Les perles d’Orient
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTRICE
Marie-Pierre Chatard a transformé sa passion pour la lecture en métier en devenant professeure de Lettres. Inspirée par les traditions épicuriennes du Beaujolais et le romantisme sauvage du Yorkshire, son amour pour William Shakespeare rivalise avec celui qu’elle voue à Albert Camus. Elle nous livre le récit du parcours improbable d’une jeune femme cherchant à surmonter une douleur d’enfance et à repartir de zéro.
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Aperçu du livre
Les perles d’Orient - Marie-Pierre Chatard
Mot de l’auteure
Mon roman raconte ces moments que nous connaissons tous, ceux des souffrances, ceux des choix, ceux des erreurs, ceux des réussites, ceux des doutes, mais surtout ceux des réparations.
Il s’attarde sur l’humain ; celui qui détruit, le vil, le malhonnête, sur l’humain le généreux, le sage et le doux, sur l’humain qui a une révélation et celui qui va s’accrocher aux petits bonheurs pour résister. Il raconte une réparation miraculeuse, car elles le sont souvent.
Il parle de la grande pesanteur et des petites grâces indispensables.
Depuis que je sais tenir un crayon, j’en ai commencé des romans.
J’ai des dizaines de boîtes remplies de bouts de papier avec des personnages et des histoires.
Jamais terminés.
Certains de mes professeurs à l’université me reprochaient « une tendance à faire du style » tandis que d’autres m’en félicitaient. À ne plus rien comprendre.
Alors, j’ai étudié les livres, j’ai pris plaisir aux textes des grands auteurs. Je suis devenue professeur de Lettres.
Après, pas facile d’imaginer que je pouvais rivaliser !
Finalement, je trouvais toujours une bonne excuse pour ne pas affronter le danger de me relire, de me relire, de retravailler mon texte, de me rendre compte qu’il fallait agiter le coupe-coupe, mettre des phrases en pièces et passer les mots au fer rouge.
J’ai repris la toute première de mes histoires. Celle que je m’inventais avec les cartes postales de ma grand-mère. Et voilà !
Elle aime les tartes framboise-pistaches, les morceaux de poires d’Erik Satie, les orchidées et ses fils. Par le plus beau des hasards, elle va se plonger dans le passé de son arrière-grand-mère. Accompagnée par deux dragons rieurs, elle s’évade dans l’Indochine des années 1900 et trouvera enfin le courage de se délivrer et de se réinventer.
À ma grand-mère, Marie-Francine
Aux hommes de ma vie
Mon grand-père Marius Eugène
Mon père Claude Modeste
Mes fils Quentin, Allister, Gawayn, Liam,
mes espoirs, mes lumières et ma plus belle réussite.
Il sembla que le cours du monde venait de s’arrêter et que personne, à partir de cet instant, ne vieillirait plus ni ne mourrait. En tous lieux, désormais, la vie était suspendue, sauf dans son cœur où, au même moment, quelqu’un pleurait de peine et d’émerveillement.
Albert Camus, L’exil et le royaume
All the world’s a stage.
William Shakespeare, As You Like It
Elle est morte
On a sonné à la porte. Mes fils regardaient une série policière. Un visage grave apparut, vaguement larmoyant. Après avoir vérifié qu’il ne pouvait être entendu que de moi, il m’a annoncé qu’elle était morte hier soir et retrouvée au matin par les aides-soignants.
Le jour est venu. Nous nous sommes habillés de noir en silence. Mes amis Dzovâg et Lennox nous ont accompagnés, ont commandé et sont allés chercher la couronne de fleurs sans dédicace, que je n’ai pas choisie mais que j’ai déposée avec une gestuelle furtive de la culpabilité pour cette hypocrisie pimpante et harmonieuse qui ne correspondait en rien à mes sentiments. Ils nous ont regardés cachés derrière leurs gros sourcils broussailleux. Selon eux, elle avait été retrouvée assise dans son canapé, crise cardiaque. Pendant sa dernière prévision météo, elle avait dû lancer une de ses pantoufles à pompons contre son téléviseur tout neuf. Un violent choc avait causé un impact sur l’écran. Elle adorait regarder la présentatrice et l’insulter.
Drôle de Cendrillon morte avec une seule pantoufle aux pieds et vêtue d’une pitoyable chemise de nuit à petites fleurs. Ses derniers moments furent donc consacrés à conspuer la présentatrice de la météo qui la mettait dans une rage folle, morte comme elle a vécu, détestant. Elle gisait sur le sol, sa pantoufle écorchée par des morceaux de verre.
— Le téléviseur est foutu, m’ont-ils annoncé comme si je l’attendais en héritage.
Elle n’a pas souffert.
Non, je n’ai pas lu de texte pendant la cérémonie, ni un évangile ni un éloge, non, je n’ai pas lu de poèmes, elle n’aimait pas la poésie, elle trouvait cela bébête.
Non, je ne me suis pas placée pas en tête du cortège.
Non, nous n’avions jamais parlé des souhaits qu’elle avait pour la cérémonie, à part une messe en latin mais le prêtre a du mal à prononcer le latin car il est togolais.
Elle n’avait jamais rien compris au latin de toute façon. Mais elle pensait que dire des prières dans cette langue lui faisait briguer une place au plus proche à la droite du père.
Nous sommes présents parce qu’il le faut.
Non, je ne suis pas triste. Je n’arrive pas à pleurer ni à faire semblant derrière des lunettes noires. Il fait un temps si gris, que les lunettes noires seraient déplacées.
Je n’éprouve pas un micron de colère. Je regarde le spectacle, comme on regarde un enterrement, celui d’une personne de fiction.
Demain, ma vie ne sera pas sombre, au contraire, je serai plus légère.
Oui, je me souviens encore de mes prières et récite le rosaire après la mise en terre. Le sordide orgue de la petite église de campagne me laisse les doigts paralysés, je n’en jouerai pas.
J’ai été condamnée par une dizaine de costumes noirs, deux manteaux de fourrure marron glacé surmontés des tambourins à voilette noire. J’ai été exécutée par des par-dessus sombres et élimés, stèles dérisoires pour leur tête grisonnante. Le juge d’application des peines m’a dit à voix basse dans le creux de l’oreille que je devais avoir honte et que j’étais morte pour la famille depuis longtemps. Cela m’a rassurée.
Ce qui est mort pour eux est source de vie pour moi. Je l’ai compris un peu tard, j’espère que ce ne sera pas trop tard pour moi. Leur rejet représente une pleine satisfaction.
J’ai dit merci, je crois. Mais je ne sais pas pour quelle raison.
Ils sont venus parce que c’est comme ça que se passent les enterrements. Au bar du village, je ne sais qui a payé une collation pour ceux qui viennent de loin. Personne ne vint de loin pour cet enterrement. Ils vivent tous agglutinés les uns aux autres pour se donner l’air d’être proches et vivants.
Ils se sont détournés de dédain au moment des condoléances, quand mes amis homos, qui étaient arrivés main dans la main, ont voulu les saluer. Ils ont couvert de baisers ventouses, mélange de bave et de larmes, mes fils qu’un dégoût, parfaitement adéquat aux circonstances faisait grimacer. Mes enfants sont plus courageux que moi qui ai retenu un soupir de soulagement. Il s’est mis à pleuvoir. Lennox, l’ancien presbytérien leur a jeté un regard dédaigneux depuis sa stature tout imprégnée de prestance austère. Il fut du plus bel effet dans la parade. Je le regardais emplie d’une joie qu’il me fallait cacher. Il était notre façade de bon ton.
Nous sommes tous remontés dans nos véhicules respectifs. Mon écossais conduisait, il mit un CD des meilleurs morceaux de Debussy, par délicatesse, celle de son âme tout entière. Il s’est retourné vers moi.
— Tu te sens comment ?
— Il va pleuvoir toute la soirée.
— Tu veux qu’on en parle autour d’une tasse de thé. –
— Ça doit faire bizarre de ne pas sentir de chagrin quand sa mère meurt ? Moi, j’aime dire le mot maman. Toi non, remarqua Dzovâg.
Lennox ne disait rien, il sifflotait.
— J’ai du mal à me faire à l’idée qu’on ne t’aime pas.
— Après le tunnel, le temps aura sûrement changé. C’est OK pour la tasse de thé. Un thé au goût de petit beurre, au goût d’enfance.
Il n’y avait de désagréable que ma tête devenue un peu lourde et la paume de ma main sur le cuir du siège mouillé par quelques secondes d’exposition à la pluie. Rien de plus pour rien de moins.
Vider l’appartement
Il a fallu vider l’appartement de sa « résidence pour seniors » comme elle aimait tant à le dire. Tout y était rangé dans un ordre effrayant. Empilement d’enveloppes et de boîtes étiquetées. Piles de linge amidonné, odeur de naphtaline, rien ne manquait à l’horreur de cette vie terminée, mais qui s’était arrêtée depuis longtemps. À se demander même si elle avait un jour commencé cette petite vie étriquée ?
Deux manteaux de fourrure me narguèrent au premier coulissement de la porte du placard et en dessous, s’étaient cachées, anonymes, d’anciennes boîtes et des piles de lettres enrubannées ? Je les reconnus. Je les avais ouvertes et éparpillées chez mes grands-parents, du temps de l’enfance, du temps du partage avec ma grand-mère Francine. Je reconnus le coffre de métal, protégé par une petite serrure que j’avais le droit d’ouvrir, comme on ouvre un journal intime.
Les voyages d’enfance avec Francine
J’ouvrais à nouveau le coffre que ma grand-mère me prêtait pour rêver avec elle. J’y redécouvrais des images anciennes en noir et blanc, colorisées, en couleurs, dessins de clochettes de muguet, d’œufs de Pâques, de houx et de gui, quartiers inconnus de New York ou de Glasgow. Les cartes que Francine recevait de sa mère. Mes cartes postales préférées se lisaient comme un livre vertical ou une estampe. On trouve encore de ces objets dans les villes touristiques ; des livrets qui s’ouvrent à l’horizontale et dont les cartes se déploient à la verticale comme un escalier qui sort de la trappe du plafond. Plutôt que de m’étalonner contre une porte ou un mur, je me suis vue grandir en comparant ma taille au déploiement des cartes banderoles indiquant ainsi ma croissance sous le regard ému de Francine.
Notre rituel, c’était que je pose la couverture de livret sur ma tête et je laisse tomber sur moi les images. La première couvrait mon visage. Ma frimousse d’enfant était recouverte par la promenade des Anglais ou le port et les quais d’Alger.
Le coffre contenait une large guirlande de cartes détachables, que personne ne sépare jamais et qui butait sur le bout de mon nez et le bout de mes pieds quand j’avais moins de cinq ans. Le temps passant, les guirlandes du bout du monde se mirent à pendre dans le vide et je dansais avec elles. Les silhouettes de papier se transformaient en princes charmants exotiques qui m’invitaient au bal des fleurs. Francine me voyant tournoyer sortait ses épais vinyles de valses d’un des Strauss, mon grand-père allumait la coupole en pâte de verre brune dont la lumière rebondissait sur les miroirs de la salle à manger. Le miracle de Jane, une arrière-grand-mère dont je ne savais presque rien, à part qu’elle avait voyagé à une époque où les voyages prenaient du temps et que rares étaient les femmes aventurières.
Van Gogh et les abricots
Le souvenir de ma grand-mère restait présent en permanence dans ma vie de tous les jours. Dans mes souvenirs, Francine ne parlait de sa mère qu’avec économie sauf une fois par an quand nous rendions visite à madame Odette Thiers à Aigues-Mortes ; une vieille dame, approchant malicieusement les 100 ans, qui me préparait des confitures d’abricots et des fougasses au sucre et à la fleur d’oranger. Je me délectais de la fraîcheur de sa petite maison tout près de l’église des pénitents gris et de l’odeur des pruneaux à l’eau de vie que ma grand-mère et elle dégustaient en parlant de Jane, agitant des petits mouchoirs brodés dont la soie pétillait dans les raies de lumière qui filtrait entre les persiennes.
Après le grand soleil de mai et les couleurs de la Provence qui n’en peuvent plus de jaillir, après les voix qui chantent et hurlent, les guitares en larmes, l’agitation des bêtes dans les manades, la boue et le crottin, Francine m’emmenait me reposer dans l’appartement propret de Madame Thiers où régnait l’odeur de la lavande apaisante et où les volutes de broderies sur les draps blancs et lourds avaient un effet hypnotique. Petite fille, je n’aimais faire la sieste que chez La Mamie Thiers, le ventre plein de douceurs. Par les persiennes fermées, les rayons de lumières dévoilaient d’infimes petites étoiles de poussière avec lesquelles je jouais. Je les balayais avec les doigts ouverts, je les faisais virevolter. Une fois les persiennes à nouveau ouvertes, les petites étoiles disparaissaient dans un quelque part invisible d’où un être suprême, pour combler mon ennui, m’envoyait des étoiles que j’étais seule à voir. Cela me conférait un pouvoir magique, une vérité uniquement perceptible à mes yeux d’enfant. Je compris alors que ce n’est pas parce que nous ne voyons pas les choses qu’elles ne sont pas là, nous entourant. Plus tard, je voulus comme cadeau de Noël un microscope.
Ce santon de Provence vivant, au sourire mutin me racontait l’histoire de Mireille et me promettait à mon réveil de me parler de Monsieur Vincent qu’elle avait vu peindre un jour près des roulottes à Aix. Cette petite dame toute de noir vêtue se séparait le temps d’un récit de son austérité et prenait un morceau de fougasse qu’elle bloquait dans sa joue, minait son visage déformé par la douleur d’un abcès dentaire pour m’expliquer les circonstances de sa venue à Aix. Puis elle faisait tomber son fichu en arrière sur son cou, ébouriffait ses cheveux blancs sortant de son petit chignon bas, se voûtait encore plus qu’elle ne l’était déjà et de sa main osseuse, peignait dans le vide une toile invisible. Elle pouvait décrire dans les moindres détails, cette peinture entrevue quelques secondes à l’âge de cinq ans dans le délire fiévreux de l’infection qui avait failli lui coûter la vie. Elle créait alors, une sorte de lien entre moi et le génie qui devenait comme un membre de la famille, une personne familière et j’attendais un genre de contamination