Economie Sociale Et Solidaire

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Lconomie sociale et solidaire, une alternative lconomie capitaliste ?

Il faut dabord sentendre sur le sens des mots qui constituent lossature du "discours"1 des conomistes orthodoxes (classiques et noclassiques), htrodoxes et marxistes. Et d'abord le mot "conomie" qui peut dsigner, dans le langage courant, les manifestations les plus tangibles de la "vie conomique", telles que nous pouvons les apprhender dans notre environnement immdiat au travers des actes de la consommation (commerce, marchs locaux, produits imports, prix, pouvoir d'achat, etc.) ; au travers des manifestations de la production (industrie, agriculture, services [aux entreprises, aux mnages, services de proximit, entreprises grandes ou petites, capitalistes, artisanales ], emploi, chmage, dlocalisation, commerce, ) ; ou travers les phnomnes de distribution (salaires, profits, rentes, ) et de redistribution des revenus (par les systmes de scurit sociale, d'action sociale [petite enfance, personnes ges, handicaps, dfavoriss, ] ou de la protection sociale en gnral) ; ou encore au travers des phnomnes bancaires, montaires, financiers qui interfrent invitablement avec notre vie quotidienne (inflation, pouvoir d'achat, emprunt, prt, taux d'intrt, Bourse et mme CAC 40, spculation, crise financire, etc.). Mais dans la bouche des conomistes et des experts, le mot "d'conomie" et les mots associs vont prendre une saveur particulire perceptible par les seuls palais "duqus". On est alors dans le langage cod et codifi des "sciences conomiques", c'est--dire des reprsentations scientifiques et du discours propres la discipline conomique2. Or, dans le langage des conomistes et des experts (au moins dans celui des orthodoxes ou libraux) "l'conomie" dsigne clairement la sphre prive de l'conomie formelle de march. L'conomie publique elle-mme, c'est--dire le champ des interventions directes de l'tat ou de la puissance publique en gnral et des entreprises publiques (les rares qui subsistaient encore et qui sont progressivement privatises aujourd'hui, comme la SNCF, la Poste, les Tlcoms, etc.) n'avait dans l'analyse conomique classique qu'un statut marginal. Pour les conomistes de facture interventionniste ou tatiste (essentiellement drivs du courant marxiste mais aussi du courant libral keynsien), l'tat producteur a, au contraire, une place centrale ou tout au moins essentielle dans la sphre conomique, en liaison avec sa fonction et sa responsabilit rgulatrice et de sa nature rgalienne. C'est sans doute cette fonction rgulatrice que redcouvrent les gouvernements libraux en place dans les grands pays de capitalisme volu comme les tats-Unis, le Royaume Uni ou la France l'occasion de la crise financire majeure actuelle et de la nationalisation prcipite de grands tablissements financiers en situation de faillite ! Les conomistes htrodoxes, et notamment ceux qui se sont intresss au projet des "inventeurs" de l'conomie sociale depuis le "premier XIXe sicle" jusqu' ceux qui dfendent aujourd'hui les mouvements et les crativits de l'conomie solidaire, ont une reprsentation beaucoup plus extensive du champ de l'conomie. Ainsi, pour eux, l'conomie sociale et solidaire aurait toute sa place dans le vaste champ d'une "conomie plurielle".

1 - Les composants diversifis d'une "conomie plurielle"


Si l'on admet que l'conomie, c'est--dire l'activit conomique ou la vie conomique, vise fondamentalement satisfaire les besoins du genre humain, c'est--dire les besoins les plus "lmentaires" (comme se nourrir, se loger, s'habiller, se soigner, ) ou les plus essentiels (comme s'duquer, se cultiver, se dplacer, ), voire les plus secondaires ou les plus superflus (voir le Salon nautique de la haute plaisance Cannes, par exemple Le Monde 17/09/2008 !). Beaucoup d'conomistes eux-mmes sont d'accord avec la dfinition des sciences conomiques d'Oscar LANGE : c'est la science de l'administration des ressources rares (destines satisfaire les besoins des individus et des socits humaines). On conviendra qu'il y a de multiples faons de les couvrir et, partant de l, diverses logiques d'activits productrices de biens et services. Ainsi, Yvan ILLICH opposait "la production autonome de valeurs d'usage" la "production htronome de valeurs marchandes". En effet, moins on est capable ou en mesure de produire par nous-mmes les valeurs d'usage (biens et services) qui sont ncessaires notre vie et notre dveloppement personnel (et celui de notre famille) et plus on est oblig de recourir au march des biens et services (par exemple "le march des services de proximit") si l'on en a les moyens. Pour illustrer les activits multiples de "production autonome de valeurs d'usage", dans nos socits "riches" (c'est--dire les pays dvelopps et forte division du travail), citons en particulier toutes celles qui occupent encore le champ de "l'conomie domestique" telles que : tches mnagres, cuisine, conserves, couture, activits de bricolage, de rparation, jardins familiaux (ou sociaux), ducation des enfants, soutien scolaire, etc. Deux spcialistes de l'INSEE (deux femmes comme par hasard3) s'taient hasardes valuer, il y a une vingtaine d'annes, la valeur conomique de cette production domestique

autonome de valeur d'usages en rfrence l'indicateur cl de la production annuelle de richesse de la nation qu'est le P.I.B. Leur estimation, selon la mthode comptable utilise4, s'tablissait dans la fourchette de 55 70 % du PIB marchand ! Cette part serait videmment encore beaucoup plus forte dans les pays "pauvres" de la plante. Nous avons l un premier exemple caractristique des composantes diversifies de l'conomie informelle distingue voire oppose l'conomie formelle (celle du - ou des marchs avec ses entreprises, ses organisations institutionnalises et dclares, son systme comptable et fiscal, etc.). L'conomie informelle ne s'arrte pas l'conomie domestique et l'autoproduction (ou "conomie autonome"), elle englobe galement les diverses activits de l'conomie occulte qui comprend pour sa part des activits licites mais volontairement dissimules, exemple : travail au noir, commerce non dclar (absence de facture ), mais aussi des activits prohibes (illgales), exemple : trafic de stupfiants, trafic de contrebande, prostitution, jeux prohibs, etc., bref tout ce qui relve de "l'conomie du crime" ; la commission antinarcotique du G7 valuait le march mondial de la drogue entre 600 et 800 milliards de dollars au dbut des annes 1990, dont 98 % se retrouvent dans les circuits de blanchiment des pays industrialiss. Il s'agit donc, par dfinition, d'activits marchandes mais qui chappent au fisc et aux indicateurs de la mesure du produit national. Cette conomie occulte entretient des rapports souvent troits avec l'conomie de march officielle (ou formelle) dont elle peut constituer un poumon auxiliaire ; mais elle peut aussi lui faire une rude concurrence, soit au niveau national, soit au niveau international. L'conomie "autonome" elle, est tout fait lgale ; elle n'est donc pas, a priori, en situation de conflit par rapport l'tat. Pour Pierre ROSANVALLON : "Elle se fonde sur des formes de socialisation qui n'ont

pas d'existence fiscale (voisinage, famille au sens large) ou sur des activits qui ne peuvent pas donner lieu prlvement fiscal parce qu'elles sont gratuites ou rciproques (travail domestique). Elle n'est pas concurrente mais complmentaire et, dans une certaine mesure, alternative par rapport l'conomie de march ou par rapport aux formes de distribution tatique".
L'historien Fernand BRAUDEL distinguait dj pour le XVIIIe sicle, voire pour les sicles qui le prcdent, trois niveaux dans "la grille de l'conomie monde" : premier niveau ( vrai dire un sous-sol) qu'il appelle "vie matrielle", celui que l'on nommerait aujourd'hui conomie informelle ou d'autosubsistance ; un rez-de-chausse, celui d'une "conomie d'change" et souvent routinire (on et dit au XVIIIe sicle "naturelle"), avec "les marchs, le colportage, les boutiques, les foires, les bourses" ; enfin, l'tage "d'une conomie suprieure, sophistique" (on et dit au XVIIIe sicle "artificielle"), celui des "calculs et de la spculation" o la libre concurrence joue beaucoup plus rarement qu' l'tage de "l'conomie d'change normale" et qu'il dsigne comme l'tage du "capitalisme" proprement dit. "Bref, il y a une hirarchie du monde marchand mme si les tages suprieurs ne sauraient exister sans les tages infrieurs". Si l'architecture de l'difice de "l'conomie monde" a considrablement chang depuis le XVIIIe sicle, on peut encore y distinguer aujourd'hui les trois tages de "la hirarchie monde" de BRAUDEL, aussi bien dans les pays les plus dvelopps (ceux de l'OCDE), que dans les nouveaux grands pays industrialiss (Inde, Chine, Brsil, Mexique, ), les pays mergents ou encore les pays en dveloppement. Mais alors o se nichent donc l'conomie sociale et l'conomie solidaire dans la grille contemporaine de l'conomie monde ? Constitueraient-elles un nouvel tage ? Ou bien occupent-elles quelque appartement tel ou tel tage ? Et, dans ce dernier cas, quelle serait la surface d'occupation de l'conomie sociale et solidaire (l'E.S.S.) (si nous adoptons le parti raisonnable de leur cohabitation) ? Avant de procder aux mesures de la surface corrige occupe par l'E.S.S. il faut s'interroger sur la vraie nature ou la spcificit de l'E.S.S., de ses entreprises, de ses organisations, de ses acteurs, des valeurs, principes et rgles qui la rgissent ou qui la fondent.

2 - La vraie nature ou "les spcificits mritoires"5 de l'E.S.S.


Une histoire dj longue et une identit ancre dans des valeurs et des principes immuables et universels L'expression "conomie sociale" remonte deux sicles, mais les formes d'organisation, d'activits humaines qui prtendent concilier l'conomique et le social n'ont pas cesser de se dvelopper et de se diversifier depuis le dbut du 19me sicle Les premires formes d'conomie sociale remontent vers les annes 1830 et 1840, en Angleterre et en France. Cette invention6 du 19e sicle nat du mouvement ouvrier en raction contre le capitalisme industriel, non rgul, non rglement, gnrateur de conditions misrables dans la classe ouvrire. Les crateurs des premires formes coopratives et mutualistes voulaient permettre aux ouvriers d'accder des biens de consommation de premire ncessit : lait, farine, pain. Des associations populaires,

anctres des SCOPS (socit cooprative ouvrire de production) rassemblaient des mtiers qualifis qui, travers le compagnonnage, interdit par la loi Le Chapelier, pratiquaient autrefois un travail rglement. Les premires associations ouvrires se crent d'abord Paris autour des anciens "Compagnons" (c'est-dire des mtiers trs qualifis du btiment, de l'horlogerie, bijouterie, du livre, etc.), puis dans l'ouest de la France, unissant les boulangeries et les meuneries, afin de proposer un pain de qualit un meilleur prix. Apparaissent aussi les premires coopratives de crdit et les socits de secours mutuel, rpondant des besoins de solidarit lmentaire, comme enterrer ses proches et accder aux soins basiques7. Ces premires initiatives du mouvement ouvrier seront regroupes sous l'appellation "d'associationnisme ouvrier" par les historiens de l'poque. En fait, la coopration est bien "la fille de la ncessit" comme l'a si bien exprim sa manire un Jean-Pierre Beluze, disciple de Cabet qui fondera mme un parti politique cooprativiste en 1868. Dans un appel aux dmocrates, il dclare : "Qu'est-ce que le systme

coopratif ? C'est l'alliance du principe libral avec le principe de solidarit. C'est l'initiative individuelle renforce par la puissance de la collectivit. Les travailleurs repoussent l'intervention de l'tat. A vrai dire, ils ne veulent d'aucun patronage, ils veulent amliorer eux-mmes, par leurs propres efforts, leur situation. Mais se sentant faibles dans leur isolement, ils se groupent, ils s'associent pour le crdit, la consommation, la production et l'assistance mutuelle. Ils ne demandent au pouvoir politique qu'une seule chose, la suppression des entraves qui les gnent, rien de plus, rien de moins". Il fait, ici, allusion
l'entrave aux initiatives solidaires, sanctionnes d'emprisonnement pour dlit de coalition en application logique de la loi Le Chapelier, jusqu'en 1864. Le mouvement d'origine ouvrire va rebondir en France, dans le milieu agricole qui se trouve en concurrence avec les produits imports des "pays neufs" (Russie, tats-Unis, Argentine) la fin du XIXe sicle. Mais au contraire des ouvriers, les paysans vont se regrouper avec l'appui des pouvoirs publics, notamment le ministre Mline qui va aider crer les premires coopratives de crdit et d'agriculteurs. On entre alors, la fin du XIXe sicle, dans une phase de reconnaissance et d'institutionnalisation (par les lois, dont la loi de 1901 sur les associations et la codification) des premires formes d'organisation de l'conomie sociale, c'est--dire des formes coopratives mutualistes et associatives, qui va se poursuivre en France, en Europe et dans le monde jusqu' nos jours. 2.1 - Les courants de pense, promoteurs de l'conomie sociale en France Cette invention de l'conomie sociale est le fruit la fois des acteurs de la classe ouvrire, des mouvements paysans et du mouvement des ides. Mais la plupart des thoriciens se trouvaient aussi acteurs par la mise en pratique de leurs ides. Trois sources doctrinales s'imposent. - Une source librale, incarne par les conomistes Dunoyer, Jean-Baptiste Say. Pour eux, l'conomie sociale se dfinit comme une conomie librale tempre par des chapitres sociaux (assez proche d'une "conomie sociale de march" prne par certains, aujourd'hui). - Le christianisme social avec Le Play (catholique) et Charles Gide (protestant). A la fin du 19me sicle (1891) se dessine une pense sociale de l'Eglise catholique travers la premire encyclique sociale Rerum Novarum et qui se dveloppera jusqu' nos jours l'occasion de ses anniversaires dcennaux8. Pense influence par ceux qui se sont engags dans les mouvements syndicalistes et coopratifs. On retrouve une mme proccupation du sort de la classe ouvrire dans la revue protestante Christianisme social. De nos jours, subsistent encore travers les partis dmocrates chrtiens europens la notion de "bien commun" et "le principe de subsidiarit". - Une source socialiste, de facture "utopique" (comme disaient Engels et Marx qui l'opposaient au socialisme "scientifique", le leur), avec Fourier, Cabet, Leroux, Enfantin, Jeanne Deroin, Proudhon, Louis Blanc, jusqu' Beluze, Marcel Mauss (thoricien de l'conomie du don et Jean-Jaurs lui-mme). Il s'agit, l'origine, d'un "socialisme d'enseignement" qui entend contrer la tendance naturelle l'gosme par l'ducation pour crer une socit plus fraternelle plus juste et plus solidaire. Des premires crations et expriences des acteurs de la classe ouvrire et du monde paysan et des courants de pense des auteurs vont dcouler des valeurs et principes fondateurs de l'conomie sociale vcue aussi bien que de l'conomie sociale conue, en Angleterre9 comme en France. Ces grands principes issus de la coopration vont constituer la matrice des principes que l'on va retrouver dans les mouvements mutualistes et dans les mouvements associatifs. - Ce sont ces grands principes communs qui fondent aujourd'hui encore l'unit du champ de l'conomie sociale institue et de l'conomie solidaire mergente. Dans les principaux pays de capitalisme volu d'Europe, d'Amrique du Nord et du Sud et d'Asie, les lois et la rglementation n'ont reconnu et codifi ces principes et les nouvelles formes juridiques qui en dcoulaient (les coopratives, les mutuelles et les associations) qu'avec beaucoup de retard.

2.2 - Des valeurs et des principes fondateurs au systme de rgles juridiques qui rgissent l'organisation et la gouvernance des entreprises ou organismes de l'conomie sociale Quels sont ces grands principes fondateurs de la coopration que l'on retrouve dans toutes les composantes juridiques de l'conomie sociale et solidaire ? En langage moderne, on peut en distinguer sept aujourd'hui. 1/ Le principe de libre adhsion (ou libre entre, libre sortie) qui exclue lui seul les coopratives, les mutuelles ou toutes formes d'associations imposes par l'tat (dans les anciens pays de l'est (les PECOS) ou en Algrie, par exemple). 2/ Le principe de gestion (et de gouvernance) dmocratique ("un homme, une voix") qui distingue dj les entreprises de l'E.S.S. des entreprises capitalistes. 3/ Le principe d'autonomie des organisations de l'conomie sociale et solidaire (OESS) par rapport l'Etat et aux administrations publiques en gnral ; il exclue donc, en particulier, les associations "faux nez de l'administration" avec leur majorit de postes d'administrateurs rservs des lus politiques ou des reprsentants de l'administration, ou encore leur prsident de droit (le maire ou son dlgu). 4/ Le principe "d'acapitalisme" ou de lucrativit limite (pour les coopratives) et de non lucrativit (pour les associations et les mutuelles). Ce principe et ses dclinaisons diverses pour les trois principales formes juridiques de l'E.S.S. distinguent radicalement les entreprises de l'E.S.S. des entreprises et socits capitalistes dont la finalit dclare, sinon proclame, est la rmunration optimale des capitaux investis ou encore "la production de valeur" pour les actionnaires. 5/ Le principe d'ducation des cooprateurs ou des adhrents (d'une mutuelle, d'une association). Les "inventeurs" de l'conomie sociale avaient bien compris que "l'esprit cooprateur" n'tait pas la tendance la plus naturelle du genre humain. Il fallait donc consacrer une partie essentielle des bnfices, ventuellement raliss, "l'ducation des cooprateurs" pour dvelopper la loyaut, la confiance et aussi la capacit de tout adhrent accder aux responsabilits les plus leves de gestion ou de direction (cf. le principe de dmocratie). 6/ Le principe d'intercoopration, selon lequel pour lutter efficacement contre la concurrence des autres entreprises de droit commun et notamment des groupes capitalistes, les entreprises et organisations de l'E.S.S. devraient d'abord organiser la coopration ou les partenariats entre organisations de l'E.S.S. (OESS) qui se rclament des mmes valeurs et mettent en pratique les principes fondateurs de la coopration. 7/ L'A.C.I. (Alliance Cooprative Internationale), enfin, a introduit un 7e principe (un de plus que ceux inscrits dans les tables de la "loi" originelle des quitables pionniers de Rochdale de 1844) : Le principe d'engagement de la cooprative au service de la communaut, par del les intrts propres des socitaires cooprateurs. Il s'agit donc d'un engagement volontaire produire de l'utilit sociale dans les priphries successives des "parties prenantes" de la cooprative elle-mme (par exemple, les salaris, les clients, les partenaires) jusqu'aux priphries les plus lointaines du "halo socital" selon A. Lipietz. Cet engagement formel, pour des communauts qui dbordent trs largement celle des adhrents cooprateurs, est tout fait nouveau. Il tait dj l'uvre dans la plupart des associations (en dehors de celles strictement centres sur des activits "club" de leurs adhrents), notamment dans les "associations" de service social (F. Bloch-Lain), d'ducation populaire, etc. Cette prise de conscience relativement rcente des mouvements coopratifs et des grandes mutuelles, manifeste leur volont d'assumer pleinement leur responsabilit sociale interne et externe (RSE) et de revenir par consquent leurs valeurs fondatrices. Les mouvements plus rcents de l'conomie solidaire, en Europe tout au moins, avaient suffisamment reproch aux grandes organisations (fdrations et confdrations) de l'conomie sociale institue, de s'tre beaucoup loignes de ces valeurs et principes. Il s'agira donc plus que jamais dsormais de vrifier si les grands principes gravs dans la table des lois sont bien mis en pratique. L'habit juridique pas plus que la rgle ne suffisent faire le moine de l'E.S. C'est bien l'observance stricte de la rgle qui fait "le bon moine". Bien sr, ces grands principes gnraux vont se dcliner trs concrtement dans les lois particulires qui vont rgir le fonctionnement et l'organisation des diverses catgories de coopratives 10, de mutuelles 11 et d'associations 12. C'est le principe "d'acapitalisme"qui donne lieu aux applications diffrencies les plus fortes. Les coopratives ont videmment le droit de faire des bnfices (c'est bien une ncessit vitale pour les cooprateurs), une partie de ces bnfices sera mise en rserve (rserves lgales et statutaires, rserves facultatives, ) mais celles-ci sont ds lors impartageables entre les cooprateurs en cas de dissolution ou de retrait des cooprateurs ; elles vont donc permettre, dans la longue dure, le dveloppement et la

durabilit de la cooprative au profit des gnrations et, dans l'espace, sur leur territoire d'implantation (rsistance la dlocalisation). Une partie des bnfices sera rpartie entre les cooprateurs au prorata de leur activit (c'est--dire de leur travail pour les SCOP, de leurs apports pour les agriculteurs, de leurs achats pour les adhrents d'une cooprative de consommation [ristourne], etc.) et non pas au prorata de la dtention du capital comme c'est la rgle dans les socits de droit commun (ou socits capitalistes). C'est pourquoi on parle de "principe de lucrativit limite" dans le cas des coopratives. Le principe de non lucrativit en vigueur dans les associations (et dans les mutuelles avec des modalits d'application un peu diffrentes) ne les empche pas de raliser des bnfices (on prfre parler d'excdents) : mais, si c'est le cas, ces excdents ne pourront pas tre distribus directement ou indirectement entre les adhrents. Ils seront donc mis en rserve pour le dveloppement du projet associatif.

3 - L'conomie sociale et l'conomie solidaire : des personnalits et des actes de naissance diffrents, mais une seule et mme famille
Depuis une bonne trentaine d'annes ont merg en France, en Europe et travers le monde, une multitude d'initiatives de cration d'entreprises solidaires, dans les jachres, ou dans "l'entre-deux" de l'conomie de march, des activits et services de proximit, des services collectifs, de l'conomie sociale institue elle-mme. En France et en Europe occidentale, les crations ou innovations se sont regroupes ou reconnues sous l'appellation "d'conomie solidaire" et ont pris, le plus souvent, la forme institutionnelle d'associations ; plus rarement celle de coopratives ou de simples SARL. En Amrique latine (Argentine, Brsil, Chili, Mexique, ), c'est le terme d'conomie populaire qui dsigne ce type d'organisations collectives qui relvent encore, pour la plupart, de l'conomie informelle. En Amrique du Nord, on parle de "corporations de dveloppement communautaire" (tats-Unis) ou d'expriences de "dveloppement conomique local et communautaire" qui ont pris souvent la forme juridique de coopratives ou d'associations13. En France, tout particulirement, les mouvements et regroupements de l'conomie solidaire ne se reconnaissent pas volontiers dans les grandes organisations fdratrices ou reprsentatives de l'conomie sociale officielle ou institue (celles qui ont "pignon sur rue")14. Ils s'attachent donc dfendre leur identit propre partir de leur capacit d'innovation conomique et sociale, des nouveaux rapports qu'ils entendent dvelopper entre travail, activits, loisirs, culture, sociabilit (ou comment "faire socit", ). D'o les multiples champs d'activit o s'exercent leur crativit, en liaison troite avec le dveloppement des services de proximit, l'insertion sociale et professionnelle des personnes en difficult, les crations d'activits, le commerce quitable, l'autoproduction accompagne (Jardins sociaux d'Amlie ou les Compagnons btisseurs de Provence, par exemple, ou la Petite Thumine Aix-en-Provence), les Systmes d'changes Locaux (S.E.L.), les Rseaux d'change des Savoirs (R.E.S.), le Tourisme solidaire (qui se dmarque quelque peu du Tourisme social classique). Un des mrites des mouvements de l'conomie solidaire, par rapport l'conomie sociale traditionnelle ou institue, est d'avoir contribu faire clater les notions de travail, d'activits, d'conomie formelle et d'conomie informelle et par l d'avoir jet des passerelles entre conomie domestique, conomie autonome, conomie cooprative, entreprises associatives. Un autre mrite majeur de cette "nouvelle conomie sociale" est dans doute d'avoir rveill les consciences dans le monde de l'conomie sociale institue en dcapant les valeurs et principes qui en constituent les fondements : la solidarit, la libert d'entreprendre, la dmocratie interne, la responsabilit sociale interne et externe des "entreprise sociales", les principes d'ducation, d'autonomisation et de responsabilisation des personnes (adhrents, cooprateurs, usagers, "parties prenantes", ) ; toutes valeurs et finalits communes l'conomie sociale institue et l'conomie solidaire mergente ; donc, on a bien deux rameaux issus d'une mme souche !

4 - Combien pse l'E.S.S. dans l'conomie formelle de march (PIB marchand) ?


On ne dispose, ce jour, dans le systme de comptabilit nationale 15 de la France ou des pays de capitalisme volu de l'OCDE, que d'un seul type d'indicateur homogne pour mesurer le poids conomique de l'ensemble des composantes de l'E.S.S. (coopratives, plus mutuelles plus associations). Il s'agit des statistiques sur l'emploi salari et les salaires (qui croisent nomenclatures d'activit et types juridiques ou d'organisations).

En France, l'E.S.S. reprsente 11 % des emplois salaris (hors emploi des administrations publiques) soit quelques 1.200.000 emplois (ETP) ; ce qui reprsentait 90.000 emplois (en ETP [quivalent Temps Plein] dont 76 % dans les associations. En rgion PACA, il tait de 12,4 % en 2004 16. Le pourcentage peut varier de 9 % (Picardie) 14 % (Bretagne). On ne dispose pas encore de donnes qui permettraient de mesurer exactement le poids de l'E.S.S. par rapport l'indicateur ftiche du PIB (marchand). Des estimations le situent autour de 6 % 17. 4.1 Quelques indicateurs particuliers pour chacune des composantes Selon les dernires estimations, au niveau national, le seul secteur associatif compterait 1.045.800 emplois (ETP) auquel il conviendrait d'ajouter le volume du travail bnvole, soit 935.000 emplois (en ETP), si l'on voulait avoir une estimation du poids conomique rel (en termes de force de travail et de capacit de production de services). Le budget cumul du secteur associatif (l'quivalent de son chiffre d'activit) est de l'ordre de 60 milliards d'euros 18 4.2 - La composante cooprative
19

(hors banques coopratives)

Le secteur coopratif franais est trs diversifi et occupe une place centrale dans quelques secteurs cls comme l'agriculture ou l'agroalimentaire et le secteur bancaire (de dtail). Il revendique 21.000 entreprises, 900.000 emplois (non convertis en ETP), environ 15 millions de socitaires. Il joue un rle vital pour le maintien ou le dveloppement d'entrepreneurs indpendants ou PME (commerants dtaillants, artisans, pche maritime artisanale, transporteurs (routiers, fluviaux, taxis, ) et pour le secteur des coopratives de production (socits coopratives ouvrires de production ou S.C.O.P., socits coopratives d'intrt collectif ou S.C.I.C., et socits coopratives d'activit et d'emplois ou S.C.A.E.). Il n'occupe aujourd'hui qu'une place marginale dans la grande distribution (coopratives de consommateurs 20 ou dans le logement (coopratives d'habitation) 21. - Les coopratives agricoles 75 % des agriculteurs sont membres au moins d'une cooprative (soit 7 agriculteurs sur 10). Elles revendiquent 150.000 salaris permanents et affichent un chiffre d'affaires de 78 milliards d'euros (avec leurs filiales). Quelques parts de march : 96 % pour le porc, 55 % pour l'aviculture (dont foie gras, ), 75 % pour la collecte des grains, 62 % pour le sucre de betteraves, 70 % pour le vin de pays et 30 % pour le champagne. Elles revendiquent aussi 650.000 socitaires, dont 400.000 environ reprsentent des exploitations agricoles vritables, donc autant d'exploitants en activit ; si l'on y rajoute la main d'uvre familiale et les salaris agricoles, on obtient un emploi total (salaris et indpendants) suprieur un million de personnes qui s'adossent leur(s) cooprative(s) pour poursuivre leur activit. De mme, les coopratives d'entrepreneurs indpendants (commerants, transporteurs, artisans, ) qui revendiquent 31.000 salaris, reprsentent 94.000 socitaires ou entrepreneurs et le double, au moins, de salaris de leur entreprise ; cela reprsente un volume global d'emplois de l'ordre de 400.000 personnes actives. On voit donc que l'indicateur de l'emploi salari du secteur coopratif n'est qu'un ple reflet du poids conomique rel du secteur. En effet, des centaines de milliers d'entreprises et d'exploitations individuelles ou familiales ou de PME disparatraient dans divers secteurs d'activit de l'conomie, ou ne pourraient se dvelopper dans le secteur marchand, si elles n'taient durablement et solidement adosses leurs coopratives. - Les banques coopratives22, pour leur part, revendiquent 18 millions de socitaires et 210.000 salaris. Mais surtout, elles reprsentent 60 % de l'activit de la banque de dtail, 31 % de la collecte des dpts vue du secteur bancaire et 30 % des crdits distribus, mais 80 % des encours de crdits auprs des PME et des entreprises individuelles ou artisanales. On voit par ces chiffres que le rle des banques coopratives, s'il n'est pas dominant dans la finance, est essentiel dans le maintien et de dveloppement du tissu des PME et TPE dans la couverture des besoins de crdit d'quipement des mnages, etc. et dans l'activit conomique relle du pays. Les banques coopratives regroupent : le groupe Crdit Agricole avec 5 700 000 socitaires et 72 000 salaris, les Banques Populaires (le Crdit Coopratif fait partie du groupe depuis 2003 et, plus rcemment, le Crdit Maritime, avec 3 100 000 socitaires et 45 530 salaris), le Crdit Mutuel : 6 700 000 socitaires et 33 600 salaris, le groupe des Caisses d'pargne : 31.000 000 socitaires et 55 000 salaris.

Malgr le principe de "lucrativit" limite ou "d'acapitalisme" qui distingue les banques coopratives des banques capitalistes (celles de l'Association Franaise des Banques [A.F.B.], on a pu voir, au cours de ces dernires semaines, que le Crdit Agricole avait perdu quelque 5 milliards d'euros dans la spculation sur les produits drivs du march hypothcaire amricain (les subprimes) ; que les Banques Populaires et les Caisses d'Epargne y avaient laiss quelque 1 milliard d'euros (sans compter "l'incident" des 695 millions d'euros des Caisses d'Epargne au beau milieu de la tempte boursire d'octobre !). Peut-on expliquer, sinon justifier, un tel paradoxe ? On peut en donner succinctement trois raisons, mais aucune justification. 1. Une premire raison structurelle : les trois groupes bancaires coopratifs cits ci-dessus, sont constitus de banques rgionales statut coopratif et d'une caisse nationale (socit anonyme de droit commun, parfois cote en Bourse comme le Crdit Agricole). Ces groupes bancaires ont donc une nature hybride (cooprative d'un ct, capitaliste de l'autre, ). 2. Depuis plus de vingt ans, les caisses nationales qui grent une partie consquente des disponibilits, ou rserves financires, de leurs banques coopratives rgionales ont pu acqurir ou contrler des pans entiers du systme bancaire financier capitaliste (exemple Indo-Suez et le Crdit Lyonnais pour le Crdit Agricole, Natexis pour les Banques Populaires et les Caisses d'pargne). Ds lors, deux courants, ou deux cultures, se sont affronts au sommet, pour la gouvernance (la prsidence ou les postes cls) des "ttes de rseau" (des socits ou caisses nationales) : la culture des banquiers issus des banques de l'A.F.B. rachetes par les banques coopratives et la culture de la coopration (avec ses principes de lucrativit limite et de gestion dmocratique). On vous laisse deviner quelle est la tendance qui l'a emport 3. La culture dominante des PDG ou patrons des caisses nationales les a invitablement entrans, au cours de ces toutes dernires annes, dans les courants dominants de la spculation financire mondiale, vers l'eldorado des taux de rendement sur capitaux propres de plus de 15 ou 20 %. Ceci aux fins de fournir de "la valeur" leurs actionnaires (ceux des S.A. cotes en Bourse de la socit mre et des socits filiales) et aussi aux banques rgionales de leur rseau, pour leur prouver que leur argent tait bien gr. En bout de compte, ce sont ces dernires et leurs socitaires-cooprateurs (vous et moi, si vous en faites partie) qui paieront l'addition, directement (par de nouvelles souscriptions) ou indirectement par un renchrissement des services bancaires. 4.3 Le secteur mutualiste enfin, Les mutuelles de prvoyance ou complmentaires de sant (type M.G.E.N.) couvrent 38 millions de personnes 23 et collectent 58 % des cotisations des complmentaires (Compagnies d'assurance et mutuelles). Les mutuelles d'assurance (types MAIF ou MACIF), assurent 50 % des automobiles et 40 % des logements. Ainsi, la mutualit a non seulement jou un rle pionnier dans l'invention du mutualisme, mais elle a surtout dvelopp des formes cls de la protection sociale volontaire et complmentaire, aprs la mise en uvre d'une "solidarit organique" 24 par les premires lois d'assurance sociale des annes 1930 et le Plan de Scurit Sociale de 1945.

5 - Du poids conomique de l'E.S.S. la prise en compte de son utilit sociale


Le poids et le rle des entreprises, des organisations et des acteurs de l'E.S.S. ne peuvent tre valus seulement l'aune des indicateurs conomiques cits ci-dessus. L'approche conomique ne peut tre dissocie de l'approche sociale ou "socitale" puisque ces deux dimensions sont consubstantielles la naissance du projet d'une conomie sociale. De fait, si l'on parcourt l'histoire dj longue du dveloppement du projet de l'E.S.S. et de ses composantes, on voit combien son utilit sociale et socitale dborde trs largement l'espace conomique qu'elle peut occuper. On ne peut relever ici que quelques manifestations notables de ce "dbordement" ou de cette imbrication de ses deux dimensions. 5.1 - Les associations en premire ligne dans le "faire socit" Qui pourrait nier aujourd'hui 25 que les associations (dont les associations "gestionnaires" ou "entreprises associatives" du secteur sanitaire et social, de l'ducation populaire, de la formation, des activits sportives, culturelles, ct des associations plus militantes) jouent non seulement un rle central dans la lutte contre la pauvret, les ingalits, l'exclusion, les discriminations, dans la cration des services de proximit, dans l'insertion sociale et professionnelle et l'accompagnement des "publics" les plus en difficult, etc., mais aussi, et par l mme, dans le tissage des liens sociaux ou le ravaudage du

tissu social et de la cohsion sociale qui s'opre travers leurs "spcificits mritoires" (selon l'expression de Franois Bloch-Lain). 5.2 - Du rle conomique l'utilit sociale de la mutualit Par del son poids conomique rvl par les indicateurs exposs ci-dessus, on doit souligner le rle socital que joue aujourd'hui la mutualit : par la mutualisation des risques et l'application du principe de non slectivit ; par ses effets rgulateurs sur le march de l'assurance et, bien davantage, celui de la sant, mais surtout par la solidarit intergnrationnelle qu'elle gnre du fait du respect de ses rgles (impartageabilit des rserves, non lucrativit, ). On hrite ainsi aujourd'hui d'une mutualit puissante, cre et dveloppe par nos anctres depuis plus d'un sicle 26 partir de son thique 27 et des principes solidaristes qui en constituent le fondement. 5.3 Un regard sur l'utilit sociale gnre par les organisations et les acteurs de l'E.S.S. sur les territoires du dveloppement local et les champs d'application du dveloppement durable28 On peut citer ici en premier lieu le rle des coopratives d'agriculteurs (ou de groupements comme les AMAP [Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne] ou les Jardins (d'insertion) de Cocagne), dont les actions de production (rachat des droits produire, agriculture bio ou agriculture "raisonne", installation de jeunes agriculteurs, maintien du terroir, de ses quilibres cologiques, de ses paysages, ) ou de promotion (organisation des marchs labels de qualit des produits du terroir, ) sont profitables non seulement aux cooprateurs ou aux agriculteurs eux-mmes, mais se propagent par ondes successives dans le "halo socital" du territoire et de la communaut locale. On doit souligner aussi l'action territoriale bnfique des SCOP pour la cration de nouvelles activits, le maintien des activits productives et le dveloppement des emplois de proximit, leur capacit de rsistance la dlocalisation ; le rle des associations de tourisme social et de tourisme solidaire dans les dynamiques de dveloppement local des territoires ruraux ; enfin, les initiatives et crativits des mouvements de l'conomie solidaire (telles que rapportes plus haut 29 ) qui s'inscrivent dlibrment dans une "vision" (comme diraient nos amis qubcois) du dveloppement local durable et d'une conomie plurielle qui sait mobiliser les ressources financires de l'conomie marchande, de la puissance publique (celles de la "solidarit organique" et les ressources humaines de la gratuit (du bnvolat, de l'autoproduction, ).

Conclusion
L'E.S.S. (ses organisations, ses entreprises, ses acteurs) joue un rle fondamental au sein d'une conomie plurielle. En effet, "l'conomie" ne peut tre rduite une conomie de type strictement capitaliste, dont le "principe de gouvernance" reste cal sur la rmunration maximale des capitaux investis au profit exclusif des actionnaires. De plus, le projet de l'E.S.S. dborde trs largement du champ conomique. Il vise depuis ses origines l'instauration d'une socit plus quitable, plus solidaire et plus dmocratique. On ne peut pas dissocier son projet conomique (entreprendre cooprativement) de son projet socital et donc on ne peut rduire son rle, son poids et sa performance aux seuls indicateurs conomiques de la richesse. En dfinitive, si par son seul poids conomique, l'E.S.S. ne peut constituer aujourd'hui une alternative crdible l'conomie capitaliste (celle du niveau suprieur de Braudel), on ne peut sous-estimer son rle social et l'impact socital de son modle, de son thique, de ses ralisations sur les composantes diversifies de la plante conomique. Sans faire tomber de son cheval, pour autant, le cavalier fou du capitalisme financier (il chute bien tout seul, de temps en temps !), elle peut contribuer rveiller les consciences des acteurs sur la finalit humaine et sociale de toute l'conomie et inflchir le modle conomique dominant vers plus de responsabilit vis--vis des enjeux d'un "dveloppement durable", c'est--dire d'un modle de dveloppement conomique viable, socialement quitable et cologiquement durable.
Maurice PARODI conomiste, professeur mrite de lUniversit de la Mditerrane octobre 2008

Le mot "discours" est pris ici dans le sens de Michel FOUCAULT ("L'ordre des discours" 1971), c'est--dire "la formation discursive" du langage conomique. 2 Comme il existe par ailleurs un "discours mdical", un "discours psychanalytique", etc. (Michel FOUCAULT), plus ou moins hermtiques eux aussi pour le "profane". 3 Plus de 70 % des tches domestiques taient assures par les femmes, au moment de l'tude. 4 Mthode du manque gagner si l'on renonce une activit extrieure (salarie ou indpendante) ou mthode du manque dpenser en effectuant soi-mme les biens et les tches que l'on pourrait acheter sur le march des services de proximit. 5 Expression forge par F. BLOCH-LAINE, ancien prsident de l'UNIOPSS au sujet des "associations de service social" mais que l'on peut tendre l'ensemble des composantes institutionnelles de l'E.S.S. : les coopratives, les mutuelles (de sant et d'assurance), les associations gestionnaires. 6 GUESLIN A. "L'invention de l'conomie sociale dans la France du XIXme sicle" Economica 1998. 7 ll n'est pas dans notre propos de faire ici lhistoire de tous les types de mutualit ; il faudrait parler aussi des confrries pieuses ou professionnelles qui, sous lAncien Rgime, multipliaient les formes dentraides et de services. 8 Ainsi, c'est l'occasion du quarantime anniversaire que l'encyclique Quadragesimo Anno que (Pie XI) dveloppera le principe de subsidiarit selon lequel l'tat qui est pourtant qualifi de "socit de droit universel", ne doit pas se substituer aux "socits de naturelle primaut" (comme la famille, les associations, les syndicats, les coopratives [expressment cites], mais doit les aider mettre elles-mmes en uvre la justice, le bien commun. 9 Bien qu'invents ds 1836 par le lyonnais Michel DERRION, lors de la cration de son commerce vridique et social, c'est en effet en Angleterre que furent codifies en 1844 les "principes" coopratifs par les "quitables pionniers de la cooprative de consommation de Rochdale" (aux environs de Manchester). Ces principes ont t repris depuis dans le monde entier et mis jour en 1996 par l'Alliance Cooprative Internationale (A.C.I.) qui regroupe tous les mouvements coopratifs l'chelle mondiale. 10 Il existe, en France, en effet, autant de lois, de rglementations et de statuts distincts que de types de coopratives : cooprative d'agriculteurs (de transformation, d'approvisionnement, de matriels en commun, ), coopratives de production (SCOP), coopratives bancaires (Crdit Agricole, Crdit Mutuel, Banques Populaires, Crdit Coopratif, Crdit Maritime, Caisses d'pargne, ), coopratives d'entrepreneurs indpendants (artisans, commerants, taxis, transporteurs routiers, pcheurs, ). 11 Il faut distinguer, tout le moins, les mutuelles de sant (type M.G.E.N.) et les mutuelles d'assurance (type MAIF ou MACIF). 12 Il y aura autant de statuts types d'association que de ministres de tutelles des fdrations associatives (du secteur sanitaire et social, du logement, de la Jeunesse et des Sports, de l'ducation, de la formation, de la culture, du monde agricole, de la coopration, des vacances et loisirs, de l'ducation Populaire, etc. 13 "L'conomie solidaire, une perspective internationale" sous la direction de Jean-Louis Laville. - Descle de Brouwer - 1994. 14 Notamment dans le C.E.G.E.S (Conseil des Entreprises et Groupements d'Employeurs de l'conomie Sociale), dans les Chambres rgionales de l'conomie sociale (C.R.E.S.) ou dans les grandes fdrations nationales associatives, comme l'UNIOPSS, les fdrations de l'ducation populaire, etc. 15 C'est--dire dans l'organisation des comptes et la masse de donnes ou d'indicateurs conomiques recueillis rgulirement pour mesurer le poids conomique de la production des divers secteurs et mesurer ainsi "la richesse" produite au fil des annes. 16 Chiffres tirs des statistiques D.A.D.S. (Dclarations Annuelles des Donnes Sociales). 17 Mais ce chiffre ne prend pas en compte l'quivalent marchand du travail bnvole (dont le volume est pratiquement quivalent celui du travail salari) et il value mal les excdents d'exploitation de certaines composantes de l'E.S.S., notamment du secteur associatif. 18 Source Viviane Tchernonog. Enqute CNRS. Matisse. Centre d'conomie de la Sorbonne. 2005-2006. 19 Les chiffres avancs ici sont tirs du rapport annuel du G.N.C. (Groupement National de la Coopration), dition 2007. 20 En dehors des coopratives d'entreprises, des coopratives scolaires (issues du mouvement Freinet). Il reste cependant quelques fleurons comme Systme U, E. Leclerc ou la CAMIF. 21 Ce sont essentiellement les socits HLM qui ont pris le relais du logement social. 22 Voir encart. 23 Il reste toutefois 5 millions de Franais sans protection mutualiste complmentaire. Mais, l encore, la participation de la Mutualit franaise est essentielle dans la prise en charge de la CMU (Couverture maladie Universelle) 24 Durkheim distinguait une "solidarit mcanique" dans les socits archaques faible division du travail (correspondant aux formes de solidarit familiale ou clanique) et la "solidarit organique" des pays forte division du travail (correspondant aux formes de protection et de scurit sociale lgales). 25 Si ce n'est M. Kaltenbach qui persiste et signe dans sa dtestation des associations depuis son pamphlet sur les "associations lucratives sans but", crit partir de quelques cas rels (mais tellement isols !) de dtournement de la finalit sociale associative, voire de dtournement financier. 26 L'invention des socits de secours mutuel date de la premire moiti du XIXe sicle et la Mutualit Franaise a ft en 1998 le centenaire du premier code de la Mutualit et donc de la reconnaissance par l'Etat du mouvement mutualiste et de sa place alors centrale dans la solidarit nationale 27 PARODI M. La dmocratie, un principe fondateur de la Mutualit, encore porteur d'avenir- Mutcho. Mars 2000 XXXVIe Congrs de la Mutualit l'thique mutualiste. 28 Pour plus de dtails, voir conomie sociale et territoires. RECMA. Revue internationale de l'conomie sociale. n 296 - mai 2005. 29 Avec ses nombreuses dclinaisons et champs d'activit : systme d'changes locaux (S.E.L.), Rseaux d'changes de savoirs (R.E.S.), commerce quitable, finances solidaires ou thiques, Tourisme solidaire, Transports solidaires, Ecoconstruction, Energies alternatives, agriculture bio, protection de l'environnement, services de proximit solidaires, etc.

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