Terra Incognita
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À propos de ce livre électronique
Mais le voyage ne va pas se dérouler comme prévu et les explorateurs vont devoir élaborer et mettre en œuvre un projet alternatif ambitieux pour tenter de sauver l’humanité. Keira, jeune fille rebelle, issue d’une caste privilégiée d’une grande cité-état, laisse sa famille et son grand amour Gabriel, né dans les faubourgs pauvres et oubliés de la ville, pour rejoindre le programme Terra Incognita. Elle sera désignée comme architecte en chef du projet de construction le plus gigantesque, le plus incroyable et le plus secret de l’histoire de l’humanité.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Isabelle Maistrello est née en 1974 à Chambéry en Savoie. Elle a eu plusieurs vies professionnelles : enseignante en sciences économiques et sociales, responsable de boutiques et, depuis 10 ans, assistante de direction à Courchevel. Elle aime l’art contemporain, l’architecture, la musique métal, les polars et la SF. Elle s’intéresse aux civilisations précolombiennes et à l’astrophysique. Elle écrit depuis trois ans et termine son troisième roman. Terra Incognita est le second à être publié, après Les gardiens du Secret.
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Avis sur Terra Incognita
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Aperçu du livre
Terra Incognita - Isabelle Maistrello
Isabelle Maistrello
Terra Incognita
Du même auteur
– Les Gardiens du Secret
Roman, 5 Sens Editions, 2021
Gabriel
Cela faisait 67 jours. 67 jours que je venais chaque matin m’asseoir en haut de la « colline ». Le lieu où j’aimais venir me ressourcer. L’endroit où je l’avais emmenée au début de notre histoire.
67 jours qu’elle avait quitté cette planète, qu’elle était partie en mission à des années-lumière d’ici. 67 jours qu’elle dormait dans son caisson, qu’elle rêvait de moi j’osais espérer.
Selon leurs calculs, elle arriverait à destination dans quelques mois. Que trouverait-elle sur cette planète ? De la vie certainement. Sous quelle forme ? Intelligente ? Hostile ? La reverrai-je un jour ? Nous avions décidé avant son départ de ne rien nous promettre. Je n’avais pas promis de l’attendre. Elle n’avait pas promis de revenir. Je n’avais pas promis mais je l’attendais et je l’attendrai encore longtemps… Pas question de renoncer. Une épreuve de plus, seulement une épreuve de plus. Nous en avions supporté tant depuis notre rencontre. Ce ne serait pas la plus difficile, la plus longue certainement, la plus longue…
Le soleil commençait à apparaître à l’horizon, il fallait y aller, la fournaise serait de retour dans très peu de temps et, si je ne voulais pas griller sur place, il fallait que je rejoigne les faubourgs dès que possible.
Est-ce que la planète où elle devait atterrir serait aussi tempérée et fertile que les sages l’espéraient ? Est-ce que notre peuple irait s’y installer et y prospérer ? Cela ne se ferait probablement pas avant longtemps, très longtemps. Alors tout cela en valait-il la peine ? Pour moi, pour les miens, la réponse était non. Même si l’une des planètes visées par le programme était la bonne, nous ne ferions pas partie des candidats au départ. Le programme « Terra Incognita » avait permis la construction et le départ de quatorze vaisseaux dans toutes les directions de la partie connue de notre univers. La quasi-totalité des ressources du globe y avait été engloutie. Ceux qui restaient ici allaient vivre des mois et des années difficiles avant que les navires interstellaires ne soient de retour pour venir chercher celles et ceux qui seraient sélectionnés. Je n’avais aucune chance de figurer sur la liste, aucune chance de faire partie des élus, aucune chance de la rejoindre, de rejoindre Keira, ma Keira…
Keira
67 jours. Je venais de passer 67 jours dans ce caisson d’hibernation parmi les 1 200 caissons que contenait le vaisseau n° 1 du programme « Terra Incognita ». Aujourd’hui, je sortais enfin, mais juste pour 24 heures. 24 heures pendant lesquelles j’allais passer toute une batterie d’examens pour vérifier si mon corps – et mon esprit aussi – avait bien supporté cette première partie du voyage et surtout le passage par le trou de ver. Je me sentais faible et nauséeuse mais, dans l’ensemble, j’allais plutôt bien. Enfin mon corps allait bien, mon esprit, lui, était confus. Je ne savais pas vraiment si l’on rêvait pendant la période d’hibernation mais des tas d’images imprégnaient encore ma rétine et elles semblaient se superposer. Notre planète vue depuis l’espace, l’entrée dans le caisson… ces images je les avais vraiment vues au moment du départ, et puis des étendues d’eau immense, des champs, des forêts, des gens discutant, travaillant, vivant simplement en pleine journée, en plein soleil, cela je ne l’avais jamais vu, cela n’existait plus chez nous depuis tellement longtemps. Depuis des générations.
Alors oui c’était sûrement un rêve, le rêve de la planète que nous partions explorer aux confins de l’univers. Serait-elle celle qui pourrait accueillir mon peuple ? Serait-elle celle qui nous sauverait ? Je savais que même si tel était le cas, cela ne permettrait pas de le retrouver… Il y avait si peu de chances que je le revoie un jour. Bien sûr, je ne lui avais pas tout dit sur le programme. J’étais restée évasive sur certains points, en particulier sur celui de notre possible retour. Je n’avais pas menti, juste omis quelques données. Il avait fait semblant de me croire car, comme moi, il ne pouvait pas se résoudre à me dire au revoir sans espoir de retour. Je revoyais nos rendez-vous secrets dans notre alcôve, son regard si transparent que je pouvais deviner par quelles émotions il passait, sans même qu’il ait eu à prononcer le moindre mot. Cela l’amusait d’ailleurs, l’énervait parfois quand il restait évasif sur sa journée passée dans le faubourg. Il suffisait qu’il tourne un instant les yeux, pensif, pour que je sache qu’il pensait à tout ce qu’il venait de vivre. Je faisais alors de mon mieux pour lui apporter un peu de légèreté, pour lui faire oublier quelques instants tout ce qu’il avait dû traverser, tous les évènements que nous avions vécus. Et je crois que je réussissais souvent ! Ah Gabriel tu me manques tellement !
Keira Connell
– Keira, Keira ma chérie, réveille-toi. Le soleil va bientôt se lever, nous devons nous dépêcher.
– Encore quelques minutes maman… il ne fait pas encore si chaud…
– Oui mais dans très peu de temps ce sera irrespirable, tu le sais bien. Allez, ton porridge est prêt, ne fais pas attendre ton frère ma chérie.
– D’accord…
Je me levai péniblement de ma couche, passai quelques instants dans l’unité de lavage à sec, ne prenant même pas la peine de jeter un œil dans le miroir, enfilant la première combinaison venue et rejoignis mon frère à la table du petit déjeuner en marmonnant des « j’ai pas envie d’y aller… ».
– Comme d’habitude, le jour où tu auras envie de quelque chose il fera plus frais qu’aujourd’hui !
– Oh, Martial, la ferme ! Toi tu es toujours partant pour tout comme ça, ça fait une moyenne !
– Tiens ton porridge madame la râleuse ! Je te préviens, dans dix minutes je suis parti et je ne t’attends pas !
– Ok Monsieur le futur super ingénieur !
Martial sortirait très certainement premier de sa promo à la fin de la session annuelle alors que moi je n’avais même pas encore choisi mon orientation pour mes études universitaires. Il fallait envoyer ses vœux dans un mois, j’avais encore le temps de me décider… Les médias holographiques ou bien l’agroalimentaire comme maman, ou bien l’architecture, oui c’était bien ça l’architecture… J’avais des résultats corrects en maths et la notation de ma cellule familiale était excellente grâce à mon père, conseiller spécial au bureau des sages, et, dans une moindre mesure, à ma mère, ingénieure en agroalimentaire et responsable du plus gros labo de Zélie, la Cité-État où nous vivions. Et peut-être un peu aussi grâce à mon frère, étudiant émérite en aérospatiale. Bien sûr la note de 9.5 sur 10 que nous détenions depuis des années, je n’en étais en rien responsable, il en fallait même de peu pour que je la fasse baisser avec mes piètres résultats.
Bref, j’avais pensé à quoi déjà, ah oui, architecture. Madame la future architecte du palais des sages de Zélie ! Pas mal non ! Oh, on verrait bien, il me restait un mois pour me décider après tout.
– Keira, je pars sans toi !
– J’arrive ! !
J’avalai mon porridge en deux cuillers, attrapai mon sac à dos, ma casquette, mes gants et mes lunettes de soleil posées dans l’entrée et courus rejoindre Martial qui était déjà presque arrivé à la station de tramway de notre quartier. Je passai le SAS d’entrée de la station et sentis immédiatement le changement de température. Je quittai mes protections et les jetai dans mon sac à dos.
Je traversai le premier corridor à toute allure et j’arrivai à le rattraper juste avant que les portes ne se referment. J’étais déjà en nage. Bien sûr je me suis fait repérer par le détecteur qui m’a, une fois de plus, rabrouée sur ma dépense inconsidérée d’eau corporelle et m’a rappelé que ma ration d’eau potable ne serait pas augmentée pour autant. Bon, vu la notation de mon foyer, la ration d’eau qui nous était allouée était bien plus élevée que la plupart des foyers dans cette ville, et certainement démesurée par rapport à la plupart des gens sur cette planète en surchauffe.
Je me laissai tomber, essoufflée, en face de Martial. Avant qu’il ne puisse articuler quoi que ce soit je lui balançai, énervée :
– C’est bon ! J’ai déjà eu Monsieur le robot détecteur qui m’en a passé une ! Ne t’inquiète pas je ne piquerai pas dans ta ration !
– De toute façon tu ne pourrais même pas si tu essayais, j’ai demandé à papa de séparer ton compte du reste du foyer, comme ça, aucun risque, et, à force, tu finiras peut-être par faire attention. Quand tu commenceras à avoir soif avant même la mi-journée tu te diras qu’il faut changer de comportement !
– Et papa a accepté de faire ça, de m’exclure du compte du foyer !
– Oh arrête de faire ta victime ! À mon avis, on était le dernier foyer dans cette ville à continuer à avoir un compte commun ! Grandis un peu ma vieille ! Tu vas devenir étudiante !
Pas le temps d’ouvrir la bouche pour lui répliquer un truc totalement réprimandé par le règlement des bonnes conduites, le tram était arrivé à destination, le quartier Éducation et Connaissances.
Martial et moi descendîmes, et sans même un mot ou un signe de main, nous nous dirigeâmes chacun de notre côté vers nos couloirs respectifs, celui menant vers la zone des étudiants en science pour mon frère, celui vers les primo éduqués pour moi.
Après avoir traversé une petite partie du labyrinthe du bâtiment du centre d’éducation, je me retrouvai devant la salle de cours d’Histoire et Morale environnementale. Pompeux non ! La porte automatique s’ouvrit et je cherchai Soleen des yeux. Je la repérai au milieu de l’amphithéâtre en train de bavarder avec un étudiant. Plutôt pas mal l’étudiant d’ailleurs, sa peau était vraiment très foncée et son sourire béat – ou devrais-je dire bêta – montrait qu’il était tombé sous le charme de ma meilleure amie. Il faut dire que c’était une vraie beauté, un corps élancé et musclé, une peau juste hâlée comme il fallait, un long nez droit, des yeux en amande et une voix rauque qui envoûtait toux ceux à qui elle adressait la parole.
Elle me vit et me fit signe de me dépêcher de la rejoindre car l’holo écran venait de s’allumer. L’éducateur allait commencer son cours. Je la rejoignis en commençant à monter les escaliers quatre à quatre puis me souvins de la mise en garde de mon frère tout à l’heure et ralentis le rythme pour éviter de manquer d’eau toute la journée.
Je m’installai à la gauche de Soleen et nous enfilâmes nos lunettes 3D. L’éducateur salua son auditoire et commença son cours.
– Comme vous le savez, Zélie est l’une des 14 Cités-États du monde, et la plus importante en termes de population, près de 500 000 individus, soit 180 000 foyers – et en termes de technologie, puisqu’elle abrite la seule zone aérospatiale du monde.
Revenons sur l’histoire de notre cité :
Il y a environ six siècles, notre planète était encore fertile, nous pouvions y cultiver des plantes nourricières. La faune sauvage et domestique était encore nombreuse. Il existait également des surfaces d’eau appelées fleuves ou lacs. Aujourd’hui, même ce qu’il reste des océans, dont l’eau a été pompée sans relâche pendant des siècles pour être dessalinisée, n’abrite plus de vie. Ils sont chauds et pollués. L’eau douce provenant des cours d’eau, était auparavant amenée jusque dans les foyers. Les gens pouvaient utiliser cette eau à leur guise, la boire, prendre des bains, c’est-à-dire s’immerger complètement dans un bassin rempli d’eau et même arroser les plantes dont ils disposaient. C’était un âge d’or. Malheureusement, les peuples n’avaient pas conscience alors de la richesse qu’ils détenaient et ont gaspillé peu à peu les ressources offertes par la nature si généreuse.
Leurs activités polluantes ont peu à peu souillé cette belle nature, l’eau a commencé à se raréfier, l’air a commencé à devenir moins respirable, la protection naturelle contre notre astre, qui avait permis à la vie de s’installer sur cette planète, mais qui pouvait se montrer aussi destructeur, a diminué jusqu’à devenir si mince que la chaleur a fini par devenir insupportable du lever au coucher du soleil. Les étendues d’eau se sont asséchées et la Terre s’est transformée en désert stérile. Les insectes, et en premier lieu, les pollinisateurs, ont commencé à disparaître, comme les animaux sauvages. Les humains se sont retrouvés dans la disette, plus de fruits, plus de cultures, plus d’élevage…
Bien sûr, des voix se sont élevées pour dire qu’il fallait changer radicalement de mode de vie, qu’il fallait abandonner les activités polluantes, mais la plupart ont pensé qu’ils avaient le temps, qu’ils pouvaient bien profiter des ressources maintenant, que les futures générations s’occuperaient du problème. Mais les générations futures pensèrent la même chose et continuèrent à exploiter les terres, à déverser toujours plus de produits qui firent disparaître la moitié des espèces vivantes. Mais il en restait encore la moitié alors ils pouvaient continuer un peu et les prochaines générations finiraient bien par trouver une solution.
C’est à ce moment-là que les grandes guerres commencèrent. Les populations privées de terres fertiles et d’eau ne pouvaient plus nourrir leurs enfants et, pour survivre, ont parcouru de grandes distances pour se rapprocher des fleuves encore exploitables. Or les populations installées près de ces fleuves ou qui vivaient dans les régions encore tempérées de la planète n’ont pas voulu leur faire une place. De toute façon, il y avait déjà trop de monde par rapport aux ressources encore disponibles et qui se raréfiaient de cycle en cycle.
Des guerres éclatèrent, deux tiers de la population mondiale, peut-être plus, périrent. Ce sont les peuples issus des migrations qui furent le plus durement touchés car les autres s’étaient barricadés dans leurs cités et n’avaient plus qu’à leur tirer dessus depuis leurs fortifications ou simplement les regarder mourir de faim et de soif.
Le point de non-retour était atteint depuis bien longtemps quand les peuples décidèrent enfin, sous l’impulsion de quelques meneurs charismatiques, de changer radicalement le système.
Des comités de sages, comme ceux que nous connaissons actuellement, commencèrent à prendre les choses en main. Ils édictèrent des règles pour sauver la population restante d’une inéluctable destruction totale.
Les premières constructions souterraines datent d’environ quatre siècles. Aujourd’hui plus aucun bâtiment n’existe en surface où il serait impossible de survivre plus de quelques jours. Un système sophistiqué de géothermie est installé sous chaque Cité-État et récupère la relative fraîcheur du sous-sol pour maintenir une température supportable. D’immenses condenseurs, permettant de récupérer la moindre molécule d’eau, sont installés tout autour des quatorze grandes cités du monde.
Le monde avait enfin pris la mesure de l’ampleur du chantier à mettre en œuvre pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Contrôle des naissances et de la durée de vie, rationnement de l’eau et des ressources par foyer… La régulation de toute activité, individuelle ou collective, était en marche. Pour le bien-être de tous.
« De tous… de tous… » pensa Keira, ça il aimerait bien nous le faire croire mais lors de ses sorties nocturnes dans la zone des faubourgs de Zélie, elle avait pu voir que certains étaient restés sur le bord de la route. Les descendants de ceux qui, jadis, étaient parqués en dehors des murailles et qui avaient réussi à survivre, étaient aujourd’hui dans les zones périurbaines, dans leurs propres constructions de fortune enterrées ou semi-enterrées et vivaient de larcins ou de quelques cultures souterraines de champignons.
C’est là, lors de l’une de ces balades nocturnes qu’elle l’avait aperçu, à la croisée de deux corridors clandestins : un jeune homme, quoique certainement un peu plus âgé qu’elle, ou plus marqué par la vie peut-être. Juste au moment où elle sortait pour prendre sa dose d’adrénaline, pour s’encanailler un peu, elle, la jeune privilégiée, vivant dans une habitation confortable, équipée de toute la technologie moderne, d’un récupérateur d’eau, d’un module de nettoyage à sec, d’une holovision, et même d’un mini-potager… elle voulait goûter à autre chose. Elle voulait surtout s’échapper de ce monde trop lisse, de toutes ces règles sans cesse répétées, de tous ces contrôles à chaque instant de sa vie. Et là, il l’avait bousculée et renversée en entrant comme un dingue dans le boyau dont elle s’apprêtait à sortir. Un tunnel creusé par les gens des faubourgs pour pénétrer furtivement dans la cité et voler quelques miettes aux nantis. Ils s’étaient étalés tous les deux dans la poussière et, l’espace d’un instant, leurs corps s’étaient touchés, leurs regards s’étaient croisés. Elle avait ressenti des frissons dans tout son être, sensation jusque-là totalement inconnue. Ils n’avaient échangé aucun mot. Le jeune homme avait à peine touché le sol qu’il avait détalé, à moitié courbé, dans le boyau, puisque celui-ci ne permettait pas de se tenir debout. Tout ce dont elle se souvenait c’était ses yeux, profonds, limpides. Elle y avait lu la détresse, la lassitude mais aussi la détermination et le courage. Enfin elle s’imaginait tout cela, comment aurait-elle pu lire dans ses yeux alors qu’elle ne le connaissait pas, qu’elle ne le reverrait jamais. Jamais ? Vraiment ? Elle ne pouvait pas s’empêcher d’espérer le revoir un jour. Mais comment ? Où ? Elle ne pouvait pas se permettre de sortir tous les soirs, elle allait finir par se faire repérer et adieu les sorties nocturnes. Enfin elle aurait de la chance si c’était là sa seule punition. Elle finirait plus probablement dans un camp de redressement et son foyer perdrait son rang à cause d’elle.
Elle devait être prudente. Pas à cause du camp de redressement mais parce qu’elle pourrait ne jamais le revoir…
Elle reçut un coup de coude de Soleen.
– Ma vieille t’es encore dans le paradis poussiéreux des bas-fonds ? Le cours est terminé, on passe à celui d’agronomie. Avec un peu de chance ton voleur se sera fait coincer en train de chiper quelques graines dans le département agronomie et tu pourras le voir se faire embarquer par la sécurité !
– Très drôle ! Je ne pensais pas du tout à lui mais au choix d’orientation qu’on doit faire le mois prochain. Mes parents me tannent avec ça et je n’ai toujours aucune idée alors je ne pense qu’à ça en ce moment.
– Mais bien sûr, raconte ça à d’autres mais pas à moi ma grande, je te connais depuis qu’on a commencé notre Éducation. Il a volé ton petit cœur dans le labyrinthe de la zone et l’a embarqué avec lui, et depuis, tout le reste n’a plus aucune importance pour toi et surtout pas les études, se moqua Soleen.
Nous arrivâmes dans le labo d’agronomie, enfilâmes nos gants et nos masques et nous nous plaçâmes devant nos paillasses pour voir comment nos plantations s’étaient comportées depuis le dernier cours. Mon pois se portait bien malgré la restriction progressive en eau que je lui faisais supporter depuis quelques semaines. L’holo démarra au-dessus de ma paillasse et le cours commença :
Pour rappel, la tensiométrie mesure la succion en centibars que les racines exercent pour pomper l’eau, c’est-à-dire l’énergie déployée par la racine pour extraire l’eau du sol. Elle permet aussi de mesurer les remontées capillaires. Il faut disposer de plusieurs points de mesure pour obtenir une bonne fiabilité. La consommation d’eau par la plante varie en permanence selon l’ETP ou évapotranspiration, la surface foliaire et son stade végétatif. L’objectif de ces mesures est de piloter et de mesurer la croissance racinaire et, bien entendu, d’économiser l’eau au maximum. Nous allons maintenant reprendre l’expérience dite de la goutte pendante :
Pour le dispositif expérimental veuillez préparer une seringue micrométrique d’un volume de 2 ml, un tuyau en silicone et une aiguille à bout plat, en acier inoxydable, de 0,8 mm de diamètre extérieur et de 0,5 mm de diamètre intérieur. Veillez à ce que la caméra soit bien placée et faites les ajustements grossissement/qualité de l’image. Veillez à ce que l’éclairage soit parfait, la fibre optique placée derrière la plaque de plexiglas doit être reliée à la lampe dont l’intensité est réglée à son minimum. Appliquer la distance optimale objectif-goutte telle que déterminée lors de la précédente expérience. Je vous rappelle que la hauteur de la seringue millimétrique n’a aucune influence sur les résultats mais doit être fixe au cours de l’expérience afin d’éviter toute instabilité.
Vous vérifierez enfin la température et pourrez démarrer le goutte-à-goutte. L’objectif de votre exercice est de calculer la tension superficielle de la goutte pendante à l’équilibre.
Une heure trente plus tard, le cours s’acheva enfin. La première partie de la journée aussi. Soleen et moi nous nous dirigeâmes vers le module de restauration pour prendre notre ration de la mi-journée avant d’aller nous asseoir près de la fontaine holographique. Qu’il devait être agréable autrefois de s’asseoir près d’une vraie fontaine, avec de l’eau qui coulait vraiment, pouvoir plonger sa main dedans. Je n’avais jamais eu ce plaisir, toucher un léger filet oui, m’immerger jamais.
Nous avons bavardé de nos futures vacances à la fin du cycle d’Éducation. Soleen irait avec sa mère au centre holographique Nature et Faune qui vous permettait de vous balader en forêt, de faire du vélo en pleine journée, de pique-niquer près d’un lac ou de marcher pieds nus dans l’herbe fraîche grâce à la réalité virtuelle. On pouvait même voir des animaux et des insectes. Tout cela n’existait plus que dans ces images depuis bien longtemps.
Pour la première fois de ma vie, nous ne partirions pas en vacances cette année, mes parents, mon frère et moi à la fin du cycle d’Éducation. Mon frère finissait ses études d’ingénieur dans quelques semaines et commencerait très probablement à travailler sur le programme « Terra Incognita » dans la foulée. Toutes les « forces vives » de la planète travaillaient sur ce projet d’aller visiter l’univers pour y trouver une planète plus hospitalière que la nôtre car, malgré tous les efforts mis en œuvre depuis des générations, nous n’avions pas réussi à changer les choses, tout au plus à les rendre à peu près supportables, mais pour combien de temps encore ? La population mondiale vivait sur une bande de terre qui faisait le tour du globe dans la zone la plus au Nord, là où la fournaise ne vous cuisait pas à l’étouffée dès que vous quittiez votre habitation, là où l’on pouvait encore remonter à la surface entre le coucher et le lever du soleil. Il y faisait quand même une chaleur qui vous mettait en nage et vous obligeait à porter des combinaisons qui récupéraient la moindre goutte de sueur pour la retransformer en eau potable. Malheureusement, il y avait toujours d’infimes pertes par évaporation, c’est pourquoi nous devions éviter à tout prix de faire des efforts inutiles.
Mon père, lui, le conseiller spécial en astrophysique du comité des sages avait bien trop de travail à présent que le programme T-Inc en était à sa phase opérationnelle de construction et de test des vaisseaux. Il était prévu de construire quatorze méga vaisseaux pouvant transporter chacun, en caissons d’hibernation, plus d’un millier de personnes qualifiées dans la plupart des domaines scientifiques, biologistes, agronomes, mais aussi linguistes et historiens, afin de pouvoir faire face à toutes les situations qu’ils pourraient rencontrer sur leur planète de destination et surtout à la rencontre avec des êtres vivants, peut-être intelligents. Il fallait aussi transporter beaucoup de matériel afin d’installer des colonies. Plus de la moitié des vaisseaux était en cours de finition, les autres seraient prêts d’ici peu si tout allait bien. Le vaisseau N° 1 devait même faire un essai de décollage dans les prochains mois. Mon frère et mon père étaient tellement excités à cette idée que l’on ne parlait plus de rien d’autre à la maison depuis des semaines.
Maman, elle, avait moins la tête dans les étoiles et était très attachée à sa planète de naissance. Elle travaillait sans relâche pour trouver des solutions ingénieuses de cultures peu consommatrices d’eau dans le labo qu’elle dirigeait et espérait encore que les futures générations pourraient de nouveau vivre décemment sur cette planète, que les scientifiques parviendraient à modifier le climat d’une façon ou d’une autre. Elle voulait encore y croire.
Parfois, elle se laissait gagner par l’enthousiasme de Martial, qui se voyait déjà aux commandes d’un vaisseau découvrant la terre promise à quelques années-lumière de là. Il y installerait une colonie dont les règles de vie seraient basées sur notre règlement environnemental, ainsi il n’y aurait pas de risque de refaire les mêmes erreurs que nos ancêtres. Le paradis était à portée de main, enfin à portée de trou de ver en vérité.
Si les calculs de nos plus éminents scientifiques, dont faisait partie mon père, se révélaient exacts, il ne faudrait aux voyageurs interstellaires que six mois, en moyenne, pour atteindre les quatorze exo planètes sélectionnées pour avoir des caractéristiques proches de la nôtre, en termes de taille, de distance à leur – ou leurs – étoiles, d’atmosphère, de sol, bref capables d’accueillir la vie telle que nous la connaissions. Et tout ceci grâce à une découverte fondamentale faite presque par hasard sur les trous de ver : ils permettaient – ou plutôt permettraient, puisque nous n’avions encore aucune certitude à ce sujet – d’accélérer le temps quand on les traversait. Un voyage qui prendrait des dizaines, voire des centaines d’années, avec la technologie dont nous disposions actuellement, prendrait 100 fois moins de temps en utilisant l’accélération du trou de ver. Bien sûr, il fallait se rendre jusqu’à celui-ci et toute l’énergie possible serait déployée pour l’atteindre dans des délais convenables, ensuite il suffisait de se laisser « aspirer » et conduire par le trou de ver comme sur un tapis roulant. Il fallait enfin sortir du trou de ver et, toujours comme pour un tapis roulant, c’était là le moment le plus délicat, pas d’erreur possible ou c’était la chute ou le crash. Une fois cette étape délicate passée, il fallait « remettre les gaz » pour rejoindre la destination finale.
Mon père nous avait un jour expliqué qu’une fois arrivés, les voyageurs seraient déposés à plusieurs endroits sur les différentes planètes afin d’y tester le climat, les sols, d’y rencontrer les éventuels habitants. Martial avait travaillé comme un forcené depuis des années pour faire partie de l’élite des étudiants en science et pouvoir rejoindre le programme à la fin de ses études. Il touchait au but et, d’ici peu, nous ne le verrions plus beaucoup à la maison, il serait accaparé par son travail. Ouh la ! Je devenais sentimentale, j’avais presque failli penser que mon frère me manquerait quand il serait sur le site de construction des vaisseaux… Heureusement que je n’avais pas pensé à haute voix, quelqu’un aurait pu lui rapporter mes propos et plutôt mourir que de lui avouer que, même s’il était totalement exaspérant, je l’admirais pour tout ce qu’il avait accompli et tout ce qu’il allait accomplir !
La pause était terminée, nous avions avalé nos pilules de vitamines et sels minéraux et notre cup de racines et champignons qui étaient la base de notre alimentation. Aujourd’hui nous avions eu droit à du chou-rave, de l’igname et des pleurotes sans sel et sans épices bien sûr pour ne pas stimuler la soif.
C’était l’heure de la déconnexion. Aux heures les plus chaudes de l’après-midi, nous allions en salle de repos. Nous nous installions sur des fauteuils inclinables confortables, enfilions notre casque et hop, déconnexion neuronale pour quelques heures. Cela nous permettait d’avoir un véritable repos réparateur car, même pour ceux qui dormaient la nuit, lorsque la température était plus supportable – à la surface elle descendait rarement en dessous des 40 degrés, mais dans les habitations individuelles, comme la mienne ou dans les habitations collectives, elle pouvait baisser jusqu’à 30 degrés environ – le temps de sommeil ne dépassait pas quelques heures. Beaucoup en profitaient aussi pour remonter à la surface et oublier pendant un court moment que nous étions tous devenus des rats de tunnels.
La fin de journée était consacrée à un cours d’entomologie. Nous étudions les rares insectes encore vivants sur cette planète, c’est-à-dire ceux qui avaient été les plus aptes à s’adapter à la chaleur, à vivre dans les zones désertiques. Certains avaient réussi à développer des mécanismes pour capturer la moindre parcelle d’humidité de l’air sous leurs élytres comme certains coléoptères. D’autres s’enfouissaient sous le sable pendant la journée et sortaient la nuit. D’autres enfin, étaient juchés sur de longues pattes, pour avoir moins de surface en contact avec le sol brûlant, et se déplaçaient en courant. Malgré ces adaptations, on en trouvait aujourd’hui de moins en moins. Il arrivait souvent qu’ils ne reviennent pas de leur sortie diurne, directement « grillés » par l’astre rougeoyant. Par contre, il existait encore de nombreuses colonies de fourmis. Leur population totale dépassait de loin celle de notre espèce sur cette planète. D’ailleurs nos ancêtres avaient appris beaucoup de ces insectes afin de construire nos cités, de cultiver des champignons sous la terre… Elles aussi avaient dû s’adapter car la litière végétale nécessaire pour leurs champignonnières n’existait plus. Elles ne pouvaient plus découper des feuilles dans la forêt et les déposer dans leur chambre de culture. Plus de forêts, plus d’arbres, plus de feuilles… Elles devaient créer, comme nous, leur substrat de mycélium sans matière organique, un substrat minéral. Mais l’intelligence collective de ces insectes était immense et elles avaient inventé des techniques novatrices pour survivre. Nous n’avions fait, en grande partie, que les copier et étions nous aussi devenus des insectes souterrains.
La journée de cours s’acheva et, au coucher du soleil, nous avons regagné nos habitations.
Soleen prit son tram accompagné du charmant jeune homme de ce matin. Je me doutais que ce n’était pas pour se rendre à la bibliothèque holographique située au bout de la zone Éducation et Connaissances mais plutôt dans le bar à senteurs qu’elle fréquentait presque chaque soir.
Je repris ma ligne, mis mes écouteurs le temps du trajet, c’est-à-dire moins de quatre minutes. En sortant de la rame, j’enfilai de nouveau mes gants, mis mon chapeau et mes lunettes. Ce geste était devenu totalement automatique. Il était inconcevable de sortir sans ces protections même si le jour était déclinant et qu’il ferait nuit dans peu de temps.
En sortant du tunnel, je pris la vague de chaleur en pleine poitrine. J’avais moins de cent mètres à faire pour rejoindre mon habitation mais ne trainai pas. Je fus la première à arriver. J’en profitai donc pour passer au module de lavage à sec avant que toute la famille ne veuille y aller, pour me débarrasser, non pas de la sueur de la journée puisque celle de nos corps était aspirée par nos combinaisons et nos semelles de chaussures, et celle de nos mains et nos visages récupérée, à tout moment de la journée, par des collecteurs situés dans tous les corridors de la ville, mais pour avoir la sensation de frais venant des jets d’air qui délassaient tellement et puis pour sentir bon. Quel parfum allais-je choisir ce soir ? Quelque chose de discret c’est sûr si je sortais cette nuit.