Histoire de la culture des céréales

aspect de l'Histoire

L'histoire de la culture des céréales est un élément majeur de l'histoire alimentaire mondiale aux conséquences économiques, sociales et politiques très importantes. Fondement de l'alimentation dans la majorité des sociétés, les céréales, leur provenance, la difficulté de leur culture, leur pénurie ou leur abondance sont des enjeux essentiels de l'existence humaine. Des émeutes frumentaires aux réformes agraires, les céréales ont joué un rôle central dans certains grands épisodes de l'histoire.

Différentes céréales.

Comme céréales principales, le riz et le blé ont rivalisé jusqu'en 1938[1], le second se détachant ensuite. Les rendements du blé avaient stagné de la période mérovingienne jusqu'à 1910[2], entretenant la hantise de la pénurie, dans des sociétés où « le plus grand nombre » tirait la « plupart des calories des céréales ». Elles étaient considérées comme source « majeure des revenus », « régulateur de la prospérité » et du « niveau de l'emploi » et, surtout, « grand garant » de la paix sociale[3].

La France passe d'un agriculteur nourrissant 1,7 personne vers 1700 à environ 100 personnes[4] au XXIe siècle.

Jusqu'en 1950, les blés de printemps, adaptés aux zones à hiver rude, donnent un second souffle aux peuplements nés des ruées vers l'or en Russie, Australie et Californie. Dès 1925, les prairies de l'Ouest canadien assurent la moitié du commerce mondial du blé après avoir triplé leur part grâce au soutien de l'État et aux coopératives. Le blé du Midwest américain rivalise économiquement avec le coton du Sud, et les céréales des pampas d'Argentine avec le café du Brésil et du Venezuela.

En 2017, le maïs est la principale céréale (1 135 millions de tonnes) devant le riz et le blé (770 millions de tonnes chacun) sur un total toutes céréales de 2 980 millions de tonnes[5]. La Chine est devenue le leader mondial de la production de céréales.

Préhistoire

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Origine des blés dans le Croissant fertile

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Les ancêtres des blés sont l'égilope et l'engrain sauvage (triticum boeoticum), grandes graminées diploïdes à 14 chromosomes. L'engrain ou blé primitif est la première céréale domestiquée, particulièrement rustique, peu productive. Les blés plus généralement cultivés aujourd'hui sont des plantes tétraploïdes (blé dur et blé khorasan) ou hexaploïdes à 42 chromosomes (blé tendre et grand épeautre)[6], caractéristique génétique qui indique un long travail de sélection.

La culture du blé marque le début du Néolithique, vers - 8500. La « révolution néolithique » s'est produite dans ce qu'on appelle le « Noyau levantin », région qui va de la vallée du Jourdain au cours supérieur de l'Euphrate et au Zagros, formant un large arc de cercle ou « Croissant fertile » (actuels Israël, Liban, Syrie, Sud de la Turquie, Ouest de L'Iran où subsistent à ce jour des blés sauvages)[7].

Le blé a d'abord été récolté à l'état sauvage puis cultivé. L'invention de la poterie (8 000 à 7000 ans av. J.-C) a permis de cuire les grains, sous forme de bouillies et de galettes pas ou peu levées[8]. Les céréales deviennent plus faciles à digérer. Gélifié par la température et moins dense, l'amidon des grains devient facilement attaquable par les enzymes salivaires et intestinales. Cette action libère des glucides, absorbables par le tube digestif[9].

Sorgho en Afrique

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On a trouvé dans une grotte de la province de Niassa (nord-ouest du Mozambique) des traces de céréales (sorgo sauvage), sur des grattoirs de pierre datant de l'âge de la pierre (-100 000 ans). Il pourrait s'agir des premières traces connues de transformation de grains en farine ou gruau mais pas de céréaliculture dont les débuts datent d'environ - 2500 au Sud du Sahara[10] voire - 2000[11].

Cette farine dont les grains écrasés étaient sans doute consommés avec des fruits ou des tubercules ou peut-être déjà en bouillie fermentée. Cette découverte est discutée car la preuve la plus ancienne d'utilisation de céréales (blé et orge) était datée de seulement 23 000 ans en Palestine[12].

Maïs cultivé il y a 7 000 ans près de Mexico

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Jusqu'en 1960, on ignorait les origines historiques et géographiques du maïs[13]. Les fouilles archéologiques ont révélé qu’après une phase de cueillette de maïs sauvage, il fut cultivé voici 7 000 ans dans le bassin de Tehuacán, au sud-est de Mexico[13]. Le maïs a constitué le fondement de l’alimentation et de l’économie des grandes civilisations précolombiennes : Incas, Aztèques et Mayas. Doté d’une valeur symbolique, il appartenait à leur mythologie, était présent dans leurs pratiques religieuses et leur art[13].

Millets et riz en Chine

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Les millets sont la première céréale cultivée en Chine, dans le nord et en Corée[14]. La culture du riz a débuté il y a près de 10 000 ans lors de la révolution néolithique, d'abord en Chine. Il a été proposé que le riz ait été à l'origine une adventice présente dans les champs de taro ; cela ne fait pas consensus[15]. La collecte de riz sauvage (dont la balle se détache spontanément) y est attestée dès 13000 av. J.-C. Le riz cultivé (riz sélectionné pour son rendement et sa balle qui se conserve et n'est emportée par le vent que lors du vannage des grains[16]) apparaît vers 8000 av. J.-C. après avoir subi des hybridations avec l'espèce sauvage pérenne Oryza rufipogon (qui existe depuis moins de 680 000 ans[17]) et l'espèce sauvage annuelle Oryza nivara, ces différents riz coexistent pendant des milliers d'années, ce qui favorise les échanges génétiques[18]. Ce n'est qu'il y a environ 5 000 ans en Chine que le riz domestique est devenu, la seule forme de riz cultivée[19]. Il est signalé dans la province chinoise du Hunan, puis au nord de l’Inde sur les rives du Gange. Le premier écrit sur la riziculture est une ordonnance impériale chinoise qui date de 2800 avant J.C. Sa culture se répand vers le sud de l’Inde et au travers de la Chine, puis en Corée, au Japon, en Indonésie et en Thaïlande[20].

Monde antique

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Orge des Grecs rustique et millet des zones arides

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L'orge est une des plus anciennes céréales cultivées. Résistante aux contraintes climatiques (sécheresse, froid, chaud), dotée d'un apport calorique plus modeste que le blé, l'orge pousse aussi bien sous les tropiques qu’à 4 500 m d’altitude au Tibet. Bien adaptée au climat méditerranéen du fait de sa rusticité, elle était consommée sous forme de galette ou de bouillie (maza).

L'agriculture en Grèce antique est fondée sur la culture des céréales, marqueur de civilisation : Homère note à propos du cyclope Polyphème que « c'était un monstrueux géant : il ne ressemblait même pas à un homme mangeur de grain (σιτοφάγος / sitophagos) »[21]. Les botanistes grecs comme Théophraste, décrivent l'avoine comme une mauvaise herbe et ignorent le seigle[22] : 90 % des terres céréalières sont consacrées à l'orge, qui constitue l'alimentation de base. Un peu de blé dur (πύρος / pýros), Triticum durum, ou de millet est aussi cultivé mais à titre complémentaire.

L'orge fut également cultivée par les Numides dans la région de Carthage, qui a servi à ravitailler le monde grec[23], puis par les Romains, en alternance avec le blé. L'assolement biennal oblige à laisser reposer la terre une année sur deux, affaiblissant le rendement, même si celui de l'orge est réputé plus élevé que celui du blé. Le millet, considéré par les Grecs comme barbare[24], est cultivé en Thrace, en Bithynie et sur les rives de la mer Noire. Il se distingue par sa capacité à croître rapidement sur des sols encore plus secs que ceux adaptés à l'orge.

Carthage grenier à blé de Rome

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Chez les Romains, Cérès, fille de Saturne, apprit aux hommes à cultiver la terre, semer, récolter le blé et en faire du pain, ce qui en a fait la déesse de l'agriculture.

Après la destruction de Carthage Rome institue la Province d'Afrique ; le plein développement des champs de blé au service du ravitaillement de Rome, appelé l'annone, attend l'année -47 lorsque Jules César fonde la colonia Julia Carthago. La prospérité céréalière survivra au sac de Rome en 410 voire à la création du Royaume vandale en 429.

L'Afrique fut avec l'Égypte, la Sicile et la Sardaigne, un des greniers à blé de Rome, après avoir exporté aussi sa production vers la Numidie et l'Orient hellénistique. Les routes aboutissaient aux grands ports : Carthage, Utique et pour la Numidie, Hippone. Syracuse, la vallée de la Medjerda et la région de Dougga étaient particulièrement prospères, grâce à une culture mixte : blé et orge, assortis de légumes cultivés sous les oliviers, qui offraient l’avantage de fixer les sols fertiles en pente[25]. La région est riche en vestiges de meules, de petits moulins constitués d'une base conique sur laquelle tournait un tambour (catillus en latin), ainsi que de multiples petites meules à rotation manuelle qui servaient à moudre de petites quantités de grain[23]. De multiples inscriptions, telles que la Lex Hadrianea et celles de Numlili (site voisin de Dougga) et de Teboursouk (Thubursicu Bure)[23] et les grands domaines impériaux attestent de l’active céréaliculture.

La production de céréales de l'Antiquité était pénalisée par l'absence de traction hippique, d'assolement triennal et de charrue lourde à versoir, qui émergeront au Moyen Âge. La technique pour ferrer les chevaux et les atteler manquait[26].

Riz en Asie

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Le riz devient la principale céréale en Chine et en Asie du Sud-Est puis s'étend vers l’ouest, en Inde et en Perse. On y cultive aussi le blé à partir de -2700. Les Grecs le découvrent lors des expéditions d'Alexandre le Grand en Perse, mais il est connu en Mésopotamie avant ces expéditions[27]. Les Romains ne l'utilisent que pour ses propriétés médicinales, contre les coliques et les dysenteries, mais ne le cultivent pas[27].

Moyen Âge

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Réchauffement climatique, entamé en 800, culminant en 1215

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Le climat se réchauffant jusqu'au XIIe siècle, la culture du blé a pu remonter vers le nord, en particulier vers les riches terres fertiles de la Beauce, en région parisienne, ou de l'Ukraine, au détriment de l'Afrique du Nord et du reste du bassin méditerranéen.

La phénologie développée par l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie par l'analyse, année après année, de la date de maturité des fruits et céréales, puis l'étude par une équipe de chercheurs américains d'un glacier du Groenland en 1966, sur une profondeur de 1 390 mètres, ont permis d'affiner la connaissance de l'évolution climatique au cours des siècles.

De 300 av. J.-C. à 400 apr. J.-C., le climat se réchauffa, facilitant la culture des céréales pour les peuples qui maîtrisaient l'irrigation. Ensuite, jusqu'en 800 apr. J.-C., apparaît une période de refroidissement, suivi d'un réchauffement prononcé entre 800 et 1215, correspondant, vers la fin à la première révolution agricole du Moyen Âge. Cette période plus sèche et plus chaude a joué un rôle déterminant dans le retrait des forêts qui couvraient jusque-là une grande partie du continent européen, selon l'historien des techniques Jean Gimpel. Ce radoucissement a permis de défricher, d'utiliser la charrue, et d'augmenter les rendements céréaliers.

Révolution agricole des XIe, XIIe et XIIIe siècles

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Au cours de la deuxième partie du Moyen Âge, les outils simples ont fait place à du matériel plus perfectionné. La charrue lourde à versoir a remplacé l'araire, à partir du XIe siècle, et a permis de réaliser des semis plus réguliers, en retournant la terre, en particulier les terres riches et grasses de l'Europe du Nord. Elle était connue des Chinois mais pas des Romains et ne rencontra qu'un développement progressif en Europe du Sud, où la terre est plus sèche[28].

Le corps de charrue proprement dit est précédé d'un coutre découpant verticalement le sol. Il comprend un soc soulevant le sol et tranchant les racines, un versoir recourbé qui rejette la terre sur le côté[29]. L'ameublissement du sol est complété par le hersage avant et/ou après le semis alors effectué à la main. La faucille est souvent remplacée par la faux[28] à la fin du Moyen Âge[30].

Tirées par des animaux plus puissants éventuellement ferrés et recevant de l'avoine, les charrues permettent de travailler des terres beaucoup plus lourdes et souvent plus fertiles que dans l'Antiquité[31]. Les travaux de Richard Lefebvre des Noëttes (La Force animale à travers les âges, 1924)[32] sur la médiocrité des attelages antiques par rapport au collier d'épaule ont été largement utilisés pour expliquer l'importance de l'esclavage dans l'Antiquité et justifier le terme de révolution agricole du Moyen Âge. Ces travaux sont aujourd'hui contestés[33].

La traction hippique a permis d'augmenter les rendements agricoles car, même si les deux animaux ont la même force de traction, le cheval peut travailler deux heures de plus et avancer à une vitesse supérieure de 50 %, soit 1,10 mètre par seconde en moyenne contre 0,73 mètre par seconde pour le bœuf[34]. En France, notamment dans le Sud-Est, les bœufs furent utilisés encore longtemps, sans doute parce qu'il est difficile d'obtenir une bonne récolte d'avoine sur les sols secs et légers du midi, a cependant tempéré l'historien Jean Gimpel. Par ailleurs, le recours au cheval aboutit à une augmentation de la taille des exploitations agricoles, plus grandes et plus rentables, sur des exploitations à champs ouverts.

Un peu partout, on constate aussi la culture de formes de blé plus rustiques et moins nutritives, qui vont être régulièrement croisées et améliorées progressivement, comme l'épeautre. Au XIIe siècle, Hildegarde de Bingen consacre un chapitre de son important traité sur la physique à l'épeautre, appelé aussi « blé des Gaulois », qu'elle appelle « le meilleur des grains » et qu'elle trouve plus doux que les autres. Proche du blé, mais avec un grain qui reste couvert de sa balle lors de la récolte, l'épeautre n'offre pas les mêmes rendements.

La Grande-Beauce des abbayes, de 1130 à 1230

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Les riches terres de la Beauce, issues de l’assèchement d’un grand lac d'àge éocène-miocène qui laissa place à des séries sédimentaires calcaires recouvertes d'un limon fertile (lœss du Würm) peuvent être valorisées grâce à la révolution agricole du Moyen-Âge. À partir du Xe siècle, ces terres fertiles connaissent un défrichement énergique et une forte poussée démographique. Le chapitre de Chartres et les abbayes gèrent d’immenses domaines sur lesquels vient se fixer une population importante[35].

Le capital foncier des abbayes urbaines est redistribué à des établissements dépendants (prieurés) qui s'enrichissent à leur tour. La conquête de la périphérie du plateau entre 1130 et 1230 se fait sous forme de contrats de paréage : un seigneur laïc qui a des terres s'adresse à une abbaye urbaine à laquelle il propose de partager des terres. Elle en recevra la moitié, il gardera l'autre, l'abbaye se chargeant en échange de la mise en valeur du sol[36].

Le seigle permet de cultiver en montagne

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Le seigle apparaît dans l'histoire des céréales plus tard que le blé, il peut être cultivé dans des régions froides et dans des terres pauvres. Au Moyen Âge, il a été beaucoup plus répandu en Europe qu'aujourd'hui. En Suisse, le seigle est cultivé dans les vallées de montagne à 1 400 m d’altitude, en Valais et dans la vallée de la Reuss. Le seigle résiste au gel jusqu’à −25 °C[37]. Les vallées bien ensoleillées et bien irriguées des Alpes du Sud, en particulier le Queyras et autres vallées du Dauphiné voient des cultures de seigle à plus de 2 000 mètres d'altitude, grâce à des systèmes de canaux dérivant l'eau des torrents, dont les plus anciens remontent au XIIIe siècle.

Cette agriculture de montagne, sur des terrasses ou des pentes assez fortes, est favorisée par une répartition des travaux exigeante, à l'échelle de la commune, qui est organisée sous la surveillance de consuls, ou procureurs, élus tous les ans, en particulier dans la république des Escartons, ensemble de territoires montagnards à cheval sur l'actuelle frontière franco-italienne.

Le seigle a aussi été largement cultivé au Moyen Âge en Europe centrale et orientale et il a été la principale céréale panifiable dans la plupart des régions à l'est de la frontière franco-allemande et au nord de la Hongrie. L'agriculture de montagne, plus diversifiée qu'en plaine vise l'autonomie, parfois même l'autarcie, lors des conflits religieux qui marquent la fin du Moyen Âge et la Renaissance.

Riz au Moyen Âge en Espagne et dans le Milanais

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Le riz est utilisé et cultivé dans certaines abbayes au Moyen Âge, pour ses propriétés médicinales[27]. Il apparait en 1390 la région de Milan, en Italie[27], puis est mentionné dès 1393 en France, dans le Ménagier de Paris, mais c'est encore un produit d'importation. Ce sont les musulmans qui l'introduisent en al-Andalus (péninsule Ibérique).

Les Arabes le répandent d'abord en Égypte, puis aux alentours du Xe siècle, ils l’étendent sur les côtes orientales de l’Afrique et à Madagascar. Enfin, les Maures introduisent le riz en Afrique du Nord, puis en Espagne vers le XIe siècle; il apparaît en 1468 en Italie. Des rizières y sont remarquées en 1475[27]. L'hydrologie des nombreux affluents du Pô, qui descendent des Alpes est souvent tulmutueuse et il faut un travail de canalisation pour réguler les inondations, défi auquel s'attaque dès 1482, le jeune Léonard de Vinci[27]. De la Lombardie, la culture du riz se diffuse dans certaines régions marécageuses de la plaine du Pô, puis dans la plaine de Salerne, en Calabre et en Sicile[27]. Si l'eau stagne, elle offre un milieu idéal pour la prolifération d'insectes vivant dans les marécages, Il faut la faire circuler lentement pour permettre la riziculture mais aussi jusqu'à quatre coupes de foin par an[27].

En France, d'autres tentatives de cultures seront réalisées beaucoup plus tard, au XVIIe siècle, mais ce n'est que dans la seconde moitié du XXe siècle que cette culture se développe, parallèlement à l'aménagement du delta du Rhône[38].

Portugais diffusant la riziculture en Afrique

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Les Portugais diffusent la riziculture en Afrique occidentale même si certains littoraux connaissent un autre riz venu du Soudan[27]. La riziculture de Madagascar se développe et au siècle suivant les colons anglais de Caroline et de Virginie mettent en esclavage des Malgaches sachant cultiver le riz [27].

XVIe siècle

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Diffusion du maïs en Europe

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Lorsque les Européens découvrirent l’Amérique, le maïs était déjà cultivé des rives du Saint-Laurent (Canada) à celles du Río de la Plata (Argentine). Le maïs a été vu pour la première fois par Christophe Colomb en 1492 à Cuba[39]. Magellan le trouva à Rio de Janeiro en 1520 et Jacques Cartier rapporta en 1535 que Hochelaga, la future Montréal se trouvait au milieu de champs de maïs, qu’il comparait à du « millet du Brésil ».

Les Méso-Amérindiens (Olmèques, Mayas, Aztèques), peuples du centre de l’Amérique, en étaient très dépendants. L'introduction du maïs en Europe est effectuée par Christophe Colomb[40]. Du sud de l’Espagne, il s’est diffusé dans toutes les régions d’Europe méridionale au climat suffisamment chaud et humide, grâce à sa facilité de culture et à son rendement supérieur à celui du blé ou des céréales secondaires, comme le millet (dont il a pris le nom en portugais, milho) et le sorgo : le Portugal (1515), le Pays basque espagnol (1576), la Galice, le Sud-Ouest de la France et la Bresse (1612), la Franche-Comté alors possession espagnole, et où il est nommé « blé d'Espagne », le reste de la France, longtemps réticent à sa culture, la Vénétie (1554), puis la plaine du Pô. Le premier dessin du maïs en Europe est dû au botaniste allemand Fuchs en 1542. En Chine, le premier dessin du maïs est daté de 1637, mais sa culture y était déjà répandue. En Afrique, le maïs fut introduit en Égypte vers 1540, par la Turquie et la Syrie.

Au cours du XVIe puis du XVIIe siècle, le maïs se disperse progressivement dans le Vieux Monde[13]. Les Turcs contribuent largement à son expansion en Bulgarie, Roumanie, Serbie et Hongrie[13]. Les marchands portugais l’introduisent en Afrique au début du XVIe siècle[13], puis dans le golfe de Guinée vers 1550. Vers la même époque, le maïs gagne l’Asie. Il pénètre l’Inde, la Birmanie, la Chine, la Corée et le Japon. Des Balkans par la Roumanie, le maïs s’étendit au XVIIIe siècle à l’Ukraine[13]. Le maïs ne sera cependant jamais cultivé à très grande échelle en Europe. Les États-Unis contrôlaient en 2007 environ 41 % de la production et 61 % des exportations mondiales, contre respectivement 26 % et 9 % pour le blé. Les États-Unis opéraient aussi 43 % des exportations de soja et 82 % des ventes de sorgo[41].

Ordonnance de Villers-Cotterêts

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La « grande Ordonnance » de Villers-Cotterêts, en août 1539, première charte fondamentale de l'administration française a pour raison primordiale, la mercuriale de Paris, avec la fixation du prix du pain[42]. Cette fixation répondait à des habitudes anciennes. Elles n'ont pas été modifiées par l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui prescrit de faire faire chaque semaine, dans tous les sièges de juridictions ordinaires du royaume, un rapport de la valeur et estimation commune de toutes espèces de gros fruits comme bleds (céréales), vins, foins[42].

1590 : assiégé par Henri IV qui s'approvisionne en Beauce, Paris se tourne vers la Brie et l'Oise

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Les sièges de Paris (1588-1594), les plus terribles de l'histoire parisienne, constitués d'une longue suite d’opérations militaires menées par Henri III et Henri IV pour reconquérir la capitale durant les guerres de religion (France), en occupant la région céréalière de la Beauce, ont quasiment fait quadrupler le prix du pain à Paris[42].

Deux schémas d'approvisionnement Paris se concurrencent à la veille des guerres de Religion[42]. La Brie en 1604-1607 remplace la Beauce en 1561-1563, grâce à une meilleure utilisation de la voie d'eau, en particulier de la Seine[42]. Pour mieux affamer Paris, Henri IV s'empare de Chartres le 19 avril 1591, mais Paris sécurise son approvisionnement au Nord, et surtout à l'Est, car au Nord, les garnisons espagnoles, acquises à l'ennemi, prélèvent déjà les céréales[42]. La paix revenue, le nouvel schéma se maintient : Seine, Marne, Oise. Il est plus rationnel car mieux réparti sur les voies d'eau[42].

Entre-temps, la débandade de l'armée protestante en août 1589, doit peut-être aussi à la médiocre conjoncture frumentaire du Bassin parisien, alors que l'énorme concentration militaire d'avril 1589 avait au contraire été favorisée, vraisemblablement, par deux bonnes années de récolte céréalière, permettant une grande détente du prix des blés (1587-1588 ; 1588-1589)[42]. Le prix des grains dans les marchés de l'espace central du Bassin parisien avait auparavant subi l'impact des opérations de la Ligue[42]. La récolte de 1586 avait été catastrophique entre Somme et Loire, celle de 1587 avait provoqué la détente. La détente s'accentue pendant l'hiver. L'excellence de la récolte de 1588 maintient un climat détendu jusqu'en avril 1589[42].

La récolte de 1589 est vraisemblablement moins bonne et on doit le savoir, entre avril et mai. Le décrochement se place, en effet, à Paris entre le 1er avril et le 3 mai 1589[42]. Dans le même temps, une menace se précise sur le Paris ligueur. Traité formel du 3 avril entre les deux Rois. Concentration des armées devant Plessis-lès-Tours, le 30 avril 1589[42]. De mai à juillet, les armées royales occupent progressivement le Sud-Ouest beauceron, approchant de Paris. La montée des cours des céréales suit les conditions de la nouvelle récolte, mais reflète aussi, à partir du 1er juillet, les événements politiques et militaires[42]. L'assassinat de Henri III, le 1er août 1589, la panique au camp des Rois, le départ massif des hommes du Roi de Navarre, en direction du Sud-Ouest, expliquent, vraisemblablement, le net reflux au-delà du 2 août 1589[42].

XVIIe siècle

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1er cycle d'expansion du blé ukrainien

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La vieille ville de Gdansk.

Ce cycle d'expansion du blé ukrainien commence au début du XVIIe siècle. Le blé est exporté par la rive gauche du fleuve le plus navigable, la Vistule, qui parcourt 1 047 km à travers la Pologne avant de se jeter dans la mer Baltique. Le blé est ensuite chargé à Gdańsk. Gdańsk était depuis 1466 une ville libre de taxes, dans la république nobiliaire de Pologne et avait une population en majorité allemande. À partir de 1569, la république des Deux Nations englobe la Lituanie et une grande partie de la Pologne et de l'Ukraine actuelles ; de bonnes récoltes assurent une relative prospérité avant les violences et expropriations cosaques de la période 1648 - 1686, qui stoppent cette progression[43]. Le bassin de la Vistule (60 % de la Pologne) comprend les centres négociants de Cracovie et Varsovie[44]. Le volume de céréales traité chaque année passe de 10 000 à 200 000 tonnes par an entre la fin du XVe siècle et le XVIIIe siècle[45], avec à partir de 1550 une accélération des exportations vers l'Europe de l'Ouest et la Méditerranée, où la météo compromet les récoltes[46]. Pour parer à de graves pénuries alimentaires, en 1592, le Conseil des Dix de Venise envoie d'urgence le secrétaire d'État de la République Marco Ottobon pour acheter du blé polonais[47]. Ce haut magistrat a carte blanche, sans limite de prix, et ceux-ci quadruplent en raison du long voyage en chariots, sur des routes en mauvais état, depuis le sud de la Pologne[47].

Greniers des guildes sur le marché aux céréales de Londres

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Au Moyen Âge, les principales guildes de la Cité de Londres, appelées « vénérables compagnies », étaient tenues de construire à leurs frais des greniers à céréales et d'y stocker du blé pour parer aux menaces de disettes[48]. En 1631, certaines d'entre elles ayant refusé de s'acquitter de cette obligation virent leurs syndics condamnés à de la prison. Le grand incendie de Londres de 1666 a détruit ces greniers à céréales et les transactions ont ensuite eu lieu sur la Tamise[48].

Crise de l'avènement de 1661-1662

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La crise de l'avènement affecte la France de 1661 à 1662, au moment de la mort de Mazarin le 9 mars 1661 et de la prise de pouvoir absolue de Louis XIV le 10 mars 1661. Le Val de Loire, le Bassin parisien et la Normandie sont les provinces les plus touchées. Conséquence directe de l'hiver rude de 1660, qui entraîna une mauvaise récolte, cette crise de subsistance est marquée par une forte augmentation du prix du blé, sa production ayant été réduite par un temps très humide. La population doit puiser dans les réserves de céréales dès 1660. Et quand l'hiver rude de 1661 aggrave la crise, la mauvaise récolte et les réserves insuffisantes entraînèrent une crise de subsistance jusqu'en 1662.

Ravitaillement des populations et des armées par les frères Paris

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Joseph Pâris Duverney est avocat au Parlement du Dauphiné, filière qui permet sous Louis XIV d'accéder aux autorisations pour les fournitures aux armées. Il débute en secondant son père Jean Pâris, marchand de céréales à Moirans, dans les approvisionnements aux armées. En 1687, à 19 ans, il se rend à Lyon et demande aux magistrats de la ville de libérer les blés conservés dans les « magasins d'abondance » pour les envoyer sur Grenoble, en promettant de les rembourser lorsque le dégel permettra à nouveau de s'approvisionner en Bourgogne. Il obtient ainsi six mille sacs de blé. À 33 ans, avec son frère cadet Claude, il réussit en avril 1691 le tour de force de ravitailler les troupes françaises encerclées par les armées du duc de Savoie, dans Pignerol, au Piémont italien, lors de la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Avec son autre frère Antoine il dirige en 1692 les fournitures du camp de Sablons, situé en bordure du Rhône, au nord de Valence.

Il va également chercher en 1693 mille mulets et trois mille sacs à l'ouest dans le Vivarais. Ces deux convois lui permettent d'approvisionner l'armée royale lors du siège de Montmélian (Savoie)[49] ou apporter du ravitaillement de secours à Pignerol assiégé (bataille de La Marsaille)[50].

Lors de la grande famine de 1693-1694, Antoine Pâris se voit confier le ravitaillement des populations du Dauphiné. Utilisant une logistique qui a fait ses preuves lors des campagnes militaires de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, il s'attire la sympathie des Maréchaux, du Ministre Louvois et des Administrateurs du Dauphiné. L'État tardant à leur rembourser les frais occasionnés lors des diverses campagnes, Antoine Pâris part s'installer à Paris en 1696 afin de réclamer son dû, puis se lance dans diverses opérations de négoce avec son frère Claude, plus ou moins réussies.

Maïs des riches terres roumaines, remède aux famines

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L'arrivée du maïs à Timișoara dans le Banat est attestée vers 1692[51]. Dès lors, la mamaliga de millet laisse rapidement place à celle de maïs, plus facile et rapide à préparer, qui devient dès lors un aliment de premier ordre, efficace contre les famines qui sévissaient encore aux XVIIe et XVIIIe siècles[52].

L'historien Nicolae Iorga affirme que les paysans roumanophones cultivèrent le maïs dès le début ou le milieu du XVIIe siècle[51] mais Étienne Ignace Raicevich, un ragusain, consul de l'empire d'Autriche à Bucarest pendant le troisième quart du XVIIIe siècle, écrit que le maïs a été introduit seulement "da poco tempo"[51]. La mamaliga au maïs apparaît en 1873 dans le Larousse : mamaliga s. f. Bouillie de farine de maïs, dans les principautés danubiennes.

En 1681, le canal du Midi et la diversité des blés du Languedoc

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Le canal du Midi, canal français qui relie Toulouse et l'océan Atlantique à la mer Méditerranée est considéré par ses contemporains comme le plus grand chantier du XVIIe siècle, estimé entre 17 et 18 millions de livres, le deuxième du royaume après celui du château de Versailles. Il révolutionne le transport fluvial et la circulation dans le Midi de la France[53].

Pierre-Paul Riquet, son concepteur, a construit d'autres ouvrages sur le canal, parmi lesquels les moulins à eau situés en dérivation à de nombreuses écluses (par exemple : Naurouze, Gay, Trèbes, Matabiau, Minimes, Castelnaudary, Castanet, Béziers, etc.), utilisés pour actionner des meules à grains. Par la suite, elles se transforment en véritables complexes minotiers au cours du XVIIIe siècle[54].

L'extrême diffusion de la culture des céréales en Languedoc, ex-terre hérétique, s'explique par la peur de ne pouvoir payer les charges fiscales : dans tous les diocèses languedociens, même dans les terres les moins fertiles, on ensemence[55]. On défriche jusqu'aux pentes des Pyrénées, des Cévennes et du Massif Central[55]. Dans le Bas-Albigeois, Lisle-d'Albi donne au froment la moitié de son terroir arable[55]. Moins réputés que ceux de la Beauce, de l'Île-de-France et de la Picardie, les blés du Languedoc sont classés au nombre des bons produits, à côté de ceux du Poitou, de la Limagne ou du Berry[55]. Les cultivateurs vendent leur froment aux provinces voisines et aux pays étrangers, se nourrissant de grains inférieurs.

Les Languedociens placent en première ligne le « Blodut » et la « Bladette du Toulousain », meilleur blé d'Europe pour le rendement en gluten et la blancheur des farines[55]. Le blé « Rousset » est apprécié pour les semences, tout comme la « Saisette », à la coloration moins accentuée. La région cultive les blés rouges, plus riches en gluten, les blés blancs ou bruns, plus riches en amidon, mais aussi le « Trémézou », dont l'épi barbu a une couleur aurore foncée, recherché par munitionnaires, l'« Escourgeon » ou « barbu marzé », semé au printemps, le « Bouchard » à couleur brune et à gros épis et surtout la « Touzelle » recherchée pour la boulangerie, qui convient aux « terroirs de moyenne bonté »[55], avec un rendement plus élevé, au point qu'un héros des Fables de La Fontaine, le fermier trop madré du Diable de Papefiguière s'empresse de couvrir ses champs de « Touzelle »[55].

Les diocèses pyrénéens de Rieux, Comminges, Alet et Mirepoix, où les habitants incendient les bois de hêtres pour semer à la place quelque blé, ne recueillent pas la douzième ou la quinzième nécessaire quatre mois de l'année[55]. Le Gévaudan récolte de si faibles quantités qu'il ne subsisterait pas sans le Languedoc[55]. Le Velay suffit à sa subsistance et vend du froment au Vivarais, où, à l'exception de la zone de Montagne, voisine du Velay et qui présente les mêmes caractères, on mourrait de faim sans les blés qui viennent par bateau du Bas-Languedoc et par mulets des plaines du Haut-Languedoc ou des plateaux Vellaviens[55] transportés par les muletiers du Velay.

Fin du XVIIe siècle, les grandes famines en Écosse et en France

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L’Écosse connut des famines très sévères au moment de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, en 1695, 1696, 1698 et 1699, selon l'historien Fernand Braudel. L'Écosse augmenta alors sa dépendance envers la pomme de terre, sans échapper un siècle et demi plus tard à la famine de la pomme de terre dans les Highlands, provoquée par le mildiou de la pomme de terre, qui a frappé dans les années 1840, avec un taux de mortalité cependant inférieur à celui de la famine écossaise récurrente des années 1690. La famine de la pomme de terre des Highlands poussera plus de 1,7 million de personnes à quitter l'Écosse entre 1846 et 1852[56], l'Irlande connaissant un phénomène identique.

En France, la grande famine de 1693-1694 est due à un hiver très rigoureux en 1692, suivi en 1693 d'une récolte très médiocre, causée par un printemps et un été trop pluvieux suivis d'une flambée des prix et d'une sous-alimentation qui favorise les épidémies comme le typhus, jusqu'en 1694. La France, qui avait alors 20 millions d’habitants, eut 1 300 000 morts en plus de la mortalité normale, selon Emmanuel Le Roy Ladurie. Il chiffre à 600 000 morts la catastrophe suivante, la grande famine de 1709 causée aussi par un hiver très rigoureux, même s'il est moins humide et une flambée des prix des céréales. L'État décide alors d'interdire en 1692 l'exportation des blés. La famine de 1693-1694 a cependant épargné la région méditerranéenne dont l'agriculture a profité un peu d'une meilleure pluviosité. La France a connu 13 famines générales au XVIe siècle, 11 au XVIIe siècle et 16 au XVIIIe siècle[57].

Lors des mauvaises récoltes, les prix des différentes céréales s'influencent : les habitués au pain de froment se rabattent sur le pain de seigle, dont les plus pauvres ne peuvent se passer. C'est le prix du seigle qui flambe alors[58], flambée que les spéculateurs[réf. nécessaire] propagent d'une région à l'autre. Le poids des ruraux dans la population fait que la crise économique se répercute aux artisans et petits industriels des villes, selon le mécanisme des crises économiques généralisées dites « d'Ancien Régime », analysées par Ernest Labrousse.

Ces famines n'entraînent pourtant qu'un développement assez lent des capacités de transport et de stockage des céréales, techniquement difficile, et des efforts pour les moderniser : on en reste aux poires d’Ardres[59], silos souterrains réalisés sous Charles Quint par Dominique de Cortone.

Le concept de révolution agricole anglaise au XVIIIe siècle est aujourd'hui relativisé par les historiens, car dès la fin du Moyen Âge, les Flandres pratiquaient une agriculture intensive, pour nourrir une population massée sur un petit territoire, des rotations complexes entre grains, herbes, fourrages et cultures industrielles permettant d'éviter la jachère[60]. L'Angleterre a aussi eu accès à ces techniques par la publication en 1645, en pleine guerre civile anglaise, de "Husbandry Used in Brabant and Flanders"[61], de Sir Richard Weston[62].

XVIIIe siècle

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Le rendement en blé progresse au XVIIIe siècle par une application plus rigoureuse de principes agraires anciens : sur la base des écrits de Vauban du début du siècle, l'historien Jean Meuvret l'évalue à 8,5 hectolitres à l'hectare pour du froment en bonne terre. À l'autre bout du siècle, les calculs de Lavoisier permettent d'imaginer 12,5 hectolitres à l'hectare dans les pays de grandes cultures[63].

La demande croît plus vite que l'offre, stimulant les exportations de riz d'Égypte, de blé roumain et de céréales irlandaises, créant aussi les principales crises céréalières, moments de l'intervention maximale de la police dans le ravitaillement[3], et de bénéfices rapides et énormes pour les détenteurs de grains, mais aussi de surveillance, persécution, faillite et justice sommaire populaire[3]. Les quatre périodes de crise :

  • 1709-1710 ;
  • 1725-1726 ;
  • 1738-1742 ;
  • 1765-1775[3].

Selon Pierre Le Pesant de Boisguilbert et son Traité de la nature, culture[64], le petit paysan est plus touché par les crises de sous-production que le gros car il n’a plus rien à vendre. Seul le gros producteur, capable de stocker et vendre plus loin, tire profit de la flambée des cours des céréales[64]. Dans la situation inverse, quand une excellente récolte fait chuter les cours[64], le petit a dégagé un surplus et donc un petit bénéfice malgré les faibles prix. En revanche, le gros y perd nettement car il n'a plus de visibilité pour investir[64].

Dans les deux dernières décennies du siècle, le commerce du blé bascule de la mer Baltique vers la mer Noire, quand les Prussiens ruinent la république des Deux Nations, par d'énormes droits de douane après le premier partage de la Pologne, qui l'isole de la mer Baltique en 1772. Privé de débouchés, le Sud de la Pologne (la future Ukraine) se tourne vers le Dniestr et le Boug méridional, qui s’écoulent vers la mer Noire[65], « sans glace » l'hiver. Catherine II de Russie vient justement de gagner Azov, Kertch, les districts de Kouban et la liberté de navigation sur la mer Noire après la première guerre russo-turque (1768-1774). Elle fonde en juin 1778 Kherson, à l'embouchure de Dniepr sur la mer Noire, futur entrepôt des marchandises russes pour le commerce vers la Méditerranée, pendant méridional de Saint-Pétersbourg[65].

En Chine, l'empereur Kang Xi, vers 1700, passionné d'agriculture, demande à ses agronomes d'isoler les variétés qui mûrissent avant les autres, donnant naissance à celle du « riz impérial », adapté au climat du nord de la Chine[66],[27].

Années 1700

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Le prix du blé double quasiment au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, déclenchant la grande famine de 1709, alors que le salaire horaire stagne[67] :

Années 1701 1702 1703 1704 1705 1706 1707 1708 1709
Prix observé du quintal de blé (en livres) 19,5 14,5 14,8 14,1 13,2 11,6 10,6 16,5 36,8
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 433 321 330 314 293 259 237 367 818

L'analyse de Jean Fourastié, le prix horaire et le mélange blé-seigle

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Les progrès du machinisme agricole depuis la fin du XVIIe siècle furent analysés par Jean Fourastié, conseiller de Jean Monnet, puis chef du service économie au commissariat général du Plan, passionné par l'observation des prix réel à long terme, déduits des variations de la monnaie, car ramené au salaire nominal. Vers 1700, un kilogramme de blé coûtait 3 salaires horaires. Au XVIIIe siècle, en moyenne, les salariés les moins rémunérés et les agriculteurs non- salariés doivent travailler deux heures pour produire ou acheter un kilogramme de blé, ce qui explique que leur consommation soit à 80 % de la nourriture, et seulement des sommes insignifiantes consacrées au logement et à l’habillement[4]. Les céréales sont alors consommées sous la forme de méteil, traditionnel mélange de blé et seigle, réservé à l'alimentation humaine.

Les aléas, essentiellement climatiques[4], ont alors une grande influence sur la production du blé : la rareté fait croître le prix. Un agriculteur nourrissait mal 1,7 personne, lui inclus, vers 1700[4], puis les choses s'aggravent : la grande famine de 1709 est causée par un hiver très rigoureux en France[4]. Les récoltes gèlent, la mortalité s'envole[4]. Il faut 817 salaires horaires pour un quintal de blé, soit un à deux kilogrammes de blé pour une longue journée de travail[4]. Depuis, le prix réel du blé baisse régulièrement. Trois siècles plus tard il suffit de travailler environ une heure au SMIC pour avoir assez de blé pour manger pendant cent jours[4].

Semoir de Jethro Tull en 1701 et Coffee House de Lloyd en 1709

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Le perfectionnement en 1701 d'un semoir traitant trois rangées à la fois, puis de la herse et de la charrue par l'anglais Jethro Tull (agronome), permit d'améliorer la technique de semaille. Le résultaten est une augmentation du taux de germination, et une récolte accrue. Alors que le territoire comportait 25% de friche, l’Angleterre de la première moitié du XVIIIe siècle devint exportatrice de céréales. Sa production passe de 15 millions à 17 millions de Quart (unité) entre 1700 et 1770.

En pleine révolution financière britannique, le « Lloyds Coffee House » d'Edward Lloyd, populaire auprès des marins et marchands, offre des informations fiables sur les expéditions maritimes. On y discute contrats d'assurance et enchères sur les marchandises comme les céréales exotiques et le suif[48], sur le mode inch of candle, chandelle traversée par une épine, libérée à l'expiration des enchères. De cette époque date la tradition londonienne de négocier frets et céréales « exotiques » en un même lieu, futur Baltic Exchange de Londres au XIXe siècle.

Grande famine de 1709, les prix du pain décuplés

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Lors des hivers 1709 et 1710, d'énormes superficies sont gelées. Les prix des céréales flambent pour atteindre, selon les villes près de 10, 12 ou 13 fois les prix de l’année précédente. La valeur du setier de blé atteint 82 livres contre seulement 7 livres[68]. Cette grande famine de 1709 entraine dès avril des émeutes contre le « complot de famine », à Paris et les villes de la Loire moyenne, Normandie, Provence, Languedoc et Dauphiné, même à Moirans, ville des frères Pâris, richissimes fournisseurs de l'État, selon l'économiste Jean-François Calmette[69], faisant dire au contemporain Nicolas Boileau, « il n'y a pas de jour où la cherté du pain n'excite quelque sédition ». Leur répression est sévère.

En avril, une ordonnance oblige les détenteurs de grains à déclarer leurs réserves[70]. Les grains qui circulent entre les provinces du royaume ou qui proviennent de l’étranger sont désormais exemptés de droits d’entrée, d’octroi et de péages. Nicolas Desmarets (contrôleur général des finances) créé en 1710 l'impôt du dixième, frappant tous les revenus et obtient du financier Samuel Bernard un prêt de 6 millions et à réduire le montant des tailles. Pour faire face à la situation, les riches sont taxés et les municipalités contraintes d’organiser des distributions de vivres aux nécessiteux[70].

Années 1710

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Le prix constaté du blé évolue en très forte baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, y compris si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1710 1711 1712 1713 1714 1715 1716 1717 1718 1719
Prix observé du quintal de blé (en livres) 26,4 16,2 21,1 26,5 22,8 14,4 11,5 10,2 9,3 10,4
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 587 295 352 442 380 240 192 171 156 174

En 1710, la Bourse au riz japonaise en plein développement

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La bourse du riz de Dōjima, située à Osaka, est le centre du système japonais des courtiers en riz, qui se développe dans le privé à l'époque d'Edo. Considérée comme précurseur du système bancaire moderne, la bourse est créée en 1697, au terme d'une période au cours de laquelle les courtiers de riz et changeurs rassemblent leurs magasins et entrepôts dans la zone. L'année 1710 marque le début de ce développement, qui apporte également avec lui l'émergence de la notion de contrat à terme. La bourse du riz de Dōjima est parrainée et organisée par le shogunat en 1773, le shogunat créant également son propre entrepôt de riz à ce moment. Elle est réorganisée en 1868, et entièrement dissoute en 1939, lors de son absorption par l'« agence gouvernementale du riz ».

Canal de la Bega percé vers le Danube en 1718

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De grands travaux sont lancés en 1718 dans l'empire austro-hongrois pour canaliser et prolonger la rivière Bega sur 73 kilomètres, ce qui va durer cinq ans. Le canal de la Bega ainsi percé permet d'assurer une voie navigable sûre entre la grande artère fluviale qu'est le Danube, menant à Pest, future capitale des marchands de grains magyars, et la ville de Timișoara, au cœur de la très fertile région du Banat, connue pour ses rendements céréaliers importants, dans l'actuelle Roumanie.

Liberté de commerce en Russie en 1717

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L'attiédissement du climat sur une période qui va de 1710 à 1740 stabilise les récoltes céréalières en Europe avec même en 1710-1730 une reprise de la production agricole en Allemagne, en particulier à l’Ouest. À l’est de l’Elbe (fleuve), les grands domaines à corvée (nouveau servage) atteignent leur apogée. En 1717 est proclamée la liberté du commerce du blé en Russie, suivie par la révocation d’un certain nombre de privilèges commerciaux accordés à des marchands étrangers[71].

Les Frères Pâris, experts en réseau d'information sur les céréales

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Accusés d'avoir accaparé des blés pendant une disette, les frères Antoine Pâris et Joseph Pâris Duverney doivent quitter le Dauphiné pour Paris, où ils sont chargés d'approvisionner les troupes de 1706 à 1709, lors de la grande famine de 1709. Ils procèdent en 1709 à des achats massifs de blé à l'étranger, même dans les pays ennemis, afin de jouer sur les prix de vente. Le ministre de la guerre Chamillart est interrogé sur les magasins de la frontière. Trompé par un de ses agents, il répond qu'il s'y trouve 240 000 sacs de blé. Les frères Pâris prouvent par des pièces irréfutables que les provisions se réduisent en fait à 7 000 sacs, alors qu'il en fallait mille par jour.

Joseph Pâris Duverney s'introduit, déguisé, dans la place ennemie de Mons, pour s'informer sur la situation des magasins, envoyée aux députés des Provinces-Unies et au prince Eugène de Savoie-Carignan. Lors du siège de Douai (1712), les chevaux des vivres sont mis à la disposition des combattants, la moitié périssent, mais les frères Pâris comblent le manque et se font payer en billets d'État, remboursables en 1716. À la mort de Louis XIV, ils passent en cour de justice, comme beaucoup d'autres financiers mais n'ont à payer qu'une taxe de 200 000 livres puis sont exilés.

Années 1720

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Le prix constaté du blé évolue en très légère hausse, selon l'économiste Jean Fourastié, et il baisse même, si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1720 1721 1722 1723 1724 1725 1726 1727 1728 1729
Prix observé du quintal de blé (en livres) 10,5 8,4 9,2 11,2 18,7 19,9 15,5 12,2 11,9 12
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 175 120 131 161 267 284 200 163 159 160

Vigne contre vin : les défrichements interdits de la région bordelaise

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En 1724, la « fureur de planter » de la vigne dans la région bordelaise est dénoncée par l'intendant Nicolas Boucher[53], selon qui la surface consacrée au blé et aux prairies a fortement régressé depuis 1709, la vigne ayant augmenté la sienne des deux-tiers[53]. Résultat, en 1725, le Conseil du roi de France décide d'interdire toute nouvelle plantation de vigne dans la généralité de Guyenne, puis en 1730 dans tout le royaume[53]. Montesquieu, qui a acheté 14 hectares de vignoble dans les Landes, s'oppose à cette décision mais sans succès[53]. D'autres mesures de ce type, prises en Languedoc et en Champagne, ne seront pas efficaces à freiner la vigne[53]

Retour des frères Pâris et les rumeurs de 1725

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Les frères Pâris, exilés à la mort de Louis XIV reçoivent en décembre 1720, la ferme générale puis la supervision de la liquidation de la dette. Joseph Pâris Duverney, qui "eut toute sa vie l'air d'un grand paysan, sauvage et militaire"[72], contrôle l'opération du visa en 1721, via une commission du visa examinant les demandes de conversion en or des billets achetés par des centaines de milliers d'épargnants. Il établit si leur comportement fut ou non dicté par la spéculation.

En 1725, une partie du peuple parisien mais aussi des avocats, magistrats, ecclésiastiques, croit fermement que la disette est « artificielle », créée par une poignée de scélérats qui manipulent le marché de la denrée pour s'enrichir[3]. On dénonce nommément le premier ministre, le duc de Bourbon ; sa maîtresse, Mme de Prie ; les financiers Samuel Bernard, et la Compagnie des Indes[3]. Au cours de l'été 1725, la rumeur accuse en particulier les Frères Pâris de spéculer sur les blés, d'accumuler des stocks gigantesques dans les îles Anglo-Normandes pour affamer le royaume. Une tentative d'assassinat suivie d'une nouvelle disgrâce, en 1726, poursuit Joseph Pâris Duverney, qui passera 18 mois dans les geôles de la Bastille avant d'être relaxé en 1728. Avec Voltaire, il fait acheter des blés pour son compte en Barbarie, et spécule sur les vivres de l'armée d'Italie.

Les garnisons du sud de la France en concurrence avec Constantinople pour le riz égyptien

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Lorsque l’Égypte intègre l’Empire ottoman au début du XVIe siècle, un espace s’ouvre à ses exportations de céréales vers Constantinople, pleinement utilisé au XVIIIe siècle, suscitant un contrôle des autorités et des interdictions d’exportation des grains vers les pays européens, notamment la France, qui achetait d’importantes quantités de riz destiné à ses garnisons militaires du sud de la France[73].

Alexandrie abritait deux marchés aux grains, près de la porte de Rosette et place des subsistances, près de Bâb Sidra (Porte du Jujubier), au début des voies terrestres reliant Alexandrie au monde rural de la vallée du Nil, approvisionnant la ville en céréales. La navigabilité du fleuve pose souvent problème en raison d’îles et de bancs de sable. Des brigands attaquent régulièrement les navires. L’administration égyptienne confie la protection de la navigation à certaines tribus[74].

La Caroline développe les grandes plantations de riz proches du littoral

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La traite des Amérindiens de Caroline, déportés vers les plantations de sucre des Antilles, aurait représenté au total 24 000 à 51 000 Indiens[75]. Les premiers colons arrivés au Cape Fear en 1663 et Ashley River en 1670 viennent de l'île sucrière anglaise de la Barbade et la Restauration anglaise conditionne l'octroi de terres à la pratique esclavagiste[76]. Les tribus indiennes victimes de ce trafic s'allient lors de la guerre des Yamasee, entre 1715 et 1717. L'argent amassé par les colons dans cette traite des Amérindiens de Caroline, qui prend alors fin, est réinvesti dans les plantations de riz, opérées par des esclaves noirs déportés d'Afrique.

La Caroline exporte 5 000 tonnes de riz vers les autres colonies, dès 1725, quinze fois plus qu'au début du siècle[76] :

Année 1700 1726 1730 1740 1763 1764 1770
Tonnes de riz exportées par la Caroline 330 5 000 10 000 25 000 35 000 40 000 42 000

La Caroline compte 40 000 esclaves dès 1726[76]. La riziculture implantée sur place, pour les nourrir, n'y parvient pas tout de suite, il faut dans un premier temps importer du riz de Madagascar[27], ce qui ne suffit pas. Les Africains déportés en Amérique diffusent une manière de cuire le riz, qui assure que chaque grain est séparé des autres. Elle s'impose rapidement sur tout le continent[27]. Les grandes propriétés coloniales de la Caroline du Sud profitent de l'abondance des récoltes et du développement de la production de riz de marécage, en particulier dans les régions proches des côtes de Santee et Asheppo[77]. Les communautés de riziculteurs restent dans la même région[77], ce qui donne aux esclaves évadés et aux autres plus d'occasions de former des liens sur leurs propres plantations, alors qu'en Virginie la production du tabac nécessitait une expansion vers l'Ouest[77]. La production de riz à grande échelle fait que la moitié des esclaves recensés en Caroline du Sud dans les années 1730 sont répartis dans des plantations de 30 esclaves[77] où les révoltes se multiplient, avec l'aide des évadés. Le travail y est épuisant, avec une mortalité très élevée. Convertir 150 000 acres de marécages en plantations représente la même quantité de travail que bâtir la pyramide de Khéops[76]. La récolte de riz progresse d'un cinquième entre 1763 et 1764, à la fin de la guerre de Sept Ans.

Années 1730

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Le prix constaté du blé évolue en hausse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, mais moins si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1730 1731 1732 1733 1734 1735 1736 1737 1738 1739
Prix observé du quintal de blé (en livres) 12 12,4 11 10,7 10,9 10,7 12 12,5 13,7 15,1
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 160 166 147 143 137 134 150 156 171 189

Émeutes du riz au Japon

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Au début des années 1730, le prix du riz chute au Japon, causant des ravages sur une économie encore largement basée sur cette céréale comme moyen d'échange. Les samouraï, dont le revenu est versé en riz, sont pris de panique, tandis que des spéculateurs et divers complots au sein de la communauté des courtiers en profitent pour jouer avec le système, en cachant de vastes réserves de riz dans les entrepôts, ce qui assure ensuite des prix beaucoup plus élevés, pour cause de pénurie temporaire.

En 1733 éclate une série d'émeutes contre les spéculateurs et le système de manipulation et de conspiration dans son ensemble. La famine est généralisée, mais les spéculateurs agissent sans relâche pour contrôler le marché et les prix. C'est la première d'une série d'émeutes appelées uchikowashi (打壊し), qui croissent en fréquence et en importance jusqu'au siècle suivant. En 1735, le shogunat japonais fixe un prix plancher, obligeant les marchands d'Edo à vendre pour pas moins d'un ryō par 1.4 koku et à Osaka pour pas moins de 42 momme par koku. Une amende de 10 momme est appliquée à toute personne reconnue avoir payé moins.

Tokugawa Yoshimune fait tant de tentatives de réformes et de contrôles qu'il en vient à être connu sous le nom Kome Kubō ou Kome Shōgun (« le shogun du riz »). Au cours des quinze années qui suivent, jusqu'à environ 1750, le shogunat intervient à nouveau et à plusieurs reprises pour tenter de stabiliser ou de contrôler l'économie, ainsi fragilisée par les fortes fluctuations du prix du riz.

En 1730, Paris compte près de 1 400 boulangers

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Vers 1730, Paris compte à peu près 1 400 boulangers : 550 maîtres, 350 privilégiés (presque tous du Faubourg Saint-Antoine), 400 forains, et jusqu'à une centaine de boulangers illicites, « sans qualité »[3]. À peu près deux tiers du pain se vend aux douze marchés où le prix est plus bas qu'aux boutiques et où l'on pouvait plus facilement tenter de marchander. Moins du tiers des boulangers aux marchés étaient des maîtres[3] ;

Durant la guerre de Succession de Pologne (1733-1738), Joseph Pâris Duverney, administrateur général des subsistances, est durement incriminé par les Réflexions politiques sur les finances et le commerce, de l'économiste Nicolas Dutot. Il répond en 1740 par un Examen du livre intitulé réflexions politiques sur les finances et le commerce[78].

Pour réagir aux pénuries de blé, les voies navigables anglaises

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L'historien Fernand Braudel a souligné les « énormes investissements » dans les aménagements de rivière en Angleterre, qui portent ses voies navigables à 1 160 miles dès le premier quart du XVIIIe siècle, plus aucun lieu n'étant alors situé à plus de 15 miles d'un transport par eau, selon la carte de l’historien anglais Tony Stuart Willan[79]. Ces Aménagements de rivière en Angleterre, sont complétés après 1760 par une multitude de canaux. Ils s’ajoutent à l’intense cabotage permis par le grand nombre d'estuaires anglais, aux dimensions attractives, en largeur comme en longueur et en profondeur. Les céréales circulent mieux, phénomène également constaté sur le littoral du continent. En France, l'effort des modernisations des voies navigables est moins prononcé.

Années 1740

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Le prix du blé stagne au cours de la décennie en France[67], mais il subit deux pics ponctuels, en 1741 et 1747, au cours d'une décennie qui voit la fondation de trois marchés aux grains dans les trois grands ports anglais : Bristol, puis Londres et Liverpool :

Années 1740 1741 1742 1743 1744 1745 1746 1747 1748 1749
Prix observé du quintal de blé (en livres) 16,2 18,8 14,2 10,4 10 10 12,4 16 18,2 16,5
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 203 235 177 130 126 126 155 200 227 207

En 1740-1741, les saisons glaciales et pluvieuses en Angleterre, Irlande et France

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De juin 1740 à juin 1741, le prix des céréales flambe en France[80] à cause de l'enchaînement d'un hiver glacial en 1739-1740[80] et de pluies torrentielles à l'été 1740[80], qui se répercutent sur le niveau de la récolte[80]. Dès l'année suivante, la pénurie cause une panique. En France, il y a en plus des inondations en décembre 1740[81]. En Angleterre, l'automne 1740 est l'un des plus froids en deux siècles[81]. Les céréales ont de la difficulté à mûrir, surtout au nord et en altitude[80] quand d'aussi mauvaises conditions se combinent en aussi peu de temps. L'indice des prix est à 102 en janvier[81] puis monte à 125 en mai et 150 en juin[81], quand la mauvaise récolte est déjà anticipée puis finit l'année à 170[81]. La vague de froid touchant toute l'Europe est le dernier épisode marquant la fin du petit âge glaciaire (1400–1800).

En Irlande, les procédés primitifs de stockage des pommes de terres exposent la récolte de 1739 au gel ce qui déclenche une très grande famine dès l'hiver qui suit[80], saison révélatrice des inégalités sociales : la famine irlandaise de 1740-1741 restera dans la mémoire populaire comme « l'année du massacre » (bliain an áir en irlandais), qui fut peut-être de même ampleur que la grande famine en Irlande, plus connue, de 1845-1852[82],[83]. L'historien irlandais, Joe Lee, a estimé sur la base de données contemporaines, et d'informations sur d'autres famines de la même époque, que la mortalité fut similaire, soit un dixième de la population. Du fait de l'absence de recensements au cours du XVIIIe siècle et de registres de l'Église catholique romaine, à cause des lois pénales introduites en Irlande en 1695, il n'existe aucune information disponible sur le nombre de décès.

Nouvelle récoltes très décevantes en 1746-1747

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Au cours des années 1747-1748, les campagnes connaissent des fortes hausses des prix du blé à la suite de récoltes médiocres qui causent une forte mortalité, particulièrement dans l'Est et le Midi, avec une baisse de la nuptialité et de la natalité[84]. À la fin de la décennie, le rendement des céréales atteint 6,3 quintaux par hectare en Allemagne, en Prusse et en Scandinavie.

Le Corn Exchange de Londres ouvre sur Mark Lane en 1747

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Au XVIIIe siècle, le marché des céréales de Londres se tenait près de Tamise, à Cornhill, Tower Hill et Thomas Street. En 1746, les fermiers d'Essex, qui le fréquentaient, et plusieurs gros courtiers, souhaitent créer une compagnie pour lui construire un immeuble[48]. Le Corn Exchange, appelé aussi Old Corn Exchange de Londres, ouvre sur Mark Lane en 1749[48], tout près de Beer Lane, où les navires débarquent les céréales arrivées par la Tamise[85]. L’Old Corn Exchange est dessiné par George Dance the Elder dans un style classique, autour d'une cour à ciel ouvert, pour examiner les marchandises à la lumière du jour[86], ceinturée d'entrepôts permettant d'en évaluer la quantité. En 1826, une bourse rivale nommée London Corn Exchange sera créée par des négociants mécontents de ses services[87], également dans Mark Lane, dessinée dans un style grec par George Smith (architecte). Les deux bourses fusionneront un siècle plus tard puis déménageront au Baltic Exchange en 1987.

Londres a été devancée par le Corn Exchange du port de Bristol, construit en 1741–43 par John Wood the Elder, avec des sculptures de Thomas Paty[88]. Des sculptures représentent les 4 parties du monde, Afrique, Amérique, Asie et Europe, avec leurs animaux, des feuilles de tabac, culture des riches colonies américaines de Virginie, symbolisant l'ouverture au monde de Bristol. L'horloge comporte une aiguille pour l'heure de Bristol et l'autre pour celle de Greenwitch. Dehors, dans "Corn Street", 4 tables mobiles de marchands, pour les foires, permettant de négocier sans que les pièces tombent par terre. Le bâtiment abrite des négociations de tous types, y compris pour le commerce en Guinée et aux Antilles mais les transactions se font aussi dans l'atmosphère moins officielle des cafés environnants[89]. Le Liverpool Corn Exchange, également érigé par John Wood the Elder, deviendra une société en 1810.

Les Corn Exchange de Liverpool et Londres ayant respectivement brûlé en 1754 et 1795, Bristol est dernier des années 1740 encore sur pied. Celui de Manchester, sera érigé en 1837 par Richard Lane, avant ceux construits en 1864 à Newbury puis à Leeds en 1864 par Cuthbert Brodrick, répliquant le dôme de la Bourse de commerce de Paris, et en 1874 dans la ville voisine de Bradford. Le Baltic Exchange sera lui fondé, au milieu du XIXe siècle. Ce nom est utilisé pour la première fois en 1744 au café Virginia and Baltick de la rue Threadneedle, qui abrite depuis ses débuts la Banque d'Angleterre. Il sera enregistré comme société privée à responsabilité limitée, en 1900[90]. On y négocie surtout les céréales importées, sans présentation d'échantillon, contrairement à l’Old Corn Exchange, où cette coutume persiste[48] car il est consacré surtout aux céréales anglaises, avec une fréquentation quotidienne qui restera massive dans les années 1930[48] : les jours de marché, deux à trois mille personnes se pressent dans le hall et autour des stands. Les transactions s'y font au comptant et les prix suivent les marchés à terme nord-américains depuis le XIXe siècle, mais la place sert toujours pour établir les contrats juridiques de livraison, faxés aux quatre coins de la planète. L'immeuble de l’Old Corn Exchange a été agrandi en 1827[48] et l'année suivante un bâtiment est érigé à côté pour abriter le marché des semences, appelé "New Corn Exchange"[48].

Années 1750

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Le prix constaté du blé stagne au cours de la décennie de la guerre de Sept Ans[67] : la production céréalière française se porte bien, portée par les achats de l’intendance militaire. Le rendement céréalier britannique, estimé à 7 quintaux par hectare en 1700, serait déjà passé à 10,6 quintaux par hectare. Les économistes et agronomes célèbrent les cultivateurs de céréales.

Années 1750 1751 1752 1753 1754 1755 1756 1757 1758 1759
Prix observé du quintal de blé (en livres) 15,2 15,5 17,6 15,7 14,8 11,3 12,7 15,8 15 15,6
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 191 194 220 197 186 142 159 197 187 196

En France, les céréales empiètent sur la jachère après 1750

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Carte de l'Alsace avec les régions naturelles.

Alors que les défrichages volontaristes, sur fond de guerre de Sept Ans ont eu une efficacité assez relative, la réduction de la jachère à la décennie précédente contribue à mieux valoriser les plaines les plus fertiles. Le Hainaut et le Cambrésis, dans le Nord, le pays de Caux normand, la région parisienne et le Soissonnais produisent plus et plus de céréales riches, avec moins de jachère à partir de 1750[91].

Dans le Kochersberg et l'Ackerland, régions alsaciennes caractérisées par leurs terres très fertiles, qui alimentent Strasbourg, le niveau de population de la guerre de Trente Ans n'est retrouvée qu'au milieu du XVIIIe siècle, au cours duquel s'opèrent des reclassements au profit des céréales « riches ». Le blé évince le seigle, et l'orge remplace l'avoine[91]. L'assolement devient plus complexe, associant une grande variété de plantes, parmi lesquelles les légumes, tendance observée aussi dans les villages parisiens. En Flandre, la variété des assolements permet de quasiment supprimer la jachère[91].

Après 1750, en Île-de-France, elle recule du tiers au quart des terres labourables. Les bonnes terres, grassement fumées, produisent parfois deux récoltes par an. Des meules sont installées en plein champ pour gagner du temps. La faux remplace la faucille, tandis que le travail de la charrue est complété par celui de la herse, du rouleau et l'extirpateur. Le chaulage et de nouvelles variétés de blé permettent d'augmenter le rendement de 20 % dans certaines grandes fermes[91]. La Bretagne exporte blé et seigle, aux rendements inférieurs, mais plus rémunérateurs car des taxes frappent les autres. Une Société d'agriculture de Bretagne est fondée en 1757. Son succès amène le gouvernement à demander aux intendants en 1760 d'en créer ailleurs[91].

Céréales au cœur de la pensée économique de Quesnay et Turgot

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Jusqu'à la première moitié du XVIIIe siècle en France, la réglementation des céréales favorise les consommateurs. À partir de 1750, des théories contraires se répandent. Par son Tableau économique de 1758, François Quesnay, cofondateur de la première école en économie, les Physiocrates, défend les producteurs, jusqu'ici accusés de vouloir affamer les villes. Pour François Quesnay, l'agriculture est la source de toutes les richesses.

En 1755 et 1756, Turgot accompagne Jacques Claude Marie Vincent de Gournay, intendant du commerce, dans ses tournées d’inspection dans les provinces. Par la publication en 1766 des « Réflexions sur la formation et la distribution des richesses »[92], Turgot démontre que la hausse des denrées ne peut qu'entraîner l'augmentation des salaires, accroître la production et faciliter les subsistances. Quesnay et Turgot s'accordent à réclamer la liberté du commerce des grains.

Beaucoup d'auteurs sont préoccupés d'améliorer les voies de communication, estimant qu'un des plus grands obstacles au développement de l'agriculture est le mauvais état des routes et les difficultés des transports par eau. Kersauson publie par exemple en 1748 son « Mémoire sur les canaux de Bretagne » et La Lande et Bouroul en 1750 un « Mémoire pour rendre la rivière d'Orne navigable depuis son embouchure jusqu'à Caen et même jusqu'à Argentan ».

L'agronomie française s'intéresse aux céréales

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Les caisses ventilées de Duhamel du Monceau sont représentées dans L'encyclopédie (fig 6 et 9). Le ventilateur de Stephen Hales est actionné soit à bras (fig 7) soit à l'aide d'un manège (fig 10)

La « Nouvelle maison rustique » de Louis Liger, publié en 1700 et premier grand ouvrage français sur l'agriculture depuis ceux de l'autodidacte Olivier de Serres, était restée la référence pendant cinq décennies en matière d'agronomie française[91], quand apparaissent des « élites rurales à l'affût de l'innovation »[93].

Les manuels d'agronomie se multiplient après 1750. Celui de Henri Louis Duhamel du Monceau, membre associé de l'Académie royale des Sciences dans la classe de botanique depuis 1730[94] est entièrement consacré à la culture du blé. Il reprend les conseils de l'Anglais Jethro Tull sur le tallage des céréales, pour augmenter les rendements. À l'origine des premiers essais de culture rationnelle réalisés en France[94], il teste à Pithiviers les modalités d’une diminution de la densité de semis, en ligne, de façon à pouvoir désherber l’entre-rang[95]. Pour cela, il met au point semoirs et charrues étroites.

Le Traité de la culture des terres devient une sorte de revue, publiant les essais agricoles adressés par des correspondants à Monceau, qui dans son Traité de la conservation des grains et en particulier du froment de 1753, fait progresser le stockage des céréales par un « grenier de conservation », grande caisse en bois, dont le fond est muni d’un grillage recouvert d’un canevas, qui ne laisse pénétrer que les conduits d'une soufflerie, et son courant d'air à travers la masse du blé.

Monceau développe en 1753 l'utilisation des engrais[94], tout en essayant de faire admettre par le gouvernement la nécessité d'augmenter la production des céréales et de libérer leur commerce, par la libre circulation des grains[94]. L'économiste et agronome anglais Arthur Young, entreprend en 1767 deux voyages l'un dans le Nord et l'autre dans l'Est de l'Angleterre, pour rencontrer de nombreux agriculteurs épris de progrès, puis devient célèbre par son Journal de voyage en France[94], paru en 1792. Il a visité Denainvilliers, près de Pithiviers, et décrit minutieusement les expériences d'agriculture de Monceau.

Erreur de Linné, reprise par Lamarck, Host et Wildenow

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première page du Species Plantarum

En 1753, le Species plantarum de Carl von Linné, publication sans équivalent à l'époque, décrit environ 8 000 végétaux par la nomenclature binominale : chaque espèce reçoit un nom binominal, permettant d'aborder séparément la nomenclature (comment nommer l'espèce) de la taxinomie (comment la classer). De nombreuses éditions l'enrichissent. Celle de 1764 comporte cinq à six espèces de céréales[96].

Carl von Linné a donné par erreur le nom de le Triticum polonicum à une variété ensuite cultivée essentiellement en Afrique du Nord[97]" car il a confondu la Galice, région d’Espagne où elle est cultivée aussi, et la Galicie, au sud-est de la Pologne : toutes deux se disent "Galicia" en latin[97]. Avant 1772, une large partie du territoire de la future Ukraine était occupée par la République des Deux Nations, lithuano-polonaise, d'où le nom assez général de « blé de Pologne » pour les blés d'Ukraine[97] ensuite resté, selon le généticien en céréales Stefan Symko[97]. Beaucoup de variétés de blés anciens réputés, blé Noé en France, blé 'Red Fife' au Canada, ou blé Hard Red Turkey Red aux États-Unis, en proviennent[97].

Sans profiter du travail de Carl von Linné, l'abbé Henri-Alexandre Tessier présente en 1784[96] un répertoire des espèces agricoles qui a nui à la clarté de la nomenclature, obligeant Jean-Baptiste de Lamarck à réconcilier les deux classifications deux ans plus tard dans son Encyclopédie méthodique dont une version améliorée sort en 1805[96]. Le botaniste viennois Nicolaus Thomas Host publie, aussi en 1805, sur les graminées d'Autriche, répertoriant 11 espèces de blés dont seulement trois de Carl von Linné[96]. Entre-temps, Carl Ludwig Willdenow, futur directeur du jardin botanique de Berlin, intéressé par l'adaptation des plantes au climat, a livré son propre Species plantarum, ajoutant à celui de Linné le blé Pétanielle[96], d'origine orientale, cultivée longtemps en Italie avant d'être introduit en France.

Londres en avance d'un siècle sur le ravitaillement, encourage l'import/export de blé

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À Londres, vers le milieu du siècle, le marché du blé est dominé par une quinzaine de sociétés qui n'hésitent pas à stocker à Amsterdam, où le magasinage est moins coûteux, quand les taux d'intérêt baissent. Le blé touche la prime à l'exportation, établie par le gouvernement anglais. En cas de pénurie, son retour est exonéré de droits de douane, observe Fernand Braudel[98], qui reprend les conclusions de N. Gras : « Londres a sur Paris un bon siècle d'avance en matière de ravitaillement »[99].

Années 1760

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Le prix du blé monte au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, malgré l'apparition de stocks dans des entrepôts publics[67] :

Années 1760 1761 1762 1763 1764 1765 1766 1767 1768 1769
Prix observé du quintal de blé (en livres) 15,6 13,3 13,2 12,6 13,3 14,8 17,6 19 20,6 20,4
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 196 166 155 149 156 175 208 224 242 240

Les « halles au blé » de Paris et Clermont-Ferrand

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La halle au blé de Clermont-Ferrand a été construite entre 1762 et 1771 par François-Charles Dijon, pour abriter le marché aux céréales, avant d'être surélevée en 1822 par Louis Ledru[100]. Le bâtiment a longtemps été utilisé par la ville pour le stockage des grains. Au même moment, la halle au blé de Paris, qui deviendra en 1885 la Bourse de commerce de Paris, est érigée en 1763 en bord de Seine: deux galeries concentriques, ouvertes sur l'extérieur par vingt-quatre arcades, et surmontées d'un vaste grenier vouté, bâti par la Compagnie des frères Bernard et Charles Oblin, avec l'appui du contrôleur général des finances, Jean Moreau de Séchelles et du prévôt des marchands, Jean-Baptiste de Pontcarré de Viarmes, malgré les objections du Parlement de Paris. Six siècles plus tôt, Philippe II Auguste avait établi les Halles de Paris aux Champeaux : les blés de la plaine de Luzarches y arrivaient par la route, et ceux de la Brie dans des bateaux qui abordaient au port au Blé, au pied de l'hôtel de ville de Paris. Mais le quartier était l'objet d'une cohue permanente qui compliquait l'acheminement des grains. Pour assurer une meilleure efficacité, les terrains de l'ancien hôtel de Soissons furent choisis, car proches de la Seine, où circulaient les bateaux chargés de grains.

Les marchands étaient partagés sur la forme à donner à l'édifice : certains préféraient un « carreau » où la lumière du jour permettait de juger de la qualité des grains, d'autres soulignant les avantages d'un édifice couvert pour les protéger des intempéries. La solution retenue s'inspire de l'"Old Corn Exchange", de Londres, érigé trente ans plus tôt au bord de la Tamise : un bâtiment de plan annulaire, de 122 mètres de circonférence, percé de 25 arcades : la partie centrale reste ainsi à ciel ouvert, mais deux galeries concentriques, ouvertes sur l'extérieur par 24 arcades et couvertes de voûtes supportées par des colonnes d'ordre toscan, forment un abri.

L'arrêt de 1761 veut des défrichements en faveur des céréales

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Pendant la guerre de Sept Ans, le pouvoir montre qu'il veille à la sécurité alimentaire et l'approvisionnement des armées et flottes. Henri Bertin, contrôleur général des finances de Louis XV est rapporteur de l'arrêt de 1763 sur la circulation des grains[53], avant de devenir ministre d'État chargé de l'agriculture. Il décide le 16 août 1761 de « donner des encouragements à ceux qui défricheront des terres », non cultivées depuis 25 ans, par une exemption du vingtième, dans 18 généralités, pour développer les cultures céréalières[53]. Deux autres arrêts, en 1764 et 1766, vont allonger la période de friche prise en compte[53]. En 1770, l'administration publie des relevés détaillés des défrichements effectués depuis 1766 dans les différentes généralités[53].

La presse physiocratique les publie avec d'autant plus d'enthousiaste que la pénurie de céréales continue[53]. Au 1er octobre 136 000 hectares au total ont été défrichés et le nombre montera à un demi-million d'hectares sur 33 ans[53], mais l'historien Ernest Labrousse estime que cela représente au maximum 2,5 % des surfaces labourables[53]. Les disparités régionales sont fortes. Les défrichements effectués en Bretagne représentent 8 % des terres, contre 5 % dans le Roussillon et 5 % dans le Languedoc où existe une histoire céréalière importante le long du canal du Midi, qui ne s'étend pas plus loin dans les terres[53]. Les défrichements effectués dans le nord de la France sont rares[53].

Les maîtres de poste, plus nombreux après 1760, experts en agriculture

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Les maîtres de poste sont aussi des cultivateurs instruits, qui suivent les nouveautés en agronomie et les diffusent, comme François Cretté de Palluel[91], médaille d’or 1785 de la Société d’agriculture de Paris. Les avoines et fourrages d’un domaine agricole permettent d’entretenir une cavalerie coûteuse[101] : les excédents étant consommés par les chevaux de Poste[101], lesquels fournissent le fumier nécessaire à l’engraissement des terres[101].

ers Paris et Marseille, les circuits de la crise céréalière de 1767

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Au cours des années 1760, une tentative de libéralisation coïncide avec de mauvaises récoltes : les prix, désormais libres, s'élèvent. Les plus pauvres ne peuvent plus se nourrir. Le pacte implicite, qui exige du roi de veiller à la sécurité de ses sujets et à leur approvisionnement en denrées, est rompu. Une grande agitation s'ensuit et la tentative avorte : des prix fixés par le roi sont rétablis. L'approvisionnement reste une affaire d'État.

Durant cette crise de subsistance, Roux, négociant à Marseille, fait appel à la compagnie Caulet et Salba pour rassembler des céréales autour de Toulouse, agissant en commissionnaires de Jean Embry, marchand à Agde, selon les recherches de l'historien Steven Kaplan. Caulet et Salba assurent la livraison des grains à deux marchands commissionnaires de Roux : Portlay à Marseille et Legier à Toulon. Cet arrangement complexe montre que les réseaux de commercialisation des céréales des années 1770 sont déjà assez flexibles, pouvant être créés ou transformés en cas de besoin.

À Paris, l'avocat Jean Charles Guillaume Le Prévost de Beaumont invente l'expression de « pacte de famine, en jouant sur les mots « pacte de famille », nom d'une alliance entre la France et l'Espagne sous Louis XV pour dénoncer le profit de spéculateurs selon lui alliés à certains notables, voire au roi lui-même et à ses ministres.

Paris est alors avide de froment, de pain blanc, et refuse les méchants grains et les sombres farines - le seigle, l'épeautre et le méteil. Le Roi mobilise la police : lieutenant général, commissaire et inspecteurs et pense trouver la parade dans le marché, hebdomadaire et obligatoire, lieu physique de la vente et de l'achat transparents. Celui des céréales, dit de « la Grève », est en bord de Seine, place de Grève, dominé par les marchands installés dans le port, connectés à un réseau important de commissionnaires dans les campagnes pour rassembler les céréales, habituellement « bien établis dans la communauté locale » de chaque lieu d'approvisionnement.

Années 1770

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Le prix du blé évolue baisse de près d'un tiers sur la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, et dans les mêmes proportions si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1770 1771 1772 1773 1774 1775 1776 1777 1778 1779
Prix observé du quintal de blé (en livres) 25 24,2 22,1 21,9 19,3 21,1 17,1 17,7 19,5 18
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 278 269 246 243 215 222 181 187 205 190

La Prusse annexe le riche delta de la Vistule, la Pologne se tourne vers la mer Noire

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Bassin versant de la Vistule et ses affluents

Il fallut aux cultivateurs de céréales Mennonites hollandais trois générations pour mettre en valeur le delta de la Vistule dans l'immense république des Deux Nations : la première y trouva la mort, la seconde la disette, la troisième y récolta le blé, construisant barrages et moulins à vent, jusqu'aux environs de Toruń[102] et expédiant le blé par gros volumes via Dantzig[103]. Enrichis par les céréales[103], dès 1765, certains ont émigré vers d'autres provinces du royaume de Prusse, surtout vers la Nouvelle Marche (Neumark). Dès 1764, Catherine II de Russie leur offre aide et autonomie, pour qu'ils aillent le long de la Volga, à condition de ne pas convertir les paysans orthodoxes.

En 1772, le premier partage de la Pologne isole le bassin de la Vistule de la mer : Frédéric II de Prusse s'empare de plus de 80 % du commerce extérieur de la république des Deux Nations, exigeant d'énormes droits de douane, ce qui la ruine. Il veut capter les flux d’exportation vers ses propres ports. La Prusse décrète en 1774 que les Mennonites n'ont plus le droit d'acheter des terres, sauf à un autre Mennonite[103] et doivent verser 5000 thalers par an pour rester exemptés de service militaire[103]. Privées de débouchés, les régions céréalières du Sud de la Pologne sont en surproduction[65]. Leurs propriétaires songent à utiliser le Dniestr et le Boug méridional, qui s’écoulent, parallèlement vers la mer Noire[65], mer « sans glace » l'hiver. Le traité de Kutchuk-Kaïnardji vient justement de clore la première guerre russo-turque (1768-1774) : Catherine II de Russie gagne Azov, Kertch, les districts de Kouban et la liberté de navigation sur la mer Noire. Ce possible détournement des flux de céréales éveille l'intérêt du gouvernement français. Il veut s'assurer grains et matériaux de marine à partir de la mer Noire, aux dépens du commerce anglais en Baltique, qui assèche à dessein l'offre russo-polonaise en chanvre et bois de marine[65]. Paris se tourne alors vers Antoine-Ignace Anthoine, parti en 1771, à 22 ans, prendre la direction d'une maison de Constantinople, où il réalisa des bénéfices considérables.

En juin 1778, la fondation de Kherson sur le Dniepr, auparavant simple forteresse, veut en faire l’entrepôt russe pour le commerce en Méditerranée, pendant méridional de Saint-Pétersbourg[65]. Cependant, le gouvernement russe hésite à ouvrir ses ports aux étrangers. Mikhail Faleïev signe un contrat avec Joseph Raimbert, vice-consul à Saint-Pétersbourg de 1765 à 1791, et négociant français le plus en vue, pour la livraison de tabac. Il fonde une Compagnie de la mer Noire pour les échanges avec l’Empire ottoman et la France. Côté polonais, une « Compagnie pour le commerce oriental »[104], société par actions, confiée au chancelier Okęcki, est créée en 1782 par le prince Michel Poniatowski, primat de Pologne et frère du roi Stanislas-Auguste[104]. Une « petite marine marchande polonaise » est chargée de transporter le froment polonais vers Alexandrie, Marseille et Barcelone[104].

La peste de 1781, qui sévit en Podolie, rend les débuts difficiles[104]. Le Prussien Johann Schultz et le Français Jean Luis Massol ayant échoué à fonder à Constantinople une compagnie de commerce avec la Pologne, entrainant dans leur faillite en 1781 de nombreux négociants européens, les milieux polonais du commerce refusent d'abord d'utiliser le nouveau port de Kherson[104]. Mais en mai ou juin 1780, un premier navire russe en part vers Toulon[65].

Au Japon, la Bourse du riz de Dōjima rétablie après les émeutes de la faim en 1773

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Au Japon, à la suite d'une série d'émeutes causées par des famines en 1773, le shogunat Tokugawa rétablit la bourse du riz de Dōjima, sous l'égide, la réglementation et l'organisation du gouvernement. Il crée également son propre entrepôt de riz. Le gouvernement se rend compte à ce stade de la puissance économique extrême de la bourse du riz pour soutenir l'ensemble de l'économie nationale, la détermination des taux de change et même la création de la monnaie de papier. Une proportion énorme de transactions monétaires de la nation sont traitées par les marchands particuliers et indépendants de la bourse du riz de Dōjima qui stockent le riz pour la plupart des daimyo, riz qu'ils échangent pour du papier monnaie. La bourse du riz de Dōjima assure alors l'équivalent des « comptes bancaires » pour un grand nombre de samouraïs et de daimyo, ce qui permet de gérer des dépôts, des retraits, des prêts et des paiements d'impôt.

La presse régionale suit les céréales après la libéralisation de 1774 et la « guerre des farines »

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Sur le conseil de son commis Du Pont de Nemours[92], Turgot espère que les régions riches en céréales vont pourvoir les déficitaires grâce à la modernisation du réseau des routes royales et une information plus rapide, avec la création de la Régie des diligences et messageries en 1775 : les turgotines, relient Paris à Marseille en huit jours, contre douze en 1760, avec des chevaux au galop, changés régulièrement [92]. Un édit du 13 septembre 1774, complété par d'autres, créé une liberté du commerce des grains quasi complète à l'intérieur du royaume, assortie d'un projet de l'étendre à l'extérieur du royaume.

Cette première libéralisation du commerce des grains sous l'Ancien Régime est vite discréditée par la mauvaise récolte de l'été 1774. Lors de la soudure du printemps 1775, les réserves de céréales s'épuisent alors que les nouvelles récoltes se font attendre : le prix des grains monte, les plus pauvres ne peuvent plus s'en procurer, ce qui déclenche les émeutes de la guerre des farines, d'avril à mai 1775. L'armée intervient, deux émeutiers (un perruquier de 28 ans et un compagnon gazier de 16 ans) sont condamnés à la pendaison pour l'exemple en place de Grève[105]. Le roi cède aux pressions, renvoie Turgot le 12 mai 1776, après avoir organisé un approvisionnement public et obligé les propriétaires de stocks à vendre à des prix imposés.

Le conseil municipal d'Auriol (Bouches-du-Rhône) décide en 1777 de s’abonner à la Feuille hebdomadaire d’Aix, pour se tenir au courant des prix du blé et du pain aux marchés de la capitale provençale[106]. Le Journal de Provence, édité à partir de 1781 par le journaliste marseillais Ferréol Beaugeard, qui deviendra Le Journal de Marseille en 1792, publie tous les jeudis une « feuille du commerce » avant celle de « Littérature » le samedi[106]. Le début des années 1780 voit, il est vrai, les négociants marseillais comme Antoine-Ignace Anthoine, déjà investi depuis une décennie à Constantinople, s'installer en 1784 dans le petit fort de Kherson, à l'embouchure du Dniestr[104], sur les riches terres céréalières alors négligées. L'année 1784 est marquée par un pic du prix du blé en France (ajusté de l'inflation) et une cinquantaine de navires venant de la mer Noire arrivent à Marseille entre 1784 et 1787, dont la moitié armés par Anthoine, qui est accusé de privilégier la spéculation sur les blés.

L’Irlande nourrit l’Angleterre dans les dernières décennies du siècle

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Après 1770 et jusqu'en 1840, les rendements céréaliers anglais ne firent plus de progrès. Les prix du blé restent élevés, et même stratosphériques pendant les guerres napoléoniennes[60], stimulant l'arrivée de nouveaux pays producteurs, alors que la population anglaise a entre-temps doublé.

L’accroissement démographique important de la seconde moitié du XVIIIe siècle a rapidement transformé l'Angleterre d’exportatrice en importatrice de blé, en particulier après 1770, quand la hausse des rendements ralentit et devient insuffisante. L'Irlande en profite : « Avec les dernières décennies du siècle, la viande salée d’Irlande est concurrencée par les exportations russes via Arkhangelsk et plus encore par les arrivages des colonies du Nouveau Monde. C’est alors que s’amorce un « cycle du blé » en Irlande, qui succède au « cycle du bœuf salé » et se maintiendra jusqu’au « Corn laws » de 1846 », selon Fernand Braudel[107]. Blé, pêches et lin, qui occupent près d’un Irlandais sur quatre, procurent un solde commercial positif d’un million de livres à l’Irlande, soit 20 % de son revenu, et à peu près le montant annuel qu’elle verse aux propriétaires terriens anglais installés avec le système des plantations en Irlande. Le blé sera ensuite chassé par un « cycle du lin » irlandais[107].

Années 1780

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Le prix constaté du blé évolue en très forte hausse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, un peu moins si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1780 1781 1782 1783 1784 1785 1786 1787 1788 1789
Prix observé du quintal de blé (en livres) 16,7 17,9 20,3 20 20,4 19,7 18,7 18,8 21,4 29
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 176 188 214 211 215 197 187 188 214 276

L'irrigation permanente du Nil, face à la double demande ottomane et française

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En Égypte, la demande de céréales, surtout du riz, par les marchés ottomans et européens, s'accélère au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, et impose la modernisation des techniques agricoles. L'Égypte expérimente alors une irrigation permanente, indépendante de la crue du Nil, notamment dans le Delta du grand fleuve africain. Le grand historien André Raymond estime qu’environ 15 % des céréales produites en Égypte arrivaient à Marseille dans la seconde partie du siècle, période pendant laquelle la France en manquait cruellement. L’empire ottoman réservait à sa propre consommation l’ensemble de la production égyptienne et considérait ces envois en Europe comme une forme de contrebande.

Montée des blés russes et hongrois

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La montée des blés russes et hongrois est spectaculaire dans les années 1780 grâce à la mise en valeur de bonnes terres des rives de la mer Noire, très adaptées à la production céréalière. Dans les années 1780, Versailles prend conscience de l’inversion du rapport de forces entre l’Empire ottoman et la Russie dans cette région. En 1782, la Russie exporte du blé pour la première fois, grâce à une augmentation de la production agricole. La Hongrie connait aussi de bonnes années, qui couronnent trois décennies d'expansion céréalière. En 1782, l’exportation du blé hongrois vers Vienne et l’Allemagne est multipliée par cinq depuis 1748, atteignant 100 000 tonnes[108].

Le 7 septembre 1782, Catherine II autorise les marchandises polonaises sans droits de douane puis le 22 décembre 1784 déclare port franc le petit fort de Kherson, à l'embouchure du Dniestr[104]. Le négociant marseillais Antoine-Ignace Anthoine obtint l'autorisation d'y fonder son propre établissement de négoce la même année. Une cinquantaine de navires arrivent à Marseille venant de la mer Noire entre 1784 et 1787, dont la moitié armés par Anthoine, mais les économies par rapport à la Baltique sont estimées à seulement 12 % par l’intendance de Toulon, alors qu’Anthoine en promettait 37 % mais acquit lui-même en peu de temps une grosse fortune, qu'il expliqua dans son Essai historique sur le commerce et la navigation de la mer Noire, publié à Paris, en 1805. Les français tentent de modifier la structure des exportations polonaises pour les adapter aux besoins du marché français en chanvre et bois de marine[104]. Antoine-Ignace Anthoine en acheta au prince Stanislas Poniatowski, propriétaire de grandes étendues de forêts en Biélorussie et en Ukraine et au prince Joseph Lubomirski, qui fit flotter ses bois le long du Dniepr[104], mais les fournitures navales destinées à la Marine sont de piètre qualité. Le comte de Ségur, ambassadeur de Louis XVI à Saint-Pétersbourg, à partir de 1785, l'accuse de mettre en avant les taxes comme un alibi et d'être plus intéressé par des spéculations lucratives sur le blé pour son propre compte

Autre frein à l’expansion commerciale française, les Turcs refusent le pavillon français en mer Noire, ce qui n'est finalement accordé qu'en 1802, alors que les Autrichiens obtiennent ce privilège dès 1784. La reprise de la guerre russo-turque à la fin de 1787 ruine les espoirs de conciliation. Un des vaisseaux d’Anthoine est saisi à l’embouchure du Dniepr, un autre séquestré à Constantinople, un troisième échoué sur la côte anatolienne. Anthoine abandonne le comptoir de Kherson à la veille de la Révolution française.

Les Mennonites de Dantzig négocient leur implantation en Ukraine

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Carte de Khortytsia.

Parallèlement, en Pologne prussienne, l'essor démographique des cultivateurs de céréales Mennonites est fulgurant : entre 1783 et 1787, le nombre des ménages passe de 2 240 à 2 894 et leur population totale à 13 000 personnes, sans compter les assimilés, à Dantzig et à Thorn[102]. En 1786, le prince Grigori Potemkine envoie un émissaire, George von Trappe[102], chargé d'inviter les habitants de la région de Dantzig à émigrer vers la Russie. Grigori Potemkine a en effet été informé par Von Trappe de leurs succès agricoles dans la région de Dantzig[103]. Les autorités prussiennes refusent de perdre ces compétences et n'accordent de passeports qu'aux plus pauvres, puis autorisent les propriétaires, à condition qu'ils paient un impôt sur la vente de leurs terres[102]. Les Mennonites prennent deux ans pour négocier leur accord : ils demandent qu'une première délégation de 300 familles, menées par Jakob Hoeppner et Johann Bartsch puissent visiter la Russie lors de l'hiver 1786-87. Ils y trouvent le sol fertile et les routes correctes[103], dans le secteur de la future Kherson[103], où ils demandent à s'installer à Beryslav[103], près du fleuve Dniepr. En avril 1787, ils soumettent aux russes une charte en vingt points, exigeant des avantages fiscaux, et respect de leur religion, langue et exemption de service militaire[103]. À l'automne de 1788, 288 familles, soit 1 333 personnes, se rassemblent à Dubrovna sur le Dniepr, où ils passent l'hiver puis vont jusqu'à la vallée de la Khortytsia. Les autorités prussiennes n'accordent des visas qu'aux plus pauvres, qui partent les premiers[103].

En 1797, 350 autres familles s'établissent dans la région de Khortytsia[102]. L'émigration cesse en 1805 avec les guerres napoleoniennes mais reprend en 1803 et 1809, fondant une colonie plus riche à Taurida, le long de la Molotschna[103], 100 km au sud de Khortytsia.

Flambée des cours du blé en France à partir de 1786

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Au cours de la seconde moitié des années 1780 en France, le prix du blé double presque, passant de l'indice 70 à l'indice 150[109], mais la crise a surtout lieu en 1788-1789. En utilisant les estimations de Labrousse sur l'évolution des salaires et ses données sur les prix nationaux du blé, les résultats français avant la crise de 1788-1789 n'étaient pas plus mauvais que ceux de ses puissants concurrents d'Europe du Nord et meilleurs que ceux de ses voisins méditerranéens[109], avec une hausse de 47 % par rapport à la moyenne du deuxième quart du siècle (et 23 % à Paris), contre 60 % pour l'Angleterre[109]. Les salaires réels Paris ont globalement surmonté, à moyen terme, le choc terrible de l'inflation des années 1765-1772[109]. La crise a par ailleurs été moins forte à Paris que dans le reste du pays en raison d'une plus lente augmentation du prix du blé[109].

Un échaudage des blés en mai-juin débouche sur une récolte catastrophique. Puis un orage de grêle d'une force exceptionnelle ravage toutes les campagnes céréalières entre Loire et Rhin le 13 juillet. La sécheresse sévit dans les régions méridionales. Certains auteurs estiment que cette météo a pu encourager la Révolution française[110].

Les whiskey américains de seigle et de maïs

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Les premiers pionniers allemands et hollandais de Nouvelle-Angleterre et du Canada commencent à utiliser du seigle pour distiller du whisky à la fin du XVIIIe siècle[111]. Le whisky de seigle est produit ensuite principalement en Pennsylvanie. La prohibition contribue ensuite à la quasi-disparition de ces distilleries. Plusieurs ryes canadiens sont des anciens ryes américains, tel le Gibson's Finest (en), mais des centaines de petits colons distillaient déjà le maïs de manière artisanale, selon l'historien Henry Crowgey

En 1789, le révérend Elijah Graig (1738-1808), prédicateur baptiste d'origine écossaise, fuit les persécutions religieuses en Virginie, pour la Frontière sauvage, dans le comté de Scott (Kentucky), où il se mit à distiller une variété de whisky à partir du maïs, vanté par une publicité dans le comté de Bourbon (Kentucky) en 1825, où se sont multipliées les distilleries de maïs. Les whiskey de maïs du Kentucky prennent rapidement un « e » pour les distinguer des irlandais, et le nom de la « Bourbon Street » du port de la Nouvelle-Orléans, selon l'historien Michael Veach, par lequel ils sont exportés pour constituer une alternative au cognac de la France, très demandé depuis la seconde partie du XVIIIe siècle. En 1850, les états de la Vallée de l'Ohio consacrent dix millions de boisseaux de maïs au whiskey, autant qu'aux élevages porcins et deux fois plus qu'à l'exportation[112].

Années 1790

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Le prix constaté du blé évolue en baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, baisse assez prononcée si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1790 1791 1792 1793 1794 1795 1796 1797 1798 1799
Prix observé du quintal de blé (en livres) 25,8 21,5 28,4 22 22 25 25 25,9 22,7 21,5
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 246 205 271 208 208 209 209 216 189 179

La diaspora juive et les contrats avec l'Amérique et le Levant

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La diaspora juive du commerce des céréales dans les ports méditerranéens de Livourne, Alexandrie, Marseille, Gênes, Naples et Tunis se charge d'approvisionner la France en céréales après la pénurie de 1789[113] et les troubles révolutionnaires qui vont suivre. Il n'existait plus alors de relations officielles qu'avec les pays neutres, le Levant, la Suisse, le Danemark, la Suède et les États-Unis. Le traité de commerce franco-russe de 1787, signé un an après le traité Eden-Rayneval avec l'Angleterre, permet de faire appel à la population juive d'Odessa.

Face à l'urgence de se procurer des denrées de première nécessité pour l'armée, l'État aussi passe des contrats d'approvisionnement avec des négociants liés à des affairistes français[114], comme l'alliance, domiciliée au 63 de rue de la Réunion, du baron d'Allarde, ex-élu aux états généraux, avec James Swan (en), financier de Boston qui a réussi dans les activités commerciales liées la dette des États-Unis à la France après l'Indépendance américaine de 1784. Il fait miroiter au pouvoir révolutionnaire une corne d'abondance, mais repart dans son pays dès 1794. Revenu en France en 1798, il sera emprisonné à Paris pour dette en 1808.

Une « commission du commerce et des approvisionnements », parmi les douze instituées le 1er avril 1794, succède à celle des subsistances[114], logée à l'hôtel de Brissac, rue de Grenelle et formée d'un secrétariat général et sept agences. Elle lance l'enquêtes statistiques de l'Ancien Régime le 3 décembre 1793 sur les meule à grains, première grande enquête à impact national sur ce thème, alors que des installations récentes comme le moulin à marée de Bordeaux, avec ses 24 paires de meules, peuvent apporter des solutions. L'enquête révèle des disparités régionales importantes, causées par la diversité des grains produits.

Le Comité de salut public sursoit aux lois interdisant l'exportation du numéraire, remplacés par un cours forcé des assignats : les céréales américaines peuvent de nouveau être payées en monnaie[114]. La pénurie des denrées agricoles est bien réelle mais tient plus, hormis lors de la disette de 1794-95, à la paralysie du marché qu'à un véritable défaut de production. Dès le début du Consulat, les subsistances apparaissent comme une des préoccupations majeures du ministre de l’Intérieur Lucien Bonaparte, qui commence par affirmer que la France est « autosuffisante en céréales », malgré « les différences régionales » : « la différence des sols, des climats, de l’exposition, fait que dans tous les temps les départements ont besoin les uns des autres pour s’approvisionner » vu « le peu de succès » de la récolte « dans certaines contrées ordinairement fertiles ». La famine gagne les villes, une crise de fourrages accentuant la disette des autres céréales[115].

Le directoire du district du Puy, après s'être félicité de la suppression de toutes les entraves à la liberté du commerce, y apporte vite quelques restrictions[115]. Le 12 janvier 1795, le maire écrit que « les cultivateurs ont voulu profiter de la pénurie et n'ont pas craint de demander jusqu'à 200 livres le carton de seigle »[115]. Son prix grimpe de 65 % sur l'année[115].

Chameaux livrant le blé dur du plateau syrien

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Le blé dur du Hauran, « grenier » de la Syrie méridionale, dont les transports se font encore à dos de chameaux, recueille l'intérêt des hauts fonctionnaires français en 1790. Le bulletin consulaire note que « l'exportation des céréales du Hauran donne lieu, pendant cinq mois de l'année, à un départ journalier de 5 000 à 7 000 chameaux portant chacun 910 kilos »[116].

Le plateau du Hauran est depuis l'Antiquité le grand producteur de blé de la Syrie, dans les futurs gouvernorats de Quneitra, As-Suwayda, et Dera. Les sols résultant de la décomposition des basaltes du plateau sont très fertiles et les précipitations suffisantes pour amener cette décomposition, ce qui va permettre le développement normal de la culture du blé et orge par des paysans sédentaires, adonnés à la culture des céréales et agglomérés en villages juchés sur des éminences. Ils échangent leur blé contre les légumes des plaines avoisinantes.

Projets égyptiens de la Révolution française

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L'expédition d'Égypte (1798-1801) fut étudiée à partir des sources françaises et britanniques, mais les archives ottomanes, conservées en Turquie, en Égypte et en Bulgarie, ont été mobilisées massivement deux siècles plus tard pour écrire « l’autre histoire », vue et vécue par l’Empire ottoman en mettant au centre de la problématique Alexandrie, par Faruk Bilici, professeur des universités à l'Inalco et chercheur au CERLOM, qui a obtenu le prix Jean-Edouard Goby - Institut de France, pour ses travaux sur les rapports entre l'Égypte et l'Empire ottoman

Le plan de Bonaparte d’envahir l’Égypte s'est concrétisé en 1800, mais il a commencé à manifester sérieusement de l’intérêt pour une invasion au cours de l’été 1797[117] après ses succès en Italie, dans une perspective géopolitique passant par l’Adriatique et la Méditerranée. Venise et Dubrovnik étaient alors les principaux partenaires du port égyptien d’Alexandrie[117]. La France révolutionnaire, désormais établie comme puissance italienne, avait plus d’intérêts que jamais au Levant. Les grands marchands français importateurs s’intéressaient donc à Alexandrie[118].

À la fin du siècle, le maïs donne un coup de fouet à l'élevage en France

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À la fin du XVIIIe siècle, la baisse des prix de vente du maïs en France[13] va permettre le développement de l’élevage de volailles de Bresse nourries de pâtée de maïs et de lait[13]. Sous forme de grains, le maïs nourrissait les poules, mais aussi les pigeons[13]. Sous la forme de farine, il était utilisé plutôt pour l’engraissement des porcs et des bovins[13]. La tige et les feuilles de la plante, étaient distribuées en « dessert » aux vaches laitières[13]. Le maïs donne non seulement un coup de fouet à l'élevage, mais il lui permet d'être déployé de manière plus souple et plus intensive, et moins exposée aux aléas climatiques et à l'espace disponible ce qui donne une plus grande sécurité aux écosystèmes agricoles de nombreuses régions françaises.

XIXe siècle

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L'historien Ernest Labrousse, distingue neuf crises alimentaires au XIXe siècle: 1800-1803, 1810-1813, 1815-1818, 1828-1832, 1839-1840, 1846-1847, 1853-1857, 1861-1862, 1866-1868. Au milieu du siècle, l'offre mondiale plus abondante amenuise un peu (49 à 55 shillings par Quart (unité) entre 1845 et 187) le prix du blé, et permet d'augmenter la consommation.

consommation de céréales[119] 1841-1850 1891-1900
quintal par personne 1,76 2,45

La forte croissance économique mondiale des années 1850 crée un marché des céréales, plus vaste et interconnecté par télégraphe et chemin de fer[120], en plus du déficit anglais structurel :

Importations anglaises de blé 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856
millions de Quart (unité) de tonnes[120] : 0,78 0,085 1,90 2,6 1,8 4,45 3,7 3,7 3,3 4,8 3,8 2,7 4
millions de sterling 2 0,01 5,2 9,1 4,6 9,2 7,4 7,2 6,1 12,9 12,2 9,8 13,9

La Russie succède à la France comme premier producteur mondial de blé en 1872, remplacée dès l'année suivante par les États-Unis[121], qui répondent à la pénurie mondiale de 1866-1868[122].

La récolte américaine de 1869 à 1874 :

Céréale Blé Maïs Avoine
Hausse (1869-1874) 250 % 250 % 450 %

Les rendements du blé sont globalement faibles et disparates : 5 à 6 quintaux de blé par hectare en Espagne ou en Russie, durant la première moitié du XIXe siècle, contre plus de 14 quintaux au Benelux[123], 9,6 quintaux aux États-Unis, en 1910 comme en 1800. La mécanisation apparait à la fin du siècle, lente et partielle. C'est surtout la « révolution des transports » des céréales américaines qui leur permet un taux de croissance de 3,4 % par an entre 1860 et 1900, deux fois celui de la production mondiale (1,6 %)[121].

La récolte américaine de blé[124] :

Production de blé des États-Unis 1839 1880 1900
millions de boisseaux 85 500 600

Vers 1870 la plupart des pays européens créent des droits de douane[122],[125].

Les huit premiers producteurs de blé au monde au cours des trente années précédant la Première Guerre mondiale, en moyenne annuelle, en millions de boisseaux[125] :

Production de blé États-Unis Russie Inde France Canada Argentine Australie Iles britanniques
1885-1889 515 357 265 302 38 20 26 76
1889-1894 628 360 247 303 41 47 31 69
1894-1899 686 452 240 326 52 59 27 59
1899-1904 714 545 249 338 76 42 93 58
1904-1909 672 620 301 332 104 158 59 56
1909-1914 694 791 352 317 197 147 90 61

Années 1800

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La disette anglaise de 1800 à 1801 aboutit à étendre la culture du blé dans les terrains les moins fertiles, introduisant dans la loi anglaise des complications « néfastes aux consommateurs », écrit un lobbyiste céréalier de l'époque, de l'Académie d'agriculture[126].

Le prix constaté du blé évolue en nette baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, et même en forte baisse si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire, en particulier après la fin du blocus continental en 1808[67] :

Années 1800 1801 1802 1803 1804 1805 1806 1807 1808 1809
Prix observé du quintal de blé (en francs) 27 28,8 32,6 29,7 23,8 26,2 26 24,1 21,6 19,7
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 193 199 225 198 154 164 162 146 127 112

La ville nouvelle d'Odessa quadruple rapidement ses exportations de blé

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Fondée en 1794, par Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu qui a fui la Révolution française, pour servir dans l'Armée impériale russe contre les Ottomans, Odessa compte, dès l'année suivante, 2 000 habitants, une poste et une Bourse, puis 20 000 habitants vingt ans après[127]. Odessa triple ses exportations de céréale dans la période 1804-1813[127], pendant les guerres napoléoniennes. De nombreuses villes sont fondées en Nouvelle Russie, au statut également protégé, sur les rives des vastes steppes peuplées par des tribus nomades de Nogaïs. Nommées d'après d'antiques colonies grecques de la mer Noire : Odessa, Tiraspol, Nikopol, Kherson, Théodosia, Eupatoria, Sébastopol, Simferopol, Melitopol, Stavropol, elles attirent une foule cosmopolite, stimulant le commerce des céréales.

Bonaparte à la recherche de céréales en Méditerranée

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En 1800, pour faire sa campagne d'Égypte, Napoléon Bonaparte a eu besoin d'énormément de céréales, achetées en Algérie[128], un territoire alors pas encore colonisé. Mais la France n'a pas payé ces livraisons à temps et une partie n'était toujours pas réglée vingt ans plus tard[128], ce qui a suscité la colère du Dey d'Alger et un incident diplomatique. En 1800, Bonaparte a aussi fait appel à ses alliés égyptiens. Une nouvelle organisation financière est mise sur pied le 28 avril 1800 par Kléber[128], qui doit « pressurer » l'Égypte pour financer l'expédition d'Égypte, afin d'assurer rapidement un revenu régulier aux colonisateurs. Mourad Bey, devenu un allié important des Français, envoie de Haute-Égypte le produit de l'impôt dont il est redevable sous forme d'argent et de céréales[128].

Les céréales se sont plutôt raréfiées en mer Méditerranée depuis quelques années, malgré le grand nombre de pays où elles sont cultivées. En témoigneNT les décisions prises par Bonaparte en juin 1798, quand il fait libérer et affranchir quelque 2 000 esclaves présentés comme marocains à Malte[129], alors qu'il rétablira peu après l'esclavage en France. Cette libération tenait moins à un souci humanitaire qu'à une préoccupation pratique: Malte dépendait de l'Afrique du Nord, Maroc inclus, pour ses approvisionnements en céréales et Bonaparte avait besoin de nourrir la population sur place[129]. Une lettre des Affaires étrangères de Paris au consul de France à Tanger, datée du 5 vendémiaire an VII, fait ainsi appel à la fourniture de grains du Maroc[129] « qui doit avoir été sensible à la libération de sujets qui ne tarderont pas à retrouver leur pays »[129]. Même demande faite en juillet 1798. Mais aucune de ces deux demandes n'obtint de réponse du Maroc, qui par ailleurs se montra très réservé ensuite sur l'expédition d'Égypte de 1800, contrairement à ce que la propagande de l'époque veut faire croire[129].

1808 : Méhémet Ali face aux greniers secrets des Mamelouks

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Les premières ventes importantes de céréales réalisées en 1808 aux forces militaires britanniques donnent à l'Égypte les moyens de développer la culture du blé dans le delta du Nil. Les terres à céréales de Haute Égypte se trouvent encore sous le contrôle des Mamelouks et les négociations avec eux ont échoué. Méhémet Ali, nommé gouverneur de l'Égypte par les Ottomans en 1806, et considéré comme le fondateur de l'Égypte moderne, décida d’employer la force. Les consuls français mentionnent que chaque opération militaire réussie contre eux lui permettait de mettre la main sur de nouveaux entrepôts à grains cachés dans le désert et d’acheminer rapidement ces céréales jusqu’à Alexandrie pour les expédier de là vers Malte ou vers l’Espagne. Ainsi, la tuerie des Mamelouks en 1811, prélude d'une chasse aux Mamelouks organisée dans la plupart des villes de province, consacrant leur élimination définitive s’explique aussi par la volonté de contrôler les circuits des céréales : au même moment, Méhémet Ali mettait en place le monopole sur les grains, imposant aux paysans de vendre leur production exclusivement à lui et interdisant aux négociants étrangers d’acheter du blé ailleurs qu’auprès des entrepôts d’Alexandrie.

Années 1810

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Le prix constaté du blé évolue en légère baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, également si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1810 1811 1812 1813 1814 1815 1816 1817 1818 1819
Prix observé du quintal de blé (en francs) 26,3 34,2 42,9 29,6 23 25,4 36,8 47 32 23,9
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 146 190 238 165 128 145 210 268 183 137

L'année 1812 est cependant marquée par un pic, après une hausse de plus de 60 % en deux ans, causée par la grave pénurie agricole de 1812. Ces prix élevés ont pour conséquence l'intervention de l'État, en France pour libérer des stocks et en Égypte pour en reconstituer. La chute des cours qui suit amène les fermiers anglais à exiger des protections douanières qu'ils obtiennent dès 1815, d'autant plus efficaces qu'un désastre météorologique fait doubler les prix de vente les deux années suivantes.

En 1812, l'Égypte réagit à l'ouverture de la mer Noire au commerce

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L’ouverture de la mer Noire au commerce des blés en 1812 fait prendre à l'Égypte, des mesures rapides face à cette nouvelle concurrence, pour vider les stocks de blé égyptiens et faire baisser les prix, mais aussi réorienter une partie de ses exportations vers l’est méditerranéen : Syrie, Smyrne et Constantinople[118]. Méhémet Ali gouverneur d'Égypte depuis 1806, nommé par l'Empire ottoman, avait ses propres agents, à Malte à partir de 1811, en Espagne et au Portugal en 1812, capables de le renseigner sur l’évolution de la demande de céréales en Europe[118], lui permettant d’adapter son offre et ses prix[118]. Il pariait jusque là sur une demande croissante du marché en blé égyptien mais utilisait la souplesse dans la commercialisation des céréales[118], par la vente à crédit[118] et grâce à des réseaux d'information économique auprès des capitaines et négociants grecs, et de certains négociants syriens, comme le montre la correspondance conservée dans le Diwân al-tidjâra wa-l-mabi’yât (Organisme de commerce et d’achats)[118].

Méhémet Ali acheva son contrôle sur la production par ses décrets de 1813 et 1814 abolissant l’affermage des impôts[118], ce qui eut comme conséquence de restituer la propriété des terres à l’État. Il se procura des navires pour pouvoir atteindre directement les marchés européens et négocia avec Constantinople la possibilité de remettre le tribut dû par sa province sous forme de blé, fève, riz et autres. Son règne se traduisit par une transformation sans précédent du rôle dévolu au Nil, avec le percement de nombreux canaux, au service de l’agriculture, comme le canal Mahmûdiyya, pour permettre le transport des céréales, donnant au fleuve une valeur nouvelle[118].

Grandes crises alimentaires de 1811-1812 et 1816-1817

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Les crises de subsistances de 1811-1812 et 1816-1817 ont une cause climatique[130], malgré une phase d’expansion des ensemencements en blé, appelée à se poursuivre. Plusieurs causes l'aggravent dans certaines régions : réorganisation des flux commerciaux, trop faible monétarisation, stratégies de rétention des détenteurs de grains[130].

En 1812 comme en 1817, les inégalités d’accès aux ressources céréalières contribuent à la pénurie globale, ce qui fait que les fluctuations des prix du blé n'affectent pas les mêmes zones : le Midi, dans les deux cas, conserve son positionnement, traditionnel depuis le milieu du XVIIIe siècle, dans le quartile supérieur des prix du blé[130], mais avec une augmentation modeste comparée à celles d'autres régions. Les fluctuations atteignent plus de 70 %, entre 1811 et 1812, dans les régions de prix bas de la Loire et de la Bretagne[130]. En 1816-1817, l’Est de la France, encore occupé par les coalisés, subit la hausse la plus violente, déclenchant l'insurrection dans l’Aisne, la Marne, l’Aube, l’Yonne. En Bretagne et en Normandie, la situation sociale est tendue aussi, en raison de tentatives de taxation des grains[130]. En Auvergne, les invasions de 1815 avaient déjà affabli les réserves de céréales des paysans ; la récolte de 1816 a été très insuffisante en céréales, pommes de terre et raisins. Les voitures chargées de grains se font attaquer. Les subsistances sont chères et il est difficile de s'en procurer. Des émeutes ont lieu à Langeac et Brioude. puis en région lyonnaise en décembre 1816, les marchés de Montluel, Miribel, Thoissey connaissent des scènes tumultueuses[131].

Nommé le 1er octobre 1809 ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre de Montalivet fait face à la canicule en Europe de l'été 1811[132], dont un texte préfectoral témoigne : « Un soleil de feu sécha sur pied les céréales : le grain, menu et rare, manquait même presque complètement dans certaines régions »[132]. Conséquence, 76 départements ont des récoltes déficitaires[132] et il manque 10 millions d'hectolitres de grains (sur une consommation annuelle de 93 millions)[132]. La crise s'amplifie dans les premières semaines de 1812. Le prix flambe avec des disparités régionales: hausses de 336 % en Seine-inférieure et de 196 % dans les Bouches-du-Rhône[132]. Le froment, l'orge, le seigle et l'avoine augmentent de 72 %, 115 %, 121 % et 41 %[132]. L'hyper-inflation toucha aussi les légumes[132]. L'émeute de 1812 à Caen, liée à la cherté du blé et à la difficulté à s'en procurer, commence le 2 mars par une bousculade à la halle aux grains[133]. Le maire et le préfet sont pris à partie, un moulin est pillé et dix jours après des Caennais sont condamnés à mort et exécutés. Au cours des procès qui se déroulent le 14 mars, onze personnes seulement sont acquittées[133].

Début mai, les prix avaient déjà grimpé[130] et les préfets qui avaient décidé de taxer à un niveau supérieur aux 33 francs fixés pour Paris virent les grains affluer dans leur département, où ces flux de blé étaient mieux rémunérés. Du coup, des départements disposant habituellement d’excédents de céréales, y compris en période de soudure (mai-août), basculèrent dans la disette[130]. Cette situation suscite un mécontentement : en réponse au questionnaire que Jean-Pierre de Montalivet leur adressa à la fin de l’été 1812, les préfets désavouèrent presque d’une seule voix l’inspiration antilibérale des décrets[130]. Ceux des départements de la vallée du Rhône et du Midi provençal ont ensuite délibérément ignoré la surtaxe, pour éviter de surenchérir sur le taux très élevé de 45 francs qu'avait choisi le préfet du Rhône, afin de garantir au blé un prix de vente suffisamment rémunérateur sur les marchés de Lyon, en manque de blé[130]. Autre motif au boycott de fait de la taxe, ces préfets de la vallée du Rhône et du Midi ne voulaient pas compromettre la descente vers le Sud des blés de la Bourgogne et de la Champagne[130], indispensable car Marseille ne peut plus importer, la Méditerranée étant entièrement sous contrôle anglais[130]. Dès l’automne 1811, les négociants phocéens avaient tenté de prévenir la catastrophe, par des achats massifs dans les terroirs beaucerons et bas-normands[130].

En 1816-1817, le mauvais temps[64] et le faible ensoleillement dus à l’éruption du Tambora en 1815 en Indonésie en avril, avec sa colonne de fumée de 33 km de hauteur, qui dura 33 h, la plus violente depuis l'éruption du Samalas en 1257[134], ont affecté toutes les récoltes en Europe[64]. La France est plus durement touchée par cette année sans été car les troupes alliées l'ont envahie en 1815, après la bataille de Waterloo, avec réquisitions et pillages[64]. La hausse des prix du blé devient dramatique[64] et la famine sévit, marquée par des émeutes de grande ampleur, dans l’Est de la France et le sud du Bassin parisien[130], le gouvernement s’emploie d'abord à nier l’ampleur de la crise, même quand des départements éprouvent la pénurie. Puis ordre est donné aux préfets de rechercher l'égalisation des prix, et le comblement des déficits locaux[130]. Parmi les préfets, un pourcentage significatif (environ 20 %) a suggéré au gouvernement un retour au moins partiel à davantage de dirigisme[130].

En Angleterre, la Corn Law de 1815, à la fin de la guerre de 1812

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Lord Liverpool, chef du gouvernement créateur de la Corn Law de 1815.

En 1815, la première des Corn Laws interdit toute importation de blé dès que le prix passe sous 80 shillings le quart (66 shillings pour le blé canadien)[135]. L'Angleterre vient de perdre la guerre de 1812 face aux États-Unis et veut soutenir le Canada, où l'aristocratie loyaliste a dû émigrer, peuplant les rives du lac Ontario et du Saint-Laurent[136]. Le blé nourrit les camps de bûcherons[137] et les garnisons[137] lors de la guerre de 1812 mais aussi la Grande-Bretagne[137] et le Bas-Canada.

Pendant les guerres napoléoniennes, le marché anglais du blé avait en effet été restructuré par les négociants anglais de telle manière que le Canada en fournisse les deux-tiers en 1810[138], il s'agit d'encourager les front pionniers de l'Ontario, où le défrichage produit du bois avant de planter du blé. Pendant le blocus continental, le prix du blé avait culminé à 127 shillings en 1812, puis chuté en 1814 à 74 shillings[139]. À ce prix, le blé canadien est sûr de rester autorisé. Le commerce mondial est assuré à 65 % par la Pologne et le nord de l'Allemagne, la Sicile, le Maghreb et les Amériques fournissant le reste[140].

Mais les prix doublent en 1816-1817, lors du mauvais temps causé par l'éruption du Tambora en 1815. Les importations anglaises quadruplent de 1814 à 1818, à 100 millions de francs[140]. Les céréaliculteurs anglais, à qui la corn law de 1815 rappelle agréablement les barrières douanières de 1791 et 1804, prennent rapidement le relais. De ce fait, la hausse de l'offre et la baisse des prix qui suivent le pic de 1817 sont nettement plus fortes qu'attendues, amenant les prix vers 40 à 60 shillings le quart en 1820, fermant l'accès à l'Angleterre aux céréales du Canada. Les marchands font signer des pétitions contre le protectionnisme, dénonçant les émeutes de la faim de 1817.

La Corn Law de 1815 sera donc profondément amendée :

  • dès 1822, par une loi prévoyant la réouverture des frontières à partir de 80 shillings le quart et leur fermeture en dessous de 70 shillings, soit dix shillings de moins qu'en 1815 : la protection du blé anglais devient beaucoup moins systématique.
  • puis en 1825, pour revenir à la volonté d'encourager le Canada, cette fois plus efficacement : le blé des colonies n'est plus contingenté du tout. Il subit une taxe de 5 à 6 shilling le quart, 4 fois moins que les autres blés importés[138]. Le blé canadien voit ses exportations en Angleterre plafonnées à 125,000 tonnes, lui donnant de la marge : entre 1817 et 1825, l'Ontario avait expédié en moyenne 57 800 tonnes de blé à Montréal[137], pour l'essentiel consommées sur place.
  • en 1828, c'est l'introduction d'une « échelle mobile », négociée en 1827 par William Huskisson, responsable du Board of Trade depuis 1823. Elle vise à protéger encore plus le Canada, en taxant seulement ses rivaux : un shilling par quart de blé importé si les prix du blé sont entre 73 et 79 shillings. S'ils descendent sous 73 shillings, la taxe augmente, progressivement, remplacée par une interdiction sous 52 shilling.

En 1818, l'échec des chroniques « Agricola » en Nouvelle-Écosse

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L'Angleterre a aussi tenté d'encourager la culture des céréales dans les provinces maritimes de l'est du Canada, au climat plus doux, sur les rives des cours d’eau, par exemple le long du fleuve Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Les nouvelles terres se prêtent bien à la culture céréalière mais, pour des raisons d’ordre culturel, agricole et commercial, les colons préfèrent l’agriculture mixte et se consacrent avant tout à l’élevage du bétail, qui demande moins de main-d’œuvre que la culture des céréales. En 1818, John Young, marchand de Halifax, milite pour l’amélioration des méthodes agricoles en Nouvelle-Écosse. Convaincu du potentiel de progrès de l'agriculture dans la province, il écrit des chroniques signées « Agricola » dans l'hebdomadaire Acadian Recorder, fondé le 16 janvier 1813 par Anthony Henry Holland, futur papetier à Bedford. Une société provinciale d'agriculture se crée en 1818 et il devient secrétaire du bureau central de l'agriculture, parrainé par le gouvernement et installé à Halifax, principal port de Nouvelle-Écosse. Des sociétés agricoles se forment autour de lui mais les efforts de Young sont vains, car, les marchands ne s’intéressent pas à l’agriculture locale, tandis que les agriculteurs sont peu motivés. Jusqu'en 1850, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick resteront ainsi importateurs nets de denrées alimentaires des États-Unis. Seule l’Île-du-Prince-Édouard affiche un excédent agricole, qui grandit dans les années 1920 au point de lui permettre à partir de 1831 d'exporter du blé en Angleterre, où la croissance urbaine a creusé les besoins en céréales étrangères.

Le Portugal choisit l'importation, deux ans avant sa révolution libérale

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À la fin des guerres napoléoniennes, le Portugal retrouve son intégrité territoriale mais doit payer à la France une indemnité de 2 millions de francs, ce qui amène un fort mécontentement. De 1815 à 1821 le Brésil fait partie du Royaume-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves dont la capitale est de fait Rio de Janeiro car la famille royale y est réfugiée depuis 1807. L'ancienne colonie peut alors commercer directement avec d'autres états européens. Cela accentue les problèmes économiques du Portugal, encore sous l'administration de William Beresford en l'absence de la famille royale. En 1818, les importations de blé reprennent. Le blé, acheté par le gouvernement est cédé à bas prix aux industriels de la meunerie qui fournissent à bon marché un pain « politique ». L'opposition accuse le gouvernement de léser les intérêts des producteurs nationaux et d'accroître la dépendance économique du pays. Cette situation créée une vague de protestation qui aboutit à la révolution libérale portugaise de Porto le .

Années 1820

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Le prix constaté du blé évolue en hausse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, assez forte si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1820 1821 1822 1823 1824 1825 1826 1827 1828 1829
Prix observé du quintal de blé (en francs) 25,5 23,7 20,7 23,4 21,6 21 21,1 23,3 29,4 30
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 150 140 122 137 131 127 132 155 190 187

La dépression du marché autour de 1825 n'est que temporaire, deux ans après la crise boursière de 1825, l'économie britannique est repartie et elle importe dès 1827 autant de blé de la Russie méridionale que lors de la famine de 1817. Les prix russes ont depuis beaucoup baissé car les moissons de la mer Noire se sont étendues et ils resteront bas, avec la relance de la production canadienne après 1825.

De plus, l'Angleterre réforme profondément la taxation de ses importations en 1825, afin d'épargner aux colonies céréalières canadiennes les conséquences de la crise boursière de 1825 et conserver ainsi une seconde source d'approvisionnement. La pression commerciale est forte car l'année 1825 a vu non seulement l'ouverture aux États-Unis du canal Érié reliant le lac Érié à New-York mais aussi le lancement l'année précédente des travaux du futur canal Welland, pour relier lac Érié et lac Ontario, ce qui risque d'entrainer les cultivateurs de son pourtour sur la voie des exportations vers les États-Unis. Par ailleurs, le premier, et modeste, canal de Lachine, creusé entre les étés 1821 et 1824, permet de contourner les rapides de Lachine, point délicat de la voie maritime du Saint-Laurent : c'est le moment de relancer la filière du blé ontarien.

En France, le « Plan Becquey » vise à désenclaver les cultivateurs de céréales

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Le canal de Roanne à Digoin à Artaix

À la première Restauration, Louis Becquey directeur général de l'agriculture, du commerce, des arts et des manufactures[141] défend des lois sur l'exportation des laines et des grains, et achète du blé (Hollande, Italie, États-Unis, Crimée) face à la crise frumentaire de 1816-1817 puis fait voter les lois du 5 août 1821 et 14 août 1822 pour le transport des céréales par canaux et réseau fluvial, à une époque où le chemin de fer n'existe pas encore. Le canal de Roanne à Digoin est un des très nombreux canaux inscrits dans ce plan. Il supplée l'insuffisance de la Loire à certaines saisons et contribue à l'alimentation en eau du canal latéral à la Loire. Mais les travaux ne débutent qu'en 1832, et le canal n'est est ouvert qu'en 1838, en même temps que le canal latéral à la Loire[142]. Le canal est financé par la Compagnie Franco-Suisse composée de financiers roannais et genevois et la société fut parmi les premières cotées à la Bourse de Paris.

Le recul de l'influence turco-égyptienne

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En mer Noire, les conséquences de la guerre d'indépendance grecque
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La guerre d'indépendance grecque (1821-1829), ou « révolution grecque », conflit grâce auquel les Grecs, finalement soutenus par les grandes puissances, France, Royaume-Uni, Russie, réussirent à obtenir leur indépendance de l'Empire ottoman, allié à l'Égypte, a tout d'abord freiné le commerce céréalier en rendant la navigation de commerce difficiles dans l'est de la Méditerranée.

L'entrée en guerre de la Russie en 1827 lui permet cependant d'exporter plus que jamais, égalant dès 1827, avec 1,6 million de tchetvert, le record de 1817, l'année où la famine générale en Europe avait développé ce commerce[140]. Le prix moyen sur la fin des années 1820 est cependant inférieur de moitié : 12 roubles et 5 kopeks sur 1825-1829 contre 26 roubles et 58 kopeks sur 1814-1818 pour le blé tendre à Odessa[140] :

1814 à 1818 1819 à 1824 1825 à 1829 1830 à 1832
26 roubles et 58 kopeks 20 roubles et 32 kopeks 12 roubles et 5 kopeks 17 roubles et 35 kopeks

En 1827, l'expédition navale de démonstration suggérée lors du traité de Londres voit une flotte conjointe russe, française et britannique détruire la flotte turco-égyptienne lors de la bataille de Navarin déclenchant la guerre russo-turque de 1828-1829, réglée par le traité d'Andrinople. L'influence régionale de la Russie en sort renforcée, mais elle voit émerger de potentielles rivales sur le plan agricole, les principautés danubiennes désormais indépendantes.

La progression du blé tendre de la mer Noire est clairement dans le viseur du seuil choisi au cours de l'année 1827 pour réformer les corn laws : elle n'affranchit le blé de tout impôt que lorsque le prix du tchetvert de froment dépasse 60 roubles environ, une « muraille infranchissable » qui incite le négoce à la contourner durablement, par des entrepôts dans les ports de Gènes, Livourne et Marseille, et même Trieste, en principe plus tournée vers la Hongrie.

Après un plus haut de 45 roubles en 1817, le prix du blé tendre à Odessa connait un minimum de 7 roubles en 1829, soit une division par six[140]. Le polytechnicien français Louis Joseph Gay-Lussac, qui a travaillé sur la sélection des alcools, affirme alors que les blés exportés par Odessa sont supérieurs à tous ceux du reste de l'Europe, mais on leur reproche d'être battus sur des aires non pavées, et ainsi « entremêlés de mottes de terre »[140]. À l'exception des années de guerre, la Russie méridionale n'exportera jamais moins de 0,6 million de tchetverts de blé par an sur la décennie 1823-1833. De 1815 à 1830, ses exportations totalisent 13,23 millions de tchetverts, dont 40 % sur trois années : plus de 2 millions de tchetverts en 1830, et 1,6 million de tchetverts en 1827 comme en 1832[140].

Les liens entre Beyrouth et Alexandrie pour l'écoulement du riz égyptien
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De Damiette partaient la plupart des cargaisons de céréales, en particulier de riz, destinées aux ports de la côte syrienne : Tripoli, Sayda, Tyr et Saint-Jean-d'Acre[143]. Ce commerce prospérait malgré les tentatives de l’administration ottomane de prohiber ces flux au profit de l’approvisionnement en grains de Constantinople[144]. Les négociants français utilisaient Beyrouth comme étape dans les exportations illégales de riz vers Marseille[143].

Les documents consulaires français relatifs aux villes côtières libanaises font apparaître des changements importants à partir du début du XIXe siècle[143]. Le développement de Beyrouth, à partir des années 1820, détourna à son profit les flux en direction des autres ports tels que Sayda, Tripoli, Tyr, Saint-Jean-d'Acre et Haïfa. Pour Beyrouth, Alexandrie devint alors un partenaire aussi important que Damiette, tant pour les importations que pour les exportations de riz[143].

Fiscalité et immigration : l'Angleterre relance le blé du Canada

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Les fronts pionniers de l'Ontario relancés au milieu de la décennie
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La dépendance de l'Ontario à l'égard de la culture du blé devient spectaculaire tout à la fin des années 1810, quand la stricte application de la loi anglaise de 1815 exclut le blé canadien du marché britannique pour cause de chute des prix. La valeur des terres défrichées baisse mais le wheat mining, ou « blé du défrichage » dans les forêts se poursuit, à un rythme seulement plus lent. Car de 1821 à 1840, le bois canadien paie un droit fiscal de seulement 5 pence sur le marché anglais contre 55 pence pour son principal concurrent, le bois de la Baltique, ce qui assure peu à peu un triomphe sur le marché anglais du "Withe pine" canadien jusqu'aux années 1840[138], d'autant que le fret anglais est compétitif, les navires ayant amené le bois repartant vers le Canada avec des immigrants. La Corn Law est profondément assouplie, via loi de 1822, abaissant de dix shillings le prix en dessous duquel le blé canadien ne peut plus être vendue en Angleterre, mais cela ne suffit pas à le relancer avant 1825 car les prix continuent à baisser.

L'Empire colonial anglais prend le relais pour la poursuite de l'émigration et du défrichage des forêts de l'Ontario. Dans les années 1820, l'homme d'affaires Peter Robinson, député du Haut-Canada, organise avec le Parlement britannique, l'arrivée en Ontario d'Irlandais catholiques, particulièrement des environs de Tipperary et Cork. Leur arrivée, fait de Scott's Plains, rebaptisé en son honneur, Peterborough un centre régional ontarien, où l'industrie navale du canot émergera dans les années 1850. En 1823, un 1er groupe de 568 migrants arrive des villages de Ballyhooly, Castletownroche, Liscarrol], et Churchtown, du comté de Cork, pour s'installer, mais se heurtent aux colons protestants locaux en 1824[145]. Une partie s'en va chercher du travail aux États-Unis et reviendra plus tard. En juin 1825, un second groupe de 2 024 passagers, plus familial, embarque de Cork[146] sur neuf navires. Ils recevront 403 lots agricoles dans le district de Newcastle, à Emily, Ennismore, Douro, et Otonabee.

À leur arrivée, les exportations de blé sont proches de zéro, mais la fixation de droits fiscaux préférentiels pour le blé canadien en 1825[147], qui autorise à importer du Canada jusqu'à 500000 quart[147], permet aux prix et aux volumes d'exportation de se redresser immédiatement, avec environ 300000 quart en 1825 contre 400 l'année précédente[147]. La coopérative Farmers' Storehouse est créé près de Toronto en 1825 par d'anciens quakers. D'autres quakers érigent entre 1825 et 1832 plusieurs bâtiments de la communauté The Children of Peace.

Le blé est planté presque partout[148], mais il ne réussira durablement que dans les zones fertiles à l'ouest du Lac Ontario et au nord-ouest de Toronto, dans les régions de Peel et Halton[148]. L'Avoine, semée en mai pour être récoltée en septembre, est aussi prisée[148] car elle permet d'éviter l'hiver et de nourrir les chevaux servant à l'abattage et au transport des arbres en complément des rivières.

La « guerre des terres » des céréaliers de l'Île-du-Prince-Édouard
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Carte de l'île.

Alors que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick restent importateurs nets de denrées des États-Unis jusqu'en 1850, l'Île-du-Prince-Édouard augmente ses récoltes dans les années 1820, au point d'exporter à partir de 1831 du blé en Angleterre[149], grâce à l'action de William Cooper, qui lance cependant une révolte contre les propriétaires terriens anglais absents. En 1827, le lieutenant-gouverneur de l'île, John Ready, recommande de créer des Sociétés agricoles. Vétéran de la bataille de Trafalgar dans la marine britannique[137], Cooper avait construit l'année précédente un moulin à blé et un navire de 72 tonneaux, puis pasée des baux avec quelque 60 locataires, pour le compte de son propriétaire[137]. En 1829, Cooper fut congédié par le sien, lord Townshend pour des motifs peu clairs[137] et se lance dans l'agitation agraire auprès des cultivateurs Acadiens, présents dans l'île depuis 1720, à Port-LaJoye, qui cultivent le blé depuis 1726 et sont 890 dès 1740, en raison de la difficulté d'obtenir de nouvelles terres en Nouvelle-Écosse, puis 4600 en août 1758, parmi lesquels 3100 furent capturés et déportés en France lors du Grand Dérangement, et leurs terres confisquées, les autres réussissant à se cacher ou à s'enfuir. Les survivants sont rejoints vers 1784 par des colons loyalistes anglais, après la défaite anglaise de la guerre d'indépendance des États-Unis, alors que depuis 1767, presque toutes les terres de l’Île-du-Prince-Édouard sont possédées par des lords anglais absents[137], la population ne revenant à 4 000 habitants qu'en 1798, parmi lesquels des Acadiens de retour.

Lors d'une élection partielle en 1831, William Cooper entre à l'Assemblée de la colonie après une campagne électorale sur le thème de «La liberté de notre pays et les droits de nos fermiers»[137]. Le scrutin fut interrompu par une émeute, et il dût se cacher, en tant que leader du combat contre l'escheat (confiscation des terres)[137], sur fond de colère des céréaliers contre les Corn Laws. Cooper organise de nombreuses réunions publiques au cours desquelles il conseille aux fermiers de retenir le paiement de leur loyer. Lors de celle d'Hay River le 20 décembre 1836[137], plusieurs centaines de fermiers souscrivent unanimement à une requête comprenant 34 clauses demandant au roi l’institution d’une « Cour d’escheat »[137]. Cooper sera arrêté en 1838.

Années 1830

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Le prix constaté du blé évolue en légère baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié, si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67]. La décennie est cependant marquée par deux mouvements opposés, d'abord une baisse du prix réel des céréales au cours de la première moitié puis une très forte remontée à partir de la fin 1834 :

Années 1830 1831 1832 1833 1834 1835 1836 1837 1838 1839
Prix observé du quintal de blé (en francs) 30 30 28,6 21,8 20,2 23,9 24,6 25,8 28,9
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 177 166 155 112 106 123 129 136 156 149

Les années 1830 voient aussi la croissance des exportations de céréales de la mer Noire, par le port franc d'Odessa, sur fond de forte croissance économique mondiale des années 1830. En manque de céréales pour sa nouvelle population urbaine, l'Angleterre importe 1,5 million de quarts dès 1830[120], après 2 millions sur les deux années précédentes réunies, à des prix très élevés dès 1828[120]. Le prix des céréales monte grâce à l'assouplissement des Corn Laws. L'Angleterre a introduit « l'échelle mobile » en 1828, suivie par autres pays d'Europe entre 1830 et 1835.

Grandes famines de 1830 en Europe du Nord

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L'hiver 1829-1830 a été l'un des plus froids du XIXe siècle[150]. En Allemagne, les cultures sont perturbées par une température moyenne de -6,6°degrés centigrades, qui descendit jusqu’à – 30e et par 72 jours de gel ininterrompus[151]. La France fut moins touchée que l'Allemagne ou la Belgique mais pénalisée[151]. La situation agricole empira au cours de l’année 1829, alors que 1827 et 1828 furent déjà des années de récoltes médiocres[151], causant une augmentation importante des prix des céréales[151] et un report du pouvoir d’achat sur le pain. L’hiver 1828-1829 fut ainsi marqué par un faible rendement céréalier[151], aggravé par la prolifération d'insectes ravageurs, qui a causé les grandes famines de 1827 à 1830[150] en Angleterre et dont la présence en France dans les champs a fait avorter le grain[151]. En France, les gelées furent très fortes à partir du 16 novembre et se prolongèrent jusqu’au 21 février, pendant près de 4 mois avec près de 100 jours de gelée[151].

À la suite de cet hiver rude, au deuxième trimestre 1829, la quantité d’eau tombée représenta 32,5 % seulement de la pluviosité moyenne attendue[151]. De plus, le sol ayant gelé en hiver à de très grandes profondeurs, atteignant même jusqu’à un mètre, l’eau de la fonte des neiges n’avait pu pénétrer le sol empêchant de renouveler la provision d’eau[151]. Le niveau des nappes phréatiques s’est donc abaissé, entrainant des difficultés d'approvisionnement régulier en eau dans certaines grandes villes[151].

Dans les Ardennes, et sur les bords de la Semois, des torrents de pluies ont putréfié ou emporté les fourrages[151]. La neige recouvre toute l’Europe. En Belgique, il tombe, en certains endroits, plus d’un mètre de neige, qui reste au sol 54 jours en décembre et janvier. En France, la neige préserve les récoltes là où elle reste sur le sol, mais les céréales sont gelées ailleurs. Les oliviers, châtaigniers, mûriers et vignes périssent en grand nombre[151]. Aux Pays-Bas, l’hiver 1829-1830 est, avec celui de 1962-1963, le plus froid enregistré depuis 300 ans[151]. La température moyenne est de −3,1 °C ; décembre fut le mois le plus froid[150].

Crise russe de 1833

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La croissance des exportations se poursuit malgré la crise de 1833, quand la moitié de la Russie d'Europe voit ses récoltes de céréales anéanties, en particulier dans la « Russie blanche », province polonaise, réunie à l'empire russe depuis 1772. C'est l'une des trois plus graves famines de la Russie au cours du siècle : la production de grains russes a baissé de 32 %, alors que dans la plupart des disettes céréalières du XIXe siècle recensées par les historiens, c'était environ 10 %. Les popes russes promettent un demi-sac de farine par mois à tout habitant qui signerait l'acte d'adhésion à leur église dominante et les pauvres affamés acceptent en masse[152].

Croissance du négoce céréalier grec

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Les deux principautés à l'Ouest de la mer Noire, Moldavie et Valachie, passent sous influence russe au traité d'Andrinople (1829), elles se trouvent sur les riches terres noires danubiennes[153].

La géostratégie de la mer Noire est bouleversée par l'émergence d'un commerce encore plus tourné vers l'occident après le traité d'Andrinople (1829), entre l'empire ottoman et la Russie, qui met fin à la guerre russo-turque de 1828-1829. L'interdiction des pavillons étrangers en mer Noire est levée, le commerce des céréales s'en trouvant libéré[154]. Une génération d'armateurs grecs s'engouffre dans ce boulevard, d'autant que les insurgés grecs, en partie à l'origine de la guerre russo-ottomane, voient leur indépendance entérinée en juillet 1832. Ils travaillent avec les grands négociants, soucieux de séduire les principautés danubiennes, nées du traité d'Andrinople, comme la principauté de Valachie, qui récupère les ports danubiens de Turnu Măgurele, Giurgiu et Brăila, ou même la Serbie, qui voit son autonomie accrue et reconnue ; mais aussi de contourner les corn laws anglaises.

La Russie méridionale « ne fait que des expéditions peu considérables au-delà du détroit de Gibraltar », observe en 1835 Julius von Hagemeister (de)[155], mais elle exporte 1,4 million de tchetverts par an en moyenne, sur lesquels les ports de la Méditerranée captent en moyenne environ 0,9 million de tchetverts par an[140] :

  • Gènes 0,27
  • Livourne 0,22
  • Marseille 0,2
  • Malte et les autres ports 0,15
  • Trieste 0,075 :

« Le commerce des blés est devenu, pour les riches capitalistes, un objet de spéculation comme les fonds publics »[140], et donne de « l'occupation à la nombreuse marine marchande de la Méditerranée » note Hagemeister. Trieste, Livourne, Gênes et Marseille sont les grands entrepôts[140], où le blé est « apporté de toutes parts », où « se font les grandes opérations » et où « les provisions sont dirigées sur tous les points »[140]. On y confronte diverses mesures selon les destinations :

Essor de nouvelles régions agricoles

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Les principautés danubiennes prennent le relais de la Russie en 1833
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La disette de 1833 en Russie a fait découvrir en Valachie des richesses céréalières jusqu'alors insoupçonnées, jusque-là employées à la fabrication de l'eau-de-vie. Ce n'est qu'en 1833 que la Valachie commence à exporter du blé, en raison de son prix très élevé, de la partie éloignée de la mer Noire. Le traité d'Andrinople (1829) lui avait permis de récupérer les ports danubiens de Turnu Măgurele, Giurgiu et Brăila.

L'année 1833 voit aussi pour la première fois en Valachie des achats sur les lieux de production mêmes, par des négociants qui ont cependant beaucoup de difficultés à faire respecter l'inviolabilité des contrats. De plus, « les négociants se plaignent qu'à Galatz » la mesure du poids des céréales est « souvent altérée par la mauvaise foi des autorités »[140].

En Moldavie, l'eau-de-vie n'est faite qu'avec des prunes, celle de grains étant peu goûtée et plus chère que le vin. Les achats de blé se font sur les lieux de production ou les marchés. Des spéculateurs parcourent le pays et font des avances aux propriétaires sur la récolte future[140]. Les prix élevés constatés en 1833 en mer Noire ont provoqué une augmentation de production dans les principautés de Moldavie et de Valachie telle qu'elle pourrait facilement suffire aux besoins de la Turquie et des îles grecques, observe un négociant en 1835, tout en notant que la Grèce pourrait cependant exporter sous peu du blé du golfe de Patras en Grèce[140].

La Valachie et la Moldavie quadruplent leurs exportations de céréales sur la période 1830-1860[154]. Mais ces livraisons restent tournées à 40 % vers l'Empire ottoman et à 14 % vers l'Autriche Hongrie[154], n'atteignant des niveaux importants vers l'Angleterre que lors de la guerre de Crimée[154]. Les armateurs grecs vont bientôt organiser la moitié de ce commerce. La terre, dans les deux principautés, appartient au fisc ou aux boyards, aristocrates des pays orthodoxes non grecs. Les paysans n'ont plus à payer autant de taxes qu'à l'époque ottomane[154] mais près de 100 000 familles fuient entre 1837 et 1850[154], pour échapper au système de servage et gagnent la Bessarabie voisine. En 1864, un tiers des paysans, situés dans les montagnes, sont encore libres en Valachie[154].

Le canal Welland et l'Ohio and Erie Canal profitent aux blés de l'Ontario
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Marché agricole à York (Toronto)

La fixation de droits préférentiels en faveur du blé canadien en 1825[147] a permis aux prix et aux volumes d'exportation de se redresser, avec environ 300 000 quart en 1825 contre 400 l'année précédente[147], d'autant qu'est achevé en 1829 le canal Welland, pour relier lac Érié et lac Ontario, ce qui ouvre aux cultivateurs de céréales canadiens du pourtour du lac Ontario les exportations, jusqu'à New York, toute l'année et à bon prix, même si celles-ci sont encore interdites.

Lors de crise alimentaire en Europe de 1830, ce sont cependant les exportations américaines de blé qui augmentent :

Exportations américaines[156]: 1828-1829 1829-1830 1830-1831
Millions de boisseaux de blé 0,004 0,045 0,41
Millions de boisseaux de maïs 0,89 0,44 0,57
Millions de barils de farine 0,83 1,22 1,80

En 1832, c'est ouverture du canal Ohio-Érié (Ohio and Erie Canal) reliant la voie maritime du Saint-Laurent à la vallée de l'Ohio. De nouvelles régions agricoles de l'Ontario, plus au sud, en profitent. Depuis 1830, une loi encourage les dons aux sociétés agricoles, qui fleurissent dans les districts de Home, Western, Johnstown, Eastern et Gore, puis de Bathurst en 1832, Prince Edward en 1833 et London en 1836. Les dons à l'Agriculture in Upper Canada (en) ont totalisé depuis le début 1 607 livres sterling en 1841.

La pratique du wheat mining, ou « blé du défrichage », amène cependant les fermiers pauvres à utiliser la moitié de 25 acres pour le blé et à user les sols d'autant plus vite que le gel hivernal fragilise les récoltes. Le rendement peut ainsi chuter de 300 à 25 boisseaux par acre en seulement quelques années. L'Ontario est ainsi très vulnérable lorsque le marché du blé s'effondre à nouveau en 1834-1835[149] lors d'une crise de surproduction amplifiée par la spéculation. La dépression est si profonde que le Bas-Canada ne peut plus être approvisionné et doit importer d'Angleterre en 1837. Aux États-Unis, la panique de 1837 provoque des faillites en cascade et il faut importer massivement des céréales. Le Canada, pourtant tout proche mais encore mal remis de la crise de 1834-1835, n'assure qu'une faible partie de flux.

Importations de blé des États-Unis en 1837[156] Hanse Prusse Hollande Angleterre Colonies anglaises Italie et Malte Trieste
Millions de boisseaux 0,27 1,40 0,45 0,79 0,32 0,23 0,19

Lors des rébellions de 1837, durement réprimée, la rébellion du Haut-Canada suit celle du Bas-Canada, en plus modeste, et dénonce surtout la clique au pouvoir dans la colonie, le Family Compact, lié au lobby commercial anglais.

La reprise progressive de l'essor en 1838 se fait grâce marché américain. La population des districts les plus fertiles de l'Ontario, à l'ouest de Kingston quadruplera entre 1838 et 1851[157] et l'Angleterre doit faire des concessions, dès l'acte d'Union (1840) puis sur le plan des droits de douane en 1842.

Les cultivateurs allemands arrivent dans la vallée de l'Ohio
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Après 1832, le trafic des céréales aux États-Unis a pu transiter par l'avantageuse voie fluviale sur un énorme périmètre : vers le sud par l'Ohio, jusqu'à Pittsburgh et le bassin fluvial du Mississippi, ou au nord par le canal Ohio-Érié à Cleveland, Buffalo et en fin de compte, via le canal Welland, au lac Ontario et jusqu'à Montréal[158]. L'Evans Ship Canal relie en 1832 le canal Érié et la rivière Buffalo, pour compléter le canal Érié, congestionné. En trois ans, la population de Buffalo augmente de 50 %, atteignant 15 000 habitants. Entre 1835 et 1836, le trafic de blé y passe de quasiment rien à un demi-million de boisseaux[159], puis deux millions en 1841. Depuis son ouverture en 1825, le canal Érié donne également aux immigrants un accès plus facile aux produits manufacturés venant de l'est, encore plus qu'il ne facilite leurs expéditions de grain vers l'Est[158]. Dans les années 1830, près de 43000 d'entre eux ont emprunté les onze bateaux à vapeur permettant d'aller de Buffalo au lac Michigan[160] en 17 à 20 jours.

Des céréaliers s'installent le long des lacs, des Allemands à New Bremen et Toledo dans l'Ohio, et à Fort Wayne dans l'Indiana. Le chemin de fer permettra d'accroître encore ce développement[161]. Mais le Baltimore and Ohio Railroad, construite à partir du 4 juillet 1828 n'arrivera au terminus de Wheeling que le 1er janvier 1853.

L'émigration allemande en Amérique s'est accélérée après le livre de Gottfried Duden (en), Voyage dans les États de l'Ouest de l'Amérique, écrit en 1829 sur le Missouri, qui devient un best-seller en Allemagne[162], tandis que la Gießener Auswanderungsgesellschaft (en) créé en 1833 facilite les démarches[163]. Lors de la décennie qui suit l'agitation révolutionnaire de 1830, les Allemands sont 152 000 à entrer aux États-Unis, quatre fois plus que les Français (46 000), une première étape avant l'envol de ce flux, qui triple à 435 000 immigrants dans les années 1840.

Après Odessa, l'essor en Crimée et Mer d'Azov
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Malgré la crise agricole de 1833, la Russie méridionale affiche un bilan imposant. En l'espace de 10 années, de 1823 à 1833, il est parti plus de 10 millions de tchetvert[140] des ports russes de la mer Noire et de la mer d'Azov, qui s'ouvre par le détroit de Kertch et baigne les côtes de l'Ukraine et de la Russie, avec ses ports Taganrog et Marioupol[140].

Les exportations de 1823 à 1833[140] :

  • 6,6 millions d'Odessa, le port le plus tourné vers Livourne et l'Angleterre ;
  • 1,86 million de Taganrog ;
  • Marioupol qui n'a acquis de l'importance que depuis 1830, a expédié en 4 ans 0,6 million.

L'exportation des ports d'Izmaïl, sur le Danube, d'Eupatoria et de Théodosie en Crimée peut être estimée, en prenant le terme moyen de 10 ans, à 50000 et 40000 tchetvert pour chacun[140].

Destination des exportations de céréales russes depuis Odessa en 1838[164] :

Livourne Gênes Marseille Trieste
45 % 18 % 10 % 6 %

L'année 1830 est celle ou les expéditions de blé d'Odessa sont les plus fortes : 1,21 million de tchetvert. Jamais, depuis 1815, ce port n'en a exporté moins de 450 000 tchetvert, les années de guerre et celle de 1834 exceptées[140]. Vingt ans plus tard, Odessa sera dépassé par les ports de la future Roumanie.

Crise générale de surproduction 1834

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Le marché du blé s'effondre à nouveau en 1834-1835[149] lors d'une crise de surproduction amplifiée par la spéculation, après un triple essor des récoltes en Ontario, dans la vallée de l'Ohio et dans les principautés danubiennes. Par ailleurs, des pays d'Europe de l'Ouest ont imité l'Angleterre en instituant un contrôle des importations, pour renforcer leur agriculture après la famine de 1830 : France en 1832, Belgique en 1834, Hollande en 1835. À la Chambre des députés belges, les sujets les plus discutés touchant les milieux ruraux, après l'Indépendance de 1830, furent les problèmes douaniers en matière alimentaire[165]. Au Canada, le boisseau se vend 35 cents à Toronto, sous son coût de production (40 à 50 cents), et trois fois moins que quelques années avant[157]. Le prix de la terre est divisé par quatre. Le Québec, dont la production a aussi baissé, doit s'approvisionner en Europe[157] et l'Ontario exporte alors vers États-Unis quand ses récoltes rebondissent en 1838[157], grâce à la remontée des prix, car la voie maritime du Saint-Laurent est étroite l'été et bloquée par les glaces l'hiver. Cette concurrence américaine amènera l'Angleterre à réduire les taxes sur le blé canadien en 1842[157] et à demander aux Québécois d'élargir le canal de Lachine, zone délicate de la voie maritime du Saint-Laurent. Depuis 1833, une commission gouvernementale le recommande mais les travaux ont lieu entre 1843 et 1848.

À partir de 1837 et 1838, les prix remontent et les négociants anticipent la fin des restrictions dans les pays consommateurs. Le port de Livourne, en Toscane, permet de les contourner, et prend le nom de « Livourne l'anglaise » (Leghorn), car l'Angleterre est le premier importateur de céréales au monde[164].

En Belgique, la loi de 1834 a provoqué un renchérissement du prix des blés[165], qui deviennent rares alors que la croissance urbaine accélère. Depuis le début du XIXe siècle, le méteil subsiste dans les arrondissements d'Alost et d'Audenaerde[165], mais la pomme de terre a atteint son apogée, en s'octroyant un sixième de la surface occupée par les céréales en Flandre occidentale et un cinquième en Flandre orientale[165].

De nouvelles machines et de nouvelles semences

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Le « blé de Noé » se taille un franc succès en France
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Jusqu'en 1830, toutes les céréales cultivées en France sont des variétés locales et traditionnelles plus ou moins homogènes, de couleurs et de tailles très différentes. En 1830 le richissime marquis Louis Pantaléon Jude de Noé, châtelain à L'Isle-de-Noé, près de Mirande, découvre par M. Pérès, un de ses fermiers, le futur blé de Noé, trié dans un lot venant d'Odessa par M. Planté, meunier à Nérac et se révèle très productif. Le marquis de Noé est le richissime héritier de l'empire sucrier de Pantaléon I de Bréda[166], par son père Louis-Pantaléon de Noé, qui a affranchi en 1776 Toussaint Louverture, sur sa plantation de Saint-Domingue[167], bien avant la première abolition de l'esclavage en France.

Le comte introduit cette nouvelle variété dans ses terres de Bréau, en Beauce, d'où elle s'est rapidement répandue dans toute la région[168] et la diffusa aussi en Brie.

Le « blé de Noé » appelé « blé bleu », est certes sensible à la rouille et au froid, mais productif, précoce et résistant à la verse. De plus, son grain est apprécié des meuniers. De ce blé seront tirées différentes variétés par sélection massale : Rouge de Bordeau, japhet, Gros bleu. Il a servi à de nombreux croisements, même si son point faible était l'exposition à la rouille du blé[169]. Cette céréale attire l'attention de Louis de Vilmorin, qui alors réalise ses premiers travaux généalogiques sur le blé pour obtenir des lignées pures, conservant les mêmes caractères d’une génération à l’autre[170]. Louis de Vilmorin met au point la première variété de blé moderne, Dattel, issue du croisement entre deux blés anglais (Chiddam et Prince Albert).

Au même moment des blés anglais, très productifs, résistants à la verse et à la rouille, mais parfois trop tardifs en zone sèches, sont introduits au nord de la France : Chiddam, Goldendrop, Prince Albert, Victoria. Ces blés, issus d'un processus de sélection variétale sur une période d'une dizaine d'années à partir d'un seul épi, constituent les premières lignées pures mises au point en France.

Charrues et moissonneuse, une génération d'inventeurs
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Jeune forgeron à Grand Detour, dans l'Illinois, John Deere se rend compte que les fermiers locaux n'arrivent pas à travailler le sol lourd des prairies avec leurs charrues, conçues pour le sol sablonneux de l'Est des États-Unis[171]. Il fabrique donc une charrue à versoir en acier finement poli, mise au point en 1837 à partir d'une lame de scie cassée puis effectue une démonstration devant les fermiers de l'Illinois au cours de l'année 1838. Le succès est cependant très lent : il construit 10 charrues en 1839, 75 en 1841 et 100 en 1842[171].

En France, Mathieu de Dombasle, met au point en 1837, une charrue éponyme, après un premier échec dans la betterave à sucre puis la publication des textes à caractère agronomique sur la cristallisation du sucre, la fabrication de l'eau-de-vie de pomme de terre, le fonctionnement de différents types de charrues ou des traductions (Thaër en 1821, sa Description des nouveaux instruments d’agriculture), de Sinclair en 1825, son Agriculture pratique et raisonnée).

La fin des années 1830 voit aussi Cyrus McCormick, né en 1809 en Virginie dans une famille d'inventeurs venus d'Écosse[172], mettre au point un prototype de moissonneuse mécanique. La panique de 1837 cause la faillite de la société familiale, l'un des associés se retirant, mais en 1839 Cyrus McCormick commence à faire des démonstrations en public. Il vend son premier exemplaire en 1840, mais aucun en 1841. Sa machine se vendra un peu mieux avec l'expansion à la fin des années 1840, quand la demande de blé augmente pour exporter en Europe.

Années 1840

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Le prix constaté du blé évolue en forte baisse au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié[67], mais ils bondissent de 50 % entre 1846 et 1848. L'abolition des Corn Law en Angleterre facilite l'exportation des céréales de la mer Noire vers Londres, et le Lloyds Autrichien s'est lancé cette année-là dans la navigation à vapeur.

Années 1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849
Prix observé du quintal de blé (en francs) 28,4 24,9 25,4 27,4 26 26,4 31,7 38,2 21,8 20,2
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 149 138 150 171 140 143 171 207 118 106

En 1847, la mauvaise météo cause une pénurie en France, en Irlande et en Angleterre, générant un courant d'exportations d'Amérique, où l'on suit de près les estimations du journal de référence en Europe, le "London Mark Lane Express". Selon ses calculs, la mer Noire est en Europe le principal centre d'exportations de blé et la Russie domine toujours le marché.

Exportations Russie (mer Noire) Russie (Danube) Russie (Nord) Égypte, Syrie Prusse, Danemark
Millions de boisseaux 16 12 4 4 1,6

Les statistiques du département de l'Agriculture des États-Unis montrent de leur côté que le blé reste marginal dans la production américaine, avec 16 % derrière le maïs (59,6 %) et l'avoine (19,3 %) :

La production de céréales aux États-Unis en 1847[173] :

Céréale Blé Maïs Avoine Orge Seigle Sarrasin Total
Millions de boisseaux 514 139 167 29 5,6 11,6 866,2
Part en % 59,6 % 16 % 19,3 % 3,3 % 0,6 % 1,3 %

Seigle, Méteil, blé et maïs, les équilibres divers qui changent après 1850

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Champ de seigle.

Le « pain de seigle » est l’aliment de base au milieu du XIXe siècle en Russie, premier producteur mondial, mais avec des rendements faibles, et même inférieurs de 10 % à 15 % à ceux du blé dans d'autres pays d'Europe de l'Est, où le seigle est plus marginal et exploité moins intensivement[123]. Quelques gros producteurs de seigle comme l'Allemagne affichent au contraire des rendements élevés.

En France, l'avoine et le seigle sont autant cultivés que le blé en 1840. Le Méteil de seigle/blé occupe 6 % des surfaces céréalières soit 887 000 ha, au rendement moyen de 11,1 hl/ha, dépassant ceux du froment (10,25 hl/ha) et du seigle (8,5 hl/ha). Il donne une farine inégale et requiert une date de récolte intermédiaire, en fin de période de récolte du seigle et au tout début de la période de celle du blé, mais permet de valoriser les terres moyennes, pas assez riches pour le blé, mais suffisamment pour que l'on hésite à se résoudre à n'y faire pousser que du seigle. Stable jusqu'en 1840, il décline après.

Les céréales en 1840 en France[174] :

1840 en France Blé Avoine Seigle Orge Méteil
Hectares cultivés 5,6 millions 3 millions 2,6 millions 1,2 million 0,91 million
hectolitres récoltés 70 millions 28 millions 16 millions 12 millions

Le blé est la céréale dont les rendements et les surfaces vont le plus progresser, prenant l'avantage sur le seigle et le maïs à la faveur du boom du chemin de fer des années 1850. Le maïs sera de plus en plus marginal : en 1867, il représente moins de 2,5 % de la production française de céréales[175].

En Europe, le maïs est encore marginal car principalement cultivé dans les pays du Sud, peu avancés, aux rendements faibles. Les États-Unis sont de très gros producteurs de maïs dès leurs débuts. Ses rendements stagnent durant les premières décennies du XIXe siècle, puis profitent de la sélection des semences et d'une immense expansion territoriale d'abord la vallée de l'Ohio, puis dans le Midwest, quand le canal Illinois et Michigan, créé en 1848 l'Illinois Waterway, reliant les Grands Lacs au golfe du Mexique. Son importation en Angleterre est proposée dès 1842 par un mémoire du journaliste John S. Bartlett[176].

L'Ontario dopée par le silo-élévateur de Buffalo et le blé de Printemps

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Sanglantes et réprimées par les Anglais, les rébellions de 1837-1838, sur fond de crises céréalières dans le Bas-Canada et le Haut-Canada, entraînent l'annexion du premier par le second, via l'Acte d'Union (1840). Un nouveau Parlement de la province du Canada doit gérer l'antagonisme entre fermiers ontariens marchands de Montréal, les seconds exigeant de pouvoir acheter plus de grains aux États-Unis[177], en particulier l'hiver, quand Montréal est bloqué par les glaces alors que les prix du blé montent car la moisson est déjà vendue.

Les négociants canadiens achètent des céréales de la vallée de l'Ohio puis des rives du lac Michigan, reliés à l'océan Atlantique par le Mississippi ou le canal Érié. La Banque de Montréal leur avance les fonds nécessaires, contre des garanties[178]. Parmi eux, la famille du brasseur québécois John Molson (1787-1860), depuis 1837 président du chemin de fer Champlain et Saint-Laurent. La Banque de Montréal se retrouve ainsi propriétaire de propriétés foncières hypothéquées à Chicago et dans le Michigan[178].

Les cultivateurs de l'Ontario veulent de leur côté profiter du doublement de la population américaine entre 1820 et 1840, à 17 millions d'habitants selon le recensement, via l'urbanisation rapide de la côte est. La dépression agricole de 1834 est oubliée et le canal Welland relie depuis 1829 lac Érié et lac Ontario, mettant le marché new-yorkais, en pleine croissance, à seulement 500 km, via un canal Érié décongestionné depuis 1832 par le canal Evans (en). En 1842, l'écossais Dave Fife commence à cultiver à Peterborough (Ontario) le « blé 'Red Fife' », qu'un ami lui a donné à Glasgow, en provenance d'un chargement arrivé de Gdańsk. Ce blé de printemps d'Ukraine, plus adapté au rude climat ontarien que le Siberian, est récolté dès l'automne et se fait un nom chez les boulangers des États-Unis.

Historique des recensements
Ann. Pop.  
18209 638 453
183012 866 020 +33,49 %
184017 069 453 +32,67 %
185023 191 876 +35,87 %
186031 443 321 +35,58 %

Un gros coup de pouce vient du silos-élévateurs à grains, inventé en 1842 par Joseph Dart pour accélérer le transbordement entre les navires du lac Érié et les péniches du canal Érié, de taille très différentes, auquel 500 irlandais s'épuisent à Buffalo. Encore plus haut que ceux des marchands de la Hanse[179], ce silo recourt à la vapeur et se distingue par un "bras" écoulant directement le grain sur les navires[179]. La cargaison d'un schooner, soit 5000 boisseaux de blé, peut être déchargée en peu de temps, lui permettant de repartir vers sa destination d'origine. Les aller-retours entre Buffalo et l'Ohio deviennent deux fois plus rapides[180]. Chaque vendeur ou acheteur peut louer une part du silo séparément, ce qui permet la mutualisation des coûts. Dès 1843, 70 navires l'utilisent[181], le schooner South America étant le premier à charger du maïs le 22 juin. L'année suivante, 4 millions de boisseaux de blé y transitent, contre une moyenne d'un à deux millions les 8 années précédentes. En 1847, des silos identiques sont installés à Brooklyn et Toledo, puis en 1848 à Chicago, remplaçant le premier bâti dans la ville en 1839[182]. En 1851, c'est Oswego, Fort Wayne et Detroit, puis Milwaukee en 1853[183]. Il faudra cependant attendre encore vingt ans pour le voir à La Nouvelle-Orléans[183]. L'ingénieur écossais Robert Dunbar (en), associé de Joseph Dart, l'installe très vite à Liverpool, Hull, et à Odessa, en Russie.

Le Royaume-Uni réagit immédiatement pour conserver les céréales du Canada en les exonérant dès 1842 de tout droit de douane et en relançant en 1843 l'agrandissement du canal de Lachine à Montréal. La plupart des céréales transitant par Montréal étaient d'origine américaine en 1841[157], mais dès 1845, l'Ontario représente la moitié des 4 millions de boisseaux exportés, puis en 1850 la totalité des 6 million de boisseaux[157]. Le volume moyen exporté par ferme ontarienne passe de 45 boisseaux en 1845 à 80 boisseaux en 1850[157]. En 1848, l'Ontario compte 43000 exploitations agricoles mais seulement 7900 laboureurs. C'est le grand problème de tous les cultivateurs estime dès 1846, le Toronto Mirror. Les fermiers ontariens perdant en 1846 leur traitement de faveur sur le marché anglais vont appuyer le mouvement en faveur de l'annexion aux États-Unis de 1848-1849, débouchant en 1854 sur le Traité de réciprocité canado-américain, qui abolit la taxe américaine de 21 % sur les importations en échange de droits de pêche sur la côte Est.

1845 à 1847 : l'Amérique face à la famine irlandaise et aux crues de la Loire

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Au printemps 1846 se crée la New-York State Associated Press, réunissant huit quotidiens implantés le long du canal Érié, jusqu'à Buffalo[184], parmi lesquels aucun de la ville de New York. Ils partagent ainsi les coûts d'un télégraphe en construction, qui amène, via Boston et New York, les nouvelles d'Europe, très suivies dans cette région agricole. Dès septembre 1845, les cultivateurs peuvent lire dans leur American Farmer un pronostic de forte hausse des prix du blé, en raison d'une production britannique déficitaire[185]. La mildiou de la pomme de terre en Irlande est aussi évoquée par le journal, qui cite un European Times arrivé par le dernier paquebot. La grande famine irlandaise vient de démarrer. Dès juin 1846, le premier ministre britannique Robert Peel doit abroger les Corn Laws, lois protectionnistes sur les céréales. Les importations anglaises de blé augmentent très fortement après la fin de ces barrières douanières. Quelques mois plus tôt, le 9 novembre 1845, il a fait acheter discrètement 100 000 livres de maïs américain par la banque Barings[186]. L'idée vient de Randolph Routh, fonctionnaire anglais à Cork. Lors d'un précédent poste au Canada, il s'est intéressé à l'Indian Corn[187], le « maïs des amérindiens ».

En janvier 1846, Randolph Routh a pris la tête de la commission de lutte contre la famine, à Dublin[188]. Une centaine de comités locaux sont créés dans toute l'Irlande, pour mesurer les besoins, mobiliser un maximum d'importations américaines et les distribuer. L'information circule lentement, car le télégraphe reliant l'Irlande à l'Angleterre ne sera déployé qu'en 1852. Et l'arrivée de l'Indian Corn à Cork, la dernière semaine de janvier 1846, se fait dans la douleur : beaucoup d'irlandais tombent malades en mangeant le « repas jaune », faute de savoir le cuisiner[187].

Les spéculateurs s'en mêlent. Peu après l'arrivée du paquebot Britannia à Boston, le 7 novembre 1846, les éditorialistes du New York Herald et du New-York Tribune se plaignent d'être privés de nouvelles européennes à cause de la coupure du câble télégraphique menant à New York, par des spéculateurs qui profitent de la détresse de « millions d'européens affamés »[189]. En juin, d'autres coupures avaient coïncidé avec l'arrivée de paquebots européens à Boston. Le président de la Magnetic Telegraph company constate le 16 novembre que Jacob Little, le plus célèbre investisseur de Wall Street, a reçu un télégramme d'Helena Craig, la femme de Daniel H. Craig, un journaliste spécialisé dans la livraison de nouvelles spéculatives, via des pigeons voyageurs s'envolant des navires peu avant leur arrivée au port[190]. Il s'associe à cinq directeurs de journaux de New-York pour créer l'Associated Press. Fin octobre justement, le prix des céréales a bondi de 50 % à Cork[191], peu après les violentes crues de la Loire, qui les 21, 22 et ont anéanti la levée de la Loire : à Orléans, l’eau monte de 3,10 m en 14 heures et la levée de Sandillon se rompt sur 400 mètres.

Les crues se répètent en 1847 et 1848 et s'étendent à la Nièvre. Les blés germent, sous l'humidité, à l'été 1847. Le 12 janvier, la Chambre des députés française réduit au minimum, à 35 centimes par 100 kilogrammes, les droits de douane sur les grains et farines importés jusqu'au 31 juillet 1847. Le total des importations alimentaires double, passant 187 à 364 millions de francs en deux ans, celles de céréales quadruplent, à 9 millions de quarts[192] et celles de farine sextuplent, à 0,6 million de quintaux. L'importation de bétail est multipliée par huit, à 216 450 têtes en 1847.

Les cultivateurs américains répondent à cette pénurie par un bond des exportations de maïs : 4,5 millions de boisseaux en moyenne par an sur 1847-1849, trois fois le niveau de 1846[193].

Le maïs américain est appelé à la rescousse en grandes quantités, même s'il est peu connu en Europe :

exporations américaines (en millions)[156] : 1845-1846 1846-1847 1847-1848 Surcroît de crise
blé (boisseaux) 1,6 4,4 2 2,8
maïs (boisseaux) 1,8 16,3 5,8 14,5
farine (barils) 2,9 4,4 2,1 1,5

Les immigrés qui fuient la répression de la révolution de 1848 en Autriche et en Allemagne arrivent à l'ouest du lac Michigan, dans le diocèse du suisse John Martin Henni, où trois colonies ont fusionné en 1845 pour créer la ville de Milwaukee. Elle a son propre marché, dont les exportations de blé décuplent entre 1845 et 1849, à 1,1 million de boisseaux[194], faisant la fortune de son président Edward D. Holton[194] et d'Angus Smith, investisseurs dans le Milwaukee and Waukesha Railroad. Les villes voisines de Chicago et Milwaukee voient leur population multipliée par dix pendant les années 1840, atteignant 30 000 et 20 000 habitants en 1850. La population du nouvel État du Wisconsin est elle aussi décuplée, avec 305 000 habitants, dont 90 % hors de Milwaukee. La plupart des arrivants sont des cultivateurs de céréales attirés par le percement en 1846-1848 du canal Illinois et Michigan, reliant les Grands Lacs au golfe du Mexique par le Mississippi. La Nouvelle-Orléans restera primordiale pour les céréales jusqu'à la guerre de Sécession, New York répondant à la demande européenne d'urgence en 1846-1848 et 1854-1856[158]. Le « Chicago Portage », au partage des eaux, à l'extrême sud du Lac Michigan, est convoité depuis le siècle précédent. La campagne de l'Illinois le visait déjà lors de la guerre d'Indépendance américaine. Dès l'achat de la Louisiane aux Français en 1803, les États-Unis y avaient installé le Fort Dearborn. Le projet de canal, datant du siècle précédent, avait rencontré trois obstacles : guerre de 1812, puis guerre de Black Hawk contre les Indiens et panique de 1837, qui laissent jusqu'en 1843 la société concessionnaire en quasi-faillite. Le canal permet d'acheminer de quoi bâtir le Galena & Chicago Union Railroad, nœud ferroviaire du futur Illinois Central Railroad.

Invention du « maïs denté » en 1847

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Jusqu'aux années 1830, le maïs était surtout cultivé dans le vieux sud des États-Unis, mais à la fin des années 1840, il représente deux tiers des céréales américaines et cette proportion monte à 70 % à la fin des années 1850. Les arrivants apportent dans l'ouest des variétés de l'est et inventent, parfois involontairement, de nouvelles variétés, comme celle de la famille Reid dans l'Illinois, qui deviendra célèbre, le « maïs denté ».

Le « maïs corné » et « maïs denté » diffèrent par la forme et la texture du grain. Le « corné » possède un albumen vitreux important et un albumen farineux réduit. C'est l'inverse pour le « denté » qui prend la forme d'une incisive, quand l'albumen farineux se rétracte lors de la maturation. Le « corné », ancien et d'origine européenne, sera supplanté par le « denté » puis par les hybrides « corné × denté », qui assureront un grand succès de la culture du maïs dans la seconde partie du XXe siècle en Europe, au nord de la Loire. Dans un premier temps, il accompagne la croissance de la Corn Belt des quatre États du Midwest, l'Iowa, l'Indiana, l'Illinois et l'Ohio puis va peser environ 50 % du maïs produit aux États-Unis.

Parmi ces immigrants, la famille Reid a quitté l'Ohio pour la Frontière sauvage. Daniel Reid avait écrit à son frère Robert d'apporter avec lui des semences de maïs, car l'Illinois n'en avait pas de la variété que la famille avait cultivée avant dans l'Ohio. Robert Reid a donc pris dans son chariot bâché quelques boisseaux de maïs jaune, d'une teinte rouge cuivrée sous la surface des grains, appelé « Gordon Hopkins »[195]. La famille l'avait acquis d'un voisin qui l'avait lui-même amené plus tôt de Virginie. La semence de maïs a été plantée trop tard pour assurer plus qu'un « assez bon développement »[195]. Le meilleur du maïs mûri a été sélectionné pour la prochaine plantation, au printemps de 1847[195]. Les collines n'ayant pas reçu assez de semences ont été binées au cours de cette année, en ajoutant une variété locale, le « Little Yellow corn »[196]. La variété plantée avant s'est alors mélangée avec la nouvelle, créant un type de maïs très vite apprécié[197]. Depuis le printemps de 1847, le nouveau maïs obtenu n'a pas été mélangé avec d'autres variétés par la famille Reid, même si elle l'a par ailleurs offert gratuitement à d'autres cultivateurs[197]. Le fils, James L. Reid commencera à cultiver pour son propre compte cette variété en 1865.

Californie, grenier à blé du Pacifique, grâce aux clippers

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Le Cutty Sark.

Les quotidiens de Californie donnent les prix du blé dès 1852, trois ans après l'ouverture d’une ligne régulière de bateaux à vapeur entre la Côte Est des États-Unis et la Californie par le cap Horn, et la région devient exportatrice deux ans après pour nourrir l'afflux d'immigrants en Australie[198], où d'autres ruées vers l'or viennent de démarrer : après la ruée vers l'or en Californie, les ruées vers l'or en Australie qui vont absorber deux tiers des exportations de blé californien[198]. Celui-ci trouve aussi des marchés tout le long de la côte chilienne, péruvienne et équatorienne[198], grâce aux clippers[198], la dernière génération de voiliers marchands, équipés de structures métalliques, de taille modeste mais très rapides (vitesse de plus de 9 nœuds) et manœuvrables : leur faible tonnage les destinait au transport de denrées coûteuses ou périssables, comme les épices, les céréales ou le thé. Le plus célèbre, le Cutty Sark fut lancé sur les flots le 23 novembre 1869 et utilisé pour le commerce du thé indien puis de la laine en provenance d’Australie, battant un record pour un navire de sa taille : avoir parcouru en 24 h une distance de 360 milles marins (une moyenne de 15 nœuds soit 27,75 km/h). Le premier des clippers à quitter la Californie pour l'Australie, chargé de blé, part en 1855[198] mais il faut attendre 1860 pour que le flux s'intensifie[198].

La production de blé en Californie dépasse celle d'avoine en 1860[199], lorsqu'il ne s'agit plus seulement de nourrir le cheptel[199], et approche d'une surface de 1 million acres en 1867[199]. L'un des utilisateurs est Isaac Friedlander, négociant international et industriel meunier, connu comme « le roi du blé » de Californie, dont les navires contournent le Cap Horn pour faire le voyage vers Angleterre en 100 jours seulement, en 1866 et 1867, suppléant aux récoltes décevantes du Midwest. Le câble télégraphique transatlantique de 1866 permet de coordonner les clippers disponibles pour expédier la récolte en temps opportun. Isaac Friedlander fait appel à William Dresbach pour le seconder à Davisville, dans la vallée intérieure de la Californie, où le chemin de fer arrive en 1868.

La surface cultivée en blé culminera en 1888 à 3 millions d'acres[199], aussi bien dans la vallée de Sacramento au nord que dans la Vallée de San Joaquin au sud, avec des exploitations approchant pour certaines une surface de 1 million acres[199], et une production totale de 42 millions de boisseaux[199], qui fait de la Californie la seconde région la plus productive en céréales des États-Unis[199]. La surface plantée en blé en Californie diminue aussi vite qu'elle avait augmenté. En 1913, elle n'est plus que de 38 millions d'acres[199].

Années 1850

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La Guerre de Crimée et ses conséquences en Ukraine

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La guerre de Crimée (1854-1856) fait doubler en 4 ans les prix du blé, auquel supplée le maïs du Midwest, exporté via Chicago, par le Mississippi et les canaux américains.

Années 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856 1857 1858 1859
Prix observé du quintal de blé (en francs) 19,1 19 23,3 29,6 38,3 38,9 40,5 32,5 21,9 22,3
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 98 98 119 152 196 195 202 162 107 109

Les historiens turcs estiment que la principale cause de la guerre de Crimée est la volonté russe de dominer le commerce des céréales : l'Angleterre en importe pour 13 millions de livres sterling en 1853. Depuis Pierre le Grand, la Russie a constamment cherché à disposer de débouchés directs sur les mers chaudes, et plus particulièrement sur la Méditerranée. Seulement six mois après, le traité du 30 mars 1856 enlève aux Russes la Bessarabie, au nord du delta du Danube, démilitarise la mer Noire, interdite à tous les navires de guerre et ferme donc au tsar l'accès à la Méditerranée[200].

Battue, la Russie doit se moderniser pour faire face à une nouvelle concurrence venue de Hongrie, Syrie et d'Espagne. Un marché mondial des céréales est dopé par la très forte croissance économique mondiale des années 1850, le télégraphe, et le chemin de fer et d'agences de presse. Les importations anglaises de blé doublent en volume et sextuplent en valeur de 1844 à 1854.

La défaite russe s'exprime en chiffres : la France a 108 bateaux à vapeur, la marine anglaise trois fois plus, l'escadre russe de la mer Noire en compte seulement 6[200]. Les routes russes, rarement pavées, sont dans un état lamentable et avec moins de 1 000 kilomètres de voies ferrées, les transports de troupes sont pénalisés[200]. Le tsar s'attaque dès 1855 à la question cruciale du servage, qui maintient la Russie à la traîne des nations industrialisées et qui touche 23 millions de paysans et serfs sur une population globale de 59 millions[200].

Odessa perd son statut de port franc en 1859, la Nouvelle Russie (partie de l'Ukraine conquise sur l'Empire ottoman) celui de région autonome. Elle doit se tourner vers le marché russe[127] et se moderniser. Odessa assurait la moitié des exportations russes de céréales en 1847[43], via des négociants grecs, italiens et juifs, qui font venir les marchandises par des caravanes à travers la steppe, les "chumaky"[43] et sont aussi actifs dans le transport fluvial entre la Baltique et la Caspienne.

En 1858, le comte Xavier Branicki, patriote polonais exilé en France, propose de financer en partie la création d'une ligne ferroviaire entre Kiev et le port d'Odessa, via une société de 50000 actions à 500 francs, grâce à ses soutiens dans le gouvernement de Kherson, pour faciliter le transport des céréales[201]. Il cherche à y intéresser les Rothschild et plusieurs grandes familles polonaises. Un tracé différent, passant plutôt par Kharkiv et reliant Odessa à Moscou, sans passer par Kiev, sera retenu par le ministre russe des communications, le comte Vladimir Bobrinski. Pour des raisons politiques, les participations d'origine polonaise seront écartées[202]. Entre 1868 et 1870 la ligne est complétée pour relier Kiev mais le retard demeure : au 1er janvier 1867, l'Autriche, 8 fois moins étendue que la Russie d'Europe, a autant de voies ferrées et l'Allemagne deux fois plus[203]. Les Français comme Fiololi financent la voie transversale reliant Elisavetgrad à Balta, faisant de la Podolie un gros exportateur de blé dès 1866-1867, avec les plus importantes surfaces cultivées en céréales, en prenant une nette avance dès les années 1860[204]

La Société ferroviaire et de navigation à vapeur Volga-Don est fondée en 1858. Le chemin de fer du sud-ouest, au capital de 30 millions de roubles est fondé par une charte le 21 mars 1863 pour relier les régions agricoles de la partie nord de l'actuelle oblast d'Odessa à Odessa et la mer Noire. En 1870, Kiev est reliée par une ligne de Balta à Kiev et au reste du système ferroviaire russe par une voie Kiev-Koursk. Les steppes du fleuve Dniepr, qui traverse l'Ukraine, voient la culture des céréales gagner 6 millions d'hectares à partir des années 1860[43]. La région assure les trois-quarts des exportations de céréales russes[43]. Après l'abolition du servage de 1861, le système zemstvo d'assemblées provinciales, élues avec un suffrage censitaire est créé en 1864 et contribue à une timide démocratisation économique, par le développement d'une élite instruite. En 1863, les paysans de la vallée du fleuve Dniepr sont déclarés propriétaires de leurs terres et ont 49 ans pour en payer l'achat[43]. En 1866, une loi autorise les autres de la région à s'émanciper en achetant aux nobles leurs droits sur la terre. Ils rachètent près de 7 millions d'hectares sur les 10 millions d'hectares vendus par les nobles entre 1861 et 1914, dans la vallée du fleuve Dniepr[43]. Faute de droit d'aînesse, les propriétés agricoles se morcellent ensuite, avec en moyenne une surface divisée par deux[43], d'où la recherche de nouvelles terres mais aussi l'exode rural. Sur cette période, Kiev décuple de taille et rivalise en population avec Odessa, qui a quintuplé[43].

Le renouveau technologique dope aussi le machinisme. La firme britannique Ransomes, Sims et Jefferies Limited vend ses machines agricoles en Russie dès 1856 et ouvre sa première agence exclusive à Odessa en 1857 puis installe un bureau à Moscou en 1868. Il s'implante aussi à Prague, Pesth et Séville à la même époque. Une firme anglaise rivale, Picksley, Sim, & Co, se vante d'avoir une présence à Melbourne, Smyrne et Constantinople dans son catalogue vendu en Allemagne en 1866. Entre 1855 et 1880, les anglais dominent l'importation de machines agricoles les plus sophistiquées[205]. Le blé n'est pas le seul secteur à croître. Une cinquantaine de sociétés betteravières sont fondées en Ukraine entre 1855 et 1880 quasiment toutes sont des partenariats. En 1857, le taux des dépôts bancaires en Russie revient à 3 %, pour inciter les investisseurs à acheter plus d'actions, même s'il n'y a pas encore de Bourse nationale.

Conséquences en Hongrie : le « blé rouge » joue la carte de l'exportation

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La flambée des prix des céréales en 1854-1856, causé par la guerre de Crimée, accélère la croissance hongroise au moment où elle frémit. L'année 1853 avait vu la création de la Pester Lloyd Society, à Pesth, grand port sur le Danube, et son quotidien économique, le Pester Lloyd, un an après que Gaspard Tonello, professeur de construction navale à Venise, fonde les chantiers de Muggia, dans la province de Trieste. Le Stabilimento Tecnico Triestino s'installe à Trieste en 1857-1858, avec le soutien des banques viennoises, donnant du travail à des milliers de personnes et construit des bateaux à hélice pour naviguer entre Trieste et Liverpool.

Le 8 janvier 1855, l'empire d'Autriche-Hongrie forme la Compagnie des chemins de fer de l'État autrichien pour relier Vienne à Prague et Budapest, puis desservir les régions céréalières du Danube. Des anglais, la famille Rothschild et le groupe Péreire sont sur les rangs. L'empire d'Autriche-Hongrie a l'idée de se faire aider pour fonder son propre Crédit Mobilier, sur le modèle français. Des journaux annoncent une fusion entre les deux candidats français. La Sudbahn est créée en 1859 avec le concours de Paulin Talabot, à l'initiative de la famille Rothschild. En septembre 1858, James de Rothschild avait signé le contrat à Vienne pour de nouvelles lignes complétant le réseau[206], pour cent millions de florins et un taux d'intérêt garanti de 5 %. Les frères Pereire et la famille Rothschild étendent leur action, simultanément, en Russie, Italie, Espagne et en Autriche, avec les ingénieurs français du corps des Mines, du corps des Ponts et Chaussées parmi lesquels Paul Eugène Bontoux, futur fondateur d'Union générale, qui détient 25 % d'une banque autrichienne.

 
Situation du Banat en Europe

Jusqu'en 1856, les fertiles steppes hongroises et plaines riches de Galicie, Bohême et Moravie ne produisaient pas assez de céréales pour suffire aux besoins de l'empire d'Autriche-Hongrie. Son déficit céréalier moyen, 13 millions de florins par an de 1850 à 1855, est remplacé dans les quinze années suivantes par un excédent moyen de 35 millions de florins par an. Le "blé rouge de Hongrie", qui supporte les climats continentaux, secs et chaud l'été, est réputé : Vilmorin estimera qu'il mérite d'être plus répandu, par exemple dans le centre et dans l'est de la France. Les 6 000 grands propriétaires qui se partagent 40 % des terres cultivables hongroises sont rejoints après 1856 par une nouvelle élite de négociants et minotiers. En 1861, 42 % des céréales hongroises exportées passent par Pesth où s'installent des minoteries, d'abord d'intérêt autrichien, puis reprises par la bourgeoisie hongroise : en 1856, quatre minoteries familiales puis en 1869, 16 minoteries, appartenant à des sociétés, en lien avec les négociants étrangers. Les négociants internationaux s'intéressent à l'Alföld, grande plaine de Hongrie, appelée aussi parfois "Banat-Alfôld", qui forme la plus grande partie de la plaine de Pannonie, région propice à la culture du Maïs, s'étendant dans la partie orientale et méridionale de la Hongrie et débordant en Slovaquie, en Roumanie, en Serbie, Croatie et en Ukraine.

Croissance des exportations hongroises (blé et farine)[207] :

Exportations hongroises de blé et de farine 1842-1847 à 1853-1858 1842-1847 à 1859-1863 1842-1847 à 1864-1873
Croissance moyenne annuelle 6,1 % 3,1 % 5,6 %

Le chemin de fer de Vienne à Trieste reprend les tronçons du « chemin de fer lombardo-vénitien » déjà construits par l'État autrichien[208], partant des ports de Mestre (Venise) et Trieste[209], Karl Ludwig von Bruck, ministre autrichien du commerce ayant supprimé dès 1841 les barrières douanières avec la Hongrie pour créer un grand marché intérieur de 30 millions de personnes[108]. Philip von Krauss, ministre des finances d'avril 1848 à décembre 1851, avait adapté la fiscalité pour l'encourager. Peu après l'ouverture en 1861 du tronçon de Pesth à Pragerhof, Paul Eugène Bontoux signale un quadruplement des flux de blés de Hongrie[210], à 225 000 quintaux[210] au 2e trimestre 1861 et prédit une expansion, qui va selon lui supplanter la Russie et nourrir l'Europe, grâce au nettoyage des affluents du Danube et au déploiement des chemins de fer[210]. Il recommande l'ouverture de deux voies navigables, l'une de la Theiss à Pesth, l'autre reliant le Banat au Franzens-Canal[210]. Il observe que le chemin de fer longe déjà la rive gauche du Danube de Vienne à Pesth[211], puis au sud-est dessert les districts les plus fertiles, notamment le Banat de Temesvar et son Tchernoziom réputé, terre noire au fort pourcentage d'humus — 3 à 15 %, riche en Potasse (minerai) et phosphore. La ligne communique à Szégédin avec la Theiss et la Marosch, et à Temesvar avec le canal de la Bega[211]. À 75 kilomètres après Pest (ville), le réseau se prolonge par la « compagnie de la Theiss », dans la fertile vallée de ce nom[211]. Une autre voie longe la rive droite du Danube, reliant Vienne aux grands marchés de Wieselbourg et de Raab et à la ligne de Pesth-Ofen à Trieste[211], de « Compagnie des chemins de fer sud-autrichiens et lombards », qui a réuni en 1858 la presque totalité des lignes de la rive droite du Danube[211].

Années 1860 1861 1862 1863
Importations belges de céréales hongroises, en millions de francs belges[212] 0,012 0,276 0,879 1,83

En 1862, Nathan Baumann, jeune marchand de grain juif de Strasbourg[213], se lance dans l'importation du grain hongrois, que les boulangers alsaciens apprécient, avec le soutien de la Banque Gloxin[213]. En Hongrie, il tisse un réseau dans les grands domaines agricoles (Herrschaftsgüter ou biens nationaux) du Banat, de la Theiss, Temeswar, et Szegedin[213]. Un autre céréalier alsacien, Léopold Louis-Dreyfus, de Sierentz, fonde le Groupe Louis-Dreyfus à Paris »[213]. En 1858, il s'installe en Suisse, d'où il achète des grains dans le bassin du Danube et en Russie en réponse à la progression de la demande des villes industrialisées d'Europe du Nord, affamées, puis en 1864 établit son siège à Zurich. Un meilleur accès à l'information après le développement du télégraphe et du chemin de fer lui permet de croître, par des arbitrages, en tirant parti de la différence de prix entre les marchés de chaque pays[213].

Les importations belges de céréales hongroises décollent aussi en 1861 et représentent 183 millions de francs belges dès 1863[212], soit plus des deux tiers des importations belges de Hongrie, parmi lesquelles montent aussi les fruits secs. Une partie des marchandises sont expédiées en Belgique via Rotterdam par bateau à vapeur. En 1866, Buda et Pesth comptent 400 maisons de commerce de céréales et le consul belge à Trieste note en 1865 que « notre chemin de fer s'est mis en position de pouvoir répondre à toutes les exigences de transport" et qu'un grand silo a été construit près de la gare, capable de recevoir un demi-million de metzen (tiers de setier) de céréales »[212] :

Conséquences en Syrie, en Espagne et en Roumanie

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Pendant la guerre de Crimée, le blé dur du Hauran, région de la Syrie méridionale, dans les gouvernorats de Quneitra, As-Suwayda, et Dera, a été recherché car il jouit d'une réputation de qualité. L'énorme spéculation sur les blés américains décide les Européens à diversifier leurs fournisseurs. Il est coté dès le début des années 1860 à la Bourse de Londres. La Grande-Bretagne tente d'atteindre le Hauran par la Palestine, la France par le Liban, via une route carrossable pour diligences tracée en 1863. L'Espagne est aussi mise à contribution et a exporté une quantité considérable de céréales vers l'Angleterre et la France.

Après des négociations dès 1856, en 1859, la principauté de Valachie et de la principauté de Moldavie, qui ont résisté à l'annexion russe pendant la guerre, sont réunies sous le sceptre du prince Alexandre Jean Cuza et le nom de principautés unies de Moldavie et de Valachie, nouvelle puissance céréalière roumaine, dont le port de Galați exportait plus de blé qu'Odessa dès 1854. Dès 1848, la Revue britannique note que le commerce céréalier, à Galatz comme à Braïlow, est presque entièrement concentré entre les mains des Grecs.

Exportations russes et danubiennes en 1854, en millions de boisseaux[182] :

Odessa Galatz et Braïlow Dantzig Riga Saint-Petersbourg Arkhangelsk Total
7,04 millions 8,32 millions 4,4 millions 4 millions 7,2 millions 9,52 millions 40,49 millions

Dès 1858, le congrès de Paris s'est préoccupé de la situation des cultivateurs roumains : il a imposé aux principautés l'obligation de réviser la loi qui réglait les rapports des propriétaires et de leurs tenanciers et préparé l'avènement d'Alexandre Jean Cuza, figure de la révolution de 1848 à Bucarest, qui en avait fait un principe de base, et qui servira d'exemple aux Russes pour abolir le servage en 1861.

L'autorité de Cuza n'est pas reconnue par le sultan ottoman mais confirmée lors de la Convention pour l'Organisation définitive des principautés danubiennes de Moldavie et de Valachie, organisée le 19 août 1858 à Paris. Ceci valide de facto l'union des deux principautés alors que les ministres autrichien et russe désapprouvaient cette union au congrès de Paris. Constantinople finit cependant par céder le 23 décembre 1861.

Les immenses domaines ecclésiastiques orthodoxes (près d'un quart de la superficie agricole utile) sont expropriés en 1863 et ces terres distribuées aux paysans. Une compensation financière est refusée par l'Église orthodoxe, qui la trouve trop basse, et ne fut jamais payée.

Conséquences au Canada et aux États-Unis, le grand marché de Chicago

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Les moissons 1853 de blé en France et Angleterre sont déficitaires de 108 millions de boisseaux[214], peu avant leur entrée dans la guerre de Crimée, qui les prive en plus de blé russe. Le Traité de réciprocité canado-américain, signé le 6 juin 1854, supprime les taxes sur la navigation par Montréal et tout droit de douane sur le blé. De 1853 à 1856, les exportations du Canada augmentent vers l'Europe et doublent vers les États-Unis, aux 2/3 du blé et de la farine[215]. Le blé américain à bas prix est associé à ce commerce : réuni à Chicago, Milwaukee et Toledo, il file au Canada par les ports fluviaux frontaliers (Buffalo, Oswego, Ogdensburg (New York). Augmenté en volume par du blé canadien et moulu au Canada, il est vendu à New York, par le canal Champlain et l'Hudson, ou à Boston et Portland par train[215], qui préfèrent les farines canadiennes de qualité[215], les deux centres meuniers américains (Oswego et Rochester) totalisant seulement 1,5 million de boisseaux. Une partie de ce blé canadien est réexportée par New York vers les Provinces Maritimes du Canada et l'Europe[215].

Les canadiens, financent le boom du stockage de blé à Chicago, jusqu'ici dépassé par Milwaukee (0,35 million de boisseaux contre 0,5 million). Dès 1855, Gibbs Griffin et Munger Armour bâtissent deux silos contenant 0,8 million de boisseaux à eux deux, hauts de 60 mètres[156]. Grâce à 10 autres nouveaux silos, la capacité du port décuple en deux ans : 4,1 millions de boisseaux en 1857. La pénurie de silos déprimait auparavant les prix des maïs de l'Illinois (rivière)[216].

Exportations américaines, millions de boisseaux[156] 1850-51 1851-52 1852-53
Blé 1,02 2,7 3,9
Maïs 3,4 2,6 2,3

Ces nouveaux silos géants permettent se spéculer sur la hausse de cours causée par la pénurie en Europe, en l'aggravant : les exportations de blé de New York, chutent à seulement 28000 boisseaux de blé entre janvier et mi-avril 1855... pour faire flamber les prix, qui chutent ensuite brièvement mi-juillet 1855, à 35 cents, grâce aux bonnes récoltes américaines, puis s'envolent dix jours après à 150 cents, dès que les Canadiens tentent de s'en emparer pour livrer l'Angleterre. Le suspense sur la chute de la forteresse russe de Sébastopol, annoncée à tort le 1er octobre 1854, dure en effet depuis un an. Quand Sébastopol tombe enfin, le 10 septembre 1855, les acheteurs français de blé s'embarquent immédiatement pour Chicago, où ils vont discrètement acheter pour 1,5 million de dollars, première transaction directe entre le Midwest et l'Europe[156]. Les Anglais, eux, ont réduit leurs importations de blé en 1855 (3,8 millions de quarts contre 2,7 en 1854[120]) alors que la récolte a triplé à Chicago, dont la population a augmenté d'un quart.

D'avril à décembre, des contrats à terme non standardisés (« Forward (finance) »)[217], sont échangés presque tous les jours sur le New York Exchange et nombreux aussi à Saint-Louis, la Nouvelle-Orléans, Milwaukee et Buffalo[156]. Chicago est au centre du jeu entre Mississippi, cinq lignes ferroviaires et les Grands Lacs. Les télégrammes reçus par les quotidiens informent le 31 mai que de nombreux vendeurs ont subi une perte énorme: un dollar par boisseau, puis témoignent le 11 juin d'un bras de fer sur les prix[156], et le 25 juin du comportement purement spéculatif d'un gros vendeur à découvert. Des prix faramineux, entre 2 et 2,50 dollars le boisseau de blé, sont constatés un peu partout[156]. Le maïs amplifie la flambée du blé : printemps très sec aux États-Unis et spéculation sur des achats européens, comme en 1847 et 1852, destinés à remplacer le blé. L'arrivée du premier train de l'est à Chicago, connectant les trois lignes locales, avait fait bondir le maïs de 26 à 61 cents entre janvier et décembre 1852.

Production des trois principales céréales en 1854 et 1855 à Chicago[156] :

Blé Maïs Avoine
1854 2,1 6,4 3,2
1855 6,3 7,5 1,9
Évolution Triplement plus 15 % moins 35 %

Les certificats du grain stocké dans les silos sont donnés en garantie à des commissionnaires, qui avancent 3/4 de sa valeur, avant même sa revente. Les négociants peuvent ainsi brasser plus d'affaires. Et acheter ou vendre par des contrats " forward", fixant un prix d'avance, pour contourner les à-coups spéculatifs, en s'appuyant sur ces certificats. Pour assumer moins longtemps le risque de baisse des prix, ils revendent souvent en 1855 leurs contrats "forward" avant la livraison, à des spéculateurs[158], apparus pour parier à court terme en les revendant à leur tour. Le CBOT offre en 1855 fromage et petits gâteaux sur son parquet, dont un vigile surveille l'entrée, pour inciter à venir y négocier. Par sécurité, il exige des appels de marge, répartis entre vendeur et acheteur. Lors de son assemblée d'avril 1853 il a noté que les « locaux des banques locales sont très limités ». On en compte six. Jusqu'en 1852, la ville n'a pas de banque « légale ». Le négociant en fourrures Gurdon Saltonstall Hubbard, cofondateur du CBOT, finançait sur sa fortune ses exportations de viande vers l'Atlantique. la "Bank of Atlanta" et d'autres banques georgiennes, émettent du papier controversé. Début 1856, le parlement de Georgie révoque son agrément[218] mais sans pouvoir l'arrêter. La panique de 1857 démarre lentement. En avril Walker Bronson & Co, gros négociant de Chicago diffuse une évaluation alarmiste et fantaisiste des futures récoltes, à 2 millions d'euros, qui déchaine la presse de la côte est, menée par le New York Herald, contre la « spéculation dans l'ouest ». Le 21 juin 1857, l'ambassadeur de France Eugène de Sartiges affirme que Chicago « tout entière est livrée à une fièvre d'agiotage qui déborde comme folie » et parle d'un quadruplement de l'immobilier[219]. Le 21 août, c'est la rumeur d'un défaut des obligations ferroviaires de William B. Ogden, l'homme le plus riche de la ville. Trois jours après, l'Ohio Life Insurance and Trust Company, banque de l'État de l'Ohio, ferme réellement ses portes.

 
La vallée de l'Ohio aujourd'hui. Dans les années 1860, elle englobait encore les nouveaux territoires de l'Illinois et les États du Tennessee et du Kentucky.

La perte de confiance dans les banques s'aggrave quand le SS Central America, bateau à Roue à aubes de 85 mètres sombre le , lors d'un Cyclone tropical avec ses 477 passagers, 101 membres d'équipage et 11 tonnes d'or provenant de Californie, contribuant à cette panique de 1857. Le cours du blé s'effondre, avec les récoltes européennes post-guerre de Crimée. Mais sans les acheteurs canadiens, sa baisse à Chicago aurait été beaucoup plus prononcée[178]. Le Daily Democrat de Chicago observe en 1857 qu'un « demi-million de boisseaux sont maintenant en route vers les ports canadiens de l'Atlantique »[178] grâce aux 14 maisons canadiennes établies dans la ville, dont plusieurs de Montréal, représentant des « capitaux très importants »[178]. Le quotidien dénonce les banquiers de Chicago[178], qui rachètent tous les billets canadiens et les envoient à New-York pour les faire rembourser au Canada. Il préconise la nomination d'« agents attitrés à Chicago, qui surveilleraient les intérêts des banques canadiennes, assurant et protégeant la circulation de leurs billets[178] ». Les canadiens défendent ainsi leur Traité de réciprocité canado-américain, au succès très mitigé: entre 1855 et 1860, le Canada exporte en moyenne 27 millions de boisseaux de céréales par les canaux de Buffalo et Oswego (New York) et seulement 0,67 million par Montréal[178]. seulement 44 navires descendent le Saint-Laurent entre 1855 et 1863 et 11 de moins le remontent.

Le Chicago Board of Trade, devenue référence mondiale, envoie lui-même des messages télégraphiques en Europe[220], y compris sur l'Old Corn Exchange de Londres[221], par le Câble télégraphique transatlantique ouvert 3 semaines à partir de 1858, l'année d'un incident médiatisé : un acheteur de New York retourne une cargaison de blé chargée de son[220]. En réaction, le CBOT décide que tous ses inspecteurs de silos seront financés par une taxe, payée par les silos et les commissionnaires. Par une charte de 1859, il crée une classification simplifiée des qualités, qui remplace les origines géographiques[158] et des pouvoirs « judiciaires » internes, renforcés et souverains[220] pour arbitrer les conflits[158]. Le 27 mars 1863, il crée ses premières règles et procédures pour le règlement des contrats "forward" puis en mai 1865 transforme les deux plus activement négociés sur le blé en contrat à terme standardisés[217],[222], en lien avec les négociants de Liverpool et Londres. Il s'agit désormais de rendre le blé américain crédible et prévisible en Europe, pour pérenniser sa percée de la guerre de Sécession, d'autant plus remarquable que l'Europe n'est alors plus en pénurie. Mais il faudra attendre encore 1884 pour qu'une chambre de compensation accompagne cette évolution[158].

Au cours de la forte croissance économique mondiale des années 1850, la production américaine de blé augmente de 60 %, grâce à Chicago, ou elle a sextuplé entre 1854 et 1860, à 30 millions de boisseaux, moitié blé moitié maïs[182], les 3/4 de ce que réalisaient en 1854 l'ensemble des ports danubiens et russes. Le blé double aussi ses superficies cultivées dans la Vallée de l'Ohio, après avoir déjà augmenté de 70 % lors de la décennie précédente[112].

Le maïs monte aussi. Les "jeunes États", Ohio, Indiana et Illinois produisent désormais à eux trois autant que les 9 états du Sud, dont la part décline[112]. Une nouvelle catégorie apparait, "Extreme West and Northwest" : les nouveaux États du Wisconsin et du Minnesota, dans la future Corn Belt, qui produit 88 millions boisseaux, soit 48 % de plus que l'Ohio, État fondé en 1803[112]. Avec 0,9 milliard de boisseaux, le maïs reste cinq fois plus important que le blé[112] :

Production américaine (en boisseaux)[112] : Maïs Blé
1850 0,5 milliard 0,1 milliard
1860 0,9 milliard 0,16 milliard

Le New-York Times du 4 août 1860 observe que l'énorme excédent de maïs américain (0,4 milliard de boisseaux de plus sur la décennie) permet de nourrir 200 millions de personnes alors que les États-Unis n'en comptent que 30 millions[112], et qu'il reste aussi de quoi développer le cheptel bovin mais aussi les élevages porcins, en pleine croissance. Les statistiques de l'État de l'Ohio montrent par exemple une consommation de dix millions de boisseaux de maïs pour les élevages porcins, autant pour le whiskey et cinq millions exportés, l'essentiel de la hausse de la décennie s'étant produit après 1855[112].

Conséquences pour les pays de la Baltique

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Parmi les pays de la Baltique, le Danemark est le premier à tirer profit de l'effondrement des importations de blé russe par l'Angleterre, alors que les Français n'entrent qu'en septembre 1854 dans cette guerre démarrée dès septembre 1853.

Importations anglaises de céréales, en millions de quarters[223] :

Russie Prusse Autres États allemands Danemark et duchés États italiens Hollande France
1847 1,6 0,65 0,22 0,69 0,18 0,29 0,52
1854 0,17 0,72 0,36 0,87 0,18 0,25 0,22

Les plaines céréalières du Brandebourg et du Mecklembourg, futur grenier à blé de la « grande Allemagne », qui n'ont rien à envier à la Beauce ou à la Brie, se révèlent plus à même d'en profiter sur le long terme. En 1858, la Prusse fait jeu égal avec la Russie avec 1,8 million d'hectolitres, contre 1,55 million pour les États-Unis, 1,36 million pour l'Égypte, 0,87 million pour le Danemark et 0,59 million d'hectolitres pour l'ensemble Turquie, Valachie, Moldavie[224].

Conséquences pour la révolution de l'information

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Les pénuries et spéculations causées par la guerre de Crimée ont fait s'accélérer la circulation de l'information sur les céréales dans le monde. Abott et Winnan, plus ancienne agence de presse américaine, spécialisée dans les matières premières, est installée Hanover Street[225] à New York, juste en face de l'Associated Press qu'elle domine largement en 1852, avec 62 journaux américains clients, souvent situés dans le « corridor céréalier » du canal Erié. Pour recevoir les nouvelles d'Europe, Abott et Winnan tente, sans succès, d'obtenir de l'opérateur télégraphique d'Halifax une politique du « premier arrivé premier servi »[226]. La concurrence s'avive pendant la guerre de Crimée. En 1855, la New York Associated Press[227] et ses fournisseurs télégraphiques acquièrent de nombreux clients, en profitant aussi d'une marché plus ouvert depuis le "New York Télégraph Act de 1848" et en réussissant à évincer Abott et Winnan et ses alliés détenteurs de brevets Morse. En 1858, 91,7 % des nouvelles télégraphiques publiées par le Chicago Tribune viennent de la NYAP[228].

En 1852 aussi, l'année où les déficits européens commencent à se creuser, Elias Colbert, journaliste du Chicago Tribune, collecte et recoupe des statistiques jugées fiables sur la production et le commerce des céréales[229]. Le Chicago Daily Democratic Pres est créé en 1852 sur la promesse de donner une image fidèle de la réalité du marché des céréales, par un reporter dédié, Phelyer L. Wells, qui créé en 1856 la Daily Commercial Letter, avec son frère Joël, du Chicago Tribune. Leur publication révèle en 1859 aux États-Unis le déclenchement de la guerre franco-autrichienne. Phelyer L. Wells devient en 1859 superviseur du CBOT, dont il a défendu vigoureusement le futur système de grades pour les céréales. Les reporters enquêtent auprès des fermiers, négociants et navigateurs, publient de nombreux cours locaux et estimations des stocks, mais profitent aussi de leur accès aux informations pour spéculer, comme s'en fait l'écho le New York Herald. Ils déplorent la dispersion des négociants face à la guerre de Crimée mais sont eux-mêmes divisés : en 1859, le Chicago Tribune fustige le Milwaukee Sentinel pour avoir déformé les informations du Chicago Journal[réf. nécessaire].

La meilleure connaissance du marché mondial, en temps réel, grâce à la télégraphie, permet de supprimer des intermédiaires commerciaux. En 1854-1855, la brigantine Scott part de Saint-Joseph (Michigan) pour aller livrer directement en Europe[230]. Le 18 juillet 1856, le schooner Dean Richmond, long de 45 mètres et bâti à Cleveland, part avec un chargement de blé de Chicago et Milwaukee et le soutien du Cbot. Il lui faut 41 jours pour aller à Québec en passant par Detroit et 36 de plus pour traverser l'Atlantique vers Liverpool[231].

En France, Alexandre Moreau de Jonnès prépare le décret du 1er juillet 1852, qui crée le 1er des outils statistiques agricoles en Europe, utilisé pendant 50 ans[232], révélant que le maïs est cantonné au sud-ouest et à la Bresse, le sarrasin au massif armoricain et aux rebords du massif central[233]. En Russie, la guerre de Crimée accélère le déploiement du premier télégraphe électrique entre Saint-Pétersbourg, Varsovie et Koenigsberg[234], qui prend le relais des 148 postes du Télégraphe optique russe construit 1831, par un ancien employé de Chappe, Pierre-Jacques Chatau. Werner von Siemens s'était déplacé en Russie sans succès en février et mai 1852 et le contrat n'est signé qu'a l'été 1853 pour une réalisation achevée en décembre 1854. Le Tsar lui commande une ligne de 1 900 km vers Sébastopol, achevée dès 1855. En 1854, 40 des 130 employés de Siemens sont en Russie et en 1856 213 sur 332. Après la guerre de Crimée, Posrednik, quotidien sur la science, l'agriculture et la pêche, qui donne les cours des céréales obtient un accord" avec l'agence de presse allemande de Bernhard Wolff pour partager les coûts entre journaux, tout en étant approché par l'agence Reuters, fondée en 1851. Pour abaisser les coûts, Reuters signe dès 1856 un accord sur les matières premières avec les deux autres agences de presse européenne puis offrira au milieu de la décennie suivante un ensemble très complet de cotations locales pour les céréales (20), le coton (17), les produits tropicaux (15) ou les métaux (10)[235],[236]. Reuters fournit des nouvelles régulières des centres exportateurs, Gdańsk, Hambourg, Szczecin et Anvers, mais aussi Odessa pour le blé d'Ukraine. L'agence anglaise veut diffuser des télégrammes d'une centaine de villes. La collection de ses premières dépêches à partir de 1852 montre une prédominance importante du marché des céréales. The Times lui achète dès le 17 août 1852 son service sur les cargaisons orientales, fourni via le Lloyds Autrichien à Trieste[237].

Années 1860

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Le prix constaté du blé stagne au cours de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié. Il baisse si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] mais connait une flambée de près de 80 % entre 1868 et 1867, du fait de très mauvaises récoltes et après la crise de 1866 :

Années 1860 1861 1862 1863 1864 1865 1866 1867 1868 1869
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 26,9 32,4 30,5 25,5 23,6 21,9 26,3 34,7 34 26,6
Prix observé du quintal de blé (en francs) 131 158 145 122 113 102 122 162 155 121

Les cours du blé en Angleterre de 1863 à 1867 :

Années 1862 1863 1864 1865 1866 1867
Prix moyen en Angleterre, en shilling par Quart (unité) de tonne 55 44 40 41 49 64

À Chicago, le prix du blé croît au rythme de 6,5 % pour la moyenne mobile sur 13 mois[238] entre 1860 à 1870. Le cours sur le marché à terme atteint 2,87 dollars le boisseau en mai 1867[238], contre un dollar en janvier 1860[238], ce qui fait monter le prix de la terre pour les céréaliers américains, même dans un comté traversé par aucune ligne de chemin de fer[238], puis il revient à 1,06 dollar en décembre 1870. Entre août 1860 et décembre 1862, le prix du blé à Chicago était encore inférieur à un dollar[238]. Les années 1869 et 1870 sont marqués par la baisse[238], mais de juin 1866 à août 1868, les cours sont très hauts[238] : ils dépassent 2 dollars par boisseau en juillet-août 1864, en juin 1866, puis d’octobre 1866 à juillet 1867, enfin de janvier à mai 1868[238].

Du maïs américain à la boite de conserve et au wagon bétailler

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Entre 1858 et 1860, l'Angleterre ne tire d'Amérique du Nord que 13,6 % de ses approvisionnements en blé et en farine, contre 43 % venant des régions limitrophes de la Baltique et de la mer Noire, 31 % de la France et 8 % de l'Égypte. Elle n'absorbe que 22 % des 400 000 tonnes de blé et de farine-équivalent en blé exportés par les États-Unis, dont un tiers passe par le Canada, plus tourné vers les États-Unis. Avec la guerre de Sécession, l'armée réclame d'énormes livraisons de porc et d'avoine mais les céréales américaines sont privées de leurs débouchés dans les États du Sud, qui bloquent la circulation sur le Mississippi. Il leur faut de nouveaux débouchés à l'étranger, via Montréal ou les canaux menant à l'Atlantique : entre 1860/1 et 1862/3, les exportations représentent près du quart des récoltes américaines, part qui reviendra à seulement 7 % à 8 % lors des mauvaises récoltes américaines de 1865.

Grains envoyés vers l'Est par les 8 États américains de l'Ouest et le Canada[215] :

Année 1859 1860 1861 1862
Trafic (en boisseaux) 44 millions 78 millions 119 millions 136 millions
% par Buffalo et Oswego 67 % 69 % 67 % 66 %

Les exportations de céréales par le canal Érié et New York bondissent à 1,5 million de tonnes dans les années 1860 puis seront divisées par cinq avant de culminer à 3 millions de tonnes en 1880 et 1898[238], avec un retour à un million entre les deux dates. En 1861, New-York acquiert un quasi-monopole quand le Mississippi ferme, mais n'a plus que deux tiers du trafic juste après la guerre de Sécession[238]. Pour le blé, sa part de marché chutera de 81 % à 49 % au moment des grandes exportations américaines de 1880[238].

Part de marché new-yorkaise des expéditions américaines de céréales vers l'Europe, de 1861 à 1900[238] :

Céréale 1861 1900
Blé 93 % 34 %
Maïs 90 % 21 %

Au début de la guerre de Sécession, les États du Nord ont lancé la campagne de Vicksburg, contre cette ville-forteresse, perchée sur une haute falaise dominant la dernière portion du Mississippi contrôlée par les sudistes, surnommée « la Gibraltar de la Confédération ». Dès avril 1862, l'amiral nordiste David Farragut s'empare de La Nouvelle-Orléans et la campagne de Vicksburg donne lieu à 11 batailles entre le 26 décembre 1862 et le 4 juillet 1863, quand le Nord contrôle du Mississippi et fait basculer la guerre.

 
La "Texas longhorn", adaptée au climat sec du Texas et aux longs trajets vers le nord.

Les abattoirs accroissent leur capital au cours de la guerre, faisant de Chicago le grand centre de ravitaillement en viande, grâce à l'abondance du maïs aux alentours. Au sud, l'Armée sudiste se nourrit aussi de bétail, mais les cow-boys texans sont mobilisés et la terrible sècheresse de 1862-1863 décime des troupeaux livrés à eux-mêmes. La reprise du Mississippi par le Nord en 1863 coupe le dernier débouché des éleveurs texans, qui bradent leurs bêtes au Mexique. La fin du siège de Vicksburg, le 4 juillet 1863, puis la capitulation de Port Hudson (Louisiane) le 9 juillet, ont en effet donné à l'Union la maîtrise complète du Mississippi, jusqu'à la fin des hostilités, ce qui facilite le ravitaillement des troupes du Nord.

Philip Armour, qui avait créé un marché de la viande à Placerville (Californie), associé à Frederick Miles pour les approvisionnements en céréales, fonde en 1863 à Milwaukee, près de Chicago, la première usine américaine de boites de conserve de viande, associé à John Plankinton. La culture du maïs, pour nourrir le bétail, y trouve un formidable débouché. Juste à la fin de la guerre de Sécession, il gagne un à deux millions de dollars en vendant pour 40 dollars des barils de viande de porc, achetés à seulement 22 dollars. Sa fortune sera réinvestie en 1867 dans la fondation à Chicago des abattoirs Armour and Company. Entre-temps, pour lancer les abattoirs de Chicago, un consortium de neuf compagnies de chemin de fer a acheté en 1864 1,3 km2 de terrains marécageux au sud de Chicago pour 100 000 dollars[239]. Les "Union Stock Yards" (littéralement les « parcs à bestiaux de l'union ») y sont installés, connectés aux lignes ferroviaires principales de la ville par 24 km de voies[239]. Bientôt, il comprend 2 300 enclos pour le bétail, des hôtels, saloons, restaurants, et bureaux pour les marchands et courtiers[240].

 
thumbCarte de la principale ligne du Kansas Pacific en 1869.

Au sud, près de 3,5 à 5 millions de "Texas Longhorn" vivent en 1865 dans l'espace entre le Rio Grande et le Rio Nueces, sans trouver de débouchés. Le Kansas Pacific Railway, parti de Kansas City en septembre 1863 pour relier le premier chemin de fer transcontinental, arrive en août 1867 à Abilene (Kansas), où Joseph McCoy créé des parcs à bestiaux pour 2 000 têtes. Le 5 septembre, d'immenses troupeaux arrivent par Wagon bétailler aux abattoirs de Chicago[241]. La première « ville de cow-boy » livre 440 200 bovins de 1867 à 1871, dont 35 000 fin 1867[242]. Le 15 avril 1871, Wild Bill Hickok devient shérif d'Abilene (Kansas). En 20 ans, 40.000 cow-boys, par groupes de 10, vont convoyer 5,5 millions de bovins, par troupeaux de 2 000, sur 16 km par jour. Le brevet du barbelé le plus résistant, déposé le par Joseph Glidden, ex -shérif du comté de DeKalb (Illinois), les oblige à contourner les fermes par divers routes, de plus en plus à l'ouest[243], où d'autres tissent la trame de la Corn Belt. La croissance, fulgurante, repose sur l'abondance du maïs pour nourrir les bêtes en transit : les "Union Stock Yards" traitent 2 millions de têtes de bétail par an à Chicago dès 1870. Dès le 4 août 1860, le New-York Times estimait l'Amérique capable de nourrir 200 million de personnes, grâce à sa récolte de maïs (0,9 million de boisseaux, cinq fois plus que le blé), en augmentant son cheptel bovin et les élevages porcins[112].

En 1864, l'industrie de la viande en conserve augmente d'un tiers, menée par Cragin & Co, A. E. Kent & Co, Culbertson, Blair & Co, et Griffin Bros. Concentrée sur ce marché émergent, Chicago ne peut plus pallier les très mauvaises récoltes céréalières européennes de 1866-1867. Médiocres aussi, les récoltes américaines du Midwest sont vendues à prix d'or, au goutte-à-goutte. En conséquence, c'est la Californie qui assure la moitié des exportations américaines de blé vers l'Angleterre en 1867[244], grâce à la croissance des surfaces cultivées lors du « boom du blé »[245].

Famine d'Orissa causée par une crise rizicole

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La famine en Inde de 1866 appelée aussi « famine d'Orissa de 1866 » a touché la côte orientale de l'Inde depuis Madras, sur une zone d'une population de 47 500 000 habitants. Les fortes pluies de 1866 ont provoqué des inondations qui ont détruit la riziculture dans les régions basses. L'impact de la famine, cependant fut le plus grand à Orissa, qui était alors assez isolé du reste de l'Inde, où un tiers de la population, soit au moins 1 million de personnes, est mort en raison de la famine.

Le gouvernement indien britannique a importé quelque 10 000 tonnes de riz, mais les efforts pour acheminer la nourriture vers la province isolée ont été entravés par le mauvais temp. Lorsque certains envois ont effectivement atteint la côte d'Odisha, ils n'ont pas pu être transportés à l'intérieur des terres et la population touchée par la famine n'a été livrée qu'en septembre. L'année suivante, il a importé environ 40 000 tonnes de riz, en les payant à quatre fois le prix habituel mais seulement la moitié de ce riz a été utilisée au moment où la mousson d'été de 1867, suivie d'une récolte abondante, a mis fin à la famine en 1868.

Les leçons tirées de cette famine par les dirigeants britanniques incluaient « l'importance de développer un réseau de communication adéquat » et « la nécessité d'anticiper les catastrophes ». La famine a eu pour conséquence d'éveiller les aspirations indépendantistes chez les Indiens, critiques des effets que la domination britannique avait sur l'Inde pendant la famine d'Orissa, l'Inde a exporté plus de 200 millions de livres de riz vers la Grande-Bretagne, comme elle avait commencé à le faire lors des trois autres années précédentes.

L'Algérie victime de la famine entre 1866 en 1868

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Les années 1866-1868 sont marquées en Algérie par une série ininterrompue de catastrophes qui provoquent une mortalité considérable, quoique difficile à estimer, puis la Révolte des Mokrani, de 250 tribus. Le démographe algérien Djilali Sari, estime à 820 000 le nombre de morts liés à la « famine », sur 4,2 millions d'habitants en 1866. Entre les chiffres de l’historiographie algérienne et ceux de l’administration française, un tiers à un dixième de la population algérienne disparait. André Nouschi, historien spécialiste de l'Afrique du Nord, évalue la perte démographique nette à 25 % dans le Constantinois. Autour de Ténès, celle des Béni Ména s’élèverait à 41,5 % et celle des Béni Zentis à 58,5 %. À Tébessa elle approcherait 40 %. Sur 151 227 morts connus, 80 % ont péri dans les secteurs de Sétif et Constantine.

La complexité de la crise résulte d’un manque immédiat de récoltes, de stocks en silos limités, de l’absence de numéraire et de l’intégration asymétrique de l’agriculture vivrière et du pastoralisme traditionnel à une nouvelle économie agricole tournée vers l’exportation. La culture des céréales s'était étendue depuis une dizaine d'années. Le pastoralisme est remis en cause dès 1853. Les saphis du camp militaire d'Aïn Beida recherchent des fourrages pour leurs chevaux et demandent à la population locale d'en planter. L'année suivante, le prix flambe en raison de la pénurie causée par la guerre de Crimée[246]. De cette époque date la mise en culture des immenses plaines des Haractas, Sellaouas et Maatlas, tribus d'éleveurs[246]. Beaucoup vendent leurs chameaux pour labourer et semer, les prix étant attractifs. En 1857, 32 000 hectares de céréales sont cultivés dans l'Ain Beida, chiffre qui monte à 118000 en 1863[246]. Le « Sénatus-consulte » de 1863, décliné selon les régions en mai et juin, veut « consolider radicalement la propriété arabe » par des territoires « répartis entre les différents douars de chaque tribu ». Il met fin à l'ancienne coutume de solidarité des peuples pastoraux, la maâouna, antérieure à l'islam[247] et ses silos communautaires de réserve, protégeant les plus pauvres en cas de sècheresse ou de sauterelles.

Dès 1865 sévit une sècheresse extrême en Algérie, alors légèrement exportatrice en céréales, qui abîme les récoltes et s'aggrave en 1866 puis persiste en 1867. Le fléau sévit dans toute l'Afrique du Nord. Alphonse Daudet en témoigne en 1867 dans un de ses livres depuis le Sahel. Les criquets franchissent l'Atlas le 13 avril 1866 puis pondent. Absents de la région d'Alger depuis deux décennies ils y déferlent « sur un front de huit kilomètres », selon le livre de Villacrose. Dès juin 1866 les gouverneurs signalent un prix du blé doublé. Le tremblement de terre du 2 janvier 1867 aggrave la situation, choléra et typhus se répandent. À l'automne 1867, des affamés se mettent en marche dans toute l'Algérie. En février 1868, ils investissent la périphérie des villes et villages du Sahel[248].

Des contemporains critiquent la gestion de la crise[249]. Le docteur Auguste Vital écrit dès juillet 1867 que « tuer ou plutôt laisser mourir l’armée des véritables travailleurs du sol pour ne pas discréditer l’Algérie est un étrange calcul »[249]. L'évêque Mgr Charles Lavigerie, nommé à Alger en mai 1867, rend public le désastre en 1868, par la mobilisation de plusieurs formes de média[249]. Des prêtres des paroisses reculées comme l’abbé Burzet le tiennent informé[249].

Ses prédécesseurs, Antoine-Adolphe Dupuch et Louis-Antoine-Augustin Pavy, avaient tenté de faire revivre l'église d'Afrique du Nord[250], mais Napoléon III a rendu aux militaires le gouvernement du territoire algérien, comme avant 1848. Les Européens n'ont plus le droit d'élire des députés ni de s'établir dans les zones rurales éloignées des chefs-lieux, administrées par les officiers. Les préfets sont subordonnés aux généraux.

Charles Lavigerie utilise des ressources cléricales efficaces car échappant à la censure[249]. Ses envoyés donnent des entretiens dans la presse catholique nationale modérée comme Le Journal des villes et des campagnes, Le Nouvelliste, La Patrie ou dans la presse locale – Le Phare de la Loire, Les Nouvelles du Gers[249]. Ses lettres apostoliques, lues dans les paroisses et évêchés de France, diffusées via les réseaux religieux de l’Allemagne au Canada, permettent de collecter de l’argent pour le diocèse d’Alger[249]. Sur les 5 900 références à l’Algérie dans la presse britannique recensées entre 1865 et 1871, plus de 2 000 sont consacrées à la famine[249]. Le prélat met en scène les orphelins de la famine, parfois envoyés comme ambassadeurs en Europe avec les Pères blancs – société missionnaire qu'il a fondée en Algérie.

Sur plusieurs points, des différences existent entre les famines irlandaise de 1847 et algérienne de 1867, que l'évêque compare, parfois à tort[249]. La population algérienne n’a qu’un accès restreint aux territoires habités par les Européens et quand elle ne parvient pas à migrer vers le Maroc ou le sud, elle reste la plupart du temps cantonnée dans les terres rurales par des cordons sanitaires militaires[249]. Les observateurs comparent aussi l’Algérie avec l’Inde car les famines changent de nature, passant du manque absolu de nourriture au manque relatif de pouvoir d’achat résultant de la gestion coloniale[249].

La panique du blé de 1866-1867 en France et en Finlande

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Les récoltes de 1867 sont meilleures que jamais en Hongrie, mais mauvaises en Europe de l'Ouest : Prusse, France, Angleterre et la famine en Finlande de 1866-1868 cause 270 000 morts en 3 ans, environ 150 000 de plus que la mortalité normale[t 1]. Environ 8 % de la population finlandaise meurt de faim et jusqu'à 20 % dans les régions les plus touchées[251] : Satakunta, Häme, l'Ostrobotnie et Carélie du Nord. L'été finlandais de 1866 est très pluvieux, l'hiver suivant très froid et le printemps 1867 en retard. Lacs et rivières restent de glace jusqu'en juin. Le gel du 3 septembre, surtout dans le nord, ravage ensuite les grains immatures. Les paysans quittent le nord et l'est de la Finlande pour mendier. Le gouvernement est lent à reconnaître la gravité de la situation, malgré des stocks faibles. La construction du chemin de fer Riihimäki – Saint-Pétersbourg est lancée d'urgence en 1867 mais le ministre des Finances Johan Vilhelm Snellman refuse d'emprunter pour importer, de peur que le nouveau mark finlandais ne soit affaibli. Il s'y résout fin 1867, quand les prix des céréales ont déjà explosé en Europe où se sont combinés la famine algérienne, l'assèchement des importations d'Amérique, la saturation des capacités russes, et surtout le défaut des Hongrois envers la France, pourtant en pleine pénurie.

Dès 1865, la récolte de blé est décevante en France, qui exporte environ 1,8 million de quintaux mais doit en importer autant pour ses farines (l'équivalent de 3 millions de quintaux de blé exportés). Environ 10 % des importations de céréales viennent d'Algérie[252]. C'est l'année 1867 qui sera terrible : gel en juin et en juillet, sur les rives du Lac Léman, les blés ne mûrissent pas. L'hexagone est sous le choc car les stocks engrangés lors des excellentes récoltes de 1863 et 1864[175] sont déjà vendus et ses réseaux d'importation sont moins étendus qu'Outre Manche.

Les importations de céréales en France[175] :

Années 1863-1864 1864-1865 1865-1866 1866-1867 1867-1868 1868-1869 1869-1870 1870-1871 1871-1872
Millions de francs 27,8 18,7 32,3 202,5 466,7 58,8 185,9 335 167,5

L'Angleterre voit en 1867 ses importations de blé bondir de 148 %, pour ses 4 premiers fournisseurs). La Russie double ses envois, pesant autant que les trois autres, suivie par la Prusse, qui a pourtant une mauvaise récolte selon le consul français à Szczecin[253]. La récolte américaine déçoit en cours d'année, malgré le plus haut prix du siècle (2,87 dollars en mai) et n'est sauvée que par une contribution exceptionnelle de la Californie, dont les schooners céréaliers contournent le Cap Horn. La France est incapable de suivre : elle a déjà puisé en 1866 sans ses stocks de blé pour honorer les engagements commerciaux envers l'Angleterre et doit encore lui livrer 1,23 million de quintaux de farine en 1867. La situation française est dramatique : sa récolte de blé a chuté d'un tiers en deux ans (1864-1866), puis baisse encore en 1867, et ses importations totales de céréales sont multipliées par vingt (1865-1867). En 1867, elle doit y consacrer 467 millions de francs, soit 25 fois plus que la moyenne annuelle de ses importations de Russie entre 1847 à 1856[254].

Les importations anglaises de blé américain et français sur 1863-1867[255] :

Années 1863 1864 1865 1866 1867
Blé américain (millions de quintaux) 8,7 7,9 1,2 0,6 4,1
Blé français (millions de quintaux) 0,1 0,6 2,2 3,5 0,6

Le Farmer's Magazine anglais du début 1868[256] écrit aussi que le Danemark, fournisseur habituel des anglais, a dû donner en 1867 la priorité à « l'alimentation de populations locales affamées »[256] et rappelle le déficit belge ou la qualité déficiente des récoltes 1865 et 1866 en Pologne et dans le Nord de l'Allemagne, qui avaient déjà asséché les stocks mondiaux.

Sur les 7 premiers mois de 1867, le blé vaut en moyenne 27 ou 28 francs le quintal[257], prix qui grimpe à 34,7 francs sur l'année, en raison d'un second semestre de panique. Faute de moyens financiers, la France est bien involontairement en retard sur l'évolution du marché : elle importe moins de céréales en 1867 (0,6 million de tonnes)[258] qu'en 1868 (un million) l'année de meilleures récoltes, payant les prix extrêmes de l'hiver 1867-1868. L'Australie et l'Argentine sont encore importatrices, l'Égypte a été marginalisée, la Russie et la Prusse livrent au maximum à l'Angleterre en 1867 : il reste aux acheteurs français la Hongrie, où ils ont contribué à développer le chemin de fer avec Paul Eugène Bontoux. Le Traité de commerce de décembre 1866 avec l'Empire austro-hongrois devrait leur faciliter les choses[259].

Par une heureuse exception, la Hongrie, la Moravie et les terres adjacentes, affichent « une récolte tellement abondante, que le surcroît » a été « suffisant pour combler à peu près le déficit éprouvé en Occident » estime même le consul français à Szczecin[253].

Les importations de blé par l'Angleterre en 1867, en millions de quintaux[255] :

Fournisseur Russie Prusse États-Unis (total) États-Unis (Californie) France Total des 4
Importations 1866 8 4,4 0,6 3,5 0,2 9
Importations 1867 14 5,5 4,2 0,6 2,2 22,3

La France échoue pourtant : dès l'été les récoltes hongroises sont captées par l'Allemagne du Nord et son nouveau maître, la Prusse, qui a écrasé l'Autriche-Hongrie lors de la bataille de Sadowa en juillet 1866. Prétextant un retard des Français dans l'acheminement de wagons et locomotives, les Hongrois cèdent à l'amicale pression des Prussiens. « Tout le monde a pu voir en Hongrie les agents du gouvernement prussien parcourant les stations pour relever l'État des dépôts en gares, celui des expéditions attendues, des moyens de transport disponibles » et « on y voit affluer des acheteurs allemands enlever des quantités énormes destinées au contrées de la Baltique et de la Mer du Nord », qui agissent « sous la protection » de leurs gouvernements, se plaignent les négociants français venus s'enquérir de la situation, qui adressent dès l'automne à l'ambassade de France à Vienne « des plaintes extrêmement vives » sur les difficultés « à faire parvenir leur approvisionnements », comme le révèle plus tard, une lettre de l'ambassadeur. Le rail n'est pas seul en cause : le 13 septembre, la "Donnaus Steamship", compagnie maritime hongroise, cesse ses livraisons de céréales[207]. L'arrivée rapide de matériel roulant français de la Compagnie des chemins de fer de l'Est, bien accueilli par les Hongrois[260] permettra de « déblayer des approvisionnements » se vante ensuite l'ambassadeur, mais trop tard. Pour les céréaliers français, trahis, la Compagnie des chemins de fer de l'État autrichien a favorisé le commerce de l'Allemagne et de la Prusse au détriment du commerce tout court.

La récolte de blé en France de 1861 à 1869[175] :

Années 1861 1862 1863 1864 1865 1866 1867 1868 1869
Millions d'hectolitres 75 99 116 111 95 85 83 117 108

Entre-temps, Napoléon III tente de se rapprocher d'Alexandre II (empereur de Russie), invité en grande pompe à l'Exposition universelle de 1867, mais c'est un échec : le tsar échappe de peu à un attentat le 6 juin au bois de Boulogne. Friedrich Ferdinand von Beust, chancelier autrichien, est invité à son tour en août et donne à Napoléon III une « entrevue de Salzbourg » amicale. Von Beust y annonce une émission obligataire hongroise, critiquée par la presse française, et peu souscrite par les épargnants[261]. Le journaliste Eugène Forcade, dans La Semaine financière, défend les richesses naturelles de la Hongrie, mais pointe, avec diplomatie, son manque de voies de communication[261]. Malgré les moyens importants du « bureau de presse » autrichien, la plupart des journaux voient dans cette entrevue de Salzbourg « l'aboutissement d'une longue chaîne de prévisions trompées » et estiment que l'alliance franco-autrichienne sera torpillée par les sujets allemands de l'Empire austro-hongrois[261]. L'émission obligataire ratée devient « l'affaire des porteurs de titres autrichiens », malgré leur hausse continue à la Bourse[261]. Conciliant, l'empereur d'Autriche François-Joseph Ier vient à son tour à Paris, en passant par Nancy les 22 et 23 octobre, où il fait des dons importants à l'Église, alors que les milieux catholiques français tirent à vue sur son chancelier protestant[262].

La presse française, tout juste libéralisée par le décret du 19 janvier 1867, s'en prend surtout à la « politique de Salzbourg » de Napoléon III. Elle revient sur le Compromis austro-hongrois du 8 juin 1867 qui assure le double-règne de François-Joseph et d'Élisabeth, estimant qu'il a finalement bridé la Hongrie dans ses relations avec l'Europe occidentale, ce double-règne masquant des concessions commerciales à l'Autriche et l'Allemagne[261]. À partir d'août 1867, les éditorialistes accusent Napoléon III d'avoir donné un coup de barre précipité en faveur de Vienne, par peur de l'unité allemande[261]. L'opinion publique française est alors anxieuse de perdre les avantages du traité de commerce franco-autrichien, en matière de céréales, et de prospérité des entreprises austro-hongroises cotées à Paris et Vienne[261].

Les exportations austro-hongroises de blé ont pourtant doublé en 1867, à près de 12 millions de boisseaux[207] :

Année 1865 1866 1867
Exportations austro-hongroises (en millions de boisseaux) 4,9 millions 4,7 millions 11,7 millions

Les rapports des préfets et magistrats témoignent d'une « crise de confiance » car « l'opinion publique, ne comprenant pas le caractère européen de la dépression, rend le gouvernement responsable de la stagnation des affaires et de la cherté des subsistances ». Le procureur de Dijon écrit ainsi à son ministre le 9 octobre que presque tous les substituts lui rapportent qu'« on dit hautement que le mystère dont l'Empereur environne ses déterminations entretien les incertitudes qui paralysent le commerce[261] ».

Une étude détaillée de la presse française de 1866-1867[261] montre qu'elle avait salué la victoire à Sadowa de la Prusse en juillet 1866, mais change d'opinion, surtout après l'été 1867. La France a pourtant triomphé dans la Crise luxembourgeoise, la Prusse a cédé à l'amicale pression exercée par l'Autriche à partir du 25 avril suivie par la Russie et l'Italie[263] et accepté l’évacuation de la forteresse du Luxembourg, figurant au traité de Londres du 11 mai 1867. À l'été, l'opinion publique française s’insurge, des activistes pro-français provoquent la garnison prussienne du Luxembourg, dont deux gros bataillons sont pourtant partis dès le 17 juin et qui a entièrement vidé les lieux le 9 septembre[264]. Une circulaire aux diplomates français montrait dès le 15 avril une volonté d'apaisement : « L'Empereur ne veut ni inquiéter ni offenser la Prusse ». Même le député anti-prussien d'opposition Édouard Drouyn de Lhuys juge que le vote de 158 millions de francs de crédits militaires exceptionnels le 15 juillet est une maladresse coûteuse faisant « l'affaire de M. de Bismarck »[265], qui a surtout utilisé le Luxembourg comme une monnaie d'échange, selon les historiens. Malgré un dénouement rapide début septembre, la colère de la presse et de l'opinion contre Bismarck ne retombe pas. L'Assemblée nationale a beau voter à l'unanimité le 15 novembre 1867 une motion saluant le Traité de Londres qui « a créé à notre pays une position exceptionnelle dont nous savons apprécier les avantages »[264], le sentiment anti-prussien est à son comble. Le Farmer's Magazine anglais du début 1868[256] affirme que « la crainte d'une guerre entre la France et l'Allemagne a poussé à la hausse les cours du blé, de 12 shilling par Quart (unité) de tonne, depuis six semaines[256] », tandis qu'à la Bourse de Paris, on estime que la France est à « deux doigts de la guerre avec la Prusse »[266], à la suite de la crise du Luxembourg.

Les courriers diplomatiques secrets montrent une extrême attention française à la question, même quand l'offre de blé est redevenue abondante avec les excellentes récoltes françaises, américaines et anglaises de 1868. Pesth est le foyer d'un agiotage effréné », écrit l'ambassadeur français le 30 décembre 1868, « dans lequel l'entourage du Gouvernement est engagé de diverses manières »[261]. « La spéculation s'y est développée de manière excessive et l'échafaudage, en grande partie artificiel, d'entreprises de toute nature que chaque matin voit éclore a rendu fort timide les intéressés, notamment ceux qui, n'apportant pas de capitaux mais riches de popularité comptent réaliser, en usant de leur influence, des bénéfices illicites. C'est là malheureusement le talon d'Achille du gouvernement hongrois »[261], raconte la lettre du diplomate, qui précise que « des financiers sérieux vont jusqu'à prétendre » qu'il « suffirait d'une mauvaise récolte pour faire naître les plus graves perturbations »[261].

Corners sur les blés de Chicago de 1866 à 1871 et loi sur les silos

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En 1864, Chicago vend des céréales pour la première fois directement à Liverpool[238],[267], qui réglemente en 1865, pour la première fois, un contrat à terme Cronon 2009, p. 125, sur le blé, négocié aussi à Liverpool par les importateurs anglais, qui se préparent à la fin en 1866 du Traité de réciprocité canado-américain. Dix ans après, le quotidien Chicago Tribune estime en 1875 que les transactions ont totalisé 2 milliards de dollars, soit dix fois le commerce de céréales à ChicagoCronon 2009, p. 126. En 1885, le rapport monte à 15 à 20.

Dès 1866, le nouveau contrat est mis à l'épreuve par le jeune Benjamin P. Hutchinson, qui a fait fortune dans la chaussure, se lance dans les céréales par un « corner », consistant à monopoliser l'offre de céréales. Il se base sur des estimations assurant que la récolte sera insuffisante à la fois en Europe et aux États-Unis. La pénurie de céréales de 1866-1867 lui permet de faire doubler le prix le 4 et le 8 août 1866 par des achats massifs au comptant et à terme : il gagne une fortune[268]. Le San Francisco Produce Exchange est alors créé le 15 septembre 1867[269] qui réunit rapidement près de 200 membres[269]. Face au mécontentement des petits céréaliers, qui vendent à des prix plus bas que les autres, un comité du CBOT a enquêté en 1866 sur les factures de stockage et les juge « assez élevées », mais pas plus qu'à Buffalo. La même année le sénateur de Chicago F. A. Eastman fait voter la loi américaine de 1867 sur les silos-élévateurs à grain, qui ont encore doublé leur capacité à Chicago en dix ans : ils devront publier tous les mardis leurs niveaux de stocks du samedi précédent, par catégories détaillées, mais aussi faciliter le passage des inspecteurs du CBOT, et choisir entre deux statuts : privé, avec l'interdiction de mélanger les grains des différents clients, ou public, avec l'obligation de séparer les différents grades[156]. Les chemins de fer n'auront plus le droit de favoriser un silo par rapport à un autre[156].

Les directeurs du CBOT reprennent ces demandes mais dans une version altérée[270]. En colère, les membres exigent leur départ[270] et créent un « comité des cent », envoyé à Springfield (Illinois) pour faire campagne en faveur de ce projet de loi[270], avec des articles dans le Chicago Tribune[270]. Finalement la loi est adoptée. Furieux, les gérants de silos se vengent en faisant ajouter un article qui interdit de spéculer sur les contrats à terme[156] alors qu'une motion votée au CBOT en octobre 1865 en avait au contraire reconnu la légitimité[156]. Le 10 août 1867, un agent de police doit se rendre sur le parquet du CBOT avec un mandat d'arrêt contre 9 opérateurs, parmi lesquels Benjamin P. Hutchinson, qui acceptent de sortir, pour apaisement, avec le soutien des autres mais ne seront pas jugés[156]. L'avocat qui a déposé la plainte, Daniel A. Goodrich, est critiqué et le CBOT quatre jours après une motion soutenant les prévenus[156]. L'article de la loi interdisant le contrat à terme ne sera jamais appliqué[156], puis déclaré inconstitutionnel en 1905 par la Cour Suprême, lors de l'arrêt « Chicago Board of Trade v. Christie Grain & Stock Co. »[156].

Le prix du blé n'en grimpe pas moins à 2,85 dollars par boisseau en 1867. Et 1868 sera l'année des corners à Chicago : trois sur le blé et deux sur le maïs, selon l'historien de la ville, Alfred Theodore Andreas[271]. La plupart visent le contre Numéro 2 sur le blé, car les fermiers cherchent à faire passer leur blé sur l'autre, le Numéro 1, d'un grade plus élevé car concernant les blés de qualité cultivés autour de Milwaukee par les immigrants allemands, ce qui crée une pénurie structurelle sur le Numéro 2[156]. Les négociants Angus Smith et John Lyon achètent ensemble un million de boisseaux vers la fin mai 1868 Cronon 2009, p. 129. Alors que le prix à New-York dépasse normalement de 10 % celui de Chicago, le transport coûtant 40 cents, la situation s'inverse. Le blé livrable au 30 juin se vend 2,20 dollars le boisseau, 20 cents de plus qu'à New-York... Il vaut aussi 22 % de plus que contrat suivant[272]. Cinq minutes après le fixing de 15 heures, il a déjà perdu 35 cents mais personne n'en veut. Le lendemain, la pénurie de wagons céréaliers, entretenue à fins spéculatives, a soudain disparu, tout comme celle de navires céréaliers[272]. Le corner a paralysé les transactions sur l'autre contrat, portant le numéro 1, celui du blé de printemps de Milwaukee : personne n'accepte d'en vendre car il vaut, exceptionnellement, moins cher que le contrat numéro 2, malgré une qualité plus élevée. Finalement, ceux qui ne parvenaient pas à trouver du numéro 2 pour honorer leurs engagements ont dû acheter 250000 boisseaux de l'autre à la placeCronon 2009, p. 129.

Le corner reprend sur les échéances suivantes, puis brusquement s'effondre le mardi 22 août 1868[272]. Le groupe de spéculateurs pensait que la nouvelle récolte était déjà vendue[272]. En face, ceux qui tablent sur une baisse des cours, ont envoyé des agents dans les régions céréalières du nord-ouest pour acheter tout le grain possible[272], découvrant que les agriculteurs ont mis de côté leur blé pour le revendre sur le marché plus tard, en espérant des plus-values[272]. Les ventes de cette période sont stupéfiantes par leur calendrier déconnecté des années précédentes. La première semaine, 71 373 boisseaux de blé sont vendus, la seconde 158 166 boisseaux, et la troisième, se terminant le 17 août, juste avant le crash des cours du blé, c'est 454 204 boisseaux, soit six fois plus que deux semaines avant[272]. La chute du blé en 24 heures, de 1,57 dollar à 1,13 dollar le boisseau, « est en soi un commentaire suffisant sur la logique et la morale » du marché, commente le journal Evening Post[272].

Le prix restant supérieur à celui des autres villes, les acheteurs se détournent. Even E.V. robbins, président du CBOT, offre sa démission, refusée, mais le 13 octobre le CBOT vote une motion dénonçant la pratique du corner (finance) comme frauduleuseCronon 2009, p. 131 puis créé un panel chargé d'intervenir s'il se reproduit. La récidive est rapide lors du Grand incendie de Chicago qui anéantit six grands silos-élévateurs le 6 octobre 1871, et réduit la capacité de stockage de blé de 8 millions à 5,5 millions de boisseaux[273]. John Lyon et Angus Smith s'allient au courtier de Chicago P.J. Diamond[273]. Au printemps 1872, ils commencent à monopoliser l'offre de blé pour juillet : le cours grimpe à 1,16 dollar début juillet et même 1,35 à la fin du mois. Le 5 août, un autre silo brûle : les stocks diminuent de 0,3 million de boisseaux. Sur fond de rumeurs de mauvaise météo pour les récoltes européennes, le cours grimpe à 1,50 dollar le 10 août puis 1,61 dollar le 15 août[273], avant de retomber, sous un afflux d'offre soudain : des lampes ont été expédiées par le chemin de fer aux fermiers des Grands Lacs pour qu'ils puissent moissonner plus vite, la nuit[273]. De plus, le circuit du blé s'inverse : alors qu'il part normalement de Chicago à Buffalo puis vers le littoral atlantique, dès août 1872 il voyage dans l'autre sens, pour être vendu aux spéculateurs[273], dont les anticipations et les ressources financières se révèlent inadaptées : les banquiers de Chicago refusent de leur faire crédit[273]. Les capacités de stockage de Chicago sont rapidement reconstituées et s'élèvent à 10 millions de boisseaux, soit 2 millions de plus qu'avant l'incendie de 1871[273].

Entre 1868 et 1921, le professeur de finances Craig Pirrong a recensé quelque 121 corners sur les différentes céréales et marchés de la viande, et 28 sur le coton[272]. Les sommets sont atteints par les prix du blé, en dollars par boisseau, lors des corners entre 1867, 1888 et 1898, celui de 1867 l'emportant tandis que celui de 1917, causé par la Première Guerre mondiale est hors-concours :

Année 1867 1871 1872 1881 1887 1888 1898 1902 1909 1915 1921 1922
Prix du blé au sommet du corner, en dollars par boisseau 2,85 1,30 1,61 1,38 0,80 2 1,85 0,95 1,34 1,15 1,87 1,47

Années 1870

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Le prix constaté du blé évolue en forte hausse au cours de la première moitié de la décennie en France, selon l'économiste Jean Fourastié surtout avant la grande crise économique de 1873, y compris si l'on prend en compte l'évolution parallèle du salaire horaire[67] :

Années 1870 1871 1872 1873 1874
Prix observé du quintal de blé (en francs) 26,7 34,1 30,6 33,6 32,7
Prix réel (ajusté du salaire horaire) 121 155 139 149 145

Les prix très élevés du blé sur la période 1866-1872 suscitent des migrations vers l'Ouest et le Nord de l'Amérique, menés par des négociants et meuniers. Parmi eux, les mennonites Cornelius Jansen (1822-1894), meunier et négociant en céréales actif sur le marché anglais et Bernhard Warkentin[274]. Ils visitent le Manitoba puis décident de s'installer dans le Kansas, deux sites où le chemin de fer les rejoint bientôt ainsi que des milliers de compatriotes russes. Le Manitoba cherche alors le blé de printemps adapté à la rigueur des hivers, et le Kansas réussit l'implantation rapide d'un blé ukrainien d'hiver très dur mais excellent, ce qui amène une nouvelle génération de moulins à meule d'acier. À Minneapolis, région la plus froide des États-Unis, on teste aussi le blé de printemps. Le meunier américain Charles Pillsbury créé en 1872 la Pillsbury Company et son rival Cadwallader Washburn y érige en 1874 le Washburn "A" Mill, moulin géant permettant des économies d'échelle, reconstruit avec meule d'acier en 1878. Deux multinationales de la farine naissent ainsi. L'espace se sépare ainsi, avec les cultures du blé au nord vers Minneapolis ou au sud vers le Kansas, et au milieu la Corn Belt, vers le port de Chicago, où le trafic de maïs triple entre 1870 et 1872 au point de représenter 4 fois celui du blé, proportion également constatée en 1880. Le trafic à Chicago, en millions de boisseaux, statistiques du Chicago Board of Trade[182] :

Trafic de blé 1860 1861 1862 1863 1864 1865 1866 1867 1868 1869 1871 1872 1873 1880
Trafic de blé 12,2 millions 13,1 millions 15,6 millions ND 10,7 millions 10,1 millions 7,6 millions 9,4 millions 9,6 millions 11 millions 16 millions 12,7 millions 11,2 millions 21,4 millions
Trafic de mais 13,6 millions 24,4 millions 29,4 millions ND 24,9 millions 12,6 millions 25, 1millions 32,9 millions 21,5 millions 25 millions 17,6 millions 36,6 millions 46,9 millions 93,5 millions

La moissonneuse-lieuse inventée en 1872

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Moissonneuse-lieuse Fahr

La moissonneuse-lieuse, une machine agricole, est inventée en 1872 par Charles Withington pour améliorer la moissonneuse: en plus de faucher les tiges des céréales, elle permet de les lier automatiquement en gerbes (ou en bottes), entassées ensuite en meules de façon à assurer le séchage des épis pendant plusieurs jours avant le battage, qui se faisaient ensuite à la ferme. L'invention de Charles Withington arrive dans un contexte de cours élevés et d'expansion céréalière dans les Grandes Plaines ce qui lui assure un succès plus rapide que les précédentes générations de moissonneuses mécaniques.

Elle est rapidement perfectionnée. Les premières moissonneuses-lieuses sont tractées par des chevaux ou des bœufs, et actionnées par un barbotin (sorte de roue dentée). Leur inventeur, Charles Baxter Withington, un joailler de Janesville, dans le Wisconsin, utilise du fil de fer pour lier les gerbes, ce qui endommage les meules des moulins, cause des accidents aux mains des agriculteurs, et des indigestions du bétail. Très rapidement William Deering mit au point un modèle utilisant de la ficelle tandis que John Appleby inventa un lieur.

En 1870, les Mennonites de Crimée choisissent le Kansas et le Manitoba

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Dégâts causés par un incendie à Saint-Jean en 1877, par R. Silroy
 
Évolution territoriale du Canada depuis 1867

Environ 10 000 Mennonites émigrent aux États-Unis dans les années 1870 et 7 000 au Canada, où ils sont exemptés de service militaire[103]. Les juifs représentent 40-45 % du total et les Polonais 20-25 %[275]. Les deux groupes prévoient d'immigrer dès 1870, alors que les autorités russes veulent profiter des cours élevés des céréales pour implanter dans leur région fertile d'autres cultivateurs, sur fond de critiques des privilèges d'exemption militaire accordés aux Mennonites. La colonie de Molotschna comptait 6 000 personnes dès 1860, réparties en 60 villages, sur une terre de culture intensive, étudiée par l'agronome mennonite Johann Cornies et la révolution du blé en Ukraine fait émerger un prolétariat rural dédaigné par les fermiers aisés[102] : 3 % des Mennonites possédaient 30 % de la terre, employant 22 % de la population à des salaires très bas[102]. Les années 1860 les avaient vue créer de nombreuses autres colonies agricole en Ukraine comme Zagradovka, Fürstenland ou Borozenko. Des machines agricoles sont fabriquées à Chortitza et Rosental par trois grandes usines (Lepp & Wallmann, Abram J. Koop, Hildebrand & Pries) et deux plus petites (Thiessen et Rempel).

En 1870, Cornelius Jansen (1822-1894), un négociant qui vend les céréales des Mennonites de Russie en Angleterre, croise un groupe de Mennonites de Prusse, dont l'exemption de service militaire vient d'être révoquée par Bismarck. Leurs délégués rencontrent Wilhelm Ewert et Peter Dyck à Berdiansk en 1870 et Jansen leur montre de la littérature reçue des Quakers américains[275]. Dès l'été 1871, il négocie avec les autorités canadiennes et visite Timothy Smith, consul américain à Odessa, pour préparer l'immigration et sa rencontre du 4 août 1873 avec le président américain Ulysses S. Grant. Les Américains rappellent l'Homestead Act de 1862, qui offre à chaque occupant d'un terrain depuis 5 ans 160 acres moyennant 1,50 dollar par acre. Ulysses S. Grant assure qu'il est peu probable que les États-Unis entrent en guerre[275], sans s'engager sur l'exemption de service militaire. Le Canada s'engage au contraire à la respecter, conscient du potentiel économique de ces Mennonites qui ont réussi dans la culture des céréales en Russie.

En 1871, des traités sont signés avec les nations indiennes, Cris et Ojibwés, puis 700 000 dollars dépensé en 1872 en publicité pour attirer des immigrants d'Europe. Afin de les sécuriser, le Canada créée la Police montée en 1873 et accepte de subventionner le chemin de fer Intercolonial, lancé en 1872 à Moncton, pour les provinces maritimes. Cette ligne permettra, à partir de 1876[178] l'exportation des céréales en hiver, par Halifax (Nouvelle-Écosse), principal port canadien libre de glaces l'hiver, quand l'offre de céréales diminue, soutenant les prix. Saint-Jean (Nouveau-Brunswick), l'autre port atlantique d'hiver, sombrant en 1877 dans le grand incendie de Saint-Jean, le Port d'Halifax ne construira son grand silo-élévateur qu'en 1882.

Les « concessions statutaires » du Dominion Lands Act de 1872 distribuent 160 acres à tout immigrant vers l'ouest du Canada[103]. Des spéculateurs préemptent les sites dès 1872, souvent illégalement[276]. La Compagnie de la Baie d'Hudson, en conflit avec les métis, voit 60 % de ses concessionnaires faire faillite, sans revenus agricoles. Elle s'aligne ensuite sur le Canadien Pacifique, qui attend que l'État ait vendu l'intégralité de ses terres, pour vendre les siennes plus cher[277].

En 1872, le Consul britannique en Russie James Zohrab écrit à son ministre Lord Granville que les Russes de Berdiansk sont pour la plupart remontés contre les privilèges d'exemption des Mennonites. À la fin de l'année précédente un projet de réforme russe envisageait d'y mettre fin, tout comme aux écoles dans leurs langues[275]. Les Mennonites le perçoivent comme une attaque contre leurs traditions. Les Russes, leur proposent cependant de conserver leurs privilèges à condition de s'installer dans la vallée du Fleuve Amour, dans l'est de la Sibérie. En 1874, le ministre de la Défense russe Dmitri Milioutine révoquera cette proposition de nouvelle exemption, alors qu'un agent de la compagnie américaine Atchison, Topeka and Santa Fe Railway est déjà en Russie pour vanter les terres du Kansas[275]. Les Mennonites qui visitent le Manitoba jugent préférable le climat du Kansas. Ceux qui acceptent de s'établir dans les marais à moustiques du Manitoba l'ont fait pour des raisons de conscience, ils sont plus souvent d'orientation conservatrice et moins fortunés. Ceux qui choisissent les États-Unis, une année plus tard, après avoir visité le Manitoba, ont des motivations plus financières[275].

La première décennie difficile au Manitoba
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En avril 1872, Cornelius Jansen (1822-1894) publie à Dantzig ses carnets de notes sur l'Amérique, 300 copies sont envoyées en Russie puis 300 autres en août[275]. Entre-temps, en juin 1872, les autorités canadiennes envoient en Russie William Hespeler, un immigrant allemand qui s'était installé à Waterloo (Ontario) avant de déménager à Winnipeg en 1870 pour s'occuper de la "Manitoba Land Company". Les autorités canadiennes créent ensuite au sud-est de Winnipeg une "East Reserve" à l'usage exclusif des Mennonites, de 180 000 acres, répartis en 8 futurs villages, dont une partie est assez marécageuse avec des moustiques[275]. Leonhard Sudermann et Jacob Buller, les deux délégués des Mennonites de la Molotschna venus étudier les lieux, explorent ensuite l'ouest de Winnipeg le long de l'Assiniboine (rivière), où les sols leur semblent plus secs et plus fertiles, mais au 3e jour, ils décident que cette partie de la prairie n'est pas adaptée[275]. L'hiver 1872-1873 au Manitoba a rebuté une partie des immigrants, parmi lesquels Bernhard Warkentin, qui écrit que lui et ses bons amis ont été dissuadés pour la simple raison qu'il y fait trop froid, puis traverse les plaines américaines jusqu'au Kansas[275].

En juin 1874, une centaine de familles mennonites part de Kleine Gemeinde et une semaine plus tard 800 personnes quittent Bergthai, puis une centaine d'autres en septembre[275] partent pour le Manitoba. Le journal Saint Paul Daily Express observe que c'est le plus important convoi jamais vu au Minnesota[275]. Le 29 juillet 1874, le Toronto Globe interview six d'entre eux sur leurs conditions d'exemptions militaires[275]. Les immigrants sont par ailleurs confrontés au dossier délicat des demandes de reconnaissance des titres de propriété des Franco-Manitobains, souvent des métis. Etablis depuis 1818 à Saint-Boniface, avec les abbés Norbert Provencher et Sévère Dumoulin ils forment plus de la moitié de la population en 1870[278]. L'ingénieur William Pearce intègre en 1874 les équipes des arpenteurs chargés d'établir des subdivisions officielles dans la région de Winnipeg[276] et dénonce le détournement de ressources vitales comme l'eau et le bois et estime qu'il faut réserver ces précieuses terres aux vrais fermiers au lieu de les céder à des spéculateurs[276]. En 1875 environ 30 immigrants islandais fondent le site de Gimli (Manitoba), rejoints par 800 autres en 1876, qui fondent Lundi et Sandvik. Au bord du lac Winnipeg, les trois sites ne seront reliés par le train qu'en 1903.

Comme les Memnonites, ils arrivent juste après la crise bancaire de mai 1873 et le scandale du Pacifique : le Canadien Pacifique de Hugh Allan, à capitaux américains et montréalais, a financé la campagne de réélection de 1872 des conservateurs, alors qu'il est en compétition avec l'Inter-Ocean Railway Company, à capitaux torontois, pour le contrat de la ligne jusqu'à Vancouver. Pendant les élections, Macdonald tente d’amener une fusion mais la rivalité entre Toronto et Montréal l'en empêche. De plus, les fermiers ontariens s'indignent de ne pouvoir vendre leur blé aux États-Unis alors que les Provinces Maritimes peuvent y vendre librement leur poisson. Ressentiments, corruption, spéculation, l'expansion agricole du Manitoba va piétiner pendant trente ans. En 1876, la récolte de blé "Red Fife" de l'Ontario est désastreuse[279] poussant la société de semences des frères Steel à quitter Toronto pour Saint-Paul (Minnesota), puis Winnipeg, par la rivière Rouge (Manitoba)[279] où elle en plante. Dès le 12 octobre, une première moisson de 857 boisseaux peut être vendue à Winnipeg au coût de 85 cents par boisseau, puis dix jours après être expédiée en Ontario[279]. Les expéditions des années suivantes prendront aussi le chemin de la rivière Rouge (Manitoba)[279]. La firme de négoce T.E. Kenny fait sa première exportation par Halifax en 1876[277].

La récolte des Mennonites progresse significativement à partir de 1877, consistant surtout de blé de printemps, d'orge et d'avoine et les machines sont introduites à la fin de la décennie[275]. Le chemin de fer n'arrive au Manitoba avec des années de retard, qu'en 1879, reliant Winnipeg à Saint Paul (Minnesota), et longeant le nord de l'East Reserve, où William Hespeler a établi la ville de NiveMile (Manitoba)[275] mais il faut attendre 1881 pour que sa construction reparte vers le Pacifique. Entre 1882 et 1883, des embranchements desservent les futures villes de Rosenfeld (Manitoba) (1883), Gretna (Manitoba) (1883), Morden (Manitoba) (1883), Plum Coulee (Manitoba) (1884), Winkler (Manitoba) (1895) puis Altona (Manitoba) (1896). Pour la production d'un excédent de blé exportable, il faut attendre 1883, dix ans après les premières installations[275].

Les Mennonites de Crimée au cœur du Kansas, avec leurs semences
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Bernhard Warkentin, meunier à Altona (Crimée), prit contact avec les Mennonites d'Illinois[102] et le Mennonite américain John Fink rassembla des fonds pour le voyage grâce au journal qu'il dirigeait, le Herald of Truth[102]. En 1874, environ 18 000 voyagèrent dont 6000 en juin. Le groupe d'Alexanderwohl, fort 700 personnes dont 296 enfants, s'embarqua de Hambourg sur le Cunbria et le Teutonia. Ils arrivèrent en train à Elkhart, Indiana, le 31 août, deux mois après avoir quitté leur village[102]. Leur chef, Buller, acquit peu après 100 000 acres de terre (40 000 ha) au prix de 5 dollars l'acre, dont la moitié en argent comptant, à Newton (Kansas)[102].

Bernhard Warkentin y deviendra un meunier très célèbre. Arrivé aux États-Unis en 1871, après avoir traversé le Canada, les Dakotas, et le Minnesota, il a négocié avec l'Atchison, Topeka and Santa Fe Railway des tarifs favorables à la culture des céréales[280]. Les arrivants essaient leurs semences de blés d'hiver durs de Crimée ou Krymki (pluriel ukrainien de Krymka) sous l'autorité d'un représentant du ministère américain de l'Agriculture[280]. Bernhard Warkentin ayant assuré que l'implantation réussirait, les Mennonites sont plusieurs milliers à le rejoindre rapidement. En 1873, la production de blé du Kansas approche des 4,5 millions de boisseaux et les Mennonites cultivent les riches terres des environs de Goessel Newton, Halstead et Moundridge[280]. Leur blé est assez robuste pour survivre aux hivers froids et secs du Kansas, mais sa hauteur de 4 pieds le rend vulnérable aux dommages causés par le vent et la grêle.

Un premier silo-élévateur en bois de 200 000 boisseaux est érigée en 1871, et brûle deux ans après pour être aussitôt reconstruit[281]. Au cours des sept années qui précèdent 1878, la production de blé de la région est multipliée par douze pour atteindre 9 millions de boisseaux[281] et celle de maïs par treize pour atteindre 5 millions de boisseaux[281]. Le nouveau blé se heurte à des résistances : sa couleur dérange mais il est surtout difficile à briser, ce qui oblige à investir dans de nouveaux moulins en acier[281]. Car les meuniers saluant les rendements et la haute teneur en protéine[281] de ce nouveau blé, qui fait dès 1876 l'objet d'un contrat à terme mis aux enchères à plusieurs heures de la journée, le "grain call"[281]. À cette occasion, l'association de négociants fondée vingt ans plus tôt devient le Kansas City Board of Trade[281] et construit un bâtiment dédié aux échanges à la criée[281].

En 1875, Cargill contre les coopératives, la bataille des grands silos

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Réseau Chicago, Milwaukee and St. Paul Railway en 1891

La carte du réseau ferroviaire américain des années 1860 montre un développement spectaculaire au sud-ouest des Grands Lacs, permettant le « stockage roulant » des grains sur les voies ferrées[282], avec une forte capillarité au-dessous, puis à l'ouest de Chicago. Au début des années 1870, le Midwest américain se couvre d’un réseau de silos-élévateurs à grains du marchand de grains américain Cargill, créé dans l'Iowa par Will Cargill. La firme s'installe à Minneapolis et dans le Wisconsin, sur les nœuds ferroviaires américains de l'époque, pour accompagner la croissance du chemin de fer, et ses lignes transcontinentales[283]. Cargill rachète systématiquement les aires de stockage au bord des Grands Lacs, laissées par les petites firmes en faillite, et se dote d’une flotte de barges remontant le Mississippi[283]. Bunge, créé par Charles Bunge fait de même[283]. La population de La Crosse (Wisconsin) passe de 3 860 à 14 505 habitants en vingt ans.

Le Mouvement agrarien américain de La Grange, du nom de leurs lieux de réunion, société secrète agraire créée en 1867 par Oliver Hudson Kelley et par des employés du gouvernement, dénonce les injustices qui frappent les fermiers nord-américains des Grandes Plaines. Ils combattent les tarifs élevés des compagnies ferroviaires et dénoncent des discriminations entre les usagers des silos-élévateurs à grains, où les grands céréaliers sont mieux traités que les petits, en plus de pouvoir spéculer.

Les grangers s'opposent aussi à Angus Smith, autre propriétaire de silos-élévateurs à grains, qui avec un groupe d'investisseurs offre n 1869, sans succès, 4 millions de dollars empruntés en obligations pour acheter à la fois la Western Union, premier opérateur de télégraphe, et la société de stockage "Racine Warehouse and Dock Company". Angus Smith devient actionnaire de la Milwaukee and Mississippi Railway Company et fait construire de grands silos-élévateurs à grains, un premier de 300 000 boisseaux, puis un second de 800 000[284], et met à profit le grand incendie ayant brûlé six grands silos-élévateurs à grains de Chicago (stockant 8 millions à 5,5 millions de boisseaux), le 6 octobre 1871, pour organiser un gigantesque corner sur le blé[284]. Face à toutes ces difficultés, les "grangers" constituent des banques, des compagnies d'assurance, des magasins, des usines d'outillage agricole sur le modèle du mouvement coopératif. Dans certains États, comme l'Illinois ou le Wisconsin, ils parviennent à élire assez de représentants aux assemblées locales pour obtenir des lois favorables.

Pour obtenir du matériel, les agriculteurs s'endettent et la dépression de 1873 porte un très rude coup aux coopératives comme à leurs membres, affaiblis par la chute des prix de blé et l'augmentation des hypothèques. De 1873 à 1879, le mouvement des "grangers" est à son apogée mais décline rapidement après. Il atteint 268 000 adhérents dès le printemps 1874 puis 858 000 au début de 1875. Dans les années 1880, un autre mouvement, la "Northwestern Alliance" des Fermiers, puis au début du siècle suivant la Ligue non partisane va obtenir, sur les mêmes idées, d'excellents résultats aux élections dans le Dakota du Nord.

En 1875, une loi anglaise pour se passer de ses fournisseurs européens

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La loi de 1875 sur les exploitations agricoles en Angleterre tente de relancer sa production céréalière intérieure, pour être moins dépendante de l'étranger. L'Angleterre avait déjà décidé en 1870 de remplacer durablement l'Europe centrale et la Russie par l'Amérique, déclenchant le trouble sur les marchés européens. La loi de 1875 a remanié le droit pour que les fermiers reçoivent des niveaux de compensation constants pour la valeur de leurs améliorations à l'exploitation agricole, dans toutes les cultures[285], ce qui a joué surtout pour les céréales. Les fermiers anglais vont être les plus innovants de l'histoire de la culture des céréales dans les années 1870 à 1890, compensant la dimension modeste des terres fertiles par un recours intensif à la technologie sur les zones les mieux situées. Les recours aux engrais permettent ainsi de récolter 30 quintaux à l'hectare dans l'Essex[285], comme sur les argiles grises des Flandres[285].

Malgré ces efforts, la part du blé importé dans la consommation anglaise s'envole durablement, passant de 33 % en 1865-1869 à 48 % en 1875-1879 puis de 54 % à 69 % entre 1895-1899 et 1905-1910, au terme de deux périodes de corner sur les cours mondiaux, même si la consommation de farine par habitant en Angleterre est stable entre 1849 et 1914.

Années 1867 1868 1869 1870 1871 1872 1873 1874 1875 1876 1877 1878 1879 1880
Production de blé en Angleterre, en valeur (millions de sterling) 27,3 37,3 22,9 25,5 26,9 25,6 24,2 26,8 16,3 18,9 21,4 21,2 10,2 14,8

En 1877, la Roumanie, survivante des crues du Danube et des invasions

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En mai 1877, la Roumanie acquiert sa pleine indépendance, après avoir aidé la Russie dans sa guerre des Balkans contre l'Empire ottoman. La région bénéficiait déjà du statut d'autonomie acquis depuis le traité de Paris en 1856 puis de la fusion en 1859 des riches principautés danubiennes céréalières, la Valachie et Moldavie. Toutes deux sont en pleine expansion depuis trois décennies, grâce à un quadruplement de leurs exportations de blé, principale destination des terres céréalières, la consommation intérieure en pâtissant et concentrées entre les mains d’un nombre restreint de propriétaires, qui les afferment à des fermiers les sous-louant. Entre 1865 et 1895, les exportations de céréales des ex-principautés de Valachie et Moldavie ont continué à progresser très fortement, mais un peu moins vite qu'entre 1830 et 1865 : +150 %[154]. Quand les prix de vente commencent à s'affaiblir, les grands boyard, intensifient leur action de dépossession des terres des petits paysans[154], mais leur puissance a été ébranlée par l'Abolition du servage de 1861 dans l'Empire russe.

La Roumanie cultive le Bărăgan, fameux grenier à blé des Daces dans l'Antiquité, dépeuplé à cause des fréquentes invasions des Peuples des steppes mais aussi les fréquentes incursions turques. Le peuplement est aussi pénalisé par une hydrologie contrastée (alternance sécheresses/inondations), malgré quelques foyers négociants comme le port de Călărași (Roumanie), où les habitants de Silistra, assiégée et détruite par les Ottomans, s'étaient réfugiés en 1810-1812 puis 1836.

En 1883, la Roumanie rejoint la Triple alliance mais dès 1885, les mesures protectionnistes de Ion I. C. Brătianu, provoquent une guerre douanière de sept ans avec l’Autriche-Hongrie.

En 1878, Minneapolis joue la carte des « grands moulins » à cylindre d'acier

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L'invention du moulin à cylindres en acier, en 1878 à Minneapolis, ouvre la voie aux blés durs[286], les tendres étant auparavant préférés car plus faciles à broyer[286]. L'invention est précédée par un gros investissement en 1874. La future multinationale General Mills, créé en 1866 à Minneapolis par Cadwallader Washburn y érige en 1874 le "Washburn A Mill", moulin géant permettant des économies d'échelle. Charles Pillsbury qui en 1869 a pris des parts dans un autre petit moulin de Minneapolis, apposant quatre « X » sur ses sacs de farine, pour souligner leur qualité, créé en 1872 sa propre société, qui deviendra un autre géant mondial du grain, la Pillsbury Company et sera la deuxième à utiliser le moulin à cylindres en acier[287], avant d'investir lourdement dans le chemin de fer.

En 1877, Cadwallader Washburn, fonde avec John Crosby la Washburn-Crosby Company, qui envoie William Hood Dunwoody (en) en Angleterre pour y étudier et promouvoir le marché de la farine de blé tendre[288]. Dunwoody réussit sa mission, entre au capital et devient vice-président. Les meuniers de Minneapolis vendront un tiers de leur blé en Angleterre dès 1900[289]. Il fonde la « Minneapolis Miller's Association », qui planifie les achats de blé[290]. En 1878, une énorme explosion détruit le grand moulin et cinq bâtiments aux alentours, causant la mort de 18 ouvriers[291]. La reconstruction est immédiate, sous la forme du premier moulin à cylindres en acier, partiellement automatisé, encore plus grand et productif. Dès 1881, Minneapolis dépasse Saint-Louis (Missouri) pour le tonnage de farine produite[292].

Au Canada, la firme québécoise Ogilvie Flour Mills importe de Hongrie à la fin des années 1860 une nouvelle technique de mouture pour des farines de meilleure qualité[293] et construit un grand moulin en Ontario en 1872, puis un autre à Winnipeg dix ans plus tard[293], avec lui aussi cylindres d'acier. Le minotier s'entend avec le Canadien Pacifique pour des silos le long des voies ferrées et l'utilisation des vapeurs sur les Grands Lacs[293]. En 1874, son patron Alexander Walker se lance en politique[293].

En France, Abel Stanislas Leblanc, minotier de la Brie, fait construire en 1882, entre le canal de l’Ourcq et les voies du chemin de fer de l’est, un moulin de 24 meules et en 1883, Abel Désiré Leblanc crée avec le meunier Duval la société des Moulins de Pantin, qui choisit elle aussi d’adopter dès 1884, le procédé de la « mouture hongroise »[294]. En 1885, « Pantin devient ainsi la ville la plus industrielle de tout le secteur »[294]. Leur père Abel Edouard Désiré Leblanc avait participé au ravitaillement lors du siège de Paris de 1870[294], supervisant la mouture de 150.000 quintaux de blé « sans la moindre rétribution » dans le moulin de fortune installé en gare du Nord[294].

La crise de 1879 renforce le courant protectionniste chez les céréaliers français

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Exportatrice depuis 1873 (50 000 tonnes), l'Inde a profité de la mauvaise récolte de 1879 en France, qui dope les cours[295], pour y vendre son blé[296]. La France importe 2,5 millions de quintaux en 1881-1882[296] puis 1,7 million en 1882-1883[296]. Dès 1879, les grands céréaliers, tout comme les viticulteurs du Midi, souhaitent des droits de douane[297]. Les paysans qui pratiquent la polyculture et l’élevage tiennent encore à la liberté de commerce[297]. La Société des agriculteurs de France, fondée début 1868 au sein de l’aristocratie foncière et de la paysannerie aisée, réclame le protectionnisme[297], relayée par l'avocat Jules Méline, qui a cofondé en 1861 l'hebdomadaire Le Travail avec le jeune Clemenceau. Pour lui, l'économie française est un arbre : l'industrie représente les branches et les feuilles, et l'agriculture le tronc et les racines. Opposé au saint-simonisme, accusé de vouloir « tout par l'industrie », le « Mélinisme » obtient la création de l'ordre du Mérite agricole, des écoles pratiques d'agriculture[298], puis plus tard la loi Méline de janvier 1892, protégeant l'agriculture française de la concurrence, pour en finir avec le libre-échange du Second Empire. Plus actifs pour réclamer ces protections que les petits, les grands céréaliers en ont profité plus qu’eux[297]. Après la crise boursière de 1882, un « tarif maximal » frappe le blé entrant en France, puis le sucre et le bétail[297]. Un « tarif minimal » est appliqué aux pays signataires d'une convention[299]. L’Allemagne réagit de la même manière. Les Britanniques maintiennent le libre-échange, les Danois et les Néerlandais s’adaptent en modernisant leur agriculture[299].

Le 7 juillet 1883, Jules Tanviray, professeur départemental d’agriculture du Loir-et-Cher, crée le premier « syndicat d’achat en commun » de certains intrants[299]. D'autres coopératives d’approvisionnement voient le jour. En 1890, il en existe déjà 648 regroupant 234 000 membres. En 1900, ils sont 2 069 comprenant 512 000 membres[299].

Années 1880

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Le cours du blé flambe dès le début de la décennie, entraînant une expansion agricole en Russie et dans le Minnesota, avec des blés de printemps qui commencent à intéresser fortement le voisin canadien, ainsi que des investissements de productivité en Europe, où le protectionnisme agricole s'installe.

Montée en puissance de la Russie évaluée par les statistiques

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À partir des années 1880, l'État russe confie aux ministères concernés l'observation des récoltes, via des questionnaires demandant quelle est la surface d'emblavure ensemencée au cours de l'année et quelle récolte est ramassée sur cette surface[300]. À la même époque le ministère de l'Agriculture publie, chaque mois de juillet, les prévisions « subjectives », faites par les correspondants volontaires[300] et les volumes estimés des récoltes[300]. Puis, chaque mois de septembre, il établit à partir de récoltes-tests les récoltes « attendues »[300]. Enfin, chaque mois d'octobre, il publie les estimations définitives des récoltes à la fin de la moisson[300]. Sa méthode d'observation s'inspire de celle qui fonctionnait aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France et en Prusse, mais il simplifia cette méthode car il ne parvint pas à créer un réseau suffisamment étendu de correspondants[300]. Les propriétaires fonciers furent donc amenés à indiquer les récoltes de leurs domaines, tandis que des informateurs paysans fournissaient les estimations de récoltes des ménages voisins[300]. L'expansion des céréales d'Ukraine utilise comme débouché la mer Noire pour approvisionner l'Europe en blé, tendance qui va se poursuivre lors des décennies suivantes. Commerce dans l'est de la Méditerranée, au départ du sud de l'Empire russe, en tchetvert, unité valant 5,7 boisseaux[164] :

Années 1863 1865 1867 1868 1869 1870 1871 1872 1873 1874 1875 1876 1877 1878 1879 1880 1881
2,6 3,3 4,9 6,5 4,6 8,2 8,4 6,9 4,6 6,3 6,4 6,4 1,9 13,5

Après la loi de 1882 qui leur interdit l'activité agricole, des juifs partent vers les rivages de la mer Noire, faisant d'Odessa la plus juive des grandes villes de l'Empire russe. Représentent un tiers de la population, avec des pauvres comme des riches, ils vont y assurer 90 % des exportations de céréales en 1914 et deux tiers des services bancaires. Parmi les premiers industriels juifs de Russie, Evzel de Günzburg, enrichis par la collecte des taxes sur l'alcool pendant la guerre de Crimée[113] ou les trois frères Poliakov, fondateurs de la première banque d'affaires en Russie, qui investiront ensuite dans les premiers réseaux ferrés puis le textile.

Accélération de la croissance des rendements en blé en Europe en 1880

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De 1850 à 1910, la croissance de rendement du blé en Europe continentale (sans la Russie) accélère à 0,6 % par an contre 0,4 % de 1910 à 1950[123]. En cinquante ans, il passe de 8,8 quintaux à 12,3 quintaux par hectare. Le rythme varie : ralentissement sur la décennie 1870/79, pour des raisons météorologiques[123], puis accélération en 1880/90. Quatre grandes causes sont identifiées :

  • sélection des semences
  • machinisme
  • engrais artificiels[123]
  • spécialisation des aires de culture.

Les deux dernières expliquent pour chacune un dixième l'augmentation des rendements entre 1878/82 et 1908/12[123]. En France, la spécialisation varie beaucoup d'un département à l'autre, tout comme les rendements en blé : en 1908, ils varient de 6,2 à 23,7 quintaux de blé par hectare[123].

L'arrivée du train dans l'Ouest canadien relance la spéculation foncière

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Déployé de 1881 à 1885, le Canadien Pacifique, coté en Bourse de Londres depuis 1860[301], relie les deux océans à travers les terres de la Confédération des Pieds-Noirs. Le chantier relance la spéculation. En février 1882, l'arpenteur William Pearce devient inspecteur du Conseil des terres fédérales, qui ouvre son bureau de Winnipeg en mars[276]. Il prend des mesures : congédiement d’agents, éviction de squatteurs, obligation pour des personnages publics de rendre des comptes sur des cas de spéculation foncière[276], se faisant des ennemis puissants, comme Frank Oliver, qui a fondé en 1880 l'Edmonton Bulletin[276] et prépare une carrière politique. Le prêtre québécois Antoine Labelle, « l'apôtre de la colonisation », organise en 1884 une loterie pour amasser un "fonds de réserve" en faveur des colons qui n'ont pas les moyens d'acheter des terres et permettre la création de nouvelles paroisses. La loterie est interdite par le parlement[277] et le gouvernement canadien l’envoie en mission officielle en Europe, de février à août 1885, pour attirer des francophones et des capitaux.

En mars 1885, la rébellion du Nord-Ouest éclate en Saskatchewan. Le rail transporte des troupes en neuf jours sur des sections encore inutilisées, suscitant la gratitude, financière et réglementaire, du gouvernement. La compagnie ferroviaire est alors autorisée à distribuer des terres aux négociants pour y construire des Silos-élévateurs à grains[302]. L'État canadien ne veut pas être en reste : il vend à la mi-1886 pour 6,2 millions de dollars de terres à un prix moyen de un cent par âcre. Les acquéreurs sont des sociétés liées aux politiques, certains parlementaires revendant 100 fois ou même 400 fois plus cher les zones reçues[277]. Du coup, les fermiers hésitent à s'installer, malgré les progrès du blé de printemps. En juillet 1887, deux ans après l'arrivée du train, Vancouver n'a toujours que 10 000 habitants, après un incendie[178], mais le Winnipeg Grain Exchange vient d'être créé. Premier ministre canadien à partir de 1896 Wilfrid Laurier changera ensuite drastiquement cette politique foncière, qui a freiné la colonisation en raison du poids pris par les grandes sociétés[277].

Semences hybrides de Vilmorin et les recherches génétiques canadiennes

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Pierre Louis François Levêque de Vilmorin (1816-1860) est le premier à montrer qu'il est possible de créer de nouvelles variétés en croisant des lignées, en deux temps :

  • en isolant des lignées « pures » issues d'un très petit nombre d'individus voire d'une reproduction autogame contrainte pour les plantes allogames.
  • en les croisant pour en faire des hybrides F1, ou bien pour isoler par sélection une nouvelle lignée ayant hérité des caractères recherchés, présents dans les deux lignées parentes.

Son fils Henry de Vilmorin a publié en 1880 Les meilleurs blés avec la description des variétés de blé d'hiver et de printemps et leur culture[303] puis a mis au point par croisement en 1883 des blés hybrides[297]. Il a ensuite réussi à obtenir 18 souches de blés à haut rendement, tout en poursuivant le travail de son père sur la sélection de la betterave sucrière[304].

Les semenciers vendent d’abord sur les meilleures terres à blé, beaucoup plus faciles à homogénéiser par le travail des bœufs et les fumures organiques. Il faudra attendre la généralisation des engrais de synthèse et des pesticides, tout comme l'adoption de la mécanisation, pour l'extension à des terroirs plus difficiles. L'usage de semences issues d'un semencier va s'étendre en Europe de l'Ouest à la majorité des espèces et des terres cultivées.

En Amérique du Nord, les recherches portent sur le blé de printemps, qui permet d'éviter les hivers trop rigoureux : les agronomes essaient d'allonger son cycle de vie (printemps à automne). Le "Manitoba Number One Northern", variété rousse de blé de printemps, introduite dans les années 1870, acquiert la réputation de meilleur blé de meunerie à pain blanc[305] mais sera vite remplacé. En 1882, les professeurs J.L. Bud, de l'Iowa, et Charles Gibb, d'Abbotsford (Québec), partent en Russie étudier les caractères et la résistance au froid de blés et légumes[306]. Mais sans succès. En 1886, le ministre de l'Agriculture canadien écrit à Goegginger, négociant en blé de Riga, expert en céréales russes, qui lui expédie 100 boisseaux de « Ladoga », semés dans des parcelles expérimentales, au Manitoba et dans le Territoire du Nord-Ouest[306].

Le blé Ladoga y mûrit huit à dix jours plus tôt que le blé 'Red Fife', se plaçant à l'abri des gels précoces. Les cultivateurs préfèrent ce blé, malgré sa moindre qualité et l'opposition des chambres de commerce tenues par les cultivateurs du Sud du Canada. Le premier contrat à terme sur le Blé de printemps réussit en 1883, sur le Minneapolis Grain Exchange, créé en 1881, l'année où la ville dépasse pour la première fois Saint-Louis (Missouri) pour le tonnage de farine produite[292]. Le Winnipeg Grain Exchange est à son tour fondé en 1887, pour promouvoir le blé de printemps, et présidé par Daniel Hunter McMillan, un officier qui a participé à l'écrasement de la révolte du métis Louis Riel, puis fondé une entreprise de minoterie à Winnipeg en 1874. Ces recherches canadiennes se poursuivant avec un autre Blé de printemps introduit en 1892, le blé Hard Red Calcutta, qui sera hybridé avec le blé 'Red Fife' pour créer le blé Marquis, à l'énorme succès au XXe siècle.

Autres coûts nouveaux, l'achat de semences sélectionnées et la moissonneuse-batteuse, dont les versions s'améliorent après les inventions. L'Américain Cyrus McCormick et Hiram Moore déposent leurs brevet en 1834 et en 1866, Célestin Gérard construit la première batteuse mobile de France[307]. Alors que la faucheuse mécanique demandait huit « heures-ouvrier » à l'acre en 1865, la moissonneuse-batteuse ne demande plus qu'un quart d'heure. Mais ce sont machines avantageuses seulement dans les grandes propriétés. Les nouveaux engrais (guano, phosphates naturels puis superphosphates chimiques)[297] mis en place depuis 1870 coûtent cher, en particulier à transporter, jusqu'à la fin du siècle, lorsque s’impose la réglementation de leur commerce par des lois[297].

La Northwestern Alliance réunit deux millions de cultivateurs

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Le journaliste agricole Milton George, éditeur du The Western Rural and American Stockman[308], bihebdomadaire publié à Chicago[309], a été le moteur du développement entre 1880 et 1882 de la "Northwestern Alliance", qui va bientôt réunir 100.000 membres[309], principalement des fermiers des prairies, en particulier aux pires moments du marché des céréales dans les années 1880. Milton George dénonce dans ses éditoriaux les chemins de fer et les banques, milite pour la gratuité des livres scolaires, la participation électorale ou le remplacement du beurre par les oléagineux dans l'alimentation mais renonce peu à peu à l'idée de créer un troisième parti. En 1879, il lance de vastes pétitions pour demander la réglementation par l'État du chemin de fer.

Lancée le 15 avril dans les locaux du journal, avec Milton George comme secrétaire, la Northwestern Alliance" appelle à la création de clubs de fermiers dans tous les villages. Dès octobre 1880, elle affirme en avoir créé jusqu'à la côte Pacifique. Elle réussit particulièrement dans les États du Nebraska, Kansas, dans les Dakota. Le deuxième grand meeting de la Northwestern Alliance est organisé les 5 et 6 octobre 1881 à Chicago et l'organisation revendique 940 clubs locaux dans dix États, regroupant 24 500 fermiers. Adoptée à cette occasion, sa plate-forme revendique un impôt sur le revenu progressif, l'élection des hauts-fonctionnaires avec un salaire plus raisonnable, et une loi fédérale permettant de réglementer le chemin de fer.

Après un accès de faiblesse en 1883 et 1884, lorsque les conditions des fermiers s'améliorent temporairement, la Northwestern Alliance reprend de l'attractivité en 1887[309], sur fond de corner très décrié sur le blé. Elle va compter pas moins de deux millions d'adhérents[310], dans le sillage de son équivalent dans le sud, la "Southwestern Alliance", qui en compte elle trois millions en 1890[310], et réclame la construction par l'État du « Subtreasury Plan », un vaste réseau de silos, chargés de prêter aux fermiers, à un taux de seulement 1 %, jusqu'à 80 % de la récolte stockée[310].

Grandes lois agricoles de 1885 dans le Minnesota

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Le blé de printemps est le contrat-vedette, lancé dès 1883, sur le marché à terme de Minneapolis (photo de 1939).

Le Minnesota vote à partir de 1885 une série de lois qui régulent le commerce du grain, de manière à garantir des standards de qualité pour l'entreposage et le transport ferroviaires. Des « inspecteurs d'État » sont chargés d'en faire la surveillance : on définit des "grades" pour les blés qui transitent par le Minnesota, ou y sont produits, bientôt connus dans tout le pays mais aussi sur les marchés internationaux. Ils assurent le succès du Minneapolis Grain Exchange, qui a par ailleurs innové en créant la première chambre de compensation, dont la fonction est de démocratiser l'accès au Marché à terme, en diminuant le coût et le risque des interventions, pour le rendre moins vulnérables aux corner (finance) orchestré par de puissantes entreprises.

Le Minneapolis Grain Exchange sera bientôt victime de son succès et obligé de faire construire un nouveau bâtiment pour s'agrandir, entre 1900 et 1902. Une commission indépendante est chargée d'étudier l'impact et l'application de ces lois dès les années 1880. Dans un rapport de 1888, elle estime que « les lois sur les céréales ont révolutionné l'activité dans les céréales dans le nord-ouest » des États-Unis[311]. Dès 1884 une chambre de compensation[158] existait à Chicago, mais moins solide et aboutie que celle instaurée sept ans plus tard à Minneapolis[158]

Spéculations franco-américaines de 1887-1888

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À la fin de l'été 1887, The New York Times raconte comment des récoltes de blé décevantes font monter les cours, permettant à des spéculateurs un corner[312] sur le marché à terme de Chicago. Le pari est simple : les tensions liées à l'affaire Schnæbelé, grave incident diplomatique entre la France et l'Allemagne, très médiatisé par les journaux, qui éclata le , vont permettre au général Georges Boulanger de prendre le pouvoir et lancer une guerre franco-allemande, avec pour conséquence une pénurie de blé en Europe, là où cette céréale est déjà moins abondante que prévu[313].

Un des gros acheteurs soit la Banque du Nevada, fondée peu avant à San Francisco par John William Mackay, qui a fait fortune à la Bourse de San Francisco en découvrant en 1868 le Big Bonanzza du Comstock Lode à Virginia City (Nevada), le plus gros gisement d'argent-métal de l'histoire des États-Unis. John William Mackay est un ami proche de l'éditeur de presse James Gordon Bennett senior, qui a lancé 4 octobre 1887 l’édition européenne du journal New York Herald à Paris avant de s'y installer. La rumeur veut que Le Matin (France) et le New York Herald fassent le lit du général Georges Boulanger, mais ne repose sur aucun fondement[312].

Le 27 août, l'Associated Press révèle que John Rosenfeld, de la "Nevada Warehouse and Dock Company" à Port Costa, en Californie et William Dresbach, président du San Francisco Produce Exchange, un autre marché à terme, fondé en 1867[314], ne peuvent honorer leurs engagements sur le blé. Deux jours après, John William Mackay dément être directement associé à la spéculation. Les actionnaires de la Banque du Nevada n'en perdront pas moins 12 millions de dollars[315],[316]. Ils ont pris le contrôle de 56 cargos de blé à des prix trop élevés[317].

La débâcle fait chuter les cours permettant à d'autres spéculateurs de revenir en 1888, lors du corner d'Hutchinson sur le blé en 1888 à Chicago, mené cette fois par Benjamin P. Hutchinson, qui a acheté progressivement, à partir du printemps, tous les stocks de blé. Lui aussi compte sur de fortes exportations à destination de l'Europe, où des prévisions très pessimistes font peu à peu état d'un déficit céréalier de près de 140 millions de boisseaux[273]. Ce groupe parvient à s'emparer de la quasi-totalité des stocks de blé de Chicago, estimée à 15 millions de boisseaux et contrôle aussi les contrats de livraison pour septembre. Le 22 septembre, le cours du boisseau atteint le seuil psychologiquement important d'un dollar[273], mais sans décourager les vendeurs à terme, qui ensuite paniquent, cinq jours plus tard, lorsque le cours atteint 1,28 dollar[273].

Benjamin P. Hutchinson accepte de livrer 125 000 boisseaux à 1,25 dollar, pour les soulager[273], mais pas plus. Le 28 septembre, avant-veille de l'échéance des contrats à terme, il fixe le cours à 1,50 dollar mais les vendeurs à terme refusent[273] et il monte alors ce prix à 2 dollars le dernier jour[273], cours auquel un million de boisseaux sont vendus, l'autre million restant ne pouvant être livré[273], avec le contentieux juridique en résultant. Hutchinson est ainsi parvenu à faire monter le prix du blé en liquidation de 89 cents 3/5 à 200 cents au cours de l'année 1888 et gagner 15 millions de dollars.

Années 1890

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Aux États-Unis, à la fin du XIXe siècle, de nouvelles variétés de blé rustique des steppes russes ont été introduites dans les Grandes Plaines par les Allemands de la Volga qui se sont installés au Dakota du Nord, au Kansas, au Montana et dans les États voisins[318]. La Russie et l'Argentine connaissent une forte croissance. L'expansion des surfaces cultivées aux États-Unis ralentit, mais la demande aussi, ce qui provoque une baisse des prix et un mécontentement des fermiers américains, qui s'investissent en politique, puis leur remontée violente après un corner (finance).

La stagnation d'une agriculture française très morcelée

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L'accélération de la croissance des rendements en blé en Europe qui se produit à partir de 1880/1890 est moins nette en France, Le produit de l'activité agricole y recule légèrement, de 7 709 millions de francs en 1882 à 7 449 millions en 1898, soit respectivement 30 % et 27 % du total de l'activité française[295]. La crise agricole de 1880-1900 a deux causes principales et directes, auxquelles s'ajoute une troisième cause, dérivée des deux précédentes[295].

La première cause est le retard technique de l'agriculture française[295]. Alors que la technique agricole fait dans le monde de rapides progrès, notamment pour l'emploi des engrais chimiques, la France ne suit qu'avec retard[295]. Les agriculteurs en sont restés aux enseignements transmis par les générations antérieures[295]. En 1892, il existe encore en France 3 millions et demie d'exploitations s'étendant sur moins d'un hectare[295]. Les établissements qualifiés officiellement de « petits » et couvrant des surfaces de 0 à 10 hectares, forment 85 % du total et 26 % de la superficie cultivée[295]. La moitié des établissements agricoles n'occupe aucun salarié[295].

La polyculture est très répandue, car le paysan français tient à produire lui-même son blé[295], même s'il faut consacrer à cette culture des terres qui ne conviennent pas. Du coup, la France est à la fois l'un des plus grands producteurs de blé du monde[295] et celui dont le rendement moyen à l'hectare est le plus bas. Les rendements en blé, par quintaux à l'hectare en Europe entre 1880 et 1900[295] :

Pays France Allemagne Angleterre
1880 11 12,9 16,4
1890 12,7 14,4 20,6
1900 12,9 18,7 19,2

Appel aux immigrés, concurrence portuaire et monopole des silos des Prairies

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Les premiers silos-élévateurs à grains, apparus dans les années 1870[305] se multiplient dans l'Ouest canadien deux décennies après: près de 6000 sont construits dans les soixante années qui suivent[305], à une distance variant de 11 à 18 kilomètres l'un de l'autre[305], en général un entrepôt vertical fait de madriers couchés horizontalement pour supporter l'énorme pression d'une capacité de stockage de 25 000 à 35 000 boisseaux de blé[305]. De nos jours, environ un millier de ces silos en bois sont encore en place[305].

Les trois quarts appartiennent à cinq firmes négociantes[302], toutes basées sur le Winnipeg Grain Exchange, fondé en 1887. Le port d'Halifax s'adapte à ce nouveau marché, avec son grand terminal pour navires en cale sèche, bâti en 1887-89, connecté au chemin de fer Intercolonial, achevé en 1876. Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) devient à son tour un grand port céréalier en 1896, brisant le monopole d'Halifax et Québec-Montréal. Le Port d'Halifax réplique dès 1899 en agrandissant son terminal céréalier, qui peut accueillir douze larges navires céréaliers en même temps[319]. En 1900, Halifax construit aussi un silo-élevateur d'un demi-million de boisseaux[320].

Les cinq grands négociants forment en 1897 la "Northwest Grain Dealers Association"[302], qui obtient la « loi sur le transport du grain de l'Ouest », plafonnant les tarifs de transport des céréales, qui ne sera abrogée qu'en 1983. Au début du XXe siècle, l'association contrôle plus de deux tiers des silos-élévateurs à grains des Prairies canadiennes. Elle est accusée de connivence avec le Canadien Pacifique (CFCP)[302] et de monopole pour forcer les agriculteurs à accepter des prix bas et de revendre plus cher sur le Winnipeg Grain Exchange ou de donner un traitement préférentiel aux entreprises au détriment des paysans via la pénurie de wagons de chemins de fer. Des quantités significatives de récolte des grains sont alors chargés sur des charrettes et vendus par les agriculteurs dans la rue, plutôt que sur la bourse aux grains de Winnipeg[305], comme le décrit leur leader William Richard Motherwell[305].

Entre-temps, le Canada se retrouve partiellement à court de blé : Bruce, Huron, Kent, Grey, Lambdon, Middlesex et d'autres cantons céréaliers de l'Ontario s'éteignent à la fin du XIXe siècle, les céréaliers partant dans l'industrie. L'immigration massive est lancée par Clifford Sifton, ministre de l'intérieur de sir Wilfrid Laurier en 1896 par des offices coloniaux en Europe. Alors que la plupart des immigrants venaient du Royaume-Uni et des États-Unis, le Canada reçoit un afflux important d'Ukraine ou de l'Empire autrichien et accueille les doukhobors du sud-est de la Russie.

Parmi les freins à l'essor, la pénurie de machines agricoles et de pièces détachées. En 1895 une baisse des prix les ramène au niveau des États-Unis, mais en 1907, le prix des machines agricoles dépasse toujours de 15 % celui pratiqué aux États-Unis, après une série de fusions industrielles[277]. L'immigration n'accélère qu'en 1903 et en 1905, quand des sociétés spécialisées achètent des terres revendues à des fermiers américains en difficulté financière mais déjà aguerris[277].

Le populisme rural américain devient un lobby politique

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En 1886, la Cour suprême des Etats-Unis décréta que les États n'étaient pas habilités à voter des lois en faveur de la réglementation des tarifs imposés aux fermiers pour le transport de leur production de céréales par le train et cassa 230 lois de ce type[321] forçant le congrès à voter l'année suivante la loi sur le commerce inter-états et sa Commission du commerce inter-États (CCI)[322] chargée de décider de la nécessité d'ouvrir de nouvelles lignes de chemin de fer, et de fixer les tarifs pour empêcher la discrimination, suivie par le Sherman Antitrust Act (1890) et le grand boycott contre la compagnie Pullman en 1894[323]. Le Parti populiste (États-Unis, 1891-1908) est fondé en juin 1892 à Saint-Louis par le rassemblement de deux alliances de fermiers, des Silver Republicans de l'ouest, partisans du Bimétallisme or-argent, et des syndicats. Il obtient un million de voix à l'élection présidentielle américaine de 1892[322], créant la panique à Wall Street[324], puis se rallie pour la suivante, marquée pour la première fois par une campagne onéreuse et une participation élevée, au démocrate William Jennings Bryan qui obtient 47 %.

Famine en Russie, malgré la croissance des exportations de céréales

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La famine russe de 1891-1892, causée par un hiver et un été secs fait deux millions de morts le long de la Volga, de l'Oural à la mer Noire alors que l'Empire russe veut développer les exportations de céréales. Les régions ukrainiennes sont les plus sinistrées, alors qu'en 1906-1907 les récoltes les plus basses seront enregistrées dans la Volga. Le paysan russe moyen cultive sa terre pour son entourage proche et se retrouve pénalisé par l'élévation des impôts indirects pour rembourser la dette créée par le développement du chemin de fer, les négociants ayant de grands projets d'exportations de blé en France, où le marché de la farine est protégé, mais dont la Russie vient de se rapprocher.

Près de 10 millions de tonnes de céréales sont parties à l'étranger entre 1887 et 1891 pour obtenir en échange les moyens de soutenir une industrialisation russe en cours. Mais la majorité de la population est contrainte de manger de la farine crue ou du pain de la famine, un mélange de mousse, de chénopode et d'écorce. Une épidémie de choléra ne se fait pas attendre. L'opinion publique considère le ministre des Finances Ivan Alexeïevitch Vichnegradski, comme le principal coupable : il s'est déclaré contre l'interdiction de l'exportation de céréales en 1891, malgré la famine. Elle est finalement décidée le 3 novembre 1891, mais dès septembre 3 millions de pouds avaient déjà été exportés par Odessa et 60 % de la récolte de seigle déjà exportée.

L'année suivante, Vichnegradski démissionne. Le gouvernement interdit à la presse d'employer le mot famine, mauvaise récolte le remplaçant. Encouragée par le gouvernement, « une aide humanitaire » s'organise le 19 novembre 1891. Parmi les volontaires, l'écrivain Léon Tolstoï. Le futur tsar Nicolas II de Russie dirige un comité de soutien et ses parents, le tsar et la tsarine lèvent respectivement cinq à douze millions de roubles. En février 1892, le gouvernement achète 30 000 chevaux kirghiz pour labourer.

L'afflux de devises assure la force du « rouble-or », et la Russie accélère sa politique d'emprunts ferroviaires en 1893, réservant ses exportations de céréales à la France, afin de fermer ses frontières aux autres pays, pour protéger son industrie naissante. Dès 1892 la Russie récolte dans son sud-ouest 49 millions de pouds de blé tendre, mais aussi 66 millions de pouds de seigle, 53 millions de pouds d'avoine et 16 millions de pouds d'orge. Entre 1897 et 1914, la production de vodka quadruple, pour s'élever à 138 millions de seaux, grâce à la loi de 1890 favorisant la distillerie pour les alcools de grains.La production repart en Podolie[204].

Surfaces cultivées en céréales, en millier de dessiatines, mesure agraire russe, correspondant à 1,09 hectare[204] :

Année 1861-1870 1871-1880 1881-1890 1891-1900 Variation en 40 ans
Province de Kiev 565 666 606 613 plus 8 %
Podolie 725 720 508 663 plus 9 %
Volhynie 399 565 527 634 plus 55 %
Total des régions céréalières d'Ukraine 1780 1952 1641 1910 plus 13 %

Dans l'Ouest américain, le succès des semences vendues par la poste

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Le Maïs denté amené par des immigrants venu de l'est dans les années 1840 dans l'Illinois, commence à avoir un grand succès dans toute l'Amérique dans les années 1890. Dès 1877, James L. Reid obtient un exceptionnel rendement, pour l'époque, de 120 boisseaux par acre, puis en 1880 part dans Kansas, dans le comté d'Osage pour le cultiver et le faire connaitre avant de revenir dans l'Illinois. En 1891, lors de la foire agricole de Peoria, il a reçu le prix le plus élevé. Orange Judd, éditeur du journal Orange Judd Farmer, et ancien éditeur du journal American Agriculturist, y était juré[195]. Deux ans plus tard, lors de la célèbre Exposition universelle de 1893[195], le maïs de James L. Reid gagne le plus haut prix, une médaille et un diplôme[195]. La variété se répand alors dans les États-Unis, au point de faire de l'ombre aux autres, qui sont un peu négligées ou oubliées[197], au détriment de la diversité génétique.

James L. Reid une société de vente par correspondance au détail au service du commerce de maïs, qui étend son succès aux États voisins, puis dans tous les États-Unis[197] et en Amérique du Sud. En 1902, il fonde une grande maison de semences[195]. Dans la foulée, des souches riches en protéines et en huile sont développées en coopération avec la station d'expérimentation d'État de l’Université de l'Illinois, permettant d'arriver à des maïs comportant jusqu'à 16,85 % de protéines[195]. En 1908, dans une grande foire agricole à Omaha, au Nebraska, James L. Reid sera présenté comme « l'homme qui a mis plus de millions dans les poches des agriculteurs de la ceinture de maïs, que tout autre homme vivant »[195]. Le succès de son maïs contribue à un engouement pour l'agronomie au cours des deux premières décennies du XXe siècle aux États-Unis[197]. Des salons et expositions sont organisés partout et des trains du maïs parcourent les grandes plaines pour diffuser les connaissances et éduquer les agriculteurs en céréales[197].

Baisse des prix puis le corner de 1897

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Les prix ont subi une forte tendance à la baisse dans les années 1890 qui a causé une grande détresse dans les États des Grandes Plaines[124] mais aiguisé les appétits spéculatifs. L'automne 1897 voit un début de « corner » réussi sur le blé par le spéculateur Joseph Leiter[273],[325], qui trouve en face de lui le vendeur à terme Philip D. Armour, menacé par la hausse des cours, alors que la saison des livraisons de blé des Grands lacs est terminée[273]. C'est le Corner de Joseph Leiter sur le blé en 1897 à Chicago. Philip D. Armour a eu vent de l'opération[325]. Ce dernier crée la surprise : il embauche une flotte de remorqueurs brise-glaces[325] pour amener dix millions de boisseaux de blé des grands lacs, malgré la glace, jusqu'à Chicago et briser la pénurie de court terme sur le rapproché. D'autres approvisionnements arrivent de différentes parties des États-Unis. Les cours retombent[325], Joseph Leiter et les membres de sa famille perdent plusieurs millions de dollars et il est radié du marché à terme[273]. Au début du siècle suivant aura lieu le Corner de Patten sur le blé à Chicago en 1909.

XXe siècle

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En France, le nombre d'heures de travail nécessaire pour acheter un 1 kilo de pain ne va pas cesser de diminuer tout au long du siècle[4] :

1925 1974 1987 2013
0,75 0,37 0,28 0,21

Le triomphe mondial des blés de printemps

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Le XXe siècle voit d'abord la culture du blé s'avancer au-delà de ce que l'analyse des conditions favorables pouvait permettre d'imaginer[285] : les basses températures d'hiver ne sont plus une contrainte, grâce aux blés de printemps, semés en mai et récoltés au début d'août[285], qui permettent cette extension en Norvège, Suède et Russie, ou dans le Canada de l'Ouest, qui bénéficient des effets des longs jours ensoleillés du Nord[285]. De plus, dans les régions continentales du nord, comme en Russie et en Ukraine, les étés sont chauds et lumineux, ce qui suffit à la croissance des blés de printemps[285]. La lumière règle l'assimilation du carbone aérien par la fonction chlorophyllienne[285] : par un jour de clair soleil, un hectare de blé assimile assez de lumière pour produire en bout de chaîne environ 33 kilogrammes de pain[285], mais par une sombre journée nuageuse, ce n'est plus que 7 kilogrammes[285]. Malgré cette extension des surfaces cultivées dans le monde, au cours de la première moitié du XXe siècle, la France reste un pays grand producteur de blé, à l'abri d'une forte barrière douanière[285], alors que du côté belge, pays libre échangiste, le prix du blé est plus bas[285]. En Angleterre, autre pays libre échangiste longtemps, les agriculteurs ne cultivent plus le blé en 1935 que sur 756 000 hectares contre 5,3 millions d'hectares en France[285].

La répartition des exportations mondiales de blé par pays, au cours de la première moitié du XXe siècle[326] :

Pays 1910 1920 1925 1930 1935 1940 1945 1952
Canada 14 % 21 % 47 % 32 % 46 % 44 % 42 % 40 %
États-Unis 16 % 43 % 16 % 14 % 1 % 7 % 45 % 34 %
Australie 7 % 12 % 11 % 17 % 21 % 17 % 5 % 11 %
Argentine 13 % 23 % 15 % 15 % 15 % 21 % 8 % 3 %
Autres 50 % 1 % 11 % 22 % 17 % 11 % 0 % 12 %

Ensuite, les échanges internationaux de produits agricoles connaissent une croissance forte après 1945 : le marché international des céréales s’accroît de l’ordre de 3 millions de tonnes par an et passe de 40 millions de tonnes en 1950 à 100 millions de tonnes autour des années 1970[327]. Les Américains en sont les bénéficiaires grâce au Plan Marshall, tandis que la Russie rétablit d'abord la situation avant de devenir ensuite importatrice.

En France, au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la mécanisation, le remembrement et l’emploi des semences sélectionnées, multiplient le rendement moyen du blé tendre par cinquante : il passe de 1,3 quintal par hectare et par an à 78 en 1998[2](27 quintaux en 1960, puis 52 en 1980). Mais la productivité du blé n'est pas la même dans d’autres régions du globe, le rendement moyen mondial reste, au début du XXIe siècle inférieur à 30 quintaux par hectare et par an.

Années 1900

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Les États-Unis dominent la production mondiale de céréales avant la Première Guerre mondiale, avec 261 millions d'hectolitres de blé récoltées en moyenne pour les cinq années 1910-1914, devant les 230 millions d'hectolitres de la Russie, même si cette dernière les a devancés certaines années[328]. L'Inde britannique vient ensuite avec 122 millions d'hectolitres, tandis que la production canadienne n'est pas clairement connue, la république d'Argentine produisant 57 millions d'hectolitres et l'Australie 31 millions d'hectolitres[328], toutes les deux encore derrière la France, l'Italie, et la Hongrie, les trois premiers producteurs de blé européens, qu'elles vont dépasser pendant la guerre[328].

Les principaux producteurs de blé en Europe avant la Première Guerre mondiale, en moyenne pour les cinq années 1910-1914, en millions d'hectolitres[328] :

Pays France Italie Hongrie Allemagne Espagne Roumanie Autriche Iles britanniques
Récolte moyenne de blé 1910-1914 (millions d'hectolitres) 107 65 60 53 40 30 22 20

Les « Terres noires » de Russie ont tiré profit de la proximité de la mer Noire

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La Russie a vu ses exportations de blé passer de 23 millions de quintaux en 1860 à 126 millions en 1900[329]. Au début du XXe siècle, la région du fleuve Dniepr assure un cinquième des exportations mondiales de blé et de seigle et la totalité de celle de la Russie. Elle produit 10 % du maïs mondial et 40 % de l'orge[43]. Seuls les États-Unis font mieux, par un sextuplement en trente ans : de 9 millions de quintaux en 1866-1870 à 54 millions de quintaux pour la période 1896-1900.

Grâce à des récoltes exceptionnelles en 1909 et 1913, l'Empire russe devient le premier fournisseur mondial de céréales, mais perd ce titre les autres années. Entre 1908 et 1912, il a exporté en moyenne chaque année 513,6 millions de pouds (un poud vaut 16,38 kg) de céréales[300] avec un maximum de 848 millions pouds en 1910. Malgré cette réussite commerciale, les disettes locales touchent chaque année une région ou l'autre de la Russie au début du XXe siècle[300] : en 1899-1901, les gouvernements ukrainiens sont les plus sinistrés, en 1906-1907 c'est la région de la Volga, en 1909 le Kazakhstan et en 1911 une nouvelle fois la Volga ainsi que l'Oural et la Sibérie occidentale[300]. Les mauvaises récoltes en 1905-1906 et en 1911 ont cependant affecté très modérément l'espérance de vie, contrairement aux famines de 1872, 1882 et 1892[300]. Le boom de l'exportation céréalière n'empêche pas le maintien d'une culture de céréales très pauvre pour beaucoup de paysans. En moyenne, de 1883 à 1898, les disponibilités en céréales et pommes de terre s'élevant à 360 kg par an et par habitant en Russie, contre 500 dans le reste de l'Europe.

Naissance des coopératives à blé et émigration massive vers l'ouest canadien

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Dès les années 1900, la culture du blé devient le pivot de l'économie des Prairies canadiennes[305], devenues «corbeille à pain du monde»[305], et imprègne leur mode de vie[305]. Entre 1891 et 1914, plus de trois millions de personnes immigrent, majoritairement d'Europe continentale. Le territoire du blé est multiplié par cinq après 1901.

Surfaces semées en blé au Canada entre 1901 et 1921, en millions d'âcres :

1901 1911 1921
4 millions 11 millions 21 millions

Des vagues successives s'étendent vers l'ouest. La plus importante, près de 7 millions d'acres en plus, soit 40 % du total cultivé en 1931, bénéficiera dans les années 1910 à la province de la Saskatchewan fondée en 1903.

Les surfaces cultivées en blé dans les Prairies, en millions d'acres :

Province Surface de blé en 1901 Surface de blé en 1911 Surface de blé en 1921 Surface de blé en 1931
Manitoba 2 millions d'acres 3,1 millions d'acres 2,8 millions d'acres 2,6 millions d'acres
Saskatchewan 0,5 million d'acres 5 millions d'acres 11,7 millions d'acres 15,2 millions d'acres
Alberta 0,1 million d'acres 1,6 million d'acres 4,9 millions d'acres 7 m, 9illions d'acres
Total 2,6 millions d'acres 10 millions d'acres 19,4 millions d'acres 25,6 millions d'acres

Les Coopératives céréalières au Canada sont nées en novembre 1901[330], quand une cinquantaine de céréaliers stigmatisent les sociétés de négoce comme leurs « oppresseurs » lors d'une « réunion de l'indignation » organisée par deux paysans John Sibbold et John A. Millar, au centre d'expédition des céréales d'« Indian Head (Saskatchewan) », car la moitié d'une récolte céréalière exceptionnelle est perdue, faute d'espace dans les silos-élévateurs à grains et de wagons du chemin de fer Canadien Pacifique. Ils créent la Territorial Grain Growers' Association, qui dénonce aussi le spéculatif Winnipeg Grain Exchange[331] et va peser sur la Loi de 1902 sur les Grains du Manitoba. Parmi ses dirigeants, Charles Avery Dunning, futur premier ministre de la Saskatchewan et ministre des Finances du Canada.

En 1905, la TGGA se scinde, l'Alberta et la Saskatchewan devenant deux nouvelles provinces du Canada. L'Alberta Farmer's Association fusionne en 1909 avec la Société Canadienne de l'Équité pour créer l'United Farmers of Alberta, non-partisane. En 1913, le gouvernement albertain l'aide à créer l'Alberta Farmers' Co-operative Elevator Company. La Grain Growers' Grain Company, autre coopérative, fondée en 1906, loue 174 Silos-élévateurs à grains, dès 1912 au gouvernement du Manitoba, achète les siens et un moulin à farine, puis fusionne avec celle de l'Alberta en 1917 pour fonder United Grain Growers. Lors de la fusion, l'AFCEC a 103 silos-élévateurs, 122 hangars à charbon et 145 entrepôts et le GGGC a 55 hangars à charbon, 78 entrepôts, 60 silos-élévateurs, et en loue 137 au gouvernement du Manitoba, permettant de traiter près de 28 millions de boisseaux. Dès 1910, le Canada assure près d'un cinquième des exportations mondiales de blé et va passer à la moitié dans les quinze années qui suivent.

Cet exemple inspire le mouvement coopératif en France, qui fonde en 1908 deux fédérations : coopératives de production et les mutuelles régionales de crédit, puis en 1909 une Fédération des syndicats agricoles[299]. En 1910, l'ensemble se regroupe sous la présidence du radical Albert Viger, trois fois ministre de l'Agriculture depuis 1893, en une Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole (FNMCA), qui achète un immeuble au 129 boulevard Saint-Germain à Paris, entre le Sénat et la Chambre des députés, pour faire contrepoids à la conservatrice Société des agriculteurs de France, basée rue d'Athènes[299].

Succès fulgurant du blé Marquis

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Le blé Hard Red Calcutta, géniteur femelle du blé Marquis, est importé au Canada par Charles Saunders (céréaliste) à des fins expérimentales à la fin du XIXe siècle[332]. Des échantillons sont distribués à des fermiers dans l'ensemble du pays en 1892[332], mais sans réussir. Comme il mûrit deux à trois semaines avant le blé 'Red Fife', il est récolté avant l'apparition de la rouille, qu'il évite donc[332]. Mais son rendement est jugé trop faible pour une utilisation massive[332].

En 1904, Charles E. Saunders, devenu directeur de la recherche canadienne sur les céréales[332], découvre une nouvelle variété, dénommée « Marquis », issue d'un croisement entre le blé Hard Red Calcutta et le blé 'Red Fife'[332]. Ce croisement a probablement été réalisé en 1892 à la Ferme expérimentale d'Agassiz, en Colombie-Britannique, mais sous-utilisé[332]. Il diffère du blé 'Red Fife', par sa tige plus courte, qui ne verse pas, et son grain plus trapu[332]. Mûr 3 à 4 jours avant la plupart des variétés de blé 'Red Fife', il a un bien meilleur rendement que le blé Hard Red Calcutta[332].

En 1908, cette céréale est expédiée à la Ferme expérimentale de Brandon, dans le Manitoba, et au printemps 1909, sa distribution commence : 400 échantillons sont expédiés à des fermiers, en Saskatchewan, Manitoba, Alberta, Ontario et Québec, et même à Kamloops, en Colombie-Britannique, puis aux États-Unis[332]. Le blé Marquis attire l'attention par la qualité exceptionnelle de son grain et de sa farine, sa précocité (plusieurs jours avant le blé 'Red Fife'), et son rendement élevé. Le ministère de l'agriculture canadienne considère que l'introduction du blé Marquis fut son plus grand triomphe pratique[332].

En 1912, le Dakota du Nord importe pour la première fois plusieurs wagons de blé Marquis[332]. À Minneapolis, les meuniers remarquent immédiatement ses excellentes qualités meunières et boulangères. La meunerie Toddy Russel Miller, de Minneapolis, commande 100 000 boisseaux[332]. À l'automne 1913, c'est au tour de l'Angus Mackay Farm Seed Company, d'Indian Head, près de Regina[332]. La société nomme le professeur H. L. Bolly, commissaire des grains du Dakota du Nord, pour inspecter les champs[332]. En 1914, un demi-million d'acres américains sont cultivées en blé Marquis[332], produisant une récolte de 7 millions de boisseaux, dont 3,36 millions pour les Minnesota et Dakota du Nord, tandis que Montana, Iowa, Nebraska, Dakota du Sud et l'État de Washington se partagent le reste[332]. Rapidement, le blé Marquis remplace toutes les variétés de printemps cultivées et même certaines variétés d'hiver[332]. Il est planté sur la moitié des champs américains et 80 % des champs canadiens en 1917[332], lorsque ces deux pays font un énorme effort de production pour pallier la baisse de près d'un tiers de la production mondiale de blé causée par la Première Guerre mondiale.

La récolte de blé et la proportion de blé Marquis au Canada en 1917 et 1918[332] :

Année 1917 1918
Récolte, en millions de boisseaux 212 millions de boisseaux 162 millions de boisseaux
Proportion de blé Marquis 80 % de marquis 80 % de marquis

En 1918, à la suite de la flambée des cours de 1917 et de la mauvaise météo de 1916, les fermiers américains et canadiens sèment le blé Marquis sur plus de 20 millions d'acres, du sud du Nebraska au nord de la Saskatchewan, soit une distance de plus de 800 milles[332].

Récoltes de quatre États américains cultivateurs de blé de printemps en 1917 et part du blé Marquis[332] :

États Minnesota Dakota du Nord Dakota du Sud Montana Total des quatre
Récolte 1917 59,7 millions de boisseaux 56 millions de boisseaux 52 millions de boisseaux 19,7 millions de boisseaux 169,7 millions de boisseaux
Proportion de blé Marquis 46 % de marquis 43 % de marquis 43 % de marquis 45 % de marquis NC

Rebond des cours mondiaux entre 1906 et 1909

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Le début du XXe siècle va voir aboutir la création d'un nouvel État fédéral, l'Australie, qui voit le jour le , doté d'une constitution ratifiée par le parlement britannique en 1900. Les années 1900 voient un premier doublement de la longueur du réseau ferré australien, qui dépasse les 4 000 miles[333]. Au cours de la seconde moitié des années 1900, les exportations de blé australien vers l'Angleterre se font à des prix moyens en forte hausse, avec une augmentation d'un tiers des volumes exportés entre 1906 et 1909[334]. De tous les blés exportés vers l'Angleterre, le blé australien est le plus onéreux[334], en raison de sa richesse en gluten et du fait qu'il est facile à transformer en farine[334]. Sur l'ensemble de la décennie, le prix du blé australien passe de 2 shilling et 9 penny (il y a alors 12 penny dans un shilling) par « quart impérial » (quart d'un gallon du système impérial d'unités soit 1,136 522 5 litres), à 4 shilling et 2 penny[334], une hausse de près de 50 %. La mauvaise récolte anglaise de 1903 est aussi compensée par des importations américaines (5 millions de boisseaux) et argentines (3 millions de boisseaux)[334].

Cette remontée des cours du blé tranche avec l'évolution alors en cours. Entre 1861 et 1903, le prix du Quart (unité) avait été plus que divisé par deux, de 55 à 26 shilling par quart impérial[334], en passant par 45 shilling en 1881[334], la baisse s'accélérant ensuite sur les deux dernières décennies du siècle. L'Australie représente seulement 2 % de l'offre mondiale de blé en 1900[334] et elle va ensuite devenir un grand producteur. L'apport des nouveaux pays fait que la production mondiale stagne entre 1904 et 1908 à environ 3 milliards de boisseaux[334].

Années 1910

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Pendant la Première Guerre mondiale, l'Amérique du Nord, l'Argentine et l'Australie ont étendu les surfaces cultivées en céréales pour répondre aux demandes de l'Europe en guerre[335]. En Amérique du Nord, elles ont augmenté de 60 %[335]. Pour y parvenir les gouvernements ont fermé le marché à terme et pris en main la commercialisation, avec des prix garantis aux cultivateurs. Parmi les nations exportatrices de céréales, quatre vont nettement profiter de la pénurie en Europe causée par la guerre, Australie, États-Unis, Argentine et Canada[326]. Grande gagnante, l'Argentine passe de 13 % à 23 % des exportations de céréales dans le Monde au cours des années 1910[326], l'Australie de 7 % à 12 %[326], le Canada de 14 % à 21 %[326] et les États-Unis, l'autre grand gagnant de cette période, de 16 % à 43 %[326]. En Europe, la Roumanie double les surfaces cultivées le long du Danube.

Le Canada, référence de l'inspection, du stockage et du transport

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Les Prairies canadiennes

Fiabilité de la qualité et transport bon marché : les deux recettes qui ont fait gagner le blé américain à la fin du XIXe siècle sont appliquées en plus grand par le Canada au siècle suivant. Le 1er avril 1912, le Canada Grain Act, créé la « Canadian Grain Commission », basée à Thunder Bay (Ontario), chargée de veiller à la qualité des céréales mises sur le marché[336], sur le modèle de la loi de 1902 sur les Grains du Manitoba. L'inspection des grains est démocratisée et modernisée pour encourager l'essor des Prairies canadiennes. Les nouvelles variétés de céréales doivent présenter des caractéristiques distinctives visibles[336], et de qualité égale ou supérieure aux variétés existantes.

La "Canadian Grain Commission" fonde en décembre 1913 à Winnipeg (Manitoba) un laboratoire confié à F. J. Birchard chargé d’évaluer la qualité des différents grades de blé canadien, leur mouture et leurs propriétés boulangères, pour conférer des assises scientifiques au système de classement des céréales[337]. Ses travaux démarrent en juin 1914. Birchard des analyses scientifiques plus rigoureuses, par exemple des appareils électriques pour doser l'eau, ce qui l'oppose parfois aux fonctionnaires, qui craignent de nuire au commerce céréalier. À la fin du XIXe siècle, les inspecteurs estimaient l'eau contenue par les grains... à la vue, l'odorat et le toucher, les mâchant pour se faire une idée. Le Canada compte 81 105 kilomètres de chemin de fer et exporte son expertise du stockage jusqu'à l'Argentine.

Thunder Bay (Ontario) devient un port céréalier et Montréal peut stocker jusqu'à 231,2 millions de boisseaux. La Canada Steamship Lines nait en 1913 et des fonds fédéraux financent l'immense terminal portuaire céréalier bâti en 1913 dans le port de Halifax, libre de glaces toute l'année, relié au centre du pays par le chemin de fer Intercolonial.

Commencée en 1911, le chemin de fer de la Baie d'Hudson veut créer un nouveau port sur la baie d'Hudson. Mais les pénuries de matériel, les conflits de travail, les tempêtes, les incendies et les accidents de bateau ont entraîné des retards importants. De nombreux délais furent causés par les défis d'ingénierie posés par les nombreuses fondrières de mousse (muskeg) et les affleurements de roche du bouclier canadien. La Première Guerre mondiale a entraîné d'autres pénuries de matériel et de main-d'œuvre.

Guerre de 1914-1918 : les États américains et canadiens collectivisent le marché

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Inspection généralisée des qualités
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Beaucoup de jeunes agriculteurs européens sont enrôlés dans la Première Guerre mondiale. La France et l'Italie dépendent des exportations américaines, pour environ 100 000 à 260 000 000 boisseaux par an. Les prix des céréales montent, les agriculteurs américains prennent des hypothèques pour acheter des terres[338]. La superficie cultivée en blé américain progresse de 13 millions d'acres entre 1910 et 1915[339]. Cette ruée vers le blé fait baisser la qualité.

Une loi américaine de 1914 crée une taxe de deux cents sur tout contrat à terme liés aux matières premières, avec une exemption totale s'il spécifie de manière très précise la qualité et les conditions de livraison. Le Ministère de l'agriculture devient l'arbitre des contentieux, pour les céréales comme pour le coton. Une nouvelle version de la loi, en 1916, le charge de fixer lui-même les spécifications des contrats et d'inspecter et labelliser les différents types de coton. Une autre loi, similaire, est votée en 1916 pour les céréales, fixant des standards minimums pour le stockage. Les États-Unis s'inspirent de la loi canadienne de 1912.

Avant son entrée en guerre, le gouvernement américain fait des démarches auprès des puissances centrales pour organiser le ravitaillement de tous les territoires envahis, aussi bien à l'est de l'Europe qu'à l'ouest, mais l'activité logistique américaine sera finalement confinée à la Belgique.

Les succès électoraux des fermiers et les réformes au Dakota puis en Alberta
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Dans le Dakota du Nord, la Ligue non-partisane proche du mouvement des « grangers » créé en 1867 contre les grands intermédiaires, dans l'Illinois et le Wisconsin, se présente aux élections de 1916, menée par deux jeunes amis fermiers inconnus, Fred Wood et Arthur Charles Townley, le second venant du parti socialiste, pour remplacer le système des partis par une forme de démocratie directe. Grâce à elle, un autre fermier peu connu, Lynn Frazier, est élu gouverneur du Dakota du Nord avec 79 % des voix, et John Miller Baer, agronome devenu dessinateur de presse, à la chambre des représentants des États-Unis. Elle obtient des réformes sociales[340] et économiques comme la création à Grand Forks de la "North Dakota Mill and Elevator" par l'État du Dakota du Nord, qui exploite le plus grand moulin à farine des États-Unis, doublé d'un gigantesque silos-élévateurs à grains, et de machines pour fabriquer plus rapidement des pancakes[341],[342].

Au Canada, l'United Farmers of Alberta (UFA) se lance en politique en 1919, contre l'avis de son président Henry Wise Wood, l'Alberta Non-Partisan League, ayant fait élire 2 candidats sur 4 dans des circonscriptions rurales lors de l'Élection générale albertaine de 1917. En 1921, Robert Gardiner deviendra le premier député de l'UFA à la Chambre des communes du Canada. Lors de l'élection générale albertaine de 1921, l'UFA fait élire 38 députés sur 45 présentés, formant un gouvernement majoritaire qui chasse le Parti libéral de l'Alberta, au pouvoir après 17 ans.

Les émeutes de la faim et la fermeture des marchés à terme
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Dès 1915, l'Allemagne avertit que ses sous-marins n'éviteront aucun navire, militaire ou marchand : ravitailler les ports anglais devient dangereux[339]. Quelques jours après, le paquebot Lusitania est coulé par une torpille allemande, au large de l'Irlande[339], faisant 1198 victimes, dont 124 américaines. La guerre mobilise aussi les paysans russes, laminant les récoltes et la production mondiale 1916, revenue à 2,57 milliards de boisseaux contre 3,36 milliards en 1915[339], les récoltes américaines ayant subi de leur côté un hiver très froid et des maladies du blé coriaces[339].

Les prix s'emballent, la spéculation fait rage, et la "Grain export company" est fondée par le gouvernement en 1916 pour grouper l'achat en Amérique du Nord et obtenir des prix rationnels[343]. En 1916 aussi, les Anglais, gros importateurs, dépendants à 60 % du blé américain, doivent se tourner vers le blé australien à plus grande échelle car les cargos américains de céréales sont décimés par les sous-marins allemands[339]. Ils créent la "Royal Comission Wheat Supply" (RCWS), à qui les autres pays européens alliés délèguent leurs achats. La RWWS réalise de grosses acquisitions sur le marché à terme américain, en particulier sur l'échéance de mai 1917 du contrat No 2 sur le blé dur d'hiver, dont le prix va passer de 1,03 à 3,25 dollars en moins d'un an[339]. À la mi-février 1917, le New York Evening Post et le New York Times rapportent des émeutes de la faim dans leur ville, tout comme les journaux de Minneapolis.

Un comité "Feed America First" se crée à Boston[339]. Plusieurs États lancent des investigations sur la commercialisation des céréales[339]. L'intellectuel Stephan Leacock traite les céréaliculteurs de "War drone". Un expert estime que la consommation de blé a aussi chuté en Russie, d'un cinquième[339]. Les États-Unis et les gouvernements d'Europe de l'Ouest exigent des industriels qu'ils commercialisent du pain d'orge et d'avoine[339].

En mars 1917 on apprend que 92 % de la récolte américaine a déjà été vendue[339] et les prix s'emballent[339] en avril 1917, à l'Entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale : les opérations sont suspendues sur le NYSE et le NY Produce Exchange mais se poursuivent sur le Chicago Board of Trade. Le contrat sur le blé y touche rapidement son plus haut historique à 3,25 dollars le boisseau, le 11 mai 1917, puis est suspendu. Trois mois plus tôt, le 3 février, il ne valait que 2,44 dollars. Le lendemain, le CBOT force les livraisons au prix de 3,18 dollars[339].

Le corner (finance) est combattu aussi au Winnipeg Grain Exchange, où le contrat à terme d'échéance en mai est suspendu dès le 4 mai 1917[343], une semaine avant Chicago, et placé sous l'administration d'un "Board of grain supervisors", nommé par l'État[343]. Il ne reprendra qu'en 1919.

Le 17 mai 1917, le président américain Herbert Hoover préside la première réunion du "Comittee of Grain Exchage in Aid of National Defense"[339] à laquelle assistent 8 personnes parmi lesquelles l'industriel républicain Julius Barnes, représentant du Minneapolis Grain Exchange et patron de Barnes-Ames et John MacMillan, gros exportateur en céréales. La réunion entérine la prise de contrôle par le gouvernement de la vente et du transport des céréales. Le 1er juin, l'État ferme aussi le marché à terme pour les œufs et le beurre, et le 11 juin pour le maïs.

Au 30 juin 1917, le géant du négoce Cargill publie le meilleur bénéfice de son histoire, dépassant un million de dollars[339], quinze jours après avoir versé un dividende exceptionnel de 45 % de ses fonds propres. Knut Nelson, sénateur du Minnesota et le président de Cargill, John H. MacMillan Sr., s'empoignent, le premier dénonçant la spéculation[339]. Le 12 août 1917, le président Herbert Hoover propose que l'État achète la totalité de la récolte 1917 des États-Unis... mais au prix unique de 2,32 dollar le boisseau, un tiers de moins que le record du marché à terme. Comme au Canada, il crée une nouvelle administration, la "Grain Corporation", dirigée par Julius Barnes, pour acheter les récoltes dans les gares et les ports.

Les conséquences de la guerre

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L'Argentine remplace la Russie et devient un grand exportateur de céréales
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L'Argentine passe de 13 % à 23 % du commerce mondial de céréales au cours des années 1910. L'arrivée massive d'immigrants européens et de capitaux étrangers entraîne un essor économique qui en fait en 1913 l'un des pays les plus riches du monde, 12e par le PIB par habitant, juste devant la France[344]. Les cargos de blé argentin arrivent à point nommé en 1917, lorsque la révolution russe prive l'Europe des blés de Russie et d'Ukraine[345]. Le groupe Louis-Dreyfus qui a chargé Alfred Lang-Willar, neveu de Léopold, d'ouvrir un comptoir à Buenos-Aires, participe au ravitaillement des puissances alliées pendant le conflit.

Le million de tonnes de blé exportées avait été atteint dès 1893 contre 100 000 tonnes exportées en 1884 et seulement 9 tonnes en 1871. Le négociant américain Bunge, créé par Charles Bunge, futur « géant du grain »[346], implanté en Argentine dès 1884, pour y développer le blé a lancé des infrastructures qui permettent la croissance des grandes exploitations mais aussi de nouvelles, plus petites. À la fin du XIXe siècle, dans la province de Buenos Aires, 20 propriétaires d'exploitations de 20 000 hectares et plus se partageaient 0,64 million d'hectares.

L'essor du blé australien
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En 1909, les protectionnistes et libre-échangistes fusionnent pour former le Parti libéral du Commonwealth, sans empêcher l'arrivée au pouvoir du parti travailliste d'Andrew Fisher en 1910, qui veut une ruée vers la ceinture de blé, limitée au nord par le Mid West (Australie), à l'est par le Goldfields-Esperance, au sud par les régions de Great Southern et South West (Australie-Occidentale) à l'ouest, du nord au sud, par l'océan Indien, la région de Perth, la capitale de l'Australie-Occidentale et la région de Peel (Australie). La dernière des ruées vers l'or en Australie (47 % des exportations australiennes en 1913[333]) prend fin, en raison de l'abondance de l'or sud-africain. Le prix du blé australien a lui augmenté de près de 50 %[347] dans les années 1900, grâce aux exportations vers l'Angleterre, qui augmentent encore au cours des années 1910. Entre 1908 et 1913, 46 473 immigrants britanniques sont arrivés en Australie de l'est[333], dont 30 811 financièrement aidés à condition qu'ils s'engagent à travailler dans l'agriculture[333]. L' extension du réseau ferré permet de transporter le blé[333] et le crédit à bon marché d'équiper les fermes.

Le développement des cultures est limité par la distribution inégale des précipitations[348] : une zone dite de "tampon tempéré", propice à la culture du blé et connue sous le nom de « ceinture de blé »[348], avec des précipitations de 20 à 12 pouces par an[348], sépare les zones côtières des zones semi-arides[348]. Une ligne avait été dessiné par l'arpenteur général de l'Australie du Sud, George W. Goyder, en 1865, après deux années de sécheresse[348]. L'Australie-Occidentale devint un important producteur de céréales en 1905, grâce à l'introduction, depuis les années 1890, de superphosphate et d'azote pour améliorer la fertilité[348]. À son tour, la Nouvelle-Galles du Sud devint le premier producteur en 1910[348]. Les travaillistes ont libéralisé en 1911 la politique de la Banque agricole créée en 1894. De 1906 à 1911, la production avait sextuplé pour atteindre 160 000 tonnes mais l'acquisitions de terres était devenu un mouvement aux buts spéculatif plutôt que productifs, avec quatre millions d'hectares acquis, donc son administration a changé la donne pour passer de l'aliénation des terres à la production : l'aliénation est retombée à 61 000 hectares en 1915 contre 570 000 hectares en 1912 et les récoltes de blé ont triplé.

La construction des chemins de fer a été renforcée par une politique volontariste, tandis que les agriculteurs s'installant dans la ceinture de blé de l'Est ont bénéficié d'une expertise technique, tandis qu'un impôt progressif sur le revenu a été introduit. John Scaddan (en) a conservé le gouvernement de l'Australie-Occidentale lors des élections du pour élire les 50 membres de l'Assemblée législative d'Australie-Occidentale, qui ont vu l'émergence du Western Australian Country Party, fondé lors d'une conférence des fermiers et des colons de la Farmers and Settlers Association en 1913 pour défendre les intérêts ruraux, qui a gagné huit sièges.

Une grave sécheresse en 1914 et la Première Guerre mondiale[333] ont interrompu la croissance de la production agricole de blé, qui est retombée de 80 % en une année[333]. Mais l'augmentation de 90 % du prix de blé entre 1914 et 1920 a réussi à éviter à l'industrie céréalière un déclin majeur[333]. Scaddan a pensé que l'Australie-Occidentale pourrait construire un système ferroviaire qui était trop grand pour ses exportations. Les lignes ouvertes pour le trafic céréalier ont été principalement placées dans la ceinture de blé d'Yuna et Ajana, au nord de Geraldton à Gnowangerup. Les chemins de fer du Sud ont pénétré vers l'est de Wagin Katanning et Tambellup. Plus au nord la ligne des collines Wongan Mullewa est achevée plus tard, fournissant un chemin de fer gouvernemental de Perth à Geraldton.

L'expansion du blé australien se poursuivra lors de la décennie suivante, malgré une baisse des prix au cours de sa seconde partie[333], qui n'empêche pas l'extension des surfaces cultivées[333], y compris dans des zones à trop forte salinité[333], ce qui a ensuite entraîné des problèmes d'érosion. Dans les années 1920, les exportations de blé australien vers l'Afrique du Sud atteindront en moyenne 150 000 tonnes par an, entièrement expédiées par le transport maritime à la demande, par un navire de commerce non affecté à une ligne régulière, forme de colportage de port en port[349].

Doublement des surfaces cultivées le long du Danube en Roumanie
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Au début du XXe siècle, la Roumanie était déjà le deuxième exportateur de céréales en Europe, après la Russie et ses ports en relation intense avec Marseille. La Roumanie est ensuite mise à contribution par les autres pays européens pendant la Première Guerre mondiale : la production totale des céréales y a quasiment doublé en une décennie pour avoisiner 120 millions de quintaux en 1921 contre 60 millions en 1910[350].

Les céréales sont alors cultivées en Roumanie sur plus de 100 000 km2, dont 25 000 km2 pour la Bessarabie qui a le plus contribué à doubler en dix ans l'étendue cultivée, mais dont les rendements sont médiocres. Les parties les plus riches de la zone agricole occupée par le Banat et le département d'Arad, autre contributrice à l'expansion des années 1910 sont situées en Yougoslavie et en Hongrie[350].

Le maïs, introduit à l'époque ottomane, pèse un tiers du total de la production roumaine de céréales, en 1921 comme en 1910 et la bouillie de maïs mamaliga constitue encore la base de la nourriture du paysan roumain. Mais le maïs souffre quand les pluies de printemps sont insuffisantes et l'été trop humide. Sur les terres des colons allemands et bulgares, le blé l'emporte.

Les rendements sont faibles en Transylvanie malgré la fertilité du sol, tandis que le blé ne donne pas en moyenne plus de 13 hectolitres par hectare en Bessarabie, où seuls les grands propriétaires utilisaient les machines russes. Le sol est mieux cultivé dans le Banat et la plaine d'Arad, où les rendements sont supérieurs (15 à 18 hectolitres par hectare) à ceux de la Valachie et de la Moldavie méridionale[350]. Les engrais chimiques permettent au Banat ses rendements élevés. La variabilité extrême des récoltes affaiblit la Roumanie. Les ensemencements peuvent être très réduits par un automne trop sec et un hiver précoce[350].

Années 1920

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Après la guerre de 14-18, lorsque les États européens ont repris leur production normale, les cours mondiaux ont chuté[335]. Ainsi, {citation|à partir d'un pic de 2,85 dollars par boisseau en septembre 1920, le prix du blé a commencé une lente baisse, jusqu'à moins d'un dollar le boisseau à la fin de 1923[351]. Cette fin de la stabilité des prix de 1919-1920 a confirmé l'agriculteur dans ses soupçons envers le marché privé.

Le Canada résiste à cette chute grâce au Pool du blé canadien, qui assure la moitié des exportations de céréales dans le Monde en 1925[326], avant de céder un peu de terrain à l'Australie lors de la seconde moitié des années 1920[326]. C'est surtout au cours de la première moitié des années 1920 que le géant Canadien progresse : il fait plus que doubler sa part de marché[326]. Au Canada, une lutte très âpre oppose alors les partisans de l'intervention inconditionnelle de l'État à ceux qui croient beaucoup plus à l'efficacité d'un système libre et privé[326].

Aux États-Unis, pays à régime libéral, vingt-cinq ans de tâtonnements des expériences d'économie dirigée ont caractérisé l'intervention de l'État dans ce domaine de la commercialisation des céréales[326], avec des succès mitigés jusqu'à la Seconde Guerre mondiale[326] pendant laquelle le dirigisme l'emporte nettement.

Les grands intermédiaires coopératifs ou privés qui sont montés en puissance pendant la Première Guerre mondiale doivent alors gérer la surproduction[335]. Le marché mondial est en effet marqué par la rationalisation du commerce par de vastes coopératives qui ont imposé une classification simple des espèces et simplifié le transport et la distribution[335]. La « Canadian Cooperative » faisait les cinq septièmes de l'exportation du Canada[335], la coopérative Marketing Policy est puissante en Australie[335]. En Argentine, une maison de négoce française et une autre belge font 60 % à 70 % des exportations[335].

Krach du début des années 1920

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Parmi les expériences d'économie planifiée de la Première Guerre mondiale, la création du Board of Grain Commissioners en 1912, remplacé en 1917 par le Board of Grain Supervisors, qui possédait un monopole sur l'achat de blé lui permettant de fixer des prix uniformes dans le pays, sur un marché jusque-là dominé par la Canadian Pacific Railway et les grandes firmes de négoce du Winnipeg Grain Exchange. Ces géants négociaient les prix du blé en position de force, contraignant les agriculteurs à accepter des baisses importantes. Mais dès la dissolution de la Commission des superviseurs, le prix du blé chute de près des deux tiers en trois ans, de 2,85 dollars le boisseau en 1920 à moins d'un dollar à la fin 1923, dans le contexte général de baisse des prix du blé du début des années 1920.

Des coopératives d'achats, créées sur le modèle de l'United Grain Growers de 1906, avec des subventions publiques, échouent à enrayer cette chute des prix puis sont emportées par la crise de 1929. Le gouvernement fédéral canadien décide alors de ressusciter le Board of Grain Commissioners de la Première Guerre mondiale : il fonde en 1935, la Commission canadienne du blé. Basée à Winnipeg (Manitoba), elle a pour mission d'égaliser les conditions de concurrence et commercialisation pour tous les producteurs issus des « Prairies » : Alberta, Saskatchewan, Manitoba et une partie de la Colombie-Britannique. Les 75 000 céréaliculteurs recevaient un paiement intérimaire et un paiement final qui dépendait des prix et des ventes totaux. En 1943, la Loi sur les mesures de guerre oblige les céréaliers à adhérer à la Commission, chargée du contrôle des prix de nombreuses autres grandes cultures : maïs, tournesol, etc.

Pool canadien du blé, prix garantis et stockage démocratisé

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En 1919, une commission est créée pour commercialiser la récolte de blé de l'année[336], qui semblait plus difficile du fait de la fin de la guerre. Le port de Montréal atteint un fret de trois millions de tonnes en 1919. Ensuite, même si le gouvernement n’avait envisagé cette Commission qu’à titre de mesure de guerre, les agriculteurs demandent au début des années 1920 le rétablissement de cet organisme de commercialisation[336].

À partir de l'automne de 1922, les fermiers canadiens se groupent en organisations fédérant leurs coopératives[352], d'Alberta, du Saskatchewan et du Manitoba, qui forment à l'automne de 1924 la « Canadian Cooperative Wheat Producers Ltd »[353], appelé aussi Pool canadien du blé, afin de tirer parti en commun de leur poids sur le marché. Selon l'économiste et sociologue québécois Esdras Minville, qui aida plus tard à fonder plusieurs coopératives dans la province de Québec, le fonctionnement du pool du blé montre comment la coopération peut être un outil extrêmement sûr et efficace dans le développement économique[354]. La Central Selling Agency, organisme central, est fondée par trois entreprises de stockage de céréales, un pour chacune des trois provinces céréalières de l'ouest, qui fédèrent quasiment toutes les coopératives et mettent en commun leurs contacts, afin de mieux exporter leur blé et recourir à des emprunts bancaires[336]. Le Pool canadien du blé devient un acteur redouté par sa force de frappe sur le marché mondial, et parfois considéré comme un cartel[355], grâce à des capacités énormes de stockage et de transport. Le Pool canadien du blé regroupe 140 000 adhérents[356], commercialise au milieu des années 1920 de 51 % à 53 % des récoltes, puis 70 % en 1929[343], qui près lui-même la moitié du commerce mondial du blé dès 1925. Pool Canadien du Blé vend sur les Bourses aux grains de Winnipeg et Calgary[356] mais surtout sur les marchés étrangers[356], les deux-cinquièmes des exportations passant entre ses mains[356]. La part de l'Angleterre dans les exportations de blé canadiennes passe de 89 % en 1909 à 72 % en 1925 et 59 % en 1931[352]. Les États-Unis sont de leur côté évincés du marché, leur part chutant dès le début des années 1920 : de 1920 à 1929, le Canada fournit 63 % des exportations du blé en provenance de l'Amérique du Nord[352]. Le « Pool » est solidement soutenu politiquement : John Archibald Maharg, président de la Saskatchewan Grain Growers' Association est dès 1921, ministre provincial de l'agriculture. et lors de l'élection générale albertaine de 1921, l'United Farmers of Alberta fait élire 38 députés sur 45 présentés, formant un gouvernement majoritaire qui chasse le Parti libéral de l'Alberta du pouvoir.

Le Pool canadien du blé met aussi en avant une participation des fermiers aux élections pour ses instances de direction[356]. Le Pool canadien du blé signe avec le fermier un contrat sur cinq ans qui permet à ce dernier de préfinancer sa récolte via un paiement initial, le complément étant assuré en fonction de l'État du marché. Du coup, le fermier bénéficie d'un prix garanti sur une partie de son offre[343]. Le Pool Canadien du Blé a rapidement contrôlé la moitié des silos-élévateurs à grains, de l'ouest canadien et permis d'étaler la vente des récoltes sur toute l'année[343], voire d'imposer un bras de fer aux importateurs dans les moments de faiblesse. Certains auteurs estiment qu'ils n'ont pas obtenu de prix plus élevés que ceux du marché à terme mais c'est déjà un succès pour leurs 140 000 membres habitués jusque là à recevoir beaucoup moins que les négociants et spéculateurs : ils deviennent copropriétaires de silos à grande échelle. Le PIB du Canada est alors stimulé par une augmentation rapide des exportations, qui passent de 3,5 milliards de dollars en 1921 à 6,1 milliards en 1929[357]. En 1926, le blé devint la première source du commerce extérieur et assure plus de 71 % des revenus de la population des Prairies[352].

Le Pool canadien du blé va inspirer le développement des coopératives dans d'autres pays, en France dès 1924, puis les systèmes de prix garantis de la seconde partie du XXe siècle. Revers de la médaille, ce sont les contribuables qui se répartissent les pertes : dès 1930, les pools connurent un déficit de 24,3 millions de dollars canadiens et les gouvernements provinciaux couvrirent le déficit[352]. L'assurance d'un prix garanti et l'espoir de versements additionnels amène les producteurs à ne considérer que le marché contrôlé et se lancer dans la surproduction. La grande crise de 1929 voit leurs revenus agricoles diminuer de 94 % entre 1929 et 1933[352] alors que l'accumulation des stocks à partir de 1924 aurait pu laisser entrevoir la gravité du problème[352]. Le prix du blé tomba à seulement 42 cents le boisseau en 1932 mais les superficies emblavées restèrent à la hausse. Les revenus des producteurs passèrent de 441 millions de dollars canadiens en 1928 à 90 millions en 1931, 109 millions en 1933 et 142 millions en 1935, soit trois fois moins qu'en 1928[352].

Création de l'AGPB, ferment du mouvement coopératif céréalier en France

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Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le contrôle des importations devient le levier principal de la politique céréalière nationale[358]. L'Association des producteurs de blé des régions Nord et parisienne(APBRNP) fédère 13 départements parmi les plus gros producteurs de blé qui pèsent 31 % des récoltes françaises et devient l’Association générale des producteurs de blé (AGPB) en mai 1924[358]. Ses fondateurs sont fortement engagés dans des actions techniques : René Aubergé, premier président de l’AGPB (1924-1926), Georges Rémond, deuxième président de l'AGPB (de 1927 à 1934), comme Pierre Hallé, premier secrétaire de l'AGPB, sont tous trois d’anciens élèves de l'Institut national agronomique[358], facilitant ainsi les relations de travail avec les responsables des Services agricoles dans les départements[358]. L'AGPB est animée par des agriculteurs issus de régions agricoles plutôt favorisées, et se pose en porte-parole de grandes exploitations, où la main d’œuvre agricole est une part importante des coûts de production[358]. La multiplication des fraudes amène l'AGPB à proposer au ministère de l'Agriculture d'assurer, sous sa tutelle, l'organisation du contrôle de ces fraudes[358].

Après une récolte record en 1929, les stocks de blé s'accumulent, causant la chute des cours. L'AGPB s'engage avec quelques coopératives céréalières proches de sa mouvance dans une action d'exportation directe de blé, renforçant sa crédibilité auprès des pouvoirs publics[358]. De 1928 à 1935, le nombre de coopératives céréalières passe de 74 à 650[358]. Les responsables locaux des coopératives sont souvent membres de l'AGPB et le mouvement coopératif céréalier participe statutairement à 20 % du budget de AGPB[358].

Projet d'union douanière européenne dans les années 1920

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Les pays européens se placent de nouveau à l'abri d'union douanière dans les années 1920[122] et deviennent autosuffisants[122]. Louis Loucheur, ministre français du Commerce et de l'Industrie siège au « comité économique Pan-Europe » et veut une « identité économique européenne », gage d'un renforcement du vieux continent face aux États-Unis. En 1927, il anime les travaux de la Conférence économique de Genève puis participe en 1930 à la conférence de l'Union douanière de Paris[359].

Dès avril 1924[360], un comité international est mis sur pied par Edgar Stern-Rubarth[361], qui deviendra directeur de l'Agence Continentale à partir de mai 1925. Son appel en ce sens, relayé par Charles Gide, Norman Angell et l'économiste hongrois Elemér Hantos, ancien secrétaire d'État dans son pays, ce qui se traduit rapidement par la création de sections locales dans 19 pays[360]. La section française réunit des personnalités liées à l'Union Paneuropéenne, comme Aristide Briand, Louis Loucheur ou Édouard Herriot[360]. Présidée par Charles Gide et Elemér Hantos, la direction de ce mouvement, qui se dénomme l'Union douanière, publie des revues en Allemagne, en France et aux Pays-Bas[360].

Le projet de cette « l'Union douanière », régionale, entre la France, l’Allemagne et les pays voisins, doublée d'une Union douanière en Europe centrale[362], fait baisser les prix des quatre "nouveaux pays" exportateurs de céréales, Australie, Argentine, Canada et États-Unis, qui sont les plus visés[122].

Pénurie de riz en Asie après la Première Guerre mondiale et lobby birman

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Après la Première Guerre mondiale, des émeutes causées par le prix élevé du riz ont lieu en Malaisie en juin 1919[363] en raison d'un cours triplé en peu de temps[363], sur fond de stocks constitués par les spéculateurs pour profiter de subventions représentant 42 % du prix d'achat[363], et les autorités doivent prendre en main le marché dans toutes ses dimensions, exportation et distribution[363], tandis que le gouvernement des Indes anglaises réussit à stabiliser les cours en limitant les importations, jugées trop importantes, de riz birman[363].

Les exportations birmanes ont commencé aux environs de 1830. De 0,7 million de quintaux à cette époque, elles sont passées à 19 millions de quintaux en 1900, puis 20 millions de quintaux après la Première Guerre mondiale, dirigées pour plus des deux tiers vers les Indes anglaises et les pays de l'Extrême-Orient, qui réclament surtout des riz bon marché, le dernier tiers étant expédié vers l'Europe (Allemagne, Hollande, Royaume-Uni). En novembre 1920, le retour à la quasi-normale des prix du riz[363] permet d'alléger les contrôles sur le riz birman un an plus tard, c'est même le retour à un marché entièrement libre, en décembre 1921[363], sous la pression des lobbys constitués dans la capitale birmane[363].

Tout le commerce du riz birman est dans les mains du « Bullenger Pool », une association de grandes sociétés rizicoles, constituée en 1921[1] à Londres, qui est très actif sur le marché allemand, où il a même installé une industrie de la rizerie à Hambourg[363]. Le « Bullenger Pool » regroupe les quatre principaux exportateurs birmans, qui contrôlent un quart de l'offre de riz birman.

Des règles plus sévères sur le marché à terme américain en 1923

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Alors que le marché à terme américain de Chicago avait été fermé en 1917, tout comme son homologue canadien de Winnipeg, de nouvelles mesures de contrôle sont prises six ans après. Le Congrès américain étend les mesures protectionnistes en 1922 par le Fordney-Mc Cumber Act, ensuite défendu sous la houlette du ministre de l'Agriculture américain de 1924 à 1928, William Jardine, qui rétablit sur le blé, le maïs, la viande, la laine, le sucre, des droits douaniers analogues à ceux de l'ancien tarif Payne. En 1923, le prix du blé s'enflamme, après avoir chuté pendant trois ans, et William Jardine, exige une enquête[220]. Il apparaît que les spéculateurs du Chicago Board of Trade ont fait flamber les prix via une entente[220]. Pour sauver leur indépendance, les 800 membres du Chicago Board of Trade devront prendre de sévères mesures[220] : les mouvements des traders seront désormais publics et contrôlés via une nouvelle chambre de compensation[220].

Années 1930

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Les États interviennent pour réguler l'énorme marché mondial du blé qui a émergé à l'issue des années 1920 et contre le Krach de 1929. Un Indian Council of Agricultural Research est fondé dès 1929. Il est suivi par : l'Agricultural Adjustment Act, socle du New Deal du président américain Franklin Delano Roosevelt en 1933[364] ;

Face à la surproduction chronique de céréales et aux faibles prix, l'Accord international sur le blé de 1933 organise la première réduction concertée de l'offre mondiale. Dès 1927, c'était l'objectif du Canada, qui a depuis 1925 la moitié du commerce mondial du blé et organisé le Pool canadien du blé et le président américain Roosevelt appuie son orientation volontariste en 1933, alors que les pays européens sont plus divisés : la France est à l'abri d'une série de lois douanières[335], générant des prix plus élevés qu'en Belgique[335] alors l'Angleterre ne cultive plus en 1935 que 756 000 hectares de blé, huit fois moins que les 5,3 millions d'hectares français[335].

Nouvelles routes des grands navires céréaliers

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Route suivie par le HBRY et ses divers embranchements.
 
Port de Churchill

Le 29 mars 1929, le Canada achève le chemin de fer de la Baie d'Hudson, victoire pour les fermiers des Prairies qui souhaitaient depuis longtemps avoir accès à la baie d'Hudson. Le port servira surtout à la Commission canadienne du blé (90 % du trafic). Grâce au blé du grand nord canadien, au milieu des années 1930, l'Angleterre est le plus gros pays importateur de blé au Monde, avec 6 millions de tonnes[285], dont la moitié vient du Canada[285]. Le marché mondial génère alors un trafic énorme, toute l'année. Fin août et septembre, un puissant fleuve de blé arrive de Montréal et New York vers Liverpool, Londres, Hambourg, Anvers, et Rotterdam[285]. Les cargos se hâtent de quitter aussi le port de Churchill, sur les rives de la Baie d'Hudson, dans le Manitoba, avant que les glaces ne les bloquent[285].

Un second flux de cargos céréalier, navires vraquier spécialisé dans le transport de céréales, qui prendront bientôt la taille moyenne, dite Panamax, va de Bahía Blanca, Rosario, Buenos Aires vers l'Europe occidentale qu'il ravitaille en décembre et janvier. Un troisième part de Melbourne fin janvier, puis une flottille de voiliers quitte en février ou mars le golfe Spencer pour apporter en trois mois à Londres, par le Cap Horn, le blé ensaché. Les navires céréaliers traversent aussi l'océan Indien, de Karachi vers l'Angleterre. De grandes routes du blé traversent aussi la mer Noire, des ports du Danube (Braïa et Galatz[285]) vers Rotterdam et Anvers[285] et surtout de celui Nikolaïevsk, où l'URSS a fait construire le plus grand des Silos-élévateurs à grains, d'Europe[285], mais également la Méditerranée, de l'Afrique du Nord vers Marseille, Gênes et Naples[285].

L'ancêtre de la FAO et les botanistes alertent sur la diversité génétique

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En 1927, la question de la conservation des semences de variétés de céréales « de pays » fait l'objet de réflexions soutenues lors du congrès international d'agriculture, organisé à Rome par l'Institut agronomique international, précurseur de la FAO. Les agronomes y expliquent que les sélectionneurs seront victimes d'une diversité génétique trop réduite pour renouveler les semences : des recommandent de conserver les variétés anciennes, par les paysans eux-mêmes, ou dans des écoles. Le travail de Nikolaï Vavilov, issu de la brillante génération de généticiens (Philipchenko, Serebrovsky, Timoféef-Ressowsky, Dobzhansky…) qui dominèrent la biologie soviétique dans les années 1920[365], commence à porter timidement ses fruits.

Ces réflexions s'accélèrent lors de la crise des années 1930. Mais seule l'Autriche prend des mesures et seulement pour quelques années. Aux États-Unis, les botanistes Harry Harlan et Mary Martini lancent en 1936 un appel à la conservation des semences[365], qui aura un écho important chez les agronomes, mais chez les diplomates, l’heure est plutôt à l’exaltation des promesses de la génétique[365]. La disparition d’une partie des ressources génétiques par remplacement de variétés traditionnelles restera même négligée par la jeune Organisation des Nations unies[365]. Pourtant, en 1940, la collection de l'Institut Vavilov à Léningrad a déjà réuni un total de 250 000 accessions, dont 30 000 pour le blé[365]. L'Institut Vavilov facilite ainsi une "pensée géographique"[365] des gènes agricoles, de leur répartition et de leur diversité[365], sur la base du concept de « centres d’origine », zones de domestication d’une plante, plus riche en diversité[365]. Lors du siège de Léningrad par les nazis[366], le personnel de la banque de gènes de l'Institut Vavilov prèfère souffrir de la faim que manger les graines dont il assure la garde[367] [94] et neuf d'entre eux en périssent.

L'appel d'Harry Harlan et Mary Martini[365] sera repris beaucoup plus tard au sein de l'"International Biological Program" de 1964 à 1974[368]. Le Code international pour la nomenclature des plantes cultivées considère cependant qu'une variété de céréales « de pays » n'est ni assez uniforme ni suffisamment stable pour avoir un statut de cultivar.

Le blé talonne le riz à l'échelle mondiale

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Après la très forte expansion des années 1920, la production mondiale de blé approche de 125 millions de tonnes[369], plus très loin 138 millions de tonnes de riz, nourriture, parfois exclusive, de plus du quart de l'humanité[335]. L'expansion du blé est surtout territoriale : sa superficie cultivée atteint 133 millions d'hectares en 1935, deux fois et demie les 55 millions d'hectares de riz[335]. Le blé a chassé la végétation naturelle des graminées de la prairie américaine, de la pampa argentine, et de la steppe russe[335]. L'homme a pu adapter à des conditions de climat très variées en sélectionnant les espèces, autour de deux axes :

L'Agence agricole et les lois du président Roosevelt après la crise de 1929

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La Grande Dépression subit la déflation agricole des années 1930, causée par la crise de 1929. Le 12 mai 1933 l'Agricultural Adjustment Act, est voté en plein New Deal du président américain Franklin Delano Roosevelt[364], sous le conseillé par Henry Wallace. Il crée l'Agricultural Adjustment Administration, agence chargée du contrôle du versement des subventions et de redonner de la valeur aux récoltes des |15 millions d'agriculteurs américains, proches de la ruine[364],[370].

La crise est aggravée par le Dust Bowl (« Bol de poussière »), combinaison des tempêtes de poussière et sécheresse, qui dévaste les récoltes et provoque l'érosion des grandes plaines durant une dizaine d'années, jetant des milliers de fermiers sur les routes, en direction de l'ouest. Dans Les Raisins de la colère, le romancier John Steinbeck décrit de façon poignante cette période de l'histoire américaine. La crise écologique provoquée par le Dust Bowl conduisit le gouvernement américain à créer le Soil Conservation Service (en), appelé aujourd'hui Natural Resources Conservation Service (en), organisme chargé de la sauvegarde des ressources naturelles.

La loi de 1933, qui s'inspire de lois canadiennes de la décennie précédente, exige des crédits à faible taux et des indemnités compensatrices[364] pour les agriculteurs acceptant de ne pas cultiver une partie de leurs terres, afin de réduire l'offre pour déclencher une hausse des prix des productions agricoles. C'est la période où ont été créés les premiers programmes en faveur des fermiers, en particulier des céréaliers[327].

Les modalités d'intervention du gouvernement évolueront, mais trois catégories de produits vont continuer à relever chacune d'un traitement distinct :

  • les grandes cultures bénéficient d'aides directes octroyées sous certaines conditions (céréales, coton) ;
  • les produits soutenus au moyen de prix garantis (sucre, lait, oléagineux) et, le cas échéant, de protections aux frontières relativement élevées (sucre, lait) ;
  • les productions ne bénéficiant pas d'aides directes ni de prix garantis, mais pour lesquelles des formes particulières d'intervention publique sont éventuellement prévues (viandes, fruits et légumes, etc.).

Accord international sur le blé de 1933

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La négociation de l'Accord international sur le blé de 1933 a été précédée de six années de négociations. Dès la conférence économique internationale à Genève en 1927, les producteurs de céréales manifestent pour la première fois leur volonté de coopérer à la régulation de l'offre et des prix mondiaux. Une première conférence céréalière eut lieu à Londres en mai 1931. Les participants y approuvent le principe d'une réduction des emblavures dans les pays producteurs. En 1933, dans plusieurs pays producteurs des lois protectionnistes et interventionnistes voient le jour. La France vote ainsi le 26 janvier une loi de « défense du marché du blé » qui prévoit un mécanisme de stock régulateur pour faire rebondir les cours en cas de baisse[371] et le 14 avril, une autre loi autorise le ministère de l'agriculture à lutter contre les excédents en créant des primes pour inciter les céréaliers français à viser de nouveaux marchés comme l'alimentation animale.

La Société des nations a organisé cette année-là un très important sommet économique et monétaire à Londres en vue de régler les problèmes d'endettement, de protections commerciales douanières et de stabilité des monnaies, qui lui semblaient interdépendants[372]. Les représentants des pays producteurs y relancent l'idée d'un accord international sur le blé. Il est conclu le 25 août 1933, entre 9 pays exportateurs et 13 pays importateurs[372], soit quasiment tous les participants aux échanges internationaux de blé. Ils ont amendé et affiné un texte prévoyant le contingentement de la production et des exportations en vue de stabiliser le prix mondial[372] et d'éviter qu'une course aux exportations, subventionnées ne provoque une surproduction. Le Canada a joué un rôle prépondérant dans ce premier Accord international, car les quatre principaux exportateurs (États-Unis, Canada, Australie et Argentine)[372] acceptent tous de réduire leurs exportations de 15 %, sacrifice coûteux. Le nouveau président américain Roosevelt souhaite en particulier provoquer une hausse du prix du blé[372]. En contrepartie, les pays importateurs s'engagent à éviter une augmentation de leur propre production.

Le texte final institue des quotas à l'exportation en fonction du volume estimé des importations, pour 1933-1934, soit 15,2 millions de tonnes. Il a par exemple prévu pour les États-Unis, un plafond de 48 millions de boisseaux. Il précise que si le blé atteint un certain prix, calculé par rapport à l'or, et s'y maintient pendant plus de seize semaines, les pays importateurs doivent abaisser leurs droits de douane, afin que leurs propres producteurs ne soient pas encouragés à ensemencer davantage de blé. Même si ce premier accord n'a duré que peu de temps, il sert de modèle à ceux adoptés après la guerre, sous l'égide de l'ONU[372], qui ont préfiguré les premières négociations sur le GATT[372].

Malgré l'enthousiasme qu'il suscite, l'Accord international sur le blé de 1933 – qui portera progressivement sur toutes les céréales – va rencontrer des difficultés croissantes. Au lieu d'augmenter, le prix du blé baisse, même s'il s'établit sur les marchés américains à un niveau bien supérieur à celui du marché international, les exportations américaines diminuant.

Ce n'est pas le cas de tous les pays : l'Argentine, faute de disposer des capacités de stockage suffisantes, ne parvient pas à respecter son contingent d‟exportation et le dépasse même d‟un million de tonnes dès l'exercice agricole 1933-1934. La « Décennie infâme » des années 1930 est marquée par la corruption des gouvernements militaires argentins, issus d'un putsch en 1930, qui pensent compenser la baisse mondiale des prix agricoles par la préférence pour l'élevage intensif des grands propriétaires.

Contrairement à leurs engagements, les pays importateurs n'abaissent pas leurs droits de douane : les dispositions prévoyant une réduction de la production de 15 % des pays exportateurs restent donc lettre morte. De nombreux accords conclus pendant et après la dépression des années 1930 se préoccupent moins de réduire la variabilité des prix autour de leur tendance générale que de ne pas les laisser tomber en dessous d'un certain niveau[373]. L'influence que la variabilité des rendements et de la production agricole exerce sur celle des prix et des revenus n'a en général pas été modifiée par ce genre d'accord[373], même si la moyenne générale des prix semble soutenue par l'attention accordée par les signataires au prix plancher qu'ils semblent déterminés à défendre[373]. Malgré les échecs cumulatifs qui suivent, le comité consultatif sur le blé et le secrétariat mis en place par l'Accord international sur le blé de 1933 sont chargés de faire un rapport sur la situation mondiale du blé et de préparer un nouvel accord.

Après 1936 en France, l'ONIB/ONIC et la régulation des excédents

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Le 15 août 1936, le Front populaire créé l'Office national interprofessionnel du blé (ONIB), confié de 1936 à 1940 à Henri Patizel, président de la coopérative agricole de stockage et de meunerie de l’arrondissement de Vitry-le-François. Dans une France encore à 50 % rurale, il faut garantir des revenus stables aux producteurs, par une politique dirigiste de prix[358]. Placé sous contrôle ministériel, l'ONIC a le monopole de l'exportation et de l'importation du blé comme de la farine, afin de prévenir les colères paysannes. Fermiers, coopératives, minotiers, intermédiaires et consommateurs doivent s'y concerter, pour trouver un « juste prix ». Faute d'accord, le gouvernement décide, les deux premières années. Un sénateur de droite, Charles Desjardins, dénonce « le plus beau monument d'organisation marxiste que l'on connaisse ». La mise en place de l'ONIB, suscite aussi des frictions entre responsables céréaliers et gouvernement sur leur pouvoir effectif dans le fonctionnement de l’ONIB[358]. Mais les effets positifs de la stabilisation des prix et la quasi-résolution du problème du financement des campagnes céréalières[358] se font rapidement sentir auprès des producteurs[358].

L'ONIB ne détient pas seulement le monopole de l'importation et de l'exportation du blé[358], mais aussi de son achat via des « organismes stockeurs » : coopératives ou négociants agréés, ce qui accélère l’émergence de nouvelles coopératives céréalières[358]. En 1939, l’ONIB recense 1 238 coopératives de céréales, d'une capacité de stockage de vingt millions de quintaux[299]. L’Union syndicale des groupements agricoles et l’Union nationale des coopératives de vente et de transformation du blé sont dissoutes et fusionnées de force sous Pétain[299], qui rebaptise l'ONIB en ONIC (Office national interprofessionnel des céréales), futur Office national interprofessionnel des grandes cultures. La loi du 2 décembre 1940, dite « Charte paysanne », créé la Corporation nationale paysanne, menée par Jacques Le Roy Ladurie et Louis Salleron[299].

La Seconde Guerre mondiale puis la libération de la France rendent incontournable l'ONIC, qui fixera le prix du blé jusqu'en 1953. Ensuite, il accompagne la mise en place de la politique agricole commune, finalisée en 1962 par des mécanismes d'intervention sur le marché, qui coûtent cher mais offrent une visibilité aux grandes exploitations céréalières de Beauce et de Brie, modernes, compétitives et largement exportatrices, à une époque où la France veut des devises, car le système monétaire mondial explose dès 1971.

Grandes famines de la collectivisation agricole en URSS

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Entre la fin de 1932 et l’été de 1933, la faim fit en URSS près de sept fois plus de victimes que la Grande Terreur de 1937-1938, en deux fois moins de temps, car elle s'ajouta à une série de famines qui avaient débuté en 1931 et aux mauvaises conditions météorologiques de 1932[374]. La collectivisation agricole forcée de 1929 en URSS et sa conséquence, la grande famine en Ukraine, la plus grave de l’histoire soviétique, se traduisent par une offensive lancée par Staline contre de prétendus koulaks accusés de stocker leur production pour faire monter les prix, des négociants accusés de se livrer à la spéculation, et de prétendus saboteurs accusés d'œuvrer pour des réseaux contre-révolutionnaires ou pour les puissances impérialistes[375]. Staline veut imposer un développement rapide de l'industrie, financé par l'exportation de céréales et donc une hausse rapide des rendements agricoles, censée être obtenue par la collectivisation : le kolkhoze devient l'unité de base de production, via l'expropriation des paysans et notamment des plus prospères d'entre eux, tout particulièrement dans les régions les plus fertiles comme celles d'Ukraine[374], qui font l'objet de prélèvements si lourds que les paysans craignent pour leur survie et sont incités à cacher des réserves. Peu à peu, un pogrom est dirigé par l’État contre l’élite paysanne[374]. Les routes qui menaient aux villes ukrainiennes, misérables mais mieux approvisionnées que les campagnes[374], furent entourées de barrages de police anti-paysans[374]. En quelques mois, des centaines de milliers de paysans sont arrêtés, et plus de deux millions d'entre eux déportés[376],[377]. Le taux de mortalité annuel pour mille habitants dans les campagnes, égal à 100 en 1926, sauta à 188,1 en 1933 dans l’ensemble du pays[374].

Les principales agglomérations de la Russie subissent elles aussi d'importantes pénuries, tandis que l'Ukraine doit faire face à une première grave disette pendant l'hiver 1928-1929. Parallèlement, la Grande Dépression, qui frappe les économies capitalistes s'aggrave et la république de Weimar, principale e partenaire commerciale, met en œuvre des politiques protectionnistes qui se traduisent par une dégradation des termes de l'échange : les exportations russes, censées augmenter, diminuent en fait de 22 %[378]. La collectivisation, fondée sur l’importation de matériel industriel, aboutit à un échec et Staline l'interrompt, mais trop tard. Entre mai et juillet 1932, il prend une série de mesures de concessions envers les paysans[379], mais il faudra attendre 1933 pour que les approvisionnements s'intentisifient. Les administrations de 250 kolkhozes sont dissoutes, et 146 Raions sur les 484 d'Ukraine connaissent des purges. Molotov, Kaganovič et Postyšev furent envoyés respectivement en Ukraine, dans le Caucase du Nord et dans le bassin de la Volga pour tenter de redresser la situation[374].

En Ukraine, l'État collecte 30 % de la production céréalière dès 1930, puis 42 % en 1931, année d'une mauvaise récolte, une succession d'événements qui conduisent l'Ukraine à un début de famine de mai à juillet 1932, pendant la période de « soudure » entre deux récoltes. Moscou ne consent à envoyer que 107 000 tonnes d'aides alimentaires au printemps 1932, après que les premiers cas de famine ont été déclarés[380], dans un contexte de pénurie généralisée en Union soviétique, causée par les décisions des dirigeants, qui ont largement surestimé la récolte de 1931-1932.

Le plan de collecte prévoyait une récolte de 99 millions de tonnes, après coup évaluée à 705 millions de tonnes par le commissariat à l'agriculture, des travaux contemporains suggérant même que la récolte réelle a probablement été comprise entre 57 et 65 millions de tonnes. En Ukraine, l'État parviendra finalement à réquisitionner 7,3 millions de tonnes de céréales pour un plan initial de 8 millions de tonnes[381]. La récolte de 1932, quoique très faible, fut cependant plus élevée que celle de 1945 où il n’y eut pas de morts massives imputables à la faim. Le est promulguée la « loi des épis » qui permet de condamner à dix ans de camp ou à la peine de mort « tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste ». De juin 1932 à décembre 1933, 125 000 personnes sont condamnées, dont 5 400 à la peine capitale, certaines pour avoir volé quelques épis de blé ou de seigle dans les champs.

En Ukraine, les victimes de la famine sont des millions, alors que l'URSS exporte près de 3,3 millions de tonnes de céréales entre 1932 et 1933 : 4,8 millions en 1931, puis 1,6 million en 1932 et 1,7 million en 1933[382], même si « seulement » 300 000 tonnes ont été exportées au cours des six premiers mois de 1933, l'essentiel des exportations de 1933 ayant eu lieu après la famine, à la suite de la nouvelle récolte[383]. Ensuite, de janvier à juin 1933, environ 320 000 tonnes de céréales sont envoyées en Ukraine[384]. Les collectes furent cependant insuffisantes dans les régions traditionnellement productrices de céréales [374].

 
Scène de rue à Kharkiv en 1933.

Croissance des surfaces cultivées en riz à la fin des années 1930

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Avant la Seconde Guerre mondiale, le commerce international du riz se caractérise par une faible proportion des quantités exportées par rapport aux quantités produites, moins de 5 % du total[1], ce qui le rend assez marginal avec seulement 17 % environ des quantités totales des céréales exportées[1]. Trois pays : la Birmanie, le Siam et l'Indochine française fournissent à eux seuls 95 % environ des exportations de riz dans le monde[1], si l'on met de côté Formose et la Corée, qui produisent exclusivement pour le Japon. Pour autant, la fin des années 1930 voit un accroissement important des superficies cultivées en riz par rapport à la moyenne quinquennale de 1926-1927 à 1930-1931[1], ce qui fait qu'en 1938, le riz occupe la deuxième place de la production mondiale des céréales, immédiatement après le blé, avec 1 400 millions de quintaux[1] contre 1 500 millions de quintaux pour le blé[1], même si la situation des diverses provinces chinoises, au sein de l'un des plus gros producteurs de riz du monde, est encore mal connue en matières de superficie, rendement à l'hectare, et production[1]. Au cours des années 1930, l'Asie a vendu des quantités croissantes de céréales, blé des Indes ou riz du Siam, qui représentaient 3,3 % des exportations du tiers monde en 1930 et 12 % du total en 1937[385].

Le continent asiatique détient alors environ 95 % des superficies mondiales consacrées au riz[1]. Les Indes anglaises, gros consommateurs, sont de gros importateurs[1], même si elles produisent beaucoup, alors que la Birmanie, au contraire, exporte chaque année d'importantes quantités de riz. Les deux zones représentent alors le tiers de la production mondiale[1], avec des rendements qui varient dans ces deux pays de 14 à 15 quintaux à l'hectare[1] et un nombre de variétés cultivées est extrêmement élevé. De 27 à 28 millions d'hectares avant la Première Guerre mondiale[1], leurs surfaces cultivées sont passées à 33 à 34 millions d'hectares en 1938[1], soit une progression de plus d'un quart en un quart de siècle, une croissance freinées dans les années 1920 par l'importance des cultures de coton, de canne à sucre et de Jute (au Bengale), beaucoup plus rémunératrices.

En 1938 aussi, la Chine bénéficie de rendements nettement plus élevés, 25 quintaux de riz environ à l'hectare[1], grâce à l'investissement dans la préparation des terres, les travaux culturaux, et l'épandage des engrais[1], alors qu'elle consacre un peu plus de 18 millions d'hectares au riz, donnant une production de 480 millions de quintaux[1]. Grâce à des recherches rizicoles toujours très poussées, le Japon a les rendements les plus élevés en Asie, de près de 39 quintaux à l'hectares[1], qui fournissent 123 millions de quintaux sur 3,2 millions d'hectares[1], mais reste un pays importateur de riz, surtout en provenance de Corée et Formose[1]. En Indochine française, le rendement est extrêmement bas : 11 quintaux à l'hectare environ[1], qui produisent 'un peu plus de 63 millions de quintaux sur une superficie de 5,6 millions d'hectares ensemencés[1]. Les recherches confiées à l'Office indochinois du riz, récemment créé, se heurtent alors à de graves problèmes parmi lesquels l'existence dans ces zones de plus de 2 000 variétés différentes de riz[1]. La Cochinchine intervient à peu près exclusivement sur le marché international, grâce à sa très forte production, près de la moitié de toute celle de l'Indochine française[1].

L'autre grand exportateur, avec la Birmanie, est le Siam, dont l'économie repose sur la culture du riz, qui représente 70 % des exportations siamoises totales[1]. En 1937-1938, sur près de 3 millions d'hectares[1], le Siam a récolté 47 millions de quintaux[1], grâce à une amélioration des méthodes culturales et à l'introduction de la culture mécanique qui, notamment dans le sud du pays, a donné de très bons résultats, sous l'impulsion du gouvernement, et grâce à toute une organisation de crédit[1].

Années 1940

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Après la Seconde Guerre mondiale, bien que le Canada ait perdu son rôle de «leader» incontesté, il n'en a pas moins conservé le premier rang du commerce mondial du blé, dont il assure encore 42 % en 1945 après 44 % en 1940[326], tandis que l'Argentine le talonnait dès 1940, avec 21 % du total, grâce aux contrats importants avec l'Espagne franquiste[326]. Mais l'augmentation impressionnante des exportations américaines dès 1945 remet en cause cette domination[326].

Accord secret entre Perón et Franco, pour pallier le déficit céréalier espagnol

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En pleine Décennie infâme, marquée par des coups d’État militaires et avant la fin de la guerre civile espagnole, conflit qui dure du au , l’Argentine reconnaît le gouvernement de Francisco Franco le 25 février 1939. Trois jours plus tard, elle envoie 200 000 tonnes de blé en Espagne. Cette coopération va ensuite continuer. Avant même d’accéder à la présidence, le chef de l'État argentin Juan Perón permet la signature d’un texte permettant à l’Argentine de concéder à l’Espagne un crédit de 30 millions de pesos pour l’achat de céréales[386] : c'est l’accord du 30 avril 1946. Selon l’ambassadeur espagnol à Buenos Aires, il doit « permettre de montrer au monde entier l’amitié qui unit l’Espagne et l’Argentine ». Cependant, à cause des circonstances internationales, le texte de cet accord ne sera jamais publié[386]. Le régime espagnol est en effet l'allié des nazis, qui viennent de perdre la Seconde Guerre mondiale. Et Juan Perón est le premier président de la nation argentine à être élu au suffrage universel.

En septembre 1946, Franco envoie à Buenos Aires une délégation présidée par le secrétaire du Ministère des Affaires étrangères, Tomás Suñer[386], afin de négocier un traité commercial avec l’Argentine, d'une durée de cinq ans, ratifié le 30 octobre 1946[386]. Sa signature donne lieu à une fastueuse cérémonie[386]. L'Espagne obtient un crédit rotatif de 350 millions de pesos pour trois ans et renouvelable pour deux années supplémentaires. Un prêt de 400 millions de pesos lui est également accordé à des conditions avantageuses, pour solder la dette contractée entre les années 1942 et 1946[386]. Ce traité garantit à l’Espagne un minimum de 400 000 tonnes de blé en 1947 et 300 000 en 1948[386]. Pour les années 1949 et 1950, l’Espagne aura la possibilité d’importer jusqu'à 90 % de ses besoins en blé[386]. Des dispositions semblables sont prises pour le maïs avec 120 000 tonnes en 1947, puis environ 100 000 en 1948 et 90 % des besoins espagnols pour les années 1949 et 1950. En août 1949, l’Argentine interrompt à nouveau ses exportations de céréales vers l’Espagne, pourtant touchée par la sécheresse. L’écrivain Gerald Brenan est d’ailleurs frappé par la gravité de la situation lors de sa visite en Espagne en 1949[386]. Par chance, les relations de l'Espagne avec les États-Unis commencent à s’améliorer et elle parvient ainsi à importer plus de 50 000 tonnes de céréales en provenance de la région des Grands Lacs américains[386].

L'Inde recourt à l'irrigation après la pénurie de riz birman en 1943

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De 1943 à 1951, les surfaces irriguées pour cultiver des céréales augmentèrent d'un tiers en Inde[387] pour combattre les risques de récidive de la famine du Bengale de 1943 et ses 3 millions de morts[388]. Tardive, la prise de conscience se traduit par des efforts non négligeables, à partir de 1943[388], pour atteindre l'autosuffisance céréalière, via la campagne Grow more food[388] (« Cultivez plus d'aliments »), encourageant à coloniser et cultiver les terres forestières, même pentues, dans un pays longtemps contraint d'exporter des céréales vers le reste de l'Empire britannique, et qui importait encore du riz de Birmanie à la fin de l'époque coloniale[388]. Il

Mais selon l'économiste Amartya Sen, il n'y avait pas de pénurie globale de riz au Bengale en 1943, les stocks étant même légèrement supérieurs qu'en 1941[389]. C'est l'absence d'indices flagrants d'une mauvaise récolte qui a causé la réponse léthargique des autorités au désastre. Les rumeurs de pénurie ont causé une thésaurisation favorisée par la situation de guerre qui faisait du riz un trop bon investissement, dont les prix avaient déjà doublé l'année précédente. Des millions de personnes sont devenues trop pauvres pour pouvoir se procurer les denrées alimentaires vitales[390].

Le Royaume-Uni retire sa flotte d

’Extrème-Orient après avoir perdu en 1942 la bataille de Singapour contre l'empire du Japon, qui conquiert la Birmanie où les Britanniques avaient encouragé massivement la production de riz dans le delta de l'Irrawaddy et dans l'Arakan, propulsant la Birmanie leader mondial de riz[391] : 15 % du riz indien provient alors de Birmanie, proportion même supérieure au Bengale[392]. Le Royaume-Uni aggrave ensuite l'inflation du riz, par ses approvisionnements militaires.

Dès 1942, afin de limiter la hausse des prix alimentaires à Bombay ou Calcutta, instables politiquement, la capitale coloniale New Delhi bâtit un programme d'achats dans les régions à surplus céréaliers et de redistribution dans les zones déficitaires, en particulier vers Calcutta[388]. Cette organisation des secours intervient beaucoup trop tard, et l'approvisionnement de Calcutta excessivement favorisé aux dépens de celui des campagnes[388]. Les structures de l'État britannique choisissent finalement une politique libérale en espérant que les lois du marché puissent suffire à rétablir l'équilibre[388].

Le nouveau gouvernement indien décide en mars 1949 d'autres mesures comme l'amélioration de la productivité en relançant la campagne Grow more food[393], par la mise en cultures de nouvelles terres, avec comme objectif de réduire en deux un déficit représentant près de 7 % de la consommation annuelle de la nouvelle nation[393].

Crise vietnamienne du riz en 1945

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La famine de 1945 au Viêt Nam cause un million de victimes, d'octobre 1944 à mai 1945, pendant l'invasion japonaise de l'Indochine. Dès la Seconde Guerre mondiale, les changements militaires et économiques ont plongé la partie nord du pays dans la famine. S'y ajoutent des inondations détruisant les récoltes du Tonkin puis une période de sécheresse couplée à des parasites affectant la récolte de 1944-1945, qui ne rapporte que de 800 000 à 850 000 tonnes, pour des besoins courants de 1 100 000 tonnes, puis une inondation pendant les moissons, qui déclenche la crise mais sans alarmer l'administration française, qui la juge banale en pays de mousson[394]. Puis les occupants japonais au Tonkin forcent les paysans à cultiver le jute au lieu du riz, alors que les bombardements des Alliés, rendent son transport du sud vers le nord extrêmement difficile. Le coup de force japonais de 1945 en Indochine déclenche des réquisitions. Dès le 10 mars, les Japonais saisissent toutes les jonques et convois de riz, s'emparant des stocks de Hanoï, Vinh et Bắc Giang[394]. Entre août et décembre 1945, sous le gouvernement de la république démocratique du Viêt Nam dHô Chi Minh, plusieurs digues se rompent, faute d'entretie, inondant les rizières et aggravant encore la famine au nord du territoire vietnamien[394].

Préparation d'un nouvel accord international sur le blé

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Pendant la Seconde Guerre mondiale, les professionnels de la culture des céréales songent à éviter la situation de 1919-1920, qui avait vu un effondrement du marché après le conflit. Entre 1935 et 1938, les excédents céréaliers avaient déjà fondu, mais l'abondance de la récolte mondiale 1938 remit à l'ordre du jour la question des prix et la nécessité de stabiliser le marché, afin de garantir la sécurité des approvisionnements des pays importateurs, souci déjà au cœur de l'Accord international sur le blé de 1933.

À la suite d'une réunion à Londres en 1938, un comité préparatoire se constitue en 1939. Ses travaux furent interrompus par la Seconde Guerre mondiale, mais reprirent en avril 1942. Les représentants des quatre pays exportateurs et du Royaume-Uni adoptèrent un mémorandum d'accord prévoyant la création d'un « conseil international du blé », mis sur pied dès août 1942 à Washington avec 28 membres, le futur Conseil international des céréales. Le texte prévoit aussi un « fonds de secours pour le blé » destiné à être utilisé à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour agir en cas de crise. Les négociateurs des deux parties, exportateurs et importateurs, élaborent aussi un projet de convention, véritable plan de travail pour une future conférence sur le blé, sur un modèle très ambitieux car instituant des stocks de réserve, le contrôle de la production, l'établissement de contingents d'exportation et la réglementation des prix.

Pénurie de pain et de devises avant le Plan Marschall

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Après la Seconde Guerre mondiale, la France s'était retrouvée importatrice nette de céréales[395]. Le pain avait d'abord été rationné à 270 grammes par jour, et l'inflation avait été de 80 % en 1946, année qui connu un été très sec.

Puis au cours de l’hiver 1946-1947, de Nantes à Marseille, le froid est record[396], avec des températures descendant par exemple sous les 11 degrés à Saint-Nazaire [396], gelant l’eau des ports et immobilisant les navires pendant trois jours[396]. Ce froid, qui fait parler aussi d'hiver sibérien, ravage les récoltes en Europe[397] mais gène aussi la circulation des trains et des camions[396], tandis que des congères s’accumulent le long des quais de l’Isère à Grenoble en raison d’un blizzard prolongé[396].

Fin avril 1947, le président du Conseil Paul Ramadier explique le déficit en céréales par les gelées de l'hiver et la non-livraison de blés étrangers[398]. Il interdit de fabriquer de la biscotte ou de la pâtisserie en raison de ce déficit de farine[398], ainsi que l’ouverture des boulangeries au moins un jour par semaine[398]. La France traverse alors une véritable "crise frumentaire"[399].

Dans l’Isère, le préfet Albert Reynier est obligé de lancer un « plan de ravitaillement exceptionnel » [398], incluant une « bataille de la viande »[398], puis il met en scène à la mi-mai un plan de collecte du blé[398].

La situation débouche sur la « crise des paiements extérieurs »[399] de l’été 1947, quand la France est contrainte « d’arrêter ses importations de la zone dollar »[399] et de demander une « aide d’urgence auprès des Etats-Unis »[399], sous la forme d’une aide intérimaire avant une autre aide, celle du Plan Marshall, qui vient à peine d’être suggérée par les États-Unis, en juin, sous la forme d’un plan à long terme.

Le trafic des cartes et des tickets de rationnement se développe[400] et plusieurs corporations utilisent leurs usages et règles spécifiques pour échapper au service du ravitaillement et alimenter le marché noir[400], nourrissant la spéculation, notamment pour le beurre, le lait ou le vin[400]. Le marché du blé est le plus surveillé[401] car le gel a fait chuter la production française de 37 %[401] et la ration quotidienne va tomber à 250 puis 200 grammes par jour contre 500 grammes en 1939[401].

La collecte est défaillante, avec plus de la moitié des 33 millions de quintaux qui échappent au ravitaillement, dont 10 millions pour renforcer l’ensemencement[401]. Le prix des céréales secondaires étant moins contrôlé[401], il est double de celui du blé, causant des aberrations[401].

Yves Farge, ministre du ravitaillement, publie à la fin de 1947 un livre dénonçant « la pusillanimité de la magistrature, la vénalité d’une presse et la solidarité de parti pouvant faire de tout militant hônnete et pur le complice inconscient d’une opération véreuse »[402] Le président du conseil Paul Ramadier lance une « croisade du pain » qui en reste à l’incantation[401]. L’approvisionnement alimentaire, notamment pour la viande mais aussi pour les pains, dans les centres urbains « fluctue au long de l’année au gré de l’élasticité des contrôles publics ». Dans des villes comme Agen, Millau, Dijon et d’autres, les locaux où ils sont effectués sont la cible d’émeutiers qui les jugent trop peu efficaces[403]. Les scandales principaux du ravitaillement concernèrent lait, fruits et primeurs ou vin[404] et avaient commencé dès le début 1946[404].

L’inflation atteindra 60 % sur l’année 1947[405], alors que les gouvernements ont plusieurs fois promis de faire baisser les prix[405] et que les syndicats ont promis de l’aider[405], la CGT mettant par exemple en place 70 « comités de surveillance des prix » [405], mais appelant plus tard dans l’année Ramadier « Ramadiète » [405]. Se disant « indépendant, seul et pauvre »[404], Yves Farge reprend fin 1947 dans son livre, pour évoquer les différents "scandales du vin"[404], sa déposition du 21 mars 1946 devant la commission parlementaire du vin, présidée par UN député des Pyrénées-Orientales[404]. Dès le 9 janvier 1947, des commissions d’assainissement du marché voient le jour dans l’Aveyron [405].

La « réduction persistante des ensemencements, déjà sensible avant la guerre », les a ramené à 5 millions d'hectares en 1938[406] puis seulement 4 millions à l'automne 1945 et 3,8 millions d'hectares ensemencés à l'automne 1946[406], une baisse de près d'un tiers. Mais en plus, environ 1,5 million d'hectares ont en fait gelés par l'hiver sibérien[406] : on est donc proche de 2,3 millions d'hectares[406], moins de la moitié de ce qui fut ensemencée en blé en 1938. Il faudra essayer de remettre des semences nouvelles, tandis que la « pénurie des moyens de production aggrave le problème »[406]. Sur un total de semences estimé à 8 ou 9 millions de quintaux pour l'année suivante[406], le gel fait que la moitié sera retirée du circuit, créant une pénurie « immédiate »[406].

Mais en avril 1947, Pierre Fromont, professeur d'économie agricole qui tient cette rubrique dans Le Monde depuis 1944 et dans La France agricole depuis 1945, y révèle que la situation est dramatique : après la « très mauvaise récolte de 1943 » (43 millions de quintaux), le rebond de 1946 (65 à 70 millions de quintaux, soit 80 % de la moyenne d'avant-guerre) semble compromis car les spécialistes évaluent à seulement 40 millions de quintaux la récolte d'août prochain en raison d'un problème supplémentaire, le « mauvais temps persistant jusqu'en mars » et de « la médiocrité des réserves en blé de printemps »[406].

De plus, Le Monde révèle que la pénurie est quasiment mondiale, USA, exceptés[406]. L'Afrique du Nord a connu en 1946 une « récolte très insuffisante »[406], la Russie avait en 1946 exporté 5 millions de quintaux en France, mais « connaît à son tour de sérieuses difficultés »[406], tandis que la Roumanie « ne peut vivre qu'avec le secours de la Croix-Rouge »[406] et qu'en Extrême-Orient, les « disponibilités en riz sont au plus bas »[406].

Même si la France avait de quoi le payer, elle ne pourra probablement importer plus que les 6 à 7 millions de quintaux de céréales de la saison achevée[406], et même obtenant le « niveau optimiste de 10 millions »[406], ce ne serait qu'une partie du « déficit probable évalué à 25 millions »[406].

« En économie dirigée rien n'empêche, en principe, les pouvoirs publics de fixer des prix visant l'équilibre entre l'offre et la demande », rappelle Le Monde[406], tout en constatant que le gouvernement ne s'est pas adapté au froid de l'hiver qui s'achève car il a exagérément voulu les maintenir « au-dessous de celui qu'eût déterminé » leur libre confrontation[406], pratiquant ainsi une « politique de découragement systématique de la culture du blé »[406], s'ajoutant au retard déjà pris sous l'Occupation : en 1945 l'indice de gros était à 265 pour les céréales, pour une base 100 en 1938[406], très loin des 456 pour les viandes et 432 pour les œufs et laits[406], qui bénéficient des « générosités du marché noir » alors que le blé est "collecté" officiellement et payé au prix de la taxe par les caisses de crédit agricole[406].

Trop mal rémunérées, les céréales partent à la consommation animale[406] : « pourquoi livrer du blé à 10 francs le kilo, quand l'avoine et l'orge converties en œufs et porc rapportent le double ? », demande Le Monde[406].

Le gouvernement perd aussi sa crédibilité politique car le patronat négocie sans lui et sans lui demander, des accords de hausse des salaires de 11 %[407] avec les syndicats CGT et CFTC, le 16 juillet et le 1er août, tandis que le salaire minimum est porté à 8 000 francs[407] et que fonction publique doit suivre le 17 juillet[405].

Le 3 juillet 1948, les hauts fonctionnaires proposent d’importer 975 000 tonnes de blé pour faire monter la ration à 350 grammes des céréales secondaires. Le Quai d'Orsay est alors à l'affût de la moindre information venant d'Amérique sur une aide à l'Europe[397].

Yvon Coudé du Foresto, sous-secrétaire d'État à l'Agriculture dans le gouvernement Robert Schuman (1), spécialiste reconnu des problèmes alimentaires, ex-président d'une entreprise familiale de minoterie et d'alimentation du bétail dans les Deux-Sèvres, maintint une demande de 80 millions de dollars pour les achats de blé, alors que le président Vincent Auriol estime la récolte céréalière suffisante. La France manque de devises, car elle ne peut exporter comme elle le souhaite.

Finalement, la récolte 1948 fut bonne : la France exporta 90 000 tonnes au Conseil international du blé en mars 1949[395]. La ration de pain passa à 250 grammes en août 1948, à 300 en septembre, puis à 350 fin 1948 et la carte de pain fut supprimée en février 1949[395]. En juin 1949, le ministre français des Affaires étrangères, Georges Bonnet, signala de nouvelles pression américaines pour l’achat de surplus.

Accord international sur le blé de 1949

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En 1948, la réélection du président américain Harry S. Truman débouche sur l'un des Accords internationaux de produits signés après la Seconde Guerre mondiale, qui constitue un point important de son programme électoral[408]. Le Conseil international des céréales, réuni à Washington, a préparé un texte consensuel qui reprend les deux idées principales du second projet de la conférence de 1947[409] :

  • principe du « contrat multilatéral de vente et d‟achat » ;
  • fourchette de prix cible.

L'accord, ratifié par trente-huit pays à Washington en 1949, reflète les pénuries endémiques de l’après-guerre et les prix élevés du blé sur les marchés mondiaux[409]. Comme l'Accord international sur le blé de 1933, il a pour objectif « d'assurer des approvisionnements en blé aux pays importateurs et des marchés de blé aux pays exportateurs à des prix équitables et stables ». Ce fut le premier à fonctionner durablement, pendant trois ans, car de 1949 à 1952, le prix sur le marché libre reste supérieur au prix maximum fixé par l'accord, de 19 à 51 cents par boisseau, selon les moments, situation qui va changer dès 1952. Les importateurs avaient intérêt à encadrer ce marché mondial très instabl, même si les échanges internationaux régis par des dispositions ne représentaient qu'une part de leurs approvisionnements, très variable d'un pays à l'autre.

L’Accord de 1949, prend la forme d’une fourchette contraignante de prix, inférieure à ceux du marché, renforcée par des engagements de ventes et d’achats[409], mais n’impose aucune limite sur les exportations ou la production des signataires[409], à la différence de l’Accord de 1934, piloté par l'ex-Comité consultatif du blé[409]. Comme ce dernier, il réduit le risque d'un effondrement des prix pour les producteurs nationaux[408] des pays importateurs. Il a cependant deux points faibles : deux pays très actifs dans le commerce des céréales ne l'ont pas signé : l’Argentine[410], en désaccord sur le prix maximum, et de l’URSS de Joseph Staline, dans une phase de mécanisation de son agriculture pour mieux alimenter son marché international[408].

Années 1950

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La très forte croissance économique mondiale des années 1950 dope la demande de céréales mais l'offre progresse encore plus vite, grâce à des réformes structurelles en Europe et en Russie, mais aussi à des prix de vente très fermes jusqu'en 1953. Les perdants sont les grands exportateurs argentins et canadiens, qui ne pèseront plus que respectivement 3 % et 6 % de la production mondiale à la fin de la décennie après avoir été accaparés par leurs grands projets industriels et hydrauliques. Avec la réapparition d’excédents céréaliers au milieu des années 1950[409], les principaux pays exportateurs décidèrent de ne pas se formaliser de leurs stocks croissants, maintenus à l'écart du marché mondial afin de maintenir les prix dans les fourchettes stipulées par l’Accord international de 1949, qui sera reformulé en 1953[409]. La version de 1949 est bien jugée, grâce à la fermeté des prix qui la suit mais celle de 1953 reflète une offre émiettée et surcapacitaire. Les exportateurs s’efforcent alors de trouver de nouveaux débouchés à des conditions spéciales vers des pays alors incapables de financer de larges importations commerciales de céréales[409], faute de disponibilités monétaires suffisantes, comme l'Inde qui se lance dans un cycle d'importations en 1956.

Sous Péron, le blé argentin taxé et en perte de vitesse à l'exportation

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Entre la fin des années 1930 et le milieu des années 1950, l'Argentine, péroniste depuis 1946? subit une récession agricole : la production moyenne de céréales et d'oléagineux baisse de 16 à 13 millions de tonnes tandis que les surfaces pampéennes cultivées passent de 16 à 11 millions d'hectares. Les exportations américaines en Europe, rivales de celle de l'Argentine, ont en effet été dopées par le plan Marshall tandis que la Grande-Bretagne délaisse le blé argentin, coupable d'avoir soutenu l'Espagne de Franco, et relance sa propre production dès 1949.

Le premier gouvernement péroniste (1946-1955) instaure de plus des prélèvements sur les agro-exportations afin de financer son soutien à la production industrielle. L'État s'approprie la rente différentielle, entre prix d'achats et ventes réalisées à l'échelle internationale, tout en "protégeant" plus ou moins les prix agricoles internes des effets de la hausse des prix sur le marché mondial. Face à ses difficultés, l'Argentine se tournera à la fin de la décennie vers la nouvelle CEE qui lui achète plus des deux tiers de la viande et le quart du blé qu'elle exporte.

Les agriculteurs français foncent vers les réformes structurelles

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En 1955, la France comptait encore environ 2,3 millions d'exploitations agricoles[411], dont une partie à très faibles revenus. Environ 80 % des exploitations agricoles comptaient moins de 20 hectares de superficie agricole utilisée[411] et 0,8 % seulement plus de 100 hectares. D'où le désir de réformes structurelles pour une agriculture plus productive, avec des mesures permettant aux exploitations petites ou moyennes mais potentiellement viables de se moderniser. Les cultures de céréales seront les grandes gagnantes de ces réformes, avec une hausse des surfaces cultivées de 8 % en un demi-siècle, celles des autres grandes cultures de 1950 (betteraves, pommes de terre) étant au contraire divisées par trois. Les bois et forêts sont passés de 20 à 27 % du territoire de 1950 à 1990[411], tandis que la surface du territoire non agricole a presque doublé depuis 1950[411]. Sous la pression du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), une politique dite « des structures » va se mettre en place[411]. La loi d'orientation de 1960, puis la loi complémentaire de 1962, portée par Edgard Pisani, ministre de l'Agriculture ont répondu à ces demandes de la fin des années 1950[411]. La grande culture du blé, modernisée, en tire profit : le rendement moyen du blé tendre augmentera de 1,26 quintal par hectare et par an entre 1956 et 1999, passant de 26,7 quintaux à l'hectare en 1960, à 52 en 1980 puis 77,5 en 1998[2].

Bulle de 1949-1953, causée par le déficit de riz

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La diminution de la demande européenne d'importations aurait normalement, limité, dès 1949 ou 1950, les marchés des pays exportateurs pour les forcer à des réductions sensibles de leurs cultures[412]. Mais dans l'intervalle, de nouveaux marchés sont apparus en Asie, où l'accroissement de la production de riz est insuffisante face à l'accélération du rythme d'accroissement démographique. La pénurie de riz eut pour effet de maintenir à un haut niveau la demande de blé[412]. Plus de la moitié du commerce international du blé étant, à un moment donné, soumis aux prix de l'accord international de 1949, le producteur américain reçoit 2,06 dollars le boisseau, le français 2,60, et l'italien 2,87, alors que le prix de la meilleure qualité de blé canadien est tombée à 1,70 sur le marché[412].

La guerre de Corée et un affaissement de la production en Argentine contribuèrent encore à maintenir les cours du blé. Les exportateurs traditionnels ont pu accroître leur capacité de production sans subir la baisse des importations de l'Europe ne vienne les forcer à réorganiser leur politique agricole[412]. Quatre des principaux exportateurs subventionnent alors massivement la vente du blé : États-Unis, Argentine, France et Turquie. Au contraire l'Australie et le Canada ne subventionnent pas : le prix initial payé au producteur est inférieur au prix du marché international[412].

La production mondiale 1952-53 et 1953-54 fait un bond important, grâce à d'excellentes récoltes aux États-Unis en Turquie et au Canada, avec de plus un changement radical en Argentine, où les exportations sont élargies, tandis que dans le sud-est asiatique, des plans de développement agricole, réduisent sensiblement les importations[412]. Résultat, le prix du blé canadien Northern N1, vendu sur le marché libre, a chuté de 25 % quatre ans, à partir de 1951-52[412]. La même qualité de blé vendu via l'Accord international a baissé de moins de 10 %, situation qui rappelle celle de 1926 à 1929, avant la crise mondiale[412]. Malgré cette crise, dans certains pays (Turquie, Allemagne de l'Ouest), les prix à la production restent plus élevés en 1955 qu'en 1954[412].

L'Angleterre attaque l'Accord International et se tourne vers la Russie

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Après la Seconde Guerre mondiale, l'Angleterre combat la pénurie par des contrats annuels avec le Canada, dans le cadre d'une coopération à long terme[352], visant l'horizon 1950. Mais peu après, Londres lance un programme pour diminuer sa dépendance extérieure et réussit une augmentation de sa production de blé entre 1949 et 1951 : elle grimpe de 64 à 89 millions de boisseaux. Par conséquent, ses importations reviennent de 187 à 153 millions de boisseaux. Londres, dans un premier temps.

En août 1953, le refus anglais d'adhésion à l'Accord international est motivé par la politique extérieure de crédits des États-Unis et à leur politique intérieure de soutien des prix[352]. En 1954, les importateurs anglais ont acheté 35 % de moins qu'en 1953[352], réclamant aux pays exportateurs de baisser le prix maximum de 2,05 à 2 dollars[352]. L'Angleterre veut par cette stratégie faire disparaître l'Accord international sur le Blé de 1949, qu'elle accuse d'être un des facteurs responsable des prix élevés de cette céréale[352]. En août 1953, Londres demande même des soumissions au gouvernement russe pour 23 millions de boisseaux de blé[352].

Les trois nouveaux accords internationaux sur le blé

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Trois nouveaux accords internationaux sur le blé sont signés en 1953, 1956, et 1959[409]. Celui de 1953, donne compétence au Conseil international des céréales pour examiner et trancher les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application de l'accord[410]. Aucun recours n'est prévu devant une juridiction internationale[410], ce qui a amené le Royaume-Uni[410], plus important des pays importateurs[410], à réclamer le recours possible à une instance arbitrale extérieure[410], en se plaignant du fait que 1 000 voix étaient attribuées aux quatre pays exportateurs[410], soit autant que les 42 pays importateurs[410].

Les États-Unis, largement exportateurs, ont par contre fortement insisté sur le maintien du système en vigueur en 1949[410]. Un compromis sera trouvé, prévoyant l'arbitrage d'une commission consultative d'experts agissant en leur capacité[410].

L'URSS devient premier producteur mondial

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À la mort de Staline en 1953, l'agriculture soviétique reste mal en point : malgré des cours mondiaux élevés, la récolte de céréales est inférieure de 4 millions de tonnes à celle – certes exceptionnelle – de 1913, mais avec une population supérieure de près de 40 millions d'individus[200]. Son successeur Khrouchtchev obtient de meilleurs résultats, grâce à une mécanisation qui s'est développée au cours des quinze dernières années[200]. Le nombre de tracteurs a plus que doublé de 1940 à 1953, passant de 684 000 à 1 239 000 ; le nombre de moissonneuses-batteuses a augmenté dans le même temps de 182 000 à 318 000 et le nombre de camions a presque doublé à 424 000. Ces chiffres indiquent, il est vrai, la quantité de machines livrées et en fonctionnement théorique et masquent le nombre de machines immobilisées ou laissées à l'abandon, faute de pièces de rechange, de réparations ou, même, de conducteurs[200].

À l'issue des années 1950, l'URSS est le premier producteur mondial de blé, loin devant l'Europe et les États-Unis, après quinze années au cours desquelles ses récoltes céréalières ont considérablement progressé. Après avoir reculé au cours des 37 premières années d'existence de l'URSS, la production agricole de l'URSS a décollé à partir de la seconde moitié des années 1940, en particulier pour les céréales, alors que seuls le coton et les betteraves avaient progressé dès la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Production agricole par année (en millions de tonnes)[413]
Année Céréales Coton (brut) Betterave sucrière
1913 92,3 0,42 11,3
1940 95,6 2,24 18,0
1945 47,3 1,16 5,5
1950 81,2 3,5 20,8
1960 125,5 4,29 57,7
1965 121,1 5,66 72,3
1970 186,8 6,89 78,3
1986 210,0 8,3 79,3

Les cinq premiers producteurs de blé en 1960, en pourcentage de l'offre mondiale[414] :

URSS Europe États-Unis Chine Canada Argentine Autres
25 % 16 % 16 % 9 % 6 % 3 % 19 %

En 1954, le marché commun des céréales entre la France et la Tunisie

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Céréales près du barrage de Sidi Salem

Les céréales étaient présentes en Tunisie, avant l'indépendance : blé dur, orge commune et blé tendre, avec la culture de type pluvia d'une des variétés hybrides de l'École d'Agriculture de Philippeville, exportée en partie vers la Métropole française. Robert Schuman évoque en 1950 l’indépendance de la Tunisie en plusieurs étapes, mais les émeutes et leur répression des années 1953 et 1954, mettent fin au Protectorat français de Tunisie. L’agriculture passe de 29 % à 22 % de l'économie avec la nationalisation des 850 000 hectares exploités par des sociétés françaises et des colons[415].

Par la création d'une communauté franco-tunisienne des produits céréaliers, en avance d'une décennie sur l'Organisation commune de marché des céréales en Europe, la Tunisie réalise une harmonisation de deux législations calquées ou presque l'une sur autre[416]. Cinq mois plus tard, un marché de l'huile d'olive a aussi été créé, le 13 novembre 1954, après de longues négociations, avec une garantie d'achat à prix fixe.

La Tunisie a un intérêt à ce marché commun en raison du déficit de la récolte métropolitaine de blé dur, dont la consommation croît en France : au cours des deux premières années, elle a exporté en moyenne annuelle près d'un million de quintaux de blé dur[416], même si elle a dû importer du blé tendre et de l'orge. Sur la période 1948 à 1956, elle a exporté en moyenne plus de 1,13 million de quintaux de blé dur et 0,69 million de quintaux d'orge vers l'Europe[416]. Le Bulletin Technique des Agriculteurs du Lauragais mentionne les inquiétudes locales sur les quantités importantes de blé dur tunisien importées en Métropole.

Les textes prévoient que le prix de certaines céréales produites en Tunisie est garanti au même taux que celui des céréales métropolitaines[416]. Les céréaliers tunisiens profitent ainsi du prix garanti applicable en France. La France doit absorber un million de quintaux de blé dur par an à un prix moyen supérieur de quelque 2 000 francs par quintal au prix international de blé tendre[416] et d'environ 1 200 francs par quintal au prix international de blé dur[416], soit un transfert d'un milliard et demi de francs par an[416] financé par les contribuables français, représentant 0,01 % du produit national brut[416]. Côté tunisien, c'est l'équivalent de près de 20 % de la valeur des exportations de céréales[416].

Après l'abandon de ce système en Tunisie, puis la nationalisation, le 12 mai 1964, des terres de la colonisation, les récoltes vont progresser moins vite que la population tunisienne, même si l’agriculture a enregistré des taux de croissance importants, dans les années 1970 avec près de 8 % par an permettant au pays d’atteindre un niveau de sécurité alimentaire, grâce aux crédits de la Banque nationale agricole.

L'Inde privilégie l'importation des céréales

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En, 1956, l'accord commercial céralier signé par l'Inde avec les États-Unis facilite les importations de blé en permettant le paiement en roupies par l'Inde[387]. Du coup, les années 1950 furent la seule décennie de l'Inde indépendante au cours desquelles le consommateur fut privilégié au détriment des producteurs[387] : la concurrence de ces importations céréalières occidentales fit stagner les superficies emblavées par les paysans[387].

Années 1960

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Les années 1960 ont été marquées par une augmentation considérable de la demande de l'URSS et de l'Inde, qui entraine une tension sur les prix du blé en particulier au milieu de la décennie et de nouvelles forces centrifuges sur le marché[417], mais les stocks constitués ont permis d'y faire face, puis ont été reconstitués assez rapidement en 1968-1969. Il a fallu assouplir l'accord international, sous les auspices de la principale force motrice, qui reste les États-Unis, structurellement excédentaires, mais capables d'adapter leur production, qui croit en moyenne de 0,8 % par an pour le blé, 1,4 % pour le soja et 1,6 % pour le maïs[327].

Changement de paradigme, selon les grands négociants

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Pour les grandes firmes de négoce, les années 1960 expriment un changement de paradigme dans la culture des céréales[417]. L'Union soviétique cherche des approvisionnements[417] et bientôt ce sera le tour de l'Inde. Avec sa rivale Continental Grain, la firme de négoce Tradax, basée en Suisse, s'en empare[417]. En février 1964, des représentants de ses bureaux genevois et londoniens négocient à Moscou la vente de 700 000 tonnes de céréales, début d’une longue relation[417]. À Genève, Cargill met sur pied en 1966 un département pour traiter avec l’Union soviétique[417]. En 1972, de mauvaises récoltes font bondir la demande soviétique, qui atteint 29 millions de tonnes de céréales, selon Tradax. Cargill enregistre un nouveau bénéfice record de 107 millions de dollars pour l’exercice 1972-1973. Contre 40 millions l’année précédente[417].

Ces ventes colossales ont dopé le prix des céréales[417], à plusieurs périodes. Les sociétés de négoce comme le groupe Louis-Dreyfus, Bunge Limited, ADM et surtout Cargill et Continental Grain sont accusées aux États-Unis de s’être entendus sur les prix, d’avoir volé les fermiers et les consommateurs américains. Une sous-commission sénatoriale américaine va alors s’intéresser aux comportements des multinationales américaines à l’étranger[417]. Cargill est interrogé sur ses ventes à l’Union soviétique mais aussi sur ses liens avec Tradax[417].

Par ailleurs, l’Europe recherche son autosuffisance, et y réussit mieux, dans les années 1950 parvenant à développer son marché intérieur[327]. La politique agricole commune engrange des succès rapides dans les grandes productions, où le taux de couverture des besoins s’améliore, pour dépasser 100 % en sucre et en produits laitiers et approcher 90 % en céréales, à la fin des années 1960[327]. Le néerlandais Sicco Mansholt, commissaire européen chargé des questions agricoles, agite le spectre d'excédents dès 1968[327], mais ses avertissements ne seront pas entendus, car la conjoncture internationale va soudain doper la demande mondiale de céréales dans les années 1970[327].

Politique agricole commune négociée en 1957, appliquée en 1962

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La politique agricole commune de l'Union européenne, entrée en vigueur le , après avoir été négociée lors du traité de Rome du repose sur deux piliers, le développement rural, mais aussi un soutien du marché, des prix et des revenus agricoles, en particulier dans la culture des céréales. S'inspirant de l'expérience canadienne des années 1920, les négociateurs français de 1957 veulent faciliter l'ouverture des frontières et ralentir l'exode rural par un niveau de vie décent garanti aux petits cultivateurs de céréales[418], bref « éviter un choc à leur paysannerie »[419]. En réalité, ils vont en créer un sur les campagnes : la France va passer de 5,2 millions d'agriculteurs à quinze fois moins un demi-siècle plus tard. Car le système de soutien des prix à la production ne concerne pas toutes les denrées, mais celles de la « grande culture », blé et betterave"[419]. Pour elles, la garantie de prix s'applique non seulement au marché européen mais également aux exportations[419]. Par le mécanisme des « restitutions », le budget communautaire compense l'écart entre le prix du marché mondial et le prix garanti par la PAC, ce qui déchaîne les virulentes protestations américaines mais dope le commerce extérieur de quelques pays comme la France[419]. En 1957, l'Europe était encore une zone agro-importatrice et au même moment se protège par des taxes sur les importations[420]. En deux décennies, elle passe au contraire à 20 % des exportations mondiales de blé, soit 20 millions de tonnes[421], ce qui cause une progression des dépenses rapidement incontrôlable, chaque quintal de blé exporté coûtant très cher[421]. Environ 40 milliards d'euros sont ainsi dépensés en Europe chaque année au XXIe siècle, alors que les dépenses d'aménagement rural, censées être le premier pilier de la PAC en 1957, sont dix fois moins importantes[418].

En 1963, l'URSS s'approvisionne au Canada

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En URSS, les récoltes désastreuses des années 1963, 1965, 1969, 1972 et 1975 sont dues aux conditions climatiques et à l’exode rural des jeunes gens vers les villes. Pour éviter la famine, l’URSS est contrainte de faire des achats massifs de blé au Canada et aux États-Unis, ce qui accroit sa dette extérieure.

À la fin de l'année 1962, L'URSS installe à Cuba des missiles nucléaires pointés vers les États-Unis : c'est la crise des missiles de Cuba, qui entraîne un durcissement dans les relations internationales, en particulier avec les États-Unis. En 1963, l'URSS se met à acheter régulièrement du blé au Canada, pour sécuriser ses approvisionnements, dans un contexte de croissance démographique, même si les quantités restent assez peu élevées. Selon la Banque du Canada, les ventes de blé à l'URSS ont représenté 192 millions de dollars en 1963, puis 305 millions de dollars en 1964, et près de 200 millions de dollars en 1965 comme en 1966.

Déficit se creusant en Inde en 1965-1966 après deux mauvaises moussons

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En Inde, la révolution agricole commence au milieu des années 1960[387], alors que deux mauvaises moussons surviennent consécutivement, en 1965 et 1966, entraînant une crise économique, aggravée par la peur d'une pénurie alimentaire dans les villes[387]. Les importations de riz et de céréales, pour faire face à la pénurie criante[387], atteignent environ dix millions de tonnes soit 16 % de la récolte moyenne annuelle en Inde[387]. Ces piètres moussons successives forcèrent l'État indien à augmenter brutalement ses achats[409]. Face à un effondrement inattendu des stocks des pays exportateurs[409], les risques de pénurie vinrent brutalement réveiller les préoccupations internationales en matière de sécurité alimentaire mondiale[409].

L'Inde décide, elle, de se tourner vers la révolution agricole. En 1967-1968, les superficies céréalières cultivées en « variétés à haut rendement » visées par cette la révolution agricole frôlaient déjà un total de 5 millions d'hectares[387], mais il faudra attendre encore une dizaine d'années pour que l'Inde parviennent à l'autosuffisance alimentaire[387].

Accord international assoupli en 1967

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Le système des quantités fixes garanties par l'accord international ayant l'inconvénient de ne pas permettre de moduler assez les importations, sa version de 1959 a créé un système plus souple adapté aux paysage des années 1960 : les pays importateurs s'engagent à consacrer chaque année un pourcentage minimum de leurs achats commerciaux dans la fourchette de prix de l'Accord. En contrepartie, les exportateurs garantissent des quantités de blé disponibles aux prix de cette fourchette. Ces mesures et le retour du Royaume-Uni permirent aux transactions d'atteindre en moyenne de 15,5 millions de tonnes pendant trois ans. Elles sont reconduites en 1962, mais avec une échelle des prix élargie. L'URSS a alors décidé d'y adhérer et les prix sont restés dans les limites fixées, malgré une très forte augmentation de la demande en 1963-1964;

Un resserrement des marchés céréaliers, en risque de pénurie, a marqué l'Accord international sur les céréales de 1967, dont les négociations eurent pour toile de fond le Kennedy Round, sixième session de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) qui se tint entre 1964 et 1967 à Genève[409]. Les pourvoyeurs d’aide alimentaire veulent plus de bénéficiaires[409], sur fond de première Convention de l'ONU sur l’aide alimentaire (CAA)[409]. Le blé canadien n'étant plus jugé suffisamment représentatif, car son centre d'expédition n'est pas utilisable l'hiver, et concurrencé par la prédominance des États-Unis sur le marché international du blé, l'accord international de 1967 prévoit l'introduction de différentiels de qualité pour quatorze blés d'autres origines. Il prévoit aussi que les achats effectués par les membres importateurs auprès de pays non membres rentrent désormais en compte pour l'exécution de leur obligation d'achat. Peu après l’entrée en vigueur, des excédents de blé reviennent[409], causant la chute des prix au-dessous des minima de l'accord[409]. Les recours prévus s’avérant inefficaces[409], les principaux pays exportateurs, États-Unis et Canada se mettent d’accord sur la réduction des superficies ensemencées en céréales[409].

Développement de la recherche sur les nouvelles variétés de riz, de blé et de maïs

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Les efforts sur la recherche agronomique s'accroissent dans les années 1960 et portent de plus en plus sur la génétique des riz, blé et maïs, ou autres cultures alimentaires. La fondation Rockefeller promeut l'idée de révolution verte, via de nouveaux centres de recherche à travers le monde, parmi lesquels l'Institut international de recherche sur le riz, fondé en 1960 aux Philippines, pour favoriser l'emploi de variétés de riz à haut rendement en Asie. L'Indonésie, le Pakistan, le Sri Lanka et d'autres pays d'Amérique latine et d'Afrique du Nord ont suivi cette voie.

Au Mexique, l'Office of Special Studies devient le centre international d'amélioration du maïs et du blé, en 1963, où travaille l'agronome américain Norman Borlaug, futur prix Nobel de la paix 1970. En Inde, l'Institut international de recherche sur le riz est mené par Monkombu Swaminathan. Une association internationale, le Consultative Group on International Agricultural Research (CGIAR), créée en 1971, est chargé de coordonner les efforts des groupes de recherche locaux en matière agricole, plus tard au nombre d'une quinzaine dans le monde[422].

Leurs recherches se sont dans un premier temps concentrées sur la fabrication par hybridation de variétés à haut rendement concernant les trois principales céréales cultivées dans le monde : riz, blé, maïs, au détriment des millets, du sorgoo ou des « pseudo-céréales » comme le quinoa.

Mais pour être efficaces, ces nouvelles variétés ont besoin de mécanisation agricole, d'engrais azotés, et de produits phytosanitaires - pesticides, fongicides et insecticides), fabriqués à base de pétrole. Il faut aussi du fioul pour les tracteurs. Les gouvernements des pays où ces cultures sont implantées se sont impliqués par :

  • les subventions aux semences, pesticides et fertilisants ;
  • l'irrigation ;
  • une protection des prix des matières agricoles[423].

Années 1970

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Les années 1970 sont marquées par une croissance à nouveau très forte du commerce mondial des céréales, face à des pénuries importantes dans le monde en développement, qui entrainent une flambée des cours en 1974 et des embardées spéculatives de grande ampleur.

La flambée des cours de 1974 et l'intervention de l'ONU

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Au milieu des années soixante-dix, des importations massives par l’URSS, tout à fait inattendues, causent une chute des stocks mondiaux de céréales à un niveau exceptionnellement bas[409] et la flambée des cours[409]. Les pays en développement devinrent préoccupés par la sécurité de leurs approvisionnements[409], et les économistes parlent de « crise alimentaire mondiale ». Une Conférence mondiale de l’alimentation est spécialement convoquée par les Nations unies en 1974[409], qui adopta une résolution prévoyant la fourniture annuelle d’au moins 10 millions de tonnes de céréales en guise d’aide alimentaire[409]. Les Nations unies demandent aussi aux gouvernements d’envisager la création de réserves de céréales, réparties en différents points stratégiques[409]. Une nouvelle conférence, en 1978-79, se concentra sur cette question des stocks de blé[409] et tenta de négocier une nouvelle Convention sur le commerce du blé (CCB)[409] mais échoua sur les deux questions, en particulier en raison de différends sur les niveaux de prix susceptibles de déclencher une intervention sur les stocks de blé[409]. La CCB de 1971 fut donc prorogée telle quelle jusqu’en 1986[409].

La production de céréales américaines double entre 1970 et 1980

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Les années 1970, plutôt marquées par un ralentissement de la croissance mondiale après l'augmentation brutale du prix du pétrole, sont des années fastes pour les échanges agricoles, grâce à l'explosion de la demande solvable[327] : les pays du sud s’endettent, pour profiter de la forte inflation, les pays pétroliers recyclent leurs dollars et l’URSS se met à importer massivement[327]. À partir de 1975, les États-Unis ont en particulier commencé à vendre du blé en grande quantité à la Russie, sous forme d'accords quinquennaux. Les échanges internationaux de céréales passent de 100 millions de tonnes en 1970 à 200 millions en 1980[327].

Les États-Unis en profitent pour consolider un excédent agricole, qui permet d'atténuer les effets de la dégradation de leur balance des échanges industriels[327]. Au début des années 1980, ils assurent 50 % des exportations mondiales de blé, 60 % des exportations mondiales de maïs et 80 % des exportations mondiales de soja graine[327]. Résultat de 1970 à 1981, la production américaine de blé passe de 37 à 76 millions de tonnes, celle de maïs de 105 à 208 millions de tonnes, celle de soja de 31 à 57 millions de tonnes[327]. Ce doublement quasi-général des récoltes a été obtenu au prix d'une forte réduction des surfaces en jachère et d'une sélection génétique renforcée, pour mettre en culture les zones semi arides, situées à la frontière des zones traditionnelles de production de blé[327].

Les exportations européennes de blé triplent sur la décennie

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La forte hausse des cours mondiaux des céréales au milieu des années 1970 les rapprochent des prix européens, qui restent élevés. Du coup, les subventions (restitutions) à verser aux exportateurs européens pour couvrir l'écart de prix entre marché européen et mondial, restent supportables pour le budget de l'Union européenne, qui décide de transformer sa politique d’autosuffisance en politique d'exportation notamment en production céréalière[327]. Les exportations européennes de blé restent loin derrière celles des États-Unis, mais triplent, passant à 15 millions de tonnes au début des années 1980[327].

Le renforcement du négoce international en Suisse

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Des dizaines de traders internationaux en céréales s’établirent en Suisse dans les années 1970, dans le sillage de ce qu'a lancé Cargill en 1966 pour les relations avec l'URSS[417], mouvement qui se poursuivra, bien au-delà, lors des années suivantes. Conti déménagera sa filiale Finagrain de Paris vers Genève dans les années 1970[417]. Louis-Dreyfus et Bunge opéreront depuis Zurich dans les années 1980, par l’intermédiaire de Zurfin et Socef, avant de s’implanter à Genève – Louis-Dreyfus y a son siège européen depuis 2006. ADM, le quatrième géant mondial du négoce agricole, choisira pour s'implanter la ville de Rolle en 2007[417].

Reconnaissance des « semences paysannes » pour la biodiversité agricole

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Vers la fin des années 1970, la prise de conscience de l'érosion génétique suscite une reconnaissance des semences de variétés de céréales « de pays », pour la biodiversité agricole. En 1975, Harlan en fait une description précise. Suivent les propositions de Brown en 1978, de Frankel et Soulé en 1981, de Hawkes en 1983, l'année où, sous l'impulsion du biologiste Jean Pernès, nait le Bureau des ressources génétiques. En 1987 Jacquemart distingue la variété régionale de la variété locale. Dans la foulée, l'Académie d'Agriculture de France réalise des synthèses montrant qu'il est nécessaire d'être prudent quant à l'évaluation de l'évolution de la diversité génétique des plantes cultivées[424]

Au niveau international d'importants traités seront conclus lors des deux décennies suivantes. À la suite de la signature en 1992, de la Convention sur la diversité biologique, l'Europe adopte la directive 98/95/CE qui introduit pour la première fois dans ses réglementationd le terme de variété de conservation. Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture de 2001, vient s'opposer tant aux conventions UPOV défendant les droits des obtenteurs qu'au système de brevet sur le vivant, en affirmant le droit des agriculteurs.

Les riz hybrides et le séquençage du génome

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Dès la fin des années 1970 arrivent les premières variétés de riz hybrides. Leur succès amène à travailler sur le séquençage du génome su riz et une première carte fait son apparition en 1988. Entre 1984 et 2004, les surfaces cultivées en riz à l'échelle mondiale vont progresser de 6 % et rendements de 19 %, ce qui se traduit par une production mondiale augmentée de près d'un tiers.

Années 1980

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Au cours des années 1980 et des années 1980, le cadre international des échanges de céréales s’est écarté des accords internationaux de type réglementaire, entre pays[409], sous l’effet d’une privatisation accrue, mais aussi de la déréglementation du commerce mondial et de la décentralisation de la production de céréales et des activités commerciales, via l'apparition de nouvelles firmes de négoce et le rôle accrû des coopératives en Europe de l'Ouest[409].

Les relations avec l'URSS se détériorent

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Le 4 janvier 1980, le président américain Jimmy Carter a décidé de bloquer les livraisons, pour protester contre l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS. Les pays exportateurs européens l'ont soutenu, mais c'est surtout l'Argentine qui volera au secours de la Russie, menacée d'embargo par les États-Unis[345]. La dictature militaire du général argentin Jorge Rafael Videla, alors proche de Moscou vendit 7,5 millions de tonnes de blé à la Russie, à 25 % au-dessus du prix mondial, contribuant à la perte de crédibilité de Jimmy Carter et à l'élection quelques mois plus tard de Ronald Reagan[425].

Les États-Unis compensèrent la perte de ce marché par un programme d'aide aux agriculteurs qui a coûté 2,5 à 3 milliards de dollars[426].

L’Asie du Sud-Est devient autosuffisante grâce à l'innovation rizicole

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L’Asie du Sud-Est est la région du monde où la révolution verte a permis à la production céréalière de s'accroitre le plus rapidement dans les années 1970 et 1980[427], l'Indonésie et les Philippines, considérés comme structurellement déficitaires, devenant presque autosuffisants en quelques décennies.

L'augmentation des rendements, grâce aux variétés rizicoles mises au point par l'IRRI et leur adoption par les paysans locaux, a joué un rôle beaucoup plus important que l'accroissement des surfaces exploitées[428]. Ces nouvelles variétés ont nécessité une modification complète des systèmes de production agricole : drainage, fertilisation minérale, traitement chimique, via des projets de développement spécifiques, pilotés par les États de cette région, avec l'appui d'organisations internationales (Banque mondiale, Banque asiatique pour le développement…) et une protection des prix du riz contre les fluctuations du marché international.

Années 1990

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La seconde partie des années 1990 voit une chute des cours du blé aussi forte qu'avait été la progression de 1994-1995, au sortir de la longue crise économique européenne de 1991-1993. Cet effondrement du marché, par la croissance de l'offre d'Inde et de Chine, augmente les dépenses publiques aux filières céréalières, créant des déficits financiers qui accélèrent les réformes de la PAC mises en place dès 1992. L'inondation du marché par l'Inde et la Chine, imprévue, s'ajoute à l'exceptionnelle moisson française de 1998-1999 pour faire chuter les cours de moitié en deux ans et demi[429].

En Inde, après la « révolution verte », la libéralisation agricole

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La révolution verte en Inde aboutit à l'autosuffisance alimentaire et à la constitution des stocks régulateurs permettant d'atténuer les variations de prix du riz, dans les années 2000 : le pays a progressivement constitué des stocks pouvant atteindre 25 millions de tonnes de riz, même si 220 millions d'Indiens restent sous-alimentés. La conséquence est l'arrêt des importations de nourriture.

L’investissement massif de l’État indien dans la révolution verte a cependant été remis en question depuis les mesures de libéralisation de l’économie indienne amorcée en 1991. Sa conséquence est une baisse des prix agricoles et des subventions étatiques, qui ont ruiné bon nombre de paysans en Inde.

Première vague de réformes de la PAC en France

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En France, l'Office national interprofessionnel des grandes cultures accompagne les réformes successives de la Politique agricole commune : le paiement à la surface en 1992 et le gel des terres en 2003. À partir 1992, les prix garantis se rapprochent du niveau des cours mondiaux, la politique agricole commune n'ayant plus besoin de financer l'écart, ce qui freine le mouvement des réformes. Une première vague de propositions l'oriente vers des mesures agro-environnementales, par un soutien au développement rural. Un cadre financier prépare ensuite l'arrivée de dix nouveaux pays membres et doit rendre la PAC compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

L'exceptionnelle moisson française accélère les réformes de la PAC

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La seconde partie des années 1990 voit une chute des cours du blé causé par l'inondation progressive du marché par l'Inde et la Chine, imprévu par les économistes. Le facteur le plus surveillé était alors la désorganisation croissante des filières agricoles de l'ex-URSS, qui a volé en éclats. Du coup, les céréaliers européens continuent à produire massivement : ce sont eux qui contribuent le plus à la croissance du commerce mondial[429]. Fin 1998, le prix du blé sur le marché libre est proche de 130 dollars la tonne, divisé par deux en une trentaine de mois[429]. À Bruxelles, la gestion du "comité céréales de la direction générale de l'agriculture", chargé de décider des restitutions à l'exportation, se montre d'abord plutôt laxiste sur le mécanisme de régulation de marché qui vise à compenser la différence de prix pratiqués sur le marché communautaire et sur le marché mondial. Financées par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA), ces aides creusent les déficits. Au printemps 1998, les décideurs européens sont plus prudents. Ils espèrent que le prix mondial va remonter[429], car la récolte russe s'annonce aussi calamiteuse que prévu, c'est-à-dire la pire depuis 40 ans, quasiment au niveau de la catastrophe de 1994-1995.

Les décideurs européens n'utilisent donc pas le reliquat d'engagements auprès de l'OMC, de 38,5 millions de tonnes, hérité des trois campagnes précédentes[429]. Du coup, les stocks européens gonflent à 36,7 millions de tonnes. La récolte française est exceptionnelle (+7,2 % à 68 millions de tonnes, plus des deux tiers de celle de toute l'Europe[429]) au point qu'il faut utiliser des cours de ferme bâchées à la va-vite pour la conserver[429]. Dans le port de Rouen, le quintal de blé frôle les 70 francs[429]. Les dépenses résultant de l'écart en prix de marché et prix garanti accélèrent les réformes de la PAC.

La production de blé dans le monde :

Production de blé en millions de tonnes Chine Europe États-Unis Inde ex-URSS
1994-1995 101 85,5 63,2 59 60,8
1998-1999 110 103,7 69,4 66 57,1
Ecart plus 9 plus 18,2 plus 6,2 plus 7 moins 3,7

En 2003, les « accords de Luxembourg », menés par le commissaire Franz Fischler, décident un compromis de transition pour réformer la PAC: les primes perçues ne sont plus liées au volume produit mais à une référence historique, la moyenne des primes perçues sur trois années de référence.

XXIe siècle

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Années 2000

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La spéculation et les pénuries locales dominent la première décennie du siècle, d'autant que l'Europe s'est un peu effacée du marché et que la forte croissance en Asie créé des tensions sur le riz.

La spéculation sur le riz en Afrique de l'Ouest

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Beaucoup de pays africains restent des grands importateurs de riz, comme le montre l'exemple du Sénégal[430]. Durant la période coloniale, ce pays a été spécialisé dans la production d'arachide, au détriment des autres cultures céréalières locales. Dès la fin du XIXe siècle, il importait du riz d'une autre colonie française, le Tonkin. Héritage de ce passé colonial, le plat national sénégalais, le thiep bou dien, est à base de riz brisé : le pays achète 700 000 tonnes de riz à l'étranger chaque année, même si des périmètres irrigués dans la région du fleuve Sénégal ont été créés pour développer des rizières : le riz produit sur place est plus cher que le riz importé et les Sénégalais préfèrent le riz brisé auquel ils sont habitués[430]. Le manque de moyens et d'équipement favorisent la spéculation : faute de silo public, ou mutualisé par des filières ou coopératives, pour stocker le riz produit au Sénégal, il est mis sur le marché en bloc, donc à un prix très bas, permettant aux spéculateurs de l'acheter, puis d'attendre que les prix remontent en le stockant[430]. Le riz sénégalais, très peu diffusé dans le pays, ne profite qu'à la région dans laquelle il est produit[430].

La triple crise de 2007-2008 : blé, maïs et riz

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En 2007-2008 a eu lieu une des crises alimentaires les plus dramatiques des dernières décennies, causée par l'augmentation des prix internationaux du riz, la céréale la plus consommée au monde, qui a surpris par sa soudaineté : les prix locaux ont augmenté de 38 % au Bangladesh, de plus de 30 % aux Philippines et de 18 % en Inde, dans des pays qui utilisent 20 à 40 % de leur revenu pour acheter du riz[431].

Au cours de la première moitié des années 2000, les stocks mondiaux de riz avaient chuté de pratiquement 50 %[431], le Programme alimentaire mondial évoquant des stocks ayant « atteint leur niveau le plus bas depuis trente ans »[432], et les récoltes de céréales de 2006 ont ensuite été extrêmement mauvaises[431]. La sécheresse en Australie, dont la production a été divisée par deux, a fait diminuer l'offre mondiale de céréale de plus de 20 millions de tonnes. La production céréalière européenne a elle chuté de 11 %, réduisant l'offre de plus de 37 millions de tonnes, tandis que pour les États-Unis et le Canada le recul a été de plus de 30 millions de tonnes, soit un manque à gagner de près de cent millions de tonnes pour ces trois grandes zones productrices[431], d'où un emballement des cours mondiaux, d'autant qu'au même moment, la crise des subprimes a produit une réallocation des investissements de la finance vers les matières premières[431]. De ce fait, le prix du blé est multiplié par deux en dix mois, celui du maïs par 2 en 20 à 24 mois et celui du riz par 3 en à peine 8 mois, entre octobre 2007 et avril 2008, et même par 2,5 en seulement 4 mois (janvier 2008-avril 2008)[431]. La crise du riz de 2008 se révèle bien plus ample que celle du blé, même si les récoltes de riz se révèleront meilleures.

Les marchés du riz et du blé ont cependant montré alors une relative interconnexion. En 2007-2008, l'Inde a dû importer six millions de tonnes de blé pour satisfaire sa demande pendant qu'elle exportait environ 4.7 millions des tonnes de riz. Ensuite, en limitant ou en stoppant à partir de l'automne 2007 leurs exportations, sous prétexte de protéger leur population de la faim ou de l'inflation, l'Inde, le Viêt Nam et l'Égypte ont contribué à faire doubler le prix du riz en moins d'un an[433] et cette crise a provoqué des émeutes de la faim particulièrement violentes. Le Burkina Faso, le Cameroun, le Sénégal, la Mauritanie, la Côte d'Ivoire, l'Égypte, et le Maroc ont connu des manifestations ou des scènes d'émeutes à la fin de l'année 2007 et au début de l'année 2008. D'autres pays qui ont connu des émeutes liées à l'alimentation ou des émeutes semblables : Mexique, Bolivie, Yémen, l'Ouzbékistan, le Bangladesh, le Pakistan, le Sri Lanka, et l'Afrique du Sud. En avril 2008, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international annoncèrent une série de mesures visant à atténuer la crise, comprenant l'augmentation des prêts agricoles en Afrique et l'aide monétaire d'urgence aux zones durement touchées tel que Haïti.

Le mouvement de hausse de prix a connu son apogée au début de 2008. À la fin avril 2008, le prix du riz atteignait 24 cents la livre, soit le double de son niveau sept mois plus tôt[434]. Puis les prix ont rapidement chuté au fur et à mesure que l'abondance de la récolte 2008 se confirmait[435]. La plupart des prévisions de prix ont été mises en défaut[436]. Les prix du blé et du maïs sont redescendus à leur niveau d'avant crise[431], mais pas ceux riz : les indices de prix de la FAO montrent qu'il est encore 100 % plus cher qu'avant la crise jusqu'en 2009 et 70 % plus cher qu'avant jusqu'en 2010[431]. Après une hausse plus forte que le blé et le maïs, la baisse a été beaucoup plus lente. Cette différence est due au fait que les gouvernements des pays où la sécurité alimentaire est assurée par le riz, ont anticipé une forte hausse des prix et pris des décisions non coopératives qui ont mené à l'explosion de ces prix[431], d'autant que leur connaissance du marché n'est pas optimale, même dans leur propre pays. En Chine, les statistiques de production, de consommation et de stocks se font au doigt mouillé en raison de l'empilement des autorités nationales, régionales, municipales[433].

Le 9 octobre 2007, le gouvernement indien a décidé d'interdire les exportations de riz sauf le riz basmati[431]. Le prix du riz augmenta sur le territoire indien, mais moins vite que le prix mondial. L'Inde lève ensuite temporairement cette interdiction, avant de l'appliquer à nouveau en avril 2008[réf. souhaitée] et certains détaillants ont commencé à rationner les ventes, par crainte d'une insuffisance des approvisionnements extérieurs.

Après l'Inde, le Viêt Nam annonce la même restriction[431], craignant une pénurie due à une vague de froid dans le delta du fleuve Rouge à la mi-janvier 2008. La Chine décide d'augmenter ses taxes à l'exportation et le gouvernement philippin annonce qu'il est prêt à acheter des quantités importantes de riz sur le marché, quel que soit le vendeur et quel que soit le prix[431]. Le 17 mars, la Thaïlande commence à parler de restriction d'exportations, qu'elle ne fera finalement pas, mais le prix de la tonne est pratiquement doublé en un mois[431]. Le 30 avril, la Thaïlande propose la création de l'organisation des pays exportateurs de riz, avivant la crainte de nouvelles restrictions d'exportations[431].

Ensuite les prévisions de récoltes rizicoles annoncent de très bons résultats malgré le cyclone Nargis en Birmanie et un tremblement de terre en Chine début mai[431]. Le Japon et les États-Unis s'accordent pour permettre des exportations au-delà des accords de l'OMC et les tensions se calment[431], tandis qu'est révélé le niveau important de stock en Chine et en Thaïlande[431].

Années 2010

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La décennie des années 2010 voit la consécration des pays en forte croissance économique comme la Chine ou le Brésil, ou démographique, comme l'Inde, et le grand retour de la Russie.

Grands importateurs mondiaux de céréales sur la décennie 2010

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Les importations de céréales sont au cœur de la question alimentaire au XXIe siècle[430]. Selon l'économiste Philippe Chalmin, qui dirige le rapport Cyclope sur les matières premières[437], au cours des vingt dernières années, beaucoup de pays industrialisés sont passés « du productivisme, à une conception non nourricière de l'agriculture »[437]. Faisant des émules jusqu'en Afrique subsaharienne, par exemple, contrainte aujourd'hui d'importer des produits de base à des prix exorbitants. En l'absence de programmes de substitution et autres aides sociales, « 1,2 milliard d'êtres humains pourraient avoir chroniquement faim d'ici à 2025 », a ainsi prévenu l'une des agences de l'ONU[437]. Pour autant, le palmarès des importateurs mondiaux de céréales au milieu des années 2010 était aussi occupé par des pays au niveau de vie élevé, comme la Corée du Sud, le Japon.

Importations, en million de tonnes[438] 2012/2013 2013/2014 2014/2015 2015/2016 2016/2017
Japon 24 23 21 22 23
Égypte 14 17 18 20 20
Mexique 11 15 15 19 19
Corée du Sud 13 13 14 14 15

L'évolution des grands producteurs mondiaux sur la décennie 2010

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L'Inde ayant multiplié par huit sa production de blé entre 1960 et 2010, elle entre dans le XXIe siècle comme une grande nation céréalière, tout comme la Chine, qui va vite devancer ses rivaux de 2010.

Les cinq premiers producteurs de blé en 2010[414] en pourcentage de l'offre mondiale :

Europe Chine Inde États-Unis Russie Canada Autres
21 % 18 % 12 % 9 % 6 % 3 % 21 %

L'évolution des grands producteurs mondiaux sur la décennie 2010 reste cependant dominée par un trio de tête, composé des États-Unis, de la Chine et de l'Europe, selon les statistiques compilées par Arcadia, déclinaison africaine du rapport Cyclope. On retrouve aussi l'Europe et les États-Unis en tête pour le trio des plus grands exportateurs, accompagnés de l'Ukraine, depuis des siècles considérée comme le « grenier à blé de l'Europe », tandis que la Chine n'y figure pas, malgré son importante production de riz.

Production mondiale en millions de tonnes[438] 2012/3 2013/4 2014/5 2015/6 2016/7
Monde 1802 2008 2048 2003 2084
États-Unis 346 425 432 423 487
Chine 443 348 350 363 350
Europe 273 301 326 310 293
Inde 136 136 138 124 136
Russie 66 88 100 99 111
Canada 51 66 51 53 56
Ukraine 45 62 64 60 64
Argentine 49 51 54 59 63
Australie 34 37 36 36 42

La Russie et le Brésil, nouveaux exportateurs massifs font baisser les cours

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La Russie, riche de fertiles « terres noires » dans le sud du pays, a réagi rapidement après l'interdiction d'importation des céréales européennes lors sanctions causées par l'annexion de la Crimée en 2011[439]. Elle ravit aux États-Unis le premier rang mondial des exportations agricoles lors de la campagne 2015-2016, avec sa récolte la plus élevée depuis 1978, quand l'Union soviétique disposait de surfaces cultivées bien plus vastes[440] puis monte à 18 % du commerce mondial du blé contre 1 % en 2000[439], dans la moitié des pays importateurs, en particulier au Mexique, en Afrique du Nord, en Indonésie en Turquie, après avoir pris à la France son plus gros client, l'Égypte[439]. Depuis 2012, le machinisme et les intrants sont plus accessibles en Russie. En outre, de plus en plus de blés d’hiver, plus productifs que les blés de printemps, sont semés[441].

La Russie a redoublé d’efforts commerciaux entre juillet et décembre 2018, avec 21 millions de tonnes de blé exportées, en hausse de 34 % sur un an[441]. Résultat, le département américain de l’Agriculture prévoit une nouvelle récolte russe record pour l'été 2018, à 85 millions de tonnes, soit 13 de plus en un an et une hausse continue en quatre ans (+39,4 % entre 2013-2014 et 2017-2018)[441]. Vers l’Union européenne, c'est la Roumanie concurrence les blés français, ces derniers ayant en plus une grande difficulté à trouver des débouchés autres que traditionnels, même si la France, leader européen des exportations de blé, a la chance d’avoir du blé de qualité, doté d'un taux de protéines supérieur à 12 %[441].

La récolte 2016/2017 de céréales et oléagineux au Brésil devrait s'élever à 239 millions de tonnes, un record historique, en hausse de 28 % par rapport à l'année précédente. Le soja et le maïs, qui occupent 85 % des terres destinées à la culture de céréales et oléagineux au Brésil, ont respectivement enregistré des hausses de 20 % et de 47 %. Le niveau de productivité moyenne du maïs a progressé de 33 %, atteignant 5,5 t/ha contre 4,1 t/ha lors de la précédente récolte et les prévisions d'exportation de maïs sont de 29 millions de tonnes, contre 19 millions de tonnes pour la récolte 2015/2016[442].

Faim dans le monde à nouveau en progression malgré une récolte mondiale record

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La recrudescence des conflits et le réchauffement climatique sont les principales causes d'une brusque augmentation de la faim dans le monde en 2016 après dix ans de régression quasi constante, s'alarme l'ONU en 2017. La production céréalière mondiale devrait pourtant « atteindre un niveau record en 2017 », à 2,611 milliards de tonnes, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui publie quatre fois par an un « rapport sur les perspectives de récolte et la situation alimentaire » qui complète les analyses semestrielles sur les « perspectives de l'alimentation » dans le monde. Les récoltes en Argentine et au Brésil devraient y contribuer, tandis qu'une hausse de la production de 10 % est attendue en Afrique, tirée par les récoltes de maïs en Afrique australe et celles de blé dans les pays nord-africains, selon la FAO, qui a aussi alerté en 2017 sur une brusque augmentation de la faim dans le monde en 2016[443].

La faim touche 11 % de la population mondiale et augmente en grande partie dà cause de la prolifération des conflits violents et des chocs climatiques, selon le rapport sur la sécurité alimentaire mondiale publié par trois agences de l'Onu, la FAO, le FIDA (Fonds International des Nations unies pour le développement agricole), le PAM (Programme alimentaire mondial), auxquelles se sont jointes pour la première fois l'Unicef (Fonds des Nations unies pour l'enfance) et l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Parmi les zones de conflit montrées du doigt, le nord-est du Nigeria, la Somalie et le Yémen. Au total quelque 155 millions d'enfants de moins de cinq ans souffrent d'un retard de croissance en raison de la faim, le plus souvent dans les zones de conflit[444].

Chronologie

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Géopolitique

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Grand négociants et meuniers ayant marqué leur époque

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Sélection des variétés céréalières

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Nouvelles technologies

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Grands axes ferroviaires

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Grands axes fluviaux

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Notes et références

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  404. a b c d et e "Le pain de la corruption", critique par Rémy Roure le 3 octobre 1947 dans Le Monde [77]
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  420. Atlas de l'agriculture. Comment nourrir le monde en 2050 ?, par Jean-Paul Charvet, 2013.
  421. a et b « Les artifices du vivant », par Chantal Ducos, et Pierre-Benoît Joly - 1993
  422. Une carte localisant les différents centres de recherche du CGIAR
  423. Sur l'ensemble de ces points, voir Marc Dufumier, Agricultures et paysanneries des Tiers Monde, éditions Karthala, Paris, 2004, en particulier p. 521 et suivantes.
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  425. Le Festin de la terre : l'histoire secrète des matières premières, par Éric Fottorino, Economica 1998, page 116
  426. Le Festin de la terre : l'histoire secrète des matières premières, par Éric Fottorino, Economica 1998, page 117
  427. voir Pingali, Hossain, Gerpacio, Asian rice bowls. The returning crisis, New York : IRRI-CAB International, 1997.
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  429. a b c d e f g et h "Rapport Cyclope" 1999, pages 172 à 178, aux éditions Economica
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  436. Céréales : une dégringolade des prix agricoles anticipée dès mai 2008 !, Agriculture & Environnement
  437. a b et c « La crise alimentaire, défi majeur du XXIe siècle », par Sixtine Léon-Dufour, dans Le Figaro du 14/04/2008 "xiesiecle.php
  438. a et b selon Arcadia, déclinaison africaine du Rapport Cyclope
  439. a b et c « How an Oil Giant (Russia) Came to Dominate Wheat », par Anatoly Medetsky, de Bloomberg, le 13 novembre 2017 [88]
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  443. « Une production céréalière mondiale « record » selon la FAO », par l'AFP, le 21 septembre 2017 [92]
  444. « L'Onu plaide pour l'investissement agricole pour lutter contre la faim », par l'AFP, le 17 septembre 2017 [93]
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Notes
  1. Oiva Turpeinen, quatrième de couverture

Voir aussi

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Bibliographie

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Arts et littérature

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Note
  1. « Paper Wheat », Collection, sur Collection, National Film Board of Canada (consulté le ).

Articles connexes

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Liens externes

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