Anemie Sujet Agé
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MOTS CLÉS Résumé L’anémie est une situation pathologique très fréquente en pratique gériatrique.
Anémie ; Pourtant, les études ou les données spécifiques à l’anémie du sujet âgé sont rares. Cet
Vieillard ; article a pour ambition de dresser les grandes lignes de la prise en charge diagnostique et
Bilan étiologique de thérapeutique d’une anémie pour des patients âgés avec une approche pragmatique
l’anémie ;
distinguant des grands cadres nosologiques qui tournent autour des difficultés diagnosti-
Gériatrie
ques, des intrications avec les pathologies associées, ou des étiologies plus volontiers
rencontrées chez le vieillard. Le caractère volontiers multifactoriel d’une anémie en
gériatrie explique à la fois les limites du classique schéma « d’arbre diagnostique » et la
nécessité de suivre ce type de démarche diagnostique rigoureuse.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS
Abstract Anaemia is common in geriatric practice. However, only few studies are devoted
Anaemia; to older patients with anaemia. This paper reviews practical diagnostic approach and
Elderly; treatment of anaemia in the elderly. Indeed, because there are so many causes of
Aetiology of anaemia; anaemia in the elderly, the diagnosis may be challenging, partly due to comorbidities. The
Geriatrics main causes of anaemia in the elderly are reviewed. Since anaemia is frequently
multifactorial in older patients, a diagnostic strategy has to be carefully followed even if
the classical management has some limitations in this particular population.
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pathologie, la fréquente coexistence de plusieurs leur traitement, notamment ceux qui modifient
étiologies et l’intrication de l’anémie avec les mor- l’état d’hydratation du patient. Pour exemple, un
bidités associées nécessitent rigueur et pragma- insuffisant cardiaque décompensé peut être « faus-
tisme dans la démarche diagnostique et thérapeu- sement anémique » avec une Hb à 11 g dl–1 par
tique. Cet article tente de donner des messages hémodilution liée à la réplétion hydrosodée ; le
pratiques pour guider cette démarche. même insuffisant cardiaque peut avoir une Hb
« faussement normale » quand il est déshydraté du
fait d’un traitement diurétique auquel s’ajoute une
Érythropoïèse et définition situation de déplétion hydrique (fièvre, diar-
d’une anémie chez le sujet âgé rhée...). Ainsi pour les patients âgés polypathologi-
ques et polymédicamentés, et surtout pour des
L’érythropoïèse reste normale avec l’âge mais le taux d’Hb peu abaissés, il est utile d’avoir une NFS
vieillissement médullaire se caractérise par une de référence et un ionogramme plasmatique.
réduction des capacités de réserve et donc une
moindre réactivité au stress. Il n’y a pas « d’anémie
sénile » et l’âge ne doit jamais être un facteur Situation d’urgence : anémie aiguë.
limitant au diagnostic étiologique d’une anémie. La Indication transfusionnelle
définition de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) reste utilisable : un sujet âgé est anémique
En dehors des comorbidités, le principal facteur de
quand son taux d’hémoglobine (Hb) est inférieur à
mauvaise tolérance d’une anémie est la rapidité de
12 g dl–1 pour la femme et inférieur à 13 g dl–1 pour
sa constitution. La survenue brutale d’une anémie
l’homme. Toutefois, des études épidémiologiques
ne peut s’expliquer que par deux mécanismes : une
montrent une diminution du taux moyen d’Hb avec
hémorragie ou une hémolyse. La mauvaise tolé-
l’âge pour le sexe masculin ; des facteurs hormo-
rance d’une anémie aiguë n’est pas seulement liée
naux sont proposés, une baisse de testostérone
à l’hypoxie tissulaire rapide qui en découle, mais
entraînant une diminution de la stimulation de
l’érythropoïèse. En pratique, pour un sujet âgé, un aussi à une hypovolémie, voire à un état de choc.4
taux d’Hb à 12 g dl–1 peut être retenu comme la
limite inférieure de la normale dans les deux Pièges gériatriques de l’anémie aiguë
sexes.1
Le piège est le risque de sous-estimer le risque en
ne tenant compte que du chiffre d’Hb. La gravité
Difficultés du diagnostic positif d’une anémie dépend plus de sa mauvaise tolé-
d’une anémie du sujet âgé rance que du taux d’Hb. Ce précepte, valable à tout
âge, est d’autant plus pertinent que le patient est
Les signes « classiques » d’une anémie sont souvent âgé et porteur de pathologies susceptibles de se
pris en défaut. La pâleur cutanée est souvent notée décompenser. Ainsi, une aggravation de cardiopa-
dans le grand âge sans que le sujet soit anémique ; thie ischémique peut survenir pour un taux d’Hb à
la tachycardie peut être masquée par un traite- 10,5 g dl–1 qui n’est pas, en soi, un chiffre alarmant.
ment bradycardisant, bêtabloquant par exemple ; Rappelons la diversité symptomatique « d’em-
une asthénie ou une dyspnée peuvent être très prunt » que peut revêtir la mauvaise tolérance
tardives si le patient a une limitation importante de d’une anémie aiguë. La méconnaissance de cette
son activité physique. particularité gériatrique entraîne souvent des er-
La fréquence de la symptomatologie d’emprunt rances diagnostiques, très péjoratives dans cette
est très spécifiquement gériatrique.2 Une anémie situation d’urgence.
peut ainsi être le facteur décompensant une patho- Insistons aussi sur l’évaluation de l’état d’hydra-
logie cardiovasculaire, mais aussi neurovasculaire tation dans cette situation. Il n’est pas rare que
ou neurodégénérative.3 Des malaises et chutes, une l’anémie aiguë passe inaperçue pendant les pre-
confusion, voire des manifestations psychiatriques mières heures, voire les premiers jours d’une hos-
ou des déficits neurologiques focaux peuvent alors pitalisation, par surestimation du taux d’Hb en cas
être des circonstances de découverte et les seuls de déshydratation associée.5
signes d’une anémie. La numération-formule san- Une anémie aiguë du sujet âgé, avec signes de
guine (NFS) doit donc faire partie du bilan de très mauvaise tolérance, impose l’hospitalisation no-
nombreuses situations pathologiques du sujet âgé. tamment pour pratiquer une transfusion. L’indica-
L’interprétation même du taux d’Hb peut poser tion transfusionnelle est liée à l’appréciation clini-
des problèmes en fonction des comorbidités et de que, qui doit prendre en compte toutes les
528 E. Pautas et al.
pathologies d’un patient âgé anémique. Seule cette tardé chez un sujet âgé. Il survient la plupart du
démarche clinique rigoureuse, principalement axée temps chez un patient traité par anticoagulant
sur les pathologies cardiovasculaires et neurologi- ou, plus rarement, par antiagrégant plaquet-
ques, permet de ne pas sous-estimer un risque taire ;
fonctionnel, voire un risque vital. Ainsi, il n’est pas • après une chute, un volumineux hématome
rare de transfuser un patient âgé décompensant sous-cutané peut être sous-estimé par un exa-
une cardiopathie ischémique (signes cliniques, élé- men rapide. Il entraîne parfois une spoliation
vation des enzymes cardiaques, ou signes ischémi- sanguine importante ;
ques aigus à l’électrocardiogramme) pour un chif- • une hémorragie digestive peut être méconnue
fre d’Hb supérieur à 10 g dl–1. On peut – voire on du fait d’un ralentissement important du tran-
doit – transfuser un patient âgé en œdème aigu du sit. Le toucher rectal doit être systématique,
poumon (OAP) si l’anémie est considérée comme le aussi bien pour objectiver un méléna que pour
facteur déclenchant de la décompensation cardia- rechercher un fécalome. En effet, les stigmates
que ; la transfusion est alors « le » traitement de l’hémorragie peuvent être « bloqués » en
étiologique de l’OAP. Le bénéfice fonctionnel du amont d’un fécalome.
culot globulaire dépasse largement le rôle délétère
de la « surcharge » volémique (qui sera facilement Anémie hémolytique du sujet âgé
contrôlée par l’utilisation concomitante d’un diuré-
tique d’action rapide). Si le mécanisme aigu de Elle est macro- ou normocytaire, habituellement
l’anémie est suspecté ou confirmé chez ces pa- très régénérative (réticulocytes > 150 000 mm–3).
tients fragiles, il arrive même d’anticiper une L’examen clinique a une valeur d’orientation : an-
baisse brutale de l’Hb et de limiter le risque de técédents personnels ou familiaux d’hémolyse, ori-
décompensation par une transfusion « préven- gine géographique du patient et de sa famille,
tive », en visant par exemple un taux d’Hb de recherche d’un ictère et d’une splénomégalie. Mais
« sécurité » à 10-11 g dl–1. le diagnostic d’hémolyse est biologique : haptoglo-
bine effondrée, bilirubine libre élevée, low density
lipoproteins (LDH) habituellement élevées. Le frot-
Anémies régénératives tis est systématique car il peut orienter vers la
cause de l’hémolyse en notant des anomalies mor-
Le caractère régénératif d’une anémie est défini phologiques des hématies, principalement pré-
par une réticulocytose supérieure à 120 000 mm–3. sence de schizocytes stigmate d’une hémolyse mé-
Une anémie régénérative est le plus souvent macro- canique.
cytaire, le volume globulaire augmentant du fait de La plupart des anémies hémolytiques (AHAI) du
l’accélération de l’érythropoïèse. Mais cette sujet âgé sont d’origine auto-immune, leur diagnos-
macrocytose peut être masquée par l’association à tic reposant sur le test de Coombs direct. La patho-
une autre cause d’anémie, situation fréquente chez logie associée à rechercher est une hémopathie
le sujet âgé. lymphoïde et, en premier lieu, une leucémie lym-
La découverte d’une anémie dont on ne connaît phoïde chronique. Une maladie des agglutinines
pas l’ancienneté doit faire pratiquer une numéra- froides (apparentée aux proliférations lymphoïdes
tion réticulocytaire. Jusqu’à preuve du contraire, monoclonales), une infection à mycoplasme, une
une réticulocytose doit être considérée comme le infection virale (virus zona-varicelle, hépatite vi-
signal d’alarme d’une anémie aiguë par hémorragie rale) peuvent être citées. Un mécanisme auto-
ou hémolyse. Elle n’apparaît cependant qu’après immun d’origine médicamenteuse est possible avec
quelques jours (délai de régénération médullaire) l’alpha-méthyldopa dont l’utilisation est devenue
et son absence ne doit pas faire conclure trop vite à rare, mais la L-dopa est citée comme possible res-
l’absence d’élément aigu pour cette anémie. ponsable du même mécanisme d’AHAI. Enfin l’AHAI
reste « idiopathique », dans environ 50 % des cas.
Anémie par hémorragie aiguë La découverte d’une anémie hémolytique méca-
nique n’est pas exceptionnelle. La présence de
Chez le patient âgé comme chez l’adulte jeune, schizocytes sur le frottis est très évocatrice. On
une hémorragie aiguë est le plus souvent évidente peut schématiquement séparer les microangiopa-
quand elle s’extériorise. Trois situations « pièges » thies thrombotiques satellites de cancers dissémi-
sont cependant assez fréquentes en gériatrie pour nés ou de sepsis graves, et l’hémolyse mécanique
les individualiser : sur obstacle (prothèse valvulaire cardiaque, valvu-
• un hématome profond, notamment rétropérito- lopathie très calcifiée). L’obstacle entraînant sur-
néal, est un diagnostic souvent difficile et re- tout une hémolyse chronique à bas bruit, la surve-
Anémie du sujet âgé 529
Figure 1 Arbre diagnostique des anémies arégénératives du sujet âgé. VGM : volume globulaire moyen ; CRP : protéine C réactive ;
TSH : thyroid stimulating hormone ; Hb : hémoglobine ; TSH : thyroid stimulating hormone.
530 E. Pautas et al.
expérience, la réalisation dans le même temps Le seul traitement est celui de la cause de l’in-
d’endoscopies haute et basse couplées est le plus flammation. L’apport de fer est inutile.
souvent possible et rentable.6 Il faut être prudent
avant de rapporter une carence martiale à des Anémies des pathologies générales
diagnostics endoscopiques peu concluants (hernie
hiatale non compliquée, gastrite érythémateuse, Ce sont des anémies arégénératives normocytaires
diverticules sans signe de saignement...), et savoir ou modérément macrocytaires, résultant de méca-
pousser les investigations ; on peut mettre l’accent nismes divers, pas toujours élucidés. Leur fré-
sur le diagnostic difficile d’un cancer du côlon droit quence chez le sujet âgé est difficile à préciser car
ou d’angiodysplasies coliques en cas de coloscopie leurs étiologies sont souvent associées chez un
incomplète ou avec préparation imparfaite. La même patient.
prise d’aspirine ou d’anti-inflammatoires non sté-
roïdiens reste fréquente et peut être responsable Insuffisance rénale chronique
de lésions étagées sur tout le tube digestif. Le mécanisme principal de l’anémie est une insuf-
La correction de la carence doit être suffisante fisance de production médullaire liée à la diminu-
(100 à 200 mg j–1 de sels ferreux per os pendant au tion de synthèse de l’érythropoïétine (EPO) par le
moins 3 mois). Son efficacité doit être contrôlée rein. Le traitement par EPO a radicalement changé
par NFS et bilan martial à l’issue du traitement, la prise en charge des insuffisants rénaux chroni-
pour détecter un arrêt prématuré (prévenu par une ques et il n’y a aucune raison de priver les patients
information sur les effets secondaires digestifs), la âgés de cette avancée. Le problème est de définir
poursuite du saignement causal, ou une malabsor- son indication en fonction du degré d’insuffisance
ption du fer. rénale chronique (IRC) et du retentissement sur le
taux d’Hb. Rappelons que l’évaluation d’une IRC
Anémie inflammatoire implique d’estimer la clairance de la créatinine
(formule de Cockcroft) et qu’il ne faut pas se
Le syndrome inflammatoire peut résulter de patho- « contenter » de la créatininémie, très mauvais
logies multiples : infection bactérienne, néoplasie, reflet de la fonction rénale du sujet âgé. Une
pathologie auto-immune. La physiopathologie de clairance de la créatinine inférieure à 30 ml min–1
l’anémie inflammatoire est complexe, mais deux est habituellement retenue pour considérer l’IRC
mécanismes dominent : les anomalies du métabo- comme responsable d’une anémie, et un taux d’Hb
lisme du fer (présent en quantité normale) et l’inhi- < 10 g dl–1 implique une IRC majeure avec une
bition de l’érythropoïèse. Quand elle est purement clairance de la créatinine de l’ordre de 15-
inflammatoire, l’anémie est habituellement modé- 20 ml min–1. La décision d’instituer l’EPO dépend
rée (Hb rarement inférieur à 9 g dl–1), avec un aussi des comorbidités, pour leur pronostic propre
parallélisme entre taux d’Hb et intensité ou durée et pour leur rôle dans la mauvaise tolérance éven-
du syndrome inflammatoire ; elle est initialement tuelle de l’anémie chronique.
normocytaire puis modérément microcytaire.
Le problème diagnostique le plus fréquent en Maladies endocriniennes
gériatrie est son association avec une carence fer- L’hypothyroïdie s’accompagne, dans environ 50 %
rique.7 On peut citer quelques situations : rhuma- des cas, d’une anémie souvent discrètement
tisme inflammatoire traité par anti-inflammatoire, macrocytaire, qui régresse avec son traitement.
néoplasie digestive responsable des deux mécanis- L’anémie est plus rare mais possible dans l’hyper-
mes, ulcère de stress secondaire à la pathologie thyroïdie. L’anémie est rarement le mode de dé-
responsable de l’inflammation... Les perturbations couverte unique de la dysthyroïdie mais la fré-
du bilan martial sont alors d’interprétation difficile quence des pathologies thyroïdiennes dans le grand
car « mixtes » : la ferritinémie peut être normale âge rendent le dosage de la thyroid stimulating
voire élevée alors que les réserves de fer sont hormone (TSH) logique dans le bilan d’une anémie
basses. Il faut savoir, devant un syndrome inflam- du sujet âgé.
matoire un peu prolongé et intense, s’étonner Une insuffisance antéhypophysaire, éventualité
d’une ferritinémie normale. La conduite à tenir la rare mais possiblement sous-estimée, est de dia-
plus pragmatique est de traiter la cause de l’in- gnostic clinique très difficile en gériatrie. Les ano-
flammation quand c’est possible et de contrôler le malies biologiques, dont l’anémie, sont souvent les
bilan martial à distance. Un nouveau marqueur, le seuls éléments permettant d’évoquer le diagnostic.
récepteur soluble de la transferrine, qui augmente Nous avons déjà évoqué le rôle stimulateur des
spécifiquement en cas de carence martiale, pour- androgènes sur l’érythropoïèse ; chez l’homme,
rait prochainement être de pratique courante. l’hypogonadisme secondaire à une castration chi-
Anémie du sujet âgé 531
rurgicale ou chimique (plus que celui lié au vieillis- folique de l’organisme sont faibles, de l’ordre de
sement physiologique) peut être responsable d’une quelques semaines. Les malabsorptions s’accompa-
anémie chronique. gnent généralement d’autres carences, l’alcoo-
lisme méconnu doit être évoqué, une hémolyse
Dénutrition chronique responsable d’une surconsommation est
La dénutrition protidocalorique est fréquente généralement connue. Enfin, certains médica-
dans le grand âge, même chez les sujets vivant au ments interférant avec le métabolisme de l’acide
domicile. Elle est quasiment constante chez les folique doivent être recherchés : barbituriques,
patients âgés hospitalisés pour une pathologie hydantoïnes, cotrimoxazole, triamtérène.
aiguë. Sa responsabilité dans une anémie est diffi- L’administration quotidienne de 5 à 15 mg de
cile à affirmer car elle s’accompagne volontiers de Spéciafoldine® pendant 2 mois est suffisante pour
carences vitaminiques et une pathologie sous- refaire les réserves, mais peut être prolongée si la
jacente peut participer à la fois à la dénutrition et cause de la carence persiste.
à l’anémie. La correction d’une dénutrition peut
cependant entraîner une augmentation du taux Carence en vitamine B12
d’Hb. Les étiologies de carence en vitamine B12 du sujet
âgé sont différentes de celles du sujet jeune.8 La
Intoxication alcoolique chronique maladie de Biermer, de loin première cause chez
Cette éventualité ne doit pas être négligée dans le l’adulte jeune, paraît moins fréquemment en
grand âge où l’addiction alcoolique reste un pro- cause. La gastrite atrophique, pathologie dont la
blème. L’alcool a une toxicité médullaire propre. prévalence augmente avec l’âge (jusqu’à 40 % des
De plus, l’alcoolisme entraîne très fréquemment sujets de plus de 80 ans), s’accompagne d’une
une carence en folates et une dénutrition. Une malabsorption de la vitB12 et semble une cause
éventuelle insuffisance hépatique peut se compli- fréquente de carence. Une carence alimentaire ne
quer de saignements digestifs ou expliquer une part peut classiquement pas survenir du fait de réserves
d’hémodilution. dans l’organisme pour plusieurs mois, voire années,
mais cette éventualité existe chez les sujets âgés.
Anémies mégaloblastiques Dans notre pratique, une fibroscopie gastrique pour
chercher une complication d’un Biermer et objec-
Elles sont pratiquement caractéristiques d’une ca- tiver la gastrite atrophique, le dosage des anticorps
rence en vitamine B9 (folates) ou en vitamine B12 antifacteur intrinsèque et anticellules pariétales
(vitB12). Ce sont des anémies souvent franchement gastriques, et une enquête nutritionnelle permet-
macrocytaires avec mégaloblastose médullaire. tent généralement de proposer une cause à une
Leur installation est habituellement progressive, carence en vitB12.
expliquant leur tolérance et leur découverte de- Quelle que soit cette cause, le traitement diffère
vant des taux d’Hb parfois très bas, même chez le peu car il faut le plus souvent une supplémentation
sujet âgé. à vie (une injection trimestrielle de 1 000 lg d’hy-
Les dosages sériques permettent le diagnostic, droxocobalamine suffit).
mais il faut connaître leurs limites : un taux bas de
vitB12 ou de folates est fréquemment noté en l’ab- Syndromes myélodysplasiques
sence d’anémie, des valeurs normales de vitB12
n’éliminent pas formellement une carence.8 Le Les syndromes myélodysplasiques (SMD) forment un
myélogramme, seul examen affirmant la mégalo- groupe d’affections hématologiques ayant en com-
blastose, n’est habituellement pas utile au diagnos- mun l’existence d’une ou plusieurs cytopénie(s)
tic. Il se justifie si on suspecte un syndrome myélo- périphérique(s), la présence d’anomalies morpho-
dysplasique en cas d’inefficacité de la logiques des cellules de la lignée myéloïde, une
supplémentation vitaminique ou si l’anémie est tendance à la transformation en leucémie aiguë
associée à une autre cytopénie périphérique. myéloïde. Les SMD s’observent essentiellement
après 60 ans, avec un pic de fréquence entre 70 et
Carence en folates 80 ans, et représentent donc une des hémopathies
La prévalence de cette carence est de 10 à 20 % les plus fréquentes en gériatrie.9 Récemment, une
chez le vieillard au domicile, plus fréquente en classification OMS a remplacé la classification FAB
institution, et elle est notée chez plus de 50 % des qui datait de 1982. La classification OMS repose
patients âgés hospitalisés. principalement, comme la précédente, sur des cri-
La carence alimentaire est sa première cause tères cytologiques, mais intègre des données cyto-
dans la population âgée car les réserves en acide génétiques.10 Le Tableau 1 présente ces critères de
532 E. Pautas et al.
Tableau 1 Critères diagnostiques cytologiques et cytogénétiques des syndromes myélodysplasiques selon la classification de
l’Organisation mondiale de la santé. Éléments pronostiques.
Critères OMS cytologiques et cytogénétiques Ordre d’idée du
Sang Moelle pronostic Médiane
Blastes (%) Monocytes (/mm3) Sidéroblastes de survie (mois)
en couronne (%)
AR <1 Rares Blastes < 5 % < 15 30 à 50 (et +)
Dysérythropoïèse
exclusive
ARS <1 Rares Blastes < 5 % 15 35 à 65 (et +)
CR <1 Rares Blastes < 5 % Variable Moindre que dans AR
et ARS
Dysmyélopoïèse au
moins 2 lignées
AREB <5 Rares Blastes 5 à 20 % Variable 10 à 20
Syndrome 5q- <5 Dysmégacaryopoïèse < 15 Bon pronostic
Délétion isolée du 5q
Forme frontière
SMD/SMP
LMMC > 1 000 Blastes 1 à 20 % Variable 15 à 20
Les blastes médullaires > 20 % définissent la leucémie aiguë. AR : anémie réfractaire ; ARS : anémie réfractaire sidéroblastique ;
CR : cytopénie réfractaire ; AREB : anémie réfractaire avec excès de blastes ; SMD : syndrome myélodysplasique ; SMP : syndrome
myéloprolifératif ; LMMC : leucémie myélomonocytaire chronique.
manière synthétique. Compte tenu de son faible nécessite d’emblée des examens biologiques qui
retentissement thérapeutique chez la plupart des peuvent paraître nombreux (Fig. 1) mais qui peu-
patients âgés, le caryotype n’est habituellement vent éviter la réalisation d’examens complémentai-
pas proposé. res inutiles, coûteux ou invasifs. La phase initiale
Le diagnostic de SMD est le plus souvent évoqué de cette démarche peut et doit être réalisée en
devant une anémie normo- ou macrocytaire de ambulatoire, hormis dans les situations d’urgence.
découverte fortuite, isolée dans la moitié des cas ; Les situations complexes par l’intrication des
dans l’autre moitié des cas, elle s’accompagne causes, ou des situations nécessitant des examens
d’une thrombopénie ou d’une neutropénie. complémentaires ou des thérapeutiques moins
Le traitement est le plus souvent symptomatique « accessibles », peuvent d’emblée justifier un avis
sous forme d’un support transfusionnel prolongé spécialisé. Mais il faut retenir que des études, au
dont une des complications est l’hémochromatose cours desquelles le bilan étiologique d’une anémie
post-transfusionnelle. Le rythme transfusionnel, chez un sujet âgé est considéré comme « exhaus-
dépendant de la tolérance de l’anémie et de l’évo- tif », ne concluent pas formellement sur la cause
lutivité de l’hémopathie, est un élément pronosti- dans 15 à 20 % des cas. La connaissance parfaite des
que. pathologies du patient âgé, alliée au bon sens clini-
que, permettent alors de décider d’une conduite à
tenir « éclairée ».
Conclusion
5. Pautas E, Alexandra JF, Siriwardana M, Coulon E, Siguret V, 8. Pautas E, Chérin P, De Jaeger C, Godeau P. Carence en
Gouin I. État d’hydratation extra-cellulaire et taux vitamine B12 chez le sujet âgé. Presse Med 1999;28:1767–
d’hémoglobine chez des patients âgés admis en court- 70.
séjour. Rev Gériatr 2003;28:799–802.
9. Pautas E, Gaillard M, Chambon-Pautas C, Siguret V,
6. Magnier G, Pautas E, Bornand-Rousselot A, Durand-Gasse-
Andreux JP, Gaussem P. Les syndromes myélodysplasiques.
lin B, Saint-Jean O. Faisabilité, tolérance et intérêt de la
Diagnostic et prise en charge des patients de plus de 70
gastroscopie et coloscopie couplées chez le sujet de plus
ans. Presse Med 1999;28:1771–8.
de 80 ans. Rev Gériatr 1998;23:885–90.
7. Chaibi P, Merlin L, Ourad W, Thomas C, Bussy C, Piette F. 10. Ugo V. Nouvelle classification OMS des syndromes myélo-
Conduite à tenir devant une anémie chez un sujet âgé. Rev dysplasiques. Ses conséquences. Pathol Biol 2002;50:
Gériatr 2003;28:57–68. 278–82.