Décret en Conseil des ministres
En France, un décret en Conseil des ministres est un décret pris par le Président de la République après délibération du Conseil des ministres.
La Constitution du prévoit l'existence de décrets en Conseil des ministres : son article 13, alinéa 1er, dispose que « le président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres ». Mais elle n'énumère pas ceux des décrets qui doivent être délibérés en Conseil des ministres[1]. Elle n'en prévoit explicitement qu'un[1] : son article 36, alinéa 1er, dispose que « l'état de siège est décrété en Conseil des ministres »[1],[2]. D'autres décrets en Conseil des ministres sont prévus par des lois organiques[1],[2] voire des lois ordinaires[1],[2]. Des décrets en Conseil des ministres sont également pris :
- en application d'un décret qui est lui-même un décret en Conseil des ministres[3],[4] ;
- en application d'un décret[2] : par exemple, l'article 1er du décret no 59-178 du dispose que « les attributions des ministres sont fixées par décrets délibérés en conseil des ministres, après avis du Conseil d'État » ;
- selon l’usage, en fonction de la nature ou de l’importance du sujet objet du décret, même si, paradoxalement, aucun texte ne le prévoit explicitement : par exemple, sont soumises au Conseil des ministres, en vertu de l'usage, les élévations aux dignités de grand-croix et de grand officier dans l'ordre national de la Légion d'honneur et dans l'ordre national du Mérite, les nominations et les promotions au grade de commandeur dans l'ordre national de la Légion d’honneur, ainsi que les nominations et les promotions à titre exceptionnel dans l'ordre national de la Légion d'honneur[5].
Le président de la République est l'auteur de tout décret en Conseil des ministres[6]. Il est admis que le président de la République puisse refuser de signer un tel décret[7].
Si un décret est pris en Conseil des ministres alors qu’aucune disposition législative ne l’exige, il ne pourra être modifié ultérieurement que par un décret pris également en Conseil des ministres selon la jurisprudence établie du Conseil d’État (10 septembre 1992, Meyet, n°140376), sauf si une nouvelle règle législative ou un nouveau décret en Conseil des ministres en dispose autrement.
Définition
modifierPar l'arrêt Meyet rendu le , le Conseil d'État a retenu la définition proposée par le commissaire du gouvernement David Kessler, à savoir qu'est un décret en Conseil des ministres, tout décret qui a été effectivement délibéré en Conseil des ministres[8].
Ainsi, tout projet de décret peut devenir, par son inscription à la « partie A » de l'ordre du jour du Conseil des ministres, un décret en Conseil des ministres[9].
Modification
modifierEn , par les arrêts comité d'entreprise de la Régie nationale des usines Renault et autres et époux Allamigeon et époux Pageaux rendus les et , le Conseil d'État a précisé qu'un décret en Conseil des ministres — c'est-à-dire une décret signé par le président de la République après avoir été délibéré en Conseil des ministres — ne peut être modifié que par un nouveau décret en Conseil des ministres[10],[11].
Régimes d'application exceptionnelle
modifierUn décret en Conseil des ministres est requis pour la mise en œuvre de régimes d'application exceptionnelle, tels :
- l'état de siège[12] ;
- l'état d'urgence[13] ;
- la mobilisation générale[14].
Pendant la pandémie de Covid-19, un décret en Conseil des ministres était requis pour la mise en œuvre de l'état d'urgence sanitaire[15].
Délibération du Conseil des ministres
modifierUn décret en Conseil des ministres n'est pas un décret du Conseil des ministres. En effet, les délibérations du Conseil des ministres ne sont pas des décisions[16] mais, en vertu d'une jurisprudence constante du Conseil d'État, elles « sont par elles-mêmes sans effet juridique direct et doivent être regardées comme une simple déclaration d'intention du Gouvernement »[16],[17].
Visas
modifierUn décret en Conseil des ministres comporte, à la fin de tous[18] ses visas, la mention : « Le conseil des ministres entendu, »[2].
Aux débuts de la Ve République, il était d'usage de réserver la mention « Le conseil des ministres entendu, » aux seuls décrets devant obligatoirement être soumis au Conseil des ministres ; les décrets soumis au Conseil des ministres sans qu'aucun texte en fasse obligation portaient la mention « Après avis du conseil des ministres, »[19]. Cet usage a été abandonné ; et l'emploi de la mention « Après avis du conseil des ministres, » est même prohibé[18].
Contreseings
modifierEn vertu des dispositions combinées des articles 13 et 19 de la Constitution, ils doivent être « contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, les ministres responsables »[20]. Le Conseil d'État les définit comme ceux « auxquels incombent, à titre principal, la préparation et l'application » du décret dont s'agit[21].
Codification
modifierDans les codes récents, préalablement soumis à la Commission supérieure de codification, ceux des articles de la partie réglementaire qui relèvent d'un décret en Conseil d'État et en Conseil des ministres sont identifiés par un « R.* », tandis que ceux qui relèvent d'un décret en Conseil des ministres mais non du Conseil d'État le sont par un « D.* »[22].
Faculté d'empêcher du président de la République
modifierLe président de la République a la faculté d’empêcher l'édiction d'un décret en Conseil des ministres. Pour ce faire, il peut d'abord refuser l'inscription du projet de décret à l'ordre du jour du Conseil des ministres[23] ; il peut aussi ajourner le Conseil des ministres avant que celui-ci n'examine le projet de décret inscrit à son ordre du jour[23] ; il peut enfin refuser sa signature au projet de décret examiné en Conseil des ministres tant au cours qu'après celui-ci[23].
Par exemple, au cours du Conseil des ministres du , François Mitterrand a refusé sa signature au remplacement d'Éric Rouleau comme ambassadeur[24] ; au cours de celui du , il a refusé sa signature au remplacement de Jean-Paul Huchon comme directeur général du Crédit agricole[24] ; au cours de celui du , il a refusé sa signature à la nomination de Monique Guémann à la Cour de cassation[24].
Notes et références
modifier- Carcassonne et Guillaume 2022, art. 13, no 111.
- Guide de légistique, p. 58.
- Carcassonne et Guillaume 2022, art. 13, no 113.
- Guide de légistique, p. 502.
- Guide de légistique, p. 502-503.
- Formery 2023, art. 13, p. 47.
- Vie publique.
- CE 1992.
- Massot 1993, p. 119.
- CE 1994a.
- CE 1994b.
- CEDEF, art. L2121-1.
- CEDEF, art. L2131-1.
- CEDEF, art. L2141-2.
- CSP, art. L3131-13.
- Fournier 1987, p. 65.
- Avril et Gicquel 1987, p. 169.
- Circulaire du , § 1.4.3.5.
- Claisse 1972, p. 196.
- Conseil constitutionnel.
- Formery 2023, art. 19, p. 58.
- Guide de légistique, p. 61-62.
- Montay 2013, p. 75.
- Montay 2013, p. 76.
Voir aussi
modifierCodes
modifier- [CEDEF] Code de la défense :
- État de siège : CDEF, art. L2121-1
- État d'urgence : CDEF, art. L2131-1
- Mobilisation générale et mise en garde : CDEF, art. L2141-2
- [CSP] Code de la santé publique :
- État d'urgence sanitaire : CSP, art. L3131-13 (en vigueur du au ).
Jurisprudence
modifier- [CE 1992] Conseil d'État, Assemblée, , Meyet, nos 140376, 140377, 140378, 140379, 140416, 140417 et 140832.
- [CE 1994a] Conseil d'État, , comité d'entreprise de la Régie nationale des usines Renault et autres, no 112565.
- [CE 1994b] Conseil d'État, , époux Allamigeon et époux Pageaux, nos 147203 et 148545.
- [CE 1996] Conseil d'État, , ministre de la Défense c/ Collas, no 140970.
Bibliographie
modifier- [Avril et Gicquel 1987] Pierre Avril et Jean Gicquel, « Chronique constitutionnelle française : – », Pouvoirs, no 40 : « Des fonctionnaires politisés ? », , p. 161-191 (lire en ligne [PDF]).
- [Carcassonne et Guillaume 2022] Guy Carcassonne et Marc Guillaume (préf. Georges Vedel), La Constitution, Paris, Points, coll. « Essais » (no 319), , 16e éd. (1re éd. ), 489 p., 11 × 18 cm (ISBN 978-2-7578-9703-4, EAN 9782757897034, OCLC 1343867788, BNF 47295767, SUDOC 264224329, présentation en ligne, lire en ligne).
- [Claisse 1972] Alain Claisse (préf. Michel Lesage), Le Premier ministre de la Ve République, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique » (no 45), , 1re éd., III-436 p., 15,5 × 24 cm (OCLC 300174689, BNF 35270236, SUDOC 001965204, présentation en ligne, lire en ligne).
- [Formery 2023] Simon-Louis Formery, La Constitution commentée : article par article, Vanves, Hachette supérieur, coll. « Les fondamentaux / droit » (no 17), , 26e éd. (1re éd. ), 191 p., 14,1 × 19 cm (ISBN 978-2-01-719678-5, EAN 9782017196785, OCLC 1396973954, BNF 47321584, SUDOC 271931302, présentation en ligne, lire en ligne).
- [Fournier 1987] Jacques Fournier, « Politique gouvernementale : les trois leviers du Président », Pouvoirs, no 41 : « Le Président », , p. 63-74 (lire en ligne [PDF]).
- [Gohin 1993] Olivier Gohin, « La signature par le président de la République des décrets pris en Conseil des ministres », Recueil Dalloz, no 21, , p. 293-296 (HAL halshs-02203624).
- [Guide de légistique] Premier ministre (Secrétariat général du Gouvernement) et Conseil d'État (introd. de Marc Guillaume et Jean-Marc Sauvé), Guide de légistique (mise à jour ), Paris, la Documentation française, hors coll., , 3e éd., 1 vol., 720, 16 × 24 cm (ISBN 978-2-11-145359-3, EAN 9782111453593, OCLC 1022921574, BNF 45426054, SUDOC 224201131, présentation en ligne, lire en ligne).
- [Massot 1993] Jean Massot (préf. Georges Vedel), Chef de l'État et chef du Gouvernement : dyarchie et hiérarchie, Paris, la Documentation française, coll. « Notes et études documentaire » (no 4983), , 1re éd., 190 p., 16 × 24 cm (ISBN 2-11-003061-5, EAN 9782110030610, OCLC 29980042, BNF 36669754, SUDOC 012784141, lire en ligne).
- [Montay 2013] Benoît Montay (dir. Olivier Beaud), « Le pouvoir de nomination de l'Exécutif sous la Ve République : de la compétence liée au pouvoir de patronage », Jus politicum : revue de droit politique, no 11 : « Mutations du droit public », , mémoires, art. no 1, 130 p. (résumé, lire en ligne [PDF]).
Articles connexes
modifierLiens externes
modifier- Circulaire du relative aux règles d'élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en œuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre.
- [Conseil constitutionnel] « Quelle place la Constitution fait-elle au président de la République ? », sur conseil-constitutionnel.fr, Conseil constitutionnel.
- [Vie publique] « Quelles sont les relations entre le Gouvernement et le président de la République ? », fiche thématique no 19480 , sur vie-publique.fr, Direction de l'information légale et administrative, .