Statut Semiologique Du Personnage
Statut Semiologique Du Personnage
Statut Semiologique Du Personnage
POUR
UN
STATUT SMIOLOGIQUE DU
PERSONNAGE
Quelle part en incombe l'poque, quelle part son propre projet, quelle
part au sminaire? Comment expliquer le coup de pistolet sur Mme de Rnal?
On nage en pleine plaidoirie judiciaire, exactement comme si on parlait
d'tre vivants dont il faut justifier une conduite incohrente) 2. Une des
premires tches d'une thorie littraire rigoureuse ( fonctionnelle et
immanente pour reprendre des termes imposs par les formalistes russes)
serait donc, sans vouloir pour cela remplacer les approches traditionnelles
de la question (priorit n'est pas primaut), de faire prcder toute exgse
ou tout commentaire d'un stade descriptif qui se dplacerait l'intrieur
d'une stricte problmatique smiologique (ou smiotique, comme on
voudra). Mais considrer a priori le personnage comme un signe, c'est--dire
choisir un point de vue qui construit cet objet en l'intgrant au message
dfini lui-mme comme compos de signes linguistiques (au lieu de
l'accepter comme donn par une tradition critique et par une culture centre sur
la notion de personne humaine), cela impliquera que l'analyse reste
homogne son projet et accepte toutes les consquences mthodologiques
qu'il implique. Il est notamment probable qu'une smiologie du personnage
pousera les problmes et les limites actuelles de la smiologie (tout court) :
cette smiologie est en effet en cours de constitution et commence
seulement jeter les bases d'une thorie de l'agencement discursif du sens
l'intrieur des noncs, thorie du rcit ou linguistique du discours 3. Enfin,
il ne faut pas oublier que cette notion de personnage :
a) n'est pas une notion exclusivement littraire : le problme de la
littralit de la question (fonctionnement en nonc d'une unit
particulire appele personnage , problme, si l'on veut, de grammaire
textuelle ) doit tre prioritaire celui de sa littrarit (critres culturels et
esthtiques); par exemple le prsident-directeur-gnral, la socit anonyme,
le lgislateur, le mandat, le dividende sont les personnages plus ou moins
anthropomorphes et figuratifs mis en scne par le texte de la loi sur les
socits 4; de mme l'uf, la farine, le beurre, le gaz sont les personnages
2. Selon Roland Barthes (l'Empire des signes, Genve, Skira, 1970, p. 15-16),
les Japonais seraient l'abri de cette illusion rfrentielle : Comme beaucoup de
langues, le japonais distingue l'anim (humain et/ou animal) de l'inanim, notamment
au niveau de ses verbes tre; or, les personnages fictifs qui sont introduits dans une
histoire (du genre : il tait une fois un roi) sont affects de la marque de l'inanim;
alors que tout notre art s'essouffle dcrter la " vie ", la " ralit " des tres
romanesques, la structure mme du japonais ramne ou retient ces tres dans leurs qualits
de " produits ", de signes coups de l'alibi rfrentiel par excellence : celui de la chose
vivante.
3. Au sujet de la smiologie, voir les lignes inaugurales et connues de Saussure
(Cours de linguistique gnrale, Payot, 1965, p. 33, 100, 101). Dans un important article
(Semiotica, Mouton, La Haye, 1969, I, 1 et I, 2) intitul Smiologie de la langue,
E. Benveniste dfinit deux modes de signifiance : celui propre au signe (smiotique)
et celui propre au discours (smantique), chacun manipulant ses units spcifiques.
Nous reprendrons ici cette terminologie. Le travail thorique le plus considrable est
certainement, l'heure actuelle (1971), celui d'A.-J. Greimas (Du sens, Paris, d.
du Seuil).
4. Voir Analyse smiotique d'un discours juridique, par un groupe de travail
dirig par A.-J. Greimas (Documents de travail et prpublications du C.I.S.L. d'Urbino,
n 7, srie C, aot 1971, Urbino). Propp, dans sa Morphologie du conte (Paris, d.
du Seuil, 1970, p. 100) avait galement not que des objets et des qualits taient
des personnages part entire : Les tres vivants, les objets et les qualits doivent
tre considrs comme des valeurs quivalentes du point de vue d'une morphologie
fonde sur les fonctions de personnages. Ceci ne nous empchera pas, pour des raisons
de commodit, de prendre dans les lignes qui suivent nos exemples presque
exclusivement dans le champ de la littrature et de l'anthropomorphis.
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relations exclues
(nature)
relations anormales
(interdites)
^ C2
C2 ^
relation, normales
(non interdites)
^ Cl
relations non matrimoniales
(non prescrites)
:
:
:
:
amours conjugales.
inceste, homosexualit.
adultre de l'homme.
adultre de la femme.
gnalogie ou antcdents
non exprims u
anonyme
non dcrit physiquement
hrosme non explicit M
motiv psychologiquement
non motiv
psychologiquement
anthropomorphe (humain)
participant et narrateur de la fable
leitmotiv
en relation amoureuse avec un
personnage fminin central (hrone)
bavard
beau
riche
fort
jeune
noble
non anthropomorphe
simple participant la fable M
pas de leitmotiv **
sans relations amoureuses
dtermines
muet
laid
pauvre
faible
vieux
roturier ", etc.
apparat seul, ou conjoint avec n'importe quel autre personnage le. Cette
autonomie est souvent souligne par le fait que le hros seul dispose du
monologue (stances), alors que le personnage secondaire est vou au dialogue
(voir dans thtre classique). De mme l'apparition d'un personnage peut
tre plus ou moins rgie par une mention de milieu, ou par une place prcise,
prvisible et logiquement implique par l'apparition d'un syntagme narratif,
dans une suite de fonctions oriente et ordonnance. Propp en avait
dj fait la remarque : le conteur n'a pas la libert, dans certains cas, de
choisir certains personnages en fonction de leurs attributs, s'il a besoin d'une
fonction dtermine (Morphologie du conte, op. cit., p. 139). Ainsi un
personnage de cur apparatra en position finale d'un syntagme :
projet de mariage
mariage ( l'glise)
- rsolution du
prsuppos (rgi)
(rsout les
victorieux de l'opposant
16. Tmoin le hros picaresque, qui traverse des nbuleuses de personnages qui
ne rapparatront plus, et qui n'existeront que le temps de la rencontre. De mme,
l'inverse, le confident ou la suivante de thtre, dont l'apparition est toujours rgie
par celle du matre. Mais les ples marqus varient; on sait par exemple, que de
nombreuses fables privilgient un couple (Nisus et Euryale, les Deux Amis de Maupassant...)
dont il est curieux de noter qu'il est souvent en position d'infriorit finale, comme si
partager l'hrosme tait l'affaiblir fonctionnellement. Sur les personnages-doublets,
voir par exemple, C. Lvi-Strauss, Mythologiques II, Du miel aux cendres, p. 138-139,
156 (Paris, Pion, 1968) : Trs souvent, une duplication n'est que le camouflage d'une
structure dgrade. Trs souvent aussi, elle est une fatalit de la srie (du feuilleton,
du roman cyclique, ou pisodes, de la bande dessine hebdomadaire, etc.), les lecteurs
ayant besoin de se reconnatre dans un double du hros (compagnon plus ou moins
populaire et dsopilant, composite de qualits et de dfauts, animal familier participant
aux aventures...), double plus humain et moins monolithiquement parfait que le
hros. Notons enfin que des foules peuvent jouer le rle de personnages-hros : foules
de Germinal de Zola, d'Octobre d'Eisenstein, etc. Le hros est donc indpendant :
a) de toute anthropomorphisation, b) de toute individuation.
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ne rceptionne pas
d'adjuvants
tions actantielles (le hros est par exemple sujet + bnficiaire), en assurer
une seule, ou en endosser alternativement de diffrentes (tantt sujet,
tantt objet...). Certains procds, certains genres comme le roman par
lettres (Richardson, Laclos), les journaux intimes complmentaires (Gide),
ou le roman polyphonique (Dos Passos), en faisant varier perptuellement
la focalisation du texte, changent perptuellement de hros tout en
maintenant le mme schma actantiel stable 18.
L'tude du hros fait certainement partie de ce que l'on pourrait
appeler le domaine d'une socio-stylistique du personnage, domaine fortement
tributaire des contraintes idologiques et des filtres culturels 19. Reste en
baucher une smiologie proprement dite (ou du moins en dblayer l'aire!).
petit. Mais la signification d'un personnage (et ici nous opposons sens
signification, un peu comme Saussure oppose sens valeur), ne se constitue
pas tant par rptition (rcurrence de marques) ou par accumulation (d'un
moins dtermin un plus dtermin) u, que par diffrence vis--vis des
signes de mme niveau du mme systme, que par son insertion dans le
systme global de l'uvre. C'est donc diffrentiellement, vis--vis des
autres personnages de l'nonc que se dfinira avant tout un personnage.
Il faut bien remarquer, l'heure actuelle, que les analyses portant sur le
systme des personnages de tel ou tel roman n'existent pratiquement pas.
Il faut dire que les difficults sont grandes, comme toutes celles qui se
prsentent quand on se propose d'analyser des objets smantiques
manifests sous forme discursive 35.
Ce qui diffrencie un personnage Px d'un personnage P2, c'est son mode
de relation avec les autres personnages de l'uvre, c'est--dire un jeu de
ressemblances ou de diffrences smantiques. Ces ressemblances et ces
diffrences se mettent en place par rapport un certain nombre d'axes
smantiques distinctifs, caractriss par leur rcurrence, et auxquels renvoient,
ou ne renvoient pas, les personnages; par exemple, pour un feuilleton :
la beaut, la richesse, la jeunesse, l'amour, etc. Ces axes simples ( motifs )
sont reprs aprs segmentation de l'nonc et constitution de paradigmes
de prdicats fonctionnels, de sphres d'action au sens proppien, ou par
des mises en tableau et des lectures verticales telles que les pratique
C. Lvi-Strauss 3e. Du point de vue qui nous intresse (tablir le systme
des personnages d'un rcit donn), le premier problme rsoudre sera celui
34. Ou l'inverse, dans de nombreux textes modernes (Beckett, par exemple)
qui dtruisent, au fur et mesure que le rcit se droule, la stabilit smantique du
personnage.
35. T. Todorov, dans Potique de la prose (Paris, d. du Seuil, 1971, p. 15) dfinit
ainsi le programme d'une smiologie du personnage : Le premier pas dans cette voie
consisterait tudier les personnages d'un rcit et leurs rapports. Les nombreuses
indications des auteurs, ou mme un regard superficiel sur n'importe quel rcit montrent
que tel personnage s'oppose tel autre. Cependant une opposition immdiate des
personnages simplifierait ces rapports sans rapprocher notre but. Il vaudrait mieux
dcomposer chaque image en traits distinctifs, et mettre ceux-ci en rapport d'opposition
ou d'identit avec les traits distinctifs des autres personnages du mme rcit. On
obtiendrait ainsi un nombre rduit d'axes d'opposition dont les diverses combinaisons
regrouperaient ces traits en faisceaux reprsentatifs des personnages. Saussure, lui
aussi, on le sait, s'tait fortement intresse aux lgendes (Niebelungen) et un possible
traitement smiologique du problme du personnage : La lgende se compose d'une
srie de symboles, dans un sens prciser. Ces symboles, sans qu'ils s'en doutent, sont
soumis aux mmes vicissitudes et aux mmes lois que toutes les autres sries de
symboles, par exemple les symboles qui sont les mots de la langue. Ils font tous partie
de la smiologie [...]. Chacun des personnages est un symbole dont on peut voir varier
exactement comme pour la rime a) le nom, b) la position vis--vis des autres,
c) le caractre, d) la fonction, les actes. Cit par J. Starobinski, in le Texte dans le texte
(Tel Quel, n 37, Paris, d. du Seuil, 1929, p. 5). Parmi les premires tudes qui traitent
d'un point de vue smiologique ce problme du personnage, citons deux articles
importants : S. Alexandrescu, A project in the semantic analysis of the characters in William
Faulkner's work (Semiotica IV, 1, 1971) et F. Rastier, Les niveaux d'ambigut
des structures narratives (tude du Don Juan de Molire), (Semiotica III, 4, 1971).
36. Le terme de lecture verticale se trouve chez Propp (Morphologie du Conte,
op. cit., p. 174). Voir aussi l'analyse du mythe d'dipe par C. Lvi-Strauss dans
Anthropologie structurale (op. cit., p. 235 et suiv.) o l'ordre de succession
chronologique se rsorbe dans une structure matricielle a-temporelle (la Structure et la forme,
op. cit., p. 29), et R. Barthes ( Introduction l'analyse structurale du rcit , in
Communications, n 8, Paris, d. du Seuil, 1966, p. 6) : Le sens n'est pas au bout
du rcit, il le traverse.
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N.
Axes
N. retenus
Person^V
nages
N.
Physique
P*
Origine
sociale
Richesse
+
0
P*
P*
P*
Pn...
Mandement
Acceptation
d'un
contrat
Rception Rception
d'une
d'un
bien
information
Lutte
victorieuse
Pi
P2
P3
P*
P5
Pe
...
Pn...
L'analyse peut certainement aller plus loin. Une notion simple, un
axe smantique donn, peut se laisser dcomposer en traits distinctifs
pertinents, du type :
riche
socialiste
sexu
us
vs
vs
non riche
non socialiste
non sexu
etc
sexu
asexu
fminin
non masculin
P,
P*
P8
P7
P,
P.
P
Pu
P,
39. C'est la notion d'orientation des structures logiques. Voir A.-J. Greimas
(Du sens, p. 165).
40. Sur la diffrence entre structure scalaire et structure oppositionnelle, voir
R. Blanche, Structures intellectuelles, Paris, Vrin, 1969, p. 107 et suiv.
41. Pour la notion de qualification indirecte, voir ci-dessous 6. Le texte dira
par exemple le personnage est coureur de jupons .
42. Pour la dfinition de la fonction, voir Propp {Morphologie du Conte, p. 31 :
Par fonction, nous entendons l'action d'un personnage dfinie du point de vue de
sa signification dans le droulement de l'intrigue. Toute analyse du rcit est oblige,
un moment ou un autre, de distinguer entre fonction et qualification, nonc narratif
et nonc descriptif (ou attributif). Voir A.-J. Greimas, Du sens, p. 167 et suiv. et
Cl. Brmond Observations sur la grammaire du dcameron , in Potique n 6, Paris,
d. du Seuil, 1971, p. 207 et suiv. L'nonc descriptif /attributif a trs souvent une
fonction dmarcative, son apparition fonctionnant comme ouverture ou clture d'une
squence narrative o il y a en transformation : dire d'un personnage qu'il est riche,
cela apparat soit aprs un processus d'enrichissement, soit avant un processus
d'appauvrissement. Le rcit est un processus qui conserve des supports (les personnages) et
permute les attributions.
102
Modes de
a
caractqualification
>.
risation
unique
Per>v
(directe
sonnages
n.
ou indirecte)
de l'uvre
N.
N.
n.
b
qualification
ritre
C
acte
fonctionnel
unique
d
acte
fonctionnel
ritr
Px
P2
Pa
Pf
Ps
P8
Pr
P,
Pia.
Pn...
Types de
structures
hors - manifestation
structures logiques
(hors-uvre)
manifestation (chelle
d'une uvre
particulire manifeste en
tel systme smiologique)
structures
smantiques (units
l'nonc) (ordre
lointain), le rcit
Types
d'units
Niveaux
de figuration
anthropomorphe et /
ou figuratif
Propp (ouvr. cit., p. 95) : Comme tout ce qui vit, le conte n'engendre que des enfants
qui lui ressemblent. Si une cellule de cet organisme se transforme en petit conte dans
le conte, celui-ci se construit [...] selon les mmes lois que n'importe quel autre conte
merveilleux.
66. Toute rptition d'unit est importante, mais peut avoir une (ou plusieurs)
fonction(s) variable(s) : fonction dilatoire (retarder un dnouement), hyperbolique,
dcorative, dmarcative (souligner les divisions de l'nonc), etc. Il peut souvent y
avoir rptition -f- transformation (modulation, variation) du motif rpt; C. LviStrauss a remarqu que le mythe utilisait souvent des fins structurelles (accentuer
une cohsion interne, annoncer un vnement ultrieur, camoufler une opposition, etc.)
la rduplication d'une squence : La rptition a une fonction propre, qui est de
rendre manifeste la structure du mythe (in Anthropologie structurale, p. 254. Voir aussi
Mythologiques I, le Cru et le cuit, p. 119).
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