Statut Semiologique Du Personnage

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Philippe Hamon

Pour un statut smiologique du personnage


In: Littrature, N6, 1972. Littrature. Mai 1972. pp. 86-110.

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Hamon Philippe. Pour un statut smiologique du personnage. In: Littrature, N6, 1972. Littrature. Mai 1972. pp. 86-110.
doi : 10.3406/litt.1972.1957
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1972_num_6_2_1957

Philippe Hamon, Rennes.

POUR

UN

STATUT SMIOLOGIQUE DU

PERSONNAGE

t Superstitions littraires j'appelle ainsi toutes


croyances qui ont de commun l'oubli de la condition
verbale de la littrature. Ainsi existence et psychologie
des personnages, ces vivants sans entrailles.
P. Valry, Tel Quel.

Que le personnage soit de roman, d'pope, de thtre ou de pome, le


problme des modalits de son analyse et de son statut constitue l'un des
points de fixation traditionnel de la critique (ancienne et nouvelle) et
de toute thorie de la littrature. Autour de ce lieu stratgique la rhtorique
classique enregistrait comme units autonomes (non-tropes) des figures
ou des genres comme le portrait, le blason, l'allgorie, la prosopope, l'thope, etc., sans d'ailleurs les distinguer ou les dfinir avec prcision. La
recherche des cls (qui est Irne, qui est Phdon?) ou des sources
(quel fut le modle de la Nana de Zola?) reste vivace, et les typologies les
plus labores sont souvent fondes sur une thorie du personnage (hros
problmatique ou non, d'identification ou de compensation, etc). La
vogue d'une critique psychanalytique plus ou moins empiriquement mene
contribue faire de ce problme du personnage un objet d'tude tellement
survaloris (aide en cela par les dclarations de paternit, glorieuses ou
douloureuses, toujours narcissiques, des romanciers eux-mmes eux aussi
fixs sur ce lieu) que l'on peut se demander si cette polarisation
privilgie n'est pas une consquence fatale de l'idologie humaniste et
romantique des analystes qui lisent et construisent leur objet leur image x.
On est en effet frapp de voir tant d'analyses, qui tentent de mettre souvent
en uvre une dmarche ou une mthodologie exigeante, venir buter,
s'enferrer sur ce problme du personnage et y abdiquer toute rigueur pour
recourir au psychologisme le plus banal (Julien Sorel est-il hypocrite?
1. Le topos le plus connu est certainement celui du personnage qui prend
une vie de plus en plus autonome, qui se dtache de plus en plus de son crateurdmiurge. Voir Balzac appelant Bianchon, etc. D'o les ractions de certaines coles,
de Zola contre Stendhal et les excs psychologisants des stendhaliens, ou du Nouveau
Roman inaugurant l're du soupon par un refus du personnage traditionnel profond
au profit de figures plates d'un jeu de cartes (Robbe-Grillet). Pour un point de vue
classique sur la question, on peut lire si l'on veut : le Romancier et ses personnages,
de Franois Mauriac, avec une prface d'Edmond Jaloux (Buchet-Chastel 1933).
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Quelle part en incombe l'poque, quelle part son propre projet, quelle
part au sminaire? Comment expliquer le coup de pistolet sur Mme de Rnal?
On nage en pleine plaidoirie judiciaire, exactement comme si on parlait
d'tre vivants dont il faut justifier une conduite incohrente) 2. Une des
premires tches d'une thorie littraire rigoureuse ( fonctionnelle et
immanente pour reprendre des termes imposs par les formalistes russes)
serait donc, sans vouloir pour cela remplacer les approches traditionnelles
de la question (priorit n'est pas primaut), de faire prcder toute exgse
ou tout commentaire d'un stade descriptif qui se dplacerait l'intrieur
d'une stricte problmatique smiologique (ou smiotique, comme on
voudra). Mais considrer a priori le personnage comme un signe, c'est--dire
choisir un point de vue qui construit cet objet en l'intgrant au message
dfini lui-mme comme compos de signes linguistiques (au lieu de
l'accepter comme donn par une tradition critique et par une culture centre sur
la notion de personne humaine), cela impliquera que l'analyse reste
homogne son projet et accepte toutes les consquences mthodologiques
qu'il implique. Il est notamment probable qu'une smiologie du personnage
pousera les problmes et les limites actuelles de la smiologie (tout court) :
cette smiologie est en effet en cours de constitution et commence
seulement jeter les bases d'une thorie de l'agencement discursif du sens
l'intrieur des noncs, thorie du rcit ou linguistique du discours 3. Enfin,
il ne faut pas oublier que cette notion de personnage :
a) n'est pas une notion exclusivement littraire : le problme de la
littralit de la question (fonctionnement en nonc d'une unit
particulire appele personnage , problme, si l'on veut, de grammaire
textuelle ) doit tre prioritaire celui de sa littrarit (critres culturels et
esthtiques); par exemple le prsident-directeur-gnral, la socit anonyme,
le lgislateur, le mandat, le dividende sont les personnages plus ou moins
anthropomorphes et figuratifs mis en scne par le texte de la loi sur les
socits 4; de mme l'uf, la farine, le beurre, le gaz sont les personnages
2. Selon Roland Barthes (l'Empire des signes, Genve, Skira, 1970, p. 15-16),
les Japonais seraient l'abri de cette illusion rfrentielle : Comme beaucoup de
langues, le japonais distingue l'anim (humain et/ou animal) de l'inanim, notamment
au niveau de ses verbes tre; or, les personnages fictifs qui sont introduits dans une
histoire (du genre : il tait une fois un roi) sont affects de la marque de l'inanim;
alors que tout notre art s'essouffle dcrter la " vie ", la " ralit " des tres
romanesques, la structure mme du japonais ramne ou retient ces tres dans leurs qualits
de " produits ", de signes coups de l'alibi rfrentiel par excellence : celui de la chose
vivante.
3. Au sujet de la smiologie, voir les lignes inaugurales et connues de Saussure
(Cours de linguistique gnrale, Payot, 1965, p. 33, 100, 101). Dans un important article
(Semiotica, Mouton, La Haye, 1969, I, 1 et I, 2) intitul Smiologie de la langue,
E. Benveniste dfinit deux modes de signifiance : celui propre au signe (smiotique)
et celui propre au discours (smantique), chacun manipulant ses units spcifiques.
Nous reprendrons ici cette terminologie. Le travail thorique le plus considrable est
certainement, l'heure actuelle (1971), celui d'A.-J. Greimas (Du sens, Paris, d.
du Seuil).
4. Voir Analyse smiotique d'un discours juridique, par un groupe de travail
dirig par A.-J. Greimas (Documents de travail et prpublications du C.I.S.L. d'Urbino,
n 7, srie C, aot 1971, Urbino). Propp, dans sa Morphologie du conte (Paris, d.
du Seuil, 1970, p. 100) avait galement not que des objets et des qualits taient
des personnages part entire : Les tres vivants, les objets et les qualits doivent
tre considrs comme des valeurs quivalentes du point de vue d'une morphologie
fonde sur les fonctions de personnages. Ceci ne nous empchera pas, pour des raisons
de commodit, de prendre dans les lignes qui suivent nos exemples presque
exclusivement dans le champ de la littrature et de l'anthropomorphis.
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mis en scne par le texte de la recette de cuisine; de mme le microbe, le


virus, le globule, l'organe, sont les personnages du texte qui narrent le
processus volutif d'une maladie;
b) n'est pas li un systme smiotique exclusif : le mime, le thtre,
le film, le rituel, la bande dessine, mettent en scne des personnages .
Une mise au point s'impose donc en ce domaine pour regrouper et
homogniser sur des donnes smiologiques une srie d'analyses diverses
dj labores mais souvent disperses (mthodologiquement et thmatiquement).

Peut-tre est-il bon de rappeler, pour localiser et ne pas mconnatre un


certain nombre de problmes importants, deux ou trois principes gnraux;
pour que l'tude d'un phnomne relve d'une smiologie, il faut que celui-ci :
a) entre dans un processus intentionnel de communication,
b) manipule un petit nombre (fini) d'units distinctives, de
signes (un lexique),
c) dont les modalits d'assemblage et de combinaison soient
dfinies par un petit nombre (fini) de rgles (une syntaxe),
d ) indpendamment de l'infinit et de la complexit des messages
produits ou productives 5.
Une langue (naturelle ou artificielle) rpond ces quatre conditions.
Cependant, on le sait, la linguistique (linguistique du signe, au sens restreint)
dfinit et manipule des units de dimensions rduites (traits pertinents,
phonmes, morphmes, syntagmes...) alors qu'une thorie du personnage
(intgre au sein d'une linguistique du discours), devra sans doute
laborer, en plus, d'autres types d'units (squence, syntagme narratif, texte,
actant...) 6. D'autre part, il n'est pas certain que le projet communicatif,
surtout dans bon nombre de textes modernes, soit la condition
ncessaire et suffisante de la dfinition d'un champ d'tude smiologique; dans
ces c textes l'expression peut l'emporter sur la communication,
l'idiomatique sur l'informatif, et la participation ludique sur la transmission
d'un signifi (d'o la question : tout phnomne culturel peinture,
mode... relve-t-il de la smiologie?). Enfin la grande diffrence qui
existe entre un domaine comme la littrature (qui aussi, manipule des
personnages) et un domaine smiologique, c'est que, comme le note K. Togeby
(et outre le fait que des pratiques spcifiques comme la commutation y
sont impraticables) code et message, dans le cas de l'uvre littraire,
concident : chaque uvre-occurrence possde son code original propre,
5. Ces quatre prsupposs ont t exposs trs clairement par E. Benveniste
dans son article Smiologie de la langue (art. cit.).
6. D'o la distinction qui s'impose de plus en plus entre signe et discours (ou
texte, ou nonc) : Le smiotique (le signe) doit tre reconnu; le smantique (le
discours) doit tre compris (E. Benveniste, art. cit., p. 134). Roland Barthes dfinit
ainsi le Texte : Toute tendue finie de parole, unifie du point de vue du contenu,
mise et structure des fins de communication secondaire, culturalise par des facteurs
autres que ceux de la langue (article : La linguistique du discours , in volume
collectif : Signe, langage, culture, La Haye, Mouton, 1970). Une translinguistique se
rfrera donc avec prdilection aux linguistes qui, comme Hjelmslev ou Harris, n'ont
pas voulu fixer de limites troites, a priori, la linguistique, et ont reconnu le texte
comme une unit spcifique.
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sa propre grammaire qui rgit la combinabilit d'units pourvues de


dimensions et de valeurs spcifiques 7.
Tout cela risque de compliquer l'extrme, il serait inutile de le nier,
la dlimitation d'un champ spcifique (smiologique) de l'tude du
personnage. Entre autres choses, cela pose le problme de la distinction d'un
champ stylistique (ou rhtorique, ou de parole ) qui serait exclu de
l'analyse. Mais comment distinguer ce qui ressort de la littrarit et de la
littralit du personnage ; d'un fonctionnement en uvre et d'un
fonctionnement en texte ?
Faudra-t-il par exemple distinguer un personnage-signe (/Napolon/,
enregistr dans le dictionnaire), un personnage-en-nonc non littraire
(/Napolon/ et ses substituts, dans une conversation, dans un manuel
d'histoire, ou dans un article de journal), un personnage-en-nonclittraire (/Napolon/ dans Guerre et paix?)
On peut prvoir qu'il faudra sans doute distinguer plusieurs domaines
diffrents et plusieurs niveaux d'analyse.

Un de ces domaines sera vraisemblablement celui du hros . Quel


est le hros d'un rcit? Peut-on parler de hros mme en cas d'nonc non
littraire? Quels sont les critres qui diffrencient le hros du tratre ,
du faux-hros (Propp), ou des personnages secondaires? Une smiologie
stricto sensu (fonctionnelle et immanente son objet) pourra ne pas se
sentir concerne par ce problme. Il s'agit l en effet d'un problme
d'emphase, de focalisation, de modalisation de l'nonc par des facteurs
particuliers qui mettent l'accent sur tel ou tel personnage l'aide de divers
procds. Soit la phrase :
C'est Pierre, oui c'est Pierre lui-mme que Paul a vu hier en passant.
Ces procds peuvent tre tactiques (antposition du G.O.D.),
quantitatifs (rptition du nom propre), graphiques (nom propre soulign),
morphologiques (c'est... que/lui-mme) ou prosodiques (accent d'insistance, hauteur,
intensit). Il s'agit donc de procds essentiellement stylistiques lis au
type de vecteur utilis 8. Cette accentuation, en ce qui concerne le personnage,
sera, de plus, plus ou moins pr-dtermine par une srie de codes culturels,
7. Voir K. Togeby, article Littrature et linguistique , in Revue Romane, n 2
numro spcial (Akadmisk Forlag, Copenhague, 1968). Voir aussi E. Benveniste,
(art. cit., p. 129) : On peut distinguer les systmes o la signiflance est imprime
par l'auteur l'uvre, et les systmes o la signiflance est exprime par les lments
premiers l'tat isol, indpendamment des liaisons qu'ils peuvent contracter. Dans
les premiers, la signiflance se dgage des relations qui organisent un monde clos, dans
les seconds elle est inhrente aux signes eux-mmes. Une uvre littraire est donc
plusieurs fois code : en tant que langue; en tant qu'uvre; en tant que littrature.
8. La peinture pourra laborer des procds similaires ou originaux, tous fortement
culturaliss, pour accentuer un personnage au dtriment d'autres : situation en premier
plan (vs situation l'arrire-plan), grandeur (vs petitesse), couleurs chaudes (vs couleurs
froides), cerne (vs flou), multiplication (vs unicit d'apparition; voir, par exemple,
les scnes narratives dmultiplies, comme les illustrations de Botticelli pour la Divine
Comdie), nimbe (vs absence de nimbe, pour les hros de l'criture ou de la lgende),
personnage situ au lieu de convergence des regards (vs hors-convergence), place
stratgique, section d'or, (vs place neutre), etc. Sur l'emphase, voir J. Dubois et F. DuboisCharlier, lments de linguistique franaise, Paris, Larousse, 1970, p. 179 et suiv.
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Trs souvent, ce sera la participation un espace moral privilgi (culturel)


qui le distinguera 9.
Par exemple dans un schma du type :
relations permises
(culture)
relations matrimoniales
(prescrites)
Cl ^

relations exclues
(nature)
relations anormales
(interdites)
^ C2

C2 ^
relation, normales
(non interdites)

^ Cl
relations non matrimoniales
(non prescrites)

on aura par exemple :


Cl
C2
C2
Cl

:
:
:
:

amours conjugales.
inceste, homosexualit.
adultre de l'homme.
adultre de la femme.

o les ples Cl et C2 sont privilgis (dans notre socit), donc assumables


par le hros, alors que les autres (G2 et c) seront ceux de l'anti-hros et
dfinis comme l'espace de la transgression (de la nature). Une autre cole,
ou une autre poque, valorisera inversement ce schma (hros homosexuel,
a-social, femme adultre, etc., opposs la platitude de la conformit
bourgeoise, etc.).
Nous retrouvons ici, directement, le problme de la lisibilit, de
l'ambigut d'un texte. On peut dire qu'un texte est lisible (pour telle socit
telle poque donne) quand il y aura concidence entre le hros et un espace
moral valoris.
D'o les distorsions trs frquentes dans les lectures, accentues
l'poque moderne par l'extension et l'htrognit du public, donc par la
pluralit des codes culturels de rfrence : pour tel lecteur, telle poque,
Pantagruel, ou Horace, seront les hros; pour tel autre lecteur, telle autre
poque, ce sera Panurge, ou Curiace. Un certain nombre de constantes
gnrales peuvent tre nanmoins enregistres, le hros se diffrenciant par :
1) Une qualification diffrentielle : le personnage sert de support un
certain nombre de qualifications que ne possdent pas, ou que possdent
un degr moindre, les autres personnages de l'uvre 10 :
9. Tomachevski pose ainsi le problme : le rapport motionnel envers le hros
(sympathie-antipathie) est dvelopp partir d'une base morale. Les types positifs
et ngatifs sont un lment ncessaire la construction de la fable (...) le personnage
qui reoit la teinte motionnelle la plus vive et la plus marque s'appelle le hros ,
in Thorie de la littrature (Paris, d. du Seuil, 1965, p. 295). Voir aussi F. Rastier,
(art. cit., p. 35). On peut considrer la culture comme un systme de valeurs qui connote
euphoriquement (positivement) ou dysphoriquement (ngativement) les ples positifs
et ngatifs de la structure lmentaire de la signification, galement binaire (a os non-a)
sous sa forme la plus lmentaire (Prieto, Greimas).
10. Qualification s'oppose fonction comme l'invariant au variable et le faire
l'tre du personnage (voir Propp, Morphologie du conte, Paris, d. du Seuil, p. 29).
Sur la notion de degr de qualification, voir ci-dessous.
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reoit des marques (ex : une blessure)


aprs un exploit

ne reoit pas de marques

gnalogie ou antcdents exprims

gnalogie ou antcdents
non exprims u

prnomm, surnomm, nomm


dcrit physiquement
hrosme explicit

anonyme
non dcrit physiquement
hrosme non explicit M

motiv psychologiquement

non motiv
psychologiquement

anthropomorphe (humain)
participant et narrateur de la fable
leitmotiv
en relation amoureuse avec un
personnage fminin central (hrone)
bavard
beau
riche
fort
jeune
noble

non anthropomorphe
simple participant la fable M
pas de leitmotiv **
sans relations amoureuses
dtermines
muet
laid
pauvre
faible
vieux
roturier ", etc.

2) Une distribution diffrentielle. Il s'agit l d'un mode d'accentuation


purement quantitatif et tactique jouant essentiellement sur :
apparition aux moments marqus du
rcit (dbut /fin des squences et du
rcit)
apparition frquente

apparition un moment non


marqu
apparition unique ou pisodique

3) Une autonomie diffrentielle. Certains personnages apparaissent


toujours en compagnie d'un ou de plusieurs autres personnages, en groupes
fixes implication bilatrale
), alors que le hros
11. La participation un cycle familial dfini, un paradigme dj constitu et
explicit par un titre (les Rougon-Macquart, les Thibault, etc.) permet de poser d'emble
le hros ds la premire mention de son nom. Cela peut tre redoubl parle titre
particulier d'un des volumes de la srie; par exemple, chez Zola : Son Excellence Eugne
Rougon.
12. Le fait par exemple, pour l'auteur, de l'appeler systmatiquement notre
hros et d'appeler le tratre tratre .
13. Le hros de nombreuses nouvelles de Maupassant est d'emble dfini comme
tel par le fait qu'il participe un contrat initial ( Racontez-nous votre histoire Soit!
Eh bien voil... ) qui le pose comme narrateur d'une histoire qui lui est arrive.
14. Dans Son Excellence Eugne Rougon, Eugne est toujours appel le grand
homme .
15. La culture, dfinie comme ensemble de valeurs institutionnalises, valorise
en gnral automatiquement un personnage qu'elle dsigne comme hros. On peut
donc parler de contraintes idologiques venant pr-dterminer le romancier, en
apparence libre pourtant. Dans une telle socit, telle poque, un vassal, un ouvrier, une
martre, un vieillard, ne pourront tre hros ou hrone. Sur le hros l'poque classique
au thtre, voir J. Scherer, la Dramaturgie classique en France, p. 19 50 (Paris,
Nizet, 1970). En ce qui concerne de nombreux mythes sud-amricains, Lvi-Strauss
a not que le hros tait en gnral matre de la chasse, des riches parures, du feu
qui rchauffe et qui cuit, et de l'eau destructrice (in l'Homme nu, Paris, Pion 1971,
p. 345), et qu'il tait dfini par le mariage (acceptable ou inacceptable) qu'il contractait.
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apparat seul, ou conjoint avec n'importe quel autre personnage le. Cette
autonomie est souvent souligne par le fait que le hros seul dispose du
monologue (stances), alors que le personnage secondaire est vou au dialogue
(voir dans thtre classique). De mme l'apparition d'un personnage peut
tre plus ou moins rgie par une mention de milieu, ou par une place prcise,
prvisible et logiquement implique par l'apparition d'un syntagme narratif,
dans une suite de fonctions oriente et ordonnance. Propp en avait
dj fait la remarque : le conteur n'a pas la libert, dans certains cas, de
choisir certains personnages en fonction de leurs attributs, s'il a besoin d'une
fonction dtermine (Morphologie du conte, op. cit., p. 139). Ainsi un
personnage de cur apparatra en position finale d'un syntagme :
projet de mariage
mariage ( l'glise)

> conduite de conqute de la femme

- rsolution du

entirement dduit, par consquent, du rle ponctuel (bnir un mariage)


qu'il doit jouer un moment donn. D'o l'opposition :
non-prsuppos (rgissant)

prsuppos (rgi)

4) Une fonctionnalit diffrentielle. Le hros est ici, en quelque sorte,


enregistr comme tel partir d'un corpus dtermin, et a posteriori; une
rfrence la globalit de la narration et la somme ordonnance des
prdicats fonctionnels dont il a t le support, et que la culture de l'poque
valorise, est ncessaire. Cette diffrenciation joue souvent (dans le conte
populaire et dans la littrature classique occidentale) sur les oppositions
suivantes (dont le premier terme est marqu) :
personnage mdiateur
contradictions)

(rsout les

personnage non mdiateur

constitu par un faire

constitu par un dire


nages simplement cits), ou
par un tre (personnages
simplement dcrits)

victorieux de l'opposant

en chec devant l'opposant

sujet rel et glorifi

non-sujet (ou sujet virtuel)

reoit des informations (savoir)

ne reoit pas d'informations

16. Tmoin le hros picaresque, qui traverse des nbuleuses de personnages qui
ne rapparatront plus, et qui n'existeront que le temps de la rencontre. De mme,
l'inverse, le confident ou la suivante de thtre, dont l'apparition est toujours rgie
par celle du matre. Mais les ples marqus varient; on sait par exemple, que de
nombreuses fables privilgient un couple (Nisus et Euryale, les Deux Amis de Maupassant...)
dont il est curieux de noter qu'il est souvent en position d'infriorit finale, comme si
partager l'hrosme tait l'affaiblir fonctionnellement. Sur les personnages-doublets,
voir par exemple, C. Lvi-Strauss, Mythologiques II, Du miel aux cendres, p. 138-139,
156 (Paris, Pion, 1968) : Trs souvent, une duplication n'est que le camouflage d'une
structure dgrade. Trs souvent aussi, elle est une fatalit de la srie (du feuilleton,
du roman cyclique, ou pisodes, de la bande dessine hebdomadaire, etc.), les lecteurs
ayant besoin de se reconnatre dans un double du hros (compagnon plus ou moins
populaire et dsopilant, composite de qualits et de dfauts, animal familier participant
aux aventures...), double plus humain et moins monolithiquement parfait que le
hros. Notons enfin que des foules peuvent jouer le rle de personnages-hros : foules
de Germinal de Zola, d'Octobre d'Eisenstein, etc. Le hros est donc indpendant :
a) de toute anthropomorphisation, b) de toute individuation.
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rceptionne des adjuvants (pouvoir)

ne rceptionne pas
d'adjuvants

participe un contrat initial (vouloir)


qui a sa rsolution la fin du rcit

ne participe pas au contrat


initial 1T

liquide le manque initial

ne liquide pas le manque


initial

le hros de Propp est dfini sur ce type de critres fonctionnels, par sa


sphre d'action . Mais il y a l un certain flottement dans les
dnominations : ce que Propp dfinit, c'est (plutt qu'une entit smantique, un
actant-sujet, l'intrieur d'un corpus bien dlimit) davantage une
entit culturelle et stylistique. Dfinition fonctionnelle et dfinition
stylistique, chez lui, ne sont pas toujours clairement distingues, comme dans ce
passage (Morphologie du Conte, op. cit., p. 48) : Si l'on enlve ou chasse
une jeune fille ou un petit garon et que le conte les suit sans s'intresser
ceux qui restent, le hros du conte est la jeune fille ou le petit garon enlev
ou chass. Il n'y a pas de quteur dans ces contes-l. Le personnage
principal peut y tre appel hros victime (soulign par nous). Cette diffrence
entre hros quteur et hros victime est prcise plus loin (p. 62) : Le hros
du conte merveilleux est ou bien le personnage qui souffre directement de
l'action de l'agresseur au moment o se noue l'intrigue (ou qui ressent un
manque), ou bien le personnage qui accepte de rparer un malheur ou de
rpondre au besoin d'une autre personne. Ce qui est dfini l, c'est un
actant sujet (et /ou bnficiaire) plutt qu'un hros. Si elle est trs frquente,
l'adquation actant-sujet = hros n'est absolument pas obligatoire. Le
hros n'est pas plus li la notion actantielle de sujet qu' tout autre
(Opposant, Bnficiaire, Destinateur, etc.). Voir le roman de l'chec
au xixe sicle, par exemple, o un personnage qui n'arrive jamais se
constituer comme sujet rel est pourtant le hros.
5) Une prdsignation conventionnelle. Ici c'est le genre qui dfinit
a priori le hros. Le genre fonctionne comme un code, commun l'metteur
et au rcepteur, qui restreint et prdtermine l'attente de ce dernier en lui
imposant des lignes de moindre rsistance (prvisibilit totale). Ainsi dans
la Gommedia dell'arte, l'opra, le feuilleton, le western, etc., l'emploi de
masques, de costumes, d'un type de phrasologie, de modalits d'entre en
scne, etc., fonctionne comme autant de marques dsignant d'emble le
hros, pour qui possde le grammaire du genre.
Tous les procds d'accentuation que nous venons de voir, notons-le,
peuvent se recouper, entrer en redondance (le hros de tel feuilleton sera :
jeune + apparatra frquemment + rgissant + liquidera le manque initial,
etc.) selon certains faisceaux de qualifications privilgies propres telle ou
telle culture. Ils pourront galement entrer dans un jeu dceptif
d'alternances ou de contradictions entre l'tre et le paratre des hros. Dans le conte
populaire, par exemple, le hros doit souvent se faire reconnatre comme tel,
pour dmasquer un usurpateur (faux-hros) qui a pris sa place, et la fin
du rcit est le lieu stratgique o l'tre et le paratre des personnages
concident. Toutes sortes de procds stylistiques annexes de variation peuvent
enfin venir diversifier un faisceau trop rigide : tel personnage peut tre
hros en permanence, ou pisodiquement; il peut cumuler plusieurs dfini17. Il s'agit l du problme du dclenchement de la narration par instauration
d'un sujet virtuel dot d'un vouloir et d'un programme (pour ces notions, voir A.-J. Greimas, Du sens, op. cit., passim).
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tions actantielles (le hros est par exemple sujet + bnficiaire), en assurer
une seule, ou en endosser alternativement de diffrentes (tantt sujet,
tantt objet...). Certains procds, certains genres comme le roman par
lettres (Richardson, Laclos), les journaux intimes complmentaires (Gide),
ou le roman polyphonique (Dos Passos), en faisant varier perptuellement
la focalisation du texte, changent perptuellement de hros tout en
maintenant le mme schma actantiel stable 18.
L'tude du hros fait certainement partie de ce que l'on pourrait
appeler le domaine d'une socio-stylistique du personnage, domaine fortement
tributaire des contraintes idologiques et des filtres culturels 19. Reste en
baucher une smiologie proprement dite (ou du moins en dblayer l'aire!).

Rappelons ici encore quelques principes trs gnraux. De mme que


les smiologues reconnaissent souvent trois subdivisions dans leur discipline
(une smantique, une syntaxe, une pragmatique), on peut, trs
sommairement, distinguer trois grands types de signes :
1. Les signes qui renvoient une ralit du monde extrieur (table/
girafe/ Picasso/ rivire...) ou un concept (structure/ apocalypse/ libert...).
On peut les appeler, rfrentiels. Ils font tous rfrence un savoir
institutionnalis ou un objet concret appris. (Smantique plus ou moins stable
et permanente.) On reconnat de tels signes, ils sont dfinis par le
dictionnaire.
2. Les signes qui renvoient une instance d'nonciation, signes
contenu flottant qui ne prennent sens que par rapport une situation
concrte de discours (hic et nunc), que par rapport un acte historique de
parole dtermin par la contemporanit de ses composants (je/ tu/ ici/
demain/ ceci...). Ce sont les circonstanciels gocentriques de Russell,
les dectiques , ou les embrayeurs de Jakobson 20, non dfinis smantiquement par le dictionnaire.
3. Les signes qui renvoient un signe disjoint du mme nonc, proche
18. Un hros est-il ncessaire la cohrence d'un rcit? Tomachevski crivait
en 1925 : Le hros n'est gure ncessaire la fable. La fable comme systme de motifs
peut entirement se passer du hros et de ses traits caractristiques. Le hros rsulte
de la transformation du matriau en sujet et reprsente d'une part un moyen
d'enchanement de motifs, et d'autre part une motivation personnifie du lien entre les motifs.
L'anecdote reprsente en gnral une forme rduite, vague et fluctuante de fable, et
dans de nombreux cas se rduit n'tre que l'intersection de deux motifs
principaux [...], construite uniquement sur la double interprtation d'un mot (in Thorie
de la littrature, op. cit., p. 296-297). L'anecdote, en effet, se passe souvent de
l'accentuation d'un personnage ( un homme rencontre une femme et lui dit... , un ami
rencontre un ami... , un lphant rencontre une souris... ) et joue souvent sur un
jeu de mots (un signifiant double signifi). Mais ne peut-on dire que le personnage
qui a le dernier mot , ou celui qui parle en dernier, est le hros? D'autre part, mme
sous forme de qualification strotype, un personnage reoit souvent un embryon
de qualification et d'accentuation diffrentielle (Marius devant un touriste allemand,
spirituel vs balourd).
19. Aussi ne faut-il pas s'tonner si la mort du personnage-hros, l'poque
moderne, est un fait acquis, l'auteur prenant bien soin de ne privilgier aucun
personnage (mais est-ce possible?). Cela intervient, de surcrot, un moment o se
constitue un public de plus en plus htrogne (livre de poche, mass media), o donc les
risques de distorsion et de brouillage dans le dcodage du hros sont de plus
en plus vidents.
20. Voir les pages classiques d'E. Benveniste, in Problme de linguistique gnrale,
p. 225 et suiv. (Paris, Gallimard, 1966).
94

ou lointain, soit antcdent dans la chane parle ou crite , soit


postrieur. Leur fonction est essentiellement cohesive, substitutive et
conomique. Ils abaissent en effet le cot du message, ainsi que sa longueur. On
peut les appeler globalement anaphonques (le nom propre et l'article dans
certains de leurs emplois, la plupart des pronoms, les substituts divers, le
verbe vicaire faire, etc.) 21. Leur contenu, lui aussi flottant et variable,
est uniquement fonction du contexte auquel ils renvoient. Ces signes forment
une catgorie linguistique priviligie pour qui tudie le passage et les homologies ventuelles entre une linguistique du signe et une linguistique du
discours (transphrastique), ou, pour reprendre les termes de Benveniste, le
passage d'une smiotique une smantique. On quitte en effet les structures
d'ordre proche (chelle du syntagme) pour passer des structures d'ordre
lointain (chelle du texte). Une smiologie du personnage pourra, au moins
en un premier temps, et pour dbroussailler son domaine, reprendre cette
triple distinction et dfinir notamment :
a) Une catgorie de personnages-rfrentiels : personnages historiques
(Napolon III dans les Rougon-Macquart, Richelieu chez A. Dumas...)
mythologiques (Vnus, Zeus...) allgoriques (l'Amour, la Haine,..) ou sociaux
(l'ouvrier, le chevalier, le picaro...). Tous renvoient un sens plein et fixe,
immobilis par une culture, et leur lisibilit dpend directement du degr de
participation du lecteur cette culture (ils doivent tre appris et reconnus).
Intgrs un nonc, ils serviront essentiellement d'ancrage rfrentiel en
renvoyant au grand Texte de l'idologie, des clichs, ou de la culture; ils
assureront donc ce que R. Barthes appelle ailleurs un effet de rel 22
et, trs souvent, participeront la dsignation automatique du hros (quoi
qu'il fasse, le hros sera chevalier chez Chrtien de Troyes).
b) Une catgorie de personnages-embrayeurs. Ils sont les marques de
la prsence en texte de l'auteur, du lecteur, ou de leurs dlgus :
personnages porte-parole , churs de tragdies antiques, interlocuteurs
socratiques, personnages d'Impromptus, conteurs et auteurs intervenant, Watson
ct de Sherlock Holmes, etc. Le problme de leur reprage sera parfois
difficile. L aussi, du fait que la communication peut tre diffre (textes
crits), divers effets de brouillage ou de masquages peuvent venir perturber
le dcodage immdiat du sens de tels personnages (il est ncessaire de
connatre les prsupposs, le contexte : a priori, l'auteur par exemple n'est
pas moins prsent derrire un il que derrire un je ).
c) Une catgorie de personnages-anaphores 23. Ici une rfrence au sys21. Sur les substituts et sur le phnomne linguistique de la substitution, voir
par exemple J. Dubois, Grammaire structurale du franais, t. 1, p. 91 et suiv. (Paris,
Larousse, 1965), et pour le statut des noms propres, id. p. 155 et suiv. Cette question
des noms propres a t l'occasion de dbats interminables d'une part entre logiciens,
d'autre part entre linguistes, les premiers donnant d'ailleurs au nom propre une
acception trs particulire. Peut-tre, pour rester rigoureux, devrait-on dire qu'une
smiologie du personnage concide avec le chapitre Substituts et Substitution
de n'importe quelle grammaire (analyse fonctionnelle et distributionnelle d'une
catgorie d'units appele substituts ), et que tout le reste serait une stylistique du
personnage? Mais dans la mesure o le personnage apparat non seulement dans les
matriaux du texte infini du linguiste, mais aussi dans des uvres, il est probable
qu'il faudra s'orienter travers une hirarchie de codes au travail simultanment.
22. Voir l'article de R. Barthes, L'Effet de rel , paru dans la revue
Communications, n 11 (Paris, d. du Seuil, 1968).
23. Sur cette notion importante, et prise ici au sens large, voir L. Lonzi, Anaphore
et rcit , il* Communications, n 16 (Paris, d. du Seuil, 1970).
95

tme propre de l'uvre est seule indispensable. Ces personnages tissent


dans l'nonc un rseau d'appels et de rappels des segments d'noncs
disjoints et de longueur variable (un syntagme, un mot, un paragraphe.,.);
lments fonction essentiellement organisatrice et cohesive, ils sont en
quelque sorte les signes mnmotechniques du lecteur : personnages de
prdicateurs, personnages dous de mmoire, personnages qui sment ou
interprtent des indices, etc. Le rve prmonitoire, la scne d'aveu ou de
confidence, la prdiction, le souvenir, le flash-back, la citation des anctres, la
lucidit, le projet, la fixation de programme sont les attributs ou les figures
privilgies de ce type de personnage. Par eux, l'uvre se cite elle-mme et
se construit comme tautologique 24.
Ici deux remarques : II est bien entendu qu'un personnage peut faire
partie, simultanment ou en alternance, de plusieurs de ces trois catgories
sommaires : Toute unit se caractrise par sa polyvalence fonctionnelle en
contexte. D'autre part il est vident que c'est la dernire catgorie qui nous
intressera surtout, et qu'une thorie gnrale du personnage s'laborera
partir des notions de substitution et d'anaphore. Si d'une part tout nonc
se caractrise par sa forte cohsion interne, par sa redondance, par son
conomie, si d'autre part l'nonc littraire possde et construit de
surcrot son code propre, sa propre autonomie et sa propre grammaire ,
cette grammaire se caractrisera probablement par une certaine
hypertrophie de l'anaphorique sur le rfrentiel et le dnotatif : ncessit d'assurer
l'organisation discursive, la cohrence des schmas narratifs, le balisage
mnmotechnique d'noncs parfois longs 25. Par leur rcurrence, par leur
renvoi perptuel une information dj dite, par le rseau d'oppositions
et de ressemblances qui les lie, tous les personnages d'un nonc auront donc
en permanence une fonction anaphorique (conomique, substitutive,
cohesive, mnmotechnique).

En tant qu'unit d'un systme, le personnage peut, en une premire


approche, se dfinir comme une sorte de morphme doublement articul,
manifest par un signifiant discontinu, renvoyant un signifi discontinu,
et faisant partie d'un paradigme original construit par le message (le systme
propre des personnages du message). Soit, pour srier les problmes, la
ncessit de le dfinir par :
1. Son signifiant : Le personnage est reprsent sur la scne du texte
par un signifiant discontinu : je/me/moi/, pour un personnage-narrateur
anonyme; il/ Julien Sorel/ le jeune homme/ notre hros/, etc., pour un
personnage ordinaire de roman. Ces constituants feront partie d'un
paradigme grammaticalement homogne (je/me/moi) ou htrogne (Julien/
notre hros...), smiologiquement homogne (uniquement des signes
linguistiques arbitraires doublement articuls) ou htrogne (combinaisons de
24. Ces personnages concident souvent avec ces personnages d'informateurs dont
Propp reconnat l'importance (ouor. cit., p. 86 et suiv.) et qui servent assurer, des
liaisons entre les fonctions : entre l'enlvement de la princesse et le dpart du hros,
il faut qu'un personnage d'informateur ait appris ce dernier que cette dernire a t
enleve. Ils forment les organisateurs du rcit (R. Barthes).
25. Sur cette notion de cohrence textuelle, voir par exemple I. Bellert, On
a condition of the coherence of text , in Semiotica, II, 4, 1970, Mouton, La Haye
et M. A. K. Halliday, the linguistic study of litterary texts in Proceedings of the
Ninth International Congress of linguists (Horace Lunt, Mouton, 1964, p. 302 et suiv.).
96

signes linguistiques et d'icnes, par exemple, dans le cas d'une bande


dessine, ou d'un livre illustr). Ils s'intgrent souvent des paradigmes
spcialiss, ceux de la parent par exemple, o les prnoms (Jean, Gervaise,
etc.) jouent le rle de dsinences et le nom (Macquart) le rle du
radical . Ces divers constituants se caractriseront par leur ordre d'apparition
dans le texte ainsi l'ordre : un chevalier > le chevalier -> le chevalier la
charrette -> Lancelot, dans le Chevalier la charrette de Chrtien de Troyes26;
leur distribution pourra tre galement pertinente : quand Stendhal emploiet-il le jeune homme et quand emploie-t-il notre hros 27? Ce signifiant se
caractrise en gnral par sa rcurrence : le mot /Julien/ est trs souvent
rpt dans Le Rouge et le Noir. Par l mme cette rcurrence et cette
permanence sont un facteur important de la cohsion du texte en assurant la
conservation du sens travers une pluralit d'emplois de signes diffrents28.
Des procds de substitution divers, synonymes, surnoms, leitmotivs,
priphrases, citations, allusions, pronoms, etc., du type : il = notre hros
= Julien = Julien Sorel = le jeune homme = M. Sorel, etc., renforcent
cela et assurent la permanence des marques : un texte o les personnages
changeraient chaque squence (par exemple : Paul est venu, /'ai mang,
elles sont aimables, vous voil bien attraps, etc.) ne constituerait pas un
rcit. Ces substituts divers intgrent un mme paradigme des segments
textuels de longueur varie qui forment une chelle qui va du dmonstratif
(celui-ci) la description (c'tait un jeune homme brun...) en passant par le
nom propre (Julien). Ils peuvent introduire galement une modalisation
stylistique intressante de l'nonc (connotations sociales ou affectives de
l'appellation : M. Sorel vs le petit Sorel) 2!d. Mais la rcurrence d'un nom
propre (Andr, Julien, Sorel...) peut tre plus ou moins ambigu selon qu'elle
renvoie ou ne renvoie pas un seul signifi dj dtermin par le contexte
antrieur; il n'y a pas d'ambigut s'il n'y a qu'un Andr, Julien, ou Sorel
et ambigut s'il y a plusieurs Andr, Julien, ou Sorel, dans l'nonc proche
ou lointain. Certains textes modernes, comme le Bruit et la fureur de
Faulkner, joueront systmatiquement sur cette polysmie : stabilit d'un
signifiant et non-stabilit du signifi auquel il renvoie 30. Il y a donc une grammaticalit du signifiant, une grammaticalit du systme anaphorique et
substitutif que le texte doit respecter sous peine de compromettre sa
lisibilit, mais que peut venir brouiller le jeu d'un code stylistique bien dfini
(proximit ou loignement des antcdents des substituts).
26. Lancelot ne reoit son nom qu'aprs ses premiers exploits. Jusqu'alors il n'a
qu'un surnom.
27. D'un point de vue stylistique, l'auteur pourra jouer sur l'attente ou le retard
d'apparition des personnages.
28. Cette rcurrence peut contribuer, on l'a vu, dterminer diffrentiellement
le hros du rcit et le distinguer des personnages pisodiques (moins rcurrents),
sans que cela puisse constituer une loi.
29. En gnral une manifestation typographique stable et conventionnelle assure
la permanence textuelle et la diffrenciation du signifiant du personnage; c'est l'emploi
de majuscules pour les noms et prnoms, voire d'une seule majuscule : K. de Kafka,
le comte P... dans Adolphe, etc. Comme dans le langage mathmatique, une seule
lettre, un seul symbole peut donc suffire.
30. Voir aussi, par exemple, les innombrables Bobby Watson de Ionesco dans
la Cantatrice chauve. Certains romanciers modernes (A. Robbe-Grillet, par exemple)
perturbent systmatiquement cette stabilit et cette grammaticalit du signifiant
(du fonctionnement des substituts) en introduisant des variantes orthographiques
dans les noms propres des personnages et en brouillant le jeu de ces substituts. Voir
ce sujet J. Ricardou, Mort du personnage fictif, in Pour une thorie du nouveau roman
(Paris, d. du Seuil, 1971, p. 235 et suiv.).
97
LITTRATURE N 6

2. Le signifi du personnage. Nous avons provisoirement dfini le


personnage comme une sorte de morphme discontinu 31. Les principaux
concepts d'une morphologie (allomorphes, amalgame, discontinuit,
redondance, etc.) seront donc probablement opratoires. Cependant, la
diffrence du morphme ou monme de la langue (-ons, -teur, cheval,
-s, ...) qui est d'emble reconnu, la dtermination de 1* information
du personnage, reprsent sur la scne du texte par un nom propre et ses
substituts, se fait en gnral progressivement. La premire apparition d'un
nom propre (non historique) introduit dans le texte une sorte de blanc
smantique : qui est ce je qui prend la parole? qui est ce Julien qui
apparat la premire page? On a affaire un asmantme (Guillaume)
qui va se charger progressivement de sens, et en gnral, dans la littrature
classique, assez rapidement 32. Ainsi le prnom, la diffrence du nom
propre, est dj porteur d'information sur le sexe du personnage (Andr
/Andre) voire sur sa nationalit (Marius Natacha John). De mme le
sexe d'un personnage non dtermin a priori (Claude/Dominique/ le je
d'un narrateur) sera trahi (rvl) par le premier accord d'adjectif ou de
participe pass (je fus surpris/je fus surprise) 3&. Morphme vide
l'origine, le personnage ne prendra donc son sens dfinitif que petit
31. Les acteurs et les vnements narratifs sont des lexemes (= morphmes,
au sens amricain), analysables en smmes (acceptions ou sens des mots) qui se
trouvent organiss, l'aide de relations syntaxiques, en noncs univoques (A.-J. Greimas, in Du sens, op. cit., p. 188-189). Pour Propp, on le sait, l'tude des personnages
n'entre pas dans le domaine d'une pure et stricte morphologie , car seule l'tude
des fonctions est pertinente : la question de savoir ce que font les personnages est seule
importante; qui fait quelque chose, et comment il le fait, sont des questions qui ne se
posent qu'accessoirement (Morphologie du Conte, op. cit., p. 29); [on] ne doit jamais
tenir compte du personnage-excutant (id. p. 30). Dans un article important, La
structure et la forme (in Cahiers de l'Institut de Science conomique applique, srie M,
n 7, Paris, mars 1960), C. Lvi-Strauss s'oppose sur ce point Propp et souligne que
le personnage est accessible une analyse rigoureuse, que c'est mme le seul domaine
o l'on atteigne le contenu de l'nonc, que ce contenu est lui-mme structur et
qu'il n'est pas un rsidu amorphe et accessoire (les accessoires attributifs de
Propp). Aussi crit-il que chaque personnage n'est pas donn sous la forme d'un
lment opaque devant quoi l'analyse structurale doive s'arrter . Mme si, dans
le rcit, le personnage [y] est comparable un mot rencontr dans un document,
mais qui ne figure pas au dictionnaire, ou encore un nom propre, c'est--dire un
terme dpourvu de contexte [...], il est le support d'un univers du conte analysable
en paires d'oppositions diversement combines au sein de chaque personnage, lequel,
loin de constituer une entit, est, la manire du phonme tel que le conoit Roman
Jakobson, un faisceau d'lments diffrentiels (p. 25-26). Lvi-Strauss emploie un
peu plus loin (p. 34) l'expression de paquet d'lments diffrentiels , et dans l'Homme
nu (op. cit., p. 68, 482, 500) le concept de zome .
32. L'analyse du rcit qui dfinit celui-ci comme une combinatoire oriente de
classes logiques complmentaires, pourrait aisment reprendre de trs nombreux
concepts guillaumiens qui ressortent, on le sait, d'une linguistique de position plutt
que d'oppositions. "Voir l'article de C. Todorov, La hirarchie des liens dans le rcit,
in Semiotica III, 2, 1971.
33. Trs rapidement, le nom propre et ses substituts vont renvoyer une
information cumule (voir J. Dubois, op. cit., p. 158). Sur le problme identique de 1'
amalgame , voir A. Martinet, lments de linguistique gnrale, Paris, A. Colin, 1960, p. 97
et suiv. Cette information cumule renvoie une information prcdente discontinue
(ce qu'on a dit du personnage, ce qu'il a dit ou fait). Pour Wellek et "Warren (la Thorie
littraire, Paris, d. du Seuil, 1971, p. 208) : Un personnage de roman nat seulement
des units de sens, n'est fait que de phrases prononces par lui ou sur lui. De mme
pour les formalistes russes (Thorie de la littrature, op. cit., p. 293), le personnage n'est
qu'un support de motifs . Pour A.-J. Greimas (Smantique structurale, Paris,
Larousse, 1966, p. 185), le personnage est un smme construit , un lieu de fixation .
98

petit. Mais la signification d'un personnage (et ici nous opposons sens
signification, un peu comme Saussure oppose sens valeur), ne se constitue
pas tant par rptition (rcurrence de marques) ou par accumulation (d'un
moins dtermin un plus dtermin) u, que par diffrence vis--vis des
signes de mme niveau du mme systme, que par son insertion dans le
systme global de l'uvre. C'est donc diffrentiellement, vis--vis des
autres personnages de l'nonc que se dfinira avant tout un personnage.
Il faut bien remarquer, l'heure actuelle, que les analyses portant sur le
systme des personnages de tel ou tel roman n'existent pratiquement pas.
Il faut dire que les difficults sont grandes, comme toutes celles qui se
prsentent quand on se propose d'analyser des objets smantiques
manifests sous forme discursive 35.
Ce qui diffrencie un personnage Px d'un personnage P2, c'est son mode
de relation avec les autres personnages de l'uvre, c'est--dire un jeu de
ressemblances ou de diffrences smantiques. Ces ressemblances et ces
diffrences se mettent en place par rapport un certain nombre d'axes
smantiques distinctifs, caractriss par leur rcurrence, et auxquels renvoient,
ou ne renvoient pas, les personnages; par exemple, pour un feuilleton :
la beaut, la richesse, la jeunesse, l'amour, etc. Ces axes simples ( motifs )
sont reprs aprs segmentation de l'nonc et constitution de paradigmes
de prdicats fonctionnels, de sphres d'action au sens proppien, ou par
des mises en tableau et des lectures verticales telles que les pratique
C. Lvi-Strauss 3e. Du point de vue qui nous intresse (tablir le systme
des personnages d'un rcit donn), le premier problme rsoudre sera celui
34. Ou l'inverse, dans de nombreux textes modernes (Beckett, par exemple)
qui dtruisent, au fur et mesure que le rcit se droule, la stabilit smantique du
personnage.
35. T. Todorov, dans Potique de la prose (Paris, d. du Seuil, 1971, p. 15) dfinit
ainsi le programme d'une smiologie du personnage : Le premier pas dans cette voie
consisterait tudier les personnages d'un rcit et leurs rapports. Les nombreuses
indications des auteurs, ou mme un regard superficiel sur n'importe quel rcit montrent
que tel personnage s'oppose tel autre. Cependant une opposition immdiate des
personnages simplifierait ces rapports sans rapprocher notre but. Il vaudrait mieux
dcomposer chaque image en traits distinctifs, et mettre ceux-ci en rapport d'opposition
ou d'identit avec les traits distinctifs des autres personnages du mme rcit. On
obtiendrait ainsi un nombre rduit d'axes d'opposition dont les diverses combinaisons
regrouperaient ces traits en faisceaux reprsentatifs des personnages. Saussure, lui
aussi, on le sait, s'tait fortement intresse aux lgendes (Niebelungen) et un possible
traitement smiologique du problme du personnage : La lgende se compose d'une
srie de symboles, dans un sens prciser. Ces symboles, sans qu'ils s'en doutent, sont
soumis aux mmes vicissitudes et aux mmes lois que toutes les autres sries de
symboles, par exemple les symboles qui sont les mots de la langue. Ils font tous partie
de la smiologie [...]. Chacun des personnages est un symbole dont on peut voir varier
exactement comme pour la rime a) le nom, b) la position vis--vis des autres,
c) le caractre, d) la fonction, les actes. Cit par J. Starobinski, in le Texte dans le texte
(Tel Quel, n 37, Paris, d. du Seuil, 1929, p. 5). Parmi les premires tudes qui traitent
d'un point de vue smiologique ce problme du personnage, citons deux articles
importants : S. Alexandrescu, A project in the semantic analysis of the characters in William
Faulkner's work (Semiotica IV, 1, 1971) et F. Rastier, Les niveaux d'ambigut
des structures narratives (tude du Don Juan de Molire), (Semiotica III, 4, 1971).
36. Le terme de lecture verticale se trouve chez Propp (Morphologie du Conte,
op. cit., p. 174). Voir aussi l'analyse du mythe d'dipe par C. Lvi-Strauss dans
Anthropologie structurale (op. cit., p. 235 et suiv.) o l'ordre de succession
chronologique se rsorbe dans une structure matricielle a-temporelle (la Structure et la forme,
op. cit., p. 29), et R. Barthes ( Introduction l'analyse structurale du rcit , in
Communications, n 8, Paris, d. du Seuil, 1966, p. 6) : Le sens n'est pas au bout
du rcit, il le traverse.
99

de dfinir quels sont les axes smantiques pertinents. Par exemple, si un


rcit met en scne un roi et une bergre (pour reprendre un exemple de
C. Lvi-Strauss), il faudra savoir si l'on retiendra l'axe du sexe (masc. vs
fminin), de l'ge (g os jeune), ou celui de la hirarchie sociale (haut us
bas), ou plusieurs de ces axes la fois. Un texte pourra jouer sur une ou
plusieurs isotopies (simultanes ou alternes), se prsenter comme univoque ou pluriel (R. Barthes), utiliser ou non des embrayeurs d'isotopies (Greimas).
Le second problme, ensuite, sera d'tablir une hirarchie entre ces
axes smantiques. De mme qu'en phonologie tous les axes n'ont pas
le mme rendement (la dure pte vs patte, servant par exemple
discriminer beaucoup moins de mots que la sonorisation ou la nasalisation),
de mme il faudra classer les axes smantiques selon qu'ils servent
diffrencier tous les personnages du rcit ou simplement quelques-uns. Supposons
par exemple que l'analyse d'un feuilleton dcouvre comme axes
smantiques rcurrents : le physique, l'origine sociale, la richesse. Le personnage Pj^
sera alors diffrenci du personnage P3 ou Pn comme dfini par plus d'axes
que ces derniers, comme cela peut ressortir d'un tableau (le signe 0
mentionnant l'absence d'information sur l'axe en question) :

N.

Axes
N. retenus
Person^V
nages
N.

Physique

P*

Origine
sociale

Richesse

+
0

P*

P*

P*

Pn...

On verrait ainsi se former des classes de personnages-types, dfinies


par le mme nombre d'axes smantiques. Ainsi, dans le tableau ci-dessus,
P5 et Pn... feraient partie de la mme classe. Cette mise en tableau des
qualifications des personnages-acteurs sera confronte complmentairement avec une mise en tableau de leurs fonctions, c'est--dire des diffrents
types d'actions qu'ils assument tout au long du rcit (voir tableau suivant).
Cela livrera galement des hirarchies : le personnage Px et P2 seront
rangs dans la mme classe de personnages-types (ils assument les mmes
fonctions, et les plus nombreuses). Pt, P2 et P3 seront plus agissants
que P5, etc. A l'analyse ensuite de comparer des classes entre elles. Ces
classifications livreront des critres pour distinguer les personnages
principaux (ex. : Px, moins schmatique , plus complexe que P3 ou P5)
des personnages secondaires bu des simples rles (dfinis par une seule
fonction, ou une seule qualification).
100

Foncn. tions Rception


d'un
PersonK
adjuvant
nages N.
n.

Mandement

Acceptation
d'un
contrat

Rception Rception
d'une
d'un
bien
information

Lutte
victorieuse

Pi

P2

P3

P*

P5
Pe

...

Pn...
L'analyse peut certainement aller plus loin. Une notion simple, un
axe smantique donn, peut se laisser dcomposer en traits distinctifs
pertinents, du type :
riche
socialiste
sexu

us
vs
vs

non riche
non socialiste
non sexu
etc

De mme que le phonme se dfinit comme faisceau de traits pertinents


simultans (/D/ : occlusif + sonore, etc., vs /T/ : occlusif + sourd, etc.),
de mme le personnage sera dcrit en pareils termes, comme support de
traits smantiques simultans 37, prsents ou absents. Il pourra tre
intressant de classer ensuite ces traits distinctifs retenus selon certains
modles (du type hexagone logique par exemple) dfinis par leur isotopie 38 :
masculin
non fminin

sexu
asexu

fminin
non masculin

II sera ainsi ais de voir :


a) quels sont les ples logiques prfrentiellement occups par
les personnages du rcit,
b) quels sont les axes oppositionnels prfrentiellement utiliss,
c) quels sont les rapports entre plusieurs schmas logiques,
37. Voir C. Lvi-Strauss (la Structure et la forme, op. cit., p. 26. Voir ci-dessus
note 25).
38. Sur l'importance des ples neutres (ni... ni...) ou complexes (et... et /ou...
ou) pour gnrer des personnages de mdiateurs ou d'tres ambigus (tricksters,
arbitres, etc.), voir C. Lvi-Strauss, Anthropologie structurale (p. 248 et suiv.). A.-J. Greimas dfinit ainsi le concept d'isotopie : Un ensemble redondant de catgories
smantiques qui rend possible la lecture uniforme du rcit , in Du sens, p. 188.
101

d) quels sont les trajets dialectiques accomplis d'un ple l'autre


par les personnages supports de ces qualifications 39.
Un autre problme, quantitatif et non plus seulement qualitatif,
risque de se poser en cas de ressemblance totale entre deux personnages
synonymes (deux personnages colreux, ou socialistes, ou sexus...),
deux hros qui accomplissent les mmes actions, etc. Il pourra tre utile
de mettre sur pied l'intrieur d'un mme axe smantique, une chelle de
graduation (du type : moins colreux -> plus colreux) qui vienne complter
les structures oppositionnelles du type colreux us non colreux40. La
principale difficult sera de constituer les paramtres qui distingueront les degrs
de qualification des personnages. Un personnage cit une seule fois comme
colreux peut l'tre beaucoup plus qu'un personnage colreux
apparaissant plusieurs fois et plusieurs fois dcrit comme tel. Il faudra donc,
sans doute, retenir des critres quantitatifs (la rptition), des critres
qualitatifs, et des critres fonctionnels (actions dterminantes pour l'action,
au sens Proppien). Par exemple, pour un personnage sexu :
a) une qualification (directe ou indirecte) unique 41,
b) une qualification (directe ou indirecte) rcurrente,
c) un acte fonctionnel unique 42 (un viol ou une tentative de viol
par exemple),
d) un acte fonctionnel ritr (plusieurs viols ou tentatives de
viol).
On classera ensuite les divers personnages PV P2, Pn...) selon qu'ils
ont t informs par un, deux, trois ou quatre de ces modes de
dtermination; le personnage dtermin par les deux paramtres fonctionnels
(c et d) sera en gnral plus qualifi qu'un personnage dtermin simplement
par les deux paramtres qualificatifs (a et b). On aboutira des tableaux
du type ci-dessous (voir page suivante).
D'aprs ce tableau :
P8 sera considr comme plus sexu que P8
P1

P,
P*

P8
P7

P,
P.

P
Pu

P,
39. C'est la notion d'orientation des structures logiques. Voir A.-J. Greimas
(Du sens, p. 165).
40. Sur la diffrence entre structure scalaire et structure oppositionnelle, voir
R. Blanche, Structures intellectuelles, Paris, Vrin, 1969, p. 107 et suiv.
41. Pour la notion de qualification indirecte, voir ci-dessous 6. Le texte dira
par exemple le personnage est coureur de jupons .
42. Pour la dfinition de la fonction, voir Propp {Morphologie du Conte, p. 31 :
Par fonction, nous entendons l'action d'un personnage dfinie du point de vue de
sa signification dans le droulement de l'intrigue. Toute analyse du rcit est oblige,
un moment ou un autre, de distinguer entre fonction et qualification, nonc narratif
et nonc descriptif (ou attributif). Voir A.-J. Greimas, Du sens, p. 167 et suiv. et
Cl. Brmond Observations sur la grammaire du dcameron , in Potique n 6, Paris,
d. du Seuil, 1971, p. 207 et suiv. L'nonc descriptif /attributif a trs souvent une
fonction dmarcative, son apparition fonctionnant comme ouverture ou clture d'une
squence narrative o il y a en transformation : dire d'un personnage qu'il est riche,
cela apparat soit aprs un processus d'enrichissement, soit avant un processus
d'appauvrissement. Le rcit est un processus qui conserve des supports (les personnages) et
permute les attributions.
102

Modes de
a
caractqualification
>.
risation
unique
Per>v
(directe
sonnages
n.
ou indirecte)
de l'uvre
N.
N.

n.

b
qualification
ritre

C
acte
fonctionnel
unique

d
acte
fonctionnel
ritr

Px

P2

Pa
Pf

Ps

P8

Pr

P,

Pia.

Pn...

P5 et Plo ne sont pas sexus , etc. Ainsi se constituera une hirarchie


qui pourra tre galement une base de dpart pour diffrencier les
personnages-hros ( principaux ) des personnages secondaires . Il ne faut pas
oublier cependant que l'auteur peut introduire dans son rcit toute une
srie de leurres destins garer le lecteur, et qui ne se rvleront comme tels
qu' la fin du rcit. De tels tableaux n'ont donc, a priori, qu'une valeur
indicative qui ne prjuge en rien la fonctionnalit des personnages43.
3. Homologu un signe, le personnage se dfinira par son statut
d'intgrant et de compos. Ceci fait appel la notion de niveaux de
description, qui est, on le sait, fondamentale en linguistique 44. Tout signe se dfinit
43. Dans la Vieille fille de Balzac le personnage sexu n'est pas, malgr une
information abondante et de nombreux indices qui le prsentent comme tel, vritablement
sexu, et inversement. En gnral chez le tratre , tre et paratre ne concident pas.
Le terme de leurre est employ par R. Barthes dans son analyse de la nouvelle de
Balzac Sarrasine (SfZ, Paris, d. du Seuil, 1970, voir notamment p. 92, 215, passim).
Ces leurres s'intgrent ce que R. Barthes appelle le code hermneutique du texte
(systme de leurres, de blocages, d'indices, de suspens, d'quivoques, de rponses
suspendues, etc., qui servent brouiller ou retarder une vrit).
44. Voir l'article classique d'E. Benveniste, Les niveaux de l'analyse
linguistique , in Problmes de linguistique gnrale. Nous retrouvons cette notion chez C. LviStrauss (distinction code /armature /message, in Mythologiques I. Le Cru et le cuit,
p. 205), chez T. Todorov (plan smantique, plan syntaxique, plan verbal) dans sa
Grammaire du Dcameron (la Haye, Mouton, 1969), ou chez Greimas (Du sens, p. 166
et passim).
103

par les constituants simultans ou concatns qui le composent et par


l'unit plus haute dans laquelle il s'intgre, en plus, bien sr de ses rapports
avec les units de mme niveau. Un mot, par exemple, se dfinira par les
morphmes qui le composent, leur ordonnancement, et par la place qu'il
peut occuper dans le syntagme; un phonme se dfinit comme faisceau de
traits pertinents simultans et par la place qu'il peut occuper dans la
syllabe, etc. En tant que morphme discontinu le personnage se dfinira :
a) Par la somme, l'ordre d'apparition, et la distribution des segments
et des substituts qui composent son support-signifiant discontinu (voir
ci-dessus 1).
b ) Par un signifi discontinu, faisceau de traits smantiques simultans,
auquel il renvoit (voir ci-dessus 2).
c) Par son mode de relation, enfin, avec un lexique de personnagestypes beaucoup plus gnraux, les actants. Ceux-ci forment un petit
paradigme clos, d'un niveau suprieur d'abstraction (Sujet Objet Destinateur Destinataire Adjuvant Opposant), et la plupart des
systmes actantiels labors soit intuitivement (Souriau), soit partir d'une
analyse fonctionnelle d'un corpus (Propp), soit partir de problmes
syntaxiques spcifiques (Tesnire, Greimas, Fillmore...) se recoupent de faon
sensible. Ce niveau est hirarchiquement suprieur au niveau (smiologique) des personnages proprement dits, au sens d'acteurs individualiss
par une srie de traits pertinents, et engags dans l'histoire d'une uvre
particulire. L'analyse dfinira donc des niveaux d'abstraction, ou de
figuration , du plus profond au plus superficiel , qui ne seront pas
isomorphes : plusieurs des personnages-acteurs peuvent relever de la mme
unit actantielle (il peut y avoir plusieurs incarnations de l'actant-sujet
dans un rcit), un seul personnage peut cumuler plusieurs dfinitions actantielles (Ivan, dans le conte populaire russe, est la fois sujet et bnficiaire
et hros) 45, enfin un ple actantiel peut tre absent. Pour une uvre
donne, l'analyse devra donc dfinir par quels personnages (acteurs) sont
occups les ples actantiels, mais le rcit tant une combinatoire oriente de
classes logiques complmentaires, elle devra galement tenir compte du
dcoupage en squences de l'nonc. Elle aboutira donc des propositions
du type : le ple actantiel objet est occup par les personnages-acteurs
a, b, c, n... dans la squence S dfinie par sa position P (car le rcit permute
perptuellement la dtermination des personnages). Du point de vue
syntaxique , l'intrieur d'une squence donne, ces acteurs peuvent constituer
telle figure propre gnrale (la confrontation, l'preuve, le contrat, etc.)
qui constituent les invariants syntagmatiques du rcit. D'o l'ambigut
de ce terme mme de personnage , plus ou moins cheval sur plusieurs
niveaux non isomorphes, dont on se sert en gnral pour dfinir un procd
indispensable l'tablissement de tout systme discursif cohrent (cohsion,
mmorisation, conomie, substitution) 46. On aurait donc probablement
intrt en rserver l'emploi pour le niveau anthropomorphe et figuratif
de la signification (tel personnage nomm et individualis l'chelle d'une
45. Voir Propp, op. cit., p. 96 et suiv.
46. Des notions simples smantiques comme celles de sujet, d'objet, etc., se
retrouvent aussi bien au niveau syntaxique (une phrase) qu'au niveau de l'nonc
global (tout le rcit). Il est particulirement intressant d'explorer toutes les analogies
qui existent entre la phrase et l'nonc et de considrer le rcit comme une grande
phrase dmultiplie. Voir, par exemple, Cl. Brmond, art. cit., avec toutes ses
catgories (le temps, le mode, l'aspect, la voix, etc.) : Le modle actantiel est, en premier
lieu, l'extrapolation de la structure syntaxique (A.-J. Greimas, Smantique
structurale, p. 185).
104

uvre particulire), le remplacer par le terme acteur, et utiliser la notion


d'octant quand on se trouve dj un certain niveau plus gnral; on
appellerait personnages-types (voir ci-dessus 2) les personnages communs
plusieurs squences et dfinis par un mme nombre d'axes smantiques
simples (sans prjuger leur fonctionnalit diffrentielle). Par exemple,
chez Zola, le btisseur l' intrus , etc., chez Lvi-Strauss : la fille
folle de miel , le dnicheur d'oiseau , la grand-mre libertine , etc.
(Mythologiques, passim), chez Faulkner le pauvre blanc , l'
intellectuel 47, etc. On emploierait enfin la notion de hros (voir ci-dessus)
quand on se trouve au niveau culturel des faits de parole (focalisation,
emphase) du rcit. On peut essayer de rcapituler tout cela en un tableau :
Niveaux
d'analyse

Types de
structures

hors - manifestation
structures logiques
(hors-uvre)

manifestation (chelle
d'une uvre
particulire manifeste en
tel systme smiologique)

structures
smantiques (units
l'nonc) (ordre
lointain), le rcit

Types
d'units

Niveaux
de figuration

taxinomies et schmas ni figuratif /ni


logiques
anthropomorphe
fondamentaux (achroniques)
syntagmes narratifsde types / Actants -*
personnages - types figuratif o
* acteurs * rles

structures smiologi- pronoms, substituts,


ques (signes linguis- noms propres, anatiques)(ordre proche) phores...
structures culturelles
et stylistiques
d'emphase (codes conno- hros
tatifs)

anthropomorphe et /
ou figuratif

4. Tout signe se dfinit par des restrictions slectives, c'est--dire


l'ensemble des rgles qui limitent ses possibilits de combinaison avec les autres
signes. Ces rgles peuvent tre de plusieurs sortes : linguistiques (lies au
47. Chaque squence d'un rcit offre [...] une certaine distribution d'acteurs
(units lexicalises) partir d'actants (units smantiques de l'armature du rcit)
(A.- J. Greimas, in Du sens p. 253). L'analyse peut d'ailleurs s'tendre : Au lieu d'avoir
recours l'actant considr comme un archi-actew, il est possible [...] de chercher
dgager des units smantiques plus petites, des sortes de sous-acteurs, et [...] essayer
de dfinir [...] le concept de rle [...] le contenu smantique minimal du rle est, par
consquent, identique celui de l'acteur, l'exception toutefois du sme d'individuation
qu'il ne comporte pas : le rle est une entit figurative anime, mais anonyme et sociale;
l'acteur, en retour, est un individu intgrant et assumant un ou plusieurs rles (Du
sens, p. 256). Nous avons donc la hirarchie : Actant
> Personnage-type
*
Personnage (Acteur)
> rle. Chez F. Rastier et S. Alexandrescu, nous avons plutt la
hirarchie : Actant
* rle
acteur. Peu importent les dnominations, et la
terminologie : ce qui importe, c'est de distinguer des niveaux spcifiques dans la
description (et construire autant de modles).
48. Nous inversons dans ce tableau les notions de figuratif et d'anthropomorphe
par rapport aux niveaux o elles apparaissent chez A.-J. Greimas (Du sens, p. 166).
La notion de figuratif nous parat plus gnrale que celle d'anthropomorphe, comme
cela est le cas par exemple en peinture.
105

choix du support linguistique : par exemple la linarit d'apparition des


signifiants49), logiques (tout rcit se caractrise par une prvisibilit plus ou
moins forte, plus ou moins accepte, de certains trajets obligatoires
tant donns tel ou tel contenu de dpart ^J, ou idologiques : filtrage de
certains codes culturels, comme le vraisemblable, la biensance, etc., qui
viennent limiter la capacit thorique du modle et imposer au narrateur
une srie de contraintes pralables.
Si l'on admet que le sens d'un signe dans un nonc est rgi par tout
le contexte prcdent qui slectionne et actualise une signification parmi
plusieurs thoriquement possibles, on peut essayer d'largir cette notion
de contexte tout le texte de l'Histoire et de la Culture. Par exemple,
l'apparition d'un personnage historique (Napolon Ier) ou mythique (Phdre
dfinie comme fille de Minos et de Pasipha) viendra certainement rendre
minemment prvisible leur rle dans le rcit, dans la mesure o ce rle est
dj prdtermin dans ses grandes lignes par une Histoire pralable dj
crite et fixe. En tant que fille de Gervaise et de Coupeau, en tant que
Macquart (donc dfinie a priori par une hrdit), la fin misrable de Nana
est dj programme , sa sphre d'action est dj fortement
dtermine par la seule mention du nom propre S1.
Mais l'uvre, on Ta vu, construit son propre code, et par consquent
labore ses propres restrictions internes. Celles-ci, repres par l'analyse,
dfiniront l'uvre spcifiquement. Il s'agira par exemple de voir si
l'apparition d'un personnage Pj implique l'apparition d'un personnage P2, si cette
implication est bilatrale (P1
> P2 et P2
> Px) ou unilatrale (Px
> Pa
mais P2 -ff-> Pi). On remarquera chez Zola par exemple, dans de trs
nombreux romans, que l'apparition d'un personnage de cur implique celle d'un
docteur. On classera ensuite les personnages sur la base de leur autonomie
relative; le sommet de la hirarchie, souvent, concidera avec l'emploi
de hros (voir ci-dessus); on classera ensuite les personnages par leur
place d'apparition qui est souvent, comme l'a montr Propp, elle aussi
dtermine par le rle actantiel qu'ils assument 52.
49. Par exemple aussi le rle de suggestion de personnages que peuvent jouer
certains paradigmes lexicaux, grammaticaux, ou culturels par exemple la liste
des couleurs, des vertus, des pchs, etc. (voir J. Batany, Paradigmes lexicaux et
structures littraires au Moyen Age , in Revue d'Histoire littraire de la France, Paris,
A. Colin, sept.-dc. 1970). Ou certaines figures de rhtorique (voir G. Genette,
Mtonymie chez Proust, ou la naissance du rcit , in Potique n 2, Paris, d. du Seuil, 1970).
Il y aurait toute une narratologie gntique constituer. Le langage porte en effet
en lui, dans ses constituants les plus humbles (lexique, paradigmes grammaticaux...)
ou les plus fossiliss par l'usage (la locution, le clich, la mtaphore use...), les germes
de tout rcit possible, des suggestions implicites pour une articulation discursive du
sens et pour des anthropomorphisations qui creront des personnages. Pour C. LviStrauss les personnages, en tant que mythmes , sont des lments fortement
prcontraints .
50. Voir A.-J. Greimas, Les jeux des contraintes smiotiques , in Du sens,
p. 135 et suiv.). Sur les contraintes qui psent sur le conteur, voir Propp, op. cit., p. 139)
et ci-dessus, II, 3. Propp avait galement remarqu que le peuple n'a pas produit
toutes les formes mathmatiquement possibles .
51. Voir L. Spitzer, tudes de style (Paris, Gallimard, 1970, p. 222) : Le nom
est en quelque sorte l'impratif catgorique du personnage. Mais ceci est vrai pour
tout rcit et tout personnage (historique ou non) : plus un rcit s'allonge, plus le
personnage est prdtermin par tout ce que le lecteur sait dj de lui. D'o la possibilit
pour l'auteur de mnager toute une srie de dceptions dans cette attente.
52. On retrouvera l la notion de distribution de la linguistique, que Propp
avait reprise son compte : on peut considrer cette distribution (des personnages)
comme la norme du conte (p. 103).
106

5. Le signe linguistique se dfinit par son arbitraire; mais le degr


d'arbitraire d'un signe peut tre variable, dans la langue mme, et dans
d'autres systmes smiologiques. On peut retrouver cette notion si l'on
examine la relation qui existe entre le nom du personnage (son signifiant :
noms propres, communs, et substituts divers qui lui servent de support
discontinu) et la somme d'information laquelle il renvoie (son signifi).
Cette relation est trs frquemment motive . On connat le souci quasi
maniaque de la plupart des romanciers pour choisir le nom ou le prnom de
leurs personnages. Avant de s'arrter sur Rougon et sur Macquart, Zola a
noirci plusieurs pages de listes de noms propres. On connat les rveries de
Proust sur le nom des Guermantes ou sur le nom des localits bretonnes M.
Cette motivation peut tre : a) visuelle (graphique) : la lettre O voquant
une ide de rondeur, la lettre I une ide de maigreur, etc.; b) acoustique
(auditive) : les onomatopes proprement dites; c) articulatoire (musculaire):
la racine T.K., par exemple, image d'un mouvement brusque des organes de
la parole, et formant un champ morphosmantique cohrent associ l'ide
de coup M; d) tymologique et drivationnelle, pour certains noms qui restent
morphologiquement clairs , car faits de constituants immdiatement
identifiables 55 : morphmes sens fixe (prfixes et suffixes divers), suffixes
et radicaux divers, souvent de drivation populaire, comme les suffixes
-ard, -et, -ouille (ex : M. Fenouillard, matre Bafouillet, etc., chez Christophe)
qui sont chargs de sens et de connotations par analogie des sries comme
capitulard/ revanchard/ vantard/... fripouille/ Gribouille/ nouille/ trouille/
bouille..., etc. L'article (La Berma) la particule (M. de.../ Mme de...), le
titre (le comte de...), le redoublement expressif (Tintin/Toto...), certains
prnoms (Philippe, Anne...) ou noms (M. de Saint-N...) culturellement
valoriss fonctionnent comme autant de morphmes sens fixe renvoyant
tel ou tel contenu strotyp (la noblesse d'esprit, la familiarit, la
bassesse, etc.) 56. Dans la Faute de l'abb Mouret de Zola, la pure jeune fille
s'appelle Albine (Blanche, dans la premire bauche du roman), le prtre
asservi par la religion s'appelle Serge, le cur fanatique dfenseur de la
lettre se nomme Archangias, etc. 67. L'instinct tymologique, et l'analogie,
53. Pour la pense indigne, le nom propre constitue une mtaphore de la
personne , C. Lvi-Strauss, in Mythologiques II, Du miel aux cendres, p. 234 (Paris,
Pion, 1968). Voir aussi Thorie de la littrature, op. cit., p. 294.
54. Voir P. Guiraud, Structures tymologiques du lexique franais (Paris, Larousse,
1967, p. 65 et suiv.). Trs souvent la simple euphonie joue, le couple euphonie
/cacophonie doublant et corroborant l'opposition bon /mchant ou hros /tratre.
55. Sur cette question de la transparence morphologique, voir Saussure,
Cours de linguistique gnrale, op. cit., p. 180 et suiv., et J. Dubois, Les problmes
du vocabulaire technique , in Cahiers de lexicologie, 1966, n 9.
56. Les formalistes russes (Thorie de la littrature, op. cit., p. 282 et suiv.) ont
repris et largi cette notion de motivation . Les auteurs ralistes et naturalistes, qui
voulaient systmatiquement banaliser et prosaser leurs hros, ont trs souvent
donn leurs romans, comme titres, des noms propres qui connotaient cette banalit :
Madame Bovary, Germinie Lacerteux, Madeleine Frat, Thrse Raquin, etc.
57. Les cas les plus intressants sont ceux o nous voyons, dans un nonc, un
personnage s'inventer un nom propre, ou se faire baptiser. Par exemple dans la Cure,
de Zola, nous voyons le financier Aristide Rougon se choisir un nom de guerre :
Saccardl... avec deux c... Hein! Il y a de l'argent dans ce nom-l; on dirait que l'on
compte des pices de cent sous... un nom aller au bagne ou gagner des millions
(les Rougon-Macquart, Bibliothque de la Pliade, Paris, Gallimard, 1960, t. I, p. 364).
Zola, dans les Romanciers naturalistes, raconte galement l'anecdote de Flaubert venant
le supplier de ne pas prendre le nom de Bouvard pour Son Excellence Eugne Rougon,
et de le lui laisser pour son livre. L'histoire littraire est pleine d'anecdotes de ce genre.
D'un autre ct, on connat l'intrt que C. Lvi-Strauss porte l'tymologie du nom
107

jouent ici fond, et plus le rcit s'adresse un public vaste et htrogne,


plus ces diverses tendances seront utilises car il faut assurer la
communication en faisant rfrence au plus grand nombre de codes strotyps
possibles.
6. Tout nonc se caractrise par la redondance des marques
grammaticales. La communication est ce prix. Cette redondance, plus ou moins
rgie chelle syntagmatique (phnomnes d'accord, de rection), est
alatoire grande chelle, chelle de l'nonc, et demandera se fixer sur
certains supports particuliers. Le personnage est un de ces lieux et un de ces
centres privilgis. Au simple niveau signifiant, les rcurrences du nom
propre et le jeu des substituts en sont dj un facteur de redondance. Sur le
plan du signifi, l'uvre, culturellement et structurellement centre sur
les supports de la narration que sont les personnages, et traditionnellement
anthropomorphe en littrature, va employer toute une srie de procds
convergents pour renforcer l'information vhicule par et pour les
personnages, qui sont les supports de la conservation et de la transformation du
sens. C'est ce que les formalistes russes appelaient les procds de caractrisation indirecte M , procds trs divers qu'il s'agit de reprer et dclasser.
Nous avons dj vu que le nom propre pouvait tre, par sa motivation, un
lment de rduplication smantique (annonce et redoublement de sa
psychologie , voire annonce de son destin gnral). Un autre procd
trs employ est celui du dcor (milieu) en accord (ou en dsaccord) avec
les sentiments ou les penses des personnages : personnage heureux situ
dans un locus amoenus 59 , personnage malheureux dans un lieu
angoissant, etc. Nous avons l, grande chelle, une sorte de mtonymie
narrative : le tout pour la partie, le dcor pour le personnage, l'habitat pour
l'habitant, qui est peut-tre propre, en gnral, aux auteurs ralistes m .
Tout ceci pose d'ailleurs le problme de la description, de son statut, de son
des personnages de mythes (voir son analyse du mythe d'dipe dans V Anthropologie
structurale). D'o le problme que posent souvent les noms propres quand on traduit
un rcit d'une langue en une autre. Or, en gnral, il n'est pas traduit, ce qui entrane
une perte (ou un appauvrissement) de son information .
58. Voir Tomachevski (in Thorie de la littrature, op. cit., p. 294). L'analyse
pourra donc rduire les segments descriptifs : II sera facile de les convertir en
propositions dont le vritable sujet (du point de vue narratif) est une personne (...). On
peroit intuitivement, et on vrifie empiriquement que ce type de rduction est presque
toujours possible , Cl. Brmond (Potique, n 6).
59. Sur le topos du locus amoenus, voir E. R. Curtius, la littrature europenne et
le Moyen Age latin (Paris, P.U.F., 1956, p. 226 et suiv.). Ce topos fonctionne comme
un nonc attributif (qualificatif) simple, et se retrouvera donc souvent aux
dmarcations stratgiques de l'nonc : dbut et fin du rcit, dbut et fin de squence, etc.
Propp (puvr. cit., p. 37-38) avait dj not que ce topos tait souvent plac en dbut
de conte. Tout ceci n'est pas propre, bien sr, au conte ou au rcit fait de signes
linguistiques. En peinture, trs souvent, le fond des portraits fonctionne non comme un
dcor raliste, mais comme un attribut symbolique du personnage reprsent. Voir
par exemple les estampes japonaises (signe et brevet de la modernit l'poque) sur
le fond du portrait de Zola par Manet.
60. Propp classe sans hsiter 1' habitat parmi les attributs fondamentaux
du personnage (Morphologie du conte, p. 107). Pour Jakobson (Essais de linguistique
gnrale, Paris, d. de Minuit, p. 63) : L'auteur raliste opre des digressions
mtonymiques de l'intrigue l'atmosphre et des personnages au cadre spatio-temporel.
Il est friand de dtails synecdochiques. Voir galement Wellek et Warren (la Thorie
littraire, op. cit., p. 309) : Le dcor, c'est le milieu; et tout milieu, notamment un
intrieur domestique, peut tre considr comme l'exprience mtonymique ou
mtaphorique d'un personnage.
108

fonctionnement interne, et de ses rapports avec la narration dans laquelle


elle est insre 61. On peut notamment remarquer que la description est le
lieu privilgi de la mtaphore : un bouleau est flexible comme une jeune
fille , un arbre se dresse comme un colosse solitaire , etc., c'est--dire
l'endroit o le rcit se connote euphoriquement ou dysphoriquement.
D'autre part on peut remarquer que ces mtaphores sont en gnral
anthropomorphiques (comme une jeune fille/comme un colosse...), c'est-dire qu'elles corroborent et accentuent le centrage du rcit sur le
personnage. Enfin, la description utilise volontiers des tours dynamisants
comme le pronominal (se dresser/se creuser, s'tendre, se drouler...) le
grondif (tout en...) ou des organisateurs emprunts au rcit (tandis que...
pendant que... d'abord venait... ensuite... etc.) 62. Tout cela a pour effet
d'accentuer l'anthropocentrisme du rcit et la circulation smantique entre
la description et la narration, donc de dterminer indirectement
l'information sur les personnages, voire de crer une philosophie spcifique, celle
de l'interaction milieu-vivant dont on sait par exemple qu'elle fut la
doctrine de l'cole naturaliste 63.
Plusieurs autres procds similaires (stylistiques) peuvent venir
accentuer la redondance globale de l'nonc et accentuer la prvisibilit du rcit,
donc la dtermination des personnages. Ce sont :
a) Les descriptions du physique, du vtement, la phrasologie (les
clichs d'Homais), l'expos des motivations psychologiques, etc. Ces
dernires ne sont souvent l que pour justifier la cohrence psychologique du
personnage ou l'apparition d'un acte important.
b) Les auxiliaires (adjuvants) du personnage ne sont bien souvent que
la concrtisation de certaines de ses qualits psychologiques, morales, ou
physiques (massue d'Hercule, lion d'Yvain...).
c) La rfrence certaines histoires connues (dj crites dans l'extratexte global de la culture) fonctionne comme une restriction du champ
de la libert des personnages, comme une prdtermination de leur destin.
Ainsi la rfrence Phdre dans la Cure, la Gense dans la Faute de
l'abb Mouret, etc. 64.
d) Le texte peut se rpter soi-mme, en abyme , en insrant dans
son parcours un fragment (paragraphe, scne, petit rcit, histoire exemplaire
plus ou moins autonome, etc.) qui, en une sorte de rduplication
smantique, fonctionnera comme une sorte de maquette , de modle rduit de
l'uvre tout entire, et o des personnages reproduiront chelle rduite
le systme global des personnages de l'uvre dans son ensemble. Par l,
l'uvre se cite elle-mme, se referme sur elle-mme, et se rapproche de la
tautologie, ou de la construction anagrammatique. Bien souvent ce sont des
peintures, des tableaux, qui sont mentionns par l'uvre et qui y
fonctionnent comme ses symboles 65.
61. Voir notre article : Qu'est-ce qu'une description? paratre dans la revue
Potique en 1972.
62. Pour tous ces tours, dont certains ont t privilgis systmatiquement par
les crivains impressionnistes du xixe sicle et leur nombreuse descendance,
voir J. Dubois, les Romanciers franais de l'instantan au XIXe sicle (Bruxelles, 1963).
63. Zola dfinit ainsi le personnage : organisme complexe qui fonctionne sous
l'influence d'un certain milieu (in tes Romanciers naturalistes).
64. Tous ces procds accentuent le prvisibilit du rcit : multiplier les allusions
la Gense dans la Faute de l'abb Mouret quivaut laisser prvoir, pour les deux
personnages-hros, une fin identique celle d'Adam et Eve.
65. Voir les procds du thtre sur le thtre (Hamlet), du tableau dans le tableau
(le peintre et son modle), du film dans le film, du rcit dans le rcit, etc. Voir aussi
109

e) Des actions itratives non fonctionnelles. Celles-ci peuvent tre


reverses par l'analyse dans la catgorie des qualifications permanentes du
personnage, elles ne font en gnral que l'illustrer, sans mettre en jeu de
transformation. Nous avons l un procd stylistique parfois proche de
l'hyperbole : dire d'un pauvre bcheron qu'il allait couper du bois tous les
jours dans la fort ne fait que le dfinir comme trs pauvre (et trs
bcheron) 66.
Concluons : Les lignes qui prcdent n'avaient d'autre ambition que
de circonscrire un projet, celui d'homogniser, au sein d'une smiologie de
l'uvre, le problme de la description du personnage : distribution, niveaux
de description, arbitraire et motivation, rapports l'ensemble du systme,
variations stylistiques, limination de la redondance, mise sur pied d'une
thorie, ces concepts et ces programmes sont a priori communs toute
smiologie. Ils doivent donc tre garants de la spcificit d'une smiologie
du personnage, et permettre de distinguer celle-ci de l'approche historique,
psychologique, psychanalytique ou sociologique.

Propp (ouvr. cit., p. 95) : Comme tout ce qui vit, le conte n'engendre que des enfants
qui lui ressemblent. Si une cellule de cet organisme se transforme en petit conte dans
le conte, celui-ci se construit [...] selon les mmes lois que n'importe quel autre conte
merveilleux.
66. Toute rptition d'unit est importante, mais peut avoir une (ou plusieurs)
fonction(s) variable(s) : fonction dilatoire (retarder un dnouement), hyperbolique,
dcorative, dmarcative (souligner les divisions de l'nonc), etc. Il peut souvent y
avoir rptition -f- transformation (modulation, variation) du motif rpt; C. LviStrauss a remarqu que le mythe utilisait souvent des fins structurelles (accentuer
une cohsion interne, annoncer un vnement ultrieur, camoufler une opposition, etc.)
la rduplication d'une squence : La rptition a une fonction propre, qui est de
rendre manifeste la structure du mythe (in Anthropologie structurale, p. 254. Voir aussi
Mythologiques I, le Cru et le cuit, p. 119).
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