Révolutions de couleur
Les révolutions de couleur (de colour revolutions en anglais) sont une série soulèvements populaires en Europe de l'Est en Asie centrale entre 2000 et 2012. Provoqués par des fraudes électorales, la corruption et des réformes, certains de ces mouvements de contestation ont entraîné des changements de gouvernements :
- En 2000, la révolution des bulldozers en Serbie
- En 2003, révolution des Roses en Géorgie
- En 2004, la révolution orange en Ukraine
- En 2005, la révolution des Tulipes au Kirghizistan
D'autres manifestations et protestations ont eu lieu en Arménie (2003/2004), Azerbaïdjan (2005), Biélorussie (2006), et Russie (2011/2012) contre des fraudes électorales et irrégularités, mais elles n'ont pas réussi à provoquer des changements politiques majeurs[1].
Les révolutions de couleur ont souvent été soutenues par des organisations non-gouvernementales et des mouvements de la société civile[2], avec un soutien significatif de l'Occident sous forme de financements, de conseils stratégiques et de soutien médiatique[3]. Les réactions des gouvernements en place ont varié, allant de réformes limitées à une répression sévère des manifestants[2]. Les conséquences à long terme de ces révolutions varient, certains pays ayant réussi à instaurer des réformes démocratiques, tandis que d'autres ont vu un retour à l'autoritarisme ou une instabilité prolongée[2]. Les tactiques développés lors des révolutions de couleur ont éventuellement inspiré le Printemps arabe au début des années 2010.
Crise postélectorale serbe de 2000
modifierLa crise postélectorale serbe de 2000 est généralement considérée comme la première révolution de couleur dans la littérature académique[1]. À la fin des années 1990, la République fédérale de Yougoslavie, à la suite des guerres de Yougoslavie, se trouve confrontée à plusieurs problèmes politiques et socio-économiques majeurs. Le mécontentement populaire est exacerbé par un taux de chômage avoisinant les 40 %, l'hyperinflation ainsi que les pénuries et interruptions de services[1].
À l'époque, le pays est dirigé par Slobodan Milošević depuis 1989 et le Parti socialiste, un parti nationaliste serbe qu'il a fondé en 1990[4]. À l'été 2000, des élections sont annoncées pour le 24 septembre 2000. Il a été allégué que cette campagne électorale courte visait à empêcher une participation effective des partis opposés à Milošević[1]. Malgré ces conditions défavorable, l'opposition, qui était divisée jusqu'à présent, parvient à former la coalition Opposition démocratique de Serbie. Composée de 18 partis politiques, elle présente l'avocat Vojislav Koštunica comme candidat à la présidence du pays.
En complément de l'opposition politique, des mobilisations populaires et des manifestations sont organisées en grande partie par le groupe de jeunes militants Otpor (Résistance). Ce réseau d'activistes, issu du mouvement étudiant, a été formé en Occident aux techniques de manifestations pacifiques[5]. Pendant la période électorale, Otpor collabore avec des organisations non-gouvernementales et des groupes de la société civile pour accroître le vote des jeunes[1]. Les protestataires adoptent le slogan Gotov je (Готов је, « Il est fini ! »).
À l'approche de l'élection, Koštunica mène dans les sondages en dépit de la censure médiatique et une abstention électorale massive au Kosovo et Montenegro[1]. Le 24 septembre, jour de l'élection, Koštunica remporte 51,71 % des suffrages exprimés, ce qui aurait rendu caduque le deuxième tour des présidentielles prévus pour le 8 octobre, mais sous la pression de du parti de Milošević, la commission électorale fédérale décide de maintenir le second tour[1].
À la suite de l'annonce de la commission électorale fédérale, l'opposition appelle à la grève générale et au boycott du deuxième tour des élections. Dès le 27 septembre, des manifestations débutent à Belgrade et dans d'autres villes. Les mineurs de la mine de Kalubara, qui fournit près de la moitié du charbon pour la production électrique serbe, décident de faire grève. Réprimés par la police le 3 octobre, leur histoire permettra de renforcer la mobilisation populaire. Sous pression, la Cour suprême de Serbie annule les résultats de l'élection du 24 septembre et appelle à reprendre l'élection en juillet 2001[1]. L'opposition donne jusqu'au 5 octobre à Milošević pour abdiquer[1].
Révolution du 5 octobre
modifierArrivé au 5 octobre, des milliers de personnes avaient déjà participé à des manifestations anti-Milošević à travers le pays. Plus d'un demi-million de personnes participent à la grande manifestation à Belgrade devant l'Assemblée nationale et la Radio-télévision de Serbie[1].
Le maire de Čačak, Velimir Ilić et Ljubisav Đokić, un opérateur au chômage, arrivent à la manifestation au volant d'un bulldozer et chargent le bâtiment de la Radio-télévision de Serbie. Cette action symbolique le point tournant des manifestations, connues désormais sous le nom de "Révolution des Bulldozers"[1]. La police et les forces de sécurité n'opposent aucune résistance aux manifestants, qui prennent le contrôle de l'infrastructure politique. Depuis le balcon de l'Hôtel de Ville de Belgrade, Koštunica s'adresse au public[1].
Le 6 octobre, Milošević a reconnaît la victoire de Koštunica aux élections, il démissionne le 7 octobre. Koštunica est président de 2000 à 2003[1].
Révolution des Roses en Géorgie (2003)
modifierLa révolution des Roses, qui se déroule en novembre 2003 en Géorgie, est la première révolution de couleur en ex-URSS[1]. Avec la chute de l'URSS et la réémergence des nationalismes dans le Caucase, la Géorgie a connu au cours des années 1990 une guerre civile qui entraîna le déplacement de près de 250 000 personnes[1]. En 1992, Édouard Chevardnadze prend le pouvoir à la suite d'un coup d'État contre le président sortant, Zviad Gamsakhourdia. Après le renforcement des pouvoirs présidentiels par l'adoption d'une nouvelle constitution, il est élu président en 1995. Si Chevardnadze parvient à stabiliser le pays, c'est au prix d'un état dominé par des réseaux criminels, la corruption et des institutions non transparentes; ses alliés et la famille de Chevardnadze contrôlent jusqu'à 70 % de l'économie. Au début des années 2000, le pays est en proie à une stagnation économique, la corruption et peine à fournir des ressources essentielles comme l'eau et l'électricité[1].
À la fin des années 1990, l'Union des citoyens de Géorgie (UCG), le parti de Chevardnadze, est divisé par des pressions internes. Le parti, fondé en 1993 comme une coalition hétérogène de mouvements populaires, a rapidement été confronté au factionnalisme en raison de la détérioration des conditions économiques du pays et des pressions exercées par les mesures d'austérité imposées par le Fonds monétaire international[6]. La réélection de Chevardnadze en 2000 est entachée par de nombreuses allégations de fraude électorale[7].
À partir de 2000, la fragmentation de l'UCG entraîne le départ du ministre de l'intérieur Vazha Lortkipanidze, le ministre de la justice Mikheil Saakashvili, le président du parlement Davit Gamkrelidze, le secrétaire de l'UCG Eduard Surmanidze et les parlementaires Davit Gamkrelidze et Zaza Sioridze[6]. La plupart de ces défections ont profité à d'autres partis et mouvements politiques comme le Mouvement national uni (MNU) fondé par Saakashvili en octobre 2001 et Démocrates unis. En 2002, Chevardnadze a perdu le soutien de son propre parti et du parlement qui est de plus en plus polarisé. Le MNU remportent un grand succès au éléctions municipales de 2002; Saakashvili est élu maire de Tbilisi, la capitale et la plus grande ville du pays[1].
En Géorgie, suivant les élections contestées de 2003, une révolution a conduit à la chute d'Edouard Chevardnadze et son remplacement par Mikheil Saakachvili après de nouvelles élections législatives en mars 2004. La révolution était soutenue par le mouvement de résistance civique Kmara.
Révolution orange en Ukraine (2004)
modifierLa révolution orange en Ukraine suivit le second tour contesté de l'élection présidentielle ukrainienne de 2004 et conduisit à l'annulation du résultat et à un second vote. Le leader de l'opposition Viktor Iouchtchenko fut déclaré président, battant Viktor Ianoukovytch. La révolution orange était soutenue par Pora!.
Révolution des Tulipes au Kirghizistan (2005)
modifierLa révolution des Tulipes fut plus violente que les précédentes et suivit les élections kirghizes parlementaires contestées de 2005. Elle était aussi moins unie que les révolutions précédentes. Les manifestants de différentes régions adoptèrent différentes couleurs pour leur protestation (rose et jaune). Cette révolution était soutenue par le mouvement de résistance des jeunes Kelkel.
Révolution en jean en Biélorussie (2005)
modifierLa révolution en jean est une tentative avortée de révolution pacifique en Biélorussie menée par le Zubr dans le but de mener à la destitution du président Alexandre Loukachenko.
Révolution du Cèdre au Liban (2005)
modifierLa révolution du Cèdre au Liban, contrairement aux révolutions en Europe de l'Est ou en Asie centrale, ne suivait pas une élection contestée, mais l'assassinat d'un leader de l'opposition, Rafiq Hariri, en 2005. Et au lieu de l'annulation des élections, elle exigeait le retrait des troupes syriennes du pays. Mais certains éléments et méthodes utilisés lors des protestations sont assez similaires pour que ces évènements aient été traités par la presse et les commentateurs comme une des révolutions de couleur. Ainsi, une énorme contre-manifestation du Hezbollah, parti pro-syrien, ne fut pas evoquée par la BBC, alors qu'elle montrait sans cesse la foule anti-syrienne[réf. nécessaire]. Le cèdre du Liban est le symbole du pays, et la révolution fut nommée d'après lui, les manifestants pacifiques utilisant les couleurs blanche et rouge du drapeau du Liban.
Rôle des ONG et des fondations américaines
modifierInfluence américaine
modifierÀ travers un réseau d'ONG (National Endowment for Democracy (NED), National Democratic Institute for International Affairs (NDI), Freedom House, Open Society Institute), les États-Unis affichent leur soutien à « des programmes de formation à l’action civique et à la prévention des fraudes électorales ou encore [à] la liberté de la presse, [aux] droits de l’homme et [à] la lutte contre la corruption » dans le monde. Rudy Reichstadt souligne que « l’idée d’un lien intime entre économie de marché, développement et démocratie libérale est en effet au cœur de la doctrine de sécurité américaine. (...) Dans le monde issu de la fin de la Guerre froide, les Etats-Unis font coïncider leurs intérêts stratégiques à long terme avec le soutien aux transitions démocratiques. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’ils encouragent les aspirations démocratiques là où elles se manifestent »[5].
Le journal britannique The Guardian déclara que USAID, National Endowment for Democracy, l’International Republican Institute, le National Democratic Institute for International Affairs et Freedom House sont intervenus directement[8].
Des activistes d’Otpor en république fédérale de Yougoslavie et de Pora! en Ukraine ont dit que les publications et les formations qu'ils avaient reçues du personnel de l’Albert Einstein Institution, basée aux États-Unis, ont contribué à la formation de leurs stratégies[réf. nécessaire].
Traits communs
modifierPour Régis Genté, le rôle des médias y est central. Ils sont utilisés comme « une arme redoutable dans la main de ceux qui se présentaient comme les révolutionnaires ». Ces médias « ont diffusé des informations que les organes gouvernementaux ou proches du pouvoir ne divulguaient pas, faisant du champ médiatique l’objet d’âpres disputes au fur et à mesure que le pouvoir se sentait menacé, notamment à l’approche d’échéances électorales », et consistant « à avoir le soutien, réel ou apparent, du peuple », notamment pour « dissuader le pouvoir d’employer la force »[9].
Interprétations
modifierD'après Rudy Reichstadt, les révolutions de couleurs ont changé de signification et de connotation à travers leur traitement par la littérature conspirationniste et les régimes hostiles (Russie, Venezuela, Syrie, Iran) : « De révolution populaire pacifique traduisant les aspirations sincères d’une société civile exaspérée par les fraudes, la corruption et l’étouffement des libertés publiques, « révolution de couleur » en est venu à désigner une tentative d’ingérence visant à fomenter des coups d’État soft contre des régimes jugés trop indociles à l’égard des États-Unis ». Rudy Reichstadt considère que cette approche a plusieurs limites :
- le déni de toute volonté ou capacité d’action autonomes aux peuples ;
- « sa représentation fantasmée des États-Unis, conçus comme une entité à la fois démoniaque et monolithique qui serait dotée d’une volonté immuable tout au long de l’histoire, en dépit des changements d’administration » ;
- le fait « de négliger un ensemble de facteurs historiques et matériels qui ont leur part dans ces révolutions de couleurs » et, à l'inverse, de surestimer « le rôle d’ONG de promotion des droits de l’homme » par rapport aux régimes en place[5].
D'après l'anthropologue et sociologue Boris Pétric, les révolutions de couleur sont les manifestations d'un monde globalisé politiquement qui n'est toujours pas sorti de certaines idéologies de la guerre froide. Ainsi, les médias et l'opinion publique des deux camps sur-analysent les causes et responsabilités de ces révolutions. D'après lui, « les analyses de ces événements ont été marquées par une polarisation simpliste : côté russe, la théorie du complot, consistant à voir dans ces révolutions essentiellement la main américaine; de l’autre, la minimisation ostensible du rôle des ONG et des autres acteurs occidentaux dans les changements en cours[10]. »
Notes et références
modifier- Color revolutions in Eurasia, Springer Berlin Heidelberg, (ISBN 978-3-319-07871-7)
- (en) « Final Report Summary - COLOUR (The Dynamics of Colour Revolutions in the Post-Communist World) | FP7 », sur CORDIS | European Commission (consulté le )
- (en-GB) Ian Traynor, « US campaign behind the turmoil in Kiev », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
- (en) Takis S Pappas, « Shared culture, individual strategy and collective action: explaining Slobodan Milošević's charismatic rise to power », Southeast European and Black Sea Studies, vol. 5, no 2, , p. 191–211 (ISSN 1468-3857 et 1743-9639, DOI 10.1080/14683850500122745, lire en ligne, consulté le )
- Reichstadt 2015.
- (en) Takuya Furusawa, « Shevardnadze’s Paper Tiger: A Fragile Ruling Party and the Rose Revolution », Japanese Slavic and East European Studies, vol. 42, no 0, , p. 17–41 (ISSN 0389-1186 et 2434-9887, DOI 10.5823/jsees.42.0_17, lire en ligne, consulté le )
- (en) « Eduard Shevardnadze - obituary », sur The Telegraph, (consulté le )
- US campaign behind the turmoil in Kiev Funded and organised by the US government, deploying US consultancies, pollsters, diplomats, the two big American parties and US non-government organisations, the campaign was first used in Europe in Belgrade in 2000 to beat Slobodan Milosevic at the ballot box.
- Régis Genté, « Des révolutions médiatiques », Hérodote, no 129, , p. 37-68 (lire en ligne, consulté le )
- Boris-Mathieu Pétric, « À propos des révolutions de couleur et du soft power américain », Herodote, vol. 129, no 2, (DOI https://doi.org/10.3917/her.129.0007, lire en ligne, consulté le )
Bibliographie
modifier- Boris Pétric, « À propos des révolutions de couleur et du soft power américain », Hérodote, vol. 2, no 129, , p. 7-20 (DOI 10.3917/her.129.0007, www.cairn.info/revue-herodote-2008-2-page-7.htm)
- Rudy Reichstadt, « Les « Révolutions de couleurs » : coups d’État fabriqués ou soulèvements populaires ? », Diplomatie. Affaires stratégiques et relations internationales, no 73 « Théories du complot : délires conspirationnistes ou armes de propagandes ? », , p. 60-63 (lire en ligne)
- (en) Thomas Vinciguerra, « The Revolution Will Be Colorized », The New York Times, (lire en ligne) : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.