Les Prières Des Quarante-Heures PDF

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Monsieur Bernard Dompnier

Un aspect de la dvotion eucharistique dans la France du XVIIe


sicle : les prires des Quarante-Heures
In: Revue d'histoire de l'glise de France. Tome 67. N178, 1981. pp. 5-31.
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Dompnier Bernard. Un aspect de la dvotion eucharistique dans la France du XVIIe sicle : les prires des Quarante-Heures.
In: Revue d'histoire de l'glise de France. Tome 67. N178, 1981. pp. 5-31.
doi : 10.3406/rhef.1981.1669
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhef_0300-9505_1981_num_67_178_1669
UN
ASPECT DE LA DVOTION EUCHARISTIQUE
DANS LA FRANCE DU XVII* SICLE :
LES PRIRES DES QUARANTE-HEURES
Au cours du xvne sicle, le culte eucharistique connat un dvelop
pement important en France, comme l'attestent les multiples initia
tives et formes de dvotion places sous son signe. Tandis que les
dvots s'organisent en compagnies du Saint-Sacrement, des prtres
missionnaires dnomment leur communaut Congrgation du Trs-
Saint-Sacrement ; chez les religieuses, les Bndictines du Saint-Sacr
ement sont fondes par Catherine de Bar ; un peu partout, renaissent
ou apparaissent des confrries places sous le mme vocable alors que,
dans le mme temps, le culte de l'hostie imprgne et modifie la pra
tique des saluts . Faut-il enfin rappeler la place accorde la dvo
tion eucharistique dans la spiritualit de l'cole franaise 1 ?'
Ce phnomne n'est cependant pas exclusivement franais et cons
titue une dimension essentielle de la Rforme tridentine. Certes, les
derniers sicles du Moyen ge avaient t marqus par un accroiss
ement de la place occupe dans la pit des fidles par le culte euchar
istique : institution de la Fte-Dieu, processions du Saint-Sacrement
rpondent au dsir populaire de c voir l'hostie , attest aussi par la
place que prend l'lvation dans la clbration de la messe a. Mais
aprs le concile de Trente, l'exaltation de l'eucharistie rpond aux
ngations des rforms 8. Le culte rendu au Christ rellement prsent
dans l'hostie est une affirmation solennelle du dogme catholique de
la transsubstantiation et, en rgion de coexistence confessionnelle, une
manifestation, par l'glise romaine, de sa certitude et de sa force. De
1. Dictionnaire de spiritualit..., t. IV, art. c Dvotion eucharistique ; Histoire .
spirituelle de la France, Paris, 1964, p. 265-266. Sur le problme particulier des
saluts, J. de Viguerie, i Les fondations et la pit du peuple fidle. Les saluts
fonds Angers aux xvne et xvme sicles , dans Annales de Bretagne et des Pays
de V Ouest, t. 81, 1974, p. 589-597. Sur la religion de la prsence eucharistique,
source de la vie dvote , on consultera A. Dupront, c Vie et cration religieuses
dans la France moderne , dans La France et les Franais, Paris, 1972 (Encyclo
pdie de la Pliade), p. 511-512.
2. F. Rapp, L'glise et la fie religieuse en Occident la fin du Moyen ge, Paris,
1971, p. 145-146 ; E. Delaruelle, < La spiritualit aux xive et xve sicles , dans
La pit populaire au Moyen ge, Turin, 1975, p. 401-412.
3. J. Le Brun, dans Histoire spirituelle de la France, op. cit., p. 265. <v
R.H.E.F., t. LXVII, 1981.
O
B. DOMPNIER
plus, le dveloppement de la dvotion eucharistique peut aussi repr
senter pour les clercs un moyen d'orienter la pit des fidles, de hi
rarchiser les diverses dvotions et, ventuellement, de substituer celle
de l'hostie d'autres. Dans le mme sens, la solennit du culte rendu
l'Eucharistie peut permettre une prise de conscience de la respons
abilit de chacun dans la communion et donc une intriorisation de
la pit ; le dbat sur la frquente communion mrite d'tre replac
dans ce contexte de vnration de l'hostie dans lequel nombre de pr
dicateurs, sans vouloir loigner les fidles de l'Eucharistie, tonnent
toutefois contre les communions indignes qui portent condamnation
du coupable 4.
L'hostie dresse triomphalement face aux Protestants est aussi
l'objet d'une dvotion pressante dans les difficults et, par la commun
ion, l'aide qui doit conforter le fidle. Dans les prires des Quarante-
Heures, frquemment organises par le clerg franais du xvne sicle,
se retrouvent la plupart de ces caractres du culte eucharistique.
Origines, diffusion et caractres des Quarante-Heures.
. Dvotion trs-usite dans l'glise romaine aux xvne et
xviii6 sicles, les prires des Quarante-Heures font partie des pra
tiques cultuelles encore frquentes nagure et devenues aujourd'hui
trs rares. Institues en Italie au xvie sicle, elles taient essentiell
ement, l'origine, un temps de pnitence : leur dure voquait le temps
qui spare la mort du Christ de sa rsurrection, mais faisait aussi
rfrence au mysticisme symbolique du nombre quarante *. Orga
nises d'abord Milan la fin de la dcennie 1520, dans un contexte
de guerre et de calamits (sac de Rome en 1527, invasion franaise
du Milanais), les Quarante-Heures taient des prires expiatoires
adresses Dieu devant le Saint-Sacrement 7. Ce n'est qu'en 1537
que le rite solennel, avec exposition du Saint-Sacrement, est dfini
et que des indulgences sont concdes pour la premire fois aux fidles.
Si cette dernire date doit marquer la vritable institution des Qua
rante-Heures, il faut en considrer le Capucin Joseph de Ferno comme
le fondateur. C'est en effet lui qui, alors qu'il prche cette anne-l
le Carme Milan, c au lieu d'une adoration silencieuse accomplie
sans apparat dans une seule glise..., propose une crmonie expiatoire
4. Cf. J. Delumeau, Le catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, 1971, p. 166
et 282-284.
5. Encyclopdie ou Dictionnaire raisonn..., t. XIII, p. 659.
6. A. de Santi, L'orazione dlie Quarant'Ore, Rome, 1919, p. 2-3. Le nombre
quarante voque en effet le nombre d'annes passes par Isral dans le dsert, le
nombre de jours passs par le Christ dans le dsert, la dure du Carme, le nombre
de jours sparant la Rsurrection de l'Ascension.
7. Lors de ces prires de 1527-1529, on ne sait si le Saint-Sacrement tait expos
ou non. Voir A. de Santi, op. cit., chap. 2 et 3 ; Edouard d'Alenon, De origine
orationis XL Horarum Ordinis Fratrum Minorum Capuceinorum traditio vindicata,
Rome, 1897, p. 3 5.
LES PRIERES DES QUARANTE-HEURES 7
solennelle..^ avec procession solennelle du Saint-Sacrement 8. La
solennisation des Quarante- Heures, attribue aussi aux Capucins par
l'auteur du plus ancien ouvrage sur cette pratique de pit , est ga
lement revendique par les Barnabites 10. Quoi qu'il en soit, c'est
Milan, dans la dcennie 1527-1537, que prennent naissance les Quar
ante- Heures, comme supplication pour obtenir un terme aux cala
mits et comme dvotion au Saint-Sacrement expos u. Ds cette
poque aussi, les Capucins apparaissent parmi les principaux pro
moteurs de cette pratique de pit.
Rapidement, les Quarante- Heures sont organises dans de nomb
reuses villes italiennes. Joseph de Ferno les fait connatre, lors de
ses missions des annes 1537-1539 Pavie, Sienne, Arezzo. Son confrre
Franois de Soriano les introduit en Ombrie et Mattia Bellintani de
Sal les organise aussi en diverses localits 18. A Messine, menace
par les Turcs en 1552, ce sont toutefois les Jsuites qui organisent
des prires ininterrompues * comme ils le font ensuite en d'autres
villes. Mais bientt les disciples de saint Ignace apportent une variante
dans la clbration de ces prires : partir de 1556 semble-t-il, ils invi
tent les fidles des prires des Quarante- Heures organises durant
le carnaval, pour expier les fautes qui se commettent en cette priode
de l'anne 14 ; videmment, comme il s'agit d'arracher les fidles des
rjouissances profanes attrayantes, le culte est alors entour d'clat,
les glises abondamment illumines et richement dcores. A Rome
au xvne sicle, les apparati, dcors peints organisant l'espace autour
de l'hostie et voquant, par des tableaux allgoriques, la puissance
du Saint-Sacrement, sont une des expressions de l'art baroque dans
la cit pontificale 15.
Dans cette ville, les prires des Quarante- Heures furent introduites
en 1550 par saint Philippe Nri qui prit coutume de les organiser
8. Fredgand d'Anvers, c L'apostolat des Frres mineurs Capucins , dans
Liber memorialis O.F.M. S. Francisci Cappuccinorum, Rome, 1928, p. 12. Sur Joseph
de Ferno, Dictionnaire de spiritualit, t. 8, col. 1340-1341.
9. L'auteur de cet ouvrage est lui-mme capucin. Il s'agit de Mattia Bellintani
de Sal, qui publie Venise en 1586 un Trattato dlia S. Orazione dlie quaranta
Hore...
10. Cf. A. de Santi, op. cit., chap. 5. Prudemment, L. Pastor se contente d'vo
quer les diverses hypothses (Histoire des Papes, trad. A. Poizat, t. XI, p. 435).
11. Selon un de ses contemporains, le Pre Joseph de Ferno disait aux Milanais
qu'il promettait de la part de Dieu, que les guerres cesseraient s'ils clbraient
les Quarante-Heures (Edouard d'Alenon, op. cit., p. 24). -
12. A. de Santi, op. cit., chap. 8. -.
13. Ibid., p. 155.
14. Corne i Cappuccini solevano per tutto istituire l'orazione di quarant'ore nei
tre primi giorni dlia settimana santa, i Gesuiti si fecero promotori dello stesso exercizio
nei tre idtimi giorni di carnovale, in riparazione dlie colpe che particolarmente in
quel tempo si commettono nelle frnsie e nelle orgie dei publici e privati divertimenti
(A. de Santi, op. cit., p. 163-164).
15. Mark S. Weil, < The Dvotion ot the Forty Hours and Roman baroque
illusions , dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, t. 37, 1974, p. 218-
245.
8 B. DOMPNIER
une fois par mois 16. A la fin du sicle, en 1592, Clment VIII en codifia
la pratique Rome en les organisant de manire continue, une glise
de la ville commenant les prires au moment o elles se terminaient
dans une autre. Cette forme de clbration, qui est l'origine de l'Ado
ration perptuelle 1?, avait dj t esquisse par Joseph de Ferno 18.
Le pape, en rendant permanentes les Quarante- Heures Rome, voul
ait rendre plus intenses les supplications des chrtiens dans une situa
tion qu'il jugeait des plus graves ; il invitait alors les fidles de Rome
prier pour la rdemption du royaume de France dchir, la victoire
de la Chrtient contre les Turcs et l'unit de l'glise. Le 30 novembre
1592, c'est la chapelle Sixtine que commena cette oraison ininte
rrompue M.
Le mme pape, soucieux de conserver aux Quarante- Heures leur
caractre de pnitente supplication, proscrivit toute dcoration surabon
dante de l'autel et notamment le recours des images profanes. Mais
ces rgles ne furent gure suivies ainsi que l'attestent les dcors mis
en place dans l'glise du Ges ds 1595 20. Ainsi, ds avant la fin du
xvie sicle, les Quarante- Heures taient marques d'un double sceau :
crmonie d'expiation et d'imploration de la clmence divine, elles
taient aussi un culte d'exaltation du Saint-Sacrement face tous
ses ennemis, libertins ou hrtiques.
Mais dj le succs des Quarante- Heures s'affirmait au-del des
Alpes. Ds 1574, un Jsuite, le Pre Auger* obtint de l'archevque
de Paris qu'elles fussent organises dans toutes les glises de la capi
tale malgr l'opposition du cur de Saint- Eustache qui n'y voyait
qu'une superstition 21. Bientt la pratique s'instaurait en d'autres
villes, dont il serait difficile de dresser la liste car la crmonie est
mentionne ici ou l dans les archives les plus diverses ; ainsi sait-on
par le tmoignage laiss par une religieuse anglaise rfugie Rouen
que les Quarante- Heures furent organises dans cette ville en 1584
et 1589 M. La rapide expansion de la dvotion dans la France de la
fin du xvie et du dbut du xvne sicle doit beaucoup au rle jou par
les Capucins dans sa diffusion. Les premiers Capucins installs en France,
partir de 1575, taient d'origine italienne et, jusqu' la fin du
16. L. Ponelle et L. Bordet, Saint Philippe Nri et la socit romaine de ton
temps, Florence, 1931, p. 59-60. .
17. Le passage de la dvotion des Quarante-Heures l'Adoration perptuelle
peut expliquer que certains ouvrages, comme le Dictionnaire de thologie catho
lique, ne consacrent pas un article particulier aux Quarante-Heures mais les voquent
en annexe de l'Adoration perptuelle. Il s'agit d'une erreur regrettable car les
Quarante-Heures eurent toujours une existence autonome par rapport l'Adora
tion perptuelle ; elles demeurrent toujours une pratique de dvotion motive
par des circonstances particulires, ce qui n'est pas le cas de l'Adoration perpt
uelle.
18. Edouard d'Alenon, op. cit., p. 21 (d'aprs Mattia Bellintani de Sal).
19. A. de Santi, op. cit., chap. 11.
20. M. S. Weil, art. cit., p. 223-224. ,
21. A. de Santi, op. cit., p. 206-207....
22. Ibid., p. 210.
LES PRIERES DES QUARANTE-HEURES *
xvie sicle, les provinces de Provence et de Lyon comptrent dans c
leurs rangs de nombreux pres venant d'outre-monts w. Ceux-ci, dont
beaucoup taient originaires de Lombardie, taient habitus orga
niser les Quarante- Heures et dcidrent naturellement d'y convier
les fidles de ce ct des Alpes. Cette diffusion bnficia aussi du fait
que le commissaire charg de l'installation des Capucins en France
ne fut autre que Mattia Bellintani de Sal, second fondateur de
la dvotion M. Les pres originaires du Sud- Est de la France et de la
rgion avignonnaise reprirent rapidement le flambeau t ds 1593 les
Quarante- Heures sont prches l' Isle-sur-Sorgue par le Pre Thomas
d'Avignon et ds 1599 Marseille par le Pre Jrme d'Arles M. A .
l'ore du xvne sicle, le Pre Michel- Ange d'Avignon les clbre pour
la premire fois Gap M. '
Dans la province de Lyon, le premier aptre des Quarante- Heures
fut le clbre Pre Chrubin de Maurienne qui, ds 1593, invita les
Lyonnais participer cette dvotion 27. Originaire de Saint- Jean-de-
Maurienne, ce religieux, qui tait entr chez les Capucins Gnes en *
1583, puis avait tudi Avignon, avait pu au cours de ces deux sjours
assister ces prires et rencontrer des propagateurs de cette dvo
tion M. Mais c'est au cours de ses missions en Savoie que Chrubin
de Maurienne fit preuve de tout son talent d'organisateur des Quar
ante- Heures, lorsqu'il prcha avec solennit Annemasse en janvier
1597 et Thonon en septembre-octobre 1598 a*. Convoqu en 1593
23. Ibid., p. 208. P. Dubois, Les Capucins italiens et l'tablissement de leur
Ordre en Provence , dans Collectanea Franciscana, t. 44, 1974, p. 102. Le premier
provincial de Lyon fut Jrme de Milan et le premier custode de Savoie Thodose
de Bergame (Eugne de Bellevaux, Ncrologe et annales biographiques des FF.
Mineurs Capucins de la Province de Savoie, Chambry, 1902, p. 320-321).
24. A. de Santi, op. cit., p. 208 ; Bernardo de Aguaviva, La Cuarenta Haras,
oracin eucaristica de la paz, dans Estudios Francescanos, t. 54, 1953, p. 73. C'est
ce dernier auteur que nous empruntons l'expression de second fondateur pour
dsigner le Pre Mattia. Sur son rle dans la diffusion des Quarante-Heures dans '
la rgion parisienne, voir J. Mauzaize, Le rle et l'action des Capucins de la province -
de Paris dans la France religieuse du XVIIe sicle, Lille, 1978, t. II, p. 827.
25. P. Dubois, art. cit, p. 120 et 133. Les auteurs divergent sur la date de la .
premire clbration des Quarante-Heures Avignon : 1577 pour les uns (Bernardo
de Aguaviva, art. cit, p. 73), 1596 pour les autres (M. Chossat, Les Jsuites et .
leurs uvres Avignon, p. 134). Dans cette dernire hypothse, les pres de la Comp
agnie de Jsus auraient t les introducteurs de la dvotion Avignon. Mais il est
certain que des prires des Quarante-Heures ont t clbres par l'archevque
Francesco-Maria Tarugi en 1593 ; et le concile provincial d'Avignon de 1594 con
sacre un article aux Quarante-Heures (M. Venard, L'glise d'Avignon au
XVI* sicle, Lille, 1980, p. 1398-1399).
26. A. D. Hautes- Alpes, 3 H 2, 1, p. 67.
27. Annales Capitulaires de la province de Lyon (Bibliothque Franciscaine pro
vinciale, Paris), t. I, p. 4 ; Thotime de Saint-Just, Les Capucins de l'ancienne *,
Province de Lyon, lre Partie, 1575-1660, Saint-tienne, 1951, p. 61.
28. Pour la biographie du Pre Chrubin, Jean de Cognin, c Un ami et colla- -
borateur de saint Franois de Sales. Le Pre Chrubin de Maurienne, capucin ,
dans tudes franciscaines, 1935, p. 14-80.
29. Les Quarante-Heures d'Annemasse et Thonon sont prsentes de manire
dtaille dans l'ouvrage du Pre Charles de Genve, Les Trophes Sacrs de la sou
veraine Emperire de l'univers emports sur les ennemis de son Fils unique et bien-
10 B. DOMPNIER
par l'vque d'Annecy la confrance quy se fit sur les moyens conve
nables pour la conversion des pauvres dvoys *t Chrubin de Mau-
rienne participa en effet la mission du Chablais au cours de laquelle
s'illustra aussi Franois de Sales. Les Quarante- Heures qu'il organisa
Annemasse mritent de retenir l'attention car une documentation
abondante en dcrit les motivations et le droulement ; clbres
proximit de Genve, elles montrent aussi tout le parti que le
xvne sicle pourra tirer de cette pratique de pit en territoire de
coexistence confessionnelle. Les objectifs de Chrubin taient mult
iples ; il voulait d'abord obtenir des conversions par sa prdication
laquelle viendraient assister les protestants de Genve, attirs
par les reprsentations qui se devoyent faire es susdites Quarante
Heures 81. Mais la mise en scne grandiose de ces Quarante- Heures
visait aussi affermir la foi des nophytes M et les attacher plus
solidement l'glise romaine ; Chrubin dsirait en effet allaicter
amoreusement ses nouveaux convertis, ses premiers enfans spirituels
et trs chers nourrissons, et les allcher la prdication et aux dou
ceurs divines des exercices de la foy et religion catholique M.
Allaicter et c allcher , telles sont les deux fonctions des Quar
ante- Heures pour Chrubin. La premire est assure par la prdica
tion, largement prsente pendant la dure des exercices, comme l'atteste
le fait que cinq prdicateurs se soient succds Annemasse M ; les
thmes de la prdication sont choisis parmi les points de doctrine
rfuts par les Rforms, tant pour instruire les convertis que pour
branler les protestants : ralit du trs Saint-Sacrement videm
ment, mais aussi intercession de la bienheureuse Vierge a. A l'in
struction est aussi destine la reprsentation de scnes bibliques, conue
comme moyen de mieux imprimer les documents chrtiens par le
moyen des choses sensibles, dans les esprits des peuples idiots **.
Pour Chrubin, comme pour nombre de ses confrres du xvne sicle,
la pdagogie religieuse doit faire appel tous les sens et il ne saurait
tre question d'une instruction fonde sur la seule exposition d'argu
ments rationnellement enchans. La dmonstration de la vrit de
l'glise romaine s'effectue aussi, et d'abord, face aux protestants et
aux nouveaux convertis, par la capacit de ses crmonies les sduire,
aym, Jsus-Christ... en la conversion du duch de Chablais et pays circonvoisins de
Genve... Cet ouvrage a rcemment t dit par les soins de P. Flix Tisserand
dans la collection des Mmoires et documents publis par la Socit d'histoire de la
Suisse romande, 3e srie, t. XII, XIII et XIV (Lausanne, 1976). C'est cette dition
que nous renvoyons dans les notes suivantes.
30. Trophes sacrs, I, p. 71.
31. Trophes sacrs, I, p. 85. >
32. Chrubin aurait converti 5 000 protestants en trois mois (Trophes sacrs,
I, p. 80).
33. Trophes sacrs, I, p. 84.
34. Trophes sacrs, I, p. 89. Il s'agit de Franois et Louis de Sales, Esprit de
La Baume, Antoine de Tournon et Chrubin de Maurienne. ,
35. Trophes sacrs, I, p. 90.
36. Trophes sacrs, I, p. 84. -.
LES
PRIRES DES QUARANTE-HEURES : 11
les allcher . La reprsentation des scnes bibliques a aussi pour
fonction, nnemasse,
d' mouvoir les curs endurcis la pit
chrtienne et catholique . La pdagogie totale mise en uvre par
Chrubin l'gard d'un public de catholiques affermir auquel, espre-
t-on, se mlent des protestants, est commune la plupart de ceux qui
organisent des Quarante- Heures au xvne sicle en terrain de coexistence
confessionnelle.
A Annemasse, il est vrai, la thtralit des Quarante- Heures les
apparente davantage celles qui sont organises Rome lors du Car
naval qu' celles de la France du xvne sicle. 600 cus sont engags
par le duc de Savoie et le nonce, une immense tente en forme d'glise
est dresse, les tapisseries et l'argenterie de la chapelle ducale sont
apportes pour rehausser la dcoration ; il sembloit que ce ft un
paradis en terre, ce quy attira grandement le peuple OT.
Les Quarante- Heures que le Pre Chrubin organise deux reprises
Thonon M, l'anne suivante, manifestent mieux encore la volont
de toucher les sens, et les curs, par une mise en scne baroque. Lors
des premires, la place est couverte de toiles pour protger les fidles
de la pluie et de la chaleur, mais aussi pour rendre, par cette claire
sombre obscurit, le lieu plus vnrable w ; le seuil de cet difice tem
poraire est, quant lui, proprement accommod d'un beau frontispice,
gay de divers ftons de feuilliages et de gentilles peintures *. Pour
les secondes, clbres en prsence du duc de Savoie et du cardinal
de Mdicis, le chur de l'glise Saint- Augustin est spcialement am
nag :
Le chur de l'glise fut restrainct et comme transform en une petite cha
pelle d'invention non moins belle que dvote. L'ordonnance de l'architecture
flattoit l'il des regardans d'une aggrable prospective, l'attirant ds l'entre
par la suitte du raccourcissement des colonnes quy rgnoient tout l'entour
jusques au point principal destin pour placer la custode du trs St-Sacre-
ment **. .
Cette chapelle ou paradis est couverte d'une voture tire
demy-rond, fonce d'azur, parseme d'toiles de clinquant et brillantes
la splendeur des chandelles allumes, guise de ciel astre 42. C'est
la peinture en trompe-l'il que le frontispice de cet difice doit sa
force motionnelle, orn comme il l'est de figures excitantes dvot
ion, notamment de deux grandes schelettes de platte peinture, vrays
miroirs de la vanit du monde, sy bien renfondres et for jettans hors
leurs niches qu'ils sembloyent de plein relief **.
37. Trophes sacrs, I, p. 86.
38. Deux clbrations se succdent car le duc de Savoie n'a pu assister la
premire (Trophes sacrs, I, p. 229-230).
39. Trophes sacrs, I, p. 217. C'est nous qui soulignons. .
40. Trophes sacrs, I, p. 221.
41. Trophes sacrs, I, p. 235.
42. Ibid.
43. Trophes sacrs, I, p. 236.
12 B. DOMPNIER
A l'extrieur de l'difice, c'est l'glise qui est reprsente sur le
mode allgorique : on avait en effet dispos un grand rocher, jettant
feu et fimes par le haut ; et par le bas une belle fontaine, pour mont
rer que le rocher invincible de l'glise catholique jette continuell
ement des fimes d'amour et de charit vers le ciel, ruisselant a-bas
les eaux vives et perptuelles d'une claire doctrine salutaire, et de
saincte dification **.
Organisation de l'espace pour guider le regard, souci de crer un
climat spirituel, effets de lumire, utilisation du trompe-l'il, recours
l'allgorie : Chrubin de Maurienne apparat comme un vritable
matre de l'art baroque. Il dploie ces artifices pour que les protestants
soient attirs au moins par la curiosit 45 ; surtout, tout est mis
en uvre pour glorifier l'Eucharistie et magnifier la grandeur de ce
sacrement. Thonon, comme Annemasse, la prdication explicite
ce que suggre la mise en scne, instruit les fidles prpars par les
allgories et les reprsentations scniques ; c'est ainsi, par exemple,
que Franois de Sales est amen prcher sur la ralit de l'Euchar
istie aprs une reprsentation de la descente de la manne46.
Face au protestantisme.
On est videmment loin, lors de clbrations de ce type, de l'esprit
initial de la dvotion des Quarante- Heures, conue pour implorer les
secours divins dans les calamits, notamment en temps de guerre.
C'est au contraire pour rendre grce Dieu pour une paix heureuse,
celle de Vervins, que Chrubin de Maurienne rassemble les fidles
pour les Quarante- Heures de Thonon47. Dans un contexte de paix
retrouve, les Quarante- Heures deviennent, comme avec Chrubin,
un lment essentiel du dispositif de la Contre-Rforme. Par leur
caractre solennel notamment, elles permettent de runir les fidles,
de les confirmer dans leur foi et d'obtenir des conversions. Culte euchar
istique, elles sont une proclamation de la vrit du dogme catholique
en mme temps qu'une rparation des outrages commis contre ce
sacrement, par les Rforms par exemple. De ces deux aspects indisso
ciables dans la pratique, le second peut expliquer d'une certaine
manire le glissement des Quarante- Heures expiatoires aux Qua
rante- Heures triomphalistes. '
Exaltation du Saint-Sacrement face aux protestants, tel est le trait
dominant de la plupart des crmonies des Quarante- Heures organises
dans la France du rgime de l'dit de Nantes, le plus souvent l'in
itiative des Capucins. La papaut, il est vrai, orienta en ce sens cette
pratique de pit. Alors que Paul V avait largement permis l'organi-
44. Trophes sacre, I, p. 239.
45. Trophes sacrs, I, p. 217.
46. Trophes sacrs, I, p. 223. .
47. Trophes sacrs, I, p. 215.
LES
PRIRES DES QUARANTE-HEURES ' 13
sation des Quarante- Heures hors d'Italie48, c'est son successeur,
Grgoire XV, qui invita explicitement l'glise de France en faire
une dvotion majeure de la Contre- Rforme. Par le bref Sacri aposto-
latus ministerio, ce pape exhorta en effet archevques et vques de
France organiser des prires des Quarante- Heures pour le < succs
des entreprises royales contre les hrtiques du royaume, l'extirpation <
des hrsies et l'exaltation et la paix de notre Sainte Mre l'glise *.
Le mme bref accordait une indulgence plnire aux fidles qui, aprs
s'tre confesss et avoir communi, priaient ces intentions au cours
des crmonies organises.
A vrai dire, les Capucins n'avaient pas attendu les exhortations
de Grgoire XV pour clbrer les Quarante- Heures la manire de
Chrubin. En 1604, Gap, o l'vque, la suite du synode national
protestant, a demand un prdicateur qui combatit de front l'heresie
et establit la dvotion et l'amour de Dieu dans les Curs des Cathol
iques 60, elles sont organises par Michel- Ange d'Avignon. Le Pre
Joseph, pour sa part, inaugure sa clbre mission du Poitou par les
Quarante- Heures qu'il prche Lusignan pour la fte de Nol 1617 51.
Mais en ce dbut de sicle c'est sans doute Issoire, en 1607, que les
Quarante- Heures apparaissent le plus clairement comme une manif
estation triomphale de l'glise romaine. Le droit d'exercice de la
religion rforme dans cette localit, qui avait t un des bastions du
protestantisme auvergnat au xvie sicle, avait t prement discut
aprs l'dit de Nantes. En 1604, aprs que le Conseil du Roi eut interdit
cet exercice, les catholiques d' Issoire, sitt leur victoire connue, plan
trent au milieu de la place une croix de pierre, par l'exhortation d'un
Capucin nomm Pre Barthlmy M. Le mme religieux tablit aussi
48. Paul V, notamment par le bref Cum felicia recordationia de 1606, contribua
beaucoup promouvoir les Quarante-Heures : confirmation de l'oraison perpt
uelle Rome, concession de plus larges possibilits de gagner des indulgences,
y compris hors d'Italie, concession d'amples facults d'absolution aux confesseurs
l'occasion de cette dvotion (A. de Santi, op. cit., p. 261 ; Bernardo de Agu aviva,
art. cit, p. 77 ; J. Mauzaize, op. cit., t. II, p. 827).
49. ... cum charisaimua in Christo filius nosler Ludovicua Francorum rex christia-
nissimu8 eoadem hoereticoa, propitiante Domino Deo exercituum, debellare, et nefarios
eorum conatua atque machinationea reprimere fortiter ceperit, ita ut aperare nos posse
videamur, eumdem Ludovicum regem Deum elegisse ad ostendendam per eum miaeri-
cordiam suam et faciendam potentiam in brachio suo, paatoralia officii noatri partea
proecipuos eaae duximua, froternitatea veatroa, quaa in partent aoicitudinia noatroe
vocavit Altiaaimu8, paterne, enixeque, quod facimua, requirere et in Domino adhortari,
ut temporalia eiusdem Ludovici Rgis arma veatria apiritualibua, videlicet orationibua et
ieiuniis, coodiuvetia, gregea veatroe curoe divinitua commiasoa, ut corde contrito et
humiliato aaaiduaa pias ad Deum Patrem misericordiarum precea pro felici eiusdem
Ludofici rgis contra dictoa haerelicoa succesau, hreaum ipsarum extirpatione, ac
sanctae Mntris Ecclesiae exaltatione et tranquillitate fundant, moneatis (Bullarium
Romanum, t. XII, p. 576).
50. A.D. Hautes-Alpes, 3 H 2, 1, p. 67.
51. L. Dedouvres, Politique et Aptre, le Pre Joseph..., Paris, 1932, t. II, p. 152 ;
J. Mauzaize, op. cit., t. II, p. 828.
52. Les renseignements sur les Quarante-Heures d' Issoire de 1607 sont emprunts
la chronique de Blauf, bourgeois de cette ville, rcemment dite par A. Serre
14 B. DOMPNIER
dans la ville la confrrie du Saint- Sacrement et fit adopter la cou
tume de faire, le premier dimanche de chaque mois, une procession
en l'honneur du Saint- Sacrement. Ce dveloppement du culte eucha
ristique dans une cit marque par les luttes religieuses dbouche
naturellement sur l'organisation des prires des Quarante- Heures :
La dvotion croissant tous les jours Yssoire par les prdications des
pres Capucins, il y en eust un d'entre eux, nomm le pre Just, d'Auxerre,
qui entreprit y faire les quarante heures, afin que les voisins se ressentissent
de leur dvotion M.
Pour la circonstance, l'glise d'Issoire fut richement dcore. Dans
le chur fut difi un magnifique thtre entour de cierges et
surmont d'un arc triomphal peint de diverses couleurs, avec des
fleurs artificielles sy bien peintes qu'on les jugeoit naturelles . Au-
dessus de cette construction couronne d'arcades garnies de taffetas
rouge et d'toffe blanche, furent suspendus un soleil d'or et une colombe
blanche. Par ailleurs, des lampes places derrire des fioles de verre
pleines d'eaux, mixtionnes de diverses couleurs illuminaient la
vote M. Par rapport la somptuosit des dcors mis en place par
Chrubin Annemasse et Thonon, ceux de l'glise d'Issoire ne sou
tiennent gure la comparaison : ce baroque auvergnat est moins riche
en allgories et en effets visuels, plus artisanal aussi, utilisant les
seuls lments dcoratifs la disposition d'artistes locaux. Mais, hor
mis cette rserve, dont l'explication rside en grande partie dans la
diffrence des moyens de financement, c'est le mme dessein qui est mis
en uvre dans la thtralisation des Quarante- Heures en Auvergne et
en Savoie : exaltation de l'Eucharistie et, au-del, de l'glise catholique.
Le chroniqueur d'Issoire l'a d'ailleurs bien vcu ainsi, lui qui note :
... ce qu'on a remarqu en ces quarante heures digne de mmoire, est que
l'anne 1577, en feste de Pantecte, la guerre, le tonnerre, le blasphme,
le mpris de Dieu, le Diable avec ses foudres toient dans Yssoire, et en
l'anne 1607, en mme feste de Pantecte, la paix, les louanges Dieu y
habitoient, auquel on crioit Misricorde b66.
Quant la dvotion suscite par ce dcor, la prdication, le chant
des motets, les processions des bourgs avoisinants, elle lui semble
tout fait extraordinaire : les fidles afflurent, criaient Misricorde
Dieu... avec telle ardeur et dvotion, larmes et battements de poi
trines, qu'il n'y avoit rien sy endurcy qui ne larmoyt ; le peuple,
au total, prenoit tel plaisir qu'yl ne vouloit sortir de l'glise M.
Tout au long du xvne sicle, les Capucins utilisrent les Quarante-
Heures comme une vritable machine de guerre contre les protes-*
sous le titre Issoire pendant les guerres de religion (Clermont-Ferrand, 1977, 297 p.).
Les vnements de l'anne 1604 sont rapports p. 243-244.
53. Blauf, p. 244.
54. Blauf, p. 246-247.
55. Blauf, p. 247.
56. Blauf, p. 245.
LES
PRIRES DES QUARANTE-HEURES ' 15
tants. Cet Ordre, qui joua le premier rle dans la diffusion de cette
dvotion en France, acquit au cours du sicle de nombreux privilges
pour l'organiser. Ds 1620 en effet, les Capucins obtinrent, outre la ,
confirmation de l'indulgence plnire pour les Quarante- Heures qu'ils
organisaient dans les glises de leurs couvents, une extension de cette ;
indulgence aux cathdrales o ils prchaient l'occasion de ces prires 67.
Urbain VIII, en 1625, renouvela ces privilges et accorda d'amples
facults d'absolution de cas rservs aux confesseurs dsigns pour
les Quarante- Heures M. Surtout les Capucins obtinrent trs tt de
Rome la possibilit d'organiser ces prires au cours de leurs missions
et la conservrent en 1635, malgr l'opposition de l'piscopat franais :
la Congrgation de Propaganda Fide ne fit alors, en effet, que rappeler
la formulation du texte des facilittes accordes par le Saint- Office
aux missionnaires *. En 1651 les provinciaux des Capucins sollic
itrent de Rome la possibilit de concder davantage d'indulgences
au cours des Quarante- Heures 60 et, en 1662 encore, la province de
Provence demanda l'extension toutes les missions des indulgences
accordes lors des seules Quarante- Heures 61. .
Ces requtes successives montrent bien l'attachement de l'Ordre
cette dvotion et le lien qu'il tablissait entre Quarante- Heures et
missions, la clbration des premires apparaissant en quelque sorte,
grce notamment aux nombreuses indulgences qui leur taient atta
ches, comme garante du succs des secondes. Dans la pratique, en
rgion de coexistence confessionnelle, les Quarante- Heures sont presque
toujours clbres en dbut ou, le plus souvent, en fin de mission,
surtout partir des annes 1630-1640 ; les relations des missions de
la province de Touraine ou de la province de Savoie en donnent de
nombreux exemples 68. La clbration des Quarante- Heures ne demeure
donc pas strictement attache l'une ou l'autre fte du calendrier
liturgique. S'il est frquent qu'elles aient lieu la Pentecte ou aux
alentours de Pques **, leur lien avec la mission peut les placer toute
57. Bernardo de Aguavtva, art. cit., p. 77.
58. Archive Vaticanes, Secrtairerie d'tat, Francia 414, f 470.
59. Archives de la Congrgation de Propaganda Fide (Rome), Acta 10, f 167 v.
(congrgation du 19 janvier 1635). Le texte prvoit que les missionnaires peuvent
organiser les Quarante-Heures deux fois par an avec l'approbation de l'Ordinaire ;
il prcise galement que les fidles qui gagnent pour eux-mmes l'indulgence pl
nire peuvent, par une 2e et une 3e communion au cours des Quarante-Heures
obtenir, per modum suffragii, la dlivrance d'mes du Purgatoire.
60. Archives de la Congrgation de Propaganda Fide, Scritture Originali riferite
nelle Congregazioni generali (S.O.C.G.), vol. 200, f 318. Il s'agissait d'obtenir la
reconduction de la facult de dlivrer des mes du Purgatoire, clause supprime
lors de l'uniformisation des facilittes en 1637.
61. Ibid., vol. 203, f<> 60.
62. Pour la Touraine, cf. Bibliothque franciscaine provinciale (Paris), ma. 43
(Memorabilia Provinciae Twonensis), notamment p. 19, 32, 56, 117 (annes 1635-
1644) ; pour la Savoie, Charles de Genve, Les Trophes sacrs, III, p. 169, 173,
180, 184, 192, 198 (annes 1642-1643). Pour la province de Lyon, Thotime deSaint-
Just, op. cit., p. 494-495.
63. Dans les annes 1610-1620, Basile de Salon les organisait systmatiquement
16 B. DOMPNIER
autre date. Il en va de mme, videmment, lorsqu'elles sont organises
pour faire pice un synode protestant, national ou provincial. Les
Capucins eurent, en effet, frquemment recours aux Quarante- Heures
dans les localits o se rassemblaient les reprsentants des glises
rformes ; ainsi Gap en 1618 M ou Pont-de-Velle en 1654 66. En
ces circonstances, d'ailleurs, l'utilisation anti-protestante des Qua
rante- Heures apparat clairement, du moins jusque vers 1660, comme
propre aux Capucins ; les Jsuites qui, eux aussi, accourent dans les
localits o se tient un synode, invitent les pasteurs la controverse,
prchent sur les places publiques, rassemblent ventuellement les
fidles pour une mission, mais n'organisent jamais, semble-t-il, de
clbration des Quarante- Heures M. Les Capucins, au contraire, auraient
voulu gnraliser la pratique en organisant des Quarante- Heures
pendant le temps des synodes dans toutes les localits o taient rigs
des temples protestants ; tel est du moins le sens d'une supplique
adresse Rome par le provincial de Lyon en 1651 ';
Visant, dans ce contexte, affirmer la force de l'glise romaine et,
en quelque sorte, montrer qu'elle ne laisse pas le champ libre aux
protestants, les Quarante- Heures ont alors pour premier objectif
d'aviver la pit catholique et d'inviter les fidles proclamer sans
crainte leur foi. Elles sont d'abord un rassemblement aussi important
que possible du peuple chrtien, au cours duquel, par une pdagogie
approprie, les fidles doivent prendre conscience de leur nombre
et de leur force. Les valuations de la foule proposes par les auteurs
capucins 100 000 personnes Gap en 1618 par exemple sont
videmment sujettes caution ; mais la frquence de ces estimations
dans des rcits peu prcis ordinairement, en un sicle rput peu sta
tisticien, doit tre comprise dans son vritable sens : sans aller jusqu'
dire que les Capucins prirent leurs dsirs pour des ralits, il faut voir
qu'ils accordrent le plus grand intrt l'importance des rassemble
ments raliss. Les diverses processions qui prennent place dans le
droulement des crmonies ont pour fonction de donner ou de ren
forcer, chez chacun des prsents, le sentiment d'appartenance une
communaut forte, et les rcits numrent plaisir le nombre et l'ordon-
aprs le Carme (Theotime de Saint-Just, op. cit., 2e Partie (1660-1814), p. 161).
Le choix de la Pentecte peut simplement correspondre, dans certains cas, a la
clture de la saison b des missions.
64. A.D. Hautes-Alpes, 3 H 2, 1, p. 169.
65. Thotime de Saint-Just, Les Capucins de l'ancienne province de Lyon, 1" Partie, 1575-1660, p. 501.
66. Il est videmment difficile de gnraliser en ce domaine, faute d'une enqute
systmatique sur l'action des religieux pendant les synodes protestants. Nous ne
croyons cependant pas fausser la ralit en tendant ici la France les rsultats
d'une tude limite au Dauphin, fonde en particulier sur les documents de YArchi-
vum Romanum Sodetatia Iesu. Pour un aperu des mthodes employes par les
missionnaires pendant les synodes, nous renvoyons notre communication dans
La controverse religieuse, Montpellier, 1980, t. II, p. 25-35 : Les mutations de la
controverse en Dauphin au xvne sicle ( paratre dans les Actes du colloque).
67. Archives de la Congrgation de Propaganda Fide, S.O.C.G., vol. 200, f 444.
LES PRIRES DES QUARANTE-HEURES 17
nancement de ces processions. Elles sont aussi pdagogiques par leur
aspect ; souvent, comme Gap en 1628, on y voit quantit de jeunes
enfans habills en anges et quantit de jeunes filles habilles en vierges
avec des voiles et habits blancs qui marchent avec une modestie
et dvotion et mortification admirable M. La procession, comme le
dcor mis en place, invite la dvotion et donne un avant-got de
paradis. Elle manifeste le triomphe de l'glise et la srnit de fidles
srs de la vrit ; elle est, selon les termes de Charles de Genve, l'expres
sion d'une commun* allaigresse et divine consolation **.
Ces dmonstrations catholiques ne peuvent laisser les protestants
indiffrents ; nombreux, semble-t-il, sont ceux qui viennent par curios
it, comme le rapportent beaucoup de relations qui ajoutent que cer
tains d'entre eux se convertissent, sensibles la vrit ainsi dmon
tre, l'argumentation des prdicateurs, ou la splendeur du dcor ;
Gap, en 1628, des
hrtiques qui venoient des plus hautes montagnes du Dauphin... entrant
dans l'glise et la voyant pare en si grande pompe et magnificence, esclaire
avec tant de lumires pour honorer le t.S. Sacrement qui etoit expos en
vidence, se mettoient d'abord genoux, croyant d'estre dans le Paradis
et disoient tout hault : Vive l'Eglise Romaine qui est si magnifique et non
pas le temple des ministres qui semblent des estables a bestes a70.
Les 1.500 abjurations qui en rsultrent aux dires du chroniqueur
capucin souligneraient la vertu de conversion des Quarante- Heures.
Celle-ci, sans doute moins vidente, n'en fut pas moins relle. Pasteurs
et consistoires interdisaient frquemment aux fidles rforms de se
rendre aux missions et aux Quarante- Heures ; taxant les prdicateurs
de sorcellerie , ils reconnaissaient ainsi implicitement un pouvoir
de sduction aux missionnaires 71. Peut-tre redoutaient-ils surtout
un attrait de leurs fidles pour un culte sensible : Genve, en 1625,
pour dissuader les protestants de se rendre aux Quarante- Heures de
Saint-Julien, les ministres... n'espargnrent leurs inventions jusques
faire courir des pomes fabriqus, imprims, autant obscurs et sans
raison que remplis de blasphmes et mpris contre une procession
gnrale en laquelle s'estoit reprsent la passion de N.S. J.-C. et
autres mystres de nostre f oy et religion catholique 7*. Rduits
la dfensive, les protestants ne vcurent pas toujours ces rassemble
ments de foules sans une certaine crainte. En 1614, Grenoble, les
68. A.D. Hautes-Alpes, 3 H 2, 1, p. 88.
69. Trophes sacrs, III, p. 198 ( propos des Quarante-Heures de Saint-Jean
d'Aot en 1643). A propos des Quarante-Heures d'Annemasse en 1597, Franois
de Sales crivait aussi qu'elles avaient procur una grande consolatione alli Catho-
lici (lettre au Nonce de Turin, 17 mars 1598, dans uvres, t. XI, p. 323).
70. A.D. Hautes-Alpes, 3 H 2, 1, p. 89.
71. Nous avons dvelopp ce point dans Le missionnaire et son public. Con
tribution l'tude de la prdication populaire , dans Journes Bossuet. La prdi
cation au XVi/e sicle, Paris, 1980, p. 105-122. ,
72. Trophes sacrs, III, p. 40.
18
B. DOMPNIER
Rforms de la ville prirent peur en voyant l'afluence aux processions 7S
;
La Rochelle aussi, en 1641, les processions en aussi bel ordre que
les armes du Dieu vivant, pouvantaient l'hrtique et le foraient
confesser la force et la grandeur de l'glise romaine 7*.
Il est vrai qu'en ce milieu de sicle les Quarante^ Heures de La
Rochelle, qui symbolisent assez bien le redressement qu'opre alors
le catholicisme en rgion protestante, avaient de quoi pouvanter m
les Rforms * organises par les Capucins pour clturer leur saison
de mission, elles reurent l'appui de l'vque de Saintes qui invita
les curs y conduire leurs paroissiens ; malgr la pluie incessante,
plus de cent processions investirent la cit o afflurent aussi religieux
de tous ordres et prtres sculiers, nobles et officiers, ainsi que l'inte
ndant lui-mme. Grce aux trente prdicateurs capucins qui se succ
drent sans interruption, l'vangile rsona travers la ville, l
mme o, une poque peu loigne, les prtres n'osaient passer et
o, les canons de la rbellion avaient tonn. A l'issue des trois jours
de prsence dans la ville, un Te Deum fut chant pour remercier Dieu
des victoires remportes sur l'hrsie, le diable et le pch 75. Le chro*
niqueur de ces crmonies ne cache pas que le nombre de conversions
ne fut pas en rapport avec le dploiement de forces ; mais les 12 ou
13 abjurations, non ngligeables toutefois dans le cas d'une commun
aut protestante aussi importante et solide que La Rochelle, ne vien
nent en quelque sorte que par surcrot, l'objectif essentiel tant de
manifester la reprise en mains de la ville 76.
Les Capucins, qui jourent un rle actif dans l'volution de la tonal
it des Quarante- Heures, ne furent cependant pas les seuls les orga
niser comme manifestation du triomphe de la foi catholique. D'autres
missionnaires le firent, invits en quelque sorte cela par les facili
ttes que leur concdait le Saint-Office, sur proposition de la Congr
gation de Propaganda Fide. La formule tablie en fvrier 1637 7? pour
les missionnaires des rgions protestantes de France leur donnait en
73. Ces Quarante-Heures sont rapportes dans les Annuae Litterae des annes
1613-1614, p. 551. La peur des protestants grenoblois est voque par La piperie
des ministres (ouvrage du Capucin Marcellin du Pont-de-Beauvoisin, publi sous
le pseudonyme du Sieur de La Pasthe), p. 483.
74. Archives de la Congrgation de Propaganda Fide, S.O.C.G., vol. 199, f 391.
Cette citation est extraite de la Coppia d'una lettera d'un Gentil' huomo da Poictou
mandata ad un' amico suo quanto a quello che s' passato nell' Oratione dlie 40 hore
fatta nella Cita dlia Rochella per gli VV Padri Bernardino e Bonaventura da Poictier s
predicatori Capucini li 19 di Maggio 1641.
75. Ibid., li 390-392.
76. Sur la situation du catholicisme et du protestantisme La Rochelle vers
1640, voir L. Perouas, Le diocse de La Rochelle de 1648 1724, p. 128-131. D'aprs
cet auteur, vers 1648, il y avait environ 8 000 protestants, soit 45 % de la popul
ation.
77. Sur l'historique de l'laboration des diverses formules de facilittes, on con
sultera Mgr S. M. Paventi, Congregazione Urbaniana super facultatibus missio-
nariorum , dans Studia Missionalia, VII, 1952, p. 217-240, ainsi que G. Metzler,
Controversia tra Propaganda e S. Uffizio circa una commissione teologica , dans
Annales Pont. Univ. Urbinianae, 1968, p. 47-62. .
LES PRIRES DES QUARANTE-HEURES 19
effet pouvoir d'organiser trois fois par an les prires des Quarante-
Heures dans le territoire de leur mission. Rome, consciente toutefois -
des troubles qui pouvaient survenir cette occasion, recommandait
d'viter cette clbration dans les occasions o il y aurait quelque
risque de < sacrilge ou de dsordre de la part des hrtiques ;
cette restriction, qui manifeste une volont de conserver aux Quar
ante- Heures leur caractre de prires, montre aussi clairement l'impact
que pouvait avoir dans certains cas leur clbration, et dont les chos
avaient d parvenir jusqu'aux cardinaux.
Il serait impossible de dresser une liste des missionnaires ayant
organis, munis de cette autorisation, des Quarante- Heures la
capucine . L'un d'eux cependant est rest clbre et fournit l'illustra
tion de cette pratique hors des rangs des Capucins : il s'agit du Pre
Antoine Le Quieu, fondateur de la congrgation dominicaine dite du
Saint-Sacrement ro. Charg par Rome de missions Mrindol en Pro
vence, il y organise rgulirement les Quarante- Heures. Selon un de
ses biographes, son intention n'toit point d'irriter les Hrtiques ;
mais de toucher les moins obstins, et d'humilier les autres, en leur
causant une confusion, qui pouvoit leur tre salutaire, pour peu qu'ils
eussent voulu faire attention, aux grandes Vrits qu'il prchoit, et
aux grands exemples qu'il leur donnoit '. Non content d'tre l'aptre
de Mrindol, le Pre Antoine prit l'habitude d'aller parcourir chaque
anne les environs de Genve, avec les mmes mthodes missionnaires,
multipliant les clbrations des Quarante- Heures so. L'vque d'Annecy,
dans un rapport logieux sur ce Dominicain, souligne pour sa part que
l'organisation de prires des Quarante- Heures est une pice essentielle
de l'apostolat du Pre Antoine qui a travaill dans toutes les cures
qui sont trois lieues de Genve, l'espace de dix ans, en y donnant
rgulirement deux mois chaque anne. Et pour y convoquer le peuple,
il prchait partout les Quarante- Heures et tenait le Trs Saint Sacre
ment expos 81. Toutefois Rome lui refusa la facult de concder
trois fois par an, l'occasion de ces prires, une indulgence plnire
aux fidles du diocse de Genve-Annecy, non sans doute pour un
quelconque usage excessif de cette dvotion, mais plutt parce qu'il
missionnait l hors du territoire qui lui avait t confi 8a. Muni ou
non d'approbations romaines, Mrindol comme dans les environs
78. La plus rcente biographie du Pre Le Quieu est celle de R.-L. Oechslin,
Une aventure spirituelle. La vie du Pre Antoine du Saint-Sacrement Le Quieu.
Paris-Fribourg, 1967. Les faits rapports ici se situent dans la dcennie 1660.
79. Toubon, Histoire des hommes illustres de l'Ordre de Saint Dominique, %. V,
p. 529.
80. Il crit ainsi des religieuses : Nous avons fait quarante-une prires des
Quarante-Heures. Nous continuons pour Genve, pour vous et pour nous (Potton,
uvres choisies du Pre Antoine..., p. 508).
81. Rapport de Jean d'Arenthon d'Alex, cit dans R. L. Oechslin, op. cit.,
p. 182-183.
82. Archives de la Congrgation de Propaganda Fide, Acta, vol. 38, p. 514 (con
grgation du 12 novembre 1669). Les motivations du refus oppos la requte
du P. Antoine ne sont pas mentionnes.
20 B. DOMPNIER
de Genve, ce missionnaire poursuivait la tradition de clbrer les
Quarante- Heures face au protestantisme, comme affirmation vic
torieuse de la validit du culte eucharistique. Comme pour les Capuc
ins, les Quarante- Heures taient pour lui le moyen de mettre en
pratique les prceptes du concile de Trente sur le culte du Saint-Sacr
ement ; les pres conciliaires n'avaient-ils pas chaleureusement encou
rag le culte solennel de l'Eucharistie pour que la vrit victorieuse
triompht.., du mensonge et de l'hrsie, afin que ses adversaires,
la vue d'un si grand clat et au milieu d'une si grande joie de l'glise,
en perdent courage ou soient briss, ou bien, que touchs de honte
et de confusion, ils viennent rsipiscence 88 ?
En expiation des pchs. . >
Certes le concile voulait surtout, par ces recommandations, donner
une approbation sans quivoque aux clbrations de la Fte-Dieu,
une date o la dvotion naissante des Quarante- Heures gardait encore
nettement sa tonalit de crmonie pnitentielle. Il offrait cependant
par l des possibilits de dveloppement toutes les formes du culte
eucharistique dans les rgions de coexistence confessionnelle, dont le
xvne sicle franais sut largement tirer parti. Ce n'est pour autant
affirmer que les Quarante- Heures ne furent alors organises en France
que dans cette perspective ; leur signification originelle de crmonie
expiatoire fournit mainte occasion de les clbrer au cours du
xvne sicle. L'glise eut en effet frquemment recours cette dvotion
pour obtenir la fin des calamits publiques qui lui apparaissaient
comme un effet direct de la colre de Dieu irrit contre son peuple
cause de ses pchs. .
Au premier rang de ces calamits prennent videmment place les
Turcs qui, pour les hommes d'glise, restent au xvne sicle l'instr
ument du chtiment divin M. Face ce pril, des Quarante- Heures
sont par exemple ordonnes Avignon en 1596 M et surtout, dans la
plupart des diocses franais, en 1669 lors du sige de Candie. Ainsi,
parmi d'autres, l'vque de Clermont donne-t-il cette occasion un
mandement prescrivant d'organiser les prires des Quarante- Heures
dans toutes les glises de son diocse car, crit-il, il faut employer...
les prires et les aumnes comme les moyens les plus prompts et les
plus efficaces que Dieu ait mis entre nos mains, pour flchir sa Mis
ricorde et obtenir de sa Bont, qu'il luy plaise dtourner cet orage
de dessus nos ttes **. Prires faites sous la direction du clerg et
83. Hefel-Leclercq, Histoire des conciles, t. X, lre partie, p. 265 (dcrets
sur le Trs-Saint-Sacrement de l'Eucharistie, chap. V). Ces dcrets sont de 1551.
84. J. Delumeao, La peur en Occident, Paris, 1978, p. 262-272.
85. M. Chossat, op. cit., p. 134.
86. Prires publiques pour l'oraison des quarante-heures, ordonnes par Mons
eigneur Messire Gilbert de Veny d'Arbouze, ivque de Clermont..., Clermont, 1669,
in-12, 20 p. ; p. 4.
LES PRIRES DES QUARANTE-HEURES 21
oraisons personnelles se font certes en prsence du Saint-Sacrement,
mais le culte proprement eucharistique ne tient pas, en cette occasion,
une place de premier plan : il s'agit d'abord de demander la grce
du Saint-Esprit et d'adresser des prires Dieu et tous ses inter
cesseurs, notamment aux saints patrons du diocse -9 les Quarante-
Heures permettent surtout de runir les fidles pour une supplication
collective aux intentions multiples (contre les Turcs, pour l'glise,,
l'extirpation des hrsies, l'amplification de l'glise, le Pape, l'vque, .
le roi...) 87. Parmi l'ensemble des prires propose, la prsence du ?
psaume 78 donne en quelque sorte la tonalit gnrale 88.
Cette pressante demande de secours est aussi celle qui s'lve lorsque
les troupes royales connaissent une dfaite ou que le pays est envahi.
Oraison pour la paix 89f les Quarante- Heures sont toutefois plus
souvent organises, au cours du rgne de Louis XIV, pour la prospr
it des armes de Sa Majest que pour la concorde entre les princes. <
chrtiens *. Il est certes concevable que des victoires franaises aient
t le meilleur signe et le meilleur garant de la fin des chtiments,
divins ; il n'en est pas moins certain que les Quarante- Heures four
nirent une occasion, comme les Te Deum le faisaient en d'autres ci
rconstances, de dvelopper le sentiment national et le culte monarc
hique. Selon un de ses biographes, tel tait dj l'objectif du Pre
Joseph lorsqu'il prchait des missions en Poitou : ._ L
il vouloit que l'on y fit frquemment des oraisons de 40 heures afin d'y
faire des prires publiques pour la prosprit de Leurs Majests. Ce n'estoit
pas une petite invention pour engager l'afection des sujets leur prince.
A dire vrai l'on ne prie pas volontiers pour des personnes pour lesquelles
on n'a pas d'inclination 91.
Des esprits critiques ne manqurent d'ailleurs pas de stigmatiser
l'explication des dfaites militaires par le chtiment des pchs et
s'efforcrent de montrer qu'ainsi tait perptu, voire alourdi, le
joug de l'autorit royale. Parmi eux figure le cur Meslier qui dnon
ait dans son clbre Mmoire la mystification dont taient victimes
les peuples r
comme s'il etoit fort important pour le bien, et pour le salut des peuples
qu'ils eussent tousjours des tyrans pour les commander, et pour les tyrann
iser, ils [les prtres] font tous les jours des prires publiques, pour leur
conservation, et pour la prosprit de leurs armes. Si bien que lorsqu'il
arrive que le sort de la guerre ne leur est point favorable, que leurs armes
87. Jbid., p. 9-10.
88. Dieu, ils sont venus, les paens, dans ton hritage, Ils ont souill ton temple
sacr... Ne retiens pas contre nous des torts d'anctres (Trad. Bible de Jrusalem).
89. Bernardo de Aguaviva, art. cit, p. 83.
90. L'vque d'Angers ordonne ainsi des Quarante-Heures pour la prosprit
des armes du roi en 1706, 1709, 1711 (Lehoreau, Crmonial de l'glise d'Angers,
dit par F. Lebrun, Paris, 1970, p. 129, 301, 302, 428). Autres exemples de cl
bration en temps de guerre dans J. Mauzaize, op. cit., t. II, p. 829.
91. Lepr-Ballain, Vie du Pre Joseph (ma de la B.F.P., f 261).
22
! B. DOMPNIER
sont mises en droute par celles de leurs ennemis..., ils en attribuent aussitt
la cause aux pchs des peuples, ils leurs font accroire que Dieu est irrit
contre eux, qu'ils doivent tacher de flchir, et d'appaiser sa colre 92.
Ailleurs, Jean Meslier s'en prend aux prires qui ont lieu lors des
afflictions et calamits publiques M ; les Quarante- Heures font
sans doute encore partie, dans ce cas, des pratiques de dvotion contre
lesquelles il dcoche ses flches ; outre les dfaites militaires, bien
d'autres occasions, comme les famines ou les pidmies, donnaient
en effet lieu leur organisation. Aussi, dans les dernires annes du
xvne sicle et les premires du xvme, dans les annes les plus tra
giques du rgne de Louis XIV, les prires des Quarante- Heures devin
rent-elles trs frquentes. Pour le diocse de Paris, Jeanne Fert a
ainsi relev que l'archevque prescrivit leur organisation dans toutes
les paroisses cinq reprises de 1692 1695, soit plus d'une fois par
an94.'
Dans toutes ces circonstances, le recours aux Quarante- Heures
reprsentait pour le clerg un moyen d'amener le peuple expier ses
pchs, cause de tous les malheurs. Mais parfois aussi ces prires sont
organises pour implorer le pardon des offenses commises contre Dieu
par d'autres, notamment pendant le temps du carnaval. Cet usage,
d'origine italienne, se rpandit rapidement en France et reprsente
un cas particulier de la clbration des Quarante- Heures. Comme
lors des calamits, il s'agit en effet d'obtenir le pardon divin pour les
pchs commis ici par tous ceux qui participent la licence carnava
lesque et profanent ainsi la semaine de la Quinquagsime. Mais le
clerg vise tout autant (sinon plus), en prescrivant ces prires, car
ter les fidles de la participation ces rjouissances immorales : les
Quarante- Heures instaurent donc une rupture entre dvots et liber
tins et doivent, par leur succs, contribuer la rpression des drgle
ments. Le regroupement des fidles qu'elles permettent et leur parti
cipation l'instauration d'un ordre moral et religieux rapprochent
ce type de clbration de celui qui est ordonn face au protestantisme.
D'ailleurs, pour le clerg, irrligion et hrsie ne sont-elles pas les deux
facettes d'un mme mal, le refus de la vritable religion ?
Ces Quarante- Heures de la Quinquagsime n'eurent jamais en France
une ampleur et une solennit comparables celles qu'elles eurent en
Italie, sans doute parce que, prcisment, l'ennemi principal n'tait
pas, pour le clerg du xvne sicle franais, le libertin. Elles connurent
cependant une certaine diffusion grce l'action conjointe de divers
ordres religieux, du clerg sculier et des dvots, notamment au cours
des annes 1630. Ainsi les Jsuites les organisent en divers lieux en
92. uvres de Jean Meslier, t. II, p. 143 (dition Deprun-Desn-Soboul).
93. Ibid., p. 497-498.
94. J. Fert, La vie religieuse dans les campagnes parisiennes, Paris, 1962,
p. 366.
LES PRIRES DES QUARANTE-HEURES 23
prambule leurs prdications de Carme M et Jean- Franois Rgis,
en 1640, affronte masques et tambours qui viennent dfiler devant
l'glise du collge du Puy o se droule cette clbration M. Chez les ,
Capucins, le Pre Honor, provincial de Paris, avait dcid de les orga
niser dans tous les couvents de son ressort les dimanche, lundi et mardi
de la Quinquagsime, ds 1621-1622 97. Mais Paris mme, le dve
loppement de cette pratique dut beaucoup l'action de la Compag
nie du Saint-Sacrement, qui commena par dlguer certains con
frres aux crmonies de l'glise Saint-Louis des Jsuites et par
participer aux dpenses engages cette occasion par les Carmes des
Billettes pour les cierges et pour la musique M. Bientt, toutefois,
la compagnie jugea prfrable que plusieurs glises parisiennes orga
nisent des dvotions extraordinaires s
Quelques paroisses en prirent lors la sainte coutume, et les Capucins du
Marais, excits par quelques personnes de la Compagnie; entrrent dans
cette dvotion. Quelques prlats de grands talents y prchrent et leur
rputation, attirant beaucoup d'auditeurs leurs sermons, dtournoit bien
du monde des profanes divertissements ".
A Paris toujours, le cur de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, glise
dans laquelle les Quarante- Heures se clbrent annuellement pendant
le carnaval depuis 1616, dcide en 1628 de perptuer cette coutume
par une fondation. L'acte de fondation et ses annexes, documents
tablis de 1628 1637 10, voquent l'esprit dans lequel est alors conue
cette dvotion et dcrivent la volont d'en solenniser la clbration.
Grandiose ouverture du Carme par une invitation pressante la
confession et la communion, les Quarante- Heures sont l'occasion
d'appeler le peuple faire preuve de sa pit ; par la prdication,
chacun est exhort a se monstrer fidle Nre Seigneur Jsus, ...
au temps de desbauche et de licence populaire du Carnaval 101. Pour
95. Par exemple, les prdicateurs de Billom envoys Aigueperse et Mauriac
les organisent en 1632 (Archivum Romanum Societatia lesu, Tolos., 17, f 186 v.).
A Grenoble, les Jsuites organisaient rgulirement les Quarante-Heures dans leur
glise pendant le Carme (J. Pra, Les Jsuites Grenoble, p. 235).
96. G. Guitton, Saint Jean-Franois Rgis, Paris, 1937, p. 493.
97. Mazelin, Histoire du Pre Honor de Paris, p. 263. Une dcision du mme
ordre avait t prise par le chapitre provincial ds 1612 (J. Mauzaise, op. cit., t. II,
p. 829).
98. R. Voyer d'Argenson, Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement (dit.
Dom Beauchet-Filleau), p. 38.
99. Ibid. ; la volont de rpression du carnaval par les dvots ainsi que l'affro
ntement entre masques et dvots ont t brillamment suggrs dans le film d'Ariane
Mnouchkine consacr Molire.
100. B.N., Fonds franais, ms. 2448. Outre l'acte de fondation, qui stipule de
manire prcise les conditions dans lesquelles devra tre assure cette fondation,
le document comporte une Observation... dresse en 1633 l'initiative du fon
dateur pour clairer ses intentions (fi. 59-81), un Directoire des 40 heures (fi. 82-
117) et une Addition au directoire (ff. 118-141).-
101. Ibid., f 18 v. Dans le directoire , il est mentionn que les prdicateurs
seront advertis et priez de prcher c sur le subject d'Icelles 40 heures et contre
les vices et malices du sicle universellement dprav en tous estats (f 117 v.).
24 B. DOMPNIER
rendre tangible le choix ainsi fait, chaque fidle doit participer au salut
du mardi soir un cierge la main, pour faire amende honorable Dieu
c pour ceux qui l'offencent, et le deshonorent publiquement, et si
audacieusement durant les desbauches malheureuses de ces Jours de
Carnaval 102. Ainsi les Quarante- Heures permettent au clerg de ne
pas en tre rduit des interdictions verbales des rjouissances du
carnaval ; grce elles, il propose aux fidles de manifester de manire
tangible leur attachement l'glise. Comme dans les situations de
coexistence confessionnelle, les Quarante- Heures font partie de la
stratgie de la rupture entre bons et mauvais, entre religion et hrsie/
impit, entre ordre et licence. Dans cette perspective, ce n'est sans
doute pas un hasard que le dveloppement des Quarante- Heures de
la Quinquagsime se situe prcisment dans la France de Richelieu.
De mme que pour arracher les fidles du contact de l'hrsie il
fallait les allcher la vrit, il faut aussi, pendant le carnaval,
crer des conditions qui incitent le peuple prfrer l'glise la rue.
Aussi le cur de Saint- Nicolas-du-Chardonnet avait-il prvu que dans
cette glise le maximum de solennit serait donn la clbration des
Quarante- Heures : sonneries identiques celles des ftes de premire
classe, dcoration du grand autel par des reliquaires, tableaux < et
autres ornemens pieux et sacrez , grand nombre de cierges, glise
tapisse 10S ; en bref, tout doit tre mis en uvre pour donner aux
Quarante- Heures une solennit analogue celle de la Fte-Dieu 104.
La fondation de l'glise Saint- Nicolas stipulait enfin que les Quarante-
Heures seraient interrompues pendant la nuit et que les fidles seraient
invits rentrer chez eux ds la fin du salut c afn d'viter les mauv
aises rencontres que l'on pourroit faire le soir es rues, et pour fermer
l'glise et viter les desordres qui s'y pourraient commettre plus tard 1W
Cette proccupation, encore rare dans les annes 1630, apparat beau
coup plus frquemment dans la seconde moiti du sicle. La nuit est
en effet, aux yeux du clerg, l'occasion de tous les pchs : les glises
peuvent tre profanes par les fidles qui s'y endorment ou qui persistent
les considrer comme des lieux propices aux aventures galantes ;
de plus, les trajets nocturnes exposent de multiples tentations et
prils. .
C'est d'ailleurs cause des actions profanes et indcences que pou
vait provoquer la venue l'glise des femmes et des filles que Rome
102. Ibid., fo 88.
103. Ibid., ff. 10-11, 71.
104. t le tout aveq l'appareil, ornemens, crmonies et solennit de feste solen
nelle comme du propre iour de la feste dieu voire et au del autant que faire se
peut (Ibid., i 124). A ce propos le cur note d'ailleurs une diffrence entre le rite
franais- et le rite romain de clbration des Quarante-Heures : En France et
spcialement a Paris l'exposition du St Sacrement en l'oraison des 40 heures est
faicte non sur le modle de l'oratoire du Ieudy st ainsy qu'a Rome, mais sur celuy
de la solennit de la feste dieu, en suitte dequoy elle est faite dans le chur et au
grand autel {Ibid., ff. 123 V.-124).
. 105. Ibid., f 69. .
LES PRIRES DES QUARANTE-HEURES 25
accorda en juillet 1686 l'autorisation officielle d'interrompre les Quar
ante- Heures pendant la nuit 1M. Jusque l la congrgation des Rites
et celle des Indulgences avaient fermement maintenu le principe de
la non-interruption car, pour elles, la continuit des prires en temps
de calamit, rappel du jene du Christ, tait un lment essentiel de
cette dvotion 107. Chez les Jsuites, le gnral avait aussi longtemps
adopt la mme attitude, crivant par exemple au provincial de Lyon
en 1654 que par la cessation nocturne on se moquait de la pit du
peuple : celui-ci croyait en effet gagner des indulgences qui n'taient
en fait accordes que pour les Quarante- Heures continues 1M.
Banalises en quelque sorte par la perte de leur caractre de suppli
cation ininterrompue109, organises frquemment pour des motifs
assez divers, les Quarante- Heures perdirent de leur clat et de leur
caractre extraordinaire dans les dernires dcennies du xvne sicle.
La Rvocation de l'dit de Nantes ne fut pas non plus trangre
cette mutation, puisque leur principale utilisation en France avait
t au xvne sicle l'affirmation de la vrit et de la force catholique.
Elles perdirent mme jusqu' leur signification premire d'imploration
du pardon divin, pour n'tre plus parfois qu'une dvotion rgulire
sans lien particulier avec le culte eucharistique. La circulaire de 1694
du provincial de Lyon des Capucins le manifeste clairement : .
t nostre St pre le pape Innocent 12e nous ayant accord l'indulgence des
40 heures pour touttes nos glises une fois l'anne, les RRPP de la deffi-
nition ont jug propos qu'il y eut en cela de l'uniformit dans toutte nostre
province, et voulant marquer une dvotion singulire a la Ste Vierge pour
l'engager tous jours davantage nous protger, ils ont choisy la feste de sa
glorieuse Assomption pour Ta crmonie des 40 heures > uo.
Les fidles et les Quarante-Heures.
voquer la persistance de la dvotion des Quarante-Heures et
leur ample diffusion en mme temps que l'affaiblissement, sinon la
disparition, de leur signification originelle, c'est indirectement poser
la question de leur accueil populaire. Il parat en effet vraisemblable
que si les fidles n'avaient pas manifest un intrt particulier pour
cette dvotion, celle-ci aurait peu peu disparu plutt que de se maint
enir en se transformant. Qui plus est, la nature des mutations subies
par les Quarante-Heures, et particulirement la frquente clbration
106. . de Sant, op. cit., p. 336. Il peut tre intressant de noter que cette
autorisation, donne la requte des Capucins de France, date de l'anne qui suit
la Rvocation de l'dit de Nantes, c'est--dire du moment o les Quarante-Heures
ont perdu, en France, leur fonction principale de rassemblement des fidles face
l'hrsie.
107. Ibid., p. 332-333.
108. A.R.S.I., Lugd. 8, f 37, lettre au P. Paul de Barry (13 avril 1654).
109. De nombreuses ordonnances synodales de la fin du xvne et du dbut du
xvine portent interdiction de toute crmonie nocturne dans les glises.
110. Bibliothque Franciscaine Provinciale, Cartulaire de Romans, p. 195.'.
26 B. DOMPNIER
lors des calamits publiques , pourrait bien tre directement lie
une demande populaire. Dvotion promue par le clerg au dbut
du xvne sicle, les Quarante- Heures ont-elles donc acquis une place,
au cours de ce sicle, dans l'ensemble des pratiques de pit popul
aires ?
Les clercs des annes 1660 ne semblaient gure douter de la rponse
cette question. Diverses lettres et rapports prsentent en effet les
Quarante- Heures comme un des plus srs moyens, vers cette date,
de rassembler les fidles. Plus particulirement, en une priode o la
prdication de mission a quelque peu perdu de sa nouveaut et n'attire
plus que modrment les fidles, les missionnaires s'accordent pour
reconnatre aux Quarante- Heures une vertu de rassemblement. Le
biographe du Pre Le Quieu crit ainsi au sujet des missions de ce
religieux dans les environs de Genve r
pour y convoquer le peuple il prchoit par tout les quarante heures m.
Les Capucins de la province de Lyon font cho ce propos lorsqu'ils
notent, dans un rapport envoy Rome en 1662, que c'est surtout
lorsque les Quarante- Heures sont clbres en fin de mission que le
concours de peuple est important lla. A la mme date leurs frres de
Provence souhaitent pour leur part, pour l'augmentation de la dvo
tion des fidles , une extension des bnfices des Quarante- Heures
l'ensemble des missions 118. :
L'ensemble de ces propos, qui relvent de la recherche d'un perfe
ctionnement de leur mthode par les missionnaires, corroborent les
chiffres par lesquels ces mmes clercs s'attribuent d'amples succs.
Au milieu du sicle, on ne voit plus gure, comme Cahors en 1617,
des meutes se former dans le but de franchir les murailles de la ville
et d'aller aux Quarante- Heures clbres dans l'glise des Jsuites,
situe dans les faubourgs m. En revanche, comme Gap en 1653,
des fidles accourent de huit lieues la ronde et communient par
milliers 116 ; six ans plus tard, quelque distance de l, les Quarante-
Heures sont organises la demande des consuls et des habitants et
prpares par dix journes de confession, selon un ordre digne de Cucu-
gnan u6. La plupart du temps, en effet, l'afluence de fidles se double
de leur empressement au confessionnal ; les Quarante- Heures sont
pour les fidles un temps de confession. Quand les confessionnaux ne
111. Archange-Gabriel de l'Annonciation, op. cit., t. I, p. 453.
112. Archives de la Congrgation de Propagande/. Fide, S.O.C.G., vol. 203, f 62
(a Memoriale pro missionibus a provincia Lugdunensi ff Minorum Capucinorum
dispendentibus ).
113. Ibid., t 60 ( Status missionum provinciae Sancti Ludovici seu Provenae ).
114. A.R.S.I., Tolos. 17, f 101 v.
115. Annales des Capucins de Provence (copie B.F.P.), t. II, 1462.
116. A.D.H.A., 3 H 2, 2, p. 187-188. Il s'agit des Quarante-Heures organises
Talard. Un jour est assign aux gens de travail , un aux garons, un aux filles,
un aux pnitents blancs et six autres six confrries diverses. Chaque habitant
adulte appartenait donc l'une de ces confrries.
LES PRIRES DES QUARANTE-HEURES 27
suffisent pas, comme aux chelles en 1641, on se confesse dans les ;
maisons, les rues ou les champs ; dans le mme but, on voit aussi des
groupes de 20 ou 30 personnes suivre les religieux dans leurs dplace
ments U7. A Bourges, en 1635, le nombre des pnitents avait t tel
qu'il avait fallu dsigner 72 confesseurs qui s'installrent dans la cath
drale, dans l'glise des Capucins ou encore dans des confessionnaux .
disposs sur la place des Capucins ou dans leur bois 118.
La premire raison du concours de peuple au tribunal de la Pnitence
rside videmment dans le fait qu'ici le confesseur est un religieux
inconnu qui il est plus facile de s'ouvrir de fautes graves qu'on hsite
avouer au cur de la paroisse. De surcrot, ce confesseur a le pouvoir
d'absoudre des pchs les plus importants, les cas rservs, alors que
l'aveu de ces mmes fautes au cur donnerait lieu un refus d'absolu
tion et au renvoi du pnitent l'vque ou son dlgu. Yves de
Paris souligne d'ailleurs, propos des missions, l'attrait qu'exerce ce
pouvoir sur les pnitents :
Vous verriez, la seule publication du pouvoir qu'ont les religieux d'absoudre
lors des cas rservs, tous les habitants d'un village quitter leurs exercices
ordinaires pour apprendre ceux de pit ".
Il n'est gure douteux que le religieux, muni de facilittes pour
les missions comme pour les Quarante- Heures, soit trs vite apparu,
pour les fidles du xvne sicle, comme un clerc dot de pouvoirs extra-
ordinaires, mme si la dfinition prcise de ceux-ci chappait au plus
grand nombre. .=
Toutefois, partir des annes 1630, lorsque fut tablie par le Saint-
Office et la Congrgation de Propaganda Fide la liste des facilittes
des missionnaires, les pouvoirs d'absolution accords pour les missions
et les Quarante- Heures furent sensiblement identiques et ne permettent
donc pas d'expliquer le particulier succs de cette dvotion. C'est ds
lors dans le domaine des indulgences que doit tre recherche la raison
de l'affluence aux Quarante-Heures car c'est ici que les pouvoirs des
missionnaires diffrent vritablement de ceux des prdicateurs des
Quarante-Heures. Le missionnaire approuv par Rome ne peut en
effet accorder l'indulgence plnire que dans trois cas prcis : aux
nouveaux convertis lors de leur abjuration, aux fidles l'article de
la mort, et aux fidles qui se confessent et communient lors des Quarante-
Heures 180. Le nombre important des confessions voqu plus haut
pourrait donc avoir comme motif essentiel, plutt que le dsir de rece
voir l'absolution de cas rservs, celui de satisfaire aux conditions
117. Charles de Genve, Trophes sacrs, III, p. 166.
118. Archives de la Congrgation de Propaganda Fide, S.O.C.G., vol. 199, f 332.
119. Les Heureux succs de la pit, p. 657. Cit in H. Bremond, Histoire litt
raire du sentiment religieux, t. I, p. 429.
120. Articles 15 et 16 ou 16 et 17 des facuUates des missionnaires franais tablies
selon le formulaire de 1637.
28 B. DOMPNIER
requises pour gagner l'indulgence. De la mme manire, le souhait
des missionnaires, exprim maintes reprises, de pouvoir clbrer
les Quarante- Heures lors de toutes les missions exprimerait leur
proccupation de rassembler les fidles par le moyen le plus apte les
arracher leurs occupations quotidiennes, la concession d'indulgences.
La mise en garde du gnral des Jsuites au provincial de Lyon, vo
que plus haut, n'a de vritable signification que si l'obtention d'indul
gences par la participation aux Quarante- Heures est le mobile essentiel
des fidles. *
S'il faut conclure en ce sens, il faut aussitt ajouter que le clerg
accepta facilement cet engouement populaire pour les indulgences.
Fondes thologiquement, contribuant au prestige des clercs qui les ->
concdaient, elles reprsentaient aussi un refus, en actes, des thses
rformes. Le Pre Charles de Genve privilgie d'ailleurs ce dernier
aspect t..
la plus grande partie du fruit quy s'est faict pour la gloire de Dieu et le
salut des mes, c'a t... ordinairement par la voye des indulgences et jubils
quy ont t clbrs en ce pays, et bien propos, selon la rgle canonique
laquelle dit que toute chose se dissout par les mmes causes desquelles elle
tire son origine.
L'hrsie de Luther a pris son origine du mpris et opposition faitte contre
les Stes indulgences, et un des plus puissantz moyens pour destruire l'hrsie,
c'est d'honorer et clbrer les Stes indulgences, soit par prdications, ou
par critz, ou autres voye ltL...
Fondamentalement, l'attrait populaire pour les indulgences qui :
apparat ici correspond la recherche de c recours qui est l'essent
iel de la relation populaire au divin 1M. La clbration des Quarante- -
Heures en temps de calamits naturelles, de guerres ou de menaces
de tous ordres est un moyen de conjurer l'angoisse, d'abord en dsi
gnant prcisment le mal que la communaut chrtienne doit combattre
par ses prires ; elle est aussi l'expression de la libration que Dieu *
accorde au peuple pnitent. L'aspect baroquisant de cette fte d'expiation
trouve en partie son origine dans le fait que pnitence et libration
vont de pair , comme le souligne A. Dupront : l'glise l'a confirm
dans la pratique indulgentiaire et, la pnitence collectivement vcue
peut tre fte par la seule manifestation publique de cette libra
tion 128.
Par ces divers aspects, les Quarante- Heures s'apparentent aux
jubils qu'accorde la papaut pour les besoins de la chrtient 124.
121. Trophes sacrs, I, p. 216.
122. A. Dupront, La religion populaire dans l'histoire de l'Europe occident
ale , dans R.H.E.F., t. 64, 1978, p. 193. *
123. Ibid., p. 196.
124. D'aprs la dfinition de Durand de Maiixane, Dictionnaire de droit canon
ique..., t. III, p. 119. La dfinition du jubil donne par F. Beringer insiste aussi
sur ces deux aspects : c C'est un temps de grce, pour lequel le Pape publie une
Indulgence plnire attache certaines conditions ; et, pour que tous puissent y
LES
PRIRES DES QUARANTE-HEURES 29
Dans la pratique d'ailleurs, la clbration des jubils extraordinaires,
accords lors d'vnements graves ou extraordinaires m, consista
souvent en une organisation des prires des Quarante- Heures. L'usage
aboutit une telle assimilation que l'Encyclopdie notait propos de
ces prires : on les fait ordinairement dans le jubil, dans les calamits
publiques etc. m.
De cette conjuration de l'angoisse profonde qui trouva dans l'glise
catholique une expression dans la recherche des indulgences et dans
certaines pratiques de pit collectives, il est intressant de rechercher
l'quivalent dans l'glise rforme, et de vrifier ainsi si la place des
pratiques de recours transcende les barrires confessionnelles pour
s'affirmer comme fondamentale dans la religiosit populaire moderne.
De fait, l'analyse de la pratique des jenes chez les protestants ne
manque pas d'voquer certains aspects des prires des Quarante*
Heures. Ordonns, comme ils le sont souvent, lors de famines, ou de
manifestations de la colre divine comme les perscutions 127, les jenes
sont une invitation se convertir, amender sa vie, ainsi qu' prier
Dieu pour obtenir misricorde 128. Pendant la journe qui a t choisie
cet effet, tout travail s'interrompt, boutiques et tavernes ferment
leurs portes et trois services publics sont clbrs sans interruption 129.
Plus clairement encore, le synode du Dauphin de 1669 prescrit un
jene afin que ce bon Dieu, flairant une odeur suave de nos sacrifices
spirituels, soit apais nos injustices ;< dans ce but, tous les fidles
sont exhorts de donner gloire Dieu par la confession sincre qu'ils
lui feront de leurs pchs, par l'humiliation profonde de leur corps et
de leur esprit 180. Avec, naturellement, plus d'intriorit et moins
d'ostentation que les prires des Quarante- Heures, le jene protestant
exprime la mme supplication et la mme volont d'expiation des
pchs. Que les clergs des deux confessions aient ou non canalis en
une imploration de la misricorde divine la recherche profonde de
secours, de protection et de conjuration des peurs, celle-ci semble bien
premire et gnrale. Le succs et l'inflexion progressive des Quarante-
Heures lui doivent beaucoup. .
Une autre explication de la popularit de cette dvotion peut toutef
ois tre encore avance, notamment lorsqu'elle tait organise en
rgion de coexistence confessionnelle et que l'accent tait mis sur le
participer, les confesseurs reoivent des pouvoirs spciaux... rservs, en d'autres
temps, aux vques ou mme exclusivement au Pape (Les Indulgences..., trad.
fre P. Mazoyer, Paris, 1925, t. I, p. 570).
125. F. Beringer, op. cit., t. I, p. 574.
126. L'Encyclopdie ou Dictionnaire raisonn..., t. XIII, p. 659. *
127. M. Richard, La vie quotidienne des protestants franais sous l'Ancien Rgime,
p. 39-40.
128. S. Mours, Le protestantisme en France au XVII* sicle, p. 94.
129. P. de Felice, Les Protestants d'autrefois, t. I, p. 154. Cit par P. Bolle,
Une paroisse rforme du Dauphin... dans Bulletin de la Socit d'histoire du
protestantisme franais, 101e anne (1965), p. 228.
130. Cit in P. Bollb, art. cit, p. 343-344.
30 B. DOMPNIER
culte eucharistique. Outre les raisons dj voques, il faut insister sur
la conception populaire de l'Eucharistie, laquelle font indirectement
allusion certains textes d'ordonnances synodales. Ainsi Etienne Le
Camus, vque de Grenoble, proscrivait en 1690 de porter le Saint-
Sacrement dans les Villes ou la campagne pour les incendies, pour
les temptes, ou pour les inondations ou dbordemens de torrens m.
Quarante ans plus tard, l'vque de Valence reprenait la mme inter
diction en y ajoutant les autres accidens 13a. Ces indications, tout
comme les tmoignages de divers miracles du Saint-Sacrement ,
montrent la vertu accorde l'hostie consacre par les fidles du
xvne sicle. Une partie du clerg, et notamment du clerg rgulier,
n'est sans doute pas totalement trangre la diffusion de l'ide d'une
protection accorde par le Saint-Sacrement : au dbut du xvne sicle,
les Capucins, qui exeraient souvent l'office de pompiers, apportaient
parfois une hostie consacre sur les lieux de l'incendie. Il arrivait alors
que, comme Chalon-sur-Sane en 1646, l'extinction de l'incendie
soit attribue au Saint-Sacrement 188. Les Capucins, plus que d'autres
ordres religieux peut-tre, surent tre attentifs ce besoin de protection
surnaturelle des fidles et ce n'est pas un hasard si, en certaines localits,
c'est vers le couvent des Capucins que se dirigent les processions quand
il fait mauvais temps et danger de tempeste 184. Mais pour ces rel
igieux, actifs dans la lutte contre le protestantisme, les miracles accomp
lis par l'hostie taient aussi un argument de controverse et comme la
dmonstration concrte de la vrit du dogme catholique. Soin de
rpondre aux aspirations de la pit populaire et proccupation anti
protestante se rejoignirent donc chez eux pour dvelopper un culte
eucharistique que des vques de la fin du sicle, soucieux du respect
d au Saint-Sacrement, trouvrent susceptible de couvrir des croyances
superstitieuses.
Parfois, des clercs qui entendaient favoriser une volution de la
pit populaire vers l'essentiel de la foi contriburent peut-tre une
sorte de substitution du culte de l'hostie celui de certains saints.
Tel pourrait tre le cas de Christophe Authier, fondateur de la congr
gation des Prtres du Trs-Saint-Sacrement, qui fut pris partie par
des fidles d'une bourgade o il prchait une mission : ses auditeurs
trouvaient qu'il ne parlait que de l'Eucharistie et lui reprochaient
donc de rduire nant le rle de la Vierge et des saints 1S5. Sans doute
pour chapper cette critique, Authier distribua des reliques au cours
de ses missions des annes suivantes. Or voici qu' Valence, en 1642,
131. Ordonnance synodales du diocse de Grenoble..., Paris, 1690, p. 195-196.
132. Ordonnances synodales du diocse de Valence..., Valence, 1728, p. 147.
133. Thotime de Saint-Just, op. cit., p. 524 (d'aprs Annales Capitulaires de
la Province de Lyon, II, f 258 v.).
134. A.D. Isre, 4 G 272 (visite pastorale de Mgr Le Camus Montmlian en
1673).
135. A.C.P.F., S.O.C.G., vol. 199, f 358.
LES PRIRES DES QUARANTE-HEURES 31
il n'eut pas assez de reliques pour satisfaire la demande des fidles.
Alors,
pour contenter ceux qui lui en demandoient, il divisa en petites pices
divers corporaux, qui servoient l'Autel, pour les distribuer leur place,
et sa Foi fut si ficace, et agrable aux yeux de Dieu, qu'il n'eut pas plutt
commenc d'en faire la distribution, qu'on entendit, et qu'on vit arriver
de tout ct, par leur simple attouchement, des prodiges surprenans, qui
firent l'admiration de toute la Ville et du voisinage 136.
Les fragments de corporaux se substituaient ainsi aux morceaux
de tissu touchs par un saint et rvlaient immdiatement leur valeur
miraculeuse. Le Saint- Sacrement apparaissait comme le meilleur
protecteur. Ce fait, comme ceux voqus plus haut et bien d'autres
encore, peut contribuer l'explication du succs populaire de la dvo
tion des Quarante- Heures.
Tout au.Jong du xvne sicle, les prires des Quarante- Heures, fr
quemment organises, furent un incomparable moyen de rassembler
les fidles. Proposes par le clerg pour dvelopper le culte du Saint-
Sacrement, faire pice au protestantisme et inviter les fidles au repent
ir, elles durent en partie leur succs la qute populaire de recours
et l'ampleur des indulgences qu'elles permettaient d'obtenir. Elles
offrent ainsi le parfait exemple d'une dvotion qui, institue et dve
loppe par des ecclsiastiques, acquit un caractre populaire. Sans
doute contriburent-elles l'accroissement de la pit eucharistique,
une affirmation de la vigueur du catholicisme et un dveloppement
du sens du pch. Mais, comme d'autres pratiques de pit promues
par le clerg, les Quarante- Heures ne modifirent peut-tre gure les
attitudes religieuses populaires qui elles ne firent qu'offrir un nouveau
cadre d'expression qui se substitua d'autres ; l'acculturation rel
igieuse dont tmoignerait leur succs pourrait fort bien n'tre que superf
icielle. Leur fonction essentiellement anti-protestante pendant la plus
grande partie du sicle fit d'ailleurs que le clerg, proccup d'abord
de rassembler un nombre considrable de fidles, fut sans doute peu
port examiner, voire inflchir, les motivations des assistants.
Par tous ces aspects, les Quarante- Heures mritent une place pri
vilgie dans l'tude de la Rforme catholique au xvne sicle, dont
elles illustrent parfaitement, par ailleurs, l'aspect baroquisant.
Bernard Dompnier .
(Universit de Clermont-Ferrand).
136. N. Borly, La vie de Messire Christophle d'Authier de Sisgaud..., Lyon,
1703, p. 89-90. La relation de cette mission de Valence ne se trouve pas aux archives
de la Congrgation de Propaganda Fide, sans doute parce que le fait ici voqu,
qui parut suspect aux cardinaux, justifia la transmission du document au Saint-
Office.

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