Dissociation Structurelle de La Personnalité Et Trauma

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1 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000

preuve 1 - 14/06/06
D
e nombreux individus
traumatiss alternent
entre des phases de r-
exprience ou de reviviscence de
leur traumatisme et des phases de
dtachement ou mme de relative
inconscience de leur traumatisme
et de ses effets
(1, 2)
. Ce schma al-
tern a dj t mis en vidence
il y a plus dun sicle
(3-6)
et il peut
tre considr comme la caract-
ristique centrale de ltat de stress
post-traumatique (ESPT) ou post-
traumatic stress disorder (PTSD)
(1)
,
du trouble de stress extrme
(7)
,
et de nombreux cas de troubles
dissociatifs lis des traumatis-
mes
(2, 8, 9)
. Dans le cas de lESPT
DISSOCIATION STRUCTURELLE
DE LA PERSONNALIT ET TRAUMA
ELLERT NIJENHUIS
*
, ONNO VAN DER HART
**
, KATHY STEELE
***
,
ERIK DE SOIR
****
, HELGA MATTHESS
*****
RSUM
Dans cet article, nous explorons les caractristiques
centrales de la dissociation chez les sujets traumatiss.
Dans leur symptomatologie, des phases de rexp-
rience ou de reviviscence des traumatismes alternent
avec des phases de dtachement ou mme de relative
inconscience de ces traumatismes et de leurs effets.
Nous voulons offrir une vue novatrice sur les troubles
lis la traumatisation psychique et proposer le mo-
dle de la dissociation structurelle de la personnalit,
en une partie motionnelle de la personnalit (PEP)
et une partie apparemment normale de la personna-
lit (PANP), comme une tentative dintgration des
syndromes post-traumatiques et des troubles dissocia-
tifs en lien avec lvolution et le traumatisme. Nous
tudierons galement les facteurs qui participent au
maintien de cette division. Ltat de stress post-trau-
matique (ESPT) sera expliqu comme une forme pri-
maire de dissociation traumatique. Dans ce mme
contexte, nous explorerons aussi la complexit crois-
sante de la dissociation structurelle dans ses formes
secondaire et tertiaire. Formes qui sont susceptibles
dapparatre lorsque le traumatisme comporte une di-
mension chronique de violence interpersonnelle et de
ngligence, et en particulier quand les victimes sont
des enfants et que les auteurs de ces maltraitances sont
les parents ou les gures parentales de remplacement.
MOTS-CLS
dissociation structurelle, personnalit, traumatisme
psychique, ESPT.
*
Docteur en psychologie, Psychothrapeute, Dpartement de
soins ambulants en sant mentale, Drenthe, Assen, Pays-Bas
**
Professeur de psychopathologie, Dpartement de
psychologie clinique, Universit de Utrecht, Pays-Bas
***
Psychothrapeute, Metropolitan Psychotherapy Associates &
Metropolitan Counseling Services, Atlanta, GA, tats-Unis
****
Psychologue, Psychothrapeute, cole royale militaire,
Dpartement des sciences du comportement,
Centre pour ltude du stress et du trauma, Bruxelles, Belgique
[email protected]
*****
Psychiatre, Psychanalyste, Institute trainer (EMDR
Europe), Duisburg, Allemagne
SUMMARY: STRUCTURAL DISSOCIATION
OF THE PERSONALITY LINKED TO
PSYCHOLOGICAL TRAUMA
In this article, we will explore the central characteristics
of dissociation in traumatized individuals. In their
symptomatology, they alternate between re-experiencing
their trauma and being detached from, or even re-
latively unaware of the trauma and its eects. With
this contribution, we would like to oer an innovative
view on the disorders linked to psychological trauma
et present the model of structural dissociation of the
personality, into an emotional part of the personality
(PEP) and an apparant normal part of the personali-
ty (PANP), trying to integrate posttraumatic stress syn-
dromes and both evolution-based and trauma-related
dissociative disorders into one framework. We will also
discuss the factors that contribute to the maintenance of
this division. In this context, posttraumatic stress disor-
der (PTSD) will be conceptualized as a primary form
of trauma-related dissociation. In this same context,
we will explore the growing complexity of structural
dissociation in its secondary and tertiary forms. Tese
forms are likely to appear when the trauma contains
a chronic dimension of interpersonal violence and
neglect, in particular when the victims are children
and the perpetrators are parents or parent replacing
caretakers.
KEY WORDS
structural dissociation, personality, trauma, PTSD.
Voir les demandes de prcision pages 9 et 13
2 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
E. NIJENHUIS ET AL.
preuve 1 - 14/06/06
avec survenue diffre, ce schma dbute aprs une lon-
gue priode de fonctionnement relativement bon. Un petit
nombre dindividus traumatiss dveloppe une amnsie
dissociative dans le cadre dun trouble qui implique des
lacunes dans le rappel de souvenirs lis au traumatisme, ou
de parties de leur vie antrieure, ou mme de la totalit de
celle-ci
(10)
. Ces patients restent amnsiques sur une longue
priode de temps. Le rappel nal du traumatisme peut
rsoudre le trouble, mais, dans certains cas, un schma
dalternance entre des phases damnsie et de reviviscence
du traumatisme se dveloppe
(10)
.
On pourrait a priori tre tent de conceptualiser le dtache-
ment psychique du traumatisme et la reviviscence de celui-
ci comme des tats mentaux. Cependant, une observation
plus ne laisse apparatre que dans les deux cas, toute une
gamme dtats est prsente et non pas un seul tat. Par
exemple, le fait dtre dtach du traumatisme nexclut
pas en soi le fait dtre joyeux, honteux, excit sexuelle-
ment, ou curieux, selon les moments. La rexprience du
traumatisme peut aussi regrouper des tats comme la fuite,
le combat, limmobilisation, la souffrance ou lanesthsie.
Dans cet article, nous mettrons en relation le dtachement
et la reviviscence du traumatisme avec ce que nous ap-
pelons des systmes opratoires motionnels
(11)
, syst-
mes motionnels
(12-15)
ou, comme nous les avons appels,
systmes daction
(9)
. Les systmes daction contrlent
tout un ensemble de fonctions plus ou moins complexes.
Refaire lexprience du traumatisme sera associ un sys-
tme de dfense inn et driv de lvolution, stimul
lors dune menace importante, en particulier lors dune
menace de lintgrit physique (appele souvent la menace
vitale). Comme il sagit dun systme complexe, il com-
prend divers sous-systmes, comme la fuite, le combat, et
limmobilisation. Selon nous, le processus de dtachement
par rapport au traumatisme est associ plusieurs syst-
mes daction qui contrlent, dune part, les fonctions de la
vie courante (exemple : exploration de lenvironnement,
contrle de lnergie) et, dautre part, celles qui sont con-
sacres la survie de lespce (exemple : la reproduction,
lattachement la progniture).
Dans ce contexte, nous afrmons quune grave menace
peut provoquer une dissociation structurelle de la per-
sonnalit prexistante
(2, 8, 9, 16)
, comme cela a t dcrit
par Janet
(4, 5)
. Dans sa forme primaire, cette dissociation
sopre entre, dune part, le systme de dfense de lindi-
vidu et, dautre part, les systmes qui impliquent la gestion
de la vie quotidienne et la survie de lespce. Dans un
livre peu connu mais fondamental, Myers
(17)
dcrit cette
dissociation structurelle primaire en termes de division en-
tre la personnalit apparemment normale (PAN) et la
personnalit motionnelle (PE). Dans son tude portant
sur des soldats combattants de la Premire Guerre mon-
diale, Myers observe que la PE fait de faon rcurrente
des expriences sensori-motrices douloureuses, charges
daffects pnibles qui, au moins subjectivement, correspon-
dent de prs au traumatisme dorigine. La PE se trouve
donc bloque dans lexprience traumatique et narrive
pas devenir un rcit de souvenir du trauma, donc une
mmoire narrative. Dun autre ct, la PAN est associe
lvitement des souvenirs traumatiques, au dtachement,
lanesthsie et une amnsie partielle ou totale. En fait,
comme nous allons le dtailler plus loin dans ce chapitre, la
PAN et la PE impliquent toutes deux des diffrences dans
un large ventail de variables psychobiologiques. Certaines
observations cliniques indiquent, par exemple, quelles
sont associes un sens de soi diffrent, et des dcouvertes
prliminaires en recherche exprimentale sur les troubles
dissociatifs de lidentit (TDI) suggrent quelles rpondent
diffrentiellement aux souvenirs de traumatismes
(18, 19)
et
des stimuli menaants traits de faon prconsciente
(20)
.
Pourtant, on pourrait sopposer la dnomination de
personnalits pour des systmes mentaux structurel-
lement dissocis. En fait, cest pour cette raison que le
DSM-IV
(1)
a chang la dnomination trouble de la per-
sonnalit multiple en trouble dissociatif de lidentit
(TDI). Il est cependant important de reconnatre quaussi
bien la PAN que la PE possdent de faon vidente des
schmas de perception, de relation et de pense par rapport len-
vironnement et soi-mme qui sont stables (description des
traits de personnalits dans le DSM-IV
(1, p. 630)
). Dans
le cas de la PAN, ces schmas sont apparents dans une
grande varit de contextes personnels et sociaux, et dans
le cadre des PE o ils nont pas tendance appara-
tre dans une grande varit de contextes ils le sont de
manire rgulire lorsquils sont ractivs. Mme si les
termes de Myers semblent donc tout fait appropris,
nous allons adopter ici les termes partie motionnelle
de la personnalit (PEP) et partie apparemment nor-
male de la personnalit (PANP), puisque nous pensons
que le terme personnalit implique aussi un sens de
soi totalement intgr
(9)
. Certains se demanderont sil
ne faudrait pas prfrer, si on continue se rfrer la
notion de personnalit, lexpression partie traumatique
de la personnalit au lieu de partie motionnelle de la
personnalit. Ils avanceraient que la partie apparem-
CITATION
Il se produit de temps en temps des altrations de la personnalit
motionnelle et de la personnalit apparemment normale. Le
retour de la premire est souvent prcd de cphales svres, de
vertiges ou dune convulsion hystrique. Lors de sa rapparition,
la personnalit apparemment normale peut se souvenir, comme
dans un rve, des expriences angoissantes revcues durant lintrusion
temporaire de la personnalit motionnelle.
Charles S. Myers
(17, p. 67)
3 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
DISSOCIATION ET TRAUMA
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ment normale de la personnalit comporte lvidence
des aspects motionnels, donc que le vocable partie
motionnelle pourrait encore tre source de confusion.
Mais, dans cet article, nous avons prfr rester prs de la
dnomination originale de Myers et de garder les termes
partie motionnelle de la personnalit (PEP) et partie
apparemment normale de la personnalit (PANP), et ce,
pour les raisons suivantes. Parler de partie traumatique
de la personnalit semblerait impliquer que lautre partie
la partie apparemment normale ne serait pas trau-
matise. De plus, la dnomination motionnelle na pas
trait aux motions en gnral, mais bien lmotionna-
lit lie lvnement ou aux vnements traumatiques.
Cette motionnalit est basse chez la PANP et leve chez
la PEP. En plus, le terme personnalit est aussi une
mtaphore et a trait tout lorganisme, le systme bio-
psychosociologique de la personne. Dans une perspective
volutive, ce systme est form au moyen dadaptations
successives tout au long de la vie.
Nous explorerons donc dans cet article les origines de la
dissociation structurelle entre la PEP et la PANP dans ses
liens avec lvolution et avec le traumatisme, en tant quel-
les impliquent des systmes motionnels. Nous tudierons
galement les facteurs qui participent au maintien de cette
division. Dans ce contexte, nous explorerons aussi la com-
plexit croissante de la dissociation structurelle dans ses
formes secondaire et tertiaire. Formes qui sont suscepti-
bles dapparatre lorsque le traumatisme comporte une
dimension chronique de violence interpersonnelle et de
ngligence, et en particulier quand les victimes sont des
enfants et que les auteurs de ces maltraitances sont les
parents ou les gures parentales de remplacement.
LCHEC DES CAPACITS
INTGRATIVES FACE LA MENACE
LINTGRATION
Janet
(21)
et Jackson
(22)
ont dni la sant mentale en ter-
mes de capacit dintgration. Janet soutenait que lin-
tgration ncessite lexcution continue dune srie dac-
tes mentaux. La premire tape est la synthse dune
srie de phnomnes lmentaires internes et externes
en nouvelles structures mentales signiantes. Dans cette
perspective, la cration de combinaisons signiantes de
sensations, daffects, de comportements moteurs, de per-
ceptions de lenvironnement est essentielle pour la rali-
sation de comportements adaptatifs. Les individus qui ont
t, par exemple, confronts un vnement menaant
sont parvenus synthtiser lexprience lorsquils ont cr
une structure mentale cohrente qui contient et organise
des reprsentations des vnements internes et externes
prdominants (exemple : perceptions sensorielles, ractions
motionnelles et comportementales ces perceptions ;
pour une analyse plus approfondie de la synthse, voir
Van der Hart et al.
(9)
).
Une composante supplmentaire et essentielle de cette in-
tgration est la personnication
(23)
. La personnication
dsigne les actes mentaux qui vont de la mise en relation
du matriel synthtis avec un sens de soi gnral qui,
par ce processus, devrait ainsi tre adapt, jusqu la prise
de conscience des consquences que peut avoir une exp-
rience personnelle sur la vie entire, confrant ainsi une
continuit lhistoire dun individu et son sens de soi
(23)
.
Pour prolonger cet exemple, dans lacte de personnica-
tion, les individus traumatiss prennent conscience que
la menace les frappe eux personnellement. Le rsultat est
un sens dappropriation dune exprience personnelle et
dun vnement (je suis menac). La personnication
est une forme spcique de ralisation
(24)
, i.e., le fait de
devenir conscient des implications des vnements. Dans
notre exemple : jai t gravement menac et lvnement
a eu et a encore des consquences majeures sur moi et sur
ceux que jaime. Ainsi, la personnication rend possible
une vision de soi en tant quexistence future personnelle
et sociale.
Une autre forme spcique de ralisation est la prsen-
tication
(24)
. Comme Van der Hart et al.
(9)
lexpliquent :
La prsentication est cette tentative humaine permanente dtre et
dagir simultanment dans le moment et ce dune faon hautement r-
exive. Cette action plusieurs facettes inclut lexprience dtre pr-
sent []. Nous sommes prsent quand nous synthtisons et quand
nous personnions les stimuli courants internes et externes qui sont
essentiels pour nos intrts courants, et quand nous adaptons cons-
cutivement nos actions mentales et comportementales. De plus, quand
nous nous vivons comme rellement prsent, nous avons connect notre
pass et notre future dans lici et le maintenant. Effectivement, la
prsentication est plus qutre conscient du moment prsent. Cela
implique notre cration du moment prsent partir dune synthse
dexpriences personnies tales travers le temps et des situations,
du pass, du prsent et du futur projet. Finalement, la prsentication
est donc notre construction de contexte et de signication du moment
prsent dans notre histoire personnelle. Tous les survivants de trauma
ont t incapables de prsentier leur pass cruel. Par exemple, quand
ils revivent leurs mmoires traumatiques, ils prennent ces mmoires
pour des vnements prsents et quand ils essayent dadapter au pr-
sent, ils vitent gnralement les mmoires traumatiques non-intgres.
En plus, ils trouvent souvent difcile de simuler le future, en parti-
culier un future lointain, ou dintgrer leur sens du futur dans leur
existence prsente.
Comme le suggrent de trs nombreuses observations
cliniques et des tudes rcentes
(25)
, des vnements ex-
trmes peuvent interfrer avec ces actes mentaux int-
grateurs. Lorsquil y a chec de la personnication, la
prise de conscience de lvnement synthtis demeurera
4 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
E. NIJENHUIS ET AL.
preuve 1 - 14/06/06
une connaissance factuelle qui ne semble pas appartenir
soi. Selon les termes de Wheeler et al.
(26)
, le matriel
synthtis sera notique et non pas autonotique.
Lindividu traumatis pourra ainsi dire : je sais que ma
vie a t menace, mais cest comme si cela tait arriv
quelquun dautre. Au nal, le souvenir correspondant
sera de type smantique, et non pas pisodique
(27)
.
Le souvenir smantique, qui appartient aux mots et la
connaissance du monde, est dpourvu de la dimension
autorchissante : lindividu sait que telle chose est un
fait, mais il ntablit pas de lien entre cette connaissance
et un pisode personnel. Par contraste, le souvenir piso-
dique a trait des vnements dont nous nous souvenons
dune faon presque scnique ou cinmatographique. Il
implique une double conscience car, en plus du souve-
nir des faits, il y a aussi la connaissance que cette ex-
prience vient de son propre pass. Cest dans le cadre
de fentres spatio-temporelles bien plus larges, que la
personnication et la prsentication permettent un sens
de soi intgr et ainsi relativement indpendant du con-
texte. Lorsque la personnication et la prsentication
chouent, le dveloppement dun sens cohrent de sa
propre existence dans un cadre temporel comportant le
pass, le prsent et le futur est compromis : pour pouvoir
agir de manire adapte dans le prsent, la personni-
cation et la prsentication de lexprience en cours,
sappuyant sur une intgration de (toute) une histoire
personnelle passe, est ncessaire.
Lintgration dexpriences similaires celles qui sont dj
connues de lindividu et qui nimpliquent pas des motions
extrmes exige gnralement un niveau de fonctionnement
mental moins lev et un effort mental moindre que la
synthse et la ralisation dexpriences nouvelles et forte
charge motionnelle. Une intgration russie dexprien-
ces antrieures particulires offre un modle qui facilite
lintgration dexpriences futures similaires. Lexposition
des vnements stressants peut augmenter le niveau de
fonctionnement mental, mais lorsque la menace devient
massive et submerge lindividu, ce niveau chute brutale-
ment
(28)
.
Tandis que des vnements non traumatiques et qui ne
sont pas excessivement stressants sur le plan sensoriel
sont habituellement synthtiss automatiquement et de fa-
on prconsciente sous forme symbolique, les expriences
traumatiques de patients souffrant dESPT et de troubles
dissociatifs semblent tre encodes plus ou moins comme
des expriences affectives et sensori-motrices demeurant
relativement non-intgres par rapport au traitement nor-
mal de linformation aboutissant la mmoire pisodi-
que
(29)
. Avec une capacit intgrative rduite, lindividu
subit un dcit immdiat de sa capacit sadapter au
traumatisme, et le dveloppement de ses capacits faire
face aux traumatismes ultrieurs est inhib
(28)
.
QUELQUES FACTEURS NEUROBIOLOGIQUES
AFFECTANT LES FONCTIONS MENTALES
INTGRATIVES
Les difcults que peuvent rencontrer les individus pour
synthtiser et raliser des expriences terriantes semblent
lies des ractions biologiques apparaissant lors de la sur-
venue dune grave menace. Les preuves qui montrent que
le cerveau et le corps ne ragissent pas seulement la me-
nace, mais sont galement susceptibles dtre modis par
lexprience traumatique se multiplient
(30, 31)
. Au niveau
neurobiologique, lchec intgratif dun vnement li
une menace peut ainsi se manifester par une libration
excessive dhormones du stress et par des modications
lies au stress dans des rgions crbrales travaillant aux
servitudes des fonctions intgratives principales.
Plusieurs tudes ont montr que des neurotransmetteurs
dchargs haute concentration pendant un tat de stress
dans des rgions du cerveau impliques dans lexcution
doprations mentales intgratives (comme lhippocampe
et le cortex prfrontal) peuvent interfrer avec lintgration
des expriences. Ces substances, qui incluent la noradr-
naline, ladrnaline, les glucocorticodes, les opiacs endo-
gnes
(32)
et plusieurs autres, peuvent diminuer le niveau
de fonctionnement mental dun individu, i.e. sa capacit
intgrative. Par exemple, des doses modres dadrnaline
administres aprs lapprentissage amliorent la rtention
de matriel rcemment appris, mais des doses leves la
diminuent
(32)
. Par ailleurs, un stress aigu aboutit une
dcharge accrue de noradrnaline dans lhippocampe et
dans dautres rgions crbrales.
Des vtrans du Vietnam souffrant dESPT chronique ont
des ash-back lorsquon leur administre en intraveineuse
de la yohimbine, un antagoniste 2 qui stimule la dcharge
de noradrnaline
(33)
. Un effet similaire a t provoqu par
ladministration en intraveineuse de mtachlorophnylpip-
razine (m-CPP)
(34)
. En termes psychologiques, ces substan-
ces ont ractiv des rponses de la PEP. Les tudes menes
aussi bien chez les animaux que chez les tres humains
ont dmontr que des dcharges leves de noradrnaline
sont associes une diminution du mtabolisme dans le
cortex crbral. Le mtabolisme crbral des patients souf-
frant dESPT a tendance tre diminu aprs injection de
yohimbine dans le cortex hippoccampique, orbito-frontal,
parital et prfrontal, alors que le mtabolisme dans ces
rgions a tendance tre augment chez les sujets contrles
sains
(35)
. Cette diminution pourrait reter le manque dac-
tivit mentale intgrative chez les individus traumatiss. En
effet, la noradrnaline de lhippocampe (structure crbrale
engage dans la synthse des expriences et dans lencodage
de la mmoire) agit sur lencodage, le stockage et le rappel
des souvenirs. Une autre substance implique dans la mo-
dulation des fonctions de la mmoire et dans la rponse
5 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
DISSOCIATION ET TRAUMA
preuve 1 - 14/06/06
de stress est le neuropeptide CRF (facteur de libration de
la corticotropine). Bremner et al.
(36)
ont constat une aug-
mentation de CRF chez les patients souffrant dun ESPT.
Dautres tudes suggrent que la stimulation articielle
des structures intgratives du cerveau, notamment lhip-
pocampe, peut gnrer des symptmes dissociatifs. La
stimulation lectrique de lhippocampe et du cortex ad-
jacent aboutit, par exemple, un phnomne analogue
la dissociation
(37)
. De mme, la ktamine, un antagoniste
non comptitif de la N-mthyl-D-aspartate (NMDA), sous-
type du rcepteur de glutamate, entrane toute une srie de
symptmes dissociatifs chez des individus sains
(38, 39)
. Ce
rcepteur NMDA est trs concentr dans lhippocampe,
et il est impliqu dans la potentialisation long terme,
processus li la formation des souvenirs.
Lchec intgratif qui caractrise les individus traumatiss
peut tre galement associ des changements crbraux
structurels, notamment dans lhippocampe. Les tudes sur
les animaux montrent que linjection directe de glucocor-
ticodes dans lhippocampe entrane une
perte de neurones pyramidaux et de rami-
cations dendritiques. Certaines donnes
suggrent que les glucocorticodes pour-
raient avoir un effet similaire sur lhippo-
campe humain. Compar celui de sujets
sains contrles, le volume de lhippocampe
est rduit chez les patients ESPT adul-
tes
(40)
rapportant des abus physiques et
sexuels durant leur enfance
(41)
et chez les patients ayant un
TDI
(42)
. On ne sait habituellement pas si un hippocampe
de dimensions infrieures constitue un facteur de risque
prmorbide pour lESPT et peut-tre pour les troubles
dissociatifs, ou sil est une consquence dune exposition
un stress chronique. Des caractristiques structurelles
anormales de lhippocampe peuvent galement reprsen-
ter un tout autre phnomne : plusieurs autres troubles
mentaux non caractriss par un stress post-traumatique
ou des symptmes dissociatifs sont galement associs
une diminution du volume de lhippocampe.
Alors que ces rsultats et dautres qui leur sont lis contri-
buent la comprhension de lchec intgratif pendant et
aprs lexposition une grave menace, rappelons-nous que
ltude des correspondances biologiques aux phnomnes
dissociatifs lis un traumatisme nen est encore qu ses
dbuts
(39)
.
LA DISSOCIATION PRITRAUMATIQUE
Lchec de lindividu synthtiser et personnier des
vnements actuels gravement menaants se manifeste
par un ensemble de phnomnes que lon appelle la dis-
sociation pritraumatique
(25)
. Celle-ci implique des ph-
nomnes la fois somatoformes et psychologiques
(43, 44)
,
parmi lesquels : des sentiments profonds dirralit, des
expriences de sortie du corps, une dconnexion de son
propre corps, une vision en tunnel, une non-perception
de la douleur (analgsie) et des inhibitions motrices. La
dissociation pritraumatique peut galement sexprimer
par un manque ou un dfaut de personnication. Comme
nous lavons dit plus haut, cet chec peut se manifester
comme le sentiment que lvnement enregistr nest pas
arriv soi-mme.
Les modles qui proposent que le traumatisme peut en-
traner des phnomnes dissociatifs ont t srieusement
tays par une srie dtudes rtrospectives et prospecti-
ves
(43-51)
. Janet
(52)
postulait que le traumatisme produit ses
effets dsintgrateurs en proportion de sa gravit exprime
en termes dintensit, de dure et de rptition. Plus r-
cemment, on a en outre fait lhypothse que les jeunes
enfants sont particulirement exposs au risque de disso-
ciation pritraumatique et dautres psychopathologies
lies au traumatisme
(53-56)
. Plusieurs tudes sur des patients
souffrant de troubles dissociatifs
(56-59)
ont
fourni des rsultats appuyant fortement
ces hypothses.
Dans une tude longitudinale impor-
tante, Ogawa et al.
(59)
ont constat, sur
un chantillon denfants particulirement
exposs un risque de traumatisation, que
les symptmes dissociatifs de la petite en-
fance taient associs la gravit du trauma et ce que
lon appelle un attachement dsorganis. Ces deux fac-
teurs taient prdictifs de symptmes dissociatifs retrouvs
jusqu 20 ans plus tard. Dautres tudes ont montr que la
dissociation pritraumatique est un facteur prdictif dun
ESPT ultrieur
(45, 60)
), de troubles dissociatifs et de troubles
somatoformes
(61, 62)
. Van der Hart et al.
(63)
ont cependant
trouv que les symptmes dissociatifs de patients prsen-
tant un tat de stress aigu ntaient pas vraiment prdic-
tifs dun ESPT, alors que la rexprience du traumatisme
tait un facteur hautement prdictif. Suivant la logique
du DSM-IV
(1)
, Bryant et al.
(62)
nont pas conceptualis le
phnomne de reviviscence du traumatisme comme un
symptme dissociatif. Ce phnomne contient pourtant
une exprience qui na pas t intgre de faon satis-
faisante, et qui ne le sera pas non plus au moment de sa
ractivation. Selon nous, la reviviscence du traumatisme
est un symptme dissociatif courant majeur. Nous sommes
daccord avec Myers
(17)
sur le fait que lchec intgratif
dexpriences traumatiques entrane fondamentalement
une dissociation structurelle de la personnalit prexistante
en deux systmes psychobiologiques
(9, 16)
. Cette dissocia-
tion structurelle primaire implique la PEP, qui est essen-
tiellement associe la rexprience du traumatisme, et
la PANP qui a chou intgrer lexprience traumatique
Le sentiment que
lvnement enregistr
nest pas arriv
soi-mme
6 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
E. NIJENHUIS ET AL.
preuve 1 - 14/06/06
(comme nous le discuterons plus loin, dans les cas les plus
complexes, la dissociation structurelle peut tre secondaire
ou tertiaire). En rsum, la dissociation pritraumatique
est une manifestation dun chec intgratif aigu et prpare
long terme le terrain de lchec de la synthse et de la
ralisation du traumatisme.
LE MODLE STRUCTUREL
DE LA DISSOCIATION
DE LA PERSONNALIT
LA PARTIE MOTIONNELLE
DE LA PERSONNALIT (PEP)
La PEP est une manifestation dun systme mental plus
ou moins complexe qui contient essentiellement des sou-
venirs traumatiques. Quand des individus traumatiss
restent dans cette PEP, ces souvenirs sont autonotiques.
Ils peuvent reprsenter des aspects essentiels du trauma-
tisme
(63)
, un vnement extrme complet, ou une srie
dvnements similaires. Ils sont habituellement associs
une image diffrente du corps et un sens de soi spar,
rudimentaire ou plus volu
(64)
. La PEP se manifeste ainsi
dans des formes qui vont de la rexprience daspects non
intgrs du traumatisme, dans le cas de ltat de stress aigu
et de lESPT, jusquaux personnalits dissociatives trauma-
tises dans le cas des TDI
(1)
.
Il est important de noter que les souvenirs traumatiques de
la PEP diffrent de faon considrable des rcits mtaboli-
ss de traumatismes
(21, 23, 24, 28, 29)
. Les souvenirs normaux
frappent lauditeur en tant que rcits, en tant quhistoires
racontes et rptes, qui se modient avec le temps et
sadaptent lauditoire. Alors que les rcits narratifs de sou-
venirs sont verbaux, condenss dans le temps et de nature
sociale et reconstructrice, les souvenirs traumatiques sont
souvent vcus comme si lvnement autrefois crasant se
produisait dans lici et maintenant. Les expriences halluci-
natoires solitaires et involontaires sont des images visuelles,
des sensations, des actes moteurs qui envahissent tout le
champ perceptif. Ces souvenirs sont caractriss, au moins
subjectivement, par un sens dimmuabilit et dextra-tem-
poralit
(65-67)
, et nont aucune fonction sociale
(23)
.
Bien que les souvenirs traumatiques de la PEP contiennent
des lments reproductifs, ils ne sont pas la rplique exacte
des vnements extrmes. Outre lexprience de lvne-
ment par lindividu, ils peuvent inclure ses fantasmes et
ses distorsions perceptives, et exclure certaines parties de
lexprience. Le souvenir traumatique du patient Lelog
de Charcot contenait par exemple lide quil avait t
cras par une charrette
(67)
. En fait, avant de perdre cons-
cience, il avait vu les roues sapprocher de lui, ce qui lui
avait donn lide quelles lavaient heurt. Des lments
provenant dautres expriences traumatiques peuvent de
la mme manire sassocier au souvenir traumatique et
le brouiller.
On peut galement remarquer que laccs dautres sou-
venirs est plus ou moins obstru lorsque les souvenirs trau-
matiques sont ractivs. Ainsi, quand la PEP est active,
le patient tend perdre laccs une gamme de souvenirs
qui sont facilement accessibles pour la PANP. Les souvenirs
perdus voquent gnralement des souvenirs pisodiques
(souvenirs personnis dexpriences personnelles), mais
peuvent galement inclure des souvenirs smantiques (con-
naissance factuelle) et mme des souvenirs procduraux
(exemple : des souvenirs de comptences et de solutions
rsultant du conditionnement classique). Myers
(17)
donne
un exemple de la modication entre une PEP (coince
dans sa lutte contre le traumatisme) et une PANP chez un
soldat de la Premire Guerre mondiale
(68)
. Aprs avoir t
soumis des bombardements trs lourds pendant lesquels
un obus explosa tout prs de lui, cet homme avait t em-
men au poste de secours car il ne pouvait pas sempcher
de sauter par-dessus un parapet en plein jour lorsquil y
avait des bombes. Au poste de secours, il tait incapable de
donner son nom et son rgiment et cest seulement par la
ruse quil fut possible de le faire entrer dans lambulance.
Une fois couch, il dveloppa un mutisme complet et un
tat dagitation extrme, roulant parfois les yeux et la tte
comme sil suivait un objet imaginaire, aprs quoi il recou-
vrait sa tte avec les couvertures, en proie une horreur
effroyable. Plus tard, une fois sorti de son lit, il commena
avoir des convulsions dissociatives, pendant lesquelles
il se serait immanquablement bless si on ne lavait pas
matris, et aprs lesquelles il tait vident quil visualisait
ses expriences terriantes dans les tranches. Il demandait
de laide, pendant ces crises, mais ensuite, une fois sortie de
la PEP et revenu dans la PANP, il navait aucun souvenir
de celles-ci et son mutisme persistait. En dehors des crises,
il paraissait normal.
Comme lillustre cet exemple, la PEP manifeste de faon
typique des comportements moteurs dfensifs, en parti-
culier en rponse des dclencheurs, i.e. des stimuli lis
des traumatismes et conditionns par conditionnement
classique. Dans cet tat, le patient peut, par exemple, se
recroqueviller dans sa chaise et rester immobile et silen-
cieux, se cacher derrire une chaise ou dans un coin. Mais
lorsquil se sent en scurit relative, il peut parler et se
dplacer davantage. Ainsi, dans les cas de maltraitance
subie pendant lenfance, la PEP qui a lidentit de lenfant
peut occasionnellement manifester des comportements de
gamin joueur, comme lexpliquent Putnam
(54, 55)
et Van
der Hart et Nijenhuis
(69)
.
La recherche et lobservation clinique confortent les hy-
pothses selon lesquelles les souvenirs traumatiques com-
7 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
DISSOCIATION ET TRAUMA
preuve 1 - 14/06/06
portent une dimension sensori-motrice majeure. Van
der Kolk et Fisler
(70)
ont ainsi mis en vidence que les
souvenirs traumatiques de sujets ayant un ESPT taient
rappels, au moins au dpart, sous la forme dempreintes
mentales dissocies : lments affectifs et sensoriels de lex-
prience traumatique, avec une composante linguistique
faible ou inexistante. Des enfants abuss sexuellement se
souvenaient aussi de leur traumatisme sous la forme de
perceptions sensorielles et de rponses comportementales,
de mme que les femmes qui rapportaient des abus sexuels
pendant leur enfance
(43)
. Les PEP qui prsentaient un TDI
rapportaient galement leurs souvenirs traumatiques de
cette manire
(19, 71)
.
Le champ de conscience de la PEP tend tre essentiel-
lement restreint au traumatisme en tant que tel et tout
ce qui sy rapporte. Quand les PEP ont volu, comme
cela se produit chez les TDI, elles peuvent aussi sorienter
davantage vers des objets du monde qui correspondent
leur exprience et leur identit. Dans ce cas, le champ de
leurs souvenirs procduraux, smantiques et pisodiques
stend jusqu un certain point. Cependant, alors que la
PEP a pu synthtiser et raliser des aspects du trauma-
tisme dans le cadre limit de ses souvenirs et donc de sa
personnalit, elle a chou intgrer la ralit courante
dans une mesure sufsante. Elle reste donc dans un tat
dinadaptation face au monde.
LA PARTIE APPAREMMENT NORMALE
DE LA PERSONNALIT (PANP)
Dans leur tat PEP, les individus traumatiss chouent
intgrer sufsamment la ralit courante et donc la vie
normale. Par contre, dans leur tat PANP, ils ont chou
partiellement ou totalement intgrer le traumatisme. La
PANP est surtout caractrise par un ensemble de pertes
et de symptmes dissociatifs ngatifs
(72)
tels quun cer-
tain degr damnsie du traumatisme et lanesthsie de
diverses modalits sensorielles. La PANP est galement
caractrise par un manque de personnication, aussi
bien en ce qui concerne le souvenir traumatique que la
PEP en tant que telle, cest--dire que la PANP na int-
gr ni le souvenir traumatique, ni le systme mental qui
lui est associ. Dans la mesure o le patient en PANP
dispose dinformations sur le traumatisme et la PEP, cette
connaissance reste notique, et le souvenir correspondant
est smantique.
Lapparente normalit de la PANP varie considrable-
ment. Par exemple, certains patients souffrant dun ESPT
parviennent prsenter une apparence de normalit assez
convaincante pendant des annes. Certains patients pr-
sentant un TDI peuvent mme fonctionner en PANP
un trs haut niveau dadaptation. Ils peuvent par exemple
trs bien russir sur le plan professionnel
(73)
. Cependant,
dautres patients peuvent avoir dvelopp en PANP une
amnsie tendue et trs invalidante
(10)
, ou avoir atteint
un stade avanc de dclin post-traumatique
(74)
. Comme
Janet le remarquait, tous les patients traumatiss semblent
arrts dans lvolution de la vie, ils sont accrochs un obstacle [i.e.
le traumatisme] quils narrivent pas franchir
(28 : 271)
, et ils
perdent galement la capacit davoir la perception personnelle
de leurs souvenirs, comme si leur personnalit arrte dnitivement
un certain point ne pouvait plus saccrotre par ladjonction, lassimi-
lation dlments nouveaux
(75, pp. 531-532)
. Ils sont condamns,
comme disait Appelfeld, vivre une vie la surface de la
conscience.
Les intrusions de la PEP, et en particulier le souvenir trau-
matique qui est associ cette personnalit, interfrent
avec lapparente normalit. ltat naturel, les souvenirs
traumatiques et les phnomnes mentaux qui leur sont
lis ne sont gnralement pas un problme
(76)
. Mais lors-
quelles sont pleinement ractives, ces intrusions peuvent
envahir la conscience comme des malveillants parasites
de lesprit
(67, 77)
. Ces symptmes dissociatifs intrusifs, et
donc positifs, peuvent consommer un temps considra-
ble, reproduisant en partie la temporalit de lvnement
extrme. La reviviscence suit gnralement un enchane-
ment rigide dvnements et de rponses, et ne peut tre
interrompue quau prix dun effort extrme. Des souvenirs
traumatiques complets, ou des aspects partiels de ceux-ci,
comme des formes de sensations particulires ou de r-
ponses motrices, peuvent galement faire intrusion dans
la PANP. Celle-ci peut aussi tre compltement dsactive
au moment de lactivation de la PEP, phnomne qui se
manifeste par lamnsie de la PANP pendant lpisode (de
reviviscence).
Outre les souvenirs traumatiques, dautres caractristi-
ques de la PEP peuvent pareillement faire intrusion dans
la PANP. Les exemples peuvent tre : entendre la voix de la
PEP et subir des mouvements physiques intentionnels de la
sa part. La PANP redoute habituellement ces symptmes
pour plusieurs raisons : le manque de comprhension de
la nature de ces phnomnes, labsence de contrle sur
ceux-ci, leur association avec les souvenirs traumatiques,
leurs qualits spciques, telles que des pleurs ou une voix
agressive, ainsi que la nature des messages ports par cette
voix.
Bien que nous ayons dsign les intrusions comme des
symptmes positifs, le contenu de celles-ci peut se mani-
fester par des pertes et constituer des symptmes ngatifs
(comme linhibition de certains mouvements) et des symp-
tmes positifs (comme la douleur), ou bien les deux. La
dsactivation complte de la PANP, au moment de lacti-
vation de la PEP, peut galement tre dcrite comme une
combinaison de deux symptmes loigns, respectivement
positifs et ngatifs.
8 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
E. NIJENHUIS ET AL.
preuve 1 - 14/06/06
LA PEP EST CONSACRE LA SURVIE
FACE UNE MENACE GRAVE
Selon nous, la PEP et la PANP sont des systmes mentaux,
et non pas des crations hasardeuses. Pourtant, de quelle
sorte de systme mental sagit-il ? Nous intressant dabord
aux PEP, nous avons observ que celles-ci mobilisent des
ractions dfensives et motionnelles face une menace
lie au traumatisme, et auxquelles elles semblent xes.
Chez toutes les espces, la menace entrane automatique-
ment et inconditionnellement une raction de dfense quil
vaut mieux considrer comme un systme complexe qui
sest dvelopp au cours de lvolution. Ce systme d-
fensif appartient la catgorie de ce que Panksepp
(11)
a
dnomm les systmes dexploitation motionnels, ou
plus simplement, les systmes daction. Parmi les exem-
ples de systmes daction, on trouve ceux qui contrlent
lattachement de la progniture aux parents, lattention
des parents pour leur progniture, lexploration et le jeu.
Certains systmes sont en place un stade prcoce du
dveloppement (exemple : la dfense contre la menace),
tandis que dautres se dveloppent plus tardivement (exem-
ple : la reproduction).
Panksepp avance que les systmes daction sont inns,
autoorganiss, autostabilisants et contenus dans le cadre
de limites temporelles et de processus homostatiques.
Selon ses propres termes : De nombreux systmes crbraux
archaques et volutifs partags par tous les mammifres servent en-
core de fondation aux tendances affectives profondes dont lesprit hu-
main fait lexprience
(11 : 4)
. La neuroscience des affects pose
en prmisse majeure quil existe des systmes neuronaux
multiples qui dterminent un ensemble limit de tendan-
ces motionnelles discrtes. Cest--dire que les processus
motionnels fondamentaux procdent de systmes neu-
robiologiques distincts retant des processus intgratifs
cohrents du systme nerveux, dont la fonction primor-
diale est de coordonner de nombreux processus physiolo-
giques et comportementaux dans le corps et dans lesprit.
Ces systmes daction peuvent tre considrs comme des
oprants volutifs :
- en tant que systmes neuronaux, ils ont des rles sup-
rieurs dans une succession de contrles hirarchiquement
ordonns. En ce sens ils sont excutifs ;
- ce sont galement des systmes de commande car un
circuit peut dclencher un processus motionnel complet ;
- ce sont enn des systmes dexploitation car ils peu-
vent coordonner et synchroniser les oprations de plusieurs
sous-systmes.
Tandis que la nature fournit au cerveau une varit de
potentiels intrinsques, cest la manire dont lindividu est
lev qui gnre les opportunits permettant leur actualisa-
tion sous des formes trs varies dans la vie relle. Tout ce
que nous voyons est pigntique, cest--dire un mlange
de nature et dducation. Les tissus du cerveau crent le
potentiel pour certaines expriences et pour la production
de certains comportements, mais les expriences, et par-
ticulirement les expriences prcoces, peuvent modier
dnitivement des dtails trs ns du cerveau.
Selon Panksepp
(11)
, lessence affective de lmotionnalit
est sous-corticale et organise de faon prcognitive, et
chacun des systmes motionnels implique dans le cerveau
des schmas spciques dactivation de rseaux neuronaux
et une activit neurochimique correspondante leur est as-
socie. Les systmes daction sont fonctionnels car ils acti-
vent diffrents types de sensations affectives permettant
lanimal et ltre humain de dterminer si les vnements
quils rencontrent dans le monde sont biologiquement uti-
les ou bien nocifs. Cette discrimination permet de gnrer
ensuite des rponses adaptes de nombreux contextes
menaants.
Les deux schmas comportementaux fondamentaux im-
pliqus dans les systmes motionnels sont lapproche et
lvitement. Bien que leur rsultat comportemental soit
dclench inconditionnellement par des signaux appro-
pris, lapproche et lvitement sont, dans certaines limites,
adaptables aux conditions environnementales prdomi-
nantes et non pas des rponses immuables. Par exemple,
la fuite nimplique pas seulement de courir en sloignant
de la menace, mais de courir dune faon qui soit adapte
la situation du moment en termes de forme, de direction
et de dure.
Ces systmes fonctionnels se manifestent comme des
schmas dactivation qui impliquent des variables comme
la conscience sensorielle, les biais perceptifs, la tonalit
et la rgulation motionnelles, les processus mnsiques,
les modles mentaux, les schmas de rponses compor-
tementales
(78)
, ainsi que, chez les humains (et peut-tre
chez certains primates), un sens de soi. Ainsi, la menace en
tant que conguration de stimuli inconditionns nentrane
pas une rponse inconditionnelle unique, mais une srie
intgre de rponses psychobiologiques. En outre, la d-
fense comme systme ordonn consiste en plusieurs sous-
systmes subordonns (ou sous-systmes), chacun contr-
lant un schma de ractions psychobiologiques adaptes
au degr particulier dimminence du danger
(13)
. Ce degr
est exprim en termes de temps et despace qui sparent
le sujet de la menace (i.e., la distance entre le prdateur
et la proie), ainsi quen termes dvaluation des capacits
dfensives du sujet (exemple : linuence psychosociale du
sujet, sa force physique).
Le systme de dfense prrencontre (o le mot ren-
contre signie la rencontre avec une menace vitale, donc
une rencontre dans le sens dune attaque la vie ou dune
imminence de la mort) implique un tat dapprhension
9 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
DISSOCIATION ET TRAUMA
preuve 1 - 14/06/06
associ une vigilance accrue, linterruption des com-
portements non motivs par un danger et un rtrcis-
sement du champ de conscience autour de la menace
vitale potentielle. Le systme de dfense post-rencontre
inclut plusieurs sous-systmes : la fuite et les sous-syst-
mes pri-rencontre ou pri-attaque (o pri signie
pendant), le gel avec les phnomnes associs danal-
gsie et danesthsie, la rponse de sursaut potentialise
et le combat. La dfense post-attaque implique une
soumission totale. Une fois la survie ralise, un sous-
systme de rcupration est activ. Ce sous-systme per-
met un retour une conscience affective et aux sensations
corporelles (parmi lesquelles la douleur), ce qui motive
le comportement de soin de la blessure et la recherche
du repos par lisolement social et le sommeil. Au mo-
ment du rtablissement se produira une ractivation des
(sous-)systmes qui contrlent les intrts
de la vie courante non lis une menace,
comme la consommation de nourriture,
la reproduction et lattention porte la
progniture.
Dans le cas de dissociation structurelle
primaire, caractristique de ltat de
stress aigu et de lESPT, la PEP est une
manifestation du systme de dfense. Cependant, comme
le montrent certains cas dESPT complexes, galement
appels trouble de stress extrme, et des cas de trouble
dissociatif non spci (DDNOS)
(1)
, la PEP peut gale-
ment tre structurellement dissocie lintrieur delle-
mme. Nous avons dnomm ce phnomne la disso-
ciation structurelle secondaire. Dans cette perspective,
cet tat est une manifestation de sous-systmes dfensifs
non-intgrs et dautres systmes daction. Lchec int-
gratif est li un degr de traumatisation plus grave que
les types de traumatisme associ un ESPT simple. Nos
observations cliniques montrent par exemple que certai-
nes PEP enfantines manifestent de faon caractristique le
phnomne dimmobilisation et danalgsie, dautres PEP
ont plutt tendance opposer une rsistance physique
la menace, ressentir de la colre, tandis que dautres
encore se soumettent totalement celle-ci et prsentent
un tat danesthsie profonde. Cette menace rside dans
la rexprience de souvenirs traumatiques de maltraitance
infantile svre et chronique, ou dans les rponses des
signaux qui rappellent fortement ces vnements rem-
mors.
Explorant les racines des symptmes et des systmes mo-
tionnels dissociatifs, Nijenhuis et al.
(79)
ont tabli un paral-
lle entre les divers sous-systmes de dfense et de rcup-
ration observs chez les animaux systmes stimuls face
limminence de la prdation et face la blessure et les
rponses dissociatives somatoformes typiques dcrites par
les patients souffrant de troubles dissociatifs. Leur tude de
donnes empiriques et les observations cliniques suggrent
lexistence de similarits chez lhomme et lanimal entre
les perturbations des schmas normaux dalimentation et
dautres comportements normaux face une menace dif-
fuse : gel et immobilisation lorsquune grave menace se
matrialise ; analgsie et anesthsie quand le coup est prt
dtre port ; douleur aigu quand la menace a disparu et
que lenjeu est la rcupration.
Dans une premire tude, Nijenhuis et al.
(58)
ont test cette
hypothse dune similarit entre les ractions de dfense
de lanimal et certains symptmes dissociatifs de patients
rapportant des traumatismes. 12 groupes de sympt-
mes somatoformes observs cliniquement et constituant
des phnomnes dissociatifs ont t isols. Dans tous les
groupes, les patients qui avaient des troubles dissociatifs
taient bien diffrencis des patients qui
avaient dautres diagnostics psychiatri-
ques. Les symptmes qui exprimaient
la similarit que lon cherchait tudier
(immobilisation-anesthsie-analgsie et
trouble du comportement alimentaire) ap-
partenaient aux cinq symptmes les plus
caractristiques des patients prsentant un
trouble dissociatif. Lanesthsie-analgsie,
les douleurs uro-gnitales et les groupes de symptmes
dimmobilisation concouraient indpendamment lexis-
tence prdite de trouble dissociatif.
partir dun autre chantillon indpendant, il est apparu,
aprs contrle de la variable du niveau de gravit du symp-
tme, que lanalgsie-anesthsie tait le meilleur prdicteur
dun trouble dissociatif. Les groupes de symptmes indi-
qus qualiaient correctement 94 % des cas de lchan-
tillon original, et 96 % du second chantillon indpendant.
Ces rsultats concordaient largement avec lhypothse de
la similarit (entre les ractions de dfenses de lanimal
et certains symptmes dissociatifs de patients dissociatifs
rapportant des traumas).
Nijenhuis et al. ont galement mis en vidence quune disso-
ciation somatoforme svre, mesure par le Questionnaire
de dissociation somatoforme (SDQ-20)
(57)
, avait plus de
probabilit dapparatre en cas de menace de lintgrit
corporelle si ceux-ci concernaient des cas de violence phy-
sique dans lenfance et dabus sexuel. La corrlation parti-
culirement forte entre le SDQ-20 (qui inclut de nombreux
items valuant lanesthsie, lanalgsie, les inhibitions
motrices) et la violence physique subie a galement t
retrouve dans dautres groupes de sujets : des sujets nor-
maux
(80)
; des patientes souffrant de douleurs pelviennes
chroniques
(81)
; des femmes rapportant des abus sexuels
dans lenfance
(43)
; des patients psychiatriques amands,
nerlandais
(82)
et nord-amricains
(83)
; et des patients
ougandais
(84)
souffrant de trouble dissociatif.
Lanalgsie-
anesthsie serait
un bon prdicteur
de trouble dissociatif
Quel est le bon terme ?
10 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
E. NIJENHUIS ET AL.
preuve 1 - 14/06/06
Nous discuterons plus loin de la recherche exprimentale
rcente qui suggre, comme le prdit le modle prsent,
que les ractions de dfense apparentes celles de lani-
mal caractrisent la PEP mais pas la PANP. Les recherches
venir sur la dissociation structurelle secondaire devront
lucider la question de savoir si les divers sous-types de
PEP partagent des caractristiques similaires celles des
sous-systmes dfensifs des animaux.
La PEP peut se fragmenter en plusieurs PEP qui servent
diffrentes fonctions dfensives. Nous proposons de d-
nommer ce phnomne dissociation structurelle secon-
daire squentielle, ou dissociation squentielle. La
fragmentation peut galement se faire entre une PEP ob-
servatrice et une PEP dans lexprience, ce que lon peut
appeler la dissociation structurelle secondaire parallle,
ou dissociation parallle. Dans ce cas, la PEP observatri-
ce est subjectivement en dehors du corps et regarde la PEP
qui vit lexprience distance. Pour compliquer encore
les choses, dans les cas de troubles dissociatifs complexes,
certaines PEP peuvent reprsenter des combinaisons de
dissociation squentielle et parallle.
LA PANP EST CONSACRE
LA GESTION DE LA VIE QUOTIDIENNE
ET LA SURVIE DE LESPCE
Les observations cliniques suggrent que les PEP sont
essentiellement consacres des fonctions orientes vers
la survie de lindividu lorsquil est expos une menace
majeure, alors que les fonctions de la PANP visent ra-
liser les tches ncessaires la vie quotidienne et la
survie de lespce. Comme pour les fonctions dfensives,
la gestion de la vie quotidienne et les fonctions associes
la survie de lespce sont galement contrles par des sys-
tmes motionnels spciques
(11)
. Ces systmes incluent
lexploration de lenvironnement, la gestion des niveaux
dnergie travers le repos, le sommeil, lalimentation
et lhydratation, la coopration interpersonnelle et la re-
production.
Lattachement la progniture appartient lventail des
fonctions visant la survie de lespce. En PANP, certains pa-
tients excutent cette fonction avec une grande conviction,
mais dautres peuvent chouer personnier sufsamment
lexprience dtre parent, ou perdent le contact avec leur
corps. Ainsi, certains patients traumatiss, qui en PANP
vivent une dpersonnalisation importante, excutent les
tches lies aux soins de lenfant de manire technique ;
ainsi, la PANP dune patiente TDI qui se considrait com-
me la mre de lenfant prsentait une anesthsie corporelle
gnralise : cause du manque de feed-back corporel, elle
touchait son bb de faon brusque lorsquelle le schait
aprs le bain, pendant lhabillage, etc.
La PEP et la PANP peuvent tre attaches aux parents
naturels ou substitutifs. Le traumatisme inig par un autre
tre humain, et particulirement celui qui est impos par
les personnes ayant la charge de lenfant, affecte gravement
le processus dattachement. Lorsque le traumatisme inig
par les personnes qui soccupent de lenfant se produit
un stade prcoce, un style dattachement particulier se
dveloppe frquemment. On parle dattachement dsor-
ganis/dsorient
(85-87)
. Environ 15 % des nourrissons de
familles de classe moyenne normales dveloppent ce style
dattachement, mais, dans le cas de mauvais traitements,
la prvalence de ce style peut tre multiplie par trois
(88)
.
Un comportement parental effrayant prgure galement
le dveloppement dun attachement dsorganis chez len-
fant
(89)
. En outre, des recherches prospectives longitudina-
les ont fait apparatre quatre facteurs prdictifs de dissocia-
tion pendant plusieurs stades dveloppementaux, et cela
jusqu la n de ladolescence : prcocit de lattachement
vitant et dsorganis, ge de dbut, chronicit et gravit
des maltraitances subies
(59)
.
Selon nous, lattachement dsorganis peut tre limit car
il implique lactivation simultane et proximale du systme
dattachement et du systme de dfense. En particulier,
lorsque les gures dattachement primaires sont la source
de la menace, les enfants traumatiss sont pris dans un
dilemme diabolique : les individus auprs desquels ils de-
vraient pouvoir trouver scurit et refuge en cas de menace
constituent en fait la source du danger. Lorsquun enfant
est loign des gures dattachement, le systme datta-
chement stimule un comportement dapproche mentale
et comportementale. Cependant, approcher une gure
dattachement qui se montre ngligente, maltraitante ou
autrement effrayante, prsente un haut degr de danger,
et entrane donc lactivation dune srie de sous-systmes
dfensifs (fuite, combat, immobilisation, soumission).
Le conit entre lapproche et lvitement que lenfant
ne peut de toute faon pas rsoudre favorise une dis-
sociation structurelle entre le systme dattachement se-
lon Panksepp
(11)
et le systme de dfense
(13)
. Dans les
cas de dissociation structurelle primaire, la PANP pourra
tre attache aux gures parentales ngligentes et mal-
traitantes, et en mme temps viter ou se dissocier plus ou
moins de la PEP qui reprsente le systme de dfense et
qui contient les souvenirs traumatiques de violence et de
ngligence. Il peut arriver galement que la PANP mani-
feste un attachement vitant, et que la PEP soit dissocie
secondairement entre une PEP reprsentant le systme
dattachement (i.e. la personnalit enfantine qui aime le pa-
rent maltraitant, la personnalit qui dsire un attachement
un thrapeute plus fort et plus sage, etc.), et une autre
PEP reprsentant le systme de dfense. Les parties disso-
ciatives de la personnalit qui vitent daccder au besoin
dattachement manifestent une phobie de lattachement,
11 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
DISSOCIATION ET TRAUMA
preuve 1 - 14/06/06
et les parties dissociatives consacres la satisfaction des
besoins dattachement manifestent une phobie de la perte
motionnelle.
Tout comme la PEP, la PANP peut galement tre frag-
mente. Nous avons dnomm ce phnomne dissocia-
tion structurelle tertiaire
(2)
. La dissociation structurelle
tertiaire qui caractrise le TDI ne se produit pas pendant le
traumatisme. Elle apparat plutt lorsque certains aspects
invitables de la vie quotidienne viennent tre associs
un traumatisme pass, i.e. lorsque ces aspects sont devenus
des stimuli conditionns qui tendent ractiver les sou-
venirs traumatiques. Voici un exemple chez une patiente
TDI abuse sexuellement pendant lenfance : lorsquelle
fut enceinte et que son tat ncessita un examen prna-
tal par un obsttricien, elle dveloppa une nouvelle PAN
capable de tolrer lexamen physique sans intrusion des
souvenirs traumatiques
(10)
.
INTGRATION
DE LA PANP ET DE LA PEP
C
ertains systmes motionnels peuvent tre cer-
tainement plus facilement intgrs que dautres.
Selon Panksepp
(11)
, des feed-back multiples inter-
nes aux systmes motionnels et entre ceux-ci facilitent
la synthse des composants dun systme (exemple : per-
ceptions, comportements, sens de soi) et lintgration des
systmes entre eux. Cependant, lintgration de systmes
motionnels, impliquant des fonctions trs diffrentes et
plutt exclusives les unes des autres, est certainement une
opration mentale bien plus difcile que lintgration des
composants dun systme motionnel particulier et de
systmes fonctionnellement relis. Selon cette hypothse,
lintgration des systmes consacrs la vie courante et
la survie de lespce (PANP) et des systmes lis la survie
de lindividu face une menace (PEP) sera plus facilement
mise en chec aprs un stress traumatique que lintgration
de sous-systmes de ces deux systmes complexes ou entre
des composants de ces sous-systmes. Dans cette perspec-
tive, la dissociation structurelle entre la PANP et la PEP
reprsente le type dchec intgratif fondamental lors de
la survenue du traumatisme. Cest ainsi que la dissociation
structurelle primaire concerne le trouble mental le plus
simple li au traumatisme : lESPT simple.
Quand les niveaux de stress augmentent, lintgration des
sous-systmes de dfense peut galement tre compromise,
entranant ainsi une dissociation structurelle secondaire,
i.e. la fragmentation de la PEP. Nous avons fait lhypothse
que cet tat caractrise lESPT complexe
(90)
, connu ga-
lement sous le nom de trouble de stress extrme (disorders
of extreme stress)
(1)
, et les troubles dissociatifs non spcis
(DDNOS)
(1)
. Dans les cas de traumatisation extrme,
mme les systmes dintgration consacrs la gestion de
la vie quotidienne et la survie de lespce peuvent tre
inaccessibles, entranant alors une dissociation structurelle
tertiaire.
CONCLUSION
N
ous avons prsent dans cet article un modle
pour tenter de comprendre la dissociation lie au
traumatisme. Dans ce contexte, le terme de dis-
sociation a t caractris de plusieurs faons. En tant que
processus, la dissociation a t dcrite comme un chec
de la synthse et de la personnication et prsentication
dexpriences terriantes. Dans la phase aigu, cet chec se
manifeste par des symptmes dissociatifs pritraumatiques
psychologiques et somatoformes et, aprs le traumatisme,
par des symptmes dissociatifs courants. Notre modle, qui
est plus compliqu que ce qui pouvait tre expliqu ici sur
ces quelques pages voir
(9, 16)
soutient que cette cou-
pure du systme daction par les processus dissociatifs, qui
aboutit la personnalit prexistante, ne se fait pas au ha-
sard mais quelle seffectue plutt en suivant les minuscules
failles mtaphoriques existant par nature entre les systmes
et les sous-systmes daction. Ces systmes sont conus
comme des systmes daction volutifs, servant des fonc-
tions essentielles : la survie de lindividu face une menace
majeure, la survie de lespce et la ralisation des fonctions
de la vie quotidienne. Dans ce contexte, trois niveaux de
dissociation structurelle ont t proposs pour dlimiter
ltendue des troubles lis au traumatisme : 1) lESPT
simple ; 2) lESPT complexe, ltat de stress extrme et
le DDNOS ; et 3) le TDI. Selon le modle propos, ces
troubles varis peuvent tre placs sur un continuum de
complexit de la dissociation structurelle. Dans cette pers-
pective, le TDI nest pas une manifestation de la suggestion
ou dun jeu de rles comme le pensent certains auteurs,
mais une position extrme sur le continuum des troubles
mentaux lis au traumatisme. Cependant, ce modle af-
rme galement quune laboration et une formation se-
condaires de systmes mentaux dissociatifs activs dans le
pass pourra se produire frquemment sous linuence, par
exemple, de facteurs psychologiques, sociaux et culturels.
Nous avons expos un ensemble de donnes empiriques
et exprimentales qui soutiennent le modle propos ou
sont en cohrence avec celui-ci. Mais la plupart des don-
nes de la recherche exprimentale sont prliminaires, en
attente de tests sur des groupes de sujets contrles. Il est
au moins possible de dire que la distinction fondamentale
entre la PANP et la PEP est utile et quelle continuera de
servir une fonction heuristique dans ltude des troubles
mentaux lis au traumatisme. Par exemple, des niveaux
de noradrnaline plus levs chez les PEP par rapport aux
PANP en situation dexposition une menace (perue).
12 STRESS ET TRAUMA 2006 ; 6 (3) : 000-000
E. NIJENHUIS ET AL.
preuve 1 - 14/06/06
Un autre exemple de la fonction heuristique de ce modle
concerne les diffrences de rponses des PANP et des PEP
en situation dexposition des souvenirs traumatiques et
des expressions faciales agressives masques. Ces dcou-
vertes suggrent que chez les personnalits dissociatives,
cest partir des tous premiers stades du processus de trai-
tement de linformation que sopre une diffrence dans le
traitement dune information lie une menace (perue).
Cette hypothse peut tre teste par lutilisation de lIRM
mtabolique. Nous projetons en fait de raliser cette tude.
Si cette hypothse tait conrme, la question majeure
suivante serait de savoir quel est le processus qui contrle
cette rorganisation tout fait fondamentale du cerveau
et de lesprit lorsque les individus traumatiss basculent
dune personnalit dissociative dans une autre.
Ce modle suggre galement une srie de recomman-
dations pour le traitement qui ne pourront tre labores
dans ce cadre. Disons rapidement que le traitement des
troubles lis au traumatisme, y compris les TDI, implique
une intgration de contenus mentaux redouts ralise
dans le respect des capacits intgratives du patient au mo-
ment du traitement. Le traitement visera essentiellement la
rsolution de la dissociation structurelle de la personnalit
en exposant les uns aux autres les systmes mentaux dis-
sociatifs et leurs contenus mentaux, selon des tapes pla-
nies avec soin pour permettre lintgration et empcher
la redissociation. Ce modle prdit que le dpassement de
la dissociation tertiaire du TDI demande moins de travail
que le dpassement de la dissociation secondaire. Il afrme
galement que le dpassement de la dissociation implique
lexposition de graves menaces (perues) et requiert donc
un niveau de fonctionnement mental trs lev.
En termes pratiques, ce modle suggre un traitement par
phases
(91-94)
. La premire phase visera lever le niveau de
fonctionnement des PAN notamment en travaillant pro-
gressivement au dpassement de la phobie des contenus
mentaux , de la phobie des PANP les unes par rapport
aux autres, et de la phobie des PEP. De mme, on satta-
quera la phobie de lattachement en renforant lalliance
thrapeutique entre les PANP et les PEP entre elles et avec
le thrapeute. Alors seulement, et seulement si le niveau
intgratif a t sufsamment lev, pourra-t-on, dans une
deuxime phase, travailler sur la phobie des souvenirs trau-
matiques en utilisant notamment lexposition gradue et
la prvention de la redissociation. La troisime et dernire
phase du traitement sattachera surtout lintgration de
la personnalit, au dpassement de la phobie de lattache-
ment intime et la confrontation la vie dune manire
non dissociative et sans recours lvitement.
Remerciements Pauline Guillerd (France) et Manolle Hopchet
(Belgique), psychologues cliniciennes et superviseurs EMDR, pour leur
aide dans les traductions de cet article.
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