Cerveau Et Comportement
Cerveau Et Comportement
Cerveau Et Comportement
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Quelles sont les origines du cerveau et du comportement?
Pourquoi tudier le cerveau et le comportement ? Points de vue sur la relation entre cerveau et comportement Lvolution du cerveau et du comportement Lvolution de lhomme Lvolution du cerveau humain tudier le cerveau et le comportement chez lhomme moderne
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Reconstruction de la lsion crbrale de Gage partir de techniques modernes dimagerie. partir de The return of Phinas
Gage : Clues about the brain from the skull of a famous patient par H. Damasio, T. Grabowski, R. Frank, A.M. Galaburda et R. Damasio, 1994, Science 20, p. 1102.
recherches ralises ce jour suggrent trois niveaux darguments soulignant le lien fonctionnel entre cerveau et comportement :
1. De plus en plus de troubles comportementaux sexpliquent partir de notre connaissance du cerveau, et leur traitement devient possible grce cette connaissance. En effet, plus de 2000 troubles du comportement peuvent tre mis en rapport avec des anomalies crbrales. Le tableau 1-1 rcapitule les exemples daltrations crbrales qui seront abordes dans ce livre, en particulier dans les gros plans , et qui nous permettront dinsister sur le lien entre dysfonctionnement crbral et trouble du comportement. 2. Le cerveau est lorgane le plus complexe du vivant et cet organe est prsent dans de nombreux groupes diffrents danimaux. Ceux qui tudient le cerveau cherchent comprendre quelle est sa place dans lordre biologique propre notre plante. Dans le premier chapitre, nous dcrirons la structure de base du cerveau ainsi que son volution, en particulier en ce qui concerne lHomme. Dans les chapitres 3 5, nous aborderons le fonctionnement des cellules crbrales, cellules qui sont communes tous les animaux possdant un systme nerveux.
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Tableau 1.1
Index des maladies du systme nerveux abords dans les chapitres 1 15. Addiction ADHD Agnsie des lobes frontaux Agnosie 7 15 11* 8 Epilpsie Hmianopsie Hmingligence controlatrale Hyperopsie (hypermtropie) Insomnie Intoxication la MPTP 4,9*,15 Migraine 8 14 8* Myasthnie grave Myopie Narcolepsie 8* 4* 8* 12 Syndrome dAsperger Syndrome de Down Syndrome de Korsakoff Syndrome de linsensibilit aux andrognes Syndrome de stress post-traumatique 15 3 13 11*
13 11 9* 11*,15
12 5*
11 6*,10 2* 10*
Syndrome de (Gilles 5,10* de la) Tourette Syndrome des jambes sans repos Syndrome du split-brain Synesthsie Ttraplgie Traumatisme invasif Traumatisme crbral (crasement crbral) Troubles affectifs Troubles affectifs saisonniers Troubles anxieux gnraliss Troubles bipolaires Troubles de lapprentissage Tumeurs crbrales 12 14
Intoxication lacide 7 domoque Intoxication au monoxyde de carbone Lsion crbrale Lsion de la moelle pinire Lobotomie frontale 8*
10 12* 6 8
1*,15 10,11 11
15 8* 6* 7
14* 10 1 1*
Maladie dAlzheimer 5,13*, 15 Maladie de Lou Gehrig Maladie de Parkinson Maladie de Tay-Sachs Malformations artrioveineuses Manie Mningite 4 5*,15 3 9* 15* 2*
Attaque crbrale Autisme Chore de Huntington Crises de panique Dmence Dpression Encphalopathies
Psychose par abus de drogue Schizophrnie Sclrose multiple Scotome Syndrome alcoolique ftal Syndrome andrognique
7* 5,6*,7, 15 3*,15 8 7* 6
Note : la dsignation des maladies est suivie par le numro du chapitre. * La maladie fait lobjet dun gros plan sur les troubles . Abrviation : ADHD, (pour attention decit hyperactivity disorder quon traduit par hyperactivit avec troubles de lattention ; MPTP, mthylphnylttrahydropyridine)
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3. Comment le cerveau fait-il pour produire du comportement et, chez lHomme, comment fait-il pour assurer lexistence dun sentiment de conscience ? Voil deux questions scientifiques majeures restes pour lheure sans rponse. De nombreux scientifiques et de non moins nombreux tudiants abordent ltude du cerveau selon une perspective philosophique devant dboucher sur une comprhension de lhumanit. Plusieurs chapitres de ce livre touchent la relation entre, dune part les questions psychologiques relatives au cerveau et au comportement et, dautre part, les questions philosophiques concernant lhumanit. Par exemple, dans les chapitres 13 et 14, nous nous pencherons sur la faon dont nous nous y prenons pour apprendre et pour penser.
Personne parmi nous ne peut faire de prdiction quant lutilit oprationnelle de ce que nous savons sur le cerveau et sur le comportement. Lune de nos anciennes tudiante en psychologie, majore de promotion de cette anne, nous crivit quelle avait choisi notre cours simplement parce quelle navait aucune envie particulire den suivre un autre. Elle nous fit part du fait que quoiquelle trouvt notre enseignement intressant, il sagissait de biologie, et non de psychologie. Une fois diplme, elle obtint un emploi dans une agence sociale et, pour sa plus grande satisfaction, put constater quen comprenant les relations entre cerveau et comportement, elle avait en mme temps accs la comprhension de bon nombre des troubles dont taient atteints ses clients, de mme qu la connaissance des options thrapeutiques possibles. Nous commencerons donc par dfinir le cerveau, puis nous aborderons la dfinition du comportement, et enfin nous approfondirons la manire dont lun et lautre ont conjointement volu.
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Figure 1.1 (A) Les lobes correspondent des divisions du cortex Le cerveau est compos de deux hmisphres, un droit et un gauche. Coupe transversale Les replis la surface du cerveau sont appels des circonvolutions, les fentes qui les dlimitent des scissures ou fissures. Le cortex crbral est la fine couche externe du cerveau, son corce.
Dessus Lobe parital Lobe frontal Devant Lobe temporal Dessous Lobe occipital Derrire
(B) Votre main droite, transforme en poing, permet de figurer la position des lobes dans lhmisphre gauche de votre cerveau. Lobe parital (jointures)
Le cerveau humain (A) Schma illustrant lorientation du cerveau dans la tte dun tre humain. La partie visible du cerveau est appele cortex crbral (cortex signie corce , et le cortex ressemble lcorce dun arbre). Le cortex est une ne couche de tissu prsentant de nombreux replis qui lui permettent de tenir lintrieur du crne. Les plis sont appels des circonvolutions. Le cerveau est constitu de deux moitis symtriques appeles des hmisphres. Chaque hmisphre est divis en quatre lobes : les lobes frontal, parital, temporal et occipital. Glaubermann/ Photo Researchers
de lcorce dun arbre, ces sillons ne sont pas distribus au hasard sur la surface corticale, mais dlimitent des zones fonctionnelles bien individualises. Nous verrons leur nom et leur fonction un peu plus loin. Le cortex de chaque hmisphre est divis en quatre lobes, dont lappellation est directement inspire du nom des os crniens qui les recouvrent. Le lobe temporal est localis approximativement au mme endroit que le pouce de votre poing tenu la hauteur de votre tte. Parce quil pointe vers lavant, il est un bon repre pour savoir quelle partie du cerveau est situe vers lavant. Le lobe situ juste audessus du lobe temporal est appel lobe frontal, car il est localis lavant du cerveau (en position frontale), juste sous los frontal du crne. Le lobe parital est localis derrire le lobe frontal, et le lobe occipital constitue la rgion corticale que lon trouve larrire de chaque hmisphre. Il est vident que Harvey, qui voulait que son cerveau ft conserv dans un flacon aprs sa mort, ne voulait pas seulement prserver son cerveau, mais aussi son soi, autrement dit sa conscience, ses penses, toute son intelligence. La signification du terme cerveau se rapporte quelque chose dautre que lorgane que lon trouve dans le crne. Il renvoie cet organe en tant quil exerce un contrle sur le comportement.
Glaubermann/Photo Researchers
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Cette signification de cerveau est celle laquelle nous nous rfrons lorsque nous parlons du cerveau dune opration ou que nous parlons dun ordinateur assurant le guidage dun vaisseau spatial. Le terme cerveau dsigne alors aussi bien lorgane lui-mme que le fait que cet organe assure le contrle du comportement. Harvey pouvait-il russir prserver dans une bouteille cette centrale de conscience responsable de son contrle ? La rponse cette question vient dans la suite du texte.
Le systme nerveux central (SNC) comprend le cerveau et la moelle pinire, deux parties du systme nerveux loges dans le crne et la colonne vertbrale, respectivement. Le systme nerveux priphrique (SNP) comprend les parties du systme nerveux qui assurent la connexion entre le SNC (cerveau et moelle pinire) et le reste de lorganisme.
Connexions motrices aux muscles du corps Connexions autonomes aux organes internes du corps Figure 1.2
Organisation gnrale du systme nerveux humain Le systme nerveux interprte les stimulations sensorielles et dtermine le comportement.
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Toutes les fibres nerveuses en provenance du cerveau et de la moelle pinire, de mme que tous les neurones localiss en dehors du cerveau et de la moelle, forment ce quon appelle le systme nerveux priphrique (SNP) (voir la Figure 1-2). Dans le SNP, un rseau trs fourni de neurones sensoriels est connect aux rcepteurs localiss la surface du corps, de mme quaux organes internes et aux muscles do il achemine de nombreux signaux sensoriels vers le SNC qui en assure le traitement. Dans le SNP, les neurones moteurs, aussi appels motoneurones, assurent une connexion du cerveau et de la moelle pinire avec les muscles de la face, du tronc et des membres. Les voies motrices sont galement mises en uvre pour assurer le fonctionnement des organes internes de votre corps, pour le contrle des fonctions dites autonomes telles que le battement de votre cur, les contractions de votre estomac, et les mouvements de votre diaphragme, qui gonfle et dgonfle vos poumons. Pour en revenir Harvey et son exprience imaginaire du cerveau en bocal, le fait de placer un cerveau dans un bocal, et mme celui dy mettre tout le SNC, aurait pour consquence immdiate de sparer ce systme du SNP, et donc de lensemble des sensations et mouvements assurs par le SNP. Comment le cerveau pourrait-il fonctionner en labsence dinformations sensorielles et sans la capacit de produire du mouvement ? Dans une tude entreprise durant les annes 20, Edmond Jacobson (1932) chercha savoir ce qui se passerait si nos muscles cessaient totalement de bouger, une question qui nest pas sans rapport avec lexprience imagine par Harvey. Jacobson pensait que mme si nous tions convaincus dtre compltement immobiles, nous ferions encore des mouvements subliminaux lis nos penses. Par exemple, les muscles du larynx prsentent des mouvements subliminaires (imperceptibles) lorsque nous pensons en mots , et nous faisons des mouvements subliminaux avec nos yeux lorsque nous nous reprsentons une scne visuelle. Jacobson a travaill avec des sujets qui pratiquaient la relaxation totale. Il leur demanda de traduire ce quils prouvaient pendant une telle exprience. Ses sujets parlaient dune condition de vide mental , comme si leur cerveau avait cess de fonctionner. En 1957, Woodburn Heron travailla sur les effets de la privation sensorielle, y compris la privation de tout feedback des mouvements. Les sujets, dshabills, taient allongs sur un lit, lintrieur dune chambre insonorise. Ils devaient se tenir compltement immobiles. Leurs bras taient recouverts dune gaine qui prvenait toute exprience tactile, et des lunettes opaques les empchaient de voir. Les sujets racontrent que cette exprience fut extrmement dplaisante, non seulement du fait de lisolement social, mais aussi parce quils navaient plus le moindre repre dans cette situation. Certains sujets eurent mme des hallucinations, comme si leur cerveau cherchait, dune manire ou dune autre, crer une exprience sensorielle qui lui manquait soudainement. La plupart des sujets choisirent dabandonner lexprience avant sa fin. Les rsultats de ces travaux suggrent que le cerveau a besoin dexpriences sensorielles et motrices soutenues quand il sagit pour lui de maintenir une activit mentale. Ainsi, lorsque nous utilisons le terme cerveau pour dsigner un organe fonctionnel intelligent, nous devrions probablement nous efforcer de considrer que ce terme renvoie un cerveau indissociable des relations quil a avec le reste du systme nerveux. Malheureusement pour Harvey, il nest pas vraisemblable quun cerveau en flacon puisse continuer fonctionner normalement aprs avoir t coup du SNP.
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tement : Le comportement est une manifestation qui a lieu par rapport un axe temporel. Ces manifestations peuvent prendre la forme de mouvements, de vocalisations, de changements dans lapparence tels que les changements du visage qui traduisent un sourire. Lexpression de manifestation dans le temps peut mme inclure le fait de penser. Bien que nous ne puissions observer directement les penses de quelquun, il existe des techniques qui permettent denregistrer les modifications de lactivit lectrique et biochimique du cerveau associes au fait de penser. Donc, le simple fait de penser sans autre mouvement peut galement tre considr comme une manifestation dans le temps. Pour certains animaux, la plupart des mouvements correspondent des rponses innes, mais pour dautres, les mouvements correspondent des profils comportementaux qui peuvent tre aussi bien hrditaires quappris 1. Lorsque tous les membres dune mme espce expriment le mme comportement en des circonstances semblables, cette espce aura probablement hrit dun systme nerveux destin produire ce comportement automatiquement. Au contraire, si chaque membre dune espce exprime, dans une mme situation, une rponse comportementale singulire, cette espce aura hrit dun systme nerveux qui est beaucoup plus flexible et qui savre capable de produire des changements dans le comportement du fait dun apprentissage. Un exemple dune telle diffrence entre un pattern comportemental relativement fixe et un autre plus flexible nous est fourni par le comportement alimentaire de deux espces danimaux, savoir le bec crois et le rat noir, tous deux reprsents dans la Figure 1-3. Les becs croiss sont des oiseaux dont le bec semble maladroitement crois aux extrmits. Et pourtant, ce bec est parfaitement adapt lextraction des pignons de certains types de pommes de pin. Lorsquils se nourrissent de pignons, les becs croiss utilisent des patterns comportementaux qui sont largement automatiss et qui ne ncessitent pas beaucoup de modifications du fait dun apprentissage.
Le bec dun bec crois a une forme spcialement adapte louverture des pommes de pin. Ce comportement douverture des pommes de pin est inn.
Figure 1.3
Comportements inns et acquis Certains comportements des animaux sont largement hrits, tandis que dautres sont appris (acquis). La faon dont les becs croiss se nourrissent de pignons de pin est un exemple de comportement inn. Ce mode dalimentation est rendu possible grce la forme particulire du bec de cet oiseau : les extrmits sont croises, comme lillustre la gure de gauche. Au contraire, Rattus rattus, un rat qui vit dans les pins en Isral, ne peut se nourrir de pignons de pins que sil acquiert un savoir-faire qui lui est transmis par sa mre. Cet apprentissage est une forme de transmission culturelle. (En haut : Adapt de The Beak of the Finch (p. 183), par J. Weiner, 1995, New york : Vintage. En bas : Adapt de Cultural Transmission in the Black Rat : Pinecone Feeding , par J. Terkel, 1995, Advances in the Study of Behavior, 24, p. 122.)
Cest de sa mre quun jeune rat doit apprendre se nourrir en consommant des pignons de pin. Ce comportement est acquis.
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Si daventure le bec dun bec crois tait modifi, mme sil ntait que lgrement entaill, loiseau ne serait plus en mesure de se nourrir de pignons de pins, et ce aussi longtemps que son bec naura pas retrouv sa forme naturelle. Les rats noirs, au contraire, sont des rongeurs aux incisives acres qui semblent faites pour entailler peu prs nimporte quoi. Ces rats sont aussi des mangeurs de pignon trs efficaces, mais ils ne pourront manger ces pignons qu la condition davoir appris le faire dune mre qui dj procdait ainsi. Le comportement dcrit ici se limite lingestion de pignons, et nous tenons souligner que nous naffirmons en aucun cas que tous les comportements du bec crois sont fixs, ou que tous les comportements exprims par des rats noirs sont appris. Cest un but majeur de la recherche que de distinguer, parmi les comportements, lesquels sont hrits (inns) et lesquels sont appris (acquis). Cette recherche sattellera aussi comprendre comment le systme nerveux se dbrouille pour produire chaque type de comportement. La complexit des comportements varie considrablement dune espce lautre, et cette variation dpend largement du niveau des capacits dapprentissage et de la flexibilit comportementale quune espce peut atteindre. Gnralement, les animaux dots dun systme nerveux plus petit, plus simple, ont une palette plus restreinte de comportements. Les animaux dots de systmes nerveux complexes disposent dun nombre doptions comportementales plus grand. Nous, les humains, avons coutume de penser que nous appartenons lespce animale pourvue du systme nerveux le plus complexe, et cest ce titre que nous pensons possder la plus grande capacit apprendre de nouveaux types de rponses de nouvelles situations. Les espces qui ont dvelopp une plus grande complexit ne lont cependant pas fait au dtriment des composantes plus archaques de leur systme nerveux. Tout se passe plutt comme si un gain de complexit devenait possible avec lmergence de nouvelles structures qui sajoutent aux plus anciennes. Pour cette raison, et bien que le comportement humain dpende principalement de lapprentissage, nous possdons, au mme titre que dautres espces animales, de nombreux schmas inns de rponse. Le nourrisson ttant le sein maternel, par exemple, fait preuve dun comportement alimentaire inn.
EN RVI S I O N
Le cerveau et le comportement sont lis, et les troubles du comportement peuvent tre expliqus, voire traits partir dune bonne comprhension du cerveau. Comprendre comment le cerveau produit le comportement et la conscience reste une question majeure pose la science. Pour lheure, elle demeure sans rponse claire. Ceux qui tudient le cerveau esprent comprendre la place du cerveau dans lordre biologique de notre plante. Le cerveau comporte deux hmisphres, un gauche et un droite. Chaque hmisphre prsente une surface externe plisse, une couche de tissu appele cortex, divise en quatre lobes : le lobe temporal, le lobe frontal, le lobe parital et le lobe occipital. Le cerveau et la moelle pinire forment ensemble le systme nerveux central, et tous les nerfs qui manent de la moelle pinire et qui la connectent avec dautres parties du corps composent le systme nerveux priphrique (SNP). Des rseaux de nerfs sensitifs arrivant au systme nerveux central (SNC) et dautres moteurs partant vers les muscles constituent la base mme de ces deux systmes. Pour dnir simplement le comportement, on peut dire quil sagit de tout type de mouvement produit par un organisme vivant. Bien que tous les comportements aient une cause et une fonction particulires, ils varient dans leur complexit et dans leur niveau de exibilit par rapport lapprentissage.
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Pour Descartes, qui posa donc que le corps et lme doivent tre unifis pour constituer un tre humain, la plupart des activits du corps, dont les sensations, la digestion, la respiration et le sommeil, peuvent tre expliques par les principes mcaniques et physiques tels quils taient couramment conus au 17me sicle. Dun autre ct, lme est non matrielle, spare du corps, et responsable des comportements rationnels. La proposition de Descartes, selon qui une entit appele lme dirigeait une machine appele le corps, reprsente la premire tentative srieuse dexplication du rle du cerveau dans le contrle du comportement intelligent. La question de la manire dont une entit non matrielle interagissait avec un cerveau, et donc une entit physique, a fini par sriger en rel problme, celui de la dualit de lme et du corps, et le point de vue philosophique selon lequel le comportement est contrl par deux entits, lme et le corps, est appel dualisme. La Figure 1-4 est une reproduction du livre de Descartes et vous montre comment lesprit (ou me) serait inform partir du corps. Par exemple, lorsquune main touche une balle, lesprit apprend par le cerveau quune balle existe. Il apprend aussi o la balle est localise, et quelles en sont la taille et la texture. Cest aussi lesprit qui ordonne au corps de toucher la balle, mais encore une fois, ceci se fait par lintermdiaire du cerveau. Lesprit commande au cerveau de faire en sorte que le corps produise une grande varit dactions, telles que courir, modifier le rythme respiratoire, ou lancer la balle travers la pice. Lesprit rationnel dpend donc du cerveau aussi bien pour les fonctions dinformation que pour celles qui assurent un contrle du comportement. Descartes tait aussi trs bien inform sur quantit de machines qui taient construites alors, dont des montres, des roues eau et des systmes dengrenages. Lors de dmonstrations publiques, il dcouvrait des gadgets mcaniques, tels que ceux des jardins aquatiques de Paris. Une de ces inventions permettait le dclenchement simultan
Figure 1.4
Dualisme Descartes proposa que les tres humains avaient, tout la fois, un esprit (une me) et un cerveau. Il soutint que la glande pinale, rgion du cerveau, recevait des messages de nature diffrente dune main lorsque celle-ci tenait, par exemple, une te, par rapport lautre qui touchait une balle. Lesprit, localis dans la glande pinale, interprte ces messages. Cest ainsi quil est renseign propos de la te et de la balle. (Du Trait de lHomme, par R. Descartes, 1664, Rimpression et traduction (p. 60), 1972, Cambridge, MA : Harvard University Press).
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du dplacement dune statue dissimule dans un bosquet et dun jet deau. Ce dclenchement se faisait lorsquun flneur ne se doutant de rien passait proximit du dispositif et foulait une pdale cache dans lalle. Influenc par ces constructions mcaniques, Descartes proposa que les fonctions du corps taient produites selon des principes comparables ceux de la mcanique. Par exemple, il utilisa des analogies avec la mcanique lorsquil dcrivit comment nous prenons des dcisions au sujet de lvaluation des distances et des angles en nous aidant dinformations visuelles. Il en fit de mme lorsquil essaya dexpliquer pourquoi, lorsque nous regardons prcisment un objet, nous ne pouvons recueillir les informations sur ce qui lentoure avec la mme prcision que celle caractrisant la perception de lobjet sur lequel tait fix le regard. Il sintressa aussi en dtail aux fonctions physiologiques mcaniques telles que la digestion, la respiration, et le rle des nerfs et des muscles. Pour expliquer comment lesprit contrle le corps, Descartes suggra que lesprit rside dans une petite rgion du cerveau appele la glande pinale, localise au centre du cerveau ct de cavits remplies dun liquide et appeles ventricules. Selon Descartes, la glande pinale contrle le dplacement des fluides depuis les ventricules jusquaux muscles en traversant les nerfs. Lorsque ces fluides actionnent les muscles, le corps se met en mouvement. Dans la thorie de Descartes, lesprit rgule le comportement en dirigeant le courant de fluides ventriculaires vers les muscles appropris. Notez que, pour Descartes, le corps et lesprit taient des entits spares, et que la glande pinale ntait quune structure par lintermdiaire de laquelle lesprit pouvait fonctionner. La thorie de Descartes comprend de nombreux problmes dans ses dtails et dans sa logique. En ce qui concerne les dtails, nous savons de nos jours que des personnes dont la glande pinale a t endommage, ou encore que des personnes qui nont pas de glande pinale prsentent un comportement absolument normal sur le plan intellectuel. La glande pinale joue un rle dans les rythmes biologiques, non dans le contrle de tout le comportement humain. Qui plus est, nous savons maintenant que la contraction des muscles nest pas le fruit du pompage dun fluide en provenance du cerveau. Lorsquon place un bras dans une bassine deau et quon contracte les muscles du bras, le niveau deau dans la bassine naugmente pas, comme il devrait en tre si un liquide tait pomp dans le bras. En ce qui concerne sa logique, la thorie de Descartes prsentait galement dautres dfauts. Il nexiste aucun moyen vident pour quune entit non matrielle puisse influencer le corps, car une telle action ncessiterait une cration dnergie, ce qui serait en contradiction avec les lois de la Physique. Il nen reste pas moins que Descartes proposa des tests pour valider ses thories. Pour savoir si un organisme possdait une me, Descartes proposait deux tests : celui du langage et celui de laction. Pour russir le test du langage, un organisme doit pouvoir utiliser le langage pour dcrire des choses non prsentes physiquement et pour raisonner leur sujet. Le test de laction requiert de la part de lorganisme quil prsente un comportement bas sur le raisonnement, et qui ne soit pas quune rponse automatique une situation particulire. Descartes pensait que mme si un ingnieur parvenait laborer un robot dont lapparence serait humaine, on pourrait le distinguer dun vritable tre humain parce quil ne russirait aucun de ces deux tests. Descartes avana aussi que les animaux sont, eux aussi, incapables de russir ces tests. Une bonne partie des travaux exprimentaux raliss de nos jours est consacre, dune faon ou dune autre, vrifier si Descartes avait raison ce sujet. Par exemple, des tudes sur le langage des singes cherchent dterminer si les singes sont capables de dcrire des choses, et dtablir un raisonnement au sujet de ces dernires, mais en leur absence, et donc, ce faisant, de russir le test du langage. Lencadr intitul Origines du langage parl propose un rsum du point de vue moderne sur le langage des animaux.
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Glande pinale
Ventricules
La thorie de Descartes eut un certain nombre de consquences malheureuses. Sur la base de celle-ci, certaines personnes avancrent que les jeunes enfants et les malades mentaux ne devaient pas possder dme, parce quil arrivait souvent quils ne raisonnent pas de manire adquate. Nous utilisons encore aujourdhui lexpression il a perdu lesprit pour parler de quelquun qui est mentalement malade. Certains adeptes dun tel point de vue menrent le raisonnement jusqu considrer que si une personne navait pas desprit, elle ne pouvait en ralit tre quune machine ne ncessitant donc ni gard ni respect. La thorie de Descartes justifiait implicitement toute la cruaut dont les animaux, les enfants et les malades mentaux furent la cible. Il nest pas pensable que Descartes lui-mme et partag une telle interprtation. On la dcrit comme extrmement doux lgard de son propre chien appel Monsieur Grat.
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Ces observations menrent dabord lide que les organismes vivants doivent tre, dune manire ou dune autre, affilis les uns aux autres. Cette ide tait dailleurs largement rpandue, mme avant Wallace et Darwin. Toutefois, et cest l toute limportance de la contribution de lhomme de science, les mmes observations ont amen Darwin expliquer comment la grande diversit dans le monde biologique pouvait provenir dune ligne volutive commune. La thorie de la slection naturelle de Darwin propose que des animaux ont des traits en commun parce que ces traits sont tout simplement transmis des parents leur progniture. La slection naturelle est la manire dont Darwin explique comment les nouvelles espces voluent, et comment les espces existantes se transforment avec le temps. Une espce est un groupe dorganismes qui peuvent se reproduire entre eux, mais non avec des membres dune autre espce. Les individus appartenant une mme espce, quelle quelle soit, prsentent des variations importantes quant leurs caractristiques, ou phnotypes, de sorte que deux individus de lespce considre ne sont jamais identiques. Certains sont grands, dautres sont petits, grassouillets ou rapides, il en est dont la
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robe est lgrement colore et certains ont de grandes dents. Ces individus dont les caractristiques contribuent au mieux la survie dans leur environnement sont susceptibles davoir une progniture plus fournie que leurs semblables moins bien adapts. Cette ingalit quant laptitude survivre et se reproduire dun individu lautre entrane des changements graduels au sein de la population dune mme espce. Du mme coup, les caractristiques favorables la survie de certains dentre eux dans un habitat particulier deviennent dominantes de gnration en gnration. Ni Darwin ni Wallace ne comprirent les bases de cette norme variabilit au sein des plantes et des animaux. Les principes sous-jacents cette variabilit furent dcouverts partir de 1857 par un autre scientifique, Grgor Mendel, grce aux expriences quil mena sur les petits pois. Mendel dduisit de ses expriences quil existe des facteurs hrditaires, que nous appelons aujourdhui des gnes, et qui ont un rapport avec les divers aspects physiques caractrisant chaque espce. Les membres dune espce qui sont porteurs dun mme gne ou dune mme combinaison de gnes exprimeront un trait (caractre hrditaire) particulier. Si les gnes dun trait particulier sont transmis un descendant, ce dernier prsentera le mme trait. De nouveaux traits apparaissent parce que de nouvelles combinaisons de gnes sont transmises par les parents, parce que des gnes existants sont modifis ou ont mut, parce que des gnes supprims sont re-exprims, parce que des gnes exprims sont supprims, ou encore parce que des gnes ou des parties de gnes sont effacs ou dupliqus. Ainsi, lingalit dans les capacits de survie et de reproduction des individus dune mme espce est lie aux gnes dont ils hritent et quils transmettent leur descendance. De la mme manire, les caractristiques similaires au sein dune mme espce, ou mme entre plusieurs espces, sont gnralement dues la prsence des mmes gnes. Par exemple, les gnes qui, dans diffrentes espces animales, sont responsables de la mise en place du systme nerveux tendent tre similaires. La thorie de Darwin sur la slection naturelle a trois rpercussions majeures pour ltude du cerveau et du comportement.
1. Du fait que toutes les espces animales sont lies les unes aux autres au sein de larbre volutif, il doit en aller de mme en ce qui concerne leur cerveau. Aujourdhui, les chercheurs travaillant sur le cerveau tudient de nombreux animaux, dont des paresseux, des drosophiles, des rats et des singes, sachant que leurs dcouvertes peuvent souvent tre tendues lHomme. 2. Parce que toutes les espces animales sont relies, il doit en aller de mme en ce qui concerne leur comportement. Darwin tait particulirement intress par ce sujet. Dans son livre intitul De lExpression des Emotions chez lHomme et chez les Animaux , il dfend lide selon laquelle les expressions lies aux motions sont similaires chez les tres humains et les autres animaux, car nous avons hrit ces expressions danctres communs. La Figure 1-5, qui montre quaux quatre coins du monde les gens sourient de la mme manire, prsente quelques arguments photographiques lappui de ce point de vue. Le fait que les personnes de diffrentes parties de la terre prsentent les mmes comportements suggre que le trait est inn (hrditaire) plutt quacquis (appris). 3. Le cerveau, comme le comportement, fut labor pas pas, chez les animaux voluant vers un niveau croissant de complexit, tout comme ce fut de toute vidence le cas pour les tres humains. Plus loin dans ce chapitre, nous retracerons la faon dont volua le systme nerveux humain, partant dun simple rseau de nerfs pour devenir, en dfinitive, un systme nerveux comprenant un cerveau qui contrle le comportement et une moelle pinire connecte au rseau crbral.
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O. Benn/Stone Images
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Comportements hrditaires Darwin proposa que lexpression des motions tait hrditaire. Une partie des preuves en faveur de cette proposition provient de ce que toutes les personnes travers le monde prsentent des expressions dmotion reconnaissables par toutes, quelles que soient leur race et leur culture, comme le montre linterprtation que nous pouvons faire de ces sourires.
Les preuves que le cerveau contrle le comportement sont aujourdhui tellement solides que lide a pris les allures dune thorie : la thorie du cerveau. Donald O. Hebb, dans un livre influent publi en 1949, LOrganisation du Comportement, dcrit la thorie du cerveau comme ceci :
La psychologie moderne prend pour argent comptant le fait que le comportement et la fonction nerveuse sont parfaitement corrls, que lun est le produit exclusif de lautre. Il nexiste pas desprit spar ou de force vitale pour mettre sa main dans le cerveau et amener tout moment les cellules nerveuses faire ce quelles ne feraient pas autrement. (Hebb, 1949, p. xiii)
Certaines personnes rejettent lide que le cerveau est responsable du comportement parce quelles partent du principe quune telle ide renie la religion. Leur faon de penser est cependant maladroite. Lexplication biologique du cerveau et du comportement est parfaitement neutre lgard des croyances religieuses. Fred Linge, lhomme qui avait subi une lsion crbrale et qui a fait lobjet dune description au dbut de ce chapitre, a des croyances religieuses solidement ancres, tout comme les autres membres de sa famille. Ils se sont servis de leur foi pour sen sortir. Pourtant, malgr leurs croyances religieuses, ils ralisrent que ctait bel et bien la lsion crbrale quavait subie Linge qui tait responsable des changements comportementaux, et que ctait le processus de rcupration qui soprait dans ce cerveau qui tait la base dune sant recouvre. Dans le mme ordre dides, il y a de nombreux scientifiques qui partagent une croyance religieuse solide et qui ne voient pas la moindre contradiction entre leur foi et lutilisation dune mthodologie scientifique pour tudier les relations entre le cerveau et le comportement.
E N R VI S I O N
Nous avons considr trois points de vue sur le dterminisme du comportement. Le mentalisme dfend lide selon laquelle le comportement est le produit dune entit intangible appele lme (psych), laissant peu dimportance au cerveau. Le dualisme pose que lesprit agit par lintermdiaire du cerveau pour produire le langage et le comportement rationnel, tandis que le cerveau lui-mme est responsable de la production des actions dun niveau infrieur. Ces actions, nous les avons en commun avec dautres espces animales. Finalement, le matrialisme considre que tout le comportement, y compris le langage et le raisonnement, peut tre entirement expliqu par le fonctionnement du cerveau. Le matrialisme est un point de vue qui sert de guide la recherche contemporaine sur le cerveau et le comportement.
J. Greenberg/Visuals Unlimited
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