Amirouche - Une Vie
Amirouche - Une Vie
Amirouche - Une Vie
AMIROUCHE
UNE VIE DEUX MORTS
UN TESTAMENT
SAD SADI
AMIROUCHE
UNE VIE DEUX MORTS UN TESTAMENT
Une histoire algrienne
LHarmattan, 2010, pour la nouvelle dition 5-7, rue de lEcole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected]
Nordine At Hamouda,
dont la douleur a accouch dune colre qui a clair
Proverbe kabyle
ADJAOUD Rachid, AT OUABDESLAM Ouamar, ALI YAHIA Abdenour, AMIROUCHE Hamou, AMOKRANE Abdelhafid, ATTOUMI Djoudi, AYADI Belad, dit Lad, AZZI Abdelmadjid, BEN MAALEM Hocine, BOUZEGHOUB Mohamed Tahar, CHELOUFI Mustapha, DJOUADI Abdelhamid, GOUDJIL Salah, HOUMA Abdelmadjid, IBRAHIM Djaafar, dit Si Saadi, IHADDADENE Abdelkader, LACHOUR Slimane, NAT BOUDA Hocine, OUBOUZAR Ali, SAADI Salih, SEBKHI Mohand,
ZERARI Rabah, dit Azzedine.
AVERTISSEMENT
Ce livre tait en gestation depuis plus de quarante ans. Il est le rsultat de plusieurs dizaines de tmoignages recueillis auprs dacteurs ou dobservateurs qui ont combattu avec Amirouche, vcu ses cts ou suivi son parcours. Lapport de chacun a t important pour moi dans la dcouverte dun homme qui a ddi sa vie la lutte sans trop se soucier de ce qui pouvait tre dit ou crit sur lui. Quils trouvent tous ici lexpression de ma profonde gratitude.
Je nai cependant mentionn quune vingtaine dintervenants. Dune part, le volume de louvrage ne permettait pas de retenir toutes les narrations ; dautre part, je nai voulu garder que les tmoignages de personnes vivantes ; sagissant de propos ayant une incidence politique ou historique importante venant de combattants disparus, jai conserv uniquement ceux qui ont t tenus devant une assistance suffisamment nombreuse pour en tablir aisment la vracit. Le reste des informations a t puis dans des documents, dont certains sont indits. Leur reproduction est intgrale, cest -dire quelle garde leurs ventuelles imperfections.
Les lieux figurant dans ce rcit portent le nom quils avaient lpoque des faits. Enfin, les citations en amazigh sont transcrites dans le systme international.
Il faut connatre la vie et la mort du colonel Amirouche ainsi que le sort rserv ses restes pour mieux comprendre la russite de linsurrection du 1er novembre 1954 et lchec de lAlgrie daujourdhui. Lgende vivante pendant le conflit, il fut tu avec son collgue, le colonel Haoues, le 28 mars 1959, par une armada dploye par le gnral Massu, inform de son dplacement vers la Tunisie. Il sy rendait pour exiger la dissolution de larme des frontires de Boumediene et des services secrets de Boussouf qui prparaient dj laprs-guerre. Le pays venait de basculer dans un abme o il macre toujours. Soucieuse de ne pas laisser trace dune spulture qui ne manquerait pas de devenir un lieu de plerinage, les troupes franaises enterrrent secrtement les deux colonels. Boumediene fit dterrer clandestinement leurs ossements deux ans aprs lindpendance pour les faire disparatre. A jamais, pensait-il. Cette abomination est la fois le symptme et la maladie qui minent un pays o la confiscation et la falsification de la guerre de libration font office de bilan et de projet politique. A ce jour, les interpellations adresses au pouvoir dAlger sur ce sujet, dans les mdias ou lAssemble nationale, nont reu aucune rponse. La relation maffieuse qui fonde le systme qui svit depuis 1962
transcende les clivages claniques qui dchirent pisodiquement les parrains. Et pourtant
La squestration des restes des colonels Amirouche et Haoues sera probablement lun des traumatismes subis par le pays qui mettra le plus de temps cicatriser, quand lAlgrie pourra enfin parler sa conscience. Le silence des lites qui accompagna la dcouverte de ce quil faut bien appeler une forfaiture annonait la drive morale et le naufrage intellectuel dans lesquels se dbat la nation, un demi-sicle aprs son indpendance.
Faut-il dire lindicible ? Oui. Quels quen puissent tre les dsagrments conjoncturels qui sensuivent. La censure, la dsinformation ou mme la peur sincre de la vrit, motive par le souci de ne pas rveiller une histoire tourmente et complexe, ont conduit lAlgrien la mconnaissance, au reniement puis la haine de soi. Cette schizophrnie a ouvert la voie aux bonimenteurs de la mmoire, eux-mmes prcurseurs des escrocs politiques qui ont faonn un pass la convenance des apptits et des humeurs de despotes parasitant lhonneur et le destin de la nation. Une preuve dont on a identifi les causes est moiti dpasse ; le refoulement gnre toujours des rebondissements qui surgissent au moment o lon sy attend le moins et qui se manifestent de la pire des manires. Cest parce que lAlgrie, sans bornes ni boussole, a trop trich avec son pass que son histoire la hante. Quand un pouvoir use de la falsification du patrimoine symbolique pour se lgitimer, cest quil a dlibrment et dfinitivement fait le choix du pire. Les assassinats politiques, les fraudes lectorales ou les dtournements de la ressource nationale sont des traductions, au sens gntique du terme, dune tare originelle que seule une mutation la mesure de laberration pourrait corriger. On a avanc que la violence dune colonisation de peuplement, ayant pulvris repres et normes communautaires, a substitu laffrontement au dbat. Soit. Mais il se trouve que ceux qui greffent leur impudeur sur cette squelle dans un pays indpendant se posent comme les adversaires les plus distingus du colonialisme, eux qui, en vrit, en sont la reproduction la plus pitoyable.
On a aussi affirm quil est frquent de voir, dans tout le Tiers -Monde, des responsables protger leur pouvoir par lassassinat. Il ne sagit pas de justifier ces crimes mais du moins est-il possible, en certaines occasions,
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den deviner la cohrence. Or, dans le cas du hold-up des ossements dAmirouche et de Haoues, il ny avait pas de menace sur le trne . Nous sommes bien face la monstruosit absolue. Il y a eu dans cette sombre affaire une synergie du Mal. Affichant une singulire symtrie dans leurs attaques, les armes franaise et algrienne ont fait preuve dune remarquable complmentarit, au point de conforter, ds 1962, linformation qui veut que lennemi na atteint les deux colonels que par limprudence, voire la complicit de ceux qui taient chargs de les guider partir de Tunis. En effet, pendant toute la guerre et jusqu la mort du colonel de la wilaya III, les forces coloniales, banalisant excutions sommaires et tortures et dversant leur napalm sur les villages et les forts, nont eu de cesse de marteler que, le jour o elles neutraliseraient le sanguinaire Amirouche , le conflit qui embrasait lAlgrie prendrait fin ou, du moins, verrait son dnouement se rapprocher considrablement.
Prenant le relais aprs lindpendance, larme algrienne, cest --dire larme des frontires ou, pour tre encore plus prcis, la Scurit militaire et donc Boumediene et son makhzen qui a galement construit son pouvoir sur les assassinats, la censure, les fraudes lectorales et la corruption sattellera lune des entreprises de dsinformation post-indpendance les plus cyniques en sacharnant construire la contre -lgende Amirouche : islamiste avant lheure, paranoaque sanguinaire, anti -intellectuel, arrogant, rien ne fut pargn au colonel de la wilaya III.
Le dferlement de rumeurs, dallusions et de polmiques plus ou moins orchestres ne parvenant toujours pas occulter la vnration que vouaient Amirouche ses hommes et plus gnralement la population, Boumediene, digne hritier de Boussouf, recourut la solution radicale : la mort symbolique. Il fit dterrer clandestinement ses restes pour les squestrer dans la cave de lEtat major de la gendarmerie nationale o ils restrent jusqu sa propre disparition. Priv de vie par larme coloniale, Amirouche tait interdit de mort par Boumediene.
Quand des apparatchiks daignent aborder ce scandale dEtat, ils invoquent le complexe dun Boumediene qui, nayant jamais fait le maquis, ne pouvait supporter la clbration dun officier adul de son vivant et dont la rputation avait t forge dans lpreuve qui avait frapp son peuple.
Au regard de notre avenir collectif, le problme nest plus de juger lhomme qui a faut mais de trouver le courage moral de rpondre la
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question de savoir pourquoi, hormis des amis de la famille du martyr, pas un politique, pas un homme de religion, pas un artiste, pas un universitaire na os, ce jour, se prononcer sur ce qui relve du crime contre lHomme. Il ne sagit donc pas, pour lintellectuel, de compatir avec ceux que lhorreur a frapps dans leur sang, mais de contribuer en tant que tmoin privilgi racheter notre dignit collective. Les lites algriennes devront se rsoudre assumer, si toutefois elles veulent donner une chance leur pays de le dpasser un jour, le dshonneur qui nous habite tous peu ou prou et qui fut lorigine de la deuxime mort du plus emblmatique des colonels de lALN. En fvrier 2010, je lis, de la plume dun certain B. Amar un article apologtique intitul Un btisseur nomm Boumediene 1 . Il dplore le fait que, depuis sa mort, le nom de Boumediene ne soit pas assez cit. Plus loin, lauteur ajoute que lhomme du 19 juin a redonn du panache aux Algriens, prcisant que la fiert du peuple algrien, cest de voir ses lites intellectuelles respectes, ses hros rhabilits, son histoire crite avec intgrit, sa presse libre et responsable, ses partis dsintresss portant des programmes cratifs. Toutes choses que Boumediene a consciencieusement et frocement combattues. La confusion et la violence ont perverti la performance intellectuelle algrienne. En loccurrence, la dmission est moins proccupante que lempressement se vassaliser. Pourquoi cette aphasie ou, plus grave, un tel consentement la soumission ?
Quand Taos Amrouche2 vint avec ses chants berbres de Kabylie Alger en 1969, loccasion du Festival panafricain, elle se heurta la censure oblique mais obstine de Boumediene. Javais essay de soulager sa dception en lui organisant un gala la cit universitaire de Ben Aknoun o nous animions le Cercle de culture berbre . Tous ceux qui se pmaient devant ses chants Paris se dfilrent au moment o, Alger, elle les appelait pour laider comprendre et si possible dpasser le sectarisme qui lexcluait dune manifestation prtendant rhabiliter la culture africaine. Je me rappellerai toujours les propos dsabuss quelle lcha dans lappartement de sa cousine, rue Horace Vernet : Tu sais, mon frre, du
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Le Soir dAlgrie, 17 fvrier 2010. Cantatrice kabyle de confession chrtienne, sur du clbre pote et essayiste Jean Amrouche.
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courage il y en a eu une telle consommation pendant la guerre quil ne doit plus en rester beaucoup chez nous. Et pourtant, prs de nous, les choses voluent, y compris dans des pays ayant connu des systmes similaires au ntre. Lors de louverture du congrs de son parti, jai entendu en 2006 Mahdjoubi Aherdane, prsident du Mouvement populaire, faire tat, devant toute la classe politique marocaine, de la responsabilit directe de Mehdi Ben Barka icne nationaliste sil en est et qui fut son tour victime de la violence politique dans lassassinat de Abbas Messadi, dirigeant de lArme de libration, qui gnait son ascension au lendemain de lindpendance. Jai pu acheter Rabat tous les livres de la famille Oufkir et ceux des dtenus de Tazmamart relatant lenfer que leur avait fait subir Hassan II. La dstalinisation a eu lieu, le castrisme est en voie de dconglation, le procs des Khmers rouges est en cours, un peu partout dans le monde des vrits historiques mergent, saffinent et se confortent ; syndrome de Stockholm algrien, le boumdinisme continue de svir.
ce jour, il est exceptionnel de trouver un article critique sur la stratgie de confiscation du destin algrien dcide et mene par le clan Boussouf.
chaque fois que jai eu introduire un dbat sur la responsabilit du tandem Boussouf-Boumediene dans limpasse qui paralyse et ensanglante le pays, jai rencontr des yeux qui se baissaient ou entendu daimables recommandations minvitant ne pas rveiller les morts. Quand on essaie de faire valoir lide que les drames de notre histoire doivent tre discuts, non pas pour assouvir une quelconque vengeance, mais parce que le dbat public, servant de catharsis, peut contribuer prmunir le pays contre de nouveaux malheurs, les thurifraires prts senflammer sur dautres excs expliquent sentencieusement quen ce qui concerne les agissements de Boumediene, cest de la politique. Cette squestration na pas dquivalent. Comme toutes les guerres rvolutionnaires, linsurrection algrienne a eu sa part de tragdies et de mprises. De lassassinat dAbane aux excutions des colonels des Aurs en passant par la bleute et lembuscade de Sakamoudi, il y eut des fautes, des erreurs et de nombreux conflits politiques auraient pu connatre une issue plus sereine, si la brutalit qui continue de caractriser la vie publique avait pu tre canalise dans des espaces de mdiation rguliers.
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Mais comment demeurer silencieux devant un tel viol moral, qui, de surcrot, est commis par le premier responsable dun pays et stonner ou se plaindre quune gnration plus tard, des hommes ventrent des femmes enceintes au motif quelles nappartiennent pas leur secte ?
Quand Nordine At Hamouda, le fils du colonel Amirouche, minforma en 1983 des conditions dans lesquelles avaient t camoufls pendant vingt ans les restes de son pre et ceux de son camarade Haoues, javoue avoir eu le rflexe de lavertir sur une possib le manipulation politique. Chadli en effet, qui avait succd Boumediene, sadonnait alors un jeu de quilles dans le srail et les barons ayant servi son prdcesseur tombaient les uns aprs les autres. La nouvelle tait ce point invraisemblable que lide dune manuvre destine liminer un homme et son clan en les chargeant dune tare indlbile pour justifier la disqualification de leur rgne simposa moi, comme nombre de camarades dans lopposition.
Ceci, en dpit de notre connaissance du pedigree du rgime. Lenlvement de Boudiaf au lendemain de lindpendance et, plus tard, lassassinat dhommes tels que Mohamed Khider ou Krim Belkacem nous avaient instruits sur les murs qui inspirent et rgissent lexercice du pouvoir dans le systme FLN. Nous-mmes avions eu dcouvrir nos dpens le sort que pouvait rserver le pouvoir algrien tout citoyen dsirant se faire entendre dans son pays, ft-ce de faon pacifique. Nous avions connu les tortures, les emprisonnements, les retraits de passeports ou les licenciements arbitraires qui npargnaient pas mme nos proches. Pour horribles quils fussent, ces abus navaient pas suffi nous aviser du fait que lon puisse sautoriser nantiser des morts. Et quels morts ! Cest un peu comme si la France avait squestr Jean Moulin , me confiera Franois Lotard en 2007. On imagine pourtant bien quil avait eu, en tant que ministre de la Dfense franaise, loccasion daccder des dossiers plus ou moins sulfureux. Quand il a fallu se rendre lvidence et admettre que le sacrilge avait t bel et bien commis, je me rappelle ce que jai dit Nordine At Hamouda : Un peuple dont les lites applaudissent un homme qui sabme dans de telles ignominies passera par de terribles preuves avant davoir le droit de rintgrer lhumanit. Dsormais, nous voil avertis, plus rien ne devra nous surprendre.
Linvitation - jusqu prsent vaine - une lecture lucide et adulte des coups de force qui ont structur le systme algrien connat des vitements sur dautres registres, tout aussi handicapants pour la rnovation politique
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du pays. La question kabyle qui sous-tend le destin dAmirouche et de beaucoup dautres dirigeants algriens fait partie de ces tabous. Je rappelle dans le rcit qui va suivre comment Ben Bella a alert, aprs le Congrs de la Soummam, Fathi Dib, responsable des services spciaux gyptiens, sur le risque que ferait peser sur la Rvolution algrienne la rencontre du 20 aot 1956 ds lors quelle tait dcide par deux acteurs kabyles (Abane et Krim). Je signale aussi quAli Kafi a dcrt, aprs leur mort et dans lindiffrence gnrale, que les trois dangers de lAlgrie avaient pour noms Abane, Krim et Amirouche3. Les convictions et les parcours diffrents, voire les antagonismes qui ont marqu certaines priodes les relations de ces dirigeants nont pas suffi attnuer la hantise suscite par leur origine commune. Les deux hommes, dont lun a jou le rle dindicateur dun service de renseignements tranger en pleine guerre et lautre celui de hussard de la ghenne nationale, ont tous les deux dsign des compatriotes de premier plan llimination physique ou linfamie. Malgr de telles fautes, certaines de nos lites estimeront que le problme nest pas dans ce que deux responsables qui se sont laiss aller des conduites aussi coupables aient fini par exercer des fonctions de chef dtat ; non, pour nos intellectuels organiques, le prjudice caus au pays serait dans ce que lauteur de ces lignes, homme politique originaire de Kabylie, ose voquer des travers impliquant des dirigeants extrieurs sa rgion. Ne pas traiter dune information sensible drangeant lun ou lautre des clans, occulter la vrit historique ou la livrer aux mises en scne de cour serait sans impact pour la conscience nationale et sans incidence sur la cohsion du pays.
Au lieu de prendre la mesure des consquences de nos errements, nous avons privilgi lhabitude de nous prcipiter dans des fuites en avant, chaque fois que lHistoire nous met face nos turpitudes. Incapables dassumer nos actes, nous invoquons les immixtions de ltranger, dont nous exigeons pardon et rparation. Il en est ainsi du dernier slogan exhib par le rgime algrien, sommant lancienne puissance coloniale de faire acte
Abane, architecte de la Rvolution algrienne, Krim, signataire des accords dEvian et Amirouche, principal chef des maquis, sont tous kabyles et ont t directement ou indirectement victimes de leurs pairs.
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de repentance en pralable ltablissement de relations saines et apaises entre lAlgrie et la France. La manuvre, abordant par ailleurs un problme historique essentiel, revt ici lallure du gadget politicien. La repentance de Paris est une affaire franco-franaise. Si ce pays, qui peut tout de mme trouver quelques vnements de son histoire positiver , veut spculer sur les bienfaits de la colonisation, cela engage la communaut laquelle est propos cet artifice. En ce qui me concerne, en tant quAlgrien, mon droit et mon devoir, cest de chercher comprendre et de contribuer faire merger la vrit sur des crimes politiques ou symboliques qui ont fauss les repres de notre mmoire, brid notre lan vital et, de ce fait, hypothqu le devenir de notre peuple. Cette faon de nous ddouaner en imputant aux autres les mutilations que nous avons infliges notre histoire a amplifi et compliqu les fourvoiements qui rduisent lAlgrie un tat virtuel, une socit atomise et une nation en sursis, devenant, du mme coup, une menace gostratgique pour la Mditerrane occidentale et lespace pri-saharien. Le traitement rserv au combat et la mmoire du colonel Amirouche illustre jusqu la caricature cette propension quelque peu morbide nier la ralit, la dformer pour la mettre en conformit avec les fantasmes des matres du moment.
Cela fait plus de quarante ans que jcoute tous les tmoins et engrange le moindre document pouvant me permettre dclairer ce que fut la vie de cet autodidacte, dirigeant hors pair, que jai entendu chant par nos mres de son vivant. Plus javanais dans mes investigations, plus je dcouvrais une figure en tout point oppose celle que se plaisait faonner la propagande algrienne. En un sens, la ferveur populaire dont Amirouche fut et demeure lobjet et lavilissement du personnage que sacharnait imposer Boumediene symbolisaient le divorce du pouvoir et de la socit. Je me suis entretenu avec la plupart des hommes qui ont servi et accompagn Amirouche avant et pendant la Rvolution. Aucun ne men a donn le profil distill par le pouvoir. Le colonel Amirouche a t vcu par tous comme un homme de cur et un homme dtat. Tmoignant de son humanisme, la quasi-totalit de ces maquisards a pleur lors des interviews que jai faites avec eux : de douleur ou de colre trop longtemps contenue. Jen ai mme rencontr qui vivent, comme cest le cas pour Dda Mohand,
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que lon dcouvrira dans ce livre, dans la culpabilit davoir survcu leur chef. Les missions qua effectues Amirouche dans les Aurs et Tunis, lefficacit militaire et la qualit de lorganisation politique quil avait obtenues en Kabylie, les orientations et laide quil prodiguait aux wilayate de lintrieur ainsi que le melting-pot de maquisards quil y engagea, les recommandations quil adressait lextrieur, les rserves quil mit contre larme des frontires, sa modernit qui se rvlait dans une stratgie de communication que lui envieraient bien des hommes politiques daujourdhui, ses anticipations sur laprs-guerre, notamment travers la formation des cadres, font de lui le dirigeant qui aura le plus et le mieux appliqu les rsolutions du Congrs de la Soummam dont, au demeurant, il demandait ds janvier 1959 une dclinaison plus prcise pour mieux apprhender lavenir. Amirouche avait le don qui permet de crer partir de rien ou de si peu. Mais cela ne suffit pas fabriquer une lgende. Il a atteint une telle efficience et une telle considration parce quil savait vacuer le ressentiment personnel de la responsabilit politique. Que de fois na-t-il affront des hommes sur des questions de principes, de programme ou dattributions ? Une fois les choses dites, il tait en mesure de renouer un contact aussitt, ds lors que la patrie lexigeait. Jai entendu les moins impulsifs des notables officiels concder quAmirouche tait le Zapata national. Une manire de rduire lenvergure dun homme en lenfermant dans le personnage enivr par la poudre du moindre ptard, prt semballer comme un cheval sauvage.
Je dois pourtant la vrit de dire que rcemment, insondable systme algrien, un des dirigeants les plus informs du pays, ayant appris que jallais publier un ouvrage sur le colonel Amirouche, mavoua : Cest un tre fascinant, il y a quelque chose de Guevara chez cet homme. En retraant la vie dAmirouche, je pense avoir pu approcher la limite qui distingue le hros du militant ordinaire. Le hros, m par une impulsion intime, met sa ferveur et son talent au service dune cause quil confond avec son destin. Entretenant une relation quasi mystique avec la marche de lHistoire, il ne doute jamais de lessentiel et, de ce fait, sinterdit tout calcul. En la matire, lHistoire a souvent reni le dicton qui veut que les hros ne meurent jamais. Comme tant dautres rvolutions, la guerre dAlgrie a vrifi que la plupart des hros meurent pour leur idal. Ils ont
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pour nom Abane, Ben Mhidi, Boudiaf, Zighout, Ben Boulad, Didouche ou Amirouche ; tous ceux qui ne postulaient pas le combat comme un instrument de prise de pouvoir nont pas survcu aux attaques de lennemi ou aux intrigues de leurs pairs. Jai eu loccasion de dire par ailleurs que lAlgrie indpendante, qui a eu tant dhommes de pouvoir a, si lon excepte lpisode Boudiaf, t prive dhommes dtat. Les premiers sont obnubils par le contrle et lentretien des appareils : arme, police, parti unique, clientles ; tout ce qui peut menacer la puissance absolue et, ventuellement, faire un putsch. Les seconds semploient mettre en uvre les chantiers qui librent les socits : ducation, justice, sant, statut de la femme, place du culte dans la cit, etc. En replongeant dans le destin dAmirouche, on trouvera sans peine quelle catgorie il appartient. Au terme de la rdaction de ce rcit, jtais partag entre le dpit et lespoir. Le peuple algrien, dont les cadres ont tu, admis et quelquefois relay un acte de trahison mmorielle, a galement produit partir de ses plus intimes racines un homme que tout poussait la marge du monde et qui devint un symbole 33 ans. Autre leon de vrit, le cataclysme dclench par Boumediene et ses affids na pas pu avoir raison de ladhsion populaire qui a port, protg et perptu le combat et la mmoire dAmirouche.
Aucune valeur, aucune norme, aucun repre na survcu la boulimie du pouvoir. Saad Dahlab, voquant la manipulation des actes fondateurs de la nation, se dsole que lon soit all jusqu tri cher sur la date de lindpendance qui fut proclame le 3 juillet 1962 le 3 juillet et non le 5 comme la dcid Ben Bella pour effacer parat -il la date du 5 juillet 1830. Preuve de lambition dmesure de ce dernier. Comme si lon pouvait gommer lhistoire dun trait de plume [...]. Nous, ajoute -t-il, nous disons au contraire aux jeunes Algriens de ne pas oublier la date du 5 Juillet 1830 pour veiller jalousement ce quelle ne se reproduise jamais. 4
Nous avons falsifi la date de lindpendance, nous avons organis linflation du nombre de martyrs et danciens moudjahidine ; nous avons
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mme squestr les ossements de deux hros dans lindiffrence ou, pour certains, un silence complice. Que peut-on construire sur tant de reniements ? Comment parler dinjustice sans semer la haine, comment combattre larbitraire sans appeler la violence, comment dire la vrit sans susciter la vengeance ? En commenant tous par assumer notre part de la responsabilit, quelle soit active ou passive, dans le dsastre national et en mditant cette parole du prsident Kennedy, dont on verra ici que lengagement au ct du peuple algrien fut induit par Amirouche : Mon pays a faut mais cest mon pays.
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Lcole des Aghribs tait situe dans lun des trois camps militaires qui encerclaient le village. Un soleil blafard peinait rchauffer la montagne en cette matine du 30 mars 1959. Dans la salle surcharge o sentassait une soixantaine dlves rpartis en deux classes, linstituteur, Marcel Gallobard, originaire de Perpignan et fru de rugby, exubrant comme savent ltre les gens du Midi, tait press de nous faire asseoir et dobtenir le silence pour, dans la foule, nous annoncer la mort du sanguinaire Amirouche , avant den dduire que, cette fois, ctait vrai, la guerre allait se terminer. Notre instituteur, bon produit de la IVme Rpublique, ntait ni guerrier ni xnophobe. Comme nombre de ses compatriotes, il tait venu en Algrie convaincu que des communauts souffraient de misre matrielle et que lducation quil dispensait tait la rponse la plus adapte au statut de sous-tre qui tait le ntre depuis toujours. Homme de gauche, il pouvait concder que la colonisation avait pch par le fait quelle navait pas assez vite rpandu ses bienfaits sur tous les Algriens ; mais il restait persuad que leur malheur tait antrieur la conqute, et que, politiquement, en tout tat de cause, seule cette colonisation tait en mesure dapporter une solution pour manciper ces populations oublies par lHistoire. Monsieur Gallobard tait quelquun de besogneux et faisait du mieux quil pouvait pour nous aider passer quelque examen qui nous permettrait de fuir cette existence, o lesprance de vie des plus chanceux atteignait pniblement la quarantaine.
Nous ne souffrions pas particulirement de notre condition matrielle, dans la mesure o nous navions jamais connu autre chose. De plus, nos
parents, de culture orale, navaient pas de rfrents historiques nous offrir pour nourrir lambition de retrouver un den perdu. Notre mmoire collective se limitait au sicle prcdent. Les royaumes berbres de lAntiquit ou ceux du Haut Moyen-ge taient ignors ou occults par le discours nationaliste, qui clbrait une nation arabe dont on ne connaissait ni les gniteurs ni les ralisations. Les combats de Jugurtha ou le fastueux rgne de Massinissa taient des distances historiques inaccessibles aux contes de nos grand-mres. Nous savions vaguement que des Franais taient arrivs en force, quils avaient occup le pays, confisqu des terres et exil les contestataires vers des contres lointaines et terrifiantes que lon nommait Cayenne ou Nouvelle-Caldonie. Dans certaines veilles, des noms surgissaient et nous grandissions au rythme de narrations o la fantaisie maquillant le rel enjolivait notre pass. Nous confectionnions des fragments dpopes faits des rsistances rcurrentes o slaborait limage dune communaut soude par le malheur. Notre lgitimit tait dans la dfense mais jamais dans la construction. Nous ne nous connaissions pas une identit structure, avec ses symboles, ses princes, ses palais, ses villes et ses rseaux routiers, avec ses armes disciplines, ses dfils et ses uniformes flamboyants comme on en voit dans les livres dhistoire.
Nous avions bien entendu parler dun certain Abdelkader, qui avait essay de rsister avant de se rendre et de devenir lami de la France ; on nous avait aussi chant El Mokrani et C heikh Aheddad, qui staient battus jusqu la mort lors de linsurrection de 1871. Mais, au -del du courage et du sacrifice, il manquait notre imagination denfants des traces visibles, grandioses et valorisantes, pour accrocher notre rejet de loccupan t une matrice dans laquelle nous pourrions fconder notre rvolte.
Avant les Franais, il y avait eu les Turcs, dont le souvenir, en Kabylie plus quailleurs, se confondait avec limpt, lexploitation des forts et les expditions punitives lorsquune ou plusieurs tribus tardaient ou se refusaient payer la dme.
Marcel Gallobard savait tout cela. Aussi, quand il nous annona la mort du sanguinaire Amirouche , tait-il assur de nous dlivrer une bonne et heureuse nouvelle. En effet, larrt de li nsurrection ou son affaiblissement ne pouvaient, de son point de vue, que rapprocher notre immersion et notre dilution dans la mre patrie ; ce qui, pensait-il, valait mieux que le statut dapatride dans lequel nous macrions depuis des sicles.
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Finalement, le dbat sur la colonisation positive remonte loin. De bonnes consciences staient persuades de longue date quen dpit dabus condamnables, la prsence franaise avait apport de rels bienfaits des populations historiquement dclasses. Le problme tait que, du ct autochtone, on ne voyait pas la chose sous cet aspect. Certes, il suffisait de regarder les villes o vivait lEuropen pour voir combien les cits algriennes avaient chang. Des routes taient ouvertes, des hpitaux se construisaient et des coles recevaient mme quelques indignes. Sauf que la question nest pas de savoir si certains Algriens ont pu bnficier des bienfaits de ces ralisations. Elle est de savoir si la colonisation fut dcide, conue et mise en uvre pour lmancipation des populations locales. Pour lAlgrien des annes 40, qui aspirait la modernit travers ses luttes, la colonisation est occupation dun territoire, asservissement dun peuple et spoliation de ses richesses. Les retombes positives, quand elles ont exist, furent accessoires ou accidentelles, tardives et insuffisantes. Le rvolutionnaire ne voit pas ce quon lui concde mais ce quoi il peut prtendre et dont on le prive. Comment Marcel Gallobard pouvait-il comprendre que des femmes et des hommes crass peuvent, un moment de leur histoire, refuser labsorption ds lors quils se savent diffrents ? Comment lui expliquer que, mme sans avoir labor et configur ses ambitions dans des hirarchies administratives, avec symboles et apparats, une collectivit qui a longtemps courb lchine peut survivre tant dinvasions ? Que, mme si elle nest pas crite ni formellement nonce, la mmoire imprime les preuves et les rves et finit par les rvler, telle une photographie mergeant dun ngatif, au moment o une conjonction dvnements provoque lalchimie salvatrice et o la colre des hommes devient tout coup un moment de ferveur libratrice ?
Non, notre instituteur, comme beaucoup de Franais libraux, ne
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pouvait pas saisir quen cette deuxime moiti du sicle, nous
souffrions plus de la soif de dignit que du manque de pain. Non, la scolarisation tait arrive trop tard et elle ne pouvait rien contre notre volont de nous manciper de la tutelle franaise, quand bien mme nous ne savions pas quoi ressemblerait notre vie une fois librs. Au demeurant, le rejet tait tel que la seule ide de la sparation suffisait notre bonheur.
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Aussi, loin de se voir accompagn dans sa jubilation, M. Gallobard fut-il surpris de dcouvrir des mines prudemment indiffrentes, consternes ou franchement rvoltes. Cest que, en ralit, la nouvelle nous irritait plus quelle ne nous inquitait. Amirouche, notre Gnie bienfaiteur, ne pouvait pas mourir. Nous avions bien remarqu, en arrivant lcole, une certaine fbrilit dans le comportement des militaires ; et les gendarmes qui occupaient les logements de fonction du premier tage sadonnaient depuis le matin dostentatoires conciliabules, eux qui, se tenant lcart de la troupe et sortant rarement du camp, se montraient habituellement si rservs. Par ailleurs, la veille et le matin mme, nos parents nous taient apparus plus pensifs que de coutume ; mais ces mines et ces humeurs taient courantes chez ces paysans crass par la misre et la violence dune guerre qui durait depuis dj cinq longues et terribles annes. Mais malgr cette atmosphre particulire, dans un premier temps, lannonce de la mort dAmirouche ne nous atteignit pas. Dune part, parce que les Franais lavaient dj donn pour mort plusieurs reprises avant quil ne rapparaisse lors dune attaque ou dun rassemblement de village, nouvelle qui faisait aussitt le tour de la rgion. Dautre part, pour nous, enfants, Amirouche tait invincible. Je me rappelle avoir entendu ma grand-mre paternelle nous expliquer que les balles fondaient son contact ( Fettint fell-as te sa:in ). Javoue que, malgr mes onze ans, javais quelques doutes sur ce genre de miracles, pour avoir constat la redoutable efficacit des munitions franaises : au retour de leurs ratissages, les militaires aimaient rassembler les villageois pour exposer devant eux les cadavres de maquisards cribls de balles ou dchiquets par une bombe, un obus ou une grenade. Mais, sagissant dAmirouche, je voulais bien maccommoder de croyances dont nous essayions par ailleurs de nous librer. Le fait est que, lorsque, port par son caractre volubile, linstituteur Gallobard insista pour dcrire notre avenir dans une Algrie libre dAmirouche, je me surpris bondir de ma chaise pour crier : Amirouche nest pas mort ! Amirouche nest pas mort ! Ce que vous dites cest de la propagande ! En disant cela, je ne faisais quexprimer violemment ce que pensaient tout bas mais ardemment mes camarades. titre personnel, la mmoire que jai garde de deux vnements lemprisonnement de mon pre en 1955 et la mort du colonel en 1959 me
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laisse, encore aujourdhui, perplexe. Javais huit ans quand mon pre fut emmen la prison de Port-Gueydon. Jai le trs net souvenir de la premire soire o nous nous retrouvmes seuls, redoutant ce qui pourrait lui arriver. Javais peur et le chagrin mcrasait, mais ma mre, qui essayait de minimiser les risques de cette dtention devant ses enfants, russissait malgr tout nous rconforter. Le sentiment prouv lors de la mort du colonel Amirouche fut dune autre nature : un immense dsespoir que rien ne parvenait soulager. Je crois pouvoir dire que je ntais pas le seul, ce jour-l, ressentir cette impression de fin du monde.
Il faut savoir que le colonel Amirouche avait acquis un statut qui relevait, par certains cts, de lirrationnel. Il avait assis son autorit morale et politique en trs peu de temps. La crainte et le respect quil inspirait tous, la certitude de se voir, en cas de domma ge ou dinjustice, rtabli dans ses droits, avaient construit autour de lui une image de puissance et dinfaillibilit, et cette image avait gagn toutes les couches de la collectivit.
Les paysans se savaient dirigs par un homme de leur condition, qui partageait leur extraction sociale et allait les manciper. Les tudiants et les lycens, pour leur part, ne demandaient qu approcher et servir ce dirigeant au charisme accompli, auprs de qui ils trouveraient protection, exprience et comprhension. Que de fois nai-je vu ma sur adolescente se runir avec ses cousines et amies, dans les rares moments de dtente que nous laissait notre vie de paria, pour se livrer de vritables concours de pomes la gloire dAmirouche et de ses hommes, tous plus beaux, plus courageux et plus intelligents les uns que les autres ? Quant nous, garnements trop vite mris par la violence et la colre, nous savions que nous appartenions un peuple assujetti, pauvre et marginalis, qui supportait difficilement la comparaison avec la puissance ostentatoire de larme coloniale ; mais ce peuple comptait en son sein un tre surnaturel, une sorte de justicier qui dfiait lennemi, affrontait son armada et son administration et souvent les ridiculisait. Le service dinformation mis en place dans la wilaya III transformait la moindre escarmouche de lALN (Arme de libration nationale) en nouveau Trafalgar pour la France.
Notre imagination dbordante se chargeait aussitt damplifier ces actions pour en donner une narration en cinmascope nos camarades, jurant que nous tenions notre version de premire main. Le tmoin suivant,
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on sen doute, sempressait de relayer lanecdote en lagrmentant de sa ferveur personnelle, prolongeant ainsi une chane dinformations contre laquelle venaient buter invariablement propagande et dmentis de la radio coloniale, ainsi que les oprations de rpression. Chacun de nous se faisait le metteur en scne zl du combat dAmirouche ; et si notre excitation navait pas de poids sur-le-champ de bataille, elle contribuait creuser le foss entre les gnrations les plus jeunes et la France. loccasion, elle sapait galement le moral des quelques appels du contingent qui attendaient la quille quand, placs bonne distance, ils nous entendaient les menacer des embuscades dvastatrices que leur rservait Amirouche. Non pas tant que notre air bravache leur inspirt de la peur quoique , mais ils ressentaient surtout le dpit de voir ces mioches sur lesquels ladministration spuisait fonder lavenir colonial se montrer si rfractaires la promotion sociale et laisance matrielle quon leur promettait et se rvler irrmdiablement contamins par les appels la rbellion.
En Kabylie et, on le verra plus tard, bien au-del, lmergence dAmirouche a provoqu un basculement politique et psychologique dune rapidit foudroyante qui a donn un crdit ingal la lutte de libration et a dissuad, du mme coup, les plus tides de manifester leurs doutes face une insurrection, ses dbuts, aussi confuse quambigu.
Qui est cet homme qui a habit les curs et les esprits en si peu de temps ?
Comment et par quels moyens a-t-il fait de la wilaya III non seulement une machine de guerre contre lennemi, mais galement un modle dorganisation politique, sociale et administrative qui a servi tout la fois dexemple, de zone de repli et de source de financement et de soutien organique de nombreuses autres rgions du pays ?
* * *
XVIIIme
Au sicle, la famille At Hamouda occupait le petit village
dAdrar n Sidi Yidir, juch sur un monticule ct de Djafra, au nord de Bordj Bou-Arreridj. LAlgrie connaissait alors un repli civilisationnel chronique depuis laffaissement des royaumes berbres, suivi de la Reconquista espagnole. Il y avait bien parmi eux celui des Hammadites, qui avaient fait de Bgayet (Bjaa) leur capitale ; mais ils navaient pas russi
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structurer sur la dure une autorit capable daffirmer une dynamique de dveloppement qui impliqut larrire-pays. Larrive des Turcs se manifesta par une prsence tutlaire qui concerna essentiellement les villes ctires et quelques centres urbains des Hauts-Plateaux. Les Ottomans limitrent leur prsence la construction de fortins pour les garnisons surveillant les turbulences tribales rcurrentes ; les ojjaks nen sortaient que pour prlever limpt. Pendant les quatre sicles que dura sa prsence, loccupant ne chercha jamais mailler le pays avec une densit institutionnelle susceptible ddifier un tat ayant ses stratgies, ses repres et ses objectifs gopolitiques. Les Turcs, investissant lEurope centrale et le MoyenOrient, navaient quun intrt secondaire pour lAfrique du Nord, quils concevaient comme une zone bouclier contre lextension dun monde chrtien obnubil par les Croisades. En Kabylie, les rapports entre ladministration turque et les populations, loignes et dautant plus rfractaires au fisc quelles navaient pas grand-chose donner, taient plutt tendus. Mais la course rapportait beaucoup, les grandes plaines produisaient les crales ncessaires la consommation locale et, certaines annes, dgageaient mme des surplus pour lexportation. Par consquent, les sanctions faisant suite au refus par certaines tribus de sacquitter de leur redevance ne dpassait pas quelques menaces ou, dans le pire des cas, une opration de rtorsion, comme Abizar dans les At Jennad, quand le gnral Yahia Pacha fit sortir ses canons pendant une demi-journe pour envoyer quelques obus sur les masures. Le village dAdrar n Sidi Yidir tait entour de forts o les fauves, lions et panthres, compliquaient le recours la chasse et la cueillette, activits marginales mais qui compltaient une conomie autarcique. Les pitons sur lesquels les Berbres de Kabylie avaient construit leurs habitations savrrent vite insuffisants abriter des communauts qui touffaient dans des espaces o le partage du moindre pouce de terrain provoquait des drames.
Comme beaucoup de familles de la rgion lpoque, les At Hamouda durent se rsoudre se disperser. Au dbut du XVIIIme sicle, un premier groupe prit la route du pays de Cham 5. Cette amputation ne suffit pas faire tenir les autres descendants dans la calotte sur laquelle tait perch le
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Syrie actuelle.
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village ancestral. Un deuxime noyau dut partir. Il se retrouva At Ghobri, dans la pointe orientale de la valle du Sebaou. La verdure et leau de lasif Amraoua (loued Sebaou) constituaient premire vue un environnement fort potentiel agricole. Il fallut vite dchanter : les moustiques rpandaient le paludisme et provoquaient des ravages dans la population. Dans un premier temps, les At Hamouda durent faire comme ceux qui les avaient prcds sur ces terres aux apparences si prometteuses : vacuer vers les hauteurs femmes et enfants et ne laisser dans la plaine que les hommes, chargs de cultiver des parcelles quil fallait disputer aux broussailles et aux crues dune rivire imprvisible. Mais ce ne fut pas tout. moins dune demi-journe de marche des At Ghobri, la famille At Kaci de Tamda, auxiliaire des Turcs qui avaient construit un fort Tizi-Ouzou, surveillait tout nouveau venu dans la rgion. Elle dlimitait les arpents de terrain quil pouvait cultiver et, naturellement, fixait les rgles dexploitation des rcoltes sur lesquelles elle sautorisait prlever une dme qui venait sajouter celle de lautorit centrale. Maladies, terres en friche, pression sociale et fiscale la famille At Hamouda navait pas encore trouv ses marques quil lui fallut se rsigner une nouvelle migration. Cest ainsi quun soir de 1750, aprs une semaine dabsence, le patriarche qui prospectait les alentours depuis quelques saisons revint. Son clan stablit sur une colline qui ressemblait sy mprendre au monticule de leurs anctres. Ce lieu o vivaient dj quelques foyers sappelle Tassaft Ouguemmoun. Adoss au Djurdjura, le site domine la valle des Ouadhias et se trouve entre la tribu des At Yanni et celle des Ouacifs qui se le disputaient depuis deux cents ans. Il avait fallut attendre le XVIme sicle pour voir les affrontements sestomper, grce aux talents oratoires et diplomatiques du clbre pote kabyle Youcef Oukaci, quon avait appel des At Jennad. Sjournant rgulirement chez les At Yanni, o il avait ses habitudes, le tribun, dot probablement de lun des verbes les plus accomplis de la littrature orale kabyle, tait une sorte dambassadeur dans les crmonies de reprsentation de certaines fdrations. Il lui arrivait aussi de jouer le rle darbitre dans les situations conflictuelles, relativement frquentes dans une Kabylie o les tribus ne se liguaient gnralement que face un pril extrieur.
Les At Hamouda, prfrant les tensions du voisinage aux abus du khodja turc, prirent racine et devinrent en deux trois gnrations la souche la plus stable du village. Les archives de linsurrection de 1871, qui vit la
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Kabylie se soulever dans une rvolte gnralise contre loccupation coloniale, font tat de la mort de cinq membres de la famille At Hamouda dans la bataille dAdni qui opposa les autochtones aux troupes du gnral Randon. La ferveur et la gnrosit du soulvement ne suffirent pas contrer le dferlement de la colonisation, qui mobilisa toutes les grandes puissances dune Europe dope par la rvolution industrielle. Nous verrons que les mfaits de la premire pntration franaise en Kabylie ntaient rien au regard de ce que subirent les populations aprs la dfaite de 1871. Briss, soumis, spolis, les Kabyles taient atteints jusque dans leurs plus intimes structures. Lors du recensement des populations, le clan des At Hamouda vit son nom affect par une modification qui le scinda en deux groupes : dune part les At Hamouda, qui gardrent le nom originel, et dautre part les Ould Hamouda, qui subirent la politique de Napolon III arabisant lenvironnement algrien patronymes et toponymes dans la perspective de crer le Royaume arabe. En loccurrence, At sera traduit et transcrit en Ould et parfois en Beni comme par exemple dans le cas des At Yanni. Cependant, jusqu nos jours la seule identit que se connaissent en kabyle les concerns est celle dAt Hamouda. * * * Le march hebdomadaire o se retrouvent les Iboudraren, les At Yanni et une partie des At Menguellat se tient dans une cuvette traverse par une rivire imptueuse. Ce cours deau dgage sur les lieux une humidit qui rend lair difficilement respirable, surtout en hiver, quand une brume cotonneuse tapisse le petit plateau. Des paysans famliques sy retrouvent pour vendre, en change de quelques pices, les graines ou les lgumes laborieusement plants sur les flancs abrupts et ingrats des montagnes quand la scheresse ou les criquets ont pargn les semences. En ce matin du mois de mars de lanne 1938, il fait encore froid au souk El Djema. Marchands et clients, emmitoufls dans des burnous antiques dont la couleur blanche nest plus quun souvenir, pataugent dans la boue en attendant les premiers rayons de soleil. Les mieux lotis ont des sandales en peau de buf retenues par des lanires du mme cuir, avec des chiffons en guise de chaussettes.
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La colonisation vient de fter avec faste son centenaire. La politique dindignat est son apoge. En Kabylie, la rsistance la pntration franaise a t suivie par la confiscation des terres fertiles des plaines, qui a rduit une vie infra-humaine les populations livres larbitraire dune colonisation de peuplement, aux pidmies et aux famines. Les marchandises exposes sur des sacs de jute se rsument quelques tas de figues sches ramasses lt prcdent et soigneusement conserves dans les akufi, ces silos en terre sur lesquels les vieilles bellesmres veillent comme des cerbres. Quelques btes de somme et des quartiers de viande poss sur des tapis de fougre compltent la substance de lchange commercial qui prvaut en Haute-Kabylie en ces temps de dsarroi social et dimpasse politique. Dans ce monde de silhouettes doutre-tombe, se faufile un garonnet de 11 ans et demi, qui se dirige vers le carr des bestiaux ( e;ba llmal). Il tire une vache derrire lui. Personne ne le connat. Les regards quil attire tiennent plus de la surprise et de la compassion que de la familiarit. En Kabylie, le march est rserv aux adultes ; quand un garon y pntre pour la premire fois, il est entour de tout un crmonial. Accompagn de son pre ou de son tuteur, il doit tre conscient quil franchit une tape importante de sa vie. Il se voit offrir une tte de buf qui garnira, le soir venu, le repas familial. Cest partir de ce jour que lenfant accde au statut dadulte. Mais, pour sa part, le jeune Amirouche At Hamouda savance seul, tenant la corde qui le relie sa bte. Personne ne laccompagne. Et pour cause : il est n le 31 octobre 1926, Tassaft Ouguemmoun, quatre mois aprs la mort de son pre dont il a hrit le prnom, comme lexige la tradition. Un an aprs sa naissance, sa mre veuve prend ses deux enfants, Boussad, lan, et lui-mme ; elle quitte le village de son poux pour rejoindre le hameau dont elle est originaire, Ighil bwammas, une encablure de l. La famille des oncles maternels tant elle-mme trs pauvre, le jeune Amirouche devra apprendre de bonne heure se rendre utile pour survivre et, le cas chant, aider sa mre et son frre, pourtant plus g que lui de trois ans.
Dans la rgion, une coutume veut que les garons dont les parents sont morts ou particulirement indigents servent chez des familles plus aises dans lesquelles ils sont nourris en change dune aide confinant la servitude. Il arrive ainsi que des personnes passent leur vie dans une forme de servage perptuel, sans autre garantie que celle de se voir accorder leur
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pitance quotidienne. Ce statut est dnomm acrik, ce qui quivaut celui du serf de lEurope mdivale. Cest ce sort qutait destin Amirouche At Hamouda ds sa prime enfance. Il russit cependant se faire scolariser tout en sacquittant de ses nombreuses et pnibles tches. Ces quelques annes dcole seront dterminantes dans son existence : il y apprit lire et crire et dveloppa une capacit dcoute qui lui permettra toute sa vie de satisfaire son esprit curieux de tout. La vache quil tire ce matin-l derrire sa frle silhouette appartient son tuteur, qui lui a demand de la mener un autre paysan qui il la vendue. Cela fait longtemps que le patron dAmirouche a not sa vivacit, son nergie et sa fiabilit en dpit de son jeune ge. Le march est situ 8 kilomtres du village. Malgr lloignement, cest donc en toute confiance quil y a envoy le jeune orphelin avec sa vache, animal qui reprsente lpoque une fortune pour un paysan kabyle.
Dans la foule se trouve un homme dun certain ge, Belad At Hamouda, bijoutier bas lOuest du pays, plus exactement Oued Fodda, dans la plaine du Chlif, depuis une quinzaine dannes. Comme beaucoup de montagnards acculs une migration intrieure ou extrieure, Dda Belad revenait rgulirement au village o, du reste, ces exils laissaient longtemps derrire eux femme et enfants, le temps de pouvoir accumuler de quoi les faire venir sur les lieux de leur nouvelle implantation. Il remarque le garon tranant sa vache. Homme vertueux, connaissant bien les usages de sa socit, il prouve un lan de tendresse devant la scne offerte par ce gringalet noy dans une mare dadultes devanant le ruminant qui lcrase de sa masse. Il sapproche de lui et lui demande :
Ansi-k ay aqcic ? Do es-tu, garon ? Je suis dIghil bwammas et je conduis cette vache celui qui doit lacheter, rpond posment le petit Amirouche. Ah bon ! Et tu es de quelle famille ? insiste le commerant. Je mappelle At Hamouda, jhabite Ighil bwammas mais je suis originaire de Tassaft. Dda Belad en perdit le souffle. Il savait bien que son cousin, dcd, avait laiss deux enfants mais, habitant loin et ne revenant que pour des sjours ncessairement limits, il ne connaissait pas les dtails de la vie des petits orphelins. Il donna rendez-vous son jeune cousin une fois quil aurait livr la vache et trois jours aprs cette rencontre inattendue, Amirouche avait regagn sa famille paternelle, au village de Tassaft Ouguemmoun do il partira pour Oued Fodda, un petit bourg situ
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quelques kilomtres lest dOrlansville, une agglomration coloniale cossue, fonde par les grands propritaires terriens qui avaient fait fortune dans les agrumes. De ce jour, les existences des deux hommes seront inextricablement lies ; la vie dAmirouche venait de basculer.
sa place, un autre aurait pu finir sa vie berger chez des trangers. Il aurait connu le sort subi par tant dorphelins ou denfants dmunis en cette
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premire moiti du sicle, ressac de lhistoire algrienne o les
soulvements populaires du sicle prcdent, crass dans le sang, navaient pas encore suffisamment cicatris pour permettre de tendre les ressorts dun autre mouvement de libration. Daucuns liront dans cette rencontre dcisive le signe du destin, un heureux hasard qui aura profit un malheureux. Dautres y verront lintervention dune puissance surnaturelle, se manifestant travers des actes de gnrosit destins instruire les hommes sur les vertus de la solidarit. Mais, est-il ncessaire de le noter, cest sa maturit prcoce qui dsigna Amirouche pour une mission que lon confie dhabitude des personnes deux fois plus ges que lui et qui, finalement, lui permit de dcouvrir son oncle. Cette rencontre fut lorigine de la dcision qui le sauva dune existence a priori sans avenir et le mena louest du pays do il entamera lpope qui fera de lui une des figures les plus emblmatiques de la guerre de libration nationale. Une partie des qualits qui dterminent lessentiel du destin dun homme sont innes. Le vcu de chaque individu peut cependant en souligner ou en contrarier certaines. Ce qui fait de chacun de nous une personnalit singulire avec ses volutions, positives ou non, cest la rsultante dune somme dexpriences complexes qui sajoutent ou se neutralisent, acclrant ou retardant le processus de formation de lindividu.
Dans le cas dAmirouche il ny eut ni doute ni heurts dans son cheminement : linn semble avoir t fcond par lexprience dans une remarquable harmonie. Ds son plus jeune ge, il comprit que lexistence est volont et quelle saccomplit dans lpreuve et le dpassement de soi. Le refus du fatalisme, une nergie vitale mise au service dune cause sacralise lui permirent daccomplir les missions les plus improbables avec un dvouement sans faille pour la collectivit ; telles sont quelques-unes des constantes qui auront la fois dtermin et rythm la vie dAmirouche.
Le petit At Hamouda revint donc, lge de 11 ans et demi, au sein de sa famille paternelle. Cette rintgration contribua sans doute donner de
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lassurance au jeune exil dIghil bwammas. En effet, lorganisation socio-politique kabyle est trs codifie : quand on est recueilli par une famille extrieure son village, on nest pas admis aux dlibrations de lassemble (tajmat). On est un habitant tolr, mais pas un citoyen. Amirouche, ayant vcu comme garon de peine, loin de sa famille, avait connu cela. loccasion des ftes familiales ou religieuses qui le ramenaient de lOuest du pays Tassaft, il put retrouver, dans son milieu originel, une identit qui le lgitimait, ce qui participa probablement dvelopper plus rapidement ses capacits : il avait saisi trs tt que rien ntait donn dans la vie et encore moins dans la Kabylie des annes 30. En revenant dOued Fodda son village, Amirouche ne manquait pas de se rendre disponible chaque fois quun membre de la famille ou un voisin exprimait un besoin ou que surgissait un problme dans la communaut. Quand il lui arrivait de passer un peu plus de temps en Kabylie, une fois la visite sa mre et son frre rests Ighil bwammas faite, il consacrait le reste de ses journes aux travaux des champs de son cousin Belad, tout en gardant les quelques btes susceptibles de rapporter un peu dargent en cas de coup dur. loccasion, un de ces animaux tait sacrifi lors des ftes profanes ou religieuses, rites qui permettaient aussi surtout de se retrouver et de partager enfin un repas garni de viande.
Quand Dda Belad rejoignait son petit cousin au pays, il ntait jamais du. Les recommandations faites avant chaque dpart dOued Fodda taient toujours suivies deffet. Chaque saison avait ses obligations. Il falla it tailler les arbres, relancer temps les rares propritaires de paires de bufs pour labourer les champs lautomne puis, au printemps, sarcler les parcelles ensemences. Certes, en ces temps de survie individuelle et collective, la vie obligeait garons et filles mrir vite, mais Amirouche, mme sil ntait prsent qupisodiquement au village, ne manquait pas de susciter des commentaires de plus en plus logieux face tant dabngation et de tnacit. Et il ntait pas rare quun pre, agac par lindolence de son fils trop port sur la flte et les clbrations languissantes dun amour platonique, bouscult son rejeton en citant lexemple du jeune garon qui, nayant pas connu son pre, accul un exil prcoce, assumait pourtant de faon si convenable le rle de chef de famille.
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Les tmoignages que lon peut recueillir sur cette priode de sa vie sont unanimes. Adolescent, il tait sobre et rserv sans tre austre. Son statut dorphelin navait pas pes sur sa capacit se faire entendre et parfois remarquer. Enfin, dans son temprament se manifestait dj ce qui deviendra, pour ainsi dire, sa marque de fabrique : le souci de la collectivit et le rejet de linjustice. Certains membres de sa famille et des villageois de quelques annes plus jeunes que lui, gardent en mmoire une anecdote rvlatrice de ce souci du bien commun. Comme chacun sait, dans tout le bassin mditerranen, la question de leau est dterminante tant dans le choix dun lieu de vie que dans les conflits ayant provoqu la destruction de nombreuses cits. Tassaft Ouguemmoun nchappe pas cette rgle.
Dans le village, il y avait une source appele Amdun at nser, qui attendait dtre amnage. Lassemble du village avait discut de la ralisation de ce projet, mais linitiative restait bloque cause dune poigne de grincheux abusant de la culture du consensus qui conditionne les prises de dcisions dans les assembles kabyles. Tout le village tait excd par le comportement de ces marginaux. Lamnagement tant attendu par tous, chaque quartier (adrum) avait dj dsign son groupe de jeunes devant participer aux travaux. Se trouvant lpoque Tassaft, Amirouche rsolut de forcer les choses. Las de tant dgosme et dirresponsabilit, il prit un beau matin la tte de lquipe des At Hamouda pour faire le tour du village, une pioche sur lpaule, incitant ses camarades en appeler aux dlgus des autres quartiers. La petite troupe fut bientt rejointe par tous les jeunes du village et les travaux purent commencer.
* * * La prdisposition dAmirouche se mettre au service de lintrt gnral se vit plus tard consolide par une conscience politique structure, comme en tmoigne cet autre pisode survenu Tassaft lors des lections gnrales de 1947.
Il avait alors 21 ans. Le candidat de ladministration, particulirement arrogant, dclarait qui voulait lentendre que les gueux qui sopposaient lui ignoraient la capacit de la France assurer le succs de ses reprsentants. Puis le ton tant mont, on en tait venu aux menaces contre les lecteurs du candidat du PPA (Parti du peuple algrien) qui ntait autre
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que son cousin, Amar Ould Hamouda, qu e nous retrouverons dans dautres circonstances. Tassaft, la campagne tait trs dure et les tensions auraient pu dgnrer. Nous ne savons pas si linstruction tait venue dailleurs mais, face aux abus des relais de la colonisation et devant la fraude annonce, Amirouche rassembla encore une fois les jeunes du village sur la route nationale, la hauteur de la fontaine At Dahman, et les conduisit vers le bureau de vote en les appelant casser les urnes. Tous lont suivi.
lge de 14 ans, il travaillait dj de faon plus constante dans le magasin de Dda Belad Oued Fodda. Au dbut, son cousin lavait fait venir sans mme demander lavis de ses frres avec lesquels il tait associ. Aux premiers temps de son arrive, le nouveau venu faisait la cuisine, tche rserve au plus jeune ; mais trs vite, il fut charg de soccuper du magasin, puis apprit en parallle le mtier de tailleur quil exera pour son propre compte, avec la bndiction du cousin Belad. Pendant les premires annes dexil, Amirouche ne se singularisa pas par un comportement politique rgulier dans son village lors des allersretours qui le menaient, comme tous les expatris , dOued Fodda Tassaft. Les gens qui le ctoyaient gardent le souvenir dun jeune homme tourment, aux attitudes plus proches des proccupations dun adulte que de celles de ladolescent quil tait. Il en est ainsi de cette inclination sisoler pour lire et relire, le soir, la lueur dune lampe huile, des coupures de journaux, quand elles traitaient de questions politiques. Souvent Dda Belad meublait les veilles familiales dhistoires plus ou moins pittoresques sur la vie en pays arabe . Entendus pour la premire fois quelques jours avant daccompagner son oncle Oued Fodda, ces rcits navaient pas suffi prparer le jeune Kabyle encaisser la dure ralit de lordre colonial dans la plaine algrienne. Projet hors du monde clos des montagnes dans lesquelles il avait pass les onze premires annes de sa vie, il dcouvrit brutalement des grappes humaines jetes sur les routes, errant de ville en ville, la recherche dun hypothtique travail. Ces cratures parlant une langue diffrente de la sienne subissaient pourtant le mme sort que les Kabyles. Le garon fut branl. Paradoxalement, la dchance sociale quil avait constate et vcue en Kabylie lui semblait plus supportable que celle qui rgnait dans cette valle du Chlif, o les terres agricoles riches et si bien travailles soulignaient dautant plus la dtresse des autochtones.
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Dans sa rgion dorigine, la misre, massive et permanente, tait le lot de limmense majorit, si ce nest de tous. Lopulence coloniale ne se manifestait que par le truchement de quelques cads, ou lors des intrusions, rares au demeurant, de gendarmes monts sur des chevaux, venus rechercher un insoumis ou pourchasser un bandit dhonneur. Dans la valle du Chlif, les yeux bahis du jeune Amirouche dcouvrirent une catgorie dhabitants qui entretenaient femmes et enfants dans un confort quil navait jamais vu chez des civils. Pour lui, jusque-l, la richesse de la reprsentation coloniale tait incarne par luniforme. Oued Fodda, il observait des citoyens, sans fonction officielle apparente, bien habills, logs dans des demeures pourvues de grandes fentres et paves de carrelage, ce quil navait, jusqu prsent, vu que dans son cole dIghil bwammas. Ces Europens cultivaient une distance ostentatoire avec les Musulmans, ombres loqueteuses dont la seule vue achevait de dcourager toute tentative de rapprochement. La sagacit de lenfant prpara la conscience de ladolescent. Ainsi donc, le malheur ntait pas une fatalit qui sabattait sur une humanit abandonne de Dieu ; ctait le rsultat de la domination dune caste de privilgis qui stait arrog le droit tout, en spoliant et asservissant limmense majorit dont lui-mme faisait partie. Dans sa ville daccueil, Amirouche nentretenait pas rellement de relations amicales suivies. De fait, le temps quil ne passait pas son travail, il le consacrait lire ou aider ses jeunes cousins qui, frachement arrivs de Kabylie, devaient sacclimater un mode de vie inconnu et astreignant. Il fallait soccuper de tout, y compris des tches mnagres, car, dans la petite colonie des At Hamouda, on navait pas encore fait venir les pouses. Amirouche qui tait ainsi tout entier absorb par ses charges quotidiennes trouvait nanmoins le temps pour de furtives rencontres avec de mystrieux personnages dont il ne parlait personne et qui nalertrent pas outre mesure son entourage. Abngation et rserve prvaudront tout au long de sa vie ; en assumant pleinement ses tches professionnelles et familiales, il faisait dj preuve dune disponibilit toujours ddie la dfense et lmancipation du plus grand nombre.
Ayant commenc la prire assez jeune, il se prenait souvent changer avec des personnes plus ges que lui, ce qui lui convenait. Les rares fois o il souvrit ses proches sur sa perception de la condition de ses semblables sont toutes marques dune sourde colre. Mais le plus clair de son temps,
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Amirouche travaillait, coutait et tudiait les propos et les actes de tous ceux avec qui son mtier le mettait en contact. En parlant de cette priode, son cousin Mohand-Arezki dit de lui qu il dcodait tout dans la vie ( iqqar i-tent yakw ). Cet incident, rapport par le mme cousin, dvoile ltat desprit du jeune homme : Amirouche est alors g de 18 ans. la tombe du jour, il lui arrive de sasseoir, en compagnie de Mohand-Arezki, arriv lOuest quelque temps aprs lui, devant leur magasin qui donnait sur la rue principale dOued Fodda. Un jour, un gendarme passe devant eux. Tout le monde suit des yeux le fonctionnaire, qui se dirige directement vers Amirouche et le gifle. Outr, mais surtout inquiet, car ne sachant pas de quoi il retourne, le cousin Belad sen ouvre Sayah Bouali qui tait le cad de la localit. Convoqu par ses suprieurs pour des explications, le gendarme rpond : Quand je passe, tous me tmoignent de la dfrence, mais lui me perfore de ses yeux. Je ne le supporte plus. Cest cette poque que la mre dAmirouche, Mends Fatma, entretemps rentre Tassaft, le village de son mari, demanda pour son fils la main de la fille de Belad. La veuve voulait le voir fonder un foyer, tout en resserrant les liens avec celui qui avait contribu les ramener, elle et ses enfants, dans le giron familial.
Durant son passage Oued Fodda, Amirouche, peine sorti de ladolescence, avait nou des relations discrtes avec deux militants du PPA, parti qui, dissous par ladministration, menait alors son activit dans la clandestinit. Il frquenta ainsi un certain Bouamama, qui, pendant la guerre, deviendra colonel de la wilaya IV et un dnomm Selloumi, originaire dOuld Ali, un village situ quelques kilomtres dOued Fodda. Ce dernier sera charg par le FLN (Front de libration nationale) en 1956 dinfiltrer les troupes de Kobus, un fodal arm par la France pour faire contrepoids lALN. Missionn pour un travail de dstabilisation, Selloumi finit par pouser la cause de ceux quil tait cens combattre. Lopposition de ces deux destins illustre bien la complexit de la guerre dAlgrie.
Avec lagrandissement des foyers, les At Hamouda, comme beaucoup de familles kabyles migres lintrieur du pays, essayrent dessaimer dans dautres villes de lOuest. Cest ainsi quAmirouche, qui avait pu conomiser un petit pcule, sinstalla en 1947 dans le hameau de Bouguerrat, proximit de Mostaganem.
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peine immerg dans lactivit politique, Amirouche fut arrt deux reprises : une premire fois pour avoir placard des affiches de Messali, patriarche du Mouvement national, une autre pour avoir ramen de Tizi-Ouzou du sucre, produit soumis rationnement pendant la Seconde Guerre mondiale. Dj remarqu pour son activisme, il fut contrl la gare de Relizane et conduit en prison Mostaganem, do il fut libr sur lintervention de Sayah Bouali, sollicit cette fois encore par linvitable Dda Belad. Le caractre somme toute anodin du dlit nempcha pas ladministration pnitentiaire de porter dj sur sa fiche signaltique la mention trs dangereux .
Les privations sociales et les agressions politiques sont deux contraintes qui, souvent conjugues, ont amplifi un mcontentement latent qui a objectivement contribu lveil de la conscience nationale algrienne. la fin de lanne 1948, Amirouche quitte Bouguerrat pour Relizane, une autre bourgade coloniale situe une petite centaine de kilomtres plus
louest. Il na que 22 ans mais a dj derrire lui la vie politique et sociale dun adulte accompli. Il y rencontre linstituteur Laliam, originaire des At Yanni. Le fils de ce dernier, ophtalmologue, frais moulu de la facult de Montpellier en 1956, sera une anne plus tard son mdecin-chef dans les maquis de la wilaya III. la mme priode, il fait la connaissance dun autre Kabyle, Amar Issiakhem, qui nest autre que le pre du clbre peintre Mhamed Issiakhem. Install Relizane, le vieil migr grait un bain maure tout en soccupant dun centre culturel o il aidait par une formation parallle les coliers les plus ncessiteux, avec le soutien de quelques lments proches de la mouvance des Oulamas, branche traditionnaliste qui hsita longtemps avant de saligner sur les positions indpendantistes. De son passage dans cette ville ressort une donne qui sera une autre constante dans le parcours dAmirouche : lindiffrence vis--vis des barrires sociales. Ltudiant en ophtalmologie Mustapha Laliam se souvient ainsi davoir vu ce jeune bijoutier parler avec son pre, un instituteur, statut rare et envi lpoque, avec une aisance et une autorit naturelles qui le marqueront toute sa vie. Amirouche considrait galement que le travail de sensibilisation et dorganisation sur le terrain devait se faire quelles que soient les tensions entre les chapelles, le pragmatisme devant transcender toute forme de sectarisme partisan. Et Dieu sait qu lpoque lintolrance tait de mise entre les diffrentes tendances du Mouvement national.
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Cest Relizane galement quil installa la premire cellule du PPA qui comprenait : Meshoud Aoued, Mohamed Lahbouchi, Ada Abdelkader, Ouadah dit Younes et un certain Benatia. Aucun membre ntait originaire de Kabylie alors quune petite communaut issue de cette rgion tait pourtant dj installe dans la ville. Pour lessentiel, la raison de ce choix est assez simple : lmigration kabyle de lOuest subissait de plein fouet, au dbut des annes 50, le contrecoup dune opration de la police coloniale qui avait dmantel les structures clandestines du parti algrien le plus radical, le PPAMTLD (Parti du peuple algrien-Mouvement pour le triomphe des liberts dmocratiques).
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la mme poque, le Mouvement national algrien tait la croise des chemins. Le charisme de Messali, qui avait tant de fois galvanis la dynamique nationaliste dans des moments dincertitude, ne compensait plus une criante absence de stratgie. Celle-ci tait dnonce de plus en plus ouvertement par de jeunes cadres qui mergeaient en nombre et en qualit. Ces derniers taient dautant plus frondeurs quils se sentaient tenus l cart des centres de dcision. Les tragiques vnements de Mai 1945 et les milliers de gens qui en furent victimes disqualifiaient soudainement toute idoltrie et le culte de la personnalit apparut alors pour beaucoup comme un vernis inoprant sur une scne politique bouleverse. Le PPA-MTLD tait secou par une grave crise interne qui allait dboucher sur un schisme et la cration du CRUA (Comit rvolutionnaire pour lunit et laction), lorigine du dclenchement de la lutte arme le 1er novembre 1954. LOS (Organisation secrte), branche arme du PPA -MTLD, avait recrut un grand nombre de ses militants en Kabylie, o le Mouvement national tait solidement install depuis la naissance de la premire organisation nationaliste, lENA (toile nord-africaine), cre dans lmigration en 1926. Dirige par Hocine At Ahmed qui avait pris le relais de Belouizdad, lOS sera confie Ahmed Ben Bella aprs la fameuse crise dite berbromatrialiste qui survint en 1949. De jeunes cadres originaires de Kabylie avaient exig un dbat sur le fonctionnement du parti et lavenir du futur tat algrien tant dans ses projections institutionnelles que dans ses fondements identitaires. Linvective, dj leve au rang de discussion, et lhgmonie arabo-islamiste dont tait nourri Messali
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provoqueront une paranoa qui diabolisera tout ce qui pouvait rappeler, de prs ou de loin, la Kabylie. Issu de cette rgion, At Ahmed sera dessaisi de ses responsabilits alors quil avait pris un soin particulier se tenir distance du groupe du lyce de Ben Aknoun, fer de lance de linitiative. La raction de la direction du parti fut digne de ce qui reste aujourdhui encore un marqueur politique dans le pouvoir algrien : anathme, accusations de trahison et de collusion avec lennemi et sanctions ne tarderont pas sabattre sur les contestataires. LOS sera dmantele la suite de la maladresse dun de ses commandos qui devait enlever et juger un militant douteux de lEst algrien.
Les dirigeants du PPA-MTLD de Kabylie neurent dautre choix que de faire fuir les lments recherchs vers lOuest, o prosprait depuis prs dun demi-sicle, on le sait, une colonie de petits commerants kabyles. Ceux-ci taient chargs daccueillir ou de placer ces partisans dans des familles damis personnels ou de sympathisants du parti, en attendant que passe lorage policier qui sabattait sur les milieux nationalistes.
Reus plus ou moins correctement au dbut, les militants clandestins se retrouvrent rapidement en difficult sociale, atteints dans leur dignit et mme, pour certains, menacs dans leur scurit. Les familles daccueil, par manque de moyens, par fatigue ou simplement par peur, commencrent manifester leur lassitude et, quelquefois, signifier leur rejet. Certains de ces militants furent mme rduits accepter de servir comme commis chez leurs htes pour ne pas tre jets la rue. Hocine At Ahmed et Hadj Ben Alla tmoignent de cet pisode qui laissa derrire lui des squelles politiques et un ressentiment qui a longtemps traumatis le collectif militant kabyle de lOuest du pays. Cest dans ce climat de dsenchantement quAmirouche dut activer Relizane o taient rfugis certains militants recherchs. Les risques de la clandestinit, le dpit qui fragilisait des lments rfugis loin de chez eux et qui se sentaient maintenant abandonns ainsi que les conditions de scurit lui ont command de ne pas recruter des personnes issues de Kabylie. Amirouche suivait tous ces vnements sur lesquels il navait aucune prise, tant lOuest que dans sa rgion dorigine o il revenait rgulirement. Il mettait profit ses dplacements pour mieux connatre les diffrents groupes sociaux de la collectivit nationale, pntrer leur tat desprit et pour tisser ses rseaux.
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La crise des instances de direction, labsence de repres et de hirarchie qui marquent toutes les mutations de mouvements rvolutionnaires ne laissaient dautre choix Amirouche que dadopter la dmarche quil simposera chaque fois que les partis algriens connatront des turbulences organiques ou politiques importantes : garder le contact avec la base et faire, quoiquil advienne, un travail de sensibilisation et dorganisation qui sera de toute faon utile une fois le consensus rtabli et la stabilit revenue. Il se fit le relais des instructions de ce qui restait comme organe de direction et initia ou anima des structures partout o il se trouvait. Relizane, abrit derrire sa profession de bijoutier, on a vu quil avait mis en place une cellule du PPA-MTLD ; Oued Fodda, il diffusait la revue de certains amis appartenant lorganisation des Oulamas, qui tait lpoque la seule structure visible, car lune des rares tre tolres par ladministration coloniale. Dans le mme temps, en Kabylie, il tablit des contacts avec des maquisards dont certains taient dans la clandestinit depuis 1947 sous les ordres de Krim Belkacem et Ouamrane. Au dbut des annes 50, Amirouche, suivi de prs par ladministration coloniale dans lOranie, dut revenir vers le centre du pays. Il frquenta pendant quelque temps le centre de formation professionnelle de Kouba. Cest l quil connut Mhamed Bougara, quil retrouva comme colonel de la wilaya IV et Othmane, qui, lui, fut responsable de la wilaya V. Cette promotion verra les trois quarts de ses membres tomber au maquis.
Cependant, la dstabilisation du Mouvement national, due autant sa crise interne qu la rpression, laissait peu de place une activit prenne et efficace des militants troitement surveills linstar dAmirouche.
Comme tant dautres avant lui, il sexila et se retrouva en France la fin de lanne 1950. Il avait alors 24 ans. Employ chez Renault, puis dans une chocolaterie, il habitait au foyer du XVme arrondissement de Paris, au 79 rue de lglise. Les contacts avec le pays taient difficiles car, dans les milieux migrs plus encore quen Algrie, la crise de 1949, aggrave par lclatement du PPA-MTLD, avait jet les militants dans un grand dsarroi ou, pire, dans des affrontements qui npargnaient aucun niveau de lorganisation nationaliste.
Des villageois des Iboudraren, dont il est originaire, migrs comme lui, rapportent que, pendant les premires semaines de son arrive, Amirouche, par temprament ou prudence politique, se tenait lcart. Avec sa
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premire paie, il avait achet une vieille machine coudre et mettait profit son mtier de tailleur en confectionnant des chemises et des pantalons quil vendait crdit ou donnait aux plus ncessiteux. Nul ne savait ce quil faisait de son argent. En effet, il tait dune sobrit exemplaire, et cela se savait parmi les ouvriers de son village. Il nenvoyait pas de mandat au pays, o vivaient sa femme et son fils Nordine, n le 15 juillet 1949 et inscrit ltat civil sous le prnom dAmrane. Il comptait probablement sur le soutien de son beau-pre Belad, sans savoir que ses affaires avaient priclit, suite des dissensions familiales qui lavaient spar de ses frres. Il fallut quun migr, de retour de son cong au pays, informt Amirouche de la misre dans laquelle se trouvaient sa femme et son fils. Il alerta alors son beaupre par une formule qui restera dans les annales familiales : Ramne chez toi ta fille et mon fils et si jai une place au Paradis, je te la donne , supplia-t-il. On apprendra plus tard quil versait une partie de sa paie ce qui restait de lOS, dont il faisait partie, et quen plus de cela, il prenait en charge deux militants. lpoque, Ibrahim Djaffar, par la suite plus connu sous le pseudonyme de Si Saadi, tait galement militant du PPA Paris. N le 2 avril 1931 aux At Ouabane, quelques kilomtres de Tassaft, il vivait et militait lui aussi dans le XVme arrondissement. Si Saadi se rappelle cette poque : Nous nous runissions rue Gutenberg. Notre responsable de section (kasma) sappelait Abdelhafid Rabia. Il tait originaire de Constantine et sera tu par le FLN en 1957 Paris, au Champ-de-Mars, parce quil tait rest messaliste. Mauvaise atmosphre, mauvaise circulation de linformation, mauvais fonctionnement, les militants taient perdus. Comme son habitude, Amirouche continuait son travail de terrain sans ncessairement attendre les instructions dune organisation clate. Si Saadi tait sur place quand Amirouche fut traduit devant une commission de discipline prside par Bachir Boumaza. Il se dfendra sans complexes, arguant que les questions de chefs ne doivent pas bloquer les initiatives et que le peuple doit toujours tre pris en charge par les militants quels que soient les problmes organiques. Cen tait trop pour un parti branl par la crise et qui se mfiait de toute activit autonome. Il fut exclu des rangs du parti. Paradoxalement, il restera loyaliste au moment o les dissidences se succdaient.
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Denis,
tout
en
gardant
contact
arrondissement. Il ne resta pas longtemps inactif. Paralllement ses uvres sociales tournant autour de la couture et ayant entendu parler dun groupe dAlgriens se rclamant des Oulamas, il entreprit de les approcher. Disposant dun sige Saint-Denis, ces derniers avaient une relative libert de manuvre et prsentaient lavantage de ne pas exiger, comme pralable toute discussion, lalignement sur tel ou tel clan, sectarisme qui transformait souvent en pugilat la plupart des runions du PPA-MTLD de lpoque. Arriv en dernier dans le groupe, il fut rapidement dsign comme contrleur. Si Saadi se remmore le jour o le groupe du PPA du XVme arrondissement, dont lui faisait toujours partie, avait t envoy SaintDenis pour aller perturber une runion publique de lassociation : Javais prvenu mes camarades : Amirouche est l-bas. Je le connais, ce ne sera pas facile de saboter un meeting auquel il participe. Une fois sur place, notre quipe trouva effectivement Amirouche devant la porte. Il nous fit rentrer un par un. Disperss dans la salle, nous tions perdus. Au moment du dbat, nous navons rien pu faire, la polmique qui devait nous servir de prtexte aux troubles ayant t touffe dans luf. Cest dans ce milieu quil fit la connaissance dAbdelhafid Amokrane, secrtaire gnral de lassociation. Il sera responsable des biens habous de la wilaya III sous les ordres dAmirouche et deviendra ministre des Affaires religieuses en 1993. Il garde le souvenir dun homme jeune mais dgageant une grande autorit et capable de persuader le plus indcis grce sa force de conviction. Amirouche avait un don inn pour la parole : Il savait doser la tonalit de sa voix et nuanait son propos avec une justesse remarquable. En ralit, il tait calme car il tait humble, timide mme, mais il tait impressionnant et savait lever le ton quand il le fallait. Sa vie tait entirement ddie la lutte. Il suivait toutes les grandes questions politiques de son temps et prenait des cours du soir quand il en avait le temps.
Tout en sinvestissant dans le rseau de lOS, qui avait survcu aux dsordres organiques et la rpression, Amirouche multipliait les activits de terrain pour reprer les lments les plus fiables et renforcer la structure clandestine. En fait, crira plus tard Abdelhafid Amokrane vers le mois de juin 1954, notre ami Amirouche tait en contact constant avec le grand hros
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Abderezzak, devenu Si Haoues, qui tombera avec lui au champ dhonneur, en 1959, alors quils se dirigeaient ensemble vers Tunis. La tradition veut que lmigr srieux ne reste pas plus de deux ans daffile en France. Le 17 septembre 1954, Abdelhafid Amokrane dcide de rentrer au pays pour voir sa famille. Sans pouvoir dire, aujourdhui encore, si ce que son ami lui disait tait une analyse ou bien une information, il se rappelle les propos dAmirouche au moment o il lui faisait part de son intention de regagner lAlgrie. Nous nous retrouverons bientt. Cette fois, cest srieux. Ce qui se passe en Tunisie et au Maroc annonce des choses importantes pour notre pays , lcha Amirouche sans donner plus de prcisions. Investir une association dirige par des Oulamas, qui regroupait en principe des notables acquis lassimilation, ntait pas antinomique dun engagement simultan en faveur de la lutte arme. Les oppositions entre chefs, les manuvres de ladministration, les dfections des uns ou des autres nempcheront pas lavnement de ce quAmirouche avait toujours pressenti comme un moment politique inluctable : le rassemblement de tous ceux qui aspiraient faire entrer le peuple algrien dans lhistoire contemporaine. Il fallait donc travailler et se remettre chaque fois louvrage en regardant devant, sans se laisser atteindre par les alas des querelles qui empoisonnaient les relations entre partis nationalistes. Le problme tait que maintenant, ces conflits pesaient sur le destin mme de la formation dont lancrage populaire tait le plus affirm : le PPA-MTLD. Ces temptes npargnrent pas toujours Amirouche. Ainsi, la structure de Kabylie avait dcid de geler les cotisations tant quune rponse srieuse ne serait pas donne la demande de dbat qui tranait depuis 1949. La direction du parti, sourde cette dolance, rpondit, on la vu, par une violente diatribe initie par Messali lui-mme. Le vieux leader dnona un virus qui rongeait un corps malade .
Dans cette crise, Amirouche suivait de loin Krim Belkacem et Ouamrane qui tenaient le maquis kabyle. Il savait que les deux hommes, dj engags dans la lutte arme, taient en contact avec Didouche et quils restaient fidles Messali. Dans les bistrots de lmigration, les tensions taient leur comble. Bien que libr organiquement, Amirouche prconisa, comme les deux maquisards de Kabylie, la discussion avec Messali. La position ntait pas tenable longtemps. Dans une de ces nombreuses et violentes confrontations lchange dgnra. Il y laissera une partie de son incisive.
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Mais, fondamentalement, ni les menaces omniprsentes de la rpression coloniale, ni les oppositions politiques qui traversaient le Mouvement national, ni les affrontements, parfois trs violents, qui opposaient ses diffrentes factions nauront induit un doute ou un rpit dans lengagement dAmirouche.
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lt 1954, Belad n Merzouk, beau -pre dAmirouche, apprit par une connaissance du village que son gendre et cousin avait t vu au port d Alger. En plus de sa propre famille, le vertueux Belad entretenait pniblement celle dAmirouche et sa situation matrielle tait des plus prcaires depuis quil stait spar de ses frres. Il tait donc soulag de savoir que celui quil avait rcupr dans un march de Kabylie lge de 11 ans et qui il avait donn sa fille en mariage revenait dexil pour voir son fils grandir et assister sa femme dont la sant dclinait. Pendant les annes o Amirouche tait en France, Dda Belad se devait de combler une absence problmatique plus dun titre. Et il le fit. Mais, depuis quelque temps, il se prenait supputer sur cet tre quil avait adopt et chri.
Le dsintrt apparent dont faisait preuve Amirouche pour sa propre famille perturbait plus son beau-pre quil ne le gnait matriellement, en dpit de sa condition sociale peu enviable : dun ct, Amirouche ntait pas homme fuir ses responsabilits, ni se laisser tenter par les futilits dans lesquelles sombraient tant et tant de villageois migrs. De cela, il tait sr. Depuis ce jour o il lavait vu au souk El Djema, Amirouche stait toujours montr digne de confiance, tant Oued Fodda quau village. Certes. Mais dun autre ct, il savait que son gendre travaillait et menait une vie saine, sans pour autant avoir jamais envoy le moindre centime au pays. Ses dmls avec la justice coloniale, au cours desquels Dda Belad avait eu intervenir, ou ses rares frquentations avec des personnes impliques dans la cause nationale ne suffisaient pas expliquer, du point de vue du vieux commerant, une telle absence.
Et pourtant, Amirouche tait dj quasiment dans la clandestinit. Ce ne sera pas cette fois que les retrouvailles familiales auront lieu. Un autre appel, attendu depuis longtemps, allait tre adress toute une gnration. Il tait plus fort et plus net que celui qui peut atteindre un pre ou un poux. Au fond de lui-mme, Amirouche savait quen ralit, quoi quil puisse advenir, sa femme et son fils seraient protgs. Entre les deux hommes tait ne ds le premier jour une vnration mutuelle qui ne se dmentira jamais. Elle se nourrissait dun contrat implicite, grav dans les deux mes ; un de ces pactes que ni les alas de la vie ni les apparences les plus compromettantes ne peuvent altrer. Il avait beau ruminer loccasion, le Belad, il savait quAmirouche ntait pas en train de se drober ses obligations, mais quil suivait un destin dont il ne percevait pas encore tous les contours. Leur relation sera secoue par toutes sortes de turbulences et mise lpreuve maintes reprises. Entre Dda Belad et Amirouche, il y avait, au-del du serment, une communion de valeurs. La dignit gnreuse, moteur existentiel du vieux Kabyle, avait trouv en cho chez le jeune orphelin une obsession de justice. Les tourments du moment ntaient quune petite cume qui naurait su faire dvier la houle qui entranait deux vies de rigueur et de fidlit. Fidlit soi et autrui ; autrui signifiait, pour lun, la famille, et pour lautre, le peuple algrien. Les semaines passrent sans nouvelles jusqu ce que Mohand-Arezki, fils de Dda Belad et beau-frre dAmirouche, apporte des informations au retour dun dplacement avec son club de football, lOCBOF (Olympique Campenand Bernard dOued Fodda) ; informations qui taient, la vrit, plus ou moins attendues. Lquipe de Mohand-Arezki, se rendant une rencontre avec la JSK (Jeunesse sportive de Kabylie) Tizi-Ouzou, fait une halte prs dAlger, Maison-Blanche, afin de passer la nuit du samedi au dimanche la basevie o tait hberg le personnel de la socit Campenand Bernard qui ralisait lextension de laroport de la capitale. A lentre, cest Amirouche qui lve la barrire. Apercevant son beaufrre dans le bus, il lui fait discrtement signe de ne pas parler. Plus tard, la tombe de la nuit, un gardien invite Mohand-Arezki sortir de sa chambre en lui disant que quelquun le demande. Cest Amirouche.
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Effectivement, quelques semaines aprs le dclenchement de linsurrection, Dda Belad reut une lettre par laquelle son gendre linformait quil avait pris le maquis dans la rgion des Ouacifs, en Haute-Kabylie.
Depuis ce matin de mars 1938, le vieux Belad stait vu inexorablement entran par le destin de cet homme qui avait ddi sa vie son peuple.
Maquisard, Amirouche passait de plus en plus frquemment Tassaft. Il y trouvait toujours le gte et le couvert, en ces temps o lorganisation arme en tait encore ses balbutiements. Il tait rgulirement accueilli par les frres de Dda Belad, qui avaient dj oubli leurs diffrends dOued Fodda.
Les temps taient difficiles et incertains. La pression coloniale montait et ladhsion populaire tait encore timide. La flambe du 1 er novembre, abondamment commente dans les mdias, laissait perplexe la plupart des Algriens. Entre le discours des autorits franaises, qui passait de lironie affecte la menace, et les ructations des messalistes, furieux davoir t doubls par des novices , la confusion tait totale. Parmi les plus radicaux, qui avaient rompu avec un Messali au discours de plus en plus incantatoire, certains, limage dAbane encore en prison, dpl oraient le caractre improvis de linitiative. Beaucoup de militants, a fortiori de citoyens, dsempars, sceptiques ou apeurs, attendaient de voir venir.
Dans les moments qui ont prcd la guerre, un militant du PPA a connu Amirouche aprs son retour de lOuest puis sa rentre de France. Il sagit dAli Ouamar At Abdeslam, n le 19 novembre 1929 At Abbas, dans les Ouacifs. Il suivit sa scolarit au village jusquau cours moyen 1re anne avant de rejoindre sa famille Tunis o elle tait tablie dans le commerce. Comme tous les migrs, Ali Ouamar connut pendant quelques annes les traditionnels allers-retours entre la Kabylie et le pays daccueil. En 1946, il rentre en Algrie. Cest cette priode quil adhra pour la premire fois au PPA-MTLD, Tebessa, prs de la frontire tunisienne o quelques compatriotes originaires du mme douar sadonnaient la contrebande dans cette zone tampon, tout en contribuant, en mme temps, structurer le parti nationaliste.
ternel entrelacement de ce dclassement social qui pousse les autochtones survivre la marge ou franchement en dehors de la lgalit et
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de lengagement politique peru aussi comme une issue une vie personnelle sans espoir. Le jeune homme qui paie sa cotisation a alors 17 ans. Issu dune famille relativement aise, il milite la base et se souvient des foules qui ont afflu Tizi-Rached loccasion de lenterrement dAli Lamche, un jeune homme de 21 ans, mort dune fivre paratyphode, qui avait dfi Messali Hadj avec Amar Ould Hamouda, cousin dAmirouche que nous avons eu loccasion dvoquer au premier chapitre de cet ouvrage. Ali Ouamar, de trois ans le cadet dAmirouche, garde de lui, la fin des annes 40 et au dbut des annes 50, limage dun militant apparaissant pisodiquement en Kabylie et dgageant une volont et une assurance particulires. En effet, il avait dj le souci daffirmer sa prsence. Pendant un certain temps, il porta la barbe et arbora fez et gandoura, tenue du Zam Messali, pour exprimer, comme beaucoup de jeunes de lpoque, son respect qui la vrit tenait souvent dun suivisme inconditionnel pour le vieux leader, qui apparaissait encore comme un sauveur.
son retour de France, Amirouche se fit discret. Quand il rencontra de nouveau Ali Ouamar, ce dernier ne le reconnut pas : la barbe et le fez avaient disparu. Les animosits latentes qui lzardaient le Mouvement national et plus particulirement le PPA-MTLD clataient au grand jour, chacun observant lautre dans une atmosphre politique irrespirable. Le traumatisme de la rpression de mai 1945, qui avait fait des milliers de victimes, leffondrement de la hirarchie, la pression de la police coloniale, labsence de communication et de dbat faisaient de la suspicion le premier rflexe quand deux militants venaient se croiser.
Depuis mars 1954, la crise tait patente entre Messali et la direction du parti. La base tait dsoriente. Le congrs tenu en juillet 1954 Hornu, en Belgique, auquel avait particip Ali Ouamar, savra tre une manuvre dilatoire du vieux dirigeant. Cette rencontre fut, au fond, une dception de plus pour les congressistes dont beaucoup taient acquis la lutte arme. Mais, pour bon nombre de militants en core dans lignorance de la gravit des divisions qui dchiraient leur parti, Sid el Hadj, comme ils se plaisaient toujours appeler Messali, allait, ctait inluctable, appeler linsurrection. Amirouche, raconte Ali Ouamar, tait durement marqu par lchec de lOS, en fait la consquence dune stratgie de combat ambigu, o laction arme tait dcide sans tre assume formellement par la direction. Comme la plupart des adhrents, il ne savait pas que Messali refusait le
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renouvellement des instances du parti et, surtout, quil tergiversait devant lengagement militaire. Jai d lui raconter tout ce qui stait pass Hornu, o nous avons t empchs de lire notre dclaration ; que, le lendemain, avec Ali Zamoum, autre congressiste de Kabylie, il avait fallu ruser pour essayer de faire entendre lavis de la base, qui attendait le signal pour le soulvement ; que, plus grave, aucun militant de lEst ntait prsent et que nous avons d constater que le congrs ntait convoqu, de fait, que pour reconduire Messali et limposer la prsidence du parti. Amirouche en fut retourn et cela le rendit encore plus mfiant. Le premier contact quil avait tabli avec Krim Belkacem et Ouamrane, respectivement appels Si Ali et Si Ahcene en Kabylie, au maquis depuis 1947, ne fut pas particulirement chaleureux. Amirouche, voulant cote que cote passer laction, essayait de connatre les dates et les modalits des oprations pour tester les intentions des deux responsables. Nayant pas eu de rponses claires, il garda par-devers lui les contacts quil avait patiemment tisss en Kabylie et durant son exil en France. Le malentendu fut tel, se rappelle Ali Ouamar, que Si Ahcene, cest-dire Ouamrane, voulant absolument gagner du temps, avait demand de tenir Amirouche lcart : A- i ur. Il va nous nuire , avait redout le maquisard endurci. En ralit, Krim et Ouamrane avaient eux-mmes un triple problme rsoudre cette poque. Il y avait dabord la grisaille messaliste qui ne stait pas dissipe et ils ne savaient pas encore quelle dcision arrter face un personnage qui avait domin le Mouvement national depuis un quart de sicle. Par ailleurs, le contact avec Ben Boulad, responsable des Aurs, qui ne voulait pas passer laction sans la Kabylie, tait difficile rtablir. Enfin, Boudiaf, marqu par le jacobinisme du PPA-MTLD et esprant couper la Kabylie en deux la Grande-Kabylie serait rattache lAlgrois et la Petite dpendrait de Constantine avait provoqu le refus obstin de Krim, qui voyait dans cette proposition une dfiance envers une rgion qui tenait le maquis depuis sept ans dj.
Ce malaise, ajout aux tensions qui pesaient sur le CRUA, aurait pu causer un nouveau report du dclenchement de linsurrection. Amirouche, ignorant toutes ces tractations, crut que cette attente qui nen finissait pas trahissait de nouvelles hsitations ou que la lassitude avait fini par gagner jusqu ses deux icnes, isoles dans le maquis depuis tant dannes.
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Il disparut quelques jours. Certains dentre nous ont mme pens quil tait reparti en France pour collecter des fonds, quitte lancer des actions isoles , note Ali Ouamar. Il rapparut juste avant le 1er novembre pour le dbut des combats. Mais dans la rgion des Ouacifs, de Fort-National et de Michelet, do tait originaire Amirouche, il ny eut pas dattentats ce jour-l. En effet, ladhrent du PPA-MTLD chez qui avaient t dposes les armes ntait autre que le fils du maire de la municipalit des At Sidi Ahmed. La maison paternelle, frquente par les fonctionnaires franais, offrait premire vue une cache idale. Le 1er novembre, les partisans attendirent en vain la livraison des fusils pour passer laction. Dans les jours qui suivirent le dclenchement de linsurrection, les responsables du FLN dcouvrirent que leur homme de confiance avait vendu le matriel qui lui avait t confi et que son pre lavait fait vader vers la Tunisie. La complicit du maire entrana une dcision sans appel de la part du FLN qui ordonna son excution. Le fils passa toute la priode de la guerre Tunis avant de rentrer lindpendance avec larme des frontires, qui venait de dfaire les maquisards de lintrieur. Ce nest quen dcembre 1954 que le contact fut rtabli avec Krim Belkacem dans un hameau dIllilten, sur les hauteurs de Michelet. Le 5 janvier 1955, Amirouche lana la premire attaque contre une caserne militaire en Kabylie. Ctait Tizi n Djama, ct du village dOurdja, o tait ne au sicle prcdent Fadhma n Soummer, une hrone qui avait brill par ses hauts faits la tte de la rsistance contre les troupes franaises, lors de la conqute de la Kabylie. Au commencement de la guerre, Amirouche dpendait formellement de Sad Babouche, un responsable aguerri et dtermin, charg de la rgion de Tizi-Ouzou. Celui-ci, rapidement arrt, fut condamn mort ; il sera le deuxime patriote algrien tre guillotin aprs Zabana. Suite ce revers, Amirouche travailla sous les ordres de Si Salah, de son vrai nom Mohamed Zamoum, qui avait pris la relve de Babouche. Mais il fut plus souvent en relation avec un vieux militant, Amar Ath Cheikh, originaire de Michelet qui supervisait la Haute-Kabylie. Ctait un homme pieux, respect pour sa sagesse et son humilit, qui portait la bonne parole et rassurait les gens : les paysans se reconnaissaient en lui et cela avait toute son importance dans les dbuts de la guerre. Pour sa part, Amirouche soccupait de structurer les villages, de rcuprer les armes auprs des habitants et de collecter des fonds. Le sens
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de lorganisation du jeune homme ne se dmentira jamais. Se manifestaient dj dautres lments dune mthode qui se confirmera plus tard : laudace devant lennemi et, avec ses compatriotes, la patience, la persuasion avant le recours la pression ou la sanction.
De passage Tassaft au dbut de lanne 1955, Amirouche remit une lettre Mohand Ouahioune, surnomm Dda Bazi, un villageois naturalis. Pragmatique, il sut ne pas se formaliser dune situation que dautres auraient interprte comme une irrmdiable compromission, car il considrait que la proclamation du 1er novembre pouvait ne pas avoir t assez bien entendue ou comprise deux mois seulement aprs sa diffusion. Il lui fit parvenir sa missive par le biais dun de ses cousins, Mhamed n Merzouk. A basourdi, Dda Bazi tint relire le message devant lui.
Tu vois, Mhamed, Amirouche me demande dacheter des munitions ou des armes auprs des militaires franais susceptibles de sympathie pour la cause nationale. Rien que a ! des villageois des Ouacifs qui rechignaient sacquitter de leurs cotisations, Amirouche fit parvenir trois lettres o se succdaient les appels la raison, les explications et les divers risques auxquels sexposaient les rcalcitrants. Ses proches et des hommes qui ont servi sous ses ordres assurent quil a souvent rsist certains de ses collgues ou subordonns qui le pressaient de commencer par faire des exemples pour gagner du temps. En 1954 les troupes de lALN taient dpourvues de lessentiel. Youcef At Hamouda, un autre cousin dAmirouche, tait lycen lpoque. Il tait prsent Tassaft quand sa famille reut le maquisard pendant les vacances dhiver qui suivirent lappel du 1er novembre. Dda Amirouche tait arriv la nuit tombante par un jour de pluie. Il tait tremp jusquaux os et portait une mitraillette anglaise Sten. Il saccroupit ct de la porte pendant que ma mre prparait manger. Il tait chauss de sandales faites de peau de buf (icifa ), dont il dnoua les cordons. Le sang qui schappait de ses pieds couverts de cloques imprgnait de plus en plus les chiffons les enveloppant au fur et mesure quil se dchaussait.
On apprendra plus tard quil avait donn ses pataugas un autre combattant. Ce ntait ni la premire ni la dernire fois quAmirouche cdait
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ses chaussures lun de ses hommes appel faire des trajets plus longs, pour porter ce qui restait de disponible. la vue de ses pieds ensanglants, ma mre seffondra, se remmore Youcef.
Do viens-tu pour tre dans cet tat ? demanda-t-elle. Des Ouadhias. Et je suis attendu Iferhounene laube.
Ctait plus de 25 km ; il venait de faire quatre heures de marche sous la pluie, travers des vallons et des sentiers escarps. Une fois le repas pris et le caf aval, il mit deux galettes et quelques figues dans sa besace, essora ses chiffons, se rechaussa et reprit son chemin. Cette vie faite de traque, dincomprhension et quelquefois du rejet de la population tait le lot des premiers maquisards. Il fallut de labngation, une grande force de persuasion et beaucoup, beaucoup de conviction pour tenir les premiers mois de la guerre. La rgion de Kabylie tait dirige par Krim Belkacem. La plupart des maquisards taient des paysans qui navaient que leur foi offrir un mouvement arm dont les bases politiques se rsumaient une proclamation mise le 1er novembre 1954 et un sigle : F.L.N. Ctait peu de chose, compte tenu du chambardement de la scne politique algrienne : pas dorganigramme, pas de grades pour hirarchiser les autorits, pas de limites territoriales responsabilisant les officiers pour le dploiement de leurs units Les portes taient grandes ouvertes des abus et improvisations des insurgs et, plus grave, aux manipulations de larme franaise. Parmi ces hommes de la premire heure, il se trouvait quelques personnes relativement aises qui avaient, ds le dpart, renonc leur situation pour sengager avec armes et bagages. Ctait le cas de Sad Iazourene ou de Mohand ou Lhadj qui finirent officiers et ont tous deux survcu la guerre. Ce deuxime aspect est encore plus remarquable pour Mohand ou Lhadj qui na jamais quitt le champ de bataille.
Pour autant, ces quelques recrues, qui donnaient une certaine visibilit sociale au FLN, ne comblaient pas un dficit en cadres politiques dautant plus aigu que le schisme du PPA-MTLD continuait de diviser les membres du comit central, dsigns sous le terme de centralistes, et les messalistes. Mais mme certains de ceux qui avaient accompagn le mouvement du 1 er novembre furent, pendant plusieurs mois, perturbs par des oppositions, voire des attaques brutales, qui les confrontaient leurs camarades de lutte de la veille. Une bonne partie du potentiel politique du Mouvement
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national fut ainsi paralyse par lincertitude, lincomprhension ou le dcouragement. On la dj vu, en ce qui le concernait, Amirouche avait rsolu ce genre de dilemme depuis longtemps : devant toute situation dinstabilit politique interne, il faut occuper le terrain, recruter, former, sans se soucier des rivalits de chefs. Il tait convaincu depuis toujours que la dynamique de combat est le meilleur remde face aux tergiversations ou autres frictions darrire-cour et que dans lHistoire, il arrive toujours un moment o lessentiel simpose de lui-mme. Les vieux militants, brids par la fidlit aux personnes ou uss par une lutte sans fin, ne constituaient pas sa principale cible de recrutement. On retrouve nanmoins de nombreux tmoignages de prises de contact avec de braves et valeureux sympathisants ; si Amirouche sest occup de connatre ces rseaux, de solliciter leurs relations pour tablir ou renforcer la base logistique de son secteur, il insista rarement sur leur implication immdiate dans les combats. Lexception notable de Amar Ath Cheikh, prsent dans lorganisation depuis longtemps, fut vcue dans une relative bonne entente ; dautant plus quen la circonstance, les tches taient naturellement rparties. Au vieux les tournes de sensibilisation, au jeune le travail de structuration. Ds ses premiers mois de maquis, Amirouche mena une campagne de recrutement soutenue auprs des jeunes, notamment les plus instruits, si rares cette poque. Frais, disponibles, ces lments formaient une catgorie qui prsentait lavantage de ne pas tre leste par le poids de relations remontant parfois lpoque de ltoile nord-africaine, fonde 30 ans auparavant. Il ntait, en effet, pas toujours facile de sen librer au moment o il fallait faire le choix dune trajectoire dserte ou mme combattue par un ancien compagnon, quand ce dernier ntait pas un responsable direct. Durant les deux premires annes de la guerre, on ne retrouve pas de situations o Amirouche ait eu simpliquer directement dans les contestations qui agitaient les divers groupements politiques nationaux, FLN compris. Charg de lorganisation en Haute-Kabylie, o il reprenait pied aprs son exode vers lOuest et son exil en France, il tissa son rseau en un temps trs court et fut reconnu dans sa zone comme un chef intrpide, rigoureux, proche du peuple et en mme temps respect, en dpit de son ge, peine 28 ans en 1955.
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Politiquement, Amirouche sentait confusment quune page tait tourne et que pour cette nouvelle tape, une autre gnration devait tre promue et responsabilise. Il fallait sillonner la rgion pour sinformer, connatre les rapports de force et reprer les candidats les plus fiables, capables de tenir dans la dure. M par un engagement instinctif, obsd par le destin de son peuple, lcoute des soubresauts q ui agitaient le Tiers-Monde, Amirouche na jamais voulu perdre contact avec la population, dont il tenait connatre et partager les preuves. Cela sera rapidement ressenti, compris et apprci. Cette proximit fut probablement ce qui lui permit de toujours saisir les enjeux dans les meilleurs dlais et de prendre les dcisions les plus adaptes aux circonstances vcues par le peuple : il faisait de la permanence de la relation directe avec les citoyens le baromtre des attentes et des possibilits que pouvait offrir et supporter la collectivit. Il lui tait souvent arriv de soustraire des maigres stocks alimentaires quil constituait pour ses hommes des rations de bl, de sucre ou dhuile, afin de les redistribuer aux plus ncessiteux des villageois qu il rassemblait pendant ses sorties. Ce qui sera plus tard un vritable service social, quand il deviendra colonel de la wilaya III, tait plus quune ncessit politique destine se rallier les faveurs du peuple : cela participait dune thique sur laquelle se fondait la conception du combat et la philosophie du pouvoir chez Amirouche. Cette dimension est rapporte par tous ceux qui lont ctoy et sera narre par son secrtaire Hamou Amirouche, dans louvrage quil a ddi son chef7, avec une admiration qui nexclut pas la lucidit.
Dans la vie des grands dirigeants, la connaissance factuelle des situations et des dossiers est aussi importante que leur disponibilit accueillir et habiter leur mission. Sans exprience, Amirouche a eu ds 1954-1955 un comportement qui le distingua de ses pairs. Ces attitudes dhumilit et de gnrosit constituaient une constante qui marquera les bases de sa stratgie quand il se trouvera en charge de responsabilits politico-militaires plus importantes. tre plus exigeant avec soi-mme quavec ses hommes, donner le bon exemple en tout, avoir le souci permanent de la situation vcue par le peuple : telles sont les valeurs qui, au-del de la pertinence et du courage, faonnrent la lgende dAmirouche. laube de la guerre de libration, il fallait aussi assumer la difficile et dlicate mission de faire respecter lautorit du tout nouveau Front de
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libration nationale et, loccasion, rendre la justice. Dans un premier temps, les villageois furent invits rgler leurs diffrends entre eux. Plus tard, ils durent en appeler larbitrage des vieux militants, pour lesquels Amirouche avait ainsi trouv la fonction qui convenait leur exprience tout en les tenant lcart des oprations militaires. Ainsi, la justice franaise fut assez vite dpossde de lune de ses missions fondamentales et, sauf cas de force majeure, le citoyen, pouss par la peur des reprsailles nationalistes ou par lassurance de se voir plus rapidement rtabli dans ses droits, prfrait sen remettre au FLN. Dans ce registre aussi, Amirouche fut un prcurseur puisque lon retrouve ses premiers jugements ds le printemps 1955, aux At Ouabane, comme en atteste Si Saadi, maquisard qui, on sen souvient, avait connu Amirouche en France. Un habitant de chez nous refusait, malgr plusieurs avertissements, de mettre un terme ses relations avec un garde champtre qui finira dailleurs par tre excut par le Front. Amirouche le sermonna devant lassemble du village, en appelant sa responsabilit de patriote : il dnona limage quil donnait de lui-mme ses concitoyens et le risque quil encourait se compromettre avec des tratres. Il demanda au concern ce quil avait rpondre. Ce dernier, probablement mch, balbutia des propos qui voulaient exprimer la fois la justification et la dfiance. Il prit une gifle devant tout le monde. Le mieux que ce genre de personnes ait faire, cest de se taire, de rflchir et de samender , dit Amirouche la foule. Je fus vraiment surpris par son geste car cela ne lui ressemblait pas. Ce fut dailleurs, ma connaissance, lune des rares fois o il a lev la main sur quelquun pendant la guerre , tmoigne Si Saadi avant de continuer : Une fois lcart, je lui fis remarquer que cet affront tait un peu excessif pour un Kabyle. Il tait tonnamment calme, ce qui contrastait avec lexaspration apparente quil manifestait quelques secondes plus tt. Il me rpondit : ?Justement, si lon veut viter darriver au pire, tout ce que lon peut faire avec de telles paves, cest de malmener le peu damour-propre qui leur reste et, surtout, que leur dchance serve de contre-exemple aux autres.?
Rendre justice, ctait aussi sanctionner les rcalcitrants ou les agents de ladministration trop zls. Le FLN avait cibl partout ses adversaires mais, l encore, Amirouche se singularisa par une mthode qui drogeait la tendance dominante et qui contredit limage quon a donn de lui, celle
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dun homme port systmatiser la condamnation radicale. Il a longtemps tolr, dans les limites de ses responsabilits dalors somme toute modestes en 1955 , les faiblesses dindividus prenant une part active dans le systme colonial, ds lors quils montraient des dispositions, mme occasionnelles, aider lorganisation militaire naissante, qui par un vtement, qui par un peu dargent ou un renseignement.
Jai pu rcuprer de nombreux tmoignages selon lesquels, bien avant dtre promu commandant de wilaya, il tablit plusieurs contacts avec des villages de harkis auxquels il recommandait de ne pas commettre lirrparable, daider la Rvolution dans la mesure de leurs possibilits sans avoir exposer leurs familles regroupes dans les camps de larme franaise. Dans certains cas, comme Tazmalt, ces hommes condamns par beaucoup ont fini par revenir de meilleurs sentiments. Ils ont accueilli des maquisards blesss, fourni des munitions et, quelquefois, partir de 1958, des armes.
La tentation de recourir la sanction immdiate tait pourtant trs forte et dauthentiques partisans furent limins pour des motifs plus que discutables. Ainsi, Hand Ouzayed, originaire dAzazga, tait un cadre et un patriote ; il fut lun des artisans de la fameuse opration Oiseau bleu, en 1956, au cours de laquelle Krim Belkacem russit faire quiper plusieurs centaines dhommes par larme franaise en lui faisant croire quelle armait des maquisards appartenant une faction nationaliste oppose au FLN. Il sera excut sous prtexte quil aurait entretenu une relation avec une journaliste italienne enqutant sur linsurrection algrienne.
Dans sa zone, Amirouche faisait tout pour limiter les injustices ou les consquences de dcisions sans appel, redoutant entre autres risques de braquer, ds le dbut de la guerre, des montagnards dont il connaissait le caractre irascible. Il nen demeure pas moins que des cads, des gardes champtres ou dautres auxiliaires de ladministration ont pay de leur vie leur enttement braver ou combattre le Front. Beaucoup dfendaient leurs rentes ; dautres, moins nombreux, taient sincrement convaincus que lmancipation algrienne pouvait encore dpendre de la rforme du systme colonial. * * *
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Un autre secteur capta ds le dpart lintrt dAmirouche : les liaisons et la communication dont il fera plus tard des paramtres essentiels de la lutte en wilaya III. Certains anciens, comme Sad Iazourene, avoueront lindpendance leur tonnement quand ils virent, en 1955, les jeunes les plus crdibles, les plus valides et les plus dvous affects des tches de liaison qui les puisaient dans dinterminables marches, et ce, au moment mme o les sections peinaient se mettre en place. Cette volont de sinformer, dcouter, de communiquer et de convaincre avant de dcider a sans doute aid attnuer les hsitations, limiter les dfaillances dans les rangs de la population et contribu forger le mythe dun Amirouche perspicace, juste et protecteur. La qualit de linformation et la rapidit de sa transmission, outre quelle associait le plus grand nombre aux volutions et exigences du combat, avait aussi lavantage dtre la meilleure des protections dont a bnfici Amirouche en Kabylie. La vieille qui ramasse son bois lore de la fort, le berger qui suit son troupeau ou le cantonnier comblant les nids-de-poule taient autant dobservateurs qui signalaient le moindre dplacement de lennemi. Mener autant de tches dans des conditions politiques et militaires particulirement contraignantes (la Kabylie avait t investie par larme franaise ds les premiers mois de lanne 1955) supposait des moyens que le FLN navait pas encore. Amirouche compensera ce handicap par deux qualits : dune part, une mobilit permanente qui lui faisait couvrir des distances immenses en un minimum de temps, afin de connatre au plus prs les hommes et leur environnement ; dautre part, une capacit hors du commun distinguer lessentiel de laccessoire. Amirouche rflchissait beaucoup , smerveille encore, en 2009, Mohand Sebkhi, que nous retrouverons plus tard et qui fut un des agents de liaison du colonel. Quil sagisse de Djoudi Attoumi, de Hamou Amirouche ou de Rachid Adjaoud, qui furent un moment ou un autre secrtaire particulier ou attach au PC (Poste de commandement), tous attestent de cette disposition plaisanter avec ses jeunes collaborateurs, puis se retirer, une fois les missions importantes rparties et les dcisions arrtes, pour continuer rflchir seul pendant que les autres dormaient. Amirouche, qui tait ce que les spcialistes appellent un court dormeur , avait galement la chance de disposer dune sant de fer. De toute sa vie de maquisard, les tmoins rapportent un seul alitement de quelques jours : ctait en janvier 1958, quand il attrapa les oreillons.
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Sous son autorit, le maillage de la rgion de Michelet se mettait en place mthodiquement suivant le schma dun tat miniature, modle dorganisation alors inconnu dans les autres rgions. Tout se passait comme si Amirouche appliquait dans son action concrte une programmation quil avait mrie depuis toujours.
Lextrme rapidit de ses dplacements inspirait des rcits hom riques qui le donnaient prsent dans plusieurs endroits la mme date. Les services de renseignements franais suivaient dj la trace ce responsable qui concevait sa mission comme le ferait le commis dun tat moderne, avec, en plus, le sens de linitiative. Plus dune fois, ils eurent sagacer devant cette ubiquit qui prfigurait la lgende de lhomme insaisissable.
Rapidement, Amirouche se fit remarquer en Haute-Kabylie comme un homme part. Il tait simple et charismatique, adul et craint, proche et hors datteinte.
Quand il ne voyait pas venir dinstruction, il prenait les choses en main. Quand il navait pas loccasion de solliciter lavis dun suprieur avant de prendre une dcision, il agissait. Il commena par dsigner des chefs de secteur avec des missions et des objectifs prcis. Il se chargeait dvaluer rgulirement ses hommes lors dinterminables tournes. Llaboration systmatique de rapports, la base de lorganisation de la future wilaya III, fut introduite ds la moiti de lann e 1955. Sitt install, chacun devait tablir des comptes rendus priodiques et exhaustifs sur les oprations militaires menes, les actions sociales engages pour secourir les ncessiteux et les victimes de la rpression coloniale, les dplacements et les implantations de lennemi, ltat desprit et la contribution de la population et, naturellement, le nombre et la qualit des recrues.
Une bauche dadministration se mettait dj en place, chaque palier de lorganisation tant contrl par le niveau suprieur. Tout cela fut mis en uvre en moins dun semestre. De toute la rgion de Kabylie et probablement du pays tout entier, Amirouche aura t celui qui rationalisa le plus rapidement le potentiel de son secteur afin de mieux le prparer atteindre les objectifs assigns, donnant en un temps record lALN, dans la Haute-Kabylie, une base organisationnelle et une crdibilit qui feront cole.
Quand Krim Belkacem, dj au maquis depuis huit ans, apprit quun responsable local qui navait pas encore 29 a ns avait pris un certain nombre de dcisions sans attendre les instructions, il le convoqua pour un svre
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rappel lordre, nous apprit le colonel Ouamrane qui me recevait en 1983 avec Nordine At Hamouda, le fils dAmirouche. Lors de cette interpellation, Amirouche, qui, par ailleurs, vouait un respect sans limites son chef, ne se laissa ni impressionner ni dstabiliser par les remarques de son suprieur, prfrant prsenter son bilan et ses perspectives. Krim, pourtant marqu par son passage dans larme franaise, o il avait effectu son service militaire, eut lintelligence de ne pas se formaliser outre mesure de la procdure en laissant son jeune collaborateur continuer son expos. Il fut bloui par son assurance, sa sobrit et sa rigueur. Le futur signataire des accords dvian est probablement lun des dirigeants algriens que la responsabilit a le plus bonifi. Aguerri par ses longues annes de maquis, remarquable meneur dhommes, il eut le flair des vrais chefs. Comprenant quil avait devant lui un collaborateur dexception, il apprcia instantanment la situation. La runion prvue pour sermonner, voire sanctionner un homme ayant dpass ses prrogatives se termina en sance qui vit lvaluation et la conscration de la mthode Amirouche, quil fallait non seulement approuver, mais tendre dans les meilleurs dlais toute la Kabylie.
Cest ainsi que le jeune officier fut affect en avril 1955 dans la vall e de la Soummam. Il avait pour mission dy gnraliser la lutte et de trouver les meilleurs moyens de rduire linfluence des messalistes qui disposaient, dans un certain nombre de poches, de solides quipes dont quelques-unes taient animes par de valeureux militants, mal remis de llimination dun Zam que beaucoup croyaient en toute bonne foi devoir continuer servir.
Sitt install dans sa valle, Amirouche commena programmer ses priorits. Il fallait reprer les lments les plus srs, identifier les secteurs problmes et prospecter auprs des groupes socioprofessionnels plus ou moins organiss pour, une fois de plus, essayer de recruter des jeunes cadres.
Il retrouva des anciens comme Mira quil avait crois en France et dut se rendre lvidence : des militants de valeur, pour diverses raisons, refusaient de suivre le mouvement plus de six mois aprs le dclenchement de la lutte arme. Le cas le plus douloureux fut celui dOulebsir de Tazmalt, qui avait effectu un parcours exemplaire dans le Mouvement national et dont la sincrit et la crdibilit taient reconnues par tous. Sa dfection greva considrablement les possibilits de recrutement dans son secteur dorigine car son aura tait certaine et jusque-l mrite. Du ct
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dAmizour, les Ourabah, puissants notables, affichaient vis--vis du FLN des positions oscillant entre la condescendance et un dfi plus ou moins assum. Des confrries religieuses aux nombreuses clientles, bien cadres par ladministration, ne basculrent que lorsque le choix ne leur fut plus laiss. Dans un environnement aussi complexe, il fallait trouver des parades spcifiques chaque situation, tout en faisant en sorte que les initiatives se compltent et contribuent asseoir le projet gnral de sensibilisation et dencadrement des citoyens. Le souci du dtail nempchait pas Amirouche davoir cette conscience aigu des enjeux stratgiques , constate Mohand Sebkhi. Pendant les premiers mois de la guerre, une certaine anarchie rgnait dans tous les secteurs. Lautorit revenait celui qui sinstallait le premier dans une zone. Grce la dsignation de chefs politico-administratifs, la rcupration des armes et le contrle des financements du Front taient enfin grs avec mthode et rigueur.
Amirouche se rapprocha de grandes familles dont quelques-unes, comme les Tamzali, staient installes et dveloppes dans la rgion depuis lpoque ottomane, avant de rebondir dans de nouveaux rapports dallgeance avec le systme colonial. Progressivement, les contacts et les changes laborieux portrent leurs fruits : des lignes largement intgres dans lchiquier rgional de lad ministration finirent par accder des demandes de subvention et mme, pour certaines, de franche collaboration avec le FLN. Le ralliement ne fut ni total ni immdiat, mais la patience vita en maintes occasions de recourir aux sentences expditives. La fin de lanne 1955 et le dbut de 1956 furent consacrs la dfinition et la gnralisation de normes structurantes tant pour lorganisation interne de lALN que pour lengagement plus actif de la population. Paralllement, les oprations militaires me nes par lALN procuraient aux maquisards des armes et des munitions de rcupration ainsi quune notorit et une autorit politiques qui emportaient ladhsion du plus grand nombre. Lirrsolution des derniers indcis sestompait aussi, il faut bien le d ire, la vue de cadavres de collaborateurs de la France souvent mutils et ostensiblement exposs sur les bords des routes. La valle de la Soummam devint, en moins dune anne, le thtre dune guerre acharne, rythme par les attaques dune audace inou e des commandos dAmirouche, auxquelles rpondaient les oprations de rpression sans nuances de larme franaise. Dans cette tornade, toutes les
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hirarchies et les repres sociaux taient balays. Il y avait de moins en moins de place pour les demi-mesures et les hsitations. Les jeunes organiss dans le mouvement scout El-Kseur constiturent la premire fourne de cadres qui paula Amirouche. Cest cette organisation qui fournit, entre autres, Hocine Salhi et Tahar Amirouchene, deux commis greffiers qui devinrent des officiers qui il accorda rapidement une confiance sans limite. Le second, dont nous reparlerons, savra tre un inpuisable moteur politique. Il fut le parfait collaborateur dAmirouche qui en fit un secrtaire de wilaya hors pair. La mobilisation de ces jeunes cadres sous lautorit dAmirouche faisait de la valle de la Soummam lespace politico-militaire du FLN le plus organis de son poque. Mme lorsque le recrutement dun tudiant ou dun lycen ne simposait pas, Amirouche prenait date et provoquait les rencontres, fussent-elles occasionnelles, pour dterminer la disponibilit et lenvergure du postulant. Hocine Ben Malem, qui finira sa carrire comme gnral-major de larme algrienne grce au colonel Amirouche, qui lavait envoy en formation, rapporte comment il le rencontra pour la premire fois :
la Kala des At Abbas, mon village dorigine, Amirouche avait fait un travail dorganisation considrable, tel po int que son intention premire avait t de retenir ce site pour abriter le Congrs de la Soummam. Nous tions aux vacances de Pques 1956. Amirouche, qui ntait alors que capitaine, se trouvait l avec Krim Belkacem. Comme son habitude, il demanda sil y avait des jeunes instruits dans les environs. On lui parla de moi. Jtais lycen Stif, en classe de premire, javais 17 ans. Quand je fus devant eux, je fis part de mon souhait de rejoindre le maquis. Au vu de mon jeune ge sans doute, Amirouche me recommanda de repartir au lyce et de poursuivre mes tudes, ajoutant quautant lAlgrie combattante avait besoin de soldats, autant lAlgrie indpendante aurait besoin de cadres. Comme tous les jeunes qui nont pas pu tre recruts, jtais naturelleme nt du, mais le lien tait tabli et quelques semaines plus tard, quand la grve des tudes fut lance au mois de mai, je neus aucune peine renouer le contact avec lui pour tre engag dans lALN. Je le retrouvai dailleurs rapidement au Congrs daot 1956. Il mappela sitt le Congrs termin pour laccompagner dans la trs dlicate mission dont lavait charg le CCE (Comit de coordination et dexcution) dans les Aurs. Je ne le quittai pas jusqu mon dpart en formation en 1957, car il mavait emm en avec lui Tunis. partir de cette date, je ne le reverrai plus puisque, malgr mon
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insistance pour revenir avec lui lintrieur, il mordonna daller ltranger pour continuer mes tudes, ce que je fis. La grve de mai 1956 avait lanc dans les maquis de nombreux lycens. Amirouche, qui tait en pleine structuration de sa zone, les accueillit et leur assura une intgration en fonction de leurs capacits. Abdelhamid Djouadi, qui termina lui aussi gnral-major dans larme algrienne, tait alors en classe de terminale Bougie. Sitt la grve annonce, il gagna le maquis, o Amirouche le prit sous sa protection, pour le former. la dure. Et toujours par lexemple. Je me souviendrai toujours de ce jour o nous nous trouvions du ct de Barbacha, sur la rive droite de la Soummam. Nous avions march toute la nuit. Nous fmes halte lentre du village dans une masure, sans avoir rien manger. Nous avions devant nous quelques treilles abandonnes do pendaient des grappes encore acides auxquelles nous avions eu vite fait de renoncer, tant elles brlaient nos estomacs vides. Au bout de quelques heures, un agent de liaison arriva avec deux minuscules galettes et une poigne de figues sches, autant dire un amuse-gueule pour la demi-douzaine daffams que nous tions. Amirouche me prit part, mexpliqua que parmi nous se trouvaient trois jeunes qui navaient pas encore termin leur croissance et, qui plus est, navaient pas la chance davoir t lcole pour tre en mesure de comprendre et dadmettre, comme je pouvais le faire moi, la ncessit de nos privations. Nous devions donc laisser le peu de galette que nous avions aux autres. Je le fis. Naturellement et comme jai eu le constater plusieurs reprises, lui-mme ne mangea rien. Une autre fois, je lai vu refuser de prendre un repas amlior qui se voulait tre une faveur faite au chef. Il navait de cesse de rappeler lordre les responsables locaux qui se complaisaient lui offrir ces privilges qui linsupportaient. Autre initiative quAbdelhamid tient souligner dans les activits de son chef : le brassage de militaires. Amirouche envoyait dans dautres wilayate ses propres lments et tenait en recevoir en Kabylie. Cest ainsi que Djouadi fut envoy dans les Aurs.
Le rythme de ses rotations et lexemplarit de son comportement firent que la rputation dAmirouche, dfinitivement tablie dans la Soummam en moins dun an, dborda les frontires de sa zone dactivit. Elle tait due autant sa capacit organiser les structures militaires qu sa faon, on le verra souvent, dentretenir un contact fusionnel avec la population dont il saisissait la moindre proccupation. Si la propagande de l arme franaise,
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massive, sophistique et froce, neut quasiment aucune emprise sur son prestige, cest parce que sa vie fut un authentique sacerdoce. Elle fut dicte et anime par une morale qui a ma rqu tous ceux qui lont approch.
Lorganisation de la Petite-Kabylie donnait au FLN une assise politique et militaire qui provoqua en retour un quadrillage mthodique de larme franaise. Les habitants qui accueillaient de nuit des membres de lorganisation algrienne subissaient invariablement le lendemain la rpression des troupes coloniales. Certains villages ou certains douars ne saisirent pas en temps voulu lampleur des vnements et leurs implications. Les hameaux de Beni Jlil et de Feraoun, dans la rgion dAmizour, taient de ceux-l. Le secteur tait sous la responsabilit de ladjudant Hmimi Fadel, maquisard qui tait issu dun milieu particulirement modeste. Avant la guerre, il avait mme servi comme garon de peine chez des villageois. tort ou raison, le FLN crut quun certain relchement des murs attirait des militaires franais dans ces villages. Il dnona ce quil considrait comme une frivolit attentatoire aux vertus algriennes et condamna les contacts qui sensuivaient avec les services de laction psychologique de lennemi.
Les avertissements ne rencontrrent pas lcho attendu. Ladjudant Hmimi ressentit cette rticence comme un signe de dfiance. Les habitants de ce douar, par peur de loccupant, lassitude ou mauvaise valuation de la situation, mirent du temps se rsoudre appliquer, comme cela se faisait ailleurs, les instructions qui les invitaient respecter la tradition et observer la plus grande distance vis--vis de toute instance franaise. Quelques semaines aprs ces injonctions, restes lettre morte, lirritation monta. Ordre fut donn tous les auxiliaires de ladministration de dmissionner. Certains de ceux qui le firent furent limins par larme franaise, qui avait bien conscience de livrer une bataille dcisive pour le contrle des populations. Ceux qui tardrent ou refusrent de renier leur engagement aux cts de la colonisation provoqurent une hcatombe. Le village fut quasiment extermin en une nuit. Ce fut lune des plus grandes tragdies de lhistoire de la guerre en Kabylie.
La thse du FLN local et celle qui fut livre beaucoup plus tard par Benyahia, officier dissident de la wilaya III, ont t prsentes par les historiens comme deux versions antinomiques. En reprenant les faits leur base et en coutant certains tmoins de lpoque, on se rend compte que les deux versions sont certes diffrentes mais, dune certaine faon, complmentaires.
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Pour le responsable local Si Hmimi, les villageois de ce douar navaient pas daign rpondre ses instructions par volont de dfier le Front qui perdit mme trois de ses lments dans lun des villages o les attendaient des soldats franais. Ce point de vue peut tre recevable car, lpoque, il subsistait des secteurs gographiques ou des segments particuliers de la socit algrienne qui se plaisaient encore tester la crdibilit et la force du Front.
Pour sa part, Benyahia estime que, pour lessentiel, la dsobissance tait motive par des considrations sociologiques chappant lauteur de lexpdition qui ne pouvait ou ne voulait pas comprendre que son statut social antrieur voilt son autorit, limitant ainsi la porte de ses ordres. Il se trouvait face une population qui refusait, plus ou moins consciemment, dadmettre que le sisme du 1 er novembre avait aboli les frontires sociales et quelquefois invers les hirarchies qui avaient structur leur histoire.
Aprs cet pisode, la zone hsita longtemps se dterminer, ce qui amena le pouvoir franais la choisir comme exprience-pilote dans sa stratgie dautodfense, qui consistait armer les populations pour les dresser contre les maquisards. Le retard mis accepter lordre du FLN, dans ce cas prcis, est certainement d aux pesanteurs de la tradition dont ntaient pas affranchis ces villageois, qui voyaient encore sous le grade du maquisard Hmimi leur serviteur dhier. Dun autre ct, on peut considrer que, dans une certaine mesure, cest en tant que tel que ce dernier a vcu les atermoiements rservs ses ordres et que la brutalit de son action fut une raction un comportement culturel collectif quil perut comme un affront ou une humiliation personnelle inflige au plbien quil tait. lindpendance, les services spciaux algriens reprirent leur compte linformation qui donnait Amirouche comme lordonnateur, voire lexcutant direct de cette expdition punitive. Des maquisards encore vivants, dont Djoudi Attoumi, affirment avoir entendu des acteurs engags dans le massacre dire quil se trouvait loin du secteur et quil neut connaissance du carnage quaprs coup. Sur ce drame, sa responsabilit est cependant engage a posteriori puisquil na voulu ni sanctionner ni mme, notre connaissance, dsavouer ses subordonns. Face ces tragdies, Amirouche naura pas de position dogmatique.
En certaines occasions il maintint une position de soutien vis--vis de ses collaborateurs, ds lors quil les savait de bonne foi et quun dgt tait
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commis dans la foule dune action servant le combat librateur. Cest ce quil fit dans laffaire de la bleute. Aujourdhui, le jargon politique appelle froidement ces accidents des dommages collatraux. Dans dautres situations, il adopta une attitude diamtralement oppose, en exigeant une enqute rigoureuse dont il transmit les conclusions aux plus hautes autorits de la Rvolution. Il en fut ainsi du massacre de Melouza, sur lequel nous reviendrons. Dans un autre cas, que nous dtaillerons galement par la suite, Amirouche alla jusqu crire personnellement une lettre dexcuses la famille Tamzali dont le pre fut tu la suite dune erreur dun chef de commando du FLN. La punition sanglante inflige aux villages de Beni Jlil et de Feraoun cra pendant quelque temps un rel malaise politique et causa de srieux prjudices organiques au FLN dans les environs. La respectabilit de lALN en fut altre et les collectivits alentour se raidirent. Pourtant, la tactique dapproche faisant alterner recommandations et pressions, qui avait t teste auparavant avec une remarquable efficacit, aurait pu donner, dans cette localit aussi, des rsultats. Les manifestations radicales et parfois froces qui ont marqu cette poque pouvaient-elles tre toujours vites dans une socit prise en tenailles entre lexigence dun basculement rapide et sans faille en faveur de la Rvolution et la rpression, ou parfois lattrait dune administration qui nentendait pas renoncer sa tutelle hgmonique ? Si lon voulait refaire lHistoire, on pourrait avancer que dautres responsables moins disqualifis par les codes sociaux traditionnels auraient pu associer leur voix aux avertissements et pargner ainsi un carnage dune telle ampleur des villageois plus indcis que franchement rfractaires la cause nationale. Mais le propre dune rvolution nest-il pas aussi de bouleverser la hirarchie sociale et de voir merger, au prix de douloureuses et brutales mutations, lautorit des dclasss ? Ce dossier resta dans les annales sous lexpression de la Nuit rouge de la Soummam . Mais, un malheur en chassant un autre, les affrontements entre lALN et les troupes franaises de plus en plus frquents ne laisseront pas la mmoire collective le temps dorganiser, partir de la seule dynamique du ressentiment provoqu par ce drame, un mouvement de contestation large et durable.
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De fait, en 1956, la grande majorit du peuple algrien avait bascul du ct du FLN. Et ce qui tait vrai partout en Algrie ltait autant, sinon plus, dans la valle de la Soummam o Amirouche, djouant tous les traquenards, voyait son charisme demeurer inaccessible au matraquage de la propagande franaise. moins de trente ans, il tait dj une lgende vivante, en Kabylie et au-del. * * *
Cependant, sur un plan personnel, les choses se prsentaient sous des auspices moins rjouissants. Au dbut novembre 1955, il revoit une dernire fois son cousin Amar Ould Hamouda, de trois ans son an, qui tait membre du bureau politique du PPA-MTLD. Syndicaliste, parfaitement trilingue, dot dune remarquable formation politique, il fut, avec Ali Lamche, lun des responsables de Kabylie les plus en vue dans lattaque mene contre le narcissisme exubrant de Messali, attaque combien tmraire compte tenu du contexte troubl de la fin des annes 40. Dans lacclration qui prcda le dclenchement de la lutte arme, Amar Ould Hamouda se montra, comme nombre de responsables politiques, plutt dubitatif. Il se tint lcart, maugrant ici et l contre lurticaire populis te ravageant les fondements du Mouvement national qui ne se donnait jamais le temps ni les moyens de construire une alternative radicale et raisonne un systme colonial assis sur un empire et adoss lOTAN.
La plupart des dirigeants de lpoque taient fascins par le modle franais. Pour tre un peuple adulte et accder la respectabilit internationale, il fallait, par mimtisme, reproduire son propre compte ce que le matre dhier avait construit. La libration du peuple algrien passait ncessairement par lrection dun difice institutionnel symtrique de celui qui lavait asservi.
Amar Ould Hamouda, quant lui, faisait partie de ceux que lon appelait les berbro-matrialistes , pour lesquels le centralisme administratif franais ntait pas forcment le meilleur modle institutionnel reproduire en Algrie. Prconiser une nation plurielle dans un milieu politique domin par la double pression du jacobinisme franais et de lidologie hgmonique arabo-islamiste participait, pour Messali et ses fidles, de la tmrit sinon de la flonie. Avec un tel passif , son retrait de linsurrection le dsigna comme une cible idale. Au moment o le
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passage laction directe apparaissait au plus grand nombre comme lultime possibilit de conjurer une maldiction qui avait fait avorter tant dinitiatives, tout propos ou toute suggestion qui en discuterait la pertinence tait catalogu comme un acte de dmission, voire de trahison. Si lon ajoute cette impatience la volont de simplifier ou docculter purement et simplement toute forme de dbat pour, disait-on, ne pas rveiller les dmons de la division, on peut comprendre que le brillant syndicaliste avait peu de chances dtre entendu par ses camarades. commencer par son cousin Amirouche, partisan obstin de laction arme immdiate et, sur le moment, du report laprs-guerre de toute discussion sur les problmes politiques. Il tait encore Relizane quand un de ses cousins linterrogeait sur la signification de la crise identitaire de 1949 qui agitait le parti, notamment dans lmigration. Amirouche rpondit sobrement : On ne peut pas traiter tous les problmes en mme temps. lindpendance on verra comment organiser le pays. Les relations entre Amar et Amirouche sont complexes. Le premier a fait des tudes ; il est issu de la branche nantie de la famille. Le second, orphelin, est un autodidacte qui na pas eu beaucoup doccasions dapprocher son cousin, la fois son an et son responsable.
Quand Amirouche, dj officier au maquis, demanda rencontrer Amar, il savait son cousin menac et ne pouvait se rsigner voir un dirigeant dune telle valeur laiss en marge du combat auquel il avait consacr sa vie. Youcef At Hamouda tait prsent quand les deux hommes se sont retrouvs Tassaft, la fin de lanne 1955. Voici son tmoignage :
Dda Amirouche tait dj dans la maison quand Dda Amar est entr. Jai le souvenir dun moment de gne au dbut. Aprs quils se sont salus, la discussion a t plus dtendue. Dda Amirouche a commenc par dire quil avait pris de gros risques en venant discuter, mais quil souhaitait ardemment voir son cousin rejoindre le Front. Il le suppliait, lui disant que lAlgrie avait besoin dhommes de sa valeur, que sa place tait au FLN et que, compte tenu de ses comptences et de son exprience politiques, il devait se prparer aller Tunis renforcer la dlgation extrieure.
Dda Amar rpondit quil tait irresponsable de lancer une tel le initiative sans prparation ni concertation, que la premire consquence sera un cot humain terrible pour le peuple. Il ajouta cependant que, maintenant que le coup tait parti, il fallait voir comment rattraper laffaire. Il promit de
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rflchir. Les deux hommes se quittrent en se donnant une chaleureuse accolade. Dda Amirouche, qui tait sorti le premier, se retourna et demanda son cousin de ne pas trop attendre. la fin du mois de novembre 1955, Amar Ould Hamouda reoit un message linvitant se rendre aux At Ouabane o il savait que les responsables du FLN de Kabylie avaient tabli leur PC. Il devait trs probablement penser quil sagissait dune runion de travail devant prciser les modalits de son intgration dans le Front. Il y trouvera Krim Belkacem, Amar Ouamrane, Mohammedi Sad et Amar Ath Cheikh. Si Saadi, originaire du village, venait de rentrer de France o il activait dans le PPA-MTLD. Arriv au pays, il avait encore, comme de nombreux militants de la base, une sensibilit messaliste. Il fallut quon lui expliqut que son chef tait contre la lutte arme, et donc contre le FLN, pour quil rejoignt lALN, sopposant de fait et du jour au lendemain celui quil avait confondu jusque-l avec la nation. Il a assist la sance qui a vu Amar Ould Hamouda face ses quatre juges : le responsable syndicaliste tait en ralit appel pour tre entendu et jug comme berbriste. un moment, Si Saadi, rentrant pour servir du caf, verra Ouamrane tendre une ordonnance Amar en lui demandant de la lire, ce quil fit. Ouamrane, narquois, laissa tomber : Iseer-ikwen Messali. Messali vous a bien instruits. Comble dune guerre qui aura accouch de tous les avatars : Ouamrane et Krim, qui avaient suivi Messali jusqu la dernire minute, allaient condamner mort un homme qui fut un de ses premiers contradicteurs tant sur les questions de fond que de fonctionnement. Un autre grand militant connut une fin aussi tragique. Il sagit dEmbarek At Menguellat. Reprsentant dun distributeur de tissus, ais, ctait lun des cadres les plus respects du PPA-MTLD. Il avait sillonn toute lAlgrie et son carnet dadresses attestait de son crdit et du travail quil avait fait pour la cause nationale, notamment lOuest du pays. Un troisime militant, Yahia Henine, avocat stagiaire Bougie, fut convoqu la mme date. Il aurait subi le mme sort sil avait pu arriver sur les lieux du rendez-vous. Lhistoire quil me confia en 1987 quand, sorti de prison, je lui rendis une visite de courtoisie dans son cabinet lors de lun de mes passages Bejaa, est originale :
Jai reu la mme convocation quAmar Ould Hamouda et Embarek At Menguellat. Venant de Bougie, je devais rejoindre les At Ouabane par
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le flanc sud du Djurdjura. Ce ntait pas mon jour : au moment de commencer lescalade de la montagne, notre guide nous annonce quune opration militaire ennemie est en cours et quil est impossible davancer. Voil comment larme franaise ma sauv la vie ! ironise Dda Yahia, qui se montra jusqu son dernier souffle toujours affable et disponible pour un conseil ou un avis. la mi-fvrier 1957, un quatrime homme, Si Ouali Bena, un pilier de la cause nationale qui forma des gnrations de militants Alger et en Kabylie, fut abattu par ses frres dune rafale de mitraillette dans le dos la sortie de son village natal de Djema n Saridj, situ une vingtaine de kilomtres lest de Tizi-Ouzou. Son parcours exemplaire ne pesa pas lourd devant laccusation de berbrisme. En trois mois, la Kabylie et, au-del, lAlgrie dmocratique avait perdu trois monuments, trois visionnaires de la nation moderne, plurielle et laque que les gnrations de laprs-guerre auront tant de peine rintgrer dans la mmoire collective et le dbat public. En 1983, le colonel Ouamrane, ignorant que je savais quil avait particip la condamnation mort dAmar Ould Hamouda, men fera sincrement le pangyrique : Ctait un gant. Je nai jamais connu depuis un orateur dune telle loquence. Il tait aussi laise en kabyle quen arabe et en franais , me confia le vieux colonel, aigri, qui avait eu le temps de voir depuis lassassinat dAbane Ramdane en dcembre 1957, celui de Mohamed Khidder Madrid en janvier 1967 et celui de Krim Belkacem Francfort en octobre 1970. Relgu au statut de tmoin des horreurs, il sera appel pour reconnatre les restes dAmirouche en 1983. Il avait connu de trs prs deux des trois victimes. Il signa dailleurs volontiers le document attestant quAmar Ould Hamouda tait mort en martyr de la guerre de libration nationale. Terrible guerre que celle quont d mener ces hommes oublis de lHistoire, presss de toutes parts, peu ou mal prpars lexercice de la responsabilit, devant affronter dans le dnuement lune des plus grandes puissances mondiales de lpoque et desquels on voudrait hriter un combat sans erreur ni hiatus. Gardons-nous de juger et reconnaissons ces soldats du dsespoir et de lhonneur le mrite davoir tenu bon sur lessentiel : mener le pays, malgr toutes sortes de turpitudes et de contraintes, lindpendance. Retenons, quand un sentiment de gchis nous submerge, le titre fort et sobre de louvrage de Saad Dahlab, ngociateur vian : Mission accomplie.
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Quelques jours aprs le jugement dAmar Ould Hamouda, Amirouche, revenant de la Petite-Kabylie dont il avait la charge, passait par At Ouabane o tait encore dtenu son cousin. Il appelle en apart Si Saadi, en qui il avait toute confiance :
Finalement, cest pour les juger quils les ont appels ? sinquite -t-il.
Oui, rpond Si Saadi. Et quont-ils dcid ? interroge Amirouche. La mort, lche son ami. Demande-leur de ne pas tuer mon cousin la sortie est du village. Cest celle que jemprunte pour me rendre dans la valle de la Soummam. Cest le seul homme instruit que nous ayons eu dans la famille. Aujourdhui encore, certains villageois dAt Ouabane, au vu de la distance qui spare les tombes dAmar Ould Hamouda et dEmbarek At Menguellat, ne comprennent pas pourquoi on a tenu loigner les deux amis jusque dans la mort. Dans les confidences entretenues par les officines de Boumediene, on a souvent laiss entendre que ces deux martyrs avaient t limins par Amirouche, alors que la dcision dabattre les messalistes et les berbristes tait une des obsessions des dirigeants du FLN ; dcision qui sera dailleurs formellement assume par le CCE aprs le Congrs de la Soummam.
Pendant que ltoile dAmirouche brille de mille feux sur la scne politico-militaire, le sort sacharne sur sa vie prive. Sa femme, Ouardia, malade depuis deux ans, dprit. Elle dlire et steint Oued Fodda le 26 fvrier 1956, sans quil ait eu la possibilit ni de la voir ni dassister sa mise en terre. Elle est inhume en Kabylie, o sa dpouille avait t ramene en cachette pour y tre enterre, car telle tait son ultime volont. Ce fut encore une preuve que Dda Belad, le cousin et beau-pre, qui avait dj t arrt et tortur six reprises, dut affronter seul. Et ce ntait pas fini. Le dsengagement familial du jeune capitaine fut vcu par son entourage la fois comme une preuve et une fiert. Son aura, qui avait tant de fois attir sur ses proches les foudres de larme coloniale, rayonnait dans la socit et la fascination qui lentour ait galvanisait la Kabylie. Cela faisait moins de deux ans quAmirouche tait au maquis. La valle de la Soummam, dont il tait responsable, tait un modle dorganisation. Ses commandos y menaient des oprations clairs qui avaient drout
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ltat-major franais. Larme doccupation appelait la valle de la Soummam la valle pourrie et, jusqu sa mort, Amirouche sera le maquisard le plus recherch dAlgrie. Comment a-t-il pu faire preuve de tant daudaces et survivre tant de risques pendant trois ans ? Ladhsion de la population fut sa vritable protection , confirme son secrtaire Hamou Amirouche. Au mois daot 1956, il tait capitaine et sera en mesure de mobiliser 3 000 hommes pour assurer lorganisation et la scurit des premires structures de la plus importante runion tenue par des Algriens dans leur pays depuis loccupation franaise de 1830. Une quarantaine de villages regroupant des milliers dhabitants a t implique dans ce rendez-vous historique, tenu un jet de pierre de lune des plus grandes casernes franaises de la valle de la Soummam. Il a fallu protger, nourrir et loger combattants et congressistes sans que lennemi ne remarque la moindre anomalie. Au-del de la dimension politique de lvnement, qui a relanc la Rvolution, cette adhsion et cette discipline constituent lautre russite dAmirouche.
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En 1956, cela faisait deux ans quune poigne dhommes avait dcid de mettre ladministration franaise devant le fait accompli en dclenchant la lutte arme. Il fallait sortir le peuple algrien de lornire o lavaient enferm, dune part, un systme colonial domin par les grands propritaires terriens, rfractaires la moindre rforme, et, dautre part, les dissensions partisanes alimentes par une culture politique privilgiant le recours au rapport de force au dtriment du dbat. La proclamation du 1er novembre eut limmense mrite de dpasser les oppositions striles qui paralysaient le Mouvement national et daspirer dans son sillage les Algriens dmunis cest--dire lcrasante majorit en faveur du minimum fdrateur : lindpendance nationale. Des responsables politiques acquis de tout temps la lutte arme avaient exprim des rserves, voire des critiques virulentes contre la prcipitation qui prsida au dclenchement de linsurrection. En Kabylie, certains finirent par se rsoudre simpliquer et devenir, linstar dAbane, les architectes de lorganisation naissante. Mais comme nous lavons dcouvert prcdemment, ceux qui, comme Bena Ouali, Amar Ould Hamouda ou Embarek At Menguellat prfrrent garder leurs distances, esprant toujours parvenir imposer un dbat sur la nature du futur tat algrien, paieront de leur vie une rationalit qui savra inapproprie dans un moment historique caractris avant tout par le dsespoir et donc limpatience. Les rappels des dboires du sicle prcdent, qui vit les soulvements populaires sabmer successivement dans une rgression gnralise neurent aucun effet. Les quelques familles qui avaient russi merger
aprs leur collaboration avec les nouveaux matres taient galement quantit ngligeable et, dans la plupart des cas, considres, juste titre, comme suspectes. En effet, leur promotion matrielle avait comme contrepartie une allgeance un ordre politique responsable de la dchance du peuple. En ralit, dans lchiquier algrien, ces catgories ne pseront jamais bien lourd. Les tentatives de construire une troisime voie tournrent court et ni les implications de personnalits remarquables comme Camus, ni les erreurs politiques et militaires quelquefois dsastreuses du FLN ne pourront arrter un torrent de colre rprim mais transmis dune gnration lautre. Ceux qui demandaient prendre plus de recul face la crise du PPAMTLD ou largir la rflexion apparaissaient, souvent tort, comme des indcis. Trop peu nombreux, ils se trouvaient exclus des enjeux. En ce dbut des annes 50, le peuple algrien tait globalement coup en deux. Il y avait ceux qui staient rsigns et ceux, plus ou moins politiss, qui voulaient en dcoudre. Mal prpare techniquement, sans base doctrinale labore, linsurrection arme rsista pourtant aux alas de limprovisation car, en ralit, elle rpondait deux donnes essentielles. Dabord, lexaspration du peuple algrien ne pouvait plus tre gre par une offre politique inscrite dans les institutions ; ensuite, le colonialisme qui avait domin la gostratgie mondiale depuis le dbut du XIXme sicle amorait son dclin historique. Il fallait allumer ltincelle, quitte devoir grer aprs coup le brasier. Le fait est quaprs la proclamation du 1er novembre 1954, il aura fallu attendre avril 1955 pour voir le FLN se manifester par un deuxime texte, rdig par Abane Ramdane. Mais, malgr lenvergure et lnergie dAbane, il devenait urgent de donner un mouvement arm g de deux ans une base politique et organisationnelle que lcho mdiatique de la proclamation du 1er novembre, si important quil ft, navait pu engendrer.
Le pouvoir franais, surpris dans un premier temps par la dynamique du soulvement, retrouva ses marques en quelques mois et le soutien de lOTAN eut pour effet daggraver le dsquilibre sur le terrain militaire. Cette pression dstabilisait une socit aux structures dj fragilises, ce qui, par ricochet, grevait les soutiens apports aux maquis. De plus, la propagande franaise, appuye sur un appareil diplomatique aux traditions
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prouves, se saisissait des excs propres toutes les guerres subversives, brouillant et dgradant limage dune lutte de libration balbutiante.
Jusquau Congrs de la Soummam, le FLN tait encore bien souvent peru comme une aventure sans lendemain, y compris auprs de nombreux intellectuels libraux , me confiait en 2008 Ali Haroun, charg de la communication auprs de la Fdration de France du FLN, qui chut la mission de faire traduire et de diffuser la plate-forme du Congrs.
* * * La rencontre de trois hommes au destin tragique fut lorigine de la runion qui donna lAlgrie moderne une base idologique, un programme politique et des esquisses institutionnelles qui sont, bien des gards, toujours dactualit.
Abane Ramdane, emprisonn lors du dmantlement de lOS en 1950, fut libr en janvier 1955. Il fut aussitt contact par Krim Belkacem et rejoignit la direction de linsurrection Alger, o il devait seconder Rabah Bitat, qui fut arrt le 16 mars 1955. Homme dune rectitude morale et dune vision politique hors du commun, Abane constata rapidement les failles de lorganisation et eut lui aussi dplorer, selon les termes crus propres au personnage, lamateurisme qui caractrisa le lancement de linsurrection. En quelques mois, il pallia les grandes lacunes du Front. Il structura le monde du travail, les tudiants et les commerants. Il sattacha galement fdrer des sensibilits politiques nationalistes, jusque-l mines par un quart de sicle de polmiques. Il rorganisa la communaut algrienne installe en Europe afin dobtenir une mobilisation politique plus efficace et, fait nouveau, un engagement militaire en mtropole.
Il coupa court toute tergiversation ou possibilit de retraite en imposant la dlgation extrieure une mission cardinale : lapprovisionnement de lintrieur en armes.
Les invectives dun Ali Kafi, qui accusera, des annes aprs lindpendance, Abane Ramdane de tratrise, rvlent loutrecuidance don t ont fait preuve les acteurs qui ont survcu au conflit en instrumentalisant le combat national pour construire leur carrire. Pour outrancire quelle soit, cette attaque nest quun exemple du dtournement et de la falsification de lHistoire par lesquels les clans les plus conservateurs du rgime algrien
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ont confisqu la mmoire collective pour en faire la source de lgitimit des pouvoirs depuis lindpendance. Samir Imalayene8, tudiant pendant la guerre, ma affirm quAbane, ayant rencontr un groupe de jeunes universitaires dont il faisait partie, leur avait demand de ne pas hsiter poser des bombes dans les cinmas en France si cela devait contribuer secouer lopinion publique mtropolitaine. Lordre prcdait de quelques mois la sortie de Ben Mhidi qui, rpondant aux accusations de la presse dnonant les couffins dissimulant les bombes du FLN qui faisaient des victimes civiles, lana la fameuse formule : Donnez-nous vos bombardiers, messieurs, et on vous donnera nos couffins. Ben Mhidi tait le deuxime homme capable, le moment venu, dapporter aux mouvements rvolutionnaires la dimension qui les stabilise et les conforte. Dune dtermination toute preuve, il sut tre toujours lucide et manifesta un sens de la mesure qui rattrapa bien des oppositions susceptibles de senvenimer sous la pression combine de ladministration et de la tradition de violence dj solidement ancre dans la scne politique algrienne. Il fut lun des rares responsables de haut niveau avoir dpass les susceptibilits rgionalistes qui ont, dune faon ou dune autre, pes sur les jugements et les positions politiques qui concernent la Kabylie. La lettre quil adressa Ben Bella, obnubil par le complot kabyle , aprs le Congrs, lui signifiant quil navait dautre choix que de se conformer aux rsolutions unanimement adoptes la Soummam, rvle la diffrence denvergure de deux hommes. La rencontre de Ben Mhidi avec Abane fut lun des grands moments de lhistoire de lAlgrie moderne. Rarement deux tempraments aussi dissemblables agirent avec une telle synergie sur une organisation. Abane, le visionnaire, conut, structura et programma, Ben Mhidi dclina, adapta et sema avec une rare intelligence sociale.
La disparition des deux hommes en 1957 peut du reste tre considre comme le moment du drapage politique qui continue de bloquer le destin du pays. Sans sombrer dans lhistoire -complot qui meuble tant danalyses algriennes, on aura loccasion de voir que, pendant la guerre dAlgrie, des
Fils dinstituteur, originaire de Cherchell, celui-ci grandit en Kabylie. tudiant en France, il fit partie de lorganisation du FLN quand elle fut restructure par Abane. Il occupa apr s lindpendance plusieurs postes dambassadeur.
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segments de larme algrienne et larme coloniale ont pu faire converger leurs attaques sur certaines cibles. Krim Belkacem, qui structurait les maquis de Kabylie et une bonne partie de la rsistance dans lAlgrois, est le troisime dirigeant qui participa la ralisation du rendez-vous daot 1956. On ne pourra pas chapper aux polmiques qui reviennent priodiquement sur le choix de la Kabylie comme site de ralliement pouvant abriter les premires assises de la Rvolution algrienne. Les pamphlets dAli Kafi suggrent que la rencontre devait se tenir dans le Nord-Constantinois. Il explique que la Soummam serait, en quelque sorte, un choix par dfaut. Ces allgations ne sont ni les seules ni les plus coutes. Salah Goudjil9 ma affirm au mois daot 2009 que le Congrs devait se tenir dans les Aurs, dont il est originaire, et sous lautorit de Ben Boulad. Il en voulait pour preuve le fait que larme franaise avait dcouvert quelques mois auparavant dans les montagnes aursiennes une cache o se trouvaient des rames de papier et des stylos. Pourtant, Ben Boulad tait bien au-dessus des spculations qui occuperont tant de propos des prtendants de laprs-guerre. Il tait daccord pour la tenue du Congrs en Kabylie o il tait du reste attendu et entretenait une relation de grande confiance avec Krim Belkacem : ils taient en contact depuis longtemps et le dirigeant des Aurs ne concevait pas le dclenchement de la lutte arme sans la Kabylie. On verra plus tard dans ce rcit que, ds le mois de mars 1956, cest-dire cinq mois avant le Congrs, Krim Belkacem, ignorant la mort de son compagnon, avait envoy une invitation Ben Boulad ainsi que le grade de colonel pour participer au Congrs en tant que chef des Aurs. Les mcanismes de la prise du pouvoir en 1962 et leur reproduction depuis illustrent le poids de la guerre de libration dans la gestion des carrires et, plus gnralement, dans la rpartition de la rente.
Abane labora les orientations ; Ben Mhidi, lpoque charg de lOuest du pays, apporta la caution religieuse et, il est important de le souligner, arabophone. Ben Bella, ennemi acharn de la Soummam, faisant son compte rendu Fathi Dib, responsable des services spciaux de Nasser, avertit les frres gyptiens quen plus des risques de dviation idologique, la rencontre daot 1956 tait dangereuse ds lors quelle tait
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Jeune maquisard de la rgion dAn Yacout qui a survcu au complot des colonels avant de devenir ministre des Transports aprs lindpendance.
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programme par deux Kabyles , savoir Abane et Krim. Cest dire si la prsence de Ben Mhidi, au-del de son apport intrinsque, tait aussi utile du fait de ses origines. Abdelhafid Amokrane souligne cette donne en tmoignant que Krim Belkacem, le plus ancien maquisard, et donc, dune certaine faon, le plus lgitime, avait tenu ce que ce soit Ben Mhidi qui prside le Congrs.
Restait trouver un responsable qui matrist le terrain et sur lequel sappuyer pour assurer concrtement laccueil et la scurit, rpondre tous les besoins matriels et couvrir le dpart des congressistes la fin des travaux. Krim, qui avait eu loccasion de tester le sens de lorganisation et de linitiative dAmirouche en Haute-Kabylie et surtout dans la valle de la Soummam, o il lavait affect depuis un an et demi, nhsita pas longtemps : il confia son adjoint, alors capitaine, le soin de prendre en charge les prparatifs de lvnement. Amirouche navait pas 30 ans.
Krim Belkacem savait que son collaborateur avait fait le serment de ne jamais se laisser prendre vivant. Il souvrit lui et lui dvoila la nature et les objectifs de la rencontre. Il demanda des comptes rendus priodiques sur les prparatifs mais lui laissa toute libert quant au lieu retenir et la stratgie suivre pour mener bien lopration.
Dans un premier temps, le site choisi fut celui de la Kala des At Abbas. Lendroit, trs vallonn, est entour de pics montagneux plongeant dans des oueds. Peu pntr par le rseau routier, au demeurant embryonnaire dans tout le pays en cette seconde moiti du XXme sicle, il offrait des conditions de protection satisfaisantes et prsentait, au regard dAmirouche, lintrt symbolique dtre dans la rgion dorigine dEl Mokrani, qui avait conduit avec le Cheikh Aheddad de Seddouk linsurrection de 1871 , ayant mobilis plus de cent mille hommes.
Ce soulvement rprim avec frocit marquera des gnrations ; les responsables furent tus ou exils en Nouvelle-Caldonie. Leurs descendants y constituent aujourdhui une part non ngligeable de la population. Certains dentre eux organisent priodiquement des voyages au pays de leurs anctres pour y retrouver leurs racines. Durement attaqus avant dtre expropris, les Kabyles perdirent la quasi-totalit de leur potentiel conomique qui dpendait pour lessentiel de lagriculture et de llevage. Malgr la dfaite et les consquences dsastreuses qui sensuivirent, nnfaq n 71 n ccix Mu;end At Meqwran, le soulvement insurrectionnel de 1871 dEl Mokrani, alimentera une bonne partie de la posie populaire pendant la fin du XIXme sicle et la premire moiti du
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XXme, avant
que la littrature orale ne trouve des sources dinspiration plus proches du quotidien populaire. Faire concider gographiquement le premier rendez-vous de lAlgrie contemporaine avec la dernire rvolte que le peuple algrien avait oppose la colonisation franaise constituait, aux yeux dAmirouche, une plus-value politique quil se chargea dexposer son chef. Le colonel Ouamrane se souvient avoir entendu Krim lui faire tat de la charge symbolique que visait Amirouche en proposant la Kala.
Les dlgus commenaient approcher de la zone. Zighout, Ben Tobbal et leurs compagnons venus de lEst taient proches. Ouamrane, lpoque charg de lAlgrois, tait dj sur place et les autres responsables dont Abane, Ben Mhidi et Krim en provenance dAlger taient en chemin, quand un incident aussi tragique que comique fit tout capoter. Entre les villages dIghil Ali et Allaghene, la mule transportant les documents et une coquette somme dargent destine au financement des travaux du Congrs chappa la vigilance de ses gardiens et se mit galoper en direction dune ferme o elle avait servi auparavant. Entre-temps la btisse, rquisitionne par larme franaise, tait devenue une caserne. La mule collaboratrice livra lennemi un fonds documentaire dune importance capitale. Pourtant, et cest une nigme non rsolue ce jour, celui-ci nen fit une exploitation srieuse quau mois de septembre, cest --dire prs dun mois aprs la tenue du Congrs. Certes, un ratissage denvergure avait t lanc contre les At Abbas. Le village de la Kala fut bombard et le mausole dEl Mokrani fut mme touch. Un campement fut rapidement install dans la localit pour contrler le village. Mais malgr limportance des informations faisant tat des effectifs de lALN et dune rencontre vitale pour lavenir de la guerre de libration, ltat major franais ne mailla pas la rgi on par des oprations durables la mesure de linitiative annonce par la documentation offerte par la mule.
On imagine sans peine le dsarroi des responsables, aggrav par la dispersion des groupes qui dura deux trois jours avant que les contacts ne fussent nouveau rtablis.
Krim, qui avait la responsabilit morale du projet, opta dans un premier temps pour lannulation, ou en tout cas le report du Congrs. Dcision comprhensible si lon considre que tous les responsables de linsurrection, lexception de la dlgation extrieure compose dune demi -douzaine de personnes, allaient se retrouver au mme endroit. La moindre dfaillance
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pouvait provoquer lanantissement de la direction de lorganisation nationale. * * * Amirouche, qui avait envoy ses hommes la rencontre des diffrents groupes congressistes, se trouvait au village de Moka quand il sollicita un dlai de quelques jours auprs de Krim. La raction fut brutale : Toi, tu veux notre perte tous , rtorqua Krim encore sous leffet de la colre et des incertitudes que faisait peser sur tous le ralliement de la mule, selon les tmoignages du commandant Hmimi auquel sest confi plus tard Amirouche.
Malgr le respect que vouait Amirouche Krim, il ne se privait pas de dire ce quil pensait et mme dinsister sur un sujet sil lestimait important :
Je demande une semaine, dix jours tout au plus. De toute faon nous devons recueillir et regrouper tous les frres ; le temps quils se reposent et jaurai une proposition te faire. En 1982, Ouamrane ma dit quau moment o Krim avait accept dattendre, il avait plus en tte le souci de rassembler et de protger des maquisards trangers la rgion que la possibilit de maintenir le rendez-vous. Pendant que les dlgations se mettaient labri en attendant de se concerter, Amirouche disparaissait ds que linstallation de ses invits tait faite. Il rapparaissait deux trois jours aprs pour sassurer que les uns et les autres taient en scurit, avant de seffacer de nouveau.
Beaucoup dobservateurs ou mme de combattants de lpoque se sont interrogs sur les raisons qui amenrent Amirouche retenir la rive gauche de la rivire Soummam, moins escarpe que le versant droit pour lequel il avait opt en premire intention. Mais surtout, pourquoi avoir pris le risque dexposer la direction politique et militaire du pays Ifri, un endroit finalement peu bois et, comble daudace ou de tmrit, situ quelq ues kilomtres au-dessus de la grande caserne dIghzer Amokrane ?
Les secrtaires de sections ou ceux qui travaillaient directement avec Amirouche ayant survcu la guerre nont pas oubli cette semaine infernale o ils devaient, jour et nuit, taper rapport sur rapport traitant de toutes les activits de lALN, de ltat des lieux investis par lennemi et de la situation du Front dans le moindre village de Petite-Kabylie.
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Tout y passait : le nombre de moudjahidine, leur anciennet dans lorganisation, le nombre de rallis quand il y en avait, les raisons de leur dfection, la qualit de laccueil rserv lALN par chaque hameau, la participation des jeunes et des femmes dans la prparation des embuscades et la prise en charge des combattants, les sommes dargent rcoltes et la rgularit de leurs prlvements etc. Rachid Adjaoud, jeune maquisard qui fit la connaissance dAmirouche pendant le Congrs, assure avoir eu taper deux reprises un rapport sur le mme village. A posteriori, il explique que son chef voulait sans doute recouper une information juge importante. Nous ne dormions plus. Et des camarades rencontrs au Congrs mavoueront avoir eu la mme charge de travail dans leur unit. Naturellement, nous ne savions pas pourquoi cette dbauche dinformations devait tre traite avec tant de rapidit. En fait, ajoute Rachid, je comprendrai plus tard, quand Amirouche me demandera de rester dans son secrtariat, quil voulait cerner en un minimum de temps toutes les donnes politiques et militaires sur chaque village, chaque douar, pour faire une nouvelle proposition de site ses chefs. Ayant irrmdiablement perdu la possibilit de runir le Congrs dans une rgion protge par une topographie tourmente, Amirouche changea totalement de paramtres dapprciation. La protection gographique avait t remplace par la scurit politique. Aprs coup, les maquisards dcouvrirent que la rgion dAouzellagen qui avait abrit le Congrs tait celle o les villages avaient manifest le plus tt une adhsion sans faille la lutte arme. Quand Amirouche revit Krim pour linformer de sa dcision de baser le Congrs Ifri, lhomme du 1er novembre avait eu le temps de reprendre ses esprits. Ayant vrifi que larme franaise navait curieusement pas lanc de grands dploiements sur la zone, il semploya faire prciser son adjoint les mesures arrtes pour grer la situation. Amirouche exposa calmement devant Krim et Ouamrane sa vision des choses. Il fallait tout dabord renforcer les rseaux de liaison et de renseignements afin danticiper les dcisions de lennemi. Pour ce faire, deux vigiles devaient tre placs sur chaque crte, 24 heures sur 24. Ils seraient chargs de capter et de relayer les messages des villages devant signaler, soit par lexposition dun linge dune couleur convenue, soit par le clignotement dun miroir expos au soleil, le moindre mouvement de larme franaise. Abdelhafid Amokrane se souvient avoir t fermement
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engag veiller ce que nul ne sorte dun village du secteur sans lautorisation expresse dun des responsables locaux. Encore ce dernier devait-il en rfrer immdiatement au comit prparatoire. La deuxime mesure prise par Amirouche consistait mobiliser et dployer des units la priphrie de la Petite-Kabylie pour faire diversion en harcelant et fixant le potentiel militaire franais le plus loin possible du lieu de runion. Abderrahmane Mira et ses hommes taient chargs doprer louest et au sud-ouest ; un autre groupe, command par Hmimi Fadel, devait concentrer ses attaques vers lest.
De plus, 500 hommes puissamment arms taient affects la protection rapproche. Ils devaient tre posts autour des villages dIfri entre lesquels se dplaceraient les congressistes pour faire face toute ventualit.
Tout en saffairant dans et autour du Congrs, Amirouche faisait la ronde des postes dobservation, dont il runissait deux trois fois par jour les responsables afin de les instruire sur les rotations quil fallait faire faire aux sentinelles pour leur viter de sombrer dans la routine. Il faisait des irruptions rgulires dans les lieux de dlibration pour vrifier que rien ne manquait au bon droulement des travaux. Enfin, une section dirige par un jeune particulirement apprci par Amirouche, Hocine Salhi, fut charg de rassembler les moyens logistiques : papier, machines crire, ravitaillement, etc. Lorganisation du secrtariat fut confie Tahar Amirouchene, que lon retrouvera plus tard et qui sera le pivot du PC dAmirouche quand ce dernier sera charg de la direction de la wilaya III. Dbut aot, ordre fut donn aux diffrents regroupements de combattants de se mettre en route vers le secteur dIfri sans quils sachent pourquoi. Rachid Adjaoud, qui avait peine 19 ans, avait naturellement entendu parler dAmirouche, mais il ne lavait jamais rencontr. Il tait dj au maquis depuis quelques mois. Instruit, il fut souvent employ dans les fonctions administratives du Front. la fin du mois de juillet, son responsable local lui demanda de se prparer rejoindre une unit qui devait faire mouvement vers la rive gauche de la Soummam.
Jtais charg comme une mule. En plus de mes affaires personnelles, je transportais une radio et une grosse machine crire sur le dos. La charge mcrasait mais on ne discutait pas les ordres. Nous nous mmes en route de nuit. Nous en tions notre troisime heure de marche. Nous voluions en file indienne et jtais extnu. Soudain, un homme de grande taille dpassa
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notre colonne par la gauche. Arriv ma hauteur, il mentendit rler et voyait que javanais pniblement. Il sapprocha de moi et devina mon ge sous le clair de lune qui clairait la valle comme en plein jour. Lhomme, qui lvidence tait un officier, ordonna quon me dcharget immdiatement. Nayant plus que mon propre sac sur le dos, je me sentais voler et repris la marche en bnissant au fond de moi ce sauveur inconnu. Le lendemain matin, le mme responsable vint nous trouver dans la petite chambre o nous avions install notre matriel. Comment vas-tu ? me demanda mon bienfaiteur de la veille. Bien, rpliquai-je dans un souffle peine audible. En ralit, je voulais lui dire mieux, nettement mieux , mais ne sachant pas qui javais affaire, je me limitai au minimum.
Veux-tu rester travailler avec moi ? insista mon protecteur. Si vous voulez. Cest vous qui savez , bredouillai -je.
Aprs son dpart, je demandai mon compagnon dquipe qui tait cet homme qui trouvait le temps de soccuper de ma fatigue et de mes tats dme et, qui plus est, me proposait de travailler avec lui. Mon ami, de douze ans mon an, me regarda stupfait : Mais cest Si Amirouche , lcha-t-il, manquant de strangler de rire. Nous sommes au mois daot 1956. Je ne quitterai plus jamais Si Amirouche jusqu ce jour fatidique de mars 1959 o il sortit de Kabylie pour se rendre Tunis sans jamais y parvenir , me confie Adjaoud, le regard absorb par la photo dAmirouche, accroche sur le mur blanc du salon du fils du colonel, Nordine At Hamouda. Lhomme, malade, parlait aux personnes qui linterviewaient mais son esprit tait en communion avec celui dont il navait jamais admis le dpart. Il y avait, me semble-t-il, en plus du chagrin, une part de reproche envers le chef adul mais qui navait pas su se protger. En ralit, dans toute cette effervescence, Amirouche trouvait encore assez dattention pour scruter les uns et les autres et faire son march parmi les jeunes lycens et tudiants qui affluaient vers les maquis aprs la grve. Cest loccasion du Congrs quil retrouva le lycen Hocine Ben Malem, quil emmena avec lui dans sa mission aux Aurs et le dplacement vers Tunis qui sensuivit.
Une fois le dispositif de protection militaire et les services logistiques rpartis selon leurs fonctions, Amirouche, habill dun uniforme dt sobre et rigoureux, toujours ras de frais, montrait une disponibilit et une vigilance qui en auraient puis plus dun. Les congressistes et les hommes
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chargs de la prparation et du suivi de la tenue du Congrs en sont aujourdhui encore mus et stupfaits. Il accueillait et installait les dirigeants et veillait ce que chaque dlgation dispost des meilleures conditions pour discuter, se concerter et assurer au mieux sa reprsentation. Ceux qui devaient assister au Congrs taient installs dans les lieux de runion et leurs compagnons taient orients vers dautres demeures.
La dlgation du Nord-Constantinois tait compose de Zighout, Ben Tobbal, Mezhoudi, Rouabhi, Ben Aouda et Kafi. Elle fut prise dans une embuscade El-Kantina, dans les Bibans, la limite est de la Petite-Kabylie. Malgr la violence de laccrochage, elle se dgagea et put mme rcuprer un fusil mitrailleur BAR. Celui qui deviendra plus tard le commandant Kaci fut charg de faire la jonction avec la dlgation au village dAzrou. Le groupe, encore tout remu par lattaque laquelle il avait eu beaucoup de chance dchapper, chercha savoir comment se prsentaient les choses, qui tait dj sur place et quels taient les responsables qui allaient venir. Kaci fit savoir quAmirouche les attendait et quil allait leur fournir toutes les informations quand aux prparatifs et laccueil des participants a u Congrs, puisquil avait la responsabilit de toute lorganisation.
Sans que lon sache vraiment pourquoi ce jour, Ali Kafi ne figurait pas sur la liste des congressistes. Son insistance vouloir ngocier sa participation fut vaine et il revint Amirouche de linstaller dans une maison rserve aux accompagnateurs. Aujourdhui encore on na pas de tmoignage pouvant expliquer ce qui a amen Zighout carter Kafi des dbats. On sait que ce dernier vcut cette dcision comme un affront personnel et quil en conut un vif ressentiment lencontre dAmirouche quil souponna, tort, davoir t lorigine de sa mise lcart. Tout en restant inflexible sur le quota du Nord-Constantinois, Amirouche, pour sa part, ne se formalisa pas sur ce quil considrait ntre que la simple application dune instruction manant de la hirarchie. Du reste, bien aprs le Congrs, il prit linitiative de rendre visite Ali Kafi en novembre 1958 pour tudier les possibilits dentraide entre les wilayate et transmettre au GPRA (Gouvernement provisoire de la Rpublique algrienne) des propositions communes en matire dorganisation et de redploiement sur le terrain.
On verra maintes reprises quAmirouche faisait connatre sans dtour sa dcision ou son opinion politique devant un ou plusieurs de ses pairs et
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quil se proposa ensuite de travailler avec eux aussitt que la situation et lintrt du pays le commanderont. Dans son livre autobiographique10, Ali Kafi donne une explication assez trouble de cet incident. Aprs avoir concd que le Congrs avait, malgr tout, permis de donner une certaine cohrence au FLN, Kafi consacre lessentiel de son tmoignage rduire limportance historique prise par lvnement et dsigner Abane comme le fossoyeur de la Rvolution, ds lors quil avait introduit les citadins, prsents comme des rallis de dernire heure la cause nationale peu enclins se battre pour une libration effective du pays. En ralit, la fdration des nergies patriotiques, qui fut lme et la russite du Congrs, est pour Kafi une dviance impardonnable. Enfin, pour lui, lautre principe-cl de la Soummam, la primaut du politique sur le militaire, tait une faute qui dchira les rangs des nationalistes. Quant son renvoi au troisime jour de la rencontre, il en donne une version o le mystre le dispute la rancur : Je me souviens que Larbi Ben Mhidi avait confi Zighout Youcef quun avion charg darmes devait dposer sa cargaison dans la zone 2. Zighout sortit11 de la runion pour mapprendre la nouvelle. Ctait au troisime jour du Congrs qui se tenait Ifri []. Je constatai que ce point ntait pas scuris []. Je proposai plutt le douar de Beni Sbih []. Ils acceptrent ma proposition et Zighout me chargea dy aller au plus vite []. Accompagn dun dtachement, je me rendis sur le lieu prcis o je fus accueilli par Salah Boubnider qui venait juste de sortir dun violent accrochage avec lennemi []. . Lanalyse que donne Kafi de son conte illustre une tendance linterprtation nourrie par un sentiment inbranlable de perscution. Mais, avoue-t-il, lavion ne vint pas et personne nen sut jamais la raison [...]. tait-ce notre foi en la Rvolution qui nous avait amens y croire ou bien sagissait-il dune ruse pour isoler Zighout Youcef de son adjoint militaire12 ? Jai bien connu le colonel Boubnider pendant les dix dernires annes de sa vie. Homme du peuple sans grande instruction mais dot dun
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Du Militant politique au chef militaire, Casbah ditions, Alger, 2004. En avouant que Zighout avait d quitter la runion pour le rejoindre, Kafi confirme implicitement quil ne faisait pas partie des congressistes. 12 Cest--dire lui-mme.
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remarquable sens politique, il tait moderne et pourfendait tous les tabous par lesquels le pouvoir a impos son hgmonie. Il refusa le populisme dans lequel stait fourvoy le FLN lindpendance et fut dailleurs arrt ds 1962.
Pour avoir galement un peu approch Ali Kafi, je peux dire que les deux hommes navaient quasiment aucune valeur humaine en commun. Nous sommes un certain nombre avoir souvent cout Boubnider pendant les annes noires du terrorisme, au cours desquelles, linverse de Kafi, il stait rsolument rang du ct des dmocrates. Il nous est frquemment arriv de le questionner sur son parcours, ses dboires et le jugement quil portait sur les hommes de sa gnration. Il n e nous a jamais fait part de lopration de parachutage darmes dans laquelle limplique Ali Kafi.
Quelques semaines avant la parution de cet ouvrage et voulant en avoir le cur net, je demandais au commandant Azzedine13, qui fut le compagnon le plus intime de Boubnider dont il tait galement voisin, si son ami lavait un jour inform de cette opration ou sil lavait entendu y faire allusion. La rponse fut nette : jamais Azzedine na entendu Boubnider parler dun tel vnement. Par ailleurs, aucun participant au Congrs na eu vent de cette affaire. Enfin, quand un mouvement insurrectionnel arm recourt au parachutage, il cible traditionnellement des zones loin des frontires. Or, nous sommes lt 1956. La ligne Morice nest pas encore ralise et le Nord-Constantinois o Kafi attend son mystrieux largage darmes est une rgion frontalire encore ouverte sur la Tunisie do tait suppos venir laronef. En avanant ces allgations, Kafi expose trois donnes qui structurent et confortent une vision politique qui dterminera toute sa carrire.
Il argue que Zighout, avec lequel ses relations staient quelque peu distendues14, lui a toujours gard sa pleine confiance. Faute de pouvoir attaquer en mme temps deux icnes de la libration Abane et Ben Mhidi
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De son vrai nom Rabah Zerari. Ben Bella, ayant eu vent de lirritation de Zighout contre Kafi, sempressa de transmettre linformation lgyptien Fathi Dib en lagrmentant des exc s propres au personnage. Sans autres ambages, Ben Bella annona que Kafi tait complice de la mort de Zighout. Aucun ancien combattant ne confirme une telle accusation. Jai eu loccasion de rencontrer Sidi Mezghiche des compagnons de Zighout lors de la prsidentielle de 2004. Ils mont confirm que le colonel de la wilaya II avait crois fortuitement dans le maquis une patrouille de larme franaise, qui lavait abattu sans savoir qui tait leur victime.
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, il suggre que le deuxime, victime de sa navet, est manipul par le premier. Enfin, il se pose comme le militaire mrite charg de grer les situations les plus dlicates.
Le Congrs de la Soummam fut vcu par Kafi comme un traumatisme dont il ne se remettra jamais. Des considrations plus objectives ont aid faonner une obsession qui pesa ultrieurement sur la conduite politique de lhomme. conduit de la dlgation du Nord -Constantinois, conservateur, arabisant exclusif, il voyait se drouler devant lui un vnement inscrit dans luniversalit avec des incidences majeures pour la nation et dont les travaux se droulaient en franais ou pire, dans certaines situations, en kabyle. Le dpit se transformera en phobie de tout ce qui, de prs ou de loin, lui rappellera la Kabylie. compter de cette priode, Ali Kafi cultiva une dtestation sans nuance ni retenue contre Abane, Krim et Amirouche. En dernier lieu, il se prsente comme un acteur politique majeur ds lors que des dirigeants de premier plan ont t jusqu comploter contre lui pour priver son responsable de sa prsence et, pourquoi pas, de ses conseils. Ne voil-t-il pas quAli Kafi insinue, de faon peine voile, que le Congrs est disqualifi puisque des hommes de la trempe de Abane ont t contraints de recourir lintrigue pour soustraire Zighout son influence !
Contre Amirouche, le congressiste dpit tint sa revanche deux ans plus tard, quand le chef de la wilaya III convoqua une runion des colonels de lintrieur sur les terres mmes dAli Kafi qui trouva, en dpit de la proximit du rendez-vous, un prtexte pour boycotter la rencontre. * * * Lincident de la mule, qui a prcd les assises, exigeait des conditions de scurit draconiennes. Lhistoire a retenu que le Congrs stait droul dans une petite maison aujourdhui transforme en muse. En ralit, cette masure na abrit quun nombre restreint de runions. Pendant toute la dure de la rencontre, il fallut rgulirement changer de lieu pour viter quune fuite ou une maladresse ne permette lennemi de localiser avec prcision les congressistes.
Le colonel Ouamrane, pourtant srieusement irrit par la dispersion qui avait suivi lescapade de la mule, dcrira plus tar d avec une satisfaction non dissimule, lui lhomme bourru, cette dbauche dnergie dploye par
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Amirouche avec une minutie dhorloger : Ieme -itt am tsaett. Il a rgl la situation comme une montre.
Rachid Adjaoud, affect lune des quipes de saisie, garde limage dun homme omniprsent, veillant offrir un relatif confort aux agents du secrtariat et organiser leur mission. Une fois un manuscrit tap et mis en forme, il tait rcupr et transmis une cellule charge de collecter les rsolutions pour les mettre en lieu sr, sitt la correction faite.
Djoudi Attoumi, qui a eu traiter la documentation aprs le Congrs, se surprend encore se demander comment leur chef a pu faire preuve dautant defficacit en si peu de temps, dans de telles conditions et sur tant de tches.
Au cours de certaines dlibrations, Amirouche eut intervenir quand son action tait mise en cause. Lorsquil fal lut aborder les actions sanglantes menes par lALN, le ton monta. Abane souleva entre autres, pour la dplorer, dans les termes vhments que chacun lui connaissait, linitiative de Zighout Youcef qui avait lanc des milliers de paysans contre les populations europennes Philippeville et dautres localits du Nord -Est. Lassaut fit des dizaines de morts et provoqua en retour une rpression impitoyable de la France qui cota la vie des milliers dAlgriens. lpoque, laction du chef du Nord-Constantinois navait pas la lgitimit que lui confreront certains cadres du FLN aprs la guerre. Zighout Youcef, patriote rsolu, populaire et qui mrite de sortir de lombre, accusa le coup sans se laisser dmonter, apprendra Slimane Lachour dans les murmures qui prolongeaient les runions. Quand il fallut aborder lvaluation de la Nuit rouge , Amirouche ne chercha ni se drober ni se dfausser sur son adjoint et encore moins se disculper en laissant entendre quil avait dcouvert le massacre aprs coup.
Ouamrane raconte que, rpliquant un Abane alors au sommet de son autorit, le jeune capitaine rpondit : a sentait mauvais dans le coin, il fallait faire face avec les moyens du bord et nettoyer. Et puis, il faut tre sur le terrain pour apprcier les difficults que nous rencontrions au dbut. Certains des participants qui ont assist lincident affirmrent que laudace dAmirouche tait dabord lexpression dune assurance puise dans le soutien que Krim lui accordait. On peut retenir cette hypothse. Ce nest pas la seule. de nombreuses reprises, Amirouche prouva plus tard que tout en respectant la discipline et la hirarchie de lorganisation, il sautorisait
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exprimer de faon directe ses opinions dans le cadre des structures du Front. Les rapports adresss ses suprieurs, GPRA compris, o il critique frontalement les dcisions de ses chefs en leur faisant des contrepropositions sont lgion. Et, regarder de prs la vie et le comportement des responsables de lpoque, on observe quen matire de caractre et mme de vision politique, Amirouche tait en vrit plus proche dAbane que de Krim qui lavait repr et promu. Expression directe et ferme de ses positions dans les cadres appropris au dbat, rejet de discussions occultes sur des sujets concernant le devenir de la nation, si sensibles soient-ils, jacobinisme chevill au corps condamnant toute coterie rgionaliste, capacit anticiper les vnements sont autant de qualits que partageaient les deux hommes. Cet engagement dans la perspective nationale nempchera ni Abane ni Amirouche de dnoncer sans ambages des propos ou des dcisions marginalisant la Kabylie, tant lun et lautre se considraient exonrs de toute suspicion communautariste. Abane, oppos Ben Bella par temprament et divergence politique, ne se privait pas de linterpeller quand il subodorait que des manuvres claniques ou rgionalistes sinsinuaient dans le combat : Je ne vous cache pas que nous avons de la peine calmer les responsables Zighout Youcef et Krim Belkacem, qui sont en train de se demander si les frres de lextrieur, charg [sic] du matriel ne font pas du favoritisme. Il y a lieu de voir Ben Bella et Boudiaf leur demander sils ne se mfient pas un peu du Nord-Constantinois et de la Kabylie. 15 Dans le rapport Dolances , retrouv par larme franaise le 28 mars 1959 dont le lecteur trouvera lintgralit dans les annexes et quil devait lire Tunis, Amirouche constate :
En effet la wilaya na reu que deux postes metteurs au mois daot 1958, sans dpanneur, alors quen dautres wilayas, il existe des rgions qui possdent des postes metteurs16. Pourquoi la wilaya III na-t-elle reu que deux postes, et si tardivement ? Si cest par manque de matriel, certaines rgions pourraient cder leurs postes, et ainsi la rpartition aurait t quitable. Les difficults de transport des postes est une excuse non valable
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Lettre envoye par Abane le 29 fvrier 1956, in Mabrouk BELHOCINE, Le Courrier Alger-Le Caire, 1954-1956, et le Congrs de la Soummam dans la Rvolution, Casbah ditions, Alger, 2000. 16 La rgion est une division de zone, qui, elle-mme, est une division de la wilaya.
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[...] Cest une question qui nous tient cur car cette carence tend faire croire une volont de ngliger la wilaya III, ou du rgionalisme de la part tout au moins des responsables des transmissions []. Le manque de poste est dplorer dautant plus que les missions de liaisons elles seules nous ont cot des dizaines de tus.
Dans le domaine de la stratgie, les deux hommes avaient, sans stre formellement consults, la mme approche de la phase historique que traversait le pays. Investi de responsabilits majeures, Abane thorisa la ncessit de rassembler toutes les tendances nationalistes, ds lors quelles adhraient lobjectif de lindpendance et quelles inscri vaient leur action dans une stratgie dpassant les appartenances partisanes et autres clivages socio-culturels, dbords et condamns par la dynamique de novembre. son niveau, sa manire et ds le dpart, Amirouche ne faisait rien dautre en travaillant concomitamment dans une association proche des Oulamas tout en structurant les rseaux de lOS. Le pragmatisme transcendant les dogmes caractrise la conduite politique dAbane et dAmirouche. Bien quissus dune socit fortes traditions tribales et voluant dans un milieu politique marqu trs tt par le clanisme, ils ont su tre fdrateurs. Sur le plan psychologique, on verra quAbane comme Amirouche partageaient une vertu rare chez le personnel politique algrien : la capacit vacuer toute forme de ressentiment et de susceptibilit individuelle dans le dbat politique. Cela est important souligner, car que de fois na -t-on vu des instances branles ou des situations envenimes cause de conflits soustendus par des considrations personnelles ?
Sitt le Congrs termin, Amirouche prit la route des Aurs pour excuter la mission dont lavait charg le tout nouveau CCE. Hocine Ben Malem, qui faisait partie du voyage, assure avoir souvent entendu Amirouche faire lloge dAbane Ramdane devant qui il avait eu sexpliquer moins dun mois auparavant. Sur ce registre, Abane ntait pas en reste. Sa pense rationnelle saffirmait dans un propos qui ne sembarrassait pas de prcautions oratoires quand il fallait livrer une analyse ou transmettre une instruction. Cette franchise sans nuance ne devait pas, en ce qui le concernait, avoir dincidence sur le fond. Voici ce quil crivait Hocine At Ahmed propos des relations quil entretenait avec Boudiaf, autre militant au temprament bien tremp :
Je nen ai jamais voulu Tayeb [Boudiaf]. Je connaissais son caractre comme il connaissait dailleurs le mien. Nous sommes tous les deux
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colreux et tranchants et nous avons un dfaut commun : la franchise brutale. Nous avions chang par lettre des propos trs vifs, mais pour ma part, tout est effac. Je suis convaincu que, de son ct aussi, ce sujet, il ne reste plus rien []. Je tavoue que je riais de bon cur chaque fois qu e je lisais les lettres injurieuses quil madressait parce que je savais quelles taient dictes par sa sincrit et sa franchise, et surtout parce que Tayeb est un lment dsintress qui ne nourrit aucune ambition personnelle. Cest dire que les dsaccords ayant oppos les grands dirigeants pendant la guerre, si profonds soient-ils, nont pas toujours eu les rpercussions politiques ou militaires cataclysmiques provoques par les diatribes changes par des responsables obtus. Cest moins le contenu des changes que la qualit des personnes engages dans ces joutes oratoires, invitables dans le contexte de pression et de violence des guerres rvolutionnaires, qui dtermine les consquences de ces diffrends. Les frottements qui heurtrent certaines susceptibilits pendant le Congrs ne pouvaient pas occulter le soulagement, la satisfaction et la fiert davoir accompli une immense tche qui devait donner la cause algrienne une plate-forme assurant la crdibilit politique, la stabilit organique et la visibilit internationale qui lui faisaient cruellement dfaut.
Le dernier jour, Krim choisit le moment o tous les congressistes taient rassembls pour appeler Amirouche afin de le fliciter au nom de tous, dclarant que ctait grce lui que les premires assises du FLN avaient pu se tenir. Mais, ajouta-t-il en linvitant prsenter ses principaux collaborateurs, Amirouche ntait pas seul. Il avait su sentourer de militants srs, comptents et dvous leur pays.
Le Congrs de la Soummam avait mobilis quelque 3 000 hommes, quil avait fallu rpartir en fonction des missions exiges par un rendez-vous crucial pour le destin algrien. Ctait la premire fois, depuis la pntration franaise en 1830, quun projet rassemblait toutes les sensibilits algriennes autour dune alternative nationale qui prcisait les modalits de la lutte, en organisait les cadres et dfinissait les principes qui devaient permettre au peuple de vivre dans un tat dmocratique et social . Lexpos des motifs de la Rvolution, lvaluation objective des moyens disponibles au bout de deux ans de guerre, les valeurs et les principes thiques qui fondaient et portaient le combat, tels que la primaut du civil sur le militaire et de lintrieur sur lextrieur, lorganisation de la justice, la dfinition de la hirarchie, des grades et du rglement de larme ainsi que
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la nature du futur tat algrien avaient t dbattus et adopts dans un Congrs tenu sur le territoire national. Un homme de 30 ans en avait choisi le lieu, assur la logistique ncessaire et avait garanti laccueil et la scurit de tous. Le gnral-major Abdelhamid Djouadi est originaire de la valle de la Soummam. Il a recueilli de nombreux tmoignages sur le droulement du Congrs. Voici ce quil crit sur le rle jou par Amirouche dans cette rencontre historique :
lt 1956 a eu lieu un vnement marquant : le Congrs de la Soummam, dont les dcisions sont autant un approfondissement de la proclamation du 1er novembre 1954 quune ligne stratgique pour la libration du pays et une base ddification de ltat algrien indpendant. cette occasion, Amirouche a t charg de lorganisation mat rielle et logistique des travaux ainsi que de la protection immdiate et loigne des lieux de runions et de sjour des congressistes. Malgr le dclenchement de vastes oprations de ratissage sur la rive droite de la Soummam, les villages concerns nont jamais t approchs par les forces ennemies.
Amirouche sest admirablement acquitt de sa mission. Le Congrs de la Soummam allait donner une autre dimension Amirouche. 17
Cela faisait peine un an et demi que celui-ci avait t affect dans la valle de la Soummam o il avait fallu gnraliser la lutte, harceler les militaires franais, neutraliser les adversits messalistes, isoler ou dsamorcer les compromissions des fodalits locales, sensibiliser, mobiliser et encadrer la population pour lui permettre daccueillir le premier rendez -vous politique de lAlgrie contemporaine. Ce dernier sest tenu Ifri tout simplement parce quen aot 1956, la rgion commande par le capitaine Amirouche tait la mieux organise dAlgrie. Lors de la dsignation des instances de direction, Amirouche ne fut pas retenu parmi les membres du CNRA (Conseil national de la Rvolution algrienne). En ralit, il ne figurait mme pas sur la liste des 17 supplants.
Trop de Kabyles , avait dit Krim qui, pourtant, connaissait mieux que quiconque la valeur de son intrpide collaborateur. En effet, outre Krim et Abane, la direction nationale du FLN issue du Congrs comptait Amar Ouamrane, Mohammedi Sad, Slimane Dehiles, Idir Assat, Hocine At Ahmed, Ali Mellah et Salah Louanchi.
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Prface de louvrage de Djoudi Attoumi, Le Colonel Amirouche, entre lgende et Histoire, op.cit.
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On a beau vouloir locculter, la donne rgionale a pes et p se encore en Algrie, plus quailleurs, sur la conception et la composition du pouvoir. Cet aspect ne doit tre ni ignor ni diabolis. Il est important considrer car cest un bon indicateur de la situation politique et du niveau culturel dune nation. Plus ce paramtre intervient dans la gestion des affaires publiques, moins lmancipation collective est affirme, les dirigeants prfrant la solidarit de terroir la convergence programmatique.
Une telle apprhension naurait pas proccup outre mesure Abane qui refusait obstinment de faire la moindre concession aux archasmes sociologiques quelle quait pu en tre la prvalence. Et pourtant, Krim, plus en phase avec le terrain, navait pas tout fait tort. On le saura plus tard, entre autres griefs faits au Congrs, les partisans du tandem Ben Bella-Mahsas insinueront inlassablement, sans vraiment lassumer publiquement, que le Congrs de la Soummam tenu en Kabylie tait une sorte de conspiration kabyle contre la nation arabo-islamique. Ironie du sort, ce fut Amirouche qui appliquera la premire dcision de la nouvelle direction politique dont il ne faisait pas partie et, parmi les officiers mandats pour rtablir lordre dans les Aurs, seul lui, promu commandant aprs le Congrs, fut sur le terrain pour donner suite lordre du CCE. Plus tard, les rsolutions du Congrs connurent leur meilleure concrtisation en wilaya III, sous les ordres du colonel Amirouche.
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Mostefa Ben Boulad tait, somme toute, un homme privilgi. Sa situation sociale tait faite et, si lon ne devait sen tenir quaux considrations matrielles, rien ne le poussait prendre tant de risques en sopposant ds les annes 40 un systme colonial dont, en vrit, bien peu de personnes savaient comment ou quand il convenait de laffronter ni, a fortiori, quelle allait tre lissue dun combat ingal maints gards.
Engag tt dans le Mouvement national, il fut arrt le 11 fvrier 1955 dans le village tunisien de Ben Guerbane, la frontire de la Libye o il se rendait pour ramener du matriel de guerre. Au dbut des annes 50 fleurissait dans ce pays une contreband e darmes laisses en quantit par les Allemands et les Italiens, acculs une retraite prcipite lors de la contreoffensive mene par le gnral britannique Montgomery en 1943 contre les armes de lAxe. Il fut dtenu pendant un mois Tunis, encore so us protectorat franais, avant dtre transfr Constantine do il svada le 4 novembre 1955, pour reprendre aussitt la lutte dans la clandestinit. Du ct algrien, et plus particulirement dans les Aurs, la prsence de Ben Boulad parmi les patriotes avait la fois subjugu les plus pauvres et intrigu les parvenus qui avaient profit des rares promotions concdes aux indignes. Si des Ben Boulad simpliquaient dans une aventure encore confuse pour le plus grand nombre, cest que cette lutte po uvait ne pas tre la rvolte de gueux dont essayait de se persuader le cadat.
Pour sa part, on limagine bien, le systme colonial ne voulait surtout pas voir se multiplier ce genre de vocation. La mise la disposition de la
cause nationale des moyens financiers et matriels, mme modestes, de ces cadres tait particulirement proccupante dans cette priode o il tait encore possible, pensait-on, de mater une rbellion qui manquait de tout. Mais, et cest ce que ne manquaient p as de signaler les officines des renseignements coloniaux, le fait de renoncer un statut social enviable plus dun titre valorisait implicitement une cause que ladministration semployait minimiser, voire assimiler des actes de banditisme, tout en la traitant comme un mouvement insurrectionnel quand il fallait rprimer.
La tendance politique dominante consistait toujours, en cette seconde moiti du XXme sicle, mpriser, feindre dignorer la profondeur du mcontentement populaire et lui dnier, ou en tout cas en rduire toute connotation politique. LAlgrie tait un ensemble de dpartements franais et toute initiative discours ou action susceptible de contester les fondements de cette allgation devait tre, dune faon ou dune autre, disqualifie et, le cas chant, touffe dans luf. Na-t-on pas entendu dire, aprs le dclenchement de linsurrection arme du 1er novembre 1954, que lvnement ntait quun coup de tonnerre dans un ciel serein ? Lengagement de personnages de la trempe de Ben Boulad battait en brche cette vision qui devait librer les tenants de lAlgrie franaise, encore trs majoritaires tant en France quen Algrie, de la crainte dun soulvement gnral remettant en cause une colonisation donne comme politiquement souhaite et ncessaire ainsi quhistoriquement irrversible. De plus, la comptence politique et la crdibilit sociale de ces semeurs despoir confraient au Mouvement national une dimension thique et organisationnelle qui pouvait viter aux Algriens de retomber dans les jacqueries du sicle prcdent. Ces rvoltes taient certes gnreuses, mais la mystique faisant office de doctrine et de stratgie ne pouvait faire pice larme franaise, redoutable machine de guerre lhistoire plusieurs fois centenaire.
Le fait est quen peu de temps, Ben Boulad russit rduire sensiblement les animosits tribales, particulirement vives dans les socits berbres, et sur lesquelles jouait tant et plus le pouvoir colonial. Il rcupra et rhabilita des bandits dhonneur en dlicatesse avec la justice et insuffla un esprit de solidarit ses troupes en les incitant apprendre regarder au-del de leurs territoires. Il leur recommanda plusieurs reprises, selon
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les tmoignages de Salah Goudjil et dAmar Belagoun, de se tourner vers leurs frres Kabyles si quelque malheur lui arrivait. Un tel stratge tait naturellement une cible prioritaire pour larme franaise. * * * Il devait rejoindre ses camarades dans la valle de la Soummam pour participer au Congrs dIfri o il tait attendu. Mais, en ralit, il fut tu le 22 mars 1956 par lexplosion dun poste metteur pig parachut par larme franaise convaincue, juste titre, que le premier paysan trouvant un tel matriel sempresserait de le faire parvenir au responsable le plus connu de la rgion. Ce qui fut fait. On verra plus tard que le colonel Amirouche, lui aussi, aurait pu tre victime dun stratagme identique. Abdelhamid Djouadi, maquisard kabyle dont on a vu quil a fait lessentiel de son maquis dans les Aurs, donne une interprtation originale du secret qui a entour la mort du chef aursien : Il se produisit alors un vnement aberrant pour nous mais conforme la mentalit locale et aux pratiques de la clandestinit : lensemble des responsables des Aurs ont prt serment de ne jamais divulguer la mort de Ben Boulad, enterr rapidement Nara. 18 Labsence de Ben Boulad au Congrs inquita, mais elle fut dans un premier temps impute des difficults de dplacement, le quadrillage militaire des Aurs et de la Kabylie en 1956 tant dj bien avanc. Quelques jours aprs le dbut du Congrs, la nouvelle de la mort du prestigieux chef commena circuler parmi les participants. Sitt linformation confirme, une vive inquitude gagna les responsables du FLN qui, connaissant lenvergure de leur pair, savaient ce que perdait le pays et les difficults quil y aurait le remplacer. Cest un classique ; les dirigeants dexception prsentent limmense avantage dtre des acclrateurs de lhistoire. Mais quand ils viennent disparatre brusquement, leur absence provoque gnralement des dissensions et la rsurgence de pratiques politiques et sociales aux effets dvastateurs. Les Aurs ne firent pas exception la rgle.
Ceci est le tmoignage du gnral-major Ben Malem, publi loccasion du 45me anniversaire de la disparition du colonel de la wilaya III.
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Prface de louvrage de Djoudi Attoumi, Le Colonel Amirouche, entre lgende et Histoire, op.cit.
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Quand il accompagna Amirouche aux Aurs, ctait un jeune maquisard de 17 ans et demi qui venait de quitter le lyc e de Stif pour rejoindre lALN.
Il sera examin dans cette tude la mission qua effectue Si Amirouche dans la wilaya I (Aurs) aprs le Congrs de la Soummam. Jai choisi de traiter prcisment ce sujet pour deux raisons principales : Jai particip personnellement cette mission qui est lune des plus importantes accomplies par Si Amirouche en dehors de la wilaya III. la lecture de certains crits concernant cet pisode de la guerre de libration, jai relev certaines erreurs et contre-vrits quil convient de corriger. Les auteurs ont certainement t mal ou insuffisamment informs [...]. Au mois de mars 1956, Si Mostefa Ben Boulad tombait au champ dhonneur. [] Cette tragique et subite disparition a dclench un vritable cataclysme au sein de la wilaya I (Aurs-Nememchas). En effet, immdiatement aprs ce douloureux vnement, une vritable guerre de succession a pris naissance parmi les diffrents responsables, le facteur tribal a jou un rle dterminant. Parmi les antagonistes figurait le frre de Si Mostefa Ben Boulad, Omar. Ce dernier navait, cependant, ni le charisme ni lenvergure de son frre.
la tte dune importante dlgation, compose essentiellement de ses partisans, Omar Ben Boulad fit, au printemps 1956 (avril-mai) une visite dans la wilaya III (Kabylie). Il y rencontrera, entre autres responsables, Krim Belkacem et Amirouche. Se gardant bien de souffler mot sur la disparition de son frre, il venait surtout pour faire croire quil a obtenu la caution de Krim pour la succession de son frre sachant pertinemment que Si Mostefa a laiss comme consigne ds le dbut de la Rvolution de sadresser Krim Belkacem en cas o il lui arriverait quelque chose .
Avant de quitter la wilaya III, on confia Omar Ben Boulad des insignes de grade de colonel19 ainsi quune invitation au Congrs quil devait remettre son frre. Ds quil pntra dans la wilaya I il porta luimme les insignes de grade et dclara quil a t dsign par le commandement nidham pour succder Si Mostefa. Ce comportement ne fit quaggraver la situation malsaine qui prvalait ; en effet les personnes qui taient contre lui personnellement sont dsormais trs mcontentes en mme temps de la dcision du commandement.
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Lapprhension des dirigeants algriens tait largement justifie. Les consquences du vide cr par la disparition du patriote de la premire heure ne tardrent pas se manifester. La guerre de succession fut terrible.
Dans une guerre de subversion, la communication joue un rle capital. Quand les partisans perdent linitiative et la matrise de linformation, la conjugaison des tensions internes qui sexacerbent et des mfaits de la propagande de lennemi produit des effets dltres. Quelques mois auparavant, un maquisard aursien de valeur, Bachir Chihani, avait t excut pour une prtendue histoire de murs. Lun des auteurs de cette liquidation, Adjoul Ladjoul20, considrant sans doute quil pouvait lui aussi prtendre la responsabilit de la rgion, adopta un comportement assez singulier : son attitude oscillait, selon les tmoins de lpoque, entre une prtention belliqueuse et un repli sur sa tribu, une espce de splendide isolement qui signifiait aux uns et aux autres que, sil ntait pas chef, il pouvait nanmoins se suffire lui-mme. Du vivant mme de Ben Boulad, il osait manifester envers celui-ci une certaine dfiance qui deviendra plus manifeste aprs sa disparition. Il alla mme jusqu faire courir le bruit que lvasion de Ben Boulad de la trs rigoureuse prison de Constantine tait suspecte, suggrant quil convenait de sen mfier en attendant dy voir plus clair. En retour, certains nhsiteront pas lui imputer la mort du pre de la Rvolution dans les Aurs : on murmura en effet que ctait Adjoul qui tait lorigine de lenvoi du poste pig qui avait dchiquet Ben Boulad. Latavisme berbre, nourri la tradition des communauts acphales, rfractaires toute forme dautorit, trouvait l tous les ingrdients pour rveiller les violences endognes qui avaient tant et tant de fois dans lhistoire men lasservissement de lAfrique du Nord. En un rien de temps, les Aurs, annoncs comme lun des bastions majeurs de la lutte arme de libration nationale, devinrent une zone daffrontements fratricides qui affaiblissaient dangereusement le potentiel militaire de lEst du pays et, surtout, dissipaient la solidarit patriotique que Ben Boulad avait eu tant de peine structurer autour de valeurs dpassant lhorizon triqu des sectes tribales. Last but not least, la rgion des Aurs occupait une position gographique dterminante pour toutes les wilayate du Centre et de lEst,
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Adjel Adjoul est le nom dtat civil de ce maquisard qui dfraya la chronique. Il est plus connu sous le nom de Adjoul Ladjoul, sous lequel on le retrouvera tout au long de ce rcit.
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constituant un passage oblig sur la route de la Tunisie. Les troubles internes qui minaient la zone provoquaient des ruptures dans la chane de communication ncessaire aux missions de ravitaillement en armement ; chaque information, chaque contact pouvant tre fatal aux convoyeurs trangers une rgion vivant une situation de quasi-guerre civile.
La rancur tait telle quun cadre local, Sidi Hani, berbrophone, qui militait chez les Nememchas, arabophones, fut somm de quitter la rgion et daller rejoindre les siens . Adjoul Ladjoul, arabophone, originaire de Srahna, tait maintenant rduit survivre parmi ses proches. Les fonds quil collectait taient dposs chez son pre et sa garde tait constitue de membres de sa famille. Entre berbrophones, la situation ntait pas plus sereine. Il fallait, compte tenu de la priode et des enjeux, ragir vite, cest--dire imposer la discipline pour ramener la stabilit, restaurer la hirarchie et insrer la rgion dans le nouvel organigramme et la vision politique nationale que venait de consacrer le Congrs de la Soummam. Ctait plus facile dire qu faire. Les quelques intercessions tentes dans lurgence par danciens militants restrent sans effet et les injonctions manant de responsables de la rgion bass en Tunisie pour diverses raisons neurent pas de meilleurs chos. Le tout nouveau CCE dcida alors de mandater pour cette mission sensible et prilleuse cinq responsables de haut rang. Devaient participer lopration Zighout Youcef, commandant de la wilaya II (Nord-Constantinois), accompagn de Mezhoudi Brahim, accdant par le nord, le colonel Ouamrane, chef de la wilaya IV (Algrois), qui devait longer les Hauts-Plateaux et avancer par louest et le colonel Si Cherif (de son vrai nom Ali Mellah), rcemment affect pour organiser le Sahara, qui tait attendu du sud. Le cinquime membre de lquipe tait un jeune officier d peine 30 ans qui venait de se rvler la direction du FLN lors du Congrs. Chacun des quatre groupes devait explorer son secteur, cerner les situations locales et progresser prudemment jusqu converger au centre des Aurs.
La dsignation des cinq responsables et la stratgie dapproche retenue illustrent limportance accorde par la direction du FLN la crise qui dchirait la rgion. Linstruction tait simple : la dlgation tait charge de restaurer lautorit du FLN et de lALN et de mettre un terme toute vellit tribale ou personnelle. On tait en septembre 1956 : le Congrs
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daot, qui avait ncessit la vigilance et la mobilisation de tous et tout instant, venait peine de se terminer. Dans la foule des assises dIfri, le pouvoir colonial, saisissant aprs coup la porte de lvnement, redoubla deffort sur le terrain militaire. Cest ainsi que Zighout Youcef, accompagn dun petit groupe de maquisards, tomba, ct de Sidi Mezghiche louest de Skikda, au cours dun accrochage avec une patrouille de larme franaise. Bien quil ft lun des hommes les plus recherchs dAlgrie, en tant quauteur du soulvement daot 1955 Philippeville, il ne sera reconnu que 48 heures aprs sa mort. Sa dpouille, en voie de dcomposition, fut exhibe et promene sur une jeep pendant deux jours, dans le but de dcourager les populations qui vouaient un immense respect cet homme sobre et dtermin. Le colonel Ouamrane, trouvant lAlgrois dans une situation politique et organique encore instable son retour de la Soummam, ne put rejoindre les Aurs. Le colonel Si Cherif, confront de grandes difficults lors de son implantation dans le Sud, ne put se librer. * * * Finalement, seul Amirouche, lpoque commandant en charge de la rgion de Petite-Kabylie, fut disponible pour donner suite la dcision du CCE. Nous sommes dbut septembre 1956. Accompagn de deux hommes Hocine Ben Malem, secrtaire, et Abdelhamid Mehdi, garde du corps il dcida de continuer la mission sur laquelle taient mobiliss trois colonels responsables de rgion. Le petit groupe men par Amirouche tait encore en wilaya III quand il rencontra un convoi se dirigeant vers le nord qui se prsentait comme les dlgus des Aurs mandats pour participer au Congrs ! La suite du rcit de Ben Malem est difiante quant la ralit de ce qui prvalait alors dans la rgion des Aurs-Nememchas :
Au cours du dplacement, la limite des wilayas I et III, au village dEl Ksour, prs de Bordj Bou Arreridj, nous rencontrmes le 3 septembre, deux dlgations qui taient en route pour, dclaraient-elles, assister au Congrs. Lune, importante, dirige par Omar Ben Boulad et compose de Hadj Lakhdar, Tahar Nouichi, Ahmed Nouaoura, Ahmed Azoui, Abdelhafid Torche, Mostefa Rali, Mohamed Araar Bouaza, Ali Machiche,
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lautre, envoye par Adjoul, tait compose dune seule personne, un nomm Djabali. Messaoud Bellagoune qui laccompagnait a t arrt en cours de route par Omar Ben Boulad qui la emprisonn dans la rgion dAn Touta. Lorsque labsence de Si Mostefa Ben Boulad a t souleve, Omar dclara quil tait tomb au champ dhonneur au mois de mars. Il ntait bien sr pas en mesure dexpliquer ou de justifier pourquoi il avait dissimul cette triste et capitale nouvelle lors de son passage en wilaya III au printemps. Il a mme eu laudace dexhiber une procuration le dsignant comme chef de la dlgation de la wilaya I signe par ses accompa gnateurs. Il insista, dailleurs, pour faire parvenir ce document au CCE 21, ce que Si Amirouche refusa surtout que tous les signataires, except Mostefa Rali, son neveu, dclarrent quils ont sign suite un chantage, Omar refusant de se dplacer avec e ux sans ce document. Comprenant que sa nomination la tte de la wilaya, son principal objectif, tait compromise, il se dplaait,
partir de ce moment, seul accompagn de son secrtaire Abdelhamid Boudiaf et ce, malgr les efforts de Si Amirouche de le garder au sein du groupe. Ce tmoignage donne un aperu de ce qui attendait le jeune commandant, accompagn de deux collaborateurs peine sortis de ladolescence.
Compte tenu de la violence qui opposait les diffrentes factions, Amirouche privilgia la prudence et commena par prendre langue avec de petits groupes pour avoir le temps dcouter, dapprcier la position des uns et des autres et de faire la part des problmes politiques et des interfrences subjectives, coutumires dans des socits telles que la Kabylie et les Aurs. Mais surtout, tmoigne son secrtaire, dans cette mission, Amirouche ne voulait pas runir lensemble des protagonistes ds le dpart, car il redoutait que la rencontre, cumulant les ressentiments, ne soit un lieu de dchirements irrversibles. Fils des Aurs, le Chaoui, en bon Berbre, peut tre enclin considrer lautocritique et a fortiori le mea culpa comme une humiliation ou un reniement.
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La dlgation des Aurs, ignorant la fin du Congrs, ne pouvait pas adresser une correspondance au CCE, qui tait linstance suprme de la Rvolution issue de la rencontre daot 1956. On peut ds lors supposer quOmar Ben Boulad dsirait adresser sa correspondance aux responsables du FLN et non au CCE.
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On est surpris de dcouvrir une telle perspicacit dans lanalyse dune communaut jusque-l jamais visite, chez un homme si jeune. Deux lments de rponse peuvent tre apports ce constat. Amirouche, en dpit de son ge, stait dj affirm comme un remarquable meneur dhommes chaque fois quil avait d initier une action ou structurer une instance. Il le prouva lOuest, en Kabylie et en France. Abdelhamid Djouadi crit ce sujet : Ceux qui lont ctoy, connu ou exerc sous ses ordres gardent de lui limage dun homme dvou la cause nationale. Il ne faiblissait jamais et tait dot dune nergie tonnante. Il donnait limpression de quelquun qui sest prpar toute sa vie vivre la lutte arme, stre conditionn et prpar des annes durant pour vivre et conduire un tel vnement. 22 En quarante ans dinvestigations sur Amirouche, je nai pas le souvenir davoir entendu un compagnon ou un observateur me faire part dune seule journe o il laurait vu se proccuper dun sujet autre que la libration de son pays : ni projet professionnel durable, ni relation amoureuse, ni festivits. La vie dAmirouche avait un moteur et un objectif : lindpendance de lAlgrie. Par ailleurs, partir de la Petite-Kabylie, contigu aux Aurs o il oprait depuis bientt deux ans, il avait eu loccasion de comprendre, par divers contacts, que la rgion quil allait inspecter ressemblait bien des gards celle quil dirigeait et dont il tait issu. Il commena donc par regrouper le premier noyau constitu par des militants de Ngaous, qui se trouvait tre la zone la plus proche de la Kabylie. Au bout de quelques jours, Amirouche senfona plus lest pour atteindre le groupe dAdjoul Ladjoul sur lequel circulaient, on la vu, des rumeurs de sdition, voire de compromission avec lennemi. Mohamed-Tahar Bouzeghoub, secrtaire de ce dernier, avait survcu de justesse aux rglements de compte qui opposaient son chef dautres responsables des Aurs. Il se souvient des insinuations puis des accusations portes devant Amirouche contre Adjoul Ladjoul pour le persuader de procder sa liquidation. Le commandant refusa de cder ces pressions, attendant davancer dans ses investigations.
La msaventure subie par Bouzeghoub illustre tragiquement le climat qui rgnait dans les Aurs cette poque. En 1956, il tait rentr de Tunisie o il faisait ses tudes, suite la grve des tudiants dclenche par le FLN.
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Prface de louvrage de Djoudi Attoumi, Le Colonel Amirouche, entre lgende et Histoire, op.cit.
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Originaire dIlmayen (Petite-Kabylie), il fut recrut dans lALN en cours de route et fit son maquis dans les Aurs. En effet, sitt la frontire passe, il avait t intgr dans le secrtariat dAbbas Laghrour, responsable du secteur de Khenchela, avant de se retrouver sous les ordres dAdjoul Ladjoul quand son premier responsable se rendit en Tunisie pour essayer da voir quelques orientations de la direction du FLN, encore peu structure.
Le retour dinformation tardant arriver, Bouzeghoub fut envoy son tour en Tunisie pour rtablir le contact. Cest en se dirigeant vers lest quil fut arrt par un groupe rival, dirig par un certain Messaoud Ben Assa, qui le trana des jours durant, hagard et moiti nu, pour servir de monnaie dchange. Ce personnage, rput acaritre et rigide, avait fait dissidence car il avait prt allgeance Omar Ben Boulad qui, on vient de le voir, stait autoproclam hritier de son frre la tte de la wilaya I.
Un jour o le jeune secrtaire se trouvait enferm dans une casemate, un maquisard charg de le surveiller, sans doute lass de voir tant de guerres intestines dnaturer linsurrection arme, vint le voir pour lui demander sil connaissait Amirouche, dont la renomme avait dj gagn tous les maquis.
Sans savoir pourquoi, se rappelle Bouzeghoub cinquante-trois ans plus tard, je me surpris lcher un gros mensonge en affirmant que ctait un voisin de village. Il est l, dans la maison de refuge , dit alors le maquisard, lui indiquant une mansarde situe une centaine de mtres de leur rduit. Je bondis, courus comme un fou et fis irruption dans une salle o discutait une demi-douzaine de personnes. Je devais plaquer mes mains sur mes fesses pour cacher mon postrieur dans un pantalon en lambeaux , se souvient avec motion Bouzeghoub. Qui es-tu ? lui demanda un des membres de lassemble. Une fois son preuve raconte devant Amirouche, il fut habill et incorpor au groupe qui devait poursuivre sa route vers lest en vue de rconcilier les frres ennemis. Les choses devenaient plus critiques au fur et mesure que lon sapprochait des Nememchas, qui vivaient mal lhgmonie des Aurs dans la gestion de la lutte arme. Salah Goudjil rapporte que dans la crise des Aurs il y avait, en plus des problmes locaux, des frustrations nes de la rpartition des postes de responsabilit au niveau de la direction du FLN aprs le Congrs de la Soummam. Prcisant son analyse, il dclare :
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Avec un certain nombre de camarades, quitte prendre quelques risques et encourir des sanctions, javais appuy et adopt les rsolutions du Congrs car les principes nous convenaient, mais il est vrai que la reprsentation prtait discussion dans certains cercles chaoui. Il appartient des chercheurs de faire un jour la part des choses et dapprcier le poids de ces frustrations dans les dsordres qui minaient les Aurs en cet automne 1956. Les problmes ayant surgi avant le Congrs, on peut penser que labsence dautorit conjugue aux difficults de contact et aux vieilles animosits, loccasion trangres au champ politique, furent les causes majeures de limplosion de lALN dans ce qui deviendra la wilaya I.
Au demeurant, le Congrs venait peine de se terminer. Compte tenu du temps ncessaire la saisie et la reproduction des rsolutions pour leur distribution et de la lenteur du cheminement de linformation, on voit mal comment des contestations auraient pu se manifester et se structurer en si peu de temps cause de la rpartition des postes de responsabilit. Si des dirigeants des Aurs manquaient sur lorganigramme, cest que les dlgus de cette rgion navaient pas pu arriver temps aux assises. Et leur retard, la chose est dsormais tablie, tait d aux tensions qui avaient paralys la rgion aprs la mort de Ben Boulad, dont, du reste, le nom figure comme membre du CNRA sur le PV de la plate-forme de la Soummam.
Pour lheure, ctait bien lincendie qui ravageait les Aurs quil fallait teindre. Et, dcouvrait quotidiennement Amirouche, les haines taient dautant plus fortes quelles ntaient pas toujours motives par des considrations rationnelles mme dtre cernes politiquement. La direction du FLN avait bien tent de dsamorcer les prjugs en demandant Brahim Mezhoudi, originaire des Nememchas et membre des Oulamas, promu aprs le Congrs comme membre supplant du CNRA, de faire partie de la dlgation charge de jouer les bons offices. Mais, rentr en Tunisie do il devait rejoindre les Aurs par le sud, il narriva jamais, pour des raisons inexpliques. Il enverra sa place deux tudiants qui navaient malheureusement que peu dinfluence dans un drame dune telle ampleur et surtout dune telle complexit. La progression dAmirouche tait laborieuse. deux reprises, larme franaise probablement informe de sa prsence dans la rgion , selon les dires de Ben Malem, dclencha une grande opration dans la rgion de Chlia o se trouvait son groupe. Seul le repli sur Sidi Ali la nuit tombe permit de nous chapper de ltau.
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Le cas dAdjoul Ladjoul pesait de plus en plus sur les relations dj tendues entre les diffrentes factions. Amirouche lui dlivra un laissez-passer pour se rendre en wilaya III do il devait tre mis la disposition du CCE qui statuerait sur son sort. Adjoul accepta et Mohamed-Tahar Bouzeghoub se souvient davoir port la lettre Mohamed Bouazza, dsign comme remplaant du suspect. Les consignes avaient t passes et Amirouche avana vers les Nememchas. Au lieu-dit Ali Naas, il trouva un climat particulirement excrable dans les maquis. Au bout de trois heures de discussions qui tournaient le plus souvent linvective, Amirouche demanda chaque tendance dexposer concrtement ses dolance s.
La premire rponse fut des plus sidrantes, et ne contribua pas apaiser latmosphre dj lectrique. Ce groupe refusait de guider la dlgation mandate par le CCE et exigeait des otages avant de discuter des modalits darrangements avec leurs rivaux, se souvient Bouzeghoub. Amirouche fut intransigeant : Cela est du chantage et il ny a pas de chantage dans la Rvolution . la question de savoir comment Amirouche, finalement faiblement accompagn et donc peu protg, fit preuve de tant dautorit dans un climat aussi explosif, Bouzeghoub rpond : Jai souvent repens ces moments et aux risques que nous encourions tous. Je ne sais toujours pas quoi rpondre. Ce que jai remarqu, cest quAmirouche a le sens du mot juste. Et que lorsquil parle, on coute. Cest peut-tre cela le charisme. Il ajoute : Il tait prcd dune rputation dj bien tablie et le mandat du CCE a contribu asseoir son autorit, malgr le climat dindiscipline qui prvalait. Invit donner son avis sur cette quipe, Hocine Ben Malem, qui, rappelons-le, faisait partie de la dlgation en tant que secrtaire et qui il chut de prendre les procs-verbaux, confirme lautorit que dgageait la personnalit dAmirouche dans la conduite de cette mission. Il savait alterner la patience et lcoute avec la fermet. Il complte son propos en disant que malgr la violence des oppositions et lanciennet des conflits, le travail fait par le Mouvement national avait pay, car il y avait toujours dans le lot des cadres capables de saisir et daider faire comprendre les enjeux. Cette conscience politique laquelle avait notamment travaill Ben Boulad a aid dpasser les antagonismes et nous a permis de poursuivre notre mission dans des conditions peu prs acceptables pour lpoque.
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Mais, outre les dangers venant de larme franaise, il fallait adopter lattitude adquate et prendre la bonne dcision, parfois dans lurgence, dans des situations o les positions pouvaient changer sans que les raisons soient toujours apparentes ni mme prvisibles. Dans ce priple, on a vu Amirouche faire preuve dune patience inattendue face des lments qui lui avaient t prsents comme des individus irrcuprables. Dans dautres circonstances, il se montra dune totale rigueur face des cas que beaucoup redoutaient, tant les auteurs semblaient intouchables. Abdelhamid Djouadi rapporte comment fut gr le cas de Ben Assa, que nous avons abord plus haut. Lorsquil rencontre Messaoud Ben Assa, considr comme un dur, Amirouche dune simple phrase le relve de ses fonctions. Ben Assa lui remet immdiatement les cachets et documents en sa possession. De retour dAli Naas, Amirouche apprit que, malgr lengagement pris, lordre donn Adjoul Ladjoul de se mettre la disposition du CCE navait pas t excut. Pire, le dissident avait confirm les tendances quil avait manifestes de faon plus ou moins assume jusqualors. Il stait repli sur sa famille, qui tait pour ainsi dire la seule vritable organisation sur laquelle il sappuyait. Cen tait trop pour tous ceux qui avaient suggr Amirouche de procder son limination ds le dpart. Dcision fut prise de larrter.
Cest un nomm Ali Merchiche qui sera charg de linterpeler loccasion dune runion laquelle il tait convi. Linsoumis avait t repr dans son refuge, non loin de son douar. Il stait entour dune section poste proximit du lieu de rendez-vous. Quand il prit position dans la vieille maison o attendaient les autres participants, il tait protg par deux de ses fidles. Les trois taient adosss au mur, leurs armes caches sous une couverture. Sitt Merchiche apparu sur le seuil de la porte, une rafale de mitraillette dchire la couverture qui recouvre Adjoul. Le groupe de Merchiche riposte et abat les deux gardes mais Adjoul, bless, russit schapper. Il tait sur ses gardes et nhsita pas ouvrir le feu ds quil vit Merchiche. En effet, ce dernier faisait partie du groupe dirig par Ben Assa, qui tait lun de ses adversaires les plus dtermins.
Adjoul se rendit lennemi quarante-huit heures aprs avoir chapp la tentative darrestation. Ralli, il sortira souvent en opration tout en faisant parvenir certaines informations aux maquisards quil traquait avec larme franaise. Il sera arrt lindpendance, et dtenu au pnitencier de Lambse pendant deux ans. la fin de sa peine il refusera de sortir,
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exigeant un procs public. Il finira sa vie dans sa rgion comme un paria, emportant avec lui un autre mystre de la guerre de libration. Dcidment, les Aurs et la Kabylie avaient beau tre des rgions partageant les valeurs berbres fondamentales, elles prsentaient des disparits qui avaient de relles incidences sur la gestion politique des populations. Les contres du Djurdjura, couvertes par le chne et lolivier, avait peu ou prou bnfici dune diffusion des principes universels distills par lcole et plus largement rpandus par lmigration, ce qui permettait la rgion une adhsion plus rapide aux conditions de la lutte moderne. De plus, lhomognit culturelle y limitait les oppositions renvoyant des appartenances linguistiques ou tribales.
Il en allait diffremment dans les Aurs, o le cdre enneig du Chlia toise le palmier assoiff de Mchounech et o le berbrophone agriculteur sdentaire dArris croise le nomade arabophone qui mne priodiquement ses troupeaux dans les plaines. Germaine Tillion a vcu des annes durant avec ces populations ds les annes 30. Elle tira de ses observations des tudes pntrantes dune rare sensibilit. Cette socit htrogne traumatise par une histoire tourmente exprimait malheureusement son dsarroi par des violences endognes auxquelles Amirouche dut sadapter, quitte devoir outrepasser les limites assignes sa mission.
Abdelhamid Djouadi note qu Amirouche avait peu de prdilection pour le cloisonnement entre les wilayate. Selon une habitude prise ds le dbut de son engagement, il ne manquait pas dtablir un contact, de renouer une relation ou dapporter sa contribution une structure ou une zone, quand bien mme celle-ci ntait pas dans son primtre de comptence. Hocine Ben Malem crit quune fois le travail termin dans les Nememchas, Amirouche sapprtait prolonger sa marche vers le sudest o mergeait un certain Benabderrezak quil avait rencontr en France et dont on prtendait quil tait toujours messaliste. Connaissant la valeur de ce militant, il voulait en avoir le cur net et, le cas chant, linformer des drives du messalisme que lui-mme tait en train de combattre durement en Petite-Kabylie. Le 22 octobre 1956, cela faisait bientt deux mois quAmirouche cherchait dnouer les fils dune crise inextricable. Ce jour-l, alors que les missaires du CCE se dirigeaient vers le mont Chlia, la radio annona larraisonnement de lavion qui devait mener de Rabat Tunis un groupe compos de cinq responsables du FLN (At Ahmed, Ben Bella, Boudiaf,
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Khider et le professeur Mostefa Lacheraf) appels participer la confrence de Tunis qui devait dbattre de lavenir nord-africain et, naturellement, de la question algrienne. Un malheur ne venant jamais seul, le speaker fit tat, en mme temps, de la mort du colonel Si Nacer, qui dirigeait alors la wilaya III depuis le Congrs de la Soummam et dont dpendait le commandant Amirouche. Il fallait faire demi-tour, avant que la Kabylie ne connaisse des temptes analogues celles qui avaient dstructur lorganisation politico-militaire des Aurs. Avant de rebrousser chemin, Amirouche prit soin de fixer un rendez-vous aux diffrents responsables aursiens en Kabylie. En dpit de toutes sortes dalas, une part non ngligeable du travail avait t dblaye. Les fils du dialogue avaient t renous, les passions commenaient retomber et il apparaissait dsormais aux uns et aux autres que les conflits qui les opposaient taient suffisamment graves pour avoir alert le CCE. lavenir, droger aux ordres ou, pire, les dfier revenait se mettre en travers de la lutte arme et de lensemble de ses instances. Dans ces dbuts de laborieuse structuration des organes du combat librateur, la gravit et les implications de ces problmes ntaient pas perues par tous les insurgs. Les combattants rivs dans leur prcarr taient obnubils par la comptition groupusculaire et le contrle de leurs secteurs respectifs ; secteurs au-del desquels Mostefa Ben Boulad avait commenc les intresser et les projeter.
Mme inacheve, la mission dAmirouche avait contribu remettre de lordre sur le terrain et dans le s esprits, en arrtant ou en obtenant la promesse de suspendre les attaques entre factions. La vigilance de chacun fut sollicite et les diffrents acteurs furent mis face leurs responsabilits, plaant en mme temps lunit et la solidarit comme prala ble et condition de reconnaissance de lengagement de chaque militant dans le combat national. Les rivalits tribales ntaient pas dissoutes, mais elles taient sensiblement rduites, au moins provisoirement.
Une fois arriv en Kabylie, Amirouche apprit que lannonce du dcs du colonel Si Nacer, dont il dpendait encore pour quelques mois, ntait quune opration de propagande de larme franaise. Tout en continuant dvelopper les actions militaires et politiques mais aussi sociales dans la valle de la Soummam, il relana aussitt ses agents de liaison pour organiser la venue des responsables de la wilaya I vers la Kabylie. Cest ainsi que Lamouri, Hadj Lakhdar, Nouaoura et Tahar Nouichi se retrouvrent aux villages de Moka, prs dIghil-Ali, puis de Taslent, au
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dessus dAkbou, pour continuer les discussions autour de la restructuration de la wilaya I. Celle-ci navait toujours pas de colonel sa tte, alors que les cinq autres circonscriptions dfinies la Soummam avaient chacune leur responsable. Loin des lieux des diatribes et des querelles de tribus, les animosits sestompaient plus facilement et la perception des enjeux tait plus claire, du moins pour ceux qui taient prsents. De plus, rapporte Bouzeghoub, venu avec la dlgation des Aurs, Amirouche avait impressionn ses camarades par le niveau dorganisation de sa rgion et la qualit de laccueil quil avait rserv ses frres de combat. Paralllement, surenchrit Salah Goudjil qui rencontra ses camarades aprs leur passage en Kabylie, les populations de cette rgion, et notamment celles de la Haute Valle, avaient t rconfortes de voir des combattants venus des Aurs pour rencontrer leurs frres de Kabylie. En 1956, sous la houlette dAmirouche qui y tait install depuis presque deux ans, la population de la valle de la Soummam, tant encadre politiquement mais aussi assiste socialement, offrait une adhsion qui permit les coups de main de lALN les plus spectaculaires de lpoque. Cette pression engendrait naturellement une concentration de moyens humains et matriels franais la mesure de laudace des insurgs. Cest loccasion de lun des ratissages frquemment dploys par le RIMa (Rgiment dinfanterie de marine) quil fallut vacuer Taslent, situ sur le versant sud du Djurdjura, o staient retrouvs Amirouche et la dlgation des Aurs. Le repli se fit vers le versant nord de la montagne, dans le douar des At Ijjer. Mohamed-Tahar Bouzeghoub revoit encore le village qui avait accueilli les maquisards et lune des maisons qui, miracle en ces temps dexode et de dsolation, tait dote dun matelas avec sommier. Il pensait que le prcieux meuble tait prpar pour Amirouche ou pour lun des cadres venus avec lui des Aurs. Cest toi qui dormira ici , ordonna Amirouche au jeune maquisard bahi. Ctait cela Amirouche , commentera sobrement Bouzeghoub, la gorge serre, un demi-sicle plus tard. Le groupe tait rest quelques jours dans ce secteur, changeant de village une deux fois par jour, selon une tactique quAmirouche imposa toujours son quipe.
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Il fallait tudier dans le dtail les dcoupages territoriaux des Aurs en tenant compte des affinits sociologiques et des dplacements naturels des populations, prciser les affectations sur les diffrentes entits nouvellement cres et aplanir les derniers diffrends avant la nomination du colonel de wilaya qui, naturellement, devait venir du CCE, dont les membres arrivaient progressivement Tunis. Le retour vers les Aurs se fit plus lest, par Ouzellagen, Amirouche ne prenant jamais le mme itinraire laller et au retour. L encore, laccueil des populations et les masses dtudiants et de lycens frachement arrivs au maquis ne manqurent pas dimpressionner les Aursiens, qui reprirent le chemin avec des objectifs transcendant les motifs de leur conflit, dont lpret leur parut soudainement drisoire. Amirouche remit la somme de soixante-dix millions de centimes23 la dlgation qui sapprtait quitter la Kabylie. Cest Bouzeghoub qui eut le privilge de porter la sacoche qui contenait lun des premiers vrais financements de la wilaya I.
Tous les acteurs de cette mission tmoignent que cette quipe eut lavantage disoler les dissidences qui, clates et officiellement condamnes, ne purent jamais se rassembler au point de constituer un front mme de contrarier durablement lautorit des units loyalistes. Lapparition mme furtive de quelques maquisards des Aurs en Kabylie fut effectivement commente dans les chaumires ; cela contribua revigorer encore plus le moral des populations locales qui dcouvraient quil y avait une vritable arme nationale, unissant dans une collaboration fraternelle des enfants dAlgrie issus de rgions diffrentes.
Cette preuve aura rvl une autre dimension dAmirouche. Il fut lun des rares, sinon le seul, avoir toujours prconis le brassage des soldats pendant la guerre de libration.
Cest ainsi quil fit venir des Aurs Abdelkader Hazil dit El Bariki, Salah Nezzar et Abdelhamid Ksentini, pris dans la tourmente qui avait suivi la mort de Ben Boulad et qui auraient pu tre excuts par leurs frres, pour qui ils taient des irrcuprables mouchaouichine (perturbateurs). El Bariki sera lun des plus valeureux officiers de la wilaya III o il tombera les armes la main, laissant le souvenir dun irremplaable baroudeur.
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Une deuxime attribution de 100 millions sera confie par Amirouche quelques semaines plus tard Djoudi Attoumi qui la transmise la wilaya I.
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En mme temps, Amirouche demanda Mohamed-Tahar Bouzeghoub, qui retrouvait sa Kabylie natale pour la premire fois depuis son exil en Tunisie, de repartir dans les Aurs malgr les dsagrments quil y avait subis. Il obtint le privilge de repasser au retour par son village dIlmayen, pour embrasser ses parents quil navait pas revus depuis trois ans.
Arriv en fin de soire dans son village, ltudiant maquisard neut pas le temps de goter le bonheur des retrouvailles avec sa famille. La population, qui fut le vritable cur du service de renseignement dAmirouche, avertit la dlgation en pleine nuit dun mouvement dencerclement de larme franaise. Il fallut sesquiver aussitt. Loncle paternel du jeune Mohamed-Tahar qui sortait du village pour vaquer ses occupations fut cueilli laube par une rafale de mitraillette. Un martyr anonyme de plus dans la famille de celui qui deviendra membre de la premire promotion de pilotes de chasse de larme algrienne et, plus tard, ministre de lIndustrie dans lAlgrie indpendante. Avant la sparation, Amirouche, qui sapprtait envoyer la premire partie de son rapport de mission au CCE, fixa un ultime rendez-vous ses camarades aursiens Tunis o il devait se rendre en dbut danne. Deux mois plus tard, Amirouche, accompagn de deux responsables chaouis (Tahar Nouichi et Mohamed Lamouri) regroupa tous les protagonistes de la wilaya I afin de les prsenter au colonel Ouamrane, entre-temps tabli dans la capitale tunisienne avec le CCE, pour consacrer, sinon la fin des hostilits, du moins une volont de recomposer un organigramme officiel et installer, non sans un certain sens tactique, Mahmoud Cherif, originaire des Nememchas, colonel de la wilaya I.
La mission aursienne dAmirouche stala sur de longs mois. Soucieux dalerter Krim Belkacem devant qui il adoptait une totale libert de ton, Amirouche dcida denvoyer en mars 1958 un message confidentiel son chef hirarchique et une somme dargent consquente. Il sagissait dattirer lattention de Krim Belkacem sur ltouffement des maquis de lintrieur du fait du manque darmes et surtout de munitions depuis linstallation de la ligne Morice qui fermait la frontire algro-tunisienne. Il fallait assurer la confidentialit dun message soulevant dj la question combien stratgique des regroupements de troupes au Maroc et surtout en Tunisie. Ces troupes formeront plus tard la fameuse arme des frontires dont Amirouche dnonait lentretien et le maintien lextrieur alors que les maquis manquaient de tout. Il mandata trois de ses plus proches collaborateurs. Il sagissait de Hamou Amirouche, son secrtaire, de
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Slimane Lachour, lun des agents de liaison les plus prouvs et qui avait accompli les missions les plus prilleuses entre Abane et Krim ds 1955, et de Abdelhamid Mahdi son garde du corps. Ordre leur avait t donn de ne remettre la correspondance qu Krim Belkacem en personne et de dtruire le document en cas daccrochage en cours de route. Amirouche sest souvent entour de jeunes cadres avec lesquels il entretenait une relation faite dautorit et daffection. Sachant quil ne les reverrait pas de sitt, il dcida de rapprocher une tourne prvue dans les Aurs pour accompagner un certain temps ses trois protgs. Il fixa une runion avec les dirigeants de la wilaya I et fit un bout de chemin avec le groupe quil avait envoy Tunis. Les dplacements taient de plus en plus dangereux et pouvaient rserver les surprises les plus inattendues. Il fallait tre prt tout et dcider sur-le-champ. Slimane Lachour na pas oubli une msaventure qui en aurait dstabilis plus dun. Lorsque nous nous trouvmes en contrebas de la ville antique de Djemila dans le Stifois, nous apermes, en fin de journe, une procession de jeunes habills en civil marchant en file indienne. Amirouche nous demanda de les intercepter pour en avoir le cur net. Il les interrogea lui-mme : Do venez-vous ? De la wilaya IV, rpondit lun des plus gs, rassur de voir quil avait affaire des lments de lALN. Et o allez-vous ? poursuivit Amirouche, Tunis, nous allons chercher des armes , poursuivit le jeune homme un peu intimid. Certains avaient peine 14 ans. Ils devaient faire des centaines de kilomtres, avoir la chance dchapper aux ratissages de larme franaise, viter les traquenards des dernires oppositions tribales des Aurs, franchir une frontire lectrifie, revenir avec deux, voire trois fusils et les ramener jusquau centre du pays. Retournez chez vous, ordonna Amirouche. Quallons-nous dire notre chef ? hasarda le plus prolixe. Demandez parler Si Lakhdar et dites-lui que cest Amirouche qui vous a demand de faire demi-tour. Je le contacterai.
Notre interlocuteur, impressionn et perturb en dcouvrant quil tait devant Amirouche, ninsista pas. Nous tions soulags de voir ces pauvres gamins promis une mort quasi certaine rebrousser chemin. Un tel ordre,
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selon Amirouche, ne pouvait pas maner du PC de wilaya. Nous saisissions que le problme de larmement et des munitions tait aussi aigu, sinon plus, en wilaya IV qui, en plus du quadrillage de lennemi, devait faire face une certaine dfiance de la wilaya V (Oranie) qui ne montrait pas une grande disponibilit pour assister les convois de lAlgrois devant se rendre au Maroc. Amirouche et son groupe poursuivirent leur route jusqu ce que Youcef Yalaoui, quil avait confirm en qualit de commissaire politique dans la wilaya I, vint leur rencontre alors quils devaient rejoindre la ville romaine de Timgad pour leur demander de ne pas aller plus loin, car il navait pas encore aplani toutes les difficults qui opposaient les diffrents protagonistes quant au rassemblement de grandes units pouvant engager et, si possible, gnraliser les combats denvergure sur lesquels travaillaient certains responsables de lintrieur. Avant de nous quitter, notre colonel, qui tait chauss dune paire de pataugas neufs, les retira et les offrit son garde du corps qui portait des tennis. La route est encore longue jusqu Tunis, prends mes chaussures et donne-moi les tiennes , dit simplement Amirouche, qui changea mme sa tenue militaire avec celle dAbdelhamid Mahdi. Sur ce, nous nous sparmes. Nous ne reverrons plus jamais notre chef , conclut Slimane Lachour les larmes aux yeux. Nous tions dans mon bureau Alger, ce 17 aot 2009, et la peine qui submergeait cet homme de 72 ans tait aussi vive que sil dcrivait une souffrance vcue la veille. Nous avons tant souffert du billon qui nous a touffs et de la calomnie qui sest abattue sur un homme quaucun dentre nous na plus jamais rencontr quil nous est difficile de nous matriser quand on reparle de certaines douleurs. Ce ne sera pas le seul collaborateur dAmirouche qui, devant moi, se laissera dborder par lmotion lvocation de son souvenir.
La lutte arme algrienne venait de circonscrire avec un minimum de dgts un des pisodes les plus douloureux et les plus dangereux de son histoire militaire. On imagine en effet les consquences sur la guerre de libration si les Aurs, sous les effets conjugus des luttes intestines et des manipulations de ladministration coloniale, avaient sombr plus longtemps dans une crise o des ambitions de chefs de guerre plus ou moins puissants
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continuaient prendre en otage le Mouvement de libration nationale dans une rgion aussi stratgique. Mme minimis ou dlibrment soustrait la connaissance du grand public dans laprs-guerre, le succs politique de la mission dAmirouche nest pas remis en cause par les tmoins de lpoque. Avec le recul, lanalyse de lvnement permet de dgager dautres informations sur la nature et lenvergure du personnage. La pertinence, la patience et la tnacit manifestes par Amirouche tout au long de cette crise, et notamment devant le cas dAdjoul Ladjoul, tranchent avec limage dun responsable au caractre expditif, distille plus ou moins explicitement aprs lindpendance. La volont de mener terme des projets complexes et dlicats et la capacit innover dans la difficult sont des qualits qui se construisent avec le temps et lexprience. Ces vertus qui appellent sagesse, rigueur et sang-froid mritent d tre soulignes chez un autodidacte de 30 ans. Au moment o il tait mandat par le CCE pour cette mission, Amirouche venait tout juste dtre nomm commandant ; sa wilaya dorigine, la Kabylie, tait encore sous les ordres du colonel Si Nacer que le CCE stait bien gard dimpliquer dans cette entreprise. Les trois autres officiers qui composaient la dlgation taient tous des colonels responsables de wilaya : la IV pour le colonel Ouamrane, la II pour Zighout Youcef et la VI pour Si Cherif. Ds lors que trois des quatre membres de lquipe ntaient pas au rendez-vous, il eut t logique, voire lgitime que le plus jeune et le moins grad de tous reporte lexcution dune mission aussi difficile que prilleuse. Plus tard, Amirouche aurait trs bien pu rentrer en Kabylie aprs lannonce de la mort de son chef et adresser son rapport ses suprieurs sans prendre linitiative de convoquer dans sa zone des officiers relevant dune wilaya sur laquelle il navait aucune responsabilit. Financer une rgion en instance de recomposition politique et de redressement organique suppose, dune part, dtre suffisamment pourvu dans sa propre organisation pour aider les voisins et, dautre part, davoir un souci de lintrt gnral particulirement aigu. Enfin, et cest le plus important eu gard lesprit qui a inspir cet ouvrage, on a souvent laiss courir, aprs lindpendance, la rumeur qui attribue Amirouche une certaine paranoa voire une franche couardise,
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qui veut que le moindre de ses dplacements ait t accompagn dune escorte impriale. Au premier semestre de 1986, jtais dtenu dans le pnitencier de Lambse pour avoir lanc la premire Ligue des droits de lHomme en Algrie. Situ en plein cur des Aurs, le btiment lugubre, au rgime particulirement rigoureux, avait t construit par Napolon III. Il servait en quelque sorte descale pour les convois de bagnards qui devaient tre expdis Cayenne. lindpendance, les Algriens le transformrent en lieu de dtention des grands criminels et des politiques. Notre groupe, compos de six personnes24, posait un srieux problme aux autorits. Les tortures que nous avions subies avaient suscit une grande indignation tant lintrieur qu lextrieur du pays. Au bout de deux mois dun isolement complet, les services pnitentiaires avaient reu linstruction de nous sonder et, ventuellement, de nous suggrer une interprtation de lhistoire qui pourrait inflchir notre vision politique. Ceux dont nous pouvions nous revendiquer ayant jou un rle contestable, il sagissait de rveiller une certaine forme de culpabilit qui devait altrer notre lecture de la guerre de libration et, en dfinitive, disqualifier notre engagement. loccasion de lune de ces sances de conditionnement, un des dirigeants de ltablissement, g dune quarantaine dannes et donc adolescent lindpendance, me dclara que les puissants groupes qui avaient accompagn Amirouche en 1956 avait commis des outrages indicibles sur des jeunes femmes aursiennes et que ces violences taient lorigine de guets-apens au cours desquels furent limins des partisans kabyles qui traversaient les Aurs.
Japprendrai plus tard que ce surveillant gnral appartenait aux Services de renseignements qui composaient la quasi-totalit des cadres de la sinistre prison. Pour autant, jai toujours le souvenir que mon gelier tait sincrement dsol dun drame historique qui avait occasionn des embuscades fratricides et laiss de dplorables squelles aprs la guerre. Il donnait limpression de croire ce quil disait et tait convaincu de dlivrer l une version authentique du chef kabyle arrogant entour dune arme de janissaires abusant des jeunes filles en terre conquise.
Il y a aujourdhui assez de tmoins qui attestent quAmirouche ntait accompagn que de deux personnes pendant toute la priode quil avait
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Arezki About, Arezki At Larbi, Sad Doumane, Ferhat Mhenni, Ali Fawzi Rebane et moi -mme.
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passe aux Aurs, que le bataillon de la wilaya III qui a opr dans cette rgion tait arriv la demande des chefs aursiens plus de deux annes aprs sa mission et quil ly avait envoy pour pauler les groupes de la wilaya I dont on a vu ltat de dsorganisation aprs la mort de Ben Boulad. On a dj eu loccasion de voir de nombreuses occasions quAmirouche navait de rfrent que la dimension algrienne. Et pourtant, pour salutaire quait t sa mission dans les Aurs, elle laissa, malgr tout, un sentiment anti-kabyle qui cota la vie de nombreux maquisards, victimes des chefs de bandes qui navaient pas digr la sommation qui leur tait faite de rentrer dans le rang de lorganisation nationale et, en cas de refus, dtre marginaliss et rduits mener leur combat contre la France en tant quacteur priphrique. Pour ces chefs de guerre, Amirouche tait kabyle avant dtre un responsable mandat par linstance suprme de la Rvolution algrienne. Cette frustration ne dun ressentiment primaire se manifestait travers des revanches la mesure des instincts qui les animaient. Cent quatre-vingt-treize jeunes Kabyles, pour la plupart dsarms, se rendant en Tunisie pour y poursuivre leurs tudes ou ramener des armes, furent gorgs les uns aprs les autres. Les trois adolescents miraculeusement rescaps en perdront la raison. Cette tragdie est inhrente ltat de sous-dveloppement politique de lAlgrie des annes 50. La violence qui opposait les tribus dans les Aurs pouvait se manifester avec le mme dchanement entre les rgions. Lidentit individuelle et collective se construisait dans les maigres espaces communs pargns par la violence coloniale. Il se trouve, aujourdhui encore, des acteurs politiques ou mme des observateurs, journalistes ou universitaires, pour justifier ces archasmes sanglants par la suffisance ou la morgue dont aurait fait preuve Amirouche lors de sa mission de lautomne 1956. Voil comment on sme et structure les oppositions rgionales, comment on dgrade limage dun homme qui a affront tous les prils pour apaiser, rassembler et remobiliser des hommes gagns par le dcouragement et drivant vers des luttes marginales dvastatrices. La folie du pouvoir a failli enterrer lune des plus belles pages de notre histoire politique et militaire.
Dans dautres pays, des missions plus modestes que celle effectue par le commandant Amirouche dans les Aurs ont rencontr reconnaissance,
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intrt et investigation et ont t clbres par les responsables institutionnels et les hommes de culture.
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6 PRILS TUNIS
Larrestation des cinq dirigeants du FLN et lannonce, qui savra infonde, de la mort du colonel Si Nacer, son responsable direct, ont brutalement interrompu la mission dAmirouche dans les Aurs. Une fois arriv en Kabylie, il y fit venir les maquisards avec lesquels il avait sillonn les Aurs afin de parachever la rorganisation de la wilaya I quil avait entame pendant prs de deux mois.
Aprs le retour de ses collgues dans leur wilaya dorigine, Amirouche envoya les premiers lments de son rapport au CCE qui lui demanda de poursuivre sa mission Tunis, o se trouvait le groupe des responsables aursiens qui tenait la partie orientale de la wilaya : les Nememchas.
Accompagn du jeune Hocine Ben Malem et dAli Oubouzar25, il prit la route de lEst en fvrier 1957. Le voyage commena mal. Ils furent pris dans deux accrochages. Le premier, dans la rgion de Stif : ils ripostrent pour sextraire de lencerclement et se glissrent la faveur de la nuit vers le nord-est, plus bois. Le second eut lieu vers Toumiet, prs dElHarrouch. L, les affrontements furent plus rudes mais la proximit de la fort profita aux combattants de lALN, plus mobiles et guids par des agents locaux connaissant bien le terrain.
La base de lEst, dirige par Bouglez, tait situe dans la rgion de Souk Ahras. Lessentiel de son PC se trouvait Souk El Arba en territoire tunisien. Bouglez, depuis longtemps officier de lArme de libration, avait mal vcu la dcision du CCE de rattacher, aprs le Congrs de la Soummam, sa structure la wilaya II qui recouvrait tout le Nord25
Maquisard de la wilaya III, impliqu tort dans le complot bleu, Krim lenverra de Tunis en Allemagne pour une formation. Il sera ministre de la Planification aprs lind pendance.
Constantinois. Le commandant de la base de lEst, se retrouvant subordonn Zighout Youcef, contesta lorganigramme de la direction nationale. Il mena une espce de dissidence qui dura longtemps avant que le CCE, entre-temps install Tunis, ne trouve un compromis une situation dlicate sur le plan disciplinaire et prjudiciable militairement. En effet cette poque, la frontire tunisienne, encore libre des barbels qui la fermeront aprs la construction de la ligne Morice, reprsentait un intrt stratgique de premier plan pour lacheminement des armes vers lintrieur.
La rencontre entre Bouglez et Amirouche fut correcte. Ce dernier ayant quand mme pris le soin dinviter son collgue intgrer la base quil dirigeait dans les nouvelles structures de larme algrienne, quitte proposer un nouveau redcoupage aprs coup. Mais, sachant que le ressentiment de Bouglez tait ancien et toujours vif, Amirouche ninsista pas. Sa mission avait un autre objectif : la wilaya I. Une fois arriv Tunis, Amirouche sjourna dabord dans un htelpension qui tait un relais du FLN, avant larrive de son fidle ami Si Haoues, dont un parent accepta de mettre la disposition des maquisards une de ses maisons. Le commandant Amirouche prit aussitt contact avec les lments quil connaissait. Il voulait en premier lieu senqurir de la situation des tudiants envoys Tunis pour suivre leurs tudes dans les pays amis. Premire dception, certains arrivs depuis plus de six mois et supposs ntre quen transit dans la capitale tunisienne tournaient en rond sans connatre le temps quil leur faudrait encore patienter, ni les pays o ils devraient se rendre. Livrs eux-mmes, ces jeunes vivotaient, allant de centre en centre dans des conditions dhygine dplorable. Les plus disciplins supportaient stoquement leur situation, esprant quelque stage salutaire ; dautres commenaient se trouver des occupations plus ou moins avouables en attendant quun convoi darmes se constitue pour faire le chemin inverse et rejoindre le maquis. Ali Oubouzar et Hocine Ben Malem seront aux cts dAmirouche pour rassembler ces jeunes, les organiser, leur redonner confiance et, surtout, de quoi manger et un endroit dcent pour dormir avant dtre orients par un organe crdible vers un pays pouvant leur assurer la formation pour laquelle ils avaient quitt leurs camarades de combat et leur famille.
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Une importante somme dargent ramene de Kabylie lui servit ainsi soulager les futurs stagiaires. Il dgagea un budget spcial pour eux et, comme son habitude, il commena par hirarchiser mthodiquement les priorits. Aprs un premier recensement relevant lidentit, lge, le niveau de formation et la date de sortie dAlgrie de chacun il fallut trouver un lieu spcialement ddi laccueil des jeunes tudiants arrivant du pays et qui offrt des conditions de sjour supportables avant leur dpart pour ltranger ; dabord les pays de lEst ou du MoyenOrient, avant que le FLN ne soit en mesure de placer quelques futurs cadres dans des pays occidentaux. Au bout de quelques semaines, Amirouche avait cr le Centre des tudiants de Tunis. Destine dans un premier temps accueillir les tudiants de la wilaya III, la structure sera ensuite mise la disposition de tous les jeunes Algriens qui, pour une raison ou une autre, taient de passage en territoire tunisien. Son financement demeura la charge de la wilaya III pendant au moins deux ans. Dautres palliatifs durgence avaient t mis au point. Une maison communautaire traditionnellement destine recevoir les voyageurs originaires de Kabylie fut annexe. Elle tait tenue par un certain Ahmed Leqbayli, qui ne savait plus o donner de la tte aprs quon eut assign dautres charges et obligations sociales ce qui ntait jusque-l quune auberge, mise la disposition de commerants ou de personnes retenues par un imprvu Tunis, en attente de regagner leur foyer en Algrie. Ben Malem se trouvait sur place le jour o un jeune Chaoui, nayant pas trouv o dormir, vint trouver Amirouche dont il avait entendu parler par des parents aux Aurs. Il exposa son cas au commandant qui lorienta vers lauberge dAhmed Leqbayli. Une fois sur place, le jeune inconnu fut rejet au motif quil ntait pas originaire de Kabylie. Il revint auprs dAmirouche pour lui dire que le gestionnaire avait refus de lhberger. Quand il apprit la raison du refus, il entra dans une colre noire. Il accompagna lui-mme le jeune Aursien, appela le prpos la rception et lui fit, devant tous les occupants des lieux, une leon sur la gravit de son comportement. Pour une nuit, le jeune Chaoui eut un toit. Mais la situation tait critique tous gards. Arrivs Tunis aprs un priple puisant et dangereux, certains jeunes dambulaient avec les vtements quils avaient sur eux depuis leur arrive.
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Amirouche demanda lun de ses collaborateurs de se mettre en qute dun commerant dorigine algrienne vendant des habits. Ds que cela fut fait, il chargea son fidle secrtaire de rdiger au stylo des bons sur lesquels il apposa le cachet de lALN. Chaque titulaire dun bon avait droit un costume, une chemise et une cravate. Une fois servi, il devait rapporter le bon sign par le commerant qui y aurait galement port le prix des vtements. Lquipe dAmirouche se chargeait de rcuprer les factures et de payer directement le fournisseur. Il ny avait pas de circulation dargent liquide et, chose laquelle tenait par-dessus tout le commandant kabyle, il fallait toujours justifier la moindre dpense. * * * Le motif du dplacement dAmirouche pour Tunis tait la finalisation de la mission des Aurs. Il fallait exposer la situation de la wilaya en prcisant la nature et limportance des problmes rencontrs et faire part des dcisions prises et des questions en suspens. Parmi les cas non tranchs figuraient le dossier dAdjoul Ladjoul et dAbbas Laghrour, les deux responsables impliqus dans llimination de Bachir Chihani souponn de pdophilie. Le premier stait ralli lennemi mais le second se trouvait Tunis. Il tait dtenu par les autorits tunisiennes et mis la disposition du FLN. Bourguiba venait en effet dalerter le CCE que le dirigeant chaoui se prparait liminer des officiers de lALN dont le colonel Ouamrane. Cela se passe au dbut 1957, cest--dire bien avant lpisode de lautomne 1958 qui verra ce que lon appelle le complot des colonels branler la direction du FLN. Amirouche, accompagn dAli Oubouzar, se rendit la prison afin de rendre visite linculp, non pas pour ce qui avait provoqu son emprisonnement, mais pour savoir ce qui stait vraiment pass dans laffaire Bachir Chihani. Nous avons besoin de connatre la vrit avant de conclure notre rapport , dclara Amirouche Abbas Laghrour. Lhomme des Aurs fut la mesure de la rputation de sa communaut. Il ne chercha pas le moins du monde se protger ni se dfausser sur quelque autre personne. Ali Oubouzar, charg de laudition, rencontra pendant plusieurs jours le prvenu. Il fut impressionn par son calme et son courage : Abbas
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