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Serge PORTELLI



RUPTURES






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Serge Portelli, mars 2007
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Table des matires



INTRODUCTION _________________________________________________________________________ 4
Chapitre premier FAUX BILAN _____________________________________________________________ 7
Chapitre II LA PRISON COMPULSIVE ______________________________________________________ 18
Chapitre III JUSTICE AUTOMATIQUE______________________________________________________ 28
Chapitre IV MINEURS DLINQUANTS. LE DBUT DE LA BARBARIE?_________________________ 36
Chapitre V SIMPLE, INEFFICACE ET DANGEREUX : TOURNER LA PAGE DE LA RCIDIVE ___ 47
Chapitre VI LE TRAITEMENT CHIMIQUE, CEST PAS AUTOMATIQUE_________________________ 52
Chapitre VII LE NOUVEL ASILE PNITENTIAIRE ___________________________________________ 57
Chapitre VIII LA CHASSE AUX ETRANGERS ________________________________________________ 65
Chapitre IX LINSTRUMENTALISATION DES VICTIMES _____________________________________ 72
Chapitre X UNE SOCIT SOUS TRS HAUTE SURVEILLANCE _______________________________ 76
Chapitre XI POLICE DE GARDE A VUE _____________________________________________________ 83
Chapitre XII LA JUSTICE, MAILLON FAIBLE DE LA CHANE PNALE?______________________ 90
Chapitre XIII LES VRAIES RUPTURES______________________________________________________ 95
CONCLUSION LES DEUX FRANCES ______________________________________________________ 100



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INTRODUCTION
La force sans la justice est tyrannique



Dbut 2007, au moment dlire le futur Prsident de la Rpublique en France, lun des dbats
importants est, une nouvelle fois, celui sur la scurit. En 2002, alors que la gauche tait au
pouvoir et quelle devait rendre compte de son action, cette question tait mme au coeur de la
campagne. Tel nest pas le cas aujourdhui. Les mdias semblent moins friands de rapporter
ces affaires de violences individuelles ou collectives qui avaient pourtant fait la une de
beaucoup de journaux tlviss il y a cinq ans, non sans consquence sur le rsultat de
llection dailleurs. La matire est aujourdhui pourtant identique, plus dense mme, puisque
ces violences nont cess de saggraver. On ne peut que se rjouir de voir dautres sujets
animer la campagne: lemploi, le logement, le pouvoir dachat, les impts, la dette extrieur, la
place du citoyen dans la Rpublique, le sort des minorits, la place de la France dans le
monde... Mais dans une socit o lmotion et limage sont reines, o la pense gagne
ressembler un slogan, o les petites phrases remplacent les vraies paroles, o la peur de
lautre est sans cesse alimente, linscurit est ncessairement au rendez-vous de llection.
Et ce dbat mrite peut-tre plus que quelques chiffres auxquels personne ne peut croire ou
quelques formules jetes au hasard dun fait divers. Mais comme dhabitude les solutions les
plus dmagogiques risquent de fleurir sur le terreau du crime. En dmocratie la saison du vote
voit clore des fleurs lgres, de deux ou trois ptales au plus, les simples, les faciles, les
rapides. On en fait des bouquets clatants mais phmres. Et les plus belles couleurs sont
encore celles des fleurs du mensonge.

Nous risquons donc voir les lecteurs sollicits par une srie de crimes et de dlits mdiatiss,
dforms, exploits sans le moindre recul, pour attiser langoisse ordinaire et attirer le chaland
vers une rpression toujours plus forte, plus dure, plus implacable, plus borne. Tenir un
discours argument, laissant place au doute, reposant sur un raisonnement plutt que sur une
affirmation relve alors de lexploit.

Il faut nanmoins tenter de relever ce dfi et affronter franchement le problme de linscurit
car ses enjeux sont bien plus vastes quil ny parat et dpassent de fort loin le cadre dune
consultation lectorale, si importante soit elle. Cest la conception de lindividu et le sens
dune socit qui se jouent l. Il faudra bien quelques voix pour le dire: la lutte contre la
dlinquance exige dabord une analyse rigoureuse, scientifique et patient. Aussi bien dans
lapproche globale de la criminalit que dans son approche individuelle, au cas par cas,
niveau dhomme. Cette lutte permanente passe par lutilisation de mthodes efficaces mais
aussi soucieuses de la dignit de lhomme et garantissant les liberts publiques. Vivre en
scurit exige quon respecte la victime comme le dlinquant. La peine doit imprativement
avoir un sens, car punir est une science et non un rflexe: lutter contre toutes les formes de

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violence exige de mobiliser toutes les formes de lintelligence et toutes les forces de la socit.
On ne se dbarrasse pas de la criminalit, on la traite. On ne tourne pas la page, on la lit
dabord.

La tentation est grande, sur ce sujet, de personnaliser le dbat et de le rduire une simple
discussion des propositions du ministre-candidat, Nicolas Sarkozy. Hraut indfectible et
parfois pathtique dune politique scuritaire tous azimuts, il occupe, grce un marketing
politique indit et une couverture mdiatique sans prcdent, une place majeure dans ce dbat.
Discuter, aujourdhui, son action et son programme est donc ncessaire - et nous tenterons de
le faire mthodiquement -, mais cet ouvrage nest en aucun cas un livre contre lintress.
Car si lhomme essaie par tous les moyens de personnaliser le dbat, il serait stupide et vain
de sen prendre au personnage, ni diable, ni ange, en oubliant de plus quil nest pas apparu par
hasard, quil correspond ncessairement lune des volutions profondes de notre socit et
quune bonne partie de la population partage ses ides. Le mme dbat a eu lieu lors de
prcdentes lections, tout aussi vif. Il se reposera lavenir dans tous les mmes
circonstances. Limportant nest donc pas Nicolas Sarkozy en tant que tel. Ce qui compte et ce
qui restera, cest la confrontation sur des ides et des valeurs o cet homme incarne
simplement loption la plus farouchement conservatrice.

Prenons donc acte de cette volution: la politique de scurit a pris une place de premier rang
dans lordre politique contemporain. De mauvaises raison y conduisent, mais dexcellentes
aussi. Lexigence croissante de scurit est une ralit. Peu importe que nous vivions, en
Europe du moins, dans des socits infiniment moins violentes quil y a quelques sicles. Nos
contemporains sont assez peu sensibles aux volutions historiques. Ce qui compte, juste
titre, cest de pouvoir, aujourdhui et ici, vivre paisiblement, le plus loin possible de la
violence et des agressions de toute sorte. Ltat doit prendre prioritairement cette revendication
en charge. Mais une autre raison, tout aussi puissante, milite dans le mme sens: cest que la
bataille permanente pour les liberts se joue aussi loccasion de cette lutte contre la
dlinquance. Cette constatation peut fcher ou surprendre mais elle est indiscutable. Les
citoyens comprennent mieux largument lorsque des innocents sont pris
malencontreusement dans le pige de la justice. Tout un pays se demande alors comment ces
lois censes ne jouer que contre le crime et ne concerner que ce monde a priori tranger des
dlinquants, peut broyer des tres ordinaires, vivant paisiblement la vie de tout un chacun.
Comment monsieur tout-le-monde peut-il voir subitement, sur un coup de d, sa vie basculer
dans un enfer? Outreau a fait frmir en France. Il est apparu clairement, tous ceux qui
vitaient dy penser, que linscurit pouvait aussi rsulter de lois mal faites, de dcisions mal
prises, ou mme du fonctionnement techniquement correct dinstitutions au sein desquelles les
liberts essentielles ntaient pas suffisamment garanties. Montaigne disait il y a prs de cinq
sicles: combien ai-je vu de condamnations plus crimineuses que le crime? (Essais, III, 13).
Lhistoire nous a, l, violemment rattraps. Et chacun de comprendre, le temps de lmotion
du moins, quen dmocratie, le seul souci de la scurit ne suffisait pas fonder une politique.
On croit lutter contre le crime, on entasse des lois rpressives, on supprime des garanties, on
rogne des liberts et cest la dmocratie quon tue petit feu. A Rome les hommes libres se
croyaient labri lorsque la torture sest applique au monde lointain des esclaves mais cette
procdure a fini par gangrener tout le systme. Elle a fini par sappliquer eux et cest la
Rpublique qui fut mise la question.

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Dans le domaine de la scurit, personne ne peut se targuer de dtenir de solutions miracles et
les donneurs de leon devraient se faire rares, les checs tant plus bavards que quelques
incertaines russites. Nous sommes pourtant confronts un programme scuritaire, dclin
par Nicolas Sarkozy avec un aplomb magistral, bard de chiffres impressionnants et de
certitudes absolues, bourr de solutions simples, dbarrass de toutes ces subtilits qui
obscurcissent le discours et compliquent laction. Ce programme, essentiellement fond sur la
prison, sadresse immdiatement et agrablement notre cortex primaire. Il prsente cet
avantage de procurer des sensations fortes, ds les premiers instants de lcoute: il assouvit la
soif de vengeance, la rage de punir, il procure en un minimum de temps la jouissance simple
dappliquer simplement des ides simples. Mais les suites sont moins exaltantes. Le danger est
la minute daprs, celle o lon se prend rflchir. Et pire, lheure suivante, o lon mesure
les dgts. Lun des buts de cet ouvrage est danalyser ce programme scuritaire ds prsent,
avant quil ne soit trop tard, en profitant dune chance inoue: il est dj en oeuvre depuis cinq
ans par son auteur, sans quil soit question l dune quelconque rupture, si ce nest la volont
affirme daller encore plus loin, au-del de ce que la droite classique a accept.

Ds lors, ces questions peine esquisses, vont se poser cruellement. Quelle place reste-t-il
pour les liberts si lindividu est prisonnier ds son plus jeune ge dun destin auquel il ne peut
chapper? Dj surveill, bientt fich, poursuivi indfiniment par son pass, interdit doubli,
sanctionn au premier cart, limin automatiquement au second, suivi pas pas jusqu la fin
de ses jours, cet homme qui a failli, quelle possibilit lui reste-t-il dvoluer, de changer,
quand tout va lui rappeler quil ne vaut que par ses actes qui le talonneront en permanence?
Quelle est cette socit do toute tolrance est officiellement bannie? O lon ne laisse rien
passer, du moins aux plus dfavoriss? Qui veut de ce carcan touffant et rigide qui mconnat
la vie, ses surprises, ses renouveaux, ses embellies?
La vision simpliste du dlinquant quon nous propose est le pendant de celle du citoyen
moderne qui se profile. Lavenir appartient lhomme qui se lve tt, lhomme sr de lui,
l homme qui choisit, lhomme qui russit, lhomme qui mrite. Si lexaltation du travail et de
lexcellence sont si forte, cest que lautre bout de la chane, celui qui a failli, le dlinquant,
lhomme sans mrite, doit tre chti sans piti. Il sagit de refuser toute excuse, le mot est
choisi expressment au-del de son sens rel, de refuser en fait toute comprhension. Car
limposture est de faire croire que comprendre empche de sanctionner: le dlinquant,
suffisamment averti par la loi, agissant en toute connaissance de cause, na pas droit un
quelconque amnagement.

Une autre politique est possible qui nous fasse vivre rellement en scurit. Elle passe par
lanalyse, la rflexion, la prise en compte de lextrme complexit de la dlinquance. Elle ne
propose pas de solutions simples ou uniformes mais fait appel ce quil y a de meilleur chez le
citoyen, sa responsabilit. Cest que nous tenterons davancer chacun des chapitres de cet
ouvrage. Une alternative est possible qui russisse allier dune part la scurit, le soin des
victimes, lefficacit de la sanction, de lautre lhumanit, le respect des liberts et des droits
de lhomme.


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Chapitre premier
FAUX BILAN
Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-mme falsifies, Churchill.


La consigne

Les responsables de la police et de la gendarmerie devront travailler en fonction dobjectifs
prcis et seront valus en permanence. De leurs rsultats dpendra leur carrire. La
machine faire baisser les chiffres de la dlinquance est en marche depuis le premier jour. Ds
juillet 2002 la consigne est claire. Svre aussi. La philosophie densemble porte un nom, la
culture du rsultat que le ministre explicite dans son ouvrage: avec lobsession du terrain, la
culture du rsultat fut la seconde rgle que je nous fixais en prenant la responsabilit du
ministre de lIntrieur. Jexigeai davoir chaque soir un tat rcapitulatif des statistiques de
la dlinquance et de limmigration. Je dcidai de les publier chaque mois, afin que nos
rsultats soient vrifiables et connus de tous. Je crai les runions 3+3": chaque mois, je
recevais les trois prfets dont les rsultats taient les meilleurs et les trois prfets dont les
rsultats taient les plus mauvais; les premiers pour les fliciter, les seconds pour comprendre
et les aider progresser (Tmoignage, Nicolas Sarkozy, XO Editions, p 32).

Chaque jour, donc, depuis 2002, policiers et gendarmes se rveillent avec cette double
exigence. La premire, celle de toujours, la leur: assurer la paix publique, lutter contre la
dlinquance. La seconde, celle du moment, celle du ministre et futur candidat, celle qui fera ou
dfera leur carrire et qui tient du casse-tte chinois: faire baisser le nombre des infractions,
tout en augmentant celui des interpellations. Cest ainsi quaprs cinq ans de lutte acharne
contre la vrit, puisante pour les forces de lordre, mais totalement inefficace dans la ralit
que chaque citoyen peut constater, le bilan officiel a pu tre firement claironn. Avant moi, le
chaos. Depuis moi, la paix. De faon plus arithmtique cela donne, le 11 janvier 2007: je le
dis sans ambages: je suis fier des rsultats obtenus par les policiers et les gendarmes dans
notre pays... la scurit a progress, la peur a recul...Alors que la dlinquance avait
augment de 17,8% entre 1997 et 2002, elle a baiss de 9,4% depuis 2002. Cela veut dire que,
depuis 2002, plus de 1.153.000 victimes ont t pargnes.

Nous ne savons pas grand chose de la criminalit relle

Avant de discuter plus avant ces chiffres tonnants, il est ncessaire den passer par cette vrit
lmentaire: la dlinquance relle, personne ne la connat vraiment. Chacun croit - entretenu
soigneusement dans cette ide - que la criminalit se mesure facilement, comme on mesurerait
la hauteur changeante dun fleuve, ou quon comptabiliserait le nombre de voitures la sortie
dune chane de montage. Le ministre de lintrieur publie dailleurs doctement la progression
de la dlinquance mois par mois, au centime de pourcentage prs. Dans toute statistique,

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linexactitude du nombre est compense par la prcision des dcimales, souriait Alfred
Sauvy.
Il serait plus honnte de dire au citoyen que la dlinquance est, en ltat, difficile
apprhender et que sa progression impossible calculer. Une masse salariale, le poids des
impts, une population sont des domaines qui se prtent assez facilement au comptage mme
sil existe, comme pour toute activit humaine, une part derreur invitable. Mais les crimes et
les dlits, eux, ont moins dvidence que la naissance dun homme, que ltablissement dune
feuille dimpt ou la cration dun produit manufactur. La majeure partie des crimes et des
dlits chappe aux les statistiques officielles! Cette proposition, assez incroyable quand on
lcoute pour la premire fois, nous pouvons pourtant la vrifier nous-mmes,
exprimentalement, en regardant rapidement autour de nous, ou en nous penchant sur notre
pass. Combien de fois navons-nous pas renonc dposer plainte? Quand notre compagnie
dassurance ou ladministration ne nous contraint pas le faire, bien souvent, nous vitons
daller perdre notre temps au commissariat ou la gendarmerie. Mme des violences passent
inaperues: il suffit de penser toutes celles commises au sein des familles, contre les enfants
ou les femmes. Elles ne sont pas subitement apparues voici quelques annes; elles existaient
de tout temps mais on refusait de les voir, de les traiter et donc de les compter. Autre exemple,
parmi tant dautres, les infractions aux lois sur les stupfiants. Quand on connat le nombre
rel de toxicomanes on comprend immdiatement une autre face du problme. En France, on
compte - les chiffres sont videmment, l encore, approximatifs - environ 280.000 usagers
quotidiens de cannabis et plus de trois millions dusagers occasionnels (Baromtre Sant 2000,
CFES). On estime plus de 150.000 les usagers dopiacs ou de cocane. Or les interpellations
pour usage ou trafic sont, chaque anne, de moins de 100.000 par an en France.

Confirmation officielle: les enqutes de victimation

Cette ide premire sur la misre des chiffres et limpuissance de nos arpenteurs officiels, est
confirme par la science elle-mme. Des chercheurs ont depuis longtemps valid cette
impression dinexactitude. Ils ont eu lide de ne plus sen tenir au filtre des statistiques
policires mais daller directement vers les victimes potentielles que nous sommes. Ils ont
slectionn des chantillons de population en demandant aux personnes interroges si elles
avaient t victimes dinfractions sur une priode donne. Ces enqutes, qui sont menes dans
le monde entier depuis une quarantaine dannes, sont admises par la communaut scientifique
internationale, mme si, elles aussi, posent des problmes mthodologiques srieux et que leur
marge derreur est importante. On les appelle du nom barbare d enqutes de victimation.
Leurs rsultats sont tonnants. Le chiffre noir de la dlinquance est norme. Lcart avec les
chiffres officiels de la police est impressionnant. Lenseignement est clair: la grande majorit
des victimes ne porte pas plainte. Les chiffres officiels ne refltent absolument pas la ralit de
la criminalit. Ils refltent avant tout lactivit des services de police et la faon dont ils sont
utiliss un moment donn. La premire enqute de victimation a eu lieu en 1965 aux Etats
Unis linitiative de la Commission prsidentielle sur lapplication des lois de
ladministration de la justice. Aprs quelques autres essais, il fut procd en 1973 dans ce
pays une vaste enqute appele National Crime Survey (NCS) concernant cinq villes
(Chicago, Detroit, Los Angeles, New York et Philadelphie). Cette enqute, rebaptise
National Crime Victimization Survey en 1992, est devenue annuelle et porte sur un
chantillon trs important puisque lenqute brasse les rponses un questionnaire soumis

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130.000 personnes. Ces approches statistiques ont donc acquis leurs lettres de noblesse et ont
t adoptes dans le monde entier, en Europe notamment, la France tant un des derniers Etats
lexprimenter. Cest en 1985 que la France sest intresse ce type de recherche: le
CESDIP (Centre de Recherche sur le Droit et les Institutions pnales dpendant du ministre
de la Justice) a conduit alors la premire enqute nationale. Elles sont actuellement faites par
lINSEE sous lgide de lObservatoire nationale de la dlinquance, instance mise en place en
2003 par le ministre de lintrieur de lpoque, Nicolas Sarkozy.

Lenqute de victimation de 2006 en France: les crimes et dlits recenss reprsentent le
tiers de la dlinquance relle

La dernire enqute mene par lINSEE auprs de 14.000 mnages franais, soit 25.000
personnes de plus de 14 ans, a t publie trs rcemment, en dcembre 2006. Elle porte sur la
dlinquance de lanne 2005. Ses conclusions sont conformes toutes les donnes recueillies
ltranger et aux prcdentes enqutes franaises. La dlinquance est trois fois suprieure aux
chiffres officiels enregistrs par les services de police et de gendarmerie. 3 775 000 plaintes et
dclarations recenses cette anne-l or, selon lenqute de victimation, plus de neuf millions
d'atteintes aux biens ont t commises et prs de quatre millions de personnes ont dclar avoir
t victimes d'au moins une agression. Douze millions de faits de dlinquance au total: trois
fois plus! Lcart avec les statistiques officielles varie dailleurs selon le type de dlinquance.
Sagissant des atteintes aux biens, (vols, dgradations...), deux millions ont fait l'objet d'un
dpt de plainte sur les 9 millions estims par lenqute de victimation. Les victimes
ragissent en fait en fonction de la gravit du prjudice et des possibilits dindemnisation.
Ainsi, si moins d'un quart des faits donne lieu une plainte, les vols de voiture, eux, sont
dclars 90 % et les cambriolages 70 % car ils dclenchent des mcanismes dassurance.
Sagissant des atteintes aux personnes lcart est tout aussi considrable: moins de 30 % des
violences physiques (en dehors des vols) sont connues des services de police ou signals eux.

Un bilan flatteur, selon le candidat Nicolas Sarkozy

Ce prliminaire fondamental tant pos, il faut bien se tourner vers les statistiques officielles
avec toute la prudence qui est donc de mise. Il ne sagit en aucun cas de jeter par dessus bord
ce travail de comptage officiel mais davoir conscience quil reflte avant tout le travail des
services denqute et quil peut tre grandement amlior. Les 3 725 000 faits de dlinquance
comptabiliss 2006 sinscrivent dans une politique particulire dutilisation des forces de
lordre et doivent tre discuts dans ce cadre-l, sans plus.

Nicolas Sarkozy, ministre de lintrieur, pendant prs de quatre ans, (du 7 mai 2002 au 31
mars 2004 puis du 31 mai 2005 mars 2007) prsente, comme candidat, un bilan qui se veut
videmment avantageux. Qui nen ferait autant? L, il nest pas question de rupture. Le
candidat dfend son action et le bilan est simple. Il a t dress solennellement lors dune
confrence de presse par le ministre -ou le candidat - le 11 janvier 2007. La dlinquance
augmente quand la gauche est au pouvoir, 17,8% entre 1997 et 2002. Elle baisse sous sa
frule: - 9,4%. 17,8%, cest beaucoup au passif de la gauche. Plus que ce que les policiers
eux-mmes annonaient le jour mme: +16,26% de 1997 2001. Plus que ce quil crivait lui-
mme un an plus tt: la dlinquance avait progress de 14,5 % entre 1999 et 2002". En

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prenant la bonne anne, on arrive toujours amliorer sa dmonstration. Nicolas SARKOZY
donc est arriv et la dlinquance a immdiatement recul. Un million de victimes doivent lui
en rendre grce. Les chiffres sur lesquels il sappuie sont les suivants

1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Total des
crimes et
dlits en
millions
3,556 3,493 3,565 3,568 3,771 4,061 4,114 3,975 3,825 3,775



3.725
Source: ministre de lintrieur, Documentation Franaise

Pour apprcier largument, il faut videmment toujours garder en mmoire lcart considrable
entre la criminalit relle et la criminalit officielle mais il faut aussi se pencher sur ces
chiffres officiels-l publis rgulirement par le ministre de lintrieur pour en apprcier
lvolution: correspond-elle vraiment ce qui est annonc par le ministre-candidat?

Les violences: une hausse continue, 13,9% dans les cinq dernires annes.

Dans un rapport publi rcemment (novembre 2006), lObservatoire National de la
Dlinquance aligne tranquillement des chiffres tragiques: les actes de violences contre les
personnes officiellement recenss continuent daugmenter depuis que Nicolas Sarkozy est
ministre de lintrieur. Laccroissement est continuel depuis 1996 (date du dbut de ltude).
Et rien na chang compter du 7 mai 2002.

Anne 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Actes de
violences
(en milliers)
228 245 257 281 316 362 381 389 392 411
Source, ministre de lintrieur, Observatoire National de la Dlinquance

En cinq ans, de laveu mme du ministre de lintrieur, les violences physiques ont augment
de 13,9% (confrence de presse du 11 janvier 2007). 434.183 actes de violences volontaires
lintgrit physique en 2006, soit environ 50.000 victimes de plus quen 2001.
On a vu que victimes ne signalent que 30% des violences quelles subissent. Mais notons que
cette criminalit est plus difficile maquiller que les atteintes aux biens. Quand une personne
vient se plaindre avec des blessures, un certificat mdical, il est videmment plus difficile de
laisser dormir le dossier et de ne rien faire. De plus, lopinion publique est particulirement
sensible cette criminalit-l: il est difficile de lui faire croire nimporte quoi. Nous vivons
dans une socit violente. Qui oserait dire que cette violence l diminue? Le candidat Nicolas
SARKOZY nose pas le dire mais il a propos successivement plusieurs analyses du
phnomne qui lui permettent nanmoins de faire lloge de son action. Sa premire
argumentation est simple. Les violences se partageraient pour moiti entre les violences
familiales et les violences crapuleuses. La hausse statistique rsulterait dune augmentation du
dpt de plaintes en matire de violences conjugales, domaine o il a men une politique

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vigoureuse qui expliquerait le surcrot de plaintes
1
. Le mensonge est l aussi norme et ne
rsiste pas un dbut danalyse.
Lautre argumentation, moins fantaisiste, a t avance lors de la confrence de presse du 11
janvier 2007. Il est expliqu que laccroissement des violences tient en fait laugmentation
dune partie dentre elles: les violences non crapuleuses, les violences qualifies de
gratuites.

Les plaintes pour violences conjugales nexpliquent pas laugmentation des plaintes
recenses pour violences

Si lon prend les statistiques officielles publies par le ministre de lintrieur
2
, la rpartition
de ces infractions de violence na aucun rapport avec ce quavance le ministre. Pour 2004, on
compte 339.882 faits datteintes aux personnes. Elles se rpartissent comme suit.

total atteintes aux
personnes
339.882 100%
Homicides et tentatives 2.097 0,62%
Coups et blessures
volontaires
137.864 40,56%
Autres (menaces,
atteintes la dignit...)
103.530 30,46%
Atteintes aux moeurs
(viols, harclements,
agressions sexuelles)
43.836 12,90%
infractions contre
lenfant et la famille
52.555 15,46%
Source: ministre de lintrieur, Documentation Franaise

Les violences conjugales ne sont pas rpertories spcifiquement. Mais on voit dj quelles
ne peuvent reprsenter quune part assez faible du total des violences. Pour avoir une vision
plus prcise il faut se rfrer une tude spcifique publie par lOND en 2006: lments de
mesure des violences entre conjoints
3
. Cette tude est mene partir des faits officiellement
constats par les services de police et de gendarmerie Les violences entre conjoints pour

1
) Les violences aux personnes se divisent en deux, les violences dites crapuleuses, violences quand on fait un
braquage ou un viol, et les violences dites intra-familiales, 5% chacune (en fait 50%). Les violences crapuleuses
ont diminu depuis 2002, vous le savez aussi, et celles qui ont augment ce sont les violences intra-familiales,
violences extrmement proccupantes. La question que je me pose, Monsieur le Prsident, et je le dis en toute
humilit, est-ce que les violences faites aux femmes ont-elles augment ou est-ce que, heureusement, les femmes
victimes aujourdhui osent porter plainte alors quil y a trente ans ou quarante ans elles nosaient pas porter
plainte et cest ma seule remarque. Je veux dire dailleurs une chose cest que jai chang la lgislation parce que
une femme victime de son bourreau et peu lui importe que le bourreau soit le mari ou le conjoint, devait quitter le
domicile conjugal la nuit avec les enfants, jai fais en sorte que dornavant cest le bourreau qui devra quitter le
domicile conjugal. Emission Ripostes France 5, 10 dcembre 2006.
2
Aspects de la criminalit et de la dlinquance constates en France en 2004 par les services de police et les units de
gendarmerie, La Documentation Franaise, PARIS 2005
3
lments de mesure des violences entre conjoints , Valrie BONVOISIN, OND, 2006

12
lanne 2004, se montent 34.848 violences non mortelles et 162 violences mortelles, soit
10,3% seulement des 339.882 atteintes aux personnes recense. Or ces chiffres nont pas vari
par rapport 2003 o lon comptait 34.721 violences non mortelles et 180 violences mortelles.
Il ne sagit donc pas de la moiti des atteintes aux personnes et il ny a pas eu daugmentation
des plaintes.

Il est donc grossirement faux daffirmer quun traitement policier amlior des violences
conjugales explique laugmentation des faits de violence officiellement rpertoris. Dans ce
domaine tout reste dailleurs faire. Plusieurs lois ont t votes ces dernires annes
aggravant les peines pour ce type de violences ou permettant dloigner le conjoint violent en
cas de procdure de divorce. Mais il faut une action de bien plus grande ampleur pour tenter de
freiner cette dlinquance complexe et particulirement grave. Le Collectif national pour les
droits des femmes qui organisait en dcembre 2006 au Snat un colloque auquel nous tions
invits propose une politique plus vaste mobilisant lensemble des pouvoirs publics et qui ne
repose pas sur plus de rpression, plus de prison pour les conjoints violents. Si les femmes
battues saisissaient toutes la justice, celle-ci serait noye sous un flot de plaintes: il faut donc
trouver dautres solutions totalement novatrices qui passe avant tout par de vigoureuses
actions de prvention notamment auprs des jeunes.


Les violences soi disant gratuites.

Nicolas Sarkozy lors de sa confrence de presse de janvier 2007, reconnat quune partie des
violences augmente. Ce quil appelle les violences gratuites. Elles se dcomposent, dit-il, en
deux sous-ensembles: les violences dpositaires de lautorit publique... et les violence de
la sphre prive, qui vont de laltercation entre automobilistes aux mauvais traitements
enfants. Pour expliquer cet chec, son explication est double. En ce qui concerne les
violences dpositaires de lautorit publique, il affirme que laugmentation traduit une
agressivit renouvele lgard de tous ceux qui reprsentent lordre public en mme temps
que lengagement supplmentaire des forces de lordre. On ne peut que dplorer un tel
accroissement. Mais lexplication du ministre de lintrieur est un peu courte. On peut
lgitimement se demander si cette agressivit nest pas de une utilisation maladroite de la
police et la dgradation progressive des relations entre les forces de lordre et les jeunes.
Sagissant des violences relevant de la sphre prive, Nicolas Sarkozy se contente de
remarquer quil nest pas ais pour la police de faire de la prvention domicile, remarque
qui relve dune conception consternante et de la prvention et du rle de la police.

Les causes relles de laugmentation de la violence

Nous dpassons l, largement, les problmes statistiques. Il ne sagit plus simplement dun
comptage ou dune valuation mais dune interprtation. Do vient la violence? Cette
question peut tre pose plus dun spcialiste, du psychanalyste au sociologue en passant par
le mdecin. Les rponses dpendent videmment beaucoup des options politiques,
philosophiques ou religieuses de chacun. Encore faut-il rester quelque peu cohrent dans ses
explications, ce qui nest pas le cas de Nicolas Sarkozy. En effet, lorsquil arrive faire baisser
les chiffres dune dlinquance, il sen attribue immdiatement le mrite. Lorsquil ny arrive

13
pas, assez curieusement, il a recourt des explications qui dordinaire suscite chez lui colre
ou sarcasmes: face aux violences contre les personnes qui augmente il ose dire: hlas! Ces
violences aux personnes sont devenues, sous diverses formes, un phnomne de socit
(discours au Snat le 13 septembre 2006). Tiens! Y aurait-il des causes sociales la
dlinquance? Peut-tre cette pirouette devrait-elle inciter le ministre plus de modestie.
Lorigine de la violence ne se trouve pas en un lieu unique, ni dans le seul individu, ni dans la
seule socit.
Ce nest videmment pas le ministre de lintrieur qui, lui seul, fait baisser la violence.


Les atteintes aux biens
Les atteintes aux biens officiellement rpertories par le ministre de lintrieur traduisent une
volution moins simple que celle propose par Nicolas Sarkozy. L encore, il faut se rapporter
lanalyse de lOND dans son tude publie fin 2006. Depuis 1996, lvolution est la
suivante.

1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Atteintes
aux biens
(en
millions)
2,765 2,685 2,758 2,717 2,821 3,064 3,059 2,882 2,709 2,634


Source, ministre de lintrieur, Observatoire National de la Dlinquance

La lecture de ces chiffres est simple. Les atteintes aux biens recenses par la police ont connu
en 2001 et 2002 une augmentation relle. Pour le reste nous sommes, depuis 10 ans, dans une
fourchette variant entre 2,6 et 2,8 millions de faits ce qui reflte une certaine stabilit de cette
dlinquance officiellement rpertorie. Que sest-il rellement pass en 2001/2002? Personne
pour linstant na propos danalyse srieuse du phnomne. De tels pics de criminalit
existent depuis un quart de sicle. Quiconque a tudi un peu lhistoire de la dlinquance
(globale) constate depuis 1950 sait que les chiffres ont fortement progress essentiellement
compter des annes soixante ( population constante) sur une quinzaine danne
4
. Le taux de
criminalit pour 100.000 habitants a fortement progress, passant de 10-20 / 70-80/ .
Mais depuis de dbut des annes 80, le taux de criminalit constate reste stable mais connat
rgulirement des pics. De 1982 1985, de 1991 1994 et donc de 2001 2003. Cette
volution cyclique est reconnue par tous les spcialistes.
Dire que la gauche est responsable de cette dernire augmentation-l et que larrive de la
droite et plus particulirement de Nicolas Sarkozy explique le retour aux chiffres habituels
relve de la plaisanterie, dautant que les chiffres quil avance, nous allons le voir, sont
manipuls. En fait, la baisse rcente de la dlinquance de latteinte aux biens constate en
France correspond une volution dans toute lEurope. Elle nest pas lapanage dun ministre
franais, belge ou autrichien. On constate moins de vols de voitures, moins de vols dans les
magasin mais cette dcrue est due une amlioration des systmes de protection. Sous la
pression des assurances notamment, les constructeurs de voiture ont cr et dvelopp des
systmes dalarme, les magasins ont mis au point des systmes de vido-surveillance

4
Alain BAUER, cest en 1964 que la criminalit en France va prendre son essor, communication lAcadmie des
Sciences, octobre 2006.

14
perfectionns. Entre 2000 et 2003, les vols de voitures ont diminu de 18% en France, de 17%
en Finlande, de 33% en Belgique, de 25% au Danemark, de 14% en Allemagne et de 16% au
Royaume Uni...

Les statistiques officielles manipules: un demi-million dinfractions la trappe.

Ce bilan flatteur de laction dun ministre est faux. plus dun titre. Un rapport tabli par les
trois inspections gnrales (administration du ministre de lintrieur, police nationale et
gendarmerie) en dcembre 2005 mais non publi par le ministre de lintrieur - on comprend
pourquoi - recense les diffrentes causes de manipulation des statistiques policires
5
.

- La disparition statistique. On a du mal le croire mais il suffit de se rendre dans un
commissariat pour comprendre. Nombre de personnes qui veulent dposer plainte sont tout
bonnement dcourages de le faire. Au mieux, on tablit une main courante. La propension
des services ne pas systmatiquement prendre de plaintes pour des faits apparemment
avrs permet de faire baisser les statistiques. En 2004, plus dun demi-million de faits
commis (et de tentatives) de vols, de vols avec violence et de violences physiques contre les
personnes, bien que signals aux services comptents, nont pas t enregistrs comme
plaintes. Les chiffres de la dlinquance ont t ainsi sous-estims de 13% en 2004. Ce demi-
million de faits ont bascul sur les mains courantes: ces registres tenus dans les commissariats
pour relater des vnements mineurs, de menus incidents qui ne sont pas susceptibles de
poursuites pnales. Le rapport fait tat de la disparition statistique de prs dun quart des vols
et tentatives de vols, soit prs de 400.000 faits, prs dun tiers des violences physiques, soit
plus de 92.000 faits et prs dun quart des vols avec violence, soit plus de 36.000 faits.

- Les causes de cette disparition: les pressions du ministre de lintrieur pour amliorer les
statistiques. Le rapport est tout fait explicite sur les causes de cette disparition: il sagit tout
bonnement dune manipulation permettant de faire baisser limage officielle de la dlinquance.
Lexistence de pareilles drives provient notamment de la pression exerce sur les
services en matire de statistiques de la dlinquance. On ne peut tre plus clair! Il suffit de
sentretenir un instant avec un policier en France pour comprendre que cette pression est
colossale, tous les niveaux, de haut en bas de la hirarchie policire.

O est pass le rapport?

Lors de lmission Ripostes, le 10 dcembre 2006, sur France 5, nous avions interpell le
ministre sur lexistence de ce rapport des inspections. Aprs avoir fait ltonn et feint de
croire quil nexistait pas, Nicolas Sarkozy nous avait promis de nous le faire parvenir
6
(7).
Javais fait part de mon scepticisme, soulignant que je ntais pas le seul lesprer et quil
ferait le bonheur de beaucoup de journalistes. Apparemment le ministre a, depuis lors, t trop
occup pour tenir sa promesse mais tout porte croire, quaprs son dpart du ministre de
lintrieur, son successeur se fera un plaisir de faire resurgir ce rapport.


5
LExpress du 18 mai 2005, Le Canard Enchan du 24 mai 2005, Le Nouvel Observateur, 11 janvier 2007
6
un rapport sur quoi?... je vous garantis que si vous voulez ce rapport, je vous le communiquerai. Emission Ripostes
France 5, 10 dcembre 2006

15
La pression exerce sur les services en matire de statistiques: la culture du rsultat

La formule soigneusement soupese utilise par les services de linspection -pression exerce
sur les services en matire de statistiques - se comprend trs aisment lorsquon se rappelle
la stratgie du 3+3 firement prne par le ministre de lintrieur convoquant chaque mois les
bons prfets et les mauvais prfets. On imagine aisment ce genre de runions, la flicite des
premiers de la classe et langoisse des petits derniers. On imagine encore plus facilement
comment cette culture a pu se transmettre du haut en bas de la hirarchie policire, dont on
sait quen temps ordinaire elle est dj pour le moins rigide, des commissaires aux officiers
puis aux gardiens de la paix. Le mot dordre permanent est donc de faire baisser tout prix les
statistiques, lobsession perptuelle la diminution des crimes et dlits enregistrs.
Concrtement, comment faire? Recueillir le moins de plaintes possibles, sen tenir si possible
des main-courantes, renvoyer le plaignant vers un autre service, ce qui namliore
videmment pas la qualit du service ni les relations avec la population. Ou tout simplement
truquer purement et simplement les statistiques. Peu de policiers osent videmment lavouer
publiquement. Mais personne ne conteste ces tmoignages anonymes faute dtre courageux,
comme celui dun commissaire de banlieue: quand une bande fait une descente dans un
parking et casse 30 voitures, on devrait faire 30 procdures, une par vhicule dgrad. En
fait, pour allger les stats, il suffit de tout rassembler dans un seul fait, et la dlinquance
baisse
7
.
Le paradoxe est quil faut paralllement multiplier les interpellations et les gardes vue pour
dmontrer que les policiers sont actifs et efficaces. Le nombre de mis en cause doit donc
crotre. A cette pression permanente est venue sajouter la carotte des primes au mrite,
individuelles et collectives dont les critres dattribution ne brillent pas par la clart.

Les effets pervers de cette politique sont connus. La police recherche les infractions les plus
faciles, celles qui permettent facilement des faire des crnes, qui ne ncessitent pas
dinvestigations trop longues et qui amliorent sans coup frir le taux dlucidation. Que
trouver de mieux quune interpellation pour usage de haschisch qui est lucide
immdiatement, automatiquement mme? Il ne sagit videmment pas daccuser les policiers
eux-mmes de telles pratiques. Aprs un premier temps de sduction, le dsenchantement sest
install et lobsession statistique est aujourdhui dnonce par des syndicats devenus de plus
en plus rebelles.

Le comble du ridicule a t atteint la fin de lanne 2006 lorsquil a fallu dmontrer aux
Franais que le nombre de voitures incendies tait en baisse. Le ministre de lintrieur na pas
hsit inventer la nouvelle catgorie statistique des incendies par propagation. Ntaient
officiellement comptabilises que les voitures incendies directement: l le chiffre baissait
effectivement. Mais ds lors que le feu avait eu la maladresse datteindre un vhicule
avoisinant, nous ntions plus dans la criminalit ordinaire, en tout cas plus dans la statistique
officielle. Le tour tait jou.

En finir avec les manipulations: une institution indiscutable qui remplacerait lOND et
verrait sa mission largie. Lappel des 115.


7
Le Nouvel Observateur, 11 janvier 2007, p. 20.

16
Le25 fvrier 2006 nous tions 115, chercheurs, sociologues, criminologues, enseignants,
mdecins, psychologues, magistrats, avocats... signer un appel demandant que soit cre une
structure multidisciplinaire dtudes et de recherches sur les infractions pnales, leur
prvention, leur sanction et leur rparation. Lun des buts de cette structure devant tre de
participer linformation de lensemble des citoyens. Plusieurs parlementaires ont depuis
lors sign ce texte
8
.
Les constatations que nous venons de faire expliquent le besoin urgent dun tel organisme
indpendant charg dapporter un clairage propre. La dlinquance fait ncessairement lobjet
dinterprtations mais aussi de manipulations vise politique et lectoraliste. Il ne sagit pas
de se substituer aux politiques. Ils ont, de toutes faons, le droit et le devoir de sintresser la
criminalit et de dfinir une politique de scurit. Les lecteurs en sont juges. Mais par-del ce
dbat, quel que soit son niveau, une dmocratie shonorerait possder un organisme de
rfrence regroupant les plus hautes autorits en la matire. Les querelles de statistiques
doivent cesser. LObservatoire National de la dlinquance cr en 2003 est un bon dbut mais
il napporte quune rponse partielle et, de plus, son rattachement au ministre de lintrieur
pose problme. Dvelopper et animer la recherche en liaison avec ltranger, dfinir de
nouveaux outils statistiques incontestables, sont des missions indispensables. Mais lessentiel
est dans linformation du public. Un immense travail pdagogique est faire. A partir de zro.
Peut-tre mme den dessous de zro. Car il faut avant tout dsapprendre une srie de
mauvaises habitudes. La lutte contre linscurit est en priorit un combat mener sur le
terrain. Mais elle ne peut tre fonde sur des peurs irraisonnes, des estimations errones ou
des ides faussement simples. Il existe un savoir sur la criminalit et son traitement; il est
encore maigre mais ce que les sciences de lhomme ont accumules depuis deux sicles ne
doit pas rester la proprit dune lite. Il sera impossible de progresser vers une approche plus
intelligente et plus dmocratique de la sanction si nous en restons un niveau de raction
primaire fonde sur lignorance et la peur.
Supposons quau prochain meurtre commis par un criminel sexuel, Patrick Poivre dArvor,
aprs avoir obtenu du prochain ministre de lintrieur la promesse dune nouvelle aggravation
des peines, annonce le sujet suivant. Nous allons maintenant passer la parole au prsident du
Conseil national de Politique Criminelle. Pourriez-vous nous dire rapidement les
caractristiques et limportance de cette dlinquance-l et nous prciser quels sont les moyens
dont dispose la France ou dautres pays pour lutter contre elle?

Mais le dbat ne deviendra srieux quune fois le rle du ministre de lintrieur remis sa
vraie place dans la lutte contre la dlinquance. Les forces de lordre ont certes un rle essentiel
dans cette lutte. Leur action, leur prsence joue un rle dissuasif majeur et les enqutes
quelles mnent sont dcisives. Mais, pour autant, la police nest pas la seule pouvoir
influencer le phnomne criminel, loin de l. Dans une vision simpliste de la dlinquance o
seuls comptent la peur de la sanction, la prsence du gendarme ou lexemplarit de la peine, il
est cohrent de penser que laction de la police peut, elle seule, faire reculer la dlinquance.
Mais la vie est un peu plus complique et les circonstances du passage lacte infiniment plus
difficiles cerner. De multiples facteurs influent sur lvolution de la criminalit. Les lois
sociales, lactivit conomique, la politique de la ville, le contexte ducatif, la politique de
sant... Tous les responsables de ces secteurs dactivit peuvent et doivent revendiquer un

8
Nous avons sign cet appel et propos dans notre ouvrage Trait de dmagogie applique (Michalon 2006) de crer un
Conseil National de Politique Criminelle charg dune mission de recherche et dinformation.

17
rle. La criminalit nest pas un produit boursier. On peut admettre quun chef dentreprise, un
directeur de socit affirme: nous augmenterons notre chiffre daffaires de 2% en 2007", ou
nous rduirons notre frais gnraux de 2%. Il est dommage quun ministre de lintrieur
puisse affirmer sans aucun haussement dpaule dans la salle quil demande en 2007 la
police de faire baisser la dlinquance de 2% et de faire passer le taux dlucidation 35%. Ce
qui est en cause ce nest mme plus la qualit du thermomtre, cest la comprhension de la
maladie. Il y a peu de chance, dans cette hypothse que le malade y trouve son compte.












18
Chapitre II
LA PRISON COMPULSIVE

Il y a 60.000 dtenus en France. Qui dcide que cest trop? Par rapport quels critres? Je
souhaite quaillent en prison ceux qui le mritent (Nicolas Sarkozy, Le Parisien, 28 mars
2006).


Le recours compulsif la prison

En octobre 2006, lapproche de lanniversaire des meutes urbaines quavaient connues la
France en novembre 2005, de graves incidents ont commenc se produire dans quelques
cits. Des policiers ont t pris partie, voire blesss, par des bandes dans des quartiers
Corbeil Essonnes, aux Mureaux, Epinay sur Seine... Ce ntait videmment pas la premire
fois que de telles attaques se produisaient. Les pouvoirs publics se devaient de ragir et
daffirmer haut et fort que de tels actes donneraient lieu des enqutes pousses et des
poursuites nergiques mme sil appartient videmment au juge et lui seul, en dernire
analyse, de sanctionner. Ces faits graves devaient galement tre loccasion de rflchir
lutilisation de la police dans les cits, de se pencher sur des mesures prventives propres
viter de tels incidents et sur lurgence quil y a retisser les liens entre les forces de lordre et
la population. Les mdias ont lourdement insist sur ces faits. Chacun se souvient de cette
ouverture du journal de 20 heures, le 20 septembre 2006. Aux Tarterets, un soi disant guet-
apens avait t tendu la veille deux CRS. Sur toutes les chanes de tlvision, tait diffuse,
en premier sujet, une longue interview de ce policier loeil tumfi, film en gros plan sur
son lit dhpital. Nicolas Sarkozy, la sortie de sa visite au policier convalescent, tenait une
confrence de presse au pied de lhpital, promettant larrestation des auteurs: on ira les
chercher un par un! Guet-apens? Le procureur de la Rpublique local indiquait pourtant que
les descriptions des faits font plutt pencher pour une agression plus ou moins spontane!
Quel besoin daller plus loin? La France avait compris. Plusieurs opinions avaient pu
sexprimer sur le sujet. Les enjeux taient clairs et lEtat semblait en voie daccomplir son
devoir.

Et pourtant il a fallu que le ministre de lintrieur le 19 octobre, deux jours aprs avoir reu
des syndicats de policiers, propose de renvoyer aux assises toute personne qui portera
atteinte lintgrit physique des policiers, gendarmes ou des sapeurs-pompiers. Cette
proposition ultra-rpressive devait tre incluse dans le projet de loi sur la prvention de la
dlinquance. Lopinion publique a pu dans un premier temps tre satisfaite. Le trompe loeil
tait parfait. Un homme politique semblait ragir plus fortement, plus vigoureusement quun
autre. Peut-tre avait-il mieux compris la question? Peut-tre tait-il plus courageux, plus
comptent que les autres? Peut-tre posait-il les vraies questions que les autres nosaient pas
aborder? Quelques syndicats de policiers taient trs satisfaits mme si quelques uns

19
doutaient un peu des jurs, souvent fragiles! Mais pour tous ceux qui sy connaissaient un
tout petit peu, vraiment trs peu, labsurdit dune telle proposition sautait aux yeux. Dabord
les violences sur les policiers taient suffisamment rprimes dans le code pnal: 5 ans
normalement, mais 7 ans en cas de violences commises par plusieurs personnes ou de
prmditation ou avec arme, 10 ans si deux de ces circonstances sont runies. De plus ces
violences sont assez nombreuses. Trop nombreuses peut-tre pour la capacit des cours
dassises franaises qui ne jugent -avec difficult - que 3000 crimes par an avec des dlais
daudiencement la limite du supportable. 2390 attaques contre les seuls policiers depuis de
dbut de lanne 2006 prcisait Nicolas Sarkozy sur le plateau de TF1 le 19 octobre mais dj
3.662 le 21 novembre (!) lors du dbat lAssemble Nationale. Il faudrait donc pour le moins
doubler le nombre de cour dassises avec tout ce que cela comporte dinvestissement
immobilier, de recrutement de greffiers, de juges dinstruction, de magistrats chargs de siger
en cour dassises. Un investissement colossal hors de proportion avec ltat du budget de la
justice. Une telle proposition est tout bonnement irralisable et chacun le sait, le Garde des
Sceaux le premier, qui a pourtant immdiatement embot le pas son collgue de lintrieur
sans plus de rflexion.

Cette proposition profondment dmagogique a, comme prvu, t discute dans le cadre du
projet de loi sur la soi disant prvention de la dlinquance o il ntait dj question que de
rpression. Un amendement a t insr dans ce projet pour crer un nouvel article 222-14-1
crant le crime de violences volontaires avec arme sur agent de la force publique, sapeur-
pompier civil ou militaire ou agent dune exploitant de rseau de transport public de
voyageurs, commise en bande organise ou avec guet-apens. 15 ans de rclusion sont prvus.
Cette opration lgislative, mene tambour battant, est lexemple typique de lutilisation de la
loi des fins purement lectorale sans aucun souci de son efficacit ni mme de son
applicabilit. Encore un peu plus de prison. Cela ne changera videmment rien au problme,
ni la crise des banlieues, ni aux attaques de la police lors de ses interventions dans les cits.

La vision simpliste de la dlinquance

Si la prison est ainsi utilise de faon compulsive, cest quelle est une rponse simpliste une
mme vision simpliste de la dlinquance qui prside lutilisation de lappareil statistique de
la police. Le passage lacte, la commission dun crime ou dun dlit ne rpondent pas la
logique infantile que lon nous propose. Les mcanismes qui sont en jeu sont videmment bien
plus compliqus. Cet appel permanent plus de prison ne sadresse videmment pas aux
dlinquants, mais lopinion publique. Si Nicolas Sarkozy vient au journal de 20 heures
expliquer Patrick Poivre dArvor son projet rpressif, ce nest videmment pas pour
convaincre ceux qui risquent de sattaquer aux forces de lordre, dlinquants qui pourtant,
insiste Patrick Poivre dArvor, ressentent un sentiment dimpunit. Le discours sadresse
uniquement lopinion publique. La dmagogie consiste faire croire que lorsque lun dentre
nous viole la loi, il le fait aprs avoir mrement rflchi, aprs avoir pes le pour et le contre et
surtout aprs avoir feuillet la toute dernire dition du code pnal cense retenir sa main ou
lui faire rebrousser chemin. En ralit, dans ce type de raisonnement lefficacit relle de la
prison na aucune espce dimportance: ce nest pas le dlinquant, son avenir, sa rhabilitation
ou sa rinsertion, la prvention dune quelconque rcidive ou la protection dventuelles
victimes qui comptent.

20

Le tout prison: lavalanche des lois rpressives

Mme en connaissant cette philosophie, on reste stupfait de lavalanche de textes qui,
depuis 2002 ont rgulirement administr, toutes les pages du code pnal et du code de
procdure pnale la panace universelle, la seule et unique mdecine qui gurit tous les maux,
la prison. Toutes les moyens taient bons. Allonger les peines dj prvues, crer de nouveaux
dlits ou de nouveaux crimes, dvelopper toutes les procdures gnratrices
demprisonnement, faciliter par tout moyen la dtention provisoire, allonger les dlais de
dtention, retarder les remises en libert, rduire les librations conditionnelles... On a du mal
comprendre une telle frnsie lgislative, un tel acharnement. Lencre dune loi ntait pas
encore sche, que surgissait un nouveau texte, les lois se mangeaient les unes les autres. Dans
ce dsordre indescriptible, le citoyen est videmment perdu depuis longtemps. Il y a belle
lurette que ladage nul nest cens ignorer la loi est devenu une plaisanterie pour tudiant.
Plus grave, les praticiens, magistrats, avocats... y perdent leur latin et finissent par regarder
passer les lois avec un sourire dindiffrence. Il faut dire quau sein mme du gouvernement,
dont on connat les dchirures, pour ne pas dire plus, la concurrence est permanente. Une sorte
de course lchalote o le gagnant est cens tre le plus rpressif. Nous nnumrons pas ici
les chef-doeuvres de cette lgislature, fussent-ils imprissables. Le catalogue 2002/2007 est
des plus ennuyeux, avec, de plus, un article unique sous des couleurs varis: la prison. Quatre
de ces lois mritent un regard rapide.

Ds septembre 2002, la loi dorientation et de programmation pour la justice (loi du 9
septembre 2002 dite Loi Perben I) constituait un premier appel massif lenfermement. Il
tait ainsi cr de faon trs symbolique un rfr-dtention (la gauche ayant cr, elle, le
rfr libert). Il sagit prsent de laisser en dtention une personne remise en libert par un
juge contre lavis du procureur de la Rpublique. Ce dernier se voit accorder le droit de saisir
le premier prsident de la cour dappel qui peut alors suspendre la dcision jusqu lexamen
du recours. Les dlais de la dtention provisoire ordonne pendant la procdure dinstruction
sont allongs dans certains cas: 4 ans et 8 mois en matire criminelle et 3 ans pour les dlits.
Un plus grand nombre dinfractions peut donner lieu dtention provisoire. Auparavant il
fallait, pour les dlits contre les biens, que la peine encourue soit de 5 ans pour permettre une
dtention provisoire. Dsormais il suffit que la peine encourue soit de 3 ans. Autre rforme
productrice de prison, le champ de la comparution immdiate (dont on sait quelle est la
procdure qui conduit le plus en dtention) est tendue: elle sapplique davantage de dlits.
Jusqualors elle tait limite des infractions moyennes punies de 1 an 7 ans de prison.
Elle peut sappliquer dsormais des infractions punies de 6 mois 10 ans demprisonnement.
Le droit des mineurs est galement rform pour encourager lemprisonnement. Jusqualors
les mineurs de moins de 16 ans ne pouvaient tre placs en dtention provisoire. Les 13/16 ans
peuvent dsormais ltre sous certaines conditions en cas de rvocation du contrle judiciaire.
Une procdure de jugement dlai rapproch est cre. Les centres ducatifs ferms sont
instaurs.

La loi du 18 mars 2003, loi sur la scurit intrieure est loeuvre de Nicolas Sarkozy. Cette
loi aggrave les sanctions contre dinnombrables dlits. Nombre darticles contiennent cette
disposition rcurrente: les mots deux ans demprisonnement sont remplacs par les mots cinq

21
ans demprisonnement, les mots cinq ans demprisonnement sont remplacs par les mots
sept ans demprisonnement... Elle cre des infractions de pauvret: mendiants, prostitues,
nomades sont sanctionns comme tels. Sont crs les dlits de racolage passif (deux mois
demprisonnement), de mendicit agressive en runion (6 mois demprisonnement), de
rassemblement (entrave la libre circulation) dans les halls dimmeuble (2 mois de prison),
dinstallation pour les gens du voyage sur un terrain non autoris (6 mois demprisonnement)...

La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit, dite
Perben 2, perptue la tradition. Dinnombrables crimes et dlits voient leur peine
demprisonnement aggrave. Une nouvelle procdure rapide est cre, la comparution sur
reconnaissance pralable de culpabilit, surnomme plaider coupable, permettant de prononcer
jusqu 6 mois demprisonnement ou la moiti de la peine de prison encourue lissue dune
procdure sommaire. La dtention provisoire pendant linstruction est encore favorise par la
possibilit donne au procureur dans certains cas de saisir directement le juge des liberts pour
obtenir une mise en dtention, si le juge dinstruction sen est abstenu.

La loi du dcembre 2005 relative au traitement de la rcidive des infractions pnales, quon
aurait pu surnommer Sarkozy 2, reprend toutes les recettes prcdentes et les aggrave. Tout y
passe: largissement des cas de rcidive, limitation du recours au sursis avec la mise
lpreuve, suppression de la motivation des dcisions en cas demprisonnement, nouvelle
limitation des rductions de peine et incarcration obligatoire sauf motivation spciale pour
certains rcidivistes...

Le rsultat: une justice extrmement rpressive, la surpopulation pnitentiaire

Cette avalanche de textes rpressifs et la volont constamment martele de privilgier la prison
a videmment eu un effet immdiat sur la population pnitentiaire. Depuis larrive de la
droite au pouvoir en 2002, cette population a augment de prs de 10.000 dtenus: 9.808
exactement entre le 1
er
janvier 2002 et le 1
er
janvier 2007, soit + 20,18%. Il y a exactement
59288 personnes dtenues au 1
er
fvrier 2007. Le nombre de personnes incarcres dans
lanne a augment de 18232 entre 2001 et 2005, soit + 27%. Ces chiffres se passent de
commentaires.

Anne, 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006


2007

Dtenus
au 1
er

janvier
53845 54269 52961 51441 47837 48594 55407 59.246 59.197 59.522 58.402
Entrs
en
prison
79334 76461 77214 68765 67308 81533 81905 84710 85540
Source: Ministre de la Justice, Administration Pnitentiaire, Chiffres-cls

La consquence de cette sur-rpression est que les prisons sont pleines craquer. La
surpopulation est une ralit effrayante, au-del de ce que les simples chiffres laissent
penser. Selon les donnes les plus rcentes, celles du 1
er
novembre 2005, il y avait en France

22
59015 dtenus pour 50516 places, soit 111 dtenus pour 100 places. Cette densit pnitentiaire
est trs variable selon les tablissements. Dans les prisons pour peine elle est infrieure 100,
mais cest dans les maisons darrt (o sjournent 70% des prisonniers) que svit la
surpopulation. Dans huit maisons darrt la densit est suprieure 200%.

20000 dtenus exceptionnels en dtention provisoire

Le paradoxe est que le tiers des prisonniers en France sont en dtention provisoire, cest dire
en attente de leur jugement, et, au regard de la loi prsums innocents. On peut se demander,
lire la loi, comment une telle ralit est possible. Le code de procdure pnale ne cesse de
rpter que la dtention provisoire - avant jugement donc - est exceptionnelle. Des critres
trs prcis sont mme prvus, censs limiter les excs. Mais depuis 2001, le nombre de
dtenus provisoires na cess daugmenter. La gauche avait vot en juin 2000, avec
lapprobation silencieuse de la droite - qui estimait que la majorit de lpoque nallait pas
assez loin! - une loi extrmement protectrice de la prsomption dinnocence. Quelques lois
rpressives plus loin, en 2006 le nombre de dtenus provisoires est pass de 16.000 20.000!
Lexception est devenue la rgle. La prsomption dinnocence est devenue la prsomption de
culpabilit, le ministre de lintrieur faisant dailleurs souvent le lapsus
9
.

La comparution immdiate qui a les faveurs du lgislateur - au point dtre tendue, grce la
loi sur la prvention de la dlinquance, aux mineurs - est devenue le principal pourvoyeur de
la dtention provisoire. Jusquen 2005, les personnes faisant lobjet dune procdure suivie
chez le juge dinstruction, composaient la majeure partie de ces dtenus provisoires
10
.
Dsormais, ce sont les personnes juges en comparution immdiate qui les ont supplants.
Autre paradoxe, puisque cette procdure de comparution immdiate est rserve
thoriquement aux affaires en tat dtre juges: on ne voit pas trs bien, ds lors, comment
une dtention provisoire est possible! Mais elle lest pourtant, et trs grande chelle.
Pourquoi? Tout simplement parce que la loi nest pas applique: la politique aujourdhui
choisie est de faire juger vite, trs vite (en temps rel, selon lexpression consacre). Si vite,
que les affaires qui arrivent devant les tribunaux correctionnels pour tre ainsi juges ne sont
pas en tatde ltre. Il faut renvoyer le dossier et les juges utilisent alors massivement la
dtention provisoire.

La magistrature est videmment responsable de cette situation. Ce sont les tribunaux qui
placent sous mandat de dpt. Ce sont les tribunaux qui pourraient ne pas le faire. Mais cette
responsabilit est largement partage avec lautorit politique qui, on vient de le voir, modifie
intentionnellement la loi pour favoriser et tendre la dtention provisoire.




1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

9
Voir par exemple France 2, vous de juger
10
Rapport de lAssemble Nationale: la France face ses prison. Rapport du Snat: les conditions de dtention dans les
tablissements pnitentiaires en France.

23
Dtenus
provisoires
au 1/1
21591 20452 18100 16107 16124 20852 21749 20910 19732 18.483
Dtenus au
1
er
janvier
54269 52961 51441 47837 48594 55407 59.246 59.197 59.522 58.402
% 39,8 38,6 35,2 33,7 33,2 37,6 36,7 35,3 33,8 31,6

Les peines alternatives: le recul

La prison stend et, logiquement, les autres peines possibles, les peines intelligentes, celles
qui demandent un peu de rflexion du ct des autorits, un peu de mobilisation du ct des
dlinquants, et surtout une vritable implication du corps social, reculent ou stagnent.
Lexemple le plus attristant est celui du Travail dIntrt Gnral (TIG) qui est en baisse
importante. Cette peine avait t cre par la gauche en 1983 (loi du 10 juin 1983). Le nombre
de mesures prononces ne cesse de diminuer, passant de 23500 en 1998 mois de18.000 ces
dernires annes avant de remonter lgrement 20000 en 2004. Ces sanctions restent un
niveau ridiculement bas puisquelles ne reprsentent que 4% des condamnations prononces
par les tribunaux.

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
sursis TIG
prononcs
9945 11615 11808 11664 11488 10190 8969 8917 8822 10055
TIG
prononcs
11364 11580 11733 11274 11120 10200 8576 8350 9059 10225
Total 21309 23195 23541 22938 22608 20390 17545 17267 17881 20280
TIG en
cours au
1/1
18928 20903 22812 23763 23952 24962 25411 23488 19106 17990

Ltat des prisons en France: une catastrophe

Le plus extraordinaire cest quau moment mme o il pleuvait de la prison sur le code pnal,
la dnonciation de la prison tait son comble. Tous les constats mens depuis au moins une
dizaine dannes en France sont autant de signaux dalarme qui devraient obliger lensemble
de la classe politique (droite et gauche comprise) tenir un discours responsable sur le recours
lemprisonnement. Impossible de tous les rappeler ici. Contentons-nous des derniers en date.

Il y a sept ans, nombre de parlementaires franais se pressaient dans les tablissements
pnitentiaires franais. Deux rapports taient dposs en juin 2000 lAssemble Nationale
et au Snat
11
. Lintrt de ces rapports est quils manaient de parlementaires de tout bord,
droite et gauche confondues. Mais leur constat tait identique. Les Snateurs crivaient mme,
propos des maisons darrts quelles taient dans une situation indigne de la patrie des

11
En 2005, sur 81.629 entres en dtention provisoire, on compte 29.466 personnes en procdure de comparution
immdiate et 28.387 faisant lobjet dune information .

24
droits de lhomme. La surpopulation carcrale tait dabord dnonce, avec ses consquences
(la violence, linapplication de la loi, mais aussi la vtust des tablissements, le cot
considrable dune administration dont la fonction devait tre repense. Les parlementaires
taient tous daccord sur la ncessiter de limiter les incarcrations.

Le rapport du Comit europenne pour la prvention de la torture (organisme dpendant du
Conseil de lEurope) suite sa visite de juin 2003 (rapport publi en mars 2004, www.cpt.coe)
relate les conditions de dtention notamment la maison darrt de Loos Les lille. Cet
tablissement est dune capacit relle de 461 places et comptait 1103 dtenus. Son taux
doccupation tait de 239%. La maison darrt de Toulon tait, elle, occupe par 348 dtenus
pour 150 places. Le comit dplorait que le principe de lencellulement individuel pour les
prvenus dont la mise en application tait prvu au 15 juin 2003 ait t repouss de 5 ans! par
une loi du 12 juin 2003. Le rapport dcrivait les conditions inadmissibles de la dtention dans
de telles conditions. Loos, les dtenus taient confins trois dans des cellules de quelque
9m2, ou, au quartier des femmes, quatre, voire mme cinq, dans des cellules de 12m2. Le
nuit, lune delles devait dormir sur un matelas. Les locaux taient vtustes, sales, voire, pour
certains dentre eux, insalubres... Des containers dbordant dimmondices malodorantes
taient laisss plusieurs heures durant lentre des sections, par l-mme o taient
achemins les chariots de repas... Cette situation avait des consquences catastrophiques dans
tous les compartiments de la vie en prison. Le comit prconisait une rduction immdiate et
drastique du surpeuplement.

Le rapport du Commissaire Europen au Droits de lHomme, Alvaro Gil-Robles, en fvrier
2006 est accablant. Il insiste sur le problme de la surpopulation et sur le manque de moyens.
La surpopulation, soulignait-il, avait un effet pervers: au lieu de conduire vers la rinsertion,
elle endurcissait le dtenu et provoquait sa rvolte. Les cellules insalubres, les sanitaires en
mauvais tat, le nombre rglement de douches que les prisonniers peuvent prendre par
semaine, le linge et les couvertures mdiocres nous ont t dnoncs sur la quasi-totalit de
notre visite. Il ma t difficile de recevoir des plaintes au dbut du XXIme sicle en France
dcrivant linsuffisance du nombre de douches et limpossibilit den prendre une
quotidiennement, mme en t un moment o les tempratures sont souvent caniculaires.
Ainsi, jai t choqu par les conditions de vie observes la Sant ou aux Baumettes. Ces
tablissements mont sembl particulirement dmunis. Le maintien de dtenus en leur sein me
parat tre la limite de lacceptable, et la limite de la dignit humaine.

En juin 2006, le rapport de la commission dOutreau nest pas consacr aux prisons mais il
voque la faon dont la dtention provisoire a t vcue par des innocents qui en ont rchapp
(lun dentre eux sest suicid en prison) et dnonce les excs de la dtention provisoire. Le
constat, fait, l, dans une affaire particulire rappelle celui des rapports de juin 2000:
lutilisation qui fut faite de la dtention provisoire et la caractre inoprant de son contrle,
resteront sans doute, par leurs consquences humaines, le dysfonctionnement majeur de
laffaire dOutreau. Les parlementaires relvent
- la proportion excessive de placements en dtention provisoire
- la dure des dtentions provisoires et la longueur de cette mesure alors quaucune mesure
dinvestigation ntait plus en cours
- les conditions inadmissibles du rgime de la dtention provisoire

25
- le nombre de demandes de mises en libert dposes par les acquitts et refuses: 363.

Le comit consultatif national d'thique (CCNE) est un organisme particulirement
comptent compos de mdecins minents . Dans un avis rendu public en dcembre 2006, il
dnonce avec une violence surprenante et totalement inhabituelle pour un tel aropage, ltat
des prisons en France, en lexaminant sous langle de la sant. Il considre notamment que
l'incarcration et le maintien en prison des malades mentaux posent des problmes thiques
graves, alors que 20 % de la population pnale est constitue de malades psychiatriques, qui
sont de moins en moins reconnus comme irresponsables. Il dnonce la surpopulation
carcrale et le recours la dtention provisoire pour des prvenus prsums innocents. "La
prison ne peut tre un lieu o le dtenu n'a pas accs aux droits fondamentaux garantis tous
par la loi et notamment le droit la sant...La prison est aussi cause de maladie et de mort :
c'est u n lieu de rgression, de dsespoir, de violences exerces sur soi-mme et de suicide",
poursuit le CCNE,. Il regrette le faible nombre de librations de prisonniers en fin de vie et "le
maintien en prison de personnes qui ne devraient pas y tre", en citant "les mourants, les
grands vieillards, les personnes lourdement handicapes". La rflexion sur la sant en prison,
estime le CCNE, doit s'largir "un problme qui engage la socit dans son ensemble : nous
sommes tous, en tant que collectivit, et chacun d'entre nous, en tant que citoyen, responsables
du respect de la dignit humaine des personnes dtenues".

Linefficacit de la rponse-prison

La prison est dans un tel tat que lemprisonnement ne peut, aujourdhui, rien apporter si ce
nest une limination temporaire du dlinquant mais aussi une dtrioration du dtenu et une
inscurit majeure pour lavenir. En 2007, en France, le choix de la prison, quil sagisse du
lgislateur ou du juge, ne peut tre quun pis aller, une solution du dernier recours. Ltat
actuel des maisons darrt franaises est tel quil devient risqu dy placer qui que ce soit. Elle
expose le prisonnier un certain nombre de dangers. Il faut donc dexcellentes raisons pour
que la socit prenne ce risque. Elle doit le prendre dans certains cas, mais condition de
mener par ailleurs une autre politique fonde sur un vritable individualisation de la peine et
sur le respect des valeurs de la dmocratie. Or les solutions mises en oeuvre depuis 2002 et
celles que nous promet le candidat-ministre prennent allgrement ce risque de la prison et
mme de laccroissent puisque la seule rponse propose est un dveloppement de
lemprisonnement.

Mais ltat des prisons nest la pas la seule raison incitant sa restriction. La vraie raison est
son inefficacit. Inefficacit faire baisser la dlinquance, inefficacit empcher la rcidive.
Lextension des prisons naccrot pas la paix dans la cit. Leurs deux millions de dtenus nont
pas rendu les Etats Unis plus srs. Cette limination sociale temporaire est, dans la gamme
des peines, la plus lourde, la moins efficace et la plus coteuse. Mais, tant que lhomme naura
pas invent dautre faon de protger la socit, il faudra bien, dans certains cas, y recourir,
avec dtermination certes, mais aussi avec une grande prudence, lissue dun examen srieux
et aprs une rflexion relle et approfondie sur chaque cas. Car, contrairement aux ides
reues, lefficacit dune sanction ne dpend pas de sa svrit ou de la souffrance quelle fait
natre. Cest dailleurs dans les poques et les pays o les peines sont les plus cruelles que la
criminalit est la plus dveloppe. Lefficacit dune sanction est plus complexe; elle rsulte

26
de lintelligence de son choix, de lanalyse de la personnalit du dlinquant, de la pertinence
du traitement propos, de son acceptation par lintress et de sa comprhension par la victime
et la socit toute entire.

Labsence consternant de politique pnitentiaire: la politique du 14 juillet

Il nexiste en France strictement aucune politique pnitentiaire. Il suffit pour sen convaincre
de regarder chaque anne la courbe des chiffres de la dtention. Quy voyons-nous? Toujours
la mme courbe, indfiniment. Doctobre juillet une courbe ascendante: les magistrats
mettent en prison. Aot, septembre, le roi les vide. Le roi, ou ce quil en reste, le prsident de
la Rpublique qui use de ce vieux pouvoir rgalien du droit de grce, avec le paradoxe quil
sexerce le 14 juillet. Des milliers de dtenus sortent de prison. Pourquoi? Parce quil fait
beau? Parce que la Bastille a t prise il y a quelque temps? Labsurdit dune telle situation
serait comique si le sort de milliers dhommes nen dpendait.

Des solutions possibles, une prise de conscience collective.

La prison est une des rponses la dlinquance. Elle doit retrouver sa place, une place limite
dans larsenal des peines, parmi les solutions dexclusion dont dispose la socit. Plusieurs
voies doivent tre explores en parallle.

- Les politiques. Nous sommes tous responsables de ltat actuel des prisons. Il ne sagit pas
de jeter la pierre aux politiques, aux magistrats ou lopinion publique. Chacun doit avoir
conscience de sa propre responsabilit. Les politiques doivent cesser de recourir
compulsivement la prison, arrter de chercher leur popularit, chaque vnement
mdiatique, dans un appel irrflchi plus demprisonnement. Leur engagement ne doit plus
tre cyclique. Il ne sagit plus dcrire des rapports indigns tous les dix ans, de refaire une
commission Outreau la prochaine catastrophe, mais dinscrire laction politique concernant
la prison dans le long terme et dans un projet cohrent. Dores et dj, le ministre de la Justice,
plutt que dessayer dattacher son nom une nime loi sur la dtention provisoire voue
peupler le cimetire des grandes rformes, fera bien de mettre en oeuvre ses pouvoirs
ordinaires, lui qui dirige tous les parquets de France. Quelle meilleure preuve de sa
dtermination, de sa bonne foi, et de son intelligence que de donner des instructions pour que
la loi sur la dtention provisoire soit enfin applique la demande des parquets? En
sappuyant sur une structure scientifique et impartiale telle que le Conseil National de
Politique criminelle dont nous parlions prcdemment (ou toute autre du mme type), il faut
avant tout que les pouvoirs publics et les ministres les plus concerns (justice, intrieur) aient
inlassablement une action pdagogique vis vis de lopinion publique.

- Les magistrats ont une responsabilit tout aussi grande. Ils ont tout gagner se rapproprier
leur rle de gardien des liberts dans un domaine aussi sensible que celui de la prison. Ils
seront rellement juges en assumant cette indpendance premire qui leur demande
dappliquer la loi et les principes fondamentaux du droit, mme sils sentent lhostilit dune
partie de lopinion publique. La scurit des citoyens sera mieux assure si les dtenus sont
traits dignement. La protection des victimes passe par une utilisation modre de la prison. La
prvention de la dlinquance exige une politique restrictive de lemprisonnement et le

27
dveloppement de toutes les mesures alternatives la prison. La rflexion doit remplacer les
habitudes, la motivation doit supplanter le rflexe, le souci de lindividu, lcoute du
justiciable ne peuvent conduire qu des peines intelligentes acceptes de tous.

- Loi pnitentiaire et code pnal. Si loi il doit y avoir, elle doit avoir un rle avant tout
symbolique. Un vrai dbat national sur la prison peut natre cette occasion mais aussi sur le
rle et le sens de la peine. Cette loi permettrait de faire entrer en vigueur les rgles
pnitentiaires europennes qui viennent dtre dfinies par le Conseil de lEurope, lEurope ne
devant pas tre invoque uniquement lorsquelle propose de renforcer la lutte contre la
criminalit. Le respect absolu du nombre de places en prison doit tre inscrit dfinitivement
dans la loi, pas uniquement pour les tablissement pour peine mais pour toutes les prisons.
Une retouche du code pnal serait la bienvenue. lire la loi, on a limpression que la seule
peine possible est la prison. Pour nimporte quelle infraction, une fois sa dfinition pose, on
lit immdiatement: sera puni de tant dannes de prison et dune amende. Pourquoi cette
rfrence automatique lemprisonnement? Pourquoi, pour les dlits datteinte aux biens, par
exemple, ne pas proposer immdiatement un travail dintrt gnral? On pourrait lire: le vol
sera puni au maximum dune peine de 300 heures de travail dintrt gnral.
Lemprisonnement resterait possible en cas de rcidive. Toutes les peines dites alternatives
doivent tre rhabilites et dveloppes. Si ladministration pnitentiaire cesse dtre ce
gouffre budgtaire, il sera possible de recruter massivement des ducateurs, des travailleurs
sociaux et du personnel de soin pour rendre la prison moins inhumaine et dvelopper enfin
rellement le milieu ouvert. Inutile de relancer une politique de libration conditionnelle, de
dvelopper dautres types de peines si le personnel ducatif et soignant reste au niveau o il est
aujourdhui. .
















28
Chapitre III
JUSTICE AUTOMATIQUE

Lexcuse et la barbarie

Si lon excuse la dlinquance aujourdhui, il faut sattendre la barbarie demain, Nicolas
Sarkozy. Lexpression revient souvent dans sa bouche, le slogan, apparemment russi ayant eu
lheur de plaire. Excuser: mettre hors de cause, justifier, pardonner. Barbarie: tat trs loign
de la civilisation, acte dune grande cruaut. Qui justifie ou pardonne les dlinquants en
France? Apparemment personne. Quest-ce quun barbare? Le barbare, cest dabord
lhomme qui croit la barbarie, disait Claude Lvi-Strauss. La formule de Nicolas Sarkozy
est videmment malheureuse. Mais il faut la suivre jusquau bout, au-del du haussement
dpaule que provoquerait un bon mot lgrement maladroit. Le mot barbarie sert dcrire
cette fin de civilisation, cette dcadence violente qui suivrait une trop forte comprhension de
lacte de dlinquance, qui saccompagnerait dun nervement de la rpression et en dfinitive
dun refus de juger. Tenter de comprendre aboutirait finalement laisser les dlinquants en
libert et accrotre le crime dans un monde sans juge ni police, un monde sans rgle, ni loi.
On peut se demander do Nicolas Sarkozy tient cette vision apocalyptique qui ne correspond
aucune volution encore connue de lhumanit. Pourquoi assimiler le questionnement sur
les causes du crime une excuse? Pourquoi cette peur de comprendre?

Peut-tre ce refus sexplique-t-il par la crainte dtre confront aux vritables causes de la
dlinquance, et cette vrit dvidence: le dlinquant nest pas un monstre, il nous
ressemble, il na pas de gne particulier. Nous pourrions tre sa place si sa vie avait t la
ntre. Nous avons tous en nous de quoi faire un parfait dlinquant.

En fait, il est beaucoup rassurant de penser quil ny a rien comprendre. Nous vitons ainsi
de jeter le moindre regard et sur nous-mmes et sur le monde qui nous entoure. Ds lors la
dlinquance devient quelque chose dextrieur, une entit propre, Elle na pas de cause, elle
est un pur produit. Nous pouvons la choisir ou la rejeter librement. Elle fait lobjet dun pur
choix de lesprit humain. Elle est lexpression dune volont dlibre. Commettre un crime
ou un dlit devient une affaire de volont, une volont quil faut donc briser puisque cest ce
niveau-l quil faut agir, lexclusion de tout autre. La lutte pour la scurit devient dans cette
optique un combat de volonts contraire: dun ct celle du dlinquant qui tient farouchement
passer lacte pour y trouver diverses satisfactions, de lautre celle de lEtat protecteur qui
doit lgitimement punir svrement et mme de plus en plus svrement si le dlinquant
persvre et rcidive.


Quand les esprits seront mrs ou la rengaine des pleines plancher


29
Je demande que les peines plancher, cest dire que des gens qui reviennent pour la 20
me

fois devant le tribunal correctionnel, je souhaite quils soient automatiquement condamns
une peine lourde (Emission vous de juger, France 2). Faut-il tablir des peines minimales,
dites plancher? terme oui; mais les esprits ne sont peut-tre pas encore assez mrs pour
cela (intervention du 21 novembre 2006 lAssemble Nationale).

Voici plus de deux ans que le fruit mrit. Inlassablement Nicolas Sarkozy revient sur le sujet
et en fait lun de ses principaux chevaux de bataille. Il avait tent, en vain, dintroduire cette
rforme dans la loi sur le traitement de la rcidive promulgue en dcembre 2005. Personne
nen voulait, sauf lui: il a du renoncer provisoirement. Il a retent sa chance un an plus tard,
dans le cadre de la loi sur la prvention de la dlinquance; il voulait, l, faire appliquer les
peines plancher aux mineurs rcidivistes. Le groupe parlementaire UMP a tent de proposer un
amendement en ce sens mais la manoeuvre a chou de la mme faon et pour les mmes
raison quen 2005. LUMP na pas os et le premier ministre a renouvel sa profonde hostilit
au principe.

On peut lgitimement se demander pourquoi une telle obstination. Le ministre-candidat a
moins le mrite du courage car il tait trs isol dans la classe politique, en dehors de ses amis
proches, lorsquil a commenc proposer cette mesure. Au sein du gouvernement, depuis
2002, il na trouv aucun appui. Mme ses fidles allis que furent les gardes des sceaux
successifs, Dominique Perben ou Pascal Clment, pourtant prompts le soutenir, ont
condamn son initiative. Tous le lui ont dit sur tous les tons, rien ny a fait. La rforme a donc
t carte provisoirement des registres du parlement mais elle resurgit dans la campagne
prsidentielle. Si le ministre de lintrieur est lu, il a promis quil la ferait voter tout de
suite. Il faut donc essayer de comprendre le sens de cette proposition, dans quel projet elle
sinscrit et si elle correspond un vrai problme. Dautant que cette ide de peine plancher,
propose aujourdhui, pour les rcidivistes majeurs puis mineurs, a toute chance, si son
promoteur est lu, de sappliquer bien dautres catgories de dlinquants que les rcidivistes.

Peine-plancher, peine-plafond, largumentation de Nicolas Sarkozy

Largumentation principale en faveur de la peine-plancher est trs simple. Elle de nature
purement rpressive. Il sagit de frapper fort pour tre dissuasif. On rejoint l la philosophie
de base sur lexcuse et la barbarie. Tel tait le motif principal de la proposition de loi dpose
le 4 fvrier 2004 par les amis du ministre de lintrieur, M. Estrosi en premier. Son intitul
tait clair: proposition de loi tendant instaurer des peines minimales en matire de
rcidive. Lexpos des motifs tait une longue lamentation rpressive contre les rductions de
peine. Les peines prononces par les juridictions rpressives en cas de rcidive lgale restent
la plupart du temps trs largement infrieures au maximum de peine encouru hors
application des dispositions daugmentation de la peine. En outre, les mesures
damnagement de la peine et lapplication des dispositions relatives au cumul et la
confusion des peines tent au principe daggravation des peines en matire de rcidive lgale
une grande partie de son exemplarit et de son effet dissuasif. En consquence, le dispositif
propos adressait un message fort aux dlinquants afin de ne plus banaliser la rcidive
lgale. Il ne sagissait pas, contrairement ce que laisse croire le ministre-candidat de punir
celui qui revient pour la 20
me
fois mais celui qui revient simplement pour la 2
me
fois. Il est

30
videmment plus facile de parler de la 20
me
fois que de la seconde ou de la troisime. Mais
dans la ralit, la peine plancher sera trs rapide. Le disposition mrite dailleurs quon la
rappelle. Pour les dlits, la premire rcidive, la peine serait fixe un tiers de
lemprisonnement ferme maximum prvu. la deuxime rcidive, la peine-plancher est fixe
aux 2/3 et la troisime, cest le maximum qui est automatiquement appliqu sauf titre
exceptionnel, par dcision spcialement motive du juge. On voit donc que le terme de
peine-plancher est impropre, il faudrait plutt parler de peine-plafond. Dans leur fureur de
rpression, les auteurs de la proposition demandaient mme quaucun amnagement de peine
ne soit possible pour les rcidivistes de la part du juge de lapplication des peines et que mme
le placement sous surveillance lectronique soit exclu.

Le systme de peine-plancher dsormais propos par Nicolas Sarkozy est encore plus svre
que celui dvelopp dbut 2004. Il la expos dans une interview au Parisien, le 21 fvrier
2007 puis dans une interview RMC le 26 fvrier 2007: alors je demande donc que lorsquil
sagit dun rcidiviste, la premire rcidive, il sache quon ne peut pas le condamner
moins de la moiti de la peine potentielle. A la deuxime rcidive, quil ne puisse pas tre
condamn moins des deux tiers de la peine potentielle... Et pour la troisime, ce sera
100% de la peine prvue.

Lautre argument avanc pour les peines planchers tient une sorte de paralllisme des
formes.
Si le plafond des peines nempche pas la libert, pourquoi le plancher le ferait-il?
sexclame navement Nicolas Sarkozy le 7 novembre 2006 devant un parterre de procureurs
gnraux et de recteurs. Personne na rpliqu cette pense profonde. Mais chacun
comprend la diffrence sans quil soit besoin dtre ni avocat, ni procureur gnral. Ldiction
dun maximum par la loi rpond au souci dtablir une proportionnalit entre lacte et la peine.
On ne peut pas punir un vol simple de 30 ans de rclusion criminelle. Il faut donc prvoir, pour
protger la libert, que le juge soit limit par un plafond qui sera, autant que faire se peut,
proportionn la gravit moyenne de linfraction. La libert dont il sagit est une garantie
contre larbitraire des juges.
Prvoir un minimum de peine en dessous duquel le juge ne peut descendre rpond un souci
compltement diffrent. Cette institution ne protge la libert de personne. Elle est simplement
lexpression dune volont rpressive de punir cote que cote.

Les oppositions au sein de la droite

Contre ce systme de peines plancher, plusieurs voix se sont leves. Les plus intressantes
viennent du propre camp de Nicolas Sarkozy.
Dominique Perben, alors Garde des Sceaux, le 4 dcembre 2003, ironique: la justice nest
pas un questionnaire choix multiples. Attention de ne pas senfermer dans un catalogue de
peines. Puis le 29 janvier 2004: dans un tat dmocratique, il faut laisser au juge
indpendant la possibilit de tenir compte de la personnalit du dlinquant et du contexte dans
lequel le dlit a t commis. Il estimait quune loi contraire serait sans doute anti-
constitutionnelle.
Dominique de Villepin, ministre de lintrieur, le 22 avril 2004, nergique: je suis contre
lautomaticit de la peine et pour lindividualisation, ce qui peut supposer une aggravation de

31
la sanction pour les multircidivistes. Personnalisation ne veut pas dire laxisme.
Jean-Luc Warsmann, membre UMP de la commission des lois, le 8 dcembre 2004,
patriotique: les peines plancher sont une inspiration du droit anglo-saxon. Les instaurer
reviendrait bouleverser la philosophie du droit franais, remettrait en cause
lindividualisation des peines. Et a, nous ne le souhaitons aucun prix.
Dominique de Villepin, premier ministre, le 10 novembre 2006, pdagogique: faut-il aller
jusquaux peines plancher? Je ne le crois pas. Pour quune peine soit efficace, il faut quelle
soit personnalise. Ce qui compte, ce nest pas dalourdir lexcs les sanctions sur le papier,
cest de sassurer que les sanctions soient effectivement appliques sur le terrain.

Lchec historique des peines automatiques

En fait ce systme de peine plancher ou de peine fixe ou encore de peine automatique sest
toujours heurt en France lhostilit des juges. Mouvement corporatiste? Dfense indign des
magistrats attachs leurs prrogatives? Non, il sagit dun mouvement naturel, propre lacte
de juger, quil sagisse dun dlinquant primaire ou dun rcidiviste, dune personne
poursuivie pour dlit ou pour crime. Les premiers refus nmanaient pas de juges
professionnels mais de jurys. Au dbut du XIXme sicle, les jurys prfraient dclarer des
coupables innocents plutt que de les voir condamner des peines fixes trop fortes dont ils ne
voulaient pas. Montesquieu lui-mme disait: lorsque la peine est sans commune mesure, on
est souvent oblig de lui prfrer limpunit. Le mme mouvement tait constat lorsque la
relgation tait une peine obligatoire: les juges prfraient ne pas prononcer la peine qui allait
automatiquement entraner lapplication de la relgation. Face un homme, quil soit
dlinquant, ou non lcoute de sa vie, les plus belles constructions lgales volent en clat.
Cest pourquoi, au terme de longues discussions, le nouveau code pnal franais en vigueur le
1
er
mars 1994, a supprim la notion mme de minimum de la peine, prfrant limiter les
ambitions de la loi la fixation du maximum de la peine.

Les peines plancher ltranger

On pourrait considrer que les peines planchers simposent en France parce quelles ont acquis
leurs lettres de noblesse ltranger, que leur importation est une vidence, devant laquelle la
tradition juridique franaise - qui nest peut-tre pas si dterminante - devrait sincliner. Mais
lexamen des expriences trangres est loin de soulever lenthousiasme quon imaginait. Et,
pour tout dire, cest plutt un sentiment deffroi qui vous refroidit et glace les premiers
enthousiasmes. Certes les Etats Unis, en tout cas plusieurs Etats des Etats Unis, ont
expriment les peines automatiques et beaucoup de dmagogues ont russi conforter leur
carrire politique sur des propositions de loi de ce type-l qui sont apparues dans les annes
80. Car ces lois-l sont extrmement populaires. On aurait tort de loublier. Elles ont
limmense mrite de la simplicit. Tout le monde na pas envie de rflchir au sort des
prisonniers: un dlinquant puni a le sort quil mrite. Pourquoi sembarrasser dune
quelconque rhabilitation? Pourquoi se fatiguer quant la messe est dite, quand la peine a t
prononce? Aux Etats Unis beaucoup de lgislations ont ainsi fleuri sur le terreau de la
simplicit et de la dmagogie. Lesprit de ces lois est exactement le mme que celles que nous
propose Nicolas Sarkozy. Empcher les rductions de peine en appliquant le principe de la
vrit des sentences (Truth in sentencing): la majeure partie de la peine (85% gnralement)

32
doit tre effectivement purge en prison. Obliger le juge prononcer une peine plancher
(mandatory minimum sentences) sans quil puisse prendre en considration une quelconque
circonstance attnuante. Prvoir une peine trs leve et incompressible partir de la troisime
condamnation: la fameuse loi ditethree strikes and youre out (expression de base ball: trois
infractions et vous tes hors jeu). Les peines schelonnent alors de 25 ans de rclusion a
rclusion criminelle perptuit.
Les exemples aberrants dapplication de ces lois aberrantes sont connus.
- rclusion criminelle perptuit assortie dune mesure de sret de 27 ans pour le vol dune
roue de secours aprs deux condamnations pour vol avec effraction.
- 25 ans demprisonnement pour le vol dune pointe de pizza aprs avoir t condamn pour
cambriolage et possession de drogue.
- rclusion criminelle assortie dune mesure de sret de 25 ans pour dtention de 0,5gramme
dhrone, aprs deux condamnations pour vol avec effraction.
- 30 ans demprisonnement pour avoir vol le magntoscope et la collection de monnaie de
son voisin alors quil avait t condamn deux fois pour avoir mis le feu une bote ordure
et au vide-poche de la voiture de son voisin.
Les consquences de ces lois sur la socit amricaine sont aussi connues: en 30 ans, la
population pnitentiaire des Etats Unis est pass (1972-2003) de 330.000 plus de 2M Les
consquences de cette emprisonnement de masse commencent se faire sentir car ces
personnes qui ont pass de si longues annes en prison finissent quand mme par sortir dans
des conditions pouvantables. On imagine lampleur des difficults pour ces populations qui
tentent de revivre une vie normale aprs une si longue absence et les risques de toutes sortes
quils encourent ainsi que la socit dans son ensemble.

La loi nest pas faite pour le particulier mais pour le gnral

Si lhostilit est si forte contre les peines automatiques et les checs si patents, cest que le
systme recle de graves dangers. Il repose surtout sur une conception errone du rle et de la
place de la loi, ce qui est assez gnant dans une dmocratie. La loi est faite pour le gnral, pas
pour le particulier. Cest cette perspective, large et souple, qui permet au citoyen,
ladministration, au juge, la dfense, de faire passer la vie, lquit, le souffle de limprvu,
de limprvisible, de linconnu, bref, du juste. Cette constatation-l nest ni trs originale, ni
bien neuve. On hsite citer Aristote pour ce dbat. Il ne sagit pas de se rfrer la justice de
la Grce antique mais simplement une des plus grandes intelligences du monde qui, il y a
2300 ans, rflchissait pertinemment au rapport de la loi et du juge sous langle des notions de
lquitable et du juste. Lquitable, tout en tant suprieur une certaine justice, est lui-
mme juste, et ce nest pas comme appartenant un genre diffrent quil est suprieur au
juste... Ce qui fait la difficult, cest que lquitable, tout en tant juste, nest pas le juste selon
la loi, mais un correctif de la justice lgale. La raison en est que la loi est toujours quelque
chose de gnral, et quil y a des cas despce pour lesquels il nest pas possible de poser un
nonc gnral qui sy applique avec rectitude (Ethique Nicomaque, V, 14).

Ces quelques lignes permettent de bien comprendre quelle est lessence de lacte de juger et en
quoi un systme de peine automatique est un non-sens. Mais pour le saisir il faut se pencher un
peu sur ce que signifie juger: ce nest pas appliquer abstraitement une personne indtermine
une rgle pr-dfinie. Ce nest pas appuyer rapidement sur la touche dun distributeur de

33
peines. Dans ce cas, il serait possible de sen tenir lexamen dun simple dossier, ce que le
procureur de la Rpublique de Boulogne, dans laffaire dOutreau, appelait de ce terme
magnifique, le dossier-papier. La justice soriente de plus en plus vers ce type de
traitement o lon se passe allgrement du dbat public, de lcoute, de la parole, de ce
quon appelle le contradictoire. Ces procdures expditives ont limmense et apparent
avantage de la rapidit et de lefficacit, sagissant des chiffres en tout cas. Hlas pour tous les
technocrates o germent de tels projets, il ne sagit pas vraiment dune justice. Tout au plus
dun traitement administratif. Mme sil a lieu en temps rel selon la formule aujourdhui en
vogue dans la technocratie judiciaire.

La justice suppose en effet que soient pris en compte et vraiment entendus la parole et
lhistoire des personnes concernes: laccus comme la victime. Quand une vraie justice est
rendue, se produit alors une sorte de miracle: les convictions pralables, les intimes
convictions qui avaient clos la lecture des procs-verbaux peuvent se dissoudre, voire
voler en clat, ou, au contraire, se renforcer de faon inattendue. Le juge tait sr dune
culpabilit ou dune innocence et voil que le dbat public fait surgir autre chose, dautres
lments, une autre vision des faits. Aucun lgislateur, si sage, si prvoyant soit-il, ne peut
imaginer lavance la complexit de la vie, quel que soit le cadre dans lequel elle sexprime,
judiciaire ou autre. Il ne peut descendre dans des dtails infimes et doit sen tenir un niveau
de gnralit suffisant. La loi nest que le cadre o peut se dvelopper la vie, elle ne peut pas la
remplacer.

Quand il faut choisir une peine, le lgislateur ne peut davantage tout prvoir. Sanctionner est
loin dtre une opration simple. Le juge doit prendre en considration une quantit
considrable de donnes mme si, dans la pratique, la lecture des jugements, cette
complexit est rarement perceptible. Les juges se font discrets sur leurs rflexions et leurs
tourments. Mais cette pudeur ne nous dispense pas de chercher. Dans la tte du magistrat, les
indications de la loi sont un des lments dapprciation mais il y en a tant dautres. Chaque
infraction est spcifique. Chaque tre est unique. Il ne suffit pas, par exemple, de dire quil y a
eu un vol. Bien dautres interrogations, et leur rponses, vont influer sur la dcision. Ainsi: le
vol a-t-il t prpar ou non? Comment sest-il droul? Dmontre-t-il une improvisation, une
maladresse, ou au contraire une habitude, un professionnalisme? A-t-il russi ou chou? Y a-
t-il un butin, un profit? La victime a-t-elle souffert de ce vol? Lui a-t-il caus une simple gne?
Un traumatisme? Le vol a-t-il caus un trouble dans le quartier, dans la ville, la rgion? Quelle
est lattitude de laccus? Est-il sincre, crdible? Regrette-t-il rellement les faits ou pas du
tout? Avait-il des antcdents? A-t-il volu depuis? Prsente-t-il des troubles (toxicomanie,
alcoolisme, maladie mentale, traumatismes divers...) qui peuvent tre lorigine du vol? Ces
troubles ont-ils dj t reprs? Ont-ils t soigns? Ce nest videmment pas tel ou tel article
dun code quelconque qui permettra de rpondre ces questions. La justice est toujours un
quilibre particulier mme si les donnes juridiques de base sont identiques pour tous. Cest de
cette diffrence entre la rgle ordinaire et son application concrte que nat le sentiment de
justice et que sloigne le sentiment si courant dtre tranger son procs.

La peur du juge

Cette tentation dune justice automatique dcoule dune profonde incomprhension du rle de

34
la justice. Elle nest pas trangre une peur du juge. Lquilibre des pouvoirs dans une
dmocratie passe par lexistence dun vrai pouvoir judiciaire. Il ne sagit videmment pas
dune revendication corporatiste. Il y a longtemps que la crainte dun gouvernement des
juges sest estompe. La misre de la justice et son faible crdit limitent de toutes faons ses
ambitions. Mais, mme rduite sa stricte fonction, elle semble encore gner. Lide des
peines plancher et dune justice automatique participe dune vision simplifie de la socit o
tous les instruments ordinaires de rgulation contribuent la mise en oeuvre du plan politique
dcide par un pouvoir sans contradicteur. La culture du rsultat exprimente dans la police et
la lutte contre limmigration, lapologie de la tolrance zro viennent complter cette nouvelle
philosophie politique qui en rappelle dautres. La politique du tout rpressif ne peut se
satisfaire dune justice indpendante qui risque de mettre mal le nombre dinterpellations ou
de gardes vue dcid pour chaque anne ou une baisse programme de la dlinquance. Si le
juge reste indpendant, sil scarte du credo officiel, sil ose braver les objurgations du
ministre, il faudra, dans un premier temps quil rende des comptes. Mais bien vite il signera sa
reddition. Et la justice deviendra une administration. Elle prendra sa place dans la chane
pnale dont tous les maillons sont dj en place, entre la police et la prison.

Guider la main du juge

Nicolas Sarkozy ne souhaite dailleurs pas sen tenir aux peines plancher, lindpendance des
juges le chagrine tant quil cherche nimporte quel moyen pour contraindre leur dcision. On a
rarement vu un ministre de lintrieur proposer aux juges une meilleure faon de juger. On
navait jamais vu, dans une dmocratie, le chef de la police dire aux juges comment ils
devaient juger. Nicolas Sarkozy la fait. Il ne se contente pas de faire voter ses lois. Il veut que
la magistrature obtempre et les appliquent sans dfaillir. Dabord, il faut faire appliquer la
loi. Ce que je veux dire par l, cest que les citoyens doivent pouvoir faire confiance la loi,
en tant srs quelle sera applique. Trop souvent ils ont le sentiment que ce nest pas le cas,
quil y a un foss entre la loi et lapplication qui en est faite. Cela pose videmment la
question de lapprciation des magistrats. Sans entrer dans aucune polmique, je veux dire
simplement que la loi est lexpression de la volont du peuple, et que, comme telle, elle doit
tre respecte... Pourquoi ne pas penser une sorte de guide dapplication de la loi,
lexemple des guide lines dictes par la commission europenne vis vis des juges
nationaux, dans le domaine compliqu du droit de la rgulation. Ce nest pas moi qui en parle
dailleurs, cest le premier des magistrats de France, le premier prsident de la Cour de
Cassation.

On est constern de voir les propos du premier prsident de la cour de cassation dtourns de
leur sens et mis au service dun discours populiste. Qui a pu rdiger cette fiche technique pour
le ministre? Lexemple des guides lines correspond un droit trs particulier et extrmement
complexe, celui des autorits cres pour rguler des secteurs dactivit tels que lnergie, les
transports, les tlcommunication, les finances, la bourse.... Il concerne un fonctionnement
conomique communautaire qui doit recevoir une application uniforme sur lensemble du
territoire europen. Ces procs mettent en jeu des entits conomique et absolument pas des
individus. Il nest en aucun cas gnralisable lensemble de la justice.

Peut-tre le ministre-candidat rve-t-il dun systme actuellement en vigueur aux Etats unis,

35
celui des sentencing guidelines, des recommandations de sanction ou lignes directrices
pour le prononc de la peine. Le juge sy transforme en une sorte de distributeur automatique
des peines, sont rle consiste appuyer sur quelques boutons. Pour chaque infraction, le juge
utilise deux paramtres. Le premier se rfre la gravit de laffaire, le second au pass
judiciaire de laccus. Horizontalement, une ligne figure le pass judiciaire du prvenu, les
infractions y tant classes par un systme de points dans un ordre de gravit croissante.
Verticalement, une autre ligne figure la gravit de linfraction reproche classe par niveaux de
1 43. Le juge na qu se rendre lintersection de ces deux lignes pour y constater la peine.
Il peut certes lgrement la modifier en raison de circonstances aggravantes ou attnuantes,
mais sa marge de manoeuvre est troite. Le juge doit justifier de son cart et un appel est
possible.

Ce systme peut tre la source de graves injustices. Tout simplement parce que juger est tout
sauf une opration mathmatique. La sanction est un quilibre quil faut rechercher chaque
fois. Il nest de pire injustice que dtre pris pour un objet. Une sanction efficace est une
sanction humaine laquelle le condamn peut adhrer. Or personne ne peut adhrer une
dmonstration mathmatique, on peut simplement ladmettre, car les mathmatiques existent
en dehors de nous.

Droit et dmocratie

Si le juge veut garder sa place, la place naturelle que les principes premiers de la dmocratie
lui assignent, il lui faudra tre plus que jamais juriste. Car le droit lui impose de ne pas se
contente de la peine quon lui souffle. Deux principes constitutionnels sont en jeu qui
traduisent la ncessit dadapter la peine au cas par cas, lindividu jug plutt qu lacte
commis. Le premier principe est celui qui veut que la peine prononce soit proportionnelle la
gravit de lacte commis. Ce principe est pos depuis 1789 par la Dclaration des Droits de
lHomme (article 8) et rappel rgulirement par le Conseil Constitutionnel franais. Lautre
principe est celui de lindividualisation des peines qui ncessite que sa personnalit soit prise
en compte par le juge: lexcution des peines privatives de libert en matire correctionnelle
et criminelle a t conue, non seulement pour protger la socit et assurer la punition du
condamn, mais aussi pour favoriser lamendement de celui-ci et prparer son ventuelle
rinsertion.
Il lui faudra aussi prendre rang parmi les barbares. Firement. En revendiquant sa place parmi
ceux qui coutent, qui entendent, qui attendent, qui observent avant dagir. On ne peut rien
gurir que lon ne connaisse. On ne peut rien punir que lon ne comprenne.

(1) Dcisions n86-215 du 3 septembre 1986 et 93-334 du 20 janvier 1994




36
Chapitre IV
MINEURS DLINQUANTS.
LE DBUT DE LA BARBARIE?




Le premier problme de scurit.

Le premier problme de scurit quil nous reste aujourdhui rsoudre, cest laffaire des
mineurs (Emission vous de juger du 30 novembre 2006). Lorsque je dis quun mineur
de 2006 na plus grand chose voir avec un mineur de 1945, ce nest pas pour le dnoncer,
cest pour chercher un moyen de le prserver. Or lordonnance de 1945 ne nous le permet
pas, mme si elle a t retouche plusieurs reprises pour apporter des dbuts de rponse
ce phnomne, et dernirement encore en mars 2004. Il ne faut donc pas sinterdire des rgles
nouvelles. Je le dis solennellement, si nous continuons avec la mme quasi-impunit garantie
aux mineurs dlinquants, nous nous prparons des lendemains trs difficiles, et nous
naurons nous en prendre nous. Sur les dix dernires annes, le nombre de mineurs mis en
cause a augment de 80%. Si ce nest pas un signal dalarme, je ne sais pas ce que cest.
(Discours au Snat, le 13 septembre 2006, lors de lexamen du projet de loi sur la prvention
de la dlinquance). Et je demande une chose prcise: quun mineur de 16 18 ans qui est un
multircidiviste, lexcuse de minorit lui soit supprime pour quil soit condamn comme un
majeur parce que pour Mama Galdou, cette jeune femme qui a t brle dans le bus de
Marseille, tre brle sur 62% de son corps... par un mineur ou un majeur, le rsultat pour la
victime est le mme. (Emission Riposte, la 5, le 10 dcembre 2006). Face aux actes de
violences gratuits, face la dlinquance des mineurs, la rponse de lautorit judiciaire doit
tre plus ferme. Si lon excuse la violence, il faut hlas, sattendre la barbarie. Cest
pourquoi jai souhait une premire rforme de lordonnance de 1945 sur les mineurs. Cest
pour rpondre cette violence de plus en plus dure, qui peut conduire les plus jeunes jusquau
crime, que jai demand des sanctions adaptes aux mineurs daujourdhui. La loi sur la
prvention de la dlinquance constitue, cet gard, un premier pas. Dautres tapes sont
devant nous. (confrence de presse du 11 janvier 2007, Ministre de lintrieur).

Une lection et cinq annes de gouvernement pour rformer la justice des mineurs

couter Nicolas Sarkozy parler de la dlinquance et de la justice des mineurs, on se demande
parfois si, depuis cinq ans, nous navons pas t victime dhallucinations. 2001-2002: le
principal sujet de campagne na-t-il pas t linscurit? Les deux principaux candidats de
lpoque nont-ils pas dj prement discut du sort rserver aux mineurs dlinquants
prcisment? Dans cette bataille, que certains ont peut-tre oublie, Lionel Jospin proposait de

37
crer de nouvelles structures dhbergement des mineurs dlinquants. Il tait fier de dresser la
liste des 51 centres dducation renforcs et des 43 centres de placement immdiat dont le
nombre allait augmenter en cas de victoire. Il proposait de rformer lordonnance de 1945 pour
tenir compte dun contexte social profondment modifi en dveloppant notamment laccueil
des mineurs dans des structures fermes. Jacques Chirac ntait pas en reste. Son programme
tait tonnamment proche de celui de la droite daujourdhui. Que proposait-il?
- objectif: impunit zro
- adapter lordonnance de 1945 sur les mineurs
- cration de centres prventifs ferms pour les mineurs dlinquants en instance de jugement
- cration dtablissements ducatifs ferms pour les mineurs multircidivistes...

Aprs la victoire de Jacques Chirac, la droite, toute la droite, a mis en oeuvre les rformes
promises. Depuis 2002, quatre rformes de lordonnance de 1945 ont eu lieu. Toutes ont le
mme objectif: modifier la philosophie de lordonnance de 1945, mettre fin une soi disant
impunit dont bnficieraient les mineurs, calquer la justice des mineurs de celle des majeurs,
les faire juger plus vite, plus svrement, crer des structures fermes pour mineur... La loi
dorientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 dite Loi Perben I
est la loi la plus aboutie en la matire. Elle contenait tout un titre (le titre 3) portant rforme
du droit pnal des mineurs. 21 articles de cette loi modifiaient lordonnance de 1945! Toutes
les dispositions de cette loi allaient dans le sens de davantage de rpression. Les centres
ducatifs ferms taient crs. Apparemment toutes ces rformes faites par un gouvernement
o Nicolas Sarkozy a t presque constamment ministre ne suffiraient pas. Les mineurs ont
encore chang, il faudrait, cette fois-ci, les traiter comme des majeurs partir de 16 ans et les
mettre davantage en prison. Depuis 2002, leur impunit naurait donc pas cess malgr tous les
efforts du gouvernement et la dlinquance juvnile aurait augment malgr la politique du
ministre de lintrieur.

Les mineurs de 2006 et ceux de 1945: labaissement de la majorit pnale 16 ans.

Croyez-vous raliste quun jeune de 17 ans et demi, de 1m90, qui a commis des violences
rptes, soit prsent devant un juge quon appelle un juge des enfants? (Discours du 25
mars 2006)
12
. Comment expliquer une grand-mre qui se fait agresser par un jeune de 17
ans et demi, qui fait 1m80, quil nest pas responsable parce quil est mineur? (Discours du 3
juillet 2006). Les mineurs dlinquants - ceux de 16/18 ans en tout cas - ont beaucoup chang,
nous dit Nicolas Sarkozy qui voque loisir des agressions main arme, des viols, commis
par des jeunes gens mineurs mais parfaitement adultes physiquement. Ils nont plus rien
voir avec ceux de 1945. La jeunesse change! Belle dcouverte! Que na-t-on entendu ce
discours, tous les ges, toutes les gnrations, tous les sicles. Les apaches de la fin du
XIXme sicle et du dbut du XXme, ces bandes de jeunes dsoeuvrs des faubourgs de
Paris, violents, assassins, violeurs... Les blousons noirs des annes soixante, ces gants
de lpoque, qui se dplaaient en bande, d prfrence en moto et terrorisaient les banlieues.
Emile Garon, un des plus grands pnalistes du XXme sicle, crivait en 1922: quoiquil en
soit, le problme de lenfance coupable demeure lun des problmes les plus douloureux de
lheure prsente. Les statistiques les plus sres comme les observations les plus faciles,
prouvent, dune part que la criminalit juvnile saccrot dans des proportions fort

12
25 mars 2006, discours daccueil des nouveaux adhrents de lUMP, www.u-m-p-paris.org

38
inquitante, et, dautre part que lge moyen de la criminalit sabaisse selon ne courbe trs
rapide. Effectivement ladolescence est une priode difficile de la vie. Difficile pour la
socit, pour les parents, les ducateurs... mais pour ladolescent aussi. On a du mal croire
que les conseillers de Nicolas Sarkozy aient une vision si lmentaire de ce quest un mineur.
On entend le ministre se gausser parfois de la taille de ces grands dlinquants. Comme si ces
1m 90, voire 1m 80, qui leffrayent tellement pouvaient avoir un rapport quelconque avec ce
quest rellement un mineur. Cest dailleurs une des sources de la difficult de cet ge que de
shabituer vivre dans un corps qui le dpasse subitement. Lenveloppe change mais
lintrieur ne suit pas forcment. On ne devient pas majeur par leffet de sa taille. La maturit
ne se mesure pas en centimtre. Ladolescent est un tre qui est encore en grande volution,
en recherche dune adaptation au monde. Cette recherche se fait souvent dans la douleur,
parfois dans la violence contre les autres ou contre lui-mme. Lopposition au monde des
grands est une des composantes constantes de cet ge. Cest par sa vie sociale que le jeune va
pouvoir accder au statut dadulte en abolissant les diffrentes dpendances qui le rattachait
sa famille ou au milieu de son enfance. Ladulte, cest celui qui arrive vivre de faon
autonome, sassumer. La France a dj en 1974 (et non en 1945), modifi lge de la
majorit qui est alors pass de 21 18 ans. La majorit pnale franaise est dailleurs celle de
pratiquement tous les autres pays europens. Cet ge reste encore aujourdhui une limite
raisonnable entre le statut dadolescent et celui dadulte. Certes, dans leur comportement, les
jeunes de 16/18 ans changent. Comment en serait-ils autrement compte tenu de lvolution
rapide du contexte social, culturel, conomique... Mais si ladolescent accde aujourdhui plus
tt certaines informations, sil sinscrit diffremment dans la socit, sa problmatique de
base reste la mme. On peut mme constater que son entre dans le monde adulte se fait de
plus en plus tard, que son inscription sociale prend de plus en plus de retard. Les amis de
Nicolas Sarkozy veulent, en fait, abaisser lge de la majorit pnale 16 ans et faire juger les
mineurs de 16 18 ans par les tribunaux ordinaires. Tel est dailleurs le sens dune proposition
de loi que Christian Estrosi, lami fidle du ministre, a dpos lAssemble Nationale le 30
janvier 2001 (Proposition n2895). Larticle 1
er
de a proposition pnale tait clair: la majorit
pnale est fixe 16 ans. Il faut savoir quel tel est le projet rel du candidat actuel qui avance
lentement sur ce terrain en le pilonnant pralablement coups dides aussi simples que
fausses. Ladolescent de 2007 reste un adolescent. Il reste le homard, qui, une fois sa coquille
tombe, est oblig daller se cacher sous les rochers, le temps de scrter une nouvelle
coquille, vulnrable, incertain, compensant ses faibles dfenses par des attitudes parfois
excessives, parfois dviantes, parfois dlinquantes. Mais peut-tre faudrait-il aussi rcrire les
textes de Dolto qui eux aussi commencent dater. La taille des homards a srement d
changer..

Lacte ne dfinit le mineur

Un mineur sa dfinit par son ge, sa personnalit, ses structures mentales, son style de vie... Il
est autre chose que la srie de ses actes. On trouve dans le discours de Nicolas Sarkozy cette
ide que lacte pos dfinit son auteur et suffit en cerner la responsabilit. Lorsque, en
novembre 2006, dans une mission de tlvision, il sadresse sur le plateau une femme
chauffeur de bus, en la prenant tmoin de son indignation devant une agression commise
Marseille, il a cette curieuse phrase: dailleurs, quand mama Galdou se retrouve lhpital
de la Timone Marseille, quest-ce a lui fait, elle, de savoir quelle a t brle par un

39
mineur? Est-ce que vous croyez que cest diffrent dtre brl par un majeur? _ Non cest
pareil! rpond timidement son interlocutrice.
Curieuse faon daborder le problme des mineurs, et de la dlinquance en gnral! Le
ministre se met la place de la victime, et ne sintresse qu lacte, en refusant de voir qui est
lauteur. On peut certes sinterdire de chercher comprendre le pourquoi dun crime ou dun
dlit, ne rien vouloir savoir de la personnalit, du pass, du contexte de vie de son auteur, on
peut toutefois difficilement refuser de regarder lge du dlinquant, car cest en fait nier non
seulement la spcificit dune quelconque juridiction pour mineurs mais nier la spcificit de
lenfance et de ladolescence.

Quen est-il du droit des mineurs?

Contrairement ce quaffirme Nicolas Sarkozy, la France possde un droit des mineurs
particulirement svre. Il est un des pays dEurope o lge auquel la responsabilit pnale
peut tre retenue est le plus prcoce: il sagit, selon la loi franaise, de lge du
discernement, fix habituellement, selon la jurisprudence aux environs de 7 ans. Dans les
autres pays, il est plutt autour de 14 ans (10 ans en Angleterre, 14 en Italie ou en Espagne).
La France est aussi lun des pays o de trs lourdes sanctions peuvent tre prononces ds
lge de 13 ans puisque cet ge-l une peine de 20 ans de rclusion peut tre inflige. Pour
les mineurs de 16 18 ans, les mmes peines que les majeurs peuvent tre prononces. Un
mineur de 16 ans peut donc tre condamn rclusion criminelle perptuit. A titre de
comparaison, en Espagne, pour des mineurs du mme ge, la peine maximum est un
emprisonnement de 8 ans.
La procdure franaise prvoit donc lexcuse de minorit. Cette institution que Nicolas
Sarkozy veut supprimer mrite dtre explique rapidement. Elle consiste diminuer de moiti
la peine encourue par le majeur mais cette mesure ne joue pas du tout de faon automatique.
Elle peut tre carte par le tribunal ou la cour dassises titre exceptionnel et compte tenu
des circonstances de lespce et de la personnalit du mineur (article 20-2 de lordonnance
de 1945). Et dans la pratique, il arrive, en cour dassises en tout cas, quelle soit effectivement
repousse. Pourquoi ne pas faire confiance au tribunal pour enfants qui est compos,
rappelons-le, de deux assesseurs citoyens, ou au jury de la cour dassises? Est-il inconcevable
quun mineur de 17 ans qui a commis un crime sorte de prison 32 ans plutt qu 47? Faut-il
rappeler au ministre de lintrieur que Patrick DILS avant dtre acquitt en avril 2002 et
dtre indemnis par lEtat dune somme dun million deuros sest vu refuser lexcuse de
minorit alors quil avait 16 ans lpoque o il tait cens avoir commis les faits? Il avait t
condamn une premire fois la perptuit en 1989 et 25 ans de rclusion en 2001!

Lexplosion de la dlinquance des mineurs? Faux: la part de la dlinquance des mineurs
baisse depuis 1998

Nicolas Sarkozy affirme donc pour justifier son cri dalarme permanent que la dlinquance des
mineurs a explos. Il avance constamment le chiffre terrible dune augmentation de 80% en
dix ans. Il citait encore ce chiffre en septembre 2006 au Snat. Voyons donc les chiffres. Ils ne
correspondent absolument pas cette version. En effet la part des mineurs dans la dlinquance
en France ne cesse de baisser depuis 1998. Cette anne-l, les mises en cause de mineurs
reprsentaient 21,8% du total. En 2005, derniers chiffres publis, les mineurs nen reprsentent

40
plus que 18,15%. Nous avons retrouv le niveau de 1980! De plus le chiffre 80%
daugmentation est lui aussi faux. Le nombre de mineurs augmente mais dans des proportions
bien moindres. Si lon prend la priode des dix dernires annes de 1996 2005 (dernire
anne statistiquement disponible pour le ministre quand il sexprime en septembre 2006), on
passe de 143.824 mineurs mis en cause 193.663, soit une augmentation de + 49.839
mineurs, ce qui reprsente, par rapport 1996, en pourcentage +34,6% et non +80%!. Nous
pensons quen fait Nicolas Sarkozy, qui est pourtant trs au fait de la moindre volution
statistique, a dlibrment menti en prenant un chiffre retenu en 2002 par un rapport du Snat
sur la dlinquance des mineurs. Les Snateurs avaient relev quentre 1992 et 2001! le nombre
de mineurs mis en cause avait progress de 79%. En dfinitive Nicolas Sarkozy serait bien
inspir daffirmer que la dlinquance des majeurs a augment plus rapidement ces dernires
annes que celle des mineurs, mais il lui faudrait revoir ses slogans. Sen tenir la vrit, ce
nest pas refuser la ralit de cette dlinquance, cest refuser le mensonge.

Anne Mineurs
mis en
cause
%
1980 104.200 18%
1994 109.338
1995 126.233 15,9%
1996 143.824 17,8%
1997 154.437 19,4%
1998 171.787 21,8%
1999 170.387 21,3%
2000 175.256 21,0%
2001 177.010 21,2%
2002 180.382 19,9%
2003 179.762 18,8%
2004 184.696 18,1%
2005 193.663 18,15%


Laggravation de la dlinquance des mineurs?

Si les interpellations augmentent, la nature des infractions commises par les mineurs a-t-elle
chang ? Cest ce que lon nous serine en permanence: les mineurs sont plus grands, plus forts
et leurs actes sont beaucoup plus violents. Nicolas Sarkozy reste par ailleurs focalis sur un
certain type de dlinquance des mineurs, celle des quartiers difficiles. Il voque sans cesse les
mineurs soumis au cadat de leur quartier. Mais la dlinquance des mineurs est bien loin
dtre rductible la seule dlinquance de groupe ou mme celle de quartiers sensibles. Tous
les mineurs dlinquants ne vivent pas en groupe, en bande ou en banlieue. Il sagit dune
vision simpliste de plus.

41
Si lon examine les infractions commises par les mineurs, pour une priode de onze ans, de
1994 2004, les deux catgories dactes les plus graves, les vols main arme et les
homicides ont diminu. Si on y ajoute les viols et les squestrations, lensemble de cette
dlinquance trs grave ne reprsente que 1% de la dlinquance des mineurs. En ralit, la
hausse de la dlinquance des mineurs est avant tout due laugmentation considrable du
nombre de vols simples (+78%), des vols ltalage (+40,8%) et des vols avec violence
(+83,1). Autres augmentations considrables, les outrages et rebellions (de 1655 5179), les
coups et blessures volontaires (de 5637 16791) et les usages de stupfiants (de 3506
17989).
En 2005, le tableau suivant permet de bien mesurer quelle est limportance des actes graves
dans la dlinquance des mineurs. Si lon cumule les homicides, les coups mortels, les viols,
les vols main arme, les vols avec violence, ces infractions reprsentent 4,6% de la
dlinquance totale. Il est donc exagr daffirmer que les mineurs se livrent des actes de plus
en plus graves.


Infractions Part dans la
dlinquance des
mineurs
Total des crimes et dlits recenss par
la police
193.663
vols main arme 290 0,01%
vols avec violence 8852 4,57%
Autres vols 64881 33,5%
Recels 10976 5,6%
Infractions conomiques et financires 3387 1,7%
homicides et tentatives 89 0,04%
violences volontaires suivies de mort 15 0,007
Coups et blessures volontaires 18966 9,8%
Autres atteintes aux personnes 8499 4,4%
Viols 1509 0,78
Autres infractions sexuelles 3139 1,62%
Stupfiants 21232 10,9%
Infractions police des trangers 3786 1,95%
Dgradations 29201 15,1%

Les statistiques des condamnations prononces par les cour dassises en France sont un
excellent indicateur de lvolution de la gravit des actes de dlinquance des mineurs. On
constate un accroissement important jusquen 1999 du nombre de condamnations criminelles,
mais depuis lors, sur une priode de 6 ans, leur nombre semble stre stabilis dans une
fourchette de 560 630

42

Anne 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Total
condamnations
pour crimes
224 310 392 503 583 559 631 498 559 626
Meurtre 28 37 27 44 49 23 19 27 26 29
Violences
criminelles
13 22 13 26 45 51 38 28 33 23
Viols 136 202 264 330 403 385 433 363 421 486
Vols aggravs 47 49 86 100 80 97 130 68 60 76
Condamnations par les cours dassises de mineurs, source: annuaire statistique de la justice

Au total, il apparat que les mineurs commettent assez peu dactes trs graves. Laugmentation
de cette dlinquance grave sest stabilise depuis 1998/1999. L non plus, il ne sagit pas nier
une ralit qui reste proccupante mais de sen tenir une vrit qui se suffit elle-mme.
Cette vrit cest une frange de ces mineurs dlinquants qui fait preuve dune grande violence,
violence dont il faut trouver les causes et quil faut traiter et sanctionner avec fermet et
clairvoyance.

La quasi-impunit garantie aux mineurs dlinquants. Un dluge de mensonges.

Le mensonge le plus dangereux concerne le traitement actuel de la dlinquance des mineurs et
le rle de la justice des mineurs. Nicolas Sarkozy affirme longueur de discours que la justice
des mineurs est laxiste, quelle cherche trop comprendre, quelle ne punit pas assez et que
cette impunit est une calamit. Dcid faire croire que les juges des enfants sont laxistes, il
ose dire que des mineurs auteurs de viol ou de main arme sont punis dune admonestation
ou dune simple remise parents. Nimporte qui dautre oserait soutenir un tel mensonge se
verrait aussitt rappel lordre, ne serait-ce que par le ministre de la justice. Le ministre de
lintrieur semble avoir tous les droits. Peut-tre ses mensonges sont-ils si normes quils
laissent sans voix. On relit deux fois ses phrases pour tre bien sr que cest un ministre qui
parle et quil ne sagit pas dune discussion de bistro. Non, cest bien au Snat quil sexprime
le 13 septembre 2006: face cette ralit, nous vivons dans la culture de la rptition de
mesures comme ladmonestation ou la remise parents; comment esprer que ces mesures
aient un quelconque effet pour des faits aussi graves que des agressions main arme, des
viols... Le ministre de lintrieur va dailleurs trs loin, accusant la justice de non assistance
personne en danger: jajoute que cest de la non assistance personne en danger que de ne
pas sanctionner un mineur quand il fait quelque chose de grave au prtexte quil est mineur.
Car on lencourage senfoncer dans la dlinquance la plus forte (Emission vous de juger
du 30 novembre 2006).

La ralit judiciaire est assez simple analyser. Ces dernires annes, les procureurs de la
Rpublique traitent avec plus de svrit les mineurs. Rappelons ce quest le travail dun
procureur de la Rpublique. Il carte dabord les affaires qui ne tiennent pas. En 2005,
25.000 procdures traites par la police ont ainsi t cartes tout simplement parce quil
ntait pas possible, en droit, de les poursuivre. 20.000 ont t cartes parce que les

43
procureurs de la Rpublique estimait que le prjudice tait peu important, que les recherches
taient infructueuses, que le plaignant stait dsist... Les parquets procdent donc beaucoup
moins de classements sans suite.

Anne 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Classements
sans suite
49412 53619 53210 51826 51548 46028

Les parquets veulent absolument donner une rponse pnale aux infractions portes leur
connaissance. Ils utilisent beaucoup les alternatives aux poursuites pour des affaires qui,
auparavant taient simplement classes sans suite. Ces alternatives, ce sont des rappels la loi,
des procdures de mdiation-rparation. Elles sont en forte hausse depuis 2000


Anne 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Alternatives
aux poursuites
45326 48113 50017 53505 59113 63408

Quant aux poursuites - devant le juge des enfants, le juge dinstruction, ou, depuis peu,
directement devant le tribunal pour enfants, elles sont remarquablement stables depuis 2000.
Leur nombre oscille autour de 58.000 chaque anne. Simplement parce que la dlinquance des
mineurs depuis 2000 ne mrite pas davantage de poursuites.

Anne 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Poursuites 57280 59476 58842 57831 58148 58738

Quant dire que les mineurs ne vont pas assez en prison, il y a quelque incohrence le
regretter alors que la principale innovation de cette dernire lgislature a t de crer des
centres dducation ferme qui avaient vocation remplacer la prison dans des cas graves de
dlinquance rptitive. Ces centres se sont ouverts progressivement, souvent dans la difficult,
mais ils existent, de plus en plus nombreux. Ils ont eu pour effet de faire effectivement baisser
dans un premier temps puis de stabiliser le nombre de mineurs dtenus. Mais cet effet est
voulu et le ministre de la justice nen est pas peu fier! 20 de ces centres taient dj t
ouverts en novembre 2006, 20 autres sont prvus en 2007 et 4 en 2008 pour environ 500
places au total. Il reste que la dtention des mineurs est relativement stable depuis 1999. Au
premier janvier de cette anne-l, il y avait 714 mineurs en prison. Il y en avait 727 au 1 er
janvier 2007.


1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Mineurs 18
ans dtenus
573 561 628 669 714 718 616 826 808 739 623 732 727



44
Quant aux peines prononces, elles sont svres et le recours lemprisonnement na pas
faibli, loin de l. Cest la prison qui sanctionne presque systmatiquement les crimes. Quant
aux dlits, pour presque la moiti dentre eux (40%), les tribunaux pour enfants prononcent
des peines demprisonnement avec ou sans sursis. Les mesures ducatives, elles, ont augment
en nombre mais pas en proportion. Elles ne reprsentent plus que la moiti des sanctions:
50,3% en 2004 contre 54,6% en 1994.
Nous sommes donc, l encore, trs trs loin du laxisme dnonc.

Les affaires de Bobigny

Lorsque Nicolas Sarkozy ne dnonce pas le laxisme gnral des juges des enfants, il sen
prend nominativement tel ou tel. Ces derniers temps, sa bte noire tait le tribunal pour
enfants de Bobigny. Innovant dans les rapports du politique et de la justice, le ministre de
lintrieur nhsitait pas en juin 2006 crire au prsident de ce tribunal en citant des
exemples du soi disant laxisme des juges. Comment expliquer cette femme handicape de
56 ans, brle vive Sevran parce quelle en pouvait sextraire de son bus incendi par trois
mineurs de 16 ans, que ceux-ci ont t laisss en libert par votre tribunal lissue de leur
interpellation par la police? Ctait un mensonge pur et simple: ils taient en dtention
depuis plusieurs mois quand le ministre de lintrieur crivait. Autre mensonge: ce mineur de
17 ans, dj mis en cause 55 fois dont 12 fois pour vol avec violence, et laiss en libert par
votre tribunal aprs avoir rou de coups un chauffeur de bus qui refusait simplement de
sarrter entre deux arrts? En fait, il tait en prison. Entre 2002 et 2005, le nombre de
mineurs incarcrs par le tribunal de Bobigny avait augment de 23%.

Les principes rpublicains concernant la justice des mineurs

La France ne vit pas sur une plante isole. Nous nous inscrivons dans une histoire et une
tradition. Nos enfants, mme ceux qui ont failli, ont droit au respect de notre culture et de
notre identit. La violence actuelle des mineurs nest que le reflet de la violence globale de
notre socit. Mme si leur part dans la dlinquance globale diminue, cette part-l reste
proccupante. Mais il ny a aucune raison de rejeter nos valeurs. Encore moins quand les
raisons invoques sont fausses. Or la tradition franaise est ancienne et sage. Elle rsulte dune
longue maturation de prs dun sicle et demi. Il est apparu la fin du XIXme sicle que les
enfants et les adolescents ne pouvaient pas tre punis de la mme faon que les adultes. Tout
simplement parce quil sagit dtres en profonde volution et quils nont pas la mme
conscience de leurs actes. Presque tous les pays du monde en ont conclu quil relevaient dun
rgime particulier, de tribunaux spcialiss, plus aptes comprendre leurs problmes
spcifiques. Tout comme la mdecine, la psychiatrie, la psychologie ont dvelopp des
branches particulires ddies lenfance et ladolescence, la justice es mineurs a t cre au
dbut du XXme sicle. Au niveau international, nombre de conventions ont traduit ce
principe. Larticle 14 alina 4 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques
dispose que la procdure applicable aux jeunes gens qui ne sont pas encore majeurs au
regard de la loi pnale tiendra compte de leur ge et de lintrt que prsente leur
rducation. La Convention internationale des droits de lenfant invite les Etats parties, dans
son article 40, promouvoir ladoption de lois, de procdures, la mise en place dautorits et
dinstitutions spcialement conues pour les enfants suspects, accuss ou convaincus

45
dinfractions la loi pnale.

En France le Conseil Constitutionnel a rappel, le 29 aot 2002, loccasion de lexamen de
ce qui allait devenir la loi du 9 septembre 2002, un principe fondamental reconnu par les lois
de la Rpublique en matire de justice des mineurs. Ce principe sarticule autour de deux
rgles
- lattnuation de la responsabilit pnale de mineurs en raison de leur ge
- la ncessit de rechercher le relvement ducatif et moral des enfants dlinquant par des
mesures adaptes leur ge et leur personnalit prononces par une juridiction spcialise
ou selon des procdures appropries.

Une autre politique des mineurs

Une autre politique est possible. Il faut pour cela, regarder avec calme, et un peu de srieux, le
problme de la dlinquance des mineurs, en cessant den faire un dbat lectoral permanent. Il
est trs facile dattiser la peur des jeunes et de les prendre pour cible facile de lopinion
publique. Michle Alliot-Marie elle-mme, ministre de la dfense, disait trop souvent nous
avons laiss sinsinuer lide pernicieuse quun jeune tait un dlinquant en puissance.
Beaucoup prtendent que le droit des mineurs est dpass sous prtexte que le texte de base
date de 1945. Mais il a depuis lors connu au moins une vingtaine de modifications. Faut-il
condamner le code civil parce que la premire ligne en a t crite au dbut du XIXme sicle?
Peut-tre est-il ncessaire de rcrire cette ordonnance de 1945 mais en gardant les principes
gnraux et notamment la primaut de lducatif sur le rpressif. Cette rcriture pourrait tre
loccasion dun vrai grand dbat o seraient enfin consults tous les professionnels de
lenfance et de ladolescence.

En attendant les vraies rformes sont dordre budgtaire de faon donner la justice
ordinaire des mineurs les moyens de fonctionner normalement et de lui rendre son efficacit et
son effectivit. Les dlais dattente imposs au juges de enfants pour placer un mineur sont
intolrables, dcourageants et dangereux. Leffort est actuellement mis sur les centres
ducatifs ferms. Mais il existe des structures infiniment moins lourdes et moins coteuses.
Ainsi, les centres ducatifs renforcs plus souples et majoritairement implants en zone rurale
ou dans de petites villes et dont le cot de journe est de 373, celui des centres ducatifs
ferms tant de 560. Ce sont en fait les structures de placement ordinaire, les centre daction
ducative avec structure dhbergement et les centres ducatifs de placement immdiat qui
doivent tre renforces. Compte tenu du retard pris depuis cinq ans par rapport aux promesses
faites en 2002, ce sont 500 postes nouveaux dducateurs de la protection judiciaire de la
jeunesse qui devraient tre crs chaque anne pendant 10 ans pour les dcisions de la justice
des mineurs entrent effectivement en application en temps et en heure.

Il convient aussi de mieux rflchir au contenu de laction ducative. Il ne suffit pas de crer
des structures nouvelles et de proclamer que lon cre des centres ferms. Encore faut-il un
rel programme rducatif. La charrue a t mise avant les boeufs. Le politique a dabord
pens au contenant, sans se poser la question du contenu: enferm, certes, mais pour faire
quoi?


46
Enfin, parmi toutes les mesures que le tribunal pour enfants peut prononcer, la rparation doit
tre privilgie. Il sagit dune mesure immdiatement comprhensible pour le mineur, mais
aussi la victime et la socit. Il est indispensable de favoriser et damplifier laction des
associations qui aujourdhui prennent en charge ces mesures-l. Un rseau national
dassociations habilites comme il en existe aux Pays Bas permettrait, l encore, damliorer la
mise en oeuvre rapide des dcisions de justice.

Aujourdhui, le juge peut placer un mineur en prison simplement par la vertu de sa signature
au pied de son jugement: sa dcision est excute dans lheure. Sil dcide de placer dans un
foyer, il doit consulter la longue liste dattente et patienter quelques mois. Cest cette drive
quil faut mettre fin.




47
Chapitre V
SIMPLE, INEFFICACE ET DANGEREUX :
TOURNER LA PAGE DE LA RCIDIVE


Nicolas Sarkozy criminologue, thories et statistiques

Et la deuxime remarque que je voudrais faire, que je changerai, cest laffaire des multi-
rcidivistes. Est-ce que vous savez que 50% des crimes et dlits sont commis par 5% de
dlinquants, les mmes?.Je suis bien dcid mener ce combat jusqu ce que la socit
franaise se dote des moyens de tourner la page de la rcidive

Chacun de ce demander o ce subtil utilisateur de la statistique policire quest le ministre de
lintrieur a trouv ce chiffre de 50%. Chiffre accablant certes pour les rcidivistes et tout
fait propre justifier une politique dune plus grande fermet encore contre ce flau. Mais
chiffre quaucun spcialiste de la rcidive navait jamais dcouvert et qui ne figure sur aucune
rpertoire de la police nationale ou de la gendarmerie.

Curieusement prsent lgal des autres chiffres minutieusement collationns dans les
discours officiels, ces 50% paraissent non seulement faux mais absurdes. De modestes mais
sournois adeptes de larithmtique font en effet remarquer que la police na identifi les
auteurs que de 34 infractions sur 100 (le taux dlucidation tant, officiellement, de 34,3%
pour 2006). Elle ne sait donc pas, et son ministre pas davantage, qui a commis 66% des
infractions. Il est donc impossible daffirmer de faon premptoire que 50 infractions sur 100
sont commis par des rcidivistes, que donc 1.862.794 crimes et dlits sont de leur seul fait!
Des mes perverses vont jusqu souligner que, chaque anne, sur les 34,3% d infractions
lucides (1.280.000 environ) et qui donnent lieu une rponse pnale (poursuites ou
procdures alternatives) 110.000 seulement donnent lieu des condamnations de rcidivistes
(en prenant la rcidive dans sens trs large et non juridique). Condamnations trs svres
dailleurs selon toutes les tudes du ministre de la justice: ils vont deux fois plus souvent en
prison que les autres. Nous nous loignons beaucoup des 50% du ministre. Dire que la rcidive
reprsente 5% environ de la dlinquance et non 50%, ce nest pas nier le phnomne mais
permettre de le combattre rellement.

On ne peut tout de mme pas imaginer que Nicolas Sarkozy ou ses conseillers aient invent
ces 50%. Mais peut-tre sagit-il seulement dune thorie? En cherchant bien la source de cette
science personnelle du ministre, nous nous sommes demands si elle ne se trouvait pas, pour
une fois, dans des tudes de sociologie criminelle et plus particulirement dans une tude
publie en 2000 qui concerne la dlinquance des mineurs. Cette tude est cite dans le rapport
du Snat sur la dlinquance des mineurs, rapport publi en 2002 et qui semble avoir tant

48
marqu le ministre de lintrieur. Il ne sagit pas, l, dune tude statistique mais dun travail
de recherche. Ce travail, tout fait estimable, repose non pas sur une observation de terrain ou
un travail policier mais sur des interviews de jeunes. Il a t conduit auprs dune population
2288 jeunes de 13-19 ans des agglomrations de Grenoble et Saint Etienne . Il sintitule
enqute sur la dlinquance auto-dclare des jeunes. Il sagit de la premire recherche de ce
type en France. A partir de ces interviews, Sbastien Roch, le directeur de cette recherche, a
avanc une hypothse selon laquelle la dlinquance des mineurs serait concentre sur un tout
petit nombre de mineurs: 5% dentre eux commettraient 50 60% du total des actes commis.
Le Snat, dans son rapport, relate cette recherche avec une prudence de bon aloi, sous la
rubrique: la thorie des 5%. Cette recherche est videmment trs intressante mais il nest
pas besoin de longues explications pour comprendre que sa porte est relativement limite et
quelle navait pas vraiment vocation devenir la base dun credo rpressif. Dabord parce que
sa marge derreur est trs grande. Elle repose sur une estimation fournie par les jeunes eux-
mmes avec toutes les interfrences possibles et sans aucun contrle possible. Et surtout elle
ne porte que sur une dlinquance particulire, celle que commettent les jeunes, trs diffrente
de celle de lensemble de la population. Il nest donc pas srieux, ni mme honnte davancer
ce chiffre sans expliquer do il vient et quelle sont sa porte et ses limites.

La ralit de la rcidive: une criminalit en baisse

Mme pour justifier le vote de la loi du 12 dcembre 2005 sur le traitement de la rcidive, loi
sortie tout droit des cartons de Nicolas Sarkozy et de ses amis, personne navait os une
rfrence la thorie des 5%. Et pourtant les chiffres, l encore, avaient t grandement
sollicits. Qui veut noyer son chien prtend quil a la rage. La rcidive en France, telle quelle
est dfinie par la loi, ne reprsente que 5% des condamnations prononces par les tribunaux.
Ce chiffre tait videmment insuffisant pour sonner le tocsin. Il a donc fallu avoir recours un
concept plus large, utilis par les chercheurs et non par les tribunaux, celui de ritration de
linfraction, savoir le simple fait dtre condamn nouveau, quel quen soit le motif
juridique. Avec cette dfinition plus ample, on atteignait un taux de rcidivistes plus
impressionnant de 30% qui pouvait faire suffisamment peur. Mais, mme en prenant ce
concept l, il tait difficile daffirmer une quelconque urgence voter de nouvelles lois, car la
rcidive, en France, naugmente pas. Les rcidivistes criminels sont assez peu nombreux et
mme de moins en moins nombreux. En 2000 on comptait 117 personnes condamnes pour
crime en rcidive, en 2004 84. Un chiffre en baisse! Et que lon sest bien gard de citer
pendant le dbat. Il faut dire, quen plus, le taux de rcidive criminelle est trs faible, de
lordre de 3%. L aussi, rien qui justifie une fivre soudaine du lgislateur. Dautant que les
cour dassises ne sont pas particulirement tendres avec les rcidivistes. Quant aux dlits, leur
rcidive reste proccupante mais, l encore, des solutions trs raisonnables avaient t
dgages par le code pnal entr en vigueur en 1994 et plusieurs modifications taient dj
intervenues depuis lors. Ces dernires annes cette rcidive tait reste stable; elle tait mme
en baisse depuis 2000.

Pour crer la confusion, puisque les chiffres taient difficilement utilisables, la solution tait
simple: il suffisait de choisir lun des crimes commis par un rcidiviste et de le monter en
pingle. Mobiliser lopinion publique sur ces crimes sordides est dune facilit drisoire. Ils
font natre, juste titre, une motion considrable. Qui ne sidentifierait ces victimes? Qui

49
nprouverait pas un sentiment de rage voir limmense douleur des familles? La
responsabilit du politique est de tenir un langage de raison dans ces affaires et de laisser la
police, les experts, la justice faire son travail. Nicolas Sarkozy a fait le choix inverse. Il utilise
le meurtre ignoble de Mme Nelly Cremel tue le 2 juin 2005 prs de chez elle alors quelle
faisait son jogging. Un suspect est arrt, Patrick Gateau. Il avait t condamn en 1990 par la
cour dassises de Lyon la rclusion criminelle perptuit pour le meurtre dune femme
commis en 1984 alors quil tait dj connu pour vols, violences, attentat la pudeur. En 2003
il avait bnfici dune libration conditionnelle, aprs 16 annes et 4 mois de prison, sur
dcision de la juridiction rgionale de libration conditionnelle. Nicolas Sarkozy se dchane
contre le juge qui a accord cette mesure, ignorant quelle a t dcide en collgialit. Il
souhaite que le juge paye pour sa faute et demande mme des sanctions. Il reviendra ensuite
inlassablement sur ce meurtre et ses circonstances avec une insistance choquante en sen
servant pour illustrer ses propositions. Le but de cette campagne est double. Mettre dabord le
projecteur sur la rcidive alors que la masse des affaires de rcidive na aucun rapport avec
cette affaire. Puis jeter lopprobre sur la justice en affirmant haut et fort quelle relche avec
inconscience et lgret des individus dangereux et quil faut donc la contraindre frapper
plus durement les dlinquants rcidivistes.

Chacun sait que le laxisme des juges est une pure invention. Il suffit de frquenter un tribunal
correctionnel pour sen convaincre. Ou de regarder les chiffres de ladministration
pnitentiaire qui doivent tre connus mme du ministre de lintrieur: si lon compte 10.000
prisonniers de plus en cinq ans alors que la criminalit est cense baisser, peut-tre nest pas
prcisment en raison du laxisme des juges. Si ces chiffres ne convainquent pas les plus
sceptiques, il suffira de lire quelques tudes menes pour le compte du ministre de la justice.
On y apprend que les juges sont trs svres avec les rcidivistes. Ils les condamnent presque
systmatiquement la prison: 80% dentre eux se voient infliger des peines
demprisonnement ferme.

Confusion avec les crimes exceptionnels

Pourquoi donc vouloir faire croire quune rforme lgislative est ncessaire? Pourquoi vouloir
tout prix faire subitement de la rcidive une priorit? Pourquoi ne pas tenir compte de
chiffres pourtant loquents et des rformes rcentes qui taient intervenues sur ce mme sujet?
Tout simplement parce que la volont nest nullement de sattaquer la rcidive mais de
mener une opration politique: apparatre comme le champion de la scurit, entonner le chant
toujours sduisant de la rpression, en proposant encore plus de prison et de svrit, pour
faire pice une justice dont il est de bon ton de dire quelle est laxiste, l comme ailleurs. Il
faut que tout paraisse simple. Les rcidivistes ont choisi de ltre. Les comprendre est une
perte de temps. La seule rponse efficace est de les laisser en prison le plus longtemps
possible. Ce raisonnement-l fait mouche sur le zing de nimporte quel bistro.

Mais la principale raison est ailleurs. Si la politique de scurit de Nicolas ne donne pas les
rsultats escompts, il faut bien en trouver un responsable. Une prsentation habile permet
den trouver deux dun coup: les rcidivistes, le noyau dur de la dlinquance, et les juges qui
les encouragent en essayant de leur trouver des excuses. Les solutions sont donc simples. On
en trouve un dbut dapplication dans la loi du 12 dcembre 2005 sur le traitement de la

50
rcidive: interdire au juge de prononcer autre chose que de la prison, le dispenser mme de
motiver lemprisonnement, en attendant la prochaine loi sur les peines plancher.

Mobiliser lintelligence plutt que la peur

Quelle que soit la passion que lon peut entretenir pour la prison, elle a ses limites. Nicolas
Sarkozy en a reconnu lui-mme le rle nfaste. Il a, plus dune fois, dans ses dernires
interventions repris son sujet la formule bien connue de lcole du crime. Si tel est le cas,
il y a quelque contradiction a en faire la solution miracle pour lutter contre la rcidive. A
moins de renoncer dfinitivement au moindre espoir de changement du dlinquant. Comment
dire en mme temps que la prison produit de la rcidive et quelle est la meilleure arme pour la
combattre?

La rcidive, telle que le ministre en parle, apparat un problme lointain. Elle serait le fait de
quelques monstres commettant des crimes pouvantables. En ralit, la rcidive, nous la
connaissons tous. Elle est beaucoup plus banale, et fait rarement la une des journaux. Lalcool
et la drogue en sont une des causes essentielles, tout comme la maladie mentale ou les troubles
de la personnalit. Il y a, malheureusement, en France suffisamment de toxicomanes et
dalcooliques pour que, chacun, au sein de sa famille, ou parmi ses proches, connaisse les
immenses difficults lies une dsintoxication. Les rechutes sont non seulement frquentes,
mais font mme partie du parcours ordinaire dune toxicomanie, parcours long, sinscrivant le
plus souvent sur plusieurs annes. Nimporte quel thrapeute peut dire quune rechute est une
tape, non obligatoire, mais frquente, dans un processus de soins et de radaptation
progressive. Il ne sagit pas de baisser les bras, loin de l. Cette rechute exige au contraire une
plus forte mobilisation. Mais il ny a pas de recette miracle, pas de trajectoire type. Chaque
individu ragit, vit sa faon. La multiplicit des rechutes ne signifie en rien une fatalit de
celles-ci. Il est toujours possible quun individu, mme aprs de nombreux checs, puisse sen
sortir et trouver enfin les ressources ncessaires qui lui avaient fait dfaut jusque l.

Lintervention judiciaire obit une logique du mme ordre. Pour quelques uns rares, un
passage en justice peut suffire. Pour dautres, le temps sera plus long, mais la rcidive, mme
si elle appelle du juge une sanction plus svre, ne doit en aucun cas, signifier une acceptation
de cette dlinquance, le renoncement au changement.

La rcidive est un sujet grave qui rclame des solutions srieuses. Le principe dune
aggravation de la peine prvue par le code pnal actuel, le doublement de la peine encourue,
apparat satisfaisant et laisse aux juges une marge de manoeuvre satisfaisante. Inutile den
faire plus du ct de la peine.

Si la recherche de lefficacit de la peine est le souci premier, cest exactement la politique
inverse de celle de Nicolas Sarkozy qui doit tre encourage. Le pire des solutions, et de loin,
face la rcidive est lautomaticit de la peine. La vraie rponse est, tout au contraire, une plus
grande individualisation de la sanction. Ce qui ne signifie absolument pas que cette sanction
doive tre moins svre.

La rcidive est le signe vident dune personnalit plus complexe quon ne le croyait. Ou dun

51
contexte plus difficile apprhender. Le devoir de la justice est de rechercher plus prcisment
les facteurs de cette rptition et le pourquoi de lchec des prcdentes sanctions. La rcidive
peut tre lie une addiction quelconque (drogue, alcool, jeu...). Elle peut tre le signe de
troubles de la personnalit ou lune des expressions dune maladie dordre psychiatrique. Elle
peut sinscrire dans un contexte de bande ou de groupe, voire dorganisation criminelle. Elle
peut tre la consquence dune situation administrative inextricable, sagissant par exemple de
sans-papiers. Autant de cas qui correspondent des situations diffrentes et ncessitent des
rponses particulires. Quand un mdecin constate la persistance de troubles ou une rechute de
maladie, son premier rflexe est dapprofondir les examens du patient, pas de doubler la dose
des mdicaments.

Les Franais attendent de la justice quelle soit plus humaine et plus efficace. Le traitement de
la rcidive doit rpondre ces exigences. Lhumanit, cest de ne jamais dsesprer dun tre.
Combien ai-je vu, comme juge, de ces hommes et ces femmes qui ne demandaient qu tre
crus quand ils affirmaient vouloir enfin changer? Et qui stonnaient quon les laisse aller,
dans leur discours, jusquau bout de leur espoir. Beaucoup de victimes peuvent entendre ces
paroles-l. Cest au juge dapprcier la crdibilit de ces mots de regret, de jauger le chemin
parcouru, les garanties offertes. Il ny a aucun anglisme, aucune navet esprer dun
dlinquant quil revienne dans le droit chemin, tre lafft du changement. La socit porte
en elle cet espoir. Le juge doit le porter avec elle. Un jour les portes des prisons souvrent de
toutes faons. La justice doit sanctionner mais la peine doit tre une oeuvre dintelligence et
dhumanit. Rpondre systmatiquement par la prison est un gage certain dinefficacit.

Si quelquun prtend, comme notre ministre, quil va tourner la page de la rcidive, cest quil
ne la jamais lue. Personne ne tournera jamais cette page. Qui peut le croire srieusement
dailleurs? Personne ne fera jamais disparatre la rcidive, pas plus que la dlinquance. Loin de
toute dmagogie, la responsabilit du politique est de ne promettre que le possible. Lutter
contre la rcidive, cest en rechercher inlassablement les causes et sattaquer en priorit elles.


52
Chapitre VI
LE TRAITEMENT CHIMIQUE, CEST PAS AUTOMATIQUE

Le traitement chimique impos, selon Nicolas Sarkozy

Je demande quil ny ait pas de libration provisoire pour un dlinquant sexuel qui naccepte
pas de suivre un traitement chimique. Quon le mette comme condition sa libration,
dclarait Nicolas Sarkozy dans lmission vous de juger en novembre 2006. Il ne faisait
que dcliner une ide quil poursuit inlassablement depuis plusieurs annes. Dj, le 27
septembre 2005, il affirmait: je souhaite que lon sorte des tabous concernant le suivi
mdicamenteux de ces individus qui ne contrlent pas leurs pulsions. Il faut pouvoir
limposer. Il existe des traitements ... Le volontariat des criminels et des psychopathes, je ne
connais pas, mais je connais le volontarisme de lEtat. Ce jour-l, le ministre ne sexprimait
videmment pas dans une confrence de consensus de mdecins psychiatres, ou devant les
meilleurs spcialistes du traitement la dlinquance sexuelle, mais devant un parterre de 2000
policiers et gendarmes qui nont gure lev de protestation. Cette proposition avait dj
soulev un toll parmi les psychiatres franais qui la jugeaient la fois irraliste et contraire
la dontologie mdicale, rappelant que ce traitement peut savrer utile chez certains patients
mais ne pouvait pas constituer une rponse systmatique et encore moins tre administr sous
contrainte
13
. La question est revenu en dbat au Parlement lors de la discussion de la loi sur la
prvention de la dlinquance fin 2006. Le programme de lUMP sur la justice fait allusion
cette discussion: la facult dadministrer, y compris contre leur volont, des substances
visant faire diminuer la libido de ces personnes a t srieusement voque. clair par les
exigences europennes et face une possible censure constitutionnelle, le lgislateur a
finalement retenu la possibilit dadministrer un traitement, mais uniquement avec le
consentement de la personne concerne. Manifestement le prsident de lUMP na pas lu ses
documents internes et continue de proposer dimposer ce traitement.

La dlinquance sexuelle: une criminalit extrmement traumatisante, fortement punie

Pour essayer de comprendre la proposition de Nicolas Sarkozy, il faut, trs rapidement,
indiquer dans quel contexte elle sinscrit. Car, l encore, la proposition du ministre-candidat a
lapparence de la simplicit et de lvidence, mais le sujet est complexe.
Les crimes et dlits de nature sexuelle sont la cause de traumatismes extrmement destructeurs
que la socit a mis longtemps admettre. Les dgts quils causent tous les ges sont trs
difficiles et trs longs rparer mme si aucune victime ne ragit de faon similaire. Laction
des pouvoirs publics est primordiale pour lorganisation des soins apporter aux victimes, la
prvention de ces infractions et la pertinence des sanctions infliges aux dlinquants. La
raction sociale a t extrmement longue face cette criminalit longtemps ignore. Il a fallu

13
Le Monde 29 sept 2005.

53
toute la dtermination et le courage du mouvement fministe pour commencer lever ce
tabou. Mais une fois lev le voile, une fois mesure lintensit des souffrances, les solutions se
sont avres dlicates et incertaines. Il a fallu faire face une criminalit dont on souponnait
bien lampleur mais qui sest rapidement impose comme une dlinquance majeure. Les
plaintes se sont multiplies, les arrestations ont suivi et les prisons se sont remplies. Le tableau
suivant donne les principaux chiffres depuis 1999. Environ 40000 affaires traites chaque
anne par la police. Environ le quart aboutit devant les tribunaux, 10.000 environ (mais il ny
en avait que 6000 en 1990), dont 1700 devant les cours dassises. En matire criminelle les
peines sont en moyenne de 13 ans et pour les dlits, la peine demprisonnement moyenne est
de 30 mois.

Anne 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Viols constats 7958 8458 9574 10460 10408 10506 9993
Atteintes moeurs
constats
11360 10449 10233 11128 14236 17050 16859
Harclements et
autres agressions
constats
12732 14263 15273 15743 15394 15732 13875
Total 32050 33170 35080 37331 40038 43836 40727
Condamnations
pour viols
1917 1623 1656 1581 1710 1744
Quantum moyen
des peines de
rclusion
13 ans, 5
mois
13 ans, 4
mois
13 ans, 6
mois
13 ans, 6
mois
13 ans, 2
mois
13 ans, 1
mois

Condamnations
pour dlits
sexuels
8194 8065 7726 8185 8424 8969
Quantum moyen
peines de prison
pour dlits
29,9
mois
31,6
mois
31,1
mois
29,8
mois
29,3
mois
29,4
mois
29,1
mois
Condamns
dtenus au 31/12
pour infractions
sexuelles
7779 8109 8239 8670 8529
% des
condamns
23,9% 23,4% 21,9% 22,2% 22,0%
Mesures de suivi
socio judiciaires
prononces
0 0 413 626 825 1013

La France est le pays le plus rpressif dEurope en la matire. Les peines prononces sont
extrmement lourdes. Les condamnations pour viol sont plus svres que celles prononces
pour homicide. Environ 22% des dtenus condamns en France, sont des dlinquants sexuels:
environ 8000 alors quils ntaient que 1000 en 1980. Quil faille punir le viol, lagression
sexuelle, la pdophilie, le harclement, personne ne le conteste, mais comme nimporte quelle
dlinquance, ces infractions mritent une rponse ferme mais intelligente. Peut-tre plus que

54
nimporte quelle autre car ces dviances mettent en jeu de multiples facteurs.

Rpression et traitement de la dlinquance sexuelle: lquilibre trouv par la loi du 1998

La France a la chance de disposer dune lgislation bien faite pour traiter la dlinquance
sexuelle, une loi promulgue le 17 juin 1998
14
la suite de longues et riches discussions, une
rglementation quilibre, souple, la fois rpressive et prventive. Elle nous intresse ici car
elle a cr la mesure du suivi socio-judiciaire. Cette peine nouvelle permet de suivre un
dlinquant sexuel sa sortie de prison et de le soumettre diffrentes mesures de surveillance
et de soins pendant un dure prvue par le loi mais qui peut tre trs longue, voire (depuis une
loi de 2004) sans limite. Cest dans ce cadre que peut tre mis en oeuvre un traitement dont
la nature ntait pas dtaille par la loi, du moins jusquen 2005. La loi a prvu certain nombre
de garanties pour viter tout mlange des genres, toute confusion entre la justice et la
mdecine, tout lart du lgislateur consistant les travailler ensemble tout en respectant le rle
de chacun: linjonction de soins ne peut tre prononce quaprs une expertise mdicale
spcifique et le consentement du condamn est exig. Lexcution de la mesure est
soigneusement tudie pour viter toute interfrence du juge dans la relation
mdecin/condamn-patient: entre le juge et le mdecin (ou psychologue) qui suit le condamn
a t institu un mdecin coordonnateur choisi sur une liste de mdecins ou psychiatres
ayant suivi une formation spcialise. Cest lui qui transmet au juge les lments lui
permettant dapprcier si le condamn respecte ou non linjonction de soins. En cas de non
respect, et donc si le condamn ne se soumet pas au traitement, le sujet peut tre plac en
dtention par dcision du juge de lapplication des peines dans la limite de la peine qui avait
fixe ds la condamnation initiale. Cette nouvelle peine est entre progressivement en
application. Il fallait crer toute une organisation. Les premires mesures ont t prononces
en 2001 et lon en compte un millier prononc dsormais chaque anne. Il existe de
nombreuses difficults dapplication. En raison notamment de faible nombre de mdecins
susceptibles dtre dsigns.

Linscription du traitement chimique dans la loi depuis dcembre 2005.

Cest donc dans ce cadre bien prcis du suivi socio-judiciaire cr par la loi de 1998 que
sinscrit le proposition de Nicolas Sarkozy. Une premire tentative avait t faite lors du vote
de la loi du 12 dcembre 2005 sur le traitement de la rcidive. Cette loi a inscrit en toute lettre
dans la rglementation du suivi socio-judiciaire la possibilit de suivre un traitement dit
chimique, traitement dcid par le mdecin et non par le juge. On peut ainsi lire un nouvel
article L. 3711-3 qui prvoit que le mdecin traitant est habilit prescrire au condamn,
avec le consentement crit et renouvel, au moins une fois par an , de ce dernier, un
traitement utilisant des mdicaments dont la liste est fixe par arrt du ministre de la sant
et qui entranent une diminution de la libido, mme si lautorisation de mise sur le march na
pas t dlivre pour cette indication.
Il convient de rappeler dans quelles conditions lesquelles le texte a t vot. Il tait bien clair
que ce traitement chimique ntait envisag que comme un appoint. Le rapporteur au Snat,
M. Zochetto, prcisait bien que ce traitement hormonal rversible tait parfois prescrit

14
Loi 98-458 du 17 juin 1998 sur le rpression des infractions sexuelles et la protection des mineurs


55
en sus du traitement psychothrapique. Il tait rappel que ces mdicaments avaient
aujourdhui une autorisation de mise sur le march (AMM) qui ne concernait pas cet usage
destination des dlinquants sexuels puisquils taient le plus couramment prescrits pour lutter
contre le cancer de la prostate. La loi intervenait pour tenter de donner une base lgale
permettant au mdecin prescripteur dtre couvert par son assurance et aux patients-
condamns dtre rembourss par la Scurit Sociale.
Aussi curieux que cela puisse paratre il ny a pas aujourdhui en France dautorisation de mise
sur le march pour ces mdicaments utiliss dans ce cadre dune prise en charge din
dlinquant sexuel. Cest pourquoi linitiative du ministre de la justice, une exprimentation
a t engage afin de permettre la dlivrance de cette autorisation, mais les rsultats de cette
tude ne pourront tre valids quaprs plusieurs annes.

Une proposition dmagogique et dangereuse

La discussion parlementaire de 2005, permet de mesure laberration que constitue la
proposition de Nicolas Sarkozy. Imposer un traitement chimique constituerait une faute
lourde compte tenu des incertitudes actuelles sur le sujet. La prescription gnralise de ces
mdicaments ferait aujourdhui courir un risque majeur, non seulement aux condamns mais
lensemble de la socit qui se croirait protge tort. Si les compagnies dassurances ont
jusqu prsent refus dassurer les mdecins, elles avaient de bonnes raisons de le faire.

Il ny a aucune raison de favoriser aujourdhui le traitement chimique. Il ne constitue quun
traitement parmi dautres et rien ne prouve quil soit plus efficace quun autre. Toutes les
techniques possibles sont aujourdhui utilises dans le monde (techniques
comportementalistes, psychothrapie, psychanalyse, groupes de paroles) et il nexiste, en
ltat, aucune mesure fiable de leur efficacit respective.

Lune des nombreuses difficults auxquelles se heurtent les thrapeutes est labsence de
certitude sur les effets rels de ces mdicaments anti-andrognes. Cest dailleurs pourquoi ils
ne possdent pas dautorisation de mise sur le march. Les meilleurs spcialistes le disent sans
ambage. Prescrire un anti-androgne lauteur dagressions sexuelles, cest lui apporter un
traitement symptomatique efficace. Mais une telle prescription ne peut tre banalise,
affirment notamment le Pr Florence Thibaut et le Dr Bernard Cordier. La prescription de
produits chimique ne peut donc tre systmatise. En aucun cas, une loi ne peut prescrire de
faon gnrale une telle thrapeutique et se substituer au juge ou au mdecin.

La proposition de Nicolas Sarkozy a lapparence de la facilit. Elle est facile et rapide
noncer et comprendre. Mais, comme beaucoup de propositions de ce type, elle est fausse et
dangereuse. Fausse car tous les dlinquants ne sont pas susceptibles de recevoir un tel
traitement. Daniel Zagury, minent expert psychiatre, estime que ces mdicaments chimiques
sont adapts dans 10 15% des cas seulement. Il sagit dun mdicament. Or prescrire un
mdicament est du ressort du seul mdecin. Lui seul, et personne dautre, dans une dmocratie,
ne peut le faire. On est gn de rappeler de telles vidences. Le mdecin lui-mme doit
respecter un certain nombre de principes qui font partie de sa dontologie. Lautorit qui
prescrit le mdicament doit tre indpendante, le patient doit donner un consentement libre et
clair, les bnfices thrapeutiques esprs doivent dpasser les risques encourus...

56

Les produits chimiques, cest pas automatique

Lorsquune loi intelligente a t vote, lissue dune longue concertation avec tous les
professionnels, il faut lui donner les moyens dentrer rellement en application. Nous en
sommes l, aujourdhui, en France. Et cette lgislation est loin davoir donn la mesure de son
efficacit. La rpression est forte, elle ne peut ltre davantage. Chacun voit bien que
lurgence, aujourdhui, est dans le dveloppement de la recherche. La prison ne suffira pas,
surtout dans son tat actuel. Emprisonner un dlinquant sexuel en France aujourdhui cest,
pour la socit, prendre le risque quil nen ressorte plus perturb quil ny est entr.

Le rle de lEtat est donc de financer et daider par tous les moyens la recherche et la
formation. LARTASS (Association pour la recherche et le traitement des auteurs dagressions
sexuelles) qui regroupe des thrapeutes, des praticiens de la sant de la justice et des
universitaires de France et dEurope est un bon exemple de ce type daction quil convient
dencourager. Il faut imprativement que la France dispose le plus rapidement possible dun
rseau suffisamment toff de soignants capables daccueillir et de traiter cette population en
souffrance et risque. Mais cette volution est indissolublement lie ltat du secteur
psychiatrique en France qui connat une crise gravissime comme nous allons le voir.

Les produits chimiques, cest pas automatique, pourrait-on dire, linstar de la campagne de
sensibilisation mene il y a peu au sujet des antibiotiques. La problmatique est la mme.
Utiliser tort et travers un mdicament non seulement ne gurit rien mais lui fait perdre de
son efficacit.
Que Nicolas Sarkozy propose plus de prison pour les dlinquants sexuels, cest son droit, nous
sommes dans le domaine de la politique. Sil pntre sur le terrain de la mdecine, il ne peut
faire autrement que se plier lavis des mdecins, puisque nous sommes encore en dmocratie.
Dans un domaine aussi complexe, il serait dangereusement illusoire de laisser croire que la
mdecine ou les techniques psychothrapiques sont certainement mme de contrler les
rcidives (avis du Comit consultatif national dthique du 20 dcembre 1996).




57
Chapitre VII
LE NOUVEL ASILE PNITENTIAIRE

Les prisons-hpitaux selon Nicolas Sarkozy

Je souhaite une politique pnitentiaire toute diffrente (...) avec une proposition: quil y ait
des tablissements spcialiss pour les dtenus ayant des problmes psychiatriques. On ne
peut plus continuer avec des prisons qui font honte, le personnel pnitentiaire ny tant pour
rien, o lon mle des gens qui sont psychiatriquement des malades, dclarait Nicolas
Sarkozy le dans lmission vous de juger le 30 novembre 2006. Il y a clairement un
problme essentiel qui est celui de la prsence dans les prisons de malades, il faut de toute
urgence dvelopper ce quon peut appeler lhpital-prison, affirme Nicolas Sarkozy en visite
au centre pnitentiaire pour femmes de Rennes, le 22 janvier 2007. Cet hpital-prison
permettrait de mettre dans des tablissements dun nouveau type des femmes et des hommes
qui ont besoin dtre soigns et qui peuvent prsenter un danger la fois pour la socit et
pour leurs codtenu...on doit diffrencier les malades des dlinquants. La proposition saffine
le 26 fvrier 2007 (interview RMC): je veux quon sorte de prison les dtenus atteints de
troubles mentaux pour crer une dizaine de prisons-hpitaux.

Les affaires qui ont mu lopinion publique

La visite du ministre-candidat faisait suite un acte de cannibalisme commis peu auparavant
dans une prison. Le 3 janvier 2006, un homme de 31 ans tait retrouv mort dans sa cellule de
la maison darrt de Rouen. Il avait t svrement battu puis touff avec un sac plastique. Il
prsentait une importante plaie au thorax. Lautopsie rvlait quon lui avait prlev une partie
dun poumon et deux muscles intercostaux. Son co-dtenu saccusait aussitt du meurtre et
affirmait avoir mang le coeur de sa victime. Lintress avait dj fait lobjet dune expertise
qui avait diagnostiqu une schizophrnie et il avait des antcdents psychiatriques importants.
Ce ntait pas la premire affaire de ce genre. Lopinion publique a t mue par ce meurtre
horrible mais, si les circonstances sont effectivement atroces, il sinscrit dans le climat de
violence ordinaire des prisons et il pose surtout avec brutalit la question de la prsence de
nombreux malades psychiatriques de plus en plus nombreux.

La proposition de Nicolas Sarkozy a le mrite ordinaire de la simplicit: il y a trop de malades
mentaux en prison, laissons-les y, et crons des tablissements spcialiss. Mais est-ce une
vraie rponse?


tat des lieux, des structures de soin insuffisantes

Pour juger de la porte de la proposition de Nicolas Sarkozy, encore faut-il rappeler

58
rapidement dans quel contexte elle sinscrit. Il existe des structures de soins psychiatriques ou
psychologiques en prison mais ils sont dramatiquement insuffisants au regard du nombre
grandissant de dtenus prsentant des troubles psychiques. Il sagit des SMPR (Services
Mdico-Psychologiques Rgionaux), au nombre de 26 aujourdhui. Ils sont essentiellement
implants dans les maisons darrt et galement dans deux centres de dtention. Ces structures
absorbent prs de 80% des moyens disponibles. Ces services sont loins de disposer dun
personnel suffisant et la prsence mdicale et paramdicale ny est pas assur de nuit.
Dans les tablissements ne disposant pas de SMPR, (limmense majorit donc, reprsentant
environ 60% de la population pnitentiaires), les soins courants sont assurs par des quipes
rduites dtaches du secteur de psychiatrie gnrale du centre hospitalier le plus proche.
Mickal Janas, secrtaire gnral de lAssociation des juges de lapplication des peines,
dclarait il y a peu: je suis plusieurs personnes condamnes une obligation de soins, et
dailleurs dsireux de se soigner. Ils ne bnficient pourtant daucun suivi, car il y a dix mois
dattente pour consulter un psychiatre en prison. Et la sortie cest peine mieux.
La loi de programmation et dorientation pour la justice du 9 septembre 2002 a prvu la
cration dunits hospitalires spcialement amnages (UHSA) destines accueillir en
tablissements de sant lensemble des hospitalisations pour troubles mentaux de personnes
dtenues, quelles soient consentantes ou non. Ces units disposeront pour assurer leur scurit
dun personnel de ladministration pnitentiaire. Il est prvu 19 UHSA dune capacit totale de
700 lits mais les premires (4 ou 5) nentreront en service quen 2008 ou 2009.

tat des lieux, laugmentation dramatique du nombre de dtenus prsentant des troubles
psychiques

En lattente de ces nouvelles structures, la prise en charge des troubles psychiatriques en
prison est dramatiquement insuffisante. Les besoins sont dsormais connus. Plusieurs enqutes
officielles donnent une vision trs prcise du phnomne. En juin 2000 la commission
denqute du Snat sur les prisons notait: en raison dune drive psychiatrique et judiciaire,
des milliers de dtenus atteints de troubles psychiatriques errent sur le territoire national,
ballotts entre les tablissements pnitentiaires, leurs quartiers disciplinaires, les services
mdico-psychologiques rgionaux, les units pour malades difficiles, les units fermes des
hpitaux psychiatriques.

Une premire tude avait t effectue par les inspections gnrales des services judiciaires et
des affaires sociales et publie en 2001. Les chiffres de rfrence sont de 1997. Lenqute est
ralise sur les entrants en prison. 8,6% des hommes et 13% des femmes taient dj pris en
charge avant leur incarcration par des services psychiatriques. La part de ceux qui suivaient
un traitement mdicamenteux psychotrope tait encore plus forte, puisquelle atteignait 18,6%.
La conclusion de ces inspections, en additionnant les malades anciennement suivis et ceux
nouvellement diagnostiqus, est que la part des dtenus atteints de troubles mentaux est
denviron du quart des dtenus: entre 14 et 25% chez les hommes et un peu plus (jusqu 30%)
chez les femmes.

Un rapport du Professeur Jean-Louis Terra sur la prvention du suicide en prison, publi en
dcembre 2003, estimait 55% le pourcentage des dtenus entrants qui prsentaient un trouble
psychologique : 30% des hommes et 45% des femmes taient atteints de dpression, et 1

59
dtenu sur 5 tait suivi avant son incarcration
Une tude pidmiologique trs pousse sur la sant mentale des dtenus a t mene
conjointement par la direction gnrale de la sant (DGS) et ladministration pnitentiaire sous
la direction du Professeur Bruno Falissard, biostatisticien et pidmiologiste, et du professeur
Frdric Rouillon, psychiatre. Environ un millier de personnes dtenues dans 23
tablissements pnitentiaires et constituant un chantillon reprsentatif de la population
carcrale, ont t interrogs entre juillet 2003 et septembre 2004. Les rsultats sont alarmants.
Huit hommes incarcrs sur 10 prsentent une pathologie psychiatrique et plus de 7 femmes
sur 10. La grande majorit en cumulant plusieurs. Loriginalit de lenqute est quelle
sintresse tous les troubles. Les troubles anxieux notamment concernent 56% des dtenus,
les troubles dpressifs 47%,les dpendances aux substances illicites ou lalcool 34% et les
troubles psychotiques 24%. Ce dernier chiffre est gnralement seul retenu pour caractriser la
pathologie pnitentiaire. Mais mme sur ce chiffre, lapport de lenqute est trs inquitant.
Sur ces 24%, 8% prsenteraient une schizophrnie, 8% une psychose chronique non
schizophrnique, 3% une schizophrnie dysthymique (associe des troubles de lhumeur) et
5% une pathologie dont le type na pas t prcise. Lenqute note aussi quavant leur entre
en prison, plus du tiers des dtenus avait dj consult en psychiatrie et 16% avaient dj
consult en psychiatrie.

Le Dr Christiane de Beaurepaire, chef de service du SMPR de Fresnes a procd une vaste
observation des troubles psychiatriques des dtenus, de leurs antcdents familiaux, de leur
vie. Dans son tude publie fin 2004, on peut lire un constat similaire: 14 % des prisonniers
souffrent de psychoses - schizophrnie ou paranoa -, 40 % de dpression et 33 % d'anxit
gnralise.

Le dysfonctionnement des tribunaux qui remplissent les prisons de malades mentaux,

Qui donc est responsable de cette situation? Les magistrats coup sr. On nentre pas en
prison sans leur accord! Ce sont des dcisions de justice qui envoient en prison des malades
mentaux. Ces dcisions-l sont-elles prises en toute connaissance de cause? Les juges savent-
ils qui ils emprisonnent? La question pourrait paratre incongrue pour qui ne connat pas la
pratique judiciaire.
Ecoutons ce quen dit un psychiatre qui accueille les malades mentaux en prison, le Dr Grard
Dubret, psychiatre la prison dOsny. Il constate que cette population vient essentiellement
des procdures durgence : limmense majorit est juge en comparution immdiate et ne
voient mme pas dexperts. Et pour ceux qui ont t examins, les diagnostics
dirresponsabilit ont t diviss par dix en dix ans
Il faut effectivement aller dans une audience de comparution immdiate pour voir comment se
remplissent les prisons en France. Grce cette politique dlicieusement appele le
traitement en temps rel, les magistrats nont pas toujours de temps de regarder ni dcouter
la personne quils ont en face deux. Cette justice expditive-l est lun des facteurs majeurs
de la prsence de tant de malades mentaux en prison. En jugeant en un quart dheure, cest
dire en consacrant deux ou trois minutes aux paroles du prvenu on peut trs bien ne rien voir
de sa maladie. Quant ordonner une expertise psychiatrique peut-tre cette investigation
retardera-t-elle la vitesse de cette justice quon veut exemplaire par son efficacit.


60
Je citai dans un ouvrage prcdent le cas de ce prvenu qui lon reprochait un vol de
portefeuille et qui se prsentait pour la 25
me
fois devant un tribunal correctionnel. Le
rcidiviste typique qui passait rgulirement en comparution immdiate et copait de petites
peines de prison. lcouter pourtant, lcouter vraiment, il apparaissait quil ne comprenait
pas vraiment des questions simples et que la question de sa responsabilit se posait.
Lexpertise psychiatrique aussitt ordonne a t formelle. Cet homme souffrait dune
psychose: une pathologie psychiatrique en relation avec une psychose infantile cicatrise sur
un mode dficitaire. Il prsente une dficience intellectuelle importante avec un dsquilibre
psychique responsable de nombreux passages lacte agressifs ou dlictueux... Il nest pas
accessible une sanction pnale. Il demeure difficilement curable et nest pas radaptable sur
le plan social. Il est incapable dassurer sa dfense. Il garde une vision trs anecdotique de
ses antcdents judiciaires. Il se rvle incapable dintrioriser la peine, la contrainte sociale
comme toute exprience antrieure. Les vnements vcus en prennent pas valeur dexemple et
nentranent pas de contrainte intrieure. Cet homme tait pourtant pass 24 fois en
correctionnelle. Il avait t peu prs autant de fois en prison. Il faisait partie de cette
population dont la prsence en prison tonne ou scandalise. Cette 25
me
fois-l, il ny a pas t.
Il avait aussi bnfici dune expertise de bonne impartiale et objective. Lexpert navait pas
craint de dire ce quil voyait et den tirer les consquences: cet homme ntait pas du ressort de
la justice.

Des expertises psychiatriques frileuses

Toutes les expertises psychiatriques ne sont pas de cette veine-l. Beaucoup dexperts
psychiatres sont rticents conclure lexistence de troubles psychiques empchant le passage
en justice, ces troubles dont la loi dit quils abolissent le discernement ou le contrle des
actes (article 122-1 du code pnal). Les seules statistiques dont nous disposons sont celles des
non-lieux prononcs par les juges dinstruction suite une expertise psychiatrique concluant
lexistence dun tel trouble psychique. Elles mettent en vidence une diminution trs srieuse
de ce type de non-lieux: 200 par an, contre 500 il y a 12 ans (2). De multiples raisons ont
contribu ce changement de cette nouvelle jurisprudence des experts qui contribue, lui aussi,
remplir les prisons de malades psychiques. De bonnes raisons - une autre approche thorique
et clinique de la maladie mentale - et de moins bonnes - le souhait de ne pas remplir les
quelques places restantes en hpital psychiatrique, une certaine soumission la pression des
magistrats, des victimes et de la socit dans son ensemble.

La consquence la plus dommageable de cette volution est que tous ces dlinquants quon
aurait considr autrefois comme en tat de dmence ne bnficient pas pour autant dun
rgime de faveur. Cest mme exactement le contraire. Car la maladie mentale continue
deffrayer. Lexistence de ces troubles psychiques, souvent trs graves, qui ne font plus viter
la prison nattnue pas pour autant la svrit des juges ou des cours dassises. Au contraire,
elle aggrave leur sort.

Les prisons pour malades mentaux dangereux

Ces dernires annes, le gouvernement sest intress aux rapports de la maladie mentale et
des prisons sous un angle restreint, celui des malades mentaux dangereux ou susceptibles de

61
ltre. Deux missions ont t ainsi confies en 2005 puis 2006, Jean-Franois Burgelin,
ancien procureur gnral de la cour de cassation ( rapport de la Commission Sant-Justice), et
Jean-Paul Garraud, dput UMP, ancien magistrat. Ils ont prconis la cration de centres
ferms de protection sociale o pourraient rester enferms aussi longtemps que ncessaire,
voire vie, les condamns dangereux, une fois leur peine purge. Un rapport snatorial a, lui,
rejet ce projet de centres qualifis de lieux de relgation sociale, ni hpitaux, ni prison et a
prconis la cration dunits hospitalires spcialement amnages (3). Ce dbat
concernant les malades dangereux est rel et grave et les solutions doivent rester
respectueuses de nos valeurs juridiques. Mais la question laquelle Nicolas Sarkozy rpond
par la solution simpliste hpital-prison nest pas celle-l. Limmense majorit des personnes
prsentant des troubles psychiatriques en prison nest pas dangereuse. Ce qui peut les conduire
la violence, cest la violence du cadre pnitentiaire qui ne fait quexacerber des pathologies
qui sont incompatibles avec un enfermement sordide et criminogne car si lcole est lcole
du crime elle est surtout lcole de la folie.

Le danger des propositions de Nicolas Sarkozy

Aujourdhui donc, la justice, avec la bndiction des experts, envoie en prison des personnes
qui relvent, non dun systme denfermement, mais dun systme de soins, la maladie
mentale ntant absolument pas synonyme de violence ni mme de dangerosit. Beaucoup de
ces malades devraient pouvoir tre librs et suivis en secteur psychiatrique ou hospitaliss.
Cest cette dynamique-l quil faut crer. Or les propositions de Nicolas Sarkozy vont
exactement loppos. Il souhaite crer de nouvelles structures qui deviendraient
automatiquement le dernier dpotoir de la socit, aprs la prison. Il ny aurait effectivement
plus beaucoup de questions se poser. Dans un premier temps en tout cas. La solution resterait
de toutes faons lenfermement. Car ce nest pas lemprisonnement des malades mentaux qui
gne le ministre-candidat, cest la cohabitation avec des dtenus ordinaires. Il est difficile
dimaginer une vision plus policire de la psychiatrie. Triste dmocratie o les rformes
touchant la prison et la psychiatrie, qui relvent normalement du ministre de la justice et
du ministre de la sant, sont entre les mains du ministre de la police! On retrouve l, la mme
confusion qui a prsid llaboration du projet de loi sur la prvention de la dlinquance dont
tout un chapitre est consacr lhospitalisation doffice. On aurait pu penser que le ministre
de la sant soit au moins associ cette rforme. Mais, l aussi, le ministre de lintrieur,
omniprsent, sest occup de tout, dans le but dacclrer les procdures de placement
doffice, notamment en les confiant aux maires.

Les solutions

Plutt que de crer des hpitaux prison, il faut faire baisser le nombre de dtenus. Tous
les rapports officiels manant de tout bord vont dans le mme sens. La plupart des malades
mentaux nont rien faire en prison. La prison doit accueillir en son sein des quipes
soignantes, bien plus quaujourdhui mais elle ne peut faire que dans des limites raisonnables,
compte tenu dun cadre carcral qui rend demble toute thrapie extrmement difficile. La
prison ne peut en aucun cas faire face ce raz de mare de pathologies en tout genre quelle
hberge aujourdhui par la force des choses sans quaucune politique sanitaire ou pnitentiaire
relle nait t dfinie.

62


Il faut, dans cette perspective, obliger la justice sintresser la personnalit des
accuss, ds la garde vue. La loi a prvu, dans la procdure de comparution immdiate, la
ncessit dune enqute rapide qui intervient normalement la fin de la garde vue et avant le
passage en jugement. Cette enqute est cense fournir la justice des informations permettant
dviter lincarcration et de favorisant des mesures alternatives. Un dispositif doit tre mis en
place permettant de faire procder en urgence des expertises psychiatriques avant tout
passage en jugement de faon permettre au tribunal des comparutions immdiates de
disposer en quelques heures dun avis mdical srieux. Par ailleurs la formation des magistrats
et celle des avocats doit tre beaucoup plus pousse de faon les sensibiliser ce genre de
pathologie. Il ne sagit pas de les transformer en expert mais de leur donner quelques notions
de base, qui leur permettent en situation de se poser srieusement la question de la maladie
mentale plutt que de fermer les yeux.

Dvelopper les secteurs psychiatriques. Le problme des malades mentaux en prison est
autant un problme de politique psychiatrique que de politique pnitentiaire ou judiciaire.
Cest le sinistre de la psychiatrie de secteur public qui est en grande partie lorigine de
lafflux de malades mentaux en prison. Le nombre de lits de psychiatrie est pass de 75.951 en
1989 43.173 en 2000 (-43%), environ 800 postes de psychiatre public temps plein sont
vacants. Depuis 20 ans, 55.000 lits ont t supprims en psychiatrie, sans que pour autant
soient cres des structures alternatives.
Grce labb Pierre, a t cr en 1999 un Haut Comit pour le logement des personnes
dfavorises. Il est dommage que ses rapports annuels soient si peu lus. Voici ce quil
indiquait, de faon extrmement pertinente, dans celui quil remettait au prsident de la
Rpublique en 2003: alors que lhpital psychiatrique assurait un hbergement long terme,
il a vu son rle voluer vers des sjours dont la dure est limite la seule prise charge de la
priode de crise aigu. Or les personnes qui quittent lhpital psychiatrique sont toujours des
malades, elles ncessitent des soins permanents. Cest cette carence qui est lorigine de la
souffrance des familles qui les hbergent, mais aussi de leur forte reprsentation dans les
prisons et parmi les sans abri. Il est vrai qu lheure actuelle, lune des proccupations
majeures des chefs de service de psychiatrie est de faire sortir au plus vite les malades
hospitaliss, au dtriment non seulement de lhumanit mais de lefficacit des soins. Les
mmes chiffres alarmants que lon trouve en prison, on les trouve, encore plus levs, dans les
structures de soins qui prennent en charge les sans abri. A Nanterre par exemple, lHpital
Mas-Fourestier, qui recueille chaque jour (et chaque nuit) les sans abri de Paris, on compte
30% de psychotiques, 25% de troubles phobiques et 25% de dpressifs. La maladie mentale va
vers la prison et la rue, faute dtre traite dans des structures de soins adapts.

Mettre fin la drive psychiatrique et judiciaire.

La situation actuelle des prisons et les propositions du ministre-candidat nous renvoie
lpoque lointaine davant la naissance de la psychiatrie. On retrouve ce mlange moyengeux
o les dviants, les dsadapts, les mauvais sujets, les correctionnaires, les vrols et les
fous se retrouvent enferms dans des institutions fourre-tout dont lobjet principal tait de
protger la socit, les honntes gens de tous les inconvnients de la marginalit. Un colloque

63
europen posait encore il y a quelques annes la question: La prison, l'asile du XXIe sicle
?. La rponse est dsormais l, toute prte. La prison va devenir la solution de tous les
problmes, non seulement de dlinquance mais de maladie mentale. Il faut imprativement
redfinir les champs respectifs de comptence de la justice et du systme de soins. Rpondre
par la prison, cest ne pas rpondre. Ne pas rpondre la vraie question qui reste pose :
comment et o soigner la maladie mentale? Dominique Perben, lancien garde des Sceaux
avait une analyse assez juste du problme, mme sil nen tirait pas toutes les consquences:
on demande au systme pnal de traiter un dossier qui nest pas de sa comptence (4). Car
cest bien de comptence quil sagit. La psychiatrie doit avoir le courage de dfendre son
champ de comptence et revendiquer son rle. La justice doit constater non seulement quelle
est en dehors de son champ daction mais quelle ne fait quaggraver la situation. Le rapport
commun de LIGAS et de linspection des services judiciaires disait clairement que la prison,
en soi, est un facteur daggravation des troubles mentaux.

Il faut donc poser clairement cette rgle que tous les professionnels comptents crivent
maintenant depuis plusieurs annes: en dehors des personnes juges dangereuses, et qui
relvent de structures spcialises, les personnes condamnes prsentant des troubles
psychiatriques doivent tre soignes en milieu psychiatrique. Il ne sagit donc pas de crer des
hpitaux-prison mais des hpitaux.


(1) Jean-Claude Pnochet, secrtaire gnral du Syndicat des psychiatres des hpitaux: on
donne un axe central la psychiatrie: non plus celui de soigner, mais celui de contrle des
liberts et de rgulateur des conflits sociaux.
(2)

1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Total
personnes
mises en
examen
68481 60067 68353 63942 64887 68593 65860 63129 57826 51420 47655 47370 50076
non lieu 7728 7112 8458 8990 9220 9736 9377 9423 7698 6483 5282 3902 3850
non lieu 122-
1
493 370 350 340 309 190 211 286 287 299 285 233 203
% mis en
examen avec
non-lieu 122-
1
0,72 0,61 0,51 0,46 0,43 0,27 0,32 0,33 0,50 0,58 0,60 0,49 0,40
SOURCES: Rpertoire de linstruction, Annuaire statistique de la Justice


(3) Rapport de MM. Philippe Goujon et Charles Gautier, les dlinquants dangereux atteints
de troubles psychiatriques: comment concilier la protection de la socit et une meilleure prise
en charge mdicale; rapport n420, 2005-2006.
(4) Audition devant la commission des finances de lAssemble Nationale, le 4 novembre
2004.



64


65
Chapitre VIII
LA CHASSE AUX ETRANGERS




La culture du rsultat, ltranger reconduit la frontire comme unit statistique

Discours aux prfets le 9 septembre 2005: lors de notre dernire rencontre, je vous ai fix
des objectifs chiffrs, en vous demandant de procder, au minimum, 23.000 loignements
dtrangers en situation irrgulire cette anne. Je constate qu la fin du mois daot, 12849
trangers avaient fait lobjet dune mesure effective dloignement: sur huit mois, 56% des
objectifs ont t atteints. Il vous reste donc cinq mois pour accentuer leffort. Jobserve
dailleurs, que, dune prfecture lautre, les rsultats sont ingaux. Or, jattends de tous une
entire mobilisation. Et jinvite les prfets dont les rsultats sont infrieurs la moyenne se
rapprocher du Centre national de lanimation et des ressources (CNAR) pour bnficier dun
appui oprationnel. Le ministre rptera plusieurs fois aux gendarmes et policiers:
jattends de tous une entire mobilisation. L aussi, plus quune obligation de moyens, cest
une obligation de rsultat qui vous est fixe.

Le respect de la dignit des trangers

Il y a beaucoup de politiques dimmigration possibles. LEurope en applique de trs varies.
En septembre 2006, Nicolas Sarkozy avait tent de convaincre ses collgues europens de
signer un pacte europen pour tendre sa politique nos partenaires et interdire les
rgularisations massives. Personne ne lavait suivi. LEspagne a rgularis en masse des
centaines de milliers de sans papiers. Mais elle nest pas la seule: lItalie, lAllemagne, le
Portugal et bientt les Pays Bas. Seule la France se singularise en organisant une vraie chasse
ltranger. De ce ct-ci des Pyrnes, la politique de limmigration soriente officiellement
vers une immigration choisie: nous leur prenons les meilleurs, nous leur laissons les plus
pauvres. Ce sont videmment les pays riches qui sont matres du choix. lchelle
internationale, on retrouve la philosophie ordinaire de cette droite du libralisme extrme:
aider ceux qui sen sont dj sortis, ne plus se proccuper des autres. Politique, notre sens,
dune injustice criante et qui accrot avec impudeur des ingalits pourtant colossales. Mais il
appartient aux citoyens qui disposent des urnes de dire si cette politique leur convient ou non.

Quel que soit le gouvernement en place, quelle que soit sa faon de grer limmigration, une
rgle lmentaire doit sappliquer: respecter la dignit de ltranger, sujet de droit,
bnficiaire, lui aussi, des droits de lhomme qui ne dpendent ni de la couleur de la peau, ni
du pays dorigine, ni de la validit de ses papiers. Toute politique dimmigration comporte
aujourdhui un aspect rpressif: il ne suffit pas de dire quun tat est en droit de refuser des

66
trangers sur son sol, encore faut-il se pencher sur la faon dont il va les refouler. Les
loigner, dit-on pudiquement dans le beau langage de ladministration. L, tout est possible:
toutes sortes de procdures administratives ou judiciaires sont utilises dans le monde, plus ou
moins respectueuses des droits lmentaires de lindividu. Mais, au-del de lapplication de
ces rgles, une dmocratie se reconnat au respect de la dignit de ltranger. Or aujourdhui,
en France, cette dignit est bafoue et elle risque, demain, de ltre davantage encore.

La politique des quotas et lorganisation de la chasse

Nous tions donc le 9 septembre 2005. Nicolas Sarkozy faisait ses comptes. Colre: il lui
manque 2484 trangers. Il refait ses calculs. Objectif: 23.000 pour lanne, donc 1916 par
mois. Fin aot police et gendarmerie auraient dj d lui trouver 8 x 1916 trangers = 15333
trangers. Il ny en avait que 12849! Il fallait donc dici la fin de lanne mettre les bouches
doubles et multiplier les interpellations massives. Les instructions fermes taient donc donnes
en ce sens, aux prfets qui, videmment, allaient tre relays pas ces magistrats que sont les
procureurs de la Rpublique. On aimerait ne pas avoir insister sur le sordide de cette
comptabilit et sur lacharnement inhumain quelle traduit. Mais limage de fermet du
prochain candidat est ce prix: il faut quil puisse, devant ses lecteurs, soutenir quil a t le
premier mener une vraie politique intransigeante et quil gagne cet lectorat de lextrme
droite pour qui ltranger reprsente le mal absolu.
Pour 2006, lobjectif par le ministre a t fix 25.000 reconduites la frontire. Tout a t
organis pour arriver cote que cote ce chiffre. Femmes, lves, enfants, tout est bon. Les
procureurs de la Rpublique se plient sans difficult ces demandes et apposent leur signature
l o il le faut. La justice est totalement instrumentalise par la politique de scurit du
candidat et laide fournir des chiffres en bon ordre, conformes ses promesses. Chaque jour,
des rquisitions judiciaires sont signes qui permettent la police de procder en toute lgalit
des contrles didentit dans des quartiers dlimits par les magistrats.

La police sest mise en ordre de bataille pour excuter les ordres et respecter les quotas prvus.
Deux fois par semaine on est rquisitionns pour rafler de limmigr en situation
irrgulire, raconte un policier un journaliste du Nouvel Observateur fin 2006. Les ordres
cest de faire du chiffre. Un autre, de la police de lair et des frontires: chaque fin de mois,
quand on a pris du retard sur les quotas, le prfet nous rappelle lordre. Si notre centre de
rtention est dj plein, on doit alors trouver des places libres ailleurs. Et, croyez-moi, les
gars commencent tre fatigus davaler les kilomtres juste pour convoyer un pauvre maon
sngalais parfois lautre bout de la France.

Tout est bon pour arrter de ltranger. Les procds les plus ignobles qui, il faut le dire, font
honte une dmocratie. Mardi 30 janvier 2007, opration de routine selon la prfecture de
police de Paris. Le bilan est bon, 21 personnes interpelles. Effectivement ce soir l, des
trangers viennent au Resto du coeur, Place de la Rpublique. Les hritiers de Coluche
distribuent 400 repas. Comme tous les mardis, jeudis ou samedis. Pauvres parmi les pauvres,
ils viennent l pour pouvoir manger. La police les attend sur autorisation du procureur qui a
permis des contrles dans le primtre de la Place de la Rpublique et ses alentours de 19
23H. Ltranger pauvre qui a faim arrive par le mtro. Le taux dlucidation de la police est
son znith. Les sans papiers partent dans les fourgons qui attendaient non loin de l pour aller

67
remplir les centres de rtention.

La mobilisation des Franais pour protger les enfants, les reculades du ministre

Nicolas Sarkozy ne sattendait pas la raction des citoyens Franais pour dfendre ces
trangers. Cette mobilisation est parti du terrain, spontanment. Des rseaux se sont crs peu
peu. Rseau Education Sans Frontire est le plus connu dentre eux car lindignation a t la
plus forte au sein des coles. Les mouvements de protestation sont parfois ns spontanment -
des coles se sont mises en grve du jour au lendemain - exprimant lindignation des parents
dlves ou des lves eux-mmes qui ne comprenaient pas pourquoi des enfants ou des
adolescents qui suivaient une scolarit normale taient soudainement arrachs leur cole,
leur amis, leur milieu, leur proche pour tre expdis manu militari dans des pays o, le plus
souvent, ils navaient mme plus leur place. En France, on a vu la police arrter les jeunes
dans les coles ou proximit. Il a fallu, le 31octobre 2005, une circulaire du ministre pour
calmer ce zle. Il tait demand la police dviter des dmarches dans lenceinte scolaire ou
ses abords et les procdures taient suspendues jusqu la fin de lanne scolaire. La
mobilisation massive face ces reconduites la frontire a conduit en juin 2006 le ministre de
lintrieur reculer un peu. Trs peu, car au mme moment, il faisait voter un texte
extrmement restrictif sur limmigration qui deviendra la loi du 24 juillet 2006. Le 13 juin
donc, il a sign une nouvelle circulaire prvoyant le rgularisation de parents sans papiers
dont lenfant tait scolaris depuis septembre 2005. Environ 33000 demandes ont t dposes
par des familles qui pensaient rpondre aux critres de la circulaire, alors que le ministre
annonait clairement ds le mois de juin - les prfectures ne faisaient que commencer leur
examen - quil nirait pas au-del de 6 7000 rgularisations. L encore les chiffres ont
miraculeusement donn raison au ministre: 6924 adultes sans papiers ont t rgulariss!

La politique inhumaine continue

Les reconduites la frontire ont continu. Et nombre de familles qui staient imprudemment
signales ont t inquites. Une trentaine de personnes ont t expulses dans le cadre de la
circulaire Sarkozy depuis la rentre 2006: jeunes majeurs, parents denfants scolariss,
familles entires qui ne rpondaient pas aux critres retenus par le ministre. Tous ces cas sont
consternants. Un seul suffira pris au hasard sur une liste interminable. Octobre 2006, Sulizne
Monteiro, tudiante au Lyce Valmy Colombes , qui vivait depuis 2003 avec sa mre et son
petit frre, tait arrte et place au centre de rtention de Paris pour tre reconduite au Cap
Vert. Elle avait obtenu son CAP entretien textile en juin 2006 et devait reprendre ses tudes
pour obtenir son CAP. Une ptition recueillait plus de 3000 signatures. Syndicats
denseignants , lus, associations se mobilisaient. Ses camarades de lyce se mettaient en
grve, le mouvement stendait dautres tablissements scolaires des Hauts de Seine, jusqu
luniversit de Nanterre. Rien ny faisait. Au bout de jours, Sulizne tait reconduite au Cap
Vert. Pour djouer les plans de ses camarades qui staient prcipits laroport dOrly,
Nicolas Sarkozy la faisait partir de laroport du Bourget dans un avion spcial affrt par le
ministre de lintrieur. Elle navait pour tout parent dans son pays que sa grand-mre ge de
83 ans. Les protestations nont cependant pas faibli. Des manifestations se sont succdes et
grce cette pression permanente, Sulizne a pu revenir en France en fvrier 2007 avec un
visa dtudiante. Mais combien dautres nont pu bnficier dun tel soutien et ont d rester

68
dans leur pays?

Ces trangers sans papiers sentassent donc dans des centres de rtention surchargs. Ils
arrivent en rang serrs dans les tribunaux o ils sont prsents des juges des liberts et de la
dtention qui ont apprcier de leur maintien dans ces centres avec une marge de manoeuvre
trs troite. Trs peu sont remis en libert (assigns rsidence en fait). Beaucoup de
procdures sont annules car il arrive trs souvent que les policiers ou les prfectures, presss
par le temps, tout leur hte de respecter les quotas fixs par leur ministre, en oublient de
respecter les rgles lmentaires de la procdure et bclent leurs dossiers. Mais dans la plupart
des cas le juge doit se contenter de maintenir dans les centres les trangers arrts, le temps
que ladministration obtienne laccord du pays de retour et trouve un avion. Les juges voient
alors dfiler cette humanit quils ignorent ordinairement: cette population de clandestins qui
se terre dans notre pays, tente de survivre et de travailler comme elle peut, avec les moyens du
bord. Trs peu de dlinquants, pas plus que dans la population ordinaire. Si ce nest que pour
trouver du travail, ou possder un compte bancaire, ils se sont parfois procur de faux papiers.
On demande au juge de ne pas avoir dtat dme. Un africain dont le pre stait battu pour la
France? Peu importe. Un homme qui vient dtre pre depuis trois mois et soccupe de son
bb que la mre tient dans ses bras dans le couloir? Peu importe. Un mari exemplaire qui fait
vivre femme et enfants en travaillant au noir? Peu importe. Un tranger qui est en train de
rgulariser sa situation pour pouvoir faire soigner une grave maladie? Peu importe. Un
tranger venu en France pour soccuper de son pre gravement malade? Peu importe.

Un effet dsastreux: latteinte au droit dasile

Les rsultats de la politique dimmigration de Nicolas Sarkozy sont la hauteur de la
formidable pression quil a exerc sur les services de police et de gendarmerie. Les reconduites
la frontire ont bien atteint lobjectif fix, mais lune des consquences de cette politique est
le recul dramatique des demandes dasile.

Premier rsultat: la procdure de demande dasile nest plus une fabrique clandestins.
La politique de fermet paye. La lutte contre les dtournements a permis une chute
spectaculaire du nombre des demandes dasile adresses la France (Confrence de presse
du 11 janvier 2007).

Lasile est un droit constitutionnel, un des plus anciens et un des plus sacrs qui soit . La
France a une longue et belle tradition en la matire et elle peut en tre fire. Elle, qui est
encore pour quelque temps considre comme la patrie des droits de lhomme, a toujours - en
dehors de la priode vichyssoise - mis en oeuvre une politique gnreuse pour ces personnes
qui sont victimes de perscution dans leur patrie. Il est inutile de rappeler que lasile est li aux
turbulences politiques, aux conflits et aux guerres qui continuent dexister dans le monde
entier, plus fortement que jamais. Lhonneur de la communaut internationale et des pays
dmocratiques est dassurer tous ceux qui sont perscuts pour ces raisons, le refuge, laide
et la protection.
Nicolas Sarkozy se fait, lui, un titre de gloire davoir fortement fait baisser en France le
nombre de demandeurs dasile. Il avance des chiffres qui le font jubiler mais qui devraient
consterner nimporte quel dmocrate. Son argument est simple: parmi les demandeurs dasile,

69
il y a beaucoup de menteurs ou de personnes qui ne correspondent pas aux critres de lasile.
La procdure dasile est , avant tout, pour lui, une fabrique clandestins. Cette conception
de la procdure dasile est consternante. Si lon examine rapidement la faon sont traites les
demandes dasile en France, on constate que lOFPRA dveloppe une politique de plus en plus
dfavorable aux demandeurs dasile: le taux dadmission ne cesse de baisser (de 11 8% de
2000 2005). Mais lorganisme de recours (la commission de recours des rfugis), qui, lui,
est indpendant, donne de plus en plus souvent tort lOFPRA. Cest grce cette
commission que les admissions sont en hausse. En 2005, lOFPRA a accord 4184 asiles,
alors que la commission de recours en accordait 9586, plus du double! Il reste que le nombre
de demandeurs dasile a diminu considrablement depuis 2004, passant de 57600 35000: -
22616, soit - 39%.

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Demandes
dasile
38747 47291 51087 52204 50547 42578
Avec
demandes de
rexamen
+1020
39767
+1909
=
49200
+1790
52877
+2225
=54429
+7069
=57616
+9488
=52066

35000
Dcisions
rendues
28763 40779 50206 67030 79164 64600
Asile accord
en 1
re

instance

11,3%
estim
5049
12,4%
6326
12,6%
6526
9,8%
6358
9,3%
4184
8,2%

Asile global * 5185
17,1%
7323
18%
8495
16,9%
9790
14,8%
11292
16,6%
13370
26,9%

Dbouts 25981 29194 34061 39613 55678
* comprenant les asiles accords du fait de la commission de recours.
Source: OFPRA

La politique de Nicolas Sarkozy est dramatique pour le droit dasile parce quelle interdit de
fait des personnes susceptibles de demander lasile de le faire et quelle viole un principe
inscrit dans notre constitution. La commission nationale consultative des droits de lhomme en
novembre 2006 rappelait fermement que les candidats au droit dasile ne devaient pas
supporter les consquences de la nouvelle politique dimmigration, telle quelle rsulte
notamment de lois des 26 novembre et 10 dcembre 2003. Le prsident de la commission
indiquait quun nombre croissant de dbouts du droit dasile nont pas bnfici dun
examen complet et quitable de leur demande de protection. Sont dnoncs notamment
- une politique de visas de plus en plus restrictive
- lutilisation de procdures expditives, dites prioritaires, dans lesquelles le demandeur
nest mme pas entendu, son cas tant jug sur dossier (1/4 des procdures)
- lobligation faite dornavant de prsenter la demande dasile en franais
- lutilisation de la notion de pays sr qui permet de rejeter la demande dadmission sur le
territoire franais si le demandeur vient dun de ces pays.

Inefficacit et mensonges de la politique spectacle: lexemplaire affaire de Sangatte,

70

Le pire, dans cette politique, est quelle est absolument inefficace. La multiplication des
contrles didentit au facis, cette traque sans relche des trangers, cette politique forcene
de reconduite la frontire est impuissante matriser le flux migratoire. Elle ne peut conduire
qu lchec. Tout simplement parce que le flux de limmigration est intarissable, la misre
des pays dmigration ntant pas prs de reculer, pas plus que les guerres ou les perscutions.
Personne ne peut ignorer ce spectacle ordinaire de bateaux chavirs avec des centaines
dimmigrs morts noys, ou ceux qui arrivent par miracle, bonds, sur les ctes italiennes ou
espagnoles et o lon compte les morts, ces camions de passeurs o meurent touffs des
centaines de clandestins, ces hommes dchirs sur des barbels installs la hte sur nos
frontires les plus tentantes? Chacun voit bien que ces hommes et ces femmes sont prts
risquer la mort. Quelle loi les en empchera? Combien de centres de rtention faudra-t-il
construire. Combien de compagnie daviation faudra-t-il rquisitionner?

Laffaire de Sangatte en est lillustration caricaturale de cette impuissance et de ce mensonge.
Chacun se souvient de ce centre de Sangatte dans le Pas de Calais. Le nouveau ministre
voulait marquer sa diffrence avec le prcdent gouvernement socialiste. Il se rend trois fois
sur place, avec force camras, promettant: il ny aura plus de problmes dici quelques
semaines. Novembre 2002, le Centre est ferm. Tout est rgl. Il y avait 3000 personnes
dans un hangar, expliquera Nicolas Sarkozy. Peu de ministres y sont alls avant moi dans le
Calaisis. On ne peux pas dire que je ne men suis pas occup. Jai ferm Sangatte, jai divis
par dix le nombre de migrants, jai multipli par deux les places dans les centres
dhbergement. Aujourdhui rien na chang. Les rfugis sont toujours l. Plus que jamais.
Le centre nexiste plus mais aux alentours de Calais se pressent des rfugis qui continuent
daffluer et errent dans les rues. Les actes de dlinquance, vols, agressions, dgradations, se
multiplient. Les associations humanitaires se mobilisent pour aider ces trangers, on les
poursuit devant le tribunal correctionnel: ils sont coupables davoir aid des trangers en
situation irrgulire sur le territoire franais! Le procureur de la Rpublique de Boulogne est
oblig de reconnatre quil sagit dune activit illgale, mais non rprhensibleet le tribunal,
bien embarrass, prononce une simple dispense de peine.
Mgr Jean-Paul Jeager crit Nicolas Sarkozy fin 2005, peu avant Nol: des hommes,
quelques femmes, peut-tre mme de rares enfants, sont l! La France, si soucieuse de prner
les grands principes humanitaires, a-t-elle le droit de refuser de les voir? Est-il normal que la
collectivit nationale se voile ainsi la face et abandonne une partie de ses responsabilits
des quipes de bnvoles puises par trois annes de service ininterrompu et qui rcoltent
plus de tracasseries que de reconnaissance?

Quelles solutions?

Il nest videmment pas trs payant, en priode lectorale, nous dit-on, de tenir un discours
quilibr sur limmigration. Mais, en la matire, il ne sagit pas de chercher des voix ou
dpouser lpouser lopinion publique dailleurs trs partage. Il faut la fois mener une
politique raliste et efficace et mettre en oeuvre les valeurs de base de lhumanit, deux
stratgies qui conduisent aux mmes solutions.

Il faut dabord maintenir le discours qui est fondamentalement celui de la France, sans nier

71
aucunement les problmes rels de limmigration clandestine aujourdhui: la France est un
pays ouvert au monde, elle est une terre de diversit et de tolrance, une terre dimmigration et
dasile. Ce sont les trangers qui ont contribu faire de la France ce quelle est et ce sont eux
qui continueront le faire, apportant notre pays une vitalit et une richesse incomparable.
Limmigration clandestine est suscite par la misre, ses premires victimes tant les immigrs
eux-mmes qui vivent dans des conditions inhumaines et indignes de notre pays (tels sont
dailleurs les premiers mots dun rapport du Snat franais dpos en avril 2006 sur le sujet).
Elle est aussi source dune vraie dstabilisation sociale en favorisant le travail clandestin, la
dlinquance, en gnrant de la violence et des tentions sociales. Ltat doit donc se proccuper
fortement de cette immigration mais il doit le faire avec autant de mesure que dhumanit,
dintelligence que de dtermination. Les gesticulations policires daujourdhui ne font que
renforcer la masse des clandestins, habituer les policiers un travail indigne deux et
multiplier tous les risques de cette clandestinit. Mme si le propos dpasse de loin notre
ouvrage, on en peut viter de dire que la seule solution relle et durable susceptible de freiner
limmigration clandestine est dattnuer la pauvret des pays fuis par les immigrs. Il ne sagit
pas douvrir les frontires tous mais de grer limmigration sans drame, avec humanit et
tolrance. Arrter les effets de manche en sachant que toutes ces rodomontades actuelles ne
servent rien. Comme le proposent beaucoup de spcialistes il serait plus intelligent, plus
raliste et efficace de dlivrer rgulirement des titres de sjour, de lordre de 20 30.000 par
an, plutt que dobliger rgulirement la gauche procder des rgularisations qui sont la
consquence dune politique dimmobilisme de la droite. Cette politique que Nicolas Sarkozy
veut amplifier, sil est lu, par la cration dun grand ministre de limmigration uniquement
ddi une chasse encore plus implacable et inhumaine contre limmigration clandestine,
conduit un peu plus dgrader limage de la France. Elle aboutit surtout faire de notre pays
une immense machine rpressive. Refusant, par parti pris idologique, de voir tout le bnfice
que peut nous apporter la population immigre, Nicolas Sarkozy propose de continuer
mobiliser un appareil tatique extrmement coteux pour combattre des illgalits quil cre
lui-mme.







72
Chapitre IX
LINSTRUMENTALISATION DES VICTIMES

Linstrumentalisation des victimes

Les droits de lhomme, pour moi, ce sont avant tout les droits de la victime (3 juillet 2006).

Vous vous souvenez de Mme Cremel? Cette jeune femme de 42 ans assassine coup de
btons sur la tte, parce que pour 20 euros en poche, elle allait faire son jogging. Je vais
lenterrement, je suis ct de son mari, admirable de dignit et de sa fille de 11 ans... (A
vous de juger, France 2, 30 novembre 2006).

Comment on sassure quon nait plus de situation comme celle que nous avons connue avec
Monsieur Fofana, celui qui est suspect dtre lassassin du petit Ilan quon a retrouv avec le
corps recouvert de 80% de torture. Comment on peut arriver avoir un comportement aussi
barbare? Est-ce quil ne faut pas soccuper de la dtection prcoce chez les enfants des
troubles du comportement pour viter a? (Europe 1, 11 avril 2006).

Je veux que les victimes soient mieux considres dans la procdure judiciaire. Il existe un
juge pour les condamns, cest le juge de lapplication des peines. Il faut crer un juge pour
les victimes, charg de veiller tout dabord la pleine et entire excution de la
condamnation. 18 mois aprs leur prononc, 45% des peines de prison ferme ne sont pas
excutes. Ce juge des victimes aurait galement pour tche de suivre la victime, de lassister
dans son processus de reconstruction, voire parfois de rinsertion dans la vie normale. Ce
quon fait pour les auteurs, cest bien le moins que de le faire aussi pour les victimes.

Lexhibition des victimes

Un des premiers droits des victimes est quon respecte leur dignit. Celle de leur souffrance
qui nappartient qu elles. Pendant longtemps elles nont appartenu personne, noyes
dindiffrence. On peut se demander parfois si elles ont beaucoup gagn se retrouver soudain
exhibes sur la place publique, portes en tendard de combats de toute sorte, dcorant les
programmes et les professions de foi. Linstrumentalisation des victimes a t porte son
comble par Nicolas Sarkozy. Passe quune affaire soit voque, passe quun nom soit cit.
Mais lorsque la rfrence devient systmatique, que le sordide de laffaire est tal
rgulirement, comment ne pas ressentir, pour le moins un malaise? Combien de fois na-t-on
entendu le ministre-candidat voquer dans le dtail le meurtre de Nelly Cremel (utilis pour
attaquer le laxisme des magistrats ou justifier sa politique face aux rcidivistes), ou celui de
Mama Galdou, brle dans un autobus Marseille (utilis pour justifier ses propositions
rpressives face aux mineurs) ou, celui dIlan Halimi (dcouvert agonisant aprs avoir t
tortur) utilis dune faon totalement absurde pour justifier la dtection prcoce des troubles

73
du comportement de lenfant! Le 10 fvrier 2007 il recevait Place Bauveau des institutrices qui
se staient fait agresser et dont les coupables ont t sanctionns par des peines de prison
ferme (7 mois demprisonnement ferme pour lun, 6 mois dont 5 avec sursis pour lautre) il en
profitait - cest alors le candidat qui parlait - pour marteler sa ferme volont dimposer des
peines plancher (communiqu du ministre)
Comment ne pas tre choqu cette exploitation de la souffrance dautrui des fins de
propagande? Quun ministre de lintrieur aille aux obsques dune victime dun crime de
droit commun? Pourquoi pas, ds lors quil le fait avec recueillement et discrtion. Mais le
faire ostensiblement devant les camras est consternant. Quil en fasse tat ensuite dans des
discours lectoraux, est simplement indcent. Heureusement toutes les victimes ne se plient
pas ce crmonial mdiatique et lectoral et infligent quelques rebuffades au ministre
candidat. Ainsi lorsque les parents des jeunes de Clichy sous Bois lectrocuts en octobre
2005 refusent de se rendre au ministre de lintrieur. Siyakah Traor, frre dun des deux
jeunes lectrocuts dans un transformateur Clichy sous bois explique son refus par
lincomptence de Nicolas Sarkozy, prfrant obtenir un rendez-vous chez le premier
ministre qui tait alors son concurrent direct.

Feu le secrtariat dEtat des victimes

Les motifs de cet engouement pour les victimes sont aises comprendre. Elles ont t trs
longtemps les grandes oublies non seulement de la justice mais de la socit dans son entier.
Leur rhabilitation est - sur lchelle de lhistoire - trs rcente et lanalyse de ce retour en
force a dj fait lobjet de plusieurs analyses pertinentes. La victime a lvidence de sa
souffrance, indiscutable; elle est devenue une rfrence sre. Lmotion quelle suscite peut
tre comprise et partage par tous et elle suscite la compassion et le respect. Chacun peut
sidentifier elle. Cette nouvelle lgitimit de la victime est une des rares qui fassent presque
lunanimit dans une socit dont les valeurs et les repres idologiques sont devenus plus que
flous voire invisibles.

Pour capter cette sympathie, le gouvernement Raffarin III avait, le 30 juin 2004, cr un
secrtariat dEtat aux victimes. Nicole Guedj, nomme ce poste, clbrait lvnement avec
une certaine solennit. Cette cration, pour elle, sinscrit lvidence dans la culture
franaise de promotion, de respect et de sauvegarde des droits de lhomme. Cest un geste
minemment politique et rpublicain. La gauche, elle, y voyait un vrai gadget de dmagogie
absolue (Christine Lazerges, dput PS, rapporteur de la loi de juin 2000, renforant la
prsomption dinnocence et les droits des victimes) rappelant que Robert Badinter avait
dvelopp le rseau dassociations daide aux victimes que lon trouve aujourdhui dans tous
les tribunaux et qui apportent une aide indispensable. Nicole Guedj et son secrtariat dEtat
nont pas rsist plus dun an. Ils ont sombr lors du remaniement ministriel suivant, le 2
juin 2005. Les terribles batailles qui ont alors marqu la composition dun gouvernement o il
fallait assurer un quilibre plus que dlicat entre les partisans de Nicolas Sarkozy et lquipe
emmene par Dominique de Villepin, ont eu raison du geste politique et rpublicain. Le
bilan de 11 mois de fonctionnement tait plus que modeste. Au moins ce secrtariat avait-il le
mrite dtre rattach son tuteur normal: le ministre de la justice. Il a fallu attendre quatre
mois - octobre 2005 - , aprs de longues promesses pour quune simple dlgation aux
victimes soit cre, annexe au ministre de lintrieur.

74

Le 11 octobre 2005, Nicolas Sarkozy a install solennellement cette dlgation. Son
programme? Exactement celui du ministre de la police, quelques virgules prs. Premire et
en fait unique proposition: lutter contre la rcidive avec le catalogue habituel de mesures
rpressives que lon connat. Seconde mesure: resserrer les liens entre le ministre de
lintrieur et les associations de victimes et, sur le terrain, tre plus attentif laccueil des
victimes! Au terme dun long discours, on cherche dsesprment une mesure concrte. Si le
secrtariat dEtat aux victimes avait pu tre qualifi de gadget, la dlgation aux victimes,
elle, se rapproche du nant. limage des ides sur lesquelles elle sappuie car la base de
laction en faveur des victimes ne peut tre la rpression. Car, ce tarif l, on pourrait dire
que le code pnal est un immense programme en faveur des victimes, que les agents de police
sont les meilleurs thrapeutes et que la prison la meilleure arme pour soigner les victimes.
Lallongement des peines de prison na jamais permis la reconstruction dune victime, pas
davantage que la cration dun nouveau fichier.
Lors de son discours prononc le 3 juillet 2006 loccasion dune rencontre avec les
associations daide aux victimes et de victime, le ministre avait bien du mal indiquer ce
quavait accompli faire cette dlgation. Le bilan tait vite tir. Une charte daccueil du public
a t labore! Mais elle date de 2004. Des correspondants dpartementaux ont t crs.
Belle affaire!

Le juge des victimes, les victimes-juges: la confusion.

Si le bilan du ministre se lit rapidement, les propositions du candidat, celles quil na pas eu le
temps de mettre en oeuvre depuis cinq ans, mritent lattention. Nicolas Sarkozy propose donc
un juge des victimes. Le paralllisme quil tablit alors entre le juge pour les condamns
(le juge de lapplication des peines, le JAP) et le juge pour les victimes quil propose est
une magnifique trompe loeil. Le JAP nest pas un juge pour le dlinquant: sil soccupe de
ce condamn, ce nest pas en raison dune sympathie particulire pour lindividu mais
simplement parce quil surveille une peine. Il le fait parce quil cherche viter une
rcidive. Laction de la justice en faveur de la victime doit sinscrire dans une dmarche
ncessairement moins intrusive. Elle sest longtemps cantonne la simple rparation: on se
contentait de lindemniser. Le systme actuel est dailleurs assez performant puisque pour les
infractions les plus graves, un fonds de garantie prend directement en charge cette rparation
sur dcision dune commission judiciaire (la CIVI, commission dindemnisation des
victimes dinfractions). Lautre type daction, plus rcente, est laccompagnement de la
victime pendant le temps du procs pnal. Elle est le fait, aujourdhui, dassociations daide
aux victimes, finances essentiellement par lEtat. Faut-il aller plus loin et demander la
justice de soccuper de la reconstruction de la victime? Le voudrait-on que les moyens
ordinaires de la justice len empcheraient. Pourquoi promettre ce qui ne peut tre tenu? Mais
lessentiel nest pas l. En aurait-elle les moyens la justice na pas ce mler de cette tche.
Essayer de mler les juges la reconstruction de la victime, cest, une fois de plus, se tromper
de registre et confondre les genres. Le juge doit essayer de comprendre et dvaluer, mais ce
nest pas lui de soccuper de soins, ou de thrapie, sauf, exceptionnellement, lorsque des
exigences imprieuses limposent comme en matire de dlinquance sexuelle et encore sous de
strictes conditions.


75
Nicolas Sarkozy propose par ailleurs de mettre des reprsentants des victimes ds la premire
instance dans le tribunal qui statue sur la libration conditionnelle. Autrement dit, le juge de
lapplication des peines se verrait adjoindre un reprsentant dassociation de victime.
Aujourdhui dj un responsable dune association daide aux victimes est dj prsent dans la
juridiction dappel qui statue en matire de libration conditionnelle (article 712-13 du code de
procdure pnale). Il sige aux cts de trois magistrats et dun responsable dune association
de rinsertion des condamns. Cet quilibre est judicieux. Pourquoi aller au-del, en essayant
de mettre la victime dans une place o elle na pas tre. Le fait davoir t victime ne
prdispose personne juger. La justice est un quilibre entre des intrts contradictoires, entre
ceux de la personne souponne et ceux de la personne qui porte plainte. Tout doit tre fait
pour que le principe de lgalit des armes qui est gnralement conu comme une galit
entre laccusation et laccus concerne galement la victime. Mais pour autant la victime ne
doit pas devenir juge. Jestime que la situation de victime ne saurait sarrter la fin du
procs, dit Nicolas Sarkozy alors quen ralit son intrt est de quitter au plus vite la scne
de la justice sur laquelle elle a t conduite contre son gr.

















76
Chapitre X
UNE SOCIT SOUS TRS HAUTE SURVEILLANCE

Surveills trs tt: le fichage des bambins turbulents

Ce nest pas quand un adolescent de 15 ans est devenu un dlinquant multircidiviste quil
faut soccuper de son cas. Il faut donc agir le plus tt possible, en direction des enfants (La
Gazette des Communes, 21 novembre 2005).Il faut agir plus tt, dtecter chez les plus jeunes
les problmes de violence. Ds la maternelle, ds le primaire, il faut mettre des quipes pour
prendre en charge ces problmes. - Ds la maternelle? - Oui! (Le Parisien, 2 dcembre
2005).

Nicolas Sarkozy sest exprim souvent sur son souhait de remonter le plus tt possible dans
lenfant pour mettre en place son systme de prvention et des mthodes de surveillance. Mais
cest dans lavant projet de loi sur la prvention de la dlinquance, tel quil avait t concoct
fin 2005 par ses services au ministre de lintrieur, (avant quil ne soit dulcor par le
gouvernement), que lon trouve la position exacte du candidat. Il est acquis, peut-on lire, que
plus tt les enfants ayant des troubles seront pris en charge, moins ils dvelopperont
ladolescence des comportements auto-destructeurs ou agressifs pouvant conduire la
dlinquance. Tout un chapitre est donc consacr au dpistage prcoce des enfants
prsentant des troubles du comportement et des signes de souffrance psychique. Il est
propos notamment la cration dun carnet de comportement cens rpertorier et garder la
trace de ces signes prcoces de la naissance la vie adulte.

Cette intressante proposition sappuyait sur un rapport collectif de lINSERM publi en
septembre 2005. Il affirmait quen dpistant prcocement les enfants prsentant des troubles
des conduites et en les traitant tt, il tait possible de diminuer beaucoup les risques de
dlinquance ladolescence. Il prconisait le reprage des perturbations du comportement
ds la crche et lcole maternelle... Des traits de caractre, tels que la froideur affective, la
tendance la manipulation, le cynisme, lagressivit... lindocilit, limpulsivit, lindice de
moral bas taient prsents comme associs la prcocit des agressions. Les colres et
actes de dsobissance taient considrs comme prdictifs de la dlinquance. Le groupe
dexperts recommande de favoriser les interventions dans les familles risque, en particulier
chez les jeunes mres primipares faible niveau dducation et en situation de prcarit. Il
tait galement recommand un examen de sant vers 36 mois: cet ge, on peut faire un
premier reprage dun temprament difficile, dune hyperactivit et des premiers symptmes
du trouble des conduites.

Le 8 novembre 2005, Nicolas Sarkozy recevait un rapport sur la prvention de la
dlinquance rdig par Jacques-Alain Benisti, dput UMP, qui reprenait sous un angle
juridique les conclusions du rapport de lINSERM. Ce rapport Benisti proposait de reprer

77
le plus tt possible les difficults des jeunes au travers de la Protection Maternelle et Infantile
(PMI) et ce ds la maternelle et en liaison avec la mdecine scolaire, au-del de 6 ans et
jusqu la majorit. Il tait galement prconis dinitier le corps enseignant aux disciplines
permettant de dtecter les troubles du comportement de lenfant, avant de passer le relais aux
professionnels.

Malhonnte et dangereux

Il suffit dtre pre ou mre pour comprendre lineptie de telles propositions. Il suffit mme
dtre adulte et de se rappeler lenfant quon a t ou imaginer ladulte quon aurait pu tre
sans le regard bienveillant et tolrant de nos parents ou de nos enseignants. Le juge peut aussi
stonner de cette vision trs partielle, et mme trs partiale de la dlinquance: comment peut-
on imaginer que la dlinquance nest quun long continuum qui commence lenfance et peut
se poursuivre sans relche lge adulte. Comment peut-on ignorer que des actes de
dlinquance, parfois graves peuvent survenir trs tard, sans quaucun signe prcurseur nait
jamais alert qui que ce soit? Quelle et cette vision de la criminalit pollue par la peur de
lenfance? Mais pour en rester au domaine de la petite enfance, autant couter les vrais
spcialistes. Lavis, par exemple, dun des plus grands pdopsychiatres contemporains, le
Professeur Bernard Golse, chef du service de pdopsychiatrie lhpital Knicker: personne
au monde ne peut prdire quun enfant de trois ans qui prsente des troubles de conduite sera
un dlinquant douze ans plus tard. Ce saut pistmologique est inacceptable... Faire croire
que lon peut faire des prdictions de ce genre dans le domaine de la psychiatrie, au mieux
cest illusoire, au pire cest malhonnte et dangereux.
Mais supposons quun tel dpistage systmatique soit mis en place, lautre question, capitale,
est de savoir ce que lon fait de ce petit enfant ainsi repr. Nicolas Sarkozy proposera de
linscrire dans un Fichier National de Enfants Turbulents (FNET) en se vantant dpargner
ainsi en France des milliers de victimes. En attendant, il faut regarder ce que propose le
rapport de lINSERM sur lequel il se repose. Or ce quil prconise, en cas dchec des
thrapies cognitico-comportementales, ou si elles ne sont pas assez rapidement efficaces,
cest dutiliser des traitements mdicamenteux. Citons l encore le Professeur GOLSE:
utiliser des psychotropes chez les enfants avant quatre ans, cest de la folie. Donner des
psychotropes longtemps un enfant de moins de quatre ans, cest vraiment jouer lapprenti
sorcier; agir laveuglette total. Les antidpresseurs, anxiolytiques ou somnifres vont se
fixer sur les cellules nerveuses. Or, avant quatre ans, la structure crbrale de lenfant nest
pas encore compltement mise en place. Aucune tude disponible chez lhumain ne nous
permet daffirmer quen troublant linstallation de lappareil crbral cet ge-l, on ne
risque pas dinduire des effets long terme.

0 de conduite pour le ministre de lintrieur, la condamnation du monde scientifique

Une vraie fronde a clat devant ces propositions dangereuses. Une ptition a t lance par
une dizaine de praticiens dont Pierre Delion, pdopsychiatre au CHU de Lille, Boris Cyrulnik,
neuropsychiatre... Elle tait intitule pas de zro de conduite pour les enfants de trois ans.
Cette ptition a recueilli prs de 200.000 signatures. La philosophie pernicieuse du projet est
dnonce: faudra-t-il aller dnicher la crche les voleurs de cube ou les babilleurs
mythomanes?

78

Un colloque a finalement t organis par lINSERM le 14 novembre 2006 en prsence du
ministre de la sant. Les plus grands noms de la pdopsychiatrie franaise taient prsents, en
compagnie de pdiatres, psychologues, sociologues, pidmiologistes. Ce colloque a rejet
quasi unanimement les prconisations de dpistage prcoce de la dlinquance, dun dpistage
centr sur les seuls symptmes, dun contrle des familles et dune approche scuritaire des
difficults de sant.

Le comit national dthique a condamn sans appel le rapport de lINSERM dans un avis du
6 fvrier 2007. Devant les colres frquentes de lenfant, penser quon peut prdire terme
des vols main arme ou des viols est une vision trs trange, prvient Jean-Claude
Ameisenn chercheur et rapporteur de lavis. Il faut marquer nettement la diffrence entre
prvention et prdiction. Mais cest la remarque de Claude Kordon, spcialiste en neuro-
sciences et co-rdacteur du rapport, qui nous parat la plus pertinente et que tous les fervents
partisans des surveillances de toute sorte devraient mditer: un regard ngatif sur lenfant
peut avoir des effets sur la faon dont il va se comporter. Les comportements peuvent se
stabiliser sous leffet du regard que les autres portent sur soi, mais, linverse si un enfant
a une image de petit voyou, il peut sy plier.

Fichs partout au mpris des lois

Devant la mobilisation du monde scientifique, mdical et ducatif, les bbs ont chapp pour
un temps leur carnet anthropomtrique mais on aurait tort de penser que ce fichage prcoce
soit une initiative isole, un faux pas malheureux. Il sinscrit dans une vision trs prcise de la
socit, une vision trs police. On ne peut qutre effray par le nombre de fichiers que
Nicolas Sarkozy a crs depuis son arrive au ministre de lintrieur. Une obsession qui
ninquite dailleurs pas que les dmocrates ou ceux queffraie un quadrillage de plus en plus
serr de notre vie quotidienne. Le prsident de la CNIL, snateur UMP, dclarait en 2006: ce
qui se passe dans notre pays est particulirement grave. Je constate un drive du fichage que je
considre comme trs dangereuse. Police et gendarmerie disposent de 100 millions de fiches
en France. Peut-tre est-ce un peu trop. Les erreurs se multiplient. Selon lObservatoire
National de la Dlinquance les fichiers actuels contiennent jusqu 30% de noms inscrits par
erreur.

Quel que soit le sujet qu aborde le ministre-candidat, germe aussitt lenvie de mettre en
fiche, comme si ltat quil conoit avait pour mission premire de noter tous nos faits et
gestes et conserver pieusement la trace de nos habitudes. Jointe la passion de la vido-
surveillance, cette malheureuse manie du fichage parat quelque peu contraire aux principes
ordinaires de la dmocratie.
chaque problme de socit sa rponse-fichier. Dlinquance des mineurs? Carnet de
comportement. Maladie mentale? Fichier national des personnes hospitalises doffice cr par
la loi sur la prvention de la dlinquance. Immigration? Possibilit donn au maire (et
largement utilis) de crer des fichier des attestations daccueil recensant toutes les personnes
qui se propose daccueillir des trangers faisant une demande de visa (loi du 26 novembre
2003). Lutte contre la rcidive? Nouveau fichier de police. Est promis aux victimes la cration
dun fichier national des convocations par officier de police judiciaire qui permettra de

79
centraliser et de recouper toutes les informations sur un rcidiviste! Inutile de prciser que la
personne ainsi convoque devant un tribunal et quon veut mettre en fiche est toujours
prsume innocente, un principe il est vrai assez droit-de-lhommiste. Peut-tre cette fois-ci
songera-t-on respecter la loi avant de le mettre en place. Car il arrive que le ministre, dans
son lan, oublie la loi. Tel a t le cas pour le fichier Eloi. Non, ce nest pas au Saint que se
rfre ce fichier-l, mais aux mesures dEloi-gnement des trangers. Il sagissait dune des
rponses-fichiers la question de limmigration clandestine. Le ministre Nicolas Sarkozy a
bien demand son avis la CNIL (commission nationale de linformatique et des liberts),
mais il na pas eu la patience dattendre. Cette commission, pourtant indispensable au bon
fonctionnement dune dmocratie, na pas les moyens de fonctionner; elle na pas pu rpondre
au ministre dans le dlai de deux mois. Son silence valait approbation tacite. Nicolas Sarkozy
a alors cr ce fichier par un simple arrt du 30 juillet 2006.
Ce fichier Eloi recense le maximum de renseignement sur les trangers en situation irrgulire
(lidentit, le nom, les surnoms, le sexe, la nationalit, la filiation, les langues parles, la photo
didentit, le document didentit, la situation professionnelle), mais aussi tout ce qui concerne
leur entourage: leurs enfants, les personnes qui les ont hbergs, celles qui leur rendent visite
au centre de rtention... Tout ceci est thoriquement conserv pendant trois ans. Las! Cette
merveilleuse initiative a t conteste par de mauvais esprits, la Ligue des droits de lHomme,
SOS Racisme, le GISTI (groupement dinformation et de soutien aux immigrs), et dautres
groupuscules du mme acabit. Le Conseil dEtat a t saisi. Le 7 fvrier 2007, le commissaire
du gouvernement, Claire Landais, a demand lannulation de larrt du ministre au motif
quil ntait pas comptent pour prendre cette dcision. Quel que soit le texte lgal vers lequel
on se tourne, la loi rgissant lentre et le sjour des trangers (que Nicolas Sarkozy connat
pourtant sur le bout des doigts) ou sur la loi informatique et liberts du 6 aot 204, un tel
fichier ne pouvait tre cr que par un dcret pris aprs avis du Conseil dEtat. De plus, ce
fichier devait tre soumis une procdure spciale car certaines donnes, comme les photos
numrises, sont considres comme biomtriques et donc sensibles.

Quel dommage de ne pas pouvoir ficher selon la race!

Nicolas Sarkozy a donc du mal respecter quelques lois lmentaires en matire de fichier
mais ce sont des principes bien plus fondamentaux qui le gnent. Sa grande ide est de pouvoir
ficher selon la race. On ressent une certaine gne oser crire ce qui suit mais ce sont les
paroles du ministre. Le fait que lon ne puisse pas, en France, connatre la diversit de la
population parce que lorigine ethnique des dlinquants est interdite, participe la panne de
notre systme dintgration, dclarait-il RTL le 6 fvrier 2006 avant de dclarer, le 13
fvrier, sur RMC il faut faire de la transparence. Il ny a aucune raison de dissimuler un
certain nombre dlments qui peuvent tre utiles la comprhension de certains
phnomnes. On reste interdit devant de tels propos. Oser dire que ce fichage contribuerait
empcher lintgration est totalement absurde. En dehors dune stigmatisation supplmentaire
des trangers et dune belle contribution la xnophobie et au racisme ambiant, on ne voit pas
le bnfice que pourrait en tirer la police dans son action quotidienne. Les policiers, eux-
mmes, nen reviennent pas. Un reprsentant dun syndicat de police (Dominique Achispon,
secrtaire gnral du Syndicat national des officiers de police) stonne: quand on saura quil
y a vingt, trente, cinquante, je ne sais combien de pour cent de dlinquants aux parents ou aux
grands-parents dorigine trangre, comment cela va-t-il aider le policier dans son travail? Il

80
arrte des dlinquants non parce quils sont noirs ou arabes, mais parce quils ont commis
une infraction.

Mais certains policiers nont pas cette sagesse. Les renseignements gnraux nont pas attendu
la cration de ce prochain fichier ethnique. Dans un rapport du 6 janvier 2005 qui avait eu les
honneurs de la presse (Le Monde du 25 fvrier 2006), ce service de police avait rpertori
lorigine ethnique des 436 meneurs recenss dans 24 quartiers sensibles, il relevait que parmi
ces meneurs 87% ont la nationalit franaise, 67% sont dorigine maghrbine et 17%
dorigine africaine.

En attendant prosprent dinnombrables fichiers dans des conditions problmatiques.
Limmense fichier du STIC (systme de traitement des infractions constates), lgalis par la
loi n2003 du 18 mars 2003 sur la scurit intrieure qui contient 4,7 millions de fiches de
mis en cause et 22,5 millions de victimes et dont une bonne part ne sont pas mises jour
faute de contrle par des procureurs de la Rpublique totalement impuissants. Il a fallu un
programme dapurement automatique du STIC en octobre 2004 pour sapercevoir que 1,2
millions de fiches de mis en cause navaient pas lieu dtre. Cest videmment dommage pour
ce million de citoyens qui a pu voir ainsi son sort aggrav sil avait faire la justice ou ses
chances compromises sil faisait lobjet dune enqute administrative lembauche. Les
erreurs sont lgion. Quant aux non-lieux, relaxes ou acquittements qui peuvent tre la suite
dune infraction constate, ny comptez pas, le fichier nest pas fait pour les dcisions de
justice, dailleurs les magistrats qui sont chargs de le contrler ny ont mme pas accs
directement!

Les dernires drives mises jour dans la campagne lectorale sur le fichage de Bruno
Rebelle, lancien de Green Peace, entr dans lquipe de campagne de Sgolne Royal, na
donc rien de surprenant. Au moins peut-on fliciter les Renseignements Gnraux davoir tenu
jour lune de leurs 800.000 fiches mme si, videmment lintress navait plus depuis
longtemps de responsabilit dans son association subversive. Dun point de vue ethnique, il
ny avait videmment rien lui reprocher mais son nom, lui seul, devait constituer un danger
pour les intrts fondamentaux de notre pays.

Prvention-rpression-surveillance

Si le volet surveillance des petits enfants a heureusement disparu du projet de loi sur la
prvention de la dlinquance, dinnombrables dispositions du mme ordre ont t maintenues
dans ce texte vot dfinitivement en fvrier 2007. Nous avons l, lune des images les plus
acheves de la socit sous trs haute surveillance dont la ralisation avait t quelque peu
freine jusque l. Devant une gauche impuissante, une opposition de droite lamine, le
ministre de lintrieur a pu faire voter un texte pour une fois assez proche de ses aspirations.

Il sagit en fait dun catalogue de mesures rpressives qui correspondent une philosophie
expose inlassablement depuis plusieurs annes, sous le slogan la meilleure prvention, cest
la sanction. Avec quelques variantes: vous savez, la meilleure des prventions, cest que les
voyous qui trafiquent sachent et comprennent quenfin maintenant ils vont risquer quelque
chose. (France 2, 24 juin 2005).

81

Il est difficile de trouver quoi que ce soit qui ressemble de la prvention. Nous sommes
essentiellement dans le domaine de la rpression ou de la surveillance, au sens le plus troit:
des dispositions concernant les chiens dangereux la rforme des sanctions et de la procdure
concernant les mineurs dlinquants en passant par lextension des pouvoirs des agents des
transports publics en matire de police des transports... La Commission nationale consultative
des droits de lhomme navait videmment pas t sollicite mais elle a dinitiative donn un
avis: elle sinterroge sur la philosophie dun texte dont les finalits ne pas vritablement
affiches et qui, malgr le titre annonant un projet de loi sur la prvention de la dlinquance,
traite essentiellement de mesures de rpression ou de moyens de la mettre en oeuvre.

Plusieurs outils dtroite surveillance ont pu ainsi tre mis en place. Nous ne nous attacherons
qu lun dentre eux car ils prfigure, mieux que tout autre, le quadrillage social qui risque de
se mettre en place: le nouveau maire-shrif auquel il ne sera plus possible dopposer le secret
professionnel. Ce nouveau maire est au centre dun dispositif trs resserr et dispose de
pouvoirs trs vastes. Avec des mots qui rappelle la priode de Vichy, il est cr un conseil
pour les droits et devoirs des familles o sige videmment le maire. Ce dernier peut aussi
crer un fichier des enfants ne respectant lobligation scolaire, fichier o sont enregistres les
donnes caractre personnel relative aux enfants en ge scolaire domicilis dans la
commune (article 6).

Mais cest surtout le secret professionnel de tous les services sociaux qui vole en clat. Le
texte est clair. Il sagit de larticle 5 de la loi (qui cre un article L.121-6-2 du code de laction
sociale et des familles). Il prvoit dans son dernier tat, que tout professionnel de laction
sociale (ce qui est extrmement vaste: assistant social, infirmire de PMI, inspecteur de la
DDASS, ducateur de prvention spcialise...) doit dnoncer au maire et au prsident du
conseil gnral la situation dune personne ou dune famille qui saggrave et ncessite
lintervention de plusieurs professionnels. Le texte recouvre en fait tout le champ de
laccompagnement social et concerne tous les cas puisquaujourdhui lintervention solitaire
du travailleur social relve dun pass rvolu. : lorsquun professionnel de laction sociale
constate que laggravation des difficults sociales, ducatives ou matrielles dune personne
ou dune famille appelle lintervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire de la
commune de rsidence et le prsident du conseil gnral. Ces professionnels peuvent alors
transmettre toutes les informations ncessaires: ils sont autoriss rvler au maire et au
prsident du conseil gnral... les informations confidentielles qui sont strictement ncessaires
lexercice de leurs comptences. Un coordonnateur peut galement tre dsign qui sert de
courroie de transmission entre les professionnels de laction sociale et le maire (ou le prsident
du conseil gnral). Cest lui qui transmet alors les informations confidentielles.

Le maire est ainsi rendu destinataire de toutes les informations concernant ces familles en
difficult. La vraie rupture est l: nous passons ainsi sans crier gare dun systme daide
un systme de surveillance. Car le maire a une double casquette. Il nest pas seulement la
tte de services sociaux, il est aussi, selon les rgles du code de procdure pnale, un officier
de police judiciaire. Rappelons quaux termes du code de procdure pnale, ont la qualit
dofficiers de police judiciaire les maires et leurs adjoints... (article 16), quils sont chargs
de constater les infractions la loi pnale, den rassembler les preuves et den rechercher les

82
auteurs (article 14). Et le maire, comme tout officier de police judiciaire se doit de signaler
les infractions quil constate au procureur de la Rpublique. Nous sommes donc en pleine
confusion. Le maire va pouvoir utiliser toutes les informations recueillies jusqualors
confidentiellement par les travailleurs sociaux pour engager des poursuites ou faire mener des
enqutes. Ce partage du secret professionnel avec le maire remet en cause lessence mme du
mtier de travailleur social ou dassistante sociale. Ces professionnels ont absolument besoin
de la confiance des jeunes et de leurs familles pour pouvoir les aider. Si lon sait quil ny a
plus de confidence possible et que tout peut remonter vers le maire, il ny a plus le travail
social, ducatif, sanitaire devient impossible. lchelon de la commune se met ainsi en place
le mme systme qu lchelon national, peut-tre pire, car les contre-pouvoirs possibles
seront encore moins nombreux. (1).

(1) Un Collectif national unitaire de rsistance la dlation a t cr, compos de syndicats et
dassociations, de nombreuses manifestations ont eu lieu dans toute la France pour demander
le retrait de ces dispositions et de ce texte qualifi de liberticide qui, outre lincitation la
dlation, met en place le contrle et le fichage des personnes prsentant des difficults
sociales, ducatives et financires




83
Chapitre XI
POLICE DE GARDE A VUE







Je demande aux policiers non plus de faire de lordre public mais dinterpeller. Cest une
police dinterpellation, la police na pas conduire une action sociale, la police a conduire
une action de rpression pour que les citoyens puissent vivre en toute tranquillit. (RMC 26
fvrier 2007). Je suis un homme rpublicain, et depuis quatre ans et demi que je suis
ministre de lintrieur, aucun moment et daucune faon, il ny a jamais eu de bavure.
Certains le regrettent (RTL 22 septembre 2006)

Feu la prsomption dinnocence

Il est videmment indispensable que les policiers arrtent les personnes souponnes davoir
commis des infractions et quils les placent en garde vue, sil le faut. Mais ils ne doivent pas
aller au-del de la rigueur ncessaire, sinon ils devraient tre svrement rprims. Qui
oserait une telle provocation aujourdhui?
1789:"Tout homme tant prsum innocent jusqu' ce qu'il ait t dclar coupable, s'il est jug
indispensable de l'arrter, toute rigueur qui ne serait pas ncessaire pour s'assurer de sa personne
doit tre svrement rprime par la loi. Larticle 9 de la Dclaration des Droits de lHomme
tait-il si provocateur? Si Sieys, Condorcet, La Fayette, Mounier et Mirabeau devaient se
runir nouveau aujourdhui pour actualiser ce texte, qucriraient-ils?
2007: Tout homme tant prsum innocent jusqu ce quil ait t dclar publiquement
coupable au terme dun procs quitable, sil est jug indispensable de larrter, de le garder
vue ou de le placer en dtention provisoire, ses droits devront tre scrupuleusement
respects sous peine dengager la responsabilit personnelle des enquteurs et des magistrats
qui les auraient viols.
Personne na jamais dit clairement que le principe de la prsomption dinnocence sappliquait
galement la garde vue et pas simplement la dtention provisoire. Il est plus que jamais
temps de le proclamer haut et fort! Elle concerne tous les types de contrainte policire ou
judiciaire. La loi dit que la dtention provisoire est lexception et la libert la rgle, il serait
bon quun jour elle le dise rapidement propos de la garde vue. O est la prsomption
dinnocence quand la police est sans cesse exhorte interpeller le plus possible et multiplier
les gardes vue?



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Lexplosion des gardes vue

Depuis 2002 trs exactement, le nombre des interpellations et des gardes vue a explos.
Cette drive nest pas vraiment connue. Plus dun demi-million de gardes vue. Tel est le
bulletin de victoire du ministre de lintrieur, alors que, parat-il, la dlinquance baisse. Depuis
2001, le nombre de gardes vue est pass de 336718 530994, soit + 194276 (+57%). Prs de
40.000 gardes vue de plus par an en moyenne.

Tableau de la progression des interpellations et gardes vue
Anne 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Total GAV 426851 364535 336718 381342 426671 472064 498555 530994
Augmentation -62313 -27817 +44626 +45329 +45393 +26491 +32439


Cette politique parat difficilement compatible avec les principes lmentaires du droit. Car
lautre bout de la chane, la base, face au policier dont la carrire se joue sur le nombre
dinterpellations, il y a le citoyen!
Prenons lexemple cit il y a peu dans le journal Sud Ouest. Nous sommes Toulouse o a t
dplace la CRS 17 de Bergerac. Voici les consignes du commandant de police en date du 6
janvier 2007.

Objet: Objectifs de mission pour le dplacement
Rfrences: instructions nationales et zonales

Les objectifs fixs la compagnie pour le dplacement de lutte contre les violences urbaines
de Toulouse jusquau 18 janvier 2007 sont de lutter contre linscurit et la dlinquance de
voie publique dans les secteurs assigns dune part, dautre part de se maintenir au dessus de
la moyenne de 5,08 mises disposition quotidiennes avec une part routire infrieure 40%.

Traduction: les hommes de la CRS 17 doivent imprativement procder 5 gardes vue
chaque jour! Les consignes sont mmes plus dtailles. Suffisamment de gardes vue, oui,
mais condition de remplir les bonnes rubriques. Un peu dinfractions la circulation
routire, mais pas trop: pas plus de 40%! Cest un policier qui concluait, interview dans le
journal Sud Ouest: la rupture entre les citoyens et les policiers est exacerbe par cette
culture du chiffre. La pression devient insupportable et amne parfois certains collgues
commettre des excs.
Se dire qu Toulouse, le 6
me
suspect du jour va y gagner nest pas trs rassurant pour la
scurit publique. Mais tout aussi inquitant est le citoyen qui aura le malheur de tomber un
jour sans, un jour statistiquement triste, o la colonne ne se remplit pas spontanment. Pour
quel motif va-t-on larrter celui-l? Infraction aux rgles du quota?

Naccablons surtout pas le commandant de la CRS 17 de Bergerac, car le plus important dans
sa note de service est le visa des rfrences: instructions nationales et zonales. Ce type
dinstruction est la simple traduction dune politique dfinie au plus haut niveau et rpercut
sans tat dme jusquen bas de la hirarchie.

85


Des drives croissantes

Les excs invitables sous une telle frule, chacun peut en mesurer les consquences. Il
suffit de lire rgulirement les rapports de la Commission Nationale de Dontologie de
Scurit (CNDS, www.cnds.fr ) , autorit administrative indpendante cre par une loi du 6
juin 2000. Dans son rapport de 2005 elle attire lattention sur les incidents ou violences lors
de certaines gardes vue. Elle rappelle que les fonctionnaires de police sont confronts des
situations prilleuses mais souligne aussi la forte pression subie par les fonctionnaires de
police induite par les obligations de rsultats ordonnes par leur hirarchie. On ne peut tre
plus clair. Dans son bilan dactivit sur cinq ans, rendu public fin 2006, elle constate que de
nombreux abus ont t relevs qui sont essentiellement imputables la police. Parmi ces abus,
les drives de la garde vue figurent videmment en premire place: conduite au
commissariat sans procdure ultrieure, placement en garde vue injustifi, parfois en
labsence vidente dune infraction, dure de garde vue excessive. L encore, mme si des
sanctions peuvent tre prises contre les fonctionnaires en question, ne les accablons pas trop.
Certes le ministre de lintrieur prend le 11 mars 2003 une circulaire o il rappelle les rgles
ncessaires au respect de la dignit des personnes gardes vue, notamment en matire de
fouille de scurit, de menottage, dalimentation, dhygine ou de droits de la dfense. Mais
cette circulaire nest pas applique. La visite, en dcembre 2004, la Runion, du Comit
europen contre la torture (organe de contrle cr par le convention europenne contre la
torture) a montr que ces instructions demandent encore tre mises en oeuvre.

Il reste que ces drives, ces dysfonctionnements sont en hausse. Ce constat nest pas seulement
dress par la CNDS. Les organisations non gouvernementales, elles aussi, relvent
rgulirement des abus. Un rapport accablant dAmnesty International rendu public en avril
2005 sintitule: France, pour mettre fin limpunit de fait des agents de la force publique,
dans les cas de coups de feu, de morts en garde vue, de torture et autres mauvais
traitements (efai.amnesty.org)

Clichy sous Bois: pas de polmique

Il ny a jamais eu de bavure, affirme pourtant le ministre! Il faut dire que ses conclusions
prcdent souvent le dbut des enqutes. Dans la triste affaire de Clichy sous Bois, qui avait
contribu dclencher les meutes de banlieue en novembre 2005, sa conviction sest forge
en 24 heures. Le lendemain du drame, le 28 octobre: lors dune tentative de cambriolage,
lorsque la police est arrive, un certain nombre de jeunes sont partis en courant. Trois dentre
eux qui ntaient pas poursuivis par la police, sont alls se cacher en escaladant un mur
denceinte de trois mtres de haut qui abritait un transformateur, version immdiatement
relaye par lagence France Presse et les mdias. En fin daprs midi du mme 28 octobre
Nicolas Sarkozy reoit le maire de Clichy et lassure que tout la vrit sera faite, mais il
ajoute aussitt ladresse des journalistes: aucun policier ne poursuivait ces jeunes au
moment des faits. Il ny a aucune polmique entretenir. Mme version deux jours plus
tard: en ltat actuel des lments qui sont ma disposition, les policiers ne poursuivaient
pas ces jeunes (TF1, 30 octobre 2005). Les policiers ont rtabli lordre et nous navons pas

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eu, depuis ce drame de Clichy, o ces deux jeunes ont trouv la mort pour rien, alors mme
quils ntaient pas poursuivis, qui sont alls mourir 15 et 17 ce qui est un drame (Europe
1, 2 novembre 2005). Etc...

Rappelons que dans cette affaire deux jeunes Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traor, 15 ans,
avaient trouv la mort le 27 octobre 2005 et quun troisime avait t srieusement bless. Il
ny a eu aucun cambriolage. La version du survivant et des jeunes qui les accompagnaient tait
que des policiers les avaient poursuivis jusquau transformateur EDF et navaient rien fait
alors quil y avait danger de mort. Une enqute avait t confie lIGS qui concluait quil y
avait bien eu course-poursuite et que le comportement de certains policiers tait dune
lgret et dune distraction surprenantes. LIGS prcisait: ltude de la chronologie des
faits met en vidence que, si EDF avait t avise au moment o le gardien de la paix
constatait que les deux jeunes taient susceptibles dentrer dans la centrale, les agents EDF
seraient intervenus un quart dheure avant que ne se produise laccident.
Deux policiers ont finalement t mis en examen par le juge dinstruction dbut 2007 pour
non assistance personne en danger. Quelle que soit la suite rserve cette affaire, il
apparat quune fois de plus le zle mis par le ministre de lintrieur couvrir les policiers tait
dplac. Pourquoi vouloir tout prix prsenter comme la vrit ce qui, de toute vidente
devra faire lobjet dune enqute minutieuse? Pourquoi parler de polmique ds quune
vrit peut dranger? Pourquoi tenter de passer en force quand toute une population attend
lgitimement de vraies explications.

Une dgradation des relations entre la police et la population

En 2007, il faudrait tre aveugle pour ne pas voir le foss qui sest cr entre la population et
la police et pas seulement dans les quartiers difficiles. Comment peut-on imaginer un instant
que la violence qui stend actuellement en France sera rgl par une simple prsence
policire accrue? Qui oserait imaginer quil suffira dinterpeller davantage pour dissuader les
dlinquants? Les meutes de fin 2005 sont le signe clatant de lchec de cette politique
purement rpressive.
Voici ce qucrivent des snateurs de droite et de gauche dans un rapport intitul un nouveau
pacte de solidarit pour les quartiers dpos le 30 octobre 2006.

Le changement des modes dintervention de la police sest traduit par une dgradation des
relations entre la police et la population, unanimement constate par les personnes entendues
par la mission... Cette dgradation affecte particulirement les relations entre les jeunes et la
police, notamment en rgion parisienne. Il est dailleurs significatif que la plupart des
violences urbaines clatent la suite daltercations entre jeunes et la police. La multiplication
des contrles didentit, parfois plusieurs par jour, est perue comme des contrles au facis
et une humiliation... Le symptme le plus visible de cette impasse est laugmentation constante
des procdures pour outrages, rbellion ou violences agent de la force publique, en gnral
dresses non loccasion dinterpellations pour des faits de dlinquance graves, mais
loccasion doprations de police de routine sur la voie publique. La propension croissante
des policiers se constituer partie civile montre une personnalisation des conflits. Une
logique de harclement rciproque semble stre instaure et a jou un rle certain dans
lextension des meutes, apparue comme un moyen de rgler ses comptes avec la police.

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Les liens entre la police et la population doivent imprativement tre redfinis. Quel que soit
le nom que lon donne linstitution - police de proximit, police de tranquillit, police de
quartier...- il est urgent de redployer autrement les forces de lordre, den terminer avec cette
stratgie de pure rpression qui est inefficace que Nicolas Sarkozy a inlassablement mis en
oeuvre depuis 2002.

Les CRS hros de la police de proximit

Lors de sa visite Toulouse, le 3 fvrier 2003 Nicolas Sarkozy avait fustig le prfet et le
directeur dpartemental de la scurit publique adepte de la police de proximit: si je suis
venu aujourdhui Toulouse, cest parce que les choses ne vont pas bien. Cette situation, je
nai pas lintention de laccepter. Il faut ragir, et cest moi qui vais mener la raction...La
police de proximit est l pour prvenir mais si elle est faite au dtriment du travail
dinvestigation et dinterpellation, elle ne sert rien... La police, ce nest pas du social. Vous
tes l pour arrter des voyous, pas pour organiser des matchs de foot. La police de
proximit avait t symboliquement enterre ce jour-l. Le directeur dpartemental avait
dailleurs t dplac peu aprs. Les effectifs des policiers de police de proximit avaient t
affects dans les brigades anti-criminalit.

Nicolas Sarkozy ne ddaigne dailleurs pas le mot, mais police de proximit signifie pour lui
dploiement de compagnie de CRS. En novembre 2005, 21 des 61 units de CRS ont t
redploys dans des zones sensibles des 19 dpartements les plus touchs et 7 escadrons de
gendarmerie mobile ont galement t redploys. On aurait tort de croire quil sagit dune
mesure ponctuelle lie une priode de troubles. Nous sommes au coeur de la politique de
scurit du ministre-candidat qui la dveloppe dailleurs avec une franchise dsarmante: en
affectant les compagnies rpublicaines de scurit dans les banlieues sensibles et en adaptant
leurs modes dintervention cet environnement spcifique, je fais de la police de proximit
(La Gazette des Communes, 21 novembre 2005). Quand on constate limmense difficult de la
police de scurit publique maintenir lordre et la paix publique, comment peut-on imaginer
que lintervention des compagnie rpublicaines de scurit puisse, mme sur le moyen terme,
apporter autre chose, quune exacerbation extrmement dangereuse des tensions? Mme les
prfets, quand ils ont un peu de courage, le disent. Chacun a lu cette lettre du Prfet de Seine
Saint Denis en date du 3 juin 2006 qui avait a t diffuse dans la presse en son temps: leurs
modalits dintervention (en parlant des CRS), axes sur les contrles didentit
essentiellement, si elles savrent fort utiles en certaines circonstances, ne permettent pas
toujours une scurisation ractive dans les quartiers sensibles dans le cadre de la prvention
des violences urbaines. Par ailleurs est clairement perceptible la difficult de fonctionnement
conjoint scurit publique et CRS, chacun tentant de reporter sur lautre linefficacit des
mesures de scurit.

Lurgence: rtablir limage de la police, redfinir ses missions, son cadre lgislatif et sa
formation

La police est aujourdhui linstitution qui ncessite la rforme la plus urgente si lon souhaite
vraiment commencer stopper laccroissement dramatique de la violence. Il est indispensable

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den redresser limage, den redfinir les missions et den redployer les moyens pour en faire
un corps rellement efficace et respect dune population qui comprendrait son action et
adhrerait ses interventions.

Runifier les missions de la police. Laction rpressive de la police doit plus que jamais tre
maintenue mais elle doit sexercer en direction de la vraie dlinquance et non pas spuiser en
une myriade dactions ponctuelles destines remplir des colonnes statistiques ou en
interventions habilement mdiatises et dramatiquement inefficaces. Sattaquer lconomie
souterraine du crime, une dlinquance de plus en plus structure qualimentent des trafics de
toute sorte, exige des actions patientes et de longue haleine et qui ne peuvent prosprer dans
un climat de dfiance ou dhostilit de la population et de harclement statistique des force de
lordre. Tous ces quartiers o se dveloppe une dlinquance apparemment inaccessible
doivent tre reconquis un un en liaison troite avec la population. Cest pourquoi il est
inconsquent et dangereux dopposer ces deux faces indissociables de laction policire que
sont la police judiciaire et la police de proximit et de faire de la rpression laxe unique dune
politique de scurit. Lefficacit dune police ne se mesure pas au nombre dinterpellations, ni
mme au taux dlucidation des affaires. Rien de plus trompeur que ces gardes vue massives
et ces taux dlucidation o la police apprcie elle-mme la russite de ses oprations.

Comme le soulignait pertinemment les snateurs aprs une longue tude sur le terrain et
nombre dauditions, la lutte contre la dlinquance ne peut se faire sans les habitants. Ce qui
suppose une relle politique de prvention mais aussi la cration dune vritable police proche
des citoyens. Pour lutter contre linscurit au quotidien il faut rendre visible mais rassurante
la prsence des forces de lordre. La mission snatoriale a dailleurs demand aux maires par
questionnaire ce quils pensaient de la police de proximit: elle a t plbiscite par eux.
Les solutions sont simples. La premire mesure propose dans ce rapport pour assurer la
scurit dans les quartiers en difficult est ractiver une vritable police de proximit. Il
ne sagit pas de demander aux policiers de faire du travail social; il existe pour cela dautres
structures dont cest le rle, collectivits territoriales, associations... La police de proximit,
comme son nom lindique, doit pouvoir simplanter dans des lieux facilement accessibles mais
qui doivent tre dfinis en liaison avec les communes concernes et sexercer des heures
adaptes aux problmes de terrain. Le recueil des plaintes, la multiplication des patrouilles
sont parmi les tches essentielles de cette police-l. Mais il convient aussi, de donner ces
policiers, souvent trs jeunes, une formation initiale et continue de trs grande qualit et de les
faire bnficier dun encadrement expriment.

Un contrle renforc. Tout comme pour la magistrature un renforcement du contrle de la
police est ncessaire. Les diffrentes inspections qui sont sous lautorit directe du ministre ne
suffisent pas assurer ce contrle. Le rle de la CNDS doit tre renforc. Tout comme pour la
justice pour laquelle a t cr une commission dexamen des rclamations, cette commission
doit pouvoir tre saisie par les citoyens. Le Comit contre la Torture (organisme international
cr par une convention internationale ratifie par la France) a recommand notre pays le 24
novembre 2005 de permettre toute personne se plaignant de torture ou dun traitement cruel,
inhumain ou dgradant de pouvoir saisir cette commission. Nous ne sommes videmment pas
dans une hypothse dcole puisque la France a dj t condamn trois reprises par la cour
europenne des droits de lhomme dans les quinze dernires annes pour torture pour des

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violences commises pendant une garde vue.

Un changement radical du rgime de garde vue. Nicolas Sarkozy affirme loisir quil veut
faire passer la police de la culture de laveu celui de la preuve. Il soutient mme que nous
sommes dj dans cette culture. Il suffit dcouter ne serait-ce que les acquitts dOutreau
racontant la faon dont se sont droules leurs gardes vue pour comprendre que le ministre
nest pas vraiment inform de ce qui se passe dans les commissariats. La commission
parlementaire dOutreau a dailleurs, parmi ses recommandations, fait figurer en bonne place
la prsence de lavocat et lassistance aux interrogatoire de police. Cette mesure se heurte
lhostilit de la plupart des syndicats de policiers et surtout celle du ministre de lintrieur.
Or seule la prsence effective de lavocat est mme dassurer un contrle srieux de cette
mesure qui relve encore du Moyen ge. La plupart des pays dmocratiques lont accept car
il est de lintrt de tous, y compris des enquteurs, que leurs investigations soient
indiscutables et que les dclarations obtenues en garde vue constituent enfin une preuve
fiable.













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Chapitre XII
LA JUSTICE, MAILLON FAIBLE DE LA CHANE PNALE?

Un ministre de lintrieur trs attach la justice

Je suis trs attach la justice, mais je ne pense pas que le laxisme et la dmission a fasse
avancer la justice (RTL 22 septembre 2006).
En conseil des ministres, jai demand au prsident de la Rpublique de demander au Garde
des Sceaux ce quil allait advenir du magistrat qui avait os remettre un monstre pareil en
libert (22 juin 2005)
Certains tribunaux se sont faits une spcialit dexonrer les mineurs de toute forme de
responsabilit. Cest le cas par exemple en Seine Saint Denis. Et ce nest pas par hasard si la
Seine Saint Denis connat une dlinquance parmi les plus fortes de France (Le Figaro
Magazine, 2 septembre 2006).
Jai parl du prsident du tribunal pour enfants de Bobigny dont la stratgie est bien connue
depuis des annes, elle consiste refuser obstinment de punir et de sanctionner des mineurs
rcidivistes dans ce dpartement. Ainsi... en 27 nuits dmeutes en Seine Saint Denis, il y a eu
une dcision demprisonnement. Ainsi ce moment-l, je comprends trs bien que ce
monsieur, que je respecte par ailleurs, ait une stratgie qui consiste faire confiance et
refuser de punir, mais dans ce cas-l, quon ne le laisse pas la tte du premier tribunal pour
mineurs, dans un dpartement si difficile. (mission vous de juger, novembre 2006).

Feu le principe constitutionnel de la sparation des pouvoirs

Lun des principes de base dune Rpublique est la sparation des pouvoirs mme si certaines
bonnes mes estiment ce concept dpass. Elle est encore lun des piliers de nos liberts. Tout
simplement parce quil convient dviter la concentration de tous les pouvoirs en une seule
main. Quelle serait cette dmocratie o les mmes dcideraient dabsolument tout? De
laction quotidienne du pouvoir -lexcutif - , de la fabrication des lois - le lgislatif - , de
lexcution de ces lois - du judiciaire - ? Si les liberts peuvent aujourdhui tre mises mal, le
danger vient de la runion de tous ces pouvoirs dans les mains dun parti ou dun homme.
Dautant que son influence sur les autres acteurs de la vie politique, la presse, lconomie, est
considrable. Aujourdhui, respecter cette sparation des pouvoirs, cest tout faire pour que le
Prsident de la Rpublique et ses ministres nempitent pas sur les autres institutions. Cest
disposer de rgles qui assurent que les lus du peuple puissent faire entendre leurs voix, que le
Parlement ne soit plus un parlement-croupion. Cest faire en sorte que cet autre pouvoir que
sont les mdias ne soit pas dans la dpendance dun ministre. Mais cest aussi garantir la
justice lexercice indpendant de son action.

Or, nous avons assist en France depuis quelques annes, un exercice indit de prise du
pouvoir du ministre de lintrieur sur lappareil judiciaire. Jamais, sous la Vme Rpublique,

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aucun gouvernement navait os faire ce qua fait Nicolas Sarkozy.

Ce ne sont videmment que les juges du sige qui font frmir dindignation le ministre de
lintrieur. Les procureurs lui conviennent mieux. Il faut dire que depuis 2002, en rupture
avec la tradition suivie jusque l, le choix des chefs de parquet par les gardes des sceaux se
fait souvent sans tenir compte de lavis du Conseil Suprieur de la Magistrature: douze
reprises, le ministre de la justice a pass outre un avis dfavorable. Chacun peut constater dans
les palais de justice que se dveloppe une culture de la soumission qui ne doit pas trop heurter
Nicolas Sarkozy. Il na dailleurs qu les fliciter: jamais, je nai mis en cause les magistrats
dans leur ensemble. La meilleure preuve, cest que je suis prt le dire, les magistrats du
parquet font un travail remarquable, seulement ils ne sont pas suivis (RTL 22 septembre
2006).

Le ministre de lintrieur demande des sanctions contre un juge qui aurait ordonn une
libration conditionnelle

Le 22 juin 2005, Nicolas Sarkozy, recevant des gnraux et commandants de gendarmerie au
ministre de lintrieur critiquait la dcision de libration conditionnelle dont avait bnfici
Patrick Gateau alors mis en examen pour le meurtre dune jeune femme, Nelly Cremel,
commis quelques jours plus tt. Il dclarait que le juge qui avait pris cette dcision devait
payer pour sa faute. Quelques jours plus tard, en conseil des ministres, lui, le ministre de
lintrieur, demandait au garde des sceaux que des sanctions soient prises contre ce magistrat.
Le ministre de la justice, apparemment en charge des dossiers de la justice, mettait quelque
temps ragir et tentait de rassurer son collgue en rappelant quelques temps plus tard que
dans cette affaire la loi, toute la loi a t respecte. Cest un collge de trois magistrats qui
sest prononc, sur la base davis et dexpertises, en application des dispositions du code
pnal et du code de procdure pnale. Il rappelait ainsi quelle tait la loi que, tout son
nervement, lancien avocat devenu ministre de lintrieur, navait pas eu le temps de
consulter: cette libration conditionnelle ntait pas le fait dun magistrat, dcidant seul et de
faon irresponsable, dans le secret de son cabinet. Elle tait le fait de trois magistrats statuant
en collgialit aprs stre entours de toutes les garanties possibles, une enqute trs
approfondie et des expertises psychiatriques favorables. La dcision quils avaient rendue
tait connue du procureur de la Rpublique que rien nempchait de faire appel surtout dans
une matire aussi sensible. Comment peut-on admettre en Rpublique quun ministre de
lintrieur demande des sanctions disciplinaires contre des juges qui ont rendu une dcision en
collgialit? Il existe une procdure en France pour engager une action disciplinaire contre un
juge. Le ministre de lintrieur ne fait toujours pas partie pour linstant des autorits charges
de la mettre en oeuvre. Peut-tre est-ce prfrable car, en lespce, ce juge tait condamn
avant mme de stre expliqu. Le Conseil Suprieur de la Magistrature, qui est lui
officiellement charg pour linstant de la discipline des magistrats, avait saisi le prsident de la
Rpublique en rappelant que lapplication effective du principe constitutionnel de la
sparation des pouvoirs doit conduire les membres de lexcutif comme du lgislatif une
particulire rserve lorsquils commentent une dcision de justice et que ces propos, par
leur excs, sont de nature porter atteinte lautorit de la justice et son indpendance.
Jacques Chirac rpondait aussitt quil tait particulirement attentif au principe
constitutionnel de la sparation des pouvoirs et au respect de lindpendance de la justice .

92
Rien ne saurait les remettre en cause, affirmait-il. On na jamais su qui tait le rien.

Le ministre de lintrieur demande le dpart du prsident du tribunal pour enfants de
Bobigny.

Le ministre de lintrieur se pose en censeur de certaines dcisions de justice qui ne lui
plaisent pas: quand il y a des dcisions qui sont prises, dit-il en juin 2006, il faut quelles
soient portes la connaissance du public, jai bien lintention de le faire pour un certain
nombre de dcisions de justice. Personne na alors beaucoup ragi cette dclaration-l faite
pourtant lors dune confrence de presse. Voici le ministre de lintrieur se prsentant comme
observateur sourcilleux et censeur des jugements qui ne lui plairaient pas. Et denchaner: je
nai, par exemple, pas trouv admissible que durant toutes les meutes du mois de novembre
dernier, le tribunal de Bobigny nait pas prononc une seule dcision demprisonnement.

On se demande pourquoi les propos tenus en le 21 septembre 2006 par Le ministre de
lintrieur ont davantage mu que les prcdents qui taient exactement du mme acabit. Ce
jour-l, il se rend la prfecture de Seine Saint Denis et reprend son discours ordinaire: la
police et les gendarmes ne peuvent pas tout faire, tous seuls. Il dnonce diverses dcisions et
ajoute que de telles dcisions tmoignent dune forme de dmission devant des dlinquants
chaque jour plus violent avant de regretter publiquement tant de faiblesse lgard des
multircidivistes et des mineurs... Jaimerais que lon mexplique comment on empche un
dlinquant de rcidiver si lon na pas le courage de le mettre en prison.
Cen tait trop pour les professionnels de justice qui ont manifest un peu partout en France.
Le 22 septembre le premier magistrat de France, Guy Canivet, Premier Prsident de la Cour de
cassation, aprs avoir fustig les termes provoquant du ministre de lintrieur mettant en
cause le fonctionnement de linstitution judiciaire obtient une audience du Prsident de la
Rpublique.
Jacques Chirac reprenant en quasi copier-coller sa lettre de 2005, souligne dans une admirable
langue de bois sa trs grande exigence quant au respect de lindpendance des magistrats et
la ncessaire srnit qui doit prsider lexercice de leur mission. Il adresse mme aux
magistrats un message de confiance dans leur engagement et leur esprit de responsabilit.
Manifestement le message na pas t adress en copie au ministre de lintrieur qui a continu
de pus belle, se moquant comme dune guigne des remontrances prsidentielles. Le mme
jour, il affirmait clairement sur RTL quil ne tenait aucun compte de toutes ses protestations et
sen remettait ce quil pensait tre lopinion populaire: quel est mon juge? Les Franais! Il
est peut-tre venu le temps que ceux qui forment les lites rpublicaines se rendent compte du
dcalage croissant entre ce que nous disons et ce que pensent les gens.
En novembre 2006, il demandait ouvertement devant des millions de tlspectateurs le
dplacement du prsident du tribunal de Bobigny!

La justice, simple maillon dans une lourde chane pnale

Le syndicat de la magistrature a dj menac le ministre des foudres du code pnal qui interdit
de jeter publiquement le discrdit sur des dcisions de justice. Il ntait pas question
videmment dengager de telles poursuites mais de rappeler un ministre quelles sont ses
obligations particulires en tant que reprsentant de lEtat. Nicolas Sarkozy, l comme ailleurs,

93
nest pas au-dessus des lois. Lintress affirme quil parle le langage des Franais et
sautorise ds lors exprimer publiquement tout le mal quil pense de la justice. Dans un
premier temps son argument apparat srieux: pourquoi effectivement faudrait-il sinterdire de
contester la justice? Dans une saine dmocratie, la critique des pouvoirs publics est une
ncessit, celle des gouvernants, comme celle des juges. Quun ministre de lintrieur
sautorise quelques apprciations svres des juges, lextrme rigueur, pourquoi pas, si
linverse est possible.

Mais l, la question nest pas vraiment l. Ce nest pas la critique en soi qui parat
problmatique mais le fond de cette critique et la conception de la justice quelle rvle. Nous
sommes face une remise en cause radicale du fonctionnement de la justice et de sa place
dans la socit. Il ne sagit pas du tout dune intervention ponctuelle, ciblant tel ou tel juge,
comme veut le faire croire Nicolas Sarkozy, mais dune vraie rupture.

La formule la plus rvlatrice est finalement celle de chane pnale quil nest dailleurs pas
le seul utiliser, mais qui prend dans sa bouche une connotation particulire: nous sommes
une mme chane pnale affirmait-il le 26 juin 2002 en parlant de la police et de la justice.
Cette dernire, dans cette conception l, nest quune pice parmi dautres. Elle devrait jouer
un rle quivalent celui des diffrents maillons de cette chane: tre solidaire de cette
rpression qui va de larrestation la prison en passant invitablement par la case tribunal.
Nicolas Sarkozy ne supporte manifestement pas que les juges sloignent de la place quil veut
leur assigner: si la police sidentifie l interpellation, la justice doit saccomplir dans
lemprisonnement. Les seules interventions appuyes du ministre vont la dnonciation du
laxisme de la justice. Laccusation est forte et mme violente. Non seulement les juges ne
mettent pas assez en prison, mais ils crent de la dlinquance; leur laisser-aller encourage les
criminels: ce nest pas par hasard si la Seine Saint Denis connat une dlinquance parmi les
plus fortes de France. Mme Jean-Marie Lepen navait pas os aller jusque l. Voil une
analyse fine, frappe au coin du bon sens. Non, la pauvret nest en cause, le chmage pas
davantage, la dstructuration des familles encore moins, lurbanisme, nen parlons pas. Non,
cest dune poigne de juges clotrs dans un Palais de Justice de Bobigny, ces pels, ces
galeux, que venait tout le mal. Sil fallait chercher une excuse la hausse de la dlinquance, la
voil toute trouve. Il faut donc en finir une bonne fois pour toutes avec cette culture de
lexcuse qui ne conduit qu la dmission des juges et qui, si lon suit la jurisprudence
Bobigny, devrait conduire, si ce nest leur dmission au sens premier du terme, du moins
leur dplacement.

Remettons donc dans lordre la fameuse chane

La justice selon Nicolas Sarkozy ne ressemblera rien de connu jusque l. Reconstituons le
tout. la base nous trouvons donc des interpellations massives. Tolrance zro tous les
niveaux. Les poursuites sont engages systmatiquement. Dans ce grand mouvement qui
caractrise les cinq annes de lgislature, les procdures qui sont sous la main du parquet
(composition pnale, plaider coupable) sont privilgies. Pour le reste, les poursuites
expditives (comparution immdiate pour majeur ou mineur) sont renforces. Au tribunal, le
juge qui aurait quelque vellit de scarter de la ligne trace, se voit doter dun guide de
lapplication des lois. Sil doit juger un rcidiviste, il est somm dappliquer des peines

94
plancher ou des peines plafond, sans mme avoir sen expliquer. On peut faire confiance
Nicolas Sarkozy pour continuer sa surveillance des dcisions qui nauraient pas lheur de lui
plaire, pour dnoncer les juges contrevenants et demander publiquement leur dmission. Pour
les magistrats rcalcitrants , il faut bien les faire payer. Les sanctions prononces contre les
dlinquants sont excutes rapidement et sans mollesse. Les dtenus devront se serrer un peu
dans les prisons moins de construire de nouveaux tablissements. Pour les dlinquants
atteints de troubles psychiques, il y a des hpitaux-prison flambant neufs. Un juge des victimes
veille la juste et complte excution de ces sanctions.

Ldifice a fire allure. Logique, carr, simple, rapide. Dommage que ce ne soit pas de la
justice car il est bien sduisant. Dommage quil ne soit pas humain car il doit fonctionner
presque tout seul.

Est-il utile de prciser que dautres faons damliorer la justice en France sont concevables. Il
y a peu, une douzaine de citoyens ont pay de plusieurs annes de leur vie les
dysfonctionnements ordinaires de notre justice. Quelques lus de bonne volont qui navaient
a priori que peu de raisons de sentendre et de travailler ensemble ont rendu des conclusions
unanimes. Ils ont eu le mrite de travailler de la faon la plus dmocratique qui soit: sous loeil
des camras. Leurs propositions sont toutes ralisables, toutes vont dans le bon sens. Il ne leur
manquait que quelques conseillers juridiques pour mettre en ordre la partition et traduire leurs
ides en articles de loi. Une affaire de quelques semaines. Au lieu de cela, le gouvernement
actuel, avec la collaboration active de Nicolas Sarkozy a accouch dune rforme minuscule et
ridicule qui ne change rien rien. Rassurons-nous, le souriceau dont a accouch la montagne
ne devait vivre que dans quelques annes. Les quelques rares mesures votes la va-vite ne
seront applicables que dans quelques lointaines annes. Il est vrai que taux dinflation
lgislative devait ncessairement conduire un jour ou lautre voter des lois crdit.







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Chapitre XIII
LES VRAIES RUPTURES

Le pass est l

Les campagnes lectorales sont faites pour rebtir le monde. Il y a dans chaque bulletin une
part de rve, une part despoir. chacun de se dbrouiller ensuite avec les promesses quil a
bien voulu croire ou porter. Mais le pass, lui, est ttu, en politique comme ailleurs. Celui de
Nicolas Sarkozy est l et bien l. Sa marque, ses mots, ses gestes ont dautant moins de chance
de nous avoir chapp quils ont constamment fait lobjet dun traitement mdiatique
privilgi grce un marketing politique haut de gamme. Lomniprsence du ministre, le flot
de ses dclarations font quaucun dtail de son action ou de ses propos tout au long de ses cinq
dernires annes na pu tre oubli par une camra, un micro, un journal. La difficult tient
plutt au trop plein. Lhomme parle sans cesse et ne craint pas de se rpter, saccrochant
inlassablement la formule qui semble faire mouche. Sagissant de la scurit, chacun a en
mmoire une sortie, une proposition, une visite, une interview... Pour autant, la synthse nest
pas aise. La difficult de rassembler les diffrents niveaux de discours: les allocutions trs
travailles, les programmes minutieusement construits, mais aussi les dclarations lemporte-
pice, les mots lchs au passage... Synthse dautant plus dlicate que la stratgie actuelle du
candidat pourrait brouiller un peu limage que chacun croyait connatre. Il a dabord t
question de rupture. Mais avec quoi? Nicolas Sarkozy a tellement imprim sa marque la
politique de scurit des cinq dernires annes, quon ne le voit pas rompre avec lui-mme ou
renier lun de ses credos. Rupture tranquille ensuite. Ce glissement smantique ne parat pas
dcisif. Puis vint le changement: jai chang. Oui mais sur quoi? Personne ne sait vraiment;
apparemment pas pour le sujet qui nous proccupe. Le ministre dans ce domaine a fait preuve
dune belle persvrance et a toujours maintenu et dvelopp des analyses, des stratgies, une
philosophie qui na pas vari dun iota.

Vraies ruptures

En fait Nicolas Sarkozy na jamais chang: son discours a toujours t un vrai discours de
rupture. Mais une rupture pour linstant contrarie: il na jamais pu aller jusquau bout de ses
projets. Lambition de lhomme, tout le monde la connat et lui-mme lavoue sans dtour. Le
pouvoir lhabite. Mais ce pouvoir, il ne la jamais eu compltement. Il sest parfois fourvoy, a
connu des checs, parfois cuisants mais il sest toujours relev la recherche de la plus haute
marche, la seule qui lintresse. Quand il sest hiss des responsabilits ministrielles, il na
jamais t le numro un. Un obstacle sest toujours dress sur sa route pour lempcher
dexprimer totalement, de traduire compltement ses ides. Il lui est rarement arriv de quitter
lhmicycle en se disant quune loi quil avait pourtant porte tait vraiment en dfinitive la
sienne. Plus dune fois il est parti dpit en clamant haut et fort que bientt, oui, bientt, il
pourrait accomplir pleinement son dessein quon ne comprenait pas encore, les esprits ntant

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pas assez mrs. Le seul domaine o il a vraiment pu donner sa pleine mesure est la direction
de la police. Un police quil a pu btir son image, selon ses principes. Pour le reste, il attend
le 6 mai 2007 pour pouvoir enfin rompre dfinitivement avec des principes qui lont brid
jusqu prsent et quil abhorre. Cerner les contours de la politique de Nicolas Sarkozy, en
matire de scurit du moins, cest retrouver la cause de ses derniers checs, de ses reculs, de
ses rebuffades ou des rappels lordre quil a essuys. Patiemment, en attendant son heure.

Ruptures avec quelques grands principes rpublicains

Force est de constater que le plus grand chagrin Nicolas Sarkozy tient dans quelques grands
principes constitutionnels, quelques fondements de la dmocratie, qui tranent dans la
Dclaration des Droits de lHomme, la Convention Europenne de sauvegarde, les
Dclarations de lONU, de multiples traits internationaux dont la France a souvent t le
promoteur. En voici quelques uns.

- La sparation des pouvoirs. Toute socit dans laquelle la garantie des droits nest pas
assure ni la sparation des pouvoirs dtermine na point de constitution (article 16 de la
dclaration des droits de lhomme et du citoyen): le principe constitutionnel de sparation
des pouvoirs (Dcision n80-119 du 22 juillet 1980) a t rappel au ministre par les plus
hautes autorits de lEtat et par le prsident de la Rpublique lui-mme loccasion dune de
ses incessantes attaques contre la justice. Inutile descompter un quelconque respect de
lindpendance de la magistrature si Nicolas Sarkozy est lu. Si le ministre se permet de
demander des dplacements ou des sanctions disciplinaires de magistrats, sil tance
rgulirement les juges qui ne mettent pas assez en prison, et leur demande de payer leurs
fautes avant mme de savoir de quoi il parle, on peut imaginer ce quil fera sil est lu
prsident de la Rpublique et quil prside en consquence le Conseil Suprieur de la
Magistrature!

- La non-rtro-activit des lois. Nul ne peut tre puni quen vertu dune loi tablie et
promulgue antrieurement au dlit, et lgalement applique (article 8 de la dclaration des
droits de lhomme et du citoyen). Le Conseil constitutionnel a videmment reconnu depuis
longtemps la valeur constitutionnelle de ce principe. Lors du dbat du projet de loi sur le
traitement de la rcidive Pascal Clment, ministre de la justice, et Nicolas Sarkozy ont milit
pour lapplication rtro-active de la peine de suivi socio-judiciaire aux dlinquants sexuels
dj condamns. Le Garde des Sceaux a mme propos aux dputs, sils avaient gain de
cause, de ne pas saisir le conseil constitutionnel: Il suffira pour eux de ne pas saisir le
conseil constitutionnel et ceux qui le saisiront prendront sans doute la responsabilit politique
et humaine dempcher la nouvelle loi de sappliquer au stock de dtenus. Il a aussitt reu
une vole de bois vert du prsident du conseil constitutionnel lui-mme, Pierre Mazeaud: le
respect de la Constitution est non un risque mais un devoir. Deux jours plus tard, le 27
septembre, Nicolas Sarkozy est nanmoins revenu la charge, comme sil ne stait rien pass:
je souhaite que lon pose la question de la rtro-activit du suivi socio-judiciaire pour les
multi-rcidivistes condamns avant juin 1998".

- Lindividualisation de la peine. La loi ne doit tablir que des peines strictement et
videmment ncessaires (article 8 de la dclaration des droits de lhomme et du citoyen).

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Tous les Gardes des Sceaux de la dernire lgislature ont rappel que le systme des peines
plancher prn longueur dannes par Nicolas Sarkozy, non seulement heurtait notre
tradition juridique mais tait contraire la constitution et la Convention europenne telle que
linterprte la cour europenne des droits de lhomme. Le Conseil constitutionnel a affirm
clairement par une dcision du 22 juillet 2005 quil sagissait dun principe constitutionnel
qui dcoule de larticle 8 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789"
(Dcision 2005-520 du 22 juillet 2005). Nicolas Sarkozy a pourtant la ferme intention de faire
voter immdiatement une loi tablissant le systme des peines planchers sil est lu.

- La prsomption dinnocence. :"Tout homme tant prsum innocent jusqu' ce qu'il ait t
dclar coupable... (Article 9 de la dclaration des droits de lhomme et du citoyen). Nicolas
Sarkozy na manifestement aucune notion de ce principe-l. Pour lui, ds quune personne est
arrte elle est coupable. Dans toutes ses interventions tlvise, il a systmatiquement,
loccasion des affaires quil voquait, utilis ce terme. Par exemple: je parlais tout lheure
de laffaire de Marseille, comment a-t-on trouv en 48 heures les coupables? ( vous de
juger, novembre 2006). Il finit mme par innover en renversant le principe: il parle de
prsum coupable, propos de Patrick Gateau mis en examen pour le meurtre de Nelly
Cremel: celui qui la tue, qui est suspect, prsum coupable, a dj tu une femme...
(Mme mission). Jamais en France, au ministre de la Rpublique navait, avec une telle
constance, pitin ce principe, au point que plus personne ne finit par le relever. Non
seulement les suspects sont immdiatement coupables, mais ils sont, de plus, des voyous, des
barbares, des monstres, dont le cas est aussitt cit en exemple pour faire voter des lois
durgence.

- Le principe de lattnuation de la responsabilit pnale des mineurs est en France un
principe fondamental reconnu par les lois de la Rpublique. On a vu que le Conseil
Constitutionnel lavait clairement affirm le 29 aot 2002 (chapitre 4). La volont de Nicolas
Sarkozy de supprimer le principe de lattnuation de responsabilit des mineurs de 16 18 ans
et daligner progressivement le droit des mineurs sur celui des majeurs heurte de plein front
ces principes lmentaires de la justice et du droit des mineurs.

- Le respect de la vie prive, garanti par tant de textes fondateurs (de la Dclaration de 1789
la Convention europenne) est peut-tre le principe le plus mconnu par Nicolas Sarkozy.
Lun des aspects les plus importants de ce droit est la protection du secret professionnel qui,
on la vu, est mis mal par la loi sur la prvention de la dlinquance. Mais le respect de la vie
prive, cest aussi la garantie donne chaque citoyen de ne pas tre inscrit dans ces multiples
fichiers tentaculaires, cette manie du ministre de lintrieur. Ces fichiers, pris un un, ont pu
chapper la censure du conseil constitutionnel ou la vigilance de la CNIL mais, bout
bout, ils forment un ensemble monstrueux et ingrable qui met en danger la libert de chacun
dentre nous.

- Le droit dasile est un principe constitutionnel nonc par larticle 3 du Prambule de la
Constitution de 1946: tout homme perscut en raison de son action en faveur de la libert a
droit dasile sur les territoires de la Rpublique. On a vu ce quil restait du droit dasile en
France aujourdhui. La politique dimmigration mise en oeuvre par le ministre de lintrieur
rduit progressivement les possibilits concrtes de demander lasile. On a entendu les cris de

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victoire du ministre de lintrieur se rjouissant de la baisse des demandes. On a vu aussi
limpasse laquelle conduisait cette politique restrictive doctroi du statut de rfugi, crant
une population prcaire et sans droits quil faudra bien rgulariser.

Ruptures et dbordements

Ruptures avec les principes rpublicains, mais aussi avec les champs ordinaires des
comptences et des lgitimits. Comme quand un barrage se rompt, la politique de scurit est
venu tout envahir, la justice, la sant publique, la prvention, lducation, le logement.... Cette
philosophie de laction politique o tout est vu, pens et dcid dans loptique dune scurit
renforce conduit invitablement des drives et des confusions dangereuses. Durant les cinq
dernires annes le ministre de lintrieur a pris une place disproportionne dans laction
gouvernementale, Nicolas Sarkozy empitant allgrement sur le terrain de presque tous ses
collgues. L encore, ce nest pas tant lhomme qui est en question, si dbordant dactivit
soit-il, mais limprialisme de sa politique scuritaire. Chacun a tent de colmater les brches
avec un bonheur ingal. Les professions de sant publique se sont le mieux dfendues. On a vu
le ministre reculer. Provisoirement.
Le 13 fvrier 2007, les professionnels de la sant mentale ont dfil aux abords de
lAssemble Nationale. Les 3500 psychiatres hospitaliers taient appels la grve. Leur
revendications? Prcisment le retrait dune partie du projet de loi sur la prvention de la
dlinquance qui faisait prcisment un amalgame inacceptable entre troubles mentaux et
dlinquance. L encore cest le ministre de lintrieur qui pilotait, sans aucune concertation
avec les professions intresses- un projet de loi qui relevait lvidence de la comptence de
son collgue de la sant publique. Lide tait de durcir le texte sur les hospitalisations
doffice, de donner beaucoup plus de pouvoirs aux maires, de crer un fichier national (encore
un!) des patients hospitaliss doffice en psychiatrie. Cest une mobilisation du mme ordre
qui avait fait reculer le ministre lorsquil avait voulu mettre en place un dpistage prcoce des
enfants prsentant des troubles du comportement et crer un carnet de comportement. L
encore la confusion tait totale: comment un ministre de lintrieur osait-t-il intervenir dans le
domaine de la petite enfance? Quelles sont ses comptences? Sa lgitimit? Le projet
dimposer aux dlinquants sexuels un traitement chimique relve dun dbordement du mme
ordre: de quel droit le candidat ose-t-il simmiscer dans la relation patient-mdecin et
privilgier une solution thrapeutique qui relve de la seule prescription mdicale selon des
rgles dontologiques propres? On pourrait relever les mmes confusions entre le domaine
relevant du ministre de lintrieur et celui de la justice. Nicolas Sarkozy veut dicter sa loi aux
juges, au propre et au figur. Son projet de guide de lapplication des lois en est une des
illustrations les plus difiantes, mais aussi sa surveillance attentive des dcisions qui lui
dplaisent, ses dnonciations publiques des juges laxistes...

Ruptures de mthode

Le dernier registre de rupture est celui de la mthode. Dans ce champ exprimental pour
Nicolas Sarkozy quest le ministre de lintrieur, on peut observer quasiment en laboratoire
ses mthodes de gestion qui, elles aussi, sont en nette rupture avec la tradition franaise. Elles
se caractrisent par le culte, plus que la culture du rsultat. Quel que soit le secteur dactivit,
tout est programm et chiffr. Certes laction de lEtat se plie de plus en plus des mthodes

99
dvaluation rigoureuses. Depuis 2006, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)
rationalise le budget de lEtat et contraint une politique gnrale dobjectifs laquelle doit se
publier lensemble de la fonction publique. Mais pour le ministre de lintrieur il ne sagit pas
dune politique budgtaire. Ce quil met en quation ce sont des ralits humaines: il faudra
faire baisser la dlinquance de tant, augmenter le nombre dinterpellations de tant, de gardes
vue de tant. Il faudra tel chiffre de reconduites la frontire, tel nombre de rgularisations...

On ne juge pas de tout partir des chiffres. Les mathmatiques et les statistiques ont une place
dans notre vie mais une place limite. LEtat peut et doit mesurer lutilisation des deniers
publics et demander chacun de ses agents des comptes quant laccomplissement des
missions quil lui a confies. Mais dans lusage de la force publique, ce monopole de lEtat, il
ne peut tre questions dobjectifs chiffrs. Tout simplement parce que la mission de lEtat
nest pas de produire des gardes vue, des expulsions ou toute autre mesure de contrainte.
LEtat a au contraire, parce que nous sommes en dmocratie, lobligation de limiter lemploi
de la force ce qui est strictement ncessaire. La Dclaration des Droits de lHomme nest
pas soluble dans la statistique. Dcider lavance par exemple, du nombre de reconduites la
frontire nest pas seulement une indcence, cest une violation honte des droits
fondamentaux. Un citoyen ne peut tre prive de sa libert quen raison de la violation dune
loi et non pour remplir une colonne statistique.





100
CONCLUSION
LES DEUX FRANCES






La vraie question, une fois rappel ce bilan, regroupes ces propositions et dresse la liste
provisoire des ruptures, est de savoir quoi ressemble ce projet de socit qui peu peu se
dessine? Au-del de la rhtorique de meeting, des palinodies et des postures invitables de la
campagne lectorale, il faut tirer les fils de la pelote lentement assemble depuis quelques
annes.

Nouvelle frontire intrieure, la dviance.

quoi ressemblerait la France une fois rompus ces quilibres, oublis ces principes, abolies
ces limites?
Le pays qui se profile est un pays profondment divis. Car la vraie, la profonde rupture est l:
dans une nouvelle frontire intrieure qui sparerait deux catgories dindividus: les citoyens
ordinaires et ceux de seconde zone. Du bon ct de la ligne, les normaux. De lautre, les
dviants. Ici, ceux qui ont russi, les riches, les puissants, les chanceux, les mritants, pour
lesquels lEtat donnera le meilleur de ce quil a. L-bas, du mauvais ct, les exclus, les rats
du systme, tous ceux qui, un moment donn de leur vie ont failli, ceux qui, un matin plus
dur quun autre, nont pas russi se lever assez tt, pour lesquels lEtat se montrera
implacable. Mais aussi tous ceux qui ne correspondent pas au modle idal. Cette France-bis
risque de regrouper plus de monde quon ne le pense. Car la frontire ne sera pas seulement
celle de largent. Elle sera aussi et surtout celle de la dviance.

On pense videment aux dlinquants: les autres. Mais depuis Outreau, beaucoup de Franais
se demandent avec un peu dinquitude sils ne peuvent pas faire partie du jour au lendemain
des autres. Si la prison semble encore lointaine, la gele du commissariat semble un avenir
moins improbable. force dinterpeller nimporte qui, on peut lgitimement se demander si
parmi les 530.000 personnes gardes vue en 2006 et donc intgrs aux fichiers de police, ne
se sont pas glisss, dans ce peuple grandissant des suspects, quelques dizaines de milliers de
purs innocents. Au rythme de 40.000 gards vue en plus chaque anne, un simple calcul de
probabilit fait frmir.
Cette sous-France rassemblera bien au-del des dlinquants, rels ou probables. Le projet le
plus rvlateur de Nicolas Sarkozy - projet quil a t contraint dabandonner provisoirement -
est cette fameuse dtection prcoce des enfants prsentant des troubles du comportement.
Cette faon de penser les individus, puis de les traiter dans des catgories tanches o chacun

101
est plac en fonction dune inadquation un modle idal est la base de ce projet de socit.
Cest ds la toute petite enfance que se mettrait en place la ligne de partage. Le trac de la
frontire dbute aussi prcocement. Il y aura les calmes, les placides, les normaux, ceux qui
arrivent avancer sur la ligne bien droite quon leur a trace. Et les autres. Qui entreront dans
la grande catgorie des personnes prsentant des troubles du comportement avec carnet de
suivi la cl.
Toute la philosophie politique de Nicolas Sarkozy est l: ds quun individu nentre pas dans
le moule ordinaire, ds quil franchit les limites de ce qui est considr comme la norme, le
voil tiquet et pour longtemps. Vision simplifie de lhomme et de la socit, philosophie
de comptoir ou de meeting, mais quon retrouve tous les niveaux dune socit troitement
compartimente.

Socit policire

Ce qui est dtestable et profondment contraire lide de dmocratie, cest cette volont, une
fois repr un problme, une fois isol un groupe de population risque, den garder la trace
et de confier lEtat ou aux pouvoirs publics la mise en place dune surveillance long terme
avec la perspective rapide dune rpression implacable si lanomalie subsiste. Tout doit tre
class, rpertori, fich. Et videmment surveill sinon ces classements perptuels nauraient
aucun sens. On pourrait souponner une obsession personnelle du fichage, une pathologie
quelconque. Mais nous sommes ici sur le terrain politique. Cest le modle social qui est en
cause. Dans cette socit sous trs haute surveillance, chacun son fichier. On a vu quils
taient devenus ingrables. On ne peut sempcher aux Etats Unis davant le 11 septembre.
Voil un pays qui se croyait protg par un systme dcoutes et de surveillance couvrant la
plante entire. Mais il ne suffit pas de ficher, de surveiller, dcouter, il faut pouvoir exploiter
tous ces renseignements, les mettre jour, les utiliser rapidement. A vouloir tout surveiller, on
ne surveille plus rien. La vraie scurit nest pas de cet ordre-l.

La France aurait certainement, sous Nicolas Sarkozy, un des plus beaux rseaux de
surveillance du monde. Le maillage serait trs fin. Les enfants qui font lcole buissonnire
seront dj rpertoris dans les mairies (loi sur la prvention de la dlinquance). On saurait
enfin grce aux fichage ethnique qui sont les noirs, les blancs, les mtis, les arabes... On
saurait aussi qui a t hospitalis en psychiatrie grce au fichier des hospitalisations doffice
cart provisoirement de la loi sur la prvention de la dlinquance devant les protestations
du monde de la psychiatrie. Les renseignements gnraux pourraient continuer surveiller les
dviants politiques. Les 800.000 fiches et dossiers que reconnat aujourdhui dtenir le
directeur central de ce service, proche de Nicolas Sarkozy, devraient tre rapidement dpasss.
Avec comme critre de surveillance et de fichage cette notion plus qulastique de trouble
lordre public qui permet toutes les drives et tous les abus rcemment constats.

Socit de violence

On aurait tort de croire que cette France-bis pourrait rester cantonne aux dlinquants, aux
dviants, aux anormaux de tout poil. Tout simplement parce que dans une dmocratie, les
liberts ne se divisent pas. On ne peut faire longtemps coexister au sein dune Rpublique
deux types de citoyens. La suspicion est contagieuse. La volont de contrle aussi. Une socit

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policire se nourrit delle-mme. De proche en proche, de fiche en fiche, cest le corps social
tout entier qui se durcit et se sclrose. Il serait tout aussi illusoire de croire que les tensions
dj si fortes en France disparatraient sous ce rgime. La simplicit des recettes ne tient que
par la promesse de rsultats foudroyants: le Krcher est cens tout nettoyer. Opration
magique, conte dormir debout. Le rveil est gnralement trs dur. Le Krcher nettoie vite
mais ne rpare rien et on ne peut lutiliser en permanence: son jet est trop fort. Il est dailleurs
dconseill pour les enfants.

Lun des plus graves dangers que recle ce projet de socit sous pression permanente est
laccroissement invitable de la violence. Celle-ci ne rsulterait pas seulement des tensions
sociales engendres par une politique conomique ultra-librale (fin annonce du modle
social franais, atteinte au droit de grve, la libert syndicale, prcarisation gnralise du
contrat de travail...) mais dune incapacit analyser, comprendre, prvenir et traiter le
phnomne de la violence. Ce mal est au coeur de notre socit et pas seulement dans les
statistiques policires. Elle gangrne progressivement lensemble des rapports sociaux.
Rpondre la violence par la violence est une erreur tragique qui ne ferait quamplifier le
phnomne. On ne peut indfiniment augmenter le contrle social. On ne peut en permanence
rpondre par la rpression, par la criminalisation des comportements. On ne peut indfiniment
augmenter le nombre des policiers, des fichiers, des prisons. Car au bout de toutes ces
ruptures, il y la rupture avec notre identit propre, celle dune France tolrante, ouverte,
diverse, libre et exigeante qui a fait notre fiert.