Sorginak
Par Ophélie Cohen
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Ophélie Cohen est née en 1980. Major de police, elle est aujourd’hui en service local de police judiciaire. Amoureuse des livres et des belles lettres, c'est une lectrice éclectique. En 2021, elle passe de l’autre côté du miroir avec la publication de son premier roman, "Héloïse" (prix coup de cœur Noir Charbon). Après Suspicion(s), elle sort son troisième roman engagé, "Sorginak", à l’image des deux premiers. Elle est membre du collectif Les Louves du Polar.
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Aperçu du livre
Sorginak - Ophélie Cohen
PROLOGUE
Laissez-moi vous conter une histoire peu banale.
Une histoire de femmes et de souffrances.
Depuis bien longtemps, elles sont chassées, poursuivies, assassinées aussi.
Bien qu’en Europe les bûchers ne se dressent plus pour les punir de leur hérésie, elles continuent d’alimenter les fantasmes et les haines, mais génèrent aussi fascination et curiosité. La littérature, sous toutes ses formes, regorge d’histoires les mettant en scène.
Je parle bien sûr des sorcières.
Sages-femmes, guérisseuses, chamanes… elles ont servi de boucs émissaires pour conjurer des peurs et appuyer des enjeux politiques ou économiques.
Figures du féminisme, elles inspirent des slogans, des engagements, des modes de vie aussi.
Mais ont-elles réellement existé ? Si oui, pouvons-nous encore les croiser dans nos contrées ?
Au Pays basque, elles sont appelées sorginak¹ et je les ai rencontrées.
* * *
Il était une fois, par une nuit de lune noire…
1 Pluriel du mot sorcière, en basque. Prononcer « chorguignak ».
CHAPITRE 1
MARDI 21 DÉCEMBRE 2004
Alors qu’au milieu du pré les langues du feu majestueux léchaient le ciel dans un baiser ardent, la voix d’Amagoia s’éleva.
— Mari², entends nos chants et reçois nos offrandes.
Face au brasier, les bras levés vers le ciel et la tête rejetée en arrière, Amagoia se mit à onduler. Les épaules d’abord. Puis les hanches. Sa longue chevelure blanche caressait le bas de ses reins par vagues, accompagnée par les mains d’un invisible amant passionné. Le diable lui-même lui servait-il de cavalier ?
D’une grande beauté, la matriarche, qui venait de fêter ses quatre-vingts années de présence au milieu des Hommes, dirigeait une nouvelle fois la célébration du solstice d’hiver. Il coïncidait, cette année-là, avec l’élévation de la nouvelle Lune, Ilargi. La Lune noire. Cachée dans l’ombre de la Terre. Une Lune qui, selon les croyances païennes, pouvait ouvrir une porte sur les mondes invisibles.
Après quelques instants, dociles, et toutes aussi transcendées que leur aïeule, les autres femmes du clan se mirent à singer la danse lascive. Érotique. Sensuelle. Puis, lentement et dans un même mouvement, elles se rapprochèrent les unes des autres. Elles nouèrent leurs bras recouverts de terre pour former un cercle parfait et elles poursuivirent leur chorégraphie hypnotique. Les épaules oscillaient de gauche à droite, les voix résonnaient de plus en plus fort, jusqu’à couvrir les bruits de la nuit. Elles chantaient, en basque, un air transmis depuis des générations au sein de leur famille.
Laino s’invita à la fête. L’esprit de la brume déboula de la plaine et envahit le pré. Il se sépara en de longues mains éthérées qui entourèrent les jambes des filles d’Ève, remontèrent le long de leurs cuisses et enveloppèrent les tailles avant de regagner le sol. Une mer nébuleuse sur laquelle les sorginak ne formaient plus qu’une. Une cour à demi nue, habitée par le pouvoir de ses racines, profondément ancrées dans cette terre que les cinq femmes chérissaient.
Leurs tuniques vaporeuses, maintenues par une seule bretelle dévoilaient le sein nourricier et ne cachaient rien de leurs courbes. Qu’elles soient girondes ou minces, le tissu diaphane révélait tout d’une intimité préparée à cette soirée bacchanale. Les pubis avaient été rasés, les onguents à base de graisse animale mélangée à de la belladone, de la ciguë et à des champignons hallucinogènes, avaient été appliqués avec soin sur les muqueuses vaginales. Un cérémonial sacré qui permettait aux sorcières de communiquer avec Mari et les autres divinités chtoniennes auxquelles elles étaient attachées.
Sous le regard de l’imposante Rhune³, des oiseaux de nuit, des rongeurs et autres animaux dissimulés alentour ; des fougères, des pins, des châtaigniers et des chênes qui les protégeaient des yeux inquisiteurs ; elles chaloupèrent pendant des heures au rythme de leurs mélopées. Les hiboux hurlants et les grondements du tonnerre derrière la frontière ne les atteignaient pas. En cette nuit de nouvelle lune, elles étaient entièrement dévouées à leur divinité et rien ne pouvait les perturber.
Le rite achevé, Amagoia prit de nouveau la parole.
— Mes filles, nous venons de célébrer le solstice d’hiver. Privés de lumière, éprouvés par la dureté de la saison, nos champs se reposent et se préparent à accueillir le printemps et les nouvelles récoltes. Que Mari et Sugaar⁴ puissent faire naître, de leurs ébats, les pluies et orages qui apporteront la fertilité à nos terres. À compter de ce jour, Eguzki Amadre, notre grand-mère soleil, brillera plus haut et plus longtemps dans les cieux. Elle se lèvera chaque matin avec davantage de force, et, dans quelques mois, nous pourrons moissonner et profiter du fruit de notre labeur.
Les cinq femmes se désolidarisèrent. La tête inclinée en signe de dévotion, elles prononcèrent quelques paroles avant de rejoindre les bancs sculptés dans des troncs d’arbres centenaires, installés autour du foyer rougeoyant.
Elles étaient trois générations d’une même famille. Un clan composé uniquement de femmes.
Amagoia, mère de toutes. Ses filles, Santxa et Artéa. Et ses petites-filles, Maïder et Ohiana. Cinq femmes qui perpétuaient des us d’un autre âge. Cinq femmes qui faisaient subsister les traditions du matriarcat à la manière basque.
Maïder se perdit dans la contemplation du visage de sa grand-mère. Bien loin des clichés de la hideuse sorcière au nez crochu, exhibant une immonde verrue à la manière de la belle-mère de Blanche-Neige, Amagoia était d’une beauté captivante. Elle assumait son âge et l’implacable sanction du temps. Aux coins de ses paupières, de fins valons dessinaient des pattes-d’oie à peine visibles. Ses lèvres charnues, naturellement rouges, tranchaient avec la pâleur de sa peau et mettaient en valeur le bleu translucide de ses yeux. Elle portait sa crinière blanche comme la lionne qu’elle était. Indomptée. Jamais un homme n’avait pu la faire sienne. Comme toutes les femmes de la famille Garaikoetxea, elle s’était contentée de traverser la vie de quelques-uns et avait choisi avec soin des géniteurs pour ses filles. À ses nombreux amants, elle n’avait laissé que le froid d’un lit abandonné après un orgasme dont elle était seule détentrice du secret.
Les discussions s’enchaînèrent. Ohiana évoqua avec sa grand-mère, sa mère et sa tante les marchés à venir, les stocks de plantes qu’il allait falloir réapprovisionner avec le changement de saison, les prochaines potions à préparer. Maïder les observait. Elle se sentait, comme toujours, étrangère à sa propre famille. Marginale. Que foutait-elle encore ici ?
C’est sa cousine qui la tira de ses rêveries. Elle s’était approchée sur la pointe des pieds. Dans ses bras, Katua, le chat noir de la famille, ronronnait.
— Tu retournes à Bayonne demain ?
— Oui. Je partirai dans la matinée. Il me reste des cadeaux à acheter pour Noël et je suis attendue pour le déjeuner.
Ohiana s’installa à côté de celle qu’elle considérait comme sa sœur et posa la tête sur ses genoux avant de reprendre.
— Avant que tu ne partes, j’aimerais beaucoup que tu viennes avec moi cueillir quelques plans d’hellébores noirs sur les flancs de la montagne. Tu pourrais les emmener avec toi. Je suis persuadée que, même quand tu n’es pas avec nous, tu pratiques certains rituels, secrètement, dans ton appartement.
— Ah ah ah, ma douce cousine, tu sais bien que je ne suis ici que pour faire plaisir à ma mère, et par respect pour nos défuntes. Je n’appartiens plus à votre monde et demain, je regagnerai le mien. Je retrouverai les joies d’une vie en société, les after-works entre amis, les sorties au cinéma. Tout ce dont nous sommes privées, ici. Vous vivez encore comme si le temps s’était arrêté à la Renaissance ! Tu n’as pas conscience des trésors que recèle ce siècle. Les progrès technologiques, l’émancipation des femmes…
— Tu penses réellement que nous sommes prisonnières de notre condition ? Tu es sérieuse ? Ailleurs en France, je veux bien te croire, mais nous ? Nos ancêtres étaient féministes bien avant que le mot « féministe » ne soit mentionné dans le dictionnaire !
Elle finit sa tirade en se redressant. Le regard qu’elle lança à Maïder aurait pu la tuer sur le coup si ses yeux noisette avaient été deux mitraillettes.
Consciente d’avoir poussé un peu trop loin sa réflexion, Maïder tenta de nuancer ses propos.
— Oui, oui, OK. C’est vrai, j’exagère un tout petit peu, mais tu vois ce que je veux dire. Il y a tant à découvrir au-delà des limites de notre territoire. La liberté est à ta porte et tu ne veux pas t’en emparer.
— Tu te trompes, Maïder. Je suis bien plus libre que tu ne l’imagines. Bien plus que toi et cette population qui s’est elle-même passé les fers. Je ne crains pas le regard des autres. Je ne suis pas une femme au foyer désespérée. Je n’ai pas peur de mon statut social. Je ne panique pas à l’idée de ne pas avoir de réseau pour mon téléphone, de manquer de beurre, de moutarde ou de farine. Je ne suis pas menottée à vos considérations.
Maïder soupira et répliqua, piquante.
— Mouais, tu as peut-être raison. En tout cas, une chose est sûre, toi, tu es faite pour perpétuer notre lignée !
Ohiana frissonna de froid, mais surtout de tristesse. Sa cousine lui manquait beaucoup, et l’idée de son proche départ l’accablait. Pourtant, elle ne répondit pas. Elle se blottit contre Maïder qui l’entoura de ses bras. Si les jeunes femmes avaient déjà eu des mots par le passé, elles ne restaient jamais fâchées.
Alors que la course de la nuit s’achevait, Amagoia ramassa les couvertures qu’elle avait pris soin d’emporter et les déposa sur les corps endormis de chacune de ses femmes. Épuisés par la cérémonie, organismes et esprits avaient cédé au repos. À son tour, la matriarche s’emmitoufla dans la laine râpeuse et s’installa en chien de fusil, à côté des braises rougeoyantes. Vidée, elle se laissa ravir par le sommeil.
La truffe humide et chaude de Katua réveilla Artéa au moment précis où le soleil frappait toute la vallée de ses premières flèches. La fille cadette d’Amagoia s’étira longuement avant de se redresser. Elle embrassa le paysage du regard. Un brouillard épais léchait le sol, formant un océan en suspension. Dans la lumière rose de l’aurore, les épaules de la sorgin⁵ frémirent. Elle devait réveiller les autres et rentrer. Elles seraient bientôt toutes malades si elles ne regagnaient pas la chaleur de leur maison.
Artéa se leva.
Après avoir éliminé de ses yeux les dernières traces de la nuit, une angoisse serra son cœur. Ses sourcils se froncèrent.
Une.
Deux.
Trois.
…
Il n’y avait que trois femmes assoupies autour des braises du feu, et une couverture abandonnée. Tâchée de gouttes de sang.
ARTICLE DU JOURNAL SUD OUEST
Édition du 21 décembre 2004
STUPEUR ET TRISTESSE à SAINT-PÉE-SUR-NIVELLE
Le 13 décembre dernier, M. et Mme Fernandez ont retrouvé le corps sans vie de leur fils, Bixente, âgé de deux mois.
Dimanche soir, Marco Fernandez et son épouse auraient couché leur bébé, dans sa chambre.
Pensant qu’il faisait sa première nuit complète, le couple Fernandez ne se serait inquiété du silence de Bixente qu’aux environs de huit heures du matin.
C’est Périnne, la mère, qui a fait la macabre découverte. Aussitôt alertés, les pompiers n’ont pu que constater le décès.
Si rien n’explique la mort de ce nourrisson, jusqu’alors en bonne santé et dont le corps sera autopsié, ce jour, à l’hôpital de Bayonne, difficile de ne pas penser aux nombreuses morts infantiles qui ont ponctué cette année. Alors même qu’un autre petit garçon a été mis en terre il y a un mois à peine, ce nouveau drame interroge : qu’arrive-t-il à nos bébés ?
J.K.
2 Entité mythologique basque également connue sous le nom de la Dame d’Anboto. Mari est la déesse mère et représente la nature.
3 Un des sommets des Pyrénées à la frontière entre la France et l’Espagne.
4 Entité mythologique basque mariée à Mari.
5 Sorcière en basque (au singulier).
CHAPITRE 2
VENDREDI 31 DÉCEMBRE 2004
Dix jours s’étaient écoulés depuis le solstice. Dix jours pendant lesquels aucune femme du clan n’avait eu de nouvelles de Maïder.
Quand Artéa s’était rendu compte de l’absence de sa nièce, à son réveil, elle avait d’abord secoué Amagoia. Affolée.
— Maman, Maïder a disparu et sa couverture est tachée de sang.
Les yeux pleins du sable de la nuit et encore à demi-endormie, Amagoia ne saisit pas tout de suite la portée des paroles de sa fille.
— Pourquoi t’alarmes-tu ? Tu connais Maïder. Elle est sans doute retournée à Bayonne. Elle ne reste jamais avec nous plus qu’il ne faut.
Artéa brandit le lainage sous les yeux de sa mère.
— Son besoin de retrouver la civilisation n’explique pas ceci !
En découvrant les traces pourpres qui s’étiraient sur le tissu, les yeux d’Amagoia s’agrandirent et son visage se voila du masque de l’inquiétude. Ses yeux virèrent à l’orage, ses traits se froissèrent et une mer de réflexion s’incrusta sur son front. La matriarche se releva et se rendit auprès de Santxa, puis d’Ohiana, pour qu’à leur tour elles quittent les bras de Morphée.
Plus en colère que tourmentée, Santxa pesta, emportée par son ressentiment envers sa fille.
— Elle me fera tout voir ! J’aurais dû mieux choisir son père, elle ne serait pas si inconséquente, rebelle et chiante !
— Son inconséquence, comme tu le dis, ma sœur, n’est certes plus à démontrer. Pour autant, même si je sais ta fille capable de nous quitter aux aurores, et inventive à l’extrême pour te provoquer, je doute qu’elle se soit blessée seule. Il y a quelque chose qui cloche. Ne peux-tu pas, pour une fois, mettre tes rancunes de côté ?
Artéa avait toujours été plus sage que Santxa. Plus mesurée. Elle avait un besoin viscéral de comprendre. De trouver des explications là où, parfois, il n’y en avait pas. Un comble pour une sorcière. Néanmoins, elle restait plus effacée, plus discrète aussi que sa sœur. De leur mère, elle n’avait pas hérité les traits. Son visage rond avait gardé les pleins et les arrondis de l’enfance, et sa chevelure le blond de l’innocence. Pas un blond peroxydé ou cendré, mais celui plus lumineux des blés.
Elle poussa plus loin sa réflexion.
— Nous connaissons toutes Maïder et nous savons de quoi elle est capable pour te défier, Santxa. Mais ce départ précipité ne lui ressemble pas. Malgré son besoin de s’émanciper de notre histoire et les dernières discussions, tendues, que nous avons pu avoir, elle a toujours tenu à respecter les rituels traditionnels. Elle ne serait pas partie sans nous embrasser. Je ne peux pas croire que sa disparition ne t’angoisse pas !
— C’est vrai, releva Ohiana. Elle m’avait dit qu’elle partirait pour Bayonne dès le matin, mais jamais elle ne nous aurait quittées sans m’avoir réveillée pour me dire au revoir. Elle m’avait promis de m’accompagner pour cueillir des fleurs avant de retourner en ville. À moi, elle n’a jamais menti et elle a toujours respecté ses engagements. Et puis, il y a les taches de sang, bordel ! Je ne comprends pas comment tu peux rester arc-boutée sur ta posture de mère en colère.
Santxa admit qu’elle s’était emportée trop vite. Elle regretta de s’être braquée et l’inquiétude se fraya un chemin dans son esprit. Elle se mit à faire les cent pas, pouce et index sur le bas du visage en signe de réflexion. De son côté, Ohiana partit explorer les alentours, accompagnée de sa mère.
Les frimas du matin obligèrent les sorginak à resserrer les couvertures autour de leurs épaules. Dans l’aube blanche, même la nature dormait encore. Seuls quelques étourneaux troublaient de leurs chants le silence qui régnait en maître sur la vallée, recouverte d’une courtepointe opaline.
Amagoia s’approcha de sa fille. Santxa était son double. Un clone presque parfait. Les mêmes traits fins. Des yeux d’un bleu presque transparent, une grâce innée. Côté caractère, c’était une autre histoire ! Santxa était glaciale alors que sa mère n’était que chaleur. Pudique, elle n’exprimait que très rarement ses sentiments. Son incapacité à verbaliser l’amour qu’elle éprouvait pour les siennes avait généré de nombreuses crispations, surtout avec sa fille. Santxa et Maïder se parlaient peu, elles étaient comme les pôles opposés de deux aimants. Elles se repoussaient. Inéluctablement. La première née d’Amagoia était sanguine. De la poudre à canon. La moindre étincelle pouvait la faire exploser. Ses colères adolescentes avaient parfois fait trembler les murs de l’etxea⁶. Avec le temps, elle avait appris à se maîtriser mais il arrivait aussi qu’elle se laisse déborder. Comme le jour où Maïder avait annoncé qu’elle s’affranchissait du clan et de ses frontières.
La matriarche se planta devant sa fille aînée pour la forcer à stopper sa marche horripilante. Elle attrapa son menton avec force pour l’obliger à la regarder et, surtout, à l’écouter.
— Se peut-il que le sang sur le plaid ne soit que le signe de ses règles et qu’elle soit rentrée chez elle à la hâte ? lui demanda-t-elle en cherchant une explication bien plus rassurante que celle qui prenait racine dans son esprit.
Santxa répondit, de plus en plus angoissée.
— Non, maman. Je connais ses cycles, elle est réglée comme une horloge comtoise ! Et puis, il y avait ce qu’il faut à la maison. Artéa a sans doute raison, il a dû se passer quelque chose. Ma fille ne serait pas partie comme une voleuse. Qu’elle ne m’embrasse pas, c’est une chose, mais elle n’aurait jamais regagné la ville sans t’avoir serrée dans ses bras.
Ohiana et Artéa revinrent en courant. Interrompant l’échange des deux femmes. Dans les mains de sa nièce, Santxa reconnut la tunique de Maïder. Dans celles de sa sœur, une poignée de longs cheveux bruns. Santxa se jeta sur Ohiana et lui arracha le vêtement des mains. Elle hurla si fort que son cri fendit le ciel et que le tonnerre gronda. Santxa tenait le tissu dans ses bras comme si elle serrait son enfant. Elle agitait sa tête en murmurant des paroles incompréhensibles. Amagoia attira sa fille aînée contre elle et quand elle l’eut calmée, non sans difficulté, les quatre femmes regagnèrent leur maison. Abattues.
En chemin, Artéa et Ohiana indiquèrent l’endroit de leurs découvertes. Un petit renfoncement dans le chemin accidenté qui menait au pré, depuis la route de Saint-Pée-sur-Nivelle. En dehors de pierres et de feuilles mortes, maculées de sang, les sorginak ne trouvèrent aucun indice permettant d’esquisser les contours du drame qui s’était joué alors qu’elles dormaient.
Quand elles arrivèrent chez elles, Santxa était dans un état tel que sa mère lui fit boire une tisane pour calmer ses nerfs et apaiser son cœur. Rapidement, Santxa sombra dans une sorte de torpeur, incapable de quelque mouvement ou de la moindre réflexion. Une poupée de chiffon. Elle fut installée devant la cheminée et elle resta prostrée pendant plusieurs heures, sans prononcer un mot.
Le jour même de la disparition de Maïder, Ohiana se rendit à Bayonne, dans l’appartement de sa cousine dont elle avait un double des clefs. Un studio, esprit loft, situé au-dessus d’un magasin de tatouage.
En entrant dans l’antre de sa cousine, Ohiana fut surprise par l’odeur. Des effluves de pommes, de pin et de miel. De l’encens d’hiver. Un encens qui favorise les intentions magiques lors de la création de sortilèges. Comment expliquer ce parfum chez une jeune femme qui avait rejeté une grande partie de son identité mystique ? Ses soupçons se confirmaient. Maïder avait beau balancer à la face de sa famille son rejet maladif de ses racines, elle restait une sorgin. Ohiana s’empressa de rechercher l’origine des senteurs et découvrit, sur la table de nuit, une coupelle de porcelaine dans laquelle reposaient un morceau de charbon et une boule à moitié consumée. Les fragrances étaient encore fortes. Signe que la résine avait été allumée une poignée d’heures auparavant. Maïder avait peut-être pratiqué un sortilège avant de rejoindre la famille pour la célébration du solstice. Beaucoup de secrets avaient été révélés cette année, et toutes avaient eu besoin de les digérer, chacune à leur façon. Ou alors, elle