Géopolitique de la Russie

aspect de l'histoire
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La géopolitique de la Russie concerne l’étude des leviers de puissance et l’analyse des facteurs historiques, géographiques, économiques, de sécurité et de politique intérieure qui sous-tendent la politique étrangère de la Russie. Le poids et l'orientation géopolitiques de la Russie sont très liés à la situation géopolitique d'ensemble en Europe. La Russie appartient à la sphère européenne, bien davantage qu'à la sphère asiatique. Son histoire, sa population, sa culture et sa géographie économique l'ancrent en Europe. Pour immense qu'elle soit, la partie asiatique du pays n'est que très peu peuplée et peu propice au développement ne serait-ce qu'en raison de sa géographie et de son climat.

Géopolitique de la Russie
Description de cette image, également commentée ci-après
Projection orthographique centrée sur la fédération de Russie (la Crimée et l'Est de l'Ukraine apparaissent en tant que territoires contestés).

Date De 1991 à nos jours

Chronologie des années 1991-1999
Fin de l'URSS, la Russie lui succède sur le plan international, fondation de la CEI
et Traité de sécurité collective signé par neuf pays de la CEI
Adhésion de la Russie au FMI et à la Banque mondiale
Guerre du Dniestr : la Transnitrie de facto indépendante de la Moldavie
Fin du retrait des troupes russes d'Europe de l'Est
Entrée en vigueur du traité Start I
Entrée des troupes russes en Tchétchénie
Traité d'amitié entre la Russie et l'Ukraine
Crise de solvabilité de l'État russe
La Russie s'oppose aux bombardements de l'OTAN en Serbie
Reprise de la guerre en Tchétchénie
Traité sur la création de l'Union de la Biélorussie et la Russie
Chronologie des années 2000 - 2009
Russie : élection de Vladimir Poutine à la présidence
Traité créant la Communauté économique eurasienne
La Russie s'associe à la « guerre contre le terrorisme »
OTAN : élargissement à 7 pays de l'ancien bloc soviétique
Russie : Poutine dénonce les projets de défense antimissile des États-unis en Europe
Kosovo : Russie et Serbie rejettent le plan d'indépendance de l'ONU
Géorgie : deuxième guerre d'Ossétie du Sud
Ukraine - Russie : conflit gazier

Chronologie des années 2010 - 2019
Nouvelle élection de V. Poutine à la présidence
Entrée de la Russie à l'OMC
Annexion de la Crimée par la Russie
Début intervention militaire russe en Syrie
Sommet sur l'Ukraine en « format Normandie »

Chronologie des années 2020 -
- Seconde guerre du Haut-Karabagh
Nouvelle crise russo-ukrainienne
Début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie

Dans la géopolitique mondiale, le rôle politique et militaire de la Russie est décorrelé de ses faibles poids économique et démographique, notamment en raison d'un réseau diplomatique et d'une image hérités de l'époque soviétique. Elle est en effet l'État continuateur de l'URSS et a hérité de son statut de membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies. Après l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, elle traverse une période instable jusqu'au début des années 2000 avec l'instauration d'un régime autoritaire tant en matière de politique intérieure que de relations extérieures polarisé sur la personne de Vladimir Poutine. Le pouvoir cherche à donner de la Russie l'image d'un pays fort et indépendant, capable d'initiatives unilatérales sans crainte des réactions internationales, et communique activement sur sa dissuasion nucléaire et sa puissance militaire conventionnelle.

Sur le plan économique, démocratique, ainsi qu'en matière de droits de l'homme, la Russie représente un modèle peu attractif pour de nombreux anciens pays du bloc de l'Est qui se sont rapprochés de l'Europe occidentale en intégrant notamment l'Union européenne. Les pressions diplomatiques, énergétiques et militaires exercées par les autorités russes ont également provoqué des craintes dans ces pays qui ont cherché davantage de sécurité à travers l'OTAN. Si la Russie n'a de ce fait jamais retrouvé en Europe l'étendue de la zone où l'URSS exerçait quasiment sans frein son influence durant la guerre froide, elle a depuis renoué avec sa politique expansionniste. Ne pouvant rivaliser en termes d'attractivité, elle mise alors sur un soutien aux régimes autoritaires et des interventions armées. Elle a ainsi organisé des opérations militaires conduisant à l'occupation progressive de huit territoires européens en Moldavie, en Géorgie et en Ukraine et mène désormais une politique de déstabilisation des pays les plus fragiles de l'UE. Dans le même temps, elle cherche en Asie, et surtout auprès de la Chine, un appui dans sa politique à l'égard des États-Unis et de l'UE et un soutien à son développement économique qui requiert de très lourds investissements dans les contrées inhospitalières de Sibérie et de l'Arctique.

Vision générale

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Héritage de l'histoire impériale et soviétique

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La vision géopolitique des dirigeants de la Russie d’aujourd’hui s’enracine dans le temps long. Étendre l’Empire sur son voisinage et le poser en protecteur des chrétiens d'Orient fait partie de l’identité russe depuis longtemps, sous tous les régimes, en tant que « troisième Rome » (Constantinople ayant été la « deuxième Rome » de 395 à 1453), en tant que « métropole de toutes les Russies » (tout pays de tradition orthodoxe étant susceptible de devenir une Russie) et en tant que « centre du prolétariat mondial » (de 1917 à 1991)[1]. L’histoire de l’ancien Empire russe comme celle de l’URSS sont utilisées pour légitimer les objectifs de pouvoir et d’influence de Moscou sur son territoire, sur ses abords proches et dans le monde ; leurs symboles (aigle bicéphale, étoile rouge…) sont omniprésents ensemble dans l'espace public et les forces armées russes.

 
L'URSS couvrait un territoire de 22,4 millions km2.

Avec 17 millions de kilomètres carrés, ce qui en fait le plus vaste pays du monde, la Russie dispose d'une superficie deux fois supérieure à celle des États-Unis ou à celle de la Chine. Puissance continentale, la Russie occupe le centre de l’Eurasie, un concept aujourd'hui majeur dans les représentations géopolitiques russes. Cette position centrale lui offre des possibilités naturelles d’extension dont pendant trois cents ans la maison Romanov a profité. Elle se traduit aussi par de longues frontières terrestres à l’Ouest, au Sud et à l’Est avec des voisins toujours perçus comme menaçants qui créent un sentiment d’encerclement. Au Nord, l'océan glacial Arctique dont la valeur géostratégique est accrue par le réchauffement climatique est aussi une zone de contact avec l'Amérique du Nord[2].

Pour construire et défendre l’Empire, le régime tsariste est fortement autocratique et militarisé aux dépens d’une société civile asservie. L’État soviétique conserve ces caractéristiques fondamentales d’un pouvoir autoritaire centralisé, cette fois entre les mains du seul Parti communiste, qui donne la priorité au secteur militaro-industriel. Après l’effondrement des années 1990, un nouvel État russe fort renaît sous la direction de Vladimir Poutine qui développe depuis le début du XXIe siècle une vision géopolitique inspirée de la grandeur russe historique et d’une vision du monde largement fondée sur les théories du Heartland et de l'eurasisme. La Russie des Tsars était un empire, le Royaume-Uni et la France avaient un empire. La vision de Poutine est fondée sur une conviction : la disparition de l'URSS a été « le plus grand désastre géopolitique du XXe siècle »[2].

La « grande stratégie » russe se construit aussi sur une opposition à l'Occident. Le document officiel publié fin 2016 relatif aux principes de la politique étrangère russe, Foreign Policy Concept of the Russian Federation, pose comme postulats de base aux relations internationales « l'émergence d'un système international multipolaire » dans lequel « les tentatives des puissances occidentales pour maintenir leurs positions dans le monde […] conduisent à une plus grande instabilité des relations internationales et à des turbulences croissantes sur le plan mondial et régional »[3]. Cette opposition est nourrie par la nostalgie des années Brejnev où la puissante Union soviétique traitait en pleine guerre froide d'égal à égal avec les États-Unis et par l'avancée vers l'Europe de l'Est et les Balkans de l'OTAN et de l'Union européenne qui ont été rejoints entre 1999 et 2009 par une dizaine de pays anciennement du bloc de l'Est ou, pire encore, de l'URSS elle-même[2].

Les crises en Ukraine et en Géorgie en sont la conséquence directe, car la Russie ne peut accepter que ces pays si proches et si liés à son histoire rejoignent le camp occidental. La détérioration marquée des relations entre Moscou et les capitales occidentales depuis 2010 s'accompagne d'un usage croissant des leviers du « soft power » et de la guerre hybride. Aux États-Unis et en Europe, elle alimente deux écoles de pensée opposées : la première soutient que les occidentaux sont les premiers responsables de l'évolution anti-occidentale du Kremlin et du caractère agressif de la politique étrangère russe pour avoir largement empiété sur son « étranger proche » et pour avoir humilié la Russie en lui refusant de prendre une place de choix au sein d'une vaste communauté atlantique qui reconnaîtrait sa prépondérance sur l'ancienne zone d'influence de l'URSS. La seconde école insiste sur la longue histoire expansionniste de la Russie et la tradition autonomiste et nationaliste de la politique russe[2].

Dans un long article paru en , Vladimir Poutine explique que « les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses sont tous des descendants de l'ancienne Rus' de Kiev, qui était le plus grand État d'Europe » du milieu du IXe au milieu du XIIIe siècle[4]. Un exposé historique suit jusqu'à la formation de l'Union soviétique et le choix de Lénine en 1922[5] de « former un État d'union en tant que fédération de républiques égales ». Poutine affirme que « le droit pour les républiques de se séparer librement de l'Union, […] inclus dans […] la Constitution de l'URSS de 1924, [a constitué] la bombe à retardement la plus dangereuse, qui a explosé au moment où le mécanisme de sécurité fourni par le rôle dirigeant du PCUS a disparu »[4]. L'auteur conclut que « l'Ukraine moderne est entièrement le produit de l'ère soviétique, un fait est clair : la Russie a été volée »[4].

Effacement de la Russie dans les années 1990 comme grande puissance

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Boris Eltsine, président de la Russie de 1991 à 1999

Après la dissolution de l'URSS le , la Russie est réduite aux frontières existantes du temps des premiers Romanov avec à peu près la même population qu'en 1917. Les accords d'Alma-Ata signés par les onze ex-Républiques soviétiques créent la Communauté des États indépendants (CEI) et établissent la Russie en tant qu'État successeur de l'Union soviétique aux plans du droit international et de la possession des armes nucléaires[6]. Près de 25 millions de russes se retrouvent dans les États postsoviétiques. Créée pour compenser cette perte, la CEI regroupe onze États postsoviétiques. Elle est vue comme le moyen de construire un « empire libéral » dans lequel la Russie bénéficiera de sa position économiquement et politiquement dominante. Mais un courant conservateur et eurasiste favorable à un contrôle fort voire à la réannexion de certains de ces territoires se développe au Kremlin. Il provoque la méfiance des dirigeants de ces nouveaux États et empêche finalement que la CEI ne devienne une communauté d’États forte selon un modèle proche de celui des Communautés européennes[2].

La politique étrangère de Boris Eltsine, principalement tournée vers l'Occident, s'explique d'abord par la situation catastrophique du pays, obligé de composer avec Washington et d'obtenir l'aide du FMI et de la Banque mondiale, auxquels la Russie adhère en 1992[7],[8].

Évolution comparée à prix constant
du cours du pétrole brut et du PIB de la Russie
de 1991 (base 100) à 2020[9],[10].

La désorganisation de l'État russe, la chute du Produit intérieur brut et la faiblesse des rentrées fiscales sont à l'origine de la crise financière russe de 1998. Son déclenchement direct résulte d'une crise de solvabilité, provoquée par la perte de valeur des actifs possédés par les banques, liée à la chute de la bourse de Moscou, mais également par la crainte chez les investisseurs étrangers d'une dévaluation du rouble[11],[12].

Les dirigeants de l'ex-URSS cherchent d'abord dans les années 1990 à tirer leur pays du marasme et s’en tiennent à une diplomatie prudente. Les engagements pris en matière de réduction des armements nucléaire (traité Start I[13]) et conventionnel sont observés à la lettre et des coupes sombres sont effectuées dans le budget militaire, contraignant la Russie à se tenir éloignée de toute aventure internationale. À la tête de la Russie jusqu’à la fin de 1999, Boris Eltsine ne fait sortir la diplomatie russe de sa réserve prudente qu’en de rares occasions, lorsque le prestige de la Russie est trop gravement menacé, notamment dans l'ex-Yougoslavie[14].

Cependant, le Kremlin développe peu à peu une stratégie inscrite dans des représentations géopolitiques cohérentes, fortement teintées de nationalisme néo soviétique et d'eurasisme, et centrée sur la revendication d'un « Étranger proche » dont la première formulation remonte à 1992[2]. L'expression désigne les quatorze autres ex-républiques soviétiques. En 1993, Boris Eltsine exige sans succès que les organisations internationales y compris l'ONU reconnaissent à la Russie des droits particuliers en tant que garant de la paix et de la stabilité de ces ex-républiques soviétiques. Les tensions deviennent visibles en 1999 avec le premier élargissement de l'OTAN à trois pays de l'ex-bloc de l'Est — Hongrie, Pologne et Tchéquie — et plus encore avec l'intervention militaire de l'OTAN en Serbie[15],[16] pour mettre fin au conflit du Kosovo entre les communautés Serbes et Albanaises[17],[18].

Acceptation difficile des nouvelles frontières

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La question des frontières est centrale dans la conscience collective russe. Durant l’Empire, elles n’ont cessé d’évoluer, le plus souvent dans le sens de l’agrandissement du territoire. Beaucoup de Russes ne se reconnaissent pas dans les frontières de 1991, dépourvues de légitimité historique. Elles sont issues des limites administratives internes de l’URSS, largement définies de manière arbitraire et modifiées à plusieurs reprises. La question de la Crimée, rattachée à l’Ukraine en 1954 par N. Khrouchtchev à l'occasion de la célébration du 300e anniversaire du traité de Pereïaslav à l'origine de l'union entre les deux pays, est plus que toute autre révélatrice de la difficulté de la Russie à accepter une frontière qui la coupe d’une partie de son histoire. Les frontières avec l’Estonie et la Lettonie sont aussi un sujet de contentieux, entretenu par la forte présence de Russes dans ces pays, qui ne trouve pas de solution dans les années 1990. Après 1991, quelque 25 millions de Russes (17,4 % du total des Russes de l’Union soviétique) qui résident dans d’autres États de l’ex-URSS se retrouvent coupés de leur pays d’origine. Plusieurs millions d’entre eux émigrent en Russie dans les années 2000[19].

 
Le président russe Dmitri Medvedev et son homologue ukrainien Viktor Ianoukovytch, le , lors de la signature des accords de Kharkov.

L'Ukraine occupe une place particulière pour les dirigeants russes. Son histoire se confond avec celle de ses relations avec la Russie : les Ukrainiens voient avant tout la spécificité de leur culture et de leur identité nationale ukrainiennes, tandis que les Russes privilégient la théorie du « berceau slave commun » et mettent en avant la réunification des deux pays en 1654[20]. Un traité d'amitié avec l'Ukraine est finalement signé le [21], complété par des accords relatifs au partage de la flotte de la mer Noire et aux facilités d'utilisation de bases navales par les Russes en Crimée[22]. Mais la Russie est fréquemment accusée d'infiltrer l'administration et l'économie ukrainienne et de favoriser l'élection de dirigeants politiques qui leur soient favorables[20],[23]. En dépit de ce traité de paix, confronté à la révolution ukrainienne et à la destitution du président ukrainien Viktor Ianoukovytch, V. Poutine finira en 2014 par faire le choix de la crise ouverte en annexant la Crimée et en soutenant les séparatismes dans la guerre du Donbass pour empêcher l'Ukraine de se rapprocher davantage de l'Ouest[24]. Fin 2021, la crise ukrainienne ravive les tensions dans les relations entre la Russie et les Occidentaux[25]. En décidant de sauter le pas de la conduite d'une invasion de l'Ukraine à partir du , Moscou provoque des réactions sans précédent en Europe et aux États-Unis. Sylvie Kauffmann écrit dans Le Monde que « l’Europe baigne dans cette zone grise qui n’est pas encore la guerre, mais qui n’est plus la paix »[26].

La première urgence dans les années 1990 est de consolider la Russie au sein de ses nouvelles frontières. La dislocation de l’URSS exacerbe les aspirations des communautés ethniques qui réclament une plus grand autonomie ou aspirent à la sécession pure et simple : c’est le cas en Russie des peuples musulmans du Caucase (Tchétchènes, Ingouches, Kabardes, Tcherkesses) ou de Russie centrale (Tatars, Bachkirs). Il ne peut être question de laisser la république autonome de Tchétchénie prendre son indépendance, au risque qu’elle fasse figure d’exemple. Avec le soutien tacite des Occidentaux, Eltsine engage fin 1994 une offensive militaire qui va durer presque deux ans et faire des dizaines de milliers de morts[27].

Le deuxième objectif est de démontrer aux Russes hors les frontières qu'ils ne sont pas oubliés[14]. Aux abords de la Russie, dans les États de l'Étranger proche, Moscou encourage ou du moins soutient les mouvements indépendantistes de communautés russes qui débouchent sur des conflits meurtriers au Haut-Karabagh, en Transnistrie[28], en Abkhazie, et en Ossétie du Sud-Alanie[19].

Par ailleurs, plusieurs litiges frontaliers dont certains très anciens comme ceux opposant Moscou à Pékin ou à Tokyo, ont pesé ou pèsent encore sur les rapports de la Russie avec ses voisins. Le conflit avec la Chine concernait de larges territoires situés à l'Est et à l'Ouest de la Mongolie. Les pourparlers, difficiles, aboutissent en 1991 et en 1994 à des accords qui mettent fin à la plus grande partie de ce contentieux. Des accords définitifs sont trouvés entre 2004 et 2008 qui mettent un terme à des décennies de négociations sur la délimitation des 4 300 km de frontière commune[29],[30]. Avec le Japon, la question des îles Kouriles bloque toujours fin 2020 la signature d'un traité de paix[19],[31].

Les dirigeants occidentaux ont plutôt tendance à soutenir B. Eltsine et V. Poutine dont l'action va dans le sens de la reconstitution d'un espace géopolitique stable et d'une démocratisation encore toute relative dans des pays qui n'ont jamais connu d'autre cadre institutionnel que ceux de l'autoritarisme et du totalitarisme, et où toute une partie de la nomenklatura s'est simplement reconvertie dans les affaires[14].

Faisant suite aux attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme relance la coopération entre la Russie et l'Occident qui laisse les mains libres à Poutine en Tchétchénie. La Russie soutient les résolutions 1373, 1377 de 2001 du Conseil de sécurité de l'ONU qui fondent la lutte internationale contre le terrorisme[32],[33],[34].

Renaissance d'une puissance indépendante et offensive dans les années 2010

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Le poids et l'orientation géopolitiques de la Russie sont en premier lieu déterminés par la situation géopolitique en Europe. La Russie appartient à la sphère européenne, bien davantage qu'à la sphère asiatique. Son histoire, sa population, sa culture et sa géographie économique l'ancrent en Europe. Pour immense qu'elle soit, la partie asiatique du pays n'est que très peu peuplée et peu propice au développement ne serait-ce qu'en raison de sa géographie et de son climat.

Alors que le panslavisme classique repose sur une vision de la Russie centrée sur l'Europe, l'eurasisme repose sur l'idée d'un empire du Milieu russo-touranien dont le centre gravité est déplacé vers l'Est, englobant l'Asie centrale et s'étendant jusqu'au Pacifique[35]. Fortement soutenue par Poutine, l'Union économique eurasiatique est une des concrétisations de la vision géopolitique actuelle de la Russie[36].

 
Vladimir Poutine (en 2018), président de la Russie de 2000 à 2008, et depuis 2012, Premier ministre entre 2008 et 2012.

Dans les années 2000, Vladimir Poutine réussit à canaliser à son profit les tendances nationalistes et populistes d'une opinion qui n'a pas complètement rompu avec le passé communiste et garde la nostalgie d'une époque où l'URSS partageait avec les États-Unis la gestion des affaires internationales. De pair avec le redressement du pays, la diplomatie russe s’affirme davantage dans les Balkans et surtout s’oppose avec une extrême rigueur à toute tentative de sécession dans la région du Caucase. Peu soucieux des réactions occidentales, il entreprend avec un certain succès mais au prix de lourdes pertes une guerre sans merci contre les rebelles tchétchènes[14].

Mais la poursuite de l'extension vers l'Est de l'OTAN et de l'Union européenne ruine les ambitions russes sur l'« Étranger proche » et achève de détériorer les relations avec les Occidentaux. Souvent cité, le discours de Poutine du 10 février 2007 est clairement anti-occidental[37]. La Russie intervient militairement en Géorgie en 2008 pour éviter qu'un État de plus ne bascule dans le camp occidental. Les interventions dans le Donbass et en Crimée de 2014 relèvent de la même logique. Les débuts de la présidence de Barack Obama se traduisent par une brève embellie qui se concrétise par la signature du traité New Start sans lendemain[2].

Depuis 2008, la diminution relative de la puissance des États-Unis par rapport à la Russie et la Chine, donne à Moscou l'opportunité de réaffirmer avec une assurance accrue ses intérêts vitaux en Eurasie, au nord du Moyen-Orient, dans l'Arctique et en Europe centrale et méridionale, entraînant une montée des tensions entre la Russie et le monde occidental[38]. À la fin des années 2010, les principaux acquis de cette résurgence de la Russie sur la scène internationale sont les suivants[38] :

  • Sur le théâtre européen, la Russie intervient militairement en 2008 pour séparer l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud de la Géorgie, puis en 2014 pour annexer la Crimée et fomenter le séparatisme dans le Donbass en Ukraine, tirant ainsi parti d'actions antérieures visant à dégrader la souveraineté de ces États[a]. Ce faisant, Moscou a effectivement mis un terme à la perspective d'un nouvel élargissement de l'OTAN vers l'Est.
  • La Russie poursuit la construction de nouvelles infrastructures énergétiques qui réduisent la capacité de l'Ukraine et d'autres États d'Europe centrale à influencer les exportations d'énergie russes vers l'Europe, tout en renforçant les liens économiques avec les principaux États européens, notamment la France, l'Italie et l'Allemagne.
  • La Russie a pu lancer l'Union économique eurasiatique en 2015 et faire les premiers pas vers l'intégration régionale sous sa direction, plutôt que sous la direction des institutions occidentales.
  • L’intervention de la Russie en Syrie et d’autres opérations hors de sa zone d'influence directe ont également démontré la possession de capacités de projection de puissance au-delà de sa région immédiate et sa capacité à soutenir ces opérations.
  • La modernisation militaire de la Russie a permis à Moscou de développer des stratégies de déni d'accès et d'interdiction de zone[39] dans les bassins de l’Arctique, de la Baltique et de la mer Noire, avec pour effet d'augmenter les risques et les coûts de toute activité américaine ou alliée dans ces zones.

Au début des années 2020, bien qu'elle ait perdu en Europe l'essentiel de la zone où elle exerçait quasiment sans frein son influence durant la guerre froide au temps de l'URSS, la Russie profite des faiblesses de l'Union européenne qui n'est pas unifiée sur le plan des relations extérieures et de la défense[40] pour imposer son agenda en Ukraine, en Biélorussie, en Géorgie et dans une moindre mesure au Kosovo. Mais l'invasion de l'Ukraine début 2022 provoque un sursaut d'unité européenne et occidentale ainsi qu'une détérioration dramatique des relations avec la Russie dont les conséquences ne pourront s'évaluer que dans la durée[41].

Toutefois la capacité de la Russie à étendre davantage son influence en Europe et dans le monde est limitée par le fait qu'elle s'appuie essentiellement sur des leviers traditionnels de puissance militaire et de subversion politique, tandis qu'elle peine à porter à un haut niveau ses capacités touchant aux vrais leviers d'influence du XXIe siècle que sont la puissance économique, le degré d'avancement technologique et le leadership moral[42].

« Grand partenariat eurasiatique »

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Bien que l'orientation européenne de la Russie soit forte jusqu'au début des années 2000, un partenariat stratégique est conclu avec la Chine dès 1996 et le groupe de Shanghai institué dans la foulée avec la Chine et trois pays d'Asie centrale[43].

Le « pivotement vers l'Est » de la politique étrangère russe est annoncé par Poutine durant la campagne présidentielle de 2012. Il se traduit par de nouvelles initiatives dans trois directions clés : développement économique des régions d'Extrême-Orient de la Russie, relance des liens avec les ex-RSS d'Asie centrale et développement de liens politiques et économiques plus étroits avec la Chine et les pays d'Asie de l'Est et du Sud[44],[45]. Avec les ex-RSS d'Asie centrale, Moscou a toujours fait le choix de créer des liens voire une intégration par une stratégie d'alliances sans recourir à un interventionnisme musclé qui ruinerait son rapprochement avec Pékin et les autres puissances régionales[46].

En 2016, Poutine introduit le concept de « Grand partenariat eurasiatique » ( Greater Eurasia en anglais) dont le périmètre pourrait inclure à terme, d'ouest en est, certains des pays de l'UE, les pays de la CEI et des pays d'Asie dont nommément la Chine, l'Inde et le Pakistan. L'Union économique eurasiatique (UEE) — formée depuis moins de deux ans — en serait un des centres[47]. L'ambition poursuivie est de créer un lien inter-organisationnel et supra-régional entre l'UEE, l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et l'Union européenne, sous l'égide d'un « Grand partenariat eurasiatique » dans lequel la Russie jouerait un rôle central, rendu légitime par sa position au centre de l'Eurasie et son histoire[48]. Les objectifs sont de promouvoir — une fois de plus — l'influence de Moscou sur le territoire de l'ex-URSS, et de former un vaste ensemble géopolitique isolant les États-Unis et ceux de ses alliés qui resteraient attachés au modèle occidental « dépassé » de l'ordre libéral démocratique. Le « Grand partenariat eurasiatique » offre l'avantage d'être potentiellement un cadre où les relations entre la Chine et la Russie ne seraient pas trop déséquilibrées, cette dernière y apportant ses atouts sur le plan de la sécurité collective tandis que sur le plan purement économique le déséquilibre est total en faveur de Pékin. Le « Grand partenariat eurasiatique » est avant tout un concept géopolitique qui nourrit la représentation que la Russie se fait d'elle-même d'être une grande puissance[45]. Fin 2020, les acquis de cette initiative russe et ses perspectives de concrétisation sont limités[47].

L'amélioration des relations entre Moscou et Pékin est à fin 2020 le succès le plus marqué du tournant asiatique de la politique étrangère russe. En partie basée sur une relation personnelle forte entre Vladimir Poutine et Xi Jinping, la coopération diplomatique et militaire s'intensifie au fil des années entre les deux pays. La Russie et la Chine ne sont pas toujours d'accord, mais elles ne s'opposent jamais ouvertement. Elles coopèrent dans les structures de gouvernance mondiale et régionale en Asie, et promeuvent le principe de la souveraineté de l'État et de la non-ingérence tout en minimisant les normes libérales telles que les droits de l'homme ou la démocratie dont les Occidentaux se font les chantres[44],[47].

Le partenariat entre les deux pays réduit au niveau le plus bas depuis des siècles le risque d'agression entre eux et laisse à chacun les mains libres pour pousser sa stratégie à l'égard de ses autres voisins. Pour autant, le déséquilibre économique croissant entre la Russie et la Chine dont les intérêts vitaux sont de plus loin d'être les mêmes que ceux de la Russie, sont porteurs d'importantes limites structurelles à la relation sino-russe qui demeure une coopération mais pas une alliance privilégiée, de nature comparable à celle qui existe entre les États-unis et les Européens membres de l'Alliance atlantique[44],[42],[49].

Leviers de la puissance russe

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Classement des puissances d'Asie (Lowy Institute)[50]
Levier de
puissance
 
USA
 
CHI
 
JAP
 
IND
 
RUS
Rang global 1 2 3 4 5
Indice global 82 76 41 40 34
Capacités économiques 2 1 3 4 6
Capacités militaires 1 2 7 4 3
Résilience 1 3 7 4 2
Potentiel à 2030/2050 2 1 6 3 4
Relations économiques 2 1 3 7 15
Alliances de défense 1 8 3 7 11
Influence diplomatique 3 1 2 4 6
Influence culturelle 1 2 3 4 10
Légende :
  • Classé dans les trois premiers
  • Classé dans les six premiers
  • Classé dans les neuf premiers
  • Non classé dans les neuf premiers

Si la Russie n'est pas une superpuissance, qualification à laquelle seuls les États-Unis et la Chine peuvent légitimement prétendre, elle reste l'un des rares pays à définir à la fois ses intérêts en termes mondiaux plutôt que régionaux et à conserver des capacités de projection de puissance mondiale limitées mais réelles[38],[50].

Dans la géopolitique mondiale, le rôle politique et militaire de la Russie est bien supérieur à ce que son poids économique devrait normalement lui permettre de jouer[40]. Cette situation est le fruit d'atouts développés méthodiquement par un pouvoir politique stable depuis le début du XXIe siècle : un pouvoir centralisé fort et affranchi des contraintes du modèle occidental, l'existence d'une vaste population russophone et du mouvement panslaviste, d'immenses richesses en ressources naturelles, une parité nucléaire stratégique avec les États-Unis et une puissance militaire conventionnelle retrouvée depuis 2015, et enfin la maîtrise du spectre complet des stratégies indirectes allant du « soft power » à la « guerre hybride »[51].

Le tableau ci-contre présente le classement des puissances en Asie établi en 2020 par le Lowy Institute de Sydney. La Russie y occupe le cinquième rang, très loin des États-Unis et de la Chine, les deux seules superpuissances en Asie mais aussi dans le monde, aucun autre pays dans le monde n'approchant leur puissance. Les quatre premiers critères évaluent la stabilité, les ressources actuelles et futures et les capacités de défense ; ces critères mettent en évidence les atouts de la Russie. En revanche, les quatre autres critères qui évaluent les alliances et l'influence, montrent les faiblesses de la Russie. En synthèse, la Russie est un pays fort mais isolé contrairement à ses rivaux mondiaux — les États-Unis et la Chine — et régionaux en Asie. Le constat est le même en Europe, où les organisations multinationales fondées par la Russie ne peuvent être comparées à l'OTAN et l'Union européenne[50].

Pays-continent fragile sur les plans économique et démographique

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La Russie est avec une superficie de 17 M km2de très loin le plus grand pays du monde. Sa superficie est approximativement le double de celle des autres pays « géants », le Canada (10 M), les États-Unis et la Chine (9,6 M), le Brésil (8,5 M) et l'Australie (7,7 M). Cet immense territoire lui confère de grandes réserves de ressources naturelles dont l'exploitation est cependant souvent rendue difficile par les distances et les conditions climatiques.

Elle occupe une place centrale en Eurasie et de ce fait communément définie comme une puissance continentale. Elle possède plus de 22 000 km de frontières terrestres à défendre, dont les plus longues sont en Asie avec le Kazakhstan (7 500 km) et la Chine (4 200 km), et en Europe avec l'Ukraine (2 100 km), la Finlande (1 270 km), la Biélorussie (1 240 km) et la Géorgie (875 km). Mais elle possède aussi deux immenses façades maritimes, sur l'Arctique (19 700 km) et le Pacifique (17 000 km) et deux façades stratégiques à l'Ouest, en Baltique et en Mer Noire.

Géo-économie de la Russie
(Rang mondial)
Item 1999 2009 2019
Superficie 1
Population 6 9 9
PIB nominal 22 12 11
PIB PPA 12 6 6
PIB PPA / habitant 86 54 50
Exportations 17 11 13

En revanche, sa population de 144,4 M d'habitants en 2019 la situe au neuvième rang mondial seulement, loin derrière les autres grandes puissances, les États-Unis (328 M), la Chine et l'Inde (autour d'1,4 milliard). La faiblesse de sa démographie est un handicap pour le développement du pays. De 147,2 millions en 1999, sa population diminue jusqu'en 2008 où elle n'est plus que de 142,8 millions. Puis elle augmente lentement jusqu'en 2017, mais connaît à nouveau une légère décroissance depuis 2018, accentuée en 2020 par la pandémie de Covid-19. La population de la Russie est de 144,1 millions fin 2020[52]. Le taux de fécondité de 1,5 en 2019 est insuffisant et de nombreux travailleurs venus des anciennes républiques d’Asie centrale repartent, conduisant le gouvernement russe à déployer une politique nataliste d'envergure[53],[54].

En 1999, le PIB nominal de la Russie la situait au 22e rang mondial. Durant les vingt années suivantes, le développement de son économie et surtout de ses exportations de produits pétroliers l'amènent au 11e rang mondial. D'un montant de 1 700 milliards de dollars courants en 2019, son PIB est inférieur à celui de chacune des quatre puissances moyennes européennes : l'Allemagne (4e avec 3 846 milliards), le Royaume-Uni (6e), la France (7e) et l'Italie (8e)[55],[10],[56]. Calculé à parité de pouvoir d'achat (PPA), le PIB de la Russie la situe au 12e rang mondial en 1999 et au 6e en 2009 et 2019[57]. La balance commerciale de la Russie présente un solde positif très favorable : en 2018, les exportations de produits s'élèvent à 427 milliards USD, tandis que le montant des importations de produits est de 231 milliards USD[58].

Taux de croissance annuel du PIB[56].

L'effondrement de l'Union soviétique en 1991 a provoqué un chaos politique et économique. Les réformes économiques radicales introduites par Eltsine sur les conseils du FMI pour introduire une économie de marché se traduisent sur la période de 1991 à 1998 par une réduction de moitié du PIB. Le processus de privatisation massive profite à quelques oligarques, mais laisse un tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté à la fin de cette période. La banqueroute de l'État russe en 1998 et la dévaluation massive du rouble qui en découle vont permettre à l'économie russe de rebondir et de connaître entre 1999 et 2008 une croissance moyenne de 6,4% par an, facilitée par la hausse des prix du pétrole et du gaz naturel[59],[60]. Le développement de la Russie demeure aussi handicapé par une démographie atone et une faible compétitivité industrielle[59].

Depuis, l'économie de la Russie demeure très dépendante de l'exportation de ressources naturelles : pétrole brut (31,3 % des exportations en 2018), pétrole raffiné (18,2 %) et gaz naturel (6,4 %) en premier, mais aussi charbon, bois et métaux[61]. L'Union européenne demeure le principal débouché de la Russie (42,1 % des exportations de produits en 2018), mais la Chine est devenue le premier client de la Russie et occupe une place croissante dans le commerce extérieur russe (12,9 %). La mise sous contrôle des ressources naturelles par l'État russe reflète l'importance géostratégique que revêtent ces exportations qui peuvent servir de levier d'action dans des conflits. En contrepartie, toute l'économie russe est dépendante des revenus tirés des ressources naturelles et sensible aux variations de cours mondiaux des matières premières[62],[58]. La Russie rejoint l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2012 à laquelle elle était candidate depuis sa création en 1994[b],[63],[64],[65],[66].

L'industrie nucléaire russe demeure importante sur les plans civil et militaire. Les capacités de production d'électricité nucléaire situent le pays au cinquième rang dans le monde[67]. L'opérateur nucléaire public Rosatom est aussi le premier exportateur de centrales nucléaires dans le monde. En 2020, son carnet de commandes comprend 35 réacteurs à l'étranger et 3 en Russie[68]. Toutefois, Rosatom doit trouver des solutions pour obtenir des financements, former les personnels et satisfaire les régulateurs. Ces obstacles lui imposent d'être pragmatique ce qui le conduit à donner la priorité à l'Asie[69].

Pouvoir centralisé fort et indépendance

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Sous la direction de Vladimir Poutine, la suprématie du pouvoir central s'est affirmée dans toute la fédération de Russie, et celle-ci qui au tournant du XXIe siècle n'était plus considérée comme une puissance mondiale, est revenue sur la scène mondiale comme l'un des acteurs géopolitiques et militaires les plus importants et les plus actifs depuis le milieu des années 2010[70].

Évolution de la démocratie en Russie
Indice 2010 2015 2019
Indice de démocratie[71] Rang 107 132 134
Indice de perception de la corruption[72] Rang 154 119 137
Indice de développement
humain (IDH)
Valeur 0,755 0,804 0,824
Rang 66 49 52

À la fin des années 1990, la voix du pouvoir central ne porte plus, devenue inaudible face à des oligarques tout-puissants, à une administration corrompue et inefficace et à des régions plus puissantes que le centre fédéral. La reconstruction d'un État fort, sur un mode autoritaire habituel en Russie mais éloigné du modèle démocratique occidental, est la priorité de V. Poutine qui, en héritier des dirigeants soviétiques, réorganise l'administration de l'État russe selon une « verticale du pouvoir », expression qui symbolise la recentralisation de l'organisation territoriale russe selon un modèle qui rappelle fortement le « centralisme démocratique ». La « verticale du pouvoir » concerne aussi le champ politico-médiatique avec différentes formes de contrôle des partis politiques et des médias[2],[73].

La mise au pas des oligarques de l'ère Eltsine permet de reprendre le contrôle de pans entiers de l'économie, notamment dans le secteur de l'énergie. La croissance des revenus tirés de l'exploitation largement nationalisée du gaz et du pétrole permet à l'État russe de retrouver sa pleine souveraineté en s'affranchissant de la dépendance financière à l'égard des Occidentaux, et d'avoir les moyens de financer la remise à niveau de son armée et de mener une politique étrangère offensive[2]

Pour gagner les élections, et si possible avec une marge confortable, le régime bride l'opposition politique mais a aussi besoin de trouver des leviers pour entretenir sa popularité. L'augmentation du niveau de vie et la lutte contre la corruption ont été un temps les thèmes privilégiés du pouvoir qui a pu mettre à son actif la croissance économique des années 2000-2008. Durant la décennie 2010, faute de pouvoir faire état de progrès sur le plan intérieur, la politique extérieure est devenue le thème le plus exploité pour continuer de recueillir le soutien des électeurs russes toujours sensibles à la grandeur du pays. Ces nécessités de politique intérieure expliquent un certain aventurisme extérieur qui — revers de la médaille — isole Moscou des pays susceptibles de contribuer à sa croissance, à l'exception de la Chine. Combinée avec des violences politiques de plus en plus visibles, cette politique extérieure agressive engendre aussi des sanctions de la part des États-Unis et de l'Europe dont l'effet sur la population et la capacité d'innovation de l'industrie russe n'est pas négligeable[74].

Mobilisation des communautés russophones et orthodoxes

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Le monde russophone.

Pour remplacer le marxisme, la Russie se voit obligée de se chercher une nouvelle place dans le monde, de nouvelles valeurs communes, un nouveau projet pour fédérer ses alliés. L'analyse géopolitique est ainsi remise à l'honneur. La théorie dominante qui en émerge est largement fondée sur l'analyse de S. Huntington selon laquelle les relations internationales, après avoir été dominées par les États-nations puis par les idéologies, le seront par le choc des civilisations parmi lesquelles il identifie la civilisation orthodoxe[75].

Mais la fédération de Russie est confrontée à sa propre diversité ethnique et religieuse. Sa population comprend environ 20 % de personnes d'ethnies autres que russe ; le mot rossiyanin et non le mot russkiy est utilisé pour désigner un citoyen de la Russie. Plus de 100 M de Russes, soit 70 % de la population, se déclarent orthodoxes, et plus de 10 % musulmans. La population, dans la partie européenne du pays, est très majoritairement russe orthodoxe, mais dans le Caucase et en Asie centrale les minorités sont très largement représentées, ce qui rend plus difficile la construction d'une identité nationale[76],[77]. Le pouvoir est donc obligé pour mobiliser l'ensemble de la population de jouer non seulement sur une fierté nationale héritée de l'Empire russe et au moins pour certains de l'Union soviétique, mais aussi sur l'exacerbation de l'hostilité à l'Occident.

De façon symétrique inverse, vis-à-vis de l'« Étranger proche », Moscou compte sur le levier d'influence politique et le cas échéant d'action que constitue la présence dans les anciennes RSS d'une population russophone ou orthodoxe nombreuse, d'origine ethnique russe ou non[78],[76]. Le russe est deuxième langue officielle dans trois anciennes républiques soviétiques : la Biélorussie (biélorusse-russe), le Kazakhstan (kazakh-russe) et le Kirghizistan (kirghiz-russe). Si la Russie compte de loin la plus grande population orthodoxe dans le monde (100 M sur 260 M), l'Ukraine en compte 35 M, la Roumanie 19 M, la Grèce 10 M, la Serbie 7 M, la Biélorussie et la Bulgarie 6 M chacune[79].

Part russophone de la population
Pays Pop.
2019
(en M.)
[52]
Russes
[78]
Russo-
phones
[76]
  Russie 144,4 86% 86%
Europe
  Biélorussie 9,5 8,3% 70%
  Estonie 1,3 25,6% 30%
  Lettonie 1,9 27,8% 34%
  Lituanie 2,8 8,7% 8%
  Moldavie 2,7 5,9% 10%
  Ukraine 44,4 27,3% 30%
Asie centrale
  Kazakhstan 18,5 23,7% 94%
  Kirghizistan 6,5 12,5% 9%
  Ouzbékistan 33,6 5,5% 14%

Les valeurs indicatives moyennes par pays masquent souvent de grandes disparités régionales. Ainsi en Ukraine, dans plusieurs régions plus des deux tiers de la population est russophone. La Crimée est peuplée à 58% de russes ethniques et Sébastopol à 71%[80]. L'annexion de la Crimée[81] par un coup de force en est aux yeux des autorités russes rendue légitime par un référendum organisé dans la foulée où 97 % des votants se prononcent en faveur du rattachement à la Russie. Le scrutin ne s'est pas tenu dans des conditions normales, mais six ans plus tard, en 2020, les habitants demeurent très largement favorables à cette annexion[82].

La Russie ne met pas en avant le panslavisme, doctrine prônant l'unité du peuple slave sous l'autorité russe, dans sa politique extérieure de façon officielle du moins. Cependant, les nationalistes russes et les communistes ont joué la carte d'influence culturelle et linguistique russe pour promouvoir l'idée d'union entre les anciennes républiques soviétiques voire la restauration de l'Union soviétique. Le parti d'extrême droite nationaliste russe, le Parti libéral-démocrate de Russie, ainsi que le parti d'extrême gauche nationaliste russe, le Parti national-bolchevique, ont même prôné le retour par la force à une forme de l'Empire russe faisant preuve de chauvinisme et de xénophobie.

Sur le plan officiel, la Russie s'est par ailleurs engagée dans un rapprochement poussé avec la Biélorussie en vue de créer avec elle une union de type confédéral. Les liens entre la Russie, la Bulgarie[c] et la Serbie restent également encore assez marqués par la doctrine panslave.

Ressources naturelles considérables

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Réserves de pétrole et de gaz
(% et rang mondial)[9]
Données 2019 Pétrole Gaz
Pays % Rg. % Rg.
  Russie 6,2% 6 19,1% 1
  Iran 9,0% 4 16,1% 2
  Qatar 1,5% 14 12,4% 3
  Turkménistan 0,0% 46 9,8% 4
  États-Unis 4,0% 9 6,5% 5
  Chine 1,5% 13 4,2% 6
  Venezuela 17,5% 1 3,2% 7
  Arabie saoudite 17,2% 2 3,0% 8
  Canada 9,8% 3 1,0% 17
  Irak 8,4% 5 1,8% 12
Légende des couleurs : voir note[T 1].

Le pétrole et le gaz dominent l'économie russe. La Russie possède les premières réserves de gaz naturel au monde (19,1 % des réserves prouvées fin 2019) et les sixièmes réserves de pétrole (6,2 %)[9].

La Russie est le 2e producteur mondial de gaz (environ 680 milliards de m3 en 2019) et en est le premier exportateur mondial (261 milliards de m3 en 2019) devant le Qatar (143), les États-Unis (132), la Norvège (111) et l'Australie (100)[83]. Ces exportations sont pour l'essentiel effectuées par pipeline (217 milliards de m3) à destination de l'Europe (198). Le reste l'est sous forme de gaz naturel liquéfié par voie maritime, à parts égales vers l'Europe et l'Asie[9],[84].

Production de pétrole et de gaz
(% et rang mondial)[9]
Données 2019 Pétrole Gaz
Pays % Rg. % Rg.
  États-Unis 17,9% 1 23,1% 1
  Arabie saoudite 12,4% 2 2,8% 9
  Russie 12,1% 3 17,0% 2
  Canada 5,9% 4 4,3% 6
  Irak 5,0% 5 0,3% 42
  Émirats arabes unis 4,2% 6 1,6% 15
  Chine 4,0% 7 4,5% 5
  Iran 3,7% 8 6,1% 3
  Qatar 1,5% 14 4,5% 4
  Venezuela 0,7% 30 0,7% 30
Légende des couleurs : voir note[T 1].

La société Gazprom, contrôlée par l'État russe, première compagnie au monde de production de gaz[85],[86], exporte en 2018 et 2019 environ 200 milliards de m3 dans les pays de « l'étranger éloigné » en Europe dont 57 vers l'Allemagne, 22 vers l'Italie et 14 vers la France[87]. Bénéficiant d'une situation géographique favorable, la Russie est le premier fournisseur de l'Union européenne (UE)[d] dont la demande est en constante progression.

Ce commerce du gaz n'a pas été affecté par la crise des relations entre l'UE et la Russie depuis les évènements en Crimée et dans le Donbass de 2014. L'Ukraine demeure une vois d'acheminement du gaz russe vers l'UE, même si son importance décroît. L'augmentation des approvisionnements en gaz russe vers l'Europe est due à des facteurs commerciaux et contextuels peu dépendants de la politique : la reprise économique en Europe dans les années 2015-2019, la baisse de la production de gaz dans l'UE, la baisse des prix du gaz russe, le règlement des contentieux gaziers entre l'UE et la Russie et la disponibilité limitée de gaz naturel liquéfié (GNL) non russe sur le marché européen en sont les principales raisons. Les températures hivernales froides et l'augmentation du passage du charbon au gaz dans certains pays européens ont également stimulé la demande de gaz[88].

Le gaz naturel est au centre de la politique énergétique de la Russie. À l'horizon 2035, le gouvernement russe prévoit un recul de ses exportations de pétrole et une forte augmentation de ses exportations de gaz naturel, qui est considéré sur le plan international comme une énergie de transition, du fait que ses émissions de CO2 sont moindres que celles du charbon et, dans une moindre mesure, du pétrole. À cet effet, Moscou prévoit d'en augmenter la production de 30 % et surtout de multiplier par quatre ses capacités de liquéfaction afin de conquérir de nouveaux marchés en Asie et d'être ainsi moins dépendant de l'Europe[89],[90]. Dans ce contexte favorable, la Russie poursuit d'importants projets d'infrastructure pour l'exportation de gaz vers l'Europe et l'Asie, tels que le projet Arctic LNG 2, auquel TotalEnergies participe[91], et la construction des pipelines TurkStream et Nord Stream 2[86],[88]. En 2022, la guerre en Ukraine bouleverse la politique énergétique de la Russie et de l'Europe des Vingt-Sept dont les importations de gaz proviennent pour près de la moitié de Russie[92]. L'abandon, au moins provisoire, du projet Nord Stream 2 par l'Allemagne qui y était très attachée en est une première manifestation tangible[93].

Le gouvernement russe participe activement aux travaux du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF) qui a pour objet de mettre en place un mécanisme de coordination des prix de gaz naturel. La Russie considère ce forum gazier comme une structure qui devrait s'occuper de projets communs, et de la création, entre autres, de réseaux de transport du gaz. Selon les analystes, la Russie, le Qatar et l'Iran formeraient la « grande troïka gazière », un noyau dur de l'organisation, susceptible de la transformer en cartel de type OPEP[94].

Puissance militaire restaurée

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Budget de la défense des 4 pays d'Europe consacrant le plus de moyens à leurs forces armées (en euros courants) - Source OTAN[95] et SIPRI[96].

Le budget de défense de la Russie a augmenté de 175 % en termes réels de 2000 à 2019, et de 30 % de 2010 à 2019, passant de 49,2 à 64,1 milliards USD constant de 2018. Sur cette période 2010-2019, les dépenses militaires représentent entre 3,4 % et 5,5 % du PIB. Converti en euros, le budget de défense de la Russie est le plus élevé d'Europe, mais dans des proportions qui paraissent faibles au regard de l'importance des moyens alignés par ses forces armées.

Cette distorsion tient au moins en partie au fait que la Russie importe très peu de technologies militaires et que ses coûts de production d'armements sont inférieurs à ceux des pays occidentaux. Les salaires et pensions des personnels militaires sont également très inférieurs aux standards occidentaux[97]. Enfin, la Russie rend très visible la priorité accordée à la modernisation de ses forces nucléaires et à la production d'armements nouveaux, soignant ainsi son image de forte puissance militaire[98],[96],[95].

Bien qu'amoindrie par rapport à l'Union soviétique sur les plans économique et géographique, la Russie est redevenue durant les années 2010 une grande puissance militaire. Elle dispose d'un arsenal nucléaire fonctionnellement équivalent à celui des États-Unis, et de forces non nucléaires largement modernisées qu'elle n'hésite pas à engager en Tchétchénie, en Géorgie, en Ukraine ou en Syrie. Alors que la plupart des nations européennes ne consacrent que des moyens limités à leurs forces militaires, la puissance militaire est devenue dans les années 2010 le principal avantage comparatif de la Russie[99].

Budget de défense[97]
(en milliards d'euros PPA courants)
Pays 2014 2019
  États-Unis 536 577
  Chine 286 400
  Russie 131 118
  Royaume-Uni 47 53
  Allemagne 37 48
  France 39 44
  Japon 40 43

La Russie est l'un des cinq pays reconnus officiellement par le Traité de non-prolifération nucléaire comme possédant l'arme nucléaire. Les accords de non-dissémination des armes nucléaires de l'ex-URSS font de la Russie l'héritière de l'arsenal nucléaire soviétique. La Russie et les États-Unis demeurent les deux seules superpuissances nucléaires dans le monde. En 2020, elles possèdent encore chacune autour de 6 000 têtes nucléaires, dont 1570 et 1750 respectivement sont prêtes à l'emploi[100]. Leurs arsenaux nucléaires stratégiques sont encadrés par le traité New Start qui arrive à échéance début 2021. Depuis la dénonciation du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en 2019 par D. Trump, les deux pays sont libres de développer ce type d'armes.

Ses forces d'active comptent 900 000 hommes en 2018. L'engagement des forces russes à partir de 2014 en Ukraine et de 2015 en Syrie leur permet de mettre en œuvre de nouveaux matériels et de nombreuses innovations tactiques, et de bénéficier d'une accumulation rapide de compétences grâce à une expérience opérationnelle presque ininterrompue depuis 2014. Au-delà des résultats politiques escomptés, les engagements russes en Ukraine et en Syrie sont aussi clairement utilisés comme de grands champs d'expérimentation en appui de la transformation profonde opérée depuis 2008[101].

La modernisation des armées jouit d'un soutien politique sans faille durant les années 2010. Mais une situation économique en demi-teinte et les sanctions occidentales obligent les autorités russes à être pragmatiques. La grande majorité des matériels en service en 2020 sont des versions améliorées d'équipements conçus il y a longtemps. Les développements nouveaux concernent en priorité les systèmes de dissuasion nucléaire et conventionnelle pour ne jamais être distancé par les États-Unis et pour compenser la présence des forces américaines en Europe dans le cadre de l'OTAN. Ces développements de missiles nouveaux (9M729, Zircon, Kalibr, Kinzhal) sont fortement mis en scène par le pouvoir politique[102].

La Russie dispose de ce fait d'un important complexe militaro-industriel compétitif sur le marché extérieur, au service des desseins géopolitiques du pouvoir qui gère centralement toutes les exportations d'armes. La Russie occupe le deuxième rang mondial sur ce marché où, selon le SIPRI, entre 2015 et 2019, les ventes d'armes de la Russie représentent 21 % du total mondial[103]. Ses clients traditionnels, hérités de l'ère soviétique, sont l'Inde, la Chine, le Viêt Nam et l'Algérie. Les exportations d'armes sont aussi au service de sa stratégie d'influence et de déstabilisation dans des pays traditionnellement liés à l'Ouest comme le montrent les ventes de missiles S-400 à la Turquie, pourtant membre de l'OTAN, et à l'Arabie saoudite, grand allié des États-Unis au Moyen-orient[104].

Maîtrise des stratégies indirectes

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Au XXIe siècle, les États recourent largement à des stratégies indirectes pour atteindre leurs objectifs et la Russie ne fait pas exception. Si un emploi limité des forces armées régulières n'est pas exclu, comme l'attestent par exemple les opérations militaires de la Coalition internationale en Irak et en Syrie et des Russes en Syrie, les puissances mondiales et régionales utilisent de plus en plus les leviers du « soft power »[105] et de la « guerre hybride »[106],[e]. Le document Foreign Policy Concept of the Russian Federation de 2016 souligne l'importance croissante des capacités technologiques et informatiques dans la lutte d'influences à laquelle se livrent les États et souligne « qu'en plus des méthodes traditionnelles de diplomatie, le « soft power » fait désormais partie intégrante des efforts visant à atteindre les objectifs de la politique étrangère »[3].

En pratique, la Russie déploie une stratégie indirecte à grande échelle depuis le retour de V. Poutine à la présidence de la Russie en 2012. Avant cette date, il s'agissait de donner une image positive de la Russie dans une optique essentiellement défensive. Après, la démarche est devenue beaucoup plus offensive. Une des priorités est d’attaquer les gouvernements européens via les médias contrôlés par Moscou, comme RT et Sputnik, mais aussi en soutenant l'activisme sur les forums de discussions et en cherchant l'appui de réseaux économiques et politiques avec lesquels existe une convergence d'intérêts[107]. En 2016, le Parlement européen adopte une résolution qui met en garde contre l'utilisation par le gouvernement russe « d'un large éventail d’outils et d’instruments, tels que des groupes de réflexion […], des chaînes de télévision multilingues (par exemple Russia Today), des pseudo-agences de presse […], des réseaux sociaux et des trolls professionnels sur Internet, pour diviser l'Europe, challenger le modèle démocratique et créer la perception d'États défaillants dans le voisinage oriental de l'UE »[108].

Pourcentage d'opinions favorables de la Russie.

L'Allemagne et les pays de l'ancien blocs de l'Est perçus comme les plus fragiles — la Lituanie, la Bulgarie notamment — sont plus particulièrement visés. Ainsi le gouvernement allemand est l’objet d’attaques très violentes pour sa gestion de la crise de l’euro puis de la crise migratoire en Europe. Toujours en Allemagne, les actions russes visent les industriels de l’énergie et de la construction mécanique ainsi que le Parti social-démocrate (SPD) dont la proximité avec la Russie est héritée de l'Ostpolitik et d'un sentiment de reconnaissance du rôle joué par les Soviétiques dans la victoire sur le nazisme[107].

Les effets attendus des actions russes de soft power sont largement minés par le volet plus visiblement agressif de la géopolitique russe, en Ukraine typiquement, dont les actions sont régulièrement condamnées par les gouvernements occidentaux et asiatiques, et largement relayées par les médias.

Une étude annuelle publiée par le Pew Research Center montre que les Occidentaux ont plutôt une image défavorable de la Russie et que celle-ci s'est dégradée avec la guerre russo-ukrainienne. En 2020, dans 12 des 14 pays développés d'Europe ou d'Asie inclus dans l'étude, les opinions défavorables l'emportent sur les opinions favorables, la moyenne s'établissant à 66 % d'opinions défavorables. Seules 23 % des personnes interrogées font confiance à V. Poutine pour bien gérer les affaires du monde[f],[109],[110].

Classement Soft Power
(indice Portland & USC[111])
Pays du Conseil de sécurité + All. et Japon 2016 2019
  Allemagne 3 3
  Chine 28 27
  États-Unis 1 5
  France 5 1
  Japon 7 8
  Royaume-Uni 2 2
  Russie 27 30
Légende des couleurs : voir note[T 1].

Selon une évaluation publiée par Portland associé à l'Université de Californie du Sud, la Russie ne peut guère compter sur ses capacités de déploiement des leviers du « soft power » pour atteindre ses objectifs. Son handicap en la matière demeure grand par rapport à la plupart des démocraties européennes, et même par rapport aux États-Unis bien que la présidence Trump ait notablement abimé l'aura et l'influence américaines[111].

Ambitions mondiales de la Russie

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Une puissance régionale ?

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Les moyens financiers et militaires permettent à la Russie de mener une politique extérieure active et le cas échéant conflictuelle en Europe de l'Est, en Asie centrale et au Moyen-Orient. Sa politique dynamique au Moyen-Orient et son intervention militaire en Syrie depuis 2015 ont ainsi largement contribué au à confirmer son statut de puissance régionale[70]. Contrairement aux grandes puissances elle n'est toutefois pas en mesure de lancer des opérations militaires hors de sa zone proche.

Sur le plan diplomatique elle dispose de davantage de marges de manœuvre, la Russie a en effet hérité du statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU en tant qu'État continuateur de l'ancienne URSS. Son admission au G7/G8 depuis 1997 et G20 depuis sa fondation en 1999 renforcent les liens économiques de la Russie[112]. La Russie ne rejoint l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qu'en 2012. Elle était jusque là la plus grande économie du monde à ne pas appartenir à l’OMC et le seul pays membre du G8 et du G20 à ne pas y siéger. Cette absence affaiblissait les positions de la Russie dans ces instances politico-économiques[63].

Afin de jouer davantage de rôle au niveau mondiale, la Russie promeut activement les sommets des BRICS qui sont une plateforme pour promouvoir le multilatéralisme et organiser des coopérations en dehors des cercles dominés par les États-Unis. Ils permettent aussi de préparer des positions communes lors des réunions du G20 traditionnellement dominés par les États-unis et leurs alliés[113]. En marge des BRICS et de l'OCS, la Russie, l'Inde et la Chine (RIC) entretiennent des réunions tripartites régulières, parfois au niveau des chefs d'État comme en juin 2019[114],[115].

Les principaux points faibles de la Russie en tant que puissance sont sa faible démographie, son déclin démographique, le manque d'attractivité de son modèle économique et démocratique et surtout son très faible poids économique. Ces faiblesses critiques la placent très loin derrière les États-Unis, la Chine, l'Union européenne ou l'Inde. La Russie n'a pas non plus, à la différence des États-Unis et des Européens, un vaste réseau d'alliés stables et fiables dans le temps, capables de se mobiliser en situation de crise[116],[g]. Proposant un modèle autoritaire et économiquement peu attractif, elle a échoué à fédérer autour d'elle les pays de sa zone d'influence de l'ère soviétique, tout en s'éloignant de l'Union européenne. La Russie est ainsi une puissance régionale indépendante mais isolée. Ses relations en dent de scie avec la Biélorussie ou la Turquie en sont l'illustration. Puissance continentale, la Russie interagit dans toutes les directions avec ses nombreux voisins, sans qu'en ce début de troisième décennie du XXIe siècle un ou deux axes d'alliance privilégiés puissent être mis en évidence[70].

En raison de sa posture nationaliste et revanchiste, elle est au contraire considérée début 2021 par les principales puissances occidentales comme la principale menace à l'ordre international de par sa « posture d'intimidation stratégique » et ses actions qui visent à « dégrader la liberté d'action des puissances occidentales » selon les termes du document Actualisation stratégique 2021 du Ministère des Armées français[117]. Le Royaume-Uni et les États-Unis adoptent des positions similaires dans les documents de stratégie publiés en [118],[119].

Le tournant vers l'Asie pris par la Russie en 2012[120], année de réélection de Vladimir Poutine, se développe d'une part sur un plan bilatéral sino-russe et d'autre part sur un plan régional, à travers notamment l'Organisation de coopération de Shanghai. Contrairement à ses coopération économiques avec les Européens, cette réorientation, si elle renforce les échanges énergétiques au profit de la Chine, n'aboutit pas à une réindustrialisation ni à des transferts de technologie. Elle ne doit donc pas masquer l'importance pour le développement économique de la Russie de ses relations avec l'Europe et plus particulièrement avec l'Allemagne et la France, largement compromises par la guerre en Ukraine.

Partenariat stratégique sino-russe

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La « doctrine Primakov », du nom du ministre des Affaires étrangères russe de 1996 à 1998, consiste à conduire une diplomatie triangulaire en nouant des liens forts avec Pékin de manière à retrouver des marges de manœuvre dans les relations avec Washington et les Européens, alors que les Russes subissent plus qu'ils ne sont acteurs de leur destin. La doctrine Primakov a d'emblée une visée antiaméricaine que Vladimir Poutine transforme durant les années 2000 en un défi ouvert. Le « partenariat stratégique » est noué avec la Chine dès par Boris Eltsine. Les accords signés portent sur le nucléaire civil, l'exploitation des ressources énergétiques, l'industrie de l'armement et le commerce[121]. Les relations ont depuis lors pris de l'ampleur dans le domaine énergétique, économique mais aussi en matière politique. Les deux puissances s'appuient réciproquement l'une sur l'autre. Pour peser en Europe, la Russie cherche des soutiens du côté de la Chine, qui de son côté utilise son partenariat avec la Russie pour diversifier son approvisionnement énergétique et contrebalancer l'influence des États-Unis en Asie-Pacifique[121].

Sur le plan politique, le Traité sino-russe de bon voisinage, d'amitié et de coopération signé le consacre le partenariat stratégique entre les deux pays[122],[123]. La Russie s'aligne sur la Chine concernant Taiwan (article 5 du traité) : « La partie russe reconnaît qu'il n'y a qu'une seule Chine dans le monde, que la république populaire de Chine est le seul gouvernement légal représentant l'ensemble de la Chine et que Taiwan est une partie inaliénable de la Chine. La partie russe s'oppose à toute forme d'indépendance de Taiwan. »[122]. Le traité met aussi l'accent sur la défense de l'unité nationale et de l'intégrité territoriale ; concrètement, les deux parties s'engagent à régler pacifiquement les différents relatifs à leur frontière encore existants[122].

La Chine et la Russie ratifient en 2004 un traité complémentaire concernant leur frontière orientale, mettant fin à quarante ans de négociations et levant ainsi le plus grand obstacle au développement de leurs relations bilatérales[124]. L'entente semble réelle entre les deux dirigeants, V. Poutine et Xi Jinping qui partagent une même vision géopolitique globale : refus du droit d'ingérence, hostilité à l'exportation du modèle occidental de démocratie libérale, intangibilité des frontières, soutien au moins formel au multilatéralisme et aux solutions négociées. Dans le même temps, les deux pays renforcent considérablement leurs capacités militaires[121].

Partenariat économique déséquilibré

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Partenariat commerciaux (rang 2018)
Export de :  
RUS
 
CHN
 
USA
Vers :
  RUS 16 31
  CHN 1 3
  USA 9 1
Légende des couleurs : voir note[T 1].

L'atout principal de la Russie dans sa relation avec la Chine est sa capacité à contribuer toujours davantage aux besoins croissants en pétrole et en gaz de la Chine. Ce basculement vers l'Asie est rendu difficile par le fait que les sites de production sont pour la plupart situés à l'ouest et au nord du territoire russe et que les conditions géographiques et climatiques compliquent l'extraction et surtout l'acheminement du pétrole et du gaz russe vers l'Asie continentale et le Pacifique. Des investissements considérables sont dès lors requis pour rendre opérationnelle cette stratégie de bascule. Grâce aux financements chinois et aux technologies chinoises mais aussi françaises, les exportations vers l'Asie connaissent enfin depuis le milieu des années 2010 un essor considérable. Ainsi, les exportations russes de pétrole brut vers la zone Asie-Pacifique représentent 18 % du total en 2011, puis 28 % de 2014 à 2016, pour atteindre 33 % en 2018. Cet accroissement représente un doublement du tonnage acheminé vers cette zone, principalement grâce à de nouveaux pipelines (42,5 Mt en 2011, 86,3 Mt en 2018)[125]. Les débuts opérationnels du pipeline de gaz « Power of Siberia » fin 2019 vont aussi permettre d'accroître les livraisons de gaz russe[126].

Sur le plan économique, le commerce entre les deux pays est passé de 8 milliards de dollars en 2000 à 60 milliards en 2010 et 100 milliards en 2018[58]. Des coopérations emblématiques sont nouées comme la fondation en 2017 d'une co-entreprise en vue de la construction de l'avion de ligne gros-porteur CR929[127]. Cependant la disproportion de puissance économique entre les deux pays est flagrante : si la Chine, qui absorbe 13 % des exportations russes en 2018, est le premier client de la Russie[58], celle-ci ne figure qu'au seizième rang des clients de la Chine dont le premier client est les États-Unis[128].

Limites de l'alliance

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Les déclarations prononcées à la fin de l'année 2020 par les officiels chinois et russes soulignent à l'unisson l'excellence des relations sino-russes, leur désir de continuer à renforcer leur coordination stratégique et leur opposition à la politique des États-Unis qui sape le multilatéralisme[129].

Pour autant certains observateurs doutent qu'existe véritablement une alliance solide entre les deux pays[130],[131]. La structure des échanges commerciaux entre les deux pays où plus des trois quarts des exportations russes sont des matières premières tandis que les importations de Chine sont des biens industriels et de consommation atteste de la supériorité technologique et industrielle de la Chine. Sur le plan financier, les investissements chinois en Russie demeurent limités et de nombreux projets annoncés ne se réalisent finalement pas comme la prise de participation dans Rosneft ou dans le pipeline « Power of Siberia »[130].

La Chine est loin de toujours soutenir les initiatives politico-militaires de la Russie. Elle refuse de reconnaître l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Elle s'abstient lors du vote de la résolution de l'ONU condamnant l'annexion de la Crimée par la Russie[132]. En Asie centrale, que la Chine ne considère en aucun cas comme une zone d'influence naturelle de la Russie,les deux pays s'affrontent. Ainsi, Xi Jinping choisit symboliquement d'inaugurer la Nouvelle route de la soie en 2013 à Astana, la capitale du Kazakhstan, qui partage portant une frontière longue de 7 500 km avec la Russie et abrite la plus grande proportion de Russes de souche en Asie centrale[130].

Coopération régionale en Asie

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Coopérations multilatérales de la Russie
hors de l'Europe
Pays Groupe
de Shanghai
OCS BRICS
Ex-URSS
  Russie 1996 2001 2009
  Kazakhstan 1996 2001
  Kirghizistan 1996 2001
  Ouzbékistan 2001
  Tadjikistan 1996 2001
Asie et Océan indien
  Chine 1996 2001 2009
  Inde 2017 2009
  Pakistan 2017
Afrique et Amérique
  Afrique du Sud 2011
  Brésil 2009

Le partenariat stratégique initié avec la Chine en est immédiatement étendu sur un plan régional par l'instauration du « Groupe (ou Forum) de Shanghai » dont sont membres, outre la Russie et la Chine, les trois États centre-asiatiques : Kazakhstan, Kirghizistan et Tadjikistan[43].

L'objectif de Moscou est de ne pas laisser le champ libre à une Chine en plein développement en nouant une coopération avec elle et ses alliés traditionnels d'Asie centrale. Au-delà d'établir un forum politique conjoint, les cinq États signent en 1996 des « accords visant à renforcer la confiance dans le domaine militaire dans la région de la frontière », puis l'année suivante un « accord sur la réduction conjointe des forces militaires dans les régions frontalières ». Il s'agit en premier lieu pour les cinq pays de mettre fin aux tensions sur leurs longues frontières, et en second lieu de stabiliser la région d'Asie centrale considérée comme un enjeu commun de sécurité au regard notamment de la montée des phénomènes terroristes et extrémistes dans la région. Plusieurs accords de règlement des conflits frontaliers sont signés entre 1996 et 2000 par la Chine avec les autres pays membres[43].

En 2001, les cinq sont rejoints par l'Ouzbékistan et transforment le forum en l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) dont la priorité demeure la sécurité collective, et la lutte contre le terrorisme, les séparatismes et les extrémismes[133],[134]. L'Inde et le Pakistan rejoignent l'OCS en 2017[135].

L’OCS est à l'origine créée pour des raisons sécuritaires et économiques strictement régionales et non comme un outil d'opposition à la présence des États-Unis en Asie. Cependant, l’OCS est progressivement devenue l’une des tribunes privilégiées de la Russie et de la Chine pour manifester leur solidarité politique face à l’hégémonisme des Etats-Unis[134]. Elle sert largement les intérêts de Moscou en ce qu'elle pérennise son influence en Asie centrale et lui permet de ne pas laisser Pékin développer seule une politique de leadership régional. Ce dernier facteur explique l'insistance des Russes à ce que l'Inde et le Pakistan rejoignent l'OCS, ce qui advient finalement en 2017[136],[137].

Moscou ne compte d'ailleurs pas en Asie centrale uniquement sur l'OCS pour défendre ses intérêts, mais aussi sur l'OTSC et l'UEE qui regroupent plusieurs des ex-RSS d'Asie centrale, mais sans la Chine[134]. A contrario, la Russie n'est membre ni de l'ASEAN, ni du Partenariat régional économique global qui rassemble quinze pays d'Asie et du Pacifique autour de la Chine[138],[139].

Retour de la Russie au Moyen-Orient

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L'appui apporté par la Russie depuis 2015 au régime de Bachar el-Assad en Syrie marque le grand retour de la Russie sur la scène moyen-orientale, après plus de vingt-cinq années d'absence. La présence de la Russie dans cette région remonte à plusieurs siècles durant lesquels elle s'est constamment efforcée d'obtenir un accès libre à la Méditerranée et de protéger les Chrétiens d'Orient. Durant la guerre froide, elle soutient le FLP et les pays arabes contre Israël, avant de sortir du jeu diplomatique à la fin des années 1980. Depuis lors, et jusqu'en 2015, les États-Unis se sont comportés en puissance hégémonique dans la région[140].

 
Vladimir Poutine et Bachar el-Assad en novembre 2017

Sauver le régime syrien, allié de Moscou depuis des décennies, répond à un quadruple objectif : repositionner la Russie comme une puissance globale avec laquelle il faut compter au Moyen-Orient, développer une présence militaire en Méditerranée, infliger un revers aux États-Unis dont la politique est devenue plus prudente avec Obama et marquée par un retrait de la présence américaine avec Trump, et enfin garder loin de ses frontières des mouvements islamistes terroristes dont l'entrée sur le territoire russe est une des pires craintes du Kremlin[140].

L'intervention en Syrie démontre aussi que les forces armées russes ont retrouvé de leur efficacité et efface leur piètre performance en Afghanistan et Tchétchénie. Elle est un excellent terrain d'expérimentation de leurs nouvelles armes et d'entraînement de leurs cadres. Mais ce succès militaire n'a pas débouché à fin 2020 sur un accord de paix en Syrie[140],[141].

Au-delà de la Syrie, la Russie a mis en œuvre avec succès dans les années 2010 une stratégie de présence et de coopération avec de très nombreux pays de la région, dans une optique idéologiquement neutre, moins stratégique qu'opportuniste qui lui permet de développer ses liens politiques et économiques et de remplir en partie le vide laissé par les États-Unis, sans pour autant vouloir trouver des solutions pour mettre fin aux conflits qui parcourent le Moyen-Orient et sans avoir les moyens d'être un acteur majeur de la reconstruction ou du développement des pays dévastés par ces conflits[141]. La forte implication de Moscou dans l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien fait exception.

Sur le plan diplomatique, les pays avec lesquels la Russie entretient les liens les plus forts sont l'Iran, la Turquie, l'Arabie saoudite et Israël. Le simple fait que ces États ont des intérêts très divergents illustre les limites des dividendes que Moscou tire de son retour gagnant en Syrie. Des ventes d'armes accrues et la stabilisation des prix du pétrole par un dialogue avec les principaux pays producteurs sont au premier rang des objectifs russes. Mais la guerre des prix du pétrole entre l'Arabie saoudite et la Russie début 2020 montre la fragilité de ces ententes qui ne sont pas basées sur une convergence d'interêts à long terme. Sur le plan économique, Moscou peine à attirer une part significative des capitaux dont disposent les pays du Golfe dont il a besoin pour relancer son économie, affaiblie par les sanctions occidentales. Pour une part au moins, les pays du Golfe et d'autre comme la Turquie utilisent la Russie comme levier de pression pour inciter les États-Unis à aller dans leur sens[141].

Nouveaux enjeux stratégiques en Arctique

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Le réchauffement climatique redonne à l'Arctique un intérêt stratégique qui avait quelque peu diminué avec la fin de la guerre froide. Les enjeux géopolitiques en Arctique[142],[143],[144] sont la conséquence du réchauffement climatique qui se traduit par la fonte de la banquise de mer et le dégel du pergélisol, et offre en conséquence des perspectives élargies d'exploitation des richesses énergétiques et minières, et d'ouverture plus large de routes maritimes jusque là impraticables la majeure partie de l'année. Toutefois plusieurs facteurs viennent limiter la compétition internationale pour la maîtrise des eaux arctiques, où la coopération entre les États riverains, ancienne et étendue à des non-riverains, continue de fonctionner via le Conseil de l'Arctique[h] et s'est concrétisée par nombre de conventions internationales[145],[146],[147]. Le Conseil euro-arctique de la mer de Barents[i] a aussi été maintenu en activité depuis la crise ukrainienne[148].

L'Arctique tend à devenir une composante à part entière de la politique extérieure russe[149],[150]. La Russie publie en 2009 un document décrivant sa politique en Arctique jusqu'en 2020 qui atteste de la volonté des Russes d'exploiter davantage l'Arctique tout en mettant l'accent sur les coopérations et les questions écologiques[151]. La Chine aussi manifeste un intérêt grandissant pour l'Arctique, comme l'atteste la publication en 2018 du document Politique arctique de la Chine dans lequel elle affirme l'objectif de participer à l'exploitation des richesses arctiques[152].

 
Carte de la région arctique montrant le passage du Nord-Est, la route maritime du Nord et le passage du Nord-Ouest.

Au-delà du cercle polaire arctique, deux routes maritimes permettent de relier l'Asie et l'Amérique du Nord à l'Europe : le passage du Nord-Ouest le long des côtes canadiennes, et le passage du Nord-Est (aussi appelée route maritime du Nord) le long des côtes sibériennes de la Russie[153]. Ces routes diminuent d'un tiers environ la durée de la navigation entre l'Asie et l'Europe : par exemple le trajet entre Hambourg et Yokohama est plus court de 7 000 km et dure 15 jours au lieu de 22 par la route maritime traditionnelle. Mais les aléas climatiques demeurent importants, à fin 2018 le trafic maritime empruntant ces voies demeure très faible[145],[154],[155].

Les ressources naturelles, et notamment d'hydrocarbures, sont abondantes en Arctique qui, selon une étude de 2008, pourrait receler 13 % du pétrole et 30 % du gaz non découverts dans le monde[156]. Mais leur coût d'exploitation, au moins trois fois supérieurs à celui des gisements du Moyen-Orient, freine les investissements qui restent concentrés en Russie sur ceux déjà exploités. La Russie a ouvert à la fin des années 2010 de nouvelles mines de charbon, de zinc et de plomb[145]. Le résultat le plus spectaculaire du partenariat stratégique russo-chinois est, dans la région arctique, l'achèvement en 2019 du mégaprojet Yamal LNG et le lancement la même année du projet Arctic LNG 2, projets dans lesquels le groupe français Total est aussi très présent[143],[157].

Les différents les plus réels portent en fait sur les extensions des ZEE nationales au-delà des 200 milles nautiques. Celles-ci ne sont pas décidées selon le principe du « premier arrivé, premier servi », mais en application de règles internationales précises[j] et ne peuvent se résoudre en cas de chevauchement des revendications émises que par la négociation entre les États concernés. L'enjeu est plus politique qu'économique, car 95 % des ressources estimées se situent à l'intérieur de la zone des 200 milles[158].

Le Conseil de l'Arctique a volontairement laissé les questions de sécurité en dehors de son périmètre d'activité. Toute coopération militaire dans la région a cessé avec la Russie dans la région depuis 2014. Durant la présidence de D. Trump, les États-Unis adoptent une posture peu consensuelle, pointent du doigt la Russie et la Chine comme principaux dangers pour la stabilité de la région, et font conduire par l'OTAN en Norvège l'exercice « Trident Juncture », le plus important depuis la guerre froide[159]. De son côté, la Russie aligne à nouveau d'importants moyens militaires en arctique[160].

Rivalités avec les États-Unis et les puissances européennes

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Les avancées enregistrées durant vingt ans dans l'intégration de la Russie au système occidental finissent par échouer au début des années 2010 en raison du double refus de Washington de lui accorder des droits réservés en Eurasie, et de Moscou d'accepter la prédominance américaine. Les élites russes, et la population dans une large proportion, continuent de se projeter dans une vision de la Russie héritière de l'Empire et de la puissance soviétique[70].

Moscou formule en ces termes son point de vue : « Les problèmes systémiques dans la région euro-atlantique qui se sont accumulés au cours du dernier quart de siècle à travers l'expansion géopolitique poursuivie par l'OTAN et l'UE , […] ont entraîné une grave crise dans les relations entre la Russie et les États occidentaux. »[3].

Hégémonie américaine contre sphère d'influence russe

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Au-delà des évènements qui affectent de façon conjoncturelle les relations entre les États-Unis et la Russie, celles-ci sont de façon permanente affectées par le refus des Russes de considérer l'hégémonie américaine comme une donnée immuable de la géopolitique mondiale et par le refus des États-Unis de reconnaître à la Russie une zone d'influence[161],[99].

Bien qu'en creux la stratégie d'« endiguement » adoptée par les Américains durant la guerre froide signifia l'acceptation bon gré mal gré d'une zone d'influence soviétique en Europe de l'Est et plus largement communiste à partir du moment où la Chine passa irrémédiablement entre les mains du PC chinois, les États-Unis tout au long de leur histoire se sont efforcés de dénier à leurs rivaux le droit d'établir une zone d'influence tout en développant la sienne au nom de l'exceptionnalisme américain. La Russie ne veut pas d'un monde unipolaire et promeut au contraire un monde multipolaire dominé par quelques grandes puissances — a minima les États-Unis, la Chine, l'Inde et la Russie — et des puissances moyennes dont les BRICS. Aussi la Russie a-t-elle d'une part établi des coopérations avec la plupart des puissances émergentes capables de contribuer à contester l'hégémonie américaine, et d'autre part utilisé tous les moyens possibles du « soft power » et de la « guerre hybride », bien au-delà des pratiques diplomatiques, pour contrecarrer la présence américaine dans son ancienne zone d'influence de l'ère soviétique où sa faiblesse dans les années 1990 l'a mise en mauvaise posture[161].

Lente dégradation des relations avec les Occidentaux

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Coopérations prometteuses au lendemain de la guerre froide

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Participation de la Russie aux forums et organisations
avec des pays de l'« étranger lointain »
Organisation Membre Nature de la
Coopération
Année
OSCE   Membre fondateur 1995
Conseil de l'Europe   39e membre admis 1996 -
  Retrait après l'invasion de l'Ukraine 2022 -
Sommet de l'Asie orientale (EAS)   Admis en même temps que les États-Unis 2011
G20   Membre fondateur 1999
OMC   156e membre admis 2012
G7/G8   Admis en 1994 1994 -
  Exclu après l'annexion de la Crimée 2014 -
Union européenne   Accord de partenariat et de coopération 1994
OTAN   Acte fondateur OTAN-Russie 1997
Conseil OTAN-Russie 2002
OCDE   Négociations suspendues depuis 2014

Après la guerre froide, les institutions multinationales occidentales s'ouvrent largement à la Russie et la coopération entre les États-Unis et la Russie débouche sur plusieurs accords stratégiques. La Russie bénéficie de partenariats taillés sur mesure pour elle avec l'OTAN et l'Union européenne, mais elle n'est toutefois pas devenue membre à part entière. Le Conseil OTAN-Russie mis en place en 2002 institutionnalise un système de consultations réciproques. Plusieurs accords de partenariat sont signés entre la Russie et l'Union européenne qui constitue aussi un débouché majeur pour le gaz russe.

Ces partenariats sont motivés par le postulat fondamental que la Russie post-soviétique est engagée dans une transition vers la démocratie libérale et l'économie de marché, et que l'Occident doit la favoriser malgré les accrocs et les postures anti-occidentales qui sont vues comme faisant partie du jeu normal de pouvoir dans les négociations internationales[162].

Entre 2009 et 2012, l'administration Obama et les gouvernements européens poursuivent une politique active de partenariat avec la Russie. Barack Obama et Dmitri Medvedev s'accordent sur le Traité New Start de réduction des armes stratégiques, une résolution de l'ONU sur le nucléaire iranien et un accord logistique sur l'Afghanistan. L'OTAN convie la Russie à ses sommets et l'UE propose un « partenariat de modernisation » en 2010[162]. La relance de l'idée de la « maison commune européenne » lancée par Gorbatchev à la fin des années 1980 ne peut aboutir car les Européens ne sont pas prêts à abandonner leurs liens transatlantiques.

De la coopération à l'opposition

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Malgré l'existence de sujets de tension comme le Kosovo ou la Géorgie, la volonté de coopération prévaut jusqu'en 2012, année ou Poutine redevient le président de la Russie. Depuis lors les relations sont devenues majoritairement conflictuelles, en Europe avec principalement la guerre russo-ukrainienne et la remontée en puissance militaire de l'OTAN et de la Russie, mais aussi au Moyen-Orient où la politique menée par Moscou avec la Syrie et la Turquie s'oppose à celle poursuivie par les capitales occidentales.

La guerre russo-ukrainienne est la plus longue période de froid entre la Russie et les Occidentaux depuis le début du XXIe siècle. Elle est ouverte en par la décision de ne pas signer l'accord d'association entre l'Ukraine et l'Union européenne, puis l'annexion de la Crimée par la Russie et son engagement militaire au Donbass dans le cadre d'une guerre hybride. Les premières sanctions diplomatiques prises en réaction à ces évènements par les États-Unis et l'UE concernent la suspension de la participation russe au G8 et le retrait du soutien occidental à la candidature russe à l'OCDE[163]. Ces sanctions sont élargies et durcies après le crash du vol Malaysia Airlines 17 atteint par un missile de fabrication russe. Les États-Unis visent de grands groupes énergétiques (Rosneft, Novatek), des banques de premier plan (Gazprombank, VEB) et des groupes d'armement. L'UE gèle des programmes de la Banque européenne d'investissement (BEI) et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), et prend des sanctions qui visent le secteur bancaire russe, le complexe militaro industriel, les groupes pétroliers, l'exportation d'armes et de technologies sensibles. La suspension d'une partie de ces mesures est conditionnée au respect des accords de Minsk. En représailles, Moscou adopte des contre sanctions portant notamment sur les exportations agroalimentaires européennes[162].

Critiques contre l'OTAN et retour de la course aux armements

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L'OTAN est le principal sujet de crispation de la politique russe vis-à-vis des Occidentaux. Dans le prolongement de la volonté de Staline de créer un glacis aux frontières occidentales de l'URSS, Moscou ne se résout pas à la présence à ses frontières de pays membres de l'OTAN et entretient une polémique sur les engagements qui auraient été pris par George H. W. Bush de ne pas étendre l'OTAN vers l'Est[164]. En , Moscou transmet aux États membres de l'OTAN un projet de traité qui reviendrait à ramener l'OTAN à sa configuration de 1997, avant les élargissements vers l'Est, dans un contexte de vives tensions au sujet de l'Ukraine, illustratif d'une communication qui entretient la nostalgie de l'empire soviétique, disparu trente ans auparavant[165],[166].

Plus aucun traité de limitation des armes conventionnelles ou nucléaires intéressant l'Europe n'est en vigueur. Le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE) signé en 1990 a dû être renégocié à la suite de l'éclatement de l'URSS. Le traité « FCE adapté » est signé en 1999, mais n'est finalement pas ratifié. En avril 2007, Poutine signe un décret par lequel il suspend officiellement la participation de la Russie au traité FCE, en réponse à l'expansion de l'OTAN et au projet américain de déploiement d'un bouclier antimissile en Pologne et en Tchéquie[167]. Quelques mois plus tard, la Russie se retire du traité, estimant que certaines clauses trop strictes l'empêcheraient de lutter efficacement contre le terrorisme[168]. Enfin, en , la Russie annonce qu'elle suspend sa participation aux réunions du Groupe consultatif commun, dernier canal de consultation sur le FCE, qui continue d'exister dans le cadre de l'OSCE[169],[170]. Les États-Unis, imités par la Russie, se retirent du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) en 2019[171].

Élargissement de l'OTAN et coup d'arrêt russe en Géorgie et en Ukraine

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La Russie achève en 1994 le retrait de ses troupes stationnées dans les pays d'Europe de l'Est qui étaient membres du pacte de Varsovie[réf. souhaitée]. En situation de faiblesse, la Russie n'a pas les moyens de s'opposer à l'élargissement de 1999, ni même à celui de 2004. Le Conseil OTAN-Russie (COR) mis en place en 2002 permet tout de même de poursuivre les échanges. À partir de 2007, V. Poutine tient un discours très offensif pour dénoncer l'unilatéralisme américain et l'OTAN[37]. Elle met à exécution en décembre 2007 sa menace de suspendre sa participation au traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) de 1990[172]. Invité au sommet de l’OTAN à Bucarest en avril 2008, Vladimir Poutine parvient à bloquer l’ouverture du Plan d’action pour l’adhésion (MAP) à la Géorgie et à l’Ukraine. Cette victoire politique est ensuite renforcée par la guerre éclair conduite contre la Géorgie en août 2008[173], à la suite de laquelle les réunions formelles du COR et les coopérations en cours sont partiellement suspendues jusqu'au printemps 2009[174],[175]. Depuis 2008, si le principe de l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine à l'OTAN a été réaffirmé à plusieurs reprises et des collaborations importantes ont été instaurées, ni l'un ni l'autre de ces deux pays n'a pas été appelé à participer au plan d'action pour l'adhésion (MAP) afin de ne pas provoquer la Russie[176].

Consécutif à la crise ukrainienne de 2013-2014, le renforcement des moyens militaires de l'OTAN et de la Russie en Europe centrale accroît les tensions et les craintes réciproques d'une déstabilisation de la sécurité en Europe. Le document Russian National Security Strategy de 2015 dénonce « le caractère inacceptable pour la Russie de l'intensification des activités militaires de l'OTAN près de ses frontières, de la construction d'un système de défense antimissile et des tentatives de conférer à l'OTAN un rôle global en violation des dispositions du droit international »[177].

Simultanément, la Russie accepte mal l'ancrage occidental des pays baltes et de façon plus large de tous les pays scandinaves. Il en résulte un climat de tension permanente, qui s'est accrue sur le plan militaire depuis 2014 avec le renforcement des capacités de la Russie et de l'OTAN stationnées en Europe du Nord et dans la Baltique[178].

Désaccord total sur la défense antimissile de l'OTAN

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L'installation en Europe de systèmes de défense antimissile, directement par les États-Unis ou sous l'ombrelle de l'OTAN, est depuis toujours combattue par la Russie qui y voit un danger d'affaiblissement de ses capacités nucléaires stratégiques. L'administration américaine a toujours mis en avant que son objectif est de se prémunir contre les missiles balistiques de l'Iran et de la Corée du Nord, sans jamais convaincre les Russes.

Conçu par l'administration Bush, le plan d'origine est d'implanter en Pologne un troisième site du système Ground-Based Midcourse Defense (GMD)[179] capable d'intercepter des ICBM, en complément des sites en Alaska et en Californie. En , dans le cadre du « reset » des relations avec la Russie, B. Obama annonce l'abandon de ce projet et son remplacement par un scénario phasé — The European Phased Adaptive Approach —, centré sur la défense antimissile de l'Europe contre des missiles à moyenne portée tirés d'Iran, déployé dans un cadre OTAN[180],[181].

Face-à-face Russie-OTAN en Baltique

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Forum de coopération consacré aux questions politiques, économiques et environnementales, le Conseil des États de la mer Baltique réunit les onze pays riverains et l'UE. La région baltique est la seule où la Russie et l'OTAN se font directement face. La Russie a une frontière avec quatre pays membres de l'OTAN : les trois pays baltes et la Pologne via l'Oblast de Kaliningrad. L'OTAN apporte un soutien visible et concret à la souveraineté des États baltes par des moyens aériens (Baltic Air Policing), terrestres (Présence avancée renforcée) et navals. La Suède augmente fortement son budget militaire et développe sa coopération avec les autres pays scandinaves[182],[183].

Relations avec l'Union européenne

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La Russie a une frontière commune avec l'UE en Europe du Nord depuis l'adhésion de la Finlande en 1995 suivie en 2004 de celle des trois pays baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie. Cet élargissement de 2004 et celui de 2007 aboutissent aussi à ce que des pays membres de l'UE soient frontaliers de l'Oblast de Kaliningrad, de la Biélorussie, de l'Ukraine et de la Moldavie, trois anciennes RSS dans lesquelles la Russie veut conserver un rôle dominant[184].

Relations politiques

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L’accord de partenariat et de coopération signé en constitue la base juridique des relations entre l’Union et la Russie. Il fixe les principaux objectifs communs, établit le cadre institutionnel des contacts bilatéraux, y compris des consultations régulières sur les droits de l’homme et des sommets présidentiels semestriels[185]. Un Conseil permanent du Partenariat est établi lors du sommet de Saint-Pétersbourg en mai 2003. Deux ans plus tard, une négociation aboutit à la signature de documents sur quatre « espaces communs » le 10 mai 2005 : Espace économique commun ; Espace de Liberté, Justice et Sécurité ; Espace commun de Sécurité extérieure ; Espace commun de Recherche, Education et Culture[185],[186].

Liste des principaux mouvements nationalistes armés dans les pays de l'ex-URSS ou de l'ex-Yougoslavie en cours au début du XXIe siècle
État ou région
séparatiste
État
d'origine
Conflit armé
Abkhazie[réf. nécessaire]   Géorgie Guerre d'indépendance (1992 - 1993) et conflit de 1998
Crimée   Ukraine Annexion par la Russie (2014)
Donbass   Ukraine Guerre du Donbass (2014 - )
Haut-Karabakh[187]   Azerbaïdjan Guerre du Haut-Karabakh (1988-1994) et 2020
Kosovo   Serbie Guerre du Kosovo (1998 - 1999) et déclaration d'indépendance en 2008
Ossétie du Sud   Géorgie Première guerre (1991 - 1992) et deuxième guerre d'Ossétie du Sud (2008)
Transnitrie   Moldavie Guerre indépendantiste de 1992

À partir de 2003 toutefois, dès lors que l'élargissement de l'Union vers l'espace ex-soviétique est confirmé, les relations politiques commencent une lente détérioration qui se manifeste par l'absence de nouvel accord substantiel de coopération. La Russie estime se trouver en situation de concurrence géopolitique avec les Occidentaux dans la CEI, et réagit négativement à la Politique de voisinage lancée en 2003 par l'UE[188] puis complétée en 2009 par le Partenariat oriental[189]. Moscou vit très mal la force d'attraction qu'exerce l'UE sur l'Ukraine et la Géorgie[184],[190],[186].

Les relations sont aussi rendues difficiles par l'entrée dans l'UE de pays de l'ancien bloc soviétique, la Pologne notamment, qui poussent à une attitude plus ferme vis-à-vis de Moscou qui voit par exemple dans le soutien de l'UE à la révolution orange en Ukraine durant l'hiver 2004 une confirmation de ses craintes[184],[191].

Les guerres de Yougoslavie de la décennie précédente ont fortement marqué les esprits en Europe. Aussi, l'UE attache-t-elle une importance particulière au règlement des conflits ethnico-nationalistes dans son voisinage. La volonté de l’UE de jouer un rôle dans la recherche de solutions pour les conflits dans l’espace de l'ex-Yougoslavie constitue dans les années 2004-2007 un motif d’irritation considérable pour Moscou. Après la déclaration d'indépendance du Kosovo en , les divergences sur la question kosovare sont exacerbées entre la Russie et l'Union européenne dont la majorité des membres reconnaît officiellement le nouvel État auto-proclamé. Finalement, l'UE et la Russie ne parviennent pas à développer une vision commune de leurs intérêts dans les Balkans occidentaux que l'UE voit comme une zone d'élargissement[192] et que Moscou considère faire partie de sa zone d'influence naturelle[184],[193].

Moscou choisit de montrer son indépendance et sa force en Ossétie du Sud et en Abkhazie, deux régions séparatistes pro-russes de Géorgie. En avril 2008, la Russie annonce le renforcement de ses liens avec les deux provinces rebelles, provoquant la colère de Tbilissi qui accuse Moscou de chercher à les annexer, tandis que les ambitions atlantistes et européennes des Géorgiens exaspèrent les Russes. En août 2008, en réponse à une offensive de l'armée géorgienne pour reprendre le contrôle de l’Ossétie du Sud, la Russie lance une vaste opération militaire. L'UE négocie un accord de cessez-le-feu entre Moscou et Tbilissi, qui signent ensuite le plan de paix négocié par la France. Fin août, la Russie reconnaît l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, entraînant la rupture des relations diplomatiques avec la Géorgie. L'UE réagit en décidant d’interrompre les discussions sur un nouvel accord stratégique avec la Russie lancées en juin 2008[191],[194].

Plus globalement, le renforcement de la PESC, inscrit dans le traité de Lisbonne qui entre en vigueur en décembre 2009, et le lancement du Partenariat oriental la même année achèvent de convaincre Moscou que les projets de l'UE entrent en conflit avec ses propres projets de coopération et d'intégration dans la CEI à commencer par la création d’une union douanière dans le cadre de la Communauté économique eurasiatique (CEEA). L'importance des relations économiques entre l'UE et la Russie, dont l'économie est la plus affectée parmi les pays du G20, modère les facteurs politiques de tension.

Conséquences de la crise ukrainienne et la guerre russo-ukrainienne

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Depuis 2013, les relations entre la Russie et l'UE sont sous le sceau de la crise ukrainienne. La négociation du nouvel accord stratégique, reprise à l'hiver 2009, est interrompue. L'affaiblissement de l'UE est devenu un objectif à part entière de la géopolitique russe que le Kremlin cherche à atteindre par la multiplication de pressions de toutes natures sur les pays situés à l'Est de l'Union européenne. Les exportations de gaz et la construction de centrales nucléaires sont utilisées pour tenter d'établir des relations privilégiées d'État à État avec notamment les pays baltes, la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, mais le manque de moyens financiers pour réaliser des projets gaziers ou nucléaires très coûteux et les solutions trouvées entre pays membres de l'UE pour sécuriser leur approvisionnement énergétique n'ont pas permis aux Russes d'enregistrer de véritable succès[173], sauf avec la Hongrie de Viktor Orbán[195].

Moscou compte aussi sur le développement de réseaux politiques visibles ou opaques, et sur de vastes moyens de propagande pour susciter de fortes oppositions à l'UE au sein de plusieurs États membres avec pour résultat espéré d'affaiblir sa cohésion et sa capacité de décision et d'action perçue comme un de ses points faibles. Ces actions visent les populations russophones (pays baltes) et l’opinion publique dans plusieurs États (Bulgarie, Monténégro, Serbie, Slovaquie), favorables à Moscou pour des raisons historiques[173].

Interdépendance économique
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Part des exportations de la Russie[58]
Continent 2000 2010 2015 2018
Asie 21,6% 26,2% 36,4% 37,7%
Europe 64,4% 65,2% 54,0% 53,0%
Autres 14,0% 8,7% 9,6% 9,3%

L'Europe — et l'UE28 à elle seule aussi — est le premier partenaire commercial de la Russie pour les exportations comme pour les importations, créant une forte interdépendance économique et politique entre eux[58]. Le tournant vers l'Asie poursuivi méthodiquement par la Russie fait toutefois sentir son effet. L'Europe représente encore plus de la moitié des exportations russes en 2018, mais sa part est en baisse sensible depuis le début des années 2010 : elle passe de 65 % en 2010, à 53 % en 2018. Cette année-ci, l'UE28 représente 43,8 % des exportations russes, la Biélorussie 5,1 % et l'Ukraine 2,1 % ; la Chine est le premier client de la Russie (12,9 %), suivie des pays-Bas (9,6 %) et de l'Allemagne (5,5 %)[58].

Part des importations d'énergie dans l'UE27
Données 2018[k] Pétrole Gaz Gaz
liquéfié
Charbon
Part par produit 72% 15% 8% 5%
Part par pays
  Russie 29,8% 36,8% 3,6% 42,4 %
  Norvège 7,2% 17,0% 13,9%
  Algérie 10,4% 13,7%
  Irak 8,7%
  Qatar 4,1% 32,0%
 Arabie saoud. 7,4%
  Kazakhstan 7,2%
  États-Unis 4,1% 3,5% 18,6 %

L'Union européenne importe 58 % de l'énergie qu'elle consomme en 2018, un chiffre en légère augmentation depuis les années 2000 (56,3 %) et 2010 (55,7 %). En valeur, le pétrole représente environ 72 % de ses importations d'énergie, le gaz naturel 15 %, le gaz liquéfié 8 % et le charbon 5 %. Leur montant total en euros pour l'année 2019 est de 278 milliards dont 89 milliards proviennent de Russie qui demeure de loin le principal fournisseur d'énergie de l'UE. La part de la Russie dans les importations d'énergie de l'UE décroît toutefois régulièrement, passant de 36 % en 2016, à 34 % en 2018 puis à 32 % en 2019[196],[197],[198].

En même temps, les exportations d'énergie occupent une place prépondérante dans le commerce extérieur de la Russie, qui crée une interdépendance forte avec l'Union européenne[58],[61]. Moscou peut donc utiliser cette dépendance énergétique pour faire pression sur les pays concernés, pression potentiellement mise en évidence par les conflits gaziers avec l'Ukraine. La Russie, quant à elle, refuse de signer la Charte énergétique européenne qu'elle juge discriminatoire à son égard. La construction d'un gazoduc via la mer Baltique a été lancée avec l'appui de Berlin, contournant la Pologne et l'Ukraine. La remise en service des pipelines qui débouchaient dans la mer Adriatique via la Croatie et le Monténégro ou encore ceux qui conduisaient en mer Blanche et sur golfe de Finlande s'ajoutent également à la liste grandissante des pipelines à destination de l'Europe.

Relations fortes de la Russie avec Berlin et Paris

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Les relations bilatérales de la Russie avec l'Allemagne et la France sont historiquement fortes et continuent d'être privilégiées par Moscou, d'autant que l'UE peine sur les dossiers russes à s'accorder sur des décisions acceptables par Moscou. La diplomatie française a constamment cherché, depuis le traité d'alliance signé par C. de Gaulle à Moscou en 1944, à établir une relation visant à sortir de la logique de l'affrontement des blocs et à affirmer l'indépendance française. Malgré les deux conflits terribles qui opposèrent les deux pays au cours de la première moitié du XXe siècle, l'Allemagne de son côté, depuis l'Ostpolitik menée par Willy Brandt au début des années 1970 a aussi toujours accordé une grande importance à ses relations avec la Russie, sur les plans politique et commercial.

 
Rencontre au Format Normandie à Paris le entre Poutine, Zelensky, Macron et Merkel.

Pour Moscou, ces relations privilégiées offrent plusieurs avantages. L'Allemagne, premier partenaire commercial de la Russie après la Chine, est un des moteurs de l'économie russe et de sa modernisation. Dans les situations de crise, la France et l'Allemagne sont des partenaires diplomatiques qui — plus que les États-Unis ou d'autres pays européens comme la Pologne ou les États baltes — cherchent à trouver des solutions de compromis, voire parfois trouver une position commune avec Moscou contre l'avis de leurs meilleurs alliés, comme ce fut le cas en 2003 concernant la guerre en Irak. Durant la crise économique de 2008-2010, le Kremlin juge que les échanges nourris avec Berlin et Paris sont davantage fructueux et porteurs de réponses concrètes qu'avec l'UE[191],[199].

Moscou, Berlin et Paris sont aussi des acteurs clés de l'accord sur le nucléaire iranien de 2015, un des sujets de crise les plus aigus dans le monde, qu'ils s'efforcent de sauver depuis le retrait américain en 2018[200].

La guerre russo-ukrainienne endommage ces relations sans les interrompre. Les accords Minsk II entre la Russie et l'Ukraine sont négociés et leur mise en œuvre suivie en « Format Normandie » avec l'Allemagne et la France. Autre exemple, en 2019, la construction du gazoduc Nord Stream 2 n'aurait jamais pu être lancée sans le soutien entier de l'Allemagne contre l'avis des États-Unis. En , E. Macron tente de relancer avec V. Poutine un « dialogue stratégique ». Le président français justifie sa position en affirmant que « nous sommes en Europe, et la Russie aussi » et que « pousser la Russie loin de l'Europe est une profonde erreur stratégique »[201]. Fin 2020, année marquée par l'empoisonnement de l'opposant russe Alexeï Navalny au sujet duquel Berlin et Paris ont coordonné la riposte de l'UE, les grands dossiers de politique internationale et de sécurité en Europe en suspens ne connaissent pas d'avancée, pour une part aussi dans l'attente des élections américaines de novembre 2020[202],[203]. La présidence de Joe Biden adopte en une position très ferme vis-à-vis de Moscou[204], sans tenter un « reset » des relations comme B. Obama l'avait fait en 2009 avec pour effet de ne laisser que peu de marges de manœuvre aux Européens[205].

Stratégie de contrôle des pays de l'« étranger proche »

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Rétrécissement de la zone d'influence russe

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Alliances multilatérales des pays de l'« Étranger proche »[l]
Pays

(anciennes RSS)

Pop.
(M. hab.)
OTAN UE CEI TSC/
OTSC
CEEA[m] UEE
Membres P.Or.
  Russie 144,4 1991 1992 2000 2015
Europe
  Biélorussie 9,5 2009 1991 1993 2000 2015
  Estonie 1,3 2004 2004
  Lettonie 1,9 2004 2004
  Lituanie 2,8 2004 2004
  Moldavie 2,7 2009 1991
  Ukraine 44,4 2009 2018
Asie occidentale (Caucase)
  Arménie 3,0 2009 1991 1992 2015
  Azerbaïdjan 10,0 2009 1991 1999
  Géorgie 3,7 2009 2008 1999
Asie centrale
  Kazakhstan 18,5 1991 1992 2000 2015
  Kirghizistan 6,5 1991 1992 2000 2015
  Ouzbékistan 33,6 1991 2012 2008
  Tadjikistan 9,3 1991 1992 2000
  Turkménistan 5,9

Avec son modèle peu attractif sur le plan économique et démocratique, la Russie n'a pas les moyens de résister dans les années 1990 à la perte de sa zone d'influence en Europe. Le soutien de Moscou à des régimes autoritaires comme en Biélorussie suscite également la crainte d'anciens États satellites de la Russie. Dans ce contexte, en 2004-2005, les derniers pays de l'ex-bloc de l'Est européen qui n'en étaient pas encore membres et trois anciennes républiques socialistes soviétiques baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie[78] choisissent d'adhérer à l'OTAN et à l'Union européenne.

Pis encore pour Moscou, les six autres ex-RSS situées géographiquement en Europe se rapprochent de l'UE qui met en place à leur intention un « partenariat oriental » en 2009. Les six pays concernés d'Europe orientale et du Caucase du Sud sont : l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la République de Moldavie et l'Ukraine. La mise en place du partenariat oriental est accélérée à la suite du guerre russo-géorgienne de 2008 qui provoque désormais une crainte d'invasion dans de nombreux pays situés au voisinage de la Russie. Ses objectifs officiels sont de promouvoir « la sécurité, la stabilité et la prospérité, la démocratie et l'État de droit » dans ces pays[189]. La Russie veut à tout prix éviter que ces pays rejoignent le camp occidental qui n'ont toutefois pas de toute perspective réaliste à court-terme d'adhésion à l'UE ou à l'OTAN et subissent les pressions des deux bords[116].

La Russie tente de contrebalancer ces rapprochements avec le monde occidental par des initiatives dans la zone eurasiatique mais elle souffre toujours d'un important déficit d'attractivité tant économique que démocratique pour les pays qu'elle désire maintenir dans sa zone d'influence. Ce manque d'attractivité s'ajoute désormais aux conséquences des conflits gaziers russo-ukrainiens perçus comme des moyens de pression de la part de Moscou et au traumatisme de l'invasion en Géorgie de 2008 faisant craindre de nouvelles invasions militaires. Le cadre multilatéral général en est toujours la Communauté des États indépendants (CEI) créée en 1991 lors de la dislocation de l'Union soviétique et qui fonctionne selon la charte adoptée en 1993. La CEI symbolise la désintégration de l'URSS, tout en formant le cadre d'une réintégration minimaliste où la Russie joue un rôle dominant mais souvent contesté par les autres pays membres désireux d'affirmer leur souveraineté et leur indépendance.

 
Les six pays d'Europe à la charnière entre la Russie et l'Ouest :

Cette charte stipule que la CEI « n'est pas un État et ne dispose pas de pouvoirs supranationaux »[206]. Deux États ont quitté la CEI, la Géorgie en 2008 et l'Ukraine en 2018.

Dans ce cadre général de la CEI, de nombreux accords et traités ont été signés, avec un objet précis, le plus souvent de nature militaire ou économique, et d'application concrète. Toutefois, très peu rassemblent tous les États membres et beaucoup n'ont été que peu ou pas mis en œuvre[n]. Les plus importants sont le Traité de sécurité collective (TSC) en 1992, la Communauté économique eurasiatique (Eurasec ou CEEA) en 2000 et l'Union économique eurasiatique[o] (UEE) en 2015[80].

Moscou s'appuie néanmoins sur ces structures multilatérales pour tenter de régénérer dans son « Étranger proche » son influence et son rayonnement, sensiblement amoindris depuis l’éclatement de l’URSS. Conçue par V. Poutine comme un moyen de faire barrage aux contrats d'association proposés par l'UE, l'UEE compte cinq membres : la Russie, la Biélorussie, l'Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizistan[207]. Malgré les pressions de Moscou, l'Ukraine choisit de ne pas y adhérer et de signer en un accord d'association avec l'UE, décision qui constitue le point de départ de la crise ukrainienne. Méfiants, les États membres de l'UEE sont également très attachés à préserver leur indépendance vis-à-vis de Moscou ; l'UEE n'est pas un véritable centre de pouvoir géopolitique en Eurasie et demeure avant tout une zone de libre-échange très imparfaite. Parallèlement le basculement de la Russie vers un régime de plus en plus autoritaire face aux opposants politiques russes et ukrainiens et des soupçons d'assassinats et d'empoisonnements attribués à Moscou renforcent encore cette méfiance.

Le multilatéralisme n'est pas le seul levier utilisé par Moscou pour tenter de préserver une zone d'influence exclusive dans son voisinage immédiat. Les Russes s'appuient aussi sur des conflits ethniques préexistant ou non à la dislocation de l'URSS, soit en soutenant les factions qui leur sont favorables, soit en intervenant directement. La Géorgie se retire de la CEI en 2008 à la suite du bref conflit armé qui l'oppose à la Russie pour le contrôle de sa province séparatiste d'Ossétie du Sud. L'Ukraine en fait autant en 2018 en raison des interventions russes en Crimée et dans le Donbass.

Défense déterminée de la zone d'influence résiduelle en Europe

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Carte de la reconnaissance des territoires post-soviétiques par la Russie début 2014 : Transnistrie, République de Crimée, Abkhazie, Ossétie du Sud et Haut-Karabagh.
  • Russie
  • Anciennes républiques socialistes soviétiques
  • Territoires post-soviétiques ayant déclaré leur indépendance et reconnus par la Russie
  • Territoires post-soviétiques ayant déclaré leur indépendance et reconnus uniquement par des territoires devenus indépendants, eux-mêmes reconnus par la Russie

Moscou est déterminé à faire prévaloir coûte que coûte son influence en Ukraine, Biélorussie et Moldavie.

Ukraine

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L'Ukraine, écartelée entre ses attaches avec la Russie et ses envies d'Europe, subit l'impossibilité pour Moscou d'admettre qu'elle ne soit pas un allié proche ou au moins dans sa zone d'influence, la privant ainsi de toute possibilité sérieuse d'adhésion à l'Union européenne ou à l'OTAN[208]. Poutine considère que le pouvoir politique en place en Ukraine depuis 2014 est le fruit d'un coup d'état et qu'il mène une politique « anti-russe » systématique, qui a été rejetée par la population de la Crimée et du Donbas[4]. La politique offensive menée par la Russie depuis 2014 compromet pour longtemps ses relations avec l'Ukraine qui a dénoncé le traité d'amitié et ne manifeste aucun signe de vouloir adhérer à la CEEA, et rompt les liens forts entre les complexes militaro-industriels des deux pays. La rupture de l'église orthodoxe ukrainienne par rapport au patriarcat de Moscou est aussi un symbole fort du rejet de la Russie par la société ukrainienne[209].

Dans un contexte de crise géopolitique majeure entre la Russie et les Occidentaux, la crise russo-ukrainienne connaît un développement majeur en avec la reconnaissance par Moscou des républiques populaires autoproclamées de Lougansk et de Donetsk, suivie d'une invasion du territoire ukrainien par l'armée russe[210].

Biélorussie

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La Biélorussie est le seul État allié indéfectible de la Russie. Membre de la CEI, de l'OTSC et de l'UEEA , elle est aussi liée à la Russie par de forts accords bilatéraux et un projet d'union des deux pays, inscrit dans le Traité sur la création de l'Union de la Biélorussie et la Russie signé le mais qui ne s'est dans les faits que très partiellement concrétisé depuis lors[211],[212]. Sa frontière ouest avec la Pologne, la Lituanie et la Lettonie est stratégique pour la Russie qui stationne des forces aériennes sur le sol biélorusse. Le président biélorusse Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, à du faire face depuis sa réélection contestée du 9 août 2020 à d'importantes manifestations et à des sanctions de l'UE[213],[214]. Loukachenko a toujours cherché à préserver son indépendance, mais les évènements de 2020 l'ont contraint à se rapprocher de Moscou qui est devenu son seul soutien politique et financier. En contrepartie, le président biélorusse accepte en de signer avec Poutine d'importants accords d'intégration économique[215]. La Biélorussie calque aussi son discours sur celui de la Russie concernant l'Ukraine et permet début 2022, par le biais d'importantes manœuvres militaires, que des forces russes soient présentes près de sa frontière avec l'Ukraine[216].

Moldavie

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La Moldavie, pays de 3,5 millions d'habitants, entre la Roumanie et l'Ukraine, de moindre importance stratégique, est partagée entre fidélité à la Russie et volonté de se rapprocher de l'UE avec laquelle elle signe un accord de partenariat en 2014.

Arménie

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L'Arménie, géographiquement aux marges de l'Europe dans le Caucase et dépendante de la Russie, s'en rapproche dans les années 2013 à 2015 et devient membre de l'UEE[217]. Cependant, elle négocie en 2016 et 2017 un nouvel accord de coopération avec l'UE[218].

En marge des organisations animées par les grandes puissances régionales, quatre États de l'ex-Union soviétique, la Géorgie, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et la Moldavie, forment l'Organisation pour la démocratie et le développement, dite GUAM, d'orientation plutôt pro-occidentale[219].

Coopérations économiques

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Peu après sa fondation, la CEI est érigée en zone de libre-échange, mais la nouvelle zone est plongée dans le chaos économique. Entre 1991 et 1995, le PIB de la CEI chute de plus de 50% en moyenne, et les échanges intra-CEI s’effondrent de 80%. La Russie échoue à préserver une monnaie unique, le rouble, et à construire une intégration économique à l'échelle de la CEI[80].

La Russie privilégie à partir de 1995 la conclusion d'accords entre quelques pays. Une première tentative d'union douanière est mise sur pied en 1995 par la Russie et la Biélorussie, rejoints d'abord par le Kazakhstan puis par trois autres NEI d'Asie centrale. Désireux d'une intégration économique plus poussée, les mêmes pays établissent en la Communauté économique eurasiatique (CEEA), plus connue sous l'acronyme anglais Eurasec[220],[p]. Elle se dote d'une Banque eurasiatique de développement mais les objectifs initiaux ne se concrétisent pas.

En 2010-2011, la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan — le même noyau dur qu'en 1995 — décident de mettre en place une véritable union douanière. Le , le trio institue l’Union Economique Eurasiatique (UEE) dont l’objectif est d’intégrer encore davantage ses trois membres[221]. Conséquemment, l'Eurasec cesse d'exister fin 2014. L'Arménie rejoint l'UEE en 2014 et le Kirghizistan en 2015. Les États signataires « s’engagent à garantir la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des travailleurs, à mettre en œuvre une politique concertée dans les domaines clés de l’économie : l’énergie, l’industrie, l’agriculture et les transports »[80]. En 2020, le libre-échange, le tarif extérieur commun et pour une part le marché commun sont en place. L’UEE ambitionne de devenir un pont entre l’Union européenne et la Chine avec laquelle elle a signé un accord de libre échange, dans le contexte de la « Belt and Road Initiative » (BRI) lancée par Pékin[222]. L'absence de l'Ukraine, le poids élevé du pétrole et du gaz dans les échanges, les fortes disparités entre les pays membres de l'UEE sont d'importants obstacles à l'atteinte des ambitions affichées[80].

Coopérations militaires

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Carte de l'OTSC.
  • Membres ;
  • Anciens membres.

La Charte de la CEI mentionne en son article 11 un « espace commun militaro-stratégique ». En 1992, six États de la CEI signent un Traité de sécurité collective (TSC)[223]. Ils sont rejoints l'année suivante par trois autres. Seuls l'Ukraine et la Moldavie parmi les onze États de la CEI restent en dehors de ce traité qui prend effet en 1994[224].

Des accords-cadres sur la défense aérienne commune (février 1995), la protection des frontières extérieures (mai 1995) et le maintien de la paix (janvier 1996) complètent le traité. Ces accords ne font pas non plus le plein des signatures. L'Azerbaïdjan, la Moldavie n'ont rien signé ; le Turkménistan, l'Ouzbékistan et l'Ukraine n'ont pas signé l'accord sur la protection des frontières ; l'Ukraine, le Kazakhstan et le Turkménistan, celui sur le maintien de la paix. La CEI a un Conseil des ministres de la Défense mais pas de commandement commun des forces armées, ni de forces armées en propre.

En 1999, l'Azerbaïdjan, la Géorgie et l'Ouzbékistan ne renouvellent pas leur adhésion au Traité de sécurité collective (TSC). Les États qui en sont restés parties fondent l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) le . L'Ouzbékistan la rejoint en 2005 mais la quitte finalement en 2012[225],[226]. En 2000, la création d'une force d'intervention, ou force de réaction rapide dans le cadre de l'OTSC est décidée par la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l'Arménie, le Tadjikistan et le Kirghizistan, son premier élément est créé en 2001 pour l'Asie centrale.

Lutte contre le terrorisme

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Défense des minorités russes dans l'ex-URSS

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Les plus grandes diasporas russes vivent dans les anciens États soviétiques, comme l'Ukraine (environ 8 millions), le Kazakhstan (environ 4 millions), la Biélorussie (environ 1 million), l'Ouzbékistan (environ 700 000), la Lettonie (environ 700 000), le Kirghizistan (environ 600 000) et la Moldavie (environ 500 000). En Biélorussie, au Kazakhstan et au Kirghizistan, la langue russe est l'une des langues officielles. Enfin, le russe est encore très présent dans d'autres pays de l'ancien bloc soviétique comme l'Arménie. Depuis les années 1990, beaucoup de Russes originaires des anciens territoires soviétiques ont émigré vers la Russie, souvent en fuyant les politiques nationalistes, voire discriminatoires à leur égard. Nombre d'entre eux sont devenus des réfugiés (c'est le cas de certains régions d'Asie centrale et du Caucase, comme en Tchétchénie à l'époque séparatiste), forcés de fuir l'oppression politique, les actes russophobes ou les agressions à l'égard des Russes. Le gouvernement de la Russie a souvent exprimé son souci au sujet des droits des minorités russes ou russophones dans plusieurs pays, notablement en Lettonie. La Russie octroie par ailleurs relativement facilement les passeports russes aux populations d'origine russe des anciennes républiques de l'URSS (par exemple, en Crimée et en Transnistrie) ou même aux peuples non-russes vivant dans les régions séparatistes (par exemple, en Abkhazie ou en Ossétie du Sud), ce qui lui sert de prétexte pour « défendre les intérêts de ses citoyens à l'étranger », y compris par des moyens militaires (l'intervention russe en Ossétie du Sud et en Abkhazie en 2008, l'envoi de troupes de la mission PKF des forces de maintien de la paix de la CEI en Transnistrie en 1992 et les diverses autres missions des forces de maintien de la paix de la CEI).

Notes relatives aux tableaux

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  1. a b c et d Code couleurs des tableaux :
    • Classé dans les trois premiers
    • Classé dans les six premiers
    • Classé dans les neuf premiers
    • Non classé dans les neuf premiers

Notes relatives au texte

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  1. Par exemple, en délivrant des passeports russes aux citoyens géorgiens puis ukrainiens afin de créer une base d'ingérence dans leurs affaires.
  2. Ce long délai s'explique par des difficultés techniques — plus de 50 accords bilatéraux ont dû être négociés —mais aussi par les jeux politiques des principaux acteurs concernés. Les dirigeants russes soutiennent la candidature du pays entre 2002 et 2006, période de fort développement de l'économie nationale. Entre 2007 et 2010, dans un contexte de crise économique, de renforcement de l'autorité de l'État aux dépens des hommes d'affaires libéraux en s'appuyant sur un discours populiste nationaliste, V. Poutine ne donne plus la priorité à cette adhésion. Le soutien de Dmitri Medvedev et le redémarrage de la relation avec les États-Unis après l'élection de Barack Obama créent un contexte favorable à ce que les derniers obstacles soient levés en 2011.
  3. En effet, l'actuel Premier ministre de la Bulgarie, Sergueï Stanichev, est né à Kherson, alors encore en RSS d'Ukraine, et a fait une grande partie de ses études universitaires à Moscou.
  4. 30 % du gaz consommé par l'UE est du gaz russe.
  5. Les définitions du « soft power » et de la « guerre hybride » sont nombreuses et sont l'objet de nombreuses publications sans qu'un consensus ne se dessine clairement. Le rayonnement culturel, la diffusion de l'éducation, les opérations de manipulation et de désinformation via les médias et les réseaux sociaux, l'aide humanitaire, le soutien à certaines ONG et à des opposants en exil, les réseaux diplomatiques et les alliances, l'aide économique, les sanctions diplomatiques et économiques — adoptées si possible par le Conseil de sécurité ou l'OSCE — appartiennent à la première catégorie. L'instrumentalisation d’une opposition séparatiste, les réseaux politiques d'allégeance et la corruption, les cyberattaques, la fourniture d'armes et le soutien logistique à des groupes rebelles, l’association de forces irrégulières locales et de frappes aériennes à distance de sécurité relèvent de la seconde catégorie.
  6. Cette même étude montre un niveau de confiance très bas également à l'égard de D. Trump (16 %) et de Xi Jinping (19 %), tandis que les dirigeants européens bénéficient d'opinions nettement plus favorables, notamment A. Merkel (76 %) et E. Macron (64 %).
  7. Selon James Mattis : « l'histoire est claire : les nations avec des alliés prospèrent. Les alliances américaines sont un avantage asymétrique durable qu'aucun concurrent au monde ne peut égaler ».
  8. Le Conseil de l'Arctique réunit les huit pays riverains, le Canada, la Russie, la Norvège, le Danemark, l'Islande, les États-Unis, la Suède et la Finlande.
  9. Les États membres à part entière du Le Conseil euro-arctique de la mer de Barents sont le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Norvège, la Russie, la Suède et l'Union européenne.
  10. La Commission des limites du plateau continental de l'ONU est chargée de définir les limites du plateau continental conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982.
  11. Données arrondies et moyennes de 2018 et 2019 fournies par Eurostat.
  12. Seules les ex-RSS figurant dans ce tableau. Les pays de l'« étranger lointain » comme la Chine qui sont membres de certaines de ces organisations multilatérales n'y figurent pas. Les données relatives à la population sont celles publiées par la Banque mondiale relatives à 2019.
  13. La CEEA cesse d'exister le , elle est remplacée par l'Union économique eurasiatique.
  14. Entre 1991 et 2001, sur 173 accords et traités signés dans le cadre de la CEI, seuls 8 sont entrés en vigueur sur l’ensemble de la zone, soit 4,6%. Ce qui montre que la plupart des États n’étaient pas prêts à s’engager sur la voie du multilatéralisme et étaient méfiants à l'égard de la Russie.
  15. L'Inde et le Pakistan négocient des accords de libre-échange avec l'UEE en 2017 et 2018.
  16. Au départ, en 2000, la CEEA ne réunit cinq des six États membres de l'union douanière précitée : la Russie, la Biélorussie et trois États d'Asie centrale, le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizistan. En 2005, ils sont rejoints par l’Ouzbékistan, qui quitte l'organisation en 2008.

Sources

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Références

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Bibliographie

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Ouvrages généraux

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  • Jean-Sylvestre Mongrenier, Le monde vu de Moscou : Dictionnaire géopolitique de la Russie et de l'Eurasie postsoviétiques, Presses Universitaires de France, , 676 p. (ISBN 978-2130825159).
  • Anne Pinot et Christophe Réveillard, Géopolitique de la Russie, SPM, , 386 p. (ISBN 978-2379990014).
  • Revue Hérodote, Géopolitique de la Russie, La Découverte, , 216 p. (ISBN 978-2707197221).
  • Pierre Verluise (dir.), Histoire, Géographie et Géopolitique de la Russie et de ses frontières, Diploweb, , 193 p. (ISBN 979-1092676235).

Géostratégie

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Textes et discours

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Forces armées russes

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Compléments

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Articles connexes

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Liens externes

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