations de lUE vis--vis de la Russie, base sur la
rengociation prvue de lAPC ainsi quune stratgie pour lAsie centrale. [107]
LAllemagne na pas atteint tous ces buts. Le plan de renouvellement de lAPC na
pas t ralis suite au diffrend bilatral entre la Russie et la Pologne propos
des restrictions imposes par la Russie sur les importations de viande polonaise.
Mais fidle sa ligne politique vis--vis de la Russie, lAllemagne a jou le rle de
mdiateur dans le conflit russo-estonien de mai 2007 ; cette action a montr une
relle capacit dinfluence dans un cas concret. [108] Par ailleurs, lAllemagne a
jou un rle important aussi au cours du conflit dans le Caucase en 2008. Dj au
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efforts bilatraux pour convaincre les pays les plus critiques envers la Russie de
dpasser leurs intrts nationaux court terme. En ce qui concerne par exemple
lamlioration des relations germano-polonaises qui influencent soit la politique
de lAllemagne au sein de lUE soit indirectement les relations de lUE vis--vis de
la Russie, lAllemagne est en train de consolider et de dvelopper depuis la
runification de lAllemagne en 1990 ces relations bilatrales sur les champs
dactions politique, social et culturel. [119]
En mme temps, il semble ncessaire dutiliser le fait dtre en bons termes avec
la Russie pour critiquer la politique russe chaque fois que ncessaire, par
exemple dans le domaine des droits de lhomme ou de lEtat de droit.
Ce cadre politique quon a dvelopp jusquici reprsente la marge de manuvre
du gouvernement fdral allemand pour faire voluer une Ostpolitik europenne.
LAllemagne a dfini des objectifs possibles pour faire voluer les relations avec la
Fdration de Russie au niveau bilatral et multilatral. La politique extrieure
actuelle de lAllemagne est marque par trois grandes lignes : elle est base sur
les valeurs fondatrices de dmocratie et de libert, elle vise la paix et la stabilit
en Europe et repose sur la reconnaissance dun changement des centres de
gravit gopolitiques rsultant de la mondialisation de lespace politique. [120]
Concernant lOstpolitik, la consquence de cette orientation est la volont de
mettre en place dans lUE une politique commune et cohrente vis--vis de la
Russie et des voisins de lEst, au profit de la stabilit et de la prosprit
europennes. Concernant la Russie, cet objectif est particulirement fond sur
une interdpendance politique troite comme pralable au dveloppement
politique de la Russie et au rapprochement des systmes politiques russes et de
lUE. Dans le mme temps, la coopration internationale de lUE devrait
sintensifier pour permettre lUE de simposer face des centres de puissance
mergents comme la Chine ou lInde, en renforant et conservant son importance
conomique et politique.
Fidle cette ligne politique, lAllemagne a soutenu la PEV depuis sa mise en
uvre en 2004. Ce concept politique de lUE a englob la fois les pays de la
rgion mditerranenne et les pays de la priphrie orientale de lUE. Le
problme de ce concept a t le fait que les circonstances politiques, lvolution
conomique et les implications gopolitiques dans ces deux rgions sont
fondamentalement diffrentes. Dun point de vue allemand, il tait donc
ncessaire de revoir ce concept pour prendre en compte ces diffrences. Pour
cette raison, lAllemagne a propos la PEV plus pendant sa prsidence de lUE. Le
but de ce concept a t de mettre en place une politique adapte la situation
spcifique des diffrents pays. Contrairement la commission de lUE, les
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politiques allemands doutent quun rapprochement plus troit des deux pays
concerns constitue une avance pour la scurit de lEurope entire. Derrire
cette ide se cache certainement le constat regrettable mais raliste que de
bonnes relations avec la Russie sont aujourdhui plus importantes et
politiquement plus efficaces quun rapprochement trop rapide de lUkraine ou de
la Gorgie. On veut viter quentre lUE et la Russie se manifestent de nouvelles
frontires.
La position de lOstpolitik allemande dans lensemble des mesures de lUE vis--vis la Fdration de Russie peut tre rsume comme suit :
La politique europenne vis--vis de la Russie est dautant plus fructueuse
quelle mise sur la cohsion et sur un partenariat troit et solidaire au sein de
lUE ainsi quavec les tats-Unis. LAllemagne tout particulirement est appele
faire office dintermdiaire dans la recherche dun consensus au sein de lUE et
avec les tats-Unis. En ce sens, les relations germano-russes doivent jouer un
rle-cl, mais cependant jamais un rle part. Notre coopration bilatrale doit
sinsrer dans la politique russe de lEurope. [128]
CONCLUSION
LAllemagne entretient des relations troites avec la Russie qui peuvent tre
qualifies de stratgiques . Si les relations personnelles des chefs dtats sont
trs proches, elles peuvent tre qualifies de spciales , comme ctait le cas
entre le chancelier Gerhard Schroeder et le prsident Vladimir Poutine. De toute
faon, lAllemagne bnficie dune grande confiance de la part de la Russie et la
Russie trouve (encore) une certaine forme de comprhension auprs des lites
politiques allemandes, malgr une mfiance croissante lie au systme politique
dirigeant la Poutine.
Ces relations troites germano-russes constituent une bonne base de dpart pour
raliser des projets communs, la fois dans un cadre bilatral et dans un cadre
europen. LAllemagne pourrait jouer le rle de mdiateur entre lUE et la Russie,
mais aussi entre les Etats-Unis et la Russie. LAllemagne a en effet des liens
transatlantiques traditionnellement forts.
Du fait de la forte orientation de sa politique trangre vers les intrts de lUE,
lAllemagne essaie dintgrer les mesures bilatrales concernant la Russie dans le
cadre de la politique de lUE. Dun ct lAllemagne intensifie les relations
germano-russes pour renforcer linterdpendance, de lautre, elle contribue
tablir une politique commune et cohrente de lUE lgard de la Russie.
En conclusion, lAllemagne pourrait jouer un rle moteur dans lvolution dune
Ostpolitik europenne, comme elle la fait avec les initiatives pour la cration de
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[6] Cf. STENT A., Russland , p. 436 454 in SCHMIDT S. et al. (dir.),
Handbuch zur deutschen Auenpolitik, Wiesbaden, Verlag fr
Sozialwissenschaften, 2007, en loc. p. 437 et annexe 1.
[7] CHAUPRADE A., op. cit., p. 910.
[8] KRIEGER V. et al., Deutsche aus Russland gestern und heute, 7e dition,
Stuttgart, Landsmannschaft der Deutschen aus Russland e.V., 2006, pp. 8 et 9.
[9] Entre autres, les familles Poutine et Schroeder, lies damiti, ftrent en
2001 la fte de Nol Moscou. Cf. STENT A., op. cit., en loc. p. 447.
[10] MLLER H. M., Schlaglichter der deutschen Geschichte, Mannheim,
Bibliographisches Institut F. A. Brockhaus, 1996, p. 196.
[11] Lauteur cite la guerre germano-danoise de 1864, la guerre germanoautrichienne de 1866 et la guerre franco-allemande de 1870/71.
[12] Cf. HILDEBRAND K., Das vergangene Reich : Deutsche Auenpolitik von
Bismarck bis Hitler 1871 1945, 2e dition, Stuttgart, Deutsche VerlagsAnstalt, 1996, pp. 54 et 55, et pp. 100 ss.
[13] Cf. THRNER K., Das deutsche Spiel mit Ruland von der Reichsgrndung
bis in die Gegenwart, http://www.diploweb.com/p5thorner1.htm.
[14] Cf. LINKE H.-G., Das zaristische Ruland und der Erste Weltkrieg :
Diplomatie und Kriegsziele 1914-1917, Mnchen, W. Fink Verlag, 1982, pp. 40
et 41.
[15] Propos du chancelier du Reich Theobald von Bethmann-Hollweg dans son
Programme de septembre de 1914, cit daprs CARTARIUS U. (dir.),
Deutschland im Ersten Weltkrieg : Texte und Dokumente 1914 1918,
Mnchen, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1982, document n 126, p. 181.
[16] Outre lEmpire allemand, cette alliance devait comprendre aussi la France,
la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, lAutriche-Hongrie et la Pologne,
ventuellement aussi lItalie et la Sude ainsi que la Norvge. Cf. NEITZEL S.,
Weltkrieg und Revolution 1914 1918/19, Berlin-Brandenburg, bebraverlag,
2008, p. 85.
[17] Cf. HILDEBRAND K., op. cit., pp. 321 ss.
[18] HILDEBRAND K., op. cit., p. 424.
[19] Cf. NIEDHART G., Ultimaten, Konferenzen, Sanktionen : Deutschland
und die Siegermchte , pp. 285 322 in STAMMEN Theo (dir.), Die Weimarer
Republik : Das schwere Erbe, Band 1, 1918 1923, 2e dition, Mnchen,
Bayerische Landeszentrale fr politische Bildungsarbeit, 1992, en loc. pp. 298
ss.
[20] Cf. THRNER K., op. cit., p. 5.
85
[21] Calculs effectus par lauteur du prsent mmoire. Cf. BROCKHAUS F.A.,
Der Volks-Brockhaus : Deutsches Sach- und Sprachwrterbuch fr Schule und
Haus, 2e dition corrige, Leipzig, F. A. Brockhaus, 1933, rubrique
Auenhandel nach Verkehrslndern 1932 (Commerce Exterieur par pays
1932) , p. 135.
[22] NIEDHART G., op. cit., p. 300.
[23] Cf. HILDEBRAND K., op. cit., pp. 520 ss. et pp. 563 ss.
[24] Cf. les objectifs de guerre : MILITRGESCHICHTLICHES
FORSCHUNGSAMT (dir.), Das Deutsche Reich und der Zweite Weltkrieg :
Kriegsverwaltung, Wirtschaft und personelle Ressourcen 1942 1944/45, t.
5/2, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1999.
[25] La Rpublique fdrale dAllemagne dans ses frontires existantes depuis
1990 perdit, compar au Reich allemand dans ses frontires de 1937
incontestes par le droit international, un quart du territoire allemand
(357.104 km contre 470.628 km), source concernant la R.F.A. : Services
statistiques de ltat fdral et des Lnder,
http://www.statistik-portal.de/Stat... ; Source concernant le Reich :
Lencyclopdie Brockhaus : en 24 volumes, 19me dition rvise, Mannheim
1988, 5me volume, p. 412.
[26] Cf. THRNER K., op. cit., p. 8.
[27] Cf. LUNDBERG D., Russland : Deutsche, wir beneiden Euch ,
Deutschland & Europa, no 40, juillet 2000, pp. 12 ss.
[28] Cf. MLLER H. M., op. cit., p. 451 et pp. 453 ss.
[29] Cf. STENT A., op. cit., pp. 440 et 441.
[30] Cf. THRNER K., op.cit., p. 10.
[31] Cf. RAHR A. : Ist Putin der Deutsche im Kreml ?
http://www.weltpolitik.net/print/13....
[32] Les principaux accords bilatraux concernent presque tous les domaines
de la coopration politique, conomique et sociale : Laccord de bon voisinage,
de partenariat et de coopration sign en 1990 en fut le point de dpart. Il fut
suivi de laccord de coopration dans le domaine du travail et du social (1990),
de laccord sur la protection de lenvironnement (1992), de laccord sur laide
mutuelle en cas de catastrophes (1992), de laccord de coopration relatif au
trafic international routier et arien (1993), de laccord relatif la cration
dune commission commune sur ltude de lhistoire rcente (1997), de laccord
sur des mesures visant faciliter le trafic voyageurs (2003) ainsi que dun
accord sur la coopration en faveur de la jeunesse (2004).
[33] Le Dialogue de Saint-Ptersbourg a t cr en 2001 en tant que forum de
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[103] Die Zeit, avril 2001, cit par DE GROSSOUVRE H., op. cit., page 95.
[104] Cf. ADOMEIT H. et al., Deutsche Russlandpolitik unter Druck, SWPAktuell 56, Berlin, dcembre 2004, p. 3.
[105] Cf. MERKEL Angela, Speech at the 45th Munich Security Conference, 07
fvrier 2009, http://www.securityconference.de/ko... =&id=236&sprache=en&
.
[106] Cf. STENT A., op. cit., p. 452.
[107] Cf. KEMPE Iris, Eine neue Ostpolitik ? Prioritten und Realitten der
deutschen EU-Ratsprsidentschaft , pp. 59-64 in BERTELSMANN
FORSCHUNGSGRUPPE POLITIK (dir.), Bilanz der deutschen EURatsprsidentschaft : Analyse und Bewertung des Centrums fr angewandte
Politikforschung (C.A.P), vol. 6, juillet 2007, en loccurrence p. 59.
[108] DW STAFF, Report : Germany Intervened in Russia-Estonia Dispute,
DW-Worl.de, 4 mai 2007, http://www.dw-world.de/dw/article/0... .
[109] Selon SABINE FISCHER, experte des relations UE-Russie lEUISS, dans
lentretien avec lauteur, Paris, le 09 janvier 2009.
[110] Cf. KEMPE Iris, What are the pillars of the new Ostpolitik during the
German EU presidency ?, CAUCAZ europenews, 06 mars 2007,
http://www.caucaz.com/home_eng/brev... .
[111] Cf. Koalitionsvertrag CDU, CSU, SPD (trait de coalition des parties du
gouvernement fdral allemand), 11 novembre 2005, p. 125 et p. 134.
[112] SABINE FISCHER, experte des relations UE-Russie lEUISS, dans
lentretien avec lauteur, Paris, le 09 janvier 2009.
[113] Cf. http://europa.eu/institutions/inst/... , 20 fvrier 2009.
[114] Une estimation qui a t soutenu par un diplomate sudois dchange
dans la DAS selon les pratiques politiques ; entretien avec lauteur, Paris, le 06
fvrier 2009.
[115] KAZIM H., Misstrauen und Missverstndnisse in Serie , Spiegel online,
le 19 octobre 2006.
[116] LINDNER R., Das Russland-Dossier der deutschen EU-Prsidentschaft :
Zwischen Realinteressen und Nachbarschaftskonflikten, pp. 80-86, in KIETZ
Daniela et PERTHES Volker (dir.), Handlungsspielrume einer EURatsprsidentschaft : Eine Funktionsanalyse des deutschen Vorsitzes im ersten
Halbjahr 2007, SWP-Studie S 24, Berlin, septembre 2007, en loccurrence p.
83.
[117] Cf. LINDNER R., op. cit., p. 85.
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http://www.auswaertiges-amt.de/dipl... .
[127] On comprend par conflits gels les conflits de diverses raisons en
Moldavie/Transnistrie, Haut-Karabagh, Abkhazie et Osstie du Sud et Armnie.
[128] SCHOCKENHOFF A., op. cit.
Retour au Sommaire
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Un Etat de facto
La Rpublique moldave de Transnistrie peut tre considre comme un Etat de
facto. Ce terme dfinit un Etat non-reconnu, mais qui dispose de la plupart de ses
autres attributs (territoire, population, administration). De fait, seule la
reconnaissance internationale lui manque vritablement. Taiwan, lErythre ou
Chypre du Nord sont autant dexemples dentits revendiquant le droit
lautodtermination, et qui cherchent par consquent difier leur propre Etat.
Le cas de la Transnistrie est celui dune construction tatique mene par les lites
locales.
La problmatique centrale pour les Etats de facto concerne leur survie. En effet,
ils ont perdur malgr un contexte dfavorable : absence de reconnaissance
internationale, menace constante, stade prcoce de la formation dinstitutions
tatiques. Tiraspol a connu ces difficults aprs le conflit arm de 1991-1992.
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La question conomique
La Transnistrie a t autrefois le centre industriel de la Moldavie sovitique. A
lindpendance, elle regroupait 17% de la population moldave pour plus du tiers
du PIB et prs de 90% de lnergie de la Moldavie.
Les autorits de Tiraspol se dfinissent aujourdhui comme une petite conomie
ouverte . Nanmoins, elle est aujourdhui en crise, comme le reste de la
Moldavie. Elle sappuie sur une quinzaine de grandes entreprises essentiellement
dans la mtallurgie ferreuse et lindustrie lgre. Son conomie, au dpart
troitement lie aux marchs de la CEI (Communaut des Etats Indpendants),
exporte maintenant vers de nombreux autres partenaires, tant aux Etats-Unis que
dans lUE ou le Moyen-Orient.
Les rformes conomiques ont eu pour consquence de former un capitalisme
de contrebande par le biais de nombreux trafics et activits semi-lgales. En un
mot, on a assist au dveloppement dune oligarchie locale, qui tend son
influence sur le pouvoir politique.
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L'auteur :
Diplm de lIEP de Grenoble. Rdacteur au journal Europa.
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Pour la seconde fois en un an et demi, les Ukrainiens sont appels aux urnes.
Pour la plupart, il sagira plutt dun vote par dfaut que par conviction, car
beaucoup de ceux qui ont particip la Rvolution Orange sont trs dus :
certes, la dmocratie et la libert dexpression en sont ressorties renforces, mais
la vie quotidienne est de plus en plus difficile. Viktor Iouchtchenko est le premier
vis par les critiques et sattend un nouvel chec pour son parti.
Le Parti des Rgions demeure le premier parti ukrainien, avec 34,37% des voix,
mais perd 11 siges. Le Bloc Timochenko suit de prs, avec 30,71% des suffrages
et est incontestablement le grand vainqueur de ces lections. Quant Notre
Ukraine, le parti du Prsident, il se stabilise 14,15%. Deux petites formations
entrent aussi au Parlement : le Parti Communiste qui a progress pour atteindre
5,39%, et le Bloc Litvine, aux positions politiques peu claires, avec 3,96%. En
revanche, le Parti Socialiste chute 2,86%, payant sans doute sa participation au
gouvernement prcdent, et ne sera plus reprsent au Parlement.
Cette fois, Ioulia Timochenko apparat plus lgitime et propose la formation dun
gouvernement compos de membres de son parti et de Notre Ukraine. De son
ct, Viktor Iouchtchenko avance lide dune grande coalition entre les trois
grandes formations, donc avec le Parti des Rgions de Viktor Ianoukovitch, afin
de prserver lunit du pays, mais la dame de fer menace de retourner dans
lopposition si cette ide prenait forme. Les tractations risquent donc de se
prolonger nouveau pendant quelques semaines. La Russie, par lintermdiaire
de Gazprom, sinvite aux ngociations en brandissant la menace de rduction des
livraisons de gaz si lUkraine ne rembourse pas sa dette. Certains voient travers
cette intervention un moyen de pression pour viter le retour de Ioulia
Timochenko, dautres la considrent comme une simple recommandation avant le
pic de consommation hivernal. La Commission europenne appelle les deux
parties trouver un terrain dentente le plus rapidement possible pour ne pas se
trouver dans la mme situation quau dbut de lanne 2006. Un accord est
finalement sign dans le courant du mois de dcembre.
Entre-temps, le 5 octobre 2007, Viktor Iouchtchenko se rend Paris pour
rencontrer Nicolas Sarkozy et nassiste donc pas Douchanbe, la capitale du
Tadjikistan, au dernier sommet de la CEI avec Vladimir Poutine en tant que
Prsident de la Fdration de Russie. Le 10 octobre, il est convi par son
homologue lituanien Valdas Adamkus la Confrence de Vilnius sur la scurit
nergtique 2007 : une nergie responsable pour des partenaires responsables ,
confrence au cours de laquelle il est question du dveloppement de la politique
nergtique de lEurope, plus particulirement entre la Pologne, les pays baltes et
les tats membres du GUAM. Enfin, le 21 octobre 2007, les lections lgislatives
polonaises sont remportes par le parti libral Plateforme Civique (PO) de Donald
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Tusk, qui devient Premier Ministre. Celui-ci souhaite abandonner les mthodes de
Jaroslaw Kaczynski frre jumeau du Prsident Lech Kaczynski et avoir des
relations plus apaises avec lAllemagne et la Russie, participer plus activement
la construction europenne en tant lun des premiers tats membres ratifier le
Trait de Lisbonne, mais galement dvelopper des relations constructives avec
lUkraine et la Gorgie, afin de contribuer la politique de voisinage de lUnion
europenne. En peu de temps, lUkraine semble tre de plus en plus sollicite par
lEurope communautaire et adhre volontiers la PEV.
109
le 6 mars 2008 pour faire un tat des lieux. Il est peu probable que la demande de
lUkraine, tout comme celle de la Gorgie, soit rapidement satisfaite. Pour
lEurope et les Etats-Unis, cet largissement aux portes de la Russie serait
inopportun et le temps serait plus favorable louverture du dialogue avec le
nouveau Prsident Dimitri Medvedev, lu le 2 mars 2008. Le 12 fvrier, Vladimir
Poutine avait menac de pointer ses missiles sur lUkraine si des bases de lOTAN
y taient installes. Ioulia Timochenko, pour sa part, se montre prudente et
propose lorganisation dun rfrendum sur la question, sachant que la majorit
de la population est hostile ladhsion. La bataille pour les prochaines lections
prsidentielles parat dj lance.
110
dEurope de football des nations de 2012, lEuro 2012. Cette distinction est
porteuse de symboles forts puisquelle est un moyen comme un autre de
rapprocher lUkraine de lEurope par lintermdiaire de la Pologne et de montrer
quelle y a toute sa place. Le dfi est immense en terme dinfrastructures et le
projet a dj pris du retard, mais il peut tre un lment favorable la cohsion
du territoire, la valorisation de limage du pays, son essor conomique. Il
prsente aussi une occasion de ressouder la population autour dun enjeu
collectif.
Copyright mai 2008-Le Moal / www.diploweb.com
La rdaction remercie A. Bon
Plus ce sujet : Pierre Verluise, 20 ans aprs la chute de Mur. LEurope
recompose, Paris : Choiseul, 2009. Voir
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111
L'auteur :
Docteur en gopolitique, directeur du site gopolitique www.diploweb.com,
chercheur lIRIS
Objectif nergtique
Depuis le dbut des annes 2000, la Russie dveloppe progressivement une
arme nergtique . [ 1 ] Dans le cas de la Gorgie, un premier objectif du
Kremlin pourrait tre de conduire la crise un niveau suffisant pour nuire aux
112
Objectif stratgique
Le deuxime objectif du Kremlin peut tre purement stratgique : dstabiliser la
Gorgie au point de rendre plus difficile le dbut dun processus dadhsion
lOTAN.
Il est vrai que le prcdent sommet de lOtan Bucarest (avril 2008) sest dj
sold par un refus daccorder la Gorgie et lUkraine un Plan daction en vue
de ladhsion (MAP), en dpit des appels pressant de G. W. Bush ne pas
accorder ainsi de facto la Russie un droit de veto dguis sur les dcisions
de lOTAN. Alexandre Adler sen est rjouit lpoque : Il faut se fliciter trs
clairement quune conjonction franco-allemande, enfin reconstitue pour la
circonstance, ait enterr le projet de candidature de lUkraine et de la Gorgie
lOTAN. [3] Accorder lUkraine un MAP aurait t, selon cet auteur, un acte
de guerre, tout le moins un acte de guerre froide caractris. On pourrait
pourtant se demander si la division de lOTAN lors du sommet de Bucarest au
113
Russie : le retour ?
Deuxime question : la Russie est-elle dj redevenue une puissance ? Dbut
2008, Anne de Tinguy (CERI) rpondait avec prudence, notamment parce que le
pays demeure marqu par la faiblesse des infrastructures et une tendance lourde
la dpopulation. [4] Ces contraintes conomiques et dmographiques font de
la Russie non pas une grande puissance qui pourrait se suffire elle-mme et
peser sur le reste du monde, mais une puissance moyenne qui a besoin du monde
extrieur pour diversifier et moderniser son conomie et dont lintrt est de
stabiliser ses positions internationales en sappuyant sur des partenaires
fiables. [5] La guerre russo-gorgienne vient-elle modifier ces fondamentaux ?
114
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Retour au Sommaire
117
La crise en Russie
samedi 10 octobre 2009, par Philippe CONDE
L'auteur :
Docteur en Economie Internationale, ROSES/Facult de sciences conomiques,
Universit Paris I Panthon-Sorbonne
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121
mai.
Dans ces conditions, la Banque Mondiale, tout comme le Ministre russe des
finances, estiment que le PIB de la Russie devrait se contracter de 8,5% en
2009.
Cette mauvaise performance aura des consquences nfastes sur le budget
fdral dont le dficit pourrait atteindre 9% du PIB sur lensemble de lanne
2009. La population est aussi durement touche, par laugmentation du chmage
(de 6,1% la fin 2008 9,7% en mai 2009) et de la pauvret. Daprs la Banque
Mondiale la crise provoquera une redistribution des revenus et de la richesse.
La part de la population vulnrable a atteint 20,9% contre 18,3% auparavant (soit
une augmentation de 3,6 millions de personnes). Et la classe moyenne devrait
perdre 6,2 millions de personnes, soit 10% de ses effectifs .
Llite industrielle, majoritairement constitue doligarques ayant fait fortune
pendant la transition des annes 1990, a galement subi les effets de la crise.
Entre aot et octobre 2008 les 25 russes les plus riches ont perdu 230 milliards
de dollars en raison de la chute de leurs actifs cots la Bourse de Moscou [9]. En
consquence, comme la majorit dentre eux stait endette vis--vis des
banques prives et publiques russes, comme la Sberbank, mais aussi trangres
pour financer leur expansion linternational, en dposant en garantie une partie
des actions de leurs groupes, ils se sont trouvs dans lincapacit dhonorer leurs
engagements. Leurs entreprises tels les groupes sidrurgiques se sont trouves
en situation de faillite virtuelle et leurs propritaires ont d demander laide de
lEtat.
Les socits du groupe dtenu par Oleg Deripaska, jadis premire fortune de
Russie, cumuleraient une dette bancaire de 25 28 milliards de dollars, dont 14
milliards pour Rusal (aluminium) et 1,3 milliard pour Gaz (automobile) [10]. Afin
de sauver ces entreprises de la faillite, les autorits russes ont opr des
injections de fonds hauteur de 50 milliards de dollars, ce qui donnera un droit
de regard lEtat sur leur gestion. La crise offre lEtat lopportunit
daccroitre son poids dans lconomie et dengager une nouvelle
redistribution de la proprit son avantage. Pour Olga Krychtanovskaa,
spcialiste des lites lacadmie russe des sciences Les problmes des
milliardaires entranent le renforcement du rle de lEtat, car presque toutes les
ressources naturelles sont concentres entre ses mains [11]. Les gagnants de
la redistribution pourraient tre les oligarques proches de Vladimir
Poutine. A lissue de la crise, une oligarchie poutinienne pourrait remplacer celle
qui a prospr sous lre Eltsine, moins que le prsident Medvedev ne
parvienne crer une nouvelle lite politique pour contrebalancer linfluence des
122
siloviki [12].
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126
Medvedev, qui permet aux partis ayant obtenu entre 5% et 7% des voix aux
lections lgislatives de dcrocher un ou deux siges la Chambre basse du
parlement, peut apparatre comme un progrs dmocratique par rapport lre
Poutine.
Depuis les lections lgislatives de 2007, seuls quatre partis politiques sont
reprsents la Douma. Deux dentre-deux (Parti libral dmocrate et Russie
juste) soutiennent le gouvernement, le parti communiste demeure dans
lopposition et le parti du gouvernement, Russie Unie, possde une majorit des
deux tiers (315 siges) la Chambre basse, ce qui lui permettrait dinitier toute
rvision constitutionnelle ou de destituer le prsident Medvedev.
A moins de penser comme Vladimir Shveitser que sous leffet de la crise
conomique et financire Russie Unie et Russie Juste nclatent en plusieurs
petits partis aux intrts divergents, Dmitri Medevedev continuera de se trouver
prisonnier de la domination de Russie Unie, dans sa volont de libraliser plus en
profondeur le systme politique russe. [22]
Selon lanalyste Nikolai Petrov, les rformes entreprises par lactuel prsident
sont des changements limits, dcoratifs dont lobjet est de dmontrer que
quelque chose change, quelque chose samliore, quelque chose va en se
dmocratisant, mais ils ne modifient aucunement lensemble du modle
politique. [23]
Des rformes ambitieuses comme le retour de llection des gouverneurs et/ou
des snateurs au suffrage universel sont a priori exclure durant le mandat
prsidentiel, car cela supposerait un affrontement frontal entre Dmitri Medvedev
et Vladimir Poutine (qui y demeure ouvertement oppos), aux consquences
potentiellement dstabilisatrices pour lensemble de la Russie.
Cest pourquoi, louverture politique restera limite court terme et
constituera davantage une variable dajustement qui sera fonction de
lvolution de la situation conomique et sociale. Le but sera de canaliser les
ventuels mouvements dhumeur de la population et de prvenir une crise de
lgitimit.
La crise conomique na pas seulement des consquences internes mais aussi des
effets ngatifs sur la capacit de projection extrieure de la puissance dun pays,
ce qui devrait pousser une redfinition des priorits. A cet gard, la recherche
par le prsident des Etats-Unis, Barack Obama, dune plus grande coopration de
ses allis europens montre que la crise issue des prts hypothcaires
(subprimes) amricains a affaibli la position de Washington sur la scne
internationale. A son tour, la Russie a d rduire ses ambitions et adopter, au
moins dans la phase aigu de la crise, une posture moins offensive que celle
127
affiche dans les discours antrieurs, mme si les dsaccords persistent avec
lOccident (bouclier antimissiles, largissement de lOTAN).
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Conclusion
Depuis septembre 2008, la crise conomique et financire mondiale a
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Notes
[1] Baron Otto Eduard Leopold von Bismarck (1815- 1898). Artisan de
lunification de lAllemagne par le dclenchement dune srie de guerres
(notamment austro-prussienne en 1866 et franco-prussienne en 1870), premier
chancelier de lEmpire allemand (1871 - 1890).
[2] Discours prononc par Vladimir Poutine le 10 fvrier 2007, lors de la
confrence sur la scurit de Munich, in http://www.alterinfo.net/Vladimir-P...
[3] David Lightman, Congressional Budget Office compares downturn to
Great Depression , McClatchy Washington Bureau, in
http://www.mcclatchydc.com/251/stor..., January 27, 2009.
[4] Cette position a t parfaitement illustre par le vice-premier ministre
Serguei Narychkine, lors du 3e Forum daffaires russo-singapourien, le 1er
avril 2008, pour lequel La Russie reste un lot de stabilit dans la tourmente
financire mondiale, dans lequel les investisseurs peuvent travailler en toute
tranquillit.
[5] http://devdata.worldbank.org/AAG/ru... pour les donnes, calculs de
lauteur.
[6] Le cabinet McKinsey a tudi la productivit dans cinq secteurs cls de
lconomie Russe, lacier, le commerce de dtail, la banque de dtail, la
construction rsidentielle et lnergie lectrique. Le secteur de lacier est le
plus productif (33% du niveau amricain) et le secteur lectrique le moins
productif (15% du niveau amricain). La moyenne des cinq secteurs atteignant
26% du niveau amricain. http://www.mckinsey.com/mgi/reports...
[7] http://www.monde-diplomatique.fr/20...
[8] Ces structures ont t mises en place sous la double prsidence de Vladimir
Poutine afin de restructurer lindustrie et de promouvoir linnovation. Mais ds
le dpart, ces groupes ont fait lobjet de vives critiques quant leur taille et
leur manque de transparence. A cause de leur proprit tatique, les
investisseurs continuent de les considrer comme une source dinefficacit et
de corruption. Durant lt 2009, le prsident Dmitri Medvedev a aussi mis
des doutes sur lefficacit de ces groupes et suggr de les transformer en
socits par actions, en vue dune privatisation future.
[9] RBC Daily, October 22, 2008. Par ailleurs, le nombre de milliardaires russes
est pass de 101 en 2008 49 en fvrier 2009.
[10] Vedomosti, 13 mars 2009.
[11] http://fr.rian.ru/russia/20081022/1...
[12] http://www.russiaprofile.org/page.p...
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L'auteur :
Analyste au Centre for Eastern Geopolitical Studies (Lituanie, Vilnius)
137
mener la politique trangre russe. Dun autre cot un regard plus appuy sur
cette stratgie rvle certains des proccupations principales des dirigeants
russes. Le rapport contient aussi quelques orientations relativement nouvelles.
138
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140
141
*
En somme la nouvelle stratgie de scurit est relativement creuse dans le sens
o elle ne fournit que quelques ides sur la scurit et la stratgie de leadership
de la Russie en matire de rflexion politico-militaire. Le ton de la stratgie est
surtout diplomatique et relativement peu agressive par rapport certaines
rhtoriques de ces dernires annes. La stratgie porte laccent sur des
orientations internes de scurit et vite certains des aspects les plus
controverss de la rcente politique trangre et de scurit russe. Par exemple,
il ny pas de mention explicite des intrts privilgis de lespace
postsovitique.
Dun autre cot la stratgie exprime clairement lexistence dune confrontation
entre la Russie et lOuest et dfinit la zone CEI comme la zone principale pour les
intrts russes, tablissant clairement que Moscou pourrait utiliser la force pour
dfendre ses intrts dans la rgion. La stratgie affirme aussi la ncessit de
crer un monde multipolaire et de dtrner les USA comme lunique
superpower . Le dernier objectif sera servi au mieux par un engagement pour
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L'auteur :
Matre de Confrences en histoire Paris IV Sorbonne
CE QUI FRAPPE lhistorien lorsquil se penche sur les rapports Russie-Europe
cest la permanence des fantasmes que la Russie engendre dans limagination des
Occidentaux et la capacit de la Russie dicter les cadres conceptuels dans
lesquels elle veut tre pense et incomprise - ltranger. Ceci explique un
autre mystre des relations entre Russes et Europens : limpermabilit
lexprience des partenaires occidentaux. Les dboires successifs essuys par les
hommes daffaires en Russie, les camouflets rgulirement infligs aux hommes
dEtat europens, les assassinats, les insultes aux diplomates, les nationalisations
abusives, les manquements aux engagements pris, les violations du droit
international, tout cela est oubli instantanment. A peine la Russie a-t-elle men
en aot 2008 une guerre de conqute lui permettant doccuper 20% du territoire
dun Etat voisin, la Gorgie, que les Etats-Unis parlent dun redmarrage ,
cest--dire dun effacement de lardoise - et donc loubli dune utile exprience
dont il et fallu tirer les leons - tandis que la France se hte doffrir la Russie
les moyens de sa prochaine guerre dagression contre les Etats voisins en lui
vendant des porte-hlicoptres Mistral. [1]
Rarement lincomprhension relle de la Russie a t aussi grande
quaujourdhui, et lourde de consquences dsastreuses pour lEurope. La
France en particulier sengage sur une voie prilleuse. La Russie lui a trouv un
rle exaltant : celui dun partenaire dans la modernisation du grand voisin
oriental. Nous nous rengorgeons de tant dhonneur, notre vanit nationale est
flatte. Lencens russe nous monte la tte et nous ne voyons pas les dures
ralits. Nous croyons la Russie faible, handicape par une dmographie
catastrophique, une conomie sous-dveloppe. Nous nous imaginons que devant
tant de difficults elle va se tourner vers lintrieur, panser ses plaies. Nous
croyons que la crise a mis un frein aux ambitions de Moscou. Nous sommes cent
lieues de percevoir le monde comme le font les lites russes. Nous ne voyons pas
les consquences quelles ont tires de la crise.
Certes loptimisme qui rgnait en Russie au dbut de lanne 2008 a t tempr.
A lpoque la Russie se voyait en puissance mergente faisant partie du bloc
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recourir larme nuclaire pour repousser une agression faisant appel aux armes
conventionnelles et rserve la Russie le droit de lancer des guerres prventives
et la possibilit demployer les armes nuclaires mme dans un conflit local. Ainsi
la Russie se dote dun arsenal lgislatif justifiant les interventions militaires
contre des Etats tiers. Noublions pas non plus que Moscou a suspendu sa
participation au Trait sur les forces conventionnelles en Europe (FCE). Quon
compare le raffut mdiatique qui avait accompagn lannonce de la doctrine
G.W. Bush et le silence presque total de la presse occidentale sur lvolution de la
doctrine militaire russe et on peut mesurer lefficacit de la machine de
propagande poutinienne. Rappelons dailleurs ce propos que le budget prvu
pour la propagande ltranger en 2010 atteint 1,4 milliards de dollars,
dpassant celui de laide aux chmeurs. Ce qui montre une fois encore les
priorits du Kremlin [6].
Linnovation du rgime medvedevien consiste en ceci : la Russie a dcid
datteler les Europens de lOuest la construction de son secteur de
puissance. Nous retrouvons ici la politique de Pierre le Grand. Le contrat dachat
des Mistrals prsente un triple avantage. Premirement la Russie acquiert des
armements de haute technologie sans avoir faire leffort de les dvelopper ellemme. Deuximement, elle rduit nant la solidarit atlantique et la solidarit
europenne. Troisimement elle acclre la vassalisation du deuxime grand
pays europen aprs lAllemagne. Les dboires accumuls des gants de
lindustrie franaise ( le dernier en date tant la prfrence donne par Abou
Dhabi la filire nuclaire corenne) ne peuvent que renforcer cette dpendance
lgard de la Russie, pour laquelle les transactions conomiques sont des
instruments dinfluence, les considrations proprement conomiques et
commerciales ne jouant quun rle secondaire. Un expert russe a rcemment
compar cette politique russe celle de la Chine face aux Etats-Unis : selon lui,
Washington le lobby pro-chinois intress aux affaires avec la Chine est devenu si
puissant que les Etats-Unis sont dsormais incapables de sopposer Pkin. La
mme chose est dj vraie pour lAllemagne face la Russie et elle le sera pour la
France aprs la signature du contrat sur les Mistrals [7]. Dj la France ne sait
plus dire Non Moscou : elle rend la cathdrale Saint Nicolas Nice lEglise
orthodoxe russe, elle sengage voler au secours dAvtovaz, la compagnie
automobile au dficit abyssal soutenue par Poutine, elle accepte de faire dfiler
ses troupes sur la place Rouge, oubliant, comme ly invite lhistoriographie
poutinienne, que la victoire de lArme rouge a entran un nouvel asservissement
pour la moiti de lEurope. Nos gaullistes autrefois si soucieux dindpendance
nationale quand il sagissait des Etats-Unis ne trouvent rien redire cette
politique pourtant autrement dangereuse terme pour notre libert et celle de
148
149
comme a a t le cas depuis une dizaine dannes ce nest pas la voie qua
choisie la France, ce nest pas la voie qua choisie lEurope , ou on choisit
loption du dialogue (1er septembre 2008).
A force de marteler que la dfense de la dmocratie librale tait
lapanage des no-conservateurs amricains, les propagandistes russes en
arrivent inciter les Europens renier les bases mmes sur lesquelles
sest construite lEurope pendant plus de cinquante ans. Lide dune
galit de droits entre les Etats europens, petits et grands, lide que le rapport
de force est exclu entre Europens, lide dune solidarit europenne, tout cela
est ddaigneusement balay de la main Moscou. Si cette philosophie du
Kremlin gagne du terrain, lEurope risque de rgresser prodigieusement et
doublier les dures leons tires des deux guerres mondiales. On la vu dans les
annes 1930, la prsence dun Etat revanchard sur le continent europen peut
rduire nant toutes les tentatives de fonder un ordre international sur le droit
et larbitrage. Comment expliquer quil se trouve tant dEuropens, notamment de
Franais, qui acceptent de devenir les apologtes du darwinisme social postcommuniste russe appliqu aux relations internationales ? Nadejda Mandelshtam,
la veuve du pote Osip Mandelshtam mort au Goulag, se demandait dans ses
Mmoires pourquoi lintelligentsia russe avait massivement pactis avec le
bolchevisme. Elle en tait arrive la conclusion que ctait la fascination de la
violence qui avait suscit cette complaisance chez les intellectuels. Aujourdhui on
a limpression que cest la brutalit russe, le torse nu et le langage cru de lexprsident Poutine, qui exercent une sduction fatale sur nombre de dirigeants
europens. Ceux-ci cherchent peut-tre dans ce monde hobbesien un remde
ltouffant politiquement correct distill par les media et les institutions
europennes sans voir que ce remde est pire que le mal.
Aujourdhui Moscou propose une alliance des Etats-Unis, de lUnion europenne
et de la Russie contre les menaces du Sud [11]. La Russie se pose en rempart
de la civilisation du Nord . Ce qui ne manque pas de sel quand on se souvient
avec quelle persvrance Moscou a dfendu le programme nuclaire iranien,
contribuant grandement lmergence de cette menace du Sud, et avec quel
enthousiasme elle clbrait, il y a un an encore, le naufrage de la civilisation
occidentale. Visiblement la Russie table sur le redmarrage , voire
leffacement total du disque dur des Occidentaux. Esprons quelle a tort.
Copyright fvrier 2010-Thom/diploweb.com
Notes
[1] Long de 200 mtres pour 32 de large, le porte-hlicoptres de classe
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Mistral est le deuxime plus gros navire de guerre franais, aprs le porteavions Charles de Gaulle. Il peut accueillir six hlicoptres, quatre chalands de
dbarquement, 13 chars Leclerc, une centaine de vhicules et est aussi dot
dun hpital de 69 lits. Deux navires de cette classe appartenant la Marine
franaise voguent dj sur les ocans : le Mistral et le Tonnerre. Selon des
experts militaires, Moscou, en se dotant de tels btiments, entend accorder
plus dimportance aux forces dattaque rapides , ce qui suscite linquitude
de la Gorgie, oppose la Russie dans un bref conflit arm en aot 2008. Ces
navires peuvent tre utiliss pour des oprations aroportes, des missions de
maintien de la paix, de secours ou de lutte contre la piraterie en mer, relvent
les agences russes. Source : La Croix http://www.la-croix.com/ Le-port-helicopteres-Mistral-a-Saint-Petersbourg/photo2/2402507/4085
[2] Cit in : Nezavisimaja Gazeta, 29/10/08
[3] http://www.kremlin.ru/appears
/2008/10/01/1401_type63374type82634type122346_207081.shtml
[4] http://www.kremlin.ru/appears
/2008/09/26/2013_type63374type63376type82634_206944.shtml
[5] gazeta.ru 8/12/09
[6] The Guardian, 18/12/09
[7] Fiodor Lukianov, Integracia po poniatiam , gazeta.ru, 26/11/09
[8] Lilia Shevtsova, The Kremlin Kowtow , Foreign Policy, JANUARY 5, 2010
[9] Lilia evtsova, Druzja Rossii , Eednevny urnal, 29/06/09. La citation est
retraduite du russe.
[10] J. Sapir, Crise financire, la Russie au secours de lconomie
europenne , Le Figaro, 4/04/08
[11] V. D. Rogozin, Bez tarakanov russofobii , gazeta.ru, 15/12/09. Ceci au
moment o une officine de propagande russe a couvert la Grande-Bretagne
daffiches reprsentant Obama et Ahmadinejad, avec la mention : Lequel
reprsente le plus grand risque nuclaire ? V. The Guardian, 18/12/09
Retour au Sommaire
151
L'auteur :
Ingnieur Principal de lArmement (France), stagiaire au CID en 2008-2009
152
ses dettes augmentent et ses capitaux sont en fuite [1]. Pourtant, quinze ans plus
tard, ses indicateurs conomiques sont au vert et les prises de participation
dans les entreprises de lUnion europenne sont rgulires. Un renversement de
situation qui mrite intrt.
Dabord, il sagit de comprendre comment la situation conomique sest assainie
et le rle important qua jou Vladimir Poutine compter de son accession au
pouvoir, en 2000. Quil sagisse de fonds souverains, dentreprises publiques,
dinvestisseurs privs ou mme doligarques, les investissements ltranger
semblent au service des intrts et de la politique du gouvernement. Il faut dire
que le Kremlin est omniprsent dans le domaine conomique et quil a reconstitu
la verticale du pouvoir [2] . Les domaines dinvestissements viss dans lUnion
europenne permettent la Fdration de Russie soit de consolider sa position
dj forte dans le domaine nergtique, soit dacqurir des comptences ou des
savoir-faire dans des domaines de grande technologie et des secteurs
stratgiques.
Dans le mme temps, lUnion europenne a tout de suite exprim son intrt pour
la Fdration de Russie. Elle a multipli les initiatives pour tablir des cadres de
cooprations et dchanges ; elle a cherch tablir des liens privilgis. Il faut
dire quil existe une relle interdpendance entre lUnion europenne et la Russie
qui justifie la recherche dun partenariat. Mais au fur et mesure que la Russie
assainit sa situation conomique, elle impose son rythme et ses mthodes. Elle
durcit son cadre rglementaire et juridique vis--vis des investisseurs trangers.
Alors tout en affichant la volont dtablir un partenariat et des cooprations
croises, lUnion europenne et la Russie investissent galement pour rduire
leur interdpendance et gagner en autonomie, voire pour largir leur sphre
dinfluence.
Premire partie
DES INVESTISSEMENTS RUSSES, DANS LUNION EUROPEENNE,
CIBLES ET AU SERVICE DU KREMLIN
Aprs des annes 1990 particulirement difficiles, la Russie affiche jusquen 2008
une reprise conomique insolente. Pour une large part, les bons rsultats
proviennent du secteur nergtique, en particulier de laugmentation du volume
des exportations et de la hausse des cours du ptrole. La Russie a russi la
prouesse de rembourser ses dettes et de se doter de rserves financires qui lui
permettent dinvestir de plus en plus ltranger, notamment dans lUnion
europenne.
Force est de constater que cette russite sest accompagne dun renforcement
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souverains. Pour certains, le SFRF peut tre compar aux fonds souverains du
Kowet, du Qatar, ou encore de la Chine par son fonctionnement opaque [21]. La
politique dinvestissement associe son nouveau fonds souverain manque de
clart. Il semble quil doit permettre dinvestir, sous lgide du ministre des
Finances, en actions dans des projets ptroliers et dans des secteurs stratgiques
pour la Russie, tels la dfense, les technologies de linformation, larospatial,
laronautique et les matires premires. Aliments par les rserves, les fonds
souverains russes ne sont donc pas uniquement destins optimiser des capitaux
disponibles, mais aussi mettre un pied dans les secteurs stratgiques afin dy
exercer une influence davantage politique quconomique, ce que redoute
justement le G7 [22].
Le second tient au pass des investisseurs. De nombreux spcialistes de la Russie
pointent du doigt la forte prsence de gubistes (anciens membres des services
de scurit) et de siloviki ( hommes de forces ) non seulement au sein du
gouvernement mais galement la tte des grandes entreprises et des rgions. Il
nest pas ncessaire de rappeler que Vladimir Poutine a servi longtemps au KGB
avant de devenir, en 1998, directeur du FSB (Service fdral de scurit,
principal successeur de lancien KGB) [23]. Spcialiste des lites lInstitut de
sociologie de lAcadmie des Sciences de Russie, Olga Kryshtanovskaa observe
que, depuis larrive de Vladimir Poutine au Kremlin, militaires, kagbistes et
anciens des services secrets ont infiltr tous les cercles du pouvoir :
ladministration prsidentielle, les ministres de la capitale et les institutions des
rgions de Russie. [24]" Cette infiltration des tchkistes, kagbistes, aux postes
cls de la Russie est relaye par de nombreux spcialistes de la Russie. Lorraine
Millot [25] crit Au moins un quart des hauts fonctionnaires sont des siloviki
(membres des structures de forces cest--dire lArme, les services secrets et la
police). [] Depuis que la Russie est passe au capitalisme, et mme
lultra capitalisme, les tchkistes se sont aussi lancs dans le business.
Dans le cas de la Russie, les fonds souverains ne rpondent pas uniquement une
logique de placement long terme. Avec le fonds pour le bien-tre national ,
une part importante des investissements ltranger sert directement les
objectifs conomiques et politiques du gouvernement. Le rseau constitu par
une forte proportion danciens membres des services de scurit au niveau des
postes cls (premier ministre, membres du gouvernement, chefs dentreprises,)
suscitent alors des interrogations quant aux objectifs long terme des
investissements russes ltranger.
2.2. Une reprise en main des structures industrielles et tatiques par le
Kremlin
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161
politique de lnergie, elle laisse le champ libre la Russie pour tablir des
relations privilgies avec certains Etats membres et sinstaller ainsi
durablement en Europe de lOuest.
Le projet North Stream (ancien nom : North European Gas Pipeline, NGEP)
illustre la fois le manque de cohsion de lUE et la stratgie de la Russie
dtablir des liens directs avec certains Etats membres. Ce projet concerne la
ralisation dun gazoduc qui doit relier la Russie lAllemagne, puis dautres pays
europens, via un tube qui traversera la mer Baltique. Laccord germano-russe a
t conclu en septembre 2005 malgr la forte opposition de certains Etats
membres, principalement la Pologne et les Etats baltes. Le Prsident polonais a
dailleurs voqu un accord sign "par dessus leurs ttes". Il est vrai que le trac
du gazoduc vise viter le transit du gaz russe par la Pologne, les Etats baltes et
lUkraine, les privant ainsi des revenus du transit par leur territoire.
Cet exemple est loin dtre le seul. Pour complter ce trac nord europen, la
Russie et lItalie ont dcid mi-2007 de construire un autre gazoduc, South
Stream, qui pourrait acheminer 30 milliards de m3 de gaz par an. Le projet sera
financ, dtenu et opr conjointement par Gazprom et le groupe ptrolier et
gazier italien Eni. Ce gazoduc traversera notamment la Bulgarie, la Hongrie,
lAutriche. Autant daccords en perspective entre la Russie et ces pays.
Plus au centre de lEurope, la Russie dispose avec lAutriche dun partenaire
privilgi et de longue date en matire dnergie. Par exemple, Gazprom a
rachet lautrichien OMV 50% des parts du terminal gazier Baumgarten
qui devait servir de point darrive Nabucco, gazoduc cens contourner
la Russie et considr comme une solution alternative la dpendance de
lUE vis--vis du gaz russe.
Force est de constater quaujourdhui, la Russie a tabli des liens solides et
durables avec les Etats membres qui lui permettent de sinstaller au
nord, au sud, au centre de lUnion europenne. Comme expliqu par Pierre
Verluise [44], ces investissements russes rpondent une stratgie visant
sancrer lEurope de lOuest . Le risque est de voir ces accords bilatraux
diviser encore plus lUE et de vouer lchec llaboration dune politique
europenne dans le domaine nergtique.
3.2. Des investissements cibls sur des domaines de lconomie russe
renforcer ou dvelopper
Des investissements pour consolider la position de la Russie dans le domaine de
lnergie
Consciente de lavantage acquis avec ses richesses en hydrocarbures, la Russie
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Deuxime partie
UNION EUROPEENNE RUSSIE : UNE RELATION QUI SE
CHERCHE, ENTRE PARTENARIAT ET AUTONOMIE
De son ct, lUnion europenne est attire par les atouts et les perspectives de
croissance de la Russie. Ds la chute de lURSS, elle multiplie les contacts et les
investissements. Certes, elle se heurte des difficults au plan juridique et peine
investir durablement. Nanmoins, elle poursuit ses investissements en vue
darrimer ce grand voisin et construire une relation privilgie. Conscients de
leur forte interdpendance, lUE cherchent, avec la Russie, tablir un
partenariat mais le rapprochement est difficile : la premire tente dimposer ses
normes et ses valeurs, la seconde nenvisage pas de se voir dicter des rgles
trangres sur son territoire. La rglementation et la lgislation russes
deviennent plus strictes vis--vis des investisseurs trangers. Tout en cherchant la
voie pour tablir un partenariat, lUE et la Russie travaillent limiter leur
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Tout dabord, lEtat est trs prsent dans les dcisions dinvestissements.
Lexemple trs mdiatis de la socit Youkos en est lillustration. Lorsque le
groupe Youkos a t tran devant les tribunaux en octobre 2003, de nombreux
commentateurs ont dit que les entreprises occidentales hsiteraient davantage
investir en Russie. Certes, laffaire Youkos a eu un impact court terme sur les
investissements, surtout dans le secteur ptrolier, et a contribu pendant quelque
temps freiner la croissance en Russie. Mais il semble que les investisseurs
russes ont t plus affects court terme que les investisseurs trangers. Cette
affaire a montr les risques lis lexercice dune activit industrielle ou
commerciale en Russie. Toutefois, vu le niveau lev des prix des produits de base
et lessor de la consommation, ceux qui sont prts courir ces risques peuvent
encore en tirer des profits considrables.
Ensuite, le Kremlin souffle le chaud et le froid en faisant des dclarations pour
attirer les investisseurs tout en prenant des mesures propres les faire fuir.
Laffaire TNK-BP illustre parfaitement ces aspects. A loccasion dun discours la
foire de Hanovre le 10 avril 2005 en prsence du chancelier allemand Gerhard
Schrder, Vladimir Poutine annonait : Les perspectives de croissance et de
diversification de notre conomie nationale dpendent du degr de libert
conomique dont disposent les entreprises trangres implantes sur notre
territoire national, mais aussi de la capacit de lEtat garantir un climat des
affaires favorable, transparent et prvisible. Cette annonce pouvait laisser
croire que le gouvernement russe cherchait mettre en confiance les
investisseurs trangers. Pourtant, le lendemain mme de ce discours, la
compagnie ptrolire TNK-BP, dtenue hauteur de 50 % par le britannique BP,
annonait quelle devait dbourser 936 millions de dollars pour arrirs dimpts
remontant 2001 [62]. Le groupe britannique, qui cherchait prendre une place
importante dans le contrle des ressources en hydrocarbures de Sibrie, se
heurte rgulirement au systme judiciaire et lgislatif russe. On peut citer le
refus par ladministration russe de renouveler les visas des employs britanniques
dbut 2008, en particulier celui du PDG Robert Dudley. En mars 2008, des
perquisitions ont t conduites au sige de TNK-BP ainsi quau bureau de BP
Moscou. Et le PDG de TNK-BP a dmissionn conformment aux souhaits
exprims par les quatre actionnaires (et oligarques) russes. Pour certains, ces
pressions russes ont pour objectif de contraindre TNK-BP ouvrir son capital
Gazprom qui ne cache pas sa volont dacqurir une partie de cette compagnie.
Pour dautres, elles refltent ltat des relations entre la Russie et la GrandeBretagne. Enfin, Jacques Sapir y voit plus un rapport de force destin obliger BP
rengocier les accords de production considrs comme dfavorables la
Russie [63]. Quoiquil en soit, elles illustrent la reprise en main du secteur par le
Kremlin.
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Le dcalage entre les annonces haut niveau et les faits, le climat de tension
auxquels sont soumis les investisseurs trangers sont autant dlments qui
suscitent la mfiance vis--vis du systme russe dans son ensemble. Pour certains
spcialistes de la Russie, cette mfiance est compltement justifie. Ainsi, selon
Hlne Blanc, Poutine a mis en place un pouvoir fort [] mieux ax sur
lapplication des lois. Malgr tout, aprs 10 ans danarchie institutionnelle, il est
aujourdhui difficile de faire jouer ces lois concrtement ; par consquent, en
Russie, tout investisseur russe ou tranger sinquite toujours un peu de savoir
si le contrat sera lgalement respect ou sil devra faire appel une
krycha (protection mafieuse) [64]. Face un Etat en reconstruction - voire
en construction le climat daffaires en Russie na pas encore atteint un niveau de
stabilit et de prvisibilit tel quil est attendu par les pays occidentaux.
Des exemples encourageants et des gestes dapaisements
Pourtant, dans certains domaines, linvestissement tranger se porte bien. En
janvier 2005, Alcoa rachte deux fonderies daluminium russes pour 257 millions
de dollars. En mars 2005, Coca Cola fait lacquisition de Multon, premier
producteur russe de jus de fruits, pour une valeur estime 600 millions de
dollars. En avril 2005, une filiale de Renault ouvre une usine prs de Moscou pour
un cot de 230 millions de dollars. Selon Jacques Sapir, il ny a pas dentreprise
moderne sans chane de sous-traitance. Et pour que la Russie bnficie de cette
chane de sous-traitance, elle doit favoriser linstallation de grands-groupes, tels
que Renault, qui leur tour feront sinstaller des entreprises de sous
traitance. [65] L encore une stratgie par tapes dont doivent bnficier, au
moins dans un premier temps, les investisseurs trangers.
Vis--vis des domaines dits stratgiques, et comme pour faire taire les critiques,
les deux premiers dossiers examins par la Commission gouvernementale, dans le
cadre de la nouvelle loi adopte par la Douma, ont donn lieu en octobre 2008
des rponses positives. Ainsi Archangel Investment, filiale de De Beers, a t
autorise racheter 49,99% des actions dArchangelskgeoldobytcha, filiale de
Loukol ( 99.37%). Et la Worlds Wing SA, filiale dAlenia Aeronautica (qui fait
partie du groupe Finmeccanica) a t autorise prendre 25% plus une action de
la socit Avions civils de Soukho (GSS).
Il semble quil y ait des ouvertures en Russie pour encourager les
investisseurs trangers. A vrai dire, la Russie a besoin de capitaux et de
technologies innovantes pour se moderniser, elle doit donc veiller se montrer
plus attractive et plus prvisible.
2. FACE A LEUR INTERDEPENDANCE, LUE ET LA RUSSIE CHERCHENT
LA VOIE DU PARTENARIAT
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coopration avec lUE dans les secteurs prioritaires tels que le transport,
lnergie, les tlcommunications,. Bruxelles, de son ct, accorde la Russie
un rgime commercial spcial mlant les notions de pays commerce dEtat
et pays conomie en transition .
Pour soutenir le processus de transition en Russie, lUE propose un programme
daide communautaire, TACIS (Technical Assistance to the Commonwealth of
Independant States-CEI). Il sagit dune aide financire dassistance technique
devant encourager "ltablissement de conditions favorables lconomie de
march et renforcer la dmocratie". La Russie a t le principal bnficiaire du
premier programme, TACIS I (1991 1999), avec 30,2 % des fonds allous ce qui
lui a permis de percevoir un montant de 1,2 milliard deuros (hors programmes
rgionaux). Dans les faits, il est linstrument sur le terrain de la politique
europenne lgard de la Russie ; mais il a galement jou un rle dans la
dfinition progressive de cette politique, par la connaissance des ralits russes
quil apportait ladministration bruxelloise [71].
Ds leffondrement de lURSS, lUE sest donc interesse son grand voisin et
a voulu tablir des relations privilgies. Consciente des atouts de la Russie dans
certains domaines, comme celui de lnergie, elle a multipli les accords et les
aides. Mais elle a constamment mis en condition le partage de ces valeurs et de
ses principes (libert, libre-change,). Dune certaine manire, elle a tent un
arrimage de la Russie.
UE Russie, un partenariat russir mais qui se heurte de nombreux diffrends
Le partenariat avec la Russie est le plus important, le plus urgent et le plus
lourd des dfis pour lUnion europenne , a dclar le Haut Reprsentant pour la
politique trangre et de scurit commune, Javier Solana, lors de sa prise de
fonction en octobre 1999. Bruxelles souhaite tablir un partenariat plus troit
avec la Russie afin dobtenir une scurit et une prvisibilit accrues. Cependant
des exemples montrent que le chemin du partenariat leuropenne peut tre
encore long.
Ainsi, en 2004, llargissement aux pays dEurope centrale et orientale constitue
un premier sujet de tension. La Russie refuse par exemple lextension
automatique de laccord de partenariat et de coopration (APC) aux futurs pays
membres. Aussi, lorsquen 2006 lUnion europenne et la Russie expriment la
volont de lancer les travaux pour conclure un nouvel accord de partenariat en
remplacement de lAPC arrivant chance, la Pologne, puis la Lituanie, bloquent
pendant prs de deux ans le mandat devant permettre le dbut des ngociations.
Il reste donc de part et dautre des arrirs qui freinent la mise en place dun
vritable partenariat bas sur une confiance rciproque.
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CONCLUSION
Aprs des annes 1990 catastrophiques, la Russie affiche une reprise conomique
insolente au dbut des annes 2000, annes qui concident avec larrive au
pouvoir de Vladimir Poutine. Plusieurs facteurs expliquent ce retournement de
situation. Dabord, lexploitation et lexportation de ses ressources en
hydrocarbures, en particulier ptrole et gaz, lui ont permis dassainir sa situation
conomique et de se doter de rserves financires importantes. Ensuite, le
gouvernement sest attach reprendre en main le pays : nationalisation des
entreprises du domaine nergtique, choix judicieux de gubistes pour occuper
les postes cls tatiques et industriels, contrle des oligarques. Le Kremlin tient
dsormais toutes les cartes pour piloter son conomie. Si les investissements
russes ltranger peuvent tre vus comme une volont de sintgrer dans
lconomie mondiale, ils savrent quils rpondent galement la stratgie
conomique et politique du gouvernement. Les diffrents accords bilatraux,
signs avec certains Etats membres, sont autant de liens qui permettent
dancrer la Russie au sein de lUnion europenne. Les investissements sont
choisis pour permettre la Russie soit de consolider sa position dj forte dans le
domaine nergtique, soit dacqurir des comptences et savoir-faire qui lui font
dfaut dans des domaines stratgiques.
De son ct, lUnion europenne est attire par ce grand voisin qui offre des
perspectives intressantes : croissance conomique, ressources naturelles
exploiter, faible cot de main duvre, potentiel important du march intrieur.
Mais elle se heurte un cadre rglementaire qui se durcit progressivement et qui
rduit le champ possible dinvestissements. Mme si le Kremlin annonce
rgulirement son intention dtablir un climat des affaires favorable, il met en
place un contrle plus strict vis--vis des investissements en provenance de
ltranger. LUnion europenne a cru la dmocratisation de la Russie et a
cherch trs tt tablir des relations privilgies. Face leur interdpendance,
notamment dans le domaine nergtique, elle prne la mise en place dun
partenariat. Pourtant les sujets de divergence sont nombreux et les
incomprhensions mutuelles. L Union europenne cherche imposer ses valeurs,
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janvier 1999.
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L'auteur :
Diplm de lIEP de Grenoble. Rdacteur au journal Europa
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croissance de 7,9% en 2007, puis de 2,1% en 2008, lUkraine voit son PIB chuter
de 14,1% en 2009.
Le Fonds Montaire International (FMI) vient en aide lUkraine, parmi dautres
pays europens gravement touchs, comme la Hongrie, lIslande, la Lettonie, plus
tard la Roumanie, et lui accorde un prt de 16,5 milliards de dollars en novembre
2008. La premire tranche, de 4,5 milliards de dollars, est ainsi verse
immdiatement, la deuxime, de 2,8 milliards de dollars en mai 2009, la
troisime, de 3,3 milliards de dollars en aot 2009. En revanche, elle se voit
refuser la quatrime tranche, prvue en novembre 2009, car elle na pas respect
les clauses du contrat dans sa politique conomique. Le FMI attendait la mise en
place dune politique daustrit, passant par la matrise des dpenses et le
rglement progressif de ses dettes. Mais le Prsident Viktor Iouchtchenko fait
voter une loi la fin du mois doctobre 2009 pour laugmentation de 20% des
minima sociaux. Le FMI, par la voix de son prsident Dominique Strauss-Kahn, se
dit inquiet face cette mesure qui parat draisonnable dans une telle
situation.
Un moment crucial
Cette dcision intervient un moment crucial. En effet, nous sommes alors un
peu plus de deux mois des premires lections prsidentielles depuis la
Rvolution Orange. Viktor Iouchtchenko, qui avait incarn lespoir de tout un
peuple, est au plus bas dans les sondages, et tente le tout pour le tout. Il a
beaucoup du et est bien mal parti pour briguer un second mandat conscutif.
Son Premier Ministre, Ioulia Timochenko, se montre dfavorable cette loi. Il
sagit dun nouveau dsaccord entre ces deux figures politiques, qui sajoute
une liste dj longue en 5 ans, notamment sur les relations avec la Russie.
Depuis son limogeage de ce poste de Premier Ministre en septembre 2005, Ioulia
Timochenko poursuit son combat politique au sein de son propre parti et a bien
lintention de reprendre le flambeau de la Rvolution Orange. Des dissensions se
produisent galement au sein mme de la formation politique de Viktor
Iouchtchenko, Notre Ukraine ; cest le cas dArseni Iatseniouk, Prsident du
Parlement, la Verkhovna Rada, de dcembre 2007 novembre 2008, et dAnatoliy
Hrytsenko, Ministre de la Dfense du premier gouvernement issu de la Rvolution
Orange.
Face ces divisions, le leader de lopposition, Viktor Ianoukovitch, rival de Viktor
Iouchtchenko lors des prsidentielles de 2004, apparat comme le candidat favori.
En outre, il espre que les succs de sa formation, le Parti des Rgions,
enregistrs aux lections lgislatives de 2006 et de 2007 (32,12%, puis 34,18%
des voix) vont lui profiter.
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prvu pour 2015, consiste au contournement de lUkraine par le sud, via la Mer
Noire. En quelques mois durant lanne 2009, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie,
la Grce et la Slovnie valident le passage du gazoduc sur leurs territoires.
En revanche, le projet concurrent Nabucco, dj lanc en 2004 par lUnion
Europenne, se heurte quelques difficults. Dans le cadre dune diversification
de lapprovisionnement, il doit acheminer le gaz de la Mer Caspienne vers
lEurope, plus prcisment de lAzerbadjan lAutriche. La Turquie, la Bulgarie,
la Roumanie la Hongrie et lAutriche ont sign un accord en juillet 2009.
Cependant, il tarde se concrtiser, du fait dentraves diverses. Par exemple, des
groupes nergtiques comme lAutrichien OMV ou le Bulgare Bulgargaz sont
galement engags dans le projet South Stream, alors que le Franais GDF en est
cart par la Turquie pour des raisons diplomatiques en fvrier 2008 [5].
Lvolution de la gopolitique des tubes dans cette rgion nous montre
clairement que lUnion europenne est loin de diminuer de sa dpendance
nergtique vis--vis de la Russie. Bien au contraire, Moscou a su profiter du
manque dunit et de cohsion de lUnion europenne pour promouvoir auprs
delle ses projets de contournements de lUkraine et renforcer ainsi ses positions.
Enfin, Vladimir Poutine a propos, le 30 avril 2010, une fusion de Gazprom avec
loprateur ukrainien Naftogaz pour prendre le contrle des gazoducs du pays.
Viktor Ianoukovitch sera-t-il prt accepter ?
Les relations avec lOTAN et avec la Russie
Ladhsion lOTAN faisait partie des promesses de Viktor Iouchtchenko en 2004.
Un dialogue intensifi est alors ouvert. Le Prsident amricain George W.
Bush est tout fait favorable lintgration de lUkraine, mais galement de la
Gorgie de Mikhal Saakachvili dans le cadre de la stratgie dendiguement
containment - de la Russie. Tandis que la France et lAllemagne mettent des
rserves. Finalement, lUkraine nobtient pas le statut de candidat pour ladhsion
lors du sommet de lOTAN davril 2008 Bucarest. Milieu 2010, Barack Obama,
souhaite avant tout entretenir des relations apaises avec la Russie, sans pour
autant rejeter dfinitivement la perspective dune intgration de lUkraine et de la
Gorgie dans lAlliance Atlantique.
Pour ce qui concerne la prsence de la flotte russe de la Mer Noire, Viktor
Iouchtchenko avait galement promis son dpart du port de Sbastopol pour
2017, conformment la Constitution. Cependant le 21 avril 2010, Viktor
Ianoukovitch signe avec Dmitri Medvedev un accord de prolongement du bail
de la flotte russe de 25 ans, soit jusquen 2042, en change dune rduction de
30% du tarif du gaz. La sance de ratification du texte la Rada se droule le 29
avril 2010 dans une atmosphre particulirement tendue. Des dputs de
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lopposition tendent un drapeau ukrainien gant sur leurs bancs, lancent des
ufs en direction du Prsident du Parlement, Volodimir Litvine, et dautres en
viennent aux mains. A lextrieur, des manifestants protestent contre cette
mesure qui, selon eux, pourrait mettre mal la souverainet de lUkraine vis--vis
de son grand voisin russe.
Viktor Ianoukovitch a voulu rapidement restaurer la crdibilit de lUkraine
auprs de lUnion europenne, mais lacte politique le plus significatif a dores et
dj t conclu avec la Russie. Celui-ci pourrait mettre un terme aux crises du gaz
qui ont envenim la priode orange. Le nouveau chef de lEtat souhaite dabord
apporter la stabilit. Il espre ensuite tirer profit de la situation gographique
particulire de lUkraine, par ladoption dune nouvelle politique trangre qui
nest pas sans rappeler celle de Leonid Koutchma, qui il esprait succder en
2004. Mais la Rvolution Orange en avait voulu autrement.
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L'auteur :
Charge de cours lINALCO, rdactrice la revue Grande Europe et cordactrice en chef de la revue Regard sur lEst (www.regard-est.com).
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dsormais faire entendre sa voix ; celle-ci est certes arrogante mais elle exprime
aussi une dception, qui na rien de nouveau mais se trouve renforce par les
volutions en cours de lUE. Guennadi Seleznev, alors prsident de la Douma,
dclare ainsi en octobre 2000 : Bien avant la priode sovitique, lEurope
regardait la Russie comme une parvenue, une Cendrillon dont la place se trouvait
au fond des cuisines enfumes de la civilisation occidentale. De son ct, la
Russie mprisait du fond de son me lEurope, comme une belle-fille mprise une
belle-mre hautaine . De fait, il reprochait alors lEurope de navoir jamais,
depuis le XVIIIe sicle et la tentative de Pierre le Grand, ouvert ses portes la
Russie. Cette ide dune fentre ou dune porte peine entrouverte, du maintien
dun mur, de lignes de partage et de division entre Europe et Russie est une
rcurrence du discours russe. Elle est plus que jamais ractive par un Vladimir
Poutine qui cherche redonner confiance une Russie qui sest juge humilie et
rabaisse.
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dont lUE elle-mme ne sait trop sils ont vocation tre intgrs (Ukraine,
Bilorussie, Moldavie, voire Armnie, Azerbadjan et Gorgie). LUkraine, par
exemple, relve dsormais de la frontire indirecte entre Russie et UE, balanant
(on la vu encore lors de la dernire lection prsidentielle en janvier 2010) entre
linfluence de ces deux entits, entre lattraction/rpulsion de lune et de lautre .
On assiste actuellement un chevauchement de ltranger proche des deux
protagonistes, celui de la Russie et celui de lUE slargissant. Les pays de lentredeux sont ds lors un enjeu. Dans limaginaire russe, cette frontire en devenir
est perue comme un instrument dexclusion et de priphrisation. La Russie se
voit relgue dans le rle de lAutre. Le questionnement russe, en la matire,
dpasse largement le cadre de sa perte dinfluence, argument quelle peut de
toute faon difficilement avancer, sous peine de se voir souponne datavisme
imprialiste ; en ralit, la question que ces largissements ont pose avec acuit
est bien celle de la place de la Russie par rapport - ou dans - lUE/Europe.
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dans une UE qui sinterroge sur les vritables desseins du Kremlin en matire
nergtique. La rponse apporte par la Russie (V. Poutine, D. Medvedev et les
dirigeants du secteur gazier parlent, en la matire, dune seule voix) est
univoque : la Russie ne cherche plus plaire, elle est un Etat dsormais
autosuffisant qui conclut des partenariats sur la base de rgles du jeu bien
dfinies, conformes avant tout ses propres intrts conomiques . Deux projets
sont actuellement ardemment dfendus par la Russie pour approvisionner
lEurope en gaz, qui pourraient couvrir la totalit des besoins (malgr la baisse
actuellement observe de la demande, lAgence nergtique internationale estime
que les besoins de lEurope en gaz doubleront dici 2020) : le Nord Stream et le
South Stream ont vocation liminer le risque que font courir pour la scurit
des approvisionnements les pays de transit. Moscou tente du mme coup de
disqualifier les projets concurrents soutenus par lOuest (notamment le gazoduc
Nabucco, qualifi de chimrique et dpourvu de contenu par le Kremlin).
Mais, simultanment, la Russie dveloppe une autre direction nergtique, vers
lOrient cette fois, alternative aux livraisons traditionnelles vers lEurope. Cette
politique pragmatique est un outil daffirmation de puissance et de matrise long
terme de la stratgie nergtique du pays. Elle est officiellement justifie par la
volont de choisir, parmi les clients, le plus offrant (on jugerait le pays peu inspir
de ne pas le faire !) et de rduire le risque auprs dun client unique. En outre, la
Russie a depuis quelques annes repris la main face aux compagnies
internationales dsireuses dexploiter les ressources naturelles de son sous-sol.
Elle nest pas la seule (le Venezuela fait de mme) et ce mouvement dpasse
largement le seul secteur des hydrocarbures puisquil concerne en fait toute la
sphre des investissements trangers.
On est donc l en prsence dun cas typique de nationalisme ptrolier et gazier
qui rpond linterrogation russe porte sur sa propre dpendance face aux
hydrocarbures. Pour certains , laccusation frquemment porte contre la Russie
de faire dsormais systmatiquement usage de larme nergtique dans sa
relation lEurope revient dire que le pays utilise cette arme contre lui-mme
puisque cest lui qui est le plus dpendant ! Aux termes de ce raisonnement, la
Russie aurait avant tout intrt se dbarrasser de cette structure dchanges
extrieurs typique dun pays en dveloppement, facteur de faiblesse car soumis
trop dalas conjoncturels. Moscou la dailleurs exprim ses partenaires chinois
lors des ngociations nergtiques : la Russie vendra son ptrole la Chine mais,
en change, elle veut acqurir des technologies nouvelles. Trop miser sur larme
nergtique serait une stratgie de court terme. Le report de trois ans,
rcemment annonc, de la mise en exploitation du champ gazier de Shtokman
illustre bien cet argument : sous leffet de la crise, de la baisse de la demande de
gaz russe en Europe et de la rduction des importations amricaines de GNL,
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Gazprom, qui dtient 51 % de ce gisement, doit donc attendre des jours meilleurs
avant de lancer lun des plus vastes champs gaziers du monde (3 900 milliards de
m3 de gaz naturel et de condens). Car Shtokman est galement lun des
gisements les plus onreux dvelopper (15 milliards de dollars pour la premire
phase de dveloppement) du fait de son positionnement, 700 km des ctes, dans
une rgion polaire. Gazprom a d faire appel Total (qui dtient 25 % du
gisement) et Statoil (24 %) pour envisager de pouvoir exploiter le gisement. On
voit bien, travers cet exemple, que la scurit nergtique est un enjeu autant
pour la Russie que pour lEurope : la richesse de la Russie (et, partant, son
arrogance) est attache un atout naturel loin dtre prenne en ralit, et ce,
quelles que soient les rserves prouves ou estimes.
User de larme nergtique, notamment comme dun levier diplomatique, est
quasiment un aveu de faiblesse de la part de Moscou : la Russie dpend du
march client europen mais aussi des techniques europennes, et elle doit
liminer le risque li au transport des hydrocarbures. Beaucoup dincertitudes
pour un pays qui a retrouv sa superbe grce la hausse des prix des
hydrocarbures. Indniablement, cest cette augmentation des cours mondiaux de
lnergie qui, en rendant sa confiance la Russie, la rendue moins encline la
coopration avec lEurope, ou du moins une coopration quelle juge ingale.
Lintransigeance de la Russie actuelle est lie sa perception dun partenaire
europen qui a tent de lui imposer ses valeurs sans contrepartie et dune
manire selon elle inadapte et humiliante. Ds quelle sest redresse, la Russie
sest loigne du modle libral occidental pour sorienter vers celui dun Etat
national fort (il faudra un peu plus que les quelques discours techniques de D.
Medvedev pour juger dun vritable inflchissement). Ds lors, la Russie na plus
vu lUE comme un partenaire stratgique mais comme une menace pour ses
ambitions en Europe.
Copyright 2010-Bayou/Agir
Cet article est extrait du n41 de la revue Agir, "Recomposer lEurope", Paris,
Socit de Stratgie, mars 2010. Ce numro a t ralis avec le concours de
Pierre Verluise.
Plus :
La prface et le sommaire du n41 de la revue Agir Voir
Le site Regard sur lEst dont Cline Bayou est co-rdactrice en chef Voir
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L'auteur :
Chercheur lInstitut franais de gopolitique (Universit de Paris VIII) et
chercheur associ lInstitut Thomas More, auteur de La Russie menace-t-elle
lOccident ? (Paris, Choiseul, 2009), Prix du Festival de Gopolitique et de
Goconomie de Grenoble
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fait que nombre de ralits gopolitiques ne rentrent pas dans les catgories des
idologies douces ne doit pas conduire leur ngation ou leur dulcoration.
Et si lon va au fond des choses, rien noblige aimer ce qui est invitable ou du
moins semble ltre.
Copyright Janvier 2011-Mongrenier/Diploweb.com
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prendre des dcisions . Moscou revendique une part gale dans le projet
et aurait propos un dcoupage de laire Vancouver Vladivostok en zones de
responsabilit pour linterception de missiles balistiques ennemis, ce qui
reviendrait entriner la volont russe de faire reconnatre une sphre
exclusive dintrts en Europe centrale et orientale. De retour Moscou,
Medvedev na pas tard adresser une mise en garde aux Allis (cf. Pierre
Avril, Moscou menace dun retour la guerre froide , Le Figaro, 1er
dcembre 2010). Si une coopration entre lOTAN et la Russie dans le domaine
des antimissiles devait voir le jour, elle serait probablement limite lalerte
avance, au partage de linformation et un ensemble de mesures de scurit
et de confiance.
[17] Alors que les pays occidentaux membres de lOSCE (Europe et Amrique
du Nord) entendent que cette instance soit le cadre de promotion des valeurs
et pratiques librales (dmocratie et libert lectorales, droits de lHomme et
liberts fondamentales) dans lespace Vancouver-Vladivostok, conformment
la charte de Paris (1990), la Russie et ses allis de lOTSC sont soucieux de
garantir le statu quo politique, dviter de nouvelles rvolutions de couleur
et dinstrumentaliser lOSCE comme alternative lOTAN dans le domaine de
la scurit. Cf. Rgis Gent, Le sommet de lOSCE tourne au dialogue de
sourds entre Russes et occidentaux , Le Figaro, 2 dcembre 2010.
[18] Comment expliquer aux opinions publiques que lon pourrait
simultanment contribuer au rarmement de la Russie, dployer des hommes
sous drapeau de lUE sur les lignes de front russo-gorgiennes afin de garantir
la souverainet de Tbilissi menace par linvasion russe daot 2008 et,
lautre extrmit de listhme Baltique-mer Noire, travailler dans le cadre de
lOTAN des plans de dfense des pays baltes ? Sur ce dernier point, voir
Natalie Nougayrde Aigle gardien : les plans secrets de lOTAN pour
dfendre les pays baltes , Le Monde, 8 dcembre 2010.
[19] Viktor Ianoukovitch a t lu la prsidence ukrainienne le 7 fvrier 2010,
avec en toile de fond une dception de beaucoup dUkrainiens suite aux
dchirements des leaders de la rvolution orange , ainsi quaux
atermoiements des Europens quant lentre de lUkraine dans lUE et, dans
une moindre mesure, lobtention du statut de candidat lOTAN. En France,
dans les milieux autoriss, cette lection a parfois t accueillie comme une
divine surprise . Depuis llection de Ianoukovitch, la Russie et lUkraine ont
sign un accord militaro-gazier (adopt par la Rada le 27 avril 2010), des
chanes prives se sont vues retirer leurs canaux de diffusion au bnfice de
proches du pouvoir (les journalistes ukrainiens ont reu le soutien de Lech
Walesa, de lInstitut international de la presse, bas Vienne, et de
lassociation franaise Reporters sans frontires) et la rivale politique de
Ianoukovitch, Ioulia Timochenko, est assigne rsidence (dcembre 2010).
Les obstacles qui demeurent sur le plan gazier entre Russes et Ukrainiens
223
224
du rocher, 2002.
[23] Le bon Andropov rput ouvert, amateur de jazz et de whisky, si lon
en croit les lments biographiques insidieusement distills par la
propagande -, tait ambassadeur en Hongrie en 1956, lors de linsurrection de
Budapest. Aprs avoir couvert nombre de pays de lEst, il est port la tte du
KGB (1967) puis il succde Brejnev (1982) et meurt six mois plus tard.
Andropov prnait le retour au caporalisme de Lnine afin de surmonter les
contradictions du sovitisme. Mikhal Gorbatchev se prsentait comme son
disciple.
[24] Membre des Konsomols et du Parti (il prend sa carte en 1987), Vladimir
Potanine entame une carrire au ministre du Commerce extrieur (trs li
la Loubianka), sur les pas de son pre, lorsque seffondre lURSS. Il se lance
ensuite dans le ngoce de matires premires puis cre sa propre banque,
Oneximbank, et gre des fonds publics. Il fait partie des personnalits rallies
Vladimir Poutine et na donc pas t inquit.
[25] Cest, entre autres exemples, le cas de Laure Mandeville, grand reporter
au Figaro et auteur de La reconqute russe (Grasset, 2008).
[26] Les grandes compagnies russes du secteur des hydrocarbures nayant
gure investi dans la production (le contrle des hydrocarbures de la
Caspienne conditionne le respect des engagements contracts), ce fait mrite
dtre soulign.
[27] Sibneft est dirige par Roman Abramovitch, proche de la Famille dans
les annes 1990. Aprs le dmantlement de Ioukos, principalement au
bnfice de Rosneft, il revend Sibneft Gazprom.
[28] Cf. Laure Mandeville, op. cit., pp. 233-234.
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225
L'auteur :
Docteur en Economie internationale, chercheur associ lIPRIS (Lisbonne)
Rpression de lopposition
Ce rsultat, largement anticip par les analystes politiques, a provoqu le
rassemblement dau moins 10 000 manifestants sur la place de lIndpendance et
la dnonciation des fraudes alors que certains tentaient de donner lassaut au
Parlement.
Ils ont immdiatement d faire face une dure riposte des troupes du Ministre
de lintrieur : 639 manifestants, dont les 7 candidats de lopposition ont t
brutalement interpells.
Loukachenko a personnellement ordonn la police de rprimer les meutes qui
226
227
228
lEurope [4].
La cration dun espace conomique commun permettra la libre circulation des
biens, des services, des capitaux et du travail entre le Belarus, la Russie et le
Kazakhstan. Une politique macroconomique commune sera mise en place pour
rguler la nouvelle union. Lultime tape dintgration de lespace conomique
commun consistera, comme cela a t fait au sein de lUnion europenne au 1er
janvier 1999, mettre en place une monnaie unique.
Malgr des changes rhtoriques durs, des disputes autour des prix du gaz ou le
refus de Minsk dhonorer la promesse de reconnatre les anciennes rpubliques
autonomes de Gorgie, dAbkhazie et dOsstie du Sud, il semblerait que le
Belarus nait dautre choix que dintensifier lintgration avec la Russie dans
lespace conomique commun. En novembre 2010, le Fonds montaire
international (FMI) a soulign : Le Belarus rcupre de la crise conomique
globale mais il y existe encore de srieuses vulnrabilits.
Nous devons nous rappeler que lconomie blarusse demeure non rforme
depuis lpoque sovitique. Si une timide libralisation a bien eu lieu au dbut des
annes 1990, la situation sest inverse partir de 1996 et larrive au pouvoir de
Loukachenko. Depuis le milieu des annes 1990, le Belarus continue de vivre
grce des subventions massives accordes par la Russie en change dune
fraternit ternelle et dune vague intgration conomique et politique avec
Moscou.
La majeure partie de cette aide financire consiste en des importations
nergtiques bon march et en lexportation de biens blarusses prix survalus
vers son voisin oriental. En 2007, les subventions nergtiques ont atteint 5,8
milliards de dollars, soit 41 % du budget blarusse. Cest pourquoi lconomie
blarusse de type sovitique (le secteur public couvre 70% du PIB, lcrasante
majorit des entreprises est non rentable et les mnages reoivent des avantages
de lEtat) est profondment dpendante de la bonne volont russe. Ces
subventions expliquent plutt bien les raisons pour lesquelles Loukachenko jouit
encore dun soutien important parmi les blarusses.
229
Conclusion
Llection du 19 dcembre 2010 a finalement montr que mme si les rsultats
ont t fausss, le prsident blarusse bnficie encore du soutien de la majorit
du peuple. Les mnages craignent de perdre leurs avantages sociaux,
principalement les agriculteurs et les retraits tandis que les entreprises
souhaitent conserver leurs subventions, ce qui constitue une raction normale.
Il est grand temps pour les politiciens de Minsk doprer des choix cruciaux et
difficiles, sils veulent rellement voir leur pays se dvelopper et sintgrer dans
lconomie mondiale.
Ainsi, durant les cinq prochaines annes, le dernier dictateur dEurope devra
faire face un agenda serr pour survivre politiquement comme ses ruses,
mondialement connues, ne fonctionneront plus.
Il devrait alors expliquer ses citoyens que linefficacit du systme actuel
conduira le pays moyen terme au bord de leffondrement. Il devrait aussi leur
exposer les avantages, en terme de bien-tre, dune intgration avec la Russie (et
le EEC) et les raisons pour lesquelles elle serait suprieure une intgration avec
lUnion europenne.
Copyright pour la version franaise Fvrier 2011-Cond/Diploweb.com
Cet article a t initialement publi en anglais par Philippe Cond, sous le titre
"Lukashenkos iron fist on Belarus", in IPRIS Viewpoints 37, February 2011.
En anglais sur le site du Portuguese Institute of International Relations and
Security (IPRIS) Voir
230
Notes
[1] Je leur ai demand [i.e. la police] de ne pas provoquer ou de ne pas tre
linitiative de troubles, mais jai dit que si quelquun leur crachait la figure,
alors il faudrait lui rpondre avec force. Lukashenko says ordered heavyhanded reaction to protesters , RIA Novosti, 20 December 2010.
[2] Les onze dtenus russes ont t librs le 28 dcembre 2010 mais deux
jours plus tard, deux dentre eux ont t de nouveau arrts. En cas
dinculpation, ils risquent jusqu 15 ans de prison.
[3] Les cinq critres concernent le progrs dans les rformes du code lectoral
afin de le mettre en conformit avec les engagements de lOSCE et les normes
internationales pour des lections dmocratiques, des actions concrtes pour
respecter les valeurs dmocratiques, le rgne de la loi, le respect des droits de
lHomme et des liberts lmentaires (libert dexpression, de la presse, de
runion et dassociation politique).
[4] Dans une certaine mesure, cette dcision a pu expliquer le comportement
de dfi du prsident Loukachenko vis--vis de lOuest et en particulier la raison
du refus de laide europenne de 3 milliards deuros. Le 20 janvier 2011, lors
de la rencontre entre le premier ministre blarusse Mikhal Myasnikovich et
son homologue russe Vladimir Poutine Moscou, ce dernier a confirm son
engagement. Les deux premiers ministres ont aussi abord la libration des
deux citoyens russes toujours dtenus Minsk.
[5] Chavez offers Minsk 200 years of oil , The Moscow times, Monday 18
October 2010.
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231
L'auteur :
Directeur du site gopolitique Diploweb.com. Distinguished Professor de
Gopolitique lESC Grenoble. Auteur de nombreux ouvrages dont Gopolitique
des frontires europennes, Argos 2013, paratre en anglais en avril 2014 chez
Eska.
I. La stratgie sovitique
Au milieu des annes 1980, le Secrtaire gnral du Parti communiste dUnion
sovitique, Mikhal Gorbatchev (1985-1991), doit faire face une crise
systmique laquelle il tente dapporter une rponse stratgique. Alexandre
Zinoviev en explique ainsi le ressort : Avec la venue de Gorbatchev, les
dirigeants sovitiques proposent lOccident la forme de mensonge qui convient
ce dernier. Ils se sont mis jouer la volont de mener des rformes qui
supprimeraient tous les griefs nourris par les Occidentaux envers lUnion
232
233
magistral. [5] Les Sovitiques ont effectivement compris qu partir dun niveau
de crdit consquent, le dbiteur tient son crancier. Parce que le dbiteur peut
facilement le mettre en danger, en suspendant ses remboursements. Le rapport
de force est donc, paradoxalement, en faveur du dbiteur.
Or, lendettement extrieur sovitique fait plus que tripler de 1985 1991 [6]. Au
mois de dcembre 1991, la dette extrieure sovitique atteint 70 milliards de
dollars. Elle se rpartit alors de manire presque gale entre les banques et les
cranciers publics trangers. Tous font grise mine lorsque lURSS suspend le
remboursement de sa dette, le 4 dcembre 1991.
Les pays ouest-europens viennent largement en tte des pays cranciers, avec
plus de 75% des crances sovitiques. elles seules, lAllemagne et la France
supportent 46 % de la dette extrieure sovitique. LAllemagne en dtient 36% et
la France 10%. La France se trouve donc au deuxime rang mondial des
cranciers. Ce qui ne manque pas dambition, voire de prtention. LItalie occupe
le troisime rang avec 7%, et le Royaume-Uni le quatrime avec 5%. Ainsi, ces
quatre piliers de la Communaut conomique europenne supportent eux seuls
prs de 60% de la dette sovitique. Il est noter que lengagement des tats-Unis
et du Japon reste pour chacun infrieur 2,5% du total. Il parat donc possible
dvoquer une surexposition des Europens en matire de risques sur la Russie.
Paralllement, la fuite des capitaux sovitiques a sans cesse pris de lampleur
depuis larrive au pouvoir de Mikhal Gorbatchev. Au 1er dcembre 1991, soit
quelques jours avant la suspension de paiement dune dette extrieure de 70
milliards de dollars, les spcialistes valuent entre 25 et 100 milliards de dollars
les capitaux sovitiques dposs ltranger, labri des cranciers. Ces capitaux
en fuite reprsentent une menace potentielle pour la stabilit des marchs
financiers. Des mouvements coordonns pourraient avoir des incidences
majeures. Quoi quil en soit, le 4 dcembre 1991, Moscou annonce la suspension
du paiement de sa dette extrieure. Les caisses sont vides et pour cause.
Lendettement dlibr et la fuite des capitaux mis en uvre durant les annes
Gorbatchev pourraient tre deux moyens utiliss de manire simultane au
service dune mme stratgie : lancrage de la zone sovitique la sphre de
prosprit occidentale. Ce ne serait, ds lors, pas un hasard, si lEurope de
lOuest, espace stratgique prioritaire pour les Sovitiques, se trouve dans la
situation la plus difficile. Les tats-Unis, eux, attendent la chute du mur de Berlin
pour promettre leur premier milliard.
Cette stratgie sovitique, si brillante soit-elle, na effectivement pas empch la
chute du rideau de fer, lclatement du bloc de lEst en 1989 et limplosion de
lURSS le 8 dcembre 1991.
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238
239
http://www.diploweb.com/Russie-Unio... .
[11] Cf. Philippe Cond, La crise en Russie, publi sur le site gopolitique
www.diploweb.com le 10 octobre 2009 ladresse
http://www.diploweb.com/La-crise-en...
[12] Directive 2009/73/CE, qui doit tre transpose par les tats membres dici
le 3 mars 2011.
[13] Cline Bayou, Russie : LUnion europenne porte un coup Gazprom, mis
en ligne sur le site Regard sur lEst le 1er novembre 2010 ladresse
http://www.regard-est.com/home/brev...
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240
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241
L'auteur :
Philippe de Suremain est Ministre plnipotentiaire hors classe, Ambassadeur de
France en Ukraine de 2002 2005. Pierre Verluise est docteur en gopolitique,
directeur du Diploweb.com
242
suicidaire, tout le monde sait que les dossiers de laccusation sont vides. Pourquoi
senferrer dans un procs qui se prsente comme une vengeance personnelle,
sauf vouloir prouver son autorit et sa force ? Il ne suffit pas dintimider pour
gouverner.
Comment apprhender les relations Pologne Ukraine ?
Entre la Pologne et lUkraine se trouve une longue et douloureuse histoire,
gnratrice daffinits profondes mais aussi de ressentiments hrits dun pass
relativement rcent, avant, pendant et aprs la Seconde Guerre mondiale. La
rconciliation a t activement poursuivie de part et dautre et la Pologne a su se
prsenter comme lavocat le plus convaincant de lUkraine, et aussi son meilleur
exemple. Sans doute lentre de la Pologne dans la zone Schengen a-t-elle un
moment frein les changes transfrontaliers puisque que la Pologne devenait
ainsi une partie de la frontire extrieure de lUE, mais par osmose lUE est de
plus en plus prsente en Ukraine et se diffuse via la Pologne.
La Lituanie incarne aussi une relation historique malgr la distance qui
maintenant la spare de lUkraine. Vilnius est un modle de ce que Kiev
souhaiterait tre, une success story dont il y a beaucoup denseignement tirer.
Comment comprendre le tropisme europen de lUkraine ?
Beaucoup dUkrainiens sont favorables lEurope et admettent mal quaucune
perspective dadhsion ne leur soit ouverte, ce qui est vcu comme un rejet de
notre part. Les autorits successives de lUkraine en ont jou, se gardant bien de
prciser quelles contraintes entranent lintgration et dengager les rformes
ncessaires, laissant lopinion dans une profonde frustration. Pourquoi serait
refuse aux Ukrainiens qui sestiment plutt plus avancs que dautres ce qui est
propos aux Balkans occidentaux ? Les politiques de voisinage puis de partenariat
oriental ont t accueillies comme des succdans alors que la pression russe
augmente. Mais renvoyer la responsabilit dune telle situation aux Europens
dune part, aux Russes de lautre ne suffit pas dfinir une stratgie. La
diplomatie multivectorielle ou la politique de la godille, ce ne sont que des caches
misre. Et pourtant, crise ou non, la majorit ne voit pas dalternative lEurope
dans les conditions prsentes. Sauf dsesprer.
Quelles sont les perspectives pour le Prsident Viktor Ianoukovitch ?
Le retour improbable de V. Ianoukovitch au pouvoir sexplique avant tout par le
dsarroi de lopinion aprs la Rvolution orange et non par son adhsion. Un
double risque, que cette dsillusion entrane une dsaffection pour la politique, ou
pire, pour la dmocratie et que les extrmes nationalistes en particulier
prennent consistance, alors que la tolrance traditionnellement prvalait.
243
244
Plus
. Voir lentretien de Pierre Verluise avec Florent Parmentier, "UE : quel
partenariat oriental ?" publi sur le Diploweb.com en 2013
. Voir sur le Diploweb.com larticle de Franois de Jabrun "Les
incertitudes de lidentit ukrainienne", accompagn de son Atlas de
lUkraine
. Voir sur le Diploweb.com lentretien de P. Verluise avec S. Wilkanowicz,
Prsident de la Fondation Znak, "Les relations entre lUnion europenne
largie, lUkraine et la Russie"
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245
L'auteur :
Administrateur civil hors classe. Auteur des nouvelles guerres conomiques
(Ophrys, octobre 2011), co-auteur et coordinateur du numro 59 de la revue
Goconomie (Choiseul, novembre 2011), Rue sur les minerais stratgiques
246
247
248
En fait, malgr des plans ambitieux pour diversifier lconomie, lconomie russe
peine modifier sa structure de production, stimuler les investissements dans
toutes les branches de lconomie et renforcer le capital technologique et
humain russe. On peut considrer que la Russie est touche par la maladie
hollandaise ou Dutch disease. Travailler dans lindustrie nest pas attractif, et la
fuite des cerveaux est massive. la lumire des rcents dveloppements
dmographiques (la population russe devrait passer de 141 millions dhabitants
en 2011 112 millions en 2050), le manque de main-doeuvre qualifie de la
Russie va probablement saggraver. Si la Russie maintient un potentiel
scientifique important, elle ne reprsente que 0,2 % des brevets dposs au
Japon. Les dpenses en recherche et dveloppement sont relativement faibles et
sont infrieures la moyenne de lOCDE.
249
forte valeur ajoute. Ils ont vraiment besoin de lOccident pour se moderniser,
et ils ont vraiment beaucoup perdre sils continuent nen faire qu leur
tte1 . Pourtant, afin de crotre durablement un taux lev, la Russie devrait
accrotre son taux dinvestissement et crer les conditions pour que les
entreprises domestiques ou trangres investissent davantage en Russie,
notamment dans le secteur des services.
II.1. Les implications politiques et les perspectives de sortie de la crise
Touche par la hausse de linflation et des impays, la population russe est
menace par le chmage qui croit rapidement. En dcoule une colre sociale de
plus en plus visible, avec la multiplication des manifestations, de Moscou
Vladivostok, en 2008 et 2009. Celles-ci sont restes trs encadres et ont donn
lieu de nombreuses interpellations, expliquant leur rduction en 2010 et 2011.
Selon Katia Malofeeva, conomiste de la banque russe dinvestissement
Renaissance Capital, pour apaiser les craintes de la population, le
gouvernement ne touchera aux dpenses sociales quen dernier. Mais les budgets
devront bel et bien tre revus la baisse2 . Le ministre des Finances peine
effectivement boucler ses budgets. Le retour des prix plus levs des matires
premires en 2011 a au moins permis de limiter le choc budgtaire. Toutefois, les
mcontentements sociaux sont aggravs par la rpartition trs ingale des
richesses : les 10 % les plus riches ont 70 % des revenus russes et la Russie garde
un coefficient de Gini lev de 0,413.
Il faut ajouter les ingalits spatiales : beaucoup de villes russes sont monoindustrielles et sont donc touches encore plus fortement par la crise.
Il reste voir aujourdhui comment les politiques russes vont ragir si les
protestations augmentent en ampleur sur le modle du monde arabe, moins
dun an des lections prsidentielles. Le rgime va-t-il faire des concessions et
consolider les liberts publiques ou va-t-il prendre des mesures plus autoritaires ?
Pour linstant la cote de popularit du pouvoir en place est reste relativement
stable malgr la crise, mais ceci pourrait voluer.
II.2 Les politiques mises en oeuvre : une sortie rapide de la crise actuelle
est-elle envisageable ?
On pourrait considrer que la crise financire et conomique actuelle est une
chance, comme celle de 1998, pour restructurer et assainir le systme russe, en
favorisant la modernisation et la comptitivit de lconomie. Tout indique
toutefois que les autorits sont plus proccupes par la matrise des
rpercussions conomiques et sociales immdiates de la crise : cration dune
commission spciale anticrise fin 2008, srie de mesures pour soutenir lconomie
250
Conclusions
La Russie na pas encore termin sa transition vers une conomie de march.
Vingt ans aprs limplosion du systme sovitique, on peut dire quen voulant
aller dun point A (lconomie sovitique) un point B (une conomie de march
idalise), la Russie a atteint un point C difficile dfinir : le pays se situe encore
dans une situation de transition du systme communiste vers un futur incertain.
Certaines distorsions de lconomie sovitique sont demeures alors que dautres
ont laiss place un excs inverse. Au surinvestissement a succd un sousinvestissement face aux besoins du pays.
En ralit, la crise actuelle tait parfaitement prvisible. Lanalyse de la structure
de lconomie russe semble bien indiquer quelle sera durable, mme dans un
scnario dans lequel les prix des matires premires augmenteraient rapidement.
Nanmoins, la faon dont le pouvoir politique va ragir aux problmes futurs nest
pas facile prvoir. Ce qui est certain, cest que la crise de lconomie russe que
nous observons aura des consquences politiques et poussera les dirigeants
prendre des choix difficiles. La tendance un virage vers lautoritarisme,
observable depuis 2003, se poursuivra-t-elle ? Comment la posture de la Russie
sur la scne internationale va-t-elle changer si la crise se poursuit ? Ces questions
ne trouvent pas de rponse ce jour.
Copyright 2011-Paillard/Ophrys
Plus
Christophe-Alexandre Paillard, Les nouvelles guerres conomiques, d.
Ophrys, 2011, 633 p.
Un livre recommand par le Diploweb.com : Pierre Verluise, Directeur du
Diploweb.com : "Christophe Alexandre Paillard offre ici un impressionnant tour
251
Les liens entre les problmatiques conomiques et les questions de scurit ont
toujours t troits. Avec la mondialisation et lextrme sophistication des
rapports conomiques mondiaux, il est de plus en plus ncessaire de disposer de
points de repre clefs pour comprendre les nouveaux enjeux goconomiques du
monde.
Voir plus sur le site des ditions Ophrys Voir
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252
L'auteur :
Emmanuel Dreyfus est charg de mission junior chez CEIS depuis mars 2013. Il y
mne des activits danalyse et de conseils sur lespace CEI. Titulaire dun master
2 dhistoire contemporaine consacre la problmatique identitaire moldave
(Paris IV) et dun master 2 de relations internationales, mention UE, scurit et
dfense (Paris I), il est par ailleurs licenci de russe (INALCO).
Introduction
LA prsente note est consacre lUnion douanire (UD) forme par la Russie, la
Bilorussie et le Kazakhstan, qui reprsente ce jour lexprience la plus aboutie
dintgration dans lespace post-sovitique. Conue en 2007 et mise en place
partir de 2010, lUD, tant dans la forme que dans le fond, prsente de relles
innovations par rapport aux multiples et infructueuses tentatives qui lont
prcde. Un double processus dvolution la caractrise : dune part, elle
pourrait bientt souvrir dautres tats issus de la dcomposition du bloc
253
254
Quoique les tats baltes naient jamais cach leur volont dintgrer les
structures euro-atlantiques, et se soient montrs ds 1991 dtermins quant
leur refus de participer toute organisation postsovitique, ce rapprochement de
lUE et de lOTAN a t peru fort ngativement par Moscou.
Lespace CEI (Communaut des Etats Indpendants) proprement parler connat
lui aussi dimportantes volutions. Plusieurs NEI (Nouveaux Etats indpendants)
sont ainsi touchs par des vagues indites de contestation contre leurs dirigeants,
gnralement issus de lappareil sovitique, et qui ont souvent conserv des liens
forts avec Moscou. La rvolution des roses, la rvolution orange et celle des
tulipes, ponctuent respectivement lactualit politique en Gorgie (2003), en
Ukraine (2005) et au Kirghizstan (2005).
Ces rvolutions, au moins celles dUkraine et de Gorgie, partagent certains traits
communs, directement lis aux rapports entre la Russie et ses voisins de l
tranger proche . Elles ont eu comme effet de chasser du pouvoir des proches
de Moscou (Eduard Chevardnadze en Gorgie, Leonid Koutchma en Ukraine),
pour y installer des quipes lorientation euro-atlantiste prononce. La Moldavie
na pas connu de rvolutions de couleur, car le prsident communiste, candidat
heureux sa rlection, stait lui-mme empar des thmes pro-europens des
manifestants ukrainiens et gorgiens. lu en 2001 sur un programme
dintgration lUnion Russie-Bilorussie, Vladimir Voronine sest fait rlire en
2005 sur un programme dadhsion lUnion europenne, sur fond de tension
avec la Russie.
Linfluence de Moscou parat donc dcliner dans les annes 2000 dans plusieurs
pays de lespace CEI, au profit dun horizon euro-atlantique qui devient le cheval
de bataille de certains gouvernements, particulirement ceux de Kiev et de
Tbilissi. De vritables bras de fer vont alors surgir entre la Russie et les tats
cherchant se rapprocher de Bruxelles et de Washington. Ces preuves de forces
se manifesteront de diffrentes faons, aussi bien sur le plan conomique - ainsi
les guerres du gaz entre lUkraine et la Russie - que sur le plan militaire, comme
en tmoigne la guerre russo-gorgienne de lt 2008.
Dans ce contexte, les diffrentes structures dintgration ou de coopration postsovitiques sont des checs globaux. La CEI, fonde en 1991, et regroupant
partir de 1994 lensemble des NEI (avec ladhsion de la Gorgie et de la
Moldavie) ne parvient pas gnrer une dynamique commune lensemble des
tats qui la composent. Ces derniers, parfois en situation de conflits ouverts ou
larvs (cest par exemple le cas entre lArmnie et lAzerbadjan), poursuivent des
buts conomiques et politiques souvent diffrents, allant en tout cas lencontre
dun quelconque processus intgrateur, tel point que la CEI est souvent
255
256
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258
259
Tout dabord, le Prsident russe insiste sur lexistence dun organe transnational
propre lUD, la Commission, qui sera charge de soccuper des rgulations
douanires . Lexistence de cet organe laisse supposer que les mcanismes de
lUD ne soient pas le fait daccords intergouvernementaux mais dune structure
suprieure . Cela amne deux prsupposs : dune part, la perspective dune
intgration plus pousse, dans la mesure o les tats de lUD sont dsormais
membres dune organisation qui subsume certaines de leurs prrogatives. Dautre
part, lexistence dun organe transnational laisse supposer, au moins
formellement, quil y aura plus dquit entre les tats au sein de lUD, puisque
cet organe sera cens reprsenter lensemble des intrts des pays membres.
Le second point important sous-entendu dans les propos de V. Poutine est que
lUD forme au sein de lEurasec et initialement compose de la Russie, du
Kazakhstan et de la Bilorussie est ouverte dautres tats, ce qui laisse penser
que le projet nourrit en fait une ambition dintgration rgionale plus
consquente.
Lors du sommet de Douchanb doctobre 2007, les dirigeants russe, bilorusse et
kazakh parviennent donc un accord prvoyant la cration de lUD, dote dun
organe dcisionnel supranational, la Commission de lUD. Celle-ci est cre le 12
dcembre 2008. Les instigateurs du projet prvoient alors dchelonner son
lancement sur trois ans, afin de laisser aux Parlements des pays membres le
temps de ratifier les accords passs.
Le 25 janvier 2008, des agrments supplmentaires sont conclus, ayant
principalement trait au calcul des tarifs douaniers applicables aux pays tiers
lUnion douanire, aux taxes lexportation vers ces Etats ainsi quaux mesures
particulires de protection prendre face aux importations en provenance du
reste du monde. A la suite de ces accords, un tarif douanier commun est finalis
lt 2009.
Il convient de souligner que ce tarif douanier commun tait en trs grande partie
inspir de celui en vigueur en Russie, et de facto en Bilorussie, dans la mesure
o les deux pays avaient harmonis une majeure partie de leurs tarifs (95%), dans
le cadre de la zone douanire lance en 1995. Ainsi, aprs ladoption du tarif
douanier de lUD, Moscou a d, par rapport sa tarification nationale, augmenter
ses tarifs sur 14% de ses lignes douanires et les baisser sur 4% de ces dernires.
Pour sa part, Minsk a d augmenter 7% de ses tarifs et baisser 18% de ces
derniers.
Mais cest bien au Kazakhstan que ladoption du tarif douanier de lUD a
provoqu le plus de remous. Astana a d rviser la hausse 45% de ses tarifs, et
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dimportants changements.
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qui pour le moment a allou deux crdits dun montant de 1,24Md$ Minsk en
2011, et la mme anne de 70M$ Douchanb. LEDB semble ainsi appele
jouer un rle moteur dans le processus eurasiatique ; en tmoigne le travail de
vulgarisation quelle propose, via la publication dun extensif priodique
trimestriel consacr lactualit des mcanismes dintgration post-sovitiques.
Dautres initiatives attestent dun renforcement de lintgration eurasiatique,
dans la foule de la mise en place de lUD. Ainsi, la mise en place par les trois
oprateurs ferroviaires des pays de lUD dune socit conjointe de transport,
lUnited Transport Logistics Company (UTLC). Selon un accord sign en juin 2013
Saint-Ptersbourg, les pays membres de lUD puiseront dans les rserves de
leurs oprateurs ferroviaires historiques respectifs afin de doter cette nouvelle
socit en matriel, qui fonctionnera ensuite en fonds propres. La UTLC, dont les
investissements atteindront 6,2Md$ dici 2020 pourrait, selon plusieurs
estimations, contribuer une croissance de 11,3Md$ du PIB de lespace
conomique commun ( lhorizon 2020), dont un apport de 5Md$ au PIB russe, de
5,3Md$ au PIB kazakhe (cette socit devrait notoirement permettre Astana de
renforcer ses exportations destination de lEurope) et de 1Md$ la
Bilorussie. [17]
Par ailleurs, les pays membres de lUD ont mis en place en janvier 2013 un centre
pour linnovation, nomm centre conjoint de lEurasec pour linnovation
technologique , dont les fonctions seront notamment de favoriser les activits de
recherche et de dveloppement, la commercialisation des diffrentes innovations
et les transferts de technologies. [18]
LUD est-elle rationnelle conomiquement ?
Une croissance des changes qui concide avec la mise en place de lUD, mais
quil faut replacer dans un contexte mondial.
La forte progression du commerce entre Minsk, Moscou et Astana constitue pour
lheure la ralisation la plus significative de lUD. Comme constat
prcdemment, entre 2010 et 2012, le volume des changes intra-UD avait
augment de 87% (tandis que les changes avec le reste du monde accusaient
une progression de 50%). Si plusieurs mesures importantes de lUD ont jou un
rle certain dans cette dynamique, il semblerait que cette dernire soit aussi et
surtout lie un contexte mondial de reprise de lactivit conomique et
commerciale, aprs la crise de 2008.
La progression des changes intra-UD par anne montre effectivement que la
croissance est forte en 2010 et 2011, respectivement 29% et 33%, mais moins
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2015.
Le premier sous-ensemble sera ddi la possible extension gographique de
lUD. A lheure actuelle, trois tats, dailleurs dj membres de lEurasec,
pourraient rejoindre lUD : il sagit du Kirghizstan, du Tadjikistan et de lArmnie
(membre observateur de lorganisation). Pour le moment, lentre dautres
anciennes rpubliques sovitiques dans lUD semble plus hypothtique. Le cas de
lUkraine sera cependant abord, tant ce pays est fondamental dans le projet
poutinien dintgration eurasiatique.
Une seconde partie sera consacre aux fondements du projet dUnion
eurasiatique cens se substituer lUD et lespace conomique commun partir
de 2015.
Le dernier sous-ensemble valuera les limites pouvant affaiblir la ralisation du
projet dUnion eurasiatique.
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un net refroidissement des relations entre Bruxelles et Kiev, entre autres illustr
par lappel de nombreuses personnalits europennes suspendre les
ngociations sur laccord de libre-change [38].
Paralllement ce contexte de ralentissement des relations UE-Ukraine, la Russie
a fait montre dune grande insistance pour attirer son voisin slave dans lUD. De
faon positive tout dabord, Moscou a vant de maintes reprises les avantages
dont bnficierait Kiev en intgrant lUD : rduction substantielle du prix des
hydrocarbures, gains significatifs de croissance du PIB, dveloppement des
partenariats russo-ukrainiens dans certains domaines comme lindustrie,
laronautique ou les technologies. Il est galement plausible que la structure
dcisionnelle prvalant au sein de lUD ait t pense et mise en uvre afin de
rassurer lUkraine : dans lUD, dont les dcisions et les politiques sont adoptes a
priori sur un mode consensuel et de faon transnationale, Kiev serait un associ
de Moscou participant pleinement aux orientations de cette structure, et non un
vassal.
Conjointement cette promotion de lUD, la Russie a signal lUkraine quen
cas de signature de laccord dassociation, lensemble des accords de librechange liant Moscou (et fortiori les autres pays signataires des accords de
libres changes de la CEI, pays de lUD en tte) Kiev seraient rompus,
largument principal tant quil faudrait prendre des mesures protectionnistes
contre les marchandises importes des pays de lUE par lUkraine. La Russie a
mme rcemment, vraisemblablement titre davertissement, dcrt des
embargos sanitaires sur les produits ukrainiens, le dernier datant du mois daot
2013 et interdisant provisoirement limportation des clbre confiseries de la
marque ukrainienne Roshen [39]. Au vu du caractre politique des embargos
sanitaires dcids par Rospotrobnadzor (les prcdents moldave et gorgien
de 2006 sont loquents), il est possible quils ont t mis afin de montrer
lUkraine les mesures que prendront la Russie (et fortiori lUD) en cas de
signature par Kiev dun accord dassociation avec lUE. Le 21 aot 2013, Sergei
Glaziev, le conseiller du Prsident russe, a ainsi indiqu que lUD devrait
probablement mettre fin son accord de libre changes avec lUkraine si ce pays
signait lAA avec lUE, arguant de problmes lis la rexportation de produits
europens via lUkraine vers lUD, et la non-adquation entre les rglements
phytosanitaires en vigueur en UE et au sein de lUD [40].
Kiev a longtemps cherch un compromis lui permettant de bnficier des
avantages de lAA et de ceux de lUD et a ainsi tent de ngocier une participation
simultane dans ces deux entits. Sans vouloir remettre en cause le processus de
rapprochement avec Bruxelles, fondamental pour lconomie ukrainienne, en
grand besoin dinvestissements et de modernisation, Kiev visait une forme de
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participation lUD. Cette intgration duale a t rejete par les deux blocs :
alors que Bruxelles indiquait que linstauration dune zone de libre-change avec
lUkraine tait incompatible avec son intgration dans lUD, Moscou insistait pour
une participation entire de lUkraine lUD, et non un format spcifique de type
3+1 propos plusieurs reprises par Kiev.
De rcents dveloppements montreraient qua priori, Kiev a finalement fait le
choix dun rapprochement avec lUE, au dtriment de son intgration
eurasiatique. Aprs de longues tergiversations, il semblerait bien que laccord
dassociation soit sign au sommet venir du Partenariat oriental, qui se tiendra
en novembre 2013 Vilnius. Du fait de la densit de cet accord, sa signature
aurait notamment pour effet de rendre impossible toute participation pousse de
lUkraine lUD-Union eurasiatique, et surtout de rapprocher trs fortement
lUkraine de lUnion europenne. Ce rapprochement substantiel de Kiev avec
Bruxelles, avec en corollaire son loignement de Moscou sera lourd de
consquences sur le processus dintgration eurasiatique. [NDLR. Au vu des
dveloppements de novembre-dcembre 2013 et janvier 2014, ce point est
reconsidrer].
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subventionne par la Russie. Si pour une raison ou pour une autre, Minsk ntait
plus en mesure de maintenir ce systme, il y a fort parier que des changements
politiques majeurs pourraient intervenir. Sans parler de rvolutions de couleur, il
est possible quavec un changement de rgime, la Bilorussie se montrerait moins
tourne vers lintgration eurasiatique et privilgierait une politique davantage
multivectorielle. Dailleurs, lintgration eurasiatique ne bnficie pas dun
soutien massif de la part de la population bilorusse. Celle-ci est partage
galit entre partisans dune intgration avec lUE et partisans dune intgration
avec la Russie (selon les donnes recueillies en juin 2013 par le Belarus
Independant Institute of Socio-Economic and Political Studies) [55].
En ce qui concerne le Kazakhstan, cette question semble plus concrte. N.
Nazarbaev est g, dune sant dclinante, et la question de sa succession est
ouvertement pose. Il semble vraisemblable que les nouvelles lites de cette
Rpublique, souvent formes en Occident, soient animes dun tropisme postsovitique moins fort que celui du Prsident actuel, et que le pragmatisme puisse
lemporter sur lidologie. Aussi, lorsquil quittera le pouvoir, il est possible
quAstana sassocie avec moins de vigueur (et encore, les rserves kazakhes sont
dj existantes face une intgration politique ou montaire) au projet poutinien
dUnion eurasienne. Dailleurs, une partie de lopposition kazakhe a lanc en avril
2013 lide dun rfrendum pour la sortie du pays de lUD [56]. Ladhsion des
Kazakhs au projet dUnion eurasiatique doit donc tre considre comme une
question ouverte : alors que lentre dans lUD a eu des consquences ngatives
sur le quotidien de la population (augmentation des prix), les perspectives dune
intgration montaire, voire politique, sont rejetes par la majorit de la classe
politique locale, N. Nazarbaev en tte.
Ladhsion lide dUD doit aussi tre pose du point de vue russe. L encore, il
semblerait que lvidence ne soit pas de mise. Le projet dUnion eurasiatique,
voqu par V. Poutine avant sa rlection pour un troisime mandat en 2012, est
lun des axes majeurs de sa politique, et il pourra ventuellement le rester sil est
rlu en 2018. Cette option demeure hypothtique : la cte de popularit de V.
Poutine, quoique persistante, est en baisse et les Russes sont en majorit opposs
sa rlection pour un quatrime mandat [57].
Par ailleurs, au vu des consquences quil pourrait entrainer, le projet dUnion
eurasiatique peut tre dur dfendre auprs de lopinion publique. Si les Russes
sont attachs au maintien des intrts et de la prsence de leur pays dans les
tats de ltranger proche, il ne sont pas forcment dispos payer pour des
voisins plus pauvres et moins dvelopps, comme ctait le cas durant la priode
sovitique vis vis des Rpubliques dAsie centrale.
Il est dailleurs pertinent de sinterroger sur les capacits de la Russie supporter
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lUnion eurasiatique. En considrant que les trois pays formant lUD demeurent
associs ce projet, il ny aurait pour le moment que trois autres tats dont
ladhsion peut tre qualifis de probable, et non de certaine : le Kirghizstan, le
Tadjikistan et lArmnie. Il a dj t montr prcdemment que si leur
intgration avait surtout une valeur politique pour les promoteurs de lUnion
eurasiatique, V. Poutine en tte, elle est dun intrt conomique objectivement
douteux, et le soutien dont elle pourrait bnficier de la part de la population
russe semble limit.
Mis part ladhsion potentielle de ces trois tats, il nest pour le moment pas
possible de se prononcer au sujet dune adhsion dautres anciennes rpubliques
sovitiques au projet dunion eurasiatique, du moins sur une base volontaire.
LUkraine semblerait in fine avoir choisi le rapprochement avec Bruxelles.
[NDLR : Rappel, cette tude est antrieure au revirement de novembre 2013] La
Moldavie, dirige depuis 2010 par une coalition pro-europenne, est galement
en ngociation avec lUE pour la signature dun accord de libre change et
devrait, au moins moyen terme, maintenir une orientation pro-europenne.
Quoique lopposition communiste, puissante, et qui milite dsormais pour une
participation de Chisinau au projet dunion eurasiatique, puisse ventuellement
reprendre le pouvoir aux prochaines lections parlementaires en 2014, la
perspective dune volteface de Chisinau vers Moscou parat peu probable. Le
parti communiste moldave avait ainsi dj fait campagne en 2001 pour une
adhsion lUnion Russie-Bilorussie, avant de se faire rlire en 2005 sur un
programme tourn vers lintgration europenne.
Mise part lUkraine, lArmnie et la Moldavie, il parat pour lheure inopportun
dvoquer la participation dautres NEI aux projets eurasiatiques. Ni le
Turkmnistan, ni lOuzbkistan, ni au Caucase la Gorgie et lAzerbadjan nont
effectivement fait part de leur volont de rejoindre ce processus dintgration.
Selon nos pronostics, lUnion eurasiatique, si elle tait ralise, comprendrait 6
tats postsovitiques. Il manquerait cet ensemble des rgions stratgiques
comme lUkraine pour tre vraiment cohrente, tant politiquement
quconomiquement.
Conclusion
Plus de 20 ans aprs la chute de lUnion sovitique, faisant suite plusieurs
tentatives qui se sont dans lensemble toutes soldes par des checs, une nouvelle
dynamique intgratrice a vu le jour dans lespace CEI. Nourrissant le but de
rassembler des tats qui nen formaient quun auparavant, afin de crer un
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-trail-for-kazakhstan-and-belarus-116734.html)
[7] Countries profile , Worldbank (worldbank.org/en/country)
[8] Interview de Tatiana Valovaia, membre du collge de la CEEA, 31/05/12,
Rossiskaia Gazeta (rg.ru/2012/05/31/eep.html)
[9] En avril 2013, la Cour a ainsi reu la plainte dune entreprise ukrainienne
contestant la dcision de la Commission de lUnion douanire du 9 dcembre
2011 No. 904 Sur les mesures visant protger les intrts conomiques des
producteurs de cylindres en acier forgs pour trains de laminoir dans lUnion
douanire .) En mai 2013, la cour conomique suprme de la Rpublique du
Blarus dinterprtation des dispositions de la dcision de la Commission de
lUnion douanire du 15 juillet 2011 No. 728 Sur la procdure de franchise
douanire pour certaines catgories de marchandises importes sur le
territoire douanier commun de lUnion douanire .
[10] Eurasian Economic Commission , United Nations Economic Commission
for Europe Committee on Trade, Fifht Session, Geneva, 18-19 June 2012.
[11] Rapport annuel de la Commission conomique eurasiatique, 2012
(eurasiancommission.org/ru/Documents/EEC_AR2012.pdf)
[12] Structure du commerce entre les pays membres de lUD en 2012 ,
22/06/13, Proved (./economics/customs-union.html)
[13] Idem
[14] Idem
[15] Classement Doing Business 2013, World Bank
(doingbusiness.org/rankings)
[16] Site internet : eabr.org/e/
[17] Agreement about launching United Transport and Logistics Company ,
20/06/13, RZD-Partner (rzd-partner.com/news/logistics/agreement-abot-launching-united-transport-and-logistics-company/)
[18] Russia, Belarus and Kazakhstan set up interstate high-tech center ,
29/07/13, Marchmont (marchmontnews.com/Finance-Business/Centra-regions/19808-Russia-Belarus-and-Kazakhstan-set-up-interstatehigh-tech-center-.html)
[19] Selon la Banque Mondiale, en 2012 (worldbank.org/en/country)
[20] Will Ukraine Join (and Save) the Eurasian Customs Union ?, Arkady
Moshes, 04/13 (ponarseurasia.org/sites/default/files/policy-memo-pdf/pepm_247_Moshes_April2013.pdf)
[21] Inflation rate reaches 7% for 11 months in Kazakhstan , Export.by,
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293
294
L'auteur :
Journaliste indpendant, Rgis Gent est install depuis plus de dix ans Tbilissi,
capitale de la Gorgie situe au cur du Caucase. Il couvre lactualit du Caucase
et de lAsie centrale pour Radio France Internationale, Le Figaro, France 24.
Entretien avec Pierre Verluise, Directeur du Diploweb.com.
295
gorgiennes que sont lAbkhazie et lOsstie du Sud. LAbkhazie jouxte Sotchi, les
comptitions olympiques se drouleront une quinzaine de kilomtres du
territoire abkhaze. Pour un chef dEtat tranger, honorer de sa prsence ces JO
cest entriner les modifications de frontires imposes par la force par la Russie
en 2008 son voisin gorgien. Publier ce livre en 2014, cest saisir loccasion de
ces Jeux pour raconter autrement Poutine mais aussi, pour les gens qui
sintressent la gopolitique, de montrer comment une rgion comme le
Caucase est utilise par la Russie pour servir ses ambitions et sa stratgie.
Rgis Gent
publie "Poutine et le Caucase", d. Buchet-Chastel. Droits
rservs
296
R.G. : Cest Poutine lui-mme qui insiste sur cette question. Par exemple, en
juillet 2007, quelques jours aprs que Sotchi se soit vue confier lorganisation des
JO dhiver de 2014, lors de la session du CIO de Guatemala Ciudad, M. Poutine
sadresse un groupe de jeunes Russes et leur dit : Si nous avions chou
restaurer lintgrit territoriale, si nous avions chou arrter la confrontation
dans le Caucase comme nous lavons fait il y a cinq sept ans, si nous avions
chou changer radicalement la situation conomique, si nous avions chou
rsoudre les problmes sociaux, nous naurions eu quune petite chance
daccueillir les Jeux olympiques. Et il conclut, le choix du CIO est le signe que
nous sommes sur les bons rails. Nous voyons bien l combien les JO doivent
servir faire valider sa politique et combien sa politique caucasienne pose
problme, au sujet de la Tchtchnie en loccurrence. Je rappelle par ailleurs au
dbut de mon livre ce qui sest pass le 6 octobre 2013, jour o la flamme
olympique est arrive sur la terre russe. Dix personnes seulement ce jour-l ont
lhonneur de porter ladite flamme, dans et autour du Kremlin. Vous imaginez que
le choix de ces dix personnes a t rflchi et certainement valid trs haut
niveau. Il y a parmi ces dix personnes un paralympique, un jeune pianiste prodige,
une jeune fille qui a sauv quelquun de la noyade et... un pilote de chasse de
larme russe qui a particip la guerre contre la Gorgie en 2008 ! Vous voyez
combien il faut encore l expliquer au monde que la guerre de 2008 tait affaire
de pacifisme, ce qui nest videmment pas vrai. Un mot encore sur la seconde
guerre de Tchtchnie, la guerre de Poutine, si sale, si brutale, avec ses sinistres
camps de filtration et ses dizaines de milliers de morts : ds le dbut, le Kremlin
essaie de faire croire quil sagit de lutte contre le terrorisme islamiste. Il sagit en
ralit de faire oublier quil sagir, pour les Tchtchnes, dun combat anticolonial.
P.V. : Lorsquon parle de lgitimit, on pense surtout la lgitimit
interne, vis--vis du peuple. Laction au Caucase de Poutine est-elle
problmatique de ce point de vue ?
R.G. : Oui et non. Cela dpend de comment lon prend le problme, sachant que
cette question na peut-tre pas exactement le mme sens chez les Russes que
chez nous. Au dpart, cela pose problme. Parce que si nous regardons de prs la
carrire de M. Poutine, en tant que Prsident, cest--dire depuis de son ascension
fulgurante vers le Kremlin partir de lt 1999, nous sommes frapps de voir
combien celle-ci est troitement lie au Caucase, comment des moments cruciaux
de celle-ci se jouent au Caucase. A commencer par la prise de pouvoir suite une
srie cinq dattentats, qui font prs de trois cent morts, en septembre 1999, et qui
servent de justification la relance de la guerre en Tchtchnie. Or, de trs forts
soupons psent sur le Service fdral de scurit de la Fdration de Russie
297
(FSB), dont M. Poutine est issu et quil a dirig juste avant de devenir Premier
ministre dbut aot 1999, dans lorganisation de ceux-ci. Lattentat djou de
Riazan, le 22 septembre 1999, apporte des preuves que le FSB se prparait
commettre cet attentat... pour faire porter la responsabilit aux Tchtchnes.
Autrement dit, de trs forts soupons psent jusqu aujourdhui sur le fait que
lascension vers le Kremlin de Poutine est le rsultat dune cynique mise en scne
destine installer un inconnu la tte de la Russie, pour prserver les intrts
de la famille B. Eltsine et des oligarques, pensent les uns, pour que les gubistes
semparent des rnes du pays estiment les autres. Ensuite, dans la foule de ces
vnements et avec la relance de la guerre en Tchtchnie, il va crer un Etat o
les mdias sont repris en main, les gouverneurs des rgions nomms par le
Kremlin et non plus lus par le peuple des rpubliques de la Fdration, o le
scuritaire justifie tout, o le citoyen nest rien face lEtat. Et souvent ces
mesures autoritaires se trouvent "justifies" par la politique au Caucase : la
chane de tlvision NTV tombe dans lescarcelle de lEtat aprs avoir trop dit la
vrit sur les attentats de septembre 1999, les gouverneurs ne sont plus lus
aprs la crise de la prise dotage de lcole de Beslan (en septembre 2004) par
des rebelles islamistes Nord Caucasiens. Certes, M. Poutine va ensuite apparatre
comme lgitime en remettant lEtat sur ses pieds, aprs le chaos de lpoque
Eltsine, en amliorant les performances conomiques, ce qui est surtout d
toutefois laugmentation des cours du ptrole [1].
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internationale.
P.V. : Quels sont les autres piliers ?
R.G : Celui-ci, lidologique, sert aussi se trouver des allis dans le monde
occidental, dans les franges traditionnalistes ou nationalistes, do laccueil
chaleureux qua reu la franaise Marine Le Pen (Front national) Moscou durant
lt 2013, reu par le numro 2 de la Douma etc. Quels autres piliers ? Le gaz
bien sr, nous lavons vu avec la faon dont le Kremlin a mis la pression sur
lArmnie ou lUkraine pour quelles ne signent pas daccord dassociation avec
lUE, en maintenant des prix levs qui ont t revus la baisse une fois
quErevan et Kiev ont renonc signer Vilnius laccord dassociation avec lUE.
Un autre pilier a t lemploi de la force. On a souvent mal compris le sens de la
guerre de 2008, certains croyant mme que la haine rciproque entre V. Poutine
et le Prsident gorgien dalors Mikhel Saakachvili avait jou un rle dcisif. Or,
il me parat vident que la guerre de 2008 a surtout servi Moscou expliquer
loccident quil ntait plus question de prendre des dcisions sans elle. Ayant
couvert cette guerre, je me souviens que chaque jour javais commenter les
dclaration des messieurs Poutine, Medvedev ou Lavrov voquant le Kosovo,
lIrak, les bombardements de lOtan sur la Serbie... Et dans mon livre jexplique
que le premier papier que jai fait sur cette guerre, sans savoir encore quil y
aurait une guerre, date de la mi-fvrier 2008, quelques jours avant la
reconnaissance par une partie de la communaut internationale de
lindpendance du Kosovo, lorsque M. Poutine a alors promis une "prparation
maison" pour le Caucase. Ce jour-l, dans le Caucase, chacun a compris combien
ces mots taient lourds de menace. Ceux qui disent, et ils sont nombreux, que la
responsabilit du conflit revient Saakachvili, seulement lui, se trompent. Ce
qui ne veut pas dire que Saakachvili na pas commis derreurs. En tous cas, entre
le conflit de 2008 et la position de la Russie sur le dossier syrien depuis plusieurs
annes, la continuit est vidente et le but identique : remettre tout prix la
Russie sur le devant de la scne internationale.
P.V. : Quelles sont les relations avec la Gorgie aujourdhui ? Le nouveau
gouvernement Tbilissi a adopt une position beaucoup moins frontale
vis--vis de Moscou...
R.G. : Oui, mais cela nempche pas Moscou dtre agressive. Le jour mme o la
Gorgie initiait laccord dassociation avec lUE, le 28 novembre 2013 lors du
sommet du Partenariat Oriental de Vilnius, les gardes frontires russes se
remettaient, aprs deux mois de pose, installer des barbels sur la "limite
administrative" entre la province sparatiste de lOsstie du Sud et le reste de la
300
Gorgie. Bref, Moscou signifiait quelle napprcie gure ces liens que Tbilissi
entend sceller avec lEurope. Dailleurs, je peux vous dire quaujourdhui les
responsables gorgiens veulent rduire au maximum la dure entre le paraphe de
Vilnius et la signature de laccord dassociation proprement dit. Ils esprent
signer en un temps record, probablement en septembre 2014, afin de rduire la
priode pendant laquelle la Russie ou des forces anti-occidentales en Gorgie, que
ce soit des hommes politiques membres de la coalition au pouvoir ou la puissante
glise orthodoxe nationale, pourraient tenter de faire drailler le processus. Alors
oui, le vin gorgien est revenu sur le march russe, on parle de rtablir des vols
rguliers entre Moscou et Tbilissi etc., mais sur le fond, le libre choix de sa
grande stratgie pour la Gorgie, rien na chang.
P.V. : M. Poutine tient plus que tout son projet dUnion eurasienne ?
R.G. : Il semble oui. DUnion eurasienne, dUnion douanire, etc. On a vu comme
je le disais avec les pressions exerces sur lArmnie et lUkraine, mais aussi la
Moldavie. Il sagit de crer une aire que la Russie dominerait. Ce qui me frappe
toujours, cest que cela se passe immanquablement sur fond de non-dsir de vivre
ensemble. M. Poutine doit convoquer les prsidents armnien ou ukrainien pour
emporter ladhsion de ces pays ses projets, il ny a manifestement pas de dsir
de ces peuples de rejoindre ces unions. Je ne veux pas dire quils sont forcment
contre, les Armniens pour des raisons historiques et donc scuritaires ne veulent
certainement pas rompre avec la Russie. Mais ce que je veux dire cest que les
projets russes, comme lUnion eurasienne, ne suscitent pas un dsir de vivre
ensemble, un attrait en soi. Je le constate partout dans la rgion, au Kazakhstan
par exemple, o les gens sont trs russifis, cest reculons que lon est entr
dans lUnion douanire. Les hommes daffaires kazakhs se plaignent de stre fait
avoir. Leur march est ouvert aux concurrents russes, mais des obstacles sont en
permanence crs pour les entrepreneurs kazakhstanais qui veulent aller la
conqute du march russe.
P.V. : Ces Unions ne sont donc pas un facteur de stabilit pour le
Caucase ?
R. G. : Certainement pas non. Il ny a qu voir ce qui se passe en Ukraine.
Euromaidan est une contestation qui dpasse la question du choix entre Union
europenne et Union douanire "russe". Il est clair quau fond cest un choix de
socit et de gouvernance dont il est question. Les Ukrainiens, de lEst comme de
lOuest, rejettent leurs politiques, ceux du pouvoir comme ceux de lopposition
dailleurs. Mme si le Prsident Yanoukovitch reprsente le pire en matire de
gouvernance post sovitique, laquelle sied si bien M. Poutine.
Copyright Fvrier 2014-Gent-Verluise/Diploweb.com
301
Plus
Rgis Gent, Poutine et le Caucase, coll. Document, Paris, d. Buchet
Chastel, 2014.
302
Notes
[1] NDLR : La stratgie de G. W. Bush en Afghanistan et surtout en Irak
contribue la hausse des prix du ptrole, lavantage notamment de la Russie.
Retour au Sommaire
303
L'auteur :
Documentaliste et traductrice de russe, Membre de lassociation LRS (Littrature
russe et dexpression russe). Responsable Asie Centrale au Comit de
rdaction de la revue en ligne regard-est.com
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308
Soulignons que ce projet navait pas fait lobjet de dbat dans les mdias et que
lentre dans lUnion douanire navait pas t non plus sanctionne par un
rfrendum. Quelques jours plus tard, des opposants lUnion dnonaient
linfluence de la Russie sur les autorits du Kazakhstan, ainsi que les ambitions
politiques personnelles du prsident Nazarbaev, dcid faire adhrer son pays
lUnion douanire, aux dpens des intrts de son pays, selon lconomiste kazakh
Toktar Esirkepov.
Lincessante promotion de lide eurasiatique, par leur prsident N. Nazarbaev ne
convainc manifestement pas tous les Kazakhstanais. Certains se montrent
dfiants lgard de cette adhsion une institution incluant la Russie, de peur
de voir celle-ci exercer une forte une ingrence dans leur pays. (Rappelons ici que
plus de 29 Kazakhs ont t victimes dactes racistes et 7 en sont morts en Russie,
en 2014). Certains opposants kazakhs inquiets de voir la Russie mettre en uvre
des ambitions imprialistes, nhsitent pas aller jusqu voquer la volont russe
de reconstituer une seconde URSS. Ce qui leur fait dire que la perte de
souverainet du Kazakhstan le ravalerait alors au rang de province de la
Russie . Comme pour leur rpondre, des experts russes dnoncent, eux, une
rumeur orchestre par des nationalistes kazakhs accusant la Russie de vouloir
dstabiliser le Kazakhstan. Une telle perte de souverainet signifierait plus
certainement une encore moins grande latitude pour organiser des mouvements
de protestation lgard du pouvoir, les autorits kazakhstanaises pouvant alors
compter sur un soutien du Kremlin pour les contrer. Et la nouvelle crise
ukrainienne advenue lautomne 2013, alimente encore les rticences des
nationaux-patriotes et anti-eurasiatiques kazakhstanais.
Parmi ces derniers, outre Amirjan Kosanov dj cit, les plus visibles dans les
mdias russophones sont Kazbek Besebaev (ancien membre du ministre des
Affaires trangres du Kazakhstan), Boulat Abilov (ingnieur des mines, ancien
conseiller prsidentiel et prsident du parti Azat), et Moukhtar Tajan,
conomiste, qui se situe plutt dans la mouvance des nationaux-patriotes. Selon le
jeune opposant Janbolat Mama, les nationalistes kazakhstanais auraient russi
faire pression sur N. Nazarbaev pour exclure la composante politique du projet
dUnion eurasiatique, savoir un parlement eurasiatique, une monnaie commune,
la double nationalit, et une surveillance conjointe des frontires. Mais, les
perspectives dune intgration montaire et politique, sont rejetes par la
majorit de la classe politique, N. Nazarbaev en tte. De fait, lissue dune
rencontre avec ses homologues russe et bilorusse Astana en mai 2013, le
prsident kazakh avait ritr quil ntait pas question de donner la
Commission conomique Eurasiatique [6] des comptences de nature politique. Il
dclarait alors : Je souhaite une fois de plus mettre laccent sur le fait quil ny a
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L'auteur :
Le cabinet de conseil CASSINI, spcialis dans lanalyse gopolitique et
cartographique, propose une tude ralise conjointement avec Florian Carrelet,
Master 2 recherche lInstitut Franais de Gopolitique.
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Dveloppement de lInternet
Ce nest quavec lancrage du capitalisme au sein de la socit russe quInternet
sest dmocratis car les intrts conomiques lis au commerce international,
concentrs Moscou, ncessitaient lutilisation dun rseau de tlcommunication
performant. Aujourdhui, le pays comble son retard en matire de connectivit
Internet, et tente de gommer les disparits territoriales.
louest, o se concentrent les populations et les centres de pouvoir, le rseau
est performant et dimportants investissements sont raliss dans la construction
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CASSINI
Le cabinet de conseil CASSINI est spcialis dans lanalyse gopolitique et
cartographique. Voir le site de CASSINI
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L'auteur :
Chaire de Cyberscurit & Cyberdfense Saint-Cyr Thales
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L'auteur :
Philippe de Suremain est Ministre plnipotentiaire hors classe, Ambassadeur de
France en Ukraine de 2002 2005.
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Il nest plus temps desquiver lattraction quexerce lEurope, malgr ses tats
dme sur ceux qui aspirent la rejoindre et tout le moins y puiser leur
inspiration et y trouver leur modle. La politique de voisinage quelque peu
improvise et qua refuse en son temps la Russie (pas de voisinage commun)
puis le partenariat oriental, mieux cibl mais mal financ nont pas t la
mesure de lenjeu. La situation prsente doit inciter les Etats membres plus de
cohsion vis vis de la Russie qui dpend autant, sinon plus de lUE que celle-ci
de la Russie. Ce qui suppose de notre part une vision commune de lUkraine,
carrefour stratgique de notre continent, appel tre la cl de vote de la future
Europe plutt que le champ clos de ses vieilles rivalits.
Cest dire lenjeu que reprsente lUkraine pour les Europens qui ne peuvent
plus la traiter par prtrition. Cest surtout constater la responsabilit des
Ukrainiens eux-mmes un moment crucial de leur histoire. Lavenir immdiat
est des plus incertains, avec un Prsident qui joue sa survie face une population
dont la lgendaire patience atteint ses limites. Quelle que soit lissue de cette
crise qui peut dgnrer dans la violence, ce qui avait jusqu prsent vit,
lUkraine nest pas prs de quitter lactualit.
Manuscrit clos le 14 dcembre 2013
Dcembre 2013-Suremain/Diploweb.com
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L'auteur :
Ambassadeur, Reprsentant permanent de la France auprs de lOSCE.
Professeur Sciences Po. Maxime Lefebvre vient de publier La construction de
lEurope et lavenir des nations (A. Colin).
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Malgr cette monte en puissance, lOSCE reste une organisation lgre, presque
fragile, plastique et traverse de tensions politiques. Elle na pas la personnalit
juridique. Son budget est drisoire (moins de 150 millions de dollars, un millime
du budget de lUnion europenne). Son effectif est faible (300 personnes dans le
sige des institutions, Vienne, Varsovie et La Haye). Sa structure est clate,
comprenant, outre les institutions, une quinzaine de missions ou de bureaux de
terrain (Europe orientale, Caucase, Asie centrale, Balkans).
Le territoire couvert par lOSCE est immense : 57 Etats participants de
Vancouver Vladivostok, le dernier Etat admis tant la Mongolie ; quoi
sajoutent 11 pays partenaires (6 au sud de la Mditerrane, 5 en Asie le Japon
mais pas la Chine). LOSCE offre une lecture particulire de la gopolitique
europenne, qui est lhritage de la guerre froide (la dimension est-ouest, OTAN
contre pacte de Varsovie) et de lEmpire sovitique (do la prsence de lAsie
centrale). En mme temps, cest une organisation qui a sa spcificit et son utilit
par rapport aux organisations occidentales (UE, OTAN) ou au Conseil de
lEurope, qui ne comprend que 47 Etats membres. Cest la seule enceinte
multilatrale en Europe o parlent la mme table, dgal gal, les
Etats-Unis et la Russie.
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Maxime Lefebvre
Ambassadeur, Reprsentant permanent de la France auprs
lOSCE
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rendue plusieurs fois en Ukraine, y compris en Crime, pour suivre cet aspect des
choses. La commissaire aux minorits nationales, Astrid Thors (finlandaise), sest
elle aussi enquise de la dimension interethnique, et sest en particulier alarme
de la situation des Tatars de Crime. Par des visites de terrain, des rapports, des
prises de position publiques, ces institutions exercent un droit de regard qui est
dune certaine faon celui de la communaut internationale. Leurs critiques et
leurs recommandations ont beaucoup plus de poids que celles des Occidentaux,
car elles tirent leur lgitimit de la configuration trs inclusive de lorganisation
et des principes et des engagements auxquels ont souscrit tous les pays
participants dans le pass (mme si certains ont tendance les oublier ou les
ngliger aujourdhui).
Le cinquime et dernier rle de lOSCE est celui de sa prsence de terrain.
LOSCE a une quinzaine de missions de terrain dans des zones qui se
caractrisent par leur instabilit : les Balkans, lEurope orientale, le Caucase,
lAsie centrale. En Ukraine, la mission est devenue un bureau de coordination
de projets, lUkraine ayant souhait, comme beaucoup de pays de lOSCE, rduire
la tutelle et le droit de regard que pourraient incarner ces missions un peu trop
intrusives leur got. Mais ce bureau a pu lancer, au moment de la monte en
puissance de la crise, un projet de dialogue national qui a en fait t
lembryon de la mission spciale de surveillance. Celle-ci a pu commencer se
dployer ds le lendemain de laccord du 21 mars 2014. Trs vite, un premier
palier de 100 observateurs de terrain, dploys sur tout le territoire ukrainien
(mais en pratique pas en Crime, barre par les forces russes), a t atteint.
La mission, dont le mandat couvre une priode initiale de 6 mois, a vocation
rester sur le terrain au-del de cette dure et pourra monter jusqu 500
observateurs. Son mandat dpasse la simple observation, car elle a aussi un rle
de stabilisation, de mesures de confiance, de veille en matire de droits de
lhomme et de relations interethniques. Cest pourquoi, laccord de Genve du 17
avril 2014, ngoci entre Etats-Unis, Russie, Ukraine et UE, en pleine escalade
des tensions du fait du soulvement spontan des rgions orientales de
lUkraine, confie la mission de surveillance la mise en uvre de nombreuses
mesures de dsescalade (dsarmement des milices, vacuation des btiments
publics, etc.). Cest travers cette mission de lOSCE que se cristallise un dbut
daccord pour tenter de rduire les tensions gopolitiques et idologiques entre
Occidentaux et Russes en Ukraine.
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La crise ukrainienne est loin dtre termine. Il est probable quelle continuera
daccaparer une bonne part de lattention lOSCE. Quelle que soit lvolution
des choses (une rechute dans la confrontation, un accord solide sur lavenir de
lUkraine, ou simplement une stabilisation mal assure), quelques dfis vont se
poser de toutes les faons cette organisation.
Il y a longtemps quon percevait le retour dune dialectique de confrontation avec
la Russie. Ce nest sans doute pas le retour la CSCE de lpoque de la guerre
froide, mais il est de fait quil est de plus en plus difficile de sentendre sur des
principes communs, tant la Russie bafoue de plus en plus les engagements pris,
aussi bien ceux de la scurit collective (non recours la force, respect de
lintgrit territoriale des Etats) que ceux au titre des droits de lhomme. En
mme temps, lexistence dune enceinte inclusive o lon peut la fois dialoguer,
changer, et sentendre sur des accords et des cooprations de porte limite,
montre prcisment son utilit dans une telle priode de tensions. LOSCE va
peut-tre devenir de plus en plus lenceinte o se traitent les diffrends
avec la Russie : tensions politico-militaires, scurit nergtique, diffrences de
conception sur les intgrations conomiques rgionales, question des droits de
lhomme, etc.
Il faut aussi sinterroger sur la manire de grer la Russie et les
complexits de lespace postsovitique.
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L'auteur :
Docteur en histoire, professeur agrg de lUniversit, Patrice Gourdin enseigne
les relations internationales et la gopolitique auprs des lves-officiers de
lEcole de lAir. Auteur de Gopolitiques, manuel pratique, Paris, 2010, Choiseul,
736 pages. Membre du Conseil scientifique du Centre gopolitique auquel est
adoss le Diploweb.com.
Dans lest de lUkraine, les forces ukrainiennes ont lanc une opration
militaire tt ce 2 mai sur un symbole des sparatistes pro-russes, la ville
de Slaviansk.
Dans ce contexte, voici une magistrale tude gopolitique de lUkraine,
la fois solidement documente, puissamment pense et clairement crite.
Elle fera grincer des dents parce quelle dconstruit des discours et
claire des stratgies tout en pointant des insuffisances, mais elle fera
rfrence. Bonne lecture.
VLADIMIR POUTINE, linstigateur des massacres en Tchtchnie (y compris des
Russes rsidant Grozny) et de la violation de lintgrit territoriale de la
Gorgie, sen prend aujourdhui lUkraine. Lexacerbation des rivalits pour le
pouvoir sur ce territoire risque de mener un affrontement sanglant entre
Ukrainiens, susceptible de sinternationaliser. Certaines caractristiques de ce
pays, de ses habitants et de ses liens avec son principal voisin peuvent nous aider
comprendre.
LUkraine est un carrefour pluriculturel en proie de graves difficults
conomiques, sociales et politiques. Les habitants de la rgion ne matrisent plus
leur destin depuis le XIIIe sicle. La population est htrogne et la nation
ukrainienne ressort comme plus potentielle que relle. La Russie estime que le
contrle de ce pays est indispensable la renaissance de sa puissance. Cela divise
tant les Ukrainiens que la communaut internationale. Les tenants dune Ukraine
indpendante conservant son intgrit territoriale se trouvent aujourdhui rduits
la mme impuissance.
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enfants par femme. La mortalit (15) lemporte sur la natalit (11), ce qui
entrane un vieillissement de la population : seuls 14% des Ukrainiens ont moins
de 15 ans.
En 2012, le PIB par habitant tait de 3 971 dollars [2] ( peu prs le mme que
celui de lAlbanie : 3 821 dollars) et lindice de dveloppement humain tait de
0,740 (78e sur 187 pays valus), comparable celui de la Macdoine et peine
suprieur celui de lle Maurice. Une carte tablie partir des donnes 2013
fait, de plus, apparatre une fracture conomique et sociale entre les 24 (25,
moins la Crime) rgions administratives (oblasts) du pays (Mathilde Grard,
Pourquoi lest de lUkraine nest pas la Crime , Le Monde, 16 avril 2014).
Avec un PIB par habitant suprieur 6 000 euros par an, la capitale, Kiev (dont le
statut administratif est particulier), affirme une prosprit que lon ne retrouve
nulle part ailleurs dans le pays. Cela illustre lavantage en gnral confr aux
capitales par le cumul de lexcellence et des fonctions de commandement dans la
plupart des domaines. Ensuite, six oblasts saffichent en tte, avec un PIB par
habitant compris entre 2 100 et 3 400 euros par an : Kiev, Kharkiv, Poltava,
Donetsk, Dnipropetrovsk et Zaporijia. Mis part celui de Kiev, ils se situent tous
lest du pays, dans la partie la plus industrialise du pays, qui assure aussi une
part non ngligeable de la production agricole (notamment celui de Poltava) et
voisine la Russie. Cinq oblasts ont un PIB par habitant compris entre 1 600 et 2
100 euros par an : Lougansk, Tcherkassy, Mikolav, Odessa et Lviv. La moiti des
oblasts (12), disposent de moins de 1600 euros par an. Parmi eux, tous ceux de
louest lexception de celui de Lviv, auxquels il faut rajouter ceux de Tchernihiv
et Soumy au nord-est, Kirovohrad au centre, et Kherson au sud. La Crime en
faisait galement partie, ce qui contribue expliquer ladhsion dune partie de la
population son annexion par Moscou. La croyance aux lendemains qui chantent
semble y avoir survcu la chute de lURSS. Toutefois, les scores lectoraux ne
rsultent pas exclusivement de ces ingalits conomiques rgionales : bien que
favoriss, les lecteurs des oblasts de Kiev, Poltava et Tcherkassy votent en
faveur des pro-Occidentaux (majoritaires dans tous les oblasts de louest), tandis
que les dshrits des oblasts de Kherson et de Crime apportent leurs
suffrages aux pro-Russes (majoritaires dans tous les oblasts de lest). Depuis
lindpendance, ces dsquilibres propulsent le thme de la dcentralisation au
cur du dbat politique. La Constitution adopte en 1996, comme celles de 2004
et 2010, a consacr la centralisation de ltat ukrainien. Cela pose la question de
la perception et de la redistribution des impts et des taxes. Les habitants des
rgions relativement prospres de lest, Donetsk et Dnipropetrovsk en tte, se
montrent sensibles la question des transferts, rputs leur tre dfavorables. Le
Parti des Rgions, fond en 1997 et dirig par Viktor Ianoukovitch, prenait la
suite de partis qui militaient en faveur de la dcentralisation et dune plus grande
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souvenir historique et les observateurs seraient bien aviss de noter que cette
anne concide avec le 250e anniversaire de la dcision de la Grande Catherine.
Quelle preuve plus clatante de la renaissance de la puissance russe que la
rintgration de ce territoire dans la Fdration de Russie Vladimir Poutine
pourrait-il administrer urbi et orbi ?
ce litige linguistique sajoutent de fortes tensions religieuses hrites de
lhistoire complexe de la rgion. Hormis quelques communauts juives et les
Tatars de Crime, musulmans sunnites, la plupart des Ukrainiens sont chrtiens
de rite orthodoxe, ce qui explique que la religion, lment de dissociation
essentiel vis--vis des Polonais, des Hongrois ou des Tatars, nait pas jou de rle
dans laffirmation de lidentit ukrainienne face aux Russes. Nanmoins, la
discorde rgne car les uns sont affilis au patriarcat de Moscou, dautres celui
de Kiev et certains font allgeance Rome. Le grand prince de Kiev, Vladimir Ier
Sviatoslavitch, qui convola cette occasion avec la sur de lempereur Basile II,
Anna Porphyrognte, se convertit au christianisme byzantin en 988 et
contraignit ses sujets limiter. Cela lui valut de passer la postrit sous le nom
de Vladimir Ier le Saint. Aprs la disparition de la principaut de Kiev, en 1240,
une grande partie de ses terres et de ses populations passrent progressivement
sous le contrle du grand duch de Lituanie, tandis que le clerg orthodoxe se
tournait vers le patriarcat de Moscou. Or, en 1385, par le trait de Krevo, la
Pologne et la Lituanie sunirent. Cette fusion saccompagna de la conversion au
christianisme romain du souverain du nouvel tat, le prince lituanien Ladislas
Jagellon, qui avait pous la princesse Hedwige, hritire du trne de Pologne.
Louest de lUkraine se polonisant, une partie des habitants se rallirent lglise
dOccident ; mais lest demeura fidle au christianisme byzantin. Toutefois, au
dbut du XVe sicle, lglise orthodoxe dUkraine, qui disposait de sa propre
hirarchie, se dtacha de Moscou. Les rformes religieuses du XVIe sicle se
rpercutrent jusquaux confins europens. La Pologne catholique, plus
troitement lie encore la Lituanie par lUnion de Lublin, conclue en 1569 face
la pousse russe, renfora son emprise sur les rgions ukrainiennes. Elle offrit
la Compagnie de Jsus une base arrire pour mener une activit missionnaire
intense. Celle-ci, conformment la stratgie de conqute des lites mise en
uvre par lordre quavait fond Ignace de Loyola, attira une partie de
laristocratie ukrainienne au catholicisme. Le dsir de prserver leur statut et
leurs biens contribua galement la conversion de ces nobles. Parmi les rsultats
les plus curieux quobtinrent les Jsuites, sinscrit sans conteste lUnion de Brest(Litovsk), conclue en 1596 : le clerg orthodoxe de Galicie reconnut lautorit du
pape, tout en obtenant le droit de conserver sa liturgie de type byzantin. Ainsi
peut-on rsumer loriginalit de luniatisme. Les fidles orthodoxes se
rapprochrent alors de Moscou et demandrent son appui. Cette fracture
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religieuse, est lun des avatars du schisme dOrient intervenu en 1054. Les
Vnitiens instrumentalisrent cette rupture pour pousser les combattants de la
IVe Croisade piller Constantinople en avril 1204. Le pape Innocent III
commena par condamner cet acte barbare, puis chercha en tirer partie pour
latiniser lOrient. Ce projet de runification religieuse sous lautorit de Rome fit
long feu et renfora la dtestation des orthodoxes envers les chrtiens dOccident,
uniates compris (environ 6 millions de fidles, dont lglise fut interdite et
perscute entre 1946 et 1989). Les Polono-Lituaniens catholiques introduisirent
le servage partir du XVIe sicle dans les rgions de louest, ce qui ajouta une
motivation sociale au clivage confessionnel. Quant la sparation entre les
tenants du patriarcat de Moscou (environ 12 500 000 fidles) et ceux du
patriarcat de Kiev (environ 12 500 000 fidles), elle plonge ses racines dans les
alas de lglise orthodoxe des rgions ukrainiennes en proie aux rivalits entre
lensemble polono-lituanien et la Moscovie aprs la destruction de la principaut
de Kiev. Elle resurgit lors de la proclamation de lindpendance du pays, en 1991.
Elle tient autant au nationalisme qu des rivalits personnelles et des litiges
matriels (proprit des biens ecclsiastiques, notamment). Elle alimente les
tensions actuelles, comme on put le constater avec les propos peu amnes
quchangrent les chefs des deux glises la veille de Pques, le 19 avril 2014.
Le patriarche russe Kirill exhorta ses fidles en ces termes : Nous devons
aujourdhui prier pour le peuple russe qui vit en Ukraine, pour que le Seigneur
fasse la paix sur la terre ukrainienne (...), quil mette fin aux desseins de ceux qui
veulent dtruire la sainte Russie . Filaret, le patriarche de Kiev, dclarait pour sa
part : Le pays qui nous avait garanti lintgrit territoriale [accord quadripartite
de Budapest, 1994] a commis une agression. Dieu ne peut pas tre du ct du
mal, cest pour cela que lennemi du peuple ukrainien est condamn lchec .
Lappareil d tat ukrainien est rong par lautoritarisme, la
corruption et des antagonismes personnels qui recoupent souvent
des rivalits dintrts.
De cration rcente (1991), ltat ukrainien est faible, ce qui reflte les lacunes
du mouvement national ukrainien depuis le XIXe sicle : linexprience politique,
lincapacit concevoir des institutions politiques stables, sans oublier le dficit
en cadres qualifis aptes gouverner et administrer un pays. Accapar par des
membres de lex-nomenklatura sovitiques et des oligarques, lappareil d tat est
rong par lautoritarisme, la corruption et des antagonismes personnels qui
recoupent souvent des rivalits dintrts. Il en rsulte latomisation des partis,
une grande instabilit de la vie politique et la cristallisation de vives oppositions
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faisant valoir deux arguments. Dune part, lUkraine actuelle est lhritire de la
principaut de Kiev, entit prospre grce son agriculture et son commerce,
urbanise, anantie en 1240, mais prolonge par le royaume de Galicie (sur le
territoire de la Galicie et de la Volhynie modernes), qui fut largement intgr
lensemble polono-lituanien entre les XIVe et XVIIIe sicles, jouissant dun respect
relatif de ses minorits et du poids des aristocraties locales, avant de subir la
domination russe partir du rgne de Pierre le Grand (1682-1725) et surtout de
Catherine II (1762-1796). Dautre part, la Russie daujourdhui rsulte de
lexpansion de la principaut de Moscou, entit vassale (et initialement fidle) des
Mongols forme au XIIIe sicle par une branche latrale des Riourikides, isole
de lOccident (donc coupe des territoires correspondant lUkraine
contemporaine), rurale, mue en puissance impriale la fin du XVe sicle et
soumise un rgime autocratique depuis le rgne dIvan IV le Terrible (15471584). En ralit, Moscou dut attendre le troisime dmembrement de la Pologne,
en 1795, pour rgner sur lessentiel du territoire aujourdhui ukrainien. Les
habitants furent dsarms, puis soumis au servage et une intense russification.
La Galicie et la Bucovine passrent sous le contrle de lAutriche jusquen 1918.
Cela valut leurs habitants le bnfice dun traitement relativement moins
svre, qui en fit le foyer de la renaissance religieuse (uniate) et culturelle
ukrainienne au XIXe sicle. La politique ouverte laffirmation de lidentit
ukrainienne adopte, pour des raisons tactiques, par le gouvernement bolchevik
dans les annes 1920 fut brutalement interrompue par Staline partir de 1929 et
la rpression, attnue sous Khrouchtchev, reprit sous Brejnev et perdura jusqu
la libralisation gorbatchvienne. Il savre donc impossible dapporter une
conclusion scientifique au dbat, ce qui est le propre des reprsentations
gopolitiques : les brassages humains et les frontires mouvantes ne permettent
pas plus dattribuer avec certitude lUkraine actuelle un pass spcifique quune
communaut plurisculaire de destin avec la Russie. Sans oublier que le concept
de nation et la forme politique dtat-nation sont des notions rcentes (fin du
XVIIIe sicle au plus tt) et que toute lecture de lhistoire antrieure sappuyant
exclusivement sur celles-ci est entache danachronisme : les tats antcdents
taient des tats personnels, regroupant des populations plus ou moins
htrognes sous lautorit dun seul et mme individu, de qui elles tiraient leur
unit.
La mmoire des vnements tragiques survenus au XXe sicle entretient aussi de
profondes fractures. En ordre dispers, les partisans de lindpendance de
lUkraine (parmi lesquels le trs controvers Simon Petlioura), tentrent en vain
et au prix de sanglants affrontements assortis de pogroms, de raliser leur projet
lors de la guerre civile qui dchira lEmpire russe entre 1917 et 1922. lissue,
les Ukrainiens connurent nouveau le partage entre la domination polonaise et la
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(archive.kremlin.ru/eng/speeches/2005/04/25/2031_type70029type82912_87086.s
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(archive.kremlin.ru/eng/speeches
/2007/02/10/0138_type82912type82914type82917type84779_118123.shtml). Les
protestations de bonnes intentions des Occidentaux ne sont pas forcment
prendre pour argent comptant. Lhistoire montre une propension de la
Russie lexpansion, lorsquelle est stable et forte. Tout un courant en
Amrique du Nord et en Europe de lOuest pense quil sagit l de la nature de la
Russie. Par consquent, elle serait voue se montrer expansionniste pour
toujours et il conviendrait de sen prserver. Dans cette perspective, que ses
difficults aient t mises profit pour lentourer prventivement dun rseau
serr dallis ne semble pas totalement invraisemblable. Mais rien ne permet de
lassurer avec certitude, car tous les dirigeants occidentaux ne partagent pas
cette vision de la Russie. En tout cas les largissements successifs de lAlliance
atlantique (1999 : Hongrie, Pologne, Rpublique tchque ; 2004 : Bulgarie,
Roumanie, Slovaquie, Slovnie, Estonie, Lettonie, Lituanie ; 2009 : Albanie,
Croatie) peuvent sinterprter la manire de Vladimir Poutine. Lui-mme est-il
foncirement convaincu de ce quil dit, ou instrumentalise-t-il la situation au profit
de ce quil considre comme lintrt de la Russie ? Sentiment dhumiliation et
peur de lencerclement appartiennent la caisse outils de base de toute analyse
de la politique extrieure de la Russie depuis la fin de la Guerre froide. Quy a-t-il
de fond et quest-ce qui ressortit aux lments de langage dune communication
de dsinformation ? Impossible de le savoir avec prcision, dautant que chacun y
a recours, quil soit favorable ou dfavorable la vision du monde dveloppe par
le Kremlin.
En substituant lorigine ethnique la souverainet et lintgrit
territoriale, le prsident russe agit comme le Fhrer : il rejette des
principes du droit international.
Comparaison nest pas raison et le parallle avec la crise des Sudtes et les
accords de Munich nest pas totalement avr. Certes, Vladimir Poutine, en
parlant de compatriotes russes ayant besoin dtre protgs, rappelle
fcheusement Hitler et ces Volksgenossen ( compatriotes ) quil prtendait
dfendre lorsquil formula ses revendications envers les Sudtes de
Tchcoslovaquie. En substituant lorigine ethnique la souverainet et
lintgrit territoriale, le prsident russe agit comme le Fhrer : il rejette des
principes du droit international. Circonstance aggravante, ces principes sont
consacrs par la Charte des Nations unies, dont la Russie est cense tre lun des
minents garants du fait de sa qualit de membre permanent du Conseil de
scurit. Toutefois, et Moscou ne se fait pas faute de le rappeler, les tats-Unis ne
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surtout lorsque les garants soit ne respectent pas leur parole, soit ne veulent pas
prendre de risque. Moscou se dfausse en usant dune argutie qui ne trompe
personne, mais arrange tout le monde : un nouvel tat est apparu [] avec
lequel nous navons sign aucun accord , dclarrent officiellement les autorits
russes le 4 mars 2014. Ajoutons deux facteurs essentiels qui font que le monde en
2014 nest pas le mme quen 1938 : le droit international est mieux (ou moins
mal, selon les points de vue) respect ; la dtention des armes nuclaires par les
principales puissances modifie les rgles du recours la force.
Comme dhabitude, lUE rplique a minima, sur le plus petit
dnominateur commun
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avoir des relations troites, fondes sur la coopration (Une Europe sre dans
un monde meilleur. Stratgie europenne de scurit, Bruxelles, 12 dcembre
2003 : consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload /031208ESSIIFR.pdf). Avec
lUkraine, on ne saurait tre davantage au cur du sujet. Le ministre russe des
Affaires trangres, Sergue Lavrov cherche discrditer lUE en feignant
dignorer la nature fondamentalement pacifique de la construction europenne.
Ainsi a-t-il accus plusieurs reprises lUE de vouloir tendre sa sphre
dinfluence en orchestrant les manifestations de lopposition au prsident
Ianoukovitch Kiev. Par ailleurs, Moscou sait que lUE, regroupement pour le
moment finalit essentiellement conomique, dpend en partie de la Russie qui
lui fournit une part de ses matires premires nergtiques (avant tout 133
milliards de mtres cubes de gaz qui couvrent 25 % de ses besoins, pour une
facture totale de 35 milliards deuros en 2013), lui achte des produits agricoles
et des biens manufacturs, place une partie de ses capitaux dans certains pays
membres. Pour compliquer encore davantage la situation, certains tats sont plus
engags que dautres. LAllemagne arrive en tte des dpendants (notamment :
achat de gaz, vente de biens manufacturs, y compris des armements, intrts
dans lexploitation des hydrocarbures avec E.ON et BASF), avec le Royaume-Uni
(notamment : la City est la principale place boursire bnficiaire des placements
russes, intrts dans lexploitation des hydrocarbures avec BP) et la France
(notamment : vente de biens manufacturs, y compris des armements comme les
navires de projection et de commandement classe Mistral, intrts dans
lexploitation des hydrocarbures avec Total et GDF-Suez).
En procdant comme elle le fait chaque fois quun problme
scuritaire survient, lUE prend le risque de passer la postrit
comme exemple dun nouvel adage : Si vis bellum, para pacem.
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de vue) sur les tats-Unis, comme ce fut le cas de la majeure partie de ses
membres au temps de la Guerre froide par le biais de lOTAN. Commenons par
rappeler une vidence gographique : la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la
Roumanie, tous membres de lUE et de lAlliance atlantique, ont une frontire
commune avec lUkraine, alors que la cte est des tats-Unis se trouve spare
des rivages europens par plusieurs milliers de kilomtres docan Atlantique.
Les risques induits par la crise ukrainienne ne menacent donc pas directement la
population et le territoire amricains. En outre, les tats-Unis jouissent, pour
linstant, de lautosuffisance nergtique grce aux gaz de schistes et demeurent
peu engags dans les changes commerciaux et financiers avec Moscou. Ils nont
donc gure perdre sur le plan conomique. De plus, la puissance amricaine
surclasse de trs loin la Russie dans tous les domaines, ce qui permet
Washington dapprhender la situation avec srnit sinon indiffrence. Lopinion
publique amricaine manifeste peu dapptence pour les engagements extrieurs
et le prsident, qui, rappelons-le, est avant tout llu du peuple amricain, le sait.
en croire deux sondages rcents, si elle ne nourrit aucune illusion au sujet de la
Russie, lopinion publique, trs partage et aussi trs incertaine quant lattitude
adopter, soutient les seules sanctions conomiques et politiques (Lesley Clark,
U.S. voters agree Putin wont stop at Crimea, but theyre unsure what to do ,
McClatchyDC, April 14, 2014 ; Carol J. Williams, Poll : Americans want more
sanctions on Russia, no arms for Ukraine , The Los Angeles Times, April 28,
2014).
Le calcul russe parat simple : les Occidentaux manquent de
dtermination. [...] Donc, la voie serait libre en Ukraine, ce que
semble confirmer la modration pour ne pas dire labsence de
raction significative aprs lannexion de la Crime.
357
Bref, il ne semble pas assur que Barack Obama soit le prsident faible et indcis
que certains se plaisent portraiturer. Il est peut-tre bien plutt cet animal
politique sang froid qui, dun coup dil trs sr, prend lexacte mesure des
enjeux et des rapports de force. Dans cette perspective, lUkraine pauvre,
dsunie, impuissante et dsarticule, pour laquelle la Russie se discrdite et met
en pril son conomie, ncessite-t-elle plus que des condamnations, des sanctions
conomiques et quelques gesticulations militaires ? La Pologne, vritable tatnation, est un pivot gopolitique europen autrement plus solide :
conomiquement dynamique, politiquement stable et uni, culturellement ancr
dans les valeurs occidentales, intgr dans lAlliance atlantique puis lUE.
Ajoutons que Vladimir Poutine mconnat probablement la culture de guerre de
ladversaire quil mprise. Il tirerait le plus grand profit de la lecture de ce qui
suit : La guerre trangre [] est un choix que lon refuse autant que lon peut,
car la guerre carte de ltat normal de paix, dtourne du bonheur promis
contractuellement lAmricain. On retarde la guerre, on lvite tout en
recherchant les moyens de la gagner sans vraiment la faire [] Mais si on la fait,
on la fait totalement [] lAmrique se veut une force pour le bien, qui, bien que
358
*
PAUVRE UKRAINE, TROP FAIBLE ET TROP PROCHE DE LA RUSSIE
Alors que lUkraine venait de proclamer son indpendance, lun des meilleurs
spcialistes de la rgion, Andreas Kapeller, crivait : Partout en Europe au XIXe
sicle de nombreux groupes ethniques qui navaient pas dtat propre, pas de
structure sociale complte, pas de langue littraire autonome et pas de culture de
grande civilisation sont devenus des nations. Certains comme les Tchques et les
Finlandais ont rapidement et avec succs men bien le processus de
construction nationale, dautres connurent dimportants retards et des rechutes.
Les Ukrainiens appartiennent ce second groupe. Il sensuit quils ne sont pas
encore ce jour solidement intgrs en tant que nation et que souvent ils ne sont
pas considrs comme tels par les trangers (Petite histoire de lUkraine, Paris,
1997, Institut dtudes Slaves, p. 34). En 2014, il ne semble pas ncessaire de
changer un mot de cette analyse et cest pourquoi la Russie semble avoir des
chances raisonnables de russir son entreprise de destruction de lUkraine
indpendante. Mais cela ne se produirait probablement pas sans effusions de
sang : les Ukrainiens sont trop faibles pour prserver leur embryon dtat-nation,
mais leur frange nationaliste extrmiste serait assez dtermine pour mener la
lutte arme, ft-elle dsespre (Petlioura et Bandera en tmoignent). Sil tait
ptri de culture classique et non empreint de celle de la brutalit et de la
manipulation propre aux gubistes de tous les pays, lautocrate russe
saurait que l hybris (cette dmesure qui pousse certains exiger plus
que ce que le destin leur a attribu) signa toujours la perte des humains
359
qui en furent affects. En effet, les dieux dchanent alors contre eux Nmsis,
la desse de la vengeance quitable, celle qui ramne lhumain sa juste place.
La communaut internationale tente tout pour que ce retour au rel se fasse sans
conflit, mais rien nest assur ce stade de la crise. Esprons que, avec lpisode
ukrainien, la prsidence Poutine ne sinscrira pas dans nos livres dhistoire
comme la pire catastrophe gopolitique du dbut du XXIe sicle !
(Manuscrit clos le 30 avril 2014)
Copyright Avril 2014-Gourdin/Diploweb.com
Notes
[1] NDLR : Cependant, lONU na pas reconnu ce rattachement de la Crime
la Russie, aux dpens de lUkraine.
[2] NDLR : Il sagit ici des donnes en dollars. En parit de pouvoir dachat
(PPA) le chiffre est presque doubl.
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L'auteur :
crivain et russophone, Laurent Chamontin est auteur de Lempire sans limites
Pouvoir et socit dans le monde russe (prface dIsabelle Facon, ditions de
lAube, 2014). N en 1964, il est diplm de lEcole Polytechnique. Il a vcu et
voyag dans le monde russe. Pierre Verluise est Directeur du Diploweb.com.
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Le fait que Moscou soit une puissance excentre entretient une inscurit
permanente lie au risque de marginalisation, do une tendance systmatique
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pousser ses pions le plus loin possible. Cest un facteur que lon retrouve dans son
intrt ancien pour les dtroits turcs, comme aujourdhui dans son attitude vis--vis du Japon aux les Kouriles, car celles-ci ferment la mer dOkhotsk ; dans le cas
de lUkraine, il y a les fameux gazoducs, qui transportent 60% du gaz russe
destination de lEurope, et, avec Sbastopol, un accs commode la mer Noire :
autant de raisons dy tre intransigeant.
cette dimension purement gographique se superpose la dimension culturelle.
Vladimir Poutine nest ni Ivan le Terrible, ni Joseph Staline, mais il est lhritier
dune longue tradition daffirmation exclusive de ltat aux dpends de toute
lgitimit alternative, appuye sur lisolation vis--vis de lextrieur permise par
lloignement cest ce que jappelle le vase clos.
Dans ce contexte, les entits frontalires ouvertes sur lEurope sont conues
comme des facteurs de dstabilisation et doivent tre mises au pas. LUkraine,
marque par linfluence polonaise et austro-hongroise, dont les districts
occidentaux ne sont entrs dans la sphre russe quen 1944, est dans ce cas. Cela
peut paratre trange, mais il y a une continuit structurelle profonde entre ses
dboires actuels et lassujettissement de Novgorod par Ivan le Grand et Ivan le
Terrible, aux XVe et XVIe sicles
Il faut noter en loccurrence que le risque de dstabilisation na rien
dimaginaire : avec le compromis boiteux voqu plus haut (un peu de bien-tre
contre la non-ingrence dans le champ politique), une croissance en berne, et les
images des ukrainiens visitant la villa de Yanoukovitch en fuite, il y a de quoi tre
nerveux Lautoritarisme est certes bien accept en Russie, mais nul ne peut dire
ce qui adviendrait si le contrat implicite entre la socit et ltat ntait plus
respect par ce dernier.
Ce que lon voit enfin dans la crise ukrainienne, cest une grande diffrence entre
Russie et Chine : avec Deng Xiaoping, cette dernire a su se rinventer partir de
ses marges les points de contact avec la modernit que sont Hong Kong, Tawan
et la diaspora. La Russie de son ct est en train de choisir le repli sur soi, et sa
rinvention reste des plus hypothtiques.
P. V. : Que rpondez-vous ceux qui jouent la petite musique dune
adhsion de la Russie lUnion europenne ? Seriez-vous favorable un
axe Paris-Berlin-Moscou pour rsister aux tendances hgmoniques des
Etats-Unis ?
L. C. : Si vous le permettez, je vais prendre le temps de rpondre en dtail cette
question dune actualit brlante. Autant le dire tout de suite, je ne vois pas un
seul argument en faveur de ladhsion de la Russie lUnion europenne
366
Le premier terme du problme est lUnion europenne, qui ne peut pas faire
lconomie dune rflexion en profondeur sur ce quelle est. Quand on prend
comme modle le systme amricain, on oublie que dans ce dernier cas ltat
fdral tait prsent ds le dpart, et que sa construction a eu lieu une poque
o la complexit institutionnelle tait incomparablement moindre quaujourdhui.
En Europe, nous sommes loppos : la tentative fdraliste revient, dans un
monde devenu extrmement complexe, btir une superstructure qui coifferait
des tats Nations dont ldification remonte pour certains dentre eux au Xe
sicle.
Do ncessairement un fonctionnement peu lisible, fait de lapplication de
procdures trs sophistiques et parfois trs bloquantes. LEurope est, par
essence, un objet difficile vendre une heure de grande coute.
Ceux qui la construisent sont par ailleurs tents de passer par pertes et profits
leurs particularits nationales pour aboutir une forme de consensus minimum ;
ce qui est vacu ainsi, cest plus quun supplment dme, cest une identit
laquelle peu deuropens pourraient renoncer. La manire dillustrer les billets de
banque fournit un exemple caricatural de ce problme : lEuro est une monnaie
qui affaiblit le sentiment identitaire national sans le remplacer par autre chose.
Il ne sagit pas malgr les apparences dun sujet anecdotique : je renvoie sur ce
point Lillusion conomique dEmmanuel Todd, qui aide comprendre les
difficults de lEurope en insistant sur la varit et la pesanteur du fait
anthropologique.
Ajouter aux problmes de lUE lintgration dun Etat gazier et
ptrolier de 17 millions de km2 ouvert sur les aires turco-persane
et chinoise serait une fuite en avant catastrophique.
Je mentionnerai enfin une question peu visite qui est celle de la diversit
linguistique. Lessence de la politique, cest de parler avec les gens. Il nest pas
imaginable un seul instant quun politicien puisse tablir un contact avec ses
lecteurs en parlant langlais (hors des les britanniques, bien entendu) ou en
recourant un traducteur. Ce simple fait suffit mon sens enterrer lide dun
excutif europen, sauf passer la dmocratie par pertes et profits
Tout ceci pour dire que lEurope est pour linstant un rve fdral profondment
embourb, qui nest pas mme de rpondre aux dfis qui lui sont poss. Parmi
ceux-ci, les ncessits de plus en plus criantes de la diplomatie et de la scurit,
que les crises actuelles dans les mondes russe et arabe, qui sont tous deux nos
367
Ajoutons cela une exprience aussi singulire que la vie en vase clos face un
pouvoir sans contrepoids, qui isole forcment de la culture europenne, et le
climat de renaissance nationale sur fond de rcit dhumiliation qui prvaut
actuellement, et il devient clair que la Russie nest absolument pas soluble dans
une structure supranationale.
Il y a encore la question des valeurs : les rsultats du sondage cit plus haut se
passent de commentaires Et le Kremlin dispose ainsi dune marge de manuvre
inaccessible aux Occidentaux depuis les annes 1960 pour soutenir des rgimes
anti-dmocratiques, laquelle il na aucune raison de renoncer.
Le dernier obstacle est le foss culturel qui existe entre lEurope et la Russie,
dont la crise ukrainienne montre la profondeur : la premire sous-estime
gravement linquitude russe en matire de scurit lie une hypothtique
Ukraine membre de lUE et de lOTAN, la seconde a bien du mal inspirer
confiance, en raison de son caractre agressif et de son rapport au droit
problmatique. Que les deux parties sentendent sur lavenir de lUkraine sera
dj bien assez compliqu : pour ce qui est dun partenariat plus pouss, on verra
un autre jour. En tout cas, je ne vois pas de raison de se couper des tats-Unis :
dans un XXIe sicle dangereux, la relation privilgie avec eux est lun des
meilleurs atouts de lEurope
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L'auteur :
Antoine Arjakovsky est Directeur de recherches au Collge des Bernardins, et
auteur de Russie-Ukraine : de la guerre la paix ? (Paris, Parole et Silence,
2014). Pierre Verluise est Directeur du Diploweb.com, auteur de Gopolitique
des frontires europennes , Paris, Argos, 2013. Egalement disponible en
anglais, The Geopolitics of the European Union Borders, Where should expansion
stop ? Eska, 2014.
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Jinsiste sur le fait que la prise de conscience de cette appartenance un Etatnation bi-culturel sest approfondie pendant les vnements de ces sept derniers
mois. Lors des premiers entretiens que ma accord Arsne Yatsniouk ce
dernier, actuel premier ministre du prsident Petro Porochenko, ne comprenait la
russit de lUkraine orientale que comme une survivance dommageable du pass.
Aujourdhui en soutenant le projet de loi permettant aux rgions qui le veulent
davoir le russe comme deuxime langue officielle il montre quil a volu. Le fait
que des russophones aient donn leur vie au nom de la libert et de la justice sur
Madan, ou encore que des juifs, des Tatars musulmans ou des chrtiens de toutes
les confessions se soient rassembls sur cette mme place de lIndpendance
Kiev pour chanter lhymne ukrainien ont boulevers les reprsentations que les
Ukrainiens avaient deux-mmes. Lune des thses de mon analyse est que les
Ukrainiens exprimentent aujourdhui sur le plan de la constitution de lunit
nationale ce que les Franais ont connu entre 1789 et 1791.
Nous avons pourtant du mal en France comprendre cette bi-nationalit de lEtat
car depuis le roi Franois Ier, et malgr la parenthse de ldit de Nantes, lEtat
franais a voulu identifier le territoire, la langue et la religion catholique puis
laque. De plus les Ukrainiens eux-mmes avaient du mal jusqu prsent nous
expliquer de faon consensuelle qui ils taient ! Mais, comme je lai dit, cette
rvolution de la dignit et la centaine de morts tombs place Madan ont
boulevers le pays. Et nous savons quant nous quil existe dautres modles de
dveloppement des Etats-nations, le Canada tant probablement pour lUkraine le
cas le plus marquant.
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Cette navet a une double cause. Selon moi, les mdias occidentaux ont cru
depuis vingt ans que le communisme stait effondr en Russie, et quen
consquence, linformation en rgime dmocratique devenait ncessairement
objective. Mais ce sont deux mythes ! Le communisme ne sest pas du tout
effondr malgr ce quen disent les diplomates et les politologues patents. Bien
au contraire, le prsident Poutine affirme lui-mme vouloir restaurer une URSS
2.0 . La meilleure preuve de cet attachement au lninisme est que le corps du
fondateur de lUnion sovitique se trouve toujours au Kremlin. Ce nest pas un
hasard non plus que lun des premiers gestes des manifestants Kiev en
dcembre 2013 fut de dboulonner la statue du dictateur russe sur lavenue
centrale de la capitale ukrainienne. Il aurait suffi pourtant que les journalistes et
les experts occidentaux lisent un seul livre dAnna Politkovskaa, la journaliste
russe assassine en 2006, Quai-je fait ? (Paris, Gallimard, 2008), pour
comprendre que le systme dinformation en Russie repose entirement sur les
principes de la propagande et non pas sur ceux de linformation. Mme les
blogueurs sur internet sont aujourdhui pourchasss par le Kremlin. Il faut dire
qu louest, sans que nous ayons la distance suffisante pour ladmettre, notre
information repose galement sur lidologie critique des Lumires, ce qui a le
don dexasprer les lites qui lEst sont pour la plupart devenues anti-modernes.
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que faire ?
A. A. : Pour la raison que je viens dexposer je moppose rsolument la livraison
des deux navires de guerre par la France la Russie. Comment la France en tant
quEtat membre de lOTAN peut-elle la fois cesser toute coopration militaire
avec la Russie comme elle la annonc au mois de mars 2014 et en mme temps
donner la Russie de la corde pour se faire pendre ? Cest juste impensable !
Sans parler du fait que la France a sign le Mmorandum de Budapest en 1994.
La France a donn sa parole dhonneur lUkraine quelle garantirait lintgrit
de ses frontires en contrepartie de sa dnuclarisation. Les diplomates franais
ont beau vouloir minimiser aujourdhui ce document en expliquant quil ne sagit
que de garanties ngatives , ce type de discours est inutile. Car il ne
convaincra personne. De plus il y a des solutions alternatives. LOTAN pourrait
acheter ces navires. Et pourquoi pas avec laide de certaines banques comme la
BNP ? Dans le pire des cas, si le gouvernement franais devait les vendre, il serait
impratif que ne soit pas install le surquipement de pointe de ces navires.
En tous cas jinvite la diplomatie franaise soutenir toutes les initiatives en
faveur dun rglement international du statut de la Crime. Je compte organiser
au mois doctobre 2014 Paris avec lappui de plusieurs institutions une
confrence qui traitera de ce sujet. Et jinvite tous les experts se joindre la
proposition dArsne Yatsniouk qui consiste promouvoir un nouveau
rfrendum en Crime, supervis cette fois par lUkraine et par la communaut
internationale, Russie comprise, qui permettrait aux Crimens de dterminer leur
avenir en toute libert.
P. V. : Pour lvolution venir de lUkraine, quelle diffrence faites-vous
entre la fdralisation (voulue pas V. Poutine) et la dcentralisation
(prfre par le chef du gouvernement A. Yatsniouk) ?
A. A. : Dans un cas (la fdralisation) la Russie demande lUkraine ce quelle
nest pas prte de raliser pour elle-mme, cest--dire une autonomisation de ses
rgions o les gouverneurs pourraient mme avoir une action internationale.
Tandis que dans lautre cas (la dcentralisation) lUkraine propose la formation
dun Etat-nation o le pouvoir ne fonctionnerait pas uniquement du haut vers le
bas, mais aussi de bas en haut puisque les prfets seraient remplacs par les
prsidents des conseils rgionaux.
P. V : Faut-il envisager une forme de finlandisation de lUkraine ?
Quels en seraient les contraintes et les avantages ?
A. A. : La finlandisation de lUkraine a t le modle adopt par la
communaut internationale lors de la signature en 1994 du Mmorandum de
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Budapest par Boris Eltsine, Lonide Koutchma, John Major, Bill Clinton, puis par
Franois Mitterrand et Jiang Zemin. LUkraine ne faisait partie daucune alliance,
devenait neutre et mme renonait, pour la premire fois dans lhistoire, larme
nuclaire. Ce modle a manifestement chou. Jexpose dans mon livre les
alternatives possibles aujourdhui.
P. V. : A long terme, la Russie na-t-elle pas un intrt stratgique se
rapprocher gographiquement de lUE et pouvoir faire plus facilement
des affaires avec lUE, via lUkraine ?
A. A. : Bien sr ! Le mythe eurasiatique na de vrit que dans la mesure o la
Russie se souvient de ses sources europennes.
P. V. : Quel est le vritable objectif de Madan et du gouvernement
Yatsniouk : lassociation ou ladhsion lUE ? Quels seraient les pays de
lUE les plus rservs sur une adhsion de lUkraine lUE ? Quels
seraient les pays les plus favorables ?
A. A. : Aujourdhui il est question dassociation avec lUnion europenne, et cest
dj norme pour les Ukrainiens. Ils ont un grand travail raliser pour parvenir
une association heureuse. Pour lavenir je suis assez favorable aux thses de
Philippe Herzog sur une construction politique europenne plusieurs cercles.
Pour cela il faudrait que nous sortions de notre conceptualisme pseudo universel
et galitariste. La dynamique de la construction europenne se doit de respecter
les espaces-temps de chaque nation.
Elle doit aussi se comprendre comme un change de dons pour tre profitable
tous et chacun. Les Ukrainiens en particulier ont beaucoup apporter
lEurope. Il ne sagit pas seulement dun march de 45 millions dhabitants et du
plus grand pays dEurope en superficie, o de plus tout est construire. Les
Ukrainiens ont aussi une culture trs riche et chez certains un sens de lhumanit
qui est pass par le feu du totalitarisme. Pour linstant les Europens, mins par
une forte vague de scepticisme lgard de la culture politique et conomique
moderne, sont incapables de voir tout ceci. Jespre quavec le temps, et grce
la cration dune multitude de ponts qui vont stablir dans les annes venir,
nous serons en mesure de raliser que ladhsion de lUkraine lUnion
europenne serait une vritable chance pour tous les Europens.
P. V. : Et lOTAN : Nen parlez jamais, y penser toujours ?
A. A. : Je suis personnellement, comme Catherine Durandin, en faveur dune
rforme de lOTAN. Nous entrons aujourdhui dans une priode extrmement
dlicate o on ne pourra plus repousser au lendemain la question dlicate de
lavenir de la scurit europenne.
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Mais il est clair que lattitude du prsident Poutine est aux antipodes de ce quil
faudrait faire pour favoriser de nouveaux rapports de confiance entre les anciens
pays membres du bloc de Varsovie et les pays membres de lOTAN. Aprs
lannexion (provisoire) de la Crime en mars 2014, et la guerre hybride mene
dans le Donbass, de plus en plus dUkrainiens veulent dsormais, tout comme le
gouvernement finlandais, faire partie de lOTAN.
P. V. : Quelles diffrences faites-vous depuis le dernier trimestre 2013
entre lapproche des Etats-Unis et lapproche de lUnion europenne
propos de la crise ukrainienne ? Les rseaux rpublicains nont-ils pas
dans une certaine mesure contribu crer une situation gopolitique qui
a contraint le prsident Obama dmocrate sengager plus quil ne
laurait voulu initialement ?
A. A. : Il y a une grande unanimit chez les Amricains au sujet de lattitude de
fermet adopter lgard de la Russie. Cest ce que je tire de ma lecture de la
presse amricaine ou des dclarations dHillary Clinton qui na pas hsit
comparer Vladimir Poutine envahissant la Crime Adolphe Hitler annexant les
Sudtes. Le prsident Obama na pas besoin des pressions de John MacCain pour
comprendre que Vladimir Poutine a menti par exemple sur les hommes verts de
Crime ou sur lindpendance, affirme par le Kremlin, des terroristes russes de
Sloviansk lgard de la Russie. Cest peut-tre parce que les mdias amricains
comme le Washington Post ou le New York Times sont plus professionnels que les
mdias europens. A moins que ce ne soit en raison de la faible dpendance de
ces mdias amricains lgard des multinationales commerant en Russie ? Je
me rjouis en tous cas que Diploweb.com soit en mesure de faire connatre mes
propres analyses sur ce sujet et vous en remercie.
Copyright Juillet 2014- Arjakovsky-Verluise/Diploweb.com
Plus
Antoine Arjakovsky, Russie - Ukraine. De la guerre la paix ? (Paris,
Parole et Silence, 2014)
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des reprsentations.
[3] NDLR : La collaboration de la hirarchie de lEglise orthodoxe avec lEtat
sovitique ne doit pas faire oublier que des prtres orthodoxes ont t dports
et martyriss au goulag.
Retour au Sommaire
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L'auteur :
crivain et russophone, Laurent Chamontin est auteur de Lempire sans limites
Pouvoir et socit dans le monde russe (prface dIsabelle Facon, ditions de
lAube, 2014). N en 1964, il est diplm de lEcole Polytechnique. Il a vcu et
voyag dans le monde russe.
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Il faut enfin mentionner par exemple dans le cas des gazoducs bilorusses et
ukrainiens le rle crucial des anciennes rpubliques dans le transit des
exportations russes, insparable dune configuration gographique qui fait de la
Russie une puissance continentale excentre.
lissue de ce rapide survol, nous pouvons nous faire une meilleure ide de ce qui
confre son unit ltranger proche : celui-ci apparat comme la zone
dintrts vitaux par excellence de la Russie, une zone dont la cohsion
paradoxale est matrialise par les multiples points dappui que le
Kremlin entretient loin de ses frontires, du Kirghizstan et du Tadjikistan
Kaliningrad, en passant par lArmnie et bien sr la Crime et la Transnistrie.
Il importe ce point de souligner que zone dintrts vitaux et zone
dinfluence exclusive sont deux concepts tout fait diffrents : en pratique,
comme nous lavons dj relev, les influences russes sont loin dtre seules
sexercer dans ltranger proche cest une autre manire de dire que
lURSS a disparu.
De ce fait, si ltat russe, structur partir dun centre isol se projetant dans
toutes les directions, connait un problme trs spcifique de contrle de ses
dbouchs, il ne sensuit pas par exemple que le transit par les gazoducs
ukrainiens doive ncessairement se traduire par lassujettissement de lUkraine.
La source de la crise actuelle nest donc pas tant un suppos
dterminisme gographique que la difficult quil y a dpasser les
antagonismes et tablir avec le Kremlin une relation de confiance dans
ltranger proche. En contrepoint, laccord sign en 1863 par la Belgique et les
Pays-Bas pour assurer laccs au port dAnvers partir de la mer du Nord, accs
qui suppose de transiter par les eaux territoriales nerlandaises, parat bien
relever dune autre sphre culturelle.
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autre que formelle, tant le poids de cette dernire est crasant, surtout si on
pense que la gographie linterpose fatalement entre les autres membres.
Une passion bien russe pour le rang, qui conduit valuer en
permanence lequel est le plus fort .
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Il faut sarrter un peu plus sur cette volont froce de ne pas se laisser voler la
vedette par la rvolution ukrainienne ; celle-ci ne peut en fait se comprendre sans
tenir compte du caractre profondment ambivalent de la population russe vis--vis de ses dirigeants, comme lexplique lun des plus grands sociologues
moscovites [10] : La monte actuelle du patriotisme () ne peut sexpliquer sans
la sensation trs massive dhumiliation, de dpendance vis--vis des autorits,
sans le sentiment permanent de discrimination, dcrasement, darbitraire,
dimpuissance et de haine vis--vis du pouvoir, dirrespect et de haine. Laction
de Moscou en Crime et en Ukraine a fonctionn comme un mcanisme
compensateur. Enfin le pouvoir agissait aux yeux de cette majorit comme il
devait, pas moralement, mais comme il faut, en dfendant les ntres. () Mais il
nest pas possible de construire un systme de gouvernement durable sur cette
base. Aux premiers signes de crise il commencera assez vite se dliter.
On ne saurait mieux mettre en vidence les ressorts internes qui alimentent
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moins long terme sur son mode de vie, dautant que ses dpenses militaires
taient au plus bas et que lOTAN stait judicieusement abstenue dinstaller des
bases aux frontires de la Russie.
La redcouverte, loccasion de la signature dun banal trait
dassociation, dun militarisme que ni Seconde guerre mondiale, ni Guerre
froide nont russi roder nen est que plus brutale et conduit des
ractions excessives de deux sortes. Schmatiquement, il y a dun ct ceux qui
smeuvent lgitimement du rvisionnisme russe en matire de traits, et tendent
un peu vite agiter le spectre des accords de Munich ; ceci ne contribue pas
faire comprendre le contexte dun conflit du XXIe sicle, en vrit trs diffrent
de celui des annes 1930 : une guerre larve certes meurtrire, mais informe
par les impratifs de la comptition mdiatique, de plus limite par la dissuasion
nuclaire et la conscience dinterdpendances fort difficiles remettre en cause ;
on notera ce sujet quaucune coupure de gaz nest intervenue cette date [16],
et que la Russie reste membre du Partenariat pour la paix de lOTAN.
Dun autre ct, certains prennent la dfense de Moscou contre limprialisme
amricain, ce qui satisfait un anti-amricanisme dont J.F. Revel avait explor
les impasses [17], et qui est devenu hors de saison dans le monde multipolaire ;
cette position prsente linconvnient docculter, avec la voix des Ukrainiens, la
question incontournable de la modernisation de lespace post-sovitique.
Cet objectif reste le seul susceptible de fdrer Union europenne, Ukraine et
Russie qui ne reprsenteront ensemble que 8 % de la population mondiale en
2050 [18] et devraient adapter leurs ambitions cet horizon ; du ct de lEurope,
au-del de la diminution de la dpendance vis--vis du gaz russe, la stabilisation
de cet espace, comme dailleurs celle du monde arabe, est une priorit dordre
stratgique, qui mriterait de primer sur la construction dinstitutions
supranationales la lgitimit problmatique.
Copyright Novembre 2014-Chamontin/Diploweb.com
Plus
. La carte La Russie et son "Etranger proche"au format pdf
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L'auteur :
Igor Delano est docteur en histoire moderne et contemporaine de luniversit
Nice-Sophia Antipolis. Ses recherches portent sur les questions de scurit et de
dfense russe, les intrts de la Russie en Mditerrane et au Moyen-Orient, ainsi
que la flotte de guerre russe. Chercheur associ au Harvard Ukrainian Research
Institute (universit de Harvard). Il enseigne actuellement lhistoire au Collge
universitaire franais de Saint-Ptersbourg (Russie).
Gopolitique et gostratgie des relations Russie - Communaut euroatlantique. Alors que les rencontres diplomatiques au plus haut niveau se
succdent, lauteur met la crise en perspective et rflchit une issue. Le
consensus transatlantique et les sanctions nont jusqu prsent permis
aucune avance en vue de rsoudre la crise ukrainienne. Elles ont au
contraire contribu raidir llite politico-militaire russe autour dun
discours nationaliste.
Pour Igor Delano, il convient ainsi de dsidologiser les rapports UERussie, et en ce sens, rengager le dialogue avec Moscou dans le cadre de
lUEE pourrait permettre de rgnrer une relation use par une dcennie
dincomprhension et de mfiance.
LA CRISE ukrainienne marque un tournant dans les relations quentretiennent la
Russie et la communaut euro-atlantique depuis 1991 [1]. La crise ukrainienne a
induit une profonde crise de confiance entre lUnion europenne (UE) et
lOrganisation du Trait de lAtlantique Nord (OTAN) dune part, et la Russie
dautre part, et questionne lavenir de leur partenariat. A lexception du champ de
la coopration scientifique et culturelle, presque tous les autres domaines de
coopration entre Moscou et ses partenaires occidentaux ont t atteints par la
crise : lconomie, avec les sanctions, la coopration militaire, la diplomatie,
rduite ses canaux lmentaires, et mme la coopration en matire de scurit
nuclaire, pourtant une des clefs de votes des relations amricano-russes depuis
la disparition de lURSS [2]. La crise ukrainienne consacre lchec de lintgration
de Moscou dans lespace scuritaire euro-atlantique tout en jetant la lumire sur
395
396
Vladimir Poutine, qui considre que les intrts de la Russie nont pas t
suffisamment pris en compte par la communaut euro-atlantique, place alors son
pays sur une trajectoire indpendante de celle de lOccident, et en 2007, le
prsident russe critique fermement lordre mondial post-Guerre froide dans son
discours, depuis devenu clbre, prononc Munich. Le conflit russo-gorgien
daot 2008 et la crise syrienne qui clate en 2011 constituent encore des
dossiers sur lesquels Russes et Occidentaux entretiennent des approches
divergentes. En 2013, cest encore labsence de dialogue effectif entre Moscou et
Bruxelles combin une approche somme nulle au sujet de lUkraine qui a
conduit une crise grave qui consacre dsormais une forme de schisme russooccidental [6].
La crise ukrainienne consacre en outre lchec dune stratgie
russe qui consistait, dans ses relations avec Bruxelles, privilgier
ses liens avec Paris, Berlin et Rome.
Au terme des annes 2000, le Kremlin a opr un glissement vers une conception
westphalienne de lordre international, fonde sur la non-ingrence dans les
affaires des Etats souverains ainsi que sur lquilibre entre les puissances, tout en
revendiquant une sphre dinfluence dans son tranger-proche , ce que la
communaut euro-atlantique a toujours refus de lui reconnatre [ 7 ]. Ce
glissement a pu dautant plus soprer que vu de Moscou, la Russie semble tre
assimile par Bruxelles et Washington un objet de politique trangre plus qu
un partenaire stratgique avec qui lon traite dgal gal. La crise ukrainienne
consacre en outre lchec dune stratgie russe qui consistait, dans ses relations
avec Bruxelles, privilgier ses liens avec Paris, Berlin et Rome. Conscient des
limites de sa propre puissance, le Kremlin dfend un ordre mondial polycentrique
o il trouverait toute sa place en incarnant une voie alternative, celle de lEurasie,
qui lui permet descamoter lternelle dialectique russe entre lOccident et
lOrient, entre lEurope et lAsie. En ce sens, le projet gopolitique port par
Vladimir Poutine dUnion conomique eurasiatique (UEE), effective
depuis le 1er janvier 2015, vite la Russie dtre satellise par lUE et par la
Chine, tout en offrant Moscou la possibilit de traiter dgal gal avec
Bruxelles et Pkin.
Le sauvetage de lUkraine : une opportunit de coopration
Convaincu davoir perdu lUkraine avec la chute de Viktor Ianoukovitch, Moscou a
procd lannexion de la Crime en mars 2014 : cette annexion constitue un
symptme et non une cause de la crise que traversent les relations russo-
397
occidentales. Il ne faut pour autant pas que les relations entre Moscou et
lOccident se rduisent la crise ukrainienne, et que les sanctions ne deviennent
un outil de politique trangre occidentale vis--vis de la Russie. Le sauvetage de
lUkraine pourrait constituer un champ de coopration entre Russes et
Occidentaux et reprsenter une premire tape vers la reconstruction de leurs
relations.
LUkraine est au bord de la faillite conomique : le PIB y a recul
de 8,2% en 2014, et les prvisions de la Banque Mondiale annonce
encore une rcession -2,3% en 2015
Le temps joue contre lUkraine : les intrts du pays ont depuis longtemps t
sacrifis sur lautel de la bataille gopolitique que se livrent la Russie et la
communaut euro-atlantique [8]. Pour autant, ni lUE, ni le Kremlin, ne peuvent
sauver eux-seuls lUkraine. Le pays est au bord de la faillite conomique : le PIB
y a recul de 8,2% en 2014, et les prvisions de la Banque Mondiale annonce
encore une rcession -2,3% en 2015 [9]. Le Fond montaire international (FMI)
a accord lUkraine au mois davril 2014 une aide financire de $17 milliards,
elle-mme suivie par une aide macrofinancire europenne de 3 milliards, plus
une aide au dveloppement de 8 milliards accorde par diffrentes institutions
de lUE [10]. Toutefois, lentre en vigueur de laccord dassociation conomique
sign en juin 2014 par Kiev et Bruxelles est prvue pour le 31 dcembre
2015 [11], et elle devrait induire des cots de mise en conformit avec les normes
et rglementations europennes que lUkraine ne pourra que trs difficilement
assumer. Les rformes structurelles qui devraient tre entreprises vont accrotre
sensiblement limpopularit du gouvernement ukrainien et celle du prsident
Petro Poroshenko, dj fortement affaibli et attaqu sur son aile droite par les
lments guerriers les plus radicaux qui appellent une victoire complte sur les
sparatistes, et quincarne notamment le premier ministre Arseni Iatseniouk. Le
gouvernement ukrainien n des dcombres de Madan nest ainsi pas labri luimme de faire face un soulvement populaire court ou moyen terme. Au plan
nergtique, un arrangement temporaire a t trouv par Bruxelles, Moscou et
Kiev pour pourvoir lUkraine en gaz jusquau 31 mars 2015. Toutefois, ds le 1er
avril, les tensions risquent de reprendre autour du tarif pay par les Ukrainiens
Gazprom, sans compter que le pays est toujours li jusquen 2019 par un accord
gazier sign en 2009 avec la Russie [12].
398
Toutefois, le dfi le plus dlicat qui attend Kiev est celui de ressusciter le projet
de nation ukrainienne. Cette nation est aujourdhui en train de se construire
contre la Russie, mais Moscou ne constitue pour autant pas le principal obstacle
la ralisation de ce projet. Le dficit dlite politique en Ukraine reprsente en
effet un dfi bien plus srieux. La nomination de ministres dorigine amricaine,
lituanienne et gorgienne dans le second gouvernement Iatseniouk symbolise
lincapacit du pays faire merger une lite politique indigne et non
oligarchique [13]. La confiscation du pouvoir par des oligarques kleptocrates et
corrompus avaient servi de terreaux Madan dont les espoirs ont nanmoins d
tre dus par larrive au pouvoir des nouvelles autorits ukrainiennes. Le
chantier de la cohsion nationale est immense : il sagit de refonder le lien entre
le centre (Kiev) et les priphries (les rgions). La fracture entre lUkraine de
lOuest, nostalgique des annes polonaises (1921-1939), et celle de lEst, ancre
au pass sovitique, est plus grande que jamais [14]. La faiblesse du pouvoir
central ouvre la voie la fodalisation de lUkraine, surtout lEst, o les milices
prives et les bataillons financs par des oligarques se substituent lautorit
publique. Lamnsie autour de la fusillade intervenue sur la place Madan le 20
fvrier 2014, et qui a prcipit la chute de Viktor Ianoukovitch, et autour de
lincendie de la maison des syndicats Odessa au cours duquel quarante
sparatistes ont pri, est porteuse de germes pour de futures dissensions. La
solution de la fdralisation de lUkraine, tant dcrie par lUE et Washington
lt 2014 au prtexte quelle manait de Moscou, apparat pourtant aujourdhui
comme la moins pire des solutions pour tenter de conserver lUkraine
continentale dans ses frontires actuelles.
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401
lon pourra se passer moyen et long terme du gaz naturel russe ou imaginer que
lon pourra le remplacer par le gaz naturel liqufi (GNL) amricain, relve du
mythe [21].
Si Bruxelles et certaines capitales europennes rechignent rouvrir les
discussions avec le Kremlin dans un cadre bilatral, travailler avec lUEE
permettrait en revanche de rouvrir le dialogue avec la Russie dans un
cadre multilatral. Ce serait en outre une reconnaissance explicite par lUE de
la capacit de la Russie disposer de son propre mcanisme dintgration
rgionale, et donc de transcender le jeu somme nulle qui a jusqu prsent
prvalu dans les relations UE-Russie [22]. En matire scuritaire, labsence dune
architecture de scurit europano-russe entretient une forme de logique de
confrontations, dont le dossier le plus emblmatique demeure celui du bouclier
anti-missiles de lOTAN (BMD). Le BMD dont des lments de dtections sont
dploys en Turquie et dont les lments intercepteurs sont en cours de
dploiement en Roumanie, continue dtre peru par Moscou comme un projet
qui compromet la crdibilit de ses propre forces stratgiques. La cration dun
centre de coopration conjoint pour la dfense anti-missile, mis en uvre par des
spcialistes otaniens et russes, o les donnes dalerte avance pourraient tre
partages, pourrait contribuer diminuer sensiblement les tensions sur ce
dossier. En outre, Moscou et la communaut euro-atlantique disposent dune srie
dintrts scuritaires convergents : la gestion de lAfghanistan post-2014, la lutte
contre le terrorisme international, la lutte contre la prolifration des armes de
destruction massive et de leurs composants, les questions de dsarmement, la
lutte contre les trafics illicites internationaux.
Conclusion
Si les relations entre Moscou et la communaut euro-atlantique ne doivent se
rduire la crise ukrainienne, il apparat cependant difficile de refonder une
relation de confiance en labsence de rsolution de ce conflit. Le chantier de la
refondation des liens entre la communaut euro-atlantique et la Russie parat
cependant trs vaste tant la dfiance est aujourdhui grande. Et pourtant, Russes
et Europens ont plus perdre qu gagner saffronter sur lUkraine. Oser de
nouvelles propositions qui ne soient pas le plus petit dnominateur commun aux
Europens et aux Amricains pour sortir de limpasse ne signifie pas rompre la
solidarit occidentale. Le consensus transatlantique et les sanctions nont jusqu
prsent permis aucune avance en vue de rsoudre la crise ; elles ont au
contraire contribu raidir llite politico-militaire russe autour dun discours
nationaliste. Il convient ainsi de dsidologiser les rapports UE-Russie, et en ce
sens, rengager le dialogue avec Moscou dans le cadre de lUEE pourrait
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403
[12] Aux termes de cet accord, Kiev sest engag jusquen 2019 acheter
annuellement 52 milliards de mtres cube (mmc) de gaz naturel un prix alors
fix $500 pour 1 000 mtres cube. Cet accord est assorti dune clause selon
laquelle lUkraine paye pour le volume, quelle le consomme ou non ; il sagit
de la clause take it or pay for it anyway . Kiev dispose dune marge de
manuvre de lordre de 20%, et sest donc engage acheter Gazprom au
minimum 41,6 mmc par an. Gazprom insists Ukraine pay for 80% of
contracted gas, Ria Novosti, 12 janvier 2012.
[13] Lamricaine dorigine ukrainienne Natalie Ann Jaresko a t nomme
ministre des Finances. Alexandre Kvitachvili, gorgien dorigine ukrainienne, a
t nomm ministre de la Sant. Enfin, Aivaras Abromaviius, lituanien
dorigine ukrainienne, a reu le portefeuille de ministre de lEconomie et du
Commerce.
[14] Philippe Moreau Defarges, Sparatismes europens, collusion et/ou
collision, in Thierry de Montbrial et Philippe Moreau Defarges, Ramses 2015,
Paris, Dunod, Ifri, 2014, p. 214.
[15] Dominik Tolksdorf, Le Partenariat Oriental de lUnion europenne , in
Thierry de Montbrial et Philippe Moreau Defarges, Ramses 2015, op. cit., p.
222.
[16] Abolition des visas Moscou prt reprendre le dialogue avec lUE , Ria
Novosti, 15 janvier 2015.
[17] Disquiet in Baltics over sympathies of Russian speakers, Reuters, 23
mars 2014.
[18] Ivan Krastev, Mark Leonard, The New European Disorder , European
Council on Foreign Relations, n 117, novembre 2014, p. 6.
[19] Igor S. Ivanov (Ed.), Perspectives and Challenges for Building Greater
Europe, Russian International Affairs Council, Moscou, Spetzkniga, 2014, p.15.
[20] Marie-Claire Aoun, La Russie et lUnion europenne. Y a til encore un
avenir pour un partenariat nergtique ?, in Thierry de Montbrial et Philippe
Moreau Defarges, Ramses 2015, op. cit., pp. 136-137.
[21] Voir sur le GNL, Leonardo Maugeri, Falling Short : a Reality Check for
Global LNG Exports , Discussion Paper, Harvard Belfer center for Science and
International Affairs, n 11, dcembre 2014, 44 pages.
[22] Ivan Krastev, Mark Leonard, The New European Disorder , art. cit., p.
7.
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404
L'auteur :
Julien Vercueil est matre de confrences de sciences conomiques lInstitut
National des Langues et Civilisations Orientales de Paris (INALCO) o il enseigne
lconomie des tats post sovitiques. Il est directeur de recherches au Centre de
Recherches Europes Eurasie de linstitut et rdacteur en chef adjoint de la
Revue de la Rgulation .
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La situation gopolitique
Deuxime paramtre fondamental pour la situation macroconomique de la
Russie, la situation gopolitique est tout aussi impossible prdire. La complexit
des interactions entre lvolution de la situation sur le terrain et le cours des
ngociations entre chancelleries est telle que, pas plus que pour les cours du
ptrole, il nest raisonnable de se prononcer sur des probabilits associes tel
ou tel scnario. Dans une tude publie lautomne 2014, nous avons simul les
effets sur lconomie russe de lvolution de la situation gopolitique au travers
de trois scnarios de base (scnario 1 : apaisement militaire obtenu par la
ngociation et louverture de portes de sorties diplomatiques aux belligrants,
dcrue progressive des tensions entre la Russie et les pays de lOCDE ; scnario
2 : enlisement de la situation actuelle, sans dgradation militaire marque
ouvrant la voie de nouvelles mesures diplomatiques ; scnario 3 : nouvelles
dflagrations militaires provoquant un regain de tensions diplomatiques et des
mesures de rtorsions de type conomique entre les pays concerns). A prix du
ptrole constants - et levs par rapport la situation prvalant dbut 2015 -, ces
scnarios se traduisaient par des carts de croissance du PIB sur 2015 de 6 % (3 % +3 %) entre les deux scnarios extrmes [7].
Mais ces simulations ne tenaient pas compte de la chute des prix des
hydrocarbures, intervenue par la suite et de celle, corrlative, du taux de change
du rouble. Compte tenu de ces deux vnements, de leur impact
macroconomique et des corrections de politique conomique quils induiront en
2015, les estimations prcdentes doivent tre corriges la baisse. La
dgradation du moral des mnages russes, mesure par les enqutes rcente de
Rosstat [8], montre dores et dj une situation proche de celle de 2008-2009. Il
devient impratif de restaurer un climat de confiance dans lconomie, pour viter
une priode prolonge de dpression conomique qui aurait des effets sociaux et
politiques dltres. Les conseillers conomiques de Vladimir Poutine en sont
dsormais conscients.
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[9] NDLR : on pourrait aussi parler dun refus de signer lAccord dAssociation
avec lUE.
[10] TRACECA : Transport Corridor Europe-Caucase-Asie ; CAREC : Central
Asia Regional Economic Cooperation.
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414
L'auteur :
crivain et russophone, Laurent Chamontin est auteur de Lempire sans limites
Pouvoir et socit dans le monde russe (prface dIsabelle Facon, ditions de
lAube, 2014). N en 1964, il est diplm de lEcole Polytechnique. Il a vcu et
voyag dans le monde russe.
415
problmatique...
Si nous considrons dabord le processus de modernisation, nous voyons tout de
suite les problmes que les pouvoirs russes de toutes les poques doivent
affronter. Il sagit pour lessentiel du faible niveau de linitiative prive, des dfis
lis limmensit du pays, et de la relative inefficacit de ltat, en lien avec le
manque de contrle social sur celui-ci.
Il est intressant de noter en premier lieu, que lespace russe est capable de
freiner significativement, voire danantir, nimporte quelle initiative humaine ;
par ailleurs, quil isole la socit russe du reste du Monde, et en particulier de
cette source dinspiration quest lEurope pour la Russie. En outre, il permet par
l-mme la Russie de dvelopper des formes de pouvoir trs spcifiques et non
europennes. Enfin les dimensions de cet espace peuvent favoriser lillusion de
ressources illimites quil est donc possible dutiliser sans parcimonie.
La Russie fait face sur le long terme des problmes de
dynamisme conomique. Sans parler dune inquitante dynamique
dmographique, marque par le dpeuplement et le vieillissement.
Il rsulte de tout ceci que la Russie fait face sur le long terme des problmes de
dynamisme conomique. Il faut ici considrer le taux de croissance et la
population des autres zones du Monde : on voit alors que mcaniquement, quel
que soit le rgime politique en Russie, elle se trouve dans une situation de plus en
plus inconfortable dans la comptition mondiale (ce quau passage on peut
galement dire de lEurope).
La question suivante, bien sr, est de savoir si les conditions actuelles permettent
dlaborer et de dployer une stratgie pour rduire linfluence de ces facteurs
ngatifs et cest peu de dire que les raisons de rpondre par laffirmative sont
peu nombreuses. En effet, au long de lHistoire, la Russie a montr avec
constance son aversion pour la sparation des pouvoirs. Par consquent, le
rgime actuel a bien du mal se reconnatre des obligations vis--vis de la
socit, mme sil nest pas possible de lui appliquer le qualificatif totalitaire .
De ce fait, sa lgitimit dpend dangereusement du paiement des prestations
sociales ; on peut dire que les russes tolrent leur tat inefficace une seule
condition : quil garantisse au minimum le paiement de ces prestations.
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nen pas douter, ce dficit de lgitimit est lune des causes essentielles de la
tentative de diversion politique laquelle nous assistons actuellement.
Dire cela, ce nest pas ignorer les facteurs gopolitiques : il faut bien reconnatre
queuropens comme amricains nont pas agi trs adroitement vis--vis de la
Russie, et que pour le moins ils ne ses sont pas suffisamment intresss la
spcificit russe.
Mais il ne faut pas exagrer limportance de cet aspect des choses ; encore une
fois, la cause fondamentale de laventurisme actuel est ailleurs : ltat russe
cherche dans la dmonstration militaire une alternative un dficit de
lgitimit fonctionnelle que les tentatives de rforme en Ukraine soulignent
dangereusement.
Tout le problme vient de ce que cette habile diversion rencontre une rsonance
trs forte dans le public russe. En effet, en liaison avec lhritage du pass, la
capacit de la socit lautocritique est trs limite. En outre, il faut bien
reconnatre que la majorit des russes considrent le rsultat de la Guerre froide
comme une humiliation, l mme o les autres peuples dEurope de lEst y voient
une libration.
Qui peut conduire la Russie sur le chemin de la modernisation ?
Voil la vritable question.
417
discerner
Ceux qui travaillent dans lespace post-sovitique savent quil y a une diffrence
de mentalit trs nette entre ceux qui taient dj adultes la chute de lURSS et
les plus jeunes.
Peut-tre une rorientation sera-t-elle possible, quand les premiers partiront en
retraite, en pratique dans une dizaine dannes. Mais ce nest quune hypothse :
malgr cette diffrence de mentalit, personne sans doute ne peut prdire quelles
seront les consquences long terme du lavage de cerveaux par la propagande
gouvernementale actuellement en cours.
Sauf erreur, il faut aussi mentionner labsence au sein des lites russes dune
faction pragmatique qui pourrait prparer un changement de politique. Il est
difficile de dire si les dirigeants russes ne peuvent ou ne veulent engager des
rformes probablement les deux hypothses sont-elles fondes quelque degr.
Mais une chose est sre : que le concept des obligations sociales de ltat,
qui existe en Chine depuis lAntiquit, est pratiquement absent dans la
tradition russe ; ceci, videmment, ne favorise pas lmergence dun tel courant.
Le temps est le dernier facteur de complexification de la situation que nous
voquerons ; comme chacun sait, la modernisation requiert de garantir des
conditions stables durant une longue priode. De ce point de vue, la situation de
la Russie de Vladimir Poutine ne peut pas tre considre comme brillante.
Qui peut croire une modernisation conomique et politique de la
Russie brve chance ?
418
Conclusion
Quoi quil en soit, lEurope et lUkraine doivent accepter comme un fait leur
divorce durable davec la Russie ; la fermet doit rester la base de leur attitude
dans les relations avec celle-ci, bien quil faille en mme temps sefforcer de
soutenir lmergence dun courant pragmatique Moscou.
Copyright Octobre 2015-Chamontin/Diploweb.com
Traduction de lallocution prononce en russe le 10 septembre 2015 au XXVe
Economic Forum de Krynica-Zdrj (Pologne), dont L. Chamontin remercie ici les
organisateurs.
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419
L'auteur :
Enseignent Sciences-Po et co-dirigent le site EurAsia Prospective
https://eurasiaprospective.wordpress.com. Cyrille Bret anime le compte twitter
@cy_bret.
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demande globale.
424
dgrade
Le PIB a stagn en 2014 (+0,6%) et sest contract de -3,8% en 2015. Aprs avoir
t difficilement jugule durant les annes 2000, linflation est repartie la
hausse en 2014 (+7,8%) et 2015 (15,8%). De mme, le taux de chmage est
reparti la hausse et a cr plus de 8% en 2015. Le rouble sest dprci et a
fait lobjet dattaque rptes en raison de la fuite des capitaux depuis 2014 (128
Mds US$ ont quitt le pays en 2014). En particulier, le 16 dcembre 2014, le
rouble a perdu 20% face au dollar et la bourse de Moscou a subi un mini-krach en
perdant 17% de sa capitalisation en un jour. La banque centrale relve alors ses
taux directeurs mais dcourage ainsi linvestissement domestique. Elle ne peut
mener de front trois objectifs : dfendre le rouble pour soulager le poids des
dettes libelles en devises, juguler linflation et favoriser linvestissement.
Les causes de cette dgradation sont de plusieurs ordres.
La baisse des cours des hydrocarbures dabord : suite aux dcisions de
lOPEP, les cours du ptrole ont t diviss par 3 de 2014 2015 : mi 2014, le
baril de brent tait 120 US$ ; fin 2015, il est 40 US$. Or budget et
perspectives de croissance pour 2015 et 2016 taient bties sur un cours 100
US$ le baril comme la rappel le prsident Poutine le 17 dcembre 2015 lors de
sa confrence de presse internationale.
Le cycle des sanctions et contre-sanctions europennes et russes ensuite : les
sanctions europennes privent la Russie dafflux de capitaux dont le pays a un
besoin vital ; les contre-sanctions ou embargo suscitent une reprise de linflation.
Enfin, les fuites de capitaux privent lconomie dinvestissements et
affaiblissent la devise nationale en dgradant la balance des paiements courants.
Les consquences sur les finances publiques russes sont sensibles. Le dficit
public sest creus en 2015 de -4,5% aprs des annes dexcdent ou de stabilit.
Certes, la dette publique est reste contenue mais les dpenses sociales sont
dynamiques. Si ltat central souffre encore peu des dficits rcents, les
collectivits locales ont le plus grand mal se financer en raison dun effet de
ciseau entre, dune part, laugmentation des dpenses sociales et, dautre part, le
renchrissement du crdit. La conjoncture rcente (2014-2015) na pas entran
la ruine de lconomie russe. Mais elle a soulign de nouveau (aprs 1998 et
2009) les fragilits structurelles de lconomie : dpendance lgard des
exportations nergtiques, non reconversion de son appareil industriel et
agricole, instabilit montaire, inflation endmique, fuite des capitaux, sousdveloppement financier.
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Notes
[1] Pour une analyse de cette confrence de presse, cf. Cyrille BRET, Poutine,
lanti-Eltsine ? , 22 dcembre 2014 https://eurasiaprospective.wordpres...
[2] NDLR : Cette formulation ne reconnat nullement lannexion de la Crime
la Russie.
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L'auteur :
Charlotte Bezamat-Mantes est Doctorante lInstitut Franais de Gopolitique
(Universit Paris 8) et Rdactrice-Cartographe pour Diploweb.com. Pierre
Verluise, Docteur en Gopolitique, Directeur du Diploweb.com, co-auteur de
Gopolitique de lEurope. De lAtlantique lOural, Presses Universitaires de
France.
Par convention lEurope gographique stend jusqu lOural, incluant donc une
partie de la Russie, elle mme divise entre lEurope gographique et lAsie.
Cependant lautorit politique de Moscou stend sur lensemble de son territoire.
LUnion europenne stend sur la partie occidentale du continent. Les alliances
et les politiques des uns et des autres dessinent leurs relations avec leur
voisinage comme avec dautres parties du monde.
Un quart de sicle aprs la fin de la Guerre froide, lEurope gographique est-elle
unie ou divise face au monde ? Toute lambiguit du mot "Europe" [1] clate au
grand jour au vu de la carte jointe. Divise lpoque de la Guerre froide (I),
lEurope gographique post-Guerre froide reste polarise... (II) et divise sur bien
des dossiers (III).
Notes
[1] Cest pourquoi il convient de distinguer dun ct lEurope gographique et
de lautre ct lUnion europenne.
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