Loi du zéro-un de Kolmogorov

En théorie des probabilités, la loi du zéro-un de Kolmogorov est un théorème affirmant que tout événement dont la réalisation dépend d’une suite de variables aléatoires indépendantes mais ne dépend d’aucun sous-ensemble fini de ces variables est soit presque sûrement réalisé, soit presque sûrement non réalisé, c’est-à-dire que sa probabilité est de 0 ou 1.

De tels événements sont appelés événement de queue[1],[2] et forment un ensemble nommé tribu asymptotique. Le théorème se reformule donc sous la forme suivante :

Théorème — La tribu asymptotique associée à une suite de variables aléatoires indépendantes sous une probabilité P est P-triviale.

Le paradoxe du singe savant, selon lequel un singe tapant au hasard sur une machine à écrire écrira presque sûrement n’importe quel texte donné est un exemple d’application de la loi du zéro-un de Kolmogorov.

La loi de Kolmogorov s'avère souvent très utile pour calculer des probabilités, mais, de façon surprenante, il arrive aussi parfois qu'après avoir réduit (aisément) l'ensemble des valeurs possibles d'une probabilité à {0,1}, à l'aide de la loi de Kolmogorov, il soit ensuite difficile de déterminer laquelle de ces deux valeurs est la bonne.

Dénomination

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À la première publication du théorème, Kolmogorov lui donne le nom « Null- oder Eins-Gesetz[3] », traduit en anglais par « zero-or-one theorem[4] ». On trouve aujourd’hui dans la littérature les appellations « loi zéro-un[5] » ou, très rarement, « loi du zéro ou du un[6] ». Les noms du théorème en anglais et en allemand se sont simplifiés de la même façon.

L’ajout « de Kolmogorov » est fréquemment fait pour distinguer ce théorème de la loi du zéro-un de Borel (présentant les mêmes variations de nommage), les deux lois étant liées et parfois présentées ensemble[7].

Historique

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Publication des Grundbegriffe der Wahrscheinlichkeitsrechnung

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Si les probabilités constituent un objet d’études des mathématiciens depuis les travaux de Girolamo Cardano, Blaise Pascal et Pierre de Fermat au XVIIe siècle, elles relèvent alors, selon Jean Dieudonné, du « mélange de raisonnements d’allure mathématique et de considérations plus ou moins intuitives[8] » (1977). Au fil des siècles, cette approche élémentaire se révèle fructueuse et est d’ailleurs toujours enseignée dans le secondaire ; mais elle atteint ses premières limites au début du XXe siècle : ainsi, le développement de la physique statistique par Ludwig Boltzmann requiert des résultats mathématiques solides et justifie l’énonciation du sixième problème de Hilbert en 1900. Le développement de la mécanique quantique durant la première moitié du siècle vient encore accroître le rôle des probabilités en physique, et par conséquent le besoin de rigueur mathématique.

En 1933, Kolmogorov publie son traité Grundbegriffe der Wahrscheinlichkeitsrechnung (« Fondements de la théorie des probabilités ») en allemand et apporte une réponse partielle au problème. Il propose une axiomatisation de la théorie des probabilités en se basant sur les travaux réalisés par les Français Émile Borel et Henri Lebesgue trente ans plus tôt : lois de probabilités, variables aléatoires et événements sont redéfinis en termes de mesures, fonctions et tribus. Si le corps de l’ouvrage ne comprend aucune démonstration de résultat qui n’ait déjà été énoncé, l’un des grands succès de cette nouvelle théorie est la première preuve de la loi forte des grands nombres annoncée dans les dernières pages, mais non encore publiée[9], et objet de recherches depuis Borel. Ce théorème établit en particulier que la probabilité que la suite des moyennes arithmétiques des n premiers éléments d’une suite de variables aléatoires réelles intégrables indépendantes de même loi converge vers un réel fixé prend la valeur 1 si ce réel est l’espérance commune des variables aléatoire, et 0 dans tous les autres cas[10].

Un autre résultat énoncé concerne la convergence des séries de variables aléatoires : Kolmogorov constate qu’une telle série, dès lors que ses termes sont indépendants, converge avec probabilité 0 ou 1 et propose des conditions suffisantes pour calculer cette probabilité[11]. Enfin, il connaît le résultat, publié par Borel en 1909[12] et aujourd’hui connu en tant que « loi du zéro-un de Borel » affirmant que la limite supérieure d’une suite d’événements indépendants a probabilité 0 ou 1, et proposant une condition nécessaire et suffisante portant sur la convergence de la série des probabilités de ces événements pour se trouver dans l’un ou l’autre des cas — ce résultat est notamment utilisé pour la démonstration originelle de la loi forte des grands nombres.

Énoncé originel du résultat

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Se basant sur ces constats, Kolmogorov énonce et prouve en annexe à son manuel un résultat général incluant tous les cas précités. Cet énoncé de 1933 est exprimé sous une forme légèrement différente de celle aujourd’hui enseignée. L’énoncé et la démonstration supposent que l’on travaille dans un espace probabilisé (Ω, ℱ, P)

L’on définit pour cela les fonctions de Baire : il s’agit des fonctions obtenues par passages à la limite ponctuelle successifs (récurrence transfinie) à partir des polynômes[13],[14].

Théorème — Soit X := (Xn)nN une suite de variables aléatoires à valeurs dans R, f une fonction de Baire définie sur RN telle que l’événement {f(X) = 0} ne dépende d’aucune sous-suite finie de la forme (Xi)0⩽in pour nN[15]. Alors {f(X) = 0} a pour probabilité 0 ou 1.

Les hypothèses de ce théorème sont en particulier vérifiées[16] si l’on suppose les variables (Xn)nN mutuellement indépendantes, et si f ne dépend pas d’un nombre fini de ses paramètres, c’est-à-dire si f(x) = f(y) dès lors que x et y sont deux suites réelles prenant les mêmes valeurs sauf en un nombre fini d’indices.

Tribu asymptotique

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Tribu asymptotique d'une suite de tribus

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Les événements asymptotiques ou événements queue sont définis comme l’ensemble des éléments contenus dans la tribu asymptotique (ou tribu queue) associée à une suite de tribus.

Pour   un ensemble de parties de  , on note   la tribu engendrée par  .

Soit   un univers, soit   une suite de tribus sur   (les éléments des   sont des parties de  ). La tribu asymptotique est définie comme :  

De façon plus informelle, il s’agit des événements de   dont la réalisation est déterminée par les événements des  , mais pas par un événement d'un   particulier.

Tribu asymptotique d'une suite de variables aléatoires

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Soit   un univers. Pour  , soit   un espace mesurable et   une application.

Alors la tribu asymptotique de la suite   est définie comme la tribu asymptotique de   (on note   la tribu engendrée par  ).

De façon plus informelle, il s’agit des événements de   dont la réalisation est déterminée par les  , mais pas par un   particulier.

Énoncé moderne

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Théorème — Soit   un espace probabilisé, soit   une suite de sous-tribus de   indépendantes.

Soit   un événement de la tribu asymptotique   associée. Alors  .

Corollaire — Soit   un espace probabilisé, soit   une suite d'espaces mesurables. Soit   une suite de variables aléatoires indépendantes avec   à valeurs dans  .

Soit   un événement de la tribu asymptotique   associée à  . Alors  .

Exemples

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On suppose que les   sont des variables aléatoires à valeurs dans un espace de Banach   muni d'une tribu incluant les ouverts (et donc la tribu borélienne).

  • L'événement  : « la suite   converge » est un événement queue. En effet, d’après le critère de Cauchy,  , donc quitte à prendre une suite   décroissant vers 0 et choisir   au-dessus du rang   choisi :
 
  • L'événement  : « la suite   admet   comme valeur d'adhérence » est un événement queue.
  • L'événement  : « la série   converge » est un événement queue. Comme indiqué ci-dessous, la valeur de la somme de la série le cas échéant n'est en revanche généralement pas  -mesurable.
  • Si  ,   et   sont  -mesurables.
  • Soit   et  , l'événement  : « il existe une infinité d'entiers   tels que   » est un événement queue. Si les   sont indépendants et identiquement distribués et   pour  , cet événement est presque certain, fait connu sous le nom de paradoxe du singe savant.

D’après la loi du zéro-un de Kolmogorov, si les   sont indépendants, ces événements sont donc soit presque sûrs, soit au contraire négligeables et les fonctions  -mesurables à valeur réelle sont constantes presque partout.

Au contraire, si  , l’événement   n'est pas un événement queue dans le cas général, puisqu’il n’est généralement pas indépendant de la valeur de  .

Équivalent topologique

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Notes et références

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  1. Tail events en anglais.
  2. Paul Deheuvels, La probabilité, le hasard et la certitude, Presses universitaires de France,
  3. Kolmogorov 1933, p.60.
  4. Kolmogorov 1933 (traduction), p.69.
  5. Jacod et Protter 2003, p.79.
  6. Charpentier et al. 2004, p.58.
  7. Charpentier et al. 2004, p.56-58.
  8. Klein et Sacquin 1998, p.67.
  9. Kolmogorov 1933, p.67, note 9.
  10. Kolmogorov 1933, p.67, note 1.
  11. Kolmogorov 1933, p.67.
  12. Borel 1909
  13. Kolmogorov 1933, p.69, note 2.
  14. De façon équivalente, il est possible de partir des fonctions continues.
  15. C’est-à-dire, que cet événement soit indépendant de tout événement contenu dans les tribus engendrées par ces sous-suites finies de variables.
  16. Kolmogorov 1933, p.69.
  17. Kolmogorov 1933, p.69–70.
  18. C’est-à-dire
     
  19. Les variables aléatoires (Xn)nN étant mesurables, ces ensembles sont intersections et réunions finies d’événements de la tribu , donc des événements.
  20. A ∈ σ() avec des notations plus modernes.
  21. est un π-système.

Voir aussi

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Liens internes

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Bibliographie

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  • (de) Andreï Nikolaïevitch Kolmogorov, Grundbegriffe der Wahrscheinlichkeitsrechnung, Berlin, Springer, coll. « Ergebnisse der Mathematik und Ihrer Grenzgebiete », (ISBN 978-3-6424-9596-0), Anhang: Null- oder Eins-Gesetz in der Wahrscheinlichkeitsrechnung, p. 60
    Monographie originelle de Kolmogorov, présentant son axiomatisation de la théorie des probabilités, aujourd’hui universellement adoptée.
    Traduction en anglais : (en) Foundations of the theory of probability (trad. Nathan Morrison), New York, Chelsea Publishing Company, (OCLC 185529381, lire en ligne), Appendix : Zero-or-one Law in the Theory of Probability, p. 69-70
  • Éric Charpentier (dir.), Loïc Chaumont, Laurent Mazliak, Marc Yor et al., L’Héritage de Kolmogorov en mathématiques, Paris, Belin, coll. « Échelles », , 304 p. (ISBN 978-2-7011-3669-1), chap. 3 (« Quelques aspects de l’œuvre probabiliste »), p. 58-59
  • Jean Jacod et Philip Protter, l’Essentiel en théorie des probabilités, Paris, Cassini, (ISBN 2-84225-050-8), « Indépendance de variables aléatoires », théorème 10.6, p. 79
    Cours de probabilités de niveau licence et master.
  • Étienne Klein et Yves Sacquin (dir.), Prédiction et probabilité dans les sciences, Éditions frontières, , 159 p. (ISBN 2-86332-232-X, lire en ligne)
  • Émile Borel, « Les Probabilités dénombrables et leurs applications arithmétiques », Rendiconti del Circolo Matematico di Palermo, Circolo Matematico di Palermo, vol. 27, no 1,‎ , p. 247-271 (ISSN 0009-725X et 1973-4409, DOI 10.1007/BF03019651, lire en ligne).