Champ-Dollon et Meyrin: Entre deux mondes
Par Zorrino Haroun
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Véritable pilier de la paix et voix incontournable de la société civile, Zorrino Haroun se distingue par un engagement inébranlable en faveur des droits humains. Pour lui, l’écriture est une arme précieuse, capable de réveiller les consciences et de tracer les contours d’un avenir fondé sur la justice et l’égalité.
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Aperçu du livre
Champ-Dollon et Meyrin - Zorrino Haroun
Zorrino Haroun
Champ-Dollon et Meyrin
Entre deux mondes
ycRfQ7XCWLAnHKAUKxt--ZgA2Tk9nR5ITn66GuqoFd_3JKqp5G702Iw2GnZDhayPX8VaxIzTUfw7T8N2cM0E-uuVpP-H6n77mQdOvpH8GM70YSMgax3FqA4SEYHI6UDg_tU85i1ASbalg068-g© Lys Bleu Éditions – Zorrino Haroun
ISBN : 979-10-422-4760-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
I
Quand on croit découvrir l’Eden
Blotti en position fœtale, je somnole sur mon siège, la tête adossée contre le hublot, impatient de quitter cet endroit où, sans trop le vouloir, je me trouve condamné à rester jusqu’à ce que je puisse retrouver l’air extérieur. J’ouvre mes yeux gonflés par un long sommeil. L’immobilité contrainte dans l’enceinte de cet avion long-courrier, qui déchire les airs depuis des heures, me plonge dans un état de tension exacerbée. Je suis ému par le spectacle des nuages « gris teintés de roux » qui défilent en cascades le long de la carlingue, comme pour saluer les passagers de l’avion. Je suis totalement épuisé par ce voyage interminable.
Le personnel à bord de la cabine se prépare pour la descente. Il est occupé à récupérer des plateaux par-ci, des bouteilles ou des verres par-là.
J’ai quitté Rio de Janeiro vendredi soir, le soleil était déjà couché. En ce moment, un autre soleil est en train de se lever et j’atteins la dernière étape de mon voyage. Confiné dans l’espace restreint de mon siège, je tourne le regard vers l’arrière de l’avion et lève les yeux en direction des symboles lumineux qui indiquent les toilettes. Je détache ma ceinture, me lève et, dans l’allée étroite qui mène au fond de la carlingue, je me fraye un chemin parmi les passagers.
Je m’enferme dans le cabinet et jette un coup d’œil dans le miroir face à moi. J’y aperçois un jeune homme bien portant, d’allure athlétique, mesurant 1 mètre 80 et ayant la tête bien posée sur les épaules. Je viens juste d’avoir vingt-six ans et je me dis qu’à cet âge, un homme tient sa vie en main et qu’il doit être sûr de lui. Et je sais que moi, ma vie, je l’ai en main.
Aujourd’hui, en remontant le temps jusqu’à ce moment-là, je me demande comment j’ai pu tellement en perdre le contrôle…
Marqué par la fatigue du voyage, je me rafraîchis le visage afin de me donner une meilleure apparence. J’essaie d’occuper mon esprit et je m’interroge sur les raisons qui m’ont amené à vouloir prendre mes vacances en Suisse. Car j’ai véritablement désiré venir en vacances ici. Aujourd’hui, il ne me reste qu’à vivre pleinement ce temps avant de retourner chez moi et de reprendre mon travail.
Les deux mois d’aventure passeront peut-être vite et lorsque je rentrerai au pays, je reprendrai mon métier, la plongée sous-marine. Je retrouverai aussi mon activité de guide pour touristes occidentaux. J’imagine même qu’il est possible que j’épouse une femme et qu’ensemble nous rêvions d’une grande maison ! Il suffit que les jours, les semaines et les mois passent vite !
J’ouvre ma braguette, vise les toilettes et me soulage. Puis je me lave les mains en me regardant une fois encore dans la glace, et j’écarte l’idée de me donner un coup de peigne. Pourquoi le ferais-je ? Mes cheveux bruns sont d’un naturel agréable et je sais que je suis beau comme cela. La question est de savoir si je peux impressionner les filles lorsque je serai à l’extérieur. Je décide finalement de garder mes cheveux ébouriffés et je regagne enfin ma place.
Je m’assure que mon passeport est bien au fond de ma poche. Je m’assieds, remets ma ceinture de sécurité et redresse le dossier de mon siège. C’est alors que de nombreuses questions surgissent : « Pourquoi ai-je voulu venir passer mes vacances dans ce pays riche qu’est la Suisse ? Pourquoi ai-je quitté mon travail pour deux mois ? Qu’est-ce qu’un petit Brésilien vient faire dans ce pays ouvertement hostile aux pauvres ? »
Depuis mon hublot, je vois de petits nuages rebelles qui surgissent, taches blanches derrière lesquelles un paysage sylvestre dessine une toile de fond d’un bleu mauve foncé. Les réacteurs ralentissent, l’avion pique du nez pour une brusque et rapide descente vers Genève. Des paysages, à peine dessinés, surgissent de façon éparse dans l’arrière-pays et des surfaces d’eau ajoutent au décor une note pittoresque. Penché au hublot, je contemple le déroulement de cet étrange paysage et ce spectacle m’emporte.
L’avion perd de l’altitude et se dirige vers Genève. À travers les massifs montagneux, j’aperçois des voies qui serpentent, dessinant des courbes qui révèlent les formidables forêts helvétiques. Des frondaisons se dressent telles des murailles végétales, rythmées par quelques clairières en bordure des routes et voies de chemin de fer.
Le personnel de cabine annonce l’arrivée à Genève, capitale du Canton, ville emblématique dont l’approche aérienne est délicate, car elle est entourée de montagnes. Le commandant de bord annonce une zone de turbulence et recommande aux passagers de rester attachés jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil. L’avion atterrit, ses roues sautent légèrement plusieurs fois, puis glisse le long de la piste et vrombit de plus belle avant de ralentir sa course sur quelque mille mètres. À l’atterrissage, les avions vibrent, ont souvent des soubresauts et les personnes sensibles cherchent alors du réconfort !
Aux plaisirs que m’ont procurés les paysages sans cesse renouvelés du voyage, se mêle pour moi la joie d’entrer dans un monde inconnu. Mon expédition a commencé avec mon départ de Partys au Brésil. Jusqu’ici, de nombreuses sensations et pensées m’ont maintenu lié à mon pays et à son mode de vie simple et chaleureux. Les premiers soubresauts de l’avion et le crissement de ses roues coupent brusquement le fil de mes pensées ; ils emportent les projets et les rêves que je viens chercher dans ce monde inconnu. Cette impression s’ancre en moi tandis que, sanglé dans mon siège, je regarde défiler derrière le hublot, le décor de cette nouvelle vie dite civilisée.
Un début de fatigue et de lassitude gagne mon corps, ma volonté ne tient plus qu’à un fil et mes pensées se perdent. Absorbé par les images que je me fais de la Suisse, je suis envahi de pensées contradictoires.
En quittant mon siège et en prenant congé de l’avion, j’éprouve une sensation de soulagement et de délivrance. Mais dans le même temps, je réalise qu’inlassablement, je brasse un sentiment où se mêlent tant l’émerveillement que la peur. Autour de moi, les passagers se bousculent pour se frayer un passage vers la sortie. Leurs brefs échanges produisent un bruit sourd, entrecoupé par les voix claires des hôtesses. Ces dernières, telles des machines, reprennent inlassablement : « Au revoir monsieur ! » « Au revoir madame ! »
Ces exclamations m’ont choqué et à cet instant encore, je ne peux que m’irriter face à l’hypocrisie qui contraint les hôtesses à sourire et à répéter inlassablement les mêmes mots à chaque passager. C’est pourquoi, tel un vieux disque rayé posé sur un phonographe, je « beugle » sans ménagement d’un souffle brusque et rauque, « Au REWAR ! » Un message qui n’est ni du français, ni de l’anglais, ni de l’espagnol !
Il est sept heures du matin. Un vent hivernal et glacial m’accueille tandis que le froid m’oppresse. Mes yeux écarquillés découvrent l’économie mondialisée : de très nombreux avions, de toutes marques et de tous pays, alignés les uns derrière les autres sur le tarmac. Je suis frappé par la présence importante d’avions « EASY JET ». Ils sont peints en orange et appartiennent, semble-t-il, à un individu âgé de moins de 40 ans ! Je rencontre et découvre le monde capitaliste, étranger et étrange…
Dans le grand hall de l’aéroport, des femmes et des hommes surgissent de toutes parts et se fondent en une masse humaine qui produit un volume sonore étourdissant. Les passagers débarquent simultanément des différents vols et le hall est envahi par une foule de voyageurs bavards.
Tous se bousculent pour atteindre le couloir étroit qui mène au contrôle des passeports. Ce passage est l’unique issue pour aller vers la ville après avoir présenté aux douaniers les documents requis. Pressé de toutes parts, je suis la foule et assure ma progression en évitant tout heurt. Épaule contre épaule, chacun s’applique à ne pas heurter la foule impatiente.
Tout le monde est nerveux et subit le même temps d’attente. Il n’y a pas d’autre manière de respecter les conventions locales que de s’aligner pour atteindre le guichet de contrôle des passeports. Après cette étape, tout va très vite. Un coup d’œil au passeport, un autre à votre visage et votre identité est légitimée. Un tampon libérateur vous permet de vous extraire de la vague humaine des voyageurs. C’est finalement assez rapide !
Je traverse un couloir derrière d’autres passagers qui m’entraînent vers la salle de récupération des bagages. Là encore, une foule bruyante s’est agglomérée. Les voyageurs cherchent des chariots pour récupérer leurs valises.
Une autre vie s’ouvre devant moi. Des appels, des cris et des exclamations rompent le fil de ma songerie. Des gens jaillissent de différents côtés, pressés de s’enlacer. D’autres, restés un moment assis, se lèvent à leur tour pour accueillir leurs proches. « Alors ? As-tu fait un bon voyage ? » s’exclament la plupart.
À travers les vitres du grand hall d’arrivée, je cherche un visage qui pourrait m’être familier. Je scrute une à une toutes les silhouettes collées aux vitres. Je ne parviens pas à identifier une personne qui ait les traits d’une de mes sœurs aînées, mon cœur bat au rythme du tam-tam. Sans en être conscient, j’adopte l’attitude d’un petit enfant qui attend ses parents à la sortie de l’école !
Je pousse un soupir, résolu à récupérer mes bagages en priorité. Sur le tapis roulant apparaît un cortège de valises. J’y trouve mon gros sac, l’empoigne et me dis que les choses iront mieux dès que j’aurai atteint la sortie. Il me faut pourtant encore une vingtaine de minutes pour récupérer tout ce qui m’appartient. Je tire enfin ma valise et, en suivant la signalisation, je me dirige vers le panneau « EXIT ».
Je débouche alors dans un espace immense où la foule guette les voyageurs. Il y a tellement de monde ! Je me fraye un passage et cherche du regard un visage qui me soit familier, mais je n’en vois aucun ! Imaginez la détresse qui m’assaille !
De tous côtés, je vois des gens qui sourient, s’embrassent, s’enlacent, se tendent les bras, se serrent les mains, et d’autres qui gémissent, s’étreignent jusqu’à étouffer, puis recommencent encore et encore. La foule dans ce hall est trop dense pour qu’il me soit possible d’apercevoir ma propre sœur et son état-major.
Soudain, du fond de la salle, un cri perçant jaillit dans ma direction et me pousse à me retourner. C’est ma sœur aînée ! Elle me fait des signes et me rejoint toute joyeuse. On s’enlace alors dans un grand élan d’émotion. Sa bande se fraye un chemin à travers la foule de voyageurs et se dirige vers moi.
Je suis submergé par au moins une demi-douzaine de personnes endimanchées, qui me sourient et me saluent. Je retrouve enfin mes deux sœurs, leurs maris et leurs amis. Je sens alors que mes yeux se remplissent de larmes. Je ne m’attendais pas à un tel accueil et je me sens maintenant heureux et rempli d’émotion. Ma deuxième sœur, en me serrant fortement contre elle, verse aussi des larmes de joie. C’est une femme solide, un peu plus jeune que la première. Elle me saisit par les épaules, m’enlace, m’embrasse et laisse jaillir un puissant cri de joie !
Au Brésil, je suis guide et je fais de la plongée sous-marine pour touristes. Cette profession, éminemment respectable, me procure un bon revenu. Pourtant, en ce moment, je redeviens tout simplement le « petit garçonnet de mes deux sœurettes aînées » qui me considèrent toujours comme leur « petit Felipe ».
Les présentations faites, Katia, l’aînée de notre famille, donne le signal du départ vers le parking. L’état-major gagne une vaste place couverte bien éclairée, lambrissée de lampes néon, aménagée en salon de véhicules à quatre roues. Les voitures dans cette salle mitoyenne sont alignées en rang d’oignons tels des soldats lors d’un défilé militaire. Ma sœur donne sommairement des consignes et en moins de cinq minutes, la suite monte avec des airs dans deux voitures qui attendent. On se serre dans les cabines et je suis cérémonieusement invité à prendre place sur le siège arrière. Mon Dieu, la vie s’annonce déjà bien plus belle. Quelle prévenance ! Telle une procession silencieuse, les voitures quittent l’aéroport. On contourne la tour de contrôle, tour vitrée qui flamboie au soleil levant, telle une sentinelle veillant sur les abords de l’aéroport. Une fois la tour passée, les voitures se dirigent vers le centre-ville à une vitesse