Le Conte de La Mère-Grand
Le Conte de La Mère-Grand
Le Conte de La Mère-Grand
Mr-yrcnd
Aux orgnes du pett chaperon rouge
I.V.VI.IV.I
Yum & Yuma Shnohara
Le Conte de la Mre-grand
Le Conte de la Mre-grand
AUX ORIGINES DU PETIT CHAPERON ROUGE
Adapt daprs les contes franais de tradition orale
par Yumi & Yuma Shinohara
2012 I.V.VI.IV.I
ditions I.V.VI.IV.I
Tokyo, Japon
2012 I.V.VI.IV.I tous droits rservs en dehors des attributions Creative
Commons.
Ce livre a t produit avec le logiciel open source LYX
Couverture de Yuma Shinohara 2012 I.V.VI.IV.I tous droits rservs
Premire dition, janvier 2012
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ATTRIBUTION - PAS DUTILISATION COMMERCIALE - PARTAGE LIDENTIQUE 3.0 NON
TRANSPOS (CC BY-NC-SA 3.0)
Remerciements
Yvonne Verdier
Victor Smith
Henri Pourrat
Paul Delarue & Marie-Louise Tenze
pour leurs pr cieuses recherches.
Le Conte de la Mre-grand
La llette se prparait partir voir sa grand-mre pour
faire son apprentissage de la couture. La mre lui tendit les
vtements frachement lavs.
Tiens, cest la tenue que je mettais ton
ge, je lai raccommode, lui dit-elle.
La llette fut ravie de pouvoir enn enlever ses habits de
fer uss, et se vtit avec robe, cotillon et corset.
Prends ce pain et ce beurre que jai faits
pour ta grand, ajouta la mre.
La llette partit tout aussitt vers la fort, lore de la-
quelle la route se sparait en deux petits chemins, lun jon-
ch de ronces, lautre dorties. Le Bzou, qui tait l, vit la
llette hsiter.
Tu as lair bien perdue petite, dit le Bzou,
o vas-tu ?
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Le Conte de la Mre-grand
Je vais chez mre-grand qui habite au bout
de la fort.
Tu prends le chemin des pinglettes par icy,
ou le chemin des aiguillettes par l ? de-
manda le Bzou.
Oh je prfre le chemin des pinglettes, des
pinglettes damour, rpondit-elle toute guille-
rette.
Bien, donne-moi ce pain et ce beurre, tu
nen as plus besoin maintenant, dit le Bzou
avant de les avaler tout ronds.
La llette sen alla les mains vides sur le chemin des pin-
glettes. Il y en avait de toutes sortes, des pinglettes dha-
billage, des pinglettes chapeaux, des pinglettes che-
veux, et bien sr des pinglettes damour, certaines taient
mme trs joliment ornes. Elle ramassa les plus belles
quelle trouva, puis en se mirant dans les eaux du lac elle
joua a se faonner des coiures de princesses et de sorcires
au gr de son inspiration.
Pendant ce temps-l le Bzou la toute vitesse par
lautre chemin jusqu la maison de la grand-mre. Encore
tout essou il sempressa de frapper la porte.
Mre-grand, cest moi votre petite lle. Je
vous apporte du pain et du beurre, dit-il en
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Le Conte de la Mre-grand
imitant habilement la voix de la llette.
Ma petite, tire la chevillette et la bobinette
cherra, rpondit la grand-mre.
Mais le Bzou ne comprit pas un mot de ce dialecte. Tout
maigre quil tait il neut aucun mal a se glisser lint-
rieur par la chatonire
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et sauta aussitt la gorge de la
grand-mre. Mort de faim, il commena la dvorer sur-
le-champ mais il sarrta rapidement car la llette devait
arriver bientt. Il jeta au feu les habits souills, vida le sang
dans la viasque
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, et sala rapidement la chair avant de la
mettre dans le bueron
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. Il se dguisa ensuite avec une
culotte, un bonnet et les lunettes de la grand-mre puis se
coucha dans son lit.
Le Bzou tait si impatient quil sursauta presque lorsque
la llette frappa la porte.
Mre-grand cest moi, ta petite lle, jap-
porte des pinglettes damour pour faire
mon apprentissage.
Je suis un peu malade mon enfant je ne
peux pas aller touvrir. Passe donc par la
chatonire, dit le Bzou en imitant habile-
ment la voix de la grand-mre.
1. chatire
2. rcipient utilis lors de labattage du porc
3. buet, peut galement signier core
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Le Conte de la Mre-grand
La llette passa ses deux jambes en premier, ce qui ntait
pas une bonne ide car elle accrocha plusieurs fois sa robe
et dut se tortiller de cy et de l dans une saltarelle involon-
taire. Le Bzou en aurait rit a gorge deploye si cela ne lui
avait pas aiguis lapptit.
Tu dois tre fatigue par ce long voyage,
viens donc te coucher et tenir chaud ta
grand, dit-il en se lchant les babines lide
de planter ses canines dans sa chair si blanche
et si frache.
Mre-grand, je meurs de faim et de soif, y
a-t-il quelque chose a cuissonner
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? rpli-
qua la llette.
Quand elle passa devant le lit pour aller planter ses pin-
glettes sur le porte-aiguille, le Bzou fut deux doigts de lui
sauter dessus, mais les formes dlicates et les gestes vifs
de la llette etaient un tel plaisir pour les yeux quil voulut
la contempler ainsi un peu plus longtemps.
Ma petite, pour fter ton arrive jai saign
ma meilleure truie. Tu peux boire le sang
qui est dans la viasque et manger la viande
qui est dans le bueron, lui dit-il, la d-
vorant des yeux aussi discrtement quil le
4. cuire, cuisiner, manger
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Le Conte de la Mre-grand
pouvait.
La llette but un peu de la viasque, puis versa le reste du
sang dans la pole quelle mit sur les braises.
La petite chatte qui tait la, et qui avait tout vu, vili-
penda soudainement la llette haute voix.
Fricon fricasse le sang de ta grantasse !
miaula-t-elle dune voix mprisante.
Mre-grand entendez vous ce que raconte
le vilain minet ? Que cest votre sang qui
fricasse ! t-elle remarquer au Bzou.
Ncoute surtout pas les miaulements de ce
chat infme mon enfant, il na plus toute
sa tte ! dit le Bzou.
Emport par la colre, il prota que la llette ft occupe
couper la viande pour pousser dun coup de pied furtif
la petite chatte dans le feu. Elle se brla la queue sur les
braises et fuit se rfugier sous le bueron dans un miaule-
ment de douleur.
Une fois la viande susamment cuite la llette se servit
le tout dans une assiette, mais peine eut elle commenc a
manger que la petite chatte ne put sempcher de la honnir
de nouveau.
Fricon fricasse les ttons de ta meirinasse !
Miaula-t-elle dune voix casse.
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Le Conte de la Mre-grand
Mre-grand, entendez vous ce que raconte
encore le vilain minet ? que cest votre ti-
tine que je mangeasse ! t-elle remarquer
au Bzou.
Ncoute surtout pas les miaulements de ce
chat maudit mon enfant, il na plus sa tte
pour bien longtemps ! laissa-t-il chapper
de colre.
Mre-grand, jai croqu dans quelque chose
de dur, on dirait une dent pourrie.
Cest un grain de sel mon enfant, cest un
grain de sel, rpondit le Bzou qui avait une
rponse a tout, dpche-toi de nir ton re-
pas et viens te coucher ras moi pour me
rchauer, ajouta-t-il.
La llette termina son repas, sapprocha du lit et com-
mena retirer ses habits.
Mon petit chaperon, mre-grand, o faut-il
mettre mon petit chaperon ? demanda-t-
elle.
Jette-le au feu mon enfant, tu nen as plus
besoin maintenant, rpondit le Bzou.
La llette se tourna vers le feu, y posa son chaperon, puis
continua de se dshabiller.
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Le Conte de la Mre-grand
Et ma chemise, ma robe, mon cotillon, mon
tablier, mon corset, mes chaussettes, et mes
chausses, demanda-t-elle, o faut-il mettre
ma chemise, ma robe, mon cotillon, mon
tablier, mon corset, mes chaussettes, et mes
chausses ?
Jette-les au feu mon enfant, tu nen as plus
besoin maintenant, dit le Bzou qui com-
menait saliver plus que de raison.
Elle les mit au feu au fur et mesure quelle les enlevait,
puis entreprit de baisser sa culotte.
Et ma culotte mre-grand, o faut-il mettre
ma culotte ?
Jette-la au feu mon enfant, tu nen as plus
besoin maintenant, rpta-t-il en haletant.
Elle retira sa culotte et la mit au feu.
Et mes pinglettes cheveux mre-grand,
o faut-il mettre mes pinglettes che-
veux ?
Jette-les au feu mon enfant, tu nen as plus
besoin maintenant, dit-il en laissant chap-
per un grognement dimpatience.
Elle dt sa coiure, jeta les pinglettes dans le brasier,
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Le Conte de la Mre-grand
puis se glissa dans le lit avec un naturel qui t frissonner le
Bzou.
Par quoi allons nous commencer... ? se dit le Bzou qui
hsitait entre une cuisse, une fesse, et une cte.
Oh que votre odeur pue et fouette ma mre-
grand ! Que votre odeur pue et fouette !
scria la llette.
Cest lodeur de vieillesse mon enfant, cest
lodeur de vieillesse, rpondit le Bzou qui
avait une rponse a tout.
Oh que vos oreilles sont grandes et poi-
louses ma mre-grand ! Que vos oreilles sont
grandes et poilouses !
Cest le lot de vieillesse mon enfant, cest
le lot de vieillesse, rpondit-il.
Oh que votre torse est velu ma mre-grand !
Que votre torse est velu !
Cest davoir allait de longues annes mon
enfant, cest davoir allait de longues an-
nes, dit-il.
Oh que votre bedon est touu, ma mre-
grand ! Que votre bedon est touu !
Cest davoir enfant de nombreuses fois
mon enfant, cest davoir enfant de nom-
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Le Conte de la Mre-grand
breuses fois, rtorqua-t-il.
Oh que vos paules sont larges et vos bras
puissants ma mre-grand ! Que vos paules
sont larges et vos bras puissants !
Cest pour mieux tembrasser mon enfant !
Cest pour mieux tembrasser ! dit le Bzou
en la serrant tout contre lui.
Oh que votre bouche est grande et vos
dents pointues ma mre-grand ! Que votre
bouche est grande et vos dents pointues !
Cest pour mieux te croquer mon enfant !
Cest pour mieux te croquer ! ricana-t-il
tout en lui lchant la poitrine.
Oh mre-grand, comme jai envie de faire,
oh comme jai envie de faire ! dit la llette
qui eut une envie soudaine.
Fais au lit mon enfant, fais au lit ! rpondit
le Bzou qui lui mordillait dj le cou.
Je prfre faire au petit coin mre-grand,
je prfre faire au petit coin
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, supplia la
llette.
Bien, mais reviens tout de suite mon en-
5. les toilettes taient spares de la maison car il ny avait pas dgouts
lpoque
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Le Conte de la Mre-grand
fant, surtout reviens tout de suite, dit le
Bzou dune voix doucereuse.
Il prit une bobine de laine qui tait l et attacha le l la
taille de la llette, gardant en main lautre bout an dtre
sr quelle ne senfut pas. Dans sa prcipitation la llette
narriva pas ouvrir la porte dentre, elle plongea alors la
tte dans la chatonire et se faula ainsi lextrieur, o
la petite chatte la rejoignit.
Fuyons llette, courrons a toutes gambettes,
chuchota la petite chatte avant de couper
le l de quelques coups de dents.
La llette senfuit aussitt, sans chausses ni vtement. La
petite chatte quant elle garda le l dans sa gueule an
que le Bzou ne se rende compte de rien.
Tu fais donc des cordes mon enfant, mais
tu fais donc des cordes ? scria plusieurs
fois le Bzou qui simpatientait.
Il nit par trouver le temps long et lorsquil mit le nez
dehors il y vit la petite chatte lcher le l et se rfugier en
haut de larbre.
De rage et de colre, le Bzou dchira son accoutrement
de grand-mre et la plus vite quune tempte a la pour-
suite de la llette. Au loin il vit les laveuses donner la
llette une toge pour se vtir, elles lui tendirent ensuite un
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Le Conte de la Mre-grand
drap au-dessus de la rivire an quelle puisse traverser. Au
prix dun eort qui lui cota la peau des talons et quelques
orteils, le Bzou parvint la rivire au moment o la llette
atteignait lautre rive, mais les laveuses avaient dj com-
menc retirer le drap, et il tomba leau. Ne sachant
pas nager il sagrippa au drap de toutes ses forces mais
le courant tait trs fort et le tissu se dchira, propulsant
parmi les remous de la rivire le Bzou emptr dans son
morceau de drap.
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Les auteurs
Yuma Shinohara
crivain, compositeur, peintre
Yumi Shinohara
Traductrice anglais, franais, japonais
Yumi et Yuma sont deux surs jumelles nes Funabashi (pr-
fecture de Chiba, Japon), leur famille a rapidement dmnag
Hachioji (prfecture de Tokyo), une commune situe entre Tokyo
et le mont Fuji, qui ore lavantage de pouvoir habiter dans la cam-
pagne tout en ayant la possibilit travailler au cur de Tokyo grce
un rseau de chemin de fer dvelopp. Yumi et Yuma habitent
toujours au pied dune petite montagne Hachioji et se ddient a
la cration artistique, que ce soit littraire, musicale ou graphique
pendant leur temps libre. Elles ont toutes deux un travail alimentaire
qui leur permet de ne faire aucun compromis en ce qui concerne
leurs crations. Cest un choix dlibr quelles considrent primor-
dial dans leur recherche artistique dont laxe majeur est ltude de
la nature humaine dans sa vrit gntique et culturelle.