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L’interprétation économique de l’histoire
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L’interprétation économique de l’histoire
Livre électronique172 pages2 heures

L’interprétation économique de l’histoire

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À propos de ce livre électronique

L'existence de l'homme dépend de son aptitude à subvenir à ses besoins. La vie économique est par suite la condition fondamentale de toute vie. Toutefois, puisque la vie humaine est la vie de l'homme en société, l'existence individuelle se meut dans les cadres de la structure sociale et est modifiée par lui. Ce que les conditions d'entretien sont pour l'individu, les rapports semblables de production et de consommation le sont pour la communauté. C'est à des causes économiques qu'il faut donc en dernière analyse rapporter ces transformations dans la structure de la société qui conditionnent elles-mêmes les relations des classes sociales et les manifestations variées de la vie sociale.
Dans les pages de ce livre, on essaiera d'expliquer la genèse et le développement de la doctrine du matérialisme historique ou de l’interprétation matérialiste de l'histoire, et d'apprécier la valeur et l'importance véritable de cette théorie par la science moderne.

LangueFrançais
ÉditeurEHS
Date de sortie7 févr. 2023
ISBN9782381115993
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    Aperçu du livre

    L’interprétation économique de l’histoire - Edwin R.-A. Seligman

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    L’interprétation économique

    de l’histoire.

    L’interprétation économique

    de l’histoire

    Edwin R.-A. Seligman

    Traduction Henry-Émile Barrault

    EHS

    Humanités et Sciences

    Préface

    {1}

    Les philosophes n'ont pu jusqu'ici se mettre d'accord sur le sens exact à attribuer aux thèses réunies habituellement sous la rubrique du matérialisme historique, sur la meilleure manière de les utiliser dans les recherches d'érudition, sur la valeur scientifique des inductions auxquelles ont été conduits les auteurs qui les ont adoptées. Les embarras de la critique auraient été bien moindres si elle s'était reportée aux circonstances en raison desquelles ces formules, si célèbres et cependant si mal comprises d'ordinaire, ont été construites. Les doctrines marxistes auraient été, si l'on avait procédé de la sorte, éclairées par la lumière même qu'elles recommandent de projeter sur l'histoire ; il me paraît certain, d'ailleurs, qu'on ne, saurait vraiment approfondir un système philosophique considérable si on ne le soumet pas à I'épreuve de ses propres principes de méthode nul doute que le marxisme ne soit un de ces systèmes qui ne sauraient être jugés au moyen seulement des normes d'une vague critique.

    Marx ne s'était point préoccupé autant que l'ont affirmé si témérairement beaucoup des écrivains qui se posent pour ses interprètes autorisés, de ces fins ambitieuses que ceux-ci prétendent atteindre en suivant ce qu'ils nomment les règles du matérialisme historique il n'a point donné (les canons d'interprétation universelle, propres à fournir l'explication fondamentale de tous les grands faits, aux savants qui étudieraient une époque quelconque. Il y a une bonne raison pour que son but fût autre: c'est qu'il ne paraît avoir eu, sur une notable partie du passé et notamment sur l'antiquité classique, que des connaissances assez sommaires ; il avait assez de sers pour ne pas se hasarder à énoncer des lois lui auraient été trop facilement contestables.

    Il a concentré, le plus fréquemment, sa pensée sur une catastrophe qui devait, d'après ses vues personnelles, provoquer, à bref délai, l'écroulement du régime capitaliste ; il a voulu instruire des hommes qui partageaient, d'une manière plus ou moins complète, ses pressentiments relativement aux destinées cil monde moderne ; il a été ainsi amené à mêler, d'une façon souvent trop intime, des conceptions très propres à éclairer le développement historique et des considérations uniquement destinées aux socialistes de son temps.

    Le théoricien de la méthode historique qui voudrait écrire un traité en s'inspirant des idées marxistes, devrait commencer par écarter tout ce qui est spécifiquement révolutionnaire. Je comprends sous cette rubrique ce que Marx a dit : pour persuader à ses amis qu'ils pouvaient avoir pleine confiance dans la venue annoncée de la catastrophe ; pour leur montrer sous quelle forme il était le plus convenable de signaler des vices de la société capitaliste aux gens habitués à raisonner des choses sociales, en vue de les amener au socialisme ; pour leur donner enfin des conseils de prudence. Dans ce qui demeurerait de l'enseignement marxiste, il faudrait établir une classification sévère des formules, car celles-ci présentent des valeurs bien diverses pour l'historien : tantôt elles peuvent être employées à peu près pour tous les temps, en conduisant aux sources les plus importantes des éclaircissements à découvrir ; tantôt elles ne peuvent être employées qu'avec prudence pour certaines époques et parfois elles ne nous révèlent que des aspects très accessoires des phénomènes.

    *

    La préface que Marx plaça en 1859 en tête de la Critique de l'économie Politique, est éminemment propre à montrer comment les préoccupations socialistes de l'auteur tenaient plus de place dans son esprit que l'idée de construire une philosophie de l'histoire. Il nous apprend d'ailleurs lui-même, dans le fragment autobiographique que renferme ce document, que ses travaux (nt été tous dominés par le désir qu'il éprouvait d'éclaircir des don, es conçus au sujet des doctrines socialistes communes.

    D'après lui on peut établir quatre grandes divisions dans la formation du monde économique actuel : il y a eu l'époque asiatique, l'antiquité classique, la féodalité et la bourgeoisie moderne ; tout cela forme, suivant, son appréciation des valeurs, une préhistoire ; nous parvenons maintenant à la fin des temps qui furent caractérisés par les antagonismes qu'on rencontre, au sein du processus de production{2} ; une révolution engendrera un système nouveau débarrassé de ces antagonismes, sur l'histoire duquel Marx croyait en 1859 qu'il n'y avait aucune prévision à proposer {3}. Un peu plus haut, il avait tracé un schéma de révolution à prendre le texte littéralement, ce schéma devait expliquer le passage de l'une quelconque des quatre époques à la suivante{4}.

    « A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de là société se trouvent contrariées par les rapports de production existants (gerathen in Widerspruch mit den vorhandenen Produktions verhaeltnissen) ou encore, si l'on se place, au point de vue juridique, par les rapports de propriété dans lesquels elles avaient jusqu'alors progressé (mit den Eigenthumsverhaeltnissen innerhalb deren sie sich bisher bewegt hatten). Au lieu d'être des formes du développement des forces productives (Aus Entwicklungsformen der Produktivkraefte), ces rapports se changent en chaînes pour celles-ci (schlagen in Fesseln derselben um). Alors commence une époque de révolution sociale. Avec le changement de la base économique (Mit der Verhaenderung der oekonomischen Grundlage) se bouleverse, plus ou moins rapidement, toute la gigantesque superstructure (waelzt sich der ganze ungeheure Ueberbau um) ».

    Il est évident que cette description ne s'applique en aucune façon, aux deux premiers passages ; elle ne saurait nous faire comprendre comment l'économie de l'antiquité classique a succédé à celle du monde oriental et elle ne jette aucune lumière sur l'Europe préféodole. Ce tableau a été évidemment inspiré par l'histoire de la Révolution française ; il ne peut d'ailleurs exister aucun doute ce point, quand on se reporte au passage du Manifeste communiste dans lequel Marx, douze ans auparavant, avait parlé de cette transformation :

    « Les moyens de production et de circulation (Produktions und Verkehrsmittel) sur la base desquels la bourgeoisie s'est formée, ont été engendrés (erzeugt) dans la société féodale.

    A un certain degré du développement {5} de ces moyens de production et de circulation, les rapports dans lesquels la société féodale produit et commerce, l'organisation féodale de l'agriculture et de la manufacture, en un mot, les rapports féodaux de propriété ne correspondirent plus aux forces productives déjà développées (entsprachen den schon entwickelten Produktivkraeften nicht mehr). Ils enrayèrent (hemmten) la production au lieu de la favoriser (foerdern). Ils se transformèrent en autant de chaînes (Sie verwandelten sich in eben so viele Fesseln). Elles devaient être brisées : elles turent brisées (sie wurden gesprengt) ».

    Immédiatement après avoir ainsi exposé l'oeuvre de la Révolution française, Marx passe aux faits qui se produisent sous les yeux de ses lecteurs, et il les expose de manière à faire ressortir les analogies qu'il croit trouver entre le temps présent et la fin du XVIIIe siècle; il espère les amener ainsi à regarder une catastrophe prochaine comme étant extrêmement vraisemblable :

    « Les rapports bourgeois de production et de circulation, les rapports bourgeois de propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait jaillir par enchantement (hervorgezaubert hat) de si puissants moyens de production et de circulation, ressemble au sorcier qui ne peut plus dominer les forces souterraines qu'il a évoquées {6}... Les forces productives dont elle dispose, ne servent plus à l'amélioration (Befoerderung) du rapports bourgeois de. propriété. Au contraire elles sont devenues trop puissantes pour ces rapports ; elles sont contrariées par eux (von ihnen gehemmt) ; si elles surmontent cet obstacle (dies Hemmnitz  überwinden), elles jettent dans le désordre (bringen in Unordnumg) toute la société bourgeoise ; elles mettent en danger (gelfaehrden) l'existence de la propriété bourgeoise ». Marx estime que la société ne peut surmonter les crises que par un procédé barbare qui consiste à supprimer beaucoup de forces productives, ou par la découverte de nouveaux débouchés, - procédé en apparence plus savant, mais fort dangereux, qui tend à susciter la création de nouvelles forces productives et qui rend ainsi plus graves les crises futures. Il conclut ainsi : « Les armes (Waffen) avec lesquelles la bourgeoisie a renversé la féodalité, se tournent maintenant contre la bourgeoisie{7} ».

    En raison de ces ressemblances qu'il croit trouver entre la situation de 1847 et celle de 1789, Marx croit avoir établi que, selon toute vraisemblance, une catastrophe se produira, dès que le prolétariat, organisé en puissance politique, sera à même d'utiliser les armes que la bourgeoisie a forgées.

    Aujourd'hui on rencontrerait, sans doute bien peu de personnes disposées à regarder comme satisfaisantes les analogies que Marx regardait comme si démonstratives. En admettant même que les crises se produisent suivant le tableau qu'il trace, on peut Opposer à sa thèse des objections qui la ruinent de fond en comble :

    1° L'Ancien Régime, par sa fiscalité mal établie, par les usages. féodaux et par une réglementation tracassière, empêchait souvent la naissance de forces productives ; Marx nous parle, pour le, temps actuel, de maux qui se manifestent à des intervalles assez éloignés {8}, par suite d'une création exagérée de forces productives.

    Les crises provoquent la fermeture d'usines, la ruine des patrons, la misère de nombreux travailleurs ; elles créent de la pauvreté, mais tout autrement que n'en créait l'Ancien Régime.

    Théoriquement elles menacent l'existence de la propriété, car le caractère essentiel de la propriété bourgeoise est la stabilité {9} et dans les pays (comme l'Amérique) où les crises sont fréquentes, la richesse offre, au contraire, un caractère fluent. La bourgeoisie croyait que le Code civil avait assuré à sa propriété une sécurité parfaite, qui théoriquement, au moins, lui manquait avant la Révolution. Le rapprochement est assez lointain entre les temps anciens et les temps actuels.

    Tous les maux des crises remontent à des erreurs commises, durant les années prospères, sur les besoins à satisfaire ; les excès peuvent être extrêmement graves chez les peuples qui poussent l'esprit de concurrence jusqu'au délire; c'est pour cette raison que Marx rend la propriété individuelle responsable des crises. Il n'est pas possible de concevoir comment les erreurs qui les engendrent pourront disparaître, tant que l'âme humaine sera sensible aux excitations du hasard ; le hasard ne pourra jamais disparaître de la consommation, ne fût-ce qu'en raison des accidents climatériques. La propriété privée n'est pas uniquement responsable des désastres décrits par Marx et on ne saurait donc la comparer à la directe féodale.

    2° La Révolution française a voulu écarter du chemin parcouru par les producteurs, des Cens qui les gênaient et qui n'avaient aucun rôle utile dans la production ; les chefs d'industrie ont tiré un très grand profit de l'indépendance ainsi conquise. La révolution prolétarienne attendue par Marx aurait dû écarter ces chefs d'industrie et livrer les forces productives à une classe qui n'avait encore eu aucune influence sur la direction des affaires. On pourrait dire qu'il y a contradiction entre les deux genres de bouleversements que Marx identifiait.

    3° Pour la commodité de sa thèse, Marx a réduit la Révolution française à être seulement la suppression des droits féodaux, suppression qui aurait été opérée dans le but de favoriser le progrès de la production. Si l'on réfléchit à l'importance de cette opération et à celle qu'aurait la suppression du capitalisme, on est effrayé de la prodigieuse différence quantitative qui existe entre ces deux choses que Marx trouve si analogues ; il s'agissait en 1789 d'une cinquantaine de millions annuels!

    Si la Révolution avait eu pour but essentiel celui que Marx lui attribue, nos pères auraient bien mal choisi la solution qu'ils adoptèrent ; beaucoup d'économistes ont montré que la liquidation de la féodalité a été faite dans d'autres pays par des procédés qui ont eu sur l'avenir des peuples des conséquences moins lourdes que celles de la Révolution française. La disparition du régime seigneurial a eu tant d'avantages pour les producteurs que ceux-ci out pu, sans gêne, payer leur libération. Si donc le rapprochement proposé par Marx était valable, on devrait conclure, par voie d'analogie, que le passage de l'économie capitaliste à une économie d'ordre plus élevé devrait permettre de racheter les entreprises actuelles et que, par suite, une catastrophe semblable à celle de la Révolution française constituerait une solution barbare.

    En 1847, Marx était beaucoup trop dominé par ses passions révolutionnaires pour songer à de telles objections. En 1859, il ne s'est plus occupé de la Révolution française, mais uniquement de la révolution prolétarienne future ; il en a parlé en s'inspirant des tableaux du Manifeste communiste; mais il a donné à sa thèse une forme si abstraite qu'il n'a pas été arrêté par les difficultés qu'aurait pu soulever une analyse portant sur des détails concrets ; il a complété son schéma par une phrase relative à la ruine des idéologies, qui ne correspond à rien de ce qu'on trouve dans les tableaux de 1847, mais qui rappelle, très brièvement, ce qu'il avait écrit sur la disparition des idéologies qui suivrait la révolution

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