Mademoiselle Clocque
Par René Boylesve
()
À propos de ce livre électronique
En savoir plus sur René Boylesve
Le dangereux jeune homme Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSainte-Marie-des-Fleurs: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Becquée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Médecin des Dames de Néans Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Bains de Bade: Petit Roman d'aventures Galantes et morales Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa leçon d'amour dans un parc Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe bonheur à cinq sous Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMadeleine, jeune femme Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa carrosse aux deux lézards verts Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe parfum des îles Borromées Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTu n'es plus rien Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa jeune fille bien élevée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Lié à Mademoiselle Clocque
Livres électroniques liés
Mademoiselle Clocque Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Jolie Fille de Perth Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSodome et Gomorrhe Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCouplées: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Chevalier des Touches Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn Coeur de femme Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPhysiologie du Palais-Royal: Par l'homme à la longue barbe Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Moine Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationD'Artagnan contre Cyrano de Bergerac: Volume V - Secret d'État Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Employés Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Trois Amoureux Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Retour de Don Quichotte: Une satire brillante explorant l'idéalisme chevaleresque dans la société moderne Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Amours d’une empoisonneuse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe comte de Moret Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRuelles, salons et cabarets: Histoire anecdotique de la littérature française - Tome II Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Femme pauvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Dernier amour de Mirabeau Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSon excellence Satinette (affaires étrangères) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationModeste Mignon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Vicomte de Launay: Lettres parisiennes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGobseck Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Montonéro Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCruelle Énigme Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes employés ou la femme supérieure Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationParis sous le Consulat ou Un bal de fournisseur: Paris ou le Livre des cent-et-un Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Espionne impériale Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Boudoirs de Paris: Tome VI Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'agent secret: Édition Intégrale Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Dame aux Camélias Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Fiction générale pour vous
Le Paradis Perdu - illustré Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Art de la Guerre - Illustré et Annoté Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry (Analyse de l'oeuvre): Comprendre la littérature avec lePetitLittéraire.fr Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAlice au pays des merveilles Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Le Comte de Monte-Cristo Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le Père Goriot Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5L'étranger Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Moby Dick Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5La Légende du Roi Arthur - Version Intégrale: Tomes I, II, III, IV Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Malade imaginaire Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Les fables de Jean de La Fontaine (livres 1-4) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa ferme des animaux Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Vernon Subutex, tome 1 de Virginie Despentes (Analyse de l'oeuvre): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationContes pour enfants, Édition bilingue Français & Anglais Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMauvaises Pensées et autres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMes plaisirs entre femmes: Lesbiennes sensuelles Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5L'Odyssée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMythologie grecque et romaine: Introduction facile et méthodique à la lecture des poètes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Carnets du sous-sol Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Étranger d'Albert Camus (Analyse de l'œuvre): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Proverbes et citations : il y en aura pour tout le monde ! Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Histoires de sexe interracial: Histoires érotiques réservées aux adultes non-censurées français novelle èrotique Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Maupassant: Nouvelles et contes complètes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHarry Potter à l'école des sorciers de J. K. Rowling (Fiche de lecture): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Vie devant soi de Romain Gary (Fiche de lecture): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHistoires de Sexe: Sexe et désir: Histoires érotiques réservées aux adultes non-censurées français histoires de sexe Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Stupeur et tremblements d'Amélie Nothomb (Analyse de l'oeuvre): Comprendre la littérature avec lePetitLittéraire.fr Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Alchimiste de Paulo Coelho (Analyse de l'oeuvre): Analyse complète et résumé détaillé de l'oeuvre Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/51984 Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Sous le soleil de Satan (Premium Ebook) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Mademoiselle Clocque
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Mademoiselle Clocque - René Boylesve
René Boylesve
Mademoiselle Clocque
EAN 8596547455301
DigiCat, 2022
Contact: [email protected]
Table des matières
I
UNE ENTREVUE AVEC CHATEAUBRIAND
II
LA MAISON DE LA RUE DE LA BOURDE
III
LA CHAPELLE PROVISOIRE
IV
GENEVIÈVE
V
LA LIBRAIRIE PIGEONNEAU-EXELCIS
VI
LA PELET
VII
AUTOUR D'UNE BÉNÉDICTION DU SAINT SACREMENT
VIII
EN VACANCES
IX
EXÉCUTION
X
MARCHE LENTE
XI
RÉUNION DE «ZÉLATRICES»
XII
NIORT-CAEN
XIII
LES DEUX BLESSÉES
XIV
EXTRÉMITÉS
XV
LE PETIT BONHEUR
XVI
LES COMBINAISONS DE LA PROVIDENCE
XVII
LA FIN
FIN
I
Table des matières
UNE ENTREVUE AVEC CHATEAUBRIAND
Table des matières
Vers 188.., vivait à Tours une vieille demoiselle très distinguée et d'un grand mérite, qui avait eu, dans sa jeunesse, l'heureuse fortune de voir et d'entendre le vicomte de Chateaubriand.
Cette circonstance était pour elle un motif de coquetterie bien excusable et lui valait une renommée d'une originalité charmante. Beaucoup de personnes l'écoutaient en souriant, à cause de la manie qu'elle avait d'y faire des allusions fréquentes, et la quittaient gagnées par l'accent de respectueuse émotion dont elle ne manquait point d'embellir ce sujet.
Cela s'était passé en 1833, au moment où Chateaubriand, plus que jamais célèbre, venait d'atteindre une grande popularité par sa défense généreuse de la duchesse de Berry, suivie d'un procès personnel retentissant. Il était sur le point de partir pour Prague, allant porter à Charles X exilé et aux Enfants de France, un message secret de la mère du jeune Henri V, enfermée à Blaye. Ce n'était pas une petite affaire à une jeune fille qui n'avait pour se recommander que son enthousiasme, d'aborder un personnage si considérable. Elle s'était rendue rue d'Enfer, où il habitait une maison simple, entourée de verdure, presque au milieu des champs. Quel prétexte à sa visite? Aucun. Elle voulait seulement le voir et lui dire, si toutefois elle en trouvait la force: «Monsieur, je vous admire, et chez moi, toute ma famille et les voisins, et tous les gens que nous connaissons vous admirent...» et s'en aller là-dessus, brisée peut-être par la secousse, mais soulagée pour longtemps.
Un domestique lui avait ouvert et lui avait demandé:
—Qu'est-ce que vous voulez?
—Je voudrais voir Monsieur le vicomte de Chateaubriand...
—Votre nom?
—Oh! ce n'est pas la peine; il ne me connaît pas; dites que je suis une jeune fille.
On avait fait toutes sortes de difficultés. Le valet de chambre, puis d'autres domestiques la regardaient d'un œil soupçonneux. Sans doute fût-elle demeurée longtemps dans l'antichambre si, par hasard, M. le vicomte n'eût ouvert lui-même brusquement une porte, tout botté, coiffé, la canne à la main. Il sortait, l'air préoccupé et chagrin. Il faillit bousculer la pauvre fille. Elle tomba, mais volontairement, s'étant jetée littéralement à ses pieds. Elle l'entendit qui disait: «Qu'est-ce qu'il y a? que me veut-on?» Elle fut si épouvantée qu'elle crut se trouver mal et poussa un cri désespéré. Chateaubriand se pencha, lui prit la main et la releva avec bienveillance, à peine surpris quant à lui de ces émotions féminines maintes fois causées par sa personne. Et après l'avoir mise debout, il lui avait adressé cette question banale:
—Comment vous appelez-vous, mademoiselle?
Elle, avec simplicité:
—Athénaïs Cloque, monsieur le vicomte...
—Vous dites... Athénaïs...?
—Cloque, monsieur le vicomte.
Alors le grand homme avait souri, peut-être à la surprise de ce nom modeste, peut-être à ses songes intérieurs. Mais, tout de suite, et avec une grande facilité, il élevait la voix, comme s'il s'adressait à plusieurs personnes, et il laissait tomber sur cette jeune fille émue des paroles élégantes et désenchantées. Il s'en fallait qu'elle comprit tout, tant était grand son trouble; mais elle retenait qu'il louait sa jeune foi et sa faculté d'enthousiasme «si rares dans une période de médiocrité où la France et le monde même semblaient s'engager pour une durée indéterminable». N'avait-il pas dit aussi que «la nature humaine elle-même allait sans cesse en s'amoindrissant,» ce qui eût mérité au moins une explication? Enfin, et, comme il reconduisait doucement la visiteuse, il avait cru devoir faire allusion au jeune prince, dernier espoir de tous ceux qui manifestaient en ce moment leur reconnaissance au défenseur de la duchesse de Berry, et c'est alors qu'il avait répété un mot dont Mlle Cloque s'était sentie frappée définitivement: «lui-même, avait-il dit, en parlant d'Henri V, s'il veut régner, devra s'engager résolument dans la série des faits médiocres». Il ajoutait encore: «Et qui sait s'il ne naîtra pas de ces tristes conditions de la vie nouvelle, une sorte d'héroïsme que l'on a ignorée jusqu'ici?» Après quoi, il la saluait et la congédiait.
Rien de plus. Elle le revoyait quelques minutes après, dans la rue déserte, passant dans un cabriolet: il ne faisait même pas attention à elle.
Cependant elle avait vécu cinquante ans du souvenir de cette étrange démarche, sans jamais s'expliquer comment lui était venue l'audace de l'accomplir, aussi stupéfaite aujourd'hui que le lendemain même de l'entrevue. Des femmes lui avaient confié l'aveu de pareils désirs irrésistibles éprouvés vis-à-vis de certains hommes célèbres; quelques-unes étaient allées jusqu'à la porte de M. Alexandre Dumas fils; et une de ses amies, de Tours même, avait tiré le cordon de la sonnette de Mounet-Sully, mais était redescendue quatre à quatre. Mlle Cloque clignait des yeux, disant à part soi: «Moi j'ai poussé jusqu'au bout... et c'était Chateaubriand!»
II
Table des matières
LA MAISON DE LA RUE DE LA BOURDE
Table des matières
Mlle Cloque habitait une petite maison de la rue de la Bourde, derrière les Halles et les ruines de l'église Saint-Clément qui tenaient encore debout à cette époque. La rue de la Bourde n'était qu'un passage assez étroit allant des Marchés couverts à une caserne de chasseurs à pied; elle formait un boyau sombre et tortueux entre de très hauts murs de jardins ou de pauvres logements. Il y avait en face de chez Mlle Cloque un savetier que l'on voyait travailler à toute heure derrière sa rangée de chaussures ressemelées, sans que l'on pût savoir à quel moment ce diable d'homme prenait ses repas ou se reposait. Un peu plus bas, et enclavé, pour des raisons inconnues, dans ce quartier quasi indigent, se trouvait un assez bel hôtel particulier appartenant à M. le marquis d'Aubrebie, petit vieillard assez spirituel et dont la femme était folle. M. d'Aubrebie et sa voisine Mlle Cloque ne s'entendaient sur aucun point, mais se voyaient assidûment. Il ne se passait guère de journée sans qu'on pût les apercevoir de la rue, l'un en face de l'autre, à une petite table de jeu où ils faisaient régulièrement et successivement deux parties de bésigue et une partie de dames ou deux, selon que la marquise, qui ne quittait point son hôtel, agitait un mouchoir à sa fenêtre, ou consentait à rester tranquille. La pauvre femme, d'une famille ultra-légitimiste, et dont le cerveau avait toujours été débile, avait perdu la raison en 1873, au moment où s'agita et se résolut d'une manière irrévocable la question de la restauration de la royauté. Quand son mari n'était pas près d'elle, elle le confondait avec le roi absent, se lamentait, et faisait monter les domestiques pour leur demander s'ils pensaient que cette période d'anarchie pût durer longtemps, enfin s'impatientait jusqu'à faire à la fenêtre, du côté de l'exil, des signaux désespérés à l'aide d'un mouchoir qu'elle croyait être un drapeau blanc. Mlle Cloque, l'œil aux aguets, prévenait le marquis. Il interrompait la partie et rentrait mélancoliquement. C'était le rétablissement de la monarchie.
Et Mlle Cloque restait seule. S'il était encore de bonne heure, elle prenait sur une petite étagère un livre de dévotion ou quelque ouvrage du grand homme qui avait été le culte de sa vie Atala, René, ou les Mémoires d'Outre-Tombe; et elle s'asseyait à sa fenêtre dans un fauteuil de cretonne imprimée, pareil aux tentures de la chambre. Les larges feuilles d'un catalpa haut comme la maison se balançaient doucement sous ses yeux, presque au ras de la fenêtre; et, selon les caprices de l'air, elle apercevait, entre les branches, une petite fontaine située au milieu de la cour du locataire voisin. Cette fontaine à double vasque de bronze, coulait nuit et jour, et son maigre murmure monotone avait souvent flatté les rêves et l'imagination facile de celle qui, à quinze ans, se jetait aux pieds d'un poète. Elle s'efforçait de faire abstraction du bruit du savetier de la rue de la Bourde, de celui des plombiers de la rue de l'Arsenal et des gémissements d'une scierie mécanique que l'on entendait à certaines heures; et la chute régulière et rafraîchissante des gouttelettes dans le bassin lui évoquait des images du Jourdain où René s'était baissé puiser une bouteille d'eau, ou bien la transportait au pays d'Atala.
Des songes, c'était toute sa vie. Elle avait passé au travers de la réalité grâce à l'agilité de ses facultés imaginatives et à l'ardeur de ses désirs. Elle avait été garantie de la marque déprimante que laisse infailliblement la compréhension des grises et misérables nécessités.
Elle portait une sorte de velouteux duvet moral, que l'on ne saurait comparer qu'à cette blonde lumière qui orne les joues de l'adolescence. Elle avait gardé l'âge de tous les élans, de toutes les générosités, l'âge où l'homme ignore l'impossible.
Elle ne s'était point mariée, non qu'elle fût laide ou méprisante, mais parce qu'à la suite d'une enfance délicate, le bruit s'était répandu qu'elle manquait de santé. D'excellentes amies de la famille assez généreuses pour s'intéresser beaucoup à elle, avaient contribué, à force de bons soins, à affermir cette opinion contre quoi rien n'avait prévalu.
La vulgarité des hommes l'avait consolée du célibat. Longtemps, cependant, elle avait espéré le héros que rêvent les jeunes filles. Il en existait, puisqu'elle avait approché un Chateaubriand.
Elle était demeurée près de son frère qu'elle adorait. Il s'était marié, avait eu des enfants; elle avait vu se dérouler à côté d'elle l'épisode d'un court bonheur; puis des deuils, des malheurs de fortune étaient survenus qui avaient réduit la famille à une nièce, Geneviève, grande jeune fille de dix-sept ans, achevant son éducation au pensionnat du Sacré-Cœur de Marmoutier.
Souvent, avant l'heure de dîner, Mlle Cloque descendait, sous le prétexte de jeter un coup d'œil à la cuisine, causer avec sa vieille bonne, Mariette.
—Ah çà! voyons, Mariette, qu'est-ce que ça sent donc?
—Qu'est-ce que ça sent? Mais, Mademoiselle, je viens seulement d'allumer mon fourneau, qu'est-ce que vous voulez donc que ça sente?
—Je vous dis que ça monte jusque là-haut... Je suis descendue voir si vous laissiez brûler quelque chose.
—Ah! faisait Mariette, en secouant sa figure toute ridée, faut-il en avoir un nez! faut-il en avoir un!...
Et sur cet innocent subterfuge qui lui servait presque quotidiennement de préambule, Mlle Cloque échafaudait une conversation peu variée dont deux sujets immuables faisaient les frais: le projet de mariage de sa nièce Geneviève et le projet de la reconstruction de la Basilique de Saint-Martin. Il semblait que tout l'avenir fût contenu dans la solution de ces deux questions.
Et, en effet, les pieuses âmes de Tours ne doutaient pas que le sort de la religion ne dépendît de l'église colossale qu'il s'agissait de relever des ruines où l'avait réduite la Révolution, pour la faire resurgir comme un hardi défi à la libre-pensée. Dans toute la ville il n'était bruit que de cette affaire.
Quant à l'union de la petite Geneviève,—entretenue à grand'peine par sa vieille tante, dans un couvent coûteux,—avec le jeune sous-lieutenant Marie-Joseph de Grenaille-Montcontour, c'était une perspective d'un intérêt si vif et si immédiat qu'elle passionnait quiconque avait de l'amitié pour Mlle Cloque.
Mlle Cloque poussait tout à coup un profond soupir.
—Allons, voyons! Mademoiselle, qu'est-ce qu'il y a encore? Votre marquis ne vous a donc point dit des bêtises pour vous dérider un brin?
Mariette disait «votre marquis» avec une nuance accentuée de dédain, à cause de la réputation d'irreligion de M. d'Aubrebie.
—Le marquis? Le marquis est un vieux sacripant qui ne croit ni à Dieu, ni à diable. Il faut le plaindre et prier pour lui. Le pauvre homme n'a que sa distinction naturelle; c'est un homme comme il faut, assurément, et il est respectable à cause du grand malheur dont la Providence l'a affligé; mais, voyez-vous bien, ma pauvre Mariette, ce ne sont pas ces gens-là qui sont capables de vous donner un conseil...
—Un conseil? Ah! bien! Mademoiselle en a peut-être besoin d'un conseil? Mais c'est-il pas à vous que toutes ces dames viennent en demander des conseils, et à tout bout de champ, et quand bien même il ne s'agirait que de savoir s'il faut prendre sa gauche ou sa droite!...
—Mettez donc vos lunettes pour trier votre salade, voyons, Mariette, faudra-t-il que je vous le dise cent fois!... Ah! décidément, c'est une grosse charge que d'avoir une jeune fille à caser. Quand on est son père ou sa mère, on prend plus facilement une décision.
—S'il s'agissait de la marier à quelqu'un sans argent ou à un olibrius qui ne lui plairait point, je comprendrais que vous ayez de la peine, mais d'abord elle en est folle de son militaire, Mlle Geneviève, ça, on peut le dire...
—Taisez-vous, Mariette, ne dites pas des choses comme cela! Vous ne savez rien, et cette enfant est trop jeune, élevée comme elle est, à son couvent, pour savoir seulement ce que c'est que...
—Que de sentir que ça lui fait toc toc sous sa médaille de sagesse? Allez donc! faut pas vous tourmenter, Mademoiselle; la poule sait chanter avant d'avoir pondu. Je vous donne ma parole...
—Allons! faites ce que vous avez à faire, vous bavarderez une autrefois. Je vais voir si le journal est arrivé.
Le samedi soir, le Journal du Département arrivait une heure plus tôt que de coutume, et le porteur, s'il ne pleuvait pas, le glissait sans sonner sous la porte du jardin donnant dans la rue de la Bourde. Mlle Cloque traversa le petit parterre grand comme la main qui entourait deux côtés de la maison. Avec des prodiges de soins et d'économies, elle y entretenait elle-même des rosiers et quelques fleurs. Une haie de fusains séparait son jardinet d'une grande cour encombrée de tuyaux de poêle, de lames de zinc, de charrettes à bras, de ferrailles et des mille accessoires qu'exigeait la profession du propriétaire, Loupaing, entrepreneur de plomberie. Depuis une année ou deux, les arbustes commençaient à être assez touffus pour que l'on se trouvât à peu près garanti du contact des ouvriers de Loupaing, affreux borgne presque toujours ivre, et des regards inquisiteurs de la mère Loupaing qui, de sa fenêtre du premier, tout en tricotant des bas, passait sa vie à épier le voisinage.
Le journal, plié en quatre, et tout «humide encore des baisers de la presse.» ainsi que se fût exprimé le marquis d'Aubrebie, laissait pencher une corne sur le pas de la porte, et des fourmis couraient sur l'encre fraîche. Mlle Cloque le ramassa, fit sauter d'une chiquenaude les petites bêtes, et, ayant aperçu en capitales énormes le mot «TRAHISON EN HAUT LIEU» suivi, il est vrai, de plusieurs points d'interrogation, elle s'inquiéta immédiatement et rentra par la salle à manger, cherchant ses lunettes. Elle appela:
—Mariette! est-ce que je n'ai pas laissé mon étui dans la cuisine?...
—Attendez donc... Oui, mademoiselle, le voilà!
—Eh bien apportez-le moi!
Mariette apporta l'étui.
—Ma pauvre fille, que vous êtes donc sotte; vous ne sentez pas que cet étui est vide? J'au-rai laissé mes lunettes en haut. Courez vite me les chercher.
Les yeux de Mariette brillèrent.
—C'est-il bien la peine d'aller là-haut?
Mlle Cloque qui s'exténuait à prendre connaissance de l'alarmante «Trahison en haut lieu???» frappa du pied et faillit s'abandonner à un mouvement de colère.
—Dame! fit Mariette, sans plus se tourmenter, Mademoiselle a ses lunettes sur le front!
C'était une des distractions ordinaires de cette pauvre demoiselle. Elle était toujours vexée qu'on la lui fît remarquer.
Mais la lecture était trop captivante, et elle oublia de se fâcher. Elle parcourait avidement l'article sans prendre garde que la servante était retournée à la cuisine.
—En voilà bien d'une autre, par exemple! s'écria-t-elle.
Elle froissait le journal; elle s'aperçut qu'elle était seule et sentit le besoin de s'épancher. Elle alla retrouver Mariette.
—Eh bien! ma fille, si ce qu'on dit est vrai, on peut s'attendre à en voir du joli...
—Qu'est-ce qu'il y a encore? C'est toujours leur Tonkin, je parie... Dire que j'ai mon pauvre garçon qui est à Toulon...
—Il ne s'agit pas de cela pour le moment: croiriez-vous, ma fille, qu'il paraît que Monseigneur favorise en sourdine leur projet...
—Leur projet, à qui?
—Le projet à qui? mais le projet du conseil municipal parbleu! le projet des architectes diocésains qui sont tous des libres-penseurs, à ce qu'on dit, enfin le projet de tous les ennemis de l'Église, quoi! C'est une indignité!
—C'est-il bien possible! Et qu'est-ce qu'ils veulent faire comme ça?
—Mais leur église bâtarde, une église de quatre sous, une baraque informe qui sera une humiliation pour les fidèles en même temps qu'une victoire pour toute la franc-maçonnerie!... Vous comprenez bien que ces gens-là périraient de dépit si nous relevions la grande Basilique! Ha! ha! cela les gênerait ce monument qui doit englober tout un quartier et qui serait plus grand que la cathédrale! Vous connaissez les deux tours, la tour de l'Horloge et la tour Charlemagne, n'est-ce pas? Eh bien, ces tours forment les deux angles de la grande construction qu'on projette: on bâtirait deux autres tours pareilles, aux deux autres coins, le tout réuni par un bâtiment à cinq nefs, gigantesque!...
—Eh! là là, mon Dieu! faut-il! Et pourquoi faire mettre tant d'argent?
—Comment! pourquoi faire? Mais voulez-vous me dire pourquoi nos vieux pères ont construit les cathédrales? C'est parce qu'ils pensaient que rien n'était trop beau pour le bon Dieu. Ah! ceux-là ne regardaient pas à la dépense! Et voulez-vous me dire où est-ce que nous irions prier Dieu aujourd'hui, s'ils n'avaient pas bâti les cathédrales; et qu'est-ce qui représenterait la religion aux yeux des ennemis de la foi, s'il n'y avait pas toujours là ces beaux monuments qu'ils sont bien forcés d'admirer comme tout le monde?...
—Mais, vous n'y allez seulement point dans vos cathédrales; voyons, c'est-il pas vrai, mademoiselle? Est ce que vous n'êtes pas toujours fourrés les uns sur les autres dans votre chapelle de Saint-Martin qui est large comme la main et construite en bois, comme un hangar..., une grange, si vous y tenez; mettons une grange?...
—Mais, têtue! vous ne comprenez donc pas que cela, c'est à cause de la dévotion à saint Martin dont les restes vénérés sont là, dans votre grange, comme vous dites si bien; et que c'est précisément pour qu'on lui élève un sanctuaire plus digne que nous nous pressons dans cette chapelle provisoire, afin de montrer en haut lieu qu'elle est devenue trop petite, qu'elle n'est plus proportionnée au culte sans cesse plus large qu'on rend au grand Thaumaturge!...
—Tout ça, c'est des bien beaux noms et des affaires qui ne me regardent point... Vous allez pouvoir vous mettre à table, mademoiselle. Et tâchez donc de ne point vous faire de la bile pour ces histoires-là; on a bien assez des siennes... Je trempe ma soupe.
Mlle Cloque passa dans la salle à manger et fit son signe de croix en s'asseyant à la petite table solitaire. Elle achevait l'article du journal rempli d'insinuations alambiquées et de périphrases d'un travail infini, où sous les apparences d'une attitude des plus respectueuses envers l'archevêché, se dissimulaient des piqûres au venin administrées savamment. Monseigneur trahissait la cause des catholiques purs; il ouvrait définitivement l'ère depuis longtemps prévue, des concessions, des louches compromissions, des pactes tacites et sans dignité, avec les pouvoirs publics persécuteurs de l'Église. Enfin, allait donc se manifester par un fait la justesse des sombres prévisions qui avaient accueilli l'avènement de l'archevêque Fripière. Ce fils d'une marchande à la toilette, haussé par sa seule habileté aux plus hautes fonctions ecclésiastiques; cette sorte de philosophe que certains disaient païen ou même athée, que l'on poussait à l'Académie française en raison d'ouvrages presque exclusivement littéraires et à peine orthodoxes, se préparait à passer impudemment à l'ennemi. Il ressortait nettement de l'article «qu'à l'heure où paraîtraient ces lignes» l'archevêché aurait pris position dans l'affaire de la Basilique, ce qui devait du même coup hâter «d'une façon inattendue» le commencement des travaux. On savait hélas quel était le sens de ces fameux plans tout prêts à être exécutés. Exposés dans la crypte du tombeau de saint Martin, ils avaient été lacérés, il n'y avait pas plus de trois semaines, par quelque pieux basilicien demeuré inconnu.
Ce n'était pas tout; l'article se terminait par des lignes ambiguës quant aux personnes visées, mais très claires quant au sens de l'accusation. Elles flétrissaient la conduite équivoque de certaines «notabilités» dont l'ostensible dévotion à saint Martin, jointe à la compétence reconnue tant en matière d'archéologie qu'en «la pratique des affaires,» avait fortement contribué à affermir l'espoir de voir se relever la Basilique, alors que ces mêmes notabilités favorisaient secrètement, et cela «dans un but qu'il restait à élucider», le misérable projet de l'église bâtarde.
C'était là de quoi faire aller les imaginations et les langues.
Mlle Cloque ne pouvait qu'appartenir au parti des projets héroïques et grandioses. Son âme s'était de tout temps inclinée du côté des généreuses chimères. Rien n'était assez grand ni assez beau, au gré du superbe élan de ses désirs. Depuis le mouvement qui l'avait jetée aux pieds du plus magnifique génie de son temps, jusqu'à celui qui faisait monter le rose d'une sainte colère à ses vieilles joues de femme vertueuse, à propos de la Basilique, elle n'avait point hasardé un pas qui ne fût orienté vers l'intransigeant idéal.
Une porte-fenêtre ouverte sur le jardin laissait venir l'arôme délicat des fleurs, qui s'exalte un peu vers le soir. Et l'on entendait le bruit de la lance d'arrosage de Loupaing sur la haie des fusains. Par des trous que Mlle Cloque n'arrivait pas à combler dans le feuillage de ces arbustes, elle avait le désagrément d'apercevoir la figure rouge et l'œil du plombier borgne. Chaque soir, il était là, au moment où elle se mettait à table. C'était à croire qu'il le faisait exprès, et cela était infiniment probable, car ils avaient eu une contestation précisément au sujet de cette lance. La locataire s'était réservé le droit d'en user pour l'entretien de son jardinet improvisé dans la cour du propriétaire. Or Loupaing prétendait s'en servir pour laver sa cour, à l'heure même où l'arrosage est avantageux pour les plantes. Jamais, malgré nombre de réclamations, Mlle Cloque n'avait touché la lance, et elle en était réduite à promener sur ses plates-bandes son petit arrosoir à main, tandis que, de l'autre côté des fusains lavés sur une seule face, Loupaing inondait sa cour à plaisir.
Mais la pauvre fille avait, ce soir, des soucis trop graves pour être affectée de cette petite persécution qui d'ordinaire l'exaspérait; et elle négligeait même de fermer la porte au nez de l'affreux borgne aux aguets derrière les trous. Peut-être, à cause de cette indifférence, était-ce aujourd'hui Loupaing qui rageait.
—Vous ne comprenez pas, dit-elle à Mariette qui apportait une omelette, combien cette affaire est importante...
—Quelle affaire donc, mademoiselle?
—Mais la Basilique! voyons. Savez-vous bien que cela peut nous faire manquer le mariage de Geneviève?...
Mariette leva les bras au ciel.
—C'est-il vrai, Dieu possible! Pour une histoire de «bâtisse» voilà mademoiselle Geneviève qui ne se marierait pas?
Mlle Cloque se demanda si elle allait confier à sa bonne toute l'étendue de ses angoisses. Elle pensa que cette femme ne comprendrait jamais la liaison de choses en apparence si indépendantes.
—Vous verrez, ma pauvre Mariette, vous verrez! c'est moi qui vous le dis.
Et elle se ressouvint des premières appréhensions qu'elle avait eues lorsque s'ébaucha ce projet de mariage avec les Grenaille-Montcontour. Certes c'était une des meilleures familles de Touraine, et la petite Cloque, sans autre dot que sa grâce naturelle et le renom de vertu de sa vieille tante, devait regarder comme une surprise heureuse le fait d'avoir été distinguée par le jeune sous-lieutenant. A vrai dire, c'était un bonheur inespéré, et personne autre que Mlle Cloque n'eût aperçu là de nuage.
Elle en avait aperçu pour une raison d'une délicatesse toute particulière.
Les Grenaille-Montcontour, d'authentique et très ancienne noblesse, mais d'une fortune qu'on soupçonnait insuffisante à