Ethique Sport
Ethique Sport
Ethique Sport
Centre de recherche des Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan en partenariat avec le Programme Universitas de lOrganisation internationale du Travail
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BRI
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Beyond the Scoreboard: Youth employment opportunities and skills development in the sport sector. (Genve, BIT, 2006).
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Prface
Par Giovanni di Cola 2
n noyau de comptences et de ressources humaines aussi important que celui dune promotion dofciers forms dans les Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan ne peut pas passer inaperu aux yeux des Nations Unies et encore moins du Bureau International du Travail. Il sagit de personnel possdant des qualications professionnelles et techniques leves, dun savoir faire logistique efcace et dune capacit de commandement et de leadership notoire. Ces mmes ofciers sont appels agir pour la scurit des populations et des travailleurs dans des conditions souvent difciles pour le maintien de la paix et le retour la dmocratie. Le Travail Dcent, selon la dnition de la Confrence Internationale du Travail, est reprsent par lopportunit pour les hommes et les femmes dobtenir un travail productif en conditions de libert, dquit, de scurit et de dignit humaine. Pour toutes ces raisons, il semble vident dans les conditions du monde daujourdhui, considrant les innombrables menaces qui psent sur la scurit de tous, de pouvoir compter avec la connaissance du terrain des militaires et leur implication directe dans la dfense des valeurs dmocratiques et des liberts fondamentales individuelles et collectives. Celle-ci inclue des conditions de travail dcent, dvelopp en toute libert et scurit. Le sport pour sa part est une cole de vie qui contribue promouvoir des valeurs ducatives ncessaires pour tre socialement intgr et possder des bonnes attitudes professionnelles ainsi quune vision pacique et ouverte des relations humaines et de travail. Il convient enn de rappeler, last but not least, que dans le cadre de la Reforme des Nations Unies, une plus grande importance est donne aux activits de dveloppement conomiques et social. Celles-ci contribuent construire et maintenir la paix sans laquelle tout effort visant le dveloppement durable serait vain. Les rsultats des travaux du colloque de Saint-Cyr Cotquidan sont fondamentaux pour une bonne comprhension de linteraction possible avec les forces de maintien de la paix et les populations, dune part, et les institutions sportives et les acteurs sociaux, dautre part. Que les Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan en soient remercies, de mme que les jeunes collaborateurs Claire Belony, charge entre autres des traductions des textes du Docteur Sulli, de Monsieur Spino et du Colonel Benest et Bertrand Loze, qui nalisa la maquette et les traductions, sans laide desquels cette publication naurait pas vu le jour.
Remerciements
Par Eric Ghrardi 3
es Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan sont en charge de la formation initiale des ofciers de larme de Terre franaise, donc de ses futurs chefs. A cette n, les lves ofciers reoivent une formation militaire, bien sr, mais aussi acadmique et humaine, ce qui est plus rare dans les acadmies militaires occidentales. Dans ce cadre, un enseignement spcique est dispens dans le domaine de lthique et de la dontologie de lofcier. Lenseignement aux Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan est adoss une dmarche de recherche universitaire alimente par le travail dune cinquantaine de chercheurs permanents. Ceux-ci ont pour mission permanente de promouvoir lexcellence des connaissances transmises aux lves ofciers. Lactivit est organis autour de trois ples dexcellence: Ethique et dontologie, Scurit Europenne et Action globale des forces terrestres (place des forces armes au milieu des autres acteurs des thtres de crises contemporains). Cest dans le cadre du ple Ethique et dontologie que les Ecoles de SaintCyr Cotquidan ont eu le plaisir dorganiser en dcembre 2006 la journe dtude thique et sport. Cette manifestation a donn lieu des interventions de grande qualit ainsi qu des changes intenses entre orateurs et public. Sportifs et anciens sportifs de haut niveau ont pu restituer leurs expriences sous le regard crois de philosophes, sociologues, historiens, ou juristes, et en prsence des lves ofciers des Ecoles. Les travaux en ateliers ont cd la place une sance plnire dont les enseignements ont t rassembls lors de la synthse. Ces rexions sur une dimension applique de lthique illustrent la volont des Ecoles de Cotquidan de pratiquer un enseignement de cette discipline en prise avec les ralits concrtes de lactivit des ofciers. La recherche irrigue ainsi lenseignement sur un mode oprationnel et non purement thorique. Ce sont les fruits de ces changes qui sont rassembls dans ce volume. Quen soient particulirement remercis lorganisateur principal de cette confrence, Monsieur Henri Hude, Matre de Confrences aux Ecoles de Cotquidan, Directeur du ple de recherche Ethique et dontologie et Thierry Pichevin, Ingnieur en Chef de lArmement, chercheur au Centre de recherches des Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan, qui a procd au long travail de rassemblement des contributions. Cette Journe dtudes marque aussi une premire coopration entre les Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan et le Programme Universitas du Bureau International du Travail: Que ce succs soit lannonce de prochaines collaborations.
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Prsentation
Par Henri Hude 4
our ne pas tre trop superue, la prsentation des Actes d'un Colloque doit viter de n'tre qu'un doublon de sa table des matires. Quant l'loge des intervenants, il est assez vain lui aussi, ds lors que leurs qualits, textes et pedigrees parlent d'eux avec assez d'loquence. Si nous demandons pourtant au lecteur une page ou deux de patience, ce n'est pas pour prsenter le thme ou anticiper les conclusions, mais pour simplement pouvoir attirer son attention sur des points qui ne sont pas sans importance. Ils prcisent en effet l'enracinement institutionnel de ce Colloque international et le situent dans la ligne de ses missions et nalits fondamentales. Ce Colloque a t co-organis par le Ple d'Ethique du Centre de Recherches des Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan et par le Programme Universitas de l'Organisation Internationale du Travail (OIT / ILO). Cette coopration tmoigne de trois intentions, proccupations et considrations, largement communes aux deux parties. 1. L'arme d'une nation dmocratique ne peut pas se renfermer sur ellemme. Elle doit au contraire cultiver des liens aussi troits que possible avec la socit civile dont elle est issue et au service de laquelle elle se prpare oprer en cas de besoin. En outre, elle ne peut se contenter de cultiver sa seule excellence militaire, qui d'ailleurs, aujourd'hui, ne peut pas tre que tactique, ou stratgique, sans risquer une complte inefcacit. Le caractre des conits auxquels ces forces armes ont faire face, impose leurs ofciers l'acquisition d'une ouverture d'esprit maximale et d'une vaste culture, articulant le niveau tactique, le niveau politique et le niveau thique ou philosophique. Dans cet esprit, et mme si un Centre de Recherches implant dans une Ecole Militaire s'attache forcment tudier des thmatiques en rapport avec la dfense nationale, il lui est ncessaire d'aborder ces thmes partir de perspectives et de problmatiques croises, tressant les intrts civils et les intrts militaires. Il en est ainsi du sport, propre cultiver les valeurs comptitives et coopratives ncessaires aussi bien une arme qu'aux partenaires de la vie conomique ou de l'action culturelle et sociale. L'esprit humain souffre, quand il doit travailler ouvrir et restructurer ses synthses, mais c'est une souffrance salutaire. Ces progrs s'accomplissent surtout en mettant en contact des personnes et des institutions qui n'ont pas l'habitude de regarder les mmes objets sous les mmes angles ou d'en souligner les mmes aspects. C'est sans doute dans ce choc des cultures, qui peut devenir une fertilisation rciproque des cultures condition que se produise une certaine fusion des horizons, que rside l'intrt des Actes de ce Colloque. 2. Du point de vue thique, la relation organique entre l'arme et la Nation n'est pas sens unique. Les valeurs de la dmocratie sont la libert et l'galit, ainsi que l'insistance sur les droits fondamentaux de la personne. Les valeurs d'une arme sont des valeurs de cohsion, de forte organisation et de discipline, avec un primat du collectif sur l'individuel. La dmocratie relve d'une pense
Responsable du Ple de recherche Ethique et dontologique Centre de Recherches des Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan
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optimiste et croit constitutivement l'idal. L'arme ne peut naturellement pas faire abstraction du mal, du conit, de la mort. Sans cultiver le pessimisme philosophique, elle est tenue un robuste ralisme. Cette tension entre les valeurs et les logiques de l'arme et de la dmocratie est extrmement fconde. Elle empche l'arme de se transformer en caste autoritariste et militariste. Elle vite la dmocratie de tomber dans l'utopie ou de confondre le sens des droits individuels avec un gosme ferm l'ide de service du bien commun. Ainsi dans une dmocratie, une arme forme une culture de loyaut envers la socit et le rgime, est-elle un lest prcieux pour l'quilibre de la culture politique nationale et dmocratique. 3. La coopration entre une institution internationale telle que l'OIT, faisant partie de l'Organisation des Nations Unies, et une Ecole militaire franaise, telle que Cotquidan, est galement une occasion de mieux prendre conscience des deux ples, entre lesquels est toujours trouver l'quilibre de l'arme d'une dmocratie, notamment celle de la France: dfense de l'intrt national et participation la gestion du bien commun du genre humain. La tension est peut-tre moins difcile grer en un temps comme le ntre, o il devient vident que l'intrt particulier ne peut plus se sparer de l'intrt gnral, o les actions de coalition sont les plus frquentes, dans un cadre de droit international, et o l'action en faveur de la paix, rtablir ou maintenir, prend de plus en plus gure du vritable secteur primaire de l'conomie, sans lequel aucun dveloppement n'est possible. C'est pourquoi le souci de cultiver la force morale de l'arme et celui de produire un maximum d'nergie morale, notamment par la pratique du sport, trouvent leur sens ctoyer le souci du travail dcent, et de la dignit humaine au travail, qui requirent un environnement paci.
Prface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . par Giovanni di Cola Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . par Eric Ghrardi Prsentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . par Henri Hude A propos des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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PARTIE I 1. 2.
Cultiver la citoyennet: les sports peuvent-ils y contribuer?. . . . . . . . . . . . . . . . . . (Carl Ceulemans) Travail Dcent et dveloppement des comptences par le sport pour les jeunes et les forces de maintien de la paix . . . . . . . . . . . . . . . . (Giovanni di Cola) Matrise de soi et lucidit prserve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Guy Guzille) Le sport, une arme essentielle dans la lutte contre le diabte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Nicoletta Sulli)
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3. 4.
PARTIE II 1.
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Treize ans dexprience au Commissariat aux Sports Militaires dans la rglementation de la pratique du sport dans les armes . . . . . . . . . (Jean-Claude Aumoine) Expriences et rexions dun militaire, sportif de haut niveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Claude Carr) La contribution du sport la formation thique du combattant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Patrick Le Gal) Morale militaire et sport: Point de vue dun militaire britannique . . . . . . . . . . . . . . . . (David Benest) Annexe. Le sport et le mtier des armes: convergences et limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Jean-Ren Bachelet)
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2. 3. 4.
PARTIE III LE SPORT, VEHICULE DE VALEURS 1. 2. Avoir du cur: le sport et le Thumos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Rmi Brague) Sagesse du sport? Lalpinisme ou la transcendance intrieure: voyage au pays du rel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Pierre-Henry Frangne)
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3. 4. 5. 6.
Sport, thique et morale: La connexion du mental et du physique . . . . . . . . . . . . . . . . . (Mike Spino) Ethiques et sport: entre paralogismes et vidences . . . . . . . . . . . . . (Dominique Bodin, Stphane Has, Luc Robne) La dpnalisation du dopage: le point de vue dun juriste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Eric Ghrardi) Sport et thique: le point de vue dune jeune gnration . . . . . (Anne Berteloot, Samuel Hess, Mava Le Goc) Annexe. Background to the mind / body sport training curriculum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Mike Spino)
69 73 83 89 103
SYNTHSE ET CONCLUSION
(Thierry Pichevin)
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COMMENTAIRE
(Adolf Ogi)
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Par le Conseiller spcial du Secrtaire gnral des Nations Unies pour le sport au service du dveloppement et de la paix
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Colonel (CR) Jean-Claude Aumoine Saint-Cyrien (promotion Serment de 14 1963-1965), est brevet de lenseignement militaire suprieur scientique et technique (option sport) de lEcole suprieur de guerre (99me promotion). Il sert dabord dans linfanterie puis dans le Cadre spcial, comme expert, partir de 1986. Il est affect, notamment, au Commissariat aux sports militaires de 1986 1999 et termine sa carrire, comme chef de corps, au Service historique de larme de terre (SHAT), en 2003. Gnral darme (2S) Jean-Ren Bachelet a effectu une carrire militaire complte dans l'arme de terre de 1962, o il entre Saint-Cyr, jusqu'en 2004, o, gnral d'arme, il occupe les fonctions d'inspecteur gnral des armes avant de quitter le service actif. Chasseur alpin, il a command le 27e bataillon de chasseurs alpins, bataillon des Glires. Comme ofcier gnral, il a exerc le commandement du secteur de Sarajevo dans le cadre de la Forpronu en 1995 au paroxysme de la crise. Il a men une rexion de fond touchant au mtier militaire en termes d'thique et de comportements; la traduisant notamment dans: l'exercice du mtier des armes dans l'arme de terre, fondements et principes (SIRPA Terre, 1999), le Code du soldat (EMAT Paris, 2001) et dans de multiples articles, dont les plus signicatifs sont regroups dans: Pour une thique du mtier des armes. Vaincre la violence (Vuibert, 2006). Colonel David Benest est diplm en Relations Internationales de lUniversit de Keele. Le Colonel Benest effectua de nombreuses missions dans le cadre de sa carrire militaire notamment au sein des units parachutistes. Il est promu Colonel en 1999 et on lui cone diverses responsabilits au sein de lAcadmie de Dfense (Defence Academy) partir de 2002. Depuis 2005, il est Directeur des tudes de scurit et de rsilience au Defence College of Management and Technology. Anne Berteloot est originaire d'Arras, elle a effectu toute sa scolarit jusqu' la seconde anne de licence. Elle est lve normalienne lantenne de Bretagne de l'ENS de Cachan dans le dpartement EPS, en master anthropologie des pratiques corporelles et apprentissage moteur. Elle pratique depuis lge de 15 ans lathltisme et le demifond au niveau national actuellement. Dominique Bodin est matre de confrences en sociologie des Activits Physiques et Sportives (APS) lUniversit de Rennes 2. Actuellement responsable dun Master Professionnel en management du sport, il dirigea, pendant six ans, la collection Sports tudes aux ditions Chiron Expert. Paralllement ses fonctions denseignantchercheur, il reprsente la France au Conseil de lEurope pour les questions de dviances et de violences juvniles; il est depuis dcembre 2001 expert pour lONU / UNICEF sur le dossier Violence in schools dans le cadre du projet Violence against children in Europe and Central Asia depuis fvrier 2005 et consultant pour le programme Ocan Indien depuis juin 2006. Rmi Brague est un ancien lve de l'cole Normale Suprieure, agrg de philosophie, docteur s-Lettres. Il est Professeur de philosophie l'Universit PanthonSorbonne (Paris I), et lUniversit de Munich. Ses principales publications rcentes sont: Europe, la voie romaine (Criterion, 1992); La Sagesse du monde (Fayard, 2002); La Loi de Dieu (Gallimard, 2005); Au moyen du Moyen Age (La transparence, 2006). Gnral (2S) Jean-Claude Carr Saint-Cyrien (1963-1965) ayant fait lEcole dApplication dInfanterie, puis choisi le 7me Bataillon de chasseurs Alpins, il fut dsign pour rejoindre le bataillon de Joinville et la prslection olympique (Mexico) en Pentathlon moderne. Ofcier des sports, diplm de Sciences-Po, il a exerc diffrents commandements dont celui d'un rgiment d'infanterie et d'un lyce de la Dfense. Attach de Dfense en Isral (1993-1996), il est lauteur dun livre: Histoire du ministre de la dfense (Lavauzelle, 2001).
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Carl Ceulemans est charg de cours la chaire de philosophie de l'Ecole Royale Militaire (Bruxelles). Ayant obtenu son doctorat en sciences politiques la Vrije Universiteit Brussel o il travaille surtout dans le domaine de l'thique militaire et de la philosophie politique, il a rcemment publi un article: Reluctant Justice. A Just-War Analysis of the International Use of Force in Former Yugoslavia (1991-1995) (VUB Brussels University Press, 2005). Giovanni Di Cola est entr au Bureau International du travail (BIT) en 1988 au dpartement de lemploi, aprs une exprience pour lUNESCO au Sngal et lUNICEF au Niger. Il a servi pour le BIT entre 1990 et 1998 en Amrique Latine et en Afrique, actuellement il est coordinateur du programme Universitas. Depuis 2003, il reprsente le BIT dans le Task Force de lONU sur le Sport et le Dveloppement. En 2006, il a dit pour le BIT, louvrage Beyond the Scoreboard: Youth employment opportunities and skills development in the sports sector. Pierre-Henry Frangne est matre de confrences en philosophie de l'art l'universit de Rennes 2 Haute Bretagne (dpartement des arts plastiques) o il est directeur-adjoint de l'UFR Arts, Lettres et Communications. Membre du Comit de rexion biothique de Rennes, il a publi une quarantaine d'articles et quatre ouvrages dont: L'Invention de la critique d'art avec J.-M. Poinsot, (PUR, 2002) et Alpinisme et photographie (1860-1940) avec M. Jullien et Ph. Poncet (Les ditions de l'amateur, 2006). Eric Ghrardi est matre de confrences lUniversit de Rennes I. Il enseigne le droit public la facult de Droit et de Science Politique de Rennes ainsi qu lInstitut dEtudes Politiques de Rennes. Il est directeur et chercheur au Centre de recherches des Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan (CREC). Guy Guezille est charg, depuis 2002, de mission Education / Politique de la ville auprs du prfet de Paris de la rgion Ile de France, il fut durant de nombreuses annes un athlte de haut niveau de dimension internationale, champion et recordman de France en salle de saut en hauteur notamment. Au cours des annes 90, Guy Guezille fut tour tour Vice prsident de la Fdration Franaise dAthltisme et Directeur Gnral de la Fdration du Sport Universitaire Franais. Stphane Has est ancien athlte et crossman, ancien entraineur lEntente Nord Loire (44). Il entame par la suite une carrire de sociologue et devient matre de confrences en Education physique et sportive luniversit de Rennes 2. Prsident de l'Association de recherches sur l'Individualisation Symbolique (ARIS), vice-prsident de la Socit Franaise en Sciences Humaines sur la Peau (SFSHP, dir. le PU L. Misery, CHU de Brest), il est galement directeur et membre du Lars-Las (Laboratoire dAnthropologie et de Sociologie). Samuel Hess () tudiait lantenne de Bretagne de l'ENS de Cachan en seconde anne du dpartement EPS, en premire anne du master sociologie des activits physiques et sportives. Il a obtenu sa licence STAPS lUniversit Rennes 2 en 2006. Joueur de tennis de table et de handball et il a t arbitre rgional de handball pendant deux ans. Henri Hude est agrg de philosophie et docteur s lettres. Ancien professeur de khgne et universitaire, il a ralis l'dition de Cours de Bergson en quatre volumes au PUF (1990-2000). Auteur de nombreux ouvrages, dont certains couronns par l'Acadmie franaise, il a collabor au ct de Jean Guitton la mise en forme de son dernier livre, Mon testament philosophique (Presses de la Renaissance, 1997). Ancien directeur du collge Stanislas Paris, il est actuellement directeur du ple thique et dontologie du CREC Cotquidan. Patrick Le Gal est vque aux Armes depuis 2000. Il a fait des tudes de commerce, de droit et de thologie avant dtre ordonn prtre en 1982. Il a effectu une trentaine de visites auprs des militaires en oprations ou ltranger. A partir de cette exprience, il a publi un certain nombre darticles et prononc de nombreuses confrences concernant le domaine de lthique militaire (certains sont accessibles: http://catholique-diocese-aux-armees.cef.fr). Maeva Le Goic est lve normalienne lantenne de Bretagne de lENS de Cachan dans le dpartement EPS. Originaire de Lannion, elle a obtenu une licence STAPS Education lUniversit Rennes 2 ainsi quune licence Entrainement aprs avoir effectu un sjour dun an Sydney (Australie) et est actuellement en master physiologie et biomcanique.
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Adolf Ogi est Conseiller spcial du Secrtaire gnral des Nations Unies pour le sport au service du dveloppement et de la paix depuis 2001. Prsident de la Confdration suisse, en 1993 et 2000, il a t Ministre des transports, des communications et de lnergie de 1988 1995 puis Ministre de la dfense, de la protection de la population et des sports de 1995 2000. Aujourdhui Prsident honoraire de lAssociation Swiss Olmpic (Comit national Olympique Suisse), M. Ogi a galement dirig la Fdration suisse de ski de 1971 1981. Thierry Pichevin est diplm de l'Ecole Polytechnique (promotion 1987), docteur en ocanographie physique, et dtenteur d'un master en thique. Il a travaill une dizaine dannes comme chercheur en ocanographie physique dans un laboratoire du Service hydrographique et ocanographique de la Marine. Enseignant-chercheur aux Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan depuis n 2004, il sinvestit au sein du Ple Ethique et dontologie dans le dveloppement dun axe Ethique, sciences et techniques. Luc Robne est matre de confrences en Histoire des Activits physique et sportives lUniversit de Rennes 2 et membre du Lars-Las (Laboratoire dAnthropologie et de Sociologie). Instituteur, Professeur dEPS puis chercheur en histoire du sport, il mne aussi une carrire musicienne et a particip de nombreux groupes (dont Noir Dsir). Il a publi notamment: Sport et violences en Europe avec D. Bodin (Ed. Conseil de lEurope, 2005). Mike Spino a t directeur du Bureau international de lEducation sportive de lUniversit de Kennesaw aux Etats-Unis. En 1984, il a organis le camp pr-olympique dathltisme pour les Jeux Olympiques de Los Angeles (1984). Ancien directeur du centre sportif dEsalen (Californie), il est lauteur de plusieurs publications sur les aspects mentaux et physiques du sport. Ses quipes dathltisme des universits de Georgia Tech et Life University ont battu de nombreux records incluant 12 championnats nationaux. Mike Spino a t nomm entraineur national de lanne plusieurs reprises. Nicoletta Sulli est diplme de mdecine et chirurgie de lUniversit de Rome la Sapienza. Docteur en pdiatrie, responsable et enseignante au centre de diabtologie pdiatrique de lInstitut de clinique pdiatrique polyclinique Umberto Ier de lUniversit de Rome, elle fut le coordinateur scientique de la fondation operation smile Italia.
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Introduction
e sport, en tant que phnomne social, nest certainement pas tranger aux vices et aux vertus de la vie socitale. Cest dans cette perspective que lon se rfre parfois au fait que le sport, comme nimporte quelle autre entreprise humaine, est victime dun certain nombre de drapages qui tendent clabousser la noble image de cette activit. Lappt du gain, la corruption, la tricherie et la violence ne constituent que quelques exemples. Mais en mme temps, malgr ces ressemblances peu encourageantes, le sport est aussi considr par beaucoup comme le symbole de la capacit thique de lhomme. Dans ce microcosme du monde du sport, lhomme semble pouvoir faire preuve de solidarit, de fraternit, de respect pour lautre, de fair-play, etc. Somme toute, un certain nombre de comportements moraux dont le monde politique fait de plus en plus dfaut. En effet, lun des dangers auxquels la plupart de nos socits modernes sont confrontes est lindividualisme croissant. Selon les critiques de lapproche atomiste de la socit, la pratique citoyenne sest graduellement transforme en une valeur instrumentale. La question centrale du discours citoyen actuel est de savoir dans quelle mesure la socit peut me fournir les moyens ncessaires raliser ma propre conception du bien. Face ce processus de dsintgration, beaucoup ont tenu un plaidoyer en faveur du retour la conception rpublicaine de la citoyennet comme prne par des thoriciens politiques tels quAristote, Machiavel, Rousseau, Hegel et Tocqueville. 1 Le citoyen rpublicain est un citoyen participatif, qui est imprgn par limportance de lintrt gnral, et qui, de par cette orientation publique, est prt se perdre dans la collectivit. Mais, une telle rponse rpublicaine pure et dure nest-elle pas trop idaliste, voire irraliste? Selon Aristote, lhomme est, de par sa nature, un animal politique (zon politikon) qui, pour vivre pleinement sa nature, devrait vouer sa vie la participation aux affaires du polis. 2 Le citoyen aristotlicien est, en mme temps, gouverneur et gouvern. Pour la plupart des citoyens modernes quAristote naurait trs certainement mme pas appels citoyens cet idal citoyen est beaucoup trop loign de la ralit politique daujourdhui (par exemple, en rfrence lextension et la complexit de la communaut politique moderne) pour que cet idal puisse tre considr comme une alternative valable. Une rponse un peu plus pragmatique la tendance individualiste est celle du philosophe amricain Richard Dagger. Dans son livre Civic Virtues; Rights, Citizenship, and Republican Liberalism, Dagger propose la voie intermdiaire de la citoyennet rpublicaine librale. Cette conception de la citoyennet cherche tablir un quilibre entre lautonomie individuelle (valeur librale) et la vertu citoyenne (valeur rpublicaine). 3 La question centrale, laquelle jessaierai de rpondre dans ma contribution ce sminaire, est celle de savoir dans quelle mesure la pratique du sport peut contribuer
Voir entre autres Adrian Oldeld, Citizenship and Community. Civic Republicanism and the Modern World, London / New York, Routledge, 1990, 196 p. Aristotle, The Politics (traduit par T.A. Sinclair, rvis par T.J. Saunders), London, Penguin Classics, 1992, p. 169. Richard Dagger, Civic Virtues; Rights, Citizenship, and Republican Liberalism, New York / Oxford, Oxford University Press, 1997, 258 p.
la promotion de cette conception de la citoyennet librale corrige. Mais, avant de pouvoir entamer cette problmatique, il faut que je mattarde sur deux questions prliminaires: Comment peut-on caractriser la citoyennet rpublicaine librale? Comment peut-on, en gnral, promouvoir cette forme de citoyennet?
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Ibid., pp. 99-104. Michael Walzer, Spheres of Justice, Oxford, Martin Robertson, 1983, p. 68.
Mancur Olson se rfre, dans sa thorie sur laction collective, au phnomne du free-rider . 6 Un individu rationnel, qui cherche avant tout raliser ses propres ns, a tout intrt ne pas cooprer. Dans le contexte socital, o la coopration citoyenne vise surtout produire des biens publics, la contribution dune seule personne ne fait pas la moindre diffrence. De surcrot, les biens publics, comme la dfense nationale ou un environnement propre, sont des biens indivisibles. Mme si quelquun ne souhaite pas fournir sa contribution leffort collectif dans lobjectif de produire ces biens, il pourra quand mme en proter. Bien videmment, cet argument nest valable que dans le cas o un groupe de citoyens sufsamment nombreux continuent remplir leurs devoirs, malgr le fait quil y en ait certains qui protent des efforts fournis par autrui. A moins que lon soit naf et / ou un saint moral, il est difcile de croire quune telle situation puisse perdurer. Le jeu du dilemme du prisonnier (JDP) nous apprend que, dans une situation o les participants doutent de lesprit coopratif de lautre, il ny aura pas de coopration. 7 En effet, chaque joueur veut viter tout prix que lautre puisse proter de son effort ou de son geste coopratif. Dans le contexte socital, un manque de conance similaire dans lesprit coopratif de lautre, mnerait, dans un cas extrme, une non-coopration totale, et donc, en mme temps, une socit peine vivable. On pourrait dire quil sagit dune socit caractrise par une citoyennet purement formelle. Selon Dagger, il est possible de transformer cette citoyennet purement formelle en une citoyennet rpublicaine librale en instaurant des conditions visant tablir, entre les membres de la socit, une interaction prolonge et une affection mutuelle. 8 En utilisant les termes de la thorie des jeux, lobjectif est de passer dun JDP un jeu dassurance. Ce dernier jeu est caractris par le fait que les participants sont beaucoup moins tents de vouloir proter des efforts des autres. A travers un processus de contacts multiples et rptitifs, les participants sont parvenus dvelopper un ensemble de valeurs en commun. Dans ce nouveau contexte dinteraction structurelle, les participants sont devenus, selon Dagger, des altruistes conditionnels. Ils sont prts fournir un effort au prot de la collectivit condition que les autres fassent de mme. Mais comment peut-on stimuler cet altruisme conditionnel? Dagger distingue cinq lments qui favorisent lesprit de coopration parmi les membres dun groupe. 9 Le premier lment est la taille du groupe. Plus le nombre de personnes dans un groupe est restreint, plus la probabilit de coopration au sein de ce groupe est relle. Les conditions favorables lexistence du phnomne free-rider seront, par exemple, beaucoup moins prsentes. En effet, dune part, la contribution dune seule personne dans un petit groupe pourra davantage faire la diffrence, et dautre part, la pression et la dsapprobation sociale se feront beaucoup plus vite sentir lorsquun des membres tente de proter de leffort des autres. Il va de soi que cette condition est trs difcile satisfaire dans nos socits extensives. Ctait dailleurs dans cette perspective que des philosophes politiques, comme Tocqueville ou Montesquieu, prnaient une rpublique fdrative, o les entits fdres sont sufsamment compactes pour permettre le dveloppement dun esprit rpublicain. 10 La deuxime condition est celle de la stabilit du groupe. An quun certain degr de coopration puisse sinstaller au sein dune socit, il faut quil existe un engagement partag parmi ses membres pour sinvestir dans le bien-tre collectif long terme. A partir du moment o les membres arrivent et partent un rythme plus lev, cet engagement tend disparatre. Dans un tel scnario de grande instabilit, le principe de rciprocit jouera beaucoup moins: pourquoi ne pas proter des autres, lorsque je naurai plus besoin de leur coopration plus tard? Pour quune relation de coopration puisse exister et perdurer, il faut aussi que cette relation et ceci constitue la troisime condition fasse preuve dquit. Un systme de collaboration o ce sont toujours les mmes qui font un sacrice, et toujours
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Andrew Heywood, Political Theory. An Introduction (3rd edition), Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004, p. 247. Political Theory, op.cit., p. 246. Civic Virtues, op.cit., p. 113. Civic Virtues, op.cit., pp. 113-116. Derek Heater, What is Citizenship?, Cambridge, Polity Press, 2002, p. 55.
les mmes qui en protent, na pas beaucoup de chance de russite. La coopration quitable pourrait, en quelque sorte, tre considre comme le principe de base dun altruisme conditionnel. On est prt contribuer lintrt gnral condition que la rpartition des charges et des bnces de la citoyennet soit quitable. 11 La communication est le quatrime lment ncessaire pour tablir une relation cooprative. La prennit dun systme de collaboration ne peut tre assure que dans le cas o les participants partagent un savoir commun. Quelles sont les rgles respecter, que peut-on attendre des autres et que peuvent-ils attendre de moi? Quest-ce qui se passe en cas dinfraction des rgles? Etcetera Mais, pour quun tel savoir commun puisse sinstaller, il faut videmment que les membres de ce groupe tablissent un systme de communication. La dernire condition que Dagger cite celle de la participation est troitement lie celle de la communication. Plus les membres participent aux activits du groupe, plus ils communiquent et plus ils seront prts adopter une attitude cooprative. En effet, lun des effets dun degr de participation plus important est justement une plus grande identication au groupe et aux valeurs du groupe. Et il va galement de soi quun esprit de coopration sinstallera plus facilement parmi des personnes qui se connaissent et qui partagent les mmes valeurs.
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Un exemple trs connu de llaboration dun systme de coopration quitable est celui du philosophe amricain John Rawls. John Rawls, Thorie de la justice (traduit de langlais par Catherine Audard), Editions du Seuil, 1997, 665 p. Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1993, p. 2137. La Charte Olympique: http://multimedia.olympic.org/pdf/fr-report-122.pdf.
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voir une socit pacique, soucieuse de prserver la dignit humaine. 14 Ce principe laisse entrevoir le rle important que le sport peut jouer dans laspect thique de la vie socitale. Stimuler la formation dune personne bien quilibre sur le plan physique, mental et moral mnera, selon la Charte, des effets bnques au niveau du bien-tre social. Mais, peut-on dduire de cette prmisse olympique que les personnes sensibles aux valeurs sportives le seront aussi aux valeurs rpublicaines librales et, plus particulirement, lautonomie et au sens de la coopration (vertu citoyenne)? Autrement dit, des sportifs vertueux disposent-ils dune plus grande probabilit de spanouir en citoyens vertueux? Le reste de mon expos se focalisera prcisment sur cette question. Comment la pratique sportive peut-elle contribuer au dveloppement des deux valeurs rpublicaines librales?
Le sport et lautonomie
Dans la tradition librale, lhomme est peru comme un tre rationnel et autonome. Cela veut dire que lhomme dispose, de par sa nature, de la capacit dorganiser sa propre vie sans interfrence de lextrieur. Les choix oprs constituent, en termes thiques, la conception du bien dune personne. Les socits, o cette autonomie individuelle est une valeur centrale de la culture politique, sont caractrises par des structures de base permettant tout le monde de dvelopper et dexercer pleinement son autonomie. Cette approche librale se rete dans une citoyennet formelle bien prcise. Chaque individu dispose, pour pouvoir exercer son autonomie, dun certain nombre de liberts classiques (par exemple: la libert dexpression, dassociation, de pense et de conscience). Toutes ces liberts sont en quelque sorte des manifestations particulires du droit fondamental lautonomie. Mais, il faut se rendre compte du fait que lon nest pas n dans une situation dautonomie. Il faut devenir autonome. Il sagit, en effet, dune potentialit que lon doit dvelopper tout au long de sa vie. De ce point de vue, dans la plupart des socits sociales-dmocrates, chaque individu est aussi porteur dun certain nombre de droits qui ont pour but dactiver lautonomie personnelle. Le droit lenseignement, le droit des soins de sant, le droit un logement salubre, etc, ne sont que quelques exemples. Dans cette mme perspective, on pourrait aussi avancer un droit au sport. Comme le droit lenseignement, le droit au sport vise surtout raliser lautonomie dune personne. Ds son plus jeune ge, lenfant devrait tre mis en contact avec diffrents sports. De cette faon, il ou elle sera dans la possibilit dessayer les diffrentes disciplines sportives et ventuellement, de faire un choix qui corresponde le mieux ses propres capacits et ses propres attentes. Choisir un sport que lon aime faire contribue aussi la construction de sa propre identit. En effet, pratiquer un sport, individuel ou en quipe, requiert une prise de conscience de soi-mme. Qui suis-je? Quelles sont mes capacits? Que voudrais-je obtenir sur le plan sportif? En mme temps, la pratique de nimporte quel sport exige aussi, ct dun certain degr de discipline et de persvrance (aspect caractriel), le dveloppement dune facult de discernement (la raison pratique ou phronesis). Agir en tant quindividu autonome implique que lon devrait tre mme de prendre des dcisions judicieuses sur base dun certain nombre dlments pertinents dont voici quelques exemples. Comment devrais-je mentraner, tant donn mes faiblesses, mes points forts, ma capacit de rcupration, mes objectifs, mes obligations lextrieur du milieu sportif (tudes, famille, etc.)? Ou encore: Quelle tactique devraisje adopter, tant donn la qualit de ladversaire, mes propres atouts, les circonstances dans lesquelles nous devrons jouer, lenjeu du match, etcetera? Il faut toujours essayer de prendre la bonne dcision en fonction du contexte spatio-temporel spcique. Limportance du dveloppement dune telle facult dapprciation ne peut en tout cas tre sous-estime. Le fait de pouvoir atteindre des objectifs que lon sest xs grce sa propre action autonome tend renforcer le respect de soi-mme. En outre, cette prise de conscience et de conance en ses propres possibilits, ne devrait pas se limiter au domaine sportif. Le sport peut, par exemple, aider certaines personnes sortir de
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Ibid. Une des conclusions du Symposium sur lEducation olympique Athnes (16-17 octobre 2003) afrmait ce mme lien entre les valeurs olympiques et la citoyennet: Les participants considrent que les valeurs olympiques peuvent contribuer dvelopper une citoyennet plus active en renforant les valeurs de la socit civile et instaurer la paix dans le monde en fondant lducation des jeunes sur la notion de dmocratie. http://ec.europa.eu/sport/action-sport/docs/2003-sympol-concl-fr.pdf.
leur isolement social ou conomique. Si on parvient progresser et tre performant dans le domaine sportif, pourquoi ne serait-il pas possible dimiter le mme succs dans lobtention dun emploi? Si on est daccord sur le fait que le sport peut contribuer au dveloppement de lautonomie individuelle, devrait-on en dduire pour autant que la pratique du sport prconise surtout une attitude individualiste? Certainement pas. Tout dabord, comme on lavait dj remarqu, lautonomie est une qualit de caractre quil faut acqurir tout au long de sa vie. Mais, ce qui est encore plus important, ce nest que grce aux autres que lon devient autonome. Cela vaut galement pour le sport. Activer lautonomie dune personne laide du sport, ncessite la guidance et lencouragement constant des autres. Deuximement, le fait que la pratique sportive puisse contribuer au dveloppement de lautonomie individuelle, nexclut aucunement la capacit de cette pratique de stimuler la vertu citoyenne.
possibilit de vivre, de dcider et dagir ensemble. Mais, il faut que lon apporte un bmol cette hypothse. Lappartenance un club de sport ou nimporte quelle autre organisation locale reprsente, pour la plupart des personnes, un engagement concret et personnel. Le choix de telle ou telle activit sportive, ou de tel ou tel club de sport, est, dans la plupart des cas, un choix mrement rchi. Cela peut tre expliqu par le fait quune telle dcision entrane quand mme un certain nombre dimplications importantes. Il sagit tout dabord dun investissement considrable de temps et deffort. Il y a aussi laspect nancier (quipement, inscription, assurance, dplacements), et les engagements vis-vis des autres membres du club, etc. La citoyennet par contre, est injustement perue par beaucoup comme une appartenance plutt virtuelle et instrumentale. Laspect virtuel de la citoyennet sexplique, entre autres, par son caractre peu tangible. Le citoyen moderne connat peine une fraction de ses concitoyens, et lexprience consciente de sa citoyennet est, en gnral, limite sa participation aux lections. Laspect instrumental de la citoyennet se manifeste surtout dans nos socits libres et ouvertes, o chaque individu est focalis sur le dveloppement de sa propre conception du bien. Une telle approche instrumentale est aussi caractrise par une mise en exergue de la dimension juridique de la citoyennet et non par son aspect thique. Le fait que, pour la plupart dentre nous, la citoyennet et lengagement sportif sont deux mondes compltement diffrents est nfaste pour lhypothse avanant quil existe une manifestation quasi automatique de lesprit coopratif li lengagement sportif dans le monde citoyen. Et pourtant, tout nest pas perdu. On peut garder un brin despoir en supposant que les vertus morales dveloppes dans le contexte sportif puissent se manifester dans le contexte citoyen partir du moment o la ralit citoyenne est ressentie comme un engagement, et non comme une vidence sociale qui ne suscite que peu dmotion. Un premier pas dans cette direction serait de sensibiliser davantage les citoyens au fait que la socit nest pas une entit virtuelle. Au contraire, lenjeu socital est non seulement dune importance primordiale (assurer le bien-tre des citoyens), la probabilit de pouvoir gagner le match pour tout le monde dpendra de lengagement de tout citoyen. Faute de cette prise de conscience, nous risquons de nir tous perdants.
Conclusion
Les sports peuvent-ils sauver la citoyennet? Soyons clairs sur ce sujet: la rponse est non. Peuvent-ils contribuer cultiver la citoyennet? Oui et non. Oui, parce qutre engag dans une pratique sportive constitue, comme la citoyennet, une entreprise sociale dans laquelle des individus sont censs travailler ensemble an de raliser un objectif en commun. Ou, autrement dit, le sportif vertueux et le citoyen vertueux partagent les mmes qualits: lautonomie et le sens de la coopration. Non, parce que dans notre socit moderne, la citoyennet contrairement lengagement sportif nest pas perue comme une entreprise sociale. Trop souvent, il existe une tendance accentuer laspect droits citoyens et oublier laspect devoirs citoyens. Cette mconnaissance de la nature sociale de la citoyennet est nfaste pour le dveloppement du sens de la coopration dans le contexte citoyen. Une manifestation spontane de la solidarit sportive dans le contexte citoyen est, pour cette raison, peu vidente. Le d relever est donc de convaincre les citoyens de la nature cooprative de la ralit citoyenne. Ce qui est plus important, cest de se rendre compte du fait que le jeu socital constitue une entreprise cooprative dont lenjeu est dune importance primordiale. Hors du contexte citoyen, les vrais sports ne peuvent mme pas exister.
Travail Dcent et dveloppement des comptences par le sport pour les jeunes et les forces de maintien de la paix
Giovanni di Cola
Le but fondamental de lOIT aujourdhui est que chaque femme et chaque homme puissent accder un Travail Dcent et productif dans des conditions de libert, dquit, de scurit et de dignit. Juan Somavia, Directeur gnral du BIT
Le travail dcent est ainsi bien plus quune simple notion juridique. Cf. Le travail dcent, points de vue philosophiques et spirituels, sous la direction de Dominique Peccoud (Genve BIT, 2004). Le rapport du Directeur gnral de Juin 2001, dans sa premire question lordre du jour, intitul Rduire le d cit de travail dcent, un d mondial est dailleurs explicite ce sujet. On le trouve sur le site Internet: http://www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc89/rep-i-a.htm Un ouvrage du BIT explique clairement ces programmes nationaux en 2005. Il sintitule: ILO Decent Work Country Program: A Guidebook (BIT, 2005).
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dautres parties prenantes lintrieur et lextrieur du systme des Nations Unies, contribue, grce ses larges comptences et ses principaux instruments daction, llaboration et la mise en uvre de ces programmes, au renforcement des institutions charges de les appliquer et lvaluation des progrs accomplis. La promotion du travail dcent est une responsabilit conjointe des mandants de lOIT et du Bureau. En raison du caractre tripartite de lOrganisation, lAgenda pour le travail dcent incorpore les besoins et perspectives de ses mandants, savoir les gouvernements et les organisations demployeurs et de travailleurs, mobilisant leur nergie et leurs ressources et proposant les fondations dun consensus sur la politique sociale et conomique. Le sport a t intgr cette dmarche de promotion du travail dcent, car cest un moyen dcisif pour atteindre les jeunes. Ainsi, lOIT labore de mthodes largies de formation sur les questions relatives au Travail Dcent par le rseau des universits; elle contribue par ailleurs aux Initiatives des Nations Unies sur la Jeunesse pour lemploi et la formation notamment dans le secteur du sport et par le sport. 4
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Cf. le site web http://www.ilo.org/public/french/universitas/. Cf. dans le mme site: http://www.ilo.org/public/english/universitas/download/initiative/youth_sport_ prog.pdf Cf. Beyond the Scoreboard: Youth employment opportunities and skills development in the sports sector, (Geneva ILO, 2006) par un tableau prcis aux pages 179-184. Cette tude a t ralise auprs de projets de lUnion Europenne dans le cadre de lanne europenne de lducation par le sport en 2004 (http://ec.europa.eu/sport/action_sports/aees/aees_overview_fr.html) et dautres projets soutenus par les Nations Unies en gnral (http://www.sportanddev.org/en/index.htm). Cf. Beyond the Scoreboard, Op. Cit., page 177, prsentant comme exemple une tude ralise au Mozambique.
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les universitaires et les organisations non gouvernementales pour procder ensemble ce genre dvaluation. 9 En effet, il arrive souvent que ces diffrents acteurs se posent les mmes questions, ralisent des tudes sectorielles similaires, et utilisent du temps et des ressources (techniques et humaines) alors quen collaborant entre elles, elles seraient encore plus efcaces. Selon ce procd de dveloppement des partenariats, lONU a reconnu et valu les besoins et les comptences tirs du sport pour dvelopper lemploi. 10
Cette mthodologie est prsente aux pages 58, 59 et 60 de lOf cial International Handbook de 2004, publi par la World Federation of the Sporting Goods Industry (www.wfsgi.org). La version intgrale de larticle est disponible ladresse suivante: www.ilo.org/public/english/universitas/download/publi/article_wfsgi.pdf Cf. UN Report on Sport for Development and Peace (Nations Unies, Mars 2003) disponible sur www.un.org/ themes/sport. Ibid. page 8: le tableau sur les Valeurs et comptences acquises par le biais du sport. LOrganisation Mondiale de la Sant (OMS) a publi, par la voix du professeur J-J Guilbert, un Guide pdagogique pour les personnels de Sant dans lequel la notion de comptence est clairement dlimite. Les termes en sont les suivants: une comptence est une capacit professionnelle requise pour assurer certaines fonctions. Cest laptitude reconnue pour faire tel ou tel acte. Il peut sagir dune comptence intellectuelle (domaine cognitif), dune comptence de communication (domaine affectif) ou dune comptence gestuelle (domaine sensori-moteur). La comptence est une virtualit dont lactualisation constitue la performance. La comptence inclut aussi les indispensables valeurs humaines (honntet, persvrance etc.), elle est nanmoins professionnelle de fait, car lie une profession. Cf. GUILBERT, J-J., Guide pdagogique pour les personnels de sant, 6e d., Genve: Organisation mondiale de la Sant (OMS, Publication offset; no 35), 1998, ou article rsum: http://www.pedagogie-medicale.org/vol2_tribune.pdf, consult le 10 juin 2007. Cf. Code of ethics and good practice guide for physical education, par le European Physical Education Association (EUPEA) en Mai 2002 (ISBN: 90-70870-47-9).
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exercices visant dvelopper les comptences relationnelles est de donner aux jeunes et, ventuellement, aux ofciers membres de forces de maintien de la paix, lopportunit dapprendre et dvelopper un nouveau modle de comportement et ainsi damliorer les relations humaines dans le contexte oprationnel du travail. 14 Les capacits habituellement requises et les comptences spciques au sport se correspondent et se compltent. En analysant leurs diffrences, il apparat que dun point de vue professionnel comme personnel, les jeunes travailleurs intgrant le march du travail avec des comptences caractristiques du monde sportif seront bien quips du point de vue de comptences telles que la crativit et lesprit dquipe. Par dessus tout, ils auront un comportement pacique et respectueux envers la diversit culturelle. Enn, il apparat que les sportifs, quils soient professionnels ou amateurs, possdent souvent des qualits de gestion et de management.
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Cf. Beyond the Scoreboard, Op. Cit., page 188, US Air Force. Cf. Actividad fsico deportiva como instrumento para el desarrollo personal y social (Communidad de Madrid, 2002). La Francophonie la bien compris en publiant sur le thme Sport et Francophonie, son 9e cahier coordonn par Monique Pontault (LHarmattan, 2001). Larticle de Marcus Boni Teiga intitul la francophonie, un drle de machin montre aussi ce lien entre action culturelle et coopration sportive. Cet article du journal Le Bnin Aujourdhui est disponible sur Internet (consult le 14 novembre 2007: http://www.potomitan.info/ ayiti/magazine.php). Cf. Advancing key Quali cations of disadvantaged young people through sporting activities (Job and sports network, Ljubljana, 2005), qui considre le sport comme un medium pour intgrer le march du travail. Cf. Les cas de la Valle de Joux et du Allianz Swiss Open Gstaad: Organisation de manifestations sportives locales recherche action mene par Christel Costa, Claire Blony et Giovanni di Cola dans le cadre du Programme Universitas en Aot 2007. En cours de publication par le BIT, et disponible dans sa version provisoire sur Internet http://www.ilo.org/public/french/universitas/publi.htm
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La recherche et le maintien de la paix passe de plus en plus par des activits de dveloppement conomique et social dont le travail dcent est un pilier avec le respect des normes fondamentales du travail telles la libert dassociation ou lgalit des chances entre homme et femme. Toute mthodologie de formation dcoulant dune dmarche participative inspire par le dialogue social, mme dans des secteurs diffrends comme le sport et linsertion pour lemploi, servirait les intrts des populations et des travailleurs, surtout si elle rpond aux besoins exprims par les bnciaires. Les lves ofciers sont, de fait, les premiers missionns pour construire ou reconstruire lors des oprations de maintien de la paix. Il faut donc saluer ici le CREC qui oriente les recherches des lves ofciers vers le sport et lthique par cette journe dtude utilisant une mthodologie participative. 19 Il convient aussi de sinterroger an dtendre cette initiative qui permet aux futurs ofciers de bncier de connaissances utiles en matire de dveloppement conomique et social et de scurit humaine dans un pays en conit. 20 Par ailleurs, un sminaire sensibilisant limpact social du sport et lenjeu du travail dcent aurait un effet notable dans une cole qui forme des ofciers qui, pour la plupart, seront appels effectuer des missions pour lONU.
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Les actes des journes internationales des Ecoles de Saint Cyr Cotquidan du 24 et 25 novembre 2005 (Ministre de la dfense Arme de Terre, 2006) rassemblent ainsi plus de 370 pages de Confrences, tables rondes et discussions sur le thme de lthique militaire. Cf. Le rapport du Secrtaire gnral des Nations Unies de Septembre 2005 sous le titre In Larger Freedom disponible sur Internet en anglais (http://www.un.org/largerfreedom/) et en franais (http://www. un.org/french/largerfreedom/). Cela a t le cas par exemple en Albanie en 2004 et au Mozambique en 2005. Cf. http://www.ilo.org/ public/french/universitas/area/index.htm . Cf. Operational Guide to the integrated disarmament, demobilization and reintegration standards (UN, 2006): la premire tape des stratgies de rintgration des jeunes anciens combattants, au niveau de lenfance, y est lducation pour un dveloppement physique (page 207) dans un tableau du BIT intitul: Decent work in the life cycle.
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approfondie de la situation dans le secteur du sport et les secteurs associs. 23 Dautre part, cet inventaire permettrait dvaluer les gisements potentiels demploi bien au-del du sport proprement dit. Il sagit donc dinventorier et de dcouvrir de nouvelles opportunits demplois. 24 Ce travail pourrait ainsi avoir le soutien de lUnion Europenne ainsi que des partenaires sociaux de lOIT. 25 Par ailleurs, le soutien dinstitutions de recherche et de formation de haut niveau, telles les Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan, en vue dune possible application de telles mthodologies dans les zones de conits lattention des ofciers et, ensuite, des forces de maintien de la paix serait bienvenue.
Conclusion
Comme nous venons de le voire, plusieurs applications concrtes dune mthodologie de partenariat permettant de lier sport et travail dcent, sont possibles au service dune bonne gouvernance, diffrents niveaux. a) Dans la formation des ofciers, des sminaires multidisciplinaires sur lthique et le sport dans la perspective du travail dcent pourraient tre raliss, sensibilisant davantage les cadres militaires de nouvelles mthodologie. b) Dans les missions de maintien de la paix, les soldats pourraient bncier de connaissance sur les valeurs du sport facilitant la reconstruction du pays et la rinsertion des anciens combattants. c) Dans les formations proposes aux jeunes, des programmes interactifs utilisant le sport et ses valeurs peuvent aider dvelopper des comptences et qualications utiles pour lembauche.
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Cf. Beyond the Scoreboard, Op. Cit., particulirement le chapitre 6 de Jean Camy, page 85, revoyant la situation europenne des opportunits demplois dans le sector du sport. Le Chapitre 14 de Giovanni di Cola, identiant les emplois, les comptences et qualications pour lembauche montre bien aussi (pages 173 192) quil sagit trs souvent demplois ne faisant pas partie du sport proprement parler mais ncessaire sa pratique (inrmire, grant de stade, journaliste). cet effet, lexprience de lObservatoire europen de lemploi sportif (European Observatoire of Sport Employment) inaugur en 1994, est particulirement intressante (http://www.eose.org/home.htm). Elle met jour ltat et la taille du march europen du travail du sport et des secteurs lis au sport et contribue dvelopper le dialogue social dans tous les pays europens en renforant les organisations de travailleurs et demployeurs dans le secteur du sport. Deux publications coordonnes par Jean Camy et Nathalie Le Roux du Rseau europen des sciences du sport dans lenseignement suprieur, respectivement en septembre 1998 et janvier 1999, en ont dcouls: European classi cation of sport occupations and sport related occupations et European classi cation of sport and sport related economic activities. Aprs une telle initiative, le BIT aimerait mener un travail similaire dans les pays en voie de dveloppement qui ncessitent un tel inventaire. Cf. Livre blanc de lUnion Europenne sur le sport (http://ec.europa.eu/sport/whitepaper/wp_on_sport_ fr.pdf) Louvrage Multiple Intelligences (Basic Books, 2006) de Howard Gardner montre bien (de la page 213 la page 232) limportance de lencouragement de ce lien entre le monde lducation et celui de lemploi, toujours en mouvement, pour permettre le dveloppement de qualits telles le Leadership et le management dans le chapitre 12 co-crit avec Seana Moran.
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Dans le monde du travail, de nombreuses occupations sont lies au sport, sans tre sportives. Rpertorier et inventorier ces diffrents mtiers rvlerait des gisements potentiels de nouveaux emplois.
Faire comprendre lenjeu dune mthodologie de dialogue pour promouvoir le travail dcent travers le sport, notamment dans la formation, particulirement militaire, et dans les universits, cest rellement innover vers une meilleure gouvernance et une construction durable de la paix.
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ace toute confrontation ou intervention, lindividu ou le groupe subit une charge affective plus ou moins importante que lon peut, aussi, qualier de stress ou de pression. Limportance de cette charge affective dpend dun certain nombre de paramtres tels que: Lenjeu de la confrontation ou de lintervention Lobjectif atteindre ou la consigne raliser Le niveau dinvestissement de la personne ou du groupe Lenvironnement ou le contexte de laction Le droulement de cette action La qualit et le niveau de ladversaire ou de linterlocuteur (individuel ou collectif) La qualit et le niveau du (ou des) partenaire(s) dans le cas dune confrontation collective Ltat psychologique de la personne ou du groupe concern AVANT et PENDANT la confrontation.
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Je terminerai par lvocation de deux exemples issus de mon exprience personnelle, de mon parcours sportif et professionnel. Il sagit, en loccurrence, du sportif de haut niveau et de lenseignant dans lexercice de ses fonctions.
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a qualit de vie peut tre dnie par certains critres tels que lintgration conomique, linsertion sociale, la participation des activits sociales et physiques, le bientre et laccs aux services. Elle constitue en tant que tel un droit fondamental. Ce droit inclut ainsi le droit lgalit des chances pour ceux qui sont affects dune maladie chronique. Parmi les maladies chroniques, le diabte est une maladie particulirement prsente dans notre socit. La propagation de cette maladie est telle que lOMS parle dj dpidmie. En effet, selon les statistiques, en Europe de louest les cas de diabte type 1 ont augment de 36 % entre 1994 et 2010 tandis que les cas de diabte 2 ont augment de 54,9 % sur la mme priode. Dans le monde, en 1995, les diabtiques taient 135 millions; en 2025, ils seront 300 millions. La lutte contre le diabte apparat donc dsormais comme une priorit. Lobjectif est double: Pour les personnes affectes: garantir des conditions de vie digne, facilit laccs aux services, viter les phnomnes de ghettos. Pour lensemble de la population: favoriser une meilleure comprhension de la maladie an de sauvegarder leur propre sant (par exemple en prenant part des programmes prventifs). Pour atteindre ces objectifs, la mise en place dune stratgie prcise et adapte est ncessaire. Le diabte est une maladie qui renferme une problmatique thique qui va bien au del de sa dimension mdicale. Il est donc impratif de prendre en compte cette dimension an damliorer efcacement la qualit de vie des diabtiques. Dans cette optique la communication et le sport savrent tre des instruments de choix.
La ncessit dadaptation des moyens de prvention et de lutte contre le diabte aux particularits de la maladie
Les consquences du diabte vont au del de la sphre mdicale. De nombreux prjugs entourent les malades du diabte (A) comme cest souvent le cas lorsquil sagit de problme de sant. Il importe donc de communiquer sur la maladie (B).
Plusieurs problmes dordre thique dcoulent du diabte. Tout dabord un grand nombre de personnes diabtiques rencontrent des difcults dintgration sociale. Ainsi au sein du milieu scolaire il arrive que certains professeurs soient effrays davoir dans leur classe un enfant atteint de diabte. Bien souvent, ils ne savent pas si ces enfants peuvent manger une nourriture identique celle de leurs camarades de classe. Dautre part, du fait du manque dinformations, au contact des personnes affectes de maladies, les personnes saines sont souvent inquites. Beaucoup dentre elles ne connaissent de la maladie que les symptmes spectaculaires et les complications qui sont bien souvent inquitantes. Toutefois, peu de gens savent que lorsque les symptmes sont rapidement et bien traits, les complications ne sont pas srieuses. De mme, il circule des ides reues sur les soi-disant rgimes stricts des diabtiques;
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cependant, ces ides sont souvent exagres et ont pour rsultat de stigmatiser les diabtiques. Enn, on remarque que les personnes saines sont peu intresses par la prvention du diabte. Face au diabte, les patients sont souvent ngligents. Beaucoup dentre eux ne connaissent pas les consquences du diabte. Or, beaucoup de cas de diabte pourraient tre vit en pratiquant une activit physique de manire rgulire ou bien mme en faisant attention aux risques dobsit. Le diabte peut, dans certaines situations, poser des problmes. Mais, grce des conseils mdicaux et une bonne hygine de vie, les diabtiques peuvent la plupart du temps mener une vie normale. Pourtant, la population reste mal informe et certains clichs restent tenaces. Il convient alors dtablir une stratgie an de remdier ces problmes.
Face lampleur de ce au, il faut prvenir larrive de la maladie mais galement ses complications lorsquelle est diagnostique. La communication savre donc tre un outil primordial dans lamlioration de la qualit de vie. Dans cette optique, plusieurs mesures sont prendre, telles que: Utiliser les activits physiques comme outils de communication visant informer les personnes malades et saines des caractristiques de la maladie. Mettre en uvre des campagnes dinformations sur les maladies chroniques en mettant notamment contribution des personnes dautorit, particulirement coutes telles que des entraineurs sportifs, des instructeurs ou bien mme des personnes non sportives mais qui ont un lien avec le sport. Utiliser des lieux de rencontres tels que les stades et les gymnases an deffectuer des campagnes dinformations auprs des sportifs et de leurs spectateurs. Organiser des manifestations sportives ayant pour but la diffusion dinformations concernant la maladie. Diffuser des exemples dathlte atteint de maladie et dont les performances sportives sont remarquables.
La rsolution du problme passe par une connaissance complte et objective de la maladie (prvention, traitements): 1) Pour les personnes atteintes de la maladie: 2) Amliorer les contrles et prvenir les complications. Amliorer lestime de soi et lintgration dans la socit (dignit humaine)
Pour la population: Sensibiliser la prvention. Amliorer lintgration des personnes affectes par la maladie dans la socit
II
Mme si la recherche progresse et que de nouveaux mdicaments apparaissent, le vieil adage mieux vaut prvenir que gurir reste le matre mot de la prise en charge du diabte. En ce sens, le sport est un lment cl du dispositif prventif (A). ce titre, diffrentes tudes prouvent aujourdhui que lexercice physique et la perte de poids savrent dune tonnante efcacit. Ainsi il apparat dsormais clair que le sport est une arme essentielle dans la lutte contre le diabte (B).
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A
a)
b)
Promouvoir un mode de vie sain par la pratique dactivits sportives et physiques. La mise en uvre des objectifs xs passe notamment par la pratique dune activit physique. Le sport joue en effet un rle trs important dans le traitement et la prvention du diabte (par exemple en agissant contre lobsit). Il est donc ncessaire de dvelopper une meilleure communication propos de la maladie an dassurer une meilleure information aux personnes affectes ainsi qu lensemble de la population. Les points ci-dessous ont pour buts de concrtiser cet objectif: Mettre en place un systme de tness dans lequel serait compris un programme nutritionnel (comme, par exemple, la prescription dun rgime alimentaire sain ou le contrle de lalimentation). Associer des programmes sportifs des programmes dducation alimentaire. Promouvoir lide que le sport est un droit fondamental pour tout individu. Enseigner quels sont les bnces qui dcoulent de la pratique dune activit sportive (premirement: prvention de lobsit, des maladies cardiovasculaires, etcetera deuximement: traitement de ces maladies). Organisation de programmes spciques dactivits physiques. Pratique dactivits physiques et sportives visant promouvoir un mode de vie sain.
Le sport joue un rle important dans le traitement et la prvention du diabte et de lobsit. Lactivit physique fait en effet intgralement partie du traitement de la maladie. Il importe donc dagir ce niveau par plusieurs moyens: Inciter les gens pratiquer une activit physique dans le but de prserver leur capital sant. Promouvoir des activits physiques compatibles avec la vie quotidienne, accessibles et peu couteuses telles que lutilisation des escaliers, marcher, faire du vlo, viter lutilisation des transports moteurs. Informer les gens sur le diabte, sur les bnces du sport, notamment par le biais de personnes qualies tels les entraineurs sportifs. Procder des analyses visant mesurer les effets directs dune activit physique sur le mtabolisme. (Par exemple en mesurant la glycmie, le niveau de cholestrol, ainsi que dautres indicateurs sur les personnes affectes ou risques de mme que sur des personnes obses: dans un premier temps, avant lactivit physique; dans un deuxime temps, aprs lactivit physique.)
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Treize ans dexprience au Commissariat aux Sports Militaires dans la rglementation de la pratique du sport dans les armes
Jean-Claude Aumoine
a prparation physique du soldat ne date pas dhier. Sans remonter trop loin dans le temps, on peut imaginer les soldats de Napolon en campagne. Avant dengager le combat, ils doivent investir le pays ennemi. Les soldats marchent avec armes et bagages, les cavaliers pour mnager leur monture marchent aussi. En outre, il faut supporter souvent un environnement climatique trs rigoureux. Il faut aussi pouvoir rcuprer lors des haltes, dormir en dpit du stress du combat ressenti. Puis arrive la bataille. Les soldats doivent manuvrer lennemi en franchissant des rivires, gravissant des terrains accidents. Mais quand arrive le moment de lassaut la baonnette, de la charge sabre au clair, les soldats puisent alors dans leurs dernires ressources physiques et morales. On comprend bien que le soldat fait la guerre avec son corps et son me. Mais de nos jours, les soldats disposent de nouveaux matriels et armements, toujours de plus en plus labors. On serait tent de croire que la charge physique du combat diminue et que les meilleurs matriels sufsent pour gagner la guerre. En fait, il nen est rien. Les crises et les conits rcents ont prouv quils exigent de tout soldat des ressources physiques et morales normes, le succs lors des engagements des forces dpend autant, sinon plus, de la valeur physique et morale des hommes que des matriels servis, les plus performants soient-ils. La lecture des rglements franais et amricains conrme notre afrmation. 1 Le rglement dentranement physique militaire, le TTA 408 dit le 20 Javier 1960, cite ainsi le Marchal de Lattre de Tassigny: la guerre est une sorte de sport dramatique o le combattant doit mettre toutes les ressources de son tre, son endurance la fatigue, au froid, la chaleur, la faim, la peur, sa volont gnrale oppose celle de lennemi, son intelligence prte saisir toutes les occasionsLa carcasse, le cur, le cerveau entrent galement dans le jeu que lextrme pril de mort rend sans merci. Cela fait parfaitement comprendre que le sport doit faire partie intgrante du programme de prparation du soldat. Mais quels sports faut-il choisir? Et lorsque lon a slectionn des sports, quelles formes doivent-ils revtir dans leur pratique? La question qui se pose est bien le comment, ainsi que nous y invite la problmatique de cette journe de rencontre: Quelles formes doivent prendre la pratique ou la contemplation du sport, pour assurer le meilleur rendement en termes de culture des forces physiques et morales des armes, au service de la politique de notre Etat? .
Par exemple, le Mmento de lentranement physique militaire de 1946 prcise en introduction: contrairement ce que lon aurait pu penser, laccroissement du matriel dans la guerre moderne na pas provoqu une baisse du facteur humain. Bien au contraire, il semble quen dnitive la victoire ait t conditionne par la qualit de ce facteur, que le dernier mot soit revenu au soldat le plus entran physiquement, techniquement et moralement . Le manuel amricain: Field Manual No 21-20, Physical tness training stipule en prface: On 5 July 1950, U.S. troops, who were unprepared for the physical demands of war, were sent to battle. The early days of the Korean War were nothing short of disastrous, as U.S. soldiers were routed by a poorly equipped, but well-trained, North Korean Peoples Army. En franais: Le 5 juillet 1950, les troupes des Etats-Unis, qui ntaient pas prpares aux exigences physiques de la guerre, ont t envoyes au combat. Les premiers jours de la guerre de Core ont bien failli tre un dsastre; les soldats U.S. ont t mis en droute par une arme de terre du peuple Nord Coren mal quipe mais bien entrane.
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Pour essayer de rpondre ce questionnement, nous parlerons de notre exprience au CSM, en posant le problme de la dnition du sport, des organismes qui lont rgent de 1945 nos jours et des doctrines sportives militaires qui ont prvalu pendant cette priode; nous exposerons galement les problmes de lvaluation des pratiques du sport ainsi que des effets pervers qui sont apparus dans ces pratiques. Notre exprience au CSM nous a permis dapprhender le sport militaire dans sa complexit, tant dans sa dnition que dans son organisation par les tats-majors centraux qui se sont succds depuis le Service central des sports jusquau CSM. Le sport militaire sest organis, de 1945 2000, autour de trois doctrines et a rvl des problmes dvaluation et des effets pervers dans sa pratique.
Maintenant, les dnitions des AP, APM, et APS (toutes regroupes dans le sigle APMS) sont les suivantes: Les activits physiques (AP). On entend par activits physiques (AP) toutes les activits qui mettent en Suvre les muscles squelettiques du corps humain et qui consomment de lnergie (cette dnition est emprunte lAssociation internationale du sport pour tous), permettant dentretenir ou damliorer la condition physique. Nager simplement, pour amliorer ses capacits organiques ou se dtendre, ou faire les deux la fois, Cest pratiquer une AP. Les activits physiques militaires (APM). Les APM sont des activits permettant dentretenir ou damliorer la condition physique spcique du militaire en prvision de lexcution de sa mission du temps de crise ou de guerre. Exemples: pratique du parcours du combattant, de la marche commando, du lancer de grenades main, etc. Les activits physiques et sportives (APS). Les APS sont les activits rgentes par les fdrations ou associations internationales et nationales qui permettent galement de maintenir ou damliorer la condition physique de base. Exemples: pratique des sports collectifs, de lathltisme, du ski alpin, participation au Raid Gauloises, etc.
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que militaire (EPM) et du sport dans les units. 3 En 1948, le Service central des sports est cr pour ne soccuper que des sports. 4 Ds lors, cest encore le 3me bureau de ltat-major de larme qui rglemente lentranement physique militaire par le TTA 408. Le Service interarmes de lentranement physique et des sports (SIEPS) succde au Service central des sports, de 1962 1972 avec de nouvelles missions en plus. Ces principales attributions nouvelles sont: la coordination des tudes et llaboration des directives gnrales en matire dentranement physique au sein des armes; le contrle des mthodes, appliques dans les units et formations militaires pour lentranement physique, et des rsultats obtenus; la coordination en matire dinfrastructure sportive; la direction de la formation des moniteurs dentranement physique. 5 Il est remplac par lInspection technique de lentranement physique et des sports (ITEPS). 6 Le 28 avril 1980, le Commissariat aux sports militaires (CSM) reprend les missions de lITEPS en perdant la mission dinspection technique. Toutes ces structures qui se succdent voient leurs missions augmenter au l du temps; ce qui marque lintrt des armes pour la pratique du sport. Depuis 1945, avec la cellule sport de lEtat-major de larme jusquen 1962, avec la cration de SIEPS, on assiste, en effet, une monte en puissance des organismes centraux chargs dorganiser la pratique du sport. Le SIEPS marque une nouvelle forme dorganisation, vocation interarmes, interministrielle et internationale militaire prononce. Il prend tout en charge, de la pratique du sport (dont celle de haut niveau) la formation des cadres et au contrle technique de lentranement. LEcole interarmes des sports (EIS) de Fontainebleau, cre en 1967, parachve ce dispositif. Avec lEIS sont, en effet, localiss sur le mme site le Bataillon dAntibes, charg de la formation des moniteurs, et le clbre Bataillon de Joinville, regroupant 450 sportifs de haut niveau. Le CSM bncie, jusqu la n des annes 90, de lexprience des structures centrales qui lont prcd mais aussi de laide de commissions consultatives. 7
La cellule sport de ltat-major de larme sappuie sur le centre de formation de Pau et le Centre militaire descrime et des sports de combat dAntibes auxquels elle donne des directives. Elle participe, en la personne de son chef, la rdaction du nouveau rglement: le TTA 401 (Mmento de lentranement physique militaire de 1946). Le Service central des sports reoit les missions dorganiser la pratique du sport dans les trois armes et dtablir des rapports avec tous les organismes ofciels ou privs soccupant des questions sportives ou sy intressant. Il traite des comptitions internationales militaires et recrute des arbitres et ofciels militaires. Le Centre sportif des forces armes (qui devient, le 1er juillet 1956, le clbre Bataillon de Joinville) et le Service des sports questres relvent directement de son autorit. Le Service central des sports ne soccupe que du sport et nintervient pas dans lentranement physique militaire (voir en note prcdente, la dnition des activits physiques militaires APM) ni du personnel spcialis. Il dite, en 1960, un recueil de textes se rapportant la pratique sportive dans les armes mais ne participe pas llaboration du rglement dentranement physique militaire, le TTA 408, qui en 1958 remplace le TTA 401 et le manuel du moniteur de sports de combat (dition de 1954). Le SIEPS tablit galement le calendrier sportif gnral des armes et assure les liaisons ncessaires entre le ministre de la Dfense nationale et le Secrtariat dEtat la jeunesse et aux sports. Par ailleurs, le chef du SIEPS dirige la dlgation franaise aux assembles gnrales du Conseil international du sport militaire (CISM). En plus, et ce qui devient important, il apporte, dans la mesure de ses possibilits, son concours technique aux inspections en matire dentranement physique, la demande des inspecteurs gnraux des armes. LEcole interarmes des sports (EIS) de Fontainebleau lui est rattache organiquement, sa cration le ler juillet 1967. Le SIEPS reoit, par rapport au Service central des sports, deux nouvelles missions importantes: la formation des moniteurs et le contrle des mthodes. Le SIEPS prgure les organismes qui lui succdent: lInspection technique de lentranement physique et sportif (ITEPS) et le CSM. LITEPS est cre le 23 dcembre 1972. Mais par rapport aux missions de SIEPS, il ny a que peu de changement. LITEPS prend le nom dinspection mais la consultation des archives du sport militaire fait apparatre que cette mission sest limite llaboration de ches techniques, pour conseiller les gnraux inspecteurs de chacune des armes, en matire de sport. Rien de nouveau donc par rapport au SIEPS. Les commissions nationales des sports militaires et les commissions rgionales des sports militaires, cres en 1967 pour la collaboration entre les autorits civiles et militaires comptentes et les fdrations sportives, au niveau national et au niveau rgional, dune part, et la commission interarmes de lentranement physique et des sports, dautre part, pour la prparation de la rglementation sportive et la formation des moniteurs dans les armes.
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Aprs 1945, le sport militaire est donc rorganis par la cration dorganismes centraux comme le SIEPS et le CSM, son hritier, qui afchent une vocation sportive (cf. la dnition des APS) et interarmes. Mais il ne faut pas oublier la part prise par chacune des armes dans la prparation physique de ses forces, au moyen dacteurs, plus dcentraliss que ceux que nous venons de dcrire, qui prennent en charge la composante militaire de lentranement (cf. la dnition des APM). 8 Les structures centrales que nous venons de dcrire, responsables de la prparation des directives et de la rglementation gnrale, contribuent llaboration de trois doctrines que nous allons maintenant prsenter.
A titre dexemple seulement, nous citerons le centre national dentranement commando (CNEC) de Montlouis, lEcole des troupes aroportes de Pau (ETAP) pour larme de terre et lEcole des fusiliers marins de Lorient pour la Marine Nationale. LEPC comporte des sances de pratique de terrain (programmation de marches et raids), des sances de progression au combat (ramper, plaquages au sol, etc.) sans arme, puis avec arme. Il comprend aussi lentranement sur parcours (parcours dobstacles) dont les parcours sur piste du risque et parcours du combattant, le combat de choc (corps corps, lancer de grenades, prparation physique en vue du tir en combat rapproch (ou tir instinctif) et la prparation physique la survivance en pays hostile. Parmi les activits programmes gure le pentathlon militaire (tir au fusil, parcours du combattant effectu sans arme, parcours nautique de 50 mtres avec obstacles et cross-country de huit kilomtres). Parmi les activits physiques de loisir on retrouve lathltisme et la natation qui prennent la forme de challenges du nombre, les cinq sports collectifs, le water-polo et la pratique des poids et haltres.
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des cadres dont elles prolongent la jeunesse; des techniciens, quelles rendent plus efcaces; des combattants du rang devenus, grce leur pratique, plus aguerris. Sur le plan collectif, elles jouent un rle essentiel en concourant au dveloppement de lesprit de solidarit, au got de la russite collective et au sens de la discipline librement consentie. Pratiques par les cadres au sein de leur unit, elles sont un facteur trs important de cohsion. Mais parce quelle a, dans le cas dun service militaire obligatoire la responsabilit de tous les jeunes Franais une priode o ils sont encore rceptifs, larme a le devoir de prolonger laction de lducation nationale dans la recherche du plein panouissement physique et moral des recrues. Le service national apporte alors au plus grand nombre un complment de formation et dans certains cas, une chance de rattrapage inespre. Le sport amne ainsi larme assumer lgard de la famille, de lcole, de luniversit ou de lentreprise, un rle de continuit qui savre, sur le plan social, un lien solide entre la nation et larme.
La doctrine proprement dite donne une grande place au sport et appuie sa pdagogie sur la comptition. Elle afrme ainsi:
Cest en effet le sport qui doit tre au cur des programmes car il est incontestablement lactivit la plus complte pour la formation gnrale. Certes, des procds fonctionnels adapts peuvent donner sur le plan physique des rsultats aussi bons, parfois meilleurs, que ceux obtenus par la pratique du sport mais ils nauront jamais les mmes incidences psychologiques sur le plan de lindividu et surtout sur le plan collectif.
La pdagogie de la doctrine sappuie sur la pratique sportive qui dbouche en effet naturellement sur la comptition, dont le got est inn chez tout individu, gnrant la motivation pierre angulaire du systme. Chaque homme est orient vers une discipline sportive individuelle ou collective. La doctrine prcise aussi: A l occasion de cette pratique sportive, il sagit de dvelopper, laide des procds rpondant le mieux aux objectifs viss, toutes les qualits ncessaires au combattant et lindividu. II ne sagit pas, bien sr, de former des footballeurs ou des judokas mais, par le biais du sport, de faire pratiquer un entranement physique attrayant et dynamique.
La doctrine de 1990
La doctrine de 1990 (cf. Manuel de la pratique des activits physiques et sportives dans les armes) donne comme but lentranement physique de prparer le militaire assumer sa mission ou son emploi du temps de crise ou de guerre et amliorer son efcacit ds le temps de paix. Cet entranement physique est conduit aprs une valuation de variables physiologiques individuelles permettant une catgorisation en fonction de lge et du sexe. Il comporte: une mise en uvre dactivits fondamentales adaptes aux catgories et tudies pour atteindre dans un temps donn un niveau thorique de condition physique moyenne; une laboration de plans dentranement complets adapts la spcicit de la mission et aux astreintes gnres par les activits professionnelles et un contrle obligatoire des effets de lentranement effectu au moyen de tests priodiques adapts. Ces plans dentranement complets sont conus sur des objectifs gnraux (mise en condition physique) ou partiels (prparation dune mission programme, dune activit majeure ou saisonnire) xs par le chef. Selon des rgles simples de dosage (variant en fonction des objectifs) et de programmation, les plans sont constitus par lamalgame dactivits physiques judicieusement choisies parmi les procds dentranement, les sports classiques et les sports militaires.
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pas aussi quau moment de la rdaction de la doctrine dAntibes, dans les annes 50, la France fait la guerre dIndochine et dAlgrie. Il y a lieu dobserver nanmoins que ces doctrines, pour similaires quelles soient dans la part quelles rservent lentranement physique militaire (cf. APM), prsentent toutefois des diffrences. En 1960, on nadapte pas. Le fantassin, le pilote de chasse, le sous-marinier doivent disposer des mmes qualits physiques. Cela nest plus vrai en 1990 car on afrme que les conditions physiques de ces militaires sont spciques de lexcution de leurs missions trs diffrentes et, quen consquence, lentranement physique qui doit leur tre appliqu est diffrent. La situation politique, en 1975, est bien diffrente. Pour la premire fois depuis longtemps la France est en paix depuis la n de la guerre dAlgrie, en 1962. En dpit de lexistence de deux blocs qui font la course aux armements, la probabilit dune guerre conventionnelle est trs faible. De plus, la France vit labri du bouclier de sa propre dissuasion nuclaire, et, en cas dagression du pacte de Varsovie lengagement des armes amricaines est quasi certain Nous avons pu observer que le texte de la doctrine de 1975 est largement inspir du travail de la commission: le sport larme, paru dans lessai de doctrine diffus en 1965 par le Secrtariat de la jeunesse et des sports. Dans ces conditions, il ny a rien dtonnant ce que la pratique du sport soit institue comme moyen de mise en condition physique du combattant et comme outil de formation gnrale. Et lon comprend parfaitement que le sport amne ainsi larme, constitue dune grande majorit dappels, assumer lgard de la famille, de lcole, de luniversit ou de lentreprise un rle de continuit qui savre, sur le plan social, un lien solide entre la nation et larme. Si les doctrines sportives militaires prescrivent les buts assigns lentranement physique, et les effets que doit produire cet entranement sur la condition physique du personnel, il faut encore savoir si lentranement a bien t excut, dabord, et sil produit les effets escompts, ensuite. Ce qui introduit la notion dvaluation.
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Aux termes de larrt du 23 dcembre 1972: Un of cier gnral portant le titre dinspecteur technique de lentranement physique et des sports remplit, sous lautorit directe du chef dtat-major des armes, des missions dinspection, dtudes et dinformation en matire dorganisation et de pratique de lentranement physique et des sports dans les armes .
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des armes ne contrle que la prparation des forces engages sur un territoire extrieur et les chefs dtat-major de chacune des armes sont maintenant seuls responsables de la prparation de leurs propres forces sur le territoire national. De ce fait, la mission dinspection de lITEPS na plus lieu dexister. Cependant, des faits nouveaux surviennent, au tout dbut des annes 90, qui permettent de relancer linspection du sport au niveau central et qui aboutissent la cration du Comit dvaluation de la politique du sport dans les armes.
La directive prcise galement quune procdure dvaluation de la politique sportive est instaure. Le comit dvaluation est compos dun prsident, dsign par le contrle gnral des armes, du Commissaire aux sports militaires, membre de droit, et de membres dsigns par les inspecteurs gnraux des armes, les inspecteurs du Service de sant et le chef du Service dinformation et de relations publiques des armes (SIRPA). Le comit tablit des relations avec le comit scientique de lvaluation cr pour lamlioration du service public. Aux termes de linstruction qui le cre, le comit dvaluation doit apprcier si la directive ministrielle et les directives propres chaque arme permettent effectivement datteindre les effets attendus: au niveau individuel: acquisition ou maintien dune bonne valeur physique individuelle; au niveau des units: amlioration de laptitude oprationnelle; au niveau de la Nation: dveloppement de la pratique sportive et de lesprit de dfense. Le comit rend son premier rapport dtape le 31 mai 1993. Nous ne rapporterons pas ses conclusions, qui seraient trop longues, mais nous insisterons sur quelques problmes rencontrs dans lvaluation de la directive. Tout dabord, quest-ce que la valeur physique individuelle? Bien sr, le Manuel de la pratique des activits physiques et sportives dans les armes (tome l) instaure un contrle obligatoire de la valeur de laptitude physique individuelle (COVAPI) avec des preuves physiques assorties de barmes. Le comit a pu observer comment ce contrle tait subi (ou pas du tout subi) dans les armes. Mais ses observations ne pouvaient porter que sur les informations donnes dans les comptes rendus annuels des armes qui, comme tout document de synthse, peuvent parfois scarter de la ralit. Le COVAPI rend-il sufsamment compte de la valeur physique individuelle par la nature de ses tests. Ny a-t-il pas dautres tests plus performants? Des tests dvaluation des APM par exemple? Un soldat rustique, mais peu performant aux tests du COVAPI, a-t-il une moindre valeur physique que le soldat trs performant mais peu rustique, parce que moins rsistant au froid, au manque de sommeil? Ce qui dmontre aussi la difcult dapprcier laptitude oprationnelle par manque de critres dobservation qualitatifs et quantitatifs.
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Conclusion
II est permis dobserver que lamlioration du facteur humain a toujours t prise en compte dans la prparation des forces armes, en dpit des progrs des matriels et des armements toujours plus labors, et que le sport a toujours t choisi pour amliorer ce facteur. La pratique du sport dans les armes se rvle assez complexe et pour rendre compte de sa diversit il a t ncessaire de dnir le sport, comme terme gnrique, en activits physiques (AP, APS, APM, APMS). Les APM pourraient prendre des formes nouvelles, trs adaptes lengagement prvisible de nos forces en terrains varis, comme ladventure training pratiqu par larme de Terre britannique. Cet entranement laventure prend, par exemple, la forme de raids accomplis sur des terrains rputs pour leur dangerosit et leur caractre dinscurit et sans structures daccueil et de soutien particulires. 12 Les AP pourraient galement tre compltes par des activits nouvelles, dont le but est de grer et rduire le stress. Ces activits que lon pourrait dsigner comme activits de relaxation, qui empruntent certaines de leurs techniques la sophrologie, peuvent srement amliorer le rendement dans lexcution de certaines missions (missions de pilotage dhlicoptre, de char). Nous avons pu galement remarquer que larme a toujours privilgi lorganisation centrale du sport. Aprs la cellule sport de ltat-major de larme cre au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les structures centrales ont volu en prenant davantage de missions dans la rglementation des pratiques sportives. Le CSM des annes 90, hritier de son lointain prdcesseur, le SIEPS, est arriv un point dquilibre dans le fonctionnement de ses composantes. Mais dautres structures, bien moins centralises que le CSM, comme lEcole militaire de haute montagne (EMHM) de Chamonix ou lEcole des fusiliers marins de Lorient, reprsentent galement les organismes qui prennent une part importante dans la pratique des APMS, en gnral, et des APM, en particulier. Ces coles particulires sont trs efcaces parce quelles sont subordonnes une chane de commandement qui, outre quelle attribue les moyens ncessaires laccomplissement de leurs missions, bncie aussi du pouvoir de contrler ce quelle leur ordonne. Il est donc permis de se demander si les structures centrales que nous avons prcdemment dcrites, nauraient pas eu davantage defcacit encore si elles avaient t intgres dans une chane de commandement de ce type et non subordonnes lEtat-major des armes.
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A savoir: raids dans des zones polaires ou dsertiques ou dans des massifs montagneux inhospitaliers
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Lanalyse des trois doctrines, quant elles, fait apparatre les diffrentes formes que peut revtir la pratique du sport pour amliorer les forces physiques et morales des soldats. Si les doctrines de 1960 et de 1990 se ressemblent, parce quelles recentrent davantage le sport sur la prparation oprationnelle des missions du temps de crise ou de guerre, la doctrine de 1975 marque une tape originale dans lamlioration des capacits physiques et morales des militaires, puisquelles rige le sport, pris dans son sens fdral, comme moyen de formation militaire gnral de lindividu. Lapplication de cette doctrine a eu galement le grand mrite de permettre ltablissement de liens troits entre larme et la nation du fait, entre autres, de la prsence, au moment de son application, dun contingent trs important au sein des forces armes. Les doctrines voluent avec le temps parce quelles doivent sadapter aux changements des environnements historique, politique, socialDans ces conditions, peut-on imaginer la doctrine future, lhorizon des annes 2010? Au terme de cet expos, il parat vident que cette nouvelle doctrine, quelles que soient les formes quelle puisse prendre, ne pourra pas faire lconomie de la pratique des APMS qui prparent directement lexcution des missions du temps de crise ou de guerre. Si cette doctrine ne comprendrait quune forme, cest bien celle-l parce quelle reprsente un aspect incontournable de la pratique du sport militaire. Dautres formes pourraient videmment lui tre adjointes et viser, par exemple, : amliorer la cohsion au sein des units; maintenir la sant qui garantit les effectifs du personnel; grer le stress (aspect qui nous semble important); proposer des loisirs sains (face aux abus dalcool, du tabac, etc.) Lessai du contrle de la pratique sportive, quant lui, na pas t concluant. En effet, lITEPS puis le comit dvaluation de la directive ministrielle sur le sport ont eu cette mission qui na pas dur parce que son excution ne relevait pas dun organisme bien intgr dans une chane de commandement organique. Il parat vident que le meilleur contrle vient de celui qui ordonne directement et non de celui qui ne peut que conseiller. Enn, il nous a paru utile de dnoncer certains effets pervers dans lexcution des directives sportives. Il parat en effet vident que de tels effets doivent tre rapidement identis et corrigs pour la bonne marche de la pratique du sport militaire. Il nous semble que pour rpondre au questionnement de cette journe dtude, il nous faille adopter une dmarche pistmologique pour essayer dobserver les effets rels sur les militaires des pratiques sportives en vitant surtout tout a priori.
Sources
Mmento de lentranement physique militaire TTA 401, EMAT (Ministre des armes, 1946) Rglement dentranement physique militaire TTA 408, EMAT (Lavauzelle, 1960) Le sport militaire, Service central des sports, (Berger-Levrault, 1960) Service interarmes dentranement physique et des sports, dition 1972 Manuel de lentranement physique et de la pratique des sports, dition 1975 Manuel de la pratique des activits physiques et sportives dans les armes, Tome I, 1989, Tome II 1990.
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e nest pas sans une certaine motion que je me retrouve Cotquidan, pour y voquer un des aspects dune carrire militaire, aux responsabilits multiples et varies, qui doit tant au sport et la pratique des activits physiques de toutes sortes. Nombre de mes camarades, comme le Gnral Bachelet, le colonel Aumoine et moi-mme, pourrait tre l aujourdhui vous entretenir de leur exprience de la pratique sportive et des rexions quelle aurait pu leur avoir inspir. Car le sport, lentranement physique, peuvent-ils ne pas tre plus ou moins consubstantiels la vie militaire? Permettez-moi, pour commencer, dvoquer le souvenir de lun de ces ofciers que les sous-lieutenants de lEMIA avaient choisi lanne dernire comme parrain: le Colonel Emile Ren Guguen. Son pass exemplaire de soldat, dans les grands moments difciles qui allrent de 1943 1962, lui a valu cet honneur. Je ne suis pas sr que tous les aspects sportifs de sa vie militaire aient t sufsamment mis en valeur. En effet, sportif de haut niveau dans une spcialit trs militaire, le pentathlon militaire, champion de tir, il sera le commandant de compagnie des sportifs devenus clbres effectuant leur service militaire au Bataillon de Joinville. 1 Plus tard, il mettra au point linstruction la nouvelle Ecole interarmes des sports. 2 Fort de son exprience acquise sur les champs de bataille, il sera linspirateur dune partie de lvolution de la pratique sportive dans les armes durant les annes 70. Il est, en mme temps, nomm directeur technique national du pentathlon moderne, grce auquel la France gagna deux mdailles aux JO de Mexico et Munich. Enn, devenu civil, il sera directeur technique du Centre de prparation olympique de Vittel. Jimagine les rexions dont il aurait pu aujourdhui nous faire proter. Le mot qui, pour moi, rsume sa vie de combattant, dinstructeur et de sportif ft: volont. 3 En voquant son souvenir, je ne pense pas tre hors du sujet. Jeune ofcier, frais moulu des Ecoles, je fus dsign volontaire pour rejoindre son quipe. Pendant deux annes intenses, jai vcu sous son exigeante bienveillance. Ce que je suis devenu, ce que fut ma carrire, sportive autant que militaire, relve pour beaucoup de son empreinte. Jusqu lge de 20 ans, avant dentrer dans larme au dbut des annes 60, je navais pratiqu aucune activit sportive proprement dite. Au Prytane militaire, 4 prparant Saint-Cyr, on me dcouvrit certaines aptitudes pour la course pied. A Cotquidan, 5 et lEcole dapplication de linfanterie, o les comptitions sportives, inter-units, inter-coles militaires, franaises et trangres, 6 interuniversitaires tenaient alors une
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Le cycliste Anquetil, les footballeurs Hidalgo et Fontaine, le nageur Bozon, lathlte Jazy, entre autres. Cre en 1967 Fontainebleau, regroupant les coles dAntibes, de Pau, qui formaient les cadres sportifs de larme de terre, les centres de formation des autres armes. Le Bataillon de Joinville la rejoindra au fur et mesure de la mise en place des installations. Ce Bataillon, autrefois Joinville, prs de Paris, est cens regrouper les militaires, appels ou engags, sportifs espoirs ou de haut niveau. Il a laiss un livre de souvenirs: Volontaire, Grasset, 1986 Situ La Flche (Sarthe), il est actuellement lun des six Lyces de la Dfense (quatre pour larme de terre) dont la mission est, pour le secondaire, daider les familles de militaires et fonctionnaires, et pour les classes prparatoires, ouvertes tous, daider au recrutement de candidats aux grandes coles militaires. Promotion 1963-1965: Cinquantenaire du Serment de 1914. Le Chef de bataillon Allard, ofcier parachutiste, futur commandant du centre-commando de Montlouis, tait lofcier des sports. Ladjudant-chef Guyon, futur mdaill dor en concours complet Mexico, avec son cheval Pitou, tait lun de nos matres de mange. Je suis alors inscrit au Stade Rennais avec un coureur de 400m, champion de France, Robert Poirier, actuel directeur technique national de lathltisme.
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place importante, ces aptitudes furent exploites. Mme le Gnral de Gaulle, en visite lEcole, se laissera aller me dire: Cest bien, continuez!. 7 Malgr le surcrot dactivits physiques et de fatigue, dans une cole qui, cette poque, tenait lendurance la fatigue comme un moyen essentiel de formation, je me pris au jeu avec un certain enthousiasme. Larme venait alors de rentrer dAlgrie. Les units ntaient pas encore envoyes en oprations extrieures. Le dsert des Tartares jetait son ombre sur un certain nombre dentre nous. 8 Mais les armes se voulaient ducatrices des jeunes appels qui formaient alors lessentiel des forces humaines. Elles voulaient galement renouer les liens avec la Nation. Le sport, avec ses aspects de comptition-mulation, autant que ludiques, apparaissait beaucoup comme un des moyens privilgis pour prparer au combat, former, duquer, crer la cohsion, lesprit de corps, mais aussi pour aller la rencontre de la jeunesse et des dirigeants. Fils de marin, n face la mer, et malgr les sollicitations, je choisis les chasseurs alpins. Un bataillon o le sport de comptition, dlite et de masse, tait prn par le colonel. 9 Les ofciers sy adonnaient avec enthousiasme car les quipes rgimentaires, de toutes spcialits, devaient alors inclure obligatoirement lun deux. Les appels en redemandaient quand on savait les motiver. Il y avait pour cela, la montagne. La conqute du Mont Blanc tait lun des objectifs collectifs de lentranement physique du Bataillon! Une instruction militaire dans un environnement exceptionnel et surtout motivant! Mais Gueguen, et le Colonel Marceau Crespin, 10 nouveau Directeur national des sports qui avait reu la mission de relancer le sport aprs les rsultats jugs dcevants des JO prcdents, obtinrent une dcision ministrielle qui maffectait au Bataillon de Joinville pour faire partie du noyau susceptible de constituer la future quipe olympique de pentathlon moderne que les armes avaient pris en charge, entre autres, en vue des prochains Jeux Mexico. Malgr les appels du pied de lEMHM, 11 les mises en garde de chefs proccups de mon avenir, jtais disponible! La mission et le d taient prendre! Jaurais pu avoir le regretter. Ce ne sera pas le cas. Pendant deux ans, sans prrogatives de grade, avec un autre camarade ofcier, 12 au milieu de jeunes sous-ofciers et appels tris, 13 ce fut, chaque jour, lentranement temps plein et intensif, avec ses sacrices, y compris sur le plan familial. 14 Il y eut les joies des progrs constats au l des stages au Centre olympique de Font-Romeu ou des comptitions, en France et ltranger. Parfois les dceptions surmonter! Ceci dans les cinq preuves du pentathlon moderne (quitation, natation, escrime, tir au pistolet, cross), qui, chacune, sollicitent des qualits physiques et mentales diffrentes, voire contradictoires. Coubertin y voyait lpreuve reprsentative de lhomme complet moderne! Au cours de lentranement et des comptitions de chacune des spcialits, nous partagions la vie, les espoirs, les checs, les dsillusions des athltes et champions franais dalors ou venir. Quelques uns des meilleurs entraneurs nationaux de chacune de ces spcialits nous conseillaient. 15 Il nous fallait progresser tous ensemble pour le futur succs de lquipe, tout en se sachant concurrents, car seuls ceux au niveau et en forme au moment des JO verraient leur rve ou ambition se raliser.
Au cours dun stage et dune comptition Hossegor, avec Jazy et les Espoirs de lathltisme franais, le speaker mavait prsent au public comme le reprsentant personnel du Gnral de Gaulle! Titre franais dun clbre roman italien de Dino Buzatti en 1940 Il Deserto dei Tartari publi en franais en 1949. 7me BCA Bourg Saint Maurice, alors command par le lieutenant-colonel Tabouis. Jy serai commandant en second en 1983-1985. Cest avec ce bataillon que je suis all la FINUL au Sud-Liban. Ancien aide de camp du Gnral de Lattre en Indochine, il avait t lun des concepteurs de lAviation lgre de larme de terre en Algrie. Ecole Militaire de Haute Montagne de Chamonix, en charge de relancer, en particulier, le biathlon nordique (tir et ski nordique). Le lieutenant Chatillon, (Cyr 62-64). Il sera remplaant Mexico. Plus tard il commandera le Centre des Sports Equestres Militaire de Fontainebleau. Dont Raoul, lun des ls du colonel Guguen, qui sera plusieurs fois mdaill. Javais obtenu quelques jours pour mon mariage en fvrier 1967. En natation, lAustralien John Konrads, rcent quadruple mdaill dor et dtenteur de plusieurs records aux JO de Melbourne.
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Pour moi, le pari tait ambitieux. Cest ainsi quil me manquera quelques mois pour acqurir le niveau souhait dans les cinq disciplines. Deux mois avant les JO, Guguen minforma, sa manire toute militaire, de sa dcision et me cona la direction, la slection, la prparation de lquipe de France de pentathlon militaire qui devait participer aux championnats du monde au Brsil. Ce fut la prise en charge dune quinzaine de sous-ofciers issus des units dlite des trois armes, tous assez exceptionnels sur le plan physique, entre autres! Une riche exprience, plus difcile quil ny parat, de coach et de management sportif. Jen protais galement pour suivre la formation dofcier des sports. Puis arriva lheure des choix! Continuer dans la voie sportive, soit de comptition dans la spcialit pour laquelle on me prdisait des performances jusqualors contraries par la dispersion des efforts, soit dans la voie enseignante ou de direction sportive. Le Colonel Guy Leborgne, alors directeur des sports militaires, me conseilla: Cest dans les units quon a besoin dofciers sportifs. 16 Plus tard, vous prparerez lEcole de Guerre! . Quoique heureux du parcours accompli, car, ma place, javais quand mme le sentiment davoir quelque peu contribu la mdaille de bronze gagne par mes camarades Mexico, ce fut sans hsitation que je dcidai de revenir ce qui navait jamais cess dtre ma raison de devenir saint-cyrien: servir dans une unit oprationnelle, de prfrence dappels. Je choisis une nouvelle fois mon bataillon de chasseurs alpins. Je dus encore quelques temps y sacrier aux volonts dun nouveau colonel, pourtant peu port sur laspect sportif, mais qui ne se croyait pas autoris droger la rputation du bataillon! 17 Pendant quelques mois, il me fallut, cumulant responsabilits, formation montagne et ski, poursuivre lentranement de lquipe de cross. Je brillai aux Championnats de France. 18 Slectionn pour les championnats du monde militaires, je my retrouvais avec certains athltes aurols de leur rcente performance aux JO. 19 Pour la suite de ma vie professionnelle, comment aurait-il pu alors se faire que, ayant bnci de cette exprience, je naie pas cherch en user dans le cadre de mes fonctions de commandement, de formateur, dentraneur dhommes, dofcier dtat-major, denseignant mme o jallai tre successivement affect? Pour cela, je lavoue, jai le plus souvent bnci dun environnement motivant: la montagne dabord. La garnison de Berlin, o je commandai une compagnie, tait dot dinstallations sportives modernes, et jy retrouvais par hasard, comme lieutenant adjoint, 20 mon ancien matre-nageur du Bataillon de Joinville, ofcier des sports complet. Enn, plus tard, le rgiment que lon me cona avait galement des possibilits assez exceptionnelles. 21 Javais alors, et jai toujours, la faiblesse de croire que lmulation engendre par les comptitions, individuelle ou inter-units, pouvait, entre autres, contribuer lamlioration de la valeur oprationnelle. Je devais beaucoup pour tout cela laide de cadres, en particulier moniteurs de sport, trs souvent comptents et motivs, jouant le jeu avec enthousiasme pour le plus grand bnce de jeunes qui, trop souvent, comme moi-mme, dcouvraient le sport par leur passage au service militaire. Enn, en 1990, je me voyais coner la direction dun tablissement scolaire: le Prytane national militaire. Un millier dadolescents, dont seule une minorit se destinait la carrire militaire, en scolarit, soit dans le secondaire, soit en classes prparatoires. Etablissement richement dot en moyens sportifs, bnciant dun pool de moniteurs militaires motivs et conscients de leur utilit dans la prparation des examens et concours, mais surtout dans lpanouissement individuel de chacun des jeunes lves, tous pensionnaires. Dans ce cadre o javais moi-mme connu les premires motions lies la pratique rgulire des activits sportives, ce fut une grande satisfaction de pou-
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Ancien chef du 3me RPIMa, il commandera la Division parachutiste. Aujourdhui peintre ofciel des Armes, sous le pseudonyme de Le Zachmeur. Alors champion de France par quipes. 9me au national et 39me en Irlande. Lquipe de France terminant la 5me place. Le lieutenant tunisien Gammoudi, rcent mdaille dor du 5000m. Le Franais Boxberger, 6me du 1500m au JO. 1972-1974; Le lieutenant Colairo. Notre rgiment tait le 46me RI. 24me RI dans le Bois de Vincennes et voisin de lINSEP (Institut national des sports).
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voir faire bncier tout un chacun de mon exprience, de mes encouragements. Le plus dur fut peut-tre parfois de convaincre les professeurs, trop souvent mme les parents et la hirarchie, que ces jeunes, garons et lles, taient aussi de los, des tripes et de la vie, pouvaient donc, eux aussi, avoir besoin de rver, de sclater, et que notre rle tait aussi de les aider synchroniser leur vie scolaire et les besoins de ladolescence. Je voudrais terminer cette partie consacre mes expriences en voquant deux priodes particulires de mon existence. En le faisant, je ne crois pas, cette fois encore, tre tout fait hors sujet. La premire est celle qui a suivi, en novembre 1970, un accident qui ma, en partie, priv dnitivement des facilits pratiquer certaines activits physiques de haut niveau 22. Il ny aurait aucun lieu de sy appesantir sinon que les rexions que jen ai tires mont particulirement clair sur les raisons qui avaient pu me motiver dans la priode qui avait prcd. Car, nalement cette priode dadaptation ne ft quune occasion de comptition nouvelle! La gagne, comme on dit chez les sportifs, devenait de retrouver dans un premier temps la possibilit de refaire quelques gestes de la vie quotidienne, comme ceux dune criture lisible, puis ensuite de recommencer progressivement pratiquer normalement des activits quon aurait pu croire impossibles: matriser nouveau le ski de haute montagne, mon cheval, la planche voile, etc Quel bonheur de pouvoir terminer, mme perdu au milieu du peloton, la fameuse course Trans-jurassienne et ses 70 kilomtres de ski nordique! Ce fut, paradoxalement peut-tre aussi, de me lancer avec plus dintrt dans des tudes universitaires dont mon immaturit mavait peut-tre tenu trop loign autrefois! Lambition avait peut-tre chang de niveau, mais, pour moi, chaque victoire, au dbut au moins, tait de haut niveau. En fait, y bien rchir, les motivations taient les mmes: le plaisir de la gagne, lestime de soi, la conscience professionnelle, ne pas dcevoir, relever le d. Caractre, mauvais caractre, surcrot dadrnaline? Ne pas se laisser vaincre par les vnements ou par les autres? Ne pas dpendre des autres? Se dpasser? Orgueil? Servir dexemple? Conforter mon autorit, conrmer mon leadership? On peut toujours piloguer! Toutes ces motivations ont d probablement jouer leur rle, simultanment ou successivement! Enn, pour nir sur ces expriences, comment ne pas voquer, hors de tout aspect professionnel, la pratique sportive de lhomme que je suis actuellement: le retrait! Cette priode dune vie pourtant thoriquement plus libre, o il ny aurait plus grand-chose prouver, mais o il faut trouver les motivations pour continuer poursuivre des activits physiques avec un corps qui aurait tendance vouloir prtendre au repos et se gripper. Se contraindre des efforts physiques, mme si llectrocardiogramme doit remplacer le chrono. Un peu aussi pour ne pas trop mentir ceux qui me questionnent, hypocritement ou pas: Alors tu cours toujours autant? Pas toujours si facile! Au l de cette introspection-confession, je vous ai dj livr certaines des rexions que, avec le recul, cette exprience ma inspires. Bien sr, il serait prtentieux de vouloir puiser le dbat en quelques minutes. Tout dabord, vous avez remarqu que je nai gure voqu les sports collectifs. Je nen ai pas eu vraiment lexprience pratique comme joueur. Si jai eu, je crois, lesprit dquipe, je ne suis pas sr que ces jeux collectifs correspondaient mon temprament. Cette exprience ma manqu. Quelquefois mal laise devant le spectacle mdiatis des jeux dhandicaps, je prfre voquer la performance de haut niveau ralise dernirement par un de mes anciens lves 23, hritier dune ligne de saint-cyriens, devenu ttraplgique la suite dun accident survenu le soir du concours de Saint-Cyr, et qui vient, malgr son handicap, de sortir de lENA 24 et de prendre ses fonctions de magistrat. Comme pour les champions, que de volont, de patience, de rigueur, de travail et de sacrices! Je nai pas voqu le sport-spectacle. Dautres le feront mieux que moi. Jai de la difcult communier ces grandes messes du football par exemple, mais aussi paradoxalement aux JO tels que je crois les percevoir aujourdhui. Je ne me rsous que
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Amputation de la main droite et de quelques doigts de la main gauche. Dominique Gilles, petit- ls du gnral Gilles, commandant les parachutistes en Indochine, ls du gnral de larme de lair. Ecole nationale dadministration.
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difcilement considrer comme sportifs nombre de ceux qui manifestent ou se dfoulent bruyamment autour des athltes. Je me demande aussi parfois ce qui peut pousser des parents livrer leur lle lge de 10 ans un entraneur qui la conduira nager 15 kilomtres par jour, mme pour la gloire et beaucoup dargent! Esprons au moins que cela contribue rellement attirer dautres jeunes frquenter les bassins, voire apprendre nager! Si seulement la sant mentale et physique de la jeunesse (consommation dalcool, tabac, drogues diverses, obsit, jeux vidos, etc.) ne dpendait que du nombre des records et mdailles de nos champions! Je vous pargnerai de longues considrations philosophiques sur ces phrases mille fois entendues, et peut-tre utilises par moi-mme: Lessentiel est de participer! que Coubertin naurait dailleurs jamais prononc. Mme si jai prouv plus souvent qu mon tour que de terminer une preuve peut tre plus mritoire que den tre le vainqueur! A la formule lapidaire: Quand on veut, on peut! , je prfre, lexprience: Quand il y a une volont, il y a un chemin, car jai parfois pens que le sport me permettait au contraire une plus juste connaissance de mes limites! Ensuite, fort de mes expriences, je crois que lon peut tout dire, et son contraire, sur lutilit, les aspects positifs (physiques et mentaux), les valeurs (volont, courage, patience, conscience professionnelle, rigueur etc.) ou les drives du sport. Un certain Esope avait dj philosoph sur ce sujet autrefois! 25 En effet, on oublie trop souvent que le sport est avant tout une activit humaine, pratique par des hommes et femmes, et videmment exploite, toutes ns utiles, par des hommes avec toutes les consquences affrentes. Dernirement, un camarade, lui aussi victime autrefois dun grave accident, croyant, tort dailleurs, sen tre sorti moins bien que moi, me conait: Toi, tu avais fait du sport, cela ta aid. Sans doute, mais je lui ai fait remarquer que si javais fait du sport, si intensment, ctait peut-tre, aussi, et autant, parce que javais dj, auparavant, le caractre pour en faire. Une histoire de poule et duf ou dauberge espagnole! De mme, rcemment, dans un grand quotidien franais, un journaliste, propos des incidents ayant marqu quelques unes des dernires rencontres sportives, croyait dcouvrir et rvler ses lecteurs lambivalence du sport: Dun cot, il est conqute sur soi-mme, de lautre, volont de domination. Dun cot, il oblige cultiver la matrise de soi; de lautre, il dveloppe lagressivit Il serait naf dattendre du sport ce quil ne peut pas donner. Sa vocation nest pas de contribuer la fabrication de citoyens et la moralisation de la socit. 26 Soit! Si je navais pas le plus grand respect pour la performance qui consiste assurer la chronique quotidienne sur le sujet du jour, je lui dirais quil dcouvre un peu la lune. Peut-tre parce quil na pas eu assez loccasion de frquenter le monde htrogne du sport, et donc, surtout, le grand nombre, de tous niveaux, qui loin des drives condamnes, sadonne avec plaisir leur sport, surtout ceux, la majorit, qui ne bncient daucune mdiatisation, voire nancement? Je lui rtorquerai peut-tre aussi que cela concerne galement bien dautres activits humaines, commencer par la presse, mais aussi sans doute, entre autres, lcole ou larme. Une mdaille, olympique ou non, a toujours un revers! Ces dernires activits, comme le sport, sont censes galement contribuer fabriquer des citoyens. Elles y contribuent souvent, mais pas toujours! Elles peuvent aussi draper. Elles ne sont pas labri des tentations. Cela ne les condamne pas se voir refuser quelque rle dans la socit! Mais, travers cette amicale polmique, je perois dj que ce journaliste est en train de penser que je matrise mal mon agressivit naturelle de sportif, voire de militaire? Par contre, comment ne pas tre interpell par ces crits du journaliste et crivain Thierry Maulnier? 27 Le jeune homme dans le stade, il court. O va t-il? Nulle part Ce quil fait l ne sert rien Ils sont pourtant nombreux autour de lui, qui voudraient que ce quil t servit quelque chose le mdecin lducateur le militaire le dictateur lhomme daffaire Le sport est en lui-mme inutile Quune nation puisse accrotre par le sport son capital de vigueur et de courage, cest probable (mais) ce bienfait vient par surcrot . Comment
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La langue dEsope! Fabuliste grec du Vme sicle avant JC. Alain-Grard Slama, Le Figaro du lundi 27 novembre 2006. LEquipe de France, anthologie des textes sportifs de la littrature franaise ; p.301; Gilbert Prouteau; Plon; 1972. Thierry Maulnier (1907-1988): crivain, montagnard et skieur averti, crossman, champion de France des Ecrivains sportifs.
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ne pas y retrouver les accents des souvenirs du grand alpiniste Lionel Terray dans les Conqurants de linutile ? 28 Je me souviens du Capitaine de corvette Tabarly disant de faon provocatrice: Ce nest pas la mer que jaime, cest la vitesse et les records. 29 Pour lavoir frquent, je crois quand mme que ctait un peu les deux! Oui, je crois que le sport est une activit humaine qui peut se comparer bien dautres. Le philosophe, et sportif accompli, Paul Valry crivait: Dans les matires dites intellectuelles, les rgles imposes aux jeux de lesprit sont proches parentes de celles imposes aux jeux du stade. 30 Les sacrices, la rigueur, leffort, les risques physiques ou non, la remise en question rgulire, le professionnalisme, la volont, le souci daller plus loin, plus haut, plus fort ne sont pas un domaine rserv au sportif. En ce qui me concerne, la volont de convaincre, celle de lofcier, du diplomate, celle de lenseignant face ses lves, mont parfois conduit faire appel des ressorts qui me rappelaient ceux utiliss en des circonstances plus physiques! Cest, sans doute, la mme hargne qui, dans ces amphis, me faisait me battre pour sortir mes saint-cyriens de leurs rves de hros et les convaincre de limportance du sujet trait. Le Killy des mdailles dor de Grenoble tait le mme que celui des affaires et de lorganisation des JO dAlbertville! Pour en rester mes comptences, je crois que jai t confront tous les dbats qui ont anim les tats-majors, mais aussi les popotes, au sujet du sport dans les armes: place de lofcier? Sport professionnel ou amateur? Elite ou masse? Sport, entranement physique militaire (EPM) ou entranement physique et sportif (EPS)? Faire effort sur lendurance ou la force, par exemple Sport et comptition ou simple jeu, voire dtente et divertissement? Sport et relations publiques? Fminisation et sport militaire! Peut-il y avoir une doctrine valable pour tous et en tous lieux? Quel sport? Car il serait utile, mais sans doute trop long, dpiloguer ici sur le sens donner au mot sport lui-mme. Mes frquents sjours dans cette cole mont permis de suivre, mme dun peu plus loin, mais en historien que jtais un peu devenu par la suite, les dbats rcurrents autour du choix des mthodes et spcialits sportives pour la formation du jeune lve-ofcier et, je pense que ces dbats doivent se poursuivre. Formation lendurance ou formation du futur formateur capable dutiliser tous les moyens pour entraner tous les niveaux? Place de lesprit de comptition? Je lisais dernirement dans un petit journal interne quun lve-ofcier tranger avait t surpris de constater labsence de la pratique des sports de combat, pourtant la base de la formation sportive militaire des ofciers dans son pays. Vieux dbat remis rgulirement au got du jour depuis au moins ma sortie de lcoleMais, ne comparons pas! Je lai dit au dbut de mon expos, sans aucun doute, les missions, les contraintes de formation, la vie de nos armes ne sont plus celles de mes jeunes annes. Enn, en ce lieu de formation dofciers, je ne peux manquer de terminer sans vous faire part de ma conviction profonde que lthique de la pratique du sport, mme au sens largi du terme, dpend certes beaucoup de la valeur, acquise ou non, des pratiquants eux-mmes, mais tout autant de ceux qui les encadrent et les dirigent. Jai connu des chefs qui ont t des exemples pour moi, comme pour beaucoup de ma gnration, et qui, sans complexes, navaient pas peur de mouiller le maillot et mme leurs toiles ventuellement. Comment ne pas chercher faire aussi bien queux? A ce propos, tout athlte, mme professionnel, mdiatis, grassement rmunr, mais soumis aux pressions et la fatigue peut pter les plombs. Pourtant, on peut stonner que ceux en charge de la moralisation de la socit aient pu sembler parfois accepter trop facilement, une faute professionnelle, un manquement lthique quils auraient svrement sanctionn chez nimporte lequel de leurs fonctionnaires. Quant moi, je le rpte, jai bnci de laide de moniteurs qui, outre leurs comptences techniques, savaient communiquer leur foi, leur enthousiasme, leur thique, et mme leur simple exprience dadultes et ce, sans grandiloquence, sans diplmes autres que techniques. Je crois que la force du milieu sportif des annes 70, en France, dans les domaines de lathltisme, du ski, de la natation, de lescrime, celui que jai connu, relevait beaucoup de la qualit de ce corps des entraneurs civils dont le souvenir
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1921-1965; ancien du Bataillon Stphane dans le Vercors, mort en montagne. Peu avant sa mort tragique, il tait venu au Prytane encourager les candidats lEcole navale. 1871-1945; Ouvrage cit; p.403.
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de certain reste indlbile dans ma mmoire. 31 Beaucoup savaient dailleurs ce quils devaient leur passage dans les armes! Nayant peut-tre pas eu la mme rage de courir , 32 et donc dfaut davoir vraiment t un sportif de haut niveau, je nai pas eu, la lumire de mes expriences suivantes, relativiser limportance et le bonheur de quelques titres et performances exceptionnelles. 33 Mais jai eu la chance, suivant en cela un ordre de mission, de partager, un temps, la vie de nombre de champions. Javais adhr de mon mieux ce d, cette aventure, parce que, dans les circonstances du moment, ils me semblaient, dune certaine faon, ne pas contredire, et mme correspondre, certes de faon inattendue et originale, ce qui avait motiv mon choix dentrer Saint Cyr, et parce que cela devait aussi, sans doute correspondre mon temprament. Jaurais aim aller jusquau bout de la dmarche Mais javais, ds lorigine, fait dautres choix. Peut-tre aussi que le temps de la jeunesse insouciante tait termin? Nul doute que lexprience, les techniques et les rexes acquis mont t fort utiles pour remplir mes responsabilits dofcier. Je pense avoir mis la mme passion, avoir t aussi motiv, eu le mme tat desprit, dans laccomplissement des responsabilits, parfois galement inattendues et originales, qui mont t cones par la suite. En tous cas, la plus grande partie dentre elles mont apport le mme plaisir et satisfaction du devoir accompli. Aprs ces quelques rexions, dont certains dentre vous sont en droit de contester loriginalit, jespre quand mme avoir russi retenir votre attention et avoir rpondu aux attentes de ceux qui mavaient demand de tmoigner!
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Frassinelli, Thomas (athltisme), Lacampagne, Oprendeck (pe), Bonnet, Munster (montagne) etc. Titre dun livre de souvenirs de Michel Bernard (Calmann-Lvy, 1975), plusieurs fois naliste du 1500 m au JO, dtenteur de nombreux records. En 1973, il accepta gentiment de venir tmoigner devant les cadres et soldats du 46 RI de Berlin. Tmoignage de Roger Bambuck trois fois naliste et mdaill de bronze au 4x100 aux JO de Mexico. Champions en libert, Calmann-Lvy, 1973.
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s lantiquit, et notamment dans lantiquit tardive et la rexion chrtienne, lexprience sportive a t utilise comme mtaphore pour parler du combat (spcialement du combat spirituel) et de ses exigences. Le changement de statut du sport entre la culture grecque et la culture romaine o le sport prend une dimension ludique et la forme dun spectacle va changer quelque peu les termes de la mtaphore sans pour autant en supprimer lintrt. A vrai dire, dans la littrature chrtienne de lantiquit tardive, la mtaphore sportive pour parler du combat spirituel ctoie bien souvent une autre analogie, tire de lexprience militaire et du combat du soldat. Cela na dailleurs rien dtonnant puisque, dans la culture grecque antique, le sport est dabord un sport de combat. 1 Malgr les ncessaires transpositions dues aux variations sociales et culturelles sur deux millnaires, le recours lexprience sportive pour comprendre les exigences du combat spirituel, voire sy exercer, demeure pertinent. De mme, le combattant, au sens du militaire en opration, devrait trouver dans lexprience sportive aujourdhui encore quelques repres pour sa prparation morale et spirituelle lexercice de son mtier, prparation pour une large part personnelle, mais collective aussi. 2 Bien videmment, le militaire peut sentraner efcacement travers des exercices, des manuvres Cela concernera cependant surtout un apprentissage de gestes ou de savoir-faire professionnels et, dans une moindre mesure, le registre moral, ne serait-ce que du fait du caractre de simulation quimplique tout exercice, alors que la pratique du sport et de la comptition ne se limite pas des entranements, mais permet de vivre et de multiplier les engagements rels o les uns triomphent tandis que les autres sont limins.
Lexprience sportive implique lacquisition dune force morale dans quatre directions fondamentales utiles
Tout dabord dans lordre de laptitude tisser et vivre des relations interpersonnelles exigeantes dans un contexte tendu. Le sportif doit se situer vis--vis de son concurrent (de son adversaire) quil doit respecter, mais aussi connatre pour bien se situer et prendre lascendant sur lui en vue de gagner. Cela implique un esprit de comp-
Cf. Marie-Hlne Congourdeau, Du bon usage des mtaphores sportives, RCI Communio XXXI-2 2006, pp. 25-37 Voir aussi Marie-Franoise Baslez, Le Christianisme face la culture sportive du monde grco-romain, ibid pp. 15 23. Dans lantiquit grecque, le sport tait un des lieux essentiels la formation civique des jeunes patriciens sans doute parce quil sagissait dduquer leur aptitude et leur volont combattre. Dans lantiquit romaine, cela a disparu, le sport devenant spectacle et divertissement. Il ne serait pas inutile aujourdhui de rchir la place que pourrait reprendre lexprience sportive ct de sa dimension ludique et de spectacle, en matire de formation civique dans le sens dun got de leffort, de lengagement et de lesprit militant.
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tition, une force combative quil sagit cependant de matriser. 3 Le sportif doit se situer par rapport ses coquipiers (et/ou son entraneur) et apprendre tablir une vritable cohsion, un respect du rle propre de chacun Il doit aussi savoir se situer par rapport au public et aux supporters, pour en recevoir un vritable encouragement, tout en modrant dventuels excs et en ne se laissant pas entraner hors du champ du fair-play (ni dans les drives des supporters!). Un deuxime aspect de cette force morale acquise travers lexprience sportive est de lordre de la matrise de soi et cela dans deux directions: La premire est de lordre de lascse, cest--dire dun ensemble de pratiques et de renoncements en vue dacqurir et de garder la forme physique ad hoc. Cest souvent lintrt que lon voit dabord la pratique du sport; sans trop remarquer que leffort physique et lascse sont dabord des exercices de volont, utiles et mme, ncessaires lacquisition de cette force morale. La seconde est de lordre du respect attentif des rgles du jeu et du fair-play, quelque soit lengagement personnel en vue de la victoire La chose nest pas si vidente quand le contexte est dgrad et que beaucoup trichent peu ou prou, ou que lenjeu de la comptition parat essentiel. La pratique du sport suppose volont et endurance. Il sagit de savoir se prparer, parfois longuement, sur plusieurs annes, en vue dpreuves ardues et hautement concurrentielles. Il sagit dtre capable de se concentrer pour atteindre une performance, en tous les cas une qualit exceptionnelle de jeu, en allant au bout de ses forces. Il sagit de dvelopper courage et force dme, conviction intrieure au service des comptitions envisages, ce que les grecs appelaient le thumos. 4 La pratique du sport et de la comptition implique de dvelopper une intelligence pratique, la fois pour dnir une stratgie compte tenu de ladversaire, de ses qualits et de ses propres forces; il sagit aussi de pouvoir peser et dcider, dans laction, de prises de risques judicieusement calculs. Il sagit encore de savoir chercher et accepter les conseils dun entraneur et dautres intervenants dans le soutien du sportif. Ces quatre points on laura remarqu font cho aux quatre grands axes de formation morale que distinguait Marcus Tullius Cicero, en vue de lacquisition de la vertu. Ces grands axes tant la justice, la temprance, la force et la prudence.
Intrts spciques et limites de lexprience sportive comme contribution la formation thique du combattant
La pratique du sport au long des jours o, dans une certaine mesure, le fait den tre un attentif spectateur, est loccasion dune prise de conscience pratique de la ncessaire acquisition dune force morale ct de lapprentissage technique et de lentrainement physique. De mme, elle est occasion de vrier notre sufsant ou insufsant affermissement dans la matrise des qualits morales requises, de constater les inconvnients de tout relchement dans lascse et de limportance de maintenir une attention vigilante soutenue.
Une rponse de Felice Gimondi, grand coureur cycliste, est clairante cet gard Sil existe un coureur qui se rapproche de mes caractristiques, bien quil ait remport beaucoup moins de courses que moi, cest sans doute Ivan Basso. Lui aussi est extrmement timide et se comporte avec beaucoup de correction au sein du peloton o il ne va jamais embter personne. Sa manire de se conduire me plat beaucoup. Il y a cependant une diffrence dont, en ce qui me concerne, je ne me suis aperu quaprs avoir cess ma carrire. Pour ne pas sombrer dans un idalisme facile, il faut tre capable dans une course dtre mchant, de simposer, ce que Basso ne semble pas vraiment russir faire. A linverse, moi, je russissais tre mchant. Jtais trs exigeant avec mes quipiers et, avec mes adversaires, quand ctait mon tour de passer je passais, mme sil fallait pousser un peu ou provoquer des chutes. Si on veut gagner, il faut aussi tre capable de se dire quand cest moi dy aller, cest moi dy aller . Les champions doivent ncessairement avoir lesprit de comptition. Interview de Felice Gimondi, vainqueur du tour de France en 1969 in R.C.I. Communio XXXI-2, 2006, p. 59. Sur ce sujet en particulier, on pourra se reporter la communication de Rmi Braque au cours de ce mme colloque.
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On remarquera encore que lexprience sportive, travers lorganisation de vastes comptitions au niveau mondial (par ex. les jeux olympiques ou les coupes du monde), est aujourdhui lun des rares lieux o se manifeste un sentiment national voire patriotique. Certes, il conviendrait danalyser de plus prs ces manifestations et leur sens. Nanmoins, il est possible que, l aussi, lexprience sportive puisse tre source utile la formation du combattant ou plutt la formation lesprit de Dfense du peuple tout entier, qui passe ncessairement par une formation civique et un sentiment national / patriotique.
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omment aborder un thme tel que la morale militaire et le sport sans faire rfrence la bataille de Waterloo, qui, selon ce que lon prtend, aurait t gagne sur les terrains de jeux dEton? En ralit, la bataille fut bien entendu gagne par larrive opportune des Prussiens commands par le Marchal Blcher. De mme, noublions pas lopration, en cours de commmoration, mene avec succs il y a cinquante ans, par la France et la Grande-Bretagne pour semparer du canal de Suez. Aprs lintervention principale, un match de football devait avoir lieu entre les deux allis; il fut toutefois annul en raison de limpossibilit pour la France de faire venir ses joueurs clbres. 1 Cet article expose les opinions dun ofcier britannique en activit, qui doivent plus tre considres comme les commentaires personnels dun Huguenot britannique que comme ceux des forces armes britanniques. En bref, nous avancerons ici quil ny a pas de lien rel entre la morale du sport et celle du champ de bataille.
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Rapport de lopration MUSKETEER, Tactical Headquarters 2 (British) Corps, London, dated 1 February 1957. Respectivement, a gentlemans game played by rufans et a rufans game played by gentlemen. Pierce Egan fut un crivain marquant sur la culture populaire et particulirement la boxe lpoque victorienne. Lawrence James, (crivain et journaliste contemporain reconnu par ses pairs, spcialiste de lhistoire militaire de lempire britannique) Warrior Race A History of the British Army, Little Brown and Company, 2001, p345-346
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a permis daller au del de la rigidit des barrires de classes dans les forces armes britanniques. Les analogies sportives ont t utilises maintes reprises pour dcrire des situations de combat, autant que pour banaliser le danger mortel. Pour beaucoup, la guerre ntait quun prolongement du sport. En effet, Kitchener recrutait sa Nouvelle Arme avec des slogans tels que Send More Men from the Sportsmans Battalion. 5 Lanthropologue Konrad Lorenz compare le sport des combats ritualiss, une forme spciquement humaine de combats amicaux, rgis par la rigueur de rgles en continuel dveloppement. Ainsi, en 1917, Robert Graves est all jusqu slectionner des recrues pour sa section de combat sur la base dune certaine duret de jeu excluant lincorrection mais impliquant la rapidit de raction. 6 Comme Richard Holmes le remarque, les parallles entre un sport dquipe bas sur la rapidit, comme le rugby, et les actions requises sur un champ de bataille ne sont pas dnues de sens. Les sports violents, devenus bien videmment illgaux en Grande Bretagne, sont galement souvent compars au style de vie du militaire, particulirement au regard de celui des cavaliers britanniques. Le sport continue de retenir considrablement lattention dans les annales de la vie militaire britannique. The Infantryman 2005 a, par exemple, consacr une partie entire de son journal au sport militaire, numrant ainsi plus de 20 varits de sport. Le journal annuel du corps dentranement physique de larme, Mind Body and Spirit, existe depuis 87 ans. Lentranement laventure est galement un lment essentiel de la vie militaire permettant de simuler les dangers rencontrs sur un champ de bataille dans des conditions strictement contrles. Lauteur de ce texte est pass de la violence du rugby, la course dorientation, la randonne, lescalade, lalpinisme et durant ces 12 dernires annes, au ski alpin. Il se peut quici, les expriences du danger, des qualits de chef, de la crainte, de lendurance face au froid et aux intempries soient toutes mises en jeu lors de la haute route dArgentine Chamonix complte en 1994. Ici cependant, les similarits avec le champ de bataille sarrtent et le souvenir prfr de votre serviteur demeure une fte de ski alpin tenue dans un environnement civil, ni avec des collgues militaires, ni avec des subordonns.
Correlli Barnett, Britain and Her Army A Military, Political and Social History of the British Army 1509-1970 (Penguin Press, 1970), p378; Horacio Herbert Kitchener fut ministre de la guerre au cours de la premire guerre mondiale, aprs une carrire militaire remarquable et avant de mourir en hros national dans un accident davion en 1916. Richard Holmes, Firing lines, Jonathan Cape, London, 1985, p55 Colin S. Gray, Modern Strategy (Oxford, 1999) et Colin S. Gray, Strategy and History Essays on Theory and Practice (Routledge, 2006). Le jus ad bellum exprime les us et coutumes du droit la guerre, des rgles qui conditionnent lutilisation des forces militaires.
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comme but une paix juste? Aucune de ces conditions qui traditionnellement justient la guerre nest prsente dans le sport. Les divergences entre lthique sportive et celle relative au conit apparaissent galement lorsquon examine les principes du jus in bello.9 Il se peut que le droit de la guerre ait quelque rsonance proportionnelle avec celui du sport. Cependant, limmunit du non combattant et le droit de tuer un adversaire sont des choses un peu fortes dans la ralit sportive, o les duels sont, quand mme, un trait des temps passs. De plus, un jeu, o des rgles seraient requises pour interdire le viol, le vol et le pillage des membres de la communaut adverse, donnerait une perspective fascinante mais, par chance, savrant difcile soutenir. Il se peut que le rle de la dception ait une dimension gale dans le sport celle quelle occupe dans la guerre. Pour autant, et cest trs important, il ny a pas darbitre sur les lieux de guerre pour dterminer si des fautes ont t commises, bien que depuis 2002, la Cour Pnale Internationale (CPI), fournisse maintenant une sorte de jugement collgial a posteriori. La morale de la guerre lui est donc propre et ne peut pas tre compare celle du sport. La guerre utilise parfois des moyens peu respectueux de la libert pour atteindre des ns quelle considre comme librales. Contrairement au monde du sport, il nexiste pas de code universel de lthique militaire. La guerre se retrouve dans le domaine de la morale publique et non dans le domaine de la morale prive et individuelle. Isaiah Berlin, dans son clbre essai Loriginalit de Machiavel, nous rappelle que ces deux domaines de lthique sont distincts. 10 Selon lui, une personne ne peut soccuper srieusement des problmes de moralit publique que si elle y accorde plus de valeur qu ses valeurs dordre priv. Machiavel lavait compris, linverse de beaucoup dhommes politiques et de militaires parmi nos contemporains. Ivan Ilac t un commentaire semblable lorsquil observa combien les vertus militaires taient similaires celles dveloppes par les moines, linverse des sportifs, notamment professionnels; en effet, pour ces derniers, bnciant dune forte rmunration, gagner a plus voir avec un bonus (nancier) quavec une question damour propre et de rputation. Pourtant, en dpit de lnorme importance du sujet de lthique militaire, on ny prte que trs peu dattention au sein des forces armes du Royaume-Uni. Une formation au droit des conits arms (Laws Of Armed Conicts) est bien donne mais il ny a pas de publication sur lthique militaire quivalente celle, rcente, publie par les Nerlandais en octobre 2006 destine tous les chelons de ses forces armes. 11 Ceci ne doit pas nous faire douter de limportance vitale de lthique chez les militaires. En effet, lthique a t LA grande proccupation du 20e sicle, notamment du fait de limplication britannique dans de nombreuses guerres, plus ou moins rgulires durant les dernires annes de ce sicle: en Afrique du Sud, en Somalie, au Soudan, au Moyen-Orient, en Palestine, prs de la frontire nord-ouest de lInde, en Irlande, au Kenya, Chypre, en Egypte, Oman et maintenant en Irak et en Afghanistan. Dire que le sport a t une source principale de motivation chez les Anglais durant ces campagnes reviendrait ignorer la bien plus grande importance des effets de la religion, de la culture, de lducation, des mdias, des scrutins parlementaires et de la rgle de droit comme mesure dincitation des comportements appropris. Lactuel jugement en cour martiale dun collgue, propos de dcisions prtendument prises ou pas, tout rcemment en Irak, est un rappel constant que les sanctions sont toujours prsentes lorsque lon choue sur cette corde raide quest la morale.
Le jus in bello dsigne le droit de la guerre, Cest dire des rgles qui simposent aux militaires et ceux qui les conduisent au cours de lutilisation des forces armes. Isaiah Berlin est un universitaire britannique du 20e; bien que dorigine slave, cet universitaire dOxford, spcialiste de philosophie politique, prsida la British academy et fut anobli par la reine. Le site des affaires trangres des Pays-Bas explique bien cette volont politique: http://www.minbuza. nl/nl/actueel/speeches,2006/04/the_dutch_approachx_preserving_the_trinity_of_politicsx_security_ and_development.html
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Conclusion
Il est vrai que le monde civil et le monde militaire sont lis par des valeurs communes issues de rgles coutumires. Nous, militaires, ne sommes aprs tout, ni plus ni moins, que des civils en uniforme autoriss par lEtat donner la mort lorsque cela savre ncessaire. Mais les rgles du sport ne sont pas celles du champ de bataille. Certes, le sport peut servir insufer une autorit morale aux soldats, marins et aviateurs. En effet, les qualits associes lthique et aux qualits de leader dun militaire (dcision, intgrit, capacit communiquer, savoir-faire professionnel, humilit, volont dinnovation ou dexprimentation, aspiration ou vision et, par dessus tout, la capacit construire une quipe qui gagnera une bataille) sont troitement associes aux qualits requises dans le domaine du sport. Nanmoins, et comme Clausewitz nous le rappelle, si le sport nest habituellement pas en lien avec la politique; la guerre lest toujours.
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Annexe
e mtier des armes, plus que toute autre activit, rclame un engagement de ltre tout entier, intellectuel, physique et moral, au sein dune collectivit qui exige de chacun de ses membres un dvouement hors du commun. Or, les activits sportives, dans leur grande diversit, rpondent pour une bonne part ce besoin. Individuellement, cest un truisme, le dveloppement des capacits physiques relve trs largement du sport: force, adresse, quilibre gnral, endurance. Mais aussi ce que les sportifs appellent le mental: audace, got du risque et du dpassement de soi, sens de la discipline, conance en soi, esprit de dcision (ainsi peut-on considrer que certains sports constituent de vritables ducatifs la dcision, pour le passage dlicat du temps de la rexion et de la circonspection au temps de laction, de la complexit la binarit). Collectivement, le sport est lcole de la solidarit, de lmulation, du sens du travail en quipe, de la volont collective de gagner. Toutefois, quelle que soit la convergence quil peut y avoir entre pratique des sports, individuels et collectifs, et formation au mtier des armes (on a bien dit formation), il est ncessaire de bien mesurer en quoi cette pratique diffre radicalement de laction militaire effective, sauf sgarer sur de fausses pistes. La premire diffrence tient au rapport la mort: dans le sport, la mort survient par accident et tout doit concourir viter celui-ci. En revanche, la mort reste toujours lhorizon de laction militaire, dont la spcicit rside dans lusage de la force au cur daffrontements o la vie mme est en jeu. La seconde diffrence a trait aux comportements des protagonistes: la pratique du sport suppose des rgles communes qui simposent tous les pratiquants ou protagonistes, dont la non observation disqualie le dviant et le place hors jeu; il y a ncessairement symtrie et harmonie entre tous. Laction militaire, quant elle, expose devoir faire face toutes les dviances; on peut mme se demander, ds lors que lvidence de violences insupportables justie lemploi de la force pour y mettre un terme, si la norme de laction militaire nest pas de plus en plus dans la dissymtrie des comportements entre les belligrants. En bref, le sport est par excellence une activit pacique (dans le monde grec, la guerre sarrte pour les Olympiades) o les vertus sont exaltes, quand laction militaire, par dnition, sexerce sur le thtre de la guerre, sous lombre omniprsente de la malignit de lhomme. Un tel constat permet didentier des limites: dune part, la pratique du sport est un volet dterminant de la formation des militaires, tant physique que morale (au sens des forces morales); mais, au-del des aspects techniques, elle nen couvre pas tout le champ: elle est notamment bien incapable de prparer affronter la violence dchane. dautre part, en cho, la mtaphore guerrire, ds lors quelle sexprime sur ce mme mode de la violence, comme on le voit trop souvent, ne peut impunment inspirer le monde du sport. Mais, prcisment, la violence dchane et la malignit de lhomme, nous avons, sauf trahir nos valeurs de civilisation, opposer une force matrise. A lthique du sport rpond ainsi une thique encore plus exigeante, celle du mtier des armes, lune et lautre se renforant de leur pratique commune.
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Du soufe au cur
Cest partir de cette dimension physiologique que sclaire le mot grec que jai laiss jusqu prsent sans traduction. Ce mot est entr dans le franais savant, sous sa forme latin thymus, pour dsigner une glande du sternum. Les cuisiniers le connaissent sous le nom de ris de veau (angl. sweetbread ).Ltymologie du mot nest pas trs claire. 3 Mais lusage de ce mot et la place que Platon assigne au thumos permet de deviner comment les Grecs le percevaient. Il suft pour cela de prononcer le mot comme les Grecs le faisaient sans doute: umoss. Cest le soufe humain. Mais non pas la brise rafrachissante que peut dire le mot psukh (me). Cest le soufe lorsquon en entend le sifement, donc le soufe de qui est dj essouf et doit forcer. Le thumos est la facult que le sport met en jeu et quil cultive.
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Platon, Rpublique, IV, 439d-441b. Platon, Time, 69c-70b. Chantraine, Dictionnaire tymologique de la langue grecque, t. II, Paris, Klincksieck, 1970, s.v., p. 446ab.
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Pour donner cette facult intermdiaire une dimension concrte, Platon choisit la respiration et les poumons qui en sont lorgane. Ce nest peut-tre pas par hasard. La respiration possde en effet une caractristique objective tout fait singulire. Elle est le seul processus physiologique qui soit la fois instinctif et volontaire. Les autres activits de notre corps sont soit volontaires soit instinctives, mais pas les deux. Certes, certains yogis arrivent un contrle exceptionnel de toutes leurs facults. Mais justement, il y a l une exception. Normalement, la digestion est instinctive et nous navons pas barre sur elle. Les activits lies la respiration sont de la sorte lillustration concrte de la faon dont la dimension suprieure de lme peut agir sur la dimension infrieure. Le mot grec dsigne le bouillonnement de la colre, la rage qui monte au nez. La colre en question nest pas le simple fait de se fcher. Elle est ce qui nous permet de refuser le dshonneur de se soumettre, ce qui nous fait nous afrmer nous-mmes dans notre indpendance et combattre pour celle-ci. Le thumos est le cur, au sens que ce mot avait dans le franais classique, o il signiait courage. Il nest pas seulement ce qui nous permet de nous dfendre. Plus profondment, il est ce qui fait que, dj, nous avons quelque chose dfendre, savoir une identit et une libert. Allons encore un peu plus profond: Le thumos est le principe de notre libert parce que, dj, il est le principe de laction. En effet, ni la facult calculante ni le dsir ne peuvent, eux seuls, tre ce principe de laction. Ils ont un point en commun: ils nous laissent passifs devant le rsultat de nos calculs ou devant la pulsion qui nous entrane vers lobjet dsir. Le thumos, lui, est ce qui nous permet de prendre linitiative.
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Kant, Kritik der praktischen Vernunft (1787). Aristote, Ethique Nicomaque, I, 13, 1102b28-1103b3.
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C. S. Lewis, The Abolition of Man, Londres, Geoffrey Bless, 1943, ch. 1: Men without chests. Pierre de Jean Olivi, Quaestiones in II. Sententiarum, LVII, d. B. Jansen, Florence, Quaracchi, t. 2, 1924, p. 338. Mot de Bergson dans Les deux Sources de la morale et de la religion (1932), IVe partie.
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Pour Michel Jullien (Car toute chose, vois-tu, Lui expliquait le livre, Est signe, signe dautre chose. Mme la pierre La plus brute, la plus informe, la plus absente Des conseils de lesprit, est signe encore, Du chaos, disons, du nant. []) Et ltudiant: Quest-ce, se disait-il, Courb, un peu somnolent, sur son livre, Que ntre que cela, une chose, Sans rien, sans absolument rien, pour donner prise Au besoin instinctif de crer du sens, De nommer? Pierres, Je sais que je vous aime, comme peut-tre On peut aimer Dieu, mais ce nest Quen vous donnant un nom: ce nom le vtre seul []. Yves Bonnefoy 1
uelle est la dimension thique du sport? La question nest pas pour moi de savoir si le sport possde une vertu dordre moral cest--dire la capacit dapprendre lhomme qui le pratique les normes du bien et du mal, du permis ou du dfendu, au sein de notre socit. La question est plutt de saisir, plus fondamentalement encore mon sens, en quoi le sport permet tout homme de construire pour lui-mme une sagesse pratique lui confrant de faon ouverte le sens de sa libert et de sa responsabilit. En quoi le sport participe-t-il de llaboration de la personne humaine, non partir de rgles de conduite, mais partir des valeurs qui la constitue et qui sont celles de son autonomie, de sa rationalit, de sa dignit et de sa vulnrabilit? Pour rpondre cette question et pour ne pas tre noy dans son extrme gnralit, je traiterai de la dimension thique dun sport singulier qui possde la particularit de poser celui qui le pratique la question, non seulement de sa fragilit, mais de sa mortalit. En courant le risque de la chute et de la mort dune part, en ne pouvant sortir quand bon lui semble du terrain de jeu dautre part, en saffrontant violemment la sauvagerie de la nature enn, lalpiniste plus que tout autre sportif peut-tre, 2 fait lpreuve de la petitesse de son existence et aussi de ce que Pascal appelait sa grandeur. 3 Il mesure avec une singulire acuit le sens de lexistence humaine comme ce voyage, semblable celui dUlysse, au sein duquel il connat lui et le monde en un parcours chrement pay et toujours risqu. Il mesure avec une grande intensit la signication de son humanit. Pour approcher le sens thique de lalpinisme, il faut mon sens penser les moments constitutifs de son mergence en considrant que ces moments ne sont pas fondamentalement historiques ou chronologiques, mais quils sont surtout logiques ou philosophiques. En tant que tels, ces moments se dpasseront certes, mais, comme ils
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Passant, veux-tu savoir?, in Revue Confrence, no 23, automne 2006, pp. 89-90. On pourrait dire de mme du marin par exemple. Blaise Pascal, Penses, frag. 346, 347, 348 (dition Brunschvicg).
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sont des moments de pense, ils se conserveront aussi en se r-enveloppant de faon circulaire, au fur et mesure de leur laboration. En reprant ces moments, on verra apparatre le sens thique de ce sport tout entier circonscrit dans la signication de ce que les Anglais nomment disport, cest--dire dport ou divertissement. Cest au creux de ce divertissement, cest lintrieur mme de son jeu comme de la ralit naturelle ou humaine sur laquelle il est compltement ent ou plutt immerg, que lalpinisme se dnira comme la recherche et leffectuation toujours prcaire et approximative de ce que jai appel une transcendance intrieure ou une transcendance dans limmanence. Cest donc paradoxalement dans le dport ou le dtour du sport que se livrerait la vrit de lhomme en son sens moderne. Et dans ce paradoxal dtour se livrerait un second paradoxe qui est celui du sens que nous accordons la libert. Or, ce sens est paradoxal dans la mesure o, pour nous, la connaissance et lpreuve de notre nitude sont la connaissance et lpreuve de quelque chose de notre innit. Inversement, linnit de notre libert et de notre volont ne saurait avoir deffectivit sans son alination ou sa ngation dans la nitude des situations, des efforts du corps et du risque toujours prsent de la mort. Les trois moments et les trois signications constitutives de lalpinisme sont selon moi le moment ptrarquien, le moment saussurien et le moment stephenien. Prsentons-les sommairement. Le moment ptrarquien se condense en quelques phrases que le pote crivit dans la clbre lettre familire du 26 avril 1336:
Aujourdhui, m par le seul dsir de voir un lieu rput pour sa hauteur, jai fait lascension dun mont, le plus lev de la rgion, nomm non sans raison Ventoux. [] Quand je cherchais parmi mes amis un compagnon de route, aussi tonnant que cela semble, je ne trouvais personne qui rpondt entirement mon attente: tant est rare, mme entre des tres chers, une parfaite concordance dides et de comportements. [] En n de compte quen penses-tu jeus recours mon unique frre, plus jeune que moi et que tu connais bien. Rien naurait pu lui faire plus plaisir, il tait heureux de pouvoir se considrer la fois comme mon frre et mon ami. 4
Dun coup et pour la premire fois, se livrent ici au moins deux ides qui seront constitutives de lalpinisme pleinement constitu. Dabord, le dsir et la volont de grimper sur une montagne, non pour passer de lautre ct des ns commerciales ou militaires par exemple, mais pour le seul plaisir de grimper ce lieu particulier, pour le seul dsir de le connatre et de voir le panorama du sommet an de contempler pour lui-mme ce panorama cest--dire de le transformer en paysage au sens esthtique du terme. La lettre de Ptrarque est ainsi le rcit prcis dune ascension qui est elle-mme sa propre n, qui ne vaut pas pour son caractre utilitaire (technique) mais pour la mise en uvre mme de son exercice. Pour parler comme Aristote, 5 lascension nest pas le moment dune production ( posis); cest une action ( praxis) dont la valeur ne tient pas dans le produit mais dans le processus lui-mme. Alors et en consquence, au sein de la description de ce processus videmment difcile, la montagne abandonne ce quelle tait avant Ptrarque et ce quelle pourra encore tre, bien aprs lui, par exemple chez Nietzsche au dbut de la troisime partie du Ainsi parlait Zarathoustra : 6 un pur dcor abstrait ou lespace symbolique dune ascension ou dune conversion spirituelles. 7 Au contraire ici, la montagne est un lieu singularis (localis si je puis dire) dans lequel la subjectivit engage sa propre singularit par lentremise de la narration manifestant toujours le prsent et la prsence de laspect sensible dune exprience individuelle. Or, et cest la seconde ide, cette exprience de soi avec soi par la mdiation dune montagne relle et concrtement escarpe est aussi lexprience de soi avec lautre qui est chez Ptrarque un compagnon de route et qui deviendra plus tard un compagnon de corde.
Franois Ptrarque, Lettre du 26 avril 1336 Dionigi de Borgo San Sepulcro, professeur de thologie; Lettre premire du Livre IV des Lettres familires, in Joachim Ritter, Paysage. Fonction de lesthtique dans la socit moderne, Besanon, Les ditions de lImprimeur, 1997, pp.36-38. Aristote, Ethique Nicomaque, Livre VI, chap. 2 et chap. 4. 1139b et suivantes. F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, De la vision et de lnigme, Ides/Gallimard, p. 195 et suiv. Voir par exemple, Denys lAropagite, La thologie mystique, in oeuvres compltes, Aubier, 1943, p. 182.
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Or cet autre, il nest pas une personne symbolique l encore; cest quelquun quil est difcile de trouver et de choisir parce quil doit permettre dengendrer concrtement et avec soi une parfaite concorde dides et de comportements, parce quil doit tre un ami au sens ancien de celui qui appartient une mme totalit et au sens moderne de quelquun que lon a lu par afnits rciproques. Cest donc bien lamour de limmanence qui sexprime dans la lettre de Ptrarque; 8 cest lamour de limmanence dune relation au monde et autrui qui apparat avec lui et qui constitue le lieu et le but mme de lascension. Or, comme vous le savez, ce but est nalement manqu. Car aprs le rcit circonstanci des pripties de lascension et quil donne voir, Ptrarque ne voit plus ce quil tait justement venu voir. Au sommet en effet, il pense ce qui ne se voit pas: son enfance passe, son avenir, son salut et nalement lternit quil ne voulait pas considrer en grimpant. Tout entire occupe de linvisible, lme de Ptrarque se trouve distendue entre lespace du panorama quelle embrasse dun seul regard et les penses intrieures qui montent en elle. 9 On sait ainsi quaprs avoir beaucoup mdit au sommet, Ptrarque sort de son sac les Confessions de saint Augustin, 10 les ouvre au hasard et lit son frre Grard: Et les hommes vont admirer les cimes des monts, les vagues de la mer, le vaste cours des euves, le circuit de lOcan et le mouvement des astres, et ils soublient eux-mmes. 11 Alors, samorce la descente de Ptrarque furieux de ladmiration des choses terrestres et acceptant la formule de Luc: Car quiconque slve sera abaiss, et quiconque sabaisse sera relev. 12 Lalpinisme entrevu et permis un instant est donc bel et bien empch et comme barr dans le suspens ou lhsitation mme de son entrevue. Dans la mesure o le texte est encore soumis la logique et lontologie mdivale, le sens littral (que Dante appelait aussi historial) et que Ptrarque livre dans son rcit, rvle immanquablement un sens allgorique cach qui dit ce que lon doit croire, puis un sens moral qui dit ce que lon doit faire, enn un sens anagogique qui dit ce quoi il faut tendre. 13 Derrire le sens qui ne sentend pas au-del de la lettre se cache comme sous un manteau une vrit dissimule sous un beau mensonge qui doit permettre une dication ou une instruction sous la lumire des souveraines choses de la gloire ternelle. 14 Cest cette instruction sous la lumire de larch ineffable et transcendante laquelle Ptrarque nous convie nalement et laquelle il revient aprs lavoir un temps, le temps de lascension, oublie alors quelle tait dj l, dans son dos, et quil la portait depuis le dbut mais sans nous lavoir dit, bien cache au fond de son sac sous la forme du livre dAugustin. Voil pourquoi, la naissance de lalpinisme et de la philosophie quil contient, suppose le second moment que jai appel le moment saussurien. Ce moment, il est celui qui apparat 450 ans plus tard, le 2 aot 1787 quand, un an aprs que Balmat et Paccard soient monts au sommet du mont Blanc, le savant naturaliste Genevoix Horace Benedict de Saussure y grimpe son tour en substituant son nom traditionnel de mont Maudit le nom, dsormais moderne et dnitif, de mont Blanc. Or, cette ascension prpare depuis 20 ans par Saussure seffectue au nom de la science et de ce que Kant appelle, se rfrant Saussure dans la Critique de la facult de juger, linstruction des hommes. 15 En montant le mont Blanc an dy installer ses thermomtres, ses hygromtres, ses baromtres et tous ses instruments de mesure, Saussure confre une nalit externe et thorique laccession du sommet, nalit qui est expli-
Voir Christophe Carraud, Ptrarque, Baudelaire et la photographie: brves variations sur la pensivit, in Esthtique et mlancolie, Institut des Arts Visuels dOrlans, 1992, p. 58. Voir Jean-Marc Besse, Voir la terre, six essais sur le paysage et la photographie, Actes Sud, 2000, Chapitre I, Ptrarque sur la montagne: les tourments de lme dplace, pp. 13-34. Avouant ainsi que le souci de limmanence tait ds le dbut de son entreprise reli contradictoirement au souci de la transcendance. Saint Augustin, Les confessions, X, VIII, 15. Cit par Ptrarque, op. cit., p. 50. Evangile selon saint Luc, 14, 11. Voir aussi le lettre familire de Ptrarque, Livre 1, 6: le voyageur slve dautant plus haut quil approche de la descente, et, si lon pouvait le dire ainsi, cest en slevant quil descend. Dante, Eptre XIII, in OEuvres compltes, bibliothque de la pliade, Gallimard, 1965, p. 795. Dante, Il Convivio, II, 1, in uvres compltes, op. cit., p. 314. Emmanuel Kant, Critique de la facult de juger, 29.
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citement dite par lui en 1834 dans ses Voyages dans les Alpes juste au moment o il fait le rcit de larrive au sommet:
Au moment o jeus atteint le point le plus lev de la neige qui couronne cette cime, je la foulai aux pieds avec une sorte de colre plutt quavec un sentiment de plaisir. Dailleurs mon but ntait pas datteindre le point le plus lev, il fallait surtout y faire les observations et les expriences qui donnaient quelque prix ce voyage, et je craignais inniment de ne pouvoir faire quune partie de ce que javais projet. 16
Seconde colre donc, aprs celle de Ptrarque; seconde colre sans personne pour se quereller et en laquelle se manifeste la ncessit de soumettre lacte de grimper un projet plus haut que lui: le projet dune appropriation la fois corporelle et cognitive de la nature qui engendre sa dsacralisation comme le corollaire indispensable du progrs inni de la connaissance humaine. Alors, le mont Olympe, le mont Sina ou le mont Thabor seffacent comme scroulent les montagnes de perfection ou dorgueil, les montagnes de justice ou de contemplation. 17 Cest dsormais la lumire naturelle de la raison calculante que se dcouvrent les rochers, les glaciers, les phnomnes atmosphriques dont la pense veut expliquer la trs longue et trs lente histoire jamais spare de lternit. Mais, comme dans le moment ptrarquien, ce qui est entrevu est dans le mme temps refus, car cest de la volont exploratrice de la nature quest sorti lalpinisme et cest par cette volont aussi quil est empch par le surplomb de ce qui nest plus une substance ni un cosmos ternels mais ce qui est un travail inni: celui du progrs de lhumanit dans son entreprise de connaissance dune nature dsormais dsenchante, silencieuse comme et dit Pascal, cest--dire dpouille de toute signication interprter. 18 Cest la raison pour laquelle le moment saussurien qui a rendu disponible le milieu naturel de la montagne, doit tre relay par le moment que jai appel stephenien et o nat pleinement le sens de lalpinisme. Ce moment porte le nom de Leslie Stephen, le pre de Virginia Woolf, qui fut un grand alpiniste au moment de la conqute de presque tous les sommets alpins jusquen 1865 qui est lanne o Edward Whymper escalada coup sur coup laiguille Verte, les grandes Jorasses et le Cervin. 19 En 1871, Stephen rassemble beaucoup de ses textes de rcit descalades sous un titre signicatif: Le Terrain de jeu de lEurope. 20 Si la nature sauvage en gnral et le massif alpin en particulier deviennent ainsi a Playground, cest quils ne sont dsormais plus une fort de symboles ni un organisme complexe parcourir pour lexpliquer; ils sont le lieu dlimit dune activit corporelle, gratuite et plaisante par elle-mme que les Anglais appellent sport et dont on trouve la dnition chez Georges Hbert en 1925:
On appelle sport tout genre dexercice ou dactivit physique ayant pour but la ralisation dune performance et dont lexcution repose essentiellement sur lide dune lutte contre un lment dni: une distance, une dure, un obstacle, une difcult matrielle, un danger, un animal, un adversaire et, par extension, soi-mme. 21
Dans lacte de grimper pour grimper comme en tout sport, lhomme opre de multiples rductions qui montrent que le mouvement dlvation que lalpiniste effectue doit dabord tre rendu possible par un mouvement inverse de descente: la rduction de notre monde un seul et unique monde; la rduction de ce monde son seul caractre matriel ou spatial; la rduction de lexistence de lhomme celle de son corps;
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Horace Benedict de Saussure, Premires ascensions au Mont-Blanc 1774-1787, La Dcouverte, 2005, pp. 205-206. Voir les tudes rassembles dans le no 99 (juillet-aot 2006), de la Revue de lInstitut Catholique de Paris et intitul Transversalits. Blaise Pascal, Penses, frag. 206 (Brunschvicg). En 1864, il enchana le mont Dolent, laiguille de Trlatte et laiguille dArgentire. Leslie Stephen, Le Terrain de jeu de lEurope, trad. fran. de Claire-Eliane Engel, Editions Hobeke, 2003. Georges Hbert, Le sport contre lducation physique, 1934, pp. 6-7, cit par Nicolas Giudici, La philosophie du mont Blanc, Grasset, 2000, p. 205.
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celle de son corps un simple effort comme un fait primitif (comme dirait Maine de Biran) par lequel nous sentons et exerons notre vitalit et notre activit; celle enn de leffort comme un simple acte de persvrance au sein dun combat o sunissent dans leurs affrontements mme des forces opposes, internes ou externes. Cette quintuple rduction indique que le corps dont sommes faits et que nous sommes, ne saurait tre travers cest--dire dpass et quil cherche simplement ce quil peut en dployant, sur un modle polmologique ou agonistique, toutes ses virtualits caches sans autre nalit que celle de dpasser sa puissance, de stonner de cette puissance dont il ne connat pas les limites: la performance pour la performance, lacte de se surmonter ou du dpassement dun soi corporel qui dit simplement plus haut, plus vite, plus fort et qui conquiert linutile. La formule est de Lionel Terray bien sr. Elle se trouve pourtant chez Jules Michelet ds 1868: La cruelle, lorgueilleuse qui est l-haut, elle [la montagne] aura toujours des amants, toujours on voudra monter. Le chasseur dit: Cest pour la proie; le grimpeur dit: pour voir au loin. [] Le rel dans tous ces efforts est quon monte pour monter; le sublime, cest linutile. 22 Dans limmanence du corps propre et de lespace matriel, dans limmanence aussi du combat qui stablit entre les deux, se dgage le sens dune transcendance entirement rapatrie dans le prsent et la prsence de leffort pour lui-mme. Ce sens possde cependant plusieurs couches constitutives dont la plus rcente et la plus moderne (la couche correspondant lalpinisme et au sport contemporain) possde la possibilit de conserver les traces des couches les plus enfouies quelle a d abolir an de sinventer sur leurs dcombres ou sur leur subversion si lon peut dire. Le sens le plus superciel et qui correspond au moment stephenien que je viens de dire est le sens de ce que Nietzsche appelle un devenir davantage 23 ou un dbordement ncessaire par del toutes les limites. 24 Ce nest pas un tu dois, mais un il faut que je de lhyperpuissant-crateur 25 qui est lexigence de lhomme moderne faisant comme une sculpture de soi sans autres limites que celles que, corporellement, il supporte, repousse ou dborde constamment. Lhomme moderne, limage de lalpiniste qui grimpe pour grimper est bien un athlte et un ascte au sens strict de celui qui souffre dans lpreuve et le combat dune part (athlon), de celui qui sefforce dans lexercice (askesis) dautre part, an de dvelopper indniment et pour elle-mme sa puissance. Mais lexigence de cet athlte ou de cet ascte sont toutes les deux prises dans une dmesure qui est le fond abyssal de notre culture contemporaine lui confrant cette sorte dirrationalit contre laquelle John Ruskin protestait de faon vhmente et que lon retrouve dans de nombreux rcits de montagne contemporains comme ceux de Louis Lachenal, Lionel Terray et Maurice Herzog par exemple. 26 Sous le discours de lhybris se tient cependant encore le discours de lpanouissement et de la formation de soi qui correspond au moment des Lumires et de Saussure. Lhomme, semblable un germe ou une plante (Saussure est botaniste), doit tre dvelopp par leffort corporel. Il se constitue et sduque comme individu perfectible mais aussi comme socit, culture et histoire. La construction (Bildung) de lindividu nest pas indpendante de linstitution dune relation autrui que la corde manifeste et construit tout la fois. Cest dans la perspective de cette construction de soi quil faut comprendre les textes de Walter Bonatti, le vainqueur du K2 en 1954 et en 1955, en solo, du pilier sudouest du Dru. Dans son ouvrage Montagnes dune vie, lalpiniste italien considre que la pratique de lalpinisme marque dune faon indlbile lme dun jeune homme et dstabilise son assiette encore insuf samment affermie. 27
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Jules Michelet, La montagne, 1868, cit par Andr Hlard, John Ruskin et les cathdrales de la terre, Editions Gurin, 2005, p. 316. F. Nietzsche, Fragments posthumes, Gallimard, 1977, tome XIV, p. 91. F. Nietzsche, Fragments posthumes, Gallimard, 1977, tome XIII, p. 62. F. Nietzsche, Fragments posthumes, Gallimard, 1977, tome X, p. 106. L. Lachenal, Les carnets du vertige, Pierre Horay, 1956, p. 229. L. Terray, Les conqurants de linutile, Gallimard, 1965, p. 85 et p. 466. M. Herzog, Annapurna premier 8000, Artaud, 1952, p. 197. Walter Bonatti, Montagnes dune vie, Artaud, 2005, p. 98. Cest moi qui souligne.
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La montagne dit-il ma permis de satisfaire le besoin inn chez tout homme de se mesurer et de sessayer, de connatre et de savoir. Entreprise aprs entreprise, l-haut je me suis senti toujours plus vivant, plus libre, plus vrai: je me suis ralis. [] A mon avis, la valeur dune montagne, et donc de son escalade, rsulte de divers lments, esthtique, historique et thique, qui ont tous leur importance. Jamais je ne pourrai sparer ces trois facteurs ou men dsintresser, car ils sont la base de lide que je me fais de la montagne. 28
On peut estimer, alors et enn, que sous ce discours se tient encore la plus profonde et la plus antique parole de lathlon et de lasksis ; la parole o sexprime une pense de laccomplissement et de lpreuve qui faisait dire au grand anthropologue Marcel Mauss:
Je crois que lducation fondamentale dans toutes ses techniques consiste faire adapter le corps son usage. Par exemple, les grandes preuves du stocisme qui constituent linitiation dans la plus grande partie de lhumanit, ont pour but dapprendre le sang-froid la rsistance, le srieux, la prsence desprit, la dignit, etc. La principale utilit que je vois mon alpinisme dautrefois fut cette ducation de mon sang-froid qui me permit de dormir debout sur le moindre replat au bord de labme. 29
Il ne sagit plus videmment dadvenir la perfection du corps glorieux du hros ou de lathlte grec; il ne sagit plus de participer au cosmos ni au logos dans une divinit et une ternit qui nexistent plus. Il sagit pourtant encore de faire lpreuve du corps an de sessayer et de se connatre comme le dit Bonatti, an de connatre ce quil appelle son moi ralis et sa valeur, conus tous les deux sur le modle, non dune assise prenne, mais dune simple assiette. La mtaphore est questre et profondment montanienne, au sens o elle se trouve chez Montaigne mais au sens aussi o Montaigne signie bien montagne. Cette mtaphore suppose la perte irrmissible de tout fondement. Elle nous indique que le moi et la valeur qui lui est attache nest quun simple quilibre ncessairement mouvant, approximatif, prcaire et toujours refaire dans le risque toujours prsent et toujours conjur de sa perte. Cela suppose trois ides pour terminer. Dabord, le sens de notre fugacit et de notre mortalit qui nest jamais plus aiguis ou intensi que dans lescalade au bord de labme. Ensuite, le sens de notre prsent et de la prsence du prsent comme notre seul et vritable lieu qui est la sant du moment . 30 tre l nest pas seulement un fait; 31 cest aussi une exigence que la pense ancienne (lpicurisme et un certain stocisme) et la pense moderne (celle de Nietzsche) nous ont transmise de manire nous faire saisir la ncessit de la prise de conscience de limminence de la mort, de lunicit de la vie, de lunicit de linstant. 32 Enn, leffort corporel ou limpulsion active nous confrent le sens dune rserve, dune prudence ou dune sagesse sans lesquelles lalpiniste court de grands dangers. Cest cette rserve qui produit cette sorte de douceur que celui qui a longuement et difcilement abandonn son poids la morsure de son piolet et de ses crampons dans la glace, prouve. Celui-l sait que cest cette douceur 33 paradoxalement
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Ibid., p. 5. Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, PUF, 1950, Les techniques du corps, p. 385. Dans le Second Faust, Goethe crit: Alors lesprit ne regarde ni en avant ni arrire. Le prsent seul est notre bonheur. Mallarm crit en 1895 au jeune homme dchir par la conscience de la crise de la littrature et de la socit Cest--dire par lcart ou le suspens qui brisent le temps: Aussi garde-toi et sois l. Laction restreinte, uvres compltes, biblio de la pliade, Gallimard, 1945, p. 372. Pierre Hadot Le prsent seul est notre bonheur , in Diogne, no 133, p. 67. Douceur dont parlent leur manire Marc-Aurle et Nietzsche. Il y a des signes certains, crit Nietzsche dans le Monologue du voyageur dans la montagne, que tu as avanc et que tu es arriv plus haut: la vue est plus libre et plus riche autour de toi que tantt, le soufe de la brise est sur toi plus frais, mais aussi plus doux (car tu as dsappris la folie de confondre douceur et chaleur), ton allure sest faite plus vive et plus ferme, ton courage grandi en mme temps que ta lucidit: pour toutes ces raisons, ta route pourra maintenant tre plus solitaire et en tout cas sera plus dangereuse que lancienne, mais pas autant coup sr que le croient ceux qui te regardent, voyageur, du fond de la valle embrume marcher sur la montagne. Humain trop humain, trad. fran., Gallimard, 1968, tome 2, pp. 108-109.
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enfouie dans la souffrance de leffort qui permet la force la plus efcace et la plus acheve parce quelle est la force matrise. 34 Ce sont ces trois lments que lon retrouve dans ce beau texte de Victor Segalen extrait dEquipe, voyage au pays du rel et racontant le passage du col. Ce texte, il nous fait comprendre que sortir en termes dalpinisme ne dsigne jamais laccession une autre et suprieure ralit, mais simplement le moment plein et humain, pleinement humain, de larrive larte ou au sommet prement gagns. Ce texte, il nous rappelle la clbre exigence de Pindare: Ne crois pas, ma chre me, la vie ternelle / Mais puise le champ du possible. 35
Le regard par-dessus le col nest rien dautre quun coup dil; mais si gon de plnitude que lon ne peut sparer les triomphe des mots pour le dire, du triomphe dans les muscles satisfaits, ni ce que lon voit de ce que lon respire. Un instant, oui, mais total. Et la montagne aurait cela pour raison dtre quil faudrait se garder den nier lutilit pesante. Tout le dtour de lescalade, le dconvenu des moyens employs ces rancunes sont jetes par-dessus lpaule, en arrire. Rien nexiste en ce moment que ce moment lui-mme. Quelques pas avant dy atteindre, et lon savoue encore trs domin, trs surmont. [] Alors, ne pas slancer, ne pas sarrter, mais donner point le dernier coup de reins pour saffermir sur la hauteur conquise, et regarder. Regarder avant, en respirant son aise, en renforant tout ce qui bourdonne des orgues puissantes et de la symphonie du sang, des humeurs mouvantes dans la statue de peau voluptueuse. Cest ainsi que la possession visuelle des lointains trangers se nourrit de joie substantielle. Cest la vue sur la terre promise, mais conquise par soi, et que nul dieu ne pourra escamoter: un moment humain. 36
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Voir Pierre Hadot, La citadelle intrieure, Fayard, 1992 p. 242. Pindare, Troisime Pythique, trad. Robert Brasillach, in Anthologie de la posie grecque, Club des libraires de France, Stock, tome 1, p. 257. Victor Segalen, Equipe, voyage au pays du rel, Gallimard, 1983, pp. 32-33.
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If you can trust yourself, when all men doubt you 1 From IF, by Rudyard Kipling
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de laction. Par consquent, lthique, alliant le corps et lesprit, est un phnomne similaire celui du sport. Elle met en avant llgance, le courage et la patience, dans le contexte du sport. Dans la vie et dans le sport, elle repose sur lide de servir une quipe ou le bien commun. Le lien entre le sport et lthique devient vident lors de lanalyse du fonctionnement de lesprit pendant une activit sportive. Par exemple, le sportif qui aura su dvelopper pleinement ses comptences mentales, a toujours une longueur davance sur le jeu. Un athlte mentalement entran, arrive identier laction qui mne au succs parmi une multitude de choix. Le choix dune action morale ne peut pas tre statique car la frontire entre le bien et le mal est mouvante. La limite entre les actions hroques et les actions dshonorantes peut, en effet, tre obscure. La formation dun dcideur thique est donc la fois lente et rapide; lintgrit se construisant au l des expriences, que le sport apporte en nombre. Parfois la moralit ne fait pas gagner; cependant, une rexion thique, connectant le corps et lesprit vite de succomber la rage et au dsespoir. En clair, il apparat que la formation thique ncessite un lieu o les expriences sont nombreuses et intenses pour tre value, une arne idale comme le sport.
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J. Wooden and S. Jamison, Wooden on Leadership, McGraw Hill, N.Y, 2005, p. 3 P. Cerutty, Running with Cerutty, Track and Field News, 1958 P. Cerutty, Success in Life and Sports, Pelham Press, London, 1964, p. 54 M. Spino, Journal of Ethics in Leadership, Kennesaw State Press, Vol.2, No. 1, 2006, p. 146
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Adoption dune approche alliant le corps et lesprit comme outil du dveloppement humain
Ladoption en sport, dune approche corps/esprit, permet une meilleure adquation entre le corps et la pense. Peu dactivits offrent une telle possibilit. En examinant le sport, on retrouve galement la question fondamentale des connaissances pratiques acquises sur le terrain de sport: comment ces lments sont ils appliqus dans les diverses situation de la vie? De mme, comment les capacits mentales, dveloppes, consolides et utilises dans des activits sportives peuvent tre utilises lors de situations similaires exigeant une capacit de discernement quivalente? Par-dessus tout, comment pourrait-on intgrer les capacits du mental et celles du corps la prise de dcision et lthique? Pour dvelopper une thorie selon laquelle le sport est un agent de croissance et de changements, on doit comprendre les liens entre processus mentaux et la prise de dcision rapide rsultent par la ralisation de jeux et dactivits physiques. Par exemple, les lments les plus importants dans le sport tiennent la pression. Ne pas abandonner lorsquune situation parait dsespre est lune des caractristique que lon attribut le plus souvent au sport, exprimant quelque chose de linvincibilit de lesprit humain. En dehors du sport, il existe peu doccasions permettant une personne dexprimer son caractre hroque, de croire en ses valeurs et ses perceptions et de les faire fructier. Lorsque lon utilise une approche mentale du sport, laccs la dimension spirituelle semble facilit. Quel est limpact du mental sur le soufe dans une perspective globale? Si sport et spiritualit sont synonymes, peut on dire que lon agit de manire plus thique lorsque lon a expriment ces dimensions? Il y a des prcdents pour rpondre ces interrogations. lacadmie militaire amricaine de West Point, les chefs du centre pour lamlioration des performances proposent, en effet, demployer des mthodes de formation drives de la psychologie
Le Gnral de brigade Chander Prakash, attach militaire de lInde, a prsent une confrence sur ces thmes.
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sportive applique pouvant tre utilis dans dautres contextes. 7 Le programme dtudes emploie une terminologie issue du monde sportif. Un des premiers modules propos par le centre traite des processus mentaux expliqus dans cet article. Ce programme cre un lien entre limagination et la visualisation dans un processus de voir, de sentir et dprouver des rsultats dsirs. 8 Cela rsonne ici dun langage autant employ pour une quipe de sport se prparant pour un championnat que dans un programme dentranement au commandement de cadet sur le champ de bataille.
Rexions conclusives
Le but de cet article est dapporter une introduction un programme qui pourrait utiliser le sport comme moyen de dveloppement humain, de prise de dcisions thiques et de responsabilit. Certains entraneurs ont compris que cest en dveloppant la personne dans son ensemble que de relles victoires sont remportes tant sur le terrain que dans la vie. Linitiative des Ecoles de Saint-Cyr relaye par le BIT a largi lhorizon de nos tudes sportives en ouvrant de nouvelles voies. Les bases dune approche sportive alliant le corps et le mental sont dveloppes en annexe. 9 Ces textes veulent introduire une mthode de formation par le sport. Dans ma carrire, jai souvent vu des quipes et des individus transforms par un entranement sportif alliant corps et esprit, passant du chemin de la dfaite un tat desprit favorisant le succs. De surcrot, les lendemains de victoire permettent la prise de conscience spirituelle de certaines valeurs importantes. Cette enqute sur le sport et lthique a donc renforc notre point de vue. Si, la surface, lthique du sport peut signier juste le respect des rgles du jeu sous le regard darbitres; en profondeur, cette volont de bien faire va pouvoir stendre aux autres domaines de la vie. De mon point de vue, jai maintenant mieux compris la dimension essentielle du lien de lthique et du sport pour toute la vie. Des entraneurs pourraient proter de cette tude pour transformer le sport en vhicule du dveloppement de la personne et de la paix durable.
Nathaniel Zensser, PhD. ET. Al, military Application of performance-Enhancement Psychology, Military Review, September/October 2004 p.63 Ibid, p.64 Cf. lannexe la partie III (en anglais) intitule Background to the Mind/Body Sport Training Curriculum.
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Questionner des vidences pour mieux cerner la porte idologique des discours
e titre de cet article renvoie un problme majeur. Car, circulant depuis plus dun sicle, simpose aujourdhui, dans les esprits, lide que le sport est porteur, par essence, dune thique, elle-mme socialement valorise. A y bien regarder, lhistorien et le sociologue dclent derrire ce monument dor lor n que symbolisent dans la pense commune les valeurs ternelles du sport, la marque oratoire du baron P. de Coubertin. Comme un montage habile, rarement interrog dans ses fondements culturels, moraux, idologiques ni dans ses perspectives sociales discriminantes. Porte par le temps, dveloppe par le CIO, reprise avec rvrence par la plupart des mdias, dynamise par certains courants pdagogiques, lide dun sport naturellement vertueux, survolant les vicissitudes de la vie quotidienne pour apporter la bonne parole ducative, a fait son chemin au cours du 20me sicle, alors mme que seffritaient pourtant les espoirs dun sport vierge de toute salissure, chappant notamment linstrumentalisation politique. Il sufrait de prter loreille au ronronnement mdiatique contemporain ainsi quaux discours de la rue, notamment en priode de grandes comptitions ou de rassemblements emblmatiques (Jeux olympiques notamment), pour saisir tout ce que la force du discours a pu rassembler derrire elle: le sport est ncessairement bon car porteur de la rgle, de la vertu, du respect des autres, de soi, porteur de repres, dune forme quasi inne de rgulation des affects et des comportements humains Bref, le sport relverait dune thique quasi intemporelle En ralit, derrire lassociation Ethique et Sport, se cache un problme social et politique majeur dont lun des aspects les moins visibles et pour cause demeure prcisment la dimension idologique du discours qui vhicule avec force lvidence de ce couplage instrumental. Mais ce nest pas le seul problme que soulve cette articulation. Se pose en effet corollairement cette dimension idologique, un questionnement en termes de dnition. Car, quest-ce quen ralit que le sport? Que recouvre ce concept surdtermin? Si la notion dthique ne demande pas immdiatement dclaircissement particulier (nous y reviendrons nanmoins), le terme de sport est plurivoque par culture. Son histoire mme, comme la diversit des approches historiques relatives aux thories de sa gense, notamment en termes de continuits ou de ruptures, invite beaucoup de prudence quant aux conclusions quil serait possible de tirer dune analyse des modles de la pratique physique, de leur gnalogie, et des positionnements des exercices du corps sur lchiquier culturel et social diffrents moments de leurs histoires. Mais, mme en tenant compte de ces facteurs qui dnissent le sport et ses production, comme une activit historiquement et socialement situe, disons-le franchement: les rapports du sport ou des sports ou plus particulirement des sport professionnel et/ou de haut niveau, lthique relvent plus de la profession de foi et de lincantation que dune ralit avre. A contrario des ides reues et des prsupposs laudatifs qui lentourent, le sport, activit passionnelle, brillant et sduisant spectacle,
Matres de confrences habilits diriger des recherches lUFR APS Haute Bretagne Rennes 2 et, respectivement, directeur et membres du Lars-Las (Laboratoire dAnthropologie et de Sociologie) EA 2241.
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peut, dans bien des cas, masquer lexercice dun pouvoir, minimiser par ses attraits les ralits de lexclusion et de la sgrgation ou rendre invisible lexpression dune domination, lexercice de la violence, la production de tricheries, de corruptions Bref, le sport a maintes occasions de manquer ainsi totalement la cible thique qui lui est assigne de faon pourtant quasi consubstantielle. Du moins en thorie. Mais, en nonant cela nen vient-on pas tout simplement poser la question du normal et du pathologique, cest--dire, le problme des normes communment admises dans un groupe particulier mais considres comme dviantes dans un autre ou plus simplement dans le groupe dominant? Pour lier ces deux notions il convient sans doute de mieux prciser nos axes de questionnement an de tenter de comprendre: do vient lide dun sport porteur intrinsquement de valeurs thiques au point quaujourdhui son usage soit recommand dans bien des contextes: dans la cit, en milieu carcral, dans la rue, etc.; pour mieux, ensuite, distinguer et srier ce qui est de lordre de la mise scne, du sport spectacle ou du show, objet de tous les manquements lthique, dautres formes de pratiques qui la respectent davantage peut-tre; avant, dobserver, enn, que ce nest peut-tre pas le sport qui prsente, dveloppe ou permet lapproche dune thique mais bien les modalits de pratiques mises en uvre, les nalits poursuivies et un lment essentiel du dveloppement de lhomme: lducateur. Et, si en fait cette question dthique ntait ni au fondement du sport, ni fondamentale pour le sport?
Pour un panorama plus complet, voir: Bodin, D., Robne, L., Has, S. (2004a), Sports et violences en Europe, Strasbourg, Editions du Conseil de lEurope. Conseil de lEurope: http://www.coe.int/DefaultFR.asp. Par exemple le club de Cussac Fort Mdoc, commune girondine de 800 habitants, suspendu de toutes comptitions durant la saison 2004/2005. Citons ainsi le cas de M. Larbaltrier qui, le 11 juin 1995, la n dune nale honneur opposant Castelnau Magnoac Nissan, a t violemment pris partie par les joueurs, dirigeants et supporters nissanais.
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Ces drives ont t dnonces depuis fort longtemps. Soit dans le cadre dune approche socio-philosophico-critique, largement imprgne des thses freudo-marxistes. 6 Dans cette perspective, le sport, appareil idologique dEtat, opium du peuple, espace propice au dchanement des meutes sportives, est mis en accusation travers le procs de linstrumentalisation conomique et politique gnralise de pratiques culturelles approches comme rouages incontournables du pouvoir, de la domination et de la guerre de tous contre tous. Soit dans des perspectives plus systmiques, recoupant approches historiques, socioconomiques et anthropologiques, clairant les effets pervers 7 suscits par la mise en spectacle des sports et les drives passionnelles quelles peuvent parfois engendrer. 8 En ralit, les sports ne sont pas plus thiques ou vertueux, par essence, quils ne sont, loppos, consubstantiellement marqus du sceau de linfamie. Ils sont beaucoup plus vraisemblablement, et de manire extrmement complexe, le rsultat et le reet de lactivit des hommes vivant en socit. Un construit historique et social quil convient ds lors danalyser comme tel en valuant la porte des enjeux et des marquages culturels, sociaux, idologiques, politiques et conomiques qui participent prcisment en dnir les fonctions et en produire les drives dans les contextes situs et changeants de nos socits modernes Ltymologie mme du mot thique nous invite du reste privilgier cette hypothse. Le mot grec thikos, thik, lorigine du terme thique, ne signie-il pas murs, lesquelles, moins de les interprter la seule lumire de la morale judo-chrtienne, ne sont pas obligatoirement bonnes. Comment pourrait-il, dailleurs, en tre autrement lorsque le sport possde cette trange et paradoxale particularit de rassembler en un mme lieu les individus pour mieux les opposer? 9 Il y a l une double question qui constitue le double mouvement de ce texte: lune est sociologique, interrogeant cette naturalisation du sport, lautre, tentant de saisir ce qui est de longue dure dans cette union ou cette dsunion du sport et de lthique, relve de lanthropologie historique. Ainsi structure notre analyse tente de rpondre plusieurs questions. Comment comprendre que dans les reprsentations collectives ordinaires, mais aussi politiques, le sport puisse tre considr, trs souvent, comme thiquement correct, essentiellement nourri de respect lgard de ladversaire, de lautre, de larbitre ou des rgles? Comment concevoir quil soit apprci comme un espace ou sexprimerait, davantage quailleurs, une certaine distance au rle? 10 Comment expliquer que lon puisse imaginer que lthique acquise en sport soit transfrable au reste de lactivit sociale ordinaire? Comment expliquer que cette thique suppose acquise, ou prsente, dans le sport puisse conduire considrer ce domaine dactivit comme hyginique, insrant, intgrant, socialisant, etc. au point de le concevoir, arbitrairement, comme un lment essentiel de lducation dans nos socits modernes et den faire galement un axe occupationnel fort en milieu carcral 11 ou un contre-feu immdiat la violence des cits? 12
Brohm, J-M. (1993). Les meutes sportives. Critique de la domination. Paris, Lharmattan. Brohm, J-M. (1992). Sociologie politique du sport. Nancy, PUN. Comme effets inattendus: Boudon, R. (1977). Effets pervers et ordre social. Paris, PUF, coll. Quadrige. Citons par exemple et entre autres: Bodin, D., Robne, L., Has, S. (2004a). Sports et violences en Europe. Strasbourg, ditions du Conseil de lEurope. Brissoneau, C. (2003a). Entrepreneurs de morale et carrires de dviants dans le dopage sportif. Thse soutenue luniversit de Paris X Nanterre. Bromberger, C. (1995). Le match de football, ethnologie dune passion partisane Marseille, Naples et Turin. Paris, Maison des sciences de lhomme. Duret, P., Bodin, D. (2003). Le sport en questions. Paris, Chiron, coll. Sports tudes. Jeu, B. (1987). Analyse du sport. Paris, PUF, Coll. Pratiques corporelles, dition 1992. Goffman, E. (1956). La mise en scne de la vie quotidienne. Paris, traduction franaise 1973. Semp, G., Bodin, D., Robne, L., Has, S. (2006). Le sport carcral chez les courtes peines: une approche comparative franco-canadienne en prisons pour femmes. Esporte et Sociedade. Resvista digital, 4, http://www.esportesociedade.com/. Bodin, D., Robne, L., Has, S. Semp, G. ( paratre dcembre 2006). Le sport en prison entre insertion et paix sociale. Jeux, enjeux et relations de pouvoirs travers les pratiques corporelles de la jeunesse masculine incarcre. Le Temps de lhistoire, revue dhistoire de lenfance irrgulire, 8. Duret, P. (2001). Le sport comme contre-feu la violence des cits in D. Bodin (dir.), Sports et violences. Paris, Chiron, coll. Sports tudes, pp. 109-118.
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Citons entre autres: Jeu, B. (1975). Le sport, la mort, la violence. Lille, PUL. Jeu, B. (1977). Le sport, lmotion, lespace. Paris, Vigot. Jeu, B. (1987). Analyse du sport. Paris, PUF, Coll. Pratiques corporelles, dition 1992. Duby, G. (1984). Guillaume le Marchal ou le meilleur chevalier du monde. Paris, Fayard, coll. Les inconnus de lhistoire. Elias, N., Dunning, E. (1986). Sport et civilisation. La violence matrise. Paris, Fayard, traduction 1994. Gernet, L. (1917). Recherches sur le dveloppement juridique et moral en Grce. Paris, Leroux. Vernant, J-P., Vidal-Naquet, P. (1986). Mythes et tragdies, II. Paris, La dcouverte. Duby, G. (1986) EPS interroge Georges DUBY: des tournois au sport moderne, EPS, p. 10. Jusserand, J.-J. (1901), Les sports et jeux dexercice dans lancienne France, Genve, Champion ditions (rdition 1986).
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le voisin ou lancien alli, voire sur leurs propres terres. Au point, prcisment, que les tournois ont pu aussi apparatre pour une partie de la noblesse comme un moyen commode doccuper une jeunesse et ses trublions et de canaliser la violence des chevaliers. 20 Non pour lhumanisme que cette pacication aurait pu reprsenter mais bien pour la dimension conomique (rcoltes prserves, main duvre pargne) quelle signiait matriellement. Lidal chevaleresque tait donc l encore un idal socialement situ, niant lautre, le paysan, le manant, le pauvre et linvisible, dont les jeux physiques comme la soule, taient, par ailleurs, galement le thtre de maints drglements et violences, au point quen nombreuses occasions, lglise dt en interdire la pratique. Lorsque Elias sintresse la gense des sports, non plus dans une approche de liation ou de gnalogie des modles de la pratique physique mais bien dans une perspective de rupture, il le fait au regard des (re)structurations socitales et des transformations sociales laube du 18me sicle. La tendance en Europe est la pacication des socits travers, notamment, la monopolisation tatique du contrle de la violence. 21 Pour Elias, les sports modernes mergent la mme poque et se structurent conjointement la rorganisation des formes de la vie politique, concourant au mme mouvement. Ces nouvelles pratiques auraient pour fonction lapprentissage de lautocontrle des pulsions en offrant dans le mme temps un lieu de dbridement tolr des motions. 22 Lorsquil voque la gense des sports, Elias le fait travers lmergence dune pratique aristocratique, la chasse au renard, dont les codes normatifs, rglementaires et sociaux vont simposer jusqu structurer les sports collectifs entre autres. Ces derniers participent, au 19me sicle, lducation de la gentry au sein des publics schools. La boucle est ici boucle. Car en rnovant les Jeux Olympiques, Coubertin ne fait que renforcer cet idal aristocratique, fortement litiste, qui oppose dans ses pratiques et expressions, les classes dominantes et domines. Fortement inspir par les thses sociales de Frdric Le Play, Coubertin cherche imposer la conception dun sport sgrgatif dont lamateurisme et la masculinit constituent les angles les plus visibles, dans une perspective conservatrice. Le sport coubertinien tel quil se prsente jusquen 1912, moment partir duquel le baron, contraint et forc par laffaiblissement de ses positions institutionnelles, envisage une ventuelle et trs relative dmocratisation sportive, est profondment marqu dans sa conception par tout ce qui le distingue des pratiques plus populaires: le dsintressement, la distance au rle, le dtachement au regard des rsultats, la volont ducative. Le sport, pratique dlite, doit ainsi participer ldication dune socit pour laquelle les puissants demeurent au sommet de ldice, quand les domins, cantonns dans des pratiques physiques roboratives (gymnastique, exercices physiques militaires, etc.) en fortient la base Au sport coubertinien correspond la vision dune socit ge dans les destins sociaux quelle impose de manire conservatrice aux dominants et aux domins, aux hommes et aux femmes. 23 Dans la France des annes doccupation, durant le rgime de Vichy, Ptain et Borotra vont encore renforcer cet idal conservateur alors mme quil sagit dintgrer lensemble de la population au projet de Rvolution nationale. Mais Vichy veut des chefs et Le sport, cette chevalerie moderne pour reprendre le slogan du Commissariat Gnral lEducation gnrale et aux Sports constitue lun des socles partir duquel doit sriger la nouvelle France, celle qui, singulirement, prne un retour aux valeurs ternelles, aux traditions et aux cultures de terroir. 24 Dans cet esprit, le sport participe de ce que lhistorien Eric Hobsbawm a dcrit sous le nom dinvention de la tradition: 25 la formation dune lite et de ses croyances apparaissant comme enracines dans un pass immmorial dont en ralit on recongure les lments pour servir la construction des identits ou ldication
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Duby, 1986, op. cit. Elias, N. (1969a). La civilisation des murs. Paris, Calmann-Lvy, coll. Agora, traduction franaise 1973. Elias, N. (1969b). La dynamique de loccident. Paris, Calmann-Lvy, coll. Agora, traduction franaise 1975. Elias, N., Dunning, E. (1986). Sport et civilisation. La violence matrise. Paris, Fayard, traduction 1994 Il faut en effet rappeler que Pierre de Coubertin tait oppos, sinon la participation des femmes aux Jeux Olympiques, au moins lautonomisation des sportives dans des fdrations et dans lorganisation de jeux parallles: Pas dolympiades femmelles! Le baron sest notamment employ briser les vellits de celles qui, comme Alice Milliat, ont os enfreindre cette rgle dairain Gay-Lescot, J.-L. (1991). Sports et education sous Vichy, Lyon, PUL. Hobsbawm, E., Granger, T. dir. (1983) The invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press.
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des foules. Le sport pur, vierge, domin par un amateurisme impos, devient alors le vecteur de cette rgnration de la race qui exclut naturellement les parias commencer par les professionnels du sport et bientt les Juifs. La recomposition des exclusions et des formes de sgrgation atteint les sommets du cynisme lors de la publication des Instructions ofcielles dducation physique, en 1941, lorsque le pouvoir en place vante la force dune ducation corporelle place sous la tutelle de la philosophie de H. Bergson alors mme que le rgime condamne le philosophe comme juif! Plus que jamais, le couplage Sport et Ethique demande tre rinterrog. Il serait sans doute possible, en dtournant le titre de Weber notre prot, 26 de parler plus globalement, dans la longue dure, de la naissance, en Occident, dun lien trs fort entre une Ethique judo-chrtienne et lesprit du sport, ce dernier tant organis, pens et structur par des lites en fonction de leurs propres normes et valeurs censes jouer un rle dterminant dans lorientation et la rgulation de lactivit sportive humaine. Lexemple de Vichy montre aussi que cest prcisment labsence dthique dans le code gntique du sport qui le constitue en creux, comme parfait vecteur idologique, susceptible dtre instrumentalis pour les pires causes. Quoiquil en soit, la promulgation de normes demeure au centre de lutilisation du sport, de sa dnition mme, voire de la manire par laquelle il constitue un commode instrument de normalisation, dexclusion, de sgrgation ou, plus simplement, de distinction.
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Weber, M. (1905). Lthique protestante et lesprit du capitalisme. Paris, Presses Pocket, coll. Agora, 1985. Elias, N., Scotson, J.L. (1965). Logiques de lexclusion. Paris, Fayard, traduction 1997. Sayeux, A-S. (2006). Surfeur, ltre au monde Analyse socio anthropologique de la culture des surfeurs, entre accords et dviance. Doctorat Staps de lUniversit Rennes 2 Haute Bretagne soutenu et acquis le 18 janvier 2006. Bodin, D., Debarbieux, E. (2001). Le sport, lexclusion, la violence in D. Bodin (dir.) Sports et violences. Paris, Chiron, coll. Sports tudes, pp. 13-34. Elias et Dunning, Op. Cit. p. 25.
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que les activits physiques et sportives, dans nos socits occidentales modernes, ont probablement le pouvoir de peser sur la socit. Il suft dobserver lextrme tolrance des sportifs (pratiquants et spectateurs) au regard de comportements outsiders comparativement la place accords aux mmes comportements dans la socit, que ce soit les homosexuels, les tricheurs, ou encore les dops/drogus. Que dire en effet du recours au dopage vilipend et condamn ofciellement par linstitution au nom de lthique sportive, bien avant que de penser la sant des athltes, et considr comme normal dans nombre de sports. 31 Ceci sexplique: la norme nest que le reet du modle dominant qui, pour tre impos tous, nest pas obligatoirement accept de tous. 32
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Bodin, D., Has, S., Robne, L., Sayeux, A-S. (2005). Le dopage entre dsir dternit et contraintes sociales. Leisure and society, 28-1, 211-237. Bodin, D. (2003). En guise de conclusion. Normes sociales et normes sportives: le mlange des genres in Le sport en questions, P. Duret, D. Bodin (dir.). Paris, Chiron, 173-185. Vigarello, G. (2002). Du jeu sportif au show moderne. La naissance dun mythe. Paris, Seuil, coll. La couleur des ides. Reprenant la terminologie de Caillois. Caillois, R. (1958). Les jeux et les hommes. Paris, Gallimard, dition 1985. Voir notamment les Instructions ofcielles du 19 octobre 1967.
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Force est de constater que le sport pratiqu ici est concurrentiel, quil participe au classement nal des lves rservant un quota de points apprciable, quil est, ce titre, individuel, que les pratiques collectives comme le rugby ne sont pas intgrantes mais rserves une certaine lite, que les lves femmes doivent conqurir de haute lutte leur place Le sport ne revt ici aucune thique particulire. Certains lves nhsitent pas afrmer quils se sont dops, certes avec des produits drisoires, mais qui leur sont indispensables pour tre certains de faire mieux que les autres. Ce qui est not est la performance. Ni les efforts, ni les progrs raliss ne sont pris en compte. En-dehors bien videmment parfois, et comme partout, des notes de gueule. Alors comment rendre ce sport thique? Deux possibilits essentielles soffrent nous. La premire solution consisterait en une rforme de lexistant tant au niveau organisationnel quvaluatif. Peut-tre faudrait-il, tout dabord, le concevoir comme solidaire, en intgrant totalement la notation de binmes, de trinmes ou de groupes restreints, la notation des uns dpendant de la performance des autres. Peut-tre faudrait-il ensuite quil soit juste, incluant lvaluation des performances initiales et nales. Peut-tre faudrait-il encore quil prenne en compte, rellement, des pratiques collectives susceptibles de favoriser la coopration. Peut-tre faudrait-il galement sintresser davantage des pratiques et des activits plus varies, voire inhabituelles, qui imposent lhumilit et nivellent les comptences comme les APPN (Activits Physiques de Pleine Nature). Le deuxime lment de rponse, consisterait rchir la formation des cadres de larme partir des qualits que lon souhaite trouver chez chacun dentre eux. Il faut alors se poser des questions simples. Quelles sont les aptitudes morales que doit possder un ofcier? Quelles valeurs doit-il montrer et dfendre? Quels comportements doit-il dvelopper au sein dun collectif et/ou titre individuel? Si lon admet quun ofcier efcace ne peut-tre quun leader charismatique au sens wbrien du terme: comment favoriser la gense de leaders par la pratique sportive? Quelles procdures devons-nous mettre en uvre pour favoriser lesprit de groupe et de corps? Etc. Lobjectif est, ici, dinventorier des qualits, didentier des nalits et de mettre en uvre, par le choix de pratiques sportives appropries, mais aussi de formules dvaluations adquates, un systme de formation qui permette de les dvelopper. La troisime solution consiste concevoir la pratique sportive travers lapprentissage de rles distincts. La formation des ofciers une thique sportive qui favoriserait la notion deffort, lengagement individuel, lengagement pour un collectif, le don de soi et bien dautres choses encore, ne peut tre acquis par la seule et simple pratique. Lorganisation et lencadrement de la pratique de ses condisciples, lengagement en faveur de pratiquants distincts de larme (cause des handicaps, coles de sports, etc.), lorganisation dpreuves sportives doivent venir complter cette formation dans et par le sport. En proposant cela, il ne sagit bien videmment pas deffacer dun trait de plume tout ce qui se fait aujourdhui. Mais de le complter par dautres modalits, nalits et objectifs qui viendront parfaire la formation des cadres dirigeants de larme franaise.
Conclusion
Le sport nest pas thique intrinsquement ou par nature. Il ne dveloppe pas non plus lthique par la seule mise en jeu du corps ou par lengagement de la personne dans lactivit. Ce serait tout la fois naturaliser le sport et les sportifs que de penser le contraire. A linverse, il ne se limite pas non plus, loin de l, et fort heureusement, une peste motionnelle ou un lieu de tyrannie mme sil offre parfois toutes les raisons dtre critiqu. 36 Le sport nest en ralit que le rsultat de lactivit humaine mais, aussi et surtout, des modalits de pratiques mises en uvre, des nalits qui lui sont attribues, de laction de lducateur qui lencadre ou le promeut. Lthique sportive dpend bien de lducation qui est vhicule par, et travers, la pratique. Cest ce principe que dfendait dj en 1942 Maurice Baquet lorsquil afrmait
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Brohm, J-M., Perelman, M. (1998). Le football une peste motionnelle. Paris, ditions de la Passion. Brohm, J-M. (2006). La tyrannie sportive. Thorie critique dun opium du peuple. Paris, Beauchne.
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que le sport a des vertus mais des vertus qui senseignent (). 37 Autrement dit, lactivit nest rien sans llaboration raisonne des cadres humains, matriels, pdagogiques qui doivent en forger lutilisation protable, humainement et socialement parlant. Dans cette perspective, rien ne peut distinguer ici le sport de lducation physique et des activits sportives scolaires et/ou priscolaires qui constituent, sans aucun doute, lun des vecteurs essentiels de la prise en compte dun sport sain, quilibr, respectueux de certaines rgles, de certains principes. Arrtons enn de penser que, par une simple activit sportive, non raisonne, nous arriverions inculquer un individu lambda des valeurs morales, qui seront, qui plus est, transfrables dautres sphres de lactivit sociale. LEthique sportive est en ralit une conguration axiologique socialement situe. Rien nempche un joueur dtre la fois un honnte homme sur un terrain de sport et lauteur de violences conjugales le reste du temps. Il reste que, la rduction de lcart est une hypothse sociale sduisante qui propose un d audacieux aux ducateurs. Mais, nalement le sport nest quun jeu de socit 38 qui invite indubitablement se poser une question: peut-il et/ou doit-il tre meilleur que le reste de la socit? Sil semble illusoire de changer les hommes en changeant les sports ou en les chargeant de vertus hypothtiques, il est sans doute plus ambitieux et plus ralistes malgr tout de se donner les moyens de changer la fois les cadres dans lesquels les uns et les autres voluent et les horizons de la pratique sportive. A ce titre, la construction dun sport quitable demeure, en Europe, une ambition digne de gurer aux frontons des institutions varies (Ecole, Fdrations, Associations, Prison, Arme, etc.) qui en ont la charge.
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Baquet, M. (1942). Education sportive, Paris, Les ditions Godin. Jeu, B. (1993). Le sportif, le philosophe, le dirigeant. Lille, PUL, coll. Travaux et documents.
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Introduction
a loi du 5 avril 2006 relative la lutte contre le dopage et la protection des sportifs vise amliorer lefcacit de la lutte contre le dopage en accentuant la rpression des tracs de produits dopants, en amliorant lefcacit des sanctions disciplinaires lencontre des sportifs dops et en dveloppant la prvention du dopage. 1 Afrmant spciquement lharmonisation internationale des rgles relatives la lutte contre le dopage, elle constitue la troisime intervention du lgislateur en ce domaine depuis moins de vingt ans. 2 La rpression du dopage introduite en 1965 par le premier texte visant endiguer ce phnomne avait un caractre purement pnal. 3 Lusage de produits dopants tait considr comme une contravention, lincitation au dopage comme un dlit. Une rupture dcisive dans les modalits de rpression du dopage intervient avec la loi du 28 juin 1989 qui dpnalise lusage de produits dopants, faisant du dop une victime, linstar du toxicomane. 4 Restent seuls passibles de poursuites pnales ceux qui administrent ou appliquent des substances prohibes, ceux qui incitent leur usage ou facilitent leur utilisation. 5 Cette conception de la rpression du dopage a t conrme par la loi du 23 mars 1999 et celle du 5 avril dernier. Ces deux dernires rformes nintroduisent en effet de changement que dans les modalits techniques de la prvention et de la rpression lgard du dopage, mais ne modient en rien le principe pos en 1989. La rpression pnale du dopage ntait gure populaire dans les milieux sportifs. Ainsi, Antoine Blondin pouvait-il crire dans son clbre ouvrage Sur le tour de France, rfrence mythique pour les admirateurs des forats de la route: quand quatre individus vtus dimpermables, frappent votre porte pour rclamer vos urines et vos papiers, voire pour fouiller votre valise, nous ne sommes plus sur le Tour de France, nous sommes dans une rae Pigalle. 6 Indpendamment de son impopularit exprime par Antoine Blondin, en plus de sa connaissance de la nuit parisienne de lpoque mentionne en ligrane, cette rpression pnale avait le mrite dapporter le signe la rprobation sociale lgard du dop. Celui-ci avait enfreint une rgle sociale qui la fois imposait la loyaut dans les comptitions sportives et prohibait lusage de certaines substances. La sanction pnale imposait classiquement le retour la rgle, permettait
Loi no 2006-405 du 5 avril 2006 relative la lutte contre le dopage et la protection de la sant des sportifs, JORF 6 avr. 2006. CF. loi no89-432 du 28 juin 1989 relative la prvention et la rpression de lusage des produits dopants loccasion des comptitions et manifestations sportives, JORF 1er juil. 1989 abrogeant la loi no 65-412 du 1er juin 1965 tendant la rpression de lusage des stimulants loccasion des comptitions en milieu sportif, JORF 2 juin 1965, premier texte en la matire; loi no 99-223 du 23 mars 1999 relative la protection de la sant des sportifs et la lutte contre le dopage, JORF 24 mars 1999. Loi du 1er juin 1965, V. note prcdente. V. sur cet aspect J-C Rognon, La rpression du dopage des sportifs, analyse de la loi no 89-432 du 28 juin 1989, D. 1990. Loi du 28 juin 1989, art. 14. Antoine Blondin, Sur le Tour de France, in album Joies de la bicyclette, Hachette 1977. V. du mme auteur sur le mme sujet, Tours de France, Chroniques de lEquipe 1954-1982, La table ronde, coll. Vermillon, 2001.
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lauteur de linfraction de racheter sa faute lgard de la socit et se voulait dissuasive lgard de la rdition de pareil comportement. Cette rprobation sociale a aujourdhui disparu dans sa matrialisation la plus classique et la plus symbolique, remplace par de simples mesures administratives. Une telle situation apparat doublement paradoxale alors que dune part des vnements rcents comme le dclassement du vainqueur du Tour de France 2006 ont montr que lopprobre sociale pouvait tomber sur le dop et que, dautre part, notre droit connat une multiplication des incriminations spciales et plus gnralement une pnalisation croissante dans des domaines jusqualors rservs aux sanctions administratives ou civiles. La dpnalisation du dopage en milieu sportif sest impose pour des motifs defcacit en contradiction avec lvolution gnrale des dispositifs rpressifs dans notre droit (I). Cette dpnalisation pose des questions dthique juridique fondamentales en ce quelle ravale le sportif au rang de lanimal et hypothque le principe mme defcacit de la sanction (II).
La recherche de lefcacit de la lutte contre le dopage au prix de lincohrence avec lvolution gnrale des dispositifs rpressifs
Dpnalisation pour des motifs defcacit
Cette dpnalisation de la lutte contre le dopage, au prot exclusif de sanctions administratives a t motive par des motifs defcacit pratique. La dissuasion pnale ne fonctionnait pas puisque le phnomne du dopage prenait une ampleur croissante. 7 En outre, la mise en uvre du dispositif rpressif prvu par la loi du 1er juin 1965 se rvlait assez contraignante. Le texte disposait en effet que les prlvements et examens mdicaux destins tablir la preuve du dopage devaient tre effectus sous contrle mdical par des ofciers ou des agents de police judiciaire, la demande dun mdecin agr par le ministre en charge des sports. La lourdeur de cette dmarche limitait les contrles des oprations denvergure mais peu frquentes et interdisait en pratique toute opration inopine. La procdure de contrle destine lexercice dune sanction administrative se rvle beaucoup plus lgre mettre en uvre puisque des agents agrs de linspection de la jeunesse et des sports peuvent, compter de lentre en vigueur de la loi du 28 juin 1989, procder seuls aux enqutes, contrles, perquisitions et saisies destins lutter contre le dopage. 8 Lefcacit du premier dispositif sera compromise par linertie des instances comptentes pour prononcer les sanctions disciplinaires (Commission nationale de lutte contre le dopage et fdrations) 9 au point de laisser alors peser des doutes sur la volont relle dradiquer le dopage. 10 Le dispositif de 1999 se rvlera de ce point de vue beaucoup plus cohrent et efcace. Cet abandon de la rpression pnale au prot de la sanction administrative pose un triple problme moral. En effet, il marque tout dabord labandon, de la part de la socit dfendue par le Ministre public, de toute dmarche en rparation lencontre
Cette tendance se poursuivra aprs 1989, attestant de linefcacit du premier dispositif de sanctions disciplinaires, ce qui incitera le lgislateur intervenir de nouveau en 1999 avec cette fois-ci davantage de rsultats. CF. Alain Dufaut, Rappport sur le projet de loi, adopt par lAssemble nationale, relatif la lutte contre le dopage et la protection de la sant des sportifs, doc. Snat no 12, session 2005-2006, p. 2. CF. articles 4 et 5 de la loi du 28 juin 1989. La fdration franaise dhaltrophilie se verra mme retirer son agrment le 15 avril 1998 pour dfaut de sanctions contre ses licencis convaincus de dopage. V. Alain Nri, Rapport sur le projet de loi adopt par le Snat relatif la protection de la sant des sportifs et la lutte contre le dopage, doc. AN no 1188, session 1998-1999. Ibid.
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du sportif qui a enfreint les rgles. Le respect de lthique sportive cesse donc dintresser la socit dans son ensemble, nest plus considr comme une norme dapplication gnrale pour ne plus constituer quun principe spcique une activit particulire; des instances comptence spciale tant logiquement charges de veiller au respect de ces normes contingentes la pratique sportive. De surcrot, la disparition de linfraction pnale entrane celle de la dimension morale de linfraction, sanctionne au mme titre que la dimension matrielle. Cette dualit de la rpression pnale disparat au prot dune sanction administrative qui se fonde de faon univoque sur un caractre matriel, lexclusion de toute dimension morale. Enn, la dpnalisation pour seul motif dinefcacit de la rpression pnale est le signe manifeste dun double renoncement de la puissance publique. A dfaut de pouvoir imposer le respect de la loi, celle-ci dlgue la comptence rpressive tout en la dnaturant. Ce recul de la puissance publique marque lafrmation dune conception pathologique dun dlinquant victime de son entourage (seul lentourage du dop reste passible de poursuites pnales). Cette approche du phnomne criminel, idologiquement connot et trangre notre tradition pnale. Ce renoncement est en ralit double dtente puisque la rpression pnale nest pas incompatible avec la sanction disciplinaire, ces deux formes de punition venant sanctionner deux manquements de nature distincte. Lexercice des contrles par des agents administratifs asserments restait parfaitement compatible avec la rpression pnale. Ladministration des douanes, de la consommation et de la rpression des fraudes, pour ne citer que ces exemples, pratique quotidiennement le signalement au parquet des infractions constates dans le cadre de leur activit administrative de surveillance. Quoi quil en soit, lEtat a bien abandonn totalement lexercice direct de la sanction du dopage pour se concentrer exclusivement sur des objectifs de sant publique. Ainsi, larticle 1er de la loi du 5 avril 2006 fait-il totalement limpasse sur quelque forme que ce soit daction rpressive directe de la part du gouvernement. Le pouvoir de sanction est dlgu aux fdrations sportives, lAgence franaise de lutte contre le dopage ou aux instances internationales. Une telle logique est manifestement incompatible avec le principe mme de sanction pnale puisque laction publique est insusceptible de dlgation. Cette disparition de la rpression pnale au prot de la seule sanction administrative assimile de faon inattendue le sportif un animal.
Depuis un peu plus de trente ans, notre droit volue dans le sens dune pnalisation croissante. Ainsi, on assiste une multiplication des incriminations spciales. Il est dsormais frquent quun texte relatif lenvironnement, lhygine ou encore plus spciquement la sant publique (domaine au cur duquel se trouve place la question du dopage) prvoie des dispositions rpressives spciques pour rprimer linfraction aux nouvelles rgles poses. Ce mouvement normatif saccompagne dune volution jurisprudentielle concordante. Le juge pnal est saisi de faon croissante pour engager la responsabilit pnale personnelle dauteurs dactes qui, en dautres temps, nauraient dbouch que sur une responsabilit personnelle civile, voire une responsabilit administrative pour faute de service. Le domaine de la sant publique se distingue en la matire de faon particulirement emblmatique. Ainsi, la recherche de lengagement de la responsabilit hospitalire, domaine de prdilection de la faute de service est-elle de plus en plus frquemment supplante par une dmarche pnale directe lencontre des personnels hospitaliers. Le lgislateur a mme cr bon dintervenir pour limiter ce mouvement de pnalisation jurisprudentielle croissante lendroit notamment des lus et agents publics. La loi du 10 juillet 2000 a ainsi t adopte an de limiter les possibilits de poursuites contre les auteurs dactes dimprudence. Lobjection selon laquelle ces incriminations ou ces dcisions de justice ne viseraient qu rprimer les atteintes aux droits dautrui ne peut qutre carte pour deux raisons: dune part, le sportif dop spolie ses concurrents immdiats en les privant dune victoire, voire des consquences de la victoire (primes, honneurs, retombes publicitaires, etc.); dautre part, le juge administratif, comme le juge rpressif ont admis tous deux que le droit
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pnal pouvait rprimer les actes daction ou domission qui ne peuvent porter prjudice qu leur auteur (comme le dfaut de port de la ceinture de scurit ou du casque). 11 Ds lors, la dpnalisation du dopage ne peut, bien au contraire, prtendre relever dun mouvement densemble. Elle sinscrit contre-courant de lvolution de notre droit.
II
La dpnalisation de la lutte contre le dopage ne peut que susciter un profond scepticisme quant sa porte thique. En effet, elle conduit traiter juridiquement le sportif tel un animal (A). De surcrot, elle hypothque le principe mme de lefcacit de la sanction (B).
En effet, les dispositions du texte de 1989 prononant la dpnalisation de la lutte contre le dopage assimilent le rgime des sanctions iniges au sportif celui applicable aux animaux convaincus de dopage. Ainsi la dnition du dopage est-elle pose pour le dopage des animaux dans les mmes conditions que celles prvues pour les sportifs. 12 Lorganisation des contrles prvoit la mme procdure pour athltes et animaux et un agrment identique des mdecins ou des vtrinaires. 13 Les sanctions disciplinaires encourues par les sportifs (interdiction temporaire ou dnitive de participer aux comptitions, manifestations ou entranements) sont galement identiques celles applicables aux animaux. La loi du 23 mars 1999 remplace les dispositions applicables aux athltes tout en afrmant le maintien en vigueur de la loi de 1989 pour la lutte contre le dopage des animaux. 14 La loi du 5 avril 2006, quant elle, amnage un titre spcial pour la lutte contre le dopage animal. 15 Ces rformes de 1999 et 2006 ne visent toutefois que les modalits de la procdure applicable aux poursuites disciplinaires et le quantum de la sanction. Le principe de cette sanction reste identique. Il vise protger la sant du sportif comme de lanimal et carter le dop des comptitions, quil soit bipde ou quadrupde. 16 La sanction pnale reste donc bien le seul lment susceptible de distinguer le sportif de lanimal, ce qui illustre, sil en tait encore besoin la profonde altration du fondement moral de la lutte contre le dopage lorsque celle-ci se limite une seule sanction administrative. 17 Cette indiffrence de la procdure disciplinaire lintention coupable explique que lathlte et lanimal puissent alors tre traits indistinctement. Un tel constat ne peut qutre considr comme profondment avilissant pour lathlte et lamnagement de procdures distinctes pour les hommes et les animaux dans les textes les plus rcents relve fondamentalement du leurre. On peut, sil tait encore besoin relever que lidentit du rgime de sanctions entrane la similitude des moyens de dfense apports par les entraneurs des athltes ou des animaux lorsque leur poulain a t convaincu de dopage et linvocation systmatique de traitements mdicaux mal appliqus. 18
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Pour lexemple du dfaut de port du casque ou de la ceinture de scurit, V. Bouvet de la Maisonneuve et Cass.crim. CF art 1er II de la loi du 28 juin 1989. Ibid. art. 8 pour la procdure et art. 4 pour lagrment. CF art. 30 de la loi du 23 mars 1999. Titre IV de la loi du 5 avril 2006. Les cas de dopage animal concernent pour lessentiel les courses hippiques. Lexercice de poursuites pnales contre des animaux est Aujourdhui impossible en France mme si des cas ont pu exister par le pass. CF explications pour le dernier vainqueur du prix dAmrique et pour lescrimeuse Laura Fleyselle.
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Le dopage a connu, au cours des dernires dcennies un dveloppement considrable. Le constat doit tre fait: le dopage est efcace. Sil ne transforme pas un athlte mdiocre en champion, le dopage amliore substantiellement les performances physiques. Ds lors, dans le contexte ultra concurrentiel dans lequel sont placs les sportifs de haut niveau, situation encore aggrave par les enjeux nanciers de la majorit des comptitions sportives, ces derniers se laissent tenter par lusage de mthodes et de substances prohibes. Cette tentation apparat alors plus forte que la raison qui devrait les dissuader de mettre sciemment en pril leur sant pour dhypothtiques rsultats court terme. Il apparat en revanche aujourdhui illusoire dinvoquer la contradiction manifeste entre lusage du dopage et lthique du sport. Le lgislateur lui-mme a renonc lgitimer son action par cette rfrence lthique sportive. Ainsi, les rfrences la dimension ducative du sport, lthique sportive, limage du sport, la perversion des bienfaits de la pratique sportive largement dveloppes dans les rapports parlementaires rdigs loccasion de ladoption de la loi du 28 juin 1989 ont-elles disparu de ces mmes travaux pour ladoption de la loi du 23 mars 1989 et du 5 avril 2006. 19 Ces rfrences sont remplaces par la seule mention dun objectif de protection de la sant publique. 20 Ds lors, le juriste peut y voir un double problme thique. Tout dabord, cette volution marque un renoncement social imposer une rgle largement transgresse. Le droit recule devant le fait. A dfaut de pouvoir poursuivre les auteurs dinfraction, on procde labrogation de linfraction plutt que de chercher amliorer leffectivit de la rponse pnale. Cet exemple est dangereux en soi, dans son principe, car il entrine non seulement limpuissance des pouvoirs publics face une forme de dlinquance, mais aussi leur recul face aux dlinquants. Trop de publicit ne doit donc pas tre donne ce prcdent. Et ce dautant que ce prcdent affaiblit dangereusement les discours ofciels relatifs la lutte contre la toxicomanie. Les tentatives rcurrentes de dpnalisation de la consommation de stupants, facteur de dpendance physique et psychologique, relvent de la mme logique que celle qui a abouti la dpnalisation du dopage qui, du reste, sapparente parfois une forme de toxicomanie. Le constat selon lequel le droit recule devant linfraction est des plus inquitant car il remet en cause le fondement mme du pacte social. Le second problme thique pos au juriste concerne une autre consquence de la dpnalisation du dopage qui est la rupture dnitive entre le sportif de la socit. Le sport de haut niveau est dsormais quasi exclusivement encadr par les fdrations nationales, notamment celles des sports olympiques. Le sportif vit dsormais dans un univers juridique spcique, avec ses propres sanctions qui chappent au droit commun de la punition: le droit pnal. Mme dans la transgression des rgles morales les plus lmentaires, le sportif de haut niveau chappe au commun des mortels. Cette volution juridique nest pas incohrente avec les phnomnes de demi dication dont font lobjet certains sportifs. Peut-on soumettre le demi dieu, le hros, aux rgles du commun des mortels? Le juriste considrera que cela devrait tre, mme si cela nest plus; car si le sportif nest pas exemplaire dans son comportement, sil porte gravement atteinte lthique sportive, il devrait tre sanctionn de faon elle aussi exemplaire. Non pas moins que le commun des individus lorsquils transgressent une rgle, comme cest le cas aujourdhui, mais davantage. Le sportif dop ne transgresse pas seulement une rgle de droit. Il porte atteinte des rgles morales et trahi lexemplarit que lui imposerait son statut. En cela, il ne devrait en tre que plus svrement puni et cumuler sanction disciplinaire et sanction pnale.
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V. par exemple rapport Nri, doc AN no 683, op. cit. V. par exemple cette rfrence lthique du sport largement dveloppe dans le rapport AN (op. cit.) sur le projet de loi de 1988 et absente des rapports pour le projet de loi de 1998 comme pour celui de 2005 (ibid).
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A Samuel, tudiant dou et cultiv; talentueux et curieux; drle et souriant; chaleureux et sensible; tu ttais investi un maximum pour ce colloque, nous te ddions luvre nale. 1 Notre cur en peine bat pour toi Tes amis dvous objet de notre intervention dans ce colloque est dune part, de montrer notre vision de lthique du sport dans la socit contemporaine au travers de notre exprience en tant que pratiquants et thoriciens des activits physiques et sportives (APS). Dautre part, nous dvelopperons et exploiterons celle-ci des ns ducatives en ducation physique et sportive (EPS). Tout dabord, une premire srie de questions peut tre souleve. Quels regards portons-nous sur le sport et ses valeurs aujourdhui grce notre exprience et notre formation pluridisciplinaire? Toute force morale repose-t-elle sur lthique? Comment les pratiques sportives sont-elles utilises en EPS pour dvelopper les forces et valeurs morales? Si le sport, par sa nature, nous semble un puissant alli pour dvelopper les forces morales chez des individus, il semble ncessaire de nuancer. Fait social total, le sport nest pas par essence thique. 2 Nanmoins, nous postulons que le sport est potentiellement facteur de forces morales. En rendant le sport ducatif, lEPS exploite lthique et les valeurs sportives que la socit a parfois sacries pour diverses raisons (conomique, politique). Dans un premier temps, nous dnirons les diffrents termes utiliss lors de notre analyse, puis nous voquerons ce qui nous a amen choisir la lire Sciences et Techniques des APS (STAPS). Ainsi nous verrons que ce choix est n dune passion commune qui nous procurait, et procure encore, bien-tre physique et psychologique. Dans un second temps, nous montrerons que notre formation en STAPS et lcole Normale Suprieure (ENS) nous a permis dune part, de prendre du recul par rapport au sport et relativiser lthique dont il est soi-disant porteur, et dautre part, de prendre conscience des bienfaits physiques et moraux quil apporte. Enn dans une dernire partie, nous nous attacherons montrer comment le sport est utilis en EPS comme moyen favorisant la promotion de valeurs et le dveloppement de forces morales. La place prise par le sport dans la vie quotidienne et dans les grandes manifestations est une caractristique forte de nos socits contemporaines. Le sport vhicule nombre de valeurs et de mythes travers des hros tels C. Lewis ou Z. Zidane. Ces sportifs sont admirs, presque dis et assimilables un idal humain, en raison de leurs forces physiques et morales. Ainsi pour ses promoteurs, le sport sollicite et dveloppe: la volont (la hargne dans le jargon sportif), le sens de linitiative, la capacit se battre contre soi et lenvironnement, la rsistance, le dpassement de soi, la tolrance la souffrance, lquilibre mental; en somme il permet lindividu dagir et de ragir, de sadapter nimporte quelles circonstances et situations. Il sagit de vouloir faire plus et mieux. 3 Lindividu doit pouvoir, grce ses forces morales, mettre en uvre des moyens
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Samuel Hess, lun des auteurs de cet article, est dcd le 18 dcembre 2006 M. Mauss, Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1950 G. Hbert, Le sport contre lducation physique, Paris, 1925
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et des savoir-faire divers, mais aussi tre capable de modier promptement et profondment son comportement 4. Toutefois, le fondement ultime des forces morales rside dans les valeurs pour lesquelles lindividu se bat, par rapport son thique personnelle.
Quelques dnitions
En ce sens, lthique nest pas universelle: elle est laffaire de chacun, qui par son ducation, sa culture, a acquis (ou non) des principes, une morale, des valeurs Elle permettrait de juger si une action est bonne ou mauvaise ainsi que les motifs et les consquences dun acte. La nalit de lthique elle-mme en fait donc une science pratique: il ne sagit pas dacqurir un savoir pour lui-mme mais de nous rendre mme dagir de manire responsable. 4 Chacun, quil soit sportif ou spectateur, peut y puiser des rgles de conduite individuelles comme des valeurs collectives. Nous voyons ds lors quil nest pas simple dtablir un consensus sur lthique. En effet, pouvons nous dnir ce qui est bon ou bien de manire absolue et universaliste? Nous ne le prtendons pas et proposons ici plutt un point de vue culturaliste sur lthique. En effet, par notre formation en STAPS et lENS, cole rpublicaine missionne par ltat, notre regard est port sur les valeurs attribues au sport en France. Un des premiers promoteurs franais de ces valeurs fut Pierre de Coubertin, rnovateur des Jeux Olympiques. 5 ducatif par essence, le sport serait une thique en acte: le sport, faisant appel la contrainte sur soi-mme, au sang-froid, lobservation relverait autant de la psychologie que de la physiologie, agissant sur le caractre et la conscience. En ce sens, il constitue au sens coubertinien du terme, un agent de perfectionnement moral et social. De plus, lthique sportive repose, selon A. Ehrenberg, sur le mythe de justice mritocratique. 6 Le sport se base sur une galit de dpart impose par les rgles sportives qui permettent une incertitude totale quant lissue de la comptition; ainsi, celle-ci est faite pour que le(s) meilleur(s) gagne(nt) . Humilit dans la victoire, rsistance dans la dfaite, fraternit dans leffort, respect du rglement, ces principes sont fondateurs de lthique sportive, principes que lon ne retrouve pas toujours dans sa pratique sportive. En effet, il peut y avoir un dcalage entre les forces morales requises et lthique dun individu. Par exemple, nous avons pu interroger une joueuse de tennis qui a dbut la comptition ds lge de 7 ans. Avec une prise de recul sur sa pratique tennistique, elle ne peroit pas aujourdhui daspects qui aient rellement t positifs pour son bien-tre physique, mental et moral. Place sous la pression dentraneurs qui cultivaient chez elle et chez ses parents lespoir den faire une future championne, les forces morales quon lui demandait de dployer se basaient sur un narcissisme exacerb, une valorisation excessive delle-mme, divers lments qui laissent peu despace la valorisation de la solidarit et du respect de lautre. En consquence, du fait des drives lies la comptition, telles que la tricherie, laffairisme, la corruption, inchissant inexorablement la morale sportive, 7 nous constatons aujourdhui lmergence et la diffusion de nouvelles pratiques dites libres, marquant ainsi, daprs D. Le Breton le rejet de la culture sportive traditionnelle (et avec elle son thique?). 8 Ds lors, le sport semble concurrenc par le sport lui-mme. Nous pouvons expliquer cela par le fait que le sport colle mathmatiquement aux valeurs des individus et volue avec elles. 9 Enn, cest en partie cause de ces dviances que lEP a cherch se distinguer du sport avant la Vme Rpublique. Pour le sens commun, sport et EPS se confondent, en tmoignent les derniers discours de certains hommes politiques. Or ds la naissance du sport en France, celui-ci doit cohabiter en opposition avec une autre pratique corpo-
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Wikipdia, lEncyclopdie libre P. De Coubertin, Pdagogie sportive, Histoire des exercices sportifs;Technique des exercices sportifs. Action morale et sociale des exercices sportifs, Paris, 1922 A. Ehrenberg, Le culte de la performance, 1991 P. Duret, P Trabal, Le sport et ses affaires, Paris, PUF, 2001 D. Le Breton, Passion du risque, Mtaili, 1991 C. Bromberger (dir.), Des sports, Paris, Ministre de la culture et de la communication, 1995
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relle formalise, la gymnastique, 10 anctre de lEPS actuelle. La gymnastique, pratique collective, exalte la discipline, le respect dautrui, permet un dveloppement intgral et harmonieux du corps alors que le sport, hdonique et spcialisant, ne serait, pour ses dtracteurs, quun divertissement entranant lexcs. Sport et EPS se distinguent ds leur naissance et vhiculent des valeurs et normes diffrentes. Dans les programmes, les activits physiques et sportives sont les moyens de lEPS. Lobjectif de la discipline dpasse lorganisation et lenseignement de ces pratiques: la nalit de lEPS est de former, par la pratique des activits physiques, sportives et artistiques (APSA), un citoyen cultiv, lucide, autonome. 11 Ainsi, au niveau ducatif, et plus particulirement en EPS, les forces morales quil sagit de dvelopper (au travers dun sport aseptis, institutionnellement protg de ses mfaits) sont par exemple, matriser ses motions, avoir le got de leffort, de la persvrance, forces qui reposent selon les programmes dEPS sur la lucidit, lautonomie, la responsabilit, la solidarit Comme nous le dmontrerons, le sport a des vertus, mais des vertus qui senseignent . 12
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E. Weber, Gymnastique et sport en France la n du XIXeme in A. Ehrenberg, Aimez-vous les stades? 1980 Bulletin Ofciel no 6, 30 / 09 / 2000, Programme EPS au lyce M. Baquet, ducation sportive. Initiation et entranement, Paris, Godin, 1942 N Elias, E Dunning, Sport et civilisation, la violence matrise, Paris, Fayard, 1994 P. Yonnet, Huit leons sur le sport, Paris, Gallimard, 2004
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lENS aujourdhui, qui concilient tudes luniversit et lENS, pratique dun sport (parfois de haut niveau), et autres activits comme entraneur ou musicien En bref, mme si le sport nous a fait vivre des moments difciles, le choix de cette lire tmoigne de notre conviction des nombreuses valeurs inhrentes au sport et de notre volont de les transmettre au travers de lEPS lcole. Nanmoins, la suite des quatre annes dans ce cursus, ces valeurs nous paraissent-elles toujours autant aller de soi? Nous analyserons notre parcours sportif au regard de diffrents apports scientiques issus de notre formation an de prciser notre point de vue et savoir si lthique du sport est toujours aussi vidente.
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J.-M. Delaplace, 3me sminaire de lhistoire du sport, Copenhague, dcembre 1998 M. Attali, J. Saint-Martin, Lducation physique de 1945 nos jours, 2004
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De mme, aprs la guerre, dans un climat international trs tendu, les rencontres sportives sont le thtre de farouches affrontements entre tats. Les matchs URSS / Hongrie en water-polo (en 1956 Melbourne) et URSS / Tchcoslovaquie en hockey sur glace (en 1968 Grenoble) se sont ainsi termins en batailles ranges. Si les sportifs reprsentent des emblmes de la force morale dune nation, renforant ainsi la cohsion nationale, on peut se demander si cette force est mise au service du maintien et du rtablissement de la paix.
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M. Attali, J. Saint-Martin op. cit. G. Vigarello, in Revue Partisans no 28, 1966 J.M. Brohm, Sociologie politique du Sport, in Partisans, no 28, 1966 L. Robne, La marchandisation des techniques sportives in Lhomme en mouvement, 2006
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M. Durand, Lenfant et le sport, 1987 N. Elias, B. Duning, op cit C. Pociello, Sports et socit, 1981 C. Pociello, Les cultures sportives, 1995
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sassocient, et partagent un projet commun. De notre point de vue, il est vident que nos expriences sportives nous ont permis dapprendre fonctionner en groupe: sorganiser plusieurs, tre responsable, safrmer tout en acceptant les diffrences. En rsum, nous avons vu que sil peut tre analys selon des angles trs varis, le sport est selon nous, un facteur de dveloppement moral, physique, et social pour lindividu. Finalement, plus que les qualits thiques intrinsques des sports, ce sont les amnagements didactiques quon leur fait subir qui leur permettent de viser lamlioration des forces physiques et morales. Ainsi que le souligne G. Andrieu, le sport na de valeurs que celles que nous lui donnons. 25 Nous allons tenter travers la prsentation dune forme particulire de la pratique sportive, lEPS, de considrer la manire dont il est possible de tirer le meilleur parti du sport, en transmettre son thique, et cultiver des forces morales, individuelles et collectives.
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G Andrieu, Enjeux et dbats en E.P. 1886-1966. Actio, 1998 Enqute INSEP Les pratiques sportives en France, 2000 P. Duret, Lhrosme sportif, PUF, 1993 J.-L. Martinand, Pratiques sociales de rfrence et comptences techniques. A propos dun projet dinitiation aux techniques de fabrication mcanique en classe de quatrime , in A. Giordan (coord.) Diffusion et appropriation du savoir scienti que: enseignement et vulgarisation. Actes des Troisimes Journes Internationales sur lEducation Scientique. (pp. 149-154) Paris: Universit Paris 7, 1981
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Amiel, La rgle il faudrait peut tre quon mexplique, 1999 Orientations gnrales de lenseignement de lEPS au lyce, 2000 Programmes dEPS de la classe de 6me, 18 juillet 1996 P. Duret, Le sport comme contre feu la violence des cits:mythes et ralits, in Sport et violence, Paris Chiron, 2001 Programmes dEPS de la classe de 3me, 1998 D. Bodin, C Blaya, L Robne,S Has, Violences lcole et EPS, in revue Agora 37, 2005 Programmes dEPS des lyces, 2002 M Baquet, op cit
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morales. 37 Il est important de ne pas se baser sur des a priori quant des proprits ducatives innes aux APSA, bien que celles-ci possdent des enjeux de formation spciques. Cest lenseignant quil revient de les valoriser, au moyen dinnovations didactiques et de mthodes pdagogiques appropries. Nous allons prsent aborder les modalits et formes de pratiques mettre en uvre pour esprer atteindre les objectifs spciques viss en terme de culture de forces morales, travers lexemple concret de diffrentes APSA considres comme utiles pour servir les objectifs viss.
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Y. Chevallard, La transposition didactique du savoir savant au savoir enseign, Grenoble, La pense sauvage, 1985 T. Chofn, L. Lemeur, Enseigner lEPS des lves dif ciles. Choix didactiques et pdagogiques, in Revue EPS no 309, 2004 C. Pigeassou, Les thiques dans le sport: voyage au cSur de laltrit, in Corps et Culture, Plaisirs, spectacles et pratiques Scurit des lves. Pratique des activits physiques scolaires. Note de service no 94-116 du 09.03.1994. D. Delignires, Risque prfrentiel, risque peru et prise de risque,in Famose et coll., Cognition et performance, 1993
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appropris, tels que les sports collectifs, les sports de combat, les sports de raquette, ou autres pratiques rendant les lves dpendants autour dun projet commun. Comme nous lavons montr, la gymnastique peut aussi favoriser lmergence de la solidarit, mais cest aussi le cas par exemple, du volley-ball, qui ds son origine, en 1895 lorsquil a t invent par Morgan, avait pour axes prioritaires la formation physique, morale et sociale: le rejet de lindividualisme, le sens du dvouement, de lentraide et du sacrice dans la poursuite dun objectif commun. Ainsi, la solidarit est une valeur constitutive du volley-ball puisque par son systme de rgles et limpossibilit de conserver individuellement la balle, il limite les conits entre les opposants tout en exacerbant les relations dentraide et de coopration entre les quipiers. En effet, cest un moyen dinteraction intense entre les membres dun groupe restreint, car lquipe a un projet commun, et pour le concrtiser, elle doit dvelopper aussi bien dans les phases offensives que dans les phases dfensives cette relation entre des personnes ayant conscience dune communaut dintrt qui entrane pour les uns lobligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance (dnition Le Robert). Le sens tactique rvle une prsence individuelle bnque tous. Lexercice de la citoyennet par le respect des rgles et des autres sapprend galement grce la pratique sportive. On nest pas ou on ne nat pas citoyen, on le devient et pour cela, toutes les APS sont intressantes, car elles contiennent toutes des rgles, qui apparaissent comme ncessaires, fondatrices de lactivit humaine investie dans ces pratiques. 42 Il sagit de prsenter la rgle sportive non plus comme une contrainte extrieure et intangible mais comme la condition du jeu. Ainsi, elle peut prendre sens car sans elle, il nest pas possible dagir, et selon Mard et Bertone, il peut alors y avoir modication du rapport aux rgles. 43 En rugby par exemple, un moyen de donner du sens aux rgles est de proposer comme point de dpart une situation sans rgles. Progressivement, grce la ngociation et la discussion, les lves construisent les rgles du jeu (exemple: pas le droit de shooter dans le ballon lorsquil est terre car cela peut faire mal un camarade qui sapprte la ramasser). Les rgles deviennent une condition essentielle pour que le jeu ait lieu, elles prennent sens, et contaminent dautres familles de rgles (institutionnelle, groupale, etc.). 44 Cette rednition du rapport la rgle responsabilise les lves et instaure davantage de respect entre eux. Il est possible de proposer dans de multiples activits des situations ouvertes pour que naisse le dsordre (ex: foot multiballons, ultimate, etc.), favorisant ainsi lacquisition de comptences sociales, la ngociation ou le conit sous une forme pacique et dmocratique. Defrance dcrit les moyens dintrioriser les rgles, par lexplication, la parole, la discussion, la ngociation de celles-ci. 45 Les acteurs peuvent par exemple dconstruire les rgles, effectuer des transactions, marchander et co-dterminer de nouvelles rgles instituantes et non dnitives. Ainsi, cela permet de sorienter vers un fonctionnement hdoniste de la loi (plaisir travailler ensemble, construire des rgles, respecter la loi), qui montrerait que lordre et la libert ne sont pas contradictoires. Les lves se forment sans se conformer et simprgnent de valeurs (tolrance, respect, lacit, solidarit, justice, refus de la violence), dattitudes (participation active, autonomie, sens critique) et de savoirs (droits et devoirs, principes de fonctionnement), ce qui revient aux trois ples de lducation la citoyennet proposs par Tozzi: axiologique, praxologique et thorique. En rsum, les APSA permettent lapprentissage de comportements essentiels tels que lentraide et la solidarit, par des activits collectives telles que les dnissent les programmes des lyces: Sont considres comme collectives, non les activits qui se contentent dadditionner les prestations individuelles (relais en natation par exemple), mais celles qui impliquent une collaboration obligatoire entre les lves: par exemple, sport collectif, acrosport, chorgraphie en danse, relais en athltisme, double dans les activits de raquette []. Dans les activits collectives, la collaboration est une condition essentielle de la prestation. 46
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A. Davisse, Lettre nos remplaants, in dossier EPS no 31, 1996 J. Mard, S. Bertone, Lautonomie de llve et lintgration des rgles en EP, Paris, PUF, 1998 J Mard, S Bertone, op cit J. Defrance, Sanction et discipline lEcole, 1993 Programmes dEPS des lyces, 2002
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Les sports sont porteurs dune certaine thique du devoir laquelle il est essentiel de former les lves, an de voir merger un vritable engagement moral. 47 Les moyens disposition de lenseignant pour dvelopper ces forces morales collectives sont par exemple le plaisir, le jeu et la convivialit; et puis surtout, un fonctionnement contractualiste de la loi et le respect dune part dautonomie laisse llve.
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C. Pigeassou, op cit
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grer et surmonter les conits, en acceptant la contradiction et la ngociation. En ce sens, les sports collectifs sont galement intressants puisquils permettent aux lves dtre dpendants dun projet commun: il sagit par exemple pour eux de composer avec les ressources de chacun et se reconnatre attaquant ou dfenseur, pour ensuite mettre en place des intentions de jeu. De mme, en acrosport, les lves distribuent les rles de porteur, voltigeur et pareur en fonction des possibilits de chacun, et ont pour obligation de sarranger et collaborer pour mener terme un projet en toute scurit. Nous avons pu montrer que le sport permet de cultiver chez les lves le sens du commandement , travers diffrents rles sociaux, grce un choix dAPSA spciquement riches ce niveau. La multiplicit dexpertises quelles offrent permet dviter une hirarchisation. Cependant, il est galement possible dexploiter les interactions sociales dans les apprentissages, notamment dans la constitution des groupes en EPS. Lafont et Winnykamen ont mis en vidence quen associant un lve expert ou spcialiste, un lve de niveau plus faible, des relations sociales stablissent entre les deux lves: lexpert prend le statut de tuteur ou entraneur et aide le second rsoudre des problmes moteurs en le conseillant. 48 Ce type de regroupement se justie notamment par ce que Lave et Wenger nomment communaut de pratique dans laquelle lapprentissage sorganise mtaphoriquement de la priphrie (nophytes peu de relations) vers le centre (experts qui dveloppent des relation riches et varies avec les autres lves). 49 En reprant ces leaders, lenseignant intgre ainsi plus facilement les moins bons. Lenseignant doit promouvoir chez les lves un style de leadership dit dmocratique, et le concernant, il semble galement prfrable quil fonctionne sur ce modle: en laissant aux lves un espace de contestation rglement possible, il permet leur consultation, et donc rend la ngociation, la discussion possible. 50 Par une pdagogie non directive, il dvolue les responsabilits et rend les lves vritablement acteurs / auteurs de leurs actes, respectueux de lautre et dun code de civilit. Cependant, il doit savoir poser des limites ou lignes jaunes selon les termes de J.L. Ubaldi, ne pas franchir, notamment en termes de fonctionnement en sports collectifs. 51 En effet, pour que ces derniers duquent la solidarit, la fraternit et repoussent le chauvinisme, il faut quun sens leur soit insuf et que des rgles de comportement soient imposes, ce qui est du ressort de lenseignant. Dans des pratiques dites risque, il est ncessaire de fonctionner sur un leadership plutt autoritaire ou charismatique, car il est des rgles de scurit qui ne sont pas ngociables. En fonctionnant sur un modle qui alterne commande et autonomie, on peut dire que lenseignant reste le premier leader en classe. 52 En somme, nous soutenons lide que lapprentissage de statuts diffrencis permet de dvelopper les qualits de leader: Cest lducation tre et devenir par et dans laction, par et dans le contrle de soi qui prime travers lapprentissage de statuts diffrencis. 53 Lexemple de larbitrage est ce titre signicatif, puisque llve plac en position darbitre peroit la ncessit de la rgle, et la difcult la faire respecter. En rsum, pour cultiver des forces morales individuelles, collectives et le leadership en EPS, il nous semble important de slectionner les activits sportives au regard de leurs enjeux de formation vis--vis de lducation morale; diversier ces pratiques pour une mise en acte varie de valeurs sociales et morales; et proter de la richesse relationnelle offerte par les APSA en multipliant les domaines dexpertise pour multiplier les hirarchies. De plus, il est intressant de privilgier des buts et modalits orientes vers la matrise et la crativit; sans pour autant dlaisser des situations de comptition. Mais celles-ci sont rendre ducatives en ne faisant pas dpendre lapprciation nale de llve uniquement sur les rsultats comptitifs, mais plutt sur les buts de matrise et les moyens dvelopps travers une rexion sur les progrs raliss, sur
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L. Lafont, F. Winnykamen, Place de limitation modlisation parmi les modalits relationnelles dacquisition: le cas des habilets motrices, in Revue franaise de pdagogie no 92, 1990 Lave et Wenger, Situated learning, 1991 J-L. Ubaldi, Une EPS de lanti-zapping, in revue EPS 309, 2004. Professeur agrg dEPS qui sest intress lenseignement de lEPS en milieu difcile. M. Durand et M. Arzel, Commande et autonomie dans la conception des apprentissage scolaire, 1997 D. Bodin, op cit
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ce qui aurait pu tre amlior, etc. Ainsi, on change le sens accord la victoire ou la dfaite et on fait de lchec une russite relative. A ce titre, il est intressant dvoquer la construction de pratiques sportives spciquement scolaires, telles que le basket-ball multi-score propos par Ubaldi, o trois lignes de gagne sont possibles (paniers, tir seul, diminution de pertes de balle).
Quelques interrogations
Aprs avoir envisag les pistes daction possibles en EPS pour rendre le sport facteur de forces morales, nous souhaiterions nous attarder sur diverses questions subsidiaires. La premire concerne la transfrabilit ou gnralisation possible des forces morales acquises par le sport. En effet, ce que lon a pu construire chez les lves en EPS leur sert-il hors du cours ou de lcole, lorsquils sont confronts la ralit des pratiques et du spectacle sportif? Selon les textes, lEPS permettrait aux lves de porter un regard critique et clair sur les pratiques des sports dans la socit, et sur leur dimension de spectacle; 54 au lyce les excs en socit sont lobjet dtudes critiques et distancies, 55 mais comment sassurer de ce transfert et dune gnralisation des comptences et des forces acquises de manire stable et durable? Nous mettons lhypothse que laccs une thique en actes par et dans laction conditionne ce que Varela a appel un savoir thique: il sagit de comprendre ce quest tre bon plutt que davoir un jugement correct dans une situation particulire. 56 Pour Varela, lindividu sage est celui qui sait ce quest le bien et qui le fait spontanment. Ainsi, on dveloppe une aptitude faire face immdiatement aux vnements. Cest ce quil appelle un savoir-faire thique dans la mesure ou laction sans intention est devenue un comportement incarn, aprs un long apprentissage. Mais cela engendre dautres questions: faut-il former lesprit critique avant dapprendre respecter les lois? Mais alors, que faire de lexistence suppose par Kolhberg (1969) de stades moraux chez lindividu? Comment expliquer la distinction progressive des stades de lducation la citoyennet proposs dans les textes: civilit, fair play, vouloir vivre avec les autres, respecter les normes du vivre ensemble en 6me (conformisation), participation active et responsabilisation au lyce, o lon exprime son avis, on intervient lgard de ses droits et devoirs. Une autre de nos interrogations concerne lide selon laquelle lEPS doit peut-tre aujourdhui se dsportiviser . 57 Dans les annes 60, lducation physique est devenue EPS par ncessit de reprsentativit culturelle, face la sportivisation de la socit. Aujourdhui, Faucon pose la question dune EPS qui devrait redevenir EP face la dsportivisation de la socit pour les mmes raisons. On assiste en effet la monte de nouvelles pratiques, rvlatrices dun rapport au corps nouveau, de nouvelles valeurs, reprsentations et normes. LEPS doit-elle sadapter et se tourner vers lavenir? En intgrant les Activits Physiques Artistiques, les Activits Physiques de Dveloppement Personnel, et les Activits Physiques de Pleine Nature, les avances sont prometteuses, mais restent difciles car lidologie scolaire a longtemps rejet la culture de loisirs et lintgration de valeurs telles que le plaisir, le jeu ou la libert taient trangres la maison cole. 58 Cependant, cela pourrait lui permettre doprer un retour vers ce qutait le sport son origine, tel que lentendait Coubertin, de renouer avec son thique originelle au sens de desport (divertissement, libert, galit) et ce serait peut-tre le moyen de permettre au sport de redevenir un lment de culture. J. Gleyse 59 propose ce titre driger le plaisir corporel, lmotion, lexprience du sensible en thique de vie, et nous sommes convaincus quune approche ludique, conviviale et cratrice du sport permet datteindre des objectifs plus srieux tels que le sens de leffort, le dpassement de soi, etc. De cette question merge celle du rapport au corps vhicul par le sport. Le
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Programmes de 3me, BO HS no 10 du 15 octobre 1998 Orientations gnrales de lenseignement de lEPS au lyce, BO HS no 6 du 31 aout 2000 F.J. Varela, Quel savoir pour lthique? Action, sagesse et cognition, 1996 O. Faucon, EPS ou initiation sportive: les profs dEPS sont ils vraiment indispensables?, in AFRAPS, Et si lon parlait du plaisir denseigner lEP, 2003 P. Arnaud, Les savoirs du corps,1983 J. Gleyse, LEP inverse, in Revue EPS no 258, 1996.
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sport permet certes de bien se sentir dans sa tte et dans son corps, mais le sport ne conoit-il pas le corps comme un outil, ne rationalise-t-il pas de manire instrumentale ce corps-objet par les techniques sportives? Nest-il pas temps de rinterroger ces valeurs et promouvoir un corps qui soit non plus objet mais devienne sujet, symbolique, cratif et libre? Ne serait-ce pas revenir une conception plus thique du corps? En conclusion, il nous semble que la pratique sportive vhicule un certaine thique du plaisir et du devoir: le sport, par ses rgles et les relations interpersonnelles quil occasionne, est vecteur du dveloppement de nombreuses ressouces lindividu. En effet, la dimension collective, lengagement moral, le respect de soi et des autres, la matrise de ses motions, le courage, la capacit mener un groupe et tre responsable, etc. se trouvent au cSur de lducation (inculcation de valeurs) et de la formation civile et militaire. Le sport permettrait donc le dveloppement dune intelligence aux multiples facettes: motrice et pratique, sociale et humaine, morale et intellectuelle. Nous avons pu aborder quelques tensions sous-jacentes la relation sport et thique. Nous avons en effet dmontr que la pratique sportive ne garantissait pas lthique. Le sport nest ni vertueux ni intgrateur en soi. En prenant lexemple de lEPS, nous avons montr le sport constituant un outil potentiellement porteur de valeurs ducatives. En outre, la culture du leadership ainsi que celle de forces morales individuelles et collectives ont respectivement t rfres aux notions de responsabilit, autonomie, sens de linitiative, got de leffort, matrise de ses motions, dpassement de soi, lucidit, adaptation, solidarit, tolrance, etc. En EPS, il sagit de former, duquer et instruire les futurs citoyens, qui ont entre leurs mains la construction du monde de demain. Sil nous est impossible de gnraliser et de faire des perspectives pour les situations militaires, nous afrmons que le sport, mme sil nest pas ducatif en soi, peut tre un excellent moyen ducatif pouvant former et duquer les hommes de tous ges. 60
Remerciements
Nous remercions Patrice Quinton, directeur de lantenne de Bretagne de lENS Cachan, pour sa participation, son aide, ses conseils; Henri Hude, professeur lEcole Saint-Cyr de Cotquidan qui nous avoir permis de participer ce colloque; Dominique Bodin, professeur de sociologie lUniversit Rennes 2, Jacques Prioux, directeur du dpartement EPS de lantenne de Bretagne de lENS de Cachan et Olivier Kirzin, professeur agrg lantenne de Bretagne de lENS de Cachan pour leurs conseils et leur aide; Eric, Frdric, lves de lENS, pour leurs conseils et corrections, et tous ceux qui nous ont aids raliser ce travail.
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M. Baquet, op cit
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Annexe
s a runner, I was fortunate to touch upon the spiritual aspects of sport. One day at the end of a hard training season, I ran a very fast time and wrote the experience into a narrative called Running as a Spiritual Experience. During the run, I seemed to go beyond myself and experienced a kind of new self perception. Who was it that had run this time and had this experience? Was it me who had accomplished this life changing feat or the person I was becoming? 1 As an aspiring athlete, I read books and articles about the exploits of the master coach Percy Wells Cerutty of Australia. I was inspired by the stories of his coaching exploits. His nest athlete, Herb Elliott, became the worlds best middle distance runner aided by his adoption of Ceruttys viewpoint that, Running as I teach it is more than a sport, or a physical activity; its rather a complete expression of ourselves, physically, mentally and spiritually. 2 His tales of having Elliott run up sand dunes imagining he was St. Francis and getting mentally into an altered state for days before a record attempt were precursors to a more formalized mind / body sport training program.
M. Spino, Running as a Spiritual Experience, The Athletic Revolution by Jack Scott, (p.224-228), Free Press, New York, 197 P. Cerutty, Running with Cerutty, Track and Field News, Palo Alto, 1958
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teachers and clients through workshops and conferences. Meggyesy, who was an original Director of the Esalen Sport Center, went on to become the West Coast representative for the players union of the National Football League. Now retired, he continues to probe the exceptional capacities of sport, and utilize his experience as an organizer and union representative to assist community groups. Internationally, we studied the advances of the East German sport mental training system and studied the work of Swedish sport psychologist Dr. Lars Eric Unesthal who stressed that for sport to unify mind and body it needs to be practiced in unison with physical skills preparation. 3 We invited track coach Percy Cerutty to the United States for a series of lectures that extended our knowledge of using sport as a mechanism for physical and mental growth. I sought to enhance my workshops so they reected the same atmosphere as Ceruttys gatherings in which small talk was kept to a minimum so as, to focus on politics, philosophy and the great masters. 4 For me, this meant that sport was a means to personal growth and fulllment that started with basic questions that led to large aspirations. Today Esalen continues to thrive, always on the cutting edge of discovery and innovation. Esalens Russia-American Center, founded by Dulce W. Murphy, was the rst American group to host Boris Yeltsin of Russia during the beginning of the thaw between the two nations. Recently, they have hosted workshops to explore such subjects as Christian and Muslim fundamentalism as a way to foster better communicate and cooperation. For more information on Esalen Institute refer to their website at Esalen.com. As a University cross country and track coach at Georgia Tech and Life University, I have used the techniques outlined in this paper to win twelve national championships, and coach numerous international athletes. Applying a mind / body method of coaching, my athletes had the good fortune to run well when it counted and stay clear of injuries or run well when slightly injured. For the last few years I have been working with the ILO (International Labour Organization) hosting an international conference in 2005 during the International Year of Sport and Physical Education (IYSPE), and formulating conceptual viewpoints for a greater application of sport training.
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Lars Eric Unesthal, Mental Aspects of Gymnastics, Mouvement Publications, England, 1983, 5. G. Sims, Why Die? The extraordinary Percy Cerutty, Thomas C. Lothian, South Melbourne, 2003, p. 67
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The term refers to the number of steps taken in each cycle of the workout. The method has nine permutations. Walk: light, moderate, brisk Jog: light, moderate, brisk Run: light, moderate, brisk Under walk there are 24 steps at a light pace, followed by 24 Steps at a moderate walk, then 24 steps at a brisk walk. If one were to move through a complete sequence there would be eight changes of pace within the 216 strides
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J.Mason, Guide to Stress Reduction, Celestial Arts, Millbrae California, 2001, p.52. M. Spino, Breakthrough: Maximum Sports Training. Pocket Books, New York, 1984, p. 135
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Lars Eric Unesthal, The Scandinavian Practice of Sport Psychology, Coach, Athlete and Sport Psychologist, p. 260 R. Suinn, Visualization in Sports in Imaging in Sport and Physical Performance edited by Anees Sheikh and Errol Korn, Bay World PC, 1994, p.135
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Another good example is provided by Suinn as he relates an interview he had with world champion golfer Jack Nickluas, who said, I never hit a shot, not even in practice, without rst a very sharp picture in my mind. 9
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Ibid, p. 145 M. Spino, Mike Spinos Mind / Body Running Program, New York. Bantam Books, 1985, p 12
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SYNTHESE ET CONCLUSION
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Synthse et conclusion
Par Thierry Pichevin
e colloque Ethique et sport a rassembl des personnalits de diffrents pays tels que la France, la Belgique, les Etats-Unis, lInde, lItalie et le Royaume-Uni, et dhorizons aussi divers que le monde militaire, le milieu sportif ou lducation nationale. Il a t loccasion de rchir au sport comme un outil dducation promouvant lautonomie, la responsabilit et la libert. Dans cet article, je voudrais rassembler et synthtiser ce qui, mon avis, a constitu lessentiel de cette journe, tant dans le cadre des tables rondes quau cours de la sance plnire nale qui a donn lieu des changes particulirement riches. Le sport est utilis comme moyen ducatif dans de nombreux domaines (citoyennet, mtier des armes, etc.), car il porte un certain nombre de vertus (esprit de dcision, lucidit, courage, solidarit, etc.). Il est galement le lieu de nombreuses dviances (corruption, dopage, tricherie) dont rsulte une certaine tension qui conduit la question suivante: Comment recourir au sport de faon thique?
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Difcults
Malgr les nombreuses vertus attribues de la sorte au sport, certains auteurs en ont soulign les limites. Pour Dominique Bodin, Stphane Has et Luc Robne, ainsi que pour Anne Berteloot, Samuel Hess, Mava Le Goc et Claude Carr, le sport nest pas naturellement thique, cest--dire porteur de valeurs de libert et de respect de la dignit. Les frquents scandales dabus de biens sociaux, de corruption, de tricherie, de violence, le soulignent rgulirement. Au fond, le sport nest que ce que lhomme en fait. Le recours au dopage, abord par Eric Gherardi, va bien entendu dans le mme sens; il est le signe dune double faillite: faillite dans le rapport soi (comment se connatre si on se transforme?) et faillite dans le rapport aux autres (par la tricherie). Nous avons galement abord des notions problmatiques sur le plan smantique: les notions dadversaire et dennemi, de haine et dagressivit. Ces notions peuvent clairer les rexions tant dans le domaine de la comptition sportive que dans celui de la guerre. Peut-on considrer ses opposants comme des adversaires? Comme des ennemis? Peut-on gagner sans haine? Sans agressivit? On soppose un adversaire, on rejette lennemi. Dans le premier cas, lavenir, laprs conit, est prserv; notre opposition se traduit par lagressivit, et lindividu que lon veut vaincre est reconnu comme un reprsentant dune fonction ou dune institution. Dans le second cas, lavenir est hypothqu; notre opposition se traduit par la haine qui se dchane contre lindividu lui-mme. Lagressivit est une volont de vaincre qui nous permet de dployer notre nergie; dans la haine, on perd le contrle de soi, la situation nous chappe au point que nous risquons denfreindre nos propres valeurs. Dautres difcults ont t voques, savoir que le sport nest pas forcment adapt entirement la nalit ducative recherche. Cet aspect a t particulirement illustr par les observateurs militaires. Patrick Le Gal, Jean-Ren Bachelet et David Benest se sont ainsi accords pour souligner les diffrences de taille quil y avait entre pratique sportive et mtier des armes, avec en particulier, du ct du militaire, la prsence denjeux autrement considrables (enjeux politiques, enjeux de vie ou de mort), et la ncessit de continuer la guerre mme en cas de violation par ladversaire des rgles du jeu (sur lesquelles dailleurs les belligrants ne saccordent parfois mme pas!). Nous avons galement abord la distinction qui devait tre faite entre sport et aguerrissement. Cette dernire notion, au vocable typiquement militaire, est trs certainement utile dans de nombreux contextes. Militaires et sportifs de haut niveau doivent travailler dans trois domaines pour atteindre un quilibre: le domaine sensori-moteur (la technique), le domaine cognitif (lintelligence tactique) et le domaine affectif (la matrise motionnelle). Le tout sacquiert par un long entranement dont la nalit ultime est une bonne connaissance de soi. Militaires et sportifs doivent travailler les deux premiers domaines de faon similaire. En revanche, si lentraneur sportif tente de procurer son poulain un environnement psychologique aussi stable que possible pour lui viter tout tracas, le militaire, lui, est entran laguerrissement, cest--dire la capacit de faire face dans un environnement psychologiquement dstabilisant. Une autre diffrence entre militaires et sportifs de haut niveau est que, pour les seconds, la ralisation dune performance individuelle se fait dans un lcher prise; le sportif plane dans un tat second. Les militaires, au contraire, doivent toujours conserver lesprit les objectifs oprationnels.
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SYNTHSE ET CONCLUSION
attribuer des notes collectives pour favoriser lesprit dquipe; proposer des activits inhabituelles imposant humilit et nivellement). La contribution de Jean-Claude Aumoine montre comment la doctrine militaire en matire de sport a tent de sadapter aux besoins. Ainsi, les doctrines de 1960 et 1990 mettaient laccent sur la prparation oprationnelle de missions du temps de crise ou de guerre, tandis que la doctrine de 1975 recherchait lamlioration des capacits physiques et morales des militaires, et le renforcement des liens entre larme et la nation. La doctrine actuelle promeut de nouvelles disciplines telles les sports de combats rapprochs (boxe) ou les techniques para sportives comme la prparation mentale (TOP = technique doptimisation du potentiel). La distinction entre sport individuel et sport collectif doit tre faite. Dans le sport individuel, on cherche dvelopper le sens de leffort, mieux se connatre, etc. Limportance dapprendre non seulement dpasser ses limites, mais aussi les dplacer, a t souligne (notamment par Roger Bambuck, prsent la journe dtudes). Dans le sport collectif, en revanche, ce sont dautres notions (respect des rgles, solidarit), qui peuvent tre dveloppes.
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COMMENTAIRE
Par le Conseiller spcial du Secrtaire gnral des Nations Unies pour le sport au service du dveloppement et de la paix
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e tiens saluer linitiative conjointe du Centre de Recherche des Ecoles de Saint-Cyr Cotquidan et de lOrganisation internationale du Travail. En sassociant dans lorganisation dune journe dtudes pluridisciplinaire sur le sport, lthique et le travail dcent, dont le prsent ouvrage expose les conclusions, elle rpond parfaitement au besoin formul par le Secrtaire gnral des Nations Unies dans le plan daction contenu dans son rapport sur le sport au service du dveloppement et de la paix, prsent lAssemble gnrale en 2006. Il y encourage en effet les instituts universitaires et de recherche laborer des programmes de collaboration concernant le sport au service du dveloppement et de la paix, y compris la documentation, lanalyse et la validation des expriences et la mise au point de mthodes et doutils dinstruction, de suivi et dvaluation. La prsente publication constitue une nouvelle occasion de mettre en avant les nombreuses vertus du sport: physiques et psychologiques bien sr, mais aussi ducatives. Ce potentiel indniable ne doit toutefois pas occulter les aspects moins reluisants du sport. Corruption, dopage, violence ou encore racisme nous prouvent trop souvent que le monde du sport est loin dtre parfait: il nest que le miroir dune socit traverse de drives. Nous ne devons pas nier ou oublier ces problmes, bien au contraire. Nous devons les combattre sans relche et sans concession. Nous ne pouvons pas laisser ces maux ternir limage du sport alors que ce dernier peut faire tant pour amliorer notre monde. En matire de maintien et de consolidation de la paix, par exemple, le sport constitue un outil aussi prcieux quefcace. Au sortir de conits arms, le sport permet, grce aux valeurs quil vhicule, damorcer un dialogue et une rconciliation. Il offre un terrain neutre o lnergie est canalise et la normalit reprend ses droits. Il favorise la rintgration, notamment celle danciens enfants soldats. Dans de telles situations, le sport demeure souvent le plus petit dnominateur commun, grce auquel les individus et populations, auparavant en conit, rapprennent vivre ensemble. Il rend galement possible une rencontre directe et spontane entre communauts locales, humanitaires et militaires prsents sur place. Sans oublier le rle quil joue dans la formation et lentranement de ces derniers. En janvier 2006, Ko Annan, alors Secrtaire gnral des Nations Unies, et moimme nous sommes rendus au sige du Comit international olympique (CIO) pour rencontrer son prsident, Jacques Rogge. Ensemble, nous avons jet les bases dune action conjointe destine promouvoir la paix grce au sport. Cette collaboration sest concrtise une premire fois en Rpublique dmocratique du Congo (RDC), en aot 2006, loccasion de la premire dition des Jeux de la Paix Kinshasa 2006, co-organise par le CIO et la mission de lONU en RD Congo (MONUC). Ayant eu le privilge de parrainer cette premire dition, je peux tmoigner de son impact hautement positif auprs des populations et acteurs locaux. Elle a permis de contribuer instaurer un climat de collaboration et de dialogue dans une priode particulirement sensible, entre le premier tour des lections prsidentielles et lgislatives et lannonce ofcielle des rsultats. Les Jeux de la Paix ont galement permis dinstaurer une relation de conance entre les quelque 3000 habitants de Kinshasa et 300 casques
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bleus qui ont particip aux diverses activits sportives proposes (courses pied, course cycliste, tournois de football et de basket-ball, etc.). Dans le sillage des Jeux de la Paix a t lance, en mars 2007, une opration du mme type, au Libria. Ce programme, Sport for Peace, qui a dur cinq semaines et sest tendu lensemble du territoire national, a contribu avec succs au processus de rconciliation engag dans le pays, ravag par quatorze annes de guerre civile. Il est le fruit dune collaboration entre la Mission des Nations Unies au Libria (MINUL), le CIO, le gouvernement librien et mon bureau. Des initiatives comme celles-ci constituent de remarquables plates-formes daction. Elles mettent pleinement prot le potentiel du sport comme levier de changement. Il faut dsormais aller plus loin, en approfondissant et en gnralisant lutilisation du sport dans le cadre des oprations de maintien de la paix de lONU. Le sport na aucunement la prtention dtre la panace universelle, cest certain. Il peut nanmoins constituer un instrument efcace et innovant pour crer un monde meilleur, plus pacique et plus juste. Le sport est un langage universel qui unit les peuples et fait tomber les barrires, quelles soient ethniques, religieuses, psychologiques, sociales ou de genre.
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