Mes années campus
Par Michèle Bès
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Enseignante, Michèle Bès s’est attachée à donner à ses élèves, mais aussi à des adultes, le goût de la lecture et de l’écriture en animant de nombreux ateliers d’écriture. Retraitée, elle se consacre désormais à cette dernière ainsi qu’à la peinture. Après la parution en janvier 2022 de "Là où tout bascule" – un recueil de quatre nouvelles un peu sombres –, elle s’est replongée avec plaisir et nostalgie dans ses années fac pour écrire Mes années campus.
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Aperçu du livre
Mes années campus - Michèle Bès
Lettre 1
On est le 5 septembre 1971 ; avec mes parents on monte à Grenoble pour mon inscription à la fac.
On a reçu un courrier avec toutes les directives, les documents à présenter et le chéquier à prévoir ! Tu sais, la carte bancaire n’existait pas (elle sera créée en 1984), le compte chèque était au nom de mon père, je n’avais que l’argent mis de côté quand je pouvais et c’était pas grand-chose.
D’après le dépliant qu’on a reçu, le campus, c’était environ 40 000 étudiants, profs et administratifs dont plus de 10 000 internationaux.
Il se divisait en 3 pôles principaux : Université scientifique et médicale – Université des Sciences sociales – Université des Langues et Lettres.
Plus l’INPG qui regroupait des écoles d’ingénieurs, les IUT pour tout ce qui était technique et le Creps pour ce qui concernait le sport avec une piscine dotée d’un bassin olympique, le must !
Il y avait 4 résidences : Ouest, Berlioz, Fauré et Condillac, plus l’ALJT, le seul immeuble de 13 étages, le plus cher et qui était mixte : étudiants et jeunes travailleurs.
Après avoir cherché un peu, carte et dépliant en main – évidemment pas de GPS à l’époque ! on tombe sur un talus avec un gros rocher sur lequel était inscrit en fer forgé « Domaine universitaire ». On suit une longue avenue avec quelques rares panneaux ; tout paraissait très moderne, avec des sculptures de Calder un peu partout, on longe ce qui s’appelait La Place Centrale d’après le dépliant : un grand parvis dallé en noir et blanc avec l’Amphi Louis-Veil et l’immense bibliothèque des Sciences, le tout d’une architecture très moderne aussi ; et de l’autre côté de cet espace, il y a la bibliothèque des Lettres, la fac de Droit, Sciences Po et enfin un bâtiment avec une entrée style temple grec : « Université Stendhal – Langues et Lettres ». C’est là.
Mon père gare la voiture et décide de nous attendre, c’est ma mère qui m’accompagne. On monte des marches et on entre dans un hall immense soutenu par des piliers. Il n’y a plus qu’à suivre les flèches « inscriptions 1re année » ; on pénètre dans le bas d’un « amphi » où des flèches nous donnent le sens à suivre ; les rangées de bancs s’étagent haut en dessus en demi-cercle, c’est assez impressionnant.
Il n’y a pas trop de monde, les filles qui sont là prennent le temps de bien m’expliquer, ma mère abandonne, elle est déjà larguée.
1re étape : je m’inscris en 1re année de DEUG Lettres modernes, mais il y a du latin, de l’ancien français et une langue vivante obligatoires – je choisis italien.
Une fille m’explique : « Tu auras des cours généraux en amphi – ici ou le B – et d’autres par groupes dans des classes – les TD. Tu auras des devoirs à rendre qui seront notés mais personne ne contrôlera si tu les as faits ou pas : tu seras en totale autonomie, pas du tout pareil qu’au lycée…
Tu devras valider 7 UV – unités de valeur – en fin d’année avec la possibilité d’en repasser 2 en septembre ; tu auras des partiels – des examens – 2 fois par an avec un coef décidé par les profs pour chaque matière. Pareil en 2e année. Si tout marche bien, tu passes en Licence puis en Maîtrise. Après ce sera une autre histoire. »
Elle me donne un épais dossier « à regarder plus tard ».
2e étape : les assurances, obligatoires et chères – ma mère fait la gueule en sortant le chéquier.
3e étape : le CROUS ; on me donne le reçu de la bourse à laquelle j’ai droit, sur laquelle sera prélevé le premier loyer, un carnet de tickets de Resto U et surtout la résidence où j’aurai ma chambre : Berlioz, bâtiment C 2e étage, je dois récupérer ma clé chez le concierge au bâtiment A.
Encore des gens qui me parlent engagement politique, carte du parti, syndicats… je verrais ça plus tard.
J’ai les bras chargés de dossiers, de documents divers et variés mais c’est fait : j’ai tout signé et à la toute fin, je reçois enfin le Graal : ma carte d’étudiant dûment tamponnée.
Ouf, c’est fini ! Ça fait beaucoup d’infos d’un coup, heureusement les cours ne commencent que le 5 octobre, j’ai un mois pour tout digérer.
Je rejoins les parents qui râlent : tout est trop cher, trop compliqué, trop loin, etc. Autant te dire que pas de bourse, pas de fac, j’aurais dû faire l’école d’infirmière comme les copines et rester à G.
Je comprends vite que je n’aurai pas d’argent pour les fournitures, les livres, les à-côtés et le car pour rentrer le week-end… Comment je vais faire ? Il faudra me débrouiller – parce que, bien entendu, je devrai rentrer dès le vendredi soir à la fin des cours et à toutes les vacances scolaires.
— Tu vois, Mila, c’était plutôt compliqué, il fallait se déplacer pour tout, se tenir au courant au Bureau des étudiants, ne pas louper les courriers, ne pas rater les échéances pour payer le CROUS sinon plus de bourse…
J’espère que je t’ai donné un aperçu de ce que c’était, j’avais la tête archi pleine ! Dans la prochaine lettre, je te raconterai la découverte de Berlioz et de ma chambre, mon chez-moi, mon abri ; tu n’imagines pas combien c’était important, vital même.
Bonne lecture, ma puce.
Lettre 2
Avec les parents, on va déjeuner à la Cafeteria de Record (aujourd’hui c’est un Géant Casino), le grand supermarché qui est de l’autre côté de l’avenue qui mène en ville, c’est à deux pas de ma résidence, ce sera pratique pour les courses.
Après le café, on traverse et on entre dans Berlioz. Il y a quelques jeunes qui traînent mais très peu, ce n’est pas encore la rentrée, quelle que soit la fac.
Bâtiment A, je récupère la clé de ma chambre : bâtiment C, 2e étage, numéro 225 c’est là.
J’ouvre, avec un mélange d’appréhension et de plaisir.
C’est… petit, 10 m² tout au plus. À gauche, un rideau marron épais cache un grand placard, à droite le même rideau cache un lavabo, un bidet et des WC, il y a une armoire de toilette avec une étagère au-dessus du lavabo. Face à nous, une grande fenêtre coulissante couvre tout le mur ; dessous sur toute la longueur, une grande table sur tréteaux avec deux meubles, l’un à tiroirs, l’autre avec une porte.
À gauche, un lit d’une place avec un panneau de bois à la tête et tout le long du lit ; en face en hauteur sur le mur, un grand placard suspendu avec deux portes qui encadrent une double étagère.
Et c’est tout !!
Les rideaux sont marron, le dessus de lit à carreaux jaune et marron, deux draps, une couverture marron, une taie de traversin jaune et marron, propres mais déjà usés. J’avoue : ce n’est pas d’une gaîté folle. Ma mère s’énerve :
— On ne va pas la laisser « dans ce trou à rats » ? On va l’arranger un peu, t’inquiète pas.
Vite, elle sort un mètre, prend les dimensions du dessus de lit, 120 par 190, ça va, c’est pas trop petit et celles de la fenêtre : je vais te faire un joli dessus de lit et des rideaux, ça habillera et tu amèneras les draps, les taies et ta couverture de la maison pour te sentir chez toi.
Terminé, je tire les volets en bois, je ferme ma porte. Dans le couloir, il y a des chambres numérotées, 8 de chaque côté. Au milieu, une sorte de grande cuisine avec un double évier, des plans de travail carrelés et 4 plaques électriques à 2 feux.
En face, les douches, 4 d’un côté, 4 de l’autre avec une patère derrière la porte. C’est sommaire mais propre.
Le concierge arrive, il s’adresse uniquement à moi :
— Ta chambre doit être propre, la femme de ménage passe une fois par semaine, elle nettoie et change les draps. Tu n’as pas le droit de faire des trous dans les murs ; si tu les abîmes avec du scotch, les frais de peinture seront à ta charge. Je viendrais faire un état des lieux en juin.
Il n’y a pas de frigo, tu mettras le beurre, le lait et les fruits dans un sachet pendu à la fenêtre, tu ne dois pas cuisiner dans la chambre, la cuisine est faite pour ça, mais tu peux faire chauffer de l’eau pour le café ou le thé.
Autre chose : s’il y a quoique ce soit avec des garçons, du bruit, des beuveries… tu m’en parles mais ne viens pas me déranger pour rien.
Il y a un téléphone par étage, c’est moi qui passe l’appel, entrant ou sortant, j’appelle le numéro de chambre par haut-parleur ; de même pour les visites autres que des étudiants.
Il se tourne vers mes parents, légèrement tétanisés :
— Ne vous inquiétez pas, je connais tous les résidents sauf ceux qui arrivent. C’est calme, ici, les jeunes sont là pour bosser, je me charge de le rappeler à ceux qui oublient.
Il y a aussi une cafeteria et une salle de spectacle gérées par « L’Association des Résidents de Berlioz ». Il y a une boîte aux lettres, devant Barnave, le resto Universitaire, en face.
Vous avez des questions ?
Ma mère tente le coup des rideaux et des draps :
j’aime pas trop ça mais si c’est vous qui le faites et correctement, je vous autorise mais pour les draps, non, ce sont ceux du Crous et rien d’autre. Allez, au revoir et toi à